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NOUVELLES

POÉSIES

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AVKC UNE NUJ'K.f': DE M . CHARLES N I S A R D

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NOUVELLES

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POESIES

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Paris. Imprimerie P. -A. BOURDIER et Cie, rue iMazariue, 30.

NOUVELLES

POÉSIES

DE

KEIME CiARDK

AA'EC UNE NOTICE

DE M. CHARLES NISARD

PARIS

ETIENNE GIRAUD, LIBRAIRE-ÉDITEUR

IIOE SAINT-Sl'LPICB , 20. NIMES, LUUIS GIRAUU, LIBHAIIIE

1861

PREFACE

Il y a dix ans que Reine Garde, couturière à Aix en Provence, publiait la seconde édition de ses Essais poétiques. Dix ans, c'est pour les uns la décadence ; pour les autres, c'est le progrès. Depuis 18S1, pendant les loisirs de sa retraite à Nîmes, sayille natale, Reine Garde s'est appliquée à tenir les promesses de ses heureux commence- ments : elle a écrit, elle a chanté. L'Académie a

a

VI

montré le cas qu'elle faisait de sa prose en cou- ronnant Marie-Rose^ simple et touchant épisode de l'enfance du poëte. Reine Garde soumet au- jourd'hui ses nouvelles inspirations au jugement du public. Pour le remercier de la faveur accor- dée à ses premiers travaux, elle lui apporte le tri- but d'un talent épuré par l'étude, fortifié et mûri par l'expérience parfois si douloureuse de la vie. La reconnaissance, dit Shakespeare, est le seul bien du pauvre. De ce bien, Reine Garde est riche, et il s'en faut qu'elle en soit avare. Elle s'est crue obligée envers les patrons de ses premiers vers, et sa muse ne sera quitte avec eux que le jour elle aura mérité de trouver des juges sévères dans ceux qu'elle a considérés jusqu'ici comme des amis indulgents.

VII

Nous qui n'avons jamais flatté le poëtc, nous estimons que ce jour est venu.

Ce nouveau recueil se recommande par les mêmes qualités qui distinguent le premier, plus brillantes toutefois et plus abondantes.

Ce sont la simplicité et la délicatesse des pen- sées, la grâce et la fraîcheur des images, l'expres- sion affectueuse et vive des sentiments du cœur les plus nobles, tels que l'amitié, la charité, la reconnaissance ; c'est une résignation ferme aux décrets de Dieu, une indifférence pour le monde, qui est plutôt de la compassion que du mépris, enfin un contentement de sa condition, si admi- rable et si plein, que la fortune ne saurait y rien ajouter, ni seulement le troubler. Joignez à cela quelques tableaux pris dans la nature. L'observa-

VIII

tion ne s'y élève pas, il est vrai, jusqu'à la hau- teur de la science, et c'est fort heureux, mais elle se ressent du juste point de vue l'observa- teur s'est placé, de l'exactitude et de la finesse de son coup d'oeil, et de son commerce habituel avec ces petites choses l'on dit que se montrent avec le plus d'éclat la puissance et la grandeur de Dieu. Ces qualités sont partout ^ mais je les remarque plus particulièrement dans les pièces qui ont pour titres, à M. Mignet^ la jeune Mère athénienne^ la jeune Mendiante^ la Sympathie, la Fille des champs et Fleurs des champs. Le Rêve du mousse est un petit poëme éclatent surtout la candeur, le naturel et la sensibihté du poëte. Un mousse, un enfant, s'endort sur le pont de son navire. 11 rêve qu'il voit la terre. Il débarque, et le voilà

IX

dans les bras de sa mère et de ses sœurs. 11 cherche ses chèvres ; il s'informe d'elles, car ses chèvres aussi sont de sa famille. Rien n'est gracieuxcommc ce monologue ; la mélancolie mtme n'y est pas sans une certaine dose de gaieté, mais de cette gaieté qui sied à l'enfant, quand il revoit ceux qu'il aime, et qu'il pleure et rit à la fois. Un antre que Reine Garde n'eût pas manqué de faire res- sortir le contraste de la vie calme des champs, même en rêve, avec la vie active et fatigante à bord d'un navire ; il n'eût pas manqué de réveiller le mousse pour nous rendre ce contraste encore plus frappant. Plus ingénieux et plus vrai, notre aimable poète le laisse dormir, ne voulant pas trou- bler la douce impression quenous a causée son vc, et nous épargnant le désappointement dn ré\eil.

La verve, rentraîuemeul et la force ne sont pas, rigoureusement parlant, les qualités du style de Reine Garde , parce que ni ses pensées ni ses sujets ne le comportent ; mais elle y supplée par une douce chaleur qui pénètre le cœur et qui l'as- sainit, si je Vose dire ; par l'art de nous rendre intéressantes les circonstances les plus modestes de notre Me, et de nous forcer à leur prêter une attention que nous ne leur prêtons pas assez ; en- fin, par une pureté de langage qui est presque toujours irréprochable. Pour ses idées, je le ré- pète, ce sont toujours celles qui vivent dans une âme candide, aimante, reconnaissante, attendrie encore par l'injustice et la rigueur des épreuves, pleine de confiance en Dieu, et d'autant plus cha- ritable envers les hommes qu'elle a eu plus à souf-

M

frir de leurs préjugés, la plupart du temps supé- rieurs à leurs meilleurs sentiments et à leur raison même. C'est pourquoi l'impression qui nous reste de la lecture de ses poésies est si agréable, car nous nous y retrouvons ou tels que nous sommes, ou tels qu'il ne tient qu'à nous de devenir.

Ceux qui couvent des tempêtes dans leur cœur et qui cherchent les occasions de les déchaîner, ceux qui aiment qu'on parle à leurs haines, à leurs colères, à toutes les passions violentes par les- quelles ils se consolent de la crainte ou du mépris dont ils sont l'objet, ceux enfin que leur égoïsme tient dans l'isolement, et qui, soit par calcul, soit par lâcheté, demeurent étrangers à tout ce qui émeut, élève et dispose aux grands sacrifices, ceux-là se défendront des poésies de Reine-Garde,

XII

les uns comme d'un ennui, les autres comme d'un remords, les autres comme d'une leçon qui les arracherait à leur honteuse quiétude. Pour y goû- ter un plaisir sans mélange, il faut aimer quelque chose plus que soi, et, si nous ne rencontrons rien ici-bas qui soit digne de ce dévouement, il faut aimer au delà du tombeau ; il faut avoir été humilié, et souvent sans en avoir jamais gardé d'amertume ni de fiel; il faut savoh' se plaire dans sa condition, s'y faire respecter, reconnaître de bonne grâce qu'il y en a de meilleures, et ne leur porter point envie ; il faut enfin s'être accoutumé de bonne heure à prendre le monde comme il est, s'y être frayé sa voie sans nuire à personne et sans s'of- fenser d'y être dépassé. Le bonheur est aux plus honnêtes ; "il n'est pas toujour^^ aux plus habiles.

XIII

C'est avec des dispositions pareilles qu'on sen- tira tout le prix des poésies que nous publions ; c'est qu'on se retrouvera soi-même, sinon tout entier, du moins dans ses meilleures parties, dans celles qui sont l'excuse des mauvaises ou qui en adoucissent la malignité. Nous confessons volon- tiers notre prédilection pour ce genre de poésie. Si tout en est simple, tout aussi en est vrai ; tout y charme et va droit au cœur. Le vague et le faux nous laissent froid et dédaigneux ; c'est assez communément le propre des poètes bien portants, bien rentes, bien adulés. La violence nous attriste; c'est trop souvent la marque d'un esprit en ré- volte contre une destinée qu'il s'est faite à soi- même et dont il impute la responsabilité aux .mires. 11 n'y a rien de tout cela dans les poésies

XIV

de Reine Garde. On s'y repose comme dans un sanctuaire les agitations du monde ne sau- raient nous atteindre, et s'apaisent et s'étei- gnent celles que nous portons en nous. Le poète ne dit que ce qu'il sent, et c'est le caractère le plus naturel, le plus droit, le plus temp'éré. Comme il comprend bien ce qu'il a conçu, ne voyant pas quel mérite il peut y avoir à se laisser deviner, il parle toujours clairement, avec l'aban- don d'un cœur qui se répand et qui n'a point à rougir de ses confidences. Le père de famille qui veut mettre entre les mains de ses enfants des livres de poésie , y éprouve souvent de grands embarras, et les auteurs qui travail- lent pour eux ont la plupart du temps plus de bonne volonté que de talent." La prétention, la

fadeur et la niaiserie ne sont pas leurs moindres défauts. Ces embarras ne sont pas à craindre ici. Non-seulement aucun mot n'y peut donner lieu à Tune de ces questions dont la réponse est une mauvaise défaite ou un mensonge, mais aucun en soi n'a même besoin d'être expliqué. Dès que la raison se développe, on y comprend tout sans efforts. C'est donc un devoir pour tout père de famille de mettre sous les yeux de ses enfants cet aimable livre et de leur laisser le soin d'en tirer des conclusions, 11 ne leur faut pour cela que les premières notions du bon sens, et si elles sont encore imparfaites, elles ne sont du moins pas gâtées. On leur a tant parlé de ce qui est bien, que lorsqu'ils le rencontrent dans les livres, ils le reconnaissent aussitôt. 11 peut leur être jusqu'à

XVI

certain point difficile de le pratiquer, mais ils ne peuvent se détendre de lui rendre hommage, et ils ignorent les sophismes au moyen desquels on se dispense môme de cette formalité.

CHARLES NISARD.

LA SYMPATHIE

A MKS BIENFAITEURS.

C'est à toi seule, ô sympathie,

Que je dois le peu de bonheur

Qui vient de luire sur ma vie,

Et fait tant de bien à mon cœur !

1

2

A la pauvre fille inconnue Si tu n'avais tendu les bras, Que serait-elle devenue Sans appui, sans guide ici-bas?

Tu m'apparus pleine de charmes, Mère de la sainte amitié, Tu m'apparus ! et mes alarmes Cessèrent devant ta pitié.

Et quand tu me fis la promesse De ne jamais plus me quitter, Je crus voir, dans ma douce ivresse, Un ange au ciel me transporter.

Nobles amis, dont l'âme tendre Comprend la mienne, ah! c'était vous

- 3

Qui veniez de me faire entendre Ces mots si suaves, si doux 1

Oui, vos bontés pour l'orpheline Chaque jour allègent le poids Et de sa couronne d'épine Et de sa douloureuse croix.

Que le ciel vous en récompense, 0 mes généreux bienfaiteurs I Dans ma vive reconnaissance Je ne puis que verser des pleurs.

1856.

5

LA JEUNE MENDIANTE ET SA MÈRE

A M. GIRAUD, Ministre de l'instruction publique et des cultes.

Dans un de ces réduits loge la misère, souvent couché sur la t-erre Le malheureux soupire en vain,

J'ai vu le désespoir d'une mère indigente,

6

En proie aux horreurs de la faim.

Sa fille à peine adolescente,

Pour mendier un peu de pain,

Depuis l'aurore était absente,

La nuit la lui ramène enfin ;

Elle entre... mais... sans chevelure.*..

C'était son unique parure !

La malheureuse mère, hélas !

Oubliant sa grande faiblesse,

Baise sa fille avec tendresse,

L'étreint vivement dans ses bras, *

Et des noms les plus doux l'appelle.

Puis, de son bonnet de velours

Relevant l'étroite dentelle : « sont tes beaux cheveux, mon ange? lui dit-elle, « sont-ils? à ta mère, oh ! parle sans détours.

« Tu pleurais ! » dit la jeune fille En jetant sur sa mère un douloureux regard.

« Tu pleurais, sur ta joue une larme encor brille.

« Je t'ai fait du chagrin en revenant si tard.

