LES ANIMAUX DOMESTIQ AU SOUDAN AU TONKIN PAR J. BOURGES VÉTÉRINAIRE EN PREMIER AU 4° HUSSARDS CLIMATOLOGIE — AGRICULTURE —— FOURRAGES HYGIÈNE DES ÉQUIDÉS D'IMPORTATION ER PATHOGÉNIE PARIS ASSELIN ET HOUZEAU AUGUSTIN CHALLAMEL LIBRAIRES DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE et de la Société centrale de Médecine vétérinaire Place de l'École-de-Médecine 5, rue Jacob LIBRAIRIE COLONIALE THE FIELD MUSEUM L li LT ss A AE 3] D >>. ÿ A TD» H = - \ S (F | VIN > : û 4 LT À | | ] NOTICE SUR LE SOUDAN FRANÇALS TONKIN airie d'Amérique et d'Orient JRIEN-MAISONNEUVE Ÿ e de Tournon = PARIS-6° ges Anciens et Modernes utes langues sur ces spécialités # 4584-93. — CorBeiz. Imprimerie CRÉTÉ NOTICE SUR LE SOUDAN FRANÇAIS ET LE TONKIN J. BOURGES VÉTÉRINAIRE EN PREMIER AU 4 HUSSARDS CLIMATOLOGIE — APERÇU DE L'AGRICULTURE ANIMAUX DOMESTIQUES HYGIÈNE DES ÉQUIDÉS D'IMPORTATION — PATHOGÉNIE PARIS ASSELIN ET HOUZEAU LIBRAIRES DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE et de la Société centrale de Médecine vétérinaire Place de l'École-de-Médecine 1893 AVANT-PROPOS L'expansion coloniale de la France est depuis quelques années l’objet des plus vives préoccupations ; de toutes parts on veut augmenter ce domaine déjà considérable ; c’est à qui dotera le premier sa patrie d’une possession nouvelle. Les pionniers de la civilisation font là un dur et péril- leux métier; ils marchent chaque jour à l’aventure sans souci du lendemain, se livrent avec une ardeur persévé- rante à la recherche de l'inconnu, et sont toujours prêts à faire de leur vie un généreux sacrifice. Ces travailleurs d'avant-garde nous ont donné dans ces derniers temps le Haut-Sénégal, le Haut-Niger, aujour- d'hui Soudan français, et le Tonkin. De Bammakô et de Laokay on ne savait pas grand'chose naguère, maintenant des fortins y abritent des troupes françaises, et sur les territoires considérables qui les en- vironnent, flotte le drapeau tricolore. Ces contrées nouvelles pour nousj offrent des ressources matérielles insuffisantes, — la civilisation nous a rendus exigeants, — et ce n’est pas sans de très grandes diffi- cultés qu’on assure le ravitaillement des postes qui les VI AVANT-PROPOS. occupent. Les cours d’eau ne sont pas toujours navigables et ils ne pénètrent pas partout; aussi les animaux do- mestiques : mulets, ânes, chevaux et bœufs, sont-ils large- ment mis à contribution, pour transporter au loin les denrées alimentaires et toutes matières utiles à un poste avancé. Tous les ans une colonne militaire. disséminée dans les broussailles du Haut-Sénégal, fait une longue et pénible promenade, pour ravitailler les postes construits sur la route commerciale reliant le Niger à Saint-Louis, par Kayes. La concentration des troupes a lieu à 1000 kilomètres du littoral, au village de Kayes. En septembre ou octobre les diverses fractions, desti- nées à la formationdes effectifs européens. embarquent à Toulon. À leur arrivée au Sénégal, des avisos les transportent directement dans le Haut-Fleuve : Kayes est le terme de celte voie fluviale (1). La colonne expéditionnaire comprenait en 1883 : Un officier supérieur commandant en chef; Un officier (chef d'état-major) ; Un commissaire de marine ; Un médecin-major et plusieurs aides ; Un vétérinaire en second et trois aides; Un peloton de spahis; Une compagnie d'infanterie de marine; Une batterie d'artillerie de la marine; Une compagnie auxiliaire d'ouvriers ; Trois compagnies de tirailleurs sénégalais ; Et trois à quatre cents mulets pour le transport des (1). Les escales de Saint-Louis à Kayes sont : 1° Richard Toll ; 20 Da- gana ; 3° Podor, 4° Saldé; 5° Matam et 6° Bakel. AVANT-PROPOS. VII vivres, sans compter des convois interminables de bour- riquots. Les troupes qui composent actuellement les forces du Soudan français sont ainsi constituées : 1° Un régiment de tirailleurs soudanais à deux batail- lons (un troisième bataillon est en voie de formation) ; 2° Un escadron de spahis soudanais de 200 cavaliers ; 3° Une compagnie dela légion étrangère de 120 hommes ; 4° Une compagnie de conducteurs soudanais avec 800 mulets et 300 chevaux. 5° Une batterie d’artillerie comprenant un nombre de sections très variable. En colonne on a eu jusqu'à six sections : section de 95, section de 80 de montagne, section de 65, section de 4, etc.; 6° Un détachement d’une centaine de sapeurs du régi- ment des chemins de fer. Outre ces troupes régulières, il existe des troupes auxi- liaires en formation à Ségou : 1° Quatre compagnies de tirailleurs auxiliaires ; 2° Un escadron de spahis auxiliaires en formation à Ségou ; 3° Dix compagnies de tirailleurs régionaux (une par cercle de région). Au commencement de décembre, cette colonne expédi- tionnaire, dont le but est essentiellement pacifique, part de Kayes, traverse Médine, Bafoulabé, Badumbé, Kita, Koundou et arrive enfin à Bammakô-sur-Niger (1). Les étapes entrecoupées de temps d’arrèêt dans les postes sont en moyenne de 15 kilomètres, on les fait au pas à raison de 3 à 4 kilomètres à l'heure, à la queue leu leu, à travers des sentiers ou des chemins fraîchement tracés .. (1) Cette longue route a été faite en trente-six étapes pendant la cam- “pagne 1883-1884. VIII AVANT-PROPOS. par la compagnie d'ouvriers qui précède la colonne. En temps ordinaire le réveil sonne à deux heures du matin ; il est accordé une heure pour le chargement des animaux et le lever du camp. À huit heures on arrive au gîte d'étape. L’officier chargé du campement indique à chaque unité sa place. Si l’on trouve à s'installer sous un grand arbre, c’est une bonne fortune; souvent il faut se contenter d’un arbuste rabou- gri sous lequel le soleil darde ses rayons dangereux. La tente est encombrante et insupportable. Elle est avanta- geusement remplacée par le gourbi. Les officiers ont droit à 50 kilos de bagages, c’est-à-dire à un demi-mulet. | Les Européens sont exempts de corvées et les ordon- nances sont choisies parmi les indigènes. La ration des Européens est la même pour tous, depuis le commandant supérieur jusqu’au dernier soldat. Elle se compose de : 1° biscuit ou pain 0,550, viande 0,550, tafia 0!,15, cassonade 0,032, café 0*,032, sel 0,022. Le vétérinaire chef de service marche avec l'état-major de la colonne, les aides sont échelonnés sur la ligne de ravitaillement, ‘pour donner leurs soins aux animaux de passage dans les postes. L’hivernage, ou saison des pluies, commence fin avril dans le Haut-Niger, c’est le signal du retour. Les fortins sont approvisionnés pour un an, leurs garnisons relevées, la campagne finie. Les débris de la mission abandonnent la garde du Sou- dan aux plus valides et reviennent à leur point de départ, Kayes. Uneflottille de chalands plats les transporte en quinze à vingt jours jusqu'à Podor, où des avisos les attendent pour les conduire à Saint-Louis. Un transport ramène en France les épaves de l'expédition dans un état lamentable. AVANT-PROPOS. IX En 1883-1884, la compagnie d'infanterie de marine, forte de 117 hommes, en avait perdu 43, du 1% octobre départ de Toulon, au 1° juin. Le service vétérinaire, étant donné son faible effectif, y est très éprouvé. Parmi les morts je citerai : Falgéras, Sarciron, Harlay, Pétot, Raffin et Petit. En passant, je ferai remarquer que la campagne 1883- 1884 fut exceptionnellement favorable; il n’y eut pas de surmenage et pas un coup de feu. Le Soudan français est la patrie d’agents pathogènes redoutables, c’est le pays privilégié de la fièvre sous ses formes les plus dangereuses. Tous les organismes qui s’y aventurent sont très éprouvés, tous, sans exception, sont obligés de lutter sans relâche pour la conservation de la vie, et si, de ce conflit, bêtes et gens sortent victorieux quelquefois, la victoire est toujours chèrement acquise. Les constitutions les plus robustes sont attaquées sans merci et ébranlées pour le reste de leur existence. Au Tonkin, la période des expéditions est passée; ce- pendant des vétérinaires sont attachés quelquefois à des colonnes volantes dont la durée est généralement courte. En dehors des rares faits de guerre de ces dernières années, ily a eu des convois de ravitaillement dans le Haut-Tonkin qui ont nécessité leur présence. La mortalité a épargné les trente vétérinaires environ qui s'y sont succédé. Plusieurs ont été rapatriés d'urgence pour cause de maladie, quelques-uns sont revenus plus ou moins touchés, par leur séjour dans des postes insa- lubres, la mort n'en a frappé aucun. Cette constatation démontre que le climat de l’indo- Chine n'est pas aussi dangereux qu’on le croit générale- ment; à ce point de vue, il me paraît considérablement distancé par le Soudan français. X AVANT-PROPOS. On se complaît souvent à décrier une contrée qu’on ne connaît pas, dont on parle par oui-dire et d’après des récits fantaisistes. Dans de pareilles .conditions il est bien difficile de dégager la vérité. Pour juger sainement des choses observées, il faut même se mettre en garde contre soi, car les situations particulières dans lesquelles on s’est trouvé, exercent sur les dispositions de l'esprit une influence à laquelle on doit penser toujours. Le tableau qu'on fait d’un pays peut donc être une image infidèle, quoique la foi la plus honnête ait servi à le peindre. Ainsi s'expliquent les divergences de vues les plus contradictoires soulevées par l’insalubrité d’un climat : « autant de têtes autant d'avis ». Dans le cours de ce mémoire, J'ai tenu compte de ces considérations, je me suis appliqué à apprécier de visu les choses que je raconte, sans me préoccuper de l’opinion générale, dont le sentiment ne saurait être mis en cause dans une étude personnelle. Quatre années passées au Soudan ou au Tonkin m'ont permis de recueillir quelques notes qu'à mon grand regret je n’ai pu rassembler plus tôt. Ces notes ont perdu quelque intérêt d'actualité, néanmoins je n'hésite pas à les repro- duire aujourd’hui, parce que les pays où mes observations ont été prises sont encore assez mal connus. Un éminent professeur de géographie disait tout récem- ment à propos de notre empire colonial : « I n’y.a aucun travail véritablement sérieux de fait sur aucune de nos colonies. On les étudie encore d’après les descriptions à l’ancienne : mode, c’est-à-dire qu’on étudie leur simple géographie physique. Mais tout ce qui concerne leurs res- sources économiques de tous genres, le présent et l’avenir de leur commerce, de leur industrie, de leur agriculture. l'exploitation des produits de leur sol et les bénéfices qu’on AVANT-PROPOS. XI en peut tirer, tout cela est encore dans l’ombre. Nous ne connaissonsencore quetrès superficiellement nosnouvelles conquêtes et leur géographie scientifique est complète- ment à décrire. Est-ce que l’on connaît la Guyane? Est-ce que l’on connaît le Sénégal? Le Tonkin lui-même le con- naît-on? Allons donc! tout cela est à refaire et le nouvel institut géographique fondé à la Sorbonne a du travail sur la planche s’il veut combler à ce sujet les immenses la- cunes de nos connaissances. Et cependant de nombreuses explorations ont été faites et Les voûtes de nos sociétés de géographie ont retenti de relations grandioses et pittores- ques accompagnées de pas mal de projections Molteni. Hélas! quelque reproche que je puisse avoir à subir, je ne puis m'empêcher de constater qu'à part quelques voya- geurs sérieux que je ne nommerai pas pour ne déplaire à personne, les autres, pour la plupart, ont accompli uni- quement des œuvres de fantaisie d'aucune véritable uti- lité pratique pour la France. « [ne faut pas avoir des explorateurs qui soient des ex- cursionmistes, ne rapportant des pays qu'ils ont traversés que des souvenirs plus ou moins étranges ou bizarres qu'ils montrent, et des récits plus ou moins pittoresques qu'ils font, semés d'incidents et d’anecdotes multiples, illustrés de photographies lumineuses et qui causent la joie -— est-ce bien sûr? — des auditoires ordinaires des sociétés de géographie. » Quelque judicieuse que puisse paraître cette critique Je la trouve un peu sévère; j'estime que les explorateurs qui ne font même que de la géographie physique ont droit à toute notre reconnaissance; si de leurs périlleux voyages ils ne rapportent point des documents chargés de science et de données positives sur le commerce, l’industrie, l’agri- culture, etc., des régions qu'ils ont parcourues, ils lais- XII AVANT-PROPOS. sent à leurs successeurs un itinéraire précis, où les plus empressés peuvent se rendre afin de compléter les travaux de leurs devanciers. En ce qui me concerne je me suis efforcé de rester dans le domaine ingrat des choses vétérinaires. Les observations que je rapporte ont été faites dans des milieux qui ne se prêlent guère aux efforts intellectuels ; elles ont été notées sous le gourbi ou sous le ciel, c’est là leur principal mérite. À ceux qui désirent des renseignements plus complets je dirai : Partez! De hardis explorateurs vous ont tracé de belles routes là où ils avaient rencontré des sentiers battus par les fauves, des postes de repos sont établis, de distance en distance, sur toute l'étendue des territoires que nous occupons, vous y recevrez le plus bienveillant accueil, Partez ! J'ai divisé ce travail en deux parties principales com- prenant chacune six chapitres, et je termine cette étude par quelques réflexions générales et comparées sur les possessions françaises qui en composent le sujet, J. Bourcës. Fontainebleau, avril 1893. LE SOUDAN FRANCAIS ET LE TONKIN PREMIÈRE PARTIE SOUDAN FRANÇAIS CHAPITRE PREMIER SOUDAN FRANCAIS. — POSTES PRINCIPAUX. — VOIES DE COMMU- NICATION. —— ASPECT GÉNÉRAL DU SOUDAN. — HYDROGRA- PHIE. — CONSTITUTION GÉOLOGIQUE DU SOL. Soudan français. Le Soudan français commence au fort de Bakel, qui est situé à 800 kilomètres de l’embouchure du Sénégal, sur la rive gauche de ce fleuve ; il s'étend jusqu’à Ségou. : Désigné, il y a quelques années, sous les noms de Haut- fleuve, de Haut-Sénégal, Haut-Niger, l’appellation de Soudan français lui a été donnée par le colonel Galliéni en 1886. Compris entre Les 12° et 16° de latitude nord et les 8° et 15° de longitude à l’ouest de Paris, il a pour limites 1 2 SOUDAN FRANCAIS. au nord et nord-est des régions mal connues qui limi- taient il y a deux ans l’empire Toucouleur (1); au sud le Fouta-Djallon, au sud-est le Niger. Postes principaux. Les postes principaux du Soudan français sont : Kayes. — À 140 kilomètres en amont de Bakel. Village sans importance, mais qui par sa situation topographique occupe le premier rang. En amont de Kayes le Sénégal n'est plus navigable. C’est dans ce poste que débarque le personnel de la mission du Soudan; c’est là que l’on entasse les approvisionnements destinés au ravitaillement des fortins et de la colonne expéditionnaire. Le gouver- neur y réside, les services auxiliaires y sont centralisés. Une voie ferrée relie Kayes à Bafoulabé. Médine. — Ce poste est situé à 12 kilomètres du pré- cédent sur la rive gauche du Sénégal. Le siège qu'il supporta en 1857 contre les Toucouleurs et la défaite que le général Faidherbe infligea au fameux conquérant EI Hadj Omar l'ont rendu célèbre. Diamou. — À 42 kilomètres de Médine. Bafoulabé. — Primitivement Le poste de Bafoulabé avait été construit entre le Bafing et le Backoy, sur la pointe de terre qui sépare ces deux rivières avant leur Jonction. | Le Sénégal est formé par ces deux cours d’eau et le poste est établi sur la rive gauche du fleuve, à son origine. De Diamou à Bafoulabé, on compte 90 kilomètres. Badumbé. — Petit fortin sur la rive gauche du Backoy au confluent d’un marigot. Kita. — Construit en 1881-82 et 1883, c'est un fort « placé dans la plaine sur une petite élévation de manière à commander toutes les routes qui s'y croisent. Il est (1) On sait que l'empire Toucouleur ou royaume de Ségou a été réuni au Soudan francais pendant la brillante expédition de 1890-1891 commandée par le colonel Archinard. POSTES PRINCIPAUX. 3 dominé par les deux montagnes entre lesquelles est la gorge du pays de Kita; mais 1l se trouve à une assez grande distance de l’une et de l’autre pour n’avoir rien à redouter en cas d'attaque, les indigènes n’ayant pas d’artil- lerie et ne possédant que des fusils d’une assez faible portée. Des considérations d'économie, d'influence poli-- tique et de possibilité d'emploi de travail des indigènes, ont dû faire abandonner les hauteurs malgré tous les avantages qu'elles présentaient. « L'ensemble des ouvrages comprend : « 4° Le fort proprement dit; « 2° Le camp retranché. « Le fort proprement dit est en maçonnerie. Son con- tour extérieur a la forme d’un grand rectangle ayant 14%,50 de long sur 47",80 de large. Aux extrémités d'une même diagonale sont deux bastions également en maçonnerie et ayant 10 mètres de saillie sur les faces de flanquement ; 21°,30 sur les deux autres faces. « Les bâtiments des faces nord, est et ouest, et les bastions n’ont qu'un rez-de-chaussée ; le bâtiment sud a un rez-de-chaussée, un étage et des combles. Le nombre des créneaux est de 128. «Le camp retranché, qui entoure le fort, est formé par un vaste rectangle bastionné dont les côtés extérieurs ont 197 et 232 mètres. « Les murs en argile ont 45 centimètres d'épaisseur. La pénétration de la balle du fusil modèle 1874 tiré à bout portant, n’est que de 10 à 12 centimètres. « Le bastion nord-ouest est en maconnerie. Un fossé de profondeur variable s'étend le long de ces murs (1). » Niagassola. — A 115 kilomètres de Kita, au sud, 345 mètres d'altitude. Koundou. — À 120 kilomètres de Kita, à l’est. (1) La France dans l'Afrique occidentale, ouvrage publié par le ministère de la marine et des colonies (1884), page 257. 4 SOUDAN FRANCAIS. Bammakô. — À 130 kilomètres au sud-est de Koundou, 270 mètres d'altitude. Séqou. — Capitale du sultan Amahdou. Nioro et Koniakary. — Places importantes de l'empire Toucouleur. Ces trois forteresses ont été enlevées dans ces dernières années au fils d'Omar El Hadj, la Colonne de l’Islam, comme on le désigne au pays noir, à la suite d’expéditions audacieuses et brillantes dirigées par le colonel Archinard. Dans les États de Samory nous occupons les villages de Kérouané, Bissandougou, Sonan-Koro, etc. Ce sont là les principaux postes du Soudan. Leur nombre s’accroît chaque année au fur et à mesure que s’accomplit notre œuvre de pénétration dans le continent noir. Voies de communications. Une ligne télégraphique relie les postes du Soudan entre eux et avec le chef-lieu de la colonie, Saint-Louis. Des routes muletières seules permettent le ravitail- lement des postes. On utilise bien les rivières, quand on le peut, mais leur cours est tellement capricieux qu'il n'est pas possible de compter sur ce moyen de transport pour approvisionner les postes d’une façon ré- gulière. La flottlle du Niger reçoit les vivres du Sénégal et les transporte à Ségou pendant l’hivernage. Une voie ferrée ébauchée en 1882 et continuée les années suivantes relie Kayes à Bafoulabé. La construction d’un chemin de fer entre le Sénégal et la vallée du Niger est actuellement à l'étude. Sa nécessité s'impose. L'occu- pation de l'immense territoire sur lequel flotte le dra- peau tricolore exige des voies de communications rapides. Bien des existences seraient conservées s’il était possible d'éviter aux Européens les longues et nombreuses étapes ASPECT GÉNÉRAL. 5 qui rendent impraticable le rapatriement des malades! Le ravitaillement serait singulièrement facilité ; l’on ne mettrait plus des mois pour transporter de Kayes à Bammakô ce qui le constitue, à savoir : vivres, matériel, munitions, étoffes d'échange, argent, médicaments, etc. Les routes suivies par les caravanes sont d’étroits sen- tiers en zigzag. Les cours d’eau sont traversés par les indigènes au moyen de pirogues toutes primitives, simples troncs d'arbres creusés. Aspect général du Soudan. Quand on n’a pas fait du Sénégal une étude attentive, on se le représente comme une grande plaine sablonneuse ; le vulgaire voit dans ce pays un immense désert manquant d’eau et laissant cependant émerger, de loin en loin, quelques oasis offrant une végétation rabougrie. Le voyageur qui passe en vue de l'embouchure de ce grand fleuve de l'Afrique équatoriale peut éprouver ce sentiment. Le Sénégal se montre à lui, en effet, sous la forme d’une bande sablonneuse, à la surface de laquelle végétent quelques touffes d'herbes qui ne modifient pas l'aspect désolé de ces régions arides. Les marins qui voient le Sénégal de leur bord peuvent aussi avoir cette impression. Mais, pour changer d’opi- nion, il faut franchir la barre, remonter le fleuve jusqu’à 800 kilomètres de son embouchure et parcourir ensuite le pays jusqu’au Niger. On se trouve alors en face d'une «région très mouvementée, offrant une succession confuse de montagnes bizarrement découpées, de chaînons enche- vêtrés, de massifs, de pics, d’éperons, le tout disposé d’une facon irrégulière. « On sait toutefois que ce système se rattache au nœud central du Fouta-Djallon, où se trouvent les sources du Bafing et de la Gambie, de la Falémé et de toutes les rivières 6 SOUDAN FRANCAIS. du sud. L'aspect de ces montagnes est presque partout le même et assez curieux. Ce sont des hauteurs à pente très raide, couronnées par une véritable muraille de rochers absolument à pic. Leur altitude varie de 4 à 500 mètres (1). » Hydrographie. Deux grands cours d’eau arrosent le Soudan français : ce sont le Niger et le Sénégal. Le Niger.- Le Niger ou Dioliba a sa source dans les monts Loma, au sud du Sénégal; nos possessions du Soudan sont limi- tées au sud-est par ce grand fleuve, dont la largeur varie de 800 à 1800 mètres, et la profondeur de 1 à 8 mètres et plus, sans doute, dans certaines parties de son cours. Pendant la campagne 1883-84 un enseigne auxiliaire de la marine, M. Frogé, capitaine au long cours, fut chargé de la direction du transport d’une canonnière démontable, pour explorer le Niger de Bammakô vers Tombouctou. Le 2 avril 1884, les premières pièces de cette canonnière arrivaient avec la colonne expéditionnaire à Bammakô et, un mois plus tard, au commencement de l’hivernage, on procédait au montage de ce bateau. Quelques semaines après, la canonnière descendait le Niger jusqu'en aval de Manabougou; son exploration ne porta que sur une cinquantaine de kilomètres, une maladie grave ayant empêché le commandant de l’équi- page de pousser plus avant la reconnaissance du grand fleuve. En 1885, un enseigne de vaisseau (2) prit le comman- dement du Niger, c'est le nom de ladite canonnière, (1) Lieutenant Dupommois, Conférence sur le Sénégal. (2) M. Davoust. « HYDROGRAPHIE. 7 descendit jusqu’à Sansanding, après avoir traversé, sans difficultés, le royaume de Ségou et pénétra jusqu'à Djenné dans le Macina. En 1886, l'exploration fut continuée jusqu’à Kabara, le port de Tombouctou, par un officier de marine, M. Caron. La mission fut accueillie très froidement par le sultan de cette ville mystérieuse, et si les couleurs françaises flottèrent à Kabara, pour la première fois, elles durent, une fois la visite faite, se replier, en bon ordre, pour ’etourner au port de Manabougou {1). Au point de vue géographique, c'est une entreprise almirable que cette reconnaissance hardie et périlleuse, et qui fait le plus grand honneur aux quelques braves qui ont été choisis pour la réaliser. Avant cetteexploration, lecours du Niger était peuconnu; on sait aujourd’hui qu’il estnavigable, pendantla saison des pluies, jusqu’au port de la capitale du Soudan occidental. De Tombouctou au golfe de Guinée, c’est-à-dire Jusqu'à l'embouchure du fleuve, les Anglais manœuvrent pour y étabir leur prépondérance. Le bassin du Niger n’est pas très exactement connu. Les rivièies et marigots qui y affluent ont été relevés incom- plètement, mais on sait que le haut Niger, qui se trouve compris entre le mont Loma où il a ses sources et Îles roches de Sotuba, en aval de Bammakô, reçoit les affluents dont les noms suivent : 1° Sur la rive gauche : le Falico, le Tombali, le Sissi, le Koba, le Niando, le Diamba, le Kodosa, le Ba n'Diégué, le Tankisso, l'Amarakola et sept petits marigots en amont du poste de Bammakô; (1) Les Touaregs infligèrent des coups de corde au chef de Tombouctou et lui firent payer une amende de 80 captifs parce que, prétendaient-ils, il avait attiré les Français chez eux, ce qui était faux. En 1889 la canonnière le Mage, commandée par le lieutenant de vaisseau Jaime, fut très mal reçue. « Les Touaregs, dit M. Jaime, avaient fait le vide autour de nous; ils ont empêché le Rhiaia, chef de Tombouctou, de venir nous parler. (De Koulikoro à Tombouctou, par M. Jaime, lieutenant de vaisseau.) * 8 SOUDAN FRANCAIS. 2° Sur la rive droite : le Mafou. le Yendan, le Milo, le Soussa, le Faudoubé et le Mahel-Balevel. Le Sénégal. Il a été déjà dit que le Sénégal était formé par le Bafing et le Backoy à Bafoulabé. Ce fleuve se compose ne série de bassins successifs, et forme les chutes du Fellou, en amont du poste de Médine. Sa largeur varie entre 400 et 800 mètres ; sa profondeu de 8 à 12 mètres. Les vapeurs d'un fort tonnage peuvent remonter Sénégal jusqu'à Kayes, du 15 juillet à la fin de septemb Pendant la saison sèche la navigation y est difficile; seyls les chalands ou des chaloupes, ayant un faible tirant d’eéu, y trouvent assez de fond pour arriver à Kayes, non sans avoir éprouvé des échouages fréquents. Pendant une paftie de l’année la navigation y est presque impraticable. | Le Bafing est une belle rivière, d’une largeur de 450 mè- tres à Bafoulabé, décrivant de nombreux méandres et roulant des eaux tranquilles, potables et d’une limpidité remarquable en saison sèche. IL prend sa source dahs le Fouta-Djallon, et reçoit sur son parcours un assez prie nombre d’affluents, encore mal connus. Le Backoy est moins large que le Bafing Fobiter 200 mètres, au confluent même. Il vient du Ne et se compose 14 eaux d’une quantité de marigots, de ruisseaux et de petites rivières. Un de ses principaux affluents, c’est le Baoulé qui se jette dans le Backoy au gué de Toukolo. Les eaux du Backoy roulent sur des galets; elles sont très claires, pendant la saison sèche, et ont un goût très agréable. Les vallées que ces cours d’eau arrosent seraient d’une fertilité prodigieuse si elles étaient cultivées; mais la popu- lation est clairsemée sur leurs rives, et ce n'est que de loin en loin qu'on y trouve des traces de culture. CONSTITUTION GÉOLOGIQUE. 9 Constitution géologique du sol. Les roches ferrugineuses et de nombreuses variétés de grès constituent la base du Soudan français. Dans les collines du Haut-Niger on trouve aussi du quartz et du granit. Le calcaire fait absolument défaut ; malgré les nom- breuses recherches qui ont été faites à ce sujet, je ne sache pas quon ait signalé des roches en contenant. Pour la construction des murs de nos fortins, l’absence de calcaire a été très regrettable ; car on a dû lui substituer, pour consolider et rejointoyer les ouvrages en maçonnerie, de la chaux en petite quantité, faite avec les bancs d’hui- tres qui existent dans le Niger, près de Bammakû. Les vallées sont argilo-sablonneuses et renferment une couche épaisse de détritus organiques. Dans les terres vierges, l’humus est très abondant ; à la surface des lou- gans (1) son épaisseur est évidemment moins considé- rable. Les matières végéto-animales constituant l’humus se déposent aussi dans les failles que présentent les grès. C’est l'argile qui domine sur les rives des fleuves ; au niveau des rapides on trouve du grès en partie ravagé par les eaux. Le lit du Niger, à Bammakô, contient beaucoup degalets ainsi que le Baoulé, le Backoy, le Bafing et d’autres cours d’eau tributaires du bassin du Sénégal. Dans les rivières et les vallées, on rencontre de nom- breuses variétés de coquillages. (1) Terres cultivées. CHAPITRE II CLIMATOLOGIE. — DE L'INFLUENCE DU SOLEIL SUR LES ANIMAUX : INSOLATION ET COUP DE CHALEUR. Climatologie. Au Soudan on distingue deux saisons principales 1° la saison sèche : 2° la saison des pluies ou hivernage. À. Saison sèche. Elle commence fin octobre et se termine fin avril. Durant cette période il ne pleut jamais. Ainsi le 14 oc- tobre 1883, je débarquai au lazaret de Bop-Diara (rive gauche du Sénégal entre Saint-Louis et l'embouchure du fleuve), je quittai Bammakô le 24 avril de l’année sui- vante, et entre ces deux dates la colonne expéditionnaire essuya, dans la nuit du 21 mars, sur la rive du Badingho, une averse très abondante qui l'empêcha de faire son étape matinale : c’est le seul jour de pluie, du reste, que j'aie enregistré du 14 octobre 1883, Jusqu'au commence- ment d'avril 1884. Novembre. — À Kayes, pendant le mois de novembre le thermomètre marquait 32° à l'ombre. La température maxima de la moyenne du mois est de 33°6 et minima 19°1. Le baromètre oscille entre 734 et 740 ; on souffre peu de 12 SOUDAN FRANCAIS. la chaleur, à la condition toutefois de ne pas rester au soleil entre dix heures et trois heures. Les nuits sont agréables, fraîches et réconfortantes. L'état sanitaire s'améliore, les animaux fatigués par l’hivernage reprennent peu à peu quelque vigueur. C'est l’époque des récoltes de mil, maïs, patates et ara- chides et de la culture du tabac, des haricots et des lé- gumes variés qui servent à la nourriture des Noirs. Décembre. — Les observations thermométriques que J'ai relevées en décembre m'ont donné une température maxima de 30° et minima 16°. La nuit le thermomètre baisse considérablement, surtout à partir de deux heures. Ainsi, jusqu à dix heures, sous le gourbi, on se passe vo- lontiers de couverture; quand arrive le matin, on éprouve une sensation de fraicheur et même de froid manifeste. Il y a des écarts de 20° entre trois heures du matin et trois heures du soir, dans la température du mois de décembre. Les animaux sont peu influencés par les transitions brus- ques qui provoquent souvent chez l’homme la diarrhée et la dysenterie. La pression barométrique est de 734 à 738. Une légère brise, venant de l’est, souffle de temps en temps et rafraichit l'atmosphère. Janvier. — La température de janvier est sensiblement la même que celle de décembre, à un degré près. Cepen- dant j'ai constaté 13° à cinq heures du matin, au cam- pement de Laoussa, entre Bafoulabé et Badumbé. Le vent d'est souffle avec plus de force et plus de fré- quence que pendant le mois précédent. À Bammakô on a observé 7°, 8° et 9° le matin et 38° et 40° le soir vers trois heures à l'ombre. ‘état sanitaire est généralement très satisfaisant pen- dant le mois de janvier, malgré les variations nycthé- mérales. CLIMATOLOGIE. 13 Février. — La chaleur se fait sentir avec une intensité plus vive; les arbres commencent à perdre leur riante verdure, les feuilles tombent grillées par le soleil, et l’on trouverait difficilement à établir un campement, ailleurs que sur les bords des rivières et des marigots ; température maxima 34 degrés, minima 19 degrés ; à Kita le baromètre oscille entre 734 et 735. Le vent d’est continue à souffler de temps en temps, ainsi que le vent du nord. En février, le ciel, généralement serein en saison sèche, se couvre quelquefois de brouillards ou de nuages épais. Le soleil, si éclatant d'ordinaire, disparait derrière ces nuages, l’atmosphère est lourde et l'on éprouve un malaise inaccoutumé. Ce sont des journées d’hivernage en pleine saison sèche, se traduisant toujours par une constitution médicale mauvaise. Mars. — Le thermomètre monte, mais les nuits restent fraîches, elles sont moins froides cependant que pendant les mois précédents ; température maxima 39 degrés, minima 19 degrés. | Des vents d’est-nord-est soufflent avec violence, ren- dent la chaleur très supportable et surtout moins acca- blante que lorsque l'atmosphère est calme. La brise, quelque faible soit-elle, d’où qu'elle vienne, est toujours la bienvenue ; on lui pardonne les nuages de poussière, qu'elle pousse jusque dans les cases et dans les yeux. Le poste de Kita jouit particulièrement de ce privilège, et il le doit à la situation qu'il occupe, dans le col qu'il commande. La pression barométrique est de 736 à 737 à Kita. Avril. — C'est le mois le plus chaud de la saison sèche; température maxima 40 degrés, minima 22 degrés. Le soleil est ardent, pas de nuages dans la plus grande partie du Soudan. Cependant vers la fin d'avril, l'hivernage 14 SOUDAN FRANCAIS. s'annonce dans le Haut-Niger. J’ai pu faire cette consta- tation, pendant une vingtaine de jours du mois d’avril1884, passés sur les bords du Niger. Hauteur barométrique 736 à 737. En avril, les indigènes préparent la terre pour la culture des céréales. B. — Saison des pluies. Elle comprend les mois de mai, juin, juillet, août, sep- tembre et octobre. Elle est caractérisée par des orages vio- lents. La tension électrique de l'atmosphère est considé- rable, les coups de tonnerre ont une violence inconnue dans les climats tempérés ; et si, comme la Bible le pré- tend, le tonnerre est la voix du Seigneur irrité, les Souda- niens, fétichistes ou mahométans, devraient bien abjurer leur foi pour calmer la colère céleste. Les Noirs n’ont pas lu les vers admirables de Lucrèce et le tonnerre ne leur fait pas peur. Des pluies abondantes grossissent les fleuves, les ri- vières et marigots. Les eaux deviennent boueuses et se répandent dans les plaines basses, qu'elles inondent et transforment en marais. Le soleil reste aussi ardent que pendant la saison sèche; grâce à son action, l’évaporation constante de vapeur d’eau qui a lieu de toutes parts rend la température insupportable. Des quantités de vapeur d'eau remontent en nuages épais dans les parties élevées de l'atmosphère, pour retom- ber plus tard en tornades terribles. Les jours qui précè- dent les orages violents sont pénibles à traverser, Les ani- maux transpirent abondamment sur place, à l'écurie; pas un souffle de brise ; la respiration est haletante, oppressée, le pouls est plus vite que dansles conditions physiologiques, le moindre exercice est fatigant, la chaleur suffocante. C'est dans ces conditions qu'on attend l’orage, on peut dire avec anxiété. Tout à coup un vent du sud-ouest, INFLUENCE DU SOLEIL SUR LES ANIMAUX. 