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NOUVEAUX ESSAIS

PHILOLOGIE FRANÇAISE

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Antoine THOMAS

NOUVEAUX ESSAIS

PHILOLOGIE

FRANÇAISE

PARIS (2e)

LIBRAIRIE EMILE BOUILLON, ÉDITEUR

67, RUE DE RICHELIEU, AU PREMIER ÉTAGE

1904

Tous droits réservés.

1011

Tsùz

A MONSIEUR LE DOCTEUR

Paul DORVEAUX

Bibliothécaire de l'École de Pharmacie de Paris

TEMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE

TABLE DES MATIÈRES

Pages

Avant-propos.

RF.MIEKt PAF

GHNLRAI.1THS HT MKMOIKHS D'ENSEMBLE.

I. Coup d'œil sur l'histoire et la méthode de la science étymologique. . . i

II. Notes critiques sur la toponymie gauloise et gallo-romaine 34

III. Le suffixe -arjcius 62

IV. Les substantifs abstraits en -1er 110

V. L'évolution phonétique du suffixe -arius 119

Deuxième partie. RECHERCHLS ÎTYMOI.OGIQUKS.

1.

IL

III.

IV.

V.

VI.

VII.

VIII.

IX.

X.

XL

XII.

XIII.

XIV.

XV.

XVI.

XVII.

XVIII.

XIX.

Acmelle 149

Agnous 151

Alaquana 152

Amarina, amasina. 154, 362 Ambro, ambre. . 156, 362

Angelot 159

Ansoulote, soûlote. . . léi

Arbelha 162

Armorijo. 164

Arredogue 169

Assanha 170

Asse, assa. . . 172, 362 Aveneril. . 173, 362, 363

Babi 176

Baien 177

Bidelh.- 179

Boudé 181, 363

Bouillie 183

Braiman, berman. . . 184

XX Brena 187

XXI. Cade 188

XXII. Caforc 191

XXIII. Caillou 192

XXIV. Careillade. 1 . 199, 363

XXV. Cer 200

XXVI. Cerneau. . . 203, 3<<5

XXVII. Cibre, tribe. . . 206, 363

XXVIII. Colcer 215

XXIX. Conobrage. . . 217, 364

XXX. Consier, desier. . 220, 364

XXXI. Cuiolar 228

XXXII. Daumaie, daumaire. . 239

XXXIII. Davais, davaissa. . . 231

XXXIV. Degatier 232

XXXV. Deimai. . . . 234, 364

XXXVI. Délavra 238

XXXVII. Desoussina 239

XXXVIII. Dessoubrcr 241

TABLE DES MATIÈRES

XXXIX.

Desteilla, destél

242

LXXI.

XL.

Dolsa. . . .

244

, 164

LXXII.

XLI.

Droueri.

*47

365

LXXIII.

XLII.

Duraine. . .

248

XLI II.

Echamousta. .

2>°

LXXIV.

XLIV.

Ecoisson. .

2,0

>é>

LXXV.

XLV.

Éculorger. . .

252

LXXVI.

XLVI.

253

*%4

LXXVII.

XLVII.

Eirancha. .

LXXVIII.

XLVIII.

Eissarrar, esserrer. 2$

,16;

LXXIX.

XLIX.

Entrenerge.

m

^

I.XXX.

L.

Equeroôdre.

2,8

LXXXI.

I.I.

Escalaoua. .

259

LXXXII.

LU.

Escaupir . .

260

?6>

LXXXIII.

LUI.

Eschenye, eschenya. .

2(il

LXXXIV.

LIV.

Esclavage. .

262

LXXXV.

LV.

Esperbo.

264

3é>

LXXXVI.

LVI.

Esterchir. . .

2éS

LXXXVII.

LVII.

Etis

266

LXXXVIII

LVIII.

Fàuterne. .

267

LXXXIX.

LIX.

Feuiller, feuilleret,

XC.

feuillure.

27I

XCI.

LX.

Garlimen. . .

273

XCII.

LXI.

Gierre. . . .

274

XCIII.

LXII.

Haleine. . .

276,

3°>

XCIV.

LXIII.

Hampe. . .

277

xcv.

LXIV.

Histar. . .

279

XCVI.

LXV.

lorbe. . . .

283

XCVII.

LXVI.

Ivière. .

284

XCVIII.

LXVII.

Jainçon. . .

28î

XCIX.

LXVIII.

Joincle. . . .

286

c.

LXIX.

Joindre, jegnor.

288

CI.

LXX.

Laus. . . .

289

l.edanjos 290

Lioube 291

Lovergier , lorgier ,

lurgier 292

Marsia. . . . 294, 365

Meeril. ... 295, 366

Meiri. ..... 296

Nar 298

Nouei 299

Nuitre. . . . 500, 366

Olegue 30;

Olonier. . . jio, 366

Ostade 311

Outjabo 314

Panader 315

Penesse 316

Pion. ... 317, 366

Porchaille. . . 318, 367

Pouiller. . . 320, 367

Pouir. ..... 322

Progier 523

Ravoir 524

Résand 52;

Resencier. . . 526, 567

Revondre. . . 327, 367

Rolh, rèl 328

Saupignago. . . 3>o

Seyno. . . . 351. 367

Souille 532

Torelière, torière. . 335

Trouver 334

Vérine, varinas. . . 344

APPENDICE

L'Atlas linguistique de la France 346

Additions et corrections 359

INDEX DBS AUTEURS ET LES TEXTES CITÉS . 369

INnEX GRAMMATICAL 577

INDEX LEX1COGRAP1IIQUE 579

Anglais, 579. Arabe, 579. Argot, 379. Celtique, 579. Cin- ghalais, 380. Espagnol, 3S0. Français, 580. Germanique, 392. Grec, 393. Italien, 394. Ijtin, 594. Portugais, 401. Provençal (catalan, franco-provençal et gascon), 40t. Rhéto-roman, 410. Roumain, 410. Scandinave, 411. Turc, 411. ndex TOPONYMIQ.UE 412

AVANT-PROPOS

L'accueil bienveillant fait par la critique à mes Essais de philologie française, parus en 1898, a décidé mon éditeur à risquer ce second volume, que j'ai baptisé Nouveaux Essais.

En 1902, j'ai publié à la librairie Félix Alcan un recueil intitulé Mélanges d'élymologie française1, dont le contenu ne diffère pas essentiellement de celui des Essais et des Nouveaux Essais. Les Essais ont un « avant-propos », les Mélanges ont une « préface », j'ai indiqué les principes et la méthode dont je m'inspire dans mes études philologiques. En tête de ces Nouveaux Essais, on trouvera un tableau à larges traits des conditions s'est développée et doit continuer à se perfectionner la science de l'étymologie

1. Ce recueil forme le fascicule XIV de la Bibliothèque de la Faculté des Lettres de. l'Université de Paris.

xii AVANT-PROPOS

française. Au pied de chaque mémoire, de chaque notice, on pourra se renseigner sur le point de savoir s'il s'agit d'une réimpression, d'un remaniement ou de recherches inédites. Que faut-il de plus au lecteur?

Sans doute, il reste encore à dire. Les considérations générales exposées récemment, avec tant de brio, par l'illustre linguiste Hugo Schuchardt1 serviraient faci- lement de point de départ à un nouveau discours pré- liminaire. Mais j'ai peu de goût pour ce genre d'exer- cice qui, pareil à l'antique déclamation, me paraît absolument stérile. Prêchons, je le veux bien, mais prêchons d'exemple, en songeant au vieil adage gas- con sur la « chalemie » qui plaisait tant à Montaigne : Bouha prou bou ha, mas a remuda lous dits quem2.

Donc, que ce nouveau volume aille silencieusement prendre place à côté de ses aînés, et qu'il bénéficie, si faire se peut, de la même indulgence qu'eux.

Saint-Yrieix-la-Montagne (Creuse), 5 septembre 1904.

1. Zeitschr.fùr rom. Philoh, XXVIII, 50 et s.

2. Essais, I, 24. « Soutfler, c'est chose facile ; mais il s'agit de remuer les doigts. » Pour le sens, voir une note définitive de M. F. Arnaudin, Annales du Midi, XIV, 539 et s.

PREMIÈRE PARTIE

GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

I. coup d'œilsur l'histoire et la méthode de la science

ÉTYMOLOGIQUE ».

L'enfant aime à jouer, mais il aime aussi à casser ses jouets pour voir ce qu'il y a dedans. L'homme fait tient beaucoup de l'enfant, et ce qu'il en garde n'est pas ce qu'il a de pire. Le plaisir de jouir ne le satisfait pas s'il ne se double du plaisir de savoir. Le langage, une fois constitué dans ses éléments essen- tiels, ne pouvait manquer d'exciter la curiosité de ceux qui le possédaient comme un patrimoine héréditaire qu'ils ne se faisaient pas faute de mettre en valeur, mais qu'ils n'avaient pas l'illusion d'avoir créé. On ne saura jamais, sans doute, si l'homme parlait déjà dans les cavernes de la période quaternaire; mais tenez pour

i. Reproduction, avec quelques retouches, d'un article paru le décembre 1902 dans la Revue des Deux Mondes sous ce titre : La Science étymologique et la langue française.

Thomas. II. i

2 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

certain qu'aussitôt qu'il parla, il se demanda ce qu'il y avait dans sa parole. Cela dut arriver bien avant le temps des Sages de la Grèce ou des Brahmanes de l'Inde, et peut-être dès la génération, d'auguste mémoire, qui creusa le fossé entre la bête et l'homme en assurant à ce dernier l'indestructible privilège du langage. L'homme ne tarda pas à s'apercevoir que l'effort de la pensée, à peine échappée de ses langes, faisait parfois craquer le vêtement neuf, si chatoyant mais si étriqué, dont il l'avait revêtue. La linguistique naquit d'un regard coulé à travers les déchirures.

De toutes les études dont le langage peut être l'objet, l'étymologie est celle dont le nom remonte le plus haut. Ce nom, chacun le sait, n'a pas été fabriqué de nos jours, comme tant d'autres termes scientifiques de même désinence que nous voyons s'étaler en grosses lettres, plus nombreux d'année en année, sur les murs de nos édifices universitaires, lorsque la chute des feuilles donne le signal de la reprise des cours : biologie, bactériologie, gynécologie, his- tologie, parasitologie..., J'en passe, et des pires. Nous l'avons trouvé dans l'héritage des Romains, qui le tenaient des Grecs. Mais nous ne l'entendons pas tout à fait de la même façon.

Pour les Anciens, l'étymologie était essentiellement une spéculation a priori sur le sens vrai (Itu(asç) des mots : en les décomposant arbitrairement, ils se figu- raient pouvoir résoudre le problème du rapport des noms et des choses. Pour nous, à qui tant de systèmes philosophiques écroulés ont appris la modestie, il en va autrement. Quand nous recherchons l'étymologie

La SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE 5

d'un mot, nous nous contentons, de viser le sens pri- mitif. En revanche, nous assignons à notre recherche une carrière beaucoup plus large. Le mot n'est pas pour nous une sorte d'entité indépendante du temps et de l'espace ; nous prétendons embrasser les formes, succes- sives ou coexistantes, sous lesquelles il se présente à toutes les époques et dans toutes les variétés régionales de la langue à laquelle il appartient; nous nous effor- çons en outre et surtout de ramener cette diversité à l'unité, et nous n'avons pas de cesse que nous n'ayons retrouvé dans une autre langue, antérieure ou voisine, le point d'attache de la forme primordiale. Une fois parvenus à ce résultat, nous pouvons faire halte, si bon nous semble; mais il est clair que la recherche doit se poursuivre sur le terrain de la nouvelle langue qui se trouve mise en cause. Le repos final ne sera gagné que quand nous aurons remonté de proche en proche jus- qu'aux dernières limites de la connaissance. L'étymo- logie est comme une tranchée large et profonde que nous creusons dans l'histoire de l'humanité à perte de vue, c'est-à-dire tant que nous trouvons devant nous des hommes, et qui ont parlé.

A envisager ainsi les choses, on peut dire que les Grecs et les Romains, à qui nous devons tant dans le domaine de l'art, de la philosophie ou même des sciences naturelles, ne nous ont rien laissé de solide sous le nom d'étymologie. Leurs travaux ne sont que jeux d'enfants s'amusant à labourer le sable de la grève de sillons capricieux que la prochaine marée nivellera impitoya- blement. Le premier venu de nos lycéens, qui aurait absorbé docilement et digéré convenablement les quel-

4 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

ques notions qui émaillent nos programmes d'enseigne- ment secondaire, devrait être plus fort en étymologie française que le sage Platon ne l'était en étymologie grecque ou le docte Varron en étymologie latine.

Ce n'est en effet qu'au dix-neuvième siècle que l'étymologie a été scientifiquement constituée. Pourtant il ne faut pas se montrer sévère jusqu'à l'injustice pour ce qui a été tenté auparavant. Un coup d'œil rétros- pectif n'est ni sans intérêt, ni sans profit.

Le moyen âge lui-même a droit à quelques égards. On n'apprendra peut-être pas sans un certain étonne- ment que le mot étymologie est familier à nos trouvères du douzième siècle. Ils l'entendent parfois de travers, j'en demeure d'accord; mais il leur arrive aussi de voir juste et de pratiquer heureusement la chose, ce qui est plus méritoire que de bien entendre le mot. Maître Wace, chanoine de Bayeux, protégé et pensionné par le roi d'Angleterre, Henri II (un Plantcgenêt d'Anjou, comme on sait), a célébré les exploits des Normands dans un long poème connu sous le nom de Roman de Ron. Or, maître Wace a tenu à nous expliquer l'origine du mot Normand, et il l'a fait en philologue consommé :

Justcz ensemble north et nnm

Et ensemble dites northman :

Ceo est « huem de north » en romanz ;

De ceo vint li nuns as Normanz.

Il continue en nous apprenant que c'est à cause des

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE 5

Normands que le pays appelé autrefois. Neustrie a pris le nom de Normandie . Personne ne songerait aujour- d'hui à lui en donner le démenti ; mais le bon chanoine ne nous cache pas que les Français un Normand d'alors ne se considérait pas comme Français ne voulaient pas accepter cette étymologie :

Franceis dient que Nonncndie Ceo est la gent de norlh mendie : Normant ceo dient en gabant Sunt venu del north mendiant Pur ceo qu'il vindrent d'altre terre Pur mielz aveir e pur mielz querre.

On avait déjà de l'esprit en France au douzième siècle. Et c'est bien le malheur, et qui explique peut-être que nous ne tenions pas le premier rang en philologie : un bon étymologiste ne doit pas avoir d'esprit.

La Renaissance a fait un peu de bien et beaucoup de mal à l'étude de notre langue. Il faut lui savoir gré d'avoir secoué la torpeur du moyen âge et éveillé, dans ce domaine comme dans tant d'autres, l'activité de l'esprit humain. En restaurant l'étude du grec, négli- gée depuis la chute de l'Empire romain, elle a fait rentrer dans le domaine public la pleine intelligence du vocabulaire savant que le français avait emprunté à la scolastique et que la scolastique avait fini par ne plus comprendre.

C'est déjà l'aurore de la Renaissance qui point sous Charles le Sage avec Nicole Oresme, protégé de la Cour et traducteur officiel d'Aristote. Le bon Oresme met Aristote en français d'après des traductions latines et

6 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

non d'après le texte original, mais peu nous importe. Il n'ignore pas que les termes scientifiques qu'il francise viennent du grec; il a même pris soin de rédiger pour ses lecteurs deux vocabulaires spéciaux ces termes sont expliqués, généralement assez bien. Et le voilà qui s'engage déjà dans la voie de perdition les hellénistes du seizième siècle rouleront à qui mieux mieux : il croit découvrir, une fois par hasard, quelque conformité entre le vocabulaire des deux langues. Ayant fabriqué le mot eutrapele pour rendre le grec eùrpehceXoç, « celui qui scet bien tourner a point les fais et les paroles a gieu et a esbatement », il lui monte au cerveau une bouffée étymologique, dont il nous fait part en ces termes: « Par aventure de ce vint ce que l'on dit en françois d'un homme qu'il est bon trupelin. » Nous ne connaissons ce mot trupelin que par le témoignage de Nicole Oresme ; nous ne savons pas d'où il vient, mais nous croyons pouvoir affirmer qu'il ne vient pas du grec. C'est tout le progrès que nous avons fait depuis le. quatorzième siècle; c'est; peu, hélas! mais ce peu est pourtant quelque chose.

Ils sont légion au seizième siècle et, malheureuse- ment, leur lignée n'est pas encore éteinte1 ceux qui veulent expliquer le français par le grec. Leur chef de file est le premier professeur royal du Collège de- France, le célèbre Guillaume Budé, qui a, heureuse- ment pour sa mémoire, des titres plus sérieux auprès de la postérité. Et comme l'erreur engendre l'erreur,

i . C'est à elle qu'appartient, par exemple, M. l'abbé J. Espagnolle qui a publié, de 1886 à 1889, un ouvrage en trois volumes inti- tulé : l'Origine du jrunçais (Paris, Delagrave).

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE 7

on voit se ranger en face d'eux les partisans systéma- tiques de l'hébreu, du celtique, du germanique. A quoi bon les citer nominativement ?

Non ragûmiOm di tor, ma guarda e passa.

Mieux vaut rappeler les noms des savants qui, malgré bien des erreurs de détail, peuvent passer pour ortho- doxes, puisqu'ils croient fermement que le fond essen- tiel de notre langue est d'origine latine : Du Bois, Bourgoing, Nicot, Fauchet, J.-J. Scaliger, Pasquier, et, au siècle suivant, Caseneuve et Ménage.

Ménage a éclipsé tous ses émules : c'est le seul éty- mologiste des siècles passés dont le grand public ait retenu le nom. Malheureusement, on a peine à prendre au sérieux celui que Molière a si comiquement mis à la scène, et ,1a cause de l'étymologie a souffert des ridi- cules de Vadius. Il faut d'ailleurs avouer que la lecture du Dictionnaire étymologique met à une rude épreuve la patience et la. crédulité de l'esprit le moins prévenu. Ménage jongle non seulement avec des mots, mais avec des ombres de mots qu'il évoque au gré de sa fantaisie. Ses tours de passe-passe peuvent amuser un instant; mais, comment ne pas crier holà! quand on le voit se persuader que le public est toujours sa dupe et prendre les épigrammes pour des compliments ! On a cité bien souvent le quatrain du chevalier d'Aceilly (Jacques de Cailly) sur l'étymologie d'alfana, mot italien et espagnol qui signifie « jument » :

Atfana vient tfequus, sans doute, Mais il faut avouer aussi Qu'en venant de jusqu'ici Il a bien changé sur la route.

8 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

Le piquant, c'est que Ménage, sans y entendre malice, a publié lui-même, à la fin de son article haqucnéc, les vers de d'Aceilly : « Il me reste, dit-il, à faire part à mes lecteurs de cette belle épigramme... » O candeur de la vanité !

Plus charitable pour la victime de Molière que ne le furent ses belles amies, Mm£s de Sévigné et de La Fayette, une jeune Roumaine, Mlle Elvire Samfiresco, vient de lui élever un monument de respect et d'admi- ration1. Elle y déclare tout net que ceux qui médisent de Ménage étymologiste ne l'ont pas lu. C'est aller trop loin. J'accorde qu'il y a beaucoup de bonnes choses dans son œuvre; mais il est notoire qu'il y en a de moins bonnes et même, pour trancher le mot, de détestables : ceci fait tort à cela. il est mauvais, il va bien au delà du pire, comme quand il veut nous persuader que blanc et blond viennent tous deux, par des chemins différents, du latin albus. Le moins qu'on puisse faire c'est de rire : tant pis pour Ménage.

Je ne vois guère à signaler, au dix-huitième siècle, qu'un long article de l'Encyclopédie. L'article passe pour être de Turgot, et fait honneur à son esprit philosophi- que. Mais, avec son caractère purement théorique, l'as- pect scolastique de ses nombreuses divisions et subdivi- sions, le souci constant qu'affecte l'auteur de raisonner toujours in absiracto, sans jamais se résoudre à prendre

i. Ménage polémiste, philologue, poète, thèse pour le doctorat d'Université présentée à la Faculté des lettres de l'Université de Paris (Paris, 1902).

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE 9

des exemples concrets, cet article ne pouvait guère avoir de prise sur le public. D'ailleurs les préoccupa- tions du siècle sont d'un autre ordre et Pétymologie n'y trouve pas un bon terrain : Voltaire a trop d'esprit et Rousseau est trop ignorant.

Enfin le dix-neuvième siècle est venu. Si, chez nous, Raynouard a fait fausse route, l'Allemagne nous a donné Friedrich Diez, Diez que nos maîtres actuels se plaisent à reconnaître pour leur maître et qu'ils nous ont appris à révérer comme un aïeul, Diez dont le génie, fait surtout de patience et de probité, a enfin assis l'éty- mologie des langues romanes sur des bases' solides. Sans doute il a largement profité de ce qui avait été tenté avant lui. Un de ses compatriotes, M. Grôber, professeur à l'Université de Strasbourg, a comparé mot par mot l'œuvre de Diez et celle de Ménage pour les deux premières lettres de l'alphabet et il a constaté que le savant allemand avait suivi le savant français 72 fois sur 100. Ce témoignage non suspect est à l'honneur de notre pays; mais il ne faut pas lui attri- buer trop" d'importance, ni être dupe de la statistique. La gloire de Diez, c'est d'avoir tué le dilettantisme en formulant un corps de doctrine et en en poursuivant rigoureusement l'application : or, il faut plus de science pour se garder d'une mauvaise étymologie que pour en trouver dix bonnes. S'il a laissé beaucoup à foire à ses successeurs, il leur a montré la voie à suivre et indiqué les moyens d'y marcher d'un pas assuré. On peut dès maintenant entrevoir le jour le vocabu- laire français aura livré tous ses secrets. Ce jour-là, la science aura remporté une belle victoire. Je ne doute

10 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

pas que Diez en reste, aux yeux de la postérité, l'im- mortel organisateur1.

Donc, aujourd'hui, l'étymologie est une science, et non plus, comme autrefois, une manière de divination. Le public n'est pas surpris que deux étymologistes puissent se regarder sans rire. Mais peut-être lui fait- on trop de mystère des principes qui les guident, ce qui mêle quelque défiance au respect qu'il consent à leur témoigner. L'extraordinaire fortune qu'ont eue de nos jours les sciences de la nature, les découvertes re- tentissantes qui se sont produites dans leur domaine et qui sont entrées, du jour au lendemain, dans le ré- seau de notre vie sociale pour en renouveler toute l'économie, ne pouvaient manquer de rejeter dans l'ombre les autres objets auxquels l'homme s'était plu dès longtemps à appliquer son intelligence, et en par- ticulier l'étude du langage. Certains philologues, et non des moindres, n'ont pas vu sans quelque dépit

i . La première édition du Dictionnaire étymologique des langues romanes (en allemand) de Diez est de 1853 '■> ^a cinquième et der- nière, publiée onze ans après la mort de l'auteur par Auguste Scheler, est de 1887. On trouvera dans le Dictionnaire latin- roman (en allemand) de M. G. Kôrting (2e édition, 1901) un résumé commode de l'œuvre de Diez, augmenté des nouvelles découvertes faites récemment dans ce domaine. Les auteurs qui, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, ont écrit des livres qui comptent sur l'étvmologie relèvent tous de Diez. Il suffit de citer Scheler, Littré, Brachet et Arsène Darmesteter, en renvoyant à ce qu'en a dit récemment le juge le plus compétent en la matière, Gaston Paris {Rame des Deux Mondes, 15 octobre 1901). Il est bon de remarquer que le Dictionnaire étymologique et explicatif de la langue française de M. Charles Toubin, paru en 1886, est une œuvre de protestation qui, heureusement, n'a pas été prise au sérieux.

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE 11

la faveur publique prendre cette direction, et, pour chercher à la capter, ils ont insisté plus que de raison sur les rapports qui unissent le langage aux phéno- mènes naturels. L'illustre Max Mùller a écrit : « Les rapports intimes qui existent entre l'histoire du langage et l'histoire de l'homme ne suffisent pas pour exclure notre science du cercle des sciences naturelles. Si on la définit rigoureusement, la science du langage peut se proclamer complètement indépendante de l'histoire. » Des livres ont paru depuis, dont les titres, entendus à la lettre, pourraient faire croire que le langage a une vie propre, analogue à celle des plantes, et tout à fait indépendante des facultés intellectuelles de l'homme. Il est inutile de réfuter ici de pareilles idées, contre lesquelles se sont élevées des voix autorisées, notam- ment celles de MM. Michel Bréal et Gaston Paris. Mais il faut affirmer bien haut que l'étude du langage, si on la considère du point de vue étymologique, ne peut à aucun titre être rattachée aux sciences de la na- ture. L'étymologie n'est qu'une branche de la philo- logie; c'est une science essentiellement historique, et la seule méthode qui lui convienne est la méthode his- torique. Quel que soit le domaine linguistique elle s'exerce, elle ne pourra arriver à se constituer qu'en étudiant comparativement et contradictoirement la succession historique des faits, des sons, des idées. Toutes ses données se ramènent facilement et claire- ment a l'un de ces trois points. Je voudrais mon- trer — sans sortir du cadre du vocabulaire français comment l'étymologiste doit se comporter vis-à-vis de chacun d'eux.

GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

II

Par les faits j'entends l'histoire proprement dite sous ses multiples aspects. Max Millier, tout porté qu'il était à inscrire l'étude du langage dans le cercle des sciences naturelles, est bien obligé de convenir que « si nous parlons du langage de l'Angleterre, une certaine con- naissance de l'histoire politique des Iles Britanniques nous est nécessaire ». Ce n'est pas assez dire. L'his- toire de France doit être le bréviaire de quiconque aborde l'étude étymologique du français. C'est elle qui lui apprendra à connaître les peuples divers qui se sont côtoyés, fondus ou remplacés sur le sol de notre pa- trie : les Ligures, qui s'étendaient à l'origine tout le long de la Méditerranée ; les Aquitains ou Ibères, can- tonnés du temps de César entre l'Océan et la Garonne ; les Grecs, fondateurs de Marseille et d'autres villes maritimes, qui rejetèrent peu à peu les Ligures loin de la côte ; les Gaulois, qui ont occupé dès l'origine des temps historiques la plus grande partie du territoire qui a porté si longtemps, en souvenir d'eux, le nom de Gaule ; les Romains, qui conquirent la Gaule et en firent pendant des siècles une chose à eux ; les Ger- mains qui, sous différents noms (Francs, Wisigoths, Burgundions), s'y établirent à jamais et transformèrent avec le temps la terre des Gaulois (Gallia) en terre des Francs ou France (Francia) ; les Bretons, venus d'outre- Manche pour coloniser l'Armorique, à laquelle ils finirent par imposer le nom de Bretagne ; les Arabes,

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE 1}

que le marteau de Charles brisa à Poitiers, mais qui entretinrent assez longtemps des garnisons ou des camps volants en Provence les Scandinaves, qui se taillèrent une nouvelle patrie sur les côtes de la Manche, la « terre des gens du Nord » ou Normandie. C'est elle encore qui lui fera comprendre comment, de ces éléments si divers s'est dégagée peu à peu la nationa- lité française, et qui lui tracera le tableau des relations que les Français ont entretenues soit avec leurs voi- sins immédiats (Anglais, Allemands, Italiens, Espa- gnols, etc.), soit avec d'autres nations européennes, soit, à l'époque des Croisades et surtout depuis la découverte du Nouveau Monde, avec les différents groupes humains répandus sur toute l'étendue du globe terrestre. C'est à elle enfin qu'il ira- demander ces mille détails,' épars dans les chroniques, dans les mé- moires, dans les livres de raison, dans les chartes, dans les inscriptions, à l'aide desquels il pourra se re- présenter au vif les mœurs et, pour ainsi dire, la phy- sionomie intime des sociétés disparues.

Ayant le vaste champ de l'Histoire de France de- vant elle, l'étymologie s'y est plus d'une fois égarée, parce qu'elle n'a pas su dégager le point essentiel des accidents de toute sorte qui l'entourent. Ce point essentiel, véritable pivot de notre histoire, c'est la conquête de la Gaule par les Romains, et par suite l'identité foncière de la langue des Romains et de la langue des Français. Ceux qui prétendent, au nom de l'histoire, expliquer le tréfonds de notre langue par le gaulois ou par le grec ne comprennent pas les leçons de l'histoire. Ils ferment les yeux de parti pris : ce

I4 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

sont des hallucinés avec lesquels on ne saurait dis- cuter.

Il faut s'entendre, cependant. Nous ne prétendons pas que le latin implanté en Gaule y soit demeuré absolument intangible, soit de la part des idiomes préexistants, soit de la part de ceux qui vinrent plus tard le battre en brèche. Du moment qu'on lui recon- naîtra dans la formation du français le rôle incontes- table d'élément constitutif, on aura ses coudées fran- ches pour rechercher la part qu'il convient de faire aux éléments accessoires, parmi lesquels le gaulois et le germanique occuperont toujours une place d'honneur. L'importance de l'élément germanique a toujours été reconnue et il est inutile de la faire ressortir ici. L'in- fluence du gaulois est plus difficile à mesurer exacte- ment. A ne tenir compte que du vocabulaire de la langue commune, elle paraît se réduire à bien peu de chose : c'est à peine si une cinquantaine de mots fran- çais peuvent être rattachés directement au gaulois1. Mais est-il juste de faire abstraction de notre vocabu- laire géographique, où, malgré les alluvions, il émerge encore tant de témoins des couches linguistiques pri- mitives ? N'est-ce pas mutiler de nos propres mains notre langue et notre histoire ? Ou voudrait-on sou- tenir que nous ne parlons pas français, quand nous avons sur les lèvres les noms de nos cours d'eau, de

I. On en trouvera la liste dans le Traité de h formation de la langue française qui sert d'introduction au Dictionnaire gérerai d'Hatzfeld et Darmcsteter. Ce traité, oeuvre personnelle de Dar- mesteter, a été revisé et publié par M. Léopold Sudre, professeur au collège Stanislas.

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE 1$

nos montagnes, de nos forêts, de nos pays, de nos villes et de nos hameaux, comme Loire, Couennes, Ar- dennes, Morvan, Laon, Condé ou Charenton, et tant d'autres vocables usuels, sur lesquels deux mille ans ont passé sans leur apporter d'autre modification qu'un allégement phonétique qui est moins un dommage qu'une toilette destinée à les faire paraître toujours jeunes ? Les études de toponymie, malgré les beaux travaux de MM. d'Arbois de Jubainville et Longnon, professeurs au Collège de France, ne jouissent peut-être pas encore chez nous de la faveur qu'elles méritent, parce qu'elles ont été pendant longtemps livrées à la fantaisie: Il est temps de proclamer qu'elles font partie intégrante de la philologie française. M. Camille Jullian, professeur à l'Université de Bordeaux, après avoir exposé éloquemment les services que ces études peu- vent rendre, vient d'inviter l'association internationale des Académies à s'occuper sans retard de la publica- tion d'un Corpus toponymique du monde ancien l. Nous faisons des vœux pour que cette excellente idée soit prochainement réalisée.

Mais arrachons-nous au charme que présente l'étude des origines. Quand une langue a duré pendant plus d'un millier d'années, il y a quelque puérilité à demeurer toujours penché sur son berceau pour écouter ses premiers vagissements. Il faut la suivre à travers les siècles jusqu'à nos jours et s'efforcer de déchiffrer l'empreinte que chacun d'eux y a laissée. La tâche est attrayante, mais difficile. Le plus souvent, ce n'est qu'à

i. Beitrœge ^ur aîten Geschichte, t. II, ire livraison.

16 CÉNÉRAL1TÉS ET MÉMOIRES D*ENSEMBLÊ

l'aide de la loupe qu'on arrive à discerner dans le lan- gage le contre-coup des événements historiques les plus considérables. Arrêtons-nous à examiner attenti- vement notre mot empereur, autrefois emperedre au cas sujet, emperedor au cas régime. Pourquoi l'ancien fran- çais, qui a laissé tomber Ye protonique du verbe latin Iemperare et en a fait temprer (aujourd'hui tremper, par suite d'une métathèse), nous a-t-il transmis religieu- sement Ye du substantif impcrator ? C'est que Iemperare n'a jamais cessé de résonner sur les lèvres du peuple depuis que les Romains ont apporté le latin en Gaule, tandis que imperator a sombré avec l'Empire romain lui-même et n'a reparu dans l'usage que depuis la restauration mémorable qui a marqué la dernière année du huitième siècle. Ainsi, aux yeux de l'étymo- logiste, l'examen d'un seul mot, d'une seule lettre suffit pour évoquer l'image du pape Léon III plaçant la couronne impériale sur le front de Charlemagne.

Il est rare, avouons-le, que le langage nous offre sur le passé des échappées aussi grandioses. La langue de l'homme est le témoin de son histoire, mais, si ce témoin a tout vu, il n'a pas tout retenu. Les faits qui y laissent des traces durables ne sont pas toujours ceux qui arrêtent l'historien et qui importent à la des- tinée des peuples. Qui oserait mettre sur le même plan les traités de Westphalie et les amours juvéniles de Louis XIV? Et pourtant, depuis 1648, Westphalie est resté, comme auparavant, un simple nom propre, celui d'une province d'Allemagne, tandis que le nom de Mllc de Fontanges a fait brèche dans notre vocabu- laire courant et que plusieurs générations ont appelé

La science étymologique 17

fontange une parure de tête que la favorite avait mise â la mode. Si l'étymologiste doit tout connaître de l'histoire, il n'en utilise souvent que la menue mon- naie. Mais que de variété, d'imprévu, de piquant dans la collection de ces noms propres de personnes, de peuples ou de pays, qui se sont successivement incor- porés dans le langage commun ! Esclave est le même mot que Slave, et il nous rappelle les expéditions des Vénitiens contre les Slaves du Sud ou Esclavons, dont la reine de l'Adriatique faisait ouvertement la traite, au temps des Croisades. Les Hongrois nous ont appris à hongrer les chevaux et à hongroyer le cuir ; le dix-septième siècle a même connu la mode d'un jus- taucorps à grandes basques qu'il appelait une hongrcline. Aux Croates nous devons la cravate, qui apparaît chez nous à l'époque de la guerre de Trente ans. Des subs- tantifs comme baïonnette, berline, biscaïen, calicot, épa- g ne 1 il, faïence, maroquin, persienne, éveillent facilement le souvenir des villes de Bayonnc, Berlin, Calicut, Faen-a et des pays de Biscaye, d'Espagne, de Maroc, de Perse. Mais souvent l'altération phonétique nous dissimule l'origine du terme dont nous nous ser- vons. Qui pense au cuir de Cordoue quand il pro- nonce le nom de métier cordonnier, autrefois çordoua- nier, ou les noms de famille Corvoisier et Corvisarl ? Comment se douter que le nom d'une ville de Syrie se cache dans notre mot èchalolle, autrefois cschalogne, du latin Ascalonia, herbe d'Ascalon ?

Altérés ou non, les mots de la langue commune qui sont issus de noms propres demandent toujours leur passeport à l'histoire. Tout Français qui se pique Thomas. II. 2

l3 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

d'avoir du monde sait aujourd'hui ce qu'on désigne sous le nom de sandwich. Je rappelle cependant pour les quelques millions de nos concitoyens qui l'ignorent et dont la plupart ne me liront pas qu'on nomme ainsi un mets composé d'une tranche de viande froide placée entre deux tranches de pain, ordinairement beurrées. En dehors de la cuisine, quelle idée éveille ce mot dans l'esprit de ceux qui l'em- ploient ? Probablement celle d'un archipel situé tout là-bas, au fond de la Polynésie, dont la capitale est Honolulu, et qui a été annexé depuis peu aux États- Unis d'Amérique. Les répertoires courants d'histoire et de géographie nous apprendront en outre que San- dwich est un bourg d'Angleterre érigé en comté par Charles II, en faveur d'Edward Montague; que le quatrième titulaire de ce comté fut le protecteur du célèbre navigateur Cook; et que si un archipel de la Polynésie porte ce nom, c'est que Cook lui a donné celui de son protecteur. Mais ils s'en tiennent là, oubliant ce qui est pour nous l'essentiel, à savoir que John Montague, quatrième comte de Sandwich, lord de l'Amirauté et protecteur de Cook, était un joueur effréné : comme il lui était fort pénible de quitter la table de jeu pour passer à la salle à manger aux heures ordinaires des repas, son cuisinier imagina, pour le soutenir discrètement sans interrompre sa partie, le genre de mets auquel s'est attaché, chez nos voisins d'outre-Manche d'abord, puis chez nous, le nom du noble lord.

Faut-il encore un exemple? En voici un.

Il y avait une fois un amiral qui fut rayé des cadres

La science étymologique 19

pour s'être montré trop sévère vis-à-vis de ses subor- donnés et pour avoir manqué d'égards vis-à-vis de son ministre : il n'appartenait pas à la marine fran- çaise, et il y a près d'un siècle et demi qu'il est mort. Son nom était Edward Vernon ; mais comme il por- tait ordinairement des culottes faites d'une étoffe que les Anglais appellent grogram, et familièrement grog, ses matelots l'avaient surnommé Old Grog, le vieux Grog. Si j'ajoute que parmi les « misères » que le ter- rible amiral faisait à ses équipages, figurait l'obliga- tion de ne plus boire le rhum tout pur, mais d'y mettre de l'eau, chacun comprendra pourquoi nous appelons grog une boisson bien connue, dont l'usage nous est venu récemment d'Angleterre. Je remar- querai en passant que le grogram de nos voisins n'est qu'une altération du français gros grain, qui désignait autrefois chez nous une espèce particulière d'étoffe « à gros grain » : d'où il suit qu'en leur empruntant grog nous n'avons fait que reprendre notre bien 1.

On voit que c'est toute une histoire que l'étymo- logie de sandwich ou de grog et en môme temps que c'est tout de l'histoire. Mais ici nous touchons à un point délicat. De même que les guides font volontiers appel à leur imagination pour expliquer aux voyageurs l'origine des monuments qu'ils leur montrent, cer-

1. A côte de grogram, l'anglais offre une forme plus altérée encore: grogoran. Elle nous est revenue elle aussi et nous en avons fait gourgouran. Nos dictionnaires définissent gourgouran par « étoffe de soie, originaire de l'Inde », et ils déclarent en ignorer l'étymologie : il est heureux qu'ils n'aient pas été la demander au sanscrit.

20 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

tains étymologistes n'hésiteraient pas à « inventer » pour donner du crédit à des étymologies de pure fan- taisie. Qu'y faire ? se tenir sur ses gardes et ne jamais accepter leurs dires qu'après les avoir vérifiés d'après les règles ordinaires de la critique historique. D'ail- leurs il y a toujours profit à ne pas perdre de vue les données générales de l'histoire quand il s'agit d'éty- mologie. Il peut même arriver que l'histoire nous sauve des illusions de la phonétique: j'en veux citer un exemple curieux, le flair de Ménage a été plus heureux que la science de Diez.

Un ancien terme militaire assez connu est chamade. Les bateleurs de la foire battent encore la chamade sur leur tambour pour rassembler les badauds autour de leurs tréteaux. Autrefois la chamade était le signal par lequel une place assiégée demandait à parlementer, et Le Sage a fait, dans Gil Blas, un emploi figuré fort galant de cette vieille expression. On la retrouve dans les autres langues romanes; l'italien dhchiamala, l'espa- gnol llamada, le portugais chamada. Diez, suivi par Littré, pense que le français chamade vient du portu- gais chamada, ce dernier se rattachant naturellement, comme l'italien et l'espagnol, au participe passé du verbe latin clamare « appeler ». La phonétique semble donner raison à Diez. Le portugais n'est-il pas la seule langue romane qui rende régulièrement le son latin cl en position initiale par le son ch, prononcé comme le ch français ? Mais consultons l'histoire. Que nous apprend-elle ? Que notre mot chamade date du seizième siècle, car d'Aubigné l'emploie et Cotgrave l'en- registre dans son dictionnaire, paru en 1 6 1 1 . Or, avons-

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nous eu, au seizième siècle, des relations militaires avec le Portugal assez prolongées pour rendre vraisemblable un emprunt à la langue portugaise ? En aucune façon. Chamade forme bloc avec tant d'autres termes mili- taires qui nous sont venus d'Italie à la môme époque, et Ménage a raison de le tirer de l'italien. La pre- mière génération française qui a employé ce mot l'a écrit d'abord chiamade et l'a prononcé à l'italienne en faisant sonner chi comme le français qui; puis il y a eu une réaction de l'orthographe sur la prononciation, et nous avons dit chamade, comme nous disons niche, nocher, panache et supercherie, bien que ces quatre derniers mots aient un ch en italien: nicchia, nocchiere, pcnnacchio, superchieria.

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L'étude des sons ou phonétique a beaucoup pré- occupé nos premiers étymologistes. Du Bois, Meu- rier, Nicot, Ménage nous ont laissé des ébauches de traités sur la matière ; mais leurs travaux n'ont plus pour nous qu'un intérêt de curiosité. Il n'en est pas de même de l'œuvre de Diez, que l'on consultera toujours avec fruit. Pourtant il faut reconnaître que des progrès considérables ont été faits dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. La phonétique historique a été renouvelée par l'enseignement et par les livres d'une élite de maîtres français et étrangers, parmi les- quels Karl Bartsch, Gaston Paris et Arsène Darmeste- ter pour ne parler que des morts ont droit à une

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place d'honneur. La phonétique expérimentale, pous- sée à un rare degré de précision par M. l'abbé Rousselot et ses disciples, est venue nous faire toucher du doigt, pour ainsi dire, les causes de la plupart des phéno- mènes dont l'observation nous avait révélé depuis longtemps les effets. Ce dernier ordre de recherches, il est vrai, ne nous intéresse pas directement. Au point de vue du progrès étymologique, il y a plus à attendre de la publication des anciens textes, de la rédaction de bons dictionnaires patois, locaux ou provinciaux, et de l'achèvement du monumental Atlas linguistique de la France entrepris si vaillam- ment par MM. Gilliéron et Edmont1, que de l'explora- tion des palais, des larynx et des fosses nasales.

La phonétique historique est peut-être l'auxiliaire le plus précieux de l'étymologiste. Elle a un domaine nettement limité et régi par des lois minutieusement élaborées. Ces lois sont fondées sur l'observation des faits; leur ensemble forme comme un filet dont la science a su tellement resserrer les mailles qu'aucun fait ne peut passer au travers. C'est en ce sens qu'il faut entendre le « principe » autour duquel il s'est fait beaucoup de bruit dans ces dernières années ; les lois phonétiques sont sans exceptions. Il n'y a pas d'exceptions, parce que tous les faits particuliers ont leur place marquée d'avance dans une loi phonétique bien faite. Si l'on vient à découvrir un fait nouveau en contradiction avec la loi, il y a lieu à revision :

i. Paris, 1902, Champion ; les six premières livraisons ont déjà paru, soit près de 300 cartes.

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démaillant par ici, remmaillant par là, nous réparons notre filet, c'est-à-dire que nous sacrifions la loi pour la remplacer par une loi nouvelle. C'est ainsi qu'on sauve les principes.

Sans nous attarder plus longtemps à discuter l'essence des lois phonétiques, montrons-en l'appli- cation. L'application des lois phonétiques produit juste l'effet contraire de l'application des rayons X : grâce à ceux-ci, nous pouvons dépouiller le corps humain de son enveloppe charnelle et le contempler dans la nudité intime de sa charpente squelettique; grâce à celles-là, nous pouvons remettre, pour ainsi dire, de la chair et des muscles sur les vocables que l'usage a rongés jusqu'aux os et les faire réapparaître dans toute l'opulence et l'éclat de leurs formes.

Soit le mot français malade, dont on demande l'éty- mologie. Au seizième siècle, on le faisait venir du grec \j.zLx/.i; « mou », en admettant le changement de k en d. La phonétique nous apprend que le passage de k à d est sans exemple et elle nous débarrasse du premier coup de cette hypothèse, que l'on ne rendrait pas meilleure en faisant remarquer que les Romains avaient latinisé [j.xhx/.iq sous la forme malacus, fréquem- ment employée par Plaute. Au dix-septième, Saumaise supposa que le latin populaire avait formé un adjectif malatus « qui a du mal » sur le modèle de fortunatus « qui a de la fortune » et il tira le français malade de ce latin hypothétique malalits. Ménage se tint d'abord sur la réserve en faisant remarquer que de malatus le français aurait fait malé comme de fortunatus il a fait fortuné, mais il finit par se convertir à l'idée de Sau-

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maise. Or un fait ignoré des étymologistes antérieurs au dix-neuvième siècle nous oblige à rejeter maialus aussi délibérément que malacus : en effet, dans le célèbre manuscrit de la bibliothèque de Clermont- Ferrand qui nous a conservé le poème de la Passion, du dixième siècle, notre mot est écrit malabde, et l'étymo- logie doit rendre compte de la présence de ce b, qui a disparu dans la prononciation des siècles postérieurs. Diez a cru résoudre le problème en proposant le latin maie aptus « mal disposé », et Littré, Scheler et Brachet se sont ralliés à sa manière de voir.- Mais cette hypothèse se heurte à deux lois phonétiques solidement établies : dans le groupe latin pt, le p ne s'affaiblit jamais en b et le / ne s'affaiblit jamais en d. De même que septem est devenu en ancien français set (écrit plus récemment sept par une restauration savante de l'orthographe latine), aptus aurait donné at et le composé latin maie aptus aurait abouti à malat, et non à malabde. La véritable étymologie n'a été trouvée qu'en 1874 par M. Cornu, aujourd'hui professeur à l'université de Graz : c'est maie habitus. Le participe habitus est devenu successivement abde, ade, comme le substantif cubitus est devenu cobdc, code, coude. Nous sommes enfin arrivés à la conquête de la vérité par une connaissance de plus en pfus exacte des lois pho- nétiques.

Mais le progrès n'est pas toujours l'œuvre du temps et la vérité subit parfois des éclipses par suite de l'in- firmité de l'esprit humain. Dans son Traité du Franc- Alleu, paru en 1641, Caseneuve avait rattaché notre verbe acheter au substantif latin caput « tête, chef»

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE ' 25

par l'intermédiaire d'un verbe qui aurait été en latin vulgaire accapitarc. Diez est d'un autre avis : pour lui, acheter représente un type latin accaptare, composé de la préposition ad et du latin captare « chercher à prendre ». La phonétique historique et comparée donne raison, il me semble, à Caseneuve. L'ancien français dit ordinairement achaler, ce qui laisse la question indécise ; mais le provençal emploie la forme acaptar, ce qui montre qu'une voyelle a disparaître entre le p et le /, comme dans reptar « accuser », qui vient de reputare ; et l'ancien espagnol acabdar, le p et le / primitifs n'ont pu s'affaiblir en b et en d que parce qu'ils étaient originairement séparés par une voyelle, n'est pas moins net à affirmer l'existence d'un type primordial accapitare. Donc la question est jugée : quand nous achetons quelque chose, nous ne voulons pas, étymologiquement parlant, chercher à le prendre (caplaré), mais l'ajouter à ce que nous avons déjà, à notre capital (caput) : c'est beaucoup plus moral.

Il serait fastidieux d'accumuler les exemples des services rendus à l'étymologie par la phonétique. Personne, d'ailleurs, ne songe sérieusement à les méconnaître. Max Millier a écrit, il est vrai : « la vraie étymologie n'a rien à faire avec le son. » Mais il voulait simplement nous mettre en garde contre ces rapprochements superficiels qui ne reposent que sur des apparences phonétiques. Perfide comme l'onde, dit un vieil adage : l'onde sonore ne l'est pas moins que l'onde liquide. N'oublions pas le quatrième des points fondamentaux que le même Max Muller a assignés à

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la science étymologique : « Des mots différents peuvent prendre la même forme dans la même langue. » Le français a subi, depuis ses origines, une dégradation phonétique si violente que les mots les plus divers s'y sont confondus dans le même son. C'est un terrible écueil pour l'étymologiste, et aussi, à quelque chose malheur est bon, une mine inépui- sable pour l'innocent jeu de société qui s'appelle le jeu des homonymes. L'orthographe maintient par-ci par-là quelques étais protecteurs dans l'édifice vermoulu de notre phonétique : mais bien souvent elle est impuis- sante elle-même. Considérons par exemple le groupe de lettres somme. Si nous laissons de côté la première personne plurielle du présent de l'indicatif du verbe être, qui a toujours une s finale, il nous reste encore trois substantifs, de sens très différents, que nous écrivons et que nous prononçons de la même manière. L'étymologiste nous dira que le substantif masculin somme vient du latin somnus ; que le substantif féminin somme, « ensemble», vient du latin summa ; enfin que quand nous disons « une bête de somme », nous avons affaire à un troisième mot qui est de la même famille que sommier. En ce sens, somme signifie pro- prement « charge, bât » ; il remonte, par l'intermé- diaire du latin de la décadence sagma, au grec zx;\).x. qui était neutre et se déclinait sây^x, it;\j.xzzz. Le genre neutre ayant disparu, le latin sagma a été pris pour un féminin, comme beaucoup de mots analogues. L'empereur Sigismond, prononçant un discours Jatin devant les Pères du concile de Constance, s'écriait : Fidèle, Patres, ut eradicetis schismam Hussitarum !

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE 27

« Pardon, Sire, » interrompit un auditeur peu respec- tueux de la majesté impériale, « schisma est du neutre ». « Qui dit cela ? » fit l'empereur très mortifié. « Un Français nommé Alexandre, » répliqua l'inter- rupteur, qui voulait parler d'Alexandre de Villedieu, grammairien célèbre, depuis plus d'un siècle, dans l'Uni- versité de Paris. « Et qui est cet Alexandre ? Un moine, Sire. Eh bien ! conclut Sigismond, je suis empereur et je pense que ma parole vaut celle d'un moine. » Les empereurs d'Allemagne tranchent volon- tiers du souverain dans les questions qui n'ont rien à voir avec leur couronne. Mais si le Père du concile de Constance avait raison, Sigismond n'avait pas tout à fait tort. Il était l'interprète du sentiment instinctif qui avait depuis des siècles transformé les neutres en féminin, et la grande voix du peuple parlait par la bouche de cet empereur, opposant un dogme nouveau au dogme ancien, c'est-à-dire proclamant, sans en avoir conscience, le principe de l'évolution qui domine l'histoire de l'homme.

IV

Le langage est essentiellement le signe de Vidée. En face de la phonétique, qui étudie le son, c'est-à-dire le signe, vient se placer la sémantique, qui étudie le sens, c'est-à-dire Vidée. C'est à M. Michel Bréal que nous devons ce terme de sémantique, plus court et plus élé- gant que celui de sémasiologie, qui a d'abord eu cours

28 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

en Allemagne1. La sémantique a la même méthode que la phonétique : elle s'appuie sur l'observation et s'efforce d'établir une classification. Mais l'objet de son étude est trop différent pour qu'elle puisse se flatter d'arriver à des résultats aussi précis. Si vous donnez à un phonétiste un mot latin et si vous lui demandez quelle forme le mot doit revêtir en français, il vous ré- pondra avec autant de précision que pourra en apporter un chimiste à vous prédire ce que deviendra un morceau de papier plongé dans un acide déterminé. Ne posez pas une question de ce genre au sémantiste ; vous le mettriez dans un cruel embarras. Il peut vous faire comprendre, à force de comparaisons, comment un mot arrive à prendre un sens fort éloigné de celui qu'il avait à l'ori- gine, il ne peut vous marquer d'avance le terme néces- saire de cette évolution ; il peut expliquer, il ne peut pas prévoir. Il y a des lois en phonétique, et c'est pour cela que la phonétique doit être considérée comme une science, au sens rigoureux du mot. Il n'y a pas de lois en sémantique, et l'on conçoit difficilement qu'il puisse jamais y en avoir. Mais si la sémantique n'est pas, à proprement parler, une science; c'est une spé- culation sans laquelle la science demeurerait incom- plète. Quelques exemples suffiront à faire comprendre le genre de services que l'étymologiste doit lui deman- der.

Nous appelons belette l'animal que les Romains appe- laient mustela et que beaucoup de nos patois, fidèles à

2. Esgai de sémantique (science des significations). Paris, Hachette, 1897.

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE K)

la tradition latine, appellent encore aujourd'hui mous- îèlo, moutèk ou vioutoile. D'où vient ce nom de belette ? On a supposé que belette était un diminutif de notre adjectif beau et que le nom de l'animal signifiait éty- mologiquement « la petite belle ». C'est une hypothèse que suggère la phonétique; mais pour que cette hypo- thèse devienne une certitude, il faut que la sémantique nous fournisse des indications qui soient d'accord avec cette hypothèse. Interrogeons-la. Elle nous apprendra que la belette s'appelle poulido, c'est-à-dire « jolie », en Rouergue; bellora, il est facile de reconnaître le diminutif latin bellula, en milanais ; kjœnne, c'est-à-dire « belle », en Danemark ; schœntierlein, c'est-à-dire « jolie petite bête », en Bavière; coantig, c'est-à-dire « jolie », en Bretagne, etc., etc. Grâce à la sémantique, nous avons ville gagnée, et l'étymologie du mot français belette ne fait plus question pour nous.

Nos serruriers appellent penlure une bande plate de fer fixée transversalement sur une fenêtre ou sur une porte et dont l'extrémité est formée par un œil ou anneau qui reçoit le mamelon du gond. Littré est muet sur l'étymologie de penlure ; Scheler le rattache au verbe latin pandere « ouvrir », parce que, dit-il, « la penture sert à ouvrir et à fermer la porte ou la fenêtre ». Si nous remarquons que l'anglais binge, qui sert à dési- gner à la fois le gond et la penture, est tiré du verbe te hotlg « pendre », nous aurons la véritable étymolo- gie, et nous admettrons sans difficulté que penture est au verbe pendre dans le même rapport que tenture au verbe tendre.

D'où vient notre substantif boucher, qui désigne

GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

l'homme qui tue les animaux destinés à la consom mation ou qui en détaille la chair ? Bouvelles, Turnèbe, Ménage et Caseneuve le rattachent à bouche. Pour Henri de Valois, au contraire, le boucher était primi- tivement celui qui débitait la chair du bouc. Tout récemment, à la Société de linguistique, un assaut a été livré à l'étymologie d'Henri de Valois, aujourd'hui généralement acceptée : on a cherché à en déloger le bouc au profit de la génisse, en latin bucula. Mais la place est inexpugnable, et, sans faire appel à la pho- nétique, qui ne consentirait pas à l'ouvrir à la génisse, il suffit de la mettre sous la sauvegarde de la séman- tique. Ce n'est pas par hasard que boucher et bouc ont un air de famille, puisque l'italien, qui appelle le bouc becco, appelle le boucher beccajo.

Dans ces exemples, et dans beaucoup d'autres qu'on pourrait citer, la sémantique nous apparaît comme l'aide de la phonétique. Presque toujours il convient que la phonétique passe devant et prépare l'ouvrage auquel la sémantique viendra, pour ainsi dire, donner le dernier coup de pouce. Pourtant celle-ci est autre chose qu'une finisseuse. Il y a en particulier un vaste domaine le langage semble se jouer des lois de la phonétique ; c'est celui de l'analogie, qu'on peut se représenter comme une sorte de Cour des Miracles. C'est qu'on voit des mots qui ont perdu leur tète ou leur queue s'emparer sans vergogne de celle du voisin pour faire figure dans le monde et se livrer à quantité d'autres tours de passe-passe dont le spectacle est fait pour déconcerter notre raison. La sémantique a l'œil ouvert sur eux et, mieux que la phonétique, elle peut

LA SCIENCE ÉTYMOLOGIQUE }l

nous livrer le secret de leurs faits et gestes et les déférer aux tribunaux dont ils ressortissent.

Instruisons rapidement trois affaires de ce genre.

Les Allemands appellent sauerkraut un mets qui se compose essentiellement de choux aigris dans la sau- mure. Le mot est très clairement formé en allemand, haut veut dire « chou » et sauer « aigre ». Nous avons emprunté ce mets à nos voisins. A la fin du dix- huitième siècle nous l'appelions sour croûte, transcription assez exacte du mot allemand. Une loi phonétique connue, la loi de dissimilation, nous explique que la première r soit vite tombée et que sourcroute ait été pro- noncé soucroute. Mais comment sommes-nous arrivés à la forme aujourd'hui universellement employée, chou- croute ? La phonétique n'en peut mais. C'est Vidée, c'est-à-dire l'esprit, qui a fait des siennes: comme il y avait des choux dans le plat, on en a mis ostensible- ment dans le mot et l'on a dit choucroute au lieu de soucroute. Décidément l'esprit gâte tout en France.

Une peuplade gauloise, fixée sur les bords de la Sarthe, portait le nom de Cenomanni; le nom de la peuplade, employé à l'accusatif, finit par s'appliquer à sa capitale; la géographie historique nous apprend que la plupart des noms de peuplades gauloises ont fait la même évolution. Cenomannos a devenir régulière- ment, à l'époque le français s'est dégagé du latin, Celmans. Mais voilà qu'on s'est avisé de l'existence, dans la langue commune, d'un adjectif démonstratif cel, qui, ayant une parenté étymologique avec l'article défini le, pouvait facilement en remplir le rôle, et bientôt on a trouvé « spirituel » de dire Le Mans, remplaçant

}2 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

ainsi par une tète postiche le premier élément du nom des Cenomanni, de respectable mémoire.

Nous avons dans notre nomenclature géographique une série de mots composés comme Nagent -le-Rotrou ou Villeneuve-la-Guiard. Ce sont de véritables joyaux linguistiques, se trouvent pour ainsi dire incrustés deux des traits les plus archaïques de notre syntaxe médiévale, l'emploi de l'article avec la valeur d'un démonstratif et celui d'un nom de personne en fonction de génitif sans l'aide d'aucune préposition : ce Nogent, c'est celui de Roîrou, cette Villeneuve, c'est celle de Guiard. Il y a, près de Pithiviers, une petite ville du nom de Beaune, dont le seigneur s'appelait autrefois Roland: c'est que s'est livré, le 28 novembre 1870, un des rares combats de la guerre franco-allemande la fortune ne nous ait pas tout à fait trahis. Or ce nom, nous n'avons pas su le conserver intact : nous ne disons plus, comme nos ancêtres, Beaune-la-RolanJ, mais Beaune-J a-Rolande, tombant naïvement dans les filets du féminisme et ravalant ce beau vocable au niveau de Brive-la-Gail larde.

Je n'ai pu contenir, en terminant ce rapide exposé des conditions dans lesquelles s'effectue aujourd'hui la recherche scientifique de l'étymologie, un mouvement d'humeur contre les ravages de l'analogie. N'ai-je pas eu tort ? Le savant ne dôit-il pas s'incliner avec le même respect devant toutes les manifestations de la vie du

La science étymologique: $$

langage ? Grave question, qui ne se peut traiter au pied levé, et sur laquelle l'accord se fera difficilement, parce qu'elle touche plus peut-être au sentiment qu'à la rai- son. Dans un éloquent article sur les déformations de la langue française, publié il y a quelques années dans la Revue de Paris, M. Emile Deschanel se plaignait amè- rement de l'attitude des philologues en présence de la corruption grandissante de la langue. « Ils acceptent tout sans protester, disait-il. Ils sont comme les natu- ralistes aux yeux de qui les produits hybrides ont leur intérêt aussi bien que les formations régulières. Ou bien, de même que certaines plaies, atroces pour le patient, ne manquent pas d'attrait pour le chirurgien, certains cas de difformité linguistique, monstrueux aux yeux des profanes, n'émeuvent pas autrement ces savants maîtres. » Pour un peu, comme on le voit, l'aimable professeur du Collège de France nous accuserait d'ino- culer les maladies les plus honteuses au langage de nos contemporains, à seule fin de pouvoir faire des expé- riences in anima vili. J'avoue que, pour ma part, je ne saurais pousser la sérénité scientifique jusqu'à un pareil degré. Bien que les ressorts de mon esprit se tendent comme d'eux-mêmes pour chercher à saisir les causes multiples qui transforment le langage, ce n'est pas sans un certain sentiment de tristesse que j'assiste à l'évo- lution qui se poursuit sous nos yeux. Quelle que soit la satisfaction intellectuelle que nous procure l'étude « désintéressée », elle n'empêche pas la mélancolie de nous envahir lorsque nous sentons qu'un peu de nous meurt chaque jour et que ce qui vient le remplacer, même sorti de nous et créé selon le goût de notre Thomas. II. 3

34 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

fantaisie momentanée, ne nous rend pas le charme intime et la douce accoutumance de ce que nous per- dons. L'étymologie est une science, non un art ; nul ne le conteste. Ce n'est pas à elle qu'il appartient de régenter la langue. Mais si l'on a le droit de considérer la langue elle-même comme une œuvre d'art, l'éty- mologie, qui nous fait connaître les conditions dans lesquelles cette œuvre est née et les efforts successifs au prix desquels elle s'est plus ou moins pleinement réalisée, ne peut-elle nous procurer à son tour de déli- cates sensations d'art et ne doit-elle pas nous préserver instinctivement des Qxcbs de tout genre qui peuvent compromettre l'harmonie générale de l'œuvre et en précipiter la ruine ?

II. NOTES CRITIQUES SUR LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE.

Nous ne connaissons directement qu'un petit nombre des noms de lieux usités dans notre pays avant l'an 500 de notre ère. M. d'Arbois de Jubainville a montré, dans ses Recherches sur l'origine de la propriété foncière en Gaule1, qu'il était légitime de s'appuyer sur des textes posté- rieurs pour augmenter la somme de nos connaissances toponymiques, à condition de savoir distinguer dans les noms fournis par ces textes ceux dont les caractères intrinsèques attestent l'antiquité et dont nous pouvons reconstituer la forme primitive. Sans l'induction, les

I. Paris, Thorin, 1890.

La toponymie gauloise et Gallo-romaine $j

bornes de la science seraient singulièrement étroites. Mais il faut induire sagement et en tenant le plus grand compte de la phonétique historique et de ses manifes- tations si variées selon la région qu'on étudie. On peut regretter que M. Holder, dans le monumental Trésor celtique qu'il va bientôt avoir la joie de terminer1, se soit engagé dans cette voie, il lui était difficile d'éviter les faux pas : nous attendions de lui des textes, rien que des textes. Voici quelques notes qui pourront servir de jalons entre la toponymie médiévale et celle des anciens2.

abeillan. Abeillcin, nom d'une commune de l'Hérault, n'est pas mentionné avant 1059, l'on trouve castrum deAbelino, forme manifestement fautive pour Abeliano. Le b provençal postule un p primitif. Nous sommes donc reportés à un type *Apïlianum, du gentilice Apïlius, enregistré par Holder.

achun. Nous ne connaissons pas par les textes la forme du nom d' Achun (Nièvre) avant 1 130 : à cette date on trouve Scadunum. Cette forme est assez carac- téristique pour être placée parmi les noms gaulois composés avec le terme duniim qui doivent figurer dans le Trésor du vieux celtique. La forme primitive peut être soit Scadunum, soit Escadunum (que l'on trouve en 1287), soit plutôt *1 r scadunum, qui semble se rattacher à l'article Isca de Holder.

1. Ces notes ont paru en 1899 et 1901 dans la Revue celtique, XX, 1-16, 438-444 et XXII, 216-226.

2. Alt-celtischer Spracbscbati, publié chez l'éditeur Teubner de Leipzig ; le dernier fascicule paru va de Serina à Teloiiiiiiiu. Nous citons ce recueil par le simple nom de Holder.

}6 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

adissan. H y a dans l'Hérault une commune appelée Adissan, dont le nom n'apparaît qu'en 1323, sous la forme Deyssanum, et un hameau appelé L'Adisse, souvent écrit La Disse r, qui figure dans le cartulaire de Gellone, depuis le commencement du ixe siècle, sous la forme Adicianum. Ces deux vocables actuels ont ma- nifestement la même étymologie. Le d médial remonte nécessairement à un t, ce qui nous reporte à un type latin *Atîcianum ou *Atïttianum. Je ne trouve pas de gentilice exactement correspondant dans Holder; mais j'y trouve Atettius, Atissias, Atiita et Atitto.

ajain. Le nom & Ajain, chef-lieu d'une impor- tante commune de la Creuse, ne pouvait manquer d'être rapproché des noms de lieux gaulois Agedincum et Aginnum. Il n'y a pas lieu de s'arrêter au premier de ces rapprochements, qui ne repose sur rien de sérieux; mais le second doit être discuté. Une monnaie méro- vingienne portant la légende agenno a été attribuée à Ajain2. Je n'ai pas à examiner les raisons numisma- tiques qui ont fait écarter l'identification de Agenno avec Agen (Lot-et-Garonne); mais je puis certifier que l'identification avec Ajain (Creuse) est fausse. Les textes du moyen âge qui mentionnent cette dernière localité l'appellent Agan, Ajain, au xne siècle, Ajan, Ajagn, au

1. Le déplacement de l'accent tonique qui a transformé la forme provençale Adissa, accentuée sur la finale, en Adisse est très récent ; la toponymie méridionale offre beaucoup d'exemples analogues.

2. Cf. Rev. de Numism., ann. 1862, p. 259; Deloche, Monnaies mèrov.du Limousin, p. 80. M. Prou n'hésite pas à attribuer cette pièce à Agen, 2176 de son catalogue des monnaies mérovin- giennes, p. 450.

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE 37

XIIIe, Ajainh, Ajaing, au xive, etc. *. Il est évident que le type gallo-romain doit renfermer un a tonique; d'autre part, pour expliquer la terminaison avec n mouillée, qui est clairement indiquée par quelques-uns des anciens textes, il faut faire appel à la désinence -animii. Je propose de foire remonter Ajain à Acanium, c'est- à-dire à un gentilice employé adjectivement au mas- culin singulier2. Holder a relevé Acania dans une inscription de Rome (Corpus, VI, 2201), et Akanhts dans une inscription de Narbonne {lb., XII, 4378).

J'ai à peine besoin d'ajouter que je repousse de toutes mes forces l'explication du nom & Ajain que vient d'imaginer M. l'abbé S. Dardy, auteur d'un ouvrage récent sur cette localité 3 : d'après lui, « on peut affirmer sans tétnérité que le mot latin Joannes, qui en français signifie Jean, est la racine du mot d' Ajain 4 ».

allassac. Holder donne le gentilice Alacius d'après une inscription trouvée à Oderzo, près de Trévise (Italie), et publiée dans le Corpus, t. V, 1983. L'existence de ce nom dans la Gaule proprement dite est assurée par Allassac (Corrèze), qui représente exac- tement Alaciacum.

1. J'emprunte les exemples aux Notes pour un dictionnaire topogr. de la Creuse, p. p. l'abbé Leclerc dans V Annuaire de la Creuse de 1885: Je dois dire que l'auteur cite parrochia de Ajen en 1201, sans référence : cette graphie est tellement isolée que je la consi- dère comme suspecte.

2. Cf. d'Arbois de Jubainville, Rech. sur l'orig. de la propr. Jonc, p. 347.

3. Ajain (Creuse). Paroisse et séminaire, de l'an 1000 à l'an 1900. Limoges, Ducourtieux, 1902, in-8° de xi-382 pages.

4. hoc. laud., p. 7.

38 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

amboise, ambazac. M. d'Arbois de Jubainville considère Amboise comme représentant un type Am- bactia, cognomen féminin employé adjectivement, dérivé du gaulois ambactos « vassal, domestique, ser- viteur1 ». A cela, Gaston Paris objecte que Amboise, forme relativement récente pour Ambaise, ne peut remonter qu\à Ambatia ou Ambasia, bien que « les plus anciens documents donnent Ambacia » ; il pense en outre qu'il est difficile de regarder Ambacia comme une altération d'Ambactia, car « la brièveté attribuée par Fortunat au second a d'Ambaciensis s'expliquerait bien difficilement dans ce cas 2 ».

L'opinion de Gaston Paris est inattaquable au point de vue phonétique, et des faits qui lui avaient échappé confirment absolument sa théorie. J'emprunte à HoL der les citations suivantes: « Sulp. Sever. dial. 2 (3), 8, 4: In vico Ambatiensi. Paulin. Pétrie, v. Mari. 5, 553: Ambâtïae nomen priscum prior incola dixit. 555 : Ambâtïas ad vicum properat deducere turmas. » La forme Ambatia, qui se trouve dans Sulpice Sévère (fin du quatrième siècle) et ' dans Paulin de Périgueux (cinquième siècle), est la plus ancienne, car Ambacia n'apparaît qu'à la fin du sixième siècle, dans Fortunat et dans Grégoire de Tours ; de plus, elle rend compte de la forme française Amboise. Il ne faut pas hésiter à accepter Ambatia comme le seul type légitime de ce nom de lieu et à repousser Ambactia, forme ima- ginaire, et Ambacia, forme de mauvais aloi.

1. Rech. sur l'orig. de ta propr. foncière, p. 443.

2. Romania, XIX, 475.

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE 39

Du nom de la petite ville d'Amboise, M. d'Arbois de Jubainville a rapproché celui du bourg d'Amba^ac dans la Haute-Vienne qui, pour lui, est un ancien *Ambac- tiacum. La phonétique limousine nous apprend que le nom vulgaire Amba^ac, que nous trouvons tel quel dès le xne siècle1, ne peut avoir pour type ni *Ambactia- cum, qui aurait donné *Ambaissac, comme factionetn a donné faisso, ni Ambaciacum (forme qui se trouve sur une monnaie mérovingienne), qui aurait donné *Am- bassac, comme glaciare a donné gJassar, ni *Ambasiacum, qui aurait donné *Ambaisac, comme basiare a donné haisar, mais seulement et exclusivement * Ambatiaciim .

Si maintenant, sortant du domaine des faits positi- vement acquis, nous cherchons dans l'induction une satisfaction à notre désir de savoir, nous pouvons admettre que Ambatia et Ambaliacum remontent à un gentilice *Ambatius, non attesté, mais appuyé par le cognomen Ambatus dont Holder cite beaucoup d'exem- ples, tous de provenance hispanique.

Lorsque cette note sur Amboisett Amba^ac parut dans la Revue celtique (XX, 1-2), la Rédaction crut devoir la faire suivre d'une apostille ainsi conçue: « Ambatus et Ambactus sont deux notations du même mot celtique *Ambachtos ou *Ambaxtos (x pour 7 grec) ; elles sont dues à des populations qui ne pouvaient prononcer le ch ou •/ celtique et qui ou le supprimaient ou le rem- plaçaient par une autre lettre. » Je ne puis me ranger à cette manière de voir; c'est en quelque sorte le contre-

1. Leroux, Molinier et Thomas, Doc. hist. concernant la Marche et le Limousin, II, p. 4.

40 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

pied de la méthode dont je m'inspire dans toutes ces notices. Quelles seraient donc ces populations qui auraient ainsi supprimé le c ou ch celtique dans ambac- tos ? Mystère. En fait, le gaulois ambactos a été incor- poré de bonne heure dans le latin vulgaire de la Gaule, qui en a tiré le verbe ambactiare, d'où l'ancien français ambacieret ses dérivés (aujourd'hui ambassade, etc., par emprunt aux langues méridionales) ; nous constatons que le c celtique y est traité absolument comme le c latin dans factionem. Donc, il ne faut pas confondre la désinence çYAmbatus (d'où Amboise, Amba^ac) avec celle à'ambactos (d'où ambassade). Dire que Ambatus et Ambactus sont deux notations du même mot celtique me paraît aussi erroné que de voir dans fatus et foetus deux notations du même mot latin.

arcissas. Arcisse est le nom d'une commune de l'Isère et d'un hameau de l'Orne, commune de Corbon. Il y a dans l'Eure-et-Loir un hameau dit Arcisses, commune de Brunelles. Un hameau de la Creuse, commune de Bosmoreau, s'appelle Arcissas et cette forme figure dans le cartulaire de l'abbaye du Palais dès le xiie siècle1. On a identifié Arcisse de l'Orne avec la villa dite Arsicius dans le polyptique de l'abbé Irminon2. La constance de l'orthographe du cartulaire du Palais me fait croire que la forme primitive de Arcissas est * Arcicias et qu'il a existé un gentilice Arcïcius à côté de Arsicius.

i. Bibl. nat., nouv. acq. lat. 225, fol. 15 et suiv. Aujourd'hui l'orthographe flotte entre Arcissas et Arcissat ; la carte du Minis- tère de l'Intérieur porte Archissas, forme fautive.

2. XII, 45, éd. Longnon, p. 172.

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE 41

arlempde, arlende. Arlempdes, comme écrit le Dictionnaire des Postes, ou mieux, comme on le trouve dans les anciens auteurs, Arlempde, est une commune de la Haute-Loire, et Arlende (le Dictionnaire des Postes écrit à la française Arlinde) un hameau de la commune d'Allègre dans le Gard. Nous avons manifestement un doublet, dont la terminaison en e (et non en a ou 0 féminin1) nous reporte à un type primitif qui devait être proparoxton, comme Mirnate (d'où Mendè). Une inscription trouvée à Jonquières (Gard) men- tionne les Ameinetici, c'est-à-dire les habitants d'un lieu dit * Arnenielum, mot dont le caractère et les élé- ments gaulois sont bien clairs2. La forme romane primitive prise par * Arnenietum doit être nécessaire- ment * Amande. Elle se trouve effectivement, appliquée à une locaHté de l'Hérault voisine d'Aniane il y a eu de bonne heure une chapelle de la Vierge: S. Maria de Amanpdis (1146), S. Maria de Amendes (1154), mais elle n'a pas vécu jusqu'à nos jours 3. Je n'hé- site pas à reconnaître dans Y Arlempde de la Haute-Loire et Y Arlende du Gard des représentants du gaulois * Arnemetum. La dissimilation de rn-m (devenu rn-n) en rl-n rentre dans la loi 6 de M. Grammont •*. Cet auteur déclare que la loi en question est fort peu

1. Pour le Gard j'ai le témoignage de Mistral; pour la Haute- Loire, je citerai des textes de 121 5 et 1248 qui écrivent Arlemde (Chassaing, Cari, des Templiers du Puv, nos 15 et 27).

2. C. I. L., XII, 2820, dans Holder.

3. D'après Eug. Thomas, Dict. top. de l'Hérault, cette localité s'appelle aujourd'hui Saiiile-Marie d' Ame-Vieille.

4. La dissimilation consonanlique, p. 36.

4? GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

représentée, et il ne connaît guère que Saint-Soriin, pour Saint-Somin. On peut mentionner les cas sui- vants dans la nomenclature'géographique : Borlboiicle, qui se trouve en 1337 pour Boumonch (Haute-Loire) J ; Châieau-Chalon (Jura), de Castellum Carnonis; Car- lencas (Hérault), autrefois Carnencas ; Doit liens, pour Dourlens, de Dornincum2 ; Eperlon, forme fréquente au moyen âge de Epernon (Eure-et-Loir) ; Lorlanges (Haute- Loire), appelé Lu^ernanjas en 1267 3 ; Pluberlin (Mor- bihan), pour Pluhemin, au ixe siècle Plebs Hoiernin*.

autoire, le toy. Autoire est une commune du Lot ; Le Toy est une commune de la Corrèze limi- trophe de la commune de Viam et appelée officielle- ment Le Toy-Viam. Au point de vue historique, il est certain que Le Toy, dit Le Thoueyre en 1598, est identique à Altoire, église donnée à l'abbaye de Tulle en 1085 par un vicomte d'Aubusson s : par conséquent, au point de vue linguistique, Autoire et Le Toy forment un doublet. Or l'ancienne forme romane Altoire ne peut remonter qu'à un type gaulois ou gallo-roman * Altoàurum, qui manque dans Holder mais qu'on peut y inscrire en toute confiance.

auzances. Alliances est le nom officiel d'une

1. Chassaing, Spicil. Brivat., p. 322.

2. Cf. ci-dessous l'art. Doullens.

3. Chassaing, Spic. Brivat., p. 119.

4. Cf. Revue Celtique, XI, 144.

5. Voy. Champeval, Le Bas-Limousin seigneurial et religieux, p. 319. L'auteur explique Altoire, en le décomposant en Al Toire, par « fontaine ». Je ne sais pas pourquoi il attribue à toire le sens de « fontaine », à moins qu'il n'y voie le prov. mod. touire « conduite d'eau ».

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE 45

petite ville de la Creuse qui devrait s'écrire Ausancc, comme en témoignent les textes. Le plus ancien exemple connu de ce mot (1195) se présente sous la forme Alsancia ï ; mais Y s ayant un son doux (noté aujourd'hui par ^), il est matériellement certain qu'une voyelle a disparu entre / et s. Le type primitif est sûrement * Alcsantia ou * Alisantia, dont le thème et la désinence portent également la marque gauloise. Le même nom nous est offert par une rivière du Poi- tou, Y Alliance, mentionnée en 929 (fluvius Alsancia), et par un village qu'elle arrose, Au^ance, commune de Aligné (Vienne). Il y a dans l'Aveyron une com- mune dite Alrancc, arrosée par une rivière épo- nyme, affluent du Tarn (rive droite) : l'ancienne forme Alsan^ca, qui figure, appliquée à la rivière, dans le cartulaire.de Conques (p. 16), nous ramène tou- jours au même type. Il est probable que le ruisseau, affluent du Cher, qui arrose Auzances (Creuse) et qu'on appelle aujourd'hui le ruisseau de l'Étang- Neuf, portait autrefois ce nom de * Alcsantia ou "'Ali- santia, et que la ville le lui a emprunté2.

balledent. Holder enregistre les noms de lieux Balaicdo, Balatonium et Balatonna. Or, il y a dans le département de la Haute-Vienne une commune qui s'appelle Balledent ; son nom ancien ne nous est connu

1. Tardicu et Boyer, Hist. d'Alliances et de Crocq, p. 24. Les auteurs se demandent si Alliances doit être décomposé en aux Anses, ou s'il vient du nom d'un capitaine romain, Auxentius.

2. Le Rance, affluent du Tarn (rive gauche), est appelé aussi Alsanza dans le cartulaire de Silvanès, 171 (communiqué par M- Ch. Poinssot).

44 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

que par des documents du douzième siècle qui l'écri- vent Balaâen1, Balladen'1 ou Baladent 3. Personne n'aura l'idée que Baladen puisse être un composé roman de balar (danser) et de den ou dent (dent) comme Bramajam, Cantagrel, etc. Il est probable que le type primitif est * Balatenno, avec la désinence que nous retrouvons dans Serotenno, aujourd'hui Sardent (Creuse). L'affaiblissement de / médial en à est nor- mal dans la région de la Haute-Vienne; de part et d'autre on remarque que la graphie a subi l'influence analogique du nom commun dent qui n'a certaine- ment rien à voir avec l'étymologie.

bazelat. Une commune de la Creuse, qui porte aujourd'hui le nom de Ba%e]at, est appelée Bala~ac dans un texte de 1257 conservé en original aux Archives départementales de la Creuse*. Bazelat est sorti par métathèse de * Bale^at, forme légèrement francisée qui correspond à l'ancien vocable Bala^ac. Cet ancien vocable se retrouve dans le nom d'une commune du département d'Ille-et-Vilaine, Bala~c, près de Vitré. Le type commun doit être * Balatianini, dérivé d'un gentilice * Balatiits'>. Ce gentilice n'a rien en soi d'invraisemblable : on trouve Balatulla, nom de femme, à côté de Belatulla, plus fréquent. De

1. Cartulaire d'Aureil, charte 127.

2. Ibid., charte 320; Leroux, Molinier et Thomas, Doc. hist. concernant la Marche et le Limousin, I, 137.

3. Cartulaire d'Aureil, charte 124.

4. Sous la cote H 258.

5. Le nom de lieu Baladitiago, qui figure dans la charte 4 du cartulaire de Conques et que l'éditeur identifie au hasard avec Barriac, paraît avoir un thème différent, soit* Baladit'ms.

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE 45

même que Cintiillus et Cintius coexistent, il est naturel que * Balatius ait existé à côté de BaJatiilla.

bexassay. Le nom de Benassay, dans la Vienne, apparaît dans les textes en 889 sous la forme Bena- ciacum. Donc, il serait imprudent de le confondre avec le type Bannaciacum, qui figure sur des monnaies mérovingiennes du septième siècle et qui se retrouve aujourd'hui dans Banassac (Lozère et Creuse), dans Banassat (Creuse, nom de deux hameaux) et proba- blement ailleurs. Un a entravé ne se change pas ainsi en e au neuvième siècle. Il me paraît donc légitime de supposer un gentilice gaulois * Bcnacius, qui fait songer au fameux lac Benacus de la Cisalpine.

billanges (les). Les Billanges est le nom d'une commune de la Haute-Vienne. Dans ce mot les deux / sont une superfétation ; on prononce sans mouille- ment, et les anciens dictionnaires géographiques, par exemple celui de Masselin (1827), écrivent Les Bilanges. L'article les s'est introduit dans ce nom, comme dans Ix Blanc, Le Mans, etc., par étymologie populaire : la forme ancienne est Aubilanges, au com- mencement du treizième siècle Albilanges1. Le type gallo-romain est probablement * Albillanicos, formé du cognomen Albillus, par addition du suffixe composé -anicus (-anus -f- -icus) 2 . M. d'Arbois de Jubainville a

1. Un moine de Saint-Martial nommé A . d' Albilanges figure dans une liste dressée par Bernard hier (Cbron. de Saint-Martial, p. p. Duplès-Agier, p. 283).

2. On pourrait songer aussi à *Albinanicos, du cognomen Albi- nus, d'où Albilanges serait sorti par dissimilation; mais c'est moins probable. En tout cas la désinence romane, confirmée par

46 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

cité une série d'exemples de formation analogue, mais offrant tous des désinences en -ianiciis, -ianicas : il les considère comme dérivés de cognomina en -anus, dérivés eux-mêmes de gentilices en -tus1. Dans * Albil- lanicos il ne peut être question de gentilice en -tus, pas plus que dans Gordanicos (cognomen Gordus), d'où Goudargues (Gard). Je remarque d'ailleurs que Sauxil- langes (Puy-de-Dôme) n'a pas plus d7 mouillée que Les Billanges et se rattache au cognomen Celsinus, et non au gentilice * Celsinius, comme le croit M. d'Ar- bois de Jubainville.

blaudeix. Holder a relevé chez Strabon et chez Etienne de Byzance le nom d'une ville de Phrygie dite BXa05o;. Le caractère gaulois de ce nom me paraît confirmé par l'existence, dans le département de la Creuse, d'un chef-lieu de commune appelé Blaudeix, autrefois siège d'une commanderie de l'ordre du Temple. Pour rendre raison du nom de Blaudeix, écrit Blaudeis en 1282 2, je ne vois guère d'autre type possible que * Blaudiscum >. Presque tous les noms de la Creuse qui se terminent aujourd'hui en -eix reposent sur des types gallo-romains munis du surfixe -iscus. Par exemple, Le Jourdaneix, hameau d'Arrènes, est appelé au douzième siècle Jordaniscum dans les

la forme actuelle du patois, montre qu'il faut partir de -anicos, et non de -anicas.

1. Recherches, p. 569 et s.

2. Arch. dép. de la Haute-Vienne, fonds de l'évêché, car- tulaire O Domina, 70 v°.

3. La forme romane la plus ancienne a être * Blaudesc ; il n'est pas impossible qu'elle se soit réduite à Blaudeis dès la fin du treizième siècle.

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE 47

textes latins et Jordanesc dans les textes romans '. Mais Blaudos est-il un nom d'homme comme Jordanes, ou faut-il attribuer ici au suffixe -iscus la même valeur que dans Angcriscus (Indivis), qui sera étudié plus loin ?

chadreugnat. Chadrcugnat est le nom officiel d'un hameau de Lafat (Creuse), écrit quelquefois Cha- drugnat. Jadis on écrivait Chadonrgnal2, pour Cha- dourgnac, forme actuelle du nom d'un hameau de Thiviers (Dordogne), représentant normal d'un type gallo-romain Caturniacum : on sait qu'il y avait un vicus Calurniacus au territoire de Veleia dans la Gaule Cisalpine. Ce Calurniacus suppose un gentiliee *Caturnius, d'après un cognomen *Caturnus. Le fémi- nin *Calurna est représenté par Chadourne, communes de Rilhac-Treignac (Corrèze) et de Lunas (Dor- dorgne), etc., et par Cadourne (Gironde) î; il est pos- sible que le masculin *Calurnus doive être reconnu dans Cadour (Aveyron) et Cadours (Haute-Garonne).

chambezon. Chambe^pn est le nom d'une commune de la Haute-Loire, canton de Blesle, arrondissement de Brioude. La forme la plus ancienne de ce nom est Chambedon, qui figure au douzième siècle dans le car- tulairc de Sauxillanges4. Les textes postérieurs donnent Cbambe^on et Chambexp, avec chute de Yn finale. Le type peut être *Cambidonum, *Cambedoniini, *Cambidonem ou *Cambedonem 5 ; mais la saine phonétique interdit d'y

i. Cartulaire de Bénévent, Bibl. nattât. 171 16, fol. 95.

2. Répartition de la taille pour 1727 (Arch. Creuse, C 23).

3. Cf. Revue Celtique, XX, 94.

4. Cf. Romania, VI, 263.

5. Cf. la forme Cervedone l'ablatif) employé par FortutKt ;our Cervon (Nièvre).

4S GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

voir soit Cambodunum, soit Cambidonnum. Le même nom paraît se retrouver dans Chambéon (Loire), qui figure plusieurs fois dans le cartulaire de Savigny sous la forme adjective Cambeldonensis , Cambedonensis.

chambonchard. Chambonchcird est le nom d'une commune du canton d'Évaux (Creuse), située sur le Cher1. Adémar de Chabannes mentionne le château de Chambonchard, castellum Camboncarem2. Il est évi- dent que c'est un mot composé, dont le dernier élé- ment est le nom de la rivière du Cher sous sa forme indigène Char, conforme à l'appellation gauloise Caris 3 . Le premier élément est Cambon, et non Cambo, comme le dit Holder, qui a un article Cambo-caris, et qui imprime Chambouchard , au lieu de Chambonchard. Il ne m'appartient pas de décider si cambon peut être un substantif et si Camboncaris peut signifier en gaulois « courbure du Cher » ; toujours est-il qu'aux environs de Chambonchard le Cher forme effectivement un coude assez prononcé du Sud-Est au Nord-Ouest.

chantrezac, chantrigné. Chantre^ac, nom d'une commune du département de la Charente, figure dans

i. On trouve la forme francisée Chantboncher dans une assiette d'impôts de 1357 (Leroux, Molinier et Thomas, Doc. hist. concer- nant la Marche et le Limousin, II, 31).

2. M. Chavanon, p. 150, imprime Canboncasem d'après le ms. latin 5927, mais c'est une mauvaise leçon. Le ms. 5926 porte correctement Canboncarem. Une faute typographique a trans- formé le mot en Cambonéarem dans la Chronique de Bernard Itier, telle que Ta publiée Duplès-Agier, p. 41.

3. Cette rivière prend sa source dans la commune de Chard (Creuse) et, dans les premières communes qu'elle arrose, elle s'ap- pelle le Char. Naturellement, le d de Chard est une fantaisie caco- graphique moderne.

La Toponymie Gauloise et gallo-romaine 49

la chronique d'Adémar de Chabannes sous la forme adjective Cantreciacensis eccksia l. Holder enregistre *Cantriciacum et voit une contraction pour *Canta- riciacum ou *Cantericiacum, dérivé d'un gentilice *Can- kr ictus. Ces hypothèses manquent de base phonétique. La forme vulgaire Chantre^ac, avec son % représentant s sonore, prouve que la graphie Cantreciacum est pour *Canlreliacum. Il faut admettre un gem'ûïœ *Cantretius, dérivé de Cantrius. Ce dernier nous est conservé par mainte inscription ; quoique aucune n'appartienne à la Gaule, M. Holder enregistre Cantrius et Cantrus; il doit avoir de bonnes raisons pour cela. Un autre dérivé de Cantrius doit être *Cantrinius, d'où le nom de lieu *Cantriniacum, représenté aujourd'hui par Chantrigné, commune de la Mayenne.

chassendei Dans la commune d'Ours-Mons (Haute-Loire) existe un terroir du nom de Chassende. Il est mentionné dans une charte de 1254, ou Chassaing l'a lu Chasseinde2 : j'étais porté à priori à rectifier la lecture en Chassemdei, lorsque ce qui n'était qu'une hypothèse est devenu une certitude pour moi. En effet, je m'avise que dans une charte de 1294, publiée par le même éditeur, on lit Cbassempdc^; Chassaing n'iden- tifie pas, mais il est hors de doute qu'il s'agit du même terroir. La forme primitive doit être *Cassimate ou

1. J. Lair, Eludes critiques, II, 143.

2. Cari, des Templiers du Puy (1882), charte 29.

3. Une faute de lecture analogue se trouve dans la charte i< le mot provençal esems (ensemble) est transformé en esenis,

4. Cari, des Hospitaliers du Vtlay (1888), ch. 59.

Thomas. II. 4

$0 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

*Cassemate, analogue à Mimate, Mende, Brivate, Brioude, etc., avec l'accent sur l'antépénultième.

cordes. Il ne s'agit ici ni de Cordes (Tarn), ni de CW«-Tolosane (Tarn-et-Garonne), dont le nom est emprunté à Cordoue d'Espagne, mais d'un hameau de la commune de Bains (Haute-Loire). Dans des chartes du commencement du xme siècle le nom de ce hameau oscille entre Cornde, Corde et Conde1 ; la forme primitive doit être Cornate. Holder a inscrit ce mot comme nom ancien de Cornas (Ardèche) : il faut donc qu'il ait existé concurremment un Cornate accentué sur l'a (d'où Cornas) et un Cornate accentué sur l'o (d'où Cordes).

darnac. La forme romane la plus ancienne du nom de la commune de Darnac (Haute- Vienne) est Adernac2. Cette forme nous reporte clairement à un type * Aternacum ; l'affaiblissement de / médial en d est normal dans cette région. Or, Holder enregistre Ater- nos, mais pour faire remarquer que c'est un nom latin 3. A-t-il raison ? En tout cas, Aternus a été en usage en Gaule comme nom d'homme, puisque le nom de lieu Aternacum en a été formé 4.

i. Chassaing, Cart. des Templiers du Puy, nos 13, 15, 17, 18, 19.

2. Un Johannes d' Adernac figure comme témoin dans une dona- tion faite vers 11 20 à la Maison-Dieu de Montmorillon, Bibl. nat. lat. 18399, ?• 402-

3. On sait qu'une ville du Samnium s'appelait Aternum, et qu'il y avait, en Italie un fleuve dit Aternus.

4. La charte 112 du cartulaire de Brioude mentionne une loca- lité du nom d'Adarnacum qui n'a pas été identifiée. Il y a dans la Creuse, commune de Saint-Sylvain-Bas le-Roc, un hameau appelé

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE $t

doullens. On tire ordinairement Doullens de Donincum, qui figure au dixième siècle dans Flodoard. Mais il est impossible de négliger la forme concurrente Dourlens, dont Doullens est un adoucissement analogue à celui de Charlon en Challon, Chalon, dans Château- Chalon, à celui d'Aumarle en Aumale, etc. Or, le manuscrit de Montpellier utilisé par Pertz pour éditer Flodoard porte, paraît-il, Domincum et non Donincum1. La correction de Domincum en Domincum arrangerait tout. J'ai réuni plus haut, à l'article Arlempde, des exemples qui mettent en lumière la filiation de Dour- lens par rapport à Domincum.

essouvert. Une forêt de la commune de La Chapelle-Baton (Charente-Inférieure) s'appelle Essou- vert. Elle est nommée, dans la charte 313 du cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers, Exolvemus silva. Il est difficile de ne pas voir dans *Exolvemos un nom gau- lois, dont le dernier élément serait vemos, aune.

eymoutiers, hains, hem. Le nom gaulois Agent um se retrouve aujourd'hui dans trois noms de lieux d'as- pect très différent: Le Bourg à' Hem (prononcé LeBour- dari) dans la Creuse, Eymoutiers, dans la Haute-Vienne 2, et Hains, dans la Vienne. Holder n'a relevé que Agent i monaslerium, d'où Eymoutiers, autrefois Aenmostier. Adémar de Chabannes veut parler d'Eymoutiers quand il dit « monasterium Sancti Stephani Agentense » ou,

Damât ; il est possible que ce nom ait la même ctymologie que le Darnac de la Haute- Vienne.

