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En succédant à 1\J. l'abbé Crélier dans la fonction de pré- parer cette nouvel1e édition des OOuvres de saint François dp, Sales, ç'a été pour nous un devoir, ou pour mieux dire, une nécessité d'adopter Ie plan et de suivre la méthode de notre docte et pieux confrère. Nous continuerons en conséquence à reproduire, autant qu'il DOUS sera possible, la manière dont Ie Saint écrivait les mots, et nous nous attacherons encore davantage à Ie faire revivre Iui-même dans ses écrits, en les présentant teIs qu'ils sont sortis de sa plunle, au lieu de les défigurer par des corrections mal-avisées. La partie des Sermons nous a fourni à cet égard nne ample matière. Grâce à l' obligeance de l\Iadame la Supérieure de Ia Visitation de Reims, qui a bien voulu mettre à notre dispo- sition l'exemplaire de 1641 que possède ceUe maison, nous avons été assez heureux pour pouvoir travailler sur ceUe édi- tion, dans laquelle les Sermons du Saint ont élé publiés pour la première fois; et comme nous avions d'avauce la seconde édition de ces Sermons qui est de 1643, il nous a été aisé de reconnaitre avec combien peu de goût on avait entrepris de corriger l' æuvre primitive. Aussi nous gardons-nous bien de faire précéder ces Ser- mons, comme l'a fait encore tout récemment 1\1. Blaise, de l'Epître dédicatoire de ceUe édition de 1643, si servilement copiée dans toutes les autres qui 5e 80uL succédé jusqu'à DOS IV. 1'1 A VE'f\TISSmffiNT jours. Plein de respect pour les motifs qui ant pu porter sainte 11eanne-Franc;oise de Chantal å provoquer les corrections opé- l'es dans cette seconde édition, deux ans, il est vrai, après la mort de ]a Sainte, nous croyons que ses intentions ont été mal conlprises, ou qu' elles ont été mal exécutées. Le lecteur pourra du reste en juger, en comparant avec toute autre édition, soit ancienne, soit nouvelle, Ie texte que nous donnons ici à partir de ]a page t29 de ce volume, qui est le point précis où commence à proprement parler notre travaii personnel. ous ne terminerons pas cet avant-propos sans réclamer contre une assertion récente, peu propre, nous semble-t-il, Ii õ'onner une idée avantageuse des Sermons de notre Saint. << Les Sermons imprimés de l'Evêque de Genève, )) a-t-on dit, < cc tentateur, et dp5chcurent de la justice originelle, perdant la grace en laquelle ilz ayoient esté creés. Les theologiens, rlisputans du subjet de la cheute de I.Jllcifer et de ses con1pliccs, disent que ce fut une certaine complaisance qu'ilz curent d'eux ll1esn1es, qui leur causa un tel orgueil en la connoissance de Ia beauté et excellence de leur nature, qu'ilz .voulurellt avec une presomption insup- portable s'esgaler à Dieu en quelque maniere, estre comme Iuy et mettre leurs sieges à l'esgal de celuy de sa divine Majesté. Les autres disent que la cause de leur cheute fut l'envie : car ces superbes esprits voyans comme Dieu vouloit creer l'homme et se communiquer à Iuy, s'incarner et unir sa nature divine avec la nature humaine par une union bypostatique, en sorte que ces deux natures ne feroient qu'une senle personne; voyans donc comme Dieu vouloit enrichir la nature hUll1aine et la relever par dessus la leur, Hz furent tellement touchés d'envie et de preson1p- tion qu'ilz commencerent à dire : (( Pourquoy est-ce que Dieu , voulant sortir de soy-mesn1e pour se communiquer, ne choisit plustost la nature angelique pour faire cette COIU- munication'1 n'est-elle pas plus noble et excellente que la nature hUl11sine 1)) et de Ià ilz vinrent à estre si relnplys d'ambition et d'orgueil, qu'ilz se revolterent contre Dieu et se perdirent miserablement. Iais à quel propos dis-je cecy, sinon pour exalter l'humi- lité de saint Jean-Baptiste, qui est une des personnes qui intervint au mystere de l'Incarnation'l humilité certes Ia plus excellente et Ia plus parfaite, ce me semble, qui aye janUlis esté, apres celle de nostre Seigneur et la sacrée Vierge. Voicy done qu'il s'eslcva contre Iuy une tentation d'orgueil POUR LE HIe DIl\IANCHE DE L'ALVENT. 23 et d'nmbition, la plus forte et Ia plus rude qu'on se puisse jamais imaginer. Iais remarqués, je vous prie, qu'elle ne Iuy fut point presentée par l'ennemy, ni ne' vint point im- mediaten1ent de cet esprit rusé.. Certes quand l'ennemy est descouvert, et qu' on voit que la tentation vient d'une personne ennemie, l'on doute que la chose qu'il nous dit, et à laquelle il nous sollicite, soit suspecte, et partant l'on ne s'y vent pas fi er : et il est vray que si Adam et Eve eussent conneu leur tentateur, ilz ne se fussent pas laissés seduire comme ilz firent. Or eet esprit malin sçachant que s'il ne se eouvroit, et ne prenoit quelque marque on figure d'amy, lorsqu'il nous vient tenter, il ne feroit jamais son coup, ille fait tous-jours: et de là vient qu'il en sednit tant par ses ruses et artifices; t bien que quand il vint tenter nos premier parens, il prit Ia figure d'un serpent, neantmoins illeur parla sons l'appa- rence d'amy, leur proposant qu'ilz seroient semhlables à Dieu; et ainsy illes tenta d'ambition. l\Iays quant å Lucifer .et ses anges, ilz n'eurent point d'autre tentateur qu'eux- mesmes; ear il n'y avoit point encore de diables. Et voylà .comme nous pouvons dire que l'amhition s'est treuvée et a .commencé dans Ie ciel, et que du ciel elle est descenduë. ,dans Ie paradis terrestre, et du paradis terrestre elle est venuë au monde, et en a fait un enfer terrestre. L'an1bition a fait que l'ange est devenu diable, et d'amy de Dieu qu'il estoit il est devenu son ennemy : et l'holnme, par son orgueil et am- bition, a perdu la justice originelle en laquelle il estoit creé, et s'est fait un enfer çà-bas en terre; ear les maux que ces vices traisnent apres eux ne sont autre chose qu'un enfer, et qui des peines temporelles nous conduisent aux eternelles. V oicy donc l'une des plus fortes, subtiles et dangereuses tentations qui se puisse voir, laquelle s'addresse àsaint Jean, non par ses ennemis, eomme j'ay desjà dit, ni par des gens revestus de quelque masque d'hypocrisie, mais par ses am is, 24 SERl\ION envoyés à luy de Hierusalem par les princes et docteurs de la loy. Hierusalem estoit la ville royale dans laquelle estoit Ie souverain pontife, les princes des prestres, Ie senat et la magistrature; les Scribes estoient les docteurs de la loy J et les Pharisiens estoient comme les religieux de ce temps-là. Done les princes des prestres et les docteurs qui gouvernoient la republique envoyerent à saint Jean des anlbassadeurs, non pour autre chose que pour sçavoir de luy s'il estoit Ie Christ, ! FiIz de Dieu, et Ie lessie qu'ilz attendoient, affin de Iuy J rendre l'honneur qui luy estoit deu. i Voyés un peu, je VOllS prie, la misere de l'esprit humain: ces docteurs attendoient Ie 1\fessie, et sans doute Hz voyoient on pouvoient voir que toutes les propheties estoient accom- plies; car Hz lisoient et interpretoient l'Escriture sainte. n estoit venu, et alloit parmy eux , enseignant sa divine doc- trine, faysant des miracles, confirmant tout ce qu'il disoit par des æuvres merveilleuses; et neantmoins, au lieu de Ie reconnoistre, ilz en vont chercher un autre. Ilz s'addresserentdonc au glorieux saint Jean, etluy dirent: Tu, qui es? Et confessus est, et non negavit,. et confessus est quia non sum ego Chrzscus: Qui estes-vous '1 Et il confessa, dit l'Evangeliste, et ne nla poînt qu ì n'estoit pas Ie Christ. Qui pstes-vous done '1 estes-vous Helie'1 Non, je ne Ie suis pas. Estes-vous prophete? Non, leur dit-iI, je ne Ie suis pas. ( Etinterrogaverunteum: Quidergo? Helias es tu? Etrespon- f dit: Non sum. Proplleta es t'll? Et respondit : Non.. t Les saintz Peres disent que quand les Juifs s'adresserent \ à saint Jean pour luy demander: (( Qui estes-vons'1 )) iIz '. n'allerent pas seulement à luy pour sçavoir qui il estoit, \ mais encore pour sçavoir s'il estoit Ie Iessie qu'iIz atten- , d.oient ; car antrement saint Jean ne leur eust pas respondu " qu'il n'estoit pas Ie Christ, s'il n'eust creu qu'ilz venoient à Iuy affin de Ie reconnoistre pour tel: et comme il estoit vray qu'il ne l'estoit pas, ille confessa franchement. POUR LE HIe DIl\IANCHE DE L' ADVENT. 25 Iais consiJcrt S l'adn1Ïl':Jl)lC el tres-parf,1ite humilité de ce glorieux saint à l't'jettci' el I'cfuser les honneurs, dignités, preen1Ïnences et tiltrcs (!ui non seulement ne luy apparte- noient pas; nlais, 4ui plus est, il refuse encore cellX qu'il pouvoit l'ccevoir et qui lilY appartenoient. En quoj' nous voyon 4u'il estoit al'ri\'é et parvenu à un tel degré d'humi-. lité qu'il t1"ÌoInphoit cJc l'orgueil et de l'amhition, ne vou- Iant recevoir ni accepter aucun honneur ni dignité. Lucifer eslant dans Ie ciel a reeherché, non point d'estre Dieu; car il estoit tl'Op bon philosophe pour COIDlnettre une telle absurdité, et son alnbition n'arriva point jusques-Ià, par ce qu'il sçavoit bien que Dieu estant Ie souverain prin- cipe et Createur de touies choses, il auroit tous-jours quel- que puissance et authorité sur luy : il ne pretendoit done pas d'estre Dieu, ains seulement d'estre semblable à Dieu. l\Iais ce miserable ne Iuy fut pas semblable comme il presu- moit; au contraire, par son ambition, il descheut de ce qu'il estoit, et fut chassé et banny du ciel pour janlais. Nos premiers parens au paradis terrestre, entendans dire à eet e.sprit malin que s'ilz venoient à manger du fruit def- fendu de l' arbre de science du bien et d u mal, ilz seroient semhlahles à Dieu, quoy qu'ilz fussent en la justice origi- nelle, et que la partie inferieure fust alors parfaitement soun1Ï8e à I'esprit, neantmoins, à cette seule proposition que leur fit ce malheureux, ilz furent tellenlent touchés d'alnbi- tion qu'ilz vinrent à s'oublier du commandenlent de Dieu, et de la deffense qu'il leur avoit faite.. 0 que l'ambition et l' orgueil a de fortes, mais dangereuses amOlces, pour seduire l'honlme et Ie faire oublier de la loy et dcs cOlllmandemens de Dieu! C'est pourquoy quiconque veut entrer au combat et entreprendre Ia guerre contre Ie vice, il faut necessaire- ment qu'il soit bien revestu et armé d'humilité.. Certes Ie glorieux saint Jean estoit merveilleusement bien armé de cette vertu; car il n'estoit point au ciel J ains en la 26 STm:\JO terre; il n'estoit point ange, ains homme; il n'estoit point en la justice originelle comme Adam, et on ne Iuy propose pas seulement qu'il sera semblable à Dieu, mais on vient pour luy faire confesser qu'il est Ie Christ et Ie reconnoistre pour tel. fais Iuy, p9.r une tres-profonde humilité, refusa et rejetta promptement cet honneur bien loin de Iuy, con- fessant, ainsy que dit l'Evangeliste, qu'il n'estoit pas Ie Christ. o Dieu! combien grande fut eette tentation, et eOll1bien I grande l'humilité avec laquelle il la repoussa! car elle ne Iuy fut point presentée par ses ennemis, co mIne j'ay desjà dit, ains par ses amis et gens d'authorité , qui avoient la loy et les saintes Escritures entre les mains, qui estoient envoyés en ambassade vers Iuy par les princes des prestres et les docteurs de la loy. Remarqués, je vous prie, eomme ilz luy parlent : Nous sommes icy envoyés de la part des pontifes et de to ute la Re- publique pour vons dire que toutes les propbeties sont accomplies , et que Ie terns est arrivé auquel nous doit venir Ie 1\Iessie prom is par les Escritures. II est vray que nons voyons parmy no us beau coup de personnes qui vi vent bien et sont fort vertueuses; mais il faut eonfesser que nos yenx n'en ont point encore ven qui soit semblahle à vous, ni de qui nos cæurs goustent les æuvres comme nous faysons les vostres : en somn1e nous croyons que vons estes Ie lessie que nous attendons.. Si cela est, nous vous supplions de ne nons Ie point eeler; car nous sommes venus icy pour vous rendre l'honneur que vons merités. Or il n'y a point de doute que si saint Jean eust dit qu'il estoit Ie l\iessie, ilz l' eussent reconneu pour tel: n1ais ce glorieux saint estoit trop grand amateur de la verité et de l'hun1ilité pour se Iaisser en1porter à une telle ambition que d'accepter un honneur qui ne Iuy estoit pas deu. Les Scribes et Pharisiens disent qu'ilz attendent Ie l\lessie promis, le desiré des nations, et eeluy que Jacob nomme Ie POUR LE HIe DnrANCIIE DE L'ADVE T. 27 desir des collines eternelles: Desiderium colliunl ætemorum t. Quelques- uns des anciens Peres expliquans ces paroles, disent que pal' icelles nous devons entendre Ie desir que les anges avoient de l'Incarnation. I.es autres disent que par ces paroles nous devons entendre Ie desir que Dieu avoit eu, de toute eternité, d'unir la nature divine avec la nature hu- maine; desir qu'il comnluniqua aux anges et aux honlnles, quoy qu'en differentes maniercs : et nous voyons en l'Escri- ture sainte comhien les patriarches et les prophetes desiroient cette union, par les souspirs tres-ardens qu'ilz eslançoient sans cesse vel'S Ie ciel, par lesquclz ilz demandoient l'incar- nation du Filz de Dieu. Salonlon, au Cantique des Cantiques, nous fait entendre ce desir de l'Incarnation par ces paroles de l'Espouse à son hien-ayrné : Qu'il me haise, luy dit-elle, d'un haiser de sa houche : Osculetu1" me osculo oris sui,. })aiser qui ne signi- fie sinon l'union hypostatiflue de la nature divine avec la nature humaine. Or il est certain que tous les hOlllmes desi.. roient grandement cette union, lllais comnle imperceptihle- ment; car de tout telns on les a veus enclins à rechercher une divinité; et ne pouvans faire un Dieu hUlllanisé, par ce que ceIa n'appartenoit qu'à Dien seul, ilz cherchoient des inven- tions pour faire de fausses deïtés, et pour cela ilz dressoient des idoles et simulachres, lesquelz ilz adoroient et tenoient parrny eux comme des dienx. Et bien que tout cela ne fust que des erreurs , neantInoins cela fait voir Ie desir que Dieu avoit, ce semble, infus dans Ie cæur des humains de l'in- carnation de son Filz , afIill de les disposer à la croyance de ce divin mystere par lequel il vouloit unir sa nature divine avec nostre nature hunlaine; union qu'il avoit specialernent promise au peuple juif, lequel voyant que toutes les prophe- ties estoient accomplies, et que le terns estoit venu auquel ilz devoient voir celuy qui estoit Ie desiré de toutes les nations, I Gen. XLIX. 28 SERl\ION ilz dirent à saint Jean par les prestres et levites envoyés pour ce subjet vel'S Iuy : ((Qui estes-vous'? n'estes-vous point Ie Christ que nous attendons'? )) Et il confessa et ne Ie nia point, disant : ({ J e ne Ie suis pas. )) o mes cheres ames! que I'esprit de ce saint estoit esloigné de ceux de ce siecle ! II n'usa point de belles paroles pour respondre à ces ambassadeurs, ains il se contenta de dire seulement qu'il n'estoit pas Ie Christ. Moos nous autres sommes si soigneux de bien recevoir les honneurs qui nous sont faitz, nostre amour propre tirant tous-jours à soy tout ce qui fait à son avantage, et toute Ia gloire, non seulement qui Iuyappartient en quelque faeon, ains encore celle qui ne luy appartient pas! tout au contrOOre de ce que fit Ie glorieux saint Jean, qui ne se contenta pas de rejetter la gloire qui ne Iuy appartenoit pas, ains il r etta encore celle que tres-j ustement il pouvoit recevoir. (( Mais, puisque vous n'estes pas Ie Christ, direntlesJuifs à saint Jean, n'estes-vouspasHelie'?-Non, dit-iI, je ne Ie suis pas.)) Certes il pouvoit bien veritablement dire qu'il estoit Helie; car bien qu'il ne Ie fust pas en personlle, il estoit neanbnoins venu en l' esprit et en Ia vertu d'Helie, ainsi que range l'avoit predit à Zacharie : Ipse præcedet ante illurn in spiritu et vi'ptute IJeliæ : et cela se pouvoit dire de luy, com me nous disons encore aujourd'huy parmy Ie monde : Celuy-Ià a l'esprit d'un tel, il fait ses actio.ns par un tel esprit.. Comlnent est-ce done que saint Jean, estant venu ell l'esprit d'IIclie, peut dire avec verité qu'il n'est pas Helie? Pour com prendre cecy, il faut sçavoir qu'il estoit escrit en . ßIalachie fJu'avant la venuë du 1\Iessie, Dieu envoyeroit un grand prophete et un excellent homme, qui S nommeroit Ilelie: Ecce ego miltam vobis Heliam prophetam: qui vien- droit pour enseigner Ie peuple, et Ie disposer pour l'advene- ment de nostre Seigneur.. Or saint Jean vit bien que s'il disoit qu'il estoit Helie, on croiroit qu'il seroit Ie lVlessie: FOT:n T.E nt' DI1tJANCHE DE L" ADVENT. 29 c'est pourquoy il dit qu'il ne l'estoit pas) crainte qu'on ne Iuy rendist l'honneur qui n'estoit deu qu'à nostre Seigneur- o que l'humilité de ce saint fut grande! II ne rrjetta. pas seulen1ent l'honneur qui ne luy estoit pas den, ce qui appar- tient au premier degré d'humilité, de ne point rechercher d'estre tenu et estimé pour ce qu'on n'est pas; ID3.YS ce glo- rieux saint, passant encore plus outre en la prattique de cette vertu, il refuse mesme l'honneur qui Iuy est deu, et, voyant une façon de parler en laquelle sans faire tort à la verité, il pouvoit dissimuler et Dier ce qu'il estoit, il Ie fit prompten1ent sans disputer, ni se servir de heaucoup de dis- cours, ainsy que je diray maintenant.. Les Juifs done entendant cette seconde negation, Ie re- chargerent d'une troisip-nle demande, et luy dirent : (( Si vous n'estes ni Ie Christ ni Helie, vous estes pour Ie moins queIque grand prophete; car vos æuvres en font foy et nous en donnent des preuves certaines. )) l\fays ce grand saint, demeu- rant fern1e en son humilité, leur dit : (( Ie ne suis pas pro- phete. )) Comnlent est-ce, dira-on, que saint Jean pouvoit faire cette troisieme negation avec verité, Iuy qui estoit non seulement prophete, nlais plus que prophete, nostre Sei- gneur l'ayant dit de sa propre houche aux Juifs, lorsqu'il leur den1anda ce qu'ilz estoient aUés voir au desert : Sed quid existis videre? lJ7'oplzetam? Etiam dieo vobis, et plu quam prophetam. Comment done ose-t'il dire qu'il n'est pas prophete, ven qu'il sçavoit bien que sen pere Zacharie, poussé dn saint Esprit, I'avoit predit de Iuy en son cantique: Et tu, fluer, propheta AltissÏ1ni vocaheris? Certes tous les anciens Peres adn1irans les trois negations de ce gIol'ienx saint, s'estonnent grandenlent de ertte dernierc, et disent que ce fnt en icellc '1u'il ana aux extremités de l'hu.. milité. l\Iays, pour mieux entendre cela, il fant sçavoir qu'il 30 SER:\JON estoit encore promis en la loy au peuple juif qu'illeul seroit envoyé un grand prophete. J e leur suseiteray J dit Dieu à Ioyse, un prophete comme toy du milieu de leurs freres: Prophetanz suscitaho eis, de medio Iratrum suorum, simi.. lem tui. Or je sçay bien qu'il y avoit diverses opinions là-dessus, à sçavoir qui seroit ce grand prophete; mais la plus commune estoit que ce grand prophete n'estoit autre que Ie FiIz de Dieu. Saint Jean voyant done que Ies Juifs ne Iuy demandoient pas seulement s'il estoit un simple pro- phete, il jugea hien par leur demande que s'il confessoit d'estre prophete, Hz Ie prendroient pour Ie Messie; c'est pourquoy illeur dit qu'ilu'estoit pas prophete, voyant que sans contrevenir à la verité il pouvoit parler ainsy. Voilàcomme saint Jean surmonta cette tentationd'orgueil et d'ambitioD, et comme !'bumilité Iuy donna des inventions admirables pour ne point admettl'e ni recevoir l'honneur qu' on Iuy vouloit I'endre, et comIlle il dissimula humble- ment et Dia d'estre ce qu'il estoit; car il n'y a point de doute qu'il ne fust Helie et prophete, et D1esme plus que prophete. Mays voyant que s'il confessoit d'estre prophete on Iuy ren droit l'honneur qui ne devoit estre deferé qu'à Dieu seull il dit franchement qu'il ne l'estoit pas : et il n'y a point de doute qu' on peut quelquesfois parler avec cette prudente feintise et dissimulation, quand la gloire de Dieu Ie requiert. Tous les theologiens sont d'accord sur ce subjet : mais plu- sieurs, n'ayant pas bien cornpris reIa, s'en sont fort mal servis, et n'ont point pensé n1entir en disant beaucoup de choses fort esloignées de la verité t se couvrans de quelque bon pretexte; et mesme il y en a en qui sont arrivés jusques- là, que de croire qu'ilz pouvoicnt dire des n1.ensonges, quand il s'agissoit de la gloire de Dieu.. l\lais quel aveugle- ment! comme si Dieu pouvoit estre glorifié par Ie peché! 0 non, certes! c'est une ignorance insupportable que decroire cela. Voyés que Ie glorieux saint Jean n'en a pas fait ainsy; POUR LE III- DIl\fANCHE DE L.ADVENT. 31 car il pouvoit avec verité faire la response qu'il fit, comme je VOllS ay fait voir.. Or ces all1Dassadeurs, tOllS estonnés de ses responses, Iuy dirent : Si vous n'estes ni Ie Christ, ni Helie, ni prophete pourquoyest-ce done que VOllS baptisés? Quid ergo haptizas, si tu non es Cm'istus, neque Helias, neque prop/tela? Pour- quoy est-ce que VOllS avés des disciples et que VOllS faites des æuvres si merveilleuses? 0 certes! vons avés beau vous cacher, vos æuvres nous font bien voir que vous estes quelque grand personnage: c'est pourquoy nous vous prions de nons dire qui VOllS estes, afin que nous Ie disions à ceux qui nous ont envoyés vers vous: Ut responsum demus his qui mism"unt nos. Ces ambassadeurs perdent quasi patience par l'humilité de saint Jean; mais il confessa et ne nia pas, dit l' evangeliste, qu'il n' estoit ni Ie Christ, ni Belie, ni pro- phete. Or ces paroles, quoique succinctes, sont merveilleu- sement hien expliquées par une phrase hebraïque : cette langue est admirable, elle est toute divine; et c'est cette langue que nostre Seigneur parloit quand il estoit en ce monde, et, selon l'opinion de quelques docteurs, c'est celIe que les hien-heureux parleront Ià-haut au ciel. Les phrases hebraïques ant tous-jours une merveilleuse grace en tout ce qu'elles expliquent. II confessa done et ne Ie nia pas: ces deux motz n'ont quasi qu'une mesme signification: car con- fesser une chose, c' est ne la pas nier; et ne la pas nier, c'est la confesser. !.\lais puisqu'il vient à mOD propos, je diray un mot de Ia confession. II arrive sonvent que plusieurs confessent leurs pechés et les nient.. Que veut dire cela, sinon que plusieurs se vont confesser de leurs defautz J mays en teIle sorte, qu'en s'accusant Hz s'excusent, disans des paroles pour faire voir qu'ilz ont en rayson de commettre les fautes desquelles Hz s'accusent'! et non seulenlent ilz s'excusent en s'accusant, mais encore ilz accusent les autres. Je me suis mis en cholel'e, 32 Enl\fON dira quelqn'un, et j'ay fait teJIe chose ensnite; mays fen avois bien subjet: l'on m'avoit fait on dit. telle chose, c'estoit pour une telle occasion.. Or ne voyés-vous pas qu'en confes- sant ainsy vostre fante, VOllS Ia niés? Dites clone si!nple- ment : Je m'accuse que par malice, par mOD inlpatience ou mauvais naturel, on en suite de mes passions et inclinations mal mortifiées, j'ay fait telles et telles fantes. Un autre clira : J'ay mesdit d'autrui; mais ç'a esté en des chases qui estoient toutes claires et manifestes; je ne suis pas seul qui ay fait cette medisance: et ainsy nous nions d'estre coupables des fautes dont nous nous accusons.. 0 certes! il ne faut pas faire cela, ains il se faut accuser clairement et neUement, sans mettre nos fautes sur les autres, advouant que nous sommes vrayement coupables, sans nous mettre en peine de ce que ron pensera ou dira.. Je suis un miserable pecheur, devons- nous dire, et je ne veux pas estre tenu pour autre que je suis, snivant l'exemple du glorieux saint Jean, lequel a confessé et n'a point nié qu'il n'estoit pas si grand qu'on l'estimoit; sans se soucier de ce que ron diroit ou penseroit de Iuy, il est aUé droitement devant Dieu, et nta point fait comme ceux qui vont et ne vont pas. Vous treuverés des personnes auxquelles on dira : II faut faire cela, il faut aller là; mais avant que de faire on aUer au lieu qui lenr est marqué, elles feront mille retours et regards, et Ja moindre petite difficulté leur fait perdre courage et les arreste en chemin. Certes on pent dire que telles personnes vont et ne vont pas, qu'elles veulent et ne veulent pas. Ces ambassadeurs veulent done sçavoir qui est saint Jean, affin de Ie dire à ceux qui les ont envoyés; mais il demeure tous-jours dans Ie sentiment de sa petitess t t de son neant, et, se voyant en fin pressé de respondre , il ne leur dit autre chose sinon: Ie suis Ia voix de celuy qui crie au desert: Applanissés Ie chemin du Seigneur: Vox cla1nantis in de- serto: Parate viam Ðom'Îl)i", J\lais voyés, je vous prie, Ia POCR I..E III e DDIANCIIE DE L' ADVENT. 33 parfaite humilité de ce glorieux saint, comme il va tous- joul'S s'approfondissant dans son neant, descendant tOU8- jours un degré plus bas en hUll1ilité. 0 noble vertu d'humi- lité, tant necessaire à l'houlnle en cette vie mortelle t Ce n'est pas sans raysoll que ron dit qu'elle est la base et Ie fondement de foutes les vertus; car sans elle il n'y a point de vraye vertu, et, bien qu' elle ne soit pas ]a premiere (la charité et ramour de Dieu la surpassant en dignité et excel- lence), si est-ce neantmoins que la charité a une telle conve- nance et sympathie avec l'humilité qu'elles ne vont jamais rune sans l'autre. Et par ce qu'il vient à mon subjet, je vous diray à ce propos un beau trait que j'ay lu avec playsir dans la Vie des Peres du desert, nouvellement imprimée. L'authenr qui les a recueillis aussi curieusement que soi- gneusement, rapporte que plusieurs de ces saintz Peres s'es- tans un jour rassemblés pour faire une conference spirituelle sur les vertus, l'un d'eux loñoit l'obeyssance, un autre loüoit 1a charité, un autre la patience; mays run de ces Peres ayant ouï ce que tous disoient à la loüange des vertus: ((Etmoy, dit- ü, il me semble que l'humilité est la premiere de toutes et la plus necessaire,)) et fit cette comparayson, qui vient fort bien à mon propos: ((L'humilité, dit-il, et la charité vont ensemble comme saint Jean-Baptiste et nostre Seigneur, d'autant que l'humilité precede la charité, comme saint Jean a precedé Dostre Seigneur: c'est eIle qui prepare les chemins, e'est une voix qui crie : Applanissés Ie chemin du Seigneur. Et tout ainsy que saint Jean-Baptiste est venn devant Dostre t Seigneur pour preparer Ie peuple à Ie recevoir, ainsy faut-il que l'humilité vienne preparer les cæurs pour par apres y recevoir la charité; car eIle ne pourra jamais demeurer dans un coour que l'humilité ne Iuy aye premierement preparé Ie logis. )) Saint Anthoine fut un jour ravy en extase, et, comme il fut revenu à soy, eç bODS rel eux Iui demanderent ce w. 3 34 SEn roN qu'il avoit ven.. ((Ab! mes chers enfants, j'ai Yen, leur dit-il, Ie monde tout rempli de filetz propres à faire non seulement chopper, mais encore toruber lourdement les hommes dans de profonds precipices.)) De quoy tons estonnés, ils Iuy dirent : (( Et si tout Ie monde est ren1pli de filetz , qui est-ce qui en pourra eschapper'?)) Illenr respondi t: (( Ceux-Iä seule- ment qui seront humbles. )) En quoy nous voyons combien l'humilité est requise pour eviter les tentations, et eschapper de tomber dans les filetz du Diable. Saint Jean avoit cette vertn en un degré de tres-grande perfection. (( V ous me demandés, dit-il aux J uifs, pourquoy je baptize. Je baptize, respondit-il, avec de l'eau : Ego bap- tizo in aqua.. Mais il y en a un parmy vous, lequel vons ne connoissés pas, qui doit venir apres moy, et qui est fait de- vant rooy, duquel je ne suis pas digne de deslier les souliers, qui vous baptizera au saint Esprit: Ipse vos baptizahit in Spiritu sancto 1. Toutesfois, puisque vous vou!ez sçavoir qui je suis, je vousdy que je ne suis rien qu'une voix:)) comme s'il eust voulu dire : 0 pauvres gens! vous estes bien trom- pés. Vous pensés que je sois Ie Messie, par ce que je ne suis pas vestn comme les autres hommes, mon vestement n'estant tissu que de poil de chameau, et que je ne mange point de viande, ni de pain, et ne me nourris que de miel sauvage et de sauterelles, que je ne bois point de vin, et n'ay point de maison, ains que j 'habite dans ce desert avec les bestes, et snis Ie rivage du fleuve Jordain, baptizant et preschant la penitence; et pour eel a vous croyés que je suis Ie Messie, on quelque grand personnage : or je vous dy que je ne suis rien de tont ce que vous pensés, et que je ne suis seulement que la voix deceluyqui crieau desert: Aplanissés Ie chemin du Seigneur: Ego vox clamantis in desel"to : Ðirigite viam Domini. Iais comment saint Jean se pouvoit-il humilier et abais- I s. ltlarc. ll. . POUR J E HIe DHrANCHE DE L'ADVENT. 35 ßer davantage que de dire qu'il n' estoit qu'une voix; car la voix n'est rien qu'une fumée, qu'une exhalaison et qu'un son qui se dissipe en l'air en faysant quelque pen de bruit. V ous croyés, vouloit-il dire aux Juifs, que je sois le l\Iessie, et moy, je vous dy en un n10t que je ne Ie suis pas, et que je suis moins qu'homme; car je ne suis qu'une sin1ple voix sans substance, qui se dissipe et se perd en un moment. Si vous allés dans ce desert parmi ces rochers, vous y treuve- rés des echos, et si vous parlés, ilz vous respondront, d'au- tant que vostre voix entrant dans des concavités de la terre, et frappant ces corps propres à retentir, il s'y forme une espece de parolle semblable àIa vostre, qui n'est autre chose qu'un son et reßexion de voix. Or dites rooy, je vous prie, .qui est-ce d'entre vous qui estime que l'echo sait un homme, .à cause qu'illuy respond? l'on sçayt bien que l'echo n'est xien qu'un son au retentissement de voix : or c'est ce que je suis, et rien davantage, disoit ce saint. Vous voyés done comme Ie glorieux saint Jean, se compa- rant à la voix, s'est humilié jusqu'au centre du neant. l\;Iais à mesure qu'il s'abaisse, Dieu l'exalte, et dit tout haut de luy qu'il est prophete et plus que prophete; car ill'appelle ange, disant : Voicy que j'envoye mon ange devant fa face, pour preparer ta voye: Ecce ego mitto angelun't meum ante fa- ciem tuam, qui præparahit viam tuam ante tP. Certes c'est de tout temps que la divine sapience a re- gardé de bon æilles humbles, qu'elle a humi1ié et abaissé ceux qui s'exaltent, et exalté ceux qui s'humilient, ainsi que le chante nostre glorieuse maistresse nostre Dame en son sacré cantique : Deposuit potentes de sedc, et exaltavit llumiles : Ceux qui s'exaltent seront humi1iés, ceux qui veulent mettre leur siege sur les nuës seront abaissés, et les pauvres qui s'abaissent et s'humilient seront exaltés; car Dieu, qui ayme les humbles, se communiquera à eux, et leur donnera son esprit, par lequel ilz opereront de grandes chosesc . 36 SERMON En somme saint Jean est proposé par nostre divin Sa -veur à to utes sortes de personnes pour estre imité et leur servir d' exemple, et il ne doit pas estre seulement consideré des prelatz et des predicateurs, mais encore des religieux et religieuses, qui doivent specialement in1Ïter son humilité et mortification, et qui à son exemple doivent estre des voix les uns parmy les autres, criant que l' on prepare les voyes) et qu'on aplanisse les chemins du Sauveur, à ce que l'ayant receu en ceste vie, nous jouyssions apres icelle eternelle. ment de Iuy en l'autre, où nous conduise Ie Pere, Ie Filz et. Ie saint Esprit. Amen. . r t .' , !' JJI7. ) ). , .. POUR LE IV e DIl\IANCßE DE L'ADVENT. 37 '\JVVV'VV'IJ\J.VVVVV'\#VVVVV SER fON POUR LE QUATRIE IE DIM CHE DE L'ADVENT. Factum est verbum Domini super Joannem Zachariæ filium in deserlð, et venit in omnem regionem Jordanis prædicans baptismum pænitentiæ in remissionem peccatorum. Luc. Ill.. La parole de Dieu est tombée sur Jean, filz de Zacharie, au desert, et il vint par toutes les conlrées d'alentour Ie Jourdain, preschant Ie baptesme de la penitence, en Ia remission des pechés. S.. Luc.. III. Le glorieux saint Jean, ainsi que je vous monstray di- manche, ayant donné des preuves tres suffisantes de la gran- deur de son humilité, lorsqu' estant enquis s'il estoit Ie Christ ou quelque grand prophete, il respondit franche- ment qu'il ne l' estoit pas, ainsi que dit l' evangeliste ; se voyant pressé par ceux qui estoient venus à luy de dire qui il estoit, illeur respondit : Je suis la voix de celuy qui crie au desert: Applanissés Ie chemin du Seigneur: Vox clam an- tis in deserto : Parate viam Domini ' comnle leur voulant .dire : Je ne suis pas celuy qui crie : Faites penitence, ains seulement la voix de celuy qui vous Ie dit par moy. 0 certes! il est vray que ce n'estoit pas saint Jean qui crioit, mais nostre Seigneur qui parloit par sa bouche. Le grand apostre saint Paul, escrivant aux Thessaloni- ciens, leur disoit: (( Quand vous avés receu de nous la parole de la predication, vous I'avez receuë, non point comme pa- role d'homme, mais comme parole de Dieu, laquelle aussi -8 operé en vous. Or il est certain que si no us voulons tirer profit des choses qui nous sont dites et des enseignemens qui nous sont donnés, nous les devons recevoir comme no us estans ditz de la part de Dieu J qui nous fait connoistre sa 38 SEUl\ION volonté par Ie moyen des predicateurs ou autres, qui sont 6rdonnés pour annOl1cer sa parole, ainsi que je diray main- tenant. Saint Jean estoit sur Ie bord du fleuve Jourdain preschant Ia penitence. Ce fIeuve estoit à l'entrée d'un desert où il s'estoit retiré, et Ie monde accouroit à luy de toutes partz pour ecouter ses paroles et estre baptisés , et il disoit à tous : Faites penitence, car Ie royaume des cieux est proche; pre-' parés les voyes du Seigneur, applanissés et redressés les che- mins : Pænitentiam agite appropinquavit enim regnum cælorum ,. parate viam Domini, rectas facite semitas ejus t. l\Iais d'autant, disoit ce glorieux saint, que je crie et presche en ce desert qu'on fasse penitence, vous voulés sçavoir qui je suis : je vous dy que je ne suis que Ia voix de celuy qui crie; comme s'il disoit : Ce n'est pas moy qui crie : Faites penitence, mais c'est Dieu qui Ie vous dit par moy, et je ne suis que la voix et la trompette par laquelle il vou" fait sça- voir et entendre ce que vous devés faire pour vous disposer à son advenement : c'est pourquoy vous devez ecouter mes paroles, non comme miennes.. mais comme paroles de Dieu. Or ce qui est dit en l'evangile de ce jou.r, que Ia parole de Dieu est tombée sur Jean, filz de Zacharie, au desert, se peut entendre diversement, d'autant que la parole de Dieu tombe specialement sur les cæurs en deux manieres : la pre- miere est, quand nostre Seigneur parle au cæur de quel- qu'un pour l'instruire, et luy enseigner ce qui est de sa volonté et de son bon plaisir, Iuy faisant connoistre ce qu'il doit faire pour sa conduite particuliere; la seconde est, quand eUe tumbe sur Ie coour, non pour soy seulement, mais aussi pour la porter et communiquer aux autres, afin de leur faire sçavoir ce qui est de la volonté de Dieu, soit par la predication ou autrement : et c' est en cette maniere I S.. Matth. HI. POCR LE lV c DDIAr\CIIE DE L".\lJVl:: T.. 39 qu'elIe tumba sur saint Jean, qui fut choisi et esleu de Dieu pour estre son avant-coureur, et pour annoncer sa venuë au peupIe. l\Iais notés ce mot que je diray en passant, que nul ne peut estre receu ni eslevé en quelque dignité et prela- ture, si Ia parole de Dieu ne tombe sur Iuy, c'est à dire, qu'il ne soit premierement choisy et esleu de Dieu.. Et Ie choix et les elections que Dieu fait de ses creatures sont presque tousjours communes et ordinaires, et I'on n'en doit point desirer ny rechercher de particuliere ny d' extraordi- naire; car les vocations particulieres et extraordinaires sont dangereuses et suspectes, quand eUes ne sont pas approu- vées ny authorisées par les pasteurs et maistres de la vie spirituelle. Or saint Jean fut esleu et choisi de nostre Seigneur pour annoncer sa venuë au monde, et Iuy-meslne approuva sa vocation et maniere de proceder. n l' envoya devant luy et Ie suivit, et prescha ce qu'il avoit presché. II est done cer- tain que ce glorieux saint devoit annoncer la parole de Dieu, prescher la penitence, et faire les autres fonctions de sa charge : mais comme il estoit ohligé de crier que l' on preparastla voye au Seigneur, que }'on applanist Ies sentiers et les chemins, Ie peuple auquel il preschoit estoit aussi ob- . ligé non seulement de l' ecouter, mais encore de faire ce qu'il leur disoit, et de recevoir Ie baptesme qu'illeur pre- sentoit : car si les predicateurs sont obligés de prescher et annoncer la parole de Dieu, l'on est aussi obligé de l'escou- ter, et bien recevoir ce qu'ils disent de sa part et Ie mettre fidellement en prattique, et, pour Ie bien faire, il faut bien mascher et savourer ce que 1'0n a oui, afin d'en faire une honne digestion; car, dites-moy, je vous prie, qu'eust-il servyau peuple d'Israël que Dieu leur eust fait pleuvoir la ..'; manne au desert pour leur nourriture, s'ilz ne l'eussent voulu recueillir et ramasser? Et que leur eust-il profité de la recueillir, s'ils ne l'eussent voulu manger pour s'en DOur- 40 SER:\IO rir et substanter? Certes quand Dieu fit tomber la manne du ciel pour nourrir ce peuI)Ie, il l'ohligea de se lever du ma- tin pour l'aller recueillir avant que le soleil fust levé, et non seulemen t de la recueillir, mais encore de la manger, a:fìn de s'en nourrir et substanter. De mesme pouvons-nous dire que ceux à qui on presche la parole de Dieu sont ohli- gés non seulement de l'escouter, mais encor de la pratti- quer, afi.n d'en nourrir et substanter leurs ames. II y a deux causes principales pour lesquelles l' on ne pro- fite pas ae cette divine parole.. La premiere est, que si bien on l'escoute, Pon n'est pas neantmoins bien determiné de la mettre en prattique, l'on differe tousjours l'execution jus- qu'au lendemain. 0 que nous sommes miserables ! ne voyons- DOUS pas que ces remises que nous faysons de l' execution des volontés divines sont la cause de nostre perte et de nostre mort spirituelle, et que tout nostre hien ne consiste qu'au temps present, la vie de l'homme ne consistant qu'au jour et mesme qu'au moment auquel il vit; car qui se peut pro- mettre qu'il vivra jusqu'au lendemain'! 0 certes! personne ne Ie peut, nostre vie ne consistant qu' en ce seul moment que nous possedons, en telle sorte que nous ne nous en pouvons pas promettre ni asseurer un autre. Or cette verité estant supposée, comment osons-nons dif ferer de nous mettre en l'execution et en la prattique de ce qui nous est annoncé par les predicateurs, qui peut servir à nostre amen dement et conversion, puisque du moment pre- sent, duquel seul nous jouïssons et entendons ce qui est propre pour nostre saint, despend peut-estre nostre bonheur eternel. Je dy done que la premiere cause pour laquelle nollS ne profitons pas des choses qui nous sont dites et enseignées, c'est que nous usons de remises, et ne nous mettons pas promptement en la prattique d'icelles. La seconde cause qui nous empesche de tirer profit de la pal'ole de Dieu est une certaine avarice spirituelle, qui fait POUR LE Ivt' DUIANCHE DE L'ADVENT. 41 que l'OD recherche et s'empresse pour sçavoir beaucoup de choses : et vous treuverés des personnes qui ne se lasseront jamais de recueillir de nouveaux documens, et qui sont tous-jours à demander des enseignemens; mays, apres cela, elles n'en mettent pas un seul en prattique : or je dy que cela est une avarice spirituelle, qui est UN vice assés grand en Ia vie devote, d'aufant que cela ne fait que dissiper et trou- bier l'esprit. V ous en treuverés d'autres qui sont tous-jours aprés à rechercher et amasser des livres nouveaux, et faire des grandes bibliotheques. IIé! pauvres gens, que voulés- YOUS faire de cela? Pensés-vous que vostre perfection et vostre salut consiste à faire grand amas de livres et de docu- mens spirituclz? ne sçavés-vous pas que nostre Seigneur, voulant esloigl1er l'avarice et les sollicitudes du ereur de ses disciples, leur commanda de vivre au jour la journée, et de n'avoir point soucy du lendemain? Nolite solliciti esse in crastinum; crastinus enim dies sollicitus erit sihi psi ... suf- fìcit diei malitia sua. Entre toutes les ordonnances que Dieu fit aux enfans d'Israël, illeur commanda specialement de ne recueillir cha- cun qu'une mesure de manne, c'est à sçavoir, ce qui estoit suffisant pour leur nourriture d'un jour, et leur defendit expressement qu'aucun n'en gardast pour Ie lendemain; et s'il arrivoit que quelqu'un en gardast par provision, il s'y engendroit des vel'S, et eUe se tournoit en corruption. La mesme ordonnance se doit faire aux avares spirituelz.. Vivés au jour la journée, leur doit-on dire, profités des enseigne- mens qui YO us seront donnés chaque jour, et vous en nour.. rissés bien, les mettant en pratique, puis laissés faire à la divine providence ; car apres, elIe vous pourvoira selon yostre besoin : usés bien seulement de ce qui vous est donné -chaque jour, puis soyés libres de tout autre soin. Ne sçavés- vous pas que dans les viandes qui sont gardées il s'y en- gendre des vel'S 'I certes je crois que les vel'S qui rongeron& 42 SETI:\ION les consciences des damnés ne seront pas les moindres peines qu'ilz souffriront, ains qu'elles seront les plus grandes. l\lais quelz seront ces vel'S, sinon les vifs et puissans remords qui picqueront et rongeront eternellement leurs an1es, par Ie ressouvenir et la vuë de tant d'instructions, de moyens et d'occasions qu'ilz auront eus de servir Dieu sans en avoir profité? 0 quelz remords de conscience aura-on à l'heure de la mort, voyant Ie nombre infiny de documens, advis et enseignemens qui nous auront esté donnés pour nostre per- fection, lesquelz nous anrons negligés et rendus inutiles Ce seront certes les plus grandes douleurs que ron ressentira alors que celles-là. V ous voyés donc bien maintenant comme l'avarice spirituelle est un grand defaut, qui nous empesche de profi ter de la parole de Dieu. Revenons à nostre evangile. Je l'expliqueray le plus fami- Iierement qu'il me sera possible; mais pour ce faire, il en faut dire briefvement l'histoire. Du terns que Tibere Cesar estoit empereur de Rome t qu'Herode estoit roy de Judée, que Ponce Pilate presidoit en HierusaIem, et qu'Anne et Caïphe, princes des prestres, estoient assis dans la chaire de Moyse, Dieu envoya son pro- phete, à sçavoir Ie glorieux saint Jean, qui fut sa voix, qui crioit au desert: (( Applanissés Ie chemin du Seigneur, faites penitence; car Ie saInt est proche. )) Et pour l'explication de ces paroles, je me serviray de celles que dit Isaye aux Israë- lites dans Ie qnarantieme chapitre de ses propheties, qui sont les plus douces et aggreables qui se puissent entendre. C'estune chose merveilleusement suave que de lire les escritz de ce saint prophete: ses paroles sont fluides, emmiellées et accompagnées d'une science incomparable; c'est un fleuve d'eloquence, où l'on descouvre des choses admirables. Lorsque Ie peuple d'Israël fut mené en servitude par les Gentilz, et envoyé captif parmy les Perses et les Medes, Ie bon Cyrus, apres une longue captivité J se woesolut de les re-- POUR LE IVe DIMANCHE DE L' ADVENT. 43 tireI' de cette servitude, et les ramener en la terre de promis- sion; alors Ie prophete Isaïe, avec une divine poësie, en- tonna ces belles paroHes: Consolamini, consolamini, popule meus, dicit Deus vester.. Loquimini ad cor Hiel'usalem et ad- vocate eam, quoniam completa est malitia ejus, dimissa est iniquitas illius t. 0 peuple d'Israël, consolés-vous, mais con- solés-vous, dit Ie Seigneur nostre Dieu, et vostre consolation ne sera point vaine ni inutile.. Parlés au cæur de Hiernsa- Jem, et l'appeIJés; car sa malice est accomplie, et par ce que son iniquité est venuë à son comble, eUe luy sera pardonnée: et pour cela (disoit ce grand prophete au peuple d'Israël) applanissés vos voyes, et redressés vos chemins, affin que Cyrus vons retirant de captivité, et vous ramenant en la terre de promission, ne treuve point de tortuosité. II y a un grand nombre d"interpretations sur ces paroles, et quelques docteurs demandent pourquoy est-ce que Dieu dit qu'il pardonnera au peuple d'Israëlleurs iniquités, par ce qu'ils sont venus au comble de leur malice: Quoniam completa est malitia ejus, dimissa est iniquitas itlius. Les anciens Peres, au rapport .de saint Gregoire, disent que ces paroles se peuvent entendre en deux manieres. La premiere est, comme si Dieu disoit : Lorsqu'ilz sont au plus fort de leurs travaux et affiictions, et qu'ilz ressentent plus vive- ment Ie faix de leurs iniquités en cet esclavage et servitude où ilz sont reduitz, apres les avoir punis de leurs meschan- cetés par ceUe tribulation et ce fleau, je les ay regardés, et en ay eu compassion au plus fort de leur malice, c'est à dire, au plus mauvais de leurs joufS, et me suis contenté de ce qu'ilz ont soufIert pour leurs pechés, et pour cela maintenant leurs iniquités leur seront pardonnées et je les retirerai de leur captivité et servitude.. Jacob se plaignant de la briefveté de sa vie, disoit ces paroles: l\Ies jours sont courtz, mais ilz sont mauvais : Dies pel'egl'inationis meæ pal'vi et maliij a Isaïe. XL.. - , Gen. XLVII. 44 SEn!\JO eonlme voulant dire: Ces jours de la peregrination de ma vie sont courtz, Hz ne font que passer, et ressemblent à une ombre qui disparoist en un instant; mais neantmoins ilz sont mauvais, d'autant qu'ilz sont chargés et suivis de tant de miseres et de travaux qu'apporte avec soy cetle vie presente, (lu'encore qu'ilz soient courtz, ilz ne laissent pas d'estre mauvais et pleins de malice. Ce qu'il disoit, à cause des grandes peines et tribulations llu'il souffroit 1. La seconde maniere en laquelle nous pouvons entendre ces paroles d'!saye ((Dites au peuple d'!sraël: A cause que leur malice est venuë à son comble, leurs iniquités leur f;eront pardonnées,)) est comme s'il vouloit dire : Lorsqu'ilz sont venus au comble, au midy et au plus haut point de leurs meschancetés et ingratitudes, lorsqu'il semble qu'ilz n'ayent plus aucune souvenance ni memoire de Dieu et de ses bien- faitz, leur iniquité leur sera pardonnée ; c'est à dire, au terns .auquel ilz meriteroient d' estre precipités dans l' enfer et per- (Ius pour jamais, Dieu leur pardonnera et ne se souviendra plus 'âe leurs meschancetés. Certes, quand la divine Providence a voulu faire voir aux hommes combien grands estoient les effectz de sa mise- ricorde, ç'a esté Iorsque , pour leurs pechés, ilz ne devoient plus attendre sinon de ressentir la fureur de son courroux et la terreur de sa justice; en ce tems-là, dis-je, auquel il n'y avoit aucune disposition de Ia part des hommes, et que Dieu estant extremement offensé par eux, il n'avoit aucun motif qui Ie pus! esmouvoir à leur faire misericorde. C'est en ce tems-Ià qu'il a fait voir des effectz admirables de sa bonté en- vers eux; bien que ce soit de grands effectz de sa miseri.. . corde, de nous departir continuellement ses graces, DOUS pardonnant les fautes que no us commettons journellement .et å toute heure contre sa divine 1\'Iajesté, laquelle, non con.. tente de cela, recompense encore les services que nous luy I s. Matth. IV. POUR LE IV. DIl\fANCHE DE L' ADV . 45 rendons par de si grandes faveurs que celuy qui correspond A une grace se dispose pour en recevoir une seconde , et qui correspond à cette seconde se dispose pour en recevoir une troisieme, et de cette troisieme une quatrieme, et ainsy consecutivelnent; car selon Ie dire des theologiens scholas- tiques, qui est tres-veritable, Dieu ne manque jamais de son costé, et, si l'ame est fidel1e à correspondre à ses graces, illuy, .:.. . en donnera tous-jours de nouvelles, et ainsy, s'advançant I ous-jours par une fidelle correspondance, eUe se rendra ligne de partici per à de grands biens et de recevoir de signa lées faveurs : et pour cela Dieu, en tant et tant d'endroitz de 1a sainte Escriture, nous recommande la fidelité à corres- pondre aux bons mouvemens, lumieres et inspirations qu'il nons donne. En quoy certes reluit merveilleusement la gran- deur de sa misericorde envers nous. Mais quand, outre ce que j'ay dit, sa providence a voulu donner aUK hommes des effectz et des traitz plus grands de sa bonté, ç'å esté une chose admirable, qu'il n'a pas vowu qu'aucun motif I'ait induit à ce faire; ains sans y estre poussé d'aucune cause que de sa seule honté, il s'est commu- niqué à eux d'une façon du tout merveilleuse. Lorsqu'il vint en ce monde , c'estoit, comme nous venons de dire, au terns que les hommes estoient arrivés au comble de leur malice; lorsqu'ilz vivoient sans roy, et que les loix estoient entre les mains d'Anne et de Caïphe, hommes mes- chans au possible; lorsqu'Herode regnoit , que Ponce-Pilate presidoit en la Judée : ce fut en ce tems-Ià, dis-je, que Dieu vint au monde pour nOllS rachepter, et nous delivrer de la tyrannie du peché et de Ia servitude de nostre ennemy, sans estre esmeu à ce faire que de son immense honté, qui Ie porta A se communiquer aUK hommes en ceUe sorte. Certes, Ie cæur de nostre divin Sauveur et Maistre estoit tout remply de misericorde et de douceur pour Ie genre humain, et il en donna à ce coup des preuves et tesmoignages admirahles, 46 SERl\ION .on1me il a fait en diverses autres occasions, où sa miseri- eorde a fait paroistre et esclater sa grandeur, aiusy qu'il se "oit en plusieurs endroitz de la sainte Escriture. Quand est-ce qu'il pardonna à saint Paul. sinon lorsqu'il estoit au comble de sa malice? car chacun sçayt qu'au tems de sa conversion il estoit en sa plus grande haine et furie contre Dieu, et, ne pouvant assouvir sa rage contre luy, il tournoit son courroux contre l'Eglise, mays avec une telle fureur qu'il faysoit tout son possible pour l'exterminer: Spi'l'ans mina'l'um et cædis in discipulos Domini : et neant- moins ce fut alors que nostre Seigneur contrepointa sa ma- lice et son ingratitude par sa misericorde, qu'ille toucha, Ie convertit et luy pardonna toutes ses iniquités, au tems mesme qu'il avoit plus desmerité. 0 Dieu! combien fut grande cette divine misericorde à l'endroit de ce saint apostre! Certes nous voyons tous les jours de semblables effectz de la honté de Dieu envers les pecheurs; car lors- qu'Ïlz sont plus obstinés et endurcis en leurs pechés, et qu'ilz sont venus à un tel point qu'ilz vivent comme s'il n'y avait point de Dieu, de paradis ni d'enfer, c'est alors qu'il leur fait voir et descouvre les entrailles de sa pieté et douce mise- ricorde, dardant un rayon de sa divine lumiere dans leur ame 1 qui leur fait voir Ie miserable estat OÙ ilz sont, affin qu'ilz s'en retirent. Or je ne lis jamaislaconversion de David saDS m'estonner de voir que ce prophete, apres avoir commis de si grands pechés, soit demeuré pres d'un an en iceux sans se recon- noistre, dormant d'un sommeillethargique sans se reveiller, ni s'apercevoir du miserable estat où il estoit.. 0 Dieu ! son peché eust esté en quelque façon plus excusa1)le, s'ill'eust commis quand il estoit berger et gardoit les brebis. l\Iais que David aye peché apres avoir reçu tant et de si grandes graces de sa divine Majesté, apres avoir receu tant de clartés, de lumieres et de faveurs , luy qui avoit fait tant et tant de mer. - ; :: - ':';: P't'-- -'-- POUR LE lye DDIANCHE DE L'ADVENT. 47 veilles et prodiges; et que David, qui avoit tous-jours esté Dourry et eslevé dans Ie sein de la douce clemence et miseri- corde de Dien, soit venn jusques-Ià que de commettre de si grands forfaitz, et soit demeuré apres si long-terns sans les reconnoistre : ð certes c' est une chose digne de grand estonne- ment! II avoit commis un adult ere ; mais c'estoit encore pen (ð misere extreme de l' espri humain, qui ne veut point qu'on voye ses fautes!) : David apres cela pensant couvrir cette premiere faute, il s'essaya de faire enyvrer Urie; mays n'ayant pas reñssi en son dessein, il se resolut, pour venir à chef de son entreprise, d'en commettre une troisieme, plus grande que les deux autres, qui estoit de Ie faire tuer à la guerre, et pour cela il escrivit à son lieutenant et general d'armée, et Iuy comn1anda d'exposer Urie et Ie mettre à la teste des ennemys, puis de l'abandonner, affin qu'il fust tué; ce qui fut fait ainsy que David l'avoit ordonné: de maniere qu'il commit plusieurs pechés, les entassant les uns sur les autres, faisant Ies uns pour couvrir les autres , et demeura ainsy croupissant dans ses pechés prés d'un an, sans s'apper- eevoir du miserable estat où il estoit, ni se ressouvenir de Dieu. V oilà done Ie pauvre David, par cet oubli de Dieu , sans aucune disposition à ]a grace : mays la divine bonté le voyant dans cet aveuglement, pour Ie retÏI'er de son peché, Iuy envoya Ie prophete Nathan, lequel luy voulant fain: reconnoistre sa fante, se servit d'une parabole, Iui disant qu'un homme riche qui avoit un grand nombre de brebis et de bæufs avo it pris à un pauvre homme une seule brebis, qu'il avoit acheptée, qu'il Ilourrissoit dans sa mayson, et qu'il aymoit uniquelnent, et Ia Iuy avoit ostée. V oyés , je vous prie, comme Ie prophete lllY parloit sagen1ent de sa fante en tierce personne pour la lui faire reconnoistre et confesser : mais comme David estoit dans un si grand aveu- glement flu'il ne voyoit point son péché, ne s'appercevant 48 SER!.\ION pas que Ie prophète Nathan parloit de luy, il prononça Ia sentence de mort contre celuy qui avoit desrobé cette brebis, Ie condamnant de pIUE à en rendre quatre fois autant.. Considerés, je vons prie, comme Ie pauvre David estoit endurcy dans son peché, et n'en avoit ancun ressentiment; mais pour les fautes des autres, illes connoissoit fort bien, et sçavoit bien leur imposer un chastiment proportionné à leur demerite. Or Ie prophete Nathan voyant qu'il ne recon- noissoit point ses fautes, luy dit franchement que c'estoit luy qui avoit desrobé ceUe brebis; ce qu'entendant Ie pauvre David, tonché de contrition: Ah! dit-il, j'ay péché contre Ie Seigneur: Peccavi Domino. Lors Nathan luy dit : Par ce que vous avés confessé vostre peché, Dieu vous par- donne et vous ne mourrés point : Dixitque Nathan ad David : Dominus quoque transtulit peccatum tuum : non morieris. Or quel plus grand effet voudriés-vous voir de la miseri.. corde de Dieu que celuy-Ià? car au temps anquel il semble que David estoit au comble de sa malice, Dieu luy pardonna son iniqnité. Mays quel changement fit-il apres qu'il eust reconnu sa faute? il ne faisoit plus que gemir et pleurer son aveuglement, ron n'entendoit plus sortir de sa bouche que ceUe parole : Peccavi, et, criant misericorde à Dieu, il alloit tous-jours disant ce psalme de la penitence: Miserere mei ' Deus. n y a plusieurs autres exemples dans l'Escriture sainte -; semblables à cettuy-cy, par lesquels Dieu nous a manifesæ la grandeur de sa misericorde, et où nous voyons la verité l de ces paroles d'Isaye : Quoniam completa est malitia ejus, .. dimissa est iniquitas illius : Par ce que leur malice est venuë à son comble, elle leur sera pardonnée. Et quant à ce qu'il dit : Preparés les voyes, et applanissés les chemins du Sei4 gneur : Parate viam Domino, 'l'ectas facite in solitudine se mitas Dei nostri,. il vouloit dire que Ie grand fOY CYl.& POUR LE rV"' OOÑëHE DE L'ADVENT. 49 devoit bien-tost ramener les Israélites de la captivité de Ba- hylone en la terre de promission. Mais bien que ces paroles ayent esté dites pour ce sujet, si est-ce neantmoins que Ie principal but du prophete estoit de parler de l'advenement de Dostre Seigneur. Saint Jean done preschant la penitence, et annonçant au peuple que Ie Sauveur estoit proche, il se sert des paroles du prophete Isaye : Je suis la voix, dit-il, de celuy qui crie au desert: Preparés Ie chemin du Seigneur: . Vox clamantis in deserto : Parate viam Domini. Or puisque nostre divin Sauveur est proche, que faut-il faire, roes cheres Srenrs, pour nous preparer à son advene- ment? Saint Jean nous l'enseigne en ses predications, quand il dit qu' on face penitence. Certes, il est vray que la meilleure disposition qu'on puisse avoir pour l'advenement de nostre Seigneur, c'est de faire penitence : il faut tous passer par là sans exception; car comme nous sommes tous pecheurs , aussi avons-nous to us besoin de penitence. Mais cela est trop general, il nous faut toucher quelques particu- larités d'icelle : saint Jean nous en marque quelques-unes en l'evangile de ce jour: Bectas facite semitas ejus. Omnis vallis implebitul', et o1nnis mons et collis humiliahitul': Applanissés Ie chemin du Seigneur, dit-il : remplissés les vallées, abaissés les monts et collines , redressés les chemins raboteux et tortus. . Certes, il n'y a nul doute que quand l'on treuve plusieurs chemins rahoteux et qui s' entortillen t ] es uns dans les au tres, cela fatigue et lasse grandement Ie pelerin.. II en va tout de mesme en l'exercice de nostre chelnin spirituel. II y a tant de monts et de vallées, tant de tortuosités! et tout cela ne peut estre redressé que par la penitence: c'est cUe qui remplit les vaIIées, qui rahaisse les montz, et qui re- dresse et esgale les chemins tortus, ainsy que je diray main- l nant. ((Faites penitence,)) dit saint Jean, c'est-à-dire, abaissés cas w. 4 50 SERMON monts d'orgueil, remplissés ces vallées de tiedeur et de pu- sillanimité, par ce que Ie saInt est proche. Or ces vallées ., que ce glorieux saint veut qu'on remplisse ne sont autres que la crainte, laquelle quand elIe est trop grande nOllS porte au descouragement. Le regard des grandes fautes com- mises apporte quant et soy une certaine horreur, un eston- j. nement et une crainte qui abat le cæur: et cela sont des vallées qu'il faut remplir de confiance et d'esperance pour l'advenement de nostre Seigneur. Un grand saint pari ant un jour à une sainte penitente, qui avoit commis de grands pe- chés, Iuy disoit ces paroles : Craignés, mays esperés : crai- gnés, de peur que vous ne deveniés supel'be et orgueilleuse; mays esperés, de peur que vous ne tumbiés dans Ie desespoir et descouragement; car la crainte et l' esperance ne doivent point alIer l'une sans l'autre, d'autant que si la crainte n'est accompagnée d'esperance, eIle n'est pas crainte, ains des- espoir, et l' esperance sans Ia crainte est presomption : Omnis vallis implehitur. II faut done par la confiance meslée avec Ia crainte remplir ces vallées de descouragement qui viennent de la connoissance des pechés que nous avons commis. Omnis mons et collis humiliabitur : Abaissés, dit Ie glo- rieux saint Jean, les montagnes et collines. Quellcs sont ces montagnes, sinon Ia presomption, l'orgueil et l'estinle qu'on a de soy? qui est un tres-grand empescbcment pour l'adve- nement de nostre Seigneur, lequel a de coustume d'humilier et rabaisser les superbes; car il va penetrant au fond du cæur pour descouvrir l' orgueil qui y est caché. Prenés done garde que VOllS ne soyés sembI abies à ce miserable Pharisien duquel il est parlé en l'Evangile, qui estoit une montagne d'orgueil, presumant d'estre quelque chose plus que les autres, se vantant et glorifiant de quelques vertus apparentes qui estoient en luy, en suite de quoy il disoit par une vaine presoIDption: ((Seigneur, Je vous rends graces de ce que je POl7n J.E n pe DDIAt\Clll DE I.' ADVENT. ., . tJi ne suis pas C01l1111e Ie ],f1ste des hommes. Je paie les dixmes, je ttltsne tant de fois la semaine ;)) et choses selnblabìes qu iì aUeguoit pour se priser. lUais Dieu voyant l' orgu eil de ce Pharisien, ille rejetta : on au contraire le pauvre pubIicain, qui devant Ie monde estoit une montagne tres-haute et rabo... teuse, fut abaissé et aplani devant Dieu lorsqu'il vint au temple, où n'osant lever les yeux pour regarder le ciel, à ause des grands pechés qu'il avo it commis, il se tenoít à a porte frappant sa poictrine, avec un cæur contrit et hu- milié, et par cette humilité il fut digne de treuver grace devant sa divine bonté, et s'en retourna justifié en sa may- son: Descendit hie justificatus in domum suam ah illo. J'aurois encore plusieurs choses trés-utiles à dire sur ce suhjet pour nostre instruction; mays il faut fÌnir. (( Appla- nissés, dit Ie glorieux saint Jean, les chemins; redressés ceux qui sont tortus, affin de les rendre esgaux, )) qui est autant comme s'il disoit: Redressés tant d'intentions sinistres et obliques, pour n'avoir plus que ceUe de plaire à Dieu, en faysant penitence, qui doit estre Ie but auquel nous devons tons viser. Comme le marinier, quant il conduit sa barque, a tous-jours l'æil sur l'esguille marine, pour voir s'il va droit où il pretend : de mesme devons-nous tous-jours avoir l'æil ouvert pour embrasser les actes de penitence, affin de parvenir au ciel , qui est Ie lieu où nous aspirons. n se trel1ve plusieurs personnes dans Ie monde lesquelles ne veulent point regarder la penitence jusques à l'extre- mité de leur vie. Dieu est si bon et si misericordieux, disent- elles; il nous pardonnera à la fin de nos jours : donnons-nous seulement du bon terns, et à l'heure de la mort nous dirons un bon peccavi. Mais qu'est-ce que cela, sinon une grande presomption , prenant occasion de la bonté de Dieu de croupir dans leurs pechés'? Hé! ne sçavent-ilz pas qu'encor que Dieu soit infiniment misericordieux, il est aussi infiniment juste, et que quand sa misericorde est irritée elle provoque sa justice"' * 52 SER!ION Redressés les chemins, c' est-à-dire, esgalés vos humeu1'8 par la mortification de vos passions, inclinations et aversions. Or cette esgalité d'bumeur est une vertu des plus necessaires aux personnes qui prattiquent la devotion, qui soit en la vie spirituelle, et pour laquelle on a tous-jours à travailler. 0 que c'est une chose ll1erveilleusement suave que de consi- derer la vie de nostre divin Sauveur et l\laistre! car ron y voit reluire cette parfaite esgalité parmy l'inesgalité des divers accidens qui Iuy arriverent pendant tont Ie cours de sa vie mortelle: certes personne n'a jamais eu cette esgalité en telle perfection que luy, et Ia sacrée Vierge nostre glorieuse Mais- tresse. Tous les saintz ont bien travaiIIé pour l'acquisition de ceUe vertn : mais quoy qu'ilz ayent fait, leur esgalité n'a point esté si parfaite qn'il ne s'y soit treuvé quelque inesga- lité, non pas mesme en saint Jean-Baptiste; car il avoit, seion l' opinion de quelques docteurs, commis des pechés venielz, comme fay dit autresfois. o que c' est une chose desirable, mes cheres Sæurs, que cette esgalité d' esprit et d'humeur, et que nOllS devons tra- vailler fidelement pour l'acquerir! car nous sommes plus variables et inconstans qu'il ne se peut dire. L'on treuvera des personnes qui maintenant estans de bonne humeur, seront d'une conversation agreable et joyeuse : mays tournés la main, vous les treuverés chagrins et inquietés. V ous en treuverés d'autres à qui iI faut parler à cette heure d'une façon, d'icy à peu d'une autre; tel aura à cette heure Ie cæur en douceur, lequel apres, pour pen que VOllS attendiés, sera dans l'impatience. En somnle qu' est-ce que l' on void parmy les hommes, sinon de continuelles bigearreries et inesgalités d'esprit, qui sont des chenÜns to1'tus et raboteux que nons devons redres- 4 ser pour l'advenement de nostre Seigneur'? l\Iais pour Ie bien :J faÌl'e, il DOUS faut aller à l'eschole du glorieux saint Jean- Baptiste, et Ie prier de nous recevoir au nombre de ses dis- POl R LE lye DIl\IA UIE liE L' A nVE T. 53 eiples; et s'il nous reçoit, il nous remettra entre les mains de nostre divin Sauveur, lequel par apres nous remettra entre relles du Pere eternel, qui nous donnera sa grace en ce monde et sa gloire en l'autre, OÙ nous Ie loüerons eterne11e. mente Ainsi soit-il. IDU son BIØ. , 4 SEr..:'.ro:' VVVV\IVVVV( JVVVVVVV SER ION POUR LA VEILLE DE NOEL. Rodia 8cietis quia Dominus veniet, et mane videbitis gloriam ejus.. EXOD. XVI.. Vous sçaurés aujourd'huy que Ie Seigneur viendra, et demain au matio vons verrés sa gloire.. EXOD.. XVI. · La tres-sainte Eglise, comme tres-soigneuse du salut de ses enfans, a accoustumé de nous preparer dés la veille des gran des solemnités, affin que par ce moyen nous venions à estre mieux disposés pour reconnoistre les grands benefices que nous avons reçeus de Dieu en icelles. En la primitive EgIise, les Chrestiens qui vouloient rendre en quelque ma- Diere satisfaction à nostre Seigneur du sang qu'il avoit fraischement respandu pour nostre salut en mourant sur Ia croix, avoient un tres-grand sain de bien employer Ie terns des solemnités, et pour ce subjet il n'yavoit point de feste qui n'eust sa vigiIe, dés laquelle ilz commençoient à se pre- parer pour la solemniser; et non seulement cela s' est observé dans la primitive Eglise, ains encor en l'ancienne loy, Ie jour du sabbat estant tous-jours precedé de plusieurs prepa- rations qu'on faysoit auparavant. . Or la sainte Eglise , con1me une mere tres-ayn1ahle, nOUß voulant preparer en la vigi1e du saint jour de Noël, et ne nous voulant pas laisser surprendre d'un si grand mystere , nous dit ces paroles de l'Exode : Bodie scietis quia veniet Dominus, et mane videbitis gloriam ejus : V ous sçaurés aujourd'huy que nostre Seigneur viendra demain; qui est autant à dire : nostre Sauveul" naistra dernain J t VQUS Ie POUR LA VEILLE DE NOEL.. 55 verrés fait petit enfant, couché dans une cresche.. Ces paroles sont prises sur ce que Moyse dit aux Israëlites, lorsqu'il sceut Ie jour que Dieu avoit destiné pour leurdonner la manne dans Ie desert. Mon intention n'est pas de vous rapporter toute l'histoire, ains seulement d'en prendre ce qui sert à mon subjet.. II leur dit done, les ayant fait assembler: Vespere scietis quod Dominus eduxerit vos de terra Ægypti, et mane videhitis gloriam Domini : V ous sçau "és au soir que Ie Seigneur vous a retirés de la terre d'Egypte, et au matin vous verrés sa gloire; qui est autant comme s'il enst dit : n viendra demain au matin; pour leur faire entendre que Ie benefice de la manne estoit si grand, qu'il sembloit que Dieu deust venir luy-mesme pc;ur l'apporter et distribuer aux enfans d'Israël. Et comme vous voyés que Ioyse prit soin de faire qu'ilz se preparassent par la consideration d'un si grand benefice, pour se rendre plus dignes de Ie recevoir ; de mesme, la tres-sain te Eglise nous disant : (( V ous sçaurés aujourd'huy que Ie Seigneur viendra demain, )) De pretend autre chose sinon de faire que pour nous y preparer nous -occupions nostre entendement en la consideration de Ia grandeur du mystere de la tres-sainte nativité de nostre Seigneur. Ce que pour mieux faire, il faut premierement humilier profondement nos esprits par la connoissance qu'iIz ne sont nullement capables de pouvoir penetrer dans Ie fond de ce divin mystere, qui est un mystere vrayement chrestien. Je . dychrestien, d'autantque nulz autresque les chrestiens n'ont jamais sçeu com prendre comme il se pouvoit faire que Dieu fust homme, et que l'homme fust Dieu : et quoy que les hommes ayent tous-jours eu une certaine inclinatron et croyance que cela se pouvoit faire, et mesme qu'il se feroit, il est certain neantmoins que nulz autres que les chrestíens ne sont jamais parvenus à avoir une connoi-s- .sanceparfaite de ce mystere. Or je sçay bien que de tout terns 56 E'ERl\ION il y a en quelques grands personnages, comme les patriarches, les prophetes, et quelques autres des plus saintz d'entre les hommes, qui Ie sçavoient, specialement en l'ancienne loy, où ils attendoient Ie 1\Iessie qui leur estoit promis: mais toutes ces connoissances estoient fort obscures, et n'estoient nullement semblables à celles des chrestiens; et quant au commun du peuple, ilz ne pouvoient en façon quelconque comprendre ce mystere, quoy qu'ilz en desirassent l' accom plissement.. Entre les payens mesmes ron remarque que Ie desir qu'ilz avoient que l'homme fust Dieu leur a fait faire des choses estranges, jusques là que quelques-uns d'entre eux croyoient pouvoir se faire dieux, et, comme telz, se faire adorer du reste des hommes. Car si bien Hz pensoient qu'il n'y avoit qu'un Dieu supreme, createur et pren1Îer principe de toutes choses, ilz ne laissoient pas pourtant de croire qu'il y pou- voit encor avoir plusieurs aut res dieux, et qu'il y avoit des hommes qui pouvoient participer en quelque façon aux qua- lités divines, et lesquelz se pouvoient faire appeller dieux: et reconnoistre pour telz : ainsy qu'on peut voir par ce qui arriva à Alexandre Ie Grand, lequel estant à l'article de Ia mort, quelques-uns de ses courtisans insensés et flatteurs Iuy vinrent dire: ((Sire, quand vous plaist-il que nous vous : facions dieu'/ (( Lors Alexandre monstra bien par Ia response qu'illeur fit qu'il n'estoit pas si fol (Iu'eux: (( Vous me ferés dieu, leur dit-il , quand vous serés bien-heureux ; )) comme leur voulant dire: II n'appartient pas à des hommes mal- heureux, perissables et mortelz de faire des dieux, qui ne peuvent estred' eux-mesmes que bien-heureux et independans des hommes.. C'est ce qui nous fait voir que nulz autres que les hres- tiens n'ont jamais pu comprendre cet ineffable mystere de 1'lncarnation: par lequell'homme a esté fait Dieu, et Dieu a'est fait hOlnme J unissant nostre nature à la sicnne d'un& POUR "LA VEILLE DE NOEL. 57 union si inti me , qu'on peut veritablement dire que Dieu est homrne, et que l'homme est Dieu; bien que nous ne soyons pas capables de cornprendre la grandeur de ce divin mystere : car c' est un mystere caché dans les tenebres et l' obscurité de la nuiet; non qu'il soit tenebreux en soy-mesme, car Dieu n'est que Iumiere; mais à cause de la petitesse et foiblesse de nos entendemens, il nous paroist obscur. Et tout ainsy que nos yeux, pour leur foiblesse, ne sont pas capables de regarder la lumiere en Ia clarté du soleil sans 5' obseurcir, en sorte qu'apress'estre appliqués à regarder ce grand lumi- naire , nous sornmes contraintz de les fermer, n' estans pas par apres eapables de rien voir de quelque terns : de mesme pouvons-nous dire que ce qui nous empesche de pouvoir com prendre Ie mystere de la tres-sainte nativité de nostre Seigneur n'est pas qu'il soit tenebreux ou obscur en soy- mesme. 