T-iS^'^"-^ ■*%>■ ix.

■> %' '4k

'Jè.

<*>-■ -^

N^ m I te

[^<f^lÇo

Library

of the

University of Toronto

COMPLETTES

DE J. J. ROUSSEAU.

V R E s

COIVIPLETTES

DE J. J. ROUSSEAU

Citoyen de Genève.

NOUVELLE É D I 1' I O W.

TOME VINGT-SIXIÈME.

A PARIS,

TiRMN . T ibiHÙe, riit? St. Jarqiics, n**. 26^ (j\u I E, ! uf (ic la Harpe, n". i:,o. «iioi^ C'nàcoinn, nie ilii Coq St. Honoré.

> on,AHD , quai des Aiigusiins , a". 25»

1793.

Digitized by the Internet Archive

in 2010 witii funding from

University of Ottawa

littp://www.archive.org/details/oeuvrescomplette26rous

ELANGES.

TOME CINQUIÈME.

Mélanges. Tome V.

TRADUCTION

DU LIVRE PREMIER

DE L'HISTOIRE

DE TACITE.

À 2

AVERTISSEMENT.

u A ND j'eus le malheur de vouloir parler au public , je sentis le besoin d'apprendre à écrire, et j'osai m'es- sayer sur Tacite. Dans cette vue , entendant médiocrement le latin, et souvent n'entendant point mon auteur, j'ai du fliire bien ùes contre- sens particuliers sur ses pensées ; mais si je n'en ai point fait un géné- ral sur son esprit, j'ai rempli mon but ; car je ne cherchais pas A ren- dre les phrases de Tacite , mais son style , ni à dire ce qu'il a dit en latin , mais ce qu'il eût dit en fran- çais.

Ce n'est donc ici qu'un travail d'écolier , j'en conviens , et je ne le donne que pour tel : ce n'est de plus qu'un simple fragment , un

^AVERTISSEMENT. 5 essai, j'en conviens encore; un si rude jouteur m'a bientôt lassé. Mais ici les essais peuvent être admis en attendant mieux , et avant que d'avoir une bonne traduction complète , il faut supporter encore bien des thèmes. C'est une grande entreprise qu'une pareille traduction : quicon- que en sent assez la difficulté pour pouvoir la vaincre , persévérera diffi- cilement. Tout homme en état de suivre Taclto. est bientôt tenté d'aller seul.

A 3

C. CORNELII

T A C I T I

HISTORIARUM LIBER I.

J.TÏITIUM mibi opcris S cr. Galba itcrùm ^ T. p'iniiis consulcs ciinit. Naui post condi- tam url)cm dcc et x x prions œvi aniios niulti auctores rctiilerunt ; duui rcs populi Romaui meuiorabautur pari eloquentiâ ac libcrtatc. Postquam bellatuin apud Actiuin, atque onuicm potestatcm ad mniiu couferri pacis inlcrfuit ; magna illa ingénia ccsscrc. Siinu! veritaspluriljii^niodiïiufracta, priniùm iiiscitia rcipublicaî ut abcn;c , luox bbidina asscntandi , aul rurïijs odio advcrsùs doniî- iiaiitcs. Jla nciilris cura posterilatis , inlcr inrcusos vcl obnoxios. Sed ambilioneni scrip- toris ûicilè advvrscris : obtrcc(alio et livor

TRADUCTION

DULIVREPREMIER

DE L' HISTOIRE

DE TACITE.

J E commencerai cet oiivraî^e parle second consulat de Galba et l'urtiquc de p'iniiis. Les 720 premières années de Rome ont cté décrites par divers auteurs avec réioquence et la liberté dont elles étaient dignes. Mais après la bataille d'Actium , qu'il fallut se donner un maître pour avoir la paix , ces grands génies disparurent. L'ignorance des aflaircs d'une republique devenue étrangère à ses citoyens, le goût effréné de la flatterie , la haine contre les chefs , altérèrent la vérité de mille nranièrcs -, tout fut loué ou blâmé par passion , sans égard pour la postérité : mais en démêlant les vues de ces écrivains , elle se prêtera plus volontiers aux traits do l'envie et de la satire, qui flatte la m:iligaité

A 4

8 TRADUCTION

prouis auribus accipiuntur ; quippe adula- tioni fœdnin crimen scivitiUis , jualignitati falsa specics libertatis iiiest. Milil Galba , Ctiio , f^it''Uius \ 11 ec beiieficio nec injuria coguiti. Digiiitateni nostram à P'espasiano inchoaiain , à Tito auctaiu , à Dotnitiano longiùs provectaui non abuueriin ; sed incor- rnptam fidcui profcssis ,nec amorc quisquam , et sine odio dicendus est. Quod si vita sup- peditct principatum divi JVer^-œ , et iiiipe- riuin Trajani , iiberiorem sccurioremnne inalcriam senecluti scposui ; laià teuiporum felicitate , xibi scnlire quœ vclis , et qiiaa sentias, dicere llcct.

Opus aggrcdior opimura casibus , atrox prœliis, diseorsseditionibus ,ipsâctiain pace saevum. Quatuor principes ferro iutcrempti , tria bclla civilia , plura extcrna , ac plerum- quc pcruiixta. Prospéra; in Oriente , advcrsaj in Occidenteres ; lurbatuiiilllyricum ; Galliœ nutaute» ; pcrdouiita Britaunia , et statiin ainissa; coortae in nos Sarmatarum ac Sue- Torum gentes ; nobilitatus cladibus mutuis Dacus ; mota ctiam propè Paithorum arma

DU LIVRE T. DE TACITE. 9

parun faux air d'iiidcpeiidance , qu'à lo basse adulation qui marque la servitude et rebute par sa làclicte. Quant à moi, Galha , T'itel- lius j Othon , ne m'ont fait ni bien ni mal. T^espasien connnença ma fortune , Tite l'aug*" menta, Vomitlen l'acheva , j'en conviens ; mais un historien qui se consacre à la vérité doit parler sans amour et sans haine. Que s'il inc reste ?ssez de vie , je reserve pour ma vieillesse la riche et paisible matiè're des xh- gnesdcxVtWiTictde Trajan ; rares et heureux temps l'on peut penser librement , et dire ce qne l'on pense.

J'entreprends une histoire pleine de catas- trophes , dcccmi)ats, de séditions, terrible même durant la paix. Quatre empereurs égor- g'-s , trois guerres civiles , plusieurs étran- gères , et la plupart mixtes. Des succès en Orient , des revers en Occident ; des troubles eu lilyric ; la Gaule ébranlée , l'Anj^lcterre conquiscet d'abord abandonnée; les Sarmatcs et les Suèves commençant à se montrer ; les Daces illustrés par de mutuelles défaites ; les l?artbcs ;oués par uu faux jScron , tout prêts

A &

ïo TRADUCTION

falsi iV^eron/^ ludibrio. Jaui vcro Italia novis cladibus, vcl post longaiu saecrxloruiu sériera repetitis , aiïîicta ; liaiistae aut obiuta; iirbes fccuiidissimâ CaMipanifX orà ; urlis iiicen- diîs vastata , coiisiimptis aiitiquisssiiiiis dclu- briis, ipso Capitolio civiuui maulbiis inccuso; pollutœ cœriinoniœ , magna adiiltcria , plé- num essiliis uiarc , infccti CEcdibus scopuli ; Atrociùs in mbe saevitum ; nobilitas , opes , oniissi gestique honores pro ciiiniuc , et ob virtutes certissiiiiuni exitimu. Nec iniiiùs praeuiia delalorinn iuvisa qiùun scclera ; cùm alii sacerdotia etconsulatus ut spo'.ia adcpti, procuratlones alii et iiiterioiein potriiliana agerciit , fcneiit cuncta : odio et tcrrore cor- rnpti iu doniinosscrvi, in patronos îiberti : et quibus decrat iuimicus , pci" amicos op- piessi.

Non tamen adeb V^rtutum stérile saeculum, lit non et bonû exempla prodiderit. CoiuilataB profugos liberos matrcs , sicutsc uîaritos in cxilia coiijugcs , propinqui audcutes, cous-

DU LIVRE I. DE TACITE. ir

% prendre les armes. L'Italie , après les nial- Iieurs de taut de siècles en proie à de nou- veaux desastres dans celni-cf ; des villes écra- sées ou consvimées dans les fertiles régions de la Canipanie ; Rom,e dévastée par le feu, les plus anciens temples brûlés, le Capitolcméir.e livré aux flammes par les mains des citoyens ; le culte profané , des adultères publies , les iners couvertes d'exilés , les îles pleines de meurtres; des cruautés plus atroces dans la capitale les biens, le rang, la vie privée ou publique , tout était également imputé à crime , et le plus irrémissible était la vertu. Les délateurs , non moins odieux pat leurs fortunes que par leurs forfits ; les uns fesaient trophée du sacerdoce et du consulat, dépouilles de lours victimes ; d'autres tout- puissans tant au-dedans qu'au-dehors , por- tant par-tout le trouble , la haine , et l'cflroi j les maîtres trabis par leurs esclaves , les patrons par leurs afirancbis : et pour comble, enfin , ceux qui manquaient d'ennemis , opprimés par leurs amis mêmes.

Ce siècle si fertile en crimes ne futpourtaitt p.issansvcrtus. On vit desmèresaccompagner leurs ciifaiis dans leur fuite, des fcnnncs suivre leurs maris eu c>£il , des jv;reus iulié-

A r>

Î2 TRADUCTION

lantes gcneri , contiimax etiam adversù» tonneiita scrvoriim fitles. Siipremae clarorum TÏroruJn nécessitâtes , ipsa nécessitas fortiter tolcrata , et laudatis aiitiqncïruin tnorlibus pares exitus. Praetcr multipllces rcniin Imma- liaruui ccisus, cœlo teriâque prodigia , et fui- rninùm moiiilus, et Fiiturorum pvsesagia, laeta, tristia , ainbigna , maniffsta. Nec eniiti un- quam aliociorihus popiili Rouiani cladibiis, ïnagisve justis iud.ciis npprobatnni est, non esfe curcc Dois secuiitatem iiostram , esse ultionem.

Csctcrùm antcquam dcstinata tomponam, repctcnduui videtnr ,qnalis status urJ)!S , quae ïncns cxcrcituuni , qnis habitus provincia- rum , quid iu toto terrariini orbe validum , quid ïegrnui furrit ; ut non r.:odb casas evciitusquc rcruin , qui plcruniqnc fortuiti sunt , scd ratio etiam canss;rqiic noscantur.

Finis J\ eronis y ut hrtus piluio >; ludcn- tium iinpctu fucrat , ita varies uiotus ani- ïnorum , non modo in urbe apiid patres , aut populum , aut urbanum niiliteni , sed onuies Icgioucs ducesque, coucivcrat. EviilyaKj im-

DU LIVRE I. DE TACITE. i3

picles , fies s7;rndies inébranlables, des esclave» nicme à re'preuve des tounnena. Ou vit de graiids-lioiiiincs, fermes dans toutes les ad ver- site's , porter et quitter la vie avec uuc cons- tance digne de uos percs. A ces multitudes d'é^ vèuemens humains se joignirent les prodiges du ciel et de la terre , les signes tirés de la foudre, les prcsngcs de toute espèce, obscurs ou manifestes, sinistres ou favorables. Jamais les plus tristes calamités du peuple Romain, jamais les plus justes jugeuiens du ciel ne jnontrèreut avec tant dV-vidence que si les Dieux sojngent à nous, c'est moins pour nous conserver que pour nous punir.

Mais avant que d'entrer en inaticrc , pour développer les causes des événemens qui semljjent souvent l'crict du hasard , il con- vient d'exposer l'état de llonie , le génie des armées , les mœurs des provinces , et ce qu'il y avait de sain et de corrompu dans toutes les régions du monde.

Apres les premiers transports exeilés p;;r la mort de Néron , il s'était élevé des niou- vcmeus divers non-seulement au sénat , parmi le peuple et les bandes prétoriennes, UJais ciilrc tous les chefs et dans toutes 1«»

A 7

ï4 TRADUCTION

perli arcaiio , posse priucipcm alibi qiiàm Koinaî ticii. vScd patres hcti , usurpatà statiin libertatc , licentiùs ut crga principem iicvuui et abseutcin ; priinorcs eqnitiun proximi gaudio patium. Pars popun intégra , et mag-t iiis domib\is annexa, clientes liber tique dam- l^atorum et exsulum , in speui crccti. Plebs sordida et circo ac tlieatvis sueta , siuiul dcterriuii servoruni , aut qui adcsis bonis , per dedrcus Keiouis , alcbantiu" , ma??ti et ?uuiorum avidi.

Miles urbanus lougo Cscsarum sacramento imbutus , et ad destitucndum Xcrouein art© niagis et inipulsu, quàui suo ingenio Iraduc^ tus , postquain ncquc dari donativuni sub HQitiiue Gaiàœ prouiissum , ncquo nvaguis ineritis ac praemiis cumdcui in pace , quem in beUo, locuni, praeventamquegratiamiutellir-i Çit , apud principem à Icgionibus ftictum , prouus ad novas res , sct-lere in.snpcr Nym^ ffiidii sabini pv.Tfccti iuiperium sibi ma-^ Uçutiç agitatuv. Kt ^yjiiphidius quidem ïh

DU LIVTxE r. DE TACITE. i5

]<5gions. Le secret de l'empire était euBu de- voilé, et l'on voyait que le prince povivait s'élire ailleurs que dans la capitale. Mais le sénat ivre de )oic se pressait sons uu nouveau prince encore éloigne , d'abuser de la liberté qu'il venait d'usurper ; les principaux de rordreéqucstreu'étaieut guèrenioiuscontens. La plus saine partie du peuple qui tenait aux grandes maisons , les cliens , les affranchis des proscrits et des exilés, se livraient à l'es- pérance. La vile populace qui ne bour^eait du cirqvie et des tliéàtres , les esclaves per- fides , ou ceux qui à la honte de ]S cron vivaient des dépouilles des gens de bien, s'alHigeaicutctnecherchaicntquedcs troubles. La milice de Rome de tout temps attachée aux Césars, et qui s'était laissée porter à dé- poser Néron plus à force d'art et de sollicita- tions que de son boa gré , ne recevant point ledonatif promis au nom de (7^//^^ , jvi5;ciint, de plus , que les services et les récompenses militaires auraient moins lieu durant la paix , et se vo3'ant prévenue dans la faveur du prince par les légions qui l'avaient élu ; se livrait à son pencliaiit pour les nouveautés, excitée par la trahison de sou préfet Nymphidiits <jui aspirait à rcmpire. JSfyinpfiydius périt

i6 TRADUCTION

ipso conatii oppic>;sus ; secl quamvis capU'e defcctionis ablato, mancbat plerisqnc inili- tuui couscteiitla ; ncc decrant scrinonos seninin atque avaiitiam Galbœ iucropantiuîn. Lau:lata olim et militari famâ celebrata scvc- ritas c')iis angehat adsperuaiitcs vctcrciii disciplinam , atqiic ita xiiii aunis à Nerone assuelv.ctos , ut liaud miuiis vitia pvincipmn ouiarent , quàm olim virtutes vcrchancur. Accessit Gnlhœ vos pvo ropiihllcà hoursta, ipsi anccps , Ic^i à se militcm , non cmi ; nec euim ad liane Foniia:n cxtcra oiaiit.

Invalidwm senem T. T'iniiis et Cornélius Laco ,altei- dcten-i!mismortaliuin,altcv igna- vissimus, odio flagitionmi oneratmu , con- teiiiptu inertiœ destrucl)aiit. Taidnin Galhar itcr et cruciilum , iiîtcifcctis Cingovio T cir- rone consulc desigunto , et Petionio Tvr- piliano consulari ; illc ut .Vv/«/V//Jz7socius , hicutdux Neroiiis, \\\ urliti atquc iniUTcnsi , tanquam innocentes pciici;int. lulioitus in uihcm , trucidatis tôt millibus inerminm militum, infanstus ominc , atque ipsis etiam qui occidoraut formidolosus. Induclâ kslou-»

DU LIVRE I. DE TACITE. 17

dans cette entreprise; msis après avoir perdu le clicfdc la sédition, SCS complices ne l'avaient pr,s oubliée , et fçlosaient snr la vieillesse et l'avarice de Galha. Le bruit de sa se'vérilé jnilitaire , nntrcfois si louée, alarmait ceux qui ne pouvaient souffrir l'ancienne disei- ipline ; et qtiatorze ans de relàclieinent sous Néron leur fesaient autant aimer les vices de leurs princes que jadis ils respectaient leurs vertus. On rc'pandait aussi ce mot de Galha , qui eût fait liouneur à un prince plus libéral , mais qu'on interprétait par son Immcur : Je sais clioisir mes soldats et non les aclictcr.

T'iiiius et Lacoii , l'un le plus vil et l'autre le pins méchant des liommes, le décriaicnl parleur conduite ; et la haine (!e Icius forfaits rctoail)aitsursonindoîcncc.Cepenc!ant6'^/7^i» venait Icntenient et ensanf:;îautait sa route; il fit n)ourir f^arron consul désigné , comme complice de Nymphidiu."; ^ et Trn-piîien consulaire, comme {général de N t ton : \.ow% deux exécutés sans avoir été entendus et sans for::ie de procès , passèrent pour innoccus?. A son arrivée , il (il ér.or^er par milliers les soldats désrjrniés ; présage funeste pour sou rè;^nc,etde mauvais augure mêiuc aiLX meut-

i8 TRADUCTION

Hispanâ , remaueute ea qaain è classe Nero coiiscripserat , plena urbs exercitu iusolito ; multi adhoc numeri c Gcrmauiâ ac Biitauuiâ et Illyrico , qiios idem Nero electos praemis- sosque ad claustra Caspiaruin , et bellura quod in Albanos parabat, opprimendis Vin- dicis cœptis revocaverat : Ingens novis rébus materia , ut non in unum aliquem prono favore , ita audenti parata.

Forte congruerat ut Clodii M ci cri et Fonteii Capitonis cscdcs nunclarentur. J/a- crum in Afrlcà liaud duble turbantem , Trebonîus Garucianus procurator , jussu Galbœ : Capitonem in Gernianiâ, cvim simi- lia cœptaret , Cornélius Aquinns et Fabius yahns legati Jcgionum intcrfcceraut , ante- quani juberentur. Fuére qui credcrcnt Capi- tonem , ut avaritià et libldinc fœdum ao maculosum , ita cogitatione rerum uovarunx abstinuissc ; sedàlegatis bellum suadentibus , postqnara impellerc ncquivcrint, crimen ac doluni compositum ultrô ; et Galbam vuobi-

DU LIVRE I. DE TACITE. 19

triers. La légion qu'il amenait d'Espagne jointe à celle que Néron avait levée , rempli- rent la ville de nouvelles troupe» qu'augmen- taient encore les nombreux dctachemens d'Allemagne , d'Angleterre , et d'IHyrie , choisis et envoye's par Néron aux portes Caspiennes oti il préparai t la guerre d'Albanie, et qu'ils avaient rappelés pour réprimcrles xnouvemcnsde/^/«cffa-.- tous gens à beaucoup entreprendre, sans chef encore , mais prêts à servir le premier audacieux.

Par hasard on apprit dans ce même temps les meurtres de Macer et de Capiton. Galba Ct mettre a mort le premier par l'intendant Garucianus , sur l'avis certain de ses mouve- mens en Afrique; et l'autre commençant aussi à remuer en Allemagne , fut traite de même avantl'ordrcciu prince par^</7//«7/.yct/>''û/£// .y, lieutenaus -généraux. Plusieurs crurent que Capiton , quoique décrié pour son avarice Gt pour sa débauche , était innocent des trames qu'on lui imputait ; mais que ses lieu- tenaus s'étant vainement cITorcés de l'exciter à la guerre , avaient ainsi couvert leur crime ; et que Galba , soit par légèreté, soit de peur d'eu trop apprendre, prit le ^iarti d'approuver

to TRADUCTION

litate ingeuii , au ne ôltiùs scrutarctur ^ çuoquo inodo acta ^ quia mutari uou pote- rant, comproljassc. Cœtcrùm utiaque csedcs sinistré ; cccpta : t-t inviso semcl principe, seu bcne scu niale facta preniuiit. Jam affcrc- hant venalia cuncta prappotcnlcs liberti ; servoruni maniis subills avid.T , et tanquam apud sencm fcstinant('S ; ca icmqne nov.-e aulae mala , a?què gravia , non ôrquc cxcnsata. Ipsa actas Gclhœ ot irrisui ac fastirlio crat , assuetisjuvenla:7\>/-o/;/.?,ctimp(ratortsfonuâ ac décore cor])oris( ut est mos vulrj ) couipa- lautibns. Et hic qnidcni Roiua? , tanquaia in bautâ nuiîtitudjne , liôbilus animorum fuit.

E provinciiSjHispani.-rprnccrat ClnriitsRu- y«.ç,virfcicun lus , et , p-cisartibus , brlli inex- pcrtns. Galliœ, 8\iper nieuioriam ï'indicisy. obbgat.T rrcenti donc romanss civilatls, et in poslcrnni trllmli Icviuicnto. rvoxinsar tauien Gcritianis cvorcitibus Galiiaruni civi- tatcs , non codcai honore habilir , quacdam etiam finibus adcniptis , pari dolore corn- moda aljeua ac suas in;urias uieuebantuis.

DU LIVRE I. DE TACITE. 2i

une conrluite qu'il ne pouvait pîus réparer: Quai qu'il eu soit, ces assassinats tirent uii mauvais effet ; car, sous un prince une fois odieux , tout ce qu'il fait , bien ou laal , lui attire le même blâme. Les affranchis, tout- puissans à la cour , y vendaient tout ; les csclives , ardens à profiter d'une occasion passagère, se hâtaient sous un vieillard d'as- souvir leur avidité; on e'prouvait toutes les calamités du règne précédent sans les excuser de même. Il n'y avait pas jusqu'à l'àgc de Galba qui n'excitât la risée et le mépris dvi peuple accoutume à la jeunesse de A cron , et à ne juf^er des princes que sur la figure. Telle était à Rome la disposition d'esprit la plus générale chez une si grande multitude.

Dans les provinces, /? 7/,^// i', beau parleur, et bon chef eu temps de paix , ii«is sans expé- rience militaire , commandait en Espagne. LcsGauIes conservaient Icsouvenirdc y index et des faveurs de Galha , qui venait de leur accorder le droit de bourgeoisie ilsmaine, et de plus , la suppression des impôts. Ou excepta j)()urtant de cet honueur les villes voisines des armées d'Allemagne, et l'on en priva même plusieurs de leur territoire ;

35 TRADUCTION

Germanici excrcitus , quod periculosissimum iu taiitis vhibus , solliciti et irati supcrbiâ rcceiitis victoriae , et metu , tanquam alias partes fovissent , tartlè à Nerone desciv^craut : uec statlui pro Galba J-'erginius : au impe- rare voluisset dubium ; dclatum ei à milito imperiuux convenicbat. Fontchim Capito- nem occisuin , etiaui qui queri non potciant, tameu iudignabautnr. Dux deerat , abducto J^erginio per simulatiouem amicitise : quem non remitti, atqueetianircuin esse , tauquam. suuin crimea accipiebant. '

Superior exevcitus legatvim Hordconium Flaccmn sperucbat , senectà ac debilitate pediaii iiivalidum , siue constantià , siuc auctoritatc : uc qiiicto quidcm milite , rogi- u\eu ; adcb fuiciitcs iiifinnitate letineiitis ultrô accciidebautiir. Iiiferioris GennaniaB le^ioucs diutiùs sine consulari fiu'rç : doiiec ,

DU LIVRE I. DE TACITE. sS

qui leur fit supporter avec un double de'pit leurs propres pertes etles grâces faites à autrui. Mais le danger c'tait grand à proportion des forces, c'e'tait dans lesarme'es d'Allemagne fières de leur re'ceute victoire , et craignant le blâme d'avoir favorisé d'autres partis : car elles n'avaient abandonne' Néron qu'avec peine 5 p-'erginius ne s'était pas d'abord dé- claré pour Galba, cl , s'il était douteux qu'il eut aspiré à l'empire , il était siir que l'armée le lui avait offert. Ceux mêmes qui ne pre- naient aucun intérêt à Capiton, x\t laissaient pas de murmurer de sa mort. EuGn P'ergi- ^//7/kj ayant été rappelé sous un faux-sem- hlant d'amitié , les troupes privées de leur chef, le voyant retenu et accusé, s'en offen- saieut comme d'une accusation tacite contr» elles-mcmes.

Dans la liautc-Allcmagne , F/^rcu^, vieil- lard infirme, qui pouvait à peine se soutenir^ et qui n'avait ni autorité ni fermeté, était mé- prisé de l'armée qu'il commandait; et ses soldats, qu'il ne pouvait contenir même cix plein repos, animés par sa faiblesse , ne con- naissaient plus de frein. Les légions de la Lasse Allemagne restèrent long-temps sans

24 TRADUCTION

missu Galbœ , ^. ViteUius aderat, ccnsom jy'iteUii ac 1er consuhs filius ; id sstis vlde- batur. lu Britaunico eseicitu uUiil irarum. Non sanèaliaelcgioiics, pcr omues clvUlum bellorum motus , innoccnliùs cgeruut : sea quia procul , et oceano divis.ne: scu crebris expeditio.ùbus doctie i.ostcm potiùs odisse. Quics et l llyrico -, qnamquam excitac \Nerono le^iones, dum lu Italie cuiictautur , Vergi- nium lc:'atio.iibus adisscut. Scd longis spatlis discreti exeicitus, quod salubcrrlmuin est ad contincnda.u militarcm ùdciu , nec vilUs ueo viribus misccbautur.

Oiicns adlmc îmmotus. Syriam et quatuor legioncs obtineijat Lnciuius Muciaims , vir secundisadversisque ju\ta famosus. Insigne» amicitias juvcnis ambitiosè colucrat ; mox alUitis opibns , hibrico statu , suspecta etiam Claudii iracundià in secrrtnm AsiîE repo- situs, lam propè nb cxsulc fuit quaui postca à principe. Luxuiiâ, iudustrià , tomitatc,

DU LIVRE I. DE TACITE. 25

clief consulaire : enfin Galba leur donna J'itellius dont le père avait e'té cen;curct trois fois consul ; ce qui parut sulîisant. Le calme régnait dans l'année d'Angleterre, et p:irini tous ces mouveniens de guerres civiles , les légions qui la composaient furent celles qui se comportèrent le mieux, soit à cause de leur éloignement et de la mer qui les en- fermait , soit que leurs fréquentes expéditions leur apprissent à ne haïr que l'ennemi. L'il- lyrie n'était pas moins paisible ; quoique ses légions appelées par Néron eussent , durant leur séjour en Italie, envoyé des députés à Verginins. Mais ces armées , trop séparées pour unir leurs forces et mêler leurs vices , furent par ce salutaire moyeu , maintenues dans leur devoir.

Rien ne remuait encore en Orient. Mu- ciaiivs ^ homme également cél bre dans les succès et dans les revers , tenait la Syrie avec quatre légions. Ambitieux dès sa jeunesse, il s'était lié aux grands ; mais bientôt voyant sa fortune dissijiée , sa personne en danger, et suspectant la colère du prince, il alla se cacher en Asie , aussi prèsde l'exilqu'illc fntcnsuito du rang suprême. Unissant la mollesse ù l'ac-

26 TRADUCTION

arrogantiâ , malis bonis que artibus icixtus ; ïiimiae voluptates , cùm vacaiet ; quoties expedierat , magnae virtutcs. Pa'.àmlaudares , sécréta malè audiebant : sed apud subjectos', apud proximos , apud collegas , vaiiis ille- cebris potens ; et cui expcditius fuerit tradcre imperium , quàin obtiuere.Bellum Judaicura Flavius Vespasianus ( ducein eum Nero delegerat ) tribus legiouibus admiuistrabat. Nec Vespasiano advcrsus Galbam votum , aut animus ; quippe Titum filiuin ad veiiera- tioiicm cultuuique ejus miscrat , ut suoloco ïiiemorabimus. Occulta lege fati et ostentis ac respoiisis dcstluatum yespasiatio liberisque c)us imperium, post fortuuamcredidimus.

^gyptum copiasque quibus cocrccretur , jam iudè a divo Augusto , équités romani obtinent loco regum ; ita visum expcdire , pvovinciam aditu difficilem , ainioiicX fecuu- dam , superstitione ac lasciviâ discordcm et mobilem , insciam legum , ignaram magistra- tuuui , domi rctiucre. Rcgebat tum Tiberius ^Uxander ejusdcm uatiouis. Africa , ac

DU LIVRE I. DE TACITE. 27

tivitc, la douceur et l'arrogance , les taleus bous et mauvais ; outrant la débauche dans l'oisiyeté, mais ferme et courageux dans l'oc- casion ; estimable en public , blâme' dans sa vie prive'e ; enGn si se'duisant que ses infé- rieurs , ses proches ni ses égaux ne pouvaient lui résister; il lui était plus aisé de donner l'empire que de l'usurper. Vespasien , choisi par A»o/z, fesait la guerre en Judée avec trois légions , et se montra si peu contraire à Galba, qu'il lui envoya Tite son fils pour lui rendre hommage etcultiver ses bonnes grâces, comme nous dirons ci-après. Mais leur destin se cachait encore, et ce n'est qu'après l'évé- nement qu'on a remarqué les signes et les oracles qui promettaient l'empire à Vespa- sien et à ses cufans.

En Egyp(e, c'était aux chevaliers romains, au-lieudes rois, <^\jl Auguste avait confié le commandement de la province et des troupes; précaution qui parut nécessaire dans un pays abondant en blé, d'un abord difficile, et dont le peuple changeant et superstitieux ne res- pecte ni magistrats ni \n\?,. Alexandre , Egyp- tien, gouvernait alors ce royaume. L'Afrique «t ses Icgious , après la mort de Macer , a^aut

28 TRADUCTION

îc^ioues iu , iuterfecto Clodio MacrO j coiiteutae qualicumqne principe , post cxpe- rimentuindumiuiuilnoris.Duœ^iauritaMicc, RUaetia , Noricum , Tliracia , et quic uliœ procuiatoribus coliibentur , ut cuique exerci- ini vicinoîjita in favoreinautodium coiitattu valcutioiuin agebantur. lucnucs proviuciae , atquc ipsa , Imprimis Italia , cuicumque ser- vitio exposita , in prctiuiu bclli ccssnrœ crant. Hic fait reiiim rotnanarnm status , ciun Ser. Galba iteiùm, Titiis T'itiins co-.isulcs in- choavêrc anniim sibi ultiiuum , reipublicse propc suprcmuiu.

Paucispostkaleudas)anuavias(]icbns,Po/K- peiiPropinqui ^^xocviXA\.ox\'& ,cBclgicâ Iittcraî aficiuntnr , superioris Germaiiice lcg;ioncs , ruptà sacvamcnti rcvcrcutià , imperatorcm alium flagitarc ,ct scnatui ac populo Romano arbitiiuin ciigcndi pcnuittcic , quo seditio inolliùsaccipcictnr. Maturavit ca rcs consi- lium Galbce , jampridcm de adoptioue seruni etcum proximis ao;itantis -, non sanè crebiior tolâ ciyitale sermo pcr lUos meuscs fur-rat ;

«oudcit

DU LIVRE T. D^ TACirE. j^

«onflert la domination particulière , étaient prêtes à se donner au premier venu. Les deu* Mauri(,anics,laRUétie, la Noriqué,IaThrace» et toutes les nations qui n'ohe'issaient qu'à des iiUendans, se tournaient pour ou contre «clou le voisina<5e des arme'cs et l'impulsion des plus puissant. Les provinces sans défense, et sur-tout l'Italie, n'avaient pas même le choix de leurs fers et n'étaient que le prix des Tainqueurs. Tel était l'état de l'empire romain, quand Ga/l>a, consul pour la deuxième fois , et f^iuii/s son collègue, commencèrent leuï* dernière année et presque celle de la répu- blique.

Au coiTnnencemen t de Janvier, on reçut- hvisdc rropinc/U7/s, intiindantdehi Belgique, que les légions de la Germanie supérieure eans respect pour leur serment , demandaient un auti-c en/pereur, et que pour rendre leuf révolte moins odieuse, elles consentaient qu'rL fut élu par le sénat et le peuple romain. (>» Douveiks accélérèrent l'adoption doutGa/l>a délibérait auparavant en lui-même et avec ses amis , et dont le bruit était grand dei)uiji quel- que temps cïaus toute la vijile, tant par

Mélanges. Toaie V, JB

5o TRADUCTION

primùm licentia ac llbidlue talia loq[uendi ; deiu fessa jaui œtate Galbœ. Paticis judicimn . aut reipublicœ amor ; multi occulta spe , prout quis amicus vol cliens , huuc vel iUum ambitiosis rumoribus dcstinabant ; ctiam iu T. P'iJiii oAinm , qui iudiesquantopotentior, eodem auctu iuvisior erat : quippe liiautcs iu maguà forluuâ amicorum tupidilatcs , ipsa Galbœ facilitas iutcudebat : cùm apud iuûr- ïnum et eredulum minore uietu , et majore praeuiio peccaretur.

Potentia principatùs divisa in T. rinium consulem , et CorneUum Laconem prsctorii praefectum. Nec miner gratia Icch Galhce liberté , quem aunulis donatum equeslri no- mine ilf«rcw7î«w vocitabant. Hl discordes, et rébus minoribus sibi quisque tendcntcs, circa consilium eligeudi successoris in duas factionesscindebantur. yinius pro Othone, Laco atque Icelus consensu non tam unum aliquQJ» fovebaut , quàm alium. Neque erat

DU LIVRE I. DE TACITE. Si

licence des nouvellistes, qu'à cause de l'âge avancé de Galba. La raison , l'amouv de la patrie, dictaient les vœux du petit nombre ; mais la multitude passionnée nommant tantôt l'un, tantôt l'autre, chacun son protecteur ou son ami, cousultait uniquement ses désirs secrets ou sa haine pour yinlus , qui , deve- nant de jour en jour plus puissant , devenait plus odieux en même mesure ; car , comme sous un maître iufnine et crédule , les fraudes sont plus profilaljles et moins dangereuses, la facilité de Galba augmentait l'avidité des par- Tenus , qui mesuraient leur ambition sur leur fortune.

Le pouvoir du prince était partagé entre le consul Vinius , et Lacon préfet dujirétoii-e. filais Icelus , affranchi de Galba , et qui ayant reçu l'anneau , portait, dans l'ordre équestre , le nom de Marcian , ne leur cédait poiut cQ crédit. Ces favoris, torijours en dis- corde , et jusque dansles moindres choses , ne ne consultant chacun que son intérêt , for- xnaient deux factions pour le choix du succes- seur à l'empire, fy'lnius était pour Othon. Jcelus et Lacon s'unissaient pour le rcicter , s;ius en prélVrer un autre. Le public, qui ne

B 2

32 TRADUCTION

Galhie ignota Gtlionis ^c T. /'//z/Vamicitla, ex rumoiibus nihil silentio traiismittentium ; quia Pinio vidua filia , cselehs Otho , gcncr ac socer dcstiiiabautur. Credo et reipublicse cuiaia subisse , frustra à Ncrone translata , si apud Othonem reliiiqueretur ; nntnqtîe Otho pucritiaiu inciiriosc, adolcsccutiam pe- tulanter egerat , gratus Neroni aemulatioue laxûs ; coque jaiu Poppœmti sabinain prin- cipale scortum , ut apud consciuui libidiuum deposucrat , douce Octai'iam u\orcm auio- lirctur : mox suspcctuiu iu eàdcui Pop/.\r:ii in provinciain Lusitauiatu specic Ici^ationîs se posait. Otho , comitcr a Imiiiistralà pro- viiicià , primus in partes tranygrcssiis , ncc scguis , et doncc bclluui luit , iiiter pnrscnlcs SDlcudidissiuius ,spein adoplioiiis slatiuicon- ccplam , acriùs in dies rapich;:t ; favciitibus plerisque uiilitum , pronâ iu euui >i\x\à.Xevo— ïiis ut similem.

SeJ Caîba, postnuncios Gcrmauic» sedi-

DU LIVRE I. DE TACITE. 33

sait rieu taire, ne laissait pas ignorer u Galba l'amitié d'0^/iO« et de ^7Hiz/i' , ni ralliance qu'ils projetaient entr'eux par le mariage de !a filie de J^'iiiius ci û" Othoit , l'une veuve et l'autre garçon. Mais je crois qu'occupé d" bien de l'Etat, Galba jugeait qu'autant eût valu laisser à Néron l'empire , que de le donnera Oilioti. Eu effet , Othon négligé daus *r'\ enfance, emporté dans sa jeunesse, se Jfendit si agréable à Néroji par l'anitation de son luxe, que ce fut à lui , comme associé à ses débauclics , qu'il confia Poppée , la prin- cipale de ses courtisanes, jusqu'à ce qu'il se fûtdéfaitdc sa femme Octavie ; maislcsoixp- connant d'abuser de sou dépôt , il le relégua en Lusitanie, sous le nom de gouvcnu'ur. Othon ayant administré sa province avec douceur, passa des premiers dans le parti ■contraire , y montra de l'activité ; et tant que la guerre dura , s'étant distingué par sa nu;gni- f.cence , il conçut tout d'un coup l'espoir de se faire adoptrt-; espoir qui devenait cliaque jour pins ardent , tiint par la faveur des gens de guerre , que par celle de la cour de 3// o«, qui comptait le retrouver en lui.

Mais sur les premières nouvelles delasédi-

B 3

34 TRADUCTION

tionis , quamquam nihil adliuc âa T-'itellia certum , auxius quonàm cxercituum vis eruui- peret , ne viibano quidcm militi coufisus , qiiod rcmedium iinicum rebatur , comitia impcrii transigit. Adbibitoque sn-per p^inium, ac La conein ^ Mario Ceiso consule designato, ac Ducenvio Gemiiio praefecto urbis, pîiuri praBfatus de suâ seucctnte , Pisonem Zil?"- iiianum acccrsiri jubet ;seu propilà clcctionc, sive j ut quidam credidcrunt , Laconù ins- tante ; cui apud Rubellium Plautum exercita cmn Pisone amicitia : sed callidè ut ignotuin fovebat ; et prospéra de Pisone faaia consilio ejus lidem addiderat. Piso M. Crasso ac Scrihoniâ genitus , uobilis ut^iraque, vultu babituque movis antiqui , et aestiraatione recta severus , deteriùs iuterpretantibiis tris- tior babebatur. Ea pars moruiu ejus , quo suspectior solicitis , adoptautbplacebat.

IgtturGtf//5a , apprchensâ i'/Vc///^ maiiu^ ia hune moduralocntus fertur: Si te priva- tus j Icgc curiatâ apud pontijices j ut inoris

DU LIVRE I. DE TACITE. 35

tiou d'Allemagne , et avant que d'avoir rlea d'assuié du côté de Vitellius , l'incertitude de Galba sur les lieux tomberait l'effort des armées , et la déûance des troupes mêmes qui étaient à Rome , le déterminèrent à se donner un collègue \ l'empire , comme à l'unique parti qu'il crût lui rester à prendre. Ayant donc assemblé avec Vinius et Lacou, Celsus consul désigné, eXGcmimis préfet de Rome , après quelques discours sur sa vieil- lesse, il fit appeler Pi50« ; soit de son propre mouvement, soit, selon quelques-uns, k l'instigation de Lacon , qui, par le moyen de Plautus , avait lié amitié avec Pi.?o«; et le portant adroitement sans paraître y prendre intérêt , était secondé par la bonne opinion publique. Pison , fils de Crassus et de Scri- bonia, tous deux d'illustres maisons, suivait les moeurs antiques ; lioiumc austère à le j uger équitablement, triste et dur selon ceux qui tournent tout en mal , et dont l'adoption plaisait à Galba , par le côté même qui cho- quait les autres.

Prenant donc Pison par la main , Galba lui parla, dit-on , de cette mai\icre : «Si, « comme particulier, je vous adoptais , selon . B 4

S6 Traduction

est , adoptaj-em; et m Un egrcgjvm eratiitncj Pompeii et M. Crassi sobohm in pénates Vieos adsciscere y et tihi insipie , Siilpicice ac Lntatiœ décora , nobllltati tucf adje- fisse. Nuiic jue deorum hominuunjue cou- sensu ad iniperium locatum j prœc/ara indoles tua j et ajnor patricv impuJii , ut principatuni j de qno majores nostri arinis çertabant , bello adeptus , qniesceiiti oje- ram y exemplo di^-i yiiigusti , qui sororis filiiniiMarcelhim , dein genernm ^/grippanij mox nepotes snos , postremb Tiberiinn Ne^ rofiem prii-igniun , in pro.viiiw sibifastigia çollocauif. Sed angvstus in dojno snrcesso- rem ipiœsi^ùt ; ego 3 in repnblicâ : non <jvia propinqnos_ aut socios helli non Jiabeani sed neqne ipse iinperium ambitione accepi y et judicii mei documentnni sint , jion meco tantiiin necessitudines , <pias iibi postpoaui , sed et tuœ. Est tihi /rater pari nobilitate _, natu major j dignus hac fortunâ , nisi tu potior esses. Ea œtas tua , quœ mpiditatcs odolescentiœ jamejfiigerit ; ea vita , in qvâ nihil prateritum excusai: du/u habeas. For-

DU LITRE I. DE T-\CÏTE. 37

« l'usage , pnr-clcvaqt les pontifs , il nous « serait lionorablf , à iiîoi , (radniettic dans

*. ma fatmIJe un dcseciKlniitclc Pompée et de

« Crassjts ^ à vous, d'ajouter à roire uo-

blesse celle des uiaisoiis LxJtatieiiîie et vSid-

« picicnne. B'Iainteuaut appcîc à l'cuipiic ,

« du couseutement des dieux et des hounues,

« l'amour de la patrie et votre heureux iiatu-

« rcl me portent à vous ofiVir au sein do la

« paix ce pouvoir suprêiue que la guerre ui'a

« donne, et que nos ancêtres se sont disputé

« par les armes. C'e.^t ainsi que le grand Aii-

« ^'Mj-Zemlt auprcmierrangaprèslui , d'abord

« son neveu Marcel lus , ensuite j'ii^rippa

« son gendre, puis ses pctits-ûls, et ciiiiti

« Tibère fds de sa femme : mais Avgiiste

« choisit son successeur dans s;i maison ; ja

« clioisis le mien dans la re'publique ; non

« quf. je manque de proches ou de coiupa-

«« gnons d'armes; mais je n'ai point ir.oi-

« même brigué l'empire ; et vous préicrcr à

« mes parcns et aux vôtres, c'est montrer

« assc^ mes vrais senlinuns. Vous avez un

« frère illustre , ainsi que vous , votre ;iîiié,

« et digticdu rang vous montez, si vous

« ne l'étic/, encore jilus. V oi;s avez paî^sé sans

« rt-prov-hc rà^c de 1 •. jcuncSiC ei de* p ;biio;is.

58 TRADUCTION

tunam adhuc tantnni adversam tulisti f seciindœ res acrioribus xtiinuUs animas ex- plorant : quia misericr ioîerantur ^felicitctt corrnmpimur. Fidem , libertatem 3 ainici- tiam , prcecipua huma ni animi bon a , tu quidem, eâdem constantiâ retinebis : sedalii per obsequium im,minuent. Irrujnpet adu- latio , blanditiœ pessimum veri affcctûs venenum j sua cuique utilitas. Etiam ego ac tu simplicissimè inter nos hodie loqui- inur ; cœtei-i, libejitihs cumfortunâ nosirâ , quam nobiscum. A'am suaderc prijicipi qu od oporatet j multi Jaboris : assentatio erga principem quenicumque sine affectu pera- gitur.

Si immensuni imperii cojpus start ac librari sine j-ectore possct , dignus eram à quo respuhlica inciperet ; nunc ce) necessi- fatis jamprideni ventum est , ut nec mea senectus confcrre plus populo Romanopossit quam bonum successorcm , uec tua plus juventa quam bonum principem. Sub Tibt-

DU LIVRE I. DE TACITE. 39

«t Mais vous u'avez souteuu jusqu'ici que la « mauvaise fortune ; il vous reste viiie épreuve •< plus dangereuse à faire en re'sistaut à la «i bonne : car l'adversité déchire l'ame , mais « le bonheur la corrompt. Vous aurez beau « cultiver toujours avec la nxé.'ue constance « l'amitié, la foi, la liberté, qui sont les « premiers biens de l'homme , vm vain res- « pect les écartera malgré vous. Les flatteurs « vous accableront de leurs fausses caresses^ K poison de la Fraie amitié; et chacun ne « songera qu'à son intérêt. Vous et moi, « nous parlons aujourd'hui l'un à l'autre « avec simplicité ; mais tous s'adresseront à « notre fortune plutôt qu'à nous : car on « risque beaucoup à montrer leur devoir aux «♦ princes, et rien à leur persuader qu'ils le « font.

«c Si la masse immense de cet empire eut •« pu gardwrd'elle-méine son équilibre, j'étais « digne de rétablir la république ; maisdepuis «< lon^-temps les choses en sont à tel point , «< que tout ce qui reste à faire en faveur du •« peuple Romain , c'est pour moi d'employer « mes derniers jours à lui choisir un bon u maître, clpour vous, d'être tel durant tout

6

40 TRADUCTION

rio , et Coio y et Cloiidio j iiriius fuwiiit» qnasi hereditas fiiinms :loco lihertatis eri/j qiiod eligi arpimits / et fniiiâ Julloriiin Claiidiornmijtie dcino , optimum quenique adoptio inveniet. Nam ^enerari et nasci à •priucipibus j forti:iinui , itcc iiltrà œsiiiua- pir : adoptaiidi judicann iiilegruiii et ai velis eligcre , conseiisii mou s ira tu r.

Sit an te ocvlos licro , quem lovgâ Cce- saruin série ttimenlein , non f^'index cnm inernii proi'incia , aut ego cian una légion e ; sed sua imnianitas , sua luxuria cert>ici/jus publicis de pu 1ère. A'eqne erat adJiuc dam- nati principis cxempluni. Nos bcl.'o , et a!f œstiinantibus asciti j cuni int^idiâ , quauiris egregii j erimus. jVe tamen territirs Jiieris 3 si duœ legioncs in hoc concussi orbis niotn nonduni guiescunt. jVe ipse quideni ad secU' ras res accessi : et auditd adopHone , desi^ nan rideri senex , quod nunc niihi ununt ohjicitur. A^çro à pessimo quoque seuiper dçsiderabitur : nii/ti ac iiui proiidenduiti

DU LIVRE I. DE TACITE. 4g

« le cours des vôtres. Sous les empereurs pré-»

« cédciis l'Etat n'était l'héritage que d'uiie

« seulefaniille ; pi;r nous le clioix de sesclicFs

« lui ticudra lieu de libcité; après l'cxtinc--

« tioii des Jules et des CJçtndes l'adoption

« reste ouverte au plus digue. Le droit du

« sang et de la naissance ue mérite aucune

« estime et fait un prince an hasard ; mais

« l'a lopliou periucL le choix et la voix pur

« blique l'indique.

« Ayez toujours sous les yeux le sort

« de JSiéran , her d'nnc longue suite de

« césars ; ce u'c::t ni le pa3-s désarmé

« de l'index ^ \\\ l'unique légion Ac Galba ,

« mais sou luxe et ses cicautés qui nous ont

« délivrés de son joug, quoiqu'un empereur

« proscrit fut alors w\\ événcincnt sans cxcai-

« p!c. Pour nous que la guerre et l'estime

« publique ont élevés , sans mériter d'enner-

« liiis , u't.-pérons pas ti'eu point avoir : mais

« après ci'i; giaiiJs mouvciucus de tout l'uni-

« vers , deux légions émues doivent peu vous

« cllrayer. i\Ju propre élévation ne fui pas

« tranquille; et nui vieillesse , la seule e.'iose

« ((u'onmereproeiie , disparaîtra devant celui

« qu'on a choisi pour la soutenir. Je sais que

4* TRADUCTION

est, ne etiam à bonis desideretur. Monert diutins , neqne temporis hujus , et impletum est omne consUium , si te bene elegi. Utiîis~ simus quidem ac brevissimus benarum ma-' Jarmnque rerinn delectus est j cogitare quid aut volueris sub alio principe , aut nolueris. J^eqne enirn hîc ^ nt in cœteris gentibus quœ regnantur , certa dominormn domus , et cœteri servi : sed imperatttrus es hominibus y qui vec totam servitutem patipossnnt , nec totam libertatem. Et Qialba quidem , li?ec ac talia , tanquam priucipein faccrct, «Betcri tanquara cum facto loquebantur.

Pisonem fcnint statim intueutihus , et moxeonjectis in eum omnium coulis, nuikuu tuibati aut exsultantis animi motum prodi- disse. Scrmo erga patrem imperatorcmque vevcreas , de se moderatus ; niliil in vultu liabituque mutatum ; quasi impciare posset magis quàm Tcllct. Cousultatum iude, pro ïostris, an iu scnatu , an in castris adoplio

DU LIVRE I. DE TAClTË. 4^

«, Néron sera toujours regretté des uiéchans ; « c'est à vous et à moi d'empêcher qu'il 11e le « soit aussi des gens de bien. Il n'est pastemps « d'en dire ici davantage , et cela est superflu « si j'ai fait eu vous un bon choix. La plus «c simple et la meilleure règle à suivre dan» « votre conduite , c'est de chercher ce que « vous auriez approuvé ou blâmé sous un « autre prince. Songez qu'il n'en est pas ici « comme des monarchies ovi une seule famille « commande et tout le reste obéit, et que •c vous allez gouverner un peuple qui ne peut « supporter ni une servitude extrême , ni une « entière liberté. » Ainsi parlait Galba exx homme qui fait un souverain , tandis que tous les autres prcnaientd'avancc leton qu'on prend avec un souverain déjà fait.

On dit que de toute l'assemblée qui tonrna les yeux sur Pison , même de ceux qui l'ob- servaient à dessein , nul ne put remarquer en lui la moindre émotion de plaisir ou de trou- ble. Sa réponse fut respectueuse envers son empereur et son père, modeste à l'égard de lui-même ; rien ne parut change dans son air et dans ses manières ; on y voyait plutôt lo pouvoir que la volonté de commander. Ou

44 T R .\ n U C T I O N

iiuucnpaietur. Iri in castra plaruit ; honorî- ficiim ici uiililihus fore , quorntn farorcm nt îargitione et ambitu aialè acquiri , ita pcr boiiasartes liaacl spenicnduui.(^ircuuisteterat iiitcrim pahitium publica exspcctatio niagui secreti iiiipa tiens, et lualè coëicitam famam Supprimcutcs augcbaut.

Qnartnm iclns jannarias fœcluni imbribiis di.'ia , toiiitrna et fLil.^nra et cœlcstcs mina) ultra solituiu lurbavenuit. Observatum id antiquitùs coniitiis dirimendis , non tcrruit GalLaiii qnouiiiius m castra perycret; con- leinpovcin taliimi ut fortuitornni , scu quoe falo niaiicnt,quamvis signifie;; ta ^ non vitan- tur. Apiid IVcqucnteui luilitam coiicioneni ,' inipciatorià brcvitatc , adoptari à ï^iFisojuin , more divi ^J'i^nisti , cl cxt-niplo militari q;io vir viruni le:^crct , pronuutiat : ac ne dissi- irulata sçditio in uiaius crcdcrclur , ultro assevcrat, quartam et duodcviccsiiuam Ici^io-

DU LIVRE I. DE TACITE. 45

dellbcia ensuite si la cére'uionic de l'adoptiou ferait devant le peuple, ou au scuat , ou dans le eaïup. On prêtera le ca . p pour taire lionncuraux troupes, eoiiune voulant point aclietcr leur faveur par la flatterie ou à prix d'argent, ni dédaii^ner (!c l'acquérir parles moyens honnêtes. Cepend.tnt le peuple envi-, ronnait le palais , impatient d'apprendre ran- portante aifaire qui s'y traitait eu seeret , efe dontic bruit s'auf;tnentait eiMorc parles yaias effpi'ts qu'on lésait pour l'étouffer.

Le dix de janvier le Jour fut obscurci par do grandes pluies accompagnées d'éclairs , do tonnerres , et de sisz;nes extraordinaires du courroux céleste. Ces présa ;es qui jadiseusscnt ioni|)u les comices ne détournèrent point; Galba d'aller au camp ; soit qu'il les mépri- sât eonmic des choses fortuites , soit que les prenant poiu- des signes réels, i,l eu jugeât l'événement inévitable. Les gens de guerre étant donc assemblés en grand uonibre , il leur (lit, dans un discours grave et concis , qu'il adoptait Piaona l'exemple à^ Auguste , et suivan-t l'usage militaire qui laisse aux gé- néraux le choix de leurs lieutcnaiis : puis , de peur que son silcucc au sujet de la scditioi*

46 TRADUCTION

nés , paucis seditiouis auctoribus , non ultra vei-ba ac voces errasse , et brevi in officio fore. Nec iiU.um orationi aut lenocinium addit , autpretiura. Tribuni tamen ceuturlo- nescjue et proximi militum gratâ auditu res- poudeut ; per cseteros macstitia ac sileutium , tamquam usurpatam etiam iu pace donativi necessitatem , bello perdidissent. Constat potuisse couciliari animos quantulàcuinque parci seuls libcralitate. Nocuit antiquus rigor «t nimia severitas , cui jam pares non sumui.

Inde apud scnatum non compllor Galba a non lougior quàm apud milites senne. Pisonis coniis oratio ; et patrnm Tavor aderat : multi voluntatc -, effusiiis , qui nolucrant ; medii, ac plurimi obvio obsequio privatas spes agitan- tes , sine publicâ cura. Nec aliud scqucuti quatriduo , quod médium inter adoptionem et cacdcmfuit , dictum à Pisone in publiée , factumve.

DU LIVRE I. DE TACITE. 47

ne la fit croire plus dangereuse , il assura fort que n'ayant été formée clans la quatrième et la dix-huitième légion que par un petit nom- bre de gens , elle s'était bornée à des murmu- res et des paroles , et que dans peu tout serait pacifié. Il ne mêla dans son discours ni flat- teries ni promesses. Les tribuns, les centu- rions, et quelques soldats voisins applau- dirent ; mais tout le reste gardait un morne silence , se voyant prives dans la guerre du donatif qu'ils avaient même exigé durant la paix. Il paraît que la moindre libéralité arra- chée à laustcrc parcimonie de ce vieillard , eût pu lui concilier les esprits. Sa perte vint de cette antique roidcur, et de cet excès de sévérité qui ne convient plus à notre faiblesse.

De-là s'étant rendu au sénat, il n'y^ parla ni nioins simplement, ni plus longuement qu'aux soldats. La harangue de Pison fut gracieuse et bien reçue ; plusieurs le félici- taient de bon cœur ; ceux qui l'aimaient le moins , avec plus d'affectation ; et le plus grand nombre , par intérêt poiir eux-mêmes , sans aucun souci de celui de l'Etat. Durant les quatre jours suivaus qui furent l'intervalle

48 TRADUCTION

Crebriorihns in diesGermanicae dcfcctîouis nuuciis , et facili civitatc ad accipiciida crc- dendaque ouiiiia nova cîun tristia suut ; censueraut patres mittendos ad Germanicum exercituin Icgatos ; agitatum sccreto , num et jP/^o proficiscerctur , ina)ore piœtextu : illi auctoritatcm scnatus , hic digiiationein Cœsa- ris laturus. Placobat et Lacouem prsctorii pracfcctnm sinuil niitti; is consilio interccssit. Lcgati quoqne ( nain sciialus electioncta Galhœ penniserat ) fœdà inconstantià noini-« liati , excnsati ,subst]tuti , amhitii rcijiancndî aut euudi , ut qucuiquc mctus vel spes impu- tera t.

Proxima pccnniae Cnra ; et cnncta scru- tantibus justissinuiin visinn est inde repeti , ulji inopiœ causa erat. Bis et vicies mille scstertium doiuitionibiis Nero efïuderat. Appcllari siiigulos jussit , decumà parte libe- l'alitalis apud queuique eorum ixiittà. At illi»

DU LIVRE I. DE TACITE. 49

entre l'adoption et la mort do Pisoii , il 11e Et ni ne dit plus rien eu public.

Cependant les fre'qucns avis du progrès de la dcTcction eu Allema<,Mie, et la facilite avec laquelle lesmauvaises nouvelles s'accréditaient à Rome, enga; èrent le sénat à envoyer une dcputation aux légions révoltées ; et il fut mis sccrctenicnt en délibération , si Pison ne s'y joindrait point lui-même pour lui donner plusdc poids, en ajoutant la majesté impériale à l'autorité du sénat. On voulait queZ/7C0;/, préfet du piétoirc, fût aussi du voyage ; mais il s'en excusa. Quant aux députés , le sénat en ayant laissé le choix à Galba , on vit, par plus honteuse inconstance, des nominations, des refus, des substitutions , des brigues pour aller ou pour demeurer, selon l'espoir ou la crainte dont chacuîi était agité.

Ensuite il fallut cliercher de l'argent ; et, tout bien pesé, il parut très-juste que l'Etat eut recours à ceux qui l'avaient appauvri. Les fions versés par Néron montaient à plus de soixante millions. Il Ht donc citer tous les donataires, leur redemandant les nculdixièaies tlt te qu'ils avaient reju , et dçut à peine leur

5o TRADUCTION

vis decumae super portioîies eraut : iisdem. erga aliéna sumptibus , quibus sua prodege- rant, cùin rapacissimo cuique ac pcrditissiino non agri , aut fœnus , sed sola instrumenta Vitiorum mauerent. Exaction! xxx équités, Tomaui prœpositi ; uovum olficii genus , et ambitu ac numéro oncrosurti. TJbique hasta,' et sector , et i-nquieta urbs auctionibus ; attamen grande gaudiura ^ qubd tam pauperc» forent quibus douassct Kero , quàm quibus abstulisset. Exauctorati per eos dics tribuni, è praetorio y4ntonius Taurus et Antonius jVaso ; ex urbanis cohortibus , yEwylîus Pacerisis / è vigiliis , Julius Fronto : nec remcdiumin cscterosfuit, sed mctûs initium ; tauqnam pcr artera et formidincm singulî pelleieutur , omnibus suspectis.

Interea Othonem , cui compositis rébus nuUa spes, omne in turbido consilium,muita simul cxstimulabant : hixuria etiani priucipi oncrosa , iuopia Vix lîrivato toleranda , ia Calbam ira , in Pisonem iuvidia. Fingebat

DU LIVRE I. DE TACITE. Sr

resLait-il l'autre dixicinepartie : car, également avides et dissipateurs , et nou moins prodigues du bieu d'autrui que du leur , ils n'avaient conservé , au-lieu de terres et de revenus , que les iustrumens ou les vices qui avaient acquis et consumé tout cela. Trente chevaliers romains furent préposés au recouvrement ; nouvelle magistrature, onéreuse par lesbrigues et par le nombre. On ne voyait que ventes, huissiers ; et le peuple, tourmenté par ces vexations , ne laissait pas de se réjouir de voir ceux que Néron avait enrichis aussi pauvres que ceux qu'il avait dépouillés. En ce mêinc- temps Taurus et Nason tribuns prétoriens, Pacensis tribun des milices bourgeoises, et Fronto tribun du guet, ayant été cassés ; cet exemple servit moins à contenir les officiers qu'à les effrayer ; et leur fit craindre qu'étant tous suspects, on ne voulût les chasser l'ua après l'autre.