15 précurseur de la tempête, se lève; il souffle avec im- pétuosité d'abord, pour se calmer ensuite, et laisser à la pluie le soin de rafraichir l’air, tandis que d’éblouissants éclairs sillonnent l'atmosphère. Pendant que la pluie tombe on éprouve un bien-être général que les animaux ressentent comme les hommes, et qu'ils expriment dans leur langage muet, par une atti- tude plus gaie. Ce phénomène retracé à grands traits, se renouvelle cent fois pendant la saison humide, avec des variantes qui en atténuent les effets quelquefois, ou bien les exagèrent. Toutes les secousses climatiques supportées par l’orga- nisme, pendant l’hivernage, l’éprouvent profondément, en altèrent la vigueur et en précipitent souvent la destruction, pour peu qu'il se soit présenté dans un état de faiblesse, au commencement de cette saison. Le thermomètre ne descend presque jamais au-dessous de 22 degrés, et ne dépasse pas 30 degrés à l’ombre. Le baromètre éprouve de fortes oscillations au moment des tornades ; on constate des variations de 5 à 6 milli- mètres à de courts intervalles, produites par l'inégalité de pression qui détermine la tempête. De l'influence du soleil sur les animaux : insolation et coup de chaleur. « En médecine vétérinaire, l'insolation et le coup de chaleur sont généralement confondus ; l'affection que ces deux accidents déterminent est désignée indistinctement sous l’une ou l’autre de ces deux dénominations. Au point de vue pathologique, la différence n’est pas toujours très bien tracée, et ce qui devrait écarter toute confusion, c’est l’étiologie même qui est bien spéciale pour chacun de ces Cas. L'insolation reçonnait pour cause la lumière solaire, tandis que le coup de chaleur est dû à une température 16 SOUDAN FRANCAIS. élevée dont les effets pathogènes sont accrus par des cir- constances nombreuses. En France, quelques vétérinaires ont observé l’insola- tion chez les animaux; l’Algérie, la Tunisie, le Sénégal et le Tonkin en ont fourni des cas nombreux (Consulter à ce sujet le Recueil des mémotres et observations de méde- cine vétrrinaire mililaire). Pour mon compte, je n'ai pas constaté cette affection en France, ni dans les climats intertropicaux. J'ai suivi, à travers le Haut-Sénégal et jusqu'au Niger, trois cents mulets ou chevaux de provenance algérienne ; Je les ai vus longtemps exposés aux rayons brûlants du soleil, sans danger immédiat pour la conservation de leur vie. Tandis que sous la tente ou de mauvais gourbis, laissant pénétrer quelques rayons solaires pendant la sieste, les hommes étaient mortellement frappés, les ani- maux témoignaient seulement d’une certaine lassitude qu'on pouvait attribuer à la fatigue aussi bien qu'au soleil. Le coup de chaleur se présente quelquefois ; cependant, pour qu'il se manifeste, faut-il encore que les animaux soient soumis à un exercice pénible, à une course rapide aux heures chaudes de la journée, ou que la température soit suffocante. De Kayes à Bammakô sur Niger, on compte près de 600 kilomètres, que J'ai parcourus pendant la campagne du Haut-Sénégal (1883-1884) en trente-six étapes, soit soixante-douze pour l'aller et le retour. Quand la colonne expéditionnaire poursuit pacifique- ment sa route, qu elle n’est pas harcelée par les partisans de quelque marabout, elle se met en marche à trois heures du matin, une heure plus tôt ou une heure plus tard, selon la longeur de l'étape, et s'arrête généralement avant huit heures pour établir son campement, où elle passe le reste de la journée. En saison sèche, les nuits sont fraîches et les animaux ne souffrent pas de la chaleur amenée par les premiers INFLUENCE DU SOLEIL SUR LES ANIMAUX. 417 rayons du jour ; il n’est donc pas surprenant que les coups de chaleur les épargnent. Une mule algérienne m'avait été affectée pour Île trans- port de mes bagages personnels et d’une cantine vétéri- naire: je l’ai conservée en excellent état pendant sept mois de route. Je ne lui ai Jamais offert le luxe d’un gourbi, en colonne, et très souvent elle est restée exposée à un soleil ardent. S'il y avait des arbres dans le campement, c'était une bonne fortune dont profitaient les gens et les bôtes, mais, le plus souvent, les officiers eux-mêmes de- vaientse contenter d’un arbrisseau rabougri, sans ombrage. Les animaux étaient presque toujours exposés au soleil ; et, dans ces conditions, l’insolation ne les a pas frappés. Au Tonkin. soit en station, soit en colonne, j'ai cherché à remarquer la mauvaise influence du soleil sur des animaux isolés, au piquet, pendant les mois les plus chauds de l’année, mai, juin et Juillet, et dans aucun cas ils n’ont été touchés par la radiation solaire. J'ai vu un mulet succomber à une apoplexie ménin- gienne dans le courant du mois de juillet, à une heure du soir, mais cet animal était parfaitement abrité sons un hangar dont la toiture ne laissait pas pénétrer les rayons lumineux (écurie dite des Éléphants, à Sontay). La cause de la mort ne doit donc pas être attribuée à la luminosité solaire, mais plutôt à la chaleur atmosphérique : il s'agit là d’un coup de chaleur et non d’une insolation. Le principal ennemi que rencontre l’Européen dans les climats tropicaux, c’est le soleil. Grâce à une coiffure spé- ciale consistant en un casque en liège, moelle de sureau ou toute autre substance, mauvaise conductrice du calo- rique, il est possible de lui résister souvent, mais on paie de sa vie la moindre imprudence. Dans aucun cas, aux heures chaudes de la journée, il ne faut se découvrir: c'est 1à une indication de premier ordre qu'on ne saurait transgresser sans courir un grand danger. Les animaux, au contraire, jouissent à cet égard d'une sorte de grâce h) _ 18 SOUDAN FRANCAIS. d'état qui les préserve des accidents foudroyants que l’in- solation occasionne. C'est du moins mon opinion, et elle est basée sur des observations nombreuses faites dans les milieux les plus favorables : Haut-Sénégal, Haut-Niger, Tonkin. J'insiste sur cette question, parce que des vétérinaires ayant également servi aux colonies soutiennent une opi- nion contraire à celle que je viens d'exprimer. Je m'ins- cris en faux contre toute énonciation qui ne repose pas sur des faits bien observés : à ceux qui émettent une assertion contraire, il appartient de la justifier. À toutes les objections que pourra soulever ma manière de voir, Je répondrai : Si le soleil des régions inter-tropi- cales était aussi pernicieux pour les animaux que pour les hommes, tous les chevaux et mulets importés au Sénégal et au Tonkin seraient condamnés à une mort imminente dès leur arrivée dans ces climats. Et, en effet, quelles que soient les précautions prises pour abriter les animaux, quand on veut les utiliser il faut bien les sortir ; donc tous devraient mourir insolés. Non seulement tous ne meurent pas, mais, Je le répète, je n'ai pas, pour ma part, un seul exemple d’insolation à citer. La nocuité des rayons lumineux calorifiques et chi- miques du soleil de la zone torride est quelquefois ren- forcée chez l'homme par l'alcoolisme; c’est là une cir- constance prédisposante qui n’atteint pas le cheval. et dont se passe fort bien d’ailleurs la radiation solaire pour exercer son action malfaisante sur l'espèce humaine. L'encéphale de nos animaux domestiques n'offre pas une grande surface à l'influence des rayons du soleil, et la solide coque qui abrite leur petit cerveau les préserve mieux que tous les chapeaux protecteurs que l’on pourrait imaginer. Mais on à vu des mulets s’affaisser et mourir sous le poids d’une charge lourde, par un temps chaud, un soleil éclatant et cette atmosphère accablante que, seuls, con- INFLUENCE DU SOLEIL SUR LES ANIMAUX. 19 naissent bien ceux qui ont supporté l’hivernage du Soudan français ou de régions analogues géographiquement par- lant. Ces accidents sont-ils dus exclusivement au soleil ? Sans doute il joue un grand rôle dans leur causalité par l’action directe ou réfléchie de ses rayons, par l'élévation de la température et la raréfaction de l'air. Ces phénomènes ne donneraient pas les mêmes résultats si les autres fac- teurs : travail, chaleur humide, tension électrique de l'atmosphère et autres causes individuelles prédisposantes ne contribuaient pas, pour la plus grande part, à produire le mal. Ce que je veux faire ressortir, c'est la différence d'action des rayons du soleil agissant directement sur les hommes et sur les animaux. Placez un mulet, un cheval si vous préférez, soit au Sénégal soit au Tonkin, au mois de juillet, en plein soleil toute la journée, je crois pouvoir garantir l’innocuité de l'expérience, tandis que je pourrais citer de nombreux cas d'insolation sur l’homme dans des conditions moins expérimentales. | Ainsi au mois de mars 1884, à Kita (Haut-Sénégal), un soldat d'infanterie de marine commet l’imprudence de traverser tête nue la cour du poste, à midi : il tombe au milieu de cette cour, frappé par le soleil. Ailleurs, c'est un servant de l'artillerie de marine qui, malgré les prescriptions les plus sévères, se débarrasse de son casque pour se baigner à huit heures du matin; le même jour il succombe à une congestion cérébrale. J'ai beau faire appel à tous mes souvenirs, rien de sem- blable ne s’est jamais présenté dans le champ de mes observations sur les animaux. Si l’insolation ne se traduit pas chez le cheval par une commotion congestionnelle del’encéphale quientraînerapi- dement la mort, comme cela s’observe fréquemment chez l'homme, elle peut survenir sous la forme d’érythème solaire. Dans ce cas, l'influence des rayons chimiques, 20 SOUDAN FRANCAIS. lumineux et calorifiques s’est fait sentir sur une région de la surface du corps et v a déterminé une inflammation su- perficielle, se traduisant par une hypérémie des vaisseaux du derme, accompagnée d’une légère infiltration cellulaire envahissant le corps muqueux de Malpighi. L'épiderme se détache de la couche muqueuse et l’eczéma se borne à ces altérations sans gravité. Des considérations dans lesquelles je suis entré à pro- pos de l'influence du soleil sur les animaux, il ne faudrait pas conclure que je méconnaisse l'utilité des gourbis et des abris de toute sorte que l’on peut établir en colonne. Il ne faut pas oublier que si l’animal est moins sensible à la lumière solaire que l’homme, s'il peut rester, sans danger immédiat pour sa vie, exposé à la luminosité des pays torrides, on ne perdra pas de vue qu’à l'ombre il se repose beaucoup mieux. Je termine en disant que le coup de soleil ou insolation chez les animaux est un accident que je n'ai jamais vu dans les climats inter-tropicaux et que les cas rapportés dans les Annales vétérinaires me paraissent contestables. Les rayons solaires au Sénégal et au Tonkin peuvent dé- terminer la mort de l'homme et la déterminent en effet, ils ne frappent jamais les animaux : les congestions cérébrales que l’on observe chez eux sont dues aux effets pathogé- niques de la chaleur et non à la radiation solaire (1). » (1) Extrait de la Revue vétérinaire, n° de janvier 1890. Réflexions sur l’insolation et le coup de chaleur, par J. Bourgès. CHAPITRE HI APERÇU DE L AGRICULTURE DES PEUPLADES DU SOUDAN FRANÇAIS. Travailler est un déshonneur que tout homme libre ne saurait encourir. C'est le raisonnement que tiennent les Noirs en général, et ils s'appliquent à ne pas s’écarter de cette ligne de conduite. « Pourquoi veux-tu que je tra- vaille ? disait un Bambara au colonel Borgnis-Desbordes ; j'ai du mil et des femmes pour le piler. » Ils travaillent suffisamment pour obtenir les éléments de la vie matérielle, aussi simple que primitive, dans laquelle ils sont heureux de vivre. Le Soudanien à peu de besoins. Son habitation est une case conique, ayant quelque analogie avec la ruche tradi- lionnelle de nos abeilles. Une ouverture unique donne accès dans cette case. L’ameublement comprend des nattes ou des peaux d'animaux divers, et quelques récipients en terre cuite pour la cuisine. Un village se compose d’une multitude de cases entou- rées d'un mur en terre, appelé Tata, qui le protège contre les agressions des voisins. Une place, au milieu de laquelle se trouve généralement un grand arbre, est réservée dans chaque village aux réunions publiques quelles qu'elles soient. C'est sous l’ombrage de cet arbre que se réunissent les Noirs pour palabrer; c'est l'endroit où l’on entretient un bon feu pendant les nuits fraiches de la saison sèche, et où s'entassent les habitants pour se garantir du froid. 19 1 SOUDAN FRANCAIS. C'est encore autour de l'arbre du village que les Noirs se livrent tous les soirs, et jusqu’à une heure bien avancée dans la nuit, à la danse aux sons des tams-tams. des flûtes, des lambourins et des calebasses. Les nuits du Soudan sont faites pour le plaisir. Le ciel bleu de ces contrées est légendaire, et n’était la fièvre traîtresse qui, elle, n'a ni trêve ni repos, on serait charmé de vivre dans un pays préservé, pendant la moitié de l’année, contre les perturbations atmosphériques de notre climat. Toute la durée de la saison sèche se passe en réJouissances naïves, au son de la musique assourdissante dont les peuples pri- mitiis n’ont pas seuls le monopole. : | L'occupation militaire du Soudan français a mis ses habitants en demeure d'augmenter la production des céréales, nécessaires à la nourriture des hommes et des animaux de la colonne de ravitaillement. Avant notre occupation, les Noirs cultivaient une étendue de terre suffisante pour se procurer les céréales indispensables à leur existence. La production du mil notamment, qui est la principale denrée dont ils font usage, était faite selon les besoins de l’année courante. Depuis que nos interminables convois de bourriquots, d'âniers, de mulets, de muletiers, etc., parcourent le pays, les chefs de villages se voient obligés de fournir le mil qui nous est nécessaire. Or les ressources des indigènes sont maigres ; pour accéder à nos demandes ils sont tenus de s'adresser à des villages très éloignés de nos centres de ravitaillement, car ils doivent nous donner du mil, coûte que coûte, sous peine d’amendes sévères, qu'ils ne veulent pas encourir. Ainsi pressurés, ils murmurent en silence et disent, souvent, qu'ils aimeraient mieux payer un tribut au redoutable Samory, tous les cinq ou six ans, que de se voir réduits à nous abandonner, malgré toute la guinée qu'ils reçoivent en échange, une bonne part du mil qui les fait vivre, qu'ils cultivent pour eux surtout, et que nous leur prenons contre leur gré. AGRICULTURE. 23 Avant d'être protégés par le drapeau français, ils rece- vaient, de loin en loin, la visite de Samory, chef de bande puissant occupant quelque part la rive droite du Niger ; ils lui payaient tout ce qu'il exigeait, pour lui et les siens, sans murmurer : mil, troupeaux, captifs, etc. Samory, satisfait de sa rapine, portait plus loin ses armes, pour ne reparaître, dans le village qu'il venait de mettre à sac, que longtemps plus tard. La population pillée oubliait le tribut qu’elle venait de payer, parce qu'elle savait qu'il lui serait accordé quelques années pour se refaire. Samory prenait, ne payait pas, traitait durement les réfractaires et les mécontents. et la masse des indigènes étaient satisfaits. Nous les avons délivrés de cet ennemi, de ce voisin dangereux; sous les canons de nos fortins ils ont une sécurité dont ils devraient se réjouir, et, au lieu d'exprimer quelque satisfaction de l’appui bienveillant qu'ils ont près de nous, ils se plaignent et exhalent leur mécontentement en maugréant chaque fois qu’on leur demande un peu de mil. | Cela démontre clairement que leur inclination pour les travaux des champs n'est pas encore entrée dans leurs usages. Le Noir du Haut-Sénégal n’est pas âpre au gain, sa paresse est légendaire ; il se désintéresse des besoins im- prévus; à la disette il ne pense jamais ; comme la cigale de la fable, il cultive ce qu'il lui faut pour subsister jusqu à la saison nouvelle, et ne tient pas à approvisionner les marchés des produits de son faible travail; « son bonheur est très économique ». Que de beaux terrains en friche, qui produiraient cependant d'abondantes récoltes, on trouve dans les bas- sins des deux grands fleuves qui arrosent le Soudan occi- dental! Les vallées y sont d'une fertilité prodigieuse ; elles attendent des bras pour les exploiter. Longtemps elles 24 SOUDAN FRANCAIS. resteront vierges; le débouché que nous avons ouvert, en pénétrant dans le Soudan, n'a pas augmenté sensiblement l'étendue des lougans (1); la paresse des habitants n’a pas été modifiée, et 1l ne faut pas compter trouver sur place. ou en fourrageant à plusieurs lieues à la ronde, la quantité de mil nécessaire à l’approvisionnement d'une colonne, même peu nombreuse. On ne peut donc pas dire des Soudaniens qu'ils sont un peuple agricole; ce n'est point chez eux qu'a été recueilli le proverbe : « Travailler comme un nègre ». De lagriculture ils ne savent presque rien, en dehors toutefois des notions élémentaires qu'ils tiennent de leurs ancêtres, et dont le perfectionnement ne les préoccupa jamais. Ces notions, quelque vagues soient-elles, leur suffisent. La terre qu'ils cultivent est d’une prodigieuse fécondité ; elle a cela de commun avec tous les terrains que l’homme n'a pas épuisés par un surmenage irréfléchi ou inconscient. Elle ne demande pas qu'on la pioche profondément, sa surface est encore assez riche en principes nutritifs pour donner de belles récoltes. Heureux le cultivateur de ces régions intéressantes; son travail est presque nul et le produit qu'il en retire est toujours abondant! C'est dans les terrains avoisinant les villages que sont choisis les lougans. Les indigènes s’écartent peu de leurs cases, parce qu'autour du village la superlicie du sol cultivable est suffisante pour les besoins ordinaires de leur existence. L’unique instrument aratoire des Noirs est une sorte de piochon, à manche long, rappelant la houe employée en France pour les sarclages à la main. Au commencement de l’hivernage, quand la terre est bien détrempée, on la prépare pour les semailles. Avec le piochon, promené lentement à la surface du champ, on (1) Terres cultivées. AGRICULTURE. 25 détruit les plantes parasites ; ensuite le sol est gratté super- liciellement de distance en distance; quelques grains de mil sont jetés sur de petits monticules de terre placés à 30 centimètres environ les uns des autres, recouverts à la hâte, et trois à quatre mois plus tard la récolte a lieu. Telest le mode de culture du mil, employé dans le Soudan occidental. Les autres productions du sol ne sont jamais l’objet de soins plus appliqués, et c’est en se donnant si peu de mal que les Noirs obtiennent de merveilleuses récoltes dont les principales sont : 1° Les nombreuses variétés de mil; 2° le maïs; 3° les arachides ; 4° Le riz dans la vallée du Niger; 5° les haricots; 6° le manioc; T° l’igname ; 8° la patate; 9° de nombreuses cucurbitacées. Je ne m'étendrai pas sur la culture de ces diverses plantes, l'étude particulière en ayant été confiée à un de mes collègues, M. Kôrper, pendant la campagne du Haut- Fleuve 1884-85 (1). Cependant je crois devoir indiquer, en passant, un pro- cédé ingénieux employé par les indigènes pour la conser- ration du mil, lorsqu'il est encore sur pied. Quand les épis commencent à se former, une multitude d'oiseaux s'abattent sur la récolte et leurs déprédations seraient considérables, n’était le moyen mis en usage pour les éviter. Un gourbi est établi dans le champ de sorgho et y abrite une sentinelle. De ce gourbi partent de nom- breux fils attachés à quelques tiges, prises au hasard dans l'étendue de la récolte ; lorsque les oiseaux arrivent en troupe sur le mil, le gardien, de son gourbi, tire le cordon reliant tous les fils, pousse des cris stridents, et les maraudeurs s’envolent épouvantés. Parmi les principaux arbres, arbustes ou plantes, dont les fruits servent à la nourriture de l’homme, je citerai: le citronnier, l’oranger, le papayer et le govyavier, et (1) Voir Mission agricole et zoolechnique dans le Soudan occidental, par M. Kôrper, vétérinaire militaire (librairie Challamel). 26 SOUDAN FRANCAIS. quelques rares bananiers et cocotiers, les piments, les ananas et les oignons. La vigne vierge se rencontre un peu partout dans le Haut-Sénégal; je ne pense pas que le climat soudanien convienne à la culture de la vigne porte-vin : Vaérs vinafera Le tabac croît facilement dans ces contrées; il est de bonne qualité et, par la sélection des meilleures variétés, on pourrait arriver à obtenir de bonnes récoltes de cette solanée. L’indigotier est une des plantes SUTARISERES 1 plus importantes du Soudan. Le ricin y est commun; il fournit une huile employée pour l'éclairage et la toilette des indigènes. Dans les vallées, entre le délilé de Kalé et le Niger, on trouve du bambou en assez grande quantité; on sait combien cette graminée est précieuse pour les usages domestiques. On remarque également dans ces régions le cotonnier nain, le karité ou arbre à beurre, le fromager, le figuier à caoutchouc, le palmier et le tamarinier dont les fruits servent à préparer une boisson rafraichissante, à l'usage des Nègres. CHAPITRE IV ANIMAUX DOMESTIQUES. —— CHEVAUX DU SOUDAN. — ANES. GENRE BOEUF. — MOUTONS. — CHÈVRES. — CHIEN. Animaux domestiques. De nombreux troupeaux de bœufs, de moutons et de chèvres de petite taille vivent à l’état domestique dans les pâturages du Soudan français. Les chevaux y sont plus rares et appartiennent aux chefs ou notables du pays. Le fameux conquérant Samory possédait autrefois une cava- lerie assez nombreuse, recrutée, j'imagine, sur les terri- toires ravagés par son armée. Les ânes sont très communs dans cette partie du conti- nent noir. Le chien, le chat, vivent au milieu des habitants et les volailles de toutes sortes sont élevées dans le moin- dre hameau. Le chameau y est à peu près inconnu. Ce ruminant est très commun chez les Maures qui fréquentent les escales du Bas-Sénégal ; dans le Haut-Pays, il est excessivement rare : il faut s’avancer Jusqu'au delà de Ségou, et princi- palement dans la région de Tombouctou, pour rencontrer cet animal en troupeaux de quelque importance. Le sol du Haut-Sénégal et du Haut-Niger est généralement trop dur pour convenir à ce quadrupède. Dans ce chapitre je donnerai un aperçu sommaire des espèces principales en indiquant leurs caractères généraux 26 SOUDAN FRANCAIS. et la production dont elles sont l’objet. Je n'ai point la prétention de faire connaître les animaux domestiques du Soudan en quelques lignes, je ne les ai pas spécialement étudiés, et il ne m'’appartient pas de délayer mes notes pour les forcer à dire ce qu'elles ne renferment pas. Je préfère rester incomplet que de publier des renseignements inexacts. Chevaux du Soudan. Les chevaux du Soudan se divisent en deux races 1° race maure, 2° race sodanique. 1° Race maure. — On la rencontre sur la rive droite du Sénégal, dans le Kaarta principalement. Elle se compose de chevaux assez bien conformés mesurant 1"50 environ. à tête expressive, petite, bien attachée, rappelant dans son ensemble la tête du cheval arabe ; l’'encolure un peu courte, le garrot moyennement élevé, la ligne de dessus bien sou- tenue, le dos et le rein d'une bonne largeur, la croupe oblique et bien musclée; la poitrine ample et les membres solides, quoique leur direction ne soit pas toujours irré- prochable. Sa production n'est pas très importante. 2° Race sodanique. — Elle comprend les chevaux dits du pays dont la taille ne dépasse pas 1"40. Leur confor- mation est plutôt défectueuse. Ils sont mal suivis; leur tète est volumineuse eu égard à la petitesse de leur taille; l’encolure grêle, le garrot bien sorti; le dos, le rein et la croupe ont souvent une mauvaise direction et manquent de force; la côte est plate, la poitrine étroite, les aplombs toujours défectueux : panards, clos du derrière, etc. Le bai est la couleur dominante. | Au début de la campagne 1883-1884, il y avait à Kayes un certain nombre de ces chevaux que l'expédition pré- ANIMAUX DOMESTIQUES. 29 cédente avait pris à Samory. Leur état était médiocre ; les fatigues de la guerre les avaient très éprouvés, et à pre- mière vue j'augurai mal des services qu'ils rendraient. Ils firent néanmoins la route de Kayes à Bammak, aller et retour, et supportèrent bien les fatigues d'une campagne de six mois, tandis que les brillants arabes des spahis, étaient épuisés en arrivant au Niger, et devaient succomber presque tous, pendant l'hivernage, quelques mois plus tard. Cette race a son centre de production dans le Ouas- soulou et les régions environnantes; sa population est restreinte. Le croisement de la race maure avec la race sodanique, pratiqué depuis de longues années, à donné une variété de chevaux intermédiaires entre ceux que Je viens de dé- crire. Leur taille est plus élevée que celle des chevaux dits du pays ; elle atteint 1*%4 et comprend des types ne manquant pas de distinction que les Noirs vendent de 12 à 1500 francs. C’est avec un de ces chevaux que J'ai pris part à l'expédition du Haut-Sénégal et je me trouvais élégamment et solidement monté. Anes. Il existait une multitude de petits bourriquots, aussi Jolis qu'on peut désirer ces quadrupèdes, dans nos posses- sions sénégalaises ; le ravitaillement du Haut-Fleuve les à décimés, la route Kayes-Bammakô était jadis bordée de leurs débris. | Ces ânes rappellent dans leur ensemble leurs congé- nères algériens, 1ls sont un peu moins grands que ces der- niers ; leur robe est gris cendré, marquée d’une raie plus foncée en forme de croix sur le dos et les épaules ; leur poil est très court. La valeur marchande de ces ânes a augmenté en raison directe de la demande. Il y a dix ans, c’est-à-dire lors des EL 30 SOUDAN FRANCAIS. premières campagnes du Haut-Sénégal, on les payait de 60 à 80 francs; pendant l'expédition 1883-1884, à Kayes, de 100 à 120 francs; depuis cette époque leur nombre ayant été réduit considérablement, leur valeur a dû s'ac- croître dans de notables proportions. La petitesse de leur taille en fait de médiocres animaux de transport; et puis leur rusticité est par trop exploitée par les âniers préposés à leur entretien. Le kilogramme de mil attribué à l’âne faisant partie d'un convoi est une ration insuffisante, et la plupart du temps c’est le conduc- teur qui le mange sous la forme de couscous. Mal soignées généralement pendant les routes, ces pauvres bêtes suc- combent à la tâche et Jalonnent de leurs cadavres le che- min parcouru; celles qui résistent ont le dos ravagé de blessures graves déterminant de longues indisponibilités. En raison de leur usure prématurée, c’est un moyen de transport très onéreux. En troupe les ânes marchent avec une désespérante lenteur; il ne faut pas être pressé par letemps pour les employer au ravitaillement des postes. Combien sont préférables les mulets algériens ! Plus résistants que les ânes ils supportent bien le climat du Sénégal, et au Soudan, comme dans tous les pays où on les utilise, ils rendent de précieux services. La population asine a dû baisser beaucoup dans l’im- mense territoire placé sous notre domination; les pre- mières campagnes du Haut-Fleuve ont fait une consomma- tion excessive d’ânes, et Je doute fort qu’à l'heure présente il soit possible de trouver, mème à des prix élevés, les bourriquots nécessaires aux transports de la colonne ex- péditionnaire. Genre bœuf. Le genre bœuf est représenté par deux espèces (1) : 1° le zébu, 2° le bœuf ordinaire (Bos taurus). (1) Le Bos triceros signalé par de Rochebrune doit être considéré comme une anomalie. ANIMAUX DOMESTIQUES. 31 A. L'espèce zébu aurait son centre de production dans le Macina et les environs de Tombouctou; les Fellahs, dans leurs migrations, l’auraient répandue dans le Haut- Niger et le Haut-Sénégal où elle est aujourd'hui commune. Caractères. — Le zébu est de taille élevée, à ossature forte, bien musclé et d'une grande vigueur. On sait que cet animal possède dans la région du garrot une tumeur adipeuse très volumineuse qui le fait désigner communé- ment sous le nom de bœuf à bosse. Sa robe est froment, blanchâtre ou gris cendré. La tête est petite, les cornes d’une assez grande finesse affectent des directions variées, le plus souvent elles sont relevées en forme de lyre. Utilisation. — Au Soudan le zébu est employé à porterdes fardeaux, c'est le bœuf porteur des indigènes. Une charge de 100 kilogrammes sans compter le poids du conducteur, qui vient quelquefois s'ajouter à celui de la charge, est portée aisément par le zébu à des distances considérables. Au Tonkin il est de préférence utilisé pour le trait. La viande du jeune bœuf à bosse est bonne, celle des adultes et des vieux de médiocre qualité. En raison de la destination que la domesticité lui impose, le zébu ne peut fournir à l’alimentation que des muscles durs, bien trem- pés, généralement peu recherchés pour les usages culi- naires. B. Espèce Bos taurus. — Les bœufs du Soudan sont en général de taille moyenne ou au-dessous, portent des cornes plus ou moins longues et de directions variables, ont une tête légère, l'œil expressif, la robe froment, grise à nuances plus ou moins foncées, noire quelquefois, etc., l’ossature plutôt grèle que forte. Les indigènes ne se sont jamais préoccupés d'améliorer leur bétail par la sélection, le croisement et les divers procédés connus de nos éleveurs. Les variations qui se sont opérées, indépendantes de 32 SOUDAN FRANCAIS. l'intervention humaine, n’en ont pas moins déterminé des variétés nombreuses qui pourraient servir à la création de plusieurs races si elles étaient examinées par un z00- technicien habile. M. Kôrper, vétérinaire militaire, chargé d’une mission agricole au Soudan français, a classé la population bovine en quatre races principales qu'il a dénommées ainsi qu'il suit : 1° race maure ou mieux race peulh, 2° race bambara, 3° race mandingue, 4° race kassonké. La première comprend les bœufs à bosse qui à elle seule représente l'espèce zébu. Race bambara. — La race bambara à son centre de production dans le Bélédougou et le Macina. Elle dégénère au fur età mesure qu'on s'éloigne du centre de production ; c'est une excellente race de boucherie. Caractères. — Taille élevée, saillies osseuses peu pro- noncées, à bassin ample, à ventre volumineux, à encolure droite et courte, à tête assez petite, fine ; la côte ronde et la croupe charnue. La bouche est large, le chanfrein droit, les yeux sont doux, bien ouverts, les cornes courtes, cylin- driques, recourbées en arc, en avant. Les robes noires et gris de fer sont très communes dans cette race. C’est dansles riches pâturages du Niger et deses affluents que se font la production et l'élevage de ces belles vaches bambaras dans la saison sèche. Qualité et commerce. — La race bambara est, comme il a été dit plus haut, une véritable race de boucherie ; elle a une grande aptitude pour prendre de la graisse; aussi est-ce par cette race que nous pourrons améliorer les autres. La viande est de bonne qualité. Les vaches sont assez bonnes laitières pour le pays. C'est la race qui m'a donné le plus de lait jusqu’à cejour; j'en ai eu quotidiennement jusqu'à huit litres pendant l’hivernage 1883 à Bammakô. Ce chiffre n’a été obtenu avec aucune ANIMAUX DOMESTIQUES. 33 race parce que les indigènes ne savent pas du tout entrai- ner une vache laitière et élever les veaux. Valeur commerciale. — Un bœuf ordinaire de cette race donne un rendement moyen de 180 kilogrammes de viande et coûte de 120 à 130 francs. Le kilogramme de viande revient donc à peu près à 0 fr. 72. C’est la véritable race à importer en Europe avec béné- fices pour la consommation. Race mandinque. — Elle existe dans tout le pays entre BafoulabéetBammakà ; elles’étend, en outre, dansle Kaarta et le Tomora, d’une part; dans le Diallon-Radougou, d'autre part. C’est une petite race excellente pour la boucherie et propre au travail. _ Caractères. — Taille ordinairement au-dessous de la moyenne, corps bien proportionné, coffre large, épaules bien prises, encolure et tête assez fines, membres grêles mais garnis sur la jambe et l’avant-bras de muscles forts, proportionnellement à la taille des animaux. Couleur rouge brun, cornes noires à leur extrémité et divergentes en arc. Qualités. — Cette race est d’une très grande sobriété; elle ne vit, pour ainsi dire, que dans les contrées monta- gneuses parcourues par des cours d’eau à eaux presque constantes. Ainsi, on la trouve dans le bassin du Haut- Niger, dans les bassins du Bafng, du Badingho, du Baoulé et du Kémiéko. | La viande en est fine et d'excellente qualité. Les vaches donnent peu de lait, mais ce lait renferme une grande quantité de beurre. On peut se servir du bœuf mandingue pour les charrois et les labours, en le faisant tirer au joug. Il est très docile et très agile, aussi s’habituera-t-1l vite au tirage. Valeur commerciale. — Un bœuf mandingue donne un rendement moyen de 80 kilogrammes de viande nette et 3 © — 34 SOUDAN FRANÇAIS. coûte environ cinq pièces de guinée, ce qui met le prix d’un kilogramme de viande à 0 fr. 93. C’est cette race et la race kassonké qui nous sont ven- dues pour l'alimentation en général. La race peuhl y contribue aussi pour une part assez con- sidérable. C’est une race propre à être améliorée et que nous devons perfectionner comme race laitière et comme race de boucherie. Race kassonké. — Le centre de production de cette race est dans le Kasso et le Bambouck. C’est une race qui de- manderait beaucoup d'améliorations. Elle est chétive; cela tient au manque de pâturages, pendant les trois quarts de l’année; elle ne vit que de brousses ; aussi l’appelle-t-on « bœuf de brousse ». Les maladies contagieuses exercent de très grands ra- vages sur cette race à la fin de l'hivernage; la péripneu- monie y siège à l'état constant, et c’est de là que partent les épidémies de cette maladie. Caractères. — Taille au-dessous de la moyenne, poil assez rude, Jaune, corps long, os saillants, mufle et yeux noirs. Les cornes sont longues et courbées, en se dirigeant en dehors et en haut; encolure mince, assez longue, fanon petit, abdomen développé, fesses et cuisses peu charnues. En somme, c'est un animal maigre, mangeant très peu, mais pourtant vif et résistant. | Qualités. — Cette race s'assimile complètement et faci- lement les herbes, les racines, qu'elle seule peut utiliser ; c'est une race très sobre et très rustique. On pourrait l'améliorer vite et avec avantage, en cultivant assez de fourrages pour lui en fournir en tout temps. On aurait alors une race de travail capable de faire des labours ou de tirer des voitures. Grâce aux diverses aptitudes qui la caractérisent, elle s'adapte très bien aux circonstances. Elle est bien le produit du sol; elle a été formée par le temps et les conditions ambiantes qui lui ont imprimé un ANIMAUX DOMESTIQUES. 35 caractère propre par lequel elle se distinguera toujours des autres variétés. Une autre race ne résisterait pas aux conditions dans lesquelles elle vit. et ne pourrait, à plus forte raison, donner autant de produits qu’elle. Sans doute, elle est inférieure aux autres races pour la précocité, pour l’ampleur des formes, pour la production de la viande ou du lait, mais elle leur est supérieure pour l’ardeur et la résistance au travail, pour l’agilité et la sobriété. En ré- sumé, elle offre un ensemble de qualités et de défauts qui fait d'elle un type unique. Tous les animaux de cette race supportent assez bien les fatigues, mais, trop souvent, leurs maîtres abusent de leur sobriété et les nourrissent avec une parcimonie vraiment déplorable. Enfin on rencontre, parfois, quelques animaux chétifs, malingres, d’une maigreur excessive, qui parta- gent la misère des Noirs qui les conduisent. La viande n’est donc pas de bonne qualité. Cette race fournit tellement peu de lait que les vaches ne peuvent nourrir leurs petits. Cela tient à ce que les indigènes ne savent pas donner à la mère une alimentation capable d'augmenter la production lactée. Valeur commerciale. — Le bœuf de brousse donne un rendement moyen de 60 kilogrammes de viande nette el coûte environ quatre pièces de guinée (1). Cette race ne devrait être employée que comme race de travail, attendu qu'il n’y a aucun bénéfice à la livrer à la boucherie (2). “ Moutons. Il existe de nombreux troupeaux de moutons au Soudan. M. Kôrper les a classés en trois races principales : 1° la race peuhl, 2° la race maure, 3° la race mandingue. (1) Cotonnade dont la valeur varie avec le prix de son transport. Ainsi à Kayes elle vaut 10 francs la pièce et à Bammako 15 francs. (2) Mission agricole et zootechnique dans le Soudan occidental, par M. Kôrper, vétérinaire militaire; pages 36 et suivantes. de ——— a —— — 36 SOUDAN FRANCAIS. 