UNIVERSITY OI TORONTO LIBRARY The Jason A.I {annah Collection in the History of Medical and Related Sciences X n) AS | Ce, Te : ) ès : ROC ne ‘. LL , : = Q j à > AR ENT ‘4 JON »7 k jé AC Ce : OEUVRES DE BUFFON. TOME LH | PU # { JA itmétdant MONTS l, AV RSS Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http:/www.archive.org/details/oeuvrescompltO1buff ŒUVRES COMPLETES DE BUFFO! AVEC DES EXTRAITS DE DAUBENTON ET LA CLASSIFICATION DE CUVIER. TOME PREMIER. MATIÈRES GÉNÉRALES, — 1, — THÉORIE DE LA TERRE PARIS, AU BUREAU DES PUBLICATIONS ILLUSTRÉES. RUE DE LA HARPE, 98. M DCCC XLII. k TEMRU ‘ ÆRNAULAE ‘ né | F r + e dr 5 Éd AOL IE ; th L LE À AUVA AUS NE MIANELAN AUDE , , i LL 76. itea tt di AUNER 7 LUN M, TA, .: 188 . RU Ma AAA HEU à 248 ; (baie LL drame {” sun” ? “ie | 0 1 RAP .… sie EUR fi 144847 Li Luis À |. tr Heu: M COTON SRRASAS ATTIRENT ETATS A? SONDE PSS RU LT LAS ARS TEE SAS ES ARS RAS. ÉLOGE DE BUFFON PAR VICQ Vicq d'Azyr ayant été élu par messieurs de l'Académie Francaise, à la place de M. le comte de Buffon, y vint prendre séance le jeudi 11 décembre 1788, et prononca le discours qui suit : MESSIEURS, Dans le nombre de ceux auxquels vous ac- cordez vos suffrages, il en est qui, déjà célèbres par d’immortels écrits, viennent associer leur gloire avec la vôtre; mais il en est aussi qui, à la faveur de l'heureux accord qui doit régner entre les sciences etles arts, viennent vous de- mander, au nom des sociétés savantes dont ils ont l'honneur d'être membres, à se perfection- ner près de vous dans le grand art de penser et d'écrire, le premier des beaux-arts, et celui dont vous êtes les arbitres et les modèles. C'est ainsi, messieurs, c'est sous les auspices des corps savants auxquels j'ai l'honneur d'ap- - partenir, queje me présente aujourd’hui parmi vous. L'un de ces corps ! vous estattaché depuis longtemps par des liens qui sont chers aux let- tres; dépositaire des secrets dela nature, inter- prète de ses lois, il offre à l’éloquence de grands sujets et de riches tableaux. Quelque éloignées que paraissent être de vos occupations les au- tres compagnies * qui m'ont reçu dans leur sein, elles s’en rapprochent, en plusieurs points, par leurs études. Peut-être que les grands écrivains qui se sont illustrés dans l'art que je professe, qui ont contribué, par leurs veilles , à conser- ver danstoute leur pureté ces langues éloquen- tes de la Grèce et de l'Italie, dont vos produc- tions ont fait revivre les trésors, qui ont le mieux * L'Académie royale des Sciences. ? La Faculté et la Societé royale de Médecine de Paris. I. D'’AZYR. imité Pline et Celse dans l'élégance de leur lan- gage; peut-être que ces hommes avaient quel- : ques droits à vos récompense. Animé par leurs exemples , j'ai marché de loin sur leurs traces: j'ai fait de grands efforts et vous avez couron- né mes traveaux. Et ce n'est pas moi seul dont les vœux sont aujourd'hui comblés ; que ne puis-je vous ex- primer, messieurs, combien la faveur que vous m'avez accordée a répandu d'encouragement el de joie parmi les membres et les correspon- dants nombreux de la compagnie savante dont je suis l'organe! J'ai vu que, dans les lieux les plus éloignés, que, partout où l'on cultive son esprit et sa raison , on connaît le prix de vos suffrages; et si quelque chose pou- vait ajouter au bonheur de les avoir réunis, ce serait celui de voir tant de savants estimables partager votre bienfait et ma reconnaissance ; ce serait ce concours de tant de félicitations qu'ils m'ont adressées de toutes parts, lorsque vous m'avez permis de succéder parmi vous à l'hommeillustre que le monde littéraire a perdu. Malheureusement il en est de ceux qui suc- cèdent aux grands hommes, comme de ceux qui en descendent. On voudrait qu'héritiers de leurs priviléges, ils le fussent aussi de leurs ta- lents ; et on les rend, pour ainsi dire, responsa- bles de ces pertes que la nature est toujours si lente à réparer. Mais ces reproches qui échap- pent au sentiment aigri par la douleur, le si- lence qui règne dans l'empire des lettres, lors- que la voix des hommes éloquents à cessé de s’y faire entendre, ce vide qu'on ne saurait combler, sont autant d'hommages offerts au génie. Ajoutons-y les nôtres, et méritons, par nos respects, que l'on nous pardonne d'être as- 1 2? sis à la place du philosophe qui fut une des lu- uières de son siècle, et l'un des ornements de sa patrie. La France n'avait produit aucun omvrage qu'elle pût opposer aux grandes vues des an- ciens sur la nature. Buffon naquit, et la France n'eut plus, à cet égard, de regrets à former. On touchait au milieu du siècle; l'auteur de la Henriade et de Zaire continuait de charmer le monde par l'inépuisable fécondité de son gé- nie ; Montesquieu démélait les causes physiques et morales qui influent sur les institutions des hommes; le citoyen de Genève commençait à les étonner par la hardiesse et l'éloquence de sa philosophie; d'Alembert écrivait cet immortel discours quisert de frontispice au plus vaste de tousles monuments de la littérature; il expli- quait la précession des équinoxes, et il créait un nouveau calcul : Buffon préparait ses pin- veaux, et tousces grands esprits donnaient des espérances qui n'ont point été trompées. Quel grand, quel étonnant spectacle que celui de la nature! Des astres étincelants et fixes qui répandent au loin la chaleur et la lumière; des astres errants qui brillent d'un éclat emprunté, et dont les routes sont tracées dans l’espace; des forces opposées d’où nait l'équilibre des mondes ; l'élément léger qui se balance autour de la terre; les eaux courantes qui la dégradent et la sillonnent ; les eaux tranquilles, dont le li- mon qui la féconde forme les plaines; tout ce qui vit sur sa surface, et tout ce qu'elle cache en son sein; l’homme lui-même dont l’audace a tout entrepris , dont l'intelligence a tout em- brassé, dont l'industrie a mesuré le temps et l'espace; la chaine éternelle des causes; la sé- rie mobile des effets : tout est compris dans ce merveilleux ensemble. Ce sont ces grands objets | que M. de Buffon a traités dansses écrits. Histo- men, orateur, peintre et poëête, il a pris tous les tons et mérité toutes les palmes de l'éloquence; ses vues sont hardies, ses plans sont bien con- cus, ses tableaux sont magnifiques. Il instruit souvent, ilintéresse toujours; quelquefois il en- chante, il ravit ; il force l'admiration, lors même que la raison lui résiste. On retrouve dans ses erreurs l'empreinte de son génie; et leur tableau prouverait seul que celui qui les commit fut un grand homme. Lorsqu'on jette un coup d'œil général sur les ouvrages de M. de Buffon, on ne sait ce qu'on doit le plus admirer dans une entreprise si éten- ÉLOGE DE BUFFON due, ou de la vigueur de son esprit, qui ne se fatigua jamais, ou de la perfection soutenue de son travail, qui ne s’est point démentie, ou de la variété de son savoir, que chaque jour il augmentait par l'étude. Il excella surtout dans l'art de généraliser ses idées et d’enchaïner les observations. Souvent, après avoir recueilli des faits jusqu'alors isolés et stériles, il s'élève etil arrive aux résultats les plus inattendus. En le suivant, les rapports naissent de toutes parts; jamais on ne sut donner à des conjectures plus de vraisemblance, et à des doutes l'apparence d’une impartialité plus parfaite. Voyez avec quel art, lorsqu'il établit uneopinion, les proba- bilités Les plus faibles sont placéesles premières ; à mesure qu'il avance, il en augmente si rapi- dement le nombre et la force, que le lecteur sub- jugué se refuse à toute réflexion qui porterait atteinte à son plaisir. Pour éclairer les objets, M. de Buffon emploie, suivant le besoin, deux manières : dans l’une, un jour doux, égal, se répand sur toute la surface; dans l’autre, une lumière vive, éblouissante, n’en frappe qu'un seul point. Personne ne voila mieux ces vérités délicates qui ne veulent qu'être indiquées aux hommes. Et dans son style, quel accord entre l'expression et la pensée! Dans l'exposition des faits, sa phrase n'est qu'élégante; dans les pré- faces de ses traductions, il ne montre qu'un écrivain correct et sage. Lorsqu'il applique le caleul à la morale, il se contente de se rendre intelligible à tous. S'il décrit une expérience, il est précis et clair; on voit l'objet dont il parle; et, pour des yeux exercés, c'est le trait d'un grand artiste : mais on s'aperçoit sans peine que ce sont les sujets élevés qu'il cherche et qu’il préfère. C’est en les traitant qu’il déploie toutes ses forces, et que son style montre toute la ri- chesse de son talent. Dans ces tableaux, où l’i- magination se repose sur un merveilleux réel, comme Manilius et Pope, il peint pour instruire; comme eux, il décrit ces grands phénomènes , qui sont plus imposants que les mensonges de la fable; comme eux , il attend le moment de l'inspiration pour produire; etcomme eux, il est poëte. En lui la clarté , cette qualité première des écrivains, n’est point altérée par l'abon- dance. Les idées principales , distribuées avec goût, forment les appuis du discours; il a soin que chaque mot convienne à l'harmonie autant | qu'à la pensée; il ne se sert, pour désigner les choses communes, que de ces termes généraux PAR VICQ D'AZYR. 3 qui ont, avec ce qui les entoure, des liaisons étendues. À la beauté du coloris il joint la vi- gueur du dessin; à la force s'allie la noblesse; l'élécance de son langage est continue; son style est toujoursélevé, souvent sublime, imposantet majestueux ; il charme l'oreille, il séduit l'ima- gination, il occupe toutes les facultés de l'esprit; et, pour produire ces effets , il n'a besoin ni de la sensibilité qui émeut et qui touche, ni de la véhémence qui entraine, et qui laisse dans l'étonnement celui qu'elle a frappé. Que l'on étudie ce grand art dans le discours où M. de Buffon en a tracé les règles, on y verra partout l'auteurserendantuncompteexactde ses efforts, réfléchissant profondément sur ses moyens , et dictant des lois auxquelles il n'a jamais manqué d'obéir. Lorsqu'il vous disait, messieurs, que les beautés du style sont les droits les plus sûrs que l’on puisse avoir à l'admiration de la posté- rité ; lorsqu'il vous exposait comment un écri- vain, en s'élevant par la contemplation à des vérités sublimes, peut établir sur des fonde- ments inébranlables des monuments immortels, il portait en lui le sentiment de sa destinée; et c'était alors une prédiction qui fut bientôt ac- complie. Je n'aurais jamais osé, messieurs , parler ici de l’élocution et du style, si, en essayant d’ap- précier M. de Buffon sous ce rapport, je n'avais été conduit par M. de Buffon lui-même. C'est en lisant ses ouvrages que l'on éprouvetoute la puissance du talent qui les a produits, et de l’art qui les a formés. Je sens mieux que per- sonne combien il est difficile de célébrer digne- ment tant de dons rassemblés; et lors même que cet éloge me ramène aux objets Les plus fa- miliers de nos travaux , j'ai lieu de douter en- coreque j'aierempli votre attente. Mais les ou- vrages de M. de Buffon sont si répandus, et l'on s’est tant occupé de la nature en l'étudiant dans ses écrits, que , pour donner de ce grand homme l'idée que j'en ai conçue, je n'ai pas craint, messieurs , de vous entretenir aussi des plus pro- fonds objets de ses méditations et de ses travaux. Avant de parler de l'homme et des animaux, M. de Buffon devait décrire la terre qu'ils habi- tent, et qui est leur domaine commun ; mais la théorie de ce globe lui parut tenir au système entier de l'univers; et différents phénoménes , tels que l'augmentation successive des glaces vers les pôles , et la découverte des ossements des grands animaux dans le nord, annonçant qu'il avait existé sur cette partie de notre pla- nète une autretempérature, M. de Buffon cher- cha, sans la trouver, la solution de cette grande énigme dans la suite des faits connus. Libre alors, son imagination féconde osa suppléer à ceque les travaux des hommes n'avaient pu dé- couvrir. 11 dit avec Hésiode : Vous connaitrez quand la terre commença d'être, et comment elle enfanta les hautes montagnes. II dit avec Lucrèce : J'enseignerai avec quels éléments la nature produit, accroit et nourrit les animaux ; et, se plaçant à l'origine des choses : Un astre, ajouta-t-il, a frappé le soleil; il en a fait jaillir un torrent de matière embrasée , dont les par- ties , condensées insensiblement par le froid , ont formé les planètes. Sur le globe que nous habi- tons, les molécules vivantes se sont composées de l'union de la matière inerte avec l'élément du feu ; les régions des pôles , où le refroidissement a commencé, ont été, dans le principe, la pa- trie des plus grands animaux. Mais déjà la flamme de la vie s’y est éteinte; et la terre, se dépouillant par degrés desa verdure, finira par n'être plus qu'un vaste tombeau. On trouve dans ces fictions brillantes la source de tous les systèmes que M. de Buffon a formés. Mais, pour savoir jusqu’à quel point il tenait à ces illusions de l'esprit, qu'on le suive dans les routes où il s'engage. Ici, plein de con- fiance dans ses explications, il rappelle tout à des lois que son imagination a dictées. Là, plus réservé, il juge les systèmes de Whiston et de Leibnitz, comme il convient au traducteur de Newton; et la sévérité de ses principes étonne ceux qui savent combien est grande ailleurs la hardiesse de ses suppositions. Est-il blessé par la satire; il reprend ces théories qu'il avait presque abandonnées ; il les accommode aux dé- couvertes qui ont changé la face de la physi- que, et, perfectionnées, elles excitent de nou- veau les applaudissements et l'admiration que des critiques maladroïts avaient projeté de lui ravir. Plus calme ailleurs , il convient que ses hypothèses sont dénuées de preuves; et il sem- ble se justifier plutôt que s'applaudir de les avoir imaginées. Maintenant son art est connu, et son secret est dévoilé. Ce grand homme n’a rien négligé de ce qui pouvait attirer Sur lui l'at- tention générale, qui était l'objet de tous ses travaux. Il a voulu lier, par une chaine com- mune, toutes les parties du système de la na- ture : il n’à point pensé que , dans une si longue LS A ÉLOGE DE BUFFON arrière, le seul langage de la raison püt se faire entendre à tous; et, cherchant à plaire pour in- struire il a mêlé quelquefois les vérités aux fa- bles, et plus souvent quelques fictions aux vérités. Dans les discours dont je dois rassembler ici les principales idées , les problèmes les plus inté- ressants sont proposés et résolus. On y cherche, parmi les lieux les plus élevés du globe, quel fut le berceau du genre humain; on y peint les premiers peuples s'entourant d'animaux escla- ves: des colonies nombreuses suivant la direc- tion et les pentes des montagnes, qui leur ser- vent d'échelons pour descendre au loin dans les plaines, et la terre se couvrant, avec le temps, de leur postérité. On y demande s'il y a des hommes de plu- sieurs espèces; l'on y fait voir que, depuis les zones froides, que le Lapon et PEskimau par- tagent avec les phoques et les ours blancs, jus- qu'aux climats que disputent à l’Africain le lion et la panthère, la grande cause qui modifie les êtres est la chaleur. L'on y démontre que ce sont ses variétés qui produisent les nuances de la couleur et les différences de la stature des divers habitants du globe, et que nul caractère con- stant n'établit entre eux des différences déter- minées. D'un pôle à l'autre, les hommes ne for- ment done qu’une seule espèce; ils ne composent qu'une même famille. Ainsi, c'est aux natura- listes qu'on doit les preuves physiques de cette vérité morale, que l'ignorance et la tyrannie ont si souvent méconnue, et que, depuis si longtemps , les Européens outragent, lorsqu'ils achètent leurs frères pour les soumettre, sans relâche , à un travail sans salaire, pour les mé- ler à leurs troupeaux , et s'en former une pro- priété, dans laquelle il n’y a de légitime que la haine vouée par les esclaves à leurs oppresseurs, et les imprécations adressées, par ces malheu- reux , au ciel, contre tant de barbarie et d'im- punité. On avait tant écrit sur les sens, que la ma- tière paraissait épuisée; mais on n'avait point indiqué l'ordre de leur prééminence dans les diverses classes d'animaux. C'est ce que M. de Buffon a fait; et considérant que les rapports des sensations dominantes doivent être les mê- mes que ceux des organes qui en sont le foyer, il en a conclu que l'homme , instruit surtout par le toucher, qui est un sens profond, doit être attentif, sérieux et réfléchi ; que le quadrupède, auquel l'odorat et le goût commandent, doit avoir des appétits véhéments et grossiers, tan- dis que l'oiseau , que l'œil et l'oreille conduisent, aura des sensations vives, légères, précipitées comme son vol, et étendues comme la sphère où ilse meut en parcourant kes airs. En parlant de l'éducation, M. de Buffon prouve que, dans toutes les classes d'animaux, c'est par les soins assidus des mères que s'éten- dent les facultés des êtres sensibles; que c’est par le séjour que les petits font près d'elles que se perfectionne leur jugement, et que se déve- loppe leur industrie: de sorte que les plus im- parfaits de tous sont ceux par qui ne fut jamais pressé le sein quiles porta , etque le premier est l'homme qui, si longtemps faible, doit à celle dont il a recu le jour tant de caresses, tant d'innocents plaisirs tant de douces paroles, tant d’idées et de raisonnements , tant d'expé- riences et de savoir; que, sans cette première instruction qui forme l'esprit, il demeurerait peut-être muet et stupide parmi les animaux auxquels il devait commander. Les idées morales sont toutes appuyées sur des vérités physiques; et, comme celles-ci ré- sultent de l'observation et de l'expérience, les premières naissent de la réflexion etde la philo- sophie. M. de Buffon, en les mêlant avec art les unes aux autres, a su tout animer et tout embellir. I en à fait surtout le plus ingénieux usage pour combattre les maux que répand parmi les hommes la peur de mourir. Tantôt, s'adressant aux personnes les plus timides, il leur dit, que le corps énervé ne peut éprouver de vives souffrances au moment de sa dissolu- tion. Tantôt, voulant convaincre les lecteurs les plus éclairés, il leur montre, dans le désor- dre apparent de la destruction, un des effets de la cause qui conserve et qui régénère; il leur fait remarquer que le sentiment de l'existence ne forme point en nous une trame continue, que ce fil se rompt chaque jour par le sommeil , et que ces lacunes , dont personne ne s’effraie, ap- partiennent toutes à la mort. Tantôt, parlant aux vieillards , il leur annonce que le plus âgé d'entre eux , s'il jouit d'une bonne santé, con- serve Fespérance légitime de trois années de vie; que la mort se ralentit dans sa marche, à mesure qu'elle s'avance, et que c’est encore une raison pour vivre, que d'avoir longtemps vécu. Les calculs que M. de Buffon a publiés sur PAR VICQ D'AZYR. ve sujet important, nese bornent point à répan- dre des consolations ; on en tire encore des con- séquences utiles à l'administration des peuples. Il prouve que les grandes villes sont des abimes où l'espèce humaine s’engloutit. On y voit que ! 5 traire, y était en quelque sorte étranger. Veut- on les bien connaitre? que l'on jette les yeux | sur ce qu'ils on ditdes sensations. Ici les deux les années les moins fertiles en subsistance sont aussi les moins fécondes en hommes. De nom- breux résultats y montrent que le corps politi- que languit lorsqu'on l'opprime, qu'il se fatigue et s’épuise lorsqu'on l'irrite, qu'il dépérit faute de chaleur ou d'aliment, et qu'il ne jouit de | toutes ses forces qu’au sein de l'abondance et de la liberté. M. de Buffon est donc le premier qui ait uni | la géographie à l’histoire naturelle, et qui ait appliqué l'histoire naturelle à la philosophie ; le premier qui ait distribué les quadrupèdes par zones, qui les ait comparés entre eux dans les deux mondes, et qui leur ait assigné le rang qu'ils doivent tenir à raison de leur industrie. IL est le premier qui ait dévoilé les causes de la dégénération des animaux, savoir : le change- ment de climat, d'aliments et demœurs, c'est- à-dire l'éloignement de la patrie et la perte de la liberté. Il est le premier qui ait expliqué comment les peuples des deux continents sesont | confondus, qui ait réuni dans un tableau toutes les variétés, de notre espèce, et qui, dans lhis- | toire de l'homme, ait fait connaitre, comme un | caractère quel’homme seul possède, cette flexi- bilité d'organes qui se prète à toutes les tempé- ratures, et qui donne le pouvoir de vivre et de vieillir dans tous les climats. Parmi tant d'idées exactes et de vues neuves, comment ne reconnaitrait-on pas une raison forte que l'imagination n'abandonne jamais, et | qui, soit qu'elle s'occupe à discuter , à diviser ou à conclure, mélant des images aux abstrac- tions et des emblèmes aux vérités, ne laisse rien sans liaison, sans couleur ou sans vie, peint ce que les autres on décrit, substitue des tableaux ornés à des détails arides, des théo- ries brillantes à de vaines suppositions, crée unescience nouvelle, et force tous les esprits à méditer sur les objets de son étude, et à parta- ger ses travaux et ses plaisirs. Dans le nombre des critiques qui s’élevèrent contre la première partie de l'Histoire Naturelle de M. de Buffon, M. l'abbé de Condillae, le plus redoutable de ses adversaires, fixa tous Les regards. Son esprit jouissait de toute sa force dans la dispute. Celuide M.de Buffon, au con- philosophes partent du même point; c'est un homme que chacun d'eux veut animer. L'un, toujours méthodique, commence par ne donner à sa statue qu’un seul sens à la fois. Toujours abondant, l'autre ne refuse à la sienne aucun des dons qu'elle aurait pu tenir de la nature, C’est l'odorat, le plus obtus de tous les organes, que le premier met d'abord en usage. Déjà le second a ouvert les yeux de sa statue à la lu- mière, et ce qu'il y a de plus brillant a frappé ses regards. M. l'abbé de Condillac fait une analyse complète des impressions qu'il commu nique. M. de Buffon, au contraire, a disparu; ce n’est plus lui, c’est l'hommequ'il a créé, qui voit, qui entend, et qui parle. La statue de M. l'abbé de Condillac, calme, tranquille, ne s'étonne de rien, parce que tout est prévu, tout est expliqué par son auteur. II n’en est pas de même de celle de M. de Buffon ; tout l'inquiète, parce qu'abandonnée à elle-même, elle est seule | dans l'univers; elle se meut, elle se fatigue, elle s'endort, son réveil est une seconde nais- sance; et, comme le trouble de ses esprits fait une partie de son charme, il doit excuser une partie de ses erreurs. Plus l'homme de M. l'abbé de Condillac avance dans la carrière de son édu- cation, plus il s’éclaire; il parvient enfin à gé- néraliser ses idées, et à découvrir en lui-même les causes de sa dépendance et les sources de sa liberté. Dans la statue de M. de Buffon, ce n’est pas la raison qui se perfectionne, c’est le senti- ment qui s’exalte; elle s’empresse de jouir; c’est Galatée quis’anime sous le ciseau de Pygmalion, et l'amour achève son existence. Dans ces pro- ductions de deux de nos grands hommes, je ne vois rien de semblable. Dans l'une, on admire une poésiesublime; dans l'autre, une philosophie profonde. Pourquoi se traitaient-ils en rivaux, puisqu'ils allaient par des chemins différents à la gloire, et que tous les deux étaient également sûrs d'y arriver ? Au discours sur la nature des annimaux sue- céda leur description. Aucune production sem- blable n'avait encore attiré les regards des hom- mes. Swammerdam avait écrit sur les insectes. Occupé des mêmes travaux, Réaumur avait donnéàl'histoirenaturellelepremier asilequ'elle ait eu parmi nous, et ses ouvrages, quoique diffus, étaient recherchés. Ce fut alors que M.de 6 ÉLOGE DE BUFFON Buffon se montra. Fort de la conscience de son talent, il commanda l'attention. 