0 non, certes ! mays à cause de la grandeur de sa clarté et de sa lumiere, nostre entendement, qui est l'æil de nostre arne, ne Ie peut regarder longuement sans s' obseureir, de sorte qu'il est contraint de confesser, en s'humiliant, qu'il ne peut penetrer ce profond et incomprehensible mystere, pour comprendre comme Dieu s'est incarné dans Ie ventre sacré de la tres-sainte Vierge, et s'est fait homme sembI able à nous pour nous faire semblables à Iuy.. nest rapporté en I'Exode que Dieu faysoit pleuvoir la manne pendant la nuict dans Ie desert pour la nourriture de son peuple; et affin que les Israëlites eussent plus de subjet de luy en sçavoir gré, il voulut Iuy-mesme preparer Ie festin et dresser la table; c' est pourquoy 1\Ioyse leur dit : (( V OUS sçaurés au soir que Ie Seigneur vous a retirés de la terre d'Egypte, et demain au matin vous verrés sa gloire ;)) ce qu'il leur disoit pour leur faire entendre la grandeur du benefice que Dieu leur devoit faire de leur donner ee pain d u eiel. Et pour sçavoir comment il operoit cette merveille : il faysoit premierement descendre dans Ie iJp.sert uue douce 58 SERDJO osée du ciel sur la terre, qui servoit de nappe, puis soudain la manne tomboit comme petitz grains ou semenee de co- riandre ; apres quoy , pour monstrer qu'il les servoit hono- rablement, et à platz couvertz, comme on sert les princes, il faysoit derechef tomber une petite rosée, qui servoit à conserver Ia manne jusques au matin, que les Israëlites la venoient promptement recueillir avant que Ie soleil fust levé. Ainsy Dieu voulant faire ee benefice si signalé et si in- comparablement aymable aux bommes de s'incarner et venir naistre icy-bas J il descend sur la terre et dans Ie desert de ce monde, comme une manne celeste, pour se faire nostre nourriture, jusques à ee que nous parvenions à Ia terre promise, qui n'est autre que Ie ciel; mais il nous fait ceUe grace et opere eette merveille au plus fort de la nuict. V ous voyés done que c' est dans l' obscurité et dans les te- nebres que nostre Seigneur a voulu naistre, et se faire voir à nous comme un petit enfant tout aymable eouché dans une cresche, ainsi que nous Ie verrons demain. Mais consi- derons, je vous prie, comment cela se fit. Premierement, je remarque que la tres-sainte Vierge produit son fils virginalement, ainsi que les estoiles pro- duisent leur lumiere, et c'est à tres-juste raison qu'elle porte en son nom de Marie la signification d' estoile de mer, ou d'estoile matiniere. L'estoile de mer, c'est l'estoile du pole, vers laquelle tend tous-jours l'esguille marine, et c'est par eUe que les marchands sont conduits sur la mer, et con- .' noissent où tend leur navigation.. Or chacun sçayt que tous les anciens Peres de I'Egiise, et mesme les patriarches et pro- phetes, ont tous regardé cette divine estoile, la sainte Vierge, et ont tous dressé leur navigation à sa faveur. Elle a tous- jours esté l'estoile polaire et Ie port favorable de tnTIS les hommes qui ont navigué sur les ondes de la mer de ce mise- rable monde, pour s "empescher des naufrages ordinaires, POUR I"A VEILLE DE NOEL. 59 affin d'eviter par son moyen de tomber dans les ecueils et: precipices du peché.. N'est-elle pas aussi cette belle estoile matiniere qui nous a apporté les gracieuses nouvelles de Ia venuë du Soleil de justice'? Les prophetes n'ont-ilz pas scen que la Vierge concevroit et cnfantcroit un filz qui seroit Dieu et homn1e tout ensemble, ll1ais que cela se feroÏt par Ia vertu du Saint-Esprit, et q 1 1'elle Ie produiroit virginale- ment'? Eeee virgo eoncipiet et }Jo'l'iet {ilium, et voeahitur nomen ejus Emmanuel. QueUe apparence, je vous prie , y auroit-il de penser que nostrc Seigneur deust violer l'inte- grité de sa tres-saincte Iere, luy qui ne l'a choisie pour estre sa mere sinon par ce qu'elle estoit Vierge'/ et comment Iuy, qui est Ia pureté mesme, eust-il pu diminuer sa pureté vir- ginale '? Nostre Seigneur est engendré et produit de toute eternité au sein de son Pere celeste virginalement, et bien qu'il prenne la mesme divinité que son Pere eterneI, il ne Ia divise pas neantmoil1.8, ains demeure tous-jours un mesme Dieu avec Iuy. Ainsy la tres-Eainte Vierge a produit son Fils nostre Seigneur virginalement en terre, comn1e il est produit de son Pere eternellement nu ciel, avec cette difference neant- moins qu'elle Ie produit de son sein et non pas dans son sein; car dés-Iors qu'il en fut sorti, il n'y renb'a plus: Inais Ie Pere celeste Ie produit de son sein et en son sein; car il y est tous-jours et y sera eternellement, d'autant qu'il n'est qu'une mesme chose avec luy par unité d'essence. Cecy ne doit pas estre espluché ni consideré curieusement : Generatio- nem ejusquis enarrahit?Car qui est-ce qui raconterasagene- ration'l dit Isaïe : et ne faut pas alamhiquer nostre entende.. ment apres la recherche de cette divine production, qui est, trop haute pour luy, quoy qu'on s'en puisse servir pour londement des meditations que I' on fait sur Ie mystere de Ia tres-sainte nativité de nostre Seigneur. C'est done à tres-juste rayson que la tres-sainte Vierge . ..... .".; '- 60 gR1\lðN porte en son nom la signification d'estoile; car tout ainsy que les estoiles produisent leur lumiere virginalement sans en recevoir aucun detriment, ains en paroissent plus belles à nos yeux : de mesme nostre Dame a produit cette lumiere eterneIIe, son Fils tres-benit, sans en recevoir aucun detri- ment de sa pureté virginale; avec cette difference neantmoins qu'elle Ie produit sans effort, secousse, ni violence quel- conque: ce que ne font pas les estoiles; car i1 semble qu'elles produisent leur lumiere par secousse, et avec quelque vio- lence et effort. Je remarque en second lieu que la manne avoit trois sortes de goutz qui Iuy estoient propres et particuliers J outre lesquelz elIe avoit encore, selon l' opinion de quel- ques docteurs, autant de divers goustz qu'on eust peu de- sirer : de sorte que si les enfans d'Israël desiroient de manger du pain, la manne en avoit Ie gonst; de mesme, s'ilz desi- roient de manger des perdrix, ou quoy que ce fust, la manne en avoit aussi Ie goust. Or quant à cette diversité de goustz, la pluspart des Peres sont en doute si tous les Israëlites, tant les mauvais que les bODS, participoient à cette favenr, on si Dieu faysoit seulement cette grace aux bons. Que cela fust ou non, il est certain neantmoins que la manne avoit tous- jours trois sortes de goustz qui luy estoient propres, à sçavoir, celuy du pain, de l'huyle et du miel: ce qui nous represente tres à propos les trois substances qui sont en ce tres- benit enfant, que nous verrons demain couché dans une cresche; car tout ainsy que ces trois goustz qui estoient en la manne ne faysoient qu'une seule viande : de mesme en 1a personne de nostre Seigneur, bien qu'il y ayt trois sub- stances, à sçavoir la substance divine, la substance de l'ame et celle du corps, toutesfois eUes ne font qu'une seule personne, qui est Dieu et homme tout ensemble. Or quant au goust du miel qui estoit en Ia nlanne. il nous represente tIcs à propos la divinité de nostre Scigneur, poun J...A VEILLE DE NOEL. 6f d'anfnnt que Ie miel est une liqueur celeste; et si bien les abeilles Ie cueillent dessus les fleurs J eIIes ne tirent pas pourtant Ie suc des fleurs, ains cueiIIent et ramassent seuIe- ment avec leur petite houchette Ie miel qui descend du ciel avec la rosée : de mesme la nature divine de nostre Seigneur vint et descendit du ciel à l'instant de l'incarnation sur cette beniste fleur de la tres-sain te Vierge nostre Dame J où la nature humaine l'ayant recueilly, l'a conservé dans la ruche des entrailles de cette tres-pure Vierge l'espace de neufmois, apres IesqueIs estant né iI a esté transl'\ûrté dans la cresche J où nous Ie verrons demain. !\Iais outre Ie goust du miel qui estoit en la manne, elle avoit encore celuy de l'huyle; ce qui nous represente tres-hien lasubstance de Ia tres-sainte ame de nostre Seigneur: car qu'est-ce autre chose sa beniste ame qu'une huyle et un baume, lequel estant respandu jette une si sua. ve odeur qu 'elle console infiniment l'odorat de to us ceuxqui s'en approchent, par Ia consideration de son excellence.. 0 queUe odeur d'in- comparable suavité respandit-elle en presence de Ia divinité du Pere eternel, à IaqueIle eIle se voyoit unie sans l'avoir merité, ni pu meriter d'elle mesme! 0 quel acte de parfaite charité et de profonde humilité ne produisit-elle pas à l'ins- tant de l'incarnation, Iorsqu'elle se vid si estroitement unie avec Ie Verbe eternel ! Et pour no us autres J mes cheres ames, quelz parfums et quelles divines odeurs n'a-elle pas respandu pour nous inciterà Iasuite et à l'imitation de ses perfections'? Enfin Ie gonst du pain qui estoit en Ia Illanne nous represente merveiIIeusement bien la tres-sainte humilité de nostre Seigneur, c'est à dire, son corps tres-saint et sacré, lequel ayant esté moulu sur l'arbre de la croix, a esté fait un pain tres-precieux, qui nous nourrit pour la vie eternelIe: Qui manducat hunc panem vivet in æte'l'num 1. 0 pain savoureux! quiconque vons mange dignemcllt, il ne mourra . S. Jean. VI. 62 SERMON point, ains vivra eterneIIen1ent.. 0 que ce pain a un gous. infiniment delectable all-dessus de toute autre viande POUI les ames qui Ie mangent dignement! QueUe delectation, je vousprie, de se nourrir de ce pain divin descendudu ciel, de ce pain des anges! J.\tIays ce qui Ie rend pI us delectable est l'amour avec lequel il nous est donné par celuy-mesme qui est Ie don et Ie donateur tout ensemble. Voyés done queUe obligation nous avons à nostre Seigneur, et queUe estime nons devons faire de ce divin et sacré pain, qui nourrit nos ames pour la vie eterneIle. Or, affin que je ne m'arreste pas tant sur ces considerations, qui ne sont que pour l'exercice de l'entendement, passons outre, et disons quelque chose propre à enflammer nostre voIonté, sur Ie mystere que nous allons celebrer. n faut done remarquer en passant qu'il n'y eut que de simples bergers, de tout Ie peuple qui estoit alors en grand nombre en ßethleem, qui vindrent visiter Dostre Seigneur J et apres eux Ies roys l\fages qui vinrent aussi de fort loin reconnoistre et rendre hommage à ce divin roy nouveau né, couché dans une cresche. Les anges allans annoncer la nou- velle de cette heureuse naissance aUK bergers, leur donne- rent des enseignes admirablcs : Et hoc vohis signum: inve- nietis infantem pannis involutum et positum in præsepio I : Allés, dirent-ilz, VOllS treuverés l'enfant emmaiUoté dans des Ianges et couché dans une cresche. 0 Dieu! queUes enseignes sont celles-cy pour faire reconnoistre nostre Seigneur, et queUe simplicité des bergers d'adjouster foy à ce qui leur estoit dit! A la verité, les anges eussent eu quelque rayson de se faire croire s'ilz eussent dit : Allés J 'vous treuverés l' enfant tout resplendissant de lumiere, assis Jur un throsne d'yvoire, environné de courtisans celestes qui Iuy tiennent compagnie; mais il disent : V ostre Sauveur est né en Bethleem, aux enseignes que vous le treuverés em- I s. Luc.. II. POUR LA VEILLE DE NvEL. 6 mailloté dans les langes, couché dans une cresche, entre deux animaux. Mais pourquoy pensés-vous que les anges s'addresserent plustost aux bergers qu'à nulz autres de ceux qui estoient en ßethleem , sinon pour nous monstrer, selon Ie sentiment de quelques-uns des Peres, que nostre Seigneur estant venu en ce monde comme pasteur et roy des pasteurs, il vouloit specialen1ent favoriser ses semblables.; d'autant que ces ber- gers representent tous les pasteurs de l'Eglise, comme sont les evesques, les curés, les superieurs et autres qui ont charge d'anles, par ce, disent ces saintz Peres, que nostre Seigneur a accoustumé de reveler plus particulierement ses mysteres à ceux-là qu'aux autres, à cause qu'ilz sont commis de sa part pour les faire puis apres entendre à leur troupeau, j'entends aux ames qui leur sont commises. L'autre partie des Peres disent que ces bergers representent les religieux, et tous ceux qui font profession de pretendre à la perfection; et qu'un chacun de nous est berger et pasteur, et peut-on dire que nous avons tous nostre troupeau et nos brebis à conduire et gouverner, qui sont nos passions, inclinations, affections, et les puissances et facul tés de nostre ame. fays remarqués, je vous prie, qu'il n'y eut que les ber- gers qui vei1loient sur leurs troupeaux qui eurent l'hon- neur et la grace d'ouïr cette tant gracieuse nouvelle de Ia naissance de nostre Seigneur, pour nous monstrer, que si nous ne veillons sur Ie troupeau que Dieu nous a donné en charge, qui n'est autre, comme j'ay dit, que nos passions, inclinations et les facu1tés de nostre arne, pour les faire paistre dans quelque saint pasturage, et les tenir rangées en leur devoir, nous ne meriterons jamais d'ouïr cette nou- velle tant aymable de la naissance de nostre divin Sauveur et Iaistre, et ne serons non plus capables de raIler visiter dans la creche, où sa tres-sainte Mere Ie posera demain. o que c'est un mystere suave et de grande consolation 64 SERMON que celuy de la tres-sainte nativité de nostre di vin Sauvcur! Et bien qu'un chacun y puisse treuver ])eaucoup Je suavité et de consolation, si est-il vray neantnloins lJu' elle sera in- comparahlement plus grande pour ceux qui se seront bien pre- parés, et qui auront, à l'imitation des bergers, bien veillé sur leur troupeau. Et pour nous apprendre à Ie bien con- duire et gouverner, nostre Seigneur, comme bon pasteur et berger tres-aymahle de nos ames, qui sont ses brebis, vient nous enseigner luy-mesme ce que nous devons faire pour cela. 0 que nous serons heureux si nous l'irnitons fideIe- ment, et si nous suyvons les exemples qu'il no us donne en sa sainte naissance ! Or qu'est-ce qu'il fait, ce tres.doux enfant'? Regardés-Ie couché dans une creche : vous Ie treuverés, disent les anges, emmailloté et bandé : Invenietis infantem pannis involu- tum 1. HeIas! il n'avoit point hesoin d'estre ainsi bandé et emmaiIloté; car l'on a accoustumé d'emmailloter et bander les enfans pour deux causes. La premiere est, par ce qu'es- tans encore tendres, s'ilz n'estoient bandés et serrés, il y auroit danger qu'ilz ne prissent quelque mauvais detour, qui les pourroit rendre contre-faits. La deuxieme cause est, crainte qu'ilz ne viennent à se gaster les yeux ou Ie visage, ayans la liberté d'y porter les mains pour se frotter quand ilz voudroient, n'ayans pas la rayson pour s'en abstenir, ainsy qu'il seroit requis.. Mais pour nostre Seigneur, qu'y avoit-il à craindre, veu qu'il avoit l'usage parfait de la rayson dés l'instant de sa conception? Ce n'a done esté que pour nous donneI' des exemples d'une parfaite humilité, qu'il s'est ainsy sousmis à estre traitté comme Ies autre! enfans, ne voulant paroistre autre chose qu'un pauvre petit poupon, subjet à Ia necessité et aux loix de l'enfance, ainsy que Ie reste des hommes, et pour cela il pleure et gemit. 1\Iays vrayement ce n'est pas par tendreté sur soy-mesme t s. Luc. ll. "-"''1''<-". ". POlJR LA VEILLE DE NOEL. 65 qu'iI jette ces Jarlnes, ni par amertume de cæur, ains tout '3implement pour se conformer aux autres enfans.. Et c' est la rayson pour laquelle il a voulu estre handé, emmailloté et subjet à sa tres-sainte Iere, se laissant manier et conduire tout ainsy qu'elle vouloit, sans jamais tesrnoigner aucune repugnance. 1\Iais pour revenir à ce (lue j'ay dit, que nous devons regir et gouverner nostre troupeau spirituel, qui n'est autre chose que nos passions, nos affections et les facultés de Dostre arne, il faut entendre qu'il y a en nous deux parties desquelles elles procedent toutes, à sçavoir, la concupiscible et l'iras- cible, et to utes les autres puissances, facu1tés et passions semblent estre suhjettes à ces deux parties, et ne se remuer que par leur commandement. La partie concupiscible est celIe qui nous fait ayrner et desirer ce qui nous semble bon et profitable, qui nous fait resjouïr en la prosperité, et attrister en l'adversité, en la mortification, et en tout ce qui repugne à la propre volonté. La partie irascible est celIe qui produit Ie chagrin, les repugnances, les esmotions de cho- lere, Ie desespoir et semblables mouvemens qui resident à la partie illferieure de Dostre anle, Iesquels Dostre Seigneur veut que nous apprenions à ranger sous la domination de 1a rayson : et tout ainsy que nous voyons qu'il se laisse em- maillotter, serrer et bander par sa benite et tres-sainte l\lere; il vent de n1esme que nous laissions bander et serrer toutes nos humeurs, passions, affections, inclinations, et enfin toutes nos puissances, tant interieures qu'exterieures, dans les n1aillotz de la sainte obeyssance, pour n'en vouloir jamais plus user à nostre gré, crainte d'en roes-user, sinon autant que l' obeyssance DOUS Ie perllleUra. V oyés, de grace, ce tres-doux enfant, COD1me il se laissfJ gouverner et conduire par sa sainte 1\lere; il semble veri- tablement qu'il nc puisse en façon quelconque faire autre- mente J\Iais pourquoy fait-il_cela, mes chercs an1rs, sinon N. 66 SE1[\rO pour nous n10nstrer ce que nous devons faire, et principale- ment les religieuses, qui ont fait væu d' obeïssance. Ilelas! nostre Seigneur ne pouvoit pas mes-user de sa volonté , ni de sa liberté, luy qui estoit la Sapience eternelle: neanbnoins il a voulu cach r sous Ie lnaillot sa science et toutes les perfections qu'il avoit en tant que Dieu, esgal à son Pere, comme l'usage de Ia rayson, Ie pouvoir de parler, de faire des miracles, bref, tout ce qu'il faysoit ayant atteint l'aage de trente ans; ains il tient tout cela clos et caché sous Ie voile de la sainte obeissance qu'il portoit à son Pere eter- nel, qui l' obligeoit de se conformer en toutes choses à ses freres , excepté Ie peché , ainsy que dit saint Paul. Or sus, que nous reste-t'il plus à dire, sinon que Ie mys- tere de la tres-sainte incarnation et nativité de nostre Sei- gneur est un mystere de la visitation; car ne voyons-nous pas que la tres-sainte Vierge J ayant coneeu ce divin enfant, fut visiter sa cousine sainte Elizabeth, et qu'à sa naissanee les bergers et les roys Ie viennent visiter? Le mesme devons- nous faire, mes chel'es fiUes, et c'est à quoy je vons exhorte, de visiter sou-vent ce divin poupon couché dans la cresche, Ie long de cette octave; et là nous apprendrons de ce sou- verain pasteur de nos ames à conduire, gouverner et ranger nostre troupeau spirituel selon sa tres-sainte volonté J affin qu'il soit agreable à sa bonté. J\Iais J comlne les bergers ne l'allerent pas voir, sans doute, sans Iuy porter queIque petit aignelet, il ne faut pas aussi que nous y allions les mains vuides : Non appareóis in conspectu meo vacuus : Vous ne paroistrés point en ma presence les mains vuides, dit Dieu en l'Exode I; il nous Iuy faut done porter quelque present. l\1ais qu'est-ce, je vous prie, que nous pourrions porter à ce divin berger de nos ames, qui lui soit plus agreable que ce petit aignelet de nostre amour, qui est la premiere et prin.. cipale partie de nostre tl'onnpan spirituel? 0 qu'il nOllS sçaura 1 Eìí.od. XXIII. POUR LA VEH.LE DE NOEL. Gi . bon gré de ce present, roes cheres ames, et que la tres-sainte 'Vierge Ie recevra avec grande consolation, pour Ie desir qu'elle a de nostre bien! et ne faut point douter que son divin po upon ne nous regarde de ses yeux benins et gra.. cieux, pour recompense de nostre present, et pour nous tes- moigner Ie playsir qu'il en recevra. o que nous serons heureux si nous visitons soigneuse- ment ce divin Sauveur de nos ames! nons en .recevrons sans doute une consolation nonpareille.. Et tout ainsi que la manne contenoit Ie goust de tontes les viandes qu'on eust pu desirer J de mesme ce divin enfant contient en soy tres- parfaitement toute sorte de cons01ation; de maniere que chacun y peut rencontrer tout ce qu'il desire pour sa satis- faction, pourveu neantmoins qu'on y apporte la disposition requise, et qu' on ait un vray desir d'imiter les exemples qu'il nous donne en sa tres-sainte nativité; et, cela estant,..,. soyons asseurés que no us serons consolés de ce divin poupon, et qu'il nous departira beaucoup de graces et de benedic- tions, comme il fit aux bergers, lesqueIz s'en retournerent pleins de joye, chantans les louanges de Dieu, et annonçans à tous ceux qu'ils rencontroient les merveilles qu'ils avoient veuës : Et reversi sunt pasto'l'es glorificantes et laudantes Deum in omnihus q'llæ audie1"ant et viderant. Mais je remarque sur ce suhjet que nostre Danle et saint Joseph receurent des consolations incomparahlement plus grandes que les })ergers, parce qu'ilz demeurerent tousjours avec ce tres-saint enfant, n'ahandonnant point sa presence, afin de Ie servir selon leur pouvoir. Et bien que ceux qui s' en allerent et ceux qui demeurerent fussent tous consolés, ce ne fut pas toutesfois egalement, ains un chacun selon sa capacité. II est rapporté au premier livre des Boys 1 qu' Anne, mere de Samuel, demeura long-temps sans avoir lignée; ce II des Ru]s, ch. I. * 68 S R rO i qui Iuy causoit une si grande bigearrerie qU,e qlland elle voyoit des fen1111eS qui se joüoient avec leurs pelitz enfans, elle se lamentoit et attristoit de quoyelle n'en avoit point; et quand elle en voyoit quelques-unes qui se plaignoient de leurs enfans, elle se resjouissoit de quoy Dieu ne Iuy en donnoit point.. ]\Iais dés qu'elle eut Ie pëtit Samuel J dés-Iors on ne la vit plus jamais inesgale.. Nous avions de mesme quelque excuse, sans doute, de nous lamenter et attrister, et d' estre changeans en nos humeurs, tandis que nous n'avions point cet enfant tant aymahIe, qui vient naistre parmy nous : mais desormais il ne nous sera plus loysible de nous attrister, puisque c'est en luy que consiste tout Ie suhjet de nostre joye et de nostre bonheur. Les naturalistrs rapportent flue les abeilles n' ont aucun arrest tandis qu'elles n'ont point de roy; elles ne cessent de voltiger par l'air, de se dissiper et esgarer, et n'ont presque nul repos en leurs ruches: mais dés aussi tost que leur roy est né, eUes se tiennent toutes ramassées et rangées autour de Iuy dans leurs ruches, et n'en sortent que pour la cueil- lette et avec congé de leur fOY, et ce semble par son com- rnandement.. De meSD1e nos sens, nos passions et puissances interieures, et les facultés de nostre arne, comme des abeilles spirituelles, jusques à tant qu'elles ayent un roy, c'est à dire, jusques à ce qu'elles ayent choisy nostre Seigneur nou- veau nay pour leur roy, elles n'auront aucun repos; nos sens ne cesseront de s'esgarer et d'attirer nos facu1tés interieures apres eux pour se dissiper, tantost sur un ohjet, puis t&îtost sur un autre; et ainsy ce ne sera qu'une continuelle perle de temps, travail d'esprit et inquietude, qui nous fera perdre a paix et tranquillité tant necessaire à nos ames: roais dés que nous aurons choisy nostre Seigneur pour nostre roy J elles viendront en guise de chastes avettes , ou abeilles mys- tiques, se ranger toutes aupres de Iuy, pour n'en sortir jarnaisi sinon pour la cueillette des exercices de charite, qu'illeur POUR LA VEILr.E DE r\OEL.. 69 commande de pratiquer à l'endroicl du prochain; apres quoy, elles seront soigne uses de se retireI' et ralnasser dans Jeurs ruches aupres de ce roy tant ayn1able, pour Jnesnager et conserver Ie miel des saintes et suaves conceptions, qu'elles tireront de la presence sacrée de ce souverain du tiel et de la terre, lequeI, par des amourenx regards qu'il jettera sur nos ames, causera en elles des ardeurs et affections non pareilles de le servir et aymer tous-jonI's plus parfaitement. C'est Ia grace que je vous desire, mes cheres fiUes, que de vous tenir bien proches de ce sacré Sauveur, lequel vient naistre icy bas pour nous ramasser to us autonI' de Iuy, affin de no us tenir tousjours sons l' estendart de sa tres-sainte pro- tection, ainsi que nous voyons que Ie pasteur fait son trou- pean, pour Ie regir, conserver et gouverner, et comme Ie roy des aheilles, lequel ne sort jamais de sa ruche qu'il ne soit environné de son petit peuple. Sa bonté nous venille faire Ia grace que nous entendions sa voix et Ie suyvions fide- lement, affin que le reconnoissant pour nostre sonverain Pasteur en cette vie, no us ne no us esgarions pas, et n'escou- , tions la voix de nostre adversaire qui rode autour de noun' en intention de nous perdre et devorer comme un Ioup in. fernal, et que nous puissions avoir la fidelité de nous teni: tous-jours sousn1is, obeyssans et snbjetz à ses saintes volontés, affin que par ce moyen nons commencions à faire icy-bas en terre ce qne, moyennant sa grace nous ferons eternellement au ciel. Amen. DIE-I! SOIT !JENY. 70 SEm\ION AUTRE SER ION POUR LA VEILLE DE NOEL.. Verbum caro factt R est et ltabitavit irl: nobis.. JOAN.. I. Le Verbe s'est faIt chair, et a habité avec nons.. S. JÈ.ÀN) I. Nous celebrons aujourd'huy la veille de cette grande feste de Noël, en laquelle nous attendons la venuë et naissance de nostre divin Sauveur et l\Iaistre.. Or mon dessein estant de vans parler de l'incarnation, et de vous expliquer. ce mystere, ce discours sera en forme d'un catechisme familier, que je diviseray en trois pointz. Au premier, nous dirons qui a fait l'incarnation; au second, qu' est-ce que l'incarna- tion; et au troisieme, pourquoy l'incarnation a esté faite, pnisque, selon saint Thomas, tous les chrestiens sont obli- gés de bien sçavoir ce qu'iIz doivent croire, et de bien en- tendre les mysteres de la foy, non COlnme les theologiens scholastiques, ains en la n1aniere qu'ilz doivent estre enten- dus par les vrays chrestiells et les ames devotes. Et quoy qu'on les entende sou vent prescher, il est vray neantmoins qu'il y a peu de personnes qui les entendent hien, ce qui est cause que lorsqu'on vient à les cOllsiderer et mediter, l'Oll fait souvent des erreurs; car comment peut-on mediter ce qu'on n'entend pas'"/ C'est pourquoy il est tres-important de hi en expliquer ces divins mysteres aux ames devotes, affin qu'elles les sachent et entendent bien.. Et pour rendre man discours plus intelligible, je ne traitteray pas doctement de ce divin mystere de l'incarnation, ains tout sin1plement, affin que l'on me puisse facilement entendre.. Pren1Ïerement nous devons sçavoir que c'est Ie Pere eter- 8 E.L'8 0 o 0 i LIBRARY;: . ,." -:< & ":} Ç) + poun LA VEtLLE DE i'iOEL. 71 nel qui a donné son FiIz au monde; car }' Eseriture sainte dit que Ie Pere a tant aymé Ie monde qu'illuy a donné son Fils unique: Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum uni- genitum da'pet t.. Neantmoins ce n'est pas Ie Pere seul qui a fait l'incarnation, ains Ie Pere Ie Fils et Ie saint Esprit; et hien que toutes les trois personnes de la tres-sainte Trinité soient intervenuës en l'incarnation il n'y a toutesfois que Ie Filz seul qui se soit incarné. Les anciens Peres rapportent plusieurs similitudes propres pour nous faire entendre ce divin mystere, mais particu- Iierement saint Bonaventure, Iesquelles je rendray Ie plus familieres que je pourray. Voilà une personne qu'on hahille, et il y en a deux autres qui Iuy vestent sa robbe, mais eUe ne laisse pas pour cela de s'ayder : voilà done trois personnes qui interviennent à l'habiller, et neantmoins il n'y en a qu'une senle qui soit habillée.. Ainsy en est-il de l'incarna- tion : Ie Pere fait l'inearnation, Ie saint Esprit la fait, et Ie Filz aussi qui s'incarne Iuy-mesme : mais Ie Pere ni Ie saint Esprit ne s'incarnent point, ains e'est seulement la personne du Filz qui demeure vestuë de Ia robbe de nostre humanité. II y a plusieurs autres similitudes semblables à celle-cy, propres pour faire entendre ce sacré mystere. Voylà UJ) prince qu' on revest de sa pourpre on robbe royale; il y a deux autres princes qui l'habillent, et luy qui est Ie troi- siesme reçoit la robbe: mays encore que les deux autres princes l'habillent, il ne laisse pas pourtant de faire quelque chose j car il relDuë les bras et les mains pour ay er à s'ha- biller : et de ces trois princes qui aydent à vestir cette robbe, il n'endelneure qu'un d'habil1é. Or c'estainsy quenous devons entendre que les trois personnes divines se sont aydées au mystere de l'incarnation ; car, COlnme disent Ies theologiens , opera Trinitatis ad extra sunt indivisa : tout ce que fait et opere la sainte Trinité hors de soy se doi t m;galement attti 1 s. Jean" Ill.. 72 ...rí' buer aux trois pers.)nnes di ,"ines, si hien que tout ce que fait Ie Pere , Ie Filz et Ie saint Esprit Ie font aussi; car encor qu'ils soient trois personnes distinctes, ilz ne sont toutesfois qu'un seu1 Dieu , n'ayant qn'une 111esme essence, 111e3me -;apience, puissance et honté. Et comhien qu'on attribuë Ia puissance au Pere, Ia sagesse lU Fils et la bonté au saint Esprit; neantn10ins Ie Pere n'cst ?as Iuy senl tout-puissant) ains Ie Filz et Ie saint ESpi-it Jont aussi tout-puissans : de 111esn1e Ie Filz n'est pas luy senl iout sage; mays Ie Pere et Ie saint Esprit sont aussi sages que Iuy : et Ie saint Esprit 11'est pas Iuy seulla honté; car 1e Pere et Ie Filz ont Ia mesme bonté que Iuy_ Tellement qu'il n'y a qu'un Dieu en trois personnes, et ce Dieu est tout- puissant, tout sage et tout bon.. Et bien qu'au syn1hole des apostres l' on nomme Ia premiere personne de la tres-sainte Trinité, qui est Ie Pere, Creatol'em cæli et te1 /pæ, Crea- teu!"' du ciel et de 1a terJle, ce n'est pas à dire que Ie FiIz et Ie saint Esprit ne soient aussi bien createurs que Ie Pere, n'ayant tous trois qu'une meSlne puissance, avec laquelle ilz ont fait et creé to utes choses.. Done ce n'est point Ie Pere Iuy seul , ni Ie saint Esprit Iuy seul, qui ont fait l'incarna- tion , mais c' est Ie Pere , Ie Filz et Ie saint Esprit; et toutes- fois c'est Ie Filz seul qui s'est incarné. Pour Ie second point, qu'est-ce que l'incarnation? Ce n'est autre chose que l'union hypostatique, c'est à dire person- nelle, de Ia nature humaine avec Ia divine; union si estroitte, qu'encore qu'il y ayt deux natures en ce petit enfant, elles ne font toutesfois qu'une seule personne.. La n1anne estoit une figure de l'incarnation de nostre Seigneur. II est vray qu'elle eswit aussy une figure de l'eucharislie, ainsy que disent les saintz Peres; mays entre ce lnystere de l'eucharis- tie et celuy de l'incarnation, il y a cette difference, qui est qu'on voyoit au mystere de l'incarnation Dieu incarné en sa propre personne J et en l'euchari tie nous Ie voyons en POUR LA VEILLE DE NOEL.. i3 une forme I)lus couverle et obscure; et neanbnoins (' est Ie mesn1e Dieu homme qui estoit dans les chastes entrailles de la sacrée Vierge : tel1enlent que la Inal1ne qui a esté la figure de l'eucharistie, Ie sera hien aussi du 11lystere de l'in- carnation, puisque les saintz Peres ont andre son sang, et il ne pouvoit pas donner son sang sans estre Sauveur. II pouvoit bien sauver Ie monde sans respandre du sang, quant à l' elIet, mais non pas quant à l'affection qu'il no us portoit; il pouvoit bien satisfaire à la justice divine pour tous nos pechés par un seul souspir de POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION. 99 IOn sacré ereur, mais non pas pour satisfaire à son amour, lequel vouloit qu'en prenant Ie nom de Sauveur il commen- çast à donner de son sang, comme des arres de celuy qu'il devoit respandre en sa passion pour nostre redemption. La nom de Sauveur Iuy a done esté donné tres justement au jour de la circoncision, d'autant que, comme dit Ie grand Apostre en l'Epistre aUK IIebrieux, sine sanguinis effusione non fit remissio 1 : it n'y a point de remission, e'est à dire, desalut ct de redemption, sans ellusion de sang.. Et nostre Seigneur se faisant appeler Sauveur et Redempteur des hommes, il commence en mesme temps qu'il prend ce sacré nom à payer nos debtes, non d'autre monnoye que de son precleux sang.. Nostre Seigneur, disent nos anciens Peres, entre les divers noms et tiltres qu'on Iuy donne, en a trois qui Iuy appar- tiennent souverainement, et lesquels ne peuvent estre attri- bués ny donnés à d'autre qu'à Iuy : dont Ie premier est celny de son estre , qui Iuy appartient si souverainement qu'il ne se peut attribuer à nul autre; par lequel nom il se connoist Iuy-mesme par Iuy-mesme, et voit que Iuy seul peut dire en vérité : Ego sum, qui sum!: Je suis celuy qui suis. Le deuxieme nom est celuy de Createur, qui ne pent estre aussi attrihué qu'à Dieu seuI, car nul ne peut estre ereateur que Dien tout puissant; et dans ce nom il se connoist nOD seulement soy-mesme par soy-mesme, mais i1 se connoist encore dans ses creatures, et specialement dans celles qu'il 8 creées a son image et semblance. Le troisieme nom est celuy de Jesus, e'est à dire de Sauveur, qui est un nom lequel semblablement ne pent 1 appartenir qu'à nostre Seigneur; car nul autre que Iui ne ! pouvoit estre Sauveur. 1\Iais outre ces trois noms, il en a encore un autre qui est Ie nom de Christ, qui veut dire grand-prestre et oingt de t Beb. IX. - t Exod., ch. III. . 'i 00 SERl\IOl' .Dieu Tu es Sacerdos in æternum' : V ous estes Ie grand- prestre eternel, dit David, parlant à nostre Seigneur en ses pseaumes. Or, nous autres chrestiens participons à ces deux noms, de JESUS et de CHRIST, d'autant que Ie nom de chrestien est venu de celui de Christ, qui signifie oinct d'une onction sacrée, à laquelle nous participons tons quand nous l'ecevons les sacremens , par lesquels cette divine onction de la grace est respanduë dans nos ames par Ie sainct Esprit: roais quand nous serons au ciel, nons participerons it. celuy de Sauveur, c'est à dire que nous jouïrons du salut que nostre Seigneur DOUS a acquis par sa mort et passion, et serons appellez les sauvés.. o que nous serons heureux, si à l'heure de nostre mort, et pendant Dostre vie, nous proDonçons souvent et amoureu- sement ce sacré nom de Jesus! car il sera comme Ie mot du guet, qui fera que nons aurons l' entrée libre dans Ie cie} , parce que Ie nom de Jesus est Ie nom de nostre redemption. Heureux, certes, seront ceux qui Ie prononceront sonvent et devotement, et avec un pro fond ressentiment d'amour en- vers celuy qui no us a sauvés par son sang et par sa passion; car ceux qui Ie nommeront hi en seront indubitablement sauvés. Nous devons done, Illes cheres ames, avoir un grand soin de bien prononcer ce nom sacré pendant nostre vie, puis . qu'il a esté donné dll Pere Eternel à son Filz afin qu'il nous sauvast tous.. 0 que nous pouvons bièn dire avec Ie grand apostre, que ce nom sacré est par-dessus tout nom! Et . donavit illi nomen quod est supe1-- omne nomen. 0 que ce nom est doux et suave! C' est un baume divin, propre à guerir tontesles playes de nostre ame; c' est à ce sacré nom que tout genouïl se doit flechir, au ciel, en terre e dans les enfers: Ut in nomine Jesu omne genu flectatur cælestium, teT'rest'J'ium et infe1 nOl'l1m. C'est ce tres-saint nOXI1 qui l'ejouït les anges, sauve lea I 1>S:11. XXXIX. \ ' e::, " s POUR LE JOm DE LA CIRCONCISION. tot hommes, et fait trembler les diables. II nous Ie faut done hien graver dans nos cæurs et dans nos espritz, afin que Ie prononçant frequemment, Ie benissant et honorant en cette vie, nons soyons dignes de chanter eternellement dans Ie cie!, avec les bien-heureux espritz : VIVE JESUS! VIVE JESUS! Amen. DmU IOIT 8DI. f02 SERl\ION SERl\ION POUR LA VEILLE DES ROYS. Defuncto autem Herode ecce Angelus Domini appm'uit in somnis Joseph in Ægypto dicens: Surge et accipe p'ltcrum et matrem, ejus et vade in terram Israel : defuncti Bunt enim qui quærebant animam pueri.. MATT. II, vers. !9 et 20. Après la mort d'Herode, range du Seigneur apparut en songe à S. Joseph en Ægypte, luy disant : Leve-toi, prens l'enfant et la ffii're, et t'en va en la terre d'Israel : car celuy qui cherchoit l'enfant pour Iuy oster la vie est mort. S. MATTH. II. Encore que toutes les feste qu nons avons dans l'Eglise catholique ayent esté instituées pour honnorer Dieu d'une maniere plus particuliere, et pour entretenir etanimer tous- jours de plus en plus la pieté des fidelles, il faut avoüer qu'il y en a quelques-unes qu'elle celebre avec beaucoup plus de solennité et de devotion que les autres.. CelIe qui nous remet en memoire l'adoration des trois Roys, et qui nous represente Ie grand et admirable mystere de la vocation des Gentilz à la foy de Jesus-Christ, en est constamment une des principales.. Et c'est une chose digne de remarque que l'Eglise, qui a de grands desseins dans les moindres choses de sa conduite, ne se contente pas de com- mencer l' office de ceste feste de l'Epiphanie dés la messe de la vigile, où elle nous fait lire l'Evangile qui traitte du re- tour de nostre Seigneur en la terre d'Israël apres sa fuite en Egypte ; mais elle Ie fait commencer dés les vespres qui pre- cedent cette vigile.. Gedeon estant dans une extreme affiiction pour la rude et pressante guerre que Iuy faisoient les Madianites ses enne- mis, lesquelz l' avoient environné de toutes partz, Dieu, la POUR LA VEILLE DES ROYS. i03 honté duquel est incomparable, en eut compassion, et luy envoya un ange pour Ie consoler, Iequel l'ayant abordé luy dit ces paroles : Dominus tecum, virorum fortissime : Je te saIne, ð Ie plus fort des hommes, car Ie Seigneur est avec toy. Lors Ie pauvre Gedeon, fort pressé de son ailliction, luy respondit : (( S'il est vray ce que tu dis, que Ie Seigneur est avec IllOi , comment suis-je environné de tant de mise res 1 )) Nous en pouvons bien dire autant aujourd'huy: s'il est vray que Ia tres-sainte Vierge et saint Joseph ont nostre Seigneur avec eux, pourquoy done les voyons- nous si remplis de crainte qu'ilz ont pris Ia fuite pour l'apprehension qu'ilz avoient d'un homme mortel, ayant avec eux Ie Dieu dont la majesté et puissance est infinie, et par l'ordonnance duquel tontes choses se font? La raison de cecy est, que nostre Seigneur venant en ce monde ne voulut aucunement user de son pouvoir et de son authorité, ny faire connoistre ce qu'il estoit, se monstrant en tout sujet aux loix de l'enfance, ne parlant qu'en son temps comme les antres; et luy qui, non seulement en tant que Dieu sçavoit toutes choses, mais aussi en tant qu'homme, -cette grace Iuy ayant esté infuse dés l'instant de sa concep- tion, en laquelle il fut remply d'une science parfaite, à cause de l'union de la divinité avec l'humanité , ne voulut neant- moins Ia faire paroistre en aucune chose, jusques à l'âgc de douze ans, qu'il fit estonner et esmerveiller les docteurs, l'ayant entendu parler dans Ie temple, lorsqu'il fit paroistre un petit eschantillon de cette science divine et incomparable qu'il avoit; mais depuis son enfance jusques alors, et depuis ce temps-Ià jusques à ce qu'il commença à prescher son Evangile, ill'a tous-jours tenue close et cachée sous un pro- fond silence.. Hé Dieu! que Iui eut-il cousté, luy qui aimoit si cherement sa tres-sacrée mere et saint Joseph son pere nourricier, de leur dire un petit mot à l' oreille, pour les ad. vertir qu'il falloit qu'ils evitassent la furle d Herode en s" en .' .' . "-'. r -'r_; .. 104 SERMON allant en Egypte, Dlais qu'ils n'enBSent point de crainte, d'autant qll'il ne leur arriveroit ancun mal-henr? Ne pou- voit-il pas aussi les advertir qu'ilz s'en revwssent en Israël, et qu'Herode qu'ils craignoient estoit lllort'? II ne Ie fit pas neantmoins, ains attendit que l'ange Gabriel vint reveler à saint Joseph qu'ille faUoit faire; en quoy il fit paroistre un admirable abandonnement, se rendant deslors Ie parfait exemplaire de tous les hommes, mais particulierement de ceux qui sont en l'estat de perfection, comme sont les reli- gieux et les prelatz, quoy que differemment : car les religieux sont en l'estat de perfection, e'est à dire, en un estat propre à se perfectionner; mais les prelatz doivent non seulemenl estre en restat de perfection pour l'acquerir, comme font les religieux, ains ils la doivent desja avoir acquise.. De mesme la vie de nostre Seigneur doit estre distinguée en deux parties : la premiere est Ie n10dele et Ie patron de3 religieux, qui est ceUe qu'il a menée depuis sa naissance jusques à ce qu'il commença l'ceuvre de Dostre redemption, c'estàdire, qu'il com ença sa predication; car l'Evangeliste saint Luc dit expressément qu'il demeura tousjours pendant tout ce temps sujet à ses parens: Et e1'at suhditus illis. l\lais deslors qu'il ent commencé à enseigner et prescher, il fit toutes les fonctions appartenantes aux evesques, instituantles sacremens sur l'arbre de la croix, où iI ofIrit ce sacrifice sanglant de soy-mesme , ayant auparavant institué Ie saint sacrement de l'Autel en la derniere cene qu'il fit avec ses. apostres , qui est semblablement un sacrifice non sanglant. Poursuivons Dostre discours, et considerons comme nostre Seigneur s'est rendu Ie vray et parfait exen1plaire de Ia vie religieuse, pendant tout le cours de sa tres-sainte vie, et } :voyons en queUe abnegation de soy-mesme il a tousjours . vescu, mais specialement durant son enfance, quoy qu'il fust Dieu. ." u Et, pour mieux comprendre cette abnegation, nous en POL""R LA VEILLE DES ROYS. f05 ferons trois poincts, que j' appliqueray aux trois væux, de pauvreté, chasteté et obeissance que font les religieux. Or, pour commencer par l'abnegation des biens de la terre, se pent-il jamais voir une pauvreté plus desnuée que- ceIIe de nostre Seigneur '1 V oyés premierement comme dés sa naissance il renonce à la maison de son pere et de sa mere, venant naistre en une ville, laquelle si bien eUe Iuy appar- tenoit en quelque façon , estant filz de David, neantmoins il renonce telIement à tout que Ie voylà reduit dans une pauvre estable, destinée pour la retraite des bestes, en la- queUe estant nay, il fut couché dans une creche qui Iui servit de berceau; et apres, queUes necessités pensés-vous qu'il souffrit pendant son voyage d'Egypte, et tout Ie temps qu'il y demeura'l Enfin sa pauvreté fut si grande, qu' elle passa jusques à Ia mendicité, selon l'opinion de quelques docteurs, et n'estoit nourry que d'aumosnes; car chacun sçait bien qne les beaux-peres ne sont pas obligés de nourrir les enfans de leurs femmes; et neantmoins nostre Seigneur n' estoit nourry que du travail de saint Joseph et de celuy de sa ì s- sainte mere, qui gagnoient leur vie à Ia sueur de leur visage, ce divin enfant ne pouvant pas en si bas âge gagner la sienne. Mais pour mieux voir sa grande pauvreté, quand il fut question de retourner d'Egypte apres la mort d'IIerode, s'ilz eussent en quelque bien en Israël, saint Joseph n'eût pas D1is en doute s'ilzretourneroient en Judée, ous'ilziroient en Israël; æ3.is parce qu'ilz n'avoient rien, ou fort pen de cho3e, ils ne sçavoient de quel costé aller. Davantage, I' amour que nostre Seigneur portoit à la pauvreté Iuy fit prendre et garder tousjours Ie nom de Na- . zareth, d'autant que c'estoit une petite ville si pauvre et si mesprisée, que l'on ne croyoit pas (comme dit Nathanaël à sainct Philippe) qu'il pût venir quelque chose de bon, ou sortir quelque gl'and personnage de Nazareth : A Nazareth '06 SER ION polest aliquid lJoni esse t? Et bien que nostre Seigneur eût . pen se faire appeller de Bethleem, ou de Hierusalen1, il ne le voulut neantmoins jamais faire, tant pour cette cause que pour d'autres que nOllS dirons hientost.. Passons maintenant au second poinct, que j'applique à la cbasteté, et voyons comme nostre Seigneur a tous-jours vescu dans une abnegation tres-entiere de tOllS les plaisirs sensuelz, . quoy qu'il eust une pureté incolnparable. Considerés un pen comlne dés son entrée au monde il priva ses sens de tonte sorte de plaisirs, et premierell1ent en l'attoJIchement il ressentit un froid extrême. V ous sçavez la revelation que sainte Brigide eut de la naissance de nostre Seigneur, et cOI llne elle di t que nostre Dame estant en une grande abstraction et recueillement in- terieur, eUe vit en un instant ce divin enfant couché sur la ter1'e tout Dud, tremblottal1t de froid; et que soudain l'ayant adoré, elle Ie prit avec une extren1e reverence, et l' enve- loppa dans de pauvres langes qui ne Ie pouvoient pas ga- rantir de souffrir la rigueur du froid.. Venons à l' odorat. Vray Dieu! queUe suavité et quel parfum penses-vous qu'on puisse avoir dans une estable? Et si nous voyons que les roys de la terre, quand leurs enfans naissent, quoy qu'ilz ne soient que des hommes miserables et mortelz comme les autres, l'on met tant de parfums et ron fait tant de ceremo- nies pour honorer leur naissance : hé Dieu! mes cheres ames, que ne devroit-on pas faire pour honorer ce divin Sauveur qui n' est pas seulelnent homme, ains Dieu et homme tout ensemble 1 et neantmoins il ne se fait rien de tout cela. QueUe musique pour recreer son ouie, ayant aupres de Iuy un bæuf et un asne pour magnifier la naissance de ce 1'oy celeste! Enfin il ne trouve rien qui Iuy puisse donner du contentement on de la recreation, que cette liqueur celeste . du sacré et divin laict que sa tres-henlste mere luy fait tirer · s. Jean. L ....:.;. . :;:... POUR LA VElt DES ROYS. f 07 de ses tres-pures mammeIles; car il fant confesser qu'il estoit meilleur sans comparaison que Ie vin Ie plus delicieux qu'on puisse jamais rencontrer, ce qui l'ecreoit un peu Ie goust de ee tres-saint enfant.. Iais quant an troisieme point de l'abnegation de soy- mesme, quiregarde I'obei sance, qui est-ce qui estjamais par- venu à un si entier et parfait renoncement pour se laisser con- duire à Ia volonté de ses superieurs que ce di vin enfant '1 0 Dieu! que c'est bien en c poinct qu'il s'est monstré vray reli- gieux! Saint Joseph et nostre Dame luy tiennent la place de superieurs; ils le meinent et Ie portent d'un lieu en l'autre : illes laisse faire, sans jamais dire un seul mot..l\Iais il passa encore bien plus avant, se rendant obeïssant à la nature mesme, ne voulant faire ses croissances, ny parler, que comme les autres enfans. 0 abnegation nompareille de ee divin Sauveur! estant en son pouvoir de faire des miracles par luy-mesme, il n'en fait point; et si bien il s'en fait en sa nativité antour de Iuy par Ie chant des anges qui adver- tissent les pasteurs de Ie venir adorer, et en la conversion des gentilz par les trois roys qui Ie vindrent voir et recon- noistrc pour leur Dieu , toutes ces merveilles se font par ]e ministere des anges, ou par Ie moyen d'une estoile extraor- dinaire : mais en sa personne et en SOR exterieur, il ne se montre estre autre chose qu'un pauvre petit enfant subjet aux infirmités et miseres de la nature cûmme les autres ; luy de qui les anges sont illuminés et esclairés, et par qui ilz entendent et comprennent toutes choses, ne fait point de reve- lations, ains attend que saint Gabrielles vienne faire à son pere nourrissier, ainsi que no us voyons en l'Evangile de ce jour. Faut-il fuïr devant Herode'1 il n' en dit mot, ains attend que eet ange, destiné pour la conduite de sa familIe, Ie vienne dire et ordonner; de mesme apres la mort d He- rode, pour s'en retourner d'Egypte en Israël J il n'en dit rieD. Ne pouvoit-il pas dire à saint Joseph J pu à no tre f08 SERMON Dame: Vous pouvés retourner en J udée quand il vous plaira, car Herode que vous craignés, est mort; neantmoins il ne Ie fait point, mais attend que l'ange Ie vienne reveler à saint Joseph. Ne voila pas une merveille tres-grande, que ce divin enfant aye teIlement renoncé et abandonné Ie soin de soy- mesme pour se laisser conduire. selon la volonté de ses supe- rieurs, qu'il n'aye pas voulu seulement dire une petite parole pour advancer leur depart '! o que ce document est remarquable! Nostre Seigneur est remply de toutes les sciences, il sçait toutes choses, car des l'instant de sa conception iI receut une parfaite connoissance de tout ce qui avoit esté, qui estoit et qui seroit; et neant- moins il ne dit pas un seul mot, mesme à sa saincte mere, gardant un continuel silence pour ne luy point tesmoigner sa science.. 0 qu'il pratique bien Ie contraire des hommes du monde; car, pour l'ordinaire , s'ils ont une once de science, l'on ne les peut tenir de parler, tant ilz ont envie de se faire estimer sçavans. Or puisque nostre Seigneur est venu en ce monde pour nous donner un parfait exemple de l'abnegation de soy- mesme, il est hien raisonnable que nous l'imitions et allions apres Iuy, pour conformer (autant qu'il nous sera possible) nostre vie sur la sienne. Et c'est Ie sujet pour lequel , mes cheres fines, vous venés main tenant vous presenter pour estre religieuses; car sans doute vous avés dit en vous- mesmes : Si mon Seigneur et mon Dieu abien voulu renoncer aux richesses, à sa patrie, et à la maison de ses parens, pour l'amour qu'il portoit à la pauvreté, hé! pourquoy donc, à son imitation, ne Ie ferons-nous pas '? et s'il a re- noncé à tous les plaisirs de Ia terre, et à soy-mesme, et s'est .assujetty à l'obeïssance pour l'amour de nous, afin de nous montrer combien la vie religieuse , OÙ tout cela se pratique, Iuy est agreable, pourquoy ne l' emhrasserons-nous pas pour -Iuy agreer! Non, dites-vous J nous ne quittons paslemondo POUR LA VEILLE DES noys. f09 seuJement pour åcquerir Ie ciel, car les personnes qui y de- meurent Ie peuvent gagner en vivant dans l' observance des ommandemens de Dieu, aiDS pour ;;lccroistre un peu plus nostre charité et nostre amour envers sa divine bonté. l\Iais pour revenir à ce que j'ay dit, que nostre Seigneur se fit appeller Nazareen, je remarque qu'une des principales raisons pour Iesquelles il prit et retint tousjours ce nom, outre celIe que nous avons dite, est parce qu'il signifie fleur, ou fIeury : ha! que c'est tres-à-propos qu'il s'appelle fleur, car n'est-ce pas l'odeur de cette divine fleur qui attire ces ames à la suite de ses p3.rfums 1 ? Dne autre raison que je remarque encore, et que je ne feray que toucher en passant, pour laqueIIe nostre Seigneur se fit appeller de Nazareth, est parce que cette ville estoit le lieu de sa conception; qui est une chose que les hon1mes ne peuvent faire, d'autant que tandis qu'ilz sont dans Ie ventre de leur mere, l'on ne sçait queUe issuë ils auront, et s'ilz viendront au monde mortz ou vivans; l' on ignore entiere- mentcequi en arrivera: mais il n'en estoit pas ainsi de nostre Seigneur; c'est pourquoy il a pris Ie nom du lieu de sa con- ception, parce que dés eet instant il fut homme parfait. Revenons à nostre seconde raison, et expliquons un peu plus particulierement la cause pour laquelle nostre Seigneur a voulu estre appellé de Nazareth, qui vaut autant à dire fleur : et, pour mieux comprendre cecy, escoutons ce qu'il dit au Cantique des Cantiques I : Ego sum fios ca'inpi, et lilium convallium : Je suis la fleur des champs et des cam- pagnes, et Ie Iys des vallées. l\Iais queUe fleur des champs estes-vous, Seigneur'? certes quand il dit : Je suis la fleur des champs, l'on doit entendre la rose, parce qu'elle excelle toutes les autres fleurs en odeur et beauté.. Or vous sçavés qu'il y a deux sortt s de fleurs, les unes qui procedent du bois, et les autres qui ont leur tige d'herbe : entre tontes t Cant. I.. - 2 Cant. II.. f f 0 SER1\IOl'f celles qui procedent du bois, la rose emporte Ie prix, ainsi que fait Ie Iys entre toutes celles qui ont leur tige d'herbe; et les diverses proprietés et excellences qui se rencontrent és roses et és Iys se retreuvent admirablen1ent bien en nostre Seigneur, aillsi que nous dirons maintenant. La premiere proprieté que je remarque en la rose, est qu'elle croist sans artifice, et n'a presque point de besoin d'estre cuItivée; aussi voyés-vous qu'on ne cullive point elle qui croist aux champs; et quoy que son oden!" soit ex- tremelnent suave Iorsqu'elle est fraische, toutesfois eUe est beaucoup plus forte quand elle est seiche: ce qui nous re- presente merveilleusement bien que cette divine fleur de nostre Seigneur, qui est sortie de la tres-sain te Vierge, ainsi qu'il a esté predit par Is ïe, qu'une fleur sortiroit de Ia verge de Jessé : Egredietur flos de radice Jesse 1 : quoy qu'il ayt exalé des parfums d'une adn1irable odeur ct suavité tout Ie temps de sa tres-sainte enfance'l et pendant tout Ie cours de sa vie; neantmoins si faut-il ad voüer qu'à l'heure de sa sainte mort et passion, comme une rose seiche, fanée et flestrie par les tourmens qu'il endura, il a exalé une odeur beaucoup plus forte pour attirer les alnes à la suite de ses parfums. Secondernellt, je considere qu'il n'est pas seu]ement .ap- pellé la fleur des champs, mais aussi Ie Iys des vaIlées. Chacun sçait bien que la heauté du Iys consiste principale- ment en Ia blanch ur : or que cette blancheur se retreu ve par excellence en Dostre Seigneur, personne n'en peut don- tel", d'autant qu'il a tousjours eu une pureté et candeur sí l'elevée au dessus des anges et des hommes, qu'elle ne peut recevoir de comparaison : Dilectus meus candidus I : Ion hien-aymé a une blancheur nompareille, dit l'esponse sacrée au Cantique des Cantiques, pari ant de nostre Seigneur. Et Salomon au livre de la Sapience dit qu'il est la splendeur a Isa. XI. - 2 Cant. v. POUR LA WILLE DES ROYS. ftt . de la 1umiere eternelle, Ie miroir sans tache de Ia majesté de Dieu, et la parfaite image de sa bonté : Qui est candor lucis æternæ, et speculum sine macula Dei majestatis, et imago honitatis illius. La seconde proprieté du Iys est qu'il peut croistre aussi bien que Ia rose sans estre cultivé, et sans artifice, comme l' on voit en certain pais; et cecy nous monstre l'amonr que nostre Seigneur portoit à la simplicité, ne voulant pas estre appclIé du nom des fleurs des jardins, qui sont cuItivées avec tant de soin et d'artifice.. Et quand il dit: .Ego sum flos campi 1 : Je suis la fleur des champs, il choisit sans doute la rose entre tontes les autres fleurs, à cause de ranlOnr qu'il portoit à la pauvreté, parce qu'il n'y a rien de plus pauvre que cette fleur, car elle n'a que des espines, et ne requiert point (comme nons avons dit) qu'on s'employe autour d'elle pour la cultiver; et quoy qu'elle soit seiche, toutesfoiselle ne laisse pas de rendre tousjours une tres-bonne et agreahle odeur : ce qui confìrme ce que je viens de dire de nostre Seigneur, lequel, comhien qu'il fust environné de croix, d'espines, de tourmens, et de toules sortes d'affiictions en sa mort et passion, ne laissoit pas neantmoins de repandre tousjours une odeur extremement suave, pour nous faire com- prendre que les aillictions, les tenehres interieures, les en I nuis d'es] rit, qui sont quelquefois si grands entre les per- sonnes Jes plus spirituelles et qui font profession de la (levotion qn'il leur semble qu'elles sont presque du tout abandollnées de Dieu, ne sont jamais capahles de les separer de luy, en sorte qu'elles ne puissent tousjours respandre de.. vant sa. divine 1\lajesté des parfums d'nne sainte sousmission à sa tres-sainte voIonté, accompagnée d'une invariable re.- solution de ne Ie point offencer; cela s' entend, en Ia partie superieure de l' esprit. 1\lais pour revenir à ces fiUes. qui se viennent maintenant , Cant.lI. it! SERl\JO presenter pour estre offertes et sacrifiées à la divine l\lajesté; si on leur promet d'abord qu'elles jouïront des richesses de la felicité eternelle, on ne les trompe point, car on leur dit que c'est å condition qu'elles renonceront entieren1ent aux choses terrestres et perissahles, et qu'iI faut quitter la maisoD de ses parens et sa patrie, non seulement d' effect, mais en- cores d'afl'ection, pour n'en avoir jamais plus que celle de la religion en laquelle eUes entrent. On leur promet aussi qu'elles jouïront des consolations que Dieu a accoustumé de donner à ceux qui Ie servent fidellement, mesme dés cette vie; mais à condition qu' elles renonceront à tous les pIaisirs sensuelz, pour licites qu'ilz puissent estre. On leur pron1et encores qu'elles seront eternellement unies à la divine Ma- jesté; mais à condition toutesfois qu'elles renonceront par- faitement à elles-mesmes, et à toutes leurs passions, affec- tions et inclinations, faisans une absoluë transllligration de tontes choses : car nous leur disons: Si autrefois vous avez aimé à vivre selon votre volonté, et à faire estime de vostre pro pre jugement, desorn1ais il ne faudra plus estimer qne l'obeïssance et la sousmission, taschant tant qu'il vous sera possible d'aneantir toutes vos passions, pour ne plus vivIe selon icelles, ains seIon la perfection qui vous sera enseignée: Nous leur mettons un voile sur la teste, pour leur 1110ntrer qu'elles seront cachées aux yeux du monde; et si eUes ont eu affection d'estre connuës et estimées par Ie passé, des or- mais il ne sera plus fait aucune mention d'elles. Nous leur hangeons encore d'habitz, pour leur faire entendre qu'il leur faudra changer d'habitude : et leur disons qu'elles seront appellées pour jouïr de la feIicité avec nostre Seigneur sur Ie mont de Thabor, mais que ce ne sera qu'apres qu'elles au- ront esté cfÙcifiées avec Iuy sur celuy du Calvaire par une continuelle mortification d'elles-mesmes, et volontaire accep- tation de tontes celles qui leur seront faites et ordonnées; sans choix, ny exception quelconque. Et pour ne les point POUR LA VEILLE DES ROYS. tf3 tromper, nous ne leur promettons pas qu' eUes seron! espouses de nostre Seigneur glorifié, sinon apres qu'elles l'auront esté en cette vie de nostre Seigneur crucifié, qui ne leur presentera pas la couronne d'or, sinon apres qu'elles anront porté celle d' espines. Enfin nous leur disons que la religion est un mont de Calvaire, où les amateurs de la croix se treuvent et font leur demeure. Et tout ainsy que les abeilles rejettent et abhorrent toutes sortes de parfums estrangers, qui ne proviennent pas des fleurs sur lesquelles elles cueillent Ie miel (ce que vous esprouverés, si vons leur portés du muse ou de la civette, car VOllS les verrés inconti- nent fUÏr, et se resserrer dans leur ruche, rejettant tous ces parfums, parce qu'ilz proviennent de la chair) : de mesme les amans de Ia croix rejettent toutes sortes de parfums estran- gers, c'est à dire, de consolations sensuelles et terrestres, que Ie monde, Ie diahle et Ia chair leur presentent , pour n'odo- reI' jamais d'autres parfums que ceux qui proviennent de la croix, des espines, des foüets et de la lance de nostre Seigneur, qui sont les plus riches atours et les bagues qu'il donne à ses espouses, d'autant que ces choses sont les plus belles pieces de son cabinet; et comme nous voyons que les espoux du moude donnent à leurs espouses des carquans, des braceletz, des bagues, et semhlables bagatelles, et qu'ilz font des festins à leurs nopces, ainsi en fait nostre Seigneur : mais sçavés-vous ce qu'illeur donne, et quelz sout les metz les plus delicieux de son divin fest in ? Ce sont des mortifica- tions, des humiliations, des mespris, des douleurs, des peines interieures, des pressures de cæur, et des angoisses, Ies- queUes sont quelquefois si grandes qu'elles nous font qunsi douter de nostre salut, nons estant advis que nons somæes tout à fait abandonnés de Dieu. lUais comme nous voyons que les abeilles tirent Ie plus excellent miel des fleta's les I}Ius ameres; de meSll1e les abeilles lnystiques, dans l'an:H?r- tume des plus grandes peines interieures, par les actes IT. 8 ., i 14 SERl\lON qu' elles produisent d'une sainte et amoureuse sousmissioD au bon plaisir de Dieu, cueillent Ie plus excellent miel de la devotion. Mais outre ce que nous avons dit des abeilles , les natura- listes rapportent encore une admirable condition qui se re- treuve en elles, avec laquelle je veux finir; à sçavoir, qu'elles sont si fidelles à leur roy, et ont tant d'amour pour Iuy, que lors qu'il viel1t à mourir, elles se mettent to utes autour de son corps et mourroient plustost que de Ie quitter; et si leur gouverneur ne venoit pour les faire retirer, indubitablement elles ne s'en separeroient jamais, et mourroient toutes aupres de luy. Or les gouverneurs des abeilles spirituelles font tout Ie contraire: car, comme celuy-là prend soin de les faire re- tirer, crainte qu'elles ne meurent autour du corps de leur roy mort; ceux-cy au contraire ont un tres-grand soin de faire que les abeilles mystiques, c' est à dire les ames devotes, demeurent autour du corps de leur roy mort et crucifié, au- pres duquel elles se doivent tousjours tenir fidelement tout Ie temps de leur vie pour considerer l'amour qu'il nous a porté, lequel a esté si grand qu'ill'a fait mourir pour nous, , afin que nous ne vivions plus que pour luy et pour son amour pendant cette vie mortelle et perissable, pour obtenir apres Ia grace de l'aymer eternellemeI).t dans Ie CieI, où VOM eonduise Ie Pere, Ie Fils et Ie saint Esprit. Amen. . . .--' ..# 'útJ!t LE lie I5Ï;;ÃÑëiÏE D' AI- RES L' EPIPHANIE. f f 5 VV\I'V'VVVVVVVV SERMON POUR LE SECOND DIMANCHE D'APRES L'EPIPHANIE. Nuptiæ factæ aunt in Cana Galilææ et erat mater Jesu ibi. Vocatus est autem et Jesus et discipuli ejus ad nuptias. Et deficiente vino dicit mater Jesu ad eum : Vinum non habent.. JOAN. II.. JI se fit des nopces en Cana de Galilée ,où Jesus avec sa mere et ses disciples furent invités; et Ie vin vellant à faillir J la mere de Jesus lui dit : Mon fils, ilz n'ont point de vine S.. JEAN II. L' evangile que nous lisons en la messe de ce jour, qui fait mention du premier miracle que fit nostre Seigneur aux nopces de Cana en Galilée, sera ]e snjet de l'entretien que j'ai à vons faire maintenant.. Je m'arresteray principalement sur ce que dit l'evangeliste saint Jean, que ce signe fut Ie premier que nostre Seigneur fit pour manifester sa gloire : Hoc fecit initium signorum in Cana Galilææ, et manifes- tavit gloriam suam t : et diviseray mon discours en deux parties. En la premiere, nous verrons la cause du miracle; et en la seconde, qui a fait Ie miracle, comment, par qui, et queUes personnes sont intervenués en iceluy. Je sçay bien qu'entre les docteurs il y a plusieurs raisons qu'ils alleguent de part et d'autre pour monstrer que ce miracle ne fut pas Ie premier signe que nostre Seigneur fit : mais puisque non seulement l'evangeliste saint Jean Ie dit, ains encor saint Ambroise, et que la pluspart des anciens Peres tiennent cette opinion, nous nous y arresterons. Et pour donner un pen d'intelligence à leur sentiment, j'expliqueray seulement deuxraysons, etsur icelles nous ferons une petite considera- tion pour la consolation de nostre foy. s. Jean. II. '* 116 8ERMOI( lIs disent done premierement que ce miracle rut Ie pre- mier signe que nostre Seigneur donna au monde pour ma-. nifester sa gloire, bien que plusieurs signes et miracles eussent été faits auparavant, les nns par nostre Seigneur, les autres en nostre Seigneur, et les autres pour l'avenement de nostr Seigneur, comme celny de 1'lncarnation, qui est Ie plus grand de tous et la meryeille des merveilles : ce mi- racle neantmoins estoitinviiible, secret et occulte; car c'estoit une æuvre si relevée et si haute, qu'elle surpassoit infini- ment tout ce que les anges et les archanges peuvent com-' prendre; et partant ce n' estoit pas un signe qui manifestast la gloire de Dieu en la façon que dit l'Evangeliste de celuy qui se fit aux nopces de Canaen Galilée, dautant que cet in- comparable miracle de l'Incarnation estoit si profond et caché à l'esprit humain, qu'il n'estoit jamais entré dans l'es-- prit des anciens payens et philosophes, non pas mesme dans. celuy des docteurs de la loy de loyse, lesquelz n'ont jamais pû com prendre ce divin mystere, quoy qu'ils maniassent Ia sainte Escriture, parce qu'il estoit invisible, et d'une telle- hauteur qu'il surpassoit iníiniment tous les entendemens humains et angeliques. Or, graces à Dieu, DOUS autres chres- tiens Ie crayons en cette vie mortelle, paree que la foi nous l'enseigne; mais làhaut au ciel nous Ie verrons à descouvert, et ce sera une partie de nostre felicité éternelle. II se fit encore plusieurs autres miracles en cette tres- saincte Incarnation, dont Ie plus grand de tous est que nostre Seigneur fut concen d'une fiUe, et que cette fille fust vierge et lnere tout ensemble. Outre eela, il se fit eneor au- tour de nostre Seigneur plusieurs autres miracles, qui estoient tous tres-grands, con1n1e celuy de cette estoile si extraordinaire qui an1ena les n1ages d'Orient en Bethleelll , Ie chant des anges, l'adoration des pasteurs. lais ces Ini- raeles n' estoient que des 111arques et signes exterieurs pour manifester la gloire de nostre Seigneur ce n'l}st.oit pas Iuy POUR LE U e DIl\IANCHE D' APRES L'EPIPHANIE.. f f 7 qui les faisoit, c'est à dire qu'il neles operoit pas par l'entre- mise de sa tres-sainte humanité, ains c'estoient Ie Pere et Ie saint Esprit qui les faysoient pour luy.. Je sçay bien qu'il les faysoit aussi entant que Dieu; car ce que fait et opere Ie Pere, Ie Fils et Ie saint Esprit Ie font et l' operent aussi, n'estans qu'un mesme Dieu avec luy, n'ayans qu'une mesme essence et mesme puissance; qui fait que tontes les æuvres que la tres-sainte Trinité opere hors de soy sont communes > avec plus de fermeté que si nos sens y connoissoient quelque chose. Or la divine providence voyant que ce mystere sacré de l'Eucharistie estoit trop obscnr pour estre compris de nos petitz espritz, eUe nous a voulu donner mille et mille preuve! de cette verité, tant en l'Ancien qu'au Nouveau Testament, I Cor. X et XI. - S Mat. XlVI, Marc XIV, LucXXIJ, tICor. XI. POUR LE n e DI!tfANCHE D'APRES J...'Y;:PIPßANIE. i2f Dieu ayant donné aux prophetes des lumieres et intelligences si grandes de ce divin mystere que c' est c.hose admirable de voir ce que quelques-uns d'entre eux en ont escrit, en parlant d'une façon si claire et intelligible que l'on est presque ravy d'admiration en Ie lisant, voyant que Dieu s'est ainsi donné à nous pour demeurer jusques à la consommation du monde parmy nous sur nos autels 1. Certes, nous devrions faire cent mille fois Ie jour des adorations à ce divin Sacrement, en re- connoissance de cel amour avec lequel il demeure parmy nous. Et voylà la consideration que nous devons faire pour la consolation de nostre foy. Voyons maintenant pour la seconde partie, comn1e se fit ce premier signe et miracle de nostre Seigneur; et pour vous le mieux faire entendre, il faut rapporter les paroles de l'Evan- gile: Nuptiæ factæ sunt in Cana Galilææ, et erat mater Jesu ihi. Vocatus est autem et Jesus, etdiscipuli ejus ad nup- tias.. II se fit, dit saint Jean , des nopces n Cana de GaIilée, OÙ nostre Seigneur avec sa sainte mere et ses disciples furent invités. Or Can a estoit une petite ville proche de Nazareth. II y a diverses opinions sur ce sujet; car il se treuve des docteurs qui se playsent à disputer si nostre Seigneur et la sainte Vierge y fnrent invités on non. Iais laissons ces disputes, et nous t..enons à ce que dit I'Evangeliste, et consi- derons l'extreme bonté de nostre Seigneur, lequel estant in- vité à ces nopces , ne refusa point de s'y treuver ; et dautani qu'il estoit venu pour racheter et reformer l'homme , il ne "oulut pas prendre un maintien , ny une contenance grave, austere et rigide , mais bien une maniere et façon de proce- der toute suave, civile et courtoise pour l'attirer à Iuy ; et cela fut cause qu'estant invité à ces nopces, il ne refusa point d'y aller, ains s'y trouva, et par consequent retrancha beau- coup d'exces et de leger tés qui se commettent ordinaire- ment en telles occurrences. 1 S. Mat. XXV. 122 SEr ION o combien pensés-vous, files cheres ames, que ces nopces furent modestes! car sans doute que la presence de nostre Seigneur et de nostre Dame faisoit que ron y estoit gran- dement retenu; et quoyque Ie vin y faillit, ce ne fut point pour en avoir pris avec exces, mais il est tres-probable que cela arriva par une permission de nostre Seigneur, qui vou- loit par Ie miracle qu'il fit de changer de l' eau en vin, faire connoistre à ceux qui estoient là presens, mais specialement à sesdisciples, uneschantillon desa toute-puissance. Or la tres- saincte Vierge qui estoit tres-sage et prudente, et pleine d'une tres-grandecharité, s'enestant apperceuë, s'advisad'un expedient admirable pour remedier à cet inconvenient. Mais que fera cette saincte dame? car elle ne porte point d'argent pour faire achetter du vin; son fils n'en a point aussi : sur quoy done fonde-elle I' esperance qu' elle a de pouvoir remedier à cette necessité'? 0 certes , elle n'ignoroit pas Ia puissance et la honté de nostré Seigneur; elle sçavoit combien grande estoit sa charité et misericorde, en suitte dequoy eIle s'asseuroit qu'il pourvoieroit infail1iblement à la necessité de ces pauvres gens, estant bien croyable qu'ilz n'estoient pas riches, puisque Ie vin leur manqua : et c'est une des causes pourquoy nostre Seigneur estant invité à ces nopces, y alla, dantant qu'il se plaisoit fort à converser avec les pauvres, et les favoriser. La sainte Vierge done voyant cet inconvenient, et sa. chant que son Fils seul sans argent pouvoit mettre remede à cette necessité, elle s'adresse à Iny; mais remarqués un peu, mes cheres ames, ce que fait et dit cette saincte dame.. 1\Ion Seigneur et mon fiIz, dit-elle, iIs n'ont point de ViD: Vinum non hahent: comme si eUe eust voulu dire: Ces bonnes gens sont pauvres; et quoyqne la pauvreté soit grandement ay- mable, et vous so it tres-agreable J si est-ee qu' elle est de soy honteuse, et sou vent elle reduit son hoste à souffrir heaucoup de mepris et de confusion devant Ie monde ; ces bonnes gens \ POUR LE 11- DDfANCHE D'APRES L'EPIPHANIE. t23 qui VOllS ont invité s'en vont tomber dans une grande igno- minie, si vous ne les secourés. Je sçay que VOllS estes tout- puissant et que VOllS pouvez remedier à leur necessité; je ne doute point aussi de vostre charité et misericorde: souvenés- vous de l'hospitalité qu'ils nous ont fait de nous convier à leur banquet, et pourvoyés , s'il vous plaist, à leur besoin. Mais la saincte Vierge ne fit pas un si long discours paul representer à son divin Fils la necessité de ces nopces; ains, comme bien advisée et tres-sçavante en la maniere de bien prier, elIe usa de Ia plus courte, mais de la plus haute, ex- cellente et efficace façon de prier qui soit et qui puisse estre, et dit seulement ces paroles: l\Ion Fils, iIs n'ont point de vin : Vinun non Itahent. V ous estes (vouloit dire cette sainte Vierge) si doux et si charitable, vous avez un cæur si cle- ment ct si plein de pitié : condescendés, s'i! vous plaist, à mOll desir, et faites ce dequoy je vous prie pour ces pauvres gens. Priere certes tres-excellente, en laquelle cette sainte dame parle à nostre Seigneur avec la plus grande reverence et humilité qui se puisse imaginer; car elle s'en va à Iuy, non point avec arrogance, ny avec des paroles pleines de presomption, comm font plusieurs personnes indiscrettes et inconsiderées, ains Iuy l"epresente avec une tres-profonde humilité la nec.essité de ces nopces, tenant pour tout asseuré qu'il y pourvoiroit, ainsi que nous dirons bien-tost. o que c'est une excellente maniere de prier, que celle de se contenter de representer simplement ses necessités à nostre Seigneur, puis Ie laisser faire, nous tenans asseurés qu'il y pourvoira selon qu'il no us sera Ie plus convenable, nous contentans de Iuy dire : Seigneur, voicy vostre pauvre creature desolée et affiigée, pleine de seicheresses et aridités, remplie de miseres et de pechés; mais vous sçavés bien ce de- quoy j'ay besoin, il me suffit de vous faire voir ce que je suis; c' est à vous de pourvoir à mes miseres selon qu'il vous plaira, et que vous connoissés m'estre plus utile pour vostre {J)loire. 