1° Race peuhl. — Le centre de production de cette race est dans le bassin inférieur du Haut-Niger, dans le Macina et les environs de Tombouctou. On en rencontre quelques types dans le Bélédougou. C’est une très belle race, pro- pre à la production de la laine, qui est de belle qualité, et à la production de la viande. Cette race dégénère au fur et à mesure qu'on s'éloigne du centre de production. Caractères. — Taille élevée, corps épais, poitrail ou- vert, tête petite, front étroit et très incurvé dans le sens de la longueur ; oreilles larges, pendantes, fesses et cuisses charnues, laine longue et frisée. 2° Race maure. — Le centre de production de cette race est sur les confins du Sahara, au nord du Bélédougou et du Kaarta. Elle n’a pas la perfection de formes de la race peulh, mais elle est propre à la production de la laine. Caractères. — Taille élevée, corps long, mince, maigre, à jambes hautes, à poitrine peu profonde, à encolure large, à laine généralement plus commune que dans la race peulh, mais abondante ; à tête forte et busquée. 3° Race mandinque. — La race mandingue se trouve dans toutes les régions situées au sud du Bakhoy et dans jes vallées du Bafing, du Badingho et du Baoulé. Bien que la production se fasse sur une grande étendue de terrain, c’est cependant la race la moins nombreuse. Cela tient à ce que les habitants de ces régions sont sédentaires au lieu d’être pasteurs comme le sont les Peuhls et les Maures. Chaque village a quelques centaines de moutons qui vont paître dans la Journée et rentrent au parc le soir. La race mandingue a peu de laine, c'est principalement une race de boucherie. Caractères. — Taille petite, corps trapu bien ramassé, bas sur jambes, tête pelite, non busquée, oreilles courtes, laine courte, à brins isolés. Elle fournit une viande d'assez bonne qualité. ANIMAUX DOMESTIQUES. 31 Chèvres. Les chèvres et les boucs sont les commensaux habituels des moutons et entrent dans la composition des troupeaux pour une proportion restreinte. Les caprins offrent des variétés nombreuses, générale- ment de taille peu élevée, bien proportionnés, à poil fin et court. Leur production, comme celle des moutons, est aban- donnée au hasard des accouplements ; j'ai dit précédem- ment que les Noirs ne se préoccupent guère de la multi- plication et de l'amélioration de leur bétail. La civilisation européenne aura peut-être raison un Jour de l’insouciance séculaire des indigènes en ce qui concerne la population animale de leur pays. Jusqu'à ce jour leur indifférence ne s’est pas laissé ébranler par les conseils de nos rares missionnaires agricoles, et j'imagine qu'il s’écou- lera de longues années avant que les données de Ia z00- technie française soient écoutées et comprises par les éleveurs du Soudan. Chien. Le chien est commun chez les peuplades de cette contrée. Il est de moyenne taille, à le poil ras et la robe fauve, gris cendré ou de nuance foncée : museau allongé, oreilles courtes, droites et très mobiles, tels sont ses caractères principaux. Quoique domestiqué, 1l conserve un air sauvage et méchant qui le rend précieux comme chien de garde. Les Malinkés sont très friands de sa chair. CHAPITRE V HYGIÈNE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. — NATURE ET QUALITÉ DES DENRÉES FOURRAGÈRES. — COMPOSITION DE LA RATION. — RÉGIME DU VERT. — BOISSONS. — PANSAGE. — FERRURE. — TRAVAIL. — CAMPEMENTS. — CHOIX DES CAMPEMENTS. — DES PRINCIPAUX PARASITES QUI TOURMENTENT LES ANIMAUX AU BIVOUAC. Hygiène des animaux domestiques. Nature et qualité des denrées fourragères. Les aliments consommés par les animaux dans le Haut- Sénégal, en colonne, sont : 1° l'orge; 2° le mil ou sorgho; 3° les fanes d’arachides ; 4° des jeunes pousses de bambou; 5° des herbes diverses. Orge. — Cette denrée, de provenance algérienne, n’ar- rive pas toujours en bon état dans le Haut-Fleuve. À Kayes, elle est entassée sous des paillottes, et lorsqu'elle est mise en distribution, on la trouve souvent charançconnée et moisie. Mal ou sorgho. — C’est une graminée dont les Noirs font un grand usage ; elle constitue la base de leur traditionnel couscous, ils ne le prodiguent jamais pour la nourriture des bêtes, et ce n’est pas toujours de bon cœur qu'ils nous l’'abandonnent. Sa conservation est généralement très 40 SOUDAN FRANCAIS. bonne. Le grain de mil est dur, la mastication en est difficile et la digestion laborieuse. Il suffit de Jeter un coup d'œil sur les crottins d’un cheval soumis au régime du mil, pour s'assurer qu’un grand nombre de grains tra- versent le tube intestinal sans se laisser attaquer par les sucs digestifs. Il y en a plusieurs variétés dont la dissemblance réside surtout dans le volume et la coloration plus ou moins grisâtre du grain. Le gros mil atteint les dimensions d’un grain de chène- vis, sa dureté est moindre que celle des autres variétés dont le grain est plus petit. Il a une couleur blanchâtre et une saveur agréable ; les animaux le préfèrent au petit mil dont le périsperme est très dur ; mais quant aux prin- cipes nutritifs qu'ils contiennent l’un et l’autre, ils sont incontestablement de mème nature, et s'y trouvent à peu près dans les mêmes proportions ; et, si le gros mil est préféré des chevaux, c’est à cause de sa consistance plus faible que celle des autres variétés de sorgho. Le cheval et le mulet arabes s’habituent vite au mil; ils lui préfèrent l’orge, mais à défaut de cette dernière denrée, ils mangent le mil avec appétit, et leur état d’en- tretien n'en souffre pas visiblement. Fanes d’arachides (Arachis hypogea). — Les fanes d’arachides constituent le meilleur fourrage du pays; on en trouve partout. C’est un aliment précieux; ses pro- priétés nutritives, son odeur agréable et sa saveur en font un fourrage de première qualité. Les fanes d’arachides peuvent remplacer le foin, quand elles ont été récoltées sur des terrains secs, et que dans les manipulations qu'on leur a fait subir pour recueillir les fruits, elles ont conservé la plus grande partie de leurs feuilles. | Bambou (Bambusa trivialis). — Cette graminée n'est pas rare dans le Haut-Fleuve. Du défilé de Kalé au Niger HYGIÈNE DES ANIMAUX. 41 on en trouve en abondance; ses jeunes pousses, ses feuilles sont recherchées des animaux. Il faut tirer parti de cette ressource alimentaire et donner du bambou aux mulets et aux chevaux, qui en mangent avec d'autant plus d’appétit que les plantes vertes leur font, pour ainsi dire, absolument défaut pendant la saison sèche. On reproche à ce fourrage de déterminer la fièvre; mes observations ne confirment pas cette accusation, et le seul reproche que j'aie à formuler contre le bambou, c’est d'exercer sur l'appareil digestif une action astringente, dont l'effet dangereux est encore à démontrer. Herbes diverses. — Sous cette dénomination Je com- prends toutes les hautes herbes, plus ou moins desséchées ou brülées par un soleil de feu, appartenant aux familles les plus disparates, et qui constituent les broussailles. Ce sont des graminées, des carex, etc., dont la valeur nutri- tive est le plus souvent douteuse, et qu'on utilise quand on n’a pas sous la main un fourrage meilleur. Composition de la ration. Les denrées alimentaires qui entrent dans la composi- tion de la ration journalière sont le mil ou l'orge, dans la proportion de # kilos pour les mulets arabes et les chevaux indigènes, et 5 kilos pour les chevaux algériens. Les fanes d’arachides, les jeunes pousses de bambou ne sont point mesurées; quant aux broussailles on les donne par brassées. En marche on donne 1 kilo de mil au réveil, À kilo quelques instants après l’arrivée au cantonnement, quand les animaux ont bu, et le reste de la ration au repas du soir, après l’abreuvoir. Cette ration est suffisante. La musette est généralement employée pour adminis- trer le grain ; elle a l’avantage d'éviter le gaspillage de la 42 SOUDAN FRANCAIS. ration, mais elle a aussi l'inconvénient d'apporter une cer- taine gène dans la respiration qui, quelque légère soit-elle, irrite l'animal, l’impatiente et le fait se débarrasser bru- talement du sac suspendu à sa nuque. Quand le cheval n’est pas poussé par une faim excessive, il boude sur la musette; que le mil soit mis à sa portée, sur le sol, on est tout étonné de n’en point trouver la moindre trace quelques moments plus tard. Au Soudan, le sol n’est jamais détrempé par les pluies, pendant la saison sèche; il est extrèmement dur et l’on peut volontiers rejeter la musette, si l’on juge qu’elle contrarie l'appétit des animaux. Cette remarque a son importance et j'affirme que le mauvais état d'entretien de quelques animaux ne recon- nait pas d'autre cause que la négligence de cette simple attention. Régime du vert. Il faut se mettre en garde contre les fourrages verts, car s'ils conviennent aux animaux indigènes, c’est une nourriture mauvaise pour les chevaux et les mulets arabes. Les plantes vertes qui en font partie, peu nutritives par elles-mêmes, en raison de la forte proportion d’eau de végétation qu'elles renferment, croissent sur des terrains bas, humides ou marécageux et incultes ; elles sont im- prégnées de principes que je laisse aux chimistes le soin de définir, mais qui pour n'être que soupçonnés n’en sont pas moins pernicieux. Elles poussent avec vigueur sur des terres recouvertes de matières végéto-animales, et sont le réceptacle de germes de toutes sortes, puisés dans les milieux insalubres où elles végétent. Étant donnée la faible quantité de matériaux alibiles qu'elles contiennent, il est prudent de préserver l'organisme des animaux de leur action nuisible. Dans ces contrées, durant la saison sèche, les plantes HYGIÈNE DES ANIMAUX. 43 vertes croissent difficilement sur les lieux élevés, voire même dans les vallées; par conséquent, celles que l’on trouve à cette époque de l’année ont une origine le plus souvent marécageuse. Pendant l’hivernage, la végétation devient luxuriante, une épaisse couche de verdure couvre le sol partout; il est alors possible de mettre à profit les graminées et les légumineuses qui peuvent convenir aux animaux ayant besoin du vert. D'une manière générale, il faut se défier du régime du vert pour les animaux d'importation. C'est une alimentation mauvaise pour ceux qui sont déjà anémiés, fatigués; car son usage n'a pas d'autre résultat que de les dégoûter du grain. Il est des cas, sans doute, où quelques bottes de vert peuvent exercer une action bienfaisante sur toute l'économie, mais ces cas sont rares, et on ne doit pas perdre de vue qu'il s’agit là d’un aliment débilitant, dont l'emploi doit toujours être judicieusement ordonné. Boissons. Le Sénégal, le Niger, et leurs nombreux affluents, rou- lent une eau claire, limpide, agréable au goût, digestible, ayant en un mot tous les caractères de l’eau potable. Quand arrive l'hivernage, les marigots desséchés devien- nent d'impétueux torrents, les rivières se troublent, les fleuves déversent le trop-plein de leur lit dans les vallées, et l'eau que l’on trouve alors est sale, boueuse. chargée de matières terreuses. Elle renferme des produits orga- niques abondants qui altèrent sa qualité, mais les animaux peuvent en boire sans qu'il en résulte des troubles appré- ciables pour leur santé. Au reste, il suffit de l’aluner ou de la décanter pour lui rendre sa limpidité première. Les eaux des bassins du Niger et du Sénégal n'occa- sionnent jamais de coliques, en saison sèche, malgré la 44 SOUDAN FRANCAIS. quantité que les animaux en boivent pour étancher une soif impérieuse. La meilleure analyse d'une eau est celle qui consiste à observer les effets qu’elle produit sur les animaux ; l’orga- nisme des bêtes est un laboratoire excellent ; il fournit des données précieuses sur les propriétés de l’eau qu’on lui soumet. Eh bien! je le répète, les cours d’eau du Haut- Sénégal et du Haut-Niger, qui alimentent les deux grands fleuves de l’Afrique équatoriale, constituent d'immenses abreuvoirs où bêtes et gens peuvent se désaltérer sans compromettre leur vie. Cependant les médecins sont généralement d'accord pour imputer aux eaux de ce pays le grand nombre de ténias qui se développent chez les Européens. Il est rare, en effet, de faire un séjour de quelques mois dans ces parages, sans devenir l'hôte de l’un de ces gènants ces- todes (1). Les cours d’eau du Soudan, de même que tous les cours d’eau de la terre, sont peuplés de germes qui engendrent les affections palustres et des maladies contagieuses ; on ne saurait nier l'existence des microbes pathogènes pas plus dans les uns que dans les autres, et si la présence de ces infiniment petits est suflisante pour déclarer une eau insalubre, il n’est pas, j'imagine, le moindre petit ruisseau qui ne puisse être accusé de semblable façon. On ne peut pourtant pas, en campagne, remorquer toujours et partout le filtre Chamberland. Quel que soit le danger que l'on court en buvant une eau naturelle, quand on est pressé par une soif ardente et par le temps, on se désaltère sans réfléchir aux conséquences auxquelles on s'expose. Les plus timorés n’agissent pas autrement. Aussi quand je dis que les eaux du Soudan sont bonnes, j'oublie dans (1) La ladrerie du bœuf est commune chez les races africaines et trans- inissible à l’homme. Le Cysticercus bovis que les muscles de cet animal renferment détermine le Tænia medio-canellata de même que le ver solitaire est produit par le cysticerque du porc. HYGIÈNE DES ANIMAUX. 45 leur sein les légions microbiennes qu'elles renferment. Des parasites visibles à l'œil nu, les sangsues, peuplent quelques marigots où l’eau est plus ou moins stagnante, les étangs et les marais. Je signalerai particulièrement leur existence dans la mare de Talari (gite d'étape qui précède celui du poste de Bafoulabé), dans le marigot de Koundou et dans celui de Tambouguina. Ces sangsues (Hemopis sanguisuque) sont de pelites dimensions, elles peuvent s’introduire faci- lement dans les premières voies aériennes et digestives, et y déterminer des désordres plus ou moins graves. Quant on est prévenu de la présence de ces parasites aquatiques il faut, autant que possible, éviter de faire boire aux animaux les eaux qui les recèlent. Je n'ai jamais eu l’occasion de constater les accidents que les sangsues peuvent produire, car ce n’est qu'excep- tionnellement que les lieux où on les rencontre ont servi d’abreuvoirs. Pansage. En campagne, la série classique des instruments qui servent à effectuer le pansage serait encombrante ; le bou- chon et l'éponge sont seuls indispensables, tous les mule- tiers et palefreniers doivent être pourvus de ces effets de pansage. Un moyen d'assurer la propreté de la peau, c’est de laver les animaux à grande eau; des bains partiels ou généraux et de fréquents lavages ont une action physio- logique d’une grande puissance; ils remplacent le meilleur pansage. Cette pratique a toujours été suivie de bons effets. Au Soudan, où les cours d’eau ne manquent pas, on ne saurait trop l'employer, car les fonctions de la peau ont une grande importance dans les climats tropicaux, et l’on sait que ce tégument remplit d'autant mieux son rôle qu'il est mieux entretenu. 210 SOUDAN FRANCAIS. Ferrure. Le Haut-Sénégal est très accidenté. De Kayes à Bammakô on rencontre de nombreux plateaux de minerai de fer, et la route qui les traverse est recouverte de conglomérats de même nature, plus ou moins désagrégés ou pulvérisés. Cette poussière ferrugineuse use rapidement la corne, le pied devient sensible, se dérobe, et l’absence de ferrure devient ainsi la cause d’'indisponibilités nom- breuses. Les chevaux indigènes et les mulets algériens, dont le sabot est tres résistant. peuvent se passer de ferrure; les chevaux arabes, au contraire, qui à Saint-Louis et généra- lement dans le Bas-Sénégal, en raison de la nature du sol, ne sont pas ferrés, demandent à l'être dans le Haut-Fleuve. On emploie des fers très légers fixés par des clous à lame mince. Travail. Pendant la campagne 1883-84 les animaux ont fourni un travail modéré. Les chevaux suivent généralement la colonne en file indienne, à raison de 3 à 4 kilomètres à l'heure ; les étapes varient entre 15 et 20 kilomètres. Quant la colenne de ravitaillement est obligée de faire face aux agressions des indigènes, il en résulte un surcroît de fatigue qui n'épargne pas plus les bètes que les hommes. Les mulets, chargés surtout du transport des vivres el du matériel pour l’approvisionnement des postes, ne se reposent pour ainsi dire jamais, en dehors des indisponi- bilités qui les mettent hors de service. Ils vont et viennent, de poste en poste, sous le poids d’une charge moyenne de 100 kilogrammes, tandis que les chevaux stationnent, de temps en temps, sous les gourbis préparés dans le voisi- nage des fortins. HYGIÈNE DES ANIMAUX. ESS —? Campements. En colonne, les campements sont établis ordinairement dans les vallées sur les bords d’une rivière. On choisit de préférence les lieux boisés présentant quelques clairières pour l'installation du convoi de la colonne. Les animaux sont placés à la corde sur deux rangs se faisant face, entre lesquels un espace de plusieurs mètres est ménagé. En station, des hangars ou des gourbis sont préparés par les soins des chefs de postes pour abriter les hommes et les animaux. Choix des campements. En route le choix de l'emplacement des campements est subordonné à celui des divers corps de troupes de la colonne expéditionnaire; il ne faut point songer à le modifier, et, le pourrait-on, que la nécessité s’en ferait rarement sentir. C’est surtout en station que cette ques- tion a une importance capitale. A Bafoulabé, j'ai assisté à un commencement d'épizootie qui emporta, en moins d’une semaine, quatre chevaux sur trente-huit qui composaient l'effectif du peloton de spahis sénégalais. Ce peloton avait établi son camp au milieu de hautes herbes situées un peu en aval du poste, à proximité de la rive du fleuve. Les hautes herbes furent coupées, arra- chées, le sol débroussaillé, ratissé presque, et quelques heures plus tard les chevaux étaient campés en cet endroit. Ombragé par de grands arbres, le campement à première vue pouvait paraître bien choisi. Tout à coup un cheval tombe malade, il meurt quarante- huit heures après le début de l'affection. La maladie devient épizootique; en moins de quatre jours elle fait dl The ché Eté 48 SOUDAN FRANCAIS. quatre victimes sur un effectif de trente-huit chevaux. Pour enrayer la marche de l’épizootie le commandant supérieur donne l’ordre au détachement de lever le camp de Bafoulabé et de continuer sa route jusqu à Badumbé : la mortalité s'arrête. À Badumbé, les chevaux sont campés en amont du fort, sur un plateau dénudé, où ils passent vingt-cinq jours. Durant cette période la santé des animaux resta bonne. Je crois devoir attribuer la-maladie épizootique que je signale, au mauvais emplacement occupé par le peloton de spahis. Dans un autre chapitre J'entrerai, à cet égard, dans des détails que je passe sous silence 1c1. Quand les exigences du service ne s’y opposent pas, il faut choisir de préférence les lieux élevés et secs aux endroits bas, humides, vierges de toute culture et recou- verts d’une abondante végétation. Dans le premier cas les chevaux sont moins exposés à l'infection paludique pour plusieurs raisons. Qu'il me suffise de rappeler que les vents, dont l’action est généralement salutaire, soufflent avec plus de cons- tance sur les lieux élevés; et que les miasmes simples, infectieux ou paludéens qui se condensent avec tant de facilité dans toute agglomération d'individus, à quelque espèce qu'ils appartiennent, sont balayés et dispersés dans une plus large mesure. Dans le deuxième cas, au contraire, c’est-à-dire lorsque le campement est établi dans un lieu bas et sur un sol en friche, il faut en débroussailler la surface sur une étendue suffisante avant d'y amener les animaux. A l'abri de tous les vents, leurs déjections, sous l'influence d’une chaleur intense, fermentent, se décomposent et donnent naissance à des exhalaisons qui, s'ajoutant aux émanations tellu- riennes, vicient l'air où elles se développent et favorisent l’action des agents infectieux qu'elles recèlent. Pourquoi l'affection épizootique que je viens de signaler HYGIÈNE DES ANIMAUX. 49 ne s’est-elle pas reproduite, pendant la durée de la cam- pagne ? évidemment parce que les chevaux n'ont Jamais été placés dans des conditions aussi mauvaises. Ces miasmes sont de nature paludéenne ou tellurique et si les germes qu'ils contiennent sont encore indéter- minés, leur mode d'action méconnu, on n’ignore pas les désastres dont ils sont la cause. On sait, par exemple, que les indigènes, préposés à la culture des rares Jardins potagers établis dans les postes du Soudan, sont souvent atteints de fièvres graves occasionnées par les microorganismes qui se dégagent du sol, à la faveur de la préparation qu'on lui fait subir avant de l’ensemencer. Eh bien, un campement débroussaillé fraîchement et sur lequel séjournent des chevaux plusieurs semaines, réunit toutes les conditions d'un sol vierge bêché. D'un côté, le grattage de la surface de la terre par le débroussaillement et le piétinement des chevaux tient lieu en quelque sorte des premiers travaux que le jardinage nécessite; d'autre part, l’urine des animaux remplace l’eau utilisée pour arroser les plantes. Dans les deux cas il se produit une fermentation nuisible à la santé des organismes placés dans un pareil milieu; car les germes infectieux dont cette fermentation favorise la multiplication, exercent une action pernicieuse sur les chevaux exposés à leur influence, de même qu'ils déter- minent la fièvre chez les Noirs, malgré l’immunité relative dont, semble-t-il, ils devraient bénéficier. Je n’insisterai pas davantage sur l'opportunité du choix d’un bon campement. L'exemple que je viens de rapporter me paraît probant, il indique la genèse d’un phénomène pathologique grave, ayant déterminé plus d’une fois la mort rapide de la plus grande partie du peloton de spahis sénégalais attaché à la mission du Haut-Fleuve, au début même de l'expédition. 20 SOUDAN FRANÇAIS. Des principaux parasites qui tourmentent les animaux au bivouac. Quelques insectes attaquent les animaux soit en marche soit en station. Les plus redoutables sont les abeilles sauvages. Elles s'établissent dans les troncs d'arbres et seraient la plupart du temps inoffensives si les Noirs voulaient renoncer au miel exquis qu'ils ont l'audace de leur enlever dans leurs ruches. Il n’en faut pas plus pour déchaîner la colère de l’essaim. Toute la colonie, qui ne comprend pas moins de 20 à 40000 têtes, se précipite sur les hommes et les bêtes, jette la panique parmi celles-ci et le désordre partout. Il me semble voir encore un mulet chargé de deux can- tines médicales attaqué par une nuée d’abeilles. L'animal affolé s'enfuit à travers champs bride abattue, la charge penche et tourne entraînant le bât; le mulet détache de violentes ruades et se débarrasse de ses cantines, après les avoir brisées et en avoir éparpillé le contenu. Ailleurs, c’est un ouvrier maréchal fiévreux et anémié; un groupe d’abeilles s’abat sur sa tête et il en reçoit de nombreuses piqûres, auxquelles il succombe quatre jours plus tard, arpès d’horribles souffrances. En marche, quand les abeilles attaquent un convoi, la panique s'empare des animaux et dans certaines circons- tances il peut en résulter de sérieux dangers. Il faut recommander aux indigènes particulièrement de ne point cueillir le miel qu'ils pourraient rencontrer dans le camp ou dans son voisinage. Si malgré les précautions les plus sèvères les ordres sont transgressés, et que le bivouac soit envahi à un moment donné, on chasse les abeilles en allumant des feux produisant une abondante fumée. Ce simple moyen, employé le plus tôt possible, disperse l’essaim et le rejette au loin. Parmi les insectes qui tourmentent les animaux Je PARASITES. — INSECTES. 51 citerai beaucoup de Muscidés, parmi lesquels le genre Mouche est très commun; le genre Calhphore dont les mouches déposent leurs œufs sur les plaies, ainsi que la Lucilie César et la Lucilie bouchère. Les Tabanidés y sont nombreux et comme ceux de France incommodent beaucoup les animaux. On y rencontre aussi des multitudes de Brblionidés parmi lesquels figurent les moustiques, et des myriades de Culicidés vulgairement désignés sous le nom de cousins ou moustiques. Les guépes et les frelons, dont les piqûres sont graves chez l’homme, attaquent rarement les animaux. L’Ixode-ricin, de l’ordre des Arachnides, est très commun dans les bois : 1l attaque les bœufs, les chevaux, les mulets et les ânes. Les ixodes se fixent sur la face interne des membres en y implantant leur rostre, se dissimulent sous les poils et abandonnent leur hôte, en se laissant tomber sur le sol, quand ils sont bien repus. Leurs piqûres produisent une irritation légère qui passe presque toujours inaperçue. Cependant, les chevaux dont la peau est fine, signalent quelquefois la présence de ces parasites par des mouve- ments d'impatience, des piétinements sur place et des envies de se mordiller les membres. Les divers insectes que je viens d'énumérer sont inca- pables de nuire sérieusement aux animaux. Les taons et les moustiques les agacent et troublent leur repos; seules. les abeilles sauvages, quand elles sont en nombre, les épouvantent, les affolent et peuvent ainsi provoquer des accidents. HART ARE Dig Hé | D" sin Lt VHS De: EE « RE LT RAT” {hu rt th KR 72 + : « … 2 : : £ : |] PE | 5: + 1 Prr a CHAPITRE VI MALADIES GÉNÉRALES OBSERVÉES EN COLONNE. —— ANÉMIE. — AFFECTIONS DU FOIE. — INFECTION PALUDÉENNE OÙ MALARIA —— PÉRIPNEUMONIE CONTAGIEUSE. Mäladies générales observées en colonne. L’anémie tropicale, les affections du foie et l'infection paludéenne sont les maladies principales qui frappent les chevaux et les mulets; la péripneumonie contagieuse est épizootique etla mortalité qu’elle fait, chez l'espèce bovine, est considérable. Anémie. — L'anémie revêt deux formes bien distinctes : 1° une forme lente, insidieuse, progressive; 2° une forme galopante pernicieuse. L’anémie lente est due à toutes les causes qui l’engen- drent dans les climats tempérés. L’anémie galopante est le résultat de l’infection palu- déenne. Le cheval arabe impaludé perd de sa vigueur, ses membres s œdématient, les muqueuses pâlissent et la mort arrive rapidement. La fatigue, une alimentation insuffisante ou mauvaise, l'influence de la chaleur produisent à la longue chez les chevaux indigènes l'amaigrissement et par suite l’anémie lente, tandis que les chevaux arabes soumis à un meilleur régime succombent à une anémie pernicieuse ou maligne au bout de quelques mois. GE? SOUDAN FRANCAIS. Dans le Haut-Sénégal on l’observe chez les chevaux de provenance algérienne, les mulets arabes et de la Répu- blique Argentine employés au ravitaillement des postes: elle n’épargne pas toujours les chevaux indigènes. Son apparition est variable : elle est subordonnée à l’état dans lequel se trouvent les animaux au moment de leur im- portation, et aux soins qu'ils reçoivent pendant la cam- pagne. Quoi qu'on fasse il est impossible de la prévenir; cependant une bonne hygiène peut la retarder, la faire se manifester avec une lenteur qui permet d'utiliser les animaux plusieurs années, avant que l’anémie les ait trop affaiblis. Les causes de l’anémie, en colonne, sont nombreuses et particulièrement graves, parce qu'il est impossible de modifier les conditions d'existence des malades. L’insuf- fisance des approvisionnements ne permet pas de distri- buer toujours une ration normale, et quand les denrées sont avariées il faut les mettre en consommation, car il serait souvent impossible de pourvoir à leur rempla- cement. La chaleur excessive que les animaux supportent détériore leur constitution, les affaiblit et, selon le degré de résistance des individus, son action nocive s'exerce avec une intensité différente. Affections du foie. — Les congestions du foie sont com- munes chez les animaux. Elles sont dues au surmenage fonctionnel de cet organe, et à l’impaludisme. Les nom- breuses autopsies que J'ai pratiquées m'ont toujours permis de remarquer une hypertrophie de cet organe. La bile est sécrétée en plus grande grande abondance et peut occa- sionner une entérite bilieuse grave. Quant aux autres alté- rations du foie, elles sont rares parce que les animaux succombent avant qu'elles aient eu le temps de se pro- duire. MALADIES. D) Infection paludéenne ou malaria. L'Infection paludéenne ou malaria sont des mots bien vagues, peu ou point scientifiques, mais que l’état actuel de nos connaissances ne permet pas de remplacer. Je les emploie pour désigner certaines maladies du cheval et du mulet d'importation. On a longtemps nié que les animaux pussent être affectés par les miasmes infectieux et les effluves ou par les germes fébrigènes qui frappent les Européens sans exception dans le Haut-Fleuve. Il est difficile, en effet, de saisir l’inter- mittence des accès de fièvre chez le cheval impaludé; cependant une observation attentive permet de l’établir nettement. Au Soudan, la fièvre intermittente ne se traduit pas chez l'homme par des accès périodiques réguliers ; entre deux accès l’on constate parfois un intervalle qui varie considérablement. — Tel Européen reste quinze Jours, un mois, quarante jours sans le moindre frisson fébrile, alors que son voisin a un accès de fièvre régulièrement tous les huit jours. Cette sorte de fièvre intermittente atteint également les animaux qui ne sont pas nés dans le pays, et si elle ne constitue pas une maladie grave, elle n’en est pas moins dangereuse, parce qu’elle altère sourdement l'organisme et le prépare à se laisser influencer par toutes les autres causes de maladies. L'infection paludéenne affecte trois formes principales à savoir : 4° La fièvre intermittente ; 2° La fièvre pernicieuse ; 3° L'accès pernicieux. À. Fièvre intermattente. — C'est la forme la plus bé- nigne. Le cheval qui en est atteint n’accuse pas des symptômes bien graves, et le plus souvent, en colonne 56 SOUDAN FRANCAIS. surtout, l'accès fébrile passe inaperçu du cavalier. Au campement le malade boude sur la ration, il est un peu triste, les mouvements du flanc sont précipités, le pouls est fort et plus vite, la bouche est chaude, les muqueuses légèrement injectées, le rein dans un état de semi-raideur, la peau présente des alternatives de sécheresse et de sueur et l'on remarque de la constipation. Pendant la marche il n’a pas sa gaieté habituelle, il faut le pousser pour activer son allure, et malgré le malaise qu'il éprouve, il fait son étape à la vitesse ordinaire dans le rang, c’est-à- dire 3 à 4 kilomètres à l'heure sans difficulté. Ces symptômes ne sont pas toujours remarqués ; cepen- dant, des cas se présentent où ils se montrent avec une acuité plus grande, et les mêmes animaux, dans le cours d’une campagne, peuvent servir plusieurs fois de sujets d'observation. — C'est ainsi qu'on est appelé à constater la périodicité d'accès fébriles, se reproduisant d'autant plus sûrement qu'ils ne sont pas combattus généralement par le sulfate de quinine, comme cela a lieu chez l’homme. B. Fièvre pernicieuse. — La fièvre pernicieuse est tou- jours grave. Le malade est très abattu, sa démarche embarrassée, incertaine, l'appétit presque nul, la soif ardente, la conjonctive violacée présente des pétéchies, la langue est saburrale. Le pouls donne quatre-vingts à quatre-vingt-dix pulsations, on peut compter de vingt- cinq à trente respirations à la minute, la peau est très chaude: le rein conserve une certaine souplesse, — Îles crottins sont noirâtres et durs. La marche de la maladie est rapide, les symptômes s’ageravent sans cesse ; la durée de l’évolution morbide ne dépasse guère deux à trois jours et la mort en est la ter- minaison ordinaire. Lésions. — Le tissu cellulaire sous-cutané présente des infiltrations rougeâtres ; le poumon, très congestionné, est MALADIES. by recouvert d’arborisations jaune verdâtre très accusées surtout au niveau de son bord inférieur. Ces arborisations sont formées sous la plèvre viscérale par un exsudat jaune verdâtre gélatiniforme très abondant; les bronches sont remplies de spumosités. Le cœur est gorgé de sang noir incoagulé ; suffusions séreuses dans le péricarde. L'appareil gastro-intestinal est infiltré dans toute son étendue par l’hémoglobine du sang; sa muqueuse, par places irrégulièrement distribuées, est rouge noirâtre ; on se croirait en face d’une gastro-entérite généralisée. Le foie est volumineux, sans consistance et d'une cou- leur lie de vin; sous la pression des doigts 1l s'écrase faci- lement et laisse sourdre du sang noir épais en grande quantité. Le volume de la rate est largement triplé; son paren- chyme gorgé de sang a une faible cohésion, on dirait d'une sorte de putrilage ; sa surface est souvent bossuée et sa couleur plus foncée qu'à l’état normal. Les reins sont hypérémiés. Les muscles ont une couleur rouge brun. Les lésions que je viens d’énumérer existent toujours, mais on en peut trouver d’autres. Ainsi le péricarde est quelquefois rempli de sérosité jaunâtre d’une limpidité diffuse; les spumosités bronchiques et l’exsudat remar- quable signalé sous la plèvre pulmonaire sont alors moins abondants. C. Accès pernicieux. — L'accès pernicieux est la forme foudroyante de l'infection paludéenne, il éclate d’une façon soudaine, ses prodromes passent inaperçus et il détermine la mort rapidement. À Kayes j'ai vu mourir un cheval de spahis dans les conditions suivantes: À six heures du matin le 13 dé- cembre 1883, l'animal dont il est question sort de l’écurie pour être conduit à la promenade avec les autres chevaux. à l’allure du pas; à huit heures il rentre péniblement, les 08 SOUDAN FRANÇAIS. naseaux remplis de flocons de spumosités, la tête basse, la respiration et la circulation fortement accélérées; il s’'ébroue fréquemment pour se débarrasser de ce Jetage spumeux obstruant les voies respiratoires, tombe, se débat un moment et succombe après une très courte agonie. L'ouverture du cadavre faite immédiatement après la mort m'a fait reconnaître toutes les lésions indiquées à propos de la fièvre pernicieuse; seul le poumon était plus engoué, plus congestionné. L'abondant jetage floconneux qui s’échappait de la poitrine est bien particulier à cette forme foudroyante de l’infection paludéenne. Sa formation rapide apporte une gène absolue dans l’accomplissement des fonctions respi- ratoires et détermine une asphyxie imminente. Étiologie de l'infection paludéenne. — L'étiologie pré- cise et scientifique des trois formes principales de l’infec- tion palustre que je viens d'exposer est encore à trouver. De tout temps on a accusé les miasmes et les effluves, et diverses relations publiées dans ces dernières années leur conservent toujours la même prépondérance. Voici dans quelles conditions j'ai vu se développer la fièvre pernicieuse. A Bafoulabé le peloton de spahis, monté en chevaux arabes, est cantonné dans une clairière sous un bouquet de grands arbres au milieu d'herbes hautes, à quelques pas de la rive du fleuve. Ce terrain absolument vierge, périodi- quement inondé pendant l’hivernage, était chargé d’une couche de détritus organiques superficiellement desséchés. Avant d'y camper les trente-huit chevaux composant le peloton, les herbes furent coupées, le sol gratté et égalisé. L'emplacement était spacieux, mais entouré de tous côtés de grands arbres et d'herbes gigantesques qui en faisaient un réduit dissimulé dans un bas-fond rempli de brous- sailles vierges, recélant des détritus organiques en voie de décomposition. L'air s’y renouvelait mal et les émana- MALADIES. D9 tions venant de la terre imprégnée d'urine, ou provenant des matières excrémentitielles elles-mêmes rendaient ce milieu légèrement insalubre, et pouvaient favoriser la vraie cause de l'infection qui, selon toutes probabilités, réside dans le sol lui-même, au sein des matières végéto- animales en putréfaction. Et, en effet, l'observation démontre que les terres vierges fraîchement remuées laissent dégager des cffluves nuisibles à la santé des indi- vidus employés à les défricher, et que la fièvre qui en résulte prend souvent chez l’homme un caractère perni- cieux. Par analogie, on se demande tout naturellement pourquoi les animaux ne seraient pas influencés de sem- blable facon. Le fourrage distribué aux chevaux, déposé sur le sol, se laisse pénétrer par les germes infectieux venant de la terre, et ces germes sont portés dans l’orga- nisme avec les aliments. Les voies respiratoires présentent aussi une large porte d'entrée toujours ouverte aux pous- sières infectieuses ; enfin les boissons, dans certains cas, peuvent servir de véhicule aux microbes pathogènes qui déterminent l'infection paludéenne. Ce raisonnement est purement hypothétique sans doute, mais si l’on veut bien se rappeler que la bactéridie pénètre dans les voies digestives de la même manière pour donner naissance à la fièvre charbonneuse, et que les lésions qu'elle détermine ne sont ni plus graves, n1 plus profondes que celles qui caractérisent la fièvre pernicieuse et l'accès pernicieux, on ne sera pas surpris que le bacille palustre, encore indéterminé, que je soupçonne être l’auteur de ces processus morbides, puisse à la rigueur se comporter comme celui du charbon. L'étiologie reste donc à résoudre; il y a lieu de re- chercher si les trois degrés de la malaria, à savoir : 1° fièvre intermiltente, 2° fièvre pernicieuse, 3° accès pernicieux, sont produits par un ou plusieurs bacilles. J’abandonne le sujet et désire ardemment qu'un jeune micrographe se mette en campagne pour le continent noir 60 SOUDAN FRANÇAIS. P et fasse la lumière sur cette intéressante étude. Il y trou- vera une abondante moisson de faits inédits et des myriades d'infiniment petits à montrer au monde civilisé (1). Un médecin de la marine, le D'Jollet, a signalé dans un ouvrage intitulé Contribution à la géographie médicale du Soudan occidental, une maladie des chevaux en ces termes : « J'ai vu des chevaux et des ânes succomber à la cachexie paludéenne et aussi à une maladie probable- ment analogue à la fièvre hématurique. L'animal devient triste, perd l’appétit et est fortement constipé. Il a la fièvre, s’affaiblit, s’amaigrit rapidement tout en restant debout ; il se courbe en arc (baissant la tête et l’arrière- train en rapprochant ses quatre pieds). Les muqueuses se décolorent, la peau du scrotum, du fourreau et de la verge est le siège d'une exfoliation épidermique, et prend une teinte grisâtre. La miction est douloureuse et l’animal se mâte sur ses quatre pieds, ct, malgré ses efforts ne réussit à expulser qu'une faible quantité d'urine sanglante. Les chevaux de race ouassouloue semblent jouir d'une certaine immunité à l'égard du paludisme; les chevaux de race arabe ou de race croisée ouassouloue-maure suc- combent toujours s'ils séjournent à Koundou. » M. Dupuy, ex-vétérinaire en 2"° à l’escadron de spahis du Sénégal, a publié dans le Recueil de médecine vétéri- naire, n° du 15 août, 15 septembre 1888 et 15 avril 1889, trois articles intéressants sur la malaria des chevaux en Sénégambie, qui démontrent d’une façon irrécusable que les espèces animales peuvent subir, tout aussi bien que l'homme, l'influence du miasme tellurique et paludéen. (1) On sait que le Dr Laveran a trouvé le microbe du paludisme chez l’homme, tandis que les recherches faites sur les chevaux sont restées infructueuses. William Moore, chirurgien général de l’armée anglaise, nie que la fièvre paludéenne soit produite par un hématozoaire ; il accuse des causes purement physiques, telles que le refroidissement favorisé par l'humidité de l'atmosphère. Cette opinion me parait absolument contraire à l'observation des faits. MALADIES. 