11 s'attacha d'abord à détruire le merveilleux de la pré- voyance attribuée aux insectes; il rappela les hommes à l'étude de leurs propres organes; et, dédaignant toute méthode, ce fut à grands traits qu'il dessina ses tableaux. Autour de l'homme, à des distances que le savoir et le goût ont me- surées, il placa les animaux dont l'homme a fait la conquête, ceux qui le servent près deses foyers, ou dans les travaux champêtres: ceux qu'il a subjugués et qui refusent de le servir; ceux qui le suivent, le caressent, et l'aiment ; ceux qui le suivent et le caressent sans l'aimer; ceux qu'il repousse par la ruse ou qu'il attaque à force ouverte; et les tribus nombreuses d'ani- maux qui, bondissant dans les taillis, sous les futaies, sur la cime des montagnes, ou au som- met des rochers, se nourrissent de feuilles et d'herbes; et les tribus redoutables de ceux qui ne vivent que de meurtre et de carnage. À ces groupes de quadrupèdes il opposa des groupes d'oiseaux. Chacun de ces êtres lui offrit une physionomie, et reçut de lui un caractère. II avait peint Je ciel, la terre, l’homme, et ses âges, ct ses jeux, et ses malheurs, et ses plai- sirs; il avait assigné aux divers animaux toutes les nuances des passions, Il avait parlé de tout, et tout parlait de lui. Ainsi quarante années de vie littéraire furent pour M. de Buffon quarante années de gloire; ainsi le bruit de tant d'applau- dissements étouffa les cris aigus de l'envie, qui s'efforçait d'arrêter son triomphe; ainsi le dix- huitième siècle rendit à Buffon vivant les hon- peurs de l'immortalité. M. de Buffon a décrit plus de quatre cents espèces d'animaux; et, dans un si long travail, sa plume ne s'est point fatiguée. L'exposition de la structure et l'énumération des propriétés, par les places qu'elles occupent, servent à re- poser la vue, et font ressortir les autres parties de lacomposition. Les différences des habitudes, des appétits, des mœurs et du climat, offrent des contrastes dont le jeu produit des effets brillants. Des épisodes heureux y répandent de la variété, et diverses moralités y mélent, comme dans des apologues, des leçons utiles. S'il fallait prouvercequej'avance, qu'aurais-je, messieurs, à faire de plus quederetracer des lectures qui ont été la source de vos plaisirs? Vous n'avez point oublié avec quelle noblesse, rival de Virgile, M. de Buffon a peint le coursier fougueux, s'a- nimant au bruit des armes, et partageant avec l'homme les fatigues de la guerre et la gloire des combats; avec quelle vigueur il a dessiné le ti- gre, qui, rassasié de chair, est encore altéré de sang. Comme on est frappé de l'opposition de ce caractère féroce, avec la douceur de la bre- bis, avec la docilité du chameau, de la vigogne et du renne, auxquels Ja nature a tout donné pour leurs maîtres; avec la patience du bœuf, qui est le soutien du ménage et la force de l’a- griculture! Qui n'a pas remarqué, parmi les oiseaux dont M. de Buffon a décrit les mœurs, le courage franc du faucon, la cruauté lâche du vautour, la sensibilité du serin, la pétulance du moineau, la familiarité du troglodyte, dont le ramage et la gaieté bravent la rigueur de nos hi- vers, etles douces habitudes de la colombe, qui sait aimer sans partage, et les combats inno- cents des fauvettes, qui sont l'emblème de l'a- mour léger? Quelle variété, quellerichesse dans les couleurs avec lesquelles M. de Buffon a peint la robe du zèbre, la fourrure du léopard, la blancheur du cygne, et l'éclatant plumage de l'oiseau-mouche! Comme on s'intéresse à la vue des procédés industrieux de l'éléphant et du cas- tor! Que de majesté dans les épisodes où M. de Buffon compare les terres anciennes et brûlées des déserts de l'Arabie, où tout a cessé de vivre, avec les plaines fangeuses du nouveau continent, qui fourmillent d'insectes, où se traînent d’é- normes reptiles, qui sont couvertes d'oiseaux ravisseurs, et où la vie semble naître du sein des eaux! Quoi de plus moral enfin que les ré- flexions que ces beaux sujets ont dictées? C’est, dit-il (à l’article de l'éléphant), parmi les êtres les plus intelligents et les plus doux, que la na- ture a choisi le roi des annimaux. Mais je m'ar- rête. En vain j'accumulerais ici les exemples; entouré des richesses que le génie de M. de Buf- fon a rassemblées, il me serait également im- possible de les faire connaître, et de les rappeler toutes dans ce discours. J'ai voulu seulement, pour paraître meilleur, emprunter un instant son langage. J'ai voulu graver sur sa tombe, en ce jour de deuil, quelques-unes de ses pensées ; j'ai voulu, messieurs, consacrer ici ma véné- ration pour sa mémoire, et vous montrer qu'au moins j'ai médité long-temps sur ses écrits. Lorsque M. de Buffon avait conçu le projet de son ouvrace, il s'était flatté qu'il lui serait possible de l'achever dans son entier, Mais le temps lui manqua; il vit que la chaine de ses PAR VICQ D'AZYR. 1 travaux allait être rompue; il voulut au moins en former le dernier anneau, l'attacher et le joindre au premier. Les minéraux, à l'étude desquels il a voué la fin desa carrière, vus sous tous les rapports, sont en opposition avec les êtres animés, qui ont été les sujets de ses premiers tableaux. De toutes parts, dans le premier règne, l'existence se renouvelle et se propage; tout y est vie, mou- vement et sensibilité. Ici, c’est au contraire l'empire de la destruction : la terre, observée dans l'épaisseur des couches qui la composent, est jonchée d’ossements ; les générations passées y sont confondues ; les générations à venir s'y engloutirontencore. Nous-mêmes en ferons par- tie. Les marbres des palais, les murs des mai- sons, le sol qui nous soutient, le vêtement qui vous couvre, l'aliment qui nous nourrit, tout ce qui sert à l'homme, est le produitet l’image de la mort. Cesont ces grands contrastes que M. de Buf- fon aimait à saisir; et, lorsque abandonnant à l'un deses amis, qui s’est montré digne de cette association honorahle , mais quidéjà n'est plus, le soin de finir son traité des oiseaux , il se li- vrait à l'examen des corps que la terre cache en son sein , ily cherchait, onn en peut douter, de nouveaux sujets à peindre; il voulait considérer et suivre les continuelles métamorphoses de la matière qui vit dans les organes, el qui meurt hors des limites de leur énergie; il voulait des- siner ces grands laboratoires où se préparent la chaux, la craie, la soude etla magnésieau fond du vaste océan; il voulait parler de la nature active, j'ai presque dit des sympathies, de ce métal ami de l'homme, sans lequel nos vais- seaux vogueraient au hasard sur les mers: il voulait décrire l'éclat et la limpidité des pierres précieuses, échappées à ses pinceaux ; il voulait montrer l'or suspendu dans les fleuves, dispersé dansles sables , ou caché dans les mines, et se dérobant partout à la cupidité qui le poursuit ; il voulait adresser un discours éloquent aux na- tions sur la nécessité de chercher les richesses, non dans des cavernes profondes, mais sur tant de plaines incaltes , qui, livrées au laboureur , produiraient à jamais l'abondance et la santé. Quelquefois M. de Buffon montedans son ta- lent une confiance qui est l'âme des grandes en- treprises. Voilà , dit-il, ce que j'apercevais par la vue de l'esprit; et il ne trompe point: car, cette vue seule lui a découvert des rapports que | d’autres n'ont trouvés qu'à foree de veilles et de travaux. Il avait jugé que le diamant était in- flammable , parce qu'il y avait reconnu, comme dans les huiles, une réfraction puissante. Ce | + ‘1 qu'il a conelu de ses remarques sur l'étendue des glaces australes, Cook l'a confirmé. Lors- qu'il comparait la respiration à l'action d'un feu toujours agissant ; lorsqu'il distinguait deux espèces de chaleur , l'une lumineuse, et l'autre obseure ; lorsque, mécontent du phlogistique de Stahl , il en formait un à sa manière; lorsqu'il créait un soufre; lorsque, pour expliquer la calcination et la réduction des métaux , il avait recours à un agent composé de feu , d'air et de lumière ; dans ces différentes théories, il faisait tout ce qu'on peut attendre de l'esprit ; il devan- cait l'observation; il arrivait au but sans avoir passé par les sentiers pénibles de l'expérience ; c'est qu'il l'avait vu d'en haut , et qu'il Ctait des- cendu pour l’atteindre , tandis que d'autres ont à gravir longtemps pour y arriver. Celuiquia terminé un long ouvrage se repose en y songeant. Ce fut en réfléchissant ainsi sur le grand édifice qui était sorti deses mains, que M. de Buffon projeta d’en resserrer l'étendue dans des sommaires, où ses observations, rap- prochées de ses principes , et mises en action, offriraient toute sa théorie dans un mouvant ta- bleau. A cette vue il en joignitune autre. L'his- toire de la nature lui parut devoir comprendre, non-seulement tous les corps, mais aussi toutes les durées ettous les espaces. Par ce qui reste, il espéra qu’il joindrait le présent au passé, et que de ces deux points il se porterait sûrement vers l'avenir. Ilréduisit à cinq grands faits tous les phénomènes du mouvement et de la chaleur du globe; detoutes lessubstances minérales, il forma cinq monuments principaux : et présent à tout, marchant d'une de ces bases vers l'autre, calculant leur ancienneté, mesurant leurs inter- valles, ilassigna aux révolutions leurs périodes, au monde ses âges, à la nature ses époques. Qu'ilest grand et vaste ce projet de montrer les traces des siècles empreintes depuis le som- met des plushautes élévations du globe jusqu’au fond des abimes, soit dans ces massifs que le temps a respectés, soit dans ces couches im- menses, formées par les débris des animaux muets et voraces, qui pullulentsiabondamment dans les mers, soit dans ces productions dont les eaux ont couvert les montagnes, soit dans ces dépourilles antiques de l'éléphant et de l'hip- 8 papotame que l'on trouve aujourd'hui sous des terres glacées, soit dans ces excavations pro- fondes , où, parmi tant de métamorphoses, tant de compositions ébauchées, et tant de formes régulières, on prend l'idée de ce que peuvent le temps etle mouvement, et de ce que sont l’éter- nité et la toute-puissance. Mille objections ont été faites contre cette composition hardie, Mais que leurs auteurs di- sent si, lorsqu'ils affectent , par une critique ai- sée, d'en blâämer les détails , ils ne sont pas for- cés à en admirer l'ensemble ; si jamais des sujets plus grands ont fixé leur attention; si, quelque part, le génie a plus d'audace et d'abondance. J'oserai pourtant faire un reproche à M. de Buffon. Lorsqu'il peint la lune déjà refroïdie, lorsqu'il menace la terre de la perte de sa cha- leur et de la destruction deses habitants , je de- mande si cette image lugubre et sombre, si cette fin de tout souvenir, detoute pensée, sicet éter- nel silence, n'offrent pas quelque chose d’ef- frayant à l'esprit : je demande si le désir des succès et des triomphes, si le dévoment à l’é- tude , sile zèle du patriotisme, si la vertu même, qui s'appuiesi souvent sur l'amour de la gloire, si toutes ces passions, dont les vœux sont sans limites, n'ont pas besoin d'un avenir sans bor- nes? Croyons plutôt que les grands noms ne pé- riront jamais; et quels que soient nos plans, ne touchons point aux illusions de l'espérance, sans lesquelles que resterait-il, hélas ! à latriste bu- manité ? Pendant que M. de Buffon voyait chaque jour à Paris sa réputation s’accroitre, un savant mé- ditait à Upsal le projet d'une révolution dans l'étude de la nature. Ce savant avait toutes les qualités nécessaires au succès des grands tra- vaux. Il dévouatous ses moments à l'observa- tion; l'examen de vingt mille individus suffit à peine à son activité. Il se servit, pour les clas- ser, de méthodes qu'il avait inventées ; pour les décrire, d'une langue qui était son ouvrage ; pour les nommer, de mots qu'il avait fait re- vivre, ou que lui-même avait formés. Ses ter- mes furent jugés bizarres; on trouva que son idiome était rude; mais il étonna par la préci- sion de ses phrases; il rangea tous les êtres sous une loi nouvelle, Plein d'enthousiasme, il sem- blait qu'il eût un culte à établir, et qu'il en fût le prophete. La première de ses formules fut à Dieu, qu'il salua comme le père de la nature. Les suivantes sont aux éléments , à l'homme, ÉLOGE DE BUFFON aux autres êtres; et chacune d'elles est une énigme d'un grand sens, pour qui veut l'appro- fondir. Avec tant de savoir et de caractère, Linné s'empara de l'enseignement dans les éco- les; il eut les succès d’un grand professeur; M. de Buffon a eu ceux d’un grand philosophe. Plus généreux, Linné aurait trouvé, dans les ouvrages de M. de Buffon, des passages dignes d'être substitués à ceux de Sénèque, dont il a décoré les frontispices de ses divisions. Plus juste, M. de Buffon aurait profité des recher- ches de ce savant laborieux. Ils vécurent enne- mis, parce que chacun d'eux regarda l'autre comme pouvant porter quelque atteinte à sa gloire. Aujourd'hui que l'on voit combien ces craintes étaient vaines , qu’il me soit permis, à moi, leur admirateur et leur panégyriste, de rapprocher , de réconcilier ici leurs noms, sûr qu'ils ne me désavoueraient pas eux-mêmes, s'ils pouvaient être rendus au siècle qui les re- grette et qu'ils ont tant illustré. Pour trouver des modèles auxquels M. de Buffon ressemble , c’est parmi les anciens qu'i] fautles chercher. Platon, Aristote et Pline, voilà les hommes auxquels il faut qu’on le compare. Lorsqu'il traite des facultés de l'âme, de la vie, de ses éléments , et des moules qui les forment, brillant, élevé, mais subtil , c'est Platon disser- tant à Académie ; lorsqu'il recherche quels sont les phénomènes des animaux, fécond, mais exact, c'est Aristote enseignant au Lycée ; lors- qu'on lit ses discours, c’est Pline écrivant ses éloquents préambules. Aristote a parlé des ani- maux avec l'élégante simplicité que les Grecs ont portée dans toutes les productions de l’es- prit. Sa vue ne se borna point à la surface, elle pénétra dans l'intérieur , où il examina les or- ganes., Aussi ce ne sont point les individus, mais les propriétés générales des êtres qu'ilconsidère. Ses nombreuses observations ne se montrent point comme des détails, elles lui servent tou- jours de preuve ou d'exemple. Ses caractères sont évidents, ses divisions sont naturelles, son style est serré, son discours est plein ; avant lui nulle règle n'était tracée; après lui nulleméthode n'a surpassé la sienne; on a fait plus, mais on n'a pas fait mieux; et le précepteur d'Alexandre sera longtemps encore celui de la postérité. Pline suivit un autre plan, et mérita d’autres louan- ges ; comme tous les orateurs et les poëtes la- tins , il rechercha les ornements et la pompe dans le discours. Ses écrits contiennent, non PAR VICQ D'AZYR. 9 l'examen, mais le récit de ce que l'onsavait de son temps. Il traite de toutes les substances , il révèle tous les secrets des arts; tout y est indi- qué, sans que rien y soit approfondi : aussi l'on entire souvent des citations, et jamais des prin- cipes. Les erreurs que lon y trouve ne sont point à lui, ilne les adopte point, il les raconte; mais les véritables beautés, qui sont celles du style, lui appartiennent. Ce sont au reste moins lesmæurs des animaux que celles des Romains qu'il expose. Vertueux ami de Titus, mais ef- frayé par les règnes de Tibère et de Néron, une teinte de mélancolie se mêle à ses tableaux ; chacun de ses livres reproche à la nature le malheur de l'homme, et partout il respire, comme Tacite , la crainte et l'horreur destyrans. M. de Buffon, qui a vécu dans des temps cal- mes, regarde au contraire la vie comme unbien- fait ; il applique aussi les vérités physiques à la morale, mais c’est toujours pour consoler; il est orné comme Pline; mais, comme Aristote, il re- cherche, ilinvente, souvent il va de l'effet à la cause, ce qui est la marche de la science, et il place l'homme au centre de ses descrip- tions. Il parle d’Aristote avec respect, de Pla- ton avec étonnement, de Pline avec éloge; les moindres passages d’Aristote lui paraissent di- gnes de son attention ; il en examine lesens, il les discute , ils’ honore d'en être l'interprète et le commentateur. Il traite Plineavec moins de ménagement, il le critique avec moins d’égards. Platon, Aristote et Buffon n'ont point, comme Pline, recueilli les opinions des autres; ils ont répandu les leurs. Platon et Aristote ont ima- giné, comme le philosophe français, sur les mou- vements des cieux et sur la reproduction des êtres, des systèmes qui ont dominé longtemps, Ceux de M. de Buffon ont fait moins de fortune, parce qu'ils ont paru dans un siècle plus éclairé Si l'on compare Aristote à Pline , on voit com- bien la Grèce était plus savante que l'Italie: en lisant M. de Buffon, l'on apprend tout ce que les connaissances physiques ont fait de progrès parmi nous; ils ont tous excellé dans l’art de penser et dans l’art d'écrire. Les Athéniens écoutaient Platon avec délices; Aristote dicta des lois à tout l'empire des lettres; rival de Quin- tilien, Pline écrivit sur la grammaire et sur les talents de l'orateur. M. de Buffon vous offrit, messieurs, à la fois le précepte et l'exemple. On cherchera dans ses écrits les richesses de notre langage , comme nous étudions dans Pline celles de la langue des Romains. Les savants, les pro- fesseurs étudient Aristote; les philosophes , les théologiens lisent Platon; les orateurs , les his- toriens , les eurieux , les gens du monde préfe- rent Pline. La lecture des écrits de M. de Buf- fon convient à tous; seul, il vaut mieux que Pline ; avec M. Daubenton, son illustre compé- titeur , il a été plus loin qu'Aristote. Heureux accord de deux âmes dont l'union a fait la force, et dont les trésors étaient communs; rare as- semblage de toutes les qualités requises pour observer, décrire et peindre la nature ; phéno- mène honorable aux lettres, dont les siècles passés n'offrent point d'exemple, et dont il faut queles hommes gardent longtemps le sou- venir ! S'il m'était permis de suivre ici M. de Buffon dans la carrière des sciences physiques, nous l'y retrouverions avec cet amour du grand qui le distingue. Pour estimer la force et la durée des bois, il a soumis des forêts entières à ses re- cherches. Pour obtenir des résultats nouveaux sur les progrès de la chaleur, il a placé d’énor- mes globes de metal dans des fourneaux im- menses. Pour résoudre quelques problèmes sur l'action du feu, il a opéré sur des torrents de flamme et de fumée. Il s'est appliqué à la solu- tion des questionsles plus importantes à la fonte des grandes pièces d’artillerie ; disons aussi qu il s’est efforcé de donner plus de perfection aux fers de charrue, travail vraiment digne que la phi- losophie le consacre à l'humanité. Enfin, en réunissant les fovers de plusieurs miroirs en un seul, il a inventé l’art qu'employèrent Proclus et Archimède pour embraser au loin des vais- seaux. On doit surtout le louer de n'avoir pas, comme Descartes, refusé d'y croire. Tout ce qui était grand et beau lui paraissait devoir être tenté, et il n'y avait d'impossible pour lui que les petites entreprises et les travaux obscurs, qui sont sans gloire comme sans obstacles. M. de Buffon fut grand dans l'aveu de ses fautes; il les a relevées dans ses suppléments avec autant de modestie que de franchise, et il a montré par là tout ce que pouvait sur lui la force de la vérité. Il s'était permis de plaisanter sur une lettre dont il ignorait alors que M. de Voltaire füt l'auteur. Aussitôt qu'il l'eut appris, il déclara qu'ilregrettait d'avoir traité légèrement une des productions de ce grand homme ; et il joignit à cette conduite généreuse un procédé délicat, en 10 répondant avec beaucoup d'étendue aux faibles objections de M. de Voltaire, que les natura- listes n'ont pas même jugées dignes de trouver place dans leurs écrits. Pour savoir tout ce que vaut M. de Buffon, il faut, messieurs, l'avoir lutoutentier, Pourrais-je ne pas vous le rappeler encore, lorsque dans sa réponse à M. de la Condamine, il le peignit voya- geant sur ces monts sourcilleux que couvrent des glaces éternelles, dans ces vastes solitudes où la nature, accoutumée au plus profond si- lence, dut étre étonnée de s'entendre interro- ger pour la première fois! L'auditoire fut frap- pé de cette grande image, et demeura pendant quelques instants dans le recueillement avant que d'applaudir. Si, après avoir admiré M. de Buffon dans toutes les parties de ses ouvrages, nous compa- rions les grands écrivains dont notre siècle s’honore, avec ceux par qui les siècles précé- dents furent illustrés, nous verrions comment la culture des sciences a influé sur l'artoratoire, en lui fournissant des objets et des moyens nou- veaux. Ce qui distingue les écrivains philoso- phes, parmi lesquels celui que nous regrettons s’est acquis tant de gloire, c'est qu'ils onttrouvé, dans la nature même, des sujets dont les beau- tés seront éternelles ; c'est qu'ils n'ont montré | les progrès de l'esprit que par ceux de la raison, qu'ils ne se sont servis de l'imagination qu'au- tant qu'il fallait pour donner des charmes à l'é- tude; c’est qu'avancant toujours et se perfec- tionnant sans cesse, on ne sait ni à quelle hau- teur s'élèveront leurs pensées, ni quels espaces embrassera leur vue, ni quels effets produiront un jour la découverte de tant de vérités et l'ab- juration de tant d'erreurs. Pour suffire à d'aussi grands travaux, il a fallu de grands talents, de longues années, et beaucoup de repos. A Montbard, au milieu d’un jardin orné , s'élève une tour antique: c'est là que M. de Buffon a écrit l'histoire de la nature; l'univers. Il