Cependant Gtlion , qui n'attendaitriend'ua gouvernement tranquille, ne cherchait que de nouveaux troubles. Sou indigence qui eut été à charge même à des particuliers, son luxe qui l'eut été même à des princes, son ressen- timent contre (Ja/^a, sa haine pour Pison ,

62 TRADUCTION

et metum , quo magis concnpisceret. PriT" gravent se Neroni fuisse j nec Lusitaniam riirsus aut alieruis exsilii honorem expcc- tandum ; suspccliim seinper invisumqui dominnntibus , qui proxinius destinaretur. JVociiisse id sibi apiid senem principem ; Viogis nocitnnim opnd jurenem iugenio iru~ ceni j et longo e.rsilio effcratum. Occidi Othoneni posse ; proinde agendmn audeii^ dmnque , diim Galhœ anctoiztas fluxa , Plsonis iiondum coahiisset. OppOrtunos magnis conatibus transitas reriim y nec cuTiciatione opus nbi perniciosior sitquicsj qvhm temeritas. Morteiii omnibus ex natura ipqua!e/n j oblivione j apnd posteras , rel gloriâ distingui. Ac si nocentem innocent tefnquc idem exitus maneat , acrioris riri esse , mérita perire.

NoTi erat Othonis mollis et corpori similiâ

aiiiuius. Et iutlmi lil)crtoium servominque

touc

DU LIVRE I. DE TACITE. 53

tout l'excitait à remuer. Il se forgeait même des craintes pour irriter ses dc'sirs. « K'avait-il « pas c'tc suspect à Néron lui-même ? falluit-il «« atten'.irc eucorerheiineur d'un secoud exil « eu Lusit nie ailleurs ? les souverains ne « voient-ils pas toujours avec déliaucc et de «< mauvais œilceuv qui peuvent leur succéder. « Si celte ide'e lui avait nui près d'un vieux « prince, com]>ien plus lui nuirait-eiJe auprès d'un jeune homme Tiaturellcuieiit cruel , « aii;ri par un longexil ! (^ues'iisétaiciit tt-nte's « de se cicuiirc de lui, pourquoi ne les pré- « viendrai t-ii pas ti:udis o^az G alba L\\dMcv\à\\. «< encore, et avant qucPziCK f'Jt affermi ? Les «« temps de crise sont ceux convienncut > les j^ranils efforts , et c'est itne erreur de temporiser quand les délais sont plus dan- » s^ercux que l'audace. Tous les lionunes » meurentcgalemcnt, c'estl.i loi de la nature; » mais la jjostérité les dir^tinguc par la gloire s> ou l'ouMi. (^uc si le même sort atloid ï» rinnoeentet le coupable , il est plus digue d'un hoiiuiie de coiu'agc de uc p^s périr »» sans sujet ».

Othoii avait le cœur moins effémir.é que lo corps. Ses plus familiers esclaves et affraucliis^

54 TRADUCTION

coiTuptiùs quam in. privatâ domo liabiti^ aulani NerOnis ^ et luxus , adulteria , matri- laouia, caeterasque regnarum libidines , avido taliuuijSiauderct , ut sua osteiitautcs; quics- centi , ut aliéna exprobrabaut : urgcutibus etiatii mathematicis , duin. uovos inotus et claruiu Othoni a.\\xvain observatioue sidcruiu affirmant ; geuus hominum potcntibus iufi- dum , sperantibus falLix , quod in civitate nostrâ et vctabitur semper , et retinebitur. Multos sccrcta. Poppœœ matbematicos , pcssi- muui piincipalis uiatrimouii instrumentutn , habueraut : è quibus Plolomœus Othoui in Hispauiâ comcs , cùm supcifuturum eum J\feroni promisisset , postquam ex cventu fides, conjectura jam et rumore , senium Galbœ y et JuventamO///(7H/^ computantium, pcrsuaserat fore , ut in imperium asciscerctur. Sed Otho tamqua!n peritià , et mouitu fato- rum pi'aedicta accipicbat , cupidine ingenii Jiumani libcntiùs obscura crcdcndi ; ucc deerat Ptolomœus , jam et scelcris instinc- tor , ad quod lacilliuiè ab cjus modi vota tiansitur.

DU LIVRE I. DE TACITE. 55

accoutumera une vie trop licencieuse pour une maison privée , eu rappellant la magnificence du palais de Néron , les adultères , les fêtes nuptiales, ettouteslesdébaucliesdes princes, à un homme ardent après tout cela , le lui montraient en proie à d'autres par son indo- lence , et à lui s'il osait s'en emparer. Les astrologues l'animaient encore en publiant que d'extraordinaires mouvemens dans les cieux lui annonçaient une année glorieuse ; genre d'hommes fait pour leurrer les grands , abuser les simples , qu'on chassera sans cesse de notre ville , et qui s'y maintiendra toujours. Poppée en avait secrètement employé plu- sicvirs , qui furent l'instrument funeste de sou mariage avec l'empereur. Ptolomée , un d'en- tr'cux,qui avait accompagne C'Mow , lui avait promis qu'il survivrait à iVcTz-ow ; et l'événe- ment Joint à la vieillesse de <7û'7i^<2, à la jeunesse ù'Othon , aux conjectures , et avix bruits pu- blics , lui fit ajouter qu'il parviendrait à l'empire. Othon , suivant le penchant qu'a l'esprit humain de s'aiîcctiouner aux opinions par leur obscurité même , prenait tout cela j)our de la science et pour dos avis du destin ; ctjP/c/c/«(re ne manqua pas,selon la coutume,

C 2

%6 TRADUCTION

Scd scclcris cogilatio Inccrtum au rcpcns J studia militum jam pridcmspc succfssiouis , ant paintu facinoris adcctaverat. Tu iliiu-rc , iu aguiine , in stationibus , vetitstissiiiniui qucuiqnc milituiu uouiiuevocans , au uic:uo- rlâ iierouiaui couiilatùà , coi tu'tfuriiales ajjpcllauilo , alios aj^aoscere , quo.-dain rc- quufic , et pccuuià aut ^ratià juvare: iuse- xendo saepiùs qnnelas , et ambiguos de Galba scruioucs , qua^quc alla tuibauicnta vulgi. Labores itiueruui , inopia couiitieatuuiu , duiitia iuipcrii , atrociùs accipici^;iutur ; cùm Campaniae lacus et Achaiœ urbt s clas- sibus adiri soliti , Pyircnœuiu et Alpes , et imiucusa viaruui spatia , œgrè sub anuis cuilciculur.

rla-;rautibns iaui luilitum aniiuis , vclut faces addideiat Ulcrius Pudciis , è pioxuuis 'J'j'î^ellini} is moljilissimumqueuupic iugcuioj

DU LIVRE I. DE TACITE. S;

d'être l'instigateur du crime doat il avait tt« le prophète.

Soit c[\\Othoji eut ou non forme ce projet , il est certain qu'il cultivait depuis long-temps les gens de guerre , comme espe'rant succéder àl'empire ou l'usurper. Eu route, eu hatiille, au camp , nommant les vieux soldats parleur nom , et comme ayaut servi avec eux sous Néron , les €i\iipe]ant camarades , il reconiu'.i- sait les uns, s'informait des au 1res , et les aidait tous de sa bourse ou de son crc'dit. Il t-ntrc- mêlait tout cela de fréquentes plaintes , de discours équivoques sur Galba , et de ce qu'il y a de plus propre à émouvoir le peuple. Les fatigues des marches, la rareté des vivres, la dureté du eonimandement , ri enveni;ii;:it tout ; comparant les anciennes et agréables navigations de la Campanie et des villes grecques , avec les longs et rudes trajets des Fyrcnces et des Alpes , l'on pouvait à peine «outenir le poids de ses armes.

Pudeiis , un des confidens (Iq TigcHi/ms! , séduisant diver^^^ement les plus renuiaiis , Ic-i plus obérés, les plus crédules , achevait d'allit- lucr les cspiiu déjà écUaull'és des soldais. £1

C 3

S8 TRADUCTION

aut pecuiiiae indigum , et in no\Kis cupîditate» praecipitemaIliciendo,ebpaulatim progressas est ut per spccicm coiivivii , quoties Galba apud Othonan epularetur , coliorti excubias agcnti , viritim cciitenos nummos dividcrct ; quam velut puhlicamlargitioncm,O^Ao secrc- tioribus apud singulos prœiuiis intendebat. Adeo animosus ç.oxxw'^'iox ^wWocceioProculo speculatori de parte finium cum viciuo am- bigenti , uuiversum vicini agruui suâ pecuniâ emptum dono dederit ; pcr socordiam prac- fecti , (juem nota pariter et occulta fallebaut.

Sed tum è libertis Onomastum future sce- Icri praefccit , à que Barhium Procuhim tesserarium speculatorum , et Vetiirium op- tioneui corumdcm pcrductos , postquam varie sermoiie callidos audacesquc cognovit , prrtio et proinissis onerat, data pecuniâ ad pcrtentaudos pluriuni auitnos. Snscepore diîo inanipuiarcs impcnum populi romani Irans- fciendum , et transtnienuit. In conscicntiani facinoris pauci asciti , suspenses caetcrornni auimos diversis artibus stimulant ; priiuores

DU LIVRE I. DE TACITE. 59

en vint au point que , chaque fois que Galba mangeait chez Othon^ l'on distribuait cent sesterces par tcte à la cohorte qui était de garde , comme pour sa part du festin ; distri- bution que , sous l'air d'une largesse publique , Othoii soutenait encore par d'autres dons particuliers. Il e'tait même si artlent à les corrompre, et la stupidité' du préfet qu'on trompait jusques sous ses yeux fut si grande , que sur une dispute de Proculas lancier delà garde avec un voisin pour quelque borne com- mune , Othon acheta tout le champ du voisin et le donna à Proculus.

Ensuite il choisit pour chef de l'entrepris* qu'il méditait Ouomastns un de ses affran- chis, qui lui ayant amené Barhius et f'ctn- rius , tous deux bas officiers des gardes; après les avoir trouvés à l'examen rusés et courageux, il les chargea de dons, de pro- messes , d'argent pour en gagner d'autres; et l'on vit ainsi deux manipulaires entreprendre et venir à bout de dispoier de l'empire romain. Ils mirent peu de gens dans le secret , et tenant les autres en suspens , ils les excitaient par divers moyens ; les chefs comme suspects par

go TRADUCTIOIT

milUviin, pi-ibcnelicia Xyinvliidli ui susprc- tos ; vuigus et c.xtcros , ira et dcspcr tiou© dilati toties danntivi ; eraiit qnos incuioria jVeronis, ac dcsiderium prloris licciitiœ accni- dcret •, Tu coniinunc ciuues uictu uiutaiulca xuilUiœ estcnchaulur.

Infccit ea tabcslei^iouvim quoquc et nuxil:0- ruiu moins jaai mentes , postqiiam vuli^atuui erat labarc Ccnnaniei cxereitùs fidem. Adco- quc parata apud malos scditio , etiaiii aiuid iatcgros dissitnul itio luit , \tt postcro idiiuiu die , rcdeiintciu à cocnà Othoncvi vaptmi fneriiitjuisi iiiccita noetls,ct totà nrhc sparsa militum castra, uec facilein inter tcîuulentos coiiscnsum tliUiiissoiiL ; non roipiih!ic;c cnrà , quam i'œdare priucipis sui s:;nyniiic solnii panibant, sed ne pcr tenebras , iit qnisquc rannonici vel Gcrinanici cxercitns mililibns oblatus essct , iguorantilms plerisquc pra Otiione destiuarctar. Multa cruuipcniis sedi- tioiiisir.dicia pcr conscios oppressa ; quoedaiu apud Galh.v aiircs pr-Tleclns l.aco elus:t> ii^uanis luililaiiuiu auiuioiuiu , couslîiiqir©

DU LIVRE I. DE TACITE. 6x

les bienfaits de Nympliidins , les soldats par le dcpit (ie se voirfrusti-cs du donatif si long- temps attendu; rappelant :i quelques-uns le souvenir de iVWcw , ils rallumoicnt eu eux le de'sir de l'ancieune licence ; cnfia ils les eîîrnyaient tous par la peur d'un changement dans la uiilico.

Si-tôt qu'on sut la deTi'ctIon de l'armée d'AHcmaçnc , le venin j^agna les esprits déjà émus des légions et des auxiliaires. Ricutôt les mal-intentionnés se Irouvèrent si disposés à la sédition, et les bons si tièdes à la réprimer , que le quatorze de janvier, Othon revenant de soupor eut été enlevé , si l'on n'eût craint les erreurs de la nuit , les troupes cantonnée» p.-.r toute 11 ville, et le peu d'accord qui rc^ne dans la chaleur du vin. Ce ne fut pas l'intérêt de l'Etat qui retint ceux qui médi- taient à ;run de souiller Icni-s mains dans le sang de leur priiicc , mais le dan^^er qiVua autre ne IVit pris dans l'obscurité pour Olhon , parles soldats des armées de Hongrie et d'AU Icnia^nc qui ne le connaissaient pas. I^es cou-» jurés étouiïèrcnt plusieurs indices de la sédition naissante; et ce qu'il en parvint aux oreilles de Galba l'ut éludé par Lacjn ^

52 TRADUCTION

quamvis egregii , quod non ipse afferrct- iuimicus , et adversus peritos pervicax.

yviii kalend. febr. sacrlficanti pro aede 'Apolloais GaIùce,harasY)CKl/m/jricius tristia exta , et instantes iusidias, ac domesticum hostem praedicit : audiente Othone , ( naui proximus astiterat) idque ut laetuni è contra- rio , et suis cogitationibus prospcrum inter- prétante. Necmulto postlibertus Onomastus nunciat expectari eutn ab arcbitecto et re- dctnptoribus ; quse signiticatio coëuntium jani militum, et para^:ae coujuratiouis conve- •nc.xaX.Otho., causant digressùs requirentibus; cùm enù sibi praedia vetustatc suspecta, eoque priùs explorauda finxisset , innixus liborto , per Tiberianam domuni in Velabruni , iude ad niiliarium aureuni , sub œdcni Saturai pergit. Ibi très et vigeuti specnlatorcs cousa- lutatum imperatoreni , ac paucitate salutan- tiumtrepidum,etsellaefcstinantcrirapositum, îlrictis mucrouibus rapiuut. Totidem ferme

DU LIVRE I. DE TACITE. 63

homme incapable de lire dans l'esprit des soldats , enuemi de tout bon conseil qu'il n'avait pas donné, et touj ours résistant à l'avis des sages.

Le quinze de janvier, comme Galba sacri- fiait au temple d'Apollon , l'aruspice U?nbri~ dus , sur le triste aspect des entrailles lui dénonça d'actuelles embûches et un ennemi domestique ; tandis qu'Othon , qui était présent^ se réjouissait de ces mauvais augures et les interprétait favorablement pour ses desseins. Un moment après Onomastus vint lui dire que l'architecte et les experts l'atten- daient ; mot convenu pour lui annoncer l'assemblée des soldats et les apprêts de la conjuration. Othon fit croire h ceux qui lui demandaient il allait, que , j^rcs d'acheter une vieille maison de campagne, il voulait auparavant la faire examiner ; puis suivant rnftranchi à travers le palais de Tibère au Vélabrc, et de vers la colonne dorée sous le temple de Saturne, il fut salué empereur par vingt-trois soldats, qui le placèrent aussi- tôt sur une chaire curule tout consterné de leur petit nombre, et l'environnèrent l'épce à la main. Chemin fcsayt^ y, furent joizit*

^4 TRADUCTION

milites in itlucrc aggrci^autnr , alii consciciî- tiâ , plciique miiacnîo ; pars clamore et gladiis , pars sileutio , auiuiuui ci cvcutu suuipturi.

Stationcm in castris agcbat Julius Mar- iialis tribuuus. Is rnaguitudiue subiti sccleris, au torrupta latiùs castra , ac si contra teiide- rct , cxitiiiin nietucMis , prœhnit plerisquc fiispicionem cousciciitipc. Adtcposaérc cDctcri tfiîoqne trilniui ccnturicncsqnc prcxsciitia (lubiis et îiouestis. Tsqne habilus auinioruin fuit, lU pcssiumm facinus auclcrcrit pai:i;i , jplures vclieut , ouincs p ilciCiitur.

Jn-narus intérim Galba et sacris întenîu?, fatigabat alicni iam impcrii dcos ,cùm affei lur rumorrapi iii cn?tra , inccrtum quciu seiu.to- rcm, uioxOi?/70WfW t'ssc qui raperctur. Siinul ex totà urbe , ut quisque obvius fucrat, aîii forinidiucm au-eutes , quidam minora vcro , us lum quldeui obiiti aduialiouis. Jgitur

pai:

DU LTVRE I. DE TACT TE.

par un nombre à-pcn-prcs égal de leur» caiinrr.dcs. Les uns instruits du cou olot riicconipagnaient à fi^rands cris avec îtiirs armes; d'antres frappes du spectacle se dispo- saient eu silence a prendre conseil de l'e'vc'ue- xiicnt.

Le tribun Martialis qui était de garde au camp, cflVayc d'une si prompte et si grand© entreprise , ou craignant que la sédition n'eût grgné ses soldats, et qu'il ne fVit tué en s'y opposant, Fut soupçonné par plusieurs d'ca être complice. Tons les autres tribun^ et centurions préférèrent aussi le parti le plus sûr au plus Ironnéte. iùifin , tel fut l'état des esprits, qu'un jxtit nombre ayant entrepris un forfait déte-^tible, plusieurs Tapprouvè- reut , et tous le souffrirent.

Cependant Galba tranquillement occupé de son sacrifiée , importunait les Dieux pour un empire qui n'était plus à lui ; quanil tont- a-eonp un bruit s'éleva que les troupes enle- vaient un sénateur qu'on ne nomm 'it jias , mais qu'on sut ensuite être Cthon. Aus>i-tôt on vitaeeonrir de'< gens de ton-, les quartiers ; et à mesure qu'on les rencontrai t, plusieurs

Mélanges. Toine V. D

66 TRADUCTION

consultantilms placuit pcitentaii nnimura cohoitisqua; iu pnlatio statioiieinagcbat ,ucc pcr ipsnin Galhnin , cujus intégra auctoritas inaioiibus rcmcdiis scrvabatur.

Piso pvo gradibus domùs vocatos iu hune nioduui allocutus est ; Sextiis dies agitur , coininilitones , ex qiio igiiarus fntiiri , et sive optandum hoc nomen sivc timcudutn erat j Cœsar ascitus sum :quo domùs nostrce aiit reipuhlicœ fato , in vesttâ manu positum est y non quia , meo iiomine , tristiorem casum paveam , ut qui ad versas res exper- tus _, cum maxime discarn, ne secundas qul- dem minus discriminis habere : patris et tenatus it ipsius imperii vicem doleo , si no'bis aut perire hodie necesse est j aut,quod œque apud honos jniserum est 3 occidcrc. Solatinm proximi motùs habebarnus , in- crneiilam urbem et res sine discordiez trans- latas j pro visu /n adoption e vidcbatur^ ut ne vûsl Galbam quidem bello locus esset.

DU LIVRE I. DE TACITE. 67

^lî^mcn talent le mal et d'autres rextéuuiilent , jic pouvant en cet instant même renoncer à la flatterie. On tint conseil , et il fut résolu que Pison sonderait la disposition de la cohorte qui était de garde au palais , réser- vant l'autorité eucorc entière de Galba pour de plus prcssans besoins.

Ayant donc assemblé les soldats devant les dc^-i'cs du palais , Pison leur parla ainsi : « Compagnons , il y a six jours que je fus « nommé césar , sans prévoir l'avenir et « sans savoir si ce choix me serait utile ou « funeste. C'est à vous d'en fixer le sort pour « la république et pour nous ; ce n'est pas « que je craigne pour moi-même, trop ins- «c truit par mes malheurs à ne point compter « sur la prospérité : mais je plains mon père , « le sénat,eireinpire, en nous voyant réduits « à recevoir la mort ou à la donner, cxtré- « mité non moins cruelle pour des gens de « bien ', tandis qu'après les derniers mouv( - « mens on se félicitait que Rome eût été? « cxemptcdcviolcnceetde meurtres, et qu'on « espérait avoir pourvu par l'adoption à « prévenir toute cause de guerre après la « uiort de Galha.

D 2

68 T R A D U C T I O N

Nihil arrcgaho viihi nohilitatis mit mo- dextiœ ; necjne enim relatii virtutmn, in com~ paratione Othonis , opiis eut. fit la , ijniims solis gloriatur , evej'têre imperiiim efiam chm nmiciun imperatnris agcret. Hahilnne et i-iu-cssu , an illo inuliebri omatii , merc- r€t!ir Impcrium? Falluntiir, çnihiis I/t.ntritz spccie liheralitatia imponit. Perdere islc scie/ , dofinre nescief. Stnpra nuitc , et lOmes- se. lianes _, ctfeniiiianun cœfrix , lyolvitaniiuo; hœc priucipatîis prjeniia putat , tjiiontin Jiliido ac rolîip.'as , pniex ipsnmsit ,• rubor ac dedecim, pênes onities: nemoeiiiin vn^naia iviperiuni Jlagiiio qucesitiwi bonis ariibus ex er cuit,

Galbam consensus generis hmnani , me. Galba , consentientibns vohis , Coesarcm dixijt. Si respnblica , et senalus , et popuJus, vana nomiua snnt : vesirâ , commilitones , inierest , ne imperatorem pessimi faciant. Legionum seditio adversum duces suos an- dita est aliquando : vestra /ides faniaqne illœsa ad hune diern mansit ;ctNero ijuo(jue

DU LIVRE I. DE TACITE. 67

«< Je uc vous parlerai ni de mon nom, n^ « de mes mœurs ; ou a peu bcoin de vertu» « pour se com;:arcr à Othon. Ses vices, dont « il fait toute sa gloire , ont ruine l'Etat « quand il était ami du prince. Est-ce par « son air , par sa démartlic , ])ar sa panne « eiréniinee qu'il se crQÏt digne de l'cuipire? « On se trompe beaucoup, si l'on prend son * luxe pour de la libéraLté. Plus il .^aura « perdre, et moins il saura donner. Débaii- « elles, festins, attroupemens de femmes, « voilà les proiets qu'il nie'dite ,et, selon lui , « les droits de l'empire , dont la volupté sera « pour lui seul , la lionle et le désliouneur « pour tous ; car jamais souverain pouvoir « acquis par le crime ue fut vertucubcuieul « exercé.

« Galba fut nommé ce'sar par le genre- m Lumain , et je l'ai e'té par Galba de votre « consentement. Compa!::,nons , j'is^nore s'il « vous est indiffèrent que la république , le « sénat et le peuple, ne soient que de vains « noms ; mais je sais au-moins qu'il vous « importe que des scélérats ne vous don- « nent pas un chef. On a vu quelquefois « des léyious se révolter contre leurs tribuns ;

D 3

70 TRADUCTION

vos destituit, non vos Neronem. Minus xxx tranfugœ et desertores , quos centurionem aut tribnnum sibi eligentes nemo ferret y imper liim assignabiint? y4 dmittitis excm- phun , eti]u iescen do commune criinenfacitis ? transcciidet JiJec Ucentia in proi^'incias y et ad nos scelerum exitns _, belloruni ad vos pertimbunt. Nec est plus quod pro cœde principis , quàm quod innoccntibus datur ; sed proinde à nobis donativum ob fidem , quàm ab aliis pro faciuore accipietis.

Dilapsisspcculatoribiis , cœteracohors non aspcniata conciouaiitcin , ut tiirl)idis rcbus evcuit, forte iiiagib et non , niillo adliuc con- silio , parât signa , quodpostca creditumest, iusidiis et simulatiouc.

DU LIVRE I. DE TACITE. 71

« jusqu'ici votre gloire et votre fidélité n'ont « reçu nulle atteinte ; et Néron lui-ni6aic « vous abandonna plutôt qu'il ne fut abau- « donné de vous. Quoi! verrons-nous une « trentaine au plus de déserteurs et de traus- « fu-cs , a qui l'on ne permettrait pas de se « choisir seulement un otncier , faire un eux- « pereur ? Si vous souffrez uu tel exemple , « si vous partagez le crime en le laissant « commettre , cette licence passera dans les «c provinces, nous périrons par les meurtres «t et vous par les combats , sans que la solde « en soit plus grande pour avoir égorgé soa « prince, que pour avoir fait son devoir : « nais le donatif n'en vaudra pas moins, K reçu de nous pour le prix de la fidélité, « que d'uu autre pour le prix de la tra- « bison ».

Les lanciers de la garde ayant disparu , le reste delà cohorte, sans paraître mépriser le discours de Pison , se mit en devoir de pré- parer ses enseignes, plutôt par hasard , et , comme il arrive en ces momens de trouble , sans trop savoir ce qu'on fcsait, que p.^r une feinte insicJicrUsccommeoiii'a cru ilans laouitc.

D 4

72 TRADUCTIOTSr

Missus et Celsiis Marins ad clcctos Illy- rici exercrtùs , Vipsauiâ in porticu tciulentes. Prœceptiiin ^tnulio Scrcno'QS. Domitio Sa- bino piiuiipilai;!)i,s, ut Gcniiaiiicos milites c Libertatis atrioacccrscrent.Legioui classicœ diffidebalur , iufcslJE ob cacdcm comu.ilito- inuii quo3 |)rimo statim ialroitii trncidaverat Galba. Pei-uut ctiain in tastra prrtori uo- ïum tiihimi Cetrins Severns , SuhriusT-fx- ^er^ Pompe lu s Loiigiinis , si iiK-ipicns a 'luic et nec'Ium acHlta seditio mdioiibiis cou- siliis flectcretur. Tribunorum Subrivm et Cetrium milites adorli minis , Longinvm mauibui, coerceut , exaiuiaiitquc ; quia non ordiiic militiae, sed c Galbœ amicis , G.lus priucipi suc , et dcsciscentibus suspcctior erat. Legio classica uihil cunctata prcctoriaiiis adjungitur. Jllyrici cxcicitùs elccti Celsiim ingestis piJis proturbant. Gennanica vexiJla iu nutaverc, iiivalidis adhuc corpoiikus , et placdtis animis , qu6d cos à Ncrone AJcxaa- driam prœmissos , atque indè lursus loiigà iiavigatioiie œf^ros , inipcusiore cuiû Galba rcfovcLat,

DU LIVRE I. DE TACITE. yS

Ce/sus fut envoyé au dctaclicment de l'arniec d'Illyi'ie vois le portique de J'ip- saniJis. Ou ordonua aux priinipilaircs Sere- Tiiis QiSabinus d'aincuer les soldats Germains du temple de la liberté. On se déliait de la légion marine aigrie par le meurtre de ses sol- dats que CaJha avaii fuit tuera sou arrivée. Les trijjiius Cetriiis , Subriiia et Lotiginus allèrent au camp prétorien pour tâcher d'é- toufFer la sédition naissante, avanlqu'clîe eût tclaté. Les soldats menacèrent les deux ])re- ïniers ; tuais Lohgin fut maltr ité et dés rmé, parce qu'il n'avait pas passé p r les f^rade» militaires, et qu'étant dans la confiance de Galho , il eu était plus suspect aux rebelles. La lé.'^ion de mer ne balança pas à se joindre aux prétoriens. Ceux du delacliement d'Il- ïyrie, présentant à C\'hiis\-A pointe des armes, ne voulurcfit point l'écouter. Mais les troupes d'Alleuiïignc liésitèrcnt long-temps, n'ayant pas encore recouvré leurs forces, et ayant perdu toute mauvaise volonté, denuis que revenues malades de la longue navigation d'Alexandrie, Néron les avait envoyées , Cnll/a n'épargnait ui soin ni dépenses pour ks rétablir.

D &

74 TRADUCTION

Uiiircrsa jam plcbs palatium implcbat ^ mixtis servi tiis , et dissouo climorc , cacdcm Othonis et conjuraloruin cxsiliuin posceu- tiiiin,utsi iiicircoacthcatroludicrunialiquod postulaient. Ncque illis judiciuuiaut verilas; quippe codem die diversa pari certamiue pos- tnlaturis : sed tradito more , quemcumque priucipeiu adulaudi , liceutiâ acclamatiouum, et studiis iiianibus.

Intérim Galham duae sentcntiœ distine- bant. Titus p'inius manunduni intra domum, opponenda servitia , tirraandos aditus , non euudnm ad iratos censebat : darct malorum pcenitcnticX , daret bonoriim conscnsni spa- tiuin ; scclera iinpctu , bona consib'a raorâ valcscere. Dcniqiie cnudi iiltro si ratio sit, eamdem aïox facullatciu : rcgrcssus , si pœui- teat in aliéna potcstale.

Festinandum cocteris vidcbatnr , antrquam crcsceret invalida adliuc eonjn ratio pauco- rum. Trépida turum ctiam Othonem , qui furtitn digrcssus , ad isuaros illatus, cuncta-

DU LIVRE I. DE TACITE. 7S

La foule du peuple et des esclaves , qui , duraut ce temps, remplissaient le palais , de- mandait à cris perçans la mort d'Ot/wji , et l'exil des conjurés, comme ils auraient de- mandé quelque scène dans les jeux publics ; non que le jugement ou le zèle excitât des clameurs, qui ciiangèrcut d'objet dès le même jour, mais par l'usage établi d'enivrer cliaquo prince d'acclamatiosis cflréuées et de vaincs flatteries.

Optiidant Galba flottait entre deux avis. Celui de i 'inius était qu'il Cillait armer les esclaves, rester dans le palais, et en barrica- lier les avenues ; qu'au-lieu de s'ollVir à Azt, gens écUauffés, ou devait laisser le temps aux révoltés de se repentir et aux Qdèlcs de se ras- surer; que si la promptitude convient aux iorfails, le temps favorise les bons desseins ; qu'enfin l'on aurait toujours la uicmc liberté d'aller s'il était nécessaire , mais qu'on n'é- tait pas sûr d'avoir celle du retour au besoin.

Les autres jugeaient qu'en se liàt;i!itdc pré- venir le progrès d'une sédition faible encora et peu nombreuse, on épouvanterait Othoti mémCj qui, b'étaut livre iuitivemrnt à de*

U 6

76 TRADUCTION

tioiie nuuc et sci^iîitiâ tcientium tempus , imitari iJiiucipeui cliscat. Nou exspectandum «t couipositis castris , forum invadat , et prospectante Galba Cap;toIium adcat ; dnm egiegiiis imperator , cum fortil)i!s auiicis , jainià ac liuiiiie tenus (lonunn clu it , obsi- dioîicui uiiMiruiu tolcn'.turus. Et pia'clarum ïu servis auNiliu:n , si couseusus tantae inul- tltu'liuis , et qnae p!uriii:ùiu v let , priuta indiguatio laiigucscat. Pioinde iututa , quae indecora ; vcl si cnderc uecesse sit , occurrcu- dum distriiuiiu : id Othoni invidiosius, et ipsishonestum. Rcpuguaulem linic senteiitiai P'iniuîîi , Laco uiiuaciter iuvasit ,slitiiulaiite Jcelo, privati odii pertiuacià , iu publicnui exitiuui. ]\ec diutiù.s Galba cuactatis spccio- siora suadcutibus accetcit.

Propmissus tamcn in castra Plso ,ut invenis taagiio uouiiac , rccenti l'avore , et iufcnsus T. J>'iiiio , scu quia crat , seu quia irati ita Volebautj et l'aeiiiùs de ociio creditui-. Yix

DU LIVRE I. DE TACITE. 77

inconnus , proûtcrait, pour apprendre a re- présenter , de tout le temps qu'on perdrait dans une lâche indolence. Fallait-il attcudre qu'ayant paciiié le cainp il vînt s'emparer de laplace, ctuiontcr au capi tôle aux yeux même de Galha y tandis qu'un si grand capitaine et SCS Ijiaves amis , renfermés dans les portes et le seuil du palais, l'inviteraient, pour ainsi dire , à les assiéger ? (^uel secours pouvait-oa se promettre des esclaves , si on L issoit refroi- dir hi faveur delà multitude, et sa première indij^natioii plus puissante que tout le reste ? Dailleurs , disaient-ils ,1e parti le moins hon- nête est aussi le moins sûr; et dut-on succom- ber au péril , il vaut encore mieux l'aller ciier- clier : Uthott en sera plus odieux et nous eu aurons plus d'honneur, f^inius résistant à cet avis fut menacé par Lacon y\x l'instigation *y Icchiv , toujours prêt à servir sa haine par- ticuhère aux dépens de l'Etat. Galba , sans hésiter plus long-temps, choisit le parti le plus spécieux.

On envoya Pison le premier au camp , ap- puyé du crtdi.t que devaient lui donner sa iiaissaucç, le rangauquel il vcMiait deinontcr, et sa colère contre Vinivs , véritable ou sup-

78 TRADUCTION

duui egresso PL o/ie, occisum in castris Oi/iO" nem, yagus priuiùm et incertus rumor , mox ut in magnis meiid iciis , inteifuisse se quidaui et vidisse aflirmabaut ; crcdulâ famà , iuter gaudcutes et incuriosos. Multi arhitrabautur coinpositumauctuiiiqiiciuuiorcm,mixtisjaBi Otlioniaiiis , qui ad c\ociiu.(ii\mGa//>am la:ta falso vul^averiut.

Tum vcio non popnlus taiitinn et inipeiila pîcbs in plausus et iaimodica studia, scd equitum plerique ac scnatorum , posito mrtu incauti , icfractis palatii ioribus ruere intùs , ac se Galbœ ostcutarc , prœreptam sibi ultio- ncm qiicrcnles. Ignavissimus quisqne, et , ut res docnit, in periculo non ausurus , niniii verbis , Hnguae féroces ; nemo scirc, el omncs aCBimaie ; doncc inopià veri , et conseusu cnautium victus, sumpto tliorace Galba , iirucuti tuibae iicque ittnte nequc corpore sistens , selU Icyaatur. Obyius iu palatio

DU LIVRE I. DE TACITE. yp

posée telle par ceux dont p'inius était liaï et queleurliaiiiercudaitciédules. ApeiucPz,yow fnt parti, qu'il s'éleva un bruit, d'abord vague et incertain , q^nOi/ion avait été tué dans le camp. Puis , comme il arrive aux mensonges importans , il se trouva bientôt des témoins oculaires du faii, qui persuadèrent aisément tous ceux qui s'en réjouissaient ou qui s'en souciaient peu.Miiis plusieurs cru- rent que ce bruit était répandu et fomenté par les amis d'Othon , pour attirer Galba par le leurre d'une bonne nouvelle.

Ce fntalors quclcs applaudissemens etrcm- pressemeut outré gagnant plus haut qu'une populace imprudente, la plupart des cheva- liers et des séi\alrurs , rassurés et sans précau- tion , forcèrent les portes du palais , et cou- rant au-devant de Galba , se plaignaient que l'honneur de le venger leur. eût été ravi. Les plus lâches et, connue l'effet le prouva, les moins capables d'affronter le danger, témé- raires en paroles et braves de la langue , affir- maient tellement ce qu'ils savaient le moins , que, faute d'avis certains, ctvaincu par ces clameurs. Galba pritiuie cuirasse, et n'étant ni d'àgc ui de force à soutenir le choc de la

8o TRADUCTION

Jiilius y^tticus spcculator , crucntnin g7a- dium osteiitaiis j occisum à se Othoncm excla- mavit; et Galba : CommlHto , inqiiit , cuis jussit? insigiil auiino ad co'ercciidatu mili- tarem liceutiam , mhiantihus iiitrepidus , adversus blaadieutes iacorruptus.

Haud dubÎT Jam in castris omnium mentes, taiitusqiicardor, ut non contcnti agMiiue et corporibus , in sng^cstu , in quo paulo antè aurea Galhœ statua fuciat , médium intcr sign.i Othonem vcxillis circuiudaicnt. Nec tribunis aut centurionibus adcuudi locus , gregarins miles cavcri insuper pracpositos jubciiàt. Sliepcic cuncta clamoribus , et til- multu ,ct cshorlatiouemutuàjUOn tamquani iu populo ac plebe , variis segni adulationc votibus , sed ut queriiquc aOlucntium mili tuui aspexerant , preliensaie manibus , complccti armis, co'iîocare juxta , pri'eirc saiiauicutiun , HiOcJà iiupcraloicui mililibus , modo inipc- jatori milites coaimcudare. I^iec dceiat Ot/iO

DU LIVRE I. DE TACITE. 8i

foule, se 6t porter dans sa chaise. Il rcucon- tia sortant du palais iiii gpiidôriiic notiiiué Jnliusj^ttkvs , qui aïoiitraiit ^OIl glaive tout sanginnt, s'écria qu'il av^ait tué (v^/,©;/. Cama- rade ,\y\\ ii Vjd\hi\ , qui vous r a commandé ? "Vigueur suigulièrc d'un liouuue attentil' à réprimer la licence militaire , et qui ne se laissait pas plus amorcer par les flatteries , qu'effrayer par les menaces !

Dans le camp les seutimcns n'étoicnt plus douteux ni partagés , et le zèle des soldats était tel que, uon eontens d'environner ^^//'O/i de leurs corps et de leurs bataillons, ils le placèrent au milieu des enseignes et des dra- peaux dans l'enceinte était peu auparavant la statue d'or de Galba. Ni tribuns ni centu- rions ne pouvaient approcher, et les simples soldats criaient qu'on prît garde aux officiers. On n'entendait que clameurs, tumulte, exhor- tations u\utuelles. Ce n'étaient pas les tièdes et les discordantes acclamations d'une popu- lace qui llatleson maître; mais tons les sol- dats , qu'on voyait accourir en foule, étaient prisp.ir la main, embrasses tout armés, ame- nés devant lui; et après leur avoir dicté serment, ils recommaudaieut l'empereur aux

82 TRADUCTION

protcndciis inanus ; adorare vulguin , jacere oscilla , et ouiuia servilitcr pro domiuatioue.

Postquamuniyersa classicomm legio sacra^ mentum cjusacccpit^ fideiis viribus , et quos adliuc singulos exstimulaverat , accendeiidos iu coiuinuue ratus , pro vallo castrorum ita cœplt.

Quis ad vos processer/m , coimnililones , dicere non possuui : quia nec privaUtm me vocare sustineo , princeps à vohis nonii^ natus ^ nec principem , alio iniperantc ^ vestrum quoque nomen in incerto erit, donec duhitabitur inipeiatoreni populi romani in castris , an hostem habcatis. ^lidilis ut pœna mea et supplicium restrum simul pos- tnlentnr? adeb manifestuin estneque perire nos , neque salcos esse , nisi unà j passe ; et cnjus hnilatis est Galba ,jam fartasse pro- inisit : ut qui nuUo exposcente , tôt millia, innocentissiinoruvi viilitnm trucidaverit^

DU LIVRE I. DE TACITE. 83

troupes et Jcs troupes à reinpercur. Othoit ^ de son côté , ieadant les bras , saluant ia mul- titude , onvoyaiit des haisers, n'omettait riea de servils pour couiiuaudci".

Enfin après que toute la Ic'gion de mer lui eût prêté le serment , se confiant en ses forces, et voulant animer en commun tous ceux qu'il avait excites eu particulier, il monta sur le rempart du camp , et leur tiut ce discours.

■» Compagnons, J'ai peine à dire sous quel « titre je me prcscute en ce lieu : car élevé •« par vous à l'empire, je ne puis me regarder « comme particulier , ni comme empereur « taudis qu'un autre commande; et l'on no « peut savoir quel nom vous convient à vous- « incmcs, qu'en décidant si celui que vous « protégez est le chef ou renucmi du peuple « romain. V^ous entendez que nul ne de - « mande ma punition qui ne demande aussi « la vôtre; tant il est certain que nous ne « pouvonsnous sauver ou périr qu'ensemble; « et vous devez juger de la facilité avec la- « quelle le clément Galba a peut-être déjà « promis votre mort , par le meurtre de tant

«4 TRADUCTION

Horror animuni subit quoties recordor fc" raient introitum , et hanc solam Galùie victoriam , chm in oculis urhis deciimari deditos jiiberet , qiios deprecatitcs in fidem acceperat. His auspicHs nrhein ingressus y tjuamgloriam ad principatuni attulit ,nisi occisi Obnltronli Sahini,et Coruelii iVar- celli in Hispaniâj tJetui C Tiilonis in G allia, Fonteii Capilonis in Gernianiâ , Clodii 3Jarri in y4frlcâ , Cingonii in via , Turpi- liani in urhe j Nymphidii in cas tris? (>vce usijuani pro^nncia , ijuœ castra snnt , nisi crnenta et inacnlata? ant , vt ipse pnfdicaf, cmen data et correct a ? A' a ni qnœ a lii sceltra, hic remédia vocat ^ dunifalsis noniinUnts ^ sei'eritateni pro sawitiâ , parcijnoniam pro auaritiâ , supplicia et contninelias restras , disciplinam appellat. Sep te ni à Neronisfina mcnses sunt , et ;am plus rapuit J ceins c/nàm guod Polycleti , et f'atinii , et Elii.para- vernnt. Minore avariiiâ ac licentid grassa- tus esset T. l'inins , si ipse iniperasset ; niinc et subjectos nos habuit taincjiiam suos , et files ut aliénas. Ijna illa doiiius sujfficit

DU LIVRE r. DE TACITE. ??5

•t de milliers de soldats iiiiiocciis que pcr- « sonne ne lui demandait. Je frémis eu uie « rappelant riioireur de son entrée et de son. « uniq'.ic vletoire, lorsqu'aux j'eux de toute « la viile il {'il déi'imer les prisonniers sup- « plians qu'il avr.it reçus en grâce. Entré dans «c Rome soMs de tels auspices, quelle gloire « a-t'il acquise dans le ^gouvernement , si ce « n'est d'avoir fait mourir Sabiniis et Mar- m celtiis eu Espagne, Chilon dans les Gaules, m. Capiton eu Allemagne, Macer en Afri- « que, Cingoiiiiis en route, Turpilien dans « Rome, et Nympliidlus au camp? (Quelle « année ou qnclle province si reculée sa « cru u n'a-t-ellc point souillée ctdésho- « norée , ou selon lui lavée et purifiée avec « du sang ? ('ar traitant les crimes de remc- « des et donnant de faux noms aux choses , « il appelle la barbarie sévérité, l'avarice éco- « nonue, et discipline tous les maux qn'il « vons fiiit souffrir. Il ny a pns sept mois que « Néron est mort , et Icelns a dé)à plus volé « que n'ont fait Jiliii.s ^ Polyclète tt J'atl- « niiis. Si p'inias lui-même eut été empc- « rcnr , il eût ;.,ouvenié avec moins d'avarice « et de licence ; iiiriis il nons coniinanda « comme uses sujets et nous dédaigne couuue

»6 T R A D U C T I O I^-

donativo quod vobis nnncjuam datur , et quotiàie exprohratur.

Ac ne qna sciltcm in successoreGalbœ sp£g esset , accersit ab exilio queiu trisiitiâ et acaritiâ suî simiUimum jiidicabat. T'idis- tis y commilitones ^ notabili tempestaU , etiam deos infanstain adoptionem afersan^ tes : idem seJiatùs , idem popiili romani animiis est ; vestra rirtiis expectatnr , apud qnos omne Jiouestis cortsiliis robiir , et sine quibus , quamiis egregia invalida sunt. Non ad helhim vos , nec adpericnlum roco: omnium milituin arma nobiscnm sunt. Nèc iina coJiors togata défendit nu ne Galbam , sed dctinet ; chm vos aspexerit\ cum signum meum acceperit , hoc solum erit certamen, quis mihi pliirimhm imputet. Nullus cunc-^ tationi locus est in eo consiUo quod non poiest laudari nisi peractum.

Jiperire dcindè armanientaiium jussît

DU LIVRE I. DE TACITE S7

« ceux cl\iii antre. Ses riclicsses seules siifFi- « sent pour ce douatit'qu'ouvous vante sans « cesse et qu'on ne vous donne jamais.

« Afin de ne pas même laisser d'espoir à « son successeur, G'a//^« a rappelé' d'exil un « lionimc qu'il jugeait avare etdurcommeîui. « Les dieux vous ont avertis par les signes les « plus e'vidcns, qu'ils de'sapprouvaient cette « e'iectiou : le se'nat et le peuple romain no « lui sont pas plus favorables ; mais leur cou- « fiance est toute en votre courage; car vous « avez la force en main pour exe'cuter les « choses honnêtes , et sans vous les meilleurs «< desseins ne pcuventavoir d'effet. Ne cro3^cz « pas qu'il soit ici question de guerres ni de « périls, puisque toutes les troupes sont pour « nous, que Galba n'a qu'une coiiorte ca « toge , dont il n'est pas le chef mais le pri- « sonnicr, et dont le seul combat, à votre « aspect et il mon premier signe, va être à « qui m'aura le plutôt reconnu. Enfin ce « n'est pas le cas de tenij)oriKer dans une en- ♦< treprise qu'on ne peut louer qu'après l'cxe'- cntion ».

Aussi-tôt ayant fait ouvrir l'arscisal , tous

ÎS T R A D U C T I O M

rapta statîm arma , sine more et or linc niili- tl2e,utprxtoriaaus,autlrgionarlusinsigMibus suis (iistiugiicretur ; misceiitur auxiliaribns ^ caleis scutisquc. Nullo tribuiiorum cciiturio- uuinve ndljov.tautc , sibi quisquc dux et insti- cator : et prcEcipuuiu pessiinorum iucilamea- tuin , quod boni inEcrcbaiit.

Jain exterritns Piso frcinitu crebrescentis scditioiiis , et vocibus in nrbem usquè reso- iiantibns , egressum intérim Gnlb'am et foro appropiuquantcm as.-ecntiis erat : iain Marins Cehus haud î:rta rctulcrat: cùni alii in pala- tluin redire ,a!ii Capitolium pctcrc , plcrique rostra occu panda ccnserciit , plnrcs tantum scutentiis alioruni contradicerent ; utquc cvenitiu consiliis infçlicibus , optima vlde- rcutur , quorum tcmpns effugerat. Agitasse Laco ,ignaro Gcrlbâ , de occidendo T. T'inio dicitur, sive ut pœna ejus auimos militnin mulcerct, seu consclum Gthonis credcbat , ad postretnuiu vcl odio. K.T:.iLalioneniattuIit tcinpus ac locns , quia initio c;cdis orto , dilïicilis modus ; et turbavcrc consilinm tt-e-

toururcut

DU LIVRE T. DE TACITE. 8^

coururent aux aruics, snns ordre , sans icTie saiis dlbtfuctioii des eiisei ues pre'toricuiies et des légionnaires, rie l'ecu des auxiliaires et du bouclier romain. Et sans que ni tribun ni centurion s'en mêlât, eliaque soldat de- venu son propre officier s'animait et s'excitait lui-même à mal faire, p;;r le plaisir d'dfll.ger les gens de bleu.

Déjà Pison , eiïraye' du fre'missemcnt de la sédition froissante et du bruit des clameurs qui retentissait jusque dans la v;lle , s'étiit mis à la suite de Galha qui s'aclicminait vers la place : déjà, sur les mauvaises nouvelles apportées par Ctisus , les uns p- rb:icnt de retourner au palais, d'autres d'aller ou eapi- tolc , le plus grand nombre d'occuper les ros- tres. Plusieurs se contentaient de contredire l'avis des autres ; et , roimne il arrive dans les mauvais succès, le p rti qu'il n'était plus temps de prendre sembi lit alors le meilieur. On (lit que Lacon méditait à l'iuseu de Ca/i-a <>e Caire tnct f inius ; soit qu'il esj)crâl ;t(lou- cir les soldats p-r ce châtiment , soit qu'il le crût coniplicc (.VOthoii , soit enl'm par nn mouvement de haine. IMais le teuips cl le lieu I < yaiil la.t balancer, par la crainte de ne pou-

Mélciii^cs. Tumc V. E

âo TRADUCTION

pidi nuncii , ac proximorura diffugia , lan-

c-uentibus omnium studiis , qui primo ulacies

o

fidem atquc auimvim osteataveiaut.

Agcbatnr hue illuc Galha , vario turba; fluctuautis impulsa , compktis undique basi- licis ac templis, lu-ubri prospcctU;, ncque populiaut plcbls uUa vox ,scd attoulti vultus, etcouversGC ad omnia aiues, uou tumultus , non quics , quale magiii mctùs , et uiagnae irae silcntium est. Othoni tamcu aiman plc- bem nuiiciabatur; ire précipites, et occupare pencula jubet. Igitur milites romani , quasi Vologesen , aut Pacorum , avito Arsacida- rum sobo depulsuri , ac non impcratorem suum inermcm et sciiem trucidare pcrgercnt, dis)ectû plebc , proculcato scnatu , traces armis , rapidis cquis forum irruiupunt. Nec illos Capitobi aspectus , et imuuueiitiara tcmplorum reM^io , et priorcs et futuri pria-

DU LIVRE I. DE TACITE. 91

voir î)lus nrrctcr le sans après avoir com- mencé d'en répandre, l'eUroi des survcnans, la dispersion du cortés^c , et le truuble de ceux qui s'étaient d'abord montrés si pleins de zèle et d'ardeur, achevèrent de l'eu dé- tourner.

Cependant entraîné çà et , Galba cédait à l'impulsion des flots de la multitude qui , remplissant de toutes parts les temples et les basiliques, n'offrait qu'un aspect lugubre. Le peuple et les citoyens , l'air morue et l'oreille attentive , ne poussaient point de cris : il ne régnait ni tranquillité ni tumulte, mais un silence qui marqnait a-la-fois la hayeur et l'indignation. On dit pourtant à Othcn que le peuple prenait les armes; sur quoi il or- donna de forcer les passages et d'occuper les postes importans. Alors, comme s'il eût été question , non de massacrer dans leur prince un vieillard désarmé , mais de renverser Pa- core ou f^ologexe du trône des Arsucules, on vit les soldats romains, écrasant le peu- ]}le, foulant aux pieds les sénateurs, pénétrer dans la place à la course de leurs chevaux et à la pointe {le leurs armes, sans respecter le Capitole ui les temples des Uicux , sans craiu-

93 T R A D U C T I O I^.

cipcs teniiere , qiio minus fuc^icnt scelus , cujus ultor est quis^juis saccessit.

Viso cominxis aiuiatoiuin agmine , vcxilla- rius comitantis Galbam cohortis ( ^tilimn F^ergilioiiein Puisse tiadnnt) rlereptam GaJbae imai^iiiciii solo afïl.sit. Ro s gno manifesta in Ot/ioiiem oiimium milituiii stiidia, (Ifsertum fugà popiiL forum , dcstrict > advcisus dubi- tautcs tcld. Juxta Curtii lacutu , trepid tioiiQ fcrctitium Galba projcctus è selJà , ac pruvo- lnt;!s est. Exticmam cjus vocc.u , ut cuique odiuui aut admir tic fuit, varie prodidcre. Alii snpplicitcr ititcrrogassc , quid m li ine- ruissct , pancos dies cxsolveiido doiiativo deprecatiim : pliucsobtulisse iiltro pcrtusso- ribus jiignlum , agcrciit ac fcriictit , si ita è repiiblioà videretur ; non interfmt occidcu- tiiim qui i ditcrct. Uo pcrciissoïc non satis constat ; quidam Terentium Evocatum ^aXù. ZecaniiJ//i,cichi'ior fuma tradidit ^.'^wz//////«^ XV Icgionis militeui , impicsso gladio , jugu- lum cjus liausisse. Caeteri ciuri biaciiinqu» (uaui pcctus tc-cbatLir ) toede lauiavcre ,

DU LIVRE I. DE TACITE. 93

drc les princes prcscus et a veuir, vengeurs Ue ceux qui les ont précèdes.

A peine appercut-on les troupes d'Oihon , que rcn.sei;.yie de l'escorte de Galha appelé, dit-on yergilio , arrachi l'image de l'eiupe- rcur et la jeta par-terre. A l'instant tous les soldats se déclarent, le peuple fuit, quiconque îiésite voit le fer prêta le percer. Près du lac de Curtius Galba tomba de sa chaise par rcffroideceux qui le portaient, et fut d'abord enveloppe. On a rapporté tliverscincnt jes dev> nières p;Moles, selon la haine ou l'adruiratiou qu'on avait pour lui. (Quelques-uns disent: qu'il demanda d'au ton sujjpliant quel maï il avait fait, priant qu'on lui laissât quelques 70ur.s pour payer le <:onatif: mais plusiciirs assurent que, présentant hardiment la gorge anx soldats, il Icurditdefrappers'ils croyaient sa mort utile à l'Etat ; les meurtrier.^ écontèreiit peu ce qu'il pouvait dire. On n'a pas bien su qui l'avait tué : les U!is nomment l'ereritlus , d'autres Zf<V7/////.v ; mais le bruit tonnnun est que Caïuurius , .«iolclnt (ie I;» f|uinzicmc léf^ion , lui coupa la i!,or^e. Les- autres lui dcciiiquetèrent crnciîcir.ent les bra* et les jambes j car la tuivassc coiivjci'.l la poi-»

E à

94 TRADUCTION

pîcraqiie vulncra , feritate et saevitiâ trnnco je a corpori acijecta.

Titmn indè J'invim .'nvn«crc , de qno et ipso atnbigitur , consiimpseiit ne vocem t^jns iistans metns , an proelauiavcrit non esse ab Othone luandatnm ut occideretur : qnod seii finxit forniidine , seu conscientiâ conjuia- tiouis confcssus est , hue poliùs ejus vita famaque inclinât , ut couscius sccieris fuci it , cujus causa erat. K ntcaedeni divi.////// jacuit, pviaio ictu in popliteui , mox ab Julio Caro le,:;ionaiio milite iu utruuique lalus traas- .vcrbciatus.

lusigiiem illâ die vinun Sempronium JDensum getas nostra vidit. Ontario is pra-- toiiae cohoitis à Galha cnslodirr Pisonis additiis, stricto pngioiie occurrcns armatis , et scclus cxprobraiis , ac niod6 manu, modo voce , vertendo in se percussores , quamquain vulnerato , P/.vo/// eCFngium dédit. Piso iu EPdein Vest;E pervasit , cxceptnsqnc miscri- cordià publici servi , et coutubcinio ejus

DU LIVRE I. DE TACITE. gh

triiic , et leur barbare férocité chargeait eu- core de blessures uu corps déjà mutilé.

On vint ensuite à l'inius, dont il est pa- reillement douteux si le subit effroi lui coupa la voix , ou s'il s'écria qu'Ot/ion n'avait point ordonnésa mort : paroles qui pouvaient être l'effet de sa crainte^ ou plutôf l'aveude sa tra- hison, sa vie et sa réputation portant à le croire complice d'un crime dont il était cause.

On vit ee jour-là dans Sempronijif; Devsvs un exemple méinorablepour notre temps. C'é- tait un centurion de la cohorte prétorienne y cliar-,é par Galha de la garde de Pison. Il se jela le poignard à la main au-devant des sol- dats , en leur reprochant leur crime, et du geste et de la voix attirant les coups sur lui soûl , il donna le temps àPz^ow des'échapper, quoique blessé. Pison se sauva dans le temple de \ esta, il reçut asile par la piété d'uu

96 TRADUCTION

al)ditus , non religioiie , nec creriinoiilis , sed latebrâ immiiieus cxitumi differebat ; cùm adveiierc , missu Othonis , nomiiiaLUii iu caideiii c)us ardentes , Sulpicius Florus è brit^mnicis coliortibns , nnpcr à Galha civi- tatedonatus , ci Statuts Jlurcus spcculutor ; Il quibus protractui Fiso , ia foribus teaiplî trucida liir.

Nullaui crRcîem Ofho nnjore léetilià excc- pissc, nnlluiu capiit tam insatiabilibus ociiii» peibistrasse dicitur : scu tiiui priniùui lev;ita oiniii soUIcitudine mens , vacarc gaudio cœ- pcrat , scu rccordatio uiajcstatls iu Galhâ , aniicitiye in T. T'inio ^ quauivis immitciu animum imagine tristi confuderat ; Pisonis , ut inimjci et acmuli , cacde la^tari, jus i'us(^uo crcdcbat.

Préfixa contis capita gcstabantnr , intcr signa coliortiuin juxta aquila;u legionis, cor— tatim ostentantibuscruentas maïuis qui occi- dcrant , qui intcr! iirraut, qui vcrè, qui (aîsc»^ «t pulcUruiu etuicmorabilc i'ac.iuus jactabauS-

DU LIVRE I. DE TACITE. 97

esclave qui !e caclia dans sa chambie ; prJcau- tiou plus propre à dillcrcr ta mort que ia rcli- gioQ ni le respect des autels. Mais Florus , soldat des cohortes briianuiqucs, qui dcijuis long- temps avait éu' fait citoyen ^^oj Galba , et Statlns iMiircus , lancier de la garde, toiis deux particulièrement altérés du sang çlc Pi' son ^ vinrent de la part d'6V//o?; le tirer de sou asile , et le tuèrent à ia porte du temple.

Cette mort fut celle qui Gt le plus de plaisir à Othon , et l'on dit que ses regards avides ue pouvaient se lasser de considérer cette tête: soit (jue , délivré de toute inquiétude, il com- mençât alors à se livrer a la joie , soit que son ancien respect pour Galba et son amitio pour p'iniusy mêlant à sa cruauté quelque image de tristesse , il se criit plu? permis de prendre plaisir à la mort d'ua coucuriciit et d'un ennemi.

Les têtes furent mises chacune au bout d'une pique et porlé<s [larmi les enseignes des cohortes et autour de l'aigle de la légion. C'était à qui ferait parade de ses mains san- glantes , à qui , faussement ou non , se van- terait d'avoir commis ou vu ces absaisiuatSj,

98 TRADUCTION

Plures quàui cxx lihcllos prsemia cxposcen- tiuîii , o'b aliqu in notabilem iJ!à die operarn , flte//i7Jspostea invcnit; orancsque conquiri et interfici jussit , non liouoie Galhœ , serl tradito principibus more, mnnimeutum ad prœseus , ia posterum , ultiouem.