1. Cf. Revue Celtique, XVIII, 246.

2. Il y a aussi un Eymoutiers dans la Charente, mais je ne sais quelle en est Pétymologic.

Si GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

plus simplement, « ecclesia Agento » l. C'est aussi Eymoutiers qui est appelé Agetttum dans un acte du 8 août 959, publié parle Gallia christiana1 . Au dixième siècle également, nous "avons la forme Agentum, qui devient plus récemment Haentum, et, en langue vul- gaire, Aent, pour désigner Hainsî. Enfin Hem, dans la Creuse, est appelé, depuis le treizième siècle, Ahentum*, en latin, et Ahents, en langue vulgaire. On trouve même Aentensis ecclesia et ecclesia de Aento appliqués à Ayen (Corrèze), mais la forme ordinaire est ecclesia de Aenno, qui remonte à Agennum6.

gorce. Le nom de lieu Gorce est extrêmement répandu dans le massif central de la France et déborde même un peu vers le Sud-Ouest. Employé au singulier ou au pluriel, avec ou sans article, écrit par c ou par s, francisé ou resté provençal dans sa désinence du pluriel (Gorce, Gorse, Gorses, Gorsas, Les Gorces, Les Gorceix, Lagorce, etc.), il s'étend sur plus d'une quin- zaine de départements : Ardèche, Aveyron, Cantal,

i. Édit. Chavanon, p. 158 et 172. L'éditeur a bien reconnu qu'il s'agissait d'Eymoutiers à la p. 158, mais à la p. 172 il a cru que Agento désignait Ahun (Agedunum). Le prepositus Aintensis qui figure dans une charte de 1 108 publiée par M. Alfred Leroux (Chartes, clironiques et mémoriaux , p. 25) est un prévôt d'Eymou- tiers et non d'Ayen.

2. Tome II, instr., col. 168-169.

3. Redet, Dict. top. de la Vienne.

4. Pouillé du diocèse de Limoges conservé aux archives de la Creuse ; charte de 1282 aux archives de la Haute-Vienne, fonds de l'évêché, cartulaire O Domina, 70, v°.

5. Assiette d'impôt de 1477 aux Arch. nat. P. 1363, cote 1241.

6. Leroux, Chartes, chroniques- et mémoriaux , p. 30, 31, 32, 34, 35. 36> 57, 33, 39. 40, 41, 42, 43> 44, 45, 46 et 47.

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-POMAINE 5)

Charente, Charente-Inférieure, Corrèze, Creuse, Dor- dogne, Gironde, Indre, Haute-Loire, Lot, Lot-et- Garonne, Puy-de-Dôme, Vienne et Haute-Vienne. Il a à côté de lui, comme diminutif, Goursole, qu'on trouve dans la Charente, la Corrèze, la Creuse, la Dordo- gne, etc. Le plus anciennement mentionné de tous ces lieux serait Gorses, chef-lieu de commune du Lot, qui figure, appelé Gardas, dans une charte de 755, si ce document était authentique; malheureusement le document a été fabriqué, au onzième siècle probable- ment, par les moines de Figeac, qui l'ont mis sous le nom de Pépin le Bref. Ce faux importe peu, à notre point de vue. Il est certain que Gorce (avec 0 ouvert) ne peut venir que de *Gorcia ou *Gortia1. Or, dans une partie de la région sur laquelle s'étend le nom pro- pre qui nous occupe (Creuse, Corrèze, Haute-Vienne, Indre, etc.), on emploie aussi le nom commun gorço, gorce, avec les sens de « haie vive, haie sèche, buisson, lieu rempli de mauvaises herbes ou de décombres, châ- taigneraie2 ». Il est évident que les deux séries n'en font qu'une et il est probable que nous devons y reconnaître le celtique *gorlo-, allongé à l'aide d'un suffixe latin en *gortia. Mistral a donc raison, en

1. C'est ce que montre, par exemple, le 1 de lu forme Gor\a, qui figure, vers la fin du onzième siècle, dans la charte 239 du Cartulaire de Vigeois.

2. Cf. mes Mélanges d'étym. fr., p. 86, art. gource. Le sens de « châtaigneraie » existe effectivement dans le Nord de la Creuse, spécialement à Crozant (communication de M. Blanchet, institu- teur-adjoint).

54 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

somme, de rapprocher le limousin gorso du bas-breton gatx « haie » r.

l'indre et l'indrois. Ulndrois est une rivière qui se jette dans l'Indre à Azay-sur-Indre (Indre-et- Loire). Quelques-uns écrivent Indroye, au lieu de Indrois2; mais c'est une fantaisie moderne. Les an- ciennes formes du nom de cette rivière sont : Andreis, Androsius, Andriscus, Anderiscus, Angeriscus, Angelis- cusi. On sait que le nom primitif de l'Indre est Anger 4: la bonne orthographe du mot français serait Aindre, comme ceindre, de cingere, ou l'ancien verbe fraindre, de frangere. Il est clair que le nom de VIndrois est dérivé de celui de YIndre au moyen du suffixe -iscus, -iscos s. On peut inscrire sûrement Angeriscos dans le Trésor du vieux gaulois. Il ne faut pas hésiter non plus, il me semble, à voir dans ce suffixe -iscos un suffixe diminutif identique au suffixe grec -(oxaç. Le rapport sémantique de Indrois à Indre est manifestement le même que celui de Loiret à Loire et de Petite-Creuse (au moyen cage Crosetd) à Creuse, etc. Que les celtisants fassent leur profit de cette très simple observation6.

i. Le nom de la célèbre abbaye de Gorxe, près de Metz, énoncé Gortia en 793, doit avoir la même étymologie.

2. Notamment La Grande Encyclopédie.

3. Mabille, Notice sur les divisions territoriales de la Tour aine (Paris, 1866), p. 162.

4. Super fliivium Angerem, Grégoire de Tours, Vit.patrum, 18, 1.

5. La désinence -iscus donne régulièrement en français -ois et plus récemment -ais Exemples : dais, anciennement dois, de disais.

6. Comparez ce que dit du suffixe -iscos M. d'Arbois de Jubain- ville, p. 546 et suiv. de ses Recherches sur l'origine de la propriété foncière.

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE j{

leigne. Une commune et un hameau du dépar- tement de la Vienne portent le nom de Leigne, au onzième siècle Lemnia. Holder a relevé le cognomen Lcninus dans une inscription de la Grande-Bretagne, Corp. inscr. lai., VII, 41. Lemnia semble attester l'exis- tence d'un gentilice *Lemnius qui, employé adjecti- vement au féminin, aurait donné naissance au nom de lieu Leigne.

loin. Loin, nom d'une ferme, commune de Savigné (Vienne), se présente au moyen âge sous les formes Leu (1 172), Leum (1195), Lehnn (1395), Lohun (1482), etc.1. Il me paraît infiniment probable que le nom primitif de cette localité est Lugudunum .

loudun. Holder considère le nom de Loudun (Vienne), qu'il place, par un fâcheux lapsus, en Bour- gogne, comme représentant le gaulois Lugudiiniun, et cette opinion a être émise plus d'une fois avant lui. L'examen des anciennes formes du nom de Loudun ne confirme pas cette manière de voir2. Je ne crois pas qu'il faille faire grand fond sur le Castro Lauduno d'un diplôme de Charlemagne (800), ni sur le vicaria Lau- domensis d'un diplôme de Charles le Chauve (849), ni sur le vicaria Lugdunensis de la pancarte noire de Saint- Martin de Tours (904). Voici les formes qui me pa- raissent décisives: Laucidunensis (895), Laucednneiisis (970), Laucidunensis (976), Lausdunensis (977, 985), Lau^dunensis (vers 1000), Losdunum (1059), Lausdu- num (ioéo), Laitcidnnum (1062). Pourquoi ne pas

1 . Redet, Dict. top. de la Vienne.

2. Je les étudie exclusivement dans Redet, op. laud.

56 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

admettre que Loudun a porté à l'époque gallo-romaine le nom de *Laucidunum ? Ce nom manque dans Holder ; mais on y trouve le cognomen Laucus. DeLauciduiiinu on peut rapprocher Baridunum, Congidunum, Lugidu- num, Muridunum, Singidunum, etc.

luthenay, lonnac, LOUCÉ. Luthenay dans la Nièvre ne figure pas dans les textes avant le xme siècle : il y est appelé Lothenayacum, Lothenayum. On peut sûrement restituer la forme primitive : *Luttenacum ou *Lutten- nacum, laquelle est aussi postulée par Lonnac, commune de Sanssat-L'Eglise (Haute-Loire), au moyen âge Lot- nac1. Il faut donc inscrire le gentilice *Luttennus à côté de Luttius, dont Holder donne deux exemples2. Les anciennes formes, qui ont un o à la syllabe initiale ?, montrent que dans *Luttennus Vu était bref; il en était nécessairement de même dans Luttius. Or, *Lùttiacum offre une base excellente pour expliquer Loucé, dans l'Orne. M. d'Arbois de Jubainville propose, il est vrai, *Lûcciacus 4; mais en présence des innombrables repré- sentants de Lûcciacus ou Lûciacus, j'ai bien des doutes sur la légitimité de cette hypothèse.

maine (le), mans (le). C'est à Jules Quicherat que revient le mérite d'avoir expliqué pourquoi nous

i. Chassaing, Car t. des Templiers du Puy, ch. nos 14 et 25.

2. Sur le suffixe -£««5 ou -ennus, voy. d'Arbois de Jubainville, Rech., p. 449.

3. La forme moderne Luthenay offre une restauration savante de Vu primitif; même phénomène dans Lubersac (Corrèze, Lot- et-Garonne) et Lupersat (Creuse), qui s'écrivent au moyen âge Lober^ac et viennent de Lfiperciacum.

4. Rech., p. 260,

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE 57

disons Le Mans, avec l'article, en parlant du chef-lieu de la Sarthe l. Le nom du peuple gaulois des Cenomanni est devenu Celomanni par dissimilation, d'où *Celmans, qui a être la forme romane primitive. Puis, la pre- mière syllabe a été confondue avec le démonstratif cel et remplacé par l'article lo, le. Il n'y a pas à revenir là-dessus. Ce que je veux faire remarquer, c'est que Le Mans remonte à Cenotnannis avec deux n, car si le type étymologique n'avait eu qu'un seul n, il aurait abouti à *Le Mains. Holder a donc raison d'instituer deux articles distincts, l'un pour les Cenomani de la Cisalpine, l'autre pour les Cenomanni de la Transalpine.

Dans le texte de son Atlas historique de la France, p. 102, M. Longnon écrit : « Le nom vulgaire Le Maine ne dérive pas du vocable latin Cenomanicum, mais de la variante Cenomania ». Je ne comprends pas pourquoi M. Longnon excommunie ainsi le suffixe -ienm, à qui l'on doit la formation de tant de noms de provinces : A uvergne, Châlonge, Comminge, Médoc, Périgord, Rouer- gue, Saintonge, U^êge, Velay, de Arvernicum, Catalau- nicinn, etc. Tous ces noms sont masculins à l'origine, et le sont restés, sauf Auvergne et Saintonge2. Maine peut remonter à \Ceno\mannicum, au même titre que domaine a dominicum. M. Longnon admet lui-même que Langoine, que l'on trouve une fois, au treizième siècle, pour désigner la province de Langres, vient de Lingo-

1. Traité de la formation des noms de lieux, p. 24.

2. Saintonge, écrit Centonge, est masculin dans les poésies de Bertran de Born ; et je me souviens d'avoir entendu dire le Sain- tonge dans la Creuse. Pour l'Auvergne, l'ancien genre semble avoir disparu complètement de nos jours.

Ç8 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

nicum, et que Touraine, primitivement Toroine, Toroigne, représente Turonicum*.

meilhan. Le nom celtique Mediolanum est repré- senté aujourd'hui en Gaule par des formes multiples-. Comme il est certain historiquement que Château- Meillant (Cher) est un ancien Mediolanum, M. Longnon admet comme probable la même origine pour Meilhan (deux dans le Gers, un dans le Lot-et-Garonne, un dans les Landes) et Meillan (Gironde et Haute-Ga- ronne) 3. Mais il faut remarquer que dans le Midi de la France le représentant normal de Mediolanum est Meylan (Isère et Lot-et-Garonne), comme celui de baiulare est bailar, c'est-cà-dire que le provençal ne connaît pas le mouillement de / que le français présente à la fois dans baillier et dans Meillant ou Moilliens. Il est donc plus indiqué de considérer Meilhan, Meillan, comme ayant la même origine que Mcilhac (Haute- Vienne), Meillac (Ille-et-Vilaine, Basses-Pyrénées), Mg///)'(Côte-d'Or, etc.), c'est-à-dire un gentilice Mf//«.r, Maelius ou Mellius, peut-être même Almïlius, suivi du suffixe -anus.

monceaux, mussidan. Dans son Dictionnaire topo- graphique de la Dordognc, le baron de Gourgues a eu la

i. Atlas, p. 9$ et 101. L'emploi de Touraine au féminin dans la Vie de saint Martin de Peain Gastineau (Tote Toroinne, 6409) peut faire songer à Tnronia ; mais l'hypothèse d'un changement de genre, a l'apparence féminine de la désinence française, peut se défendre.

2. Cf. Longnon, dans Revue Celtique, VIII, 375 et s. La liste donnée par Holder est dressée sans critique.

3. hoc. laud. Mistral a aussi la même manière de voir dans son Trésor, art. Meitan.

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE yj

fâcheuse idée de supposer que le lieu appelé Mulsédo- num dans la Vie de saint Géraud d'Aurillac pourrait être Mussidan. Il a eu beau mettre un point d'interro- gation ; l'erreur a fait son chemin. J. Quicherat a trans- formé, par amour de l'art, Mulsédonum en *Mulsedu- iiitm1, et M. Meyer-Lûbke lui-même ne doute pas2 que *Mulsediinum ait pu aboutir à Mussidan. Or, Mus- sidan est en ancien provençal Moissida, avec l'accent tonique sur la finale, qui est devenu aujourd'hui dans le patois local, avec déplacement d'accent, Mouissido. M. Meyer-Lûbke est aussi convaincu que moi, j'en suis sûr, qu'un d intervocalique, dans la région du Périgord, provient infailliblement d'un / primitif et que Mussidan ne peut que s'être appelé, à l'époque gallo-romaine, *Moscïtanum, *Moxîtanum, *Muscitanum ou *MuxitUnumi. Comment s'appelle aujourd'hui la localité que le biographe de saint Géraud désigne par le nom de Mulsédonum ? Il y avait en Limousin, au dixième siècle, un Mulsédonum, lequel est aujourd'hui Monceaux, orthographe barbare qui a remplacé le Molseo du moyen âge. Ce Monceaux, situé près d'Argentat (Corrèze), n'est pas tellement loin d'Aurillac qu'il ne puisse se prêter à l'identification.

nalèches. Nalêches est un hameau de la commune de Moutier-Rozeille (Creuse), dont le nom n'est pas

i. Giry donne aussi « Mulcedomim pour Mulccdiiiiuin » comme nom ancien de Mussidan, dans son Traité de diplom., p. 383, d'après J. Quicherat.

2. Die Betonung itn Gallischen, p. 33 et 34.

3. Adémar de Chabannes tire du nom de Mussidan l'adjectif Moxedancnsis,

60 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

mentionné dans les documents du haut moyen âge. La chute d'un a initial est si fréquente dans la région, qu'il est très vraisemblable que Nalèches, en patois Nalekhas, autrefois Nahschas, remonte à un type *Ana- Uscas, comme Naillat remonte à Analiacus, qui figure sur une monnaie mérovingienne. Le suffixe féminin -isca n'est pas rare dans la Creuse. On peut citer notamment Barbonéchas (*Borboniscas), La Fanconèche (*Falconisca), Fransèches (* Francisais), Goudenaiche (*Gotoniscas), Ja- lèches ("Galliscas), La Martinèche (*Martinisca) T .

nèoux. Néoux est une commune voisine d'Au- busson (Creuse) appelée au moyen âge en latin Neo- niinm, en roman Neom, Nehom. Je crois qu'on peut y reconnaître le nom gaulois très répandu Noiùoinagus, Noiomagus. La dissimilation de no en ne sous l'influence de la tonique est un fait normal : cf. Leroux de Lodo- suin. Quant à la disparition de Vi semi-consonne, on la retrouve dans Nouan, Nohant, représentants actuels de Novientum, comme me l'affirme M. Longnon.

neufjours. Neufjours est le nom officiel d'un hameau de la commune de Chaveroche (Corrèze), autrefois siège d'un prieuré. M. Champeval nous apprend que ce lieu est dit au xve siècle de Novem diebus, mais il ajoute : « latinisation dite savante, ayant amené francisation non moins sotte, au préjudice de la vraie forme originaire Nueiols, 1 542 2 ». M. Cham- peval a bien raison de voir dans Nueiols, c'est-à-dire

1. Cf. d'Arbois de Jubainvillc, Rech., p. 547 et s.

2. Le Bas- Limousin seigneurial et religieux, Limoges, 1897, P- 274-

LA TOPONYMIE GAULOISE ET GALLO-ROMAINE 61

Kuéjols, la forme légitime; mais nous ne saurions le suivre quand il dit un peu plus loin : « latinisation savante de quelque nevejous, nivosus1 ». La même com- mune de Chaveroche a un village,, autrefois chef-lieu de paroisse, du nom de Ventêjoux, dont M. Champeval ne donne pas de forme ancienne. Le dictionnaire de Masselin (1827) écrit Ventejols : c'est le même nom que Venteuge (Haute-Loire), Venteujol (Cantal), Venteuil (Marne), etc. Dans Neujjours et dans Ventêjoux la dési- nence primitive est identique : l'une représente Novioia- Itim2, l'autre Ventoialum ou Vintoialum.

nexon. La forme vulgaire, au moyen âge, du nom de Nexon (Haute-Vienne) est Aneisso, Aneycho et Neycho, que l'on latinise en Nexonium, AnnexonhtmK Si l'on remarque que le nom de la petite ville d'Aixe, près de Limoges, , que les textes latins écrivent Axia, et les textes limousins Aicha*, correspond à Actia, du gen- tilice Actius, on admettra sans hésiter que Nexon implique l'existence d'un type Aneciio, onis, tiré du nom gaulois bien connu Anectius, comme Albucio (aujourd'hui Aubussori) est tiré à'Albucius.

nézigxan. Néiignan-YÈxùque (Hérault) est appelé Nasinianum en 848, et Na%inianum en 11 73 et 1 175 :

1. lbid., p. 276.

2. Cf. d'Arbois de Jub., Recb., p. 531. Le môme nom est représenté ailleurs par Neuil, Nieuil, Xieul, Nui, Nueil, Niièjouls, Nu^é jouis, etc.

3. Deloche, Etudes sur la gèogr. hist. de la Gaule, p. 321 ; Leroux, Molinier et Thomas, Doc. hist. concernant la Marche et le Limousin, I, 13, 35, 51, 100, 232 ; II, 236.

4. Duplès-Agier, Citron, de Saint-Martial, p. 115, 116, G, Daicha doit être lu G. d'Aicha.

62 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

les trois exemples proviennent du cartulaire d'Agde, dont on n'a qu'une copie du dix-septième siècle1. Le % de 1 173 et 1175 postule un c primitif, et j'estime que le s de 848 est à une distraction de copiste. Je propose donc de reconnaître l'existence d'un nom de lieu gallo-romain Nacinianum. Holder a relevé Naci- nus dans une inscription trouvée à Pettau (Autriche) et publiée dans le Corpus, III, 12012: la place de Nacinianum est donc toute préparée.

remeneuil. Remeneuil est un hameau de la com- mune d'Usseau (Vienne) qui n'est pas mentionné avant 1037. A cette date, il est appelé Romanoculus. On sait que les noms en -euil ont été souvent défigurés au moyen âge par l'application d'un « œil » postiche, à savoir le latin oculus. Il ne faut donc pas hésiter à reconstituer la forme gallo-romane *Romanoialum. Il y a un exemple intéressant de la combinaison du suffixe -ialum avec le nom d'homme Romanus. L'affai- blissement de Yo primitif en e dans Remeneuil se retrouve dans d'autres noms de lieux du même dépar- tement. Le Relandais, La Relandiêre, La Remigère, Le Remigeoux, Rernilly s'appelaient autrefois Le Rolandeis, La Rolandèrc, Le Romejos, La Romigêre, Romillec.

fil. le suffixe -aricius.

La juxtaposition de deux ou même de plusieurs suf- fixes est un fait qui n'est ni rare ni difficile à expliquer.

1. Thomas, Dict. topogr. de l'Hérault.

LE SUFFIXE -ARICIUS 63

Du participe natus le latin tire l'adjectif natalis, puis de l'adjectif natalis, employé substantivement au sens de « jour anniversaire de la naissance », il tire un nouvel adjectif natalicius, qui signifie « relatif au jour anni- versaire de la naissance » : le procédé est très simple. Mais la complication se produit bientôt. L'esprit humain pauvre boussole que le moindre courant analogique suffit à affoler saute d'un bond du mot primitif au second dérivé et, ne s'arrêtant plus à considérer la juxtaposition des suffixes dans l'ordre elle s'est formée, il ne fait pour ainsi dire qu'un bloc de la déri- vation.

Voici un exemple frappant.

Du substantif gens le latin a tiré l'adjectif gentilis, puis de l'adjectif gentilis un nouvel adjectif gentiliciits. Les textes nous montrent que gentilicius s'emploie cou- ramment au sens de « propre à une famille, à une nation », c'est-à-dire qu'il est purement et simplement synonyme, de gentilis; donc, il peut être considéré comme dérivé de gens avec un suffixe -ilicius.

Ce point de vue est artificiel, dira-t-on. Sans doute, mais de quoi vit le langage, sinon d'artifices ? En fait, on ne saurait douter de l'existence d'un suffixe composé -ilicius, affranchi de toute subordination vis-à-vis de -ilis et vis-à-vis de rictus, dès la fin du premier siècle après Jésus-Christ. Martial qualifie les efféminés qui passent leur vie en chaise à porteurs (cathedra) de l'épithète pittoresque de catbedralicios1. Le mot caihe- dralicius a jaillir de son cerveau sans l'aide de

1. Epigr. X, 13, 1.

64 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

cathedralis, qui est absolument inconnu au latin clas- sique. Après tout, cathedralicius est d'aussi bonne venue que legatorius, employé par Cicéron et pieuse- ment recueilli par nos antiquaires pour qualifier une province administrée par un légat1.

Les textes latins antérieurs au moyen âge ne pré- sentent que très rarement la combinaison de -arts ou -arius avec -icius. Je n'en ai relevé que trois exemples : capsaricius, fabaricius et sigillaricius. Le premier mot signifie « gardé par le capsarius ou garçon de vestiaire », ce qui est tout naturel 5 ; le second n'est pas bon à grand'chose, car il ne se trouve que dans l'expression fab[a]ricii circenses d'un ancien calendrier*, et le sens n'est pas plus sûr que la forme ; le troisième vaut à lui seul plus que les deux autres. Spartien dit dans la vie de l'empereur Hadrien : « Saturnalicia et Sigillaricia fré- quenter amicis inopinantibus misit*. » Il faut sous- entendre mimera : il s'agit de cadeaux faits à l'occasion des fêtes dites Saturnales et Sigillaires. Il n'y a rien de particulier à remarquer : le rapport entre Sigillari- cius et Sigillaria est exactement le même qu'entre Saturnalicius et Saturnalia, aussi simple pour le sens que pour la forme. Mais d'autre part, on lit dans la

1. Legatorius est fait à l'imitation de senatorius. L'Académie française a accueilli la locution province légatoire; comme il est fâcheux qu'on ne dise pas aussi province sènatoire !

2. Schol. de Juvénal, 8, 168.

3. Corp. inscr. ht., I, p. 344 et 345 ; cf. Olcott, Studies in ihe uord formation of the. lat. Inscr., p. 217. L'autre texte donne faba- rici, que De Vit considère comme le nom. plur. d'un fabaricus (d'ailleurs inconnu) mais que M. Olcott rattache à fabaricius.

4. Chap. 17.

LE SUFFIXE -ARICIU 6j

vie d'Aurélien par Vopiscus : « Uxori et filiae annulum sigillaricium quasi privatus instituit1. » Ici, nous avons affaire à un sens très différent, si bien qu'on pourrait dire qu'il s'agit réellement d'un autre mot. Un annulas sigillaricius est un anneau qui sert de cachet : sigillari- cius est donc tiré directement de sigillum, comme cathedralicius est tiré de cathedra. Le suffixe -aricius est né.

Les textes du haut moyen âge nous permettent de suivre, ou du moins d'entrevoir son développement. Un des manuscrits de la Loi Salique remplace caballum qui carrucam trahit par caballum carrucaricium, 38, 1. Le plus ancien recueil de formules que nous possédions, les Formulae Andecavenses (vie siècle), parle de vignes affermées à moitié fruits sous le nom de vineas ad par- ciaricias (form. 30); l'évêque saint Pirmin, fondateur de Reichenàu, mort vers 758, tire de mimus le sub- stantif mimaritiae; une charte lombarde de 765 appelle tectoras pallearicias des toits couverts en paille; une autre, du roi Didier (mort en 774), mentionne simul- tanément massaricias, bovolcaricias, aldiaricias. Dans la Lcx Alamannorum, le chien à chasser le porc sauvage est appelé canis porcaritius, le chien à chasser l'ours, ursaritius ; en outre, nous y voyons le suffixe, sous la forme féminine, servir à désigner un lieu, un établis- sement: une vacherie se dit vaccaritia, terme qui est également employé dans le capitulaire De Villis côté deberbicarilia, bergerie) et dans le polyptyque d'Irminon. Dans ce dernier texte, -aricius, substantivé sous la forme

1. Chap. 50.

Thomas. II. 5

66 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

féminine (très rarement, neutre) incline vers le sens abstrait : le service de l'ost s'appelle hostilaricium I ; la corvée du bois, lignaricia2 ; la corvée du vin, vinericiai. Par la suite, les mots de ce genre deviennent rares dans les textes latins : pourtant, on relève sella sagmaricia dans les gloses latino-germaniques de Salomon4; vinericia est encore au treizième siècle dans le pouillé de l'évêché de Nevers, et, plus tard encore, le roi d'Angleterre Edouard III appelle canes damaricios "> ses chiens à chasser le daim.

Nous n'avons pas de témoignage direct sur la quan- tité de Yi dans le suffixe -aricius. Le latin classique distingue -icius, qui s'ajoute aux thèmes nominaux, de -ïcius, qui s'ajoute aux thèmes verbaux en prenant pour point d'attache le thème du participe passé : il dit cae- meniïcius, d'une part, etfacticius, de l'autre6. La forme la plus ancienne de notre suffixe est probablement -aricius; mais comme, dans le latin populaire, -icius a beaucoup empiété sur -ïcius, il n'est pas surprenant que -aricius se soit fait une place à côté de -aricius. La péninsule ibérique ne semble connaître que -aricius: portugais cavallariço, porcariço ; espagnol asneri^p, cabre-

i. Ce mot, trois suffixes se sont agglutinés, ne se trouve qu'une Fois ; le terme ordinaire est hostiKHum.

2. Variante lignericia, l'on voit déjà un témoignage de l'af- faiblissement français de Va protonique en e.

3. Cette forme est constante; il est curieux que l'on ne trouve jamais vinaricia comme lignaricia.

4. Steinmeyer et Sievers, tome IV, page 96, ligne 39.

5 . Tous les exemples pour lesquels je ne donne pas de références particulières se retrouvent facilement à l'aide de Du Cange.

6. Novlcius, de noms, constitue une exception isolée.

LE SUFFIXE -ARICIUS 67

ri^o, vaquerizp et vaqueri^a, etc. r. L'italien a les deux formes, selon les régions : pagliericcio, secchericcio, Vac- cari-^o (ville de la Calabre), à côté de campereccio, caser eccio,jestereccio, sccchereccio, vaccareccia (Oudin), etc. Le provençal a quelques traces de -arlcius, que je relè- verai chemin faisant; mais il donne la préférence à -arlcius. Cette dernière forme est la seule qui paraisse avoir des représentants dans le domaine français2.

C'est à M. Homing que revient le mérite d'avoir signalé en français, sinon comme sûre, au moins comme probable, l'existence de représentants du suffixe latin -teins sous la forme féminine allongée -erecei. M. Tobler a précisé, depuis, les données un peu vagues de M. Hor- ning, en citant un certain nombre de mots en -ere^ aussi bien qu'en -erece.*. M. Meyer-Lùbke, se référant à ces deux auteurs, a écrit : « Le français offre peu d'exemples : le français moderne banneret représente l'ancienne forme banere^; viennent ensuite, en ancien français jenere^ (juillet), pasquere^ (semaine de Pâques), les adjectifs chevalere^, jambere^ et quelques autres 5. » J'ai déjà eu l'occasion de dire que le développement de ce suffixe en Gaule était beaucoup plus considérable

i . Les formes espagnoles sont influencées par asturo, cabrero, etc. Le portugais est plus fidèle au type primitif.

2. Tonniel brasserie!) dans un texte de 1456, que Godefroy ne cite que de seconde main, n'est pas assez sûr pour qu'on table sur lui.

3. Literaturblatt, année 1890, p. 105.

4. A proposdu mot banneret, famSUfungsb. der Acad. Wissensch. %u Berlin, philos. -hist. Classe, année 1893, p. 23-24 (19 janvier).

5. Gramm. des lang. rom., II, §417.

68 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

qu'on ne se le figurait jusqu'ici1. Je voudrais aujour- d'hui passer en revue tous les mots français et proven- çaux qui, à ma connaissance, sont formés à l'aide de ce suffixe et fournir ainsi une contribution à la lexico- logie de la Gaule, sans distinction entre la période ancienne et la période moderne, entre le français pro- prement dit et les patois, entre la langue courante et la toponymie. Mais avant de passer cette revue, il me faut examiner trois questions préliminaires : de l'existence en Gaule de représentants du suffixe -îcius ; de la confusion entre le suffixe féminin -arïcia et le suffixe féminin -ïssa; 30 de la confusion entre le suffixe masculin -aricius et le suffixe masculin -ïttus.

Du suffixe -ictus. M. Tobler a montré que l'expres- sion chevalier banneret se présentait toujours dans les anciens textes sous la forme chevalier banere^; il en a conclu que banere^ était dérivé de baniere à l'aide du suffixe -e% correspondant au latin -ïcius. Cette explica- tion est logique, mais elle ne me paraît pas conforme à la réalité des faits. Baver e^ n'est pas très ancien; il se trouve pour la première fois dans les Coutumes de Beauvaisis de Beaumanoir, éd. Salmon, § 1242. Le français possédait-il réellement au moyen âge un suffixe -ex, issu du latin -ictus} C'est difficile à croire2, puisque nous ne voyons pas ce suffixe s'ajouter à d'autres mots qu'à ceux qui contiennent déjà le suffixe -ter et qui

1. Mélanges d'êtym. française, p. 23, 29, 48, 49, 88, 98, 119, 126, 136.

2. On a un curieux exemple de l'adj. fém. cendresse, dans Gode- froy ; mais il faut y voir le latin cinerïcius et non un dérivé fran- çais de cendre.

LE SUFFIXE -ARICIUS 6q

donnent naissance à des dérivés en -ere%, comme jas- chere^, de jaschiere, pendant exact de banere^. A vrai dire, le français possède seulement le suffixe -ere% ; mais quand ce suffixe s'ajoute à des mots en -ier, -iere, il se produit une sorte de superposition syllabique, et l'on dit banere^, bruere^, gotere^, jaschere^, voiere^ au lieu de *banererei, *br itérerez, *goterere%, *jascherere%, *voierere^. Quand la désinence -re appartient au thème et non à un premier suffixe, le suffixe -ere^ conserve, à l'origine, sa forme intégrale : les formes gauferais (1334) et waufferrais ( 1 3 60) témoignent clairement que * gaufrerez a existé comme dérivé primitif de gaufre, car elles ne peuvent s'expliquer que par un phénomène de dissi- milation.

Confusion entre -arïcia et -usa. Dès le douzième siècle on trouve en français des substantifs féminins en -tresse, qui reposent sur des thèmes verbaux : baleresse, lecheresse, tomberesse, de baler, lechier, tomber, etc. Ils peuvent s'employer adjectivement -.femme lecheresse dans Marie de France, Fables, 1, 27 (édit. Warnke). Quelques manuscrits ont la graphie -eresce, ce qui pourrait nous porter à croire que les mots de cette catégorie reposent sur des types latins en -arïcia. Il n'en est rien cepen- dant : ces mots sont, en réalité, formés d'après les masculins correspondants (balere, lechere, etc.) à l'aide du suffixe -esse qui est le latin -ïssa, grec '.77a, et ils doivent se ramener à un type, peut-être fictif, -atorlssa1.

1. Il n'est pas impossible que -alorïssa ait réellement existé, dans le latin vulgaire de la Gaule septentrionale, à côté de la forme classique -atricem, étant donné le peu de vitalité de -atrieem dans le domaine de la langue d'oïl.

70 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

Les preuves ne manquent pas. Au point de vue pho- nétique, la graphie fréquente -erresse et la rime en -esse et non en -ece, picard -eche Qecheresse : pramesse, Marie de France, Fables, l, 27 ; felunesse : tenceresse, Marie de France, Fables, xcv, 3 ; ostesse : maistresse : cochonesse : venderesse: espesse: trekeresse, Rendus de Moiliens, Carité, clvi) sont des faits décisifs. Au point de vue séman- tique, il y a une différence sensible entre un adjectif féminin en -crece et un adjectif féminin en -eresse: une flèche berserece est une flèche dont on se sert pour chasser (berser), tandis qu'une femme tenceresse est une femme qui tance, qui aime à tancer. M. Meyer-Lùbke rattache à -ïssa le lorrain kem'rosse (écumoire) et le poitevin vent'resse (pelle à vanner *). Il n'est pas douteux pour nous que ces deux mots contiennent le suffixe -aricia : cf. l'expression picarde paiele saimereche, syno- nyme de paiele saimeoire, poêle à écumer. Il faut avouer cependant que lorsque la phonétique nous fait défaut et c'est toujours le cas lorsque nous quittons la région normanno-picarde - nous sommes plus d'une fois incapables de nous prononcer entre les deux forma- tions concurrentes. Il en est ainsi notamment lorsqu'il s'agit d'animaux de sexe ou de genre féminins. D'après l'expression oiseau chaceret, et substantivement chaceret, qui désigne l'épervier dans l'Est, et il faut sûrement reconnaître un type *captiar)cins, on peut croire que dans jasse bateresse, nom de la pie-grièche en Poitou z, nous avons affaire au type *battaricia ; l'analogie de

1. Gramm. des lang. rom., II, § 367.

2. Rolland, Faun. pop., II, 147.

LE SUFFIXE -ARICIUS 71

geline couveoire, geline couveresse, d'une part, de paieîe saimeoire, paiele saimereche, de l'autre, semble appuyer le type *cubarlcia, de préférence à *cubatorïssa. Cependant la sémantique ne conseillerait-elle pas plutôt de faire appel à *battatonssa , *cubatortssa pour rendre compte des mots bateresse, couveresse ? La question reste pour moi indécise, et c'est pourquoi je ne fais pas figurer les mots de cette catégorie dans les listes qui suivent.

Confusion de -arïcius et de -ittus. Le suffixe -tttus ajouté à un mot en -ter, -iere produit des diminutifs en -eret, -erete, dans l'Est -erot, -erote, -erat, -erate. Un mercerot est un petit mercier et une banerete est une petite bannière; les types étymologiques sont clairement *merciarittus, *bannarïtta. Mais que faut-il penser de chardonneret et de pâquerette ? Le nom de l'oiseau doit-il s'interpréter par le « petit chardonnier » (cf. le wallon cherdonî, chardonneret), le nom de la fleur par « la petite fleur de Pâques » ? Ou bien avons-nous affaire à des formes altérées (seulement depuis une époque récente) dont les types français primitifs étaient *chardonere%, *pasquerece ? Je ne suis pas en état de me prononcer1. J'hésite aussi pour l'explication de noms d'instrument comme coulerette (couloire), écu- merette (écumoire), perccret te (vrille); aussi ne les ai-je pas admis dans mes listes. En revanche, j'ai relevé quelques mots en -eret, même quand ils ont des fémi-

1. M. l'abbé Devaux m'apprend que parmi les noms divers que porte le chardonneret dans la région dauphinoise le type *cardo- narcius peut être sûrement reconnu.

72 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

nins en -erette, lorsqu'il m'a paru que la sémantique appuyait solidement l'hypothèse de formes primitives en -ere%, par exemple dameret, dhnencheret, filleret et quelques autres. Des recherches ultérieures dissiperont sans doute les ténèbres qui obscurcissent encore une partie du domaine je me suis aventuré, et permet- tront d'en mieux fixer les limites.

J'ai divisé les mots formés à l'aide du suffixe -aricius en deux séries, selon qu'ils ont pour base un thème nominal ou un thème verbal. Chaque série se subdivise en trois sections : adjectifs, substantifs masculins, sub- stantifs féminins. Les formations les plus anciennes sont celles qui reposent sur des thèmes nominaux : cer- taines remontent à l'époque impériale, comme le prouve l'emploi de sigillaricius par Vopiscus, et les textes mé- rovingiens et carolingiens ne semblent pas en connaître d'autres. Il est difficile de dire à quelle époque on a commencé à employer le même procédé de dérivation en l'appliquant à des thèmes verbaux : le jour le verbe sigillarc, que nous ne connaissons que par les glossaires, a été d'usage courant, sigillaricius a faire l'effet d'un dérivé de thème verbal. La coexistence de sigillaricius et de sigillare contenait en germe la déri- vation de thèmes verbaux, qui est l'extension du pro- cédé primitif. Dans la période française elle-même, il est parfois impossible de dire si tel adjectif en -ere% vient d'un substantif ou d'un verbe: latere^, palere-, tinghrc-, par exemple, appartiennent par indivis à late, pal, tingle et à later, palcr, tingler.

LE SUFFIXE -ARICIUS

THKMKS NOMINAUX

aiserez, qui aime ses aises : patois de Montbéliard, aiserot, aiserotte (Contejean).

anguillerez, destiné à prendre, à conserver les an- guilles: bacq anwillerech (1395, dans God., anwile- rech) ; sacque anvillerech (1534, ibid., villerec, lu sacqueau vilhrecti) ; sacque anvilleré (16 19, ibid., lu sacqueau villere).

ARDOiSEREZ, propre à clouer l'ardoise : clous adoi^erés (deux textes sans date dans God., adoiseret).

asnerez, relatif aux ânes : raisins qu'on appelle asnerets (xvie s. Du Pinet, dans God., asneret). C'est la tra- duction du latin asinusca vilis, locution le sens exact de asinusca est incertain. Existe aussi comme sub- stantif masculin.

auverez, propre à faire des aubes de roue de moulin : set ais auvereches (13 14, dans God., auvereche, sans définition).

bancherez, propre à travailler sur un banc, sur un établi (?) : coignee bancheresse (1448, dans God., banche- resse, sans définition précise). Bien qu'il soit question ci-dessous de coignee becheresse, ce qui semble la même chose au point de vue matériel, l'étymologie ne peut être la même.

banerez, qui a le droit d'avoir une bannière, aujour- d'hui banneret. Voir Tobler dans Sit^ungsb. der Akad. der Wissensch. %u Berlin, philos. -histor. Classe, 19 jan-

74 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

bastarez, basterez, propre à coudre les bâts : aguio bastaresso (Mistral, Trésor) ; aguille basterece (Sidrac, dans God., basterece).

bataillerez, i . Propre à la bataille (en parlant des choses); ardent à la bataille (en parlant des personnes). Exemples dans God., batailleur et batailleret ; ajoutez le suivant, tiré des appendices du Psautier lorrain, éd. Apfelstedt, p. i5o: uns homs batilleras. 2. Garni de batailles (sorte de fortification :) portes bateille- resses (God., batailleur); tour bathelheresse (J. des Preis, Geste de Liège, 1872).

bêcherez, recourbé en forme de bec : cognie becheresse (1339, dans God., becheresse, sans définition précise). Dans ce texte unique, la cognée becheresse s'oppose à la cognée plate ; il s'agit vraisemblablement de l'erminette.

blaerez, propre à moudre le blé : moulins bleere^ et foulerez (1327, dans God., blaieret, on lit aussi un exemple anglo-normand postérieur.

boserez, sali de bouse. Deux exemples dans Godef., bouseret; dans l'un on lit bouseret, dans l'autre, bou- sere^. Comparez le nom de famille Bousre^.

braiserez, propre à moudre le brais : mollin brasererh (143 1, dans God., brasserech); nwlin braseret (1448, Corbie, dans Du Cange, molendinum brasarium). Jl faut distinguer braserech (qui vient de brais) de brasse- rich (qui vient de brasser), ce que ne fait pas Godefroy.

bruerez, qui vit dans les bruyères : cocq bruerece, kok bruereche (13 17, dans God., bruerece). La forme masculine est refaite d'après le féminin.

buglerez, fait d'une corne de buffle : cor buglereç (quatre exemples dans God., bugleret).

LE SUFFIXE -ARICIUS 75

cessarez, payé à titre de cens : unutn sextarium fru- mcnii cessarel\ {Obit. de Solignac, dans Arch. histor. du Limousin, VI, 356; il y a cessant à la p. 358).

chalmerez, qui se trouve dans les chaumes : pierre chaumerette, caillou que l'on ramasse à la surface des chaumes (Jaubert, Gloss. du centre, suppl., p. 36).

chevalerez. i. Fait pour un cheval: sele chevaleresse {Grandes Chron. de France, dans God.). 2. Qui se porte a dos de cheval : bière chevalerece (Chrétien de Troyes, Erec, 4725).

chevrerez, qui nourrit des chèvres : Haie Quievreleche (1306), aujourd'hui Haie Equiverlesse, hameau de la commune de Fontenelle (Aisne). Cf. mes Essais, p. 363 . Existe aussi comme substantif masculin et féminin ; voyez plus loin les articles cabrare^ et cabrare^a.

coldrerez, qui fréquente les coudres : wallon raine côrece; champenois et lorrain raine côrasse; normand raine coudrette, etc., grenouille verte, rainette (Rolland, Faune pop., III, 74). Cf. mes Mélanges, p. 126, n. 1.

colerez, qui sert à couler: paelle colleresse (xve s., dans God., coulleresse).

costerez, qui est de côté. Signalé par Tobler d'après l'adverbe costerecement, employé par Baudoin de Condé. Existe aussi comme substantif masculin et féminin.

crocarez, muni d'un croc : arbalestas crocaressas (Carlid. de Montpellier, dans Raynouard, Lexique roman,

II, 519).

damerez, propre aux dames. Le mot n'apparaît qu'à la fin du xve siècle, et il a dès lors la forme dameret, damerelte (O. de Saint-Gelais dans God., compl.). On

76 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

donna d'abord le nom de char dameret au carrosse sus- pendu (Littré). Existe aussi comme substantif mas- culin.

dimancherez, habillé comme pour un dimanche. ,,-Mot qui ne se trouve que dans la locution varlet diman- cheret, au xve siècle (God.).

dosserez, qui forme dos (?) : une eschine doceresse(i 386, dans God., dosseresse). Il faut certainement lire eschive, au lieu de eschine; c'est une variante de eschife, non mentionnée par God., mais qui se trouve dans Thèbes, 4004. Existe aussi comme substantif masculin et féminin.

draparez, propre à fouler le drap : molis drapare^ (xne s., Cartul. de l'Artige, charte 53, dans Bull. soc. arch. du Limousin, XLVIII, 317).

escorcerez, propre à broyer l'écorce, le tan : moulin escorceraiç (1257, Tournai, dans God., escor- ceraic).

espinerez, formé par des épines : buisson espincrech (Froissart, dans God.).

eucerez, de la dimension d'une cheville (eiue) : tarere euchereç, ouecereç, heuceret (Thomas, Essais, p. 293 et 295 ; cf. Horning, dans Zeitschr. fur rom. Phil., XXII, 560 et XXV, 614). Existe aujourd'hui comme sub- stantif masculin sous la forme esseret.

everez, par l'eau : molyn eweret (1 305 , dans God., eweret); ung sou eauweresse (1585, Liège, dans God., sou 2). J'ignore ce que c'est qu'un « sou eauweresse ».

femerez, qui sert à charrier le fumier (fiens) :fourke fumereche (1415, dans God., fumereche).

fenerez, propre à couper l'herbe pour faire du foin :

LE SUFFIXE -ARICIUS 77

fa% fainerece (Dial. saint Grégoire, 22, 20, cité par Horning, Tobler et God.).

FENEREZ, FRENEREZ, FLAVEREZ, FLOEREZ (?). Ces quatre

adjectifs se trouvent seulement au féminin dans la locu- tion cendre fenerece, etc., enregistrée par God. J'ignore de quoi il s'agit; mais il n'est pas douteux que nous soyons en présence de notre suffixe et il est probable que ce sont des thèmes nominaux auxquels il s'ajoute.

finerez, qui marque les limites (fins). Ne se trouve que dans la locution chemin finero^, fine rot, particulière à la Bourgogne (God., finerot).

foirerez, qui donne la foire : vosgien herbe foerosse, mercuriale (Haillant). Existe aussi comme substantif féminin.

fromenterez, mélangé de froment. Ce mot ne se trouve que dans la locution avoine fromenterece , particu- lière à la région du Nord. On dit par extension coupe fromenterece, boistel fromentere^, coupe, boisseau d'avoine fromenterece (God., fromenterece).

fruiterez, qui sert à mettre des fruits : corbisons fnii- terés (1324, Tournai, dans God., richart).

gagerez, qui possède à titre de gage: seigneur gager et (texte lorrain, dans God., gageret).

gaufrerez, qui sert à faire les gaufres: uns fiers gau- ferais (1334, Tournai, dans God., waufret, il y a six autres exemples, tous de la même région).

goterez, qui supporte la gouttière : mur goutterot (1462, Meuse, dans God., gouterot). Existe aussi comme substantif masculin.

gresserez, qui sert à tailler le grès : martel gresserech (1335, Artois, dans God., gresserech).

78 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

jamberez, qu'on fixe à la jambe : eschaces jamberesccs (Renart, vu, 582, cité par Horning, Tobler, God.). Existe aussi comme substantif masculin et féminin.

lampreierez, qui tient de la lamproie : anguille lani- presse, locution de la basse Loire (Rolland, Faune pop., III, 97 ; cf. mes Mélanges, p. 98).

laterez, qui sert à clouer les lattes : cleu laierech, cleus laterés, clo^ laterat, claux laterés (xive-xve s. Artois et Franche-Comté, dans God., lateret). Ajoutez clans latterés en 13 19 (ibid., paler).

locerez, qui est en forme de cuiller (loce) :tarrabrum quod vulgo dicitur loceret, de quo f adores rotarum perforant rotas suas (Du Cange, tarrabrum; God., loceret). C'est la cuiller, tarière des sabotiers actuels, que beau- coup de patois appellent encore louce (Labourasse), losse (Haillant). Existe aussi comme substantif masculin.

malerez, qui fait office de malle : sas malerés (1338, Nord, dans God., maleret) ; selle malerece (1393, Douai, ibid., malerece).

meiteerez, affermé à moitié fruits : vigne moiterasse (xme s. Metz, dans God., moiterece). Existe aussi comme substantif féminin.

oblierez, qui sert à payer la redevance dite oublie : six pains oublierez de rente (Cartul. de Chartres, dans God., oublieret).

paroisserez, attaché à la paroisse : prestres paroissere^ (Guillaume Le Clerc, Besant, dans God., paroisseret).

pasquerez, qui se mange à Pâques : choulx pasquerês (Ménagier de Paris, II, 143 ; cité par Tobler). God. a un exemple de temps pasqueret; mais je crains qu'il ne soit pas sûr et qu'il faille suppléer de entre les deux

LE SUFFIXE -AR1C1US , 79

mots : l'emploi de pasquere- comme substantif masculin sera noté plus loin.

peagerez, grevé d'un péage : chemins peagereç, paai- gere^ (1330 et 1338, dans God., PEAGERET).

pilerez, qui forme pilier: troys pie^ pillere- (1380, dans God., pileret 2).

plomberez, qui sert à clouer le plomb : cleu ploumerech (1304, Artois, dans God., plommerech, il y a deux autres exemples auxquels il faut ajouter en outre ceux qui se trouvent à l'article plommeret).

porcherez, destiné à contenir des porcs : fosse por- cherece (1303, Fontevrault, dans God., porcherece). Existe aussi comme substantif masculin et féminin.

poterez. 1 . Qui sert à faire des pots : terre poteresse (Roman de J. César, dans God., poteresse; l'adjectif est encore vivant, dans le même sens, à Boulogne). 2. Qui sert à puiser'dans le pot : louce poterece (Poésies du XIIIe s'., dans God., ibid.).

rocherez, qui vit dans les roches : colombe rocheraye (Cotgrave). Le féminin rocheraye, a une méprise, a fini par s'imposer même au masculin. C'est ainsi qu'on lit dans Mozin, Nouv. Dict. complet (1811-1812): « Rocheraie ou pigeon de roche, oiseau de passage de la grosseur du biset à le rocheraie blanc, le rocheraie de la Jamaïque. »

roserez (?). God. ne cite qu'un exemple: « Gar- belles rosereches, 15 51, compte, Lille, ap. La Fons, Gloss. ms., Bibl. Amiens. » Il traduit imperturba- blement par « de roseau ». D'autre part, à l'article GERBELE, il voit dans garbelle une sorte d'épice.

salmonerez, qui tient du saumon : truite saumonne-

8o GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

resse (Taillevent, Viandier, éd. Pichon et Vicaire, p. 190, etc.). Manque dans God.

tablerez, qui sert à clouer les boiseries (tables) : claux tablerez, tavlerés, etc. (1397-1533, Tournai, dans God., tableret). Existe aussi comme substantif masculin et féminin.

tanerez, propre à broyer l'écorce pour faire du tan : moulin tannere^ (1298, dans God., tanneret). On trouve dans Du Cange molendinum tannere^ et molen- dinum taneret.

tavernerez, qui hante la taverne : fol et taverneret (Etabl. de saint Louis, dans God., taverneret, il y a trois autres exemples).

tercerez, affermé au tiers des fruits : vigne que Ste- venins Marion tenivet tercerasse (1338, Metz, dans God., tierceresse). Existe aussi comme substantif mas- culin et féminin.

terragerez, qui sert à recueillir le droit de terrage : grange terrageresse (Coût, de Montargis, dans God., ter- rageor). L'expression a été enregistrée par Cotgrave, Furetière et le Dictionnaire de Trévoux : ce dernier fait de terrageresse le féminin de terrager.

terrerez, qui sert à charrier de la terre : brouette teresse, Herreche, teresche (1406-1442, Flandre et Artois, dans God., terrace, i).

tinglerez, qui sert à clouer les tringles (iingles) : claux tingkrés (1432, Tournai, dans God., tingleret). La variante iingnerés (lire tinguerés), attestée en 1342 et 1492, est difficile à expliquer.

torberez, il y a de la tourbe ;fosse^ iourberés (1 304, Corbie, dans God., tourberet).

LE SUFFIXE -ARICIUS 81

truanderez, de truand : miracles truanderez (Gautier de Coinci, dans God., truanderet).

vacarez, vacherez, passent les vaches: Porte Vackerece, nom d'une porte de Douai, mentionnée dès 1255 sous cette forme (God., vacheresse); Via Vaca- ressa, nom d'une route romaine qui se détachait de celle de Nimes à Montpellier et aboutissait à Aigues- Mortes (Germer-Durand, Dict. du Gard, p. 57; Mis- tral). — Existe aussi comme substantif masculin et féminin.

veierez, qui appartient à la voirie, à la juridiction du voyer: chemins reaux, voiere^ et paaigere^ (1330, Car t. de Saint- Joseph en Val, dans God., voieret, il n'y a que cet exemple emprunté à Du Cange et l'auteur traduit par « frayé, par lequel on a coutume de passer »).

vendengerez, qui sert à recueillir, à emmagasiner la vendange: panier vendanger et (Rabelais, dans God., vendangeret) ; granche vendemaresse (1397, ibid., ven- demaresse).

vignerez, qui sert à tailler la vigne : serpe vigneresse (Cart. de Saint-Maur , dans God., vigneresse). Existe aussi comme substantif masculin.

vinerez, qui sert à emmagasiner le vin : celle vine- resse {Sermons de saint Bernard, p. 130, cité par Hor- ning et Tobler). La graphie ss dans un texte aussi ancien, qui ne confond pas ^ et f est surprenante, comme on l'a remarqué ; le scribe a penser à la dési- nence des noms féminins d'agents.

voogerez, qui ressemble à un vouge : serpe vougeresse (1472, Anjou, dans God., vougeresse). Carpentier a Thomas. II. 6

8* GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

relevé dans des lettres de rémission du Trésor des chartes, JJ, 189, 120, année 1456, bailliage de Mâcon, le substantif féminin vougesse, qui désigne un instru- ment identique à la serpe vougeresse de l'Anjou1. Mon confrère, M. Gerbaux, qui a vu le registre JJ 189, m'affirme que Carpentier a bien lu et que le texte donne à trois reprises vougesse et non vougeresse : il est probable que l'original de la requête présentée à la chancellerie royale portait vougeresse avec le sigle abréviatif de er, et que les notaires ne l'ont pas remar- qué.

SUBSTANTIFS MASCULINS

ablerez, aujourd'hui ableret, filet à prendre les ablettes : nous deffendons les ablerês essener (corr. essever) a terre (13 17, dans God., CompL). La forme ung abliere citée par Carpentier dans Du Cange, ableia, d'après un inventaire de 15 II, est certainement fautive; mais faut-il corriger une abliere, ung abl'ier, ou ung ableret ? On ne connaît par ailleurs ni abîier ni abliere.

asnerez, plante recherchée par les ânes : an'ro, sorte de gros chardon (Roussey, Gloss. de Bournois').

bezarkz, lieu il y a des bouleaux (be^) : Bessarés, commune de Saint-Étienne-de-Maurs (Cantal).

bocarez : « boucarés, boucharès, variété de raisin noir » (Mistral). L'étymologie paraît être bouc: cf. bouchard, qui a le museau noir.

1. God. a omis ce mot pour lequel il faut se rapporter à Du Cange, vougetus.

LE SUFFIXE -AR1CIUS 8?

cabrarez, oiseau qui tête (ou qui passe pour teter) les chèvres : prov. mod. cabrant, hulotte ou chat-huant.

CHAPEREZ, drap à faire des chapes : for~ chapere^ por faire chape a eau (1243, Châlons, dans God., texte republié récemment par M. Fagniez, Doc. rel. à l'in- dustrie, I, 151).

chalmerez, oiseau qui vit dans les chaumes: chau- meret, espèce de bruant (Littré). Cf. paillerez

chaserez, éclisse, moule à faire les fromages : hotte- reaulx, chasere^ (1467, dans God.). Jean Thierry a introduit la forme picarde caseret dans le Dictionnaire Jrançois-latin de Robert Estienne, d'où elle a passé dans Nicot, dans Cotgrave et dans Antoine Oudin, qui donnent aussi chaseret. Richelet, Furetière et l'Académie dédaignent ces termes ruraux. Trévoux reprend chaseret, qu'on est étonné de ne pas trouver dans Littré. Ce dernier donne en revanche caser el, qui n'est probable- ment qu'une coquille typographique pour caseret. Peut- être faut-il considérer notre mot, dont la forme primitive est douteuse, comme un diminutif de chasier, chasière; cependant chasier et chasière désignent ordinairement un ustensile différent, la cage l'on fait sécher les fromages sortis du chaseret, ce qui me fait croire à un type latin *casearicium.

COSTEREZ, aujourd'hui colrel. La dérivation de côte est sensible dans les deux sens techniques de ce mot : pièce de bois faisant partie d'une aile de moulin à vent ; madrier faisant partie d'un métier de haute- lice. D'après Savary des Bruslons, les cotterets ou colterelles du métier « servent à contenir et soutenir à leurs deux extrémitez les deux ensubles sur lesquels

84 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

s'étendent les fils de la chaîne des tapisseries de haute-lisse. » Au sens courant de « fagot de menu bois », cotret est moins facile à expliquer. M. Tobler suppose que le mot s'est d'abord appliqué aux rondins qui soutiennent les côtés des voitures, puis aux ron- dins d'un fagot, puis au fagot lui-même (Sit^ungsb., 19 janv. 1903). L'anc. franc, applique souvent costere^ à une mesure en usage pour les matières les plus diverses (vin, huile, miel, poisson, fer à cheval). Dans ce dernier sens, non indiqué par Godefroy, la forme costere^ est bien attestée : unum costere^ ferrorum equi (L. Delisle, Classe agricole en Norm., p. 567).

damerez, aujourd'hui damer et, homme dont la tenue, les manières rappellent celles d'une dame. Ce mot n'apparaît comme substantif qu'au seizième siècle (1 5 64, J. Thierry), et il a dès lors la forme actuelle dameret (voyez ci-dessus l'article damerez, adjectif). Un cépage porte en limousin le nom de dameret (Littré, suppl.).

dosserez, tapisserie garnissant le dos d'une chaise, d'un dais, etc. Quoique Froissart emploie déjà dosseret, la forme picarde dosserech, mentionnée au seizième siècle par Du Tillet (God., dosseret) ne laisse aucun doute sur la présence de notre suffixe. Les sens actuels du mot technique dosseret portent à le considérer comme un diminutif de dossier; cependant dosserece, dont il sera question plus loin, montre qu'il n'est pas impossible que dosseret se soit substitué à dossere^.

eucerez, aujourd'hui esseret, sorte de tarière; voyez ci-dessus l'article eucerez, adjectif.

paverez, lieu il y a des fèves : Faverois, commune

LE SUFFIXE -ARICIUS 85

du territoire de Belfort, Faverois en 1295, Vaveresch en 1303, Faferas en 1394.

fenerez, le mois l'on fait les foins, juillet. Cité par Tobler d'après God., qui ne donne que deux exemples (fenerech, fenereç), de la Flandre et de la Champagne1.

figarez, lieu il y a des figuiers : Figarès, ferme, commune de Bellegarde (Gard).

fillerez, homme dont la tenue, les manières rap- pellent celles d'une fille. Le mot n'est employé que par G. Bouchet, cité par God., sous la forme filleret; il semble fabriqué sur le modèle de dament.

genesterez, oiseau qui fréquente les genêts : g'nétrot, fauvette, sylvie des jardins (Haillant, Essai sur un patois vosgien, Dict., p. 289).

goterez, mur qui supporte la gouttière (cf. ci-dessus gotere^, adjectif). Le mot est encore vivant dans la Meuse (goutterot, mur sur lequel s'appuient les che- vrons, les gouttières, Labourasse). Il y a un autre sub- stantif gotere%, tiré du verbe goter, goutter.

jamberez, instrument pour suspendre par les jambes : rouchi cambré, bâton courbe auquel on attache les porcs, veaux, moutons pour les écorcher ou enlever les entrailles (Hécart) ; meusien jambrot, traverse mo-

1. A cause même de sa rareté dans les textes, fenereç ne figure pas dans le Glossaire des dates du Manuel de diplomatique de Giry ; on n'y trouve que son synonyme fenal. D'après Giry, fenal dési- gnerait « fin juin et juillet dans les Flandres, juillet et août dans les chartes lorraines » ; cette distinction n'est pas fondée. Partout fenal veut dire « juillet » ; la saint Pierre fenal entrant n'est pas, comme le croit Giry, le Ier août, mais le 29 juin.

86 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES L'ENSEMBLE

bile retenue par un crochet de fer au sommet de la potence et à chaque bout de laquelle on attache, pour les suspendre, l'un des pieds de derrière d'un porc tué pour fendre ce porc et en ôter les viscères (Labou- rasse). Dans un autre sens, meusien jambrot, croc-en- jambe (Labourasse).

jascherez, le mois l'on laboure les jachères, juin (Flandre et pays wallons). Cité parTobler qui ajoute un nouvel exemple à ceux de Godefroy. Ce dernier a relevé gasker dans une charte de 1366, mais il est pro- bable qu'il y avait un signe d'abréviation qu'il n'a pas remarqué.

lobarez, lieu il y a des loups : Loabarés, quartier du territoire d'Arles et montagne près de Saint-Jean du Gard (Mistral).

locerez, aujourd'hui lacent, lasseret, tarière en forme de cuiller. Voir ci-dessus l'article locerez adjectif; cf.

Littré, LACERET, LASSERET.

osserez, aujourd'hui osseret, couteau de boucher qui sert à trancher les os. Le mot n'a pas d'historique dans Littré ni dans Godefroy; il apparaît en 1752 dans Trévoux (Hatzfeld-Darmesteter).

paillerez, oiseau qui se plaît dans la paille (des chaumes) : pailler et, bruant (Littré). Cf. ci-dessus chal- merez.

pasquerez. 1 . La semaine de Pcâques. Cité par Tobler. God. en donne de nombreux exemples, mais on ne voit pas pourquoi il a omis celui-ci, que Carpentier a inséré dans Du Cange, pascha intrans : « Pour sis vins deus livres dis sous tournois febles prestez a Monsr en Pas- querez entrant cccxliij. » Dans cet exemple il ne faut

LE SUFFIXE -ARICIUS 87

pas construire entrant avec pasquere^, comme le fait Carpentier, mais avec cccxliij. God. admet en outre un substantif féminin pasquerie, avec trois exemples pour l'appuyer : « ung messagier envoyet a Paris en paske- ries » (1320); « le vint cinquiesme jour d'avril en pas- queries » (1492); « le mardy en pasqueries » (1539). Peut-être faut-il lire pasqueries partout et fondre ces exemples dans l'article pasqueret ; toutefois la diph- tongue ie ne serait pas régulière puisqu'elle correspon- drait ici à un ï et non à un é latin. 2. Cadeaux, con- sistant surtout en œufs, faits à l'occasion de Pâques. God. n'a pas d'exemples pour le moyen âge, mais il se réfère aux patois actuels de la Beauce, du Perche et de la Normandie. On peut ajouter le Bas-Maine : « Pakrè, œufs que les fermiers donnent à leurs pro- priétaires vers Pâques ; quête que font à domicile, vers Pâques, les bedeaux et les sacristains » (Dottin).

porcherez, porcherie : Porcherais-Casso, hameau, commune de Pont-Château (Loire-Inférieure).

tercerez : « tiercerets, certaine crosse branches on the outside of a vault » (Cotgrave, traduit dans God.).

vacarez, vacherez: Vacarés, étang' de la Camargue, ainsi nommé des troupeaux de vaches sauvages qui habitent sur ses rives (Mistral) ; Vacheret, hameau, commune de Demigny, Saône-et-Loire.

vignerez, vinharez. ï. Serpette pour la vigne : « vignerel, serpette d'une forme particulière dont se servent les vignerons pour tailler la vigne » (Jaubert, GIoss. du Centre). 2. Vignoble: prov. vignares, gasc. bignarés, dauph. vignerel (Mistral).

GENERALITES ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

J. SUBSTANTIFS FÉMININS

bergerece, bergerie. Nom d'un domaine non iden- tifié: La Bergeresse en Brie (1423, Longnon, Paris sous la domination anglaise, p. 100).

bezareza, lieu il y a des bouleaux : Besseresse, nom de deux hameaux, communes de la Courtine et de Saint- Priest-la-Plaine (Creuse).

boscareza, lieu il y a du bois : Boucheresse, hameau, ancienne paroisse, commune de Clairavaux (Creuse), écrit Bostchar esses en 1484.

bossareza, lieu il y a du buis (?) : Bousseresse, hameau, commune de La Souterraine (Creuse), écrit Bossaressas en 1427.

bovareza, chemin des bœufs: via de la bovareci ; la bovareci que tendit cil Vern ; itinere de la bovaressi (Terrier du Temple de Vaulx de 1352, fos 8, 16, 46 ; communi- cation de M. l'abbé Devaux).

boverece, bouverie : Bouresse, hameau, commune de Lussac-le-Château (Vienne), écrit Boerecia en 904 ; Bouvresse (Oise) ; La Bouvresse (Oise, commune de Beaulieu-les-Fontaines) .

cabrareza, lieu il y a des chèvres : La Calcu- lasse, hameau, commune de la Salvetat (Hérault), écrit Cabraresia en n 57; Cabaresse (pour Cabraresse), hameau, commune de Salazac (Gard). Dans Saint- Laurent-de-Gï/;ra-m£ (Aude), nous voyons le suffixe -aricius.

calmareza, lieu il y a des terrains incultes (calm) : Chaumaresse, hameau, commune de Massiac (Cantal).

LE SUFFIXE -AR1CIUS 89

costerece. i. Ce qui a des côtes: wallon coisteresse, sorte de pommes à côtes. 2. Ce qui a la forme d'une côte : anc. wallon coestresse, angle saillant d'un toit, dit aujourd'hui côte. 3. Ce qui garnit le côté : wallon coisteresse, rampe à jour d'un escalier portatif (Grand- gagnage, I, 120; II, 516 et 567).

dosserece, jambage de maçonnerie : jambes, par- paignes ou dosseresses (Coût, de Mont fort l'Amaury, dans God., dosseresse). La variante dosserasse des coutumes de Paris et de Dourdan est probablement due à une substitution de suffixe récente.

fagnerece, oiseau qui vit dans les marais (fagne) : vsaïïonfagneresse, litorne (Rolland, Faune pop., II, 238).

1 averece, lieu il y a des fèves : Favresse, com- mune, et Faveresse ou Favresse, hameau, commune de Grauves (Marne). Je suis très surpris de voir que M. Longnon place Favresse dans la série des vocables géographiques remontant à un nom de propriétaire pris adjectivement et employé au féminin et qu'il suppose un type *Faberitiaï. Non seulement le nom d'homme *Faberitius est invraisemblable 2, mais la persistance d'un e devant IV jusqu'au seizième siècle (Faveresces 1 1 4 5 , Favereces 1163, Favere^es 1223, Faveresses 1268, Faveresse^ 1459) montre clairement que le type éty- mologique est *Fabaricias.

FORTAREZA, forterece, français moderne forteresse, lieu fortifié. M. Tobler a consacré une petite dissertation

1. Dict. top. de la Marne, introd., p. vin.

2. On a effectivement Faberius, tiré âefaber ; mais avec le suffixe -ictus, le latin dit i'abikius, d'après la déclinaison jaber bri.

90 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

à l'étymologie du mot forteresse ï: il y voit une forme allongée defortrece, sorti defortece par l'épenthèse d'une r, comme le normand jardrin, de jardin. Gaston Paris accepte en grande partie la manière de voir de M. To- bler 2; il se borne à rattacher la forme fortelece, M. Tobler voit une dissimilation de forterece, à un type *fortalicia existant déjà en latin vulgaire. Je crois qu'il faut aller plus loin et admettre en latin vulgaire l'existence de *fortaricia à côté de *fortalicia. Quoique le provençal dise ordinairement fortale^a, il connaît aussi fortare^a, qui figure dans une charte d'environ 1 173 (Gall. christ., III, 1074) : for tarera « lieu fortifié » fait pendant, en provençal, à secare^a « lieu desséché ». La forme française fortrece est certainement sortie de forterece, par syncope, et non de fortece, par épenthèse.

foirerece, herbe qui donne la foire : messin foerasse, mercuriale (Chan Heurlin, chant 1).

ivernareza, lieu l'hiver est rigoureux (?) : Hyver- neresse, nom d'un hameau de la commune de Gioux (Creuse), au quinzième siècle ïvernaresses^, prononcé aujourd'hui en patois Ivarnansa.

jamberece ? Cf. wallon jambresses « planches mises à plat qui forment le bord supérieur d'un bateau et qui débordent vers l'intérieur; on dit aussi jondresses » (Grandgagnage, II, 531). Jondresse se rattache au verbe

1. Sitqungb. de l'Académie de Berlin, 23 juillet 1896.

2. Remania, XXV, 621.

$. Mon. de la soc. se. nat. et arch. de la Creuse, X, 325. Ce village a donné son nom à une famille à laquelle se rattache l'hel- léniste Courtaud-Diverneresse (1794-1879) dont le buste a été érigé en 1882 sur une place de Felletin.

LE SUFFIXE -ARIC1US 91

jotide, joindre (voy. ci-dessous). Quant à jambresse, il vient certainement de jambe, bien que le rapport exact, au point cfe vue sémantique, ne soit pas très clair : com- parez l'emploi de genou à côté de jambresse dans cette définition : « dône, terme de l'atelier, bois servant à revêtir les j'noz et à*soutenir la jambresse » (Grandga- gnage, II, 522).

lobareza, lieu il y a des loups : Loubaresse, nom de deux communes (Ardèche, Cantal) et d'un hameau (Cantal). M. l'abbé Devaux me signale les mentions « foresta de la Lovareci, serva de la Lovareci » dans un document dauphinois de 1343; un mas du canton de Morestel (Isère) est aussi appelé Lovarecia en 1348; il ne paraît pas avoir subsisté avec ce nom. (Ul. Cheva- lier, Coll. des Cart. dauph., VII, 88 et 89).

longuerece, écrit Imigueresse, prisme rectangulaire très allongé qu'on taille dans les ardoisières pour enlever plus facilement l'ardoise (Littré). Longueresse paraît s'être substitué à longuesse. Mozin ne connaît que ce dernier (18 12) et le définit ainsi : « partie de la carrière d'ardoise qu'un ouvrier travaille. »

malerece, selle faisant office de malle : seoit sur une maillerace (Perceforcst, dans God., malerece).

meiteerece, ferme à moitié fruits : lorrain et romand moiteresse, tnoitcrasse, etc., dans God., moiteresse, exemples de 123 1 à 1491.

I'.werece, aujourd'hui panneresse, pierre, brique, etc., employée en parement, c'est-à-dire de façon à laisser voir son pan le plus large. Panneresse s'oppose à bou- tisse. Cf. Littré, Hatzfeld-Darmesteter, etc.

porcareza, porcherece, porcherie. Godefroy a plu-

92 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

sieurs exemples de porcherece, comme nom commun dans des textes bourguignons. Noms de lieux : Porche- resse (Charente, Charente-Inférieure, commune de Genouillé ; Loiret, commune de Villamblain; Luxem- bourg belge) ; Pourcharessas (Corrèze, commune de Lestars); Pourcharesse (Ardèche, commune de Domp- nac ; Pourcharesses (Lozère) ; Pourcheresse, commune de Vabres, Haute-Loire; commune de Celles, Puy-de- Dôme; Pourcheresses, commune de Pébrac, Haute-Loire. La Chanson de la Croisade contre les Albigeois emploie l'expression dart porcarissal pour désigner un épieu (vers 6322) : faut-il en induire l'existence d'un substantif porcariza au sens de « troupe de sangliers » ? Il est plus probable que porcarissal est une forme allongée de *porcari^ représentant porcarïcius, c'est-à-dire un dérivé de porcus par la superposition de trois suffixes faisant bloc.

rodareza, lieu l'on fabrique des roues : Rudersas, hameau de la commune de Royère (Creuse), dont le nom est écrit Roudaressas dans tous les anciens docu- ments et Rotaricias dans une charte de 626, republiée par Julien Havet1 et commentée au point de vue topo- graphique par M. Zenon Toumieux2. La forme actuelle reproduit approximativement la contraction et le chan- gement de ou en u usuels dans le patois de la commune de Royère; on écrit aussi Rondersas, Rcdersas. Dans

1. Mémoire paru dans la Bibl. de l'École des Chartes, LI, 41, réimprimé dans Œuvres de Julien Havet, I, 232.

2. Mémoire paru à la fois dans les Me'm. de la Soc. des se. nat. el arch. de la Creuse, VII, 397, et dans le Bull, de la Soc. arch. et bist. du Limousin, XXXIX, 439.

LE SUFFIXE -AR1CIUS 93

l'usage des communes limitrophes, le mot se réduit souvent à Dersas.

secareza, secherece, français moderne sécheresse, lieu desséché (en ancien provençal), état de ce qui est sec. A Bordeaux on dit sequcrisso, ce qui suppose un type * siccarïcia. On sait que l'italien hésite entre secchereccio et secchericcio comme adjectif; comme substantif, avec signification collective (branches sèches) et abstraite (sécheresse), il n'emploie que secchericcio.

tercerece, ferme au tiers des fruits : lorrain terce- resse, tercerasse, etc., dans God., tierceresse, exemples de 1240 à 1388.

vacareza, vacherece, vacherie. Nous avons déjà signalé vaccaritia dans les textes du haut moyen âge. Le mot ne paraît pas s'être conservé dans la langue commune1* mais il est très fréquent dans la topony- mie: Lavaqueresse (Aisne); Vacharesse, commune de Berzème (Ardèche) ; Vacheresse (Charente, commune de Touzac ; Doubs, commune de Montandon ; Loire, commune de Saint-HilaireCusson ; Haute-Loire, com- munes de Les Estables, Félines, Saint-Julien-d'Ance, Saint- Voy, Siaugues-Saint-Romain, Venteugcs ; Puy- de-Dôme, commune de Saint-Alyre ; Haute-Saône, commune de Faymont ; Haute-Savoie); La Vacheresse (Creuse, commune de Janaillat ; Nièvre, commune d'Azy-le-Vif ; Seinc-et-Oise ; Vosges) ; Vachère sse-les- Basses (Eure-et-Loir); Vacqueresse (Somme, commune

1. L'italien connaît l'adj. vaccareccio « de vache », et le sub- stantif vaccareccia « chair de vache » (A. Oudin); l'espagnol a vaqiieri^o comme adjectif (de vache) et comme substantif masculin (vacher) et vaquen\a (vacherie) comme substantif féminin.

94 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

de Quevauvillers). Dans la région gasconne on a em- ployé *vaccarîcia, comme en témoigne le nom de lieu Baccarisse, près de Mirande (Gers) ; cf. le nom d'un archidiacre d'Aire en 1309: Peregrinus de Vacarissa (Limborch, Hist. Inquisitionis , 2e partie, p. 8).

II. THÈMES VERBAUX I. ADJECTIFS

apoierez, qui sert à s'appuyer : caiere appoiraice (1427, Tournai, dans God., tablete; le mot n'est pas relevé à son ordre alphabétique). Le sens n'est pas douteux: cf. la locution synonyme caiere apoieoire (écrit quayere appoyoire), dans God., apoioir.

baignerez, qui sert à se baigner * : cuve baignereche (1434, Valenciennes, dans God., baignereche).

barerez, qui sert à barrer (les tonneaux) : vrille bar- reresse (16 16, dans Thibault, Gloss. du Blaisois).

batelerez, adjectif de sens incertain, que l'on trouve appliqué aux villes qui n'avaient pas de commune, dites villes batelereces ou bateïces (Beaumanoir, Coût, de Beau- vaisis, § 647, éd. Salmon, variantes). Batelerez semble tiré d'un verbe bateler, comme batei\ de balre.

bâterez, qui sert à battre, à fouler le drap: molin batere^. Bien que le mot manque dans Godefroy, voici

1. Cf. le nom de lieu Cahnis Baniaritia, mentionné, dès le milieu du vif siècle, dans la vie de saint Colomban, I, 1 5 (édition Krusch, Scriptores rcrum Merovitigicarum, IV, 80). On est surpris de voir M. Holder relever ce mot comme celtique dans son Altcelt. Sprachscbati.

LE SUFFIXE -ARICIUS 9$

un exemple qui ne laisse aucun doute : in molendinis batere^de Brana (Matton, Dict. top. de l'Aisne, Batrez).

Existe aussi comme substantif masculin. berserez, qui sert à tirer, à chasser (herser). Voir

God., berseret, et complétera l'aide des observations de Tobler. Existe aussi comme substantif masculin.

beverez, qui invite à boire : patois de Montbéliard in temps boyerot (Contejean).

boterez, qui sert à bouter, i. A bouter, à appuyer une construction : ars boutere^, piliers boutere^. 2. A bouter, à fouler le drap: molins boutere^ (God., bou- terez). — Existe aussi comme substantif masculin et féminin.

brasserez, qui sert à brasser la bière : tonniel brasserich [corr. brasserech}'] (1456, dans God., brasserech).

buerez, qui sert à faire la lessive (buer) : selburesse, salburesse, salburosse [c'est-à-dire sele buerece], « trépied sur lequel on place le cuveau à lessive » dans la Meuse (Labourasse). Cf. mes Mélanges d'étym. franc., p. 136.

Existe aussi comme substantif masculin. chacerez. 1 . qui sert à chasser : chiens chaceroi^(God.,

chacerois) ; cordes chasseresses, Jean d'Arras, Mélusine, p. 5 1, dans God., Compl., chaceresse. 2. Qui chasse : ojeau tsots'ret, nom de l'épervier dans le Doubs (Tissot, p. 315). Existe aussi comme substantif masculin.

chargerez, qui sert à charger, à garnir le métier à tisser : traistne carcheresse (God., carcheresse, sans défi- nition).

charierez, qui sert à charrier : selles canereches (lire carier eches), carreches, cariesches (God., canereche, cariesche).

96 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

chevaucherez, i. Dont on se sert pour chevaucher : mantelet chevauchent, cape chevaucher esse. 2. Par exten- sion, qui est porté par des chevaux : lictiere chevauche- resse (God,, chevaucheresse, chevaucheret). Ajouter la variante bière chevaucherece pour bière chevalerece, dans Chrétien de Troyes, Erec, 4725.

chierez, dans quoi on chie: patois de Montbéliard, poutot tchierot, vase de nuit (Contejean).

corerez, qui court: vosgien via courô [ver coureur], orvet (Haillant). Existe aussi comme substantif fémi- nin.

danserez, l'on va danser. « A Epinal, il y a la pierre dans'rosse, rocher sur lequel on allait danser à la fête des Brandons » (Haillant, D'ici., covrosse, 2).

esposerez, dont on se sert pour épouser : annel espou- serech (God., esposeret).

foerez, dont on se sert pour mesurer les terres fouies (?) : vint boniers et set verges fueresses en terre a le mesure de Liège (1248, Romania, XIX, 86).

folerez, qui sert à fouler le drap : molin folere^. God. a plusieurs exemples, fouJereis, foulcret. En voici d'autres encore: le molin folere^ de Saint-Boherc (Arch. nat. J J' , 135 v°) : les molins jolere\ de Chartres (ibid.) ; molendinum folere^ (Du Cange, gurgitum, i). Terre fouloreche (1281, Saint-Omer, God., fouleresse, sans définition : sur l'emploi de terre grasse pour fouler le drap, voir l'article foulon du Dict. du commerce de Savary des Bruslons). Existe aussi comme substantif masculin.

forserece, adj. fém., destinée à frayer (forser) : wal- lon carpe fousseresse (Grandgagnage, II, 526).

LE SUFFIXE -ARIC1US

fraserez, qui sert à « fraser », écosser ou briser?: une paiele fraseresche (13 15, Artois, dans Bibl. de l'Éc. des Chartes, LUI, 600; manque dans God.).

fringuerez, qui donne un air fringant : cordons frin- guerés {Amant rendu cor délier, v. 1621).

fumerez, qui peut se fumer: bois fumerot , femerot, nom de la clématite dans le Doubs (Rolland, Flore pop., I, 6 ; Contejean, Patois de MontbèliarS).

graperez, qui grimpe : patois de Montbéliard, pi graiperot, nom de la sitelle (Contejean). Cf. ci-dessous les substantifs masculins graverez, grimperez

guilerez, aujourd'hui guilleret. M. Tobler rattache guilleret à guiller , guiler , tromper. L'hypothèse est vrai- semblable, bien que le rapport sémantique ne soit pas très clair. Guilleret, sous la forme fém. guillerette, se trouve pour la première fois dans le Monologue de l'A- moureux, que M. E. Picot croit être des environs de 1460 (Romania, XVI, 481).

joinderez, qui peut se joindre, c'est-à-dire s'accoupler, se mettre au joug : vosgien vaiche jédrosse, jédrasse (Haillant, Dict., p. 340). Existe aussi comme sub- stantif féminin.

mâcherez, qui sert à teindre : cuve macheresse, à Namur. Grandgagnage n'enregistre pas le mot, mais il emploie l'expression, faubite; au supplément, il a : « machè, ouvrier teinturier ». Je suppose un verbe mâcher « teindre » sans en connaître l'étymologie.

malharez, qui sert à fouler (malhar) le drap : molin mailharet (147 1, Felletin, dans Mém. de la soc. des se. nat. et arch. de la Creuse, X, 361).

nagerez, sur lequel on peut naviguer. 1. En parlant Thomas. II. 7

98 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

de l'eau -.fossé nagent (1340, Corbie, dans God., nage- ret). 2. En parlant du bateau: navie nageresse (Gloss. lat. fr. dans God., ibid.~). Existe aussi comme sub- stantif masculin.

palerez, qui sert à paler (garnir de pieux) : claux paierez, palerês (1397, Picardie, dans God., paleret, i).

penderez, qui sert à pendre : gibets ou arbres pende- ret%, pendrets (Coût, de Lorraine, de Gor%e, dans God., penderet).

pescherez. 1. Qui sert à pêcher: batel, batelet, clou pescheret; barque, pescherece; trêves peschereces (God., pescheresse, pescheret). 2. Qui pêche : corbeau pescheret [cormoran] (God., ibid.~); crot pescherot [cormoran], en Bourgogne (Rolland, Faune pop., II, 382); crau pêche- rot, cro pescherot, aigle pescheresse [balbuzard] (id., ib., II, 8) ; vert-copéchera [martin-pêcheur] (Labourasse, p. 543, vart-pochaw) ; martin-pescheret [martin-pê- cheur], à Montpellier (Bibl. de l'Êc. des chartes, LV, 240) ; merle picheret [martin-pêcheur], en Limousin (Rolland, Faune pop., II, 72). Existe aussi comme substantif masculin et féminin.

petarez, qui pète : rei petaret, roi pèteret, troglodyte (roitelet) en Forez (Rolland, Faune pop., II, 288) et en Lyonnais (N. de Puitspelu). En Lyonnais, rei petaret désigne et le roitelet et le hanneton a corselet plus soyeux, que les enfants considèrent comme le mâle. N. du Puitspelu se refuse à voir dans petaret l'idée de « péteur » ; dans ses errata, il retire l'étymologie absurde qu'il avait donnée, et se rallie à une idée de M. Horning (Zeitschr. f. r. Ph., XIV, 223) d'après laquelle petaret se rattacherait au radical de petit. Mais

LE SUFFIXE -ARICIUS 99

rei-petaret veut incontestablement dire « roi-péteur » ; comparez le nom de vaco petouso, petouso donné au roi- telet dans le Midi de la France. Cane-petrasse, cane- pétrosse, cane-pétrote, nom de la canepetière dans le Berry, la Beauce, l'Anjou, etc. On sait que cet oiseau fait entendre, dans la saison des amours, un crépitement guttural qui lui a valu son nom (Rolland, Faune pop.,

II, 345)-

piquerez, qui pique: claux piquerés (1441, Béthune, dans God., piqueret).

pisserez. 1. Dans quoi on pisse : patois de Montbé- liard poutot picherot, vase de nuit (Contejean). Existe aussi comme substantif masculin. 2. Qui fait pisser: patois de Montbéliard, vin picherot, vin vif et pétillant et qui fait pisser (Contejean).

pleierez, qui se plie : table ployeresche (1552, Tournai dans God., ploieresse). Existe aussi comme sub- stantif masculin.

porterez, qui se porte: chaere porteresse (God., por- teresse).

ricanerez, rieur : doux yeux blans et riquanerès {Amant rendu cor délier, v. 1618).

rollerez, roulant : civières rouleresses, etc. (God., roleresse 2, et roleret). Le mot est particulièrement fréquent dans les inventaires angevins du roi René : char lit roulerez sourlit routière^, couchette rouler esse, etc. C'est à tort que God. a cru y voir un substantif mas- culin : roulerez qualifie toujours charlit qui vient d'être exprimé.

saïmerez, qui sert à écrémer enlever le sain) : payelles saymereches (1434, Valenciennes, dans God.,

100 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

saimereche). Il faut reconnaître le même mot, mal lu, dans patelles saumiereces (i 363 ,Va\cntiennes, dans God., saumierece, sans définition). Existe aujourd'hui comme substantif féminin.

seierez, qui sert à scier: couttel soiret (1459, Reims, dans God., soiret).

sorderez (?): derlieres sordreresses, derlière sordresse (1328, Namur, dans God., sordreresse) ; derle sorde- resse (1328, Namur, dans God., derle). La derle est de la terre glaise ; faut-il rattacher l'adjectif sordere^ à sourder, souiller, ou à sourdre, ou même chercher une autre étymologie ?

taillerez, qui sert à tailler: serpe tallerotte (1614, Nevers, dans God., taillerot).

tecerez, qui tette encore : patois de Bournois vélo tos'ro (Roussey); patois de Montbéliard tosserot, qui tette à la mamelle (Contejean). La forme iecier, tocier, est répandue dans l'Est : elle repose sur un type *tittiare, tandis que le français propre teter repose sur *tittare.

tirerez, qui sert à traire (tirer) les vaches : sielle tiresce (15 12, Tournai, dans God., tiresce).

torcherez, qui torche : patois de Montbéliard pi tourtcherot, nom de l'oiseau dit sitelle ou torchepot (Contejean).

tornerez, qui tourne : wallon _/>/>£ tourneresse, meule à aiguiser (Grandgagnage, II, 197).

venderez, qui est à vendre: pain vendent (133 1, Laon, dans God., venderet). Cf. l'ital. vendereccio.

2. SUBSTANTIFS MASCULINS

bâterez, ce qui sert à battre. 1. Patois des Fourgs

LE SUFFIXE -ARIC1US loi

(Doubs) bott'ret, batte et partie de la baratte (Tissot) ; patois de Montbéliard baitteré, baratte (Contejean) ; patois de Saint-Pierrebrouck (Nord) baterè, bâton de forme spéciale qui sert à remuer la crème pour faire le beurre (communication de M. Henry Cochin). 2. Moulin à battre, à fouler le drap (voy. ci-dessus batere^, ad).*): molendinum de Bâter e^ (douzième siècle), aujourd'hui, par changement de suffixe, Le Batreau, commune d'Avenay (Marne); Batret, moulin, com- mune d'Yvoi-le-Pré (Cher).

berserez, chien de chasse (voy. ci-dessus berserez, adj.). Le sens de « carquois », donné par God. et d'autres, et celui de « javelot », admis par M. P. Meyer (Girart de Roussillon, p. 257), ne sont pas justifiés (voyez à ce sujet G. Paris, dans Romania, XIV, 602, et XXI, 2*91),

bosserez, ce qui pousse, sourd I. 1 . Animal qui pousse la terre : bousserot, un des noms de la taupe dans le Doubs (Rolland, Faune pop., I, 9). 2. Eau qui sourd de terre : patois de Montbéliard bousserot, petite source (Contejean).

boterez. 1. Moulin à foulon: Boutrais, hameau, commune de Saint-Pierre-des-Loges (Orne). 2. Arc- boutant. 3. Boutoir, outil de maréchal-ferrant. Les sens 2 et 3 ne sont pas attestes directement, mais semblent résulter de l'existence des sens correspondants que pos- sèdent les mots anglais butteris et buttress, d'origine française (cf. Romania, XXIX, 164 et 165).

1 . De bonsser, « pousser, sourdre », forme des Vosges, du Doubs, qu'on explique par une contamination du latin pulsare « pousser » et du germanique botan « bouter ».

102 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

buerez, ustensile servant à faire la lessive (buer) : vosgien bûra, seau auquel on adapte un long manche droit [pour verser l'eau de lessive sur le linge] (Adam x).

chacerez, oiseau chasseur : vosgien chaisserot, chas- sera, épervier (Haillant) ; vosgien chasserot, autour (Rolland, Faune pop., II, 38).

chaverez, outil pour creuser (chaver) la terre : chavro, patois de Tannois, près de Bar-le-Duc (Meuse), dans Zeitschr. f. rorn. PhiL, XVI, 475. Labourasse écrit chavrot et définit : « houe employée pour le provi- gnage. »

chôterot, chôterat, sifflet, de chôtai, siffler, dont j'ignore l'étymologie (Contejean, Patois àeMontbèliard).

coillerez, registre des redevances à percevoir, à cueillir. Ce substantif s'est conservé jusqu'à la fin de l'ancien régime sous la forme cueilleret, qui est dans Trévoux, et qu'on s'étonne de ne trouver ni dans God., ni dans Littré.

coperez, aujourd'hui couperet, outil pour couper. Le mot ne paraît pas attesté avant le seizième siècle.

escuperez, ce que l'on crache : vosgien tieupp'rot, patois de Montbéliard cuperot, queuperot, crachat (Hail- lant, Contejean).

1 . Adam écrit burd, indique comme provenance La Bresse et ne donne que la première partie de la définition. Une enquête sur place faite par M. Oscar Bloch confirme ce qui n'était de ma part qu'une conjecture étymologique. « J'ai pris des renseignements sur le mot qui vous intéresse et j'ai le plaisir de vous dire qu'ils confirment totalement votre façon de voir. La Bresse, Saulxures et Cornimont emploient bùra exactement pour désigner l'objet en question. » (Lettre du 20 août 1903).

LE SUFFIXE -ARICIUS 105

fenderez, outil pour fendre : fenderets, coupoirs (i 3 9 1 , Reims, dans God., fenderet). Cf. refendere^.

foeillerez, aujourd'hui feuilleret, outil pour feuiller, faire des feuillures. Sur l'étymologie de feuiller dans ce sens, voyez ci-dessous notre seconde partie, à l'ordre alphabétique.

folerez, moulin à foulon : Les Foulerets, moulin,

commune de Parigné-l'Evèque (Sarthe) ; Foulleray,

commune de Montigny-le-Chartif (Eure-et-Loir), en

1477 Moulin-Foulleret ; Le Foulleray, moulin, commune

.de Saint-Jean-sur-Mayenne (Mayenne).

formerez, aujourd'hui/orw^W, terme d'architecture. La définition donnée par le Dict. gén. est la suivante : « Arête saillante d'une voûte gothique. » Victor Gay dit plus largement : « Bandeau en saillie sur un mur ou au-dessus d'une fenêtre, à la naissance d'une voûte d'arête dont il épouse la forme ogivale » (Gloss. archéol., p. 733). Il a un exemple de 1397, plus ancien que ceux des autres lexicographes, l'on lit : « fenestres four- mes (corr. fourmees) d'estanficques, fourmoyrets et remplages. » Le voisinage du verbe fourmer précise l'étymologie ; la graphie fourmoyrets semble contaminée par *fourmoir, qui a pu se dire dans le même sens.

goterez, avant-toit formant gouttière : goutteret (141 5, Meuse, dans God., goutteret); vosgien got- t'rot, même sens (Haillant). God. a plusieurs exemples bourguignons de gocterot, etc., mot qu'il ne définit pas, et qui s'applique à une partie d'un parement d'autel ou d'un dais : il s'agit vraisemblablement de la partie antérieure, comparée à la gouttière d'un toit.

graverez, oiseau qui grimpe (gravit), grimpereau :

104 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

gravelet (forme dissi'milée), nom du grimpereau en Poitou et en Saintonge (Rolland, Faune pop., II, 78).

grimperez, oiseau qui grimpe, grimpereau -.grimperê, nom du grimpereau en Picardie; grimpelet (forme dissi- milée), nom du même oiseau en Normandie et en Savoie. De même qu'on a la forme verbale griper, à côté de grimper, on trouve gripelet dans le Luxembourg et gripelat à Metz comme noms du grimpereau (Rolland, Faune pop., II, 78).

hucherez, oiseau qui huche, qui hue: patois de Montbéliard utcherot, hibou1 (Contejean).

jeterez, instrument qui sert à jeter : meusien jitrot, bâton fendu par un bout et que l'on tient par l'autre, au moyen duquel on lance une pierre placée dans sa fente (Labourasse).

lancerez, oiseau qui lance, qui poursuit les autres : lorrain lancerot, rancerat, épervier (Rolland, Faune pop.,

n, 34).

mucerez, oiseau qui se cache (qui se musse) : vos- gien meusserot, troglodite (Labourasse).

nagerez, bateau pour aller à la rame (pour nager) : nageret, petit bateau pour chasser le gibier d'eau (Littré).

neierez, bateau l'on risque de se noyer : lyonnais nayeret, petit bateau fort dangereux dans lequel il ne peut tenir qu'une personne (N. du Puitspelu).

1. M. Rolland rapproche avec raison utcherot (Montbéliard) et l'ancien français lucheran (Cotgrave), auquel correspond aujourd'hui lutter an, lut\èron, dans la Suisse romande (Faune pop., II, 41) ; mais je ne puis croire avec lui qu'il s'agisse du radical lue-, briller. Je vois dans lucheran une forme agglutinée pour Vucheran.