124 SERMON Or je sçay bien qu'on peut demander à Dieu, non senIe- ment les necessités spirituelles, mais aussi Ies temporelles; il n'y a nul doute que cela ne se puisse et doive faire: nostre Seigneur nous l'a luy-mesme enseigné en l'orayson dominicale que nous disons tous les jours, en laquelle nous demandons premierement que le royaume de Dieu nous advienne, comme Ie but et la fin à laquclle nous visons, et puis aussi, que sa sainte volonté so it faite, comme l'unique moyen pour nous conduire à cette fin et beatitude; 111ais -outre cela, nous faisons encore une autre demande à Dieu, à sçavoir, qu'il nous donne nostre pain quotidien : Panem nosl1 m quotidianum da nohis Itodie. La sainte Eglise mesme a des prieres particulieres pour demander à Diell les choses temporelles, ayant des oraisons propres pour de.. mander Ia paix en temps de guerre, la pluye en temps de seicheresse, et Ie beau temps dans les trop grandes pl uyes ; mesme il y a des messes toutes particnlieres pour Ie temps de contagion et autres necessités. Vous voyés done qu'i1 n'y a point de doute ny de difficulté, que ron ne puisse et doive demander à Dieu ses necessités temporelles, aussi bien que les spirituelles, et cela en deux manieres : rune en la façon que Ie fit la tres-saincte Vierge, qui est de luy exposer sim.. plen1ent nos necessités; l'autre en Iuy demandant qu'il nous donne telle on telle chose, on qu'il nous delivre de tel ou tel mal; toutesfois avec cette condition, qu'il face en cela sa volonté, et non la Dostre. Iais pour l'ordinaire nous ne faisons pas ainsi. V ous verrés quelquefois une personne qui pratiquera la devotion, laquelle demandera à Dieu en toutes ses prieres qu'illuy donne son saint an1our, et cette sacrée dilection qui rend tontes choses si suaves et faciles, et qu'illuy donne encore cette bumilité qui cause en l'ame un si bas sentiment de soy-mesme, d'autant, dira-t-elle, que je ne suis point humble, et neantmoins je "Yoy qu' on ne sçauroit se sauver sans cette vertu. POUR LE lIe DIMANCHE D'APRES L'EPIPHANIE. f25 C'est bien fait de demander I'humilité, car ce doit estre Dotre chere vertu entre toutes les antres; il est aussi tres- bon de demander l'amour divin : mais neantmoins je vons dis que cette demande que vons faites de l'humilité et de l'amonr de Dieu n'est pas bonne; car ce n'est pas I'amour ny I'humilité que vous demandés, ains les sentimens d'amour et d'hulnilité ; vous voulés sçavoir et sentiI' si VOllS aymés Dieu et si vous estes humble, et c'est ce qu'il ne faut point rlemandcr ny desirer, d'antant que cela n'est point requis pour la perfection; et ceux qui ont la veritable hnmilité ne voyent ny ne sentent point en eux cette vertu; de mesnle, pour aymer Dieu, il n'est point requis d'en avoir Ie senti- TIlent , car Ie veritable amour ne reside point dans les sens, ains dans la supreme pointe de l' esprit; et il en est de mesme de l'humilité et des antres vertus. Ne demandés done point cela, mes cheres fines; mais resolvés-vous de servir Dieu genereusement, sans gonst ny sentiment, d'autant que ce n'est pas ici Ie lieu des douceurs et suavités.. Quand VOllS serés dans Ie ciel en Ia felicité eternelle, vons connoistrés clairement si vous avés l'humilité, et verrés alors comment vous aymerés Dieu, et gousterés pleinement la suavité de son anIour: mais en cette vie, Dieu veut que nous vivions entre Ia crainte et l'esperance, que nous soyons humbles et que nous l' aymions en no us appuyant sur les verités de la foy , et non pas sur nos sentimens. Rcvenons à la tres-sainte Vierge: Vinum non hahent : lon fils, dit-elle , ilz n'ont point de vine Ce qu'entendant nostre Seigneur, il Iui dit = Quid 'i'nihi et tiói est mulie1"? nonduln venit Ilora mea: Femme, qu'avés-vous à faire avec moi? monheuren'estpasencorevenuë. Certes, ceUe response en1ble d'abord bien rude, de voir un tel filz parler ainsi à une tel1e fi1ere; un filz si douK et si clenlent rejetter si rude- ment, ce selnble, une priere faite avec tant de reverence et d'hunÚlité, pm.' ,:le mere la plus aymal1te, la plus aymée, 126 SERl\ION et la plus aymable qui fut jamais. Ha! Seigneur, la creature n' a-t' elIe pas à faire avec son createur, de qui elle tient I' estra et la vie; la mere avec son filz , et Ie filz avec sa mere, de qui il a receu la chair et Ie sang'? Ces paroles semblent un peu estranges et difficiles à entendre; et ayant esté mal entenduës par des ignorans, qui se sont attachés à la leUre, ilz en ont formé trois ou quatre heresies. Iais, ô Dieu! qui sera si hardy que de presumer pouvoir com prendre par son propre esprit, pour aigu et subtil qu'il puisse estre, le vray sens de l'Escriture, sans avoir receu d'en-haut la lumiere requise à cela '? Cette response, au contraire, estoit tres amoureuse; et cette saincte Vierge, qui entendit Ie vray sens d'icelle, s'en ressentit Ia plus obligée mere qui aye jamais esté; ce qu'elle fit paroistre, lors qu'apres cette response, son cæur demeura tout plein d'une sainte confiance , disant à ceux qui servoient à table: Vous avez oüy ce que mon fils m'a respondu, et pour cela, vous qui n'entendés pas Ie langage d'amour pour- rés entrer en doute qu'il ne m'aye esconduitte: ô non! ne craignés point; faites seulement ce qu'il vous dira, quod- eumlJuedixeritvohis tacite, et ne vous mettés pas en peine, car sans doute il pourvoira à vostre besoin. II y a une gran de variété de raisons et d' opinions parmi les docteurs sur ces paroles de nostre Seigneur: (( Femme, qu'avés-vous à demesler avec moy?)) Aucuns disent qu il vouIoit dire: Qu'avons-nous à faire ny vous ny moy de nons mesler de cela'l nous sommes seulement des invités; c' e.st pourquoy nous ne devons point avoir de soin de ce qui manque à ces nopces; et autres semblables raisons qu'ilz disent. Mais demeurons fermes à celle-cy, que la plupart des saintz Peres de l'Eglise tiennent, Iaquelle est que nostre Seigneur fit cette response à sa tres-sainte mere pour apprendre aux personnes qui sont constitnées en queIque benefice ecclesias- tique, .de prelature J ou autres telles dignités, qu'ilz ne S8 . ..,,..... . ...c.... -..orr.. .. 1". POUR LE lIe DIMANCHE D.APRES L'EPIPHANIE. t27 doivent point servir de telles charges pour faire en favenr de leurs parens chose aucune qui tant soit soit peu repugnante à la Ioy de Dieu; d'autantque pour la chair et Ie sang, je veux dire pour leurs parens, Hz ne se doivent jamais ouhlier jusques-Ià qu'à leur occasion, et pour les gratifier, Hz vien- nent à faire quelque chose qui soit tant soit peu eloignée de la perfection et droiture avec laquelle ilz doivent exercer leur charge. Nostre Seigneur voulant done faire cette leçon au monde, il se servit du cæur de sa tres-sainte mere; en quoy eertes il luy donna des preuves tres-grandes de son amour, d'autant que c'estoit comme s'il Iuy eust dit: Ma tres-chere mere, en vous disant: Qu' est-ce que vous avez à desmesler avec moy? je ne veux point vous econduire de vostre demande : car qu' est-ce que peut refuser un tel fils à une telle mere! mais d'autant que vous m'aymés souverai- nement, et que je vous ayme parfaitement, je me veux pre- valoir de la fermeté de vostre cæur pour faire cette leçon au monde.. Or je sçay bien que vostre eæur amoureux ne s'en iroublera point, quoy qu'en apparence eette parole soit un pen rude; mais ce n' est rien pour vous, qui entendés Ie lan- gage d'anlour, lequel ne s'entend pas par les paroles seule ment, ains encor par les yenx) par les gestes et actions. Di- lectus meus fasciculus myrrhæ,. inter ubel'a mea commora- hitu1' 1. l\Ion bien-aymé, dit l'Espouse au Cantique des Cantiques , m'est un faisseau de myrrhe : je Ie prendray et Ie mettray au milieu de mes mammelles , c' est-à-dire , au milieu de mon eæur et de mes affections; d'autant que la goute de eeUe myrrhe venant à tumber dessus, Ie fortifiera et afIermira dans tontes les contradictions. Ainsi cette divine am ante , la tres- sacrée Vierge, prit les paroles de nostre Seigneur comme unfaisseau demyrrhe, qu' ellemit entre ses mammelles, c' est à dire, au milieu de ses amours, pour recevoir la goute qui decouloit de cette D;lyrrhe J laquelle raffermit tellement I Cant. I. 128 SERMON son cæur, qu'entendant cette response, qui anx autres sem- bloit un refns:- elle crut sans ancun doute que nostre Sei- gneur luy accorderoit sa demande, et pour cela elle dit aax officiers de ces noces: Faites tout ce qu'il VOllS dira : Quod- . cum que dixerit vobis facite j. Quant àces paroles: Nondum venit hora mea: lon heure n'est pas encor venuë; quelques docteurs ont estin1é que nostre Seigneur vouloit dire que Ie vin n'estoit pas encor failly. D'autres les expliquent en diverses n1anieres, de sorte qll'il y a une grande diversité d'opinions sur ce sujct; luais je ne m'y veux pas arrester, ainn de passer à des choses plus ntiles pour nostre instruction, et dil'e qu'il y a des heures ordonnées de la divine providence, desquelles dependent nostre conversion et nostre salute Or il est vray que de toute éternité, Dieu avoit determiné l'heure et l'installt de faire ces grands miracles, à sçavoir celuy de l'Incarnation, et celuy de donneI' au nlonde Ie premier signe de sa puissance pour la manifeslation de sa gloire; mais c'estoit absolun1ent, et non pas en sorte qu'estant prié il ne les pust advancer. C'est pourquoi les docteurs parlans du mystere de l'Incarna- tion, disent que nostre Darne par ses prieres a nlerité qu'il fut advancé : mel'uit accelerationem ; ce qui se doit encore entendre de ce premier signe et miracle de 110stre Seigneur. Je veux dire un exemple , pour me faire mieux entendre.. lle- becca et Isaac desiroient extremement avoir des enfans; mais Rebecca estant sterile, eIIe n'en pouvoit naturelIement avoir. Or cependallt Dieu avoit ven et ordonné de toute eternité que Rebecca concevroit et auroit des enfans, n1ais avec cette condition, qu'elle les obtiendroit par ses prieres, et s'il elle n'eust prié avec son lnary Isaac, elle n'eust point conceu : voyant donc qu'ilz ne pouyoient avoir d' enfans, ilz s'enferillerent dans une chambre, et prierent si ferveUlnlellt que Dieu entendit leurs priel'es et les exa H:a; et Rcbecc!l, a s. Jean, II. POUR J..E n e DIl\IAN CHE D Y APRES L'EPIPHANIE. i 29 devint grosse de deux gemeaux, Esaü et Jacob : ainsi le es]ans et souspirs d'amour de nostre Dame, comn1e disent la plus-part des saints Peres, advancerent Ie t.emps de I'Incar- nat.ion de nostre Seigneur. Ce n'est pas pour cela, qu'il s'in- carna devant Ie temps qu'il avoit préordollné; mais ceIa veut dire, que de toute eternité il avoit ven que la sajnte Vierge Ie prieroit d'advancer Ie temps de sa venuë au Dlonde, et que pour l'exaucer il s'incarneroit plustot qu'il n'eust fait si elle n'eust prié. n en est de mesme de ce premier miracle que nostre Sei- gneur a fait aujourd'huy aux nopces de Cana en Galilée : Nondum venit flora mea,. l\Ion heure n'est pas encore venuë, dit nostre Seigneur à sa tres-sainte l\Iere; mais parce que je ne vous puis rien refuser, je l'advanceray pour faire ce que vous me demandés.. Or il est certain, que Dien avoit veu de toute eternité, qu'ille devanceroit à la faveur des prieres de sa l\lere. o que bien-heureuse est l'heure de Ia divine providence, en laquelle il a vonIu nous departir tant de graces et de biens.. 0 que bien-heureuse est l'ame qui l'attendra avec pa- tience, et qui avec fidelité se preparera, pour correspondre à cette beniste heure quand elle arrivera.. Certes, ce fut en cette heure de Ia providence divine, en laqueIIe Ia Sama- ritaine fut convertie, et c'est de cette beniste heure de la- queUe depend nostre conversion et transmutation spirituelle; et l'on doit avoir un grand soin à se bien preparer, afin que nostre Seigneur venant, nous puissions estre prests à cor- respondre à sa grace.. Passons outre, et voyons maintenant comme nostre Seigneur fit ce miracle.. II yavoit six cruches de pierre prcparées pour Ia purifi- cation des Juifs, dit l'EvangeIiste, dautant qu'ils se lavoient frequemment, specialement quand iIs avoient touché quel- que chose defendue par la Loy; car ils faisoient force cere- monies exterieures, esquelles ils estoieut grandell1ent exacts. w. 9 130 SER tON bien qu'ils ne se souciassent gueres de purifier leur interieur. Nostre Seigneur done voulant faire ce grand miracle, pour donner au monde Ie premier signe de sa puissance, il fit remplir ces cruches d' eau, Implete hydrias aqua 1 : ce que les officiers de ces nopces firent promptement. En quoi ils furent grandement soigneux de faire ce que la sainte Vierge leur avoit dit; car si tost que Ie commandement fut fait) Hz les remplirent si pleines, que, comme dit Ie sacré texte,. l'eau surnageoit tout autour : Et impleverunt eas usque ad sun'lmum ". Apres quoy nostre Seigneur dit une parole in- terieure que personne n'entendit, et à l'instant cette eau fut changée en tres-bon vine Cette parole sans doute fut sem- blable à celle par laquelle il fit et crea toutes chosps du neant, et donna l'estre et Ia vie à I'homme, et par laquelle en ce dernier banquet qu'il fit avee ses Disciples, il chan- gea Ie vin en son sang, instituant Ie tres-saint sacrement de l'Eucharistie, nous donnant ce vin tres-excellent, duquel nous sommes nourris pour la vie eternelle, puisque c'est par la reception du corps et sang de nostre Seigneur que nous sont appliqués les ll1erites de sa mort et passion, et que nos ames sont substantées, fortifiées et vivifiées. ConcIuons ce discours. 1\Iais avant que finir, disons encore un lnot d'instruction sur l'Evangile, qui est que nous devons avoir un grand soin de nous adresser à nostre Dame, puisque nous voyons, qu'elle a tant de credit auprés de son Fils; et afin qu'elle Iuy represente nos necessités, il nous la faut inviter à nostre festin avec nostre Seigneur; car là où est la mere et Ie fils, I Ie vin n'y peut manquer, d'autant qu'elle Iuy dira infailli.. blement : Monseigneur et mon fils, cette mienne fille vostre sel'vante n'a point de vin.. lais prenés garde, mes cheres ames, quel vin c'est que vous Iuy demandés. 0 certes, je me doute bien que c'est celuy des suavités que vous desirés a s. Jc:zn.' II.. - 2 lbidcmr POUR lIE n" DI!\IANCHE D'APRES L'EPIPHANIE. t31 pour vostre consolation pro pre : ce que je vous feray en- tendre par un exelnple fan1ilier. V ous verrés nne bonne femn1e qui a un fils 111alade : il Iuy faut employer Ie ciel et Ia terre pour obtenir sa santé; car cet enfant est unique, c'est en Iuy auquel elle a mis toutes ses esperances, et quand Ies remedes hUD1ains n'y peuvent plus rien, elle a l"ecours aux væux, qu'elle fait à Dieu sons l'invocation des Saints. Tout cela est bon, c'est bien fait de se servir de l'in- vocation des Saints: mais pourquoy demandés-vous tant Ia santé de ce fils'? quand il se portera bien, qu'en ferez-vous? - Je Ie mettray sur l'autel de mon cæur, et j'en feray mon idole.. - II eust donc esté plus utile pour vous, que nostre Seigneur vous l'eust osté. Si la sainte Vierge Iuy eust de- mandé du vin, afin que ceux qui estoient aux nopces se fussent enyvrés, sans doute il n'eust point fait cette tran mutation d'eau en vine 1\Iais remarqués que si nons voulons que nostre Dame demande à son Fils, qu'il change l'eau de nostre tepidité au vin de son fervent amour, il nous faut faire tout ce que nostre Seigneur nous dira, ainsi que firent les officiers de ees nopces, comme nostre Dame leur avoit conseillé. Faisons done le semblahle, mes cheres ames, remplissons bien nos cæurs de l'eau de penitence J et il nous changcra cette eau tepide en vin d'un tres-fervent amour. Mais si vous voulés avoir de la ferveur, entretenés-vous Ie long du jour en de bonnes pensées, faites de frequentes oraisons jaculatoires, et tenés pour regIe generale, si vous vouIés estre recueillies en vos oraisons, de YOUS tenir hors d'icelles, comme si vous yestiés. Et n'employés pas Ie temps à faire des reflexions inutiles, tant sur vous, que sur ce qui se passe autour de vallS, ains occupés-vous fidelement en la presence de Dieu : et si vous voulés avoir quelque lumiere de la foy pour pou- voir comprendre Ie mystere de 1'lncarnation, entretenés- vous Ie long du jonr en de bonnes pensées; considerés Ia. ., II et XV), et ]esquelles toutesfois ne sont qu'une seule personne, car nous avons un nons-mesme qui est tout celeste, et lequel nous fait opereI' les bonnes æuvres, aymer Dieu, et aspirer à la jouyssance de sa bonté en Ia grace eternelle. Or ce nous- mesme spirituel est tres-bon, aussi n'est-ce pas celuy-là que nostre Seigneur veut que nous renoncions : au contraire, i1 faut détruire l'autre {'our Ie fortifier. II faut done sçavoir que ce nous-mesme qu'il faut re- noncer, est celuy duquel procedent nos passions, nos mau- vaises inclinations, nos affections depravées; et pour Ie dire en un mot, c'est l'amonr pro pre dnquel nous avons desja parlé. Et il ne se faut point tromper; car c'est une verité tres-certaine, que si nous voulons aller apres nostre Sei- gneur, et accomplir sa sainte volonté, il faut renoncer abso- lument et sans reserve à ce nOlls-meSlne terrestre. Or non seulement nostre Dame nous a donné exemple de Ie faire en sa sainte Purification; mais nostre Seigneur mesme nous I'a enseigné en sa mort et passion, renonçant à l'inclination qu'il avoit de vivre pour s'assujettir à Ia voIonté de son Pere, auquel il s'est rendu obeyssant jusques à Ia mort, et la mort de la croix: Factus ohediens usque ad mor- tem, mortem autem crucis '. Or c' est ainsi qu'il faut que I Philip., II. 154 SER ION nous fassions, mes cheres Ames. Je veux dire qu'iI faut renoncer à ce nous-mesme qui est contraire à la raison t et à Ja partie superieure de nostre ame t laquelle, par l'instinct que Dieu Iuya donné , tousjonrs tend au vray bien. Mais il faut encor passer plus outre; car il ne no us servi- roit de rien de nous renoncer nous-mesme pour en demeurer là. Les philosophes autrefois ont fait des renoncemens admi- rabIes, qui ne leur ont de rien servy, dantant qu'ils n'avoient pas une bonne fin : mais quant à nous, si nous renonçons à l'homme terrestre, il faut que ce soit pour fortifier Ie ce- leste : car c'est une chose tres-assurée qu'à mesure que l'un s'affoiblira, l'autre se fortifiera. V ous voyés donc pour cette premiere consideration, que de renoncer à nous- mesme , n'est autre chose que se purifier et se purger de tout ce qui se fait par l'instinct de l'amour propre, lequel, comme vous sçavés, nous produira tousjours , tandis que nous serons en cette vie, des rejettons qu'il faudra couper et retrancher, tout ainsi com me l' on fait aux vignes. Et com me vous voyés qu'il ne se faut pas contenter d'y mettre la main une fois l'an- née, mais qu'illa faut coupper en un terns, puis apres la de- poüiller de ses fueilles en un autre, et qu'ainsi plusieurs fois l'année il faut avoir la main à la serpe, soit pour la tailler, ou pour en retrancher les superfluités; de mesme en est-il de nos imperfections. Mais j'ai desja parlé de cela autrefois: c'est pourquoy il ne me resle rien à vous dire sur ce premier point, sinon qu'il faut avoir bon courage pour ne se laisser jamais abbattre ny estonner de nos defauts, pour grands qu'iIs soient J puisque tout Ie temps de nostre vie ne nous est donné que pour nous en defaire et purger. Venons à la seconde partie de cette exhortation J qui est qu'il faut prendre sa croix, apres que rOD a renoncé à soy- mesme. Ce poinet est un document de grande perfection; mais je croy que vous aurés assés de courage pour en em- brasser la pratique. Prendre sa croix, ne veut dire autre -.,.-0. POUR J..E JOUR DR SAtNT nf..AtSE. 155 chose, sinon, prenés et recevés to utes les peines, contradic- tions, afflictions et mortifications qui vous arriveront en cette vie, sans exception quelconque, avec sousmission. Au renoncement de nous-mesmes, nous faysons encores J ce me semble, quelque chose qui nous contente, parce que c'est nous-mesn1e qui choisissons nos croix; mais icy il faut prendre la croix telle qu'on nous l'impose indifferemment. n est done certain, qu'il y a bien plus de difficulté, parce qu'il n'y a point de nostre choix, et c'est pourquoy ce poinct est d'unp. perfection bien plus grande que Ie precedent: et Dostre Seigneur nous a bien monstré qu'il ne faut pas que nous choisissions la croix, ains qu'il faut que nous la pre- nions et portions, telle qu'elle nous est presentée; car lors qu'il voulut mourir pour nous racheter et satisfaire à la vo- lonté de son Pere, il ne voulut pas choisir la sienne) ains recent humblement ceIle que les Juifs luy avoient preparée. Escoutons, je vous prie, Ie grand Apostre saint Paul,et voyons comme i1 embrasse tontes les croix egalement, asseu- rant que rien ne Ie pourra separer de son divin Maistre, parce qu'il est marqué de sa marque J et qu'en quelque part qu'il aille, il sera tousjours reconnu pour estre des siens.. Iais queUe est cette marque sinon la souffrance'1 V ous sçavés ce qu'il dit des grandes peines, fatigues et tribulations qu'il a endurées; et de plus, comme il souffroit en son inte- rieur une peine insupportable, à cause que Ie vehement amour qu'il portoit à nostre Seigneur le tiroit puissamment du costé du Ciel, par Ie desir qu'il avoit de jouyr de Iuy. Mais considerés, je vous prie, quels tourmens il a portés en son corps : voyés ce qu'il en dit en la deuxieme Epistre aux Corinthiens, OÙ il rapporte qu'il a esté foüetté trois fois, en sorte que les traces en paroissoient sur ses espaulles; apres, qu'il a este Iapidé; puis, qu'il a fait naufrage, et qu'il a esté submergé, emprisonné, et plusieurs autres peines et 60uffrances qu'il a endurées J lesq uelles estoient la marque J56 fFn'f(Y de nostre Seigneur, par laquel1e 011 Ie recognoissoIt pour estre des siens : ce qui luy faisoit dire qu'il estoit crucifié avec Jesus-Christ, Chl"isto crucifixllS sum Cruci.. l\Iais decouvrons un pen, je vous prie, un abus qui se trouve en l'esprit de plusieurs, lesquels n'estiment et. ne veulent porter les croix qu'on leur presente J si elles ne sont grosses et pesantes. Par cxemple, un religieux se sousn1ettra volontiers à faire de grandes austerités, comme de jeusner, porter Ia haire, faire de grandes et rudes disciplines, et aura de Ia repugnance à ol)eyr 101"s qu'on Iuy cOll1mandera de ne pas jeusner, on bien de prendre du repos, et trUes autl'c:-; choses esquelles il seml)le avoir plus de recreation que tIe peine. Or sçachés que VOllS vous trompés, si vons croyés qu'il y aie moins de vertu à vons surmonter en ccla, qu'aux choses plus difficiles; car Ie merite de la croix n'est pas en sa pesanteur, ains en la maniere avec laquelle on la porte. Je diray bien davantage, qu'il y a bien plus de vertu à porter une croix de paille, que non pas une plus pesante, parce que plus eUes sont legeres, et plus elles sont abjectes, et n1ûins conformes à nost.re inclination, qui recherche tousj ours les choses apparentes. Et c'est chose asseurée, qu'il y a quelque- fois plus de vertu à ne pas dire une parole qui nous a esté defenduë par nos superieurs, ou bien de ne pas lever la veuë pour regarder quelque chose qu' on a hien envie de voir, et sembI abIes , que non pas de porter Ia haire, parce que des qu'on l'a posée dessus Ie dos, iI n'est plus besoin d'y penser. l\lais en ces menuës pratiques, il faut avoir une continuelle attention pour n'y pas faillir. Nous voyons done bien maintenant que cette parole de nostre Seigneur, qui nous ordonne de prendre nostre croix, se doit en tendre de recevoir de bon cæur toutes les obeys- sances qui nous sont données, et tontes les mortifications et contradictions qui nous sont faites, ou que nous rencontrons indifferemment, bien au'elles soient Jegeres et de peu d'im- POUR I.E JOUR DE SAIl\ BLAISE. 157 portance, asseurés que nou devons estre, que Ie merite de la croix n'est pas en sa pesanteur, ains en la perfection avec laquelle on Ia porte.. o Dieu! ll1e dirés-vous, voilà un grand renoncement, et il faut bien estre attentive sur soy-mesme pour ne point uuivre sa propre volonté, et ne point rechercher ce que nostre amour pro pre desire; car il a bien de l'artifice pour attirer nostre attention. II est vray j mais voicy Ie renlède à cela. Ceux qui navigent sur la mer, approchant dù lieu OÙ sont les Syrenes, sout tousjours en danger de peril', et coul'ent grande fortune de se perdre, à cause qu'elles chantent si Ine- lodieusement, qu'elles charment et endorment ceux qui ra- ment; de sorte qu'il y en a en qui ont usé de cet artifice pour n' estre pas charmés de cette melodie, de se faire attacher à l'arbre du navire, et l)ar ce moyen ils ont evité Ie peril. II faut que nous en fassions de Inesme , lorsque ccs Syrenes de propre volonté, des respugnances et raisons de l'amour propre, nous viendront chanter aux oreilles, pour nous con- jurer de leur obeyr : il faut semblablement qne nons nons attachions à l'arbre du navire J qui n'est autre que la croix, en no us ressouvenant que nostre Seigneur, pour Ie second poinct de la perfection, nous ordonne de prendre nostre croix. Mais remarquez qu'il dit la nost'l'e I pour empescher l'extra- vagance de plusieurs, lesquels , quand on leur fait quelque mortification, s'en faschent, disant: Si ron m'eust fait celle- Ià qu'on a faile à cet autre, je la souffrirois voiontiers. Et tout de mesme des maladies : car ils voudroient avoir celle que Dieu a donnée à un autre, et non pas celIe qu'ils ont. Or cela n'est pas porter sa croixcomme nostre Seigneur veut que nous Ia portions, et qu'il nous a enseigné par son exemple. Done, si nous voulons porter nostre croix après luy, nous devons à son imitation recevoir indifferemment toutes celles qui nous arriveront sans choix ny exception quelconqu e. t 58 mRJ,fON ""'- Disons un nlot du troisieme poinct, et voyons comme apres avoir renoncé à nous-mesme et pris nostre croix, nous devons suivre nostre Seigneur. Pour mieux entendre cecy, il faut que nous sçachions qu'il y a difference entre aller apres nostre Seigneur, et Ie suivre.. Tous les chrestiens qui aspirent au ciel vont apres nostre Seigneur, d'autant que c'est parson merite qu'ils en obtiennent la possession, en ob- servant neanmoins ses commandemens : mais suivre nostre Seigneur, est marcher sur ses pas, suivre ses exemples, imi- ter ses vertus, accomplir ses volontés, et ne se pas con tenter seulement d' observer ses commandemens) comme font en généralles Chrestiens, si nous n'y joignons encores la pra- tique des conseiIs et de tout ce que nous cognoissons luy estre plus aggreable. Mais vous voudrés (peut estre) sçavoir quelle recompense vous aurés d<<; Ie suivre ainsi fidellement. Certes, roes cheres Ames! si vous perseverés à Ie suivre de la sorte tout Ie long de vostre vie, à la fin il vous mettra en sa gloire, et là vous jouyrés de la claire vision de sa face, et il s'entretiendra fa- milierement avec vous, comme l'amy avec son amy, et cet entretien durera eternellement. Mais puisque nous sommes dans l'octave de la Purification de nostre Dame, disons encor un mot d'instruction sur 1'E- vangile (de cette feste)) et voyons comme elle apporta son Fils au temple pour l' offrir au Pere eternel, et par Ie moyen de cette offrande, s'unir avec luy, et l'unir au prochain. o que bien heureuses sont les ames qui sçavent bien faire cette pra- tique de s'offrir souvent à Dieu, et toutes leurs actions, en l'union de ce Sauveur. l\Iais considerons un peu cette pra- tique de l'union que fit nostre Dame de nostre Seigneur avec saint Simeon et Anne Ia propbetesse; car il est bien pro- bable qu'elle eut l'honneur de tenir Ie Sauveur de nos ames entre ses bras, quoy que les Evangelistes n'en disent rien, d'autant qu'elle avoit excellemment bien reDoncé à soy POUR LE JOUR DE SAI'N1' BLAISE.. 159 mesme, et porté sa croix, ayant esperé et aspiré tant de temps apres la venuë de ce Seigneur, qu'elle voyoit aIors de ses yeux. Nostre Dame done se depoüilla de Ia con3olation qu'elle avoit de tenir son sacré Fils sur son sein, pour Ie donner à saint Simeon, et par Iuy à tons les hommes : ce qu'elle fit, parce qu'elle sçavoit bien qu'elle ne l'avoit pas receu pour elIe seule t ains pour Ie comnluniquer et donner à to utes les creatures.. C' est pourquoy eUe l' apporta au temple, et Ie renlÏt au bon saint Sin1eon, lequel ayant pris ce divin Sauveur des mains de nostre Dame t l'enlhrassa, Ie haisa, et Ie serra tres-etroitement sur sa poictrine, pour marque de l'union interieure que son ame avoit avec Iuy. Sur quoy je fais cette remarque , qu'il y a trois manieres de porter nostre Seigneur, bien differentes rune de l'autre en perfection et merite.. La premiere est de Ie porter sur la langue par les paroles, 1a deuxienle sur Ie cæur par les affections, et la troisieme sur les bras par les Lonnes æuvres.. Plusieurs se contentent de Ie porter seulement sur la langue, disant merveilles de Iuy, et Ie loüant avee heaucoup' d'ardeur. II y en a d'autres qui Ie portent au cæur par des affections tendres et alnoureuses, et se fondent presque en pensant et parlant de Iuy.. l\Iais ces deux façons de porter noslre Seigneur ne sont pas gl'and'chose, si on n'y adjouste la troisieme, qui est de Ie porter dessus les bras en operant des bonnes æuvres; ear les bras representent Ies æuvres. V ous voyés done qu'il faut joindre ces trois façons de porter nostre Seigneur enselnble, eOllformén1ent à ee qu'il dit luy- mesme, au Cantique des Cantiques : Pone rne ut signaculurn super cor tuum, ut signaculum slper bl'achiuln tllunll 'l\Iets- nloy eonlme un eachet sur ton eæur, et eonlme un signe saeré sur ton bras. Ne vous contentés done pas, mes che;res Filles, de Ie porter · Cant. VIII. 160 SER:\[ON sur vostre langue, en parlant de luy et en chantant ses loüanges; ne vous contentés pas aussi de Ie porter au cæur par des affections tendres et amoureuses vers sa bonté, si vous n'y adjoustés la troisieme (maniere) , qui est de Ie por- ter sur vos bras en operant genereusement beaucoup de bonnes æuvres, afin que vous puissiez avoir la grace de dire avec le grand saint Simeon (à la fin de cette vie) : Seigneur, laissés maintenant aller mon ame en paix, c' est à dire, tirés- la de la prison de son corps, ponr aller jouyr de VOllS en la bienheureuse eternité, où nous conduise Ie Pere Ie Fils.l et Ie saint Es,Prit. Amt;n. rlltJ son 11lr!, POUR 1.1': DDIANCHE DE LA SEPTUAG :SI1\fE.. t 6! '^^^' SER ION POUR LE DIMANCHE DE LA SEPTUAGÉSIME '. DE LA MISSION DES PASTEURS EN L'ÉGLlSE. Dixit Jesus disci pulis suis parabolam hanc : Simile tst regnum cælorum ho- mini patri familias, qui exiit primo mane conducere operarios in vineam ,uam; conventione autem {acta cum operal'iis ex denario diurno misit eos in vineam suam. MATTB., XX. Jesus dit à ses disciples cette parabúle : Le royaume des cieux est semblable à un pere de famine, lequel sortit de grand matin pour loüer des ou- vriers, afin de les Caire travailler à sa vigne, et quand il eut convenu avec eux du denier qu'il leur devoit ùonuer par jour, il les y envoya pour la cultiver.. Cet ancien peuple d'Israël se monstra tousjours dur aUK eommandemens de Dieu; mais surtout il se monstra tres-bi- gearre, lorsqu'apres l'honnorable relation de Josué et (de) Caleb de la fertilité de la terre promise, et l' exhortation qu'ils firent pour les encourager d'y aller, ils conclurent de n'y point aller : et par apres Dieu ayant adverty qu'ils n'ad- vançassent, ils voulurent à toute force yaller, et monterent toute la montagne, dont mal leur en prit. Or tout ce mal ici leur advint de ce qu'ils presterent trop legerement l'oreilleà quelques fausses relations des espions qui furent envoyés en la terre de promission, et ne voulurent pas croire Caleb et Josué qui les conseilloient saintement.. Ainsi une grande partie du mal qui est maintenant entre les Chrestiens , vient de ce qu'ils croyent ceux qu'ils ne de- vroient pas croire, et qu'ils ne croyent pas ceux qu'ils de- vroient croire : Et dilexerunt homines magis tenehras l quam lucem : Les bommes ont plus aymé les tenebres que Ia lu- · Pris sur l'original écrit de la main de l'auteur (Edition de 1640). IV. it 162. SEI: \IO miere. C'est pourquoy voyant en l'Evangile une infaillible ll1arque de ceux ausquels nous devons croire, et par mesme moyen de ceux ausquels nous ne devons pas croire J de ceux :.fui sont vrais ouvriers, et de ceux qui sont plustost dissi- patenrs, je me suis deliberé, estant envoyé pour ceste jour- née au milieu de vons autres, comme ouvrier en Ia vigne de Dieu, de VOllS monstrer comme il faut fuir quelques uns de ceux qui font profession d'avoir espié la terre de I'Escriture, et com me iI faut se rendre obeyssant à Ja voix de ceux Ies- . quels sont marqués à bonnes enseignes. Seigneur, arrousés de la douce pluye de vostre grace cette vostre vigne, afin que Ia houë et Ia pesle y puissent bien entrer; rendez-Ia trai- table, et donnez à cest indigne vigneron la force et l' addresse d'oster Ies espines et superfluités des mauvaises opinions que Ie terns y pourroit avoir apportées, à celIe fin qu'en son terns, elle vons rende Ie fruit, et Ie vigneron en puisse avoir Ie de-' Dier promis, qui est ce jour perpetuel (de l'eternité hien-: heurense). Elnployons à ces fins l'ayde de la Vierge. Ave Maria. Ioyse, ce grand capitaine de probité, estant appellé de I Dieu Iors qu'il paissoit les brebis de son beau-pere Jetro en. la montagne d'Oreb, à ]a charge de la conduite et gouverne-, ment general (du peuple) d'Israël, pour Ie deIivrer des mains de Pharao, la n1ajesté de Dieu Iuy apparoissant en un buis- son ardent, il pratiqua tous les vrais 111oyens, et delllanda à Dieu toutes les vrayes qualités, marques et conditions avec Iesquelles il faut entreprendre de parler de la part de Dieu, et de gouverner un peuple. Car tout premierement il reeD- gnoist son indignité: Quis sum ego ut vadan ad Pharaø- nenl, et edllcam Israel ex .iEgypto 1 ? (Qui suis-je moy, dit- iI, pùur aIler };>arler à Phal'aoü, et relirer ce peuple de l'&- gypte'? ) 1 &Od., Ill. POUR LE DnfANCHE DE LA SEPTITAGËSIl\fE. 163 2.. II demande le nom de celuy qui !'enyoye : Si dixerint 'rílihi, quod est nomen ejus? quid dicam eis? (S'iIs me de- mandent quel est son nom, que diray-je'!) 3. II demande (des) signes : Non credent mihz, nee au- dient vocem meam, sed dicent: Non opparuit tihi DOlninllS. (lIs ne me croiront point, et n' obeïront point à ma parole, mais ils diront : I.Je Seigneur ne t'est point apparu.) o saint prophete! ð grand pasteur d'Israël! ð advisé l\loyse! ð digne ambassadeur de Dieu! digne secretaire de Dieu! que tu sçavois bien les conditions requises et fonda- mentales à une telle charge. II se tient indigne, il demallde Ie nom, il demande des signes. Dites-moy, com me se pouvoit-il rendre digne, sinon (en) se tenant indigne'1 comme l\Iarie se dispose à estre i\Iere de Dieu, en se recognoissant sa petite servante.. Et pour digne qu'il enst esté, comme l'eust-on receu, s'il n'eust sceu nom- mer Ie Seigneur qui l' envoyoit '1 et encore qu'il eust esté digne, et qu'il eust pu nommer son Seigneur, comme l'eust- 4Jn crn, s'il n'eust fait paroistre de bonnes marques de sa mission '1 C' est icy, mes freres, Ia pierre de touche, à laquelle vous cognoistrez, si ceux qui se vantent de la parole de Dieu, sont vrais ou faux Prophetes. Car il n'y a jamais en secte qui n'aye tousjours dit qu' elle parloit de la part de Dieu, et que ses preschementeries estoient les vrayes paroles de Dieu , et (ne) se soit vantéedel'Escriture...... Luther,Calvin,ettousles autres , à l'imitation du Diable, lequel vouIant tenter Jesus- Christ, lui allegue l'Escriture : Angelis suis mandavit de tee lIs disent tous qu'ils sont envoyés. Qu'ils nOlnn1ent (donc) qui les a envoyés.. Si c'est Dieu, ou c'esl lueùiatement, ou immediatement: si mediatement, qu'ils ll10nstrent la suc- cession : si immediatemellt et extraordinairement, qu'ils en produisent les preuves, qu'ils fassent des n1Ïr cles. Les ca- tholiques envoyés par leöitime 5u 4 ccession, pouyans dire: ... 164 SERl\ION Sicut locutus est ad Patres nostros, (comme it a parlé à nos peres) monstrent l'origine de leur mission: Jesus misit Pe- ll"um, Petrus, etc. Nous pouvons dire: Deus aurihus nos- l1.is audivimus ,patres nostri annuntiaveruntnohis. (0 Dieu, nous avons enlrndu de nos oreilles , nos peres nous ont rap- porté vos enseignenlents..) Nostre Seigneur par Jeremie ad- vertit : N olite audire verha P)1ophetaruin qui prophetant vo- his, et decipiunt vos. Visionem cordis sui loquuntur, non de ore Domini.. (N'écoutez pas les paroles de ces Prophetes qui prophetisent et qui vous trompent; ils disent les visions de leur cæur, et non les paroles sorties de la bouche du Tres- IIaut..) Et apres : Non mitteham Propltetas, et ipsi curre- hant; non loquehar ad eos, et psi propltetaóant I. (Jo n'en- voyois point ees prophetes, et ils couroient; je ne leur parlois point, et ils prophetisoient.) David se trouvant en un terns auquel il yavoit plusieurs errans, dit au Psalme XI : Salvum me fac Deus, ljuoniam defec'it sanetus, quoniam diminutæ sunt veritates a filii Ìlomznum.. Vana loquuti sunt u:nusquisque ad proximum suum : lahia dolosa in corde, et corde loquuti sunt : Dispe1"- dat Deus universa labia dolosa, qui dixerunt: Linguam nostram magnificabimus laóia nostra a nobis sunt, quis noster Dominus est? Et en Jeremie, XIV: Vaticinantur, non misi eos (lIs se mêlent de prophetiser sans que je les aie en- voyés..) Au XXIII : Ecce ego ad P1"ophetas azt Dominus, qui assumunt linguas suas. ( Ie voici contre ces prophetes, dit Je Seigneur, qui aiguisent leurs langues..) Mais afin que nous sçachions Ia volonté de nostre Seigneur en cecy ) ayant dit : Sicut misit me Pater, et ego mitto vos (Comme mon Pere m'a envoyé, moi anssi je vons envoie), il adjouste: Accipite Spiritum sanctum (Recevez Ie saint Es- prit) (Joan. XX). Et apres avoir dit: Omnis potestas data est mihi in cælo et in terra (Toute puis rIce m'a esté donnée IPS. XLIlI; Jerem., XXIII. POUR LE nUIANCHE DE LA SEPTU \GËSJl\fE.. j 6à dans Ie ciel et sur Ia terre), il dit ensuite : Euntes docete omnes gentes (Allez, enseignez to utes les nations) (l\Iat- thieu, 28).. o mes Freres, tenés cette preuve pour fondamentale, et demandés à ceux qui VOllS venlent retirer du sein de l'Eglise : Quis te misit (Qui vons a envoyé) '? Saint Jean-Baptiste fut grand reformateur, et envoyé de Dieu extraordinairement; mais encore qu'il ne dist rien (de) contraire à l'Eglise ju- . -daïque, pourcequ'il venoità un grand office, vousverrésqu'il a des marques pour se faire cognoistre : sa vie miraculeuse , sa nativité, contreignoit de dire: Quis, putas, puer iste erit? Saint Paul, extraordinairement envoyé , voulut encore une marque visible par l'imposition des mains d' Ananie.. (Act. IX. ) Ut videas, dit Ananie, et implearis Spiritu saneto. Que diray-je? Nostre Seigneur, apres avoir esté predit avee tant de circonstances, encores ven t-il monstrer sa mis- sion, et se targue tousjours d'icelle, disant tantost : Sieut rnisit me Pater...... Doctrina mea, non est mea, sed ejus qui misit me I.. Et puis il s'escrie : Et me seitis, et unde sim sci- tis, et a me ipso non veni.. Voilà done comme il se targue de "Sa mission, de laquclle il n'avoit J)esoin de faire autre preuve que par l'Escriture; car il avoit esté si formellement predit, qu'on Ie pouvoit hien recognoistre.. Tous prophetes ne par- lent que de Iuy , tellement qu'il pouvoit bien dire : Scruta- mini Seripturas, illæ testimonium perhihent de me. Iais nonobstant tout cela, non content de se dire estre envoyé, non content de prouver sa mission par I'Escriture, il veuP.: un tesmoignage perceptible et clair de son Pere au baptesm (et) en sa transfiguration: Hie est Filius meus dilectus, in ruo mihi hene complaeui, ipsum audite.. Et de rechef en Jain t Jean, XII, il reçoit ce tesmoignage de Ia part de son Pere Eternel : Et clarificavi, et iterum clarifieaho. II atteste =6a mission par (ses) miracles, et proteste que sans les mi- I Jean XX et VII. 166 SEHl\rON racles, sa Inission n'estoit pas justement prouvée au peuple, òe maniere qu'il dit en saint Jean, XIV: Verha quæ loqunr vohis a me ipso non loquor. Et incontinpnt: Alzoquin prop- ter ipsa opera credite. Et au XV e chapitre : Si opera non fe- cissem in eis, quæ nemo alius fecit, peccatum non hahe- rent. Tirons dónc ceste cone} usion tres-certaine, que la mission est necessaire, comme dit saint Paul: Quomodo ergo invoca- hunt in quem non crediderunt, aut quomodo credent ei quem non audierunt, quomodo audient sine prædicante, quomodo vero prædicaóunt nisi mittantur I ? 2.. Qu'il ne suffit de dire qu'on est envoyé ; car il faut jus- tifier comment: si mediatement, comme Timothée par saint Paul, auquel il escrivit : Admoneo te ut resuscites gratiam quæ est in te, quæ data est tihi per impositionem manuum mearum !; si immediatement, comme saint Paul et saint Barnabé (Actes, chapitre XIII) : Segregate (dit Ie saint Esprit) mihi Paulum et Barnabam in opus ad quod assumpsi eos. Tunc jejunantes et orantes, imponentesque eis manus, dimi- serunt eos. Ce que Calvin confesse, Iiv. IV, chap.. v.. 3. Quiconque allegue mission extraordinaire la doH prou- ver : car quelle regIe pourrions-nous tenir, s'il ne falloit que dire qu'on est envoyé? Ainsi Ioyse, saint Jean et nostre Sei- gneur mesme Ie prouvent.. 4. Que jamais mission extraordinaire ne fut bonne qui ne Boit approuvée de l'ordinaire. V oyés-vous saint Paul, de l'ex- traordinaire comme il va à l'ordinaire, et puis qu'on m'en monstre un exemple.. Saint Jean ne fust-il pas approuvé par les scribes et prestres qui envoyerent cette noble legation: Tu quis es? Et jan1ais ne trouverent que bonne sa doctrine. Quant à nostre Seigneur, il n'avoit à prendre authorité de personne, pource qu'illui suffisoit de prouver qu'il estoit Ie Fils du Maistre; et neanmoins Siu1eon l' approuve, Zacha- I Rom. X.. - t II Tim. II. POUR LE nnt \ r.TTF. fll': T.^ Rr.I'TtTAr.f.' E\lE. i 61 rie, saint Jean et Caïphc tlni prophetise. 1Iais depuis Jesus- Christ et la fondation de I'Eglise, quiconque n'est approuvé de l'Eglise : Sit tihi tan quam Ethnicus et Puhlicanus. Die Ecclesiæ. Ecclesia est {il'mamentum et columna veritatil_ Ego vohiscum sum 'Usque ad consummationem sæculi. Mais escoutés, si en l'ancienne loy cela estoit vray. Ponti/ex ves- ter in iis quæ ad Deum pertinent, præsidehit'. Au Deutero- nome, chapitre t 7 : Qui autem sllperhierit, nolens ohedire Sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur.. Et nc faut point dire que l' ordinaire manque quelquefois , car : Regni ejus non erit finis. Rcgnum tuum, regnum omnium sæculo- rum. Ego vohiscum sum usque ad consummation em sæculi. Enfin, que recueillons-nous? Puisque nos heretiques ne DOUS sçavent dire d'où ils viennent, ny qui les a envoyés, it se faut garder de Jes oüyr; car: Assumunt lin,quas suas, et ai'l'nt: Dicit Dominus.. Et puis qu'ils ne venlent oüyr l'E- gliæ, sint nohis tan quam Ethnzci et Puhlicani.. Et pouvons bien dire d'eux ce que saint Paul predit aux prestres Ephe- siens, aux Aetes, XX, les voulant laisser: Ego scio, quoniam post discessionem meam, intrahunt lupi rapaces in vos, non parcentes gregi, et ex vobis ips is exurgent viri loquentes per- versa, ut ahducant discipulos post se.. 1 Intrabunt, non mit- tentur. 2 Lupi, non canes,. silvestres, non cogniti,.. feri, non pastorihus parentes. 3 Ex vohis ipsis, Catholici, non ex Cal- vinistis, sed contra, quia prius Catholici quam hæretici.' 4 Ut ahducant discipulos : Catholici non ahduxerunt disci.. pulos Calvini, sed Calvinus Catholicorum. V oyés done, ils ne sont pas vrais ouvriers: Quia Paterfa- milias non conduxit eos, non misit, non dixit, Ite, sed in- traverunt, venerunt. Currehant, et ego non mitteham.l\Iais cela s'entend quant à la vocation des predieateurs, docteurs et pasteurs de l'Eglise, laquelle n'est pas commune à tOllS :' car si chaeun est pasteur. où sont les brebis'1 mais seulemeDt t ß Paral.. XIX. 168 SEr .r() quelqups-uns qui sont envoyés, conlnle l\.Ioyse, Aaron, saint Jean, Isaye, Jeremie, Elie et David, etc. Or il y a une autre vocation qui est commune, et comme chacun ne doit penser estre appellé à Ia pren1iere, aussi cha- cun se doit tenir pour appeIIé à Ia seconde : et comme ce se- roit un grand peché que chacun se voulust lnesler de la pre- miere, aussi ce seroit un grand peché que chacun np. suivist la seconde. En somme, comme c'est grand peché de suivre la voix des faux pasteurs, aussi est-iI peché de n'oiiyr la yoix des vrais, et ne leur obeyr. Tota die, dit nostre Seigneur, ex- pandi manu<; meas ad populum non c'l'edentem et contradi- centem mihi.. Si quis sitit, veniat ad me.. Ego sto ad ostium et pulso.. Par les predicateurs: Qui vos audit, me audit. 1/0- die si vocem ejus audieritis. Et queUe voix: Ut quid statis tota die otiosi? ite et vos in vineam meam. Veniet nox in qua nemo potest operari, et in qua dicetur: Circumdede'l'unt me gemitus mortis, pe'l'icula inferni circumdederunt me. N'attendés pas caresme prenant, car que sçavés-vous si yOU! le verrés'? Ducunt in honis dies suos , et in puncto in infer- num descendunt.. Circumdederunt me dolores mortis.. II ne faut sinon qu'un pied nous faille. Usquequo,piger, dormies'! Paululum dormies, paululum dormitahis, et veniet tihi pau- peries quasi vir armatus. C'est à dire, (pauvreté) laquelle tn ne pourras eviter.. Nisi pænitentianz egeritis, omnes similiter perihitis. An nescis (dit saint Paul) quia patientia Dei ad pænitentiam te expectat? Tu autem secundum impænitens cor tuum, etc. Commencésdésaujourd'huy, de peur d'estre surpris: Vo- cavi et renuistis j ego quoque in intel'itu vestro rideho. ECCB tempus acceptahile, ecce nunc dies salutis.. Dum tempus Ita- lJemus, operemur lJonum. Abner demanda à Joah, capitaine de David: Usquequo mucro tuus desæviet? Vivit Dominus dit Joab, si mane loquutus fuisses, recessisset populus perse- quens.. Pharao se vent retirer du milieu de la mer. et ne 'POUR TAE DTl\IANCßE DE LA SEPTUAGÈSn.m.' f 69 pent. Pænitentihus veniam promisit, tempus pænitendi' non promisit (Saint Augustin). QueUes occasions n'avons-nous point de sortir de nostre paresse 7 tant de maux que nous voyons tous les jours, etc. Nostre Seigneur fait comme Ie pere, qui tenant les verges en main, dit à ses enfans ]esquels il chastie : Ne serés-vous jamais sages? Prieres, etc.. Contrition, etc. Confession, etc.. Bonnes æuvrcs, etc. 111undus clamat : Deficio. Caro clamat : Inficio. Dæmon clamat : Decipio. Christus clamat : Reficio.. Ite et vos in vineam Domini; quod justum fumt, dahit vohis. II est juste , que ceux qui estant appellés, ront suivy en ce monde, Ie suivent cn l'autre. Ut uhi ego sum, illic sit et minister melts, et accÏjJiat mel'cedem. Ego sum merces tua 1nagna nimis. Courage, mes Freres : tous sont appeIlés, tous ne sont pas esleus. II ne tiendra qu'à nous, si nous n'allons travailler en sa vigne. II y a de la peine, mais : Non sunt con- dignæ passiones hujus tempol'is ad {utura'Jn glol'iam. Pour un jour de travail, une recompense cternelle; pour un jour de peine, un repos eternellà haut en paradis: Hæc requies nost'J"a in sæculum sæculi; /zic hahitahimus, si eligamus eam. Là nous te louerons å toute eternité, si nous te servons en cette briefve journée de ce monde : c'est, ô Seigneur, de quoy nous vous prions nous faire la grace, puisque vous e.stes Ie Dieu de misericorde, Pere, Fils et Saint-Esprit. VIVE JESUS. t70 SERMON SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA SEXAGÉSIME I. DB LA. fIIA-NIERE D'ENTENDRE UTILEfIIENT LA PAROL. DI DIIU." Qui habet aU'1'es audiendi audiat. Luc, VIII. Qui a des oreillp.$ pour oü1r J qu.il entende. La prise de la ville de lerico par Ie vaillant capitaine ge- neral des Israëlites Iosué, est bien l'une des (plus) remar- quables qui fnrent oncques faites, pour Ie stratageme avec lequel les murailles d'icelle furent du tout renversées, et cette ville dem ura toute nuë et demantelée devant l'armée des Israëlites. Or le stratageme fut tel, au rapport qu'en fait Iosué mesme és sacrés memoires qu'il escrivit des choses advenuës sous sa conduite au sixiesine chapttre. Estant l'armée en la campagne de lericho , Iosué levant les yeux en haut, vit un homme vis à vis (de lui), qui tenoit son espée nuë en main, duquel s'approchant Iosué, illuy dit : Es-tu de nos gens, on de nos ennemis? Ce gendarme respond: Non, ny run, ny l'autre; je suis Prince de l'armée du Seigneur; me voicy venu tont maintenant. Iosué se jette à terre, l'adore , et Iuy demande les commandemens.. Or Ie Seigneur luy dit par son Ange : Je veux vous livrer lerico : environnés-la une fois Ie jour durant six jours j Ie septiesme, environnés-Ia sept fois, et en ces environnemens, mettés ordre que l'OD porte rarche, et devant icelle, aillent sept Prestres avec des trompettes .. sónnant: et au demier environnement, lorsque les Prestres auront sonné plus longuement et puissamment, que tout Ie . Pris sur roriginal écrit de la main de l.auteur (Edit. de 1643 ). POUR LE DIl\IANCHE DE LA. SEXAGÉSIME. t 7 t peuple crie tant qu'il pourra, et les murailles tomberont , et chacun entrera par l'endroit où il se trouvera par dessus les muraiIIes.. Qui ouit jamais raconter un tel siege'1 qui cognut jamais un ingenieur si subtil, qui au son des trompettes fit renverser des murailles entieres? qui vit jamais semblable- batterie? Iosué leve les yeux en haut, d'en haut vient l'Ange, il l'adore, rAnge Iuy enseign de Ia part de Dieu Ie stratageme, Iosué croit et se fie en Dieu, il fait ce qui lui est cOll1mandé, parmi son armée l'arche de Dieu y est, les Prestres sonnent, les murailles tombent.. o les belles instructions pour nos Capitaines, de lever leurs courages en hant vers Dieu, invoquer les saints, et s'appuyer en Dieu, Ie croire, obeyr à ses commandemens! Ha! si l'intention estoit au ciel, si la confiance estoit en Dieu, si l'honneur deu aux serviteurs de Dieu estoit rendu, si on croyoit et obeyssoit à Dieu, il n'y auroit rien d'imprenable , tout renverseroit devant les Chrestiens. 1\Iais je ne suis pas icy pour apprendre la maniere comme il faut attaquer et prendre à force les villes tcrrestres : je voudrûis plustost vous dire comme il faut prendre et subjuguer les villes et forteresses spirituelles, ennemies de Dieu et des saints, pour Ie service de la divine l\Iajesté. (Addressons-nous pour ce sujet à la sainte Vierge, Iuy disant) : Ave ltla'J'ia. L'ame de l'homme, nles Freres, est une belle ville, par nature sujette à Dieu; mais bien souvent, par revoIte et rebellion, et par les factions des affections et parties supe- rieure et inferieure, elle est renduë sous l'obeyssance du peché : car, qui facit peccatum, servus est peccati, (qui fait Ie peché , est rendu serf du peché.) Qui trouvera mauvais que j'appelle rame de l'homme une ville, puisque les philosophes l'ont bien appeIlée un petit monde, et qu'elle est l'abregé de toutes les perfections du monde, rec:ueillant en soy tous les grades plus parfaits t I. f:WHO d'iceluy, comme tout Ie plus beau d'une province 5e retrouve en la ville principale 'icelle.. En cette alTIe encore VOU& semble-il pas qu'il y ait un magazin qui vaut plus que tous ceux d' Anvers ou de Venize, puis que la Dlemoire retire Jes idées de tant de varietés de choses'? vous semble-il pas qu'il y ait un brave ouvrier, puis qu'en l'entendelnent pos- sible, toutes choses s'y font en des especes incolllparables? . vons semble-il pas qu'il y ait un ouvrier, lequel avec cent nlillions d'yeux et de nlains, comme un autre Argus, fait plus d'ouvrage que tous les ouvriers du monde, puis qu'il n'y a rien au monde qu'il ne represente, qui est l' occasion qui a fait dire aux philosophes, que l'ame estoit tout en puissance? C'est cette ville laquelle plus que toute autre, 5e peut vanter que Ie sçavoir de son batisseur a esté rendu admirable en son edification, selon Ie dire du Psalmiste, Mirahilis facta es scientia tua ex me (V ostre science est ad- mirable en moy, et je ne la peux comprendre). C'est d'elle qu'on peut dire : Gl01'iosa dicta sunt de te, civitas Dei (Chases glorieuses sont dites de toy, Cité de Dieu).. Or cette forteresse a esté venduë au Diable, lors que Ie peché l'a environnée, dont Ie Diable a esté appellé Ie prince de ce monde. Nostre Seigneur parlant de Iuy con1me d'un Capitaine a dit (qu'il est comme un fort armé qui garde sa maison) : Cum fortis a'J'1natus custodit atrilnn Sll'lnn, etc. Les murailles d'icelle qui tiennent en la puissance du Diable ette ame sont ses iniquités, desquelles parlant Ie Psalmiste, il dit (que l'iniquité environnera ses murs jour et nuit) : Die ac nocte circumdahit super muros ejus iniquitas I. C' est le peché qui empesche que Dieu ne se rende maistre de nos ames, et ne puisse entrer en nous, ains demeure à la porte: Ego sto ad ostium et pulso 2 (Je suis à la porte, qui heurte)i t dit-il : Peccata vestra diviserunt inter 1.'OS et Deum (Nos t pechés ont mis divi9ion entre sa divine Majesté et DOns). S Psal. UV. - I Isal. LIX. POUR LE DtMANCHE DE LA. SEXAGESIME. f 73 Or ces n1urailles icy doivent ton1bcr dcyant Ilostre Jesus, non pas fils de Navé, mais Fils de l\iarie, à celIe fiu qu'il entre dans nostre arne, et s' en rende possesseur.. Que si celles de lerico tomberent au son des trompettes des Prestres, eelles-cy doivent tomber encores au son de la trompette Evangelique et (à) Ia predication de la parolle de Dieu, sui- vant ce que sa Majesté dit à leremie : Ecce dedi verbum meum in Ol'e tuo, constitui te super gentes ut evellas, et destruas, et disperdas, et dissipes, et ædifices, et plantes · (J'ay n1Ïs n1a paroUe en ta bouche, afin que tu arraches des ames Ie peché, que tu Ie destruises, que tu Ie ruines, que tu Ie dissipes, et que tu y plantes et edifies Ia vertu ). Ainsi David se fit maistre de Sion, suivant ce qu'il dit : Ego autem constitutus Sll'in rex ab eo super Sion 'Jnontem sanctum ejus, prædicans præCe))lll'Jn ejus (J'ai esté estably de Dieu roy dans Sion, preschant ses commandemens) · C'est de ces murailles que nous pouvons dire: Ascendite muros ejus, et dissipate t ( Iontés sur ses murs, et les ab- battés) , comme dit nostre Seigneur de Hierusalem. 1\lais à eet effect, je trouve trois conditions requises : la premiere J e'est la bonne intention; la seconde, I'attention; la troi- siesme, I'humilité.. La bonne intention estoit bien aux Israë- lites, puis qu'ils faisoient cela pour la terre de promission J l'attention, car Iosué leur avoit dit qu'iIs ne fissent point de bruit; (et enfin) l'humilité en leur obeyssanee. Et avec ces trois conditions, au son de la trompette des Prestres, ils se . rendirent maistres de lerieo. Quant à I'intelltion, roes Freres , je voudrois qu'elle fust à l' ad venant de celle de nostre Seigneur, lequel ne nous a pas voulu parler pour autre fin que pour nous sauver : Ut fides sit ex auditu, et omnis qui credit in eum non pereat I 'ed haheat vitam æternam (Afin que la foy vienne en nos \ lnes par l' ouïe, et que quiconque croit en luy ne perisse I Jeremie, I. - I Ibid., v. i74 SERl\fON point, mais qu'il ait Ia vie eternelle). Je voudrois qu'elIe lust comme celle des bons predicateurs , qui est, comme dit saint Paul (de prescher Jesus-Christ crucifié, qui est scan- dale pour les Juifs, etc..) : Prædicamus alltem JeSllm Chris- turn erucifixum, ludæis quidem scandalum, etc..; et aussi que l'intention fust de recevoir en son cæur Jesus-Christ. Où sont cenx qui ne vont à la predication que par curiosité de voir les façons et les parolles? Que diriés-vous de ce malade, lequel sçachant qu'en un jardin il y a l'herbe qui Ie pent guerir, n'y va que pour voir quelques fleurettes? Semhlables à Herode, qui ne desiroit de voir nostre Seigneur que par curiosité, et Ie mesprisa : aussi (ainsi) mesprisent-ils les Pre- dicateurs quand i]s en ont passé leur fantaisie, comme les femmes gross s, qui non par faim, mais par fantaisie, de- sirent des viandes. Ah non; mais comme il faut desirer la viande pour (se) ourrir, ainsi faut-il user de la parole de Dieu, qui est l'aliment de nos ames. (L'homu1e De vit pas de pain seul, mais de toute parolle qui procede de la Louche de Dieu) Non in solo pane vivit homo, sed in OJJl1zi 1.)el'ho quod procedit de ore Dei. Euntes, dit nostre Seigneur, præ- dicate Evangeliu1J2 omni c'f'eaturæ; qui crediderit , salvlls erit (Allés et preschés l'Evangile à toute creature, et qui- conque croira, sera sauvé) . Voilà Ia fin : Vt cognoscant te solum Deum ve, um, et quem 'lnisisti JeSlim Ch'J'z.sturn (Afin qu'ils vons cognoïssent senl vrai Dieu, etc..).. (Que celui done qui a des oreilles pour entendre, entende) Qui hahet aures audiendi audiat. Quand l'hoIDlne entend la parolle de Dieu sans ceste inten- tion , elle est en Iuy con1me ceste semence qui tombe dans Ie chemin: Ali'lld cecidit seCllS viam. La vaine gloire et la cu- riosité la perdent. C'est escouter la predication comme un mottet de musique.. Es eis quasi ca'f''Jnen 1nusicum 1 (Ilz es- content vos paroles, et ne les pratiquent pas). Et audiunt 1 Ezecb., XX:XUI.. porn J E nntANcnE DE J A SEXAGfsnlE. i 75 verha tua, et non faciunt ea. ComIne le nlalade qui re- garderoit la boite con tenant la medecinc de sa guerisone La seconòe disposition qu'il faut avoir pour bien oüYI' la parole de Dieu, e'esl l'attention; car il y en a plusieurs qui viennent au Sermon pour (en) faire leur profit, mais y es- tant, ou en dormant, on en causant, ou en pensant ailleurs, ilz ne sont pas attentifs, ausquelz quand ilz sont de retour) si l'on dcrnande (Iue e'est qu'ilz ont rapporté du Sermon, ilz peuvent bien rcsponùrc qu'll en sont reVt'nns gens de bieD, pour en avoir rùpporté les oreilles, ou leur chap au : t ceux-ei sont encores Jc ceus. qui se doivent sentiI' piqués de cette paroUe Je nostre Seigneur: Qui hahet aures audiendi audiat. Car (ilz ont des orcilles et n'escoutent pas), aures hahent et non audiunt. Or cecy n'est pas une petite incivi- lité, que Dieu parlant d. nous, nous ne voulioDS pas res. couter, ne plus De moins que si nous parliolls à Dieu sans y penser : de manicre que de ceux là Ie Seigneur dit : Po- pulus Ide lobiis 'tne honoJ'at, cor auteln eor'll"" longe est à me. \h! que Ie Psalmiste n'estoit pas de ccUe façon (lui qui) disoit : Audiam quid loquatur in me Dorninus Deus (J'escouteray ce (lue Ie Seigneur Dieu dira en mon cæur.) lleli enseigne à Sarnuella façon d'oüyr Dieu : Dices: Loqael'e, Domine, quia audit servus lUllS (Parlés, Sciöneur, car vostre serviteur c coule.) Dieu fait (lever) un grand vent sur Illcr, si que chacun s'addresse à Dieu, cl Jonds J.ort I.. Ainsi Dieu ellvoye Ie vent de sa parole, et espouvante toule la barque, et l'auùileur dort. L'attention est si requise) que souvent l'intention de- faillant, l'attention profite. (Saint .A.ugustin dit en ses Con- fessions, livre V, chapitre 14 :) JTeniebant in anÙnuJJI, meum simul cum 'Cerhis quæ diligeham, res etiam, quas ne- gligeham, et dunt C01' aperitetur ad excipiendum quam di- I Jonas J I. 176 SERMON serle diceret, panter intrabat et quam vere diceret (n arrivoit que ces belles parolles que je recherchois J attiroient en mon esprit les choses dont je n'avois souci; et comma j' onvrois mon coour pour recevoir l' elegance de son discours (parlant de saint Ambroise), la force et la verité de ses pa- roUes y entroient aussi.} La troisiesme condition est l'hnmble obeyssance à Ia pa- rolIe ouïe; car ceux qui oyent, et pour cela ne s'amendent pas (font voir qu'ils n' ont pas des oreilles pour entendre) : Non hahent a'llres audiendi.. Ce qui procede de plusieurs causes : l'une J qu'ils ne reçoivent pas la parolIe de Dieu comme tel1e, ains comme la parolle des predicateurs; et toutesfois nostre Seigneur a dit une fois pour toutes : Qui vos audit me audit, qui vos spernit me spernit (Ceux qui vous escoutent, m'escoutent, et ceux qui vous mesprisent, me mesprisent). Et ego volJiscum sum usque ad consumma- tionem sæculi (Et je suis avec vous jusqu'à Ia consomma- tion des siecles). Et ailleurs : Non estis vos qui loquimini:J sed Spiritus Patris vestri, etc. (Ce n'est pas vons qui parlés, mais c'est I'esprit de vostre Pere qui parle en vons). Dequoy 5e plaignant nostre Seigneur, il dit à Ezechiel : N alunt au- dire te, quia nolunt audire me t (lIs refusent de vous oüyr, parce qu'ils ne me veulent pas ouyr). Et saint Paul s'en vante : An experimentum quæritis ejus qui in me loquitur Christus (Ne sçavés-vous pas que c'est Jesus-Christ qui parle par moy) '! De là vient qu'ils se moquent du pauvre prescheur, et prennent garde s'il crache, s'illui eschappe une parole impropre. L'autre cause, c'est qu'ils rejettent tousjours sur autruy ce qui est dít par Ie predicateur: O! on a bien parlé contre cestuy-ci, etc.' Quand on est invité au banquet, on prend pour soy; mais ici on est extremement courtois, car on ne cesse de donner aux autres. Vistes-vous jamais un plus prompt jugement Que celuy que fit David, . & II Cor. 13. POUR J.E DßfANCHE DE LA SEXAGËSIME i 77 lors que Natall lui pari a de sa faute en la personne d'un tiers? Peut estre n'eust-il pas esté si facile, s'il eust parlé directement à luy-mesme.. La troisieme cause d'où il (ce mal) vient J e'est que la parolle de Dieu chasse Ie peché de l'ame, et l'homme qui se plaist au peché J Ia trouve amere 10m qu'elle le solicite : .Ad tempus credunt, et in tempore tenta- tionis recedunt (Ilz croyent pour un peu de tems , mais lorsque la tentation se prcsente, ilz ne s' en ressouviennent plus).. IIz la trouvent bonne du premier abord, mais par apres quand il faut venir à l'æuvre, ilz la trouvent amere. Aperui os rneurn, et cióavit me volurnine illo, et factum est sicut rnet dulce in ore mea I (J.ai ouvert ma bouche, et il m'a repeu de ce volume J qui m'a semblé doux comme Ie miel). In ore, mais non in stomacho, quand il est question de faire operation, etc. La parolIe de Dieu est une medecine, une manne : Beati pi audiunt verhum Dei, en mangeant , et custodiunt illud þ en digerant , etc. C' est pourquoy on voit si peu de fruit des predications J et OD rebat tant de fois une chose, manda, remanda, etc. Les uns oyent par mauvaise intention de coustume, de curiosité; Et volucres cæli comedunt illud (Les oiseaux du ciell'emportent et la mangenl ) : apres qu'ils ont dit leur opinion du prescheur, e'est tout. Les autres avec si peu d'at- tention, que la parolIe de Dieu ne va pas jusques au eæur : Et natum aruit, quia non hahehat humorem (Ayant pris naíssance, elle s'est incontinent seichée, parce qu'elle n'a- voit point d'eau). Les autres avec tant de vices et mauvaises inclinations, si peu d'humilité et tant de superbe, (que eette divine parole demeure suffoquée) : Et simul exortæ spinæ sulfocaverunt illud; si qu'eHe n'est pas venue à son effete o que nostre Seigneur pOHrroit bien faire les lamentations de Job: Quis mihi trióuat auditorem? Qui me donnera un I Ezech., III. IV. 12 178 SERMON nHliteur de ceux que je desire (qui entendant la paroUe de Dieu de hon cæur, et avec une honne intention, en rapporte Ie frnit en patience) : Qui in corde hono et optimo audiens verhum retineat, et fructum at!erat in patientia. Qui hahet aures audiendi audiat, etc.. Ceux qui ne font profit de Ia parolle, sont semblables à Urie, portant des lettres à Joab, sans sçavoir ce qu' elles contiennent : Fallentes vosmetipsos. Estote factores verhi, et non auditores tantum : Qui enim verhi auditor est þ et non factor, hic cornparahitur viro consideranti vultum nativitatis suæ in speculo : consideravit enim se, et ahiit, et statim ohlitus est qualis fuerit (Ne vous contentés pas d'entendre seulement la parolIe de Dieu, mais mettés-la en pratique : car celuy qui l' escoute et ne la pratique pas, est semblable à un homme, lequel apres s'estre consideré dans un miroir, s'en va, et oublie incontinent ce qu'il a veu). Mes freres, soyés fervents à owr la parolIe; car : Evange- lium Dei virtus est in salutem omni credenti (La -parolle de Dieu est vertu pour Ie salut à ceux qui croyent. ) Escoutés-Ia avec humilité : Statue servo tuo eloquium tuum in timore 100. Les murailles de vostre lerico tomberont devant la pa- rolIe : Emittet verhum suum, et liquefaciet ea 1. Nostre Iosué entrera dedans avec tous ses dons, et y tuera toutes nos mauvaises habitudes, mortifiant tonte nostre ame. n n'y aura que Raab de sauvée : Raab, nostre foy, laquelle ne fay- soit point d' æuvres que bastardes. Ainsi regnera nostre Sei.. gneur en nous. Amen. t 11 envoie sa parole, et les glaces se fondent. Psal. ClL va. - ......IJ.þ .om LE nurANCtrn f.,r-: LA SEX.Aî;ÉSIME.. f'10 ^- SER ION SUR LE MESME SUJET I. Semen est verbum Dei.. La liemence c'est la parole de Dieu.. o rare et admirable semence! semence tirée du ciel, jettée en terre, montant au ciel; semence, laquelle d' elle-mesme proàuit Ie fruit eternel : mais semence delicate, laquelle si elle n' est receuë en une bonne terre, ne fructifie en aucune façon, mais d'autant plus abominable est Ie terroir, qu'elle est admirable et precieuse. Semen est ver6um Dei. Comme (e'est) Ie mesme soleil (qui) fait voir au printems la heauté des jardins, des champs, des prés, des bocages et riantes campagnes, et qui descouvre la laideur des esgousts et cloa- ques : ainsi la mesme semence qui met en prix 1a fertilité d'un bon champ, fait cognoistre la sterilité de l'autre, et Ie met en mespris.. Combien done est-il important que la terre soit bien disposée à recevoir cette sainte sen1ence! La se- mence est la parole de Dieu; Ie fruit c'est la foy, l'esperance, la charité et Ie salut : la terre c'est nostre CroUf. Or com- ment est-ce que disposeroit ce cæur ceste terre, s'il consi... deroit qui est celuy qui seme? Exiit qui serninat ,. et il ver- roit que c' est nostre Seigneur : Exiit qui selninat seminare semen suum. S'il consideroit à queUe intention, il verroit que e'est afin que (nous en profitions), fructum alferamus. S'il consideroit qui est celuy qui reçoit cette semence, il ferroit que c'est un cæur qui n'est que (terre, poudre et cendre), terra, pulvis I cinis : car le semenr Ie mettroit en i Pris sur roriginal écrit de la main de l'auteur (Edit. de t6U). * 180 SERMON attention, la terre en humilité, l'intention du semeur en ae- tion. Je m'efforceray de traiter de cecy; mais il faut que ce soit Dieu (qui m'assiste pour Ie faire utilement), parce que e'est semen suum (sa semence) , etc. Semen est verhum Dei. Tout ainsi que la terre ne va pas prendre la semence en la grange ou metairie, mais Ie labou- reur la porte au champ, et de sa main l' espand à certaine proportion et mesure : ainsi vous diray-je au commence- ment, que la parole de Dieu selon sa nature doit estre pres- chée, semée, et annoncée; que si elIe est escrite, ce n' a pas esté pour abolir la predication, mais plustost pour l'accom- moder et enrichir, contre cette sotte façon de parler de plu- sieurs qui disent J qu'il ne faut rien eroire qui ne soit escrit, et que l' Escriture suffit sans autre parolle de Dieu, que cha- cun Ia peut entendre, et y doit chercher la resolution de sa foy : car si cela estoit, semen non esset verbum Dei (la pa- roUe de Dieu ne seroit pas une semence), puisque quand nostre Seigneur disoit cette parolle, l'Evangile n'estoit pas encore escrit, et neanmoins Ie semeur estoit desja sorty (pour semer sa semence) seminare semen suum. Ce n'estoit donc pas de l'Escriture de laquelle il disoit, Semen est ver- hum Dei. Si doncques ce n'estoit pas de l'Escriture, et s'il n'y avoit point d'autre paroUe de Dieu que I'Escriture, semen non esset verhum Dei.. Outre ce, ne confesseront-ils pas que Ie semeur en eette parabole est nostre Seigneur'? Mais où trouveront-ils que nostre Seigneur ait jamais escrit l'Evangile'l Quand done il dit : Semen est verbum Dei, il en tend de la parone non escrite, mais preschée. Que si vous voulés voir plus clairement, voyés premie- rement en queUe façon se reçoit cette semence : Hi sunt, dit-il, qui in cOl'de bono audientes verburn 'petinent (Ce sont ceux qui ayant oüy la parolIe de bon cæur, la retiennent). POUR LE DIMANCBE DE LA SEXAGËSWE. f 81 Si ceux sur lesqueIs on seme, sont (ceux qui escoutent), 6udientes, ceux qui sement sont (ceux qui parlent) , 10- guentes. L'oúye ne reçoit la parole sinon dite, l'æil (ne la reçoit sinon) escrite. Aussi verrés-vous en saint Paul aux Rom., chap. X : Fides u auditu, auditus autem per verhum Dei. I Cor. I : Prædi- .camus Christum crucifixum. I ad Thess.., II: Verhum auditus Dei. I ad Timoth.., II: Unus Deus et unus mediator Dei et ho- minum, homo Christus Jesus, qui dedit redemptionem semet- ipsum pro omnióus, etc.. In quo posit us sum ego Prædicator et Ãpostolus , etc. II ad Tim..) IV : Prædica verhum, insta opportunè, etc.. Marc., XVI: Prædicate Evangelium omni reaturæ t. Saint Philippe s'en va par l'inspiration de l'ange sur le chemin qui descendoit de lerico en Gaza Et ecce vir Æthiops pot ens, etc. Dixit autem Philippo : Accede, et adjunge te ad currum istum, etc. Act., VIII.. Et de fait, pourquoy auroit laissé nostre Seigneur {en son Eglise , les uns Pasteurs, et les autres Docteurs}, alios Pastores et Doctores, si nous n'avions besoin que sa parolIe fust annoncée par ceux qui parlent de sa part, et en son esprit '! Attention. Que si on ne peut entendre sans oüir, et que cest oüir so it necessaire au salut, avec combien d'attention faut-il escouter la parolle, qui n' est pas paroUe humaine, mais parolle de Dieu ! Car celuy qui parle aux hommes pes- cheurs leur dit : Non estis vos qui loquimini, sed spiritus Patris vestri qui loquitur in vohis. Matth.., X. Qui vos audit me audit, qui vos spernit me spernit. Luc., X. Sic nos exis- timet homo, ut ministros Christi:l et dispensatores myste- riorum Dei. I Cor., IV. Et partant nostre Seigneur, apres la similitude, clamalJat: Qui hahet aures audiendi, audiat. Luc., VIII. Je trouve dans l'Evangile que nostre Seigne a crié six t 1 Cor. L 182 ERMON fois. t. Clamahat in tempio, dicens : Et me scitis, et unde sim scitis (II a crié dans Ïe 'femple : V ous me cognoissés et sçavés d'où je suis). 2. Si quis sitit, veniat ad me, et hihat (Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moy, et qu'-il hoive). 3.. Lazare, veni {oras (Lazare, sors dehors). 4. Qui credit in 1ne, non credit in me, sed in eum qui misit me (Celuy qui croit en rooy, ne croit pas en moy, mais en celuy qui m'a envoyé). 5. Eli, Eli, lamazahathani, Deus meus, etc. ( Ion Dieu, mon Dieu, pourquoy m'avés-vous delaissé)? 6. Clamans VQce magna emisit spiritum {Et criant à haute voix, il rendit son esprit}. Et maintpnant ponr la septieslne. fois : Clamabat, dicens : Qui Ilahet aures audiendi audiat (il dit en criant : Qui a des oreilles pour oÜÌr, qu'il entende) pour rendre ses a:uditeurs attentifs à la comparaison qu'il fait de la parole de Dieu à la semence : Semen est ve1 hum Dei. Et comme la semence entre en la terre, et ne demeure pas sur terre, etc.., ainsi faut-il que la parole de Dieu (entre dans Ie cæur).. Audiam, quid loquatur in me Domine Deus.. Psalm. LXXXIV. Ori tuo faeito ostia, et seras aurihus tuis. Eccl.., XXII.. Heli ad Samuelem : Loquere Domine, quia audit servus tuus, I Reg., III. Telle doit estre l'attention et la reve- rence.. Humilité.. Humilité et reverence, laquelle croistra infini- ment, quand nous considererons à qui cette parolle s'adresse. ( C'est) à l'homnle : Quid est homo quia l'eputas eum, etc. Et cum hominihus conversatus est. It/ultifarian multisque modis olÙn Deus loquens Patrihus in P'J'ophetis, novissÙne diehus istis loquutus est nobis hominibus peccatorihus in Fi/io. Maria etiam sedens secus pedes Domini audieúat verbum illius.. Luc.., X.. Parce que (la parole de Dieu est une se- mence) , semen est Verhum Dei,. (or) la seluence fructifie plus és vallées, 'lu'és montagnes. Ainsi cst cUe comparée à POUR LE DL'UANCHE DE LA SEXAGÉSIME. t 83 Ia pluye, laquelle se ramasse et descend és vallées.. Moyse, Deut., XXXII, en ce dernier Cantique : Audite cæli quæ loquor, audiat terra verha oris mei. Concrescat ut pluvia doctTina mea, fluat ut ros eloquium meum, etc. Fons sapientiæ verbum Dei. Eccli.., I. At qui de fonte vult Aaurire, inclinet se necess, est # etc. .". "... .