« Autour de moi la foule en vain s'est promenée, « Mère, de toute la journée « Nul vers moi n'a tourné les yeux.

« J'avais faim cependant, j'étais triste, inquiète,

« A revenir vers toi sans secours j'étais prête,

« Quand, pour te soulager, j'ai vendu mes cheveux.

« Notre faim se taira, mère, sois sans alarmes, « Tiens, voici de quoi l'apaiser... »

Je n'entendis plus rien, mais de la mère en larmes

Quand les regards sur moi vinrent se reposer. Mon âme, près de se briser, Comprit la grandeur de sa peine.

« De celui qui soupire et se confie en Dieu, « L'espérance n'est jamais vaine, »

Lui dis-je en m' éloignant à regret de ce lieu.

« N'en suis-je pas moi-môme une preuve certaine?

8

« Ainsi que vous, je n'avais rien ;

« Le destin me fit naître au sein de l'indigence ; « Mais, plaignant ma triste existence,

« Un ministre qui met sa gloire et sa puissance « A donner, à faire le bien, « Est devenu ma providence, « Mon consolateur, mon soutien. « Qui sait ce que le ciel vous garde? « Souvent dans son humble mansarde, « Malgré le sort capricieux, « Sous l'œil de Dieu qui le regarde,

« Le pauvre s'endort triste et s'éveille joyeux. »

1851.

9

LE RÊVE DU MOUSSE

Sur le bord d'un riche navire

Qui du monde faisait le tour,

Un mousse sommeillait vers le déclin du jour,

Sous les caresses de Zéphire.

Allant droit à ce pauvre enfant

Dont les pleurs mouillaient le sourire :

« Est-il chagrin? est-il souffrant?

4.

10

« Il s'agite, il parle, il soupire!

« Ses yeux pourtant ne s'ouvrent pas;

« C'est sans cloute l'effet d'un rêve; \< En silence, écoutons avant qu'il ne s'achève. » Et suivant les divers mouvements de ses bras, D'une foule de mots articulés tout bas, Je recueillis ceux-ci : « Terre ! je vois la terre,

« Le pays natal, ma chaumière!

« En Dieu mon espoir n'est point vain. « Je revois, ô ma mère, « Tes traits chéris, ton sourire divin! « Rose, Lise, avec vous je me retrouve enfin !

« Et nos chevrettes, sont-elles? « Hâtez-vous, ô mes sœurs, donnez-m'en des nouvelles.

« Pellegrine vit-elle encor? '

« Et la caressante Grisette '

« Honge-t-elle toujours le bord

« Du court tablier de Rosette?

« Ce souvenir d'enfance à mon cœur est si doux! « Biclionno est mère, dites-vous,

« De ce gentil chevreau qui bêle autour de nous? « Comme il lui ressemble! et Rousselle, « Dans sa blanche et rose mamelle, « Conserve-t-elle encor cette liqueur « Dont nous savourions la douceur,

« Sous nos ombrages frais, au son de la musette « Qui réjouissait tant Lisette?

« Eh bien, de notre sort contents comme des roi?, « Avec nos chèvres, dans les bois, « Allons de ce pas tous les trois « Nous livrer aux jeux d'autrefois... » Et sur l'onde qui le balance,

Le pauvre enfant tressaille et puis dort en silence.

Je ne sais si du jour oubliant les labeurs, Au sein de la verte prairie

12

Le mousse heureux cueillait des fleurs, Pour ceindre le front de ses sœurs ; Mais du bonheur de son jeune âge La douce et ravissante image Eut bientôt effacé la trace de ses pleurs.

I.i

A M. MIGNET

Membre de l'Académie française.

Ton suffrage et ta sympathie Ont su trouver l'asile coule en paix ma vie Le cœur plus ému que surpris Devant une faveur si grande,

u

Depuis ce jour je me demande Si j'en ai senti tout le prix.

Comment exprimer l'affluence Des sentiments divers que ta noble présence Fit subitement naître en moi? Je fus de lumière inondée, Car tu réalisais l'idée Qu'on aime à se faire de toi !

Quel calme au dedans de toi-même! De ton esprit je crois pouvoir t'offrir l'emblème. C'est un fleuve silencieux, l'âme en paix se désaltère, Un lac pur dont l'eau bleue et claire Sans cesse reflète les cieux !

Ta pensée est vaste, profonde,

Et tes écrits que l'art vivifie et féconde Brillent d'un»; austère beauté. En vain dans ton esprit sagace L'erreur prétendrait trouver place, Ton idole est la vérité!

Avec quelle mâle éloquence Ta plume en traits concis nous dépeint de la France Les jours néfastes, pleins d'horreur! Son ignominie et sa gloire Eclatent dans ta noble histoire, Puissante à subjuguer le cœur!

Qui ne répand d'amères larmes Sur la reine d'Ecosse? en voyant tant de charmes Et tant de malheurs à la fois Sur une tête couronnée,

- 16 -

Est-ce là, me dis-je étonnée, Est-ce donc le sort des rois?

puises-tu ce beau langage Qui se fait admirer lorsque tu rends hommage A des savants qui ne sont plus, Et que ton pinceau fait revivre, Quand il se plaît à nous décrire Et leurs talents et leurs vertus?

Mais dans ton pays que j'habite, Sais-tu ce qui relève encor plus ton mérite? C'est le saint respect, c'est l'amour Qu'on te voit porter à ta mère, Culte qui doit rendre si fière Celle qui t'a donné le jour !

Heureuse de ta renommée.

17

Elle peut voir au loin ta gloire proclamée, Entendre louer et bénir Ton nom aussi pur que ta vie ! Ton nom !... un de ceux que l'envie De son souffle n'ose ternir.

1854.

19

FLEURS DES CHAMPS

Modestes tleurettes, Délices des bois, Sachez que vous êtes Les fleurs de mon choix,

Pervenche, églantine. Bruyère, genêt,

De l'humble colline Dorez le sommet.

Reparaissez vite, Trèfle, bouton d'or, Bluet, marguerite, Des prés le trésor !

Sur vos fronts encore Je languis de voir Les pleurs de l'aurore, Les larmes du soir.

De vos dons Zépliire Toujours amoureux, Vous baise et soupire D'un ton langoureux.

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Sur votre couronne, L'insecte à loisir Se perche et bourdonne, Ivre de plaisir.

Puis, avec délice, Il boit, l'importun, De votre calice L'enivrant parfum.

L'on proclame belles Vos sœurs du jardin. Sans jeter sur elles Un œil de dédain,

Je dis : leur parure Coûte aux jardiniers,

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Avec la culture, Des sacs de deniers.

Et puis, du parterre (Soit dit entre nous) La reine si fière Vit bien moins que vous.

Modestes fleurettes, Délices des bois, Sachez-le, vous êtes Les fleurs de mon choix.

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A m; l. p.

LA VEILLE DE SON MARIAGE

Dieu réalise enfin mon rêve; Ton isolement va finir. Que ton regard joyeux s'élève Vers le ciel de ton avenir !

24

J'y vois scintiller ton étoile; Tiens, regarde ! un ange des cieux Vient de faire tomber le voile Qui la dérobait à nos yeux.

Ma muse m'a. fait voir cet ange Qui doit dormir à ton côté. L'on découvre en elle un mélange D'amour, de grâce et de bonté.

Rien n'est si doux que le sourire De celle qui sut te charmer ; Sur son front la candeur respire; On ne peut la voir sans l'aimer.

L'heure de l'épreuve est passée, Plus de doute ! à ton noble cœur,

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Dans ton aimable fiancée,

Tout promet un constant bonlieur.

Et toi, sur ton sort, Evcline, Sois sans nulle crainte aujourd'hui, Mon humble muse le devine, L'un de tes plus beaux jours a lui.

1853.

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DERNIERS MOMENTS DE MARIE STUART

Quand tout sommeille encor dans la nature entière, La fille d'Henri sept, des Stuarts l'héritière. Se pare pour aller au-devant du trépas. De cette reine osez suivre les derniers pas,

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Vous tous qui du destin subissez le caprice.

L'heure approche ! Bientôt de son amer calice

Vos yeux pourront la voir épuiser tout le fiel.

D'avance résignée et ne pensant qu'au ciel,

Aux porteurs de l'arrêt qu'une reine cruelle

Va faire exécuter : « La mort est là, dit-elle,

« Ce moment à venir ne s'est point trop hâté;

« Il fut mon seul espoir dans ma captivité ;

« Heureux moment! qu'il vienne! après lui je soupire.

« T'avais-je méritée, ô grâce du martyre?

« L'opprobre sur mon front va tomber, mais eu vain.

« Toute fière, milords, d'une si belle fin,

« Je suis prête à vous suivre m'attend le supplice. »

Et sur le point d'offrir à Dieu son sacrifice,

Elle fait appeler ses pauvres serviteurs.

Les seuls, les seuls témoins de ses longues douleurs.

Triste de leur chagrin et leur main dans la sienne :

« Si vous m'aimez, pourquoi pleurez-vous? dit la renie..

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« Ma mort n'est-elle pas un grand bienfait des cieux ?

« Pour qu'il me soit permis de mourir sous vos yeux,

« (De votre affection j'attends ce dernier gage)

« Soyez calmes, surtout montrez plus de courage;

« De l'échafaud je suis loin de craindre l'abord.

« Que toujours parmi vous règne le bon accord,

« La paix! » Et chacun d'eux, l'âme émue, attendrie,

Reçoit un souvenir de la reine Marie,

(Comme si l'on pouvait ici-bas l'oublier!)

Puis, s' étant retirée à l'écart pour prier,

Le front humilié, courbé dans la poussière,

A Dieu la reine parle ainsi dans sa prière :

«Père des malheureux! père infiniment bon!

« Sur moi du haut des cieux fais jaillir le pardon !

« Quel pécheur ne se voit absous de ses offenses,

« Dès qu'il t'implore? ô Christ! Oubliant tes souffrances,

« Le jour le péché t'immola sur la croix,

« Au bon larron tu fis entendre cette voix

2.

30

« Qui dans tout cœur contrit verse un précieux baume !

« Oui, de même qu'il fut admis dans ton royaume,

« Daigne, ô mon Sauveur, daigne avoir pitié de moi,

« Et que j'aille bientôt habiter avec toi!

« Dans ton séjour béni le martyre transporte :

« Donne-moi jusqu'au bout, donne-moi d'être forte.

« Pour tonnom rends-moi digne aujourd'hui de souffrir!

« Que rien. . . » La prison s'ouvre, on vient pour l'avertir

De se hâter, qu'elle est par les lords attendue.

« Je vous suis,» répond-elle. Et sur-le-champ vêtue

De ses habits royaux, un crucifix en main,

Du supplice avec joie elle prend le chemin,

Et près de l'échafaud, majestueuse, arrive.

A son aspect, soudain, une émotion vive

Parcourt, trouble les rangs des nombreux spectateurs,

La pitié trouve alors place dans tous les cœurs ;

Et tandis qu'elle éclate autour de sa personne,

Sur l'échafaud, ainsi qu'autrefois sur son trône,

31

La reine monte I Et là, pleine de dignité,

De calme, de sang-froid et de noble fierté,

Elle entend de nouveau la terrible sentence

Qui la condamne. Après un moment de silence,

Marie, avec un ton de grandeur dans la voix :

« Milords, je naquis reine et non sujette aux lois :

« Mais du malheur partout et toujours poursuivie,

« La liberté me fut injustement ravie

« Par ceux que je croyais être mes défenseurs;

« Et devenus pour moi de cruels oppresseurs,

« Au sein de ce pays, sans cause légitime,

« Je devins prisonnière, et dès lors un abîme

« Fut de leurs propres mains entr'ouvert sous mes pas.