LE SUFFIXE -ARICWS 10$

niquerez, mouchoir de poche (de niquer, moucher) : parois de Montbéliard niqueret (Contejean).

partarez, parterez, instrument pour partager, cou- per : lyonn. partant, parteret, hache de boucher (N. du Puitspelu, Littré, suppl.); dans les Terres Froides du Dauphiné partarai et partelê (communication de M. l'abbé Devaux); portrait, marteau de paveur ser- vant à ébarber et à tailler (Littré); manceau partret, pallret, couperet (Montesson) ; blaisois palletret, paltret, paîtrait, couperet (Cotgrave, Thibault). Cf. mes Mé- langes, p. 119.

percerez, outil qui sert à percer : patois des Fourgs passeret, vrille (Tissot).

pescherez, oiseau qui pêche : lorrain pancherot et ponhhra, martin-pêcheur (Adam).

pisserez,' vase pour pisser: patois des Fourgs pseuret, baquet à urine, vase de nuit (Tissot).

ploierez, ce qui sert à faire ployer, charnière, pen- ture : deux ployerés employés à pendre unefeniestre (1443, Tournai, dans God., ploieret). On trouve plus sou- vent dans le même sens ploie ritel, d'un type *plica- rioluni.

ramènerez, ce qui sert à ramener : ramènent, trait au cordeau que le charpentier fait pour prendre la lon- gueur des arêtiers d'un toit (Littré). Le mot apparaît dans la première édition de Furetière, en 1690.

rebaterez, outil pour rebattre l : rebatteret, outil pour

1 . Rebatlre doit être entendu dans le sens de « rabattre » et non de « battre de nouveau » ; le rebatteret sert en effet à équarrir ou à arrondir.

106 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSENBLE

façonner l'ardoise (Littré). Le mot a été relevé pour la première fois dans VEncycl. méthod., Arts et métiers mécan., 1. 1 (1782), p. 55, il est écrit rebattret (Mozin, Souviron et d'autres conservent cette orthographe) et donné comme usité dans les ardoisières de Rimogne (Ardennes).

refenderez, outil pour refendre : refenderet, coin de fer à l'usage des ardoisiers (Littré). Même provenance que le précédent ; d'abord écrit refendret.

tomberez, ce sur quoi on se laisse tomber; teumrot, sorte de caisse dans laquelle s'agenouillent les laveuses de lessive.

tracerez, outil pour tracer: tracent (on dit aussi tracelet, par dissimulation, et traçoir), poinçon servant à tracer les divisions des instruments de mathéma- tiques; outil de fer pointu dont les charpentiers se servent pour piquer et ligner le bois (Littré).

verserez, saison propre à verser (labourer) les terres, le mois de juin : en waim, en mars et en verser es (1322, Rethel, dans God., verseret). La forme verserot, dont God. fait un article à part, n'est qu'une variante phoné- tique dialectale. Ce terme correspond à jaschere^ dans la région plus septentrionale ; il. est omis par Giry dans le glossaire des dates de son Manuel de diplomatique. Haillant, Dict., p. 616, woeyé, indique des exemples inconnus à God.

volerez, objet qui vole (en l'air) : berrichon voient, volant rustique (Jaubert, suppl.).

5. SUBSTANTIFS FÉMININS

avalerece, puits de mine que l'on creuse : avaleresse,

LE SUFFIXE -ARICIUS 107

bure que l'on avale, c'est-à-dire que l'on est occupé à creuser (Grandgagnage ; cf. Littré, suppl.).

baterece. i. Action de battre : saintong. battresse ou batteresse, action d'une pluie violente et surtout de la grêle battant le sol et les récoltes (Jônain; cf. God., bateresse). 2. Ce qui sert à battre: meusien bat rosse, baratte (Labourasse). 3. Lieu l'on bat: Batresse, étang, commune de Mouline (Vienne) ; Baptresse, hameau, ci-devant paroisse, commune de Chateau- Larcher (Vienne), anciennement Batri^ia, Batre^ia, Bâter et tjcl, etc. *

boterece, lieu l'on boute, il y a un moulin à foulon : La Bailleresse, commune de Sainte-Agathe- la-Bouteresse (Loire).

bruierece, bruit : « Tel tempeste et tel bruerresse » {Ovide moralisé, dans God., bruierresse).

chaplerece, action de chaphr, carnage. Voir les exemples de Troie cités par Tobler.

colerece, ustensile pour couler : patois de Pont- Audemer couleresse ou coulerette, passoire (Robin).

corerece, outil qui court: wallon coureresse, riflard, demi- varlope (Grandgagnage, I, 342).

cremerece, outil pour écrémer, écumer : meusien crameresse, vosgien kémrosse (dissimilation pour krém- rosse), écumoire (Labourasse, cramatte; Haillant).

crexerece, outil pour crener (entailler) : wallon

1. Certains historiens, notamment l'abbé Le Beuf, interprétant le nom de ce hameau au sens de « action de se battre », y ont vu une raison de placer dans le voisinage la bataille livrée par Clovis à Alaric (Longnon, Gèogr. de la Gaule au Vh siècle, p. 579). Il est probable que Baterece indique l'existence d'un moulin à foulon.

108 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

krennress, scie à refendre (Grandgagnage, ricranxer). Cf. ci-dessous recrenerece.

crierece, action de crier. Voir God., crierece, et ajouter un exemple qui se trouve sous bruierresse.

croisserece, action de grincer. Voir Tobler, et God.,

CROISSERECE.

eschaverece, outil pour excaver ou pour râper : wallon haveresse, écrit xhavresse en 1568 (God.), pic à l'usage des houilleurs (Grandgagnage, haver 3) et râpe à sucre (Forir).

escumerece, écumoire : wallon houmeresse (Grandga- gnage).

estessinerece, tessinerece, cuiller pour arroser (estes- siner, tessiner') le rôti (Grandgagnage).

étoquerece. i . Carde pour étoquer (briser) la laine (Duhamel du Monceau, Art de la Draperie, 1765, p. 27). 2. Pièce de fer employée pour arrêter ou main- tenir (étoquer) d'autres pièces (Nouveau Larousse). Un lexicographe distrait ayant écrit corde au lieu de carde, le sens 1 a été défiguré. On lit, par exemple, dans Littré : « Etoqueresses, terme de marine, cordes longues de huit à neuf pouces » et dans le Nouveau Larousse: « Etoqueresse (Marine), nom donné à cer- taines petites cordes. » Mozin a correctement: « Eto- queresse, f. Card. Espèce de cardes de 8 pouces et demi de long sur 5 de large. » Et dire que 5 pouces de large n'ont pu empêcher de confondre une carde avec une corde !

guinderece, outil pour guinder : « guinderesse : de ce nom est appelée aux navires une poulie qui sert à guinder la voile du mast elle est amarrée » (Nicot,

LE SUFFIXE -AR1CIUS 109

1606 ; cf. Littré, Hatzfeld-Darmesteter, etc., et l'italien ghindereccia, cité Romania, XXXI, 135).

hacherece, outil pour hacher. 1. Wallon de Liège hacheresse, couperet. 2. Wallon de Namur hacheresse, planche épaisse sur laquelle on hache la viande (Grand- gagnage, hacher).

joixderece, ce qui joint, ce qui sert à joindre. 1 . Wallon jondresse, bordage, dit aussi jambresse (Grand- gagnage, II, 531, janbrèsez). 2. Wallon jondresse, var- lope (Grandgagnage, I, 257).

passerece, outil pour passer une manœuvre : « pas- seresse, moyen ou petit cordage... pour bien serrer la voile contre le mât » (Villaumez, Dict. de marine).

pescherece, barque pour pêcher (God., pesche- resse).

plaquerece, outil pour plaquer : plaqueresse, carde pour plaquer la laine (Duhamel du Moxceau, Art de la Draperie, p. 27). Souvent altéré, par la suite, en ploqueresse.

receperece, outil pour receper (scier transversale- ment) : wallon ricèperesse, grande scie pour ricèper (Grandgagnage, risèper).

recrenerece, outil pour recrener (entailler en suivant une ligne courbe) : wallon ricranneresse, espèce de scie servant particulièrement à préparer les bois de fusil (Grandgagnage, ricranxek). Cf. ci-dessus crenerece.

rejeterece, outil pour rejeter (gobeter, crépir) : wallon r'gettress, petite truelle (Grandgagnage, rijet, i).

reparerece, outil pour réparer (recrépir) : wallon ripareresse, répareresse, outil à l'usage des ripareû^ ou recrépisseurs. A Namur, répareresse, partie de la

1 10 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

machine appelée broie, qui sert à élever les bois (Grand- gagnage, riparer).

repasserece, carde pour repasser la laine (Duhamel du Monceau, Art de la Draperie, p. 27).

retenterece, retentissement. Voir God. et Tobler.

saimerece, outil pour saimer (aiguiser) : wallon séme- resse, pierre à aiguiser (Grandgagnage, semer 2).

soperece (?) : wallon sopresse, partie d'un chariot, pièce de bois transversale sur laquelle repose et pivote le hamai. A Namur sopresse, levain, probablement (Grandgagnage, soprèse i et 2).

traierece, action de traire (tirer). Voir God. et Tobler.

venterece, outil pour venter (vanner) : poitevin vent'resse, pelle à vanner.

IV. LES SUBSTANTIFS ABSTRAITS EN -1er

A la fin du paragraphe qu'il a consacré au suffixe -arius, Diez se contente de remarquer que l'ancien provençal « a beaucoup d'abstraits tirés de verbes », sans chercher à préciser l'origine de ces abstraits, sans même mentionner les formations analogues que possède aussi l'ancien français1. Ce n'est pas à arium, mais à -crium, que M. Meyer-Lûbke rattache cette classe de mots à laquelle il croit devoir joindre les dérivés italiens

1. Grain, des 1. r., trad. franc., II, p. 326. Diez donne la liste suivante : acordier, adobier, alegrier, alongnier, caitivier, castier, con- sirier, desirier, destorbier, encombrier, espaventier, milborier, pauprier, pensier.

LES SUBSTANTIFS ABSTRAITS EN -1ER III

en -ïo, dont le sens se rapproche beaucoup de celui de nos mots français et provençaux. Mais il n'arrive pas à asseoir solidement sa doctrine au sujet de. cet -ërimii. Voici d'ailleurs ses propres termes :

Pour expliquer ce suffixe, il faut peut-être partir de reprobare, anc. franc, réprouver, et improperium « reproche ». Il doit y avoir un compromis entre reprobare et improperare dans l'ital. rimproverare, et ainsi l'on peut croire qu'à côté de improperium, à l'époque p et b intervocaliques s'étaient confondus en v, on forma aussi, en partant de *reprovare, un *reproverium, lequel servit alors d'abstrait à *reprovare, et. permit de créer d'autres formes analogues. Dans cette hypothèse, il est vrai, on doit admettre que le mot-type s'est à son tour perdu en Italie et qu'en France le suffixe -èrium, qui autrement serait devenu -ir, a été influencé dans sa forme par -arium. Une autre hypothèse possible, c'est qu'on aurait cru voir dans -ier de conseillier et termes semblables employés comme sub- stantifs, non une finale d'infinitif, mais un suffixe, qu'on aurait alors adapté au radical *reprov-. Alors, choses toutes deux peu admissibles, il faudrait faire venir le prov. -ier du français et traiter à part l'italien -io ' .

La seconde hypothèse, que M. Meyer-Lùbke n'ex- prime d'ailleurs qu'en petit texte, est tellement invrai- semblable que je ne m'arrêterai pas à la discuter. Du moment que l'on considère le suffixe italien -ïo comme identique au suffixe gallo-roman -ier, on est forcé de repousser le type latin -ariiwi, accepté sans discussion par Diez. M. Meyer-Lûbke n'a pas pris garde qu'il

i. Grain, des 1. r., II, § 471, trad. franc., p. 561. M. Meyer- Lûbke cite, en provençal : alegrier, caitivier, consirier, deliurier, destorbier, encombrier, espaventier, pensier, plaidier ; en français : chaitivier, consirier, demandier, desirier, destorbier, encombrier, encon- trier, louier, parlier, pensier, reprovier, restorier. Treize ans aupara- vant, M. Fcerster avait déjà groupé les mots français dans sa note au v. 135 à'Aiol et Mirabel.

112 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

tirait sur ses troupes en faisant figurer dans sa liste de mots abstraits le français loyer. Il est absolument certain que loyer, comme le provençal loguier et l'espagnol loguero, vient du latin locarium, mot déjà employé par Varron ; mais il faut remarquer que loyer n'est pas un terme abstrait et qu'il n'a pas le droit de prendre rang dans la série qui nous occupe. Donc, malgré les appa- rences, la coexistence de locare locarium en latin1, de loer loyer en français, de logar loguier en provençal, etc., ne saurait être le point de départ du développement du suffixe abstrait -ier sur le sol de la Gaule. Je n'hésite pas à repousser le type -arium, proposé par Diez, pour me rallier à la manière de voir de M. Meyer-Lûbke ; je voudrais seulement présenter quelques observations complémentaires sur l'origine et l'extension de la dési- nence -ëriuiii.

A première vue, l'hypothèse d'un « compromis » entre reprobare et impropérium se heurte à une grave difficulté: c'est qu'en provençal p et b intervocaliques n'aboutissent pas au même résultat. La précieuse Caneton de Sancta Fides, que vient de nous rendre M. Leite de Vasconcellos, nous donne le pendant provençal du mot français reprovier, « reproche », sous la forme reprober2, qui remonte incontestablement à *repropèrium, formé d'après impropérium, par un simple changement de préfixe 3. Il faut donc trouver autre chose pour

i. Locarium est formé sur locus (et non sur locare), comme solarium sur sal.

2. Vers 331 (Romania, XXXI, 190).

3 . On trouve reprovier, reproier en provençal au sens de « pro- verbe », que connaît aussi le français, et repro\<ar, reproar au sens

LES SUBSTANTIFS ABSTRAITS EN -1ER 113

expliquer le développement du suffixe -ier en pro- vençal.

La Caneton de Sancta Fides nous fournit encore un mot fort intéressant, c'est consider1, que les textes pro- vençaux postérieurs ne connaissent plus guère que sous la forme consirier. L'étymologie est clairement le latin vulgaire *considërium, tiré de considerare sur le modèle de desidërium desiderare. La forme ordinaire consirier est plus récente ; elle est sortie d'un « compro- mis » entre le substantif primitif considier et le verbe *considrar, consirar. Si l'auteur de Sancta Fides avait eu à exprimer l'idée de « désir », il se serait probablement servi de *desider, qui est à la forme postérieure destrier comme consider à consirier2.

Les mots latins en -ërium, correspondants à des verbes en -ërare, nesont pas nombreux. A côté de impropërium et de desidërium, dont nous venons de parler, on ne peut guère citer que adultëriumî, impërium et refrigë- riuin, pour l'époque classique, delibërinm et vitupërium , pour la basse époque. Delibërinm est particulièrement intéressant: il figure dans une glose, il est rendu par le grec ftupti * : il a donc le sens correspondant à

de « reprocher » ; c'est bien d'un b latin qu'il faut partir. Le rapport sémantique de « reproche » et de « proverbe » n'est pas très clair : y a-t-il eu immixtion de proverbium, d'une part, de probrum, et ses dérivés, de l'autre ? La dissimilation de prétram en *probum serait conforme à la loi II de M. Grammont.

1. Vers 340 (Romania, XXXI, 191).

2. Je renvoie le lecteur pour plus de détails à l'article consider, qui figure plus loin dans les Recherches étymologiques.

3. Peut-être vaut-il mieux tirer adultërium de adultér, comme magistêrium de magistër et ministëriuvi de ministtr.

4. Corp. gloss. lai., II, 112, 39.

Thomas. II. 8

114 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

celui du verbe classique delibèrare, « délibérer ». Mais le latin populaire connaît delibèrare, « délivrer », em- ployé par Tertullien ; il est donc permis de supposer, parallèlement à delibërhim, « délibération », un *delï- bèrium, « délivrance », qui est avec le provençal deliu- rier dans le même rapport que desidërium avec destrier.

Je crois également légitime de faire remonter l'ancien provençal recobrier et l'ancien français recovrier, que ne citent ni Diez ni M. Meyer-Lûbke, et qui sont pour- tant des mots très usuels, à un type primitif *recupërium, de recuperare.

Il convient d'être plus réservé vis-à-vis de encombrier. Toutefois, si l'on remarque que le mot est commun au français et au provençal et très usité de part et d'autre, on inclinera à penser que l'existence d'un type *incombërium n'est pas invraisemblable. La belle étymo- logie de M. Meyer-Lûbke, qui suppose, comme on sait, une base gauloise *combero-1, trouverait une éclatante confirmation2.

Diez a admis pauprier, « pauvreté », dans sa liste;

i. Zeitscfo. fur rom. Philol., XIX, 276.

2. On pourrait songer à reconstituer un type *supcrium, de supc- rare, à cause du provençal sobrier, « supériorité », que M. P. Meyer attribue à Peire Vidal, vers 38 de la pièce Drogoman (Romania, II, 426). Mais on remarquera, d'une part, que les formations vraiment 'anciennes ne se trouvent qu'avec les verbes composés, de l'autre, que la leçon sobrier, adoptée par M. P. Meyer, est très probable- ment fautive, car les manuscrits appuient plus solidement sablier, de *saporarium, qui est donné par Raynouard et par Bartsch. En revanche, le prov. anc. sobriera pourrait être un ancien *sobiera, d'après un type *supëria qui serait à supërus dans le même rapport que misiria à misons. Quant à nessiera, « nécessité, disette », c'est certainement le lat. necessaria employé substantivement.

LES SUBSTANTIFS ABSTRAITS EN -1ER 115

c'est un mot rare, employé par Raimon de Miraval; on sait que la forme usuelle est paupriera, paubriera. Dans une leçon faite à l'École des Hautes Études le 21 janvier 1897, j'émettais l'hypothèse que le provençal paupriera représentait le type latin *paupëria modifié d'après l'adjectif paitpre, de paupër. Le poème de Sancta Fides confirme mon hypothèse, puisqu'il emploie la forme paupeira l, qui est à paupriera dans le même rapport que consider à consirier. Il est bien tentant de voir dans pauprier un ancien *paupier, représentant le latin classique paupëries. M. Meyer-Lûbke tire l'italien madiere et l'espagnol madero du latin matèries, le pro- vençal et l'ancien français tempier de tempëries2; mais l'espagnol madero vient de malhium, qui se lit en toutes lettres dans les gloses de Berne 3. Enfin l'espagnol con- naît aussi t&mpero, qui a le même sens que le provençal actuel tempier, et qui nous reporte à *tempërium, lequel se rattache peut-être directement à temperare. Mais il est possible que la désinence latine -èries, supplantée par -ëria, ait fini par être masculinisée en -ërius, sans que ce phénomène morphologique se lie nécessairement au procédé de dérivation qui, par l'addition du suffixe -ium, a tiré les substantifs abstraits en -ërium de verbes en -ërare. Il est donc prudent de hisser pauprier, madier et tempier en dehors de la série qui nous occupe, d'au-

1. Vers 102 {Romania, XXXI, 183).

2. Gramm. des tang. rom., II, § 372, trad. fr., p. 463.

3. Fcerster et Koschwitz, Attfr. Uebungsbuch, 2<* éd., col. 35. Le prov. actuel possède aussi madier, « varangue, bau », à côté de madrier ; cette dernière forme paraît influencée par le français moderne.

Il6 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

tant plus qu'on peut encore avoir formé, en latin vul- gaire, *paupèrium de paupër, comme magislërium de magistër et ministërium de ministër1. Dans ce cas, il faudrait considérer pauprier comme l'héritier de *pau- përium, au même titre que paupriera est l'héritier de * paupër ta.

Voici maintenant un inventaire, plus complet que ceux qu'on a tentés jusqu'ici, des mots abstraits en -ier, dérivés de verbes, que possèdent le français et le pro- vençal.

Le français n'est pas très riche. Les anciens textes connaissent les mots suivants : chaitivier2, consirier, desiier, desirier, destorbier, encombrier, encontrier > , frapîer ', mesalier*, meserrier 5 , pensier6, recovrier, remembrkri ',

1. Arbiterium, pour arbitrium, d'après arbitlr, se trouve plus d'une fois.

2. Le verbe correspondant est rare, quoique captivare existe en latin ; je ne connais que le gérondif chaitivant dans le Rendus de Moiliens, Caritè, exix, 10. Chaitivier serait-il dérivé directement de chaitifi M. Fcerster, qui est de cet avis, me signale l'ancien italien cattiveria, que ne mentionnent ni Diez ni M. Meyer-Lùbke ; cf. l'espagnol cantiverio, calqué sur le bas latin.

3. Godefroy n'a que enconlriere ; mais encontrier existe aussi. M. Runeberg veut bien me le signaler dans la Bataille Loquifer, Bibl. nat. fr. 1449, 144 ; il est fréquent dans Gaufrei, écrit encontrer, mais rimant en ier, 1651, 4789, 5910, 5953, etc. ; je le relève encore dans la Mort Aimeri, 3950, dans Huon de Bordeaux, 557, et dans Fietabras, 3859 et 3888.

4. Partenopcus, Bibl. nat. 191 52, 168 r°, dans God., mestor.

5. Ibid.

6. Beneeit, Ducs de Norm., II, 1970.

7. Gautier d'Épinal, II, 3, 7, dans Mém. de la Société néopbilol. de Helsingfors, III, 268 (communication de M. Wallenskôld).

LES SUBSTANTIFS ABSTRAITS EN -1ER n7

reprochier1, reprovier, restorier2. De ces mots, un seul semble avoir survécu : c'est destorbier,' encore usité à Guernesey et dans une partie de la Normandie (Eure). Il fout bien distinguer des substantifs abstraits en -ier les verbes dont l'infinitif a la désinence -ier, cette forme d'infinitif pouvant, comme toute autre, faire acciden- tellement fonction de substantif; on y arrive par une analyse sémantique délicate, appuyée sur de bons exemples, comme celui-ci : « Corrons par desiers et 'par esploiz des vertuz, car esploitiers est alers » (Ser- mons de saint Bernard, éd. Fœrster, p. 32).

Le provençal offre une moisson plus abondante. Mes dépouillements, combinés avec ceux dont a bien voulu me faire profiter M. Lévy, établissent la liste suivante pour le moyen âge : acordier, adobier, alegrier, alonguier, assegurier, autorgnier, autregier, caitivier (encore vivant), castiier, chantier (?), chaplier, constater (encore vivant), consirier (encore vivant), deliurier, demorier, desacordier, descordier, desirier, destorbier (encore vivant), empachier, empaitrier, encombrier (encore vivant), enogier (encore vivant), espaventier, gabier, galier, longuier (?), melhorier (encore vivant), panier (?), pensier (encore vivant), pertorbier, plaidier, podier, recobrier, reprobier, reprochier, reprovier (encore vivant).

J'ai noté chemin faisant les cas de survivance, d'après

1 . Godefroy ne donne ce mot qu'au sens de « reproche » ; on le trouve aussi au sens de « proverbe », notamment Gaufrei, 8862.

2. Je ne connais ni demandier ni parlier, mentionnés par M. Meyer-Lùbke. Quant à remuier, signalé par M. Tobler (Rom., II, 243), je crois que sa désinence correspond à -arium et non à -crium.

Il8 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

Mistral. La vitalité de ce suffixe n'a été nulle part aussi grande qu'en Gascogne, particulièrement en Béarn, elle s'affirme encore aujourd'hui par l'existence d'un grand nombre de mots dont certains peuvent remonter au moyen âge, mais dont beaucoup ont être créés à une époque relativement récente. Voici ceux que je relève dans le Dictionnaire béarnais de Lespy et Ray- mond : abeyè (ennui), acabè (achèvement), adiré (cha- grin d'amour), agané (réconfort), ahamiè (gloutonnerie), ahanè (avidité), amourré (engourdissement), arrepoè, reproé (proverbe), counsoulé (consolation), debeyé (en- nui), déisè (conversation), desabeyé (désennui), desa- coustumé (désaccoutumance), desbroumbè (oubli), descaré (effronterie), descounsolé (désolation), desestimé (méses- time), desfourtuné (ruine), desoundré (souillure), desoulè (désolation, abandon), dessenssé (perte du sens), embar- gué (obstacle), embarrè (clôture), embeyè (envie), estou- maquè (dégoût), gourriné (fainéantise), lâché (relâche- ment), ligué (travail pour lier les vignes), pregandè (traitement par les pratiques superstitieuses), queré (vermoulure, dépérissement1).

En dehors de la Gascogne propre, les seuls types anciens encore vivants sont caitivier, consi(d)ier, con- signer, destorbier, encombrier, enogier, melhorier et pen- sier. Le patois de Saint- Yrieix-la-Montagne (Creuse) connaît le substantif paier (prononcé poye), morceau de pain, de crêpe, etc., que l'on donne au chien pour le

i. Ils sont beaucoup plus rares dans le Dictionnaire gascon-fran- çais de Cénac-Moncaut ; j'y remarque cependant aouejè (ennui), arrecatè (cachette), caytiouè (misère) et perçasse (picorée).

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 119

« payer » de sa peine quand il a ramené un animal écarté; herbe, fourrage, etc., que l'on donne à la vache pour qu'elle se laisse traire : comme c'est le seul mot de ce genre que possède ce patois, il est pro- bable que paier est une création du moyen âge.

Après avoir précisé la filiation morphologique qui existe entre le suffixe abstrait -ier du français et du pro- vençal et la désinence latine ■criiim, il resterait à parler du rapport phonétique du roman au latin. Comme les formes romanes se sont absolument confondues dans les deux langues avec celles qui remontent au suffixe latin -arius, il vaut mieux ne pas aborder ici cette question; elle sera plus utilement traitée dans le mé- moire consacré à ce suffixe, mémoire que le lecteur trouvera à la page suivante.

V. L ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -âTlUS .

On a beaucoup écrit sur le suffixe -arius. Je n'ai pas la prétention d'avoir lu tout ce qu'on a écrit, mais, grâce au très consciencieux mémoire de M. Erik StaafF2, je crois n'avoir rien laissé échapper d'important et je demande la permission de dire mon sentiment sur la

1. Ce mémoire annule ce que j'ai écrit sur le même sujet dans Romania, XXI, 491-498.

2. Le suffixe -arius dans les langues romanes, Upsal, 1896. Les intéressantes observations présentées à cette occasion par M. Meyer- Lùbke (Kritischer Jabresb. IV1, 102 et s.) ne m'ont été connues qu'au dernier moment, grâce à une indication de Gaston Paris ; mais elles ne touchent pas au fond de ma thèse.

120 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

question, en me limitant toutefois au territoire de la Gaule.

Il est hors de doute que, dès les plus anciens textes français et provençaux, la désinence des mots qui corres- pondent à des mots latins finissant en -èrius, -èrium et -ëria est absolument homophone à celle des mots qui remontent à des types latins pourvus du suffixe -arius. Il paraît donc logique de conclure que, dans la période préhistorique du français et du provençal, -arius a été remplacé par -ërius. C'est ce qu'enseignait déjà M. Paul Meyer lorsque j'étais sur les bancs de l'École des Chartes, c'est-à-dire en 1876.

A quelle époque a-t-on dit -ërius au lieu de -arius ? L'étude des mots -arius est précédé d'une explosive palatale nous fournit un point de repère. Il est évident que cette substitution doit être postérieure, non seu- lement à l'assimilation du c latin devant e, i, phéno- mène relativement ancien, commun au français et au provençal, mais à l'altération du c et du g devant a, phénomène plus récent, propre à un territoire continu, qui est à cheval sur les domaines respectifs de ce qu'on est convenu d'appeler la langue d'oc et la langue d'oïl. Dans ce territoire, porcarius est devenu porcharius, puis porcherius, et finalement porchier, de même que locarium a parcouru les étapes successives logario, loiario, loierio, hier. Du moment que nous supposons l'évolution de a à e plus récente que celle de c à ch et de g à i, nous sommes à couvert du côté des palatales. Le changement de ^ en e dans le suffixe -arius nous apparaît donc comme celui de au en 0 que nous offre le français, et le rapport de porchier, hier à leur

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 121

type latin rappelle celui de chose à causa et de joie à gaudia.

Le passage de -arius à -ërius est-il un fait phoné- tique, ou sommes-nous en présence d'une substitution de suffixe ? M. Grôber s'est fait le champion de cette dernière doctrine. Je ne puis être prévenu contre la désinence -èrium, dont j'ai fait voir ci-dessus la vitalité et la propagation ; pourtant il ne me paraît pas vrai- semblable qu'elle ait pu franchir les limites que lui assigne son origine pour prendre la place de -arius, suffixe masculin, de -arium, suffixe neutre, encore moins de -aria, suffixe féminin. D'ailleurs il est facile de véri- fier, à l'aide des faits, le bien ou le mal fondé de cette hypothèse. On ne peut supposer que *denërius prend la place de denarius par substitution de suffixe, sans être forcé de convenir que Va doit être du même coup expulsé et de denarius et de ses dérivés; or, Va ne bouge pas dans les dérivés. C'est ce que montre clai- rement le provençal : voyez denairada, denairal, denairet, et les noms abstraits en -aria, comme cavalaria, leu- jaria, etc., à côté de denier, cavalier, leujier1. La cor- respondance de -ier tonique et de -air- protonique est si bien établie en provençal que l'on écrit abusivement menestairal pour menesteiral, du latin ministerialis2. Le changement de -arius en -ërius ne provient donc pas d'une substitution de suffixe.

i . L'affaiblissement de Va protonique en e qui est propre au français l'empêche de porter témoignage dans la cause. On remar- quera que denerce, de bonne heure denrée, repose, non comme le provençal denairada, sur le type latin *denariala qui aurait donné "denairiee, *deneiriee, mais sur *denarala.

2. Raynouard, Lex. roui., IV, 236.

122 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

La forme -ërius peut-elle être une étape du dévelop- pement régulier de -arius d'après les lois phonétiques connues ? En aucune façon, si l'on s'en rapporte au témoignage des mots latins qui présentent le même groupement de sons, non en fonction de suffixe. Area, latin vulgaire *aria, donne aira en provençal1, aire en français ; varius donne de part et d'autre vair. On voit clairement que Vi postonique en hiatus a passé dans la syllabe accentuée pour s'y combiner avec Va et que la diphtongue ai en est résultée. La même chose se produit dans la francisation des mots latins empruntés (contraire, de contrarius) ; mais ce n'est pas une raison suffisante pour contester le caractère populaire et tra- ditionnel de mots comme aire, glaire, paire, vair.

M. Staaff a repris k son compte l'idée de Gaston Paris d'après laquelle la désinence française -ier serait sortie phonétiquement de -arius latin précédé d'une palatale, et aurait supplanté la désinence normale -air des mots sans palatale. Mais le maître a déclaré depuis qu'il était convaincu que, d'après les lois de la phonéti- que française, -arius précédé d'une palatale aurait abouti à -ir et non à -ier2. Sans discuter ici ce dernier point, j'avoue qu'une explication qui laisse en dehors le pro- vençal, où l'action de la palatale sur Va est nulle, me fait l'effet d'un expédient.

i. Le provençal connaît aussi la forme iera, surtout dans la région orientale (de le nom de la ville d'Hyères) ; mais cette forme ne peut suffire à établir une loi phonétique, même si l'on y joint quèiro, quèro « artisan », du latin *caria, pour caries, à ce qu'il semble, gliere « gravier » (forme savoyarde), de*gîaria, pour glarea, etglèiro, glèro « glaire » (forme languedocienne), de *claria.

2. Romania, XXVI, 613 et XXXI, 490, n. 5.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 123

Dans l'état tant de travaux accumulés ont porté la question, je n'entrevois qu'un point lumineux, dégagé il y a longtemps par Gaston Paris: c'est que le sort de -arins en français et en provençal est lié à sa fonc- tion. Convaincu, d'autre part, qu'il ne s'agit ni d'une substitution de suffixe, ni d'un développement phoné- tique en harmonie avec les lois reconnues du français et du provençal, j'enseigne depuis plusieurs années que la seule hypothèse qui semble permise, pour concilier des faits en apparence inconciliables, consiste à sup- poser une loi phonétique exotique qui serait venue troubler la marche naturelle du français et du provençal. Je considère le suffixe germanique qui se présente en gothique sous la forme -areis comme l'auteur respon- sable de la transformation du suffixe latin -arius en -ërius, transformation irrégulière et a jamais inexpli- cable pour qui reste sur le terrain de la phonétique française ou provençale. J'imagine aussi que les innom- brables noms propres germaniques qui se sont répandus depuis le cinquième siècle sur la Gaule et qui y ont été latinisés dès la première heure en -charius et en -garnis ont singulièrement renforcer l'action du suffixe ■areis. Que ce suffixe germanique provienne lui-même d'un emprunt au suffixe latin -arius, comme l'ensei- gnent aujourd'hui les germanistes, ou qu'il ait une autre origine, peu nous importe. Il a évolué de -ari à -er, conformément à la loi de l'umlaut, en germanique : voilà tout ce qu'il nous faut retenir. A une époque la phonétique romane n'était qu'à ses débuts et l'on croyait que le latin -arius aboutissait tout de go au français -ier, Diez pouvait écrire : « Les noms de

124 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

l'ancien haut-allemand composés avec -hari, comme Gundahari, etc., changent leur a en ie, non point par une dérivation immédiate du moyen haut-allemand Gunthêr, etc., mais en vertu du même procédé qui transforme argentarius en argentiere1. » Aujourd'hui on est d'un tout autre sentiment. MIle Cipriani, qui a fait une étude spéciale des noms de cette catégorie, est arrivée à la conclusion que le suffixe -hari n'a pénétré en français qu'après avoir subi l'umlaut germanique, et elle est portée à croire que le suffixe des noms d'agents a suivre le même chemin2. On peut aller plus loin et dire : le suffixe latin -arius est devenu -ërius dans la bouche des Francs établis en Gaule, parce que, en parlant latin, ils ont été influencés par le suffixe germanique de forme et de signification analogues et par la désinence homophone de nombreux noms pro- pres germaniques; puis la prononciation germanique -ërius s'est généralisée, et a été adoptée par les popu- lations romanes elles-mêmes, comme par exemple, celle de *wastare, au lieu de vastare, d'où le provençal gastar et le français gâtera.

i. Gramm. des langues rom., trad. franc., I, p. 284.

2. Étude sur quelques noms propres, p. 42.

3 . Il n'est peut-être pas inutile de bien préciser que ma manière de voir, tout en se rapprochant de celle qu'a exposée, il y a quelque vingt ans, M. W. Foerster (Zeitscbr. fur rom. Phih, III, 508 et s.), s'en distingue en ce que je ne crois pas qu'il ait pu y avoir dans le latin abandonné à lui-même un phénomène spontané d'umlaut. Je dois ajouter d'ailleurs (et c'est Gaston Paris qui m'en avait fait la remarque) que M. Marchot a eu la même idée que moi et l'a exprimée en passant dans les Rom. Forsch., XII, 647, on lit: « Une transformation en francique de -art en -eri pourrait remonter

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 125

Si l'ancien haut-allemand offre encore assez tardive- ment des formes en -art, sans umlaut, nous sommes autorisés à dire que la langue des Francs a altéré l'a beaucoup plus tôt, .puisque nous trouvons la forme Berbero, pour Berhario, dans une charte de 766 '. Or, c'est aussi au huitième siècle qu'apparaît le changement de l'a en e dans le suffixe -arius: les plus anciens exemples sont sorcerus et paner dans les gloses de Rei- chenau, Warencerie dans un diplôme de Charlemagne daté de 774 2 et pomerius dans les gloses du ms. latin 912 de Saint-Gall, écrit au huitième siècle 3. On a cité, il est vrai, des dates antérieures : voyons ce qu'elles valent. M. Staaff indique Glanderiae en 5874; mais le document d'où provient cette forme est une généalogie de saint Arnoul, évoque de Metz, fabriquée au plus tôt du temps de Charles le

au sixième siècle et avoir détermine, d'abord dans les bouches franques s'essayant à parler roman, la transformation de -arius en -erius, puis chez les Romans. » Enfin, je me suis trouvé aussi d'accord, sans le savoir, avec M. J. Vising, car voici ce qu'il m'a écrit, à la date du 27 novembre 1902: « Cela m'a fait un grand plaisir de lire votre article sur les substantifs abstraits en -ier, comme aussi la thèse de MIlc Cipriani sur -hari. Je retrouve dans ces deux mémoires, en principe, une théorie que je n'ai cessé de prêcher depuis 1885, savoir que le français -ier est à l'allemand -hari. En effet, en 1885, j'ai envoyé à Gaston Paris un mémoire dans lequel j'ai essayé de développer cette théorie. Il me l'a ren- voyé avec quelques notes de M. Paul Meyer et cette conclusion que ni lui ni M. Paul Meyer n'y croyaient. »

1 . Comme premier élément de nom propre, Chari- affaiblit l'a en e dès 723 (Cipriani, p. 39).

2. Staaff, op. laud., p. 96.

3. Gcetz, Corp. gl. latin., IV, 2i9'9.

4. Staaff, op. laud., p. 125.

126 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

Chauve1. On a fait état aussi de Redeverus, nom de Reviers (Calvados) dans la vie de saint Vigor2. Mais si saint Vigor, évêque de Bayeux, a bien vécu au sixième siècle, son biographe, d'après M. l'abbé Duchesne*, appartient au huitième ; d'ailleurs que savons-nous des antécédents de Redeverus? Enfin, M. l'abbé Rousselot a cité, comme une preuve certaine de l'emploi de -ërius pour -arius dès le sixième siècle, ce passage d'une homélie du pape saint Grégoire : « Chrysaorius, quem lingua rustica populus Chryserium vocabaf». » Il s'agit de la langue rustique de la province dite Valeria, partie de la Hongrie actuelle à l'Ouest du Danube. Mais Chrysaorius n'est pas un nom en -arius. M. l'abbé Rousselot a beau dire que « la finale grecque -aorius ne devait guère être distincte pour le peuple de la forme classique -arius », il ne persuadera personne. Que le peuple de la Valeria ait dit Chryserius au lieu de Chry- saorius, je veux bien le croire, par déférence pour le pape; mais il est clair que ce n'est pas un phéno- mène de phonétique pure : c'est une substitution de désinence. Or, il y a assez de noms usuels en -erius dans l'onomastique courante du sixième siècle (Aetheriiis, Asterius, Desiderius, etc.) pour que l'affaire se règle entre -aorius et -erius sans faire intervenir -arius^. Un a germanique devenu e en francique (ou dans

i. Voir Dom Calmet, Hist. de Lorraine, preuves, col. 79.

2. Grôber dans Zeilschr.fùr rom. Phil., XIX, 63, note 1.

3. Fastes e'piscopaux de la Gaule, II, 213.

4. Les tiiodif. pbone't. du langage..., p. 254.

5 . A noter Potnerius, nom d'un abbé d'origine africaine mort en Gaule vers 498. Je ne crois pas que Poimiius soit pour Pomaritts ; mais comment est-il formé ?

L'ÉVOLUTION PHONÉTQUE DU SUFFIXE -ARIUS 127

tout autre dialecte germanique du haut moyen âge) a pu passer en français et en provençal et y être traité comme latin primitif, puisque le mot bief correspond au gothique badi1. M. d'Arbois de Jubainville a montré que le premier élément des mots français herban, herberge provenait du mot francique heri, gothique harjis, armée2. Il est vrai que le provençal semble avoir pour base, non pas heri, mais hari, car il dit alberc (dissimi- lation pour arberc), et cet a se retrouve dans les parties du domaine français qui confinent au provençal (Sain- tonge, Poitou, Bourgogne) 5. Mais il est d'accord avec le français en ce qui concerne le traitement de l'a de badi, puisqu'il a tiré de ce substantif germanique le dérivé beçah, dont Ye ne peut être issu de Ya primitif que dans les bouches germaniques.

On a l'habitude de distinguer deux couches dans les mots germaniques qui ont passé en français et en pro- vençal : la première comprend les emprunts faits par

i. C'est M. Meyer-Lùbke qui a attiré mon attention sur cet exemple auquel je n'avais pas d'abord songé (Zeitschr. fur rotn. Phil., XXVII, p. 506). Voyez Mackel, Die germ. Elemente, p. 89.

2. Romania, I, 139.

3. Même contraste entre le provençal et le français pour les noms propres dont ce mot constitue le premier élément ; au fran- çais Herbaut, Herbert, Hersent s'opposent Arbaut,Arbert, Arsen, etc. On pourrait proposer pour l'a provençal une autre explication et y voir la transformation d'un ancien e due, soit à la présence de IV (cf. Armengaut à côté de Erruengaut), soit à une autre cause (cf. Austorcs, du latin Eustorgius, Auduirt^ de Hildegardis, etc.) ; mais j'incline à admettre que l'a provençal est l'a germanique.

4. Le simple paraît exister dans l'auvergnat bèso et le forésien bie, enregistrés par Mistral; mais il serait bon de vérifier la forme et la provenance exactes de ces mots, ce que je n'ai pas le moyen de faire.

128 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

les Romans aux peuples germaniques qui vivaient au milieu d'eux, c'est-à-dire pendant la période qui suit immédiatement la grande invasion du commencement du cinquième siècle; la seconde, les emprunts posté- rieurs1. On serait volontiers porté à croire que le pro- vençal a reçu son premier fonds germanique des Bur- gundions et des Wisigoths, qui ont occupé pendant environ un siècle la région de la Gaule qui correspond à son domaine linguistique, et que ce premier fonds s'est augmenté par un nouvel apport aux Francs, qui sont définitivement restés maîtres du pays, de sorte que le provençal aurait deux couches successives pour la période primitive pendant laquelle le français n'en a qu'une. Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, il est certain que le provençal a dans son fonds germanique, à côté d'éléments très anciens et qui dominent, quelques traces d'emprunts faits à une époque plus récente. Qu'il y ait du burgundion et du wisigothique en pro- vençal, c'est fort naturel; mais il y a aussi autre chose, comme je vais le faire voir.

Le gothique a un thème mer- qui entre fréquemment comme second élément dans la composition des noms propres de personnes ; la forme mer- est devenue mar- en francique et a passé en roman du Nord avec cet a qui a été assimilé à un a latin primitif et traité comme tel2. Le provençal est d'accord avec le français; il ne connaît pas la forme gothique qui aurait conservé son e si elle avait été romanisée dans le Midi, mais la

i. Mackel, loc. cit., p. il.

2. Cipriani, Études sur quelques noms propies, p. 22.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -Akl US I29

forme francique : il dit A^emar, comme le français dit Aimer l.

Le poème de Sancta Fides contient un mot inconnu jusqu'ici dans le lexique provençal : le substantif esca^2. Ce mot veut incontestablement dire « trésor » et il vient non moins incontestablement du germani- que. Or, la forme gothique skatt ne peut expliquer la forme provençale, dont le % témoigne d'un état linguis- tique postérieur, état analogue à celui de l'ancien haut- allemand, qui dit sca^.

Il arrive même que les formes provençales sont plus néologiques que les formes françaises correspondantes. L'ancien français dit toujours guarir, garir, d'après warjan; au contraire, le provençal dit ordinairement guérir, et Ye de ce mot ne peut s'expliquer que par un emprunt à la forme germanique postérieure werjan, issue de la forme primitive par umlaut 3.

i. Il est vrai que le nom d'un maire de Bordeaux en 1243 se présente sous la forme Condamner (Luchaire, Recueil de textes gascons, p. 128); mais il est possible que ce norii provienne de la langue d'oïl. La conservation de Ye gothique n'a rien d'impossible, mais elle n'est pas encore pleinement établie. De même, en français, il est possible que les formes primitives en nier- se soient maintenues accidentellement ; voyez ce que j'ai écrit à ce sujet, Romania, XXXI, 433-434-

2. Eli prometrai tan gran escaz Qe tôt lo mal telant 1' esfatz.

(Vers 176-7, Romania, XXXI, 186; cf. journal des Savants, juin 1903, p. 343.)

3. L'e peut ensuite devenir i par un phénomène secondaire qui se produit aussi dans les mots purement latins : guiren, de guérir, comme sirven. de servir. Les indications données par M. Mackel, p. 182 et 183, présentent mal les faits: « germ. warjan afrz. prov. guarir ; anfrk. *xvcrjan frz. guérir. »

Thomas. IL 9

130 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

L'ancien français a toujours un / initial dans treschier « danser », qui correspond au gothique thriskan, et le provençal dit aussi trescar; pourtant il y a une trace, dans cette dernière langue, de la phonétique germa- nique postérieure. On relève en effet le substantif dresca « danse » dans un glossaire du quatorzième siècle1: le à initial correspond à celui du haut-allemand drêskan.

La constatation de faits de ce genre me porte à croire que l'hypothèse de l'action d'un umlaut germanique n'est pas plus inadmissible pour le provençal que pour le français. Il est vrai que Mlle Cipriani n'a pas trouvé dans le Midi des exemples aussi anciens que dans le Nord du changement de Va en e dans les noms propres en -harius; le plus ancien qu'elle cite est Magnerio, en 825 . Mais on peut remonter plus haut. Je m'aperçois que M1!e Cipriani a négligé une source importante, le polyptyque de Saint-Victor de Marseille, daté très exac- tement de 814, qui nous est parvenu dans le manuscrit original2. A côté de nombreux exemples de persistance de la désinence latine -aria (Leboraria, p. 641 ; vercaria, p. 642 et ailleurs ; Orsarias, p. 642 ; Frondarias, p. 643, etc.), j'y relève deux exemples de substitution de e à a : Tasseriolas, pour Taxariolas ?, et vergeria pour

1. Voyez Levy, Prov. Suppl.-Wœrterbuch, dresta : la correction de dresta en dresca est tout à fait évidente, bien que M. Lévy ne s'en soit pas avisé.

2. Publié en appendice du Carttilaire de Saint-Victor de Marseille, dans la Collection des documents inédits, t. II, p. 634 et s.

3 . Je suppose que ce nom est un diminutif de *taxaria, lieu planté d'ifs (taxus), et que *taxaria devenu *taxeria a influencé son dimi- nutif, bien que le changement de l'a en e ne se propage pas en provençal du primitif au dérivé.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 131

vercaria1, p. 634. J'y remarque aussi deux cas tout à Eût certains la désinence germanique a subi la même transformation : ce sont les noms de femmes Lauieria, p. 640, et Auteria, p. 642 et 649.

Mais je prévois une grosse objection contre l'hypo- thèse d'une influence germanique sur le suffixe -arius, soit en provençal, soit en français. Il y a beaucoup de mots germaniques susceptibles d'être altérés par l'um- laut-qui ont passé dans ces deux langues, par exemple la série des Verbes en -jan, comme hardjan, marrjan, tbarrjan, wandjan, warnjan, etc., et quelques substantifs en -ja (*happja, *harja) et en -jo (skankjo, wranjo) : comment se fait-il que, sauf pour badi > bief, l'action de l'umlaut ne se répercute pas en gallo-roman et que les formes romanes soient (h)ardir, marrir, tarir, g(u)andir, g(u)amir, apcha-hache, esc(h)an^-esc(h)an- so(n), g(u)aranho(n), et non *(h)erdir, *merrir, etc. ? Pourquoi le type germanique *harja donne-t-il en français hairc, comme le type latin *aria donne aire ? A cela il n'y a qu'une réponse : les types germaniques ont été romanisés avant que l'action de l'umlaut se fût manifestée. Mais on conçoit combien il serait intéres- sant de trouver des traces manifestes de l'action de l'umlaut en roman dans quelques autres mots pure- ment germaniques. Il me semble qu'il en existe. Si l'ancien français eschiere (par confusion eschiele) remonte régulièrement au type germanique shara, il n'en est

1. J'ai déjà eu l'occasion de citer ce mot {Mélanges, p. 48, n. 1) et de dire que j'en ignorais l'étymologie. Le^du polyptyque semble favoriser l'opinion de ceux qui le rattachent à *vcrvccaria, mais ce n'est qu'une apparence.

!}2 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

pas de même pour le provençal esqueira, qui paraît bien reposer sur *skerja pour *skarja. Enfin et surtout, les représentants provençaux qui correspondent au français haire sont particulièrement intéressants. Nous trouvons en effet concurremment cara l, quaira2, queiraî,quieirai, cheira 5 et chiera6. Assurément, il y a de quoi être surpris de voir un q ou un ch (selon les régions) correspondre à Yh germanique initiale 7; mais est-il possible, en pré- sence de l'identité sémantique, de douter que les dif- férentes formes provençales reproduisent un type primitif *harja}

Si la fusion de -arius et de -êrius s'est réalisée dans les conditions que je viens d'indiquer, il n'est pas extra-

i. Exemple unique cité par M. E. Levy, Prov. Suppl.-W., I, 209, d'après le Nouveau Testament de Lyon reproduit en fac- similé par M. Clédat.

2. Nouveau Testament de Lyon, reproduit par M. Clédat, 125, ire col.

3. Ibid., fa 277, ire col.

4. E. Levy, loc. laud., d'après Malin, Ged., 1241, 1.

$. Raynouard, Lex. rom., II, 392, et A. Thomas, Inv. des arch. comm. de Limoges, série AA, p. 1, 2e col.

6. Cette forme est indiquée par M. Emil Levy d'après Malin, Ged., 1242, 1, et Noulet et Chabaneau, Deux manuscrits prov., XXXI, 31 ; on la trouve aussi à Limoges, il y avait une con- frérie de las Chieras (ou Cheiras) et le mot était devenu syno- nyme de « suaire ». C'est par une regrettable étourderie que j'ai traduit cheiras par « chaises » dans Y Inventaire cité à la note pré- cédente. M. L. Guibert me signale ces deux passages d'anciens inventaires, tout à fait décisifs : « Enseguen se los noms deus cofrairs deu[s] paubres vistir e de la[s] Chieras, autramen deus Suairs la una cofreyria se appellava deus paubreys vistir e l'autra de las Chieras (sic), soy assabeyr deu\s\ Suaris. » (Archives de l'hôpital de Limoges).

7. Cf. le rapport du prov. gequir au germanique jehan.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 133

ordinaire que Va des mots comme *aria, *claria, pa- ria, etc., n'ait pas été atteint. On conçoit aussi, il est vrai, que cette tendance ait pu, danscertaines régions, franchir ses limites naturelles et se propager même à quelques-uns de ces mots; j'expliquerais volontiers les formes dialectales du provençal (jeta, *gliera et *quiera) par l'influence germanique1.

Le changement de Va en e est peut-être le point le plus important que présente la question du suffixe -ariits, mais ce n'est pas toute la question. Le traitement de 17 en hiatus, posttonique et sa réaction sur la voyelle accentuée a donné lieu aussi à une longue controverse, particulièrement en ce qui touche le français. Pour les uns, les mots actuels métier, Méxiëres sont les repré- sentants phonétiques très réguliers des mots latins cor- respondants ministërium, Macërias; pour les autres, au contraire, métier et Mégères présentent une désinence postiche empruntée au suffixe -arius, -aria ; il est même des philologues qui accorderaient volontiers que m'uiis- tërium donne régulièrement mestier, mais que Macërias doit donner *Maisires. Pour juger de la valeur de ces

1. Je me suis demandé (Romania, XXXI, 492, n. 3) si iera ne sortait pas d'une forme *aeria, contamination de area par aer. M. Schuchardt a relevé dans des textes du sixième siècle les formes abera, haera, aéra et même aère, au lieu de area (Vokalismus, II, 528), qui pourraient à la rigueur appuyer cette manière de voir ; mais, décidément, il me paraît plus sage d'y voir de simples étour- deries de scribes.

I$4 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

différentes doctrines, nous allons passer une revue impartiale des faits en nous efforçant, chemin faisant, d'en tirer quelque lumière sur les lois qui les régissent.

Commençons par le provençal, dont la phonétique est plus transparente que celle du français.

Les textes provençaux les plus anciens écrivent -er (oliver, primer, dans la Passion l ; consider, reprober, cavalier, etc., fans SanctaFides) ou -eir, -eyr (useire, de ostiaria, dans la Passion, v. 190; empeyr, magesteyr, escueir, etc., dans Alexandre; -eira dans toutes les dési- nences féminines de Sancta Fides) ; plus récemment on trouve -ier et -ieir. Si dans la région franco-provençale la présence de Yi dans -ier est due à l'influence d'une palatale précédente, puisque -er domine en l'absence d'élément palatal, dans d'autres régions il est impos- sible d'attribuer une pareille influence à la palatale pré- cédente, on trouve aussi -ier et -ieir. Il est à remarquer que la présence de la diphtongue ou de la triphtongue est particulièrement fréquente dans la désinence fémi- nine.

Tel est l'état de choses que nous constatons, par exemple, dans Sancta Fides. Normalement, ce texte écrit -er au masculin et -eira au féminin. Faut-il faire remonter la désinence masculine à un type spécial du latin vulgaire en acceptant la théorie de M. Marchot,

1. M. Waldner pense (Staaff, p. 35) que la forme baisair, qui se trouve au vers 148 de la Passion, remonte à un type latin *basia- rintn ; je crois plutôt que nous avons affaire à l'infinitif baisar, du latin basiare, employé substantivement, et que la graphie du scribe {-air au lieu de -ar) est due à la présence de la diphtongue ai dans la première syllabe de baisar.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARWS IJJ

c'est-à-dire en admettant que les formes en -er repré- sentent des nominatifs accusatifs *-èrus, -èrum, -èros sortis des formes contractes -èrl pour -ëril ? Faut-il, au contraire, admettre une loi de phonétique romane en vertu de laquelle -crium aboutit à -er par l'intermédiaire d'une forme -eir qui a perdu son i, tandis que les formes féminines en -eira l'ont conservé? Il n'est pas douteux que cette seconde manière de voir soit la bonne. En effet, le copiste de Sancta Fides écrit exceptionnellement obreir, de operarium, au vers 333, bien que les autres rimes soient en -er1. Dans la même tirade il écrit profer (il s'agit de la ire pers. sing. ind. prés, du verbe proferre, qui fait au subj. près, prof eira, vers 108) et enter: or, si on peut à la rigueur supposer une substitution de désinence dans enter, il est impossible de ne pas consi- dérer profer' comme une simple graphie pour *profeir, étant donné qu'à la même personne du même temps le copiste écrit deux fois qneir (vers 245 et 268), qui est à son type latin *qnaerio, comme *profeir à son type * profer io.

On a le sentiment bien net que tous les mots qui figurent à l'unique tirade en -er de Sancta Fides ren- ferment implicitement un i que le scribe a omis (sauf une fois, dans obreir du vers 333). Cette omission presque normale de Yi dans la désinence masculine est un fait dont il faut tenir compte assurément, mais je ne puis l'interpréter que comme l'indication d'une tendance qu'avait la langue (celle du scribe, et non celle

1. Telle est la leçon du manuscrit, bien que M. Leite de Vas- concellos ait imprimé obrer (voy. Journal des Savants, juin 1903, p. 341, note).

136 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

de l'auteur) à laisser tomber Yi dans ce cas, tendance qui ne se manifeste pas dans la désinence féminine correspondante.

Dans d'autres textes nous constatons l'accord du masculin et du féminin, soit à laisser tomber, soit à conserver Yi issu des désinences latines -ërhis, -ëria. C'est le cas, par exemple, d'une grande partie des textes gascons qui, dès l'origine, écrivent -er, -era, conformé- ment à l'usage actuel1. Faut-il supposer que là, le fémi- nin a fini par se modeler sur le masculin ? C'est fort possible; mais on n'en saurait fournir la preuve irré- futable. Pourquoi ne pas admettre que la forme fémi- nine a pu, elle aussi, se débarrasser de son i par voie phonétique ? Ne constatons-nous pas l'existence de formes provençales telles que ceriesa, gliesa, du lat. *cerësia, ecclësia ?

Comment expliquer la diphtongaison de en te ? On sait que le provençal ne diphtongue pas comme le français, c'est-à-dire quand aucune influence étran- gère n'intervient. Mais on sait aussi qu'il admet la diphtongaison lorsque est suivi d'un élément palatal. Or, c'est le cas ici : même absorbé par Yr, l'élément palatal agit, et c'est sa présence implicite qui explique le passage de -er à -ter, aussi bien que celle de -eir à -ieir. Il suffit de rappeler que / mouillée produit le même résultat et que velh passe à vielh. Mais, dira-t-on, pourquoi le passage de -er à -ter n'est-il pas aussi général que celui de velh à vielh ou celui de seis (= latin sex)

i . M. Bourciez a rappelé que dans le Nord-Ouest de la Gascogne on a -eir, -eira, et non -er, -era (Rev. critique, 1893, p. 263).

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS I 37

à skis}. Je n'en sais rien, et je tiens qu'on n'en peut rien savoir. Contentons-nous des résultats incontes- tables de la phonétique descriptive, sans vouloir tou- jours remonter aux causes premières, lesquelles nous échapperont peut-être éternellement. Quand nous au- rons un tableau complet, village par village, de l'état phonétique actuel des patois, nous pourrons nous ris- quer plus loin et plus haut1.

Arrivons au français. Les dialectes de l'Est (Lorraine et Bourgogne) ne soulèvent pas de difficulté. Il est reconnu aujourd'hui en gros, grâce surtout aux recher- ches de M. Horning, que le traitement de notre suffixe y .est en harmonie avec celui de suivi d'un élément palatal et de l'a précédé et suivi d'un élément palatal. M. Staaff remarque justement que « ceux qui tiennent à la substitution de -èriutn pourraient y voir une preuve en faveur de cette hypothèse2 ». Il en est de même, il me semble, à l'Ouest et au Sud-Ouest, car de part et d'autre on trouve les même formes, quoique réparties

1 . Il est bon de rapprocher la disparition de 17 dans les formes masculines qui correspondent à -êritis de sa disparition dans celles qui correspondent à -ôrius : orador, du lat. oratorium, tandis qu'on a toujours -oira dans les noms féminins. Mais cette disparition dans la désinence -ôrius est beaucoup plus étendue dans le domaine de la langue d'oc ; ce n'est que dans le Nord de la Gascogne (avcmduir, Luchaire, Kecueil, p. 79, 1. 2) et dans le Nord de la Marche (noms de lieux comme Lourdouei x-Sàmt-P'\erre, Lourdoueix-Saint-Mkhcl, L'Auradoueix, commune de Gouzon, représentant Oratorium') qu'on trouve des traces de 17. On peut aussi comparer la diphtongaison de l'ô dans côrium à celle de l'I dans miuistcrium ; si se diphtongue presque toujours et partout dans ce cas, cela tient à sa nature par- ticulière ; comparez fuec, luec (lat. fôco, luco) en opposition avec dec, pec (lat. *deco, pour dëcussis, *pcco, pour pëcus).

2. Loc. cit., p. 129.

138 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

différemment et n'offrant pas toujours de correspon- dance exacte entre le masculin et le féminin. Ces formes sont ordinairement: -er, ère; -eir, -eire. On trouve aussi -1er, -iere, comme en français propre, sans qu'il soit possible de décider s'il s'agit d'héritage ou d'acquêt. Un cas curieux se présente dans le Turpin saintongeois qui a ordinairement au masculin -ter (parfois -er) et toujours -eire au féminin.

Une objection se présente pourtant: on l'a faite à propos des dialectes du Sud-Ouest1, mais elle a une portée plus générale. Dans certains textes qui ont régu- lièrement ie issu d'un ë latin libre et non influencé, on a constamment -er, -ère quand il s'agit du suffixe -arius. « Nous pouvons y voir, dit M. Staaff, encore une preuve contre toute hypothèse d'un -crium latin. » J'y verrais au contraire l'indice d'un régime phonétique spécial la présence de 1'/ en hiatus du type étymo- logique entrave la diphtongaison de tonique. Même sans faire appel à l'espagnol, qui diphtongue de pëtra (d'où piedra) ou de përdo (d'où pierdo), mais non celui de matèria (d'où maderci) ou de pëctus (d'où pecho), on peut trouver des analogies dans la phoné- tique française. N'est-ce pas la présence de 1'/ en hiatus qui a empêché la diphtongaison de en eu dans la désinence -ôrius qui aboutit en français propre à -ôir, tandis que -ôrem aboutit à -eur ? Le fait que beaucoup de dialectes diphtonguent même de -ôrius et laissent tomber 1'/ en hiatus n'infirme pas le rapprochement, au contraire.

i. Staaff, p. 91 et 127.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -A RI US 139

En français propre (et l'on peut, semble-t-il, rattacher le picard et le wallon au français propre) la désinence qui nous occupe se présente sous la forme -ter. Sainte Eulalie nous offre menesiier de ministerium et conseilliers de consiliarios. Le poème de Saint Léger fait assoner biens, de bëne -h s, avec Lethgier, de Leodegarium ; voluntiers, de voluntariis, avec morutier, de monastë- rium; mislier, de ministerium, avec castier, de casti- gare, etc. Tout se ramène, semble-t-il, à savoir si, dans le français propre, mestier et maisiere sont les repré- sentants phonétiques traditionnels des types latins ministerium et macëria.

M. Horning, entre autres, pense que non. A l'ap- pui de sa manière de voir, il invoque1 les substan- tifs avoltire (lat. adultëriunï), empire (lat. impërium), ma lire (lat. matëria), et les formes verbales fife et mire, des verbes ferir et merir, qui correspondent aux types latins fëriam et *mëriam (pour mëreatn). Il est à peine besoin de faire remarquer que les trois substantifs cités ne prouvent rien : Ye final de avoltire, empire et le / médial de matire proclament assez haut que nous ne sommes pas en présence de formes remon- tant à la couche primitive de la langue française. M. Horning ajoute que la finale de monasterium n'a pu aboutir régulièrement en français à -ier car, corres- pondant au grec -r,p'.sv, elle avait en latin ê et non ë. Mais parler ainsi, c'est perdre de vue l'assimilation du grec y; et du latin ë que tout le monde est d'accord

1. Gramm. de l'anc. franc., p. 12, en tété de La langue et la litt. franc., de Bartsch et Horning (Paris, 1887).

140 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

pour admettre dans ecclësia, base de tous les mots romans, en face du grec huXipix : le latin vulgaire pro- nonçait certainement monasiërium , comme cantërius (•/.avOr(X'.:r) et psaltërium (^sX-rijptcv) : probablement aussi cœmetërium (xoijAïjr^ptcv), bien que nous n'ayons aucun témoignage vivant de la forme populaire de ce dernier mot.

Réservons pour le moment les subjonctifs fire et mire, pour ne considérer que les finales latines sans a. A côté des substantifs abstraits en -ter, nous avons une petite série de mots essentiellement populaires qui nous offrent uniformément la même désinence : chantier (lat. cantërhim), métier {ht. ministërium), mou lier (lat. monas- tërittni), psautier (lat. psaltërium), tempier (lat. *lempë- rium). Il y faut joindre les noms" propres Chariicr (lat. Cartërius, grec Kapréptsç), conservé dans le nom de lieu Saint-Chartier (Indre), Didier, Disier (lat. Desidë- rius) et Va lier (lat. Valërius) conservés dans une foule de noms de lieux et de personnes1.

i . Les noms de saints Eleulberius et Exsupêrius sont représentés par saint Lebire Tournav) et saint Spire Corbeil) ; mais il est manifeste que Lebire et Spire apartiennent à la 'même couche pos- térieure que avollire et empire mentionnés plus haut. Je laisse de côté quelques mots cités par M. Staaff (op. lattd., p. 94), notam- ment extérius, parce que je ne suis pas sûr que estiers, fréquent en provençal, existe aussi en ancien français, primiccrius, parce qu'il aune long (de primus et de cera) et que l'ancien français princier a pu permuter sa désinence primitive avec celle du suffixe -ariits, et *macoius, parce que la forme primitive est sûrement' *mercia- rius. On pourrait aussi faire état de l'ancien français danaitiers, endementiers (patois du Haut-Maine dementier) en le rattachant directement à un type du latin vulgaire *dumintëriis, mais dementiers peut aussi bien être une variante romane de dementier es, lat. vul- gaire *ditmiiitcrias, classique dum intërea.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 141

Il est tentant, en présence de ces faits, de considérer le passage de -ërius à -ier comme un phénomène normal et d'ériger en loi la diphtongaison de en ie et la dis- parition de 17. Que peut-on objecter à l'encontre ? La loi n'est-elle pas la formule qui s'applique à l'ensemble des faits et connaît-on d'autres exemples -ërius n'aboutisse pas k-ierï Mais remarquez combien il est étrange que varius, rasôrium et côvium conservent leur i et deviennent vair, rasoir et cuir, tandis que ministë- rium perd le sien et devient mestier, métier et non *mestieir, d'où par contraction *mestir, *mètir. M. Staaff a pris soin de formuler une « loi générale » pour nous tranquilliser et il dit : « plus la voyelle qui précède rj est d'articulation avancée, plus rj a de chances de se changer en r1 ». Mais, si je ne m'abuse, est aussi « avancé «'que Yë; n'empêche que rj aboutit à ir, et non à r, dans cuir. Que dis-je ? est plus « avancé » encore, et pourtant 17 tient bon dans rasoir. Passons, et consentons provisoirement à accepter que -ërium donne -ier. M. Morf a éloquemment protesté contre une certaine façon grossière de concevoir les phénomènes linguistiques2 et il est possible qu'en voulant conclure de -arius, -ôrius, -ôrius à -ërius nous méconnaissions la multiplicité des nuances phonétiques.

Examinons maintenant le cas de macëria. Nous avons le même résultat dans dément ieres (lat. vulg. *Jn»i'ui- tërias), Lisière (lat. Glycëria, grec VkwUçiz, nom d'une vierge honorée à Sens), maure* (lat. matërid) et Volière

i. Op. tattd., p. 89.

2. Archiv fur das SluJimii ier neucrm Sprachen, XCIV, 348.

3. Godefroy distingue deux mots nudert : l'un signifiant « menu

142 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

(lat. VaJêria, martyre honorée particulièrement à Limoges, qui a donné son nom à Sainte-Valière, fau- bourg de Nevers) ; et il ne faut pas oublier que macëria a servi à désigner un grand nombre de noms de lieux, dispersés aux quatre coins de la langue d'oïl (Aisne, Ardennes, Aube, Calvados, Charente, Deux-Sèvres, Doubs, Eure, Eure-et-Loir, Ille-et-Vilaine, Indre, Indre- et-Loire, Loiret, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Pas-de-Calais, Haute-Saône, Sarthe, Seine-et-Oise, Somme) et qui offrent tous la désinence -iêre (Mai- bières, Manières, Mégères, etc.). En présence de cette série se dressent les deux subjonctifs fire et mire, dont j'ai déjà parlé, qui remontent incontestablement aux types classiques fëriam, wëream et qu'il est impossible de considérer autrement que comme offrant dans leur i le développement phonétique régulier de IV latin de la désinence -ëria. Comment expliquer cette antinomie? Je me suis demandé x s'il ne convenait pas d'admettre que Yi latin en hiatus avait été plus résistant quand il était le signe du subjonctif que quand il était à l'état inerte, pour ainsi dire, dans la désinence substantive -ëria. Cela n'est pas aussi absurde qu'on pourrait croire, car il va de soi qu'il faut entendre par résistance du phonème la conscience conservatrice de l'individu qui

bois » et l'autre « levain qui sert à faire fermenter la bière et droit qu'on en payait au seigneur ». Ce sont en réalité deux sens du même mot, le premier dans la région lyonnaise, le second dans le comté d'Eu et à Tournai ; cf. l'intéressant article mayiri du Dut. ètym. lyonnais de Ni/.ier du Puitspelu ; ce dernier a tort de révoquer en doute le sens de « levain de bière ». i. Romania, XXXI, 490.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 143

le prononce. Mais cette idée ne me satisfait plus depuis que Gaston Paris en a, d'un mot, dévoilé l'insuffisance l. Comment, en effet, concilier sur le terrain phonétique cerise (lat. vulg. *cerësia) et maisière (lat. macëria) ? On dira peut-être, en songeant aux idées de M. Morf: il n'est pas légitime de conclure de -ësia à -ëria; qui sait si la présence d'une consonne différente n'entraîne pas la différence de traitement dont nous sommes surpris ? Et alors, pour être tout à fait édifié, il faudrait trouver un type -ëria qui ne fût pas une forme verbale et dont on pût constater l'évolution en français. Ce type-étalon, si je puis dire, je pense qu'on voudra bien le reconnaître dans le germanique *têri, latinisé en *tcria. La corres- pondance du germanique ê et du latin ë ne fait pas question2, et nous voyons que le provençal assimile complètement les désinences du substantif féminin signi- fiant « rang, file » qui correspond au germanique *têri, à celle des mots latins en -ëria et en -aria*. Or, le français propre dit tire*. Je me déclare converti et obligé en con-

i. Ibid., note j.

2. Mackel, Die germ. Elément, p. 77.

3. C'est ainsi, par exemple, que dans Sancta Fides, nous voyons teira rimer avec paupeira (lat. vulg. *paupèria), avec meira (lat. vulg. *mëriat pour tnëreat), avec obreira (lat. operarià), etc., etc.

4. Voyez Godefroy, tire 2, il n'y a que deux exemples isolés de Itère (au quinzième siècle, à Tournai). Il faut noter cependant l'existence de tiere dans quelques rares textes anciens dont je dois l'indication à MM. Tobler et P. Meyer: titres rimant avec genoillieres dans Enèas, 4426 ; tiere rimant avec manière dans le Poème moral, 1 276 ; tiere rimant avec entière dans Guillaume le Mareschal, 6852 ; tiere dans la partie en prose de Renaît le Nouvel (Méon, IV, 304, cité par Raynouard, V, 365). On trouve même tare rimant avec ère (latin erat) dans le Saint Martin de Peain

144 GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

science de confesser que la loi phonétique qui régit la désinence -ëria dans son évolution française est celle en vertu de laquelle cette désinence aboutit à -ire, comme j'ai toujours confessé que -aria ne peut aboutir qu'à -aire quand rien ne vient à la traverse de la phonétique romane. Et par cela même je me trouve amené à retirer l'adhésion provisoire que j'ai donnée à l'équation pho- nétique ministerium = mestier, et à faire la sourde oreille aux propositions de ceux qui veulent voir dans le masculin -ier le point de départ analogique du féminin -iere. En effet, ce masculin -ier m'apparaît lui-même comme suspect au point de vue phonétique. Je sais bien que M. Marchot a proposé une explication très séduisante de la disparition de 17 latin : d'après lui la forme contractée minisiërî (génitif singulier, puis nomi- natif pluriel dans le latin vulgaire qui transforme les neutres en masculin) aurait engendré *ministërus au nominatif, d'où mestiers. Il n'est pas possible d'accepter cette théorie parce qu'on ne saurait la limiter aux mots en -ërius et en -arius. Si elle était vraie, la même réduction se serait faite dans toutes les désinences mas- culines où il y a un i en hiatus : varï aurait engendré *varus au lieu de varias (vair), mallï, *mallus au lieu de maliens (mail), etc., etc. Or, on sait qu'il n'y a pas trace en français de formes de ce genre. Nous sommes fatalement ramenés aux mots latins munis du suffixe -arius: voyons si leur évolution première, telle que

Gastineau, 3174, et iere rimant avec père (latin patrem) dans Romania, VI, 497. Le caractère dialectal des formes titre, tere ne me parait pas contestable.

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS 14$

nous l'avons indiquée en gros, ne permet pas d'entrevoir une autre solution.

M. J. Vising, professeur à l'Université de Gôthe- borg, m'a écrit, à la suite de mon article paru dans la Remania d'octobre 1902, une lettre dont j'ai déjà cité un passage. Il admet comme moi l'action de l'umlaut germanique, mais voici comment il la conçoit :

« Selon moi, cet umlaut ne fait pas de -aria -eriu, mais -er, comme le portent les noms allégués par Staaff, p. 123 . Cet e s'est développé comme tout è libre : primer devient primier, comme fer devient fier... J'avoue que pour certains dialectes provençaux et français cette ana- logie n'est pas toujours facile à démontrer. Avec cet -ariu = -er on échappe à la remarque de Gaston Paris selon laquelle -eriu donnerait -ir, ce dont j'ai été d'ac- cord avec lui, Romania, XIII, 472. »

Je crois que l'idée de M. Vising a une grande portée. Il est facile de concevoir que la transformation de Va en e, transformation due à 1'/ de la syllabe suivante, se fasse précisément aux dépens de cet i. Les plus anciens textes anglo-saxons nous présentent toujours le suffixe germanique qui est -ari en haut allemand sous la forme -ère, dans laquelle l'affaiblissement de 1'/ en e et le changement de Va en e paraissent concomi- tants. Une transformation du suffixe latin -anus, -aria en -ërus, -ëra sous l'influence germanique est d'autant plus vraisemblable que nous avons précisément au hui- tième siècle, comme plus anciens exemples à citer de ce phénomène en territoire roman, le nom propre germa- nique Berhero (et non Berherio), le nom commun latin Thomas. II. 10

1 4^ GÉNÉRALITÉS ET MÉMOIRES D'ENSEMBLE

sorcerus (et non sorcerius) et le nom roman paner1. S'il en est ainsi, le français propre Berier, sorcier (et non *Berir, *sorcir) est sorti tout naturellement de là, et les désinences féminines correspondantes peuvent être con- sidérées comme aussi rigoureusement phonétiques que les désinences masculines.

Mais, dira-t-on, M. Vising reconnaît lui-même qu'il y a une objection grave contre son hypothèse : il est en effet impossible d'admettre « pour certains dialectes provençaux et français » l'identité de jërus et de prî- marius obtenue par la transformation germanique de primarius en *primërus. J'en demeure d'accord; mais quelle nécessité de vouloir tout expliquer du même coup ?Là où, comme en français propre, y^/- et premier sont absolument homophones, nous sommes bien obligés d'admettre que primarius est devenu *primërus. Mais nous est-il interdit par cela même de supposer qu'entre primarius, forme primitive, et *primërus, forme germanisée à fond, il y a eu une forme de compromis- sion *primèrius} En aucune façon. Pendant longtemps il a exister côte à côte, et peut-être dans la même bouche, des formes en -ërius et des formes en -ërus: chacune a fait son chemin, mais elle peut avoir traversé plus d'une fois celui de sa voisine. Même -ërus a triomphé, il faut supposer l'existence concurrente de -ërius, puisque c'est le seul moyen d'expliquer que les mots latins -ërius était héréditaire aient fini par être aiguillés eux aussi sur la ligne -ërius -arius.

i . La statistique des noms germaniques du Polyptyque d'Irminon donne ce résultat remarquable : désinences en-arins, -aria, environ 600 ; désinences en -erus, -era, environ 3 5 ; désinence en -ert'us, 1 .

L'ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU SUFFIXE -ARIUS . 1 47

En résumé, le suffixe latin -arhis a subi partout en Gaule le contre-coup du contact avec le suffixe germa- nique -ari et il a changé son a en e parce que le même changement était en train de se produire dans les bouches germaniques; mais, selon les régions ou les circon- stances, il a conservé ou perdu son i, et cette perte de 17, dont l'explication doit aussi être demandée à la phonétique germanique, s'est répercutée sur les mots latins en -ërius dont la désinence a été confon- due avec le suffixe -arius et a suivi, à partir de cette époque, la même évolution.

Tels sont les faits initiaux qui m'apparaissent dans la question du suffixe -arius. Malgré tout ce qu'on a écrit sur ce sujet, il faudra encore bien des recherches pour l'épuiser, et pour mettre en pleine lumière les conséquences dévastatrices de ce que l'on pourrait appeler un court-circuit entre la phonétique germanique et la phonétique romane.

DEUXIÈME PARTIE

RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

I. _ ACMELLE

Ce mot est un échappé des traités spéciaux de bota- nique qui ne jouit pas d'une grande notoriété dans la langue française l. Mon attention a été attirée sur lui par le Lat.-rom. tVœrterbuch de Kôrting, 2e édit., 426, art. alchemilla, lequel renvoie à Cohn, Suffixwandlungen, p. 49, note I, on lit ce qui suit :

« Acmclle fait l'impression d'une adaptation popu- laire du lat. alchemilla, dans la langue savante alchi- mille, en ital. alchimilla, en esp. alquimila; pourtant il est hasardeux de la considérer comme possible. D'ailleurs ce mot n'est relevé que par Sachs. »

La prudente réserve de Cohn n'a pas été imitée par Kôrting, malheureusement; il faut donc couler à fond une idée fausse qui ne repose que sur une étourderie de Sachs.

Il n'y a aucun rapport, ni botanique, ni linguistique,

1. Il n'est ni dans Hatzfcld-Darmesteter, ni dans Littré.

IJO RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

entre acmelle et alchhnille. Valchimille tire son nom de l'arabe al-kemelieh ; c'est une plante rosacée de nos climats, dont la variété la plus répandue porte les noms vulgaires de pied-de-lion, patte-de-lion, etc., en allemand lœwenfuss, lœwenklau. U acmelle est une radiée de l'Inde et de l'Amérique méridionale, que les botanistes actuels rattachent au genre Spilanthus et dont les variétés s'ap- pellent abécédaire, cresson de V Ile-de-France, cresson du Brésil, cresson de Para, etc. l. C'est donc à tort que Sachs traduit acmelle par lœwenklau2.

D'où vient ce nom à' acmelle, qui figure dans la der- nière édition de Trévoux (1771) sous la forme acmella ? D'après Larousse, il se rattacherait au grec àxp^ ; mais il n'en est rien. Un témoignage très précis, dont je dois la connaissance à mon ami M. le Dr Dorveaux, va nous renseigner à ce sujet. Il vient du célèbre natu- raliste anglais John Ray et se trouve dans le tome III, p. 228, de son Historia Plantarum (Londres, 1704):

« Ahmella, attcmella et hacmella, istis enim nomi- nibus missa mihi 1691 semina ex insula Ceylan, ubi nascitur et familiaris est... Cum barbarica sint hujus plantae nomina, de eorum originatione nihil habeo quod asseram. »

Donc, le mot acmelle vient de Ceylan, on n'en sau- rait douter ; c'est d'ailleurs ce qui se trouve confirmé par le récent répertoire des produits économiques de l'Inde publié par le gouvernement britannique,

1. Voyez par exemple Duchesne, Répertoire des plantes utiles (Paris, 1836), p. 143 et 245.

2. Mozin, en 181 1, donne acèmclla, acmella, acmelle, qu'il ger- manise en akmelle.

ACMELLE, AGNOUS «ji

l'on donne ahmalla comme le nom cinghalais du Spilanthes Acmella L1.

II. AGNOUS

Le comte Jaubert a relevé dans le patois du Berry un adjectif agnous (écrit agnoux) au sens de « doux, câlin, dolent, plaintif », qu'il dérive sans barguigner du latin agnus « agneau ». L'adjectif a donné naissance au substantif agnousetê, qui ne s'emploie qu'au pluriel2. L'étymologie du comte Jaubert est certainement mau- vaise. J'estime qu'il faut rapprocher l'adjectif berrichon de l'adjectif provençal moderne lagnous, que Mistral traduit par « chagrin, inquiet, triste, plaintif; chagri- nant ». Lagnous vient du substantif lagno (ancienne- ment lanha), sorti lui-même du verbe se lagna (ancien- nement se lanhar), qui correspond à l'italien lagnarsl et à l'espagnol archaïque lanarse et qui représente le latin laniare « déchirer » pris au sens figuré 3. Dans

i. G. Watt, Dict. of the économie products of India, tome VI, 3e partie (Londres et Calcutta, 1893), p. 329-330.

2. « Agnousetées, agnoustèes, s. f. pi. Doléances, plaintes, câli- neries enfantines. Joyaux d'une mariée. » Le dernier sens jure trop avec les autres pour qu'on puisse le rattacher au même mot ; j'ignore d'où il vient.

3. Kôrting, 2e éd., 5427. A la suite de Diez, Kôrting cite aussi Fane, franc, laigner. Il est possible qu'il ait existé en anc. franc, un verbe correspondant à celui du provençal, de l'espagnol et de l'italien ; à ce point de vue le berrichon agnous peut être considéré comme un indice. Mais ce verbe n'a pas été rencontré jusqu'ici. Diez a emprunté laigner à Carpentier (et Godefroy en a fait autant) ; mais dans l'exemple unique cité par Carpentier et

152 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

mes Mélanges d'étymologie française, à l'article assure, j'ai cité beaucoup d'exemples de la disparition d7 ini- tiale : on peut y ajouter le berrichon agnous (pour lagnous) et le manceau étanie (pour létanie, c'est-à-dire litanie), ce dernier relevé par M. Dottin dans son Glos- saire des parler s du Bas-Maine.

III. ALAQUANA

Dans un curieux recueil de recettes médicales rédigé en provençal, que M. Paul Meyer a publié récemment, on trouve la formule suivante contre la rogne, la teigne et les écorchures:

« Pren lo graujol1 que nais sus en las teulas de las maios e pisa lo, et ab aquel suc, cant l'auras calfat, que sera tebes, destempra alaquana e pausa la sus cant sera a for d'emplaust2. »

L'éditeur ne fait aucune remarque sur le mot ala- quana; comme ce mot manque dans Raynouard et dans Lévy, il n'est peut-être pas inutile d'en préci- piter le sens et l'origine. Alaquana désigne la drogue qu'on appelle couramment orcanette (le Dictionnaire de l'Académie écrit orcanète), autrefois alcanetle, orchanet (d'où l'anglais alkanet, orkanet dans Cotgrave) et arque- net (dans le Mesnagier de Paris, II, 235, qui en fait une

reproduit par Godcfroy, iaignoit doit être lu l'aignoit et rattaché à l'article baigner de Godefroy.

1 . Forme dissimilée deglaujol, glaïeul, iris (cf. Romauia, XXXII,

473)-

2. Romania, XXXII, 298, § 51.

ALAQUANA 153

épice), en provençal moderne arcaneto, aucaneto, ourca- neto, recaneto (Mistral). On distingue l'orcanette de France, qui provient de la plante dite aujourd'hui Alkanna tinctoria, jadis Anchusa tinctoria ou Lithosper- mum tinctorium, et l'orcanette du Levant, qui pro- vient de la plante appelée Lawsonia inermis. Le latin du moyen âge dit alchanna (Gérard de Crémone), d'après l'arabe al-hinna (d'où l'espagnol alhena, le por- tugais alfena, le français henné, etc.), et le mot provençal alaquana n'est qu'une adaptation de la forme latine, d'où l'ancien français avait tiré de son côté alchane, alcanne1. La présence de cette drogue dans notre recette provençale paraît toute naturelle quand on a présent à l'esprit ce passage de YAlmansor de Razi traduit par Gérard de Crémone : « Alchanna pustulis que sunt in ore et adustioni ignis remedium affert2. »

L'emploi de l'orcanette comme teinture rouge a amené un curieux développement sémantique dans différentes langues romanes : l'espagnol alhena s'ap- plique aussi à la maladie des plantes qu'on appelle la rouille (en espagnol roya), caractérisée par la couleur rouge sombre; le provençal moderne arcaneto désigne la coloration rouge que prend le visage sous le coup de la honte ou de la colère; enfin le français arcanne est en usage parmi les scieurs de long comme nom de

1 . A l'exemple cité dans le Dict. général, au mot arcanne, on peut joindre celui-ci, qui remonte au treizième siècle: « Prenez alchane et la destemprez o aisil », Simples médianes, 8 (ms. de la Bibl. Sainte-Geneviève).

2. Cité par Devic à l'article henné de son Dict. èlym. des mots d'origine orientale.

154 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

la craie rouge qu'ils délaient dans de l'eau pour y tremper leur cordeau et tracer les lignes qu'ils doivent suivre1.

IV. AMARINA, AMASINA

Raynouard a deux exemples du substantif féminin amarina2 ; M. Emil Levy n'en a pas rencontré d'autres dans ses dépouillements. L'un de ces exemples vient du cartulaire de Montpellier et est très explicite :

Amarinas verdas o secas, que son apeladas brins.

C'est par distraction que Raynouard voit des jets de « jonc ». Le mot amarino est encore très vivant aujourd'hui dans notre Midi : il s'applique à l'osier, non au jonc, et il est manifeste que c'est ce dernier sens qu'il faut adopter pour traduire le passage cité du car- tulaire de Montpellier. Les Bénédictins ont relevé ama-

i . C'est Devic, il me semble, à qui revient le mérite d'avoir vu le rapport de henné avec orcanette; le rapprochement de arcanne et de alchanna est à M. J. Camus (L'opéra salernitam « Circa instans », p. 32). Il est bon de remarquer que arcanne est un terme provincial de la région franco-provençale. Godefroy a relevé dans son Complément un passage des archives de Fribourg on lit : « créa roge que l'on appalle arcanne », et Du Pinet, dans sa traduc- tion de Pline l'Ancien (Lyon, 1562, tome II, p. 636), fait cette remarque : « Rubrica fabrilis. En lyonnais on l'appelle arcanne. » (Communication de M. le Dr Dorveaux.) N. du Puitspelu n'a pas d'article pour ce mot; mais on lit dans Gillérion, Patois de Vionnar, p. 138: « Arkanna, craie rouge dont se servent les char- pentiers. »

2. Lcx. rom.f II, 69.

AMARINA, AMASINA 155

rina dans le texte latin de la charte de commune de Bagnols (Gard), datée de l'an 1300; ils ont cru qu'il s'agissait de cerises amères ou griotes. Carpentier les en a repris et, citant à son tour le même mot dans les statuts d'Avignon et de Marseille, également en latin, il a proposé de voir partout de l'osier ' . Je suis tout à fait de son avis ; une fois n'est pas coutume.

Le second exemple produit par Raynouard est plus embarrassant : il vient de la Vie de saint Honorât de Raimon Feraut, on lit :

La grossa lansa Que es de fraysse o d'amarina.

Cette fois, Raynouard traduit par « cerisier sauvage ». J'ai de la peine à croire que le bois du cerisier sauvage ou griotier ait jamais servi à faire des lances; mais je ne vois pas non plus des lances en osier. Je suppose qu'il s'agit de quelque autre variété de saule : par exemple le salix alba (dit vulgairement osier blanc) ou le salix caprea (vulgairement marsaut, dans le Midi amarinas 2), qui est employé aujourd'hui pour faire des fourches, des sabots, etc. 5.

Dans le Tarif de Nimes du quatorzième siècle, cité par M. Emil Levy (au mot girlon), on trouve, à côté du girlon de sap (petite jatte de sapin), le girlon d'ama- sina. Il n'est pas douteux que amasina soit pour ama- rina, la confusion entre s et r intervocaliques étant un phénomène bien connu, et le salix alba ou le salix

1. Dans Du Cange, s. v°.

2. Mistral, s. v°.

5. Voy. Duchesne, Rép. des plantes, p. 328 et 329.

10 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

taprea pouvant aussi bien servir à faire des jattes qu'à faire des sabots ' .

V. AMBRO, AMBRE

Le patois lyonnais possède un substantif masculin ambro ou ambre2 (cette dernière forme s'étend aussi sur le Forez), qui désigne l'osier blanc ; oseraie se dit, en conséquence, ambriri. N. du Puitspelu tire le mot lyonnais du nom même d'une ville d'Ombrie, célèbre dans l'antiquité par ses osiers, Ameria, et il cite le vers bien connu de Virgile (Georg., I, 265):

Atque Amerina parant lentae retinacula viti.

A cette étymologie, M. Philipon objecte que « Ameria est inacceptable tant au point de vue historique qu'au point de vue phonétique : il eût donné un féminin, ambri » ; et il ajoute que le provençal amarino, invoqué par N. du Puitspelu, est le salix amara de Virgile 3. Je suis d'accord avec M. Philipon sur l'impossibilité phonétique d'identifier Ameria et ambro, ambre : ce n'est même pas ambri, c'est amiri qui serait le repré- sentant phonétique du type Ameria, dont aucune raison ne permet de révoquer en doute l'accentuation propa- roxytonique régulière. Quant au provençal amarino,

1. Sur le thème primitif de amarina, cf. ci-après l'article ambro,

2. N. du Puitspelu a tort de considérer ambre comme un mot féminin et de révoquer en doute l'existence de la forme ambro (voyez Romania, XX, 31 5-3 14).

3. Rom., XX, 313-314.

AMBRO, AMBRE I57

dont j'ai étudié la forme médiévale amarina1, il est bien certain qu'il représente un type *amarina, qui a pu sortir en latin vulgaire de l'adjectif amarus. Mais alors il faut excommunier le lyonnais et le forésien, car, si nous partons de amarus, il n'y a pas moyen de les prendre en route avec nous. Il semble pourtant difficile d'admettre que ambro et amarina, signifiant « osier » l'un et l'autre, n'ont rien de commun entre eux que trois phonèmes réunis au hasard.

Voici comment j'imagine les rapports étymologiques de ces deux mots. Le glossarium Amplonianum primum, qui se trouve dans un manuscrit d'Erfurth remontant au neuvième siècle, nous donne cette glose :

Atnera, genus salicis2.

M. Goetz propose de corriger amera enamerinaî ; la nécessité de cette correction ne m'apparaît pas. En supposant une forme masculine *amerus, nous avons un type excellent pour expliquer le lyonnais ambro; cela vaut mieux qu'une correction brutale. Comme le provençal actuel possède amarin et amarina, il n'est pas surprenant que le latin vulgaire ait possédé *amerus et amera. Or, que peut être *a?nerus? J'y vois une forme sortie, par formation régressive, de l'adjectif latin ame- rinus. Et à qui me taxerait d'excès d'imagination, je soumettrais les deux cas suivants.

Le latin possède un substantif axilla, bien connu.

1. Ci-dessus, p. 154.

2. Corp. gloss. lat., V, 342, ligne 4.

3. Thésaurus gloss. emendatarum, amera.

158 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Modifié en *axella, il a passé dans toutes les Ir.ngues romanes : il suffit de citer le provençal aissela et le français aisselle. A côté des représentants légitimes de *axella, nous trouvons aussi en provençal moderne un mot aisso qui, selon les lieux, signifie « aisselle » ou « aine » : il est clair que aisso remonte à *axa, forma- tion régressive d'après *axella.

Le latin possède un substantif maxilla, non moins connu que axilla. Modifié en *maxella comme axilla l'a été en *axella, il est devenu le provençal maissela et le français archaïque maissele, très vivants tous les deux dans maint patois du Nord et du Midi. A côté des représentants légitimes de *maxella, nous trouvons aussi en provençal moderne un mot maisso « mâchoire, ganache » et en comtois un mot maîche « bajoue ' », qui remontent clairement à *maxa, formation régres- sive d'après *maxella.

Naturellement, il est difficile d'affirmer que *axa et *maxa sont autre chose que des schèmes et ont réel- lement existé en latin vulgaire préroman, car on peut aussi supposer que la formation régressive n'a eu lieu que dans la période romane. C'est cette dernière expli- cation qu'il faut adopter, il me semble, pour le provençal moderne flage flauge, masculin, flajo flaujo, féminin, tiré de flagel flaugel, représentant le latin flagellum, au sens de « jet d'arbre ».

En tout cas, mon hypothèse pour expliquer ambro n'a rien de subversif. Je vois que, sans connaître les trois exemples que je viens de produire, M. Meyer-

1. Contejean, GIoss. du patois de Montbe'liard.

ASGELOT i $9

Lûbke admet que le latin vulgaire a tiré de cophinus deux nouvelles formes *cophus et *copha, qui sont repré- sentées aujourd'hui dans plusieurs dialectes italiens1. Revenant au provençal amarin, amarina, je suis porté à le considérer comme sorti réellement du latin amerimis par une contamination très ancienne de ama- rus, à laquelle le lyonnais et le forésien ont échappé2. Dès la fin du septième siècle on lit dans le Liber glos- sarum, rédigé en Espagne : « Amarina, genus virgulti amari 3 . »

VI. ANGELOT

Un troubadour anonyme, qui a chaussé les bottes du Moine de Montaudon pour écrire quelques strophes satiriques contre les femmes qui se fardent, mentionne, parmi les ingrédients dont se servent ces dernières, Y angelot :

D'angelot, de borrais an pro

E d'argcntat De que se peignon a bando Quan l'an mesclat.

Le mot angelot, que ne connaît pas Raynouard, a fort embarrassé la critique. M. Klein, dernier éditeur

i. Gramm. des langues rom., II, § 355.

2. Peut-être amera, "amerus ont-ils vécu aussi dans la région française : cf. le nom de lieu Ambrières (Marne, Mayenne), qui concorde étonnamment avec le lyonnais ambriri « oseraie ». M. Longnon, il est vrai, est porté à voir à la base de Ambrières le nom germanique Ambricns ; cette hypothèse me paraît très peu vrai- semblable et je croirais plutôt à l'existence d'un type * A mer arias.

3. Angelo Mai, Class. Auct., VII, 351.

l6o RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

du Moine de Montaudon », s'est borné à constater que rien, dans les différents sens du français angelot, ne convenait à l'explication de ce passage. M. Levy, dans son Prov. Snppl .-Wœrterb . , propose dubitativement de traduire par « sarcocolle » en raison de ce fait que le catalan moderne angelot signifie effectivement « sarco- colle ». Dans la version provençale du traité d'oculis- tique de Benvenuto de Salerne, qu'a republiée récem- ment M. Henri Teulié 2, on lit à plusieurs reprises le même mot: une fois angelot et trois fois angelhot. Dans deux de ces passages, le contexte ne nous apprend rien. Dans les deux autres, il semble donner tort à M. Levy, car il est ainsi conçu:

R?. angelot - 1., e sia blanc, e sarcocolli 1., e fay polvera4...