--"... . .. f84 SERMON SER ION POUR LE DIl\IANCHE DE LA QUINQUAGÉSIMEI. DE L'HONNEUR DEU AU SIGNE DE LA SAINTE CROIX. Rece ascendimus Ierosolyrnam, et consummahuntur omnia quæ dicta, sunf per Proplzetas de Filio hominis : tl'adetur enirn gentibus et illudetur, d flagellabitur, et eonspuetur; et postquarn flagellaverint, occident eum et tertia die resurget. S. Luc, XVIII.. V oicy que nous montons en Hierusalem, et toutes les choses qui ont esté predites par les Prophetes du Fils de l'homme, seront accomplies; car il sera livré, baffoüé, flagel1é et mesprisé, et enfin mis à mort, et Ie troi. sieme jour il ressuscitera. Quand un prince tient Ia prise de qnelqne ville ou quelque notable victoire asseurée , vons Ie voyés à to us propos parler de la bataille, et (nous) ne cessons jamais de parler de ce que nous attendons et desirons.. Ce que sçanroient bien dire les voyageurs, qui desirans leur arrivée en quelque ville , ne trouvent personne à qui ils ne demandent com bien Ie chemin est long. Ainsi nostre Seigneur desirant extren1ement de paraehever l'æuvre de nostre redemption, s'avoisinant Ie terns de sa passion, il en fait des discours et predictions à ses Apostres en plusieurs lieu x , et particulierement en Ia portion Evangelique, que l'Eglise nostre Iere nous propose ' aujourd'huy pour l'entretien de nos ames, OÙ nostre Sei- gneur, comme grand Capitaine, traitte avec ses Apostres de la victoire qu'il devoit rernporter sur Ie peché et ses corn- pI ices ; mais auparavant il discourt de l'aspre bataille de sa Passion, ce que les Apostres ne cornprirent pas pour l'heure. Afin done que nous Ie puissions entendre, invoquons l'as- tiistance du saint Esprit, etc. Ave lr!a'pia. S Pris sur l'original écrit de la main de l>>auteur (Edit. de 1641). # POUR LE DIMANCIm DE LA QUINQUAGESIME. t 85 L'Espouse celeste au Cantique premier, parlant de son hien-aimé Sauveur, disoit : Fasciculus myrrhæ dilectus meus mini, inter uhera mea commorahitur (1\lon bien-aimé est pour moi comme un faisceau de myrrhe, il reposera sur mon sein). Cette Espouse, ames Chrestiennes, on c'est l'Eglise, ou c'est l'ame devote qui est en l'Eglise, et com- ment que ce so it , par ces parolles qu' elle dit par Ie sage Salomon, elle monstre que nostre Seigneur, vray Espoux et de I'alne et de l'Eglise, luyestoit perpetuellement en me- moire, comme Ie plus aymé de tous les aymés, et Ie plus ay- mable de tons les aymables.. V ous sçavés que l' amitié est ennemie mortelle de l'oubly, dont les _ nciens quand ils la peignoient, luy mettoient pour devise sur ses habits: Æstas et hyelns, procul et prope, mors et vita (1' esté et l'hyver, près et loin, la vie et la mort); com me si elle. n' oublioit ny en prosperité, ny en adversité , DY près, DY loin, DY en la vie, ny en la mort. l\lais cette Espouse ne dit pas seulement, qu'elle l'aura tousjours en sa memoire, entre ses mammelIes, en son sein, en son cæur, ains comme un bouquet odoriferant, pour monstrer qu'elle prendroit une grande consolation en cette souvenance; et non seulement comme un bouquet, mais comme un bouquet de myrrhe. La myrrhe est tres-soüefve à l'odeur. mais son sue est tres-alner. La chere Espouse done dit, que son bien-aimé luy sera comme un faisceau de myrrhe sur son cæur, pour monstrer qu'elle se ressouvien- droit à jamais des amertumes de sa Passion douloureuse, fas- ciculus myrrhæ, etc. Ce qui est encore dit avec extreme ele- gance par le prophete royal David: MY'l"rha et gutta, et casia à vestimentis tuis, ex quihus delectaverunt te filiæ regum in honore tuo 1 : car Ie Prophete parlant au l\lessie , il Iuy dit : La myrrhe et la goutte d'icelle, et la casse, e'est à dire, l' odeur de ces pretieuses liqueurs, vient de tes vestemens. , Psa1.. XLIV. t 86 SERMON Qui sont les vestemensdu Sauveur, sinon son corps et son arne, comme dit l' Apostre: Forman servi accipiens in simili- tudinem hominum factus, et hahitu inventus ut homo I? Et ce corps icyet I'ame mesme ne respirent que l' odeur de myrrhe, c'estàdire de grandes consolations provenantesd'unfondement douloureux, qui est la Passion, lesquels vestemens viennent des maisonsd'yvoire tres puresducieletde laglorieuse Vierge. C' est done la continuelle odeur que sentent les Saints et l'Eglise, que la consideration de la Passion. C'est ce qu'en- seigne saint Paul : Recogitate eum qui talem sustinuit d peccatorihus adversus semetipsum contradictionem, ut ne fatigemini animis vestris deficientes I (Ressouvenés- vous de celuy qui a soustenu et souffert une si grande con- tradiction de la part des pecheurs, afin que vous ne per- diés point courage). Et à quoy luy-mesme nous excite (disant) : 0 vos omnes qui transitis per viam, attendite et tJidete si est dolor sicut dolor meus (0 vous to us qui passés par la voye de ce monde , considerés et voyés s'il y a dou- leur semblable à la mienne). Ce qui a esmeu l'Eglise, vraye espouse de nostre Seigneur, à tascher par tous moyens de maintenir en la memoire de ses enfans et disciples la Passion de nostre Sauveur et Maistre; et partant, entr'autres aujour- d'huy elle met cest Evangile en avant. EIle dedie à cette commemoration tout Ie Caresme; elle Ia represente au saint sacrifice de Ia Messe, à to us coups elle en parle, et pour briefvement à toutes les heures rafraischir cette souvenance, elle enseigne à chacun de faire Ie signe de la croix à tous propos. En ses EgIises elle propose incontinent Ie crucifix, en ses processions Ie crucifix, sur les Eglises , aux chemins, et en tous ses exercices elle met tousj ours Ie signe de la croix : et de vray comment pourroit-elle plus proprement et brief- vement representer à nostre entendement la Passion de nostre Seigneur? ,I Philip. u. - I Hebr.., XII. ---- .' .,.. ", ..--...... POUR LE DUfANCHE DE LA QUINQUAGÉSIl\ffi.. 187 l\Iais parce que sur ce fait on () voulu censurer l'Eglise, et nos adversaires ont voulu dire qu'il y avoit de Ia superstition, iI nODS fant nn peu arrester pour voir leurs raisons.. Et ne pensés pas que ce sûit hors de propos; car les raisons que Ies adversaires tienncnt estre les principales contre l'usage du signe ùe la croix, sont sans aucune force.. Allons par ordre en ce fait, car il y a plusieurs difficultés entre l'Eglise et l'ad- versalre.. La prenliere est, que l'adversaire soutient qu'il n'en faut point faire, et s'il y en a de failes, les rompre et les gast r. L'Eglise dit Ie contraire, et voicy nos raisons.. t.. La memoire de la Passion est utile, com me j'ay dit et diray.. Dites-moy, au nom de Dieu, pourquoy ne sera elle aussi utile en signe comme en parolle? Et qui ne voit que s'iI est utile aux fidelles de leur ramentevoir la passion deJesus- Christ par parolles, ille sera aussi de la leur representer par signes '1 2. Nostre Seigneur mesme honorera sa croix, pourquoy done ne l'honorerons-nous pas? Or qu'il soit vray, en saint Matthieu, XXIV, il est dit, entre les autres signes et prodig s qui arriveront aujour dujugement, que (lesignedu Fils de l'homme apparoistra au ciel) : Signum apparehit Filii Homi. nis in cælo. Quel signet la croix sans doute, mes freres; car quel autre signe, je vous prie'l L'estendart de ce prince pa- roistra, il n'en faut pas douter , car tOllS les Peres interpre- tent ainsi l'Escriture.. Je say bien que Calvin et les autres cités chez Iarlorat, interpretent: Signum, id est, Filius ipse nominis, qui tam manifeste parehit, ac si edito signo om- ium in s oculos convertisset. Voyés un peu comme on ma- nie l'Escriture : quand il y a signum, ils interpretent rem ipsam; quand il y a corpus, ils interpretent signum.. 1\Iais outre cette apparition, nous en avons d'autres, les- queUes, quoy que non si authentiques, sont neanmoins dignes de foy. Car Eusebe raconte t que Constantin Ie Grand f88 SEmrON la vit, comme Iui-mesme recite, avec ces mots: In hoc signo vinces 1, (tu vaincras en ce signe). Puis du terns de Cons- tance sur Ie rnont d'Olivet t. Au terns de Julien l'Apostat, voulant iceluy faire redresser Ie temple judaique en desdain des catholiques, il apparut un cercle argentin au cial avec la croix s.. Au terns d'A rcadius, quand il alloit contre les Persans '.. Du terns d'Alfonce Albuguergue de Bargua en l'une des contrées des Indes, oil en apparut une.. 3.. Parce que I 'Eglise en a pratiqué dés les premiers siecles, tesrnoin saint Denis, 4, 5, 6 de sa llierarchie ecclesiastique, où il dit qu'en toutes choses 011 usoit du signe de la croix. Justinus ad Gentiles respondet, cur ad orientem orent Chris- tiani, cur dextera se signent, et aliis henedicant cum signo crucis: Quia, ait, meliora sunt dandaDeo 5 . Tertullien dit, que les fidelles faysoient Ie signe de la croix à chasque pas, ad omnem progressum, etc. VÇ>us semble il pas que nous avons raison de suivre plus- tost la pratique de l'aneienne Eglise, que les fantaisies et difficultés de ces nouveaux venus '1 Or quelles raisons, je vous prie, proposent-ils '/ t. Que la croix fut dornrnageable à nostre Seigneur, done cUe est detestable.. Mais si Ie signe et l'instrument de la dou- leur que nostre Seigneur souffrit est detestable, la douleur mesme et la Passion de nostre Seigneur le seroit bien davan- tage; la croix n'avoit point de mal en soy, et fut embrassée volontairement de nostre Seigneur, et par icelle il est arrivé à sa gloire et exaltation, comme dit saint Paul aux Philip- piens : Humiliavit semetipsum, propter quod, etc. '. 2. Parce que l'enfant seroit fol, qui se plairoit à voir Ie t Euseb. lib.. I Vitæ Const.. t Cyrill. Hier., Epist.. hac de re.. · Nazianz.. Orat.. ! in Jul.. · Prosp. in lib.. de Promiss. divinis. I Lib. de Cor.. militis. POUR LE DmANCHE DE LA QUINQUAGESIl\fE.. f 89 gibet où son pere auroit esté pendu; ne pensons done plus à )8 Passion. .. Response. Mais si la Passion de Jesus-Christ n'est pas seu- kment un Suppllce, aiDs un sacrifire, certainement la croix &t non seulement un gibet, mais un antel sur lequel a esté oonsommé l'æuvre de nostre redemption, et en cette qualité elle doit estre en veneration à tous les fidelles, sa memoire leur doit estre recommandable, et son signe precieux.. Et n1Ï- serables sont ceux qui Ie rejettent avec tant de ll1espris et d'horreur: car par cela ils donnent à cognoistre qu'ils n'ont point part à ce qui a esté operé en la croix, etc.. Et comment peut-on accorder ceux qui estiment se rendre ignon1illieux par Ia croix, avec saint Paul, qui dit (qu'il ne se veut plus glorifier qu'en la croix de nostre Seigneur Jesus-Christ: Ah- sit mild gloriari nisz in cruce Domil1i nostri, etc. Galat.., VI. Prædicamus Christum crucifixum; ludæis quidem scanda- lum. Géntihus autem stultitiam : ipsis au/em vocatis ludæis atque Græcis Christum Dei virtutem et Dei sapientiam. Non enim judicavi me scire aliquid inter vos nisi lesum, et hum crucifixum. I Corinth. Multi amhulant quos sæpe diceham vohis, inimicos crucis Christi. Philip., III. De plus nos adversaires disent, qu'il ne faut pas Iuy por- ter l'honneur qu' on luy porte; l'Eglise au contraire. V oicy Ie pourquoy. Premierement tout ce qui est consacré à Dieu est digne d' estre honnoré j or cette sainte figure est dediée à Dieu, done etc. Que tout ce qui est dedié à Dieu, soit digne d'estre lDnnoré, on Ie prouve parce que l'Escriture l'appelle quasi i artout saint. Pourquoy appelle on Ie dimanche saint? Pour- 'iuoy l'escabeau des pieds (saint)? Solve calceamenta pedum, locus enim in quo stas , tetra sancta est 1. Le Psalmiste : In noctibus extollite manus vestras in sancta, id est Deo dicata; , Exod., III. 90 SER iO " et au Psal. XCVIII : Adorate scahelluln pedum ejus, fJUD- nzam sanctum est.. Cet escabeau est Ie temple, comm d;';êt1t les Chaldeens; c'est l'arche de l'alliance, comme disent les Hebreux : et comme que ce soit, c'est tousjours pour nous. Et on infere de Ià efficacement, que cette sainte figure est digne d'estre honnorée, puis qu'elle est consacrée à Dieu. 3. A raison de tout ce qui est dit cy-devant : car si nostre Seigneur l'a colloquée au cieI, s'ill'a monstrée avec de si si- gnalés effects, n' est-ce pas no us la rendre honnorable? 4. Parce que Ia croix nous a esté CODune Ie sceptre et siege royal de nostre Seigneur: Et principatus ejus slper hume- rum ejus. AuPsalmeXCV: Commoveatur a facie ejus uni- versa terra. Dicite in gentihus quia Dominus 'I'egnavit 1.. Se- Ion la version des Septante interpretes, il y avoit à ligno '.. Mais, au recit de Justin, les Juifs osterent ce mot. Si donc Ia croix est Ie signe du pouvoir et royaume de nostre Seigneur, pourquoy De I'honnorerons-nous pas? etc. Que SI Ie buisson où Dieu comparut meritoit tant de res- pect, etc. Si l'arche d'alliance, comme il est dit au Psal. CXXXI: Introiho in tahernaculum ejus, adoraho in loco uhi steterunt pedes ejus, etc. (il se peut proprement tourner: Adoraho lo- cum vel scahellum pedum ejus); pourquoy non ce siege royal? Ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum (tanquam omnium Princeps et Dominus S). 5. Pour les grands effects qu'il plaist à Dieu de faire par ce memorial, et particulierement contre les demons qui la haissent, de quoy Lactance rend tesmoignage, lib. IV, c. XXVII et Greg.. Naz.. orat. t et 2 in Jul. II vit parmy les sacrifices et augures les diables, comme il desiroit; il sa signe, ils disparoissent. A quoy tendent toutes ces visions? etc. 6. Parce qu'en sa figure qui estoit Ie serpent d'airain, ane t !sale, IX.. - i In Dial.. cum Tr phone. - 'Joan, II. t Num. Xt POUR LE DnIA1\CßE DE LA QUtNQUAGfSDIE.. t 91 fut honnorée avant que d'estre'; pourquoy non en sa me- moire apres avoir esté? Et sicut exaltavit ltloyses serpentem, ita exaltari oportet Filium nominis I.. 7. })arce que ceste veneration est tres ancienne en l'Eglise. Tertullien respond aux Gentils qui tançoient l'homme de la croix. Constantin òefendit qu'on n'y pendit plus personne (afin qu'elle Iust en honneur, et non pas en horreur) :jUt /io- non esset, non /lorrori (Aug., Serm. 18 De verbis Domin'l).. Theodose defend qu'on ne la peigne en terre.. Cum vidisset humi cr1.lcem, erigi jussit, dicens : Cruce Domini {rontem et pectus munire debcmus, et pedihus earn terimus'.. 8. Nos ancicns portoicnt la croix au col, comme tesmoigne saint Gregoire Nissene de sa sæur l\Iacrine, etc. 'Joan., Ill. - I Paul. Diac' J lib.. i8 rer. Rom.. WlVB JESUI. t9i SERMON SER ION POUR LE MERCREDY DES CENDRES. Cum jejutlatis natite fieri sicut llypacritæ tl'istes; exterminant enim facW' suas, ut pareant llOminibus jejunantes.. MATTH., VI.. Quand vous jeusnerés, dit nostre Seigneur, n.imités point les hypocrites J qui paroissent tristes et abbatus de visage, afin que leur jeusne soit conna des hommes. Ces quatre premiers jours de la sainte quarantaine sont comme Ie fondement et l' entrée d'icelle, et en iceux nous nous devons specialement preparer pour bien observer Ie Caresme et nous disposer à bien jeusner la sainie quarantaine; c'est pourquoy j' ay dessein de vous parler en cette exhortation des conditions qui doivent accompagner Ie jeusne, pour le rendre bon et meritoire devant Dieu; mais briefvement et Ie plus familierement qu'il me sera possible: ce que j'obser- veray tousjours, tant au discours que je feray aujourd'huy, qu'en ceux que je desire vons faire tous les jeudis et di- manches du Caresme, qui seront les plus simples et propres pour vostre instruction que je pourray. Or pour parler maintenant du jeusne, et de ce qu'il faut faire pour bien jeusner, il faut avant toutes choses sçavoir, que Ie jeusne de soy n'est pas une vertu, quoy que souventes- fois il en soit un acte; car les justes et les pecheurs, les Chrestiens et les Payens jeusnent : et les anciens philosophes jeusnoient souvent, et recommandoient fort Ie jeusne , sans que pour cela ron pust dire qn'ils fussent vertueux, ny qu'ils pratiquassent une vertn en jeusnant, puisque Ie jeusne de soy n'est pas une vertn, sinon en tant qu'il est accompagné des conditions qui Ie rendent aggr able à Dieu; d' où yieüt porn J..E l\fERCREDY DES CEXORES tÐ3 qu'il profite aux nns ct nun aux autrcs, parce qu'il n'rst pas pratiqué egalenlcnt de tOllS; cc qui se voit souvent aux per- :5onncs du Inonde, lcsquclles pcnscnt que pour bien jeusner, il ne faille sinon e gardeI' de manger des viandes prohibées.. Or cette pensée e t trop grossiere pour entrer dans l'esprit des Religieuscs el personnes dediées à Dieu, CCll1me sont cellesà qui je parle, lesquelles savent birn qu'il ne suffit pas pour bien jcu ncr J de jcusner exterieuren1ent, si l'on ne jeusne encore interieurcluent, et si le jeusne de l'esprit n'ac- ompagne celuy du corps. C'est pourquoy nostrc Seigneur, qui a institué Ie jeusne, d. bien voulu enc;cigncr à ses apostres comme il falloit jeusn r, pour en tirer du profit et de l'utilité; car sç[. hant que pour tirer la force et l'efficace du jeusnc, il falloit faire autres .choses que de s'aLstenir des viandes pl'ohibées, il illslruit scs Disciples, et en leurs pcrsonncs tous les Chresticns, des con- ditions qui Ie doivent accon1pagner, ainsi que nous yoyons en l'Evangile de ce jour.. Or Ie jeusne hien pratiqué a cette proprieté de fortifier l'esprit, ct l'eslever à Dieu; de mortifier Ia chair et Ia sensua- lité, et l'a sujeUir à la raison; de donneI' force pour vaincre et amortir les passions, et surmonter Ies tentations; et par Ie jeusne }e cæur est ll1ieux disposé pour servir Dieu plus pu- rement, et s'occuper és choses spirituelles.. J'ay done pensé que ce ne seroit pas une chose inutile, de vons dire ce qu'il faut faire pour bien jeusner la sainte qua- rantaine; car bien que tOllS les Chrestiens soient obligés de le sçavoir et de Ie pratiquer, si est-ce que les Religieuses et personnes dediées à Dieu y ont une plus particnliere obli- gation. Or entre toutes les conditions reqnises pour bien jeusner, je me contenteray de vons en marquer trois prinei- pales, sur lesquelles je vous diray familierement quelque chose. La premiere condition est, qu'il faut jeusner de tout son 13 194 SERl\ION cæur, c'est à dire de bon cæur, generalement et entiere- ment.. Saint Bernard, parlant du jeusne, dit qu'il faut sçavoir non seulement pourquoy il a esté institué, roais encore com me il se doit garder. II dit done que Ie jeusne a esté in- stitué de nostre Seigneur pour remede à nostre bouche et à nostre gourmandise : et pource que Ie peché est entré au monde par Ia bouche, il faut aussi que ce soit la bouche qui face penitence par la privation des viandes prohibées et deffendllës par I'Eglise, en s'abstenant d'icelles l'espace de quarante jours.. Mais, dit ce glorieux Saint, comme ce n'est pas nostre bouche seule qui a ofIensé Dieu , ains aussi tous les autres sens et membres du corps, il faut que nostre jeusne soit general et entier, et que DOUS les fassions tous jeusner- par la mortification; car, comme dit ce grand Saint, si nollS avons offensé Dieu par les yeux, par les oreilles, par Ia langue, et par tous les autres sens du corps, pourquoy ne les. ferons-nous pas jeusner? Or non seulement, pour bien observer Ie saint jeusne, it faut fa ire jeusner les sens exterieurs du corps, mais encore les puissances et facuItés interieures de rame, e'est à dire l'cntendement, la memoire et la volonté, d'autant que l'homme a peché, et du corps, et de l'esprit. IIelas! combien de pechés sont entrés en l'ame par la COD- voitise des yeux et par les regards dereglés! C'est pourquoy iJ les faut faire jeusner en les portant baissés, et ne leur per- mettant pas de regarder des choses vaines et illicites ; il faut aussi faire jeusner les oreilles, les empeschant d'entendre des discours superflus et inutils, qui ne servent à rien que de relDplir l'esprit de vaines images et representations; il faut aussi faire jeusner la langue, ne Iuy pernlettant pas de dire de.; choses inutiles et superfiuës ; en somnle, il faut retran- che r les discours vagabonds de l'entendement, les vaine images et representations de nostre Inemoire, et tenir Ia bride à nostre volonté, à ce qu'elle n'ayule ny ne tend (lu'au POUR J E :\IFRCREDY DES CENDRES. 195 øouverain biBn, t p'lf ce moyen accompagner Ie jeusne ex- terieur du corp , de l'interieur de l'esprit.. C'eRt ce que nous veut representer l'Eglise en ce saint terns de Caresme, nous cxhortant Je faire jeusner nos yeux, nos oreilles et nostre langue, ct pour cela cUe quitte tous ses chants de rejoüissance, atìn de mortifier l'oüye, ne disant plus d' alleluya, (Iui est un chant d'allegresse, et sc revest de couleur sonilire et obscure, pour mortifier la veuë : et pour nous monstrer que, pendant ceU sainte quarantaine, il faut accolnpagncr Ie jeusne exterieur de l'interieur, eUe nous dit aujourd'hui ces paroles du Genese: ßlemento, homo, quia pulvis es, et ill pulvcJ'cn reverteris; Ressouviens- toy, ð honlIne, que tu es pouJre et cendre, et que tu retourneras en cendre ; comme si cUe nous vouloit dire: 0 homme, res- souviens-toi que tu es nlortel ; ressouviens-toy de ta fin der- niere, et que ce ressou venir te porte à quitter maintenant toules les considerations plaisantes, joïeuses et agreiibles J pour ren1p1ir ton cntendement et ta memoire de pensées ameres, aspres et douloureuses, faisant non seulement jeusner Ie corps par l'abstinence des viandcs prohibées j mais encore r esprit par telles pensées et considerations.. Les Chrestiens de la primitive Eglise, pour mieux obser- ver Ie saint Caresme, s'abstenoient pendant tout ce terns des conversations ordinaires avec leurs amis, et se retiroient en solitude, et en des liéu ccartés du commerce du monde; et les Chrestiens d'environ ran 400 apres Ia venuë de Dostre Seigneur, estoient si soigneux de bien faire Ia sainte qua- rantaine, qu'ils ne se contentoient pas de s'abstenir des viandes prohihées; mnis encore ils ne mangeoient ny pois- sons, ny lail, ny beurre, aiDs se nourrissoient seulement d'herbes et de racines; et non contens de faire Jeusner Ie corps de la sorfe, ils faisoient encore jeusner l'esprit et tontes les puissances de l'ame, et en signe de penitence ils mettoient un sac sur leur teste avec de la cendre, et retranchoient les '* t96 SERl\ION conYrr ations ordinaires pour faire jeusner Ja Iangu{\ et l'oüye, ne parlant ny oyant aucunes choses vaines et inutiles. Et pendant ce terns, ilg s'exerçoient particulierement à 1'0- rayson et n1editation, et à de grandes et aspres penitences, par lesquelles iIs rnattoient leur chair, et faysoient jeusner tous leurs menlbres, et tous leurs sens exterieurs et inte- rieurs; nlaÎs le tout gayement, et d'une franche liberté, sans force llY contrainte, et ainsi leurs jeusnes estoient faits d'un creur entier et general; car pnisque ce n'est pas Ia bouche seule qui a peché, mais encore tous les autres sens de nostre corps, et que toutes les puissances de nostre an1e, nos pas- sions et appetits sont remplis d'iniquités, il est bien raison- nable, pour rendre nostre jeusne entier et lneritoire, qu'il soit general, c'est à dire, qu'il soit pratiqué par Ie corps et par l' esprit, qui est la premiere condition qu'il faut observer pour bien jensner.. La seconde est de ne point jeusner par vanité, ains par charité, et avec hnmilité; car si nostre jeusne n'est fait en 'charité, il ne sera point meritoire ny aggreable à Dieu. Tous les anciens Peres l'ont ainsi declaré; mais particulieremenf ]e grand saint Augustin, saint Ambroise et saint Thomas. Le grand Apostre saint Paul, en l'Epistre que nous lisions dimanche à Ia sainte Iesse, exhortoit les Corinthiens, pour rendre leurs æuvres aggreables à Dieu, de faire toutes choseg en charité et par charité ; done si nostre jeusne est fait sans charité, il sera vain et inutile, parce que Ie jeusne, comma tontes nos autres æuvres, qui ne sont pas faites en charité J ne peuvent aussi estre aggreables à Dieu.. Car quand vons vous disciplineriés tous les jours, et feriés de grandes prieres et oraysons, si VOliS n'avés la charité , cela ne vous profitera . point: et quand mesn1e vous feriés des miracles 7 si vons n'avés la charité, cela n'est rien : bien davantage, si vous t souffriez le Inartyre sans la ch:trité , vostre J11artyre ne vau- droit rien, ny ne sel'oit pointn1critoire devantles veuxdeDieu. POUR J..E 3fERCREOY 1')ES CENnnES. fOi Je dis de plus, t{tIC si vostrc jcusnc n'pst encore fait avec humil:.1é, ct que l'humilité n'accolnpagne la charité, il ne vant rib , ny ne peut estre aggrcable à Dieu. Qnclqups Phi- losophes pa} ells ont jeusné; mais parco que leur jeusne a esté sans humilité, il n'a pas esté rcgardé de Dieu. Plnsieurs granòs pechcurs jcusnenf; mnis d'autant qu'ils sont sans cha- rité et sans humilité, ils n'cn retirent aucun profit.. Tout ce que vous fai tes sans charité, dit Ie grand Apostrc, nc vous profitera de rien : le mCSllle peut-on dire de l'humilité. Si done vous jeusnés sans humilité, vostre jeusne ne vaudra rien; et si vous manqnés d'humilité , il est cprtain que vous manqués aussi de charité; parce qu'il est impossible d'avoir la charité sans estre hun1ble, et d'estre veritahleOlent humble sans avoir la charité, ces deux vertus ayant une telIe sym- pathie et convenance par ensemble, qu'elles ne pcuvent ja- mais aller l'une sans l'autre. Iais qu'est-cc que jensner par hun1Ïlité? C'est ne point jeusner par vanité : ce qui se fait en plusieurs manieres; mais je me contenteray de vous en dire une, pour ne pas charger vostre nlemoire de heaucoup de choses. Jeusner doncques par vanité, c'est jeusner par sa propre voJonté, d'autant que 1a propre volonté n'est point sans vanité. Et qu'est-ce que jensner par sa propre volonté? c'est jeusner camme nous voulons, et non point com me les autres veulent ; c'est jeusner en la façon qu'il nous plaist, et non point comnle l' on noug ordonne et conseille.. Vous treuverés des personnes qui veuIent jeusner plus qu'il ne faut J et d'autres qui ne veulent pas jeusner autant qu'il faut : qui fait cela, sinon la vanité et propre volonté? Car tout ce qui vient de nous-mesmes nous sen1ble tousjours meilleur, et plus aisé à faire que ce qui nous est ordonné et enjoint par les autres, quoy que plus util et plus propre pour nostre perfection.. Ccla DOUS est naturel et vient du grand amour que nous nous porlons à nous-mesmes; ce qui fait i98 SE:..., tJ1'f que tout ce qui vient de nostre propre choix et election, nons l'estimons et l'aymons beaucoup plus que ce qui vient ò'au- truy, et y avons tousjours une certaine con1plaisance qui nous facilite les choses les plus arduës et difficiles; et cette complaisance procede pour l'ordinaire de vanité.. Vous trou- verés des personnes qui voudront jeusner tous les Samedis de l'année, et non Ie Caresme; et d'autant que ce jeusne vient de leur propre volonté, il leur semhle qu'il est plus saint, et qu'illes conduira à une plus grande perfection, que ne feroit pas Ie jeusne du Caresme qui leur est commandé. Qui ne voit que ces personnes ne veulent pas j eusner comme il faut, ains comme elles veulent'l II y en a d'autres qui veulent jeusner plus qu'il ne faut, et c'est de quoy se plaignoit. Ie grand Apostre écrivant aux Romains : Alius credit se manducare omnia; qui autem in- firmus est olus manducet 1.. Nous nous trouvons en peine, disoit-il, avec deux sortes de personnes: les uns veulent manger des viandes prohibées, et ne vClllent pas jeusner comme il faut, Ie pouvant faire; et d'aulres qui sont il1- firmes, qui ne veulent manger que des hcrhes, et vculent jeusner plus qu'il ne faut. II s'en treuve encore aujûurd'huy plusieurs parmy Ie Inonde , de cette prelniere sorte, et qui alleguent des raisons pour manger des viandes prohibées sans necessité, ne se contentant pas de celles de Careslne; mais je ne suis pas icy pour parler à telles sortes de gens) d'autant que c'est à des Religieuses à qui j'addresse ce die.. cours.. Je ne parleray doncques que de ceux qui veulent jeusner plus qu'il ne faut, parce que c'est d'ordinaire avec eux qu'on a plus de peine; car quant aUK pren1Ïers, nous leur faysons clairement voir qu'ils contreviennent aUK com- mandemens de l'Eglise, et desobeïssent à la loy de Dieu.. Qui autem infirmus est alu, 1nanducet. n y en a d'autres qui sont foibles et infirn1es, qui ne peu- 'Rom., XIV. POUR LE 1\JERCREDY DES CENDRES. 199 vent pas jeusner, avec lesqueis on a plus de peine, parce u'ils neveulent point oüir de raisons pour sçavoir qu'ils ne sont pas obligés de jeusner plus qu'il ne faut, c'est à dire, plus qu'ils ne peuvent, et ne veulent point user des viandes lle; car tontes les raisons de leur propre volonté et discretion hu- maine, contraires à la volonté de Dien, ne sont dignes que du feu eternel.. Enfin, pour conclurre ce discours, je dis encore que pour birn observer Ie jeusne de la sainte quarantaine, il faut faire trois choses. La premiere, que vostre Jeusne soit entier et general, c'est à dire, que vous fassiés jeusner tous les nlembres et sens de vostl'e corps, et toutes les puissances de vostre anle, portant la veuë basse, on du moins plus basse ns avoir qu'il nous fortifiera et protegera contre toutes les elnbusches et attaques de nos ennem.is , pour fu- rieuses qu'eUes puissent estre. Passons outre, et voyons de queUes armes se servit nostre Seigneur, pour rembarrer l'ennemy qui Ie vint tenter au desert. Certes eUes ne furent autres, sinon celles dont parle Ie Prophete dans Ie Psalme nonante : Qui hahitat in adju- Iorio Altissinli 2 J que nous disons tons les jours à Complies, . I II Timot., II. - t Psal. xc. !f6 SERMON lequel contient nne doctrine adn1irable. II dit done, eomme: s'il eust parlé aux Chrestiens, ou à quelqu'un en particulier : o que vous estes heureux, vous qui estes armés de la verité Dieu; car elle vous servira de bouclier eontre toutes les :"'nd les verités de la foy avec subtilité et 240 SERl\fON promptitude, parce qu'elle est active et diligente à recher- cheI' et embrasser tout ce qui la peut agrandir, conserver et fortifier, estant toujours aux aguets pour descouvrir Ie bien et eviter Ie mal, afin de se garder de tout ce qui pourroit servir à sa ruine; et comme veil1ante, elIe n1arche ferme- ment et sans crainte de tomber en des precipices.. Cette foy veillante est accompagnée des quatre vertus car- dinales, prudence, force, justice et temperance, desquelles elle se sert comme d'une cuirasse d'armes pour donner la fnite à ses ennemis, de maniere qu' elle demeure tousj ours ferme, invincihle et inesbranlable parn1Y leurs attaques. Sa force est si grande qu'elle ne redo ute rien, d'autant que non seulement elle est forte, n1ais qu'elle cognoist sa force et sur quoy elle est appuyée , à sçavoir sur la verité mesme, qui est la chose la plus forte de toutes. Et quoy que nous ayons assez de force pour donliner sur to us les animaux et nous les assuj ettir ; neanmoins, parce que nous ne cognoissons pas Ia force qui est en nous, cela fait que nous craignons et fuyons devant les bestes, comme foibles, coüards et peureux : ce qui ne procede d'autre chose, sinon de e que nous ne cognoissons pas la force qui est en ous.. Ce qui n'est pas ainsi de la foy : car elle cognoist sa force, et en quoy elle consiste; c'-est pourquoy eUe 5' en sert aux 9ccasions pour donneI' Ia fuite à ses ennemis, et de plus elle se sert de la prudence pour acquerir tout ce qui la peut fortifier et agrandir, ne se contentant pas seulement de croire toutes les verités qui ont esté revelées de Dieu et declarées par l'Eglise, lesquelles sont necessaires pour Ie saInt; mais elle a encore une pru- dence qui la fait veiller continuellement, afin de penetrer e-t descouvrir tousjours de plus en plus la beauté et bonté des verités de la foy, pour.d'icelles tirer Ie sue et la moüelle de laquelle elle se nourrit, se delecte, s'enrichit et s'agrandit. Or cette prudence ne ressemble pas à celle des mondains t qui ne leur sert que pour acquerir des biens, des honneurs porn J.E lIe ,TEDDY DE CA ßES:\IE. 24J et tcIles antres choses qui les cllrichisscnt et agrandissent devant les yeux des hOlnnlès, D1ais qui ne leur profitcnt. de ricD pour la vie eternellc. Fausse prudence certcs que celle- cy; car, je vous pric, que llle profitera 111a prudence pour acquerir les vines, principautés et royaUI11CS, si aveccelaje suis damné : Quid enim p'J'odest h01JlÏni, si 'In'llndllm univerSlln lucretur, anirnæ vera Sllæ det1'in entll1n lJatiatu S? Que me serviront ma. vaillance et ma prudence, si je ne n1e sers d'icclles, que pour acquerir les choscs transitoires de cette vie mortelle? Et quand ])ien je serois Ie I-' uS vaillant et prudent homme du monde, si je ne me sers de ma vaillance et prudence pour acquerir la vie etcrneHe, cela n'est ricn, d'autant que la prudence humaine ne nons apporte que du dommage, et nous voyons que la plus grande partie de nog maux ne proviennent pour l'ordinaire d'autre cause.. II y auroit beaucoup de choses à dire sur ce sujet; mais ne parlons à cette heure que de la prudence clp. 1a foy : car ilIa faut avoir pour estre bon chresuen, parce qu'elle nons fait eviter le mal et operer Ie bien. Si vous croyés tout ce qu'il faut cl'oire pour estre sau\"és, vous Ie sel'és , dit S.. Bernard. Cela s'entend, si vous joignés les æuvres à vostre foy, c'est à dire, si vous faites ce qu'elle vous enseigne qu'il faut fairc pour avoir la vie eternelle. l\Iais, ô mondains , vous dirés qu'il ne se faut point 111ettre tant en peine, qu'il ne faut pas tant de choses pour so sauver, que Dieu se contellte de pen, qu'il sumt de croire tOllS les l;nysteres de la foy, et garder les commandemens.. 0 Dieu! que la misere humaine est grande! La prudence des mon- dains s'arreste ]à, et ne veut rien faire davantage que ce qui cst necessaire pour avoil' la vie eternelle, ny fuyr que ce qui lui pent causer la damnation, se contentant pour ce sujct de l' observance des commandemens : mais queUe gloire apres cela attendés-vous de Dieu 7 La vie eternelle. - II est vray, 1 s. Matth. XIX. lV 10 242 SERMON VOUS l'aurés, ce sera vostre recompense, mais avec cette n- dition, que vous serés declarés serviteurs inutiles, car vous ue travaillés pas pour Dieu, aiDS seulement pour vous-mesmes, . puisqr;e vostre prudence ne s'estend pas plus avant, que de faire ce que vous savés qui vous pent empescher de yOU' perdre. Vous n'estes pas de ces serviteurs veillans, qui ont tousjours l'æil Olivert sur les mains de leur maistre, pour se rendre soigneux et vigilans à faire tout ce qu'ils sçavent qui Iuy pent rendre leur service plus aggreable : Oculi servorum in manihus dominol'um SU01'urll. En quoy iIs monstrent bien qu'ils ne travaillent pas pour eux, ains pour l' amour qu'ils Iui portent, employant tonte leur prudence à voir non seulelnent ce qu'ils doivent et sont obligés de faire, mais encore à de- couvrir les desirs et intentions de leur maistre, pour les suyvre au pIns pres qu'illeur sera possible, afin de lui aggréer davantage.. Or ceux-cy sont des serviteurs fidelles qui auront Ia vie eternelle, mais avec une tres-grande gloire et suavité en lajouyssance de Dieu. Vous vous contentés, ames lasches et paresseuses, dit Ie grand S. Bernard, parlant aux mon- dains, de faire seulen1ent les choses necessaires pour aller au ciel : vous y irés, mais apres cela VOllS serés toujours repu- tés des serviteurs inutiles. Or la foy veillante, de laquelle je parle, n'en fait pas ainsi; car elle sert Dieu non en serviteur mercenaire ) ou attaché à ses interests, mais en serviteur fidele; d'autant qu'elle em- ploye toute sa force, prudence, justice et temperance, à faire tout ce qh' cUe sait et peut cognoistrc luy estre plus aggreable, nese contentant pas seulen1ent des choses necessaires au salut, ains eUe eillbrasse amoureusement, recherche et fait fidele- lllcnt tout co qui la pent Ie plus approcher de son Dieu. O ltre co que j'ay dit, il Y a encore une troisiesn1e sorfe ùe foy, qui est la foy attentive, laquelle est tres grande et excellente, et c'est celle qu'avait la Cananée; car Ja foy pour t:;)1re sraude, doit estre non seuleluent vÎvaute et vejlhu 1e, POUR LE II- JEUDY DE CARI!.Sl\lE. 243 mais encorp attentive, et val' cella attention eUe vient dU plus haut point de sa perfection. V oyons un peu , je vous prie , mes cheres seurs, comme la foy de cette femme rut grande à cause de cette attention. Nostre Seigneur passant sur les confins ou frontiere de Tyr et de Sidon, et ne voulant pas manifester sa gloire en ce lieu, se voulnt relirer dans une maison, afin de n'estre point veu ou apperçeu, dautant que sa renommée aUoit de jour en jour croissant, ce qui estoit cause qu'il estoit suivy d'une granite multitude de peupIe, qui estoit attiré par les miracles qu'il operoit continuellement.. Se voulant done cacher, il entra dans une df!s maisons prochaines.. rtIais voicy une femme pa yenne qui estoit aux escoutes, et laquelle veilloit, prenant soigneusement garde quand nostre Seigneur, duquel eIle croyoit tant de merveilles, passeroit; se tenant, selon que Ie rapporte S. l\latthieu, en attention, pour Iuy demander la guerison de sa fiUe.. C'est pourquoy 10rs que ce divin Sauveur passoit , ou qu'il fut entré en la maison, cela importe pen, eUe vint lui presenter sa requeste, s'escriant : Jesus, Fi]s de David, ayés pitié de moy, ma fiUe est cruelle- ment travaillée du diable : Miserere mei, Domine, fili David, /ilia mea male à dæ'Jnonio vexatur. V oyés un peu la grande foy de cette femn1e : elh demande seulement à nostre Seigneur qu'il aye pitié d'elle, et croit que s'il en a pitié, cela sera suffisant pour guerir et delivrer sa fille.. Or il est certain que cette foy de la Cananée n'eust point esté grande, si elle ne se fust renduë attentive à ce qu'elle avoit ouy dire de nostre Seigneur. Ceux qui Ie suivoient ou qui estoient és ll1aisons prochaines de celle où il se retiroit, avoient sans doute bien ven on entendu parler des merveilles qu'il faysoit, et des miracles qu'il operoit, par Iesquels il confirmoit sa divine doctrine; ils avoient bien autant de foy tlue Ia Cananée, quant à son objet principal; car nne grande partie d'iceux croyoient qu'il estoit Ie l\lessie : mais nean- s 244 SERMON moinsleur foy n'estoit pUS si granùe que celle de cette femme, parce qu'elle n'estoit pas attentive comme la ienne, d'autant qu'ils ne s'appliquoient pas à ce qu'i]s voyoient on enten- doient dire de nostre Seigneur. Et cecy 7 no us Ie voyons communémel1t parmy Ie vulgaire des homnles du 111onde. V ous verrés des personnes qui se treuveront dans une compagnie en laquelle on s' entretiendra de bons discours et de c.hoses saintes : un homme avaricieux les entendra hien ; mais au partir de Ià, demandés-Iui ce qu'on y a dit, il n'en sçauroit dire un mot. Et pourquoy cela? parce qu'il n'estoit pas attentif à ce qui se disoit, dautant (lue son attention es[oit dans son tresor. Un voluptueux en fera tout de 111eSn1e; car bien qu'il escoute, ce semble J co que l' on dit, nean- ll10ins il n'en sçaurùit apres rien dire, parce qu'il estoit plus aUentif à sa volupté, que non pas àce qui se disoit. Iais s'il s'e!1 treuve quelqu'un qui nlette toute son attention à oüyr ce qui se dit, il rapportcrp. fort bien ce qu'il aura entelldu , d3.utant qu'il avcii; n1Ïs son attention à cela.. Hé! pourquoy voyons-nous, mes cheres alTIeS, qu'on fait pour I'ordinairc si pen de profit des predications on des l11ysteres qu'on nous explique et ens eigne ) on de ceux lnesme que nous meditons? c'est parce que la foy a\"ec IaqueJIe nous les entendons on nleditons, n'cst pas attentive. Nous les croyons bien, mais l10n avec si grande fermeté que nous Ie devrions. Or la foy de la Canallée n'estoit pas de 1a sorte. 0 'lí'lulzel'þ magna est fides tua: ô feInme, flue ta foi est grande, non seulement it cause tIe cette attention avec laquelle iu crois tout ce qu'on dit de nostre Seigneur; mais encore pour l'aitention avec.]aquelle tn le prie, etluy presente fa requeste. o certes! il n'y a point de doutc que l'altention que nons apportons pour entendre les n1ysteres de nostre foy , et crl1e ayec laquelle nons les nlcditons cn nos oraisons, ne Ia rendcnt plus grandc.. l\lais, file dira quelqu'un 1 qu'est-ce que medi- tation et contenJplation? II semble que ces 1110ts-là soicnt POUR LE 11 6 ,JEUDY DE CARESl\IE. C)f. OJ .. t,) venus de l'autre monde. -Je repons que meditation on con- templation ne vent dire autre chose que prier ou faire oray- son, et pourveu que ]a priere se fasse aver attention, c'est signe que l'Oll exerce Ia foy vive, yeillante t attentive, comme 13 Canal1ec. Or ceUe foy ou priere attentive cst sui vip. t accompagnéc d'une grande varieté de verbIS ln rquées en la saÌnte Escriture : ß1ais parco qu'il y en a un n :)}nhre quasi innombrable, je DIe contenteray de toucher celles qui sont les plus propres ot confornles à nlon sujct, et lesquelles reluisent plus particulierelnent en la pri re de la Cananéc. Les vertus done desquellcs ceHe fCHlnle accolllpagna la requeste qu'elle fit à nostre Seigneur, furent quatre, sçavoir, Ia confiance, Ia perseverance, Ia patience et l'hun1Ìlité, sur chacune desquelles je diray un mot, dautant que je ne veux pas estre long.. Sa priere fut done accompagnée de confiance, qlIi est l'une des principales vertus qui rend nos prieres gralldf's devant Dieu : Seigneur, dit cette femn1e, ayés pitié de moy, parce que ma fiUe est extremenlcnt tourmentée du diable, Jliscre'J'e mei, Domine, fili David, filia mea 1nale à dæl1îonio vexalup. Cecyest nne phrase de la langue fran- çoise, qui est comn1e si eUe cust voulu dire : Cet esprit maIin travaille continuellement, et pour ce ayés pitié de moi. Grande confiance certes que celle-cy J que si nostre Seigneul' a pitié d'elle, sa fiUe sera gucrie.. En quoy elle monstre bien qn'elle ne. doute point de son pouvoir, ny de son vouloir, en Iuy disant, Seigneur, ayés seulement pÍtié de D10Y, Je sçay hien, vouloit-elle dire, que vans estes si doux et henin à tous ceux qui ont recours à vous, que je ne fay nul doute, que VOliS priant d'avoir pitié de moy, vous ne l'ayés, et indubitablen1ent fila fiUe sera guerie. Certes J Ie plus grand defaut que nous eommettons en nos prieres, et en tout ce qui no us arrive, specialenlent en ce qui regarde les tribulatio s, est Ie manquement de confiance en Dieu; 246 5ER ION ce qui est cause que nous ne Ineritons pas de recevoir Ie se- cours de sa bonté, tel que nons desirons, et que nous Iuy demandons par nos prieres.. Or cette con fiance accompagne tousjours la foy attentive, laquelle est grande ou petite, selon la mesure d'icelle. Saint Pierre estant une {ois descendu d'une nassellp 1, et chemi- nant sur les eaux par le commanden1p.ut de son hon l\[aistre, voyant Ie vent fort qui s' eslevoit, il commença à craindre et à invoquer son secours, Iuy criant : lIa! Seigneur, sauvés- moi. Alors nostre Seigneur Iuy t.endant la main, luy dit : o homme de petite foy, pourquoyas-tu douté? COlnlne Iuy voulant dire, ô Pierre, que ta foy est petite, d'alltant flu'en cette occasion OÙ tu la devois faire voir, tn Inanques de con- fiance; et parce que la confiance qui te reste est petite, ta foy l'est aussi. l\Iais Ia Cananée ent l1ue grande confiance : ce qu'elle fit paroistre, quand elle fit sa priere parn1i Jes hourasques et telnpestes des contradictions, lesqueHes ne furent point suffisantes de l' ebranler tant soit peu , ny faire entrer en defiance. La priere de cette femnle fut encorø acro!11pagnée de per- severance, par laquelle eUe continua tousjours à crier: ftli- serere mei, Domine, fili David,. Jesus, Fils de David, ayés pitié de moy. Iais ne disoit-elle autre chose'? Non, ellß n'avoit point d'autres paroles en la bouche que celles-ey, et persevera à s'en servir tout Ie temps qu'elle fut à crier après nostre Seigneur. 0 que c'est une,grande vertu, ll1es cheres ames, que la perseverance! Si vous eussiés demandé à ce bon religieux de saint l:)acholne, qui estoit jardinier, s'il ne desiroit jamais faire autre chose que Ie jardin, et des nattes : Rien autre, eust-il dit; car bien que ce fust l' occu- pation qu'on Iuy avoit donnée dés qu'il entra au n1onastere, i1 ne prétendoit point neanmoins d'en avoir d'autre tout Ie reste de sa vie.. Or je n'entends pas parler InaÍntenant de Ia , s. I.latth. XIV. ...."::. . ..... " - POUR LE n e JEIIDV DE CARESl\fE. 2.i.7 perseverance finale que nous devons avoir pour e:stre sauvés, ains seulement de ceIle qui doit accompagner nos prieres par ce qu'il y a peu de personnes qui entendent bien en quo elle consiste. i Par exemple, vous verrés des personnes qui ne font que t commencer à prier et suivre nostre Seigneur, ìesquelles de- mandent et veulent aussitost avoir des gousts et des consola- tions, et ne peuvent perseverer à la priere qu'à force de (louceur et de suavité; et s'il leur arrive quelque degoust , et que Dieu leur retire ou leur soustraye la suavité ou faci- lité qu'elles avoient en leurs oraysons, eUes se plaignent et s'affiigent : IIelas! disent-elles, c'est que je n'ay point d'hu- milité, et cela est cause que Dieu n'escoute point mes prieres, et ne me regarde point; car il ne regarde que les humhlrs : et par telles et semblables pensées eUes se laissent Iler à l'ennuy et au decouragement, d'autant qu'elles se lassent de prier avec ces degousts et decourap;emens; et vou- Y DE CARESJIE.. 249 gueur l'inquiete et l'cnnuye; car il prt:'lulroit bien plus de pIaisir et de recreation, que Ie chell1Ïn fust di \rCl'si fié Je quelque vallée ou colline : COlnme aussi le chen1Ïn raholeux et montueux, quoy qu 'il oit court, cnn ye et Idsse les pe- lerins, dautant qu'il faut tousjours fa ire une meSlne chose..- l\Iais il est court.-Celan'importe; ilz aynleroient mieuxqu'il fust. plus long, et qu'il eust quelque diversité.. Et d'où vif'ut cela , sinon de l'incol1stance de l' esprit hUll1ain , qui ne veut point de perseverance en ce qu'il fait'? C'est pourquoy les n10ndaills qui suivent tous ces ll1ouvenlens, sçavent si Lien diversifier les saisons par des passe-tems et recreations : ilz ne jouent pas tou ours un Ulesme jeu, parcc qu'ilz s'en lasseroient, nins iIz les varient; car ilz font des ballets, des dan cs, des promenades, et autres tclles hadilleries : n SOlnnle, iis diversifient les saisons d'ulle val'ieté d'ac- tions, qui ne servent qu'à entretenir cette incollstance, à laquelle l'esprit >>amain est naturellell1ent porlé. C'est pourquoy Ia perseverance qu'on doit avoir n la Re]igion ,. pour ne faire tousjours que les l11esnles choses, est estÍ1née un Inartyre quotidien, dautant qu'il faut renoncer à ses in- clinations, mortifier ses propres volontés, sans qu'il soit jalnais permis de les suivre. N'est-ce pas une espece de mar- tyre de vivre dans cel assujettissement , et de faire tousjours les m smes exercice , sans avoir la liberté de les changer, de persevereI' en la priere selon les heures marquées, soit que nons y ayons des consolations, ou des seicheresses '? Et si bien il nous sell1hle que nostre Seigneur ne nous escoute pas, gardons-nous bien de no us descourager : car ce n'est pas pour cela qu'il nons veüille esconduire, mais c'est affin de nous faire jetteI' nos clamenrs plus haut, pour nous. faire apres davantage sentir Ia grandeur de sa misericorde, comme il fit à la Cananée; parce que c'est nne chose certaine, que quand il nous souslrait en nos oraysons les douceurs et consolations, ce n'est pas pour nous esconduire ny descoura- 250 SERl\ION gel', ains pour nous exciter à nous approcher plus prés de S8 honté , et pour nous exercer à la perseverance, et tirer des preuves de nostre patience, qui fut la troisieme vertu qui accompagna la priere de la Cananée, f 1 : lltant que nostre Seigneur voyant sa perseverance, voulut t IlCore faire preuve de sa patience. Or cette vertu de patience est tres-necessaire pour la per- fection; car e' est par son moyen que no us conservons l' es- galité d'esprit parmy l'inesgalité des accidens de cette vie mortelle. Et pour y exereer eeUe fp.n1nlé, nostre Seigneur respond it une parolIe, Ia(luelle ce selnble Ia devoit bien picquer : Non est honum sumere panen jìliorum J et mitte'pe anihus:l" II n'est pas raisonnable, luy dit-il, que j'oste Ie pain de la main des enfans, pour Ie donner aux chiens. Non sum missus nisi ad oves quæ perierunt domus Israel; Je ne suis envoyé, sinon aux brehis peries de la maison d'!srael. Hé! quoy done, Seigneur, cette brebis, pour n' estre pas de la maison d'Israel, sera-t'elleperduë'? N'estes-vous pas venn pour sauver tout Ie monde, et pour Ie peuple gentil, aussi bien que ponr les Juifs'? Guy certes, c'est une chose indubi- table, que nostre Seigneur estoit venn pour tous; cela est tout clair dans l'Escriture sainte : mais quand il dit, qu'il n' estoit venu sinon pour les hrehis perduës de la Inaison d'Israël, il veut faire entendre qu'il estoit seulement pron1Ïs aUK Juifs; cela vent dire que c'estoit enx qui avoient receu les promesses de la venuë du lessie , et que c'estoit premie- rement et specialement pour eux qu'il operoit tant de mer- veilles, les enseignant de sa propre boucbe, guerissant leurs malades de ses propres mains, conversant continuellen1ent avec eux; et c'est pourquoy il dit, qu'il ne falloit pas oster Ie pain de Ia ll1ain des enfans, qui estoient les Juifs, pour Ie jetter aux chiens , c'est à dire au peuple gentil, lequeI a]ors ne cognoissoit point Dieu. Ce qui est autant que s'jl eust dit : Les faveurs que je fais aUK Gentils pour lesquelz je ne POUR J..E lie .JEUnV DE CA R ES IE. 2ät ßuis pas premierement envoyé, sont si petites et en si petit nombre, au regard de eelles que je fais au peul)le d'Israël, qu'ilz n'ont nul sujet d'en avoir de Ia jalousi . l\Iais comment est-ce done que se doit entendre ee qu'il dit, puisqu'il est venn pour les Gentils, aussi bien que pour les Juifs? C'est que com me il estoit venu pour marcher sur ses propres pieds parlni les enfans d'!sraël, il ùevoit nlarcher par les pieds de ses Apostres parnli les Gentils; il devoit guerir leurs malades, non par ses propres lllains , mais par celles des A postres, et enfin chercber et ramener cette brebis esgarée parn1Ï Ie troupeau, non par son labeur, mais par celuy des Apostres.. Voilà pourquoy il dit à ]a Cananée ces paroles si rudes et piquantes, et qui sentent tant Ie mespris et Ie desdain de cette pauvre femme payenne.. Certes, l'on void ordinairement qn'il n'y a rieu qui offence tant que les paroles piquantes, et qui sont dites pour mes- priser ceux à qui on parle, specialement quand eUes sont dites par des personnes de marque et d'authorité; et ron a ven quelquesfois mourir des hommes de douleur et desplai- sir, pour avoir receu des paroles de mespris de leur Prince, quoy qu'elles leur eussent esté dites par un Dlouvenlent de promptitude, ou surprise de quelque passion. Iais ceUe femme entendant celIe que lny disoit nostre Seigneur, n'entra point en impatience, ny ne s'en attrista, ny offença nulle- ment ; ains en s'humiliant et se prosternant à ses pieds , Iuy respondit : Etiam, Domine,. il est vray, Seigneur, que je ne suis qu'une chienne, je le confesse; mais permettés-moi de VOllS dire, que les ehiens suivent leur maistre, et 5e nour- rissent des n1Ïeltes qui tombent sous leur table : N am et catelli edunt de micis quæ cadunt de mensa Domino'rum suorum.. Ce qu'elle dit avec une tres-grande humilité, qui fut la quatrieme vertu laquelle accompagna sa foy et sa priere : hun1Ílité qui pleut tant à nostre Seigneur, qu'illuy accorda tout ce qu'elle denlandoit, luy disant: 0 mulier, 252 SERl\IO magna est fides tua, fiat tilli sicut vis,. ð femme, que ta foy est gran de ! qu'il te soit fait COllllue tu veux. Car bien que toutes les vertus soient tres-aggreables à DIeu, toutesfois I'hunlilité Ini plaist par dessus t011tes les autres, et senlble qu'il ne Iuy puisse rien refuser. 0 que cette fennue fi t bien voir qu'elle estoit veritablenlent hUlnble, en confessant qu'elle n'cstoit qu'une chienne, et que conlme telle pIle ue denlandoit pas Ies faveurs particulieres aux J uifs, qui estoit nt les enfans de Dieu, ains seulenlent de ramasser les n1ÏetLps qui tomboipnt sous sa fahle, en quoy elle fit paroistre qu'elle estoit bien fondée en cette vertu. II se treuve souvent des personnes qui disent qu'ilz ne sont rien, qu'ilz ne sont qu'abjection, misere et ilnperfec- tion, et Ie monde est tout plein de telles hunÜlités; ce lIni n'est rien moins que Ia vraye humilité, dautant qu'ilz ne sçauroient souffrir qu'on leur die la moinJre petite parolle de Inesestime, que tout aussitost ils ne s'en picqnent; et si vons recognoissés en eux quelque Ï1nperfection , gardés-vous bien de Ie leur dire, car ilz s'en ofIenceront. Iais la. Cananée non seulement ne s' offença pas de se voir appelée chienne par nostre Seigneur, nlais eUe crut et confessa qu'elle esloit telle , et que comme telle elle ne Iuy demandoit que ee qui appartenoit aux chiens; en quoy elle fit paroistrc une adn1Ï- rable humilité, Iaquelle merita d'estre loüée de la bOllche de nostre Seigneur Inesme, qui lny respondit : 0 uUifier, magna est fides tua, fiat tiói sicut vis,. 0 felnrne, que ta foy est grande! te soit fait comme tu veux; et par cette loñange qu'il donna à la grandeur de sa foy, il loüa aussi tontes ses autres vertus qui l'acco111pagnoient. Finissons; c'est assez parlé sur ce sujet ; et taschons, mes cheres ames, à l'exen1ple de Ia Cananée, d'avoir une grande foy; vivitìons-Ia par Ie moyen de la charité, et par Ia pra- tique des bonnes æuvres faites en charité; veillons soigneu- 4lement à la conserver et augmenter J tant par les considera- rOfm IE lIe .1FfmY 1);<: C.\RFSl\IE.. 2j3 tions attentives .les ll1ystcres qu'elle nous enseigne , que par l' exercirc !leg vprtus dont nous avons parlé, et p3orticuliere- ment ae rhuD1ilité, qui cst cplle, COll1me je VOllS ay montré, par laquelle la Cananéc a obtenu lie nostre Seigneur tont ce qu'elle luy den1andoit, à cc que perseverant tousjours à crier apres nostre Sauveur : Fils de David, ayés pitié de moy, J!iscJ'cre IJlci, Dornine, fili David, il nons die à 130 fin de nos jours : Soit fait C001Dle tn Ie veux, et à cause de la grandeur de ta foy , viens joüyr de l'Eternité , au nom clu I)ère , et du Fils, et du saint Esprit. Amen. OlEU 501T E W. 254 r-;F.R tON vvv SER ION POUR LE SECOND DIl\IANCHE DE CARESMB. DB LA TRANSFIGURATION DE NOSTRR SEIGNEUR t. 8cio hominem in Cln'islo sive in cm'pore sive extra corpus scio'þ D scit raptum /'ujzesmodi ad ie).tium ere/urn", et audivit arcana verba quCB non licet homini loqui. II CORINTU.> xu. Dieu seul sait si ce fut en corps ou en esprit que je rus enlevé jusqu'au troisieme ciel, oü je vis et entendis des choses qu'il De cODvient point à l'homme de raconter. Le grand apostre S. Panl ayant esté ravy et es]evé j usques au troisiesme ciel, hors de SOil corps ou en son corps, ne sçachant lequel, dit qu'il n'est nullement loisible, ny possible à l'homme, de dire et raconter ce qu'il vid, et les l11erveilles adn1irables qu'il apprit, et qui Iuy furent monstrées en son ravissen1ent. Or si celuy fIui Ies a veuës n'en peut parler, et ayant esté ravy jusques au troisiesme ciel, n'en ose dire mot, beaucoup D10ins no us autres qui n'avons esté eslevés ny au prelnier, ny au second, ny au troisiesme ciel, oserons-nous entreprendre d'en parler.. Iais puisque Ie discours que nous devons faire aujourd'huy, selon l'Evangile, est de la felicité eternelle, avant toule autre chose, afin de vous faire mienx entendre ce que je diray, il faut que je vons represente nne similitude. S.. Gregoire Ie Grand voulant traiter en ses Dialogues des choses n1erveilleuses de l'autre monde, dit ces parolles : IllHlginés-vous, de grace, de voir une femnle laquelle estant nceinte, est nÜse dans une prison obscure jusques à son accollcheillent, et 111esn1e y accouche, apres quoy eUe est 1 Fide}]ement recucilly par les Religicuscs de la 'ï.,itation Sainte Marie d'Auness (Edit. de 1641 ). POUr. J.F. fIe [)D'^r\r.HF. fIR CARES E 255 tondamnée d"y pnssrr It" reste de ses jours, et d'y {'sIever son enfant.. Cet enfant estallt ùesja un peu grand, et sa mere Ie vüulant instruire, s'il faut ainsi dire, des choses de l'autre monde, dautant qu'ayanl tousjours vescu dans cette conti- , nuelle obscurité, il n'a nullp cognoissance de la clarté du soleil , de la beauté dc p toincs , ny de l'amenité des carn- pagnrs, et Iuy voulant faire cOl11prendre toutes ces choses , Iuy monstre une lanlpe, ou quelque petite Iun1Ïcrc d'une chandelle, par Ie moyen de laquclle eUe tascbe autant qu'elle peut, do faire conlprenùre à cct enfant la beauté d'un jour bien esclairé, Iuy disant : l\lon enfant, Ie soleil, la lune et les esloilles sont ainsi faites, et rcspal1dellt une grande eJarté.. Iais c'est en vain; car l'enfant ne pent nullement cOlllprendre ny entendre ees choses, n'ayant point pu l'expcricnce de la clarté dont sa luere luy parle. Aprcs quoy ceUe pauvre mere Iuy",oulant faire comprendre l'al11enité des collines chargécs d'une grullde diversité de fruits, d'orangcs, de citrons, de poires, de pon1mes, et sen1LlabIes, l'enfant ne sçait ce que c'est que tout cela, ny comme ces choses peuvent estre : et bien que sa nlere ait en n1ain quelques feüilles de ces arbres, et qu'elle luy die: l\Ion enfant, ces arbres sont chargés de tclIes feüilles; et luy 1110nstrant une pODID1e, on orange: lIs sont encore cbargés de tels fruits; ne sont-ils pas beaux et nggreables à voir'? l'enfant neanmoins demeure tousjours dans son ignorance, dautant qu'il ne peut cOlllprendre en son esprit ce que sa n1erc Iuy enseigne, tout cela n'estant l'ien au prix de ce qui est en verité.. Dc mesn1e en est-iI, mes cheres ames, des choses que nous pourrions dire de Ia grandeur et felicité eterneUe , et de Ia Leanté et 3Illenité dont Ie ciel est remply; car il y a encore i plus de proportion de la lun1Ïere d'une lan1pe avec la IUlniere . eL clarté de co grand lun1Ïnaire qui nous esclaire, et plus de rt1:ppo!'t entre la beauté tant de la feüille, que du fruit d'un örbre , et l'arbre mesme, cÌlargé de feüilles et de fruits tout 2!)ß SÛt:\10 CIISêlllble; et. entre tou t ce que eet enfant c0111prend de ce que sa n1ere Iuy dit, et la verité de ces ll1esn1es choses, que non pas entre la lumiere du soleil, et la clarté dontjouyssent les bienheureux en la gloire; on entre Ia brauté d'une prairie diaprée de fleurs au printemps, et les beautés de ces can1- pagnes celestes, et encore entre l'amenité de nos collines chargées de fruits, et l'ampnité de la felieité eternf lle.. Or bien que cela soit ainsi, nous ne devons pas laisser d'en dire quelque chose, estant neanmoins tres-asseurés de cette verité, que tout co que no us en dirons ou pourrions dire n'est rien au prix de co qui 'est en verité. Ayant desja plu- sieurs fois presché, et n1esme en ce lieu, et sur l'Evangile de ce jour, et de ce snjet, j'ay pensé que je devois traiter d'un point dUfJuel je ne vous eusse point encore parlé; Inais avant que delevous proposer, il estnecessaire queje levede vos es- prits que1ques difficultés {Iui VOl1S pourroient empescher de bien entendre ce que je diray par apres de la felicité eternelle; ce que je feray (1'autant plus volontiers, que je desire que ce discours soit bien 111asché, consideré, et comprisde vosesprits. La pren1iere difficuIté qu'il nous faut esclaircir, est, sça- voir si les alnes bicnheureuses estant separées de leurs corps, peuvent entendre, voir, oüyr, considerer, et avoir les fonc- tions de l'esprit aussi libres, que si eUes estoient tInies avec leurs corps.. Et pour vous Ie montrer je YOUR representeray l'histoire de S. Augustin, qui n'est pas un autheur auquel il ne faille adjouster foy.. II rapporte done qu'il avoit connn un n1edecin à Carthage, lequeI estoit fort fan1eux, tant à Rome qu'en ceUe ville, qui cstoit tres-exceIlent en l'art de 111edecine , ct aussi grand hOlnme de bien, faysant beaucoup de charités en servant les pauvres gratis; et cette charité qu'il exerçoit ainsi, fut ause que Dieu le lira d'une erreur en laquelle il estoit tOlnbé estant encore jeune : car Dieu favorise tousjours ceux qui ayment Ie prochain, et qui pra- tiquent la charité el1vers luy. II 11'y a rien qui attire tant sa IIO'"U fiR n e Dl'IANCHE DE CARES:\IE. 237 misericorde ur nous que cela, dautant qu'il a dit que c'est son commandement: Hoc est præceptum meum ut diligatis invicem, sicut dilexi vos I; c'est à dire, Ie sien Ie plus chery et Ie plus aymé; et apres celuy de l'amour de Dieu iJ n'y en a point de plus grand. S. Augustin dit donc que ce medecin Iuy avoi-t raconté, f{u'estant encore jeune, il com.. mença à douter que l'ame estant separée de son corps, pût voir, ouïr, ou comprendre aucune chose : or estant en cette erreur, il s'endorn1Ît unjour; et pendant son somlneil, illuy apparut un })eau jeune homme, qui luy dit : Suis-moy; ce que Ie medecin fit, et ille men a en une grande et spacieuse alnpagne, où d'un coslé illuy fit voir des merveilles incom- parables, et de l'autre illuy fit entendre un concert de mu- sique grandement delectable, dont Ie medecin s'eslllerveilla: et quelque temps apres, ce mesme jeune hommeluy apparut derechef, et luy dit : l\Ie reconnois-tu bien'! Le medecin res- pondit qu'il Ie recognoissoit fort bien, et que c'estoit luy qui l'avoit mené en cette campagne, où illuy avoit fait en- tendre un concert de musique tres-aggreable. 1\Iais comment me peux-tu voir et cognoistre (dit Ie jeune homme) '1 OÙ sont tes yeux'l l\Ies yeux) respondit Ie medeci1l, sont en mon corps. - Et où est ton corps'1 - 1\lon corps est couché dans monlict. - Et tes yeux sont- ils ferlllés ou ouverts? - lIs sont ferlnés. - S'ils sont fermés, COlument peuvent-ils voir? Confesse done maintenant, puisque tu me reconnois, et que tu me vois fort hi en , tes yeux estans fermés, et que tu as oüy la musique tes sens estans endormis, que les fonctions de l'esprit ne dependent pas des sens corporels; et qu'estant l'ame separée du corps, eUe ne Iaissera pas de voir, oüyr, considerer et entendre tres-parfaittemcnt.. Puis Ie songe prit fin, et ce jeune homille Iaissa Ie medecin, Iequel ne do uta jamais plus de cette verité.. Ainsi Ie rapporte S. Augustin, lequel ayant dit que Ie medecin Iuy raconta qu'il avoit en- , S.. Jean, xv. IV. it 258 SERMON tendu cette musique qui se chantoit à son costé droit, est ant en cette campagne, dont nous avons parlé.. l\fais certes, dit-il, je ne me ressouviens pas de ce qu'il avoit veu du costé gauche. En quoy nous remarquons que ce glorieux Saint estoit extrémement exact à ne rien dire, que ce qu'il sçavoit asseu- rément estre de la verité de cette histoirc. Apres laquelle nOl1S ne devons plus admettre cette ditTIculté en nos esprits, que nos ames n'aycnt une pleine et absoluë liberté d'exercer toutes leurs fonctions et leurs actions, bien qu'elles soient separées de leur corps: par exemple, 110st1'e entendenlent verra, considerera et entendra, non seulement une chose à la Îois, l11ais plusieurs enselnble; nous aurons plusieurs at- tentions, sans (Iue l'une empesche l'autre. En ce 11londe nous ne pouvons pas faire cela; car quiconque veut penser à plus d'une chose à la fois, et en nlesrne terns, il a tousjours moins d'auention à chaque chose, et son attention sur cha- cune estmoins parfaite. Tout de mesme ell est-il de la memoire.. Nostre memoire nous fournira plusieurs souvenirs ensenlble, sans que l'nn empeJiche aucunelllent l'autre.. Nostre volonté vondra aussi plusieurs choses, et aura heancoup de divers vouloirs , sans que ces divers vouloirs soient cause qu' elle les veüille ou affectionlle moins; ce qui ne se pent faire en cette vie, tandis que nostrè ame reside dans Ie corps à guise d'une prison, dautant qr!.e nostre memoire n'a pas une si pleine liherté de faire ses fonctions, qu' elle puisse avoir plusieurs souvenirs à la fois , sans que run el11pesche l'autre : nostre volonté de mesme affectionne moins fort quand elle aynle plusieurs choses à la fois; ses desirs et ses vouloirs sont ardens et violens quand elle en a plusieurs. l\fais pourquoy nous arrester davantage sur ceUe pren1Ïere difficulté, puisque tous les Philosophes et les Theologiens tiennentque les an)f S agissent hors de leurs corps 1 '/ S PlatoD, en son Gorgias ct ailleurs: At'1 totc..liv II de la Gen. des Act., c. 1]L POUR LR Il - f\J I..\ NCIIE nF. '" \ '{r-s m. C'..'\ ...dJ La seconde difficulté que 'je vcux pelaircir) est touch ant J'opinion qne plusieurs ont) que les hicnheureux qui font en Ia IIierusaleIn celeste, sont tellenlent enyvrés de I' nbon- dance des divines consolations) que cela leur osle la 1 ibCl'té de l'esprit pour agir; c'est à dire, que cet enyvrclnent Jeur oste Ie pouvoir de faire aucune action, pensans que ce soit la mesme chose de ceUe felicité, que des consolations que rOD reçoit quelquesfois en terre, lesquelles font entrerles personnes cn un certain endormissement d'csprit si grand, iju'il ne leur est pas possible, l)our un tenlpS, ùe so n10u\"oir, ny comprendre mesme Ie lieu où ils sont, ainsi que Ie . cs- 11loigne Ie prophete David, par ces paroles du Psalme CXXV : In conve'J'tendo Dominus ca]Jtivitatem Sion, facti sU'Inus sicut consolati. Nous avons esté faits, dit-il, COllln1C consolés; ou bien selon Ie textp IIehreu et la version des Septante, comme endormis J lorsque Ie Seigneur nous a retirés de la captivité. . lais il n'en sera pas ainsi en la gloire etcrnelle; car l'a- hondance des divines consolations n'ostera pas à nos esprits la liberté de faire leurs actions et leurs n10uvemens.. La tran- .quillité cst l'excellence de nostre action; or dans Ie ciella multitude on val'ieté de nos actions n'empeschera point leur f.ranquillilé, ains la perfectionera de telle sorte qu'elJes ne s"empescheront, ny ne se nuïront point l'une à l'autrc, ains au contraire eUes s'entr'aiJeront merveiUet.1Sen1ent à continuer leurs exercices pour la gloire et Ie pur amOUl" de Dieu, qui les rendra capaþles de subsister l'une avec l'autre. Or ne croyés done pas, mes heres Ames, que nostre esprit soit rendu stupide et endormy en l'abondance de lajouïssance flu honheur eternel; au contraire, ilseragranclemellt pr0111pt, reveillé et agile en ses operations; et si bien il est dit que nostre Seigneur enyvre ses bien-aymés, leur disant ces amou- reuses parolles du Cantique : Comedite arnici, lJihite, et ... 260 SER 10N inehriamini c/Zarissimi t ; Beuvés, mes amis, enyvrés-vous þ mes tres-chers : cet enyvrement ne rendra pas l' ame moiDS capable de voir, considerer, entendre, et faire, ainsi que DOUS av ns dit, ses mouvemens, selon que l'amour de son bien-aymé Iuy suggerera; ains cela I'esmouvera tousjours davantage à redoubler ses eslans amoureux, cornme estant tousjours plus enfIammée de nouvelles ardeurs envers Iuy. La troisieme difficu1té que je veux arracher de vos esprits t est, qu'il ne faut pas penser que nous soyons sujets aux dig- tractions, estans en la gloire eternelle, comme no us sommes tandis que nous vivons en cette vie mortelle.. La raison de cecyest, que nous pourrons avoir, ainsi que nous avons dit, plusieurs et diverses attenlions en mesme terns, sans que l'une nuise à l'autre, ains elles se perfectionneront rune l'autre; si que Ia muHiplicité des motifs que nous aurons, et la varieté des sujets que nous considererons en nostre entende- ment, et des souvenirs que nous aurons en nostre memoire. et encore des desirs que nous aurons en nostre volonté, ne feront nullement que run empesche l'autre, ny que run soit mieux compris que l'autre. Et pourquoy cela'! Non pour autre raison, mes cheres Sel1rs, sinon p rce que tout est parfait et consommé dans Ie cieI, et en la beatitude eternelle. Or cela estant done ainsi, que dirons-nous main tenant ? aiDs que ne dirons-nous pas de ceUe beatitude? Ce mot de heatitudë on felicité fait assés entendre ce que c'est; car cela nous signifìe que c'est un lieu plein de toute consolation, et auquel tontes sortes de bonheur et de benedictions sont C0111- prises et se retreuvent ensen1bIe; si que l'on pent dire veri- tablement, que c'est un estat parfait par Ie rassemblement de tous les biens: Bealiludo est status olnnium hono'j'um aggregalione pelfeetus. Si l' on estime en ce monde un homme hienheureux , qui peut avoir plusieurs attentions à la fois, ainsi que Ie tesmoi- · Can . V t POUR J E n e nIl\IANCHE DE CARESME. 261 gnent les Joüanges que les poëtes ont données à celuy qui pouvoit estre attentif à sept choses en mesme terns, et à ce valeureux Capitaine, de ce qu'il cognoissoit cent cinquante mine so]dats qu'il avoit sous sa charge, un chacun par leur nom pro pre ; comhien plus nos esprits seront estimés bien- heureux en cette beatitude, où iIs pourront avoir plusieurs attentions à Ia fois, sans que l'une empesche l'autre.. 1\lais, mon Dieu, que pourrions-nous dire de cette indicible felicité, qui est eternelle, sans fin, invariable, constante, perma- nente, et pour dire comme les anciens François, sempiter- nelle'1 Je ne veux pas, mesch res Ames, vousparlerde In. felicité que les hienheureux ont en Ill. claire veuë de la face de Dieu et de son essence; car cela regarde Ia felicité essentiellc, de Jaquelle je ne veux pas parler D1aintenant, sinon que fen die .quelque mot sur Ia fin. Je ne parleray pas non plus de l'e- ternité de cette gloire; mais je traiteray. seulement d'UIl poinct qui regarde une certaine gloire accidentelle, que les bienheureux reçoivent en Ia conversalion qu'ils ont par en- 'semble.. 0 queUe aggreahle conversation est celle dont Hz jOl1yssent! lais avec qui conversent-ilz'! Avec trois sortes de personnes : premierement avec eux-mesmes; seconden1ent avec les anges, archanges, cherubins, les saints apostres, les martyrs, les confesseurs, les saintes vierges, et avec Ia Vierge .glorieuse, nostre Dame et Iaistresse, avec la tres-sainte hu- manité de nostre Seigneur, et enfin avec la tres-adorable Tri- nité, Ie Pere, Ie Fils, et Ie saint Esprit.. Or, mes cheres Sæurs , il faut que VOllS sçachiés que tous les hienheureux se cognoistront les uns les autres, un cha- un par leur nom, ainsi que nous Ie fait entendre l'EvangiIe de ce jour, Iequel nons fait voir nostre Seigneur sur Ie mont de Tabor, accompagné de saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, en la presence desquels, comme iis Ie regardoient qui prioit et estoit en orayson J il se transfigura, laissant res- 2{j SERI\fOlf pandre sur son corps une petite part.ie de la gIoire dont il jouyssoit continuellelnent en son anle, dés l'instant de sa glorieuse Conception és entrailles ae nost1'e Dal11e; gloire qu'il retenoit, par uncontinuel miracle, resse1'rée et couvcrte dans la supréme partie de son anle.. Les Apostres virent done aIors la face de nostre Seigneur plus reluisante et escIatante que Ie soleil, et mcsme celte clarté et ceUe gloire fut respan- duë jusques sur ses habits: pour nons 1110nstrer qu'iI n'estoit pas si chiche de sa gloire, qu'il n'en fist part à ses veslemens, et meS111C à ce qui estoit autou!' de Iuy) voulant nons faire voir un petit eschantillon de la felicité eternelle, et une goute. de cet ocean et de ceUe Iner inconlparable de la gloi1 e , pour nous faire desireI' Ia piece tout entiere.. Ce que Ie bon saint Pierre, qui parloit pour tous, con1lne devant estre Ie chef des autres, ayant remarqué: 0 Seigneur! qu'il est. bon d'estre icy, dit-il , tout esmell dc joye et de consolation: Do- 'Jnine, honzl'in est nos hie esse 1. .ray bien veu, vouloit-il dire, beaucoup de belles choses ; l11ais il n'y a rien de si desirable que d'estre icy. 11 vid encore l\Ioyse et Elie, qu'il n'avoit ja- n1ais vens, lesquels il cognut fort bien: l'un ayant pris son corps, on bien un autre fornlé de l'ail", et l'autre estant en son Inesn1e corps, auquel il fut enlevé dans Ie chariot de feu, ct tous deux s'entretenoient avec nostre Seigneur de l'excés qui devoit arriveI' en I-lierusaIem, excés qui n'esloit autre sÎI on la filort que ce divin Sauveur devoit souffrir par l'ex- cés de son amour pour nostre salut. Et soudain apres cet en- tretien, les Apostres entendirent la voix du Peie Eternel, disant : Hie est Filius meus dileetus, in quo 1nihi bene C0'i11- placui, ipsznn audite 2; c'est icy mon Fils bien aymé, auquel j'ay pris nlon bon plaisir, escoutés-le.. V ous voyés donc bien par ce que je viens de dire, que nous nous recognoistrons ' tous les uns les autres en Ia felicité eternelIe, puis qu'en ce petit eschantillon que N.. Seigneur en voulut mOllstrer sur t s... AIattb., XVII. - t Liv. IV des ROîS, ch. 11. POUR I.E lIe DIl\JANCHE DE CARESi\'iE. 2ß Ðette montagne à ses Apostres, il voulut qu'ils connussent Moyse et Elie, qu'ils n'avoient jamais Yens. Si ceia est ainsi, comme il est vray qu'il est, ð mon Dieu ! quel contentpluent recevrons-nous en voyant ceux que nous aurons si cherement aimés en cette vie'! Ouy, mesme nous cognoistrons les nou veaux Chrestiens qui se convertissent nlaintenant à nostre sainte foy , aux Indes, au Japon et aux Antipodes, et les an1Ïtiés saintes, comme eUes auront esté con1mencécs en cette vie, elles se continueront en l'autre eternellemen t. Nous aymerons des personnes particulieren1ent; mais ces amitiés particulieres n'engendreront point de partialités; car touies nos amitiés pl'endront leur source de la charité de Dieu, qui les conduisant toutes, fera que nous aymcl'ons un chacun des hienheureux de ce pur amour dont nous son1mes aymés de sa divine honté.. o Dieu! queUe consolation recevrons-nous en cette con- versation celeste que nous aurons les uns avec les autres! Là nos ])ons anges nous apporteront une consolation plus grande qu'il ne se pent dire ny penser, quand ils se feront connoistre à nous, et qu'ils nous representeront si amoureuselnent Ie soin qu'i]s ont en de nostre saInt Jurant Ie cours de 110stre vie mortelJe, nous ressouvenant des saintes inspirations qu'ils nous ont apportées, comme un lait sacré qu'ils alloient puiser dans les n1ammelles de la divine bonté, pour nous at- tirer à la recherche de ses divines suavités dont alors nous serons jouyssans. Ne vous ressouvient-il point, nous diront- ils, d'une telle inspiration que je VOllS apportay en tel terns, lisant un tel livre , on escontant un tel senTIon, ou bien re- gardant une telle in1age, comme de sainte lVlarie Egyptienne, inspiration qui vous incita à vous convertir à' N.. Seigneur, et qui fut Ie sujet de vostre predestination? 