y venait au lever du soleil, et nul importun n'avait le droit de l'y troubler. Le calmedu matin, les premierschants des oiseaux, l'aspect varié des campagnes , tout ce qui frap- | paitses sens , le rappelait à son modèle. Libre, | indépendant, il errait dans les allées ; il précipi- tait, il modérait, il suspendaïit sa marche, tantôt la tête vers le ciel, dansle mouvement de l'in- spiration et satisfaitde sa pensée; tantôtrecueilli, ÉLOGE DE BUFFON cherchant, ne trouvant pas, ou prêt à produire; il écrivait, il effaçait, il écrivait de nouveau pour effacer encore; rassemblant, accordant avec le même soin, le même goût, lemême art, | toutes les parties du discours, il le prononcçait à diverses reprises, se corrigeant à chaque fois ; et content enfin deses efforts, il le déclamaitde nouveau pour lui-même, pour son plaisir, et comme pour se dédommager deses peines. Tant de fois répétée, sa belle prose, comme de beaux vers , se gravait dans sa mémoire; il la récitait à ses amis; il les engageait à la lire eux-mêmes à haute voix en sa présence; alors il l'écoutait en juge sévère, etil la travaillait sans relâche, voulant s'élever à la perfection que l'écrivain impatient ne pourra jamais atteindre. Ce que je peins faiblement, plusieurs en ont été témoins. Une telle physionomie, des che- veux blancs, des attitudes nobles, rendaient ce spectacle imposant et magnilique; car s'il y a | quelque chose au-dessus des productions du gé- | nie, cene peut étre que le génie lui-même, lors- quil compose, lorsqu'il crée, et que dans ses mouvements sublimes il se rapproche, autant | qu'il se peut, de la Divinité. Voilà bien des titres de gloire. Quand ils se- raient tous anéantis, M. de Buffon ne demeure- rait pas sans éloge. Parmi les monuments dont la capitale s’honore, il en estun que la munili- cence desrois consacre à la nature, où les produc- tions de tous les règnes sont réunies, où les miné- faux de la Suède et ceux du Potose, où lerenne etl’éléphant, le pingoin et le kamichi sontéton- nés de setrouver ensemble; c'est M. de Buffon qui a fait ces miracles ; c’est lui qui, riche des tributs offerts à sa renommée par les souverains, par les savants, par tous les naturalistes du monde, porta ces offrandes dans les cabinets confiés à ses soins. Il y avait porté les plantes que Tournefort et Vaillant avaient recueillies et conservées ; mais aujourd'hui ce que les fouilles | les plus profondes et les voyages les plus éten- c'est de là que sa renommée s'est répanduedans | dus ont découvert de plus curieux et de plus rare, s'y montre rangé dans un petit espace. L'on y remarque surtout ces peuples de quadru- pèdes et d'oiseaux qu'il a si bien peints ; et, se rappelant comment il en a parlé, chacun les con- sidère avec un plaisir mêlé de reconnaissance. Tout est plein de lui dans ce temple, où ilassis- ta, pour ainsi dire, à son apothéose; à l'entrée, sa statue, que lui seul fut étonné d'y voir, at- teste la vénération de sa patrie, qui, tant de fois PAR VICQ D'AZYR. if injuste envers ses grands hommes , ne laissa, pour la gloire de M. de Buffon, rien à faire à la postérité. La même magnificence se déploie dans les jardins. L'école, l'amphithéâtre, lesserres , les végétaux , l'enceinte elle-même, tout y est re- nouvelé, tout s'y est étendu , tout y porte l’em- preinte de ce grand caractère, qui, repoussant les limites , ne se plut jamais que dans les grands espaces et au milieu des grandes conceptions. Des collines, des valléesartificielles, des terrains de diverse nature, des chaleurs de tous les de- grés y servent à la culture des plantes de tous les pays. Tant de richesses et de variété rap- pellent l'idée de ces monts fameux de l'Asie, dont la cime est glacée, tandis que les vallons situés à la base sont brülants, et sur lesquels les températures et les productions de tous les cli- mats sont rassemblées. Une mort douloureuse et lente a terminé cette belle vie, A de grandes souffrances M. de Buf- fon opposa un grand courage. Pendant de lon- gues insomnies , il se félicitait d'avoir conservé cette force de tête, qui, après avoir été la source de ses inspirations, l'entretenait encore des grands objets de la nature. Il vécut tout entier jusqu'au moment où nous le perdimes. Vous vous souvenez, messieurs, de l2 pompe de ses funé- railles ; vous y avez assisté avec les députés des autres académies , avec tous les amis des lettres etdes arts, avec ce cortége innombrable de per- sonnes de tous les rangs, de tous les états, qui suivaient en deuil au milieu d'une foule immense et consternée, Un murmure de louanges et de regrets rompait quelquefois le silence de l'assem- blée. Le temple vers lequel on marchait ne put contenir cette nombreuse famille d'un grand homme. Lesportiques, lesavenues, demeurèrent remplis ; et, tandis que l’on chantait l'hymne fu- nèbre, ces discours, ces regrets, ces épanche- ments de tous les cœurs, ne furent point inter- rompus. Enfin, en se séparant, triste de voir le siècle s’appauvrir, chacun formait des vœux pour que tant de respects rendus au génie fissent germer denouveaux talents , et préparassentune génération digne de succéder à celle dont on trouve parmi vous, messieurs , les titres et les exemples. J'ai parlé des beautés du style et de l'étendue du savoir de M. de Buffon. Que ne peut s'élever ici, messieurs, pour peindredignement ses qua- lités et ses vertus, et pour ajouter beaucoup à vos regrets, la voix des personnes respectables dontil s'était environné! que ne peut surtout se faire entendre la voix éloquente d'une vertueuse amie, dont les tendres consolations, dont les soins affectueux , elle me permettra de dire, dont les hommages ont suivi cet homme illustre jus- qu'au tombeau ! Ellepeindraitl'heureusealliance de la bonté du cœur et de la simplicité du ca- ractère avec toutes les puissances de l'esprit! elle peindrait la résignation d’un philosophe souffrant et mourant sans plainte et sans mur- mure ! Cetteexcellente amie a été témoin deses derniers efforts ; elle a recu ses derniers adieux ; elle a recueillises dernières pensées. Qui mérita mieux qu'elle d'être dépositaire des dernières méditations du génie ? Que ne peut encore s'éle- verici la voix imposante d'un illustre ami de ce grand homme , de cet administrateur qui tantôt, dans la retraite, éclaire les peuples par ses ou- vrages , et tantôt, dans l’activité du ministère, les rassure par sa présence et les conduit par sa sagesse! Des sentimentscommuns d’admiration, d'estime et d'amitié, rapprochaient ces trois âmes sublimes. Que de douceurs , que de char- mes dans leur union! Étudier la nature et les hommes, les gouverner et les instruire, leur faire du bien et se cacher , exciter leur enthou- siasme et leur amour ; ce sont presque les mêmes soins, les mêmes pensées ; ce sont des travaux et des vertus qui se ressemblent Avec quelle joie M. de Buffon aurait vu cet ami, ce grand ministre, rendu par le meilleur des rois aux vœux de tous, au moment où les représentants du plus généreux des peuples vont traiter la grande affaire du salut de l'état ; à la veille de ces grands jours où doit s'opérer la ré- génération solennelle du corps politique; où, de l'union, naitront l'amour et la force; où le père de la patrie recueillera ces fruits si doux de sa bienfaisance , de sa modération et de sa justice; où son auguste compagne , mère sen- sible et tendre, si profondément occupée des soins qu'ellene cesse de prodiguer à ses enfants , verra se préparer pour eux , avec la prospérité commune, la gloire et le bonheur ! Dans cette époque, la plus intéressante de notre histoire, qui peindra Louis XVI protégeant la liberté près deson trône, comme il l’a défendue au delà des mers; se plaisant à s'entourer de ses sujets; chef d’une nation éclairée, et régnant sur un peuple de citoyens; roi par la naissance , mais de plus , par la bonté de son cœur et par sa sa: 12 RÉPONSE vesse, le bienfaiteur deses peuples et le restau- rateur de ses états ? Qu'il m'est doux , messieurs , de pouvoir réu- nir tant de justes hommages à celui de la recon- naissance que je vous dois! L'Académie fran- caise, fondée par un roi qui fut lui-même un grand homme, forme une république riche de tant de moissons de gloire, fameuse par tant de conquêtes , etsi célèbre par vos propres H'avaux, que peu de personnes sont dignes d'être admises à partager avec vous un héritage transmis par tant d'aïeux illustres ; mais voulant embrasser , dans toute son étendue , le champ de la pensée, vous appelez à vous des colonies composées d'hommes laborieux dont vous éclairez le zèle, dont vous dirigez les travaux , et parmi lesquels j'ai osé former le vœu d'être placé. Ils vous ap- portent ce que le langage des sciences et des arts contient d'utile aux progrès des lettres; et ce concert de tant de voix, dont chacune révèle quelques-uns des secrets du grand art qui pré- side à la culture de l'esprit, estun des plus beaux monuments que notre siècle puisse offrir à l'ad- miration de la postérité. RÉPONSE DE M. DE SAINT-LAMBERT, DIRECTEUR DE L'ACADEMIE, AU DISCOURS DE M. VICQ D'AZYR. MONSIEUR , Il y a longtemps que l'Académie s'honore par les hommages qu'elle aime à rendre aux ta- lents qu'elle ne possède pas , et aux travaux qui luisont étrangers; elle sait quelles qualités sont nécessaires à ceux qui se consacrent à la re- cherche de la vérité, et que, dans tous les gen- res, il n'y a qu'une raison supérieure qui puisse apporter de nouvelles lumières à la raison uni- verselle. Dans le siècle passé, où l'art était arrivé à sa perfection , mais où la science avait encore tant de pas à faire, ils'était élevé entre l'un et l'autre des barrières qu'on n'essayait pas de franchir. Des asiles séparés étaient destinés à ceux qui étudiaient la nature, et à ceux qui voulaient la peindre; on ne passait pas de l'un à l'autre, Les grands artistes qui devaient la connaissance approfondie des arts au philosophe de Stagire, ne se doutaient pas encore de toutes les obli- gations qu'ils auraient un jour à la philosophie. Le sage Fontenelle , qui heureusement ne s'é- tait annoncé que par des talents agréables, prêta des charmes à quelques parties des sciences ; il en inspira le goût aux lecteurs même les plus frivoles , et bientôt, citoyen de deux républiques opposées, il en rapprocha les esprits; il apprit aux uns etaux autres à réunir leurs richesses dif- férentes. La connaissance de la nature devint, pour la poésie , une source de beautés nouvelles. L'auteur de la Henriade orna ce poéme philo- sophique, et plusieurs de ses ouvrages, des découvertes de Newton. Les sociétés savantes perdirent quelque chose de leur ancienne austé- rité; il régna dans leurs écrits une éloquence noble, simple, et modeste, comme doit être celle des hommes qui ne veulent parler qu’à la rai- son. Enfin, l'auteur de la préface immortelle de l'Encyclopédie, l'auteur de l'Histoire naturelle, décorèrent de leurs noms la liste de l’Académie, et le génie des arts fut flatté de s'asseoir à côté du génie qui avait enrichi son siècle de nouvelles vérités. Vous avez, monsieur, fait faire des progrès à une science qui, dans tous les pays et dans tous les âges , a rencontré plus d'obstacles que d’encouragements. L'homme veut vivre,etvivre heureux. Pour prévenir ou soulager les maux auxquels sa faible machine est condamnée, pour prévenir ou consoler les chagrins qu’il doit aux passions vicieuses où trop exaltées , l’étude de l'homme physique et moral devrait être la plus assidue de ses études. II semble que ceux qui ont sur nous quelque empire devraient nous ré- péter sans cesse ces mots de l'oracle de Delphes : connais-loi. Cependant les préjugés de toute espèce se sont opposés longtemps à cette con- naissance; et ce que la superstition et l'autorité ont peut-être le plus défendu à l’homme, c’est de se connaitre. L'ancienne et la moderne Asie ont porté jus- qu'au culte le respect pour les morts. Chez les Gre’s , négliger de les inhumer était un crime quelquefois puni par la perte dela vie. Il ya en- core des sectes religieuses où les prêtres, qui veulent conserver du moins l'empire des tom- beaux , en défendent l'entrée à l'anatomie. Ce n'est même que depuis quelques siècles qu'on lui abandonne les cadavres de deux espèces d'hom- mes qui, à la vérité, ne sont pas rares dans nos sociétés mal ordonnées, des criminels et des misérables. DE SAINT- Quel est donc cet instinct mal raisonné qui nous attache si fortement aux restes inanimés de notre être? Et pourquoi la société n’encourage- t-elle pas une science dont la nature a rendu l'é- tuderebutante? Ces membres flétris etlivides qu'il faut obser- ver de si près, et si longtemps, blessent cruel- lement nos sens: il faut vaincre le dégoût qu'ils nous donnent; et cette victoire, difficile à tous les hommes, est pour quelques-uns d’eux im- possible. © Veut-oninterroger , dansles animaux, la na- ture vivante? Ces êtres, qui sont souvent les victimes de notre intérêt ou de notre amuse- ment, et qui alors ne nous inspirent qu'une faible pitié, nous font éprouver une pitié déchi- rante lorsqu'il faut diviser leurs membres sen- sibles, entendre leurs gémissements continus , voir tous leurs mouvements exprimer la plainte, . et cependant prolonger et ranimer leurs dou- leurs. Quelle passion peut done surmonter des émo- tions si terribles? Cette curiosité qui, dans les hordes sauvages, fait chercher à l'homme quel- ques connaissances utiles à sa conservation, et qui, dans les sociétés policées, fait chercher à un petit nombre d'hommes des vérités qui seront utiles à tous les siècles. Cet amour de la vérité, ce besoin irrésistible de la découvrir, est la passion dominante des vrais philosophes ; elle s'empare de leur âme ; elle change ou dirige leur caractère; elle fait taire les autres passions, etmême ce désir vazue de la renommée, ce besoin d'occuper de soi l'âge présent, qui a si souvent écarté l'homme des routes de la raison et de la vertu. C'est cettepassion, monsieur, qui vous à Con- duit dans vos travaux. Vous êtes peut-être celui des anatomistes qui a le plus comparé l'homme avec lui-même, c'est- à-dire ce qu'il est dans sesdifférents âges. Vous avez fait une étude heureuse de plusieurs des organes de nos sens. Personne n'avait vu aussi bien que vous cette correspondance établie par la nature entre ces organes extérieurs, qui sont les instruments de l'âme, et ces organes inté- rieurs, qui sont le principe de la sensibilité et de la vie. Vous avez découvert, dans plusieurs espèces d'animaux, des muscles, des ressorts inconnus avant vous. Les bornes que jedois prescrire à ce discours ne me permettent pas de m'étendre sur LAMBERT. 15 tous les succès de vos recherches ingénieuses, et j'y ai regret ; l'exposition de ses découvertes est l'éloge du philosophe, comme le récit de ses actions e:t 1 éloge de l’homme de bien. Mais vos découvertes, monsieur, déjà si connues des sa- vants , seront déposées dans le beau monument que vous érigez à la science de l'anatomie. C'est avec le même regret que je ne dis rien des ex- cellents articles dont vous avez enrichi l'Eney- clopédie, et de plusieurs mémoires sur diffé- rentes parties de l'Histoirenaturelle, qui, avant l'âge de 23 ans, vous avaient mérité une place à l'Académie des Sciences. Le désir d'être utile, qui s’est allié en vous à l'amour de la vérité, pour vous soutenir dans vostravaux, les aquelquefois interrompus; vous avez employé une partie de votre temps à faire des démarches etdes écrits pour hâter l'établis- sement de la Société Royale de médecine. Le projet que vous proposiez, de concert avec M. de Lassone, fut adopté promptement par un mi- nistre dont legénie, les connaissances immenses, toutes les actions, toutes les pensées, tous les vœux n'ont eu qu'un but, le bonheur de sa pa- trie et du monde. Il savait que donner aux hommes la facilité de se communiquer leurs idées, c’est häter dans tous les genres la marche de l'esprit humain. La correspondance de la Société Royale avec les plus habiles médecins de l'Europe a fait mieux connaitre les influences que pouvaient avoir sur la santé l'air que nous respirons, le sol que nous cultivons, nos aliments, les différents emplois de notre vie. Elle a éclairé sur les symptômes, la marche, les retours de plusieurs maladies, elle apprit à démasquer l'empirisme le plus ar- tilicieux; enfin cette science. à qui la pusillani- mité infirme demande trop, à qui l'ignorance robuste refuse tout, a fait des progrès comme toutes les autres sciences; ellene nous promet plus de miracles, elle a augmenté le nombre de ses secours, elle sait mieux qu’elle ne le savait autrefois nous servir, se défier d'elle-même, et, quand il le faut, nous livrer à la nature. Quel autre que celui qui avait eu tant de part à l'établissement de la Société Royale, quel autre que celui dont le public aimait la manière d'é- crire et respectait les connaissances, devait être le secrétaire de cette nouvelle académie? Les ac- clamations de ceux qui allaient vous entendre dans les salles où vous avez longtemps honoré la place de professeur, ces acclamations vous ap- 14 pelaient à une place où il faut réunir le double mérite des lumières et de l'éloquence. Il n'est pas permis à celui qui est chargé de faire l'extrait des savants ouvrages de ses con- frères, de n'avoir que des connaissances super- ficielles; c'est un juge et un juge favorable; il faut que sa justice et sa bienveillance soient éclairées. Lessavantsécriventsouventpourleurs egaux. L'auteur d'un extrait écrit toujours pour le public; il doit, en abrégeant, rendre plus évidentes les vérités et les erreurs; on exige qu'il répande un grand jour sur un espace bor- né, qu'ilépargne le temps aux hommes instruits, et une attention pénible à ceux qui veulents'in- struire, La place de secrétaire des sociétés savantes impose encore un genre d'ouvrage que Fonte- nelle a porté à sa perfection; ce sont les éloges historiques : l'auteur est un philosophe qui ra- conte, et non pas un orateur qui veut émouvoir ; toute exagération lui est défendue; on lui de- mande des détails choisis et de la vérité: on veut qu’il dessine correctementses personnages, et non qu'il les peigne avec des couleurs vives et brillantes : mais plus il s’interdit les figures et les mouvements de l'art oratoire, plusil doit se parer de toutes les richesses de la raison. Il faut qu'on remarque la justesse et la nouveauté de ses pensées plus que le bonheur de ses ex- pressions : enfin les réflexions sont le genre d'or- nements qui lui est permis, et, comme tous les ornements, elles ne doivent pas être prodiguées ; il doit savoir analyser les esprits et connaître le cœur humain. Le lecteur aime à trouver dans ces vies abrégées le caractère des savants et le degré d'estime quileur est dû; il veut vivre un moment avec eux, et voir quelles passions ont étendu ou borné leurs talents. Voilà, monsieur, une partie du mérite des éloges de l'illustre se- crétaire actuel de l'Académie des Sciences et des vôtres. Vos éloges sont aussi l'histoire de la science et des progrès qu'elle a faits de nos jours. Ce qui la caractérise dans ce siècle, c'est d'avoir per- fectionné les instruments dont elle peut faire usage; c'estd'enavoirinventé denouveaux: c’est d'avoir créédes agents, sans lesquels l'industrie et la curiosité humaine auraient des bornes trop resserrées : c'est avec les secours de ces instru- ments qu'elle a découvert un nouvel astre pla- nétaire, et mieux connu les autres; c'est par un arttout nouveau qu'elle a donné un nouveau de- RÉPONSE gré d'intensité au froid età lachaleur. Le diamant s'évapore, le mercure estglacé, la foudre est en- levée à lanue; enfin c'ent par des agents de son invention que la doctrine des quatre éléments estreconnue une erreur : l'homme les divise, les réunit et les change. L'empire de la science n’est plus un vaste dé- sertoù l'on trouvait quelques sentiers pénibles, marqués par les pas des géants; c'est un pays cultivé, semé de toutes parts de routes faciles qui conduisent de l'une à l'autre, et que les habi- tants peuvent parcourir sans fatigue. Dans les siècles à venir, ceux qui reculeront les limites de cet empire seront peut-être des hommes moins extraordinaires que leurs prédécesseurs. Avec le secours des agents nouveaux, des instruments perfectionnés, quiconque observera la nature verra tomber quelques-uns de ses voiles. Eh! sans cette réflexion, pourrait-on se con- soler de la perte des grands hommes tels que ce- lui queregrettent nos Académies, la France, et l'Europe entière? M. de Buffon est un de ces génies rares, que toutes les sortes d'esprit peu- ventadmirer. L'analyse éloquente que vous ve- nez de faire de ses ouvrages me dispense d'en parler avec quelque étendue; mais qu'ilme soit permis de m’arrêter un moment sur le genre de philosophie et de beautés qui en font le carac- tère. Après avoir vu tout ce qu’avaient écritles na- turalistes anciens et modernes, après avoir fait lui-même beaucoup d'expériences, après avoir médité longtemps sur une multitude de faits iso- lés, M. de Buffon en saisit les rapports, s'éleva à des idées générales, et donna la théorie de la terre; elle fut suivie de l'histoire de l'homme et des animaux, etil enrichit partout cet ouvrage de grandes vues et des vérités de la philosophie. Dans la peinture de l'enfance, il expose la ma- nière dont nous recevons nos idées, l'origine de nos passions, de notre raison ; et son style, no- ble et touchant, jette sur la description de ce premier âge l'intérêt le plus doux et le plus ten- dre. Peint-il la révolution qui se fait à l’âge de la puberté dans notre organisation? il n'oublie pas celle qui se fait dans le caractère; l'âme est changée avec les organes : la peinture de ce moment est vive et animée ; la philosophie y ré- pand la décence. L'homme jouit de ses forces physiques et de sa raison; ses passions et ses muscles ont leur DE SAINT-LAMBERT. énergie; et M. de Buffon peint cet âge viril avec les lumières d'un philosophe profond dans la connaissance du cœur humain. Enfin, après une durée que le chagrin abrége presque toujours, l'homme éprouve des pertes physiques et morales ; etle tableau de sa déca- dence est un de ceux où il y a le plus d'idées fines, neuves et consolantes. Cet homme que vous avez vu dans tous les âges, on vous le montre dans tous les climats; vous aimez à le suivre sous les zones torride, glacées, tempérées, et à voir le ciel qui l’en- vironne, le sol qui le nourrit, déterminant sa | couleur, ses traits, ses habitudes, sans ce- pendant altérer ses penchants qui sont partout les mêmes, et que la philosophie etles lois peu- vent diriger vers le bonheur de l'espèce entière. Voustrouverez dans tous ces tableaux la cou- leur propre au sujet, et ce mérite se fait plus remarquer encore dans d'autres parties de l'His- toire