La polvera nostra alexandrina, ques fa amb angelhot et sarco- colli S...

Le traducteur provençal distingue donc Y angelot de la sarcocolle. Le texte latin 6 ne nous est d'aucun secours pour le dernier passage cité ; mais pour l'avant-dernier, il nous est précieux. Le voici :

R. azarum album, i. e. 7 sarcocollam, et pulverizetur.

i. Klein, Mônch von Montaudon, p. 8o (Unechte Ged. 2, 17).

2. En appendice au livre de MM. Pansier et Laborde intitulé : Le Compendil pour la douleur et maladie des yeulx qui a este ordonné par Bienvenu Graffe (Paris, Maloine, 1901). Il existe un tirage à part (Paris, Picard, 1900) d'après lequel je cite.

3. Abréviation de recipe « prends ».

4. Teulié, toc. laud., p. 13.

5. Ibid., p. 21.

6. Édition Berger et Auracher, Munich, 1884- 1886.

7. Abréviation de id est « c'est-à-dire ».

ANSOULOTE, SOULOTE

itifie donc Ya^arum Ce mot azarum paraît correspondre à l'espagnol archaïque a^aro, usité concurremment avec a^arote pour désigner précisément la sarcocolle. En tout cas, il est évident que le traducteur provençal s'est mépris sur le sens de l'abréviation i. e. : de sa distinction chimérique de l'angelot et de la sarcocolle. En fin de compte, M. Levy a deviné juste: le catalan et le pro- vençal angelot sont une déformation de l'arabe an^arot, sarcocolle, qui est aussi la source du mot espagnol ' .

VII. ANSOULOTE, SOULOTE

Je relève dans le Glossaire du patois de Montbéliard de Contejean cette courte mention : « Soulotte, s. f. Erminette. »' L'auteur ne s'est pas aperçu qu'il avait déjà enregistré un doublet du même mot : « Ansoulotte, s. f. Hcrminette des charpentiers. » J'en trouve une troisième variante dans Le patois des Fourgs de J. Tissot : « Soul'tot, s. f. Herminette, petite hache recourbée d'avant en arrière, dont le tranchant même décrit une courbe. » Enfin, je lis, dans le Patois de la Franche- Montagne de M. Grammont : « Soûlote, erminette de charpentier pour creuser les chéneaux : origine incon- nue. » L'étymologie reste donc à dégager: c'est chose facile.

La désinence est diminutive et correspond au fran- çais commun -elle-, si le mot se trouve un jour dans quelque très ancien texte, il apparaîtra sous la forme

i. Dozy et Engelmann, p. 195.

Thomas. II. 11

162 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

*aissolete: le simple sera, selon la région, *aissole ou *aissuele, du latin asciola, qui figure dans Isidore de Séville et qui est lui-même un diminutif de ascia, en ancien français aisse. J'ai déjà eu l'occasion de parler de ce dernier mot et d'en signaler les diminutifs ais- seau et aissette comme encore vivants ' : je ne m'étais pas alors avisé de l'existence de *aissolette.

Il est intéressant de constater que l'ancien français a connu un représentant de asciola, comme le provençal, qui possède aissola, et l'espagnol, qui possède a%iiola 2 ; les patois actuels n'ont conservé que le diminutif, et sous une forme si obscure au premier aspect que M. Gram- mont lui-même n'a pas vu que dans soûlote il y a ascia.

VIII. ARBELHA

On lit dans le Dictionnaire béarnais de Lespy et Raymond : « Arbelha-fave, fève avec sa cosse : Milb, arbelha-fave, millet, fève avec sa cosse. D. C. arbe- glus : faba arbegla. » Le Glossarium meàix et infimx latinitatis de Du Cange rend beaucoup de services, mais il est parfois dangereux, surtout et c'est ici le cas quand ce n'est pas à Du Cange lui-même, mais à son continuateur Carpentier qu'on a affaire. Donc, Car-

i . Mélanges, p. 8, art. aissade. J'aurais signaler la survivance de ascia dans le patois du Blaisois sous la forme dsse (Thibault).

2. Kôrting ne mentionne que l'espagnol annota, qu'il explique correctement par asciola, mais qu'il place bizarrement à l'article *ascicellus (929) au lieu de le ranger sous ascia (928). Au dernier moment, je m'aperçois que Godefroy a relevé essaie et essolate dans un texte de 1 348 provenant des archives du Doubs : il tra- duit par « sorte d'outil employé par les charpentiers », sans plus.

ARBELHA i6j

pentier, ayant dépouillé les statuts de Mondovi (en latin Mons Regalis), y a relevé ce membre de phrase : « Pro quolibet sextario fabarurn non fractarum et arbeglarum. » Il a cru bonnement que le dernier mot, arbeglarum, était, tout comme fractarum, un quali- ficatif de fabarum. Mais les fèves sont une chose et les arbegle une autre. Il ne faut pas être grand clerc en botanique ni en philologie romane pour recon- naître qu'il s'agit d'une plante légumineuse analogue à celle qui s'appelle en italien rubiglia, en ladin arbeja, en espagnol arveja, en portugais ervilha, etc., tous mots venus du latin ervilial.l\ est évident que le texte cité par Lespy et Raymond contient trois choses distinctes : milh (millet), arbelha, fave (fève).

Le mot arbelha est encore vivant dans la région toulousaine 2; dans l'Armagnac, notamment à Saramon et à Lanne-Soubiran 3, et dans le pays d'Albret4 : il désigne la jarosse?. Il est à croire qu'il s'agit du même légume dans l'ancien texte béarnais, bien que nos dictionnaires traduisent ordinairement le latin ervïlia et l'italien rubiglia par « ers ». En tout cas, il est bon de prendre note que le mot latin n'a pas disparu sur le versant nord des Pyrénées.

(Mélanges Léonce Couture, p. 257.)

1. Voyez Kôrting, 3285, et Romania, XXVII, 237.

2. A. Duboul, Las Plantos as camps, 2* éd., p. 10, art. arbeillo; Rolland, Flore pop., IV, 215.

3. Communication de M. Ducamin.

4. Rolland, Flore pop., IV, 225.

5. La vcsce cultivée, dans l'Albret, d'après Rolland, loc. lauà.

164 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

IX. ARMORIJO

Quatre noms de vents se trouvent réunis dans ces vers du fabuliste limousin Foucaud :

Môgra Y auto, môgra lo bi\o, Môgra lou pluyau, Yarmorijo1.

Un seul est particulièrement digne d'intérêt, c'est armorijo. L'excellent Emile Ruben, à qui l'on doit la seule édition annotée de Foucaud qui existe, glose ainsi ce mot :

« Vent d'Armorique ou de Bretagne, c'est-à-dire du N.-O. »

Puis il appuie sa glose d'une citation de Roquefort ainsi conçue :

« Dans l'ancien français, armorique signifiait le bord de la mer, la côte maritime. »

Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, cette étymologie n'a pas souri à Mistral. Voici, en effet, ce qu'on lit dans le Trésor doit Felibrige:

« Armorijo, voyez amarijo. Amarijo, armorijo, substantif féminin. Vent qui souffle de l'Ouest, du côté de l'Océan, en Limousin. Racine: amarés. »

Ce n'est plus de l'Armorique ni de la mer que notre vent tirerait son nom, mais de son amertume.

Reprenons la question et tâchons de l'élucider.

i. Lou Rouvei et l'Ossolei, vers io-i i, édit. Ruben (Paris, Didot, 1866), p. 3 1 . Il va sans dire que je reproduis la graphie de l'édition.

ARMORI. 10 . 165

La rime de Foucaud n'est pas riche et pourrait ins- pirer des doutes sur la vraie désinence du mot. M. Louis Guibert, à qui rien de tout ce qui touche le Limousin n'est étranger, m'écrit qu'on prononce bien nettement à Limoges armoridjo, ce qui rimerait parfaitement avec midjo, du latin mica. Quant à Vo de la syllabe -mo-, Emile Ruben aurait dû, pour être conséquent avec son système orthographique, le noter par ô, car il est issu d'un ancien a. La forme médiévale était, sans aucun doute, armarija.

Au lieu de la forme féminine, on emploie, du côté de Pierre-Buffière et de Saint-Germain-les-Belles, la forme masculine armori. Dans les cantons de Saint- Léonard et de Châteauneuf, on ne prononce pas armori, mais armouri. Voilà pour la Haute-Vienne.

Dans la Creuse, je ne connais que le masculin armouri (Iloyère, Saint-Yrieix-la-Montagne, etc.) et le féminin armourijo (Saint-Sulpice-le-Donzeil), que j'ai entendus l'un et l'autre de mes propres oreilles. Partout ce terme désigne précisément le vent du Nord-Ouest et non le vent de l'Ouest : ce dernier s'appelle ordinairement irover, troverso ou vent de ba (vent de bas).

La coexistence du genre masculin et du genre féminin s'explique facilement si l'on admet que le type étymo- logique était un adjectif latin, et qu'on l'a employé tantôt au masculin, en sous-entendant le substantif ven- lus, tantôt au féminin, en sous-entendant le substantif aura.

Le rapport historique de armouri au latin gallo-romain armoriais se heurte à une objection : la quantité de 17. Ausone et Sidoine Apollinaire scandent ârèmôrïcus, et

166 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

le breton actuel arvorek indique que le suffixe -icus avait un i bref1. Or, le limousin armouri, antérieurement *armoric, ne pourrait remonter qu'à un type *armorïcus, car *armorïcus aurait abouti nécessairement à *armorge. Avons-nous le droit de supposer l'existence, dans le latin des Gaules, d'un type *armorîcus qui aurait été employé concurremment avec armoricus ? Je le crois. Fortunat a écrit cet hexamètre :

Ultima quamvis sit regio Armoricus in orbe2.

Il scande donc armoricus. Je n'ignore pas que la pro- sodie de Fortunat est très artificielle ; mais comme il me paraît impossible, en me plaçant sur le terrain pho- nétique, de trouver au limousin actuel armouri un autre type étymologique que *armorïcus, je n'hésite pas à affirmer l'existence réelle de * armoricus, à côté de armoricus. Il n'est pas douteux que le gaulois ait eu côte à côte, tout comme le latin, un suffixe -icos et un suffixe -icosi. Trois mots limousins, dont le thème ne paraît pas exister en latin, nous offrent incontesta- blement la désinence féminine -ica : ce sont boueijo (friche), chambijo (timon d'araire) et le nom de lieu fréquent artijo (artige), qui étaient à l'origine *bodîca, *cambïca, *ariica*. La désinence masculine -icos apparaît,

i. Voir, pour le détail, l'article aremoricos de X All-ctltischer Sprachschati de M. Alfred Holder.

2. Holder, loc. laud.

3. Zeuss, Gramm. celtica, 2* édition, I, 850, cite même comme exemple le breton armorie, mais 'je n'ose faire fond sur cet exemple, qui doit être d'origine savante.

4. Voyez ce que j'ai dit de ces trois mots dans le Bulletin de la Société des Parler s de France, I, 133.

ARMORUO 167

elle aussi, dans Glémc (Corrèze et Creuse), au moyen âge Glanigus1.

Le passage de *armorïcus, *armortca à armouri, armou- rijo n'offre pas de difficulté. Si l'on s'étonnait du maintien de la protonique non initiale, je n'invoque- rais pas seulement l'existence du groupe protecteur -rm-, mais je rappellerais que dans la toponymie de la Gaule il y a plus d'un cas la loi de Darmesteter n'est pas appliquée, même en l'absence de groupes pro- tecteurs. Pourquoi Angoulême de Iculisna, pourquoi surtout VeT^zpux (Haute-Loire) de Vesedonum2}

Il me reste à rendre compte de la forme proprement limousine, dans laquelle la syllabe médiale -mon- est remplacée par -mo-, comme si le type étymologique était *ar marie us, armarica. Ici encore je fais appel, sinon à Fortunat lui-même, du moins au manuscrit lat. 14 144 de la Bibliothèque nationale (neuvième siècle) qui con- tient ses poésies et on lit armaricus, au lieu de armoricusK II n'est pas invraisemblable que les Gallo- Romains aient eu conscience que le gaulois mon et le latin marc étaient synonymes ; une forme hybride *ar- marïcus peut être née de ce sentiment. M. d'Arbois de Jubainville veut bien me faire remarquer que la peu- plade gauloise qui a donné son nom à la ville de Bayeux est appelée par Pline Bodiocasses et que la forme pos-

1. Delochc, Eludes sur la géogr. hist. de la Gaule, p. 356.

2. Sur Veqapux, voyez Remania, VII, 264. En Limousin même, nous avons Chamborand et Cbamboul ivc , le premier dans la Creuse, le second dans la Corrèze, dont les types étymologiques sont Cam- borentum et Camboliva.

3. Variante indiquée par Holder d'après l'édition récente qui fait partie des Mouiuiiciitu Gtrmaniae.

168 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

térieure Badiocasses, d'où provient directement Bayeux, paraît due au fait que le latin badins était synonyme du gaulois *bodios. En tout cas, les formes divergentes que nous trouvons employées aujourd'hui dans la Haute- Vienne ne sauraient être appelées en conciliation devant le tribunal de la phonétique romane : le latin vulgaire seul peut les mettre d'accord.

Cette note est déjà bien longue ; il faut pourtant que je fasse encore une remarque. Autant que je puis savoir, le Limousin est le seul pays roman de France le mot armoriais ait survécu dans la langue courante sous une forme populaire. S'il y a survécu, c'est qu'il s'est, à un moment donné, appliqué spécialement à un vent qui soufflait de l'Armorique. Il est probable que les Lemovices n'ont pas été les seuls, à l'époque gallo- romaine, à se servir des expressions venins armoriais et aura armorica: leurs voisins les Pictavi, les Bitu- riges et les Arverni n'étaient pas plus qu'eux à l'abri du vent d'Armorique. Ce qui est sûr, c'est que la tra- dition s'est faite, sans interruption, des Lemovices d'autrefois aux Limousins d'aujourd'hui, tandis que les Poitevins, les Berrichons et les Auvergnats n'ont rien hérité de leurs lointains ancêtres. Vraisemblablement, si l'expression de venins armoriais s'est conservée en Limousin, et en Limousin seulement, c'est qu'elle a été plus usuelle, plus populaire qu'ailleurs : qui n'en conviendra? On aimerait à savoir pourquoi il en a été ainsi, et s'il est vrai que rien n'arrive sans raison.

Un aimable Limousin, membre de l'Académie des Inscriptions, Maximin Deloche, a écrit une longue dissertation pour prouver que les Lemovices du Limou-

ARREDOGUE 169

sin avaient une colonie à l'embouchure de la Loire, et que c'est précisément cette colonie que César a en vue quand il mentionne {De bello GalL, VII, lxxy, 3) les Lemovices parmi les peuples de l'Armorique1. Si Deloche ne s'était pas trompé, comme on comprendrait bien que le Limousin eût été le pays d'élection de l'expression ventus armoricus ! Malheureusement, Delo- che n'a rien trouvé qui puisse laver le texte de César du reproche de suspicion légitime qu'on lui fait depuis Scaliger, et la preuve palpable de l'existence des Lemo- vices d'Armorique reste encore à trouver. Les historiens n'ont point coutume de se paître de vent et je les en loue : aussi me garderai-je de leur présenter mon armouri comme un commencement de preuve en faveur de l'opinion de Deloche2.

(Revue des parler s popul., année 1903, p.161-165.)

X. ARREDOGUE

Le mot arredogue figure au pluriel dans le Diction- naire béarnais de Lespy et Raymond, avec cette traduc- tion : « environs, alentours ». Comme ce mot semble avoir disparu du patois actuel, les auteurs ne fondent leur traduction que sur un rapprochement arbitraire avec l'espagnol alrededores. Ce rapprochement n'est cer-

1. Etudes sur lagèogr. hist. de la Gaule, p. 438-487.

2. Je m'étonne que cette opinion ait paru plausible à un maître tel que M. Longnon (Atlas historique de la France, texte, p. 10). M. J. Loth l'a vigoureusement combattue dans sa thèse latine, De vocis Aremoricae forma atque significatione, publiée en 1883.

170 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

tainement pas légitime. Voici les deux textes que cite le Dictionnaire béarnais; ils viennent du Livre d'or de Bayonne :

« Arrecurar l'ester dou moulin et gitar la terre eu brag sa e la per les ar redogues de l'ester. Anaven perYarredogue dou barad com per camin comunau. »

Il me paraît donc que arredogue appartient à la même famille que le provençal doga et le français douve et qu'il désigne le revers de la douve, c'est-à-dire le côté opposé au fossé (barad) ou au chenal (ester). Le mot est clairement composé avec le préfixe re-, sous sa forme gasconne arre-, et le substantif dogue « douve », comme arredezyne « dîme supplémentaire » (en latin du moyen âge redecima) ou arrepunt « arrière-point ». On trouve dans un autre texte béarnais la forme redo- gue, que les auteurs du Dictionnaire ont relevée à son ordre alphabétique sans en indiquer le rapport avec arre- entroo a la redogue deu camp deu senhor dejasses. {Mélanges Léonce Couture, p. 2S7-258.)

XL ASSANHA

Raynouard a enregistré un substantif féminin assana et l'a traduit par « chiffon » '. Il n'a qu'un exemple, de Daudé de Pradas. Le même exemple lui a servi, sans qu'il y prît garde, à constituer un article sanha « gri- mace, moquerie2 ». L'étude attentive de la chanson

1. Lex. rom., II, 134.

2. lbid., V, 154.

ASSANHA 171

figure ce mot, et qui a été publiée depuis par M. Cari Appel ', montre que la rime appelle une désinence en -anhct, et non en -ana. Le contexte demande un mot qui désigne un objet de peu de valeur, susceptible de se combiner avec le verbe pre^ar; comme le scribe du seul manuscrit qui nous ait conservé cette chanson écrit unassana, on est fondé à penser qu'il faut lire un assanha. M. Emil Levy se demande s'il ne faudrait pas corriger en un aulanha « une noisette ». Une cor- rection aussi violente est bien dangereuse. Je crois que assanha doit être conservé et traduit par « cenelle2 ». Parmi les formes diverses enregistrées par Mistral dans ce sens, à l'article acino, je relève arsano, usité dans l'Ariège; je puis attester personnellement que dans le Gers (Mauvezin) on dit ansano, ce qui n'a rien de sur- prenant, puisque Mistral donne le dérivé ansancllo, et que Duboul a relevé aousano dans les environs de Toulouse?. Si l'on remarque que le provençal possède concurremment aulana et aulanha (des types latins vulgaires abellana et *abellama) pour désigner la noi- sette, on admettra facilement qu'il ait oscillé entre assanha et *assana pour désigner la cenelle. Quant au thème du mot, qui doit être le même que celui du français cenelle, j'ignore d'où il vient : Pétymologie courante, qui le tire du latin acinus, est pure fan- taisie.

1. Prùv. Inedita aus Paris. Handschr., p. 88.

2. Voir dans God., Compl., v°cenele, trois exemples de l'expres- sion ne valoir une cenele, ne valoir deux ceneles ; il serait facile, pro- bablement, d'en trouver d'autres en ancien français.

3. Las Plantas as Camps, 2 e éd., p. 9.

RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

XII. ASSE, ASSA

Le patois de Limoges possède un adjectif asse « in- culte » et les verbes correspondants assa « laisser in- culte » et dcsassa ou délassa « remettre en culture ». Asse. est employé par Foucaud dans sa fable de Jupiter e lou Meitadier.

L'un di que qu'ei tro mau blôda, L'autre que lou pôi ei asse ' .

Ruben traduit ainsi : « L'un dit que c'est trop mal emblavé, l'autre que le pays est inculte. » Mais dans une note il déclare que le sens propre de asse doit être « effrité », et il ramène asse, assa au latin assus, assare. Mistral suppose au contraire que le limousin asse est le même mot que le provençal disse « aigre, acide » et il le traduit ingénieusement par « rebelle à la culture ». La forme médiévale de asse écarte l'une et l'autre éty- mologie. Car il est évident qu'il faut reconnaître l'ad- jectif asse actuel dans ce passage d'une charte rédigée à Limoges en 1256 : lot as las aperlenensas deu dih mas, absas et vistidas, gaanhadas e no gaanbadas'2. M. Emil Levy n'a pas laissé échapper ce passage ; il l'a relevé dans son Prov. Suppl.-Wœrterbucb, figure l'adjectif abs, d'après le seul témoignage de la charte de 1256, avec un renvoi clairvoyant à l'article absus de Du Cange.

1. Ed. Ruben, p. 196.

2. Leroux, Molinier et Thomas, Doc. hislor., I, 177.

AVENERiL 173

De toutes les hypothèses émises sur l'étymologie du bas latin absus « inculte », aucune n'est pleinement satisfaisante : le lecteur curieux de les connaître pourra voir Du Cange.

Je m'expliquerai plus loin sur un autre représentant limousin du même thème '■ ; je remarque seulement ici que asse est refait sur le féminin asso, et que assa cor- respond au bas latin absare, dont il y a maint exemple. (Reinie des parler s popiil., année 1903, p. 165.)

XIII. AVENERIL

Godefroy a institué un article aveneris « champ l'on a semé et recueilli de l'avoine; terre qui n'est bonne qu'à .produire des avoines ». Il ne cite qu'un exemple, emprunté à la coutume locale de Soesmes (aujourd'hui Souesmcs, dans le Loir-et-Cher), et ainsi conçu : « chaumes, millerines et aveneris. » Il signale enfin la conservation du mot au sens de a champ d'a- voine » dans la Haute-Normandie.

Souesmes est dans le Blaisois ; aussi n'est-on pas surpris de retrouver le mot dans le Glossaire du pays blaisois de M. Thibault:

« Avenus [prononcé avanri], champ dans lequel on a récolté de l'avoine ou de l'orge et qu'on laisse en chaume tout l'hiver. »

La précieuse définition de M. Thibault nous servira

2. Article desoussina.

174 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

de pont pour passer du normand au manceau. Nous lisons dans Dottin :

« Avanri, avanrie, jachère. Avèri, jachère ».

Voilà pour le Bas-Maine. Pour le Haut-Maine, nous avons le témoignage plus verbeux du comte de Mon- tesson :

« Avairie, s. f. Repos d'un champ pendant les troi- sième et quatrième années. Si l'on pouvait avancer que la première syllabe de ce mot est privative, il serait, par son étymologie, rigoureusement la traduction de sans labour. »

N'avançons pas, de grâce, et tenons-nous en à avoine, d'où part une belle échappée de sémantique.

Ce qui m'intéresse d'ailleurs dans la structure du mot dont je viens d'entretenir le lecteur, c'est moins sa tète que sa queue. Bien qu'on le fasse féminin dans le Maine et qu'on l'écrive avanrie (il est fré- quemment employé comme nom de ferme), il ne renferme pas originairement le suffixe -crie, non plus d'ailleurs qu'un suffixe -eris, correspondant à un type latin -aricius, dont l'existence n'est pas établie en français1. Sa désinence primitive était -eril, comme je vais le faire voir.

Godefroy a un article avainerieux qui aurait gagné à être fondu avec l'article aveneris et qui, comme ce der- nier, ne comprend qu'un seul exemple. Cet exemple vient du célèbre traité de chasse dit Le livre du roi Modus, 127 de l'édition Blaze, on lit :

« Ceste roys... doit estre tendue en ung avainerieux

1. Voyez ci-dessus notre étude sur le suffixe -aricius, p. 67.

AVENER1L 175

pour la chaume qui y est courte. » On sait que le texte de l'édition Blaze reproduit d'anciens imprimés sans valeur linguistique et qu'il faut s'adresser aux manuscrits quand on veut avoir de bonnes leçons. Or, j'ai vu neuf manus- crits, et tous ont uniformément -il comme désinence (Bibl. nat. fr. 1297, 87 : aueneril; 1298, 84 r°: idem; 1299, 122 r°: auueneril ; 1300, 128 : auenril ; 1 301, 98 : aueneril; 1302, 90 : auene- ril; 12399, 89 : aueneril; Arsenal, 3079, 215 : aueneril ; 5197, 58 : auenril).

Les choses étant ainsi, il est manifeste que le mot avencril correspond à un type latin vulgaire *avenarïle, dérivé de avenu à l'aide du suffixe composé -arilis Ç-arius + -llis). Ce suffixe n'est pas d'un usage fré- quent en français. Je suppose qu'il faut le reconnaître dans les mots suivants :

Chaumeril, représenté par le normand caumeri, cam- 711er i, cambtri, « pièce déterre encore garnie de chaume » (Dict. du patois normand de l'Eure, p. 94).

Femeril, représenté par le comtois femri « tas de fumier » (Mém. de la Soc. de ling., XI, 205).

Fronienteril , nom porté jadis par une localité men- tionnée sous la forme Frumenterilis dans une charte de Charlemagne en faveur de Saint-Denis ï;

Meeril, épis restés sous la meule de blé (jnèta); voyez ci-dessous l'article meeril.

Orgeril, représenté parle nom d'un homme politiqueet littérateur dequelque notoriété, le vicomte de Lorgeril2.

1. Mabillon, De re diph, p. 645.

2. et mort dans les Côtes-du-Nord (181 1-1!

176 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

XIV. - BABI

A Oloron, on appelle babi la mèche de la chandelle de résine ; à Montaud, dans le même département, on prononce babit ; ailleurs, dans la même région, on emploie babialè et bibalè1 ; ailleurs encore, mais tou- jours en Gascogne, pabieu et pabiou2.

Mistral rattache justement la forme actuelle pabieu ou pabiou à l'ancien provençal pabil, mais il a tort de suivre Raynouard et Diez pour l'étymologie et d'indiquer le latin pabulum. Il faut s'adresser à papyrus, comme l'a montré M. Ascoliî.

Les formes béarnaises citées ci-dessus (babi, babit, babialè, bibalè) nous offrent toutes l'assimilation en b du p latin initial sous l'influence du b qui était normalement sorti en roman du p latin médial intervocalique4. Babialè est pour *babilè, Va s'inter- calant souvent entre * long et /; bibalè nous offre une métathèse pour *babilè : l'un et l'autre de ces mots remontent à un type médiéval perdu *babiler, le suffixe -er est venu renforcer le substantif pabil i,

1. Lespy et Raymond, Die t. béarnais.

2. Mistral, Trésor, art. pabieu.

3. Cf. Kôrting, 6771 et 6852.

4. Même assimilation dans le patois de la Creuse le typha latifolia s'appelle bobelho, d'un type étymologique *pjpïlia (voyez mes Essais, p. 349).

5. Si on ne trouve pas *pabiler au moyen âge, on trouve, avec le suffixe -um, la forme pabilum à Condom (Ravnouard, Lex. rom., IV, 392).

BAI EN 177

c'est-à-dire qu'ils témoignent, comme pabieu et pabiou. de l'existence d'une forme *papïlus, au lieu de papyrus dans le latin vulgaire de cette région. Il en va différem- ment de la forme oloronaise babi, dont babit me paraît être une altération sans conséquence1. En effet on ne peut pas admettre la chute de 17 finale de pabil et il n'y a qu'une r finale qui puisse ainsi disparaître: je crois donc que babi représente une forme médiévale *pabir qui peut se réclamer du latin classique papyrus prononcé *paplrus.

Dans l'île de Guernesey, le typha latifolia des bota- nistes s'appelle pavie. J'ai supposé que pavie pouvait être une graphie incorrecte pour *pavi, c'est-à-dire remonter à une forme médiévale *pavir2: l'existence de l'oloronais babi ne peut que confirmer ma manière de voir.

(Mélanges Léonce Couture, p. 258-259.)

XV. BAIEN

L'ancien français possède un adjectif baien, baiene qui qualifie les légumes (particulièrement les pois et les fèves) que l'on a fait tremper dans l'eau chaude jus- qu'à cuisson ou ramollissement plus ou moins com- plet. Godefroy en donne de nombreux exemples ;

1. On ne peut pas supposer que ce / soit issu, comme il arrive souvent en gascon* d'un groupe latin //, car après /' long, /double se simplifie en gascon comme ailleurs; ci', anyele, de angullla, et biele, de villa.

2. Mélanges d'èlymologie franc., p. 114.

Thomas. II. 12

178 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

l'expression « febves baynes » figure encore dans la Farce du Pont aux Asnes, qui n'est sans doute pas anté- rieure au seizième siècle ; mais Cotgrave ne la connaît pas.

Godefroy a justement rapproché de cet ancien adjectif le verbe bainer, usité en Franche- Comté, notamment à Dôle, avec le sens de « mettre des légumes secs dans de l'eau chaude pour leur faire subir une première cuisson ». Un autre rapprochement qui s'impose est celui du provençal moderne : bajan, bajano, demi-cuit, en parlant des légumes; bajana, cuire des légumes à l'eau, échauder des légumes pour les faire renfler; tremper, en parlant des légumes qu'on fait ramollir dans l'eau avant de les faire cuire, etc. La transition entre le comtois et le provençal nous est fournie par le lyonnais baïno et le forézien beina « faire macérer des légumes dans l'eau ». Nizier du Puitspelu se figure que baïno a été tiré du substantif bain « avec conservation de l'ancienne diphtongue ai » : la comparaison avec le provençal aurait pu le mettre en garde contre cette explication spécieuse ; mais il ne s'en est pas avisé.

L'adjectif latin baianus « de Baies en Campanie » est une base phonétique excellente pour le français baien et le provençal bajan. On sait que le féminin baiana est employé substantivement par Apicius Caelius, chez qui baianas elixas paraît désigner des fèves cuites à l'eau l. On peut croire que baiana est pour faba baiana

i. V, 210; édition Schuch, p. 113. La leçon n'est pas tout à fait sûre; deux manuscrits donnent bagatias et l'éditeur est porté à y voir un dérivé de baca. Mais l'italien dialectal bagiana, etc., appuie la leçon baianas.

B1UELHE 179

et a désigné primitivement une variété de fève origi- naire de Baies: de l'italien dialectal bagiana, etc., qui n'est en usage que comme substantif et désigne, selon les provinces, la fève fraîche, la fève ou le haricot en cosse, la cosse même de la fève, etc. «. Pour rendre raison du provençal et du français, il suffit d'admettre que l'on a employé baianus pour signifier tout naturel- lement « à la mode de Baies » : faba baiana serait une fève qu'on fait « baigner ». On sait la vogue des « bains » de Baies, et que le mot de Baiae lui-même avait fini chez les Romains par désigner des eaux ther- males quelconques.

Le hasard a fait qu'aucun exemple ancien du pro- vençal bajan « cuit à l'eau » ne nous est parvenu, tandis que le français baien est très souvent attesté. En revanche, nous avons en ancien provençal bajan, qui est traduit par « insipidus » dans le Donat2 et qui se continue aujour- d'hui par bajan « nigaud » et ses dérivés, que Mistral sépare complètement de bajan « cuit à l'eau » : c'est pourtant un développement sémantique tout naturel que celui qui va de « cuit à l'eau » à « nigaud » en pas- sant par « insipide » ; il ne s'agit donc que d'un seul et même mot.

XVI. BIDELHE Le mot français vrille désigne proprement les fila-

1. Salvioni, Nuove Postille ilaliane, bajana.

2. Cf. Lcvv, Prov. Suppl.-IV., I, 119.

180 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

ments en spirale au moyen desquels la vigne et autres plantes grimpantes et sarmenteuses s'attachent aux corps voisins. C'est par une figure hardie qu'on l'ap- plique communément à l'instrument qui sert à percer le bois. Dans vrille, IV est adventice, comme en témoi- gnent les anciennes formes veille, viille. La compa- raison avec le provençal vedilha1 ne laisse aucun doute sur Pétymologie : c'est le latin viticula. Les textes anciens montrent que les Romains se servaient à la fois de viticula et de son primitif vitis pour désigner les vrilles des plantes ; on trouve môme dans un glossaire latin-grec une forme masculine viticulus, à laquelle cor- respond l'italien actuel viticchio.

Le latin hésitait sur la quantité de Yi dans le suffixe diminutif. Voici en effet deux exemples contradictoires :

Dulci namque tumet nondum viticula Baccho.

(Valerius Cato, Diroe, 115.)

Vitïcuhe in gracili latet ingens corporc botrys.

{Carmen adv. Marcionem, 11, 230.)

Parmi les formes romanes, les unes se rattachent à viticula, les autres à viticula. Tandis que l'italien litté- raire dit viticchio, le patois lombard dit vedech et le bolonais vdec (liseron) ; l'engadinois a vadeilla (boucle) et vdail ; l'espagnol emploie concurremment vcdija (flocon de laine) et vedcja ou guedeja (boucle de che-

1 . On n'a pas d'exemple remontant au moyen âge, mais ce n'est qu'un hasard. A l'article vediho, Mistral indique les sens suivants: vrille de la vigne liseron cordon ombilical nombril pénis d'enfant crotte, saleté. Le dernier sens ne se rattache guère aux autres ; il provient peut-être de quelque contamination.

veux). Sur le territoire de la Gaule on ne semble avoir remarqué jusqu'ici que des représentants de vitîcula, notamment le provençal vedilha et le français vrille. Pourtant il me semble que vitîcula est la base de plu- sieurs des noms que portent en France le liseron, la clématite et autres plantes analogues : vreille, vieille, veillée, veuillet, etc. Il est probable qu'il a aussi quelque chose à réclamer dans la formation du mot veillote, terme agricole qui désigne un petit tas de foin enroulé f. En tout cas, il est sûr qu'il faut reconnaître vitîcula, et non vitîcula, dans un mot béarnais qui n'est pas moins intéressant au point de vue sémantique qu'au point de vue phonétique. Ce mot est bidelhe, que Lespy et Raymond enregistrent, sans indication étymologique, avec les deux sens suivants :

Pas de vis d'une grosse tarière;

(A Orthez). Boudin, ressort formé d'une spirale de fil de fer.

{Mélanges Léonce Couture, p. 259-261.)

XVII. BOUDE

Le béarnais moderne possède le mot boudé, écrit autrefois bodee, qui a le sens de « beurre » ; ce mot offre un intérêt particulier. Le grec ftojrjpsv a été, comme

1. Voyez sur ce mot mes Mélanges, p. 163, j'ai eu le tort de ne pas signaler l'existence de vitîcula à coté de vitîcula. Tout récemment, M. Horning a proposé de reconnaître vltulus (veau) dans veillote (Zeitschr. fur ront. Phil., XXVII, 149); il ne m'a pas convaincu.

8j RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

on sait, latinisé sous la forme butyrum. Mais la pronon- ciation de butyrum n'a pas été uniforme dans toute l'étendue de l'empire romain. En Gaule, la prononcia- tion dominante plaçait l'accent tonique sur la syllabe initiale, dont Vu était long: c'était une imitation de l'accentuation grecque qui a donné naissance à l'ancien français burre la forme actuelle beurre est une alté- ration récente de burre , à l'ancien lyonnais buyro et au provençal buire ou burre. A côté de l'accentuation grecque, on pouvait employer l'accentuation latine, qui consistait à placer le ton sur la syllabe pénultième quand cette syllabe était longue1. Il est clair que la forme béarnaise boudé remonte à une prononciation de butyrum l'accent portait sur la syllabe -ty- et Vu de la pre- mière syllabe était prononcé bref. Cette forme répond à la forme médiévale boder, dont Raynouard a relevé deux exemples (l'un dans YElucidari, l'autre dans la traduction de la chirurgie d'Albucasis) et dont mon ami M. Jeanroy me signale la présence dans le Voyage au Purgatoire de Saint-Patrice2. Tous ces textes appar- tiennent à la région pyrénéenne. A côté du traitement de l'accent tonique et de Vu, il faut encore remarquer la représentation de l'y long par un e. Il y a une contradiction avec ce que nous avons remarqué dans le béarnais babi, l'y long de papyrus est rendu par i; mais on sait combien la prononciation de l'y a varié en latin. C'est le cas de rappeler que, d'après Gaston

i. Sur la place de l'accent dans les mots empruntés au grec, voye? ci-dessous l'article caillou.

2. Bibliothèque méridionale, ire série, t. VIII, p. 17, ligne 344.

BOUILLIE 183

Paris, même lorsqu'il était long, Yy était identique à Ve fermé latin dans les mots vraiment populaires1. (Mélanges Léonce Coulure, p. 260.)

XVIII. BOUILLIE

Contrairement à l'opinion courante qui considère le substantif français bouillie comme un dérivé du verbe bouillir, j'ai proposé de voir dans la forme ancienne bolie le thème bol- et le suffixe -te et j'ai rappelé que le grammairien Diomède avait latinisé en bolarium le grec (JwXaptov « grumeau » 2. J'ai été mal inspiré. Ce qui me donnait des doutes sur l'exactitude de l'étymo- logie reçue, c'est que je ne trouvais pas trace en pro- vençal d'un substantif participial correspondant au français bouillie avec le même sens. Depuis que l'inap- préciable Atlas linguistique de MM. Gilliéron et Edmont a mis à la portée de tous les richesses insoupçonnées du vocabulaire gallo-roman, chacun pourra constater, grâce à la carte 156, que les formes telles que boulido, bulido, bulide, etc., se présentent en des régions très diverses du Midi. J'ai moi-même rencontré fréquem- ment bulido et belido dans le Sud-Est de la Creuse (région d'Auzances). Je tiens donc à faire amende honorable et à déclarer que je suis tout à fait revenu de mes préjugés contre l'opinion courante. Bouillie est bel et bien un substantif participial tiré de bouillir.

1 . Ficatum en roman, tirage à part du volume intitulé : Miscel- lanea linguistica in onore ai Gra\iadio Ascoli, p. 1 1 et note 90.

2. Essais, p. 257.

1S4 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

XIX. BRA1MAN, BERMAN

Les textes gascons relatifs à Bayonne mentionnent souvent les braimans comme formant une corporation urbaine importante. Giry a traduit braimans par « rou- leurs de barriques » et il a cité la mention suivante pour justifier son interprétation : « Fo ordenat que los bray- mans prenguon per portar e descargar pipe pleie, etc. » Puis il a eu des doutes sur son interprétation et il a écrit après coup la note suivante1 : « Braymans, ce mot signifie plutôt simplement journaliers, hommes de peine à gages, mercenaires; ce sont les brabançons; voyez P. Meyer, Croisade contre les Albigeois, II, 69. » Cela, ce n'est plus de l'interprétation ; c'est de l'étymologie ; je n'hésite pas à déclarer que Giry a fait fausse route.

Les mêmes ouvriers sont fréquemment mentionnés dans les comptes latins de l'archevêché de Bordeaux publiés par Léo Drouyn dans les tomes XXI et XXII des Archives historiques de la Gironde; l'éditeur traduit sans hésiter par « rouleurs, ouvriers du port » : il a tout à fait raison.

Giry (ni personne depuis lui, à ce qu'il semble) n'a pas pris garde à un fait qu'il était mieux que personne à même de remarquer et qui est en relation très étroite avec l'idée maîtresse de son beau livre sur les Établis- sements de Rouen : c'est que le mot a passé des rives de la basse Seine à celles de la Garonne et de l'Adour.

I. Établissements de Rouen, I, p. xix.

BRAIMA.X, BERUAX 1 8 s

Nous avons dans le gascon braiman un emprunt au vocabulaire technique du port de Rouen et de quelques autres ports de la côte normande : à Rouen, à Dieppe, etc., il y avait aussi des bermans, dont l'office était analogue à celui des braimans gascons. L'article 70 des Coutumes de la Vicomte de l'Eau de Rouen est intitulé : De l'office as bermans. Il y est dit : « Les ber- mans carchent les tonneaus, etc. » En 1720 on les appelait brements et un factum définit ainsi leurs fonc- tions : « Les brements sont des officiers dont il est fait mention dans le Coutumier et leurs fonctions sont de charger et décharger les vins, cidres et autres liqueurs de terre à bord ou de bord en bord l ».

Il y en avait ailleurs que dans les ports de mer et même en dehors de la Normandie : Godefroy a relevé cette mention « li berman et li broueteur » dans le registre aux bans de Saint-Omer2 et M. de Formeville a écrit tout un mémoire intitulé: Notice sur les francs- brements-canonniers de la ville de Caen7». Pour expliquer que le mot berman ait été transformé en braiman à Bordeaux et à Bayonne, on peut admettre que les popu- lations méridionales y ont mêlé le vague souvenir des Braimansos ou Braimans, c'est-à-dire des routiers bra- bançons, dont elles avaient tant souffert à la fin du douzième siècle et au commencement du treizième,

1. Voyez H. de Fréville, Hist. du commerce maritime de Rouen, t. II, p. 74 et 555.

2. En réalité, il l'a prise dans le livre de Giry intitulé Histoire de SùntOmer, t. H, p. 535, art. 447.

5. Mém. de la Soc. des Antiq. de Normandie, 2e série, t. I, p. 283- 328.

186 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

mais il est évident que ce n'est pas dans cette direction qu'il faut chercher la véritable étymologie du mot. Il faut partir, pour la trouver, de la forme française ber- man telle qu'elle nous apparaît au treizième siècle en Artois et en Normandie.

M. de Formeville a cru que berman était le néerlan- dais beuritnan « homme, puis bateau qui part à un temps fixé et réglé » ; il est inutile de discuter cette opinion qui n'a aucune consistance sémantique et qui cloche aussi du côté de la phonétique.

Tout récemment, M. de la Roncière, l'érudit his- torien de notre marine, s'est occupé du mot qui nous intéresse. Je lis dans son tome I, p. 121 : « Reste à le lester (le bâtiment) : les bruments l s'en chargent ; les bruments sont la corporation des portefaix qu'à Rouen « l'en apelle la bergue de antiquité ». Et l'auteur pro- pose en note de voir dans le premier élément de ber- man le verbe norois bregtha « tirer, mouvoir ».

J'avoue que je suis un peu embarrassé par ce fait que les Coutumes de la vicomte de l'Eau appellent bergue le corps des bermans et que je ne sais comment expli- quer ce mot bergue, qu'il serait agréable de pouvoir placer à la base du mot berman. N'était cette difficulté,

1 . La forme brunient est une forme labialisée de basse époque, influencée peut-être par un autre mot normand bniman, bruinent, qui signifie « fiancé, gendre » et qui n'a de commun avec celui qui nous occupe que la désinence. Je remarque à ce propos que l'ar- ticle bruinent i de Godefroy « espèce de galère, allège, bateau, barque » est absolument dénué de fondement, car dans le seul exemple qu'il cite bruinent est bien notre mot berman ; il est vrai que Godefroy a chaussé les souliers de Carpentier (voyez Du Cange, biunid 3) et qu'il lui était difficile de marcher droit.

BRENA 1S7

il paraîtrait tout naturel de voir dans banian le même mot que dans l'ancien anglais berman, qui signifie « porteur » et qui s'explique tout naturellement par le thème même du verbe bear « porter », autrefois bere, beren. Y a-t-il eu emprunt direct du normand a l'an- glais, le mot est-il venu par le Scandinave, comme le suppose Moisy1, ou par le néerlandais ? Je soumets le cas aux savants compétents, ne m'étant proposé ici que de tirer au clair l'origine immédiate du gascon braiman.

XX. BRENA

Le Dictionnaire béarnais de Lespy et Raymond enre- gistre le verbe brena comme un terme particulier au patois d'Asson, avec le sens de « prendre le goûter » ; il ne donne pas d'étymologie, mais il rapproche ce verbe du catalan brena, qui a le même sens. Il ne faut pas hésiter à reconnaître dans brena le latin vulgaire meren- dare, recueilli par Isidore de Séville, et dérivé de merenda « collation » ; la plupart des langues romanes ont conservé des représentants de cette famille. La forme gasconne médiévale a être *merenar, avec la réduction normale du groupe latin -nd- à -«-; puis la prononciation rapide de la syllabe initiale a fait dispa- raître IV et rapproché Ym de IV2, d'où *mrenar qui a

1. Dict. du patois normand, p. 118.

2. La tendance du gascon à faire disparaître la voyelle de la syllabe initiale devant r est très prononcée : bregno, vendange (pour beregno), bien, venin (pour beren), biïmous, venimeux (pour beri- iitons), cranto, quarante (pour caranto), etc.

IÔ3 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

aboutir rapidement à brenar' . Nous avons le même pro- cessus dans l'évolution du latin memorare qui est suc- cessivement devenu en Gascogne et dans la région limi- trophe: *mem'rar, membrar, *mrembar, brembar, bremba. {Mélanges Léonce Couture, p. 260-261.)

XXI. CADE

Cade est un mot essentiellement provençal que l'Aca- démie française n'a pas admis dans son Dictionnaire, mais que bien des écrivains, depuis le seizième siècle, n'hésitent pas à considérer comme français. Tel est le cas, par exemple, de Pierre Belon, qui n'était pourtant pas méridional, et qui a écrit (f° 46 de ses Remons- trances sur le défaut du labour et culture des plantes, publiées en 1558): « Serbin est comme cade ou gené- vrier rouge, tous trois noms François; ainsi les nom- ment en Avignon ». De même Lemery, dans son Dic- tionnaire des drogues simples, dit que le Juniperus major Monspelensium s'appelle « en françois Cade 2 » . Dès 1 5 1 8, « l'huile de cade » figure dans les tarifs officiels 5, et de nos jours encore cette drogue n'a pas perdu sa vogue dans la médecine humaine et vétérinaire.

Donc cade est synonyme de « genévrier » dans une partie du Midi de la France. Raynouard a cité le témoi-

1 . Il est curieux de trouver en catalan berena et barena à côté d j brena. Faut-il supposer l'existence en latin vulgaire de *berendare au lieu de merendare}

2. Page 398 de l'édition de 1760.

3. Godefroy, CompL, VIII, 404.

gnage très précis de Daudé de Pradas, auteur des Autels cassadors, originaire du Rouergue :

Prendetz la goma del genebre, So es albre ; e sembla pebre Sa fruita, can es ben madura ; Et en la nostra parladura A nom cade ' .

Mistral donne comme formes actuellement vivantes cade, cadre, cae, chaîne et chai. Si l'on remarque que la baie de cet arbuste s'appelle cadenello et qu'un lieu planté de « cades » est une cadenedo (en limousin cha- denedo), une cadenasso ou une cadeniero, on n'aura pas de peine à remonter au type primitif du nom de l'arbuste, lequel ne peut être que *càtinus (comme frâxinus) ou *càtanus (comme câssanus ou plâtanus).

Je crois qu'il faut donner la préférence à *catanus, car il est infiniment probable que le nom de lieu Cadenet (Vaucluse), qui est énoncé sous les formes CadaneUim et Catanetum dans le Cartidaire de Saint-Victor de Marseille (voyez la table géographique), signifie « ter- rain planté en cades2 ».

Or, dans une compilation rédigée en Espagne vers la fin du septième siècle, on lit la glose suivante : « Ci- tisum, genus arboris quasi catanum, erba odoribera*. »

i. Lex. rom., II, 285 ; cf. l'édition donnée par M. Monaci, Sludj di fûotogia rom., t. V, p. 135, vers 2095-99. Les Bénédictins ont relevé le pluriel cades dans un acte de 1461 relatif à Saint-Victor de Marseille et le singulier cade dans les statuts de Marseille (voy. Du Cange, cades).

2. La forme provençale cade se trouve déjà dans ce cartulaire; j'y vois aussi Cadaneira, comme nom d'un terroir, ce qui corres- pond au mot actuel cadeniero.

3. Corpus glossarum lat., V. 179, 6.

190 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Suit une citation de Virgile, dont on ne voit pas bien le rapport avec la glose: « vix humiles apibus casias roremque [ministrat]. » Le savant latiniste Buechner s'est demandé s'il ne fallait pas corriger le mystérieux quasi catanum en casia tantum1 . Mais je ne vois pas la clarté qu'apporterait dans le passage cette ingénieuse correction. Les cinq premiers mots de la glose consti- tuent un tout bien cohérenteteonformeà certaines façons de parler du compilateur (cf. V, 163, 43 : aemulus, ejus- dem rei studiosus, quasi imitalor ; V, 1 65 , 1 5 : aléa, quasi bel htm). Il me paraît évident que notre Espagnol a assi- milé l'arbuste appelé en latin cytisum à celui qu'il con- naissait sous le nom de catanum. 11 a eu tort au point de vue de la botanique, c'est bien certain, et le cytise n'est pas un genévrier; mais cette confusion même explique qu'il ait qualifié le cytise, dans une glose immédiate- ment précédente, genus arbornm pinguis, car le cade, producteur d'huile ou de gomme, mériterait assez bien le qualificatif de pinguis qu'on serait fort embarrassé de justifier en l'appliquant au cytise. Si l'on remarque que Raynouard signale cade comme existant aussi en catalan 2, on ne sera pas surpris qu'un Espagnol du septième siècle ait connu le mot catanum.

s'arrêtent mes informations sur l'étymologie de cade. Suppose qui voudra que catanum est celtique ou ibérique: je n'ai rien à dire ni pour ni contre cette hypothèse.

1. Dans Gœtz, Thés, gloss. emendat., I, 502, au mot cytisus.

2. Je ne le vois pourtant pas dans le dictionnaire de Labernia; mais on trouve cada dans Colmeiro, Dicc. de los nombres de wichas plantas (Madrid, 1 87 1).

XXII. CAFORC

Mistral enregistre le substantif masculin cafour, variante escafour, avec deux sens distincts : enfour- chure d'un arbre; carrefour. Il le croit composé de cap « tête » et defourco « fourche ». L'étymologie paraît plausible au premier abord; je ne la crois cependant exacte qu'à moitié; et voici mes raisons.

Dans la toponymie de la Dordogne on trouve des lieux qui s'appellent Le Cafour et La Cafourche. Ces derniers appartiennent à la région le c latin devant a devient ch; si le premier élément était caput, on aurait *Chafourche. D'autre part, dans le même département, on trouve La Cofourche, La Coufourche, noms de lieux écrits au moyen cage Cofforca, Cofforchia, et, dans le Cantal, Le Couffour, au moyen âge Coforc, en bas latin Cujurcos, Cufurcum.

Il faut sûrement partir d'un type du latin vulgaire *Confurcus*. Le changement de coforc, coforcha en cafour, cafourcho est à la même tendance à la dissimilation que l'on constate dans cagoulo, decucnlla, cagoulho, de *coculia, etc. 2.

1. Dans le Nord de l'Italie c'est le type "conjurcium, *confurcia qui prévaut ; de l'italien archaïque conforma, conforma « carre- four » (Du Cangc, aux articles avifurlutm et conforma). En Espagne, le latin vulgaire a dire, comme en Gaule, "confurcus : cf. le diminutif conjorquellus dans une charte de 780 (Espana sagrada, XXXVII, 306).

2. Ajoutez le béarnais caidla « cabane avec un parc pour faire gîter les troupeaux », dont la forme médiévale est cuiolar, du latin vulgaire *cubio1aris (ci-dessous, article cuiolar).

Içm RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUL.S

Une formation analogue est coumbranc, synonyme de cafour au sens de « enfourchure d'un arbre ».

XXIII. CAILLOU

M. Schuchardt est revenu sur l'étymologie de caillou. Il lui consacre une dizaine de pages1, tandis que dans ses Romanische Etymologieen il n'avait fait que la men- tionner en passant. Il se défend d'avoir eu le premier l'idée de rapprocher caillou du latin coclaca2, mais il embrasse cette idée avec une telle ardeur qu'on ne voit pas ce qu'il pourrait faire de plus s'il en était le père.

J'ai dit en propres termes 3: « S'il n'est pas impos- sible que le latin ait eu une forme *caclacu, par confusion entre les mots grecs /i/Xa; et xx/Xï}1;4, et si l'on peut admettre à la rigueur que le % grec ait été rendu par g latin, d'où *caclagu, rien ne peut légitimer l'hypo- thèse d'un déplacement d'accent nécessaire pour passer de *caclagu à caillou. » Je tiens à revenir sur cette ques- tion du « déplacement d'accent » ; je ne l'avais pas suffisamment étudiée. M. Schuchardt me renvoie à ce

i. Zeitscbr. filr rom. Phil., XXV, 244-253.

2. L'idée est de Cascneuve, mais Caseneuve déclare qu'il n'ose choisir entre calcuhis et le grec xd/XaÇ, latinisé en coclaca. R. Estienne avait depuis longtemps proposé calcuhis, que Ménage a renforcé en *calculluhts, croyant expliquer ainsi la désinence du mot français.

3. Romania, XXIX, 438.

4. M. Sch. me fait justement remarquer que xo/XaÇ et xoc/XtjÇ ne sont pas deux mots, mais deux variantes dialectales d'un même mot.

CAILLOU 193

propos le reproche de « foire trop bon marché de la phonétique » ; il n'a pas tort, mais il ne sait pas le bât me blesse. Il y a bien, quoi qu'il en dise, un dépla- cement d'accent en jeu. Il n'importe pas de savoir si l'a de yiyXa; était long ou bref, vu que l'accent grec n'en a cure, et que le génitif yiyÀay.o? est proparoxyton, tout comme y.âyAYjy.oç, la longueur de la pénultième est marquée par l'orthographe. La question est de savoir si le latin hypothétique *caclacus doit suivre l'accentua- tion grecque ou l'accentuation latine. Je demande à traiter cette question ex prof es so (on verra, j'espère, que cela en vaut la peine), et j'accepte la donnée même de M. Schuchardt d'après laquelle le type grec -/.âyXx; avait le suffixe à; ây.o; et non le suffixe Ir/.o;.

Nous nous heurtons tout d'abord à la loi générale formulée par M. Meyer-Lûbke : « Les proparoxytons à voyelle grecque pénultième longue conservent leur accent: éremus, ïpr^j.z:, ital. ermo, a. -franc, erme, esp. vermo ; blâsphemus, rfhy.sori\j.oz, ital. biâsimo, franc, blâme ; bùtyrum, (JoJTypov, ital. burro, prov. buire, franc, beurre; sélinum, ffsX-.vov, ital. sédano; [thymallus], QJ|j.aXX5;, ital. témolo1. » Il faut rayer biasimo, blâme, qui sont des sub- stantifs verbaux et qui ne reposent pas directement sur frJ.zvrl[j.o;; mais on pourrait allonger la liste2. En revanche, il y a des dissidences dont M. Meyer-Lïibke ne tient pas assez de compte. Les mots grecs latinisés la pénultième est longue, même quand cette pénul- tième est constituée par une voyelle libre, n'ont pas

i. Gratnm. des lang. rom., I, § 17.

2. Voyez d'Ovidio dans Zeitschr. f. rom. PMI., VIII, 95.

Thomas. II. 13

194 RECHERCHES lÎTYMOLOGlOjJES

tous un traitement uniforme. Le plus souvent, en effet, ils conservent à l'accent tonique la place qu'il occupe en grec, mais il arrive parfois que l'accent glisse sur la pénultième. Voici quelques exemples destinés à mettre ce fait en lumière ; je néglige de parti pris les mots la pénultième est entravée, parce qu'ils ne sont pas directement en cause.

Bà^iâç1, (3£sj.Sà£. L'italien bambace, bombace « coton » témoigne clairement de l'accentuation *bambâcem, *bom- bâcem ; l'ancien français connaît la forme correspondante bambais, avec le même sens2. L'italien baco « ver à soie » remonte à *bombâcum, qui survit tout entier dans le roumain bumbacî.

BoÛTJpov. Sans parler des formes dialectales de l'ita- lien, l'ancien languedocien et gascon boder, aujourd'hui boudé, témoigne de l'accent butyrum en latin vulgaire, concurremment avec bûtyrum*--.

KâjAKjXoç. A côté du latin classique camèlus, on trouve- la graphie camellus, qui peut expliquer l'italien cammèllo

i. Bâji.6aÇ est dans Suidas, mais il est beaucoup plus ancien, puisque Dioscoride emploie le mot composé J3a[x6ay.o£tor[ç « sem- blable à du coton ». *Bo';.«.6aj; doit être un croisement de pâ^aÇ et de Go'ijlêliÇ. La quantité CajjLÉ/axoaôrJ; donnée par le dictionnaire grec-français de Bailly est arbitraire.

2. Le mot n'est pas dans Godefroy; voir l'exemple dans Du Cange, à l'article bambaxium et à l'article pannuleium ; c'est une précieuse addition de Carpentier.

3. Je m'étonne que M. Sainéan considère le roumain bumbac comme un emprunt au turc osmanli pambouk (Remania, XXXI, 559). L'ital. méridional vômbacu est à un recul de l'accent dont il y a d'autres exemples et ne nécessite pas l'hypothèse de tom- bants en latin vulgaire.

4. Voyez ci-dessus l'article boudé.

CAILLOU 195

et le français chameau l ; mais il est impossible de ne pas voir le représentant légitime de camelus dans l'an- cien français chameil, chamoil Gaston Paris a déjà protesté, quoique timidement, contre l'idée qu'a M. H. Berger de voir dans chameil un mot savant 2 et dans l'ancien provençal camél. Le sicilien gammiddu suppose un type *camUlus.

Kxy.îvsç. Le latin camïtms ne semble pas avoir eu d'autre prononciation que la paroxy tonique : ital. cam- mino, etc.

Ilazjpo;. Le béarnais moderne babi « mèche » paraît bien être un ancien *pabir, représentant légitime d'un type latin populaire *papïrus paroxytonique, ce qui confirmerait l'hypothèse que j'ai émise d'après laquelle le guernesiais pavie « typha latifolia » remonterait à *pavir. D'autre part, j'ai conjecturé que le normand pave pouvait être pour *pavre et attester la prononcia- tion proparoxytonique *pâpirus. Les nombreuses formes romanes qui remontent à *papïlus ou *papêrus offrent une confirmation indirecte du glissement de l'accent sur la pénultième?.

E(vàm. Les formes romanes se divisent nettement en deux séries : la première remonte à un type latin pro- paroxytonique sinapc, l'accentuation grecque est conservée (ital. sénape, ladin sénep, prov. sénebe, serbe,

1 . La substitution de suffixe peut aussi s'être produite à une époque relativement récente en français, et cela me paraît même plus probable.

2. Journal des Savants, 1900, p. 299. Pour le maintien de Va, cf. l'anc. franc, chaeine de catena et chaiere de cathedra.

3. Cf. Romania, XXVIII, 197, mes Mélanges d'ètymol. franc., p. 144, et ci-dessus l'article babi.

196 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

gascon siep1, franc, sanve); la seconde, à un type latin paroxyton ique sinàpe (ital. dial. senâpe, sanâpu, sanâ- vre, etc., esp. jenâbe, franc, dialectal serti, sné, sney', sinef, etc. 2).

Je n'ai pas voulu charger cette liste d'exemples dont l'interprétation puisse faire difficulté ; c'est pourquoi j'ai écarté de propos délibéré XefyutÇ, xsirwv, g^wv, oirrr Xcz. Le cas de sivahct, il ne peut être question de substitution d'un suffixe latin à un suffixe grec plus ou moins voisin, prouve que -/ÀyXxz, a pu passer en latin sous une forme paroxytonique *caclâcu, analogue à *bombàcu ; il est possible d'ailleurs, mais non nécessaire, que l'existence en latin des suffixes -âcus £t -âceusy soit pour quelque chose. Reste la difficulté d'expliquer pourquoi *caclacu serait ensuite devenu *cacJagu; je ne m'y arrêterai pas, et pour cause 3.

M. Schuchardt reproche à M. Meyer-Lùbke d'avoir écrit: « Le prov. -au et le franc, -ou, -0, -eu ne peu- vent s'expliquer que par l'hypothèse d'un type -avu, -au. » Il fait justement remarquer que les représentants àefagus (fau, fou, jo, jeu) montrent que -agus est aussi satisfaisant au point de vue phonétique que -avus. La

1. Rolland, Flore pop., II, 75.

2. Ibid., II, 70, 71, 73.

3. M. Schuchardt ne donne pas d'explication exclusive ; on peut y voir, dit-il, soit une dissimilation, soit l'effet de la même cause (inconnue d'ailleurs) qui a changé de bonne heure le c de lacus en g et produit l'italien lago et le franco-provençal lau. M. Meyer- Lùbke (Literaturblatt, année 1901, col. 116) ne croit pas à une dissimilation : il suppose qu'il a pu y avoir en grec même une forme *xâxXa£ ayo; au lieu de xocyXaÇ a/.o;, d'après les mots en Ç qui fléchissent en yo; (par exemple aâiTi^ --y0'- ?^°'£ °'t0?' ^,°"u> ■j-;o;, etc.).

CAILLOU 197

phonétique semble donc incapable de trancher cette question étymologique en faveur de l'un ou de l'autre des types en concurrence, *caclagus ou *caclavus, et, comme dirait Montaigne, la phonétique ne peut aller, il faut que la sémantique y aille. Mais est-il bien sûr que la phonétique soit réduite à l'impuissance ? Il ne faut s'en remettre à la sémantique qu'après avoir épuisé tous les autres moyens de recherche. Il est rare qu'un mot soit absolument sans famille. Les Gallo- Romains n'auraient-ils pas éprouvé le besoin de faire un dérivé pour désigner un endroit il y a beaucoup de cailloux ? Ils pouvaient employer le suffixe -aria (cf. *petraria, perriere) ou le suffixe -êtum (cf. saxetunt). S'il en a été ainsi, nous serons tirés d'embarras sur la nature de la désinence de caillou, car *caclagaria et *caclagêtum, d'une part, *caclavaria et *caclavêtutn, de l'autre, doivent aboutir, en français et en provençal, à des résultats très distincts. Or, si nous parcourons le vocabulaire du béarnais, nous y trouverons le nom commun calbabere « tas de cailloux, quartiers de roche », qui ne peut être *caclagaria, lequel aurait donné *calha- guere (cf. arragué, de *fragarium, fraisier), mais qui est visiblement *caclavaria ; et si nous parcourons le vocabulaire français, nous y trouverons le nom de lieu Chaillevois (Aisne), autrefois Chaillevoi, qui ne peut venir que de *Caclavctum' . D'autres formes encore

1. Voici les formes anciennes, telles que les donne le Diction- naire topographique de l'Aisne: Chaillcvoy (1174), Caillovoi (1183), Cbevoie (? 1214), Chaillevois (1216), Chalavoie (1241), Chalevoit (1243), Chaillevoi (1249), Challivoi (1258). La même étymologie doit être vraisemblablement attribuée aux deux localités de Cha-

h;S recherches étymologiques

viendront appuyer très solidement le type *caclavus : le béarnais a les diminutifs calhabet et calhabot « petit caillou », l'adjectif calhabé « qui est plein de cailloux, qui est au milieu des cailloux », de*caclavarius, le nom de lieu (et par suite de famille) Calhaba, de *caclabare, avec le suffixe -aris, si fréquent dans le Sud-Ouest de la France r ; la toponymie de la Dordogne n'a pas moins de sept exemples de Caillavel, nom qui se retrouve dans l'Aude, et la toponymie de l'Aisne nous offre Chailvel, autrefois Chaillevel, c'est-à-dire *Caclavellum2.

En résumé, la concordance phonétique de *caclagus et de caillou n'est qu'une apparence trompeuse, et il est certain qu'il y a -avus dans caillou. Toutefois le dernier mot de l'étymologie reste encore à dire. Cet -avus est-il bien le suffixe latin que nous ne connaissons que dans octavus? Ne pourrait-on songer au gaulois -avos, si fréquent dans la toponomastique ? Mais com- ment rendre compte de la combinaison du latin calculus avec un suffixe gaulois ? Le gaulois n'aurait- il pas pos-

livoy qui existent dans le département du Cher, notamment à l'ab- baye dont fut abbé le célèbre Furetière et que les textes du dou- zième siècle latinisent indifféremment en Callovium ou en Calliveluni (Gallia Christiana, II, instr. col. 61 et 62).

1 . Sur l'extension de ce suffixe, voyez ci-dessous l'article histar.

2. Mentionnons aussi Chaillevette (Charente-Inf.). Les noms comme Caillouël, autrefois Cailloel (Aisne), Caillouet, autrefois Cailloel (Eure), Chaillot, autrefois Chailloel, quartier de Paris sur les bords de la Seine, Cbaillouet, autrefois Chailloel (Aube), Cbail- loiiè (Orne) et Cbaillouet (Seine-et-Marne) sont des dérivés plus récents qui reposent directement sur caillou, cbaillou, absolument comme clouer sur clou on fouet sur fou (defagus); ils ne prouvent donc rien. Il y a des dérivés plus récents encore, dans le Nord et dans le Midi, avec une consonne adventice : /, d, t ou g ; on n'a pas à en tenir compte.

CAREILLADE 199

sédé un mot simple assez voisin du latin calculas pour produire les mêmes résultats phonétiques? M. Schu- chardt pourrait mieux que personne débrouiller cet écheveau. Il a clairement montré que l'hypothèse de M. Meyer-Lûbke, d'après laquelle caillou se rattacherait à un type gaulois kalljov-, n'était pas admissible; peut- être qu'après avoir chassé le gaulois par une porte, il sera conduit à le faire rentrer triomphalement par une autre.

(Romania, XXXI, 1-6.)

XXIV. CAREILLADE

Duchesne, dans son Répertoire des plantes utiles, etc., p. 93, enregistre comme premier nom vulgaire de la jusquiame noire le terme careillade, dont la dési- nence proclame assez haut l'origine méridionale. Effec- tivement, en nous reportant à Mistral, nous trouvons caleiado, careiado, caureiado, calelhado et carelbado groupés sous le sens de « jusquiame blanche, plante dont les feuilles semblent criblées de petits trous ». Je ne chi- canerai point sur le blanc et sur le noir, et pour cause. Mistral rattache ce substantif au verbe caleia, carcia, etc., qui a, entre autres sens, celui de « percer de trous », et qui vient lui-même de caleu, calelh, etc. « lampe, tache brillante, œil du fromage, etc. », lequel représente le latin calïculus, pour calyculus. Je crois que le sub- stantif caleiado, etc., remonte directement au latin vul- gaire caliculata. Le pseudo-Apulée désigne la jusquiame sous le nom de calicularis et le médecin Caelius Aure-

203 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

lianus se sert de la forme calicularia ; mais on trouve caligulata dans la rédaction remaniée du médecin Theodorus Priscianus, qui remonte peut-être au sixième siècle', et caliclata, caliglata dans les gloses botaniques du Corpus de Gœtz2, qui sont du dixième. On voit que le provençal a de qui tenir. Quant au français, il disait jadis chenillieel, qui répond au latin vulgaire caniculata, forme dissimilée (comme * conu- cula pour *colucula) qui est plus fréquente encore dans le recueil de Gœtz.

XXV. CER

Le Dictionnaire du patois normand d'E. et A.. Duméril a signalé dans l'arrondissement de Bayeux le substantif masculin cher « paquet de chanvre ou de lin non roui » en le rapprochant du bas latin cherium, dont la signi- fication est la même 4.

Le Dictionnaire du patois normand en usage dans le département de l'Eure donne le même mot avec le même sens, en faisant remarquer que, selon les lieux, IV finale est muette ou sonore ; il ajoute que dans l'ar- rondissement de Falaise on dit chère et sérotte et il rap-

i. Ed. V. Rose, p. 305 : un des deux manuscrits a caliglata.

2. Corp.gloss. lat., III, 566, 44 et 625, 22.

3. Sur ce mot voyez Romania, XXXII, 100, note $, et Dorveaux, U Antidotaire Nicolas, p. xiv. Godefroy n'a qu'un exemple, qu'il a lu cheinlee.

4. Dans son Essai sur le patois du Bcssin, M. Joret donne chè et indique aussi comme étymologie cherium sans commentaire.

proche le patois normand du picard (cherion) et du berrichon (serain). Le rapprochement avec le picard est bon, car, d'après Corblet, cherion signifie « poignée de lin ou de chanvre préparé ' » ; mais en Berry serain signifie « séran » et a une tout autre étymologie. Toutefois, je remarque dans Jaubert un mot seron, employé dans la locution figurée teiller son seron « mou- rir », qui ne peut guère signifier que « poignée de chanvre », bien que l'auteur du Glossaire du Centre glose ainsi cette locution : « effiler sa corde, user le fil de la vie2. »

M. Madeleine a relevé récemment dans un acte de 1781 relatif à Saint-Denis-le-Gast (Calvados) la men- tion de « 73 sairs de lin » et il marque le mot sair d'un astérisque pour indiquer qu'il est encore aujour- d'hui usité .dans le patois du Bocage'.

Dans le patois de La Dorée (Mayenne), ser de chambre signifie « poignée de chanvre vert 4 ».

A l'autre bout de la France, au pied des Pyrénées, nous retrouvons le même mot avec le même emploi. On lit en effet dans Mistral : « Sèr, s. m. Paquet (vieux), dans l'Ariège : un sèr de li, un paquet de lin ». Et pour servir de trait d'union entre la Normandie et le pays de Foix, nous avons, dans Du Cange, un texte latin du Rouergue, extrait du cartulaire de Conques, qui est ainsi conçu : « Quatuor cerros de canbe ». Canbe veut

1 . Gloss. élym. du patois picard. Corblet rapproche cherion de che- min qui signifie « séran » et qui est un mot tout différent.

2. A l'article teiller, p. 641.

3. Revue des parler s popul., année 1903, p. 79.

4. Dottin, Gloss. du patois du Bas-Maine, p. 470.

202 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

dire « chanvre », comme chacun sait, et, en face de la lecture de Du Cange, il n'y a pas à se préoccuper sérieu- sement de celle de Gustave Desjardins qui a imprimé cereos au lieu de cerros '_, sans faire d'observation sur ce singulier accouplement.

Nous avons maintenant tous les éléments de la cause et nous pouvons nous prononcer sur l'étymologie. La coexistence de cer et de cher en Normandie et l'exis- tence de cherion en picard montrent clairement que le type cherché commençait par un c et non par une s; donc, l'hypothèse de Mistral qui voit dans l'ariégeois ser un dérivé du verbe serrar est à rejeter, tout comme celle des auteurs du Dictionnaire des patois de l'Eure qui voient dans le mot normand un dérivé du verbe latin serere « enchaîner ». Le bas latin cherium, que les Béné- dictins ont relevé dans un acte du polyptyque deFécamp daté de 1235, ne constitue pas une étymologie : c'est un simple témoignage qu'on disait alors, comme aujour- d'hui, un cher de Un dans cette région; c'est entendu. Quant à l'idée qu'ils ont émise de voir dans ce cherium le grec yv.p, n'insistons pas.

Je propose le latin cirrus, avec d'autant plus de déci- sion qu'il est admis par tout le monde que cirrus s'est conservé dans l'espagnol cerro et que l'espagnol cerro s'applique spécialement au lin et au chanvre, non pas, il est vrai, à l'état de botte et avant la décortication, mais à l'état de filasse.

L'étude sémantique du mot latin cirrus exigerait toute une monographie que je ne me sens pas qualifié

1. Car t. de Conques, p. 163.

pour écrire; je renvoie à Forcellini, en attendant que le Thésaurus des Académies germaniques syndiquées pour l'honneur de la philologie latine nous apporte le résultat de leurs doctes élucubrations. Le sens propre paraît être « touffe de cheveux » ; de on va facile- ment, d'une part, à « filasse », de l'autre, à « poignée de tiges de chanvre ou de lin dont les sommités for- ment une touffe ' ».

XXVI. CERNEAU

Richelet définit cerneau en ces termes : « Ce qu'on ôte d'une noix verte en la cernant et qu'on mange avec du sel et de l'eau ». Les étymologistes considè- rent généralement cerneau comme un diminutif de cerne, lequel représente le latin circinum. Scheler fait remar- quer qu'il n'est pas nécessaire de le dériver de l'alle- mand kern « grain, pépin, noyau ». La question vaut la peine d'être examinée de près.

Le rapport sémantique de cerneau et de cerne n'est pas très satisfaisant; pourquoi cerneau n'est-il pas adé- quat à cerne, comme, par exemple, cerceau à cerce ? Cerne désigne proprement ce qui entoure et non ce qui est entouré. D'autre part, on ne semble pas s'être avisé

r. Je me demande s'il ne faut pas rattacher à la même étymo- logie le substantif ser, seur que M. Thibault a signalé dans le patois du Blaisois, il s'applique aux ceps de vigne. M. Thibault me paraît avoir raison de ne pas le confondre avec cep (qui est tou- jours prononcé se en Blaisois), mais je doute qu'il faille y voir, comme il le pense, le même thème que dans saunent.

204 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

jusqu'ici Je remonter à la définition la plus ancienne que les lexicographes nous ont laissée de notre mot cer- neau1. Je la trouve ainsi formulée dans le Dictionaire de Robert Estienne en 1539: « Cerneau, cela qai est bon à manger d'une noix, amende et semblables, nu- cleus. » Elle a passé, d'édition en édition, jusque dans le Thrcsor de Jean Nicot, publié en 1606. Il faut avouer que cette définition rapproche singulièrement notre mot cerneau du mot allemand kern et fait soupçonner qu'il a pu exister en ancien français un mot *cern, d'ori- gine germanique, dont cerneau serait le diminutif. On sait combien sont rares les mots germaniques commen- çant par k dont on peut constater le passage en français et quel intérêt phonétique s'attache au traitement du k germanique initial suivi d'un e ou d'un i; j'ai attiré naguère l'attention sur scion et serine2. Je me demande s'il ne faut pas joindre cerneau au dossier. Voici quelques faits qui me semblent appuyer cette manière de voir.

En Champagne, le cerneau s'appelle ceriau 3 : je ne vois pas le moyen phonétique de passer de cerneau à ceriau. Si, au contraire, on suppose un type français archaïque *cern, ce type sera naturellement devenu de bonne heure *cer, comme forn, jorn, etc., sont devenus jour, jour, etc., et une dérivation récente aura tiré ceriau de la forme réduite *cer.

1. Le mot lui-même n'a pas été signalé avant le seizième siècle. Godefroy, dans son Complément, n'est même pas remonté jus- qu'à 1539; >1 s'est contenté d'emprunter à Littré un exemple tiré du Printemps de Jacques Yver, publié en 1572. .

2. Mélanges, p. 137, 139 et 179.

3. Écrit ccriot par Tarbé, Rech., II, 28.

CERNEAU 20 j

Le verbe cerner remonte à circinare, c'est certain ; mais ne peut-on croire qu'il y a eu un autre verbe cerner tiré de *cem au sens spécial de « dégager le noyau de la noix » ? L'allemand a, dans le même sens, kemen à côté de auskemen et il est remarquable que le patois du Berry dit écemer.

Dans le patois savoyard, le substantif gremô (fran- cisé en grumeau) désigne non seulement le noyau de la noix et de la noisette, mais le cerneau ; il a donné naissance au verbe gremalyi « casser les noix et en retirer les noyaux ». Ce verbe a pour synonyme nâlyi, dont Pétymologie est clairement *nucaliare1 . Le même type étymologique est à la base du pro- vençal moderne nougalha qui, entre autres sens, a celui « de cerner des noix, les séparer de leur coque », tout comme desnougalha*. On a relevé à Lavoux près de Poitiers le verbe nigealé « enlever les noix de leur coquille' », qui représente *nucalare, à côté du sainton- geais enoughcler, du poitevin enougeler, du tourangeau énouler*, etc., qui viennent de *exnucalare*> .

Je dois ajouter cependant, pour ne pas paraître abon- der en mon sens, qu'il est possible que circinare ait spontanément reçu le même développement séman- tique et que l'hypothèse d'un type *excircinare, pour rendre raison du verbe berrichon écemer, n'a rien

i. Constantin et Desormaux, Dict. savoyard, p. 215 et 282. Cf. Rolland, Flore pop., IV, 44-47.

2. Mistral, Trésor, articles nougaia et destiougaia.

3. Lalanne, Dict. du patois poitevin, dans Mém. de la Société des Anliq. de l'Ouest, t. XXXII, 2' partie.

4. Cité par Hrachet dans Remania, I, 91 ; cf. Godefroy, s. v°. 3. Cf. le grec xoxxtÇttv, de K&xxoç.

206 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

d'extraordinaire. Dans certains patois provençaux mo- dernes, on dit estournica et le substantif estournic cor- respond exactement comme sens à notre mot français cerneau.

XXVII. CIBRE, TRIBE A Saint- Yrieix-la-Montagne (Creuse), le seau, usten-

si

le de bois cerclé de fer et muni d'une anse, avec lequel on puise l'eau dans le puits, s'appelle set, substantif masculin. On donne le nom de selho, substantif fémi- nin, à une sorte de cuvier, plus haut et moins large que le sei, qui sert ordinairement à délayer la pâte des crêpes de sarrasin. Il est clair que sei et selho, au moyen âge selh et selha, représentent phonétiquement le latin sïtulus et sïlula, prononcés de bonne heure *seclus et *secla. Dans le canton de Gentioux, le mas- culin selh a perdu complètement le son Ih et est devenu se, avec une prononciation de Y s très, voisine du son français ch. Il s'agit toujours du latin sïtulus.

Si l'on quitte Saint- Yrieix-la-Montagne pour se diri- ger vers l'Est, on se trouve bientôt en présence d'un mot différent pour désigner le seau, à savoir cibre, dont le c, étant placé devant un i, prend exactement le son du français ch et dont 17 a une tendance plus ou moins marquée à s'affaiblir en e. On dit, à Aubusson et dans tout l'Est du département, en cibre (un seau), et par suite no cibrado d'aigo (le contenu d'un seau d'eau), ce qui s'énonce à Saint- Yrieix en sei, no selhado d'aigo.

CIBRE, TRIBE 207

Mon collègue et ami, M. Gilliéron, a bien voulu me communiquer les résultats de son enquête sur les noms du seau dans toute la France : il a constaté l'existence de cibre (avec des variantes phonétiques négligeables) sur les points qui portent dans Y Atlas linguistique les nos 601 (Lavaufranche), 602 (Cressat), 702 (Au- zances), 703 (Pontgibaud), 704 (Saint-Quentin), 706 (Merlines), 800 (Désertines), 801 (Saint-Éloi-les- Mines) et 804 (Ennezat), c'est-à-dire dans l'Est de la Creuse, dans l'Ouest de l'Allier, dans le Nord-Ouest du Puy-de-Dôme et dans la .pointe Nord-Est de la Corrèze. Le mot est inconnu partout ailleurs. Dans l'Ouest de la Creuse, et seulement, on rencontre tribe (n° 504, Dun-le-Palleteau) et trube (n° 603, Saint- Dizier).

Les mailles du réseau tendu par MM. Gilliéron et Edmont ont été trop larges pour leur permettre de constater dans le Sud de la Creuse l'existence de sei, se, représentants du latin sUulus dont j'ai parlé ci-dessus; ce n'est qu'un détail qui nous importe peu'.

Laissons cela et étudions successivement cibre et tribe (trube) dans leurs rapports possibles avec d'autres idio- mes romans.

On lit l'article suivant dans l'inappréciable Trésor de Mistral, I, 555 et II, 1 157 :

« cibri-, ciMBRE(b. lat. cibrius , val. ciuber, ail. %uber, cuveau ; lat. cybea, vaisseau de transport), s. m. Vais- seau de bois dans lequel les bergers transportent le

1 . Situhts est aussi vivant dans le canton de Royère, arrondis- sement de Bourganeuf, sous la forme sei, notamment à Royère et à Saint-Pardoux-Lavaud.

208 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

lait, au moyen d'un bâton qu'ils passent dans deux douves percées; petit cuvier, dans les Alpes; fosse de potier, petit réservoir l'on met de l'argile et de l'eau.

Lou la 'spiravo A long raiôu e s'aubouravo Dins li bord escumous dôu cibre, Mirèio. »

Il n'y a pas à en remontrer à l'illustre auteur de Mirèio quand il s'agit de la langue qu'il parle et qu'il écrit lui- même. Est-il possible de douter de l'identité étymolo- gique de notre cibre lijnousin, bourbonnais et auver- gnat, et du cibre provençal, lorsqu'ils sont identiques au point de vue de la forme et qu'ils ne se distinguent, au point de vue du sens, que par la nuance sémantique qui sépare un seau d'un cuvier ? Je ne le crois pas.

Franchissons les Alpes. Les continuateurs de Du Cange (y compris le dernier, L. Favre) ont réuni plu- sieurs exemples du bas latin ceberus, ceberum, cebms, ceberus ou cibrius, au sens de « vase en bois » : tous ces exemples proviennent de statuts municipaux de l'Italie du Nord (Casale, Mondovi et Saluce '). Encore aujour- d'hui le mot est très répandu dans cette région et dans tout le domaine rhétique : Milan <iber, Pavie seber, Piémont seber, Montferrat sebi, Gènes sebru, Canavais suber; Frioul seèvre, cevre, sevré; Basse-Engadine saiver, activer; Sopraselva \eiver. Partout il désigne une cuve en bois, avec une ou deux anses, qui sert ordinaire- ment pour transporter l'eau, le vin, le lait ou la ven-

i. Cf. lebarum dans un texte de la Ligurie (G. Rossi, Glos- sario meàioevale ligure, p. 106 ; communication de M. le comte Nigra).

CIBRE, TRIBE 20C)

dange, sauf dans la Basse-Engadine, le mot s'applique au pétrin ' .

Toutes ces formes semblent pouvoir se ramener à un mot de l'ancien haut-allemand, dont l'exemple le plus ancien nous est fourni à deux reprises par les gloses de Cassel, on lit : gerala (corrigez gerula), tina : %uui- par; et tinas : ^uuipar2. Ce çuuipar ou %u>ipar est bien clairement composé de ^wei (deux) et du thème de beran (porter) : le sens propre est donc vaisseau de transport à deux.

Mistral n'a pas tort de rapprocher de son provençal cibre le roumain ciuber; mais il faut noter que le rou- main ne remonte pas directement à la source germa- nique. On peut voir dans De Cihac, article cibâr, ciubâr, l'indication de nombreuses formes slaves et magyares qui ont servir de véhicule entre l'allemand et le roumain.

Revenons maintenant en Limousin après ce long voyage dans l'Est de l'Europe. Que faut-il penser de tribe, trubef En attendant une étude définitive sur l'ha- bitat de ces deux formes, voici quelques notes à ce sujet pour compléter les maigres indications fournies par MM. Gilliéron etEdmont. Trube déborde à l'Ouest sur le département de la Haute-Vienne : j'ai un témoin

i. Communications de MM. Nigra et Salvioni. Cf. Kôrting, 2e éd., 10464.

2. Nos 125 et 178 de l'édition donnée par MM. Fccrster et Koschwitz, Altjran\. Uebungsbucb, édit., col. 42 et 43. Il est surprenant toutefois que le w germanique, si résistant dans l'anc. franc, amanoïr et toaille (où il est représenté par 0) n'ait laissé aucune trace.

Thomas. II. 14

2lo RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

très sûr de l'existence de cette forme à Châteauponsaç, arrondissement de Bellac. De son côté, tribe déborde à l'Est, sur la rive droite de la Creuse : c'est la seule forme usitée à Ajain, à Glénic et à Pionnat. Mais il ne va guère au delà : à Cressat, dernière commune de l'arrondissement de Guéret dans cette direction, on dit cibre, comme le constatent MM. Gilliéron et Edmont. A Saint-Laurent (rive gauche de la Creuse) on pro- nonce plutôt trible que tribe.

Je considère trube comme une forme labialisée de tribe, bien que l'hypothèse inverse du changement d'un u primitif en i, par dissimilation entre Vu et la labiale, ne soit pas inadmissible à priori1. Pour rendre compte de la désinence -be, je ne vois que deux moyens : ou supposer un type primitif *Irîpïnus (peut-être antérieu- rement *trîpanui), qui aurait abouti à tribe comme fraxi- nus a abouti dans notre patois à fraisse, ou considérer tribe comme issu par métathèse de *tibre. Dans le pre- mier cas nous enfilons un cul-de-sac, puisque *trîp)- nus reste aussi mystérieux pour nous que tribe lui- même. Dans le second, nous faisons faire un pas à

i. Je pense à nible (subst. fém.), nuage, qui est dans Bocce et qui subsiste aujourd'hui dans la Creuse sous la même forme ; il est difficile de ne pas voir dans 17 de ce mot une dissimilation de l'fi du lat. nttbes; même cas pour piu^e, de pilliceni. Pour la labia- lisation de l'7, comparez le dauph. kublo et le bas-limousin aube], crible, qui ne correspond pas au lat. crlbeUinn, comme on pour- rait le croire (le b limousin serait inexplicable), mais qui doit être pour *crublel, diminutif de *cruble, du lat. crlbrum ; joignez-y grupia, variante de grepia, crèche, uvern, variante de ivern, hiver, costubar (latin constiparé), supio, variante de sepio, seiche, etc. Cf. Schuchardt, Vckàlismus, II, 238 et III, 243.

CIBRE, TRIBE Ht

tribe pour le rapprocher de cibre, qui est son équi- valent sémantique adéquat. Faut-il franchir le pas ? Oui, si la phonétique nous y autorise pleinement; non, si elle nous barre la route.

Il est bien certain que dans toute la région qui pos- sède les formes tribe, irube on ne connaît que trenpa comme représentant du latin temperare, et que paubre comme représentant du latin pauperum; il est certain également que, selon les localités, on trouve pêle-mêle doiibri et droubi, drebi comme représentants du latin deoperire ' . J'en conclus qu'il n'y a pas de loi impéra- tive en la matière et que, par conséquent, nous avons le droit, sans nous mettre hors la loi, de supposer que tribe est une métathèse pour *tibre. Peut-être * libre survit-il quelque part, dans quelque canton inexploré; mais même s'il ne survit nulle part, nous pouvons croire qu'il a existé jadis, comme nous croyons à l'exis- tence de *tenpra dans le passé, bien qu'il ait totale- ment disparu du présent.

Il nous faut maintenant affronter cibre et *tibre et nous demander si nous n'avons pas affaire à deux formes divergentes d'un même type étymologique. Je crois qu'on peut hardiment répondre par l'affirmative, du moment qu'il s'agit d'un mot germanique. Le haut- allemand zwipar a certainement succédé à une forme antérieure *twiber, comme %u>ei a succédé à twei: on sait que le / a persisté jusqu'à nos jours dans les idiomes bas-allemands. Il faut admettre bon gré mal gré quelque surprise que cela puisse nous causer au premier

i. Comparez la coexistence de chirbe et de chibre, chanvre.

2(2 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

abord que nous trouvons aujourd'hui dans le patois de la Creuse, avec tribe et cibre, la représentation de ces deux formes germaniques d'époques ou de régions différentes.

A tout prendre, le / de tribe est moins surprenant que le c. de cibre, car Diez a remarqué depuis longtemps qu'il n'y a pour ainsi dire pas un seul exemple dans le roman de la Gaule d'un t initial germanique qui se soit transformé en ^ avant sa romanisation1. Le silence de M. Mackel sur ce point de phonétique est bien signi- ficatif2. Et pourtant comment douter que le cibre pro- vençal et limousin corresponde réellement au germa- nique ^wipar}

Le doute pourrait venir d'ailleurs. On a sans doute remarqué que toutes les formes italiennes et rhétiques témoignent que dans ^wipar Yi devait être bref, puis- qu'elles le rendent par c, ei, ail. Pourquoi avons-nous un i dans nos patois méridionaux de la Gaule ? Je n'ai pas assez approfondi les mystères de la phonétique germanique pour décider si l'on peut supposer con-

i. Gramm. des langues romanes , trad. franc., I, p. 289-290.

2. Die germ. Elemente in derfr. und pr. Sprache, p. 174. Pour- tant, à côté de atoivre, animal de trait, mot fréquent en ancien français, il faut signaler la forme atoivre dans le Roman de Thèbes, 4775. On sait que le mot germanique correspondant est en anc. haut-allem. ^ëbar. D'autre part, il est légitime d'assimiler au / germanique initial le // médial ou final : or, à l'allemand schat^, gothique skatt-s, correspond le provençal esca\, cas régime singu- lier, qui se lit dans Sanda Fides, vers 176 {Romania, XXXI, 186). M. Leite de Vasconcellos n'a pas été bien inspiré de voir dans ce passage une allusion au jeu d'échecs.

3. Vi du milanais %iber peut représenter un e primitif: comparez cira, tihi, du latin cera, ida.

CI BRK, TRIBE 213

curremment en haut-allemand çwïpar et ^wlpar : mais je ferai remarquer que, sans sortir du domaine proven- çal, nous trouvons concurremment e et / en face d'un mot germanique ayant un i. A côté du provençal ordi- naire melsa, le dauphinois dit missa, le savoyard miofa et le bas limousin mialso, toutes formes qui, comme l'italien mitya, restent fidèles à 17 primitif1.

Enfin, et c'est par que je finirai, je crois pouvoir affirmer que le français a possédé un mot correspondant à celui qui nous occupe, et que le mot français remonte clairement au type germanique *twïber.

On lit dans le Roman de Thèbes, dans l'épisode du bain, lorsque Jocaste remarque les plaies qu'Œdipe porte aux pieds :

Les pies H met a l'eur du toivre Por les plaies mix aperçoivre 2.

L'éditeur a été embarrassé, non sans raison, par le mot toivre, qu'il glose ainsi dans son Vocabulaire : « ouverture de la fenêtre ou peut-être bassin ». Le contexte ne permet pas d'hésitation : par toivre le poète ne peut vouloir désigner que la baignoire (la cuve bai- gneoire, comme on disait au moyen âge) dans laquelle se trouve Œdipe.

De cet exemple, toivre signifie « cuve », je crois pouvoir en rapprocher un autre le sens est moins clair au premier abord. Je l'emprunte à la Vie de saint

1. La désinence en a du savoyard miofa (Annecy) prouve que le type germanique qui a pénétré en roman était mil\a et non *millia, car ce dernier aurait donné une désinence en e.

2. Éd. Constans, app. III, 829-30.

214 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Rémi, récemment signalée par M. Paul Meyer. Voici ce qu'on lit dans le prologue :

D'autre part il a teil planté

Des biens Dieu, que crestienté (corrige^ qu'en crestienté)

N'a une toute seule terre

Dont on ne veingne en France querre

L'enseingnement de la fontainne

D'escripture et ' la clef certainne :

De toutes terres vient on boire (lise% boivre)

En France la doussour d'un toivre

Qui plus est dous que cil de Romme *.

Il est clair que l'auteur joue sur le nom commun toivre et sur le nom propre Toivre, le Tibre. Dans ce passage, toivre me fait l'effet d'être le « bassin » de la « fon- taine » qui figure trois vers plus haut.

L'ancien français toivre, cuve, bassin de fontaine, est encore vivant aujourd'hui, sous la forme nasalisée timbre^, dans la région des Charentes, il s'applique à l'auge en pierre dans laquelle on abreuve le bétail -*. M. Léopold Constans me signale l'existence à Millau de timbre « cuve de teinturier ».

i. L'éditeur corrige et en est, à tort, à ce qu'il me semble.

2. Not. et extr. des tnss., t. XXXV, fe partie, p. 124-5.

3 . Comparez la forme provençale timbre, à côté de cibre.

4. Voyez Jônain, Dict. du patois saintongeais, au mot timbre; Littré au mot timbre 3 ; Godefroy au mot timbre 2 ; Gilliéron et Edmont, Atlas linguistique, carte 3 (abreuvoir), point 529. On peut se demander si Unie, indiqué par Jaubert (p. 649, au mot Une) sans renvoi précis comme ayant eu en Berry le sens de « seau » il y a trois siècles, n'est pas une faute de lecture pour *tivre : ce *tivre berrichon prouverait que le tribe marchois et limousin est bien sorti par métathèse d'un ancien "libre. Mon confrère M. Soyer, archiviste du Cher, m'écrit qu'il ne connaît pas d'exemple de cette forme suspecte tinre, non plus que de *tivre.

COLCER 2 i J

On a proposé de rattacher à la même origine le français civière (Kôrting, 2e éd., 10464) : c'est une question qui reste à élucider, mais je doute beaucoup que l'étymologie soit bonne.

(Revue des parler s pop., année 1903, p. 165-171 ; cf. Bull, de la Soc. de ling. de Paris, séance du 28 mai 1903.)

XXVIII. COLCER

M. Meyer-Lùbke mentionne le provençal coasser « coite » à côté de l'espagnol colcedra, comme un représentant du type latin culcitra, variante de culcita ; mais coussér n'existe pas et s'il existait, il ne serait pas le représentant phonétique de culcitra, car culcitra ne peut aboutir qu'à *colcéira. Le mot que les anciens textes provençaux écrivent colcer, cosser, couser, et même colse, était certainement accentué sur la syllabe initiale, comme le montrent les formes actuellement vivantes : couce, coulce, coutre, cousso2. On trouve d'autres formes encore, avec la même signification : cossera, cossena, co^na, cosna, coisna 3 ; et les patois actuels disent, d'après Mistral : coucedo, coucedro, coucero, coulcedo, coulcero, cou- ceno, coulceno, courno, coucèiro, couino, coustio, coueto,

1. Gramm. des langues romanes, I, § 594.

2. Levy, Prov. Suppl.-W., I, 288. Le genre masculin donné par Raynouard à ce mot est en contradiction avec ce vers de Folquet de Lunel :

Jairetz en lensols blezitz E en cosser s desonradas. Pourtant Mistral dit que le provençal actuel a les deux genres.