0 Dieu! nos cæurs ne se fondront-ils pas d'un contentement indicible en entendant ces parolles! 264 SERMON Un cl1acun des bienheureux aura un entretien particulier, selon leur rang et dignité.. V ostre bienheureux pere saint Augustin, roes cheres Sæurs, (je me plais à parler de Iuy, 'car je sçay que Ie souvenir vous en est aggreable), fit un jour un souhait de voir Hierusalem en son triomphe glo- rieux, saint Paul preschant, et nostre Seigneur allant pa.rmi Ie peuple, guerissant les malades, ct. faysant des miracles.. 0 Dieu! mes cheres Seurs, queUes consolations à ce grand Saint, voyant la Hierusalem celeste en son divin t.riomphe; Ie grand Apostre saint Paul (je ne dis pas grand de corps, car il estoit petit, mais grand en eloquence et sainteté) pres- chant et entonnant, avec une 111clodie nOlnpareille, les loüanges qu'il donnera eterneUement à la divine majesté dans Ie ciel! l\Iais quel excés de consolation pour saint Au- gustin, de voir faire Ie Iniracle perpetuel de la felicité des bienheureux Far Dostre Seigneur, la mort duquel nous I'a acquise! Imaginés-vous, de grace, Ie gracieux entretien que ces deux saints auront l'un avec l'autre : saint Paul disant à saint Augustin: 1\lon cher Pere , ne vous ressouvenés-vous pas qu'en lisant mon Epistre, vons fustes tOllché d'une telle inspiration qui vous solicita de vons convertir; inspiration que j'avois ol\tenuë de la misericol'de de nostre bon Dieu, par la priere que ie faisois pour vous en mesme ten1S que vous Iisiez ce que favois escrit'? Cela, roes cheres Seurs, ne cau- sera-t-il pas une douceur admirable au cæur de ce saint Pere? Faites derechef, je YOUS prie, une imagination, que Dastrc Dame, ainte l\Jagdelene, sainte l\Iarlhe, saint Estienne et les A postrcs fussent veus l'espace d'un an , comme d'un grand jìlhilé, en Hierusaleln ; queUe d'entre vous autres, je VOGS prie, voudroit demeureI' icy'! Pour moy , je pense que n')l S nOllS en1barquerions tous, et nous exposerions à tous les perils et hazards qui se pourroient rencontrer d'icy là, IJ()ur avoil' cette grace de voir nostre glorieuseDame etMais- tresse, Ia l\Iagdelene, l\Iarie Salomé, et les autres qui s'y POUR LE lie DJl\JANCHE DE CARE l\IE. 265 f=ouveroient; J!uisque nos pelerins encourent hien tant de hasards, et se ettent en tant de perils, pour aller seulement reverer les lieux où ces saintes personnes ont posé leurs be- nits pieds. Si cela est ainsi, ô Dieu! queUe consolation receV1'onS-DOUS estans au ciel, où nous verrons cette heniste face de nost1'e Dame tonte flamboyante de l'amonr de Dieu? Et si sainte Elizabeth demeura si transportée d'aise et de c.ontentement, quand au jour qu'elle la visita, eUe Iuy ouit entonner ce di- vin cantique : Jr/agnificat anima mea Domin'lnn 1, combien nos cæurs et nos esprits tressailliront-ils d'nn contentement inexplicable, 101's qu'ils entendront entonner par cette Chan- - te1'esse sacrée Ie Cantique de l'Amonr eternel! ô queUe douce melodie! sans donte nous pasmerons et entrerons en des ravissemens inconcevables, lesquels ne nous osteront pas pourtant l'usage de la raison, ny les fonctions de nos puis- sances, qui s'establiront merveilleusenlent par ce divin ren- cont1'e que nous ferons de nostre Dame, pour mieux et plus parfaiUement Ioüer et glorifier Dieu, qui Iny a fait tant de graces, et à nous, nous faisant celle de converser familiere- ment avec elle. l\;Iais, s'il est ainsi lIue vous dites, que nons nous entre- tiendrons et converserons avec tous ceux qui seront en cette Hierusa1em celeste, qu'est-ce que nous dirolls'? de quoy parlerons-nous 1 quel sera le sujet de nostre entretien'? - o Dieu! mes cheres Seurs, quel sujet? Celuy de la miseri- corde que Dieu nous a faite icy bas, par laquelle il nons a rend us capables d'entrer en la jouïssance de cette felicité bienheureuse, en laquelle l'ame n'al11'a plus rien à desirer. Car en ce mot de felicité sont compris, comme DOUS avons dit, toutes sortes de biens, lesquels ne sont pourtant qu'un seul bien, qui est la jouïssance de Dieu. C'est ce senl bien que la divine amante du Cantique des Cantiques demandoit · s. Luc, I. . 266 SEn:\ro i instamment à son Bien-Aymé (observant en cela, comme estant tres prudente, le dire dn Sage, qu'il fant penser à la fin prenlier qu'à l'æuvre) : Osculetu'J'me osculo OJ'is sui. : Donnés-moy, Iuy dit-elle, ô mon cher Bien-. L \.yn1é, un haiser de vostre bouche. Baiser leqnel, ainsi que je diray bien-tost, n'est autre chose que cette felicité hienheureuse. l\lais de quoy traitterons-nous encore en noslre conversa- tion? De la mort et passion de nostre Seigneur. Ne l'appre- nons-nons pas en la Transfiguration, où il ne se parla de rien tant que de l'excés qu'il devoit souffrir en I-lierusalem; excés qui, COn1l11e j'ay dit, n'estoit autre que la n10rt de ce divin Sauveur. O! si nous pouvions en quelque façon com- prendre quelque chose de la consolation que les bienheureux auront en parlnnt de cette mort, combien nos ames se delec- teroient-elles d'y penser ! Passons plus outre, je vous prie , et disons quelque chose de l'honneur et de la grace que nous aurons de converser meSlne avec nostre Seigneur humanisé. O! c'est icy sans doute que nostre felicité prendra un accroissen1ent indicible. Que ferons-nous, cheres an1es; ains que deviendrons-nous) je vous prie, quand nous verrons ce cæUf tres-adorable et tres-ayn1able de nostre divin maistre, à travers de la playe sacrée de son costé, tout ardent de l'amour qu'il nous porte? Cæur auquel nOllS verrons tOllS nos noms escrits en lettres d'amour. Hé! est-il possible, dirons-nous à nostre Sauveur) que vous nl'ayés tant ayn1é , que de graver n10n nOll1 en vostre cæur et en vos n1ains'l Cela est pourtant veritable.. Le prophete Isaye parlant en la personne de N.. Seigneur, nous dit ces parolles : Quand bien il arriveroit que la mere oubliast son enfant qu' elle a porté en ses entrailles, si ne t'oublieray-je point; car j'ay gravé ton nom en roes mains: Nun quid polest mulier oblivisci infantem suum, ul non mz'"- sereatur filioute1 1 i sui? et si illa ohlitafuerit, ego tamen nOli . Cant., L ...,....' ...,.,. ...... "POUR J y.: n e nnlANf'll1. nl f' "-TWS:\IR. 257 ohliviscar illi; ecce ill Inanihlls meis descripsi te t .l\lais nostre Seigneur alors, encherissant sur ces paroIles, dira : S'il sc pouvoit fa ire qne la femme oubliast son enfant, si ne t'ou- Llieray pas, l au tant que je porte ton nom gravé dans Inon creur et dans nle n1ains.. Sujet certes de tres-grande COlls0- lation , de voir qnp nons sommps i cherelnent ayn1és de nostre Seignrur, qu'il nons pOl'l tousjour3 da:ls son cæul". o queUe adn1Ïrahle delectation pour un chacun des esprits bienheui'cux, quand iIz verront dans ce coour tres-sacl'é et tres adorable les pensées de paix ({u'il faysoit pour eux à l'henre nl.. nlC ùc Sa passion! Pcnsées par lcsquellcs il nous preparoit, non srulcmcnt les moyens principaux ùe nostre saIut; ITI3is nlc nlpnlcnt nous preparoit Cll particulier tOllS les tlivins attraits, inspirations et bons mouvcmCllS, desquels ce tres-doux Sauveur se vouloil servir pour nous tireI' à Ia. suite dp son pur amour. Ces veuës, ces regarJs, ces conside- rations particnljol'es que nous irons faysans sur cet alnour sacré , duquel nous aurons esté si doucen1cnt, si cheren1ent et si ardemnlent aymés de nostre souvel'ain )Iaistre, enflanl- meront nos cæurs d'Ull amour et d'unc arùeur nOll1pareillp. Hé! que ne devrions-nous pas fa ire pour joüir de ces sua- vités si douces et si aggreables? Cette verité nous est monstréc en l'Evangile de ce jour; car ne voyés-vous pas que nostre Seigneur estant transfiguré, l\Ioyse et Elic luy parlcnt, et s'entretiennent avec luy fan1Ï- lierement? Nostre felicité ne s'arreslera pas là, aiDs passera encore plus avant; car nous verrcns face à face, tout claire- ment, et non par un miroir, conune dit l'Apostre , l'essence de Dieu, et Ie Inystere de la tres-sainte Trinité , en Iaquelle vi3ion et claire cognoissance consiste nostre felicité essen- tielle. Là nous entendrons et participerons à cette tres-ado- rable conversat -'n, et à ces divins colloques, qui se font entre Ie Pere, Ie Fils et Ie saint Esprit.. NOlls cntendrons comme: , Jsaïe XLIX. 268 SERl\fON le Fils entonnera merveilleusement bien Ies loñanges deuës à son Pere eternel, et luy representera en faveur de tous les hommes, l'obeïssance qu'illuy a rend.'Jë tout Ie terns qu'il a esté en cette vie. Nous ent.endrons en cont.t"eschange, comme Ie Pere eternel prononcera d'une voix esclatante, et avec une harmonie incomparable, ('.es divines parolles que les Apostres entendirent au jour de la Transfiguration: Hie est Filius meus dileetus, in quo mihi hene eomplaeui,. c'est icy mOD Fils bien-aymé, auquel je prends mon bon plaisir. Et Ie Pere et Ie Fils parlans du saint Esprit, diront : C'est icy nostre Esprit, dans lequel, procedant de l'un et de l'autre, nous ,avons mis tout nostre amour. Et non seulement il y aura conversation et entretien avec les personnes divines par ensemble, ains aussi entre Dieu et les hommes; ce qui nous est montré en I'Evangile de ce jour, (}ù il est dit que nostre Seigneur s'estant transtìguré , l\Ioyse et Helie s'entretenoient familierement avec Iuy. l\lais qu l sera cet entretien'? ô Dieu! il sera tel, qu'il n' est pas Ioisible à I 'homme de se l'imaginer. Ce sera un devis si secret, que nul ne Ie pourra entendre que Dieu, et celuy avec qui ille ferae Dieu dira un mot à un chacun des bienheureux en particulier, tel qu'il n'y en aura point de semblable; mais quel sera-t'il ce mot'l certes, ce sera un mot Ie plus amoureux qui se puisse jamais imaginer. Representés- vous to us les mots qui se peuvent dire pour attendrir un coour, et les noms les plus afIectionnés qui se peuvent donner, et puis dites enfin que ce n'est rien au prix de ceux que Dieu don- nera à un chacun des hienheureux là haut au cie!. Or ima- ginés-vous qu'il vous dira : Tu es la bien-aymée de mon Fils bien-aymé; c'est pourquoy tu seras tousjours tres-cherement aymée de moy : tu es la bien choisie de mon bien choisy, qui est mon Fils, c' est pourquoy tu ne te separeras jamais de moy. Or tout cela n'est rien, mes cheres Seurs, en compa- raison de la suavité qu'apportera quant et soy ce nom, Quæ POUR T.1': "e DIl\fANCHF. DE CARF-S IE. 269 mot saint et sacré que Dieu dira à l'ame bienheureuse, nom duquel parlant Ie bien-ayn1é Disciple de nostre Seigneur en son Apocalypse, l'appelle un nom nouveau, que nul n'en- tendra que ceIuy qui Ie recevra : Nomen nOVllm quod nemQ scit, nisi qui accipit t . o que ce sera vrayement aIors que Dieu donnera à la di- vine Amante ce baiseI' qu'elle a si ardemment demandé et souhaité, ainsi que nous disions tantost! 0 qu'elle chantera amoureusement ce Cantique d'amour: Osculetur me osculo oris sui; Qu'il me baise, Ie bien-aymé de mon ame, d'un baiseI' de sa bouche ! Et poursuivant, eUe dira : Pulcltriora sunt uhera tua vino, etc. '; meilleur sans comparaison, dira- t'elle, est Ie lait qui couIe de tes cheres mammeIles, que non pas tous les vins les plus delicieux de la terre. o quelles divines extases! quels divins crubrassemens se feront à cette chere Amante, quand Dieu luy donnera ce baiseI' de paix, qu'elle a tant desiré; baiser qu'il ne donnera pas à cette Amante seule, ains à un chacun des citoyens ce.. lestes, entre lesquels se fera un entretien adn1irabIement ag- greable des souffrances et des tournlens que nostre sou verain Redenlpteur a endurés pour un chacun de nous durant Ie cÇ)urs de sa vie mortelle ; entretien qui leur causera une con- solation telle, que les anges mesmps n'en seront pas capabIes au dire de saint Bernard : car si bien nostre Seigneur est leur Sauveur, et qu'ils ayent esté sanvés par luy, il n'est pourtant pas leur Redempteur, dautant qu'encore qu'il ayt luerité la grace pour eux , il ne les a pas neanmoins rachep- tés, ains seuIement les hommes, qui recevront un contente- Incnt singulier à parler de celte sainte rederpption, par Ie llloyen de laquelle ils seront faits semblables aux anges, ainsi que l10stre Seigneur mesme Ie dit en l'Evangile 3 , lorsque IlOllS serons en la IIierusalem celeste, où nousjoüirons d'une con vel'sation tres aggreable, et laquelle durera eternellement, & Apoc., II. - 2 Cant., I. - 3 l\Iarc, XII. !70 ERl\fO avec les esprits hienheureux, les Anges, Cherubins et Sera- phins, Ies Saints et Saintes, nostre Dame et glorieuse l\Iais- tresse, nostre Seigneur, et enfin avec la tres-sainte et tres- adorahle Trinité : conversation qui sera perpetuellement gaye et joyeuse. Et si nous avons tant de contentement en cette vie mor- telle d' OUÏf parler de ce que nous aYlllons, que nous ne pou- vons nous en tail'e, queUe joye, queUe jubilation recevrons- nons d'ouÏr eterneUement chanter les Ioüanges de la divine l\Iajesté que nous devons ayn1er, et que nous aymerons alors plus qu'il ne se pent dire ny com prendre ! Et si pendant cette vie nous prenons tant de plaisir en la seule in1agination de la felicité eternelle, combien aurons-nous'de plaisir en Ia jouïssance de cettc mesme felicilé! felicité et gloire qui n'aura jamais de fin, ains qui durera eternellement, sans que jamais nous en puissions estre rejettés. 0 que cette as- seurance augmentera nostre consolation! Iarchons done gayement et joyeusement, n1es cheres Ames, parmi les difIicultés de cette vie passagere : elnbras- sons à bras ouverts les mortifications, les peines et les afflic- tions, si nous en rencontrons en nostre chemin, puisque nous sommes asseurés que ces peines prendront fin, et qu'elles se termineront avec nostre vie, apres laquelle it n'y aura plus que joyes, que contentements et consolations eíer- nelles. Amen. JEU SOIT Bf.NY, POUß T.E III- JEUDY DE C^RES IE. 2il V'vvVVVVV'VV"V'VV'V'VV"\JV'V'V',^^,,^,^^^^^^,^ SER ION POUR LE TROISIE IE JEUDY DE CARES IE 1. Homo q1lidam erat dives et i11.duehatur purpura et bysso, et epulahaflJ." qtlotidie s/dcndide : ct aat qtlidam mendicu. nomine Lazarus qui jacpbat ad jamlO1Jl f'juç, u!cel'ibus ]Jlenus, cupien.ç satw"ari de micis quæ cadebanl de mensa divitis et nemo illi dabat. Luc, XVI. 11 'Y avoit un hornme riche, qui se revcstoit de pourpre et de fin lin; qui faisoit tous les jonrs !Jonne et magniHque chcre : ct it y avoit un pauvrc nomrné Lamre couché à sa porte, plein d'ulcr.res, lequel desil'oit d'estre rassasié des rniettes qui tomboiellt de la taùle du riche, et personne ne luy en donlloit. J'ay pensé de VOllS entretenir en ce jour de la fin lnal- heureuse du n1auvais riche, ct de celIe de Judas, et de la fin bienheurellse du Lazare et de saint lathi3s, pour vous monstrer le grand sujet qu'il y a de craindre en to"Gte sorte de vocation : Alulti cninl sllnt vocati, pauci vero electi 2; Car plusieurs sont appcl1és, dit nostre Seigneur, n1ais l)eu · sont esleus; comn1e voulant dire, que plusieurs sont appel- lés à lit perfection, mais que peu y parviennent, parce qu'ilz ne cooperent pas à la grace: Pel'ditio iua ex te, Is'pael, et auxiliun tuum tantltin ex me s,. Ta perdition vient de toy, Ô Israël, D1ais de moy seul vient ton secûurs, dit Dieu par un prophete : parolles qui cOlldtunncnt ceux qui censurent et parlcllt injustement contre la providence ùe Dieu, ne voulant pas approuver ny adorer les effets admirables qu'elle permet arliver touchant l'election des bOllS, et la reproba- tion des n1auvais : car lors que la prudence hUlllaine consi- dere 1a reprobation des pecheurs, eUe se nlet soudain à re- cne.rchel'les causes et raisons de leurs cheutes; et ne voulant 2 Fidellement recueilly paries Re1igieuses de la Visitation SJ.intc Marie d'Annessy (Edit. de 1.G 3). - 2 s. Matth., } X. - s Oséc, XIII. 272 sER rON pas confesser ny recognoistre qu'elles sont amvées par leur malice, elle les attribuë au deffaut de la grace, disant que s'ils eussent autant receu de graces que les justes, ils ne se- roient pas tombés dans Ie peché. 0 certes! ces personnes au- roient quelque raison, si cUes disoient seulen1ent que la grace eflìcace n'est pas donnée aux pecheurs COD1me aux justes : mais si eUes passoient outre, et qu'elles voulussent s'enquerir pourquoy les pecheurs ne reçoivent pas la grace efficace comme les justes, eUes seroient contraintes d'ad- voüer que ce n'est pas Ie deffaut de la grace qui est cause de leur perte, puis que Dieu la donne tousjours tres-suffi- sante à quiconque la veut recevoir. C'est une verité de la- queUe tous les Theologiens sont d'accord; et Ie saint Con- cile de Trente a declaré, que j amais la grace ne ll1anque à l'homme, mais c'est tousjours I'holnme qui manque à la grace, ne la voulant pas recevoir ny Iuy ùonner son consen- tement : et les damnés seront contraints au jour du Juge- ment de confesser, comme Ie dit saint Denys l\reopagyte J tlue e'est par leur faute qu'ils ont estés precipités et condam.. nés aux t1anunes eternelles, parce qu'iIs ont 111a.nqué à la grace, et non point que la grace leur ait 111anqué; ce qu'ils cognoistront tres-clairement, et cette cognoissance accroistra de beau coup leurs peines. Or si l'on voit en toutes sortes d'estats et de vocations un si grand nombre de reprouvés et si peu d' esleus, qui est-ce qu s'asseurera et ne craindra de deschoir, pour ne pas ren- dre à Dieu Ie service qu'on Iuy doit, et ne pas correspondre à ses graces, chacull selon sa condition, puisque nous voyons un n1auvais riche et un Judas qui sont reprouvés; et un Lazare, et un saint lathias, qui sont du nombre des esIeus. Iais quoy! Ie mauvais riche n'estoit-il pas appelIé de Dieu 2n une n1esrne vocation que Ie Lazare, et Judas à la mesme vocation que saint l\Iathias'l Ouy sans donte, cela est tout. lair en l'Escriture Sainte; car le n1auvais riche estoit Ju.if 9- 3 PlJUR LA nIe .1EUDY DE CARES:\IE.. _ de nation aussi bien que le Lazare, puis qu'il appelle Ahra- han1 son pere : Pater Ahl'aham, rnisere'l'e mei; Pere Abra- ham, dit-il, ayés pitié de moy, Ie priant de lui envoyer le Lazare. II estoit circoncis, et Dieu Iui avoit tesmoigné qu'il l'aymoit, luy donnant beaucoup de biens, de possessions et de richesses; dautant qu'en la loy de l\loyse, la pauvreté n'estoit pas si estimée ny recommandée comme eIle est main- tenant, et nostre Seigneur n'avoit pas encore dit: Beati pau- peres spiritu t, Dienheureux sont les pauvres d'esprit; mais en ce tems-Ià Dietl favorisoit ses amis, en leur donnant beau- coup de richesses et commodités temporelles, par lesquelles illes obligeoit à Ie servir. En quoy nous voyons que Ie mau- vais riche estoit appellé de Dieu aussi bien que Ie Lazare, et avoit encore plus d'obligation dé Ie servir, parce que Dieu Iuy avoit donné beaucoup de biens temporels, ce qu'il n'a- voit pas fait au Lazare : et neann10ins nous voyons en l'E- vangile de ce jour, que de ces deux hommes, qui estoient en quelque façon egalement appellés de Dieu, celuy qui a Ie plus receu et qui est Ie plus obligé de Ie servir, ne Ie sert point) ains vit et meurt miserablement; mais Ie Lazare Ie sert fidelement, et meurt heureusement; run est porlé au sein d'.Abraham, et l'autre au feu d'enfer. Parlons maintenant de Ia vocation de Judas, et de celle de saint i\Iathias, et voyons combien relection de Judas estoit avantageusc par dessus celle de saint l\lathias; car J ndas fut' f appellé à l'apostolat de Ia propre bouche de nostre Seigneur, . il fut instruit de Iuy comme les autres Apostres, ill'appella mille fois par son nom, il entendoit souvent prescher ce divin Iaistre, et voyoit comme il confirmoit sa. doctrine par les grands et continuels miracles qu'il operoit. Eufin, Judas recent heaucoup de tres grandes et singulieres graces que ne receut pas saint Iathias, n'ayant point esté appellé ny receu à l'apostolat par nostre Seigneur mesme, ains par les 'Matth., v. IV. 18 2 i 1. 8ERMO Apostres aprés son Ascension; et neanmoins il persevera fidclement, et mourut saintement : au contraire, Ie mise- rable Judas, d'Apostre qu'il estoit, devint Apostat, commet- tant Ie plus grand peché et Ia plus grande perfidie qui ait jamais esté, en vendant son bon l\Iaistre. Vous voyés done comme celuy de ces deux Apostres, qui avoit esté Ie plus favorisé, a apostasié; et que celuy qui fut appellé à l'apos- tolat aprés la Dlort de Dostre Seigneur, a perseveré. Grand sujet de craindre en tontes sortes d'estats et de vocations, puis que par tout il y a du peril. Quand Dieu crea les Anges dans Ie ciel, il les establit en sa grace, de Iaquelle il semhloit qu'ilz ne devoient jamais descheoir, et neanmoins Lucifer se revolt a contre sa divine l\Iajesté, et Iuy et tons ses sectateurs refuserent de Iuy rendre Ia subjection et l'obeyssance qu'ilz Ioy devoient; ce qui fut cause de leur ruine. Par OÙ nous voyons qu'il y a eu du peril dans Ie ciel, aussi bien que dans Ie Paradis terrestre , où Dieu ayant creé l'homme en sa grace, il en descheut, et la perdit senlbiablement par sa desobeyssance. l\Iais n'est-ce pas une chose espouvantable que Ia cheute de Salomon, à qui Dieu avoit donné tant d'esprit et une si profonde sa- pience, qu'il avoit la connoissance de toutes choses, pene- trant jusques au centre de la terre, et montant jusques aux plus hauts cedres du Liban : Disputavit (Salomon) sU1Jer li.qnis a cedro quæ est in Lihano, usque ad hyssopum qllæ egreditu1" de pa1'iete,. Salolllon qui parIoH avec une sagesse si grande, non seulelllent des choses corporelles et lllate- rielles, mais encore des spirituelles, COlTIìlle l' on void dans eet adnÜrahle livre de l'Ecclesiaste, et és autrcs qu'il a conl- posés, qui sont tous reluplis de sentences, Icsquelles con- tiennent une si profoI1de science, que l'on pent dire qu'il n'y a jalnais en persanne avant Iuy, qui ait parlé si divine- n1en nyavec plus cl'eloquence, tant pOill' les choses natu- relIes que ::;ul'l1atul'elles : et neanwoins il est de;5chcu d la POUR T.E 111- .JRUDY DE CARESME. 275 Brace, comme nous dirons bientost, et est tombé dans l'ini- quité, nonobstant toute Ia plenitude de l'Esprit divin qui rcsidoit en luy. Qui est - ce donc qui ne tremhIera? y aura-t'il Societé, Religion, Institut, Congregation, et n1aniere de vie, pour sainte qu' elle soit, qui se puisse asseurer et dire exempte de crainte et apprplwnsion de ton1ber dans Ie precipice du prché'1 queUe compagnie, assrm])Iée, on vocation est-ce que ron trouvera qui soit hors de peril'1 0 Dieu! il est vray qu'il y a par tout à eraindre, et grand sujet de se tenir en une extreme bassesse et profonde humilité. Tenons- nous done bien à l'arbre de nostre profession, ehaeun scIon nostre vocation; mais ne 1aissons pas de ll1archcr en erainte et dé- fiance tout Ie telns de nost1'e vie, de peur que voulant mar- cher avec trop d'assellrance, nous ne tombions dans Ie pre- cipice du peché : Cum timore et tremore opel'amini salutem ves tram. Job, dit S. Gregoire, avoit rcceu une grande grace de Dieu de demeurer juste panni les nleschans; car pour l'ordi- naire, l'on est tel que sont ceux avec qui l'on converse, et partant il avoit grand sujet de loñer Dieu, de ce qu'illuy faisoit la grace de persevereI' dans Ie bien parmi les impir.s; dantant que c' est nne chose fort perilleuse de demeurer dans Ie monde, el y avoir la conversation des meschans, sans contracter de nlauvaises habitudes et commettre queIque peché. Certes , cela ne se peut sans une grace et faveur tres- speciale, et c'esL pour ce sujet, dit S. IIierosme, que Dieu en retire plusieurs du monde pour les appeller dans les deserts. Done, ceux que Dieu appelle en quelque bonne el- sainte vocation, ont un grand sujet de loüer et remercier sa divine bonté de la grace qu'illeur a faite : mais sont-ils 'POUl cela hors des dangers de se pcrdre? 0 non certes : car il ne suffit pas d'estre en quelque bonne et sainte congregation) ii5socié avec les bons, si l'on ne persevere à vivre seIon It) * 276 SER fl)N devoir de sa vocation : et quand I' on vien! à manquer à la grace en telles manieres de vie, les cheutes en sont beaucoup plus perilleuses, co mIne ont esté celles des anges dans le tiel, celle d'Adam dans Ie Paradis terrestre, et celle de Judas au college des Apostres. Chose épouvantable, que dans Ie ciel empyré parmi des esprits si purs et doüés d'une si noble et excellente nature, conlme estoient les anges etablis en la grace, et IJal'lny une si sainte compagnie, où il n'y avoit aucune occasion de peril ny de tentation, il y en ait eu un si grand nonlbre qui se sont perclus, et que Judas qui avoit esté appellé de Dieu mesme à l'apostolat, aye commis un si enorme peché, et une si execrable trahison que de vendre son bon :alaistre, au terns mesme qu'il avo it Ie honheur d'estre en sa compagnie, qu'il entendoit ses divines paroles, et voyoit les nlel'veilles qu'il operoit.. Certes, voilà des exemples qui doi vent faire trembler toutes sortes de per- sonnes, de quel ('stat, condition ou vocation qu' eUes soyent. V oyons maintenant, pour mon second point, la ressem- blance qu'il y a eu du progrés de la vie du mauvais riche avec celle de Judas. HO'Jno quidam e'J'at dives,. II y avoit un homme fiche, dit l'Evangeliste, nlais avec ses richesses il estoit avaricieux. Pour bien entendre cecy, il faut sçavoir qu'il y a deux sortes d avarice, dont l'une est naturelIe, qui fait que rOD a une grande avidité d'acquerir des richesses; d'où vient que ron void taut de personnes dans Ie monde, qui semblent n'avoirautrechose à faire qu'à amasser tresol'S sur tresors, et mettre possessions sur possessions. 01'" c'est à ces personnes à qui Ie prophete dit ces parolles : 0 pauvres gens! pensés-vous que Ie nlonde ne soit fait que pour vous? comn1e s'il clisoit : 0 111iserables, que faites-vous? croyés- vous tousjours demeurer en Ia. terre, et n'y estre que pour amasser des biens te111porels? 0 certes! vous n'estes pas creés pour cela, ains pour ayn1er et servir Dieu. l\Iais quoy, dit la Prudence humaine, la terre, et par consequent tout ce qUI POfTR f.F. 'He .TF.CDV OF. r.A RF.S:\tE. 27i 5t en icelIe, n'esl-il pas filit poa rhClunle'? Et Dieu ne veut-il p3S que nous en usions? II est vr3Y qu'il a creé Ie monde pour I'hornn1p, a"\lec intention qn'il nS3st et se servist des biens qu'il trou\"(1foit en iceluy : Inais non point afin qu'il y mist son affection pour enjouyr, comme si c'estoit S l fin derniere. Dieu erea Ie n10nde avant de creer l'homme, pour Iuy servir de nlaison et de deillcure, et Ie declara maistrl' absolu de tout ce qui e t en In terre, voulant qu'il s'en scrvist et en eust l'usage; mais non point qu'il PO jouyst ny y logcast son affection, luy ayant donné l'rst.re pour une tìn plus baute, qui est luy-nlcslne : Inais Ia cupidité ct avarice a tellenlent renversé Ie eæur et l'esprit de l'houulle, qu'il cst venTI à ce poinet de vouloir jouyr de ce dont il devroit ser, et user de ce de quoy il dcvroit jouyr; ct qui taslcroit If' poulx de la pI us grande partie des mondains, et rcgarderoit un pen de prés les Inouven1ents de leurs eæurs, descouvriroit facilement qu'ilz veulent jouyr dn mondc, ct de ce qui se retreuve en iceluy j nlais quant à Dieu, ilz [,e contentent d'en user' d'où vient que tout ce qll'ilz font n'est que pour l'ac- quisition et cO;Jservation des choses ternporelles, et ne font quasi rien pour acquerir la felicité etel'ueHc. b'ilz prient J s'ilz gardent les divins eommandemcns J on font quelques autres bonnes rouvres J c'est erainte que Dien nc les ehastie par quelques desastres et inforlunes , ou afin qn'il conserve leurs biens, leurs femmes et en fans , se contentant d'user de Iuy pour ce sujet; ce qui est la cause de tous leurs maux. II y a TIne autre sorle d'avariee qui serre et ne vent. poin' quitter ce qu'elle possede : or cette avarice est grandement dangereuse, p31'Ce qu'elle se glisse par tout J mesme dans les religions et dans les choses spirituelles. L'on se pent faci- lement gardeI' de la premiere sorte d' avarice, dont nous venons de parler J et ron treuvera plusieurs personncs qui n'ont pas cette avidité d'anlassel", et acquerir heaucoup de biens ten1porels, mais peu qui quittent franchement ce qu'i!z !7S ElnIO possedent.. {,,'on treuvera quelljuesfois des hommes qui ne se 80ucient point d'acquerir des biens, quoy qu'ilz ayent una famille à entretenir, pour laquelle ilz auroient besoin d'avoir quelques commodités, ains au contraire ilz mangent et dis- Bipent tout ce qu'ilz ont, en sorh qu'ilz se rendent pauvres et miserables pour toute leur vie; ß1ais ilz sont tellement avaricieux de leur liberté , qn'ilz en font leur tresor, et Ia tiennent si ferme qu'ilz ne la voudroient quitter ny assujettir pour chose aucune, ains en veulent jouyr pour suivre to utes leurs fantaisies.. Certes, il est vray aussi que l'on treuve quelquefois des personnes riches, qui ne se soucient plus d'acquerir des biens; mais ilz ont leur cæuI' si attaché à ceux qu'ilz posse dent , qu'il est presque in1possible de leur oster cette affection. L'on voit meSlne des ames spirituelles qui possedent ce qu'elles ont avec tant d'attache, et prennent tant de pJaisir à voir et regarder ce qu'elles font, qu'elles commettent une espece d'idolatrie, faisantautant d'idoles que d'actions par la complaisance qu'eHes y prennellt. Or Judas et Ie mauvais Riche estoient avaricieux ùe ces deux sortes d'avarice que nous venons de dire, dautant que non seulement ils desiroient de lnettre argent sur argent, et d'amasser beaucoup de biens; mais encore ilz les aYlnoient si demesurément, qu'ilz en faysoient leur Dieu; c'est une façon de parler de l'Escriture sainte L'avaricieux fait son dieu de son or et de son argent, et Ie voluptueux de son vent.re : Quo1 u1n Deus vente1 est t, dit S. Paul. Certes, it y a bien de la difference entre hoire du vin ou s'enyvrer, et entre user des richesses ou les adorer. Celuy qui hoit du vin ce qu'il faut seulement pour sa necessité, ne fait point de mal; mais celuy qui en prend avec tel excés, qu'il vient à s'enyvrer, offense Dieu mortellelnent: de mesme, il y a aussi bien de la difference entre user des richesses on en faire son idole : car en user COlllnle il faut et selon son e1;;tat et t Philip., 111. pou.n LE III- JEUDt' DE CAßES'\I:e. 279 ondition, c'est une chose permise; mais d'y engager par trop son cæur et son affection, en sorte qu'on vienne à en abuser, c'est une chose digne de condamnation. En un mot, il y a hien de la difference entre voir et regarder les choses de ce monde, on en vouloir jouyr comme si en icelles con- sistoit nostre felicité : Ie premier est licite, mais Ie dernier est deffendu.. Le traistre Judas (pour .ne parler que de I uy, et laisser Ie mauvais Riche) estoit grandement cupide d'amasser de l'ar- gent; non seulement pour ce qui estoit reqnis à l'entretene- ment de nostre Seigneur et de ses Apostres, car pour cela il falloit peu de choses, dautant que nostre Seigneur estaÞlis- soit son Apostolat sur la pauvreté, et deyoit envoyer ses Apostres prescher son Evangile, avec deffense de ne porter ny bourse, ny besace, ny baston, et qu'ils ne fissent aucune provision pour Ie lendemain, mais qu'ilz se confÌassent à leur Pere celeste, qui les nourriroit par sa providence, parce que Ie noviciat des Apostres, et tout Ie reste de leur vie, devoit estre fondé sur reUe beatitude: Reati pauperes spi- ritu t, Bienheureux sont les pauvresd'cspl'it.l\Iais con1me les Apostres ne devoient estre envoyés qu'apres qu'ilz auroient reçeu Ie saint Esprit, et qu'ilz vivoient tons ensen1ble avec nostre Seigneur, il leur permettoit bien d'avoir quelque petite chose en commun, pour subvenir à la neccssité jour- l1alicre, non point en particulier, et vouloit que l'un d'eux portast la bourse) et eust soin de la despence, car Iuy qui estoit Ie parfait nlodelle de toute sainteté, ne se vouloit point n1esler de cela. C'est ce que remarque fort hien S. Bernard, fa ysant un 1110t d'avertissement au pape Eugene: Nostre Seigneur Souverain Pontife, et Chef du College A postolique, luy dit-il, ne se mesloit jamais des choses requises pour SOL entretien telnporel, ny pour celuy de ses Apostres, et partant il falloit qu'il eust quelqu'un qui prist ce soin; c'est pour- . Matth.., v. 280 SER ION quoy il choisit Judas: mais ce miserable n s'y COIn porta pas en æconOllle fidel, ains en larron et avarici! ux, ce qui fu cause que d' Apostre qu'il estoit, il devint A.postat, vendant son divin laistre pour amasser de l'argent. Tous les SSw Peres ccndan1nent grandel11ent cette faute quoy qu'il y en aye quelques-uns qui etipll n'a pas esté exempte d'in1perfection; l'iniquité s est , L'(->Hvée panni eux : Et in angclis suis 'cpcrit pravita- teJn ' et Dietl les a precipités du iel en enfer, parce qu'ils se sont rcvnltés contre lny.. Or non sç ulfn1cnt l'in1perfection s'est tl'puvéc panny les .L\nges avant qu'ils fussen! confirmés en gT C ; rnais encore depuis qu'iJs ont esté confirmés en icelle : car bien qu'ils n'ayent plus d'in1perfeetion 111orale, neannloins ils ne sont pas parfaits d'une perfection si en- tieJ. B, qu'il ne leur soit encore resté une certaine imperfection negative, laquelle toutesfois ne les rend pas desaggreables à Dieu, ny ne les pent faire descheoir de ][1 beatitude, dautant qu'ils ne peuvent comn1ettre al1cun peché. N'esl-ce pas de l'imperfection en eux, qu'ils ne connoissent pas tousjours parfaittement ce qui est volonté de Dieu, quoy qu'ils soient jouï sans de la claire vision de sa divinité, et qu'ils Ie voyent face à face comn1e il est'? l\Iais attendant qu'ils ayent une plus claire cognoissance de sa volonté, ils font au plus prés qu'ils peuvent ce qu'ils jugent estre plus conforme à icelle , con1bien qu'ils soient quelquesfois difIerens en cela les uns des aut res ; comn1e il advint aux Anges gal'diens des Persans et des Juifs, qui se debattoient l'r n contee l'autre pour ce qui estoit de l'execution de la volonté de Dieu; en quoy ils com- mirent une imperfection sans toutesfois pecher, car ils ne Ie pou voient faire ; et ressembloient à ceux qui contreviennent à la volonté de Dieu, sans qu'ils le sçachent ou cünDoissent : car s'ils sçavoient que ce qu'ils font ne fust pas sa voIonté, ils mourl'oient plustost mille fois que de le faire.. Iais la di- vine Sapience a voulu laisser cela aux Anges, pour lnonstrer qu'il n'y avoit aucune creature qui n'eust t. n soy quel(lue 96 SERMON imperfection, et qui ne portast la marque de son extraction du neant. TelIement qu'on ne fait point de tort aux Saints, (fuand l'Oll raconte leurs pechés et defauts, en escrivant leurs verlus.. 1\Iais au contraire ceux qui escrivent leurs vies, senlblent pour cette raison faire un grand tort à tons les hOlnnles, de .celer les pechés et imperfections des Saints, sous pretexte .de les honnorer, ne rapportant pas Ie commencement de leur vie, crainte que cela ne din1Ïnuë au anloindrisse l' stime qu'on a de leur sainteté. 0 non certes, cela n'est pas; 111ais au contraire, ils font tort, et aux Saints, et à toute la posterité. Tous lesgrands Saints, escrivant les vies des aub'es Saints, ont tousjours dit clairement et naïfvement leu: s fantes et im- perfections, et ont pensé, comme il est vray, faire en cela autant de service à Dieu et aux mesnles Saints comme en racontant leurs vertus. Le grand S. Hierosme, escrivant l'epitaphe, les loüanges et les vertus de sa ell ere fiUe Paula, dit claire- ment ses inlperfections, condamnant luy-mesme avec une verité et naïveté tres-grande quelques-unes de ses actions, faysant tousjours marcher la verité et la sincerité en escri- vant ses vertus et ses defauts, sçachant bien que l'un seroit autant utile que l'autre : car cela nous sert à deux fins, dautant que nous voyons les defauts aux vies des Saints, non seulement pour recognoistre la bonté de Dieu qui les leur a pardonnés, mais aussi pour apprendre à les abhorrer, viter et en faire penitence, conlme ils ont fait, de Inesme ue nous voyons leurs vertus pour les imiter. Certes tous les vrays chrestiens, mais specialement les ligieux, en lis ant les vies des Saints, doivent estre conlme es avettes , qui ne voltigent dessus les fleurs, que pour en cueillir Ie miel et s'en nourrir. Et c'est ainsi que faysoit Ie grand S.. Antoine: car apres qu'il se fut retiré du lllonde, il s'en aUoit courant. les deserts parmi les grottes des Ana. .chorettes J pour remarquer et l"eCQßiUir, tout aiusÌ qu'uuo POUR LE DIMANCBE DES RAMEAUX. 397 sacrée avette, Ie miel de leurs vertus; ce qu'il faysoit encore pour recognoistre ce qu'il y avoit d'imparfait en eux, afi.n de reviter et s'en garder; de sorte qu'enfin il devint un grand 'Saint. Or il se treuve souvent des anles qui font tout Ie con... traire de cecy, et ressemblent non à des abeilles , Inais à des guespes, lesquelles à Ia verité vont bien volant sur les fleurs, mais c' est pOllr en tireI', non Ie n1Ïel conlnle les abeilles, mais Ie venin; et si elles y recueillent Ie miel, elles les con- vertissent en tiel, regard ant les actions du prochain, non pour en recueillir Ie miel d'une sainte eòification par la consideration de leurs vertus, mais pour en tirer Ie venin, renlarquant les fautes et imperfections de ceux avec Iesquels ils conversent, on mesnle en lisant Ia vie des Saints, afin de prendre de là occasion de conlnlet.tre les nlesmes pechés et ÍIllperfflctions plus librenlent. Carvoyant, comnle S. Hierosrne raconte, que sainte Paule avoit cette grande imperfection de pleurer et ressentir la mort de ses enfans et de son mary si vivement, qu'elle en tomboit malade jusques à la mort: Hé! disent-elles, si sainte Paule, qui estoit une si grande Sainte, avoit tant et de si vifs ressentÏ1nens à se separer et priver de ceux qu'el1e aynloit, se faut-il estonner si nloy qui ne suis pas arrivée à un tel degré de perfection, je ne nle puis resigner en tous les evenenlens qui In'arrivent, quoiqu'or- donnés pour mon bien par la divine Providence? Et cela est cause, que lorsqu'on est repris de quelque dcfaut ou irnperfection , l'on n'a point d'envie de s'ell corri- gel' ; et l'on ol)jecte pronlptenlent : Un tel Saint faysoit bien eel a , je ne suis pas meilleur ny plus parfait que Iuy; ou, si une telle fait eel a , ne Ie puis-je pas bien faire'? Pauvres et chetives creatures que nous sommes, voilà pas de belles raisons? conlnle si nous n'avons pas assés à travailler chez nous, pour nous defaire et détortiller de nos inlperfections et nlauvaises habitudes, sans nous aIler encore revestir de celles que nOilS remarquons ou voyons aux autres'l Ne 398 SERl\ION sommes-nous pas bien nliserables, qu'au lien d'eviter tes defauts et in1perfections que nons voyons à nostre prochain, nous nous en servons pour nous en surchargeI' ou pour nous confirnler és nosh es? Certes, c'est à tres-juste raison qu'on peut dire, que les personncs qui ont cette in1perfcrtlo11 tiennent de la nature des gue 1H s, dautant que si e1les ne treuvent du venin dans Ies fleurs, ct qu'elles y recnei1lent. Ie mieI, eUes Ie cOl1vertissent en fie!. Iais il ya des ames tellenlent 111alignes et malicieuses, que non contentes de rClnarquer les clefauts d'autruy, pour se confìrmcr és leurs, eUes passent cncore jusques-là que de tireI' des nlauvaises interpretations et consequences des honncs æuvres qu'elles voyent faire; et non seulenlent eel a , Innis elles excitent et provoquent les autres à en faire de 111<:SI11C , .et font ainsi que les guespes, lesquelles par leur boul'donne- lnent attirent les autres à venir sur la fleur oÙ cUes ont 1rouvé du yenin.. Et pour vous donneI' des exemples de cecy,. voilà un jeune bOlllnle qui entre en religion, ou une autre personne qui fait une bonne æuvre; îl s'en treuvera qui censureront ceUe retraite, ou ceUe bonne æuvre, et par leurs raisons et dis- conI'S ils seront cause que plusieurs en feront de nlesnle. Certes, l'on peut fort à propos dire, qu'à telles personne s'approprie tres-bien ce que dit S.. Gregoire des chiens, que si tost que l'un abboye, tous les autres en font de llleSl11e, sans regarder s'ils ont tort ou droit, ains ils Ie font y estans excités et provoqués par les autres.l\fais, dit ce grand Saint, ne Iaissés pas pour les aboyemens des chi ens de poursuivre vostre chen1Ín.. Que Ie l110nde crie tant qu'il vondra, que la prudence humaine censure et condaInne nos actions tant qu'elle pourra; il faut tout escouter et souffrir, et ne pas s'effrayer ny desister de son entreprise, ains paursuivre son chen1Ïn fennement et fidellement. V ous vo.rés done conlll1e ceux qui regardent les actions du POUR LE DIl\fANCHE DES RAMEAUX. 399 prochain desyeux de la prudence humaine, convertissent Ie miel en fieI, et tirent des mauvaises interpretations de tout.. Or nous estonnerons-nous que Ie monde treuve à red ire aux actions des Saints, puisque nous voyons Ie Saint des Saints, nostre Seigneur (selon que Ie rapporte S.. Iatthieu au vingt et unieme chapitre de son Evangile, parlant du mystere que nous celebrons aujourd'huy de son entrée en IIierusale111) ceneuré et calomnié des Scribes et Pharisiens nleschans et pIeins d'envie, et cela à cause des merveilles qu'il operoit, et des loÜanges que Ie peuple Iuy donnoit; dequoy iIs conçeurent une telle hayne contre luy, qu'ils reso.. I urent de Ie faire mourir, I ndignati quærebant eum tenere. o que 1a Inalice et l'ingratitude des hommes est grande, de vouloir donner la mort à celuy qui leur vouloit donner Ia vie! Dansquel aveuglement estoientces miserablesScribes et Pharisiens, de hayr celuy qui leur faysoit tant de bien! l\lais helas! toute leur hayne ne procedoit d'autre cause, sinon de ce que cette grande Iumiere de la vie tres-sainte de nostre Seigneur leur esblouyssoit les yeux, dautant que ses vertus condamnoient leurs vices, et que son extreme pauvreté et humilité estoit contraire à leur avarice et à leur orgueil : voilà pourquoy iis prirent resolution de Ie faire 111ourir, et d'une l110rt tres-honteuse, suivant ce qui en avoit esté predit en la personne des impies : Jforte turpissima condelnnemus eum 1. ,Iais nostre Seigneur, qui estoit venu au monde pour nous donner exemple de ce que nous devons faire, quoy qu'on ayt murmuré de Iuy , a tousjours voulu perseverer en la pratique d'une tres-profonde humilité; c'est pourquoy voulant aujourd'huy faire son entrée royale en la ville de Ilierusalem , il choisit , seion que Ie rapportent les Evange- listes, une asnessse et un asnon.. II y a plusieurs raisons decela; mais je me conte"'1teray de Sap., II. 400 SEJU\ION vous en dire trois, dont Ia premiere est, que eet anin1al est bumble; laseconde, qu'il est patient; et la troisieme, qu'il se laisse charger com me on vent.. Or avant que de passer plus outre, il n1e faut dire un mot du sens litteral. Les anciens Peres disputent, si nostre Seigneur monta sur l'asnon, on l'asnesse, et sur ceci il y a une grande va- fleté d'opinions entre les docteurs, dautant que la pluspart tiennent que nostre Seigneur ll10nta sur l'asnesse laquelle avoit desja porté, et sur l'asnon lequel n'avoit jalllais rien porté. II yen a d'autres qui tiennent une autre opinion; 111ais jc suy l'avis de eux qui tiennent que nostre Seigneur monta sur !'asnesse et sur l'asnon, pal'ce que l'asnesse representoit Ie peuple Juif, et I'asnon Ie peuple gcntil : Et co n'est pas sans cause que les docteurs ren1arquent que l'asnesse 3.yoit desja porté Ie joug, 111:lis que l'asnon ne l'avoit jaluais porté, pour nous i110nstrer que Dieu avoit dc a chargé Ie peuple Juif du joug de sa loy, Inais que les gentiIs ne l'avoient pas encore receuë, et que nostre Seigneur venoit pour leur Ïln- poser son joug en leur donnallt sa loy. ,r oila pourquoy, disent les Inesn1es docteurs, il nlonta non spnlc111cnt dessus l' asnesse, nlais encore dessus l' asnon. V oyons 111aintenant les ll10tifs pour lesqllels nostre Seigneur choisit celte sorte de 1110nture : la prpn1Ìere donc fut I'hulni- lité : car I'asne cst un anÎInal qui veritablell1ellt est IOUI'd, pesant et paresseux; l11ais il a aussi cette proprieté, qu'il est granden1ent hun1bl ; il n'a point d'orgueil ny de vanité con1nle Ie cheval, qui est fier et orgueil1eux : et pour cela l'hOnll11e vain ct superhe est cOlnparé aux chevaux, qui sont fiers et n10rgans ; car non SeUlell1ent ils donnent des rnades, mais encore ils n1ol'dent, et il s'en treuve quelquesfois de si furieux qu'on ne les ose approcher. Et partant nostre Seigneur, qui vOlJIoit detruire l'or3ueiI, ne 5e vouJut pas servir du cheval pour faire son entrée, 111ais il voulut choisi . entn' les anin1aux Ie pìus sin1plc et Ie plus IUllllbIe; car il I)F , v ÞOtJn LE DBfAN"CHE DES RA1\IEAUX: 401 avrne granden1ent l'humilité et Ia bassesse , et il n'habite .. L , ny ne repose que dans Ie ereur humble et simple.. Voulant done nous donner des exen1ples de eette vertu, il a ehoisi ceUe rnonture si renlp1ie d'abjeetion pour Ie jour de son trioIDI,he. II s'est humilié et aneanty oy-mesme : Exinani- t'it semetipsum. On ne l'a point humilié ny mesprisé; c'est IUY-Inesme qui s'est abaissé, etqui a fait choix des abjections: car Iuy qui estòit en tout et par tout egal à son Pere pternel, sans Iaisser d'estre ce qu'il estoit , a choisi d'estre Ie rebut et Ie rejet de taus Ies hommes. Et bien qu'il se fust humilié de la so1'te, il pouvoit neanmoins dire qu'il estoit egal à son Pere, et au saint Esprit, ayant la mesme substance, la mesme puissance et sapience que Ie Pere et Ie saint Esprit, et eela sans leur faire aucun tort. 0 non ce1'tcs, mes cheres An1es, . nostre beny Sauveur n'eust point fait de tort à son Pere eternel, quand au plus fort de ses n1esp1'is et humiliations il eust dit : Je suis aussi puissant que mOll P ere, aussi bon que Ie saint Esprit, daulant qu'il estoit en tout et par tout egal à eux. Et en cette gloire, il s'est humilié , et a fait son elltl'ée en Hierusalem, non sur un grand cheval ou un autre equipage, ains sur une asnessc et un asnon, couvert des pauvres manteaux des Apostres : Et e'est ce triomphe d'hu- milité que chante ce divin pÓëte, Ie royal prophete David, en ses psaImes 1 : Le Seigneur, dit-il, a bandé son are, et a decoché ses flesches d'amour dans Ie cæur du peuple d'Is- raël, et taus ont esté esn1eus de sa venuë, et ont chanté : Osanna filio David: Beny soit le fils de David: Benedictus qui venit in nO'lnine DOlnini 2,. Beny soit celuy qui vient au nom du Seigneur : car il a par sa douceur et son hu- ll1ilité captivé tous les cæurs du peuple d'Israël; au lieu que s'il fust entré en quelque equipage, il les enst tous effrayés.. Voilà done Ia pren1Ïere rayson pour laquelle nos- tre Seigneur choisit une asnesse pour faire son entrée en I Psal. VII. - 2 s. Mat\h., XXI. IV., 26 402 nMON Hierusalem , . e'est que eet aninlal represente l'hulnilité.. La sceonde, e'est qu'il represente aussi Ia patience; car il est grandenlent patient, dautant qu'il souffre qu'on Ie bat.te et qu'on Ie mal-traite, sans que pour eela il en oublie jamais sa ereiche : il ne se plaint point, il ne nlord point, ny ne donne d'orJinaire aucunes l'uades, mais il endure tout avec- une grande patience. Nostre Seigneur a tenement aymé cette vertu, qu'il s'est rouln donner luy-nlesme aux h0l111neS pour miroir et exenlple Il'icelle; car il a souITert qu'on l'aye battu et mal-traitté avec . ale patience invincible j il a enduré tant de blasphemes et tapt de caIonlnies sans jamais se plaindre.. Or l'humilité a une si grande COllvenance et rapport avec la patience, qu'elles ne peuvent subsister l'une sans l'autre; et eeluy qui veut estre hunlble, il faut qu'il soit patient pour supporter les IDèspris, censures et reprehensions que ceux qui sont hunlbles doivent soutfrir: de nlesme, pour estre pa- tient, il faut estre hunlhle; car l' on ne sauroit supporter lon- guell1ent les travaux et les adversités de cette vie sans avoir l'hun1Ïlité, laquelle nous rend doux et patiens.. Nostre Sei- gneur done, voyant ees deux qualités en eet anilnal, ille choi. sit plustost que nul autre pour faire son entrée en IIierusalen1t Le troisieme ll10tif qu'il cut de Ie ehoisir, fut parce qU( cét animal est obeyssant, et se Iaisse charger comnle l'on veut, et auiant que I'on veut, sans respugnance et sans secoüer en aucune Inaniere Ie fardeau qu'on Iuy inlpose; n1ais porte Ie faix qu'on luy met sur Ie dos avec une sous- 111ission et souplesse renlarquable. Or nostre Seigneur est tellenlent amoureux de l' obcyssance et souplesse, qu'il a voulu luy-mesnle nous en donnerI' exemple ; il a porté par obeyssance Ie pesant fardeau de nos iniquités, dit Ie prophete Esaye : Vel'e languol'es nostros ipse tulit, et dolo1 es nostJ'O$ {p.se pOTtavit t , ayant voulu soufIrir pour icelles tout ce que s Isaïe J xxxv. POUR LE DIl\fANCHE DES RAMEAUX: 403 }on aviûns merité, pour satisfaire à la justice du Pere )ternel. o qu'heureuses sont Ies ames qui sont obeyssantes et sous- mises, et qui se laissent charger comme l' on vent, se sons- mettant à toute sorte d'obeyssance sans replique ny excuses, supportant de bon cæur Ie faÏx et Ie fartleau qn'on leur impose! Certes, si nous voulons estre dignes de porter nostre Seigneur, il faut que nous soyons revestus de ces trois qualités, d'humilité , de patience, d'obeyssance et de sous- mission; et aIors nostre Seigneur montera en nos cæurs, et, comme un divin escuyer, il nous conduira selon sa tres-sainte volonté. Nostre Seigneur itonc vouIant choisir l'asnesse pour sa monture, il envoya deux de ses disciples en un petit village qui estoit là auprés, leur disant : lte in castellllm, quod contra VDS est; et statim 'Ùzvenietis asinam alligatanz, et -.Juiium cum ea : solvite et adducite mild; et si quis voóis liq'llid dixerit, dicite, quia Dominus his opus Ilabet 1 : Allés-vous-en en ce village prochain, et deliés l'asnesse et l'asnon que VOllS y treuverés , et me les amenés , et si qucl- qu'un y treuve à redire, dites-Ieur que Ie Seigneur en a besoin. Ce qu'entendant, iIs sortirent tout de ce pas, et al- lerent où leur bon l\Iaistre les envoyoit, et ayant deslié l'asnesse et l'asnon , iI les Iuy amenerent. Le Evangelistes ne disent point les nOlns de ces deux. discip1es; c'est pourquoy on ne les sçait pas; mais, quels lI u 'ils fussent, je ren1arque qu'ils furent grandement simples et oheyssans, et ne firent aucunc replique à nostre Seigneur. Ne Iuy pouvoient-ils pas bien dire: V ous nous dites que . .nOUS VOllS amenions ces deux bestes, mais comment cognois- trons-nous que ce sont celles que vous voulés? n'y a-t'il que ceHes-Ià dans ce village? Nouß les laissera-t'on bien anlener? S. Matth., XXI. . . o SER!\tON el plusieurs autres sembIabIcs raisons que la prudence hu- luaine leur pOllvoit fournir? Certes iI y a des alnes si refleschissantes, queUes treuvent tousjours mille repliques à faire sur toutes les obeyssances qu' on leur ordonne; elles ont" tant de regards, elles font tant d'interpretations, que 1'on 11e void en cUes aucune sousmission; et ce deffaut est ca1J è qu'elles vivent en de perpetuel1es inquietudes. Iais ces postres s'en allerent sans faire aucune replique, parce qn'JIs estoient oheyssans et qu'ils aymoient l'obeyssance; car c'est une lllarqne qu'on n'ayme pas Ie c0l1lmandeI11ent, qnantI on treuve tant sur iceluy de repliques à faire. l\lais j'Di desja parlé de cela, et je file souviens fort bien de vous ave};.r Jonné l' exenlple d'Eve , qui apporta tant de difficultés sur Ie C0111n1anden1ent que Dieu leur avoit fait de ne pas lnanger du fruit de l'arbre de science du bien et du Inal, di:--.int au Serpent: Dieu nous a defendu de ne point regarder ny toucher ce fruit : voulant par là fDire entendre que Ie cOHllllandement estoit hors de saison, rude et ditficile à garder. Certes, une alne qui n'a point d'anlour à l'obeys- sauce ne 111anque jamais de repliques et de raisons pour ne pa. faire la chose c0111mandée, ou bien pour y faire voir de grandes difficultés. V ous vcrrés par cxeInpIe une personne à laquelle on ordonnera de frequenter les sacrelnens, et s'utlonner aux exercices de devotIon: 0 Dieu! Jira-t'elle, ql. pcnsera-t'ol1, si 1'on nle void fDire l'orayson, con- í( 1'1' et conlffiunier souvent? IIé! de quoy vous nlettés- v{ s en peine? allés seulenlent faire ce qu'on vous conl- 111 ide. ,ostre Seigneur sçavoit bien qu'il se treuveroit des per- Sf. H S qui de111anderoient à ses disciples ce qu'ils vouloient fa'J ) de ces })estes, et OÙ iIs lcsvouloient ulener; c'est pour- q y il leur dit : si quelqu'un vous vent empescher de les al lier, dit es leur que Ie Seigneur en a })psoiu, Quia Ð01ì1Ì- nl ð his opus llabet l et iIs les laisseront aIleI'. lis 5'en allerent POUR LE DIl\IANCHE DES lL\l\IEAUX.' 405 done avec ces parolles de leur bon l\Iaistre, et brent aillsi qu'il leur avoit ordonné.. .. lais ren1arqués , je vous prie, ceUe paroUe, Le Seigneur en a besoin; car c'esl une parolle generale, de laquel1e on doit payer tOllS ceux fIui no us veulent empescher de faire ce qui est de la volonté de Dieu. Pourquoy jeusnés-vous, allés... vous à confesse, et cOlllnluniés-vous si souvent 1 disent les sages du nlonde. Dites-Ieur : parce que Ie Seigneur (111 a hesoin, c'est à dire, que Ie Seigneur Ie vent ainsi. Pourqnoy entrés-vous en religion? à quel propos 8'a11er enfenner dans un cloistre COnll11e dans une prison 1 Le Seign ur en a besoin. Pourquoy se faire pauvre et se reduire à Ia mendicité '? Le Seigneur en a hesoin.. En son1me, POll se doit servir de cette parolle pour respondre à tous ceux qui nous voudroient em- peschel' d'accornplir la volonté (1e Dieu.. Je considere de plus que nostre Seigneur commanda qu'on desliast ces bestes pour les Iuy amener : pour no us monslrer que si nons voulons aIleI' à Iuy, il faut souffrir qu'on nous deslie des liens de nos pechés, de nos passions, incJinations, habitudes et affections depravées, qui nous empeschent de Ie serVlr. Les Apostres done, ayant deslié l'asnesse et l'asnon, les couvrirent de leurs manteaux, puis nostre Seigneur Inonta des us, et fit en ceUe abjection et hUlnilité son entrée trioll1phante en I-lierusalem; confondant par Ià Ie n10nde, qui renverse tontes ses n1aximes, ct ne veut gouster son hu milité et mespris : car bien que nostre Seigneur crie et recrie : Beati paupel'es spÙ'itu, heati pacifici, óeati 'Jnites, beati qui pe1'secutionem patiuntur pro]Jter justitia1Î " ßien- heureux sont les pauvres d'esprit, les pacifiques, les debon- naires, et ceux qui soufIrent persecution pour la justice; Ie moude ne cesse de dire que n1alhtureux sont les pauvres et ceux qui souffrent; et que celuy-Ià est hienheureux qui a hcaucoup de bicw t de possessions. 0 que celte HUe est 406 SEIDION heureuse, disent les mondains, paree qu'elle est riche, bien parée et eouverte de pierreries! l\Iais nostre Seigneur ren- verse toutes ees malheureuses IDaximes, faisant aujourd'huy son entrée royale en Ilierusalem, non eOffilne les princes du Dlonde , qui, voulant entreI' en quelque ville, Ie font avec tant de pOlnpe et d'appareil et avec tant de frais; mais il n'a autre monture qu'une asnesse , couverte des viIs et pauvres mallteaux de ses Apostres. 0 qu'heureuses sont les anles que nos"tre Seigneur choisit pour sa monture, et lesquelles sont couvertes des habits des Apostres, c'est-à-dire revestuës des vertus apostoliques! car eUes seront eapables de porter nostre eher Sauveur, et d'estre eondnites par Iuy.. Bienheu- }'euses sontles anles qui en eettevie s'exercentenl'humilitéj ear elles ser01)t exaltées là haut au ciel.. Bienheureuses sont celles qui s' exercent en la patieneè, car eUes auront une pair et une tranquillité qui sera perpetuelle; et pour leur oheys- sanee, elles recevront un conlble de benedictions en eette vie, et beniront Ie Pere, Ie Fils, et Ie saint Esprit eter nellement en l'autre. Dieu nous en face la grace. Amen. ømu tiOlT BENT. VOt"R J..E JOUR DES RAJIEAUX. 40i """''VVV'\.,''V\.r",VVVVVVV VVVVVVVVVVVVVVV-VV'''JVVVVVV\J .LL\.UTRE SER IO POUR LE JOUR DES RAMEAUX I. -Q E LA 'IE DE L'nOJI?im SUR LA TERRE EST :'iE GUERRE, ET CO)DIE JXOUS NOUS Y DEYO S CO WORTER. In c-rastinum autem turòa mulffl quæ venera! ad diem festum cum audi9' sent quia venit Jesus Hierosolymam accepeJ'unt ramos palmal"wn et pro. cess.e1'unt obviam ei. JOAN., XII. Le lendrrnain, une grande multitude de peuple qui estoit venuë pour cele- hrcr la feste, ayant oÜy que Jesus venoit en Hierusalern ils prirrnt des .'ameaux de palmes, et allerent au devant de luy.. Nostre Seigneur avoit receu cette courloise cene on souper des ßethaniens six jours avant sa Passion, en laquelle se trenva l\Iarie et Iarthe, et mesme Ie glorieux Lazare resus- cité, qual1d Ie cinquieme jour avant sa douloureuse mort, comme vray agneau paschal, il se fait amener et l'asnon et l'asnesse pour se monstrer, afin de venir faire, en cét humble equipage, l'incomparable et glorieux triomphe en IIierusa- lern, duquel l'Eglise celebre aujourd'huy la bienheureuse memoire, trioDlphant ainsi hUll1blement pour la victoire J laquelle ne se devoit rem porter qu'avec humilité. Le peuple oüyt dire la vcnuë de nostre Seigneur, et tout esmeu de joye et d'allegresse, luy vint an devant avec des })rallches de pahnes, de fleurs et d'olives, en signe d'honneur et de vic- toire, jettant rneSDles leurs rohbes et vestemens au chelllin conlme pour Iuy tapisser Ie passage, et luy faire nne magni- fique entrée pour Ie mettre en possession de son royaume, -chantant ': Hosanna filio David, CODlme un Vive Ie roy; Benit soit celuy qui vient royen Israël au nom du Seigneur! _ Ecrit de la main de samt 'rançois de Sales (Edit.. de 1641). 408 SERMON Qui me donnera maintenant la grace de vous dire en si honne façon la douce nouvelle de Ia venuë que nostre Sei... gneur doit hien tost faire en vos consciences par Ia saillte ommunion, que vons luy alliés au devant par desir et de- \?otion, jettant les robbes de vos ames, et Ies rameaux de ;ros affeetions par Inortifìcation? 0 que ce seroit bien faire Ia J11emoire de ce glorieux trioillphe, puisque nous tr10111- pherions nous-mesmes de nostre plus grand ennemy, qui est nostre chair, comme vrais enfans et heritiers de ceste au- guste et triomphante f\Iajesté du Sauveur! 1\les freres, c'est ce que je desire faire aujourd'huy, et que toutesfois je ne puis faire, si nostre Seigneur mesme ne nlonte sur ma Jan- gue, comUle sur l'asl1esse, pour l'ac1l'esser et conduil'e duns la Hierusalelll de vos consciences; dequoyafin d'obtenir la grace, employons y la faveur de nostre glorieuse Dame sa 1\le1'e, di3ans : Ave lJlaria. Cet incolllparahle miroir de patience, que Dien appelle par honneur son serviteur, Job en son septienle chapitre, dit nne sentence digne d'eternelle memoi1'e : 11filitia est Izo- minis vita sl'PeÎ te'P'ra'ln,. La vie de l'hOllllUe est une gu rre continuelle sur la ter1'e : gnerl'e pour les llialheurs qui rac- compagnent; guerre pour Ie pen ou point de repos qu'il y:1; guerre pour l'incel'titudc de l'evenelnent d'icelle. Ce seroit quelque chose de plus doux, s'il eust n1Ïs : Vita non1Ïnis est in nzilitia sUjJer tepl'aln,. La vie de l'h0111111e est en guerre sur Ia te1"re : car encore se trou ve-il des gens qui ont Ie 1'epos et leur aise en guerre, dequoy font foy ceux qui s'y enrichissent et engrai sent; et butinant 10isiblemRnt ores sur celuy-cy, ores sur cettuy-là, ils ne pensent pas autre chose, sinon que cette horrible et aff1"euse n1ege1'e, la guerre, cette ruine comlnune des republiques, cette perte de l' estat, soit une favorable occasion de s'accol1lllloder en volIant, pil- lant J saccageant, assassinant in1punement J et s'y joüant aUK POUR J.F. JOUR DES RA1\IEAUX. 4.09 despends du pauvrc hOlnIne comIne l' on feroit au roy ùes- pouïllé, avec tonte sOl'te de liberté et sans crainte de lajus- tice, laquelle se ressentant fort de sa vieillesse en nostre mi- serable age, est tres-foible en tout terns, Inais prineipaleUlent en terns de guerre. Si done Job eust dit : In militia est vita hominis supe'p te'l'ram,.. La vie de l'homme est en guerre sur la terre; en- core eust-on pensé d'y avoir quelque repos. l\;Iais non, il dit que la mesme vie est une gnerre; c'est hien nous oster toute esperance de paix : ltfilitia est vita hominis super terram.. S'il eust dit que nostre vie ala guerre continuelle sur la terre, encore eust-ce esté moins : car on peut bien avoil' la guerre, et avuir son aise; on pent remporter tant de vic- toires, on pent estre si fort, qu'on n'aye point d'occasion de crainc1re. l\IaÍs quand il dit : lUilitia est vita /Zominis, La vie de l'homme est une guerre, il veut dire non seulelnent que nous sommes en guerre, malS que nous SODunes nous- mesmes guerre, }'filitia, etc.. Et de vray, qui regard era bien les diversités de mouvemens, et les assauts que fait l'esprit contre la chair, je suis asseuré qu'il dira, que la vie de l'homme est nne guerre, It/ilitia, etc.., puis que tousjours et en tout terns la chair convoitè contre l'esprit, Caro concu- piscit adversus spi'f'itum f.. Et vrayement, c'est grande pitié que ceste guerre : car estant entre de si grands amis comrne l'esprit et la chair, ya-il rien de plus déplorable? Saint Paul se lamentant de ceste guerre, apl'es avoir au long descrit les assauts qu'il sentoit en soy-mesme, il s'eerie 2 : Infelix ego homo, quis me lióeraóit de corpore 1'nortis hujus (Qui me delivrera de cette chair lllortelle) ? car je DC m'en peux def- faire. Que feray-je? dit l'ame combatante; cette chair est ma chere moitié, c' est ma seur, c' est ma chere conlpaglle née avec n1oy, nourrie avec moy, et tontesfois elle me fait une si cruelle guerre! Comme ma seur J je la devrois suivre j I Galat. v. - t Rom. VII. 4JO mm eornnle adversaire, je la dois fuir. IIelas, mon I)ieu! SI Je la caresse, eUe nle tuë; si je Ia tournlente, je nle sens de l'ainiction; si je ne l'ayme, je suis nlal; si je l'aYllle, c'est pis. Quis me liberabit, etc. Iichée, parJant de ce c0111bat J dit 1 : Ah ea quæ dO]"init in sinu tuo, elfstodi elallst1 a o} is tvi (garde-toy de ceUe qui dort en ton sein), c'est à dire, De te He en eUe; ponrquoy 1 InÙnici lton1Ïnis domestici .ejus 2 lIes ennen1Îs de l'bomme sont avec luy. ) C'est pour vray illdubitablement, que si l'esprit n'avoit affaire qu'avec la chair seulement, il en seroit bien tost Ie vainqlleur; car il est be:lucoup plus fort et adroit: ð}jiritlls guidcm promptlls est, carD autem infi1'ma 3 (l'espl'it f1st 'prolupt, et la chair est infirme). l\lais quoy1 cette chair, elle -est confederée avec deux autres puissans princes, Ie nlonde et Ie rliable : ltlundus, ca1 O, dæn1,on diversa movent prælia (Le monde, Ia chair et Ie diahle, suscitent divers conlbats). Si l'un de ces trois est si fort et puissant, que sera-ce des tl'ois ensemble 1 dit Ie divin Prescheur It : Funiculus triplex, difficiie rumpitur (Le lien à trois cordons est difficile à I -rolnpre ).. l\lais encore seroit-ce peu, si cette chair n'avoit point d'in- telligence dans nostre alne; car c'est chose certaine que ja- n1ais nous ne serions vaincus : Dehilis est /tostis qui non vin- it nisi volentem, dit un de nos Peres (L' ennemy est foible qui ne nons pent vaincre si nous ne Ie voulons).. l\Iais quoy? toute place, disoit un grand prince, OÙ Ie soleil pent aller, n'est pas imprenable, et maintenant par tout là où quelqu'un peut aller à double, on y peut aIleI' arIué. Ceste chair pratique ores l'èntendelnent, ores la vo]onté, ores l'inlagination, lesquels se handans contre la raison J livrent bien souvent la place, et font division et mauvais offices à la raison. l\Ion Dieu, quels stratagemes font nos -ennemis contre nous! DO'inine, quid 'inultfplicati sunt qui tri- · Mich., VII. - I Matth., X. - B Ibid., XIV. - It Eccli. 1 IV. porn J E JOUR DES RA1\IEA ux. 4 f f lJulant me : multi Ùlsu'I'gunt adversum me (Seigneur, pour- quoy e sont muHipliés ceux qui nl'afnigent Plusieurs s'es- 1. even t contre nloy 1).. Ceste chair alleche la volonté ores par les plaisirs, ores par des richesses; ores olle nous met en I'inlagination des pretentions, ores en l'entendement une .grande curiosité; et ton ours sous especes et pretexte de bien, COlllme dans un cheval troy en , elle y fourre Ie mal, et n1et sedition en llostre pauvre ame, au moyen de quoy clle ]a suppedite. Vistes VOllS conUl1e Ie diable tenta Eve. COlllll1e il tenta nostre Seigneur, etc. ? Ce Iuauvais enfant d' Absalon, se tenant à la porte du palais de son trop bon pere, là il flaUoit et corronlpoit le peuple!, et enfin fit si bien par ses secrettes menées, qu'il fit Ia guerre et chassa son pere de son siege : ainsi Ie corps de- menre tousjours à la porte; car (rieu n'entre dans l'esprit, qu'il n'aye pren1Ïeren1t nt passé par les sens) nilzil est in in.. te!lectu quod p'l'ius non !uc1'it in sensu,. et là corron1pt les 01 jt.ts, prattiqués ores en ceste façon, ores en l'an ire, et aillsi se renù Ie plus fort. Que diray-je plus? cette chair a tpIle intelligence en nOUS-lllesmes, que pourveu qu'elle co- guoisse nos forces, incontinent elle no us ruine. Qui dil'oit ja Hais qu'elle nous ostast meSllles les saintes vertus, et les nons rendist ennemies l\Iais que pensés-vous? si elle co.. glloist qu'il y en aye en nous, elle sollicite tant que no us nous en vantons et nous en prisons, et par ce D10yen eUes deviennent poison. Car estant C0111me Ie moust et Ie bon vin èoux, si elles sont esventées, ellrs s'aigrissent. Ainsi Dalila a fit dire à San1soD, quoy qu'il fist Ie fin, en quoy estoit sa fùrce, et tout incontinent Ia Iuy enleva. 0 D1es freres! Caro c01lclpiscit adversus spiritum, etc. (la chair convoite conti- nuellen1ent cODtre l'esprit); l'esprit engendre tant de bOni de irs, la chair tant de n1auvais, et les uns com))attent si aspl'ement les autres, que bien souvent, conune celuy qui a I Psal. Ill. - 2 II Roys" xv. - 3 Jug." XVI. ....... - ...". ,. 4 t 2 SERl\ION Ia collique, on crie : Quis n'lC libel'abit a cOllJo're 'lnortis hujus (qui Ine delivrera du corps de cette mort)? ComIne il est dit de Rcbecca 1, etc. V oyés-vous la guerre dangereuse de nostre vie: j)lilitia est vita lzo1ninis Slpel? terJ'aln? Que si ainsi est, que ferons-llous, 111es frel'es? D'appaiser l'ennen1Y, il n'est pas possible, il est inexorable; car qui! plus Ie flatte, plus l'aigrit. Qui alnat anÙnanl sua'Jn 2, perdet e(on (Qui ain1e sa vie, Ia perdra). CUln1oquebal' illis 3 , im- lJugnabant ne gratis (Quand je leur parlois, ils me contre- disoient sans cause, et ne vouloient point entrer en rayson). Qui veut fuyr, ne peut; car on ne se peut fuyr soy-meslne. Que ferons-nous? Courage, il faut cOll1battre. Accingere 4 gladio tuo super femur tuum, potentissirlle \ rrenuns Ie glaive en la 111ain ). N emo cOl?onabitur, nisi qui legitÙne certavel'it 5 (Nul ne sera couronné, qu'il n'ait vaillalun1ent. cOll1baltu), dil. saint Paul. Que si no us nous trouvons foibles à l' occasion de nos factions domestiques, il ne faut pas perilre courage pour cela, mais appeler quelque secours et faire quelque al- liance. Or je ne sçache que quatre potentats en tout l'univers : Ie monde avec toutes ses alnbitions, honneurs, p0111peS, vanités; l'enfer avec tous ses diables; la chair avec toutes ses voluptés, delices, plaisirs, passe-ten1s; nostre Seigneur avec tOllS ses Anges et les Saints. A qui nous addresserons- nous? Ie diahle et Ie nlonde sont confederés à la cbair, et voila leur mot du guet : j)/undus clalnat . Defieto,. dænzon clamat : Decipio,. caro clanzat : Infieio,. Cllristlls clanzat : Reficio (Le monde crie : Je defauts; le diable crie Je deçoYi la chair crie : Je COITOffi!)S; et Jesus crie : Je fol'tifìe).. 11 fanl 5e raIlO'er au P art y de 110stre Sei.rneur et ainsi no us aurons Q 01 ü, la victoire sur nOU:5-111CSmes.. Alors nOllS pOll l rons dire: Do- I Gen., :xxv. - 2 Joan.. XIX. - 3 Psalm CXIX. _ 4 Ibid., XUV. _ I 11 Timot." II. POLR I.E JOUR DES RAl\IEAUX.. 413 minus n'lild adjutor; non tin-tebo quid fnciat mild homo (Le Seigneur est mon secours, je ne craindray point ce que me fera l'homme ). l\Iais il f lut avoir quatre conditions, et observer qnatre clloses. Pren1Ïerement, il faut COlll]xlttre nostre appetit sen- suel et nos affections.. Qui sent l'ennen1Y meUre l'escalade du costé de la luxure , il faut qu'il fuye les occasions et Irs con1pagnies , et qu'à la n10indre pensée il donne l'alarme à la garnison, recourant aux disciplines, jeusnes et haires etc. Qui sent l'assaut de l'avarice, il faut qu'il coure à l'aumosne, à la consideration de Ia vanité des biens de ce monde, etc. Qui se sent porté à la vengeance, il faut qu'il recoure à l'a- IDitié, douceur. Enfin il faut faire la ronde cent fois Ie jour en ceUe petite citadel1e , et la renforcer, ores de çà, ores de Ià, mettre des sentinelles aux yeux, bouche, oreilles, mains, odorat, pour ne .LalSSCr entrer chose qui ne sçache bien pro- Doncer Scihbolleth t, et cralndre tcusjours, suivant Ie dire de Job! : Verebar omnia opera 'Inea, sciens, quoniam non parceres delinqueati (Je craignois en toutes IDes æuvres, parce que vous punissés les defaillans). Vigilate (V eillés ) , dit nostre Seign ur 3.. Non coronabitu'J'\ nisi legitirne certa- verit (Nul ne sera couronné , qu'il n'ait vaillalnnlent con- battu ) . Seconc1ement, il faut avoir une grande deffiance de soy- D1esme (et dire souvent) : l1Iiserere 'lJ1'ci:S, Dornine, quo- niam infirlnus sun'l (Ayés pitié de moy, Seigneur, car je suis infirme). Non sumus 6 sufficíentes cogitare, etc.. (Nous UP pouvons ricn de Dous-mesmes, pas seulement avoir unt- ; (nne pensée).. 1 iercement, une grande confiaace en nostre Seigneur : Sed onznis sufficientia nostra'l ex Ðeo est ( car toute nostre vertu et capacité est de luy). Perditio tua ex te, [staef S : t Jug., XII. - 2 Joh" IX. -- 3 Matth., XXVI. - t II Tim., II. - :s Psa1. VI. _ 6 II Cor., III. - ., Ibid. - 8 Amos" III. 414 / SEn ION' tantummodo in me auxililnn tuum (Ta perdition vient de toy, I raëI; mais de moy seulement vient ton saInt).. Nisi Don inus ædificavel'it donlunz, nisi Dominus custodie'rit ci- vitatem, etc.. (Si Ie Seigneur n'esleve les murs d'une main, si Ie Seigneur ne garde une ville, etc..). . Quatriemement, une grande diligence à nous servir des moyens que nostre Seigneur nous a mis en main, pour monstrer que nous nous fions en Iuy, non pas en nous. Or ils sont deux principaux : 1 0 l' oraison ; avés-vous besoin de iJl'c.e,petite, et accipietis 1 (delnandés et '"ous recevrés); ayés- vous ])esoin de refuge, pulsate, et aperietll1'" vobis (heurtés, et ron VOllS ouvrira) ; vigilate! et 01'"ate (veillés et priés) ; IDedités la P&ssion. 2 0 Les sacremens ; car: A {'rllctll f1'"'lln en ti, vini, et olei sui rnultÏjJlicati sllnt (par Ie fruit du frOIl1ent , dn vin et de l'huile ils out esté muItipIiés) en force: ces moyens corroborent l'ame. Vous vous ressouvenés bien, mrs venerables Dan1es, de vostre glorieuse mere sainte CI:1ire: . estant un jour sa ville d' Assise , ville illustre pour ses deux beaux fleurons, assiegée, elle se fit porter aux murs, y fit apporter Ie saint Sacren1cnt, et fit cette orayson à Dieu : lVe t1'"adas hestiis anin'las confitentium tibi, et cllstodi fa1nulas tuas, quas pretioso tuo sanguine 'l'eden1Ïsti (Seigneur, ne livl'és point aux bestes les ames de celles qui vous servent, et gardés vos servantes que vous avés rachetées par vostr sang precieux).. Les Sarazins s'enfuyrent; ceux lIui escala- doient, perdirent Ia vcuë. Ah! Ia frequentation de ce sacre- -lent chasse les ennen1is externes et internes. C'est honte Ie voir Ie pen d'estat qu'on en fait; il n1e semble que I'E- lise òie les parolles de Job S : Qllis 'Jnihi tribllat, 'lit sim ; lxta menses ptistinos, secundum dies qllibus Deus CllSto- rJieúat 'J7le? Sicut fui in dieúus adolescentiæ meæ, quoniam secreto Deus erat in tabernaculo meo ( Qui me donnera flue je sois semhìable au telns passé de mes premieres années, et 1 Alatth J VII. - t Ibid' J XXVI. - S Job J XXIX. POUR LE JOI;R DES RAl\IEAt1X. 415 comme j'ay esté en lllon COllllllencement, et és jours de ITIOn adolescence, esqueIs Dieu me gardoit, 10rs que secretement il habitoit avec moyen mon tabernacle)? II faut que je vous die que C l1n sancto sanctus eris ( qu'avec Ie saint vüus serés saint). Ah ! celuy qui se nlunit souventesfois de cette viande . celeste, il peut bien dire (Psal.. XXVI) : Dominus ill'llrni- .: natio mea; quel1z tÙneho? ÐonlÏnu.