61 « Au Soudan, dit M. Dupuy, les chevaux algériens su- bissent un pourcentage de pertes énormes; ainsi, par exemple, sur 46 chevaux arabes que j'ai vus débarquer à Kayes, le 4 novembre 1885, 38 étaient enlevés au bout de trois mois (1). Cette mortalité extraordinaire, ce sont deux affections qui la causent et qui se traduisent de la facon suivante : Affection À. — Je cite un cas. Le 17 janvier 1884, le cheval arabe Arbitre, arrivé à Kayes le 9 novembre 1883, ne présente apparemment rien d'anormal le matin ; le soir il se fait traîner à l'abreuvoir à bout de bridon : conjonctive rouge acajou, œil larmoyant, tête basse, démarche lente et pénible; respirations 19, pulsations 62, peau très chaude. La saignée à la thoracique donne un échantillon de sang qui rougit et se coagule. Le lendemain 18, abattement extrème, respirations et pulsations très accélérées ; pouls petit, à peine perceptible: langue jaunâtre, sale, comme si l'animal avait avalé de la terre ; crottins petits, durs, coiffés. Le malade néanmoins saisit de temps en temps quel- ques brins de fourrage et les mâchonne. À quatre heures du soir il tombe, à neuf heures, il meurten poussant des plaintes quidénotent des souffrances intenses. Autopsie. — Faite huit heures après la mort, par + 15° environ. Le foie, jaunâtre, très friable, a des dimensions exces- sives : 1l est tuméfié, étalé sur le sol, il mesure 0°86 (1) À propos de la mortalité des chevaux arabes dans le Soudan français, M. Kôrper, donne les chiffres suivants : Campagne 1881-1882 sur 25 chevaux montés dans le Haut-Fleuve 24 morts. — 1882-1883 — 50 — 48 — 1883-1884 — 48 = 40 —— 1884-1885 — 46 = 40 (Mission agricole et zootechnique dans le Soudan occidental.) 62 SOUDAN FRANÇAIS. sur son plus grand diamètre, et sur son plus petit 0270. La rate est plus volumineuse que d'habitude, Le sang est noir, au contact de l’air il ne rougit plus et ne se coagule plus; surles doigts il laisse une teinte violacée. Sans doute des études microscopiques fourniraient des données très intéressantes sur ces altérations, mais les ins- truments dont Je dispose et mon genre d'existence ne per- mettent pas ces investigations qui, à la vérité, sortent de ma compétence. Le poumon n'est pas affaissé et résiste au doigt: pâle sur presque toute son étendue, il présente, surtout aux parties déclives, des filons Jaunes, de couleur ambrée, à aspect et consistance gélatineux ; d’une coupe, la pression fait sourdre en abondance un liquide jaunâtre spumeux. Le péricarde, qui parait sain, renferme une grande quantité de sérosité jaunâtre. L’estomac, sur son cul-de-sac droit, est teint en noir vio- lacé, l'intestin par places aussi ; leur muqueuse, épaissie, se détache facilement à la traction. La boîte crânienne n’a pas été ouverte sur Arbitre ; exa- minées sur d’autres sujets, les méninges et la surface de l'encéphale étaient congestionnées. Tels sont les symptômes, telles sont les lésions remar- quées. Eh bien ! cette affection qui a une marche foudroyante, qui toujours s'accompagne de cette altération du sang et de ces lésions précipitées du foie etsouvent de la rate, qui, lais- sant indemnes les petits chevaux du pays, s'acharne tout particulièrement sur les chevaux algériens, cette affection ncrappelle-t-elle pas l'accès pernicieux de l'européen? N'est- elle pas une expression de l’impaludisme ou du tellurisme ? Que si l’on était tenté de la regarder comme une forme bizarre de la fièvre typhoïde, on note bien que dans le Haut-Fleuve, ce nest pas accidentellement et par hasard qu'elle fait son apparition, mais qu’elle sévit régulièrement tous les ans, qu’elle exerce son maximum de ravages à la MALADIES. | m sr nn lo Ares D | 7 27 DRE UE e AU [ PTE ONE Eee / une dé 1 LT AUTE DUR LU PLU ALU M 64 SOUDAN FRANÇAIS. fin de l’hivernage, précisément au moment où les terrains inondés se dessèchent, et qu'ensuite elle va s’atténuant, qu'elle frappe les chevaux isolés, comme les chevaux vivant en troupes, qu'elle atteint quelquefois les vieux avant les jeunes, que les animaux mènent une existence en plein air, à la corde, campés aujourd'hui ici, demain ailleurs, que par conséquent l'encombrement, l’empoi- sonnement miasmatique n’ont rien à faire dans la genèse de cette maladie. Affection B. — Quant à la deuxième affection, pour la facilité de la description, Je la diviserai en trois périodes : A) Tel cheval qui compte un séjour dans le Soudan de quatre, cinq, six mois, et quijusque-là s’est bien porté, un matin ne mange pas; en marche il se traîne péniblement ; au repos, somnolence, tête basse, œil pleureur, conjonc- tive rouge, appétit nul, respirations et pulsations accélé- rées, température élevée. L’auscultation, la percussion ne décèlent rien d’anormal à la poitrine, au cœur, etc. B) Au bout de quelques jours, l'animal, toujours faible, paraît moins triste, moins insensible à ce qui l'entoure ; l'œil est encore pleureur, mais la conjonctive est moins colorée ; l’appétit, qui était nul à la période de début, re- vient maintenant certains jours pour disparaître le lende- main et reparaître de nouveau; l'extrémité inférieure des membres s’engorge, les testicules deviennent pendants, le poil se pique, le flanc se corde; la température, générale- ment élevée, s’abaisse à certains moments pour se relever bientôt et descendre encore (ci-contre la courbe de tempé- rature du cheval Copeau depuis le jour de son entrée à l’infirmerie de Bammakô jusqu’au jour de sa mort) (1). C) La faiblesse devient extrême ; en marche, l’arrière- main vacille ; la tête basse, l’encolure allongée, l'animal se fait traîner littéralement; au repos, coma profond ; la con- (1) L'animal est mort le 23 juin au soir, après avoir marqué 350,9 le matin. MALADIES. 65 Jonctive, qui a pâli, maintenant est infiltrée et parsemée de pétéchies dénotant une anémie profonde, respiration abdo- minale très courte et très accélérée; flancs très creux, appétit de plus en plus capricieux, la maigreur a rendu l’animah méconnaissable. Enfin le malade tombe pour ne plus se relever. Cette affection a une marche lente, Je l’ai vue durer trois mois sur le cheval algérien Anatole et cinq mois sur le cheval algérien Rigollot ; sur le cheval du pays elle est moins rare que l’affection À précédemment décrite. Autopsie. — Diminution de consistance et augmenta- tion remarquable de volume dans la rate et le foie avec coloration Jaune de celui-ci, telles sont les lésions capi- tales qui sautaient à l’œ1l et que l’on rencontrait constam- ment. En outre, sang aqueux, qui rougissait et se coagu- lait au contact de l'air, infiltrations séreuses à l'extrémité inférieure des membres, sous le scrotum, etc. Nature. — Dans cette maladie ce qui frappe, c’est l’élé- vation persistante de la température, avec rémissions sui- vies bientôt de paroxysmes; ce qui frappe encore, ce sont les lésions précitées du foie et de la rate que j'ai rencon- trées toujours. Or, une affection quiprésente cesparticularités, comment l’appeler sinon fièvre rémittente? Causes. — Ces deux affections, la première surtout, attaquent exceptionnellement le petit cheval du pays, l’âne et les mulets de France ou d'Algérie ; par contre elles dé- ciment, Je le répète, les chevaux algériens. Donc, parmi les solipèdes, telle espèce, telle race constituent une cause prédisposante. Mais, à mon avis, la cause déterminante, c’est le tellu- risme, c'est l'impaludisme. Et en effet, d'après renseignements puisés à bonne bi) 66 SOUDAN FRANCAIS. source, et d’après quelque expérience personnelle que J'ai du Bas-Sénégal, ces maladies ne se voient pas dans le Cayor, où les chevaux algériens se portent admirablement. C’est que dans le Cayor le sol est sablonneux et aride. Dans le Haut-Fleuve, au contraire, le terrain, sillonné pendant l'hivernage de nombreux cours d’eau, qui à la belle saison se dessèchent, est souvent argileux et maré- cageux. Qu'’à l’action de ces marais on ajoute l'influence des débroussaillements, des remuements de terre, aux- quels les hommes, à leur nouveau campement de chaque jour, se livrent, pour s'installer et pour placer leurs chevaux à la corde, et voilà la cause du mal, elle est là et rien que là. » Les observations si intéressantes de M. Dupuy ont une grande valeur, elles ont été recueillies par un vétérinaire distingué, qui compte plus de six années de séjour au Sénégal, pendant lesquelles 1l n’a épargné ni sa santé, ni son dévouement, pour rechercher les causes de la morta- lité exceptionnelle qui sévit si souvent sur les chevaux dans ce climat malsain. De ce qui précède, il ressort que le miasme palustre tellurique est aussi mauvais pour les bêtes que pour les hommes et que les affections les plus graves, parmi celles qui frappent les chevaux au Soudan français, doivent être attribuées à son influence pernicieuse. Péripneumonie contagieuse. La péripneumonie est endémique au Sénégal et les pertes. qu’elle y cause sont considérables. Les troupeaux d’appro- visionnement de la colonne du Haut-Fleuve, constitués de bœufs de toutes provenances, sont décimés par cette affection contagieuse, quelles que soient les mesures prises pour en arrêter la propagation. Je ne ferai point la description de cette maladie; sous la zone torride elle est aussi dangereuse que dans nos climats su MALADIES. 67 tempérés, et, si l’on songe combien la police sanitaire en France est impuissante contre elle, on ne sera point sur- pris qu'au Soudan il soit encore plus difficile de la com- battre. A mon arrivée à Kayes, la péripneumonie régnait sur un troupeau de douze cents têtes environ. Douze cents bœufs ne trouvent pas facilement leur nourriture dans les mêmes herbages, si abondants soient-ils ; on est obligé de les conduire loin des parcs pour qu'ils puissent manger. Ces promenades plus ou moins longues, sont quelquefois fatigantes; un certain nombre de bœufs rentrent au parce le soir avec le ventre vide, et viennent ainsi grossir tous les jours le troupeau des bêtes maigres. Déjà contaminés, ces animaux n'opposent qu'une réaction faible à la péri- pneumonie et ne tardent pas à succomber, si l’abatage ne vient précéder leur mort. L'insuffisance de l’alimentation pendant la saison sèche détermine rapidement l’amaigris- sement d’une partie du troupeau, et favorise ainsi la pro- pagation de l’épizootie péripneumonique. Ce sont là des faits qui se reproduisent chaque année. La qualité de la viande de ces animaux est souvent mé- diocre ; on la distribue quand même aux indigènes, quel- que mauvaise qu'elle soit, et l’on choisit dans le troupeau les meilleures bêtes pour les Européens. Les Noirs du Haut-Sénégal, les Malinkés et les Bambaras surtout, sont essentiellement carnivores, tout ce qui sent ta chair leur convient ; ils ne sont pas délicats et, faute de bœuf, ils man- gent de l’âne crevé avec une voracité sauvage. On les voit disputer aux hyènes les cadavres des ânes, mulets et chevaux abandonnés dans la brousse par la colonne, ou se précipiter dans le fleuve pour repècher un quartier de bœuf malade rejeté comme insalubre. Dans ces conditions, les pertes causées par la péripneu- monie se trouvent amoindries dans une grande proportion et l’état sanitaire des consommateurs ne parait pas s'en ressentir. 68 SOUDAN FRANCAIS. Peste bovine. La peste bovine a été signalée pendant la campagne 1891-1892 par le vétérinaire en second Petit. Elle aurait eu pour point de départ le pays habité par les Touaregs de la région de Tombouctou. Les troupeaux des Touaregs auraient été contaminés par des caravanes venant de la Mecque. Le colonel Humbert, dans son rapport de fin de campa- gne, estime à cinq mille bœufs le chiffre des pertes occa- sionnées par cette maladie. DEUXIÈME PARTIE TONKIN CHAPITRE PREMIER LE TONKIN : CONFIGURATION PHYSIQUE. — CONSTITUTION GÉO- LOGIQUE DU SOL. — HYDROGRAPHIE. — VOIES DE COMMUNI- CATIONS. Le Tonkin : configuration physique. Le Tonkin est un immense quadrilatère se divisant en deux parties principales : 1° le Delta, dont la superficie est de 11000 kilomètres carrés environ, composé de terres alluvionnaires et argileuses ; 2° Larégion montagneuse, formant un demi-cercleautour du Delta, d’une superficie de 79000 kilomètres carrés, mal délimitée et déterminant la ligne de partage des eaux avec les bassins voisins. Entre le Delta et la région des montagnes se trouve une zone intermédiaire au sol rocheux et maigre où commence le pays minier. Ce haut plateau porte des sommets boisés, entremêlés de murailles et de roches calcaires affectant 70 TONKIN. les formes les plus bizarres; on y rencontre un dédale de vallées, de couloirs, de cirques et d’anfractuosités, des fourrés impénétrables et peu de voies de commu- nications. Le Tonkin est borné au nord par le Kouang-Si, au nord-est par le Quang-Tong, au nord-ouest par le Yunnam et par le Laos chinois, au sud-ouest par les tribus Moïs et au sud-est par le golfe du Tonkin et l’Annam. Il est compris entre 101° et 105°40' de longitude est et entre 20° et 23°20' de latitude nord. Sa longueur du nord au sud est de 370 kilomètres et sa largeur la plus grande de 630 kilomètres. Sa superficie est évaluée à 90 000 kilomètres carrés. On y compte une population de neuf millions d’âmes. Ce chiffre n’est qu'approximatif, aucun recensement sé- rieux n'ayant encore été fait. Constitution géologique du sol. Le Delta du fleuve Rouge a pour base un de nos plus vieux terrains du globe, le dévonien. Ce terrain lance à travers les alluvions qui le recouvrent quelques monti- cules plus ou moins élevés. Le calcaire carbonifère s’est déposé ensuite à la surface de ce terrain en une immense couche, dont l'épaisseur atteint une centaine de mètres. Le fleuve Rouge dans sa course rapide a entraîné ce cal- caire carbonifère. Les blocs immenses qui ont résisté à son courant impétueux, émergent du milieu des rizières, dans la province de Ninh-binh notamment, et donnent à la région l’aspect le plus imposant. Les roches gigantes- ques de la baie d'A-long restent également comme témoins admirables de la préexistence de ce terrain, constituant la base de la chaîne de montagnes qui encadre le Delta d'une pittoresque muraille. La terre a gagné sur la mer cet im- mense estuaire; pendant des siècles des alluvions l'ont CONFIGURATION PHYSIQUE. 10 fertilisé, et en ont fait une des contrées agricoles les plus fécondes du globe. Hydrographie. Le régime hydrographique du Tonkin est un sujet trop spécial pour en donner ici une description même sommaire. Il me suffira de dire qu’on y distingue deux bassins im- portants : 1° celui du fleuve Rouge ou Song-Koï, 2° celui du Thaïi-Binh. Le fleuve Rouge reçoit à droite, tout près et en aval d'Hong-hoa, la rivière Noire, à gauche et en face du poste de Vrétry, la rivière Claire. Au-dessous de Sontay il envoie à droite l’embranchement du Day et plus loin six arroyos. Le Thaï-Binh ou Song-Cau reçoit à gauche le Song- Thuong et le Luc-NGan; dans la province d’Haï-Dzuong, il se ramifie en un grand nombre d’arroyos qui se jettent dans le golfe par six embouchures. Tous ces cours d’eau constituent un réseau inextricable que les hydrologues ont déjà éclairei. Le fleuve Rouge est d’une navigabilité capricieuse, et cette grande voie de pénétration vers les provinces mé- ridionales de la Chine n’est pas accessible à des bateaux d’un fort tonnage. De petites chaloupes à vapeur le remontent jusqu’à Lao- Kay; nos canonnières fluviales n’ont jamais pu atteindre ce poste. Le transit est pratiqué au moyen des grandes jonques du pays. Voies de communications. Les principales voies de communications du Delta du fleuve Rouge sont les nombreux cours d’eau qui l’arrosent. En dehors des fleuves, des rivières et des arroyos, on trouve quelques digues longeant les cours d’eau, et des 72 TONKIN. talus coupant les rizières, sortes de digues étroites accessi- bles aux piétons et aux chevaux du pays. Des routes ont été créées dans ces dernièresannées : elles sont d’un entretien difficile, en raison des pluies torren- tielles de l’été et de la nature argileuse du sol ; aussi, même dans le voisinage des grands centres, ne sont-elles pas toujours carrossables. Les sentiers ont été agrandis presque partout, un grand nombre de ponts de singes des indigènes remplacés par des ponts en bois; les sampans, les jonques et les paniers ont dû céder le pas, dans le fleuve Rouge, la rivière Noire et la rivière Claire, à des bateaux à vapeur d’un petit tonnage. Une ligne télégraphique relie tous les postes extrêmes au chef-lieu du Protectorat, et l’on commence à établir des voies ferrées sur les régions du territoire les plus inté- ressantes au point de vue militaire. Enfin une notable amélioration a été apportée dans cette partie de la réorganisation du Tonkin par l'occupation française. Chaque jour de nouveaux progrès s'accomplissent; les villes principales sont pourvues de boulevards macada- misés, et des rues bien entretenues facilitent la circulation ini des véhicules de tous genres, depuis le pousse-pousse jusqu à l’élégante victoria. Les cooles pousse-pousse rivalisent de Al pour aug- menter leur vitesse, ils exécutent de véritables tours de force et semblent ainsi défier toute concurrence ultérieure des moteurs à quatre pattes. CHAPITRE Il CLIMATOLOGIE : SAISON FRAICHE, SAISON CHAUDE. Climatologie. Au Tonkin deux saisons principales se partagent l’année ; ce sont : {° la saison fraîche ; 2° la saison chaude, ou saison des pluies. 1° Saison fratche. Elle commence en octobre et se termine fin avril. Du- rant ces sept mois la température est très variable, on en jugera par les observations mensuelles suivantes : Octobre. — La température moyenne est de 25 degrés. Les premiers jours du mois sont généralement caracté- risés par une chaleur humide très supportable. Les nuits et les matinées sont fraiches, le soleil ardent et les pluies peu abondantes. C'est le commencement de la bonne sai- son. La constitution médicale est le plus souvent mau- vaise, les maladies épidémiques sévissent avec intensité ; le choléra fait de nombreuses victimes, surtout dans la population indigène. Il est de remarque que, du 15 sep- tembre au 15 octobre, il y a tous les ans une recrudes- cence dans la mortalité. Le changement de saison se tra- duit par une évaporation incessante des marais superficiels, 74 TONKIN. le desséchement des rizières etle dégagement d'émanations miasmatiques. Toutes ces causes d’insalubrité frappent de préférence les individus affaiblis par la saison chaude. Novembre. — Le thermomètre baisse de quelques degrés ; ainsi, J'ai relevé dans le courant du mois une température minima de 14 degrés et une température maxima de 25 degrés. Entre ces deux extrêmes, on constate de nom- breuses variations. Les pluies sont rares, la chaleur moins humide que le mois précédent, on respire à l'aise et l’état sanitaire est généralement bon. Décembre. — La moyenne de la température du mois est de 20 degrés. Le thermomètre descend à 13 degrés dans la seconde quinzaine, et dépasse rarement 23 degrés. Le Tonkin ne peut laisser dans l'esprit du voyageur qui le visite à cette époque de l’année, qu’une heureuse im- pression. Son climat ressemble à notre printemps de France, la température y est douce et réconfortante, le ciel serein, les nuits très fraiches et point de pluie. Les jardins potagers cultivés par les soins des Européens, com- mencent à donner d'excellents légumes de toutes sortes. Les maladies deviennent rares. C’est, à mon avis, le mois le plus agréable de cette saison. Janvier. — L'abaissement de la température est très sensible ; les nuits sont froides, le thermomètre descend à plus de $ degrés et même à plus de 8 degrés dans le Delta ; dans la région montagneuse on a observé 6 de- grés. Les après-midi sont généralement frais; j'ai re- levé exceptionnellement 25 degrés, le plus souvent la colonne mercurielle n'atteint pas le 20° degré du thermo- mètre centigrade. Il pleut rarement en janvier. Le ciel est quelquefois nuageux vers la fin du mois ; par hasard, le tonnerre se fait entendre ; c'est à cette époque de l’année que com- CLIMATOLOGIE. 79 mence à tomber, sous la forme d’un brouillard épais, une pluie plus ou moins abondante, désignée au Tonkin sous le nom de crachin. Février. — La température minima moyenne est de 13 degrés, maxima 18 degrés. Le crachin est fréquent, le ciel est souvent couvert, les chemins sont rendus très glissants par la pluie. Les animaux marchent difficilement sur les digues argileuses quand ils sont vieux ferrés quelques clous à glace deviennent nécessaires pour parer à cet inconvénient. Les Européens jouissent d’une bonne santé pendant le mois de février, de même qu’en janvier. Ils supportent très bien les marches et les fatigues. Mars. — Mars est encore un des bons mois du Tonkin. Température minima moyenne 16 degrés, maxima 22 degrés. Le ciel est souvent voilé par un brouillard intense qui tombe sous la forme de crachin abondant, et même de pluie à grosses gouttes. Avril. — Avril est le mois de transition entre la saison fraîche et la saison chaude. La première quinzaine est bonne, la seconde est marquée par des orages faibles qui annoncent les chaleurs lourdes de l'été. Les nuits sont encore agréables, les matinées et les soirées douces, mais dans les derniers jours la température va sans cesse en augmentant. Le soleil est ardent; à tra- vers les éclaircies des nuagesil darde ses rayons pénétrants et devient dangereux. Température minima moyenne 20 degrés, maxima 26 degrés. 20 Saison chaude. Elle comprend les mois de mai, juin, juillet, août et septembre. C'est la mauvaise saison du Tonkin. 76 TONKIN. Mai. — En mai s'établit le régime qu'on désigne dans: les pays intertropicaux sous le nom d’hivernage. La chaleur devient lourde; l'atmosphère est chargée. de vapeur d’eau, les orages sont fréquents et les pluies. torrentielles. Cependant toutes les journées ne sont pas également mauvaises; le thermomètre descend quelquefois. à 21 degrés et même 20 degrés dans la première quinzaine. Les nuits sont encore fraîches. Le mois de mai est généralement insalubre; il corres- pond à un changement de saison qui ne survient jamais sans déterminer une recrudescence des affections clima- tiques. Le choléra sévit sur la population indigène avec intensité, et les fièvres paludéennes deviennent plus fré- quentes chez les Européens. Température minima moyenne 24 degrés, maxima 30 degrés. Juin, juillet et août. — Pendant ces trois mois les phénomènes atmosphériques, signalés à propos du mois. de mai, s’exagèrent. La température est accablante. Des averses abondantes rafraîchissent l'air pour quelques ins- tants ; mais après les orages, le soleil est d’une lourdeur de plomb. Pour tout vêtement l'Européen se borne à mettre un pantalon et un veston de toile ou de cotonnade. La chemise n’est pas toujours supportée. Malgré la légèreté de cet habillement, la sueur ruisselle tout le long du corps, à toute heure du jour et de la nuit, chez les individus bien portants. Une éruption cutanée prurigineuse à l'excès, est. la conséquence de cette suractivité fonctionnelle de la peau. Bourbouille est le nom consacré pour désigner cette éruption; elle s’accuse par une démangeaison intolérable qui n'a d'égale que celle des piqûres de moustiques qui pullulent à cette époque de l’année. Juin : Température maxima moyenne 34 degrés, minima. 26 degrés; Juillet : Température maxima moyenne 34 degrés, mi- nima 25 degrés; CLIMATOLOGIE. oi Août: Température maxima moyenne 31 degrés, minima 26 degrés. Les pluies torrentielles se forment très vite et passent de même. Les fleuves, les rivières et les arroyos gros- sissent à vue d'œil et déversent l'excédent de leurs eaux dans les rizières. Des inondations périodiques, plus ou moins dangereuses, se produisent et transforment le Delta en un lac immense, d’où émergent les nombreux villages (dans leurs fourrés de bambous) et quelques digues. Le fleuve Rouge et ses affluents charrient des matières ter- reuses qui troublent l’eau et lui donnent une teinte rou- geâtre. Cette coloration n’est pas spéciale au fleuve Rouge, comme le nom qu'il porte semblerait l'indiquer. La rivière Noire et la rivière Claire roulent aussi des eaux rougeâtres qui ne justifient pas leurs noms. Ces appellations diverses données par les indigènes aux grands cours d'eau de l’Indo-Chine, sont pourtant vrai- semblables après la saison des pluies. Le fleuve Rouge conserve toujours sa coloration terreuse, d'un rouge difficile à saisir; la rivière Claire roule des eaux limpides pendant la saison fraîche; la rivière Noire se présente sous un aspect sombre, à toute époque de l’année. Indépendamment des tempêtes, des pluies et des inon- dations de cette saison, on doit citer les typhons dont la violence dévastatrice est particulièrement redoutable. L'été du Tonkin, ou la saison chaude, durant les mois de juin, Juillet et août, est très pénible ; l’hivernage du Soudan français n’est pas plus fatigant. En Indo-Chine, comme dans l'Afrique intertropicale, la saison des pluies se traduit par les mêmes phénomènes atmosphériques. Pour éviter des redites inutiles je renvoie le lecteur au chapitre Climatologie du Soudan, paragraphe Saison des pluies. Septembre. — Température maxima moyenne 29 degrés, minima 25 degrés. TONKIN. S SS = ENS Tone au vw _ — Ê ju M AU UE=2"S M = Ut LU UN 2 LT nN —- MEL Li = D a = LA Le ET | js E ET | LUN > ; ‘eÙ à > » x » Ÿ O _ Gun ces [JPG LIT 7 279 Gasrna dl gnin ma nn ne épat CLIMATOLOGIE. nn La première quinzaine est pluvieuse ; on entend quel- quefois le tonnerre gronder; mais sa voix est moins puis- sante ; ce n’est plus qu’un roulement lointain, dont l'écho reste faible. L’atmosphère chargée d'humidité est lourde, et on se sent plongé dans une buée énervante pendant la plus grande partie du mois. Cependant les nuits redeviennent meilleures, et si la température reste élevée dans la Journée, on éprouve déjà quelque bien-être après le coucher du soleil. Les bourbouilles se dissipent ; l’'énervement, dans lequel on vivait depuis trois mois, fait place à une détente géné- rale dont la sensation est toujours agréable. La courbe des moyennes thermométriques indiquées dans la figure ci-contre n'a pas, je me hâte de le dire, une rigoureuse précision. Je n'ai pas mis en usage pour l'établir le procédé d’Arago qui consiste à placer le thermomètre en plein champ, suspendu à une ficelle, et à lui imprimer un mouvement de fronde de manière à le mettre en contact avec un volume d'air plus considérable. À défaut d'instruments météorologiques meilleurs, j'ai employé le thermomètre vulgaire, et je lui laisse toute la responsabilité des erreurs qu'il m’a fait enregistrer. En résumé, ce climat ne mérite pas la réputation d’in- salubrité que la légende a propagée. « Quoi qu’on ait dit, le Tonkin est une de nos colonies les moins malsaines : la période des chaleurs est rude à passer, mais on a entre deux étés une saison d'hiver qui dure près de six mois et pendant laquelle l'Européen placé dans de bonnes condi- tions hygiéniques à le temps de se remettre des fatigues de la saison chaude. Du mois de novembre au mois d’avril, le climat est celui de nos automnes de France: le ther- momètre oscille entre 8 et 19 degrés centigrades, bien rarement il dépasse 20 ou 22. On se sent renaître alors, on reprend de nouvelles forces; c’est à cette bienfaisante 80 TONKIN. saison d'hiver que certains de nos résidents et plusieurs de nos missionnaires ont dû de garder une santé excellente malgré un séjour de dix ou quinze années au Tonkin. L'été, malgré tout, est rude à supporter. Ce n'est pas que la température se montre très élevée : en Juin le mois le plus chaud de l’année, le thermomètre atteint bien rare- ment 35 ou 36 degrés, et ne dépasse pas en tous cas cette limite; mais 1l règne dans cette saison une humidité per- sistante qui place l’organisme dans des conditions extrème- ment défavorables. L'air surchauffé est en même temps sursaturé d'humidité, si bien que l’évaporation cutanée ne se fait plus : on ressent constamment une impression de pesanteur et d'angoisse analogue à celle qu'on éprouve dans un bain de vapeur; la peau est couverte d’une trans- piration continuelle et tellement abondante que des gouttes de sueur perlent au bout des doigts et qu'il est impossible d'écrire, parce que la main placée sur le papier le mouille au fur et à mesure. Non seulement on ne peut guère se livrer à un travail intellectuel, mais le moindre effort musculaire est pénible; on hésite à étendre le bras pour prendre un livre, il semble qu’on va soulever une mon- tagne. On est réduit à passer une partie de la journée étendu sur un hamac au-dessous du grand panka suspendu au plafond, qu'un coolie agite de l'extérieur pour renouveler les couches d’air. Dans cette atmosphère humide et surchauffée, les cham- pignons et les moisissures se développent avec une rapi- dité qui tient du prodige; du jour au lendemain, sur les murs des cases qui suintent l’eau de toutes parts, naissent de petites plaques de moisissures qui s'étendent à vue d'œil comme des taches d'huile » (1). (1) Une campagne au Tonkin : Dr Hocquard, médecin-major de 1re classe. CHAPITRE III APERÇU DE L'AGRICULTURE. — ARBRES PRINCIPAUX. — PRODUC- TIONS INDUSTRIELLES ET MINÉRALES. Aperçu de l’agriculture. Les Tonkinois sont un peuple essentiellement agricole ; toutes leurs cultures l’indiquent, et 1l est vraiment sur- prenant que cette opinion rencontre des contradicteurs. Le Delta du fleuve Rouge est exploité dans toute son étendue. La population laborieuse qui s’y est établie a su rer parti de la fertilité prodigieuse du sol pour nourrir des millions d'habitants, en dépit des révolutions qui ont de tout temps tourmenté ce malheureux pays. Les régions limitrophes encadrant le Delta étaient jadis très peuplées; les incursions des pirates chinois ont forcé leurs habitants à les abandonner; ce ne sont plus auJour- d’hui que de vastes jongles ou pampas, où le tigre règne en souverain. On y découvre des traces de nombreux villages, des arbres fruitiers, mais plus de travailleurs. Quand la pacification sera terminée, tous ces terrains vagues rendus à la culture reprendront leur ancienne fécondité, et l'excédent de la population du Delta pourra y relormer de beaux villages. Les Annamites, on ne sau- rait trop le répéter, ont le sentiment des choses de l’agri- culture poussé à un degré très élevé. Tous les Français que la passion n’aveugle pas, tous les voyageurs qui de 6 82 TONKIN. près ont visité le Tonkin, sont unanimes pour affirmer que cette contrée est une de nos colonies les plus fertiles et : les plus séduisantes. Au point de vue agricole nous pourrons peut-être enseigner aux Annamites la culture de plantes industrielles oo ss? à la nature du sol et au climat; mais nous n'avons rien à leur apprendre en ce qui concerne la petite culture. Îl n’y a pas de département français mieux cultivé que le Delta. Les détracteurs du Tonkin affirment qu’en dehors du riz il n’y a rien; sans doute c'est la rizière qui saute aux yeux quand on débarque dans ce pays, et cette rizière produit deux abondantes récoltes de riz par année ; mais pendant la saison fraiche le riz n’est plus sur pied et à sa place on trouve des champs de maïs, de patates, de manioc, de haricots, d’arachides, de choux, de salades, etc. N’en est-il donc pas de même chez nous ? La rotation des cultures ne demande pas une obser- vation bien rigoureuse de la théorie des assolements: je crois même que leur alternance laisse dans la plus gr Hate indifférence le cultivateur annamite. Le sol est bien soigné et régulièrement fumé. Les engrais employés sont la bouse de buffle et de bœuf et les excré- ments humains Ces derniers sont ramassés tous les matins dans l’intérieur et aux environs des villages avec un soin tout minutieux; de nombreux paniers remplis de cette matière, saupoudrée de cendres, sont transportés dans les rizières par un groupe de femmes, en file indienne, à une allure cadencée remarquable. Un grand nombre de cadavres humains servent à entre- tenir la fécondité du sol. Je n'affirmerai pas que c’est dans ce but que les Annamites enterrent leurs morts dans les champs, mais ils pratiquent cet usage de temps immé- morial. Après la complète décomposition des cadavres, les ossements sont pieusement recueillis, placés dans une petite bière en terre cuite, et transportés dans le AGRICULTURE. 