naturelle. Quelle simplicité noble et touchante dans les descriptions de ces animaux, compagnons sensi- bles de nos travaux, de nos jeux, et de nos dangers! M. de Buffon nous inspire pour eux une reconnaissance mêlée d'une sorte d'estime, et je ne sais quoi de tendre que l'égoisme lui- même ne se défend pas toujours d’éprouver. Quelle énergie facile et sublime dans le tableau de ce tigre odieux à tous les êtres , ne voyant que sa proie dans tout cequi respire, et ne jouis- sant du sentiment de ses forces que par l'éten- due de ses ravages! Le style de M. de Buffon a plus de grandeur ét de majesté dans la description du lion, que la nécessité force à la guerre; mais ennemi sans fraude, pardonnant souvent à la faiblesse, et quelquefois martyr de la reconnaissance. On relit, on médite la description de cet ani- mal si puissant et siingénieux , qui entend nos langages , qui concoit l'ordre de nos sociétés et en distingue les rangs, qui montre même l'idée et le sentiment de la justice : le style de cette description n’est point élevé, il est élégant et simple, c’estle portrait d’un sage. Celui qui a dessiné avec des traits sifiers etsi sublimes le lion et le tigre, est-il le même qui a peint avec des traits si doux et des couleurs si aimables la beauté et la grâce de la gazelle, le retour du printemps et de l'amour, le chant de le fauvette et les caresses de la colombe ? Dans ces descriptions, M. de Buffon saisit 15 toujours ce qu'il y a de plus particulier dans le | caractère des animaux; illefait ressortir, et cha- eun de ses portraits a de la physionomie; il y mêle toujours quelque allusion à l'homme; et | l'homme, qui se cherche dans tout, lit avec plus d'intérêt l'histoire de ces êtres, dans lesquels il retrouve ses passions, ses qualités et ses fai- blesses. M. de Buffon explique l'origine physique des idées, des sentiments, de la mémoire, de l'ima- gination des animaux, avec lamême philosophie qu'il a montrée dans l'histoire de l'homme; c'est à la perfection d'un sens, ou à l'imperfection d'un autre, qu'ilattribue, autant qu’à l'organisa- tion, leur genre de vie, leur caractère, le degré et l'espèce de leur intelligence. Après quelques pages d’une métaphysique digne de Locke ou de Condillae, iltombe quelquefois dans des con- tradictions et des obscurités. Souvenons-nous que, depuis la mort de Socrate, les philosophes de la Grèce se sont enveloppés des ténèbres de la double doctrine, et que celui qui a égalé leur génie a pu imiter leur prudence. S'il excelle dans la description des animaux, iln’est pas moins admirable lorsqu'il peintla sur- face de la terre. Jamais l'éloquence descriptive n'a été plus loin que dans les deux vues de la nature ; c'est le spectacle le plus magnifique que l'imagination, s'appuyantsur la philosophie, ait présenté à l'esprit humain. Lucrèce et Milton n'auraient pas fait une plus belle et plus riche description, et ils n’y auraient pas mis autant de philosophie. Là le grand art du peintre n’est que le choix des circonstances et l'ordre dans le- quelelles sont placées :.ce sont toujours de gran- des choses exposées avec simplicité : tous les dé- tails sont grands, l'ensemble est sublime; l'envie a voulu y voir de la parure, il n’y à que de la beauté. Celui qui le premier avait porté de grandes vues et des idées générales dans l'histoire natu- relle, celui qui avait retrouvé le miroir d'Ar- chimède, et fait une foule d’heureuses expérien- ces, celui qui avait fait plusieurs découvertes qu’il devait à sa sagacité plus qu'à ses études assidues , a été bien excusable d’avoir porté trop loin le talent de généraliser, et d’avoir eu quel- quefois un sentiment exagéré des forces de l’es- prit humain. Ce génie actif et puissant devait se trouver tropresserré dans les bornes que la na- ture nous a prescrites. Il fallait un nouveau monde à ce-nouvel Alexandre. Rapide dans ses 10 idées, prompt dans ses vastes combinaisons , impatient de connaitre, pouvait-il toujours s'as- servir à la marche lente etsûre de la sage phi- losophie ? Pardonnons-lui de s'être élancé d'un vol au sommet de la montagne vers lequel tant d’au- tres se contentent de gravir. C’est de là que, por- tant ses regards dans un espace immense, il à vu la nature créer, développer, perfectionner , altérer, détruire et renouveler les êtres; il l'a comparée avec elle-même, il a vu ses desseins et a cru voir les moyens qu'elle emploie. De la hauteur où il s'était placé, cherchant à découvrir les causes de l'état duglobe, les propriétés pre- mières, et les métamorphoses des substances qui le composent ou qui l'habitent, il s'est pré- cipité dans cet abime des temps, dont aucune tradition nerévèle les phénomènes, où le génie n'a pour guide que des analogies incertaines et ne peut former que de spécieuses conjectures. Sans doute la doctrine de la formation des planètes et de la génération des êtres animés sera citée au tribunal de la raison; mais elle y sera citée avec les erreurs des grands hommes. Les idées éternelles de Platon, les tourbillons de Descartes, les monades de Leibnitz, tant d'au- tres moyens d'expliquer toutes les origines, tous les mouvements, toutes les formes, n'ont point altéré le respect qu'on a conservé pour leurs in- venteurs, parce que leurs brillantes hypothèses ont prouvé la force de leur imagination et celle de leur raisonnement. Nous pouvons refuser d'adopter les systèmes deM. de Buffon; mais soyons justes sur la ma- nière dont il les expose et dontil les défend; il ne les enveloppe d'aucun nuage; ilestimpossible de les présenter avec plus de modestie. Ilne les donne d'abord que comme des suppositions. Il commence par les appuyer despreuves les plus faibles ; de plus spécieuses succéderont bientôt; il en arrivera de plus puissantes, illes environne de vérité : toutes selient, se fortifient l'une par l'autre; la dialectique est parfaite, le style est toujours majestueux, clair et facile, c’est celui que la raison pourrait choisir pour parler aux hommes avec autorité. Quelque degré de vraisemblance que le génie de M. de Buffon ait pu prêter à ces systèmes, gardons-nous de croire qu'ils inspirent aujour- d'hui une aveugle confiance; nous ne sommes plus au temps où les erreurs se propageaient sous les auspices d’un grand homme. Toutes les RÉPONSE DE SAINT-LAMBERT. opiniens sont discutées; on distingue dans un système ce qu'il y à de vrai ou de faux; sil'ex- périence ne le soutient pas, sa faiblesse est re- connue, et on à pu la reconnaitre sans acquérir de nouvelles lumières. Rendons grâce aux hom- mes de génie qui ont imprimé du mouvement à leur siècle; pardonnons-leur des illusions, lors- qu'en s’écartant de la vérité ils ont augmenté le désir de s'occuper d'elle. M. de Buffon a in- spiré une nouvelleardeur pour toutes lessciences qui tiennent à l'étude de la nature; il a rendu plus commun le plaisir de la contempler et ce- lui d’en jouir ; ilnous a fait partagerson enthou- siasme pour elle : nous laregardons aujourd'hui avec les yeux attentifs ou charmés du philoso- phe ou du poëte; nous lui découvrons de nou- velles beautés, quelque chose de plus majes- tueux; nous lui arrachons tousles jours quelques secrets, dont nous nous flattons de faire usage. M. de Buffon a été comblé des faveurs de la renommée; on peut le compter dans le petit nombre des hommes qui ont recu de leur siècle le tribut d’estime et de reconnaissance qu'ils avaient mérité. S'il eût cultivé un autre genre de philosophie, peut-être aurait-il été moins heu- reux. On aime à se délivrer de l'ignorance de la nature, qui ne peut être utile à personne, tan- dis qu'il y a encore des hommes qui veulent maintenir l'ignorance morale. Le physicien a des admirateurs, etses critiques ne relèventque ses fautes. Le philosophe, dont les études ont pour objet les droits de l'homme et les règles de la vie, recoit de son siècle plus de censure que d'é- loges ; quand le temps commence à rendre po- pulaires sesmaximes qui combattent l'injustice, il a moins de détracteurs, mais il conserve des ennemis. M. de Buffon, dans ses jardins de Montbard, cherchant des vérités ou de grandes beautés, rencontrant les unes et les autres, aimé de quelques amis qui devenaient ses disciples, cher à sa famille et à ses vassaux, goûtait tous les plaisirs d’une vieillesse occupée, quisuccède à debeaux jours qu'ont remplis des travaux illus- tres. S'il quittait sa retraite délicieuse, c'était pour revoir ce jardin royal, ce Cabinetd'’histoire natu- relle, qui lui doiventce qu'ils possèdent de plus précieux. Les bâtiments quirenferment une par- tie de ces trésors avaient été embellis et agran- | dis par ses soins et même par ses avances. Les merveilles des trois règnes y sont déposées dans ÉLOGE HISTORIQUE DE DAUBENTON. 17 un ordre qui semble être celui que la nature in- diquerait elle-même. Ce Jardin, ce Cabinet sont devenus une bibliothèque immense, qui nous instruit toujours et ne peut jamais nous trom- per. Là, M.de Buffon, jetant un coup d'œil sur tout ce qui l’environnait, pouvait jouir, comme le ezar Pierre, du plaisir d’avoir repeuplé et en- richi son empire. Il y recevait les visites et les hommages dessavants, des voyageurs, des hom- mes illustres dans tous les genres, et même des têtes couronnées. Plusieurs lui apportaient où lui envoyaient desanimaux, des plantes, des fos- siles, des coquillages de toutes les parties de la terre, des rivages de toutes les mers. Aristote, pour rassembler sous ses yeux les productions de la nature, avait eu besoin qu’Alexandre fit la conquête de l'Asie; pour rassembler un plus grand nombre des mêmes productions , que fal- lait-il à M. de Buffon? Sa gloire. ÉLOGE HISTORIQUE DE DAUBENTON, LU À LA SÉANCE PUBLIQUE DE L'INSTITUT DU 5 AVRIL 1800, PAR M. LE Bon CUVIER, Secrélaire perpétuel de l'Académie Royale des Sciences. Louis-Jean-Marie Daubenton, membre du Sénat et de l’Institut, professeur au Muséum d'histoire naturelle et au Collége de France, des Académies et Sociétés royales des Sciences de Londres, de Berlin, de Pétersbourg, de Flo- rence, de Lausanne, de Philadelphie, ete., au- _paravant pensionnaire anatomiste de lAcadé- mie des Sciences, et garde et démonstrateur du Cabinet d'histoire naturelle, naquit à Monthard, département de la Côte-d'Or, le 29 mai 1716, de Jean Daubenton, notaire en ce lieu, et de Marie Pichenot. Ilse distingua dès son enfance par la douceur de ses mœurs et par son ardeur pour le travail, et il obtint, aux Jésuites de Dijon, où il fit ses premières études, toutes ces petites distinctions qui sont si flatteuses pour la jeunesse, sans être toujours les avant-coureurs de succès plus dura- bles. Il se les rappelait encore avec plaisir à la fin de sa vie, et il en conserva toujours les té- moignages écrits. Après qu'il eutterminé, sous les Dominicains de la mème ville, ce que l’on appelait alors un cours de philosophie, ses parents, qui le desti- naient à l’état ecclésiastique et lwi en avaient fait prendre l’habit dès l’âge de douze aus, l'en. voyèrent à Paris pour y faire sa théologie; mais, inspiré peut-être par un pressentiment de ce qu'il devait être un jour, le jeune Daubenton se livra en secret à l'étude de la médecine. 11 sui- vitaux écoles de la Faculté les leçons de Baron, de Martinenq et de Col de Villars, et, dans ce mème Jardin des Plantes qu'il devait tant illus- trer par la suite, celles de Winslow, d'Hunauld, et d'Antoine de Jussieu. La mort de son père, qui arriva en 1736, lui ayant laissé la liberté de suivre ouvertement son penchant, il pritses de- grés à Reims en 1740 et 1741, et retourna dans sa patrie, où il aurait probablement borné son ambition à l’exercice de son art, si d’heureuses circonstances ne l’eussent appelé sur un théâtre plus relevé. La petite ville qui l'avait vu naître avait aussi produit un homme qu’une fortune indé- pendante, les agréments du corps etde l'esprit, le goût violent du plaisir, semblaient destiner à bril- ler dans lemonde plutôt qu’à enrichir les scien- ces,etquise voyaitcependant sans cesse ramené vers les sciences par ce penchant irrésistible, indice presque assuré detalents extraordinaires. Buffon (c'était cet homme), longtemps incer- tain de l’objet auquel il appliquerait son génie, essaya tour à tour de la géométrie, de la phy- sique, de l’agriculture. Enfin Dufay, son ami, qui venait, pendant sa courte administration, de relever le Jardin des Plantes de l’état de dé- labrement où l'avait laissé l’incurie des premiers médecins, jusqu'alors surintendants nés de cet établissement, lui ayant fait avoir la survivance de sa charge, le choix de Buffon se fixa pour toujours sur l’histoire naturelle, etil vit s'ouvrir devant lui cette immense carrière qu'il a par- courue avee tant de gloire. Il en mesura d’abord toute l'étendue : il aper- cut d’un coup d'œil ce qu'il y avait à faire, ce qu’il était en son pouvoir de faire, el ce qui exi- geait des secours étrangers. Surchargée dès sa naissance par l’indigeste érudition des Aldrovande, des Gessner, des Jonston, l’histoire naturelle s'était vue ensuite mutilée, pour ainsi dire, par le ciseau des no- menclateurs; les Ray, les Klein, Linnæus même alors, n’offraient plus que des catalogues dé- charnés , écrits dans une langue barbare, et qui, avec leur apparente précision, avec le soin que leurs auteurs paraissent ayoir mis à n’y placer 2 18 ÉLOGE HISTORIQUE que ce qui pouvait être à chaque instant vérifié | qu’un de nos plus aimables écrivains assure être par l'observation, n’en recélaient pas moins une multitude d'erreurs, et dans les détails, ct dans les caractères distinctifs, et dans les distributions méthodiques. Rendre la vie et le mouvement à ce corps ina- uimé; peindre la nature telle qu’elle est, tou- jours jeune, toujours en action; esquisser à urands traits l'accord admirable de toutes ses | parties, les lois qui les tiennent enchainées en | un système unique; donner à ce tableau quel- que chose de la fraicheur et de l’éclat de l’ori- ginal : telle était la partie la plus difficile de la | tâche qu'avait à se proposer l'écrivain qui vou- drait rendre à l'histoire naturelle le lustre qu’elle avait perdu; mais telle était aussi celle où l'i- magination ardente de Buffon, son génie élevé, son sentiment profond des beautés de la nature, devaient immanquablement le faire réussir. Mais, si la vérité n'avait pas fait la base de son travail, s'ilavait prodigué les brillantes cou- leurs de sa palette à des dessins incorrects ou in- fidèles, s’il n'avait combiné que des faits mal vus où imaginaires, il aurait bien pu prendre sa place parmi les écrivains éloquents, maisiln’au- rait pas été un vrai naturaliste, il n'aurait pu aspirer au rôle qu'il ambitionnait de réforma- teur de la science. Il fallait done tout revoir, tout recueillir, tout observer; il fallait comparer les formes, les di- mensions des êtres; il fallait porter lescalpel dans leurintérieur, et dévoiler les parties les plus ca- chées de leur organisation. Buffon sentit que | son esprit impatient ne lui permettrait pas de se livrer à ces travaux pénibles ; que la faiblesse même de sa vue lui interdisait l’espoir de s’y li- vrer avec succès. Il chercha un homme qui joi- gnit à la justesse d'esprit et à la finesse de tact nécessaire pour ce genre de recherches, assez de modestie, assez de dévouement, pour seconten- ter d’un rôle secondaire en apparence, pour n'é- tre en quelque sorte que son œil et sa main ; et il le trouva dans le compagnon des jeux de son enfance, dans Daubenton. Mais il trouva en Jui plus qu'il n’avait cher- ché, plus même qu'il ne croyait lui être néces- saire ; et ce n’est peut-être pas dans la partie où il demandait ses secours , que Daubenton lui fut le plus utile. En effet, on peut dire que jamais association ne fut mieux assortie. Il existait au physique | et au moral, entre les deux amis, ce contraste | nécessaire pour rendre une union durable, et chacun d’eux semblait avoir reçu précisément les qualités propres à tempérer celles de l’autre par leur opposition. Buffon, d’une taille vigoureuse, d’un aspect imposant, d’un naturel impérieux, avide en tout d’une jouissance prompte, semblait vouloir de- viner la vérité, et non l’observer. Son imagina- tion venait à chaque instant se placer entre la nature et lui, et son éloquence semblait s’exer- cer contre sa raison avant de s’employer à en: trainer celle des autres. Daubenton, d’un tempérament faible, d’un regard doux, d'une modération qu'il devait à la nature autant qu’à sa propre sagesse, portait dans toutes ses recherches la circonspection Ja plus scrupuleuse ; il ne croyait, il n’affirmait que ce qu'il avait vu et touché : bien éloigné de vouloir persuader par d’autres moyens que par l'évidence même, il écartait avec soin de ses discours et de ses écrits toute image, toute ex- pression propre à séduire : d’une patience inal- térable, jamais il ne souffrait d’un retard ; il re- commencait le même travail jusqu’à ce qu'il eût réussi à son gré, et, par une méthode trop rare peut-être parmi les hommes occupés de scien- ces réelles, toutes les ressources de son esprit semblaient s'unir pour imposer silence à son imagination. Buffon croyait n'avoir pris qu’un aide labo- rieux qui lui aplanirait les inégalités de la route, et il avait trouvé un guide fidèle qui lui en in- diquait les écarts et les précipices. Cent fois le | sourire piquant qui échappait à son afni lors- | qu'il concevait du doute le fit revenir de ses premières idées; cent fois un de ces mots que cet ami savait si bien placer l’arrêta dans sa marche précipitée; et la sagesse de l’un, s’al- liant ainsi à la force de l’autre, parvint à don- ner à l’histoire des quadrupèdes, la seule qui soit commune aux deux auteurs, cétte perfec- | tion qui en fait, sinon la plus intéressante de celles qui entrent dans la grande histoire natu- relle de Buffon, du moins celle qui est le plus exempte d'erreurs, et qui restera le plus long- temps classique pour les naturalistes. C’est done moins encore par ce qu'il fit pour | lui, que par ce qu'il l'empêécha de faire, que Dau- benton fut utile à Buffon, et que celui-ci dut se féliciter de se l’être attaché. Ce fut vers l’année 1742 qu'il l'attira à Paris. DE DAUBENTON. £a place de garde et démonstrateur du Cabinet d'histoire naturelle était presque sans fonctions, et le titulaire, nommé Noguez, vivant depuis longtemps en province, elle était remplie de temps à autre par quelqu'une des personnes at- tachées au Jardin. Buffon la fit revivre pour Daubenton, et elle lui fut conférée par brevet en 1745. Ses appointéments , qui n'étaient d’a- bord que de 500 francs, furent augmentés par degrés jusqu'à 4000 francs. Lorsqu'il n'était qu'adjoint à l’Académie des sciences, Buffon, qui en était le trésorier, lui fit avoir quelques gratifications. Dès son arrivée à Paris, il lui avait donné un logement. En un mot, il ne né- gligea rien pour lui assurer l’aisance nécessaire à tout homme de lettres et à tout savant qui ne veut s'occuper que de la science. Daubenton, de son côté, se livra sans inter- ruption aux travaux propres à seconder les vues de son bienfaiteur, et il érigea par ses travaux mêmes les deux principaux monuments de sa propre gloire. L'un des deux , pour n'être pas un livre im- primé, n’en est pas moins un livre très-beau et très-instructif, puisque c’est presque celui de la nature : je veux parler du Cabinet d'histoire vaturelle du Jardin des Plantes. Avant Dauben- ton, ce n’était qu'un simple droguier, où l’on recueillait les produits des cours publics de chimie, pour les distribuer aux pauvres qui pouvaient en avoir besoin dans leurs maladies. Il ne contenait, en histoire naturelle propre- ment dite, que des coquilles rassemblées par Tournefort, qui avaient servi depuis à amuser les premières années de Louis XV, et dont plusieurs portaient encore l’empreinte des ca- prices de l'enfant royal. En bien peu d'années il changea totalement de face. Les minéraux, les fruits, les bois, les coquillages, furent rassemblés de toutes parts et exposés dans le plus bel ordre. On s’oceupa de découvrir ou de perfectionner les moyens par lesquels on conserve les diverses parties des corps organisés; les dépouilles inanimées des quadrupèdes et des oiseaux reprirent les ap- parences de la vie, et présentèrent à l’observa- teur les moindres détails de leurs caractères, en même temps qu’elles firent l’étonnement des curieux par la variété de leurs formes et l'éclat de leurs couleurs. Auparavant, quelques riches ornaient bien leurs cubinets de productions naturelles ; mais 19 ils en écartaient celles qui pouvañent en gâter la symétrie et leur ôter l'apparence de décora- tion; quelques savants recueillaient les objets qui pouvaient aiderleursrecherches ou appuyer leurs opinions ; mais, bornés dans leur for- tune, ils étaient obligés de travailler longtemps avant de compléter même une branche isolée; quelques curieux rassemblaient des suites qui satisfaisaient leurs goûts, mais ils s'arrétdient ordinairement aux choses les plus futiles, à celles qui étaient plus propres à flatter la vue qu'à éclairer l'esprit : les coquillages les plus bril- lants, les agathes les plus variées, les gemmes les mieux taillées, les plus éclatantes , faisaient ordinairement le fonds de leurs collections. Daubenton, appuyé par Buffon, et profitant des moyens que le crédit de son ami lui obtint du gouvernement, conçut un plan plus vaste et en avancça beaucoup lexéeution : il pensa qu’au- cune des productions de la nature ne devait être écartée de son temple; il sentit que celles de ces productions que nous resardons comme les plus importantes ne peuvent être bien con- nues qu'autant qu'on les compare avec toutes les autres; qu’il n’en est même aucune qui, par ses nombreux rapports, ne soit liée plus ou moins directement avec le reste de la nature. Il n’en exclut doncaucune, et fit les plus grands efforts pour les recueillir toutes; il fit surtout exécuter ce grand nombre de préparations ana- tomiques qui distinguèrent longtemps le cabi- net de Paris , et qui, pour être moins agréables à l'œil du vulgaire , n’en sont que plus utiles à l’homme qui ne veut pas arrêter ses recherches à l’écorce des êtres créés, et qui tâche de ren- dre l’histoire naturelle une science philosophi- que, en lui faisant expliquer aussi les phéno- mènes qu’elle décrit. L'étude et l'arrangement de ces trésors étaient devenus pour lui une véritable passion, la seule peut-être qu’on ait jamais remarquée en lui. 11 s’enfermait pendant des journées entières dans le cabinet ; il ÿ retournait de mille manières les objets qu’il y avait rassemblés; il en examinait scrupuleusement toutes les parties, il essayait tous les”ordres possibles , jusqu’à ce qu'il eût rencontré celui qui ne choquait ni l’œil ni les rapports naturels. Ce goût pour l’arrangement d’un cabinet se réveilla avec force dans ses dernières années, lorsque des victoires apportèrent au Muséum d'histoire naturelle une nouvelle masse de ri- 2 20 ÉLOGE HISTORIQUE chesses, et que les crreonstances permirent de donner à l’ensemble un plus grand développe- ment. A quatre-vingt-quatre ans, la tète cour- bée sur la poitrine, les pieds et les mains dé- formés par la goutte, ne pouvant marcher que soutenu de deux personnes , il se faisait con- duire chaque matin au cabinet pour y présider à la disposition des minéraux, la seule partie qui Lui fût restée dans la nouvelle organisation de l'établissement. Ainsi, c’est principalement à Daubenton que la France est redevable de ce temple si digne de la déesse à laquelle il est consacré, et où l'on ne sait ce que l’on doit admirer le plus, de l'étonnante fécondité de la nature qui a produit tant d'êtres divers, ou de lopiniâtre patience | de l’homme qui a su recueillir tous ces êtres, les nommer, les classer, en assigner les rap- ports, en décrire les parties, en expliquer les propriétés. Le second monument qu’a laissé Daubenton devait être, d’après son plan primitif, le ré- sultat et la description complète du cabinet; mais, des circonstances que nous indiquerons bientôt l'empêéchèrent de pousser cette des- ‘cription plus loin que les quadrupèdes. Ce n’est pas ici le lieu d'analyser la partie descriptive de l'AÆistoire naturelle*, cet ou- vrage aussi immense par ses détails qu’étonnant par la hardiesse de son plan, ni de développer tout ce qu'il contient de neuf et d’important pour les naturalistes. Il suffira, pour en donner une idée, de dire qu’il comprend la description, tant extérieure qu'intérieure, de cent quatre- vingt-deux espèces de quadrupèdes, dont cin- quante-huit n'avaient jamais été disséquées, et dont treize n'étaient pas même décrites exté- rieurement. 