{) protector vitæ meæ; . a quo trepidaho (Le Seigneur est ma lumiere; qui crain- âray-je? Ie Seigneur est le protecteur de ma vie; de qui auray-je peur)? f{am, etsi anzhulavero in medio unzhræ 1110J'tis, non tÙncbit cor lnCllm (Parce que, quand je chemi- nerois au milieu de I' o lllb re de la mort, mon cæur ne crain- dra point). Ainsi faut-il faire pour bien combattre, ainsi faut-il faire pour estre victorieux. Nostre vie n'est pas seulen ent en guerre, ny n'a pas seu- lement la guerre, mais est une guerre propre, nzilitia, etc., puisii ue la chail', 1110itié de noslrc vie, nous fait guerroyer par tant de nlenées, excitant sedition à nostre arne, ainsi qu'.t1bsaloll, et no us trompe COlllme Dalila. Faire 13. paix. nous ne pouvons ; reculer, encore 1110ins : il faut done com- haUre ; que si nous son1mes foibles, regardons de prenJre secours. Le n10t du guet et la devise de la banniere 1110nstrent Ie peuple de llierusalem; la cognée avec les cousteaux Inons tren t qu ' on est en gucrre. Cou pan ties branches d' arbres, ils monstrent qu'il faut COlllbaere la concupiscence: ce qu'ils jeltent leurs vestemcns aux pieds de nostre Seigneur, nlonstre qu'ils n'ont nulle confiance en eux-mesmes, COl1l1l1e s'ils vouloient dire: Non nobis 1, etc.; ce qu'ils crient Hosanna ronstre qu'ils se fient en la seule protection divine, et se , jveulent servir du pren1Ïer 1110yen; ce qu'ils vont jusques au I ruont des Olives, et qu'ils Ie menent dans leur ville, nlonstre la reception que nous luy devons faire. En ceste façon, nous pourrons porter les palmes conlnle eux en signe de victoire · Psal. cxv. -iffi SEllì\fill'f en la celeste Hierusalem, vainqueurs de nostre chair, que nous porterons COlnme trophées aux pieds de l' Agneau qui y regne, comme à celuy pour qui et en qui nous aurons friomphé, qui est Jesus-Christ, qui vit et regne és siecles des1siecles, et vous.henie.. Amen},. 9IVJ!' IESt1Ø. POUR LE VENDREDY SAINT. 4f7 VvVvvV'VVV'VVVV '^' '\. 'VV S ER ION IJuun LE JOUR DU VENDREDY SAINT I. Jesus Nazarenus Rex Judæorum. JOAN., XIX. Jesus de Kazal'eth Roi des Juifs. Dautant que nous a"ons peu de terns pour parler de la Passion, par laquelle nous avons tous esté racheptés , je ne prendray pour sujet de ce que ray à vous di,re, que les pa- rolIes du tiltre que J ilate fit escrire sur Ia croix: Jesus Na- zarenus rex JudæOl'Unl, Jesus de Nazareth roy des Juifs; paroHes esquelles sont comprises toutes Ie:; causes de la Pas- sion de nostre Seigneur, qui sont toutes rcdnites à deux, signifìées par ces mots; car bien qu'il y aye quatre paroHes, elles ne signifient pas toutesfois quatre causes de sa Inort, ains seulement deux, dont Ia premiere est qu'il estoit Sau- veur (car Jesus veut dire Sauveur, et pour no us sauveI' il falloit mourir), et Nazareen, qui signifie fleury, c' est à dire qu'il estoit flenrissant en loutes sortes de vertus et per- fections, saint, innocent, sans tache ny rouiIJe de peché; car s'il eust esté pecheur, il ne nous eust pû sauver.. La seconde cause est, qu'il estoit roy des Juifs, Rex Ju- dæorurn. Juif signifie confessant; il est done roy des Juifs, c'est à dire de ceux-Ià seulement qui Ie confesseront estre I Fils de Dieu; pour sauveI' ses confessans, il est mort, oüy ìl est veritablement mort, et de Ia mort de Ia croix; il est mort, parce qu'il estoit Sauveur, Saint, et Roy, et pour ceux-Ià seulement qui Ie confessent; et voila ce que veut dire Ie mot de J uifs, que Pilate escrivit sur Ie tiltre de la croix.. 1 Fitlellernent recueiIly par les Religieuses de L1 Visitation de Sai-ntc Marie d'Annessy (Edit. de 1641 et de 1643). IV. 27 418 SERl\ION Or 11 faut sçavoir que tout ce qui est arrivé en la lllort de nostre Seigneur, nous a esté signifip, en l'ancien Testanlent par pIusieurs figures et sÍlnilitudes, particuliereillent par Ie serpent d'airain que l\Ioyse fit eslever sur Ia Cololl1ue , pour garentir les Israëlites de Ia 11lorsure des serpens. V ous sçavés, je m'asseure, toute l'histoire, t comme cela arriva : Dieu ayant retiré les Israëlistes de la servitude d'Egypte pour Ies conduire en la terre de pron1Ïssion, so us Ia conduite de ce grand capitaine 1\loyse, il survint un grand accidrnt; car iI se leva et sortit de Ia terre plusieurs petits serpel1teaux dans ]e desert où estoient ces pauvres Israëlites, qui les mordoient, non d'une lllorsure qui fust trûp piquante ou douloureuse, mais certes qui estoit grandenlent dangereuse, pal'ce qu'eUe estoit si venillleuse, qu'infailliblenlent tous les pauvres Israëlites en fus ent morts, si Dieu par sa bonté et providell e infinie n'y eust pourveu : car l\Ioyse voyant ce pitoyab1e accident s'adressa à luy pour demander quelque ren1ede à ce malheur, et Dieu luy commanda de faire un serpent d'airain, et Ie poser sur une haute colomne, avec promesse que ceux qui seroient mordus de serpens, seroient gueris en Ie regar- dant.. Ce que l\loyse executa pronlptelllent, c0111mandant aux Israëlites que tous ceux qui seroient lllordus des serpens jettassent les yeux sur celuy qui estoit eslevé sur ceUe co- lomne, ce que faysant, ils estoient à l'instant gueris; !Dais ceux qui ne Ie vouloient pas regarder, lllouroi.-ent nliserable- ment : car il n'y avoit point d'autre moyen pour guerir que ccluy-Ià qui estoit ordonné de Dieu mesme. o que bon et n1Ïsericordieux fut Ie Dieu d'Israël (dit un grand Saint) d'avoir pourveu l\Ioyse d'un tel relnede pour la guerison de son peuple! l\lais remarqués , je vous prie, que cecy nous represente bien la cause de la lllort de nostre Seigneur. J.Jors que Dieu crea l'holnme, nous estions ces enfans d'Israël, qu'il avoit tirés de la servitude d'Egypte; car il POUR LE VENDREDY SAI T. 419 nOllS avoit preservés dn peché, ayant conduit nos pren1iers parens dans cette terre de pron1ission du paradis terrestre, où illes avoit mis doüés de la justice originelle. lais voicy arriver un estrange accident: c'est qu'il s'esleva en ce lieu des petit serpenteaux qui nous piquerent en la personne de nos pren1iers parens Aòam et Eve, lesquels apres se sont tellen1ent espanehés sur toute la terre du desert de ce monde, clue nous avons tous esté mordus; je dy' tOllS, car il n'y a aUCllne ererrture qui pnisse dire qu'elle est exempte d'une telle morSl1re, c'est à dire du peché originel et aetuel, ori- sinel en la personne de nostre premier pere Adam, et actuel en nostre propre personne; et s'il y a quelqu'un qui se dise exempt de eette morsure, il est menteur, comme dit S.. Jean, Ie bien-aymé disci pIe de nostre Seigneur: Si dixerÙnus quo- Ilian peccatu'Jìt non /zahemus, ipsi nos seducimus, et veritas in noóis non est 1.. Or je sçay hien qlle Ia sacrée Vierge n'a; point esté morduë de ce serpent infernal: c'est chose toute' elaire et luanifrste qu'elle n'a point en de peehé originel ny aetuel, dautant qn' elle a esté privilegiée par dessus toutes It,s creatures huu1aines, d'un privilege si grand et si singu1iel', qu'il n'y en a auenne, queUe qu'elle soit, qui aye jamais receu la grace en la. façon que l'a receue cette sainte Dame, nostro glorieuse l\Iaistresse, et n'y en aura jan1ais aucune qui ose pretendre ny aspirer à un si partieulier bene- fice, dautant que cette graee estoit seulement deue à celle qui estoit destinée de toute eternité pour estre l\lere de Dieu. C'est pourquoy, puisqu'il n'y a ellqu'elle exenlpte du peehé, cela ne nous en1pesche pas de dire, que tous ont esté mordus du serpent: et cette piqueure estoit si venimeuse, que nous en fussions tous ll10rts , et d'une ll10rt eternelle, si Dieu par son infinie honté et misericorde, n'el1st pourveu à nn si grand inconvenient: ce qu'il a fait d'nne façon tres-adn1i- rabIe, sans y estre esmeu d'aucune autre cause que de son . I s. Jeall, I. * 420 SERMON infinie bonté et misericorde: et pourceIa, ilordonna que son Fils l11ourust, et qu'il fust ce serpent eslevé sur la colomne de la croix, pour estre regardé de tous ceux qui seroient mordus du serpent infernal, c'est à dire entachés du peché. Jesus-Christ est l11ort, dit Ie grand Apostre escrivant aux Galates, et pour nous retireI' de la n1aledietion du peché, il a esté fait pour nous l11aledietion : Christus nos 1 ede]nit de maledicto legis, factus pro nobis rnaledictum t. Certes , je ne lis jan1ais ces parolles , que je ne tremble, et que je ne sois saisi d'une grande terreur, voyant que nostre Seigneur est n10rt pour nostre redemption, luy qui n'avoit aucun peché : ct hien davantage, il n'en pouvoit avoil"; car il estoit egal au Pere, ayant la 111eSme nature, substance et puissance que Iuy : il estoit done Ï111possible qu'il pechast; et quoy qu'il soit tout-puissant, et que par consequent il puisse tout ce qu'il Iuy plaist, si est-ce pourtant qu'il ne pouvoit pecher; et pour cela, il ne Iaisse pas d'estre tout- puissant, dautant que pouvoir pecher, n'est pas une puis- . .. sance, ains une In1pulssance. II est done Inort pour les peehés des hOlnlnes, sans avoir en Iuy aucune iniquité : car il esioit, COlllme dit Ie tiItre de la croix, Nazareen, e'est à dire flcurissant en toute sainteté. II n'estoit point serpent, ny en verité, DY en figure; et tou esfois, pour nous guerir des n10rsures du vray serpent infernal, à cause de l'al11our extrelne qu'il nous portoit , it sc charge a de nos iniquités, c'est à dire qu'il s'est chargé de nos miscres et foiblesses, revestu de nostre 111ortaliré, et enfin qu'il a esté fait ce serpent posé sur Ie bois de la croix, pour preserver de Ia n10rt , et donner la vie à tous cenx qui tc regarderoient.. II nous a apporté du ciella reden1ption, et non seulement cela, ains il s'est fait IUY-111esn1c Ilostre re- denlption : Factus est nobis sO.J)ientÙ ,,- f:t justitia, et sanc.. tificatio, et 'redenptio. 1 Galat., Ill. POUR LE VENDREDY SAINT. 421 o que Ie Dieu d'!sraëI est bon et misericordieux, d'avoir fourny et pourveu la nature humaine d'une telle et si pre- cieuse redemption! Car nous estions tous perdus sans icelIe; et s'il ne nous eust donné ce remede, nous fussions tous lllorts, sans exceptcr aucune creature, puisque tontes avoient peché. l\Iais, dirés-vous, Dieu ne pouvoit-il pas donneI' au monde un autre remede que celuy de la mort de son Fils? o-ily certes, ille pouvoit bien faire, et par mille autres moyens que celuy-Ià; car n'estoit-il pas en son pouvoir de parJûnner à ]a nature hun1aine d'un pouvoir absoln, et d'une pure misericorde, sans y faire intervenir la justice, et sans l'en- tremise d'aucune creature humaine? Oüy certes, ille pou- voit; car qui est-ce qui en eust osé parler, et y treuver à redire, puis qu'il est l\Iaistre absoln, et peut tont ce qu'il Iuy plaist? Ou s'il se vouloit servir pour cette redemption .de l'intervention de qup!<.rue creature, n'en pouvoit-il pas creer une d'une te1]e excellence et dignité , que parce qu'elle eust fait et souffert, eUe enst suffisalnnlent satisfait pour tOllS les pechés de tous les homInes? II n'y a nul doute qu'ille pou- voit faire, et que par mille autres nloyens que celuy de la nlort de son Fils il nous enst pu racheptcr; nlais il ne l'a pas voulu , dautant que ce qui estoit sutlìsant à nostre saIut, ne l'estoit pas pour assouvir son anlour : et pour nous lnontrer conlhien il nous aymoit , il est n10rt, mais de la mort la pluß dure et ignominieuse qui 5e puisse imaginer, qui est la mo de la croix. Que resle-t'il done, et queUe consequence devons-nous tirer de cela, sinon que puisqu'il est mort d'amour pour nous, nous monrions aussi d'amour pour Iuy, ou si nous ne pouvons mourir d'aillour, que du moins nous ne vivions pour autre chose que pour Iuy Car si nous ne l'ayulons et que nous fie vi vions pour luy, nous serons les plus desloyales, infideles et pedides creatures qui se puisse dire.. Et c'estoit dequoy se plaignoit Ie grand S. Augustin: 0 SeIgneur, disoit-il, est-il 422 SERMON possible que l'hoIDlne sçache que vous estes mort pour Iuy ,... et qu'il ne vive pas pour VOllS? Et ce grand an10ureux c..le Ia croix, S. François : Ah ! Seigneur, disoit-il en sanglotallt, VOllS estes mort d' amour pour nous, et personne ne VOllS ayme ! II est done mort; ll1ais bien qu'il soit mort, et qu'il soit eslevé sur Ia croix pour nous donner la vie, si e:-,t-ce pourtant que ceux qui ne Ie regarderont pas nlourront) dautant qu'il n'y a point de redemption qu'en Ia croix. o Dieu! que c'est une consiJeration de granc..le utilité et profit que celIe de Ia Croix et de Ia Passion! seroit-il hien possible, je vous prie, de rcgarder en Ia croix l'hu)n .lité de noslre Sauveur, sans devenir hUlnble et avoir de l'affection aux hunliliations? peut-on voir son oheyssance sans estre obeyssan t ? Non certes, personne n' 3. j all1ais regardé COIl) l11e- il faut nostre Seigneur erucifié, qu'il n'ait esté preservt Je la mort du peché et ne soit gueri de sa lna]adie, et tOllS ceux qui sont 1110rts, ç'a esté pour ne l'av9ir pas vonlu re- gardeI'; ainsi que cenx qui mouroieni entre les cnfans d'I:-;raël, c'estoit pour n'avoir pas voulu regarderle serpent que \Iorse avoit fait dresser sur la colorn nee La cheule de nos pren1iers parens au paradis terrestrc fut. encore une figure de cecy; car Adam et Eve estans au Para- dis, Dieu leur avait donné beaucuup de fruits pour l'entre- tenement de leur vie; mais il y en avoit un qui estoit Ie fruit de science du bien et du 111al, duqueI illeur avoil de- fendu de manger, les menaçans de la nlort s'ils pn man- geoient : Ex omni ligno Paradisi c07nede, de ligno au/em scientiæ boni et 'inali ne cOJneda:},. in quoCllJnqllc enÙn die comedel""is ex eo, 'iìlOl-..te 'iì'lorieris 1. lis pouvoient done 1110U- rir, ou ne mourir pas; ils pouvoient mourir en contrevenant au commandement de Dieu, et ne nlourir pas en Ie gal'Jant.. 1\Iais voicy un grand accident qui sUl'vient : Ie erpent in- fernal , sçachant qu'il estoit en leur pouvoir de nloul'ir, on . Gen.., II. POUR LE VENDREDY SAINT. 423 de ne n1011rir pas, se resolut de les tenter, afin de leur faire perdre la justice originelle, de laquelle Dieu les avoit enri- chis et doüés, les sollicitant de manger du fruit defendu; et pour Ie faire plus subtilement, il prit les escailles et la forme d'un serpent, et en cette sorte il tenta Eve. Certes, encore . que Ie cæur d'Eve eust esté chatoüillé par les disconrs et les l"'aysons de cet esprit rusé, et qu'en suite de cela elle n'eust riell fait que regarder Ie fruit de vie, on de Ie toucher, encore qu'elle en eust cueil1y, et mesme presenté à Adam son 11lary, iIs ne fussent pas morts pour ceIa, parce que Dieu leur avoit seulement dit : Si vons en mangés, vous nlourrés ; In quocllmque enim die comederis ex eo, mOl'te mOl'iel'is. Cefutdonc en mangeantdu fruitdefendu qu'Adam et Eve devindrent mortels, et perdlrent Ia vie qu'ils pou- voient garder, s'ils n'eussent ny l'un ny l'autre mangé du fruit de l'arbre de science du bien du mal.. Nostre Seigneur ayant en luy deux natures, la nature divine et la nature humaine, en tant que Dieu , il pouvoit ne mourir pas, et ce qui est davc..ntage, il ne ponvoit mourir ny soufIrir; car il est immortel et impassible: et tout ainsi qu'il ne pouvoit pecher, anssi ne pouvoit-il mourir, parce que lliourir est une impuissance, aussi bien que pecher. 1\fais en tant qu'homme, il pouvoit mourir, et encore ne mourir pas, bien que cette loy soit generale, puisqu'il faut :que tout hon1me meure, suyvant ce que dit I'Apostre : Sta- I tutum est hOlninihus semel 1nori 1.. II pouvoit neanmoins estre exempt de cette loy, dantant qu'il n'avoit point peché, parce (Iue c'est Ie peché d'Adam qui a donné l'entrée à 1a mort; Per unurJl /lominem ]Jeccatum in hunc mundum intra- vit, et per peccatum 1nors. Iais nostre Seigneur, quoy qu'il n'eust point de peché , ne s'est point voulu servir de ce pri- vilege , ains a pris un corps passible et mortel, à cause qu'il s'est incarné pour estre Sauveur J et nous a voulu sauver en t Heb. J IX. :42!í SER1\ION souffrant et mourant, prenant et recevant sur soy en sa sacrée humanité, en toule rigueur de justice, tout ce que nous avions merité pour nos pechés. Et c'est chose admirable de voir qu'il a tellement uny Ja nature divine avec la nature humaine , que quoy qu'il soit tres-asseuré que ce fut seulement !'hulnaine qui soufIroit, et .}on la divine, parce qu'elle e8t impassible; neann10ins, quantI l'on voiò la maniere avec laquelle nostre Seigneur a sOllffert, l'on ne sçait, s'il faut ainsi dire, si c'estoit Dieu ou l'homme qui souffl'oit, tant sont admirables les vertus qu'il prattiquoit. Or, quoy qu'il ne soufIrist rien en tant que Dieu, si est-ce que la divinité, qui s'estoit unie avec l'lulIna- nité, donnoit un tel prix, et un tel merite à ce qu'il soufIroit et enduroit, qu'une petite larme, un petit mOUVell1ent de son corps, un petit souspir amoureux de son sacré cæur, estoit plus meritoire et aggreable au Pere eternel, que n' eussent pas esté tous les pI us grands tourmens qui se puissent imaginer pour Ie corps et pour l'esprit, soufferts par nne pure creature doüée de la plus grande perfection qui se puisse desirer, mesme quand elle viendroit à souffrir toutes les peines et tortures de l'el1fer.. Et je diray bien davantage : quand, outre tout cela, elle viendroit à souffrir to utes les peincs qui se pourroient treuver dans cent mille n1Íllions d'enfers, et qu'elle les souffriroit avec la plus grande perfec- tion qu'une creature humaine les puisse soufIrir; tout tela neanmoins ne seroit rien en comparaison d'un petit souspir de nostre Seigneur, ou d'UI}e petite goutte du sang qu'il a respandu pOilr l'amour de nous, parce que c'est sa personne, qui est d'une excellence et dignité infinie, qui donne Ie prix et la valeur à telle action et souffrance; dautant que la divinité est tellement conjointe avec l'humanité , que nous disons avec verité, que Dieu a souffert la mort, et 1< n101't de la croix, pour no us rachepter et nous donner la vie. J. quant à nons) il faut que nons sçaçhions que nous I'OrR r.E VENDREDY SAINT. 425 avons receu de Dieu trois natures, ou pour ll1icux dire trois sortes de vies, l'une desquelles estoit negative, qui est celIe que no us avons cÜe en la personne de nostre prelnier pere Adam en sa creation, en Iaquelle nous pouvions mourir, ou ne mourir pas, parce qu'estallt au paradis terrestre, OÙ estoit l'arhre de vie, nous pouvions nous empescher de 111ourir, non point en mangeant du fruit defendu, ains en n'en man- geant pas J comme Dieu l'avoit ordonné : car, en gardant son commanden1ent, nous ne fussions pas morts, bien que nous n'eussions pas tousjours demeuré en cette vie; Iuais nous eussions passé d'icelle à une autre meilleure, quand il eust pleu à Dieu de nous en retirer. Or je sçay bien qu'en nos ire langage françois l' on appelle les morts trespassés, pour nous faire entendre que la mort n'est qu'un passage d'une vie à l'autre, et que ll10urir n'est autre chose qu'outre- passer les confins de cette vie Inortelle, pour aIleI' à l'inlmor- telle : mais bien que cela soit ainsi, il est vray neann10ins que nous ne fussions pas morts de cette mort corporelle, de laquelle nous mourons n1aintenant, ains nous nous fussions tousjours acheminés à l'autre vie; et quand il enst pleu à la divine l\Iajesté de nous oster de ce monùe, ill'eust fait, on dans un chariot de feu comme Elie, ou en qnelque autre maniere selon qu'illuy enst pleu t.. 1\Iais nous pouvions aussi mOllrir en mangeant du fruit defendu, comIne ont fait Adam et Eve, en la seconde nature (ou vie), qui est celle que nous avons depuis qu'ils eurent peché, et en laquelle nous venons au luonde, où nous pouvons mourir, n1ais nons ne pouvons pas ne point mourir; car c'est nne loi generale que nous mourrons tons; et depuis la cheute de nos prelniers parens que Dieu prononça la sentence de mort contre 1 'homme, il n'y en a pas nn qui ne Iueure, il n'y a creature humaine, queUe (Iu'clle soit, qui puisse s'exempter de subir ce chas- tin1ent. El comme nous avons esté souillés du peché originel . IV des RO)Ts, ch. II.. 426 SER1\IOrr et aetuel, aussi mourrons-nous tous. C'est pourqlloy no tre Seigneur, quoy qu'il fust sans peché, toutesfois, parce qu'i1 s'estoit chargé de nos iniquités, il est mort, afin que C01l1111e dit sùn grand apostre, il fust en tout semblable à ses frpres : Uncle dehuit per omnia fl atl'ihllS similari t.. La troisienle nature (ou vie) que Dieu nous a donnée est ceIle que nous i aurons au cicl, si Dieu nous fait la nlisericorde d'y parvenir; lieu auquel nous pourrons vivre, ct ne pourrons plus n10urir: car alors nous jouY1'ons de la gloire, qui n'est autre que Ia vie ete1'neHe, qui nous a esté acquise et acheptée par la 11101't de llostre Sauveur; et la l)ossederons avec tant d'asseurance, que nous n'aurons jaillais aucune crainte de perdre cette vie glorieuse, en laqueIle nous ne pourrons plus lllourir.. . Ç'a done esté par inspiration divine que Pilate a mis sur Ie tiltre de la croix: JeSllS N aza enus Rex Judæ01'llln 2, Jesus de Nazareth Roy des Juifs; parce que ç'a esté Ia vocation de nostre Seigneur que d'estre Sauveur, en dOl1uant Ie salut et la vie et rnelle aux h0l1)1l1eS, que Ie Perc eternellenr avoit tant de fois promise, non seuIelllent par Ia bouche des pa- triarches et prophetes, nlais encore par luy-mesn1e : et pour nous ronfirmer cette verité, il s'est aussi voulu servir de Ia bouche des hommes 1es plus impies et scelcrats qui se pussent. trouver, C0111me nous dirons tantost. Ce fut aussi pour l'ac- complissenlent de cette proillesse, que l'ange S. Gabriel dcs- cendit du ciel pour annoncer à la tres-sainte Vierge Ie nlYs- . tere de l'incarnation, luy disant, que celuy qu'elle concevroit seroit Fi]s de Dieu, et se nonlmeroit Jesus: Et 'Cocaóis nomen ejus JeSlln 3. Etpn donnantlarayson, il dit: Ipse enirn salvllm faciet populum suum a peccatis eO'l'um, parce qu'il sauvera son peuple de leurs pechés.. Lorsque nostre Seigneur receut le b ptesme de S.. Jean- Baptiste au fIeuve du Jourdain, et qu'il se transfigura sur la n10ntagne de Thabol', l' on entendit la vojx du Pere eter- I Hebr.. II. - I S.. Matth., XXVII _ 3 Ibid., L rorn !.E YE DREDY SAINT. 427 nel, disant : C'est ici 1110n Fils hien-aymé, auquel j'ay pris tout mon playsir, escoutés-le : flic est Filius nzeus dilectus, in quo mild coníplacui,. ipsun'l audite 1; comme voulant dire aux Jnifs: 0 pallvre peuple! vous m'aviez tellement fasché par vos vices et iniquités, que j'avois resolu de vons perdre et abysll1er : mais voicy que je vous ayenvoyé mon Fils pour vous reconcilier avec moy; car tout mon playsir est à Ie re- garder et considerer, et en ce regard j'ay tant de complaysance, que je m'ouhlie de tous les desplaysirs que je reçois de vos iniquités; esconté -Ie.. ParolIe par laquelle illeur monstroit qu'ill'avoit envoyé pour les enseigner à se sauver.. IIé! leur vouloit-il dire, TIP doutés point de sa doctrine; car eUe est toute divine, c'est I verité nlesnle qu'il vous enseigne; et pour ce, escoutés-la bien: car si vous la suivés et pratiqués, elle vons concluira à Ia vie eternelle. Ce mesme tesmoignage leur fut encore donné sur la montagne de Thabor, au jour de Ia Tran3figuration de Dostre Seigneur, auquel rOIl cn- tendit derechef la nlesme voix du Pere eternel, disant : V oicy 1non Fils bien-aynlé, alHluel j'ay mis mon bon playsir, es- coutè -Ie. V ous delnanderés peut-estre, que vous dira n08tre Seigneur sur cette nlontagne? 0 cerles! mes ('heres Ames J il ne nous dira rien en ce lieu 2; car il parle à son Pere ce- leste, et avec l\Ioyse et Elie, de l'excés qu'il devoit souffrir en IIierusaIem. V ous verrés vrayement sur cette montagne la gloire de la Transfìguration; toutesfois ron vous defenura de dire ce que vous y aurés veu.. Iais en celle du Calvaire, vous entendrés des plaintes, des souspirs et des prieres faites pour la renlission de vos pechés. V ous y entendrés encore des paroHes d'une grande doctrine; mais ron ne vous défendra pùint de dire ce que vous y aurés veu; au contl'aire, ron vons comnlandera d'en parler, et de n'en perdre janlais la melnoire. V oyés donc cOlllbien Ie Pere eternel a donné de tes111oi.. gnages aux homn1es pour ll10nstrer la vocation de son Fils,. S s. I\I:J.tth., XVII. - 2 S. Luc J IX. 428 SERl\fO!'t et que veritablen1ent il estoit Sauveur.. Et I1e voyons-nous pas que Pilate dit tant et tant de fois, qu'il estoit innocent, et qu'il ne treuvoit aucune chose en Iuy qui fust digne d( . D10rt? Ne protestoit-il pas que, quoy qu'il Ie condamnast à' mourir, il cognoissoit bien neanmoins qu'il n'estoit fJ,ucune . ment coupahle, et qu'il falloit birn qu'il y enst quelque cauS( à sa mort qui luy fust incognñe I? Dieu ne fit-il pas dire encore celte grande verité par la houche du plus meschant homme qui fut jamais au n1onde, ce n1iserahle Caïphe, pour lors souverain prestre, quand il prononça cette parole de si grande verité, qu'il estoit expedient qu'un hOlnn1e Inourust pour sauveI' tout Ie peuple: Vos ncscitis quidquam, nee eo- gitatis, quia expcdit vobis ut unus mOl'iatur Ilon o pl'O po- pulo, et non tota gens pel'eat 2. 0 admirables tesmoignages que ceux que Ie Pere ete1'nel donne aux hommes, pour monstrer que veritableu1ent son Fils estoit Sauveur, et qu'il falloit qu'il mourust pour nous sauveI', puis que mesn1e il tira ceUe verité du plus miserable et detestable hon1me qui aye jamais esté! II est hien vray qu'en disant qu'il estoit ex- pedient qu'il mourust, il ne l' entendoit pas ainsi qu'ille p1'o- phetisoit; mais Dieu Ie voulut neannloins faire prophetiser en r.ela, å cause qu'il tenoit pour lors Ie siege du souverain pon- tife: Hoc auteln a semetipso non dixit, sed cum esse! pontifex Ilnni illius. Etc'estune chose tres-certaine, quela plusgrande partie u peuple cognoissoit hien que nostre Seigneur estoit innocent, et que ce qu'i1s demandoient qu'il fust crucifìé.. n'estoit que pour complaire aux princes des prestres en s rangeant de leur party: car vous sçavés que, quand il se fa; une sedition en quelque ville, tout Ie menu peuple se rangr so it que la chose soit juste ou non, du costé de ceux qu }'excitent : ce qui arriva ainsi en la n10rt de nostre Seigneur.. l\Iais, je vous prie, remarqués que Pilate, sans sçavoir ce qu'il faysoit, fit escrire sur la croix: Jesus Nazal'enus Rex S S. Jean, XIX.. - 2 Ibid., XI. POUR LE VENDREDY SAINT.. 429 ludrPol'zon, Jesus de Nazareth Roy des Juifs; et pour chose qu'on lui dist, il ne voulut jamais oster ce tiltre, ny pennettrc qu'on l'escrivist d'une autre mnniere (respondant à ceux qu vou]oient qu'on Ie changeast) : Quod sCTipsi, scripsi (Ce qui est escrit est csrrit) ; ce qu'il dit sans doute par nne speciale providence de Dieu, qui vouloit qu'en ce tiltre fussent nlÍses les deux principales causes de la n10rt de nostre Seigneur.. Que reste- t'il done à ccUe heure, sinon que, puis que Ie Fils de Dieu a esté crucilìé pour nous, nous cruc fiiol1S aUf:si pour Iuy nostre chair, avec ses concupiscence:;? Car l'amonr ne se pnye que par l'an10UI'.. Taschons done) lues chcres Seu rs, de rcndre it Dieu amour pour amour; rendons- Iuy les loüanges ct benedictions que nons luy devons pour sa 1110rt pt passion, et par cc 1110YèIl nons Ie confesscl'ons nostre r .iherateur ct Sauvenr. Passons à la seconde partie de ce disconrs. Un jonI' qne j devois prescher la Passion, cherchant une sinÜlitudc pour preuvcr ce qui estoit de Ulon sujet, j'ouvris un livre, OÙ fen renrontI'ay une d'un oyseau, lequel j'ay touSJours Cl'eu n'a- voir {\ té creé de Dieu que pour servir de siulilitude sur Ie suj 2t de ht Passion; ear c' est la chose la plus ad nlÏrable mise en la nature et la plus propre qu'on puissejatnais rellcontl'er pour lllonstrer que nostrc Seignee.r e J mort pour nos pe- cbés. Or eet oyseau s'appelle en nostre langage françois Oriul, et en lalin IctoJ'us" il est jaune, et neann1o:Ds il n'pst point at- feint .Ip jaunisse, et il a cette proprieté, qu' estant attaché sur Ie haut d'un at hre, ilgueriteeuxqui sontatteintsde la haute jall- nissf--', et ce aux despells de sa vie: car si celuy qui est al tt'int de 1a haute jaunisse regarde eet oyseau, il est pareille[))f u J regardé de IllY, et par ce regard l'oyscau vient, s'il faut aill } din.:', à estre tellenlent touché de C0l11111iseration de VOil l'holnme, son grand alny, tL'availlé de ce nlal, qu'il tire à luy toute la jaunisse de celuy qui l'a regardé, et S'Cll chai'3 e de telle so1'te, qu'apres cela un Ie voit dcvenir beaucoup plus 430 SERMO!f jaune qu'il n'estoit auparavant : meSlne ses aisles, qui l'es. toient desja, Ie deviennent davantage; puis Ie ventre, les pieds, et enfin toutes ses plulnes, et tout son petit corps se jaunit grandement; ct l'honlnle, son grand amy, devient hlanc et net, et tout à fait quitte de ce Dlal. 1\1ais apres cela, e pauvre oyseau s'estant retiré, va tousjours Ianguissant, chantant un chant pitoyablen1ent amoureux pour Ia c0111play- sance qu'il a de n10urir en deli vrant l'homn1e. Chose adnlÏ- rable! cet oyseau n'est jamais Inalade de la haute jaunisse, t neanmoins il en Dleurt, en delivrant l'holl1n1e qui en estoit atteint, et avec complaysance de 1110urir pour Iuy donner la vie.N'est-ce done pas tres à propos qu'il represente nostre Seigneur, divin oyseau du para.dis, divin Oriol , qui est at- taché sur l'arbre de la croix pour no us sauveI' et ùelivrer de la haute jaunisse du peché, fans qu'il ayt jau1ais esté atteint de ce 111al, c'est à dire entaché ùu peché? Iais pour en estre delivré, il faut que l'hon1n1e Ie regarde sur 1:1 croix; ,car par ce regard il l'excitera à COIl1111iseration, et par cette con1nliseration ce divin Sauveur tirera à soy toutes les ini- quités de l'homme pecheur, et n10urra librelneI! pour luy. l\lais tout ainsi que si l'hon1111e qui est atteint de la haute jaunisse, ne regarde eet oyseau, il demeurera tousjours Ina- lade; de n1esme, si Ie pecheur ne regarde nostre Seigneur crucifié, il ne sera jalnais quitte de scs pcchés. Que s'ille fait au contraire, nostre Seigneur s'en chargel'a, et quoy qu'il .. soit innocent et sans peché, il I1lourra pour Ie peché à cause de nos iniquités, et cela pour nous en delivrer, et nlourra avee une sainte complaisance de nostre guerison, bien que ce soit aux despens de sa propre vie. Ce que nous cognoissons par les paroles qu'il dit sur la croix, et par les lannes et souspirs amoureux qu'il Jette. Passons outre, et disons n1ain- tenant un nlot de ses sacrées parolles pour notre instruction. La premiere parolle que nostre Seigneur dit sur la croix, fut de prier ponr ceux qui Ie crucifioient; et ce fut alors ftot:r. LE VESrmEDY StUNT.. 431 qu'j I fit ('e que dit S. P3ul au einquienle chapitre de I'Epistre anx I1l'hrcnx, qu'aux jours de sa chair il ofIroit des sacrifices. à Ron Pere teleste, avec grands cris, lanlles, prieres et sup- plications, et qu'il fut exanc( pour sa reverence: Qui in dÙ ÓlfS carnis Sllæ, pl?eCeS, supplicatiortesque Clon clan ore vaIÙ/o, et lacllryrnis o/!erens, cxauditlls est pl O sua 'reve- 'J e1ltia t.. Certef;, ceux qui crucifioient ncstre divin Seigneur ne Ie cognoissoient pas (car s'ils l' eussent c03nu, ils ne l'enssent pas crucifié) : Si enÙn cognovissent, 'nunqualn Donânurn gloriæ crucifixisscnt 2. Et conlme l'eussent-ils cog-nn, puis que nlCSl1le la plus grande partie de ceux qui estoicllt autour de luy n'entendoient pas son langage, parce (!u'il y avoit en ce tenls-Ià de toutes sortes de nations en lIierusalcm, Iesquelles senlbloicnt estre toutes congregées pour Ie tournlcnter'? Nostre Seigneur donc, voyant l'ignorance et 13. foihIesse de ceux qui lp tournlcntoient, C0l1ll11ença à les excuser, et à offrir SOIl sacrifice à SOIl Perr celeste pour eu:\:.. 01' il Y a des sacrifices qui l1e sont aut1'es que les prieres, qui sont les sacrifices de nos levres et de nos1.1'e cæur, que 110US presen- tons à Dieu, tant pour nous que pour Ie prochain; et nostre Seigneur s'ell servit alor l, disant : Pater, dÙnittc illis, non enÙu sciU'llt quid faciunt 3. l\lon Pere, parc1onnés-Ieur, car ils ne savellt ce qu'ils font. o que grande estoit la flan1Ille d'au1our qui hrusloit dans Ie cæur de nostrc dOllX Sauveur, puis qu'au plus fort de ses douleurs et au ten1S auquel la vebenlence de ses tourlnents lui ostoit nleSll1e Ie pouvoir de prier pour soy, il vient par la force de son anIonr à s' ouhlier de soy) afin de prier pour ses cnnen1Ïs; et pour ce, avec une voix forte et intelligible il dit ces 1110ts : Pater, din1ittc illis : lon l ere, pardonnés- leur.. Ce qu'il fit pour nous apprendre que l'aulour qu'il nous portoit estoit si grand, qu'il ne se pouvoit dinlinuer t Heb., v. - t I Cor., I.. - 3 S.. Luc, XIIi.. 432 SER:\ION par aucune sorte de peine ou de tourment, et pour nous monstrer aussi quel doit estre nostre creur à l'endroit de nostre prochain.. Ah! mon Dieu! mes cheres Seurs, queIle ardente charité estoit celle cy, et queUe efficace avoit une teIle priere ! Certes , les prieres de nostre Seigneur estoient si efficaces et si meritoires, qne rien ne Iuy pouvoit estre refusé; c'est pourquoy il fut exaucé, comn1e dit Ie grand Apostre, à cause de sa reverence: Exauditus est Pl'D sua 'J'everentia : car il est vray que Ie Pere celeste portoit une grande reve- rence à son Fils, qui en tant que Dieu Iuy estoit égal, ayant avec luy une mesn1e substance, sapience, pl]issance, Lonté, et infinie Ï1nlllensité, Iuy est ant en tout et par tout égal et consubstantieI.. C'est pourquoy, Ie regardant conllne son Verbe , iI Iuy portoit une grande reverence, et COlllnle tcl, ne I uy pouvoit ricn refuser. Doncques ce divin Sauveur s'estant employé à delnallJer pardon pour les homn1es , il est tout certain que sa t1elllandc Iuy fut accordée; car Ie Pere eterneI l'honnoroit trop pour Iuy refuser ce qu'illuy demandoit : si bien qu'il fut cxaucé, non seuICll1ent à cause de Ia reverence que Ie })ere eterncI Iuy portoit, ains aussi à cause de celJe qu'il portoit à son Pere, et avec laquelle il Ie prioit. Et tout ainsi que deux grands ro)'"s, tout deux egaux en grandeur et puissance, se rencontrant ensemble, se traitent et parlent l'un à l'autre avec beau roup d'honneur et revercnce; et si l'un des deux prie l'autre de quelque chose, crstuy-cy Iuy accorde pl'(nnp- telnent ce qu'il 1uy delnande; de mrsme en est-il du l ere eternel, et de son Fils noslre Seigneur; car tOllS deux sont egaux en dignité , excellence et perfection.. II fi t donc ceUe priere à son Pere; n1ais, Ô Dieu! avec reverence? Certes la sacrée Vierge, nostre Dalne, surpasse toutes c.reatures en hun1ilité, et en la reyerence avec la{luelle c lle a pl'ié et traité avec Dieu. Tous les Saints l' out prié avec POUR LE VENDREDY SAI . 433 grande reverence et humilité. Les ColO1l1Iles du ciel tremblent devant Iuy, à cause de 1a reverence qn'elles Iuy portent: Coillmnæ cæli contremiscunt et }Javent ad nutum ejus t.. Les plus hauts Seraphins fremissent, et se couvrent de leurs aisles pour l'honneur et Ie respect qu'ils portent à sa divine 1\Iajesté. Jais toutes ces humilités, tous ces honneurs, toute la reverence que la Vierge ct tous les Saints, tous les Anges et Seraphins portent à Dieu, ne sont rien en cOlnparaison de celle de Ilostre Seigneur. Done il nc faut nullelnent douter que les prieres faites par nne tclle personne d'un Inerite et perfection infinie, avee une si grande et admirable reverence, ne fussent tont aussi tost exaucées. Et si tous ceux .qui cruci- fÌerent nostre Seigneur ne reccurent pas Ie pardon qu'il avoit demandé pour eux à son Pere eternel , ce ne fut que par leur faute , comme je diray cy apres. La sccollde parolle de nostre Seigneur futcelle par laquelle il prornit Ie paradis an bon larron I.. Or en cette paroIIe il commença à chanter d'un autre air, dautant qu'il prioit au- paravant pour les pecheurs, et l11aintenant il n10nstre qu'il est leur Redempteur; car ayant pardonné les pechés, il fait apres gonster les fruits de sa reden1ption au bon larron, dantant qu'il estoit crucifié au milieu de deux voleurs, des plus meschans traistres qu'on eust pû treuver; l'un desquels Ie blasphemoit, l'autre reconnoissant son innocence, Iuy dit : IIa! Seigneur, je reconnois bien que vous n'estes nul- lement coupable, lllais oúy bien moy, qui mcrite pour mes crimes et pechés d'estre attaché à cette croix, et pour ce je vous prie d'avoir souvenance de moy quand VOllS serés en . JI . . vostre royaume : Domzne, menzento mez, Clan vencrzs zn Regnum tuum 3.. Or puisque je suis sur ce sujet, il faut que je vous die une femarque que je n'ay point encore faite en co lieu : c'est lu'il arriva en la Passion de nostre Seigneur deux grands I Job, XXVI. - 2 S. Luc., XXIII. - 8 Ibid. IY. 28 434 SER1\fON accidens de deux sortes de pecheurs qui Ie tourmenterent cxtrenlement; et de cbaque sorte il y en avoit deux, à sçavoir t Jeux apostres et deux Iarrons.. Premieren1ent S.. Pierre, qui estoit l'un de ces deux apostres, fit un grand tort à · nostre Seigneur en sa passion, car il Ie renia et dit qu'il ne Ie connoissoit point; et non content de cela, il jura et plas- 1)heu1a , asseurant qu'il ne sçavoit qui il estoit ; lile autem cæpit anatllematisare, et jll1 a1'e, quia nescio Ilominem is- tUln I. Grand accident certes qU{ celuy-cy , et qui perçoit Ie ereur de nostre Seigneur tres-sensiblelnent.. 0 u1iserable Pierre! qne faites-volls'? et que dites-vous, que vous ne sçavés q uel il cst, que vons nc Ie connoissés pas, vous qui avés esté appclIé de sa propre bouche à l'apostolat, vous qui avés dit qu'il esloit le Fils de Dieu vivant'? Ah! n1Ïserahle honllne quc \'ous estes, COllune osés-vous dire que VOllS ne Ie con- noissl s pas? N'est-ce pas celuy qui estoit nagueres à vos picds pour les laver, qui YOllS a repeu de son corps et de Eon sang? et vous dites que vons ne Ie connoissés pas! Conl- D1ent cst-ce que la terre VOllS pent supporter? COl1llnent ne s'ouvre-t'elle pas pour vous engloutir dans Ie profond des eurers? Le deuxiesme apostre qui tournlenta nostre Seigneur, fut Judas, qui Ie vendit lniserablelllent, et à si viI prix.. 0 Dieu! que terribles et espouvantables sont les cheutes des serviteurs de Dieu, Inais principaleulent de ccux qui ont receu de grandes graces! IIé ! queUe plus grande grace se pouvoit-il recevoir, que c.ellequ'avoient receueS. PierreetJudas? Judas qui avoit esté appel1é à l'apostolat par nost1'e Seigneur, qui l'avoit nlesme preferé à tant de nlillions d'au!res qui eussent fait des lllerveilles en ce millistere. Considerés, je vous prie, les gralldes graces que nostre Seigneur luy fit; car outre qu'il Iuy donna Ie don de faire des miracles, illuy predit encores ce qui Iuy devoit arriver touchant cette trahison, I s. Alarc , XIV. POUR LE VENDllEDY SAINT. 435 afin que Ie sçachant il enst moyen de l'éviter. De plus, pour gaigner entierement son cæur, et ne laisser aucune chose de ee qui Ie pouvoit rendre plus affectionné à sa divine Majesté, øçachant qu'il avoit une inclination à trafiquer et manier des affaires, it voulut pour cela Ie faire procureur en son college sacré; et neanmoins ce miserable Judas, abusant de to utes ces graces, vendit son bon laistre.. o Dien ! que les cheutes de ceux qui sont sur la montagne sont effroyables et dangereuses! car dés qu'on a commencé à tomber, ]'on ronle puis apres jusques à ce que ron soit au fond du precipice: et telles ont esté les cheutes de ceux les- queis apres avoir receu de grandes graces, sont descheus du service de Dieu. Chose estrange, qu'apres un si bon COffi- menceillent, meSllle apres avoir demeuré trente et quarante ans au service de sa divine l\Iajeslé, sur la vieillesse, lorsqu'il seroit tems de recueillir Ie fruit de son labeur, l'on vienne à tout perdre, et à se precipiter dans l'ahysme du malheur, tel que fut eeluy de Salomon, du saint duquelles Peres de l'Eglise sont en donte, et de plusieurs autres, lesquels sem- hlablement ont abandonné Ie bon chemin en leur vieillesse.. o que c'est une chose espouvantahle de tomber entre les mains du Dieu vivant! Horrendum est incidere in manus Dei viventis t. 0 que ses jugemens sont inscrutables! Que celuy qui s'estime estre debout, craigne de tomber, dit l'Apostre, et que personne ne se glorifie pour se voir bien appeIlé de Dieu , ny pour estre en quelque lieu OÙ il semble n'avoir rien à craindre t. Que personne ne presume de ses bonnes æuvres, et ne pense n'avoir plus rien à redouter, puisque S.. Pierre, qui avoit receu tant de graces de Dostre Seigneur, et qui luy avoit promis de l'accompagner dans la prison, et n1esme jusques à la mort, Ie renie au moindre siffiement d'une chambriere; et Judas, pour une si petite tiOmn1e de deniers, Ie vendit. 'Hebr" x.- I Rom., XI. . 436 !ERMOft Ces deux cheutes furent toutes deux tres-grandes; mais it y eut cette difference, que l'un se recognut, et l'autre se desespcfa, bien que nostre Seigneur eust inspiré dans Ie creur de Judas Ie mesme Peccavi que dans Ie cæur de S. Pierre: et Ie mesme Peccavi qu'il inspira dans le cæur de David, il l'inspira dans Ie cæur de Judas et de S. Pierre, et neannloins run Ie rejetta, et l'autre Ie receut : dautant que S.. Pierre entendant Ie coq qui chantoit, se ressouvint de ce qu'il avoit fait, et de ce que Iuy avoit dit son bon rtlaistre : Et recordatus est Pettus verhi J esu, quod dixe'J'at,. et Iors reconnois- sant sa faute il sortit, et s'en alIa pleurant amerement: Et . egressus fO'J.as flevit a'Jnare; mais avec tant de contrition, qu'il receut indulgence pleniere et remission de tous ses ': pechés. 0 hienheureux saint Pierre, qui par Ia contrition . (Iue vaus avés de vos fautes , merités de recevoir de la bonté de vostre l\Iaistre un pardon si general d'une si grande des- loyauté: Faites encore cette ren1arque, je vous prie , que S. Pierre ne se convertit point, qu'il n'eust entendu Ie chant du coq , comme noslre Seigneur Iuy avoit predit.. En quoy ron void l'adn1irable sousn1Ïssion de cet Apostre à se servir du n10yen marqué par nostre Seigneur" pour sujet de sa conversion: toutesfois, il est certain que ce furent les regards sacrés de nostre Sauveur qui Iuy penetrerent Ie cæur, et Iuy ouvrirent les yeux pour Iuy faire reconnoistre son peché, bien que l'Evangeliste marque qu'il sortit pour pleurer, quand Ie coq chanta, et non point sitost que nostre Seigneur Ie re- garda. Et depuis ce telTIs-Ià il ne cessa jan1ais de pleurer, principalement quand il entendoit chanter Ie c.oq Ia nuit et Ie matin, se ressouvenant que c'estoit Ia n1arque de sa con- version; et il pleuroit en telle ahondance, qu'on dit que ses larmes Iuy avoient creusé les jouës, et Iuy avoient fait COlnme ùeux canaux, par oÌl elles ne cessoient de couIer; et par ce mUJcu, d'un grand pechcur il devint un grand saint. POUR LE VENDREDY SAINT. 431 o glorieux S. Pierre! que vous fnstes heureux de faire une si grande penitence d'une telle et si grande desloyauté ! dautaÐt que par icelle vous Iustes remis en grace, et celuy qui meritoit une mort eternelle, se rendit capable de la vie eternelle; et non seulement cela, ains il receut encore en cette vie de grandes graces et privileges de nostre Seigneur, et fut combJé de beau coup de benedictions: OÙ au contraire Judas, quoy qu'il receust Ie n1esme Peccavi que S. Pierre, ille rejetta et se desespeI'a.. Je sçay bien qu'il ya de la difference entre la grace efficace et la grace suffisante, comme disent les theologiens; mais je ne snis pas en ce lieu pour preuver et disputer si cette inspi- ration du Peccavi de Judas, fut efficace comme celle de David, ou si elle fut seulemellt sufIìsante. Elle fut vrayement suffisante, cela est tres-certain, et il est vray aussi que )e mesme Peccavi que Dieu envoya au ereur de Judas, fut comme celuy qu'il envoya au cæur de David. Et pourquoy donc ne se convertit-il pas? C'est que voyant la grandeur de sa fante, il se desespera. II fit hi en de vray la confession de son peché; car il dit tout haut, en rapportan t aux princes des prestres les deniers pour lesquels il avoit vencIu son bon 1\Iaistre, qu'il avo it peché en li\Tant le sang de l'innocent, Peccavi tradens sanguinem justzl1n : mais ces prestres ne Iuy donnerent point d'absolution. Et ]e pauvre miserable ne sçavoit-il pas hien que nostre Seigneur estoit celuy qui la Iny pouvoit donner, (lui estoit Ie Sauvenr, et qui tenoit la redemption entre ses n1ains? ne l'avoit-il pas bien pû voir en ceux auxquels il avoit remis les pechés? II Ie sçavoit bien, mais il ne voulut pas luy demander pardon, dautant que Ie diable , pour Ie tirer au desespoir, Iuy fit voir la grandeur et Iaideur de son peché : ce qui luy fit craindre que s'il en demandoit pardon à nostre Seigneur, il ne Iuy donnast pour , iceluy une trop grande penitence, et pour cela il ne luy voulut point demander. ains se desespera et s'alla pendre . 438 SER ION miserablement, puis Ie ventre Iuy creva, les entrailles Iuy sortirent : Et suspensus cl'epuit medius, et dilfusa sunt om- nia viscera ejlls 1, et fut ensevely au fond des enfers. Passons à Ia seconde sorte de pecheurs, qui tourmentoient nostre Seigneur en sa Passion. . Les deux autres pecheurs estoient deux Iarrons qui furent crucifiés avec nostre Seigneur, bomnles meschans au pos- sible, s'il en fut jan1ais; car c'estoient les plus scelerats, les plus perfides et in ignes volenrs qui se pussent trouver, dalltant qu'ils avoient passé toute leur vie en Inille et Inille meschancetés : aussi les avoit-on choisis cOlnme tels pour les mettre aux costés de nostrc Seigneur, afin de Ie declarer par ce moyen maistre de tous les voleurs et brigands, conforlue- ment à ce qui avoit autrefois esté predit de Iuy par Isaye : Cum sceleratis 1'eputatlls est 2, qu'il seroit con1pté entre les scelerats. Iais voicy que Pun d'iceux se tournant de son costé, confessa qu'il estoit innocent, et qu'il souffroit injus- telnent; mais que pour luy-meSllle il estoit pecheur, et que cOlnme tel il meritoit d'estrc n1Ïs en c.roix pour ses fautes, desquelles il dplnanda pardon à nostre Seigneur, lequelles Iuy pardonna si absohuuent, qu "à 130 Inesn1e heure illuy promit qu'il seroit ce jour-Ià en paradis avec Iuy : fiodie mecum eris in paradiso. Chose estrange! deux larrons furent crucifiés avec nostrc Sauveur, et tous deux receurent l'iuspiration du Peccavi, et il n'y en a eu qu'un qui se soit converty. Certes, ny run ny l'autre n'avoient jamais fait hi en , et Ie bon larron estoit Ie plus scelerat voleur qui se pùt [reuver; el neann10ins sur la fin de sa vie, il regarda la croix, et il fut sauvé et treuva la redemption; pour nous n10nstrer que les plus grands pc- cheurs ne doi vent jall1ais desesperer du pardon de leurs fautes, pourvcu qu'ils l'egal'dent 1a croix, et se meHent sous sa protection, quand hien ee Le scroit (lue sur Ie declin de \ct." I. - 2lsaïe, Lill. POUR LE VENDREDY SAINT. 439 tenr vie, eomme fit Ie bon larron. L'autre au eontraire, com- bien qu'il fust au eosté de nostre Seigneur, il y fut en vain, parce (!u'il ne voulutjamais regarder Ia croix; et quoy qu'il reeeust beaucoup d'inspirations, et que meSlne il fust arrosé (les goutes du sang de nostre Seigneur qui rejaillissoient sur Iuy, et qu'il fust par Iuy souvent sollicité en son cæur par .des secrets et amoureux mouvemens de regarder Ia croix, et -ce serpent mystique qui y estoit attaché, pour recevoir la guerison, c'est à dire, Ie pardon de ses pechés; ilneIevoulut pas faire , et pour eel a il fut perdu, et s'obstinant iI nIourut n son peché. Voilà, mes cheres Ames, deux sortes de pecheurs, qui nous doivent faire vivre en grande crainte et trerneur, mais aussi -en grande esperance et confiance ; puisque de ces deux sortes de pecheurs, il y en a deux sauvés et deux damnés : un (Ie sauvé des premiers, qui fut S. Pierre, et un dalnné qui fut Judas, et tous deux apostres de nostre Seigneur. Certes, il y a des ames qui, apres qu'elles ont longtems servy Dieu, estant parvenuës à la montagne de perfection J toml)ent apres en de lourdes fantes. Nous avons veu, dit un grand Saint, tomber les est.oilles du ciel, c'est à dire des -ames fort parfaittes, lesquelles apres estre descheuës de Ia grace, s'obstinent en leur peché, et meurent sans penitence; et d'autres qui font les mesmes cheutes apres avoil' receu pareilles graces, lesquelles, comme S. Pierre, viennent à faire penitence. Grand sujet certes de craindre et d'esperer! II y en a d'autres qui n'ont jamais fait ancun bien, et à la fin de leur vie ils treuvent Ie pardon et Ia F !sericorde ; d'autres aussi qui perseverent et meurent en leur iniquité. o Dieu! que grande est l'humilité et Ie rabaissenlent avec lequel nous devons vivre en cette vie! Mais aussi quel sujet n'avons-nous pas de bien appuyer nostre esperance et con- fiance en nostre Seigneur! Car si apres avoir commis des pecbés tels que de Ie renier, comme fit S. Pierre, et d'avoir . ei.4 0 SElnJOt'( perseveré toute sa vie en des horribles forfaits, comme Ie bon larron, l'on en treuve enfìn la remission quand I'on se tourne du costé de la croix, où est attachée nostre redemp- tiop, que doit craindre Ie pecheur de l'une et l'autre sorte, de retourner à son Dieu en la vie et en la mort? Escou- tera-t'il encore cet esprit malin, qui Iuy vent faire voir ses fa utes telles qn'il n'en puisse recevoir Ie pardon, comme il fit à Judas? Done, qn'illuy responde hardiment, que Dieu est mort pour tons, et que ceux qui regardent la Croix, pour grands pecheurs qu'ils soient, treuveront Ie salut et la re- demption.O Dieu! mes cheres Ames, que ne doit-on esperer de cette redemption, qui est si abondante, qu' elle regorge de tontes parts, com me nous dirons fantost? 0 Dieu! com- bien de fois est-ce que nostre Sauveur offrit cette redemption à Judas et an mauvais larron! QueUe patience fut celle avec laquelle il attendit l'un et l'autre! IIé! que ne fit Ie creur sacré de ce Sauveur à l'endroit de celuy de Judas? Cornbien de bons ll10uvelnens et d'inspirations secrettes ne donna-t'il an crenr de ce malheureux, tant à la Cene, quand il estoit à genoux devant Iuy, Iuy Iavant les picds, et Iuy donnant son sacré corps, qu'au jardin des Olives, lorsqu'iIl'embrassa et baisa, comme aussi le long du chemin depuis sa prise jusques à la maison de Caïphe? ]Uais il ne voulut point, Ie n1Îserable qu'il estoit, Iuy denlander pardon de sa faute, ny esperer de Ie reeevoir. Et que ne fit ce mesme creur de nostre Sauvenr à l'endroit de celuy du mauvais Iarron, tout Ie terns qu'il fut à la croix? COlllbien de fois Ie regarda-t'iI, Ie provoqnant à Ie regarder, permettant que son sacré sang vint à tonlber snr luy à dessein d'amollir et purifier son ereur! 0 Dien! ce detestable refusant ainsi Ie saInt, ne meritoit-il pas que Dieu Ie precipitastà l'instant dans l'enfer? Neann10ins il nc le fit pas, ains l'attendit à penitence jusques à ce qu'il expirast. Done si nostre Seigneur reluet si librenlent des pechés si Grands et si enormes à ceux qui Iuy en demandent pardon, POUR LE VENDI\RDY SAINT. 441 et 8'H oiTre Ie mesme pardon aux obstinés, et les attend à penitence avec tant de patience, que ne fera-t'il à celuy qui Ie luy demande, et avec quel cæur contrit recevra-t'ille cæur . du penitent? La troisieme parolIe de nostre Seigneur fut une parolle de consolation qu'il dit à sa sacrée Mere, qui estoit au pied de la croix toute transpercée du glaive de douleur, quoy que non pasmée ny à cæur failly, comme quelques peintres la representent faussement; car l'Evangeliste dit clairement Ie contraire, assurant qu'elle demeura debout au pied de la croix, avec une fermeté non pareille : Stahat autem juxta c-rucem J esu mater ejus I. Ce qui neanmoins n' empeschoit pas sa douleur, qu'eHe supporta avec un cæur tout genereux, magnanime et constant, bien que ce soit une chose inexpli- cable et inconcevable que la douleur qu'eHe ressentit alors; car eIle estoit crucifiée interieurement en son arne, avec les mesmes cloux dont nostre Seigneur l' estoit en son corps þ voyant qu'elle seroit desormais privée de ce cher Fils: mais nostre divin Sauveur la voyant en ceUe desolation, Iuy dit une parole pour Ia consoler: toutesfois ce ne fut p(/int en la flattant, ny caressant; car ce ne fut pas une pare Ie de ten- drcté, pour appaiser son cæur dans une si grande affliction. o ! qu'il falloit bien que Ie cæur de cette Vierge fust gran- dement fort, puisque nostre Seigneur, qui Ie connoissoit, Ie traitoit de la sorte ! o ame parfaitten1ent sou mise, et resignée au vouloir divin! Mulier, ecce filius tuus : Femme, luy dit-il, voila ton fils, Iuy monstrant S. Jean qui estoit Ie eher disciple de son cæur, et Ie Iuy donnant pour avoir soin d'elle; dautant qu'ayant toutes ses pensées occupées aux douleurs de son Fils, elIe ne pensoit point à elle-mesme. lVlais ce divin Enfant qui s'en alloit mouriI', voyant que ceUe sainte Vierge demeuroit veufve et orpheline, et ne sçauroit apres où aller, il en eu\ · s. Jean, XIX. 44.2 !;En rO so in et la voulut pourvoír en cette afrietion, luy donnant pour fils Ie disciple qu'il aymoit, et auquel il donna un ve- ritable amour de fils pour une telle l\Iere, afin que par ce moyen il eust plus de so in d'elle; conllne anssi il fut bien aise de Iaisser en mourallt pour gage de son an101U' à ce cher disciple la Vierge sacrée pour Iere.. Tout ainsi que les honlmes, voulans favoriser leurs ellfans, ou lenrs heritiers, leur disent en monrant : Allés-vous-en en un tel endroit , vous y treuverés tant de mille escus; et les lueres se glori- fient de dire en tel abois à leurs fiUes : Allés-vous-en à un tel coffre, vous y treuverés Illes bagues et joyaux, que je vous ay conservés, et telles autres bagatelles; et font gloire -en mourant de laisser telles choses à leurs heritiers. Nostre divin Sauveur ne laissoit rien de tout cela, aills il laissa un tresor beanconp plus grand à S.. Jean et à sa :\le1'e.. II est vray neanmoins que nostre DaHle ressentit alors une donieur 1.e11e que l'inesgalité de ces deux enfans Iuy pouvoit causer; car il n'y a nulle comparaison entre nostre Seigneur et S. Jean: toutesfois, conlme tres-soumise, elle l'accepta avec un cæur doux et tranquil1e, et dés-]ors nostre Seigneur Iuy donna un amour de mere envers S. Jean, plus tendre que n'eurent ny n'auront jalllais to utes Jes meres ensemble pour leurs enfans.. Iais eUe passa plus outre, parce qu'elle vit hien que nostre Seigneur Iuy donnant S. Jean pour fils, il Iuy donnoit par consequent tous les chrestiens, desquels il vouloit qu'elle fust la l\Iere, comme d'enfans de grace, ,(lautant que Jean signifie grace; et quoy qu'elle aymast S. Jean d'un si grand et parfait amour, si ne faut-il pas ,croire neanmoins qu'clle l'aymast comme elle aymoit nostre Seigneur, non seulement en tant qu'il estoit son Dieu, ains encore en tant qu'il estoit son Fils.. 0 non certes! car ra- mour que Ie tres-saint cæur de la Vierge avoit pour llostre Seigneur, ne pent estre coneen de nos petitg esprits. Or si l'amour qu'elle Iuy portoit estoit si rand>> combien fut POUR LE VF. f)r.F.nY .\1NT_ 44 grande la douIeur qu'elle ressentit de Ie quitter, Ie voir mourir, et d'estre frustrée de sa presence corporelle'1 II faut remarquer un autre accident qui survint encore en la mort de nostre Seigneur, as que les Saints puissent faire aucune chose pour ceux qui sont aflligés, ny pour ceux qui les invoquent; en quoy ils ressen1hloient aux IIuguellots, qui nient Ie pou- voir que les Saints ont envers ]a divine l\Iajcsté.. Les autres en se riant disoient : Le voilà qui crie tout haut et qui appelle Elie pour Iuy donneI' du secours, at- ., tendons et voyons, je VOllS prie, si Elie Ie vicndra delivrcr : Ecce Elianl vocal; sinite, videarnus si venial Elias ad 446 SERl\JON deponendllm eum. Ce qu'iIs disoient en Be moquant d(): luy. Les autres disoient : S'il est si saint comlne ron dit, que ne se sauve-t'il soy-mesme.'? il en a tant sauvé d'autres; il est hien fol, s'il ne fait pour luy ce qu'il a fait pour les autres: Alios salvos fecit, seipsum non jJotest salvum facere t. En somme il sùuffrit pendant ces trois heures toutes les injures et calomnies qui se puissent excogiter. Et de plus, on lui fit en ce ten1s-là les plus belles offres, et les plus desirables semonces que 1'0n puisse in1aginer; car les uns lny disoient : Toy qui te vantes J'est.re Fils de Dieu, descends de la croix : Si Filius Dei es, descende de C1 uce, et nous l' adorerons et te recognoistrons pour tel. Tu as dit que tu destruirois Ie ten1ple et Ie reédifierois en trois jours; or sus , fais main tenant yoir quelque miracle pour fa delivrance, et nons te recognoistrons ponr nostre Dieu: Vall, qui destruis ten1phon Dei, salva tcnleti]JSllm,. si Filius Dci es, descende de cruce!. Descends de cP.t te croix de ta propre puissance, et nous croirons en toy et tc recognoistrons; autre-_ ment nous te liendrons pour un Ineschanl homn1e, et ne nous convertirons pas. 0 queUes offres que celles-cy au cæur de nostre doux Sauveur, qui estoit si amoureux du saint de nos an1es ! D'autres hlasphemoiellt contre Iuy, l'appelant sorcier et enchanteur, reputant ces tenehres à quelque trait de magie. D'autres disoient que ce n'estoit pas de vrayes tenebres, ains qu'ils avoient les yeux sillés et eshlouis par ses enchantemens. Et par tels et semhlables discours, Ie tres-sacré creur de nostre Seigneur souffroit des douleurs incornparables, voyant la n1ultitude des ames qui se perdoient et ne vouloient pas se scrvir de la reden1ption de la Croix, c'est à dire, se sauver par Ie moyen de sa 1110rt.. Passons à la cinquieme parolle de nostre Seigneur : Si- t S. !\!atth., XXVII. - t ILid. rOVR LE VENDREDY SAINT. 447 tio t, J'ay soif: paroUe de plainte et de lamentation. Iais l.icn que ccttc paroUe, Sitio, se puisse entendre d'une suif corporelJe callsée par les extrémes douleurs qu'il avoit souf- fcrtrs tonte la nuit, et qu'il enst une alteration si grande, flu'ellc l'eust fait infailliblement n1ourir, i Ie Pere èternel nc l'rust reservè it de plus grandes souffrances; et que pour ccla il aye dit avec tres-juste raison, Sitio: toutcsfois co n'es- toit 1'ien de eeHo soif corporelle en c0111paraison de ]a sûîf spirituelle de laquelle son a111e estoit aHerée, dautant qu'il desiroit ayec nne soif insatiahle, qu'un chacnn se convertist et profitast de sa Passion. C'est pourquoy il dit , Sitio, J'ay soif, et se plaint voyant que tant ù'ame en ahuseroient, et que plnsieurs dpnlanderoirnt un auÍl'e n10yen pour sc sauver que celuy de sa Passion, con1111e faysoient les Juifs qui Iuy crioient qu "il desccndist de Ia croix, et qu'ils croiroient en luy; con1me Iuy voulant dire: Si vous avés si soif de noslre t-'alu t, ùe:scendés de la croix, et nous croirons en vous, et par ce lnoyen veilS anrés Ie pouvoir de vous desaHerer. Iais nostre Seigneur, quoy qu'infininlent desireux du salut de leurs an1CS, et bien que pour leur acqucl'ir ce salut il expo- sast sa vie, ne voul ut pas neanmoins descendre de la croix, parte que Ia voIonté de SOIl Pere celeste n'estoit pas tclle; au c.ontraire, c'estoit cette sainte voIonté qui le tenoit atta- ché sur ce bois. l\lais, helas! ô miserables Juifs, que dites-vous? que llostre cher Sauveur et l\Iaistre descende de la Croix? 0 certes, il ne le fera pas, dit S.. Paul; car il est obeyssant jusques à la n1ort, et la mort de la Croix, Factus ohediens usque ad 1no1'tem, mortem autem C1'ucis. II est n10nté à I() Croix par obeyssance, et il n10urra en la Croix par oheys- sanee : et tous ceux qui se Voudl;ont sauycr par la croix, y treuveront Ie saInt; n1ais ceux qui youdront se sauver sans Ia croix, periront n1ÏserabIelnent, paree qu'il n'y a point de I S. Jean I XIX. 448 SERMON salut qu'en la Croix. Ha! miserables que vons estes, dit nostre Sauveur, vous demandés que je descende de la Croix, pour croire en rooy; c'est à dire, vous voulés un autrE moyen de redemption que celuy que mon Pere a ordonné dE toute eternité , et qui a esté predit par tant de prophetes, et annoncé par tant de figures; vous voulés done estre sauvés comme il vous plaist, et non comme Dieu veut. Ccla n'est pas raisonnable, et puisque vous ne cherchés pas Ie salut en la Croix, vous mourrés obstinés en vostre peché, et ne treu- verés point de pardon, puisque Ia piscine du salut vous estant ouverte, vous ne voulés pas vous y jetter. I-Ia! ne voyés-vous pas que la reàemption est ouverte; et si abon- damment qu' eUe regorge de tous costés'? et VOU8 ne vous y voulés pas laver : vous perirés done, n1cis ce sera par vostre fante. l\Iais oyés ce cher Sauveur, qui crie qu'il a soif de nostre saIut, qui nous attend et invite : Venite ad me, omnes: Venés à moy , dit-il à tous les hommes ; car je suis aUaché sur cette Croix pour vous recevûir, et vous ne treuverés point ailleurs de salut. 0 n1iserables Juifs, qui demandés une autre sorte de redemption que celIe de la Croix, celle-Ià n'est-elle pas suffisante? et mesme, ô Dieu! n'est-elle pas plus que tres-suffisante, puisqu'il est vray qu 'une seule larme, un seul souspir amoureux sortant du sacré cæur de mon Sauveur, estoit suffisant de rachepter des millions de millions de natures humaines et angeliques, s'il y en enst eu autant qui eussent peché, et toutesfois, à cause de l'amour qu'il no us portoit, il ne nous a pas voulu rachepter avec un souspir, ny une Iarme, ains a vee tant et tant de travaux et de peines, ayant espuisé tout Ie sang de ses veines pour faire un bain sacré à nos ames, pour les purifier et nettoyer de Ia tache du peché; et cette redenlption est si copleu e, qu'elle ne sçauroit estre espuisée, non sculement par des millionsd'années, m3.is par des millions de millions de siecles. POUR f.'E V]Thl)t\1!t>V SAINT. 449 Done, pour parfail'c cette redemption, nostre Seigneur ne voulut point descendre de la Cro. :" ains, comme dit Ie grand Apostre, il voulnt estre obeyssånt jusques à Ia mort de la Croix: Factus ohediens usque ad mortem Cracis : car il est veritablement ll1ort, et de Ia mort de la Croix, pour obeyr à son Pere eternel. o qu'heureux serions-nous, si nous imitions bien nostre Seigneur en son ohey'ssance, un cbacun seion que Ie requiert nostre vocation! l\Iais il faut que nous sçachions qu'il y a diverses ll1anieres d' oheyr. Pren1ierement, il s'en treuve plusieurs qui estiment gran- delnent cette vfrtu. 0 que bienheureux sont les obeyssans t rlisent-ils. lIs lisent ce qn'on en a escrit avec un grand goust, et parlent fort ])Ìen des cinq drgrés d'oheyssance; ffi:1is its ne wnt rien pI us qne les theologiens speculatifs, qui se con- tentent de parler de ses excellences. Or ce n'est pas Ie tout d'en parler, ains il faut venir à la pratique d'icelle dans Ies occasions petites et grandes qui se presentent. II s'en treuve encore plusieurs qui veulent bien obeyr, mais avec cette condition qu' on ne leur conlnlandera rien de difficilc, qu'on ne les contrariera point rn leurs inclinations. D'autres voudront bien oheyr à quelques superieurs, mais non pas egalenlent à tous; et pen de chose epreuvc l'übeysSi.lurn de telles personnes qui obcyssent en ce qu'elles veulent, et non pas en ce que Dieu veut. Or il n'ayme point telle sorte d' oheyssance : car il veut que nous obeyssions egaIement aux grandes et petites choses, aux faciles et aux òiffìciles, et que nous demeurions fermes dans l'ú1)eyssance, c'est à dire attachés à la croix oÌ1 l' obeys anee nous a Inis, à l'cxemple de nostre Seigneur, sans recevoir ny adn1ettre aucune raison pour bonne apparcnce qu'elle aye, pour nous faire descendre de la croix. Et partant, s'il vous vient des inspirations on 1110UYf1111f'nS tpÜ vous portent à faire quel- g.ue chose hors de l'obeyssance, rejeUés-Ics hardilnent J IV. 20 450 SERMON pour saints qu'ils semblellt estre, et ne les suyvés pas. Donc, que ceux qui sont nlariés demeurent en la croix de l'obcyssance, c'est à dire du mariage, car c'est leur croix: et puis que Dieu les y a mis, qu'ils y denleurent : ca;: les lneilleures cro:x ne sout pas celles qui sont plus conforn1es à nos inclinations on qui ont plus d'apparence, ains celles qui sont de plus grande pratique, et OÙ l'on cst presque en COll- tinuelle action, parce que les occasions de souffrir sont plus frequentes. Qu'ils ne desirent donc point de descendr de celie croix pour quelque bon pretexte que ce soit, ains qu'ils y perseverent jusques à la fin.. Que Ie prelat, et celuy qui a charge d'ames, ne desire point, pour les tracas de mille soins qu'il rencontre, d'estre detaché de cette croix; mais qu'il fasse ce qui est de son devoir, öyant soin des ames que Dieu a commises en sa charge, instruisant les uns, consolant les autres, tantost parlant, et tantost se taisant, donnant Ie terns à Paction, et puis, tIuant ille doit, à la priere ; car c'est la croix à laquelle Dietl l'a attaché : il faut donc qu'il y den1eure fern1e en l'exercice de sa charge, sans croire à ce qui Ie pourroit pro... voquer d' en sartiI'. Que Ie religieux demeure constamment ct ficlellement altaché à la croix. de sa vocation, sans jamais laisser entreI' en son cæur la moindre pensée qui Ie puisse faire varier ny divertir de l'entreprise qu'il a faite de servir Dieu en cette ll1aniere de vivre, et qu'il n'escoute jamais ce qui Ie pourroit porter à faire des choses contraires à l' obeyssance, sous quel- que bon pretexte que ce soit. Et que l' on ne dise pas : 0 Dieu! si j'avois maintenant ma liberté, je ferois tant d'heures d'orayson, je serois si uni à Dieu ! si je priois à cette heure, jc ferois tant, que pen s'en faudroit que je n'arrachasse Ie cæur de Dieu pour Ie Inettre dans Ie mien; on bien je rn'es- lancerois en telle sorte, que je mettrois la main à son costé OUl' IllY deroher son cæur. POUR J;E VE DREDY SAINT. 45f Voila qui a bien de l'apparence de vertu; mais quand ceJa est contraire à I'obeyssance, il faut rejetter telles inspi- rations, et ne point admettre teIs Inouvemens : car ceIa ne procede pour l' ordinaire que de l' alnour propre.. Obeyssés seulement, Dieu ne vous demande pas autre chose; et voyés que nostre Seigneur) pour obeyr à son Pere eternel, ne voulut point desce!ldre de la croix, aills ayant perseveré en I'obeys- sance jusques à ]a fin , il dit : Consummatum est t , tout est consommé. Ce fut Ia sixielne parolle qu'il prononça sur la croix en s'addressant au Pere eternel. 0 n10n Pere, vouloit-il dire, j'ay accomply de point en point tout ce qui estoit de vostre volonté : il nc me restc plus rien à faire, voila l'æuvre de la redemption finie et parfaitte. 0 Dieu ! ll1es cheres Seurs, il y auroit une infinité de considerations tres-belles et utiles à faire sur ces parolles; mais je vous en ay parlé autrefois, c'est pourquoy jc passe outre, et viens à la derniere parolle (Iue dil nostre Seigneur en la croix. Pate}', in l11,anUS tuas co}rnncndo SpiTitllm 1neum,. 3Ion Pere, dit-il, je remets man esprit entre vos n1ains. II se pre- scnte encore sur ces paroUes heaucoup de belles considera- tions à faire , parce que c'est en icelles que consiste l'abregé de toute la perfection chrestienlle, de laquelle nostre Seigneur nous voulant donneI' excl11ple, il sc ren1et par un parfait abandonnement entre les mains de son Pere celeste sans reserve quelconque : Je relnets, luy dit-il, 1110n esprit entre vos mains. En quoy nous voyons l'hun1Ïlité, l'oheyssance et la vraye souslnission qu'il Iuy rend. Je vous ay tousjours abandonné et remis mon corps et n10n alne pendant que j'ay Veseu, Iuy vouloit-il dire; c'est pourquoy il ne me reste plus rien, apres avoir accon1ply tout ce que vous avés requis ùe nloy, sinon de remettre lllon esprit entre vos Inains. Relnarqués cette parolle; car c'est la (luintesccnce de Ia vie 1 s. Jean, XIX. * .ft; 2 SERl\ION spirituelle, que nostre Seigneur no us monstre par ce total ahandonnement qu'il fait entre les mains de son Pere celeste,. par une parfaitte indifference en ce qui estoit de ses divines volontés. Tout est acconlp]y, Iuy avoi -il dit; mais nean- moins , s'il VOllS plaist que mon esprit demeure encore dans mon corps pour souflrir davantage, je Ie remets entre vos mains; si vûus voulés que je passe de cette vie en l'autre pour entrer en nla gloire, je remets mon esprit entre vos mains.. En somme, mon Pere, Ine voicy entieremeni prest et resoln de faire tout ce qu'il vous plaira.. o que nous serions heureux, si quand nous nous consa- crons au service de Dieu, nous commencions par cette pra- tique òe remettre nostre esprit entre ses mains ahsolunlent et sans reserve: car tout Ie retardenlent de nostre perfection lle provient que du defaut d'abandonneulent. Et nous devons- s avoir que si nous voulons faire progrés en la perfection, il faut commencer, poursuivre et finir Ia vie spirituelle par la pratique de cette vertu , à 1 'imitation de nostre Seigneur, qui l'a fait avec une si admirable perfection, au commence- nlent, au progrés et à la fin de sa vie. II s'en treuve bien quelquefois, qui venans au service de Dieu, luy disent : Je remets mon esprit entre vos D1ains; J))ais à condition que vous nourrirez tousjours n10n cæur dans les douceurs et consolationssensibles, et que je ne souf- friray point d'aridités, ni de seicheresses d'esprit. II s'en treuve d'autres qui disent à Dostre Seigneur: Je renlets man esprit entre vos n1ains, lnais àconditioll que l'on ne contrafÏe point Ina volonté , et que vous me donniés un superieur qui soit selon nlon crear, ou plutost selon mOll affection et incli- nation, et que vous ferés en sorte que je seray tousjours aymé de ceux qui nle c0:3dni:'0nt, et entre les mains des- queIs je remets l1l0n esprit pour 'amour de vous, et qu'ils appreuveront et treuveront bon tout ce que je feray, du moins la plus rande partie: car de n'estre pas aYlué, et POUR LE VENDREDY R\l T. 453 de ne sentir pas cet amour, cela ne se peut supporter.. I'elas! que faites-vous? ne voyés-vous pas que ce n'est pas là ren1ettre son esprit entre les mains de Dieu , comme fit nostre Seigneur? Ne sçavés-vous pas que c'est de ces re- -serves que nous faysons d'où naissent d'ordinaire tous nos maux, nos troubles, nos inquietudes, et autres telles im- perfections; car si tost que les choses n'arrivent pas selon que nous attendions, et que no us nous promettions, voyla goudai la desolation qui saisit nos pauvres esprits. Et d' où vient cela , sinon de ce que nous ne nous sommes pas remis .avec indifference entre les mains de Dieu ? 