83 jardin du défunt au milieu des restes de ses ancêtres. Le fumier des animaux est déposé dans le voisinage de l'habitation du cultivateur tonkinois ; on le mélange à des cendres et à la boue du village auxquelles on ajoute quel- ques herbes. La préparation de ce compost est parfaite. Au fur et à mesure des besoins, les femmes viennent charger leurs deux paniers suspendus x un balancier placé sur l'épaule, et s’en vont allègrement iépandre dans les champs cette matière fertilisante. Les herbes provenant des sarclages à la main sont brülées pour servir à la fumure des terres. Enfin la paille de riz des rizières les plus basses, les plus inondées, est laissée sur place ; les moissonneurs la coupent un peu au-dessous des épillets; c'est là encore un appoint important dans la restitution des matériaux nutritifs enlevés au sol par la récolte. Ce qui manque surtout au sol tonkinois ce sont les sels calcaires ; toutes les productions du Tonkin en sont pau- vres, et l’usage universellement répandu en Indo-Chine de mâchonner la chique de bétel, semble avoir pour but de servir à leur remplacement. On sait que cette chique est composée d'un quartier de noix d’arec et d’une feuille verte de bétel dans laquelle on enveloppe une petite quantité de chaux. Si la fumure du sol n'est pas négligée, d'autre part, sa préparation est également l’objet de soins très appliqués. Le labourage des rizières est exécuté au moyen d'une charrue simple à laquelle on attelle un buffle, un zébu ou un bœuf. Le dressage des animaux domestiques est pratiqué avec douceur; l’on ne voit jamais un Annamite les brutaliser. Une corde légère passée à travers la cloison nasale con- tient et dirige l’animal sans difficulté. Dans la rizière jusqu'aux genoux et quelquefois jusqu'à la ceinture dans l’eau, le laboureur excite sa bête de La voix, et quand il est satisfait de son ouvrage, on l'entend fredonner dans 84 TONKIN. son idiome bizarre, des accents marqués d’une douce mté- lancolie que n'eût pas désavoués l'auteur des Géorgiques. L'irrigation des rizières est exécutée avec un grand sens pratique. On rencontre sur les bords de quelques arroyos des roues élévatoires destinées à cet usage ; en dehors de cet appareil perfectionné, les indigènes emploient des procédés simples et très ingénieux. Sur les confins du Delta les terrains affectent une disposition étagée; pour transporter les eaux d’un arroyo dans la rizière supérieure, on place une sorte de trépied, composé de trois longs bambous reliés à leur extrémité supérieure, après lequel est suspendue une corbeille en bambou tressé, munie d'un long manche et couverte d'un enduit imperméable. Sans effort, l’'Annamite l’actionne en soulevant légèrement le manche de facon que l’autre extrémité de la corbeille plonge dans l’eau ; il lui suffit d'imprimer un mouvement de bascule à l'appareil pour lancer au loin une assez grande quantité d'eau. J'ai vu des aveugles employés à ce service et ils accomplissaient leur tâche très convenable- ment. Un panier demi-sphérique, en bambou tressé imper- méabilisé, après lequel deux cordes sont fixées, sert également à élever les eaux dans les rizières hautes. Deux hommes se faisant face se placent à 4 ou 5 mètres d’in- tervalle sur le talus du terrain à inonder, et saisissant chacun une corde, lancent le panier dans la prise d'eau, le ramènent d’un mouvement rapide opéré simultanément et déversent son contenu en amont du réservoir. Ces procédés, si primitifs qu'ils puissent paraître, n’en indiquent pas moins un esprit inventif des plus pratiques, que l’on rencontre, du reste, dans les moindres ouvrages des Annamites. Les récoltes principales du Tonkin sont: Les nombreuses variétés de riz, le maïs et le millet, l'arachide, les haricots, le manioc, la patate, les navets, les choux, les oignons. LEZ De nombreuses cucurbitacées : courge, potiron, con- ARBRES PRINCIPAUX. 85 combre, le melon d'eau douce ou pastèque, ete., le ricin, le bétel, le tabac, la canne à sucre, l'indigo, le thé, Îe müûrier, le coton, le vernis {tiré du laquier). Ces récoltes sont communes, on les trouve dans tous les villages. Il y a aussi une grande variété de fruits excellents. Je citerai les bananes, les oranges, les ananas, le litchi, les cocos, les papayes, la noix d’arec, les goyaves, la pomme cannelle, etc. Il en existe beaucoup d’autres, plus ou moins agréables au goût, dont la production n’a pas la même importance. Les Européens ont créé au Tonkin de très beaux jardins potagers. Pendant la saison fraiche, les légumes de toutes sortes y abondenit : choux, chicorées, laitues, radis, navets, pommes de terre, asperges, carottes, céleri, petits pois, haricots, etc. Dans les environs des villes principales du Delta, les Annamites cultivent ces divers légumes et savent en tirer parti. Sur le marché de Hanoï, les ménagères peuvent s’approvisionner de légumes frais, pendant la plus grande partie de l’année. Les corps de troupes de la division possèdent tous de magnifiques potagers, dont les produits variés améliorent considérablement l'ordinaire du soldat. Arbres principaux. Dans le Delta et sur les montagnes du nord et de l’ouestdu Tonkin, on trouve detrès beaux arbres encore mal connus. Les principaux sont les bois dits de /er, à cause de leur densité. Ils appartiennent à la famille des Légumineuses et constituent ses représentants les plus gigantesques. Les bois sacrés des pagodes en offrent quelques spécimens ; dans les environs de Sontay la pagode des Mandarins mili- taires est entourée d'arbres de cette espèce, de haute stature. 86 TONKIN. Les Annamites désignent l'arbre à bois de fer sous le nom de Lim. Le Gia-ti ou Teck a été signalé récemment dans la vallée de la rivière Noire par la mission Pavie. Ce bois est très recherché pour les constructions navales; les Annamites l'utilisent pour leurs incrustations. Le teck est très dur et très dense. Le Pin (Pinus sinensis) est très commun sur les régions mamelonnées du Tonkin. Il forme de jolis bouquets au- tour de quelques pagodes des environs de Sontay. Le Gao ou Bombax Malabaricum, de la famille des Mal- vacées, est remarquable à cause de son odeur nauséa- bonde. Les planches que cet arbre fournit sont surtout employées pour faire des cercueils. Le Litchi comprend deux variétés : le Nephelium htchi et le Nephelium longan. Ces arbres donnent d'excellents fruits: Les Jaquiers sont très répandus. L'espèce cultivée est l’Arctocarpus integri/oha. Le bois du jaquier est rougeâtre, il a la ÉPIQUE de résister aux insectes et à l'humidité. On s’en sert pour la menuiserie. Le Parasolier (Terminalia calappa) est cultivé dans les Jardins pour ses fruits. Le Lilas de Chine (Melia azadaracha) est très commun ; il pousse vite, pourrait être cultivé comme arbre d'agrément, mais jusqu'ici les Annamites l'utilisent surtout pour la construction de leurs habitations. Le Faux Ébénier (Diospyros decandra) n’est pas très ré- pandu, j'en ai vu quelques spécimens dans l’île de Tra-kô, baie d'Hai-Ninh. On le cultive pour ses fruits jaune d’or, dont le volume égale celui de nos pommes. Son bois est très apprécié des ébénistes. Le Mun est une Ébénacée dont le bois noir et très dur sert à faire des petits meubles de luxe. Les Banians ou Ficus, de la famille des Urticées, sont très communs au Tonkin; on les rencontre principalement au- PRODUCTIONS INDUSTRIELLES ET MINÉRALES. 87 tour des pagodes, où ils sont l’objet d’une sorte de culte religieux. Dans les branchages de ces arbres et dans les creux de leurs troncs, les indigènes placent des barres d’or et d'argent en papier peint, des brüle-parfums, des bouddhas, etc. Toutes ces choses représentent des offrandes pour servir au génie de la pagode et aux âmes des tré- passés. Les forêts du Tonkin n'ont pas été scientifiquement étudiées ; il serait utile de confier à un spécialiste la mission de faire connaître les essences qu'elles produisent. Productions industrielles et minérales. Les productions industrielles des Tonkinois sont nom- breuses et variées; parmi les plus importantes, je citerai la fabrication de la soie qui livre annuellement à la con- sommation plus de 900000 kilogrammes de tissus de bonne qualité. Le climat de l’Indo-Chine est éminemment favorable à la sériciculture, et cette industrie est connue des habitants des villages les plus retirés depuis un temps immémorial. « L'empereur Hoang-ti, qui vivait 2600 ans avant notre ère, voulut que Si-ling-chi, sa légitime épouse, contribuât au bonheur de son peuple. Il la chargea d'examiner les vers à soie et d'essayer d'utiliser leurs fils. Si-ling-chi fit ramasser une grande quantité de ces insectes qu’elle vou- lut nourrir elle-même dans le lieu qu’elle destina unique- ment à cet usage Elle trouva non seulement la facon de les élever, mais encore la manière de dévider leur soie et de l’'employerà faire des vêtements. » (P. Mailla, Æstoire générale de la Chine). Les soieries annamites sont très soignées, malgré les procédés primitifs usités pour les confectionner, et servent à l'habillement du plus grand nombre des indigènes; les tissus de coton sont réservés aux coolies et aux gens de basse condition. 88 TONKIN. La chrysalide du ver à soie est un mets délicat très apprécié des Orientaux. A Hanoï on trouve des fabriques de papier dont la ma- tière première est fournie par l'écorce d'un arbuste connu dans le pays sous le nom de Caï-gio. Sont encore l’objet d'une production importante : l’al- cool de riz, l'huile, l’indigo, l'essence de badiane, le sucre de canne brut, des produits pharmaceutiques variés, l'ivoire, les peaux, les incrustations de nacre, les tapis brochés, etc. Les Annamites excellent dans tous les genres d’indus- trie : ils sont ébénistes, maçons, charpentiers, tailleurs, brodeurs, orfèvres et ils produisent de remarquables ou- vrages. Les richesses minérales sont encore mal connues ; on sait qu'il y a des mines de charbon exploitées depuis peu par des Européens; et, il est certain que dans les monta- gnes encadrant le Delta, existent beaucoup de mines de cuivre, de fer, de zinc et qu’il y a aussi de l'or, de l’argent et du soufre. tes. CHAPITRE IV ANIMAUX DOMESTIQUES. — CHEVAL. — COURSES HIPPIQUES. — GENRE BOEUF. — BUFFLE. — MOUTONS CHINOIS. — CHÈVRES. mr PORC CHIEN: Animaux domestiques. Les animaux domestiques sont : le cheval, le buffle, le bœuf, la chèvre, le porc, le chien, le chat, les poules, les oïes, les canards etles pigeons. . Le cheval et la chèvre sont rares, la production des autres animaux domestiques est importante. Le Delta est pauvre en herbages et ne convient pas à l'élève d'immenses troupeaux ; la population animale en- tretenue est suffisante pour les besoins des indigènes. Le bœuf et le buffle exclusivement employés au labou- rage des rizières sont bien soignés, propres et servent à l'alimentation après leur mort naturelle. Cheval. Le cheval est rare au Tonkin ; c'est un produit dégénéré de la race mongolique. Il est de petite taille, 1°05 à 1°20, généralement bien suivi. La tête est expressive, les oreilles petites, les yeux viis, le front légèrement bombé, le chanfrein un peu déprimé. L’encolure est rouée, la ligne de dessus bien soutenue et la croupe moyennement inclinée. 90 TONKIN. La poitrine profonde, la côte arrondie, l'épaule oblique, l’avant-bras bien muscié et les aplombs antérieurs bons. Les membres postérieurs sont souvent panards, les jar- rets clos. La robe a des nuances variées : baie, alezane et leurs dérivés, quelquefois pie. Les indigènes n'élèvent pas le cheval; je n'ai jamais vu dans les villages une jument suitée ; les quelques chevaux que J'ai rencontrés étaient la propriété des mandarins ; le peuple en possède rarement. Le dépôt de remonte de Hanoï faisait ses achats en Annam, dans les îles de la Sonde, en Birmanie, en Chine; ceux qui étaient achetés sur le territoire provenaient, le plus souvent, des provinces chinoises limitrophes. Les chevaux de l’Indo-Chine sont vigoureux, rustiques et, malgré la petitesse de leur taille, capables de grands efforts. À propos des chevaux chinois M. Piétrement dit à la page 340 de son beau livre : Les chevaux dans les temps préhistoriques et historiques : « Les chevaux élevés dans les provinces septentrionales de ce pays (Chine) ont toujours été petits et laids ; quant aux provinces méridionales, elles ont toujours été si impropres à l'élève des chevaux, que, même aujourd’hui, les particuliers n’en nourrissentaucun, ni pour les travaux de la campagne, ni pour les voyages; et que ceux qui y sont importés de la Tartarie, pour le ser- vice des relais du gouvernement, y perdent leur vigueur en quelques années et finissent par être tout à fait hors de service. Et la dégénérescence des chevaux en Chine pro- vient uniquement des conditions climatologiques de ce pays, car on sait combien les Chinois sont habiles dans l’art d'élever et de soigner les animaux. » L'opinion de M. Piétrement me parait controuvée en ce qui concerne la vigueur des chevaux chinois ; malgré les : conditions climatologiques de ce pays, les équidés y con- servent des qualités excellentes ; ils restent vigoureux quand ils sont bien soignés. La bonté des chevaux chinois ANIMAUX DOMESTIQUES. 91 et tonkinois est du reste parfaitement connue de tous ceux qui ont eu l’occasion de s’en servir. Leur résistance est vraiment extraordinaire. Le Père Cibot, dans un mémoire sur les chevaux chinois publié dans l'ouvrage de M. le capitaine Dabry intitulé : La médecine chez les Chinois, raconte ce qui suit: « Il fau- drait s'entendre un peu en chevaux pour pouvoir dire en quoi, comment et jusqu'où les chevaux d'ici (Chine) sont semblables aux nôtres, ou diffèrent d'eux. « Tout ce que nous hasarderons d’insinuer, c'est qu’à en juger par les chevaux que nous avons vus à la ville, à la cour et au palais, on trouve ici des chevaux de presque autant de couleurs que chez nous, mais qu'il y en a deux ou trois dominantes ; que presque tous ont les oreilles petites, les yeux grands et pleins de feu, la cri- nière et la queue belles, et que pour tout le reste ils n’ap- prochent pas des nôtres. Ce qui doit s'entendre avec les exceptions et les modifications qu'il faut supposer pour l’empereur, les princes et les grands. « Nous voyons, en effet, que les Chinois et les Tartares regardent toujours avec surprise et admiration les chevaux de nos estampes et de nos tableaux et se récrient sur leur beauté. » Évidemment les chevaux de l'Extrème-Orient ne sont pas des modèles de beauté et, à ce point de vue, comme le dit si bien le Père Cibot, ils n'approchent point des nôtres, mais cette appréciation n'autorise pas à les con- sidérer comme « mauvais, petits, faibles, lâches, mal faits (1) ». Ils valent mieux que cela, et je les crois, toutes proportions réservées, meilleurs que les chevaux français. J'ai monté quelques chevaux indigènes au Tonkin, et ils m'ont toujours paru d’une solidité supérieure à la plupart de nos montures de troupe. Je pourrais citer de nombreux exemples à l'appui de ce que J’avance, car les (1) Piétrement. 92 TONKIN. bons petits chevaux de cette partie de l'Asie ne sont pas des exceptions. Entre tous j'en choisirai un dont j'ai uti- lisé les services pendant près de deux ans. C'était un che- val du pays, alezan, sept ans, 1"05, pesant 140 kilogrammes avec une selle d'ordonnance de cavalerie légère nue et un bridon. Attelé à une petite charrette anglaise, 1l faisait la route de Sontay à Hanoï en trois heures, soit 35 kilo- mètres, y compris un temps d'arrêt au bac du Day; monté à 19 kilogs, les étapes de 25 à 30 kilomètres ne paraissaient pas lui causer une grande fatigue. Avec cette monture, J'ai parcouru en trois heures la distance de 30 kilomètres qui sépare Phu-Doan de Tuyen-Quan ; je suis allé à Daï- Lich, Ba-ké, dans le Haut-Fleuve Rouge, à travers des che- minsaffreux ; par moments et sans quitter les étriers, le dé- foncement des sentiers me permettait de prendre un point d'appui sur le sol, et ce travail, qui peut paraître excessif, a toujours été supporté sans faiblesse par ce petit cheval. En arrivant à l'étape, pour toute nourriture, Je lui donnais quelques jeunes pousses de bambou et du paddy. Je déclare n’avoir jamais monté en France un cheval comparable à celui-là au point de vue de la solidité. Il ne faut donc pas prendre à la lettre les défauts que certains au- teurssignalentchez ces chevaux, car je suis convaincu qu'ils les jugeraient plus favorablement s'ils s’en étaient servis. Un grand nombre d'officiers du corps expéditionnaire ont pu apprécier la résistance infatigable de ces miniatures d’équidés, leur commodité en colonne, et ils n’ont pas oublié l'encombrement causé par les grands chevaux et les mulets. Le cheval annamite passe partout, il n’est pas un sentier praticable à l’homme qui ne lui soit acces- sible ; pour la traversée des rivières et des arroyos, on le met en panier ({) ou en jonque, son transport est toujours facile. C’est un moyen de locomotion agréable et qui con- vient très bien pour servir en Indo-Chine. (1) Petite embarcation faite avec du bambou tressé enduit d’une matière imperméable. ANIMAUX DOMESTIQUES. 93 Malgré la vigueur surprenante de ces chevaux, ils ne sauraient produire un service exagéré sans s'user préma- turément. Un poids de 80 kilogs porté par un animal de 150 kilogs est disproportionné ; un pareil travail entraîne- rait tous les effets du surmenage s’il était prolongé. C’est là un fait incontestable, et prétendre le contraire serait la négation de la mécanique animale la plus élémentaire. Quoi qu’il en soit, ce cheval est parfaitement approprié au climat chaud et humide du Tonkin; sa valeur moyenne est de 30 à 50 piastres. Courses hippiques. Les Tonkinois sont de médiocres cavaliers. Le cheval était jadis un animal de luxe au service des mandarins. Avant notre occupation 1l était rarement monté par les gens du peuple; le goût du cheval est facilement venu à de nombreux militaires libérés, et aux boys. et on à pu rapidement organiser des courses hippiques à Hanoï et à Haïphong. Chaque année il y a plusieurs réunions spor- tives qui passionnent fort les indigènes. Genre bœuf. Il comprend deux espèces : 1° le zébu; 2° le bœuf commun. À. Le zébu rend, comme le buffle, de grands services à l'agriculture. La bosse adipeuse qu'il porte au-dessus du garrot constitue un point d'appui excellent pour l'appli- ‘cation d’une pièce de bois cintrée servant à la traction. Le zébu s'attelle sans difficulté; cette disposition a per- mis de l'utiliser au ravitaillement des postes situés dans les régions traversées par des routes carrossables (1). (1) Le zébu du Tonkin est plus petit que celui du Soudan, ses formes sont plus arrondies et son ossature plus grêle. 94 TONKIN. B. Bœuf commun. — Le bœuf commun est une variété de la grande race asiatique ; il est l’objet d'une production importante. En général les bœufs du Tonkin sont de taille moyenne ou petite et d’une bonne conformation. Ils ont la tête expressive, des yeux vifs, saillants, les cornes fines de moyenne longueur affectant des directions les plus variées, le front plat; le mufle noir; le poil court, la robe froment, le plus souvent, et de nuance claire. La charpente de ces bœufs est grèle, et la qualité de leur viande varie avec leur alimentation. Convenablement nourris, les bœufs du Delta donnent une viande relative- ment bonne. Je dis relativement, parce que l’herbe qu'ils consomment, la plupart du temps, est pauvre, peu sapide, et que dans ces conditions ils ne peuvent être cotés comme d'excellents animaux de boucherie. Ce n'est pas en paissant sur les talus des rizières, les bordures des digues ou dans les marécages, qu'ils trouvent les maté- riaux de nutrition indispensables à la production d’une viande de bonne qualité. Ils ont cela de commun avec toutes les races bovines du globe. Les vaches ont un pis peu volumineux et donnent du lait en très petite quantité. L'importation d'une race lai- tière rendrait de grands services. Les propriétés théra- peutiques du lait pour combattre la diarrhée, la dysen- terie, l’anémie, etc., toutes maladies fréquentes au Tonkin, sont universellement connues; on sait que le lait de con- serve, malgré ses qualités, ne vaut pas Île lait naturel; les malades s’en dégoûütent après un usage de courte durée. C'est pourquoi j'estime l'élevage de quelques vaches laitières, dans les centres hospitaliers, comme une néces- sité urgente. Notre race bretonne s’adapterait certainement au climat de l’Indo-Chine, et ce serait rendre de très grands services aux Européens établis au Tonkin que d'entreprendre son acclimatement. ANIMAUX DOMESTIQUES. 95 Bufîle. Le buffle est un animal de travail remarquable par sa force et sa rusticité. Les travaux les plus pénibles lui reviennent, car le bœuf ferait mauvaise figure dans les rizières profondes du pays. Il arrive, en effet, à l’Annamite de labourer la terre alors qu'elle est recouverte d’une nappe d’eau boueuse, où la bête et son conducteur plon- gent jusqu’au ventre. Le buffle patauge agréablement dans cette boue liquide, et se laisse conduire avec la plus grande facilité. Ces animaux ont une réputation de méchanceté proba- blement exagérée; tout ce qu'ils trouvent insolite les épouvante et leur donne un air farouche et menaçant; on raconte que des Européens auraient été maltraités par des buffles irrités. De pareils faits sont rares. Ces animaux montrent, en tous cas, la plus grande douceur à l'égard des indigènes. Une simple corde légère passée dans la cloison nasale suffit pour les conduire. Les enfants, pour les mener au pâturage, montent sur leur croupe et les dirigent avec aisance. Chaque village possède un petit troupeau de buffles exclusivement employés au labourage des rizières. Leur viande est coriace, a un goût désagréable, et les Européens qui se sont trouvés dans la nécessité d’en faire usage en ont conservé un répugnant souvenir. Les Annamites attendent que le buffle succombe à une maladie, pour le manger. Moutons chinois. Les moutons ne sont pas élevés dans le Delta; les pro- vinces méridionales de la Chine, le Yunnam notamment, en expédient par la voie du fleuve Rouge pour l'usage des Européens. Ces moutons, de taille moyenne, appartien- 96 TONKIN. draient, d’après M. Sanson, à la race dolichocéphale de Syrie ou à large queue. Il existe en effet, dans l'empire du Milieu, des types de cette race, mais tous les ovidés de ce pays n'ont pas les mêmes caractères zoologiques, car ceux qui proviennent du Yunnam ont la queue fine, et d'autres, venant de Hong-Kong, portent une queue large ; ces der- niers sont peut-être plus nombreux ? Le mouton chinois offre deux races principales : 1° une à large queue, de taille assez élevée, la tête forte et bus- quée, les oreilles d’une longueur moyenne ; la ligne du dos, élevée surtout au niveau du rein, se termine par une énorme loupe de graisse au lieu et place de la queue. Ce mouton appartient aux provinces septentrionales de la Chine ; sa viande est très bonne. La seconde race a son centre de production dans les provinces méridionales. Elle comprend des moutons plus petits que ceux du Nord et n'ayant pas la queue large. Point de cornes, ni les uns ni les autres; leur toison est très courte. Leur robe est très variable ; la robe blanche est com- mune chez les moutons du nord; ceux du midi sont plutôt marrons, noirs, ou offrent des nuances dérivant de ces couleurs ; la tête est souvent noire. Je n'ai pas vu parmi les moutons chinois le mouton sans oreilles signalé par quelques voyageurs. Le Père Cibot dit dans un mémoire sur les bêtes à laine en Chine : « Outre les trois espèces de béliers dont parle M. Linneus, on distingue encore celui de Ha-mi, à queue de cheval et celui à queue en éventail dont on tire la graisse au printemps; celui des déserts de l'Occident, qui est grand comme un petit âne et pèse Jusqu'à 80 et 100 livres, et celui qui à une bosse sur le dos comme le chameau. Quant aux différences du poil, fin, long, soyeux ou frisé; des jambes extrèmement courtes ou fort hautes ; de la tête petite ou fort grosse; de la couleur blanche, noire, jau- nâtre, marron, couleur de biche, nous n'en parlerons que ANIMAUX DOMESTIQUES. 97 pour indiquer qu'on y a égard selon l’espèce, quand on en fait usage pour des remèdes. » D'après cet auteur les Chinois à l'exemple des Tartares attelleraient les grands moutons. « Nous en avons rencontré (des enfants de condition) dans les plus grandes rues de Péking, assis sur de petites bergères à roulettes et environnés d’un groupe de leurs gens; les moutons et les brebis sont dressés à cela et guirlandés, selon la saison, de rubans ou de fleurs; ils tirent fort joliment et quelquefois assez vite la petite voi- ture, à trois ou quatre roues, qui est toujours d’une forme élégante et peu élevée de terre. Les seigneurs tartares donnent ane selle à un mouton choisi, bien dressé, et le font monter à leur enfant dès qu'il a quatre ou cinq ans pour l’accoutumer au cheval, exercice qui réussit toujours parce qu'on gouverne le mouton à souhait et qu’on sou- tient le petit cavalier des deux côtés. S'il montre de l’adresse, du courage, el ne veut plus être soutenu, cela fait une nouvelle dans la famille ct son père a bien des louanges et des embrassades à donner. « Après la viande de cochon celle de mouton est celle dont on fait le plus de cas en Chine », ajoute ce missionnaire. Les moutons des provinces septentrionales sont peut-être d'excellents ani- maux de boucherie; quant aux spécimens que j'ai vus au Tonkin, provenant des contrées méridionales du Céleste Empire, ils m'ont toujours paru mauvais. Tous portent des quantités de douves dans le foie, et leur viande n’est mangeable qu'après les avoir soumis plusieurs mois à une alimentation de bonne qualité. Les moutons à large queue sont plus estimés ; comme les précédents, leur valeur alimentaire est subordonnée au régime qu'ils ont suivi avant leur abatage pour la bou- cherie. « Sur cent moutons chinois, dit le Père Cibot, il y en a plus de quatre-vingt-dix qui ont le foie vicié »; cela semble indiquer que leur viande est loin d’être toujours bonne. =) 98 TONKIN. Le climat humide du Tonkin ne convient pas à l'élève des moutons; l’empereur Minh-Mang en avait introduit dans les parcs royaux un certain nombre; l’expérience donna de mauvais résultats, J'imagine, puisqu'elle n’a pas été reprise depuis. Sur les collines du Haut-Fleuve l’élevage du mouton ne me paraît pas impossible; pendant mon séjour à Sontay J'avais proposé la création d’une bergerie sur les herbages de Tong ; mais pour des raisons budgétaires il ne fut pas donné suite à ce projet. Chèvres. Les chèvres sont rares au Tonkin; celles que l’on y ren- contre appartiennent à une race de petite taille, et sont la propriété de quelques personnes riches. Leur production est sans importance ou plutôt nulle; elles sont élevées exclusivement comme animaux d'ornement. Porc. La race porcine tonkinoise est de petite taille, de robe noire ou pie; sa production est considérable. Le porc a les oreilles petites, la ligne du dos droite ou concave, les poils rares. Il prend facilement la graisse et constitue un animal de boucherie très recherché des Annamites. Les femelles pleines ont le ventre très près de terre; cette partie du corps devient quelquefois, par suite de son frottement sur le sol, le siège d'excoriations super- ficielles de la peau. Cette particularité s’observe chez les. truies multipares. C'est une race très prolifique; tous les villages du Delta sont peuplés d'une multitude de petits cochons dont la viande est très appréciée de toutes les classes de la popu- lation annamite. Le porc entre dans la composition des repas sous les formes les plus variées, engendrées par les Vatels indigènes. ANIMAUX DOMESTIQUES. 99 Chien. Le chien du Tonkin est caractérisé par une tête de renard, museau pointu, oreilles courtes légèrement incli- nées en avant, taille ordinaire de nos chiens de rue, poil rude et de moyenne longueur, robe de nuances variées: noire, fauve, jaune avec des zébrures quelquefois sur toute l’étendue de la robe, etc. Le blanc et ses dérivés y sont rares. Dans la région montagneuse, on trouve un chien de plus grande taille chez les Muongs; j'en ai vu un seul spécimen à Sontay. Le chien tonkinois n'est pas un animal de luxe; il entre dans la consommation du riche et du pauvre, et figure à l’étal des bouchers à côté du porc. Il vaut 1 fr. 50 à 2 francs. On ne l’écorche pas ; sa peau est échaudée simplement comme celle du porc. Avant d'être livré à la boucherie il a rendu quelques services à ses maîtres comme gardien du logis; c’est la sentinelle du pauvre; et dans un pays où la piraterie est élevée à la hauteur d’une institution, ce n’est pas une sinécure que celle de chien de garde. En raison de sa destination ce chien est peu sociable ; il n'a pas dans le regard la franchise si expressive de nos races canines ; 1l s’écarte peu de la maison de son maître, quelque insistance que l’on mette à l’exciter à sortir ; Les caresses ne le laissent pas indifférent, mais il y répond par des démonstralions contenues qui n’encouragent pas à lui en prodiguer. Au demeurant, c'est un animal plutôt utile qu'agréable, peu affectueux, bon pour la garde et très estimé pour sa viande (1). (1) Le chien comestible, sans poil, n’existe pas au Tonkin. La viande du chien annamite passe pour être très bonne. Les Européens n'en sont pas friands. 