11 contient de plus la description, extérieureseulement, de vingt-six espèces, dont cinq n'étaient pas connues. Les nombre des es- pèces entièrement nouvelles est donc de dix- huit; mais les faits nouveaux relatifs à celles dont on avait déjà une connaissance plus ou moins superficielle, sont innombrables. Cepen- dant le plus grand mérite de l'ouvrage est en- sore l'ordre et l'esprit dans lequel sont rédigées ces descriptions, et qui estle même pour toutes les espèces. L'auteur se plaisait à répéter qu'il était le premier qui eüt établi une véritable { Les trois premiers volumes in-4° parurent en 1749; les douze suivants se succédèrent depuis cette époque jus- uu en 4707. Il | | | | anatomie comparée : et cela était vrai dans ce sens que toutes ses observations étant dispo- sées sur le même plan, et que leur nombre étant le même pour le plus petit animal comme pour le plus grand, il est extrêmement facile d’en saisir tous les rapports; que, ne s'étant jamais astreint à aucun système, il a porté une atten- tion égale sur toutes tes parties, et qu'il n’a jamais dû être tenté de négliger ou de masquer ce qui n'aurait pas été conforme aux règles qu'il aurait établies. Quelque naturelle que cette marche doive paraitre aux personnes qui n’en jugent que par le simple bon sens, il faut bien qu’elle ne soit pas très-facile à suivre, puisqu'elle est si rare dans les ouvrages des autres naturalistes, et qu'il y en a si peu, par exemple, qui aient pris la peine de nous donner les moyens de placer lesètres qu’ils décrivent, autrement qu’ils ne le sont dans leurs systèmes. Aussi cet ouvrage de Daubenton peut-il être considéré comme une mine riche, où les natu- ralistes et les anatomistes qui s'occupent des quadrupèdes sont obligés de fouiller, et d’où | plusieurs écrivains ont tiré des choses très-pré- cieuses, sans s'en être vantés. Il suffit quelque- fois de faire un tableau de ses observations, de les placer sous certaines colonnes, pour obtenir les résultats les plus piquants ; et c’est ainsi qu'on doit entendre ce mot de Camper, que Daubenton ne savait pas toutes les découver- tes dont il était l'auteur. On lui a reproché de n'avoir pas tracé lui- même le tableau de ces résultats. C'était avec une pleine connaissance de cause qu’il s'était refusé à un travail qui aurait flatté son amour- propre, mais qui aurait pu le conduire à des erreurs. La nature lui avait montré trop d’ex- ceptions pour qu'il se crût permis d'établir une règle , et sa prudence a été justifiée, non-seule- ment par le mauvais succès de ceux qui ont voulu être plus hardis que lui, mais encore par son propre exemple : la seule règle qu’il aitosé tracer, celle du nombre des vertèbres cervicales dans les quadrupèdes, s'étant trouvée démen- tie sur la fin de ses jours *. Un autre reproche fut celui d’avoir trop res- serré ses anatomies, en les bornant à la descrip- tion du squelette et à celle des viscères, sans ‘Ilyen a en général sept : le paresseux a trois doigts, où l'ai cn a new. DE DAUBENTON. traiter des muscles, des vaisseaux, des nerfs, ni des organes extérieurs des sens; mais on ne prouvera qu'il lui était possible d'éviter ce re- proche, que lorsqu'on aura fait mieux que lui, dans le même temps et avec lesmêmes moyens. 11 est certain du moins qu'un de ses élèves, qui à voulu étendre son cadre, ne l’a presque rempli qu'avec des compilations trop souvent insignifiantes. Aussi Daubenton ne tarda-t-il pas, sitôt que son ouvrageeut paru, d'obtenir lesrécompenses ordinaires de toutes les grandes entreprises, de la gloire et des honneurs, des critiques et des tracasseries ; car, dans la carrière des sciences, comme dans toutes les autres, il est moins dif- ficile d'arriver à la gloire et même à la fortune, que de conserver sa tranquillité lorsqu'on y est parvenu. Réaumur tenait alors le sceptre de l’histoire naturelle. Personne n'avait porté plus loin la sagacité dans l'observation; personne n'avait rendu la nature plus intéressante, par la sagesse et l'espèce de prévoyance de détail dont il avait trouvé des preuves dans l’histoire des plus pe- tits animaux. Ses mémoires sur les insectes, quoique diffus , étaientclairs, élégants, etpleins decct intérêt qui vient de la curiosité sans cesse piquée par des détails nouveaux et singuliers ; ils avaient commencé à répandre parmi les gens du monde le goût de l’étude de la nature. Ce ne fut passans quelque chagrin que Réau- | murse vit éclipsé par un rival dont les vues hardies et le style magnifique excitaient l’en- - thousiasme du publie, et lui inspiraient une sorte de mépris pour des recherches en appa- rence aussi minutieuses que celles dont les in- sectes sont l’objet. 11 témoigna samauvaise hu- meur d'une manière un peu vive ! ; on le soup- çonna même d’avoir contribué à la publication de quelques lettres critiques *, où l'on voulait « Voyez dansle volume des Mémoires de l'Académie pour 1746, page 485, lequel n'a paru qu'en 1741, un Mémoire de Réaumur sur la manière d'empécher l'évaporation des li- queurs spiritueuses dans lesquelles on veut conserver des objets d'histoire naturelle. s'y plaint violemment de ce que Daubenton avait publié, davus le tome 111 de l'Ais- 21 opposer à l’éloquence du peintre de la nature , les discussions d’une obscure metaphysique, et où Daubenton, danslequel Réaumur croyait voir le seul appui solide de ce qu'ilappelait les pres- tiges de son rival, n’était pas épargné. L’Aca- démie fut quelquefois témoin de querelles plus directes, dont le souvenir ne nous est point en- tièrement parvenn, mais qui furent si fortes, que Buffon se vit obligé d'employer son crédit auprès de la favorite d'alors ! pour soutenir son ami, et pour le faire arriver aux degrés supé- rieurs qui étaient dus à ses travaux. Il n’est point d'hommes célebres qui n'aient éprouvé de ces sortes de désagréments; car, dans tous les régimes possibles, iln'y a jamais d'hommes de mérite sans quelque adversaire , et ceux qui veulent nuire ne manquent jamais de quelques protecteurs. Le mérite fut d'autant plus heureux de ne point succomber dans cette occasion, qu'il n’é- tait pas de nature à frapper la foule. Un obser- vateur modeste et scrupuleux ne pouvait cap- tiver ni le vulgairenimemeles savants étrangers à l’histoire naturelle; car les savants jugent toujours comme le vulgaire les ouvrages qui ne sont pas de leur genre, et le nombre des naturalistes était alors très-petit. Si le travail de Daubenton avait paru seul, il serait resté dans le cercle des anatomistes ct des natura- listes, qui l’auraient apprécié à sa juste valeur; et, leur suffrage déterminant celui de la multi- tude, celle-ci aurait respecté l’auteur sur pa- role, comme ces dieux inconnus d'autant plus ré- vérés que leur sanctuaire est plus impénétrable, Mais , marchant à côté de l'ouvrage de son bril- | lant émule, celui de Daubenton fut entraîné toire naturelle, un extrait de ce Mémoire avant qu'il fût | imprimé. 2 Lettres à yn Américain sur l'Histoire nalurelle gé- nérale et particulière de M. de Buffon, première partie, Hambourg (Paris), 1751; seconde, troisième partie, ibid. eod. ann. C'est dans la neuvième lettre de cette troisième partie qu'on montre le plus l'intention de défendre Réaurur contre Buffon.— Lettres, elc., sur l'Histoire naturelle de M. de B . #1 sur Les observations microscopiques de M. Need- | | sur la toilette des femmes et dans le cabinet des littérateurs; la comparaison de son style mesuré et de sa marche circonspecte avec la poésie vive et les écarts hardis de Buffon, ne pouvait être à son avantage; et les détails mi- nutieux de dimensions et de descriptions dans ham, quatrième partie, ibid. eod. ann. C'est dans la dixième lettre que l'on critique Daubenton sur l'arrangement du Cabi- net du Roï, et qu'on lui oppose celui de M. de Réaumur, Cin- quième partie, mêémetitre etmêéme année. Puis, Suile des let- tres, elc., sur les quatrième et cinquième volumes de l'Histoirenaturelle de M. de Buffon, et sur le Traité des animaux ,de M. l'abbéde Condillac , sixième partie; Ham- bourg, 1756. Le titre et la date restent les mêmes pour la sep- tième, la huitième et la neuvième partie, qui est la dernière. L'auteur, ex-oratorien, natif de Poitiers, se nommait l'abbé Delignac : il était très-lié avec Réaumur. On a encore de lui, Memnire pour l'histoire des araignées aquatiques, ete { Madame de Pompadour. » lesquels il entrait, ne pouvaient racheter auprès de pareils juges l'ennui dont ils étaient néces- sairement accompagnés. Ainsi, lorsque tous les naturalistes de l'’Eu- rope recevaient avec une reconnaissance mêlée d'admiration lesrésultats des immensestrayvaux de Daubenton, lorsqu'ils donnaient à l'ouvrage qui les contenait, et par cela seulement qu'il les contenait, les noms d'ouvrage d’or, d'ouvrage vraiment classique ‘, on chansonnait l’auteur à Paris; et quelques-uns de ces flatteurs qui rampent devant la renommée comme devant la puissance, parce que la renommée est aussi une puissance, parvinrent à faire croire à Buffon qu'il gagnerait à se débarrasser de ce collabo- rateur importun. On a même entendu depuis le secrétaire d’une illustre académie assurer que les naturalistes seuls purent regretter qu'il eût suivi ce conseil. Buffon fit donc faire une édition de l’His- loire naturelle en treize volumes in-12, dont on retrancha non-seulement la partie anatomi- que , mais encore les descriptions de l'extérieur des animaux, que Daubenton avait rédigées pour la grande édition ; et comme on n’y subs- titua rien, il en est résulté que cet ouvrage ne donne plus aucune idée de la forme, ni des couleurs, ni des caractères distinctifs des ani- maux : en sorte que, si cette petite édition ve- nait à résister seule à la faux du temps, comme la multitude de réimpressions qu’on en publie aujourd’hui pourrait le faire craindre, on n’y trouverait guère plus de moyens de reconnaitre les animaux dont l'auteur a voulu parler, qu’il ne s’en trouve dans Pline et dans Aristote, qui ont aussi négligé le détail des descri- ptions. Buffon se détermina encore à paraître seul dans ce qu'il publia depuis, tant sur les oiseaux que sur les minéraux. Outre l’affront, Dau- benton essuyait par là une perte considérable. Il aurait pu plaider; car l'entreprise de l’his- toire naturelle avait été concertée en commun ; mais pour cela il aurait fallu se brouiller avec l'intendant du Jardin du Roi; il aurait fallu quitter ce cabinet qu'il avait créé et auquel il tenait comme à la vie : il oublia l’affront et la perte, et il continua à travailler. Les regretsque témoignèrent tous les natura- listes, lorsqu'ils virent paraitre le commence- ! Voyez Païlas, Glires et spicilegia zoulogica. ÉLOGE HISTORIQUE ment de l’Æisloire des oiseaux s:ns être ac- compagné de ces descriptions exactes, de ces anatomies soignées qu'ils estimaient tant, du- rent contribuer à le consoler. Il aurait eu encore plus desujet de l'être, si son attachement pour le grand homme qui le négligeait ne l’eût emporté sur son amour pro- pre, lorsqu'il vit ces premiers volumes, aux- quels Gueneau de Montbeillard ne contribua point , remplis d’inexactitudes et dépourvus de tous ces détails auxquels il était physiquement et moralement impossible à Buffon de se livrer. Ces imperfections furent encore plus mar- quées dans les suppléments, ouvrages de la vicillesse de Buffon, où ce grand écrivain poussa l'injustice jusqu'à charger un simple dessinateur de la partie que Daubenton avait si bien exécutée dans les premiers volumes. Aussi plusieurs naturalistes cherchèrent-ils à remplir ce vide, et le célèbre Pallas, entre autres, prit absolument Daubenton pour mo- dèle dans ses Mélanges et dans ses Glanures zoologiques , ainsi que dans son Histoire des rongeurs, livres qui doivent être considérés comme les véritables suppléments de Buffon, et comme ce qui a paru de mieux sur les qua- drupèdes , après son grand ouvrage. Tout le monde sait avec quel succès l’illus- tre continuateur de Buffon, pour la partie des poissons et des reptiles , qui fut aussi l'ami et le collègue de Daubenton, et qui le pleure en- core avec nous, a réuni dans ses écrits le dou- ble avantage d’un style fleuri et plein d'images et d’une exactitude scrupuleuse dans les dé- tails, et comment il a su remplacer également bien ses deux prédécesseurs. Au reste, Daubenton oublia tellement les petites injustices de son ancien ami, qu’il con- tribua depuis à plusieurs parties de l Histoire naturelle, quoique son nom n’y fût plus atta- ché; et nous avons la preuve que Buffon a pris connaissance de tout le manuscrit de ses le- cons au Collége de France, lorsqu'il a écrit son Histoire des minéraux *. Leur intimité se ré- tablit même entièrement et se conserva jusqu’à la mort de Buffon. Pendant les dix-huit ans que les quinze vo- lumes in-4° de l'Histoire des quadrupèdes mi- { Le tome II de 1776 et le VI' de 1782 traitent des quadru- pèdes, et auraient eu grand besoin du concours de Daubenton, ainsi que le VIH, qui est posthume, de 1789. ? De 1783 à 1788. DE rent à paraitre, Daubenton ne put donner à l'Académie des Sciences qu'un petit nombre de mémoires; mais il la dédommagea par la suite, et il en existe de lui, tant dans la collection de l'Académie, que dans celles des Sociétés de médecine et d'agriculture et de l’Institut natio- nal, un assez grand nombre, qui contiennent tous, ainsi que les ouvrages qu'il a publiés à part, quelques faits intéressants ou quelques vues nouvelles. Leur seule nomenclature serait trop longue pour les bornes d’un éloge ; et nous nous con- tenterons d'indiquer sommairement les princi- pales découvertes dont ils ont enrichi certaines branches des connaissances humaines. En zoologie Daubenton a découvert cinq es- pèces de chauves-souris et une de musaraigne, qui avaient échappé avant lui aux naturalistes, quoique toutes assez communes en France. I1 a donné une description complète de l’es- pèce de chevrotain qui produit le muse, et il a fait des remarques curieuses sur son organi- sation. Il a décrit une conformation singulière dans les organes de la voix de quelques oiseaux étrangers. Il est le premier qui ait appliqué la connais- sance de l'anatomie comparée à la détermination des espèces de quadrupèdes dont on trouve les dépouilles fossiles ; et, quoiqu'il n'ait pas toujours été heureux dans ses conjectures, il a néanmoins ouvert une carrière importante pour l'histoire des révolutions du globe : il a détruit _pour jamais ces idées ridicules de géants, qui se renouvelaient chaque fois qu'on déterrait les ossements de quelque grand animal. Son tour de force le plus remarquable en ce genre fut la détermination d’un os que l’on con- servait au Garde-Meuble commel’osdela jambe d’un géant. Il reconnut, par le moyen de l’ana- tomiecomparée, que ce devait être l'os du rayon d'une girafe, quoiqu'il n’eût jamais vu cet ani- mal, et qu’il n’existât point de figure de son squelette. Il a eu le plaisir de vérifier lui-même sa conjecture, lorsque, trente ans après, le Mu- séum a pu se procurer le squelette de girafe qui s’y trouve aujourd'hui. On n'avait avant lui que des idées vagues sur les différences de l’homme et de l’orang-ou- tang : quelques-uns regardaient celui-ci comme un homme sauvage; d’autres allaient jusqu’à prétendre que c’est l’homme qui a dégénéré, et DAUBENTON. 23 que sa nature est d'aller à quatre pattes. Dau- benton prouva, par une observation ingénieuse et décisive sur l'articulation de la tête, que l'homme ne pourrait marcher autrement que sur deux pieds, ni l'orang-outang autrement que sur quatre. En physiologie végétale, ilest le premier qui ait appelé l'attention sur ce fait, que tous les arbres ne croissent pas par des couches exté- rieures et concentriques. Un tronc de palmier, qu'il examina, ne lui montra aucune de ces cou- ches : éveillé par cette observation, il s’aperçut que l’accroissement de cet arbre se fait par le prolongement des fibres du centre qui se déve- | loppent en feuilles. 11 expliqua par là pourquoi le tronc du palmier ne grossit point en vieillis- sant, et pourquoi il est d’une même venue dans toute sa longueur !; mais il ne poussa pas cette recherche plus loin. M. Desfontaines, qui avait observé la même chose longtemps auparavant, a épuisé, pour ainsi dire, cette matière, en prouvant que ces deux manières de croître dis- tinguent les arbres dont les semences sont à deux cotylédons et ceux qui n’en ont qu'un, et en établissant sur cette importante décou- verte une division qui sera désormais fonda- mentale en botanique ?. Daubenton est aussi le premier qui ait re- connu, dans l'écorce, des trachées, c’est-à-dire ces vaisseaux brillants, élastiques et souvent remplis d'air, que d’autres avaient découverts dans le bois. La minéralogie a fait tant de progrès dans ces dernières années, que les travaux de Dau- benton dans cette partie de l’histoire naturelle sont presque éclipsés aujourd’hui, et qu’il ne lui restera peut-être que la gloire d’avoir donné à la science celui qui l’a portée le plus loin : c’est lui qui à été le maitre de M. Haüy. Il a publié | cependant des idées ingénieuses sur la forma- tion des albâtres et des stalactites, sur les cau- ses des herborisations dans les pierres, sur les | marbres figurés, et des descriptions de miné- raux peu connus aux époques où il les fit pa- raitre. Il est vrai que sa distribution des pierres précieuses n’est point conforme à leur véritable nature; mais elle donne du moins quelque pré- | cision à la nomenclature de leurs couleurs. On retrouve plus ou moins, dans tous ces travaux de Daubenton sur la physique, le genre ‘ Lecons de l'École Normale. 2 Mémorres de l'Institut national , classe de physique , t. L 2 ÉLOGE HISTORIQUE de talent qui lui était propre, cette patience qui ne veut point deviner la nature, parce qu’elle ne désespère pas de la forcer à s'expliquer elle- méme en répétant les interrogations, et cette sagacité habile à saisir jusqu'aux moindres si- gnes qui peuvent indiquer une réponse. On reconnait dans ses travaux sur Pagricul- ture une qualité de plus, le dévouement à l’u- ülité publique. Ce qu'il a fait pour l’amélio- ation de nos laines lui méritera à jamais la reconnaissance de l’état, auquel il a donné une nouvelle source de prospérité. Il commenca ses expériences sur ce sujet en 1766, et les continua jusqu’à sa mort. Favorisé d'abord par Trudaine , il reçut des encourage- ments de tous les administrateurs qui succéde- rent à cet homme d'état éclairé et patriote, et il y répondit d’une manière digne de lui. Mettre dans tout son jour l'utilité du parcage continuel ; démontrer les suites pernicieuses de l'usage de renfermer les moutons dans des éta- bles pendant l'hiver ; essayer les divers moyens d'en améliorer la race ; trouver ceux de déter- miner avec précision le degré de finesse de la laine ; reconnaitre le véritable mécanisme de la rumination; en déduire des conclusions utiles sur le tempérament des bêtes à laine, et sur la manière de les nourrir et de les traiter; dissé- | miner les produits de sa bergerie dans toutes les provinces; distribuer ses béliers à tous les | propriétaires de troupeaux ; faire fabriquer des draps avec ses laines, pour en démontrer aux plus prévenus la supériorité; former des ber- vers instruits, pour propager la pratique de sa méthode ; rédiger des instructions à la portée de toutes les classes d'agriculteurs : tel est l’ex- posé rapide des travaux de Daubenton sur cet | important sujet. Presque à chaque séance publique de l'Aca- démie il rendait compte de ses recherches, ct il obtenait souvent plus d’applaudissements de la reconnaissance des assistants, que ses Con- frères n'en recevaient de leur admiration pour des découvertes plus difficiles, mais dont luti- lité était moins évidente. Ses succès ont été surpassés depuis : les trou- peaux entiers que le gouvernement à fait venir d'Espagne, sur la demande de M. Tessier; ceux que M. Gilbert est allé chercher nouvellement, ont répandu et répandront la belle race avec plus de rapidité que Daubenton ne put le faire avec des béliers seulement : mais il n’en a pas moins donné l'éveil, et fait tout ce que ses moyens rendaient possible. Ilavait acquis par ses travaux une espèce de réputation populaire qui lui fut très-utile dans une circonstance dangereuse. En 1793, à cette époque heureusement déjà si éloignée de nous, où, par un renversement d'idées qui sera long- temps mémorable dans l'histoire, la portion la plus ignorante du peuple eut à prononcer sur le sort de la plus instruite et de la plus généreuse, l'octogénaire Daubenton eut besoin , pour con- server la place qu'il honorait depuis cinquante- deux ans par ses talents et par ses vertus, de demander à une assemblée qui se nommait la section des Suns-Culolte un papier dont le nom tout aussi extraordinaire était certificat de civisme. Un professeur, un académicien , au- rait eu peine à l'obtenir : quelques gens sensés, qui se mélaient aux furieux dans l'espoir de les contenir, le présentérent sous le titre de berger, et ce fut le berger Daubenton qui ob- tint le certificat nécessaire ! pour le directeur du Muséum national d'histoire naturelle. Cette pièce existe : elle sera un document utile, moins encore pour la vie de Daubenton que pour l'his- toire de cette époque funeste. Ces nombreux travaux auraient épuisé une activité brülante; ils ne suffirent point à l’a- mour paisible d’une occupation réglée, qui fai- sait une partie du caractère de Daubenton. Depuis longtemps on se plaiguait qu'il n’y eût point en France de lecons publiques d’his- toire naturelle : il obtint, en 1773, qu’une des chaires de médecine pratique du Collége de France serait changée en une chaire d'histoire naturelle, etil se chargea en 1775 de laremplir. L'intendant de Paris, Berthier, l’engagea, en 4 Copie figurée du certificat de civisme de Daubenton. SECTION DES SANS-CULOTTE. Copie de l'Extrait des délibérations de L'assemblée Gé- nerale de la Séance du cing de la premiére décade du troisiéme mois de la seconde année de la République francoise une et indivisible. Appert que d'après le Rapport faite de la société fraternelle de la section des sans culotte sur le bon Civisme et faits d'hu- manité qu'a toujour témoignés Le Berger Daubenton L'assem- | blée Generale arrete unanimement qu'il lui sera accordé un certificat de Civisme , et le president suivie de plusieurs mem- bre de la dite assemblée lui donne läcolade avec toutes les acclamation dues a un vraie modèle d'humanité ce qui a été témoigné par plusieurs reprise. Signé R.G. DANDEL president. Pour extrait conforme. Signé DOMONT, Secrelairs DE DAUBENTON. 