0 que nous seriolls heureux, si nous pratiquions bien ce point-ci, mes cheres Ames! car c'est l'abregé et la quintessence de Ia vie spiri- tuelle. Ah! sans doute nous arriverions à la tres-haute per- fection d'une s inte Catherine de Sienne, d'une sainte Fran- çoise, de la bienheureuse Angele de Foliguy, et de plusieurs autres qui estoient par cette sainte indifference, et ce parfait ahandonnement d'elles-meslues, comme des houies de cire entre les mains de nostre Seigneur et de leurs supcrieurs, recevant to utes les impressions qu"on leur vouloit donner. Soyés done ainsi, et dites avec nostre Seigneur indiffe- ren1n1ent en tontes choses : l\Ion Dieu , je remets mon esprit .absolument et sans reserve entre vos mains, In manus tuas, Domine, commenclo spiritum meum. V oulés-vous que je sois en :3eicheresse au en consolation'! que je sois contrariée? que j'aye des respugnances et difficuItés? que je so is aymée ou non 1 que j' obeysse en cecy au en cela? en chose grande ou petite? facile au difficile? je remets mon esprit entre vas mains. Voulés-vous que je m'employe aux actions de la vie active au contemplative? je ren1ets mon esprit entre vos Dlains. Que ceux donc qui sont empIoyés aux actions de la vie active ne desirent point d'en sortir pour s'addonner à la ontemplative, jusques à ce que Dieu l'ordonne; et que ceux .qui contemplent ne quittent point la contemplation, jusques 454 SERl\IOrf à ce que Dieu Ie commande.. Qu'on se taise quand il faut, et qu'on parle quand il en est terns.. Et si nous faysons cela , nous pourrons bien dire à I 'heure de nostre mort, comme nostre cher Maistre : Consummatum est, mon Dieu, tout est consommé : j'ay accomply tout ce qui estoit de vos divines volontés en tOllS les evenemens que vous avés ordonnés : que me reste-t'il à cette heure, sinon de remettre mon esprit entre vos mains, à la fin et sur Ie declin de ma vie, comme je VOllS ray remis au commencement, et au milieu d'icelle. Mais pour pouvoir bien faire cela, roes cheres Seurs, em- p1oyons les trois heures de tenehres de cette vie comrne nostre J Sauveur et Maistre les a employées ; demeurons sur la croix où Dieu nous a mis; prions sur icelle; plaignons-nous à Dieu de nos aillictions et aridités, disant quand il est requis des parolles de consolation au pro chain : en somme, con- sommons-nous sur icelle pour accomplir tout ce qui est de Bes divines volontés, et soyons asseurés que si !lOUS faysons cela, enfin nous aurons la grace de parvenir à sa gloire, comme je I'en prie de tout mon cæUf. Remettons done bien nos esprits entre ses mains; illes recevra, comme il fit celu, de son cher et unique Fils, pour les faire jouyr de la gloire \ qu'il nous a acquise par sa mort et Passion, où no us Ie benirons eternellement. Dieu nous en fasse la grace. Ainsi lOit-il. IIIB11 SOIT BBNr. POUR LE VENDREDY SAINT. 455 vvv AUTRE SER iON POUR LE JOUR DU VENDREDY SAINT I. Viri Athenienses per omnia quasi superstitiosioref vos video; præteriens enim l et videns simulacra vestra,l inveni et aram in qua scriptum erat, IGNOTO DEO.. ACT., XVII. Atheniens, je vous vois en tout presque trop religieux; car passant et voyant les statues de vos dieux, fay treuvé mesme un antel sur lequel est rin- scription au Dieu incognu. Le grand apostre saint Paul, predicateur de la croix de nostre Seigneur Jesus-Christ, rapporte qu'estant un jour allé à la ville d' A thenes, il rencontra devant ses yeux un autel, lequel avoit pour tiltre de sa dedicace : I gnoto Ðeo, au Dieu incognu.. Je rencontray, dit-il, devant mes yeux un autel qui estoit dedié au Dieu incognu. Et de Ià il prit sujet de prescher aux Atheniens, quel estoit ce Dieu incognu qu'ils adoroient. 0 bien-aymés et tres chers Atheniens (leur disoit ce grand predicateur de la croix), Ie Dieu que vous adorés, et que vous ne cognoissés pas, n'est autre que Dieu le Pere tout-puissant qui a envoyé son Fils du ciel en terre pour prendre nostre nature humainc, et en icelle, bien qu'il fust Dieu comme son Pere, de mesme nature et essence que luy, a neanmoins souffert la mort, et la mort de la croix, pour satisfaire à la justice de Dieu son Pere, justement indigné contre les hommes à cause du peché de nostre premier pere; peché qui sans doute nous eust à tous causé la mort eter- nelle, s'i! ne nous eust racheptés, nous redonnant la vie par sa mort. Les Atheniens ( comme la pluspart des hommes de ce tems-Ià) recognoissoient plusieurs dieux; mais enfin ils con- I Fidellement recueilly par les Religieuses de la Visitation Saincte Marie d. Aunessy (Edit. de 1641 et 160\3 ). 456 SERMON fessoient qu'outre ceux-Ià il y en avoit un qu'iIs ne cognois- soient point, duquella grandeur estoit extremement relevée par dessus tous les autres. Ce grand Apostre donc prit sujet de l'inscription de cét autel pour leur faire'tIne excellente predication, leur faisant entendre avec des termes admirables, quel estoit ce Dieu qu'ils ne cognoissoient point encore. Ayant done, roes cheres Seurs, à vous entretenir en ce jour quel(lue pen de terns, j'ay jetté les yeux de ma consi- deration sur Ie tiltre que j'ay ven, non au dessus de l'autel des ...t\.theniens, ains au dessus de cet autel incomparable, sur Iequel nostre Sauveur et nostre l\Iaistre s'est offert pour nous à Dieu son Pere en sacrifice tres- aggreable et d'une suavité nompareille : autel qui n'est autre que la croix; croix laquelle ùepuis a tousjours esté honnorée comme un autel tres-prerieux et adorable.. Ayant donc jetté Ines yeux dessus le tiltre de la croix, j'ay pensé qu'à l'imitation du grand Apostre predicateur de la croix, je ne devois pas re- chercher d'autre sujet pour fondement de ce que je vous devois dire que les parolles de ce tiltre sacré : non que je vous veuille parler d'un Dieu incognu; car puis qu'il plaist à sa hOllté, nous Ie cognoissons par Ia Iumiere de In foy; mais certes je pourray bien parler d'un Dieu Inécognu. Nous ne Ie ferons done pas cognoistre; Inais nous tascherons de faire recognoistre et aymer ce Dieu tant aymable qui est mort pour nons. o Dieu! que c'est une chose utile que cette recognois- sanee! car veritahlen1ent, au dire de plusieurs saints Peres, Abraham, Isaac et Jacob eussent eu quelque excuse, s'ils D'cussent pas servy sa divine Iajesté, dautant qu'ils ne l'avoient pas cognuë si pal'faittement que nous aulres Chres- tiens, qui SOlnmes hors d'excuse, ayant appris ce qu'il est par la bouche de nostre divin l\Iaistre nostre Seigneur, qui est, comme nous avons dit, un llieSlne Dieu avec son Pere. II est donc certain que les Chrestiens seront inexcusables d& POUR J E VENOREDY SAINT. 457 ne l'avoir pas aymé et servy de tout leur cæur, puis qu'ils ont esté si bien instruits et enseignés con1bien il est aymable, et combien cherement il les ayme, puis qu'il a donné sa vie , pour eux. Or je n'entens pas, roes cheres Senrs, vous parler main- tenant avec combien d'ignominie, de douleurs, d'amertumes, d'angoisses, de vituperes, d'affronts et de _mespris, ce divin Sauveur a souffert la mort, et moins encore de vous faire un narré de la cruauté envenimée avec ]aquelle les Juifs l'attacherent sur la croix: car vous sçavés que je vous ay tousjours fait entendre, que c'est la moindre consideration en la Passion de nostre Sauveur, que celle-cy, ct sur la- quelle no us nous devons Ie moins arrester, puisque l'affec- tion de compassion sur les spuffrances de nostre Seigneur est la moins utile, ainsi qu lùy-mesme nous l'a ellseigné, 10rs qu'il dit aux femmes qui Ie suyvoient pleurant, qu' elles ne pleurassent point sur luy, ains sur elles-meslues : Filiæ Bierusalem, nolite flere slper me, sed slpel vos ÏjJsas flete s . Si nous avons des tarmes, pleurons tout simplenlent, car nous ne les sçaurions jetter pour un plus digne sujet; mais ne nous arrestons pas à cela; pas sons à des affections plus utiles, selon que Ie requiert Ie sujet, c'est à dire à des affec- tions d'imitation.. Je reprends donc mon propos, et considere ce mysterieux et divin tiItre, qui est posé sur Ie haut de la croix. 0 qu'il est admirable! je suis presque ravy en Ie considerant: Jesus Nazarenus rex Judæol'um 2,. Jesus de Nazareth roy des Juifs. Qui eust jamais pensé que des parolles si saintes et si veri- tables fussent sorties, et eussent esté prononcées par la bouche miserable d'un si meschant homme, tel qu'estoit Pilate'l Certes pourtant elles sont tres-veritables, et nostre Seigneur mesme les confirma pour telles en sa Passion J ainsi que nous verrons en la suitte de ce discours. I S. lAIC, XXIII. - t S. Jean, XlL 458 SERl\ION C'est certes une chose admirable combien les Juifs dirent de belles parolles en la mort de nostre Seigneur J bien qu'ils ne les entendissent pas, et les dissent malicieusement et à mauvaise intention. Quelles parolles plus belles et plus veri- tables peuvenl estre dites, que celles que dit Ie plus mes- chant homme d'entre tous les hommes, ce miserable Caïphe, qu'il estoit requis et necessaire qu'un homme mourust, c'est à dire, un homme Ie plus excellent de tous les hommes, de peur que tous les autres ne perissent : Vos nescitis quicquam nee cogitatis, quia expedit vohis, ut unus moriat'll1' homo pro populo J et non tota gens pereat? Et les Juifs poussés de rage et de felonnie, que disoient-ils? Que son sang soit sur nous et sur nos enfans : Sanguis ejus super nos, et super filios nostros. Ce qui arriva, tant en la personne de plu- sieurs d'eux-mesmes, comme en la conversion des Apostres et des disciples de nostre Seigneur, qui estoient leurs enfans. Pilate donc ayant escrit Ie tiltre de la croix, et voyant que les Juifs y contredisoient, leur respondit : Qz;,od scripsi, scripsi,. il est ainsi, dit-il, qu'il est escrit, reconfirmant de- rechef cette verité.. Or voyons main tenant ce que veulent dire les divines pa- roles de ce tiltre sacré.. Premierement, Jesus veut dire Sau- veur; secondement, Nazareth vent dire ville florie ou floris- sante; et en troisieme lieu, il est dit que Dostre Seigneur estoit Roy. Trois noms et quaIités, lesquelles luy sont extre- mement bien deuës.. Et pour celuy de Sauveur, ð combien veritablement porte-t'il ce nom et cette qualité , puisqu'il est Sauveur non seulement des hommes, ains anssi des Anges, dautant que tous tiennent Ie salut de sa divine bonté, et l'ont en vertu et par Ie merite de sa mort et Passion.. Car de toute eternité il projetta cette divine pensée J qu'il mourroit pour tous. · Mais toutesfois si faut-il confesser, que les hommes ont un s\1jet de consolation incomparablement plus grande en la POUR LE VENDJlEDY SAINT. 459 mort et Passion de nostre Sauveur, que les Anges : car si hiên il est Ie Sauveur des Anges , il n'est pas pourtant leur Redempteur, mais oüy bien des hommes : car dés que les anges eurent peché, ils furent en mesme terns tellement confirmés en leur malice par la volontaire election qu'ils firent du mal, et de ce qui pouvoit estre desaggreable à Dieu, que des10rs il n'y eut plus d' esperance pour eux de s'en pouvoir jamais deprendre; dantant que dés l'instant qu'ils eurent eslen Ie peché, ils furent rendus ses esclaves, et demeurerent cloñés et attachés de telle sorte à Ia perdition, que jamais il ne leur fut possible de s'en detacher : ils vou- lurent se servir malicieusement de leur franc-arbitI-e et abuser de leur liberté; c' est pourquoy ils furent faits serfs des peines eterneIIes, dans un abandon perpetuel de Dieu. OÙ l'homme, aussi tost qu'il eut mangé du fruit de l'arhre de science du bien et du mal , IequeI luy estoit deffendu, ne demeura pas en son peché : mais nostre Seigneur, c' est à dire la seconde personne de la tres-sainte Trinité, suivant la resolution qu'il en avoit prise de toute eternité , est venu au monde pour Ie rachepter par Ie prix de son tres-pur sang, se revestant de Ia nature humaine qu'il unit inseparablement à sa personne divine, pour se rendre capable de pastir et mourir, ainsi qu'il a fait.. o que cette pensée est douce et aggreable! queUe joye, queUe douceur de crour, et queUe delectation doit causer à l'homme cette verité tres-aymable, que nostre Seigneur est son Redempteur, et qu'il tient la vie de Iuy, Ie Pere eternel Iuy ayant donné la vie, afin qu'illa communiquast à tous les hommes, et que tous la tinssent de luy, comme ilIa tenoit de son Pere! Or ce n' est pas de la vie corporelle dont DOUS parlons, ains de la vie spirituelle de la grace: et pour leur donner cette vie, il est descendu du ciel en terre, suivant ce qu'il dit luy-mesme t : Veni ut vitam haheant, et ahun. I s. Jean, 7 460 8Im IO dantius naheant.. Le Pere etel'nel done a donné à nostre Seigneur une vie non commune, ains surabondante, afin que tous les hOD1mes y participas ent, et qu'ils vescussent de la meSD1e vie que Iuy, c'est à dire, de la vie de Ia grace qui est une vie toute parfaiUe, toute sainte et tonte aymable ; et pour nous acquerir cette vie, il a donné la sienne, et nous I'a acheptée au prix de son sang. I?onc nostre vie n'est pas nostre, ains sienne; nous ne SOlnmes plus à nous, ains à luy. o que cette raison est pregnante pour faire que nons nous dediions totalement au service de cét amour du Sauveur, duquel no us avons esté si cherement favorisés , et si je rose dire, au dessus des anges mesines. V oyons maintenant comme nostre Seigneur a 1110nstré qu'il estoit veritablement le Sauveur et Reden1pteur des hommes en sa Passion. Les filoux Juifs ayant presque assouvy leur harhare cruauté sur Ie tres-donx Jesus, I'ayant attaché à la croix, et vomy de leurs Il1iserables houches plnsieurs execrahles blasphemes contre sa divine 1\Iajesté, nostre Sau- venr et nostre Iaistre se prit à crier tout haut ces divines parolles, comme en contre-quarrantleursinj ustes plasphelues : Pere, pardonnés-Ieur, car ils ne sçavent ce qu'iIs font j Pater, dimitte illis, non enim sciunt quid faciunt 1. 1\Ion Dieu, que ces parolles sont admirables! Considerés, je vous prie, la douceur du coour de nostre 1\1aistre. l\Ion Pere, dit-il. ftlais voyés comhien la charité cherche d'artifice, pour par- venir au hut de sa pretention, qui est la gloire de Dieu, et le saInt du prochain. II semhle que ce doux Sauveur veuille amadoüer Ie cæur de son Pere celeste par ce nOll1 de Pere, qui est si tendre et amoureux; COlnme s'illuy eust voulu dire: Je suis vostre Fils; hé, ressouvenés-vous donc que vous estes mon Pere , et partant que vous ne me devés rien l'efuser. fais qu 'est-ce qu'il demande pour Iuy'l rien du , s. Luc XXIlL POUR LE VENDREDY SAINT.. 461 tout, car il s'est entierelnent oublié de soy-mesme , et quoy u'il souffre beaucoup plus qu'il ne se pent jamais imaginer, 11 De pense point à Iuy, ny à ce qu'il endure : en qnoy il nons donne un rare exemple de patience, faysant tont au ontraire de nous autres, qui ne pouvons penser qu'à nos. :louleurs, quand nous en avons; de n1aniere que nous ou- )Iions presque taule autre chose. Oüy meSlne un mal de dents nous 08te Ie souvenir de tout ce qui est autour de nous, taut nous nous aymons llous-mesmes, et sommes attachés à cette n1Îsel'able chair. Or voicy Ie consommé, et l'abregé de t.outes les merveilles d'amour, que ce divin Sauveur a operées pour nostre salute Les honUl1es pensent presque toute leur vie à ce qu'ils ont à faire à leur n10ft, et conune quoy ils pourront bien establir leur derniere volonté, afin qu'elle soit bien entenduë de ceux qu'ils laissent apres eux, soit de leurs en fans on autres qui doivcnt heriter de leurs hiens; et pour cela, plusieurs font lenr testament estant encore en pleine santé, craignant que l' effort des douleurs n10rtelles ne leur osle Ie moyen de manifester à leur mort leur derniere volonté. l\Iais nostre Seigneur, lequel sçavoit bien qu'il meUroit sa vie, et la garderoit, COl11me et quand il luy plail'oit, ainsi qu'il dit luy-mesme 1 : Potestatenz/zabeo ponendi anin1,am, et potes- tatem habeo itel'un't sllnlendi eam; ren1Ít à faÌre son testå- ..r Inent à l'heure mesme de sa mort: testament lequel il scella f et cacheta avant mesn1e qu'il fust escrit et prononcé.. Les hommes, pour monstrer que ee qui est eserit est leur volonté, et qu'ils entendent qu'il soit ainsi fait, ils le cachetent de leur seeau, mais ils ne l'appliquent qu'apres que tout est eserit. Nostre Seigneur ne youlut prononccr son testament qu'en la croix, et un pen a ant que de ll1ourir; mais il y appliqua son sceau, et Ie caeheta avant toute autre chose.. Ah ! certes, mes cheres Ames, voicy l'abregé de son amour . s. Jean. x. 462 SERMON envers nous.. Or quel Beean , je vous prie, a-t'il appliqué à son testament'? C'est luy-mesme, ainsi qu'ill'avoit fait dire à Salomon, parlant en sa personne au Cantique des Can- tiques 1 : Pone me ut signaculum super cor tuum, ut signa- culum super hrachium tuum, Mets-moy comme un scean sur ton cæur, et comme un cachet sur ton bras, dit-il à l'ame devote.. Quand appliqua-t'il ce seean sacré'1 Ce fut Iorsqu'il insti- tua Ie tres-saint et tres-adorable sacrement de l'autel , qu'il appella son nouveau Testament en son sang 2 , N ovum Tes- tamentum in meo sanguine: sacrClnent qui contient en soy )a divinité et l'hulnanité, c'est à dire toute Ia personne tres- sainte de nostre Seigneur, Dieu et homme tout ensenlble. II se posa done, et appliqua sur nos cæurs, par Ie moyen de Ia tres-sainte communion, comme un scean sacré , et un cachet tres-aymable; et puis il fit son testament, man festant sur la croix, un peu avant que mourir, ses dernieres vo- lontés, afin qu'un chacun des hommes qui devoient estre ses coheritiers au royaunle de son Pere celeste, fussent bien instruits, tant de ce qu'il vouloit qu'ils fissent, comme de l'afff:ction incomparable qu'il avoit pour eux : ce qu'illeur fait bien voir en ce qu'il s'oûblie de soy-nlesme, pour penser premierement à eux, tant sa charité est grandee Puis apres il retourne à soy-mesnle, ainsi que nous verrons à Ia suite de ce discours. l\Iais que} est donc Ie testament de nostre Seigneur'1 Son testament, mes cheres Seurs, n'est autre que les divines parolles qu'il prononça estant en la croix, où absorbé en cét amour qu'il porto it aux pecheurs, il se prist à amadoüerson Pere celeste, l'appellant Pere : l\Ion Pere, dit-iI, pardonnés- leur, car ïIs ne sçavent ce qu'ils font; Pater, dimitte zllis, non enzrn sciunt quid faciunt. o que voicy un docun1cnt reTnarquable, et d'une parfaitte · Cant., VIII. - 2 s. Luc J XXIL 'POUR t..E VENDREDY SAINT. 463 -charité! A ymés-vous les uns les autres, comme je vous ay , aymés, disoit-il si souvent, preschant à ses Apostres ou au peuple, et ce avec des parolles si pressantes, qu'il sembloit n'avoir point de plus grande affection, que de leur bien in- culquer ceUe tres-sainte dilection du prochain.. Mais n1ainte- nant il donne un exemple de cét amour du tout inin1aginable, dautant qu'il excuse ceux mesmes qui Ie crucifient et l'inju- rient d'une rage toute barbare, et cherche des inventions pour faire que son Pere celeste leur pardonne, et cela en l'acte mesme du peché, et de l'injure qu'ils luy font.. o que nous sommes miserables, DOUS autres! Certes, à peine pouvons-nous oublier une injure dix ans apres qu'elle nous a esté faite ; oüy mesme il s'en est treuvé qui à l'heure de la mort ne pouvoient oüyr parler de ceux de qui ils avoÌellt receu quelque injure. 0 Di u! que nostre n1isere est grallde! à peine pouvons-nous pardonner à nos enne- n1Ïs ; et nostre Seigneur les aymoit si cherement qu'il prie ardemment pour eux. Priere qui porta un tel fruit, que plusieurs d'entre eux se convertirent, et quelques-uns l11esme sur Ie champ, confess ant , apres avoir oüy cette priere si admirable, que veritablement il ne pouvoit qu'il ne fust Fils de Dieu, cela estant une chose tout à fait audessus de la nature humaine : les autres firent comme une biche, laquelle .estant blessée, va rendre les derniers abois au lieu où elle a receu Ie coup de la mort. Nostre Seigneur avoit dema dé à son Pere celeste qu'il envoyast du ciel plusieurs traits et sagettes dans Ie cæur de ceux pour qui il prioit : ce qu 'ill uy accorda, ainsi qu'il avoit desiré; mais pourtant plusieurs ne rendirent \ pas l ur vie par leur conversion sur l'heure n1esn1e, ains porteI't. nt Ie coup de ces divines sageLtes des ren10rs interieurs jusques à la Pentecoste, qu'ils se converLirent à la premiere : predication que fit S. Pierre, en laquel1e il se convertit hien J trois mille personnes, entre lesquels rstoient induhitable- ment plusieurs de ceux qui s'estoient treuvés à la mort el 464 fEIDION Passion de nostre doux Sauveur conversion laquelle appartient au merite de cette admirable priere, qu'il avoit faite pour eux à son Pere celeste, en l'acte mesme des in- jures et des tourmens qu'ils luy faysoient souffrir. Chose admirable, certes, en nleSITle terns que ces hommes pervers et malheureux vomissoient contre sa divine l\Iajesté et contre cene de son Pere eterncl des blasphen1es insupportables J disant : S'il est tout-puissant, COlnJne il dit, et i il se confie tant en son Pere qui l'a nvoyé, qu'ill'appelle nlaintenant à son secours; il a sauvé les autres; qu'il se sauve à cette heure soy-mesme, et s'il cst roy d'Isrnël, qu'il descendp n1aintenant de Ia croix, et nons croirons en Iuy: .Alios salvos fecit, seipsum non potest SalVll11l race1 e : Si 'l'CX Is] ael est, descendat nunc de cruce, et C}'cc!'!}nus ei. Parolles vrayenlent diaboIiqnes; mais I'infinie bont{, dr nostre Seigneur en Inesme terns eslançoit des souspirs de cOlnpassion, et des parolles plus douees que Ie n1Ïel à son Pcrc cternel, afin qu'illeur pardonnast et leur donnast sa grace. V ous voyés done conl1ne tres-justclnent nostre Seign ur est appel1é Sauveur . l\Ion Pere, pardonnés-Ieur, car i]s ne sçavent ce qu'ils font; Pater', ignosce illis, non enim sciunt quid faciunt. Je ne delnande pas, vouloit-il dire, que vous me pardonniés à moy : ains je ll1e soun1ets de bon creur à supporter les effets de vostre justice pour les hommes; prenés sur moy la vengeance de leurs pechés : In me p1 O crimine converte iranz, et sunze vindictarn. 1\lais quant aux pccheurs , ah! je vous prie, pardonnés-Ieur; car te1]e est ma volonté.. Docc Ie premier leg que fit nostre Seigneur en son testa- filcnt, fut de donner la grace aux pecheurs par Ie nloyen de laqup.lle ils puissent parvenir à la gloirc eternelle, en la- queUe nul ne pent entrer sans sa grace, et sans le lnerite de sa Passion. Or nostre Seigneur ayant desja IllOHSLlé , que tres-verita- ..,...... ...,. -----...._."'!:. . POUR LE VtNDREDY SAINT. 465 bletnent il estoit appellé Sauveur, en lneritant et donnant la grace aux pechenrs, il promet apres la gloire au bon larron qui estoit penitent.. Où il faut remarquer en passant, que l'un des larrons se convertit, et l'autre non: Et nos quidem fuste, nam digna factis ,"ecipimus,. Et quant à nous, dit Ie bon larron, nous sommes j ustement condamnés et punis de nos mesfaits, parce que nous avons tousjours esté meschans et malheureux, et avons fait de grands pechés pour lesqueis DOUS meritons cette punition : confess ant ainsi ses fantes en s'hulniliant. Le nleSllle Jevrions-nous faire toutesfois et qnantes que DOUS recevons quelqne affiiction, disant comme Ie bon Iarron : Digna f actis recÌJ]imus, N ous SOlllffiCS tres-j ustenlen t punis pour nos pechés ; confessant (lue c' est pour nos mesfaits que nous soufIrolls. l\lais helas! nous demeurons sou vent dans l'endurcisselnent comme Ie mauvais larron, qui hlasphemoit encore en mourant; où au contraire, Ie bon Iarro ayant fait Ia confession de ses fautes, soudain apres il en demanda l' absolution à nostre Seigneur, disallt: Domine, memcnto n ei, CU1n veneris in reg1l'Un tUlnn; Seigneur, souvenés- vous de nlOY quand YOUS serés en vostre royaume. A quoy nost1'e doux Sauveur rcspondit gnlCieuseluent : En verité je te dis qu'aujourd'huy tu seras aypc n10Y en paradis; Anzen, dieD tibi, Ilodie neClln cris in }J(lradiso. Ce fut la pren1Íere fois (que 1'on sçache) qu'il aye fait celie pron1esse. o ! queUe douce et aymahle parolle fut celle-Ià : Aujour- d'huy tu seras avec lTIOY! Grand, certes, a tousjours esté ramonr de nostre Sauveur Cl1vers les pel1itens. Peu aupara- vant, il demandoit que la grace fust donnée aux pecheurs, et main tenant il donne sa gloire aux pe.nitens ; parce que la grace rend les pecheurs penitens, et les penitens sont rendus dignes de la gloire. Le ciel n'est presque ren1ply que de pe- nilens.. Nostre Dan1e, et COlnnle plusieurs tienncllt, S. Jean- Baptiste, S. Joseph, et quelques autres n'ont l)oint en hesûiu IV. 30 . 6û SERMON de penitence J dantant qu'ils ont esté prevenus de la grace, laqllelle les a empeschés de tomber dans Ie malheureux pre- cipice du peché mortel; mais specialement Ia tres-sainte Vierge l'a esté d'une façon toute particuliere au dessus de tOllS autres J parce qu'elle n'a pas seulement esté preservée du peché tant originel qu'actuel, mais elIe Ie fut mesme de l'ombre du peché, et en une maniere si excellente, qu'eHe n'a jan1ais commis aucune imperfection pour petite qu'elle fust. Iais pour Ie resle des hommes qui ont atteint l'aage de raison, il est certain qu'ilz ne vont en paradis que par la penitence. Les martyrs mesmes ont esté penitens, ayant respandu leur sang, dans lequel ilz ont esté lavés, comlne dans un bain de penitence; et tous les tourmens qu'ilz ont soufferts n'ont esté . que des actes de penitence. Les confesseurs aussi ont esté penitens : breI, nul des homnles n'est entré au ciel sans penitence J et sans se recon- noistre pecheur, excepté la ires-sainte Vierge et ceux dont nous avons parlé. :l\1a1s tous generalement sans exception, oüy mesme nostre Dame, ont eu hesoin du me rite du sang de nostre Seigneur; sang, lequel respandit des odeurs et des parfums si excellens, tant devant la n1ajesté du Pere eternel, que devant les hommes, qu'il estoit ilnpossible qu'il ne fust reconnu pour estre le sang, non d'un hOlnnle seulement, arns d'un hOlnme qui estoit Dieu et homn1e tout ensemble: et l'on peut dire que ce sang tres-sacré estoit con1n1e l'encens, lequel estant jetté dans le feu, respand une fumée tres- odoriferante de toutes parts; car Ie sang de nostre Seigneur distill ant de son corps tres-sacré en tetre jusques à la derniere goutte , jettoit des parfulus si suaves de tontes parts, que cette odeu!' pre- cieuse parvint jusques au bon Iarron, lequel en recent une si grande snavité, qu'à l'instant 111esme il se cOllvertit et merita d'oüyr cette tant gracieuse parolle : Bodie 'Jnecum POUR LE VENDREDY SAINT. 467 eris in paradiso: Aujourd'huy tu seras en paradis avec moy; paradis duquel nostre donx Sauveur n'avoit pas voulu parler jusques à ce qu'il fust tout proche d'y entrer. Hé I n'est-ce pas là une marque assenrée, mes cheres Ames, qu'il estoit vrayement Sauveur, pnisque si absolument il promet la gloire, et ne differe point de la donner, ains au- jourd'huy, dil-il. 0 parolIe digne d'une grande consolation pour les p ('heurs! Car ce que sa bonté a fait pour Ie hon larron, ille fera sans doute pour tous les enfans de la croix, qui sont les vrays Chrestiens. o hcureux enfans de Ia croix, puisque VOllS estes asseurés qu'au mesme tenlS que vous ferés penitence, et vous repen- tirés de vos pechés, ce (livin Jesus sera votre Redempteur, et vous donnera sa gloire! Iais outre la grace qu'il donne aux pecheurs, et qu'il demande pour eux à son Pere celeste avec une charité si industrieuse, qu'il ne l'appelle point son Dieu et son Seigneur, con1me nous verrons y apres qu'il fera en parlant pour soy; sçachallt bien que cette parolle de Pere estant prononcée par l'amour cordial, cst plus respcc- tueuse que celle de Seigneur, et que partant il seroit plus tost exaucé : et semble qu'il commence par Ià sa priere, pour charmer Ie cæur paternel de son Pere celeste, afin qu'il par- donne aux pauvres pecheurs, pour lesque1s il se rendoit plcige et caution devant sa nlajesté divine, comme s'il eust voulu dire : Ion Pere, pardonnés aux pecheurs, et à ceux l11esme qui me crucifient, parce que je suis icy pour payer pour eux. Je ne den1ande pas que vous n1C rardonniés à moy, dautal1t que je suis n10nté sur eette croix afin de satisfaire pour toutcs leurs dehtes , et pour cela je respandray jusques à la derniere goutte de nlon sang, bien qu'une senle fust suffisante pour faire que vostre bonté leur pardonne leurs pechés, ct que vous ne leur den1andiés jamais r:e11. 0 Diell ! queUe douceur de eæur nostre cher Sauveur fait paroistre nvel'S Ics pecheurs 1 * 46S SERMON l\Iais outre celu, illuy restoit encore que}tjue legs à faire en son divín testament. Hé quoy! me dirés-vous, peut-il avoir encore quelque autre chose à donner'? Oüy certes, mes cheres Seurs. II y a une certaine delicatesse spirituelle dans ramour, qui n'est autre qu'un moyen tres-singnlier pour conserver la grace acquise, et parvenir à un plus hant degré de perfection, ainsi (} ue nous vons allons monstrer. Nostre Seigneur regard ant sa tres-beniste 1\Iere de ses yeux pleins de compassion, laquelle, selon Ie rapport de I'Evan- geliste, estoit debout, stahat, au pied de la croix avec son bien-aymé disciple, il ne Iuy voulut pas donner, on deman- der pour cUe la grace à son Pere eterneI, dautant qu'elle la possedoit d'une maniere tres-excellente; et moins Iuy pro- meUre Ia gloire, parce qu'elle luy estoit desja toute asseurée : mais il Iuy donne une certaine union de cæur et anlour tendre pour Ie prochain, dautant que cet amour cordial des uns envers les autres, est un don des plus grands et excellens que sa divine bonté fasse aux hommes. Femme, Iuy dit-il , parIant de son hien -aymé disciple S. Jean, voila ton fils: :ßfuliel', ecce filius lUllS. 0 Dieu! quel eschange du fils au serviteur, de Dien à la creature! Neann10ins elle ne le refusa point, sçachant bien qu 'en la personne de S. Jean, elle accep- toit tous les enf nls de 1a croix de nostre Seigneur pour siens, et qu'elle seroitdesornlais lachere l\Iere de tous les Chrestiens: nostre Seigneur nous enseignant par là , qu'il vouloitque nous nous aymassions to us , si nons vou10ns avoil' part à son divin testament, et aux IIleriles de sa Passion, d'un amour extre- men1ent tendre et cordial, ail1si qu'est. l'an1our d'un hon fils envers sa lnere, ct de Ia 111ere envers son fils, lequel est en quelque façoll plus grand que n'est l)as celuy ùes peres. l\Iais renlarqués que l'Evangelistß dit que nostre Danle cstoiL debout aupres de 1a croix: Staúal auteln juxta crllcenl Jesu }'Iatc1' cjus . Cll qnoy ccrtes ont grand tort ceux qui pcnsent qu'elle fut tcllCll1Cnt outrée de doulour qu'elle en por n r.R VE n!HO:T)1" !=;AINT 469 I our jatl1ais par Ie peché; et pour ccla il a pris sur soy les coups de la justice divine, pour nous rcstahlir ('n sa graef', pt DOUS l'l ndl'e dignes de sa nÜscriconle : j ll lice 4-1ui ùevuit l'xel ee ' Ul' . . 478 SERMON . nous, qui estions ceux contre qui ell estoit justement irritée, et non sur J uy qui estoit innocent, Considerons done si tres-justement il ne doit pas estre ap- pellé nostre Roy, ayant eu un tel soin de garantir son pauvre peuple de tous malheurs, l' ayant deffendu et delivré des mains de ses ennemis. Or, puis qu'il est nost!1' Roy, il no us faut sousmettre tout ce que nous avons pour son service, Iuy donnant nos corps, nos cæurs et nos esprits, afin qu'il en fasse comme de chose sienne, et que jamais nous ne nous en servions que pour son honneur, et non pour contrevenir à ses divines loix. l\lais queUes sont-eUes, me dirés-vous, les 10ix de nostre Roy? Ce sont, mes cheres Seurs, toutes les vertus que je- viens de dire, qu'il a prattiquées en operant nostre salut, par lesquelles il nous a donné l'exemple de ce qu'il veut que nous fassions pour son saint amour. Exerçons-nous done en la pratique de la sainte humilité , generosité, patience, constance, perseverance, et enfìn en la tres-aymable et excellente vertu d'indifference : vertus les- queUes il veut particulierement que nous apprenions de luy en Ia consideration de sa mort et passion, et en la prattique desquelles il veut que nous lui tesmoignions nostre amour et nostre fidelité, puis que ç'a esté en les prattiquant qu'il nous a tesmoigné l'excellence et l'ardeur du sien envers nous, .qui en estions tres-indignes; amour qui Iuy a fait donner sa. vie pour nous acquerir la grace et la gloire. DJEU SOIT BE -r" POUR LE MARDY DE PASQUES. 479 VVVV'VV'VVVVVVV SERMON OUR LE MARDY DE PASQUES t. Paæ tJobis. S. Luc, XXIV. Paix vous saito La joye fut sans doute bien grande en l'arche de Noë, quand la colombe peu auparavant sortie, comme pour espier l'estat auquel estoit Ie monde, revint enfin portant en son bee Ie rameau d'olive, signal bien asseuré de la cessation des eaux, et que Dieu avoit reùonné au monde Ie bonheur de sa paix. Iais, ô Dieu! de queUe joye, de queUe feste, de queUe allegresse fut ravie la troupe des Apostres, quand ils virent revenir entr'eux la sainte hurnanité du Redempteur apres la resurrection, portant en sa bouche l'olive d'une saintp. et aggreable palx , leur disant : Pax vobis, Paix vous soit; et leur monstrant les 111arques et signes indubitables de la re- conciliation des hommes avee Dieu, et ostenclit eis manus et pedes! Sans donte que leurs atnes furent alaI's pleinernent trempees de consolation: Gavisi sunt discipuli viso ÐOTniuo. l\Iais cette joye ne fut pas Ie principal fruit de ceUe sainte veuë; car leur foy vacillante fut affeflllie, leur esperance espouvantée fut rasseurée, et leur charité presque esteinte fut rallumée.. C'est Ie (llSCOUrs que j'ay entrepris, mais que je ne puis bien faire, ny vous bien escouter, si Ie saint Esprit ne nous assiste.. Invoquons-Ie done, et pour n1Ïeux l'invo- quer, employons-y l'entremise de la sainte Vierge. Ave Jfaria. 1 Ecrit de la main de S. François de Sales (Edit. de 1641). 480 5F.RMO Nunc autem manent fides, spes, charitas, tria hæc: ma- jor autem horum est charitas : Maintenant demeurent ces trois choses : foy, esperance et charité; mais la plus grande d'icelles est la charité I. La foy pour l'entendement, l'esperance pour la memoire, la charilé pour la volonté. La foy honnore Ie Pere, car elle s'appuye sur la toute puissance; l'esperance honnore Ie Fils, car elle est fondée sur sa redemption; la charité honnore Ie saint Esprit, car eUe embrasse et cherit la bonté. La foy nous nlontre la felicité; l' esperance nous y fait aspireI'; la charité nous en met en possession.. Elles sont toutes trois nec.essaires, mais main tenant ; car au ciel il ne delneure que la charité. La foy n'y entre point, car on y voit tout; l' esperance encore moins, car on y possede tout; mais la'seule charité y a lieu pour aymer en tout, par tout, et du tout nostre Dieu.. Elie laisse toml)er son n1antcau 2 : Ie l11an- tean de la foy et Ie voile de l'esperance ne montent p0int au ciel; mais ils demeurent en terre, où ils sont necessaires. Nostre Seigneur ne fait autre chose que nous bien enseigner es trois leçons, comme il faut croire, esperer et aymer; mais ur tout en ces quarante jours esquels il conversa apres sa resurrection avec ses Apostres, et plus particulierement en l'apparition recitéc aujourd'huy. Et pour comn1encer, les disciples estoient assemblés en un cenacle, et avoient fernlé les portes sur eux, prO}Jtel' metum Judæo'rum (pour la crainte qn'ils avoient des J uifs ) ; Ie Sauveur entre, les saluë, et leur monstre ses pieds. Pourqnoy cela? 1. pour establir leur foy.. lIelas! que leur foy estoit eshranlée! la pauvre lagdelene Ie va herchant parmi les l110rts pour l'en1baUll1er, et craint qu'on l'aye desrohé. Les ...\postres sont teIs, que visa sunt illis delira- 1nenta, et non crediderunt illis (cela leur parut du delire, et ils ne crurent point) , c'est à dire, au x. dan1cs qui l'avoient t I Cor., XIII. - 2 IV llc ó ., 11. POUR LE ARnY DE PASQUES. 48f appris des anges. Les deux pelerins disent: Spe1 e ahamus (nous esperions) ; Ie grand S. Thomas crie : Non creda:rn (je ne croiray point). Pour done estayer ceUe foy, laquelle menaçoit sa ruine, il vient, et leur dit : Pax vobis, et leur monstre son corps. Iais comme 5e peut-il faire qu'ils croyent, puis qu'ils ont ven et touché? Le sens a fait comme Ie four- rier qui loge un autre en ..un lieu et n'y denleure pas; car i1 a logé la foy dans Ie cæur des Apostres et dans les nostres, et neanmoins n'y demeure plus en credit: car la fay estant arrivée, Ie senscesse, comme l'esguille introduit la soye, etc. Mais quels articles sont establis'1 I. De l'identité des corps en Ia resurrection: Et rU1 sum circumdabol pelle mea, et in ca'pne 'Inea '1)ideho Deum 7J1,eum t .... Quia ego ipse sum . 0 article adnÜrable, et lequel estant bien c.reu, nous sommes bons chrestiens! car nous en tire- rons aisen1ent ces consequences: Done je ne prophaneray pas ce corps; donc, in ictu oculi, in novissÙna tuha resu1'ge- 1nus S. Pourquoy, in p1'irna tuba, ne comparoistra Ie n1esme corps? etc. Si Christus non resurrexit, inanis est fides nos- tra, etc. 2. De la qualité des corps qui suivront les n1ouven1ens fIe. l'ame comme les vestemens. Le corps aggrave l'ame; l'ame rendra l'esprit legeI'. Le bon David ne savoit 5e remuër dans les armes de Saül. Pendant que nostre mne est ehargée du corps mondain, eUe ne 5e peut bien n1ou 'oir. Voyez: Exis- timahant se sjJiritum videre, etc. II Sû fait tout it tous : avec Ia l\lagdelene, jardinier; avec les pelerins, pelcrill; avec les pescheurs, pBscheur. Tanl;ost il est Vf'U, tantost il entre Ies portes ferll1ées, etc. Seminatl(} corpus anÙnale, 1'eSlll"get spiritllale, I. Cor., XV , e(c. C(>111me l'aigle, quæ vo/are non ]Jotest, sed ubi rc- novavit jZH'cntlitem S?lOn1, etc. Les rahhin , Gcnehl'aJ'd, ad (!71n loc'Unl Quid facient tlli I JGÒ J XIX. - 2 s. Llle, XXIV. - 3 I Cor." XV. lYe 31 482 SERMON haptizantur )Jro mortuis? ut quid haptzzantur pro illis? ut quid et nos periclitamur omni hora? Quotidie morior per vest1"am gloriam., quam haheo in Christo Jesu Domino nos- [1'0. Si ad hestias pugnavi Ephesi, quid mihi prodest, si rnortui non resurgunt? J.1Ianducemus, hihamus, cras mOl'ie- f} U'l" . 2. Pour affermÎr leur esperance. Helas! leur esperance estoit foible, sperahamus. lIs craignoient : l' esperance est contraire à Ja crainte : Lugentihus et flentibus, dit S.. l\farc. C'est grand cas que d'estre separé de Dieu; on est timide, on perd la force : tels estoient les Apostres, telle la Magdelene.. Comme un na vire, emmy l' orage et la tempeste sans no- cher ny pilote, s'en va au bris OÙ Ie yent Ie porte, te11e estoit cette pauvre harque sans esperance : Factus est Ephraim velut colzl1nba seducta non hahens cor. 0 je ne voudrois pas que nous fussions sans esperance, mais je voudrois bien qUE. nous pleurassions quand nous perdons Dieu! Le cerf, etc. l\Iais llosLre Seigneur vient apporter Ie secours en cette place assiegée de crainte: Videte manus meas et latus meum. A vés-vous besoin de force, voicy mes mains; avés-vous he- soin de cæur, voicy Ie Inien; estes- vous Colol11belle, voicy des trolls; estes- VOliS 1l1alade, voicy Ia medecine : E t ab- sorpta est 'Jnors in victoria. Estis captivi, en rcdC111ptio : Estes-vous captifs, voicy le rachapt. Ah! COlnme pourrions- nous craindre? E"cce isle venit prospiciens IJel' cancellos, rrespiciens jJe!' {en es t1'as . 3. Pour perfectionner leur charité : Si 'Jnulie1' oblivisci potest filii ventris sui, sed etsi oblita (uel'it, non ohliviscar tui : ecce enim in 'Jnanihus meis desc1'ípsi te 1. F ert nosl'l'as miserias, et eas noóilitat; apponit nziseria1n cordi suo, os- tendit latus.. Sed ellm 'l'edalnenllls; alÙ)quin qui præ amOl'"e ostendit vulne1Yl, semel ostendet pr'æ Ù'a et indignatione, ut imagÌ1 es I Isa., XLIX. -- .. -_. - POUR LE l\IARDY DE P ASQUES. 483 .quæ ad dextram fæminam, ad lævam mortem, ad dextram agnum, ad lævam leonem; ut apes quæ mel faciunt, et acriter pungunt. En videte, illusores, moqueurs, gausseurs, impudens, videte manus, etc. Videbunt in quem transfixe- runt, et plangent super se trihus. Apoc., I, etc. / Fac, 0 hone Jesu! ut pacem r;uam offers, accipiamus, . videamusque vulnera tua, ut quandoquidem manent fides, , spes, charitas, fide radicati, spe gaudentes, et cha1'ítate ferventes, expectemus heatam spem et adventum tuum, ita ut in illo te agnum ad dextram, non leone1n ad sinistram videamus, ac p1'O fide visionem, pro spe possessione1n, et pro charitate imperfecta pe1tectam hahea'Jnus, in qua gaudebi- 11IUS in sæcula sæculo1'un . Amen. 48" 8ER1\ION AUTRE SER ION POUR LE TROISIEME JOUR DE PASQUES I. paz vobis, ego sum oolite timere.. Luc, XXIV. La paix soit avec vous, ne craignés point, c'est moy.. Les ApoRtres de nostre Seigneur, comme des enfans sans' pere, et des soldats sans capitaine, s'cstant retirés dans une maison tous craintifs, nostre Seigneur s'apparut à eux pour les consoleI' en leur affiiction, et leur dit : Pax vobis, Paix vous so it ; comme s'il eust voulu dire : Qu'y a-t'il, mes Apostres, que vous estes si craintifs et affligés '/ si c' est Ie doute que vous avés que ce que je vous ay prom is de ma resurrection n' arrive pas: Pax vobis, demeurés en paix, la paix soit faite en vous, car je suis ressuscité; voyés mes n1ains et mes pieds, touchés mes playes, ce suis-je bien moy-mesme; ne craignés done plus; la paix soit en vous: Pax vobis, ego sum, nolite timere. Sur lesquelles parolles je traitteray de trois sortes de paix dont il fit present à ses Apostres. La premiere est la paix du saint Evangi1e et de ]a sainte Eglise; car 1 'Evangile et la sainte Eglise ne sont que paix, que douceuI' et tranquillité; hors de l'Evangile, et de.l'o- ])eyssance à la sainte Eglise, ne se trouve que guerre, que trouble et inquietude, ainsi que nous dirons tantost. La seconde sorte dø paix est celle que les Peres ont distin- guée en trois parties: la paix avec Dieu, la paix les uns avec les autres, et la paix avec UQnS-nlcsnles. La troisien1e sorte de paix est celIe que nous possederons , Fidellement recucilly par !cs Rcligieuses de la Visitation Sainte 1\1ari d'Annessy (Edit. de 1.G4t et de 1(43) POUR TolE III. JOUR DE PASQUES. 485 en Ia vie eternelle. Si j'ay du terns, je traitteray de toutes ces diverses sortes de paix, mais du moins parleray-je des deux premieres. Les Israëlites ayant quitté l'observance descommandemens Ide Dieu, et s'estant despartis de sa' loy, Dieu, justement in- digné contre eux, les laissa en punition de leurs pechés toro- ber entre les mains des l\Iadianites, leurs ennen1Îs jurés, et partant il leur osta sa paix, en laquelle il les avoit tousjours -maintenus tandis qu'iIs luy avoient esté fideles. Grande ertes est la punition que Dieu tire de nous lors qu'il nous laisse entre les mains de nos ennemis, et qu'il nous retire son secours divin, et ne nous tient plus en sa tres-sainte pro- tection; car quand il nous laisse à l'abandon, c'est un tres- grand indice de nostre perte, parce qu'indubitahlement les Iadianites, c'est à dire nos ennemis spirituels, auront prise -sur DOUSt> et no us demeurerons vaincus. Les Iadianites done ayant resolu de brusier les Israëlites à petit feu, comme l'Oll dit, venoient troupes à troupes dans leurs villages au terns de la cueiHette et de la moisson, et leur emportoient et ravissoient tons leurs blec1s, de sorOO qu'ils ne leur laissoient rien pour vivre.. Or Ia bonté de Dieu, qui est incomparable envers les homn1es, les ayant laissés ainsi en la puissance de leurs en- nemis par l'espace de sept ans, se resolut enfin d'avoir pitié d'eux, et envoya un ange annoncer à Gedeon, qu'il vouloit que les Israëlites fussent restablis en leur premiere paix et liberté, et que ce fust par son lnoyen ; si que l'ange l'ayant trouvé dans un lieu où il hattoit du bled, il Iuy parla en cette sorte : 0 tres fort entre les hornn1f s, Ie Seigneur est avec toy: Dominus tecllln, viro1.um fortissime,. puis illuy fit -entendre que Dieu vouloit qu'il quittast son occupation, et qu'ill\rist les arn1CS contre les Iadianites, et que sans faute il remporteroit la victoire, et terrasseroit ses ennemis: Vade .in hac {ol'titudine tua þ et liherahis IS'J'ael de manu Madian : 486 8ERMON Va, luy dit-il, en ta force, et tu delivreras Israël de la puis- sance de l\ladian. Parolles desquelles Gedeon demeura bien est-onné: Hé! ce dit-il à range, comment est-il pcssible que ce que VOllS dites soit yray? V ous dites que Ie Seigneur e.st avec moy; si cela estoit, comment se pourroit-il faire que je fusse saisi et environné de tant d'affiictions'l Le Seigneur est Ie Dieu de paix, etje ne suis qu'en guerre et en trouble. Grand cas de la tromperie et de l'abus des hommes, qui croyent que là où est nostre Seigneur, l' affiiction ny la peine n'y peut estre, ains que Ia consolation y abonde tousjours. Or cela n'est pas; ains an contraire, lors que nous sommes. dans l'ailliction et dans les tribulations, nostre Seigneur se tient plus pres de nons, dantant qu'alors nous avons plus hesoin de sa protection et de son secours. Le Seigneur, dit- l' Ange, est avec toy, ð homme tres-fort, nonobstant que tu 80is si affiigé. Helas! dit Gedeon, comment osés-vous m'ap- peller fort, ven qne Je suis si foible '? Remarqués, je vous prie, que c'est Ie propre de I'ennemy de nous faire sembler foibles, nous faysant croire que nous n'avons nulle force, afin de nous décourager. V ous me clites, poursuit-il, que je prenne les armes, et que je demeureray victorieux; hé t ne sçavés-vous pas que je suis Ie moindre de tous les hommes'l C' est tout un, dit l' A.nge; Dieu veut que ce soit toy qui delivre les Israëlites de l'aflliction en la- queUe ilz sont. Bien, dit Gedeon, je eroy bien ce que vous. me dites; mais afin d'en estre plus certain, je voudrois ])ien qu'il vous pleust me donner quelque signe par lequel je puisse connoistre que veritablement il arrivera ainsi que Vons me dites : Si inveni g'J'atiam coram te, da milzi signum quod tu sis qui loq'lleris ad me. Lors l' ange condescendant à son desir, Iuy dit : Va, prend un chevreau, et dresse un sa- crifice, et l'ayant preparé, presente-Ie au Seigneur. Ce que Gedeon fit promptement; etayant tué et appresté Ie chevreau,. pris de la farine, et fait des tourtes cuites sous la cendre, il POUR J E In e JOUR DE P ASQUES. 487 revint et dressa Ie sacrifice, Iequel estant prest, rAnge Ie toucha du bout d'une baguette, summitate virgæ. Ascendit ignis de petra, Et soudain Ie feu du ciel monta de Ia pierre, qui Ie consomma, puis l' Ange disparut; ce que voyant Ge- deon: Ha! dit-il,je suis mort, carj'ayveul'angedu Seigneur face à face : Heu milzi / Domine Deus, quia vidi Angelum Domini facie ad faciem. C'estoit l'opinion du vulgaire, quoy que fausse, dantant que l'experience l'avoit desja fait voir en plusieurs, qu'un homme vivant ne pouvoit voir un Ange sans mourir. Or Ge- deon s'estant un pen rasseuré, il reprit coout' et fit ce qui luy estoit commandé par l' Ange, lequel jusques alors il avoit tenu pour queIque prophete passager, et depuis il fit eslever un autel au lieu où l' Ange luy. avoit parlé, lequel il Domma Do- mini pax, la paix du Seigneur, parce que Ia paix Iuy avoit est.é annoncée de la part du Seigneur en ce lieu-là. II n'y a point de doute, mes cheres Ames, que la croix nous represente n1erveilleusement bien cet auteI sur lequel fut fait ce sacrifice de la paix, et qui fut nommé Domini pax, la paix du Seigneur; ou que plustost Ie sacrifice de Gedeon et son auteI ne fust la figure du sacrifice qu' offrit nostre Seigneur et nostre l\Iaistre sur I'autel de Ia croix, puis que ce sacrifice a esté appeIIé Ie sacrifice d'accoisement et de pacification, les hommes ayant esté pacifiés avec Dieu, et receu Ia pan en eux-mesmes, par Ie moyen de la grace que Dostre Seigneur leur a acquise par sa mort et passion, en Iaquelle mort et passion il fut pour nous fait peché, ainsi que dit S. Paul, c'est à dire qu'il fut fait, luy qui esloit impeccable, comme pecheur devant la face de Dieu son Pere, ayant par une honté non ouye, pris tous nos pechés sur luy, afin de satisfaire pour no us à la justice divine: en quoy il fut offert comme un chevreau rosti.. En l'ancienne loy il n'estoit pas si expressement commandé . , qu' on celebrast la Pasque en mangeant un algneau, qu on . 488 SERl\IOM ne pust prendre un chevreau au lieu d un aigneau; si que les UDS se servirent de l'un, et les autres de l'autre. 1}Iais en cette Pasque on en ce sacrifice que celebra nostre Seigneur au jour de sa Passion, il s'offrit luy-mesme en sacrifice, non seulement comme un aigneau innocent, tout doux, tout benin, tout gracienx et plein de pureté, ains aussi comme un chevreau qui represente Ie pecheur, parce qu'alors il fut fait peché pour nous. Le sacrifice de Gedeon estallt dressé, l' Ange le toucha d'une baguette, par Ie moyen de laquelle Ie feu monta de Ia pierre, ou plustost descendit du ciel et Ie consomma : de mesn1e, Ie sacrifice de la croix estant dressé, Ie Pere eternel, et non un Ange, Ie toucha de la baguette de son amour infiny, et soudain Ie feu de sa tres-sainte charité survint qui con- somma Ie sacrifice. Et tout ainsi que par ce signe Gedeon demeura confirmé en l'esperance de l'evenement de la paix, selon que l'ange Iuy avoit dit, et de la victoire qu'il devoit remporter sur les Iadianites; de mesme Ie sacrifice de la croix estant consolnmé, et nostre Seigneur ayant dit : lon Pere, je recommande I'll on esprit entre vos Inains : Pater, in manus tuas commendo spiritum meum,. Tout est consommé, Consummatum est,. soudain les hommes furent confirmés en l'esperance que les prophetes leur avoient par tant de siecles donnée, que Ia paix seroit un jour faite en eux, et que l'ire de Dieu estant appaisée par Ie moyen de ce sacrifice, qui est un sacrifice de pacification, Ïls seroient l endus victo- rieux et triûmphans de tous leurs ennemis_ Et c'est ce que vouloit dire nostre Seigneur à ses Apostres, quanti illeur dit : Pax voóis, Ia paix soit avec vous; Voyez mes pieds et n1es mains, c' est moy, Videte manus rneas, et pedes, quia ego ipse sum, leur monstrant un signe certain que la paix leur estoit donnée par Ie moyen de ses playes , comme s'il eust vonlu dire: Qu'avés-vous, llles Apostres'l Je voy bien flue vous estes lJ)us craintifs et paoureux; maiB POUR LE In- JOUR nR PASQUES. 489 desormais vons n'en avés plus aucun sujet; car je vous ay acquis la paix que je vous donne; non seulement mon Pere me la doit comme à son Fils bien-aymé, ains il me la do it encore, parce que je l'ay acqnise au prix de mon sang et de ces playes que je vous monstre. Ne soyés done plus des r- mais coüards et paoureux; car Ia guerre est finie; vous avés en quelque rayson de crai-ndre ces jours passés , quand vous m'avés veu foüetté , on du moins vous l'avés oüy dire, dau- tant que tous m'ont abandonné, excepté l'un d'entre vons qui m'a esté fidelle : vous avés done sceu que j'ay esté baUn, couronné d'espines, navré depuis Ia teste jusques aux picds, attaché à la croix, et souffert toutes sortes d'oppi'obres, de derisions et d'ignominies; et qu'enfin tous mes ennen1Ïs s'es- tant bandés contre moy, m'ont fait endurer toutes sorles de tourments.. Iais à cette heure ne craignés plus, Ia paix soit en vos cæurs; car je suis demeuré victorieux, j'ay terrassé vos ennemis, j'ay vaincu Ie diable, Ie moude et la chair. N'ayés done plus de peur; car j'ay fait Ia paix entre mon Pere celeste et les hommes, et ç'a esté par ce sacrifice que je Iuy ay offert sur I'arbre de Ia croix, tlue je vous ay recon- ciIiés avec Iuy. Jusques à cette heure je vous ayen diverses fois donné Ia paix; Inais maintenant je vous n10nstre ('on1me je VOliS l'ay acquise au prix de mon sang. Je suis pauvre de biens ten1porels ; car je n'ay rien possedé , et vons n'ignorés pas (Iue ma grandeur ne consiste point en Ia possession des biens de la terre, dautant que je n'en ay point eu tout Ie terns de ma vie, vous Ie sçavés; n1ais pour tonte richesse j'ay Ia paix, Iaqnelle est Ie legs que je vous fis en H1e dc- partant de VOllS, et lequel je vous reconfirme encore, dau- tant que tout ce queje donne à mes plus chers, c' st Ia paix; c'est pourquoy, Pax vohis, paix vous soit et à tous conK qui croiront en rooy. Allés J leur avoil-il dit auparavant J et annoncés aux hommes les choses que je vous ay apprises; et entrant és mai- 490 SER1\ION sons, dites : La paix soit ceans, Pax nuic domui : comme s'il eust voulu dire: Annoncés d'abord, en entrant és maisons, que vous n'y allés point pour y mettre la guerre, ains pour yannoncer la paix de ma part, et quiconque YOUS recevra demeurera en paix; où au contraire quiconque vous rejettera aura indubitablement Ia guerre, ainsi que je diray bientost. Vous voyés done comme Ie saint EvangiIe et com me la sainte Eglise n'est que paix. L'Evangile a esté commencé par Ia paix, et par apres il ne presche que la paix. Voyons-nous pas qu'en l'Evangile qui 5e dit en la Nativité de nostre Sei- gneur, les Anges ont chanté : Gloire à Dieu és lieux tres- hauts , et paix en terre aux hommes de bonne volonté; Glo- ria in altissimis Deo, et in terra pax hominihus honæ vo- luntatis? Je vous laisse ma paix, dit nostre Seigneur à ses Apostres avant sa passion, et en leur personne à tous les enfans de son Eglise; je vous donne ma paix; mais je ne vous la donne point comme Ie monde la donne, ains comme mOD Pere I'a donnée : Pacem relinquo vohis, pacem meam do vohis,. non quomodo mundus dat, ego do vobis: comme s'il eust voulu dire: Le monde ne donne point ce qu'il n'a pas, quoy qu'il promette : car c'est un trompeur; il an1adouë < les hommes, leur promettant beaucoup, et puis enfin il ne leur donne rien; se mocquant d'eux apres qu'illes a ainsi trompés. Mais moy, je ne vons promets pas seulement la paix, ains je la vous donne, et non pas une paix telle quelle t mais tel!e que je l'ay receuë de mon Pere, par laquelle vous surmonterés vos ennemis et en demeurerés victorieux. II vous feront vrayement bien la guerre; D1ais nonobstant leurs assauts vous conserverés la tranquillité et Ie repos en vous-mesmes. En somme Ie saint Evangile ne traite pre"sque partont que de la paix, et comme il con1mence par la paix, de mesme il finit par la paix, pour nou enseigner que c'est l'heritage que Ie Seigneur Dieu nostre Maistre a laissé à ses enfans J qui sont en la subjection de .... POUR LE In- JOUR DE PASQUES. 491 Ja sainte Eglise nostre mere, et son espouse tres-chere. l\Iais comme cette paix est un pen bien generale, il nous faut traitter de Ia seconde, qui est celle qui nous pacifie avec Dieu , Ie prochain et nous-mesmes. Quant au premier poinct, nous avons desja dit, que c'est par Ie moyen de la mort et passion de nostre Seigneur que nons avons esté reconciliés avec Dieu Ie Pere. Iais comme depuis nous nous sommes rendus tant de fois rebelles et de- sobeyssans à ses divins commandemens, ayant perdu cette paix que nostre Seigneur nous avoit acquise, autant de fois que no us sommes tombés en peché, nous avions besoin d'un nouveau moyen de reconciliation. Or c'est à cette fin que nostre cher l\Iaistre a estably Ie tres-saint et tres-auguste Sacrement de l'autel , afin que comme nostre paix avoit esté faite avec son Pere celeste par Ie sacrifice qu'il luy offrit de luy-mesme sur Ia croix, il fust semhlablement 3ppaisé par ce divin sacrifice de l'Eucharistie, autant de fois qu'il no us arriveroit d'irriter sa divine justice: moyen que nul homme e peut avoir sinon les enfans de l'Eglise, pour se reconci- .. I' avec Dieu, à faute duquel iis demeurent tousjours enfans d'ire et de perdition. Nostre Seigneur disoit donc bien jus- tement à ses .A.postres : Pacem meam do vohis, Je vous donne ma paix, puis qu'il se donnoit luy-mesme, qui est nostre vraye paix; Ipse enim est pax nostra, dit l' Apostre. La paix n'appartient qu'aux enfans de l'Eglise, il est vray; car tous les autres n'ont point les moyens efficaces de recon- ciliation que nostre doux Sauveur nous a donnés pour nous remettre en Ia grace de Dieu son Pere et en la sienne, au- tant de fois qu'il nous arriveroit de Ia perdre, bien que veritablement nous Ia perdions par nostre faute, la guerre n'estant entre les Chrestiens, sinon en tant qu'ils ne sont pas en grace; car estant en grace, Ie diable, Ie me>nde et la chair n' ont nul pouvoir sur eux. Hé ! ne Ie voyés-vous pas, puisque nostre Seigneur a juré à ses Apostres qu'il vient 492 .eERMOR en paix, ayant terrassé par Ie moyen de ses pIayes et de ses tourmens tous leurs ennemis, et abettu toutes leurs forces. Imaginés-vous un prince qui revient de la guerre , en la- queUe il a hattu à dos et à ventre ses ennemis et les a fait passer par Ie fil de l'espée, n'en ayant laissé aucun en vie, 5inon quelques fugitifs ausquelz il a par compassion donné la vie; et considerés comme apres cette victoire il s en re- vient tout triomphant dans la principale ville de son royaume, . .tout chargé neanmoins de playes; et rencontrant ses sujP.ts, leur dit : Courage, roes amis; voila les playes avec lesquelles je vous ay acquis la paix; demeurés en }'epos, ne craignés plus rien, j'ay terrassé vos ennemis. J'ay bien de vray donnõ la vie à quelques goujats, lesquelz vous pourront donner quelque importunité; mais ne craignés rien, car i1z n'au- ront nul pouvoir sur vous, et ne vous pourront nuire , ])iell qu'ilz vous ennuyent.. Ainsi nost.re Seigneur et nost.rc Iaistre , qui est appel1é par Isaye Prince de paix , p,'inceps :pacis., revenant de la guerre en laquelle il avoit receu ve- ritablement quantité de playes, mais playes non point dignes de mespris, ains dignes d'un honneur incoInparable, et desquelles il fait trophée, et en merite une eternelle loüange J s'adresse premierement à ses Apostres, comme à son peuple bien - aymé, et les lenr monstre.. Touchés, leur dira-t'il dimanche, je veux dire, à saint Thomas : Infer" digilZ.l1n tuum. IlUC, et vide manus meas, et alfer manum tuam, et mille in latus meum, et noli esse incredulus, sed fidelis; Voyés les playes de mes pieds et de mes luains; 111ettés, si })on vous semble, tonte vostre n1ain dans nlon costé, et yoyés que je suis bien moy-rnesme; ce qu'ayant fait, ne soyés plus incredule, ains fidele, et sçachés que je les ay receues en terrassant vos cnnemis, lesquels j'ay desconfits , t extrrminés. II en st bi n resté encore quelques-nns en I l le J IX. "OUR LE Ill e JOUR DE P ASQUES. 493- vie; mais ne craignés point, car ils n'auront nul pouvoir sur vous : au contraire , vous aurés pleine authorité sur eux ; et :\ partant, qemeurés en paix. .. Venons au second poinct, et parlons maintenant de la paix ({ue nous devons avoir les uns avec les antres , dautant que . Ie defaut de cette paix est la source d'où procedent tous les i Inalheurs, afflictions et mise res qu'on void en ce monde parmi les hommes : Et d'où pensés-vous , je vons prie, que provienne tant de pauvreté que plusieurs souifrent, sinon. des malheureuses pretentions que quelques-nns ont d'ac- croistre leurs biens et leurs l'ichesses, quoy que ce soit auK. despens du prochain? Qu'est-ce qui ruine la paix, sinon les procés ct les ambitions que les uns ont sur les ant res , et les Jesirs des honneurs, dignités et preenlinences'l Si la paix. estoit entre les hommes, l'on n'y verroit point tous ces mal- heurs. Bref, rien ne fait tant la guerre à l'hon1me que I'hOnll11e lnesme. II n'y a Tien qui ne puisse estre dornpté ct gouverné par l'honllne, que Ie senl honlll1e ; car si bien Ie pouvoir absolu que Dieu avoit donné à Adanl au paradis terrestre sur tous les aninlaux a receu quelque dechet par Ie ljccllé, si cst-ce pourtant que l'homnle peut dompter les hestrs les plus farouches par l'enlremise de la rayson que Dieu iny a donnée, ain6Ï que l'expel'ieuce nous fait voir tous les jours; et si les hommes vivoient en paix les uns avec les :::.utres, rien ne pourroit troubleI' leur tranquillité. Que cl'aindl'oient-ils, je vous prie? de quoy auroient-iIs peur de::; Iyons? nullelnent; car ils auroient suffisamment de l'in- dustl'ie en eux-mesmes pour eviter leurs rages, ct cellcs de tous les autres aninlaux, pour cruels qu'ils puissent estre. C' est pourquoy nostre Seigneur sçachant bien la grallde nec.cssité que les h01TIUleS avoient de cette paix, n'a l"ien tant . presché, et ne nous a rien tant recommandé que de nous arluer les uns les antres; et nous voyons qu'il n'inculque l,ien tant en l'Evangile flue Ie conlmandenlent de l'aluour du . 494 SERMON prochain : et pour nous monstrer combien il ayme l'union , iI visite ses Apostres, mais c'cst quand ils sont tous en- semble, et qu'ils sont tous en paix les uns avec les autres, vivant en une sainte concorde et union. Et si bien il s'appa- rut aux deux disciples qui alloient en Emaüs, et qui estoient sortis de la ville de Hierusalem, qui represente la paix, estant appelIée maison de paix, ou vision de paix, nous ne devons pourtant pas croire que ce qu'il a fait pour ces deux dis- ciples, il Ie veüille faire pour plusieurs autres; car ne voyés- vous pas que S. Thon1as ne receut point ceUe grace qu'il ne fust retourné en l'assenlblée des Apostres'l De mesme, si nous ne vivons en paix et en union les uns avec les autres , nous ne devons pas attendre de recevoir la grace de voir nostre Seigneur ressuscité. La troisieme paix que nous devons avoir est avec nous- mesmes et en nous-mesmes. Et pour mieux entendre cecy, il faut que nous sçachions ce que dit Ie grand Apostre, que nous avons deux parties en nous lesquelles 5e font une guerre perpetueIIe, à sçavoir l'esprit et Ia chair 1 ; car la chair con- voite contre l'esprit, et l'esprit a ses loix tout à fait contraires à ceIles de la chair: Caro concupiscit adversus spiritum, spiritus autem adversus carnem: hæc enim sihi invice1n adversantur, ut non quæcumque v ultis , ilIa faciatis : Et une chacune de ces parties a ses adherans, c' est à dire des inclinations contl'aires l'une à l'autre, ainsi que l'experience nous l'apprend tous les jours, et que Ie n1esn1e Apostre l'a experimenté :' Video autem aliam lege1n in 'Jnembris nzeis 'I'epugnantem legi mentis meæ 2. La chair a la partie concu- piscible et certaines facuItés et sens comn1uns de l'an1c, les- quels guerroyent en sa faveur contre l'esprit; l'esprit n'ayant pour toules ses forces que trois sold(ås qui cOlnbaUent pour luy, et lesquelz encores font à tous propos des faux-bonds et des cheutes en la fidelité qu'ilz doivent à leur capitaine . I Gal., v. - 2 Rom., VII. FOUR I.E HIe JOUR DE PASQUES. 495 se rangeant du costé de 18 chair, afin de combattre pour elle cantre l'esprit, qui est leur maistre. Or si ces soldats estoient fidenes, l'esprit n'auroit nulle crainte, ains il se mocqueroit e tous ses ennemis, ainsi que font ceux qui se trouvent au donjon d'une forteresse qui est imprenahle, ayant des muni- tions suffisantes pour vivre, bien que les ennemis soient jusques aux fauxbourgs, on mesme que Ia ville fnst prise. Que nous represente ce donjon'l Bien autre, certes, que la partie superieure. de nostre ame; et pourveu qu'eIle soit ccompagnée de ses trois soldats, qui sont l'entendement, Ia memoire et la volonté, elIe ne craint rien; car l'esprit aura tousjours Ie dessus, quoy que Ie diable, Ie monde et Ia chair ayent bandé toutes leurs forces contre Iuy : tout ceìa ne sera nullement capable de Ie troubler ny espouvanter. Ilz broü.il- leront bien quelque chose, se servant des sens et facultés inferieures de l'ame; mais pourtant ilz ne sçauroient luy nuire en la vertu de la paix que nostre Seigneur nous a acquise ; et si l'esprit demeure fermement attaché aUK verités de la foy , et qu'il soit de bonne intelligence avec ses trois soldats, il se mocquera de tons ses ennemis, et en demeurera vainqueur. Les plus puissantes armes que les Chrestiens puissent avoir pour resister à leurs ennemis, c' est la paix de l' esprit; et s'ilz tasehent de conserver cette paix, indubitablement Hz demeureront victorieux dans les coml)ats; mais si la paix leur manque, et que cette intelligence entre l'esprit , l'en- tenilement, Ia memûire et la volonté, vienne à deffaillir, tout est perdu, l'homme perira. Lors que l'entendelnent se tient ferine en la croyance des verités que nostre Seigneur nous a apprises, et que la foy nons ens eigne , il a une force incon1para})le au dessus de la chair: mais quand il vient à escouter les raysons et les ha- rangues qu'elle luy represente pour Ie destonrner de l'atten- tion des verités de la foy, incontinent tout est perdu: l'('x- 496 SERMO perience nons Ie fait voir tons les jours en la pluspart des hommes. Nul ne peut douter que nostre Seigneur n'ayt dit, que les pauvres d'esprit et ceux qui souffrent persecution sont bien- heureux; et l'entendement, au lieu de demeurer fermement attentif à cette verité, va recevoir les suggestions de la chair, laquelle luy represente qu'il faut avoir des biens et heaucoup, afin de luy donner toutes ses ayses et commodités, et voila quant et quant la guerre. La chair dicte n1Îserablement à l'QIltendement, que ceux qui sont pauvres ne sont pas esti- més; il escoute cette proposition, et Ie voila perdu. En SOIDlne, tout ce que la chair desire est tout à fait contraire à l'esprit, lequel estant esclairé de Ia lumiere celeste, ne se peut empescher de voir que toutes ces raysons sensuelles et impertinentes sont tout à fait contraires à la rayson; de sorte que n'osant les approuver, il souffre une guerre tres-grande, voyant l'un de ses soldats presque gaigné, et lequel vent quitter son party : ce qu'il ne fait que trop souvent. Or si nous disons que nous avons la foy, nous la devons monstrer par les æuvres : et si nous voulons avoir la paix de l'esprit parmi la guerre de la chair, il faut tenir l'entende- ment fermement attaché aux verités que nostre Seigneur nous a apprises et enseignées, et le priver de recevoir toutes les raysons de l'amour propre J ne donnant jan1ais la liberté à nostre esprit d'escouter les n1alheureuses suggestions qu'il no us propose; car c' est de là d' où a procedé la perte des anges et des hOlllmes. Les anges apostats, pour avoir escouté cette fausse opinion qu'ils devoient estre comme Dieu, se perdirent en leurs pensées; 111ais S.. l\Iichel ayant entrepris de resister à leur temerité : l\Iiserables, leur dit-il, Quis ut ill Deus? qui est comme Dieu? Et au son de cette l)arolle, ils furent tOllS pre.. ipités dans Ie profond des enfers, et 111alheureux pour lanlals. I3is soudain que Ie diable vit que son orgueil et son POUR T E HIe JOUR DE PASQUES. 497 ambition outrecuidée l'avoit perdu, il Ie fut presenter à nostre pauvee lllere Eve, lilY disant qu'elle ne nlourroit point, bien que Dieu l'eust dit, ains qu'elle Iuy seroit sem- hI able en mangeant du fruit defIendu : Nequûquam rnorte o'loriemini : scit enÙn Dells, quod in quocurnque die corne- deritis ex eo, aperientu'J' oculi vestri, et eritis sicut dii þ scientes h012'll1n et maluln 1. Et au lieu de se tenir ferme en la parolle que Dieu luyavoit dite, elle escouta ce malheu- reux esprit, et consentit à cette perverse et detestable propo- sition, qui fut cause qu'elle se perdit et son mary avec elle. II Iuy eust bien mieux vaIn, et à nous aussi, qu'elle eust respondu à l'ennenlY : l\Iiserable! laisse-nous denleurer en la hassesse et hunÜ]ité en laquelle nous avons esté creés, et en ]a souslnission et oheyssance que nous devons à Dieu, plustost que de .nous proposer un eslevement, duquel tu as esté precipité. . o que Ie pauvre Adan1 eust esté heureux de demeureI' seul sans estre 111arié, dautant qu'il n'eust pas encouru l'indigna- tion de Dieu en contrevenant à son con1111andelnent ! Nos entendenlens sont ordinairement si pleins de raysons, d'opinions et de considerations que l'all101U" propre nous suggere, que cela cause une grande guerre en i'anle ; car au lieu dp nous arrester et attacher en to utes choses aux parolles de nostre Seigneur, nous nous servons des raysons que Ia prut1pnce hunlainl nous fournit, disant. qu'il faut hien estre discret et nloderer un peu les choses, afin que tout aille bien, et cependant c'est tout au contraire : car c'e5t afin que tout aille l11al , et certes pour l'ordinaire l'on ne sait de quel hiais . prendre ces personnes qui se servent de celf.e fausse prudence, parce que faute de sinlplifier leur entendenlent, ils ne veuIcnt pas recevoir les avis qu'on leur donne, al)portant cent ray- sons contraires pour soustenir leur opinion, quoy que Inau- vaise, de luaniere aue 101"s qu'i!s s'V .sont una fois attachés, t Gen., 111.. IV. 32 498 SER rON on ne sçait plus que faÍre avec eux. Estote }J'pudentes 1 þ soyés prudens, dit nostre SeignEur en l'Evangile, servés- YOUS de Ia prudence, car elle est bonne; mais servés-vous. en rarenlent et seulenlent pour la gloire de Dieu, et en sorb- que vous la rendiés sousmise à la simplicité. Nostre Seigneur donc, voyant ses Apostres entortillés en diverses considerations et doutes de l'arcomplissement de sa prom esse , n'ayant pas la patience que Ie jour fust venu, se monstre à eux, et leur donne sa paix : Pax vobis, leur dit-il; que vos entendemens soient pacifiés par Ie rejet de tant de considerations qui vous causent de la deffiallce;: voyés mes playes, et ne soyés pas mescroyans.. 0 que la l foible sse de l'esprit humain est grande! Nostre Seigneur a dit Tout ce que vous denlanderés au Pere en mon nom, il vous sera donné; Si quid petieritis Pat'J ' em in nominemeo, dahit vohis t : mais pource qn'il ne no us donne pas toujours ce que nous demandons, ou que nous ne Ie rec.evons pas sitost que no us voudrions, incontinent nous somnles chan- celans en Ia foy de cette promesse.. J'ay desja tant delnandé à Dieu nne tella vertu (dira quelqu'un), et cependantje ne ray pas encore. 0 ! patience, Ie jour n'est pas passé, vous n'estes qu'au matin, et vous doutés'? attendés au soir de cette vie mortelle; car indubitablement, si vous perseverés à Ia.. demander, vous l' obtiendrés. Les Apostres done n' estant pas encore confirmés en la foy. et ne voyant pas nostre Seigneur ressuscité si promptelllent f :.Iu'ils desiroient, en entrerent en perplex.ité, et COl1lIl1en- erent à douter, disant en eux-mesmes : 0 que nous eussions sté heureux si n?us eussions en un mai tre qui ust esté t Immortf,l! et plusleurs autres raysons qu'Ils penSolent, par, lesquelles ils monstroient bien qu'ils estoient en doute de ' l'effet de la promesse de nostre Seigneur; et partant illeur dit pour les aCCOlser: Pax vobis, La paix soit avec vous, I S. AIatth., X. - I s. Jean. X. POUR J..E IU" JOUR DE PASQUES. 49.û C'esf assés dit sur ce sujet : car vons voyés hien maintenant que ce qui cause la guerre en nos ames et qui en chasse la paix, ne provient d'autre chose sinon que nous manquons de foy et d'asseurance és parolles de nostre Seigneur, et que nous escoutons les raysons de la prudence humaine.. Le second soldat de nostre esprit est Ia memoire , la fide- ]ité duquel venant à faillir, Ie trouble se fait grand en l'ame; dautant que la memoire est Ie siege de 1'esperance et de la ,crainte. Or je sçay bien que l'esperance est en la volonté ; ;I mais pour m'expliquer, je veux dire ainsi maintenant, et nOllS devons doncques sçavoir que la pluspart des troubles que nous avons, viennent dequoy l'imagination des sens et de 19. chair represente frequemment des ressouvenirs mon- dains et terrestres à l'imagination de l' esprit, lesqv.els estant receus par la memoire, el1e conul1ence d'entrer en defIìance; et au lieu de s' occuper à se ressouvenir des pro messes de Dostre Seigneur en faysant des actes d'esperance" et demeu- rant ferme en cette confiance que nous devons av?ir en Dieu, que tout perira plustost que ses promesses viennent jalnais à manquer, il arrive que nous nous laissons aIleI' à des vaines craintes de n'avoir pas assés de cecy on de cela, et partant les inquietudes arrivent; la chair employe toutes ses forces contre l'esprit, auirant de son costé l'entendement et la D1e- moire pou p ,..,--- -"LÍre pour elle; et puis c'est grand'pitié du dega5 que ce manquelnent de paix fait en l'ame.. Au lieu que, si la Inenloire deIneuroit fernle aux promesses de Dieu, sans varier, s'asseurant sur la verité de ses parolles, se confiant en sa bonté, qui est si grande, que non seulement il se rend fidele aux ames qui se confient en Iuy, ains encore il en prend un soin tendre etalnoureux : ô qu'heureuses seroient ee1les qui auroient ainsi logé en Dieu toutes leurs esperances! ô que nons serions henrenx, Dles cheres ames, si no us occu- pions hien nostre memoire à nous ressouvcnir des promesses que nOllS avons faites au baptesme, par lesquelles no s avons 500 SERMON l enoncé au diable. au monele et à Ia chair; promesses que les Religieux et Religieuses reconfirnlent par Ie moyen de leurs væux, par Iesquels ils s"obligent non seulelnent de garder les cOffilnandemens de Dieu, ains encore de suivre ses conseils, afin de se rendre tousj ours pI us aggreables à ses yeux! ô que nous serions heureux, si nous nous ressouve- })ions bien de ces saiIites pron1esses, et que nous fussions fidelles à les garder! car sans doute nostre Seigneur vien- droit à nous, et nous diroit, ]Jax vobis, Paix VOllS soit, conlnle il fit à ses A.postres. Le trO]Sien1e soldat de nostre esprit, et Ie plus fort de tous, est la volonté ; dautant que nul ne pent surlnonter Ia liJ)erté de la volonté de l'honlnle. Dieu meSlne qui l'a creée ne veut en façon quelconque Ia forcer ny violenter: et neannloins eUe cst si lasche, que bien souvent cUe se laisse gaigner aux persuasions de Ia chair, se rendant à ses suggestions, bien qu'elle sçache qu'elle est Ie plus grand ennemy que l'homIne aye, et qu'elle ressemhIe à cette fe- lonne Dalila qui tronlpa meschamment ce pauvre Sanlson duquel eIle estoit si cherenlent aynlée 1.. La chair a des ruses nOlllpareilles pour vaincre l'esprit, et l'attirer à ses brutalles inclinations. l\lais nostre yolonté a encore un autre ennen't- qui Iuy cause beau coup de peines, eL Iuy fait souvent quitter l'esprit, qui est con1lne son tres-cher espoux : cet ennenlY n'est autre que la multitude des de sirs que nous avons de cecy et de cela; car nostre volonté est d'ordinaire si pleine de pretentions et de desseins, que bien souvent eUe ne fait l ien que s'alnuser à les regarder l'un apres l'autre, au lieu de s'occuper i1 en faire reüssir quelques-uns des plus pro- fÌtabIes. COlnbien avés-vcrus de de sirs en vostre yolonté 1 dira-on à quelqu'un. Je n'en ay que deux. C'est trop; car il n'en faut avoir qu'un; nostre Seigneur nOllS l'a luy-mesme enseigné: J XVI des Juges. POUR LE Ill e JOUR DE PAbQUES. 