100 TONKIN. « Le chien est le miroir fidèle de son maître. dit Brehm. Plus amicalement, plus attentivement il est traité, plus proprement, plus soigneusement il est élevé, et plus il devient remarquable par son intelligence. L’inverse se produit de même. Le chien de paysan est grossier et lourd, mais honnête ; le chien de berger est lui-même un berger excellent ; le chien de chasse, un chasseur remarquable. Le vaurien a un chien paresseux, mauvais, bien plus mal élevé que le chien grossier et peu civilisé du paysan. « Chaque chien prend le ton de la maison où il vit;il est intelligent lorsqu'il a pour maître des gens distingués ; il est bouffi d’orgueil si son maître comble par de la vanité le creux de sa cervelle ; il est affable avec tout le monde si dans sa maison on voit de la société ; il est, au contraire, un solitaire chagrin et désagréable, s’il habite avec quelque vieux célibataire, quelque vieille fille, chez lesquels il ne voit personne. » Le chien tonkinois reflète lui aussi l’image du milieu où il vit. Son éducation est absolument négligée ; il n’est l’objet d'aucune tendresse; la vue d’un étranger entrant dans la canha (1) de son maître le fait aboyer de peur: il se blottit sous les meubles pour se mettre en garde contre les attaques imaginaires qui troublent sa petite raison. Il est généralement sédentaire, et semble avoir le pressenti- ment du danger qui le menace sans cesse; 1l craint de tomber dans une embuscade, d’être mangé prématurément par des coolies affamés; aussi, Je le répète, pour plus de sécurité, 1l a la prudence de s'éloigner rarement de sa demeure. (1) Maison annamite. CHAPITRE V HYGIÈNE DES ANIMAUX DOMESTIQUES D IMPORTATION. — NATURE ET QUALITÉ DES DENRÉES DE CONSOMMATION. — COMPOSITION DE LA RATION. —— BOISSONS. — FERRURE. — TRAVAIL. — HABITATIONS DES ANIMAUX. Hygiène des animaux domestiques d'importation. Alimentation : nature et qualité des denrées fourragères. L'alimentation des animaux qui ont servi au Tonkin pendant l'expédition, a varié selon les circonstances. Les ressources locales étant insuffisantes pour entretenir le nombre considérable de mulets et de chevaux envoyés par la Métropole en Extrême-Orient, on a dû se procurer des denrées de provenances variables. L’avoine de Russie, l'orge d'Algérie et le foin comprimé de France ont contri- bué, pour une large part, à constituer les approvisionne- ments. Les Annamites possédaient, avant l'occupation fran- caise, d'immenses magasins dans les citadelles les plus importantes du Delta. Le riz non décortiqué ou paddy était placé en réserve dans ces bâtiments, en prévision des années de disette ou pour faire face à toute éventua- lité. Cette denrée a servi à l'alimentation des animaux, et les magasins où elle était entassée ont été transformés en casernes. Avec le paddy, il convient d’ajouter les herbages ramassés un peu partout, les fanes d’arachides et une 102 TONKIN. petite quantité de maïs et de canne à sucre. Ce sont là. toutes les productions du sol qu'on a pu utiliser. Pour composer les rations elles ont été mises à contribution concurremment avec les denrées exotiques. La nourriture ayant une influence prépondérante sur la santé des animaux, sous toutes les latitudes, il me paraît opportun de faire connaître dans ce chapitre, non seule- ment la nature des denrées alimentaires, mais surtout leurs qualités et leurs altérations, afin de ne pas mettre sur le compte de l’insalubrité du pays ce qui doit être attribué à des causes absolument étrangères à l’action du climat. Les denrées, selon leur provenance, seront classées en deux groupes : 1° Denrées exotiques ; 2° denrées indigènes. Denrées exotiques. Orge. — De provenance algérienne, l'orge, après qua- rante Jours de traversée, arrive généralement avariée. Les altérations principales sont occasionnées par les charan- cons. Les ravages produits par ces coléoptères sont trop connus pour en donner ici une nouvelle description; ilme suffira de dire que l’orge de distribution, pendant les années 1886-87 et 1888, avait perdu, par le fait de cette détérioration, une grande partie de sa valeur alimentaire. En outre, cette denrée était souvent moisie ou échauffée et par conséquent mauvaise. La chaleur humide du Delta s'oppose absolument à la bonne conservation de l'orge. Pour parer à cet inconvénient, il suffirait de restreindre les approvionnements de manière à assurer l’alimentation des animaux avec des denrées qui n’auraient pas vieilli en magasin. C’est là un moyen quine me semble pas imprati- cable, et auquel il faudra recourir si l’on désire se mettre en garde contre les altérations déterminées par les cha- rançons et la moisissure, et dont la conséquence est une mortalité exagérée des animaux. HYGIÈNE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 103 Avorne. — L'avoine était de provenance russe et pré- sentait tous les caractères des avoines de même origine, qui encombraient, il y a peu d'années encore, les magasins des entrepreneurs des fourrages militaires en France. On sait que cette denrée se conserve bien grâce à la des- siccation au four qu'on lui fait subir avant de la mettre en bateau. Cet étuvage la débarrasse de son eau de végéta- tion, la racornit, la durcit et permet son transport à long terme sans avaries importantes. Un goût de navire assez prononcé est, la plupart du temps, l’unique reproche qu’elle mérite. Cependant il est bon de rappeler que sa qualité n’est pas toujours uniforme ; elle contient souvent des graines étrangères, nuisibles ou inertes, en grande proportion ; elle est chargée de poussière quelquefois, et si les charançons ne l’attaquent point, elle n’est pas insen- sible à l'humidité de l’air. A son goût de bateau s'ajoute souvent une odeur de moisi que les chevaux ne recher- chent pas. Ce sont ces altérations que je lui ai généralement re- connues au Tonkin. C'était donc une denrée de médiocre qualité. Il n’est pas en France un régiment qui accepterait une avoine semblable pour la nourriture de sa cavalerie. Les mulets français et algériens et les chevaux de même provenance qui se trouvaient dans mon service, à Sontay, consommaient cette avoine mélangée à d’autres denrées mauvaises, en 1886-87-88. Les suites de cette alimentation je les indiquerai plus loin, en faisant connaître les maladies principales qui affectent les animaux au Tonkin. Foin comprimé. — Du foin comprimé de bonne qualité, venant de France, a été distribué en petite quantité aux chevaux de la garnison de Hanoï; quelques bottes ont pu arriver dans les postes principaux du Delta, mais l’appoint alimentaire qui en est résulté est tellement insignifiant, qu’il n’est pas possible de comprendre cette denrée dans le ravitaillement ordinaire des animaux pendant l’expé- 194 _ TONKIN. dition. J'ai vu très peu de foin comprimé dans la place de Sontay. Dans le courant du mois de mai 1886, il en fut distribué quelques rations aux animaux de cette garnison. Ce fourrage était en bon état de conservation et entrait dans la composition des repas pour une quantité de 2 ki- logrammes par Jour. Le 6° escadron du 1° régiment de chasseurs d'Afrique, cantonné à Hanoï au camp des Lettrés, auquel J'étais atta- ché avant son rapatriement, recevait régulièrement à chaque distribution du foin comprimé. Dans les autres postes que j’eus l’occasion de visiter par la suite, je cons- tatai une certaine baisse dans le régime alimentaire ; non seulement le foin comprimé n'y figurait que pour mémoire, mais encore les autres denrées étaient le plus souvent de mauvaise qualité. Denrées indigènes. Paddy (Oriza sativa). — Le paddy est du riz non décor- tüiqué; on en distingue un grand nombre de variétés. A l'Exposition de 4889 on pouvait en compter une vingtaine au moins. J'en citerai deux principales à savoir, le riz de montagne et le riz des marécages. Le premier est peu cul- tivé ; 1l a la réputation d’être plus agréable au goût que son congénère, ce qui le ferait préférer des classes riches de l’Indo-Chine. Le riz de marais nourrit la moitié des habitants de la terre et entre dans l'alimentation des ani- maux domestiques de l'Extrème-Orient. Presque exclusivement composé de fécule, le paddy constitue une denrée peu nutritive. Sa valeur alimentaire est très inférieure à celle de l'orge, de l’avoine et autres céréales à l’usage des équidés. Sur 100 parties, d'après Vogel, le riz se compose de fé- cule azotée 96 ; sucre 1 ; albumine 0,20 ; huile grasse 1,50; perte 1,30. L’épisperme du riz non décortiqué constitue une enve- HYGIÈNE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 105 loppe protectrice excellente contre les altérations du grain. Cette membrane est légèrement rugueuse, grisâtre, très adhérente à son contenu et peu hygrométrique. Malgré l'humidité atmosphérique du Delta, cette cé- réale se conserve bien ; elle moisit peu et les charançons ne l’attaquent pas. Elle a une odeur qui rappelle son ori- gine, cependant quand le paddy a été récolté dans de bonnes conditions, et qu’on l’a emmagasiné après une exposition suflisante au soleil, il ne répand aucune odeur désagréable. Le broiement du paddy, sous les puissantes molaires du cheval, se traduit par un bruit de petits craquements, in- diquant la dureté de cette denrée qui, d’après certains observateurs, déterminerait une sorte d’agacement den- taire capable de dégoûter momentanément les animaux. Ce fait, Je ne l’ai point remarqué; pourtant rien ne s'oppose à ce qu'il se produise, et, le cas échéant, on peut toujours y remédier en faisant subir à ce grain une macé- ration préalable. Les chevaux et les mulets de provenance française ou algérienne, s’habituent vite au paddy et le mangent avec appétit, s’il n'est pas altéré. Les approvisionnements de réserve que possédaient les Annamites, dans leurs cita- delles, furent largement utilisés pour l'alimentation pen- dant les premiers temps de l’occupation. Ce paddy était vieux, poussiéreux, et répandait une odeur de rizière très accentuée. Néanmoins ce fut une ressource importante pour le ravitaillement, et il serait puéril de se montrer sévère dans l'appréciation d'une denrée de semblable pro- venance, si, d'autre part, dans le cours de ce travail, la qualité des aliments ne devait être rappelée pour servir à l'étiologie des maladies que j'eus l’occasion d'observer postérieurement. Le paddy, bien récolté, et en bon état de conservation, est une céréale précieuse comme aliment d'entretien. Sa composition indique qu'il ne saurait remplacer l'orge 106 TONKIN. ni l’avoine. Des animaux engrainés avec cette denrée pourraient avoir de l’embonpoint, mais si l’on exigeait d'eux un service pénible on aurait des mécomptes. Les chevaux asiatiques ne connaissent point d’autres grains ; ils sont nourris d'herbe et de riz, et leur vigueur est extraordinaire. C'est que ces animaux ont une consti- tution toute spéciale, leur tempérament s’est établi dans le milieu où ils vivent, et l’alimentation à laquelle 1ils sont soumis leur convient et leur suffit. Est-ce à dire qu’un régime meilleur ne les rendrait pas plus énergiques ? L'expérience a été faite, et il est démontré que les subs- titutions d'orge ou d’avoine au paddy se traduisent par une augmentation de force chez ces petits chevaux. Ce que je dis de l'espèce chevaline s'applique également à l'espèce humaine. L’Annamite est grêle de membres, ses muscles sont peu développés, parce que son alimenta- tion est peu substantielle. Le jour où on améliore sa ra- tion il se transforme; et, pour se faire une idée exacte de l'influence du régime sur le développement des organes, il n'est besoin que d'examiner les auxiliaires indigènes à bord des canonnières ; on est étonné de leur changement. Ils vivent à l’européenne, mangent de la viande, boivent du vin, travaillent, et leurs muscles acquièrent des dimen- sions remarquables. Ce phénomène s’accomplit en quelques mois; tandis que les mangeurs de r1z s'étiolent dans la rizière. Maïs. — Le maïs est cultivé pendant la saison fraiche dans tout le Delta ; sa production est trop restreinte pour le donner aux bêtes. Exceptionnellement, du maïs charan- çonné a servi à composer quelques repas des animaux de la garnison de Sontay pendant les mois d'octobre et no- vembre 1886. Il est difficile de le préserver de l'invasion des charançons. Exempt de toute altération, on sait que c'est un aliment très substantiel, poussant surtout à la graisse et très apprécié pour ce motif. En Indo-Chine il HYGIÈNE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 107 rendrait de très grands services si sa production était augmentée, et remplacerait avantageusement le paddy, dont les propriétés nutritives lui sont inférieures. Fane d'arachide. — Dansles pays chauds et secs, comme le Sénégal, la fane d’arachide est un fourrage excellent ; au contraire dans les pays chauds et humides, c'est un ali- ment généralement détestable. Celle qui était distribuée au Tonkin présentait de nombreuses tiges moisies, noirâtres, des racines plus ou moins chargées de terre, etrépandait, le plus souvent, une mauvaise odeur. Toutes ces altérations lui communiquent des propriétés malfaisantes. Pour assu- rer sa conservation il faudrait, au moment de la récolte, la débarrasser de la terre adhérente aux racines, l’exposer au soleil, obtenir sa complète dessiccation et l’emmagasi- ner dans des lieux appropriés. Avec ces simples précau- tions on ferait de la fane d’arachide un fourrage de bonne qualité. Paille de riz. — La paille de riz, à défaut d'autre four- rage, a été largement employée pour nourrir les ani- maux. Récoltée dans les rizières marécageuses, cette paille est terne, peu nutritive et répand une odeur qui rappelle sa provenance. Elle peut convenir aux buffles, mais on ne devrait jamais la donner aux équidés. Elle ne mérite pas les honneurs du râtelier. Bambou (Bambusa trivialis). — Le bambou est une gra- minée gigantesque, très répandue au Tonkin. Ses feuilles et ses jeunes pousses sont très recherchées des animaux ; en colonne, c’est un fourrage d’une incontestable utilité. Foin du pays. — Les indigènes ne savent pas préparer le foin; il convient de faire remarquer qu'il leur serait difficile d'en récolter beaucoup dans le Delta, mais sur les collines limitrophes la flore est bien différente. 108 TONKIN. Dans la province de Sontay notamment, de l’arroyo de cette ville au mont Ba-Vi, s'étend une vaste région mame- lonnée où croissent des graminées, des légumineuses, des composées, des cypéracées, etc., qui donnent, lorsqu'on sait les préparer, un foin dont l’odeur et les propriétés nutritives sont très appréciables. À une certaine époque de l’année, pendant la saison humide surtout, les herbes des collines de Tong sont abondantes et pourraient large- ment suffire à l'alimentation des animaux de la garnison de Sontay. Les mamelons, dont il est question, portent sur leurs flancs des traces de culture, mais depuis long- temps ils ne sont plus exploités. Cependant on y surprend souvent des Annamites, armés d’une faucille, récoltant des charges d'herbes destinées à l’entretien de leur bétail. Des centaines d'hectares produisent tous les ans unc abondante récolte dont une faible partie est utilisée. Ce qui reste sur place est grillé par le soleil ou détruit par le feu allumé, un peu partout, par les habitants du voisi- nage. Dans les environs d'Hong-Hoa, de Than-Maï, on trouve aussi d'immenses pâturages, dont les herbes cou- pées et séchées donneraient, comme ceux des collines de Tong, un foin d'assez bonne qualité pour le pays. Avec ce fourrage, on ne serait pas obligé de faire venir du foin comprimé d'Europe à grands frais ; la paille de riz ne passerait plus pas le râtelier, et l'alimentation des animaux serait convenablement assurée. Pendant mon séjour à Sontay, J'ai signalé les ressources que ces herbages me paraissaient offrir, et quelque temps avant mon départ, l’adjudicataire des fourrages les employait pour constituer ses approvisionnements. Herbe du Para. — Une graminée, dont le nom scienti- fique est Panicum æquinum, a été cultivée avec avantage pour la formation de prairies artificielles. Dans le voisinage du cantonnement de l'artillerie de la place de Sontay, plus de deux hectares des rizières aban- HYGIÈNE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 109 données qui entourent la citadelle ont servi à faire des essais de culture de cette plante. Les boutures m'avaient été fournies par M. Voinier, chef du service vétérinaire de la division d'occupation; elles furent mises en terre en septembre, et quatre à cinq, mois plus tard les animaux de la batterie recevaient une ration journalière de ce fourrage. Cette expérience m'avait engagé à écrire ce qui suit dans un rapport de fin d'année : « S'il était possible d'étendre cette culture sur toutes les rizières abandonnées qui entourent la citadelle, où croupissent des matières végéto-animales dont la décomposition vicie l’air de la place de Sontay, les six hectares ainsi mis en valeur sans grands frais, permettraient d'améliorer l’alimentation des animaux et assainiraient la ville. J’affirme que les mulets et les chevaux de la garnison {il y en avait plus de trois cents à cette époque) auraient là sur les lieux une abon- dante ressource de fourrage vert, de qualité et de compo- sition excellentes, qui suffirait à les alimenter presque toute l’année en fourrage. «L’herbe du Para a sur la plupart des plantes des prairies artificielles les avantages suivants : «Sonrendement est considérable ; la prairie où elle croît, maintenue constamment humide, produit une abondante coupe par mois, dans la saison des pluies. « C’est une plante nutritive, rafraichissante que les ani- maux mangent avec appétit; elle n’est pas débilitante comme les herbes vertes. Séchée, elle peut tenir lieu de foin. « Ce qui a contribué pour une bonne part à la conserva- tion de la santé des animaux pendant l'été de 1887, c’est l'usage constant de l’herbe du Para. Ce fourrage, indé- pendamment de ses propriétés nutritives incontestables, exerce sur l’économie une action rafraichissante marquée. Pendant la saison chaude, l'air humide et chaud est peu revivifiant et cause une grande fatigue aux fonctions res- piratoires. Les appareils de la vie de nutrition qui ont avec 110 TONKIN. le poumon une corrélation fonctionnelle éprouvent une suractivité d'action en raison inverse de celle de cet organe. Le foie principalement supporte la paresse de l’appa- reil de la respiration, ses fonctions s'exagèrent pour débarrasser l’économie des éléments hydro-carburés que le poumon n'a pas brûlés, la bile est sécrétée en abon- dance et son passage dans le duodénum et la plus grande partie de l’intestin grêle détermine une irritation de la muqueuse intestinale, dont les effets se traduisent par une entérite quelquefois grave. « Un régime exclusivement sec, fût-1l de bonne qualité, ne pourrait que favoriser cette irritation des organes digestifs, tandis que l'usage d’une botte de fourrage vert, de provenance et de composition bonnes, prévient cette inflammation intestinale en facilitant l'évacuation des matières bilieuses dont le séjour dans l’organisme est des plus pernicieux, « En passant Je fais cette remarque, elle est basée sur les effets des régimes comparés que les nécessités ont imposés aux animaux durant les années 1886-1887. » Composition de la ration. En station la ration des mulets et des chevaux arabes ou français était généralement composée de 3 kilos d'orge; 2 kilos de paddy, 1 kilo d'avoine ou de maïs et de 3 kilos de paille de riz, fanes d’arachides ou foin. Pour donner un peu de sapidité au grain on répandait à sa surface une petite quantité de sel marin. En colonne les jeunes pousses de bambou remplaçaient le foin, et le paddy était souvent l’unique denrée de distri- bution. Boissons. L'eau des fleuves et des rivières est la meilleure: elle est généralement trouble et boueuse; pour lui rendre sa Le. HYGIÈNE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 111 limpidité il faut la filtrer ou l'additionner d’une petite quantité d’alun. J'ai fait usage pendant plus de deux ans de l’eau du fleuve Rouge sans inconvénient. Durant les épidémies de choléra il est prudent de soumettre l'eau à une ébullition préalable pour la débarrasser des germes infectieux qu’elle contient toujours. C’est là du reste une pratique générale- ment suivie dans tous les pays, lorsqu'on tient à se mettre en garde contre les maladies contagieuses régnantes. Dans la pathogénie du Tonkin on a fait jouer un grand rôle à l’insalubrité des boissons ; en ce qui concerne les animaux, je n'ai rien observé qui corrobore cette consta- tation. Ferrure. Dans le Delta, la ferrure des chevaux et des mulets n'est pas indispensable; elle est urgente dans les régions accidentées du Haut-Tonkin. L'entretien des pieds est subordonné au genre de service des animaux. À Hanoï, où les rues sont empierrées, il est nécessaire de ferrer les chevaux qui travaillent; dans le plus grand nombre des petits postes du territoire, cette pratique n'est pas utile. A une certaine époque de l’année, en février et mars particulièrement, les routes, digues et sentiers sont rendus très glissants par le crachin persistant qui détrempe la surface du sol. — Dans ces conditions la ferrure rend des services, et pour prévenir les glissades il est même indiqué de faire usage de clous à glace. L'application d’une fer- rure à glace dans un climat chaud peut paraître para- doxale, mais j'affirme que son opportunité se fait sentir au Tonkin aussi fréquemment qu’en France. _ Travail. Les chevaux et les mulets algériens de même que les soldats européens ne doivent pas être employés à des tra- 412 TONKIN. vaux pénibles pendant la saison chaude. De mai à octobre la température est accablante et dans ces conditions un travail soutenu les épuise rapidement. Les petits chevaux annamites sont peu influencés par la chaleur humide de l'hivernage. Pendant la saison fraîche on n’a pas à tenir compte de cette considération. Habitations des animaux. Dans les villes principales du Tonkin, les animaux sont aujourd'hui logés dans des hangars-écuries convenable- ment appropriés au climat. Ce sont des abris largement aérés, spacieux, construits avec simplicité et réunissant toutes les conditions hygiéniques désirables. En cas de maladie contagieuse la désinfection est sûre- ment faite, car on n'hésite pas à les brùler, tandis que la destruction par le feu d'écuries mieux aménagées et plus coûteuses soulèverait des protestations. Les indigènes parquent leur bétail dans les villages à proximité de leurs habitations. Ils le garantissent de la pluie et du soleil au moyen d’une toiture en paille ou en feuilles de latanier, soutenue par des rondins ou de gros bambous. CHAPITRE VI MALADIES OBSERVÉES AU TONKIN. — AFFECTION FARCINO-MOR- VEUSE. — CACHEXIE PALUDÉENNE. — LE TYPHUS EN EXTRÊME- ORIENT. — PÉRIPNEUMONIE CONTAGIEUSE. — LES AMPHISTOMES CONIQUES A L'ÉTAT ÉPIZOOTIQUE. — DISTOMATOSE HÉPATIQUE. Maladies observées au Tonkin. Au Tonkin, on peut observer presque toutes les mala- dies qui affectent les animaux domestiques en France. Les affections des voies respiratoires y sont rares sur les chevaux. La péripneumonie contagieuse règne sur les bœufs et j'ai remarqué de nombreux cas de pleuro-pneu- monte sur les moutons en pleine saison chaude. Les maladies de l'appareil digestif sont communes sur les chevaux et les mulets. Dans les nombreuses autopsies que J'ai pratiquées, j'ai toujours constaté un état catarrhal de l’estomac, et de l'intestin dans la plus grande partie de son étendue. Les entérites bilieuses m'ont fourni quelques observations. Les 2ndigestions y sont assez fréquentes. Le crapaud attaque souvent les pieds qui ne sont pas soigneusement entretenus; les mulets condamnés à patau- ger dans la boue sont prédisposés à cette maladie. La gale et l’eczéma dartreux se montrent sur les chiens et quelques solipèdes. Les amphistomes coniques envahissent l'estomac des ruminants, etl'irritation qu'ils provoquent sur lamuqueuse 8 114 TONKIN. du rumen détermine, à la longue, l’amaigrissement des bœufs. Le muguet affecte les moutons et cause des lésions graves de la face et des oreilles, si un traitement énergique n'est pas appliqué au début de la maladie. Le piétin y est commun. La fourbure est fréquente chez le cheval, mais disparaît vite; elle est surtout provoquée par les grandes chaleurs. Aîfection farcino-morveuse. L'affection farcino-morveuse est la principale maladie contagieuse que J'aie observée sur les mulets. Le germe de la morve provenait de chevaux asiatiques achetés dans les îles de la Sonde, en Birmanie ou dans notre colonie indo-chinoise. La police sanitaire est absolument inconnue dans tous ces pays, et les maladies contagieuses n’y sont, par conséquent, Jamais enrayées. La contagion a été favo- risée par les mauvaises conditions d'hygiène : alimentation mauvaise, logements défectueux et difficiles à désinfecter d'une manière efficace. On sait que les bactéries morveuses résistent longtemps à toutes les causes de destruction ; qu’elles restent en puissance de leurs effets, même quand elles sont répandues sur le sol des écuries, dans les inters- tices des mangeoires et sur les effets de harnachement. D'autre part, tout animal atteint de l'affection farcino- morveuse latente n’en reste pas moins un foyer de conta- gion des plus dangereux, puisque tous les produits qu'il sécrète sont virulents. Quand la maladie éclate, que les symptômes apparaissent, il a déjà propagé l'infection. En 1887, quatorze mulets ont été abattus, dans mon service, comme atteints ou suspects de morve, et les lésions qu’ils présentaient étaient tout extérieures. Les animaux avaient un embonpoint satisfaisant et la triade symptomatique de la morve faisait totalement défaut: ni jelage, ni glandage, ni ulcérations de la pituitaire. MALADIES. 115 J'ai déjà fait connaître, dans une Note sur les lymphan- gites farcineuse et épizoohique publiée dans la Revue vété- rinaire, les observations relatives à ce processus morbide dans les termes suivants : « La lymphangite épizootique préoccupe depuis de lon- gues années les vétérinaires militaires. De nombreuses relations, des rapports, des mémoires ont été publiés sur cette affection ; et, malgré les recherches dont elle a été l’objet, sa nature ne laisse pas que d’embarrasser beaucoup de praticiens. Considérée par les uns comme une forme atténuée de la morve, par les autres comme une entité morbide particulière, cette maladie est encore imparfaite- ment connue dans son essence. C'est que la Iymphangite sévit souvent dans les milieux envahis par la morve; elle présente quelquefois tous les caractères du farcin, et les lésions pulmonaires trouvées à l’autopsie des animaux abattus comme incurables, à la suite d'une lymphangite généralisée, pourraient bien n’être que des tubercules morveux. — Je sais bien que ceux qui en font une maladie spéciale attribuent ces lésions viscé- rales à des produits qui seraient venus se déposer dans les poumons pour y déterminer une pneumonie lobulaire. Ces produits tuberculiformes, inoculés à l’âne ou au cobaye, auraient donné des résultats faisant écarter toute idée de morve. Ces expériences paraissent concluantes et autori- sent ceux quiles ont pratiquées à justifier leur opinion sur la nature de la Iymphangite. Enfin, dans la plupart des cas, les autopsies ne donnent pas la moindre lésion pulmonaire, et les premières voies respiratoires, généralement touchées dans la morve, ne laissent voir aucune altération. À côté des vétérinaires qui ont longuement écrit sur la Jymphangite contagieuse pour la différencier de la morve, il y en a un très grand nombre, plus silencieux, même de l’armée d'Afrique, n'ayant rien publié sur cette maladie, il est vrai, mais qui considèrent quand même certaines Jymphangites, ayant beaucoup d’analogie avec celle qu'on 116 | TONKIN. appelle épizootique, comme une forme bénigne dela morve. J'ai consulté sur la question beaucoup de collègues, et je crois pouvoir affirmer que le camp des incrédules (si l’on peut appeler ainsi ceux qui ne séparent pas toutes les lymphangites de l'affection farcino-morveuse) est très nombreux. Cette divergence d'opinions s'explique, du reste, par les manifestations protéiformes de la morve. Depuis le chancre cutané isolé et unique, jusqu'aux symptômes classiques, la marge estgrande et, dans bien des cas, le clinicien se trouve embarrassé en face d'une corde noueuse, surtout si l'animal qui la présente est en bon état d'entretien. Est-ce l'expression d’une lymphangite spéci- fique ? S'agit-il de la Iymphangite contagieuse? Certains auteurs n'hésitent pas à trancher la difficulté : le farcin ne se traduirait, d'après eux, que sous la forme de tumeurs, d’engorgements, de glandage et de lésions des voies respiratoires; quand la corde est nettement dé- limitée, 1l y aurait lieu d'affirmer qu’on est en face de la lymphangite contagieuse. Cette dernière affection serait. particulière aux vaisseaux blancs, tandis que les lésions. farcineuses se manifesteraient dans le derme et le tissu conjonctif sous-jacent. Ce n’est là qu’une hypothèse ad- mise par son auteur et quelques adeptes, à laquelle tout le monde ne s’est pas rangé, car elle est en contradiction flagrante avec les faits. Combien serait facile le diagnostic différentiel si les altérations offraient cette simplicité! Malheureusement, dans la pratique, les phénomènes pathologiques s’enche- vêtrent et deviennent inextricables. Les suppositions, quelque bien présentées soient-elles, restent en défaut quand il y a lieu d’en faire l'application sur des malades. Dans le cours de ma carrière, j'ai vu de nombreux cas de morve chronique, particulièrement au Tonkin, et je dois déclarer queles lésion nasales et trachéales manquaient. généralement. Comme moyen de diagnostic, Je n'avais que MALADIES. 417 des lymphangites plus ou moins étendues, mais tenaces. Ces cordes étaient plus ou moins noueuses et le pus qu’elles donnaient était très louable. Les animaux atteints paraissaient vigoureux; leur poil était brillant, mais à l’au- topsie je trouvais le poumon envahi de tubercules à tous les degrés. La guérison de ces lymphangites rebelles a pu être obtenue après un traitement long et énergique; abattus quelque temps plus tard, les animaux guéris présentaient des lésions viscérales spécifiques. Il m'est cependant arrivé de trouver les poumons in- tacts, mais dans la plupart des cas ils étaient tuberculeux. Je vais prendre au hasard dans mes notes quelques ob- servalions cliniques relatives à cette maladie : Observation n° 1. Acens, mulet, onze ans, 6° batterie du 23° d'artillerie, embonpointexcellent ; portesur le côtégauche du chanfrein trois noyaux indurés, reliés par un petit cordon dur, si- nueux et mesurant vingt-cinq centimètres de long. Ce mulet ne présente pas d’autres lésions qu’une petite exco- riation ulcéreuse sur l’un des noyaux du cordon lympha- tique du chanfrein. Traitement. — Isolement du sujet et frictions vésicantes répétées. Quelques points fluctuants se montrent sur le trajet du cordon; leur ponction, faite avec un cautère ou un bistouri, donne issue à du pus blanc et bien lié. Les plaies consécutives se cicatrisent difficilement ; néanmoins, la guérison de ce mulet est complète au bout de trois mois, Autopsie. — Environ deux mois plus tard, cet animal était abattu, sur ma demande, pour crapaud. À l'ouverture de la cavité thoracique, on constate que la plèvre viscérale est soulevée légèrement, de distance en 118 TONKIN. distance, par des nodosités confluentes dont le volume varie avec la quantité des granulations qui les composent. En passant la main sur le poumon, on rencontre de nom- breux points durs, arrondis et jaunâtres; on remarque également de petites surfaces hypérémiées dans l'épaisseur du parenchyme pulmonaire, au centre desquelles se for- ment des tubercules. Les cavités nasales et la trachée, examinées avec le plus grand soin, ne présentent aucune ulcération. Observation n° 2. Mulet, douze ans, en bon état d’embonpoint; a une exco- riation de la région orbitaire gauche, d’où part une corde noueuse se dirigeant le long de l’encolure vers l'entrée de la poitrine. Cette corde est bien délimitée; il serait facile de l’extirper, car elle a peu d’adhérences avec les parties voisines; mais l'abatage m'a semblé préférable à un trai- tement long, et sans espoir de guérison. Dans ces condi- tions, la corde n’a pas eu le temps de s'abcéder. Autopsie, — Le cordon lymphatique, incisé dans toute sa longueur, laisse voir au niveau des renflements de petits foyers de ramollissement composés d'un pus mal lié, séreux ou huileux. Les ganglions placés à l'entrée de la poitrine sont volumineux, hypertrophiés; les ganglions pharyngiens et sous-glossiens sont légèrement engorgés. Rien dans les premières voies respiratoires. Le lobe gauche du poumon, dans sa partie antérieure, présente deux petits foyers granuleux entourés d'une légère zone inflammatoire. Observation n° 3. Un mulet, en très bon état d'entretien, est atteint de petites plaies superficielles à la base de l’encolure, en avant de l’épaule gauche. Ces plaies reliées entre he par de MALADIES. 419 petits cordons sur le trajet desquels se forment de petits abcès à pus crémeux, n’ont aucune tendance à la cicatri- sation; leurs bords taillés à pic et leur mauvais aspect m'engagent à demander l’abatage de ce mulet. Autopsie. — Quelques tubercules dans le poumon, les uns indurés, d’autres en voie de développement; rien dans les premières voies respiratoires. La morve est compatible avec une santé relative, de même que la phtisie. À l’origine de la maladie, quand l'organisme atteint a été inoculé de dehors en dedans, si l’on intervient à temps, il ne me paraît pas impossible d'obtenir la guérison des premières lésions qui survien- nent. L’éradication complète du mal pourrait bien ne pas être une chimère. Le fait est démontré pour la tuberculose ; il est reconnu par d’éminents médecins qu’une tubercu- lose superficielle peut être non seulement enrayée, mais guérie radicalement, quand l'intervention médicale a lieu en temps opportun. L’inoculation de la morve peut se faire par le tégument externe, au moyen des effets de pansage ou de harnache- ment; les bacilles ou bactéries se multiplient dans le point blessé, gagnent les Iymphatiques et envahissent peu à peu l’organisme de la périphérie au centre. Avant que le poumon soit atteint par les migrations bactériennes un temps plus ou moins long peut s’écouler, et ce temps sera certainement d'autant plus long que l'animal offrira plus de résistance à l'affection qui lat- taque. Au début de la maladie, il faut donc intervenir sans retard, puisque l’on peut guérir la lymphangite com- mençante et empêcher l’irradiation du mal. Il n'y a pas encore de dégâts dans les viscères, l'affection se localise en un point du système lymphatique; c’est là qu’il faut la surprendre et arrêter sa marche envahissante. Malgré tous les efforts pour obtenir ce résultat essentiel, 420 : TONKIN. les cas sont nombreux où il faut renoncer à la guérison : la marche a été plus rapide, les lésions se sont soudaine- ment étendues, et, quoi qu’on fasse, l’insuccès est complet. Le malade est abattu et son poumon ne porte pas toujours le tubercule spécifique de la morve. Mais des expérimentateurs consciencieux et éminents, MM. Cadéac et Malet, nous ont appris dans ces dernières années que, dans la morve comme dans la tuberculose, les lésions viscérales exigent un temps assez considérable ‘pour évoluer et devenir apparentes. Il se pourrait donc que, quoique morveux, un animal ne présentât pas de tubercules pulmonaires à l’autopsie. On peut en dire au- tant des autres lésions des premières voies respiratoires ; elles ne surviennent pas toujours au début de la maladie, et, dans bien des circonstances, quand surtoutles animaux ont été sacrifiés avant la généralisation de l'affection, on ne trouve absolument rien dans la trachée, ni dans les fosses nasales, ni dans leurs dépendances. Comme on le voit, la différenciation entre une corde de lymphangite et une corde farcino-morveuse n’est pas tou- jours facile, et des erreurs peuvent être commises par ceux-là mêmes qui se sont trouvés aux prises avec les cas pathologiques dont il est question. Il est à craindre que sous le titre de lymphangite épi- zootique soient englobées toutes les manifestations exté- rieures de la morve. Sans doute, l'erreur n'offre pas de grands dangers, puisque les mesures sanitaires les plus rigoureuses sont recommandées dans tous les cas; cepen- dant, au point de vue scientifique, il y a à redouter cette confusion. Que, sous l'influence d’une constitution médicale parti- culière, favorisée par des causes individuelles, une plaie, une blessure, puissent se compliquer, devenir graves et résister même aux pansements les mieux compris, cela est évident. On peut admettre également que la lymphan- Si gite épizootique est due à un cryptococcus, signalé en MALADIES. 121 Italie par Rivolta et Micellone, ou à un micrococcus, dé- couvert en France par MM. Peupion et Boinet; qu'elle constitue une maladie du système lymphatique n'ayant avec la morve aucun lien de parenté. Cette opinion, appuyée sur des faits bien étudiés, doit être admise, car elle repré- sente l'expression d’études cliniques qui paraissent irré- futables. Aussi, dans cette note, je ne m’élève pas contre l’exis- tence de la lymphangite épizootique, mais plutôt contre ceux qui affirment qu'il n’est point permis de confondre une corde farcineuse avec une corde de lymphangite con- tagieuse ou épizootique. Sans doute, les inoculations, la méthode expérimentale sont là pour lever les doutes; elles éclairent quelquefois quand on sait s’en servir; mais Je crois devoir rappeler ici que, dans la pratique, il faut se méfier des inoculations (1). Ne sait-on pas que tel auteur considère une affection comme éminemment contagieuse, tandis que cette contagion est niée par un autre non moins qualifié? Il en est ainsi pour la lÿmphangite contagieuse; des inoculations ont été faites, son microbe a été cultivé, et il paraît démontré que toutes ces lésions graves du sys- tème lymphatique se propageant si facilement quand elles surviennent dans un régiment, doivent être mises sur le compte d’un cryptococcus. Le dernier mot est-il dit sur la question ? Je ne le pense pas. Il reste à déterminer d'une façon rigoureuse si les lé- sions pulmonaires qui accompagnentsouvent la lymphan- gite épizootique sont bien des produits inoffensifs locali- sés dans le poumon, sans lien de parenté avec les produits similaires de la morve. Dans cet ordre d'idées on peut se demander pourquoi tous les chevaux ne présentent pas des altérations sem- blables dans le foyer de la respiration. Dans le cours de l'existence du cheval, une fois ou . (1) La découverte de la malléine a considérablement amoindri les réactifs classiques de la morve : âne, cobaye et pomme de terre. 122 TONKIN. l'autre, le système lymphatique est touché, suppure plus ou moins, et 1l est permis d’être surpris de ne pas trouver des lésions enkystées dans les poumons de tous les che- vaux. Or, l'expérience démontre que l'intégrité du poumon n’est pas une exception; par conséquent, avant de consi- dérer comme quantités négligeables ces nodosités tuber- culiformes signalées par divers auteurs, il me semble plus sage de n’admettre cette manière de voir qu'avec une prudente réserve. Les altérations du système lympha- tique que l’on remarque chez les morveux ne sont pas incurables. Mais si la guérison est possible quand les lésions sont superficielles, elle n’est pas admissible lorsque tout l’organisme est empoisonné de bactéries morveuses, et l'on doit se garder de crier victoire, parce que, exté- rieurement, toute trace de maladie a disparu, voire même si les animaux guéris ont de la vigueur, le poil brillant, et ne présentent rien qui puisse les faire soupconner d’être sourdement minés par l'affection farcino-morveuse. Un cheval morveux dans certaines conditions peut, tout comme un autre, produire du pus louable, bien lié, etc., et je ne crois pas absolument nécessaire que la morve existe pour que des plaies donnent du pus de mauvaise nature. L'huile caractéristique du farcin, mentionnée par les livres, peut faire totalement défaut dans des cordes farcineuses. Ce sont là des observations connues de tous ceux qui ont vu de près des malades et qui ont fait de nombreuses autopsies. Pour mon compte, je crois le diagnostic différentiel des deux affections dont il s’agit très gros de complications. Les inoculations réitérées peuvent éclairer le praticien; mais, si onles pratique sur le cobaye, ilne faut pas oublier que ce petit animal offre peu de résistance et que, lorsqu'il succombe, on peut trouver, à sonautopsie, des lésions que les yeux ne suffisent pas toujours à apprécier sûrement. L'âne est un réactif plus précieux, mais on ne l’a pas tou- jours sous la main. Enfin, les cultures sur pomme de MALADIES. 