3. Levy, Prov. Suppl.-W., I, 386.

2i6 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

cousto, couste, coueito, coueitio. Il me semble reconnaître dans le tas trois types étymologiques différents : culcïta, *culdna et *culcère.

dilata. La forme romane la plus ancienne a être *colceda, mot proparoxyton, qui a ensuite déplacé l'accent et a ainsi donné naissance aux formes modernes coidcedo, coucedo et, avec une r épenthétique, coucedro. Dans la région septentrionale de la langue d'oc, la chute de la posttonique a suivre de près l'affrica- tion du c deyant ï prononcé e et l'on a eu *col%ta ; de cousto, couste, coueto, coueito, coustio, coueitio. Toutefois, je ne me rends pas compte de la raison d'être de la désinence -tio, qui appartient surtout au Limousin.

*Culcina. La désinence rare -ïta a été remplacée par -ïna. De là, d'une part, une forme proparoxytoni- que cossena, *colcena qui a déplacé l'accent et a donné naissance à coulceno, couceno; de l'autre, une forme con- tracte attestée par l'ancien provençal co%na, cosna, coisna et par les patois actuels qui disent couino et courno ' .

*Culcëre. De même que le provençal a tiré carcer, aujourd'hui carce, substantif féminin, de carcere, cas oblique de carcer, de même il doit avoir emprunté colser (pour colcer), coulce, couce, etc., à un type *culcer, ^ul- cère, dans lequel la désinence -er, -ère a pris la place de -ita ou de -ïna. A son tour, *culcer, *culcere a été supplanté, à cause de son genre féminin, par *culcera, d'où l'ancien cossera (pour *colcerà) et le moderne coul-

i . Même substitution, à ce qu'il semble, dans l'anc. gascon leçta (Du Cange et Lespy), qui correspond au provençal hyla, catalan leuda, droit d'entrée sur les marchandises, du latin licita; cf. Romania, XXVIII, 196 et 487.

CONOBRAGE 217

ccro, coucero. Le déplacement d'accent s'est produit dans la période romane, comme pour *colceda et *colcena : ce qui le montre bien, c'est que Ye de coulcero, coucero est un e fermé, l'ancien e atone du proparoxyton *col- cera. La langue a suivi la même marche pour aboutir à l'auvergnat chancera, dont le point de départ est le latin cancer, cancere1. Mais comme l'on peut révoquer en doute l'exactitude de l'étymologie que j'ai donnée de chancera, je citerai un témoin irrécusable en faisant venir à la barre le provençal moderne pouvero, poulbero « poussière », autrefois polvera, encore employé comme proparoxyton dans la traduction en vers de la chirurgie de Roger de Salerne2, de *pulvera, pour pulvere. Cette comparaison sera en outre utile pour l'explication de la seule forme moderne que j'aie laissée de côté, à savoir coitcèiro, car 'nous trouvons aussi poulbèiro dans Mistral. Je ne vois que l'hypothèse de types allongés en latin vulgaire à l'aide du suffixe -\a pour rendre raison de coucèiro et de poulbèiro, à savoir *culcëria et *pulveria.

XXIX. CONOBRAGE

On lit dans Godefroy l'article suivant :

Conobrage, s. m., action de reconnaître:

Des couz et des missions que il a fait et mis ons façons et on conobrage des chouses et héritages dessus diz. (Janv. 1297, S* Berthomé, Bibl de La Rochelle.)

Por les cous et mises que il a fait et mis on conobrage des dites (livres) qui sont amortiz et aneentez de tout en tout (//>.).

1. Voyez mes Mélanges d'élym. franc., p. 47.

2. Romania, XI, 205 et 209.

2 18 CHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Ce n'est pas d'aujourd'hui que conobrage a attiré mon attention. Il y a plus de vingt ans, dans le compte rendu de l'œuvre de Godefroy, alors à ses débuts, que je publiai dans la Revue critique, je signalais le mot et j'ajoutais: « Il est assez étrange; mais en l'admettant pour authentique, il faut le rattacher pour le sens à recouvrer et non à reconnaître ' . » Évidemment, la tra- duction par « action de reconnaître » est mauvaise ; mais si je traduis par « action de recouvrer », cela ne vaudra pas mieux ; et d'ailleurs, comment raccorder recouvrer et conobrage ?

Établissons d'abord le sens ; l'étymologie viendra ensuite toute seule. Il me paraît certain qu'en suppléant livre dans la seconde phrase, Godefroy a fait une mé- prise. Les façons et le conobrage s'appliquent à des héri- tages, c'est-à-dire à des terres cultivées. On sait que façon désigne le labour par lequel on prépare la terre à recevoir les semences ; il serait parfait que conobrage fût apte à désigner l'action d'amender, de fumer la terre. Faut de l'engrais, comme dit l'autre2. Or, en voici. Ouvrez le Glossaire du Poitou, de la Saintonge et de l'A unis (n'oublions pas que La Rochelle est la capitale de l'Aunis) par L. Favre et vous y lirez : « Couneuvre, s. m. Engrais. B. F. » Ces initiales indiquent que cou- neuvre est emprunté à Beauchet-Filleau ; par suite, c'est un mot usité à Chef-Boutonne (Deux-Sèvres). Donc, comme on trouve fréquemment br pour vr (de pr latin) dans les anciens textes aunisiens?, j'ai le droit d'affir-

i. Rev. criL, 1882, 2<= sem., p. 116.

2. Eugène Labiche, La Cagnotte, II, 7 {Théâtre complet, V, 70).

5. Gœrlich, Die Siidw. Dialecte der Langue d'oïl, § 113.

CONOBRAGE 219

mer qu'à La Rochelle, à la fin du treizième siècle, « fumer la terre » se disait conobrer: de conobrage, et sans doute aussi le substantif verbal conobre, auquel correspond aujourd'hui le conneuvre de Chef-Bou- tonne ».

Je ne vois pas d'autre étymologie possible pour cono- brer qu'un type latin vulgaire *conoperare, c'est-à-dire un verbe fait avec le préfixe cum et operare, mais dis- tinct comme forme de *cooperare. Si le latin laisse presque toujours tomber la nasale en composition devant une voyelle ou une /; et dit coaccedere, coacere, coacervare, cohabitare, cohortari, etc. ; il admet cependant comedere (de cum et edere) : c'est vraisemblablement le point de départ de la formation en latin vulgaire de *cominitiare, dont il est inutile de dénombrer la postérité romane. Mais on sait que cum se transforme en con devant c (concacare), d (condecere), f (confabricari), g (congelas- cere), j (conjacere), n (connasci), q (conquadrare) , s (con- sacerdos), t (contabescere) , v (convadari). Il est établi par quelques témoignages isolés que cette forme réduite con a fait concurrence à co devant une voyelle. Voici les exemples que j'en trouve et qui appartiennent à la période archaïque du latin (je me contente de les énu- mérer) : conangu status, conauditum, contre, conhibere.

Personne n'hésite à considérer le verbe provençal conortar comme représentant le type latin vulgaire

i. Rien dans le Glossaire aunisien qui fait partie des publications de l'Académie de La Rochelle, section de littérature, choix des pièces lues aux séances, 16 (1870). Beauchet-Filleau et Lalanne donnent aussi à couneuvre le sens de « second blé, par opposition au blé de guéret ».

220 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

*conhortare ' : je demande au même titre la reconnais- sance de *conoperare = conobrer.

Au point de vue sémantique, tout va bien. C'est par l'action combinée des labours et des engrais que l'homme met la terre en valeur; il est naturel qu'on ait dit *conoperare en parlant de l'action de fumer, puisque c'est réellement une coopération2.

XXX. CONSŒR, DESIER

L'auteur du poème provençal de Scinda Fides, récem- ment retrouvé et publié par un savant Portugais, M. J. Leite de Vasconcellos, dit en parlant de son héroïne livrée au martyre :

Czo lie non prezed un diner, d'en Deu a tôt son consider J.

C'est-à-dire : « Cela elle ne prisa un denier, car en Dieu elle a toute sa pensée. »

Le substantif consider qu'emploie ici le poète est en rapport avec le verbe considrar qu'on lit au vers 325 : Aisim considr' o facz' a mi 4.

1 . Diez croit que conortar peut venir de confortare par chute de F/, comme preon de profundtim; mais Vf appuyée n'est pas traitée comme Vf intervocalique.

2. On pourrait se demander si l'on n'a pas eu d'abord "conopera, comme carropera et tnanopcra si fréquents dans les textes et qui paraissent antérieurs aux verbes correspondants; cela me paraît peu probable. En tout cas le genre de couneuvre montre que c'est un substantif verbal de l'ancien verbe *conovrer.

5. Vers 339-340, dans Romania, XXXI, 191.

4. Sur la leçon, voyez Journal des Savants, 1903, p. 343.

CÛNSIÈR, DESIER 221

Le poème de Sancla Fides conserve fidèlement le à latin intervocalique (ou suivi d'r) et il est naturel que de considerare il fasse considrar : par suite, consider nous mène les yeux fermés à un type du latin vulgaire *con- siderium, modelé sur le latin classique desiderium1.

Le sentiment du vrai rapport morphologique de con- sider et de considrar s'est bientôt obscurci et l'on a été surpris d'avoir dans le verbe une r qui manquait dans le substantif: par suite, le langage s'est transformé, et l'on a bientôt dit *considrer au lieu de consider. De la forme ordinaire consirier, la seule que connaisse Raynouard : elle est encore vivante en Gascogne l'on prononce coussirè2.

Mais l'influence du verbe ne s'est pas exercée dans toute l'étendue du domaine provençal sur le substantif et consider n'a pas disparu partout de l'usage. Il s'est conservé notamment dans la région limitrophe du fran- çais où le d intervocalique tombe et il s'est réduit

1 . Cf. ci-dessus, p. 113. Kôrting admet *considerium dans son Lat.-rom. Wœrterb., mais il a le tort d'en tirer le prov. consire qui est, en réalité, un substantif verbal de consirar.

2. Alcée Durricux donne coussidé « souci, inquiétude, chagrin » et coussida « être inquiet » (Dict. ètym. de la langue gasconne, II, 159). J'ai eu tort d'identifier ce substantif coussidé avec le consider de Sancla Fides {Mélanges Léonce Couture, p. 261). En effet, le dia- lecte de Lectoure, qui est celui de Durrieux, ne conserve pas le d latin intervocalique, mais il le change en t\ D'autre part, M. l'abbé Sarran, professeur au petit séminaire d'Auch, m'écrit qu'il a inter- rogé des jeunes gens et des vieillards de Lectoure et du Lectourois et que personne ne paraît connaître ni coussidé ni coussida. Je ne sais que penser de la valeur du témoignage de Durrieux. M. l'abbé Sarran me signale escoiqidè « chagrin cuisant » dans le Bas-Arma- gnac; mais, comme il le dit lui-même, nous avons affaire à un dérivé du verbe escou\i, lat. vulgaire *excocire, pour cxcoquere.

222 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

régulièrement à consier ou, avec chute de Vn, cosier. Il est bon de grouper ici les textes du moyen âge qui emploient cette forme dont on a voulu, bien à tort, contester la légitimité.

En premier lieu, il faut citer Girarl de Roussillon, je n'en ai pas relevé moins de huit exemples : vers 334, 2092, 2103, 2971, 5 191, 8123, 8676 et 9700 de l'édi- tion Fœrster (Romanische Studien de Bohmer, tome V). Dans tous ces passages, la version provençalisée (ma- nuscrit de Paris) est d'accord avec le texte original: elle donne soit cossier, soit cosier ' ; le manuscrit d'Ox- ford donne tantôt consier, tantôt cosier2.

En second lieu vient Aigar et Maurin, on lit à deux reprises consier (y. 902 et 1102, édit. Brossner): Bartsch a proposé de lire consirier, mais M. Brossner maintient avec raison la leçon du manuscrit*.

Enfin le fragment çYAntioche, vers 183, nous offre un exemple de cosier.

1. Édition F. Michel, p. 47, 73, 141, 226, 242, 272. A deux reprises l'éditeur a corrigé arbitrairement cossier en cossirier.

2. Dans ces différents passages M. P. Meyer traduit consier, cosier tantôt par « dessein », tantôt par « sentiment », tantôt par « dis- position », tantôt par « égard ». Les vers 333-334 l'ont embar- rassé, car il les a passés sans crier gare. Les voici textuellement :

Caries per gentes daucnes fu galaubiers : Ameilloret la molt sos cosiers.

Je crois qu'il faut corriger la en las et traduire : « Charles de belles dames fut amateur : son imagination les améliora beaucoup (il se les figurait plus belles que la réalité) ».

3. Roman. Forschnngen, XIV, 78 et 86. M. Brossner ne s'explique pas sur la formation du mot ; mais il renvoie à Hentchke, Die Verbal- flexion in der Oxf. Hs. des Girart de Rossillon, p. 18, lequel croit que consier est sorti par dissimilation de consirier.

CONSIER, DESIER 22}

Cet ancien mot provençal est encore vivant aujour- d'hui. Le patois du Bas-Limousin possède le substantif cûiissier « souci, chagrin » '. La conservation de IV finale n'est pas conforme aux lois phonétiques ; il faut y voir une réaction de l'adjectif coussirous, qui existe aussi sous la forme coussierous2.

Si le latin vulgaire *considerium a abouti à consier, cossier, il est tout naturel que desiderium ait abouti de son côté à desier, qu'il faut distinguer de la forme refaite destrier, comme consier de consirier.

J'ai écrit naguère : « Par une curieuse compensa- tion, le français, qui a en commun avec le provençal les formes de compromission consirier et desirier, nous a conservé quelques exemples de la forme primitive desiier, dont les traces n'ont pas été retrouvées encore en provençal*. » J'ai le plaisir aujourd'hui de ramener à la lumière le provençal desier, comme je l'ai fait pour le provençal cossier. Le mot figure trois fois dans Girart de Roussillon :

Car de Folcon socorre ai desier (vers 8124, Oxford). Li dus non a d'aver tal desier (vers 8668, Oxford). Mais une paubre femme n'a desier (vers 9686, Oxford).

1. F. Laborde, Lex. limousin (Brive, 1895). Le Dictionnaire du patois du Bas-Limousin de Béronie et Vialle donne couder, sans définition, avec renvoi à coussier, mais l'article colistiers été oublié.

2. J'ai proposé de rattacher aussi à l'ancien mot cossier le sub- stantif coussei que possède le patois du Haut-Limousin (JRomania, XXXI, 483, n. 2); mais la forme régulière serait "coussiei et il est plus prudent de rattacher coussei à consilittm, bien que le sens con- corde assez bien avec celui de cossier. Le mot actuel coussei est sur- tout usité dans la locution se boîha coussei « ne pas rester oisif, sans souci ».

3. Romania, XXXI, 483.

224 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Le manuscrit de Paris est d'accord avec celui d'Ox- ford ; quant au manuscrit de Londres, il donne desirier (8124) et desirrier (8668).

On peut citer encore le traité des Vices et des Vertus, dont M. P. Meyer a donné un long extrait : « En aischi corn lo denier de l'arma deu esser en pessa- men, etc. ' ».

Enfin le mot est fréquent dans la traduction du Liber scintillarum de Defensor que renferme le manuscrit français 1747 de la Bibliothèque nationale. En voici quelques exemples:

Lo desiers del règne de Deu (f° 26d) Si laissam los terrenals desiers (f° 2c/1) Los charriais desiers (f° 30*) L'esperit de desieir, so es de desliuransa (f° 30d) Desiers de diable (f° 36d) Los chaînais desiers (f° 8ia)

C'est dans ce manuscrit que Raynouard a puisé une citation qu'il fait au mot defesi (III, 22) : « Sorja d'a- quest defeci al desieir de coral e vera sabensa. » M. Emil Levy qui la reproduit (Prov. Suppl.-Wœrterb., II, 39) propose (toujours!) de corriger desieir en desi- rier.

Il me faut maintenant parler du rapport de nos deux mots avec leurs types latins. Ce rapport est en contra- diction avec la loi de Darmesteter d'après laquelle nous devrions avoir *cosdier et *desdier. Il n'y a pas de quoi jeter les hauts cris. Comme nom de personne Desiderius donne ordinairement en provençal et en français Desdier, Didier, ce qui est phonétiquement

1 . Doc. mss. de Vanc. litt. de la France conservés dans les bibl. de la Grande-Bretagne, Rapports, etc. (Paris, 1871), p. 267, 1. 11.

CONSIER, DES1ER 225

régulier ! ; de les nombreuses localités qui se nom- ment Saint-Didier, à côté desquelles il faut cependant reconnaître l'existence de quelques Saint-Didier, tant au Midi qu'au Nord. Il y a eu conflit entre la phoné- tique et la morphologie et la victoire a été indécise. le rapport morphologique de desidero et de desidé- rium (ou Desidérius) s'est maintenu intact, 17 proto- nique a tenu bon, comme celui de maritâre; quand ce rapport a cessé d'être perçu, la tendance phonétique l'a emporté et 1'/ a disparu.

L'histoire de *considerium et de desiderium renferme encore un autre enseignement : on ne saurait apporter trop de délicatesse à l'étude du langage. Malheur au philologue brutal dont le scalpel fouille sans précaution ces organismes si complexes que nous appelons des mots et la pensée de l'homme a tracé de mystérieux sillons ! A la base de considerare et de desiderare se trouve le substantif sidus, sideris « étoile ». Qui pour- rait nous apprendre à quel moment précis l'étoile a cessé de briller dans les intelligences des populations romanes qui ont continué à employer les verbes considerare et desiderare} Ce qui est certain, c'est que l'éclipsé a se produire de très bonne heure et plus tôt encore pour desiderare que pour considerare, sans doute bien avant que le substantif sidus eût disparu de l'usage courant.

En comparant deservire et desiderare, nous constatons que le français et le provençal sont d'accord pour traiter Ys du premier de ces verbes comme une s initiale, c'est-à-dire qu'ils lui conservent le son sourd, et pour

i. On a parfois en provençal Lesdier, Leidier, par dissimilation. Thomas. II. i s

226 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

traiter Pi du second comme une s intervocalique, c'est-à-dire qu'ils la font passer du son sourd au son sonore : à desservir s'oppose desirar, désirer .

Pour nous éclairer sur l'histoire de considerare, nous avons un autre élément d'une grande importance, c'est le préfixe cum. Lorsque ce préfixe entre en composi- tion, il prend, comme on sait, la forme con; mais c'est un fait bien connu que devant une s la nasale disparaît de la prononciation du latin vulgaire. De cum et de stare le latin forme le verbe constare : toutes les langues romanes sont d'accord pour établir l'universalité de la prononciation *costare. Si Y s précédée de la nasale est suivie d'une voyelle, elle passe du son sourd au son sonore : consuere se prononce *cosere dans le latin vul- gaire et donne en ancien français cosdre (et non coslre), en provençal coser ou cosir (avec changement dans la désinence de l'infinitif). Si l'on tient compte de cette loi phonétique, on sera amené à considérer l'ancien français consirer, non pas comme le représentant du latin vulgaire considerare, mais comme un mot em- prunté à la langue littéraire. M. H. Berger, dans son beau livre intitulé Die Lehnwôrier in der fran^ôsischer

i. Un nom d'homme singulier est Dessirier, s'il correspond réellement au latin Desiderius, contaminé à une époque récente par le verbe désirer. On sait qu'il est porté à l'heure actuelle par le gouverneur de Paris, lequel veut bien m'informer que sa famille est originaire de Champlive (Doubs). D'autre part, je constate l'existence à Lautrec, en 1340, d'une famille Dessirier et, dans la même région, les graphies concurrentes desirier et dessirier pour le nom commun qui signifie « désir ». Faut-il voir une survi- vance du sentiment de la composition de-siderare ? C'est bien peu probable.

CONSIER, DESIER 227

Sprache cil tester Zeit1, ne s'en est point avisé, et l'on chercherait en vain consirer parmi les mots qu'il a étudiés.

Le provençal nous offre un état de choses plus com- plexe : les anciens textes présentent les trois graphies consirar, cossirar, cosirar. Les patois actuels n'ont aucune trace de la nasale, mais ils sont tous d'accord sur la prononciation de Vs comme une sourde. Que faut-il en conclure ? Il est bien certain que le latin vulgaire a connu pendant longtemps une prononciation dans laquelle IV disparaissait, mais Vs conservait le son sourd. Théoriquement, on pourrait assimiler *coside- rare à deservire et aboutir à cossirar et à desservir. Mais si l'on remarque qu'il n'y a pas de verbe simple *side- rare qui ait pu jouer vis-à-vis de *cosiderare le rôle qu'a joué servir e vis-à-vis de deservire, d'une part ; si, de l'autre, on se rappelle que partout desiderare a changé son s sourde en s sonore, on se convaincra facilement qu'en raisonnant ainsi on fait fausse route. Il faut admettre qu'en provençal comme en français conside- rart a sombré sous sa forme vraiment populaire pour reparaître ensuite comme mot d'emprunt sous la forme *amsidrar, réduite bientôt à consirar. La chute de la nasale ou, pour mieux dire, l'assimilation de ns en ss, est un phénomène postérieur, propre à la phonétique provençale, qui se retrouve dans pensar pessar, transir trassir, etc. Je crois qu'il faut interpréter de même tous les mots provençaux dont l'initiale oscille entre cons-

1. Leipzig, Reisland, 1899. Cf. le magistral compte rendu de Gaston Paris, Journal des Savants, mai et juin 1900.

28 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

et coss-, par exemple cospirar, cossegre, cosselh (et ses dérivés), cossentir, cosciencia, cossol, cossolar. Ce qui le prouve bien, c'est que le groupe ne lui-même, le c ayant fini par prendre devant e ou i le même son que Y s, donne lieu à la même assimilation et que l'on trouve cossebre, cossetar, macip au lieu de concebre, concetar, man- cip, du latin concipere, concitare, mancipium.

XXXI. CUIOLAR

On appelle couramment cayola, coyala, cuyala ou cujala, en patois béarnais', une cabane sur la mon- tagne, avec un parc pour faire gîter le troupeau et un pâturage d'une certaine étendue pour le nourrir2. Le mot se trouve dans les textes du moyen âge; le plus ancien qui le contienne est le Livre d'Or de Bayonne, qui l'écrit cuiolar. Les tentatives étymologiques faites pour l'expliquer sont restées infructueuses. Je crois qu'il faut partir d'un type latin *cubiolaris} tiré à l'aide du suffixe -arisde *cubiolum, diminutif normal de *eubinm, dérivé lui-même du verbe cubare « coucher » à l'aide du suffixe -ium. L'existence de *cubinm en latin vul- gaire est établie depuis longtemps 3. Remarquez que le provençal jat\ « gîte » remonte à un type *jacium qui

i. Inutile de reproduire la graphie par aa qu'affectionne le béarnais : coyalaa, etc.

2. Voyez Lespy et Raymond, Dict. béarnais, articles coyalar, ctt- jalaa, cujolar, cuyalaa, et E. Levy, Prov. Suppl.-W., article cujolar.

3. Voyez Korting, 2641, et Mever-Lûbke, Gramm. des hng. roni., II, 5 404.

DAL'.VAIE, DAUMAIRE 229

est à jacere « gésir » dans le même rapport que *cubium à cubare. L'emploi du suffixe -aris en gascon sera étudié plus loin à l'article Instar.

A côté des formes citées plus haut, Lespy et Ray- mond signalent dans la vallée de Barèges une forme particulière couylaa. Cette forme n'infirme pas l'étymo- logie que je propose, au contraire : elle vient de *cubio- laris par chute de Yo protonique. On sait que d'un même type, *castellaris, selon que la prononciation a obéi aux lois purement phonétiques ou qu'elle s'est laissé influencer par le souvenir du mot castellum, dont *castellaris était le dérivé, nos dialectes méri- dionaux ont fait Caylar ou Castelar, termes très fré- quents dans la toponymie.

(Mélanges Léonce Couture, p. 262.)

XXXII. - D AU MAIE, DAUMAIRE

L'article dalmatica de Kôrting est bien court: on n'y trouve cité que l'ancien français daumaire, sans aucune référence. Il n'est pas inutile de rappeler que différents patois actuels ont conservé dalmatica sous des formes variées dont on n'a pas toujours vu la véritable étymologie.

Dès 1650, Ménage a signalé l'angevin daumoire « dal- matique » et a prétendu l'expliquer par un type *dal- matarium ' . Quelques trente ans plus tard, Furetière fait la remarque suivante : « Les paysans du Berry et autres

1. Origines de la langue française, art. dalmatique.

2^0 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

lieux au delà de la Loire ont des habits faits en forme de casaques longues qu'ils appellent damnais : ce qui, apparemment, est un mot corrompu de dalma- tique ' . »

Le comte Jaubert a recueilli dômaie et dômaire, sans savoir qu'il avait été devancé par Furetière et il a pro- posé dubitativement comme étymologie dominica 2 ; puis, sous l'influence de Ménage, il semble s'être résigné à rattacher le mot berrichon à dalmaticaî. E. de Cham- bure a voulu innover et il renvoie au bas latin dorna- derius pour hebdomadarius ; ce n'est pas heureux, mais il faut lui savoir gré d'avoir rapproché des patois du Morvan et du Berry ceux du Poitou, qui emploient encore aujourd'hui daumaie dans le sens de « blouse », de « veste », et en général de « vêtement qui enve- loppe 4 ». Il est inutile de citer les différents recueils lexicographiques relatifs à cette dernière province, qui ne feraient que confirmer ses indications.

Il est tout à fait certain que daumaire, daumoirc et daumaie remontent au latin dalmatica et constituent des doublets vis-à-vis du français littéraire dalmatique. Depuis longtemps Gaston Paris a signalé le parallellisme de grammaire "= grammatica et de daumaire = dalma- ticas. L'angevin daumoire nous offre la même permu- tation de ai en oi que nous observons dans Amboise, armoire, grimoire, Sermoise, etc. Reste daumaie qui, au

i. Dictionnaire universel (publié en 1690), art. dahnatique.

2. Gloss. du centre, 2e éd., p. 232.

3. Ibid., p. 720, et Suppl., p. 54.

4. Gloss. du Morvan, p. 260.

5. Roinania, VI, 130.

D AVAIS, DAVAISSA 2?i

premier abord, est surprenant. Nous le trouvons, dès le douzième siècle, rimant avec plaie, dans le Roman de Thèbes, texte de l'Ouest, qui offre aussi, mais en dehors de la rime, la forme daumaire. Sans entrer dans l'examen approfondi de la genèse phonétique de dau- maie, je me bornerai à rappeler que la disparition de la dentale est un fait que nous constatons aussi dans joie, de *feticum ou *fedicum ' , et dans les anciennes formes meie, mie « médecin », qui remontent à meàicum.

Il reste à savoir si les formes daumaire, daumaie doi- vent être considérées comme une preuve de la persis- tance de la dalmatica romaine dans le costume civil, ou s'il faut voir dans leur existence un témoignage de l'extension plus récente de l'usage de la dalmatica ecclé- siastique à la population laïque. Si l'on remarque que dalmatica n'a pas abouti à *daumage ou *daumache2, comme natica à nage ou nache, mais qu'il n'a donné naissance qu'à des formes demi-savantes, on se ralliera sans hésiter à la deuxième manière de voir.

XXXIII. D AVAIS, DAVAISSA Raynouard a rangé sous l'article vayssa (V, 471)

1. Gaston Paris, Ficatumêm roman (tirage à part de Miscellanea linguistica in onore di G. Ascoli), p. 4.

2. La forme domagne, dont Godcfroy enregistre un exemple isolé de 1424, paraît mériter peu de confiance ; quant à amatick, amalique, c'est une altération curieuse, mais de date relativement récente.

23J RECHERCHES ETYMOLOGIQUES

« vigne sauvage, lambrusque1 », les deux exemples sui- vants :

Ges una pruna d'avays

En s'amor non daria. Raimbaut de Vaqueiras : S'una dona (lire : D'una dona).

Don melhor frug que d'avayssa N'aura.

B. Alahan de Narbonne: No puesc.

Je crois qu'il faut lire davais, davaissa. De pruna davais je rapproche le rouerguat lobais qui désigne le prunier sauvage et son fruit; et l'emploi du féminin davaissa pour désigner spécialement la prune sauvage me paraît assez naturel. Quoi que l'on pense de l'éty- mologie du français davoine, davaine, que l'on a voulu rattacher au latin damascena2, je crois que le provençal davais, davaissa doit appartenir à la même famille.

XXXIV. DEGATIER Raynouard a relevé le mot degatier dans la charte

i . Cette traduction de vayssa par « vigne sauvage » est bien hasardée ; actuellement vaisso, prononcé baisso, désigne dans le Rouergue, soit le coudrier, soit l'alisier (baisso blatico).

2. Voyez sur ce mot une note de Gaston Paris, Roman ta, XXX, 402, et les observations afférantes de M. Meyer-Lùbke, Z. fur roui. Phil., XXVI, 263. L'idée de remonter à damascena n'est pas neuve ; cf. Dartois dans Mém. Acad. Besançon, 18 50, p. 213. Je saisis cette occasion pour signaler la forme curieuse dagoine (et par assimila- tion gagoine) dans le patois de Saint-Pol, l'argot davonne « prune » (Nouveau Larousse illustré) et le savoyard ameuta. Les auteurs du Dictionnaire du patois de l'Eure ont relevé depuis longtemps ce curieux passage de Madame Bovary de Flaubert : « J'ai planté pour elle, sous sa chambre, un prunier de prunes d'avoine (sic). »

DECATIE R 2!?

de coutumes de Moncuq, publiée au tome XVI, p. 132, des Ordonnances. Il l'a traduit par « surveillant des dégâts, garde champêtre » et l'a rattaché à la même famille que gast, gastar'. M. Levy se demande si la forme et le sens de ce mot sont bien assurés2. Il est évident que Raynouard a fait fausse route en supposant que degatier était apparenté à gastar ; mais la forme est bonne et le sens de « garde champêtre » est certain. Degatier vient de dec « borne, limite » et l'officier qui porte ce nom est le même que celui que d'autres cou- tumes appellent deguieri. C'était une manière de garde champêtre, chargé de réprimer les menus délits commis dans la banlieue, dans les decs de la ville. Le suffixe composé -atier Ç-at-h-ier) a un rôle assez considérable dans la dérivation provençale, bien que ni Diez ni M. Meyer-Lubke n'en fassent de mention spéciale 4; on le retrouve dans boscatier, bovatier, caussa- tier, cor atier, eg atier ">, filatier, granatier, lobatier, mnla- tier, orsatier, panalier, pelatier, porcatier, telaiier, vaca-

1. Lex. rom., III, 439.

2. Prov. Suppt.-W., II, 50.

3. Degaier est dans Raynouard, III, 19; cf. Du Cange, deguarius. Raynouard traduit bizarrement par « dégan » ; mais deguier se rattache à dec et non au latin classique decanus. Quant à dec « limite », qui a un e ouvert, il vient du latin vulgaire decus, pour decussis, et est sans rapport étymologique avec dec « tache, vice », qui a un e fermé et est d'origine germanique.

4. M. Horning en a dit quelques mots à propos du fr. courtier dans Z. fur rom. Phil. XIII, 325.

5. M. E. Levy a bien raison de repousser les attaques dont ce mot a été l'objet (Prov, Sttppl.-lV., II, 323) ; mais il ne faut le con- fondre ni avec egassier, formé avec le suffixe composé -aciarius, ni avec egue\ier, qui sera étudié plus loin à son ordre alphabé- tique.

234 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

lier, etc. Le français emploie plutôt -etier: chaussetier, courtier (autrefois couretier), grainetier, louvetier, etc. Il y a pourtant au moins un exemple de -atier en français, c'est puisatier.

(Cf. Bull, de la Soc. de ling. de Paris, séance du 21 juin 1902.)

XXXV. DEM Al

Foucaud a répété à deux reprises les deux vers sui- vants dans la fable L'Ane e lou Che :

Tu ne sirà bien deimai Pèr un piti mouraen de mai ' .

Il a donné lui-même la traduction « fatigué, gêné » pour le mot deimai, qui a fort embarrassé son commen- tateur, Emile Ruben. Ce dernier constate d'abord que demai se trouve comme substantif dans Dom Duclou au sens de « surplus, excédent », puis il ajoute : « Peut- être demai est-il devenu adjectif avec la signification d'excédé} » Mistral s'est rangé à cette manière de voir3. Pourtant il saute aux yeux que demai, composé de de et de mai, n'est pas la même chose que deimai et ne peut sans danger lui être assimilé. J'ai retrouvé dans une formulette que connaissent encore les vieilles gens

1. Éd. Ruben, p. 139.

2. Je m'aperçois au dernier moment que Ruben s'est ravisé et a reconnu dans deimai le substantif eimai (additions de l'édi- tion de Foucaud, p. clxviii) ; mais il ne se rend pas bien compte de la formation, car il qualifie deimai d'adjectif ou de par- ticipe.

DEIMAI 2] s

de Saint-Marc-à-Loubaud (Creuse) cet énigmatique dei-

Kan lo mètugri nai,

Lo berbi di : « Sai pa deimai. »

« Sai be, me », di lo tauro, « jusk'o mie mai, Mai por délai. »

Quand le pied-d'alouette naît,

La brebis dit : « Je ne suis pas inquiète. »

« Si fait moi », dit la génisse, « jusqu'à mi mai Et par delà '. »

Je crois qu'il faut voir dans deimai une locution composée de la préposition de et du substantif eimai, autrefois esmai, lequel correspond au français actuel émoi. Cette locution signifie proprement « en émoi » : elle gagnerait certainement à être écrite d'eimai2.

L'étymologie des mots émoi, esmai est bien connue i et il est inutile d'y insister. Mais la locution d'eimai offre matière à réflexions.

L'emploi de de, le français s'adresse à en, peut surprendre ; on le retrouve pourtant, en français même, dnns la locution être de loisir, à laquelle le provençal moderne répond par estre de le%er, de lexpur ou de legour. Le limousin connaît la locution d'aise, absolument similaire à la locution d'eimai, témoin cette phrase de Jean Lalet : Sei d'aise que ma fenno t'aio choùsil (je suis

i . Communication de ma cousine Mmc Leclère, originaire de Bouffanges, commune de Saint-Marc-à-Loubaud.

2. C'est d'ailleurs la graphie que je trouve dans le Virgilo LimouTJ, de l'abbé Roby, composé en 1748 et publié récemment par M. Hubert Texier (Paris, Bouillon, 1899), p. 170 et 282.

3. Kôrting, 3420.

236 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

aise que ma femme t'ait choisi)1. On dit en Berry être de santé, pour « être en bonne santé » 2, et dans l'arrondissement d'Aubusson, demoura de pacienso, pour a rester tranquille ». Je ne parle pas, bien entendu, des locutions courantes comme d'abord, d'accord, d'avan- tage, d'emblée, etc., etc., dans lesquelles la préposition de a une valeur différente.

Une autre question se pose, et fort délicate. Si l'on écrit dcimai, faut-il considérer qu'on a affaire à un adjectif, comme Ruben et Mistral ne semblent pas en douter ? C'est un point sur lequel Arsène Darmesteter nous aurait éclairés, s'il avait songé à le discuter dans son Traité de la formation des noms composés; mais il a éludé la discussion. Dans le chapitre qu'il consacre aux « adjectifs issus d'une juxtaposition », il semble ignorer l'existence de débonnaire; puis il le mentionne à con- tresens au milieu des substantifs composés du type aloi.

Il n'est pas douteux que, dès le moyen âge, les locutions adverbiales de bon aire, de mal aire, de put aire soient devenues de véritables adjectifs, puisque l'on trouve au cas sujet singulier debonaires, demalaires 3, deputaires, et des dérivés ou composés comme debonai- remenl, debonaircté, adebonairir, depulairement, deputaireté (arrangé pédantesquement en desputarité). Je ne vois pas que pareil phénomène se soit produit pour d'autres

1 . Counteis de la Queirio, p. 53.

2. Jaubcrt, Gloss. du Centre, au mot saule.

3. A l'exemple unique de ce mot que Godefroy cite à l'article demalaire on doit en ajouter plusieurs qui figurent à l'article aire, t. I,p. 194.

DE! M Al »}7

locutions jetées dans le même moule, telles que de franche orine, de put lin, etc. ; cela tient sans doute à ce qu'elles étaient moins fréquemment employées. Mais y a-t-il de véritables adjectifs formés par la juxtapo- sition d'une préposition et d'un substantif (ou d'un adjectif employé substantivement) sans plus ? Gaston Paris considérait l'adjectif actuel aise et l'ancien adjectif ente comme des contractions des locutions adverbiales a aise, a ente et il avait promis d'étudier de plus près cette question à laquelle il rattachait l'étymologie de guet-apens1. D'autre part M. Tobler, après Diez, a montré que l'ancien français ne possède pas réellement d'adjectif engrant, mais des locutions adverbiales en grant, en grande, en gran^, en grandes2. Il faut égale- ment décomposer en a seiïr l'adjectif asseiir admis par Godefroy dans la plupart des exemples qu'il cite ; cependant il semble bien que Froissart et Jean d'Arras aient employé asseiir comme un véritable adjectif. Le Dictionnaire général a admis sans hésitation l'existence d'un adjectif dehait, dehaite, que quelques archaïsants employaient encore au dix-septième siècle ; mais il faut avouer que le féminin dehaite ne se rencontre jamais. De nos jours les patois méridionaux connaissent dele^er (limousin dele^ef) comme adjectif et comme substan- tif* ; dans le Haut-Maine, Montesson enregistre ade- laisi, aderlaisi, au fém. adelaisie, aderlaisie, qui se

i. Romania, XXIX, 262.

2. Li Dis dou vrai Aniel, 2e éd., p. 21.

3. Mistral considère deped (debout, sur pied) comme étant adverbe et adjectif.

jj8 RECHERCHES ÉI YMOLOGiQUES

décompose certainement en à + de -+- loisir; mais la forme fém. n'a*qu'une valeur théorique.

Il n'est pas douteux que se tenir droit et se tenir debout ne soient des expressions équivalentes; mais peut-on considérer debout comme un véritable adjectif au même titre que droit ? Je ne crois pas, tant que nous ne nous serons pas décidés à dire : Cette femme se tint longtemps *deboute. La langue finira sans doute par franchir l'étape ', mais il ne faut pas la devancer.

C'est pourquoi je conclus qu'il vaut mieux écrire encore d'eimai que deimai. On, verra plus tard. Comme dit Foucaud :

Tu ne sirâ pa bien d'eimai Pèr un piti moumen de mai.

(Cf. Bull, de la Soc. de linguistique de Paris, séance du 7 juin 1902 ; Revue des parler s popul., année 1903, p. 171.)

XXXVI. DÊLAVRA

Le français doloire, le provençal doladoira, le dau- phinois dalouèri, le lyonnais doliuri, etc., remontent à un type latin vulgaire dolatoria, dont l'existence ne soulève aucune difficulté2. Mais le latin classique do- labra n'a-t-il aucun représentant en roman, comme

1 . L'étape est franchie pour alerte et ingambe, mais ce sont des locutions d'origine italienne le français n'est pas gêné par sa propre tradition.

2. Le gascon doladera, auj. douladèro, offre une substitution du suffixe habituelle dans les désinences analogues : -atarius, au lieu de -atorius.

DES0USS1NA

porterait à le croire son absence du Lat.-rom. Wœrter- buch de Kôrting et des différents suppléments qu'on y a ajoutés ?

Je lis dans le Patois de Vionna^ de M. Gilliércn, p. 144 : « Délavra, pioche à un tranchant. » Réguliè- rement, on devrait avoir à Vionnaz, delavra, non déla- vra. Il ne me semble pas que ce soit une raison suffisante pour repousser l'étymologie dolabra, si l'on se rappelle que dans l'antiquité romaine la dolabra n'était pas seu- lement un instrument de charpentier, mais aussi une pioche de pionnier.

XXXVII. DESOUSSINA

Béronie, dans son Dictionnaire du patois du Bas- Limousin, a enregistré le verbe transitif deso-oussina (c'est ainsi qu'il écrit) en se bornant à noter qu'il est synonyme de degôursa ; or il traduit degôursa par « défricher en arrachant les bois et les épines. » Voici ce qu'est devenue dans le Trésor dôu Felibrige la courte indication de Béronie:

Desèusina, desôusina (lim.). v. a., arracher les chènes-verts, défricher. Racine : des, êusino.

Je pense, jusqu'à preuve du contraire, que « desèu- sina, arracher les chênes-verts » est un simple schème. Mistral a considéré que le bas-limousin desoussina était une faute pour desôusina, et que desôusina pouvait être composé de des et du substantif éusino, ousino, ausino (la forme varie selon les lieux) qui désigne soit le gland

240 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

de l'yeuse, soit l'yeuse elle-même. C'est une opinion. On avouera cependant que s'il existait ou s'il avait existé un substantif oussino « terre inculte, friche », le verbe desoussina serait bien mieux venu à signifier « défricher ». Or, j'ai montré plus haut1 que la langue du moyen âge connaissait l'adjectif abs, absa « inculte », représenté aujourd'hui parasse, asso; elle a connu aussi le substantif *absina, francisé en absine, terre inculte. Godefroy n'en cite que deux exemples, du Sud du Poitou ; j'en connais au moins un dans la Marche. Dans l'aveu et dénombrement rendu à Anne de France, en 1502, par noble Jehan Taquenet, élu de la Marche, pour sa maison noble dite La Maison-du-Bost2, il est déclaré que cette maison noble était « toute demolye, destruyte et en absine* ». Or, à côté de la forme abs, on employait aussi la forme aus*: que cette forme ait du exister dans le dialecte limousin, il n'en faut pas douter, puisque dans ce dialecte même nous rencon- trons chaus « châs d'une aiguille » et eslaus « lancière d'un étang » comme représentants des types étymo- logiques capsus et *exlapsùsî. L'existence de absine

1 . Article asse.

2. Commune d'Ajain, arrondissement de Guéret. Le. nom est parfois francisé en La Maison- du-Bois, plus souvent altéré en La Maison-dn-Beau (!).

3. Arch. nat., P 471.

4. Si l'on a quelques doutes sur la synonymie de aitssa terra et de absa terra, admise dubitativement par les Bénédictins dans leur supplément à Du Cange, on peut faire fond en tout cas sur l'exis- tence de aussedat à Montpellier au sens de « terre en friche » (Liber instr. mentor., p. 647, 682, 729). Aussedat, signalé par M. Chaba- neau dans la préface, a échappé à M. Emil Levy.

5. Sur eslaus, voyez mes Essais, p. 291.

DESSOUBRER 24 1

permet donc d'affirmer celle de *aussina en ancien limousin : d'ailleurs le mot est encore vivant dans la toponymie. A côté de Laussine, hameau de Varennes (Dordogne), nous trouvons dans la Corrèze le château des Oussines, autrefois Aussines1, qui a donné son nom à la commune dite officiellement Saint-Merd-les- Oussines.

Donc, le verbe bas-limousin actuel desoussina remonte incontestablement à un verbe médiéval *desaussinar.

(Revue des parler s pop., année 1903, p. 174; cf. Bulletin de la Soc. de ling. de Paris, séance du 7 juin 1902.)

XXXVIII. DESSOUBRER

George Sand fait dire à un de ses personnages rus- tiques dans le roman de Jeanne: « Ne me violentez pas et ne me dessoubre^ pas mes vêtements, mon bon Monsieur. » Jaubert a recueilli ce mot dans son sup- plément et l'a rapproché de son article dessombrer, on lit : « Dessombrer , v. a. Déchirer. Se dit des vête- ments. » Mais il est muet sur l'étymologie, laquelle n'est pas transparente. Dessombrer est une altération de des- soubrer, qui est lui-même une forme labialisée de* des- sebrer. D'après Mistral, le limousin a le verbe dessibra « déchirer2 ». Le berrichon des confins de la Marche marche ordinairement avec le limousin pour la phoné- tique des consonnes sourdes c, l, p, et il n'est pas éton-

1. J.-B. Champeval, Le Bas-Limousin seigneurial, p. 325.

2. Article eissebra.

Thomas. II. 16

242 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

nant qu'il ait eu jadis la forme dessebrer, correspondant au provençal dessebrar et au français dessevrer, du latin \u\gaire *disseperare pour disseparare « séparer ». Dans le Bas-Poitou, on emploie sebrer et sevrer dans le sens de « déchirer I » et eissebra (du latin vulgaire *exseperare) est très répandu dans le Midi.

XXXIX. DESTEILLA, DESTÊL

J'emprunte au Dictionnaire patois-français de l'Aveyron de l'abbé Vayssier les deux articles suivants :

Desteilla, v. n. Tomber en parlant des fruits avortés ou piqués qui n'arrivent pas à maturité. Las poumos destèillou, les pommes avortées ou véreuses tombent (R. destêl.) Se dit aussi d'une couvée, d'une bande d'oies dont il périt quelques têtes. S[aint}- A[ffrique\.

Destèl, s. m. Fruits avortés ou véreux qui n'arrivent pas à maturité et qui tombent des arbres.

J'ai eu occasion de signaler ce verbe desteilla et ce substantif destêl 2 et je les ai rattachés à l'ancien pro- vençal destuelh « dérangement », dont le radical est le latin toi 1ère. Cette opinion est erronnée : si j'avais remarqué que l'abbé Vayssier indiquait nettement que destêl et desteilla avaient un é fermé, je n'aurais pas songé à cette étymologie. Je propose aujourd'hui de reconnaître à la base de destêl, desteilla le substantif latin stïlns (slylus) « tige » et de leur instituer des

i. Beauchet-Filleau, Essai sur le patois poitevin; Simonneau, Gloss. de l'Iie d'EUe (Vendée), dans Rei: de phil. franc., III, 117, etc.

2. Essais, p. 87.

DESTEILLA, DESTEL 24}

types étymologiques de latin vulgaire *destilium, *des- tiliare. Je rappelle d'abord que stilus, au sens de « tige », appartenait bien au latin vulgaire, puisque l'italien a stelo dans ce sens. La naissance d'un verbe *destilare au sens de « séparer de la tige » n'a rien que de normal pour qui songe aux verbes analogues decarnare, decer- vicare, decollare, decoriare, decorticare, etc., que le latin possédait en grand nombre'; à côté de *destilare on a pu créer *destilium, d'après le modèle de suspirium répondant à suspirare ; puis *destiliare, tiré de *destilium, aura pris la place de *destilare} comme *exsiliare celle de ex sut are.

A la rigueur même, l'étape *destilare n'est pas néces- saire. M. Meyer-Lùbke se demande si les langues romanes ont ajouté le suffixe -iare à des substantifs pour former -des verbes et il ne voit guère que l'italien gocciare et l'ancien français trier qui remontent à gutta et ira -\- iare1. Mais, sans prétendre que cette dériva- tion soit fréquente, je ferai remarquer que le latin clas- sique en offre le type dans cruciare dérivé de crucem - et que de frustum le latin vulgaire a tiré *frnstiare, *de- frustiare, d'où l'ancien français froissier (aujourd'hui froisser} et defroissier 3 .

Donc, *destiliare peut être une formation parasyn- thétique de de et de stilus et le rouergat desiêl avoir été tiré à une époque plus récente du verbe roman *des-

i. Gramm. des 1. roui., II. 5 576.

2. En très ancien français on a formé par un procédé analogue auisier, apaisier, croisicr de aise, pais, crois.

3. M. Meyer-Lùbke cite b\en froissier , mais pêle-mêle avec les dérivés d'adjectifs et de participes.

244 RECHERCHES ETYMOLOGIQUES

telbar1. Un curieux exemple de formation en -tare nous est fourni par le mot exmucciare, relevé sur une in- scription, Corpus, IV, 1391, et qui paraît imité du grec âzoj/,ÛGoeiv.

XL. DOLSA

Le Dictionnaire de Trévoux définit gousse par « enve- loppe qui couvre plusieurs espèces de légumes, comme pois, fèves, vesce, etc. ». Puis il ajoute, comme par acquit de conscience : « On dit fort improprement une gousse d'ail pour signifier les cayeux de cette plante. » Malgré qu'on en ait, il faut bien reconnaître que le français confond sous un même vocable deux objets qui sont, en effet, même à d'autres yeux qu'à ceux des botanistes, deux objets fort différents. Cette confusion remonte loin, car je trouve déjà au treizième siècle « une gousse d'ail » dans le Livre des simples médecines de la Bibliothèque Sainte-Geneviève2. Mais il faut

1. Il est à peine besoin de faire remarquer que *destillium, du latin classique destillare, conviendrait aussi bien phonétiquement pour expliquer destèl, desteilla, mais que la base slilla paraît bien inférieure sémantiquement à la base stilus. Je note en passant que destillare vit sous la forme populaire détela dans le Valais il signifie « tomber goutte à goutte » (Gilliéron, Patois de Vionna\, p. 145).

2. Folio 3 v°. C'est une traduction du traité de Platearius connu sous le nom de Circa instans. Godefroy et Hatzfeld-Darmesteter ne signalent pas d'exemple aussi ancien. G. Paris a cru reconnaître le mot gousse dans la gauce ou jauce aillie, espèce de sauce souvent mentionnée par nos trouvères, à commencer par Colin Muset (Romania, XVIII, 140 et 149); je ne partage pas cette manière de voir.

UULÏ>A 245

reconnaître que le bulbe de l'ail a porté et porte encore dans certains patois un tout autre nom. Olivier de Serres dit dausse; le Mesnagier de Paris emploie la forme doulce; et au douzième siècle on trouve dosse dans la Vie de saint Gilles '. En revanche, dans le Lyonnais et dans le Forez dausse, dorse ou dorsi s'ap- plique à la gousse ou cosse des légumes ; à Vionnaz (Valais) on dit doûfâ (f s), mais la traduction par « gousse » que donne M. Gilliéron nous laisse incer- tains sur le vrai sens2. Les patois méridionaux con- fondent également les deux significations ; voyez Mistral à l'artitle dôiisso.

Je n'ai pas la prétention de débrouiller les rapports compliqués des trois termes dausse, gousse et cosse ; mais je puis au moins apporter quelques précisions sur l'his- toire du premier de ces termes. L'ancien provençal ne connaît que dolsa et il est d'accord en cela avec le français du douzième siècle dosse peut être une graphie défectueuse pour dolse. Quelle est l'étymologie de dolsa ? Je ne m'arrête pas au grec Zzij.y.z « long », mis en avant pas Mistral; mais l'opinion de Nizier du Puitspelu pourrait paraître plus fondée. D'après lui, le lyonnais dorsi se rattacherait au latin dorsum, lequel « avait pris le sens de pellis, étendant ainsi la signifi- cation de la partie au tout? ». Dans cette hypothèse,

1 . Voyez Godefroy, aux articles dausse et dolse qu'il a oubliés de fondre.

2. Patois de Vionna^, p. 146. Il est probable que le mot valaisan veut dire « cosse » ; en tout cas, nous voyons qu'à Metz, au sei- zième siècle, J. Aubrion parle de la dolse des pois nouveaux (Gode- froy, v° dolse).

3. Dict. ètym. du patois lyonnais, p. 131.

246 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

il serait impossible de concilier le lyonnais avec le pro- vençal; d'autre part, la forme doulce du Ménagier de Paris remonte évidemment à une ancienne. forme dolse (par vocalisation de 17) et se rattache solidement au provençal. Si l'on tient compte d'un fait fréquent en lyonnais, à savoir le changement de 17 en r devant une consonne, on sera porté à supposer que le lyonnais dorsi est pour *dolsi et suppose un type *dolsia, distinct du type provençal, mais non inconciliable avec lui1. Or, le hasard de mes lectures m'a fait rencontrer dans un texte de l'époque carolingienne (le manuscrit est du neuvième siècle) la recette médicale suivante, qui pourra peut-être profiter aux sourds de notre époque et que je me fais un plaisir de transcrire en entier :

Ad eos qui non audiunt, de nogario scorcia peciola novem, alii dohas novem, Jovebarba dolsas similes insimul tritas et aceto cum jus expressum admittetur et in aurem distillabis 2.

Il est manifeste que les alii dolsas de notre recette sont des gousses d'ail; quant aux dolsas de joubarbe, ce sont vraisemblablement les fascicules de feuilles en

1. N. du Puitspelu admet que Y s dure peut changer l'a postto- nique en i ; mais M. Philippon a justement contesté cette assertion (Romania, XX, 3 10) ; c'est pourquoi je suppose *Johiu. Mais comme nous ne connaissons pas d'exemple ancien pour le lyonnais, il se peut que 17 soit à une altération analogique récente et que le lyonnais remonte comme le provençal au type dolsa.

2. W. Schmitz, Miscellatiea Tironensia (Leipzig, 1896), p. 65. Les mots en italique sont écrits dans le manuscrit (Vatican, Reg. 846) en caractères ordinaires et non en notes tironiennes. Comme des planches accompagnent cette curieuse publication, il est facile de se rendre compte que l'éditeur a eu tort de lire nogamo au lieu de nogario. Cf. un intéressant article de M. C.-H. Moore sur ces recettes médicales dans Arch. fur lat. Lexicogr., X, 266.

DROUERI 247

rosette de cette plante qu'il faut entendre sous ce nom. •D'où vient dolsa ? Je l'ignore; mais c'est déjà quelque chose que d'avoir une forme carolingienne à sa dispo- sition pour pousser plus avant l'étymologie '. J'ajoute que les formes romanes indiquent clairement que Yo de dolsa était un 0 bref.

XLI. DROUERI

Le mot lyonnais drouérî est un verbe qui signifie « passer une règle sur un boisseau plein pour enlever l'excédent ». Nizier du Puitspelu y voit un dérivé de l'adjectif français droit prononcé droué; mais ni le sens ni la phonétique ne s'accommodent de cette étymolo- gie. Le verbe qui exprime la même opération en pro- vençal moderne est, selon les régions, rasouira, radouira, redouira, ravouira, revouira ; il dérive du substantif rasouiro, radouiro, etc., lequel correspond à un double type latin vulgaire rasoria et *rasitoria, représenté en français par radoire, nom de la règle qui sert à « ra- der2 ». Le mot lyonnais drouérî me paraît être une simple altération de radouérî, verbe tiré du substantif radouéri. Puitspelu enregistre effectivement radouêri et radouérî ; le verbe dérive du substantif, lequel est emprunté, soit au provençal radoira, soit au français radoire. Si le type latin *rasitoria s'était conservé tra-

1. M. Moore, dans le travail cité à la note précédente, rapproche dolsa de l'allemand dolde « ombelle » ; mais Y s roman ne peut faire bon ménage avec un d germanique.

2. Sur la formation des mots français rader, radoire et leurs congénères, voyez mes Essais, p. 367.

248 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

ditionnellement en lyonnais, il serait aujourd'hui *roduri: cf. rodo, de *rasitarel, et coluri de *colatoria. Pour expliquer IV épenthétique, il n'est pas besoin de faire appel au franc, droit : cf. lyonnais droblo « double », étroblo « étable », etc.

XLII. DURAINE

A côté de duracine mot calqué sur le latin dura- cina, féminin de duracinus que nous avons gardé au sens de « pêche dont la chair est plus ferme que celle de l'espèce ordinaire », Cotgrave enregistre une forme plus intéressante, dur aine ou dureine. Je ne sais il a pris dureine; mais duraine est vraisemblablement em- prunté à la traduction de Pline par Antoine Du Pinet, publiée en 1562, on lit, non à propos des pêches, mais à propos des cerises : « Les durâmes sont les meil- leures de toutes... En Picardie on fait grand estât des duraines de Portugal2. » Du Pinet emploie le même mot dans sa traduction de Dioscoside : « Les meilleures de toutes les cerises sont les guynes et les duraines î. » Il est difficile de ne pas reconnaître dans duraine la forme populaire régulièrement issue du latin durâcina et qui a être, à l'origine de notre langue, *duraisne. On sait que le masculin duracinus a donné l'espagnol dura^no « variété de pêche » 4 : il n'est donc pas extra-

1. Sur l'étymologie de ce mot, voyez mes Mélanges, p. 132.

2. Édition originale, t. I, p. 571.

3 . Cité par Godefroy, duraine.

4. Kôrting, 3152.

DU RAINE 249

ordinaire que le français ait, lui aussi, conservé le mot latin, mais il n'était peut-être pas inutile de le faire remarquer, puisque personne ne semble s'en être aperçu. Le patois du Rouergue a le substantif duraice qui signifie, selon les lieux, « pêche » ou « abricot pré- coce, petit et de mauvaise qualité. » L'abbé Vayssier le décompose en dur et aice, c'est-à-dire « dur » et « acide » ; Mistral le tire directement du latin dura- cinus '. Cette dernière étymologie soulève une difficulté phonétique, car dans le dialecte du Rouergue, le mot latin acinus donne ase, le composé duracinus aurait donner *durase. D'autre part, je relève dans un car- tulaire d'Albi une énumération d'arbres fruitiers ainsi conçue : « noguiés, pomiés, periés, pruniés, durayquiés, preseguiés2. » Le duraiquier est évidemment un arbre qui donne des *duraics ou des *duraicas: encore la désinence de duracinus est impuissante à nous expliquer celle de *duraic ou de *duraica. Peut-être faut-il sup- poser une double déformation : d'une part, *durâscinus (sous l'influence de damâscinus), qui donnerait réguliè- ment duraice ; de l'autre, *duraicus (par une imitation des mots comme hebraicus, laicus qui a abouti à la création en provençal de mots comme derraic, ni^aic, primaic, etc.), d'où *duraic et le dérivé duraiquier (au lieu de *duraiguier).

1. On sait que le mot latin est composé de l'adj. durus et du subst. acinus. M. Keller croit que le point de départ de ce mot est l'adj. Dyrrachïnus et que duracinus est due à une étymologie popu- laire (Lat. Volksetym., p. 60 et 234): c'est une idée ingénieuse, mais qui ne repose sur rien de solide.

2. Rev. des lang. rom., 1902, p. 464 ; cf. Ami. du Midi, XV, 541.

250 RECHERCHES ETYMOLOGIQUES

XLIII. ECHAMOUSTA

Mistral a enregistré le verbe gascon echamousta « faire sécher légèrement » et l'a rapproché dubitativement de escoumoussa, qu'il définit lui-même par « égrener les gerbes, en secouer ou froisser les épis, avant de les sou- mettre au battage ou foulage définitif ». On voit faci- lement que ni la forme ni le sens n'autorisent un pareil rapprochement.

Alcée Durrieux définit ainsi echamousta « presser, tordre le linge pour en faire sortir l'eau, faire sécher un peu ».

J'ai eu occasion d'établir l'existence du latin vulgaire *submustare au sens de « fouler le raisin pour en faire sortir le moût ' ». Peut-être le gascon echamousta est-il sorti d'un type *exsubmustare, qui aurait donné primi- tivement *echemosta, puis echamousta ?

XLI. ECOISSON

Le verbe latin excuiere, en ancien provençal escodre, en ancien français eskeure, escorre, escourre, a encore une grande vitalité sur le sol de la Gaule, soit au Nord, soit au Midi, particulièrement avec le sens de « faire sortir

i. Mélanges J'itym. franc., p. 158 ; cf. Z. fur vont. Pbil., XXVI, 131.

ECOISSON 2 S i

le grain des céréales par le battage ' ». Donc, ce n'est pas merveille que le patois lyonnais dise écourre pour « battre » et écossou, écossu pour « fléau », ce dernier mot représentant à vif le latin excussorium2. Mais il mérite vraiment d'être cité à l'ordre du jour, comme disent nos gens de guerre, pour avoir gardé intrépide- ment un substantif abstrait qui paraît avoir succombé dans tous nos autres patois: je veux dire écoisson^. Ce mot ne s'emploie qu'au pluriel : Nizier du Puitspelu le définit par « battage des grains » et donne comme exemple la locution lo tian de los écoissons, le temps du battage. L'étymologie est clairement le lat. excussio- fiem : il est inutile de la défendre. Si N. du Puitspelu y avait songé, il n'aurait certainement pas écrit ce qu'il a écrit : « d'excussum, avec suff. onem ; on devrait avoir écosson, comme on a écossou ; écoisson répondrait à *ex- ciiisoncm. » Sachons-lui gré, du moins, d'avoir mis le verbe « répondre » au mode conditionnel. Je vois bien ce qui l'a fourvoyé: c'est le genre masculin du mot

i. Pour le Midi, voyez l'article escoudre de Mistral; pour le Nord, l'article escoudre de Godefroy, se trouvent des références aux patois actuels qu'il serait facile d'augmenter. Sur la forme normale que doit prendre en français Vu accentué, cf. G. Paris dans Romauia, X, 43.

2. N. du Puitspelu explique le mot par un type latin excussus-\- orem ; mais cela tient à l'idée qu'il se fait du développement des mots en -oriiun, il croit que -oriiim a été remplacé par -oreui, idée que je ne partage pas. Cf. le provençal moderne escoussou « fléau » qui a à côté de lui le dérivé escoussouira « battre avec le fléau ».

3. C'est la graphie de Cochard que je garde comme plus fidèle à la tradition. N. du Puitspelu écrit koiiesson et écoesson ; peu importe.

252 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

lyonnais. Mais le mot français poison, lui aussi, est masculin, et n'en vient pas moins de potionem, comme frisson de *frictionem, et soupçon de suspectionem.

XLV. ËCULORGER

L'ancien français escolorgier et l'ancien provençal escolorjar « glisser » ont été magistralement expliqués par M. S. Bugge, qui les a ramenés à un type latin vulgaire *excollubricare '.. Le mot provençal ne paraît pas avoir eu grande vitalité : on n'en possède que deux exemples qui appartiennent tous deux au traducteur anonyme du Liber scintillarnm de Defensor, et il n'y en a aucune trace dans les patois méridionaux actuels. Au contraire, le français escolorgier est très fréquent dans les textes du moyen âge ; les exemples réunis par Godefroy s'arrêtent à la fin du quatorzième siècle avec Christine de Pisan, mais si le mot a bientôt disparu de l'usage général, il s'est conservé dans les patois des confins bretons. Il est remarquable, en effet, que Lagadeuc, dans son Catholicon composé en 1464, emploie concur- remment escolorgier et glincier pour traduire le breton risclaff. Mais ce qui est plus remarquable encore et ce qui fait la raison d'être de cette notule, c'est que le mot est encore vivant aujourd'hui dans le patois du Bas-Maine. Je relève en effet la mention suivante dans le Glossaire de M. Dottin : « Eculorger, glisser sur le derrière (Craonnais). » Je veux bien faire la part du...

1. Romania, IV, 354. Carpentier et Raynouard rattachaient ces mots à colare.

EGVEZIER is %

derrière; mais on m'accordera que le propriétaire fon- cier est sans aucun doute *excollubricare ' .

XLVI. EGUEZIER

On sait que le latin egnus a de bonne heure disparu de l'usage populaire et que sa place a été prise par cabal- lus; au contraire, son féminin equa est encore vivant dans la plus grande partie du domaine roman2. De equus, equa, le latin littéraire avait tiré de nombreux dérivés : quels sont ceux qui se sont maintenus dans le latin vulgaire ? Kôrting ne cite que equaria, que M. Baist considère comme l'étymologie de l'espagnol enguera et de l'ancien portugais angueira7»; je tiens pour très certain que l'espagnol et le portugais représentent angaria, ainsi que l'a établi M. Tailhan4. Mais il n'est pas moins certain que l'espagnol yeguero « gardien des cavales » remonte à equarius et que son synonyme archaïque yegari^o, yeguerixp remonte de même à un très ancien type latin *equaricius > : naturellement, la diphtongue initiale est due à l'influence ultérieure de yegua. On peut admettre aussi *equaciarius, qui a donner *egacero, d'où yeguaceria « haras ». Quant à l'adjectif yegar, il peut être de formation plus récente

i . On verra plus loin, article lovergier, que le simple lubricare est plus vivant encore en terre de France. D'autre part Tarbé donne l'adj. coulourgeable « coulant, liquide » comme usité dans la Marne.

2. Voyez Kôrting, 3262, et Godefroy, art. ive 1.

3. Zeitscbr.f.rom. Phil, VII, 117.

4. Romania, IX, 432.

5. Cf. ci-dessus, p. 66.

2 î4 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

et ne correspondre que théoriquement à tin type latin *equaris, variante de equarius.

L'ancien provençal nous offre l'adjectif egnin, qui répond à equinus et qui peut, lui aussi, avoir été tiré postérieurement de ega « jument » ; egassier et egatier, qui supposent des dérivés à suffixes doubles : *equacia- rius (cf. l'espagnol *egacero) et *equattarius ' ; enfin, et surtout, egueçicr 2, dans lequel il ne faut pas hésiter à reconnaître le latin classique equitiarius, dérivé de cqui- tium « haras », écrit equi^arius dans le polyptyque de Saint-Victor de Marseille 3. Il est bien probable qu'il faut aussi ramener à equitiarius Yegecer â'Aigar et Mau- rin*. Si egue^ier n'appartient plus aujourd'hui à la langue vivante, il subsiste, comme l'a remarqué Mis- tral), dans le nom de famille provençal Eyguesier6 et dans la rue des Eyguesiers, à Aix.

XLVII. El RANCH A

Dans la fable Loti Mouniei, soun fi e l'Ane, Foucaud

i. Cf. ci-dessus l'article degatier. La forme eigaié donnée par Mistral semble postuler *eqnatarius ; mais le valaisan civatdi, berger qui garde les chevaux (Gilliéron, Patois de Jrionna~, p. 152), remonte à *equattarius, comme le provençal égatiei-.

2. Si egue^ier n'est pas attesté directement, il transparaît sous les formes latinisées egue^erius et egite^erius dans Du Cange.

3. Tome II, p. 638 : Aquilo equizarius.

4. Cf. Levy, Prov. Sitppl.-Wœrt., art. egatier.

5 . Article egatier.

6. Hugo Egueserius figure dans un acte de 13 10 que vient de publier M. Henry Cochin, un peu surpris de ce nom (Le Frère de Pétrarque, p. 229 et 239).

ÇlSSARRAR, ESSERRER 2$$

emploie l'adjectif eirancha, qu'il traduit lui-même par « boiteux » ' ; le mot se trouve, avec la même défini- tion, dans le Dictionnaire de la langue limousine de Dom L. Duclou, resté manuscrit. Emile Ruben, éditeur et commentateur de Foucaud, est porté à voir dans eiran- cha le mot ancho « hanche », et il suppose que IV peut y avoir été introduite par suite de quelque confusion avec le mot français éreinté. Mistral est d'un autre avis. Il enregistre eirancha avec ce simple renvoi : « voyez escranca ». Mais il n'est pas plus facile d'expliquer la disparition du c, si eirancha est identique au provençal escranca, que la présence de IV, s'il contient le sub- stantif ancho, hanche. D'ailleurs il n'y a accord séman- tique complet ni dans un cas ni dans l'autre : un « boi- teux » n'est pas nécessairement un « éhanché », ni un homme qui .écarquille les jambes comme un crabe (cranc).

Eirancha remonte a une ancienne forme *esrancat, composée avec le préfixe es et l'adjectif ranc « boi- teux » ; il est formé absolument comme le prov. esclo- pat et le franc, éclopé, dans lesquels il y a le même préfixe et l'adjectif clop, synonyme de ranc2.

(Revue des parlers popul., année 1903, p. 175).

XLVIII. EISSARRAR, ESSERRER M. Emil Levy a consacré un long article à rectifier

1. J. Foucaud, Poésies en patois limousin, éd. Rubcn (Paris, 1866), p. 101.

2. Ranc est, comme on sait, d'origine germanique ; cf. Kôrting, 7748.

2j6 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

les erreurs commises par ses devanciers dans l'inter- prétation de l'ancien verbe provençal eissarrar, icharrar, qui paraît avoir complètement disparu des patois méri- dionaux actuels. Il a établi solidement que le vrai sens du participe passé (car l'on ne trouve que le participe passé dans les textes) était « embarrassé, perplexe, irrésolu ' ». Il est évident qu'il ne faut pas le confondre avec ensarrar « enserrer » ; mais quelle est donc l'éty- mologie de eissarrar} M. Levy ne s'explique pas à ce sujet. Il me paraît utile de faire remarquer que le mot provençal correspond très exactement comme forme à l'ancien français esserrer, dont on trouvera des exem- ples dans Godefroy, soit au sens transitif de « égarer », soit au sens intransitif de « s'égarer » ; l'étymologie est manifestement le latin exerrare, que l'on cherche- rait en vain dans Korting et auquel il faut faire une place dans la lexicographie de la Gaule.

Godefroy a oublié de noter que le mot était encore aujourd'hui très vivant dans les patois de la Franche- Comté et il est bon de combler cette lacune. Voici mes sources :

« Essara, einsarâ, égaré, Doubs, Jura » (Dartois, dans Mém. de l'Acad. de Besançon, année 1850, p. 214).

« Ensarrai (s'), s'égarer, perdre le Nord, surtout dans les bois, dans les neiges » (Tissot, Patois des Fourgs, dans Mém. de la Soc. d'émul. du Doubs, 1865, p. 272).

« Echarrant, écarté, désert » (Poulet, Essai d'un vocab. étym. du patois de Plancher-les-Mines, 1878, p. 114).

1. Prov. Supph-Wœrterb., II, 329.

ENTRENERGE 257

« S êsêrâ, s'égarer » (Grammont, Patois de la Fran- che-Montagne, dans Mém. de la Soc. de ling., XI (1900),

143)-

En ce qui concerne l'étymologie, Dartois a tout à fait battu la campagne (il s'adresse au sanscrit) ; M. Grammont a rapproché le patois de la Franche- Montagne de l'anc. franc, esserrer, ce qui est mieux ; enfin le Dr Poulet (qui l'eût cru ?) a deviné l'étymo- logie et indiqué le latin exerrare.

Il reste à faire une remarque de sémantique en ce qui concerne l'ancien participe provençal eissarrat.K Le sens figuré avec lequel il nous apparaît constamment dans les textes appartient aussi au participe esmarrit. Or, esmarrit se rattache au verbe marrir, dont le sens propre est « perdre son chemin, s'égarer », absolu- ment comme eissarrat se rattache au verbe errar, iden- tique sémantiquement à marrir1.

XLIX. ENTRENERGE

Bien que Kôrting ait omis le latin tenebricns dans son Lat.-rom. Wœrterbuch, on n'ignore pas que ce mot a survécu dans le prov. tenerc et dans l'anc. franc, tenerge, tenierge2. L'ancien provençal possède, à côté de tenerc,

1 . Se rattachent aussi a exerrare le messin so hbèrê « se tromper » (Romania, V, 211) et le lyonnais ensarailli « égaré » (Romania, avril 1904).

2. Raynouard classe correctement tenerc sous tenebra, mais il ne connaît pas la forme correspondante de l'anc. français. De l'ar- ticle tenegre de Godefroy il faut rapprocher le participe atenergé, qui doitêtre traduit par « obscurci» et non par « attendri, affaibli ».

Thomas. II. 17

2 58 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

la forme entenerc, qui paraît avoir survécu en Gascogne et en Quercy avec le sens assez éloigné de « dur d'o- reille » '. Dans le domaine français, on n'a pas signalé jusqu'ici de survivance. En voici une bien nette. Le patois de Fontenay-le-Comte (Vendée) possède encore aujourd'hui le substantif entrenerge « couleur bleuâtre que causent les meurtrissures » 2. L'étymologie de ce mot est si claire qu'il suffit de l'indiquer. Mais il est intéressant d'enregistrer un exemple de plus de la for- mation adjective par in H- tenebricus et l'on peut, je crois, faire remonter jusqu'au latin vulgaire l'adjectif *intenebricus, qui s'appuie en outre sur les verbes inte- nebrare et intenebricare qu'emploient les auteurs ecclé- siastiques?.

L. ÊQUEMODRE

« Êquemôdre, v. a. Absolument intraduisible en fran- çais, comme beaucoup d'autres expressions concernant la vie rustique, ce mot signifie habituer un animal qui va aux champs pour la première fois à suivre le trou- peau. »

J'emprunte cette intéressante définition àContejean, Glossaire du patois de Montbéliard, p. 106. Voilà un curieux débris de l'ancien français qui vaut la peine

i. Mistral, art. entenerc; le rapprochement avec le bas latin intemectus me paraît sans valeur.

2. Favre, Gloss. du Poitou; manque dans Lalanne.

3. Cf. l'article enrièvre de mes Essais, p. 289 ; on peut mention- ner encore dans le même genre incarna et innubilus.

ESCALAOUA 259

d'être recueilli. Êguemôdre est une forme refaite du verbe médiéval escomovoir ', qui correspond à un type latin vulgaire *excommovere , attesté aussi parle provençal escomaver et par l'italien scommuovere. Kôrting ne donne ni *excommovere ni même commovere : c'est une double lacune à combler.

LI. ESCALAOUA

Aicée Durrieux a un article ainsi conçu : « Eska- laoua, franchir d'un bond, sauter par-dessus l'obstacle sans le toucher, escalader. Escalaouetos, la situation du cavalier à cheval2. » Naturellement, il tire ces deux mots du grec ; on pense bien que je ne discuterai pas son étymologie (e aâXXopat). Mais il n'est pas inutile d'expliquer la formation de escalaoua, qui n'a pas de correspondant rigoureusement exact dans Mistral. Nous sommes en présence d'une métathèsc, comme on en rencontre fréquemment en gascon : escalaoua est pour *escaouala et représente un type latin *excaballare, com- posé avec le préfixe ex et le substantif caballus, cheval. Mistral n'offre que des composés avec les préfixes ad et in ; les formes gasconnes qu'il enregistre sont assez déconcertantes au premier abord : acaua, acraua, ni- er aua, encrauera. En tout cas, la présence d'une r dans trois de ces formes est conforme à la phonétique pure-

1. Cf. cmôdre dans le patois de la Franche-Montagne, de l'an- cien verbe esmovoir, français actuel émouvoir (Grammont, dans Mini, de la Soc. de ling., X, 322.)

2. Dict. étym. de la langue gasconne, II, 206.

26o RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

ment gasconne : des types *accaballare, *excaballare et *incaballare on a avoir primitivement *acauarar, *escauarar, *encauarar, puis, par métathèse, *acarauar, *escarauar, *encarauar. La forme donnée par Durrieux, toute intéressante qu'elle est, offre une contamination, puisque nous y trouvons / = Il latin intervocalique : au fin fond de la Gascogne existe peut-être la forme normale, qui serait (avec la graphie de Durrieux) esha- raoua.

LU. ESC AU P 1R

On trouve dans Godefroy les substantifs escaupine ' et escharpison « démangeaison » et le verbe escopir « démanger ». Aux rapprochements qu'il indique avec les patois actuels on peut ajouter le rouchi caupie (que Hécart écrit aussi caupi et copï), substantif féminin qui ne s'emploie guère qu'avec le verbe avoir.

Le verbe escopir, dont la graphie correcte est escaupir, c'est-à-dire en français normal *échaupir, remonte au latin scalpere « gratter », devenu, dans la langue populaire *scalpire. Que le sens ait passé de « gratter » à « causer une démangeaison », cela n'a rien de surprenant; et le fait a se produire de bonne heure. Peut-être faut-il déjà en voir la preuve dans l'emploi de l'adjectif scalticus (évidemment pour scalpticus), par le médecin Theo- dorus Priscianus, au sens de « dartreux ». Ce qui est

I. Aux exemples cités, ajoutez Camus, Un manuscrit namurois du quinzième siècle, dans Revue des langues romanes, XXXVIII (1895), p. 161.

ESCHENYE, ESCHENYA 261

sûr, c'est que scalpere, *scalpire était devenu synonyme de prurire avant le huitième siècle, puisque le célèbre manuscrit de Karlsruhe (n° 86) nous offre cette glose : pruriginem scalpitttdinem ' .

(Cf. Bail, de la Soc. de ling. de Paris, séance du 7 juin 1902.)

LUI. ESCHENYE, ESCHENYA

Cénac-Moncaut et Lespy enregistrent en termes identiques l'adjectif eschenye « dépourvu » et le verbe eschenya « dépourvoir », dont les textes du moyen âge n'ont pas encore livré d'exemples. Cet adjectif et ce verbe sont usités dans toute la Gascogne et débordent même sur le haut Languedoc sous les formes eissinje, assigne et eissinja, assigna. Le verbe signifie plutôt « débarrasser, exempter » que « dépourvoir » et l'ad- jectif a le sens correspondant. Comme étymologie on a indiqué, soit excinctus (Mistral), soit exire (Visner, Dicliounari moundi) ; mais il serait superflu de montrer que cela ne vaut rien. Je propose eximius et le verbe dérivé *eximiare. On sait que eximius est un dérivé du verbe exitnere et que son sens propre, attesté par Térence, Cicéron et Tite-Live, est « excepté, exempté ». Le gascon rend régulièrement par e Yi bref de eximius ; mais il y a quelque difficulté pour le traitement du groupe -mi-. En effet, le bordelais prononce escheini,

1. Fcerster et Koschwitz, Altfr. Uebungsb., 2e éd., col. 31, 89. On peut encore citer: scalpitudo id est prurigo, dans Mai, Opusc. vet. mss. ad Deuteronom.. ., et prurit, scalpit, idest pruriginem créât (Bibl. nat. lat. 13953, 24e)-

262 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

ce qui ne s'accorde pas bien avec Pétymologie eximius, puisque de slmius le bordelais a tiré sinye. Faut-il rap- peler que vindemia paraît être devenu de très bonne heure dans la région gasconne *vindenia, d'où, dès le moyen âge, vendenha, venenha et plus récemment bere- nha, aujourd'hui bregno ', et supposer qu'à un moment donné exïmius serait devenu *exïnius ?

(Mélanges Léonce Couture, p. 262.)

LIV. ESCLAVAGE

Littré distingue six sens dans son article esclavage. Le sixième n'a aucun rapport avec les autres, comme toute personne familière avec le français peut s'en apercevoir. Voici comment il formule sa sixième section : « Terme de négoce. Le droit qu'une compagnie de marchands avait seule de vendre et d'acheter certaines marchan- dises. » Le Nouveau Larousse illustré résume élégam- ment la chose en ces termes : « S'est dit autrefois pour monopole. » On trouvera des détails plus précis dans les dernières éditions du Dictionnaire de Trévoux ; mais mieux vaut remonter à la source, qui n'est autre, comme il est naturel, que le Dictionnaire du Commerce de Savary des Bruslons, publié en 1723. Voici ce qu'on y lit:

« Esclavage. On appelle ainsi en Angleterre un droit que l'on fait payer aux François pour avoir permission d'enlever certaines sortes de marchandises dont la vente

1. Comparez ce qui se passe en provençal -mnh- peut sortir du latin -mbi- ou -mi- (Rotnania, XXVI, 282).

ESCLAVAGE 263

appartient par privilège à quelques compagnies ou societez de marchands anglois. »

On attribue à Colbert un mémoire sur le commerce delà France, rédigé en 165 1, il est question des impositions qui frappent nos nationaux en Angleterre : « impositions qu'ils (les Anglais) appellent ftEsdavache, de Cajade, du Survoyeur et du Coquet '. » Il me paraît certain que Esdavache est une faute de copiste pour Esclavage2, comme Cajade pour Calage (droit de quai); mais je n'insiste pas.

Ce qui est vraiment intéressant, c'est de trouver au seizième siècle une forme qui fait la pleine lumière sur l'étymologie. On lit en effet dans une requête pré- sentée à Charles IX en 1564 par les marchands du royaume: « Les François... sont tenuz de payer un tri- but qu'ils (les Anglais) appellent Scavalge, qui est un profit revenant au mayor de Londres, lequel il taxe à son plaisir 3. » Il est clair que nous avons affaire à l'anglais archaïque scavage, terme de coutume qui désignait primi- tivement la taxe payée par les marchands pour pouvoir montrer (en moyen anglais schewen, en anglo-saxon sceawian) leurs marchandises, puis toute espèce de taxe 4.

1. P. Clément, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, I, 487-491 et II, 405-409.

2. La confusion graphique de cl et de d est des plus faciles et celle de g et de ch n'est pas impossible.

3. Pigeonneau, Hist. du commerce de la France, II, 473.

4. Le mot scavage a disparu depuis longtemps de l'usage com- mun de la langue anglaise, mais on se sert encore du dérivé sca- venger (primitivement scavager) qui, par une curieuse évolution sémantique et sociale, ne s'applique plus qu'aux boueurs publics. Voyez Skeat, Dict. ofengl. Etym., scavenger.

264 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

La francisation de scavage en escavage est toute natu- relle; la contamination de escavage par esclavage peut être irraisonnée, comme tant d'autres. Mais il est pos- sible aussi que nos aïeux aient été mus par la vieille animosité contre l'Angleterre et que nous ayons un trait inoffensif de « la politique des coups d'épingle1 ».

LV. ESPERBO

Le sorbier ou cormier et son fruit, la sorbe ou corme, portent dans le Midi de la France différents noms qui se répartissent clairement en deux séries. La pre- mière remonte au latin sorbus, sorbum par les formes populaires *sorba (pour le fruit) et *sorbaria, *sorbariiun (pour l'arbre); elle n'offre pas d'intérêt particulier. La seconde s'éloigne étrangement du type latin : pour le fruit, on dit espèrbo, aspèrbo, espèro ou espèrouo, pour l'arbre, esperbié, asperbié, esparouvié ou, au genre féminin, csperbiero, asperbiero, esparçuviero, esperougueiro. Mistral, ordinairement si fécond en suggestions étymologiques, est muet sur l'origine de ces formes divergentes qui paraissent propres à la partie orientale du domaine de la langue d'oc2. Il me paraît impossible de les séparer du nom germanique du sorbier : sperberbaum, en moyen

1. Nous tenons à exprimer nos remerciements à M. Lucien Schône pour l'obligeance avec laquelle il nous a signalé les textes de 165 1 et de 1564 utilisés dans cette notice.

2. Elles régnent aussi sur une partie du domaine franco-pro- vençal, car à Saint-Genis-les-Ollières les sorbes s'appellent anpère et anpure (Romania, XX, 316).

ESTERCHIR 265

haut allemand spérboum. Il y a un premier élément spër dont l'origine est inconnue, mais qui est manifes- tement commun au germanique et au provençal. Je me borne à en signaler l'existence, n'ayant pas les moyens de décider de quel côté est l'emprunt.

LVI. ESTERCHIR

Godefroy cite trois exemples du verbe esterchir, ester- kir employé pronominalement au sens de « s'affermir » ' : deux viennent de Wace, le troisième du poème imité du Cantique des cantiques que contient un manuscrit du Mans et qu'on attribue à Landri de Waben, poète de la région de Montreuil-sur-Mer2. Il est clair qu'il faut reconnaître à la base de ce verbe l'adjectif germanique stark, que possèdent en commun l'anglais et l'allemand, sans parler des autres idiomes congénères. Mais par quelle voie ce verbe a-t-il pénétré dans le vocabulaire roman de la Normandie et de la Picardie ? La présence d'un e dans son thème favorise l'hypothèse d'un em- prunt relativement récent aux dialectes bas-allemands, puisque le néerlandais dit sterk et le norois sterkr. Comme on n'a pas trace en français de l'adjectif correspondant, on peut supposer que c'est le verbe sterken qui est direc- tement représenté dans esterkir, esterchir.

1. Un quatrième, le sens est différent, est sujet à caution.

2. Voyez sur lui Bonnard, Trad. de la Bible en vers franc., p. 153-

266 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

LVII. ÊTIS

Beauchet-Filleau a relevé dans le patois de Chef- Boutonne (Deux-Sèvres) la locution sentir l'éti ou Yaiti « avoir une odeur ou une saveur aigre-douce et légè- rement nauséabonde qui indique que l'objet qui l'exhale commence à se corrompre et à aigrir ' ».

Le Glossaire aunisien de L. E. Meyer, qui repose essentiellement sur le patois de La Rochelle, donne de son côté : « goût d'éti, goût particulier des viandes passées, faisandées2 ». Je ne crois pas que cet intéres- sant mot éti. figure dans d'autres recueils lexicogra- phiques. Il est clairement identique au provençal esta- dis, qui a le même sens et qui est encore bien vivant des Alpes à la Garonne et des Pyrénées aux sources de la Vienne 3 : il vient, comme lui, du verbe stare par l'intermédiaire d'un type latin vulgaire *statïcius (qui manque dans Kôrting et qui doit y être inscrit à son rang alphabétique4) et il doit s'écrire normalement étis. Godefroy a de nombreux exemples de estaïf « lent, paresseux » : c'est le même thème, avec un suffixe dif- férent; le type étymologique est le latin classique sta-

i. Essai sur h patois poitevin, p. 110.

2. Académie de la Rochelle. Section de littérature. Choix de pièces lues aux séances. 16, p. 104.

3. Pour les formes actuelles, voir l'art, estadis de Mistral ; pour les formes médiévales, le Prov.-Suppl. Wœrterb. d'Emil Levy, estaditi.

4. Cf. le latin médiéval staditiiis Avignon), qui n'a pas échappé à Mistral.

FAUTERNE 267

tïvus (encore une addition à faire à Kôrting). Enfin le languedocien emploie aussi une autre variante, à savoir estantis, de *stantïcius (troisième addition à Kôr- ting). Mistral rappelle justement que le catalan a le même mot et il en rapproche l'italien stantio « croupi, rance » ; l'italien nous reporte à un autre type du latin vulgaire : *stantivus (quatrième addition à Kôrting ').

LVI1I, FAUTERNE*

On lit l'article suivant dans le Dictionnaire de l'an- cienne langue française de F. Godefroy :

Santeine, s. f., santonine :

Plus fu amere l'iaue que H roi ot beue Que suie, ne santeine, n'alogne ne ceue. (Roum. d'Alixandre,f 44'1, Michelant.) Imprimé santerne.

Il n'arrive pas souvent à F. Godefroy de se risquer à faire de la critique verbale, et c'est heureux; pour une fois qu'il l'a tenté, cela ne lui a pas réussi. Le manus- crit suivi par Michelant, Bibl. nat. franc. 786, porte bien, comme il l'a imprimé, santerne. J'ai collationné le passage sur quatorze autres manuscrits du Roman d'Alexandre qui sont à Paris. Voici les résultats de cette collation. Huit manuscrits ont remplacé ce mot em-

1. Pour le thème de estantil\ et de stanlio, cf. le latin slantarius « instantané », employé par Julius Valerius.

2. Je tiens à îemercier MM. Kug. Rolland et le Dr Dorveaux de l'obligeance avec laquelle ils ont mis à ma disposition leurs notes et leur érudition spéciale ; je leur dois plusieurs indications importantes pour la rédaction de cette notice.

268 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

barrassant par un équivalent : sept donnent suie des- trempee ou destempree (Bibl. nat. 368, 70*; 790, 57a; 1635, 137*; 15094, 127- 15095, 147*; 25517, I2ib); le huitième, lescive meslee (Bibl. nat. 789, 52e). Sur les six autres, deux donnent fauterne (Bibl. nat. 787, 56*; 792, 98d), un, fanterne (Ar- senal 3472, 30b); un, santerne (Bibl. nat. 375, 189*); un, /autre (Bibl. nat. 24366, ii4d); un, siterne (Bibl. nat. 791, 45a).

Il est tout à fait certain que la bonne leçon est fau- terne et ce mot doit prendre place dans le vocabulaire de l'ancien français; c'est le nom porté dans une grande partie de la France par une variété d'aristoloche. Ce nom est particulièrement vivant dans le domaine pro- vençal. Voici l'article que lui consacre Mistral :

« Fôuterlo, fousterlo, foustello (Var), fousterno, fouttrno, fon- temo, Janterno, finterno (rouer g.), foutèrio, fauterbo, pantertw (1.) (v. fr. foterne, du lat. fusterna, nodosité), s. f . Aristoloche clé- matite, plante qui croît abondamment dans certaines vignes et qui communique au vin une saveur et une odeur désagréables '. »

Ce n'est pas sans raison que Mistral invoque l'ancien français foterne. Voici, en effet, ce qu'on lit dans Gode- froy :

Foter le, foterne, s. f., l'aristoloche ronde: Malum terne, c'est l'aristologie ronde... Le François dit sarra- zine et folerle ou foterne (Joub. Interpr. des dict. pharmac. , éd. 1 598).

Le mot, sous sa double forme, a été recueilli par

1 . Aux formes indiquées dans cet article, on peut ajouter infau- temo, usité à Montpellier, que le D>" Louis Planchon écrit infaou- tema (Voyez Plantes médicinales de l'Hérault, Montpellier, 1899, p. 20).

FAUTERNE 269

Cotgrave, et de il a passé chez Antoine Oudin et chez Duez; il est encore dans le Trévoux de 1771, au moins sous la forme foteme. Il serait facile, mais sans grand profit, d'en trouver d'autres mentions, notam- ment dans les ouvrages spéciaux de botanique, depuis le seizième siècle. Je relève seulement, comme parti- culièrement intéressant, un passage du commentaire de Hugues Solier, médecin provençal, sur Aétius :

Aristolochia in tria gênera fastigiatur, longa, rotunda et cle- matitim. Longa officinis nomen retinet ; Arabibus faufel, nostra- tibus Faiilerlo, et Delphinatibus de blousons nominatur ; Gallis iam aristolochiae (sic) dici cœpit. Rotunda suam quoque nomencla- tionem servat ; nostris autem fellayo ', ab amaritudine, quasi

La présence de fauternc dans la partie du roman d'Alexandre qui a pour auteur Lambert le Tort suffirait à elle seule pour prouver que ce nom de l'aristoloche était commun autrefois au Nord et au Midi de la France; mais on peut invoquer encore le témoignage d'un manuscrit namurois du quinzième siècle étudié par M. Camus. On lit en effet dans ce recueil médi- cal : « Et se faites li boire du jus de fruternel ». L'édi- teur a fort justement conjecturé qu'il s'agissait de l'a-

1. Le mot fellayo ne figure pas dans Mistral.

2. Aetii... Tetrabiblos..., accesserunt... de simplicibus scholia per Hugonem Solerii, p. 54 de l'édition de 1560. Sur l'auteur du commentaire, voyez Legré, La Botanique en Provence au seizième siècle. Hugues de Solier (Marseille, Aubertin, 1899), p. 20. L'éty- mologie de fellayo donnée par Solier a du bon ; on ne peut en dire autant de celle de fauterno proposée par l'abbé de Sauvages : ftl terrae.

3. Revue des langues romanes, XXXVIII, 163.

270 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

ristoloche et il a rapproché fruterne du foterle des auteurs du seizième siècle : je ne doute pas qu'il faille corriger le manuscrit et lire fauterne au lieu de fruterne. Enfin, il est intéressant de constater que le mot est encore vivant aujourd'hui dans le parler du Poitou, comme en font foi ces citations :

Fauterne, s. f. Plante qui vient dans les blés et le long des haies. Sa graine, petite noire et luisante, communique au pain, quand elle s'y trouve en certaine quantité, un goût d'amertume très prononcé et la plante elle-même donne ce goût aux mains qui l'ont pressée. N'ayant point cette plante sous les yeux en ce moment, nous ne pouvons en décrire les caractères distinctifs pour la faire reconnaître des botanistes ; tout ce que nous pouvons dire, c'est que le provençal appelle fauterno l'aristoloche '.

Futerne, s. f. Aigre (sic). Se dit d'une barrique qui a conservé un goût d'aigre. Un proverbe poitevin dit : « Aigre quame /;/- terne 2. »

J'espère qu'il ne subsiste aucun doute maintenant sur la bonne leçon des vers de Lambert le Tort, et que le lecteur est convaincu des droits de l'aristoloche à prendre place parmi les amers, à côté de la suie, de l'absinthe et de la ciguë :

Plus fu amere l'iaue que li rois ot beùe Que suie ne fauterne n'alogne ne ceùe.

Je n'ajoute qu'un jnot sur l'étymologie. Fauterne est le latin /alterna qui figure, comme nom de l'aristoloche, dans les Dynamidia, recueil de matière

1. Beauchet-Filleau, Essai sur te patois poitevin, p. 112. Cf. L. Favre, Gloss. du Poitou, p. 1 50 et Lacuve, dans Revue des irad. pop., 1895, p. 354. A Civray on prononce fonteme (Lalanne).

2. L. Favre, Gloss. du Poitou, p. 164. Un vocabulaire des environs de Fontenay-le-Comte donne futerne comme synonyme de « fumeterre » (Lalanne).

FEU1LLER, FEUILLERET, FEUILLURE 271

médicale publié par Angelo Mai d'après un ma- nuscrit du dixième siècle'. Mais à quelle langue appartient en définitive falterna, je l'ignore.

(Romania, XXXI, 390-392.)