25 1783, à faire des leçons d'économie rurale à l'é- cole vétérinaire d’Alfort, dans le même temps où Vieq d’Azyr y en donnait d'anatomie com- parée, et M. de Foureroy de chimie. Il demanda aussi à faire des leçons dans le Cabinet de Paris, où les objets auraient parlé avec plus de clarté encore que le professeur ; et, v'ayant pu y parvenir sous l’ancien régime, il se joignit aux autres employés du Jardin des Plantes , pour demander à la Convention la con- version de cet établissement en école spéciale d'histoire naturelle. Daubenton y fut nommé professeur de miné- ralogie, et il a rempli les fonctions de cette charge jusqu'à sa mort, avec la même exacti- tude qu'il mettait à tous ses devoirs. C'était véritablement un spectacle touchant de voir ce vieillard entouré de ses disciples, qui recueillaient avec une attention religieuse ses paroles, dont leur vénération semblait faire au- tant d’oracles ; d'entendre sa voix faible et trem- blante se ranimer , reprendre de la force et de l'énergie , lorsqu'il s'agissait de leur inculquer quelques-uns de ces grands principes qui sont le résultat des méditations du génie, ou seule- ment de leur développer quelques vérités utiles. Il ne mettait pas moins de plaisir à leur par- ler qu'ils en avaient à l'entendre : on voyait, à sa gaieté aimable , à la facilité avec laquelle ilse prêtait à toutes les questions , que c'était pour lui une vraie jouissance. Il oubliait ses années et sa faiblesse, lorsqu'il s'agissait d’être utile aux jeunes gens et de remplir ses devoirs. Un de ses collègues lui ayant offert, lorsqu'il fut nommé sénateur, de le soulager dans son enseignement : Mon ami, luirépondit-il, je ne puis être mieux remplacé que par vous; lors- que l’äge me forcera à renoncer à mes fonc- lions , soyez certain que je vous en chargerai. 11 avait quatre-vingt-trois ans. Rien ne prouve mieux son zèle pour les étu- diants, que les peines qu’il prenait pour se tenir au courant de la science , et pour ne point imi- ter ces professeurs qui, une fois en place , n’en- scignent chaque année que les mêmes choses. A quatre-vingts ans, on l'a vu se faire expli- quer les découvertes d’un deses anciens élèves, M. Haüy ; s’efforcer de les saisir, pour les ren- dre lui-même aux jeunes gens qu'il instruisait. Cet exemple estsi rare parmi les savants, qu’on doit peut-être le considérer comme un des plus beaux fraits de l'éloge de Daubenton. Lors de l'existence éphémère de l'Ecole nor- male , il y fit quelques lecons : le plus vif en- thousiasme l’aceueillait chaque fois qu’il parais- sait, chaque fois qu'on retrouvait dans ses expressions les sentiments dont ce nombreux auditoire était animé , et qu’il était fier de voir partager par ce vénérable vieillard. C’est ici le lieu de parler de quelques-uns de ses ouvrages, qui sont moins destinés à expo- ser des découvertes , qu’à enseigner systémati- quement quelque corps de doctrine : tels que ses articles pour les deux Encyclopédies, sur- tout l'Encyclopédie méthodique, où il a fait les dictionnaires des quadrupèdes, desreptileset des poissons ; son tableau minéralogique , ses lecons à l'École normale. II a laissé le manuscrit com- plet de celle de l'École vétérinaire, du Collége de France et du Muséum : on doit espérer que le public n’en sera pas privé. Ces écrits didactiques sont remarquables par une grande clarté, par des principes sains , et par une attention scrupuleuse à écarter tout ce qui est douteux : on a seulement été étonné de voir que le même homme, qui s'était expliqué avec tant de force contre toute espèce de mé- thode en histoire naturelle, ait fini par en adop- ter qui ne sont ni meilleures ni peut-être aussi bonnes que celles qu’il avait blâmées, comme s’il eût été destiné à prouver par son exemple combien ses premières préventions étaient con- traires à la nature des choses et de l’homme. Enfin, outre tous ces ouvrages, outre toutes ces lecons, Daubenton avait encore été chargé de contribuer à la rédaction du Journal des sa- vants ; et dans ses dernières années, sur la de- mande du comité d'instruction publique, il avait entrepris de composer des éléments d’his- toire naturelle à l'usage des écoles primaires : ces éléments n’ont point été achevés. On se demande comment , avec un tempéra- ment fable et tant d’occupations pénibles, il a puarriver, sans infirmités douloureuses , à une vieillesse si avancée : il l’a dû à une étude in- génieuse de lui-même, à une attention calculée d'éviter également les excès du corps , de l’âme et de l'esprit. Son régime, sans être austère, était très-uniforme : ayant toujours vécu dans une honnête aisance , n’estimant la fortune et la grandeur que ce qu’elles valent , il les désira peu. Il eut surtout le bon esprit d'éviter l’écueil de presque tous les gens de lettres , cette passion désordonnée d’une réputation précoce : ses re- cherches furent pour lui un amusement plutôt qu'un travail. Une partie de son temps était employée à lire avec sa femme des romans, des contes, et d'autres ouvrages légers; les plus frivoles productions de nos jours ont été lues par lui : il appelait cela mettre son esprit à la dièle. Sans doute que cette égalité de régime , cette constance de santé contribuaient beaucoup à cette aménité qui rendait sa société si aimable : mais un autre trait de son caractère qui n'y contribuait pas moins, et qui frappaittous ceux qui approchaient de lui, c’est la bonne opinion qu'il paraissait avoir des hommes. Elle semblait naturellement venir de ce qu'il | les avait peu vus; de ce que, uniquement oc- cupé de la contemplation de la nature, il n'avait jamais pris de part aux mouvements de la par- tieactivede la société. Mais elle allait quelque- fois à un point étonnant. Cet homme, d’un tact si délicat pour distinguer l'erreur, n'avait ja- mais l’air de soupconner le mensonge; il éprou- vait toujours une nouvelle surprise lorsqu’on lui dévoilait l'intrigue ou l'intérêt cachés sous de beaux dehors. Que cette ignorance fût natu- relle en lui ,ou qu'ileût renoncé volontairement | à connaitre les hommes pour s’épargner les peines qui affectent ceux qui les connaissent trop, cette disposition n’en répandait pas moins sur sa conversation un ton de bonhomie d’au- tant plus aimable, qu'il contrastait davantage avec l'esprit et la finesse qu’il portait dans tout ce qui n’était que raisonnement. Aussi suffi- sait-il de l’approcher pour l'aimer ; et jamais homme n’a recu des témoignages plus nom- breux de l’affection ou du respect des autres, à toutes les époques de sa vie et sous tous les gou- vernements qui se sont succédé. On lui a reproché d’avoir souffert des hom- mages indignes de lui et odieux par les noms seuls de ceux qui les lui rendaient ; mais c'était une suite du système qu'il s'était fait de juger cours, et de ne leur supposer jamais d’autres motifs que ceux qu'ils exprimaient : méthode dangereuse , sans doute , mais que nous avons peut-être aussi un peu trop abandonnée aujour- d'hui. Une autre disposition de son esprit , qui a encore contribué à ces odieuses imputations de pusillanimité ou d’égoisme qu'on lui a faites même dans des ouvrages imprimés, et qui ne ÉLOGE HISTORIQUE DE DAUBENTON. le justifie cependant pas davantage, c'était son obéissance entière à la loi, non pas comme juste, mais simplement comme loi. Cette soumission pour les lois humaines étaitabsolumentdumême genre que celle qu’ilavait pour les lois de la na- ture; et il ne se permettait pas plus de murmu- rer contre celles qui le privaient de sa fortune, ou de l’usage raisonnable de sa liberté , que contre celles qui lui faisaient déformer les mem- bres par la goutte. Quelqu'un a dit de lui qu'il observait les nodus de ses doigts avec le même sang-froid qu'il aurait pu faire ceux d’un arbre, et cela était vrai à la lettre. Cela était vrai éga- lement du sang-froid avec lequel il aurait aban- donné ses places, sa fortune, et se serait exilé au loin, si les tyrans l’eussentexigé. D'ailleurs, quand le maintien de sa tranquil- lité aurait été le motifde quelques-unes de ses actions, l'usage qu'il a fait de cette tranquillité ne l’absoudrait-il pas? Et l’homme qui a su ar- racher tant de secrets à la nature, qui a posé les bases d’une science presque nouvelle, qui a donné à son pays une branche entière d’indus- trie, qui a créé l’un des plus importants monu- | ments des sciences, qui a formé tant d'élèves instruits , parmi lesquels plusieurs sont déjà dans les premiers rangs des savants, un tel homme aurait-il besoin aujourd’hui que je le justifiasse de s'être ménagé les moyens de faire tout ce bien à sa patrie et à l'humanité ? Les acclamations universelles de ses conci- toyens répondent pour moi à ses accusateurs : les dernières et les plus solennelles marques de leur estime ont terminé de la manière la plus glorieuse la carrière la plus utile; peut-être avons-nous à regretter qu’elles en aient abrégé le cours. Nommémembre du Sénat conservateur , Dau- benton voulut remplir ses nouveaux devoirs comme il avait rempli ceux de toute sa vie : il fut obligé de faire quelque changement à son | régime. La saison était très-rigoureuse. La pre- même les hommes d'état par leurs propres dis- | mière fois qu'il assista aux séances du corps qui venait de l’élire, il fut frappé d’apoplexie, et tomba sans connaissance entre les bras de ses collègues effrayés. Les secours les plus prompts ne purent lui rendre le sentiment que pour quel- ques instants, pendant lesquels il se montra tel qu'il avait toujours été : observateur tranquille de la nature , il tâtait avec les doigts, qui étaient restés sensibles , les diverses parties de son corps, et il indiquait aux assistants les progrès DISCOURS DE de la paralysie. [mourut le 31 décembre 1799, âgé de quatre-vingt-quatre ans, sans avoir souffert, de manière que l'on peut dire qu'il a atteint au bonheur, sinon le plus éclatant, du moins le plus parfait et le moins mélangé qu'il ait été permis à l’homme d'espérer. Ses funérailles ont été telles que les méritait un de nos premiers magistrats , un de nos plus illustres savauts, un de nos concitoyens les plus respectables à tous égards. Les citoyens de tous les âges, de tous les rangs, se sont fait un de- | voir de rendre à sa cendre le témoignage de | leur vénération : ses restes ont été déposés dans ce jardin que ses soins embellirent, que ses ver- | tus honorèrent pendant soixante années, et dont son tombeau, selon l'expression d’un de | ses collègues à l’Institut et au Sénat, va faire | un élysée, en ajoutant aux beautés de la na- | ture les charmes du sentiment. Deux de ses | = 27 M. DE BUFFON. mais l'exemple des héros et le modèle des Rois. Nous sommes avec un très-profond respect. SIRE, De votre Majesté, Les très-humbles , très-obéissants et très- fidèles sujets et serviteurs, BurFoN, Intendant de votre Jardin des Plantes. DAUBENTON, Garde et démonstrateur de votre cabinet d'histoire naturelle. DISCOURS PRONONCÉ À L'ACADÉMIE FRANCAISE, PAR M. DE BUFFON, LE JOUR DE SA RÉCEPTION collègues ont été les interprètes éloquents des | regrets de tous ceux qui l'avaient connu. Par- donnez, si ces douloureux sentiments m'affec- tent encore aujourd’hui que je ne devrais plus être que l'interprète de la reconnaissance pu- blique, et s'ils m'écartent du ton ordinaire d’un éloge académique ; pardonnez-le, dis-je, à celui qu'il honora de sa bienveillance, et dont il fut le maitre et le bienfaiteur. Madame Daubenton, que desouvrages agréa- bles ont fait connaître dans la littérature, et avec qui il a passé cinquante années de l’union la plus douce, ne lui a point donné d’enfants. Il a été remplacé à l’Institut par M. Pinel , au Muséum d'histoire naturelle, par M. Hauy : j'ai eu le bonheur d’être choisi pour lui suecé- der au Collége de France. AU ROI *. SIRE, L'histoire et les monuments immortaliseront les qualités héroïques et les vertus pacifiques que l'univers admire dans la personne de VOTRE Ma3EsTé : cetouvrage, qui contient l’histoirede la nature, entrepris par vos ordres , COnSacrera à la postérité votre goût pour les sciences, etla protection éclatante dont vousleshenorez. Sen- sibleàtoutes les sortes de gloire, grand en tout, excellent en vous-même, SiRE, vous serez à ja- 4 Louis XY. M. de Buffon , ayant été élu par MM. de l’A- cadémie française, à la place de feu M. l’Ar- chevêque de Sens, y vint prendre séance le sa- medi 25 août 1753, et prononça le discours qui suit : MESSIEURS , Vous m'avez comblé d'honneur en m’appe- | Jant à vous; mais la gloire n’est un bien qu’au- | tant qu’on en est digne, et je ne me persuade pas que quelques essais écrits sans art et sans autre ornement que celui de la nature, soient des | titres suffisants pour oser prendre place parmi les maitres de l’art, parmi les hommes éminents qui représentent ici la splendeur littéraire de la France, et dont les noms, célébrés aujourd’hui par la voix des nations, retentiront encore avec éclat dans la bouche de nos derniers neveux, Vous avez eu, messieurs, d’autres motifs en je- tant les yeux sur moi; vous avez voulu donner à l’illustre compagnie ! à laquelle j’ai l'honneur d’appartenir depuis longtemps, une nouvelle marque de considération : ma reconnaissance , quoique partagée, n’en sera pas moins vive. Mais comment satisfaire au devoir qu’elle m’im- pose en ce jour ? Je n'ai, messieurs, à vous of- friv que votre propre bien : ce sont quelques idées sur le style que j'ai puisées dans vos ou- vrages ; c'est en vous lisant , c’est en vous admi- rant, qu’elles ont été conçues; c’est en les sou- 1 L'Académie royale des Sciences; M. de Buffon y a été * reçu en 4755, dans la classe de mécanique. EL mettant à vos lumieres qu’elles se produiront avec quelques succès. Il s’est trouvé dans tous les temps des hom- mes qui ont su commander aux autres par la puissance de la parole. Ce n’est néanmoins que dans les siècles éclairés que l’on a bien écrit et bien parlé. La véritable éloquence suppose l'exercice du génie et la culture de l'esprit. Elle est bien différente de cette facilité naturelle de parler, qui n’est qu'un talent, une qualité ac- cordée à tous ceux dont les passions sont fortes, les organes souples et l’imagination prompte. Ces hommes sentent vivement, s’affectent de même, le marquent fortement au dehors ; et, par une impression purement mécanique, ils transmettent aux autres leur enthousiasme et leurs affections. C’estle corps qui parle au corps; tous les mouvements, tous les signes concourent et servent également. Que faut-il pour émou- voir la multitude et l’entrainer ? Que faut-il pour ébranler la plupart mème des autres hommes et les persuader? un ton véhément et pathétique, des gestes expressifs et fréquents, des paroles rapides et sonnantes. Mais, pour le petit nom- bre de ceux dont la tête est ferme , le goût dé- licatetle sens exquis, etqui, comme vous, mes- sieurs , comptent pour peu le ton , les gestes et le vain son des mots, il faut des choses, des pensées, des raisons ; il faut savoir les présen- ter, les nuancer, les ordonner : il ne suffit pas de frapper l'oreille et d'occuper les yeux ; il faut agir sur l’âme et toucher le cœur en parlant à l'esprit. Le style n’est que l’ordre et le mouvement qu'on met dans ses pensées. Si on les enchaine étroitement, si on les serre, le style devient ferme, nerveux et concis ; sion les laisse se suc- céder lentement, etne se joindre qu’à la faveur des mots, quelque élégants qu'ils soient, le style sera diffus, lâche et träinant. Mais, avant de chercher l'ordre dans lequel on présentera ses pensées, il faut s’en être fait un autre plus général et plus fixe, où ne doivent entrer que les premières vues et les principales idées : c’est en marquant leur place sur ce pre- mier plan qu'un sujet sera circonscrit etque l’on enconnaitra l'étendue ; c’est en se rappelant sans cesse ces premiers linéaments qu'on déterminera les justes intervalles qui séparent les idées prin- cipales, et qu'il naîtra des idées accessoires et moyennes qui serviront à les remplir. Par la force du génie, on se représentera toutes les DISCOURS idées générales et particulières sous leur véri- table point de vue; par une grande finesse de discernement, on distinguera les pensées sté- riles des idées fécondes; par la sagacité que donne la grande habitude d'écrire, on sentira d'avance quel sera le produit de toutes ces opé- rations de l'esprit. Pour peu que le sujet soit vaste où compliqué, ilest bien rare qu'on puisse l’'embrasser d’un coup d'œil, ou le pénétrer en entier d’un seul et premier effort de génie; et il est rare encore qu'après bien des réflexions on en saisisse tous les rapports. On ne peut donc trop s’en occuper ; c’estmêmeleseulmoyen d'af- fermir, d'étendre et d'élever ses pensées : plus on leur donnera de substance et de force par la méditation, plus il sera facile ensuite de les réaliser par l'expression. Ce plan n’est pas encore le style, mais il en est la base ; il le soutient, il le dirige, il regle son mouvement et le soumet à des lois : sans cela , le meilleur écrivain s’égare, sa plume marchesans guide, et jette à l'aventure des traits irréguliers et des figures discordantes. Quelque brillantes que soient les couleurs qu’il emploie, quelques beautés qu’il sème dans les détails , comme l’ensemble choquera, ou ne se fera pas assez sentir, l'ouvrage ne sera point construit; et, en admirant l'esprit de l’auteur, on pourra soupconner qu'il manque de génie. C’est par cette raison que ceux qui écrivent comme ils parlent, quoiqu'ils parlent très-bien , écrivent mal; que ceux qui s’abandonnent au premier feu de leur imagination prennent un ton qu’ils ne peuvent soutenir; que ceux qui craignent de perdre des pensées isolées, fugitives, et qui écrivent en différents temps des morceaux dé- tachés, ne les réunissent jamais sans transitions forcées ; qu’en un mot, il y à tant d'ouvrages faits de pièces de rapport, et si peu qui soient fondus d’un seul jet. Cependant, toutsujet est un; et quelque vaste qu'il soit, il peut être renfermé dans un seul dis- cours. Lesinterruptions, les repos, les sections, ne devraient être d'usage que quand on traite des sujets différents, ou lorsque, ayant à parler de choses grandes, épineuses et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles, et contrainte par la nécessité des circonstances ! : autrement, le grand nombre de divisions, loin de rendre un ‘ Dans ce que j'ai ditici, j'avais en vue le livre de l'Es- prit des Lois ouvrage excellent pour le fond , et auquel on DE M. DE BUFFON. ouvrage plus solide, en détruit l'assemblage ; le livre paraît plus clair aux yeux, mais le dessein de l’auteur demeure obseur; il ne peut faire im- pression sur l'esprit du lecteur ; ilne peut mème se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un dé- veloppement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme que toute interruption détruit ou fait languir. Pourquoi les ouvrages de la nature sont-ils si parfaits? C’est que chaque ouvrage est un tout, et qu’elle travaille sur un plan éternel dont elle ue s’écarte jamais; elle prépare en silence les germes de ses productions; elle ébauche par un acte unique la forme primitive de tout être vi- vant ; elle la développe, elle la perfectionne par un mouvement continu et dans un temps pres- crit. L'ouvrage étonne, mais c’est l'empreinte divine dont il porte les traits qui doit nous frap- per. L'esprit humain ne peut rien créer; il ne produira qu'après avoir été fécondé par l’expé- rience et la méditation ; ses connaissances sont les germes de ses productions : mais, s’il imite la nature dans sa marche et dans son travail, s’il s'élève par la contemplation aux vérités les plus sublimes; s’il les réunit, s’il les enchaine, s’il en forme un tout, un système par la ré- flexion , il établira sur des fondements inébran- lables des monuments immortels. C’est faute de plan, c’est pour n'avoir pas as- sez réfléchi sur son objet, qu'un homme d’es-- prit se trouve embarrassé, et ne sait par où com- mencer à écrire. Il aperçoit à la fois un grand nombre d'idées ; et, comme il ne les a nicompa- rées ni subordonnées, rien ne le détermine à préférer les unes aux autres ; il demeure done dans la perplexité : mais, lorsqu'il se sera fait un plan, lorsqu'une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s’apercevra aisément de l'instant auquel il doit prendre la plume; il sentira le point de maturité de la production de l'esprit; il sera pressé de la faire éclore; il n'aura même que du plaisir à écrire : les idées se succéderont aisément, et le stvle sera naturel et facile; la chaleur naîtra de ce plaisir, se répandra partout, et donnera de la 29 passer de ce que l’on dit à ce que l’on va dire, et le style deviendra intéressant et lumineux. Rien ne s'oppose plus à la chaleur que le désir de mettre partout des traits saillants ; rien n’est plus contraire à la lumiere qui doit faire un corps etse répandre uniformément dans un écrit, que ces étincelles qu'on ne tire que par force en cho- quant les mots les uns contre les autres, et qui ne nous éblouissent pendant quelques instants, que pour nous laisser ensuite dans les ténèbres. Ce sont des pensées qui ne brillent