123 terre demandent, pour être utiles, qu’on soit de longue date familiarisé avec les procédés bactériologiques. Dans la pratique ordinaire, on se trouve entouré de difficultés faisant négliger, par cas de force majeure, les moyens de contrôle qui rendent de réels services quand on peut et sait s’en servir. En France, on trouve des ânes partout ; mais 1l y a des pays où ils sont inconnus. Au Tonkin, notamment, ce quadrupède fait défaut, les cobayes y sont très rares, et les expériences similaires que l’on pourrait essayer sur les chiens sont trop problématiques pour y avoir recours. Ainsi s'expliquent les doutes qui pèsent snr la Iymphangite contagieuse. Les vétérinaires n’ayant pas eu toujours le loisir de faire des inoculations ont dû forcément s’en rapporter aux preuves fournies par les autopsies. J'ai dit plus haut que les autopsies d'animaux vigoureux, robustes, à poil brillant, mais atteints de lymphangite, sans aucun caractère extérieur de morve, portaient des lésions pulmonaires. En promenant la main sur la plèvre viscérale, des nodosités nombreuses pouvaient être per- cues, et on les devinait à l'œil nu. Ces nodules étaient de différents âges : les uns, vieux, durs, calcifiés ; les autres, plus jeunes, entourés d’une zone inflammatoire. Dans certains points de la substance pulmonaire, on en trouvait un plus ou moins grand nombre groupés les uns contre les autres, formant ainsi de gros noyaux autour desquels on constatait les traces d’une légère hypérémie. La trachée, les cavités nasales ne présentaient pas la moindre érosion. Ces lésions viscérales, je les ai trouvées tantôt sur des animaux guéris de la lymphangite, tantôt sur des sujets abattus sur la foi des renseignements nécropsiques fournis par des malades sacrifiés comme incurables. Dans l’état actuel de la science, il me paraît inadmis- sible de découvrir des lésions semblables à celles que je viens d'indiquer sommairement, sur un animal qui n'est pas en puissance de morve. Quelques cas de tuberculose 124 TONKIN. ont bien été signalés, c’est, je crois, la seule affection pouvant à la rigueur être confondue avec la diathèse fareino-morveuse. Mais, dira-t-on, les altérations pulmo- naires sont mal connues; il y a lieu de les étudier. Pour les besoins de la cause, quelques vétérinaires considèrent ces lésions du poumon, dont je viens de parler, comme des abcès métastatiques « plus ou moins enkystés et calci- fiés qui surviennent à la suite de l'infection purulente, terminaison habituelle de la lymphangite épizootique ». C’est avouer implicitement, disent MM. Peupion et Boinet dans leur mémoire sur la maladie dont il s’agit, que les caractères différentiels n'ont pas été établis. Une objection déjà faite à ceux qui signalent des tuber- cules dans les poumons des animaux abattus pour lym- phangite, c'est la coexistence dela morve et dela lymphan- gite dans le même milieu et sur les mêmes sujets. Une maladie se grefferait sur l’autre, et il ne faut pas être sur- pris de remarquer que les lésions qu'elles engendrent soient mélangées. La réponse est ingénieuse, mais ne me semble pas devoir être acceptée, car elle se butte contre des faits trop nombreux. Voici en quels termes s'expriment, à ce sujet, MM. Peu- pion, vétérinaire en premier, et Boinet, médecin militaire : « D’après ce qui précède, nous voyons combien les avis sont partagés sur la nature de la lymphangite épizootique. « Pour MM. Bonzom, Tixier et Delamotte (1), cette affection parait être du farcin qui reste à l’état d’ébauche. « Pour MM. Wiart, Chénier et Quiclet, c'est un entité morbide nouvelle, contagieuse, se propageant par conti- nuité de tissus seulement. « Enfin, pour M. Debrade c’est une lymphangite simple qu'il n'a pu transmettre par l'inoculation et dont la conta- glosité lui paraît douteuse. - (1) M. Delamotte a rectifié son opinion sur la nature de la lymphangite épizootique, depuis la publication de son mémoire sur le Farcin d'Afrique rédigé avec la collaboration de M. Tixier (Voir Écho, n° de janvier 1884). MALADIES. 129 « Enlisantles travaux de nos prédécesseurs, nous sommes frappés par la coexistence des lymphangites et de l’affec- tion farcino-morveuse. M. Chénier s’est servi « de docu- ments recueillis pendant la grande épizootie morvoso- farcineuse qui a décimé la 6° brigade de cuirassiers ». M. Quiclet avoue que vingt chevaux morveux ont été abattus au 18° chasseurs dans les deux années pendant lesquelles la lymphangite sévissait sur l'effectif du régi- ment. La coïncidence assez bizarre signalée par notre laborieux confrère, de laquelle il résulte « qu'aucun mor- veux ne donnait comme antécédents une lymphangite », serait assez naturelle si l’on admettait la parenté de nature des deux affections, et si la lymphangite était comme une forme atténuée guérissable, pouvant donner limmunité. Parmi les animaux que nous avons eu à traiter, et qui provenaient du service de M. Debrade, la morve ou le farcin avaient aussi fait quelques victimes dans les dernières années. » Il ressort, à mon avis, de tout ce qui a été écrit sur cette maladie, que, dans certains cas, la lymphangite conta- gieuse n’a pas été déclarée comme l'expression de la morve parce que les animaux qui en étaient affectés avaient les caractères d’une santé générale parfaite, que les cordes qu'ils portaient donnaient un pus crémeux, sans présenter nulle part ailleurs le moindre symptôme pathognomonique de morve, tandis que l’affection farcino- morveuse ne se manifeste pas autrement dans bien des circonstances. Dans ces conditions, les lésions pulmo- naires ont pu être attribuées à une infection purulente(?) que Je rapporte à la morve pour des cas analogues. Mais cette manière de voir n’exclut pas l’existence d’une lymphangite grave, traumatique et devenant épizootique sous l'influence de causes à déterminer ultérieurement d’une façon précise. Je crois qu’il faut la distinguer de la précédente parce que celle-ci est une affection toute locale, tenace, rebelle, guérissable presque toujours, quand elle 126 TONKIN. est surprise à son début, et ne se traduisant jamais par des manifestations pulmonaires tuberculiformes. Elle est peut-être le fait d’un eryptocoque; mais, en attendant que le déterminisme de sa nature soit irréfutablement établi, j'estime qu'il y a lieu de la séparer de la Iymphangite qui pousse sur un terrain ensemencéde bactéries morveuses(1). A mon avis, et en résumé, il faut croire à la lymphan- gite épizootique traumatique, mais se garder de ranger toujours sous ce titre les cordes noueuses et les boutons que présentent quelquefois les vaisseaux blancs, mème quand il n’y a dans le voisinage de ces lésions ni tumeurs, ni engorgements, les animaux qui en sont affectés ne présenteraient-ils aucun symptôme autre de morve (2). » CGachexie paludéenne. Le vieux mot de cachexie, emprunté par Celse à la médecine grecque, est bien, Je crois, la désignation qu'il faut donner à une maladie générale observée sur les mulets, à Sontay, en 1886. Je la qualifie de paludéenne pour indi- quer une des causes qui l'ont déterminée ; car dans un pays aussi marécageux que le Delta du fleuve Rouge, quand on recherche l’origine d’une maladie, on n'oublie jamais d'accuser l'élément paludéen; j'ajouterai même que la mortalité est généralement imputée aux germes infectieux, encore si peu connus, au milieu desquels vivent les ani- maux, dans les régions malsaines. Les autres causes sont considérées comme banales, et reléguées au second plan. Et, cependant, l'impaludisme est compatible avec un bon état d'entretien ; son action est capricieuse et subordonnée (1) M. Nocard a retrouvé dans tous les cas de lymphangite épizootique qu’il a étudiés le Cryplococcus farciminosus de Rivolta. « C’est une sorte de microcoque légèrement ovoïde, un peu acuminé à l’une de ses extré- mités, il mesure de 3 à 4 millièmes de millimètre de diamètre, son contour est nettement accusé par une ligne très réfringente; quelques-uns de ces organismes sont en voie manifeste de bourgeonnement. » (Bulletin de la Sociélé centrale de médecine vétérinaire, année 1881, page 361.) (2) Extrait de la Revue vétérinaire, n° de mai 1890. MALADIES. 127 à la multitude des infiniment petits qui l'engendrent. Ces légions microbiennes, dont sont remplis les marais, se composent j'imagine de tribus, de genres, de familles et d'espèces innombrables dont la virulence présente des degrés infinis. Il y a loin du petit accès de fièvre inter- mittent à l'accès pernicieux ! Ce n’est probablement pas le même microbe qui produit des effets si différents. Eh bien! à Sontay l’impaludisme est généralement bénin; il se traduit par un affaiblissement insensible, diminuant peut-être à la longue la vigueur des animaux, mais à lui seul il détermine rarement la mort. Un séjour de plus de deux ans dans cette province, m'autorise à dire que les chevaux et les mulets souffrent peu de l'infection palustre, et ce n’est qu'exceptionnellement qu’on observe chez eux des fièvres pernicieuses. Dans cette garnison, l’artillerie occupait les vieux caser- nements des troupes de Luu-Vinh-Phuoc, le chef des Pavillons Noirs ; les hommes qui n'avaient pas séjourné dans les régions insalubres du pays étaient rarement “influencés par les fièvres. Les accès fébriles locaux se tra- duisaient par des symptômes éphémères de malaise, plutôt que par les signes d’un impaludisme grave. Et puis dans ces troubles de l'organisme, observés le plus souvent à chaque changement de saison, il me paraît assez difficile de déterminer, d'une façon précise, la part à imputer au miasme palustre. La chaleur humide du Delta exerce à elle seule une influence nocive sur les Européens non acclimatés; elle détériore peu à peu leur constitution et les affaiblit. Ces désordres qui se traduisent par des symp- tômes parüculiers désignés communément sous le nom de fébriles, sont rapportés dans la plupart des cas, à l'infection paludique. Le nom de fièvre est dans toutes les bouches; toutes les indispositions lui sont attri- buées: c’est la grande coupable; le vulgaire ne la sépare pas des agents infectieux; ces derniers seraient suspendus dans le milieu où l’on vit, et toujours prêts à exercer leurs 128 TONKIN. désastreux effets. Il y a de l'exagération dans cette manière de voir. On ne saurait nier l'existence des agents fébrifères dans les eaux; l'atmosphère elle-même doit en recéler aussi, car l'hygiène n’a pas dit son dernier mot chez les Annamites. Il suffit d'entrer dans le premier village venu pour y rencontrer un tas d'ordures qui em- poisonnent l’air et altèrent les eaux. Le desséchement des mares est une cause d'insalubrité périodique; le labou- rage des rizières favorise également le dégagement d’exha- laisons marécageuses qui impressionnent l’odorat désa- gréablement, et vicient l'air des régions où elles se développent. Toutes ces causes réunies prédisposent les animaux à l'infection paludéenne, et la déterminent quel- quefois. Mais à Sontay elles ne m'ont Jamais paru assez actives pour être incriminées. Les abords du cantonne- ment ne présentaient pas de foyers d'infection, et les écuries étaient tenues proprement. Les mulets étaient logés sous des hangars-écuries établis en dehors de l’enceinte de la citadelle. La situation de ces abris était bonne, leur exposition irréprochable ; un vent relativement frais, venant le plus souvent du sud-est, soufflait presque constamment sur ce cantonne- ment, et rarement les animaux se trouvaient incommodés par cette atmosphère accablante, particulière au climat, qui pèse si lourdement sur tous les organismes dans d’autres régions du territoire. L'air s’y renouvelait d’une façon incessante, et jamais les émanations miasmatiques ne le viciaient suffisamment pour le rendre nuisible. Soumis à une promenade hygiénique matinale les mu- lets étaient rarement employés à un travail fatigant. Le moment des grandes opérations militaires était passé; plus de colonnes pénibles exigeant leur présence. Lors- qu'un canon, une section même, devaient marcher, c'étaient les coolies qui servaient de bêtes de somme. Les convois de ravitaillement, dans les régions accidentées du Haut-Tonkin, se composaient de coolies. Les bêtes MALADIES. 129 avaient dû céder le pas à l'espèce humaine, et tandis que celle-ci s’usait au service des transports, celles-là vivaient dans une douce tranquillité. Dans ces conditions on ne saurait accuser ni le tra- vail, ni l'encombrement d’avoir provoqué la mortalité des mulets (1). Dois-je ajouter que les boissons provenaient d'une citerne immense, alimentée par les pluies torrentielles de la saison chaude? que des femmes passaient leurs journées à remplir avec cette eau de grands baquets de bois servant d’abreuvoirs? L'eau présentait tous les caractères d'une excellente boisson : limpide, sans odeur, n'occasionnait point de coliques, et Je ne pense pas qu'elle eût des propriétés dangereuses. La cause principale de cette cachexie ne doit pas être cherchée ailleurs que dans les denrées alimentaires de mauvaise qualité, leur action ayant été plus nuisible que celle du climat. Avec de l'orge charançonnée et moisie, de l’avoine exotique étuvée, de qualité médiocre, du paddy vieux, de la paille provenant de la rizière et sentant le marais, et des fanes d’arachides moisies, il me semble qu'il y a bien de quoi délabrer les constitutions les plus robustes. Pendant l’année 1886, les denrées fourragères n’ont pas mérité d’autres notes que celles que j'indique ci-dessus. Une pareille alimentation, continuée plusieurs mois, n’a pas besoin d’être appuyée par un mauvais climat pour occasionner une semblable morbidité. Avec ce régime alimentaire détestable, l’'anémie d’abord, la cachexie ensuite se sont manifestées dans les unités mal nourries, et y ont causé une mortalité importante. Cette œuvre de destruction ne s'est arrêtée que lors- qu'il a été possible d'améliorer l’alimentation des ani- maux. (1) L’effectif des animaux, à Sontay, ne comprenait qu'un petit nombre de chevaux arabes affectés aux officiers et sous-officiers d’une batterie. 9 130 TONKIN. Caractères généraux de la cachexie. Les malades sont tristes, marchent avec nonchalance et difficulté, paraissent indifférents à tout ce qui les entoure, ont le poil piqué, la bouche chaude, la langue pâteuse, les muqueuses incolores et infiltrées, la conjonctive tachée de pétéchies, des engorgements œdémateux aux membres laissant suinter une sérosité sanguinolente, plus ou moins abondante. Le pouls est faible, l'artère petite, dure, la circulation est quelquefois accélérée par des accès fébriles intermittents; la respiration est variable, mais générale- ment plus vite que dans les conditions normales. La rai- deur du rein n’est pas constante, il y a presque toujours de la parésie de l’arrière-train. Les animaux ont un dégoût prononcé pour les aliments: dans la dernière période de la maladie il faut renoncer à les nourrir. | Dans ces conditions la mort ne se fait pas attendre. Lésions morbides : Les altérations portent sur toute la substance; elles expriment une détérioration progressive et profonde de l'organisme. Le sang est fluide, d’une coloration rouge pâle et d’une limpidité diffuse. Des suffusions séro-sanguinolentes existent dans toutes les séreuses; celles-ci présentent également des taches ecchymotiques nombreuses. Tous les organes sont touchés. La muqueuse intestinale est épaissie, recouverte dans toute son étendue de mucosités Jjaunâtres abondantes. Le foie est hypertrophié, Jaune et friable ; la rate volumineuse, gonflée et ramollie; cepen- dant son parenchyme est quelquefois dur, résistant et sa capsule épaissie. Les reins sont mous et leur couche corticale grisâtre. Tous lesganglions sontnotablement augmentés de volume. Le poumon est pâle: des coupes pratiquées dans sa substance laissent sourdre des spumosités décolorées. MALADIES. 131 Le cœur contient des caillots fibrineux Jaunâtres; son tissu, ainsi que tous les muscles de la vie animale, a l'air d’avoir subi un commencement de cuisson; l’endocarde présente quelques taches ecchymotiques, et le péricarde une quantité de sérosité citrine et trouble. Les complications de la cachexie affectent deux formes principales : 1° la forme abdominale ; 2° la forme nerveuse. Dans la première ce sont les organes abdominaux, l'intes- tin surtout, qui fournissent les lésions principales. Dans la seconde, les lésions deviennent confuses; elles siègent dans l’encéphale, et pour les étudier il faudrait examiner avec le plus grand soin toutes les parties du cerveau, les isoler et en faire une analyse minutieuse. Les troubles cérébro-spinaux accusés par les malades ont certainement pour causes des lésions du système ner- veux. Des recherches histologiques en auraient fait décou- vrir quelques-unes. Or, à mon grand regret, j'ai dû renoncer à des études aussi complètes. Malgré le grand intérêt qu’elles peuvent présenter, il est assez difficile de se livrer en campagne à des travaux de laboratoire, pour lesquels, du reste, il faudrait être spécialement préparé. Je me suis donc contenté d'ouvrir les cadavres, d’en examiner les diverses parties, de manière à saisir les alté- rations principales que peut donner une autopsie ordi- naire. Les lésions indiquées ci-dessus sont communes à tous les animaux qui succombent à la cachexie paludéenne; mais on en peut trouver d’autres que je signalerai dans l’'énumération sommaire des lésions prises sur les sujets qui m'ont fourni les observations suivantes : Observation n° 1. Bordère, mulet, dix ans, entré à l’infirmerie le 20 octobre pour cachexie paludéennne, a succombé le 7 novembre. 132 TONKIN. Symptômes. — Amaigrissement général, extrémités des membres œdématiées, laissant suinter une sérosité san- guinolente ; rein souple; poil piqué. Appétit capricieux, bouche pâteuse et chaude, artère petite, pouls faible. Autopsie. — Poumon blanchôâtre et engoué, caillots fibrineux jaunâtres dans le cœur et les gros vaisseaux ; endocarde ecchymosé, particulièrement au niveau des valvules ; sérosité abondante dans le péricarde. Foie hypertrophié et pigmenté ; rate molle et très volu- mineuse. L'intestin grêle est rempli de bile; sa muqueuse est hypérémiée; léger épanchement de sérosité dans le péritoine. Muscles pâles et infiltrés d’une sérosité abondante. Rien de particulier dans les centres nerveux. Observation n° 9. Souche, mule, seize ans, entrée le 9 septembre, a suc- combé le 21 des suites de la cachexie paludéenne. Symptômes. — Ne diffèrent des symptômes présentés par le sujet précédent que par des variantes sans impor- tance. Autopsie. — Le poumon est volumineux, engoué et blanc laiteux à sa surface. Le cœur est pâle, 1l contient de volumineux caillots jaunâtres, et offre des ecchymoses sur l’endocarde. La rate et le foie ont un volume anormal. L’intestin grèle renferme une quantité de mucosités bilieuses ; sa muqueuse est hypérémiée. Le cæcum et le côlon replié ont une coloration gris plombé à l'extérieur ; leur muqueuse est noirâtre. Les muscles sont décolorés et paraissent cuits. MALADIES. 133 Observation n° 3. Fiscal, mulet, dix ans, entré à l'infirmerie le 21 août pour cachexie paludéenne, a succombé le 23 septembre à cette maladie compliquée de cornage. Ce mulet était en mauvais état d'entretien depuis plu- sieurs mois, se nourrissait très mal et maigrissait beau- coup, avait des suffusions séro-sanguinolentes à travers les engorgements œdémateux des membres. Une dizaine de jours avant sa mort, il fut atteint d’un cornage excessif qui le mettait dans l'impossibilité d’effec- tuer le moindre déplacement, sans faire entendre un bruit extraordinaire. Quand l’animal avait pris quelques gor- gées d'eau, la respiration devenait bruyante et très pénible, au point que Je craignais de le voir succomber à l’asphyxie. Cette difficulté respiratoire précipita sa mort. Autopsie. — Le poumon est distendu outre mesure, em- physémateux, engoué; sa surface est d’un blanc laiteux, son parenchyme très pâle. Les bronches renferment quelques spumosités blanchâtres. L’épiglotte est le siège d’un œdème qui s'étend sur la muqueuse du larynx. Les cordes vocales sont hypertrophiées, congestionnées et œdématiées. Le cœur contient des caillots fibrineux volumineux ; son tissu est décoloré. Le sang a la fluidité anormale qu'il présente chez les animaux anémiés. Les muscles sont pâles, infiltrés de sérosité. Le foie et la rate ont un volume exagéré. Observation n° 4. >! Crésus, mulet, treize ans, entré à l’infirmerie le 71 novembre, a succombé le 24 à la cachexie sous la forme nerveuse. | 134 TONKIN. Ce mulet était en mauvais état depuis plusieurs mois; lorsqu'il entra à l’infirmerie, 1l avait perdu l'appétit, et présentait tous les caractères d’une anémie avancée. Quelques jours de traitement avaient très légèrement amélioré sa santé, lorsque tout à coup survint, du côté des centres nerveux, une complication qui se traduisit par un affaiblissement extrème, accompagné de troubles loco- moteurs, ayant quelque analogie avec le tournis des rumi- nants. Ces phénomènes nerveux surviennent trois jours avant la mort de l’animal. Le malade est très abattu; attaché avec un collier à un poteau il tourne à gauche en tirant fortement sur la chaîne d'attache, refuse toute nourriture, agite convulsivement les mâchoires et paraît indifférent à tout ce qui l'entoure. Le pouls s'accélère, devient filiforme, la respiration est courte, les forces s’amoindrissent de plus en plus; le malade se laisse tomber et succcombe après une assez longue agonie. Autopsie. — Le poumon est engoué, gorgé de sang: le cœur renferme des caillots jaunâtres sans consistance, et l’on trouve sur l’endocarde de nombreuses taches ecchy- motiques. Le foie est hypertrophié; la rate triplée de volume et ramollie. | Estomac. — La muqueuse du sac droit est ulcérée ; elle présente quelques points inflammatoires arrondis, bien délimités, atteignant chacun une surface qui varie entre les dimensions d’une pièce de cinquante centimes et celles d’une pièce de deux francs. La muqueuse intestinale est hypérémiée. L'intestin grèle contient des mucosités bilieuses en grande quantité. La vessie est remplie d'urine sanguinolente et claire. Les reins sont congestionnés. MALADIES. 135 Encéphale. — Les vaisseaux de l’encéphale sont gorgés de sang, le liquide céphalo-rachidien plus abondant que dans les conditions physiologiques ; les méninges céré- brales et les plexus choroïdes sont hypérémiés. Les muscles ont une couleur rouge assez belle, qu'il faut attribuer à un phénomène d’asphyxie. Observation n° 5. Mulet, onze ans, entré à l’infirmerie le 1% août pour cachexie paludéenne, a succombé le 29 du même mois à cette maladie compliquée de vertige. Symptômes. — Pendant toute la durée de sa maladie, ce mulet présenta des symptômes de fièvre intermittente, d’anémie progressive, accompagnés de troubles graves des fonctions des centres nerveux. Les muqueuses étaient pâles, les conjonctives infiltrées et ecchymosées. - L'artère petite, dure, le pouls plus ou moins vite, mais affaibli ; la respiration grande. Pendant les accès de fièvre, les mouvements respiratoires et circulatoires étaient plus accélérés. On pouvait compter alors 95 pulsations, 25 respirations et quelquefois un plus grand nombre. L'animal était plongé dans une prostration générale entrecoupée dans la journée par quelques accès d’exacer- bation accompagnés de sueurs profuses. À l'écurie, il portait la tête basse et restait somnolent, ou bien tirait sur sa chaine d'attache et s’acculait forte- ment sur le poteau d’une stalle. Si on le détachait, il conservait cette position d’acculement et tordait l’enco- lure de manière à se mordiller le pli du flanc gauche, en agitant convulsivement les lèvres. Ce mouvement-là il ne l’effectuait jamais à droite. Aïnsi replié sur lui-même, il paraissait indifférent à tout ce qui se passait dans son voisinage. En liberté, sa démarche était embarrassée, incertaine, 136 TONKIN. vacillante comme celle d’un homme légèrement pris de boisson ; il perdait quelquefois l'équilibre, essayait de tourner à gauche et souvent tombait à la renverse. Vers la fin de sa maladie, il n'avait plus la force de se relever tout seul. Il va sans dire que ces troubles dela locomotion n'étaient pas aussi accentués au début. Ce qui frappait surtout alors, c'était l’écartement exa- géré des membres postérieurs pendant la marche, et la flexion brusque, spasmodique des jarrets. On eût dit un commencement d’ataxie locomotrice. L'avant-main avait conservé une raideur commune à tout le reste du corps. Cette raideur mettait l’animal dans l'impossibilité de tour- ner sur place avec quelque souplesse, il effectuait ce mou- vement avec difficulté, tout d’une pièce, et dans un état d'équilibre très instable. Une sérosité sanguinolente perlait à travers les engor- gements œdémateux des membres. Les accès de fièvre augmentent d'intensité et de fré- quence, l'appétit d'abord très capricieux devient nul, les pétéchies plus nombreuses tachent les conjonctives, et Le malade s'éteint le vingt-neuvième jour de son entrée à l’'infirmerie. Anatomie pathologique. — Toutes les lésions trouvées à l’autopsie indiquent un état cachectique avancé. Le cœur est pâle, son tissu a l’air d'avoir subi un commencement de cuisson; il contient une partie des caillots fibrineux Jjaunâtres et abondants que l'on ren- contre surtout dans les gros vaisseaux aboutissant à cet organe. Le péricarde renferme une quantité de sérosité anormale. Le foie et la rate ont un volume exagéré; à l'hyper- trophie du foie correspond aussi une coloration particu- lière de la substance hépatique, dont certains points présentent une teinte gris cendré. Le tissu de ces deux MALADIES. 137 organes a une faible cohésion; il s’écrase facilement sous la pression des doigts. Les muscles sont décolorés, émaciés ; de même que le cœur, ils paraissent avoir subi un commencement de cuisson et sont infiltrés de sérosité. L'encéphale et la moelle épinière m'ont paru d’une consistance un peu plus faible qu’à l’état normal; le liquide céphalo-rachidien plus abondant aussi que dans les conditions physiologiques, et d’une limpidité diffuse. Les méninges sont pâles,; leur épaisseur ne paraît pas augmentée d’une façon appréciable. Observation n° 6. N° 2143. — Figaro, mulet, treize ans, entré le 3 octo- bre pour fièvre adynamique, a succombé le 5 à la forme nerveuse de la cachexie paludéenne, vertige. Symptômes. — Anorexie ; l’animal tourne en cercle à droite en prenant un point d'appui sur le sol avec les dents; ses lèvres en sont toutes tuméfiéeset sesgencives meurtries. Par moments il se campe sur son arrière-main, étend les membres antérieurs de manière à s'appuyer sur le sternum, les coudes et l'extrémité inférieure de la tête, en allongeant fortement l’encolure. Il reste plus ou moins longtemps dans cette position, le regard fixe, et paraît en proie à une céphalalgie violente. Autopste. — Liquide céphalo-rachidien très abondant; vaisseaux cérébraux gorgés de sang, méninges congestion- nées, lobes cérébraux pigmentés. Suffusions séreuses dans la poitrine et l'abdomen. Pétéchies sur l’endocarde, rate et foie hypertrophiés. Le cœur contient des caillots diffluents d’un rouge pâle. Les muscles ont une coloration rosée, et sont moins infiltrés que ceux examinés précédemment. 138 TONKIN. Observation n° 1. Tan, mulet, treize ans, entré à l'infirmerie pour ca- chexie paludéenne (forme abdominale) le 4 octobre, a succombé le 25. Symptômes. — Épuisement général dû à une alimenta- tion de mauvaise qualité et à plusieurs années de séjour en Tunisie et au Tonkin; œdèmes des membres laissant sourdre une sérosité sanguinolente, pétéchies sur la con- jonctive, muqueuses pâles et infiltrées. Autopsie. — Mèmes lésions générales que chez les sujets précédents. En outre la muqueuse de l'intestin grêle est noirâtre et épaissie, le duodénum renferme beaucoup de bile mélangée à des mucosités intestinales. La muqueuse du cæcum a les mêmes caractères, ainsi que celle de la plus grande partie du côlon replié. La rate est triplée de volume, sa capsule épaissie et indurée; sa face interne présente, dans sa partie moyenne, un sillon d'une profon- deur d’un centimètre environ, dont le fond est constitué par un tissu fibreux blanchâtre, duquel émergent, sous un angle de 45 degrés, deux cicatrices blanches, dures et froncées, ayant chacune 5 à 6 centimètres de longueur. Ce tissu cicatriciel pénètre l'épaisseur du parenchyme et lui donne une consistance exagérée. Au-dessous de ce tissu fibreux se trouve un abcès, du volume d’une grosse pomme, formé d’une bouillie rouge noirâtre enkystée. Au niveau de cet abcès, la face externe de l’organe pré- sente une plaque dure, grisâtre, circulaire, ayant 10 cen- timètres de diamètre, délimitée par une sorte de sillon disjoncteur, dans le fond duquel se plisse la capsule splé- nique. Cette plaque, de consistance osseuse, soutient l’ab- cès et forme la partie la plus solide de la coque qui l’en- toure ; elle a la forme d’une soucoupe dont le bord serait MALADIES. 139 profondément échancré; l’'échancrure est comblée par du tissu fibro-cartilagineux très résistant. Dans son ensemble et examinée après macération, cette production rappelle le pariétal de l’homme. S'agit-il d'une crétification de la capsule splénique ou d’une ossification de cette membrane? N'’en ayant pas fait l’analyse, il me serait difficile de répondre à cette question. Cependant, je rappellerai qu’elle était d'apparence osseuse et d’une dureté exces- sive; une incrustation calcaire est généralement d’une friabilité plus grande. | L'artère splénique, l'aorte et les valvules aortiques étaient normales, l’absence visible d’altérations athéro- mateuses de ces organes m'a fait écarter l’idée d’infarctus, et Je crois que la bouillie, enveloppée dans la poche que je viens de décrire, doit être attribuée plutôt à une splé- nite suppurative. Comment s’est formée cette production dans un organe splanchnique? À la suite d’une irritation inflammatoire déterminée par une cause difficile à préciser. Dans les climats chauds la rate s’hypertrophie considé- rablement; elle atteint souvent des proportions énormes; il se produit dans la trame de sa substance une suracti- vité fonctionnelle qui peut se traduire par une congestion et une inflammation avec toutes leurs conséquences. Dans le cas dont il s’agit, les cicatrices de la face interne indi- quent une rupture de la capsule de l'organe sous l'influence d'une congestion violente, compliquée de splénite inters- titielle, comme le prouve l’abcès chronique enkysté au milieu même de la rate. Le mulet qui portait cette lésion avait fait la campagne de Tunisie avant de servir au Tonkin; et le peu de ren- seignements que J'ai pu me procurer sur ses antécédents ne me permet pas de désigner d’une façon positive le pays qui doit être incriminé. Quoi qu'il en soit, tous ces désordres spléniques ont dû 140 TONKIN. se produire sourdement et sans grand retentissement sur la santé de l'animal qui les avait supportés. Le typhus en Extrême-Orient. Le typhus est sans contredit la maladie la plus redou- table qui puisse frapper l'espèce bovine. Quand il éclate dans un troupeau, il y cause des ravages considérables. Sa puissance contagieuse est exceptionnelle. De toutes les affections qui attaquent les bêtes à cornes c’est la plus dangereuse, surtout dans les pays où la police sanitaire n'est point connue. | J’ai assisté au Tonkin à une épizootie meurtrière et rui- neuse pour la laborieuse population du Delta du fleuve Rouge. C'est à Hong-hoa que J'ai constaté les premiers cas de la peste bovine. Étant de passage dans cette ville, je recus l’ordre de visiter un troupeau d'approvisionnement destiné aux troupes de la garnison et des postes circonvoisins. La mortalité sévissait sur ce troupeau depuis quelques jours. En entrant dans le pare, je trouvai deux bœufs ago- nissants, plusieurs atteints de diarrhée, de dysenterie, un grand nombre avaient les yeux larmoyants. Sur cent et quelques bêtes une vingtaine étaient fortement atteintes, les autres ne présentaient pas encore de symptômes bien marqués de typhus. Le parc répandait une odeur infecte produite par la fer- mentation des matières excrémentitielles, mélangées à des mucosités intestinales sanguinolentes. Le gardien du troupeau avait collé sur plusieurs ron- dins soutenant la toiture du pare, de grandes feuilles de papier rouge barbouillé de caractères chinois, pour cal- mer la colère de Bouddha. Mais malgré ces amulettes d'un nouveau genre, la maladie suivait son cours, et détruisait tous les jours quelques bêtes : Bouddha ne désarmait pas. J'ordonnai immédiatement l'abatage des malades, l’en- MALADIES. 141 fouissement des cadavres, je fis un triage sommaire des bœufs dont l’état de santé me parut le meilleur et je pres- crivis l'isolement de tous en deux lots. Le premier lot, comprenant vingt têtes, devait servir à l'alimentation des troupes les jours suivants, le deuxième lot fut parqué sur un mamelon des environs. Dans ce dernier le typhus continua ses ravages. Les vingt bœufs du premier lot, abattus pour la boucherie, au fur et à mesure des besoins, furent épargnés. Quinze jours après ma première visite, de ce troupeau d'approvisionnement il ne restait plus une bête sur pied. Un Européen habitant Hong-hoa possédait à la même époque quatre-vingts bêtes à cornes, parquées la nuit dans la cour d’une pagode en ruines de la ville; le jour elles étaient conduites au pâturage et paissaient dans les her- bages fréquentés par le troupeau de l'entrepreneur des viandes à la troupe. Le typhus ne tarda pas à éclater dans ce deuxième groupe. La mortalité n’épargna que les bêtes demandées pour la boucherie et que la maladie n’eut pas le temps de détruire. Une quinzaine de jours après l'apparition de la peste bovine, tous les bœufs avaient succombé, à l’excep- tion de ceux dont l’abatage avait précédé la mort. Le fournisseur d'Hong-hoa était également chargé de l’'approvisionnement des postes échelonnés sur le fleuve Rouge, sur la rivière Noire et sur la rivière Claire. Le parce où J'avais vu les premiers malades était pour les bœufs venant de Sontay, d'Hanoï et des autres provinces du Bas- Delta, un gîte d'étape oùils se reposaient quelquefois. Tandis que le typhus sévissait dans la place d’'Hong-hoa, à l'insu de l'entrepreneur, aucune précaution n’était prise pour mettre en garde contre la contagion les bêtes d’une autre provenance; elles étaient placées, au fur et à mesure de leur arrivée, au milieu du troupeau contaminé. Après quelques journées de séjour, ces bœufs étaient di- rigés par petits paquets selon les besoins dans les postes 142 TONKIN. du Haut-Fleuve. De sorte qu'un beau jour on s'aperçut qu’une maladie grave régnait sur le bétail destiné à assu- rer l'alimentation des troupes. Je me rendis successivement à Viétry, Tuyen-quan, Dong-chau, etc., partout le typhus sévissait avec une décevante intensité. À Tuyen-quan l’approvisionnement était considérable ; j'indiquai des mesures radicales comme à Hong-hoa. Pendant que l’épizootie était dans son plein, Je visitais tous les jours le troupeau; les malades étaient abattus, les cadavres enfouis profondément, et l’on ré- pandait sur chacun d’eux un sac de chaux vive. Ce triage, je le pratiquais le matin généralement, et dans la nuit la maladie faisait encore des victimes. Les fossoyeurs avaient de la peine à tenir en réserve quelques mètres de tranchée; en moins de huit jours le troupeau était anéanti. Seuls les bœufs livrés à la boucherie avaient échappé au ter- rible fléau. Ceci se passait en 1887; mais en 1885, une épizootie également meurtrière avait tué, au dire de M. Voinier, chef du service vétérinaire de la division d'occupation, plus de 3000 bœufs servant au ravitaillement de la co- lonne de Lang-Son et des postes du Delta. Instruit par l'expérience et par les indications prophy- lactiques données par les vétérinaires chargés de com- battre le typhus, on aurait pu peut-être prévenir la morta lité excessive que j'ai vue en 1887. Mais les notes se rapportant à la police sanitaire de la peste bovine, consi- dérées comme de mince importance, avaient été enfouies dans les cartons une fois le mal passé, et les mesures préventives, conseillées pour éviter Le retour de semblables dégâts, restèrent dans l'oubli. Une épizootie nouvelle donna lieu à de nouveaux rap- ports, qui ne modifièrent point l’état sanitaire déplorable du bétail compris dans la zone fréquentée par nos convois. Le typhus accomplit son œuvre sans être contrarié par l'application des mesures de police sanitaire. Les troupeaux MALADIES. 