LIX. FEUILLER, FEUILLERET, FEUILLURE

Le substantif feuillure est un terme de menuisier qui n'est pas resté confiné dans le langage technique de la corporation : Richelet, Furetière et le dictionnaire de l'Académie se sont empressés de lui faire bon ac- cueil. « Feuillure de porte, feuillure de fenêtre, ce sont des bords de porte ou de fenêtre qui s'emboîtent dans les châssis », dit Richelet. Furetière est plus précis : « Feuillure, s"e dit des cannelures à angles droits qui se font aux bords des portes, des fenestres, volets et de toutes les choses qu'on veut faire fermer juste, qui entrent les unes dans les autres. » Et il donne aussi le substantif feuilleret « espèce de rabot, outil à fust servant aux Menuisiers à pousser des feuillures ». L'exis-

1. Class. auctorum..., VII, 441 : « Aristolochiae, id est falternae, hoc est raiae, gênera sunt tria. » Falterna a été relevé par M. Wôlfflin dans ses Addenda lexicis latinis (Archiv fur lat. Lexicogr., III, 133) ; le rapprochement qu'il fait avec l'article faltermim de Papias (sneci- num ad similitudinem vint et mellis dictant) ne nous avance guère.

2. L'allemand appelle le liseron Faliblume (fleur pliante) ; mais il n'y a aucune vraisemblance, au point de vue botanique, à voir dans falterna le radical germanique falth- « plier ». D'autre part, il est bon de noter que les Dynamidia sortent de l'école de Salerne (E. Meyer, Gesch. der Botanik, III, 488), de sorte que falterna appartient à la fois à l'Italie et à la Gaule.

272 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

tence de feuillure et âefeuilleret implique celle du verbe feuiller, bien que ce verbe n'ait été recueilli que par les lexicographes postérieurs.

Les étymologistes n'ont pas accordé à cette petite famille de mots l'attention qu'elle mérite. Le Diction- naire de Trévoux traduit en latin feuillure pour foliatio ; Roquefort place feuillerel et feuillure parmi les dérivés de feuille; les autres ont suivi moutonnièrement, y com- pris les auteurs du Dictionnaire général au nom des- quels je viens faire tardivement un mea culpa.

Pour peu qu'on y prenne garde, on ne peut hésiter à considérer le verbe technique feuiller comme un doublet du verbe commun fouiller, dont la forme pri- mitive est foeillier, du latin vulgaire *fodiculare' . Il est inutile d'insister: je ferai seulement remarquer que la langue technique emploie dans un sens analogue le verbe refouiller et le substantif refouillement.

On peut se demander comment il se fait que la forme primitive foeillier ait ainsi bifurqué pour aboutir, d'une part à fouiller, d'autre part à feuiller. L'ancien français a une tendance marquée à réduire -eil- atone à -il: de des formes qui se sont souvent perpétuées jusqu'à nos jours, comme Châtillon, éparpiller, essoriller (malgré oreille), papillon, pavillon, tilleul, vermillon (malgré vermeil, etc.). Il est donc naturel que foeillier et foeillier (du latin vulgaire *tudiculare a) soient deve- nus foïllier, t oïl 'lier, puis fouiller et touiller, comme roïllier est devenu rouiller. D'autre part, l'ancien fran-

i . C'est à Ménage que revient le mérite d'avoir trouvé l'éty- mologie de fouiller, et cela dès 1650. 1. Cf. mes Essais, p. 391.

GARLIMEN 273

çais disait foiller et faillir au sens de « pousser des feuilles » ; de bonne heure, sous l'influence de fueille (feuille), il a dit fueillier , fueillir ; plus récemment écrit f cuiller, feuillir. C'est par contamination que fouiller « faire une entaille » est devenu feuiller dans la langue des artisans.

Puisque l'occasion se présente, je ferai remarquer que le substantif feuillure est employé par la langue technique dans un sens que les dictionnaires ont géné- ralement oublié d'enregistrer. V Encyclopédie Méthodique, à l'article Meunier (paru en 1788), donne la définition suivante : « Entrepied d'une meule, c'est la partie qui joint la feuillure concentriquement et qui se termine au cœur. » Tous nos grands dictionnaires contempo- rains ont reproduit cette définition ', sans songer à faire une place, a. l'ordre alphabétique, à ce sens du mot feuillure. Je ne saurais en expliquer l'origine : je me borne à remarquer, d'après la Grande Encyclopédie (ar- ticle Moulin, tome XXIV, p. 483), que cette partie de la meule des meuniers s'appelle aujourd'hui couronne ou feuillard.

XLVI. GARLIMEN

Le mot garlimen manque dans le Trésor de Mistral. Il revient à plusieurs reprises dans les Counteis de la Queirio de Jean Lalet, recueil dont la langue est celle

1 . Certains ont fait un quiproquo sur meule et ont cru qu'il s'a- gissait d'une meule de foin, notamment Beschcrelle et De Chcsnel (Dict. de technologie, Migne, 1857).

Thomas. II. 18

274 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

des environs d'Excideuil (Dordogne) ' : Fauve et Rouje, tachât s per las oùreillas, tirent lou garlimen (p. 7); per tenei lou garlimen (p. 17); m lou garlimen que traino soun manlie (p. 32), etc. L'auteur explique en note que garlimen désigne la charrue. Il est clair qu'il faut recon- naître dans cet office le provençal commun garnimen qui, du sens général de « ce qui garnit, harnache- ment », a passé au sens spécial de « harnais servant à labourer ». Pareille aventure sémantique est arrivée au mot arnes « harnais » qui, non seulement en Gascogne, comme le dit Mistral, mais dans la Creuse (et ailleurs, bien sûr) est devenu synonyme, lui aussi, de « char- rue ». Ce qui est surtout remarquable dans la forme périgourdine garlimen, c'est la dissimilation de n en /, dissimilation due manifestement à la présence d'une désinence en -mm et qui témoigne d'une rupture bien nette, au point de vue sémantique, entre garnir et son dérivé. J'imagine que M. Grammont formulerait ainsi ce phénomène : intervocalique tonique dissimile appuyée atone. Je cherche en vain la place de cette formule dans les vingt lois qu'il a promulguées sur la dissimi- lation en l'an de grâce 1895.

(Revue des parlers popul., année 1903, p. 176 ; cf. Bull, de la Soc. de Ling. de Paris, séance du 28 mars 1903.)

XLVII. GlERRE

Le très ancien français possède une conjonction à

1. Sur l'origine dialectale de ces contes, vov. Roniania, XXIV, 628.

GIERRE 275

peu près synonyme de « donc » dont la forme flotte entre gierre, gierres, gieres, giers, gers l et dont l'étymo- logie n'est pas transparente. Diez hésitait entre igitur et ergo, mais recommandait plutôt ce dernier type. M. Suchier a proposé de *ha re (pour de bac re)2; M. Cornu s'est fait le champion de igitur 3; M. Schu- chardt a indiqué en passant ea hora*; tout récemment, enfin, M. Meyer-Lûbke s'est prononcé en faveur de de ea reî. Les lois phonétiques écartent absolument ergo (qui aurait donné *erc) et igitur (qui aurait abouti à *oirrè). En admettant que ea hora se soit contracté en *eara, il aurait effectivement donné giere; mais le sens ne convient pas très bien. Avec de *ha re et de ea re on obtient également gier ; mais comment expliquer la présence de deux r dans les psautiers d'Oxford et de Cambridge ? Je ferai remarquer que pour obtenir gier, il suffit de partir du latin classique ea re et que pour expliquer la forme concurrente gierre on a une base excellente en partant de ea de re.

On n'a pas signalé jusqu'ici la survivance de cette ancienne conjonction dans les patois actuels; pourtant il est impossible de la méconnaître dans dçare que J.

1. Voyez Godefroy, à l'article gieres; ajoutez un exemple de gierre dans le psautier de Cambridge, p. 282, et comparez l'article regieres. Gers apparaît dès le dixième siècle chez un grammairien

ano nyme qui le donne omme équivalent du latin ergo, itaqae, igitur (Z. f. rom, Pbil., XV, 241, et XXVII, 508 ; Romania, XXXI, 593, et XXXIII, 91).

2. Z. fur rom. Pbil., I, .131.

3. Romania, X, 399.

4. Z. fur rom. Phi]., XV, 24 1 .

5. Gramm. des l. rom., III, ^ 259.

276 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Tissot a relevé, il y a quelques quarante ans, dans le patois des Fourgs (Doubs) et qu'il traduit par « en ce cas, s'il en est ainsi, alors ».

LXII. - HALEINE

Nos vieux étymologistes ne paraissent pas s'être préoccupés de l'étymologie du mot haleine ; du moins, ils n'ont pas pris soin de nous dire ce qu'ils en pen- saient. Diez admet que le verbe latin anhelare, prononcé anelare, est devenu par métathèse *alenare, d'où l'on a tiré ensuite un substantif verbal *alena, représenté en italien, en provençal et en français ; il écarte l'hypo- thèse que halare ait pu produire un substantif *halena, le suffixe -ena étant pour ainsi dire inconnu au latin. Littré a pris le contrepied de l'opinion de Diez; con- sidérant que la métathèse est insolite et que le suffixe -ena n'est pas aussi rare que le croit Diez, il se pro- nonce pour un type étymologique *halena. Le Diction- naire général accepte *halena, en faisant remarquer que anhelare a pu influer sur cette formation exceptionnelle. C'est à peu près l'opinion de M. Meyer-Lûbke, qui a écrit: « Le latin vulgaire anelare de anhelare doit sa modification à l'influence de halare2. »

Or, un texte carolingien, publié il y a quelques années et auquel les romanistes n'ont peut-être pas prêté assez d'attention, nous apporte des lumières nou-

1 . Mèm. de la Soc. d'émul. du Doubs, 3e série, IX (1864), p. 261 .

2. Gramm. des l. rom., I, § 581.

HAMPE 277

velles sur cette délicate question. Dans les Miscellanea Tironensia que M. W. Schmitz a tirées du ms. Vatic- Reg. 846, on lit, en caractères ordinaires,, anela, avec son synonyme en latin littéraire flatiis, et quelques lignes plus loin anela calida ' .

Ainsi, au huitième siècle, au plus tard, on avait tiré du verbe anelare un substantif verbal féminin anela qu'on employait exactement dans le sens nous em- ployons aujourd'hui haleine. Il faut bien admettre que la métathèse de anela en *alena est postérieure; par conséquent, toute influence du verbe halare, que rien ne nous autorise à considérer comme populaire, paraît devoir être écartée2.

LXIII. HAMPE

Le français hésitait, au dix-septième siècle, entre hampe et hante : Vaugelas déclare que si l'on dit l'un et l'autre, « hampe est incomparablement meilleur et plus usité. » Aujourd'hui la question ne se pose plus: hampe seul est « français » et hante cache sa défaite au fond des campagnes de la Normandie et du Maine. Ce dernier mot apparaît, sous la forme hanste, dans nos

1. Mise. Tironiana (Lepzig, Teubner, 1896), p. 35.

2. Cf. anhella dans le glossaire latin-anglo saxon publié par Hessels(note de M. Meyer-Liibke, Krit. Jabresb., II, 70) et hanela dans le ms. 337 de Berne. Mon collègue, M. Mario Roques, me signale, en même temps que cette dernière forme, un exemple très précieux de la métathèse, remontant au moins au dixième siècle, dans la glose : anhelitum qui de aliéna (pour alerta) laborant (Gcetz, Corp. Gloss., III. 597, 38).

278 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

plus anciens textes; au contraire, hampe est relative- ment récent et, bien qu'employé par Amyot et par Ron- sard, il ne figure pas dans le Thresor de Nicot. D'où vient-il ? Diez le rattache à l'allemand handhabe, mais sans aucune vraisemblance. Le Dictionnaire général admet que hampe est une altération de hante; encore faudrait-il trouver quelque raison d'être à cette alté- ration. Voici une hypothèse.

Nos patois de l'Est possèdent le substantif ampe et le verbe amper, écrits à l'origine empe et emper. Comme l'a montré M. Horning, ce sont des doublets des mots français ente et enter ' : empe est sorti du latin vulgaire *empotum, grec Ijaçutov, par conservation de la syllabe pénultième et chute de la finale2. M. Horning ne cite que deux exemples de la forme verbale, tous deux du douzième. En voici un de la fin du quatorzième. On lit dans Le saint Voyage de Jherusalem du seigneur d'An- glure, édition Bonnardot et Longnon, § 297 : « Emmy icelle croix a une petite croix empée, de la vraye croix Nostre Seigneur. » Dans le glossaire afférant à l'édi- tion, empée est traduit par « hampée », sans commen- taire, et ce passage est reproduit dans le Complément de Godefroy comme contenant le plus ancien exemple connu de l'adjectif actuel hampe « muni d'une hampe ». C'est un faux sens: empée veut dire « entée », c'est-à- dire « insérée en prolongement ». Mais il est facile de concevoir le rapport sémantique de « ente » et de

1. Zeitschr. f. rom. Ph., XV, 496, et XVI, 242.

2. Horning, Die Behandluw der lateinischen Proparoxytona, Strassburg, 1902 (Beilage zum Programm des Lyceums, no 578).

HISTAR 279

« hampe ». Comme d'autre part ente et empe étaient synonymes, s'il a existé une région mixte l'usage flottait entre empe et ente, c'est qu'a pu se produire la substitution de hampe à hante dans le sens de « long manche, tige ».

XLVIII. HISTAR

Carpentier a relevé le substantif masculin histar dans une lettre de remission de 1416, le sens de ce mot est précisé par un commentaire explicatif'. On lit en effet dans ce document : « histar ou friche plain de genestes. » Godefroy s'est approprié, comme d'habi- tude, l'extrait fait par Carpentier et il traduit histar par « friche, terrain couvert de halliers ». Pourquoi « hal- liers » et non « genêts » ? Parce qu'il n'a pas vu que dans histar il y avait le latin genesta 2, plus un suffixe, comme cela saute aux yeux de tout bon philologue. La disparition de Yn de genesta sent son gascon d'une lieue. Effectivement, le texte qui appelle histar un champ de genêts a été rédigé dans le pays de Bigorre, puisque c'est ce pays qui est le théâtre du drame qui a motivé la lettre de rémission. Voici le document lui-même dans toute sa teneur, sauf toutefois les dernières lignes par lesquelles le roi déclare dans les formes, mais non compendieusement, qu'il accorde la grâce qu'on a sol- licitée de lui. C'est un « fait divers » de chasse qui

i. Insertion dans Du Cange, article hirstis. 2. Forme plus usuelle que genista.

280 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

rompra agréablement, pour certains de nos lecteurs, la monotonie des spéculations philologiques.

Charles, etc. Savoir faisons a tous presens et a venir Nous avoir oy la supplicacion des amis de Domenge de Baylat, autrement dit de Soussenez, du lieu de Ader>, en nostre pais de Bigorre, con- tenant que, ou mois de décembre derrenierement passé ou envi- ron, nostre amé Pierre d'Antin2,escuier, seigneur des lieux d'Ours ? et de Puiferrier, pria aucun de ses amis dudit pais de Bigorre qu'ilz lui feissent compaignie en un certain voyage ou il vouloit aler, et de fait alerent avecques lui plusieurs compaignons dudit lieu de Ader et de certains autres lieux d'ilec environ, garnis les aucuns d'arbalestes et les autres d'autres abillemens ; et après que ilz l'eu- rent acompaignié et s'en retournoyent et furent en un lieu dit Lanne Morime (sic), ilz virent en un histar ou friche plain de genestes, assez près de leur chemin, un cerf, lequel cerf, quand les vit, se coucha entre les dites genestes et ilz tous le environnè- rent pour lui traire des arbalestres, et leur trayrent les ungs d'un costé et les autres d'autre costé, et, en trayant audit serf, Jehan de Sossenetz, du lieu de Bertrachees, cousin bien prouchain dudit Dommenge suppliant, fu féru parmi le front d'un vireton ou reillon, dont il cheut a terre et assez tost après morut, et, pour savoir de quel arbaleste ledit cop estoit venu, se assemblèrent tous ceulx qui audit cerf avoient tiré, et par les enseignes de leurs viretons ou reillons trouvèrent que ledit vireton estoit dudit Domenge suppliant, et qu'il l'avoit tiré, dont il fut moult dolant et courroucié...

Donné a Paris au mois d'aoust l'an de grâce mil cccc et seze, de nostre règne le xxxvje.

Par le Roy a la relacion du Conseil,

J. Charenton. (Arch. nat., JJ 169, 347.)

Je reviens à histar. Le type latin correspondant est *genestaris, qui a donné l'ancien provençal genestar et

1. Adé, canton de Lourdes.

2. Antin, canton de Trie-sur-Baïse.

3. Ours-Belille, canton de Tarbes.

HISTAR 281

le catalan ginestar. On trouve dans le cartulaire de la Sauve-Majeure giestar1 : c'est une forme gasconne. Pri- mitivement, le gascon devait dire *geestar : de *geestar on a fait d'une part giestar, par changement en i de IV en hiatus, et de l'autre *gestar, par contraction de ee en e : cet ancien *gestar est représenté par le béarnais moderne gesta2. En Bigorre, le^ latin initial devant e, i est traité comme le /, c'est-à-dire prononcé y: il est curieux de voir ce son initial représenté par /; dans notre forme médiévale histar, contraction de *hiestar ; cela rappelle la phonétique espagnole qui nous offre hiniesta « genêt » de genesta, hermano « frère » degermanus, etc. L'emploi du suffixe -aris ajouté à un nom de végétal pour désigner un lieu abonde ce végétal a depuis longtemps été signalé en espagnol : avellanar « cou- draie », alisar « aunaie », etc., etc. î. On n'a pas jus- qu'ici accordé la même attention aux dialectes du Midi de la France. A vrai dire, en dehors de la Gascogne, l'emploi de ce suffixe avec cette fonction spéciale est assez rare : je ne le trouve guère que dans genestar, fel- gar et segalar. Mais en Gascogne, particulièrement dans la région pyrénéenne, le suffixe -aris a autant de vita- lité qu'en Espagne même. La liste suivante, rédigée surtout d'après le Dictionnaire béarnais de Lespy et

1. Luchaire, Recueil, au glossaire.

2. On trouve aussi dans les Basses-Pyrénées et dans le Gers une forme gnesta « champ de genêts » et le simple correspondant gnesto et même agnesto « genêt » : l'origine du son initial g n n'est pas très claire. Ce même son initial existe dans gnèbre, pour *giebre « genévrier ».

1. Voyez Diez, Gramm. des lang. rom., trad. franc., II, p. 322, et Meyer-Lùbke, Gramm. des lang. rom., II, § 464.

282 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Raymond, en fournira abondamment la preuve. En cela, comme en maint autre point, le gascon tient de plus près à la langue d'outre Pyrénées qu'à celle d'outre Garonne ' .

sapinière. caneba, chêne vière (Alcée Dur-

agreula, houssaie. rieux).

arraba, ravière. caular (ancien béarnais), terrain

arraga, fraisière. planté de choux.

auga, terrain couvert d'algues, cassourra, terrain couvert de chê- bedoura, boulaie. nés de haute futaie dits cassour-

bernata i, aunaie. res.

bouscarrd4, taillis, fourré. ceba, oignonière.

brana, abrana, terrain couvert de cibada, ciouasa, aveinière.

bruyère. gabarra, terrain couvert de la

brouca S, épinaie. variété d'ajoncs dite gabarre.

bruchaga &, terrain couvert de garrabonsla, taillis de chênes ra-

broussailles. bougris.

bruchoa 1, terrain couvert de garrigata 8, taillis de petits chê-

buissons. nés.

bruga, terrain couvert de bruyè- gesta, gnesta, genêtière.

res. haba, champ de fèves.

i . Voyez les intéressantes remarques présentées à ce sujet par M. Bourciez dans le Bulletin hispanique, avril 1901, p. 159. Le suffixe -aris a déjà été signalé ci-dessus dans le mot gascon cuioîar. En dehors du règne végétal on le trouve encore en gascon dans hanga « bourbier » et dans cabilha (Landes) ou calhioua (Gers) « che- ville du pied ».

2. Nous ne suivons pas la graphie béarnaise : abedaa, agreu- laa, etc.

3. Suffixes -ail- -+- -aris-,

4. Suffixes -arr- -f- -aris.

5. De le nom du célèbre médecin et anthropologiste Broca, lequel était d'origine béarnaise.

6. Suffixes -ac h -aris.

7. Lespy et Raymond écrivent bruhoaa, mais renvoient à bruchoc et à bruchoo « buisson ».

8. Suffixes -ait- -f- -aris.

IORBE 383

hea, hia, pré (terrain couvert de poumera, pommeraie.

foin). prada, prairie.

heuga, hottga, fougeraie. rastoura, champ couvert d'éteule.

hougara ', fougeraie. roumenta, champ de froment.

terrain couvert d'ajoncs, saliga, saussiga, saussilha, saus-

junca, younca, jonchaie. saie.

milhassa-, champ de mais. segassai, ronceraie.

milhouca, champ de maïs. sesca, lieu couvert de glaïeuls.

nouguera, terrain couvert de soustra 6 (ancien béarnais), terrain

noyers. couvert d'ajoncs et de genêts. ourtiga, terrain couvert d'orties, tausia, taillis de chênes tauzins.

pignada 5, forêt de pins. touja, touya, tuya, terrain couvert

poumata*, pommeraie. d'ajoncs.

(Mélanges Léonce Couture, p. 263-265.)

LXV. IORBE

Je relève dans le Glossaire du patois de Montbéliard de Contejean, p. 127, un mot bien intéressant et que voici avec son contexte :

« Iôrbe, s. f. Escalier en vis ; tour dans laquelle se trouve un pareil escalier. Du latin orbis, cercle, circuit; d'où orbe, orbite. »

Je crois que Contejean s'est tout à fait trompé en

1. Suffixe -aris redoublé.

2. Lespy et Raymond écrivent milhasa.

3. Littré enregistre, dans le même sens, un substantif féminin pignade, qui est une francisation maladroite du gascon. Dans pignada, nous avons un type étymologique "pinea -+- aris. Beaucoup d'écrivains emploient aujourd'hui pignada comme mot français.

4. Suffixes -att- -+- -aris.

5. Suffixes -aci- -+- -aris.

6. Ces plantes sont appelées souslre parce qu'elles servent à taire la litière (soustrar).

284 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

faisant appel au substantif orbis : c'est à l'adjectif orbus qu'il faut s'adresser. On sait que l'ancien français orbe « aveugle », comme son synonyme actuel, s'applique fréquemment à un lieu obscur.

Reste à identifier le premier élément du substantif comtois iôrbe. Il faut, sauf erreur, y reconnaître tout simplement vis, c'est-à-dire « escalier à vis » . La for- mation du mot composé, c'est-à-dire la soudure intime des deux éléments composants, ne s'est produite qu'a- près la réduction de vis à vi. Quant à la chute du v initial, on peut citer d'autres exemples où, comme ici, le v a été absorbé par le son d'un i en hiatus, c'est-à- dire devenu v: normand yorne, pour viorne, de*viburna ' ; patois des Fourgs arieutan, du français orviétan1 ; savoyard yable, clématite, pour viable, de vitem albami; valaisan ya, pour via, de vita; yad%e, pour viad^e, de viaticum; yéda, pour viéda, de vivenda, etc. 4.

XLIX. IVIERE

Grandgagnage a enregistré dans son Dictionnaire éty- mologique de la langue wallonne un substantif féminin ivière, au sens de « neige », qu'il tire du latin hiberna. J'ai proposé, au contraire, de rattacher le mot wallon à nivaria, qui survit dans presque toutes les langues

1. Rolland, FI. pop., I, 4.

2. Tissot, à l'article.

3. Rolland, FI. pop., I, 2.

4. Gilliéron, Pat. de Vionna\, p. 182.

JA1NÇ0N 285

romanes *. Ce faisant, j'oubliais que le suffixe -aria aboutit en wallon à -ire et non à -ière, ce qui est une grosse étourderie. M. Horning me l'a fait judicieuse- ment observer. Reprenant à son tour la question, il établit que la forme wallonne, mal connue de Grand- gagnage parce que ce mot n'est pas usité à Liège l'on dit nivâie, mais à Malmédy et dans la région des Ardennes, n'a aucun droit sérieux à un e final, mais doit s'écrire ivier (avec un r sonore, comme dans le français hiver) ; que les auteurs qui signalent le mot n'en indiquent pas le genre; que dans les Ardennes il cumule les sens de « hiver » et de « neige », ce qui appuie l'étymologie hibernum2. Je suis tout à fait con- vaincu et j'abjure publiquement nivaria.

LXVII. JAINÇON

L'abbé Lalanne a relevé dans le patois de Châtelle- rault l'expression les jainçons des doigts pour dire les « jointures » et il a invoqué le latin junctura pour l'expliquer 3. Ce n'est pas junctura, mais junctio qui est en cause et cela même est intéressant, car l'on n'a pas signalé jusqu'ici de trace de junctio dans la couche populaire des langues romanes. D'après le modèle de punctione, qui aboutit à poinçon, on a avoir *joinçon de junctione. Le changement de la diphtongue nasale

1. Mélanges, p. 93.

2. Z. fur rom. Phil., XXVII, 147.

3. Dans le tome XXXII, 2e partie, des Mém. Soc. Antiq. de l'Ouest, paru en 1868.

286 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

oin en ain ne fait pas difficulté: on trouve dans le recueil de l'abbé Lalanne aijtse « peau qui recouvre les jointures des phalanges sur le dessus des mains », qui correspond à la forme ancienne oince et, en français même, l'ancien comparatif joindre (de junior) est devenu finalement gindre, nom du premier ouvrier d'une bou- langerie2.

LXVIII. JOINCLE

L'article jùvencus de Kôrting fait au latin de la Gaule une part à la fois insuffisante et mal distribuée ' : on y trouve indiqués le provençal junega et le diminutif français jouvenceau ; rien de plus. Or, le provençal junega ne se rattache pas directement à jùvencus : il vient d'un type *jûnïca, refait sur le nominatif jûnix, tandis que le français génisse représente *jûnïcia4. Quant au français jouvenceau, personne ne doute qu'il vienne d'un diminutif latin vulgaire *juvencellus, mais pour- quoi ne pas mentionner sur la même ligne le provençal jovencelî ? D'autre part, avant de pousser la lignée de *juvencellus, il eût été bon de s'assurer si jùvencus lui- même n'avait pas. de représentants sur le soi de la

i. Cf. mes Mélanges, p. 133, art. roinse.

2. Cf. ci-dessous l'art, joindre.

3. 2c éd., 5236.

4. Essais, p. 85. Malgré les apparences, le patois des Fourgs d^eunseu se rattache au français et non au provençal.

5. Kôrting mentionne le provençal jovencel à l'article juvenis, 5237, en lui assignant à tort un type latin vulgaire *juvencillus.

JOINCLE 287

Gaule. En ouvrant Mistral à l'article jouvencèu, M. Kôr- ting aurait appris que « jouvenceau, jouvencelle » sont rendus en béarnais moderne par youenc, youenco, et j'espère qu'il n'aurait pas hésité à brûler le junego pro- vençal pour adorer le youenco gascon comme incarna- tion de juvenca.

En français propre, jouvenceau nous apparaît dès l'origine (sous la forme jovenceï) avec le sens exclusif de « jeune homme » ; mais on sait que le latin juvencus signifie à la fois « jeune homme » et « jeune taureau ». Il est intéressant de constater que ce dernier sens a survécu dans la région de la Franche-Comté et qu'il s'est attaché au dérivé *juvencellus : de jouvence (Dar- tois, Mém. de l'Acad. de Besançon, 1850, p. 15e) ou djevencé (Contejean, Patois de Montbéliard , p. 93) « bouvillon ».

Mais ce n'est pas seulement *juvencellus qui vit encore avec le sens de « jeune taureau » au fond de nos cam- pagnes. On y trouve môme juvenculus tout craché ' et dans une région bien éloignée de la Franche-Comté, à savoir dans le Poitou, l'abbé Lalanne a signalé (mais en invoquant à tort juvencus au lieu de juvenculus) les différentes formes joincle, jouincle, joncle (avec cl mouillé) et junque (avec chute de 17) qui s'appliquent dans toute l'étendue des trois départements de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée à un « veau de deux ans que l'on commence à mettre au joug2 ».

1. C'est le cas de rappeler cette remarque de YAppendix Probi (P. Meyer, Rec, p. 1, 1. 30): juvencus, non juvenclm.

1. Gîoss. du ùatois poitevin, dans le t. XXXII, 2e partie, des

288 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

LXIX. JOINDRE, JEGNOR

Littré attribue à Du Cange le mérite d'avoir reconnu comme représentant légitime en français du latin junior le substantif gindre, que Ménage croyait être originai- rement identique à gendre (je me hcâte d'ajouter qu'on appelle gindre le premier ouvrier d'une boulangerie, car ces lignes tomberont peut-être sous les yeux d'un lecteur qui ne sera ni philologue ni boulanger et je tiens à m'assurer sa reconnaissance). La vérité m'oblige à déclarer que Littré s'est trompé, et je le regrette pour Du Cange, qui était très fier, dit-on, de ses étymologies françaises et qui n'a pas eu souvent la main heureuse. C'est Nicolas de la Mare qui a rap- proché gindre de junior1, et tout le monde doit l'en féliciter.

Donc gindre, autrefois joindre, représente le nomi- natif junior, prononcé en latin vulgaire avec un u bref (d'après jùvenis) et non avec un u long comme en latin classique 2. L'accusatif *jùniorem a devenir de bonne heure *jeniorem par dissimilation, d'où, en lan- gue vulgaire jegnar. Cette dernière forme manque dans

Mem. de la Soc. des Antiq. de l'Ouest (1868). Cf. l'article jouencle « bœuf de deux ans » dans le Gloss. du Poitou de L. Favre.

1. Traité de la police, t. II, livre 5, titre 12, chap. 3, p. 188.

2. Le nominatif s'est conservé dans la Suisse romande; cf. Gilliéron, Patois de Vionna\, p. 147 : « D^egne, garçon vacher. » Les nombreux exemples de genvre que Godefrov a enregistrés à l'article jovenor remontent à juvenis et non à junior.

LAUS 289

Godefroy ' ; mais il n'est pas douteux qu'elle ait réel- lement existé en ancien français. Faute de textes écrits, j'en appelle au patois des Fourgs (Doubs) qui possède encore aujourd'hui le mot d^gnou, et j'emprunte à Tissot la définition de ce mot : « Domestique de chalet, employé au soin des vaches, de l'étable et de la froma- gerie2. »

On voit que l'accusatif juniorem a eu en Gaule un développement sémantique analogue à celui du nomi- nmi junior. En Italie, l'accusatif a seul survécu ; Canello l'a depuis longtemps reconnu dans l'italien dialectal gignore « apprenti 3 » .

L. LAUS

Raynouard et Mistral ne connaissent qu'un mot laus, lequel est substantif et veut dire « louange ». Mais il y en a un autre, particulièrement fréquent dans les textes béarnais, lequel est adjectif et signifie, d'après Lespy et Raymond, « abandonné, vacant ». Il se dit des maisons et des terres. On en a tiré laussedat et laussetat « mai- son abandonnée, domaine abandonné » et alaussat, alaussit qui s'emploie à peu près au sens même du simple laus. Je me figure que l'étymologie doit être le latin lapsus, participe de labi, et que le sens propre

1. Il ne faut pas la confondre avec jovegnor qui remonte au latin juveniorem.

2. Mèm. de l'Acad. d'cmul. du Doubs, ^ série, t. IX (1864), p. 262.

3. Arch. glottol., III, 341.

Thomas. II. 19

290 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

doit être « tombé en ruine » . J'ai signalé ailleurs * l'an- cien limousin eslaus, aujourd'hui eilau ou orlau « lan- cière d'un étang », qui vient du latin vulgaire *exlapsus. Le changement du groupe ps en us se retrouve non seu- lement dans aus « toison » (de hapsus) et dans eus « même » (de ipsè) que j'ai cités à ce propos, mais dans caus, limousin chaus « chas d'aiguille » (de cap- sus).

(Mélanges Léonce Couture, p. 266.)

LI. LEDANJOS

Mistral embrigade le gascon hdanjo « louange » parmi les représentants actuels de l'ancien provençal lau^enga. Il y a cependant à cela une grosse objection linguisti- que : rien n'explique le changement de la syllabe initiale lau- en le-. La source de Mistral est vraisemblablement le Dictionnaire gascon-français de Cénac-Moncaut. Or, ce dernier ne donne que la forme plurielle ledanjos. Je ne puis m'empêcher de croire que ledanjos vient du latin hellénique litanias « litanies », dont il représen- terait très exactement la forme populaire, puisque 17 de la syllabe initiale, étant bref, doit se changer en e et le / médial intervocalique s'affaiblir en d. A côté de ledanjos « louanges», Cénac-Moncaut enregistre ledanios « lita- nies, catalogue, énumération » : ce ledanios est une forme demi-savante.

{Mélanges Léonce Coulure, p. 266.) 1. Essais, p. 291.

LU. LIOUBE

Tous les grands dictionnaires français enregistrent le terme de marine lioube « entaille angulaire qu'on fait dans toute l'épaisseur d'une pièce de bois pour recevoir l'extrémité d'une seconde pièce qui doit lui être liée » (Willaumez) et le verbe correspondant enliouber. J'ai montré que lioube venait des patois du Poitou et de la Saintonge et j'en ai rapproché le verbe berrichon égliober « déchirer longitudinalement les fibres ligneuses d'un arbuste » (Jaubert) ; puis, cherchant l'étymologie, j'ai proposé le grec ykwft « entaille » par l'intermédiaire d'une forme *glùpa qui aurait pu en être tirée dans le latin vulgaire1.

Sans connaître mon article, M. Behrens a étudié de son côté le mot lioube2: il le rattache à un substantif tiré du verbe allemand klieben « fendre » qui a exister très anciennement sous la forme *hlùba ou peut-être *klùbba et dont M. Meyer-Lûbke a montré la survivance dans de nombreux mots dialectaux de l'Italie septen- trionale?. Je n'hésite pas à donner aujourd'hui la pré- férence à la manière de voir de M. Behrens; il ne faut pas abuser du grec. Je ferai seulement remarquer que, comme l'a dit M. Kluge, dans son Etym. Wœrterb. der dtutschen Spracbc, le grec et le germanique ont proba-

i. Mélanges, p. 99-100.

2. Z.fiïrrom. PMI., XXVI, 245.

3. Z.fùr rom. Pbil., XX, 333.

292 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

blement la même racine indo-européenne qui se retrouve aussi dans le latin glubere « écorcer ». Le changement du son germanique kl en gl n'est pas absolument sans exemple, puisque le français gleton, gleteron (aujour- d'hui glouteron) remonte à un type kletto; mais l'hy- pothèse d'une contamination entre le germanique *kluba et le latin glubere n'est pas dénuée de vraisemblance dans ce cas particulier.

LXXIII. LOVERGIER, LORGIER, LURGIER

J'ai signalé ci-dessus la survivance de l'ancien fran- çais escolorgier dans le patois du Bas-Maine et j'ai rap- pelé que escolorgier vient du latin vulgaire *excollubri- care. Le simple lubricare a-t-il disparu du latin de la Gaule ? Le silence de Kôrting pourrait le faire croire, car à l'article lubrico (n° 5699), il n'indique que le roumain luneca, l'italien lubricare, l'espagnol et le por- tugais lubricar. Il n'en est rien pourtant. Godefroy a relevé dans la traduction lorraine des Dialogues et des Moralités sur Job de Grégoire le Grand trois exemples de participe lovergeant, loverjant, qui suppose l'exis- tence, à la fin du douzième siècle, du verbe français lovergier, correspondant à lubricare, comme favergier (variante de forger) correspond afabricarc2: on remar- quera que dans le simple comme dans le composé Vu

1. Page 252, art. éculorger.

2. Cf. le nom de lieu Pontfaveiger (Marne), primitivement Pont- favergié, en latin Pontein Fabricatum, et la note de M. Fœrster sur Chrétien de Troyes, Cligèsj 4079.

L0VERG1ER, LORGIER, LURGIER 295

latin est rendu par o, ce qui nous force à admettre la prononciation vulgaire *liïbricare à côté de la pronon- ciation classique hïbricare.

Depuis longtemps les lexicographes comtois ont signalé dans les patois actuels de la Franche-Comté un verbe dont la prononciation flotte entre lourgier, leur- gier, lergier, lucher, et ils y ont presque tous reconnu le latin lubricare ' . Je n'ai pas assez de matériaux pour faire la critique des formes comtoises et les répartir entre hïbricare et *lûbricare. Ce que je tiens surtout à signaler ici, c'est que le même verbe se retrouve dans une région très éloignée de la Franche-Comté, à savoir en Saintonge, Jônain l'a recueilli, ainsi qu'un de ses dérivés, en ces termes textuels:

Lhurgheoas , glissant : lubricus.

Lleurgber, glisser, malgré soi : 0 lleurdge à matin, le sol est glis- sant, par suite de dégel ou de pluie2.

Jônain a le mérite d'avoir reconnu lubricus comme base de lleurgher : la présence du son //, c'est-à-dire d7 mouillée, à l'initiale implique une forme antérieure lurger qui ne peut s'expliquer que par la prononciation classique de Vu comme voyelle longue dans lubricare. D'après lui, nous aurions encore d'autres représentants saintongeais du même type étymologique dans llugrer

1. Dartois, dans Mém. de l'Acad. de Besançon, année 1850 Poulet, Vocab. du patois de Plancher -les-Mines ; Roussey, Patois de Bournois, p. 192 et 389, etc. M. Grammont n'a trouvé à Dampri- chard que le dérivé lergè « petit traîneau » ; Roussey signale plu- sieurs autres dérivés.

2. Dict. du patois saintong., p. 244.

294 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

« enduire d'un corps gluant, lubricus » et dans l'adjectif correspondant llugrcu. Le même couple existe dans les Deux-Sèvres et dans la Vendée, d'après l'abbé Lalanne ; j'en ignore l'origine, mais je crois que la phonétique s'oppose absolument à ce qu'on songe à le rattacher à lubricus.

LXXIV. MARSIA

Nizier du Puitspelu enregistre le subst. fém. marsia « averse, ondée de courte durée ». Cochard écrit niercia et donne cette forme comme usitée à Condrieu : sur quoi N. du P. déclare que la forme de Condrieu « met à néant toute étymologie qui serait tirée de mars, averse du mois de mars, a ne passant pas à e ». Pour lui, il estime que mercia ou marsia vient du participe mersus avec un suffixe -ta « par analogie avec les mots en -ata précédés de yotte: cruèzja, pissia, viria ». Voila qui est bien compliqué. Le type lat. vulgaire *martiata, dérivé de martius « mars » est pourtant attesté par le prov. mod. marsado et le dauph. marsa, que Mistral enregistre au double sens de « durée de mars » et de « giboulée ». Je crois qu'il faut aussi accepter cette étymologie pour le lyonnais. La substitution de cr à ar ne me paraît pas inadmissible dans la phonétique lyon- naise, au moins comme phénomène sporadique. On trouve en effet dans les textes anciens cher, pour char,

i. Dict. ètym. du patois lyonnais, p. 249 et 461.

MEERIL 29$

de carnem\ erbros, pour arbros2, servage, servasina, pour sarvage, sarvasineî, et dans le patois actuel cherri à côté de charri (drap dit charrier), cermilli à côté de çarmilli, pertuis à côté de partus, persayi à côté de par- sayi, etc.

LXXV. MEERIL

Les textes en langue vulgaire écrits en Normandie au treizième siècle offrent fréquemment le terme rural meeril, mer il, aujourd'hui disparu comme nom com- mun, mais encore représenté par le nom de famille fréquent Duméril. Le mot s'applique aux « épis de blé restés dans le champ sur la place l'on avait réuni les gerbes » 4 : un texte latin d'environ 1240 dit textuel- lement: « de unoquoque muslone, le meeril. » Ce muslo bas latin, c'est le meulon actuel, la petite meule de gerbes. On est donc naturellement porté à chercher dans le nom de la meule l'origine de meeril. Je propose d'y voir un dérivé de meta « meule », formé à l'aide du suffixe double -arllis : *metarîle donne aussi réguliè- rement meeril que meta lui-même donne meie, moie en français provincial. J'ai groupé ci-dessus* les quelques mots qui témoignent de la même formation : aveneril,

1. Voy. Rom., XIII, 542, et Mussafia et Gartner, Altfr. Prosale- genden, p. 88, § 24.

2. Rom., XIII, 579, 1. 5 d'en bas. 5. Rom., XIII, 577, § 49, 50 et 51.

4. Godefroy, s. v°.

5. Page 173.

296 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

chaumeril, femeril, fromenteril, orgeril. Ils sont tous rustiques, et meeril ne sera pas déplacé parmi eux.

LUI. MEIRI

On lit dans le Trésor dôu felibrige, à l'ordre alphabé- tique, ces deux notes faites pour surprendre les con- naisseurs du dialecte limousin :

Màiri, plur. lim. de maire; Mèiri, plur. lira, de maire.

Maire, ordinairement abrégé en mai, correspond au français mère et vient comme lui du latin mater. Sous la forme mai, il reste invariable, et sous la forme maire, il doit faire mairei dans toutes les variétés linguistiques des trois départements de la Haute-Vienne, de la Cor- rèze et de la Creuse, départements qui correspondent à l'ancien terme géographique de Limousin entendu au sens large. Les prétendus pluriels enregistrés par Mistral n'existent pas, je crois pouvoir m'en porter garant ' ; mais d'où l'illustre auteur du Trésor peut-il les avoir tirés ? Voici la source de son erreur, si je ne m'abuse moi-même.

Dans le Dictionnaire du patois du Bas-Limousin, paru à Tulle en 1823, se trouve l'article suivant, à l'avocat Vialle, éditeur et continuateur de Béronie :

Me-ïri, s. f. C'est le nom qu'on donne aux brebis qui ont déjà

1. Il se peut que dans certaines régions la désinence -ei du pluriel mairei se rapproche tellement d'un son simple qu'elle donne l'illusion phonétique d'un i ; en tout cas, mèiri n'existe nulle part comme pluriel de maire.

porté: A-i vin mei-ri et quatre onïelas, de mes brebis, vingt ont porté et les autres quatre n'ont pas porté encore.

Mistral a cru que me-iri était accentué sur la diph- tongue mei et qu'il pouvait s'écrire aussi bien, sinon mieux, par un a que par un e; mais la graphie de Béronie, suivie par Vialle, proteste contre cette manière de voir. Le signe de la brièveté placé sur Yi de la diphtongue a précisément pour but d'indiquer qu'elle ne porte pas l'accent tonique et que me-ïri est oxyton, tout comme fle-ïra (flairer), me-ita (moitié), pe-ïri (parrain), etc.

Les choses étant ainsi remises au point, il est facile de trouver Pétymologie de ce substantif nie-ïri: ce n'est pas mater, mais c'est matrix (sous la forme de l'accu- satif matrîcetn, cela va sans dire), que Varron et Colu- melle employaient exactement dans le même sens les paysans des environs de Tulle emploient aujour- d'hui la forme me-ïri.

L'occasion me paraît bonne de faire remarquer que l'article matrix du Lat.-rom. Wœrterbuch de Kôrting est incomplet, car il ne cite aucune forme romane populaire autre que le sarde madrighe. Il est notoire cependant que, dans le sens de « matrice, organe géni- tal », le provençal ancien dit mairit^ (encore usité en Gascogne) et le français ancien marri?. Ce dernier n'a disparu qu'à une époque relativement récente de la langue commune, il avait fini par prendre la forme amarri, qu'on trouve dans Robert Estienne (dès la première édition, 1539), dans Nicot, dans Cotgrave, dans Oudin et jusque dans Ménage, qui en a parfai-

298 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

tement vu l'étymologie ' : Va initial n'est autre que Va final de l'article féminin la, et amarri doit être joint aux nombreux exemples d'agglutination analogue que j'ai eu occasion de citer ailleurs2.

(Revue des parler s pop., année 1903, p. 176; cf. Bull, de la Soc. de ling. de Paris, séance du 22 nov. 1902.)

LXXVII. NAR

Les auteurs du Dictionnaire du patois normand en usage dans le département de l'Eure ont recueilli la locution adverbiale « monter à cheval à nar » qui signifie « monter à poil ou à nu, c'est-à-dire sans selle ni cou- verture ». Voici comment ils prétendent en rendre raison : « Cette expression est d'origine germanique ; nous la devons à l'invasion Scandinave. On peut l'ex- pliquer en effet en la rapprochant du mot allemand nahe et du mot anglais near, qui signifient tous deux près, de près. Monter un cheval à poil, c'est s'en tenir le plus près possible, c'est le serrer de près. »

Je vois les choses d'un tout autre point de vue. L'ancien français possède un substantif qu'on ne trouve employé qu'au cas régime pluriel, sous la forme ars, laquelle correspond phonétiquement au latin armos>:

1. P. Borel écrit, avec plus de raison, amarris.

2. Mélanges d'étym. franc., p. 9, article ajoux.

3. L'étymologie est de Nicot et a été adoptée par Diez. Littré a proposé de voir dans ars le pluriel de arc, quelques auteurs écri- vant effectivement arcs : mais son idée ne vaut rien, et ce qui le prouve clairement, c'est que le patois messin possède le substantif armon « poitrail du cheval ». Cf. mes Mélanges, p. 19.

NOUEI 299

ce substantif désigne la partie supérieure des membres de devant de quelques animaux et en particulier du cheval. La langue technique actuelle l'a conservé dans deux emplois spéciaux : les vétérinaires disent « saigner un cheval aux ars » et même « aux quatre ars », éten- dant le sens aux membres de derrière; les chasseurs appellent ers (ils écrivent souvent, à tort, erres) les pieds de devant et les épaules de toute bête à quatre pieds ' .

Or, l'ancienne langue employait la locution adver- biale a ars pour signifier « à poil » : Godefroy en cite deux exemples :

Tout a ars en monta, tant fu de cuer ardans, Sour un fauve ronci.

(Mainet, v. 129-130, dans Romania, IV, 323.) Tut a ars li unt fet dous liues chevauchier Ne mes ke d'une chape, k'unt fet suz lui pleier.

(Garnier, Saint-Thomas, 2046-7, éd. Hippeau2.)

Il me paraît évident que la locution normande actuelle « monter à nar » est sortie de « monter en ars » dont on trouvera probablement un jour des exemples dans l'ancienne langue à côté de « monter a ars ».

LXIII. NOUEI

M. Chabaneau voit dans le limousin nouei « nœud » le représentant du type latin nodulus « moyennant une

1 . Voyez le Dict. gênerai aux articles ars, erre et ers.

2. J'emprunte à l'édition Hippeau le vers 2047 que ne donne pas Godefroy et qui est utile pour préciser le sens de a ars.

300 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

forme *noclus, prouvée d'ailleurs par l'italien nocchio ' ». Laissons de côté l'italien nocchio, dont l'origine n'est pas sûre et ne peut en tout cas s'expliquer par l'éty- mologie nodulus2. Si le groupe latin -dul- s'est com- porté dans la prononciation vulgaire comme le groupe -lui-, il a aboutir à -gl- comme ce dernier a abouti à -cl-. Par suite, il n'y a rien à objecter à M. Chaba- neau s'il suppose une série phonétique nôdulus, *nôglus, *nôlh, nouei. Mais il faudrait savoir si la forme actuelle nouei est pour *nôlh ou pour *nôi, ce que l'état phoné- tique du limousin actuel ne permet pas de dire en l'absence de textes médiévaux. J'avoue que la considé- ration du bordelais noi « nœud » me porte à croire que le nouei limousin de nos jours n'a jamais eu de //; et s'écrivait au moyen âge *noi (avec un o fermé), soit un type *nôdium du latin vulgaire dont il faut proba- blement chercher le point de départ dans centinodium et internodiumi . Vo du bordelais semble postuler un ô latin ; mais le limousin reproduit fidèlement Va du latin classique.

(Revue des parler s pop., année 1903, p. 177.)

LXIV. NUITRE

Parmi les animaux monstrueux contre lesquels a à lutter l'armée d'Alexandre le Grand, dans un épisode

1. Granwi. limousine, p. 76; cf. les additions, p. 3 56, le saintongeais nouclu « noueux » est invoqué à l'appui de l'existence du type latin *noclus.

2. Voyez Kôrting, n°s 5300 et 6600.

3. Sur l'extension du suffixe -ium, voyez mes Essais, p. 85 et s.

NUIT RE 301

curieux du roman français de Lambert le Tort, il y en a deux dont les noms se trouvent réunis dans le pre- mier hémistiche d'un vers alexandrin (c'est le cas, ou jamais, d'employer l'expression de vers alexandrin) qui se lit ainsi dans l'édition publiée en 1846 par Miche- lant, p. 286 :

Li caon et les mates, qui iscent dou costal.

Il n'y a pas lieu de s'appesantir sur le premier de ces noms. Je ne sais d'où est venue à Michelant l'idée étrange de traduire caon par « cancre ». J'ai comparé les leçons des 15 manuscrits de la Bibliothèque natio- nale et de la Bibliothèque de l'Asenal : 5 donnent coan, 3, cboan, 1, chouan, 1, choant, i,couant, 1, caon, 1, canor, 1, thoon, 1, hua. Il s'agit sûrement de l'oiseau de nuit qu'on appelle encore chouan, chavan, chavon, chaon, etc., dans nos provinces de l'Ouest, c'est-à-dire du hibou. Ce nom, quelle que soit son origine antérieure, figure déjà sous la forme latinisée cavannus dans les Inslruc- tiones de Pévêque de Lyon Eucherius (saint Eucher), mort en 450, et dans des textes un peu postérieurs1.

1. Les textes sont groupés dans Holder, Altceltiscber Sprach- sebat-, s. v°. C'est par distraction que cavannus est marqué d'un astérisque, comme si c'était une forme hypothétique, dans le Lalein- rom. U'orterbuch de M. Kôrting, 2e édit., 2039. On considère ordinairement le français chat-buant comme une altération de chouan due à une étvmologie populaire, mais sans grande raison. Dans chat-buant il y a huant, participe pris adjectivement du verbe huer, par lequel on exprime le cri du hibou, et chat, désignation appli- quée au hibou, non seulement parce que cet oiseau fait la chasse aux souris, mais parce que sa tète, surmontée d'aigrettes qui simulent des oreilles, rappelle celle du chat (Rolland, Faune popu- laire, II, 51).

302 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Michelant n'a guère été plus heureux avec le second des animaux mentionnés par Lambert le Tort ; mais il faut avouer qu'ici l'identification offrait de plus sérieuses difficultés. Voici les leçons, extraordinairement diver- gentes, des 15 manuscrits visés plus haut:

les guivres (franc. 368, 790, 24365);

les grues (franc. 1635, 15094, 25517);

li vautor (franc. 789) ;

les mutes (franc. 786) ;

les mitres (franc. 791);

les nutres, peut-être mitres (Arsenal, 3472);

les muystres (franc. 787);

li murdre (franc. 792) ;

li mutre (franc. 375);

li mitres (franc. 1375);

limmitre (franc. 24366);

li mis très (franc. 15095).

Michelant a traduit par « gros rats, surmulots » ; cette traduction est reproduite par Godefroy, qui se contente de donner la leçon les mutes de l'édition Miche- lant ; elle est certainement erronée. L'auteur du roman d'Alexandre a bien entendu désigner par ce mot énig- matique des oiseaux analogues aux hiboux, car dans le développement qui suit, li choan sont seuls expressé- ment nommés, ce qui porte à croire que ce qui est dit des uns doit valoir pour les autres. A priori, il est vraisemblable que si le poète a employé deux mots, c'est qu'il voulait embrasser les deux variétés d'oiseaux de nuit que le peuple distingue ordinairement, encore aujourd'hui: d'une part, les oiseaux à aigrettes; de

NUITRE 303

l'autre, les oiseaux sans aigrettes. Nous traduirons exac- tement sa pensée en disant : les hiboux et les chouettes.

En présence d'un mot qui leur était inconnu, beau- coup de scribes ont altéré arbitrairement le texte qu'ils avaient sous les yeux et y ont introduit, qui des guivres (vipères), qui des grues, qui des vautours. Rien de tout cela ne saurait convenir. La vraie leçon se cache sous les autres graphies, en apparence inintelligibles, que nous avons énumérées plus haut. Je crois qu'il faut lire : les nuitres.

C'est en vain qu'on chercherait le substantif féminin nuitre dans l'énorme dictionnaire de l'ancienne langue française que nous devons à la patience admirable de Frédéric Godefroy, dictionnaire dans lequel il y a cependant moins de lacunes que de définitions défec- tueuses. Si je n'avais pour y réclamer l'inscription du mot nuitre que ce passage du roman d'Alexandre, on pourrait trouver ma requête téméraire et m'objecter que les dictionnaires ne doivent pas se fonder sur les conjectures de la critique verbale. Mais j'ai mieux que cela. Le hasard m'a fait rencontrer la phrase suivante dans le dictionnaire de Littré, à l'historique du mot auvent : « Faiz sui ansint comme la nuitre en l'auvent de la meson ». Littré a tiré ce passage d'un manuscrit de la Bibliothèque Mazarine, 528, 120; ce ma- nuscrit est un psautier de la fin du treizième siècle, et le texte français est la traduction du verset 7 du psaume 10 1 : « Factus sum sicut nycticorax in domi- cilio '. »

1 . Voir sur ce manuscrit Samuel Berger, La Bible française au

304 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Il est clair que nuitre se rattache au latin noctua « chouette » ; mais de quelle façon ? Phonétiquement, noctua a pu se réduire à *nocta, comme fatua à *fata : de *nocta, le français aurait fait nuite, et il est possible que cette forme ait réellement existé et soit représentée par la leçon mutes de notre manuscrit 786. En tout cas. noctua, *nocta survit aujourd'hui dans le provençal nuecho « engoulevent », mot enregistré par Mistral et que M. Rolland signale comme particulièrement usité dans la région de Toulon ' . A côté de noctua, le latin vulgaire a créé un nouveau mot avec le suffixe -ulits, à savoir *noctula. Bien que ce mot n'ait pas été relevé dans les textes antiques, il est trop clairement attesté par l'italien nottola et par des formes variées de nos patois méridionaux, dont on trouvera la liste soit dans Mistral à l'article nichoulo, soit dans Rolland, Faune pop., II, 41, pour qu'on puisse douter de son existence. L'ancien français nuitre représente régulièrement *noc- tula, comme chartre, forme secondaire de charte, repré- sente cbartula2.

(Me'm. de la Soc. de ling. de Paris, t. XII, p. 249-251.)

moyen âge, p. 71 ; on y trouve précisément la phrase citée par Littré, mais sans aucune remarque.

1. Faune popul., II, 328.

2. A l'article noctua, Kôrting ne mentionne que l'italien nottola. M. Meyer-Lùbke suppose que 17 de l'italien et du provençal est due à une épenthèse (firatnm. des lang. rorn., trad. franc., I, p. 45 1). M. l'abbé Devaux a fort bien expliqué, à mon sens, le dauphinois nyètola en le rapportant au type latin "noctula {Langue vulg. du Dauphiné sept., p. 218) ; il n'y a aucune raison sérieuse pour ne pas tirer également de *twctula l'italien nottota et l'ancien français nuitre.

OLEGUÊ 30$

LXXX. OLEGUE

J'ai signalé, il y a une dizaine d'années', le sub- stantif provençal olegue, qui se lit dans la traduction versifiée de la Chirurgie de Roger de Salerne, dont l'u- nique manuscrit est conservé à la bibliothèque de l'Université de Bologne. Je demande la permission de citer au long tout le chapitre du manuscrit, lequel a pour rubrique, sauf votre respect, de difficultate mingenài, et va du vers 1508 au vers 15 15 :

Vist ai naffrat tormen et pena gran soffrir Q.uar non podia leu pissar a son désir : Dels olegues razis e foilles fai collir, E prin de cenres, et ensems fai o bolir ; Et en un lare saquet l'em fai emplastre bon E sus su penchenil lo mit tota sazon. Bons es l'emplastres e ben faitz segon razon, Sitôt si bast de causes vils et si compon.

Ni le Parnasse occitanien ni le Lexique roman ne con- naissent ce mot olegue. Je l'ai traduit par « ièble », non seulement parce que Mistral signale ôulegue e* oulegue comme ayant actuellement ce sens dans cer- taines parties du Midi, mais parce que le texte latin de Roger m'indiquait cette traduction. Voici la formule latine de la récepte : « Recipe cinerem foliorum et radices ebuli, et ipsum cinerem et ebulum diu bullire facias2 ».

1. Annales du Midi, V, 114 (année 1893).

2. Édition de 1546 dans De Renzi, Colleclio Salernitana, II, 487. Les manuscrits que j'ai vus (Florence, Bibl. naz., J. 10. 16 ; Paris

Thomas. II. 20

J06 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Mistral a réuni à l'article èule les nombreuses variantes du nom de Pièble dans le Midi de la France, dont un simple détachement se trouve à l'article ôukgue. Les voici dans l'ordre il les donne et avec les indications de provenance qu'il fournit : i èule, 2 ôukgue (dauph.), 3 êugue, 4 ègo, 5 ugle, 6 ugues (rh.), 7 ôugue, 8 orgue, 9 ogue (alp., mars.), 10 èble, 1 1 èbo, 12 èbouls, 13 èbous, 14 èvous, 15 eusses, 16 èufe, 17 èufo (langued.), 18 gèule, 19 gèu (gasc), 20 TJou (lim.). A l'article ôulegue, la forme indiquée pour le dauphinois est oulegue et non ôulegue, de sorte que cela fait 21 variantes distinctes. On pourrait facilement augmenter ce chiffre en s'a- dressant à M. E. Rolland, le vaillant et obligeant auteur de la Flore populaire, qui communique volontiers ses matériaux manuscrits; j'ai vu ces matériaux, ce dont je le remercie, mais je n'en veux point encombrer le lecteur. J'en retiens seulement que la forme même que j'ai trouvée au commencement du treizième siècle, à savoir olegue, est exactement celle que signale l'abbé Moutier', comme usuelle encore aujourd'hui dans le moyen Dauphiné.

Le rapport des formes qui portent les numéros 1, 10, 11, 12, 13, 18, 19 et 20 avec ebulus (ou ebulum) saute aux veux et n'est pas discutable ; la forme 4 (ègo) répond à èbo, comme ègou, que ne donne pas Mistral, mais qui est dans l'abbé de Sauvages et ailleurs, répond

Bibl. nat., lat. 7035 et 7040) ont des variantes sans importance pour le but que je me propose; dans les gloses des quatre maîtres (De Renzi, II, 569) on lit radicis, qui paraît préférable à radiées. 1 . Petit glossaire patois des végétaux du Dauplrinê dans le Bull, de la Soc. dép. d'archéologie de la Drame, année 1889.

OLEGUE 307

à èbous et évous : son g peut légitimement remonter au b de ebidum ' . Je veux bien accorder encore que les formes 3, 15, 16 et 17, malgré l'étrangeté de leurs désinences qui sont sans rapports visibles avec celle de ebulum, puissent représenter, dans leur première syllabe, le thème ebu- affublé, à une date récente, d'une queue postiche ; mais que penser des autres, à savoir olegue, oulegue, ôulegue, bugne, orgue, ogue, ugue, ugle ?

Je crois que la forme dauphinoise olegue représente le type le plus rapproché de la forme primitive du mot en provençal et que cette forme primitive devait être proparoxytonique : le dauphinois a conservé les trois syllabes en déplaçant l'accent tonique, tandis que les autres dialectes ont laissé tomber la syllabe placée immédiatement après la syllabe primitivement accen- tuée pour ne conserver que la finale.

Parmi les formes actuelles apparentées étroitement à olegue, il faut faire une place au lyonnais ugo, sur lequel Nizier de Puitspelu s'est longuement appesanti et qu'il s'est efforcé d'expliquer par le latin ebulum2. Cette laborieuse explication (icbol, ievol, iegwol, iegol, ugo) me paraît difficilement inacceptable. Au contraire, en partant d'une forme *ol(e)go, analogue à celle du dauphinois, avec Vo final caractéristique du lyonnais, on arrive naturellement à *ougo, dont la transformation

1 . Cf. la transformation du nom de lieu médiéval Vinovol (que j'explique par un type latin *Vineobu\um) en Vignognoul, nom actuel d'un hameau de l'Hérault (Essais, p. 397), et la coexistence de massibk, massigoul comme nom vulgaire de l'ellébore.

2. Dict. étym. du patois lyonnais, p. 458, article Huguo ; cf. ibid., p. 467.

}08 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

en ugo, quoique surprenante, n'est pas invraisem- blable'.

En résumé, pour trouver l'étymologie, il faut partir de olegue et ne pas oublier que cette forme olegue figure dans un texte du commencement du treizième siècle écrit sur les rives du Rhône inférieur. Dans ces con- ditions, je défie le phonétiste le plus subtil de persuader un homme raisonnable que ebulum a pu se transformer en olegue. Il faut chercher autre chose.

On sait que le médecin Marcellus (alias Marcellus Empiricus), qui écrivait à Bordeaux au commencement du cinquième siècle, nous a conservé treize noms gau- lois de plantes qui ont souvent exercé la sagacité des linguistes2. L'ièble a la bonne fortune de figurer dans le nombre : « Herba quae graece acte, latine ebu- lum, gallice odocos dicitur*. »

Ce n'est pas un témoignage isolé. Les glossaires de botanique qui ont été laborieusement colligés par M. Gœtz dans le tome III de son inappréciable Corpus glossarum latinarum, nous offrent à satiété un mot étrange qui glose toujours le latin ebulum et qui affecte des formes assez diverses. Voici les gloses qui nous intéressent, dans l'ordre même elles figurent dans ce tome III :

i . Cf. des formes lyonnaises comme tira, vent, du latin aura.

2. Ils ont été groupés en dernier lieu, mais non étudiés, par M. Chabert dans sa thèse de doctorat De latinilate Marcelli in Ubro de medicamentis (Paris, 1897), p. 24-25. Il faut toujours s'en référer A un mémoire de J. Grimm (Kleiue Schriften, II, 114 et s.), qui rapproche odocos de l'allemand atticb, lequel a exactemennt le même sens.

3. Liber de Medicamentis, IV, 13, éd. Helmreich, p. 54.

OLEGUE 509

acte, id est ebuli, id est educu (III, 536, 1); odico, ebolo vel camoacris [= chamaeacte] (III, 548, 31); ebucone, id est ebolus (III, 561, 29) ; ebulus, id est odicus (III, 562, 67) ; odicos, id est ebulos (III, 571, 46);

odicus, id est ebolus vel camoactus (III, 585, 11);

ebulus, id est odecus (III, 590, 30) ;

odecus, id est ebulus (III, 593, 42);

ebolus, id est odecus (III, 611, 54);

odecus, id est euolus (III, 615, 27) ;

ebolus, id est odicus (III, 623, 69) ;

odicus, id est euolus (III, 627, 29) ;

odico, euolo (III, 632, 40).

On ne saurait douter que odecus, odicus ne soit l'an- cien gaulois odocos; ne faut-il pas voir dans educu et dans ebucone des formes hybrides nées du mélange du latin ebulum et du gaulois odocos ? La forme educu est particulièrement précieuse en ce qu'elle permet enfin de rendre raison de l'espagnol yedgo ou yeçgo et du portugais engo. A côté de ebucone, on peut légitimement supposer *ebucus, qui explique bien le provençal moderne èugue. Quant à l'ancien olegue et aux formes modernes qui en sont issues, je ne leur vois guère d'autre ancêtre possible que *olicus ou *olecus. Il ne me paraît pas pro- bable que ce soit 17 du latin ebulum qui se soit intro- duite à la place du d de odicus ; j'attribuerai plutôt la naissance de *olicus à une contamination du verbe latin okre, que sa position vis-à-vis du substantif odor semble prédestiner à un pareil rôle'.

1. M. l'abbé Devaux a réuni, à ma demande, les éléments d'un petit mémoire sur les noms de l'ièble dans la région dauphinoise ; j'espère que ce travail sera prochainement publié. Je note en pas- sant que la plante appelée eboric par Daudé de Pradas n'est cer- tainement pas l'ièble, comme l'a cru Raynouard ; d'après la des-

JIO RECHERCHES ETYMOLOGIQUES

LXXXI. OLONIER

Littré enregistre olonier comme signifiant « espèce d'arbousier », sans aucune remarque". Les ouvrages de botanique et les grandes encyclopédies donnent généralement olonier comme synonyme de arbousier. Le mot est dans Cotgrave, avec la graphie aulonnier et un commentaire qui vient sûrement d'Olivier de Serres : on peut voir le texte de ce dernier dans Godefroy. a puisé Olivier de Serres ? Je l'ignore. Grâce à M. le Dr Dorveaux, j'ai eu sous les yeux un livre rare, publié à Poitiers en 1628 et intitulé : Les Œuvres de laques et Paul Contant père et fils maistres apoticaires de la ville de Poictiers. A la fin de ce recueil se trouve une Synopsis Plantarum du fils Contant, on lit, à la page 16: « Arbutus Comarum, gall. Arbousier. Epimelis Galeno perperam. Olonnois. » Olonnois est une variante inté- ressante de aulonier, olonier. Le mot ne paraît se trouver aujourd'hui qu'en Saintonge et plus particulièrement dans la région de Royan, Jônain a relevé olone, arbouse, et olonier, arbousier.

En pénétrant dans le domaine de la langue d'oc on trouve ledouney, arbousier, à Arcachon, et auledoun ou auleroun à Labouheyre (Landes2). Mistral enregistre,

cription, mon collègue M. Matruchot, professeur de botanique, conjecture qu'il s'agit de la Scrophularia aquatica.

1. Une faute d'impression le fait qualifier ce mot de s. f. au lieu de s. m.

2. Communications de M. E. Rolland, qui me signale aussi ledonnier dans le commentaire de Duchesne (L. à Ouercu) sur le traité DeStirpibus de Ruellius (1544).

OSTADE } 1 1

comme particulier à la Guienne : ledounat, boisson d'arbouse ; ledounei, ledonnès, arbousier, et ledouno, arbouse.

Tous ces mots doivent remonter, malgré leur dis- semblance, au latin unedo, synonyme de arbutus, arbou- sier ' . Forcellini indique la quantité ûnèdônis ; mais comme le mot ne figure que dans des textes en prose (Pline et glossaires), cela ne tire pas à conséquence, pas plus que l'étymologie donnée par Pline, qui décom- pose le mot en ilnus -\- edere. En supposant ùnedônis, nous expliquons facilement le landais auledoun ; le ren- forcement de la voyelle initiale en au se produit sou- vent et la dissimilation de n-n en l-n est normale. Que de ùnedône on ait tiré une forme féminine ûnedôna, cela ne peut surprendre si l'on songe aux formes pro- vençales Carcassona et Narbona tirées du latin Carcas- sone et Narbone. L'aphérèse de l'initiale dans ledouno n'est pas non plus sans exemple. Enfin, pour arriver à olone, je crois qu'il faut supposer une métathèse et partir de *ùdenôna, d'où *odlone2.

LXXXII. OSTADE i Vostade est une étoffe de laine que l'on trouve fré-

i. Mistral a rapproché ledounei du catalan lladoner, micocoulier ; mais je ne considère pas ce rapprochement comme fondé.

2. Il y a lieu d'instituer un article unedo dans Kôrting, non seu- lement à cause des mots que je viens d'étudier, mais à cause du sarde qui dit olidone, olidoni, olioni, ulioni et lidone (communication de M. E. Rolland).

3. Édition remaniée et complétée d'un article paru dans mes Essais, p. 342.

JI2 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

quemment mentionnée dans les textes depuis la fin du quatorzième jusqu'à la fin du seizième siècle; elle figure même encore dans les statuts des Merciers de Paris de janvier 1613 'et dans le Tarif général de 1664 2. Je ne sais pourquoi Littré, si hospitalier d'ordinaire, a omis ce vieux mot qui figure encore dans la dernière édition de Trévoux'.

Godefroy a un article ostade assez bien fourni ; tou- tefois il est fâcheux qu'il n'ait pas incorporé dans ses citations quelques exemples insérés par Carpentier dans le Glossarium de Du Cange, car son plus ancien texte ne date que de 1469, tandis que Carpentier en a pro- duit de 1395, 1425, 1457, etc4.

Une étymologie a été avancée, avec beaucoup d'assu- rance, par Hécart dans son Vocabulaire rouchi-français , on lit (3e éd., 1834): « Ce nom lui venait d'un habitant d'Anvers, son inventeur, nommé Van Ostade, nom rendu fameux par un peintre de la même ville, dans le genre des bambochades. » Cette étymologie est de pure fantaisie. Ce n'est pas dans les Pays-Bas, mais en Angleterre qu'il faut chercher l'origine de

1. R. de Lespinasse, Métiers et corporations de la ville de Paris, II, 272.

2. Cité par Godefroy et par Savary des Bruslons.

3. Furetière a admis le mot avec une citation d'Henri Estienne et cette définition vague : « espèce d'étoffe ancienne. » Savary des Bruslons, dans son Dict. du Commerce (1723), dit avec plus de pré- cision : « étoffe toute de laine dont l'usage s'est entièrement perdu. »

4. Articles meia-hosteda et ostade. Les Bénédictins ont aussi relevé un exemple de hostade çn 141 2 ; mais il n'est pas sûr qu'il s'agisse du même mot,

OSTADE 313

Yostade. Carpentier l'a entrevu quand il a rapproché le mot français de l'anglais voosted (sic) ; mais il a pris le contrepied de la vérité en supposant que l'anglais venait du français. Il était probablement guidé par Cotgrave qui traduit effectivement ostade par « The Stuffe Worsted or Woosted. » Nous sommes bien fixés sur l'origine du mot anglais, qui est déjà employé par Chaucer : c'est le nom même d'un gros bourg du comté de Norfolk, écrit autrefois Wcrsted, aujourd'hui Wors- tead'. Les étoffes de Worsted pénétraient en France, dès le quatorzième siècle, soit par Calais, soit par Bor- deaux : en 1364 les marchands de Lyon obtinrent l'au- torisation d'en introduire par Calais2; en 1377, les Bordelais, qui amenaient du vin en Angleterre, furent autorisés à charger au retour différentes sortes de mar- chandises parmi lesquelles figurent des lits d'étoffe dite worsted 1. Le mot a être d'abord francisé et gasco- nisé en ostede: je trouve précisément dans le Diction- naire béarnais de Lespy et Raymond l'exemple suivant, malheureusement non daté: « Ung jupon de miey os- tede » ; la forme primitive surnage encore dans un texte latin méridional de 15 16 cité par Carpentier: « una pecia de meia hosteda. »

Il est curieux que ostede ait été transformé en ostade : la cause en est évidemment dans l'abondance des mots

1. Voyez Skeat, Etym. Dict. of the Englisb Language, s. ; l'auteur ne semble pas connaître le français ostade.

2. F. Michel, Hist. du commerce de Bordeaux, I, 288.

3. Ib., p. 253. Ni ici, ni dans le passage visé par la note pré- cédente, F. Michel n'a songé à rapprocher l'anglais ivorsled du français ostade.

} 14 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

en -ade que possède le gascon comme les autres variétés du provençal. L'assimilation a paru si complète que nos voisins d'outre les Alpes s'y sont trompés et que pour bien montrer qu'ils parlaient mieux que nous, ils ont latinisé à fond le nom de cette étoffe et l'ont appelée ostata ' . Nous voilà loin de Worsted ; mais il n'y a pas d'erreur possible sur la route.

LXXXIII. OUTJABO

L'abbé Vayssier enregistre, dans son Dictionnaire patois-français de l'Aveyron, un substantif féminin oût- jabo, qui désigne, paraît-il, « le milieu du jour en été, temps pendant lequel les troupeaux restent enfermés 2. » Il en donne même l'étymologie : « latin adjutabile, secourable, parce que les bergers aident les autres domestiques ». Cette étymologie n'est pas de lui, mais de l'abbé Jonquet : on sent que l'auteur du Dictionnaire de l'Aveyron a mieux aimé compromettre un ami que de se compromettre lui-même.

Mistral a rapproché dubitativement oûtjabo de auiago, mot qui, à Azilhanet, signifie « halle couverte, auvent » : les deux mots n'ont aucun rapport ni pour le sens ni pour la forme.

Je crois que nous avons affaire dans le mot rouergat au latin octava qui s'employait substantivement pour

i. Cf. Antoine Oudin, Rcch. ilal. et franc. (2e éd., 1653): « Ostata, ostade, sorte d'estoffe. »

2. Le mot a passé de dans le Trésor de Mistral, il est écrit outjabo ; il faudrait ôuljabo, car l'orthographe des félibres rend par au la diphtongue de l'abbé Vayssier.

PAHADER (SE) J*j

désigner la huitième heure du jour, c'est-à-dire, d'après la correspondance du système romain et du nôtre, deux heures de l'après-midi '.. Le groupe latin et donne nais- sance au son eh, prononcé tch, dans une partie du Rouergue : l'abbé Vayssier donne uech et yoch, de oeto; nuech, nech, nioch, de noctem, etc. S'il écrit tj dans le mot oûtjabo, c'est probablement pour faire plaisir à l'abbé Jonquet.

Le renforcement en diphtongue de Vo latin est cu- rieux. On le trouve surtout dans les mots de formation savante ou qui n'appartiennent pas à la couche la plus ancienne de la langue : oftbelou « houblon », oùdou « odeur », oiïfenso « offense », oùmeleto « omelette », etc. Mais il n'est pas sans exemples dans le vocabulaire populaire : oùgôn, anc. prov. ogan, anc. franc, oan « cette année », oùbc, anc. prov. obe « oui bien », oûralho, ouriexro, anc. franc, oraille, oriere « bord ». Je puise uniquement dans le Dictionnaire de l'abbé Vayssier; en s'adressant à Mistral, on n'aurait pas de peine à trouver d'autres exemples.

(Cf. Annales du Midi, XV, 69.)

LXXXIV. PANADER (SE) Le verbe se panader, employé par La Fontaine,

1 . Nona s'est conserve dans le gascon auranoa, auranoar « goû- ter » (voyez mes Essais, p. 65). On remarquera que l'anc. franc. none signifie « midi », sens conservé dans différents patois et dans l'anglais noon ; pour les Romains, nona était la division du jour qui commençait à trois heures. Les patois méridionaux sont restés plus fidèles à la tradition romaine que ceux du Nord.

}l6 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Mme de Sévigné et Saint-Simon au sens de « se pava- ner », n'est plus guère usité aujourd'hui, bien que le dictionnaire de l'Académie le conserve encore. A l'o- rigine, il ne prenait pas le pronom personnel et il s'é- crivait pennader. Il est bien certain que ce verbe n'a rien à voir avec le mot paon, quoi qu'en pense Scheler. Littré a raison de tirer panader de l'ancien substantif pennade ; mais faut-il croire avec lui que pennade signifie proprement « un coup d'aile » et vient du latin penna ? Les nombreux exemples réunis par Godefroy à l'ar- ùdepenade mettent hors de doute sa définition : « saut, ruade, cabriole d'un cheval, voltige. » Je crois que le mot pennade, qui n'apparaît en français que sous le règne de Charles VII, est un substantif participial d'un verbe provençal, que nous ne connaissons pas sous sa forme médiévale, mais dont l'existence est cautionnée par celle du composé repetnar ' et par le témoignage de dif- férents patois actuels qui emploient penna au sens de « regimber, ruer2 », sans parler du dérivé penneja, peneja « piétiner, piaffer ». Penna vient du latin vul- gaire *pedinare, tiré de pes, pedis.

LXXXV. - PENESSE Contejean a relevé dans le patois de Montbéliard le

i. Cf. la notice que j'ai consacrée à repetnar et à l'anc. franc. repenner dans mes Mélanges, p. 127; je ne songeais pas alors au verbe français se panader.

2. Mistral n'indique que le gascon penna, avec la variante bor- delaise pinna ; mais penna figure dans le Dictionnaire patois-français de l'Aveyron de l'abbé Vayssier et j'ai constaté moi-même son exis- tence dans le patois de Gentioux (Creuse).

PLON 317

substantif féminin penesse « excrément de poule » : il rapproche dubitativement ce mot de « l'ancien français pênes, plumes ». On ne comprend vraiment pas ce que les plumes viennent faire ici ; les poules feraient mieux l'affaire. Il ne me paraît pas trop téméraire de supposer que la forme archaïque de penesse a être *polinasse, et correspondre au provençal moderne poulinasso, qui a précisément le même sens1. La désinence ne fait pas difficulté : -esse du patois de Montbéliard est équivalent à -asso du provençal. Quant au thème, l'affaiblissement de 0 protpnique en e n'est pas rare (Contejean enre- gistre denaiyour donner, enquemencie pour commencer, etc.) et le changement de Yi long en e se produit même à la tonique (galïna est rendu par dgelene, et *junïcia par dgenessè). Le type *pullînacia serait représenté réguliè- rement par *pelenesse ou même (en le supposant soumis à la loi de Darmesteter) par *pelnesse ; la disparition de VI n'est pas assez extraordinaire pour infirmer l'éty- mologie : comparez le forézien punassi « excrément des poules, des dindons, etc. ».

LXXXVI. PLON

Les ouvrages qui traitent spécialement de la flore française et les grandes encyclopédies enregistrent le

1 . Mistral mentionne dans le même sens l'ancien français poul- née, que je n'ai pas rencontré ; en tout cas le patois picard possède actuellement poulenèe (Corblet) qui remonte à un type latin *pnl- linata. Le wallon dit polène, de pullina (Grandgagnage). Littré enregistre dans son supplément poulne'e « fiente de volailles servant d'engrais dans l'Oise ».

3 18 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

mot pion comme nom vulgaire de l'osier. M. Thibault l'a recueilli dans le Blaisois, ainsi que son dérivé plo- niêre « oseraie » et « pied d'osier ». Il écrit inten- tionnellement pelon, pelonnière pour justifier une éty- mologie préconçue; pour lui, ces mots viennent du verbe peler « parce que les brins se pèlent facilement et sont employés pelés par la vannerie ' » . Mais il suffit de remarquer que les anciens textes qu'il cite lui-même écrivent plaon, pion, pionnière et plonnoye pour douter du bien fondé de cette opinion. Ce n'est pas à peler,. mais à plier que se rattachent ces mots ; on en sera tout à fait convaincu si l'on veut bien jeter un coup d'œil sur l'article ploion de Godefroy. On y constatera que dès le douzième siècle ploion s'applique aux pousses flexibles de la vigne et on y remarquera un exemple de piton en 1328 qui s'applique certainement à l'osier. La majorité des patois actuels emploie les formes ploion, pleion, plion influencées par le verbe ployer, plier. Il est remarquable de trouver en Blaisois une forme non con- taminée, contraction de l'ancienne forme piton qui paraît remonter directement à un type du latin vulgaire *pli- contm, type dans lequel le c suivi d'un 0 devait dispa- raître sans dégager d'i.

LXXXVII. PORCHA1LLE

Le pourpier, que les botanistes nomment Portulaca oleracea L., s'appelle porchailli dans le lyonnais etpour-

Closs. du patois Blaisois, p. 154.

PORCHAILLE 319

cholho dans le Dauphiné ; c'est de cette région du Sud- Est que proviennent la plupart des exemples de la forme francisée porchaille, pourchaille qu'on peut lire dans Godefroy ' .

Nizierdu Puitspelu ne distingue pas au point de vue étymologique porchailli « pourpier » de porchailli « char- cuterie » ; pour lui, c'est toujours porc combiné avec le suffixe collectif -ailli. Sans doute, il y a du porc de part et d'autre, et c'est parce que les porcs sont friands de pourpier (ou passent pour l'être) que les Romains ont appelé cette plante porcilaca (au lieu de portulaca) ; mais si -ailli est collectif dans porchailli « charcute- rie », qui correspond à un type latin *porcalia, il n'a ni la môme valeur, ni la même origine dans porchailli « pourpier ». Le lyonnais et le dauphinois correspon- dent très exactement à l'italien porcacchia2, qui a le même sens, et ils viennent comme lui du latin vulgaire porcacla, que nous trouvons à maintes reprises dans les vieilles gloses botaniques 3. Porcacla est sorti par une curieuse métathèse de *porclaca, forme qui ne se ren- contre pas dans les textes 4, mais qu'il faut de toute

1. Le premier est tiré de la traduction du De honesla Voluptate de Platina par Desdier Cristol, dont l'édition princeps est de 1505. Cristol était probablement languedocien, mais il se borne à dire : « aucuns l'appellent porchaille. » J. Thierry a inséré pourchaille dans l'édition de 1564 du Dictionnaire françois-latin de Robert Estienne et le mot a passé de dans Nicot et dans Cotgrave.

2. Kôrting 7328 donne par erreur porchiacca.

3. Voyez l'art, portulaca du Thésaurus gloss. entend, de Gcetz.

4. M. Meyer-Lùbke a signalé porclaca dans le médecin Theo- dorus Priscianus (Krit. Jahresb., II, 71); mais il y a en réalité porcacla, leçon que l'éditeur, M. V. Rose, rejette d'ailleurs dans les notes et qu'il rapproche, dans son index, de la même leçon

320 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

nécessité supposer entre le latin classique porcilaca ou portulaca et le latin vulgaire porcacla. Que l'on parte de porcilaca ou de portulaca, on arrive également à *porclaca après la chute de la voyelle atone antétonique, puisque t'I s'assimile en cl en latin vulgaire : veclus, viclus, etc., pour vetulus, vitulus, sont dans YAppendix Probi '.Je ne vois pas de raison pour choisir. Les deux formes classiques ont survécu dans la langue demi- savante : à porcilaca se rattache, par changement de suf- fixe, l'ancien français pour cel aine2, et à portulaca, les formes provençales pourtoulago, pourtoulaigo, bourtou- laigo, etc. 3.

LXXXVIII. POUILLER

Plusieurs patois français du Centre et de l'Ouest pos- sèdent le verbe pouiller au sens de « revêtir ». Voici l'indication de quelques-uns d'entre eux :

Brachet, Vocabulaire tourangeau, dans Romania, I, 90 : « Pouiller, se vêtir. » .

Dottin, Gloss. des parler s du Bas-Maine, p. 418 : « Pouyer, revêtir ; se pouyer, se vêtir ; se pouyer dans la piau d'eun aut'. Pouyement, vêtement complet. »

Dottin et Langouët, Gloss. du parler de Pléchdtel (Ille-et- Vilaine),

chez Marcellus, XII, 44, et XX, 39. Le Lexicon de Forcellini-De Vit a relevé porcla et portacla dans la Mulomedicina de Végèce ; ce sont vraisemblablement deux fautes différentes pour porcacla.

1. P. Meyer, Rec, p. 1, 1. 5 et 6.

2. D'où l'anc. haut allem. pur^ela et l'angl. purslatie.

3. La substitution du suffixe -aica au suffixe -aca, ordinaire dans les formes provençales, est déjà attestée par la glose suivante: porlolaica agnasfagne (Gcetz, Corp. gloss., III, 542, 17).

POUILLÉR )ij

p. 141 : « Pouyer, vêtir, mettre un vêtement ; se poayer, s'habiller. Pouyement, habillement. »

E. et A. Duméril, Dict. du patois normand, p. 180: « Pouiller, passer une manche, mettre un habit. »

Favre, Gloss. du Poitou, de la Sainlonge et de VAunis, p. 274 : « Pouiller, mettre un vêlement, vêtir. Onge\ quiare la promère camisole et l'en pouille^, parabole de l'Enfant prodigue en patois saint-maixentais. »

C,e de Montesson, Voc. du Haut-Maine, 3e éd., p. 432 : « Pouil- ler, habiller. »

Thibault, Gloss. du pays blaisois, p. 273 : « Pouiller, vêtir, mettre sur soi : pouiller sa blouse, pouiller ses sabots ».

Les auteurs qui ont recueilli le verbe pouiller n'ont pas vu nettement quelle en était l'étymologie. Les frères Duméril disent: « Ce mot n'est peut-être pas sans rap- port avec le français dépouiller, que l'on fait cependant venir généralement du latin spoliari. » Le comte de Montesson considère le verbe français dépouiller comme un composé de pouiller. M. Thibault voit dans pouiller un dérivé du substantif peau « le vêtement étant com- paré à la peau ».

Pour curieuse que soit la formation de pouiller, elle se laisse pourtant expliquer assez facilement. Il ne faut pas songer à le tirer du latin spoliare, qui aurait donné tspouillier, épouiller ', car la disparition de 17 initial est sans exemple dans cette région. Pouiller est sorti, à une époque relativement récente, par formation régres- sive, de dépouiller. Puisque l'on avait brider à côté de débrider, garnir à côté de dégarnir, et cent autres couples du même genre, on a créé pouiller à côté de dépouiller en lui donnant le sens opposé. Notre ancienne langue

1 . Voyez quelques rares exemples de espoillier dans Godefroy et retranchez-en celui il s'agit de « chercher les poux » , espooillier . Thomas. II. 21

Î22 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

elle-même a obéi à la force créatrice de l'analogie, car sur le modèle de dépouille, dépouiller, elle a formé em- pouille, empouiller, qui ont été longtemps usités comme termes de coutume et qui figurent dans tous nos grands dictionnaires. Déjà, dans le latin vulgaire, on constate des phénomènes de même nature : les lettrés ne con- naissent que recuperare, mais le peuple en tire de bonne heure *cuperare, d'où le provençal, l'espagnol et le por- tugais cobra* « recouvrer ».

LXXXIX. POUIR

On lit dans Cotgrave : « Pouyr. Tout n'y sçauroit pouyr. AU cannot goe into, ail cannot be held or cotitained in il. Parisien. »

Antoine Oudin a enregistré à son tour ce verbe pouir, que Cotgrave donne ainsi pour un parisianisme : « Pouir, capire. Pouyr, capire, esser contenuto ' . »

Les lexicographes postérieurs à Oudin ignorent pouir ; je ne saurais dire, d'autre part, quelle est la source de Cotgrave. Le mot manque dans le Dictionnaire de F. Godefroy2. Il est bien tentant de supposer pouir < *potire, encore que l'on n'ait pas signalé jusqu'ici de survivance populaire du latin classique potiri. On sait que dans la plupart des langues romanes c'est le

i. Seconde partie des recherches ital. et franc. (Paris, 1642).

2. M. Godefroy signale un seul exemple d'un verbe pouir, qu'il ne traduit pas, dans la Geste des ducs de Bourgogne ; j'ignore le sens exact du mot dans ce passage, mais ce pouir n'a probablement rien à faire avec celui qui nous occupe.

PROGIER 3*3

verbe capere qui a servi à rendre l'idée verbale neutre « être contenu dans », bien qu'en latin classique il n'ait que le sens actif de « contenir ». Or, potiri oppidum et capere oppidum étant deux locutions synonymes, il n'y a rien d'invraisemblable à supposer pour rendre raison de pouir que le latin populaire a dit vinum * polit in amphora comme il disait indubitablement vinum capit in amphora.

XC. PROGIER

Les patois de la Franche-Comté possèdent un verbe neutre que le chanoine Danois enregistre sous les formes prôger et prôgie et qu'il définit ainsi, après l'avoir déclaré intraduisible en français : « profiter, être ou paraître plus copieux, en parlant d'un ragoût accru par des accessoires, etc. '. » Tissot donne: « Prôd^i, faire bon usage; faire effet, paraître; qui rassasie, quoique en petite quantité, en parlant des aliments1 ». Dans Monnier, on lit pranjeri, dans F. V. Poulet, preudgî*, avec des définitions analogues.

Dartois a indiqué comme étymologie le latin profi- cere ; Poulet, le latin prodigare. Il est bien certain que, si proficere ne vaut rien, prodigare aurait abouti phoné- tiquement aux différentes formes patoises relevées en Franche- Comté; mais le rapport sémantique entre pro-

i. Mèm. de l'Ac. de Besançon, 1850, p. 167.

2. Mèm. de la Soc. d'èmul. du Doubs, 1864, p. 331.

3. Ann. du dêp. du Jura, 1859, au mot prançer (cité par Tissot).

4. Patois de Plancher -les -Mines (Paris, 1878), à l'article.

3 24 Recherchés ètVmoloôiQues

digare, verbe transitif, et progier, verbe intransitif, n'est pas satisfaisant. Je crois légitime de supposer que le latin vulgaire a tiré un verbe du nom prode (d'où le français preu, prou, profit) à l'aide du suffixe -icare et j'explique le verbe franc-comtois par un type *prodicare, synonyme du latin vulgaire prode esse.

XCI. RAVOIR

Littré a enregistré, sans en chercher l'étymologie, le terme de pêche ravoir, qui manque dans le Diction- naire général. Voici comment il le définit : « Nom que l'on donne, sur quelques côtes, à un parc de filets que la mer couvre et découvre. » C'est Furetière, si je ne me trompe, qui a le premier accordé l'hospitalité à ravoir, et, de dictionnaire en dictionnaire, sa définition, ou peu s'en faut, est arrivée jusqu'à Littré. Il dit en effet: « Ravoir, s. m., en termes de marine, est un parc de rets ou filets qui est tendu sur les grèves que la mer couvre et découvre. » Savary des Bruslons dit à son tour: « Ravoir, terme de pêche de poisson de mer, est une espèce de parc, partie de claye et partie de filets, qu'on tend sur la grève pour y prendre du poisson, au monter et à la descente des marées. » Il est inutile de citer Trévoux qui s'exprime en termes analogues. Ces définitions ne sont qu'empiriques. Voici qui vaut mieux : « Ravoirs. Ce sont des filets tendus par le travers des ravins ou courans d'eau. On tend en ravoir toutes sortes de filets suivant l'espèce de pois- son qu'on se propose de prendre... On les établit dans

RÊSAND 525

les endroits il se forme des courants ou ravins, qu'on nomme sur quelques côtes ravoirs, ainsi que les filets qu'on y tend '. » Ici nous saisissons l'étymologie. L'an- cien français ravoi, écrit parfois abusivement ravoir, signifie effectivement « courant » ; il correspond au provençal rabei et vient comme lui d'un type latin vulgaire *rapidhun2. Godefroy, qui a un article ravoi et un article ravoir, ne fait aucune allusion au terme de pêche, ni les auteurs qui ont écrit sur la pêche à l'ancien français : le rapprochement m'a paru utile et intéressant.

XCII. RESAND

Le comte Jaubert a relevé dans le supplément de son Glossaire du Centre le substantif masculin résand, par- ticulier à la Sologne, qu'il définit ainsi : « Infiltration, filet d'eau qui circule entre le sol et le sous-sol. » Il est bien tentant de voir dans résand une forme berri- chonne correspondante au français normal archaïque roisent, lequel représente le latin recens et signifie « frais », quand il est employé comme adjectif, et « fraîcheur », quand il est substantivé. On comprend facilement que le terrain arrosé par un filet d'eau souterrain ait été qualifié de roisent et que la qualification ait fini par être appliquée à l'infiltration elle-même. Godefroy signale le maintien de l'ancien français roisent dans l'Orne,

1. Baudrillart, Dict. des pêches (1827), p. 468.

2. Cf. mes Essais, p. 79. *Rapidiitm manque dans Kôrting, qui rattache le prov. rabeg (graphie équivalente à rabet) à rapidus,

326 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

le mot est aujourd'hui synonyme de serein (humidité qui tombe après le coucher du soleil).

XCIII. RESENCIER

Dans le vocabulaire qui termine sa magistrale étude sur le patois de la Franche-Montagne, M. Maurice Grammont a un article ainsi conçu :

« Mzpnsï, mouillé, trempé ; origine inconnue ' . »

Ce participe suppose nécessairement un verbe et ce verbe a été depuis longtemps signalé dans différents patois de la Franche-Comté. Le chanoine Dartois donne résincie, résencie, resancie comme synonymes du français rincer dans les trois départements de la province 2. Tissot a relevé dans le patois des Fourgs (Doubs) r'senci (avec s sonore), dans le même sens 3. Il est tout à fait sûr que nous avons une forme comtoise correspondant exactement, et comme sens et comme forme, au pro- vençal ancien reyensar, dont Diez a depuis longtemps indiqué Tétymologie : c'est le latin vulgaire *recentiare, dérivé de l'adjectif recens. Flechia a signalé des repré- sentants de ce type latin dans différents patois du Nord de l'Italie 4; il ne s'est pas avisé d'aller en chercher en Franche-Comté.

J'ai exprimé naguère mon sentiment sur l'origine

i. Mèm. de la Soc. de linguistique, XI, 412.

2. Mèm. de l'Acad. de Besançon, année 1850, p. 246.

3. Mèm. de la Soc. d'êmul. du Doubs, 3e série, t. IX (1864),

P- 539-

4. Archivio glotlologico, II, 29.

REVONDRE 327

de l'ancien français recincier (en picard rechinchier) et du français rincer (autrefois reïncier) I : je reste convaincu que la présence constante dans ces formes d'un i (et non d'un e) nous oblige à les rattacher à un type *recinciare, très distinct de *recentiare. Dans le patois de la Franche-Montagne, à côté de rezpnsï, M. Gram- mont a relevé rinsi « rincer » ; même si l'on suppose (contrairement à sa manière de voir) que le patois est emprunté du français, il n'en témoigne pas moins soli- dement que le type étymologique de rinsî avait un i long, tandis que celui de rèxpnsl avait un e.