« Mais, je l'affirme encore en face du trépas,

« Au moment je vais abandonner la terre,

« Loin d'avoir pu trahir la reine d'Angleterre

« Ainsi qu'on m'en accuse, en l'appelant ma sœur,

« Je tressaillais d'amour. Oui, milords, oui, mon cœur,

32

« Ce cœur en amitié pour elle si précoce,

« Battit souvent de joie en pensant que l'Écossc

« A l'Angleterre un jour pourrait se réunir.

« Milords, on ne ment pas au moment de mourir!

<i Dites, dites encore à votre souveraine

« Que je meurs dans la foi de l'Eglise romaine,

« Trésor que m'ont légué mes illustres aïeux! »

Et puisant dans son âme un.pardon généreux.

Aux regards attendris de la foule surprise.

Pour tous ses ennemis, pour la paix de l'Eglise,

La reine prie avec effusion de cœur.

Et puis, sur le billot qu'elle voit sans horreur,

D'elle-même elle va poser sa belle tête. .

Tout alors semble dire en elle : je suis prête;

Qu'attends-tu donc, ô mort, qu'attends-tu pour frapper ?

Et ferme dans sa foi qui ne peut la tromper,

Sans pousser un soupir ni répandre une larme,

De la main du bourreau que la pitié désarme,

33

Quand de lever la hache il comprend le signal, Marie, en souriant, reçoit le coup fatal.

De cette reine en vain, pour flétrir la mémoire, Les fautes, les erreurs parlent haut dans l'histoire, L'on se plaint au destin d'avoir pu la haïr; Marie, on te pardonne en te voyant mourir !

1854.

35

A MADEMOISELLE C. R.

PEINTRE ET MUSICIENNE

La paix, le bonheur, l'innocence Près de toi font sentir leur sereine influence. Dans tes concerts mélodieux l'àme, en t'écoutant, soupire,

36

Dans ton regard, dans ton sourire, Il se mêle toujours quelque chose des cieux.

Ta musique est suave et tendre ; L'oreille ne saurait se lasser de l'entendre.

Mais la foule a beau t' applaudir,

Des louanges victorieuse,

Tu peux, sans en être orgueilleuse. Ainsi que tes talents, voir tes succès grandir,

Laissant ton luth pour la peinture. Ta délicate main de la riche nature Emprunte les fraîches couleurs, Et les déposant sur la toile, D'une vierge arrondit le voile, Ou bien à sa couronne enlace mille fleurs.

Que nul obstacle ne t'arrête,

:n

Jeune mus(! qui tiens la lyre et la palette, Ne laisse point fl(khir ton bras. Loin de regarder en arrière, Poursuis hardiment ta carrière,

Et la gloire !... elle vient au-devant de tes pas!

39

LA JEUNE MÈRE ATHÉNIENNE

A M. LEBRUN

SOUVENin DE SON VOYAGE EN GHECE

Le jour luit sur chaque tourelle. Aux champs le travail me rappelle. Arbre voisin de ce ruisseau vont se mirer tes fleurs blanches,

40

De mon fils qui dort à tes branches Je viens suspendre le berceau.

De sa frêle vie,

Arbre, je t'en prie,

Fais-toi le gardien.

A ton ombre amie

Je livre et confie

Mon unique bien.

Sers-lui d'abri contre l'orage; Que l'épaisseur de ton feuillage Dérobe aux ardeurs du soleil Ses braà mignons, sa bouche ronde, Ses yeux d'azur, sa tête blonde, La fraîcheur de son teint vermeil. De sa frêle vie, etc., etc.

Vents dont la bienfaisante haleine

41

Rafraîchit les monts et la plaine, Bercez mon enfant, mon amour, Que protège cette verdure ! Puisse-t-il à votre murmure Sommeiller jusqu'à mon retour! De sa frêle vie, etc., etc.

Qu'ici tout charme l'enfant rose! Tandis que paisible il repose Au bruit de l'insecte importun, De la fleurette printanière. Autour de lui, brise légère, , Répands le suave parfum. De sa frêle vie, etc., etc.

Comme il est heureux dans ses langes! Que je le trouve beau ! Des anges Le sourire n'est pas si doux.

42

Sous ton feuillage qui s'incline, Cache bien sa grâce enfantine; Le destin en serait jaloux !

De sa frêle vie,

Arbre, je t'en prie.

Fais-toi le gardien.

A ton ombre amie

Je livre et confie

Mon unique bien.

43

SONNET A LA VIERGE

Dieu visite Jessé ! de sa lige fleurie,

Vierge dont Isaïe a parlé tant de fois,

Israël te voit naître! avec joie il s'écrie :

« De nos maux le Seigneur allège enfin le poids.

Voyant son règne éteint, la jalouse Turio

44 Du dragon infernal se déchaîne à ta voix ; Mais, vains efforts! au ciel, son heureuse patrie, Par ton fils l'homme a pu reconquérir ses droits

Ce n'était point assez ! Au sommet du Calvaire, son crime s'expie, en te nommant sa mère, Le genre humain a vu finir son abandon.

Et consolés par toi, des pauvres enfants d'Eve

Le regard attendri vers le tien se relève

Pour y.lire sans cesse : Espoir! amour! pardon!

45

LE MOIS DE MARIE

Mai refleurit, ô vierge pure, Pour t'exalter, en ce beau mois, Le ciel à tout dans la nature Donne une harmonieuse voix. De la céleste patrie,

46

Laisse, ô Marie,

A tes enfants

Voir ton sourire.

Seul il inspire

Nos plus doux chants.

Déjà sur son aile embaumée

La brise, à tes pieds, chaque soir.

Apporte, ô mère bien-aimée,

Nos vœux, notre amour, notre espoir.

Sur les autels tu reposes, 0 fille du souverain Roi, De mille fleurs à peine écloses Le parfum s'exhale pour toi.

Mère de Dieu, reine des anges, Joie et booheur du paradis,

47

Nous t'en prions, à nos louanges, Du haut de ton trône, souris !

Vierge plus belle que l'aurore, Astre béni de toutes parts. De notre cité qui t'implore Ne détourne point tes regards !

Arche sainte, dont la présence Eloigne l'ennemi du bien, Marie, olil sois de l'innocence Et la gardienne et le soutien !

Prenant en pitié sa faiblesse. Puissante mère du Sauveur, Sous les ailes de ta tendresse Abrite le pauvre pécheur ! De la céleste patrie,

-^ 48

Laisse, ô Marie, A tes enfants Voir ton sourire. Seul il inspire Nos plus doux chants.

411

L'AURORE

Le ciel se colore Sans témoin, sans bruit. C'est toi, belle aurore, Qui chasses la nuit!

Déjà ta ceinture

50

Voltige dans l'air, Frôle la verdure, S'y roule, s'y perd.

De ta tresse blonde Les paillettes d'or Jusqu'au sein de l'onde Jaillissent encor.

Pendant qu'en silence Ton char à nos yeux Dans l'espace immense Plane radieux,

Sans souffler trop vite, Un vent frais et pur Te caresse, agite Ton voile d'azur.

51

Lors, chaque fleurette Prend un air coquet ; Tout est joie et fête Au riant bosquet.

Sous l'épais feuillage, L'oiseau tour à tour Par son doux ramage Annonce le jour.

Et joyeux, le pâtre. Assis sous l'ormeau, Joue un air folâtre Sur son chalumeau.

Aurore vermeille, C'est pour te bénir.

52

Qu'au champ tout s'éveille ; Pourquoi sitôt fuir?

Seule, ta présence Fait battre le cœur, D'amour, d'espérance, De calme bonheur!

53

A MADEMOISELLE M. F.

AGLK DE ULIT ANS

Toi dont le frais et blond visage

Du matin au soir S'épanouit et laisse voir Tout ce qui plaît dans le jeune i\ge,

54

Accepleras-tu l'humble hommage De cet album? Ange des cieux ! Pour mon bonheur, de tes beaux yeux Que le sourire gracieux Caresse la première page!

55

A MADAME C. P.

POUR LA NAISSAN'CE DE SON FILS

A mon amour tu recommandes L'enfant que le ciel t'a donné ; Ce que pour lui tu me demandes Il l'avait avant d'être né.

56

Frais et gentillet dans ses langes, rien encor ne peut troubler Son doux sommeil, aux petits anges Ton jeune enfant doit ressembler.

Ce joli blondin! je parie

Qu'à cette heure même il te rend

Une charmante agacerie

Que tu lui fais et qu'il comprend.

Ne dirait-on pas qu'un mystère Dans ce petit être est caché ? Ah ! c'est qu'aux regards de sa mère Un doux prestige est attaché.

Ta joie en ce jour est immense. Ineffable ; mais si ton cœur

57

Devant cet ange d'innocence Ne peut contenir son bonheur,

Que sera-ce donc, ô Céline, Quand, pour t' enlacer dans ses bras, Paul, avec sa grâce enfantine, Vers toi dirigera ses pas?

Ton enfant! qu'il veille ou repose Dans son berceau frêle ou sur toi, Fais voltiger sur son front rose Un essaim de baisers pour moi.

Mars 1854.

59

A MES AMIS D'AIX

Vous tous que l'amitié bien plus que l'habitude Autour de moi sut réunir!... Pour le chanter et le bénir, Dans ma nouvelle solitude J'emporte votre souvenir.

60

D'un lieu jadis témoin de mes peines intimes Tout mon être s'est emparé ! Ce lieu de mon cœur adoré, Ce pays qui m'est cher, c'est Nîmes, j'ai tant souffert, tant pleuré!

Nîmes fut le berceau de ma débile enfance. Pour la rendre moins triste, hélas! A ma vieillesse il tend les bras : De lui donner ma préférence Qui peut m'en vouloir ici-bas?

Maintenant qu'il me faut, selon le triste usage, Vous dire adieu, j'essaye en vain, Mes pleurs inondent votre main ; Seule, de mon petit bagage La vue ajoute à mon chagrin.

61

En tristesse, eu regrets, pour mou cœur tout se change, Habitants de cette cité! A votre touchante bonté Je dois et le pain que je mange Et seize ans d'hospitahté.

Ne vous ai-je pas vus nourrir la noble envie De me faire un sort plus heureux? Grâce à vous, amis généreux, L'hiver précoce de ma vie S'offre à mes yeux moins rigoureux.

Vous avez adouci ma coupe trop amère. Dans son exil mon pauvre cœur Toujours en proie à la douleur. Sans vous, hélas! sur cette terre N'aurait pas connu le bonheur.

62

Vous oublier! pareil à cette fleur vivace Que rien n'empêche de germer, De grandir, de se transformer. En dépit du temps, de l'espace. Mon cœur doit toujours vous aimer.

24 septembre 1857.

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REGRETS D'UNE JEUNE AVEUGLE

Vous dont le regard plane au lever de l'aurore Sur tout ce qui se meut sous la voûte des cicux, Si dans votre âme un peu de pitié reste encore, Sur mon malheur jetez les yeux.

De l'astre bienfaisant qui seul donne à la terre,

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Sans les lui mesurer, la vie et la chaleur, Je pouvais autrefois contempler la lumière Ainsi que vous; mais, ô douleur!...

Traînant mes faibles pas dans l'ombre et le silence, Hélas ! je ne puis plus, à la chute du jour. De la reine des nuits avec impatience Attendre, épier le retour.

Non, je ne verrai plus l'imposante nature A l'aspect du printemps renaître, s'embellir, Avec pompe étaler sa brillante parure, S'attrister ou se réjouir.

Palpitante de joie, au sein de la prairie. Combien il m'était doux, quand venaient les beaux jours. De poursuivre en son vol ou sur l'herbe fleurie L'insecte au corset de velours !

65

Qu'il m'était doux de voir et l'eau cristallisée, •Et les petits ruisseaux dans les bois serpenter, Et le gazon couvert de perles de rosée, ' Et le feuillage s'agiter !