Alinm crcderes senatnru , alinm popnlum.' Rnerc cuncti in castra , anteire proxi'.iios , ccr- tare cum pivecnncntibus , inciepare(7<r7//'^w , laii iarcuiilitiiin judicluui .exostniari Othonis maniun : qiiantoquc uiaqis falsa cianl quae fichant, taiito plura facere. Noc a!;pernr.b;:tiir siiigulos Olho , avidum et niinacpiu nnlituia aiiimnin voce vultaque tcinpcr;ns. IMorinut Celsum consuleui designaturn , ct<5<j//^(£ us- que in cxtrcmas rcs anjicuni tiduinque , ad supplicium expostuiabant , iiulnstri.-e ejus iunocentiaeque quasi malis artibns inlensi. Caedisct pnedainni iiiitiuni et optitno cuiqiie perniciem qnrpii a|)paieb'.t ; sed Otlioni non- duinaiictoritas inerat ad proliibrnduui scelns, jiibcrcjam polerat. Ita simulatioue ira? , vin-

t>U LTVRK I. DE TACTTE. 99

Comme d'exploits glorieux et mémorables. yiteUius trouva dans la suite plus de cent viagt ptacetsde geiis qui demandaient récom- pense pour quelque fait notable de ce Jour là. Il les fit tous chercher et mettre à mort , non pour \\Qtnçi\QxGalha , mais selon la maxime des princes de |)ourvoir à leur sûreté présente par la crainte des chàtimens futurs.

Tous eussiez cru voir un autre sénat et ua autre peuple. Toutatcourait au camp, chacun. sVmpressait à devancer les autres, à maudire Galba , a vanter le bon choix des troupes , à baiser les mains d'Ot/ron : moins le zèle était sincère, pi us on affectait d'en moi i(rer.C///(7/Zj de son côté, ne rebutait personne, mais des yeux et de la voix tâchait d'adoucir l'avide férocité des soldats. Ils necessaicnt de deman- der le supplice de Ce/sus , consul désigné, et jusqu'à l'extrémité fidèle ami de Ga//>a ; son innocence etses services étaient des crimes qui les irritaient. On voyait qu'ils ne cherchaient qu'à faire périr tout homme de bien , et com- mencer les meurtres et le pillage. Mais O/Z/o/ij qui pouvait commander des assassinats, n'a- vait pas encore assez d'autorité pour les dé- fendre. Il fit douç lier Ce/sus , allcctant une

^00 TRADUCTION

clri jussum , et majores preuas daturum aflimiaus, prxseuti exitio subliaxit.

Omnlatlciudcaibitrlomiritumacta.Practom

prcxfectos sil)i ipsi Icgcrc. PloHum Firmvm

èmaiiipularihus quondam.tum vigilibus prje-

positum , et iiicolumi adlmc Galba partes

Othonis sccutuiii. Adjungitur ZiCz/z/w^Pro-

ch/«^ , Intima familinritatc Othonis suspcctus

cousilia cjus fovisse. Urbl Flacium Sahimim

praefecerc, jadiciuiui\'ero//f\î sccuti , sub quo

eamdem curam oblluuerat plerisquc T'cspa-

sianum fratrcm in co respicientibus. Flagi-

tatiim ut vacatioucs prœstari ceuturionibus

solita? remittcrcntur; uamque grcgarius miles

ut tribu tum aanuum pendcbat. Quarta pars

inauipuli sparsa per commeatus , aut in ips;s

castris vaga, dum mcrccdem ceiilurloiii cxsol-

verct , neque inodum oueris quisquam , neque

genus qnœstus pcnsi babsbat. Per latrociiiia

et raptns , aut scrvilibus niinisteriis militare

otium rediincbant : tum locupletissimus quis-

quc miles, labore ac sxvitià fatigari , doue©

graudc

DU LIVRE I. DE TACITE, toi

grande coU re , et 1p sauva d'une mort pif'scn fe en feignant de le re'servcr h des tournicus plus cruels.

Alors tout se fit au gre' des soldat?. Les pre'toricns se choisirent eux-mêmes leurs pre'- fcts. A l'irmus , jadis uiauipuhiirt' , puis com- mandant du guet, et qui du vivant même de Galha sc\a\{. allaclié à Othon , ils ;oi< nirent Licinius Proculus , que son e'troite familia- rité'avec. 'y/Z/O/v fit son p'/on icr d'avoir favorisé SCS dessei[is. En donnant à Sabinus la pré- fecture de Rome, ils suivirent le sentiment de AV/-o,v,sous lequel il avait eu lemémeejiiploi mais le plus grand nombre ne voj'ait en lui que l'espasien son frère. Ils sollicitèrent l'affrantlilsscment des tributs annuels que sous le nom de congés à temps , les simples soldats payaient aux centurions. Le quart des manipulaires était aux yi vres ou dispersé dans le camj) , et pourvu que le droit du centurioa ne fut pas oublié , il n'y avait sorte de vexa- tion dont ils s'abstinssent , ni sorte de uiéticr dont ils rougissent. Du profit de leurs vole- ries et des plus serviles emplois , ils pavaient l'exemption du service militaire ; et quand ils s'étaient enrichis, les oOiciers ks accalilaiU

M Clause s. l'ouic V. iî'

,02 TRADUCTION Tacationetn cmcret.Ubi sumptlbus exbauslus; socordià insuper elanguerat , inops pro locu- plete, et iners pio strenuo , ia manipulum redibat ; ac rursùs abus atque abus , câdem cgcstatc ac liccutià cormpti , ad scditioues et discoidias , et ad extic:r.um bclla civ.ba ruebaut. Sed Otho , ne vulgi largitlonc , cen- turionum auimos avcrtcrct , fiscuui suum vacationcs annuas exsoluiuvum proniis.t : rem baud dublc utilcm,et a bonis postea principibus pcrpetuitatc discipliuae , fuma- tam. Laco pr«-lectus , tanuiuam in insulain sepoueretur , ab cvocato , qucm ad ca^dem ejus Otho prœmiserat, confossus. In IMar^ tianum Icclnm , ut in libcrtum , palam aui- luadversum.

Exactopevscelcradlc,novissiniuininalorum fuitlïtitia. Vocat senatuui piaetor urbanus ; certaut adulationibus csteri magistiatus. Ac currunt patres ,deccrnitur O///0"/tribunicia potestas,otnomen Augusti ,et o.nncM»ri"ci- pum bonorcs , annitentibus cunctis aboiera jîonTicia ac probra , quae promiscuè jacta

DU LIVRE I. DE TACITE. io3

travaux et de peine, les forçaient d'acheter de nouveaux congés. Enfin , épuisés de dépense et perdus (le mollesse ils revenaient au manspulo pauvres et fainéans , de laborieux quMs eix étaient partis et de riches qu'ils y devaient retourner: voilà comment, également cor- rompus tour-à-tour par la iiceni;e et par la misère, ils ue cherchaient que mutijieries , révoltes et guerres civiles. De peur d'irriter les centurions en gratifiant les soldats à leurs dépens , Oihon promit de payer du fisc les congés annuels: établissement utile , et depuis confirmé par tous les bons princes pour le maintien de la discipline. Le préfet Lacon y qu'on feignit de rclégutr dans une île , fut tué par un garde envoyé pour cela par Uthon. Jcehis fut puni publiquement en qualité d'affranchi.

Le comble des maux dans un jour ^i rempli de crimes , fut l'alégresse qui le termina. Le préteur de Rome convoqua le séual , et taridis que les autres magistrats outraient à l'cnvi l'a- dulation, les sénateurs accourent, décernent à Othon la puissance tribuniciennc , le nom d'Auguste, et tous les honneurs des empereurs prctc'dcus, tàcltaut d'effacer ainsi les injures

F %

104 TRADUCTION lia-sissc animo cjus ucmo sensit. Omîsissct offensas , an distulisset , brevitatc iuiperil m iiicerto fuit.

Otho , cruento adlmc foro , per stragem jacentiniu, iii Capitoliuuialque iudè iii pala- tiuui vcctus , concedi corpoia scpultura; , cremariquc ^<txmvs,'\\.. P isoneni T'eranm uxor ac ïiattY Scribonianiis , T. VinivmCrispina. Clia composucre , quaesitis rcdcmplisquc capitibus , quae veualia iuteifectorcs serya- vcraut.

Piso Kiinuin et tilccsimum octatis anniim cxpichat , famà meliore quàm fortunà. Fratrrs ejus Magnum Claudius , Crassum Nero intcifcccraut. Ipse diù cxiil , quatridiio cœsar properatà adoptionc , ad lioc taiilùm majoii fratri pralatus est , ut prior occidorctur. T. T'iiiius LVii aunos variis inorihns egit. Pater illi è pr.ttorià ramilià , uiatcruus avus è proscriptis. Prima niilitià infamis , Icgatum Cahisiuin Sabinum habuerat ; cujus uïor ,

DU LIVRE I. DE TACITE. loS

dont ils venaient de le charger, et auxquelles il ne parut point sensible, (^ue ce fut clc'meuce oude'Iaidcsapartjc'est cequelepeiide temps qu'il a régné n'a pas pertais de savoir.

vS'ctant fait conduire au capitole, pviis an palais , il trouva la place ensangiante'e des eioils qui y étaient encore étcndns , et permit qu'ils lussent brûlés et enterres, f^erania, fi'iïunc de Pison , Scriboniaiius son frère , et Crispliw K\\\& de Vin lus ^ recueillirent leurs corps ;ct ayant cliercUé les têtes, lesraciictc- rent des meurtriers , qui les avaient j^ardccs pour les vendre.

Pison finit ainsi la trentc-vinièmc année d'une vie passée avec moins de bonheur que d'honneur. Deux de ses frères aVaicutété mis à mort, ,\Jagnns par Claude , et Crassus par ^éron. Lni-méme, après \\n long exil, fut six jours (lésnr , et par une adoption précipi- tée , send)la n'avoir été ()référé à son aîné , que pour être mis à mort avant lui. l'inius vécut cinquante-sept ans, avec des mœurs inconstantes. .Son père était de famille pré- torienne ; son aïeul maternel fut au nombre des proscrits. Il lit avec infamie ses premières

F 3

so6 TRADUCTION

malâ cupidinc viseudi situm castrovuiu , pcr uoctcm militari liabitu ingressa , cùin vigillas et caetera luilitiae iiiuiiia eâdem lascivià temc- vasset , iu ipsis principiis stuprum ausa , et criminis hujus rcus T. P'inius argucbatur; Igitur jussu C. Cœsaris oueratus catenis ; niox inutalionc tuiporuin dimissus , cursu lionorum iiioffcnso , Icgioui post prœturaut prxpositus , probatiisque ; scrvili dciiiccps probro re?persus est , taiiiquaiu scypbuni aureuiu iu cunvivio Claudii furatus ; et Claudius postera die soli omuiiïm f'iuio fictilibus miniïtrari jussit. Sed yiniiis, pro- consulatu .GaViiam Narbouensem severè iute- grèqucroxit. MosC^Mœamicitiâ iuabruptum tractus, aiidax ,callidus , promptus,et prout auimuni inteiidissct , pravus aut iudustrins , câdcm vi. Testaineulmn T. f-'inii uiagnitu- dine opmn nritnm ; Pisotiis suprcuiam Yoloutatcin paupertas linuavit.^

DU LIVRE I. DE TACITE. 10/

armes sons Cahisiiis Sahinus , lieiiteiiant- géuéial , dont la femme , indécemment cu- rieuse de voir l'ordre du camp , y entra do nuit en habit d'iiomrae , et avec la même impudence parcourut les gardes et tous les postes , après avoir commencé par souiller le litconjn-al périme dont on taxa Vinius d'être complice. Il fut donc chargé de chaînes par ordre de Calignla : mais bientôt les rcvolu- lutions des temps l'ayant fait délivrer , il monta sans reproche de grade en grade. Apres sa prétuve il obtint avec applaudissement le commandement d'une légion ^mais se désho- norant derechef par la plus servile bassesse , il vola une coupe d'or dans un festin de Claude , qui ordonna le lendemain que de tous les convives , on servît le seul Tlnius ea vaisselle de terre. Il ne laissa pas de ^•ouvcruer ensuite la Gaule Narbonaise , en qualité de proconsul avecla plus sévère intégrité. Enfin, devenu tout-à-coup ami de, Galba , il se montra prompt , hardi , rusé, méchant, liabile selon ses desseins, et toujours avecla même vigueur. On n'eut point d'égard à son. teslamentà eausedeses grandes richesscs;mais la pauvreté de Pison lit respecter ses dernière* Toloatcs.

F4

ïoS TRADUCTION

Galbns corpus d'ù negkctnui , et liccutiâ tenphrai uni j:i|iir'-i]iis liidil)iiis vc^otiiin , dis- pensaior .^'/f^iu.v , è prioribus servis, buiuili se;)!! lima in privatise jus hortiscontcxi t. Caput per lixas cnloiiesqnc sulFixuui , laceratuinque awic Patroini tiunulum, (liljcrtus \?, i\i'e rouis piimtiis à Galba fiierat ) postcî\rdeuiu;ii die lepcrtum , etcreinato Jaiii corpori admixtiiui est. H une cxituui habuit Scr. Galba tiil)us et septuagiiita annis ; qninque principes prospéra fortuné emensus , et alieno iinpcrio fclicior , quàm suc. Vêtus in fauillià nobili- tas , magna; opes ; ipsi médium iugeniuni , jnagis extra vitia quàm cum virtutibus.Famaa jiec incuriosus , ucc veiulilator ; pecuiuas alienE non appctens , su.x parcus , publicoe avarus. Amicoruni libertorumque , ubi in l)onos incidisset , sine reprchensione patieus ; si mali forent, usqne ad culpani ignarus : sed claritas natalium , et metus temiiorum obtentui , ut quod segnitia crat , sapientia Vocarelur. Duni vigebat œtas , militari laude flpud Germanias floruit ; proconsul Africain

DU LIVRE I. DE TACITE. 109

Le corps de Galba , ncgliç^c long-temps et charge de mille outrages dans la licence des ténèbres , reçut une humble sépulture dans ses jardins particuliers , par les soins à'ydrgius sou intendant et l'un de ses plus anciens domestiques. Sa tête plantée au bout d'une lance , et défigurée par les valets et goujats , fut trouvée le jour suivant , devant le tombeau de Fairobe ^ affranchi de Néroit qu'il avait fait punir , et mise avec soa corps déjà brvdé. Telle fut la lin de Sergias Galba , après soixante et treize ans de vie et prospérité sous cinq princes , et plus heureux sujet que souverain. Sa noblesse était ancienne et sa fortune immense ; il avait un génie médiocre , point de vices et peu de vertus. Il ne fuyait ni us cherchait la réputation ; sans convoiter les richesses d'autrui , il était ménager des siennes, avare de celles de l'Etat. Subjugué par ses amis «t SCS affrancliis , et juste ou uiéchniit par leur caractère , il laissait faire également lo bien et le mal , approuvant l'un et ignorant l'autre : mais un grand nom et le uiallieur des temps lui lésaient imputer à vertu et? qui n'était qu'iudoicucc. Il avait servi dan»

,10 TRADUCTION

xiiodeiatè : jam senior , citeriorcm Hispaniam pari justitià continuit; major privato visus , dum priva tus fui t , et omnium conscusu capax JBjperii , uisi impcrassct»

Trepidam urljcm , ac simul atrocitatem recentisscclcrisjsluiul vclcres Otfionisxnoics paventem,novus iiisupcr cîc/^7/tV//o uuncius exterruit, aute cœdem Galbœ supprcssus, ut tautùm superioris Gcrmauiae exercitum desci- visse crederetur. Tum duos omnium morta- liumimpudicitiâ,ignavià,luxuriàdctcrrimos^ Vclut ad perdeiidum imperium fataliter elcc- tos , uoii scnatus modo etcqucs , quîs aliqua pars et cura reipublica-, scd vulgus quoqnc palaiu maercre. Nec jam rcccntia s^evœ pacis cxempla , scd rcpctitâ bcllorum civilium mcmorià , captam loties suis cxcrcitibus urbcm , vastitatem Italiae , direptioues pro- vinciarum , Pliarsaliam , Pbilippos , etPcru- siara , ac Mutiuam , nota publicarum clatîium

DU LIVRE I. DE TACITE, iif

sa jeunesse en Gcrinanie avec boiincnr , et sY'tait l)iea coinpoitc dans le ])rocoDsulat d'Afrique : devenu vieux , il gouverna l'Es- pagne cite'rieure avec la même e'quité. En un mot , tant qu'il fut liouuue privé , il parut au-dessus de son e'tat ; et toutje uioudo l'eût jugé digne de l'empire , s'il n'y fût jamais parvenu.

A la consternation que jeta dans Rome î'atrocité de ces re'ceutes exécutions et la crainte qu'y causaient les anciennes mœurs tyOthon y se joignit un nouvel effroi par la défection de p^itelHus ^ qu'on, avait cachéo du vivant de Galha , en laissant croire qu'il n'y avait de révolte que dans l'amiée de la haute Allemagne. C'est alors qu'avec le se'nat et Tordre équestre , qui prenaient quelque part aux affaires publiques , le peuple même déplorait ouvertement la fat:(lité du sort ^ qui semblait avoir suscité pour la perte de l'empire deux hommes les plus corronjpus des mortels par la mollesse, la débauche, l'impudicité. On ne voyait pas seulement renaître les cruautés commises durant la pais^ mais l'horreur des guerres civiles Romfr avait été si souycut prise par ses proprci.

Y 6

ïia TRADUCTION

noLniua,loqucbantur.Propt' eversnm oibem, et a m cùm de piincipatu inter bouos ceila- retur ; scd uiausisse C. Julio , maiisisse Cœsare ^ugiisto victore , imperiam ; uiausn- raui fuisse sub Pompeio £r//toqnc reinpu- hlicam. rîauc pro û'hofie , an pro J'iteUio y va, teiiipla ituios ? utrasque iuipias preccs , utiaquc dctcstauda vota , iiitcr duos qsioniui bello solum id scires dctciioiciu fore qui vicisset. F.raiit qui T'espasianum et aima Oriculis augnrarentur ; et, ut potior utroque T^espasianus ^ ita belluui aliud atque alias clades horrebant , et ainbigua de pespasiano fama , soinsque ouîuium aute se priucipuui iu tiiclius mutatus est.

Nunc initia cansasque ïnotûs T'iteîJinni «xpediâia. Cseso tuin ouitiibus copiis Juîitjt

DU LIVRE I. DE TACTTlS. ii3

troupes , l'Italie dévastée , les |)rovinces ruiiic'cs. Pharsale , Pliilippcs , Peroiise , et jModcne , ces norrjs céîcbrcs par la dcsolatiou publique, revenaient sans cesse à la bouche. XjC uioiide avait e'té presque bouleverse quand. des liotnuies dignes du souverain pouvoir se Icdisputèrcnt. Jn/exci ^7/;^'?/ . Vf vainqueurs avaient soutenu l'cuipire ; /'o/npce et iii iitns eussent relevé la république : mais était-ca pour yitL'lliiis ou pour Othon qu'il Fallait invoquer les dieux ? et quelque parti qu'on prît outre de tels compétiteurs , comment éviter de faire des vœux impies et des prières sacrilèges , quand l'évcnenient de la guerre ne pouvait dans le vainqueur montrer que le plus mécbant ? Il y en avait qui songeaient à p'espasien et à Varuiéc d'Orient ; mais quoiqu'ils j)rcféra»sent f^'espnsien aux deux autres, ils ne laissaient pas de craindre cette nouvelle guerre couune une source de nou- veaux mallieurs : outre que la réputation de f'espasi^n était encore équivoque , car il est le seul parmi tant de princes que le rang suiirëmc ait c!ianu,c en mieux.

Il f.Tut mriiritenant exposer l'origine et le» causes des liiouvcuicus de l'itcllius. Apre»

.JI4 T R A. D U C T I O î^ Vindice , ferox praedâ gloriâque escrcitns , ut cul sine laborc ac pciiculo , ditissimi bclli Victoria cvenisset , cxpcditiouem et aciem ," prEcmia quàiu stipendia malebat : diiàquo influe tuosaui et aspcram militiam tolcra- verat , iugcuio loci cœlique , et severitata disciplinai , quam in pace iuesorabilcui dis- cordiae civium résolvant; oaralis utiimque contiptoribus , et pcifidià impuuitâ : viri,' arma , equi , ad usum et ad decus siipeieraut. Sedaute bellum, centnrias tantuui suas tur- masque noveraut: exercltusfuiibusprovincia- ium disccruebantnr.Tum advcrsus/- Vw J/Vtv/î contracta; leglones , seque ctGallias espertae, quxrere rnrsus arma , novasque discordias : nec socios ut olim, sed bostcs et victos voca- baut.Ncc decratpars Galliarumqiue Rhemim accolit ,easdim partes sccuta, ac tum acerrima insti<^atrix adversus Galbianos ; hoc enim iiomen fastidito l'indice indideraut. Igitur Sequanis ^duisqnc , acdeindc proutopuleu- tia civitalibns erat , infensi , expugnationes urbinm , popnlationes agrorum , raptu» peaatium hauseruat aaimo , super aYaritian»

DU LIVRE I. DE TiCITE. ii5

la déraite et la mort de Vindex , l'armée,' qu'une victoire sans danger et sans peine venait d'enrichir , ficre de sa gloire et de son butin, et prélérant le pillage h la paye, ne cherchait que guerres et que combats. Long-temps le service avait été infructueux et dur , soit par la rigueur du climat et des saisons, soit par la sévérité de la discipline, toujours inflexible dut an t la pais , mais que les flatteries des séducteurs et l'impunité des traîtres énervent dans les guerres civiles. Hommes, armes, chevaux, tout s'offrait à qui saurait s'en servir et s'en illustrer ; et, au-lieu qu'avant la guerre les armées étant éparses sur les rrontièrcs , chacun ne con- naissait que sa compagnie et son bataillon, alors les 'légions rasssemblées contre l index ayant comparé leurs forces à celles des Gaules, n'attendaient qu'un nouveau prétexte pour chercher querelle à des peuples qu'elles ne traitaient plus d'amis et do compagnons mais derebelles et de vaincus. El les comptaient sur la partie des Gaules qui conlinc au Rhin, et dont les habilans , ayant pris le même parti , les excitaient alors puissauinu-nt contre les Galbietis ; nom que par mépris pour />7«- dcx ils avaient douné Ii ses partisaus. Le sol»

,i6 TRADUCTION

et arrof^antiain prscipua validiorum vitia coutninaciâ Galloium irritati , qui remissain sibi a Galhâ quartam tributorum paitem , et publicè douatos iu iguominiam cxcicitus jactabatit.

^

Accessit callidè vulgatum ^ tcmerè credi- tiiuij decumnri Icgioues , et promptissimum qiieuiquecoutiJiionuiiidimitti ; undiqucatro- ces nuncii ; siuistra ex urbe fama , infcnsa lugduuensis coloiiia , et peitiuaci pio Neronc fidefecundarumoribus.Sed plurima adrnigen- dum ciedendumque matcrics in ipsis castiis , odio , meta \ et ubi vires suas respexerant , sccuritatc.

Sub ipsas snpeiioris anni kal. décembres^ \glulus f'iteiliiis iuferiorem Gcriuauiacu in-

DU LIVRE T. DE TACTTF. 117

dat anime comIit ]<'s Ednciis et les Sc-qnanois, et mesurant sa co èri- sur leur opulence , (ic- vorait (ic'Jà rlans son crenr le i)iilagc fies villes et ries champs et les -"le'jjou.ll's fies citoyens ; son afro<;a!ice et son avitlite', vices communs "k qui se sent lo plus fort, s'irr:t:ient encore par les bravades des Gauiois , qui pour faire dépit aux troupes, se vantaient lie ia remise du quart des tributs , et du droit qu'ils avaient reçu de Galba.

A. tout cela se ioii^iiait un bruit adroitement répandu et iuconsidereuicnt ydoplc, que les le'gions seraiejit décimées et les plus braves centurions casse's- de tontes parts venaient des nouvelles fâcheuses : rien tic Rome que do sinistre ; la mauvaise volonté de la colonio Lyonnaise et son opiniâtre aitacliemeut pour I^éron était la source de mille faux bruits. Mais la liaine et la crauile particulière, joui ta ïi la sécurité générale qu'inspiraient tant de forces réunies , fournissaient dans le camp une assez ample matière au mensonge et à la cre'dulité.

j\u commencement de décembre, f'Uellins ajiivé daus la Germauic iuféncurc , visita

ïi8 TRADUCTION gressus , hiberna legionum cum cura adicrat : ledditi plerisque ordines , rcuiissa ignomiuia, allevatae notae : pliua ambitioiie , quccdata judicio; in qiiibus sonlcm et avaritiam /-'ow- ieii Capitonis ^3iÙL\\\\c\\à\% assignaiidisve lui- litice ordiiiibus , iiitej^iè mutavcrat. Ncc consularis Icgati uicnsiira , scd in luajus omaia accipicbautnr \^iiyiteUiiis apudseve- ros huoiilis. Ita comitatem bonitateuique faveutes vocabant , quod sine modo , sine judicio ,douaretsua , largiretur aliéna ; siutul aviditate impcrandi , ipsa yitia pro vlrtuûbus in terpre taba ii tur.

Multi in 11 troque exercitn sicut modestî quictique , ita uiali et strcnui ; sed profiisa cupidine , et uisigni tcmeritalc, Icgati legio- num , Alieiiits Concilia ç.\. Fahius f ah'us ; è quilius J'ahiis insensus Golhœ , tauquani detcctam à se l'ergiuii cuuclationcm ^ op- pressa Capitonis coiisilia ingrate tuUssct , iustigare p^itelliuvi , ardorcm inilitum osteu- tans. Ipsum cclebri ubiqiie famà : nuUam in flacco ^ordeonio moraui , alfore Britaur

DU LIVRE I. DE TACITE. 119

soignensetnciit Tes quartiers, quelquefois avec prudence et plus souvent par ambition il cQacait l'ignominie, adoucissait les cbâtimens, et rétablissait chacun dans son rauj; ou dans soubonncur.il repara sur-loutavcc beaucoup d'équité les injustices que l'avarice et la cor- ruption avaient fait commeilie'k Capif on , eu avançant ou déplaçant les gens de guerre. Ou lui obéissait plutôt comme à un souverain , que comme à un proconsul , mais il était souple avec les hommes Fermes. Libéral de son bien, prodigue de celui d'autrni , il était d'une profusion sans mesure , que ses amis , cbau- gcant par l'ardeur de commander , ses vertu» en vices , appelaient douceur et bonté.

Plusieurs dans le camp cachaient sous ur» air modeste et tranquille beaucoup de vigueur à mai f.iire : mais f'aletis et Ctcina , lieute- iians-généraux , se distinguaient par une avi- dité sans bornes ,qui n'en laissait point à leur audace. /^'^/r/7.y sur-tout , après avoir éloulfé les projets do Capiton ^ et prévenu l'incerti- tude de P^erginius , outréde l'ingratitude de Galha , ne cessait d'exciter Vitellius , eu lui vantant le zèle des troupes. Il lui disait que sur sa réputatioa Hordconius ue bulauccraifc

î=o TRADUCTION niam , sccutura Germanorinn ansilia , malè fidas piovincias , prccarinm seni imperuiiu , brevi transi lu rum : panderct luodb siiiuin , et venieuti fortmiîc occurreret. Merito dubi- tasse T'ergininm cquestri familiâ , ignoto pâtre : iinparein si recepisset imi)eriuni , tutum si rccusasset. T'itellio très patris cou- snlatus , censiiram , coUegiiuu Cmsaris , et imponcre janiprideiu ituperatoris dignatio- nem , et auferre privati securitatiiu. (^uatie- batur his segne iiigciiiuui , ut coiitupisceret jziagi3 quàm ut speraret.

At in superîore Germauiâ , Cceclna dé- cora jiiventà, corpore ingens , aniiui imtno- dicns , scito sermone, erecto incessu , stiidia niilitmu ilk'xcrat. Hune juvencni Galba , quapslorcm in B;rlicâ , impigiè in partes suai trangressum , Icgioni prœposuit. ]Mox com- pprtum publicaui pccuniaui avertisse , ut peculatorcm flagitari jnssil. Cœcina œgrè passus , inisccre cuuctu , et privata vulucra ,

DU LIVRE I. DE TACITE. i2r

pas un moment , que l'Angleterre serait pour lui ; qu'il aurait des secours de rAlleuiagiie ; que toutes les provinces flottaient sons le gouverjicment précaire et passager d'un vieillard; qu'il n'avait qu'à tendre les bras à la fortune et courir au-devant d'elle ; que les doutes convenaient à jy'ergiiiins ^ simple che- valier romain , Bis d'un père inconnu ,('t qui^ ■trop au-dessous du rang suprême, pouvait I& refuser sans risque. JMais quant à lui , dontlo père avait eu trois consulats , la censure , et César pour collègue , que plus il avait de titres pour aspirer à l'empire , pins il lui était dangereux de vivre en homme prive'. Ces discours agitant T'itellius , portaient dans son esprit indolent plus de désirs que d'espoir.

Cependant Cecina ^ grand, jeune, d'une helle figure, d'une démarche imposante, ambitieux , parlant bien , flattait et gagnait les solditts de l'Allemagne supérieure. (Ques- teur en Ik'tique , il avait pris des premiers le parti de Galho qui lui donna le conunande- luent d'une légion : mais ayant reconnu qu'il détournait les deniers publics , il le fil accuser de péculat ; ce que Cccina suiiportant ini- paticuimeut , il s'efforça de tout bryuilkr et

122 T R A D U C T I O N. reipublicae malis opei'ire statuit. Nec deerant iti exercitu scmina discordiaî, quod et bello adveisus p'indicem uaivcrsus affucrat , nec lîisi occiso Nerone translatas iii Galham , atqnc in eo ipso sacramento vexillis inferioris Germaniae prtEventus erat. EtTicveri ac Lin- gones , quasqiie alias civitates atrocibus edic- tis , aut damuo Bniuiu Galba pcrculcrat , hibernis legiomim proplùs niiscentur. Unde seditiosa colloquia , etinter paganos corrup- tior miles , et iii p'eri^iniiiui favor cuicumque alii profutuius.

Miserai civltas Lingonum , vetere instî- tuto , doua legiouibus , dcxtias bospitidt insigne. Lcgati coruiu in sqnalorcm , niœsli- tiamque couipositi , per principia , per contu- bernia , mode suas injurias , modo civitatuiu vicinarum prECiuia ; et ubi pronis militnm aurii)us accipicbantur , exercitiis ipsius peri- cula et coutiimelias conquirentes , acceude- baut auimos. Nec procul seditioue aberaut ,

DU LIVRE I. DE TACITE. laS

d'ensevelir ses fautes sous les ruinas de la république. Il y avait déjà dans l'amice assez de penchant à la révolte; car elle avait de concert pris parti contre Vindex ^ et ce ne fut qu'après la mort de Néron qu'elle se de'clara pour Galba , en quoi même elle se laissa prévenir par les coUortes de la Ger- jManie inférieure. De pins , les peuples de Trêves, de Langres , et de toutes les villes dont Galba avait diminué le territoire et qu'il avait maltraitées par de rigoureux édits , mêlés dans les quartiers des légions , les excitaient par des discours séditieux; et les soldats corrompus par lis habitans , n'at- tendaient qu'un homme qui voulut profiter de l'offre qu'ils avaient faite à T-^erginius.

La eité de Langres avait , selon l'ancien «sage , envoyé anx légions le présent des tnains enlacées, en signe d'hospitalité. Los députés, affectant une contenance affligée , commencèrent à raconter de chambrée en chambrée les injures qu'ils recevaient et les grâces qu'on fesait aux cit's voisines; puis se voyant écoutés, ils échauffaient les esprits parr(;nuinération desmécontcntemcnsdonnés ^ 1 armée et de ceux qu'elle avait encore à

J24 TRADUCTION cùin HordeoiiinsFlncciis abirelegatos,uîque occuUior dijijiossas esset , nocte castris exce- derc inbrt. Inde atrox ruinor , affirmantibus plcrisquc iiitci fVctos , ac nisi ipsi consulerent, foie m acensmi iiiilitiim et prccsentia cou- quesli per tciicbras et inscitiam crctcronim oeeid re itur. Obstriiiguntur iiiter se tacito fœdere le-onci. Asciscitur auxibonim miles, prano su.spectiis , tainqnaiu clrcuindatis cobortibus alisque , iuipetiis in Icgioncs para- retui- ; mox eadcm acriùs volvcns, faciliore iiiur luidos consensu ad bcllum , qnaui iii pace ad concordiam.

lureriovis taineu Gennaniîc legioncs so- Icmiii liai, januariarmn saciamento pio Golbâ adact;r,iuuU:iciitictatione,etraiisprimorum oïdiniiiu vocibus; c;rteii silcntio , proximi cu'insqiie aiidacidui expectantes , insilà luor- tahbus natuiâ propcrè sequi qii'-E piget iuchoaic. Sed ipsis Icsiouibus iucrat divcrsitas

craindre

DU LIVRE I. DE TACITE. 12S

craiiulre. Enfin, tout se préparant à la sédi- tion , Hordconms renvoya les députés et les fit sortir de nuit pour cacher leur départ. Mais cette précauticii réussit mal, plusieurs assurant qu'ils avaient été massacrés et que, si l'on ne prenait garde à soi, les plus braves soldats qui avaient osé murmu- rer de ce qui se passait, seraient ainsi tue's de nuit à l'inseu des autres. Là-dessus les légions s'étant lif^uc'es par un engagement secret, on lit venir les auxiliaires, qui d'abord donnèrent de l'inquiétude aux cohortes et à la cavalerie qu'ils environnaient , et qui craignirent d'en être attaquées. Alais bientôt tous avec la rnéme ardeur prirent le même parti; mutins plus d'accord dans la révolte qu'ils ne lurent dans leur devoir.

Cependant le premier jair/ier, les légions de la (;ern):uiie inlorleure prêtèrent solem- nellement le serment de fidélité à Galha ^ ïnais à contre-cœur et serdeuient par la voix de quelquts-uns dans les premiers rangs; tous les autres gardaieivt le silence, chacun n'attendant que l'exemple de son voisin , selon l;i dis|)osition naturelle aux liommes de seconder avec courage les entreprises qu'iis

Milaiiges. Toiue Vt G

i26 TRADUCTION animorum : piimani quintanique tuvbidî ; adeo ut quidam sasa xnGnlbœ imagines icce- riut: quinta décima acscxla décima Iei;iones, nihil uUià frcmilura et minas ausap, initium ermiipendi circumspcctabaut. At in sLipcriovL esercitu , quaita ac duodeviccsima legioncs iisdcm hibcrnis tendcntcs , ipso kalcnd. ja- nuariai-um die dinimpunt ima-incs Galbx : quartalegio promptiùs, duodeviccsima cntic- taiitcr , mox conscnsu. Ac ne reveientiam impcrii cxucre viderentur , s. v.Q- R- oblitte- xata jam nomina , sacramento advocabant ; uullo losaloium tnbunorumve pro Galbiî nitente , qjibusdam , ut iu tumultu , nota- biliùs turbantibus : uou tamen qui-quam in modum coucionis , aut su-gestu locutus ; jHequeenimeratadLiuccaiimputarctur.

Spcctator flnglti'i TTordjovius Flaccus eousulans Icgalus adcrat , uou compesccic

DU LIVRE I. DE TACITE 127

n'osent commencer. Mais réinotlon n'était pas la même dans toutes les légions : il régnait un si grand trouble dans la première et dans la cinquième, que quelques-uns ietèreut des pierres aux imagrs de Galba : la quinzième et la soizicme, sans aller au-delà du mur- 3tnure c( des menaces , clierchaient le moment de commencer la réj^olte. Dans l'armée supé- ïieure , la quatrième et la dix-huitième légion allant occuper les mêmes quartiers, insèrent les images de Galba : ce même pre- ïnier de Janvier , la quatrième sans ba- lancer ; la dix-huitième ayant d'abord hésité, se détermina de même : mais pour ne pas paraître avilir la majesté de l'empire , elles jurèrent au nom du sénat et du peuple romain , mots surannés depuis long-temps. On ne vit ni généraux, ni officiers faire le moindre mouvement en faveur de Galba ; plusieurs mèînc , dans le tumulte , cher- chaient à l'augmenter , quoique jamais de dessus le tribunal , ni par de publiques haran- gues ; dcsorte que jusques-là on u'auiait sa «i qui s'en prendre.

Le proconsul TTordéoiiîii/i y siiïiple specta- teur de la révolte, n'osa faire le moindre cfFor*

Ci 2

128 TRADUCTION

rueutes , non rctincrc ditbios , non cohortarl bon os aiisiis;scd segnis, pavidiis, et socordi'* innoccns. Qiîatuor ceti tiirioius .hiodcvice- siinoc Icgionis , Aonii/s Récent ix , Donatius T^oJeiis y Iloinilliis Marcelliis ^ C'ait ■n-nius Hep eu filins , cùiii piotcj:,crent Gulh t "nn- gincs , impolu lailitum abrepti , viui-; Ncc citiquaui nitrà fides , aut im-uiorla \y: < •: saciMiiienti ; xed ,quod m seJilioivibusaccidit , uudc pliucs craut , omues tucre.

Noctc qiix ka'endas jannnrias secuta est, in coioniaiu agiippinensem aqu''ifer qiiartne Icgionis l'pulanti /-7/e//7o nnuc! t , (Ii':^rl■:u et duodcviccsimam iegionrs , \^\■^\Çiz^.'•sGa^b^e imagiiiibus , i:i senatùs et populi )oinani verba jurasse : id saciainentntu ininc xisum. Occupai! niitaiiVem loi tunari , et oir-ni prin- cipera plaçait. Missi à ViteUio ad lei^ioncs Icgatosquc , qui desoivisse à Gaîhâ snperiorem cxficitnm niuitiarent : proindc aiil Ixdiau- dmn adversus deseisccnios ,aijt, siconcoidia eîpax placcat , facieudum iuipciutorem ; et

DU LIVRE I. DE TACITE. 125^

poiir réprimer les séditievix, Gon tenir ceux qui floUaieiit , ou ranimer les fidèles : ne'gligeaiifc et craintif, il fut clcment par lâcheté'. Nonius Jlecepius , Donatius T^alens , Romilius Marcelbis , Calpiirnius Repentimis , tous quatre cetitiirioiis de la dix-iiuitième légion , ayant voulu défendre les images de Galba ^ les soldats se jetèrent sur eux et les lièrent. Après cela il ne fut plus questiou de la foi promise , ni du serment prêté; et comme il arrive daus les séditions, tout fut bientôt du côté du plus grand nombre.

La itïcme nuit , VifeUivs étant à table à. Cologne , l'enseigne de la quatrième légion vint avertir que les deux légions , après avoir renverse les images de Galba , avaient juré lidélité au sénat et au peuple romain ; serment qui fut trouvé ridicule. T'iteUliis voyant l'occasion favorable , et résolu de s'offrir pour chef, envoya des députés annoncer aux lé- gions que l'armée supérieure s'était révoltée coiitre Galba , qu'il fallait se préparer à faire la guerre aux rebelles ; ou si l'on aimait mieux la paix , à reconnaître un antre empereur^ et qii'iis couraient moiiisde risque à l'élire qu'a laUenarc»

G 3

i3o TRADUCTION minore dUcriuùuc sumi priucipem quam quseii.

Proxima Icgiouis prlmaï hiberna erant, et promptissimus c legatis Fabius Valcns. Is die postero colouiam agrippinensem cum equitibuslegionisauxiHariorumqueingrcssus, imperatorcra VitcUium consalutavit. SccutaQ ingcnti certamiue ejusdcin provinciac legio- nés; et supcrior cxercitus , speciosis senatûs populiquc romani uominibus relictis , m non. januavias T'iteUio accrssit , scires illiira prioro biduo non pênes rempublicani fuisse. Ardo- rem exercituum Agrippincnses , Trcvcri , Lingoues œquabant , auxilia , equos , arma , pecunias oCferentes , ut quisque corpore , opibus , ingénie validus. Nec principes modo coloniarum aut castrornm ; qnibus pracscutia ex affluenti , et partà victonâ magiux spcs : sed manipuliquoquc et grcgarius miles, via- tica sua» et baltcos , phalerasque , insignia armorum , argento décora, loco pccuniœ tiadcbaut \ Lusliuctu , et impetu , et ayantiâ.

DU LIVRE I. DE TACITE. iSi

Les quartiers de la première légion e'iaient les plus voisins. Fabius f^alens , licuteiiaut- géucral, fut le plus tliligent , et vint le lende- main à la tête delà cavalerie de la légion et des auxiliaires sa]uQr f^iu//ius, empereur. Aussi- tôt ce Fut pcumi les le'gions de la province à qui préviendrait les autres ; et l'armée supé- rieure, laissant ces mots spécieux de sénat et de peuple romain, reconnut aussi /^/V<?//z«* le trois de jauvier , après s'être jouée , durant deux iours, du nom de la république. Ceux de Trèvi;s , de Langrcs et de Cologne , noix moins ardens que les gens de guerre, oCfraicat à l'envi , selon leurs moyens, troupes , clie- Taiix , ar.'nes , argent. Ce zèle ne se bornait pas aux chefs des colonies et des quartiers, animés par le concours présent , et par lc9 avantages que kur promettait la victoire ; mais les manipules et même les simples sol- dats, transportés par instinct , et prodignes par avarice , venaient , fautes d'autres biens , ollVir leur paie , leur équliai^e , et jusqu'aux ornenieus d'argent dont leurs armes étaieut garnies.

i32 TRADUCTION

Igitur laudatâ mi lit nui aI;iciitate,/''7/tV////,y^ ministeria principatùs , pcr libt-rtosagi solita, in eqiiilcs rouiaiios dispoiiit. Vacistioiics cen- turion ibus ex fiscoiiuiuenit. -Sxvitiaiuiniiitniu plcrosqiie ad pœiiam cxposcentiiuu sxpiùs approbat , partiui siiniilatiûMc vinciiloiiiin fiustratur. Pompeius Propiii-.jiius piocmalor BelgiciK statiiu iuterfcctu.-;. JuJiu.ii JJurdo- neju geruiaiiicx classis pixlectLUu astu sub- traxit. Esarserat iii ciiiu uacundia exercitûs , taîuquam crimcti , ac inox iiisidias , Fonteio Capiloni struxisset. data erat mcmoria Ca- pilonis , et apud sirvicntcs occiii rc palani , ignosccrc uou nisi tallcndo Ilcehat. Ita iu custodià habitas ; et post victoiiaui dciuuui , slratis jam iuilituui odiis , dimissus est. Intc- ïim ut piaculuui objicitur ccaturio Crispi- Tuis j qui se sanguine Citpilonia crueulaverat; eoqiie et postalantibus uiauifestior , et pu-, uicnti vilior luit.

Jirliiis deindc OV/V/^- pcricuTo c.tcmptiJS ^ prucpotcas iutcr Isatavos, uc supplicio iju*

DU LIVRE I. DE TACITE. i33

P^iielliuù- ayant remercié les troupes de leur zèle^ coinmitaux chevaliers romains le service auprès du prince, que les affranchis faisaient auparavant. Il acquitta du fisc les droits dus aux centurions par les manipulaires. Il aban- donna hcciucoupde gens à la fureur des sol- dats , et en sauva quelques-uns en feignant de les envoyer en prison. /'ro/7///r/7///j', intendant da la Belgique, fut tue sur-le-champ : mais fitelliiis sut adroitement soustraire aux trou- pes irritées Julius EurJo , commandant do rarmée navale , taxé d'avoir intenté des accu- sations et ensuite tendu des pièges à p'on- teius Capiton. Capiton e'tait regretté , et parmi ces furieux ou pouvait tuer impuné- uient , mais non pas épargner sans ruse. Jjurdo fut donc mis en prison , et relâché bientôt après la victoire , quand les soldats furent appaisés. (^nand au centurion Cris'- pinus qui s'était souillé du sang de Capiton ^ et dont le crime n'était pas équivoque à eurs yeux , ni la personne regrettable à ceux de P'itdllius ^ il fut livré pour victime à leur vengeance.

Jitlins 0'('/.'/5 , puissani chez les Eatave», échappa au péril par la craïutc qu'où eut

i54 TRADUCTION ferox gens alienarctur ; et eraiit in civitate Liugouum VIII Batavorum cohortes,, quartiB deoimœ lej;lonis au^ilia, tutu discoiJià iciu- porumàlegiouc digressa;: prout inclinassent, grande inomentum , socia; aut advcrsx. i\ o- nium, Doiiatium , Romilium , Calpiirnium, ccnturiones de quibnssuprà retuliuius,occidi jussit , damnâtes fi lei triu)ine , gravissirao inter desciscenlcs. Accesscre partibus f'ûle- rius Asiaticus ^ Belgicae provincia> lcj3,atus , quctn mox p'^itcllius geueruiu ascivit : et JuHus Blœsiis lui^dunensis Gallix rcctor , cum italicâ Icgione et alà Tauriiià Lugduni tendentibus. Nec in Rbœticis copiis niera, que minus statiiii adjuugereutur.

NeinBritanniâquidcmdubitatnm.Praeerat Trebellius JMaxhnns , per avariliamac soldes coatemptus exercitui invisusquc. Accendcbat odium ejus hoscius Ca'/ius legatus viccsimae legiouis oliui diseurs , scd occasione civilium arxuorum atmciTis proruperat. TreheUius

Ï3U LIVRE!. DE TACITE* i3&

que son supplice n'aliénât un peuple si fe'- loce ; d'autant plus qu'il y avait dans Lau- gres huit cohartes bataves auxiliaires de la quatorzième légion , lesquelles s'en étaient sépai'écs par l'esprit de discorde qui régnait en ce teuips-!a et qui pouvait produire ua grand effet en se déclarant pour ou contre. Les centurions iVo/iifi.<^ , Douatùis , Ronii-' Jius ^ Calpiirnins , dont nous avons parlé, furent tués par l'ordre de f-^itellius comme coupables de fidélité , crime irrémissible chez des rebelles, falerius ylsiaticns comman- dant de la Belgique, et dont peu après p'i" tçlUiis épousa la fille , se joignit à lui. JuHns JBlœsîts j gouverneur du Lyonnais, en lit de même avec les troupes qui venaient à Lyon •, savoir , la légion d'ilalie et i'cscadrou de Turin. Culles de la llliétique ue tardèrent point à suivre cet exemple.

Il n'y eut pas plus d'incertitude en An- gleterre. TrehelHiis M ci. vi nui s , qui y com- niandait, s'était fait haïretmcpriserderarmée par SCS vices et son avarice ; haine que fo- xtifutait /{oscfj/x Ca'//iii- , conunandant de la vingtième légion , biouiiié depuis long-temps aycc lui , mais à l'occasioa des guerres civiles

î36 TRADUCTION

scditioncm et confiisum ordinem disciplina Cifli'y j spoliatas et inopes Itgiones C'^Hus "J'rehellio objtctabat : ci^iui intérim fœdis lc""alorum cei tauiinibiis iiiodestia cxercitiis conupta , eoque discordiœ ventuni , nt auxi- liaruinquoquemililumconvitiis protnibatu?, et agr^rcgantibus se Cœlio cohorlibus alisquc , descrtus Trehellius ad T'itellium perfiigerit. Ouies piovincice , quamquam rcmoto coiisn- sulaii , mausit : rcxerc legati Icgionuui, pares jure, Cuelius audeudo poteutior.

Adjuncto brîtannlco exercltu , in;;cns Tirlbns opibusque p'itellius ^ duos diiccs, duo itinera bcl'.o dcsfinavit. Fabius T'aleiis aJlicere , vcl si abnuercnt , vastareGallias , et Cotlanis Alpibiis Italiam irrmnpcrc; C^'cina propiorc transi tu , Pcuniuis jugis dcgredi jussus. /^'^/f/i/i iufcriorlscscrcitùs clecti cuin aquilâ quintcc kgionis, et coboilibus alisquc ad XL ^lillia aiuiatorum data. xxx. millia

devenu

t)U LIVRE î. fACil'T:. t^f

dcvpiin son ennemi deciaié. Trchellius trai^ tait Cœlius de séditieux j de pcrtnrbateui^ de la discipline ; Ca-lins l'accusait à sott tour de piller et ruiner les léiçions. Tandis que les i^éiierauT se deslionoraiciït par ccâ Opprobrrs mutuels, les troupes perdant toug respect eu vinrent à (el excès de licence qu0 les cohortes et cavalerie se joignirent % Cœlitls-^ et que TrehelHii^ , abandonne tous et chargé d'injures , f„t contraint de se réfu-ier auprès de nw/Jius. C;j,r/uînnt, sans chef consulaire , la province iie b ssi pas de rester tranquille, gouvernée par les Comuuui>!ans des lé-ions , que le droit ren- dait tous é;-aus, mais que l'auddcc de Cœliui tenait eu respect.

Après l'accession l'arirce britanulqud, P^iti'Ii'lus , hicu |)ourvii d*armes et d'argent , résolut de faire marciier ses troupes par dcuS chemins et sous deux généraux. Il chargea Fiil^iiis /"tzAv/.vd'attirt ràson parti ItsGauies, Ou sur leur refus, deleS ravager , et de débouii cher en Ita'ie par les Alpes Cotieunes ù or- donna à Cecina de gagner la crête des Pen- nines par le plus court chemin. /- alens eut l'élite de l'aruiée inférieure ayec l'aigle do 1«)

Mélm'ses. Touio T* fi

i38 TRADUCTION Cœci/Jûb^upcy'iore Gcrmanià ducebat, quo- rum robur Icg.o una et viccsima fuiL Addila utriquc Gcimanoi um auxilia , c quibus T itcl- Uns suas quoquc copias supplevit , totà mole bcUi seciuutus.

MirainlcrcsoicitumimperatorcuiqnediTcr- sltas. Inslarc miles , arma poscere , dum GalliiE trépident , dum Hispaniae cunctcntnr; iiou obstarc biemcm , ucque ignavtc pacis moras : iuvadendam Italiam , occupandatii urbem; nihil in discordiis clvilibus fcstiiu;- tione tuliùs, ubi facto magis quam cousulto opus essct.Torpebat/^7/.'//«/6', et fortunam pri.uipati-.s inerti luxu ac prodigis cpulis jMXSumcbat , mcdio dici temulentus , et saguià gravis; cùm tamcn ardor et vismilitumulliù ducis muuia implebat , ut si adesset impe- rator ,ctstreiiuis vol ignavisspem mctumque addorct. Instructi inteutiquc siguum pro- fectiouis cNposcuut ; iiouiiuc Gennonhi. ,

DU LIVRE I. DE TACITE. 1^9

Oinquiimc ](.-i:,ioii , et assez de coliorfea et de cavalerie pour lui i'airc une annc'e de qua- rante mille hommes. Cecina en coiiduisit trente mille clc l'armée siipe'rieure , dont la vin-^l-uiiicme lcj3;ion fesait la principale force. Ou jo: Miit à 'une et à l'autre armée des Ger- mains .T.ixiliaircs dont /7/c//z?ii' rccrnta aussi la sienne ,iivcc laquelle il se pre'parait à sviivre le sort de la guerre.

Ti y avait entre l'armée et Temperenr uîie oppo.silion bien étrange. Les soldats picins d'ardeur , sans se soucier de riiiver , ni d'uiie paix i)rolonp;ce par indolence, ne dcman- d.iicnt qu'à combattre; et persuadés que la diligence est sur-tout essentielle dans les jTiicrrts civiles , il est pins question d'a^jr (jne de consulter, ils voulaient profiler fie l'edVoi des (ianUs et des lenteurs de l'Espa- cne pour cnvaliir l'Italie et marcher à Rome. i'itelJliis i engourdi et des le milieu du Jour sTuchargc d'indigestion et de vin, consumait ci'avancc les revenus de l'empire dans ua vain luxe et des fcslins immenses; tandis que le ?.èltî et l'activité des troupes suppléaient au devoir du «hcf, connu» si, pvc'scut lui-

II >

T40 TRADUCTION

f'itellio statiin addito , caesarem se appcllari «tiam Victor prohibuit.

Lrctuin angurium Fahio fahnti cxerci- tuique qiiein in hi'llmn ajz,c!)at : ipso profec- tionis die: aquila leni meatii, pront agmea iiiccdeiet , vehit dux vi.x pr.rvolavit ; lon- giimqueper «patiuin, is gaudentium uiilitum claïuor, ca quics iutoiritac alitis fuit, lit liaud diibiiiui magnai et prospéra; rei omeu acci- pcretur.

Et Treveros quidem ut soeiossecurl adicre. Divodurl ( Mfdiomatricorum id oppiduia est ) qiiauiqiiaiu otnili coniitatc cxccplos , subitns pavor exterruit , raptis rcpciiic armls, ad caedein iimoxiœ; civitatis , non ad pra-dam , ant spoliaiidi cupidine, 5cd fiirore et rabic, et causis inccrtis, coque difficilioribus renie- diis; doncc prccibus diicis uiitigati, ab exci- dio civitatis tempci avère. Caesa tamca ad

ÏÎU LIVRE I. DE TACITE. j^t

même , il ei'it encourage les braves, et iHenacé les làclies. Tout étant prêt pour le départ elles en dern indèrent l'ordre, et sur-le- ciiam[) donuèreiit ù '/'ife//ir/s le surnom ^^Germanujite: Jiiais luénic après la victoire »1 de'feudit qu'on le nommât ce'sar.

V^aîens et son arme'e eurent im favorable augurr pour la guerre qu'ils allaient faire : car Icuiémc jour du départ , \\x\ aigle planant doucement à la tête des bataillons, sembla leur servir de guide ; etdurant un long espace les soldats poussèrent tant de cris de joie, et l'aigle s'en effraya si peu , qu'on ne douta pas, sur ces présagea , d'un grand et heureux »uccès.

L'anne'e vint à Trêves en toute se'curito comme chez dis alliés. Mais quoiqu'elle reçût toutes sortes de bons traiteineus à Divodure, "îille de la province de Metz , une terreur panique (it prendre sans sujet les arme* aux soldats pour la détruire. Ce n'était point 1 ar- deur du j)illage qui !'?s animait , mais une fureur, une rage d'autant plus difficile à calmer qu'on en ignorait la cause. Enfin , aprèo bien des prières, et leuicurtic de qualr*

H 3

,42 TRADUCTION

quatuor millialioBiinum. Isque tcrrorGalIias iiivasit , ut vcuicuti mos aguiini universas civitatcs , cuiu inagistralihus et ptecibus , occnncrcnt , stratis per vias fcminis puciis- qiie, quœquc alia placn:nc!ita hostilis ii^L- , non qiiidcui ia bello , sed pro pac© tcucic- J)aiitur,

Nnnciuui de cœdc CnJInr et inipcrio Oihonis Fabius T^alens iu ci vitale Leuco- ruin accepit. Nec niililum aiiituna iu gau- dium , aut forraidiuein poimotus, bcllniu volvebat. Gallis cunctatio exempta , et iu Otlionem ac VileUiin:: odimu par, ex / 'ite'.Iio et inclus.

Proxiiua Lingonuni civitas eiat , ûda par- tibus ; bénigne cscepli , modcstià ccrlQvero. Sed brevishrtitia fuit, cohcrliuMi iiUcniperie, quMS ti Icgione quai latleciinà , lîtsuprîi uiemo- nivimus , digressas excrcilui suo l'ah'i::s T-'alcns adjunsciat. .Turgia priiDÙui, luov lisa inter lîatavos cl Icgicnarios. Dum bi»

DU LIVRE I. DE TACITE. 148

mille hommes , le gene'ral sauva le reste de la ville. Cela répandit une telle terreur dans les Gaules , que de toutes les provinces oii passait l'armée , ou voj^ait accourir le peu- ple et les magistrats supp'iaus , les chemins se couvrir de femmes , d'enfans , de tous les objets les- plus propres à Héeliir nu ennemi même , et qui saus avoir de guerre iuiploraieut la paix.

A Toul , T^'ahns apprit la mort de Galba et l'clection à'Othon. Cette nouvelle, .sans effroyer ni réjouir les troupes, ne changea rien à leurs desseins ; ma;s elle détermina les Gaulois qui , liaïssan' également Othon ttVL- tellius , craignaient de plus celui-ci.

On vint ensuite à Langres, province voi- sine , et du parti de l'armée ; elle y fut bien xccuc e t s'y comporta honnête meut. -klais cette tranquillité fut troid)!ée par les excès des co- hortes détachées de la quatorzième légion, dont j'ai parlé ci-dcvatit, et que T'alcns avait jointes à son armée. Une querelle qui devint émeute s'éleva cut.ic les lîataves et les lé-

H 4

T44 TRADUCTION

eut illis sludia mJitum agf^iegantnr , propè in pia3l!i4ii) ejtarsere; ni f'ah-vs aiiiuiadveiv «lonp paucoruuj , oijlilos jaui BjUavos iinperii pdàuoiuiisset.Frii^itnia Ive'sus /El nos qi ers i ta X>elli cansa. Jus>i pccuiiiqm alque aiii:a déferre, gratuitos iiisnjjer cotiMiif-atus pras- Jjuore; quo:! .E'Jni fonnid'ne , Ln-(!u.u-nses gniidio fccere: Scd Icj-io italica et ala taunua »bd.,ctx>- Toborrem d;;odcviccsimaui Luc-

o

fimii j soiiiis sibi luDcnns , rcl^nnni placult. McMiHus yahns ^ Ugahis itoiicœ l-j:;!oni8 , qna.iiqnain biMic d- parrlxis nuiit' s, i^ullo api'd / Ueluiiia lîonore fuit. Secrefis en m cnuiiiiaiio'iihMs iiiia.iunvt rat Fahiu.s igna- l'tiin ; et qt.o iucaulior dccipcrctiir , paiàm laiidatuin.

,' Vt-triciii inf-^rLngdnMensrs Vicnnonseçquo 4'sçord aui , pioxiinnm bcMuMi .iciciidcTût ïm.IlBeiiivicein (.Ldc, cnbr.ns ii.fcsi ù,qne, qtlr' ut lanlùm propf, r Nçn.ticm Calhoin qui- pu-uarctiir. Galba rcditus Liigdii- ïifn>!uin , oicasionc ir;v, in liscum vcrli rat, M^it^s coutrà iu \ icuueuscà liouor. Uaçle

DU LIVRE T. DE TACITE. 14S

gionn aires; et les unsetlcsautresavantaîncnté leurs caiiiaracles , on rtait sur le point d'en venir aux mains, si par le châtiment de quel- ques Bataves , T'alens n'eût rappelé les autres à leur dr-voir. On h'cu prit mal-à-propos aux Ednensdu sujet de !a querelle, \\ leur fut or- donne de fournir de l'argent, des armes, et des vivres gratuitemeîit. Ce q;ic les Edneus firent par force , 1rs Lyonnais le firent vo- lontiers : aussi furent-ils délivres de la légion italique et de l'escadron de Turin qu'on em- menait : et on ne laissa que la dix-huitièn»e cohorte à Lyou, son quartier ordinaire. (Quoi- que Alanliiis f aleiis , commandant de la légion italique , eut bien mérité de f-^iteJliris , il n'en reçut aucun honneur. Fahites l'avait desservi secrètement ; et pour mieux le trom- per , il alfcctait de le luuer eu public.