que par l’op- position; l’on ne présente qu’un côté de l’objet; on met dans l’ombre toutes les autres faces ; et, ordinairement , ce côté qu'on choisit est une pointe , un angle sur lequel on fait jouer l'esprit avec d'autant plus de facilité qu’on l’éloigne davantage des grandes faces sous lesquelles le bon sens a coutume de considérer les choses. Rien n’est encore plus opposé à la véritable éloquence que l’emploi de ces pensées fines, et la recherche de ces idées légères, déliées , sanscon- sistance ,et qui, comme la feuille du métal battu , ne prennent de l'éclat qu’en perdant de la soli- dité. Ainsi, plus on mettra de cet esprit mince et brillant dans un écrit, moins il aura de nerf, de lumière, de chaleur et destyle; à moins que cet esprit ne soit lui-même le fond du sujet, et que l'écrivain n'ait pas eu d’autre objet que la | plaisanterie : alors l’art de dire de petites choses devient peut-être plus difficile que l’art d’en dire de grandes. Rien n’est plus opposé au beau naturel que la peine qu’on se donne pour exprimer des choses ordinaires où communes d’une manière singu- lière ou pompeuse; rien ne dégrade plus l’écri- vain. Loin de l’admirer, on le plaint d'avoir passé tant de temps à faire de nouvelles combi - naisons de syllabes, pour ne dire que ce que tout le monde dit. Ce défaut est celui des esprits cultivés, mais stériles : ils ont des mots en abon- dance , point d'idées ; ils travaillent done sur les | mots, et s’imaginent avoir combiné des idées, vie à chaque expression ; tout s’animera de plus | en plus; le ton s’élèvera, les objets prendront de la couleur ; et le sentiment, se joignant à la lu- mière, l’augmentera, la portera plus loin, la fera ua pu faire d'autre reproche que celui des sections trop fré- quenltes. parce qu’ils ont arrangé des phrases, et avoir épuré le langage quand ils l’ont corrompu en détournant les acceptions. Ces écrivains n’ont point de style, ou, si l’on veut, ils n’en ont que l’ombre. Le style doit graver des pensées, ilsne savent que tracer des paroles. Pour bien écrire, il faut done posséder plei- nement son sujet; il faut y réfléchir assez pour voir clairement l’ordre de ses pensées, et en former unè suite, une chaine continue, dont 50 chaque point représente une idée; et, lorsqu'on aura pris la plume, il faudra la conduire sue- cessivement sur ce premier trait, sans lui permettre de s'en écarter, sans l’appuyer trop inégalement, sans lui donner d'autre mouvement que celui qui sera déterminé par l’espace qu’elle doit parcourir, C’est en cela que consiste la sé- vérité du style; c’est aussi ce qui en fera l’unité et ce qui en réglera la rapidité ; et cela seul aussi suffira pour le rendre précis et simple, égal et clair, vifetsuivi. A cette première règle , dictée par le génie, si l’on joint de la délicatesse et du goût, du serupule sur le choix des expressions , : x | de l'attention à ne nommer les choses que par les termes les plusgénéraux , le style aura dela | noblesse. Si l’on y joint encore de la défiance pour son premier mouvement , du mépris pour tout ce qui n’est que brillant , et une répugnance constante pour l’équivoque et la plaisanterie , le style aura de la gravité , il aura même de la ma- jesté. Enfin, si l’on écrit comme l’on pense, si l’on est cônvaineu de ce que l’on veut persuader , cette bonne foi avec soi-même, qui fait la bien- séance pour les autres et la vérité du style, lui fera produire tout son effet, pourvu que cette | persuasion intérieure ne se marque pas par un enthousiasme trop fort, etqu’il y ait partout plus de candeur que de confiance, plus de raison que de chaleur. C'estainsi, messieurs, qu'il me semblait, en vous lisant , que vous me parliez, que vous m'in- struisiez. Mon âme, qui recueillaitavec avidité ces oracles de la sagesse, voulait prendre l'essor et s'élever jusqu’à vous : vains efforts ! Les rè- gles, disiez-vous encore ; ne peuvent suppléer au génie; s’il manque, elles seront inutiles. Bien écrire, c’est tout à la fois bien penser, bien sen- tir et bien rendre; c’est avoir en même temps de l'esprit, de l'âme et du goût. Le stylé suppose la réunion et l’exercice de toutes les facultés in- tellectuelles : lesidées seules forment le fond du style, l'harmonie des paroles n’en est que l’ac- cessoire, et ne dépend que de la sensibilité des organes. Il suffit d’avoir un peu d'oreille pour éviter les dissonances , et de l'avoir exercée, perfectionnée par la lecture des poëtes et des orateurs ; pour que mécaniquement on soit porté a limitation de la cadence poétique et des tours oratoires. Or, jamais limitation n’a rien créé : aussi cette harmonie des mots ne fait ni le fond, ni le ton du style , et se trouve souvent dans des écrits vides d'idées. DISCOURS Le ton n’est que la convenance du style à la nature du sujet; il ne doit jamais être forcé ; il naitra naturellement du fond même de la chose, et dépendra beaucoup du point de généralité auquel on aura porté ses pensées. Si l’on s’est élevé aux idées les plus générales, et si l'objet en lui-même est arand, le ton paraïtra s'élever à la même hauteur; et si, en le soutenant à | cette élévation, le génie fournit assez pour don | ner à chaque objet une forte lumière, si l’on | peut ajouter la beauté du coloris à l'énergie du dessin, si l’on peut, en un mot, représenter chaque idée par une image vive et bien termi- née, et former de chaque suite d'idées un tableau harmonieux et mouvant, le ton sera non-seule- ment élevé, mais sublime, Ici, messieurs , l'application ferait plus que la règle; les exemples instruiraient mieux que les préceptes : mais, comme il ne m'est pas per- mis de citer les morceaux sublimes qui m'ont si souvent transporté en lisant vos ouvrages, je suis contraint de me borner à des réflexions. Les ouvragés bien écrits seront les seuls qui passe- ront à la postérité. La quantité des connaissan- ces, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes, ne sont pas de sûrs garants de limmortalité; si les ouvrages qui les contien- nent ne roulent que sur de petits objets, s'ils sont écrits sans coût, sans noblesse et sans gé- nie, ils périront, parce que les connaissances, les faits et les découvertes s’enlèvent aisément, se transportent, ct gagnent même à être mis en œuvre par des mains plus habiles. Ces cho- ses sont hors de l’homme, le style est l’'hommie même. Le style ne peut donc ni s’enlever, ni se transporter, ni s’altérer : s’il est élevé, noble, sublime, l’auteur sera également admiré dans tous les temps ; car il n’y a que la vérité qui soit durable, et même éternelle. Or, un beau style n’est tel en effet que par le nombre infini des vérités qu’il présente. Toutes les beautés intel- lectuelles qui s’y trouvent, tous les rapports dont il est composé, sont autant de vérités aussi utiles, et peut-être plus précieuses pour l’es- prit humain , que celles qui peuvent faire le fond du sujet. Le sublime ne peut se trouver que dans les grands sujets. La poésie, l’histoire et la philoso- phie ont toutes le même objet, et un très-grand objet, l’homme et la nature. La philosophie décrit et dépeint la nature; la poésie 11 peint et l'embellit; elle peint aussi les hommes, elle 1es DE M. DE agrandit , les exagère; elle crée les héros et les | dieux : l’histoire ne peint que l’homme, et le peint tel qu’il est; ainsi le ton de l'historien ne deviendra sublime que quand il fera le portrait des plus grauds hommes, quand il exposera les plus grandes actions, les plus grands mouve- ments, les plus grandes révolutions, et, par- tout ailleurs, il suffira qu'il soit majestueux et grave. Le ton du philosophe pourra devenir su- blime toutes les fois qu'il parlera des lois de la nature, des êtres en général, de l’espace, de la matière, du mouvement et du temps, de l’âme, de l'esprit humain, des sentiments, des pas- sions : dans le reste, il suffira qu'il soit noble et élevé. Mais le ton de l’orateur et du poëte, dès que le sujet est grand, doit toujours être sublime, parce qu'ils sont les maitres de join- dre à la grandeur de leur sujet autant de cou- leur, autant de mouvement, autant d’illusion qu'il leur plait ; etque, devant toujours peindre et toujours grandir les objets, ils doivent aussi partout employer toute la force et déployer toute l'étendue de leur génie. ADRESSE A MM. DE L'ACADÉMIE FRANCAISE. Que de grands objets, messieurs , frappent ici mes yeux! et quel style et quel ton faudrait- il employer pour les peindre et les représenter | dignement! L'élite des hommes est assemblée. | la sagesse est à leur tête. La gloire, assise au | milieu d'eux, répand ses rayons sur chacun et les couvre tous d’un éclat toujours le même et | toujours renaissant. Des traits d’une lumière plus vive encore partent de sa couronne im- mortelle, et vont se réunir sur le front auguste du plus puissant et du meilleur des rois !. Jele vois ce héros, ce prince adorable, ce maïtre si | cher. Quelle noblesse dans tousses traits ! quelle majesté dans toute sa personne! que d’âme et de douceur naturelle dans ses regards! il les tourne vers vous, messieurs, et vous brillez d’un nouveau feu; une ardeur plus vive vous embrase; j'entends déjà vos divins accents et les accords de vos voix; vous les réunissez pour célébrer ses vertus, pour chanter ses victoires, pour applaudir à notre bonheur; vous les réu- nissez pour faire éclater votre zèle, exprimer votre amour, et transmettre à la postérité des 1 Louis XV. 51 BUFFON. sentiments dignes de ce grand prince et de ses descendants, Quels concerts! ils pénètrent mon cœur ; ils seront immortels comme le nom de Louis. Dans le lointain, quelle autre scène de grands objets! le génie de la France , qui parle à Ri- chelieu , et lui dicte à la fois l’art d'éclairer les hommes et de faire régner les rois. La justice et la science qui conduisent Séguier , et l’élevent de concert à la première place de leurs tribu- naux. La victoire qui s’avance à grands pas, et precède le char triomphal de nos rois, où Louis- le-Grand , assis sur des trophées, d’une man donne la paix aux nations vaineues , et de l’au- tre rassemble dans ce palais les muses disper- sées. Et près de moi, messieurs, quelautre ob- jet intéressant ! la Religion en pleurs, qui vient emprunter l'organe de l’éloquence pour expri- mer sa douleur, et semble m'accuser de sus- pendre trop longtemps vos regrets sur une perte que nous devons tous ressentir avec elle". PROJET D'UNE REPONSE A M. DE COETLOSQUET, ANCIEN ÉVÈQUE DE LIMOGES, LORS DE SA RÉCEPTION A L'ACADÉMIE FRANCAISE ?. Monsieur, En vous témoignant la satisfaction que nous avons à vous recevoir, je ne ferai pas l’énumé- ration de tous les droits que vous aviez à nos vœux. Il est un petit nombre d'hommes que les éloges font rougir, que la louange déconcerte, que la vérité même blesse, lorsqu'elle est trop | flatteuse. Cette noble délicatesse, qui fait la bienséance du caractère, suppose la perfection de toutes les qualités intérieures. Une âme belle et sans tache, qui veut se conserver dans toute sa pureté, cherche moins à paraître qu'à se couvrir du voile de la modestie; jalouse de scs beautés, qu’elle compte par le nombre de ses vertus, elle ne permet pas que le souffle impur 1 Celle de M. Languet de Gergy, archevêque de Sens, au- quel j'ai succédé à l'Académie francaise. 2 Cette réponse devait être prononcée en 1760, le jour de la réception de M. l'évêque de Limoges à l'Académie française ; mais, comme ce prélat se retira pour laisser passer deux hommes de lettres qui aspiraient en même temps à l'Acadé- mie, cette réponse n'a été ni prononcée ni imprimée. 32 A des passions étrangères en ternisse le lustre : imbue de très-bonne heure des principes de la religion, elle en conserve avec le même soin les impressions sacrées : mais, comme ces caractè- res divies sont gravés en traits de flamme, leur éclat perce et colore de son feu le voile qui nous les dérobait; alors il brille a tous les yeux et sans les offenser. Bien différent de l'éclat de la gloire, qui toujours nous frappe par éclairs, et souvent nous aveugle, celui de la vertu n’est qu'une lumière bienfaisante, qui nous guide, qui nous éclaire, et dont les rayons nous vivi- fient. Accoutumée à jouir en silence du bonheur at- taché à l'exercice de la sagesse, occupée sans relâche à recueillir la rosée céleste de la grâce divine, qui seule nourrit la piété, cette âme ver- tueuse et modeste se suffit à elle-même : con- tente de son intérieur, elle a peine à se répan- dre au-dehors; elle ne s’'épanche que vers Dieu. La douceur et la paix , l'amour de ses devoirs la remplissent , l’occupent tout entière ; la charité seule a droit de l’'émouvoir ; mais alors son zèle, quoique ardent, est encore modeste; il ne s’an- nonce que par l'exemple; il porte l’empreinte du sentiment tendre qui le fit naitre; e’est la vertu, seulement devenue plus active. Tendre piété! vertu sublime! vous méritez tous nos respects ; vous élevez l’homme au-des- sus de son être, vous l’approchez du Créateur, vous en faites sur la terreun habitant des cieux. Divinemodestie! vous mériteztoutnotreamour; vous faites seule la gloire du sage, vous faites aussi la décence du saint état des ministres de l'autel : par le commerce des hommes ; vous êtes un don du ciel, une grâce qu'il accorde en secret à quel- ques âmes privilégiées pour rendre la vertu plus aimable; vous rendriez même, s’il était possi- ble, le vice moins choquant. Mais jamais vous n'avez habité dans un cœur corrompu ; la honte y a pris votre place; elle prend aussi vos traits lorsqu'elle veut sortir de ces replis obscurs où le crime l’a fait naitre; elle couvre de votre voile sa confusion, sa bassesse. Sous ce lâche déguisement elle ose donc paraitre : mais elle soutient mal la lumière du jour; elle a l'œil trouble et le regard louche ; elle marche à pas obliques dans desroutes souterraines où le soup- con la suit ; et, lorsqu'elle croit échapper à tous les veux, un rayon de la vérité luit, il perce le nuage ; l'illusion se dissipe , le prestige s’éva- DISCOURS nouit, le scandale seul reste, et l’on voit à nu toutes les difformités du vice grimaçant la vertu. Mais détournons les yeux ; n’achevons pas le portrait hideux dela noire hypocrisie; nedisons pas que, quand elle a perdu le masque de la honte, elle arbore le panache de l’orgueil, et qu'alors elle s'appelle impudence. Cesmonstres | odieux sont indignes de faire ici contraste dans vous n'êtes point un sentiment acquis le tableau des vertus; ils souilleraient nos pin- ceaux. Quela modestie, la piété, la modération, la sagesse soient mes seuls objets et mes seuls modèles. Je les vois, ces nobles filles du ciel, sourire à ma prière; je les vois, chargées de tous leurs dons, s’avancer à ma voix pour les réu- nir icisur la même personne; et c’est de vous, monsieur, que je vais emprunter encore des traits vivants qui les caractérisent. Au peu d’empressement que vous avez mar- qué pour les dignités, à la contrainte qu'il a fallu vous faire pour vous amener à la cour, à l'espèce de retraite dans laquelle vous continuez d'y vivre, au refus absolu que vous fites de l’archevêché de Tours, qui vous était offert, aux délais même que vous avez mis à satisfaire les vœux de l'académie, qui pourrait méconnaitre cette modestie pure que j'ai tâché de peindre? L'amour des peupies de votre diocèse , la ten- dresse paternelle qu’on vous connait pour eux, les marques publiques qu’ils donnèrent de leur joie, lorsque vous refusâtes de les quitter, et parûtes plus flatté de leur attachement que de l'éclat d'un siége plus élevé, les regrets uni- versels qu'ils ne cessent de faire encore en- tendre, ne sont-ils pas les effets les plus évi- dents de la sagesse, de la modération, du zèle charitable, et ne supposent-ils pas le talent rare de se concilier les hommes en les conduisant? talent qui ne peut s’acquérir que par une con- naissance parfaite du cœur humain, et qui ce- pendant parait vous être naturel, puisqu'il s’est annoncé dès les premiers temps, lorsque, formé sous les yeux de M. le cardinal de la Roche- foucauld , vous eûtes sa confiance et celle de tout son diocèse; talent peut-être le plus néces- saire de tous, pour le succès de l'éducation des princes; car ce n’est en effet qu’en se conci- liant leur éœur que l’on peut le former. Vous êtes maintenant à portée, monsieur, de le faire valoir, ce talent précieux ; il peut deve- nirentre vos mains l'instrument du bonheur des hommes ; nosjeunes princessont destinés a être DE M. DE BUFFON. 33 quelque jour leurs maitres ou leurs modèles ; | un hommage rendu à la piété, à la vertu et à ils font déjà l'amour de la nation ; leur auguste père vous honore de toute sa confiance ; sa ten- dresse, d'autant plus active, d'autant plus éclai- rée qu’elle est plus vive et plus vraie, ne s’est point méprise : que faut-il de plus pour faire applaudir à son discernement et pour justifier son choix? Il vous a préposé, monsieur, à cette éducation si chère, certain que ses augus- tes enfants vous aimeraient, puisque vous êtes UBINENENeMENTAINÉ. + . - … .. : . . . . . Universellement aimé : à ce seul mot, que je ne crains point de répéter, vous sentez, monsieur, combien je pourrais étendre, élever mes éloges; mais je vous ai promis d'avance toute la discré- tion que peut exiger la délicatesse de votre mo- destie. Je ne puis néanmoins vous quitter en- core, ni passer sous silence un fait qui seul prouverait tous les autres, et dont le simple ré- cit a pénétré mon cœur; c’est ce triste et der- nier devoir que, malgré la douleur qui déchi- rait votre âme, vous rendites avec tant d’em- ! pressement et de courage à la mémoire de M. le cardinal de la Rochefoucauld. Il vous avait donné les premières lecons de la sagesse; il avait vugermer etcroitre vos vertus par l’exem- ple des siennes; il était, si j'ose m’exprimer ainsi, le père de votre âme : et vous, monsieur, vous aviez pour lui plus que l'amour d’un fils, une constance d’attachement qui ne fut jamais altérée, une reconnaissance si profonde, qu’au lieu de diminuer avec le temps, elle a paru toujours s’augmenter pendant la vie de votre illustre ami, et que, plus vive encore après son décès , ne pouvant plus la contenir, vous la fi- tes éclater en allant mêler vos larmes à celles de tout son diocèse, et prononcer son éloge fu- nèbre, pour arracher au moins quelque chose à la mort en ressuscitant ses vertus. Vous venez aussi, monsieur, de jeter des fleurs immortelles sur le tombeau du pxélat auquel vous succédez. Quand on aime autant la vertu, on sait la reconnaitre partout, et la louer sous toutes les faces qu’elle peut présen- ter. Unissons nos regrets à vos éloges. . Le reste de ce discours manque, les circons- tances ayant changé. M. l’ancien évêque de Li- moges aurait même voulu qu'il fût supprimé en entier. J'ai fait ce que j’ai pu pour le satisfaire ; mais l'ouvrage étant trop avancé, et les feuilles tirées jusqu’à la page 16, je n'ai pu supprimer cette partie du discours, et je la laisse comme 1. la vérité. RÉPONSE A M. WATELET, LE JOUR DE SA RFCEPTION A L'ACADÉMIE FRANCAISE, LE SAMEDI 19 JANVIER 1761. Monsteur , Si jamais il y eut dans une compagnie un deuil de cœur général et sincère, c’est celui de ce jour. M. de Mirabaud, auquel vous succédez, monsieur, n'avait ici que des amis ; quelque digne qu'il fût d'y avoir des rivaux. Souffrez done que le sentiment qui nous affige paraisse le premier, et que les motifs de nos regrets pré- cèdent les raisons qui peuvent nous consoler. M. de Mirabaud, votre confrère et votre ami, messieurs, à tenu pendant près de vingt ans la plume sous vos yeux. I était plus qu'un mem- bre de notre corps, il en était le principal or- | gane : occupé tout entier du service et de Ja | gloire de l’Académie, il lui avait consacré et | ses jours et ses veilles ; il était, dans votre cer- cle, le centre auquel se réunissaient vos lumiè- res qui ne perdaient rien de leur éclat en pas- sant par sa plume. Connaissant par un si long usage toute l'utilité de sa place, pour les pro- grès de vos travaux académiques, il n’a voulu la quitter, cette place qu’il remplissait si bien, qu'apres vous avoir désigné, messieurs , celui d’entre vous que vous avez tous jugé convenir le mieux ‘, et qui joint en effet à tous le talents de l’espnit, cette droiture délicate qui va jus- qu'au scrupule dès qu'il s’agit de remplir ses devoirs. M. de Mirabaud a joui lui-même de ce bien qu'il nous a fait; il a eu la satisfaction, pendant ses dernières années, de voir les pre- miers fruits de cet heureux choix. Le grand âge n'avait point affaissé l'esprit ; il n'avait al- téré ni ses sens, ni ses facultés intérieures : les tristes impressions du temps ne s'étaient mar- quées que par le desséchement du corps. A quatre-vingt-six ans, M. de Mirabaud avait encore le feu de la jeunesse et la sève de l’âge 4 M. Duclos a succédé à M. de Mirabaud dans la place de se- ”_crétaire de l'Académie française. 