XCIV. REVONDRE

Le patois lyonnais possède un verbe revondre « enfouir, enterrer, recouvrir » que Nizier du Puitspelu tire du latin rejundcre. Et pourtant Puitspelu n'ignore pas l'existence en ancien français d'un verbe synonyme, à savoir rebon- dre, que Diez a très justement ramené au latin reponere; mais il abonde en son sens au point de déclarer que « refundere se prête beaucoup mieux au sens que repo- nere » et que l'ancien français refondre « est une forme dialectale de revondre dans laquelle v a pris la pronon- ciation gasconne ». Il y a quelque chose de vrai dans cette dernière remarque : de reponere considéré comme un mot simple le français devrait avoir revondre, et de reponere considéré comme un mot composé il devrait avoir et il a effectivement, et à satiété, repondre : la

1. Mélanges, p. 121,

528 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

forme refondre est particulière aux textes dialectaux de l'Ouest, le p intervocalique est souvent rendu par b comme en gascon et en provençal.

Que faut-il penser du lyonnais revendre ? Sans doute, si refundere avait été pris pour un mot simple, il aurait d'abord changé son/médiale eni/; de profundum l'an- cien lyonnais a fait prevond qui est dans Marguerite d'Oingt. Mais le médiéval prevond a perdu depuis long- temps son v et les patois actuels ne connaissent plus que priond, prond ou prand ; comment se fait-il donc qu'on dise aujourd'hui exclusivement revondre ? C'est qu'il faut absolument repousser l'étymologie par refun- dere, qui ne convient pas du tout au sens (quoi qu'en dise Puitspelu) et ramener revondre à reponere.

XCV. ROLH, REL

Béronie définit très précisément l'outil qu'on appelle rèl en Bas-Limousin. Il est « composé d'une planche de forme à peu près circulaire, percée au milieu d'un trou de tarière, pour y attacher la perche qui lui sert de manche ». C'est le râble ou rabot dont se servent les boueurs pour ramasser les boues, les jardiniers pour unir les allées, les maçons pour remuer la chaux et le mortier, les boulangers pour nettoyer le four ou y étendre la braise, les agriculteurs pour remuer le fond des réservoirs et mêler le limon avec l'eau. Mistral donne rèl, avec la variante rèlh, comme particulier au Bas- Limousin, et il résume la définition de Béronie; il rapproche le mot du latin rullum (?) et rutellum. Comme

ROLH, RÈL 329

rèl a pour dérivé roulia « remuer les engrais que les pluies ont portés dans un réservoir et les faire couler avec l'eau » (Vialle, dans Béronie), il est certain que rèl remonte a une forme médiévale *ruèlh, comme èl à uèlh, œil, et qu'il a un 0 latin à sa base. Il n'est pas moins certain qu'il faut identifier le rèl actuel avec le rolh en 0 ouvert qui figure dans le Donat proensal et qui est traduit par « lignum cum quo furnus tergitur' ». M. Stengcl a raison de rattacher rolh au latin rôtulus, au même degré que l'italien rocchio « billot, rondelle ». J'ajoute que le râble s'appelle dans les environs immé- diats d'Aubusson reû2 et à Montmorillon reuiU, ce qui confirme tout à fait l'étymologie par rôtulus.

D'autre part, à Saint-Yrieix-la-Montagne (Creuse) et dans quelques communes voisines, on ne dit pas reû, mais rouei, forme qui semble correspondre à un type médiéval rolh avec 0 fermé 4. De ce rouei il me paraît impossible de séparer le gascon arroulh « instrument pour ramasser le blé sur l'aire s ». Par suite, il faut supposer * rutulus à côté de rôtulus.

1. Voyez Stengel, Die beiden œil. prov. Grammatiken, p. 54 et 124. Naturellement, les conjectures édifiées par MM. Tobler et P. Meyer sur la leçon fautive de Guessard (jingitur au lieu de ter- gitur) tombent d'elles-mêmes en présence du texte correct.

2. Reil rime exactement avec eu (œil), du latin ôculus, notam- ment dans les communes de Saint-Michel-de-Vesse, Issoudun, Chénéraillcs.

3. Lalanne, Gloss. du patois poitevin, au mot reuil.

4. Ailleurs on dit ro (Saint-Médard, Dontreix), forme difficile â expliquer.

5. Le mot est dans Mistral et dans Lespy et Raymond ; d'autre part, M. Ducamin veut bien m'en certifier l'existence à Lanne- Soubiran (Gers).

330 RECHERCHES ÉTYY0L0GIQUES

Remarquons qu'il n'est pas très naturel que le latin ait appelé rotulus le râble ou rabot, dont le vrai nom, dans cette langue, est rûtrutn ou rûtabulum. Je me demande s'il ne faut pas admettre que rùtrum a donné d'abord naissance à *rùtulum, sous l'influence de rotulus, et si ce *rùtulum, conservé en Gascogne et dans la Marche limousine, n'a pas fini par être supplanté ailleurs par rotulus.

(Revue des parlers pop., année 1903, p. 178.)

XCVI. SAUPIGNAGO

A l'article jusquiam, à côté de jusquiamo et de jus- clano, Mistral enregistre cinq formes que l'on ne peut, avec la plus large tolérance phonétique, considérer comme appartenant au même mot et rattacher au latin vulgaire jusquiamus, accommodation du grec •JcTy.ûa'j.cç. Ce sont, par ordre alphabétique : saupignaco, saupignago, saupignastro, sauprignaco et sôupinago. J'ignore la pro- venance locale exacte de chacune d'elles, sauf pour la seconde, qui se trouve écrite saoupignago dans la deuxième édition du Dictionnaire languedocien-français de l'abbé de Sauvages (Alais, 1820) et qui provient vraisemblablement du Gard. Ces cinq appellations remontent manifestement à symphoniaca, un des noms latins de la jusquiame qui nous ont été transmis par le pseudo-Apulée1. Il a exister en provençal ancien

1 . Édition Ackermann, p. 155 : « Nomina atque virtutes herbae symphoniacae. hyoscyamive... Latini insanam vocant, alii sympho- niacam, »

SE Y NO 33!

une forme type *semponhaga, peut-être * somponhaga , qui répondait exactement à la prononciation de symphoniaca en latin vulgaire1.

XCVII. SEYNO

Le mot seyno se trouve dans la leide de l'archevêché de Lyon, texte du treizième siècle publié dans la Romania, XIII, 568, art. 20: « li mercer deyvont pusa fort, et aus seyno et a les feres II d. fors2. » M. Phi- lippon le traduit dubitativement par « marché » sans s'expliquer sur son origine. Nizier du Puitspelu accepte cette traduction et pense que seyno correspond au latin signum. Mais si signum appartenait à la langue popu- laire, il aurait donné seyn, sans voyelle posttonique d'aucune sorte ; quand les clercs ont voulu l'introduire dans le dialecte lyonnais, ils en ont fait signo7».

Je crois qu'il faut voir dans le lyonnais seyno le même mot que dans l'ancien français senne, sene, etc. 4, qui

1. M. le Dr Dorveaux me signale dans YAlphita (éd. Mowat, p. 30) la forme française sinphonic, également appliquée à la jus- quiame; plus fréquemment, cifoine, sephoine, simphonie, etc., dé- signe l'hellébore, comme par exemple dans le Livre des simples médecines de la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Cf. Godefroy, cifoine; Rolland, Flore pop., I, 81.

2. Rom., XIII, 590. Il vaudrait mieux imprimer au sseyno que aus seyno.

3. Signo est fréquent dans le ms. franc. 818 de la Bibl. nat. : los signos des prophètes, 154e; lo signo de la crois, 171e, etc. (Mussafia et Gartner, Altjr. Prosalegenden, Vienne, 1895, p. 2, 56, etc.).

4. Cf. Godefroy, sene.

1)1 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

signifie « synode, réunion ecclésiastique » et qui vient clairement du latin synodus1.

(Cf. Romania, XXXIII, 228.)

XCVIII. SOUILLE

Littré a cru devoir enregistrer le terme dialectal souille, substantif féminin, « taie d'oreiller en quelques pro- vinces ». Le mot est usité dans le Centre et dans l'Ouest2. Littré en a relevé l'emploi dans les Singula- rité^ de Pierre Belon ; c'est tout naturel, puisque Pierre Belon était natif des environs du Mans. Voici ce qu'il pense de l'étymologie : « M. Jaubert dit qu'il vient de souiller, cette taie étant destinée à empêcher l'oreiller lui-même de se graisser au contact de la tête; cela est probable. M. Roulin le tire du latin sudarium; mais sudarium ne peut faire souille ou souie. » Je ne viens pas réhabiliter sudarium, bien entendu ; mais j'avoue que j'ai peu d'inclination à considérer souille comme un substantif verbal de souiller. Le sens de notre mot est plus étendu que ne le donne à entendre Littré. Dans le Blaisois, Thibault le traduit par « étoffe d'une couette, d'un matelas, d'une paillasse, d'un oreiller, d'un traversin ». Dans le Bas-Maine, Dottin indique

1 . Le redoublement de l'w, fréquent en ancien français, semble indiquer que synodus a été prononcé par métathèse *sydonus (cf. Romania, XXX, 423). Au contraire, la diphtongue ey rattache le lyonnais à la forme correcte synodus.

2. Il est dans Jaubert (Centre), Thibault (Blaisois), Montesson (Sarthe), Dottin (Mayenne), Dottin et Langouét (Ille-et-Vilaine).

TORELIÈRE, TÙRIÈRE 3$)

« petit sac, sorte de bissac, taie d'oreiller, torchon ». Au sens de « torchon », il est bien probable que souille vient effectivement de souiller. Mais ce qui me porte à proposer une autre étymologie pour les autres sens, c'est l'existence de formes qui indiquent manifestement une contraction. A Landivy on prononce swiy; à Plé- châtel, swiy et sewiy (forme vieillie) : cela nous reporte à une forme médiévale *soïlle, dont le type latin me paraît être subicula, variante de subûcula « vêtement de dessous, chemise ». Le développement sémantique du mot français chemise qui, dans la langue courante, désigne l'enveloppe dans laquelle on enferme certains objets, me paraît appuyer l'étymologie que je soumets au lecteur. Au point de vue de la forme, on pour- rait admettre l'existence simultanée de *subùcula (d'où *sooille, souille) et de *subïcula (d'où soûle, souille).

XCIX. TORELIÈRE, TORIÈRE

M. Grammont a relevé, dans le Patois de la Franche- Monlagne', le substantif féminin touorlire « vache qui ne peut plus faire de veau », dont il déclare l'origine inconnue. Ce mot se trouve dans Godefroy, article tau- reliere, d'après des lexicographes de la fin du seizième siècle et du commencement du dix-septième, lesquels l'écrivent par au, et il est encore vivant en Normandie. On lit, par exemple, dans le Glossaire du patois normand de Louis Dubois : « Taurelière (vache), attaquée de

1. Ment, de la Soc. de lin«., XI, 430.

334 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

fureur utérine et qui est inféconde. » Nous avons clai- rement affaire à un dérivé de iorel (aujourd'hui tau- reau) dont le type latin vulgaire serait *taurellaria.

Roussey, Patois de Bournois, p. 318, donne touerîr, qu'il définit « génisse qui a manqué son veau ». Ici nous remontons directement à taurus combiné avec le même suffixe: le type étymologique est *tauraria.

Dans un cas comme dans l'autre, les vocables romans s'appliquent proprement à la femelle qui, n'arrivant pas à concevoir, demande et redemande le taureau. Pour qualifier une femelle en appétit de mâle, le lan- gage populaire forme volontiers des adjectifs tirés du nom même du mâle et qui ne connaissent que le genre féminin. Mistral donne boucan, pourchau, taurau comme adjectifs limousins qualifiant la chèvre, la truie et la vache en chaleur; le patois de l'Ile d'Elle (Vendée) connaît le dernier de ces adjectifs sous la forme tarait1, et le patois de la Gâtine (Deux-Sèvres), sous la forme plus régulière taurau 2.

C. TROUVER

Trouver vient-il de turbare ? Diez en était convaincu et il faut lui savoir gré d'avoir proposé cette étymo- logie à une époque le marché était encombré des hypothèses de Ferrari, de Ménage, de Du Cange et

1. Simonneau, Gloss., dans Rev. de phitot. franc., III, 119.

2. Écrit abusivement taureau, Puichaud dans Rev. de phit. franc. VI, 132.

TROUVER 335

autres, lesquelles flottaient entre le grec ljptr/.w, le latin reperire ou recuperare, l'allemand treffen et l'ancien fran- çais ireii « tribut » et j'en oublie. Je me figurais que Gaston Paris, aidé de M. Paul Meyer, avait porté un coup mortel à l'étymologie de Diez et montré péremptoirement, il y a un quart de siècle, que trouver postule un type latin *trôpare ' . Je me trompais, paraît-il, puisque M. Schuchardt a repris à son compte l'étymo- logie de Diez et qu'il n'en veut pas démordre. J'ai cru ensuite que cette manifestation rétrograde serait isolée et inoffensive : je me trompais encore. Voici que M. Kôrting, dans la nouvelle édition de son Lateinisch- romanisches Wœrterbuch, cancelle, pour ainsi dire, son article *tropare (9763) en écrivant à la suite : « Tout récemment, Schuchardt a montré d'une façon convain- cante que trovare est sorti de turbare et que turbare était un terme technique de pêche et, comme tel, popu- laire. » Cela n'engage que M. Kôrting, dira-t-on, et le mal n'est pas grand. Sans doute, mais je suis vraiment consterné de voir M. Meyer-Lubke faire chorus, lui aussi. Dans le compte rendu qu'il vient de consacrer au 2e fascicule des Romaniscbe Etymologieen , il proclame que si *lropare a « », turbare a « pu » donner trouver 2, et dans son Einfiihrung in das Studium der Romanischen Spracbwissenschaft, il écrit, p. 71 : « Schuchardt a montré avec vraisemblance que l'italien trovare, français trou- ver, etc., est proprement un terme de la langue des pécheurs, venant du latin turbare... » Je ne cite pas la

1. Dans la Romania, VII, 418.

2. Literaturblatt, année 1901, col. 118.

336 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

suite, pour faire court; il y a pourtant de fort belles choses sur la philosophie du langage.

Ce serait peut-être mal servir la vérité que de con- tinuer à me tenir sur la réserve, comme j'ai cru devoir le faire jusqu'ici, non sans avoir dit cependant que j'adhérais aux conclusions formulées en 1 878 par Gaston Paris '. M. Schuchardt me reproche amèrement ce qu'il appelle mon dogmatisme2. M. Meyer-Lùbke déclare qu'il ne comprend pas ce que j'ai voulu dire quand j'ai écrit: « *Tropare est le seul type que la phonétique puisse avouer 3. » Je vais tâcher de m'expliquer plus clairement et de ne pas trop dogmatiser. On parle beau- coup des progrès qu'a faits la phonétique historique depuis Diez : si elle ne nous fournit pas le moyen de nous prononcer entre deux types aussi différents que tùrbare et *trôpare, ce n'est pas de progrès, mais de faillite qu'il faut parler.

M. Schuchardt reconnaît que *trôpare est inattaquable au point de vue phonétique. Peut-on en dire autant de tùrbare, ou du moins peut-on accorder à M. Schu- chardt qu'il ait repoussé victorieusement les attaques dont cette étymologie a été l'objet de la part de Gaston Paris ? Il faut voir cela avant tout. Si tùrbare ne peut pas supporter l'examen phonétique, il ne compte plus, il est mort. Il peut avoir beaucoup de qualités par ailleurs, comme la jument de Roland; rien ne pourra compenser ce terrible défaut. Quant à *trôpare, avant

1. Cf. Romania, XXIX, 438, et XXX, 154.

2. Zeitscto. f. roui. Phil., XXV, 256.

3. Literalurblatt, loc. laud., col. 119.

TROUVER 337

de le proclamer vainqueur, il faudra s'assurer qu'il satisfait à toutes les autres conditions requises: on ne peut rien prétendre en étymologie sans l'aveu de la phonétique, mais la phonétique ne suffit pns à tout.

Il y a trois points sur lesquels tùrbare est vulnérable : la métathèse de IV, le changement de Vu en ô, le trai- tement du b. Nous allons les examiner l'un après l'autre. Comme, dans le système de M. Schuchardt, *trôbare issu de tùrbare serait propre à la Gaule et à ses annexes, il suffit d'employer le français et le provençal pour mettre son étymologie à l'épreuve.

Métathèse. A priori, on ne voit pas pourquoi tùr- bare aurait subi une métathèse et serait devenu *trùbare. Le groupe rb est des plus fréquents en latin : barba, herba, corbis, etc. Son domaine s'est même augmenté aux dépens de rv : berbix (pour vervex), corbus (pour corvus), curbus (pour curvus), etc. Il y a bien une métathèse dans brebis, de berbicem, mais elle est relati- vement récente, comme le montre la conservation du b : si tùrbare avait eu le même sort, il aurait abouti k*trouber en français. M. Schuchardt suppose que c'est dans le dérivé tùrbidare, la contraction en tûrblare amenait un groupe de trois consonnes difficile à prononcer, que la métathèse a pris naissance, et que *trùblare a entraîné *trùbare. Mais il ne s'agit pas d'expliquer la métathèse : il s'agit de l'établir, de la rendre manifeste à nos yeux. M. Schuchardt ne fait rien pour cela et il ne peut rien faire, car on lui objectera toujours que si tùrbare avait été altéré par la contamination de *trùblare, ou par suite d'une cause que nous nous résoudrions, s'il le fallait, à ignorer, distùrbare s'en serait ressenti. Thomas. II. 22

338 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

Or, distûrbare n'a pas bronché: chacun le reconnaît dans le provençal destwbar et dans l'ancien français des- torber1, tandis qu'il faut une grâce d'état pour recon- naître tûrbare dans le provençal trobar et dans le français trouver2.

Changement d'û en à. M. Schuchardt ne se préoc- cupe guère de cet « accident » ; il se contente de ren- voyer à Diez 3 et de faire appel à l'influence de la labiale pouvant, par dissimilation, changer un ù en ô. Au con- traire, M. Meyer-Lûbke déclare que ce changement d'/i en ô constitue la plus forte objection qu'on puisse faire à l'étymologie de M. Schuchardt et que, pour sa part, il ne croit pas à l'influence de la labiale. Comment peut-il donc expliquer que *trùbare soit devenu *trô- bare ? Par l'analogie de la conjugaison. D'après lui, les verbes du type prôbare prôbat, rôgare rôgat, étant en majorité, ont opprimé les verbes du type plôrare plôrat, cubare cubât : comme ô, ô et û primitifs avaient la même

i . M. Schuchardt renonce sagement à s'appuyer sur un exemple isolé de torver pour traver en ancien français, et sur la forme lourba pour trouba, usitée actuellement dans quelques cantons de l'Au- vergne; ce sont des métathèses récentes. Un exemple de destio- bier pour destorbier, substantif abstrait de destorber, qui se trouve dans Godefroy, est également insignifiant.

2. *Trûblare, pour *tiïrblare, est une métathèse relativement ancienne, mais qui n'a jamais supplanté complètement la forme primitive ; les très anciens textes français oscillent entre trobler et torbler, entre controbhr et contorbkr. Un témoignage curieux de la vitalité du latin *contrtïblare nous est fourni par le gallois cythrwfl « trouble, tumulte », d'où a été tiré le verbe cythryfi.il. Mais le gallois possède aussi le verbe cynhyrfu, emprunté du latin contûr- bare, et non *contrûbarc : c'est une preuve que *trùblare n'a pas agi nécessairement sur *tûrbare.

3. Gramm. des lang. rom , II, § 190.

TROUVER 339

prononciation avant l'accent, que, par exemple proruer et trover étaient identiques la consonne initiale près), la forme accentuée prueve, qui est étymologique, aurait intronisé une forme accentuée trueve, au détriment de la forme étymologique *trove, *trouve. Je crois que M. Meyer-Lûbke se fait illusion sur la force de l'ana- logie à l'époque ancienne des langues romanes. L'ana- logie trouble de ci, de le développement naturel des sons; mais elle n'agit pas à la manière d'un torrent dévastateur qui entraîne tout sur son passage et rend absolument méconnaissables les lieux qu'il a ravagés. Pour s'en rendre compte, il faut examiner les faits d'analogie qui sont dûment établis en français et en provençal. Je me bornerai au provençal, pour abréger. M. Meyer-Lûbke a cité lui-même trois verbes aux- quels l'analogie s'est attaquée: cobrar, sobrar et costar. Il est possible que, dès la période latine, *cûperat, récupérât aient été contaminés par côperit et soient devenus *côpe- ral, *recôperat\ cf. l'anc. franc, recuevre; mais l'ital. ricôvera atteste récupérât. Sobrar s'est modelé sur cobrar ' . Quant à costar, les auteurs des Leys d'amors constatent que l'usage est hésitant et, tout en recommandant la prononciation ouverte de Yo (plenissonan), ils avouent que certains préfèrent la prononciation fermée (semissonan)2. Effec- tivement, l'auteur de Flamenca fait rimer l'indicatif costa avec Pentccosta, qui a un o fermé (2577 et 5083), et le subjonctif coste avec oste, qui a un 0 ouvert (201 5) :

1 . Dans les patois actuels on trouve, selon les régions, soubro et sàbro comme substantif verbal.

2. Tome I, p. 52 ; le passage n'a pas échappé à M. Mcyer-Lùbke, qui y renvoie.

340 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

on trouve également, dans la pièce Truan mala guerra de Raimbaud de Vaqueiras, costa avec o fermé et cost avec o ouvert. On peut croire que c'est acostar qui a agi sur costar. Il y a quelques traces de l'analogie inverse, dont M. Meyer-Lubke ne parle pas : bien que le Donat indique pour demorar un o ouvert, ce qui est conforme à la quantité latine et à l'usage de la plupart des troubadours, l'auteur de Flamenca fait rimer demora avec adora (867), c'est-à-dire en 0 fermé ' ; dans le Bre- viari d'Amors (30989), troba, du verbe trobar lui-même, rime avec loba (latin lûpa). Il faut savoir gré à M. Schu- chardt, qui a indiqué cette curieuse rime, de n'en avoir pas exagéré l'importance : elle est due sans doute à la fois à l'absence de rime correspondante en 0 ouvert, et à l'analogie de adobar et de escobar, qui ont réguliè- rement un 0 fermé, comme demora avec un 0 fermé est aux nombreux verbes en orar Yo remonte à un ô latin (adora, assabora, enamora, laora, plora, etc.). Voilà à quoi se réduit, en provençal ancien2, l'in- fluence analogique sur la voyelle radicale des verbes : quelques cas isolés dont chacun a une explication par- ticulière î. Si le provençal avait eu primitivement troba

1 . Demora rime aussi en 0 fermé dans les Strophes au Saint-Esprit publiées par Cohendy et par moi, Romania, VIII, p. 21s, str. xiv.

2. Naturellement cette influence a grandi dans les patois actuels ; voyez, par exemple, ce que dit M. Chabaneau à ce sujet, Gramm. iimous., p. 285 et s.

3. Ajoutons encore, par acquit de conscience, la rime de proa (latin probà) avec soa (latin sua) dans Bartsch, Denhn. 203 et 264. Quant à cossola (latin consolât, qui rime en 0 ouvert dans les Strophes au Saint-Esprit {Romania, VIII, 216, str. xxi), c'est un mot demi- savant qui ne tire pas à conséquence.

TROUVER 341

avec un 0 fermé, il l'aurait gardé sans aucun doute, car nous ne voyons aucun verbe qui ait pu le contami- ner, et nous constatons que adoba et escoba n'ont pas varié. N'est-il pas permis de dire que M. Meyer-Lûbke a échoué, tout comme M. Schuchardt, dans son des- sein de ramener trbba à tùrbat ?

30 Traitement du b latin. M. Schuchardt se figure que c'est sur le troisième point qu'il a à livrer la bataille décisive et il accumule les arguments pour écraser ses adversaires. Il se fait tort à lui-même : il n'avait qu'un mot à dire pour vaincre, et il le dit, en somme. M. Paul Meyer a objecté que si *trubare avait existé en latin, il aurait été traité comme probare et serait devenu en provençal *trovar ou *troar, mais non pas trobar. « Pardon, répond M. Schuchardt. Il s'agit d'un b secondaire dans *trubare, et non d'un b primaire comme dans probare. Si j'admets que la métathèse a eu lieu au moment précis le p latin intervocalique était devenu b en Gaule, *trubare marche, non avec probare, qui depuis longtemps était prononcé *provare, mais avec *scobare, tout fraîchement sorti de scopare, c'est-à-dire qu'il devient légitimement trobar dans le Midi de la France, trovar dans la région franco-pro- vençale et trover dans le Nord. » M. Schuchardt a raison : si on lui passe la métathèse, il faut bien lui laisser le droit de s'en servir comme d'un deus ex machina.

Donc, c'est sur les deux premiers points seulement que l'on peut arrêter M. Schuchardt et discuter avec lui. Il me peine vraiment de ne pouvoir lui donner raison ni sur l'un ni sur l'autre; mais ma conscience

342 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

scientifique s'y refuse. Si je sautais le pas, rien ne me retiendrait d'en prendre à mon aise avec la phonétique et de démontrer au lecteur, par exemple, que prouver vient de purgare. Comme ce serait vite fait ! Nous pas- serions ensemble de pûrgare \*pnlgare, puis de *prïigare à *prûgare, enfin de *prûgare à *prôgare ; après quoi, je lui mettrais rôgare devant les yeux et je suis sûr qu'il irait tout seul de *prôgare à prouver. M. Meyer-Lûbke certifierait que si probare « doit », purgare « peut » donner prouver, et quelque sémantiste se trouverait bien pour faire remarquer que « prouver » une chose, c'est la débarrasser, la « purger » de ce qui empêche d'en voir la vérité...

On sait l'histoire qui advint à un célèbre voyageur au milieu d'une grande forêt : un loup affamé se pré- cipita sur la croupe du cheval qui tirait son traîneau, s'y enfonça et se reput si complètement des entrailles de la pauvre bête qu'il entra dans sa peau et prit sa place dans les harnais. Parti d'Allemagne avec un che- val, le baron de Mùnchhausen arriva à Saint-Pétersbourg attelé d'un loup. On peut de même partir du latin avec purgare et arriver en français avec prouver. C'est un genre de sport fort amusant, mais ce n'est qu'un sport.

Revenons à *trôpare. Depuis que Gaston Paris l'a « postulé », on n'a pas réussi à le rencontrer dans les textes latins ; mais on y a signalé contropare ' et attro-

i . Baist, dans Zeitschr . ftir rom. Phii, XII, 265 ; cf. Rom., XVII, 625. M. Schuchardt ajoute encore quelques exemples nouveaux, Rom. Etymol., II, p. 186-7.

2. Baist, dans Zeitschr., XXIV, 410; cf. Rom., XXIX, 614.

TROUVER 343

pare2, qui ont bien Pair d'être de la même famille. Contropare est assez fréquent dans les lois des Wisigoths d'Espagne au sens de « comparer » ; attropare est un àra- zlzr^j.v/zv d'Arnohe le jeune, chez qui il signifie, à ce qu'il semble, « interpréter au sens figuré, tropifier ». Comment ne pas reconnaître, avec M. Schuchardt, qu'il y a de terribles hiatus sémantiques entre contro- pare, attropare et trouver} Je me déclare humblement incapable de les combler; mais cela n'affaiblit en rien ma conviction que trouver vient de *trôpare. L'aveu de ce qu'on ignore est souvent la sauvegarde de ce qu'on sait. La peur de l'inconnu ne saurait me décider à donner tête baissée dans turbare. Ne serait-ce pas faire comme Gribouille, qui de crainte de la pluie se jetait à l'eau, et ne dirait-on pas de moi : turbavit aquam, non *lropavit piscem ? L'abbé Chastelain, chanoine de Paris du temps de Ménage, tenait l'origine de trouver pour introuvable. La science ne peut pas encore lui donner hautement le démenti '. .

(Romania, XXXI, 6-12.)

1 . Cet article a été écrit il y a trois ans. Depuis lors M. Schu- chardt est revenu à quatre reprises sur la question dans la Zeit- scbriftfiir rom. Philot., XXVI, 387-390, XXVII, 97-101, XXVII, 101-105 (zweites Stûck) et XXVIII, 36-55 (drittes Stùck): il a cherché à répondre et il l'a fait d'une façon très intéressante, sinon très convaincante à mes observations et à celles de Gaston Paris, ces dernières limitées au côté sémantique du problème (Romania, XXXI, 12-13 et 625-630). Je renvoie le lecteur à ces différents articles et je souhaite qu'après les avoir lus il réussisse à se faire une opinion arrêtée.

344 RECHERCHES ÉTYMOLOGIQUES

CI. VERIN E, VARINAS

On lit dans Littré : « Vérine, s. f. Nom de la meil- leure espèce de tabac cultivée en Amérique. » Un point, c'est tout. Pour en savoir davantage, ouvrons le Dic- tionnaire du Commerce de Savary des Bruslons (1723), à l'article Tabac. Nous y trouverons ce qui suit :

« Le tabac de Verine est le meilleur de tous les tabacs en corde, du moins il en a la réputation quoique d'ha- biles Artistes le croient moins bon pour l'usage qu'on en fait quelquefois en médecine. Il est appelé de Verine du nom d'un village situé sur la Côte de Terre-ferme de l'Amérique espagnole, auprès de la ville de Comana, à l'entrée d'un lac ou bras de mer qu'on nomme la Laguna de Venezuela. »

Malgré la précision des détails géographiques que donne Savary des Bruslons, ce village de Verine est resté introuvable pour moi et pour d'autres. M. Paul Tannery m'a écrit à ce sujet, le 20 février 1900 : « J'ai pu constater que le tabac de Varina (sic) est mentionné par un auteur anglais dès la première moitié du dix- septième siècle, et la série des témoignages entraîne que c'est bien le tabac provenant de la province actuelle de Varinas (Colombie); cette province est toujours un centre de production important... Je suis absolument convaincu que le tabac de Vérine était du tabac pro- venant de la ville actuelle de Varinas, comme vous l'aviez supposé tout d'abord. »

L'identification proposée ne m'est pas personnelle :

VÉRINE, VARINAS 34$

en 1812, Mozin traduit en allemand Vérine par Van- nas ' . Sous ce nom même de Farinas la régie française a longtemps débité une variété de tabac dont la fabri- cation a cessé, il y a une vingtaine d'années, comme me l'apprend encore M. Paul Tannery. Littré, dans son supplément, a relevé au Journal officiel du 6 dé- cembre 1875 la mention de « scaferlaty varnias »: il faut lire varinas.

1 . Varinas est aussi connu en néerlandais.

APPENDICE

L'ATLAS LINGUISTIQUE DE LA FRANCE '

L'œuvre gigantesque entreprise courageusement par MM. Gilliéron et Edmont2 est une réponse à l'appel lancé par Gaston Paris dans le discours qu'il prononça, e 26 mai 1888, à l'assemblée générale de clôture du Congrès des sociétés savantes ; aussi les auteurs ont-ils tenu à dédier l'Atlas linguistique de la France au maître dont la brusque disparition a récemment plongé la science française dans le deuil.

1 . Cet article a déjà eu deux éditions : il a paru dans le Journal des Savants, février 1904, p. 89-96, puis il a été réimprimé, à mon insu, dans une brochure d'aucuns diraient un pamphlet signée J. Gilliéron et intitulée: Atlas linguistique de la France. Compte rendu de M. Tbotruis (Paris, Champion, 1904, in-8, 24 pages). Je regrette que les auteurs de l'Atlas linguistique se soient mépris sur les sentiments auxquels j'ai obéi en écrivant cet article, mais il n'est pas en mon pouvoir de les détromper. Il faut laisser au temps le soin de faire l'apaisement dans leur âme et la lumière dans leur esprit.

2. J. Gilliéron et E. Edmont, Atlas linguistique de la France, Paris, Champion, 1902-1904. Douze livraisons, contenant 561 cartes, ont déjà paru: la carte 561 est celle de fève.

L'ATLAS LINGUISTIQUE DE LA FRANCE 347

« Il faudrait, disait Gaston Paris, que chaque com- mune, d'un côté, chaque forme, chaque mot, de l'au- tre, eût sa monographie, purement descriptive, faite de première main, et traitée avec toute la rigueur d'observation qu'exigent les sciences naturelles... » V Atlas nous offrira, quand il sera terminé, le résultat de quatre années de voyages consécutifs à travers la France, la Belgique wallonne et la Suisse romande, de 1897 à 1901, résultat strictement limité aux formes recueillies pendant ce laps de temps, et recueillies par M. Edmont seul.

M. Edmont s'est fait connaître récemment par un Lexique du patois de Saint-Pol (Pas-de-Calais), qui révèle chez lui de remarquables qualités d'observateur. Quant à M. Gilliéron, il y a longtemps qu'il a orienté ses études de philologie vers la dialectologie romane. Son livre intitulé Le Patois de Vionna^ (Valais), paru en 1880, et son Petit Atlas phonétique du Valais, publié l'année suivante, sont d'excellents exemples de ce qu'on pouvait faire dès lors pour appliquer les méthodes pré- conisées en France par Gaston Paris et par M. Paul Meyer, méthodes qu'on pouvait craindre de voir se confiner longtemps encore dans le domaine de la théorie pure. Entré dans le personnel enseignant de l'École des Hautes Études en 1883, M. Gilliéron y fut dès l'origine charge du cours de dialectologie romane de la Gaule, qu'il professe encore aujourd'hui, et dont l'influence s'est fait heureusement sentir dans les meilleures pu- blications sur nos patois qui ont marqué ces vingt der- nières années.

Une œuvre exécutée en collaboration par MM. Gil-

Héron et Edmont se recommande donc d'elle-même à l'attention. Voyons quelle en est l'économie générale. L'Atlas linguistique laisse de côté les parlers non romans, c'est-à-dire le flamand, le breton et le basque ; mais il déborde les frontières politiques de la France pour englober non seulement la Belgique wallonne et la Suisse romande, mais quelques vallées du Piémont (notamment Aoste et Oulx), dont la langue est plus rapprochée du franco-provençal que du piémontais, et les îles anglo-normandes de la Manche. Dans cette immense étendue de territoire, six cent trente-neuf stations ont été établies, à une distance à peu près égale les unes des autres, et la tâche de M. Edmont a con- sisté à relever dans chacune d'elles les équivalents patois des phrases ou des mots portés sur un questionnaire uniforme préparé par M. Gilliéron. Ces équivalents ont été notés d'une manière rigoureusement phonétique et transcrits dans un alphabet spécial auquel la Revue des patois gallo-romans a depuis longtemps habitué les lin- guistes, et qui est si peu différent de l'alphabet français courant que les amateurs peuvent se l'assimiler très rapidement. Chaque carte comprend l'ensemble du ter- ritoire ', mais elle est toujours limitée à un mot, à une locution ou à une courte phrase : abeille, aller chercher, moi je ne les aide pas, etc. Les cartes se suivent dans l'ordre alphabétique du mot, de la locution ou de l'élé- ment principal de la phrase. L'ordonnance est parfaite, et, dans l'exécution définitive, rien de grave ne transpa-

i. Des nécessités matérielles ont parfois obligé les auteurs à scinder une carte en deux feuilles distinctes.

L'ATLAS LINGUISTIQUE DE LA FRANCE 349

raît des tâtonnements inséparables de la première heure, tâtonnements dont les auteurs ont tenu à faire part au public en lui soumettant une notice préliminaire1.

En voilà assez sur les conditions matérielles dans lesquelles Y Atlas a été conçu et réalisé. Passons aux services qu'il est appelé à rendre aux études linguis- tiques. Tout d'abord, il en est un, intimement lié à l'idée même de la publication, pour lequel on ne saurait avoir trop de reconnaissance, encore qu'il puisse sem- bler inutile d'y insister longuement : Y Atlas économise le temps du savant en lui apportant à pied d'œuvre les matériaux dont il a besoin pour ses spéculations. N'est- ce rien que de pouvoir instantanément, grâce à une carte qu'on embrasse d'un coup d'œil, trouver et grou- per sous la même idée un millier de formes dont la recherche dans les lexiques spéciaux de chaque région demanderait un loisir énorme ? Mais ce n'est que son moindre avantage. Le butin scientifique n'y est pas seulement plus facile à recueillir, il y est infiniment plus riche que partout ailleurs, car beaucoup de faits intéressants y sont, si je ne me trompe, relevés pour la première fois. A l'heure actuelle douze livraisons ont paru, contenant 561 cartes, depuis le mot abeille jus- qu'au mot fève; on nous annonce pour l'ensemble de l'œuvre un total d'environ 1 800 cartes. Souhaitons que l'accueil du public studieux soutienne le zèle des auteurs et hâte l'achèvement de ce monument gran- diose, qui sera vraiment le trésor linguistique de la

1. Atlas linguistique de la France. Notice servant à l'intelligence des cartes. Paris, Champion, 1902, in-4 de 56 pages.

3Ç0 APPENDICE

France et peut-être aussi, il faut le prévoir, hélas ! le testament de ses patois.

Si ce vœu ne devait pas être exaucé et si Y Atlas était condamné à rester inachevé, il est consolant de penser que la partie publiée n'y perdrait rien de sa valeur. En effet, chaque carte forme un tout qui peut facilement s'abstraire de l'ensemble, et il n'importe pas outre mesure d'avoir précisément i 800 cartes plutôt que 500, plutôt que 3 000. Il faut bien se rendre compte, surtout, qu'une carte est à elle seule une mine féconde, dont l'exploitation scientifique demanderait presque un volume de commentaires. Qu'on me permette de prendre, à titre d'exemple, la carte r, consacrée au mot abeille, pour faire entrevoir quel riche aliment elle fournit aux parties les plus diverses de la science lin- guistique.

Les Romains appelaient l'abeille apis (ou apes), et ils avaient tiré de ce mot le diminutif apicula. L'idée diminutive attachée étymologiquement à ce dernier terme se perdit peu à peu, et apicula finit par devenir dans le langage vulgaire un simple synonyme d'apis, à qui il fit une concurrence meurtrière. Toutefois, malgré cette concurrence, apis ne disparut pas com- plètement du vocabulaire populaire : il a donné l'ancien français ef, au pluriel es, mot dont Y Atlas nous montre la conservation dans l'île de Guernesey et sur dix points du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme ; il a donner en ancien provençal ap, bien qu'aucun texte ne nous ait transmis ce mot, conservé aujourd'hui intact sur trois points de la Gironde et réduit à a sur quatre points de la Suisse romande. Cette présence du type

V ATLAS LINGUISTIQUE DE LA FRANCE 35!

apis dans un coin du Médoc est une révélation que nous devons à Y Atlas; pour curieuse qu'elle soit, elle ne relève pas beaucoup la destinée misérable du vocable primitif en présence du triomphe de la forme dérivée apicula, représentée aujourd'hui, sur environ 355 points du territoire gallo-roman, par les formes abeille, aveille, avilie, avilit, abeilla, abeillo, beillo, etc.

L'étude de ces différentes formes et de leur réparti- tion territoriale offre un grand intérêt pour la phoné- tique descriptive et historique. On a remarqué depuis longtemps que le mot abeille qu'emploie le français littéraire ne peut pas remonter directement au type latin apicula; nous dirions encore aveille si rien n'était venu rompre notre tradition séculaire et implanter dans la langue commune une forme dont le b décèle un emprunt fait, à une époque relativement récente, aux parlers méridionaux. Pourquoi cet emprunt et de quelle partie du Midi nous vient-il ? Est-il d'origine industrielle et correspond-il à une supériorité reconnue de l'api- culture méridionale, à une capitulation du miel du Gâtinais devant le miel de Narbonne ? Est-il au con- traire d'origine littéraire et quel est l'écrivain assez puissant pour avoir assuré le triomphe de l'intrus ? Le jour nous posséderons le dictionnaire idéal de notre langue que rêvait Gaston Paris1, nous y trouverons sans doute de quoi satisfaire notre curiosité sur tous ces points. V Atlas ne nous permet pas de résoudre la question ; mais les matériaux qu'il nous fournit nous font mieux voir comment elle se pose.

1. Voir h Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1901, p. 826-828.

3J2 APPENDICE

Apis et apicula ne se sont pas maintenus partout. Dans l'Ouest on a eu recours au joli diminutif avette (Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Ille-et- Vilaine et Loire-Inférieure), qui remonte très haut et représente probablement une forme *apitta, qu'on peut supposer en latin vulgaire'. Un peu partout, surtout dans le Nord et dans l'Est, on a eu recours de préférence à une périphrase, et mouche à miel, différemment prononcé, est devenu le terme usuel et exclusif pour désigner l'a- beille ; parfois même (dans l'Est), on s'est contenté du terme vague de « petite mouche » (tnouchette, mou- chate, mouchotè), sans éprouver le besoin de préciser davantage. V Atlas nous fournit encore quelques rares exemples d'individualisation des termes collectifs « es- saim » et « ruche » pour désigner l'abeille: mais sur ce point, malgré Y Atlas, je conserve quelques doutes et je me demande si M. Edmont a bien saisi la pensée des gens qu'il interrogeait, et si essaim et ruche ont réellement évolué jusqu'à devenir adéquats à abeille. Je trouve aussi dans la carte malot (Nord), qui signifie proprement « bourdon », ouesse (Haute-Alsace, Vosges) et bèco (Creuse), qui signifient proprement « guêpe » ; n'avons-nous pas affaire ici à quelques impropriétés individuelles plutôt qu'à une perversion de sens enra- cinée dans un groupe humain de quelque importance ? Il est tout naturel qu'une œuvre aussi vaste que celle de MM. Gilliéron et Edmont provoque la surprise et

i. Dans le Lyonnais on a signalé avi, qui représente *apia\ mais cette forme n'a pas été rencontrée par M. Edmont, et elle est peut- être éteinte depuis une ou deux générations.

V ATLAS LINGUISTIQUE DE LA FRANCE 553

le doute sur quelques points de détails, et il est à souhaiter qu'elle inspire aux hommes d'étude le désir de la contrôler, de la compléter, de la corriger, s'il y a lieu.

Je touche ici à un point délicat sur lequel je dois m'expliquer en toute franchise : quelle autorité con- vient-il d'accorder à Y Atlas linguistique ? Lorsque Gaston Paris adressait son appel éloquent aux hommes de bonne volonté pour les presser d'établir l'inventaire de nos richesses linguistiques, il évoquait le tableau d'une légion de travailleurs et il s'écriait : « Que chacun se fasse un devoir et un honneur d'apporter au grenier commun, bien drue et bien bottelée, la gerbe qu'a produite son petit champ ! » C'est dire clairement qu'il aurait voulu voir surgir dans chaque commune de France un ouvrier indigène, autochtone, connaissant de longue main le champ dont il devait récolter et engranger la moisson. L'Atlas s'est exécuté dans de tout autres conditions. Deux hommes se portent cau- tion pour toute la France romane et ses annexes. Que dis-je, deux hommes ? Je me trompe de moitié. Par un scrupule scientifique poussé à l'extrême, M. Gillié- ron, organisateur de l'enquête, s'est rigoureusement interdit de changer un iota aux notes prises sur les lieux par son collaborateur. Il a impitoyablement proscrit les retouches, ces retouches qui paraissent inoffensives et qui pourtant effacent des nuances pré- cieuses et, comme dit énergiquement M. Gilliéron, « outrent souvent les vérités au détriment des doutes. » Donc, à vrai dire, Y Atlas est l'œuvre d'un seul homme, de M. Edmont, dont le témoignage unique en constitue Thomas. II. 23

J54 APPENDICE

l'âme. Or, à qui connaît par expérience toute la diffi- culté des explorations linguistiques, à qui sait combien le paysan, seul dépositaire authentique du trésor qu'il s'agit de mettre en lumière, est défiant, malveillant et rusé, on aura de la peine à faire croire qu'un étranger, si fin diplomate qu'on le suppose, si bon entendeur qu'on puisse se le figurer, n'ait pas été fréquemment mis en défaut. Certains se demanderont, non sans angoisse, si cette œuvre préparée avec tant de soin, poursuivie avec tant d'énergie, exécutée avec tant de conscience, ne porte pas en elle un principe d'erreur et comme un péché originel qui doive la faire tenir en légitime suspicion. Je crois qu'il serait injuste de se laisser dominer par de telles préventions; mais je crois aussi que dans beaucoup de cas le témoignage de l'Atlas n'a qu'une valeur relative.

S'agit-il de lexicographie ? Il ne faut pas oublier que le paysan interrogé tend toujours à se rapprocher du français, et si M. Edmont ne nous donne que la tran- scription phonétique d'un mot français, il n'en résulte pas nécessairement qu'il n'y a pas de mot patois cor- respondant, mais qu'on n'a pas su, ou qu'on n'a pas voulu le dire à M. Edmont. Je prends deux exemples seulement. Dans la carte 3 l'abreuvoir), on n'indique, au point 704 (Saint-Quentin, prèsdeFelletin, Creuse), qu'une forme calquée sur le français : je puis certifier pourtant que dans toute cette région abreuvoir se dit abiouradou, conformément à la phonétique régulière du patois local. Dans la carte 5 (absinthe), on aura beau parcourir attentivement le Gers, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Garonne, l'Ariège, leTarn-et-Garonne, l'Aude

L'ATLAS LINGUISTIQUE DE LA FRANCE $SS

et l'Hérault, nulle part on ne verra affleurer autre chose que le français absinthe affublé d'une désinence patoise. Et pourtant, il y a un substantif masculin bien connu, qui se rattache directement au latin absinthium, qui n'est certainement pas mort dans cette région, car je lis dans Las Plantos as camps de feu Axel Duboul', ancien député, brochure dont le vocabulaire est em- prunté exclusivement à « l'idiome patois parlé sur les confins de la Gascogne, de la Guyenne, du Languedoc et du comté de Foix », ces formes diverses du nom traditionnel de l'absinthe : aoussenc, duchen, dussen, lichen, ussen et uychent.

S'agit-il de morphologie ? Un malentendu se produit presque fatalement quand la forme est un tant soit peu compliquée. La carte 10 est consacrée à la locution conditionnelle ils s'agenouilleraient : à ne tenir compte que du patois que je connais d'enfance, celui de la Creuse, je constate que, sur les six témoins interrogés par M. Edmont, deux ont répondu par le futur et non par le conditionnel; ce sont les nos 602 et 603.

S'agit-il de phonétique ? encore il est à craindre que nous ne puissions être tranquilles et dormir sur nos deux oreilles, ou plutôt sur celles de M. Edmont. On sait la vogue donnée à la phonétique expérimen- tale par les travaux de M. l'abbé Rousselot et de ses élèves, travaux qui se font à l'aide d'instruments des- tinés à suppléer à l'insuffisance de nos organes naturels. On ne peut raisonnablement reprocher aux auteurs de Y Atlas de ne pas s'être munis d'instruments de ce genre

I. 2e éd., Toulouse, 1890.

3$6 APPENDICE

qui auraient singulièrement compliqué leur lourde tâche. Mais on peut trouver qu'ils ont été imprudents en pré- tendant nous donner, avec le seul concours de l'oreille, des distinctions phonétiques raffinées. Un exemple fera comprendre ce que je veux dire. Dans le département de la Creuse les infinitifs de la première conjugaison se terminent en a. L'Atlas distingue a long et a bref. Si l'on consulte la carte 2 (aboyer), on voit que, sur les six stations de ce département, deux ont Va bref et quatre ont Va long; si au contraire on étudie la carte 6 (acheter), on trouve partout un a bref; et si enfin on pousse jusqu'à la carte 16 (aiguiser), on con- state avec un étonnement grandissant la proportion de cinq a longs contre un seul a bref. On n'a pas besoin d'aller plus loin pour rester persuadé que la distinction entre Va long et Va bref, établie par l'oreille de M. Edmont, manque absolument de sûreté1.

1. Dans la brochure signalée en tête de cet article, M. Gilliéron fait remarquer que si tous les infinitifs de la carte 6 (acheter) ont un a bref, c'est que ces infinitifs sont extraits de la phrase « je vais acheter deux chevaux à la foire » et que la forme « syntactiquement suivie » a sa désinence prononcée plus brièvement que la forme à l'état d'isolement. Cette remarque est très juste et je me reproche de ne l'avoir pas faite. Il ajoute que le flottement entre a long et a bref des cartes 2 (aboyer) et 16 (aiguiser) provient de ce que « la production du mot à l'état isolé implique, de la part du sujet, un choix entre les multiples formes du mot en travail dans la phrase, c'est-à-dire dans son seul état de véritable vie. » C'est parfait, en théorie ; en fait, j'ai de la peine à imaginer le sujet extrayant ainsi le mot « en travail » d'une phrase idéale pour le servir à son questionneur. Mais mettons que je n'ai rien dit qui vaille. Voici un autre exemple. Au point 704 (Saint-Quentin, Creuse), l'a latin protonique non suivi de consonnes capables de l'influencer s'est changé en un son bref intermédiaire entre a et 0,

V ATLAS LINGUISTIQUE DE LA FRANCE 3(7

Il est un autre point sur lequel les résultats consignés dans l'Atlas causeront, je crois, une certaine surprise dans le monde des romanistes, c'est l'indication de l'accent tonique. On sait quelle est li'mportance du rôle de cet accent dans la formation des langues romanes en général et dans la formation du français et du pro- vençal en particulier. Sauf quelques cas spéciaux, l'ac- cent est resté sur la syllabe qu'il frappait déjà en latin : telle est la loi, vaguement entrevue par Jean Nicot, que Frédéric Diez nous a révélée et que Gaston Paris a définitivement mise en pleine lumière. A en croire les indications de M. Edmont, une véritable révolution se serait accomplie dans quelques-uns de nos patois actuels, spécialement dans le domaine septentrional de la langue d'oc. Le nombre des mots de trois et de quatre syllabes qui sont indiqués comme ayant l'accent tonique sur la première est très considérable, et l'on se demande si réellement l'accent tonique s'est déplacé, ou si M. Ed- mont a confondu l'effort musculaire initial (accent d'intensité) avec l'élévation de la voix (accent de hau- teur). Il ne faut pas se hâter de crier à la confusion, malgré les apparences. Cette question de l'accent, ou plutôt des accents, pour qui ne se contente pas de l'envisager au point de vue purement historique, est

son partout identique à lui-même : or Y Atlas linguistique note ce son de cinq manières différentes : i" par un a bref surmonté d'un accent grave (cartes 6, u, 37, 43, 44,49, 5°> 92> etc0 '■> par un a bref surmonté d'un accent aigu (92) ; 30 par un a surmonté d'un 0 bref (carte 10) ; 40 par un 0 bref surmonté d'un accent grave (cartes 19, 11, 33, 35, 38, etc.); 50 par un 0 long surmonté d'un accent grave (carte 116).

358 APPENDICE

l'une des plus ardues de la linguistique. Gaston Paris lui-même avait fini par s'interdire toute spéculation sur ce sujet, attendant avec quelque scepticisme que la phonétique expérimentale eût prononcé en dernier res- sort. Nous attendons toujours et nous prenons note des impressions de M. Edmont sans préjuger de leur valeur objective.

ADDITIONS ET CORRECTIONS

P. 62 et suiv. Aux trois exemples du suffixe -aricius que j'ai cités pour la période antérieure au moyen âge, on peut ajouter l'expression mola asi- naricia, qui se lit dans le codex Rehdigeranus (Breslau) de la version itala des Évangiles, Marc, 9, 42 ; cet adjectif asinaricius, synonyme de asi- narius, déjà relevé dans le Dict. lat.-français de L. Quicherat, revu par Châtelain, figure comme un '"■ko.ç, dans le Thésaurus linguae latinae en cours de publication. M. Wôlfflin a publié en 1888 dans l'Arch. f. lat. Lexicog., V, 415-437, un article sur les adjectifs en -icius qui se termine par une liste alphabétique : on y trouve consularicius (d'après les Novelks de Justinien ; mais c'est un dérivé de consularis et non de consul), mi- maricius, partiaricius, porcaricius, ursaricius et vaccaricius. A l'époque carolingienne appartient partis provendaricius, relevé par Du Cange dans les statuts de Corbie attribués à Adalard.

P. 75 et suiv. J'enregistre ici, en suivant la division indiquée, quelques nouveaux exemples de formation à l'aide du double suffixe ou quelques remarques complémentaires.

I. THEMES NOMINAUX I. Adjectifs. Asnerez (p. 73). Cf. asinaricius cité ci-dessus.

Champarterez, qui sert à recueillir le produit du droit de champart. L'expression grange champarteresse m'est signalée par M. Delboulle dans Guenoys, Confer. des coustumes, éd. 1596, 351 r°, et dans l'édit. de 1629 de la Coustume de Lorris, p. 231. L'adj. fém. champarteresse n'est pas seulement enregistré par les recueils de droit féodal, mais par Cotgrave, Furetière, le Dictionnaire de Trévoux, le Nouveau Larousse illustré, etc., etc. (cf. grange terrageresse, p. 80).

360 ADDITIONS ET CORRECTIONS

Costerez (p. 75). M. Delboulle me signale ce passage de Du Fouilloux, Vénerie, édition Favre, 86 : « Trois laisses de chascun costé du cours, qui seront nommées costeresses ». L'adjectif est-il déjà substantivé ? En tout cas, costeresse a échappé à Cotgrave.

Fenerez (p. 76). Frère Angier paraît faire le subst. français qui correspond au latin faix du masculin et il traduit falcem fenariam par fauz fenerez (voyez M. K. Pope, Étude sur la langue de frère Angier, p. 103).

Gerberez, qui sert à porter les gerbes. Je crois pouvoir résoudre en pau gerbera l'expression bourguignonne, extraite d'une lettre de rémission de 1425, que Carpentier a lue en un seul mot prangerbero et qu'il a insérée dans Du Cange, à l'article garba. En français primitif, ce serait pel jar- berez « pieu à gerbes ». J'ai vu le manuscrit; le trait que Carpentier a pris pour une r est placé au-dessus du p et me paraît sans valeur.

Lobakez, de loup. Le même lieu dit qui est appelé Cros Lobaresc dans l'acte 83 du Cartulaire des Templiers de Vaour (1184) est appelé Cros lobarez dans l'acte 89, postérieur de quelques années; les éditeurs, MM. Portai et Cabié, n'ont pas pu l'identifier.

Rocherez (p. 79). M. Delboulle me cite poissons rocherets dans la traduction de Pline par Antoine Du Pinet, XXX, 11, et pigeon rocheret dans le Thresor des trois langues de 161 7.

II. Substantifs masculins.

Muterez, lieu l'eau a formé de petits monticules ou mottes (terme de l'Orléanais). « Pré assis aux motterets de la rivière », texte de 1404 cité par Godefroy, art. moteret.

'somarterez, somartraz, nom messin du mois de juin, dérivé de somart, jachère (Cl. Merlo, / nomi romanzi délie stagioni e dei mesi, p. 136). La représentation par -azàt la désinence francienne-ezest normale à Metz, et il n'y a pas à songer à une formation analogue à celle du français fatras.

III. Substantifs féminins.

Corterece, dimension trop courte, et, au figuré, insuffisance. Terme du patois wallon (voy. l'art, courteresse de Godefroy ; cf. notre article lon- guerece, p. 91).

Lobareza, loverece (p. 91). Aux noms de lieux indiqués on peut ajouter les suivants : P. de Lobaressas, témoin dans un acte de 1253 du Cartu- laire des Alamans, p. p. Cabié et Mazens. p. 48 ; Louresse, commune de Rocheménier (Maine-et-Loire), appelé Loerece en 1239 et Luparicia en 1224 (C. Port, Dict. de Maine-et-Loire, II, $51); La Loubresse, hameau de Magnac-Laval (Haute-Vienne).

ADDITIONS ET CORRECTIONS 361

Meiteerece (p. 91). Cf. le bas-latin metaritia, qui revient à plusieurs reprises dans un diplôme de Charles, roi de Provence, daté de 861 (D'A- cheri, SpiciL, XII, 122; D. Bouquet, VIII, 398).

Orsareza, lieu fréquenté par les ours. Amant d'Orsaressas, de Réalmont (Tarn), est témoin dans un acte de 1340 du livre des lausimes de la Salvetat-lez-Mondragon (communication de M. A. Vidal).

Vinhareza, lieu il y a des vignes. Vigneresse est un nom de famille usité dans l'est de la Creuse (Écho de la Creuse du 26 décembre 1903).

II. THÈMES VERBAUX

I. Adjectifs.

Bâterez, l'on bat les gerbes (cf. p. 94). 0 Grange bateresse » dans Beauchet-Filleau, Essai sur le patois poitevin.

Bracerez (mieux que brasserez, p. 95). « Caudiere brasserete (corr. brasse- rtce'î) » dans le Péage de Bapaume (vers 1250), p. p. Finot, p. 159 (communication de M. Delboulle).

Lanerez, qui sert à lainer. « Cardons lanerès, peignes lanerès », dans Gode- froy, article laneret 1.

Navierez, qui sert à naviguer. « Bach navirech servant sur les yaues », texte de 1448 dans H. Loriquet, Arch. du Pas-de- Calais, p. 108 (com- munication de M. Delboulle).

Saimerez (p. 100-1). Supprimer la dernière phrase, lesubst. fém. saimerece cité plus loin (p. 1 10) se rattachant à une tout autre base étymologique.

II. Substantifs masculins.

Chaplerez. M. Désormaux croit pouvoir rattacher à ce type le français pro- vincial de Savoie chapleret, nom du couteau dont on se sert pour hacher les fines herbes, la chapelure (Revue Savoisienne, 1903, p. 287).

Claquerez. Le fromage mou, dans le patois lyonnais, s'appelle claqueret (N. du Puitspelu).

Coperez (p. 102). M. Delboulle me communique deux exemples du xive siècle antérieurs à celui de 1 390 cité dans le Complément de Godefroy : « Coperès, espees, fers a royer torches » (1328), dans Varin, Arch. de Reims, II, 486; « un coupperet » (1347), dans Depoin, Livre de raison de l'abbaye Saint- Martin de Pontoise, p. 109.

Genesterez (p. 85). M. Désormaux croit que notre suffixe se trouve dans le nom que porte le geai dans la région savoyarde : jeneré, etc. (Rev. savoi-

362 ADDITIONS ET CORRECTIONS

sienne, 1903, p. 287). C'est possible ; mais il ne faut pas rapprocher jenerè de genesterez sans dire nettement que ces deux mots ne peuvent pas remon- ter au même type étymologique.

III. Substantifs féminins.

Chemineresse, chanson qu'on chante en cheminant (Favre, Gloss. du Poitou).

Colerece (p. 107). M. Delboulle me signale le mot sous la forme coule- resse dans l'Esdaircissement de Palsgrave.

P. 117. A la liste des mots en -ier de l'ancien provençal, on peut joindre prolonguier « prolongation, délai », qui se trouve dans un acte de 1333- 1351 du livre des lausimes de la Salvetat-lez-Mondragon (Tarn) dont je dois la connaissance à M. A. Vidal.

P. 122, n. 1, 1. 4: au lieu de artisan, lire artison.

P. 130. Aux exemples cités pour montrer l'existence en provençal de mots germaniques relativement récents, on peut ajouter l'adjectif-participe «c^f (beaucoup plus fréquent que escabit, lequel n'est attesté qu'une fois, dans Aigar et Maurin), qui remonte au type verbal 'skapfjan (cf. allem. schapfen et schaffen). tandis que l'anc. français eschevi remonte à 'skapjan (cf. gothique gaskapjan, néerl. scheppen, etc.).

P. 132. Voyez un exemple de la forme chieira, que j'ai oublié de signaler, dans le Carlulaire du consulat de Limoges, édition Chabaneau, p. 3. ligne 23. Dans les Rentes de la confrérie des Suaires (ibid., p. 247-258), on trouve exclusivement cheira (13 fois).

P. 154, art. amarina. Jean des Moulins a francisé à la fois l'adjectif latin amerinus et le substantif provençal amarina en écrivant : « A Lyon et en Dauphiné ils appellent les saules amerins des amarines » (Hist. des plantes, II, 73, édit. 1653 ; communication de M. Delboulle).

P. 154, notes, ligne 4 d'en bas: au lieu de Gillérion, lire Gilliéron.

P. 156, art. ambro. Cf. l'art, ambre de mes Étymologies lyonnaises, parues dans la Romania, XXXIII, 211. On y trouve cette intéressante citation de Du Pinet (un Lyonnais, comme on sait) : « Amarines, ambres : ce sont les frans oziers » (Hist. nat. de Pline, éd. 1 562, t. I, p. 612). Deux obli- geantes communications me permettent d'ajouter ici quelques renseigne- ments complémentaires. M. l'abbé Devaux m'apprend que ambro, subst. masc, est usité dans la partie du Dauphiné qui rayonne à 30 ou 40 kilo- mètres de Lyon (par exemple, à Crémieu, à Saint-Jean-de-Bournay, etc.), mais que dans les Terres-Froides on dit amarena, armarena, armarina. M. Delboulle, de son côté, me fait part de cette citation de Jean des Moulins, Hist. des plantes, éd. 1653, II, 73 : « Les Normands et Bressans les appellent (les saules amerins) ambres. » Enfin je relève dans Vlsagoge

ADDITIONS ET CORRECTIONS 363

de J. Dubois (Sylvius\ parmi les exemples d'épenthèse de b dans le groupe m'r, à la p. $9: « Amerina salix ambré. Lugdunenses. »

P. 172-5, art. asse, assa. Le verbe apsar se trouve dans le Cartulaire du consulat de Limogts, éd. Chabaneau, p. 86 : « cumaqueu troilhs eaquela vinha se sien apsat. »

P. 173, art. aveneril. M. Delboulle m'apprend que le texte des Coustumes de Soesmes publié par L'Angelier en 1 5 46 est ainsi conçu: « Es quelles autres années les chaumes millerins et aveneriz ne sont aucunement de garde, sinon tant que le fruict est dedans les dictes terres. » Il estime que

* millerins et aveneriz sont des adjectifs qualifiant chaumes.

P. 175. Aux exemples cités, il faut vraisemblablement ajouter faveril, de faba « fève » : cf. les noms de lieux comme Le F avril (Eure, Eure-et- Loir, Nord), Les Faverils (Eure), Favrieux ou Faverieux (Seine-et-Oise) ; les formes latinisées Fravilliacum (1500), Faveriliacum (1239), Faveria- cum (1222) indiquées par le Dictionnaire topographique d'Eure-et-Loir sont sans grande importance. Peut-être aussi le nom du prieuré de Notre- Dame des Pezeris, autrefois Pezerils, près de Chartres (voyez Montai- glon, Rec. de poésies franc., VIII, 210), remonte-t-il à pisum « pois ».

P. 182, art. boudé. Le mot provençal boder figure aussi dans l'ancien tarif de Gaillac dressé en 1527 (Rossignol, Monogr. communales du Tarn, II, 372).

P. 198, 1. 5 : au lieu de *caclabare, lire *caclavare.

P. 200, art. careillade. L'ancien provençal connaît aussi la forme dissimilée qui correspond à l'ancien français chenilliee ; elle est citée par Raynouard, Lex. rom., II, 310, d'après YElucidari, on lit: « jusquiam, herba autrament dita canelhada. » La traduction « française » donnée par Ray- nouard n'est rien moins que française, car cannellce n'a aucune réalite. Pour un autre nom de la jusquiame, voir notre article saupignago.

P. 203, art. cerneau : cf. Romania, XXXIII, 264.

P. 209, art. cibre, tribe. Je ne me suis avisé que depuis l'impression de cet article de l'existence en bas-latin d'un substantif tiprus, qui figure dans la Vie de saint Colomban par Jonas (septième siècle) et qui a passé de dans celle (très postérieure) de saint Magne, apôtre de l'Algau (cf. l'art. typrus de Du Cange). L'œuvre de Jonas a été rééditée tout récemment par M. Krusch dans la collection des Monumenta Germaniae historica, au tome IV des Scriptores rerum Merovingicarum, et M. Krusch imprime quatre fois tiprus (ou tiprum), sans variantes, dans les quatre phrases voisines l'une de l'autre Jonas emploie ce mot : « vas quod tiprum nuncupant ad cellarium déportât... » [loc. laud., p. 82, lignes 9, 10, 16 et 18). On sait que Jonas est à Suse, c'est-à-dire dans cette région alpestre cibre, ceber, etc., est encore aujourd'hui très vivant. Il me paraît difficile de ne pas voir dans le tiprus de Jonas le représentant le plus ancien de la famille de mots dont je me suis occupé. D'autre part,

}64 ADDITIONS ET CORRECTIONS

le rapport de ce tiprus du septième siècle avec le zuuipar des gloses de Cassel n'est pas clair : il semble que le thème fipr- ait été contaminé en haut allemand par le thème propre de zwei « deux » et que les langues romanes soient sorties du thème Ûpr- avant la contamination. Mais quelle est exactement l'origine de ce thème tïpr-, je l'ignore.

P. 2ii, art. cibre, tribe. De la métathèse hypothétique de 'tibre en tribe, on peut rapprocher celle qui s'est incontestablement produite dans la descendance du mot tubrucus, enregistré par Isidore de Séville et duquel sont sortis l'ancien provençal trebuc (encore vivant, en particulier dans la Creuse) et l'ancien français trebu, qui désignent une sorte de jambière. Je consacrerai peut-être quelque jour une étude spéciale à ce mot qui figure dans les gloses de Cassel (n° \\4deurus: deohproh) et que Diez a commenté sans connaître les formes romanes que je viens de rappe- ler, mais en dégageant bien son origine germanique.

P. 217, art. conobrage. Grâce à l'obligeance de M. P. Meyer, j'ai pu avoir communication du texte complet de la charte rochelloise de 1297 d'où Godefroy a tiré les deux exemples du mot conobrage qui figurent dans le Dictionnaire de l'anc. langue française. J'ai le plaisir de constater que le verbe conobrer, dont l'existence était nécessaire pour justifier celle du sub- stantif conobrage, s'y trouve en toutes lettres. Voici des extraits suffisants pour le but que je me propose :

Et d'autre part nous requeïst ledit maistre Pierres de Condac que nous les chouse e les héritages dessus diz, qui tenuz e obligez li esteient a li rendre e payer e censer les trente 1b. de cens dessus dites, tenissom e conobressom de façons deues einsi que les diz héritages e choses ne se peûssent dépérir pour faute de laborage... les quaus héritages et chouses esteient moust decheuz et en moust mauvais point par deffaute de laborage e lonc temps a que il fussent deperiz et cheuz en main de seignor, se ne fust l'ayde e le laborage que le dit maistre Pierres y fait et fait faire par lonc temps, en quei il a mis e despenduz granz deners...

La lecture de tout le document laisse l'impression que le verbe conobrer et le substantif conobrage sont à peu près synonymes de laborer et de laborage. Le substantif verbal actuel couneuvre n'a se spécialiser qu'à une époque récente pour désigner soit l'engrais, soit les façons des seconds blés. Sur l'existence et le sens, en ancien provençal, d'un substantif conobre, correspondant au poitevin couneuvre, voir Romania, XXXIII, 262.

P. 222, art. consier, desier. Aux textes provençaux figure consier, il faut ajouter la Règle de saint Benoît, Bibl. nat. franc. 2428, f°" 7* (los malvatz cossiers), 9b (en cossier et en paraula) et 16* (Dieu ve e sap los cossiers). Chose singulière, ce texte emploie exclusivement dcsirier (f°* 8* et 9") ou destrier (f° 31*).

P. 235, art. deimai. Mcn identification de la plante appelée dans le patois de Bouffanges mènogri avec le pied-d'alouette (Lotus corniculatus L.) ne repose pas sur une étude botanique directe, mais sur la constatation du fait que dans le patois de Saint-Georges-de-Mons (Puy-de-Dôme), d'après

ADDITIONS ET CORRECTIONS 36$

le témoignage de Rolland, Flor. pop., IV, 156, le pied-d'alouette porte le nom pittoresque d'herbe « sauve-le-mouton ».

P. 244, art. dolsa. Cf. Romania, XXXIII, 219. Le piémontais emploie dossa dans le sens de « cosse » : cf. un article de M. le comte Nigra, qui, sans connaître N. du Puitspelu, propose de voir dans le piémontais le pluriel neutre dossa pour dorsa (Arch. glottol., XV, 28}). M. Dauzat me signale dans le patois de Vinzelles le sens spécial de « quartier de noix » pris par l'ancien mot dolsa : la prononciation actuelle (ajoute-t-il) semble postuler un 0 fermé, à moins qu'il n'y ait une contamination de la forme féminine de l'adjectif qui correspond au latin dulcis. On ne trouve pas d'exemple de ce sens spécial dans Rolland, Flore pop., IV, 48-49.

P. 24$, 1. 20: au lieu de 3ôXî;/o;, lire S6li/_oi.

P. 246, note l, au lieu de Philippon, lire Philipon.

P. 247, art. droueri. Cf. Romania, XXXIII, 220.

P. 250, art. écoisson, titre : au lieu de XLI, lire XLIV. Cf. Romania, XXXIII,

220. P. 2 s 5, art. eissarrar, esserrtr. Cf. Romania, XXXIII, art. ensarailli.

P. 257, art. entrenerge. Le simple tenerge s'est conservé dans la Basse- Gâtine de Poitou, au prix d'une métathèse qui ne le rend pas mécon- naissable pour le linguiste ; cf. cet article du Dictionnaire du patois bas- gdtinais de M. C. Puichaud, Revue de philologie française, VI, 134: « Trenège, adj. des deux genres: sale, sans éclat. Vous avez la peau trenège (imprimé renège), lavez-vous. »

P. 260, art. escaupir. Un exemple plus ancien encore de scalpere au sens de 0 démanger » est fourni par l'expression scalpentes aures, qui se lit dans une citation de la Bible (2 Thimoth., 4, 3) faite par saint Hilaire dans son traité contre Constance (voyez Forcellini-De Vit).

P. 264, art. esperbo. Le mot provençal a été introduit par Desdier Cristol dans sa traduction du De honesta Voluptate de Platina, imprimée pour la première fois en 1 505, P XIII* de l'édition primitive : « Des cormes, sorbes ou esperues (lire esperves). » Godefroy s'est contenté de mettre un point d'interrogation à la place de la définition.

P. 273, art. garlimen, titre: au lieu de XLVI, lire LX.

P. 274, art. gierre, titre : au lieu de XLVII, lire LX1.

P. 276, art. haleine. Un exemple antérieur de anhela (ou anhelus) au sens de

anhelitus se trouve dans la vie de saint Colomban par Jonas (Mon. Cerm.

hist., Script, rer. mcrov., IV, 120, 1. ij): « hanc in extremis anhelis

positam. » P. 279, art. histar, titre: au lieu de XLVIII, lire LX1V. P. 283, n. 3: au lieu de *pinea-\-aris, lire pinea-h-at--*--aris.

366 ADDITIONS ET CORRECTIONS

P. 284, art. ivière, titre: au lieu de XLIX, lire LXVI.

P. 289, art. laus, titre : au lieu de L, lire LXX.

P. 290, art. ledanjos, titre: au lieu de LI, lire LXXI.

P. 291, art. lioube, titre: au lieu de LU, lire LXXII.

P. 294, art. marsia. Cf. Romania, XXXIII, 225. Dans son beau travail intitulé / nomi romanzi délie stagioni e deï mesi (Torino, 1904), M. Clé- mente Merlo a cité le provençal marsado « giboulée de mars » en le rap- prochant du frioulan marzade, qui a le même sens (p. 272 ; cf. p. 236 pour le sens de « durée de mars ») ; mais il ne parle pas du lyonnais marsia.

P. 295, art. meeril. La lecture meeritz (au lieu de meerilz), le rapproche- ment avec l'anglais meer « limite » et la définition par « praestatio quas ballivo pro limitibus ponendis exsolvebatur », que les Bénédictins ont introduits dans Du Cange, sont à canceller.

P. 296, art. meiri, titre: au lieu de LUI, lire LXXVI. L'ancien fran- çais marriz n'est pas éteint. A Boulogne-sur-Mer on prononce merri et l'on fait le mot du masculin. (Abbé Haiguené, Patois boulonnais, Vocabu- laire, p. 389, merri.)

P. 298, art. nar. H. Moisy, dans son Dict. de patois normand, que je n'avais pas sous les yeux en rédigeant cet article, donne concurremment à ar et à nar; il rattache justement le patois à l'ancienne langue, mais il croit que à nar est sorti de à ar par intercalation d'une n euphonique.

P. 299, art. nouei, titre: au lieu de LXIII, lire LXXVIII.

P. 300, art. nuitre: au lieu de-LXIV, lire LXXIX. M. Désormaux a eu l'amabilité de signaler ma notice sur nuitre aux lecteurs de la Revue savoisienne et il l'a fait en ces termes (année 1903, p. 287): « Nuitre n'a pas de correspondant qui ait été relevé dans nos régions. A propos de ce mot, l'auteur donne d'intéressantes explications sur les variantes du vx fr. caon, représenté en Savoie yarçhavan, çhëvan, français local chavan, hibou (voyez ces mots in D. S. » J'ai obéi docilement et je suis allé lire l'article çhëvan in D. S., c'est-à-dire en bon et clair français, dans le Dictionnaire savoyard publié sous les auspices de la Société Florimontane par MM. A. Constantin et J. Désormaux (Paris et Annecy, 1902). J'ai eu la surprise d'y faire une trouvaille. Tout au bout, après lucheran, j'ai remarqué un itoulâ solitaire, flanqué du sigle 7J, qui indique Saint-Jean- de-Maurienne. M. Désormaux ne me contredira pas si j'affirme que itoulà est un correspondant savoyard du français nuitre, du dauphinois niétola, de l'italien nottola, etc., etc. Les mots (et les philologues) perdent facile- ment la tête. Comme il est heureux que nuitre soit mort à la fleur de l'âge et n'ait pas subi pareil outrage ! La chouette courait grand risque de descendre dans l'échelle animale, car dans nuitre, il y a uitre.

P. 307, 1. 4 d'en bas du texte : au lieu de inacceptable, lire acceptable.

ADDITIONS ET CORRECTIONS 367

P. 310, art. olonier. Cf. un article de M. Schuchardt (Z. /. rom. Phil., XXVIII, 192) l'on trouvera mentionné le prov. Udouno, mais non le français olone.

P. 3 10, n. 2. Vérification faite, ce n'est pas l'arbousier que Léger du Chesne appelle « alisier ou ledonnier » (p. 47), mais le a Lotus arbor » des Anciens, qu'on identifiait alors ordinairement avec le micocoulier (Celtis australis L.). Aussi Cotgrave traduit-il Udomier (faute probable pour ledonnier) par « The Lote, or Nettle tree ».

P. 314, art. outjabo. Le mot latin octava vit encore, avec un sens ana- logue, dans la Suisse romande, comme l'a montré récemment M. Jean- jaquet (Bull, du Glossaire de la Suisse rom , 1, 43).

P. 317, art. pion. Godefroy a fait les deux extraits suivants des Comptes de Diane de Poitiers (articles plom et plonnoye) : « Quatre gerbes de plombs, néant, pour ce qu'ils ont esté prins a la plonnaye ; deux fagoiz de ploms cuilliz en la plonnoye de la fontaine. » Il cite encore un acte de vente de Chenonceau, de 1496, il y a côte à côte « plonnoye» et « touche de bois ». Et pourtant, il déclare ignorer le sens de plom ou plomb et de plonnoye ! Mettons « osier » et « oseraie » à la place de ses points d'interrogation, et passons.

P. ?i8, art. porchaille. Cf. Romania, XXXIII, 226. La forme porclaca a ètt signalée par M. Densusianu (Romania, XXIX, 330) dans Y Art vétéri- naire de Pelagonius, 371 et 374, éd. Ihm.

P. 320, art. pouiller. M. Dauzat me fait remarquer que le verbe pouiller figure dans une chanson à la mode de Théodore Botrel, Le Couteau :

Pouille-moi ce tricot de laine, Chausse-moi ces sabots.

Les artistes qui interprètent le répertoire du poète sont parfois singulière- ment interloqués par ce provincialisme.

P. 326, art. resencier. aux exemples que j'ai indiqués ailleurs comme pou- vant justifier le passage de recincier à reïncicr, on peut ajouter le nom de lieu Créancey (Côte-d'Or) et Crancey (Aube), dont le type primitif paraît être Crescentiacus. Voyez, sur ce point, Berthoud et Matruchot, Étude hist. et étym. des noms de lieux habités de la Côte-d'Or, II, $9.

P. 327, art. revondre. Cf. Romania, XXXIII, 227.

P. 331, art. seyno. Cf. Romania, XXXIII, 228.

P. 333, art. souille, 1. 9 : au lieu de subîcula, lire * subîcula.

INDEX DES AUTEURS

ET DES TEXTES CITÉS

Académie française (Dict. de 1'),

152, 188, 271, 316. Aceilly (le chevalier d'), 7, 8. Acheri (D'), 361. Ackermann, 330 n; Adalard de Corbie, 359. Adam (L.), 102, 105. Adémar de Chabannes, 48, 49,

51, 59 n. Aetius, 269.

Aigar et Maurin, 222, 254, 362. A toi et Mirabel, m n. Alahan (B.) de Narbonne, 232. Albucasis, 182. Alexandre (prov.), 134. Alexandre (fr.), 267, 269, 301. Alexandre de Villedieu, 27. Alphita, 331 n.

Amant rendu cor délier, 97, 99. Amyot, 278. Angier (frère), 360. Antioche, 222. Apfelstedt, 74. Apicius Caelius, 178. Appel (C), 171. Appendix Probi, 320. Apulée, 199, 330. Arbois de Jubainville (H. d'),

15, 34, 37 n-, 38,45, 46, 54

n., 56, 60 n.,61 n., 127, 167.

Thomas.

Aristote, 5. Arnaudin (F.), xn. Arnobe le jeune, 343. Ascoli, 176, 183 n., 231 n. Aubigné (Agrippa d ), 20. Aubrion (].), 245 n. Auracher. Voir Berger. Ausone, 165. Bailly, 194 n. Baist, 253, 342 n. Bartsch(K.), 21, ii4n., 139 n.,

340 n. Bataille Loquifer, 116 n. Baudoin de Condé, 75. Baudrillart, 325 n. Beauchet-Filleau, 218, 219 n.,

242 n., 266, 270, 361. Beaumanoir (Ph. de), 68, 94. Behrens, 291. Belon (Pierre), 188, 332. Beneeit, 116 n. Benvenuto de Salerne, 160-1. Berger (H.), 195, 226. Berger (S.), 303 n. Berger et Auracher, 160 n. Bernard (saint). Voir Sermons. Bernard hier. Voir hier. Béronie et Vialle, 223 n., 239,

296, 297, 328, 329. Berthoud et Matruchot. 367. IL 24

37°

INDEX DES AUTEURS ET DES TEXTES CITÉS

Bertran de Born, 57 n.

Bescherelle, 273 n.

Blanchet, 53 n.

Blaze, 175.

Bloch (Oscar), 102 n.

Boèce, 210 n.

Bcehmer, 222.

Bois (Du). V. Dubois.

Bonnard (J.), 265 n.

Bonnardot, 278.

Borel (P.), 298 n.

Botrel (Th.), 367.

Bouchet (Guill.), 8s .

Bouquet (Dom), 361.

Bourciez, 136 n., 282 n.

Bourgoing, 7.

Bouvelles, 30.

Boyer, 43 n.

Brachet, 10 11., 24, 205 n., 320.

Bréal (M.), II, 27.

Breviari-d'Amors, 340.

Brossner, 222.

Budé (G.), 6.

Buechner, 190.

Bugge (S.), 252.

Cabié (E.), 360.

Caelius Aurelianus, 200.

Cailly (J. de), 7.

Calmet (Dom), 126 n.

Camus (J.), 15411., 26011., 269.

Canello, 289.

Cange (Du), passim.

Capitulaire de Villis, 65.

Carmen adv. Marcionetn, 180.

Carpentier, 82, 87, 151 n., 155,

162, 186 n., 194, 252 n.,

279, 312, 313, 360. Caseneuve, 7, 24, 30, 192 n. Cénac-Moncaut, 1 1 8 n . ,26 1 ,290. César, 169. Chabaneau, 13211 ,240 n., 299,

300, 340 n., 362. Chabert, 308 n. Chambure (De), 230. Champeval (J.-B.), 42 n., 60 n.,

241 n.

Chan Heurlin, 90.

Chanson de la croisade contre les

Albigeois, 92, 184. Chassaing (A.), 41 n., 42 n.,

49, so n., 56 n. Chastelain (Abbé), 343. Châtelain (É.), 359. Chaucer, 313. Chavanon, 48 n., 52 n. Chesnel (De), 273 n. Chevalier (U.), 91. Chrétien de Troyes, 75, 96,

292 n. Christine de Pisan, 252. ,

Cicéron, 64, 261. Cihac (De), 209. Cipriani (M"e), 124, 125 n.,

128 n., 130. Clédat(L.), 132 n. Clément (P.), 263 n. Cochard, 251 n. Cochin (H.), 101, 254 n. Cohendy, 340 n. Cohn (G.), 149. Colin Muset, 244 n. Colmeiro, 190 n. Columelle, 297. Constans (L.), 213 n., 214. Constantin et Désormaux, 205

n., 366. Contant (J. et P.), 510. Contejean, 73, 95, 96, 97, 99,

100, 101, 102, 104, 105, 158

n., 161, 253, 283, 287, 316,

317-

:irblet

Corblet (Abbé), 201, 317 n.

Cornu (J.), 24, 275.

Coipusgloss. lat., 1 13 n., 125 n., 157 n., 189 n., 190 n , 200, 277 n., 308, 309, 320 n.

Corpus inscr. lat., 244.

Cotgrave, 20, 79, 80, 85, 87, 105, 152, 178, 248, 269, 297, 310, 313, 319 n., 322, 359, 360, 367.

Cristol (Desdier), 319 n., 365.

INDEX DES AUTEURS ET DES TEXTES CITÉS

Dardy (Abbé), 37. Darmesteter (Arsène), ion., 21,

224, 236, 317 (cf. Hatzfeld). Danois, 233 n., 256, 287, 293

n., 323, 326. Daudé de Pradas, 170, 189,

309 n.

Dauzat (A.), 365, 367. Defensor de Ligugé, 224, 252. Delboulle (A.), 359, 360, 361,

362, 363. Delisle (L.), 84. Deloche (M.), 36 n., 61 n.,

167 n., 168, 169. Densusianu (O.), 367. Depoin, 361. Deschanel (E.), 33. Desjardins (G.), 202. Desmoulins (J.), 362. Désormaux, 205 n., 361, 366. Devaux (Abbé), 71 n., 88, 91,

105, 304 n., 309 n., 362. Devic (M.), 153 n., 154 n. De Vit. Voir Forcellini. Dict. général. Voir Hatzfeld. Diez (Fr.), 9, 10, 20, 21, 24,

25, 110, 114, 116 n., 123,

151 n., 176, 212, 220 n.,

233, 237, 275, 276, 278,

281 n., 298 n., 326, 327,

334, 335- Diomède, 183. Dioscoride, 194 n., 248. Donat proensal, 179, 340. Dorveaux (Dr P.), 150, 154 n.,

200 n., 267 n., 310, 331 n. Dottin, 87, 152, 174, 201 n.,

252, 320, 332. Dozy et Engelmann, 161 n. Drouyn (L.), 184. Dubois (J.), Sylvius, 7, 21, 362. Dubois (L.), 333. Duboul (A.), 163 n., 171, 355. Ducamin, 163 n., 329 n. Duchesne (Léger), L. à Quercu,

310 n., 367.

Duchesne (E.-A.), 150 n, 155

n., 199. Duchesne (Abbé Louis), 126. Duclou (Dom), 234, 255. Du Fouilloux, 360. Duhamel du Monceau, 108,

109, 1 10. Du Méril (E. et A.), 200,

321. Dupinet (A.), 73, 154 n., 248,

360, 362. Duplès-Agier, 45 n., 48 n.,

61 n. Durrieux (Alcée), 221 n., 230,

259, 260. Dynamidia, 270. Edmont, 22, 183, 207, 209, 210, 214 n., 346-358 passim. Elucidari, 363. Encyclopédie méthodique, 273. Enèas (Roman d'), 143 n. Engelmann. Voir Dozy. Espagnolle (Abbé), 6. Espana sagrada, 191 n. Estienne (Henri), 312 n. Estienne (Robert), 83, 204, 297, . 319 n.

Etablissements de saint Louis, 80. Etienne de Byzance, 46. Eucher (saint), 301. Fagniez (G.), 83. Fauchet, 7.

Favre (L.), 208, 218, 258 n., 270 n., 288 n., 321, 360, 362. Feraud (Raimon), 155. Ferrari, 334.

Fides (Caneton de Sancta), 112, 113, 115, 129, 134, 135, 143 n., 212 n., 220, 221 n. Flamenca, 339, 340. Flaubert (G.), 232 n. Flechia, 326. Flodoard, si.

Fcerster (W.), m n., 115 11., 116 n., 117, 124 n., 209 n., 222, 261 n., 292 n.

37-1

INDEX DES AUTEURS ET DES TEXTES CITÉS

Folquet de Lunel, 215 n. Forcellini et De Vit, 64 n., 203,

311, 320 n., 365. Formeville(De), 185, 186. Formulae Andecavenses, 65. Fortunat, 38, 47 n., 166, 167. Foucaud, 164, 165, 172, 234,

238, 254. Fouilloux (Du), 360. Fréville(H. de), 185. Froissart, 76, 237. Furetière, 80, 83, 105, 198 n.,

229, 230, 271, 324, 359. Gallia christiana, 52, 90, 198 n. Garnier de Pont-Sainte-Maxen-

ce, 299, 366. Gartner, 295 n., 331 n. Gastineau (Peain), 58 n., 143-

4 n. Gaufrei, 116 n., 117 n. Gautier de Coinci, 81. Gautier d'Épinal, 116 n. Gay (V.), 103. Gérard de Crémone, 153. Gerbaux, 82. Germer-Durand, 81. Gilliéron (J.), 22, 154 n., 183,

207. 209, 210, 214 n., 239,

244 n., 245, 254 n., 284 n.,

288 n., 346-358 passim. Girart de Rous sillon, 101,222,223. Giry (A.), 59 n., 85 n., 106,

184, 183 n. Gloses de Cas sel, 363-4. Godefroy (Fr.), passim. Goerlich, 218 n. Gœtz. Voir Corpus gloss. lat. Gourgues (De), 38 n. Grammont (M.), 41, 113 n.,

161, 162, 257, 259 n., 274,

293 n., 326, 327, 333. Grande Encyclopédie (La), 54,

275. Grandgagnage, 89, 90, 91, 96,

97, 100, 107, 108, 109, 110,

282, 283, 317 n.

Grégoire de Tours, 38, 54 n. Grégoire le Grand, 292. Grimm (J.), 308 n. Grœber (G.), 9, 121, 126 n. Guenoys, 359. Guessard, 329 n. Guibert (L.), 132 n., 165. Guillaume le Clerc, 78. Guillaume le Mareschal, 143 n. Haigneré (Abbé), 366. Haillant, 77, 78, 85, 96, 97,

102, 105, 106, 107. Hatzfeld et Darmesteter (Dict.

gèn.), 14 n., 91, 109, 149

n., 153 n., 244 n., 272, 278,

299 n. Havet (Julien), 92. Hécart, 85, 260, 312. Helmreich, 308 n. Hentschke, 222 n. Hessels, 277 n. Hilaire (saint), 365. Hippeau, 299. Holder, 35-62 passim, 94 n.,

166 n., 167 n., 301 n. Horning, 67, 76, 77, 78, 81,

98, 137, 139, 181 n., 233 n.,

278, 283. Huon de Bordeaux, 116 n. Irminon (abbé), 65, 146 n. Isidore de Séville, 162, 187. Itier (Bernard), 45 n., 48 n. Jaubert (Comte), 75, 87, 106,

151, 201, 214 n., 236 n.,241.

291, 325, 332. Jean d'Arras, 95, 237. Jeanjaquet, 367. Jeanroy (A.), 182. Jonain, 107, 214 n., 293, 310. Jonas, biographe, 363, 365. Jonquet (Abbé), 314. Joret (Ch.), 200 n. Joubert (L.), 268. Jules César, 79. Julius Valerius, 267 n. Jullian (C), 15.

INDEX DES AUTEURS ET DES TEXTES CITES

Juvénal (Scholie de), 64 n.

Keller, 249 n.

Kluge, 291.

Kôrting (G.), 10 n., 149, 151 n., 163 n., 168 n., 170 n., 209 n., 215, 221 n., 228 n., 229, 23s n., 239, 248 n., 253, 255 n., 256, 257, 259, 2b6, 267, 286, 287, 292, 297, 300 n., 301 n., 304 n., 311 n., 319 n., 325 n., 335.

Koschwitz (E.), 115 n., 209 n., 261 n.

Krusch, 94 n., 363.

Labernia, 190 n.

Labiche (E.), 218 n.

Laborde (F.), 213 n.

Laborde. Voir Pansier.

Labourasse, 78, 85, 86, 95, 98, 102, 104, 107.

Lacuve, 270 n.

La Fons, 79.

La Fontaine, 315.

Lagadeuc, 252.

Lair(J.), 49-

Lalanne (Abbé), 205 n., 219 n.,

258 n., 270 n., 285, 286, 287,

294, 329 n. Lalet (J.), 235, 273. Lambert le Tort, 369, 270, 301,

302. Landri de Waben, 265. Langouët, 320, 332 n. La Roncière (De), 186. Larousse, 1 50. Larousse illustré (Nouveau), 108,

232 n., 262, 359. Le Beuf (Abbé), 107 n. Leclerc (Abbé), 37 n. Leclère (Mm«=), 235 n. Legré (L.), 269 n. Leite de Vasconcellos,- 1 12, 13$

n., 212 n., 220. Lemery, 188. Leroux (A.), 39 n., 44 n., 48 n.,

52 n., 61 n.

Le Sage, 20.

Lespinasse (R. de), 312 n.

Lespy et Raymond, 118, 162-3, 169, 176 n., 181, 187, 216 n., 229, 261, 281-2, 283 n., 289, 313, 329 m

Levy (E.), 117, 130 n., 132 n., 152, 155, 160-1, 171, 172, 179 n., 215 n., 224, 228 n., 233, 240 n., 255, 256, 266 n.

Liber gïossar uni, 159.

Limborch, 94.

Littré, 10 n., 20, 24, 29, y6, 83, 84, 86, 91, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 149, 204 n., 214 n., 262, 276, 288, 298 n., 303, 304m, 310, 312, 31711., 324, 332, 344.

Loi des Alauians, 65.

Loi Sahque, 65.

Longnon (A.), 15, 40 n., 57, 58, 60, 88, 89, 107 n., 159 n., 169 n., 278.

Loriquet (H.), 361.

Loth (J.), 169 n.

Luchaire (A.), 129 n., 137 n., 281 n.

Mabille, 54 n.

Mabillon (Dom), 17 s n.

Mackel (E.), 127 n., 128 n., 129 n., 143 n., 212.

Mahn, 132 n.

Mai (Angelo), 159 n., 261 n., 271.

Maiuet, 299.

MarcellusEmpiricus, 309, 32011.

Marchot (P.), 124 n., 134, 144.

Mare (N. de la), 288.

Marguerite d'Oingt, 328.

Marie de France, 69, 70.

Martial, 63.

Masselin, 45.

Matruchot, 310 n., 367.

Matton, 95, 197 n.

Mazens, 360.

Ménage, 7, 8, 9, 20, 21, 23, 30,

374

INDEX DES AUTEURS ET DES TEXTES CITÉS

192 n., 229, 250, 272 n.,

288, 297, 354, 343- Merlo (Cl.), 360, 366. Mesnagier de Paris, 78, 152, 245,

246.

Meurier, 21.

Meyer (E.), 271 n.

Meyer (L. E.), 266.

Meyer (Paul), 101, 1 14 n., 120, 125 n., 143 n., 1 52, 214, 222 n., 224, 287 n., 320 n., 329 n., 335, 341, 347, 364.

Meyer-Lûbke, 59, 67, 70, 110, m, 112, 114, us, 116 n-> 117 n., 158-9, 184, 193, 196, 199, 215, 228 n., 232 n., 233, 243, 275, 276, 277 n., 281 n., 291, 30411., 31911., 335, 336, 338, 339, 340, 542.

Michel (Fr.), 222 n., 313 n.

Michelant (H.), 267, 301, 302.