Il rc;;nait en^rc Vienne et Lyon d'anciennes discordes que la dernière guerre avait raui- niées ; il y avait eu beaucoup de sang versé de part et d'autre , et des combats plus fré- qiiens et plus opiniâtres que s'il n'iùt clé question que des intérêts de Gai!>a ou de jVcro/i. Les revenus publics de la province de Lyou avaieat été couûsqués par Galùa

H 5

146 TRADUCTION

œmnlatio , et iiividia , et uno ami^c discrctis conncxuui odiiiiu. Tgitiir îiiigcluncnscs c\ti- nuilare singulos milituni, et iii cvcrsioncui Viennciisium iinpellere , obscssaui ah ilîis coloiiiam suatn, acijutcs T-'^iudicis conatus, con^criptas nuper legioncs iu prsesidium Galbœ lefercndo. Et uhi causas odiornm practendcrant , magnitudiiicm pra-drc ostci- dcbant. Nec jam sccrcta csliorlatlo , sed publicEC preces : Ircnt jillorcs _, e.vscindcrci:t sedem gallici bclll y cnr.cia illlc cxtenia et hoslilia , se coloniaiti roinanaui et partem exercitûs j et prosperannn adversaniniijjte rcnnn sotios^ si J'ortuiia contra darcf j iratis ne relinquerentur. lîis et pliiiibus la eumdem modum , pcrpulcraiît , ut uec Icgati quidcm ac duces partiiim rcstingni po.<se iiaciiîidiam e^ercitns arbiUarcntur : cùia hand igiiaii dlsci iuiiiiis sui \ icmunscs , ▼clanicnta et iiifuias piirfcieiUos , ubi agmcu incrssciat , ar;na , gcnua , vcsligia prehcn- jntido , flcxere miîilinn animos. Addidit l'cicns trco'Mios siiigiiHs inilitibus scstcrtios. Tum Yctustas dîguilasijue colouiœ valuit ;

DU LIVRE I. DE TACITE. 147

sous le nom tramendc. Il fit, au coutrrlre, toute sorte d'honneur aux Viennois , ajou- tant ainsi l'envie à la haine de ces deux peuples , se'pare's seulement par uu fleure qui n'arrêtai t pas leur animosi té. Les LyonnaJs animant donc le soldat, l'excitaient à de'- truire Vienne qu'ils accusaient de tenir leur colonie assiégée , de s'être déclarée pour p^index , et d'avoir ci- devant fourni Ans ti:oupes pour le service de Gnlha. Eu leur montrant ensuite la j^raudeur du hutin , iL^ animaient la colère p^ir la convoitise et non- conteus de les exciter eu secret : « Soyez , « leur disaient-ils hautement , nos vengeurs « et les vôtres , eu détruisant la source de « toutes les guerres des Gaules. , tout vous « est étranj^er ou ennemi ; ici vous voyez une «c colonie romaine et une portion de l'armée « toujours ûdelle à partager avec vous les « bons et les mauvais succès : la fortune peut « nous être contraire ; ne nous abandonnez « pas b des ennemis irrités ». Par de &e;u- blahlcs discours , ils échauITèrent tellement l'esprit des soldats , que les officiers et les généraux désespéraient de les contenir, Ler. Viennois , qui n'ij^aoraicnt pas le péril , viurcut au-devaut de l'armée avec des voilci

H d

148 TRADUCTION

et verba Fahii salutem incolwini tatcmquts Yicnrunsiiim coiiJU)eudaiiti.s , ccqi.is aunbns ecceptci. PuUl.cé (aaicn annis luuictati, prU yatis et promiscuis copii.s juvere juilitcm. Sfd fama constans fuit ipsuui PUentem îiia-nâ pt-cuuià eniptum. Is diù soididiis, repente dives , aiiilalioiiewi lortmiœ ina!è te-chat , acceii.Ms e^cMa.c lonj^à cupi.liuU bus , immoderatus, et iuopi juvtutâ , seuc^?; prodiyus.

Lento deiiHe ar^mine, pcr finps Allobro- gniu et VocoiUioruui diictiis exereitus: ipsa itiiicrimi spatia , cl >tati voiuui mutatlones VCMd.lante duce, fœdis pactioiiibiis adversiis possessfjres agromui , et UJagistratus tivlta- tupi , adto miuacikr, ul Luco (muuiçipium

DU LIVRE I. DE TACITE. 149

et des biiiidilettes, et se prosti-rnant devant les soldats , baisant leurs pns , cuil)ra:saiit leurs genoux et leurs armes , ils calmèrent lei.r fureur. Alors h'alens leur ayant fait dlstrl))Lier trois cens sesterces par léte , on eut égard u l'a .cicnneté et à Ja dignité' de la colonie ; et ce qu'il dit pour le aalut et la conservaMon des liabitans , lut écoute' fa- Torabltuient. On désarma pourtant la pro- vince , et les particul ers furent obligés de foinnir à discret. on desvivres au soldat : mais on ne doula point qu'ils n'en.'^scrnt à grand prix acheté le général. Enr.chi lout-à-toup aj)res avoir loui^-letnps sordidement vécu, il cachait mal le changement de sa fortune; et se livrant sans mesure à tous ses désirs irrités par une longue abstinence, devint ■vieillard prodigue de jeune houimc indigent qu'il avait e'té.

En poursu'vant lentement sa route , il con- duisit l'armée sur les coiilins des Allobroges et des Voconces; et par le plus infâme com- iiurce , il réglait les séjours er les marches sur l'argent (ju'on lui pay nt pour s'en déli- vrer. Jl imposait h s propriétaires des Itrrca et les magistrats des villes , avec une tell*

i5o TRADUCTION

id Vocontioium est) faces admovetit, douée pecuuiâmitigaretur.Quotics pecuniae materia dccsset, stupris et adultcriis exorabatur. Sic ad Alpes perventum.

Plus prscdae ac sanguinis Ccvcitia hausft. Irritaveraat turbidum ingeniuia Helvetii , gallica gens , oliiii armis viiisque mox lue- niorià nominis clara , de caede Galbœ ignari, et f'iicllil impcrium abnuetitcs. Initiiun bello fuit avaiitia ac festinatio unac et vicc- sima" legiouis. Rapueiant pecuniam niis?am in stipcudium castelli quod olim llelvctii suis militibus ac stipcadiis tuebautur ; ccgiè id passi Helvetii , iutciceptis epistolis quae nomine germanici exercitûs ad Panuoiiicas legiones fercbautur, centurionemet quosdam niilitum in custodiâ retincbant. Ca-cina bcUi avidus , proximam quamquc culpaui antc- quàm pœnitcrct, ukum ibat. Mota propcic castra ; vastati agri. Direptiis , longâ pacc in moduui mutiicipii esstructus , locus , Atnœno salubrium aquarum usu fiequcus»

DU LIVRE I. DE TACITE. i5i

dureté, qu'il fut prêta mettre le feu au Luc, ville des Voconces , q.ui l'adoucirent avec de l'argent. Ceux qui n'en avaient point , l'appaisaient en lui livrant leurs femmes et leurs filles. C'est ainsi qu'il marcha jusau'aus Alpes.

Cecina fut plus sanguinaire et plus âpre au l>utin. Les Suisses , nation gauloise, illustre autrefois par ses armes et ses soldats , et main- tenant par ses ancêtres , ne sachant rien de la mort ùdGalba , et refusant d'obéir à f^i- ielUiis , irritèrent l'esprit brouillon de soa général. La vingt-unième légion ayant en- levé la paye destinée à la garnison d'un fort les Suisses entrctcuaicntdcpuis long-temps des milices du pays, fut cause par sa pétu- lance et son avarice du commencement de la guerre : les Suisses irrités interceptèrent des lettres que l'armée d'Allemagne écri- vait à celle de Hongrie, et retinrent pri- sonniers uu centurion et quelques soldats. Cecina^ qui ne cherchait que la guerre et prévenait toujours la réparation par la ven- geance, lève aussitôt son camp et dévaste le pays. 11 détruisit un lieu que ses eaux mi- nérales fcsaient fréquenter, et qui durant uii«

352 TRADUCTION Missi ad Rliaetica aiixilia uuricii, ut versos in If'gioiieiu Hclvetios à teigo aggrcde- rcutur.

Illi an te disciiinen Fcroces , in periculo pavicii , quaiiiqiiain primo tumultu Clan- diiim Scveruiii ducein le^eiant , non ariiia noscere , non oïdines scqiii , non in uiium consnlcre ; exit'osiitn adver.-us veteranos prœliuni, inti*ta obsidio , dilapsis vetustate nifBuibiis ; liiiic Ccecina cuiu valido cxcrcitn, inde Rbaîticae aliB coliortcsqne et ipsorum Rlioctorum juventus siicta aimis , et inovo tiiilitiœ excrcita; midiqiie populatio et cardes. IpsI in medio vagi abjcctis aiuiis , magna pars saucii aiit palantes, in monteui Voie- tiinn perliigere; ac statim immissà cohorte Thracnm depuis! , et conscctantibus Ger- nianis Rlurtisque , per silvas atque iu ipsis latebris trucidali. Milita hominum millia cacsa , milita sub coronâ ▼euunuiala. ('mu- qiic dirntis omnibus , Aventicum gciitiscapiit justo agtuiue pcterctur; missi qui dcdercut

DU LIVRE I. DE TACITE. i53

Jonr^iie paix , sVtait embelli tomme une ville. 11 euvoyii ordie aux ausiliaiic!- <Je la Uliétique de cbarj;ei- en queue les Suisses, qui fcsaieut face à la légion.

Ceux-ci , fe'rpccs loin du péril , et lâchfs dcv.iiit l'omieuii , élurent bien au j remier tumulte i'Unide Séi'ere |)0!ir leur ^eur-ral ; mais ne sachant m s'aeeorder dans leurs dé- libéra lions , ni garder leur rangs , ni se servir de Icuis armes, ils S',- 1 lissaient défaire , tuer, par nos vieux soldats , et forcer dans leurs p'aces , dont tous les murs tombaient eu ruines. C'cciiia d'un côté avec une bonne armée , de l'aiilrc les escadrons et ics co- hortes rhét'ques , composées d'un' ieniiesse exercée aux alUK^ et bien disciplinée, met- taient (oui à feu et à sang. L.es Suisses dis- persés c.itn- dcu\ , jetait leurs armes , et la plupart épars ou blessés, se réfugièrent sur les montagnes, d'où cliai;sés i>ar une coliorte tbrace , qu'on détacha après eus ; cl pour- suivis par rarmce des Rhétiens , on ics mas- sacra,l dans les foréls et jusque dans leurs cavi rnes. On en tua par milliers , et l'on en vendit \\\\ grand nombre. (^;iaiitl on eut tait Je déj^ài, on uiaicbacu bataille à Aveuche,

354 T R ,4l D U C T I O N

civitatem , et deditio accepta. In Jjilium >^//7/«7i;«èprincipibus, ut coucitorcm belli , Cœcina aiiimadvertit : cœte rosycnisE vcl sa;vitiœ p'iteUli reliquit.

Haud facile dicta est, legati Hel?etiomm miiiùs placabilcm impcratorem , an niilitcm invcMcrint. Civitatis cxcidiiun poscnnt , tela ac ir.auus iu ora legatorum intentant. Ne P'iteIUusvra\ù.ç:i\\ itiinis ac verbis teinperabat: cùm Clnitdius Cossm^ ^ unus ex Icgalis ^ iiotae facnndirc, scd dicendi aitem aptà trc- IJidatione occultans , atquc co validior , niilitisanitiium initigavit : ut est mos vulgo , mutabilc subitis, et tani pioniun in miscricor- diam , quàm iniaiodicuiu saîvitià fuerat: effnsis laciiaiis , ctinci oraconsiantiùspoytu- lando, iuipuuitatcni salutcuiquc civilati im- petravere.

Cœcina paucos in Helrctiis mdratus dies, duni scutcnticT f'itellii ccitior fierct, simul trausitum Alpiuin pavans , laetum ex Ilatià

DU LfV RE I. DE TACITE- i5â

capitale du pays. Ils envoyèreat des députes pour se rendre, et fureut reçus à discrétion. Cccijia fit punir Jnlins udlpinus un de leurs chefs , comme auteur de la guerre , laissant au jugement de ViteUius la grâce ou le cliâtiiiient des autres.

On aurait peine à dire qui du soldat ou de l'empereur se montra le plus implacable aux députés belvéticns. Tous les menaçant des armes et de la main , criaient qu'il fallait détruire leur ville , et ViteUius même ne pouvait modérer sa fureur. Cependant Clau- dius Gossjis un des députés , connu par «on éloquence, sut l'employer avec tant de force et la cacher avec tant d'adresse sous un air d'effroi , qu'il adoucit l'esprit des soldats , et selon l'inconstance ordinaire au peuple , les rendit aussi portés à la clémence qu'ils l'étaient d'abord à la cruauté. De sorte qu'après beaucoup de pleurs ayant imploré grâce d'un ton plus rassis , ils obtinrent lo salut et l'impunité de leur ville.

Cecina s'étant arrêté quelques jours en Suisse, pour attendre les ordres de P'itel/ius tX se préparer au passago des Alpes , y reçut

i56 TRADUCTION

nunciuin acci|)it , alam Sjllaiiam circa PaJnin agcntciii , sacramento /7/f//// acccs- sisse.Procon.suk'ui / i/eZ/ÎJ/ mSyWan'i in Africâ babueiaat ; niox à Aero.'/e , ut iu ^gyptiim praeiiiituif ntur exciti et ob bellmii l^indicis rt-vocati , ac tiiui in Italiâ ri;atici)tes , iiis- tirutii deciirioiium qui Otlioiiis igiiari , p^iteUio obstricti , lobiir adveiitaiitiiim le- giomiin et Famaoi girinaiiici cxcrcitûs atloî- Icbaiit , tia:ii>iore in part<'s : et ut (loiiuui aliqnod novo principi, bnuissiuia transpa- daiiœ iigiouis uumicipia , iMcdiolaiinm , ac Novariam , et Epoiedia.n , ac Vcrccllas , adjiiiixore. Id Cctcime per ipsos couipeituui; et quia pra:sidio aloe uniiis iatissiuia pais ltalia> defendi ncquibat , jjiîEiuisslj. Galloruin, Lusilaiioruui , Britaiiriorumque cobortibus, et GeiiuaiioiiUH vexillis, cum alà Pctrinâ, ipse paulidum cunctatus , niun ibœticis jugis in Noncuni Di-cterct , advcrsus Pctronîum urbis piocmaloieui , qui co:icitis auxibis, et intcrrupt.î fluniinurn poutibiis , ûdus Otlioni putaiidtur. Scd nictu ne amiiterct piacmissas jaju coliortes alasquc , simul icputaus plus

DU LIVRE I. DE TACITE. 157

l'agréable nouvelle que la cavalerie Sylla- iiicntie , qui bordait le , s'e'tait soumise à l'itellilis. E!le avait servi sous lui dans son procoiisulat d'Afr.qne ; puis JS'éron l'ayant rappelée pour l'envoyer en Egypte, la retint pour la guerre de f'indev. Ellcyétait ainsi detucurcc en Italie, ses décurions , à qui Ot'ion étail inconnu , et qui se trou- vaient liés à T'iteHiiis , vantant la force des légions qui s'approchaient et ne parlant que des années d'Allemagne , l'attirèrent dans son parti. Pour ne point s'oSVir les mains vides, ces troupes déclarèrent à Ceciiia qu'elles joignaient aux possessions de leur nouveau prince les forteresses d'au-delà du ; savoir^ Milan , Novarre , Ivrcc , et Verceil , et corauia une seule brigade de cavalerie ne suiris.iit pas pour garJer une si grande partie de l'italie , il y envoya les coliortes des Gaules , de Lu- gitanie , et de Rrelagne , auxquelles il joignit les enseignes allemandes et l'escadron de Si- cile. Quant à lui , il hésita quelque tei/ips s'il ne traverserait point les tnouts Rhétiens, pour marcher dans la Noriquc contre l'in- te!i;!ant Pctronins , qui , ayant ras emblé les auxiliaires et fait couper les ponts, sem- blait vouloir être fidcb à Qthon. Mai»

i58 TRADUCTION. gloriae rclentà Italià , et ubiciinique certatiuui foret , Noiicos 'n\ caeteroe vicloriœ pra^uiia cessuros , Peuuino subsiguaniuii militcui iti- nere et grave legioiium agmcu lùbeiuis adhiic Alpibus traduxit.

Otho intérim , contra spem oïîinium , non deliciis, neque desidià torpesccre ; dilatœ voluplatcs, dissimulata luxiiria, et cuncta ad decorcm itnpcrii composita. Eoqtic plus formidinis afFcrebant falsse virtutcs , et vilia reditura. Marium Celsum consulcnidcsigna- tum, per S2)eciem viuculoruin, saîvitiic uiili- tutn subtractum , acciri in Capiloliuni jnbct. Clemcntiaî titulus, è \:'iro claro et partibus inviso , petcbatur. Cdsns coustanter servatœ erga Galham (idei crimcn coufessus , cxem- plum-ultro iruputavit. I\ec OtJio quasi ignos- cerct , sed ne hostis metum recouciliationis adbiberet ,statim inter intimes auiicos habuit , et luox bcllo iuter duces delegit. Mansitque

nu LIVRE I. DE TACITE. 169

eraigiiant de ptidre les troupes qu'il avait envoyées devant lui , trouvant ausyi plus de j^loireà conserver l'Italie , et jugeant au'cii quelque lieu que l'on combattît , la Noriquij ne pouvait e'chapper au vainqueur, il lit passer les troupes des allie's , et même les pesans bataillons Ic'gionuaircs par les Alpes Penninos , quoiqu'elles fussent encore cou- vertes de neige.

Cependant, au-lieu de s'abandonner avx plaisirs et à la mol'esso , Othon rcnvoyan! à d'autres temps le luxe et la volujHc', siMpiit tout le monde en ^'appliquant à rétablir la gloire de l'empire. Mais ces fausses vertus ne fesaient prévoir qu'avec plus d'edVoi le mo- ment où ses vices reprendraient le dessus. Jl lit conduire au Capitule Marins Ce/sus con- sul désigné , qu'il avait feint de mettre aux fers pour le sauver de la fureur des soldats, et voulut se donner une réputation de clé- mence en dérobant à la haine des siens une tète illustre. Ce/sus , par l'exemple de sa lidé- lité pour Galha , dont il fesait gloire, mon- trait à son successeur ce qu'il en pouvait at- tendre à son tour. Othon , ne jugeant pas qu'il eût besoin de pardon et voulant ôtcr

j6o T R a D U C t T O îf

Celso vcluf fita'.itcr ctiam pio Othone îi^es^ intcra et infcUx. Lxta iMimoiibus civilatis , cek-hiala iii viilgiis Ceisi sains, ne militibus quidem in^rn'a fuit , caitidcin virtutcm adaii- jrautibus cui irabcebauturé

î'ar încle etsnUatio , clispafibns caîissis consecnta, itupctrato Tigcl!une\\vo.Sophû- fiius TigeUinins obscuris parcîîtibtis , ficdà pueritià , impudità sencctâ , proef'ctnraitt vigilum et prœtorii, et a!ia piirmia viitii- tum , quia velociùs crat vitiis alcptiis , cru* delitatcm mc^ , deinde avaritiain , et virilia scelcra excrcnit: cornipto ad oin:ic faciiius JVcrone, quêcdain if;iiaio ausiis , ac pros-» trciuo ejusdfin descrtor ac proditor. Uiide non aliiJin pcrtinacins ad i>ne!\aiu Qagitarere, divcrso affectu , quibns odium iVerOfiii ine- rat , et quibus dt-sidcriinn. Apud Galham Œ'. P'inii potentià defeusus, proîtexetitis scr-

touts

DU LIVRE I. DE TACITE. i6t

toute defianceàuucnncmi reconcilie , l'admit au uoiubrc de ses plus intimes aaiis , et dans la guerre qui suivit bientôt en fit J'un de ses {^c'ne'raux. Ceisus de son côté s'attacha sincèrement à Oilion , comme si c'eût e'té son sort d'être toujours fidèle au jjarti malheu- reux. Sa conservation fut agre'able aux grands, loue'e du peuple , et ne déplut pas même au.x soldats , forcés d'admirer uue vertu qu'ils haïssaient.

Le châtiment de TigeUinns ne fut pas moins applaudi , par une cause toute diiTcrente. Sophouius Tigelliiius , de parens obscurs , souillé dès son enfance , et débauché dans sa Tieillesse , avait a force de vices obtenu les préfectures de la police , du prétoire , et d'autres emplois dus à la vertu , dans lesquels il montra d'abordsa cruauté, puisson avarice et tous les crimes d'un méchant homme. Non content de corrompre Néron et de l'exciter à mille forfaits, il osait même en commettre à son insçu, et finit par l'abandonner et le trahir. Aussi nulle punition ne fut-elle plus ardemment poursuivie , mais par divers mo- tifs , de ceux qui détestaient Atron et de ceux qui le regrettaient. 11 avait été protcg*

Mélanges. Tome V. J,

i6t TRADUCTION vatara ab co liliain; et Iiand diibiè serrarr- rat, non ck-iiientià , (qnippc lot iiitcrfcctis ) sed elliigio iii futvinim \ quià pessimus quis- qiie , dillulentiâ pvrcspiilium miitationcm pavcMS , advcisiis iKiblicum odinm, pnva- tamgratiatiî prccparal, : uiidè niilla innocent'Ke cura , sed vices iinpuiiitatis. Ko iufcnsior popubis , additâ ad vctus TigeUini odiuin reccnti T. T'inii iiividiâ , concurrere c totâ urbc in palatiu)u ac l'oia, et \\h\ pluriiiia Vulgiliccntia,iucircniu ac theatra clTusi ,sedi- tiosis Voclbus obstrepore: donec TigeUiiius^ accepte apud Siiiucssanas aqnas snpremac iicccssltatis nuixio, iiitcr stupia couc:ibina- rum , et oscilla, et defonues i-ioras, sectis novaculà fauclbus, infamciu vltam lœdavit ctiam cxilu seio et iuhonesLo,

Pei- idem tcmpns cxpostnlata ad snpph-^ cinm GaU'ia Crhpinilla , variis frustiatio- nibiis , et adveisà disslmulantis principiS ïaioù , periculo exempta est. Ma^istfa libi-

DU LIVRE I. DE TACITE- i63

près de Galba par f^'inins dont il avait sauvé ]a iille , moins par pitié, lui qui commit tant d'autres meurtres , que pour s'étaycr du père au bcsoiu ;carlesscck'mts ,tQuJQurseu crainte des révolutions , se raonagent de loin des amis particuliers qui puissent Içs garantir de la haine pulillquc ; et sans s'ahstenir du crime s'assurent ainsi de rinipnaitc. Mais cette res- source ne rendit Tigellimts que plus odieux , en ajoutant à ranciemie. aversion qu'on avait pour lui celle que p^iniusvç,ndi^it de s'attirer. Ou accourait de tous les quartiers , dans la place et dans le palais : le cirque , sur-tout , et les théâtres, lieux la licence du [)cunle esr plus grande, rctcntis-aicn t de clameurs Séditieuses. Enfin TigcUinus ayant reçu aux eaux de Sinucssc l'ordre de mourir , après de honteux délais cherchés dans les bras des femmes, se coupa la s^^'g® avec \^\\ rasoir, terminant ainsi une vie infâme par une mort tardive et dés ho nue le.

Dans ce même temps , on sollicitait la pu- nition de Gahici Cri.spini/In ; mais elle so tiia d'ailaire h force de défailcs et par une connivence qui ne fit pas honneur au prince, J^llc avait eu Néron pour élève de débauche j

1 3

364 T R A D U C T I O T^

diaurn JVerorii's, transgressa in Africain ad instigatidum in arma Claudiitm lUacniin , fauiem populo roniaiio h.jud obscure iiiolita , totitis postca civitalis gratiam. obtinnit con- sulari matrimonio subuixa, et apudCa/Z^am, Ot/ioue/n , t'iieUinm ^ illœsa : mox potens pecuuià et orbitale , quae bouis malisquo teuiporibus Juxtà valent.

Crebrae iiitcrim , et lunlicbribns blandi- lueiills iiifictse , ab Othoue ad J'itclUutn epistolœ , offcrcbant picnniain ii graham , et qiieincmnque ([U:ctis locimi prodigœ vitx legisset. Paria f'itclUus o.sleiulcba' , primo molliùs, slullà utrimque et indecorà ^imu- latione : mox qnasi rixantes stiipra et fla- gitla iuviceuiobjectavcre ; ucutcr {"ul?o.

Otho , revocatis qnos Galha misera t legatis , rursiîs alios ad iitrumqiie grrmani- cum exercitum , et ad legioiiem ilalicam , ea5(jue «juac Lugduai agcbaut copias , spccie

DU LIVRE I. DE TACITE. i6$

ensuite ayant passé en Afrique pour exciter Macer à prendre les armes, elle tâcha tout ouvcrleuient d'affamer Rome. Rentrée erj grâce à la faveur d'un mariage consulaire ^ et échappée aux règnes de Galba , ài'UthoT*. et de jy'iteUius , elle resta fort riche et sans enfans ; deux grands moyens de crédit dau« tous les temps , bous et mauvais.

Cependant <9/^«n écrivait à VitellîusXti tre» sur lettres , qu'il souillait de cajoleries de femmes, lui offrant argent , grâces, et tel asile qu'il vovulrait choisir pour y vivre dans les plaisirs, f'iullins lui répondait sur même ton ; mais ces offres mutuelles , d'abord sobrement ménagées et couvertes des deux côtés d'une sotte et honteuse dissimulation y. dégénérèrent bientôt en querelles , chacura reprochant à l'autre avec la même venté sca^ vices et sa débauche.

Ofhon rappela les députes de Gaîha et ei> envoya d'autres au nom du sénat aux deux années d'Allemagne , aux troupes qui étaient îi Lyon , et à la légion d'Italie. Les députés, ïcslcreut auprès de p'itellius , mais trop- ai-

i a

^66 TRADUCTION

senatûs misit. Lcj:;ati apud P'itelliiiîn icman- sere , prompliùs quàm ut retenti vidcrentur. Prœtoriani , quos pcr simulatloiicm oflicii Içgatis Ctlio adjunxerat , remisai, aiitcqiiaiu legionibus miscercnlur. Addit cpistolas fabius jy'alens , nomiiie germanici exerci- tiis , ad piactorias et urbauas cohortes , do viribiis partiiim magiiilicas, et coiicordiani ollcreiUcs. lucrcpabaut ultro , qnod taiilô a t ; t è ( la et \\.\n\\l- 'itellio i m p e r i li m a d O /// (• // evb ■^{cvlisseut. Ita prouiissis siiuul , ac uiiuis teutabantur ; ut belle itupares , iu paco iiihil aîuissuri. Nequc ideo pra;loriauo.rum tides inutala..

Sed iiisidiatorcs ab Othoiic \n Germanîani l "k f 'itellio iu Urbem missi. Utrisque frustra fuit: Vitcllianis impuuc , per tantun lionii- nuir; u\ultitudiueni , uuituâ ignoiaiiliàfallcn- tibus ; Otlioniaiii uovitate vultûs , omnibus iliviocm ignaris, prodcbautur. l'itcUius lit-» tcras ad Titiamnii fratrem Othonis compo- «uft, cïitium ipsi iilioque «jiu uiiuitans, ui

DU LIVRE I. DE TACITE. 167

Sèment pour qu'on crût que c'était par force. Quant aux prétoriens qu'Ot/iOn avait joints comme par lionneur à ces cie'putés , ou se biîta de les renvoyer avant qu'ils se mêlassent parmi les légions. Fahhis y'alens leur remit des lettres au nom des armées d'Allemagne pour les cohortes de la ville et du prétoire, par lesquelles , pariant pompeusement du parti de f^itel/ius, ou les pressai t de s'y réunir. On Icurreprociiait vivement d'avoir transféré a Otiion l'empire déoerae' long- temps aupa- ravant à /■ itclliiis. Enfin usant pou ries gagner de promesses et de menaces, on leur parlait comme ù des gens à qui la })aix n'ôtait rieu et qui ne pouvaient soutenir la guerre : mais tout cela u'ébranla point la tidelité des pré- toriens.

Alors Otlion et f'itellius prirent le parti d'envoyer des assassins, l'un en Allemagne et l'autre à Home , tous deux inutilement. Ceux ùcf^ iteliius , mçlèsdaiis une si grande nudtitudcd'liouuncs inconnus l'un à l'autre , ne furent pas découverts ; mais ceux CCOthon furent bientôt trahis par la nouveauté de leurs visages parmi des gens cjui se connais- saient tous. /'7/t7//uj écrivit à L'itien^ frèro

î68 TRADUCTION

incolutacs sibi mater ac liberi servarentnK Et stctit doinus utraque: suh Othoiie lacei- tiiin an uietii : P^itelîius victor clcmculia gloriam lulit.

Piimus Gtlioul Gdiiciam addidit ex Illy- rico lUHicius , jurasse in cnni Daluiatiae, ac Pannonia; , et Mœsiae , legioncs. Idem ex Hîspanià allatnm, laudatnsqne per cdictum Chnius Jiafns; et statim cognitnm est, convcrsam ad f^ittllium Hispaniam. Keo Aqnitaniar|uidcm,quauiquama.7i///i9 Cordo in verba Othonis obstricta , diu mansit. Kusquam lides aut amor , melu ac necessitata hue illuc mutabantur. Eadom formido pro- vinciam NarJjonensem ad yiieUium vertit, facili transita ad proximos et validiorcs. Louginqiiœ provincix , et quidquid arnio- ruui mari dirimitur, pênes OthOîicm vutxnt^ bant, non partium studio, scd crat grand© iiiouieutuiu in nomine urliis ac practextu senntûs;etoccHipaverataniniosprior auditus. JudaicLim excrcituui t espasiauus j Siri»

DU LIVRE T. TACITE. 169

à'Ot/ion ,' qne sa vie et celle de ses fils lui répondraient de sa mère et de scseufans. L'une et l'autre fauiille fut conservée : on douta da motif dy la clémence d'CJt/iori ; mais p'iteUius vainqueur eut tout l'honneur de la sienne.

La première nouvelle qui donna de la con- fiance à Otliun lui vint d'Illyrie , d'où il aj)prit que les légions deDalmatie , de Pan- lîonic, et de la Mœsie avaient prêté serment en son nom. Il reçu t d'Espagne un semblable avis et donna par édit des louanges à 67m- piiis Rv/us ; mais on sut Bientôt après que l'Espagne s'était retournée du côté de Vi- tellins. L'Aquitaine, que. 77//V?/.s Cordnsd^sa\.t aussi fait déclarer pour Otiion , ne lui resta pas plus Qdelle. Comme il n'était pas ques- tion de foi ni d'attac!rement,cliacunselaissait entraîner çà et selon sa crainte ou ses es- pérances. L'eflVoi fit déclarer de même la province ?\icirbonaise en fivcurd; Vilellius ^ qui , le plus priiclic et le plus puissant » parut aisément le plus légitime. Les provius-es les plus éloignées et celles q^c l'a mer sépa- rait di's troupes restèrent à Othon ; moins pour l'amour de lui, qu'à cause du L^r.nid poids que donnait à sou parti le nom do

370 TRADUCTION legiones Mucianus sacramento Cthonis adc- gere, Simul yïl;.j,yptns , ouinesqne veisîE iu Oiientcm provinciae , iiouilne cjus teiiebaii- tur. Idem Africac obscqiiium, iuilio 5 Car- ibagiue oito. Ncque exspcctatà f-lpsanii yiproniavl pioconsi lis auctoritatc , Crcs^ cens Keronis libcrtus ( naui et bi malis tempoiibus partciu se reipui^'.icae facinnt )■ cpulum plcbi , ob laetitiam rccentis impcrii , obîulcrat : et populus pleraqne ?lnc inoda festinavit. CarlUagmcm c^uterœ civitaitcs »eçuts6.

Sîo distractîs cKcrcîtibns ao provinciîs - p'itcllio quidcju ad capesseiiiaiu piincipatùs fortuuam bcUo opus erat. Otho , iit in luiiltà pace ; mmiia impcrii obiliat , quaedam ex tlignitate rcipiiblica; , plcraque contra dccus , ex piccseuti usu pioperaïulo. Consul cinu 'J'itiano fratre in kalcndas maitias ipse y proxiu'.os mcuics f'\rt;inio destinât , ut pliquod cxcicit-.ii gcrr.ianico dcliiiituetUmn^

DU LIVRE r. DE TACÎTE. 17*

Rome et l'aiitoiite du sénat , outre qu'an penchait naturellement pour le premier re- connu ( * ). L'armce de Judée par les soiiis de Vespasie7i , et les légions de Syrie par fceux de Mucîanils , prctèren t serment à Othon . L'E-j^pte et toutes les provinces d*Ol-icnt re- connaissaient soil autofitc. L'Afrique lui rendait la mériie obe'issance à l'exemple Cartilage, , sans attendre les ordres dtt p ro co n ^uXripsan iiis Apron ian us , Crescens^ arFrancIu de Néron ^ se mêlant , comme ses pareils, des affaires de la république dans les temps de calamités , avait , en léjouissanco de la nouvelle élection donne des fêtes au peuple qui se livrait étourdiment à tout. Les autres villes iuiilèrent Cartilage.

Ainsi les armées et les provinces sr (vou* raient tellement partaj;ces , que l^itelUns nvait besoin des succès de la gu-fre '.>owr se ïneltreen possession de l'empire. PonxQthon il fesait comme en pleine paix les (onctions d'empereur , quelquefois soutenant k dignité

(*) L'élection flo VltdVius avait pn'rédé celle iV Othon; mais aii-clelà des mers le bruit de celle-ci flv.ut piévcm. le bruit de l'autre : ainsi Ot/jcn«uit dans tes régions U premier reconnu.

,7j TRADUCTION

Jungitur f'erginio Poppœus Vopisnts ; praettxtu vcteiis aniiciliec , pleiiqne Viennen- sium lionori datum interpictabantiir. Caeteri consulatus es dcstinatioue Aeronis , aut Caîhœ , luanserc. Oelio ac Flat'io Sahinis^ iu julias, Ario ^ntoriino ^\. Mario CelsOy in septembres : quorum honori ne T'itellins quidem Victor iutercessit. Sed Ctho poutifi- catus auguratusque honoratis jam senibui cumulum digiiitatis addidit ; et recens ab exsilio reverses nobilcs adolesccntulos avilis ac pateruis saecrdotiis iu solatium recoluit. Bcdditus Cadio Rvfo, Pedio Ji/œso jSerina Promptiiio seuatorius locus , qui repituu- darum criminijjus sub Claudio ac iXeroric cecidcrant. Placuit i-uosccntibus , verso nomioe , quod avaritia fu( rat , videri majes- talcm; cuju» tum odio , etiam boiiae leges peribaut.

DU LIVRE I. DF. TACITE. 17?

de la république , mais plus souvent l'avilis» sant ea se hâtant de régner. II désigna sou frère Titianus consul avec lui jusqu'au pre- mier de mars ; et cherchant à se concilier l'armée d'Allemagne , il destina les den^ mois suivans à Vetginiu<; , auquel il donna Poppœns Vopiscns pour colièî^ue, sons pré- texte d'une ancienne amitié , mais plutôt selon plusieurs , pour faire honneur aux Viennois. II n'y eut rien de channe po^j^

les au tresconsulats aux nominations deiVV/o/i cl àitGalha. Deux Sabinus, GœUus et Flaue restèrent désignés pour mai et juin y^rivi Antonimis et Marins Celsiis pour Juillet et août ; honneur dont T- iiellins ménic ne les priva pas après .-a victoire. Gihon mit le

comblcauxdignitésdesplusillustrcs vieillard'- en y ajoutant celles d'augures et de non- tifcs , et consola la jeune noblesse récem- ment rappelée d'exil, en lui rendant le sacer- doce dont avaient joui ses ancêtres. Il rétablit dans le %é\vx\.Cadius Rvfus , PediusBlœsus et Seiinus Promplinus , qui en avaient été

chassé.ssous<:V^7/Jt'ponrcrimedeeoncnssion. L'on s'avisa , pour leur pardonner , de chan- ger le mot de rapine en celui de Use-vuijesté , Alélaiii^cs. Touic \ , K

174

TRADUCTIOIT

Eâdem largitjoue , civitatum quoque ac provinciaiuiu animos aggressiis , lïispaliea- S4busetEineritensibusfaiuiUarumadjectiones. Liugpnibus universis civitatem romanam , proviiiclrc Bœticae Mauroriim civitates dono dédit. Nova jura Cappadociœ, uova Africae, oslcnlui magis quàm mansura. lutcr quae jiecessitatc picTsciitium rcrnin et iustautlbus curis excusata , ue tuiu qiiideui iimuemor amorum , statuas Poppceœ pcr scnatuscoa- sultum reposuit. Créditas est etiam de celé-, biandâ Neronis memorià agitavlsse , spe Tulgiim alliciendi. Et fuere qui imagines '2V^eronis proponereut : atque etiam Othoni^ quibusdam dicl)ns populus et miles , tam-r quam nobilitatcm ac decus astrucrent , 'Neroni-Othoni acclamavit. Ipse in sus- pense tcnuit , vctandi uiotu, vel agnosccudi pudore.

Conversis ad civile bcllum animis, externa siae cura haîwbautur . Eu audeutiiis Roxolaai ,

->U LIVRE I. DE TACITE. 173

Inot odieux ru ces temps-là , et dont l'abiïs fcsdit tort oux meilleures lois.

Il étendit aussi ses grâces sur les villes et les provinces. H ajouta d.; nouvelles fau)illes aux colonies d'His()alis et d'Emerita: il donna le droit de bourgeoisie romaine à toute la province de Langres ; à celle de la Be't^quo les villes de la Mauritanie ; .1 celles d'Afrique et de Ciippadoce de nouveaux droits trop bnllans pour être durables. Tous ces soins, et les besoins pressans qui l'^s exigeaient, ne lui firent point oublier ses amours , et il fit re'iablir par décret du sénat les statues de Poppce. (Quelques-uns relevèrent aussi celles de i\éron ; l'on dit même qu'il délibéra s'il ne lui ferait point une oraison funèbre pour plaire à la populac- . KnCn le peuple et les sollats , croyant bien lui faire bonneur , crièrent durant q'K-lques jours : vit^e Néron- Othon ! acclamainins qu'il feignit d'ignorer, îi'o-aut les dét.udre , et rougissant de les permettre.

Cependant iiriiquement occupés de leurs sueucs civiles , Us Romains abandouQaieirt

IL a

176 T R A D U C T I O X

sarmatica gens , piiore hicme crcsis duabus coliorlibMs , aiagiià spe ad Mœsiam irrnpe- rant , novciu miUia equituin , ex fcrocià et snccessii , pi\xd;c magis quàui piignx iiitcr.îa. Igitur vagos et incuiiosos , teitia Ic^io adjmictis auxiliis , repente iiivaslt. Apud .Romauos oninia prœlio apta. yarmaltc dis- persi cnpidine prœdae , aiit graves oiicre sarcinarnm , et Inbrico ilineraui adcmplà eqiiotum pernicitatc , vcliu vincfi cœdcbaii- tiir. Nnniqiic iiiiniiii diclu ut sit oimiis .Sar- malariiui virlns , vcltit extra ipsos ; iiiLiil ad pedcstiem pugiiaiu tain iguavuin ; iibi prr tunnas aJveiicre , vix ulla acies obstiteiit. Sed tum huuiido die , et soluto gehi , iicqiio conti, ucque gladii , quos prailongos utriique inanu rcgunt , usui , lapsantibus equis, et catapbactaruin pondère ( id priiieipibus et nobiMssimo cuique tegmcn , ferreis laïuiuis, a^Jt pracduio corio conscrtuni ; ut advcrsus ictus lmpciicl!al)ilc , ita inipctu bostiimi provolutis inhabile ad resurgendum ) simul altitudinc et luollitiù nivis bauricbaiitur, Romanus miles facili loricâ , et uiissili pilo.

DU LIVRE I. DE TACITE. 177

les affaires de dehors. Cette uégllgenee ins- pira (antd'andncc aux Roxolans , peuple sar- iKite, que dès l'hiver piéce'dent , après avoir défait deux cohortes , ils firent avec beaucoup deconîiance une irruption daus la Mœsie au nombre de neuf raille chevaux. Le succès joint à leur avidité' leur fcsaut plutôt songer à piller qu'à combattre , la troisième Icgiou jointe aux auxiliaires les surprit cpars et sans discipline. Attaques par les Romains en ba- taille , les Sarmatcs dispose's au pillage ou déjà chargés de buliu , et ne pouvant dans des chemins glissans s'aider de la vitesse do Ifurs chevaux , se laissaient tuer sans résis- lancc. Tel est le caractère de ces étranges peu- ples , que leur valeur semble n'être pas eu eux. S'ils donnetit en escadrons , à peine une armée peut-elle soutenir leur choc ; s'ils com- L^itent à pied , c'est la lâcheté même. Le degcl et l'humidité, qui fesaient alors glisser et tomber leurs chevaux , leur ôtaient l'usage de leurs piques et de leurs longues épécs à deux mains. Le poids des cataphractes , sorte d'arnuire laite de lames de ter ou d'un cuir très-dur qui rend les chefs et les officiers im- pénélrablcs aux coups , les empcchnicnt de ic relever quand le choc des ennemis les avait

K 3

1-8 TRADUCTION

sut lauccis assiiltaus , vibi res po ccret, Icvi gladio inermem Sarmatam , ( ticqiie eiiim defeudi scuto uios est ) commiis fodicbat ; douée pauci , qui prxlio supeifuerant , palu- dibus adhereutur. Ib; ^acvitiâ bieiuis et vi vulneriim absumpti. Postquam id Komaï compertuin, M. yiponiu^ Mœsiam obtincus, triuinphali statua ruhius YJiireliiis , et Julianus Titius , ac j\ umisius Lupus , kgati legiouum , consuldribns ornanicntis donaatur : laeto Othoue ^ et gloriam in so traheatc, tamquaiu tt ipsc tVlix bclio, et suisducibus suisquc exercitibus remptiblicam auxisset.

Parvo intérim initio , unde uiliil tinieha- tur , orta seditio, propè urbi excidio fuit. Septiuiain decimaui coliorlein , c coioiiiil Ostiensi , in nibcui acciri Oth(\ jusseiat. AimandiE cjus cura T ario Crispino , tri- Juiuo c praetoiianis , data. Is , quo uiagis TacLius , quictis castris, jussa cxïequeretur.

DU LIVRE I. DE TACITE. Ï79

renversés , et ils e'taient e'toufTcs dans la neige qui e'tait molle et hante. Les soldats romains , couverts d'unecuirasse le'gère, les renversaient à coups de traits ou de lance selon l'occasion , et ks perçaient d'autant plus aisément de leurs courtes épécs , qu'ils n'ont point la défense du bouclier. Un petit nombre échap- pèrent et se sauvèrent dans les marais , la rigueur de l'hiver et leurs blessures les firent périr. Sur ces nouvelles , on donna à Rome une statue triomphale à MarcTis Apro- Tiiatnis qui cotnmandait eu Mœsie , et les ornemens consulaires à Fnlvius Aurehus , Jnlianus Titius , et T\'n7nisius Lupus , colo- nels des légions ; OtJ:on fut charmé d'un succès dont il s'attribuait l'honneur , comme «L'une guerre conduite sous ses auspices et par ses odiciers au profit de l'Etat.

Tout-à-coup il s'éleva sur le plus léger sujet et du côté dont on se défiait le moms, une sédition qui mit Rome à deux doigts de sa ruine. OtJion ayant ordonné qu'on fît venir dans la ville la dix-septième cohorte qui était à Oitic , avait chargé / nrius Cri'^pi''^^'' tribun prétorien du soin de la fa ire armer. Crtspi/ius ^ pour prévenir l'embarras , choisit le icmpi

K. 4

i^o TRADUCTION

véhicula cohoiîis, incipicnte nocte , onerari apcrto arman.ientario jiibet. Tempus , iu suspicioncm ; causa , in crimen ;. affcctatio quietis, iu tunuiltum evaJuit. Et visa iuter teinulcîitos aima cupidiucm suî ujovêre. Frémit luiles , et tribuuos ccutuiioncyque pioditioiiis arguit, taïuquaui famllicc sena- toruin ad pcruicicm Othouis armarcutur. Pars ij^tiari et vino graves; pessiiuus quisque ia occasionem pr.Tdarum; vuigus , ut mos est , cujusque uiotûs novi cupiduui , et obsequia uiclioruui nox abstulerat. R-cssten- tem sédition! tribunum , et sevcrissiuios ccn- turionuui obtruncaut \ rapta anua , uiidati gladii , iusidentcs equis, urbem ac palalium petuut.

Ernt Othoni célèbre conviviuni , primori- bus femiuis virisquc , qui trcpidi , fortni- tiisiic uiilitum furor, an doUis impcratoris , luauereuc dcprclicudi, au l'u^^crc et dispcrgi,

DU LIVRE I. DE TACITE. iP>i

le camp était tranquille et le soldat retiré, ft ayant l'ait ouvrir l'arsenal, commença dès l'entrée de la nuit à faire charger les four- gons de la cohorte. L'heure rendit le motif suspect , et ce qu'on avait fait pour empêcher le désordre eu produisit un très-grand. La vue des armes donna à des gens pris de vin la. tentation de s'en servir. Les soldats s'em- portent , et traitant de traîtres leurs officiers et tribuns , les accnsèrent de vouloir armer le sénat contre Othon. Les uns déjà ivres ne savaient ce qu'ils fesaient ; les plus médians ne cherchaient que l'occasion de piller : la foule se laissait entraîner par son goût ordinaire pour les nouveautés , et la nnit empêchait qu'on ne pût tirer parti de l'obéissance des sages. Le tribun voulant réprimer la sédition , fut tué, de inémc que les plus sévères cen- turions ; après quoi , s'ctant sai.=is des armes , ces emportes montèrent à cheval , et l'épée à la main , prirent le chemin delà ville et du palais.

OtJion donnait un festin ce jour-là , à ce qti'il y avait de plus grand à Rome dans les deux sexes. Les convives redoutant également la fureur des soldats et la trahison de l'ein-

K 5

î83 TRADUCTION

periculosiusforet;modocoiistantiauislmularej modbformidiuedet; gi ,shnulOl/iOfiisvu\tuta iiituen. Utquc cvcuit inclinatis ad suspicio- ncm meatibus , cùin tiruerct Oi/w , tiuiebatur- Scd haud secus discriniiiie senatûs quàni suo terri tus,etpraefectosprsetoriiadmitigandasmi- litum iras statim miscrat , et abire properè ouiues è convivio jusslt. Tum vcrb passim lua- gi stratus , projcctisinsignibus , vitatâcouiitum et servoruin frcqucntià , scues fcminaeque per tenebras , diversa urbis itiuera , rari domos , plurimi auiicoriun tccta , et ut cui- que huuiillimus cUens , incertas latebras pctivere.

Militum impetus ne forlbus quidem palatiî coercitus , quo minus conviviinn irrumpe- rent , ostendi sibi Othonem cxpostulantes ; ynlncrato Julio Martiale tribuno , et Vitel- Jio S atiirnino proefecto legiouis , dum rucn- tibus obsistuut. Uiidique arma et raius? ,

DU LIVRE I- DE TACITE. i8S

percur , ne savaientce qu'ils devaient craindre le plus , d'être pris s'ils demeuraient , ou d'être poursuivis dans leur fuite ; tantôt alFectaut de la fermeté , tantôt de'celant leur effroi , tous observaient le visage iVOt/wn ; et comme on était porté à la défiance ^ la crainte qu'il témoignait augmentait ceilc qu'on avait de ïui. Nou moins effrayé du péril du sénat , que du sien propre, Othon chargea d'abord les préfets du prétoire d'aller appaiser les soldats et se liàta de renvoyer tout le inonde. IiCs magistrats fuyaient et , jetant les marques de leurs dignités ; les vieillards et les femmes , dispersés par les rues dans les ténèbres, se dérobaient aux gens de leur suite. Peu rentrèrent dans leurs maisons ; presque tous cherchèrent chez leurs am s et les plus pauvres de leurs clicus des retraites mal assurées.

Les soldats arrivèrent avec une telle impé- tuosité , qu'ayant forcé l'entrée du palais , ils blessèrent le tribun JiiUus Martialis et T'ilcUiiis Satnrninns qui tâchaient de les retenir , et pénétrèrent jusque dans la salle du festin, demandant à voir <7///o/7. P,^.r-tout Us menaçaient des armes et de la voix , tantôt

K 6

Tf^4 TRADUCTION

ïnodo in ccnturiones tribuuosque, modo in senatum univcrsuin : lytnpliatis cœco pavore anitnis , et qnia nctiiincm unuin destinare irae poteraiit, licentiani in omncs posccnti- bus ; donec Otho , contra dccus iuipcrii tlioro insisteiis , preciliiis et lacrlmis scgrè coliibuit. Rcdicnintque in castra , invitiueque innocentes.

Postera die , velut capta urbe , clausa; douais , rarus per vias populus, mrcslaplcbs , dejccti in tcrraur mililuni vultus, ac plus tristitine quàm pœnitentiic. Manipulatiiu allo- cuti sunt Liciiiius Procnlus , et Ploiins Finniis ^ pr;cfecti : ex suo quisque ingenio, mitins aut horridiùs. Finis scrinonis in eo , ut qnina rnillia numuiiim singulis militibus iiinncrarentur. Tnm Otho ingrcdi castra ausiis , atqnc ilium trilinni centurionesque circuinsisUint ^ ab)cctis jnilitia" insignibus , otiunr et saUitcni flagitantc». Sensit invi- diain miles , et coniposiliis in obseqnium , auctores scdilionis ad snpplicium ultro pos- tulabat.

DU LIVRE I. DE TACITE. i8S

leurs tribuns et centurions, tantôt le corps entier du sénat : furieux et troublés d'une aveugle terreur , faute de savoir a qui s'en prendre, ils en voulaient à tout le monde. Il fallut qnOt/iort , sans égard pour la ma- jesté de son rang , montât snr un sopha , d'où , h force de larmes et de prières les ayant coiUunus avec peine , il les renvoya au camp coupables et mal appaisés.

Le lendemain les maisons étaient fennecs , les rues désertes , le peuple consterné comme dans une ville prise ; et les soldats baissaient les yeux moins de repentir que de bonté. Les deux préfets Procuhts et Firmns , par- lant avec douceur ou dureté , cliacun scloa son génie , firent à ch.que manipule des exhortations , qu'ils conclurent par annoncer une distribution de cinq uiillc sesterces par tête. Alors Olhon ayant hasardé d'entrer dans Je camp , fut environné des tribuns et des ceuturioTis qui , jetant leurs ornemens mi- litaires , lui demandaient congé et sûreté. Les soldats sentirent le rc prociie , et rentrant dans leur (ievuir , criaient qu'on menât au sup- plice les auteurs de la révolte.

j?!(î T R A D U C T I O N

Otho qiiajïiquam tnvbidisiebus , et diversis ITiUitumanimis, cùm optiinns quisque reine- dimn praCM-ntis licenÙEe posccret ; viilgus et pluies , seditionibns et ambitioso iuiperio lœti , per tmbas et râptus faclliùs ad civile bclluiu impellercntur : simul reputaus non posse principatiun scelcie quaesitum , subitâ niodestiâ , et piiscà gravi tate retineri , sed discriiniiie urbis et periculo scnatùs anxius, postrcmo ita disseruit.

Keqve nt affcctvs restros in aviorem mei accendereitiy commUitoncs ; iieqiie ut animian ad virtntem cohortarer , ( utraque enini egregie svpersiint ) sed vcni postnlaturus a tobis tempera mentum restrœ forlitudinis , eterga me moditm caritatis. Tumultàs pro- y:imi initinm , non ciipiditate velodio , quca jnultos exercittis in discordiam egere , ac ne detrectatione quidem avt fonnidme pericu- lorurn ; nimia pietas restra acrïiis quant co.'isideratiiis excitavit. Nam s<rpe honestas rerum causas , ni judicium adhibcas ,

15U IJTUE I. DE TACTTF. 1S7

Jiv milieu de tous ces troubles e^ rlo ces mouveuicns divers , Othon voya'f h eu que tout Iiomme saf!;e désirait un (Ve n à tant le licence ; il u'it^nor it pas non plus que les attroupemens et les r-puics mènent aisé- inent à la guerre civile une multitude avide des séditions, qui forcent lejîouveruement àla fl;!tter. Alarmé du danger il voyait Rome et le sénat , mais jugeant impossible d'exercer tout d'un coup avec la dignué convenable un pouvoir acquis par le crime, il tiut eutia le discours suivant :

« Compagnons ,ie ne viens ici m' ranimer « votre zèle en ma faveur , ni réchauffer votre « courage \ je sais que l'un et l'autre ont « toujours la même vigueur : je viens vous « exhorter, au contraire, li les contenir dans •< de justes bornes. Ce n'est ni l'avarice ovx « la haine, cause de tant de troubles dans « les armées , ni la calomnie ou quelque « vainc terreur , c'est l'excès seul de votre « affection pour moi qui a produit avec plus « de chaleur que de raison le tumulte de •V. la nuit dernière : mais avec les ?notils les «t plus honnêtes , une conduite inconsidérée «i ^cut avoir les pliis funestes effets. Dauï

i83 TRADUCTION verniciosi exitiis consequimUir. Iinus ad belliim j v-iiin omties inincios palàni andiri omnia consilia cunctis prœseiitibiis trac- tari , ratio reriim , aut occasiomnn veJocitas patltur ? Tarn nescire ijuœdani milites , (juàrn scire oportet. Ita se duciiin aiicto- ritas , sic rigor disciplinœ habet , ut mnlta. etiamcevturiones tribnnosqite tarithni juberi expédiât. Sic iihi julyeaiitiir ^ cjuœrere sin- gjilis liceat / pereimte ohscqiiio , etiani imper iiiiii intercidit. An et illic iiocte iti- ieinpestâ rapientiir arma ? Unus altcrçe perditus ac temnientns , ( iieque enini phires consternatione proximâ iusauisse crediderim') ceiitnrionis ac tribuni saTtguine 'Jnarnjs iinbiiet? Imperatoris siti tentorium irrunipet ?

p'os qiiidem istiid pro me ^ sed in discvrsu ac tencbris , et reriim omniiini confnsiom ^ paiejieri occasio ctiavi ad^crsvs me potesU

DU LIVRE T. DE TACITE. 18^

« la guerre que nous allons commencer est- « ce le temps de communiquer , à tous « chaque avis qu'on reçoit? et faut-il déli- « bercr de chaque chose devant tout le monde? « L'ordre des affaires , ni la rapidité de l'oc- « casion , ne le permettraient pas : et comme « il y a des choses que le soldat doit savoir, « il y eu a d'autres qn'il doit ignorer. L'au- « torité des chefs , et la rigueur de la disci- « pline,demaudeut qu'en plusieurs occasions « les centurions et les tribuns eux-mcuies ne « sachent qu'obe'ir. Si chacun veut qu'on lui « Jciicle raison des ordres qu'il reçoit , c'en « est tait de l'obéissance et par conséquent « de l'empire. Que sera-ce lorsqu'on osera « courir aux armes , dans le temps de la re- « traite et de la nuit ? Lorsqu'un ou deux « honnnes perdus, et pris de vin, ( car je « no puis croire qu'une telle frénésie en ait « sai.si davantage ) tremperont leurs mains « dans le sang de leurs officiers ? Lorsqu'ils « oseront forcer l'apparlemcnt de leur cm- « pcrcur ?

«« \ous agissiez pour moi , j'en conviens ; « mais combien l'aniucnce dans les tcMèbres , « et la confusion de toutes choses , four-

Ï90 TRADUCTION

Si yitellio et satellitihus ejus eligendi facilitas detnr , quem nobis iinimnm , qvas mentes imprecentur ? quid aliudquàm sedi- tiOTicm et discordiam optahunt ? ne miles centitrioni, ne centnrio tribuno ohsequatur : Jiinc confiisi pedites equitesque in eritium ruamns. Par en do potins , commilitones j qnam imperia ducum sciscitando res viih- tares continentur ; et fortissimus in ipso discrimine exercitus est j, qui ante discri- vien quietissimus. Vohis arma et animus sit ; mihi consilium et virtxitis vestrœ regi- vien relinquite. Paucornm culpa fuit , duorumpœna erit. Cccteri abolete memoriam fœdissimœ noctis ; nec iUas adi-ersus sera- tuni voces nllus nnquam exercitus au dm t. Caput imperii , et décora omnium profin- ciaruni , ad pœnam vocare , non herclè ilh , qvos ciim maxime l'itellius in nos cict , Germani andeant. l'Ili ne Italiœ alunini ^ et romana lerc juventiis , ad sangninem et cœdem deposcercnt ordinem , cujussplendore et gloriâ sur des et ohscuritatem viteUiana- Xiim partium perstringimus ? Kationes

DU LIVRE ï. DE TACITE. 192

'«: Hissaient - elles une occasion facile de s'ea « prévaloir contre moi-même ! S'il éta^t au « pouvoir de pitellius et de ses satellites « de diriger nos inclinations et nos esprits, «< que voudra eut-ils de plus , que de nous « inspirer la discorde et la sédition , qu'ox- «t citer à la révolte le soldat contre ie cen- « turion , le centurion contre le tribun , et « gens de cheval et de pied , nous entraîner « ainsi tous péle-méle à notre perte ? Com- «« pagnons , c'est en exécutant les ordres des « cliefs et non en les contrôlant qu'on fait « heureusement la guerre \ et les troupes les « plus terribles dans la mcléc , sont les plus « tranquilles hors du combat. Les armes et « la valeur sont votre partage ; laissez-moi « le soin de les diriger. Que deux coupables « seulement exp'c.t le crime d'un petit « nombre. Que les autres s'elForcent d'cnse- « vclr dans un éternel oubli la honte de « cette nuit ; et que do pareils discours « contre le sénat ne s'entendent jamais dans «c aucune armée. Non , les Germains mcincs , « que J'itellius s'efforce d'exciter contre « nous , n'oseraient menacer ce corps res- «t prctahlc , 1- chef et l'ornement de l'empire, «i Quels seraient doue les vrais eufaus de

192 TRADUCTION

aliqvas occvpavit l 'itcîlins , imagiiiem qvamdam exercitûs habet : senali/s nol>is~ cujii est j sic fit lit hinc respuhlica , in de Jwsfes reipnhlicœ constilerint. Qnid ? los pulclierriniam hanc urhem , doinibns et Icctis , et congestu lapidnm , stare creditis ? Muta ista et inanima intercidcrc oc repa- rari proniiscuc possunt : a'iernilas reiuni y et pax gentinni 3 et mea cnm vestrâ salus', incohimitate senatùs Jirviatnr. Hnnc ans- picatb à parente et conditore nrbis nostros institntum , et h rcgilnis: us<j7ie ad principes continnum et imniortaleni , sicut à niajo- ribus accepiinns , sic posteris iradanins : nam ni ex vobis senatores , ita ex senatori- liiis principes nascuntur.