Adieu donc pour toujours, trèfle, bluet, pervenche. Fleurs que ma main cueillait! adieu, petits oiseaux, Je ne vous verrai plus voler de branche en branche, Ni vous mirer au bord des eaux!

Et vous, sombres forêts, déserts, antres sauvages, Vallons, étroits sentiers, bosquets mystérieux. Frais ombrages, coteaux riants, beaux paysages. Recevez aussi mes adieux !

Oh ! que ers souvenirs rendent ma coupe amère! Vous, qui dormez en paix sous l'aile de la mort,

66

Que ne vous ai-je encore, ô mon père, ô ma mère. Pour pleurer sur mon triste sort !

Mais qui peut consoler ainsi ma peine extrême? Votre ombre, ô mes parents, erre-t-elle en ce lieu? Ce prompt secours me vient de plus haut, du ciel même, De toi, de toi seul, ô mon Dieu I

Oui, mon Dieu, ton saint nom allège ma souffrance; Dès que je le prononce, il ravive ma foi; Plus forte alors, je dis avec plus d'assurance : Non, tout n'est pas fini pour moi I

0 foi, vertu divine! à jamais sois bénie! Par toi mon âme espère ! au delà du tombeau Tu lui fais entrevoir une meilleure vie.

Un ciel plus pur, un jour plus beau !

G7

A MADEMOISELLE V. B.

J'ai pu faire vibrer ta lire,

Et pour ce chant délicieux,

Tu ne demandes qu'un sourire

A celle dont le nom t'inspire

Des mots que l'on ne dit qu'aux cieux.

68

Tandis que ton urne s'épanche En sentiments tendres et doux, Laisse-moi baiser ta main blanche Et ton joli front qui se penche Si mollement sur tes genoux.

Pourquoi rester ainsi muette? Reprends ton luth aux sons touchants ; Ma muse t'épie, ô fillette. Chante ! rossignol ou fauvette. J'écoute avec bonheur tes chants.

Larmes du soir et de l'aurore, Oiseaux, fleurs, papillons, zéphirs, Brise légère, écho sonore. Pour le poëte jeune encore Tout est joie, innocents plaisirs.

69

Chante les bois et la verdure, La mer et ton ciel toujours bleu , Les petits ruisseaux, leur murmure, Toutes les œuvres du bon Dieu.

Et puis, belle enfant, chante, oh! chante, Pour bannir les chagrins, les pleurs De notre humanité souffrante; De ta voix la plus caressante ,Berce, endors toutes ses douleurs.

71

LE CHAT, LA PERRUCHE ET LA SERVANTE

FABLE

Un vieux chat, descendant du fameux Rodilard, Ainsi que tous ceux de sa race, Était fourbe, rempli d'audace. Jaloux, rusé, gourmand, pillard, Traître, vindicatif, en somme,

72

Avec ses devanciers digne d'aller de pair.

Attraper des mouches en l'air, Faire rouler par terre une noix, une pomme,

Ou bien prendi'e et lâcher les rats, Un tel enfantillage L'indignait à son âge,

Grippon ne vous le disait pas,

Mais il donnait à le comprendre;

Car, un jour, fatigué d'attendre Que le rôti fût seul avec lui pour le prendre,

Monsieur faisait fi de tout jeu, En guettant sur sa cage un oiseau vert et bleu ;

(Quoique, j'aime fort à le croire. Du gibier la couleur aux chats importe peu),

Quant au goût, c'est une autre histoire.

Oubliant donc le pot au feu,

La lèche-frite, l'écumoire, Mon grivois, tête basse et marchant doucement,

73

Va se poster adroitement En face de l'oiseau (c'était une perruche ) : De notre mauvais garnement La queue est seule en mouvement Tout annonce qu'il veut lui dresser une embûclie. D'en imposer par son caquet En vain l'orgueilleuse se flatte, Grippon, du revers de sa patte, L'envoie au milieu du parquet. « La tournure que prend l'afifaire est délicate, » Dit l'oiseau, redoutant le premier coup de dent. « Se défendre est-il bien prudent? « Je ne sais, mais, en attendant, « Se laisser manger par sa faute, « C'est être arcliibête, arcliisotte. » Et ce disant, dame Cocotte Appelle à son secours Charlotte. Mais rien n'émeut le scélérat;

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Cocotte, d'effroi palpitante, Se tordait sous la dent de la bête méchante, Quand le balai de la servante Vint mettre fin à ce combat. Moins fière pourtant que ravie D'avoir pu lui sauver la vie, Charlotte, lui tendant le bras : « Ce vilain Grippon, ma mignonne, « De toi voulait faire un i*epas, « Le goulu ! qu'il n'espère pas « Que jamais je le lui pardonne. « Tu frémis au seul nom du maudit animal. « Voyons s'il t'a fait bien du mal ! » Et sur-le-champ, de son haleine Le souffle aussi doux que léger Sous chaque plume se promène Pour chercher la blessure et pour la soulager. Mais pourra-t-on le croire? A peine

io

Sa vie est hors de tout danger, . Qu'avec dépit, du bras protecteur de Charlotte, Qu'elle ose mordre jusqu'au sang, La capricieuse Cocotte

Descend Dédaigneuse, et fuit la présence De celle qui prit sa défense. L'ingrat à la reconnaissance Non-seulement ne comprend rien, Mais il rend le mal pour le bien.

I

77

LES DEUX FAUVETTES

ALLEGORIE

Lasse de vivre en pèlerine, Pour tromper son isolement, Une fauvette ayant construit son logement Au pied d'une verte colline :

78

« Qui donc, se disait-elle en son âme chagrine,

Qui donc émoussera l'épine

Qui me blesse cruellement? »

Livrée à son inquiétude. Tandis qu'elle exhalait, selon son habitude.

Sa plainte que l'air emportait, Sous le feuillage sombre, et près de cachée.

Une autre fauvette écoutait.

La plainte est à peine achevée.

Oubliant son unique bien,

(Son nid dormait sa couvée) Elle prend tout à coup son vol aérien, Vadroit ^u pauvreoiseau qui tremble etbat de l'aile :

« Tu souffres! qu'as-tu? lui dit-elle.

Pauvrette! hâte-toi, dans mon cœur

Dépose ta peine cruelle !

Parle! ne suis-je pas ta sœur?

Je suis sans parents sur la terre.

79

A peine avais-je vu le jour, La mort vint me ravir ma nicre. Abandonnée, hélas! d'un père, Je n'ai jamais connu l'amour. Pour ta malheureuse existence, Ma sœur, dis-moi, ne puis-je rien? De mon nid rapprochons le tien, J'allégerai du moins le poids de ta souffrance. Sous les yeux de l'indifférence Je ne veux plus te voir languir. »

Et le soleil n'eut pas des monts doré la crête. Qu'au sein de l'amitié la plaintive fauvette Avait déjà pu s'endormir.

81

LA FILLE DES CHAMPS

ROMANCE

Suis ton chemin, dame Fortune!

Mon cœur n'est point ambitieux.

Le bruit de ton or m'importune ;

Pour moi, sous la voûte des cieux,

Il est des biens plus précieux.

S.

82

Honneurs de la terre, Honneurs mensongers, A vous je préfère Nos bois, nos vergers.

Dans ma rustique maisonnette. Fermée à tous les vains plaisirs. On dirait qu'il est toujours fête. Là, matin et soir, des zéphirs J'entends les amoureux soupirs. Honneurs de la terre, etc., etc.

Ma vie est si calme, si douce! Je m'assieds et prends mes repas Sur un large tapis de mousse. Que pour le plus beau dès sophas. Bien sûr, je n'échangerais pas. Honneurs de la terre, etc., etc.

83

Non, non, pour moi rien ne remplace Ni le doux murmure des eaux, Ni le vent qui berce avec grâce L'herbe, l'insecte et les oiseaux Dans leur frêle nid de roseaux. Honneurs de la terre, etc., etc.

Pourquoi serais-je désireuse Des biens qui passent tour i\ tour? Il ne me faut pour être heureuse Qu'un peu de pain, un peu d'amour. Que Dieu me donne chaque jour.

Honneurs de la terre,

Honneurs mensongers,

A vous je préfère

Nos bois, nos vergers.

85

A M. C. R.

vocat général à la cour impériale d'Âix.

Perdre le souvenir de tes bienfaits divers !

Sur mon luth que ne puis-je exprimer en beaux vers

Ce qu'ont de doux pour moi ton nom, ta voix amie !

A peine t'eus-je instruit des malheurs de ma vie,

Que pour calmer le sort envers moi trop cruel,

A la pitié d'autrui la tienne fit appel,

Et mon âme s'ouvrit à la douce espérance.

86

A mes regards voilés des pleurs de la souffrance, Toi qui sus faire luire un meilleur avenir, Laisse-moi te chanter, laisse-moi te bénir ! Oh! qu'en te souriant, le bonheur te regarde C'est toi qui l'as conduit dans ma pauvre mansarde, ma muse à ses goûts ne pouvait se livrer; Mais, grâce au prompt secours que tu me fis trouver. Libre enfin chaque jour de prélever une heure Sur celles du travail, et seule en ma demeure, Avec nos bons auteurs je puis m' entretenir; Avec eux je parcours le passé, l'avenir. Du sublime Pascal je dévore les pages; Dans son vol Bossuet, traversant tous les âges, M'emporte, me ravit. J'admire Massillon, Bourdaloue etFléchier; mais au doux Fénelon, Ce vase empli de foi, de suave éloquence, Mon cœur sans hésiter donne la préférence. Milton, le Tasse, Dante, aux neuf Muses si chers.

87

Savent m'initier aux célestes concerts.

Que l'auteur des Martyrs m'a fait verser de larmes!

Que ses chants inspirés pour mon âme ont de charmes!

Et Lamartine! ô cœurs tendres, redites-nous

Ce qu'ont de ravissant, de suave et de doux

Ses méditations, ses belles harmonies!

Mais, ô mon noble ami, de ces puissants génies

Si les noms pour toujours sont gravés dans mon cœur

Le tien, vois-tu, me fait tressaillir de bonheur.

Ton nom ! mais c'est lui seul en ce jour qui m'inspire ;

C'est pour toi que ce chant s'exhale de ma lyre ;

Vers toi, qui sur mon sort as tant de fois pleuré,

Qu'il s'envole, et s'il n'est du public ignoré,

S'il trouve un bienveillant accueil à son passage,

De ce double bonheur j'irai te faire hommage.

S'il tombe quelques grains d'encens autour de moi.

Le premier, sois-en sûr, brûlera devant toi.

1851.

89

LES DEUX CHIENS

A M. DE GRIMALDI

Ancien sous- préfet à Aix eu Provence.

Deux chiens de race et du même âge Habitaient la même maison. L'un des deux, le pauvre Grisou, Ne boiteux, maladif, de la laideur l'image,

90

Vivait, au quatrième étage,

Des restes d'un humble ménage;

Tandis que l'autre, fait au tour, Et de belles couleurs la tête nuancée,

Fut heureux dès qu'il vit le jour.

A lui prodiguer son amour

La dame du rez-de-chaussée

Se montra, dit-on, empressée, Et tout en lui donnant le beau nom de Lindor,

Une petite chaîne d'or A son cou gracieux par elle fut passée.

Devenu l'heureux favori

De la dame et de son mari, Et dorloté par eux sur la plume légère.

Ou sur un tapis moelleux,

De la cabane de sa mère

Lindor se montrait oublieux. Mais pourrions-nous trouver cet animal coupable,

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Ou même tant soit peu blâmable?

J'en doute fort, car ici-bas,

De l'homme telle est la faiblesse,

Que du bonheur qui le caresse

Ses yeux ne se détournent pas.