501 P01'1'O unum est necessal'iunz; .ZJ!al'ia optimam partem ele... git 1 : .Une senle chose est necessaire, dil-il; Iarie a choisi Ja nleilleure part, c'est à dire qu'elle a choisi eet Un neces- saire tout seul.. Iais quel est-iI, eet un necessaire'! c'esti D - I S ' ' I f I . . .. I leu, mes c leres "_ eurs, qu 1 aut c 101s1r, et rlen autre;; ('ertes, qui ne se contente pas de Dieu, qui est tout, merite \de n'avoir rien. l\lais, me dirés-volls, ne faut-il pas aymer Ie prochain, 'ny les exercices spirituels'1 puis que vous dites qu'il ne faut aymer que Dieu, et ne vouloir que Iuy seul, pourquoy done tant de livrcs, de predications, et choscs selnblables'1 Un exemple vous fera entendre cecy : vons rcgardés cette muraille qui est blanche, et je vous demande qu'est-ce que vous voyés'1 Je voids, dirés-vous, cette nluraille.. l\lais ne voyés-vous point l'air qui est entre vous et eUe'1 Non, parce que je ne regarde que la muraille, et bien que ma veuë traverse et passe parmi l'air qui est d'icy là, neanmoins je ne Ie voids pas, dantant que je n'y arreste pas ma veuë.. De n1eSn1( pourriés-vous dire : En aymant Dieu je rencontre plusieurs autres choses, COIDll1e les livres) les predications, l'orayson, Ie prochain, que j'aYl11e vrayement bien; mais nlon dessein principal estant de n'ayn1er que Dieu, fait que j'ayme toutes ces choses et que je m'en sers; mais ce n'est qu'en passant, pour m'exciterdavantage à l'aymer plus par- faitement : car tel en est mon vouloir.. En fin finale, si nous voulons avoir la paix en nous- nlesn1es, il ne faut avoir qu'une seuIe volonté, et qu'un seul desir, in1itant le grand saint Paul, qui ne vouloit sça- voir ny prescher qu'une seule chose, à sçavoir, nostre Sei- gneur Jesus-Christ, et iceluy crucifié : Non enim judicavi me scire aliquid inter vos nisi Jesum Christum, et Irune cru- cifixu'nz : e' estoil toute sa doctrine, en cela eonsistoit to ute sa science; e' estoit en cette mort precieuse de nostre ùivin IS.. Luc, x.. 502 ERMON Sauveur, qu'il occupoit toute sa menloire; c'estoit en ce senI amour du crucifix. qu'il avoit arresté tous ses desirs et toutes ses voIontés. AinsÌ puissions-nous faire, mes cheres Ames; car nous possederons comme luy la vraye paix, 51 nous ra- massons bien toutes nos puissances et facultés interieures, afin de les occuper tontes en l'anlour de nostre doux Sau- veur, lequel sans doute ne manquera pas de nous visiter, afin de nous donner cette paix qu'il donna aujourd'huy à ses Apostres bien-aymés. AI1! mon I)ieu, que cette paix est differente de celle que Ie monde donne à ses favoris! les mondains se vantent quelquesfois qu'ils possedent la paix; mais pour l'ordinaire c'est une paix fausse, et laquelle est enfin suivie d'une tres-grande guerre.. Imaginés-vous, je vous prie, de voir deux barques on .navires qui voguent sur la mer, dont rune soit celIe de Jlostre Seigneur et nostre Iaistre avec ses Apostres, en la- .queUe il dort doucement; et voyés que pendant son soullneil les vents s'eslevent, la tournlel1te devient si gral1de, et les vagues si impelucuses, qu' elle3 sen1hleut devoir à tout 1110- ment faire perir Ie navirc : et considerés COlllme les Apos- tres, esmeus du present danger, courent de proùe en poupe, let de poupe en pl'oüe : enfin, voyant qu'ils ne peuvent re- sister à cet ol'age, ils révcilleÌ1t nostre Seigneur, Iuy disant : D0111ine salva nos, pcrÙn'lls I, 1Iaistre, nous perissons, si VOliS ne nons secoul'és. 0 pauvres gens! de quoy vons trou- hlés-vous? n\lvés-vous pas avec vans celrry qui pacifie to utes cuoses? Quid tinÛdi estis, 1nodicæ fidei? que craignés-vous, gens de petite fay"? leur dit nostre Seigneur; n'ayés point de penr. Tunc sUì'gens imperavit vefltis, et mari, et facta est tranquillitas 'lnagna : et incontinent se levant il C0111- lllanda aux vents et à la mer de s'accoiser, et Ie calme se fit soudainenlent à la parolle de nostre divin l\laistre; ppres quoy il persevera en la paix. avec laquelle il dormoit, qui a s. Matth.. Vill. rOUR J E III e JOUR DE PASQUES.. 503 EstOÌt une paix procedante de la pureté et candeur de son ame : n quoy il fut apres suivy de son grand A p9stre saint Pierre, lequel dorlnoit fort hanquillement, quand l'Ange Ie vint tirer de la prison, la nuict mesme devant Ie jour auqucl on Ie devoit faire mourir : car c'est chose certaine quP les .vrais amis de Dieu sont tousjours h'o'uquiHes, et conser vent tou onrs la paix que nostre Seigneur leur a acquise par sa mort, dans les trihulations et aillictions, pour grandcs dinem traditionis quem tradiclel"unt iis quióus cO'Jnmitteóant Ecclesias? etc. II dit que plusieurs nations sans escrit gardent l'ancienne. tradition escrite dans leur cæur.. Te1'tullian., lib.. De corona m litis, etc.. II parle des cere- ll10nies du baptesme, du signe de la croix, du sacrifice an- niverseljJ'J'o defunct is, et dit : Si legen expostules SC'J"iptu- ra'J'u'Jn, nullam invcnies,. t'J"aditio tiói prætendit'll1" auct'J'ix?" consuetudo confil>matrix, fides obSel'Vatl"ix.. Cypl"ianus, lib. II, Epist.3 : 1-idmonitos nos scio, ut in; calice o/!erpendo Dominica t'J>aditio servetur, nee aliud fiat a nobis, quam quod pro nobis Don'linus prior fecit, ut calix qui in ejus con7memorationcrn off C'J>lUl> , 'inixtus vino offera- tur.. S. Augustin ne dispute quasi autrement, contl"a Dona- tistas de Baptisn o. Que diray-je des adversaires'! Con1bien ont-ils de tradi- tions'! Le ùimanche, par tout l' observation d'iceluy; Pasques l' A eension en quelques lieux; Ie baptesme des petits enfans, les parrains, 1'inlposition des noms, donner Ia cene Ie lnatin, se marier devant Ie ministre. Voila quant au prenlier poinct. Quant au deuxien1e, je dis les traditions estre neccssaires, t. pour authentiquer l'Escriture; car qui nous a dit qu'il y a des livres canoniqucs? L'Aleoran dit bien qu'il a esté en- voyé d ciel; mais qui le croit? qui nODS a dit l'EvangiIe de S.. rHare, etc., plustost que celuy de S. Thomas et de S. Bar- th lelny '? Pourquoy ne reçoit-on I'Epistre qui porte Ie tiltre ad Laodicenses, puis que S. Paul aux Colossiens, cap. ult.þo POUR LE IV e DDfAl'iCrm D 9 APRES ASQUES. 515 atteste leur a,voir escrit, plus tost qtie celle aux llebreux? Pourquoy croiray-jeque l'Evangilede S.. Iarcestde S..l\Iarc, celuy qll'on Inonstre lllaintenant? Calvin, livre pren1Ìer de son Institution, chapitre 7 , tre Seigneur. Nunc princeps lIzundi Intjus eji- c;elul' foras (1\laintenant Ie Prince du 1110nùe sera chassé dehors), dit-il en un autre lieu de l'Evangile. Et aux .Actes des Apostres, il est dil, qu'il s'est acquis l'Eglise par Ie sang qu'il a respandu sur la croix, Ecclesiam quam acquisivit sanguine suo. Q !lelle gloire done pour nous, auditoire chrestien, que par 1 t croix et en Ia croix nous ayons eslé transferés du royalHne ( 'cllfer en eeluy du ciel; que nostre Seigneur, Ie Ineilleur Buy ÙU n1onde, nous aye esté donné : lnais queUe gloire que nOUS-Ine lnes soyons faits roys et heritiers du royaU111e ce- lesle! Luy est Ie Christ, mais no us son1mes les ChresLiens , qui ùevons estre heritiers de Dieu, et coheritiers de Jesus- Christ: llæredes quidem Dei.. cohæredes auteJ}l Christi. I ROln., IX. ------ -.... --..,..;.,.--' ..._--.... 524 SERl\ION o Chrestiens, si je VOllS avois jan1ais deffendu de vous glorI- fier, je n1'en desdis; soyés desormais glorienx d'estre appellés à cet heritage.. V ous sentés-vous point adoueir Ie cæur quand on vous dit que vons estes roys'! S'il vous plaist, dites done: o to utes les richesses du n10nde ne sont en rien comparables à cette royauté : car eUes perissent, et on n'en peut jouyr longnement; mais eellcs-là sont puren1ent nostres. Jà n'ad- vienne done que je Ine glorifie, sinon en la croix de Jesus- Christ.. Cette grande gloire de la croix l'a rendue honnorab]e' à un chaeun; et partant Dieu la fit chereher par IleIene, mere du grand Constantin, qui alla exprés en Hierusaleln pour la treuver, ct l'ayant treuvée, elle fut incontinent n1Ïse en grand honneur parn1Ì toute l'Eglise; et de fait, qui n'hon- noreroit un si grand reliquaire, nne si signalée marque de la charité du Fils de Dieu.. Je vous proposerois volontiers une belle doctrine de saint Bonaventure tonchant cette veneration de la croix; lllais je veux finir.. II suifit de sçavoir que nous n'adorons pas la croix pour l'an1our d'elle, l11ais pour ramonr de celuy à qui elle appartient. Cette cstillle q 11 \111 fait de Ia croix plaist infini- ment au Crucifix; et jan1ais nons ne l'honnorons qu'en in- tention d'honnorer Ie Crucifix; et vous conseille pour vostre consolation, que quand VOllS verrés la croix, VOllS regardiés topsjonrs Ie Crucifix en icelle. Ainsi cet arbre vous sera bien plus venerable, quand vous y considererés SOi.L cxceJIent fruit pendu; ainsi ces espines VOllS seront plus precieuses, quand vallS y verrés cette belle rose; ainsi cet aubespin vous pa- roistra plus beau, quand vons y verrés ce celeste rossignol qui y habite.. Au reste, laissés dire les adversaires: IJlulti am- bulant, quos sæpe diceúam vobis inimicos c'pucis Christi (Plusieurs chetninent parmi nons, lesqueIs, comme j'ay dit souvent, sont ennemis de 1a croix de Jesus-Christ). Tout e qui me met en memoire de nostre Seigneur, je l'honnore t tout signe de croix 5e doit tenir en revel'ence. . porR T..'IKVEl'\TIO TIE LA SAINTE C3.0IX. 52:; Disons done que ce saint hois de la croix est singulien J - ment venerahle; car s'il est escrit és Psalmes : Adoraho in loco 'Uhi steterunt pedes ejus (J'adoreray le lieu où ses pieds se sont arrestés), comment n'honnorerons-nous pas la croi où tout son corps s'est reposé: Ubi stetit totum corpus. Et. partant il s'ensuit : Surge, D01ì'lÏne, in requiem, etc.. (Levés- Yons, Seigneur, pour entrer en vostre repos).. Et si on faysoit, dit S. lIierosrne, tant d'honneur au tabernacle oÙ reposoil l'arche, c0l11bien plus au bois de la croix, sur lequel a esté .esten(.lu Ie corps de Dieu incarné, qui a esté arrousé, teint et penetré de son sang precieux? Sainte done est la coustume des Chrestiens d'honnorer Ia .croix, et S. Chrysostome en une bomelie dit ces parol1es : Tanta venetatione lignu'Jì'l illud hahetur, quod Christus sit Deus, 'lit qui partem ex illo flabere possunt, auro includant et cC1'vicibus imponant (Ce bois sacré est en si granJe Yene- ration à cause que Jesus-Christ lequel y a reposé est Dieu, que eeux qui en peuvent avoir quelque petite parcelle l'en- c,hassent dans l'or ct la posent sur leur teste par honneur). Jc reviens à IIelene, l'honneur des princesses, qui a cher- ché et treuvé ce aint hois avec tant de soins, de travaux et tie peines. Elle yint au mont Calvaire, où les Gentils avoient mis la statuë de V cuus. Regardés la contrarieté : an lieu de la cresche, iis y avoicnt n1Îs Adonis, et au sepulchre Jupiter: Inais IIelenc renversa tout ceIa, et ren1Ït en honneur ces saints lieux. Regardons si en nostre n10nt de Calvaire, e'est à dire en nostre cervean et entendement, nons y avons laissé la foy fervente de la eroix qui no us y fut n1Îse an baptesme, on si nons n'avons point eslevé une idole de Venus en nostre inl()gination; si en nostre memoire où la sainte esperance fut mise, nous n'y avons point relnis A.donis, et si en nostre vo- lonté où Dieu avoit lllis la charité, nous n'y avans point mis la vanité et l'an10ur des choses de la terre. Et à rin1Ïtation de cette sainte pl'incesse ostons, ostons ces figures luaudites 526 SERl\ION du monde, ces impressions vaines, et y relevons Ia croix, (lisant "avec le grand Apostre : Ahsit rnihi glo7'ia1'i, etc.. (Jà n'advirnne que jamais je me glorifie, sinon en ]a croix de Jesus-Christ); car e'est là notre secours. Quand Constantin alIa à la guerre, il ouït une voix qui.luy disoit: In hoc signa vinces (Tu vaineras en ee signe ). Ainsi Dieu veut que nous vainquions par ce signe : Filii tui armis triu'inphare jussisti (V 011S nous avés ordonné, ô mon Dieu , que si nous voulons triompher de nos ennen1Ys, nous nous servions des armes de vostre Fils bien-ayn1é). Le jour nous invite, Ie lieu nOllS appelle, la saison no us y porte, nos afflictions ne sont pas encore finies ; done: Absit rnilzi gloriari, etc. (Done jà n'ad- vienne que nous nous glorifiions, sinon en la croix de nostre Seigneur Jesus-Christ, en la q uelle est nostre vie, nostre salut ' t ß06tl'e resurrec"tion. \ VIVE .JE,SU3. FOTJn T.,\ FESTE DIZ; S. JEAN POHTE-LATINE. 527 VVVVVV'V'V'V'VVVVvvvvvvv SER ION POUR LA FESTE DE SAINT JEAN PORTE-LATI E I. In illo tempore, access it ad Jesum mater' filiorum Zehedæ7: cum fiUis suis þ adol'ans et pctens aliquid ab eo, qui dixitei: Quid vis? Ail illi: Die ut sedcant Ili duo filii mei, unus ad dexteram tuam, et unus ad sinistJ'm7l in regno tuo. :MATTH.) XX. En ce tems-Ià, la mere des enfans de Zebedée s'en vint treuvel' Jesus avec ses deux fils, et se prosternant, et l'adorant, luy òemanda quelque chosc. Jpsus luy dit : Que demandés-vous? Ordonnés, luy dit-elle, que mes deux fils, qui sont icy, soient assis run à vostre dextre, et l'autre à vostre se- nestre, en vostre royaume. La sainte Eglise celebre aujourd'huy l'une des festes du hien-aymé disciple de nostre Seigneur, Ie glorieux S. Jean, en laquelle je remarque que I'Evangile semble raconter l'une de ses plus grandes tares et imperfections, qui est son aluhi- tion, au lieu de raconter ses perfections, graces, verbIS et excellences; en quoy j'admire la simplicité des Evangelistes. qui l' ont escrit. Lorsque les personnes du monde veulent loüer ceux qu'elles ayu1ent, elles racontent tousjours leurs vertus, perfections et excellences, leur donnant tOllS les tiItres et qualités qui les peuvent rendre plus honnorab]es, et taschent de cacher et couvrir leurs pechés et imperfections, mettant en oulJly tout ce qui les pourroit rendre abjects et n1esprisables. l\Iais nostre mere la sainte Eglise fait tout au contraire; car bien qu'elle ayme uniquement ses enfans, neanmoins lorsqu'elle les vcut loüer et exalter, elle raconte exactenlent les pechés lju'ils out conlmis avant leur conversion, afin de rcndre plus d'honneur 1 PuhJié pour la première fois en 1643, ou du moias ce sermon ne se trouT" pas òalls l'édition de 1641. 528 SER:\ION et de gIoire à la n1ajesté de celuy qui les a sanctìfiés, en fay- sant reluire sur eux son infinie lnisericorde par laquelle il les a relevés de leurs n1Ìseres et de leurs pechés, les comblant par apres de ses graces, et leur donnant son saint amour, par Ie moyen duquel ils sont arrivés à la sainteté.. Certes, nostre bonne mere l'Eglise, en racontant ou escri- vant les pechés des Saints, n'a eu autre intention sinon de nous monstrer qu'elle ne veul pas que nous nous estonnions ,ou n1euions en peine de ce que nous avons esté, ny des pe- Î('hés que nous avons cOlnmis autresfois, ny de nos miseres lpresentes, pourveu que nous ayoHs une ferme et inviolable Jresolution d'estre tout à Dieu, et d'en1brasser genereuselnent la perfection, et tous les moyens qui nous peuvent faire avan- eel' en ran10ur sacré, faysant en sorte que cette resolution soit efficace et produise des æuvres. Certes, nos miseres et foi- Llesses, pour grandes qu'elles soient, ne nous doivent pas ar :,.1 grace: or Dieu ne pent rien demander par grace, ains tout d'authorité. C'pst donc une chose toute asscurée, que Dieu ne pent et ne doit pri, r, parce que Ia priere exige de nous tJue reconnoissance que nous avons besoin de quelque chose: car l' on n 'a pas accoustumé de demander ce que l' on possede I S.. Jean Damas., liVe III de Ja Foy, ch. XXIV. . 548 SERMON desja. Dieu ne peut avoir aucun besoin, dautant qu.il pos- sede toutes choses, et que tout luy appartient. II y a plusieurs des anciens Peres, et mesme S. Gregoire Nazianzene, qui semblent dire, que nostre Seigneur ne peut non plus prier en tant qu'homme, parce qu'il cst un mesme Dieu avec son Pere, et peut-estre fondent- ils leur opinion sur les parolles qu'il dit à ses Apostres avant S3. Passion: Je ne vous dy point que je prieray nlon Pere pour vous : Et non dieo vobis quia ego rogabo Patren de vobis,. et puis qu'il a dit qu'il ne priera pas son Pere, pourquoy nons autres Ie dirons-nous, disent-ils? l\Iais l'autre partie des Peres as- seurent que nostre Seigneur prie, 5e fondant snr ce que son bien-aynlé disciple S. Jean a dit de luy, que nous avions un advocat aupres du Pere eternel : Advoeatum haben us apud Patrem Jesum Christuln justum. r,lais les uns et les autres ne se contrarient pas, hien que leur opinion soit diverse; car il est certain que nostre Sei- gneur Jesus-Christ ne doit point prier, ains peut demander à son Pere eternel tout ce qu'il veut par justice, COllllne font les advocats lorsqu'ils denlandent quelque chose; car iIs n'ont pas accoustumé de Ie denlander par grace, ains seion la justice des droits desquels iis traitent. De mesme fait nostre Seigneur, et pour c la il montre ses playes à son Pere, quand il luy veut faire queIque delnande. C'est pourtant une chose tonte asseurée, que combien que nostre Seigneur demande à son Pere eternel ce qu'il veut par justice, il ne laisse pas neanmoins, comnle hornnle, de s'abaisser grande- ment en sa presence, en luy parlant avec une extrenle reve- rence, et avec des actes d'une plus profonde humiIité, que jamais aucune autre creature n'a scen ny pû faire, si que sa demande se peut appeller priere. Iais outre ce que j'ay dit de nostre Seigneur, nous trou- verons aussi en quelques endrQits de l'Escriture, que Ie saint Esprit pl'Ìe, et qu'il fait orayson; et S. Paul en l'Epistl'e aux DE L'ORAYSON. 549 R0l11aÌIIs flit. qu'il fait des den1andes pour nous aver. .Ies snnspirs qui ne se peuvent exprilner : Sed ipse Spiritus pos- tit/at plIO nobis gemitibus inenar1'abilibus. Ce qui toutesfois ne (loit pas entendre que e saint Esprit prie, ou aye prié; ('ai' 11 UP Ie pent faire, ayant Ia IneSlTIe divinité que Ie Pere (It ]p Fils, el !rur estant en tout egal : mais eel a veut dire fiu'il a inspiré aux hommes de faire telle ou tel1e priere, ct (lue c' ("f't par son inspiration que nous prions. Or . {uant aux pures creatures, il est certain que les Anges prient, ('t cela nous est monstré en plusieurs endroits de l'Escriture sainte : mais des hon1mes qui sont au ciel, no us n'en avons pas tant de tesmoignages, dautant que devant que nostre Seigneur fust mort, ressuseité, et monté au ciel, il n'y en avoit point encore en paradis, ains ils estoient tous au sein d' Abraham dans les limbes.. C' est pourtant une chose toute asseurée, que les Saints, je veux dire les hommes qui so t en paradis, prient, puisque les Anges avec lesquels i]s sout, prient; car ils ont tous esté creés pour loücr Dieu, ainsi que nons avons dit. Voyons Dlaintenant si tous les hommes doivent prier et faire orayson. Cette difIìcu1té sera bientost resoluë; car je dy et asseure qu'oüy, et que pas un ne s'en peut excuser, voire mesme les heretiques. L'exemple du centenierCorneiHe, rapporté par S. tuc aux Actes des Apostres , nous donne un suflisant tesmoignage de cela; car eslant encore dans Ie pa- ganisn1c, il fit une orayson telle, qu'elle Inerita d'eslre pre- sentée devant Ie thrône de Ia divine Iajesté, ct Dieu Iny fit Ia grace de luy envoyer Ie grand S. Pierre, affin de l'in- struire en la foy, et dcpuis il fut grand Saint entre les Chrcs- liens. II est vray neann10ins que les grands pecheurs ont beaueoup de difficulté à prier et faire orayson.. Certes, on peut dire qu'ils ressemblent à ces petits oyseaux, le qucls d'eux-mesmes, dés qu'ils ont un peu de plumage, se gUlndent en rail' pour voler; mais n'ayant pas assés de force pour 550 SERMON continuer leur vol, iis tombent soudain, et se viennent poser sur la glu qu'on leur a preparée pour les prendre, de sorta que cette humeTlr visqueuse leur serre si fort les aisle$ qu'apres iis ne 14euvent plus vo]er. De mesme en arrive-t'ft au pecheur, lequel, quoyqu'il ayt quelque desir de s'es]ev ' à Dieu par Ie moyen de la priere et de l'orayson, il se lais9G neanllloins tellement emporter à ses mauvaises habitudes p que n'ayant pas assés de resolution pour se retirer du vice, il vient incontinent à se poser sur cette humEur visqueuse du peché, par laquelle il se laisse tellement serrer , qu'il ne peut apres se guinder au ciel par l'orayson, qu'avec une tres-grande difficulté; 111ais pourtant, en tant qu'il est ca- pable de Ia grace, il peut et doit prier, et faire orayson, et n'y a que ]e diable seul qui ne la puisse faire, dantant qu'il n'y a que Iuy seul qui soit incapable d'amonr. Ill10US reste n1aintenant à declarer queUes sont les con- ditions qu'il faut avoirpour bienfaire l'orayson.. Je sçay que les anciens Peres qui traitent de cette lllatiere , en rapportent heaucoup; que quelques-nns en comptent quinze, et d'autres huict; mais puisque Ie nombre de trois est si reveré par tout, je 11l'y arresteray. La prenliere condition qu'il faut avoir pour hien faire l' orayson est, qu'il faut estre l)etit en bUl11ilité; la seconde, qu'il faut estre grand en esperancej et Ia troisieme qu'ilfaut estre appuyé sur Jesus-Christ crucifié. L'hulnilité n'est autre chose qu'une mendicité spirituelle, de laquelle parlant nostre Seigneur à ses Apostres, il dit : Reali }Jaupel'es spiritu,. quonian ipso1 lln est 1'egruun cælo- l lln't 1 : Bienheureux sont les Inendians d'esprit, car à eux appartient Ie royaume des cieux. Je sçay bien que la plug.. part des Peres qui interpretent ces paroles, disent Bien heu- reux sont les pauvres d' esprit; 111ais ces deux interpretations De sont neannloins pas contraires, parce que tous les pauvre. I o5. !\IaUh , v. t.t L'Ot\AYSON. 551 nt mendians , s'ils ne sont glorieux, et tous les mendians ont pauvres, s'ils ne sont avaricieux. l aut donc, pour bien faire orayson, que nous recon- nOISSlons que nous somn1es pauvres, et que nous nous humi- Iiions grandement : et comme nous voyons qu'un tireur d'ar- baleste, quand il veut décocher un grand trait, plus il veut lirer hant, et plus il tire la corde de son arc en bas, ainsi tau t-il que no us fassions, quand nous voulons que nostre priere aille jusques au ciel : il faut que nous nous approfon- (fissions fort par la connoissance de n05tre neant. David nous .advertit de Ie faire par ces parolles : Quand tu voudras faire -orayson, dit-iI, approfondis-toy tellement dans l'abysme de ton neant, que tu puisses par apres sans diflìculté décocher ton orayson comme une sagette jusques dans les cieux 1. Et ne voyons-nous pas que les grands princes, lorsqu'ils veulent faire monter une fontaine au plus haut de leur chas- teau, vont prendre la source de l'eau en quelque lieu fort haut, puis Ja conduisent par des tuyaux, en la faysant des- .cendre au bas comme iIs veulent qu'elle monte; car autre- ment l'eau ne monteroit jamais : et si vous leur delnandés omnlent iis l'ont fait monter, iIs VOliS diront que ç'a esté en la faysant descendre.. Tout de meSlne en est-il de l'oray- son; car si on demande comment elle peut monter au ciel , -Cll doit respondre , qu'elle y monte par Ia descente de l'hu- milité. L'Espouse au Cantique des Cantiques fait esmerveiller les Anges, etleurfaitdire par estonnernent 2 : Quæ est ista quæ 6scendit per desertum, sicut vÙ'gula fllnzi, ex aromatihUJ myrrhæ, et thu'ris, et univeJ'si pulvel'is jJigmentarii? Qui erl elle-cy qui vient du desert, et qui 1110nte comme une petit1 verge de fumée odoriferante, C01l1posée de Inyrrhe, d'encer , et de toute sorte de bonnes odeurs du parfumeur, et qui e::, appuyée sur son hien-aymé, innixa Slpel' dilectum suum 3,/ 1 Psal. CXXIX. - t Cant., III.. - S Cant., VIII. - 552 ERMON Parolles qui se peuvent tres-bien appliquer à l'anlc humble, et qui s'exerce en la vertu d'huluilité: car bien qu'elle soit tres-fructueuse en honnes æuvres, toutesfois Ie bas sentiment qu'elle a d'elle-mesme fait qu'elle ne les void point, ains croit tonsjours de ne rien faire, et Iny semble qu'elle est c.onlnle un desert sterile, où n'habitent les oyseaux, ny mesme les bestes sauvages, et qui n'a pointd'arbres fruitiers, parce qu'elle ne void en elle aucune vertu : et dantant que par cctte humilité l'ame s' esleve à Dieu, cela fait dire aux Anges : Qui est celle qui 1110nte du desert? Passons n1aintenant à l'esperance , qui est la seconde con. dition qu'il faut avoil' pour bien faire l'orayson. L'Espous( venant du desert monte comn1e un rejetton ou verge de fumée odoriferante, composée de la myrrhe. Cecy nous 1'e- presente l'esperance; car bien que la lllyrrhe jette une odenr fort suave, elle est pourtant tres-an1ere à gouster.. .A.insi quoy que l' esperance soit suave, parce qu' elle nous pro met f!e jouir un jour de ceque nous desirons, elle est aussi al11ere, lautant que nous ne S0l11111es pas encores en la possession de e que nous aynlons. I}encens est bien plus proprement Ie '::nlbole de l'esperance; car conlme l'encens ne peut, s'il :n'cst Illis sur Ie feu, jetteI' sa fumée en hant, ainsi faut-il que l' esperance , pour monter au ciel, soit Jnise sur Ie feu de la charité et bonté de Dieu, et qu'elle soit encores appuyée sur les merites de Jesus-Christ, qui est Ia troisien1e condition necessaire pour bien faire l'orayson; car autreillent ce ne seroit pas esperance, ains preso111ption.. Or quoy que l'esperance monte jusques à la porte dn cieI, elle n'y peut neanllloins entrer, dantant qu'elle est nne vertn to ute de Ia terre. Et camIlle rEsponse montant du desert est appuyée sur son bien -aYlné, aussi avons-nous dit que la troisien1e condition neccssaire pour hien fi1i: e l'orayson est, qu'iI nous faut cstre appuyés SUI' nostre Srigneur Jesus-Christ c uci1ìé, puisc!ue c est pur sa 1l10l't DE I..'ORAYSON. 553 que nQUS avons aecés au Pere eternel, que nous avons esté reconei1iés avec luy, et que nous obtenons ce que nous de- mandons à sa divine 1\lajesté. L'Espoux voulant Ioüer son Espouse, 11lY dit, qu'elle est comme un Iys entre les espines : Sicut lilium inter spinas, sic autica mea inte1 filias. Et elle par contr'eschange de loüange Ie compare à un pOlllll1ier 1 : Sieut n'lalus interligna sylvorunl J sie elileetus 1neus intel' filios.: mon bien-aymé, dit-elle, est entre les enfans des hommes comme un pOlnmier entre les haliers et les arbres des forests; il est toutchargé de feüilles, de fleurs, et de fruits. Je me reposeray à son olnhre, et recevray les fruits qui tomberont sur mon giron, je les mangeray, et les ayant maschés, je leg gousteray en mon gosier, où je les trouveray trcs-doux et tres-suaves; Sub UrnhJYl illius qllen desideravera'ln sedi, et fructus ejus dulcis gutturi rneo.. Iais quel est ce ponlmif'r dont parle l'Esponse, sinon la croix du Sauveur? et en quel verger le trouverons- nous? c'cst sans doute sur Ie nlont de Calvaire où son Espouse l'appelle, quand eUe dit : Que n10n hien-aynlé vienne en son jardin, Venial elileetus lnellS in !lottunt Slllln 2,. car c'est en ce ìien où cet arbre divin a esté planté, et où nous le devons chercher, pour nons nourrir de ses fruits, et nous tcnir SOliS son olnbre. l\lais queUes sont les feüilles de eel arbre? c'est l'esperance que nous avons de nostre salut, par le 1110yen Ùt la mort du Sauveur : srs fleurs sont Ies prieres qu'il faysoì pour nous à son Pere eterncl, et ses fruits sont Ies Inerite de sa mort et Passion. Dcmeurons done à l'ombre et au pieds de cét arbre, je veux dire de cette croix: rassüsions- \ nou de ses fruits, ct ll'cn partons point que nouS ne soyons tout détrenlpés du san3 qui en déconlc. Sainte Catherine de Siennc cut une fois un accés en 111e- ditant la Inort et P3.ssion de l1ostl'e Seigneur, oÌl illuy fut advis qu'elle estoit dedans un Lain, qui èstoit fait de son I Cant., 11. - :1 Cant., v. ."554- S1!RMON precieux sang; et quand elle fut revenüe à eIIe, elle vid que sa robe en estoit toute rougie.. Or rapportant cela à mon su- jet, je dis que nous ne devons point aller à l'orayson, que ce ne soit pour nous arronser de ce precieux sang; au n1oill " s'en faut-il arronser le matin à sa premiere priere. I S. Paul en l'Epistre anx Romains, chapitre XIII, escri.. vant à ses enfans spirituels , leur enjoignit, qu'ils se reves- tissent de nostre Seigneur Jesus-Christ, c'est à dire de son sang: Induimini Dominum Jesunz Cltristun'l 1. l\lais qu'est- ce qu'estre revestu de ce sang? Pour vons faire mieux en- tendre cecy, il faut que je me serve d'une comparaison. V ous verrés un homme revestu d'un habit d'escar1ate : l'ha1it est fait de laine, n1ais ce qui Iuy donne sa valeur, c'est qu'il est teint du sang d'un poisson appellé Escarlate. Or 111aintenant appliquant cela à nous, je dy qu'encol'es que nous soyons revestus de laine, c'est à dire, que nous fassions de honnes æuvres, entant qu'elles sont de nous, elles n'ont aucun prix ny valeur, si elles ne sont teintes dedans Ie sang de nostre Sauveur Jesus-Christ, Ie l11erite duquelles rend aggreables au Pere etcl'neI. Nalls lisons en Ia Genese, que lorsque Jacob I voulut avoir la henediction de son pere Isaac, sa mere Iuy fit apprester un chevreau à Ia saulce de la vcnaison , selon qu'Isaac l'ay- moit, et de plus Iuy fit mettre dans ses luains des gands de poil, à cause qu'Esaü, à qui appartenoit la benediction, estoit tout veIn; Inais outre cela, elle luy fit encore mettre la robbe parfumée destinée pour l'aisné de la maison, puis Ie Inena ainsi à son Inary, qui estoit aveugle; et Jacob de- 111andant la benediction à son pere, Isaac se print à Iuy tou- cher les mains, puis s' escria : Ah! que je suis en grande peine! la voix que j'cntends est la voix de mon fils Jacob, mais les mains que je touche sont les mains d'Esaü: Vo.z .f}uideln, vox Jacob est, sed rnanus, rnanus sunt Esaü. a Rom." XIII.. - t Gen." XXVII. 55 DE J OnAYSO . OJ leanmoins ayant senti sa robbe parfumée , il en recent tant 'e complay ance, nu'il dit : La honno odeur que jo sens lo:üne tant de suayité à mon odorat, qn'elle me contraint de lenner la henediction à lllon fils. Ainsi nous autres, ayanf appresté eet agneau sans n1acule, et l'ayant presenté au Pere eternel pour rassasier son goust, en luy demandant sa benediction, il nons dira semblableIl1ent, s'illlOUS treuve revestus de sa rohhe, ("est à dire de son sang: La voix que j' entens est Ia voix de Jacob, mais les mains, qui signifient nos æuvres, sont les D1ains d'Esaü; toutesfois, à canse de Ia suavité que j'ay à sentiI' la bonne odeur de Ia 1'obbe par- fumée de mon fils, je vons donne ma benediction: benedic. tion qui nous comblera de grace en ce monde, et DOUS fera parvenir à la gloire en l'autre. Amen. --->-- 556 SERMON AUTRE SER iON SUR L'ORA YSON t, POUVANT SE RAPPORTER AU VIe DIMANCHE APRES PASQUES. Orate sine 'l'ntermissione. I THESSAL., c.. V. Priés sans cesse. Nous avons monstré en l'exhortation precedente comme la fin de l'orayson doit estre l'union de nostre anle avec Dieu , et comme tous les hommes qui sont en la voye de saIut peuvent et doivent prier; mais il nous est demeuré une difficu1té, qui est, de sçavoir si les prieres des pecheurs sont exaucées; car nous voyons que l'aveugle né , duquel parle S. Jean au neuvieme chapitre de son Evangile, et que nostre Seigneur illumina, dit à ceux qui l'interrogeoient, que Dieu n' exauce point les pecheurs : Scimus, quia peccatores Deus non audit. l\lais laissons-Ie dire; car il parle encores comme aveugle.. II nous faut premierement entendre qu'il y a trois sortes de pecheurs, à sçavoir, les pecheurs Ílnpenitens, les pecheurs penilens, et les pecheurs justifiés. Or c'est nne chose asseu- rée, que les pecheurs ill1penitens ne sont point exaucés, dau- tant qu'ils veulent croupir et perseverer en leur peché, et leurs oraysons sont en abonlination devant Dieu, ainsi qu'il le fait entendre par son prophete Isaye. A ceux qui luy di soîent : NOllS avons jeusné et affiigé nos ames, et vous n nous avés point regardés : Jejunavimus. et non aspexisti,. t Fil1ellement recueilly par les Religieuses de la Visitation Saincte Marie d'Aunessy {Edit. de 1.641 eI. de i643}. , SUR I.. ORAYSON. 557 hurniliavimus anirnas nost1'as, et nescisti f,. Dieu respond, et leur dit : Vos jeusnes, vos prieres, vos affiictions et vos festes nle sont en aLonlination, dautant qu'avés vos mains ensangIantées : Calendas vestras, et solemnitates vestras odivit aninza mea, et Clan rnultiplicaveritis orationem, non exaudiam ,. manus vest-ræ plenæ sanguine sunt !. C' est done chose certaine, que les prieres du pecheur impenitent ne peuvent estre exaucées, et nul ne peut dire Jesus, sinon en la vertu du saint Esprit, ny appelJer Dieu Pere, qu'il ne soit adopté pour son Fils. Or Ie pecheur qui veut perseverer en son peché ne pent ôppeller Dieu Pere, ny prononcer Ie nom souverain de nostre Seigneur, puisqu'il n'a pas Ie saint Es- prit en luy, car il n'hahite point au cæur soüillé de peché ; nul ne peut aus i avoir accés Yers Ie Pere eterneI, ny estre exaucé de luy que par ]a vert.u et au nom de son Fils, comnle IUY-Inesme Ie dit en plusieurs IielJ.x de I'EvangiIe : l-lemo venit ad Patrem, nisi per lne. II est done certain que Ies prieres du pecheur impenitent ne sont point aggreables à Dien, et ne peuvent estre exaucées, puisqu'il veut perseverer ,en son peché.. Venons au pecheur penitent.. Certes, on luy fait tort d( l'appellel' pechenr; car il ne l'est plus, puisqu'il deteste desju son peché, et bien que Ie saint Esprit ne soit pas encore ell son cæur par residence, il y est neann10ins par assistance. IIé! qui est-ce à votre advis qui luy donne ce repentir d'avoÜ: offensé Dieu, sinon Ie saint Esprit, puisque nous ne sçau1'Ïons avoil' une bonne pensée pour nostre saint, s'il ne nous la donne '? Iais ce pauvre homme n'a-t'il rien fait de son costé '1 si a certes.. Considerés David: quand Dieu luy eut fait reco- gnoistre son iniquité, ô qu'il pouvoit bien dire: Vous m'avés l'egardé, Seigneur, Iorsquc j'estois dans Ia fondriere de mon peché; vous rn'avés ouvert Ie cæul', et jc ne ray pas refermé; vous In'avés tiré, et je me suis laissé aller j vous m'avés 1 Isaïe, L VBI. - 2 lsaie, I. 558 SER!tION poussé, et je n'ay !)as reculé; YOUS In'avés fait voir la gran- deur de mon crime, et je l'ay detesté. Je pourrois prouver par plusieurs exemples de l'Escriture, que les prieres des pecheurs penitens sont aggreables à Dieu, et qu'illes exauce; mais je me contenteray maintenant de vous rapporter celIe du publicain, lequel 1110nta au ten1ple pecheur, et en sortit justifié, par Ie merite de l'hunlble priere qu'il fit : ce qui nous fait voir que les prieres des pecheurs penitens sont exaucées de Dieu.. Parlons maintenant de Ia matiere de l'orayson et de son objet. II faut premierement sçavoir que la matiere de l'oray- son est de demander à Dieu les biens qui nous sont neces- saires: or ces biens sont de deux sortes, à sçavoir les biens spiritueIs et les biens temporels.. I 'Espouse au Cantique des Cantiques, voulant loñer son bien-aymé, luy disoit qu'il avoit les levres blanches comIne un I ys qui distille la n1yrrhe : Lahia ej'lls lilia distillantia myn?ham p'f'ima'ln 1,.. et son Espoux Iuy dit en contr'eschange que ses Ievres sont con1me des rais de miel distillant, et qu'elle a Ie n1Ïel et Ie laict so us sa langue: Favus distillans laóia tua sjJonsa, mel et lac suó lingua tua 2. Je sçay bien que l'on interprete ces parolles en ce sens., sçavoir est, que les predicateurs preschant au peuple la parolle de Dieu, ont Ie miel dessus la langue, et parI ant à Dieu par les prieres qu'ils luy font pour Ie peuple, ils ont Ie laict dessons Ia langue : et encore en cette façon, que Ies predicateurs par- lant de l'humanité de nostre Seigneur unie à la divinité J ils ont Ie rniel dessous la langue. Plusieurs se trompent grandement, en ce qu'ils pensenf que Ie miel soit fait seulement du sue des fleurs : Ie miel est une liqueur qui descend du ciel parmi la rosée, Iaquelle tombant dessus les fleurs, prend Ie goust d'icelles, COlnme follt tous les vaisseaux dans lesquels on met quelque liqueur. I Cant., V. - 2 Ibid." IV.. SUR L'ORAYSON.. 5ä qui en prennent tousjours quelque sorte de gonst. C'est done tres à propos que Ie miel, comme une liqueur celeste, repre- sente les perfections di vines, ou la divinité de nostre Sei O'neur . ü , qUI est descenduë du ciel; et Ie laict, qui vient de la terre, represente sa tres-sainte humanité. Ou bien on peut encore dire qu'ils ont Ie laict dessous la langue, lorsqu'ils preschent les vertus de douceur, de mansuetude et de misericorde de nostre Seigneur, en tant qu'homn1e.. Or appliquant ces parolles de l'Espoux à nostre orayson, suivant ce que no us avons dit, qu'il y a deuxsortes de biens que nons pouvons demander à Dieu, je diray que les biens spirituels sont signifiés par Ie miel, et les biens temporels par Ie laict. l\Iais il faut encore sçavoir, qu'entre les biens spirituels il yen a de deux sortes, les uns qui sont necessaires pour nostre salut, et les autres qui ne Ie sont pas. Quant à ceux qui sont necessaires pour nostre salut, nous les devons demander à Dieu absolument et sans condition, dautant. qu'il nous les veut donneI'.. 1\Iais les autres biens, quoy que spirituels, qui ne sont pas necessaires pour nostre salut.. nous ne les devons jamais delnander que S011S les ruesDlcs conditions que les biens ten1porels, sçavoir est, si c'est la volonté de Dieu, et si c'est pour sa plus gran de gloire; et. sans ces conditions, nostre orayson est imparfaitte.. Or ces biens spirituels necessaires pour nostre salut, signi. fiés par Ie miel que l'Espouse a dessous la langue, sont II foy, l' esperance et la charité, et les autres vertus qui aCCOln- pagnent celles-Ià.. Les autres biens spiritue s, qui De sont point necessaires à nostre salut, sont les lumleres, douceurs, consolations et semblables biens, que Dieu donne quelqucs- fois à ceux ui Ie servent, lesquelz nous ne luy devons ja- mais demander que sous condition, parce tju'ils ne sont au- cunement necessaires pour nostre salut.. II y en a aussi qui pensent que, s'ils avoient e don de sa- pience, ils el'oient bien plus capables cl' aymer llieu j en quoy 560 F.RMO .certes ilz se trompent granden1ent, car cela n'est pas, comme 'Vous pourrés voir par ce qui arriva à un Religieux de saint I rançois, qui s'en alIa un jour treuver S. Bonaventure, et uy dit: 0 que vous estes heureux, mon pere, d'estre si sça- unt, dautant que vous pouvés beaucoup plus ayn1er Dieu, Jue nons autres qui somn1es ignorans! A quoy S. Bonaven- l.ure respond it, que la science n' estoit point requise pour ay- d1er Dieu, et qu'une simple felllll1e Ie pouvoit autant ou plus aymer que luy, et que les plus grands docteurs du n1onde, et que Ia science n'estoit point necessaire pour avoir l'amo r. <-:; Iais qui ne void encore la tromperie de ceux qui sont tous- , jours apres leurs peres spirituels, pour se plaindre de quoy ils n'ont point de consolations en leurs oraysons'? IIé! ne voyés-vous pas que si vous en aviés, vons ne pourriés escha- per la vaine gloire, et ne pourriés empescher qne vostre amour propre ne s'y cOlnplust, en 50rte que vous vous an1U- seriés plus aux dons qn'au donateuI''? C'est donc une grande n1Ïsericorde que Dieu vous fait, de ne vous en point donner, et ne faut pas perdre courage pour cela, puisque la perfection ne consiste pas à avail" des consolations en l' ora yson, ains à avoir nostre volonté unie à celle de Dieu, et c'est ce que nous devons demander à sa divine majesté sans condition.. Tobie estant desja vieil, et voulant donner ordre à ses af- faires, command a à son fils de s' en aller en Ragés , pour re- tirér quelque argent qui Iuy estoit den; et pour ce faire plus facilement, illuy bailla une cedule, par laquelle on ne lay pouvoit refuser son argent.. Ainsi faut-il que nous fassÌons"} 1uand nous voulons dell1ander au l ere eternel son paradis, l.'agrandisselnentde nostre foy et son anlour.. Toutes Iesquel1es (-hoses il nous veut donner, pourveu que nous portions une dulc de la part de son Fils, c'est à dire que no us Iuy de- InandioÌ1s au nonl et par les merites de nostre Seigneur, Ie quel nous a bien monstré l'ordre qu'il no us faut tenir en nos dell1andes, en nous ordonnant de dire le Pater l où eUes sont SUR L'ORAYSON. 561 10lltes comprises en ces parolles : Sanctificetlll nomen tuum: adveniat regnum tuum: fiat voluntas tua 1 (que vostre nom so it sanctifié; que vostre royaume nous advienne; qne vostre volonté soit faite). Iais remLlrqués qu'il nons ordonne de demander premie- rement que son nom soit sanctifié, c'est à dire, qu'il soit re- connu et adoré par tons les hOlnmes. Apres quoy , nous de.- mandons ce qui nous est plus necessaire, à sçavoir, que son royaume nous ad vienne, et que nons puissions estre des ha- bitans du ciel , et puis que sa volonté soit faite. Et apres ces trois demandes, nous adjoustons : Panern nostrum quotidia- num da nobis Ilodie: Donnés-nous aujourd'huy nostre pain quotidien.. II dit : Donnés-nous nostre l}ain, parce que des- sons ce nom de pain sont compris tOllS les biens tenlporels : or pour ceux-Ià, nons devons estre grallden1ent sabres à les demander, et devrions beau coup craindre en les demandant, parce que nous ne sçavons pas si nostre Seigneur ne nous les donnera point en son ire et en son courroux. C' est pour- quay ceux qui prient avec perfection delIlandent fort pen de ces biens, ains demeurent devant Dieu COlnlne des cnfans de- vant leur pere, mettant en luy toute leur confiance, on bien comme des serviteurs fideles qui servent bien leur maistre ; ar ilz ne vont pas demandant tous les jours leur nourriturc J mais leurs services demandent assés pour eUK. Et voilà pour ce qui est de la matiere de l'orayson.. Les anciens Peres qui ont traitté de l'orayson, disent qu'il y en a de trois sortes : à sçavoir, l'ol'ayson v tale, l'otayson n1enlalc, et l'orayson vocale. Parlons pren11ercmcnt de la vitale, puis no us dirons quelque chose de la vocate et men- tale. Toutcs les actions de ceux qui vivenl en ]a crainte de Dieu sont de continuelles prieres, el tout ce qu'ilz font se l)cul ap- peller orayson vitale. Et pourvous e pliclucr eela, les Evan- , s. Matth" VI.. IV. 36 6 SERMON gelistes remarquent que S. Jean-Baptiste estant dans Ie desert, ne mangeoit que des locustes t sautel'eUes, ou deß cigales, et qu'il ne mangeoit point de raisins, ny ne beuvoit point de cervoise, ny chose auc.une qui pust enyvrer.. l\lais 1110n dessein n'est pas de m'arrester sur tout eela, ains seule- Inent sur ce qu'il est dit qu'il ne mangeoit que des locustes on c.igales. I...'on ne sçait si les cigales sont celestes ou ter- restres, dantant qu'elles vont continuellernent s'eslançant du costé du ciel, ne tourhant la terre que fort peu, et ne se nourrissent que de la rosée qui tOlube du ciel , et vont tous- jours chantant , et leur chant n'est autre chose qu'un reten- ti scment on gazoüillement qui se fait dans leurs infestins.. C'est donc tres à propos qu'il est dit que Ie bienheureux S.. Jean se nourrissoit de cigales, puisflu'il estoit Iny-n1esme une cigale mystique, et son orayson estoit si continuelle, (lu'on ne sçavoit s'il estoit celeste ou terrestre : car si bien aucune fois il touchoit la terre pour prendre ses necessités) soudain il se relançoit du costé du ciel, où il avoit logé son coour et ses affections, se Ilourrissant plus de viandes celestes que terrestres.. II chantoit aussi presque continuellement les loüanges de Dieu; ce qu'il tesmoigne IUY-lnesme, disant qu'il n'estoit qu'une voix: bref, sa vie et toutes ses actions estoient nue continuelle priere.. De 111esme peu t-on dire que ceux qui ont tousjours leur intention dressée à Dieu, qui donnent l'au- 1110Sne, qui visitent les prisonniers on les malades, et qui s'exercent en telles et semblables })onnes æuvres, font oray- son, ct ces bonnes actions deluandent à Dieu recompense, et se peuvent appeller orayson vitale.. Pal'lons maintenant de l'orayson vocale, et disons que ce 11' est pas faire orayson que de n1armoter quelque chose entre ses levres, si l'attention du cæur n'y est jr)inte; car pour parler à Dieu, il faut premierement avoir conceu en son in- tention ce qu'on Iuy veut dire. II y a deux '30rtes de parolles, la vocale et l'interieure : or c'est la vociJle, Ia1luelle fait en- SUR T"'ORAygO . 563 tendre ce que l'interieure a premierement coneen et dit et In1Ïsque la priere n'est autre chose que parler à Dieu iÌ est eerta n que de Ie faire ns estre attentif à Iuy, et à ee' qu'on Iuy dlt, est une chose C}ulluy est fort desaggreable : et quand nons Ie faysons, nous commettons Hue grande inci\'ilité, et ressenlblons en cela aux perroquets, qui parlent sans sçavoir ce qu'ils disent. Un saint personnage raconte qa'une fois l'on avoH appris à l'un de ces oyseaux à dire l'Ave Maria, lequel apres g'estant eschappé, et pris Ie vol, il y ent un esprevier qui vint fondre sur Iny, et Ie perroquet se prenant à dire rAve 1J/aria, l'es- l)revier le laissa aller.. Or ce n'est pas à. dire que Dieu exauça Ie perroquet; non, car il est incapable de prier, c'est un oy- sean immonde; aussi n'estoit-il pas hon pour ]es sacrifices: D1ais il permit peut-estre que cela arrivast de la orte, pour fl10nstrer combien cetle orayson Iuy estoit aggreahle. Quoy qu'il en soit, c'est neanmoins chose ccrtaine que les prieres dc' ceux qui, comme des perroquets, prient sans attention on intention, :;ont en abomination dcvant Dieu, qui regarde plus au cæur et à l'illtention de celuy qui prie, que non pas aux parolles qu'il dit. Mais avant que passer outre, il est bon que nous s achions (Iue les oraysons vocales sont de trois sortes : les nnes qui nons sont cornmandées) le autres recolnmandées, et les autres de bonnf' volonté. Celles qui nous sont COIlHnandées , el qu'il ne faut jUlnais OblneUl'e, est Ie Patel' et Ie C1'edo, (lue nous devons dire tous les jours : ce que nostre Seigneur lllesme nous fait entendre, quand il nous fait dire : Donnés- nons aujourd'hny noslre pain quotidien; car cela nOllS lnonstre qu'iì nons Ie fant denlandcr tons les jours, c'est it iIire ( I U'il faut prier tons les jours. Et si vous rnc clites llue , d ' YÜ!.IS n'a,'és pas pl'ié aujourd'buy , jc vous nay que vous l'egsemb]és 3UX bcstes, ct que vous n'avés pas fait vostrc dr- 'voir. Lf1/; (>l'ieres qui nous sont encores comlnanòf cs sout ... 564 SEl1l\lON les offices à nous flntr s quì SOD1mes ù'Eglisc, et si nous en laissons à dire quelqnc 110t.able partie, nous pechons. Cclles qni sont seulement recon1n1andées sont les Pater c1u Rosaire, et semblables, qui sont oròonnées pour gagner les indul- gences, et laissant à Jps dire, nous TIP pechons pas: 111ais nostre bonne mere J'Eglise, pour monstrer qll'elle desire que nous les disions, òonne des índulgences à ceux qui les reciten!.. Celles qui sont de bODlJe yolonté sont toutes celles qu'on fait outre celles que nous ,Tenons de dire, et quoy qu'elles soirut bonnes, cellps qui sont recomn1andées sont heaucoup meilleurcs, parce que ]a sainte vertu de la souplesse yentre- vient; car c'est COllln1e si nous disions : Nostre bonne Inere l'Eg1ise me recomman(]e ces prieres, et hien qu'elle ne me les conJmande pas, je suis neanmoins bien aise de les dire pour la contenter, et ccJa cst tres-bon. l\Iais les prÎcl'cs qui sont. de commanderuent sont d'un prix tout autre) à cause de l'ohcyssance qui y est attachée, et c'es! sans doute qu'iJ y a allssi plus de charité. Or entre ces prieres, les unes sont COlllll1UneS, et les autres particulieres. Les communes sont les nH'sses, offices, et les prieres qui se font en ten1S de cahllnité. 0 que nous y devrions venir avec une gran de reverence, et tout au b ement preparés que pour les prieres particulicres) parce qu'és prieres particulieres nous ne traittons avec Dien que de nos afIaires, on si nOllS prions pour l'Eglise, nous Ie faysons par charité; ll1ais en ces prieres commnncs, nous parlons pour tous en general! S.. Augustin raconte, (lu'estant encore l\lanicheen, il el1tra un jour dans une cg]jse, OÙ S. Alnbroise faysoit chanter l'office alternativclnent de chæur en chæur, comme l'on fait ll1aintcnant; de quoy il fut tellelnent ravy et hors de soy) de voir l'ordre et ]a reverence qu'on y gardoit, qu'il Ii pensoit estre en paradIs; ct plusieurs saints assenrent, que 5ouventcsfois ils ont ,"Cll venir les Anges en grande troupe, , SUR L onA YSON. 5ü5 pour assister à ces divins offìces. A ve qnelle attention et , d . re erence n y evrlons-nous done pas assiRter nons autres, plllsque les Anges y sont presrns) ct ('epetent Ià haut en I'Eglise trionlphante ce que nous disolls ça bas en la n1Ïli- tante? Iais peut-estre dirons-nous, que si nous avions veu une fois les Anges assister à nos offices, nous y assisterions apres avec plus d'af.tention et revcrence. 0 certes, pardonnés- moy, il n'en seroit ricn; quand hien IHP tnC nons aurions esté ravis avec S. Paul jusques au Ll'oisi,Jine cieI, voire si nous avions demeuré trente ans en paradis, si la foy ne nous Ie fait faire, cela y serviroit fort pen. Et pour vous Ie mons- Irer, je VOllS d.iray une chose que j'ay souventesfois pesée et considerée, qui est que S.. Jacques et S. Pierre, apres avoir delueuré trois ans avec nostre Seigneur, et vu la gJoire de sa transfiguration sur la montagne de Tllubor, De lais- serent pas pourtant de Ie quiUèr -et abandonner en sa nlort et Passion. Or il est vray que nous ne devons jamais assister, ny venir à ces offices, principalement nous autres qui les disoDs au chæur, que nous n f1ssions des actes de contrition, en demandant l'assistancc du saint Esprit avant que de les com- mencer, nous estimant hienheureux de faire çà has en terre ce que DOUS ferons eterneIlement au ci l.. II me faut nlaintenant declarer la division qu'il y a en l'orayson tant menfale flue vocaJe ; et nlonslrer COlnme nous alIoDs à Dieu en deux façons pour Ie prier, suivant ce que nons enseiO"ne et ordonne nostre sainte luere l'Eglis ; car elle nons fait qllelquefois prier Dien immediate ent, et d'autres fois ll1ediatement : comme quantI nous dlsons les 311tiennes de nostre Dalnc, Ie Salve Re.qina, et les autres antiennes qui s'addressent aux Saints.. Or ql1and nous prion Dieu immediatement, nons exerçons la saillte confiance qUi cst fondée sur la foy, l'esperancc et 1a clmrité; Inais quand nOllS prions Dieu mediatement, et par l'entl'emise de quel- 566 srn'Jo que autre, DOUS prsttiquons la ailltc hUll1ilité, qui provient de la cODnoissance de nous-mesmes. Quand nous allons immediatement à . Dieu , nous prob s- tons de sa honté et de sa misericorde , en laquelle nous Inet- tons tonte con fiance ; mais quand nous prions mediatcment, et que nous implorons l'assistance de nostre Danle et des Saints, afin d'cstre mieux reCèUS de sa divine Iajesté, alors nous proteslons que DOUS recollnoissolls sa grandeur illfinie, sa toute-puissance, et la reverence que nous Iuy devons porter : et c'cst Ie sujet pour lequel nostre Lonue n1ere l'Eglise nous m<.\rque toutes les postures qu'elle vent (lue nons tenions pn Jisant l'offico; car tantost rUe nous veut debont, ct puis assis, on à genoux, tantost converts, puj tlcscouverts, et toutes ces façons et postures ne sont autre chose que priercs. troutes les ccrcnlonips de la sainte Eglise sont plrines de tres-grands mysterps, ct Ies ames qui sont humbles, sill1:ples et devotes, ont unp grande consolation à les voir. )Iais que pcnsés-vous, mes chcres eurs, je vous prie, que signifie Ie rameau flue nous portons aujourd'huy en n08 n1aÍns'1 certes, ricn autrp, sinon que nous dcnlandons it Dien qu'il nous rende victorieux ùe nos eonenlis par Ie J11uyen de fa. virtoire quP nostre Srigncnr renIporta par Si' DIort sur l'arbrc de la croix.. Et pour He pas sortir de mOll sujct, je dy que quand nous sommes aux offices, il faut que nous observions de nollS tcnir en Ia. posture qui nOH5 cst Inarquée .lalls nos lnesseIs) et cela avec Ie plus de soin qu'il DOUS cst possible. )fais en nos oraysons particulieres, queUe reverence y llcvons-nous garder'/ 0 certes, eUe doH estre tres-grallde , puisque nOllS :-;Ûlllnles touRjours devant Dieu, Lien lju'aux comn1unes nous y devions avoir un soin plus special, à cause de l'edification tIu prochain, et il est certain que Ia reve- rence exlcl'ieurc apporte beaucoup à l'lntel'ieure. Nous avons s,'n T 'On \V50S.. 567 p1usieurs '3:cmptes des Saints sur ce sujet. E coutés S. Paul n l'Epistre aux Ephesiens : Flecto genua ad PatrC1n Domini lostri estl Clln'sti t : .1 · plie , dit-il, Ie:; genoux vel'S Ie Pcre de no tr(\ Spigneur Jpsns-Christ. Et ne voyés-vous pas que nostre Seign(\ur ml'sme priant son Pcrc eternel, se proster- noit la face (\n terre, nous monslrant avec queUe reverence nous dpvons nous tcnir devant Dieu '1 I..e grand S. Paul, premier bermite, denleura plusieurs dizaines c]'allnées dans Ie desert, et S. Antoine l'estant une fois allé voir, Ie treuva à genoux, les yrux cslcvés au ciel, qui faysoit oray on; apr s laquelle illuy parla, pui se retira; t rf1 tant venu r }voir pour Ia 8cconde foi , il Ie treuva .'nrOn" en Ia. mp me posture qu'il avoit fait 1a pren1Ïere , la. teste Ie, ée , le ycux banués contre Ie ciel , les Illains jointes, t p1anté sur deux t: enoux. S. \ntoinc croyant qu'il fust en orayson, apres avoir IongtcmsaUcntlu, voyant qu'il ne l'en- tendo it point sot1spircr ('om me il avoit accoustunlé, illeva les yeux, e Ie regardant à la face, il treuva qu'il cstoit mort, ct s }mhloit que son corps, llui avoit tant prié pendant vip, prioit enCOl'" dprcs sa nlort. Ezechias pari ant de l'at- . tention qu'il faY80it à la priere , dit que toutc sa face prioit, {Iue scs y }UX cstoicnt telJ )nlcnt aUentif:; à regarder Dieu , qu'il en avûit 1a vcuë tOllte attenuée, et sa bouchc bàillante comme un oy }lct (!ui dtend quP sa mere Ie yienne rassasier : Attenuati sunt oculi m"i as licicntes in excelsuln '. Iais n tout cas, la posture qui nons apporte plus d'attention est ]a meilleure.. Oüy mesme la posture d'estre gisant est bonne, ct semble que d'ellc-mesll1c cUe prie. Et ne voyés-vous pas le saint honlnle Job courhé sur son fun1Ïer, faire une Pl"iere si excellente, qu'il merite que Dieu l'escoute? Parlons main tenant de l'orayson mentale, et pour l'ex- pliquer, je vous Inonstreray comme en l'ame i1 y a quatre estages, par la compara)"son du temple de Salomon. En ce S Ephes., w. - t lsa1eJ xnVIU. 56 SERMON temple, it y avoit premieren1ent un porche, leql1el estoit destiné pour les gentils, afin que personne ne pust s' excuser d'y venir adorer Dieu, et e'est en quoy ce temple estoit plus aggreable à sa divine 1\lajesté, dautant qu'il n'y avoit nulle sorte de nations qui ne pust venir l'adorer en ce lieu. Le second estage estoit destiné pour les J uirs, tant hommes que femmes, bien que par apres on fìt une separation, pour eviter les scan dales qui pouvoient arrive I" d'eslre ainsi meslés. Apres cela, allant tousjours en remontant, il y avoit une autre place pour les prestres ; et puis, en fin finale, l' estage destiné pour les cherubins , où reposoit l'arche d'alliance, et là où Dieu n1anifestoit ses volontés, qui s'appelloit Ie Sancta Sanetorum.. Et rapportant ceIa à nous, je dy qu'en nos anles il y a un pren1ier estage, lequel est une connoissance gros- siere que nous avons par Ie moyen des sens, comme par nos yeux nous connoissons que cela est noir, rouge ou jaune. Mais apres it y a un autre degré ou estage qui est desja un peu plus haut, une connoissance que nous avons par Ie moyen de la rays on , et de Ia consideration que nous faysons sur les choses : comme, par exemple, un homme qui aura esté maltraitté en un lieu, cherchera par Ie moyen de la conside- ration comme il pourra faire pour n' y pas retourner.. Le troÎ- sieme estage, beaucoup plus relevé que les autres, est celuy _ où reside la connoissance que nous avons de la foy par une lumiere surnaturelle. Et Ie quatrieme, qui est Ie Sancia Sanctol urn, est la fine pointe de l'anle où se font les acquies- cemens, et que nous appellons esprit; et pourveu que cette fine pointe regarde tousjours à Dieu, nous ne nous devons pas troubler, ny Juettre en peine.. Les navires qui sont sur Ia mer ont tous une esguille ma- rine, laquel1e estant touchée de l'aymant regarde tousjours l'estoile polaire, et encore que la barque 8'en aille du costé du midy,l'esguillemarine nelaisse pas pourtantderegarder tousiours son nord.. Ainsi il semble quelquesfois que !'ame SUR J..'ORAYSON. 569 s'en aBle du costé du midy, tant elle est agitée de distrac- tions, et neanmoins la fine pointe de l' esprit regarde toug.. jours àDieu, qui est son nord.. Lesames qui sont plus avancées en la perfection experimentent quelquesfois de si grandes tentations, mesme sur la foy, qu 'illeur semble que toute l'ame y consente en si grand trouble elle est, n'y ayant que cette fine pointe de l'esprit qui resiste, et c'est cette partie de l'ame qui fait l'orayson mentale; car bien que toutes les autres puissances et facultés de l'alne soient relnplies de dis- tractions, si elles ne sont volontaires t cette fine pointe de l'esprit ne laisse d'estre unie à Dieu.. Or en l'orayson meiltale il y a quatre parties, dont la pre- miere est la meditation, la seconde Ia contelnpJation, la troi- sieme les eslancemens, et Ia quatrieme Ia simple presence de Dieu. Quant à la premiere, qui se fait par voye de meditation, elle se fait de ceUe sorte : Nous prenol1s un mystere, par exemple, nostre Seigneur crucifié, puis nous l'estant ainsi representé, nous considerons les ve.rtus qu'il a pratiquées t et comme l'amour qu'il nous a porté , et l'obeyssance qu'il a renduë à son Pere eternel, luy a fait souffrir la mort de la croix, plustost que de luy desplaire, ou pour mieux dire, afin de Iuy complaire puis nous considerons par Ie menu sa grande douceur, son humilité, et la patience avec laquelle il souffrit tant et tant d'injures, de tourmens et d'ignominies; et enfin sa grande charité à l'endroit de ceux qui Ie mirent à mort, priant pour eux parmi ses plus grandes douleurs. Et ayant consideré toutes ces choses, nous venons à avoir nostre affection esmeuë d'un ardent desir de l'imiter en ses vertus, puis nous passons à prier Ie Pere eternel qu'il nous rende conformes à son Fils.. Et pour mieux entendre cecy , l'on peut dire que la medi. tation se fait comme les abeilles font et cueillent Ie miel j car eUes le vont cueillant de la rosée qui descend du ciel 570 SEßl\fON dessus Ies ßears, tirant un pen Je sue des mesmes fleurs qu'elles convertissent en miel, puie Ie portent dans leurs ruches. Ainsi nons allons picorant par la meditation sur les actions de nostre Seigneur, lesconsiderant l'une apres l'autre, pour en composer le miel de saintes verbIS, et en tirer l'affection d'une sainte imitation. Dieu à la creation du monde medita; car ne voyés-vous pas qu'apres qu'il eut creé Ie ciel, il dit qu'il estoit bon '1 et tout de mesme fit-il apres avoir creé Ia terre, les animaux, et puis enfin l'homme : il treuva tout bon, les regardant piece à piece; mais apres, voyant tout ce qu'i1 avoit fait ensemble, i1 dit que tout estoit tres-bon : Et erant valde bona .. L'Espouse au Cantique des Cantiques t, apres avoir loüé le chef, les yeux , les levres de son bien-aymé, bref tous ses membres run apres l'autre, dit enfin, par une sainte com- pIaysance : 0 que mon bien-aymé est beau! ô quejel'ayme! il est mon tres-cber; pour nous monstrer qu'elle avoit passé de la meditation à la contemplation.. Ainsi voyons - nous souvent, qu'à force de considerer combien Dieu est bon, mystere apres mystere, nous venons à faire comme les cor- dons des bateaux, lesquelz, ql1and on rame fortement, s'eschautIent tellement, que si on ne les mouilloit, Ie feu s'yprendroit. Ainsi nos ames viennent tellement à s' eschauffer et embraser par Ia meditation en l'amour de celuy qu'eHes reconnoissent estre tant ayn1able, que pour recevoir quelque raffraischissement en l'ardeur des affections que la medita- tion allume en leur volonté et dans leur creur, elles viennent apres à Ie regarder en la contemplation, et à se complaire de voir en celuy qu'elles ont consideré , tant de beauté et de bonté.. L'Espoux au mesme lieu du Cantique, dit ces parolles qui nous representent merveilleusement bien la differen( , I Gen., I. - t Q\nt.,IV. SGß I.' OIP. ,-!-:o;'{. 57 f qu'il Y 3 entre la meditation et la contemplation: J'ay cueilly ma myrrhe ð,vec mes parfums, j'ay mangé mOD miel avec lllon bornal, et j' ay beu mon ,-in avec mon laict; mangés, ffiQS alnis, hellvés et enyvrés-vous, mes tres-chers : LJlessui 'rnyr'l'ham 'lneam Cll'ln aromatibllS mcz's, comedi favum cum 'nell meo, hihi vinunt ClilU lacte meo,. comedite, arnici, It hihite, et inehriamini, cha'rissÙni t.. Ces parolIes nous repre- sentent tres-bien les mysteres que nous alIons celebrer ces jours suivan$ de J.a passion, resurrection, et ascension de Dostre Seigneur, lonH!u'il dit : J'ay cueilly ma myrrhe ave(' mes parfun1s J .Jlessui nzyrrham Cllnl aromatihus rneis,. ce fut en sa mort et passion, lorsqu'il offrit ce sacrifice sang]ant de luy-mesme à SOIl Pere f\ternel en odeur de suavité. Et quand il dit : J'ay mangé mon nliel avec mOll borna!., Comedi favum Clll11 Jlze/le meo, ce fut Iorsqu'il reünit 5a tres-sainte ame avec son corps en sa glorieuse resurrection. Et qual1d il dit : J'ay beu mOD yin avec Juon Iaict, Biói vi- nunz curn lacte meo, par Ie vin iI nous represente la joye de sa triomphante ascension, et par Ie Iaict, Ia douceur de sa tres-sainte conversation pendant les quarante jours qu'il demeura sur la terre apres sa resurrection, visitant ses Apostres, leur faysant toucher ses playes, et mangeant avec eux.. !\Iais quand il dit : Iangés, roes amis, Comcdite, amici, il veut dire, Inedités et considerés ces mysteres.. Vous s avés que pour rClldre la viande capable d'eslre avalée, il la faut premierenlent Dlascher et amenuiser avec les dents, et la jelter tantost d'un costé de la bouche, et tantost de l'autre : ainsi faut-il que nous fassions des mysteres de la foy pour les comprendre ; car il faut que nous les maschions et roulions plusieurs fois dans nostre entendement par Ia meditation, afin d'eschaufler nostre volonté en l'amonr de Dieu, avant que de passer à la contemplation.. C'est pour.. quoy, apres ces pal'olles: Iangés, mes amis, Conledite I I Cant., v 572 SnnT() al1.tici, il dit ensuite : BCllyéS ct enyvrés-vous, IDes tres- chers, Et hihite, etinebriamini. cllal'issimi.. Or \TOllS n'ignorés pas qu'on n'a pas accoustumé (Ie mascher Ie vin, ainsl'on ne fait que l'avaler sans peine ny dillicu1té ; ce qui nous repre- sente Ia contemplation, Jaqnclle se fait non avec peine, comme la meditation, ains avp.c plaisir, facilité et .,uavité. Voicy done ee que Ie divin Espoux veut dire à son Espouse, s'entend à l'ame devote: Vous avés assés n1edité- et cOl1sideré que je suis bon, regardés-moy maintenant, et vous delectés à voir que je Ie suis.. L'on rapporte en Ja vie de S. François, qu'il pass a une fois tonte une nuit à dire ecs paroles: V ous esles mon tout; ce qu'il disoit estant en contcluplation, comme voulant dire: Je vons ay consideré piece à piece, mon Dieu, et j'ay treuvé que VOllS estiés tres-ayn}ah]e; main tenant done je vous regarde, et voy que vous eslps mOll tout.. S. Bruno se con- tentoit de dire à nostrc Sej neul' : 0 bonté ! Et S. Augustin disoit : 0 heauté ancienne ct nouvelle, vous estcs ancienne , paree que vous estrs eterncIle; 11lais vous estes nouvelle, parce que vous apportés une nou yelle suavité à mon ereur : et toutes ees parolles estoient des parolles de contenlplation. Venons à Ia troisieme partie de l' orayson mentale, qui se fait par des eslaneemens d'esprit en Dieu. Certes, pour celle-cy, personne ne s'en pent excuser, parce qu'elle se peut faire allant et venant, et vaquant à ses occupations.. V ous me dirés que VOllS n'avés pas Ie te111S de fuire deux ou troi heures d'orayson; qui VOllS en parle'! recon1mandés-vous à Dieu Ie matin, ofTrés-luy tout vostre estre, protestés que v us ne voulés point l' offenseI', et puis vous en al1és où vostre devoir VOllS appelle : mais resolvés-vous pourtant de faire Ie long de la journée plusieurs eslevations d'esprit, voire lnesme parmi les compagnics.. Et qui vous empeschera de parler à Dieu au fond de vostre cæur, puisqu'il n'importe pas de luy parler mentalemcnt on vocalement? Dites-Iuy SUR r.'on ,.so .. 573 don(' des parolJes conrtps, h a1:-; fervcntcs. Celle que disoit S. François est exccllente, Lipll ({l!(1 ce soit une parolle de contemplation. II est vray qu P (Ie dire à Dieu : Vous estes mon tout, et vouloir que1qnr autre chose que Iuy, cela ne eroit pas bien, parce qu'il faut 4{Ue les parolles soient con- fornlcs au sentiment du C(PUI'; nwis de dire à Dieu : Je vous ayn1e de tout mOil cæur, (I ('01't"' que nous n'ayons pas un grand sentiment d'amou r PH la partie infericure, nous ne devons pas laisser de Ie din., p_t (t:) que nous YOldons et avons un grand desir de l'ayn1cr en la partie superieure de nostre ame.. Or un bon ll10ycn pour nOll: 1(.cousturner à faire ces eslan- cemens, est de prendre Ip }J(//I>1' de suite, en prenant une sentenre à chaque fois. }'ar t . ,'n}plc, si VOllS avés pris an commencement de vostre jt)u '(I Cl"S parollcs : Patcl' noster qui es in cælis, vous din'ls fa \1 (>n1Ïcre fois : 1\lon Pere qui estes au ciel, si vous cst."s nlon . 'ere, quand seray-je parfait- temcnt votre fille'? et ddn "'Iuart d'heure apres, vous dirés : 0 mon Dieu ! que" ost nom so it sanctifié par toutes les creatures. Quelque terns t' : Que vostre volonté soit faite en la terre comme HU Cl' f.tites-moy la grace, ô mon Dieu! que je l'acconlplIsse I .i()nrs en toules choses.. Et ainsi vous irés continuant f fuurl d'heure à autre vostre orayson, poursuivant Ie Palt on repetant, si vous voulés J les mesmes parolles.. Les saints Peres qui yi VOii ,... faits Religieux estoient si eslancemcns d'esprit en Dit quand on aUoit au descl t p' qui disoit : V ous estes, Ô I l'autre disoit: QuanJ sera, l'autre disoit: DCllS, in ad) venés à mon aide). EntIn) t de la diversité de leurs Yoi all desert, ces anciens et pal'- l l1X òe faire ces oraysons et rr 'Ie S.. Hierosme raconte que) .s visiter, l'on entendoit l'un Bieu! tout ce que je desire; 'out vostre, Ô IllOD. Dieu! et han rneurn intendc ( ô Dieu ! IltJ l udoit une sainte hanllonie L .l!!greâble. !il SERMON SUR L'ORAYSOK. l\lais, me dirés-vous, si l' on di t ces parolles vocalement t pourquoy l'appelIés-vous orayson mentale? Parce qu'elle se fait aussi mentalement, et qu'elle part premierement du creur. Et c'est ce qne nous vent faire entendre I'Espoux sacré au Cantique des Cantiques, lorsqu'il dit que sa bien-aymée Iny a ravy Ie coonr par un de ses yeux, et par un des cheveux qui pend dessus son col: Vulnerasti cor meum, soror mea sponsa, vulnerasti cor meum in uno oculorum, et in uno crine colli tui'. L'on pourroit tireI' de ces parolles plusieurs tres-belles et aggreables interpretations; mais dautant qu'il faut finir, je n'en diray qu'une.. Vous verrés un mary et une femme qui ont des affaires en leur mesnage qui les font separer: quand il arrive par hazard qu'iIs se rencontrent, ils se re- gardent un peu en passant; mais ce n'est que d'un ooil, parce que ne se voyant'que de costé, iIs ne Ie peuvent bonnement faire des deux. Ainsi cet Espoux veu t dire Quoy que ma bien-aymée soit fort occupée, si ne laisse-t'elle pas de me regarder d'un æil t me protestant par ce regard qu'elle est toute mienne; elle .J'a ravy Ie coonr par un descheveux qui pend dessus son col, c'est àdire, par une pensée qui descend du coslé de son coou!'. Concluons ce discours. Nous ne parlerons pas maintenant de la derniere partie de l'orayson mentale, qui est la simple presence de Dieu. o que nons serons heureux, si nous parvenons un jour au ciel! car no us y medilerons eternellement, regardant et considerant toutes les oou vres de Dieu, et nous les trouverons toutes tres-bonnes, et par cette bonté que nous y descouvri- l'ons, nous nous eslancerons continuellement en luy par une sainte complaisance, pour raymer, l'adorer, Ie loüer et Ie benir eternellement. Dieu nous fasse la grace d'y parvenir. Amen. 1 Cant., IV. FIN DU TOME PREMIER DES SF.MI0NS. TABLE DES SFßMOSS CO TE CS DANS CE VOLU1!E4 Sermon pour Ie second dimdncl1e de ('Advent. I Sermon pour Ie troi ieme dimanch de l',Ad\'ent. II Sermon pour Ie quatrieme dimanche de ('Advent. 11 Sormon pour la veille de Noël. It Autre Sermon pour la "cillc de Nod. '10 Sermon pour Ie jour de la Circoncision de 110stre Seigneur. 85 Rermon pour la veille des Hoys. {02 Scrmo pour Ic second dimanch d'aprcs l'Epiphanie. 115 Sermon pour Ie jour de la Purification de nostre Dame. 133 Sermon pour Ie jour de saint Blaise. - Snr Ie renoncement à soy-mesme.. 151 Sermon pour Ie dimanche de !a Septuagesime. - De la mL"Sion des pa5- teurs en l'Eglise. t 61 Sermon pour Ie dimanchp de la Sexagesime. - De la maniere d'en- tendre utilement la parole de Dieu. 170- Sermon sur Ie mpsme sujel. 179 c1'lIJon pour Ie dimanchc dE.. la Ql1inqlMgcsimc. - De l'honneur dell =IU signe de la sainte croix. t8-i Sermon pour Ie mercredy rles Cendres, 92 Sermon pour Ie premier dimallche de Caresme. 07 Autre Sermon pour Ie premier dimanche de Caresme. 21 Serlnon pour Ie second jeuLly de Caresme. 234- Sermon pour Ie cond dimanche de Caresme. - De fa Transfiguration de nostre Seigneur.. 25'. Sermon pour Ie troisieme jeudy de Caresme. 271 Sermon pour Ie troisieme dimanche de Caresme. 28G Sermon pour 10 jour de l' Annonciation. 305 Sermon pour Ie quatrieme vendredy de Caresme. 327 Autre Sermon sur Ie mesme sujet. 333 Sermon pour Ie quatrieme dimanche de Caresme. 337 Sermon pour Ie cinquieme jcudy de Caresme. 353 Sermon pour Ie cinquieme vClldredy de Caresme. 70 Sermon pour Ie dimanche de la Passion.. 37 576 TABLE. Sermon pour Ie dimanche des Rameaux. 019.! Autre Sermon pour Ie jour des Rameaux. - Que la vie de l'homme sur ia terre est une guerre, et comme nous nous 'Y devons com porter . 40'1 Sermon pour Ie jour du Vendredy Saint. 417 Autre Sermon pour Ie jour du Vendredy Saint. 455 8ermon pour Ie mardy de Pasques. 479 Autre Sermon pour Ie troisieme jour de Pasques. 48 Sermon des Traditions pour Ie quatrieme dimanche apres Vasques. 510 Sermon pour Ie jour de l'invention de Ja sainte Croix. 518 Sermon pour la Feste de saint Jean Porte-Latine. 521 Sermon de l'Orayson, pouvant se rapporter au cinquieme dimanche apres Pasques. 542 Autre Sermon sur l'Orayson, pouvant se rapporter au sixiemc dimanche apres Pasques. :'.:iG ,.. .. M tøa tv tOü PIU MIER DEb 6I.RKO'N8. . . FRANCOIS DE SALES. Oeuvres. PQ 1623 .F1 y.1t. . " -. ..... '- , \ " . ..... c.. " , - \. . ''"' " o .. o E:I o f \ . .. . ..... "'- . 'It. . !\ . ..