Etovatioad pcr?tring''nilos uuilccnclosquc

DU LIVRE r. DE TACITE igZ

« Piome ou de l'Italie qui voudraient le sang « et la mort des membres de cet ordre, dont « la splendeur et la gloire montrent et re- « doublent l'opprobre et l'obscurité' dn parti « de l^itcUius ? S'il occupe quelques pro- V. vinces , s'il traîne après lui quelque si- « mulacre d'année , le sénat est avec nous ; « c'est par lui que nous sommes la rcpu- « blique et que nos ennemis le sont aussi M de l'État. Pensez-vous que la majesté de « cette ville consiste dans des amas de pierres et de maisons j monumens sans amc et sans *c voix , qu'on peut détruire ou rétablir à sou « gré ? L'éternité de l'empire , la paix des « nations, mon salut et le vôtre, tout dé- « pend de la conservation du sénat. Institué « solemncllcment par le premier père et fon- « dateur de cette ville , pour être immortel « comme elle, et continué , sans interruption «c depuis les rois jusqu'aux empereurs , l'in- « térêt commun veut que nous le trans- M. mettions à nos descendans , tel que nous « l'avons reçu de nos aïeux : car c'est du «c sénat que naissent les successeurs à l'cm- « pire, comme de vous les sénateurs ».

Ayant ajusi tàclié d'adoucir et contenir

Î94 TRADUCTION

mihtutu auunos , et scveritatis uiodus ( neque enlm iu pluies quàm iu duos auiuiadverti )usserat ) giatè accepta , couiposi tique ad prœseus, qui coerceri uon poteraut.

Non tameii quics urbi redicrat; strcpifu» telorum, et faciès btlli crat. Mililibus, ut niliil iu coraœunc tuibautibus , ita sparsis per doinos, occulto liabitu, et nialignâ cuiâ in omnes quos nobilitas , aut opes , aut aliqua iusignis claritudo inmoribus objccerat. Vitcl- lia'nos quoque milites venisse in uibcm , ad studia partium uoscenda , plcriqne crcdcbant. Utide plcna ouinia snspiciouum , et vis sécréta douiuuui siue formidiue.

Sed pluiîmùm trepidationis in pnblico ; ut quemque imnciuni fama attulisset, ani- mum vultuiuqueconvcrsi , nediflidere dubiis , ac parum gandcrc prosprris vidcrentur. Coacto vero in curiam senatn , arduus rerum omnium modus, ne coutumax silentium,

BU LIVRE I. DE TACITE. 195

la fouf^uc des soldats , Othon se contenta d'eu faire punir deux : seVe'rité tempére'e , qui ii'ota rien an bon effet du discours. C'est ainsi qu'il appaisa pour le rnomeut ceux qu'il ne pouvait réprimer.

Mais le calme n'était pas pour cela re'fabli dans la ville. Le bruit des armes y retentissait encore , et l'on y voyait l'image de \n guerre.' Les soldats n'e'taient pas attroupe's en tu- multe , mais deguise's et disperse's par les maisons , ils e'piaicnt avec une attentioa inaligne tous ceux que leur rang , leur ri- chesse ou leur gloire exposaient aux discours î>ub]ics. Oncrut même qu'il s'était glissé dans Rome des soldats de f'iteUius pour sonder les dispositions des esprits. Ainsi la défiance ctait universelle , et l'on se croyait à peine en sûreté renfermé chez soi.

Mais c'était encore pis en public, cha- cun craignant de paraître incertain dans le» nouvelles douteuses, ou peu joyeux dans les •favorables , courait avec une avidité mar- quée an-devant de tous les bruits. Le sénat assrmbié ne savait que Taire, et trouvait par- tout des difficultés ; se taùe était d'un rebelle ,

,96 TRADUCTION ne suspecta libellas ; et pi'Ivato Oihoni iiiiper, atque cadem dicenti, uota adulatio. Igitur vcisare seiiteutias , et hue atque illuc torqucre , hostcm et parricidam VileUinm vocautcs : providentissimus quisque , vnlgari- bus conviens, quidam, vcra probra jaceie , iii clauioïc tamcn, et ubi plurima; voces aut tiuuultu veiborum sibi ipsi obstre- pentes.

Prodigia uisupcv tcvrobant , divcrsis auc- tovibus vnigata. In vestibule Capitoliioiuissas babeuas bigcT oui Victoria iustiterat, urupisse ccllâ Junonis , uiajoiem bumanâ speciem ; statuain divi Jnlii, iu iiisulù Tibcrini amnis , sercno et iuunoto die , ab occidetite iu orieutem conversam ; prolocntnui iu Etiuiià bovcm, insolito? auimaliuui partus: et plura alia, vudibus sîrculis , eliam iu pace obser- vàta , quac nunc tantùm in uictu audiunUir. Sedpva;cipuus, et cum piœscuti exitio , ctiara futur! paver, subitù iuuudatiouc Tibcris ;

parler

, DU LIYREJ. DE TACrTF,. 197

p.Trler était d'un fl-iîtcur ; et le iiia",c^r de l'aclulaliou u'élait pas ignoré ù'Othon , qui s'en était servi si long-temps. Ainsi fioti.uU d'avis en avis , sans s'arrêter à aucnn , l'on lie s'accordait qu'à traiter ViteViins de par- ricide et d'ennemi de l'État. Los plus p:c- voyans se contentaient de l'accabler d'injures sans con;:éf;ncnce, tandis qnc d'autres n'épar- gnaient pas ses vérités , mais à grands tris et dans une telle confusion de voix, que chacun profitait du bruit pour l'augmenter sans être entendu.

Des prodiges attestés par divers témoins augmentaient encore l'épouvante. Dans le vestibule du Capitule les rênes du cliac (îc la Victoire disparurent. Un spectre de gran- deur gigantesque fut vu dans la chnpellc de Julien. La statue de JnJcs-Ccsar dans l'île du Tibre se tourna par un temps calme et serein d'occident en orient. Un bœuf parla dans l'Etrurie ; plusieurs bêtes firent des monstres : eulin l'on remarqua nulle autres parcds pliénomènesqu'orx observait en pleine paix dans les siècles grossiers , et qu'on ne voit plus aujourd'liui que quand on a peur. Mais ce qui joignit la désolation présente

Mélanges. Tome V. L

îçS TRADUCTION qui immenso auctu, prorupto ponte sublicid; ac stragc obstantis molis refusus, uoii modo jaceiitia et plana urbis Iota , sed sccura liujusmodi casuum iraplcvit. Rapti è piiblico plerique , plurcs in tabernis et cubilibus iuteicepti. Famés in vulgus , iuopiâ quœstùs j et pciiurià alimentorum , corrupta stagnau* tibus aquis insularnm fundamenta , deiii lemcante fluminc dilapsa. Utqne primùm Vacuus à pciiculo animas fuit, id ipsum , quodparanti expeditloncm OtJiOTii, campus martius et via flaminia itcr bcUi esset obs- tiuctum, à fortuitis vcl naturalibus causis , in prodigium et omen imminentiura cladium yeitebatur*

OtJiO , lustvatâ urbe , et espeusis bcÏÏI consiliis, quaudo pcmiina- cotiaequc Alpes, et caîteri Galliarum aditus vitellianis cxcrci- tibus claudebautur , uarboucusera Galliaia

DU LIVRE I. DE T7VCITE. 199

à l'effroi pour l'avenir , fut une snbitc inon» jiatioii du Tibre, qui crut à tel point qu'ayant rompu le pont Sublicius , les débris dont son lit fut rempli le firent refluer par toutt. la ville , mèuie dans les lieux que leur hau- teur semblait garantir d'un pareil danger. Plusieurs furent surpris dans les rues , d'au- tres dans les boutiques et dans les chambres, A ce désastre se joignit la famuie chez le peuple par la disette des vivres et le de'faut d'argent. Enfin le Tibre , en reprenant son cours, emporta drs îles dont le séjour des eaux avait ruiné les fondemens. Mais à peine le péril passé laissa-t-il songer à d'autres choses , qu'on remarqua que la voie flami- niennc et le '-hamp de Mars , par devait passer Othon étaient comblés. Aussi-tôt , sans songer si la cause eu était fortuite ou naturelle, ce fut un nouveau prodige qui présaj;eait tous les malheurs dont ou était menacé.

Ayant puriGé la ville , Othon se livra aux soins de la guerre ; et voyant que les Alpes Pcnnines, les Cotiennes , et toutes les autres avenues des Gaules étaient bouchées parles groupes de Vitellius , il résolut d'atlaqucr la

L 2

ioo TRADUCTION ao-o-rcdi statnit , classe valida et partibiis fidà ; quod rcliqnos cEesorum ad poutem Milviimi , et sacvitiâ Galbœ in custodiam babltos, in nmucros legioiiis coraposuerat ; facta et cœtcris «pcs hoiioratioris in postcrum militiir. Addidit classl urbanas cobortcs , et pleiosque è pvEetoiiauis , vires et robnr cxcr- citûs, atqiie ipsis ducibus coiisilium et cus- todes. Snmma expcditionis Antonio Novello , Siicdio Clementi primipilaribus , ^HviUio Pacensi , cui adcniptum à Galba tribuua- tum leddidciat , penuissa. Curaiu navium Oscns libcrtus rtf.nebat, ad observandam boncstioniui lidem invitatus. Pcditum equi- tuuiquecopiis^'7/t'/ow///.f Fanlimis, Marins Ceisus, AnninsGallus , rt-ctoies destinai!. Sed plnrima Gdes Licinio procnlo piœtoiii pv.Tftcto. Is urbana: niilitiœ impigcr , liello- runi insoicns, anctoritatem P<77////./ , vlgo- reni CV/.vz , nialuiitatem Galli , ut cuiqno erat , crlminando , qnod fa;;illimnm factii est , pravus et callidus l)ouos et laodcstos auteibat.

DU LIVRE T. DE TACT TE. 2ci

Gaule naibouaise avec une !>oniic flotte dont il était sur ; car il avait rétabli en lëgioa ceux qui avaient échappé au massacre du pont Milvius et que Galba avait fait cuiprisonucr , et il i)rouiit aux autres légionnaires de les avancer dans la suite. Il joignit à la même flotte avec les cohortes urbaines , plusieurs prétoriens , l'élite des troupes , lesquels ser- vaient en même- temps de conseil et de garde aux chefs. Il donna le commandement de cette expédition aux primipiiaires ^/z^<?«/«j Novellns et Snedius Cleinens , auxquels i joignit Eiuilliis Pacensis ^ en lui rendant le tribunat que Galba lui avait ôté. La flotte fut laissée aux soins i\.^Osciis affranchi , f\}.y Othoii charpu'a d avoir l'œil sur la 6dé!ité des généraux. A l'éïrard des troupes de terre, il mita leur tctc Suctonijis Faulintis ^Idarius Cclsns f et y^nnius Gallui. Mais il donu;i sa plusgrandeconlianceà Llciniiîs Procitlus préfet du prétoire. Cet liommc , officier vi- gilant dans Rome , mais sans expérience à la guerre ^ blâmant l'autorité de pait'in , la vigueur de Celsius , la maturité' de Câlins , tournait en mal tous les caractères, et, ce qui n'est pas fort surprenant, l'emportait ainsi

L 3

£02 T K A D U C T I O

Sepositus per eos dies Coriielius Data" 'jf),ella in colouiaui Aquinatem , iiequc arctâ pustodiâ , noque obscinâ ; nullum ob crimcn , çed vetnsto uomine , et propinqnitate Galbai monstiatus. Multos èmagistiatibiiS;,niagnain ponsularium partcm , OZ-^l'O , non participes put miiiistros bello scd comitum spccie , secum expcdiri jubct. In qucis et L. T'iLel- îium , eodcm que çœteros cultu , ncc ut imperatoris fratiem , nec ut liostis. Igilur :^^notœ urbis curae , nullus oido metu aut pciiculo vacuus, Primores senatùs aetate inva- lidi , et longâ pace desidcs , sci;nis et oblita ]t)cllorum nobilitas, ignarus îuililia; eques , quauto niiigis occnltarc ac abdcre pavorem ^itebaiitur , Uianiltstiùs pavidi. Ncc deciaut ç contrario qui ambitiouc stolidâ , conspicua flrma , insignes equos , quidam luxiniosos {loparatus convlvioruui et irritamenta libi-» fVnHim , nt instrumenta belli mcrcarentur. gppiçflÙbV'S (juicùs et leipublicsc cura 5 îcYJs-»

DU LIVRE I. DE TACITE no3

par sou adroite méchanceté sur des cens xueilleurs et plus modestes que lui.

Environ ce temps-là , CorneUiis Dolahclla. fut relégué dans la ville d'Aquin , et gardé moins rigoureusement que sûrement , sans qu'on eût autre chose h lui reprocher qu'une illustre naissance , et l'amitié de Galba. Plu- sieurs magistrats et la plupart des consulaires suivirent Cthon par son ordre , plutôt sous le prétexte de l'accompagner que pour par- tager les soins de la guerre. De ce nombre était Lucius p'itelUus qui ne fut distingué ni comme ennemi , ni comme frère d'un em- pereur. C'est alors que les soucis changeant d'objet , nul ordre ne fut exempt de péril ou de crainte. Les premiers du sénat , chargés d'années et amollis par une longue paix , une noblesse énervée et qui avait ou- blié l'usage des armes , des chevaliers mal exercés , ne fesaient tous que mieux déceler leur frayeur par leurs efforts pour la caclîer. Plusieurs cependant , guerriers à prix d'ar- gent, et braves de leurs richesses , étalaient, paruneimbéciile vanité, des armes brillantes, de superbes chevaux, de pompeux équipages , çt tous les apprêts du Iwxe et de la volupté,

204 TRADUCTION siiuus quisqiic, et futuri improvidus , spe vanâ tuniciis. Multi amictâ fidc in pacc , ac turbatis rébus alacrcs , et per iucerta tutlssiuii.

Scd vulgiis et magnitiidine tiînaiâ com- mun ium curarum expeis populus , scntive paulatiin hclli inala , conversa in uiilitum usuui omni pccunià , intentis alimentorinu prctiis: quœ motu fiiidicis haud perindè plebcm attriverant , securà tuiu urbc, et provinciali belle , quod intcr Icgiones Gal- liasque velut extcrnum fuit. Nam , ex quo divus y^itgiistns rcs Cacsarum composnit ; procul et in unins sollicitudinem autdccus populus romatius bellaverat. Snb Tiherio et Caio , tantîim pacis advcrsa pcrtlmuerc. Scriîjon/afii conli-d ClanJiinn incepta simul audita et coercila. Xcro nnnciis mngis et rumoribus quàm arniis depulsus. Tnin le- gioncs classesquc , et , quod raro alias , piuctoriauus urbanusquc miles , iu acicm

DU LIVRE I. DE TACITE. 2o5

pour ceux de la guerre. Taii'iis que les sn^çs veillaient au repos cle la republique , mille ctourdis sans prévoyance s'cnor^uei'iiissaitnt d'un vain espoir. Plusieurs qui s'étaient mal con.luits durant la paix, se réjouissaient de tout ce désordre, et tiraient du danger présent leur suictc pL'rsonnclle.

Cependant le peuple dont tant de soins passaient la portée, vojant aujj,iiienter le prix dos denrées , et tout l'argent servir à l'entretien des troupes, connnenca de sentir les maux qu'il n'avait fait que craindre après la rc voile de T'index , temps la i^ucrre ailiiiue'e entre les Gaules et les lésions, lais- sant Rotne et l'Italie en paix , pouvait passer pour externe. C;ir depuis c^vC Auguste eut assuré l'empire aux Césars , le peuple romain avait toujours porté ses armes au loin, et seulement pour la gloire et l'intéict d'un seul. Les rè.i^nes de Tihcre et de Colignla n'avaient été que menacés de guerres ci- viles. Sous Claude , les premiers monve- inens de Scril>oniauus lurent aussi-tôi répri- més que connus ; et Néron même tut expulse ])ar des rumeurs et dis bruits , |)h!lùt quo par la force des armes. r»lais ici l'on avait

2o6 T R .\ D U C T I O ?C deducti , Oiicus Occidensque , et quidqnit] iitrimque virium est à tergo : si ducibus alil* beliatuni foret , longo bello materia. Fuerc qui proficisccnti Othoni iiioias leligionem- que uondum conditorum ancilium aBcrrcnt : asperiiatus est omneni cunctatipneta , ut Xveroni quoque exitiosam ; et Ccecina.^ jSiUî Alpes trausgiessus , extituulabat.

Piidic idus martii comnicndatâ patribui ïcpublicà, rcliquias nevouranaium scctionuvu ïiondutu iii liLiciiiu conversas rcvocalis ah cxsilio coucessit : justissimiiui doiuuu et ia specicin maguificuui , sed fcstinatâ exactionc, usu stérile. Mox Tocalà concione , luajcsta- tem urbis , et conscusum populi seuatùs pro se attollcns , adversum viteUiauas partes modeste disseruit; iuscitiam potiùs legio-. îiuin quàm audaciam iiicrcpaiis , iiullâ T iid-. m incutiouc ', siyc ipsius ea moderalio , sev\

DU LIVRE I. DE TACITE, ttoy sous les yeux des légions , des flottes ; et ce qui était plus rare encore , les milices de Rome et les prétoriens en armes. L'Orient et roccident , avec toutes les forces qu'on laissait derrière soi, eussent fourni l'aliment d'une longue guerre à de meilleurs géné- raux. Plusieurs s'amusaut aux présat^ès voulaient qvCOthon différât son départ jus- qu'à ce que les boucliers sacrés fussent prêts: mais excité par la diligence de Cecina qui avait déjà passé les Alpes, il méprisa de vains délais dont Néron s'était mal trouvé.

Le quatorze de Mars, il chargea le sénat du soin de la république , et rendit aux proscrits rappelés tout ce qui n'avait point encore été dénaturé de leurs biens confisqués par Néron : don très-juste et très-magnifi- que en apparence, mais qui se réduisait presque ti rien par la promptitude qu'on avait mise à tout vendre. Ensuite , dans une harangue publique , il fit valoir en sa faveur la majesté de Rome, le consentement du peuple et du sonat , et parla modestement du parti contraire , accusant plutôt les légions d'erreur que d'audace , sans faire

2o8 TRADUCTION sci-iptor oratlonis sibi uietuens , coiUnmcllis in yitcUiniii al)stiuuit ; quaudo , ut iu con- siliis milltiœ Snetonio PauHno et 3Jario CeJso , ita inrcbus urhauis Galcrii Trachaii ingenio OtJionem uti credcbalur ; et crant qui getius ipsum orandi uoscercat, crcbvo foil usu cclchrc , et ad impicndas popuU auios latuui et sona.i?. Clamor voccsque vulgi , ex nioic adîilaudi, nluiiae et falsœ ; quasi dictatorcm C^sarcm aut iuiperatorcm ^ii- gustnm pioscqucrcnlur, ita Mi.diis votisque certabant ; nec uiclii aut atuore , sed es libidiuc servitii , ut iu familiis , privaia cuique stimulatio , et vile )am dccus publl- cuin. Pioltctus Otho quictcui urbis curas- que impeiii iîahio Titiaiio fratri pcrmisit.

DU LIVRE r. DE TACITE. 209

aucune mention de P^iteîlus , soit me'iinçre- ment de sa part, soit précaution de la part de l'untcur du discours : car co/nmc 6*^/7075 consultait Siiét07ie , Paulin , et Marias Ceisussuv la guerre, on crut qu'il se servait de Galerius Trachalus dans les afiaires civiles. (Quelques-uns démélcTent n.émc le genre de cet orateur, connu par ses f.équens plaidoyers, et par son style ampoulé pro- pre à remplir les oreilles du peuple. La liaraiigue fut reçue avec ces cris, ces applau- disscmens faux et outrés qui sont l'adulatioa de la multitude. Tous s'efforçaient à l'envi d'étaler un zèle et des vœux dignes de la dictature de César, ou de l'empire d'^«- guste ; ils ne suivaient même en cela ni l'amour, ni la crainte, mais un pencl.anC i^as et servile ; et comme il n'était plus ques- tion d'honnêteté publique , les citoyens n'étaient que de vils esclaves flattant leur maître par intérêt. Otlwn en partant rc.nit à Sahius Titianus son frère le gouvcrae- mcut de Rome, et lo soin de l'empire.

Mélanges. Tome V. ]y;

TRADUCTION

D E

SL'APOCOLOKINTOSIS

DE SENEQUE.

Sur la mort de t empereur Claude.

U i

L. A. s E N E C ^E, CLAUDII CiESARIS.

APOKOLOKINTOSIS.

f/uin actum sit in cœlo antc dicm tcr- tiiim eidus octobiis , As'niio Marcello , Acilîo Ai'iola Coss. auno uovo , initio socculi felicÎKsiuii , volo iii(inoii;r tiadcrc. Nihil oîfcnsœ vcl gratiit dabitur. Ha?c ita vcia si quis quicsierit uudè sciaiu : priuuuii , si uo- luero , non rcspondebo. Quis cnaeturus est? Ego scio me libeium faclum, ex quo sumn diem obiit ille qui veruni jirovtibimii i'ccc- rat, aut regciu aut fatuuui luisçi opoilcre.

TRADUCTION

DE L'APOCOLOKINTOSIS DE SENEQUE,

Sur la mort de. V empereur Claude,

J K veux raconter aux hommes ce qui s'est passé dans les cicux le treize octobre , sous le consulat à'Asinius Marcellus et d'^c/- husAriola.àan'i la nouvelle année qui com- mence cet heureux siècle ( i ). Je ne tcrai m tort, ni j^vàcc. Mais si Ton demande com-

(i)Qiioiqi'e les jeux séculaires cus,«eat éxé célclu es par Arbuste , Claude prétendant qu'il avait mal calculé, les Ht célébrer aussi : ce qui donnait à rire au peuple quand le crieur public annonça dans la forme ordinaire, des jeux qua nul homme vivant n'avait vus ni ne reverrait ; car iion-sculcrnent plusieurs personnes encore \iv unies avairiu vu ceux iV Auguste , mais même il y eut des liistrions qui jouèrent aux uns et aux autres , et V'uelllus n'avait pas honte de dire à Claude malj^r» }a proclamation ; stxpe fucias.

»i4 TRADUCTION

Si lilnierlt respondere , dicam quod mihï in biicaiu venerit. (^iiis uiiqnam ab historico jurato res exegit ? Taineii si nccessc fucrit auctorem proclucere , quacrite ab eo qui Drusillam euntem in caelutn vidit. Iden» Claudium vidisse se dicet iter facicntem , non passibus aequis. Vellt, iiolit , ncccsse est illi omuia vidcie quae in cœlo agantur- lAppiae viai ciirator est , quà scis et divum ^^ugustum f et Tiberhmi Cxsareni ^^AAçof isse. Hune si iiitcriogaveris , soli narrabit ; corani pluribus umiquam vcrbuui facict : Jiam ex quo in seuatu juravit se Drusillam vidisse cœluni asceudeutcm , et illi pro tam bouo nuncio ncmo cicdidit quid viderit , ^01 bis couceptis affirmavit se non indicatu-;

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 2i5

Tnent je suis si bien instruit ? prcmièvement je ne répoudrai rien, s'il me plait ; car qui m'y pourra coutraindre ? Ne sais-je pas que trie voilà devenu libre par la mort de ce galant-homme qui avait très-bien vérifié le proverbe , qu'il faut naître ou monarque ou sot ?

Que si je veux répondre , je dirai comme «n autre tout ce qui me viendra dans la tète. Demanda-t-on jamais caution à un bistoncu juré ? Cependant, si j'en voulais une , je n'ai qu'à citer celui qui a vu Drusille monter au ciel ; il vous dira qu'il a vu Claude y monter aussi tout clochant. Ne faut-il pas qne cet homme voie , bon gré malgré , tout ce qui se fait là-haut ? N'est-il pas inspecteur de la voie appienne par laquelle on sait qu' y^u^uste et Tibère sont allés se faire dieux? Mais ne l'in- *cnogez que téte-à-tcte , il ne dira rien en public ; car après avoir juré dans le sénat qu'il avai t vu l'ascension de Z?/7/5'/7/<', indigne qu'au mépris d'une si bonne nouvelle personne no voulût croire à ce qu'il avait vu , il protesta en bonne forme qu'il verrait tuer un liomm» eu pleine rue qu'il n'en dirait lii'u. Pour moi

2i6 TRADUCTION

ruiii etiainsi in inedio foro lioniinçm yidisset occisiun. Ah lioc ego qua-ciimquc audivi , oeitc Clara affero , ita iHum salvum et felicem habeam.

Jam Piiœbus breviore via contraxerat ortum Lucis , et obscuri crescebant tempora somni. Jamque suum victrix augebat Cynthia rognum; Et deforrais hiems giatos carpebat bojiores Divitis autumui, visoque scnesrere Baccbo. Carpebat raras sprus viudemitor uvas.

Puto magis intelligi si dixero , raensis crat octobtr, dies tertius eidus octobiis. Horam non possum tibi certain dicere; faciliùs iiiter pliilosophos qnàm iatcr horologia convcnict. Tauieii inter sestam et scptimam erat. Nimiùs lusticc acqiiicsciuit oneri poetœ, non cou- tenti ortus et occasiis describcrc , ut eliam médium dtem inquieteut. Tu sic tiausibis lioram tam bonam ?

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 217

je peux jurer par le bien que je lui souhaite, qu'il m'a dit ce que je vais publier. Déjà ,

Par un plus court chemin l'astre qui nous éclaire JJiiigeait à nos yeux sa course ioumalière ; Le Dieu fantasque et brun qui préside au repos , A de plus longues nuits prodiguait ses jiavots. La blafarde Cyuthie aux dépens de son frère. De sa triste lueur éclairait rbémispbèic ; l'A le diforme hiver obtenait les honneurs, De la saison des fruits , et du Dieu des buveurs. Le vendangeur tardif, d'une main engourdie, Oioit encor du cep quelque grappe flétrie.

Mais peut-être parlerai-je aussi clairement en disant que c'était le treizième d'octobre. X l'égard de l'heure , je ne puis vous la dire exactement , mais il est a croire que là-dessus les philosophes s'accorderont mieux que les horloges (2). Quoi qu'il ta soit, suppo- sons qu'il était entre six: et sept ; et puisque

(2) La mort de C/aurfe fut long-temps cachée au peuple , jusqu'à ce (\uAgrippine eût pris ses mesures pour ôter l'empire àBritaniiicus et l'assurer à Néron. Ce qui fil que le public n'eu savait exuctemcnt ni

Ei8 TRADUCTION

Jam médium eursu Phœtus divîserat orbem; . Et propior nocti fessas quatiebat habenas, Obliquo flexam deducens tramite lucem.

Claudius auimam agere cœpit, nec inve- nire exltum poterat. Tum Mercurius , qui scmper ingenio ejus delcctatus esset , unaiu de tribus Farcis cducit , et ait : Quid fociuina crudelissima hotniuem iniserum. torqueri pateris , ncc unquam meritum , ut tamdiijp cruciaretur ? Annus sexagesimus et quartus est , ex quo cum anima luctatur. Quid huis invides ? Patere uiathcmaticos aliquaudo verum diccre , qui illum , ex quo princcp* laetus est , omuibus mcusibus efferunt. Et tamen non est mirum si errant : horam ejus nemo uovit. Nemo eniiu illuui unquam natum putarit. Fac quod facieudum est.

Dede Tioci;^ mel^or vacuâ sine reguet in aulâ. '

"DE L'APOCOLOKINTOSIS. sr^

iîoii contens d'écrire le commencement et Ict fia du jour, les poètes, plus actifs que des ïnanœuvrcs , n'en peuvent laisser en paix le milieu ; voici comment dans leur langue j'exprimerais cette heure fortunée :

T)c\i\ du haut des cieux le Dieu de la lumière , Avait en deux moitiés partagé l'hémisphère; Et pressant de la main ses coursiers déjà las , Vers rhespériijue bord accéléraij: leurs pas.

Quand Mercure que la folie de Claude avait touj ours amuséjV^oyant sou ame obstruée de toutes parts chercher vainement une issue » prit à part uiio des trois Parques , et ini dit: Comment une femme a-t-elle assez de cruauté pour voir un misérable dans des tourmens si longs et si peu mérités ? Voilà bientôt «oixante-quatre ans qu'il est en querelle avec son ame. Qu'atteuds-tu donc encore ? souffre que les astrolo;.;ues , qui depuis sou avènement annoncent tous les ans et tous les mois sou trépas, disent vrai du- moins une fois. Ce n'est pas merveille, j'en cou viens, s'ils se trom^ pent en cette occasion : car qui trouva jamais son heure , et qui sait comment il peut rendra l'esprit ? Mais u'importe ; fais toujours ta

M 6

a»o TRADUCTIO??f

Sed ClotJio : Ego meliercule , inquît ; pusiiiùni tcmporis adjicere illi volebam , dum lios pauculos qui supcrsunt , civitate donare*. Constitucrat cniru omncs Gi£ecos , GalLos , Hispaiios , Britannos , togatos videie. Scd quoniaiu plàct't allquos pcrcgrinos iu semea iclinqui , et tu ita Jubc3 ficii , fiât. Aperit tum t;;ipsulam , et très fusos proFert : unus crat ^-///^v/;//?/, al ter ^^i^o?^ tertius ClandiL ïlos, iiiquit, très uno anuo, cxiguis tempo- ïum inlcrvallis divises , luori juliebo : iicc illura incomitatutn diiiiittam. Non oportet «nim cum qui modo se tôt millia bominura sequentia vidcbat , tôt prc-ecedcntia , tôt tir- cuiuFusa , subito solum destitui. Couteutus erit bis intérim convictoribus.

Hœc ait , et turpi coiivolvens stainina fuso Abrnpit flohilne legaba tempora vit.-* At Lachesis rethmita comas, ornara capillo», Pierià crinem ]aiuo fioiuomrfue roronans , C«ndidft de niveo subtemina vcllere »umit,

DE L'APOCOLOKINTOSIS. as»

charge , qu'il meure , et cède remplie au plus dijjiic.

Tiaiment , re'poildit Clotho , je voulais lui laisser quelques jours pour l'aire citoyens ro- maius ce peu de geus qui sont encore à l'être, puisque c'était 90u plaisir de voir Grecs , Gaulois , Espaj;nols , Hretons , et tout le inonde eu toge. Cependant , comme il est bou de laisser quelques étrangers pour graine , soit fait selon votre volonté'. Alors elle ouvre une boîte et en tire trois fuseaux : l'un pour Augnrïniis ^ l'autre pour 7> «7 Z-e, etle troisième pour Claude. Ce sont , dit-elle , trois per- sonnages que j'expe'dierai dans l'espace d'un an , à peu d'intervalle entr'eux , afin que celui-ci n'aille pas tout seul. Sortant de sa voir environnède tant de milliers d'iiommes, que deviendrait-il abandonne tout d'un coup à lui-même ? mais ces deux camarades lui suffiront.

Elle dit, et d'un tour fait sur un vil fuseau.

Du stui>i(.le mortel abrégeant l'agcnie ,

Elle tranche le cours de sa royale vie.

A l'instant Lachesis , une de ses deux sœurs ,

iJaus un habit par« de fcstoas dC de ileurs ,

322 TRADUCTION

Felici moderanda manu ; quse ducta colorera j Assumpsere novum : mirantur pensa soror&s. Mutatur vilis pretioso lana métallo : Aurea formoso descendunt saecula fllo. Wec niodus est illis , felicia vellei-a ducunt , Et gaudent implere manus , sunt dulcia pensa. Sponte suâ festiiiat opus, nulloque labore Mollia contorto descendunt staraina fuso. Vincunt Titlioni , vincunt et Nestoris annos. Phœbus adcst caniuque juvat , gaudefqueFuturis Etlaetusnunc plectramovet,'nuncpensamioistrat : Detinet intentas cantu , fallitque laboceni. Dumque iiimis citliaraiu , IVatcrnaquc carmin!

laudant , Plus solito nevere manus ; humanaque f'ata SLaudatuni transcendit opus, Ne demite , Parère, Phœbus ait: vincat niortalis tempora vitos Ille mihi similis vultu , similisque décore , Nec cantu , nec yoce minor : felicia lassis Sœcula prœstabit , legumque silentia rumpct» Qualis discutiens fiigionria lucifer astra ; Aut qualis surgit redcuntibus besperus astris ; Qualis cùm primùm teuvbris aurona solulis Induxit rubicunda diem , sol aspicit orbem Lucidus , et primos è carcere concitat axes : Talis Caesar adest , talcm jani Roma Neronenx Aspicit , et flagrat nitidus fulgore remiseo Quitus, et ailuio çcrvix l'ormoM capilla.

DE L'APOCOLOKINTOSI^. 22^

Et le front couronné des lauriers duPermesse, D'une toison d'argent prend une b-lanche tresse. Dont son adroite main forme un fil délicat. Le fil sur le fuseau pread un nouvel éclat ; De sa rare beauté les sœurs sont étonnées ; Et toutes à l'envi de guirlandes ornées, Voyant briller leur laine , et s'enrichir encor , Avec un fil doré filent le siècle d'or : De la blanche toison la laine détachée, Et de leurs doigts légers rapidement touchée , Coule à l'instant sans peine , et file et s'embellit 5 De mille et mille tours le fuseau se remplit. Qu'il passe les longs jours et la trame fertile Du rival de Céphale et du vieux roi de Pyle. Phœbus , d'un chant de joie annonçant l'avenir. De fuseaux toujours neuf s'empresse à les servir ; Et cherchant sur sa lyre un ton qui les séduise. Les trompe heureusement sur le temps qui s'é- puise. Puisse un si doux travail , dit-il , être éternel ! Les jours que vous filez ne sont pas d'un mortel : Il me sera semblable et d'air et de visage , De la voix et du chant il aura l'avantage. Des siècles plus heureux renaîtront à sa voix j 'Sa loi fera cesser le silence des lois. Comme on voit du matin l'étoile radieuse Annoncer le départ de la nuit ténébreuse ; Ou tel que le soleil , dissipant les vapeurs , Ivend la lumière au monde, et rallégiesse au?

cœurs : M'el Ct'sar va paraître, et la tpric cblouio A ses premiers rayons est déjà rcijoure.

^24 T R A D U C T I O îf

Hacc JtpoUo ; at Lachesis , qncc et ipsa liomini fortissimo favcrct , fccit , et pleiiâ orditur mauu , et Neroni niultos annos de suo donat. Claudium autcm jubcnt omnes XeiipovTuç , êu^>,fi2uvrcc j tKTriuvin è'if^.ai. Et ille quidem animam cbulliit , et eo dcsiit viveie videri. Exspiravit autem dum comœ- dos audit , ut scias me non sine causa illos timcrc. Ultima vox ejus intcr hoinincs audila est , cùmmajorcm sonitum emisissct ilià parte quâ faciliùs loquebatur : Va» me , pnto, cou- cacavi me. Quid autem fc^erit, «cscio: omnia certè concacavit.

Quœ in terris postea sint acta , superra- cuum est rcfcrre. Scitis enim optimè , uec periculum est ne excidaut quae mcmoria- publicum gaudium impresseruut. Ncmo fcli- citatis suac obliviscitur. In cœlo quec acta sint , audite : fidcs pcnes auctorem crit. Nun- ciatur Jovi veuisse qucmdam bonae statura-, iene canum , nescio quid illum minari i assidue cnim capnt movere, pedcm dextruni trabfçre. Qu.tsisse se, cuju» uatiouis e«set l

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 225

Ainsi dit yipollon ; et la Parque lionoiant ]a sia'ifle aine de Néron , ajoute encore de son chef plusieurs années à celles qu'elle lui file à pleines mains. Pour Claude ^^ow^ ayant opiné que sa trauie pourrie fut coupe'e , aussi- tôt il cracha son ame, et cessa de paraître en vie. Au moment qu'il expira il e'coutait des co- me'diens; par l'on voit que si je les crains ce n'est pas sans cause. Après un sou fort bruyant de l'organe dont il parlait le plus aisément , son dernier mot fut : Foin ! je me suis ejnhrené. Je ne sais au vrai ce qu'il lit de lui , mais ainsi fesait-il de toutes choses.

Il serait superflu de dire ce qui s'est passe depuis sur la terre. Vous le savez tous , et il n'est pas à craindre que le public eti perde la mcnioirc. Oublia-t-on jamais son bonheur? (^)uant à ce qui s'est passe au ciel , je vais vous le rapporter ; ot vous devez , s'il vous plait m'en croire. D'abord on annonça à Ju- piter un quidam d'assez bonne taille, blanc couune une chèvre , branlaiU la tête, et traî- nant le pied droit d'un air fort extravagant. lulcriojè d'où il était , il avait murmuré

326 TRADUCTION

respoudisse nescio quid , pcrturbato sono et voce confusâ , non intelligerc se linguam cjus : nec giacciim esse, nec romaaum , uce ullius geutis iiotoe.

Tum Jupiter Herculem , quia totum orbem teirarum perenaverat , et nossc vidc- hatur omnes natioucs , jubet ire et explorais quorum hominiim esset. Tum Hercules pri- mo aspcctu saaè perturbatus est , ut qui etiam iiou omuia monstra timue'rit : ut vidit novi generis faciem , insolitum incessuui; vocem iiullius terrestris anlmalis, sed ( qualis css© marinis belluis solet ) raucaui et implicatam putavitsibi tertiumdecimumlaborcmTcuissc. Diligentiùs intueuti, visus est quasi homo. Accessit itaque , et quod facillimum fuit Grœ- culo , ait ;

T«î jro^fy £.'î ùii'faii J ^3-/ rat -TrrôXi?,

Ubi liaec Clandiiis , gnudct esse illic phi- lologos liomiiics , sperat futurum aliquem lustonis suis locum. Itaque et ipse honurico ycrsu céîsarcm se esse significans , ait ?

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 227

entre ses dents je ne sais quoi , qu'on ne put entendre , et qui n'était ni grec , ni latin , ïii dans aucune langue connue.

Alors Jupiter s'adressant à Hercule , qui ayant couru toute la terre en devait con- naître tous les peuples , le chargea d'aller examiner de quel pays e'tait cet homme. Her- cule , aguerri contre tant de monstres , ne laissa pas de se troubler en abordant celui- ci : frappe' de cette étrange face , de oe mar- cher inusité , de ce beuglement lauque et sourd , moins semblable à la voix d'un animal terrestre qu'au uuigissemcnt d'un monstre marin : Ah ! dit-il 3 voici mon treizième travail. Cependant en regardant mieux il crut démêler quelques traits d'un homme. Il l'arrête , et lui dit aise'ment eu grec bieu tourné :

D'où vions-tu , quel es-tu , de quel p^iys cs-tu ?

A ce mot Claude , voyant qu'il y avait des beaux esprits , espéra que l'un d'eux écri- rait son histoire ; et s'annonçant pour césa» par un des vers à." Homère , il dit :

2?8 TRADUCTION

Erat autciu sequeus versus verior, ccquî homericus ;

<»C« ^' iyùv TirôXi)/ (73-pxSov ^ aMa-tc c^' aùroùt.

Et iinposuci-at IlerniU honiini uiiuimS vafro , nisi fuisset illic Fcbris , quae fano suo rehcto sola cum illo venerat : caeteios oinne» deos Romîe rcliqucrat. Iste, inquit , mcra uicndacia narrât. Ego tibi dico , qiicc cimi ipso tôt annos vixi , Lugduni natus est : Marci municipem vides: quod td)i narro , ad scxtum deciinum lapidem à Vicimà natus wt, Gallus Germanus. Itaque quod Gallum facere oportebat, Romani cœpit. Hune ego tibi recipio Lugduni uatum , ubi Luinius inultos annos regnavit. Tu autcni qui j)Iih.i loca calcasti quàm ullus mulio pcrpotuarius, Lugdiineuses scirc clcbos , et mul ta millia iutcr Xaatum et Rbodanum iutcrrcssc.

Excandcssit hoc loco Claudius, et qnnnto potest murmure irascitur.QuiddiocrctjUcuio

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 229

Les vents m'ont amené des rivages troyens.

Mais le vers suivaut eût été plus vrai :

r)ont j'ai détruit les murs, tué les citoyens.

Cependant il en aurait imposé à Herait qui est un assez bon-lionime de dieu , sans la Fièvre qui , laissant tontes les autres di- vinités à Rome , seule avait quitté son tem- ple pour le suivre. Apprenez , lui dit-elle, qu'il ne fait que mentir ; je puis le savoir, moi qui ai demeuré tant d'années avec lui : c'est un bourgeois de Lyon ; il est dans les Gaules à dix-sept railles de Vienne; il n'est pas romain, vous dis-je , c'est un frane gau- lois , et il a traité Rome à la gauloise. C'est un l'ait qu'il est de Lyon Licinius a commande si long-temps. Vous qui avez couru plus de pays qu'un vieux muletier, devez savoir ce que c'est que Lyou , et qu'il y a loin du Rhône au Xante.

Ici Claude enflammé de colère , se mit à -gro^ucr le plus haut qu'il put. Voyant qu oi>

a3o TRADUCTION

intcUigcbat. llle autcm FeJjrim duci jubebat " illo gestu soiutas manûs , et ad boc uuum satis firniac, qno decollare bomines solebat. Jusserat illi collum praecidi. Putarcs omnes illius esse llbcrtos , adeo illum nemo curabat,

Tum Hercules : Audi me, inquit, tu, et desinc fatuaii ; venisti bue ubi mures ferrum rodunt : citiùs mibi verum , ne tibi alo'Tias e-xcutiam. Et quo tcrribilioresset, tragicus fit, et ait :

Exprome properè , sede quâ genitiis cluas , Hoc ne peremprus stipite , ad terrain acci Jàs. Haec clava reges saepe mactavit feros. Quid nunc profatu vocis incerto sonas ? Quœ patria , q-iae gens mobile eduxft caput , Edissere : equidem re^na tergeniini petens. Longinqua régis , u:if!e ab besperio mari Inachiam aJ urbein iiobile advexi pecus. Vidi duobus imminens fluviis ju£;um Quod Pbœbus ortu semper obverso videt : CJbi Rhodanus ingens amne prœrapido fiuic , Ararque dubitans quo suos cursus agat , Tacitus quietis alluit ripas vadis. Estne illa tellus spiritûs altrix rui ?

Î)E L'APOCOLOKINTOSIS. 2S»

ire l'entendait point , il fit signe qu'on arrêtât la Ficivrc ; et du geste dont il fesait décoller les gens , ( seul mouvement que ses deux ïnains sussent faire) ordonna qu'on lui cou- pât la tête. Mais il n'était non plus e'couLé Quc s'il eût parlé encore à ses affranchis (3).

Oli , oL ! l'ami , lui à\t Hercule , ne va pas lairc ici le sot : te voici dans un séjour les rats rongent le fer ; déclare promptement la vérité avant que je te l'arrache. Puis pre- aiant un ton tragique pour lui en mieux imposer , il continua ainsi :

Nomme à l'instant les lieux tu reçus le jour ^ \ •Ou ta race avec toi va périr sans retour. De grands rois ont senti cette lourde massue, Et ma main dans ses coups ne s'est jamais déçue 5 Tremble de l'éprouver encore à tes dépens. Quel murmure confus entends-je entre tes dents? Parle , et ne me tiens pas plus long-temps en attente ; Quels climats ont produit cette t(5te branlante ?

( 5 ) On sait combien cet imbécille avait peu de considération dans sa maison : à peine le maftro du monde avait-il un valet qui daignât lui obéir. Il est étonnant que Sénèque ait osé dire tout cela, lui qui était si courtisan ; mais Agripplne avair besoin àa lui , et ^1 le «avait bien.

a32 TRADUCTION

Hajc satis animosè et fortiter. "Niliiloiiiinui mentis sLiac non est , et tiuiet ftapod :rAi?y>j»- Clandins , ut vidit virum valenteni, oblilus iiugarum , iatellexit neminem parem sibi Romaî fnisse , illlc non liahcrc se idem gialia;; Galhim in suo Jteiqniliulo plurnnùni possc. Itaque quautùm iuteliigi poluit , bscc visus est dicere.

Ego , te , fortissime deornm , Hercules , speravi inilii affutuium apud alios : et si qiiis à me notorein petiisset , le fni nominalurus, qui me optimè nosti. Nani si mcinoiià repe- tis , ego eram qui tibi aute tciupUim iniun ju> dicebaiu totis dicbus meuse julio et au- guste.

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 233

Jadis dans l'Hespérie au triple Gérion

J'allai porter la guerre , et par occasion ,

De ses noble's troupeaux ravis dans son otable

riainenai dans Ar^^os le trophée honoraVj'e.

En route , aux pieds d'un mont doré par l'orient ^

Je vis se réunir daus un séjour riant,

Le rapide courant de l'impétueux Rhône ,

Et le cours incertain de la paisible Saône.

Est-ce le pays oiî tu reçus le jour ?

Heicnle en parlant de la sorte alTcctait plus fl'intrcpiditc qu'il n'en avait dans l'auie , et ijc laissait pas de craindre la uiain d'un ton. Mais Claude lui voyant l'air d'un lioniuie résolu qui n'entendait pas raillerie , jugea qu'il n'était pas comme à Rome . ou nul n'osait s'égaler à lui , et que par-tout le coq est maître sur son fumier. Il se remit donc à grogner , et autant qu'on put rentcudrc il sembla parler ainsi :

J'cs|)crais , 6 le plus fort de tous les dieux ! que vous me protégeriez auprès des autres , et que si j'avaiscu à me renouimcr dequclqu'im, c'eut été de vous qui nie connaissez si bien. Car souvencz-vous-cn , s'il vous plaît , quel autre que moi tenait audience devant votre temple durant les mois de juillet et d'août ?

Mélanges, l'omc V"; H

û3^ TRADUCTION

-usto. Ta sels quautùm illic iniserîarurfi pertulerim,cùmcausidicos audirem , et dlem et nocteiu: iu quos si iucidisses , valdè fortis licet , malaisses cloacas ^«^îoj'purgare : multb plus ego stercoris exliausi. Sed quoniam volo ; non mirum , quod impetuiu iu curiam fecisti-. niliil tibi clusi est.

Modo die nobis qualein dcum istum Dcri

relis : £V<«ay>io? ^ios non potcst esse , .urf

uCto? srpZyy,» 'îx.'-^ , àun uXXoii Trufi^u.

Stoieus? quomodo potest rotundus esse (ut

ait f'arro) sluc eapite , siuc pracputio ? Est

aliquid in co î'oici dei: )ara video , née cor

ïiec caput babet. Si uiehercule a Saturno

pctiibset boc beneûeium , cujus mensem toto

anno celcbravit satuinalia , ejus princeps non

tulisset. Illuui dcum ab Joi>e , quem , quau-

tùm quidem in illo fuit , damuavit incesti.

X. Synaiiuvi enim gencrum suum occidit.

Oro pcr quod soiorcin suam , festivissimam

omnium pucllaïuni , quam oraues f'enereva.

vocareut , maluit Junonem vocaic. Quarc ,

iiiquit, quacio eu.iiii j soro.rem suam stnltç

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 235

"Vous savez ce que i'ai soiiffert de misères 70ur et nuit, à la merci des avocats. SoyeîS sûr , tout robuste que vous êtes , qu'il vous a mieux valu purger les étables ù' yiiigias ^ que d'essuyer leurs criajlleries ; vous atex avalé moins d'ordures ( 4 ).

Or, dites-nous quel dieu nous forons ds cethomuie-ci ? En ferons-nous un dieud'^;yi- ciire , parce qu'il ne se soucie de personne, ni personne de lui ? Un dieu stoïcien qui , dit P'arron , ne pense ni u'cngendie? n'ayant ni cœur ni tête , il semble assez propre à le devenir. Eh ! Messieurs, s'il eût demande cet honneur à Saturne même , dont , présidant à SCS jeux , il fit durer le mois toute l'année , il ne l'eût pas obtenu. L'obticndra-t-il de Jupiter qu'il a condamné pour cause d'in- ceste autant qu'il était en lui , en fcsant mourir Syllanus son gendre , et cela pour- quoi ? parce qu'ayant une sœur d'une liu-i tueur cUarmantc et que tout le monde appelait

(/() Il y a ici très-évidemment une lacune quft je ne vois pourtant mar<juéu dans aucune édition.

N :i

236 TRADUCTION studere? Athcuisdiinidiuuilicet, Alexandiinp totum. Qviia Romac , inquit, mures molas lingunt ; hic nobis curva corrigit. (^iiid iii cubiculo suo faciat, iicscio : etiam cœli sciu- tatur plaças , deus licri vult. Param est quod teinplum in Britanuià habet , quod luiiic barbari colunt , et ut ckuui oraut. A>.ù(o\t ^i>iCiTou y If IV. I

Tandem Jovi venit in mentcm , privnti» intra curiam morantibus scntontiaMi diccie née disputarc. E^o , inquit, P. V.. iiiteiio- gaie vobis permiseram , vos meia inapalia fecistis. Yolo scrvetis disciplinaui cnnœ. Hic , qualiscuinquc e^t , quid de uobij CKistimabit ?

DE i;APOCOLOKINTOSIS. 287

yéiiiis, il aima mieux l'appder J^/iwo/z. Quel si grand crime est-ce donc, direz-vous de fêter discre'tcment sa sœur ? La loi ne le permet- elle pas à demi dans Athènes , et dans l'Egypto

en plein ? ( 5 ) . . . . A Rome oli ,

à Rome igiioree-vous que les rats mangent le fer ? notre sage bouleverse tout. Quant ^ lui , j'ignore ce qu'il fesait dans sa chambre, mais le voilà maintenant furetant le ciel pour se faire dieu , non content d'avoir en Angle- terre un temple oii les barbare» le servent coftime tel.

A la fin Jupiter s^ avisa qu'il fallait arrêter- les longues disputes , et faire opiner chacua à sou rang. Pères coiiscripts , dit-il à ses col-. lègues au-lieu de» interrogations que je vout avais permises, vous ne faites que battre la. campagne ; j'entends que la cour reprenne, ses formes ordinaires : que penserait de nous ce postulant quel qu'il soit ?

(5 ) On sait qu'il était permis en Egypte d'épouser •a sœur Je pc-re et de mère , et cela était aussi ])er- inis à Athènes , mais pour la sœur de mère seu- lement. Le mariage d'jf/pi/J«c« et de Cimonen fourni

Vf 3

23B TRADUCTION

Illd dimis>o , primus iutenogatm- senten- t'iam Janris Patcv. Is dciignatuscrat in kalend. julias postmcridianus Cos. homo quantumvis" Tafer , qui scmper videt «^e» -arç» g-itùi y.») «'vla-Tù). ïs nuilta diserte, quod In foro vivat , dixit qiue notarius pcrscqvii non potuit : et idf o non refcro , ne aliis verbis ponam ., quse ab illo dicta suut. Multa dixit de magnitu- dine Deoinm : non dcberc hune vnlgo dari honorcm. Olim , iiiquit, magna rcs eiat deum ficri : jam famà nimiùui fecisti. Itaque ne \ide4r in personam, non in icm sentcntiam diceie, cen?eo ne qnis post hune dicui dcn* fiât ex bis qui ufoo^r,? KupTron icourtv ', aut ex nis quos alit ^u^<^fof u^ovfu. Qui contra boc S. C, deus lactus , ûctus pictusve erit , cum dedi larvis , et proxinio munerc in ter novos auctoratos , feiulis yapulare placct.

DE L'APOCOLOKINTOSIs. sS^

L'ayant donc fait sortir, i! alla aux voix, en commençant par le père Jamis. Celui-ci consul d'uuc aprcs-dinée , désigné le premier juillet, ne laissait pas d'être houimç à deux envers , regardant à-la-fois devant et derrière. En vrai pilier de barreau il se mit à de'biter fort d.sertemcnt beaucoup de belles cboses que le scribe ne put suivre, et que je ne ré- péterai pas de peur de prendre un mot pour l'autre. 11 s'étendit sur la grandeur des Dieux, soutint qu'ils ne devaient pas s'associer des faquins. Autrefois, dit-il , c'était une grande affaire que d être fait dieu , aujourd'hui ce n'est plus rien. (6) Vous n'avez déjà rendu cet hommc-ci que trop célèbre. Mais do peur qu'on ne m'accuse d'opiner sur la per- sonne , et non pas sur la chose, mon avis est que désormais on ne déiiie plus aucua de ceux qui broutent l'herbe des champs j ou qui vivent des fruits de la terre. Que si malgré ce sénatus- consulte quelqu'un d'eux

(6) Je ne saurais mo persuader qu'il n'y aîc pas encore uno lacune entre ces mots : OVim^ injit'u , magna ics trat daxim fieri : et ceux-ci , jam fainâ nimiùinfecisti. Je n'y vois ni liaison ni transi» tien , ni aucune espèce de sens k les lire aiusj de suite.

^40 TRADUCTIOÎ*

Proxiraus interrogatur sentenliam dicspitcF f'icœ-Putœ filius , et ipse designatus Cos- numinulariolus. Hic quaestu se sustiuebat , vendere civltatulas solebat. Ad huncce belle accessit Hercules , et auriculam ei tctigit. Itaque in hacc vcrba censet : Cùm divu» Clandius divuin Augustum sanguine con- tingat , nec minus divaui /4ugustam aviatn suam quàm ipsc dcam esse jussit, longèque omnes uiortales sapicntià antecellat , Mtque è republicà cssc aliqucni qui cum Roniulq possit

Ferveniia râpa vorare ;

ccnseo, ut D. Claudius ex hac dir deu* fiât , ita uli aiite eum quis optimo jure tactut sit : eauique rciu ad fciTUfio^ÇÛ(nt Ofiaii adjiciendam.

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 241

s'ingcrc à l'avenir de trancher du dieu , sott de fait , soit en peinture , je le de'voue auï larves , et j'opine qu'à la première foire sa dcite' reçoive les étrivières , et soit mise eu vente avec les nouveaux esclaves.

Après cela vint le tour du divin fils f^ica Poia désigné consul ^,rippe-sou , et qui gagnait sa vie à grimeliuer, et vendr» les petites villes. Hercule passant donc à celui- ci , lui toucha galamment l'oreille , et il opina dans ces termes : K ttendu que le diviu Claude est du sang du diviu Avguste et du sang do la divine Livie son aïeule , à laquelle il a uiême confrrmé son brevet de déesse , qu'il est d'ailleurs un prodige de science, et quo le bien public exige un adjoint à l'écot de iiomulus ; j'opine qu'il soit dès ce jour créé et proclamé dieu en aussi bonne forme qu'il s'en soit jamais fait , et que cet évcticmeat soit ajouté aux métamorphoses à^Ovidc.

342 TRADUCTION

Variaeeiaut sententiae, et videbatur Cîau- 'dius seutemiâ viiiccrc. Hercnles enim , qui yideret ferium suum iu igné esse , modo hue MiQd o illuc cursabat ; et aiebat : ÎN oli mihi mvi- deie, inea res agitnr ; deiude si quid volueris, invicem faclaiii ; manus manum lavât.

Tune divus yiiigustus surresît sentetttJae «use diccndcc , et suivmâ facuudià dissciuit. p. C. vos testes ba))co , ex quo dcus factvvs sum , nullnm verbum me fccisse ; semper lueum negotium ago : sed non possuiu aiii- çliùs dissiaiulare , et dolorem quem gravio- xem pudor facit , contiuere. la hoc terra ïiiarique pacem peperi ? idco civilia bella «ompescui ? ideo Icgibus lubem fundavi , "operibus ornavi ? Et quid dicani , V. C. non iuvenio : omuia infra indignationem verba suut. Confugieiidum est itaqne a me ad J\Jessalœ Cori--iiii disertissimi viri illam scn- tentiam : Prsecidit jus imperii. TIic , P. C. qui nobis non possc v idctnr lunscam cxci tare , tom facile koruiucs occidcbat , quàm canis

Î)E L'APOGOLOKINTOSIS. «4$

Quoiqu'il y eût divers avis , il paraissait que Claude l'emporterait \ et Hercule , qui sait battre le fer taadis^qu'il est chaud cou- lait de côté et d'autre , criaat : Messieurs , ua p«u de faveur ; cette affaire-ci m'intéresse; dans une autre occasioa vous disposerez aussi de ma voix : il faut bien qu'une main lave i'autre.

Alors le divin AugTiste s*étant levé,pé-« iora fort pompeusement, et dit : Pères cons- cripts, je vous prends à témoin que depuis que je suis dieu je n'ai pas dit un seul xnot; car je ne me mêle que de mes aEFaires: mais comment me taire en cette occasion ? comment dissimuler ma douleur qne le dé- pit aigrit encore ? (^est donc pour la gloira de ce misérable que j'ai rétabli !a paix sur mer et sur terrç, que j'ai étouffe les guerres civiles , que Rome est affermie par mes lois et ornée par mes ouvraoes ? O pères cons- cripts ! je ne puis m'exprimer; ma vive in- diguatiou ne trouve point de termes ; je no puis que redire avec l'éloquent jUJessalai I/Etat est perdu. Cet imbécile, qui paraît no pas savoirtroublcrdci'oau , tuait les homme comme des mouches. iVIais que dire tailt

544 TRADUCTIOTC

exta edit. Scd quid ego de tôt acribus Tiris

dicam ? Non vacat dcflcre publicas elades ântuenti doincsllcamala. 1 taquc illa omittam , JiEec refcram. Etiamsi Plwnnea giœcè uescit , ego scio. ElNTlKOlSTONTfKHJNAlHSsenes- cit. Iste qncm videtis , per tôt aanos sub »aeo nominc latens , bauc mihi giatiam «etuUt , ut diias Julias proueptes nicas «ccideiet , alteram ferro ; alteram famé ; unum abuepotem , L. Syllanmn. Vidcris , 'Jupiter^ an in caussâ malà ceitc in tuà , si tic intcr nos futurus est. Die inibi , dive C'iandiy quare queniquam ex bis quos quas- que occidisti , antequam de causa cognos- ceres , antequam audlres , dauinasti ? Hoo fieri solet? in cœlo non fit. Ecce Jupiter, gui tôt annos régnât , uni P'ulcano crut

régit, quem

et îratus fuit uxoii , et suspendit illam : num quid occidit? Tu M<r.viV7////^/TO cujus aqut; «vuaculu* wajor cram «juàw tuus , occi-

d'illustros

Î)E L'APOCOLOKINTOsrs. 24a

'd'illustres victiuKs? Ces désastres de ma famille me laissent-ils des larmes pour leS toialheurs publics? je o*ai que tJ-op à parler' des miens. (7) Ce galant homme que vous Voyez protégé par mon nom durant taafi d'années, me marqua sa reconnaissance en fesant mourir Lucius Sillanus un de mes arrières - petits neveufc , et deux- Julies nies arrièresMKtilts nièces , l'une par [s fer, l'autre par ia iaim. Grand ^7^;7//cT, m vous l'ad- mettez parmi aious , à tort ou non , ce sera sûrement à votre bhlme. Car , dis-moi , je te prie, ô divin Claude, pourquoi tu'lis tant tuer âe gens sans les entendre , sans même t'iiiformer de leurs cl-inics ? c'éioit ma coutume. Ta coutume ? ou ne la cotinait pas ici. Jupiter , qui rè-ne depuis tant d'an- nées , a-t-il jamais rien fait de semblable? ^uand il estropia son bis , le tua-t-il ? quand il pendit sa femme, l'ctrangla-t-il ? Mais

( 7 ) Je n'ai point traduit ces mots : Ètmmsi Vhormca pracc nescit , ego scio. ENTIKONTO-^ Kl KHNAIHS senesclt , ou se nescit , parre qufl en'y enrcnrls rien du tout. Peut-être aurais-jd trouve quelque éclaircissement dans le<= a.iagea d Erc.me , mais j.. ne suis pas à portée coniujier.

flSélanges. Tome V; Q

246 TRADUCTION disti. Nescio , inquis? Dii tibi malefacîant : adeo istud turpius est, qubd nescis , quàru quod occidlsU.

Iste C Cœsarem noa desiit mortuum pro sequi Occiderat illc soceium : hic etgeuerum. Calu.Cœsar Crassi filium vetuit magauiu vocari : hic nomeri ilU reddidit , caput tuht. Occidit ia uuâ domo Crassum magnum, Scrihoniam , Tristioniam , Assariencin , iiobilcs tamcu Crassum vcib tam fatuum , „t etiamresuareposset.Cositate,PX. qualo portentum iu numerumdcorum serec.p. cu- Piat Huncuuucdcumfacerevultis? videto corpus c-,us , d.ls iratis uatum. Ad summam tria vcrba cito dicat , et servum me ducat. Hune deuxu quis colet ? quis credet ? Dcnique dnm talcs deos facitis , ncmo vos deos esse cvedet. Summerei,P. C. si honestè inter vos c^essi , si nuUi duriùs respondi , vind.cate

^ '0= «leas E'-o pro sententiâ meâ Uoa injurias ineas. e-o" 1

ccnsco. Atquc ita es. tabellâ recitayit.