Lindor, au sein de la mollesse,

Venait de passer sa jeunesse,

Sans se méfier du destin,

Qui, changeant du soir au matin, Abandonne à l'oubli ses élus de la veille,

Lorsque, sous ses terribles coups,

La mort, qui jamais ne sommeille,

Fit succomber les deux époux. Un avide héritier vint occuper leur place, Et dans moins d'un clin d'œiltout eut changé de place.

Par ce mortel au cœur de glace Du beau logis tout fut chassé, jusqu'à Lindor, Qui se blottit au fond d'un sombre corridor,

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Où, pendant plus d'une journée,

Il pleura sur sa destinée.

La faim pourtant vint le saisir. « Que faire? disait-il, que faire, qu'entreprendre,

« Pour gagner de quoi me nourrir? « Mendier ! l'oserai-je? Oh! non, mieux vaut mourir ! »

Mais Grison qui l'entend gémir. Du haut de son grenier se hâte de descendre,

Et tout en s' approchant de lui :

« Puis-je te demander, confrère,

« Le sujet de ta plainte amère?

« Favori du bonheur, naguère

« Tout me souriait sur la terre,

« J'avais un asile, un appui, « Et sans savoir pourquoi, dans sa colère,

« A l'abandon, à la misère

« Le destin me livre aujourd'hui. « Le désespoir aigrit, irrite la souffrance, »

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Lui dit Grisou avec douceur. « Si tu ne tiens pas trop k vivre dans l'aisance, « Suis-moi dans la demeure où, depuis ma naissance,

v( Du sort je brave la rigueur.

« Avec toi, frère, de bon cœur

« Je partagerai, bien que dure, « La paille de mon lit, les croûtes et l'eau pure

« Qu'on me donne pour nourriture,

« Sans m' obliger à les gagner. « Ton offre, cher ami, comment la dédaigner!

« Ton offre m'émeut jusqu'aux larmes! » Et ce disant, Lindor de Grison suit les pas. A dater de ce jour, au fond du galetas. Quoique maigre, leur vie à deux eut tant de charmes,

Tant de sympatliie et d'accord, Que sans effort, Du sort Ils oublièrent le caprice

94

lît l'injustice, Tout en s'aimant jusqu'à la mort.

Oh! pourquoi rlire à la légère Que l'on ne trouve point d'amis dans le malheur! Si les chiens de ma fable aux enfants de la terre

N'ont pas su prouver le contraire,

J'en appelle à l'homme de coeur, A cet ami du pauvre, à qui je la dédie.

Si je goûte un peu de bonheur.

Au déclin de ma triste vie,

Il en est en grande partie L'auteur.

1852.

95

A MONTPELLIER

De tes murs je m'éloigne, o ville hospitalière, pendant un séjour Trop court, Tu m'as rendue heureuse et fière ! De mon cœur reçois en ce jour Ce chant de regret et d'amour.

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Au lieu de ne répondre aux accents de ma lyre Que par un froid dédain, Soudain Ta bouche daigna leur sourire; Bon peuple! tu fis plus, ta main Sema des fleurs sur mon chemin.

Nul ne m'a repoussée, oh! non, ma poésie A franchi sans orgueil Le seuil De plus d'une maison choisie. De chacun mon humble recueil Reçut un bienveillant accueil.

Riche et pauvre chez qui je fus la bienvenue Ont adressé des vœux Aux cieux Pour moi, pauvre fille inconnue.

97

Souvenir touchant, précieux, De larmes tu remplis mes yeux !

Nobles amis! par vous si ma peine est sentie, SI mes vers sont connus Et lus, Si Rose ' a votre sympathie, Si ses malheurs vous ont émus. Je ne demande rien de plus.

1858.

1. Marie-Rose, amie d'enfance de Reine Garde, et qui fait le sujet du petit romau couronné par l'Académie en 1 S56.

99

A iM. S. B.

S'il est vrai que ma poésie Verse en ta coupe l'ambroisie, Je dois l'avouer à mon tour, De tes jolis vers je m'inspire ; Toutes les cordes de ma lyre Vibrent pour toi seul en ce jour

100

Poëte, que ta voix sonore Se plaise à me redire encore Ce chant viril oii la raison Froide, mais équitable et sage, Captive par son beau langage La folle imagination !

Mais d'où vient que ta jeune muse A toute gaîté se refuse? Sans trop poursuivre l'idéal, OiJ jamais fleurs ne sont écloses, Si tu cueillais du moins les roses De ton chemin, ferais-tu mal?

D'où naît cette sombre tristesse? Au dieu des arts qui te caresse Pourquoi montrer un front rêveur, Un sourire voisin des larmes?

101

La vie est donc pour toi sans charmes? Que manque-t-il à ton bonheur?

Tu veux... (hélas! chimère vaine!) Tu veux qu'à toi la. gloire vienne? Dès que ton nom fera du bruit, A tes regards, tu peux m'en croire, Ce qui vaut bien plus que la gloire. Son prestige sera détruit.

103

A MÉMOIRE DE SILVIO PELLIGO

D'un lils qui te fut cher la tâche est accomplie;

Celui qui faisait ton orgueil, Le plus noble martyr de ta cause, Italie,

Silvio descend au cercueil !

104

Sage, dont les écrits renferment tant de charmes Pour ceux qui souffrent ici-bas,

Poëte vénéré, que ne vois-tu les larmes Que chacun donne à ton trépas?

Par la main du malheur, si d'une lie amère

Ton calice, hélas! fut rempli. Ta mémoire est célèbre, et de toi, sur la terre,

Rien ne peut tomber dans l'oubli.

L'oubli ! . . . mais dans quel cœur as-tu cessé de vivre?

Qui donc a pu te dire : adieu? Bon Silvio, pendant que ton âme s'enivre

De bonheur dans le sein de Dieu ,

Ton souvenir m'occupe, et dans ma rêverie D'où rien ne saurait l'arracher,

105

Sous les plombs de Venise, ainsi qu'en Moravie, Je vais en esprit te chercher.

Sur tes chaînes mes pleurs coulent en abondance ;

Mais ces pleurs cessent d'être amers,

Ouand je te vois bénir et ta longue souffrance.

Et la main qui riva tes fers. I

Devant la profondeur de ta philosophie Prompte à subjuguer la raison,

Je ne m'étonne pas si tant de sympathie Te suit de prison en prison.

Bonne Zanzé ! pieuse et grave Madeleine !

Pauvre Muet ! Schiller ! vous tous Dont l'âme tendre a su compatir à sa peine.

Que votre souvenir m'est doux!

106

Pour prix de ce regard dans lequel il put lire Votre pitié pour ses malheurs,

Cliers amis, que vos noms passant de lyre en lyre Restent gravés dans tous les cœurs !

1854.

107

AU MAZET' DE LA FAMILLE BOËCHE

Lieii cher aux fleurs qu'aimait fsaure, Parmi ceux que le soleil dore, Quel site peux-tu jalouser? N'as-tu pas un écho sonore

1. Petite maison de campagne les familles du .Mi li vont passer les jours de fêle.

108

Et de la matinale aurore Chaque jour le premier baiser?

trouver plus fraîche parure? Ombre des bois, molle verdure, Feuillage tapissé de nids, Parfums, brise au tendre murmure, Tous les charmes de la nature, Beau site, tu les réunis !

109

A MADEMOISELLE E. P.

Sur mon esprit le tien s*abuse, Jeune fille ! est-ce tout de bon Que tu voudrais voir de ma muse

Des vers écrits dans ton album?

7

110

Puisqu'en mon cœur tu ne sais lire, Dès l'heure je te vis, Emma (J'ai du plaisir à te le dire), Ta gentillesse me charma.

C'était aux jours de ton enfance, A cet âge aimable le cœur, Plein d'abandon, sans méfiance, Se livre à la joie, au bonheur.

A l'ombre de tes longues tresses. Un tout petit chat blanc et roux, Magnétisé par tes caresses. Dormait heureux sur tes genoux.

Bien qu'à divers jeux occupée, Dans ton accueil plein de bonté.

111

Le petit chat et la poupée. Tout par toi fut mis de côté.

Puis, pour ajouter à la fête, Tu voulus m'ofFrir un bouquet, brillait plus d'une fleurette, Par ta main cueillie au bosquet.

On eût dit la grâce en personne, A t'entendre si bien causer, Aussi, sur ta bouche mignonne, Je pris bien vite un doux baiser.

113

AUX FILS PUGET

Quand la mort vous ravit la meilleure des mères, Impuissante à vous consoler, Je sens qu'à vos larmes amères Mes larmes viennent se mêler.

Votre mère! il me fut donné de la connaître!

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Qu'ils étaient beaux les sentiments Que sous mes yeux elle lit naître Et grandir dans vos cœurs aimants!

Possédant le trésor d'une philosophie Dont j'ai savouré la douceur, L'unique rêve de sa vie Fut celui de votre bonheur.

Du jour qui vous vit naître à ce jour de tristesse, De deuil et de calamité, Sous les ailes de sa tendresse Chacun de vous fut abrité.

Elle était tout pour vous ! vous étiez tout pour elle ! Et voilà, voilà qu'en un jour, Chers amis! la mort trop cruelle Vient l'enlever à votre amour !

115

Vous pleurez. . . et votre âme à la douleur succombe! Mais, pour alléger votre croix, Pour vous consoler, de la tombe Sort une caressante voix!

Calmez votre douleur et vous pourrez l'entendre : . « Chers fils ! la mort ne peut briser « Cet amour si profond, si tendre, « Dont s'empremt le dernier baiser! »

117

A M. FORTOUL

Ministre de rinstruction publique et des cuites.

Avec les besoins de la vie,

Grâce à toi, ma lutte est finie,

Malgré le sort capricieux;

Et j'aurais beau vouloir me taire,

7.

i18

Ce que pour moi tu viens de faire Se laisse lire dans mes yeux.

Mais tandis que de ma retraite, je lui prépare une fête, Ma muse reprend le chemin, Avec la joyeuse pensée De ne plus être tracassée Par le souci du lendemain ;

En paix, jusqu'au bout de la route,

Noble ami ! que ton âme goûte.

Loin des pleurs et des temps mauvais.

Le bonheur pur de la famille.

Ce bonheur qui sur ton front brille

Et que jeune encor tu rêvais !

Pour moi, chaque jour, à toute heure,

110

De tes bienfaits dans ma dempure

J'évoquerai le souvenir.

En vain sa dette est grande, immense,

Dans sa vive reconnaissance.

Le pauvre ne peut que bénir!

1856

121

A MADAME C.

Le chagrin consume ta vie, Pauvre mère! jusqu'à ton cœur Laisse arriver la voix amie. Qui vient consoler ton malheur.

Ange d'amour et d'innocence,

422

Riche en espoir dans l'avenir, Dans la fleur de l'adolescence, Ta fille, hélas ! vient de mourir !

Mais depuis qu'une mort cruelle Osa la frapper dans tes bras, Du ciel, d'où ton enfant t'appelle. Tes yeux ne se détournent pas.

S'il daigne écouter ma prière. Celui qu'en tes maux tu bénis, Dieu te conservera, j'espère, Le seul bien qui te reste... un fils!

123

A MADAME E. A.

Toi par qui ma main fut pressée, Toi que je me plais à bénir, Jeune femme, de ma pensée L'oubli ne saurait te bannir.

A ton foyer à peine assise,

124

(11 doit t'en souvenir encor) Ma muse de toi fut éprise, Elle t'aima de prime abord

Que de grâce dans ton sourire, Et dans ton regard velouté Qu'il me fut doux de pouvoir lire La confiance et la bonté!

Distinction, noblesse d'âme, Sentiments tendres et pieux, Charmes enivrants de la femme, Tout s'échappe à flots de tes yeux.

Ta voix réjouit tout mon être, Et fait éprouver à mon cœur Une paix profonde, un bien-être, Quelque chose enfin du bonheur.