143 d’approvisionnementsuccombèrent successivement, tandis que ceux des indigènes, contaminés à leur tour, contri- buaient à servir à la peste de nouvelles victimes. Les pertes furent considérables et le ravitaillement de certains postes en viande fraiche empêché durant quelques semaines. À Tuyen-quan notamment, cette privation de viande se fit particulièrement sentir. Les pores, les pou- lets, les canards et l’endaubage furent substitués aux bœufs pour assurer l'alimentation des troupes. Je suis entré dans les détails précédents pour donner un aperçu de la rapidité avec laquelle s’opéra la transmission du typhus. Dois-je rappeler ici les symptômes de cette affection? je ne le pense pas. Je n’aurais rien à ajouter au tableau ma- gistral qu'en a fait H. Bouley. L'épizootie s’est présentée en Extrème-Orient avec une gravité qu’elle ne saurait dé- passer ailleurs. Elle a frappé indistinctement les animaux sans être contrariée par leur état d'entretien plus ou moins bon. Je ne puis indiquer le pourcentage de la mortalité, puisque l’abatage a été appliqué pendant que la maladie exerçalt ses ravages avec une violente intensité. Néan- moins, je ne pense pas que le typhus puisse se montrer plus dangereux et plus meurtrier dans notre climat. Étant données les épizooties relativement fréquentes qui se sont abattues sur le Tonkin, il y a lieu de se deman- der si la peste bovine ne serait pas endémique dans le Delta du fleuve Rouge ? La réponse est difficile, parce que les bœufs d’approvisionnement sont de provenances di- verses : Chine, Annam, Tonkin, Cochinchine et pays li- mitrophes. Dans ces conditions l’origine du mal devient très obscure, et en ce qui concerne l’épizootie dont il est question, j'hésite à la mettre plutôt sur le compte du Tonkin que sur l’un des États environnants. À propos de la contagion du typhus aux ruminants do- mestiques autres que les bœufs, je dirai qu’à Tuyen-quan cinq ou six buffles, affectés au service du génie, parqués la 144 TONKIN. nuit, et le jour pendant le repos, tout à côté du parc où régnait le typhus, n’ont pas été malades. Dans quelques villages ils ont payé un léger tribut à la mortalité. Le buffle n’est pas réfractaire à la peste bovine, mais pour que la contagion produise sur son organisme robuste et rustique des effets d'une certaine gravité, il faut généra- lement qu’elle s'exerce sur des sujets affaiblis par Le tra- vail, la misère ou la vieillesse. À Sontay, en même temps que le typhus régnait sur les bœufs de l'administration militaire, trente moutons parqués dans le voisinage des bêtes à cornes restaient indemnes. Les moutons n'avaient point de contact avec les bœufs ; seuls les coolies préposés à leur entretien pouvaient dans leur va-et-vient, d'un parc à l’autre, servir d’agents de transmission du contage. L'espèce humaine indigène s’est repue, pendant l’épi- zootie, de la viande des animaux morts ou abattus, etje ne sache pas qu'aucun individu ait été incommodé par cette alimentation. Le gros de la population annamite est essentiellement carnivore; chaque fois qu'une bête morte est abandonnée dans les environs d’un village, les habitants se jettent sur la proie à coups de « coupe-coupe » (1), et emportent dans leurs familles une bonne provision du cadavre. Sans s’en douter, ils renouvellent tous les jours les expériences de M. Decroix. Les chevaux et les mulets morveux, les chiens cancéreux et les bêtes bovines ayant succombé à n’im- porte quelle maladie contagieuse, sont dévorés par les indigènes avec un incroyable appétit. Pour mettre en garde les habitants contre les dangers qui peuvent résul- ter de l’usage de la viande des morveux, les conseils étant insuffisants, on répandait, autant que possible, une couche de chaux sur les dépouilles. Cela ne les empêchait pas toujours de déterrer les cadavres dans la nuit, pour en (1) Grand coutelas. MALADIES. 145 détacher de gros morceaux qu'ils mangeaient en famille les jours suivants. Ces mœurs sembleraient indiquer une certaine sauva- serie chez les Annamites. [l n'en est rien cependant; s'il leur est agréable de faire usage de viandes malsaines, c'est plutôt parce qu'ils ont un désir impérieux à satisfaire. Le pauvre peuple n’a pas souvent l’occasion d'offrir à son appétit une tranche de bœuf; aussi quelle qu’en soit la provenance 1l s'en contente avec un vif plaisir, même quand c’est d’une bète malade qu’elle lui vient. Peu lui importe les dangers qu'on lui fait entrevoir. L’inspection de la boucherie n’est pas encore entrée dans les coutumes des Tonkinois ; tout ce qui sent la chair les allèche et, faute de muscles, ils n'hésitent pas à couper des lambeaux de peau qu'ils font griller sur des charbons ardents, et dilacèrent ensuite avec leurs dents. Aussi quand une maladie meurtrière s’abat sur le gros bétail est-ce une bonne fortune pour la partie la plus misérable de la population. Les animaux qui succombent dans les villages sont également utilisés pour améliorer l'ordinaire des habitants malheureux. 11 va sans dire que la viande de cette provenance ne sert jamais à composer les repas des mandarins. La fortune publique du pays n'en est pas moins forte- ment atteinte par les épizooties, et si les gens de basse condition en tirent momentanément profit, le contre-coup ne les épargne pas; ils prennent toujours la plus grande part de la misère générale qui en résulte. C'eût été rendre un service considérable à la population du Delta que de préserver ses bestiaux de la peste bovine. Cela nous eût valu quelque reconnaissance de sa part, ou tout au moins en aurait-elle iré cette déduction que notre contact était un bienfait pour elle. On ne s’étonnera pas que la police sanitaire soit d'une application difficile en Extrème-Orient, alors qu'en France on a eu tant de peine à la réglementer et surtout à la rendre populaire. 10 146 TONKIN. Tout ce que nous avons fait contre le typhus au Tonkin en 1887, c'est de donner des indications utiles pour em- pêcher sa propagation. Mais, je dois dire que rarement les mesures prescrites ont été suivies, parce que ceux qui avaient pour mission d'en ordonner l'application, se désin- téressaient beaucoup trop de leur exécution. Ils ne con- sidéraient pas cette affection contagieuse aussi grave qu'elle l’a été, et pensaient, dans leur ignorance de la ques- tion, qu’on pouvait surseoir, sans danger, aux recomman- dations dictées par la prudence raisonnée de ceux qui les conseillaient. Les hangars ayant servi à abriter des bœufs atteints de la peste n'étaient pas détruits; la séquestration des con- taminés était rare ment pratiquée; de sorte que la maladie, ne se trouvant enrayée par aucun frein, causa des ravages importants. De poste en poste elle se propagea, laissant sur son passage des traces infectieuses qui, peu à peu, gagnant le large, décimèrent le bétail des indigènes, et compromirent pendant quelques semaines l'alimentation des troupes. C'est de la ligne de ravitaillement de nos postes du Haut-Fleuve que le typhus pénétra dans les villages, pour y exercer ses ravages. En dehors de la zone fréquentée par nos convois, il ne s'étendit pas. Une maladie aussi grave est une calamité pour la popu- lation qui la subit, et il serait à désirer que les enseigne- ments du passé ne fussent pas perdus. Une nation qui a le protectorat d'un peuple, a le devoir de l'aider à combattre tous les fléaux, sous quelque forme qu'ils se présentent, et quand ce fléau se nomme typhus, il exige toute la vigi- lance de l'administration locale. Dans ce cas l'exportation de la police sanitaire s'impose; la civilisation, partout où elle pénètre, devrait la remor- quer pour en faire un usage rigoureux, quand il s’agit de la conservation du cheptel d’un pays où l’agriculture est particulièrement en grand honneur. Malthus ne visa ja- MALADIES. 147 mais les espèces animales domestiques quand il édicta sa terrible loi, et si la destruction partielle de l’espèce hu- maine est nécessaire, de temps en temps, comme cet auteur semble le croire, j'estime qu'il est d'une prudence économique bien entendue, de nous appliquer toujours à conserver « nos frères inférieurs ». Îls ne sont jamais trop nombreux, les services qu’ils nous rendent sontimmenses, et quel que soit le pays où on les considère, il faut se mettre en garde contre les grandes épizooties qui les menacent. Péripneumonie contagieuse. Dans le courant du mois d'avril 1887 je fus envoyé à Than-Quan, par le général commandant la première bri- gade, pour y visiter un troupeau de bœufs de deux cent vingt têtes sur lequel sévissait une épizootie grave. L'autopsie de quelques animaux malades, abattus dès mon arrivée, me fit constater l'existence de la péripneu- monie. Cette maladie avait déjà causé la mort de cinquante bœufs pendant les mois de mars et avril. Le troupeau de Than-Quan provenait des provinces du Bas-Delta, du Than-hoa principalement. Pour le conduire dans le Haut-Fleuve, on avait réuni les bœufs en groupes. En route, les privations endurées, les marches forcées, les avaient fatigués et la plupart étaient arrivés à destina- tion dans un état de maigreur accusée. Où avaient-ils pris le germe de Ja maladie? La péri- pneumonie est endémique dans le Delta, et pour constituer les approvisionnements, il est bien rare que des bœufs contaminés ne soient pas achetés. Cette affection produit une mortalité considérable quand elle attaque un troupeau surmené : c'était le cas de celui de Than-Quan. Aussi malgré les herbages abondants des environs de ce poste, le troupeau fut décimé. A Than-Quan je ne pratiquai pas l’inoculation. On sait que cette opération est suivie souvent de graves compli- 148 TONKIN. cations, d'accidents gangreneux qui déterminent une mortalité plus grande quelquefois que celle qu’elle à pour but de prévenir. Et puis les animaux inoculés exigent des soins particuliers de tous les instants : un excellent abri, une alimentation de bonne qualité et le traitement chirurgical des lésions consécutives à l’inoculation. Quand un troupeau est cantonné dans un parc dont le sol est transformé en bourbier par les pluies torrentielles de l’hivernage et le piétinement des bœufs, qu'il doit cher- cher sa vie dans les roseaux, les broussailles et les her- bages produits par les rizières abandonnées, il se trouve dans des conditions trop mauvaises pour que le traitement dont il s’agit puisse donner de bons résultats. La séquestration des malades, l'abandon du parc et des päturages fréquentés par le troupeau contaminé, l'abatage, au fur et à mesure des besoins, des bêtes touchées par la péripneumonie, sont des moyens prophylactiques, appro- priés aux circonstances, généralement suffisants pour entraver les progrès de la péripneumonie. Je n'ai pas rencontré cette maladie ailleurs. À Sontay J'avais souvent l’occasion de faire des autopsies, et je n’ai Jamais trouvé les lésions pulmonaires spécifiques qui la caractérisent. Cependant plusieurs de mes collègues en ont observé des cas nombreux dans les grands centres, où dans les convois de ravitaillement. | Les amphistomes coniques à l'état épizootique. On donne le nom d’amphistomes coniques à des hel- miathes de l’ordre des trématodes, caractérisés par un corps de teinte rosée, de forme ovoïde recourbée, mesu- rant de 10 à 15 millimètres de longueur sur #4 millimètres de diamètre, et présentant deux ventouses : l’une anté- rieure, l’autre postérieure (1). 1) M. Railliet, dans une Note sur les Amphistomes des animaux domes- tiques au Tonkin, communiquée à la Société de biologie (séance du 9 juil- MALADIES. 149 En France, ces parasites sont rares; au Tonkin, presque tous les bœufs du Delta ont le rumen tapissé d’une couche plus ou moins étendue de ces helminthes. La moitié de la surface de la muqueuse du premier réservoir stomacal est quelquefois littéralement recouverte d’amphistomes fixés par la ventouse postérieure. Chez les moutons ni sur les équidés (1) je n’ai Jamais remarqué la présence de ces parasites, qui chez les bœufs produisent une irritation stomacale occasionnant à la longue leur amaigrissement. Le diagnostic de cette affection parasitaire est difficile ; cependant, lorsqu'on remarque le dépérissement des ani- maux qu'aucun symptôme grave n'explique, on peut attribuer cet état morbide à l’action des amphistomes, et ordonner, en toute confiance, quelques breuvages parasi- ticides dont les effets sont toujours bienfaisants. Distomatose hépatique. La distomatose est très fréquente chez les ruminants du Soudan et du Tonkin; au début elle passe inaperçue, ne cause pas de troubles graves de la nutrition, mais détermine à la longue l’amaigrissement des malades, les anémie et les fait périr quelquefois. Les douves restent généralement localisées dans les canaux biliaires ; ceux-ci sont envahis à des degrés divers, on en trouve de littéralement bourrés de ces plathelmin- thes. Le diamètre de ces canalicules est doublé et même triplé de volume, leurs parois incessamment irritées ont une épaisseur exagérée, une coloration jaunâtre, sont indurées et, dans les cas chroniques, incrustées de phos- phate de chaux. let 1892), a fait connaitre que « ces parasites appartiennent à l'espèce Amphistoma (Gastrothyrax) crumeniferum ». (1) « M. Sandrin, vétérinaireen premier, a rencontré par myriades, dans l'intestin des chevaux venant des îles de la Sonde, des amphistomes de couleur rouge brique (« Masuri » des Indiens), décrits par Cobbold sous le nom d’'Amphistomu crumeniferum. » 150 TONKIN. Cette affection provoque l'hypertrophie du foie, aug- mente sa consistance et lui donne une teinte gris jaunâtre. Quand on pratique une incision à travers le tissu hépa- tique, on perçoit un petit bruit de légers craquements significatifs de la présence des distomes. Les bovidés et les ovidés atteints de cette maladie para- sitaire maigrissent, s anémient et fournissent une viande de qualité médiocre qui n’est pas exclue pour ce motif de l’alimentation, parce qu'il serait difficile de trouver dans les pays dont il s’agit, des bœufs ou des moutons d’un certain âge exempts de distomatose. Le foie est livré aux indigènes qui n'ont aucune répugnance pour les para- sites dont il est farci. Les animaux s'infestent de douves en paissant dans les herbages humides, marécageux, les rizières inondées et en ingérant des boissons peuplées de cercaires. J'ai observé au Tonkin en pratiquant l’autopsie d’un hibou, une douve microscopique dans le péritoine de cet oiseau. Les équidés ne m'ont fourni aucune observation de ce genre. CONCLUSIONS Le Haut-Sénégal et le Eaut-Niger sont des contrées où la civilisation est à l’état embryonnaire; leur population, clairsemée, paraît indifférente en face du meilleur avenir que nous faisons miroiter à ses yeux. Mais comme le proclamait le colonel Desbordes Le 5 février 1883, à l'occa- sion de la pose de la première pierre du fort de Bammakû, «est-ce que nos ancêtres les Gaulois n étaient pas plus sauvages, plus rudes, plus têtus, plus ignorants que ces Malinkés et ces Bambaras au milieu desquels nous venons de passer? Certes, ces derniers ne deviendront pas com- merçants à la première invitation, ils ne comprendront pas instantanément les chemins de fer, les bateaux à vapeur, le télégraphe, les étalons monétaires, ete., etc., » et plus loim : « Mais ce n’est là, à mon avis, que le côté le moins intéressant de la question. Vous avez examiné l’organisation sociale de ces populations; vous avez vu de près l'esclavage qui fait partie intégrante des mœurs de ces peuples; ces caravanes de captifs vous ont souvent soulevé le cœur de dégoût. « La France et l'Angleterre ont dépensé plus de six cents millions pour assurer l’abolition de la traite. La France républicaine peut dépenser quelques millions pour modi- fier peu à peu, en procédant avec sagesse et prudence, l'organisation vicieuse, improductive, immorale qui est si chère à tous ces peuples. Alors même que tous nos tra- vaux ne serviraient qu'à faire triompher cette grande œuvre d'humanité, avouez que nous serions largement payés de tous nos efforts. » 152 CONCLUSIONS. Cette grande œuvre civilisatrice est poursuivie chaque Jour avec une opiniâtreté ardente, mais les résultats qu’elle donne ne sont pas encore bien accentués. Les Noirs du Soudan sont musulmans ou fétichistes. Les premiers nous haïssent parce que leur religion prescrit de chasser l’étranger qui vient fouler le sol des croyants. Les félichistes, Malinkés et Bambaras, sont moins réfrac- taires ; ils viennent à nous timidement, avec hésitation. et accepteront peut-être notre domination comme un bien- fait, lorsque nous les aurons délivrés du sultan de Ségou et de ses partisans les plus dangereux. Les uns et les autres ne concoivent pas un meilleur sort. et se désintéressent visiblement de la généreuse entre- prise que nous dirigeons pour les initier à notre civili- sation et à ses riantes promesses. L’esclavage pour lequel nous éprouvons une horreur si profonde, ils le supportent avec indifférence, et ne se con- sidèrent point déshonorés, parce que trois ou quatre indi- vidus de leur race sont ensemble échangés contre un médiocre quadrupède. Ces usages ne les affectent pas, et la Ligue anti-esclavagiste aura beaucoup à faire pour Îles transformer. Quoi qu'il en soit, 1l sera difficile d'inculquer aux Nègres le goût du travail. Le travail est chose contre nature dans ce paresseux climat, dont les Noirs pourraient dire avec Racine dans sa description des bois : Le ciel est toujours clair tant que dure son cours, Et nous avons des nuits plus belles que vos jours. Elles sont, en effet, bien belles les nuits du Soudan, mais le soleil qui leur succède est aussi bien dangereux, et bien cruelle la malaria inévitable de ces régions. Les Européens sont, là-bas, fréquemment aux prises avec la fièvre, et les chevaux arabes laissés à Bammakô ou dans tout autre poste du Haut-Niger, ne supportent pas lhiver- nage. QE) CONCLUSIONS. 153 Le Sénégal a toujours eu une triste célébrité; c’est que le nombre des victimes qu'il a dévorées est con- sidérable, et pour aggraver son insalubrité on la même accusé de donner la fièvre jaune. Cette maladie conta- gieuse, intimement liée à l'histoire pathologique de la Sénégambie, à contribué à répandre sur elle Le plus grand discrédit. Le seul nom de Sénégal donne le frisson; on ne se figure pas ce petit comptoir d'autrefois, autrement qu'enveloppé d'une atmosphère de fièvre jaune, et cepen- dant il est reconnu, depuis longtemps déjà, que cette terri- fiante affection n'y est pas plus endémique que le choléra en France. Les Européens vivent très bien dans le Bas-Sénégal et y passent de longues années; il en est de même des che- vaux arabes des spahis, tandis que, Je le répète, dans Île Haut-Fleuve la mortalité les frappe avec une décevante intensité. En affirmant ces faits je tiens compte des con- ditions d'existence que trouvent les animaux dans ces différents milieux : alimentation, travail, logement, etc. J'ai fait connaître dans un chapitre spécial les denrées alimentaires en usage, et j'ajoute ici que quelles que soient leurs qualités, elles n'empèchent point les chevaux arabes de succomber presque tous à Bammakô pendant l’hivernage. Les mulets, au contraire, s’acclimatent mieux au Soudan, malgré le service excessif auquel ils sont soumis comme bêtes de somme ou de trait. Que n'a t-on pas dit aussi du Tonkin ? on ne se le figure pas sans l’affreux choléra. Cette terre a été représentée comme empoisonnée, et malheureusement la mortalité excessive qui s’est appesantie sur les hommes comme sur les animaux pendant quelques années, semble être la con- firmation rigoureuse de la triste réputation qui s'attache à son nom tant décrié. On oublie que dans cette œuvre de destruction, le climat a été puissamment aidé par toutes les causes qui, sous toutes les latitudes, font cortège à la 154 CONCLUSIONS. guerre. Il eût été vraiment étrange que ces causes fussent restées sans influence au Tonkin. L'agglomération des animaux provoque des maladies et en favorise la propagation. Ce fait connu de tout temps s’est manifesté durant l'expédition française en Extrème- Orient. L'encombrement, nuisible par lui-même, est favo- risé par des causes adjuvantes qui l’accompagnent tou- Jours, à savoir : des logements défectueux, l'insuffisance de l'alimentation; la qualité souvent mauvaise des den- rées de consommation, le manque des soins indiqués par l'hygiène la plus élémentaire, et dont l'application est remplie de difficultés en campagne, etc. Ces diverses cau- ses n'ont pas besoin d'être appuyées par un mauvais climat pour exercer leur action dangereuse. Cependant on néglige de les rappeler quand il s’agit d'apprécier la part qui revient aux influences climatériques. La gravité de la situation sanitaire est attribuée au milieu, tandis qu'en portant ses regards autour de soi, on y découvre sans peine bien d'autres motifs capables d’engendrer de graves maladies. « La thérapeutique a des incrédules, l’hy- giène n'en connait pas », a dit quelque part M. J. Rochard. Aux colonies plus encore que dans la métropole, cet axiome est rigoureusement vrai. Qu'il soit difficile, en campagne, de nourrir les animaux avec des aliments de bonne qualité, il faudrait n'avoir aucune expérience des choses pour le nier. Il n’y a donc pas lieu de s'étonner quand des épizooties meurtrières réduisent les effectifs. Et, néanmoins, c'est quand la mortalité accomplit son œuvre qu'on en demande la cause. Le mal ne vient pas en un jour; c'est peu à peu que l'organisme tout entier est empoisonné par les moisissures que les fourrages renfer- ment. À la longue le sang s’appauvrit, les muscles fai- blissent, tous les organes enfin s’étiolent, alimentés qu ils sont par des fourrages altérés et partant incapables de fournir les matériaux réparateurs, nécessaires au bon fonctionnement de tous les rouages de la vie organique et CONCLUSIONS. 155 animale. Au lieu d'attribuer la mortalité à des microbes indigènes invisibles, J'accuse les mauvaises conditions hygiéniques. Le climat de l’Indo-Chine est sans doute anémiant, mais il ne détermine pas à lui seul des effets aussi malfaisants et je tiens à combattre l’idée générale- ment répandue qui en fait un épouvantail. Le Tonkin a été jugé par le publie d’après les pertes éle- vées qui ont frappé les troupes du corps expéditionnaire pendant la conquête. Uneopinion conçue dans de semblables circonstances n'est pas sérieuse et se réfute d'elle-même. « Les grosses pertes subies par le corps expéditionnaire dans le premier été qui a suivi les expéditions de Sontay, de Bac-nimh et de Hong-hoa ne doivent être attribuées que pour une part minime au climat de notre colonie; ce qu'il faut incriminer surtout, dit le D' Hocquard, c'est l’état de surmenage dans lequel se trouvaient nos soldats à cette époque. Pendant plusieurs mois ils avaient couru dans les rizières avec de l’eau jusqu'au ventre à la poursuite des Chinois et des pirates, qui à peine dispersés sur un point se reformaient sur un autre; ils couchaient où ils pouvaient: dans les pagodes humides, dans les cases annamites au sol fangeux, au toit crevé par les pluies, et quelquefois à la belle étoile. Il fallait avec un effectif des plus restreints garder un pays conquis grand comme la moitié de la France et l’organiser de façon à avoir le moins possible à marcher l'été. Mais quand cet été est arrivé avec son cortège habituel de maladies, les orga- nismes usés de nos soldats n'ont plus eu assez de force pour résister et les effectifs ont fondu peu à peu. » Dans toutes les guerres, qu'elles aient lieu en Europe, en Afrique ou en Asie, les militaires sont très éprouvés par des épidémies meurtrières. La campagne franco-alle- mande de 1870-71, celle de Crimée et tant d’autres, qu'il me paraît inutile d’énumérer, nous ont coûté un nombre incalculable d'hommes, sans que les pays où elles se sont livrées aient jamais été réputés insalubres. 156 CONCLUSIONS. Les bêtes aussi sont décimées par les épizooties, même quand elles font campagne dans lenr pays d’origine, si leur existence est abandonnée aux hasards des événements. Les exigences de l’hygiène sont multiples, mais celle qui occupe le premier rang est sans conteste l’alimentation; lorsqu'elle est en défaut, les animaux dépérissent et sont prédisposés à subir l'influence des nombreuses causes morbigènes, inhérentes au milieu dans lequel ils se trou- vent placés. Il importe donc de surveiller tout particulièrement l'alimentation de nos précieux auxiliaires si l’on veut qu'ils ne soient pas usés avant l’heurc par une anémie prématurée que le climat favorise. Avec un bon régime, mulets et chevaux, de toutes provenances, vivraient en Extrème-Orient plusieurs années, rendraient de bons ser- vices et contribueraient ainsi, dans une certaine mesure, à démontrer à ceux qui ne voient dans le Tonkin qu'un noir tombeau, que l’existence des Européens y est moins exposée que dans la plupart de nos possessions coloniales. Il ne faudrait cependant pas considérer ce pays comme une terre bénie. De même que toutes les contrées inter- tropicales, le Tonkin éprouve les organismes originaires des climats tempérés. Nos animaux d'importation y vivent quand ils sont bien soignés, à la condition toutefois de ménager leurs forces, surtout pendant la saison humide (de mai à octobre); même dans ces conditions ils se lais- sent toucher par le climat, et J'affirme que presque tous, après un séjour de deux à trois ans dans le Delta, sont affectés de lésions internes portant de préférence sur le foie, la rate et le sang. Sans doute l’hypertrophie du foie et de la rate ne compromet pas la vie de Flanimal, mais il est certain que toute altération, si bénigne soit-elle, apporte quelque gêne dans le fonctionnement physiolo- gique des organes, et contrarie la nutrition de l’économie animale tout entière. L'existence n’est point compromise non plus parce que l'équilibre est rompu entre la pro- . CONCLUSIONS. 157 portion normale des globules blancs et des globules rouges, ou que l’appareil digestif fatigué élabore plus pé- niblement les substances alimentaires. Cependant il faut considérer le séjour colonial comme un escompte sur la vie des animaux, escompte dont le taux varie suivant les conditions hygiéniques du milieu. Pendant plus de deux ans J'ai eu un cheval arabe arrivé au Tonkin en 1885; lors de mon rapatriement, en juil- let 1888, ce cheval était une brillante monture capable de faire un bon service. Tous les chevaux arabes qui n’ont pas eu à supporter de grandes privations, et qu'on à con- venablement soignés, ont résisté, à l'exemple de celui que je cite, et l’on pouvait voir encore dans ces derniers temps. à Hanoï, quelques chevaux ayant supporté les fatigues de l'expédition, assez bien conservés. Il en est de même des mulets : la légende relative à l'impossibilité d'entretenir en bon état des animaux français ou algériens au Tonkin n’a plus de créance. Quoi qu'il en soit, je m'inscris pour la combattre si elle tient toujours debout. Au reste, c'est là un sujet d’un intérêt absolument passé ; aujourd’hui la division d'occupation se contente des ressources locales, ou bien s'adresse aux États avoi- sinants et trouve ainsi à pourvoir à ses besoins. Au lieu de faire venir à grands frais, d'Algérie ou de France, des animaux, elle préfère les petits chevaux asiatiques dont les services sont très précieux et très appréciés là-bas ! L'empire annamite n'est pas affligé comme le Soudan d'un été perpétuel; son climat permet aux Européens d'y rester longtemps. Il y a des missionnaires qui comptent dix, quinze et vingt ans de séjour dans le Delta, sans interruption. Beaucoup d'officiers ont passé au Tonkin plus de six années consécutives, sur leur demande. Les fonctionnaires et les commerçants qui l'habitent depuis le commencement de notre occupation ne se comptent 158 CONCLUSIONS. plus. De gracieuses Françaises y procréent des enfants de la plus belle venue. La capitale du Tonkin est captivante, et les voyageurs qui l’ont visitée en ont gardé le plus attrayant souvenir. À ce propos, voici en quels termes s'exprime le prince Henri d'Orléans, dans la relation de son remarquable voyage de Paris au Tonkin par terre : « Nous remarquons en pénétrant dans la partie basse du Tonkin la densité de la population, la fertilité du sol et le parti qui en est tiré; la richesse de cette contrée nous frappe. Mais ce qui nous étonne encore le plus, c’est de trouver à Hanoï une des plus jolies villes de l’Extrème-Orient, de voir ce que des Français ont su créer en cinq ans en dépit de tous les obstacles. » En agriculture les Tonkinois sont passés maîtres; nous avons peu de choses à leur enseigner: leur Delta est cul- tivé comme un Jardin. Au Soudan ce n’est pas le désert, mais les terres culti- vées y sont rares et les Nègres, peu enclins aux travaux des champs, ne se décideront pas de sitôt à étendre leurs lougans. Au Tonkin le peuple n’est pas indifférent à un meilleur bien-être, tandis que les peuplades musulmanes ne voient rien au-dessus du paradis de Mahomet. Le bouddhisme et les doctrines de Confucius constituent une conception métaphysique dont les enseignements sont empreints d’une pureté morale remarquable. Le culte des ancêtres, les Annamites le pratiquent avec une dévo- tion fervente, et ils considèrent la piété filiale comme la racine de toutes les vertus et la source de toute doctrine. Les pagodes sont remplies d’idoles ; les bonzes y font des prières pour les âmes des trépassés afin de les délivrer de l’enfer. Le cérémonial est plus ou moins variable, mais, dans son ensemble, il se rapproche singulièrement des pratiques en usage dans la religion catholique. CONCLUSIONS. 159 Bouddha est plus généreux que Mahomet, et les Anna- mites, moins fanatisés, à vues plus larges que les Noirs en matière religieuse, ne nous regardent pas comme des ennemis parce que nous suivons les commandements de Jésus-Christ au lieu des préceptes de Laotseu ou de Confucius. Les opinions les plus contradictoires ont été exprimées sur l’avenir de nos possessions du Soudan et du Tonkin; je laisse à nos économistes le soin de résoudre cette ques- tion passionnelle qui divise les meilleurs esprits. Je me bornerai à dire que la colonisation est une œuvre de longue haleine et qu'on est mal fondé de demander à des conquêtes à peine terminées de se montrer prospères. Les colonies constituent des placements avantageux, mais ce ne sont pas leurs créateurs qui en bénéficient: ceux qui sèment ne moissonnent pas toujours. De longues années sont nécessaires pour apprendre à bien connaître les peuples que nous voulons améliorer; et 1l faut du temps aussi pour mettre leur éducation en harmonie avec notre civilisation occidentale. Ne soyons donc pas trop impa- tients, et ne perdons pas de vue que pour mener à bien des entreprises de cette importance, la nation conqué- rante doit avoir une volonté ferme et dégagée de toute hésitation, qui puisse paralyser les efforts généreux des colons sérieux. Avec un esprit de suite méthodique et opiniâtre, les difficultés présentes s’aplaniront, et nos colonies les plus discutées n'auront jamais à subir l'humiliation, sanglante pour la France, du puissant Etat que notre grand Dupleix avait su créer dans l'Inde. Ms. - AT TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE Soudan français. ARAINAEB RO POSE ee nn ie delta ne in aie sa I Se RENE ee ie CHAPITRE PREMIER Soudan français. — Postes principaux. — Voies de communication. — Aspect général du Soudan. — Hydrographie. — Constitution DÉOLO SIQUE TUTO ER MER rose eceleeses seine cite CHAPITRE II Climatologie. — A. saison sèche. B. saison des pluies. — De l’in- fluence du soleil sur les animaux : insolation et coup de chaleur. CHAPITRE III Apercu de l’agriculture des peuplades du Soudan français.......... CHAPITRE IV Animaux domestiques. — Chevaux du Soudan. — Anes. — Genre bœuf. — Moutons. — Chèvres. — Chien.............,..,..,....., CHAPITRE V Hygiène des animaux domestiques. — Nature et qualité des denrées fourragères. — Composition de la ration. — Régime du vert. — Boissons, — Pansage. — Ferrure. — Travail. — Campements. — Choix des campements. — Des principaux parasites qui tourmen- ÉRIC anIMAUSaANDIMOUAC ee. ce... os ae CHAPITRE VI Maladies générales observées dans le Haut-Sénégal. — Anémie. — Affections du foie. — Infection paludéenne ou malaria. — Péri- pneumonie contagieuse. — Peste bovine..............,....... date 11 11 21 39 53 152 TABLE DES MATIÈRES. DEUXIÈME PARIIE Tonkin. CHAPITRE PREMIER Le Tonkin : configuration physique. — Constitution géologique du sol. — Hydrographie. — Voies de communications........... -— CHAPITRE II Climatologie : saison fraîche, saison chaude. ...... a CHAPITRE II Apercu de l’agriculture. — Arbres principaux. — Productions indus- trielles set minérales RER ee ee ce COUDE CHAPITRE IV Animaux domestiques. — Cheval. — Courses hippiques. — Genre bœuf. — Buffle. — Moutons chinois. — Chèvres. — Porc. — Chien. CHAPITRE V Hygiène des animaux domestiques d'importation. — Nature et qua- lité des denrées de consommation. — Composition de la ration. — Boissons. — Ferrure. — Travail. — Habitations des animaux... CHAPITRE VI Maladies observées au Tonkin. — Affection farcino-morveuse. — Cachexie paludéenne. — Le typhus en Extrême-Orient. — Péri- pneumonie contagieuse. — Les amphistomes coniques à l’état épizootique.—Distomatose hépatique... +... CONCLUSIONS: :2...--..-.. RL EE ER TAN D SEE 2 TRE TENTE es 4584-03, — Conmir. Imprimerie Én. Créré. 69 73 81 89 101 151