DE L'APOCOLOKINTOSis. 247

toi , n'as-tu pas mis à mort Messaline dont j'étais le grand-oncle ainsi qne le tien ? (8) Je l'ignore, dis-tu? Misérable! ne sais-tu pas qu'il t'est plus honteux de l'ignorer quo de l'avoir fait ?

Enfin Ca'ius Calîgula s'est ressuscité dans son successeur. L'un fait tuer sou beau- père , (*) et l'autre son gendre. (**) L'un défend qu'on donne au fils de Crassus lo surnom de grand , l'autre le lui rend , et lui fait couper la tête. Sans respect pour un sang illustre , il faitpérir dans une même maison Scribonie , Tristionit , u4ssarion , et même Crassus le grand , ce pauvre C rassus si complètement sot qu'il eut mérité de régner; songez , pères conscripts , quel monstre ose aspirer à siéger parmi nous ! Voyez, cozn-

(8) Par l'adoption de Drusus , Auguste était l'aïeul de Claude ,• mais il était aussi son grand- oncle , par la jeune Antonia , mère de Claude et nièce à' Auguste.

(*) M. Syllanu!.

(** ) Fompchts Mafias.

O 2

34S

TRADUCTION

Quandoquidem divus Claudius occldlt soccrum suum Appium SyUaninn , geueros duos pompeium Jiiagnum et Syllatium , socerum filiai suse Crassuni , frugi liominem , tam slmilera sibi , quam ovo ovum,^rrï- boniam socrum filisDsua; , Messaliiiain uxo- rem suain , et caeteros , quorum nume- rus iniri non potuit ; placet niilii in eiim sevcrè animadverti, nec illi leiuru judican- daruni vocationcm dari ', eumque quàm pri- jnùm exportari , et cœlo intra dics xxx excé- der© , Olympo iutia dleui tcrtium.

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 24^

ineut déifier une telle figure , vil ouvrage des Dieux irrites ! A quel culte quelle foi pour- ra-t- il prétendre ? qu'il réponde , et je me rends. Messieurs, si vous donnez la divinité à de telles gens, qui diable recon- naîtrala vôtre ? Enun mot, pères conscripts , je vous demande , pour prix de ma complai- sance et de ma discrétion , de venger mes injures. Voilà mes raisons , et voici mon avis :

Comme ainsi soit que le divin Claude a tué son beau-père Applns SWaniis , ses deux gendres pompeius Magnns et Lnciiis Syllamis, Crassus beau-père de sa tille , cet homme si sobre , ( 9) eten tout si semblable à lui, Scribonie bclie-mcre de sa fille, iJ/c*- saliue sa propre femme, et mille autres dont les noms ne finiraient point; j'opme

( f) ) Je n'ai guère besoin , je crois , d'avertir que r-e mot est pris ironiquement. Suétone, après avoir dit qu'en tout temps , en tout lieu Claude était tou- jours prêt à manger et boire , ajoute qu'un jour ayant senti de son tribunal l'odeur du dîne de» Saliens , il planta toute l'audience , et couru» se mettre à table avec eui^

O 3

25a TRADUCTION

Pedibus in hanc sentcntiam itum est.Nco mora, Cyllcuius illum colo obtorlo tralxLt ad iuferos ,

Illuc unde negant redire queraquara.

Dnm descenduntper viaiu sacram , intcrvo- gat 3Ie rcuriu s quid sibi velit iUe concmsus liominum , num Clnudii funus essct ? Et erat omnium formos^issimum , et iuipensâ cura plénum , ut scires deum efFcni , tibici- num , cornici.ium , omnisque gencns aeneato- rnm taiita turba , tantus couventus , ut ctiam Claudins audire posset. Onuics laeti , hilares. P. Rotu. ambulabat ta.i.quam liber. Agatho , et pauci causidici plorabant , sed plané ex a.iimo. Jurlsconsulti è tenebris pro- cedebant , pall.di , graciles , vix habeutesani- raam , tamquam qui cum maxime revivisce- reiit, Exhis uuus cùm vidissct capita coufc-

DE L'APOCOLOKINTOSÎS. sSr

qu'il soit sévèrement puni, qu'on ne lui per- mette plus de siéger eu justice, qu'enfin banni sans retard , il ait à vider l'Olympe ea trois jours , et le ciel en lui mois.

Cet avis fut suivi tout d'une voix. A l'ins- tant le Cyllcnien (*) lui tordant le cou , le tire au séjour.

D'où nul, dit-on, ne retourna jamais.

En descendant par la voie sacrée , ils trouvent un grand concours, dont Blercure demande la cause. Parions dit-il, que c'est sa pompe funèbre; et en effet la beauté du convoi , l'argent n'avait pas été épargné, annonçait bien l'enterrement d'un dieu. Le bruit des trompettes , des cors , des instru- mcns de toute espèce , et sur-tout de la foule , était si grand , que Claude lui-mèmo pouvait l'entendre. Tout le monde était dans l'alégrcsse : le peuple romain marchait lé- gèrement comme ayant secoué ses fers. ^galhon et quelques chicaneurs pleuraient tout baï dans le fond du cœur. Les juris-

( * ) M'^rcuie.

%53 TRADUCTION

Tentes, et fortuuas suas déplorantes causicti-i cos , accedit , et ait: Diçebam vobisj NoQ semper saturnalia erimt ;

Clmidius , ut vidit funus sninii , intcUexife se movtiunn esse. Ingetiti enita «£y«A>;yoçi'<« nEBYia cantabatur auapacstis.

Fundite fletus.. Edite planctiis , Fingite luctus , Resonet tristi Clamore forum; Cecidit pulchre Coidatiis liomo ^ Quo non alius Fuit in toto Fortior orbe» Ille citato Vincere rursu Poterat celeres; Ille rebelles

Fundere Parthos,

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 253

consultes maigres , e.ténucs , (lo) commen. caient a respirer, et semblaient sortu- du tombeau. Ua d'cntr'cux voyant les avocats la tête basse déplorer leur perte, leur dit en 8'approchant : Ne vous le disais-,e pas, que les saturnales ne dureraient pas toujours .

Claude en voyant ses funérailles comprit cnlin qu'il étaitmort. On luibeuglaitàpleine

tète ce chant funèbre en jolis vers hcptasyl-

labes.

O cris , ô perte , û douleurs !

De nos funèbres clameurs

Fesoiis retentir la place ;

Que chacun se contrefasse ;

Crions d'un commun accord ;

Ciel ! ce grand homme est donc morti

Il est donc mort ce grand homme !

Hélas ! vous savez tous comme,

Sous la force de son bras ,

Il mit tout le monde à bas.

Fallait il vaincre à la course ?

Fallait-il jusque sous l'our.'^e ^

Des Bretons presque ignort's.

Du Caucc aux cheveux doiés

( lo ) Un juge qui n'avait d'autre loi qup sa vo- lonté donnait peu d'onvragc à ces messieurs-là.

s54 TRADUCTION

Levibusfjue seijui Persida telis , Certaque rrunu Teiidere net vum : Qui prœcipiies Vulneie parvo Figeret Lostes , Pictaquo Medi Terga fugacis. Ille Britannos Ultra noiî Littora ponii^ Et caerulfios Scuta Brigantas Dare romuleis Colla caihenis Jussir, et ipsum Nova romanae Jura securis Tiemcre Oceanum. Deflete virura , Que non alius Potuit ciiiùs DisrcMe raussas , Uiiâ tantùin Parle andiiâ , Sœpe et neutrâ.

DE L'APOCOLOKINTOSIS. sSS

Mettre l'orgueil à la chaîne , Et sous la hache romaine Faire trembler l'Océan ? Fallait-il en moins d'un an Dompter le Parthe rebelle ? Fallait-il d'un bras fidelle Bander l'arc , lancer des traits Sur des ennemis défaits , Et d'une audace guerrière Blesser le Mède au derrière? Notre homme était prêt à tout, De tout il venait à bout. Pleurons ce nouvel oracle, Ce grand prononceur d'arrêts , Ce Minos ijus par miracle Le ciel forma tout exprès. Ce phéuix des beaux génie» K 'épuisait point les parties En plaidoyers superllus ; Pour juger sans se méprendre Il lui «uf'lisait d'entendre Une des deux tout au plus. Ouel autre toute l'année Voudra siéger désormais , Et n'avoir, dans la journée, De plaisir que les procès ? Minos, cc'?dez-lui ia place ; Déjà son ombre vous chasse. Et va juger auK cniers. Pleurez , avocats à vendre , Vos cabinets sont déserts.

O 6

256 TRADUCTION

Quis nunc judeJÇ Toto Hies Audiet auno ? Tibi jam cedet Sede leliciâ, Qui diit populo Jura silenti , Cretœa tenens Oppida renlum-. Caedite mœstis Pectora palmis » O causidici , Vénale genus : Vosquc poetns Lugete novi ; Vosque iinprimis Qui conçusse Magna parastîa Lucra fi ilillo,

ÎDcîectabatur laudibus sms C^audii/s , et cupicbat diutiùs spectarc.Iujicit illi mauum Talthybius dcoium uuncius , et trahit capite obvoluto , ne quis cum possit agnoscere ,per çampum Martium ; et in ter Tybcrim etviaœ t^tam desQQndit ad iufçros.

DE L'APOCOLOKINTOSIS. z^j

Rimeurs , qu'il daignait entendre, A qui lirez-vous vos vers ? Et vous, qui comptiez d'avance Des cornets et de la chance Tirer un ample trésor, Pleurez , brelandier célèbre , Bientôt un bùclier funèbre Va consumer tout votre ox-

Claude^c deleclait ci entendre ses louanges, et aurait bien voulu s'arréfcr plus long-temps. Mais le héraut des Dieux lui mettant la main au collet, etlui enveloppant la tête de peur qu'il ne fût reconnu , l'entraîna par le champ do Mars , et le lit descendre aux cufcrs catr© îç Tibre et la voie çouyerte.

th^ TRADUCTION

Antecesserat jam coiiipeudiariâ via A^ar- cissus libertus , ad patrouiim excipieiidum, etvenienti nitidus, ut crat à balneo , occur- lit , et ait : Quid dii ad homines ? Celeriùs , iuquit Blejcurius , et venire nos auncia. 111e autem patroiio plura blandiri volcbat, queni Mercurius iterum festiuare jussit ; et virgâ inorantera irupulit. Dicto citiùs Narcissus evolat. Omnia piocliva sunt , facile descen- ditur. Itaque quamvis podagricus esset , momento tcmporis pcrvenit ad januam Ditis : ubi jacebat , ut ait Horatius , belliia cciiti- ceps , sese movcus , villosquc horiendos ex- cutieus. Piisillùm superturbalur , ( albam catieui in dcllciis habere consuerat) ut iihuu vidit cancin uigruiu villosuiu saiic , quciu non vclis tibi iii tenebrisoccurrcie. Et inagnà inquit toc« : Claudius Coesar veuit. Ecce extemplo cum plausu prtfccduut cantaatcs :

Hic erat C. SUiusCo^. desig. Jmiins Pre- lorius , Sex. TraUiis j M. Hehius Tro^us Cotta f Tectiis f'alens ^ jt^alnus , E<{»*

, DE L'APOCOLOKITÎTOSIS. 269

Narcisse ayant coupé par im plus court chemin , vint frais sortant du bain au-devant de son maître, et lui dit: Comment! les adieux chez les hommes ? Allons , allons , dit Mercure , qu'on se dépêche de nous annoncer. L'autre voulant s'amusera cajoler son maître, il le hâta d'aller à coups de caducée , et Narcisse partit sur-le-champ. La pente est si glissante, et l'on descend si facilement, que , tout goûteux qu'il était , il airiveenua moment à la porte des enfers, A sa vue , le monstre aux cent tétcs dont parle Horace^ s'agite, hérisse ses horribles crins ; et Nar~ cisse accoutumé aux caresses de sa jolie le- vrette blanche , éprouva quelque surprise à l'aspect d'un grand vilain chien noir à long poil , peu agréable à rencontrer dans l'obs- curité. Il ne laissa pas pourtant de s'écrier à haute voix : Voici Claude César. Aussi- tôt une foule s'avance en poussant des cris de joie et chantant ,

Il viont , rcjouissons-nous.

Parmi eux étaient Caïus Silius consul dé- signe , Juiiius Prœtorius , Sextius Trallus , Hdvius Trogus , Coita 3 Tectus , Talens ,

26o TRADUCTION

Rom. qnos A'arcissus duci jusserat. Médius erat iti hac catitaulium turbâ Mnestcr pan- tomimiis, qucui Claudins decoris causs$ miuorem fcciMat. Nec uoti ad Messalinam cito juuior pcicrepuit , Claiidiinn venisse ; convolarmit piiuium omnium libeiti , Poly- l)ius , BJyron , Harpocras , j^mphœus y et Pheronactes , quos omncs uecubi imparatiis esset, praemiserat. Dcinde praEfecti duo, Justns Catonius , et Ru fus Pompeii filius. Deiiide amicl , Satuniius Lucius , et Pcdo Fompcius , et Jjupus j et Celer ^ yîsinius , consularcs. Novissiraè fratris filia , soiovis Ëlia , gcner , socer , socius , oumes plané consanguinei. Etagmine factoC/û!7/Jiooccur- runt. Quos cum vidisset Claudins ^ excla- mât : Ii(i.iTii (pîXùv 7r>i>;fi ; quomodo vos hue vc- nistis ?

TatnPedo Pompcîus : Quid dicis ,honio cvudeîissime ? Qr-ncris quomodo ? Quis enim iios alius bue misit quam tu, omnium ami- corum iaterfcctor ? In jus eamns ; ego tibi hîc sellas osteudam. Ducitillnm ad tribunal

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 261.

Fabius , chevaliers romains que Narcisse uvait tous expédies. Au milieu de la troupe chantante était le pantomime yîf7/é'.?/f/- à qui sa beauté avait coûté la vie. Bientôt le bruit que Claude arrivait parvint jusqu'à illessa- Une ; et l'on vit accourir des prcîniers au- devant de lui SCS affranchis Palybç- , Myron j Harpocrate , jdmphœus ^ et Pheronacte , qu'il avait envoyés devant pour préparer sa jnaison. Suivaient les deux préfets Justus Catonius et Riifus fils de Pompée ; puis ses amis Satnrnius Lucius ^ tl Pedo Pompeïus ^\. Lnpns 3 et Celer Asinius , consulaires. £nfia la tille de son frère , la fille de sa sœur j sou gendre , son beau-père, sa belle- mère ,et presque tous ses parcns. Toute cette troupe accourt an-dcvant de Claude qui, les voyant, s'écria : Bon ! je trouve par-tout d.cs 3mis ; par «J^ucl hasafd étes-vous ici ?

Comment , scélérat ^^'APedo Pompeïus y par quel hasard ? Et qui nous y envoya quo toi-mcuie , bourreau de tous tes amis ? Viens, viens devant le juge \ ici je t'en montrerai le çhcnjiu. Il le mène au tribunal d'2i'a'/w<^, le-

362 TRADUCTION

^aci ;is lege Corucliâ , quae de sicariis lata est ,quaerebat, Postulabat nomen ejup rccipi; editsubscriptioueui : occisos seuatoresXXX, équités roiti. CCCXV , atque plures , caeteros

CCXXI. \<ru, i^tiftciêôs TTi xôfii Tt.

Extciritus Claudins oculos undecumque circunifcrt , vestigat aliquem patronnm qui se defenderct. Advocatum non iuvenit. Tandem procedit/-*. Petronius ^ vctus couvictoicjns , homo Claudiaiiâ linguà di>;ertus , et postu- lat advocationem, Noa datur. Accusât Pedo Pompeius magnis clamoribus. Incipit Petro- 7ZZ7/J vclle rcspoudcrc. yEaciis homo justissi- mus , vetat. Illum tantùm altéra parte auditâ coudemnat , et ait :

iiKi Ts-ûioi rcc K tpe^ty è^Ut] t lèita yivoiTa.

Itigenssilcutiumfactnm est. .Stupeba ut om. nés novitate rci attouiti : ncgabaiit hoc un- quain factum ; Claudio iniquiim itiar;is vi- debatur quàiu uovuui. De gcucre pœiiac diu disputatuui est, quid illum pati oporicret. Eraut qui dicereut , si uai dii laturam fecis-

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 268

quel précisément se fesait rendre compte do la loi Coraélia sur les meurtriers. Pedo fait inscrire son homme , et présente une liste de trente sénateurs , trois cents quinze chevaliers romains, deux cents vingt et un citoyens, et d'autres en nombre infini, tous tués par ses ordres.

Claudt effrayé tournait les yeux de fous côtés pour chercher un défenseur ; mais aucun ne se présentait. EiiQn P. Petronius soa ancien convive , et beau parleur comme lui, lequit vainement d'être admis à le défendre. Pedo l'accuse à grands cxx's, , Pétrone tache de répondre; mais le juste Eagne le fait taire , et après avoir entendu seulementrune des parties , condamne l'accusé eu disant :

Il est traité comme il traita les autres.

A ces mots il se fit un grand silence. Tout le monde étonné de cette étrange forme la soutenait sans exemple ; innis Claude la trouva i)liis inique que nouvelle. On disputa îoDg-tcmpssur lapeiuc qui lui serait imposée.

264 T R A D U C T I O j?f

Sent, Tantalum siti pcritnrum , nisi illi suc- curieretur ; non unquam Sisiphiim onere elevari ; aliquando/x/ow/^ miseri rotam suf- jSauiiiiandam. Nou piacuit illi ex veteranis Uîissioucm dari , ne vel Claudius imquam simile speiaret. Piacuit novam pœnam exco- gitaii deberc , institucndum illi laboiem irrituni , et alicujus cupidatis spccies sine Eue et aOicctu. Tum yEacus jubet illuiu alcâ liidcrc pertuso fritillo ; et jam cœpcrat fu- gieutes semper tesscras (juœrcre , et nihil pio- ficerc.

Nam quoties missurus erat résonante fritillo , Utraque subducto fiij^iebat tessera fundo : Cùmque rerollectos auderet mittere talos , Lusuro similis semper semperque petenti , Decepere fidem : refngit , digitosque per ipsos Fallax assidiio dilabitur aléa furto fiic rùm jam snmml tanguntiir fulmina montis, Irrita Sysipho volvuntur pondéra coUo.

CE L'APOCOLOKINTOSIS. 265

Quelques-uns disaient qu'il fallait faire un échange, c^ut Tantale mourrait de soif s'il n'était secouru; qu Ixion avait besoin d'en- rayer, et Sysiplie de reprendre haleine : mais comuie relâcher un véte'ran c'eût été laissera Claude l'espoir d'obtenir un jour la nîémo grâce , on aima mieux imaginer quelque nou- veau supplice qui l'assujettissant à un vain travail , irritât incessamment sa cupidité par une espérance illusoire. ^«'yz/eordonna donc qu'il jouât aux dès avec un cornet percé; et d'abord on le vit se tourmenter inutilement à courir après ses dés.

Car à peine agitant le mobile cornet , Aux dés prêts à partir il demande sonnet, Que malgré tous ses soins entre ses doigts avides, Du cornet défoncé , panier des Danaïdes , 11 sent couler les dés ; ils tombent, et souvent Sur la table , entraîné par ses gestes rapides , Son bras avec effort jette un cornet de vent. (11) Ainsi pour terrasser son adroit adversaire Sur l'arûn* , un athlète enllummé de colère ,

( 11 ) J'ai pris la liberté de substituer cetta comparaison à celle de Sysiphc , employée pas fl^nhiue et trop rebattue depuis cet auteur.

266 TRADUCTION

Apparuk subito C Cxsar , et petcre illum in servitutera cœpit : producit testes , qui illum videiaut ab illo flagris , ferulis , cola- phis vapulantera. Adjudicatur C. d^sari : illum ^acus donavit. Ts Menandro libcrto «uo tradidit , ut à coguitioaibas ei csset

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 267

Du ceste qu'il élève espère le frapper ; L'autre gauchit, esquive , a le temps d'échapper ; Et le coup frappant l'air avec toute sa force , Au bras qui l'a porté donne une rude entorse.

La-dcssus C^7//^7//<a; paraissant tout-à-coup, se mit à le réclamer comme son esclave. Il produisait des témoins qui l'avaient vu le charger de soufflets etd'ctrivières. Aussi-tôt il lui fut adjuge' par Eaque. Et Caligula lo donna à Ménandre son. aB'ranchi pour en faire un de ses gens.

O L I N D ^

O L I N DE

E T

S O P H R O N I E ,

TIRÉ DU TASSE.

HJcIan^s, Tome Yt

L A

GERUS ALEMME

L I B E RA T A, CANTO SECOND O.

XVxESTRE il tiranno s'apparechia all'armi , Soletto Jsmeiio un di gli s'appresenta ; Jsmen che trar di sotto ai chiusi maruii Puo coipo estinto c far clie spiri e senta ; Jsmen clie al suoude' mormoranti carmi Sin nella reggia sua Pluto spaventa , Ei suoi Démon negli euipi unBcj iinpicga Pur corne servi , c gli discioglie , c lega.

Questi or Macone adora , c fu cristiano," Ma i priml riti anco lasciar non puotc; Anzi soveutc in uso impio e proFano Confoude le due leggi a se xual uotc.

TRADUCTION

PU C O ]M M E N C E M E N T

DU SECOND CHANT

DELA

JÉRUSALEM DÉLIVRÉE,

Contenant VHistoire d'Oliuda et de 6'ophronie.

J. ANDis que le tyran sepre'pareà la guerre, Isuiène un jour s^e préi^ente â lui ; Ismène qui de dessous la tombe peut faire sortir un corps mortel lui rendre 1<; sentiment et la parole j Jsmene qui peut, au son des paroles magi- ques , cïïvaycY P/nton jusqu'en son palais, qui commande aux dëtuonsen maître, les emploie à ses œuvres impies , et les enchaîne ou dclie à son gre',

Cbre'tien jadis , aujourd'hui mahométan , il n'a pu quitter tout-à fait ses anciens rites ; et les profanant à de criminels usages , mêle et confond ainsi les deux lois qu'il connaît mal. Mainteuaut du fond des antres oii il exerce

P a

372 O L I N D K

Ed or dalle spelouclie , ove loiitano Dal vulgo cscrcitar suo 1' art! iguole Vien nel publico lisclilo al suo siguoie.^ 'A rc malvagio cousigUer peggiore.

Signor , dicea, scnza tardar sea vieu% Il viucitor eseicito tetnuto; Ma facciam nol cio chc a uoi far convienne ; Darà il ciel , darà il mondo ai forti ajuto. Ben tu cli le , di duce hai lutte piene Le parti , e Uuige hai visto e provveduto , S'empie in tal guisa og'altro i proprj uticj ; .Tomba fia questa terra a' tuori nemici.

lo quanto a me ne vengo , e del pcrlglio E deir opre compagno ad aitartc. Ciô cbe pub dar di veccbia età consiglio , Tutto promctto, e cio cbe nxagica arte. Gli angeli, cbe dal cielo ebbero csiglio , Constringero dclle faticbe a parte. Ma dond' io voglia incominciar gl' incantî^ E cou quai modi , or narrcrotti ayauti.

Ncl timpio de' cbiistiaoj occulto giac»

E T s O P H R O N I E. 273

ses arts ténébreux ^ il vient à sou seigneur dans le danger public, à mauvais roi, pire

conseiller.

Sire, dit-il, la formidable et victorîeuso armée arrive. Mais nous , remplissons nos de- voirs ; le ciel et la terre seconderont notre cou- rage. Doué de toutes les qualités d'un capi- taineetd'unroi, vous avez de loin tout prcvu^ vous avez pourvu atout : et si chacun s'ac- quitte ainsi de sa charge, cette terre sera lo tombeau de vos enuemis.

Quant àmoi , Je viens de mou côté partager vos périls et vos travaux. J'y mettrai pour ma parties conseils de la vieillesse et les forces de l'art mtgique. Jccontraindrai les angesbaunis dji ciel à concourir à mes soins. Je veux com- mencer mes enchautemens par une opération dont il faut vous rendre Gompte.

Uaua le temple des chrctiens snr un autel

P 3

574 O L I N D E

Un sottcrrauco altare ; e qiiivi è il volto pi colei , che sua diva , e madie face Quel vulgo del suo Dio tiato , c sepolto," Piuauzi al simulacro accesa face Continua splende : egli è in un vélo awolto ; Pendono intorno in lungo ordine i voti, CUe vi portaiQ i creduli dcvoti.

Or questa effigie lor di rapita Yoglio che tu di propria man transporte î 3E la riponga eutro la tua mcschita :

10 posela incanto adoprcrb si forte,

Ch' ogni or , nientrc ella qui lia custodita, 8arà fatal custodia a qucste porte; Tra mura incspugnabili il tuo impeio gçcuro fia per uovo alto uiistero.

Si disse , e '1 persuase : e impazient*

11 rc sen corse alla magion di Dio , K »Forzb i saccrdoli , e irrcvcrcnto Il oasto simuhicro indi japio ;

E portollo a quel timpio , ove fovcnt* S' irrita il c:cl col folle culte e rio. Nel proFan loco , c su la sacra imago. Shsuhù i^oi le suc bestcmiuw il inago;

ET SOPHRONIE. 27^

«outerrain est une image de celle qu'ils ado- rent , et que leur peuple ignorant fait la mère de leur Dieu, , mort et enseveli. Le simula- cre devant lequel une lampe brûle sans ces- se, est enveloppe' d'un voile j et entouré d'un grand nombre de vœux suspendus en ordre,et quclescrédulesdévots y portent de toutesparts.

Il s'agit d'enlever de cette effigie , et de la transporter de vos propres mains dans votre mosquée; j'y attacherai un charme si fort, qu'elle sera , tant qu'on l'y gardera , la sauve- garde de vos portes : et par l'eflet d'un nou- veau mystère, TOUS conserverez dans vos miirs un. empire inexpugnable.

A ces mots le roi persuadé court impatient à la maison de Dieu , force les prêtres , enlève sans respect le chaste simulacre , et le porte à co temple impie oîi un culte insensé ne fait qu ir- riter leciel. C'est là, c'est dans ce lieu profane et sur cette sainte image , que le magicien mur- mure tes blasphèmes.

*576 O L I N D E

Ma corne apparse In ciel 1' alba iiovella^ Quel, cuirimmondo tempio inguadia èdato^' Nou rivide I' iminaginc doy' ella Fu posta, e iuvau cercouue in altro lato. Tosto n' avyisa il le , cli' alla novella Di lui si nionstra fieramcnte iralo : Ed immagiua ben , ch' alcun fedele Abbia fatto quel furto , c che se '1 ccle,

O Cil di man fedele opéra furtiva , O pur il ciel qui sua potenza adopra Clie di colei , ch' è sua regina e diva , Sdegna ©lie loco vil 1' iinmagin copra r Ch' inccrta fama è ancor, se cib s' ascriTA Ad arte uniana , ed a mirahir opra. Ben è pictà, che la pictade e *1 zelo Umancedendo , aiitor son , creda il cielo-i

Il re ne fa cou importuna inchicstJÉ Riccrcar ogni cliicsa , ogni niagionc * Ed a chi gli iiasgondc , o manifesta Il furto o il reo , gran pêne , e premj impouc. E 1 mago di spiarne anco non resta Cou tuttc r arti il ver3 mauoa s'appose

ET 5 O P H R O N I E. 277

Mais le matin du joiu- suivant , le gardien au temple immonde ne vit plus l'image elle était la veille; et l'ayant cherchée en vain de tous côtés, courut avertir le roi qui, ne dou- tant pas que les chrétiens ne l'eussent ealevée , eu tut transporté de colèie.

Soit qu'en effet ce fût un coup d'adresse ^'une main pieuse, ou un prodige du ciel indigné querimagcde sa souveraine soit pros- tituée en un lieu souillé , il estédiBant, il est juste de faire céder le zèle et la piété des hom- mes, et de croire que le coup est venu d'ca- tiaut.

L,e roi fît faire dans chaque église et dans chaque maison la plus importune recherche , et décerna de grands prix et de grandes peines à qui révélerait ou recèlerait le vol. Le magi- cien , de son côté , déploya sans succès toutes lesforcesdesonartpour endécouvrirl auteur.

27S O L I N D E

Che '1 cielo (opra sua fosse, o fosse altrui) Celolfa ad oata dcgl' iucauti a lui.

Ma poichè '1 re crudcl vide occultarse Quel che pcccato de' fedeli ei pensa , Tutto iu lor d' odio infellonissi , ed arso D' lia , e di labbia iuimoderata immeiisa. Oguirispetto obblia; vuol vendicarse, (Scgua che puote) e sfogar l'aima accensa ; Monà , dicea , non ondià l'iia a vote , Nel/a strage commune il ladio iguoto,

Puichè '1 reo non si solvi , il giusto pera J E r innocente. Ma quai giusto io dico ? E' colpevol «iascun , ne in loro schicra TJomfu giammai del noslro nouie amioo, S anima v' c ncl novo cnor sincera , Basti a novclla pciia un failo aiitico. Su , su , fedeli miei , su via prendetc l,e fiamme , e '1 feno , ardctc , ed uccidele.

Cosl parla aile tuybe , e se u' intese

ET S O P H R O N I E. 279

Le ciel , au mépris de ses euchantcmens et de lui , tiut l'œuvre secrète, de quelque part qu'elle pût venir.

Mais le tyran , fnl-ieux de se voir cacher lo délit qu'il attribue toujours aux fidelles , se livre contre eux à la plus ardente rage. Ou- bliant toute prudence, tout respect humain. il veut à quelque prix que ce soit assouvir sa vengeance. « Non , non , s'ëcriait-il , la me- » nace ne sera pas vaine: le coupable a beau » se cacher , il faut qu'il meure ; ils mourront » tous, et lui avec eux ».

« Pourvu qu'il n'e'chappe pas, que le juste ^ » que l'innocent périsse, qu'importe? Mais » qu'ai-je dit, l'innocent? Nul ne l'est; et » dans cette odieuse race, en est-il un seul 3. qui ne soit notre ennemi ? Oui , s'il en est .. d'exempts de ce délit , qu'ils portent la » peine due à tous pour leur haine; que tous 3> périssent, l'un comme voleur, et les autres j. comme chrétiens. Venez , mes loyaux , ap- >. portez la flamme et le fer. Tuez et bruicz » sans miséricorde ».

C'est ainsi qu'il parlei son peuple. Le bruit

28o O L I N D E.

La famatra' fedeli Immantiiieute i

Ch 'attoniti restai', si gli sorprese

Il timor délia morte ornai preseute:

E non è clii la fuga o le difese,

Xo scurare o '1 pregare ardisca , o tente j

Ma le timide genti e irresolute,

Doude meuo speraro ebber salute.

Vergiiie era fra lor di gla matura Verginita, d' alti pensieri e rcgi : D' alta beltà , ma sua bel non cura ; D tante sol , quant' onestà sen fregî. E* il suo pregio maggior , che tra le mura D' angusta casa asconde i suoi gran pregi ; E da' vagheggiatori ella s'iuvola Aile lodi , agli sguardi iuculta c sola.

Purguardia^sser non pub , che 'n tutto celi Beltà dcgna , ch' appaja , c che s' ammiri : Ne tu il consenti , Atnor ; ma la riveli D' un giovinctto ai cnpidi dcsiri. jfmor , ch' or cieco , or Argo , or a ne rcli Ci bcnda gli occhi , ora ce gli apri e giri ; Tu per mille custodie eiitro ai più casti

ETSOPHRONIE. 28 de ce danger parvient bientôt aux chrétiens. Saisis , glacés d'effroi par l'aspect de la mort prochaine, nul ne songe à fuir ni à se défendre nul n'ose tenter les excuses ni les prières. Ti- tnides, irrésolus, ils attendaient leur desti- née, quand ils virent arriver leur salut d'où ils l'espéraient le moins.

Parmi eux était une vierge, déjà nubile^ d'une ame sublime , d'une beauté d'ange, qu'elle néglige ou dont elle ne prend que les soins dont l'honnêteté sépare : et ce qui ajoute au prix de ses charmes , dans les murs d'un© étroite enceinte elle les soustrait auT yeux et aux vœux des amans.

Mais est-il des murs que ne perce qneîau» ïayon d'une beauté digne de briller ai-x veux et d'enflammer les cœurs ? Amour! le souffH- rais-tn? i\on, tu l'as révélée aux ;<>unes désirs d'un adolcfcent. Amour ! qui, tantôt A rgnseC tantôt aveugle , éclaires les yeux de ton flam- beau ou les Yoilesdc tonbandeau;nialgie tous les gardiens, toutes les clôtures, jusque dau«

Mélarîges. Tome V. Q

38. O L I N D E.

rVeiginei alberghi il guardo altrui protasti.

Co\^\ Sofronia^OUndo egV. s'appclla D' una cittatc entrambi , e d' uua Lde. Ei che modesto è corn' essa è bella , Brama assai , poco ^^eia , e nulla chiede ; Nèsascoprirsi, o non ardisce : ed ella O lo sprezza, o nol vedc , o non s' avvede. CoM fitiora il misère ha servito O non visto , o mal noto , o mal gradito.

S' ode r aanunzio intanto , e che s'appresta. Miserabile slage al popol loro. A lei che generosa è quauto onesta, Vicne in p.usier corne salvar costoro. Movc lortezza il grau pensier , 1' arresta roi la veri^ogna, e '1 virginal decoro. Vmce fovtczza, anzi s' accorda, e fac* Se veigognosa , e la vcrgogna audace.

La verginc tra 'l vulgo usci soletta , 'Non coprl suc bellezze , e nou V espose; Kaocolse gli occhi , nndo ncl vol rislretta ,

ET SOPHRONIE. aSS

les plus chastes asiles , tu sus porter un regard étraiigier.

KWcs'anpcUe Sophronie, Olinde est le nom du jeune homme ; tous deux outla même pa- trie et la même foi. Comme il est modeste au- tant qu'elle est belle, il désire beaucoup, espère peu , ne demande rieu , et ue sait ou n'ose se découvrir. Elle, de son côté , ne le voit pas , ou n'y pense pas , ou le dédaigne ; et le mal- heureux perd ainsi ses soins ignorés , mal con- nus ou mal reçus.

Cependant ou entend l'horrible proclama- tion , et le moment du massacre approche. ^<3yp//ro«zV,aussi généreuse qu'honuétc, forme le projet de sauver son peuple. Si sa modestie l'arrête , son courage l'anime et triomphe ; ou plutôt ces deux vertus s'accordent et s'illus- trent mutuellement.

La jeune vierge sort seule au milieu du peuple , sans exposer ni cacher ses charmes ; en marchant elle recueille ses jeux , resserre son voile , et en impose par la réserve de son

i) 2

s84 O L I X D E

Coa ischive manière , e generose.

Non sai ben dir , s' adorna , o se negletta ;

Se caso , od arte il bel volto compose ;

Di Natura , d'Amor , de' Cieli aœici

De negligenze sue sono artiûcj.

Mirata da ciascun passa , e non mira L' altéra donna , e iunauzi al re sen viene ; jVè , perché irato il vcggia , il pic ritira , Ma il fero aspctto iutrcpida sostiene. Veugo , Siguor , gli disse , e' n tanto l' ira Pergo sospeuda, e 'l tiio popolo aEficiie : Veu;o a scoprirti, e vengo , a darti preso Quel reo clic ccrchi , onde sei tanto offeso.

Air onesta baldanza , ail' improvviso Folgorar di bellezze altère e santé , Quasi confuso il re , quasi conquise , Frcno lo sdcgno ,eplacoil fier sembiante. S' egli era d' alraa , o se costei di viso Scvera manco, ei divcniane amante : Ma ritrosa beltà ritroso core- ]Soupreude; e sono i vez;ii csca d'aœor».

ET S O P H R O N I E. 285

tnaintiea. Soit art ou hasard , soit négligence ou parure , tout concourt à reudre sa beauté touciiau te; le Ciel, la Nature, et l'Amour, qui la favoriseut, donnent à ses négligences l'effet de l'art.

Sans daigner voir les regards qu'elle attire à son passage, et sans détourner les siens , elle »e présente devant le roi , ne tremble point en voyant sa colère, et soutient avec fermeté son féroce aspect. Seigneur, luidit-cllc, claignex suspendre votre vengeance et contenir votre peuple. Je viens vous découvrir et vous, livrer le coupable que vous cheichcz , et qui vous a si fort oïcnsé.

Al'bonncteassurance de cet abord, à l'éclat subit .le CCS chu ics et licres grâces, le roi confus et subjugué calme sa colère et adoucit son ■Visage irrité. Avec moins de sévérilé , lui dans 1 ame, elle sur le visage , il en dévouait amou- reux : mais une beauté revêcbc ne prend point iincœur farouche , et les douces manières sont les amorces de l'amour.

Q 3

386 O L I N D E

Fu stupov , fil vaghczza , e fa diletfO;, S' amor non fu , che mosse il cor villano. Narra , ei le dice , il tutto : ecco io cnnimetto Che non s' ofTcnda il popol tuo cristiauo. Ed ella : il reo sitrova al tuo cospetto : Opra è il furto , Signer , di qucsta mano j Io r immagine tolsi : io son colei , Che tu richerchi , e me punir tu dci.

Cosi alpubblico fato il capo altero Offersc , e '1 volse in se scia raccorrc. Blagnanima menzogna , or quandb è il Tero Si bello, che si possa a te preporrc? Riman sospeso , e non si tosto il fero Tirenno ail' ira, corne suol , trascorre. Poi la richiede : Io vuo ' che tu mi scopra Chi diè consigUo , e chi fu insieme ail' opra.

Non volsi far délia mia gloria altrui Ne pur miniuia parte , ella gli dice , Sol di me stessa io consapevol fui , Sol consigliera , e sola esecutrice. Duuqne in te sola, ripigl b colui, Caderà l' ira mia ■vendicatrice.

ET SOFHRONIE. 287

Soit surprise, attrait, ou volupté, plutôt qu'attendrissement, le barbare se sentit éinu.< Déclare-moi tout , lui dit-il , voilà que l'or- donne qu'où épargne ton peuple. Le coupa- ble, reprit-elle , est devant vos yeux : voilà la maiu dontce vol estl'œuvre. Ne cherchez pcr- sonne autre ; c'est moi qui ai ravi l'image ; et je suis celle que vous devez pumr.

C'est ainsi que se dévouant pour le salut de son peuple , elle détourne courageusement le malheur public sur elle seule. Mensonge géné- reux ! quelle vérité est assez belle pourt'êtro préférée? Le tyran, quelques temps irrésolu,' ne se livre pas si-tôt à sa furie accoutumée ; il l'interroge : Il faut , dit-il , que tu me déclares qui t'a donné ce conseil , et qui t'a aidée à l'exécuter.

Jalouse de ma gloire , je n'ai voulu, répond- elle , en faire part à personne. Le proiet, l'exécution , tout vient de moi seule , et seule j'ai su mon secret. C'est donc sur toi seule, lui dit le roi , que doit tomber ma vensfa'ice. Cela est juste, reprend- elle; je dois subir

Q 4

288 O L I N D E

Disse ella : E' giusto ; esser à ine conyiene, 6e fui sola ail' onor , sola aile penc:

Qui couiiucia il tiianno a risdegnarsi; Puv le diiuanda : Ov' bai 1' iminago ascosa ? Kou la nascosi, a lui risponde, io 1' arsi; E r arderla stimai laudabil cosa. Cosî alruennon potiàpiù violarsi Per man di miscredenti ingiuriosa. Signore, o cliirdi il furto , ol ladro cbiedi : Quel uon vcdrai in cterno , e qr.eslo il vcdi.

Benchè ne furto c il m^o , nèladra lO sono ; Giusloc ritor cio cb' a gran torlo è tollo. Or qucsto udtiido, in luinaccevol suoiio Freme il tirauno j e '1 fien delT ira è sciolto. KoM ^peri più di ritrovar peidono, Corpralico, alta mente, o nobil volto : E iudarao _Amor contra lo sdegno crudo Di sua vaga bellczza a Ici fa scudo.

Presa è la bclla donna , c incrudelito Il rcla donna cnlro un inccndio a morte. Gik '1 vélo , e '1 casIo mnnlo è a Ici rapito ; ytringoa le molli braccia aspic ritoite.

ET S O P H R O N I E. 289 toutelapeme, comme j'ai remporté touti'hon- Dcur.

Ici le courroux du tyran commence à se ïallumer. Il lui demande ell»^> a caché l'image? Elle répond : je ne l'ai point cachée, )e l'ai brûlée , et j'ai cru faire une œuvre louable de la garantir ainsi des outrages des jnécréans. Seigneur , est-ce le voleur que vous cherchez ? il est eu votre présence. Est-ce le vol ? vous ne le re verrez jamais.

Quoiqu'au reste ces noms de voleur et de Toi ne conviennent ni à moi , ni à ce que ) ai fait ; rien n'est plus juste que de reprendre ce qui fut pris injustement. A ces mots, le tyraa pousse un cri menaçant : sa colère n'a plus de frein. Vertu , beauté, courage, n'espérez plus trouver grâce devant lui. C'est en vaiii que pour la défendre d'un barbare dépit , l'amour lui fait un bouclier de ses charmes.

On la saisit; rendu a toute sa cruauté , le roi la condamne à périr sur un bûcher. Son Toile , sa chaste mante lui sont arraches ; ses l>»as délicats soat meurtris de rudes cbaiue*.

290 O L I N D E

Ella si tace ; e iu lei non shigottito," Ma pur commosso alquanto è il petto forte" E smarrisce il bel volto in un colore, Che non è pallidezza, ma candore.

Dlvulgossi il gran caso , e quivi tratto Già '1 popol s' era; Olindo anco v' accorse; Dubbia era la persona , e certo il fatto, Vcnia , clic fosse la sua donna in forse. Corne la bella prigiouiera in atto Non purdi rea , ma dl danuata ei scovse; Corne i miuistri al duro uficio intenti Vide , precipitoso urtb le geuti.

Al re gridb : Non è , non c già rea Costei del furto , e per folliasen vanta. Non penso , non ardi, ne far potca Donna sola c incipcrta opra cotanta. Corne inganub i custodi ? c délia Dea Con quali arti in volo l' immagin santa ? Se '1 fece, il narri. lo 1' ho, Signor , furata.. Ahi tauto amb la non amauteamata !

ET SOPHRONIE. 29s

Elle se tait; son ame forte , sans être abattue, n'est pas sans émotiou , et les roses éteintes sur son visaf;e y laissent la candeur de l'innocence plutôt que la pâleur de la mort.

Cetacte héroïque aussi-tôt se divulgue. De'jà le peuple accourt en foule , Olinde accourt aussi tout alarmé. Le fait e'tait sûr , la per- sonne encore douteuse , ce pouvait cire la maîtresse de son cœur. Mais si-tôt qu'il aper- çoit la belle prisonnière eu cet e'tat , si-tôt qu'il voit les ministres de sa mort occupes a. leur dur office , il s'clance , il lieurte la foule.

Il crie au roi : Non , non , ce vol n'est point de son fait; c'est par folie qu'elle s'en ose vanter. Comment une jeune fille sans expérience pourrait-elle esccuter, tenter, con- cevoir même une pareille entreprise ? Com- ment a-t-flle trompé les gardes ? Comment s'y est-elle prise pour eulcver la sainte image ? Si elle l'a fait, qu'elle s'explique. C'est moi, Sire , qui ai fuit le coup. Tel fut , tel fut l'amour dont mémo sans retour il brûla pour elle.

Q ^

2^2 O L I N D E

Soggiiinseposcia : lo là, donde riceve L* alta Yostra meschita el' aura c'idie, T>i notte ascesi , e trapassai per brève Foro , tcutaudo iunaccessibil vie. A rue r onor , la morte a me si deve ; Nonusurpi costci le peue mie. Mie son quelle calene, e per me qucsta Fiamma s'acceude , e ' 1 rogo a me s'apprcsta.

Alza Sophrojiia il viso , c uraanamente Conoccliidi pictatc il lui rimira. A clic ne vicni , o misero iuuoccntc ? Quai consij^lio o furor, ti guida o tira ? Ison son io dunquesenza te posscute A sostener cio che d'un nom puo 1" ira ? Ho petto ancli' io , ch'ad uiia morte crcde Di basiar .solo , e compaguia non cliiede.

Cosî parla ail' amante , e nol dispoue , che' egli si disdica , o pensicr mute. O spettacolo grande, ove a tenzone Sono amore emagnauima virtute; Ove la morte al vincitor si pone il prcaiio , c '1 mal dcl rmlo è la salute!

ET S O P H R O N I E. 298

Il reprend eusuite : Je suis monté de nuit jusqu'à l'ouverture par l'air et le jour entrent dans votre mosque'e , et tentant des routes presque inaccessibles , j'y suis entre' par nn passage étroit. Que celle-ci eesse d'usurper la peine qui m'est due. J'ai seul mérité l'hou- neur de la mort : c'est à moi qu'appartiennent ces chaînes, ce bûcher , ces flamme» ; tout cela n'est destiné que pour moi.

SophronieViiSt sur lui les yeux :1a douceur, )a pitiésont peintes dans ses regards. Innocent infortuné , lui dit-elle , que viens-tu faire ici ? Quel conseil t'y conduit? Qu'elle fureur t'y traîne ? Crains-tu que sans toi mon auic ne puisse supporter la colère d'un homme irrité? Non , pour une seule mort , je me suffis à moi seule, et je n'ai pas besoin d'exemple pour apprendre à la souffrir.

Ce discours qu'elle tient à son amant ne le fait point rétracter ni renoncera son dessein. Digne et grand spectacle! l'amour entre en lice avec la vertu magnanime , la mort est le prix du vainqueur, et la vie la peine du Taincu ! Mais loin d'être touche de ce combat

294 O L I N D E

Ma più s'irrita il re , quant' ella, ed css© E'più constante in incolpar se stesso.

Pargli che vilipeso egline resti , E che' D disprezzo sno sprezzin le pêne, Credasi, dice ad auibo, e quella e questi Vinca e la palma sia quai si conviene. Indi acceuna ai sergenti , i quai son presti A legar il ij;ar20tx di lor catene. Sono arabe stretti al palo stesso : e volto E' il tergo al tergo , e '1 volto ascoso al volto.

Composto c lor d' intoino il rogo ornai. Fi già le fiamme ilniaiitice v' incita; Quaado il fanciullo il doioiosi lai Proruppe , e disse a le! , cli' è seco unita : Questo dunque c quel Jaccio ond ' io spciai Teco accopiarmi in compagnia di vita ! Questo è quel foco , ch ' io ciedca che i cori Ne dovesse inûammar d' eguali ardoii î

Altre fiamme , altri nodi amor promise ; Alfri ce n' apparecchia iniqua sorte. Troppo j ahi beu troppo_, ella già noi divise j

ET SOPHRONIE. 29S de constance et de générosité , le roi s'en irrite.

Il s'en croit insulté , comme si ce mépris du supplice rclombait sur lui. Croyons-en, dit-il , à tous deux -, qu'ils triomphent l'un et l'autre, et partagent la palme qui leur est due. Puis il fait signe aux sergeus , et dans l'instatit Olinde est dans les fr-rs. Tous deux li«s et adossés au même pieu ne peuvent se voir en face.

On arrange autour d'eux le bûcher , et déjà l'on excite la flamme , quand le jeune homme éclatant en gémissemsus dit à celle avec la- quelle il est attaché : C'est donc-là le lien duquel j'espérais m'unir à toi pour la vie ! C'est donc-là ce feu dont nos cœurs devaient; irûlcr ensemble !

O flammes , A nœuds qu'un sort cruel nous destine ! hélas , vous n'êtes pas ceux que l'amour m'avait promis! Sort cruel qui nous «épara dnraut la yie et nous joiut plus durcjf

296 O L I N D E

Ma durameiiteor ne congiunge în morte. Piacemi aluicii , poichc ' u si stiane guise Morir pur dei , dcl rogo esser cousortc , Se del letto non fui : duolmi il tuo fato , II mio non già, poich' io ti moro alato.

Ed o niia morte avventurosa appieno, O fortunati inici dolci niartiri , S' impctreroche giuuto scno a seno , L* anima mia nella tua bocca io spiri ; E veneudo tu meco a. un tempo meno, II me fuormandi gli ultimi sospiri ! Cosi dice piaugendo ; ella il ripiglia Soavemente , c in tai detti il consiglia :

Amico , altri pensieri ,^altri lamentî Par più alta cagione il tempo chicde. Clie non peusi a lue colpe ? e non raœmeuti Quai Dio prometta ai buoui ampia merccdo ? SoEFri in suo nome , e flan dolci i tormcuti , E lietto aspira alla superna scde. Mira il ciel corn ' c bcllo , c mira il sole , Ck' a se par che n' iu?iti , c ne cousole.

E T s O P H R O ISr I E. 297

ment encore a la mort ! Ali ! puisque tu dois la subu- aussi finie?te , je me console eu la partageaut avec toi , de t'être uni sur ce bûcher, n'ayant pu IVtre a la conclic nup- tiale. Je picuie, mais sur ta triste destinée, et non sur la mienne , puisque je meurs à tes

côtés.

O que la mort me sera douce , que les tourmens uie seront délicieux , ^i j'obtiens qu'au dernier moment , tombant i'nn sur l'autre , nos boucncs se joignent pour exhaler et recevoir au même instant nos derniers sou- piis ! Il parle , et ses pleurs étouflVnt ses paroles. Elle le tance avec douceur , et le re- montre eu ces termes :

Ami , le moment nous sommes esiga d'autres soins et d'autres regrets. Ah ! pense, pense à tc= fnntrs et au digne prix que Dieu promet aux lidelles. Souffre en son nom , les tourmens te serov.t doux : aspire avec joie au séjour céleste. Vois le ciel comme il est beau ; vois le soleil dont il sem!)le que l'aspect riant nous appelle et nous console.

§98 O L I N D E

Qui il Tolgo de' pagani il piauto estolle : Piauge il fedel, ma il voci assai più basse. Un noQ so che d' iuusitato e inoUe Par cbeiiel duro petto al re trapasse. Ei prcsentillo , e si sdegnb ; ne voile Piegarsi, e gli occhi torse , e si ritrasse. Tu sola il duol comim non accompagni, Sofrenia jÇ. pianta da ciascuu non piagni.

Mentrcsono in tal rischio, ecco un guerrière (Che talparca) d' alta scmbianza , e degiia: E mostra d' arme , e d' ablto straniero , Chediloutan percgrinaudo vegna. La tigre che suU' elmo ha per cimiero , Tutti gU occhi a se Irae, famosa insegna : ÏQsegnausatada67o/7«d/^ in guerra, Onde la credon lei , ne '1 creder erra.

Costeigl'ingegni femminili , e gli usi Tutti sprezzo fiu d'ail' ctà più .-jccrba : Ai Iavorid'^r^c«f ^all" ago , ai fusi Incbinarnoudegno la mansuperba : Euggi gli abiti molli , e i lochi chiusi :

ET S O P H R O N I E. 299

A ces mots tont le peuple païen éclate ea sanglots , tandis que le fidèle ose à peine .émir à phis basse voix. Le roi même , le roi sent au fond de son ame dure je rioais quelle émotion prête à l'attendrir. Mais en la pre.^sentaut , il s'indigiie , s'y refuse , détourne les yeux, et part .^aiis vouloir se laisser fléchir. Toi seule, ô Sofihronie, n'accouipa^ne point le dmil général ; et quand tout pleure sur toi , toi sçule ue pleures pas !

En ce péril pressant survient un guerrier ; ou paraissant tel , dune haute et belle appa- rence , dont l'armure et rhabiUemcnt étranger annonçaient qu'.l venait de loin. Le tigre , fa- meuse euseignc qui couvre son casque , attira tous les yeux , et lit juger avec raison que c'étoit Cloriiide.

Des l'âge le plus t-ndre , elle méprisa les nrguardiscs do son icxc. Jamais ses coura-- geuses mains ne dciigr.èrent toucher le fuseau, l'aiguille , et ie< travaux à'Arachné. Elle no voulut ni s'amollir par des vètcmons délicats , ni s'envirouucr timidcmtuLdc clôture. Dans

3oo O L I N D E

Che ne'campi onestate anco si serba : Armo d' orgoglio il volto , e si compiacque Rigido farlo , e pur ligido piacque.

Tenera ancorcon pargoletta destra Srinse , e lento d' un corridore il inorso : Tiattbrastae laspada, ed iii palcstra Induro i membri , t-I alleaogli al corso : Poscia o per via niontana , o per silvestra ,' L' orme segui di fier k-one e d' orso : Segui le guerre , e'ii quelle , e fra le selve. Feraagli uomini parve, uomo aile belvc.

Yiene or costei dalle contrade Perse, Percliè ai cristiani a suc peter résista ; Bencli' altre volte La di loruiembra esperso Le piagge , e 1' ouda di lor sangue ba inista. Or quiuci in arrivaudo à Ici s'offerse L' apparato di morte a prima visla. Di mirar vaga , e di saper quai fallo Condanni i rei , sospinge ollre il earallo.

Cedou le turbc , e i duo legati insieme

ETSOPHRONIE. 3oi

les camps même , la vraie honnêteté se fait Tespccter , et par-tout sa force et sa vertu fut sasauvegarde. Elle arma de fierté son visage , et se plut à le rendre sévère j mais il charme tout sévère qu'il est.

D'une main encore enfantine elle apprit à gouverner le mors d'un coursier , à manier la pique et l'épëe ; elle endurcit son cor; s sur l'arène ,' se rendit légère à la course , sur les rochers , à travers les bois , suivit à la piste les bêtes féroces , se fit guerrière enfin ; et après avoir fait la guerre en homme aux lions dans les forêts , combattit en lion dans les camps parmi les hommes.

Elle venait des contrées persane* pour ré- sister de toute sa force aux chrétiens. Ce n'était pas la première fois qu'ils éprouvaient soa courage. Souvent elle avait dispersé leurs membres sur la poussière et rougi les eaux de leur sang. L'appareil de mort qu'elle aperçoit en arrivant la frappe; elle pousse son cheval , et veut savoir quel crime attire un tel châti- ment.

La foule «'écarte , f t Chrinde en considé-

62 O L I N D E

Ella si ferma a riguardar dappressor Miraclie 1' una tace , e V altro geme , E più vigor mostra il men forte sesso. Piaugcr lui vedc in guisa d' uom cui preme Pieta,non doglia, o duolnou di se stesso: E tacer lei con gli occlij al ciel si fisa , Ch' anzi' I morir par di quagglù div^isa.

Clorinda inteuerissi , e si conduise D'ainbcduo loro , clacriinoniic alquanto. Pur maggior seule il duoi per obi uoiiduolse, Più laruove il silenzio , e ineuo il piauto. Senza troppo indugiare ellasi volse Ad un uom , che canuto avea drccanto. Deh dimmi , chi son qucsti , cd al luartoro Qoal gli conduce, o sorte , ocolpa loro ?

Cosî pregollo : dacolui risposto Brève , ma pieno aile dimande bUc. Stupissi udeiido , e immagino bcii tosto Ch'egualmetite innoceiiti era;i que' due. Già di vietar lor morte ha in se proposto , Quanto potrauuo i pregbi,o l'armi sue. Froutaaccorrc alla&amua, efaritrarla,

ET SOPHRONIE. 3oS

vaut de près les deux victimes attachées en- semble , remarque le silence de l'une et les gémisscmens de l'autre. Le sexe le plus faible montre en cette occasion plus de fermeté et tandis quOIinde plenre de pitié plutôt que de crainte , Sophronie^z tait , et les yeux fixés vers le ciel , semble avoir déjà quitté le séjour terrestre.

Clorinde encore plus touchée du tranquille silencede l'une, que des douloureuses plaintes de l'autre , s'attendrit sur leur sort jusqu'aux larmes ; puis se tournant vers un vieillard qu'elle aperçut auprès d'elle : Dites-moi , je vous prie , lui demanda-t-elle , qui sont ces jeunes gens , et pour quel crime ou par quel malheur ils souffrent un pareil supplice ?

Le vieillard en peu de mots ayant pleine- znent satisfait à sa demande, elle fut frappée d'étonnement ;et jugeant bien que tous deux étaient innocens, elle résolut , autant que le pourrait sa prière ou ses armes , de les gani:itir de la mort. Elle s'approche , en faisant retirer la flamme prctrà les atteindre; elle parle ainsi « ceux qui l'attisaient ;

3o4 O L I N D E

Che già s' appressa ; ed aiministri parla :

Alcun non sia voi , clie'n questo dnro tJQcio oltrascguireabbiabaldauza, Fiucli' io non parli al re : beii v'assecuvo , Ch'ei non y' accusera délia tardanza. Ubbidiro i sergeati , c mossi furo quella grande sua régal sembianza. Poi verso il re si uiosse , e lui tra via Ella trovb , che' n contra lei venia.

losonlClorinda , disse, liai forse intesa Talornomarmi , e qui , Signor , ne vogue , Per ritrovarmi teco alla dit'esa Délia fede coinune , e dcl tuo regno. Son prouta (impoiii pure) ad ogni iaipresa : L' alte non temo , e l' umili non sdegno. Voglimi in campo aperto , o pur tra' 1 chiuso Délie mura iinpiegar , nulta ricuso.