125

Heureuse et libre en ta présence, Mon âme à la tendre amitié Dont tu sus lui faire l'avance, Ne s'est point ouverte à moitié.

Oh! non, avec joie et délice, J'ai bu goutte à goutte le miel Versé par toi dans mon calice; Ton amitié!... mais, c'est le ciel!

127

A MADAME D.

Tu ne m'apprends rien, jeune femme Dans tes regards les miens ont lu Ces mots déchirants pour ton âme : Mon enfant bien-aimé n'est plus !

128

Ton fils ! de même que l'orage Fond sans pitié sur l'arbrisseau, Le mal dans son aveugle rage Vint l'abattre sur son berceau

Près de succomber à la peine, Lorsque la souffrance Tendort, Tu voudrais boire son haleine, Et suppliant vingt fois la mort :

A ma tendresse maternelle, Lui dis-tu, ne le ravis pas! Mais, en le frappant, la cruelle, De tes larmes se rit tout bas.

Pour ton cœur que l'épreuve est dure ! Une mère seule comprend

129

La profondeur de ta blessure,

Et combien ton malheur est grand !

A tes yeux la vie est sans charmes, Tu voudrais... à quoi songes-tu? Vers celui qui sèche les larmes Relève ton front abattu !

Ta vie est à ce qui te reste...

Pour t'aider à porter ta croix.

Au bord de la voûte céleste

Ton fds se penche ! . . . entends sa voix

« Pourquoi cette douleur anière? « Ce chagrin qui voile tes yeux? <i Ne sais-tu pas que de la terre « J'ai pris mon essor vers les cieux?

130

« Je vois le bon Dieu face à face. « Je m'enivre de sa beauté, « Et puis, mère tendre! une place « T'est réservée à mon côté ! »

131 \

A M. G.

NONAGENAIRE

Vieillard que ma muse vénère, Tes strophes pleines de fraîcheur, De vœux ardents pour son bonheur, Ont su de la pauvre ouvrière Émouvoir le sensible cœur.

132

Que j'aime entendre ta voix douce ! La philosopliie et les vers, Sont les armes dont tu te sers Contre la terrible secousse De tes quatre-vingt-dix hivers.

Que ta personne et ton langage Gardent jusqu'au dernier moment Ce je ne sais quoi de charmant Qui faisant oublier ton âge, Te dérobe à l'isolement.

133

A M. JULES SALLES

Des larmes de reconnaissance, De joie et d'attendrissement Inondent le tableau charmant, tu me remets en présence

8

134

Du plus beau jour de mon enfance; J'en suis dans le ravissement!

Qui plus que toi me dédommage D'un passé par trop douloureux? En peintre habile et généreux, Tu me fais voir Rose, à cet âge nos deux cœurs, loin de l'orage, A l'unisson battaient heureux.

Tu me rends sa douce figure Qu'avec tant d'amour je baisais, Ses yeux dans lesquels je lisais, Son air avenant, sa tournure. Jusqu'à sa brune chevelure Que matin et soir je lissais.

Combien sa pose est naturelle !

135

Malgré sa robe de cadis ' ,

Ses sabots lourds et sans vernis,

Combien Rose-Marie est belle

En ton œuvre, tout me rappelle

Le premier jour je la vis!

Et tu ne l'aurais pas connue? Puis-je le croire? est-ce réel? Non, le portrait de Rose est tel. Que, pour l'avoir ainsi rendue, Il faut que ta muse l'ait vue Ou sur la terre, ou dans le ciel.

Ma joie en ce jour est complète. Par l'hommage de ce tableau. de ton habile pinceau.

I . Ulolli! grossière .

136

Ta gloire sur moi se reflète,

Et ma couronne de-poëte

Va briller d'un éclat plus beau.

1" janvier 1861.

137

LES MONUMENTS DE NIMES

Ville antique et romaine entre toutes les villes,

tout parle du peuple-roi,

Qui sur ton avenir consultait les sibylles,

Nîmes ! chanter la gloire est un besoin pour moi.

Ta gloire ! ô mon pays, ne crains pas qu'on l'oublie ,

Par tes somptueux monuments,

8.

138

La voix des siècles la public Et la raconte à tes enfants!

I.

Cirque' dont notre ville à bon droit est si fière, En vain le temps s'obstine à mettre tes arceaux

Et tes colonnes en lambeaux, Ta beauté brille encore à travers leur poussière!

Œuvre d'un peuple qui n'est plus, Devant tant de grandeur et de magnificence,

L'art reconnaît son impuissance. De ces fiers proconsuls à jamais disparus, On croit voir l'ombre errer dans ton enceinte immense, pour l'amusement de leur folle puissance,

Le sang humain à flots coula.

1 Le théâtre des Arèues,

139

Débris d'une splendeur passée, Cirque majestueux, i\ mon âme oppressée Tu dis ; Home païenne est !

H.

Temple ' dont l'élégante frise Est prête à se mouvoir au souffle de la brise,

Temple cher aux fils d'Apollon, Es-tu l'œuvre de l'homme? il ignore ton nom.

Sur toi, sur ta noble origine,

Rien n'est certain, nul ne devine

Qui peut t' avoir si bien sculpté;

Mais, en te créant, le génie

A su donner à ta beauté

I , La Jlaibou carrce,

140

Un charme, une grâce infinie, Et de plus, l'iramortalité!

III.

Et toi' qui fus jadis un monument superbe, se pressait la foule, un lieu chaque païen eut son dieu. Cachant ta nudité sous l'herbe D'une calme et fraîche oasis, Tu pleures l'abandon d'Isis, De Diane et de Sérapis ;

Console-toi ! l'artiste assis sur tes ruines,

Rêve mélancolique aux merveilles divines Dont il contemple les débris,

Et relève tes murs que le temps a détruits.

1. Les ruines connues sous le nom de temple de Diane.

141

IV.

Colosse ' dont le regard plane

Sur tous les objets d'alentour, Que je me plais à voir ton immense contour grimpent le lézard, la fleur; tour à tour Étalant au soleil leur manteau diaphane,

Chacun d'eux brille et se pavane

Avec tant de sécurité

Sur ta tête découronnée !

Souveraine de la cité.

Qui semble à tes pieds enchaînée,

Tour Magne! édifice géant, Dont les flancs déchirés des ans portent l'outrage,

1 . La Tour Majore qui domiuc la ^ille lic Niir.es.

142

Combien de monuments, les plus beaux de notre âge, Avant toi rentreront dans le sein du néant !

V.

Chefs-d'œuvre de la main de l'homme, Vous proclamez l'immense orgueil. Le faste de l'antique Rome ; Votre grandeur étonne l'œil ' Qui vous mesure et vous admire. Mais que dites-vous au cœur? Rien. En vous rien ne vit, ne respire, Tandis que devant l'art chrétien

Le cœur se sent ému, s'élève et se souvient Du ciel, sa future patrie.

Édifices pieux l'orgueil s'humilie. le malheureux vient prier.

143

Bâtis par Michel-Ange ou par l'humble ouvrier, Dieu vous fait grands par sa présence,

Et vous remplit de gloire et de magnificence. tout parle ii l'homme des cieux.

Vous, temples consacrés par l'humaine ignorance, Vous êtes morts comme vos dieux!

1 io

A M. P. A.

De mes vieux jours crois-tu que j'aime Te voir prendre à cœur le souci, Tandis que tu ne veux pas même, Cachant les dons que ta main sème, M'entendre te dire : merci ?

146

Me taire 1 est-ce chose facile, En présence de tes bienfaits, Que j'énuraère en mon asile, d'un bonheur doux et tranquille Ma muse jouit à tes frais?

Pourquoi prolonger un silence Si pénible, si douloureux, Qu'il ajoute à ma dette immense? Laisse agir ma reconnaissance, Ou montre-toi moins généreux.

Contre mon indiscrète muse Ta modestie en ce moment Murmure, s'irrite et m'accuse. Mais suis-je à tes yeux sans excuse? J'en appelle à ton dévouement.

l^)iir l'cxallor i)liis haut encore, 0 mon généreux bienfaiteur, (,)ue n'ai-je une voix plus sonore ! L'apprendre à tout ce qui l'ignore, C'est, vois-tu, doubler mon bonheur.

Pour forcer mon cœur à se taire, Efface en lui le souvenir Du(jU('l rien ne peut le distraire. Tant qu'il battra sur cette terre, Il veut t'aimer et te bénir.

Mars 1861.

POÉSIES PROVENÇALES

150

A MOUSSU PIERRE BELLOT

.Monsieur,

J'ai fiu tant fie [«laisir à lire vos vers charmants que, pour vous en couvaincce, malgré la cUfliculté que j'éprouve à faire des vers patois, ne sachant bien parler aucune langue, et surtout n'étant dans la Provence que depuis une douzaine d'années, j'ai voulu essayer de faire une petite pièce ue vers patois pour vous l'adresser avec toutes ses fautes, car il est impossible que vous n'y en trou- viez pas un grand nombre; mais je compte sur votre indulgence...

Agréez, Monsieur, avec les prémices de mes vers patois, les salutations amicales de votre très- humble servante,

Reine Garde.

Aix, le 18 août 1852.

L'a déjà mai d'uno mesado

Que, senso si paouvar, toun noum

Si viooutejo diris ma peusado,

151

A M. PIERRE RELLOT

Il y a déjà plus d'un mois que Ion nom agife ma pensée sans trêve ni repos. Doucement portés

152 --

Sur leis doues alos doou renoum, Qu'aimi de li faire esquineto ; Teis vers courous, dins ma charabretto, Escalerount per mi fa gaou.

Mounte l'as destraoucatoun fleou de martegaou? En lou ligent, ai pas besoun de ti va dire,

Fes uno bello peou de rire;

Leis Imeils vous plourount, v'engranas.

Tout s'en douno alors, fin qu'où naz; Uno bando de coou lou gai lectour s'arresto, Per escoundre la morvo, aquello malhounesto,

Que souarte fouaro soun houstaou,

Per faire leis bano aou cooulaou.

Et ta poulido bouquetiero, Que senso crento, aou daou doou Cous, Estraço lou frances sur soun trône de flous?

{ly.i

sur les ailes de, la reiioiiiiiiée, tes vers élégants ont pénétré dans ma ehambrette pour jeter un dé(i à ma muse.

On as-tu déniché ton flegme martiguais'? En te lisant, on fait une belle partie de rire : les yeux se remplissent de larmes, et le lecteur, ivre de gaieté, s'arrête à tout instant pour tirer son mouchoir.

Et ta jolie bouquetière du Cours, qui sans pitié

i . Maitipiicscsl mie |U'lile l)i.iii-;,'a(lc située sur lo litlural île la Moiliter- ranéc, et dont les liabitanis vivent en j;iiorre perpétuelle «lo plaisanteries avec les Marseillais, leurs voi&ins.

9.