Mistral, 41 n., 53, 58 n., 74, 82, 86, 87, 118, 127 n., 151, 153, iss n., 164, 171, 176, 179, 180 n., 189, 191, 199, 201, 202, 20s n., 207, 209, 215, 217, 234, 236, 237 n., 239, 245, 249, 250, 2SI n., 2S4 n., 254, 2S9, 261, 264, 266 n., 268, 273, 274, 287,

289, 290, 294, 296, 304, 305; , 306, 314, 31s, 316 n., 317, 328, 329 n., 330, 334.

Modus (Livre du roi), 187.

Moisy, 187, 366.

Molière, 7.

Molinier (E.), 39 n., 44 n., 48

n., 61 n. Monaci (E.), 189 n. Monnier, 323.

Monologue de l'Amoureux, 97. Montaiglon (A. de), 363. Montaigne, xn. Montaudon (Moine de), 159,

160.

Montesson (Comte de), 105, 174, 237, 321, 332 n.

Moore (C. H.), 246 n., 447 n.

Morf (H.), 141, 143.

Mort Aimer i (La), 1 16 n.

Moutier (Abbé), 306.

Mowat, 331 n.

Mozin(Abbé), 79,91, 106, 108, 150 n., 345.

Mùller (Max), 11, 12, 25.

Mussafia, 29s n., 331 n.

Nicot (J.), 7, 21, 83, 204, 278, 297, 298 n., 319 n.

Nigra (Comte), 208 n., 209 n., 36s.

Noulet, 132 n.

Olcott, 64 n.

Oresme, s, 6.

Oudin (A.), 67, 83, 93 n., 269, 297, 314, 322.

Ovidio (D'), 193 n.

Palsgrave, 362.

Pansier et Laborde (D""*), 160 n.

Paris (G.), 10 n., 11, 21, 38, 90, 101, 119 n., 122, 123, 124 n., 143, 14s, 183, 195, 227, 230, 231 n., 232 n., 244 n., 251 n., 535, 336, 343 n., 346, 347, 351, 353-

Parnasse occitanien, 305.

Partenopeus de Blois, 116 n.

Pasquier (E.), 7.

Passion (de Clermont), 24, 1 34.

Paulin de Périgueux, 38.

Peain Gastineau, s8n., 143-4 n.

Peire Vidal, 114 n.

Pelagonius, 367.

Perceforest, 91.

Pertz, 51.

Philipon (E.), 156, 246 n., 331.

Pichon (Baron), 80.

Picot (É.), 97.

Pigeonneau, 263 n.

Pinet (Du). Voir Dupinet.

Pirmin (saint), 65.

Planchon (L.), 268 n.

INDEX DES AUTEURS ET DES TEXTES CITES

»7i

Platearius, 244 ri.

Platina, 519 n., 365.

Platon, 4.

Plaute, 22.

Pline l'Ancien, 154 n., 248, JII, 360.

Poème moral. 143 n.

Poinssot (Ch.), 43 n.

Pope (M. K.), 360.

Port (C), 360.

Portai, 360.

Poulet (Dr), 256, 257, 293, 323.

Prou (M.), 36 n.

Psautier lorrain, 74.

Puichaud, 334 n., 365.

Puitspelu (N. du), 98, 104, 105, 142 n., 143 n., 156, 178, 245, 246 n., 247, 251, 294, 307, 319,327,328,361, 365.

Quicherat (J.), 56, 59.

Quicherat (L.), 359.

Rabelais, 81.

Raimbaut de Vaqueiras, 232, 340.

Raimon de Miraval, 115.

Raymond. Voir Lespy.

Raynouard, 9, 75, 114 n., 121 n., 132 n., 143 n., 152, 155, 159, 170, 176, 182, 188, 190, 215 n., 221, 224, 231, 232, 233, 2S2 n., 257 n., 289, 305, 309 n., 363.

Razi, 153.

Rédet, 55 n.

Règle de saint Benoit (pr.), 364.

Renart le Nouvel, 143 n.

Rendus de Moiliens (Le), 70, 116 n.

Renzi (De), 305 n.

Richelet, 83, 203, 271.

Roby (Abbé), 235 n.

Rochegude (Parnasse occitanien), 305.

Roger de Salerne, 217, 305.

Rolland (E.), 70 n., 75, 78, 89, 97, 98, 99, 101, 102, 104,

163 n., 196 n., 205 n., 267

n., 284 n., 301 n., 304, 306,

310 n., 311 n., 331 n., 364,

365. Ronsard, 278. Roquefort, 272. Roques (M.), 277 n. Rose (V.), 200 n., 319 n. Rossi (G.), 208 n. Rossignol (É.), 363. Rousselot (Abbé), 22, 126, 355. Roussey (Ch.), 82, 100, 293 n.,

334-' . Ruben (E.), 164, 165, 172, 234,

236, 255. Ruellius, 310 n. Runeberg, 1 16 n. Sachs, 149. Sainéan, 194 n. Saint-Gelais (O. de), 75. Saint-Léger, 139. Saint-Simon, 316. Salmon (A.), 68, 94. Salomon, glossateur, 66 Salvioni (C), 179 n., 209 n. Samfiresco (M»e), 8. Sand (George), 241, Sarran (Abbé), 221 n. Saumaise, 22. Sauvages (Abbé de), 269 n.,

306, 330. Savary des Bruslons, 83, 262,

312 n., 324, 344. Scaliger, 7, 169. Scheler (A.), ion., 24, 29, 203. Schmitz (W.), 246 n., 277. Schône (L.), 264 n. Schuch, 178 n. Schuchardt (H.), xii, 153 n.,

1 92-99 'passirn, 210 n., 275,

335-343 /""«'w' 366. Sermons de saint Bernard, 81,

117. Serres (Olivier de), 245, 310. Sévigné (M™ de), 316. Sidoine Apollinaire, 165.

I7«

INDEX DES AUTEURS ET DES TEXTES CITES

Sidrac, 74.

Simonneau, 242 n., 334 n.

Skeat, 263 n., 313 n.

Solier (Hugues), 269.

Souviron, 106.

Soyer, 214 n.

Spartien, 64.

Staaf (E.), 119, 122, 125, 134

n., 137, 138, 140 n., 141. Stengel (E.), 329. Strabon, 46.

Strophes au Saint-Esprit, 340 n. Suchier(H.), 27s. Sudre (L.), 14 n. Suidas, 194 n. Sulpice Sévère, 38. Tailhan, 253. Taillevent, 80. Tannery (Paul), 344, 345. Tarbé (P.), 204 n., 253 n. Térence, 261. Tertullien, 114. Teulié (H.), 160. Texier (H.), 235. Thèbes (Roman de), 76, 212 n.,

213,231. Theodorus Priscianus, 200, 260,

31911. Thibault, 94, 105, 162 n., 173,

203 n., 318, 321, 332. Thierry (J.), 83, 84, 319 n. Thomas (Eug.), 41 n., 62 n. Tillet (Du), 84. Tissot, 95, 101, 105, 161, 256,

276, 284 n., 289, 323, 326. Tite-Live, 261. Tobler(A.), 67,68, 73,75, 77,

78, 81, 84, 85, 86, 89, 90,

95, 97. 107, 108, 110, 117 n.,

237, 329 n. Toubin (Ch.), 10 n.

Toumieux (Z.), 92. Trévoux (Dict. de), 80, 83, 86, 150, 262, 269, 272, 312, 324,

359-

Troie (Roman de), 107.

Turgot, 8.

Turnèbe, 30.

Turpin saintongeais , 138.

Valerius Cato, 180.

Valois (H. de), 30.

Varin, 361.

Varron, 4, 112, 297.

Vaugelas, 277.

Vayssier (Abbé), 242, 249, 314,

315, 316 n. Vialle. Voir Béronie. Vicaire, 80. Vidal (A.), 301, 362. Vidal (Peire). Voir Peire. Vie de saint Colotnban, 94 n.,

363, 365. Vie de saint Gilles , 245. Vie de saint Rémi, 214. Vising (J.), 125 n., 145, 146. Visner, 261. Virgile, 156, 190. Voltaire, 9. Vopiscus, 65, 72. Voyage au Purgatoire de saint

Patrice, 182. Voyage de Jérusalem du seigneur

d'Anglure, 278. Wace, 4, 265. Waldner, 134 n. Wallenskôld, 116 n. Warnke, 69. Watt (G.), 151. Willaumez, 109, 291. Wœlfflin, 271 n. Yver (J.), 204 n. Zeuss, 166 n.

INDEX GRAMMATICAL

Accent tonique déplacé, 36 n. (Adisse), 161 (souVtot), 286 n.

(dxeunseu) ; dans les proparoxytons grecs à voyelle paroxyto-

nique longue, 193. Adverbe, 274 (pierre). Agglutination d'à, 298 (amarri); d7, 104 n. (lu cher an); d'«, 298

(nar ; cf. 366); de l'article arabe, 152 (alaquana). Analogie, 30 et s. (cf. Contamination). Aphérèse, 50 (Darnac), ^(Meillac, etc.), 6o(Nalèches), 61 (Nexon),

151 (agtwits), 161 (soûlote), 311 (ledouno), 366 (itoula). Article substitué à la syllabe initiale, 3 1 (Te Mans), 42 (Le Toy^),

43 n. (Le Rance), 45 "(Le* Billanges). Article agglutiné, 104 n.

(lucheran), 298 (amarri). Article arabe, 153 (alaquana). Assimilation, 176 (babi), 227-8 («5 en provençal). Composition des mots, 219 (conobrer), 225 (consirer), 236 (éM>o-

«aiVe, etc.), 258 (entrenerge), 283 (iorbe). Conjugaison, 259 (infinitif refait), 260 (-m: remplacé par -7re). Contamination, 113 n. (proverbium, probrum, inipropcrium), 133 n.

(aer, area), 159 (amerinus, amants), 252 (escolorgier, cul), 264

(escavage, esclavage), 278 (hanste, empe), 309 (ebulutn, odocos),

330 (rutrum, rotulus). Dérivation. FoîV Suffixes. Dissimilation consonantique, 31 (soucroute), 41 (Arlempde, etc.),

45 n. (Albilanges), 152 n. (graujol), 199 (carcillade) , 200 (i*WM-

culata), 274 (garlimen), 363 (canelhuda). Dissimilation vocalique, 191 (cafoic). Epenthèse dV, 115 n. (madrier), 180 (vrille). Formation régressive, 157 (ambro, aisso, niaisso, etc.), 321 et 367

(/>OMi7/er). Genre féminin remplacé par le masculin, 252 (ècoisson, poison, etc.). Genre masculin remplacé par le féminin, 57 (Auvergne, etc.). Hybrides (mots), 167 (armaricus), 168 (Badiocasses), 309 (educu,

ebucone, etc.).

378

INDEX GRAMMATICAL

Labialisation de Ye en ou, 241 (dessoubrer), de 17 en m, 210 (trube).

Lois phonétiques, 22 et s., 224 et s.. 229.

Métathèse consonantique, 211 (tribe, etc.), 259 (escalaoua), 319 (porcacla), 332 (senne) , 337-8 Çtrubare ?, Hrublare ?), 363 (trehic).

Noms propres source de noms communs, 17 (Hongrois, Croa- tes, etc.), 178 (Baies), 232 n. (Damas), 249 n. (Dyrrachium?), 3 1 3 (Worstead), 344 (Varinas).

Prosthèse. Fi»V Agglutination.

Sémantique, 27 et s., 179, 180.

Substantifs verbaux, 277 et 365 (anhela).

Suffixes nominaux : acia, 317; aciarius, 2 5 3 ; acti», 1 96 ; acî/5, 196 ; alicia, 90; alicius, 63 ; aricius, 62 et s., 359 ; an'/ij, 173 ; dm, 254, 281 ; arius, 119 et s.; a/or, atorissa, atrix, 69; a/tf- rtkf, 254 n. ; attarius, 233, 254 n. ; at>«5, 198; etum, 197; ram (= ter abstrait), 1 10 et s. ; ïcius et ïcius, 63, 64, 66, 68 n. ; icus, 57 ; ïcos et ïcoî (celtique), 166 ; ïculus et ïcmZî/5, 180, 333 ; ilicius, 63 ; Sur, 62, 173 ; -iolaris, 228 ; «ca (celtique), 60 ; m«w (celtique), 50; issa, 69; ittarius, 234; i7/h.î, 71 ; 0, onis, 318; orà«, 64 n.

Suffixe verbal icare, 324.

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

ANGLAIS

alkanet, 152. bear, 187. berman, 187. butteris, 10 1. buttress, 101. grog, 19. grogoran, 19 n. grogram, 19. hang, 29. hinge, 29.

meer, 366. near, 298. noon. 315 n. orkanet, 152. purslane, 320 n. sandwich, 18. scavage, 263. scavenger, 263 n. sceawian, schewen, 263. worsted, 313.

ALLEMAND. Voir GERMANIQUE

al-hinna, 153. al-kemelieh, 150.

ARABE

I anzarot, 161

ARGOT

davone, 232 n.

ambactos, 38, 40. armorie, 166 n. *artica, 166. arvorek, 166.

CELTIQUE

"bodica, 166. bodios, 168. "cambica, 166. cambon, 48.

580

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

cavannus(?), 301.

coantig, 29.

cynhyrfu, 338 n.

cythrwfl, cythryflu, 338 n.

dunum, 35, 48, 52 n., 55, 59.

durum, 42.

.ïcos, -ïcos, suff., 166.

-isca, suff., 60.

-iscos, suff., 54. kalljov-, 199. magus, 60. odocos, odicus, etc. -oialum, 61. risclaff, 252. vernos, 51.

508, 309.

acabdar, 25. alfana, 7. alhefia, 153. alisar, 281. alquimila, 149. alrededores, 169. arveja, 163. asnerizo, 66. asnero, 67 n. avellanar, 281. azaro, azarote, 16 azuola, 162 n. cabrerizo, 66. cabrero, 67 n. cada, 190 n. cautiverio, 116 n. cerro, 202. cobrar, 322. colcedra, 215. enguera, 255. guedeja, 180. hermano, 281.

CINGHALAIS

akmalla, 151.

ESPAGNOL

hiniesta, 281.

jenabe, 196.

lanar, 151.

loguero, 112.

lubricar, 292.

llamada, 20.

madera, 138.

madero, 115.

pecho, 138.

piedra, 138.

pierdo, 138.

roya, 153.

tempero, 115.

vaquerizo, -a, 67, 93 n.

vedeja, vedija, 180.

yedgo, 309.

yegar, yegarizo, yeguerizo, 253.

yegua, 253.

yeguaceria, 253.

yeguero, 253.

yermo, 193.

yezgo, 309.

FRANÇAIS

aaisier, 245 n.

abécédaire, 150.

abeille, 348, 349, 350, 351

ablerez (ableret), 82. abord (d'), 236. aboyer, 356.

FRANÇAIS

)8i

abreuvoir, 354.

absine, 240.

absinthe, 354.

accord (d ), 236.

acheter, 24, 356.

acmelle, 149.

adebonairir, 236.

adelaisi, 237.

agnous, agnouseté, 151.

aider, 348.

aiguiser, 356.

ainse, 286.

aire, 122, 131.

aire (de bon, de mal, de put), 236.

aise, 237, 243 n.

aiserez, 73.

aissade, 162 n.

aisseau, 162.

aisselle, 158.

aissette, 162.

aissole, aissolette, 162.

aiti = étis, 266.

alcanette, 152.

alcanne, alchane, 153.

alchimille, 149.

alerte, 236 n.

aller chercher, 348.

amanoïr, 209" n.

amarine, 362.

amarri, 297.

amaticle, -tique, 231 n.

ambassade, 40.

amerin, 362.

ampe, amper, 278.

angelot, 160.

anguillerez, 73.

ansoulote, 161.

anwillerech, 73.

apaiser (-ier), 243 n.

apoieoir, 94.

apoierez, 94.

arbousier, 310.

arc, 298 n.

arcanne, 153 et 154 n.

ardoiserez, 73.

arieutan, 284.

armoire, 230. armon, 298 n. arquenet, 152. ars, 298, 366. asnerez, 73, 82, 359. âsse, 162 n. asseûr, 237. assure, 152. atenergé, 257 n. atoivre, 212 n. aulonnier, 310. auverez, 73. avairie, 174. avainerieus, 174. avalerece (-esse), 106. avanri, avanrie, 174. avantage (d'), 236. aveille, 351. aveneril, 173, 295. aveneris, 173. avette, 352. avilie, 351.

avoine (prune d'), 232 n. avoltire, 139, 140 n. azoivre, 212 n. baien, 177. baignerez, -eche, 94. baignoire, 213. baillier, 58. bainer, 178. baïonnette, 17. baiteré, 10 1. baler, baleresse, 69. bambais, 194. bancherez, -ece. (-esse), 73. banerete, 71.

banerez (-et), 67, 68, 69, 73. banière, 68, 71. barerez, -ece (-esse), 94. basterez, 74. bataillerez, 74. bateïce, 94. batelerez, -ece, 94. bateresse, 70, 71. bâterez, -ece (-esse), 70, 94, 100, 101, 107, 361.

382

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

batilleras, 74.

batresse, 107.

batrosse, 107.

bêcherez, -ece (-esse), 74.

belette, 28, 29.

bergerece, 88.

bergue, 186.

berline, 17.

berman, 185.

berserez, -ece (-esse), 70,95, 101.

beurre, 182, 193.

beverez, 95.

bief, 127, 131.

bien, 139.

biscaïen, 17.

blaerez, 74.

blâme, 193.

blanc, 8.

bleerez, 74.

blond, 8.

bolie, 183.

boserez, 74.

bosserez, 10 1.

boterece, 107.

boterez, 95.

bott'ret, 101.

bouc, 20.

boucher (subst.), 29.

bouillie, 183.

bouseret, 74.

bousser, 10 1 n.

bousserot, 101.

bouteret, -ez, 95, 101.

boutice, 91.

boverece, 88.

boyerot, 95.

bracerez, 361.

braiserez, 74.

braserech, -et, 74.

brasserich, 67 n., 95, 361.

brebis, 337.

brider, 321.

broie, 110.

bruereche, 74.

bruerez, 69, 74.

bruierece, 107.

bruman, 186 n.

brument, 186.

buerez, -ece, 95, 102.

buglerez, -et, 74.

burâ, 102.

burre, 182.

cade, 188.

caiage, 263.

caillou, 192.

calicot, 17.

camberi, 175.

cambré, 85.

cammeri, 175.

canepetière, 99.

+ cannellée, 363.

■f canor, 301.

caon, 301.

careillade, 199, 363.

caserel, 83.

caseret, 83.

caumeri, 175.

caupie, 260.

ceindre, 54.

cel (pron.), 31.

cendresse, 68 n.

cenelle, 171.

cer, 200.

cerce, 203.

cerceau, 203.

ceriau, ceriot, 204.

cerise, 143.

cerne, 203.

cerneau, 203, 363.

cerner, 205.

chacerez (-at, -et, -ot), 70, 102.

chaeine, 195 n.

chaiere, 195 n.

chaillou; 198 n.

chaitivant, 116 n.

chaitivier, m n, 116.

chalmerez, 75, 83.

chambre (chanvre), 201.

chameau (-eil, -oil), 195.

champarterez, -ece (-esse), 359.

chantier, 140.

chaon, 501.

FRANÇAIS

|*1

chaperez, 83.

chaplerece, 107.

chaplerez (-et), 361.

chardonneret, 71.

charrier, s. m., 295.

charte, chartre, 304.

chaseret (-ez), 83.

chasier, -ière, 83.

chat-huant, 301 n.

châtier (castier), 1 39.

chaumeret, -ette, 75, 83.

chaumeril, 175, 296.

chaussetier, 234.

chavan, chavon, 301, 366.

chaverez (-ot), 102.

ché (== cher), 200 n.

chemineresse, 362.

chemise, 333.

chenilliee, 200, 363.

cher (poignée), 200, 202.

cherain, 201 n.

cherdonî, 71.

chère (= cher), 200.

cherion, 201, 202.

chevalerez, -ece (-esse), 69, 75,

96. chevaucherez, -ece (esse), 96. chevrerez, -ece (-esse), 75. chierez (-ot), 96. choan, 301, 302. chose, 121.

chôtai, chôterat (-ot), 102. chouan, 301. choucroute, 3 1 . cifoine, 331 n. civière, 215. claqueret, 361. clou, clouer, 198 n. coan, 301. cochonesse, 70. coestrcsse, 89. coillerez, 102. coisteresse, 89. coldrercz, -ece, 75. colerez, -ece (-esse), 75, 107,

362.

conobrage, 217, 364. conobrer, 219, 220, 364. conovrer, 220 n. conseillier (verbe), 1 1 1. conseillier (subst.), m, 139. consirer, 226, 227. consirier, m, 116 n., 223. contorbler, 338 n. contraire, 122. controbler, 338 n. copécherat (= corp pescherat),

98. coperez, 102, 361. copi, 260. côrasse, 75. cordonnier, 17. corerez, -ece (-esse), 96, 107. côresse, 75. corterece, 360. cofvisart, 17. corvoisier, 17. cosdre (coudre), 226. cosse, 245. costerez, -ece (-esse), 75, 83, 84,

89, 360. cotret, 83, 84. cotterelle, 83. cotteret, 83. couant, 301. coude, 24. coudrette, 75.

couleresse (-ette), 71, 107, 362 coulourgeable, 255 n. couneuvre, 218, 219, 220 n.,

364. couperet, 102, 361. coudre (cosdre), 226. coureresse, 107. courô, 96. couronne, 273. courteresse, 360. courtier, 233, 234. couveoire, 71. couveresse, 71. crameresse, 107. cravate, 17.

3 84

cremerece (-osse), 107.

crenerece (-esse), 107-8.

cresson, 150.

crierece, 108.

croiser (croisier), 243 n.

croisserece, 108.

croix (crois), 243 n.

cueilleret, 102.

cuir, 141.

cuperot, 102.

dagoine, 232 n.

dais, 54 n.

dalmatique, 230.

damerez (-et), 72, 75, 76,

84. danserez, -ece (-osse), 96. dans'rosse, 96. daumaie, 229. daumaire, 229. daumoire, 229. daumais, 230. dausse, 245. davaine, davoine, 232. débonaire, etc., 236. debout, 238. débrider, 321. defroissier, 243. dégarnir, 321. dehait, 237. demalaire, 236. demandier, 11 1 n., 117 n. dementieres, dementiers, 140

n., 141. denai (donner), 317. deneree, denrée, 121 n. dépouille, dépouiller, 321, 322. deputaire, etc., 236. desiier, 116, 223. désirer, 226.

desirier, .111 n., 116, 223. desputarité, 236. desservir, 226. dessevrer, 242. dessombrer, 241 . dessoubrer, 241. destorber, 338.

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

destorbier, ni n., 116, 117,

338 n. dimancherez (-et), 72, 76. dgelene, 317. dgenesse, 317. djevencé, 287. dois (dais), 54 n. doloire, 238. dolse, 245 n. domagne, 231 n. domaine, 57. dosse, 245. dosserasse, 89. dosserez (-et), -ece (-esse), 76,

84, 89. doulce, 245, 246. douve, 170. droit, 247, 248. duraine, 248. dzare, 275. dzeunseu, 286 n. dzgnou, 289. eauweresse, 76. écerner, 205. échalotte, 17. échançon, 131. écharrant, 256. *échaupir, 260. éclopé, 255. éculorger, 252, 292 n. écumerette, 71. ef, 350. égliober, 291. éhanché, 255. einsarâ, 256. emblée (d'), 236. émôdre, 259 n. émoi, 235. émouvoir, 259 n. empe, empé, emper, 278. emperere, 16. empire, 139, 140 n. empouille, empouiller, 522. encombrier, 111 n., 114, 116. encontrier, 11 1 n., 116. encontriere, 116 n.

FRANÇAIS

endementiers, 140 n. engrant, 237. enliouber, 291. énougeler, 205. énouler, 205. enquemencie, 317. enrièvre, 258 n. ensarrai (s'), 256. ente (adj), 237. entier, 143 n. entrenerge, 257, 365. entrepied, 273. épagneul, 17. éparpiller, 272. épouiller, 321. équemôdre, 258. ère (du verbe être), 143 n. ereinté, 255. erme, 193. es, 350. escaupine, 260. escaupir, 260, 365. escavage, 264. eschalogne, 117. eschançon, 131. escharpison, 260. eschevi, 362. eschiele (-ese), 131. eschive, 76. esclavage, 262. esclave, 17. escolorgier, 252, 292. escomovoir, 259. escorcerez (-aie),'' 76. escorre, escourre, 250. escumerece, 108. escuperez (-ot), 102. eskeure, 250. esmovoir, 259 n. esperve, 365. espesse, 70. espinerech (-ez), 76. espoillier, 321. espooillier, 321 n. esposerez (-ech), 96. essaim, 352.

Thomas.

esserrer, 255, 365.

esseret, 76, 84.

essolate, 162 n.

essole, 162 n.

essoriller, 272.

estaïf, 266.

esterchir (-kir), 265.

estessinerece (-esse), 108.

étanie, 152.

éti, étis, 266.

étoquerece (-esse), 108.

euce, eucerez, euchereç, 76, 84.

eutrapele, 6.

everez, eweret, 76.

fagnerece (-esse), 89.

faïence, 17.

fanterne, 268.

fatras, 360.

fau (hêtre), 196.

fauterne, 267.

fautre, 268.

faverez, -ece (-esse), 82-3, 89.

favergier, 294.

faveril, 363.

felunesse, 70.

femerez, 76.

femeril, 175, 296.

femerot, 97.

fenal, 85 n.

fenderez, 103.

fenerez (-ech, -eç), -ece, 67, 77,

78, 85, 360. feu (hêtre), 196. feuillard, 273. feuiller, feuilleret, feuillure,

103, 271. feuillir, 273. fève, 346 n., 349, 363. fier, 145, 146. hllerez (-et), 72, 85. finerez (-oz, -ot), 77. fire (de ferif), 139, 140, 142. flaverez, -ece, 77. floerez, -ece, 77. fo (hêtre), 196. foeiller, 272.

IL 25

3 86

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

foeillerez, 103.

foerasse, 90.

foerez, -ece (-esse), 96.

foerosse, 77.

foiller, faillir, 273.

foirerez, 77.

folerez, 96, 103.

fonterne, 270 n.

forger, 294.

formerez (-et), 103.

forserece, 96.

forterece (-esse), S9-90.

fortuné, 22.

foterle, 268.

foterne, 268, 269.

fou (hêtre), 196, 198 n.

fouet, 198 n.

fouiller, 272.

foulereis (-et), 96.

fouloreche, 96.

fourmoyrets, 103.

fousseresse, 96.

fraindre, 54.

frapier, 116 n.

fraserez, -ece (-esche), 97.

frenerez, -ece, 77.

fringuerez (-et), 97.

frisson, 252.

froisser (-ier), 243.

fromenterez, -ece, 77.

fromenteril, 175, 296.

fruiterez, 77.

f fruterne, 269.

fueiller, fueillir, 273.

fumereche, 76.

fumerez (-ot), 97.

futerne, 270.

gagerez (-et), 77.

gagoine, 232 n.

garir, 129.

garnir, 131.

gâter, 124.

gauce, 244 n.

gauferais, 69.

gaufre, *gaufrerez, 69, 77.

gendre, 288.

genestrerez, 85, 361.

génisse, 286.

genoilliere, 143 n.

genvre, 28 n.

gerberez, gerbero, 360.

gierre, gierres, etc., 274.

gindre, 286, 288.

glaire, 122.

gleteron, 292.

gleton, 292.

glincier, 252.

glouteron, 292.

g'nétrot, 85.

gorce, s 3.

goterez (-et, -ot), 69, 77, 8$, 103.

gource, 53 n.

gourgouran, 19 n.

gousse, 244, 245.

gouterot, 77, 103.

grainetier, 234.

graiperot, 97.

grammaire, 230.

graperez (-ot), 97.

gravelez (-ret), 103-4.

gravir, 103.

gresserez (-ech), 77.

grimoire, 230.

grimpelet (-ret), 104.

gripelat (-let), 104.

griper, 104.

grog, 19.

gros-grain, 19 n.

grue, 302, 303.

grumeau, 205.

guandir, 131.

guarir, 129.

guarnir, 131.

guérir, 129 n.

guilerez, 97.

guilleret, ette, 97.

guinderece (-esse), 108-9.

guivre, 302, 303.

hacherece (-esse), 109. . baigner, 152 n. I haire, 131, 132.

FRANÇAIS

387

haleine, 276, 365.

hamai, 110.

hampe, 277.

hampe, 278.

hante (hanste), 277.

haquenée, 8.

hardir, 131.

haveresse, 108.

henné, 153.

herban, herberge, 127.

herminette, 161.

heuceret, 76.

hhèrë (so), 257 n.

hiver, 285.

hongreline, 17.

hongrer, 17.

hongroyer, 17.

hostade, 312 n.

houmeresse (écumeresse), 108.

hua, 301.

huant, 301 n.

hucherez (utcherot), 104.

huer, 301 n.

ingambe, 238 n.

iôrbe, 283.

irier, 243.

ivier, 285.

ivière, 284.

jainçon, 285.

jamberez, -esce, 67, 78, 85,

90-1. jambresse, 90. jambrot, 85-6. jardrin, 90.

jaschere, jascherez, 69, 86, 106. jauce, 244 n. jédrasse (-osse), 97. jegnor, 288. jeneré, 361. jeterez (-ot), 104. jitrot, 104. joie, 121. joincle, 286. *joinçon, 285. joinderez, -ece (-osse, -asse),

97, 109.

joindre, 286, 288.

joncle, 287.

jondresse, 90-1.

jouvenceau, 286, 287.

jovegnor, 289 n.

junque, 297.

kem'rosse, 70, 107.

krennress, 107-8.

la (article), 31, 32.

labourage, labourer, 364.

laceret, 86.

lagnous, 151, 152.

laigner, 151 n.

lampreierez, 78.

lampresse, 78.

lancerez (-at, -ot), 104.

lanerez (-et), 361.

lasseret, 86.

laterez (-ech, -at), 72, 78.

le (article), 31, 32, 45.

lechier, lecheresse, 69, 70.

ledomier, 367.

ledonnier, 310 n., 367.

légatoire, 64 n.

lergé, 293 n.

lergier, 293.

létanie (litanie), 152.

leurgier, 293.

lin (de put), 237.

lioube, 291.

lleurgheous, 293.

lleurgher, 295.

llugrer, 293.

llugrou, 294.

loce, locerez (-et), 78, 86.

loier. Voy. loyer.

loisir (être de), 235.

longuerece (-esse), 91, 360.

longuesse, 91.

losse, 78.

louce, 78, 79.

louier. Voy. loyer.

lourgier, 293.

louvetier, 234.

lovergier, 253 n., 294.

loyer, 111 n., 112, 116, 120.

388

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

lucher, 293.

lucheran, 104 n.

machè, 97.

mâcherez, -ece (-esse), 97.

madrier, 115 n.

maîche, 158.

maiere, 141.

mail, 144.

maillerace, 91.

maisière, 139, 142, 143.

maistresse, 70.

malade, 22.

malerez, -ece, 78, 91.

malot, 352.

manière, 143 n.

maroquin, 17.

marrir, 131.

marriz, 297, 366.

matire, 139.

meeril, 175, 295-6, 366.

meie (médecin), 231.

meiteerez, -ece (-asse, -esse),

78, 91, 361. menestier, 139. ' mercerot, 71. méril, 295. merri, 366. mesalier, 216. meserrier, 216. métier (mestier), 133, 139, 140,

141, 144. meule, 273 n. meulon, 295. meusserot, 104. mie (médecin), 231. millerin, 363. mire (de merir), 139, 140,

142. mistre, mitre, 302. moiterace, -rece, 78, 91. moterez (-et), 360. mouchate, 352. mouche à miel, 352. mouchette, 352. mouchote, 352. moutèle, moutoile, 29.

moutier (moustier), 139, 140.

mucerez (-ot), 104.

f murdre, 302.

-j- mute, 302, 304.

f mutre, 302.

nache, nage, 231.

nagerez (-et), ece (-esse), 97-8,

104. nar (à), 298,366. navierez, navirech, 361. nicher, 21. nigealer, 205. niquerez (-et), 105. nivâie, 285. nocher, 21. none, 315 n. nouclu, 300 n. nuite, nuitre, 300, 366. oan, 315. oblierez, 78. oince, 286. olone, olonier, olonnois, 310,

366. oraille, 31s. orbe, 283, 284. orcanète (-ette), 152, 154 n. oreille, 272. orgeril, 175, 296. orière, 315.

orine (de franche), 237. orviétan, 234. osserez (-et), 86. ostade, 311. ostede, 313. ostesse, 70. oublierez, 78. ouecereç, 76. ouesse, 352. paaigerez, 79. paillerez (-et), 86. paire, 122. pais (paix), 243 n. pakrè, 87. paierez, 72, 98. paletret, paltret, 105. panache, 21.

FRANÇAIS

panader, 315.

paner (panier), 125, 146.

panerece (-esse), 91.

paon, 316.

papillon, 272.

pâqueret, ette, 71, 87.

parlier, ni n., 117 n.

paroisserez, 79.

panerez (-et), 105.

pasquerez (-et), 67, 78-79, 86,

87. passerece (-esse), 109. passeret, 105. pate-de-lion, 150. pave, 195. pavie, 177, 195. pavillon, 272. peagerez, 79. peau, 321. pécherez (-et, -at, -ot), ece

(-esse), 98, 109. *pelenesse, 'pelnesse, 317. peler, 318. pelon, 318. penade, 316. penderez (-et), 98. pendre, 29. pendret, 98. pêne, 317. penesse, 316. pennade, -er, 316. pensier, ni n., 116. penture, 29. percerette, 71. percerez (-et), 105. père, 144 n. perrière, 197. persienne, 17. pescherez (-et), -ece (-esse), 98,

109. peseril (?), 363. petière. Voyez canepetière. petrasse, -osse, -ote, 99. picheret, 98. picherot, 99. pied-de-lion, 150.

pignada, 283 n.

pilerez, 79.

piquerez, 99.

pisserez, -rot, 99, 105.

plaie, 231.

plaon, 318.

plaquerece (-esse), 109.

pleierez, -ece (-esche), 99, 105.

pleion, pleon, 318.

plier, 318.

ploierez, -ece (-esche), 99, 105.

ploieruel, 105.

ploion, 318.

plom, plomb = pion, 367.

plomberez, 79.

plommerech, 79.

pion, pionnière, plonnoye, 317,

367. ploqueresse, 109. ploumerech, 79. ployon, 318. poinçon, 285. pois, 363. poison, 252. polène, 317, n. polinasse, 317. poltrait, 105. porcelaine, 320. porchaille, 318, 367. porcherez, -ece (-esse), 79, 87,

91-2. porchier, 120. porterez, -ece (-esse), 99. portrait, 105. poterez, -ece (-esse), 79. pouiller, 320, 367. pouir, 322.

poulenée, poulnée, 317 n. pourcelaine, 320. pourchaille, 319. pouyement, 320, 321. pouyer, 320, 321. pramessc, 70. f prangerbero, 360. pranjer, 323. premier, 145, 146.

390

INDEX LEXICOGRAPHIQJJE

prendgî, 323.

preu, 324.

princier, 140 n.

progier, 323.

prou, 324.

prover (prouver), 339, 342.

psautier, 140.

pseuret (pisserez), 105.

puisatier, 234.

put, 236, 257.

queuperot, 102.

rader, 247 n.

radoire, 247.

ramènerez (-et), 105.

rancerat, 104.

rasoir, 141.

ravoi, ravoir, 324, 325.

rebaterez (-et), 105-6.

rebattre, 105 n.

rebattret, 106.

rebondre, 327, 328.

receperece (-esse), 109.

recincier, 327, 367.

reconnaître, 218.

recovrier, 114, 116.

recouvrer, 218.

recrenerece (-esse), 109.

refenderez (-et), 106.

refendret, 106.

refouillement, 272.

refouiller, 272.

regieres, 275 n.

reïncier, 327, 367.

rejeterece (-esse), 109.

remembrier, 116.

remuier, 117 n.

reparerece (-esse), 109.

repasserece (-esse), 110.

repenner, 316 n.

repondre, 327.

reprochier, 117.

reprovier, 11 1 n., 112, 117.

reprouver, m.

résand, 325.

resencier, 326, 367.

restorier, 111 n., 117.

retenterece, 1 10.

reuil, 329.

revondre, 327, 367.

rézonsî, 327.

r'gettress, 109.

ricanerez (-et), 99.

ricèperesse, 109.

ricranneresse, 109.

rincer (rinsî, reïncier), 326, 327,

367. ripareresse, 109. rocheraie (-aye), 79. rocherez, 79, 360. roïllier, 272. roinse, 286 n. roisent, 325.

rollerez, -ece (-esse), 99. roserez, -ece (-eche), 79. rouiller, 272. roulerez, -esse, 99. ruche, 352. saimeoire, 70, 71. saimerece, 110. saimerez, ece (-eche), 70, 71,

361. sair, 201.

salmonerez, -ece (-esse), 79-80. sandwich, 18. santé (de), 236. -j-santeine, fsanterne, 267,268. sanve, 196. sarment, 203 n. saumiereche, 100. saumonneresse, 79-80. scion, 204. sebrer, 242. secherece (-esse), 93. seierez (-et), 100. sene, 331. séné (sanve), 196. senne, 331. sephoine, 331 11. sept, 24. ser, 201, 203 n. serain, 201. serein, 326.

FRANÇAIS

*9>

serene, 204.

seron, 201.

serotte, 200.

seur, 203 n.

seùr (sûr), 237.

sevrer, 242.

sewiy', 333.

simphonie, 331 n.

sinef (sanve), 196.

sinphonie, 331 n.

sné, sney' (sanve), 196.

soi lie, 333.

soirct, 100.

somart, somarterez, somartraz,

360. somme, 26. sommier, 26. sooille, 333. soperece (-esse), 1 10. sopresse, 1 10. sorderez, -ece (-esse), 100. sordreresse (-dresse), 100. souille, 332. souiller, 332, 333. soûlote, 161-2. soul'tot, 161. soupçon, 252. sourcroute, 31. sourdcr, 100. sourdre, 100. supercherie, 21. swiy', 333. tablerez, -ece, 80. taillerez, 100. tallerotte, 100. tanerez (-et), 80. tarau, 334. tarir, 131. taurau (adj.), 334. taureau (subst.), 334. taureau (adj.), 334 n. taurelière, 333. tavernerez (-et), 80. tecerez (-ot), 100. tecier, 100. tempier, 115, 140.

tenceresse, 70.

tendre (verbe), 29.

tenegre, 257 n.

tenerge (-ierge), 257, 365.

tenture, 29.

tercerez, -ece (-asse), 80, 87, 93.

tere (tire), 143 n.

teresse, 80.

terragerez, -ece (-esse), 80, 359.

terrerez, -ece (-eche), 80.

tessinerece (-esse), 108.

teum'rot, 106.

fthoon, 301.

tiercerets, 87.

tiere (tire), 143 n.

tierreche, 80.

tieupp'rot, 102.

tilleul, 272.

timbre (auge), 214.

tine, 214 n.

tinglerez, 72, 79.

tinre, 214 n.

tire (tiere), 143.

tirerez, -ece (-esce), 100.

tiresce, 100.

toaille, 209 n.

tocier, 100.

toeillier, 272.

toivre, 213, 214.

tomber, tomberesse, 69.

tomberez (-ot), 106.

torberez, 80.

torbler, 338 n.

torcherez (-ot), 100.

tord, 334.

torelière, 333.

torière, 333.

tornerez, 100.

torver, 338 n.

tos'ro (*toceroz), 100.

touerîr, 334.

touiller, 272.

touorlire, 333.

tourberés, 80

tourneresse, 100.

tracelet (-ret), 106.

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

traierece (-esse), no.

trebu, 364.

trekeresse, 70.

trenège, 365.

treschier, 130.

treù, 335.

trobler (troubler), 338 n.

trouver, 334.

truanderez, 81.

trupelin, 6.

tumerez (teum'rot), 106.

ucheran (lucheran), 104 n.

utcherot, 104.

vacherez, -ece (-esse), 81, 87,

93-4- vackerece, vacqueresse, 81, 93. vair, 122, 141, 144. varinas, 344. -J- varnias, 345. vautour, 302, 303. veierez, 69, 81. veille (vrille), 180. veillée (liseron), 181. veillote, 181 n. vendemaresse, 81. vendengerez, 81.

venderesse, 70. venderez (-et), joo. venterece(-esse), vent'resse, 70,

110. vérine, 344.

vermeil, vermillon, 272. verserez (-ot), 106. veuillet (liseron), 181. vieille (liseron), 181. vignerez (-et), -ece (-esse), 81,

87. viille, 180.

vinerez, -ece (-esse), 81. viorne, 284. vis, vi, 284. voierez, 69. volerez (-et), 106. volontiers, 139. voogerez, 81. vougeresse, 81-2. vougesse, 82. vreille (liseron), 181. vrille, 179-181. waufferrais, waufret, 69. xhavresse, 108. yorne, 284.

GERMANIQUE

akmelle, 150 n.

-areis, -ari, -eri, suff., 123, 125.

14S, 147. attich, 308 n. auskernen, 205. badi, 127, 131. beran, 209. beurtman, 186. botan, 101 n. deohproh, 364. drëskan, 130.

-ère, -eri, suff., voye\ -areis. faltblume, 271 n.

faskapjan, 362. ardjan, 131. hari, 124, 125 n., 127.

*harja, 131, 152.

harjis, 127.

heri, 127.

jehan, 132 n.

kern, 203.

kernen, 205.

kletto, 292.

klieben, *klubba, 291.

kraut, 31.

lœwenfuss, lœwenklau, 150.

marrjan, 131.

mêr-, 128.

milza, 213 n.

nahe, 298.

puzzela, 320 n.

sauer, sauerkraut, 31.

scaz, 129. schaffen, 362. schatz, 212 n. scheppen, 362. schœntierlein, 29. schœpfen, 361. skankjo, 131. *skapfjan, *skapjan, 362. skara, 131. skatts, 129, 212 n. *skerja, 132. sperberbaum, 264. spërboum, 265. stark, sterk, sterken, 265. *têri, 143.

:c 393

tharrjan, 131. thriskan, 130. tipr- ?, 364. treffen, 335. * twiber, 213. varinas, 345. wandjan, 131. warjan, werjan, 129. warnjan, 131. wranjo, 131. zèbar, 212 n. zuber, 207. zwei, 209, 364.

zwipar, 209, 211, 212, 213, 364.

ay.;j.r(, 150.

à'zxT] (acte), 308, 309.

-aç, a/.oç, 193.

ixoftâaawv, 244. ,ja[i.6a/.Oc'.or;;, 194 n. Vi;j.ox;, 194, 196. [iXâaçrjjLO;, 193. (JoiaSk:;, 194. ryWr'/j\, 194 n.

M&EUpOV, l8l, 193, 194.

BwXiptov, 183. rXuMOta, 141. yXuyr}, 291. Yvrôju), 113. oo'À'./o?, 245. iy.y.ÀT)T:'a, 140. ejaçutov, 278. ïpijaoç, 193. EaacXXoaa:, 259. i-jpiiy.oj, 335. lUTpcËxeAof, 6. -rfpiov, 139. OjuaXÀo;, 193. -it/.oç, 54. -î?aa, 69.

y.otfxrjXoç, 194.

y.â|i.tvo;, 195.

zavOr^Xio;, 140.

xayXaÇ, 193.

zâ-/_Xr(£, 192, 193.

xO'.|.i7]7rjp'.ov, 140.

xoxxîÇstv, 205 n.

•/.o'/Xaç, 192, 193.

XcrjxaÇ, 196.

paXaxoc, 23.

aàaTi;, 196 n.

opxuÇ, 196 n.

-âj:'jpoî, 195.

xe'tcwv, 196,

<jiy[/.a, 26.

asXivov, 193.

(rivant, 195, 196.

at'&'Dv, 196.

uo>jy.:a[xo;, 330.

çâarjXo;, 196.

çXoç, 196 n.

/a;xa'.â/.tr) (chamaeacte), 309.

V«Jp, 202. ■{-aÀTTJp'.ov, 140.

394

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

ITALIEN

alchimilla, 149. alfana, 7. argentiere, 124. baco, 194.

baggiana, 178 n., 179. bambace, 194. beccajo, 30. becco, 30. bellora, 29. biasimo, 193. burro, 193. cammello, 194. cammino, 195. campereccio, 67. cascreccio, 67. cattiveria, 116 n. chiamata, 20, ai. cira, 212 n. conforza, -zo, 191 n. dossa, 364. ermo, 193. erta (ail'), 238 n. festereccio, 67. gamba (in), 238 n. gamiddu, 195. gignore, 289. lagnare, 151. lidone, 311 n. lubricare, 292. madiere, 115. madrighe, 297. milza, 213. nicchia, ai.

nocchiere, ai.

nocchio, 300.

nottola, 304, 366.

olidone, olione, etc., 311 n.

ostata, 314.

pagliericcio, 67.

porcacchia, 319.

ricoverare, 339.

rimproverare, 1 1 1 .

rocchio, 329.

rubiglia, 163.

sanapu, sanavre, 196.

scommuovere, 259.

secchereccio, -ericcio, 67.

seber, 208.

sebi, 208.

sebru, 208.

sedano, 193.

senape, 195, 196.

stantio, 267.

stelo, 243.

suber, 208.

superchieria, ai.

temolo, 195.

tila, 212 n.

trovare, 335.

ulioni, 311 n.

vaccareccio, -ia, 67, 93 n.

vdec, 180.

vedech, 180.

viticchio, 180.

vombacu, 194 n.

ziber, 208.

LATIN

abellana, *abellania, 171. absare, absus, 172, 173. absinthium, 355. *accaballare, 260. *accapitare, 25.

| acinus, 171, 249. adulter, adulterium, 113, 139. aer, 133 n. *aeria, 133 n. ahera,

albus, 8.

aldiaricia, 65.

aliéna (= alena). 277 n.

amarina, 157, 159.

amarus, 157.

ambactiare, 40.

amera, 157.

amerinus, -a, 156, 562.

*amerus, 157.

anguilla, 177 n.

anhela, anela, 277, 365.

anhelare, 276.

anhella, 277 n.

apes(apis), 350,351, 352.

apicula, 350, 351, 352.

*ap:tta, 352.

aptus, 24.

arbiter, arbiterium, 116 n.

area, 122, 133 n.

aremoricus, 165, 166 n.

argentarius, 124.

armaricus, 167.

armoricus, 165 à 169.

armus, 298.

ascia, -iola, 162.

asinaricius, 359.

asinusca, 73.

assare, assus, 172.

attropare, 343.

*avenarilis, 175.

*axa, 158.

*axella (= axilla), 157, 158.

azarum, 160, 161.

baca, 178 n.

baianus, 178, 179.

bambax, 194.

baniaricia, 94.

*bannaritta, 71.

barba, 337.

basiare, 29, 134 n.

*basiarium, 134 n.

*battaricia, 70.

"battatorissa, 71.

bellula, 29.

bene, 13Q.

berbicaritia, 65.

IN 59$

berbix, 337.

*berendare (?), 188 n.

blasphemus, 193.

bolarium, 183.

*bombacus, 194, 196.

bovolcaricia, 65.

bucula, 30.

butyrum, 182, 193, 194.

caballus, 259.

*caclacus, *caclagus, 192, 193,

196, 198. "caclagaria, -getum, 197. *caclavaria, -vetum, 197. *caclavarius, 198. 'caclavellum, 198. *caclavus, 197. caementicius, 66. calculus, 192 n., 198. calicularis, -lata, 199, 200. camellus, 194. camelus, 194. *camillus, 195. caminus, 195. cancer, 217. caniculata, 200. canterius, 140. capsaricius, 64. capsus, 240, 290. captare, 25. "captiaricius, 70. caput, 24, 25. *cardonaricius, 71. *caria, 122 n. carropera, 220 n. carrucaricius, 65. casearicius, 83. cassanus, 189. castellaris, 229. castigare, 139. catanus, 189. catena, 195 n. cathedra, 195 n. cathedralicius, 63, 65. causa, 121. cavannus, 301. ceberus, cebrus, etc., 208.

?96

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

centinodium, 300.

cera, 140 n., 212 n.

*cçresia, 136, 143.

chartula, 304.

cibrius, 208.

cinericius, 68 n.

cingere, 54.

circinare, 205.

circinus, 203.

cirrus, 202.

*claria, 122 n.

coaccedere, 219.

coacere, 219.

coacervare, 219.

coclaca, 192.

coculia, 191.

coemeterium, 140.

cohabitare, 219.

cohortari, 219.

colatoria, 248.

comedere, 219.

*cominitiare, 219.

commovere, 259.

conangustatus, 219.

conauditum, 219.

concacare, 219.

concipere, 228.

concitare, 228.

condecere, 219.

confabricari, 219.

confortare, 220 n.

*confurcia, -cium, 191 n.

*confurcus, 191.

congelascere, 219.

conhibere, 219.

*conhortare, 220.

conire, 219.

conjacere, 219.

connasci, 219.

*conoperare, 219.

conquadrare, 219.

consacerdos, 219.

considcrare, *considerium, 113,

221, 223, 22$, 226, 227. consiliarius, 139. consilium, 223 n.

consola re, 340 n.

constare, 226.

constipare, 210 n.

consuere, 226.

consularicius, 350.

contabescere, 219.

contrarius, 122.

contropare, 343.

*contrublare, 339 n.

conturbare, 339 n.

*conucula, 200.

convadari, 219.

cooperare, 219.

coperire, 339.

*cophus (= cophinus), 159.

corbis, 337.

corbus (= corvus), 337.

corium, 137 n., 141.

corvus, 337.

cribellum, cribrum, 210 n.

cruciare, 243.

*cubaricia, *cubatorissa, 71.

*cubium, -biolum, -biolaris,

191 n., 228. cuculla, 191.

*culcere, -ra, -ria, 216, 217. *culcina, 216. culcita, -tra, 215. -J-*dalmatarium, 229. dalmatica, 229, 230. damaricius, 66. damascena, 232, 249. decanus, 233 n. decarnare, 243. decervicare, 243. decollare, 243. decoriare, 243. decorticare, 243. decus (= decussis), 137 n.,

233 n. deliberare, deliberium, 113,114. *denarata, *denariata, 121 n. denarius, 121. deservire, 225, 227. desiderare, desiderium, 113,

114, 225, 226 n., 227.

*destilare, -lium, 243.

*destiliare, -lium, 243.

destillare, *destillium, 244 n.

discus, 54 n.

*disseperare, 242.

disturbare, 337, 338.

dolabra, 236, 237.

dolatoria, 236.

dolsa, 246.

dominicum, 57.

dorsum, 365.

dulcis, 365.

*duminterias, -iis, 140 n., 141.

duracinus, 248, 249.

durus, 249 n.

ea hora, 275.

ea re, de ea re, ea de re,

275. ebolus, ebulus, -lum, 305, 306,

307, 308, 309. ebucone, 309. ecclesia, 136, 140. edere, 311. educu, 309. *empotus, 278. equa, 253.

*equaciarius, 253, 254. equaria, 253. equaricius, 253. *equaris, 254. equarius, 253, 254. *equatarius, *equattarius, 254. equitiarius, equitium, 254. equus, 7, 253. erat, 143 n. eremus, 193. ergo, 275. ervilia, 163. euolus, 309. *excaballare, 259. excinctus, 261. *excircinare, 205. *excocire (= excoquere), 221 n. *excollubricare, 252, 253. *excommovere, 159. excussio, 251.

IN 397

excussorius, 251.

excutere, 250.

exerrare, 256, 257.

eximius, *exinius(?), 261, 262.

exire, 261.

*exlapsus, 240, 290.

exmucciare, 244.

*exnucalare, 205.

*exseperare, 242.

*exsiliare, exsulare, 243.

*exsubmustare, 250.

faba, 363.

fabaricius, 64.

fabricare, 292.

facticius, 66.

factio, 39, 40.

factus, 40.

fagus, 196, 198 n.

falterna, 270, 271.

fata (= fatua), 304.

fatua, 304.

fatus, 40.

*fedicum, 231.

fenarius, 360.

feriam, 139, 142.

férus, 146.

*feticum, 231.

ficatum, 183 n.

focus, 137 n.

*fodiculare, 272.

*fortalicia, *fortaricia, 90.

fortunatus, 22.

frangere, 54.

fraxinus, 189.

*frictio, 252.

*frumentarilis, 175.

*frustiare, 243.

gaudium, 121.

genesta, genista, 279, 281.

*genestaris, 280.

gentilicius, 63.

germanus, 281.

gerula, 209.

glaciare, 39.

glarea, 122 n.

glubere, 292.

398

INDEX LEXICOGRAPHIQJJE

+ *glupa, 291.

grammatica, 230.

*guttiare, 243.

*ha re (de), 27 5.

habitus, 24.

halare, *halena, 276.

hanela (= anhela), 277 n.

hebraicus, 249.

herba, 337.

hibernus, -na, 284, 285.

hora (ea), 275.

hostilaricium, 66.

igitur, 275.

imperator, 16.

imperium, 113, 1 39.

improperare, improperium, 1 1 1 ,

112. *incaballare, 260. incanus, 258 n. *incomberium, 114. innubilus, 258 n. intenebrare, intenebricare, *in-

tenebricus, 258. interea, 140 n. internodium, 300. ipse, 290. *iriare, 243. itaque, 275 n. jacere, *jaciura, 228, 229. junctio, 285. junctura, 285. •junicia, 286. junior, 286, 288, 289. jusquiamus, 330. juvenca, 287. juvencus, -culus, -cellus, 286,

287. juvenis, 288. labi, 289. lacus, 196 n. laicus, 249. laniare, 151. lapsus, 289. legatorius, 64. licita, 216 n. lignaricia, 66.

litaniae, 290. locare, 112. locarium, 112, 121. locus, 137 n. lotus (arbor), 367. lubricare, 253 n., 292, 293. maceria, 133, 139, 141, 143. magister, magisterium, 113 n.,

116. malacus, 22. maie aptus, 24. maie habitus, 24. malleus, 144. mancipium, 228. manopera, 220 n. maritare, 225. *martiata, 294. massaricia, 65. mater, 296.

materia, 138, 139, 141. materium, 115. matrix, 297. *maxa, 158.

*maxella (= maxilla), 158. medicus, 231. memorare, 188. *merciarittus, 71. merenda, -are, 187. *meriam(=meream), 139, 142,

143 n. *metarile, 295. metaritia, 361. mimaritia, 65, 359. minister, ministerium, 113 n.,

116, 133, 137 n., 139, 140,

141, 144. miseria, 114 n. monasterium, 139, 140. mustela, 28. natalicius, 63. natica, 231. necessaria, 114 n. nivaria, 284, 285. nivosus, 61. noctua, *noctula, 304. *nodium, 300.

nodulus, 299, 300.

-i-nogamus, 246 n.

nogarius, 246 n.

nona, 315 n.

novicius, 66 n.

nox, 315.

nubes, 210 n.

"nucalare, -iiare, 205.

nvcticorax, 303.

octava, 314, 367.

octo, 315.

oculus, 62.

odecus, odicus, 309.

odor, olere, 309.

*olicus, 309.

operaria, 143 n.

operarius, 135.

oratorium, 137 n.

orbis, 283, 284.

orbus, 284.

ostiaria, 134.

pabulum, 176.

palearicius, 65.

pandere, 29.

papilia, 176 n.

papyrus (*papilus, *paperus,

etc.), 176, 177, 182, 195. partiaricius, 65, 359. pater, 144. pauper, -ries, *-ria, '-rium, 115,

116, 143 n., 211. peciola, 246. pectus, 138. pecus, 137 n. *pedinare, 316. penna, 316. perdere, 138. petra, 138. petraria, 197. *pinea,-r- -at- -f- -aris, 283 n.,

36S. pisum, 303. platanus, 189. *plico, -onis, 318. plorare, 338. pomerius, 125.

jin 599

porcacla, 319.

*porcalia, 319.

porcaricius, 65, 92, 359.

porcarius, 120.

porcilaca, 319, 320.

porclaca, 319, 320, 367.

portolaica, 320 n.

portulaca, 319, 320.

potio, 252.

potiri, 322.

primarius, 146.

primicerius, 140 n.

primus, 140 n.

proba, 340 n.

probare, 339, 341.

probrum, 113 n.

prode esse, 324.

*prodicare, 324.

prodigare, 323.

*proferio (= profero), 1.35.

proficere, 323.

profundus, 220 n., 328.

provendaricius, 359.

proverbium, 113 n:

psalterium, 140.

pulex, 210 n.

pullina, 317 n.

*pullinacia. 317.

pulsare, 101 n.

pulver, *-ra, *-ria, 217.

punctio, 285.

purgare, 342.

quaerio (= quxro), 135.

"rapidium, 325.

"rasitare, 248.

*rasitoria, 247.

rasoria, 247.

rasorium, 141.

recens, 325, 326.

*recentiare, 326, 327.

*recinciare, 327.

recuperare, 114, 322, 335,339.

*recuperium, 1 14.

redecima, 170.

refrigerium, 113.

refundere, 327, 328.

400

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

repenre, 335.

reponere, 327, 328.

rcprobare, III, 112.

*reproperium, 112.

reputare, 25.

rogare, 338, 342.

rotaricia, 92.

rotulus, 329.

-j-rullum, 328.

rutabulum, 330.

rutellum, 328.

rutrum, 330.

*rutulus, 329, 330.

sagma, 26.

sagmaricius, 66.

salarium, 112 n.

samia, 361.

*saporarium, 114 n.

saturnalicius, 64.

saxetum, 197.

scalpere, *scalpire, 260, 261

365. scalpitudo, 261. scalticus, 260. scopare, 341. scorcia, 246. selinum, 193. senatorius, 64 n. septem, 24. sex, 136. *siccaricia, 93. sidus, 225. sigillare, 72. sigillaricius, 64, 65, 72. signum, 331. simius, 262. sinapi, 195, 196. situla, situlus, 206, 207. somnus, 26. sorcerus, 125, 146. spoliare, 321. stantarius, 267 n. *stanticius, -tivus, 267. stare, 266. *staticius, 266. stylus, stilus, 242, 243.

sua, 340 n.

*subicula, 333.

*submustare, 250.

subucula, 333.

sudarium, 332.

summa, 76.

superare, *superium, 114 n.

*superia, superus, 114 n.

suspectio, 252.

suspirare, -rium, 243.

'sydonus (= synodus), 332 n.

symphoniaca, 330, 331.

synodus, 332.

"tauraria, "taurellaria, 334.

taxus, *taxaria, 130 n.

tela, 212 n.

temperare, 16, 115, 211.

"temperium, 115, 140.

tenebricus, 257.

thymallus, 193.

tina, 209.

tiprus, 363.

tollere, 242.

*tropare, 335, 336, etc.

tubrucus, 364.

*tudiculare, 272.

turbare, 334, 335, 336, etc.

*turbulare, *turblare, *trublare,

337> 33gn- typrus, 563. unedo, 311. *unedona, 311. ursaricius, 65, 359. vaccaritia, 65, 359. varius, 122, 141, 144. vastare, 124. veclus (= vetulus), 320. vercaria, vergeria, 130, 131. "vervecaria, 131 n. vervex, 337. vetulus, 320. viaticum, 284. viburna, 284. viclus (= vitulus), 320. villa, 177 n. vindemia, *vindenia(?), 262.

PORTUGAIS, PROVENÇAL

vinericia, 66.

vita, 284.

vitkula, viticula, 180, 181 n.

viticulus, 180.

vitis alba, 284.

vitulus, 320. vituperium, 113. vivenda, 284. voluntarius, 139.

401

alfena, 153. angueira, 253. cavallariço, 66. chamada, 20. cobrar, 322.

PORTUGAIS

engo, 309. ervilha, 163. lubricar, 292. porcariço, 66.

PROVENÇAL

a = abeille (fp.), 350. abeda (g.), 282. abeilla, -o, 351. abeyè (g.), 118. abiouradou, 354. abrana (g.), 282. abs, absa, 172-3, 240. *absina, 240. acabè(g.), 118. acaptar, 25. acaua (g.), 259. acino, 171. acordier, 117. acostar, 340. acraua (g.), 259. adiré (g.), 118. adobar, 340. adobier, 117. adorar, 340. aganè(g.), 118. agnesto (g.), 281 ri. agreula (g.), 282. ahamiè (g.), 118. ahanè (g.), 118.

1. Y compris le catalan (c), vençal (fp.).

Thomas.

aice, 249.

aira, 122.

aise, 235.

aissela, 158.

aisso, 158.

aissola, 162.

alaquana, 152.

alaussat, -ssit, 289.

alberc, 127.

alegrier, m n., 117.

alonguier, 117.

amarijo, 164.

amarina, -o, 154, 362.

amarinas, 155.

amasina, 155.

ambra, ambriri, ambro (fp.),

156, 362. amezna (fp.), 232 n. amourrè (g.), 118. ancho, 255. angelot, 159. anpere (fp.), 264 n. ansanello, ansano, 171. anyele (g.)» J77 n-

le gascon (g.) et le franco-pro-

II. 26

402

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

aouejè (g.), 1 18 n.

aousano, 171.

aoussenc, 355.

ap, 350.

apcha, 131.

apsar, 362.

arbelha, arbeillo (g.), 162.

arcaneto, etc., 153.

arcanna (arkanna), 154 n.

ardir, 131.

arnés, 274.

armarena, -ina (fp.)> 362.

armori, armouri, armorijo, ar-

mourijo, etc., 164. arraba (g.), 282. arraga (g.), 282. arrague (g.), 197. arre-(g.), 170. arrecatè (g.), 118. arredezme (g.), 170. arredogue, 169. arrepoè (g.), 118. arrepunt (g.), 170. arroulh (g.), 329. arsano, 171. artijo, 166. ase, 249.

asperbo, etc., 264. assaborar, 340. assana, assanha, 170. asse, assa, 172, 362. assegurier, 117. auga (g.), 282. aulanha, 171. auledoun, auleroun, 310. auranoa, -oar (g.), 315 n. aus, s. m., 290. aus, adj., 240. ausino, 239. ausseda, 240. *aussina, 241. autorguier, 1 17. autregier, 117. avays, -ssa, 232. aveneduir (g.), 137 n. avi(fp.), 352.

avilli (fp.), 351.

babelha (bobelho), 176 n.

babi(g.), 176, 195.

babialè (g.), 176.

babit (g.), 176.

bailar, 58.

baïno (fp.), 178.

baisar, 29, 132 n.

baisso, 232 n.

bajan, bajana, 178.

balar, 44.

barat (g), 170.

barena (c), 188 n.

bastarez, esso, 74.

béco, 352.

bedoura (g.), 282.

beillo, 351.

belido, 183.

beregne (g.), 187 n., 262.

beren (g.), 187 n.

berena (c), 188 n.

berimous (g.), 187 n.

bernata (g.), 282.

bèso, 127 n.

bezal, 127.

bezarez, -eza, 82, 88.

bibalè (g.), 176.

bidelhe (g.), 179.

bie (fp.), 127.

biele(g.), 177 n.

bignarés (g.), 87.

blouson, 269.

bobelho, 176 n.

bocarez, 82.

bodee (g.), 181.

boder, 182, 194, 363.

boscareza, 88.

boscatier, 233.

bossareza, 88.

bouc, 82.

boucarés, -charés, 82.

boucau, 334.

bouchard, 82.

boudé (g.), 181, 194.

boueijo, 166.

boulido, 183.

PROVENÇAL

403

bourtoulaigo, 320.

bouscarra (g.), 282.

bovareza, 88.

bovatier, 233.

braiman, brayman (g.), 184.

brama (g.), 282.

bregno (g.), 187 n., 262.

brembar (g.), 188.

bren (g.), 187 n.

brena (g.), 187.

brimous (g.), 187 n.

brouca (g.), 282.

bruchaga (g.), 282.

bruchoa (g.), 282.

bruga (g), 282.

buire, 182, 193.

buiro (fp.), 182.

bulide, -do, 183.

burre, 182.

cabilha (g.), 282 n.

cabraret, -ez, -eza, 75, 83, 8

cada (c), 190 n.

cade, 188.

cadenasso, 189.

cadenedo, 189.

cadenello, 189.

cadeniero, 189.

cadre, 189.

cae, 189.

caforc, cafour, 191.

cagoulho, 191.

cagoulo, 191.

cailar, 229.

caiola, 191 n.

caitivier, 11 1 n., 117.

caleiado, -lhado, 199.

calelh, 199.

caleu, 199.

calhabé (g.), 198.

calhabere (g.), 197.

calhabet, -bot (g.), 198.

calhîoua (g.), 282 n.

calmareza, 88.

camel, 195.

caneba (g.), 282.

canelhada, 363.

cara, 132.

carante, 187 n.

carce, carcer, 216.

careiado, carelhado, 199, 363.

cassourra (g.), 282.

castelar, 229.

castiier, 117.

caular (g.), 282.

caureiado, 199.

caus, 290.

caussatier, 233.

cavalaria, 121.

cavalier, 121.

cavalier, 134.

cayola (g.), 228.

caytiouè (g.), 118 n.

ceba (g.), 282.

cer (sèr), 201.

ceriesa, 136.

cessarez, 75.

chadenedo, 189.

chai, 189.

chaine, 189.

chambijo, 166.

chancera, 217.

chantier (?), 117.

chaplier, 117.

charri (fp.), 295.

chaus, 240, 290.

çhavan (fp.), 366.

cheira, 132.

cher = char (fp.), 294.

cherri (fp.), 29 j.

çhevan (fp.), 366.

chibre, 211 n.

chieira, 362.

chiera, 132.

chirbe, 211 n.

cibada (g.), 282.

cibrado, 206.

cibre, 206, 363.

cimbre, 207.

ciouasa (g.), 282.

claqueret (fp.), 361.

cobde, 24.

cobrar, 322, 339.

INDEX LEXICOGRAPHIQJJE

coforc, coforcha, 191.

coisna, 215, 216.

colcer, 215.

colse, 215.

coluri (fp.), 248.

concebre, 228.

concetar, 228.

conobre, 364.

conortar, 219.

consider (-ier), 113, 115, 117,

118, 132, 134, 220, 221,

221 n. considrar, 220, 221. *considrer, 221. consier, 220-8. consirar, 227. consire, 221 n. consirier, m n., 113, 117, 118,

221, 222, 223. coratier, 233. cosciencia, 228. coser, 226. cosier, 222. cosir, 226. cosirar, 227. cosna, 215, 216. cospirar, 228. cossebre, 228. cossegre, 228. cosselh, 228. cossena, 215. cossentir, 228. cosser, -era, 215, 216. cossetar, 228. cossier, 222, 364. cossirar, 227. cossol, 228. cossolar, 228, 340 n. costar, 339. costubar, 210 n. couce, 215, 216. coucedo, -edro, 215, 216. coucèiro, 215, 217. couceno, 215. coucero, 215, 217. couder, 223 n.

coueitio, coueito, coueto, 215,

216. couino, 215, 216. coulce, 215. coulcedo, 215, 216. coulceno, 215, 216. coulcero, 215, 217. coumbranc, 192. counsoulè (g.), 118. courno, 215, 216. couser, 215. coussei, 223 n. cousser, 215. coussida (g.), coussidè (g.), 221 n. coussier, 223. coussierous, 223. coussirè (g.), 221. coussirous, 223. cousso, 215. couste, 216. coustio, 215, 216. cousto, 216. coutre, 213. couylaa (g.), 229. coyala (g.), 228. cozna, 215, 216. cranto (g.), 187 n. crocarez, -eza, 75. crubel, 210. cruézia (fp.), 294. cuiolar, 191 n., 228-9, 282 n. cujala, 228. cuyala, 228. dalouéri (fp.), 238. davais, -aissa, 231. debeyè(g.), 118. debisè (g.), 118. déc, 233 n. dèc, 137 n., 233. degatier, 232. degoursa, 239. deguier, 233. deimai, 234, 364. delavra (fp.), 238. delezer, 237.

PROVENÇAL

deliurier, ni n., 114, 117.

demai, 134.

demorar, 340.

demorier, 117.

den, dent, 44.

denairada, etc., 121.

denier, 121.

deped, 237 n.

desabeyè (g.), 118.

desacordier, 117.

desacoustumè (g.), 118.

*desaussinar, 241.

desbroumbè (g.), 118.

descarè (g.), 118.

descordier, 117.

descounsoulè (g.), 118.

desestimè (g.), 118.

deseusina, 239.

desfourtunè (g.), 118.

*desider, 113.

desier, 223, 224.

desirar, 226.

desirier, non., 113, 114,223,

224, 364. desnougalha, 205. desoulè (g.), 118. desoundrè (g.), 118. desousina, 239. desoussina, 239. dessebrar, 242. dessensè (g.), 118. dessibra, 241. dessirier, 226 n. desteilla, 242. destorbier, non., m n,, 1 17,

118. destuelh, 242. destél, 242. détela (fp.), 244 n. doga, dogue (g.), 170. doladera (g.), 238 n. doladoira, 238. doliuri (fp.), 238. dolsa, 244, 364. dorsi (fp.), 245, 246. doubri, 21 1.

doûfa (fp.), 245. douladère (g.), 238 n. dôusso, 245. draparez (-et), 76. dresca, 130. dresta, 130 n. droblo (fp.), 248. droubi, 211. drouérî (fp.), 247, 365. duchen, 355. dur, 249. duraice, 249. duraiquier, 249. dussen, 355. dzegne (fp.), 288 n. eble, ebo, ebou,eboul, 306, 307. eboric, 309 n. echamousta (g.), 250. écoisson, 250, 365. écoussou, 251. écourre, 251. ega, 254.

egassier, 233 n., 254. egatier, 233, 254. egecer, 254. ego, egou, 306. eguezier, 233 n., 253. eguin, 254. eigaié, 254 n. eilau, 290. eimai, 234 n., 235. eirancha, 254. eissarrar, 25 s, 365. eisscbra, 241 n., 242. eissigna, eissigne, 261. eissinja, eissinje, 261. èl, 329.

embarguè (g.), 118. embarrc (g.). 118. embeyè (g.), 118. empachier, 117. empaitrier, 117. empeyr, 134. enamorar, 340.

encombrier, non., ni n., 114, 117, 118.

406

INDEX LEXIC0GRAPH1QUE

encraua, 259.

encrauera, 259.

enogier, 117, 118.

ensarailli (fp.), 257.

ensarrar, 256.

entenerc, 258.

enter, 135.

erbro (fp.), 295.

escabit, escafit, 362.

escalaoua (g.), 259.

escalaouetos (g.), 259.

escançon, 131.

*escaouala, 259. .

escaz, 129, 212 n.

escheini (g.), 261.

eschenya, eschenye (g.), 261.

escobar, 340, 341.

escomover, 259.

escoudre, 251.

escoumoussa, 250.

escoussou. 251 n.

escoussouira, 251 n.

escouzi, -zidè, 221 n.

escranca, 255.

esems, 49 n.

eslaus, 240, 290.

esmarrit, 257.

espaventier, non., ni, 117.

esperbo, esperbié, etc., 264,

365. esqueira, 132. *esrancat, 255. estadis, 266. estantis, 267. ester (g.), 170. estiers, 140 n. estoumaquè (g.), 118. estournic, -ica, 206. étrobla (fp.), 248. eu, 329 n. eufe, eufo, 306. eugue, 306, 309. eule, 306. eus, 290. eusino, 239. eusse, 306.

evou, 306, 307. ewatai (fp.), 254. eyguesier, 254. faisso, 39. fanterne, 268. fauterbo, 268. fauterlo, 269. felgar, 281. fellayo, 269. figarez, 85. filatier, 233. finterno, 268. flage, flagel, 158. flajo, 158. flauge, flaugel, 158. fiaujo, 158. fleira, 297. fonterno, 268. fortaleza, 90. fortareza, 89, 90. foustello, -erlo, etc., 268. fôuterlo, -no, 268. fraisse, 210. fuec, 135 n. gabarra, 282. gabier, 117. galier, 117. gandir, 131. garanhon, 131. garlimen, 273. garnimen, 274. garnir, 131, 274. garrabousta (g.), 282. garrigata (g.), 282. gastar, 124, 233. genestar, 280. gequir, 132 n. gesta (g.), 282. geu (g.), geule, 306. giestar (g.)> 281. ginestar (c), 281. glassar, 39. glaujol, 152 n. gleiro, glèro, 122 n. *gliera, 133. gliere(fp.), 122 n.

PROVENÇAL

407

gliesa, 136. gnebre (g.), 281 n. gnesta,gnesto(g.), 281 n. g«rço, 5?- gourrinè (g.), 118. granatier, 233. graujol, 152. gremalyi (fp.), 2°5- gremô (fp.), 205. grepia, 210 n. grupia, 210 n. guérir, 1 29. guireri, 129 n. haba (g.), 287. hanga (g.), 282 n. hea, hia (g.), 283. heuga(g.), 283. histar (g.), 279. houga (g.), 283. hougara (g.), 283. huguo (fp.)> 3°7n- icharrar, 256. iera, 122, 133. infaouterna, 268 n. itoula (fp.), 366. ivern, 210 n. ivernareza, 90. jatz, 228. jauga(g.), 283. jeneré (fp.), 361. jovencel, 286. jouvenceu, 287. junca(g.), 283. junega, 286. jusclano, 330. jusquiam, -mo, 330. kublo (fp.), 210 n. lâche (g.), 118. lagna, lagnous, 151. lanhar, 151. laorar, 346. lau (fp.), 196 n. laus, s. f., 289. laus, adj., 289. laussedat, -tat, 289. lauzenga, 290.

ledanio, ledanjo, 290. ledouno (g.), etc., 310, 311,

366. legour (de), 235. leuda (c), 216 n. leugier, 121. leujario, 121. lezda, 216 n. lezer, 235. lezour, 235.

NguèCg-). Il8-

lladoner (c), 311 n.

loba, 340.

lobais, 232.

lobaresc, 360.

lobarez, -eza, 86, 91, 360.

lobatier, 233.

logar, 112.

loguier, 1 12.

longuier (?), 117.

lovareci (fp.), 91.

lucheran, 104 n, 366.

luec, 137 n.

lutzéran, -on (fp.), 104 n.

macip, 228.

madicr, madrier, 115 n.

magesteyr, 134.

mai, 296.

maire, 296.

mairitz, 297.

maissela, 158.

maisso, 158.

malabde, 24.

malharez (-et), 97.

mancip, 228.

marrir, 131, 257.

marsa (fp.), marsado, 294, 366.

marsia (fp.), 294, 366.

massible, massigoul, 307 n.

mayiri (fp.), 142 n.

meira, 143 n.

meiri, 296.

meita, 297.

melhorier, 116, 118.

melsa, 213.

membrar, 188.

408

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

menesteiral, 121. mènogri, 235, 364. mercia (fp.), 294. *merenar (g.), 188. milhassa (g.), 283. milhorier, 110 n. milhouca (g.), 283. miofa (fp.), 212. missa (fp.), 212. moustélo, 29. mulatier, 233. nâlyi (fp.), 205. nayeret (fp.), 104. nech, 315. nessiera, 114 n. nible, 210 n. nichoulo, 304. niétola (fp.), 304, 566.

nioch, 315.

noi (g.), 300.

nouei, 299.

nougalha, 205.

nouguera (g.), 283.

nuech, 315. écho, 304.

obe, 315.

obreir, 135.

obreira, 143 n.

ogan, 315.

ogue, 306, 307.

olegue, 305.

oliver, 134.

orador, 137 n.

orgue, 306, 307.

orlau, 290.

orsareza, 361.

orsatier, 233.

oste, 339.

ostede (g.), 315.

oube, 315.

oubelon, 315.

oudou, 315.

oufenso, 315.

ougon, 315.

ougue, 306, 307.

oulegue, 305, 306, 307.

oumeleto, 315.

ouralho, 315.

ourcaneto, 155.

ouriero, 315.

ourtiga(g.), 283.

ousino, 239.

oussino, 240.

outjabo, 314, 366.

pabieu, pabiou (g.), 176.

pabil, 176, 177.

pabilum, 176 n.

paier, 118.

panatier, 233.

panier (?), 117.

panterno, 268.

parsayi (fp.), 295.

partarez (-et), 105.

parteret (fp.), 105.

partus (fp.), 295.

paubre, 211.

paubriera, 115.

paupeira, 115, 143 n.

pauprier, 110 n., 114, 115, 116.

paupriera, 115, 1 16.

pec, 137 n.

peiri, 297.

pelatier, 233.

penna, penneja, 516.

pensar, 227.

pensier, 110 n., 111 n., 117,

118. pentecosta, 339. perçasse (g.), 118 n. persayi (fp.), 295. pertorbier, 117. pertuis (fp.), 295. pessar, 227. petarez (-et), 98. petouso, 99. pignada (g.), 283. pinna (g.), 316 n. pissia (fp.), 294. piuze, 210 n. plaidier, 11 1 n., 117. plorar, 540. podier, 117.

PROVENÇAL

polvera, 217.

porcareza, 91.

porcarissal, 92.

porcatier, 233.

porchailli (fp.), 318, 319.

poulbèiro, 217.

poulbero, 217.

poulido, 29.

poulinasso, 317.

poumata (g.), 283.

poumera (g.), 283.

pourchalho, 318-9.

pourchau, 334.

pourtoulago, -aigo, 320.

pouvero, 217.

prada(g.), 283.

prand (fp.), 328.

pregandè (g.), 1 18.

preon, 220 n.

prevond (fp.), 328.

primer, 134.

priond (fp ), 328.

proa, 340 n.

profeira, 135.

profer, 13 s.

prolonguier, 362.

prond (fp.), 328.

punassi (fp.), 317.

quaira, 132.

queir, 135.

queira, 132.

queiro, 122 n.

quère (g.), 118.

quèro, 122 n.

quieira, 132.

*quiera, 133.

rabeg, 325 n.

radoira, 247.

radouéri, radouéri (fp.)> 247.

radouira, 247.

radouiro, 247.

rasouira, 247.

rasouiro, 247.

rastoura (g.), 283.

ravouira, 247.

recaneto, 153.

recobrier, 114, 117.

redogue (g.), 170.

redouira, 247.

rel, relh, 328.

repetnar, 316.

reproar, 112 n.

reprober (-bier), 112, 117, 134.

reprochier, 117.

reproier, reprovier, 112 n., 117.

reprovar, 112 n.

reptar, 25.

reû, 329.

revouira, 247.

rezensar, 326.

ro, 329 n.

rodareza, 92.

rodo (fp.), 248.

"roduri (fp.), 248.

rolh, 329.

roulia, 329.

roumenta (g.;, 283.

sabrier, 114 n.

saliga (g.), 283.

sanha, 170.

saupignaco, -go, etc., 330.

saussiga (g.), 283.

saussilha (g.), 283.

se = selh, 206.

secareza, 93.

segalar, 281.

segassa(g.), 283.

sei = selh, 206, 207 n.

seis, 135.

selh, selha, 206.

selhado, 206.

senebe, 195.

sepio, 210 n.

sequerisso (g.), 93.

ser, 201.

serbe, 195.

servage, servasina, 295.

servir, 129 n.

sesca(g.), 283.

seyno (fp.), 331.

sieis, 135.

siep (g.), 196.

INDEX LEXICOGRAPHIQUE

signo(fp.), 331 n- sinye (g.), 262. sirven, 129 n. soa, 340 n. sobrar, 339. sobrier, 114 n. sobriera, 114 n. sobro, 339 n. soubro, 339 n. soupinago, 330. soustra (g.), 283. supio, 210 n. tarir, 131. taurau, 334. tausia (g.), 283. teira, 143 n. telatier, 233. tempier, 115. tenebra, 257 n. tenerc, 257. timbre, 214. touire, 42 n. . touja, touya (g.), 283. tourba, 338 n. transir, 227. trassir, 227. trempa, 211. tribe, 206, 363. trible, 210.

trobar, 338, 340, 341. trovar, 341. trover, troverso, 165.

trube, 207, 209.

tuya (g.), 283.

uchen, 355.

uelh, 329.

ugle, 306, 307.

ug° (fp-)» 307, 308.

ugue, 306, 307.

ura (fp.), 308 n.

useire, 134.

ussen, 355.

uvern, 210 n.

uychent, 355.

vacarez, eza (-essa), 81, 87, 93

vacatier, 233.

vayssa (vaisso), 231, 232 n.

vedilha (vediho), 180.

velh, 135.

vendenha, 262.

venenha (g.), 262.

vielh, 135.

vignarés, 87.

vigneret (fp.), 87.

vinharez, -eza, 87, 361.

viria (fp.), 294.

ya (fp.), 284.

yable (fp.), 284.

yadze (fp.), 284.

yéda (fp.), 284.

yoch, 315.

youenc, -nco (g.), 287.

younca (g.), 283.

ziou, 306.

RHÉTO-ROMAN

arbeja, 163. cevre, 208. marzade, 366. saiver, 208. seèvre, 208.

senep, 195. sevré, 208. vadeilla, 180. vdail, 180. zeiver, 208.

ROUMAIN

bumbac, 194.

cibâr, ciubâr, 207, 209.

luneca, 292.

SCANDINAVE, TURC

bregtha, 186. kjœnne, 29. man, 4.

SCANDINAVE

north, 4. sterkr, 265.

TURC

pambouk, 194 n.

INDEX TOPONYMIQUE

Abeillan, Abeli[a]num, 35.

Acanium, 36.

Achun, 35.

Actia, 61.

Adarnacum, 50 n.

Adernac, 50.

Adissan, 36.

Aenmostier, 51.

Aenno, Aent, Aento, 52.

Agan, 36.

Agedincum, 36.

Agen, 36.

Agenno, 36.

Agentum, 51-52.

Aginnum, 36.

Ahent, Ahentum, 52.

Aicha, 61.

Aindre, 54.

Aissa, 61.

Aixe, 61.

Ajain, 36, 37.

Alaciacum, 37.

Albilanges, 45.

*Albillanicos, 45-46.

*Albinanicos, 45 n.

Albutio, 61.

*Alesantia, *Alisancia, 43.

Allassac, 37.

Alrance, 43.

Alsancia, 45.

*Altodurum, 42.

Altoire, 42.

Ambatia, 38.

Ambatiacum, 39.

Ambazac, 39.

Amboise, 38 et s.

Ambrières, 1 59 n.

Analiacus, 60.

*Analiscas, 60.

Andreis, etc., 54.

Anectio, Aneisso, etc., 61.

Anger, Angeriscus, 47, 54.

Angoulême, 167.

Annexonium, 61.

*Apilianum, 35.

*Arcicias, Arcissas, Arcisse, etc. ,

40. Ardennes, 15. Aremoricus, 165-9. Arlempde, Arlende, Arlinde,

41, 51. Armoricus, etc., 165-169. Armorique, 12, 164-9. Arnemetici, 41. *Arnemetum, 41. *Arnemde, 41. Arsicius, 40. Artige, 76.

1. On n'a admis que les noms qui ont été l'objet d'études ou de remarques particulières.

INDEX TOPONYMIQUE

Artois, 77, 78, 79, 80. Arvernicum, 57. Ascalon, 17. *Aternacum, 50. Aternum, Aternus, 50 n. *Aticianum, 36. Aubilanges, 45. Aubusson, 42, 61. Aumale, -arle, 51. Auradoueix (L'), 137. Autoire, 42. Auvergne, 57. Auzance, Auzances, 42, 43. Ayen, 52. Baccarisse, 94. Baies, 178. Baladen, -dent, 44. Baladitiago, 44 n. Balatedo, 43. *BaIatiacum, 44. Balatonium, 43. Balatonna, 43. Balazac, 44. Balazé, 44. Balledent, 43. Banassac, Banassat, 45. Baniaritia, 94. Bannaciacum, 45. Baptresse, 103. Barbonéchas, 60. Baridunum, 56. Barriac, 44 n. Bateretzia, Batresse, 107. Bayonne, 17. Bazelat, 44.

Beaune-la- Rolande, 32. Beauvaisis, 68. Benaciacum, 45. Benassay, 45.

Bergeresse-en-Brie (La), 88 Berlin, 17. Bessarés, 82. Besseresse, 88. Billanges (Les), 45. Biscaye, 17. Blanc (Le), 45.

Blaudeix, 46.

*Blaudiscum, 46.

lUxjîo;, 46.

Boerecia, 88.

*Borboniscas, 60.

Boucheresse, 88.

Bouresse, 88.

Bourg-d'Hem (Le), 51.

Bournoncle, 42.

Bousseresse, 88.

Bouteresse (La), 107.

Boutrais, 101.

Bouvresse, La Bouvresse, 88.

Brabançons, 184.

Bramafam, 44.

Bretagne, 12.

Brioude, 50.

Brivate, 50.

Brive-la-Gaillarde, 32.

Cabraresza, 88.

Cabrerisse (Saint-Laurent-de-),

88. Cabroulasse (La), 88. Cadaneira, 189 n. Cadanetum, Cadenet, 189. Cadourne, 47. Cafour (Le), Cafourche (Li),

191. Caillavel, 198. Caillouël, Caillouet, 198 n. Calhaba, 198. Calicut, 17. Calmis Baniaritia, 94. *Cambidonum, etc., 47, 48. Camboncaris, 48. Cantagrel, 44. *Cantretiacum, 49. "Cantriniacum, 49. Caris, 48.

Carlencas, -nencas, 42. *Cassemate, -ssimate, 49, 50. Castellum Carnonis, 42. Catalaunicum, 57. " Catanetum, 189. Caturniacum, 47. *Celmans, 57.

4M

INDEX TOPONYMIQUE

Cenomani, 57. Cenomanni, 31, 57. Cenomannicum, 57. Cervedone, Cervon, 47 n. Cévennes, 15. Chadourgnat, Chadreugnat,

etc., 47. Chadourne, 47. Chaillevel, Chailvel, 198. Chaillevette, 198 n. Chaillevois, 197. Chaillot, 198 n. Chalivoy, 197-8 n. Châlonge, 57. Chambedon, 97. Chambéon, 48. Chambezon, 47. Chambonchard, 48. Chantrezac, 48, 49. Chantrigné, 48, 49. Chard, 48 n. Charenton, 5. Chassende, 49. Château-Châlon, 42, 51. Châleaumeillant, 58. Chaumeresse, 88. Cher, 48. Coforc, Cofforca, Cofforchia,

191. Cofourche (La), 191. Condé, 15. *Confurcus, -ca, 191. Comminge, 57. Congidunum, 56. Corbie, 80. Corbon, 40. Cordes, 50. Cordoue, 17, 50. Cornas, 50. Cornate, 50. Cornde, 50. Corrèze, 37,42, 47, 52, 53, 56

n., 59, 60. Couffour(Le), Coufourche(La),

191. Creuse (Petite), 54.

Croates, 17.

Crocq, 43 n.

Croseta (Petite Creuse), 54.

Damascena, 232 n.

Darnac, 50.

Disse (La), 36.

Domincum, 51.

Donincum, 51.

*Dornincum, 61.

Doullens, Dourlens, 51.

Dyrrachinus, 249 n.

Éperlon, -non, 42.

Equiverlesse (Haie), 75.

Escadunum, 35.

Esclavons, 17.

Exolvernus, 51.

Eymoutiers, 51, 52.

*Fabaricia, 89.

*Faberitia, 89.

Faenza, 17.

Faferas, 85.

*Falconisca, 60.

Fauconèche (La), 60.

Faveresse, Favresse, 89.

Faverils (Les), 363.

Faverieux, Favrieux, 363.

Faverois, 85.

Figarés, 85.

Foulerets (Les), 103.

Foulleray, 103.

Francia, 12.

*Franciscas, 60.

Fransèches, 60.

Frondarias, 130.

Frumenterilis, 175.

Gallia, 12.

*Galliscas, 60.

Glanderiae, 125.

Gordanicos, 46.

Gorce, Gorcia, Gorse, Gorze,

etc., 52, 53, 54 n. *Gotoniscas, 60. Goudargues, 46. Goudenaiche, 60. Goursole, 53. Haentum, 52.

INDEX TOPONYMIQUE

Haie Équiverlesse, 75.

Hains, 51, 52.

Hem, 51, 52.

Hongrois, 17.

Hyverneresses, 90.

Indre, Indrois, 47.

Iscadunum, 35.

Ivernaresses, 90.

Jalèches, 60.

Jordanisc, Jordaniscum, Le Jour-

daneix, 46, 47.- Langoine, 57. Laon, 15. Laudunum, Laucedunum, Lau-

cidunum, Lauzidunum, etc.,

55, 56. Lavaqueresse, 93. Leboraria, 130. Lehun, 55. Leigne, 55. Lemnia, 55. Leu, Leum, 55. Lezoux, 60. Lingonicum, 57-8. Loberzac, 56 n. Lodosum, 60. Loerece, 360. Lohun, 55. Loin, 55. Loire, Loiret, 54. Lonnac, 56. Lorlanges, 42. Losdunum, 55. Loubarés, 86. Loubaresse, 91, 360. Loubresse (La), 360. Loucé, s 6. Loudun, 55, 56. Lourdoueix, 137 n. Louresse, 360. Lubersac, 56 n. Lucciacus, Luciacus, 56. Lugidunum, 56. Lugudunum, 55. Luparicia, 366. Luperciacum, Lupersat, 56 n.

Luthenay, Luttennacum, 56.

*Luttiacum, 56.

Maceria, 133, 142.

Maine (Le), 57.

Maizières, 142.

Mans (Le), 51,45, 57.

Maroc, 17.

Martinisca, La Martinèche, 60.

Mazières, 142.

Mediolanum, 58.

Médoc, 57.

Meilhac, -illac, 58.

Meilhau, -illau, 58.

Meilly, 58.

Mende, 41, 50.

Meylan, 58.

Mézières, 133, 142.

Mimate, 41, 50.

Moilliens, 58.

Moissida, 59.

Molseo, 59.

Monceaux, 58, 59.

Morvan, 15.

Mouissido, 59.

Moxedanum, *Moxitanum, etc.,

59-

Mulsedonum, 59. Muridunum, 56. Mussidan, 58, 59. Nacinianum, 62. Naillat, 60. Nalèches, 59, 60. Nehom, Neom, Néoux, 61. Neuf jours, 60, 61. Neuil, 61 n. Neustrie, 5. Nexon, 61. Nezignan, 61, 62. Nieuil, Nieul, 61 n. Nogent-le-Rotrou, 32. Nohant, 60. Noiomagus, 60. Normandie, 5, 13. Nouan, 60. . Novemdies, 60. Novientum, 60.

4 1 6

INDEX TOPONYMIQUE

Noviomagus, 6o.

Nué, Nueil, 6i n.

Nueiols, Nuejols, 6o, 6i.

Nuéjouls, 6i n.

Nuzéjouls, 6i.

Oratorium, 137 n.

Orgeril, 175.

Orsarias, 130.

Périgord, 57.

Perse, 17.

Plebs Hoiernin, 42.

Pluherlin, 42.

Porcherais-Casso, 87.

Porcheresse, 92.

Pourcharessas, -resses, 92.

Pourcheresse, -esses, 92.

Rance (Le), 43 n.

Redeverus, 126.

Relandais (Le), Relandière (La),

62. Remeneuil, 62. Remigeous (Le), 62. Remigère (La), 62. Remilly, 62. Reviers, 126. Rolandeis (Le), Rolandère (La),

62. *Romanoialum. 62. Romejos (Le), 62. Romijère (La), 62. Romillec, 62. Rotaricias, 92. Roudaressas, Roudersas, 92. Rouergue, 57. Rudersas, 92. Saint-Chartier, 140. Saint-Didier, Saint-Dizier, 225.

Saint-Sorlin, Saint-Sornin, 42.

Saint-Valier, 140.

Sainte- Valière, 142.

Saintonge, 57.

Sandwich, 18.

Sardent, 44.

Sauxillanges, 46.

Scadunum, 35.

Serotenno, 44.

Silvanès, 43 n.

Singidunum, 56.

Slaves, 17.

Tasseriolas, 130.

Toivre (Tibre), 214.

Toroine, Toroigne, 58.

Touraine, 54 n., 58.

Toy (Le), 42.

Turonia, 58 n.

Turonicum, 58.

Uzège, 57.

Vacarés, 87.

Vacarissa, 94.

Vaccarizzo, 67.

Vacheresse, La Vacheresse, 93.

Vacheret, 87.

Vacqueresse, Vaqueresse (La),

93- Vaveresch, 85. Velay, 57.

Ventéjols, Ventéjoux, 61. Venteuge, Venteujol, 61. Venteuil, 61. Ventoialum, 61. Villeneuve-la-Guiard, 32. Vintoialum, 61. Warencerie, 125. Worstead, 313.

CHARTRES. IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.

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PC Thomas, Antoine

2071 Nouveaux essais de philologie T562 française. 1904 .

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