Tacqixe, e rispose il re : Quai si disgiunto

Terra è dall'Asia , o dal cauiniin del sole, Vergine gloriosa , ovc non giunta Sia la tua fama , e l'onortuonon vole? Or che s' è la tua spada a me congiuuta ,

Qu'aucun

ETSOPHRONIE. 3oS

Qu'aucun de vous n'ait l'audace de pour- suivre cette cruelle œuvre jusqu'à ce que j'aie parlé au roi : je vous promets qu'il ne vous saura pas mauvais gré de ce retard. Frappés de son air grand et noble , les sergens obéirent ; alors elle s'achemina vers le roi , et le ren- contra qui venait au-devant d'elle.

Seigneur, lui dit-elle, je suis Cloriiide ; vous m'avez peut-être ouï nommer quelque- fois. Je riens m'ollrir pour défendre avec vous la foi commune et votre trône. Or- donnez , soit en pleine campagne ou dans l'enceinte des murs, quelque emploi qu'il vous plaise m'assigner, je l'accepte , sans craindre les plus périlleux ni dédaigner les plus hum- 2)les.

Quel pays, lui répond le roi , est si loia do l'Asie et de la route du soleil , l'illustre nom de Clorindc ne vole pas sur les ailes de la gloire! Non , vaillante guerrière , avec vous je n'ai plus ni doute ni crainte, et j aurais

Mélaiivcs. Tome V. !<.

Zb6 O L I N b È

D'ogni tiraorin'aflidi , e mi console. Non , s' esercito grande unito insieme Fosse inmio scampo , avrei più certa spemé.'

Già già ini par ch' a giungfer qui Goffredo Oltra ildover indugi.Ortu dirhandi, Ch impieghi io te : sol di te degtie credo L' imprese malagevoli , e le grandi. Sevrai uostri guerrieria teconcedo Lo scettro , e legge sia quel clie comandi. Cosiparlava: ella rendea cortese Grazie per lodi : indi il parlar riprese :

Nova cosa parer dovrà per certo , Clie précéda ai servigi il guiderdone ; Ma tua bontà m'affida : io vuo' che' n merto Del futnro servir que rei nii doue. Il doMglichieggio , e pur se '1 fallo èincerto; Cli danna inclementissiiua ragloue. Ma taccio questo , e taccio i segni espressi , Ond' argomouto 1' innoccnzi in cssi.

E dirô sol, ch'èquicoinun sentcnza , Clie i cristiani togliesscro 1' iinmago; Ma discor' io da voi; ne pcro seiiza

E T s O P H R O N I E. S07

moins de confiance en vme armée entière venue à mou secours, qu'en votre seule assis-

tance.

Oh que Godefroy n'arrivc-t-il à l'instant même ! Il vient trop lentement à uion gré. Vous me demandez un emploi ? Les entre- prises difficiles et grandes sont les seules di- gnes de vous. Commandez à nos guerriers % je vous nomme leur général. La modeste ClQrinde lui rend grâces , et reprend ensuite ;

C'est une chosetien nouvelle, sans doute J que le salaire précède les services ; mais ma confiance en vos bontés me fait demander, pour prix de ceux que j'aspire à vous rendre, la grâce de ces deux condamnés. Je les de- mande en pur don , sans examiner si le crime est bicnavcré, si le châtiment n'est point trop sévère , et sans m'arréter aux signes sur les- quels je préjuge leur innocence.

Je dirai seulement que quoiqu'on accuse ici les chrétiens d'avoir enlevé l'image , j'ai quelque raison do penser autrement. Cette

R 2

So8 O L I N D E

Alta ragion del mio parer m'appago. Fu dclle nostre Icggi incvcrenza Qncll'opra far , cke pcrsuase il mago ; Che non convicn ne' nostri tenipj a nui Gl' idoli avère , e rueii gl* idoli altrui.

Dunquc suso a Maçon recar uni giova Il miracol dcir opra, ed ei la fcce, Per diuiostrar che i tcinpj suoi ton noTa Religion contaminar non Icce. Vacc\a I s me no incantaiido ogni sua prova ," Egli ,a oui le iiiâlie sou d' arme in vecc : Tiattiamo il ferroprr noi cavalieri ; Qucit' artc c nostra , e' u qucsta sol si speri.

Tacqne , cib nctîo : c'I rc , bench' a pictade L' irato cor d.ffi;ilniente pieghi , Ptii tompiacer la voile : e'I persuade B.agione , e'1 11107C autorità di pregbi. Abbian vita , rispose, c libcrtade , K null.i a tanto intorccssor si neglii. Siasi qutsta o giiistizia, ovver perdono, Inuocenti gli assolvo, e rei gli douo.

Cosi finon disciolti. ÀTYcnturoso

ET S O P H R O N r E. 3o9

œuvre du magicien fut une profanation de notre loi qui n'admet point d'idoles dans nos temples , etinoius encore celles des dieus étrangers.

C'est donc à Mahomet t\a.e, j'aime à rap- porter le miracle , et sans doute il l'a fait pour nous apprendre a ne pas souiller ses temples par d'autres cultes. (;^u'/i-TOtf/7^fasseà son gré ses enchantemens, lui dont les exploits sont des maléfices. Pour nous guerriers , manions !e i^laive ; c'cst-là notre défense , et nous na devons espérer qu'eu lui.

Elle se tait ; et , quoique l'ame colère du roi nes'appaise pas sans peine, \.\ voulut néan- moius lui complaire , plutôt fléchi par sa prière et par la raison d'État que par la pitié. Qu'ils aient , dit-il , la vie et la liberté : un tel intercesseur peut-il éprouver des refus ? Soit pardon , soit justice, innocens je les ab- sous , coupables je leur fais grâce.

Ils furent ainsi déliyrcs , et fut couroua»

R â

Si9 O L I N D E

Ben veramente fu à' O^ùido il fato ; Ch' attp potè mostrar, ch' n gciieroso Petto alfiue ha d' amore destato , "Va dal rogo aile nozze , cd è già sposo yatto di vco , non pur d' amante ainato; Voile conlei morire: ella non chita, ippiphè seco non muer , cheseco vïTa-

ET SOPHRONIE. 3ii

le sort vraiment aventureux de l'amant de Sophronie. Eh ! comment refuserait-elle vivre avec celui qui voulut mourir pour elle 2 Du bûcher ils vont à la noce; d'amant de'- daigné , de patient même , il devient heureux époux , et montre ainsi dans un mémorable exemple j que les preuves d'un amour ve'ri- table ne laissent point insensible uu cœur généreux.

LE LÉVITE

D ' É P H R A ï M.

LE LEVITE

D ' É P H R A ï M. CHANT PREMIER*

Oaiwte colèl-e de la vertu, viens animer ma voix ; je dirai les crimes de Benjamin , et les vengeances d'Israël; je dirai des for- faits inouïs , et des châtimens encore plus terribles. Mortels , respectez la beauté' , les mœurs , l'hospitalité ; soyez justes sans cruauté, miséricordieux sans faiblesse- et sachez pardonner au coupable, plutôt qu© de punir l'innocent.

O vous, hommes débonnaires , ennemis de toute inhumanité; vous qui , de peur d'envisager les crimes de vos frères, aimez tnieux les laisser impunis, quel tableau viens- je offrir à vos yeux ? Le corps d'une femme coupé par pièces; ses membres déchirés et palpitans envoyés aux dou2e tribus ; tout le peuple saisi d'horreur, élevant jusqu^au ciel une clameur unanime, et s'écriant de concert : Non, jamais rieu de pareil ne s'c^t

3i6 L E L É V I T E

fait en T«raël, depuis le jour nos pere« sortirent d'Egypte jusqu'à ce Jour. Peuple saint, rassemble-toi; prononce sur cet acte horrible, et décerne le prix qu'il a mérité. A de tels forlaits celui qui détourne ses JPegards est un lâche , un déserteur de la justice; la véritable humanité Is envisage, pour les connaître, pour les juger, pour^ ies détester. Osons entrer dans ces détails , et remontons à la source des guerres civiles qui tirent périr une des tribus , et coûtèrent tant de sang aux autres. Benjamin , trisls enfant de douleur , qui donnas la mort à fa mère, c'est de ton sein qu'est sorti le crime qui t'a perdu, c'est ta race impie qui put le commettre, et qui devait trop l'expier. Dans les jours de liberté nul ne régnait sur le peuple du Seigneur, il fut un temps de licence chacun , sans reconnaître ni îna:;ibtrat ni juge, était seul son propre luaitrc etfrrait tout ce qui lui semblait bon, Israël , alors épars dans les champs , avait peu de grandes villes , et la simplicité de se^ mœurs rendait superflu l'empire des lois: mais tous les cœurs u'etaient pas également purs , tt les méchans trouvaient l'impunitô du vice daus la securit» de la vertu.

Darau*

D' É P H R A I M. 3i7

Durant un de ces courts intervalles de calme et d'cgalité, qui restent dans l'onbli parce que nul n'y commande aux autres et qu'on n'y fait point de mal , un Ic'vite des monts d'Ephraïm vit dans Betlilceui uua jeune fille qui lui plut. Il lui dit: Fille da Juda, tu n'es pas de ma tribu , tu n'as point de frère; tu es comme Icsfiilcs de Saphaad ,j et Je ne puis t'épouser selon la loi du Soi-» gncur. (i) Mais naon cœur est à toi; viens avec moi , rivons ensemble ; nous serons unis et libres; tu feras mon bonheur, et ferai le tien. Le lévite était jeune et beau; la jeune Bile sourit; ils s'unirent, puis il l'emmena dans ses montagnes.

Là, coulant une douce vie, si chère aur cœurs tendres et simples , il goûtait dans sa Tetraite les charmes d'un amour partagé : sur un sistre d'or fait pour chanter les louanges du Très-haut , il cliantait souvent les charmes de sa jeune épouse. Corabiea de fois les coteaux du mont Hcbal rclenti-

( i ) Nombres, ch. XXXVI, v. 8. Je sais que les enfans de Ldvi pouvaient se marier dans »oute» les tribus, mais non dans lo cas supposé.

Méliinses. Tome V.

3i8 LE LÉVITE

rent de ses aimables chansons ? combien de fois il la mena sous l'ombrage , dans le» \allons de Sichein, cueillir des ro^es cbam- pétres et goûter le frais au bord des ruisseaux? Tantôt il cherobait dans les creux des rochers des rayons de miel dore' dont elle fcsait ses délices; tantôt dans le feuillage des oli- viers il tendait aux oiseaux des pièges trom- peurs , et lui apportait une tourterelle crain- tive qu'elle baisait en la flattant. Puis l'en- fermant dans son sein , elle tressaillait d'aise en la sentant se débattre et palpiter. Fille de Bethléem, lui disait-il , pourquoi pleures- tu toujours ta famille et ton pays? Les enfans d'Ephraïm u'ont-ils point aussi des fcies, les ûlles de la riante Sichem sont-elles sans srâccetsans gaité ? les habitans de l'antique Atharot manquent-ils de force et d'adresse ? Viens voir leurs jeux et les embellir. Donne- xnoi des plaisirs, ô ma bien-aimee; en est-il pour moi d'autres que les tiens?

Toutefois la jeune fille s'ennuya du lévite, peut-être parce qu'il ne lui laissait rien à désirer. Elle se dérobe et s'enfuit vers son père, vers sa tendre mère^ vers ses folâtres sœurs. Elle y croit retrouver les plaisir» in-

D' É P H R A I M. 3i9

Kocens (le son enfance , comme si elle y port lit le même âge et le même crenr.

X»ia:s le lévite abandonne' ne pouvait ou- blier sa volage épouse. Tout lui rappelait dans sa solitude les jours heureuTi qu'il avait passés auprès d'elle^ leurs jeux, leurs plaisirs , leurs querelle- , et leurs tendres rac- comino^leim-ns. Soit que k soleil levant dorât la cime des uiuutagnes de Gelboé , soit qu'au soir n\ vent de mer vînt rafraîcliir leurs roclies brûlantes, il errait en soupirant dans les lieux qu'avait aime's l'intidelle, et la nuit , seul dans sa coucbe nuptiale, il abreuvait son chevet de ses pleurs.

Apriîs avoir flotté quatre mois entre le Tcgret et le dépit , comme un enfant chassé du jeu par les autres, feint de n'en vouloir plus en brûlant de s'y remettre , puis enfin demande en pleurant d'y rentrer, le lévite en- traîne par sou amour , prend sa monture, et suivi de sou serviteur avec deux ânes d'Epha cliar^^és de ses provisions et de dons pour les piirens delà jeune fille , il retourne à Bcth- Iccnt pour se réconcilier avec elle et lâcher de la ramener.

La jeune femme l'appcrccvant de loin

J> 2

320 L E L E V I T E

tressaillit, court au-devant de lui , et Tac- cueillant avec caresses l'introduit dans la maison de son père ; lequel apprenant son arrivée accourt aussi, plein de joie, l'em- brasse, le reçoit, lui, son serviteur, son équipage, et s'empresse à le bien traiter. Mais le Je'vite ayant le cœur serré ne pouvait parler; néanmoins ému par le bon accueil de la famille, il leva les yeux sur sa jeune épouse, et lui dit : Fille d'Israël, pourquoi me fuis-tu ? quel mal t'ai-je fait ? La jeune fille se mit à pleurer en se couvrant le visage. Puis il dit au père : Rendez-moi ma com- pagne ; rendez-la moi pour l'amour d'elle , pourquoi vivrait-elle seule et délaissée? quel autre que moi peut honorer comme sa fcuime celle que j'ai reçue vierge ?

Le père regarda sa filJe , et la fille avait le cœur attendri du retour de son mari. Lo père ditdonc à sou gendre : Mon fils , donucz moi trois jours; passons ces jours dans la Joie, et le quatrième jour vous et ma fille partirez eu paix. Le lévite resta donc trois jours avec sou beau-père et toute sa famille, mangeant et buvant familièrement avec eux: et la nuit du quatrième jour, se levant avant le soleil, U voulut pajtirj mais sou beau-

D' E P R A I M. 321

père, l'arrêtant par la main , lui dit : Quoi ! ■voulez-vous partir à jeùu 2 venez fortifier votre estomac , ci puis vous partirez. Ils se mireut donc à table , et après avoir mangé et bu , le père lui dit : Mon fils, je vous supplie de vous réjouir avec nous encore aujourd'liui. Toulclois le lévite se levant, voulait partir; il croyait ravir à l'amour le temps qu'il passait loin de sa retraite, livré à d'autres qu'à sa bieu-aimée. Mais le père ne pouvant se résoudre à s'en séparer, en- gagea sa fille d'obtenir encore cette journée; et la fille, caressant son mari , le fit rester jusqu'au lendemain.

Dès le maiiu , comme il était prêt à partir, il fut encore arrêté par son beau-père, qui le força de se mettre à table eu attendant le grand ;our ; et le temps s'écoulait sans qu'ils s'en appercussent. Alors le jeune liomuie s'étant levé pour partir avec sa temme et son serviteur, et ayant prépaie toute chose : O mon fils , lui dit le père , vous voyez que le jour s'avance et que soleil est sur sou déclin. Ne vous mettez pas si tard en route ; de grâce , réjouisse/, mon cooin cr4prc le reste de cette journée : dr-maiu

^ 3

321 LELÊTITE

dès le point du jour vous partirez sans retard : et en disant ainsi, le bon vieillard était tout saisi; ses yeux paternels se remplissaient de larmes. Mais le lévite ne se rendit point, et voulut partira l'in?tanl.

Que de regrets conta cette se>nrat;on fu- neste! Que de touchaïus ndicuK turint d.ts et recommeticés ! Que de pkms 1< s sœurs de la jeune fille versèrent sur son v sage î Combien de fois elles la reprirent tour a tour dans leurs bras ! Combien de fois sa mère éplorée , en la serrant derechef dnus les siens, sentit les douleurs d'une nouvelle séparnfo'.i . Mais son père, en l'embrassant ne pleurait pas: ses muettes e'treintes étaient mornes et convulsives ; des soupirs tranchans soule- vaient sa poitrine. Hélas ! il semblait pré- voir l'iiornble sort de rinfortuuéc. Oh s'il eiit su qu'elle ne reverrait jama s l'aurore! S'il eût su que ce jour était le dernier de *es jours.... Ils partent enbn , suivis des tendres bénédictions de toute Ifur famille, et de vœux qui méritaient d'être exauces- Heureuse famille , qui dans l'union la plus pure , coule au sein de l'amitié ses paisibles jours, et semble n'avoir qu'un ctïur a tous ses membres! Oh! innocence des mœurs.

D" É P H R A I M. 323

douceur d'ame , antique simplicité^ que vous «tes aimables ! Comment la brutalité du vice a-t-ellc pu trouver place au milieu de vous? comment les fureurs de la barbarie u'ont- «lles pas respecté vos plaisirs î

534 LELEVITE

CHANT SECOND.

J_jE jeune leVite suivait sa route avec sa femme, son serviteur, son bagage, trans- porté de joie de ramener l'aniie de son cœur , et inquiet du soleil et de la pous- sière, comme une mère qui ramène son mi faut chez la nourrice , et craint pour lui les injures de l'air. Déjà l'on dc'couvrait la ville de Jébus a main droite, et ses murs, aussi vieux que les siècles, leur offraient un asile aux approches de la nuit. Le serviteur dit donc à son maître : Vous voyez le jour prêt à îinir : avant que les tc'nebres nous siir|iren- i:cnt , entrons dans la ville des Jebusecns , nous y clurclicrons un asile , et demain , poursuivant noire voyaye , nous pourrons arriver à Gcha.

A Dieu ne plaise, dit le lévite , que je 3cç;eeliezun peuple infidelle, et qu'un cana- néen donne le couvert au ministre du Seij^neur. Non, mais allons jusqu'à Gabaa chercher l'hospitalité chez nos frères. Ils lais!,èrcat donc Jérusalem derrière eux, ils

D' É P H R A I M. 325

arrivèrent après le coucher du soleil à la hauteur de Gabaa , qui est de la tribu de Bcnjaiuin. lis se dctournèreut pour y passer la nuit, et y étant en très, ils allcrcut s'asseoir dans la place publique ; mais nul ne leur offrit un asile, et ils demeuraient à décou- vert.

Ilomnics de nos jours, ne calomniez pas les inrenrs de vos pères. Ces premiers temps , il est vrai , n'abondaient pas comme les vôtres en coannodités de la vie; de vils métaux n'y sulfisaicnt pas a tout : mais l'homme avait des entrailles qui fesaient le reste; l'hospitalité n'était pas à vendre, et l'on n'y trafiquait pas des vertus. Los hls de Jémini n'étaient pas les seuls, sans doute, dont les cœurs de fer fussent endurcis; mais cette dureté n'était pas commune. Par-tout avec la patience on trovivait des frères; le voyageur dépourvu de tout ne manquait de rien.

Après avoir attendu lont^-temps inutile- ment , le lévite allait détacher son bagage, pour en faire à la jeune tille un lit moins dur que la terre uuc, quand il apperçut un homme vieux , revenant sur le tard de ses chainpsct de ses travaux rustiques. Ccthomm»

336 LELEVITE

était comme lui des monts d'Epbraïm , il ctait venu s'établir autrefois dans cette ville parmi les enfans de Benjamin.

TiC viellard élevant les yeux vit un liomme et une femme assis , au milieu de la place, avec un serviteur, des bétes de somme, et du bagage. Alors s'appvochant , il dit au lévite : Etranger, d'oîi étes-vous , et allez-vous ? lequel lui répondit : Nous venons deficthléem, ville de Juda: nous retournons dans notre demeure sur le pcucbant du mont d'Epbraïm, d'où nous étions venus, et maintenant nous chercbions l'bospice du Seigneur; mais nul n"a voulu nous loger. Nous avons du grain pour nos animaux, du pain , du vin pour moi , pour votre ser- vante, et pour le garçon qui nous suit; nous avons tout ce qui nous est nécessaire, il nous manque seulement le couvert. Le vieil- lard lui répondit : Paix vous soit mon frère: vous ne resterez point dans la place , si quel-» que cbose vous manque , que le crime eu. soit sur moi. Ensuite il les mena dans sa maison , fit décbargcr leur équipage, garnir le râtelier pour leurs bêtes , et ayant fait laveries pieds à ses hôtes, il leur fit ua festiii

D' É P H R A I ]àï. ^27

«de patriarches , siaiple et sans faste, mais aJîoadant.

Tandis qu'ils étaient à table avec leur liôte et sa 611e, (2) promise à uti jeune îiomme du pays , et que dans la gaité d'uii. repas offert avec joie , ils se délassaient agréa- blement, les hommes de cette ville , eufaiis deBélial, sansjou^, sans frein , sans retenue, «t bravant le ciel comme les cyclopes du jmont Etna , vinrent environner la maison , frappant rudement à la porte , et criant au vieillard d'un ton menaçant: Livre-nous ce jeune étranger que sans congé tu reçois dans nos murs , que sa beauté uous paye le prix: de cet asile, et qu'il expie ta témérité. Car ils avaient vu le lévite sur la place, et, par un reste de respect pour le plus sacre' de tous les droits , n'avaient pas voulu le loger dans leurs maisons pour lui faire violence ; mais ils avaient comploté de revenir le surprendre au milieu de la nuit , et ayant su que le vieil-

( 2 ) Dans l'usage antique les femmes de la maison ne se mettHient pas à table avec leuis hôies, quand c'ôtaienc des hommes : mais lors qu'il y avait des femmes , elles s'y me;tai«at avec elle».

S 6

328 LELÉVITE

lard lui avait donne retraite, ils accouraient sans justice et sans iioute, pour larracber de sa maison.

Le vieillard entendant CCS forccne's se trou- tic, s'cflraye, et dit au lévite : Nous soniuies perdus : cci uiéchans ue sont pas des gens que la raison ramène, et qui reviennent jamais de ce qu'ils ont résolu. Toutefois il sort au devant d'eux pour tâciicr de les fléchir. Il se prosterne, et levant au ciel ses mains pures de toute rapine , il leur dit : OIi mes frères ! quels discours avcz-vous prononcés ? Ah ! ne faites pas ce mal devant le Seigneur ; n'ou- tragez pas ainsi la nature, ne violez pas la sainte hospitalité. Mais voyant qu'ds ne l'écoutaient point, et que prêts à le maltraiter lui-même, ils allaient forcer la maison , le \ieillnrd au dé:icspoir prit à l'instant sou parti, et fesan t signe de la main pour se faire en tendre au milieu du tumulte, il reprit d'uno voix plus forte: Kon, moi vivautun tel forlait lie déshonorera point mou hôte et ne souil- lera point ma maison :mais écoutez, hommes cruels , les supplications d'uu malheureux père. J'ai une hilc encore vierge, promise a. l'un d'entre vous; je vais l'amener pour vous ctïc iuiiaoléc, mais seulcaient que vos luaius

D' É P H R A I M. 320

sacrilèges s'abstiennent de toucher au Ic'vite du Seij^ncnr. Alors , sans altcndre leur ré- ponse, il court chercher sa filIc pour racheter son hôle aux dépens de son propre sang.

Mais le lévite, que jusqu'à cet instant la terreur rendait immobile, se réveillant à ce de[)lo;able aspect , pre'vient le généreux vieil- lard, s'clance au-devant de lui, le force à rentrer avec sa Glle, et prenant iui-inéuie sa compagne bien-aime'c , sans lui dire un seul mot, sans lever les yeux sur elle , l'entraîne jusqu'à la porte, et la livre à ct-s maudits. Aussi-tôt ils entourent la jeune lille à demi- morte , la saisissent , se l'arrachent sans pitic-; tel dans leur brutale furie qu'au pied des Alpes glacées un troupeau de loups aQame's surprend une faible génisse , se jette sur elle et la déchire au retour de l'abreuvoir. Oh mi- sérables, qui détruisez votre espèce par les plaisirs destinés à la reproduire, comment cette beauté mourante ne glace-t-elle pouit vos féroces dcsirs ? Voyez ses yeux déjà fermés à la lumière , ses traits cllacés , son visage éteint; la pâleur de la mort a couvert ses joues, les violettes livides en ont chassé les^ roses, elle n'a plus de voix pour gémir , ses ujaius n'ont plus de force pour repousser vos

S3o LELÉVITE

outrages : Iielas ! elle est déjà morte ! Barbares indigues du nom d'hommes ! vos hurlcmeus ressemblent aux cris de l'horrible hicne, et comme elle , vous dévorez les cadavres.

Les approches du jour qui rethassc les bêtes farouches dans leurs tanières ayant dispersé CCS brigands , l'infortune'c use le reste de sa force à se traîner jusqu'au logis du vieillard/ elle tombe à la porte la face contre terre et les bras étendus sur le seuil. Cependant , après avoir passe' la nuit à remplir la maison de son hôte d'imprécations et de pleurs, le Jcvite prêt à sortir ouvre la jMjrle et trouve dans cet e'tat celle qu'il a tant aimée. Quel spectacle pour son cœur déchiré ! Il élève un cri plaintif vers le ciel vengeur du crime ; jïuis , adressant la parole à la jeune fille j Lève-toi , lui dit-il , fuyons la malédictioiv qui couvre cette terre ; viens, ô ma compagne ! je suis la cause de ta perte , je serai ta con- solation : périsse l'homme injuste et vil qui jamais te reprochera ta misère •, tu m'es plus respectable qu'avant nos malheurs. La jcuuo fille ne répond point : il se trouble, son cœur saisi d'eflVoi commence à craindre de plus grands maux, il l'appelle de rechef, il regarde, il la touche ; elle u'ctait plus. O fille trop

D' É P H R A I 31. 33i

ahnnble , et trop aimée! c'est donc pour cela ^ue je t'ai tirée de la maison de tou père ? -voilà donc le sort que te préparait mou amour? Il acheva ces mots prêt à la suivre, et ne lui survcquit que pour la venger.

Dès cet instant, occupé du seul projet dont son ame était remplie, il fut sourd à tout autre sentiment ; l'amour , les regrets , la pitié, touten luisechangeenfLueur. L'aspcctmème de ce corps , qui devrait le faire fondre eu larmes , ne lui arrache plus ni plaintes m pleurs: il le contemple d'nnccil sec et sombre ; il n'y voit plus qu'un objet de rage et de désespoir. Aidé de son serviteur , il le charge sur sa monture et l'emporte dans sa maison. Là, sans hésiter, sans trembler, le barbare ose couper ce corps en douze pièces ; d'une main ferme et sûre il frappe sans crainte , il coupe la chair et les os, il sépare la tête et les mcnjbns , et après avoir fait aux tribus ces en vois effroyables, il lespréccdcà Maspha, déchire 8esvétemens,couvre sa têtede cendre, se prosterne à mesure qu'ils arrivent , et ïéclame à grands cris la justice du Dici» d'Israël.

333 L E L É V I T E

CHANT TROISIÈME.

\^^EPENDA>T VOUS cussie?' VU toutlc peuplc de Dieu ^ s'cmouvoir , s'assembler, sortir de SCS demeures, accourir de toutes les tribus à JMaspha de/ant le Seigneur, comme un nombreux essaim d'abeilles se rassemble en bourdonnant autour de leur roi. Ils vinrent tous , ils vinrent de toutes parts , de tous les cantons , tons d'accord comme un seul homme depuis Dan jusqu'à Bcersabce , et depuis Galaad jusqu'à Masplia.

Alors le lévite s'étant présente dans un appareil luj^ubre, fut interroge par les anciens devant l'a-semblce sur le uieurlrc de la jeune fiiic , et il leur parla ainsi ; » Je suis entre dans Gabaa, vdle de Beniamin, avec tua » femuîe pour y passer la nuit; et les geus »» du pays ont entoure la maison oCi j'étais >♦ loge, voulant ui'oulrager et me faire périr. J'ai été forcé de livrer ma femme à leur ■» débauche , et elle est morte en sortant »» de leurs mains. Alors j'ai pris son corps, je l'ai luis eu pièces , et je vous les ai

D ' É P H R A I M. S31

» envoyccsà diacun dans vos limites. Peuple » du Seigneur , j'ai dit la vcriie ; faites ce » qui vous scinbkia juste devant le Tiès- haut. »

A. l'instant il s'cleva dans tout Israël un seul cri, mais éclatant, mais unanime : Que le sang de la jeune femme retombe sur ses meurtriers. Vive rEtcrnel ? nous ne rentre- rons point dans nos demeures , et nul de nous ne retournera sous son toit que Gabaa ne soit extermine. Alors le lévite s'ccria d'une voix furtc : lieni soit Israël qui punit l'infamie et venge le sang innocent. Fille de Eetlilécm , je te porte une bonne nouvelle; ta mémoire ne restera point sans honneur. En disant ces mots, il tomba sur sa face, et mourut. Son «orps fut lionoré des funérailles publiques. Les membres de la jeune (Vminc furent rassemblés et mis dans le même sépulcre , et tout Israël pleura sur eux.

Les apprêts de la guerre qu'on allait en- treprendre commencèrent par un seiinent solemncl de mettre à mort quiconque négli- gerait de s'y trouver. Ensuite on lit le dé- nombrement tle tous les Hébreux portant aiuics, et l'on choisit dii: de cent, cent do

334 L E I. É V I T E

mille, et mille de dix mille, la dixième partie du peuple entier , dout ou fit une armée de quarante mille hommes qui devait a"^ir contre Gabaa , tandis qu'un pareil nom- bre était chargé des convois de munitions et de vivres pour l'approvisionnement do l'armée. Ensuite le peuple vint à Silo devant l'arche du Seif^neur, en disant : quelle tribu coramaudera les autres contre les enfans de Benjamin ? Et le Seigneur répondit : c'est lo sang de Juda qui crie vengeance; que Juda soit votre chef.

Mais avant de tirer le glaive contre leurs frères , ils envoyèrent à la tribu de Beniamiii des hérauts , lesquels dirent aux Ben j ami tes: Pourquoi cette horreur se trouve-t-elle au milieu de vous ? livrez-nous ceux qui l'ont commise , ahn qu'ils meureut , et que le mal soit ôté du sein d'israel.

Les farouches enfans de Jémlni , qui n'avaent pas ignore l'assemblée de Maspha, ni la résolution qu'on y avait prise, s'étant préparés de leur cùlé , crurent que leur valeur les dispensait d'ctre Justes. Ils n'écoutèrent point l'cNhortation de leurs frères, et loiu de leur accorder la satisfaction qu'ils leur devaient , ils sortircut eu armes de toutes

D ' É P H R A I M. 335

les villes de leurs partages, et acconrurent à la défense de Gabaa , sans se laisser cftiayer*' par le nombre, et résolus de combattre seuls tout le peuple réuni. L'armée de Beujamia se trouva de vingt-cinq mille liommes tirant l'épée , outre les liabitans de Gabaa , au nombre de sept-cents hommes bien aguerris, maniant les armes des deux mains avec la même adresse , et tous si excelleus tireurs de fron le qu'ils pouvaient atleindre un che- Teu , sans que la pierre déclinât de côtç ni d'autre.

L'armée dTsraël s'étant assemblée et ayant élu SCS chefs vint camper devant Gabaa, ccmplant emporter aisément cette place ; mais les licnjamites étant sortis en bon ordre , l'attaquent , la rompent', la poursuivent avec furie ; la terreur les précède et la mort les suit. On voyait les forts d'Israël en déroute tomber par milliers sous leur épée , et les champs de Rama se couvrir de cadavres , comme les sables d'Elath se couvrent des ntiées de sauterelles qu'un vent brûlant apporte et tue en un jour. Vingt-deux mille liommes de l'armée d'Israël périront dans ce combat : mais leurs frères ne se découragèrent point , et se Uant à leur force et à leur grauxl

336 LELÉVITE

nouabre encore plus qu'à la jusflce de leur cause, ils vinrent le Icndcruaiu se ranger ea bataiilc dans le même lieu.

Tontî'iois avant que de risquer un nou- veau combat , ils ctaicnt montes la veille devant le Seigneur , et pleurant jusqu'au soir en sa présence ils l'avaient consulté snr le sort de cette tçuerrc. Mais il leur dit : allez et couibattez ; votre devoir ddpcnd-il de l'c'véneiuent ?

Coiuuie i4s marchaient donc vers Gabaa,- les Beujamiles tirent une sortie par toutes les portes , et tombant sur eux avec plus de fureur que la veille^ ils hs dc'tircnt , et les poursuivirent avec un tel acharnement, que dix-huit nulle hommes de guerre périrent encore ce iour-là dans rarme'e d'isracl. Alors tout le p: uple vint de rech.f se prosterner et pleurer devant le Seigiu'ur, et jeûnant jus- qu'au soir, ils ofïVirent des oblalions et des sacriliccs. Dieu d'Abralian», disaient-ils en gcuiis!.ant, ton peuple, épargne tant de fois dans ta jus'e colère, pcrlra-t-il pour vouloir ôtcr le mal de soi sein ? Puis, s'étant prc- seiit<'s devant l'arche redoutable, et consul- tant do reciief le Seigneur par la bouche de Phlnées lils à'Eleazai' ^ ils lui dirent : raar-

I) ' Ê P H R A I M. 337

chevons-nous encore contre nos frères ou laisserons-nous en paix Benjamin ? La voix du Tout-Puissant daigna leur repondre : Marclicz , et ne vous fiez plus en votre nombre , mais au Seigneur qui donne et qui ôte le couraj^e comme il lui plaît : demain je livrerai Benjamin entre vos uiains. A l'instant ils sentent déjà dans leurs cœurs l'elFet de cette promesse. Une valeur froide et sûre suecédant à Isur brutale impétuosité' , les e'claire et les conduit. Ils s'apprêtent posément au combat, et ne s'y présentent plus eu forcenés, mais en bomrnes saj^es et braves qui savent vaincre sans fureur et mou- rir sans désespoir. Ils caclient des troupes derrièi-e le coteau de Gabaa , et se rangent en bataille avec le reste de leur armée , ils attirent loin de la ville les Benjamites , qui , »ur leurs premiers succès , pleins d'une con- fiance trompeuse sortent plutôt pour les tuer que pour les combattre : ils poursuivent avec impétuosité l'armée qui cède et reculo à dessein devant eux: ils arrivent après elle jusqu'où se joignent les cberains de Béthel et de Gabaa , et crient en s'animant au car- nage : ils tombent devant nous comme les pietnicrss fois. Aveugle» , qui daus Tcblouis*

33S L JE L É V I T E

scuVent d'un vain succès ne voient pas Tange de la vengeance qui vole dc'jà sui- leurs rangs, armé du glaive exteruiinatcur.

Cependant le corps de troupes caché der-. ricre le coteau , sort de sou embuscade eu. bon ordre, au nombre de dis mille liomœes , et s'ctendaut autour de la ville , l'attaque , la force, on ^jasse tous les liabitaus au lil de l'épe'e , puis élevant une grande fumée , il donne à l'armée le s'gnal convenu , tandis que le Benjamitc acharne s'excite à pour- suivre sa victoire.

Mais les forts d'Israël ayant appercu le signal, firent face à l'ennemi en Balial-Toinar. Les Bcujamites^ surpris de voir les batail- ions d'Israël se former , se développer, s'cten- drs , fondre sur eux , commencèrent à perdre courage, et tournant le dos, ils virent avec eQVoi les tourbillons de fumée qui leur annon* caient le désastre de Gabaa. Alors frappés de terreur à leur tour , ils connurent que le bras du Stigneur les avait atteints , et fuyant en déroule vers le désert, ilà furent environnés , poursuivis , tués , funlén aux pieds; tandis que divers dctacht'mrns entrant dans les villes, y mettaientà mort chacun dau» son habitation.

t) ' É P H R A I M. 3?9

En ce jour de colère et de meurtre, pres- que toute la tribu de Benjamin, au nombre de vingt-six mille hommes , périt sous l'épée d'Israijl; savoir, dix-liuit mille hommes dans leur première retraite depuis Menuha jusqu'à l'est du coteau, cinq mille dans la de'route vers dc'sert , deux raille qu'on atteignit près de Guidhon et le reste dans les places qui furent brûlées , et dont tous les habitaus , hommes et femmes, jeunes et vieux, grands et petits, jusqu'aux bêtes, furent mis à mort, sans qu'on fît grâce à aucun : en Sorte que ce beau pays , auparavant si vivant , si peuplé, si fertile , et maintenant moissonné par la flamme et par le fer , u'ofi'rait plus qu'un» affreuse solitude couverte de cendres et d'os- semens.

Six cents hommes seulement, dernier reste de cette malheureuse tribu, échappèrent au glaive d'Israël , et se réfugièrent au rocber de Rhimmou, ils restèrent cachés quatre mois , pleurant trop tard le forfait de leurs frères , et la misère il les avait réduits.

Mais les tribus victorieuses voyant le sang qu'elles avaient versé sentirent la plaie qu'elles s'étaient faite. Le peuple vint, et se rassem- blant devant la maibou du Dieu fort, éleva

340 L E L É V I T E

un autel sur lequel il lui rendit ses liom- nia-^es , lui oHVant des holocaustes et des actions de grâces ; puis e'ievant sa voix, il pleura ; il pleura sa victoire après avoir pleuré sa deTaite. Dieu d'Abraham, sVcriaieut-ils dans leur affliction , ah ! sont tes pro- messes , et comment ce mal est-il arrive' à ton peuple qu'une tribu soit e'teinte en Israël ? Malheureux humains qui ne savez pas ce qui vous est bon , vous avez beau vouloir sanctifier vos passions ; elles vous punissent toujours des excès qu'elles vous font commettre, et c'est en exauçant vos vœux injustes que k ciel vous les fait expier.

C II A N T

D' É P H R A I M. S4»

CHANT QUATRIÈME.

Xi- puis avoir gémi du mal qu'ils avaient fait dans leur colère, les enfans d'isra't-1 y cherchèrent quelque remède qui pût rétablir eu sou entier la race de Jacob niutile'c. Emus de compassion pour les six cents hommes réfugies au rocher de Rhinuiion , ils dirent: que ferons-nous pour conserver ce dernier et précieux reste d'une de nos tribus pres- qu'éteinte ? Car ils avaient Juré par le Sei- gneur, disant : si jamais aucun d'entre nous donne sa fille au fils d'un enfant de Jémini , et mêle son sang au sang de Benjamin. Alors pour éluder un serment si cruel , méditant de nouveaux carnages , ils firent le dénombre- ment de l'armée , pour voir si , malgré l'en- gagement solcmnel , quelqu'un d'eux avait manque de s'y rendre, et il ne s'y trouva nul des hahitans de Jabès de Galaad. Cette branche des enfans de Mauassé , regardant moins à la punition du crime qu'à l'efliision du sang fraternel , s'était refusée à des ven- geances plus atroces que le forfait , sans Mélanges, ToHie V, T

342 LELEVITE

considérer que le pariure et la de'sertioil de la cause commune sont pires que la cruauté. He'las ! la mort, la mort barbare fut le prix de leur injuste pific. Dix mille hommes déta- chés de l'armée d'Israël recurent et exécutè- rent cet ordre effroyable: Allez, exterminez JabèsdcGalaadcttousseshabitans, hommes , femmes, enfans , excepté les Seules filles vierges que vous amènerez au camp , afiu qu elles soient données en mariage auT enfans de Benjamin. Ainsi pour réparer la désola- tion de tant de meurtres , ce peuple farouche eu commit do plus grands : semblable eu sa furie à ces globes de fer lancés par nos machines embrasées , lesquels, tombés à terre après leur premier effet , se relèvent avec une impétuosité nouvelle, et dans leurs bonds inattendus, renversent et détruisent des rangs entiers.

Pendant cette exécution funeste , Israël envoya des paroles de paix aux six cents de Benjamin réfugiés au rocher de Rhimmon ; et ils revinrent parmi leurs frères. Leur retour ne fut point un retour de joie , ils avaient la contenance abattue et les yeux baissés ; la honte et le remords couvraient leurs Yîsages, et tout Israël coustcrné poussa de»

D ' Ê P H R A I M. 343

lamentations eu voyant ces tristes restes d'une de ses tribus be'nites , de laquelle Jacob avait dit : » Ben/amia est un loup dc'vorant ; au « matin il déchirera sa proie, et le soir « partagera le butin ».

Après que les dix mille hommes envoyé» à Jabès furent de retour , et qu'on q^t dénombré les filles qu'ils amenaient , il ne s'en trouva que quatre cents , et on les donna à autant de Benjamitcs , comme une proie qu'on venait de ravir pour eux. Quelles noces pour de jeunes vierges timides , dont ou vient d'égorger les frères , les pères , les mères devant leurs yeux, e'. qui reçoivent des liens d'attachement et d'amciur par des mains dégoûtantes du sang de leurs proclies! Sexe toujours esclave ou tyran , qrc l'homme opprime ou qu'il adore, et qu'il ne peut pour- tant rendre heureux ni l'être , qu'en le laissant égal à lui ?

Malgré ce terrible expédient^ il restait deux cents hommes à pourvoir , et ce peuple , cruel dans sa pitié même , et à qui le sang de ses frères coûtait si peu , songeait peut-être à faire pour eux de nouvelles veuves , lors- qu'un vieillard deLébona parlantaux anciens, Jeur dit ; Hommes Israélites , écoutez l'avis

T a

344 L E L E V I T E

d'un de vos frères. Quand vos mains se lasse- ront-elles du meurtre des iunocens ? voici les jours de la solemnite de l'Etcruel eu Silo. Dites ainsi aux eufaus de Benjauiin ; allez , et met Lez des embûches aux vignes; puis quand vous verrez que les ûUes de Silo sortiront pour danser avec des flûtes , alors vous les envelop- perez , et ravissant cliacun sa fciume, vous retournerez vous établir avec elles au pavs de Jîenjaunn. Et quand les pères oi!i les frères des jeunes biles viendront se plaindre à nous, nous leur dirons : ayez pitié d'eux pour l'amour de nous et de vous-mêmes qui êtes leurs frères ; puisque n'ayant pu les pour- voir après cette guerre , et ne pouvant leur douner nos filles contre le serment , nous serons coupables de leur perte si nous les laissons périr sans descendans.

Les eufans donc de Benjamin Grcnt ainsi qu'il leur fut dit , et lorsque les jeunes biles sortirent de Silo pour danser, ils s'élancèrent et les environnèi"ent. La craintive troupe fuit» se disperse; la terrcnv succède à leur inno- cente i;,aielé ; chacune appelle à grands cris ses compagnes , et court de toutes ses forces. Les cops déchirent leurs voiles , la terre est jonchée de leurs parures , la course auim»

D ' É P H R j\ I M. S45

leur teiut et l'ardeur des ravisseurs. Jeu,ncs beautés , courez-vous ? en fuyaut l'op- presseur qui vous poursvjit vous tombez dans- des bras qui vous euchalueut. Chacun ravit la sieuac , et s'cBoiçant de l'apaiser, l'effraye encore plus par ses caresses que par sa vio- lence. Au tuauiltc qui s'élève, aux cris qui se fout entendre au loiu , tout le peuple accourt ; les pères et les mères écartent la foule et veulent dégager leurs filles ; les ravis- seurs autorisés détcudeut leur proie : entiu les anciens fout entendre leur voix, et le peu- ple ému de compassiou pour les Ecujauiites s'intéresse en leur faveur.

Mais les pères indignés de l'outrage fait à leurs filles ne cessaient point leurs olanieurs. Quoi ! s'écriaient-ils avec véhéuieuce , des tilles d'Israël seraient-elles asservies et traitées eu esclaves sous les yeux du Seigneur? Beu- jamiu nous fcra-t-il couunc le Moabitc et riduuiéeu ? est la liberté du peuple do Dieu ? Partagée entre la justice et la pitié,' l'assemblée prononce enfin que les captive» seront remises en liberté et décideront elles- mêmes de leur sort. Les ravisseurs forcés do céder à ce jugement les relâchent à regret, et tâchent de substituer à la force des uioycus

T 3

S4^ LELÉVITE

plus puissans sur levais jeunes cœurs. Aussi- tôt elles s'échappent et fuient tontes ensem- ble : ils les suivent , leur tendent les bras, et leur cricut : Filles de Si!o, screz-voûs plus Jjeureuses avec d'autres ? les restes de Ben- jatuiu sont-ils ^ndijJincs de vous fléchir ? Mais pltisieurs d'entr'cUes , déjà liées par des ^ttaclitmcns secrets , palpi (aient d'aise d'é- çliappcr à leurs ravisseurs, y:^ xa , la tendre ^xa parmi les autres, eu s'éiauçant dans les bras de sa mcrc qu'elle voit accourir , jette furtivement le^yeux sur le jeune Ehna- cin auquel elle était promise, et qui venait plein de douleur et de rage la dégager au prix de son sang. Kliiiacin la revoit , tend les bras, s'écrie et ne peut parler; la course et iV-Uiotioii l'ont mis liors d'l;aleine. Le Ben- jamitc appercoit ce transport, ce conp-d'œil; il devine tout, il gémit, et prêt à se retirer )1 voit arriver le père ù' yJxa.

C'était le même vieillard auteur du conseil donné aux Bcnjamites. Il avait choisi lui- Wéme Elmacin pour son gendre ; mais sa probité l'avait euipéclic d'avertir sa fille du ïisquc auquel il exposait celles d'autiui.

\\ arrive, et la prenant par la main : .^xa^ lui dU'il 4 tu counais mon coeur j j'aime

É P H R A I M. S47

JElmacin , il eût été la consolation de mes vieux jours : mais le salut de ton pciiple et l'honneur de ton père doivent l'emporter sur lui. Fais ton devoir ma fille , et sauve- moi de l'opprobre parmi mes frères ; car j'ai conseillé tout ce qui s'est fait. y4xa baisse la tête et soupire sans répondre*, niais enfia levant les yeux, elle rencontre ceux de sou vénérable père. Ils ont plus dit que sa bou- che : elle prend son parti. Sa voix faible- et tremblante prononce à peine dans un faible et dernier adieu le nom Ehnacin qu'elle n'ose regarder, et se retournant ù l'instant demi-morte , elle tombe dans les bras du Benjamite.

Un bruit s'excite dans l'assemblée. Mais Mlmacin s'avance et fait signe de la main, puis élevant la voix : Ecoute , ô yixa , lui- dit-il , mon vœu solemnel. Puisque je 110 puis être à toi , je uc serai jamais à nul autre : le seul souvçnir de nos jeunes ans, que l'in- noeence et l'anionr ont embellis , me suftit. Jamais le fer n'a pa3sc siar ma télé , janiais le vin n'a mouillé mes lèvres, mon corps est aussi pur que mou cœur : Prêtre du Dieu vivant , je me voue a sou service j recevez le !Na?avéeu du Seigneur.

348 L E L É V I T E , etc.

Aussi-lô tjCoiuuie par une inspira tionsiîbi te, toutes les filles entraînées par l'exemple d'^.r^ï imitent son sacrifice , et renonçant à leurs prcuiicrcs amours , se livrent aux Benjaniites qui les suivaient. A ce toucliant aspect il s'élève un cri de joie au milieu du peuple. Vierges d'Ephraïm , par vous Benjamin va renaître. Béni soit le DiEa de nos pères ; il çsl encore des vertus en Israël.

LETTRES

A SARA,

'Jam ncc spes an'imî crclula mntiiï.

H O H.

AVERTISSEMENT.

V>^N comprendra sans peine com- ment une espèce de défi, a pu faire écrire ces quatre lettres. On deman- dait si un amant d'un demi-siècle pouvait ne pas faire rire. Il m'a semblé ^u'on pouvait se laisser surprendre à toutàge, qu'un barbon pouvait même écrire j usqu'à quatre lettres d'amour, et intéresser encore les honnêtes gens , mais qu'il ne pouyait aller jusqu'à six sans se déshonorer. Je n'ai pas besoin de dire ici mes raisons , on peut les gentir en lisant ces lettres ; après leur lecture on en jugera,

LETTRES

A SARA. PREMIÈRE LETTRE.

J. U lis dans mon cœur, )ennei5'rt/Y7; tu m'as pénétré , je le sais, je le sens. Cent fois le joui' ton œil curieux vient épier l'clïet de tes char'" mes. A ton air satisCait, à tes cruelles bontés f a tesméprisantesagaceries, je voisquetu jouis en secret de ma misère ; tu t'applaudis avec un souris moqvieur du désespoir tu plonges un malheureux , pour qui l'amour n'est plus qu'un opprobre. Tu te trompes , Sara , je suisà plaindre, mais je ne suis pointa raillier i je ne suis point digne de mépris , mais de pi- tié, parce que je ne m'en impose ni sur ma figure, ni sur mon âge, qu'en aimant je me sens indigne de plaire ,ct quela fafale illusion qui m'égare , n;'enipéche de te voir telle (jnc tueSjSansm'cTOpccherdemcvoirtel quejesuîij* Tu peux m'abuscr sur tout , hormis sur moi- même : tu peux me persuader tout au monde , «xcepté que tu puisses partager mes feux in-

35a LETTRES

sensés. C'est le pim de mes supplices de me voir comme ta me vois tes trompeuses cares- ses ne sont pour moi qu'une humiliation de plus , et i'aime avec la certitude affreuse de ne pouvoir être aime.

Soisdonc contente. bien , oui , je t'ado- re ; oui , je brûle pour toi de la plus cruelle des passions. Mais tente , si tu l'oses , de m'en- chaincr a ton char comme un soupirant à che- TeuK gris, ccmme un amant barbon qui veut fairel'asvéablc,etdanssonextravagantdélire, s'imagine avoir des droits sur uu jeune obiet. Tu n'auras pas cette gloire, ô Sara , ne t'en flatte pas: tu ue me verras point à tes pieds vouloir t'amuseraveclc jargon de la galanterie,

ou t'attendrir avec des propos langoureux. Tu peux m'arracher des plcurs^maisilssontmoms d'amour que de rage. Ris , si tu veux , de ma faiblesse , tu ne riras pas au moms de ma cré- dulité.

Je te parle avec emportement de ma passion , parce que l'humiliation est toujours cruelle , et que le dédain est dur a supporter : mais ma passion, toute folle qu'elle est, n'est point cmporlée-,eUeestà-la-foisviveetdoucecomu»o toi Privé de tout espoir , je suis mortau bon- heur et ne yis que de ta v^e. Tes plaisirs sont

vues

A s À R À': Ssa

fees s'eUÎs plaisirs ; je ne puis avoir d'autres jouissances que les tiennes, ni former d'autrèi Vœux que tes vœux. jf 'aimerais mon rival mênïè 41 turaimais; situ ne l'aimais pas , je voudrais "qu'il pût mériter ton amour, qu'il eût mo'a cœurpour t'aimerplus dignement et te rendre plus heureuse. C'est le seul de'sir permis à qui- conque ose aimer sans être aimable. Aime et soisaime'e , ô Sara. Vis contente , et je mour| ïai content.

Mélanges. Tome V.

354 LETTRES

SECONDE LETTRE.

P,

tr I s Q u E je vous ai écrit , )e veux rons écrire encore. Ma première faute en atlire une autre ; mais )e saurai m'arrêter, soyez-en sure; et c'est la manière dont vous m'avez traite du- rant mon délire , qui décidera de mes senti- mcns à votre égard quand j'en serai revenu. Vous avez beau feindre de n'avoir pas lu ma lettre : vous mentez, je le sais , vous l'avez lue. Oui , vousmentcz , sansme ricndire , par l'air <?t;al aveclcquel vous croyez lu'en inipo-^er: si vous êtes la même qu'auparavant , c'est parce que vous avez été toujours fau-se ; et la sim- plicité que vous affectez avec uioi tue prouve que vous n^cn avez jamais eu. Vous ne dissi- mulez ma folie que pour l'auguTenter ; vous n'êtes pas contente que je vous écrive , iti vous no me vovez encore à vos pieds; vous vouiez ane rendre aussi r:dicule que je peux l'être ; vous voulez me douuer en spectacle à vous- jncme , peut-être à d'antres , et vous ne vous croyez pas asscsc triomphautc , si je ne suis déshonoré.

A vS A R A. 355

Jeroistontccla , fille artificieuse , dans cette feinte modestie par laquelle vous espérez m'ea imposer, dans cette feinte e'galite' par laquelle vous seinblez vouloir me tenter d'oublier ma faute, en paraissant vous-trtéme n'en rien sa- voir. Encore une fois , vous avez lu ma lettre ; îe le sais, je l'ai vu. Je vous ai vu , quand j'entrais dans votre chambre, poser précipi- tcimment le livre oij je l'avais mise ; je vous ai vu rougir et marquer un moment de trouble. Trouble séducteur et cruel <jui peut-être est encore un de vos pièges , et qui m'a fait plus de mal que tous vos regards, (^ue devins-je à cet aspect qui m'agite encore? Cent fois en ua instant prêt à me précipiter aux pieds de l'or- gueilleuse, que de combats, qiïe d'cflorts pour me retenir ! Je sortis pourtant , je sortis pal- pitant de joie d'e'chapper à l'indigne bassesse que j'allais faire. Ce seul moment me vengo de tesoutrages. Sois moins fîcre, ô Sara, d'ua penchantqueje peux vaincre, puisqu'une fois en ma vie j 'ai déjà triomphé de toi.

Infortuné! J'impute à ta vanité des fictions démon amour-propre. Quen*ai-je le bonheur de pouvoir croire que tu t'occupes de moi, ne fût-ce que pour me tyranniser! mal-> daigner lyraaniber un aman tgrison, serait lui l'aire trop

V i

366 LETTRES

d'hoiineurencore. Non , tu n'as pointd'aUtr» art que ton iudifiëreiice ; ton dédain fait toute ta coonetterie : tu me désoles sans songer à moi. Je suis malheureux jusqu'à ne pouvoir l'occuper au moins de mes ridicules , et tu mé- prises tua folie jusqu'à ne daigner pas intme t'en moquer. Tu as lu ma lettre, et tu l'a* oubliée ; tu ne m'as point parlé de mes maux , parce que tu n'y songeais plus. Quoi ! je suis donc nul pour toi ? Mes fureurs , mes taur- mens , loin d'exciter ta pitié , n'excitent pas même ton attention ? Ah! est cette dou- ceur que tes yeux promettent? est ce seuti- ment si temlre qui paraît les animer ? ......

Barbare ! insensible à mon état tu dois

l'être à tout sentiment honnête. Ta figure pro- met une aine ; elle ment, tu n'asque de la féro- cité Ah Sara ! j'aurais attendu do

ton boa cœur quelque cousolatioa daiis ma xaisère.

A s A R À; 357

TROISIÈME LETTRÉ.

JjjKFiN , rien ne manque plus a ma honte , etjesuis aussi humilié que tu l'as voulu. Voilà doocà quoi eut abouti mou dépit , mes com- bats, mes résolutions, ma cous tance ? Jeserais moins avili, si j'avais moins résisté. Qui^moi ! j'ai fait l'amour en jcuue-homme ? )'ai passé deux heuresauxgenoux d'un etifant? j'ai versé sur SCS mains des toriens de larmes ? j'ai souf- fert qu'elle me consolât, qu'elle me plaignît, qu'ellcessuyât mes yeux ternis parlesans? j'ai reçu d'elle des leçons de raison , de courage? j'ai bien profité de ma longue expérience et de ïnes lii.stes rcflcxions! Combien de fois j'ai rougi d'avoircté à vingtanscc que je redeviens à cinquante ! Ah , je n'ai donc vécu que pour me déshonorer ! Si du moins un vrai repentir me ramenait à des sentimens plus honnêtes! mais non, je me complais malgré moi dans ceux que tu m'inspires , dans le délire tu plonges, dansTabaissement oii tu m'as réduit. Quand je m'imagine à mon âge à genoux de- vant toi , tout mou cœur se soulève et s'iriit^;

Y 3

358 LETTRES

mais il s'oublie et se perd danslcs ravisscmens que j'y ai sentis. Ah ! je ne me voyais pas alors; je ne voyais que toi , ûlle adorée : tes char- mes , tes sentimeus , tesdiscours remplissaient, formaient tout mou être : J'étais jeune de ta jeunesse, sage de ta raisou, vertueux de ta •vertu. Pouvais-je mépriser celui que tu hono- rais de ton estime? pouvais-je haïr celui que tu daigtiais appeler ton ami ? Hélas! cette ten- dresse de père que tu me demandais d'uu ton si touchant, ce nom de fille que tu voulais recevoir de moi,mefesaient bientôt rentrer eu moi-même : tes propos si tendres, tes caresses 61 puresm't nchantaieutetmedcchiraient ; des pleurs d'amour et de rage coulaient de mes yeux. Je sentais que je n'étais heureux que par ma misère , et que si j.'eusse été plus digne de plaire , je n'aurais pas été si bieu traité.

N'importe. J'ai pu porter l'attendrissement dans ton cœur. La pitié le ferme à l'amour, je le sais , mais elle eu a pour moi tous les charmes. Quoi , j'ai vu s'humecter pour moi tesbeauxyeux ? j'ai senti tomber sur ma joue une de tes larmes ? O cettelarme, quel embra- sement dévorant elle a causé ! et je ne serais pas le plus heureux des hommes ? Ah, com-

A S A R A; 359

bleu )c 1c suis au-dessus de ma plus orgueil- leuse attente !

Oui , que ces deux heures reviennent sans cesse, qu'elles remplissent de leur retour ou do leur souvenir le reste de ma vie. F.h l qu'a-t-elle eu de comparable à ce que j'ai sen ri dans cette attitude ? J 'étais humilié, j'e'tais insensé, j'étais ridicule, mais j'étais heureux; et j'ai goûté dans ce court espace plus de plaisirs que je u'ea eu dans tout le cours de mes ans. Oui , Sara , oui, charmautc Sara, j'ai perdu toutre?>entir, toute houte : je ne me souviens pluâ de moi ; je sens que le feu qui me dévore ; jepuis dans tes fers braver leshuées du mondeentier; gue m'importe ce que je peux paraître aux autres ! j'ai pour toi le cœur d'un jeune hom* me , et cela me suflit. L'hiver a beau couvrir l'Etna de ses glaces , sou seiu u'est pas moiu» embrasé.

T4

*^ô 1 E T T H E ?

<2UATRIÈME LETTRE.

0.