- 154

De tant de pouetos lamoux, Deis quaou la Franco es enca fiero,

Jugui que s'en trobo pas dous Que n'en fabriquount de pariero, Per lou bouen an ! Senso orgueilh pouedes ti va creire. Quu n'en seriet pas glou de veire La fleoumo de mise Tartan, Quand proumenovo benqueflano sus soun ban, Leis hueils risent, lou poung sur l'anquo, En cridant leis chalands deis flous verdo vo blanquo? De l'Allemand, pecaire! aquesto, qu'a lou tieou, Caligno leis escus, et per si truffar d'eou N'a pas la linguo bretto. Doou rire lou ventre vous petto, Quand s'anounço en frances, perli parlar plus dous, Cade mot que li dis li lou pouargeo a rebous. Mai creses que Franklin senso pipo fumavo,

155 estropie le français sur son trône de fleurs ! De tant de poètes fameux, qui sont l'orgueil de la France, il n'en est pas deux, je gage, qui soient capables d'une telle invention. Sans vanité tu peux le croire. Qui ne serait heureux de se donner en spectacle les poses superbes de mademoiselle Tartan, qui, se prélassant derrière son banc, le sourire aux yeux, et le poing sur la hanche, provoque les pas- sants à acheter ses fleurs? La madrée bouquetière lorgne les écus du candide Allemand, et pour se gausser de lui, sa langue n'est pas liée. Quand elle lui parle en français, pour adoucir son langage, tous les mots, en sortant de sa bouche, se tournent à l'envers. Mais croyez-vous que Franivlin fumât

156

Quand la coulcgo s'en truflavo; Per rescassar leis soubriquets, Lou gros berigaoudias badavo En fen lusir seis dous quinquets. Sur l'estounanto merevilhû! Aguessoun derrabat l'aourilho

D'aqueou gournaou, Eme la mitât de soun quelli, Aouriet pas mai pitra qu'un troues de santibelli,

Vo que l'espouventaou De pailho,

Qu'aplantoun dins un traou

Per far fugir leis cailho, Leis beco-fîguo, leis cuous-blancs. Ta muso n'a ni feou ni croyo, Mai cresi qu'aiino un tant si paou La douço libertat, la jqyo ; Et per tout ce que vis, courao aquello d'un taou,

157

sans pipe, sous le feu des nio(]U(ries de la com- mère? Le badaud gobait à pleine bouche les compliments dérisoires qu'elle lui lançait, en fixant sur la merveilleuse marchande ses yeux brillants comme deux quinquets. Ce lourdaud se serait laissé arracher l'oreille ou la moitié de son habit, sans plus bouger qu'une statue de plâtre ou qu'un bonhomme de paille planté dans un champ pour épouvanter les petits oiseaux.

Ta muse n'a ni fiel ni orgueil; mais je la crois tant soit peu amoureuse de plaisir et de douce liberté, et pour rien au monde, comme telle autre

158

Li farien pas gardar l'houstaou. As bello a t'esmooure la bilo. La poues pas far restar tranquilo, Ni demourar a toun entour. A peno de madamo l'aoubo, Seis liueils "vient blanquegear la raoubo, Que ti dis : « Aou Prado vaou faire un pichoun tour. « Es l'houro ounte sus soun aleto, « Zephir d'assetoun, « A cade flouretto, « Dins soun lieeh d'erbetto, « Va faire un poutoun. « Aou mitan doou blat que verdegeo, « Ententerin « Que lou papilloun libertin, « D'un caire a l'aoutre voulastregeo, « Sur leis blurets cuberts deislarmos doou matin, « L'abeillo si despacho a faire soun butin.

159 que je connais, on ne lui ferait garder la maison.

Tu as beau t'échaufier la bile, lu ne peux la tenir au repos ni l'enchaîner auprès de toi. A peine voit- elle blanchir la robe de madame Aurore qu'elle te dit : « Je vais faire un petit tour au Prado. C'est « l'heure Zéphyr, se balançant sur son aile lé- « gère, va porter un baiser à chaque fleur dans « son lit de verdure. Pendant que l'inconstant pa- « pillon voltige, au milieu du blé qui verdoie, sur « les bluets humides des larmes du matin, l'abeille « diligente butine de fleur en fleur. C'est mainte- « nantque, secouant la paresse et bravant la rosée,

160

« Es aro qu'en fugen la cagno,

« La maire de cade oouseloun

« Saoute doou nis maougra l'eigagno,

« Et batte eme ardour la campaguo,

« Per li sercar lou mousseloun,

« Sus l'oume cubert de blancado,

« Estou mouillent, « Lou roussignou canto l'aoubado ; « Soou que, dessouto la ramado,

« Sa bon aimado

« Lou ten d'amen.

« Es l'houro mounte la naluro, « Toute sourisento d'amour, « Si mirayo dins sa parure. « Li vaou, serai leou de retour, « Ti v'asseguri sus l'hounour; « Despassarai pas la bastido... »

161

« les mères des petits oiseaux sautent du nid et « battent avec ardeur la campagne pour chercher « leur pâture.

« C'est maintenant que sur l'ormeau couvert du « givre de la nuit le rossignol chante son hymne « matinal ; il sait que sous la feuillée sa bien-aiméc « ne le perd pas de vue.

« C'est l'heure la nature, toute souriante « d'amour, se mire dans sa beauté. Je pars : bien- « tôt je serai de retour, je te le jure sur l'honneur; « j'irai jusqu'à la bastide ' sans franchir cette « limite... »

I . C'est le nom des [jetitco villas (|iii peuplent la campagne de Marseille.

162

Mai quand doou champ si vis la claou, . La courentio alors oublido,

Lou papilloun, l'erbo flourido,

Et va blagar chez Margarido,

Chez Toni, vo chez Nicoulaou. Aquito en galegean, leis très quart doou journaou, Ta muso que sus tout vous trobo sa repliquo,

Douno un gros coou de ped a l'un,

A l'aoutre uno pichouno chiquo;

La finocho espargno degun.

Perque la trates de rampino ?

Dins seis vers fresch coumo la flour,

Que de soun parfum, nuech et jour,

Embeimo leis airs, la coulino, Quoique fougue un paou trop satiriquo per fes.

Ta muso es jouyouso, badino;

Es vivo, alerto, enfantoulino,

Jugarello coumo n'a ges...

163

Mais quand elle tient la clef des champs, la cou- reuse, oubliant le papillon, l'herbe fleurie, va ba- varder chez Marguerite, chez Antoine ou chez Ni- colas. Là folâtrant les trois quarts de la journée, ta muse, qui trouve réplique à tout, donne un grand coup de pied à l'un, à l'autre une chique- naude; la rusée n'épargne personne. Pourquoi la traiter de radoteuse? Dans ses vers frais comme la fleur qui, nuit et jour, embaume de son parfum les airs et la colline, bien que parfois elle s'aban- donne un peu trop à la satire, elle est joyeuse, badine; elle est vive, alerte, folâtre et joueuse comme un enfant.

164

Mai quand dossouto lou feuilhagi,

Leisses estar lou badinagi,

Et que parles eme serieou, Per t' entendre laouzar, bénir dins toun lengagi,

Lou rei de l'univers ! lou Dieou,

Qu'a tout créa per nouestre usagi,

Oh ve! longuo escoutarieou....

L'a d'endrech dins ta pouesio, Que sount cafi de graci et de pliiîosopl^io.

Ta bergiero de Bougencier, Es facho per esmaoure un couar doubla d'acier. Qu'aimi de la legir, quand sieou descourageado ! En luego de maoudire alors ma destinado, Per revioudar moun couar toujours triste, abattu, En allucant lou ciel, dieou subran, eme tu : « L'escagno de la vido, es tant leou debanado ! » .S'escarten pas de la vertu. ..

Reino Gahdo.

165

Mais quand, rêveur sous le feuillage, tu fais trêve aux chansons légères et que ta muse devient grave et sérieuse, pour t'entendre louer et bénir le roi de l'univers, le Dieu qui a créé toute chose pour nous, alors, ô poëte, je ne me lasserais jamais d'écouter! Ta poésie est souvent comme émaillée d'une philosophie douce et riante.

Ta bergère de Bougencier est faite pour émou- voir un cœur doublé d'acier. Que j'aime à la lire, quand je languis découragée! Alors, au lieu de maudire ma destinée, pour ranimer mon cœur triste et abattu, je dis avec toi, les yeux levés au ciel : « L'écheveau de la vie est si vite déroulé ' » ne nous écartons pas du sentier de la vertu.

Rekve Garde.

166

RESPONSO

A MADAMEISELLO REINO GARDO

L'encens que fas tubar per yeou, Es troou fouart, mi gounflo, m'entesto; Aouricou d'orgueilh virât la testo,

Se tout ce que m'as dich cresieou.

Mi counouissi, sabi quu sieou.

167

RÉPONSE

A MADEMOISELLE REINE GARDE

L'encens que tU brûles pour moi est trop fort; il m'enivre et me monte au cerveau; l'orgueil m'au- rait tourné la tête, si je tenais pour vraies les louanges que tu me prodigues. Je me connais, et je sais ce que je suis.

168

M'enganaras pas, gento Reno! Tu, si, que fas, a peds coouquets, De vers courous et ben lisquels ! N'en debanes de touto raeno Sur tels brillants rouquets.

Tamben, Pierre Bellot regarde, Coumo un miracle, Reno Gardo, Leis vers qu'as fach lou premier coou. Doou Parnasso patois ta muso poulideto T'a ben guidado aou bouen drayoou, Ounte Labelaudiero, en rimo courousseto, Anavo far soun boou.

Mai perque gastar ta bouqueto En nous cantant de vers patois, Leisso aqueoujargoun a Chichois

169

Tu ne m'ensorcelleras pas, gentille Reine! Toi qui fais, en te jouant, des vers si gracieux et si bien tournés, tu enroujes sur tes brillants fuseaux des fils de toutes les couleurs.

Aussi Pierre Bellot regarde-t-il comme une mer- veille tes premiers essais poétiques. Ta charmante muse a bien su trouver la bonne source du Par- nasse provençal, Labelaudière allait s'approvi- sionner de rimes fraîches et coquettes.

Mais pourquoi souiller ta bouche en nous chan- tant des vers patois? Laisse ce jargon à Chichois

10

170

Vo ben a iiouestreis ropcliorns Que vendounl lou poy por cari'ioros.

Mai tu que l'as de vers frances, Coumo Reboul, plens d'harraounio, Que sount trempais dins lou geuio, Et qu'ant agut tant de succès, Perque quittar lou doux lengagi, Per un jargouii mai que groussier? Reiio Gardo, seriet dooumagi Que raudesses ta vouax per faire un laid ramagi, Tu qu'as un tant poulit goousier.

ou aux marchandes qui vont criant leur poisson dans les rues.

Mais toi qui, comme Reboul, fais des vers fran- çais, pleins d'harmonie, si heureusement inspirés et accueillis avec tant de faveur, pourquoi quitter ce noble langage pour un jargon plus que grossier? Reine Garde, il serait dommage de profaner ta voix par un vilain ramage, toi qui possèdes un si joli gosier.

172

LA VOULIERO DE MADAMO OMER

Ignourènto dins l'art de faire de façoun, Lei bèsti, coume dis-la fablo, Eis ome donon de leiçoun. La cavo es bèn tan véritable Que m'arrivè 'no fes à iéu. Erian au mitan de l'estiéu;

173

LA VOLIÈRE DE MADAME AUNIER

Ignorant l'art de feindre, les animaux, ainsi que le dit la fable, donnent des leçons à l'homme. La chose est si vraie, que j'en ai moi-même fait un jour l'épreuve.

•Nous étions en plein été : dans un but de distrac-

40

174

Pèr un pau m'espassa, maugrat la calourasso, M'envau balin-balan de madame Onié. Intri dins lou jardin, e souto un coudounié

léu m'assôusti, relènto et lasso.

Madamo , que de la lerrasso

Aluco tout ce que si passo : « Fau manja meis aucèu, venès vèire ! » mi dis. Môunti, siéu espantado, e ma bouco bandis Un tau crid, que la danio encaro vuei n'en ris, Debado que d'acè li ague mai d'uno annado. A dire lou verai, de ma vido aviéu vist Uno gàbi tant grando et tant bèn engençado. Dins aquéu castelet envirauta d'arcéu,

Li avié sàbi-pas-quant d'aucèu,

Touei de raço differentado.

Mai quand lei veguèri sauta, Pita Sus de cavo qu'avien pas mau degu cousta.