^ uoi ! c'était vous que jeredoutais c'était TOMs que je rougissais d'aimer ? G Sara , fille adorable , aœe plus belle que ta figure ! si je sn 'estime désormais quelque chose, c'est d'a-^ voir un cœur fait pour sentir tout ton prix. Oui , sans doute , je rougis de l'amour que ' j'avais pour toi , mais c'est parce qu'il était Irop rampant, trop languissant , trop faible, trop peu digne de sou objet. Il y a six mois que ânes yeux et mon coeur dévorent tes charmes ; il y a six mois que tum'occupes seule et que je Me vis que pour toi : mais ce n'est que d'hier ^ue j'ai appris à t'aimer. Tandis que tu me parlais et que des discours dignes du ciel sor- taient de ta bouche, je croyais voir changer tes traits, ton air, ton port, ta figure;. je ne «ais qnel feu surnaturel luisait dans tes yeux, <ies rayons de lumière semblaient t'entourer. Ah Sara ! si réellement tu n'es pas une mer- telic, s. tus ''ange envoyé du ciel pour rame- ner un cœur qui s'égare , dis-le moi; peut-être î\ çst temps ençorç.Nc laisse plus prdfanertoi^

X s A R A. 36i

îmagepardesdcsirs Formés malgré moi. Hélas! si je'm'abusc dans mes vœux , dans mes trans- ports, dans mes téméraires hommages, gue'- ris-moi d'une erreur qui t'offense , apprends^ xnoi comment il faut t'adorer.

Vous m'avez subjugué, Sara , de toutes les manières , et si vous me faites aimer ma folie , TOUS me la faites cruellement sentir. Quand compare votre coiiduite îila mienne, je trouve- ■an sage dans une jeune fille , et je ne sçns en moi qu'un vieux enfant. Votre doùceur/si pleine de dignité , de raison , de bienscauccy m'a dit tout ce que ne m'eût pas dit un accueil plus sévère; elle m'a fait plus rougir rie moi que ii'cusseut fait vos reproches : et l'accent un peu- plus grave que vous ayez mis hier dans vos discours , m'a fait aisément connaître que je' îi'aurais pas vous exposer à me les tenir deux fols. Je vous entends j Sora , et j'espère vous prouver a\issi que si je ne'suis pas digne de vous plaire par mon amour , je le suis par lessentimens qui l'accompagnent. IVlon ega- xemênt sera aussi court qu'il a été grand, vous me l'avez montré , cela sufii t ; j'en saurai sor- tir , soyez-en sure :' quelque aliéné que je puisse être, si j'en avais vu toute l'étendue, lamais je n'aurais faille premier pas. Quaud j^

Xi

362 LETTRES

méritais des censures vous ne m'avez donné que des avis , et vous avez bien voulu ne me voir que faible lorsque j'e'tais criminel. Ce que \QVS ne m'avez pas dit , je sais me le dire ; je sais donner à ma conduite auprès de vous le nom que vous ne lui avez pas donne' ; et si j'ai pu faire une bassesse sans la connaître , je vous ferai voir que je ne porte point un cœur bas. Sans doute c'est moins mon âge que le vôtrequi me rendcoupable. Mon mépris pc-' moi m'empécliait de voir toute l'iudiguir. uj ma démarche. Trente ans de différence ne - montraient que ma boute et me cachaient \ dangers. Hélas ! quels dangers ? Je n'étais pro assez vain pour en supposer : je n'imaginais pas pouvoir tendre un piégea votre innocence; et si vous eussiez écé moins vertueuse , j'étais un suborneur sans en rien savoir.

O Sara ! ta vertu est à des épreuves plus dangereuses, et tes charmes ont mieux à choi- sir. Mais mon devoir ne dépend ni de ta vertu ni de tes charmes, sa voix me parle et je le suivrai. Qu'un éternel oubli ne peut-il te cacher mes erreurs ! Que ne les puis-je oublier moi-même ! Mais non , je le sens , j'en ai pour la vie,«it le trait s'enfonce par mes efforts pour l'arracher. C'est mou sort de brûler jusqu'à

A s A R A; 263

mon dernier soupir d'un feu que rien ne peut éteindre , et auquel chaque jour ôte un degré d'cspcrauceetenajoute un de déraison. Voilà ce qui ne déj)eud pas de moi ; mais voici, Sara , ce qui en dépend. Je vous donne ma foi d'homme qui ne la faussa jamais, qu&je ne Vous reparlerai de mes jours de cette passion ïidiculc et malheureuse que j'ai pu peut-être empêcher de naître , mais que je ne puis plus étouffer. Quand je dis que je ne vous en parle- rai pas , j'eutcnds que rien en moi uevousdira ce que je dois taire. J'impose à mes yeux le même silence qu'à ma bouche : mais de grâce imposez aux vu très de plus venir m'arrachet ce triste secret. Je suis à l'e'preuve de tout, liQrs de vos regards : vous savez trop combica il vous cstaisé de me rendre parj ure. Un triom-^ pbe si sûr pour vous et si Oétrissant pour moi pourrait-il flatter votre belle ame ? Non , di- vine Sara , ne profane pas le temple tu es adorée , et laisse au moins quelque Ycrtu dans ce cœur à qui tu as tout ôlé.

Je ne puis ni ne veux reprendre le malheu- reux secretqui m'est échappé; il est trop tard, il faut qu'il vous reste; et U est si peu intéres- sant pour vous, qu'il serait bientôt oublie si l'aveu uc s'eu reaouvellait sans cesse. Ah! jo

V 6

t64 t Ë T T R E S

serais trop à plaindre dans ma misère si Jamaîs je ne pouvais me dire que vous la plaignez^ et TOUS devez d'aïitaut plus la plaindre que vous «'aurez jamais à m'en consoler. Vous me ver- rez toujours tel que je dois être, mais connais- sez-moi toujours tel que je suis : vous n'aurez j>lus à censurer mes discours , mais souffrez Kies lettres; c'est tout ce que je vous demande. Jfe n'approcherai d,e vous que comme d'une divinité devant laquelle on impose silence à ses passions. Vos vertus suspendront l'effet de ■Ços charmes ; votre présence purifiera mon coeur jjeue craindrai point d'être un séducteuc «n ne vous disant rien qu'il ne vous convienne cl'^ntendre ; je cesserai de me croire ridicule quand vous ne me verrez jamais tel ; et je vou- draiu'être plus coupable , qu^ud je ne pourrai l'être que loin de vous.

Mes lettres? Non. Je ne dois pas même 'désirer de TOUS écrire, et vousnedevezle souf. , jfrir jamais. Je vous estimerais moi'nssi vous eu étiez capable. S^/a, Je te donne cette arme,' pour t'en servir contre moi. Tu peux être dé- yositaire de mon fatal secret, tu n'eu peux Itve la confidente. C'est assez pour moi que tu U caches, ce serait trop pour toi de l'entendre S^pç'tçi» Je me tairai^ ^vraiirais-je de plus à t«i

A s A R A: S65

dire? Bann'is-mol, tnépiise- moî désormais, çl tu revois jamais ton amant dans l'ami qne tu t'es choisi. Sans pouvoir te fuir, je te dis adieu pour la vie. Ce sacrilice était le dernier qui me restait à te faire. C'était le seul (jui fût fUgue de tes vertus et de mou cœur.

LA REINE

FANTASQUE,

CONTE.

L A R E I N E

FANTASQUE,

CONTE,

XL y avait autrefois un roi qui aimoit sou

peuple Cela commence comme un conte

de fee, interrompit le druide. C'en es tua aussi, ic'pondit Jalamir. Il y avait donc un roi qui aimait son peuple, et qui, par conséquent, «ne:tait adoré. Il avait fait tows ses efforts pour trouver des ministres aussi bien intentionnées que hii; mais ayant en fin reconnu la folie d'uue pareille recherche, H avaitprisle parti défaire par lui-même toutes les choses qu'il pouvait dérober à leur nialfcsante activité. Comme il était fort entêté du bizarre projet de rendre ses sujets heureux , il agissait en conséquence , et une conduite si singulière lui donnait parmi Icï grands un ridicule iucflacablc. Le peuple le bénissait, mais à la cour il passait pour ua fou. A cela près, il ne manquait pas de mérite j ^ussi s'appelait-il Phénix,

Syo t A R E r N E

Si ce prluce e'iait extraordinaire , i\ avait une femme qui l'était moins. Vive , étourdie , capricieuse , folle par la Icte , sage par le cœur ] bonne par tempérament, médian te par capri- ce ; voilàen quatre mots le portrait de la reine. J^antas(/i/e était son nom : nomcéiébrequVlle avait reçu de ses ancêtres eu ligno féminine, et dont elle soutenait dignement l'honneur. Cette personne si illustre et si raisonnable étaitle charme etlesupplicedeson cher épouy, car elle l'aimait aussi fort sincèrement, peut- être à cause de la facilité qu'elle avait à le tourmenter. Malgré l'amour réciproque qui régnait entr'eux, ilspasscreutplusieurs années sans pouvoir obtenir aucunfruitdeleur union. Le roi en était pénétré de chagrin , et la reine s'en mettait dans des impatiences c'en t ce bon prince ne se ressentait pas tout seài : elle s'en prenait à tout le monde de ce qu'elle n'avait point d'enfans ; il n'y avait pas un courtisan à qui elle ne demandât étourdiment quelque secret pour en avoir, et qu'elle ne rendît rcs^ ponsabie du mauvais succès.

Les médecins ne furent point oubliés; car la reine avait pour eux unedocilité peu com- mune, et ils n'ordonnaient pas une drogue gu'elic ne fit préparer très-soigucuscment.

F A N T A s Q U E. Syi

polir avoir le plaisir de la leur jeter au nez, il l'instant qu'il la fallait prendre. Les dervi- ches eurent leur tour; il fallut recourir aus Beuvaines, ailx vœux, sur-tout aux oîlian- dcs; et malheur auxdesseryans des temples sa msije.stc allai t en pèlerinage : elle fourrageait tout.etsous pi etextc d'aller respirer un air pro- liGque, elle ne manquait jamais démettre sens dessus-dessous toutes les cellules des moines. Elle portait aussi leurs reliques , et s^afTnblait alternativemeatdetousleursdifTerens équipa- ges : tantôt c'était un cordon blanc , tantôt «ne ceinture de cuir, tantôt un capuchon, tantôt un scapulaire; il n'y avait sorte de mas* caradc monastique dont sa dévotion ne s'avi- sât; et comme elle avait un petit air éveillé qui la rendait charmante sous tous ces dégui- semens,el!e n'en quittait aucun sans avoir eu soin de s'y faire peindre.

Enlin à force de dévotions si bien faites , à force de médecines si sagement employées , ciel et la terre ciaucèrent les vœux de la rcme ; elle devint grosse au momen t qu'pn commen- çait à en désespérer. Je laisse à deviner la Joie du roi et celle du peuple. Pour la sienne , elle alla , comme toutes ses passions , insqu à l'estrayasaucc: dans SCS transports, clic cassait

S72 t A R E I N E

etbrisait tout : elle embrassai tindiffërelninenf tontce qu'elle rencontrait ^hommes, femmes^ courtisans , valets ; c'e'tait risquer de se faire étoufFerque se trouver sursou passage. Elle no connaissait point , disait-elle , de ravissement pareil à celui d'avoir un enfanta qui elle pùC donner le fouet tout à son aise , dans ses mo-* mens de mauvaise humeur.

Comme la grossesse de la reine avait elé long-temps inutilement attendue, elle passais pour un de ces évèuemeus extraordinaires ^ dont tout le monde veut avoir l'honneur. Les me'dccins l'attribuaient à leurs drogues , \e» moines à leurs reliques, lepeuple à sesprières^ et le roi à son amour. Chacun s'intéressait ai l'enfant qui devait naître, comme si c'eût e'td le sien , et tous fesaient des vœux sincères pou» l'heureuse uaissancedu prince, car on en vou- lait un: et le peuple, les grands et le roi réu- iiissaicnt leurs désir» sur ce point. La reiue trouva fortmatïvais qu'on s'avisât de lui pres- crire de qui elle devait accoucher , et déclara qu'elle prétendait avoir une fille ; ajoutanb qu'il lui paraissait assez singulier que quel- qu'un osât lui disputer le droit de disposer, d'un bien qui n'appartenait incoutestablç-; aient qu'à elle seule.

r A N T A s Q tJ Ë. Sf3

phénix voulut eu vain lui faire entendra tfaisou ; elle lui dit nettement que ce n'étaient |)oint ses aSalres , et s'enferma dans so» -cabinet pour bouder , occupation chérie à la- quelle elle employait régulièrement six mois de l'année. Je dis six mois, non de suite; c'eût été autant de repos pour son mari , mais pris dans des intervalles propres aie cha- griner.

Leroi comprenait fort bien qixe les capricds

€e la mère ne détermineraient pas le sexe de l'enfant ; mais il était au désespoir qu'elle donnât ainsi ses travers en spectacle à toute Gour. Il eût sacrifié tout au monde pour que l'estime universelle eût iustihé l'amour qu'il avait pour elle , et le bruit qu'il fit mal-à-pro- pos en cette occasion ne fut pas la seule folie que lui eût fait faire le ridicuU espoir de ren* dte sa femme raisonnable.

Ne sachant plus à quel saint se vouer , il eut recours à la fée Discrète son amie , et la pro- tectrice de sou royaume. La fée lui conseilla deprendreles voies de la douceur ,c'est-à-diro de demander excuse à la reine. « Le seul but > ,► lui dit - elle , de toutes les fantaisies de» ^ femmes est de désorienter un peu la morgue » iuaicuUuc, ctd'accoulwmwlolioniuicïi

374 LA REINE

» l'obéissance qui leur convient. Le melllcuï moyen que VOUS ayez de guc'iir les cxtrava- » gances de votre femme, est dextravar^uer »» avec elle. Dès le moment que vous cesserez » de contrarier ses caprices, assurez-vous » qu'elle cessera d'en avoir; et qu'elle n'attend >> pour devenir sage , que de vous avoir r»ndu » biencomplctemeatfou. Faites donc lescbo- ses de bonne grâce, et tâcbez de céder eu » cette occasion , pour obtenir tout ce que >♦ rous voudrez dans une autre ». Le roi crut lafc'e ,et poursc conformer à son avis , s'e'tant rendu au cercle de la reine, il la prit h part, lui dit tout bas qu'il était fàcbé d'avoir con- testa contre clic mal-à-propos , et qu'il tâche- rait de la dédommager à l'avenir par sa com- plaisance, do riiunieur qu'il pouvait avoir mise dans ses discours , en disputant impoli- ment contre elle.

Fantasque , qui craignitque la douceur de Phénix ne la couvrît seule de tout le ridicule de cette alfaire, se bâta de lui repondre , que sous cette excuse ironique ellcvoyoit encore plus d'orgueil que dans les disputes pre'cédeu- tcs,mais qnepuisque les torts d'un mari n'au- torisaient point ceux d'une femme, elle se hâtait décoder eu cette occasioa comme ello

F A N T A s Q U E. S7S

avait toujours fait. « 3Ion prince et rnou V époux, ajovita-t-ellc tout haut, m'ordonne » d'accouchcrd'uti n;arçon,et jesais trop biea v mon devoir pour manquer d'obfir. Je n'i- » gnore pas que quand sa majesté m'iionore »» des marques de sa tendresse, c'est moins » pour l'amour de moi que pour celui de son » peuple, dont l'intérêt ne l'occupe guère » moins la nuit que le jour; je dois imiter un » si noble désintéressement, et jevaisdeman- »» der an divan un mémoire instructif du > nombre et du sexe des enfans qui convien- » lient à la famille royale; mémoire important » au bonheur de l'Etat , et sur lequel touto » reine doit apprendre à régler sa conduite » pendant la nnit ».

Ce beau soliloqne fut écouté de tout le cer- cle avec beaucoup d'attention , et je vous laisse à penser combien d'éclats de rire furent mal- adroitement étouffés. « Ahl dit tristement lo » roi en haussant les épaules, je vois bien que » quand on a une femme folle, on ne peut » éviter d'être un sot».

La ïce Uiscrc/e , dont le sexe et le nom con- trastaient quelquefois plaisamment dans soa caractère , trouva cette querelle si réjouissanto l^u'elle résolut do s'en amuser jusqu'au bout;

âyl L A R E I N Ë

Elledltpubliquemcntauroiqn'clIcavaitcoT!'* suite les comètes qui piésidentà la naissance des princes!, et €[u'eUe pouvait lui répoudrè que l'enfant qui naîtrait de lui serait un gar- çon; mais en secret elle assura la reine qu'elle aurait une fille.

Cet avis rendit tout-à-coup Fantasque aussi raisonnable qu'elle avait été capricieuse Jusqu'alors. Ce fut avec une douceur et uu© complaisance infinies qu'elle prit toutes les iuesures possibles pour désoler le roi et tout» la cour. Elle se hâta de faire faire une layett© des plus superbes, afîectant de la rendre si propre à un garçon qu'elle devînt ridicule à fine fille; il fallut dans ce dessein changer plu- sieurs modes ; mais tout cela ne lui coulait rien. Elle fif préparer un beau collier l'ordre tout brillant de pierreries , et voulut absolument que le roi nommât d'avance le gouverneur et le précepteur du jeune prince.

Sitôt qu'elle fut sure d'avoir une fille , ell» ne parla que de son fils , et n'omi t aucune des précautions inutiles qui pouvaient faire ou- blier celles qu'on aurait dii prendre. Elle riait aux éclats en se peignant la contenance éton- née et bcte qu'auraient les grands et les ma- gistrats qui deyaieat oruer ses couches de leut

préscue»»

FANTASQUE. 2-ji

Çl^sence. Il me semble , disait-elle à la fée, oir d'un côté uotre véticrable tliaiicelier ar- borer de grandes lunettes pour vérifier le sexe de l'enfant , et de l'autre sa sacrée majesté laaisscr les yeux, et dire en balbutiant : Je

croyais la fée m'avait pourtant dit .

Messieurs, ce n'est pas ma faute ; et d'autres apophtlicgmcs aussi spirituels recueillis parles «avans de la cour, etbicntôt portés jujcju'aux extrémités des Indes.

Elle se réprésentait avec un plaisir malin le désordre et la confusion que ce merveilleux tvénenient allait jetterdai\s toute l'assemblée. Elle se figurait d'avance les disputes, l'agita- tion de toutes les dames du palais pour récla- |uer, ajuster, concilier en ce moment im- prévu lesdroits de leurs importantes charges , et toute la cour en mouvcuicut pour un bé- guin.

Ce fut aussi dans cette occasion qu'elle in- venta le décent et spirituel usage de faire ha- ranguer par les magistrats eu robe, le princa nouveau-né. Phénix voulut lui représente» que c'était avilir la magistrature à pure perte , et jeter un comique extravagant sur tout le eérénionial de la cour , que d'aller en grand appareil étaler du phébusà un petit mariuot

S78 L A R E I N E

avant qu'il le pût entendre , ou du moins y répondre.

Eli tant mieux! reprit vivement la reine, tant mieux pour votre lîls! Ne serait-il pas trop heureux que tout- s les bêtises qu'ils ont à lui dire, fussent e'puise'es avant qu'il les en- tendît, ttvondricz-vousqn'on lui garda tponr l'âce déraison des discours propres à le rcndte fou? PourDieulaissez-lesharangncrtoutleur bien aise, tandis qu'on est sûr qu'il n'y com- prend rien ,et qu'il a l'ennui de moins : vous devez savoir de reste qu'on n'en est pas tou- jours quitte à si bon marclié. H en fallut pas- ser par-là, et de l'ordre exprès de sa majesté les pre'sldens du sénat et des académies com- mencèrent à composer, étudier, raturer, et ftMulIctcr leur Vanmorière et leur Vé- vwsthene pour apprendre à parler à un em- bryon.

Enfin le moment critique arriva. La reine sentit les premières douleurs avec des trans- ports de joie dont on ne s'avise guère en pa- reille occasion. Elle se plaignait de si bonne grâce et pleurait d'un air si riant, qu'on eût cru que le plus grand de ses plaisirs était celui d'accoucher.

Aussi-tôt ce fut dans tout le palais uue ru-j

FANTASQUE. 3?^

ïne«r épouTautablc. Les uns couraient cher- cher le roi , d'autres les princes , d'autivs les ministres, d'autres le sénat; le plus grand nombre et les plus pressés allaient pour aller, et roulant leur tonneau couirae Dicgene^ avaient pour toute aH'aire de se donner un air affairé. Dans l'empressement de rassembler tant de gens nécessaires, la dernière- personne à qui l'on songea fut l'accoucheur; et le roi que son trouble mettait hors de lui ayant de- mandé par mégarde une sage -femme , cette inadvertance excita paruii les dames du palais des ris ijnmodcrc's qui , joints à la bonne hu- meur de la reine, firent l'accouchement .le plus gai dont on eiît jamais en tetidu parler.

Quoique /'"â!7//<'/*yz/teùtgardédcsori mieux le secret de la fée, il n'avait pas laissé de transpirer parmi les femmes de sa maison , et celles-ci le gardèrent si soigneusement elles- mêmes , que le biuit lut plus de trois jours à s'en répandre par toute la ville, de sorte qu'il n'y avait depuis long-temps que le roi seul qui n'en sût rien. Chacun était donc attentif . è la scène qui se préparait; l'intérêt public fournissant un préleste à tous les curieux de s'anujser aux dépens de la famille royale, ils •e fesaieut une icte d'c'pier la contenance

X a

S8o L A R E I N E

leurs majestés , etde voir comment , arec deu* promesses contradictoires , la fe'c pourrait tirer d'affaires et conserver son crédit.

Oh çà, monseigneur ,dit Jalamir an druide en s'interrompant , convenez qu'il ne tient qu'à moi de vous impatienterdans les règles r car vous sentez bien que voici le moment des digressions, des portraits, et de cette multi- tude de belles choses que tout auteur homiu» d'esprit ne manque jamais d'employer à pro- pos dans l'endroit le plus intéressant pour amuser ses lecteurs ! Comment , par Dieu , dit le druide, t'imagines-tu qu'il y en ait d'assea sots pour lire tout cet esprit-là ? Apprends qu'on a toujours celui de le passer, et qu'eu dépit de monsieur l'auteur, ou a bientôt cou- vert son étalage des feuillets de son livre. Et toi qui fais ici le raisonneur , penses-tu qua tes propos vaillent mieux que l'esprit des au- tres , et que pour éviter l'imputation d'un» sottise, il suffise de dire qu'il ne tiendraitqu'à toi de la faire ? Vraiment , il ne fallait que le dire pour le prouver : et malheureusement jo n'ai pas , moi , la ressource de tourner les feuillets. Consolez-vous, lui dit doucement Jalamir- d'autres les tourneront pourvou^ sijajiuais on écrit ceci. Ccpçud&ntj cgjasidcrgi

FANTASQUE. 38»

^ue voilà toule la eour raisemblée dans la eliambre de la reine; (jue c'est la plus belle occasion que j'aurai jamais de tous peindre -tant d'illustres originaux , et la seule, peut- être , que vous aurez de les connaître. Qu« DiEO t'entende , rc'partit plaisamment -druide : je ne les connaîtrai que trop par ieurs actions : fais-les donc agir si ton histoir» a besoin d'eux, et n'en dis mot «'ilssont inu- tiles; je ne veuv point d'autres portraits qua les faits. Puisqu'il n'y a pas moyen , dit Jala* viir , d'égayer mon re'oit paf un peu de me'- taphysique, j'en vais tout bêtement reprendre le fil , mais conter pour conter est d'un en- nui! vous ne savez pas combien de belles cho- ses vous allez perdre! Aidez-moi , je vous prie, ^ me retrouver; car l'essentiel m'a tellement emporte' , que je ne suis plus à quoi j'en ctai t du cont«.

A cette reine, dit le druide impatienté, que tu as tant de peine à faire accoucher, et avec laquelle tu me liens depuis une heur* en travail. Oh, oh! reprit ,7a/<7//i://; croyez- vous que les enfans des rois se pondent comme des œufs de grives ? Vous allez voir si ce «'était pas bien la peine de pérorer. La rein» donc, aprvs biea 4e» en» et des ris, tir»

282 L A R E I ]>; E

enfia les curieux de peine et la fe'e d'intrigue, eu uiettaut au jour uue fiile et iiu garcoa plus beaux que la lune et le soleil, et qui se ressemblaient silort, qu'on avoit peine à les distinguer, ce qui fit que dans leur en- fance on se plaisait à les habiller de même. Dans ce moment si désiré, le roi sortant de la majesté pour se rendre à la uaturc,-Gt des extravagances qu'en d'autres temps il n'eut pas laisfé faire à la reine ; et le plaisir d'a- voir des cnfans le rendait si enfant lui-mcuie, qu'il courut sur sou balcon crier à pleine tête: Mes amis j réjouissez- '''Ous toits j it vient de me naître vn Jils et à vous un Jfîrc ^ et vue Ji lie à ma femme. La reine, qui se trouvait pour la première fois do sa vie b pareille fête, ne s'apperçut pas de tout l'ouvrage qu'elle avait fait, et la fée qui connO'Ssait son esprit fantasque se con- tenta , conformément à ce qu'elle avait désiré , de lui annoncer d'abord unelillc. La reine se la fit apporte , et ce qui surprit fort les spectateurs, elle l'embrassa tendre- ment, à la vérité, mais les larmes aux yeux et avec un air de tristesse qui cadrait mal avec celui qu'elle avoit eu jusqu'alors. J'ai déjli dit c[u'elle aiiuait siucéremeut sou epouï;

FANTASQUE. 383

elle avait été touches de rinquiétude et de ratteudrissement qu'elle avait lu daus ses regards durant ses souffrarices. Elle avait fait, dans un temps, à la vérité, siugulièicment cboisi , des rcflcsions sur la cruauté qu'il y avait à désoler un mari si bon; et quand ou lui pré^enta sa fille, elle ne songea qu'au jegret qu'aurait le roi de n'avoir pas un ûb." Discrète , à qui l'esprit de son sexe et le don de féerie apprenaient à lire tacilenicnt daus les cœurs, pénétra sur le chacip ce qui se passait dans celui de la reine, et n ayant plus de raison pour lui digmser la vérité^ elle fit apporter le jeune prince. La reine, revenue de sa surprise, trouva l'expédient si plaisant, qu'elle eu fit des éclats de rire ' dangereux dans l'état elle était. Ellese trouva mal. On eut beaucoup de peine à la faire revenir , et si la fée n'eût lépoudu de sa vie , la douleur la plus vive allait suc- céder aux transport? de joie dans le cœur du roi et sur les visages des courtisans.

Mais voici ce qu'il y evil de plus singu- lier dans toute cette avantnre : le regret sin- cère qu'avoit la reine d'avoir touiin'.nté son ïBari, lui fit prendre une affection plus vive pour le jeuue priucc ^ue pour sa sœurj et

2S4 I A R E I N E

le rôt de sou côte' , qui adorait la reine ^ marqua la même prc'tcrence à la fille qu'elle avoit souhaitée. Les caresses indirectes que CCS deux uniques c'poux se fesaient ainsi l'un à l'autre devinrent bientôt un goût trcs-dc- cidé , et la reine ne pouvait uon plus passer de son lils que le roi de sa fille.

Ce double événement fit un grand plaisir a tout le peuple , et le rassura du moins pour un temps sur la frayeur de manquer maîtres. Les esprits forts qui s'étaient mo- qués des prouiesse« de la fée furent moquer à leur tour r mais ils ne se tinrent pas pour battus, disant qu'ils n'accordaient pas mêra» à la fée l'infaillibilité du mensonge , ni & ses prédictions la vertu de rendre imposo sibles les choses qu'elle annonçait. D'autres, fondés sur la prédilection qui commen- çait à se déclarer, poussèrent l'imprudenc* jusqu'à soutenir qu'eu donnant un fils à la reine et une fille au roi, l'événement avait de tout point démenti la prophétie.

Tandis que tout se disposait pour la pompe du baptè-me des deux nouveaux nés, et qu# l'orgueil humain se préparait à briller hum- blement aux autels des Dieux. . . . Un mo- meut,iuienoujpitlc druide j tu me brouilles

F A N T A s Q tr E. S85

3'une terrible façon. Appreuds-moi , je te prie , en quel lieu nous sommes. D'abord ^ pour rendre la reine enceinte, tu la prome- nai» parmi des reliques et des capnchons, Apics cela tu nous as tout coup fait passer aux ludes. A pre'sent tu viens me parler du haptcme, et puis des autels des Dieux par îe ^landj'^amiris , je nesais plus sidaiisla ce'- ïe'monie que tu prépares nous allons adorer Jupiter^ la bonne Vierge^ ou JMahomet. Cô^ n'est pas qu'à moi druide, il m'importe beau- coup que tes deux bambins soient baptisé» ou circoncis , mais encore faut-il observer îe costume, et ue pas m'exposer à preudr» "iin évêque pour le mufti , et le missel pour l'alcoran. Le grand malheur ! lui dit Jalamir , d'aussi fins que vous s'y trompe- raient bien. Dieu garde de mal tous les pré- lats qui ont des sérails et prennent pour fle l'arabe le latin du bréviaire; Dieu fasse jiaix h tous les honnêtes cafards qui suivent l'intolérance du prophète de la Mecque, tou- jours prêts à massacrer saintenioiit le genre- Imuiain pour la plus grande gloire du Créa- teur: mais voDs devez vous ressouvenir que BOUS sommes dans un pays de fées, l'oa «'envoie personne en cui'er pour le bien de

586 L A B. E I N E

son ame , l'on ne s'avise point de regar- der au prépuce des gens pour les dauiuer ou les absoudre, et la mitre et le tur- ban verd couvrent e'galenient les têtes sacre'es pour servir de signalement aux yeux des ima- ges, et de parure à ceux des sots.

Je sais bien que les lois de la ge'ographie, qui règlent toutes les religions du monde, Teuleut que les deux noiyiveaux nés soient ïiiusuluiaiis , ujais on ne circoncit que les mâles , et j'ai besoin que mes jumeaux soient administrés tons deux ; ainsi trouvez boa que Je les baptise. Fais , fais , dit le druide; voilà, foi de prêtre, un choix le uiieux motivé dont j'aie entendu parler de ma vie.

La reine , qui sep-laisait à bouleverser toute étiquette , voulut se lever au bout de six jours, et sortir le septième, sou» prétexta qu'elle se portoit bien ; en effet, elle nour- rissait scsenfans. Exemple odieux dont toutes les femmes lui représentèrent très- fortement les conséquences. Mais Fantasque , qui craignait les ravages du lait répandu , sou- tint qu'il n'y a point de temps plus perdu pour le plaisir de le vie , que celui qui vient après la mort; que le sein d'une femme morte lie $c ûc'trit pas moins que celui d'une noui;>

FANTASQUE. 287

rîce , ajoutant d'un ton de ducgne , qu'i n'y a point de si belle gorge aux yeux d'urt mari, que celle d'une mère qui nourrit ses cnfans. Cette intervention des maris, dans des soins qui les regardent si peu, fit beau* coup rire les dames; et la reine, trop jolia pour l'être irapunc'ment, leur parut dès-lors^ maigre' ses caprices , presque aussi ridicula que ^on époux, qu'elles appelaient par de'- rision , le bourgeois de Vaugirard.

Je te vois venir, dit aussitôt le druide y tu voudrais me donner insensiblement le lôle de Schah-bahan, et me faire demander s'il y a aussi un Vaugirard aux indes , comm© Un Madrid au bois de Boulogne, un opér* dans Paris , et un philosophe à la cour»i Mais poursuis ta rapsodie, et ne me tend* plus de ces pièges; car n'étant ni marié, sultan, ce n'est pas la peine d'être un sot»

Enfin, dit Jalamir sans répondre au driiidcj,' tout étant prêt,, le jour fut pris pour ou- vrir les portes du ciel aux deux nouveaux nés. La fée se rendit de bon matin au pa- lais, et déclara aux augustes époux qu'cllt» allait faireà chacun de leurs eufans un présent digne de leur naissance et de son pouvoir. Je veux, dit-elle, ayaût ^ue l'eau ûiagi^ue

S88 LA REINE

les dérobe à ma protection , les enrichir âfk mes dons , et leur donner des noms plus efficaces que ceux de tous les pieds-plats du calendrier, pjwisqu'ils exprimeront les perfec- tions dont j'aurai soin de les douer en même temps : mais comme vous devez connaîtra mieux que moi les qualite's qui conviennent au bonheur de votre famille et de vos peu- ples , choisissez vous-mêmes, et faites ainsi d'un seul acte de volonté sur chacun de vos deux enfans, ce que vingt ans d'éducation font rarement dans la jeunesse, et que la Raison ne fait plus dans un âge avancé.

Aussitôt grande altercation entre les deux époux. La reine prétendait seule régler à sa fantaisie le caractère de toute sa famille; et le bon prince, qui sentait toute l'importanc» d'un pareil choix, n'avait garde de l'aban- donner au caprice d'une/emme dont il adop- tait les folies sans les partager. Phénix vou- lait des enfans qui devinssent un jour des gens raisonnables; Fantasque s\vi\d\t mieux «voir de jolis enfans , et pourvu qu'ils bril- lassent à six ans , elle s'embarassait fort peu qu'ils fussent des sots à trente. La fée eut beau s'efforcer de mettre leurs majestés d'ac- cord \ bientôt le caractère des nouveaux nés

FANTASQUE. S89

ne fut plus que le pre'texte de la dispute , et il n'était pas quostion d'avoii raisou, mais de se mettre l'un l'autre à la raison. Enfin Discrète imagina un moyen de tout ajuster, sans donner le tort à personne ' ce fut que chacun disposât à son gré de l'en- fant de son sexe. Le roi approuva un expé- dient qui pourvoyait à l'essentiel, en met- tantà couvert des bizarressouhaits de la reine, l'héritier présomptif de la couronne ; et voyant les deux enfans sur les genoux de leur gou- vernante, il se hâta de s'emparer du prince non sans regarder sa sœur d'un œil de com- misération. Mais Fantasque , d'autant plus mutinée qu'elle avait moins raison de l'être courut comme une emportée à la jeune prin- cesse, et la prenant aussi dans ses bras: vous vous unissez tous, dit-elle , pour m'ex- céder, mais afin que les caprices du roi tournent malgré lui-même au profit d'ua de ses enfaus , je déclare que je demande pour celui que je tiens, tout le contraire de ce qu'il demandera pour l'autre. Choisissez maintenant, dit-elle au roi d'un air de triom- phe, et puisque vous trouvez tant de char- mes à tout diriger, décidez d'un seul mot le sort de votre famille entière. La fée et !• Mélanges, Tome V, Y

S90 L A R E I N E

roi tâchèrent en vain delà dissuader d'une ré- solution qui mettaitcc prince dans un étrange embarras; elle n'en voulut jamais démordre, et dit qu'elle se félicilait beaucoup de l'ex- pédient qui ferait rejaillir sur sa lille tout le mérite que le roi ne saurait pas donner à son fils. Ah ! dit ce prince outré de dé- pit, vous n'avez jamais eu pour votre fille que de l'aversion, et vous le prouvez dans l'occasion la plus importante de sa vie; mais, ajouta-t-il dans un transport de colère dont il ne fut pas le maître, pour la rendre par- faite eu dépit de vous , je demande que cet 4Enfant-ci vous ressemble. Tant mieux pour TOUS et pour lui, reprit vivement la reine, luais je serai vengée , et votre fille vous res- semblera. A peine ces mots furent-ils lâchés de part et d'autre avec une impétuosité san«. égale , que le roi , désespéré de son étour- derie, les eût bien voulu retenir; mais c'en était fait, et les deux enfans étaient doués sjans retour des caractères demandés. Le gar- çon reçut le nom de prince Coprice , et la. ftlle s'appela la princesse Haison, nom bizarre qu'elle illustra si bien qu'aucune femme n'osa le porter depuis. iVoilà donc le futur sviccesscur au trôuc orut

FANTASQUE. Zgt

de tontes les perfections d'une jolie femme ^ et la princesse sa sœur destinée à posséder un jour tontes le^ vertus d'un lionne e hom- me et les qualitc's d'un bon roi ; partage qui ne paraissait pas des mieux entendus, mais sur lequel ou ne pouvait plus revenir. Le plaisant fut que l'amour mutuel des deux ^poux at^issant en cet instant avec toute la force que lui rendaient toujours, mais soti- vent trop tard, les occasions essentielles, et la pre'dilectiou ne cessant d'agir , cliacua trouva celui de ses cnfans qui devait lui res- sembler le plus mal j^artagc des deux , et songea moins à le fe'licitcr qu'h le plaindre. L.e roi prit sa fille dans ses bras, et la ser- rant tendrement : Hélas ,lui-dit-il, que te ser- virait la beauté même de ta mère, ïans son talent pour la faire valoir ? tu seras trop raisonnable pour faire tourner la tête à per- sonne ! Fantasque plus circonspecte sur ses propres vérités, ne dit pas tout ce qu'elle pensait de la sagesse du roi futur, mais il était aisé de douter, à l'air triste dont elle le caressait, qu'elle eût au fond du creur tmc {;»*a"<^*^' opinion de son parla-c. Cepen- dant le roi la rcîz,ardant avec une sorte de coiii'usiou, lui lit quelques reproches sur ce

y 2

Sçî L A R E I N E

qui s'était passé. Je seus mes tors , lui dit- il , mais ils sont votre ouv^rage : nos cnfaus auraient valu beaucoup mieux que nous , vous êtes cause qu'ils ne feront que nous res- sembler. Au-moins , dit-elle aussitôt , ea sautant au cou de sou mari, je suis sûre qu'il s'aimeront autant qu'il est possible. Phénix touché de ce qu'il y avait de tendre dans cette saillie, se consola par cette rcflexioa qu'il avait si souvent occasion de faire, qu'eu effet la bouté naturelle , et un cœur sensi- ble, suffisent pour tout réparer.

Je devine si bien tout le reste , dit le druido a Ja//2/«/r en l'interrompant , que j'achève- rais le conte pour toi. Ton prince Caprice fera tourner la tête à tout le monde, et sera trop bien l'imitateur de sa mère pour n'ea pas être le tourment. Il bouleversera le royaume eu voulant le réformer. Pour rendre ses su- jets heureux, il les mettra au désespoir, s'ea prenant toujours aux autres de ses propres torts: injuste pour avoir été imprudent, le regret de ses fautes lui en fera commettre de nouvelles. Comme la sagesse ne le conduira jamais, le bien qu'il voudra faire augmentera le mal qu'il anra fait. En un mot ,quoiqu*au fond il soit boa, sensible , et généreux, ses

FANTASQUE. 393

vertus mcmes lui tourueroat à préjudice; et sa seule étourderie , unie à tout son pou- voir , le fera plus haïr que n'aurait fait «ne méchanceté' raisonnée. D'un autre côté ta princesse Raison , nouvelle héroïne du pays des fées, deviendra un prodige de sa^ gesse et de prudence , et sans avoir d'adora- teurs, se fera tellement adorer du peuple, f]at chacun fera des vœux pour être gouverné par elle : sa bonne conduite, avantageuse à tout le monde et à elle-même, ne fera du tort qu'à son frère, dont on opposera sans cesse les travers à ses vertus, et à qui la prévention publique donnera tous les dé- fauts qu'elle n'aura pas , quand même il uo les aurait pas lui-même. 11 sera question d'ia- tervertir l'ordre de la succession au trône , d'asservir la marotte à la quenouille , et la fortune à la raison. Les docteurs exposeront avec emphase les conséquences d'uu tel exem- ple, et prouveront qu'il vaut mieux que le peuple obéisse,aveuglement aux enragés que le hazard peut lui donner pour maîtres, qu» de se choisir lui-même des chefs raisonnables ; que quoiqu'on interdisse à un fou le gou- vcrtiemcnt de son propre bien, il est boa de lui laisser la supréine disposition de nos

y 3

394 L A R E I N E

biens et de uos vies; que le plus iusense' des hommes est encore préfe'rable à la plus sage des femmes ; et que le mâle ou le premier ne' , fût-il uu singe ou un loup , il faudrait eu bonne politique qu'une héroïne ou un ange naissant après lui obéît à ses volontés. Ob- jections et répliques de la.part des séditieux, dans lesquelles Dieu sait comme on verra bril- ler ta sophistique éloquence : car je le coli- nais ; c'estsur-tout à médire de ce qui se fait, que ta bile s'exhale avec volupté , et tou amcre franchise semble se réjouir de la mé- chaucctc des hommes, parle plaisir qu'elle prend à la leur reprocher.

Tubleu , père drui;ie, comme vous y allez , dit Jalainir tout surpris ; quel lluK de pa- roles ! diable avez-vous pris de si belles tirades ? Vous ne prêchâtes de votre vie aussi bleu dans le bois sarce' , quoique vous n'y parliez pas plus vrai. Si je vous laissais faire, vous changeriez bientôt unconte de lees en un traité de politique, et l'on trouverait quel- que jour dans les cabinets des princes , Barbe- bleue ou Peau-d'ànc au lieu de Machiavel. Mais ne vous mettez point tant en frais pour deviner la fin de mon conte.

Pour vous montrer que les déuouemcus ne

FANTASQUE. SpS

me manquent pas au besoin, j'en Vais dans quatre mots expédier un non pas aussi sayanfe que le vôtre, mais peut-être aussi naturel, et à coup sûr plus imprévu.

Vous saurez donc que les deux cnlans jumeaux étant, comme je l'ai remarqué, fort-semblables de figure et de plus habillés de- même , le voi croyant avoir pris son fils tenait sa fille entre ses bras au moment de l'influence , et que la reine trompée par le choix de son mari ,aynnt aussi pris son fils pour sa fille, la fée profita de cette erreur pour douer les deux enfans de la manière qui leur convenait le mieux. Caprice fut donc le nom de la princesse , /ï^/^o« celui du prince soa frère; et en dépit des bizarreries de la reine, tout se trouva dans l'ordre naturel. Parvenu au trône après la mort du roi , Bnison fit beaucoup de bien et fort peu de bruit : cher- chant plutôt à remplir ses devoirs qu'à s'ac- quérir de la réputation, Il ne fit ni guerre aux étrangers, ni violence à ses su)ets , et reçut plus de bénédictions que d'éloges. Tous les projets formés sous le précédent règne furent exécutés sous celui-ci, et en passant de la domniation du père sous celle du fils, les peuples deux fois heureux crurent n'avoir

Y 4

895 L A R E I N E , etc.

pas changé de maître. La princesse Caprice j après avoir fait perdre la vie ou la raisou h des multitudes d'amans tendres et aimables, fut enfin marie'c à un roi voisin qu'elle pré- féra parce qu'il portait la plus longue mous- tache et sautait le mieux à cloche-pied. Pour Fantasque tWt^ mourut d'une indigestion de pieds de perdrix en ragoût, qu'elle voulut manger avant de se mettre au lit le roi se morfondait à l'attendre, un soir qu'à force d'agaceries elle l'avait engagé à venir couchey avec elle.

L E

PERSIFLEUR.

L E

PERSIFLEUR. (*>

JL^È s qu'on m'a appris que les écrivains qui s'étaient charj;és d'examiner les ouvrages nou- veaux, avaient, par divers accideus , succes- sivement résigne leurs emplois , je me suis mis eu tcte que je pourrais fort bien les rempla. ccr; et, comme je n'ai pas la mauvaise vanité de vouloir cire modeste avec le public, j'a- voue franchement que je m'en suis trouvé très- capable; je soutiens même qu'on ne doit ja- mais parler autrement de soi que quand on est bien sv'ir de n'en pas être la dupe. Si j'étais un auteur connu, j'affecterais peut-être de débi- ter des contre-vérités à mon désavantage , pourtàcheràleur faveur d'amener adroitement! dans la même classe les défauts que je serais contraiutd'avouer; mais actuellement Icstra-

(*) Ce morceau devait être la première feiiilla d'un écrie périodirpie projeté, dit l'auteur , pour être fdit alternativement entro M. Diderot et lui : l'auteur en esquissa la première feuille et par des ivénemens imprévus le piojec en dcmeura-là.

Y é

400 L E P E R S I F L E U R;

tagème serait trop dangereux ; le lecteur , par provision, me joueroit infaiUiblementle tour de tout prendre avi pied de la lettre : or, je demande à mes chers confrères, est-ce-là la compte d'un auteur qui parle mal de soi.

Je seus bien qu'il ne suffit pas tout-à-fait que je sois convaincu de ma grande capacité' , et qu'il serait assez nécessaire que le public fût de moitié' dans cette conviction : mais il m'est aise' de montrer que cette réflexion , même prise comme il faut, tourne presque toute a mon profit. Car remarquez , je vous prie , que si le public. n'a point de preuves que je sois pourvu des talcus convenables pour réussir dans l'ouvrage que j'entreprends, ou ne peut pas dire , non plus , qu'il eu ait du contraire. Voilà donc déjà pour moi un avantage con- sidérable sur la plupart de mes concurrens Val réellement vis-à-vis d'eux une avance rela- tive de tout le chemin qu'ils ont fait ch ar- rière.

Je pars ainsi d'un préjugé favorable et je le confirme parles raisons suivantes, très-capa- bles, à mon avis, de dissiper pour jamais toute espèce de doute désavantageux sur moa compte.

i^. On a publié depuis un grand nombre

LE PERSIFLEUR. 401

d'années une infinité de journaux, feuilles, et autres ouvrages périodiques en tout pays et en toute langue, et j'ai apporté la plus scru- puleuse attention à ne jamais rien lire de tout cela. D'où je conclus que n'ayant point la tête farcie de ce jargon , je suis en état d'en tirer des productions beaucoup meilleures en elles- mêmes , quoique peut-être en moindre quan- tité. Cette raison est bonne pour le public, mais j'ai été contraint de la retourner pour mon libraire,en lui disant que le jugementen. gendreplusdechosesà mesure que la mémoire en est moins chargée, et qu'ainsi les matériaux ne nousmanqucraient pas.

2**. Je n'ai pas non plus trouvé à propos j, et à peu prés par la même raison, de perdre beaucoup de temps a l'étude des sciences nia celle des autours anciens, La physique sistéma^ tique est depuis long-temps relégée dans le pays des romans , la physique expérimentale tie me paraît plus que l'art d'arranger agréa- blement de jolis brimborions , et la géométrie celui de se passer du raisonnement à l'aide de quelques formules.

Quant aux anciens , il m'a semblé que dans les jugcmens que j'aurais à porter, la probité ne Touioit pas que je doauasse le change à

^2 LE PERSIFLEUR;

mes lecteurs , ainsi que ftsaicnt jadis nossa- vans , en substituant frauduleusement à ruoa avis , qu'ils attendraient, celui à'^ristote ou de Cicéron dont ils n'ont que faire; grâce à l'esprit de nos modernes, il y a long-temps que ce scandale a cessé , et je me garderai bien d'en ramener la pénible mode. Je me suis seu- lement appliqué à la lecture des dictionnaires , el j'y ai fait un tel profit, qu'eu moins de trois mois , je me suis vu en état de décider de tout avec autant d'assuranceet d'autorité que si j'a- vais eu deux ans d'étude. J'ai de plus acquis lui petitrecueil de passages latins tirés dedivers poètes , je trouverai de quoi broder et ea-^ joliver mes feuilles, en les ménageant avec éco- nomie, afin qu'ils durent long-temps: je sais combien les vers latins cités à propos donnent de relief à un pbilosophe; et par la même rai- son je me suis fourni de quantité d'axiomes et de sentences philosophiques, pour orner mes dissertations quand il sera question de poésie. Car je n'ignore pas que c'est un devoir indis- pensable pour quiconque aspire à la réputa- tion d'auteur célèbre , de parler pertinemment de toutes les sciences , hors celle dont il so niclc. D'ailleurs je ne sens point du tout la né- cessite d'être £ort savant pour juger les ouvicij?'

L E P E R s I F L E U R. 4o3

ges qu'où nous donne au)ourd'iiui. Ne di- rait-on pas qu'il faut avoir lu le P. P^tau ^ Montfancon , etc. et être profond dans les inathcinatiqucs , etc. pour juger Taiizaï , Grigri , Anj^ola , Misapouf , et autres sublimes productions de ce siècle.

Ma dernière raison , et dans le Fond la seulo dont j'avois besoin , est tirée de mon objet même. Le but que je me propose dans le tra- vail médité, est de faire l'analyse des ouvrages nouveaux qui paraîtront, d'y joindre mon sen- timent, et de communiquer l'un et l'autre au public : or clans tout cela, je ne vois pas la moindre nécessité d'être savant: juger saine- ment et impartialement , bien écrire, savoir sa langue , ce sont-la, ce me semble, toutes les conuaissances nécessaires en pareil cas : mais eesconuaisssances, qui est-ce qui se vante de les posséder mieux que moi et à un pins haut degré? à la vérité; je ne saurais pas bien dé- montrer qne cela soit réellement tout-à-fait comme je le dis ; mais c'est justement à cause de cela que je le crois encore plus fort : on ne peut trop sentir soi-même ce qu'on veut per- suader aux autres : serais-jc donc le premier qui à force de se croire un fort habile homme l'aurait aussi fait woirc au public ; et si je par-

4Q4 L E P E R S I F L È U R. |

viens à lui donner de moi une semblable opi- îiion , qu'elle soit bien ou mal fondée , n'est-ce pas pour ce qui me regarde à peu près la même chose dans le cas dont il s'agit ?

On ne peut donc nier que je ne sois très-fondé im'e'rigeren Arisiarque ^ en juge soin eraia des ouvrages nouveaux, louant, blâmant j cri- tiquant à ma fantaisie sans que personne soit en droit de me taxer de témérité , sauf à tous et un chacun de se prévaloir contre moi du droit de représailles que je leur vnccoide de très- grand cœur, désirant seulement qu'il leur pren- ne en gré dédire du mal de moi delà même ma- nière et dans le même sens que ;f m'avise dVu dire du bien.

C'est par une suite de ce principe d'équité que, n'étant point connu de ceux qui pour- raient devenir mes adversaires, jedéclareque toute critique en observation personnelle sera pour toujours bannie de mou journal : ce ue sont que des livres que vais examiner, le ïiiot d'auteur ne sera pour moi que l'esprit du livre même, il ne s'étendra point au-delà, et j'avertis positivement que je ue m'en servirai jamais dans un autre seus; de sorte que si, dans mes jours de ma uv aise humeur,ilm'arri?e quelquefois de dire ; voilà uu sot, uu imper-

LE PERSIFLEUR. 40&

tincnt écrivain, c'est l'ouvrage seul qui sera taxe d'impertinence et 4.e sottise , et je n'en-, tends nullement que l'auteur en soit moins un ge'nie du premier ordre , et peut-être même un digne acade'micien. (^uesais-je, par exemple , si l'on ne s'avisera pas de régaler mes feuillets des épithètes dont )e viens de parler : or ou voit bien d'abord que je ne cesserai pas pour cela d'être un homme de beaucoup de mé-i rite.

Comme tout ce que j'ai dit jusqu'à présent paraîtrait un peu vague si je n'ajoutais rieii pour exposer plus nettement mon projet et la manière dont je me propose de l'exécuter, je vais prévenir mon lecteur sur certaines parti-» cularitcs de mon caractère, qui le mettront au fait de ce qu'il peut s'attendre à trouver dans lues écrits.

Quand Soile^i/ aiWldc l'homme en géné- ral qn'ilchangeait du blanc au noir , il a croqué mon portrait en deux mots , en qualité d'in- dividu. Il l'eût rendu plus précis s'il y eiik ajoute toutes les autres couleurs avec Ica» nuances intermédiaires. Rien n'est si dissem- blable a moi que moi-même : c'est pourquoi il serait inutile de tenter de me définir autre-t pjeut que par cette variété singulière j ellees|

4o6 L E P E R S I F L E U R.

telle dans mon esprit qvi'elle influe de temps à autre jusque sur mes seutimens. Quelquefois je suis un dur et féroce misautrope ; en d'au- tres momens , J'entre en extase nu militu des charmes de la socie'té et des délices l'a- mour. Tantôt je suisaustère et dévot, et pour le bien de mon ame je fais tous mes efforts pour rendre durables ces saintes dispositions ; mais je deviens bientôt un franc libertin ; et comme je m'occupe alors beaucoup plus de mes sens que de ma raison , je m'abtiens cous- tanunent d'écrire dans ces moinens-là : c'est sur quoi il est bon que mes lectenrs'soient svif- Ësammcut prévenus , de peur qu'ils ne s'atten- dent à trouver dans mes feuilles des choses quecertainemcntils n'y verront jamais. En un mot j un Protée , un Caméléon , une fenuue sont des êtres moins changeans que moi ; ce qui doit dès l'abord ôter aux curieux toute espérance de me reconnaître quelque jour à mon caractère : car ils me trouveront toujours sous quelque forme particulière qui ne sera la mienne que pendant ce moment-là , et ils no peuvent pas même espérer de me reconnaître à ces chaiigemens \ car comme ils n'ont point de période fixe , ils se feront quelquefois d'un instant à l'autre , et d'autrefois je demeurerai

LE r E R S I F L E U R. 407

des mois entiers dans le même état. C'est cette irrégularité même qui fait le fond de ma cons- titution. Bien plus ; le retour des mêmes ob- jets renouvelle ordinairement en moi des dis- positions semblables à celles oii je me suis trouvé la pre:uicre fois que je les ai vus , c'est pourquoi je suis assez constamment de la mémo bumcur avec les mêmes personnes. De sorte qu'à entendre séparément tous ceux qui mo connaissent, rien ne paraîtrait moins varié que mou caractère : mais , allez aux derniers cclaircissemens , l'un vous dira que je suis ba- din , l'autre yrave ; celui-ci me prendra pour «m ignorant , l'autre pour vin homme fort docte : en xin mot , autant de têtes , autant d'avis. Je me trouve si bizarrement disposé à cet égard qu'étant un jour abordé par deux personnes à la fois, avec l'une desquelles j'a- vais accoutumé d'être gai jusqu'à la folie , et plus ténébreux k\<a Heraclite avec l'autre , me sentis si puissamment agité que je fus con- traint de les quitter brusquement de peur que le contraste des passions opposées ne me fit tomber cil syncope.

Avec tout cela , à force de m'examiner , je n'ai pas laissé que dedémêler en moi certaines dispositions dominantes , et certains retours

4&8 LE PERSIFLEUR.

presque périodiques qui seraient difficiles à remarquer à tout autre qu'à l'observateur le plus attentif, eu un mot, qu'à moi-même; c'est à peu près ainsi que toutes les vicissitudes et les irre'gularités de l'air , u'empcchent pas que les marins et les hahitans de la campagne n'y aient remarqué quelques circonstances an- nuelles, et quelques phénomènes qu'ils ont ré- duits en refile pour prédire à peu près le temps qu'il fera dans certaines saisons. Je suis sujet, par exemple , à deux dispositions principales qui changent assez constamment de huit eu huit jours, et que j'appelle mes âmes hebdo- madaires ; par l'une je me trouve sa^^ement fou , par l'autre follement sage , mais de telle in.mière pourtant que la folie l'emportant suf la sagesse dans l'un et dans l'autre cas , elle a surtout manifestement le dessus dans la se- maine ovi je m'appelle sage ; car alors , le fond de toutes les matières que je traite, quelque raisonnable qu'il puisse être en soi , se trouve presqu'entièrement absorbe par les futilités et les extravagances dont j'ai toujours soin de l'habiller. Pour mon ame folle elle est bien plus sagequecela, car bien qu'elle tiretonjou'-s de son propre fond le texte sm- lequel elle ar- gumente , elle met tant d'art , tant d'ordre ,

LE PERSIFLEUR. 409

et tant de force dans ses raisonncmcns et dans ses preuves , qu'une folie ainsi déguisée ne diffère presque en rien de la sagesse. Sur ces idées que je garantis justes ou à peu près , je trouve un petit problème à proposer li mes lecteurs , et je les prie de vouloir bien décider laquelle c'est de mes deux âmes qui a dTcté cette feuille ?

Qu'on ne s'attende donc point à ne voir ici que de sages et graves dissertations , on y en verra sans doute , et serait la variété ? mais je ne garantis point du tout qu'au milieu de la plus profonde métaphysique , il ne me prenne tout d'un coup une saillie extrava- gante , et qu'emboîtant nion lecteur dans l'I- cosaèdre de Bergerac , je ne le transporte tout d'un coup dans la lune ; tout comme à pro- pos de l'Arioste et de l'HippogrifiFe , je pour- rais fort bien lui ç,\\.gx Platon j Locke on Mal" lebranche.

Aurestc, toutesraatièresserontdcma com- pétence , et j'étends ma jurisdiction indistinc- tement sur tout ce qui sortira de la presse ; je m'arrogerai niênio , quand le cas y écherra , le droit de révision sur les jugemcns de mes con- frères ; et non content de me soumettre toutes JUîS iuipriuierics de France, je me propose aussi

410 LE PERSIFLEUR.

de faire de temps en temps de bonnes excur- sions hors du royaume ,et de me rendre tribu- taires î'Italie , ia Hollande et même l'Angle- terre , chacune à sou tour , promettaut foi de voyageur la ve'racite la plus exacte daus les actes que j'en rapporterai.

Quoique le lecteur se soucie , sans doute ~ assez peu des détails que je lui fais ici de moi et de mon caractère , j'ai résolu de ue pas lui en faire grâce d'une seule ligne ; c'est autant pour son profit que pour ma commodité que j'en agis ainsi. Apres avoir commencé panne persifler moi-même , j'aurai tout le temps de persifler les autres ; j'ouvrirai les yeux , j'écri- rai ce que je vois , et l'on trouvera que je me serai assez bien acquitté de ma tâche.

Il me reste à faire excuse d'avance aux au- teurs que je pourrais maltraiter à tort, et au public de tous les éloges injustes que je pour- rais donner aux ouvrages qu'on lui prébe?itc. Ce ne sera jamais volontairement que je com- mettrai de pareilles erreurs; je sais querim- partialité dans un journaliste ne sert qu'à lui faire des ennemis de tous les auteurs , pour n'avoir pas dit au gré de chacun d'eux assca de bien de lui ni assez de mal de ses confrères ' c'est pour cela que je yeux toujours rester iu.

LE PERSIFLEUR. 411

connu : ma grande folie est de vouloir ne cou- suUer que la raison et ne dire que la vérité ; de sorte que suivant l'e'tendue de mes lumières et la disposition de mon esprit, on pourra trouver en moi tantôt un critique plaisant et badin, tantôt un censeur sévère et bourru, non pasunsatyrique amer ni un puérile adu- lateur. Les jugemcns peuvent être faux, mais le juge ne sera jamais inique.

Fin du einquième volume des Mélavges,

TABLE

DES DIFFÉRENTES PIÈCES

CONTENUES DANS LE CINQUIÈME VOLUME DES MÉLANGES.

JL RADudTiON du Livre premier de Thistoire

de Tacite. Page 7

Traduction de l'Apocolokiiitosis de Senè^

que. 21 3

Olinde et Sophrovie , tiré du Tasse. 2-ji

Le Lévite à'Ephraïm, 3i5

Lettres \ Sdit&. 35 1

La Reine Faiitascjue , conte. 869

Le Persifleur. - 399

Lettre de J. J. Rousseau a M. le docteur

Burney , auteur de l'iiistoire générale de la

Mujique. 359

Fin de la Table.

>

^^^

*«>:■ i-J"* Va

«^

'^L-

}