175 tion, malgré l'accablante chaleur, je m'en vais, clo- *pin-clopant, chez madame Auiiier. J'entre dans le jardin, et je m'assieds sous un arbre, rêveuse et brisée de fatigue. La dame, qui du haut de sa ter- rasse voit tout ce qui se passe dans le jardin, me (lit alors : « Je donne à manger à mes petits oiseaux, venez! » Je montai, et la surprise me lit jeter un tel cri, que la dame en rit encore, bien qu'il se soit écoulé depuis ce jour plus d'une année. A dire vrai, je n'avais vu de ma vie une cage si vaste et si élégante. C'était comme un petit castel entouré d'arcades, et contenant je ne sais combien d'oiseaux de races diflcrentes. Mais quand je les vis becqueter en sautillant les plus délicates frian-

176

Oh ! dins meis ue que de lagrerao !

Orne de cabesso e de pas,

En vous trufant de iéu dires ,

Qu'un rèn esmôu lou couer dei femo !

Mai li avié tout-bèu-just un mes Que ma cardelineto, En fènt j'ai d'estira sa pato, soun aleto,

Dins mens d'un guigna-d'ue mourè.

Que sa mestresso la plourè ! Paureto! èro tan bravo, èro tan faraihiero! Pèr mon couer sa pensado es un coup de martèu.

Sus d'elo despachen-si lèu Di tira lou ridèu ,

E revenen à la vouliero.

D'aquéleis auceloun en bèuta touei famous, Iéu pintarai ni lou plumàgi Ni lou ramàgi.

177

dises, mes yeux se remplirent de larmes. Hommes "d'esprit, hommes graves, vous direz en riant de moi qu'un rien émeut le cœur de la femme. Mais il y avait à peine un mois que mon chardonneret, en allongeant sa patte, et déployant ses ailes, était mort en un clin d'œil. Le pauvret, que sa maîtresse l'a pleuré I II était si caressant, si familier ! Son souvenir frappe sur mon cœur comme un coup de marteau. Mais hâtons-nous de tirer le rideau sur ce triste événement, et revenons à la volière.

Je ne parlerai ni du plumage, ni du ramage de ces petits oiseaux, tous rivaux de beauté. Je dirai

178

Vous dirai soulamen que n'en veguèri dous Que l'Amour trépougnié de sei fue lei pu dous. Quand lou regard de l'un sus l'autre si pausavo, Dei quatre pichouns ue la joio regouiravo ; E lou couer Li batié tan fouerl Dessouto sei plumeto, Qu'esparpaiavon seis aleto Coume lou ventarèu'd'uno damiseleto. Aquéleis auceloun, disiéu, De quant soun pu countènt que iéu ! Sa destinado, oh ! que l'envéji ! An jamai couneissu lou tourraen d'un couer véji : Li couer véji es toujour malurous. Dôu tèms que moun su chagrinous D'aquelo verita cercavo à si distraire, En fènt lou tour dei nis tapissa de coutoun , Viéu, agroua sus d'un bastoun,

170 seulement que j'en remarquai deux, que l'amour embrasait de ses feux les plus doux. Quand le re- gard de l'un s'arrêtait sur l'autre, les quatre petits yeux étaient rayonnants de joie, et le cœur leur battait si tort sous leurs plumes d'azur, que leurs ailes s'entr'ouvraient comme l'éventail d'une jeune fille. Ces petits oiseaux, me disais-je, combien ils sont plus heureux que moi, et que leur sort me paraît digne d'envie! Ils n'ont jamais connu les tourments d'un cœur vide : le cœur vide est tou- jours malheureux. Tandis que mon esprit chagrin cherchait à se distraire de cette vérité, en faisant le tour des nids tapissés de duvet, je vis sur son perchoir un canari qui avait porchi p6ro et m^re,

180

Un canari qu'avié tout perdu, paire, maire,

E que de mai èro avugle , pecaire !

L'enfermita de l'aucelet

De longo lou tenié soulet,

E tambèn, de longo souinavo ! Quand avié fam, quand de la set badavo, Déu caire ounte li avié soun heure et soun manja,

Courae poudié si tirassavo.

En l'ausènt tan piéutouneja, De soun malur cresènt que si lagnavo : Paure, paure doulènt ! li dieu en parlant fouert, Soufres tan que,bessai ti desires la mouert,

0 bèn maudises ta planeto ! Sus soun comte segur mi veniéu de troumpa,

Car pèr mi dire qu'èro pa,

Tout-en-un-côup sus la barreto.

En escaraiant soun aleto, Lou canari s'aubouro, e si mete àcanta...

m

et qui, pour comble d'infortune, était aveugle! Toujours isolé par son infirmité, l'oiseau ne cessait de soupirer. Quand la faim ou la soif le faisait crier, il se traînait péniblement du côté se trou- vaient le boire et le manger. Aux petits cris qu'il poussait sans trêve ni relâche, je crus qu'il se plai- gnait de son malheur, et je me pris à dire : Pauvre, pauvre dolent, l'excès de la souffrance te fait dé- sirer la mort, et maudire ton étoile! Quelle erreur était la mienne? Voilà que pour me détromper, le canari se redresse tout à coup sur son perchoir, en ouvrant ses ailes, et se met à chanter... »

U

182

EIS TROUBAIRES

ASSEMBLAS A-Z-AIX LOI' 21 AVOL'ST 1833

. En aquest beù jour de fèsto, Per se rendre, messies, k vouestro invitatien, Ma Muso, s'es pas maù faclio tirar la vesto. Mai que voulèts, eme passien, La paùretto !

183

AUX TROUVÈRES

BÉUNIS A AIX EN PROVENCE LE 21 AOUT 1833

« Messieurs, en ce beau jour de fête, ma Muse s'est peut être un peu trop fait tirer l'oreille pour se rendre i\ votre invitation. Mais que voulez-vous,

184

Amo la pichouno chambretto

Ounte (leraouram toueis doues. Aquito, luench.doù bruch, doù ditninche au dimincb,»

leù la poutouneje, l'espinche, Et maùgra tout acùt, jamai me mando aii boues.

Es ma coumpagnetto cherido ! Sènso ello, meis amis, qu'aùriet facli de la vido, Un ètro coumo ieù ?

Va sabi pas ; mai lou bouen Dieu,

Que prend souin de tout ce qu'es sieù, Lou bouen Dieu, en me viant coumo un ladre souletto

En aquelo dameiseletto, Fet oùblidar lou ciel per espassar meis jours.

Sus d'esto terro de douleurs,

M'a servi de paire, de maire.

Meis pèds et ma lenguo, pecairel

Tout beù just sourtient d'où mayoù, Que d'où bèn me venguet ensegnar lou drayoù.

185 la pauvrette aime avec passion la mansarde que nous habitons ensemble! Là, loin du bruit, du dimanche au dimanche, je ne me lasse ni de la caresser, ni de la dévorer du regard, sans que jamais, importunée de mes empressements, elle m'envoie promener au bois. C'est ma compagne chérie! sans elle, mes amis, qu'aurait fait de l'exis- tence un être comme moi? »

« Je ne sais; mais le bon Dieu qui prend soin de toutes ses créatures, en me voyant si délaissée, ht oublier le ciel à cette gentille muse, pour tromper mon isolement. Sur cette terre de douleur, elle m'a tenu lieu de famille, llélas! je sortais à peine du berceau, qu'elle m'a montré le droit cluMuin. Par

186

Per ello souletto, ai estado

Educado. Oh ! que de peno s'es dounado ! L'ai jamai visto prendre un moument de repaù. Per coupar plus court, franc d'où maù, A tout fach per me rendre hurouso. Aro, raoun avenir me poîit plus far lagnar; Mai, per ma vido gagnar, Maùgra que foûssi malaùtouso, Quand me fouliet d'un caire à l'autre vanegar, A l'huro ounte lou gaù d'où vesin se revilho, Aquel angi d'où ciel me disiet à l'aùrilho : « Per la melancounie, prèn bèn gardo, ma filho,

« De te leissar roùbar l'espouar ! « Souffrisse eme patienço ! et d'où beù que toun couar,

« Sus leis espinos, « Par la man d'où malhur se sente baruelar, « Sus leis proumessos divinos,

187 elle seule j'ai été élevée. Que de peine elle s'est

donné pour moi ! Je ne l'ai jamais vue prendre un instant de repos; en un mot, elle a tout fait pour me rendre heureuse. Maintenant, je n'ai plus de souci pour mon avenir; mais quand, pour ga- gner mon pain, il me fallait, quoique malade, me traîner de maison en maison, et souvent travailler jusqu'à l'heure le coq du voisin se réveillait, cet ange du ciel me disait à l'oreille : « Garde- « toi, ma fille, de te laisser ravir l'espoir par une « noire mélancolie ! Souffre avec patience, et dès « que ton cœur sent l'atteinte des épines de la vie, « cours t'appuyer sur les promesses divines ! Dieu,

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« Courre leù t'apielar !

« Dieu, nous dis la Santo-Escrituro, « Eispichounsdeisaùceùsquebècountpassoulets,

« Dins seis nis, pouarje la pasturo ! « Que fara par sa crcaturo,

« S'es tant bouen per leis aùcelets ? » Muso, disies verai ! Dieu m'a pas oiliblidado !

Mai aùssito, d'où beù que vieù Un malhurous queplouro, adreissats vous, li dieu,

Au mèstre de la destinado. Lou sort es un juguet diutre leis mans de Dieu !...

IL\.

189

« nous dit la sainte Écriture, porte la pâture, dans « leurs nids, aux petits oiseaux qui ne peuvent « encore becqueter! <Jue ne fera-t-il pas pour sa « créature s'il est si bon pour les petits oiseaux?» Muse, tu disais vrai! Dieu ne m'a pas oubliée. Mais aussi, dès que je vois un malheureux qui pleure, « adressez-vous, lui dis-je, au maître de la « destinée. Notre sort est un jouet entre les mains « de Dieu!... »

vw.

TABLE DES MATIÈRES

193

TABLE DES MATIÈRES

Notice V

La Sympathie. A mes bienfaiteurs 1

La Jeune mendiante et sa mère. A M. Giraud, mi- nistre de l'instruction publique 5

Le Rêve du mousse 9

A M. Mignet, membre de l'Académie française . , 13

Fleurs des champs 10

A M. L. P., la veille de son mariage 23

Les Derniers moments de Marie Stuart 27

194

A Mademoiselle C. R., peintre et musicienne 35

La Jeune mère athénienne. A M. Lebrun 39

Sonnet à la Vierge 43

I,e Mois de Marie 45

1/ Aurore 49

A Mademoiselle M. F., âgée de huit ans 53

A Madame C. P., pour la naissance de son fils. . . . 55

A mes amis d'Aix 59

Regrets d'une jeune aveugle 63

A Mademoiselle V. B 67

Le Chat, la Perruche et la Servante, fable 71

Les Deux Fauvettes, allégorie 77

La Fille des champs 81

A M. C. R., avocat général à la cour impériale

d'Aix 85

Les Deux Chiens, fable 89

A Montpelher , . , . 95

A M. S. B 99

A la Mémoire de Silvio Pellico 103

Au mazet de la famille Boëchc , 1 07

A Mademoiselle E. P 109

Aux Fils Puget H3

195

A M. Fortoul, ministre de l'instruction publique. . Hl

A Madame C d21

A Madame E. A i23

A Madame D 127

A M. G., nonagénaire 131

A M. Jules Salles, peintre 133

Les Monuments de Nîmes 1 37

A M. P. A 143

POÉSIES PEOVENÇALES

A M. Pierre Bellot 151

Réponse de Pierre Bellot à Reine Garde 1 f»7

La Volière de madame Aunier 173

Aux Trouvères réunis à Aix 1 S3

Paris Typ. P. -A. BouRoiGRet C'"-", rue Mazurine, 30.

?,iri«. - Imp. P.-A. BOIBDIER et Cie, rue Majarinr , M

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