3 3 mür; uné gaité vive et douce, une sérénité d'âme, une aménité de mœurs qui faisaient dis- paraitre la vieillesse, ou ne la laissaient voir qu'avec cette espèce d’attendrissement qui sup- pose bien plus que du respect. Libre de pas- sions, et sans autres liens que ceux de l'amitié, il était plus à ses amis qu'à lui-même : il a passé sa vie dans une’ société dont il faisait les délices, société douce quoiqu'intime, que la mort seule a pu dissoudre. Ses ouvrages portent l'empreinte de son ca- ractère : plus un homme est honnète, et plus ses écrits lui ressemblent. M. de Mirabaud joignait toujours le sentiment à l'esprit, et nous aimons à le lire comme nous aimions à l'entendre; mais il avait si peu d’attachement pour ses produc- tions, il craignait si fort et le bruit et l'éclat, qu'il a sacrifié celles qui pouvaient le plus con- tribuer à sa gloire. Nulle prétention malgré son mérite éminent; nul empressement à se faire valoir; nul penchant à parler de soi ; nul désir, ni apparent ni caché, de se mettre au-dessus des autres : ses propres talents n'étaient à ses yeux que des droits qu'il avait acquis pour être plus modeste, et il paraissait n'avoir cultivé son esprit que pour élever son âme et perfectionner ses vertus. Vous, monsieur, qui jugez si bien de la vé- rité des peintures, auriez-vous saisi tous les traits qui vous sont communs avec votre prédé- cesseur dans l’esquisse que je viens de tracer? Si l’art que vous avez chanté pouvait s'étendre jusqu’à peindre les âmes, nous verrions d'un coup d'œil ces ressemblances heureuses que je ne puis qu'indiquer ; elles consistent ésalement, et dans ces qualités du cœur si précieuses à la société, et dans ces talents de l'esprit qui vous ont mérité nos suffrages. Toute grande qu'est notre perte, vous pouvez donc, monsieur, plus que la réparer : vous venez d'enrichir les artset notre langue d’un ouvrage qui suppose, avec la perfection du goût, tant de connaissances diffé- rentes , que vous seul peut-être en possédez les rapports et l’ensemble; vous seul, et le premier, avez osé tenter de représenter par des sons har- monieux les effets des couleurs ; vous avezes- | sayé de faire pour la peinture ce qu'Horace fit pour la poésie, un monument plus durable que le bronze. Rien ne garantira des outrages du temps ces tableaux précieux des Raphaël, des Titien, des Corrége; nos arrière-neveux regret- DISCOURS tons nous-mêmes ceux des Zeuxis etdes Apel- les. Si vos leçons savantes sont d’un si grand prix pour nos jeunes artistes, que ne vous de- vront pas, dans les siècles futurs, l'art lui- même, et ceux qui le cultiveront? Au feu de vos lumières , ils pourront réchauffer leur gé- nie; ils retrouveront au moins, dans la fécon- dité de vos principes et dans la sagesse de vos | préceptes, une partie des secours qu'ils auraient tirés de ces modèles sublimes, qui ne subsis- teront plus que par la renommée. RÉPONSE À M. DE LA CONDAMINE, LE JOUR DE SA RÉCEPTION À L'ACADÉMIE FRANÇAISE , LE LUNDI 21 JANVIER 1761. Monsteur , Du génie pour les sciences , du goût pour la littérature, du talent pour écrire, de l’ardeur | pour entreprendre, du courage pour exécuter; de la constance pour achever, de l'amitié pour vos rivaux, du zèle pour vos amis, de l’enthou- siasme pour l'humanité : voilà ce que vous connait un ancien ami, un confrère de trente ans, qui se félicite aujourd’hui de ie devenir pour la seconde fois !. Avoir parcouru l’un et l’autre hémisphère, traversé les continents et les mers , surmonté les sommets sourcilleux de ces moutagnes em- brasées, où des glaces éternelles bravent égale- ment et les feux souterrains et les ardeurs du midi; s'être livré à la pente précipitée de ces cataractes écumantes, dont les eaux suspendues semblent moins rouler sur la terre que descen- dre des nues ; avoir pénétré dans ces vastes dé- serts, dans ces solitudes immenses, où l’on trouve à peine quelques vestiges de l'homme, où la nature, accoutumée au plus profond si- lence, dut être étonnée de s'entendre interro- cer pour la première fois; avoir plus fait, en un mot, par le seul motif de la gloire des let- tres , que l'on ne fit jamais par la soif de l'or : voilà ce que connait de vous l'Europe et ce que dira de vous la postérité. ‘ J'étais depuis très-longlemps confrère de M de la Cooda- teront ces chefs-d'œuvre, comme nous regret- | mine à l'Académie des Sciences. DE M. DE BUFFON. Mais, n'anticipons ni sur les espaces ni sur les temps : vous savez que le siècle où l’on vit est sourd , que la voix du compatriote est fai- ble ; laissons done à nos neveux le soin de répéter ce que dit de vous l'étranger, et bornez aujour- d'hui votre gloire à celle d’être assis parmi nous. La mort met cent ans de distance entre un jour et l’autre : louons de concert le prélat au- quel vous succédez !; sa mémoire est digne de nos éloges, sa personne digne de nos regrets. Avec de grands tilents pour les négociations, il avait la volonté de bien servir l'état; volonté dominante dans M. de Vauréal, et qui dans tant d'autres n’est que subordonnée à l'intérêt personnel. Il joignait à une grande connaissance du monde, le dédain de l'intrigue ; au désir de la gloire, l'amour de la paix, qu'il a maintenue dans son diocèse , même dans les temps les plus orageux. Nous lui connaissions cette éloquence naturelle, cette force de discours, cette heu- reuse confiance, qui souvent sont nécessaires pour ébranler, pour émouvoir ; et en même temps cette facilité à revenir sur soi-même, cette espèce de bonne foi si séante, qui per- suade encore mieux , et qui seule achève de con- vaincre. I laissait paraitre ses talents et cachait ses vertus; son zèle charitable s’étendait en secret à tous les indigents : riche par son pa- trimoine et plus encore par les grâces du roi, dont nous ne pouvons trop admirer la bonté bienfaisante , M. de Vauréal sans cesse faisait du bien, et le faisait en grand; il donnait sans mesure ; il donnait en silence ; il servait ardem- - ment; il servait sans retour personnel; et jamais ni les besoins du faste, si pressants à la cour, ni la crainte si fondée de faire des ingrats, n’ont balancé dans cette âme généreuse le sentiment plus noble d'aider aux malheureux. RÉPONSE A M. LE CH" DE CHATELUX, LE JOUR DE SA RECEPTION 4 L'ACADÉMIE FRANCAISE, LE JEUDI 27 AVRIL 1775. Moxsteur, On ne peut qu'accueillir avee empressement quelqu'un qui se présente avec autant de grâce ; M. de la Condamine succéda, à l'Académie Francaise, M. de Vauréal, évêque de Rennes. Lan 2 le pas que vous avez fait en arrière sur le seuil de ce temple, vous a fait couronner avant d’en- trer au sanctuaire !; vous veniez à nous, et votre modestie nous a mis dans le cas d’aller tous au-devant arrivez en triomphe et ne craignez pas que j'afflige cette vertu qui vous est chère ; je vais même la satisfaire en blâämant à vos yeux ce qui seul peut la faire rougir. La louange publique , signe éclatant du mé- rite, est une monnaie plus précieuse que l'or, mais qui perd son prix et même devient vile, lorsqu'on la convertit en effets de commerce. Subissant autant de déchet par le change, que le métal, signe de notre richesse , acquiert de valeur par la cireulation , la louange réciproque nécessairement exagérée , n’offre-t-elle pas un commerce suspect entre particuliers , et peu di- gne d'une compagnie dans laquelle il doit suf- fire d’être admis pour être assez loué? Pour- quoi les voûtes de ce lycée ne forment-elles jamais que des échos multipliés d’éloges reten- tissants ? pourquoi ces murs, qui devraient être sacrés, ne peuvent-ils nous rendre le ton mo: deste et la parole de la vérité? Une couche antique d’encens brülé revêt leurs parois et les rend sourds à cette parole divine qui ne frappe que l'âme. S'il faut étonner l’ouie, s’il faut les éclats de la trompette pour se faire entendre, je ne le puis; et ma voix, düt-elle se perdre sans effet, ne blessera pas au moins cette vérité sainte, que rien n’afflige plus après la calom- nie que la fausse louange. Comme un bouquet de fleurs assorties dont chacune brille de ses couleurs, et porte son parfum , l’éloge doit présenter les vertus, les talents , les travaux de l’homme célébré.Qu’on passe sous silence les vices, les défauts, les erreurs, est retrancher du bouquet les feuilles desséchées, les herbes épineuses, et celles dont l’odeur serait désasréable. Dans l’histoire, ce silence mutile la vérité; il ne l’offense pas dans l’éloge. Mais la vérité ne permet ni les jugements de mauvaise foi, ni les fausses adu- lations ; elle se révolte contre ces mensonges colorés auxquels on fait porter son masque. Bientôt elle fait justice de toutes ces réputa- tions éphémères , fondées sur le commerce et l'abus de la louange; portant d’une main l’é- ponge de l'oubli et de l’autre le burin de la 4 M. le chevalier de Chatelux, qui était désiré par l'Acadé- mie, et qui en conséquence s'était présenté, se relirapouren- gager M. de Malesherbes à passer avant lui. 36 DISCOURS gloire, elle efface sous nos yeux les caractères du prestige , et grave pour la postérité les seuls traits qu'elle doit consacrer. Elle sait que l'éloge doit non-seulement cou- ronner le mérite , mais le faire germer ; par ces nobles motifs elle a cédé partie de son domaine : le panégyriste doit se taire sur le mal moral, exalter le bien, présenter les vertus dans leur plus grand éclat (mais les talents dans leur vrai jour), et les travaux accompagnés, comme les vertus, de ces rayons de gloire dont la chaleur vivifiante fait naître le désir d’imiter les unes et le courage pour égaler les autres , toutefois en mesurant les forces de notre faible nature, qui s’effraierait à la vue d’une vertu gigantes- que et prend pour un fantôme tout modele trop grand ou trop parfait. L'éloge d'un souverain sera suffisamment grand , quoique simple, si l’on peut prononcer comme une vérité reconnue : NOTRE ROI VEUT LE BIEN ET DÉSIRE D'ÈTRE AIMÉ ; la toute-puis- sance compagne de sa volonté ne se déploie que pour augmenter le bonheur de ses peuples; dans l'âge de la dissipation, il s'occupe avec assiduité; son application aux affaires annonce l’ordre et la règle ; l'attention sérieuse de l’es- prit, qualité si rare dans la jeunesse, semble être un don de naissance qu'il a recu de son au- guste père, et la justesse de son discernement n'est-elle pas démontrée par les faits? IT a choisi pour coopérateur le plus ancien, le plus ver- tueux et le plus éclairé de ses hommes d'état", grand ministre éprouvé par les revers, dont l'âme pure et ferme ne s’est pas plus affaissée sous la disgrâce qu’enflée par la faveur. Mon cœur palpite au nom du créateur de mes ou- vrages , et ne se calme que par le sentiment du repos le plus doux ; c’est que , comblé de gloire, il est au-dessus de mes éloges. Ici j'invoque encore la vérité : loin de me démentir, elle ap- prouvera tout ce que je viens de prononcer ; elle pourrait même m'en dicter davantage. Mais, dira-t-on, l'éloge en général ayant la vérité pour base, et chaque louange portant son caractère propre, le faisceau réuni dans ces traits glorieux ne sera pas encore un trophée; “on doit l’orner de franges , le serrer d’une chaine de brillants : car il ne suffit pis qu'on ne puisse le délier ou le rompre, il faut de plus le faire accueillir, admirer, applaudir, et que l’accla- ‘M le comte de Maurepas, mation publique, étouffant lemurmure de ces hommes dédaigneux ou jaloux, confirme ou justifie la voix de l’orateur. Or, l’on manque ce but, si l’on présente la vérité sans parure et trop nue. Je l'avoue : mais ne vaut-il pas mieux sacrifier ce petit bien frivole, au grand et solide honneur de transmettre à la postérité les por- traits ressemblants de nos contemporains? Elle les jugera par leurs œuvres, et pourrait dé- mentir nos éloges. Malgré cette rigueur que je m'impose ici , je me trouve fort à mon aise avec vous, monsieur; actions brillantes, travaux utiles, ouvrages sa- vants , tout se présente à la fois; et comme une tendre amitié m’attache à vous de touslestemps, je parlerai de votre personne avant d’exposer vos talents. Vous füûtes le premier d’entre nous qui ait eu le courage de braver le préjugé con- tre l’inoculation ; seul, sans conseil , à la fleur de l'âge, mais décidé par maturité de raison, vous fites sur vous-même l'épreuve qu’on redoutait encore : grand exemple, parce qu’il fut le pre- mier, parce qu'il a été suivi par des exemples plus grands encore, lesquels ont rassuré tous les cœurs des Français sur la vie de leurs prin- ces adorés. Je fus aussi le premier témoin de votre heureux succès : avec quelle satisfaction je vous vis arriver de la campagne portant les impressions récentes qui ne me parurent que des stigmates de courage ! Souvenez-vous de cet instant! L'hilarité peinte sur votre visage en cou- leurs plus vives que celles du mal, vous me dites : Je suis sauvé, el mon exemple en sau- vera bien d’autres. Ce dernier mot peint votre âme; je n’en con- nais aucune qui ait un zèle plus ardent pour le bonheur de l'humanité. Vous teniez la lampe sacrée de ce noble enthousiasme lorsque vous conçütes le projet de votre ouvrage sur la féli- cité publique. Ouvrage de votre cœur, avec quelle affection n'y présentez-vous pas le ta- bleau successif des malheurs du genre humain! avec quelle joie vous saisissez les courts inter- valles de son bonheur ou plutôt de sa tranquilli- té! Ouvrage de votre esprit, que des vues saines, que d'idées approfondies, que de combinai- sons aussi délicates que difficiles. J’ose le dire , si votre livre pèche, c’est par trop de mé- rite; l’immense érudition que vous y avez déployée, couvre d’une forte draperie les objets principaux. Cependant cette grande érudition, qui seule suffirait pour vous donner des titres DE M. DE BUFFON. 57 auprès de toutes les académies, vous était né- cessaire comme preuve de vos recherches ; vous avez puisé vos Connaissances aux sources mêmes du savoir, et suivant pas à pas les auteurs con- temporains. vous avez présenté la condition des hommes et l'état des nations sous leur vrai point de vue, mais avec cette exactitude scru- puleuse et ces pièces justificatives qui rebutent tout lecteur léger, et supposent dans les autres une forte attention. Lorsqu'il vous plaira donc de donner une nouvelle culture à votre riche fonds, vous pourrez arracher ces épines qui couvrent une partie de vos plus beaux terrains, et vous n'offrirez plus qu’une vaste terre émail- lée de fleurs et chargée de fruits que tout homme de goût s’empressera de cueillir. Je vais vous citer à vous-même pour exemple. Quelle lecture plus instructive pour les ama- teurs des arts, que celle de votre Essai sur l'u- nion de la poésie et de la musique! C’est encore au bonheur publicque cet ouvrage est consacré ; il donne le moyen d'augmenter les plaisirs purs de l'esprit par le chatouillement innocent de l’o- reille. Une idée mère et neuve s’y développe avec grâce dans toute son étendue : il doit y avoir du style en musique ; chaque air doit être fondé sur un motif, sur une idée principale re- lative à quelque objet sensible ; et l’union de la musique à la poésie ne peut être parfaite qu’au- tant que le poëte et le musicien conviendront d'avance de représenter la même idée, l’un par des mots, et l’autre par des sons. C’est avec toute confiance que je renvoie les gens de goût _ à la démonstration de cette vérité, et aux char- mants exemples que vous en avez donnés. Quelle autre lecture plus agréable que celle des éloges de ces illustres guerriers, vos amis, vos émules, et que par modestie vous appelez vos maitres? Destiné par votre naissance à la profession des armes , comptant dans vos an- cêtres de grands militaires, des hommes d'état plus grands encore, parce qu’ils étaient en même temps très-grands hommes de lettres, vous avez été poussé, par leur exemple, dans les deux carrières, et vous vous êtes annoncé d’abord avec distinction dans celle de la guerre. Mais votre cœur de paix, votre esprit de patriotisme et votre amour pour l'humanité vous prenaient tous les moments que le devoir vous laissait ; et, pour ne pas trop s'éloigner de ce devoir sacré d'état, vos premiers travaux littéraires ont été des éloges militaires. Je ne citerai que celui de M. le baron de Closen, etje demande sice n'est pas une espèce de modèle en ce genre? Et le discours que nous venons d’entendre w'est-il pas un nouveau fleuron que l'on doit ajouter à vos anciens blasons? la main du goût va le placer ; puisque c’est son ouvrage, elle le mettra sans doute au-dessus de vos autres cou- ronnes. Je vous quitte à regret, monsieur ; mais vous succédez à un digne académicien qui mérite aussi des éloges, et d'autant plus qu'il les re- cherchait moins. Sa mémoire, honorée par tous les gens de bien, nous est chère en particulier, par son respect constant pour cette compagnie. M. de Châteaubrun , homme juste et doux, pieux, mais tolérant, sentait, savait que l’em- pire des lettres ne peut s’accroitre etse soutenir que par la liberté; il approuvait donc tout as- sez volontiers, etne blâämait rien qu'avec discré- tion. Jamais il n’a rien fait que dans la vue du bien, jamais rien dit qu’à bonne intention. Mais il faudrait faire ici l’énumération de toutes les vertus morales et chrétiennes, pour présenter en détail celles de M. de Châteaubrun. Il avait les premières par caractère, et les autres par le plus grand exemple de ce siècle en ce genre, l'exemple du prince, aïeul de son auguste élève. Guidé dans cette éducation par l’un de nos plus respectablesconfrères, etsoutenu par son ancien et constant dévouement à cette grande maison , il a eu la satisfaction de jouir pendant quatre générations , et plus de soixante ans, de Ja con- fiance et de toute l'estime de ces illustres pro- tecteurs. Cultivant les belles-lettres autant par devoir que par goût, il a donné plusieurs pièces de théâtre ; les Troyennes et Philoctète ont fait verser assez de larmes pour justifier l'éloge que nous faisons de ses talents. Sa vertu tirait parti de tout ; elle perce à travers les noires perfidies et les superstitions que présente chaque scène ; ses offrandes n’en sont pas moins pures , ses victimes moins innocentes , et même ses por- traits n’en sont que plus touchants. J'ai admiré sa piété profonde par le transport qu'il en fait aux ministres des faux dieux. Thestor, grand- prêtre des Trovens, peint par M. de Château- brun, semble être environné de cette lumiere surnaturelle qui le rendrait digne de desservir les autels du vrai Dieu. Et telle est en effet la force d’une âme vivement affectée de ce senti- ment divin, qu’ellele porte au loin et le répand 58 DISCOURS sur tous les objets qui l’environnent. Si M. de Châteaubrun a supprimé, comme on l’assure, quelques pièces très-dignes de voir le jour, c’est sans doute parce qu'il ne leur a pas trouvé une assez forte teinture de ce sentiment auquel il voulait subordonner tous les autres. Dans cet instant, messieurs, je voudrais moi-même y conformer le mien. Je sens néanmoins que ce serait faire la vie d’un saint, plutôt que l'éloge d'un académicien. Il est mort à quatre-vingt- treize ans. Je viens de perdre mon père, pré- cisément au même âge : il était, comme M. de Châteaubrun, plein de vertus et d'années. Les regrets permettent la parole; mais la douleur est muette. RÉPONSE A M. LE M" DUC DE DURAS, LE JOUR DE SA RECEPTION À L'ACADÉMIE FRANCAISE , LE 15 MAI 1775. Moxsreur, Aux lois que je me suis preserites sur l'éloge dans le discours précédent , il faut ajouter un précepte également nécessaire : c’est que les convenances doivent y étresenties et jamais vio- lées; le sentiment qui les annonce doit régner partout, et vous venez, monsieur, de nous en donner l’exemple. Mais ce tact attentif de l’es- prit qui fait sentir les nuances des fines bien- séances, est-il un talent ordinaire qu’on puisse communiquer, où plutôt est-il pas le dernier résultat des idées , l'extrait dessentiments d’une âme exercée sur des objets que le talent ne peut saisir? La nature donne la force du génie , la trempe du caractère et le moule du cœur ; l'éducation ne fait que modifier le tout : mais le goût déli- cat, le tact fin d'où nait ce sentiment exquis , ne peuvent s’acquérir que par un grand usage du monde dans les premiers rangs de la société. L'usage des livres, la solitude , la contempla- tion des œuvres de la nature , l'indifférence sur le mouvement du tourbillon des hommes, sont au contraire les seuls éléments de la vie du phi- losophe. Ici l'homme de cour a done le plus grand avantage sur l’homme de lettres ; il louera mieux et plus convenablement son prince etles grands, parce qu’il les connait mieux, parce que mille fois il a senti, saisi ces rapports fu- gitifs que je ne fais qu'entrevoir. Dans cette compagnie nécessairement com- posée de l’élite des hommes en tout genre, cha- eun devrait être jugé et loué par ses pairs : notre formule en ordonne autrement; nous sommes presque toujours au-dessus ou au-des- sous de ceux que nous avons à célébrer. Néan- moins il faut être de niveau pour se bien con- naitre ; il faudrait avoir les mêmes talents pour se juger sans méprise. Par exemple, j'ignore le grand art des négociations, et vous le possédez ; vous l’avez exercé, monsieur, avec tout succes, je puis le dire. Mais il m'est impossible de vous louer par le détail des choses qui vousflatteraient le plus; je sais seulement, avec le public, que vous avez maintenu pendant plusieurs années, dans des temps difficiles , l'intimité de l'union entre les deux plus grandes puissances de l’Eu- rope; je sais quedevant nous représenter auprès d’une nation fière, vous y avez porté cette di- gnité qui se fait respecter, et cette aménité qu’on aime d'autant plus qu’elle se dégrade moins. Fidèle aux intérêts de votre souverain, zélé pour sa gloire, jaloux de l'honneur de la France, sans prétention sur celui de l'Espagne, sans mépris des usages étrangers , connaissant également les différents objets de la gloire des deux peuples , vous en avez augmenté l'éclat en les réunissant. Représenter dignement sa nation sans cho- quer l’orgueil de l’autre ; maintenir ses intérêts par la simple équité, porter en tout justice, bonne foi, discrétion; gagner la confiance par de si beaux moyens; l’établir sur des titres plus grands encore, sur l'exercice des vertus, me paraît un champ d'honneur si vaste, qu’en vous eh Ôtant une partie pour la donner à votre noble compagne d'ambassade, vous n’en serez ni ja- loux , ni moins riche. Quelle part n’a-t-elle pas eue à tous vos actes de bienfaisance! votre mé- moire et la sienne seront à jamais consacrées dans les fastes de l’humanité, par le seul trait que je vais rapporter. La stérilité, suivie de la disette, avaient amené le fléau de la famine jusque dans la ville de Madrid. Le peuple mourant levait les mains auciel pouravoir du pain. Lessecours du gouver- nement trop faibles ou trop lents, nediminuaient que d’un degré cet excès de misère : vos cœurs | compatissants vous la firent partager. Des som- DE M. DE ” mes considérables, même pour votre fortune, furent employées par vos ordres à acheter des grains au plus haut prix, pour les distribuer aux pauvres. Les soulager en tout temps, en tout pays, c’est professer l'amour de l’huma- nité, c’est exercer la première et la plus haute de toutes les vertus. Vous en eütes la seule ré- compense qui soit digne d’elle : le soulagement du peuple fut assez senti, pour qu’au Prapo, sa morne tristesse, à l’aspect de tous les autres objets, se changeât tout à coup en signes de joie et en cris d’allégresse à la vue de ses bien- faiteurs; plusieurs fois , tous deux applaudis et suivis par des acclamations de reconnaissance, vous avez joui de ce bien, pius grand que tous les autres biens, de ce bonheur divin que les cœurs vertueux sont seuls en état de sen- tir. Vous l’avez rapporté parmi nous, monsieur, ce cœur plein d’une noble bonté. Je pourrais appeler en témoignage une provinee entière qui ne démentirait pas mes éloges; mais je ne puis les terminer sans parler de votre amour pour les lettres, et de votre prévenance pour ceux qui les cultivent. C’est done avec un sentiment unanime que nous applaudissons à nos propres suffrages. En nous nommant un confrère, nous acquérons un ami; soyons toujours, comme nous le sommes aujourd’hui, assez heureux dans nos choix, pour n’en faire aucun qui m’il- lustre les lettres. Les lettres! chers et dignes objets de ma pas- sion la plus constante, que j'ai de plaisir à vous voir honorées! que je me féliciterais si ma voix - pouvait y contribuer! Mais c’est à vous, mes- sieurs, qui maintenez leur gloire, à en aug- menter les honneurs : je vais seulement tâcher de seconder vos vues, en proposant aujour- d’hui ce qui depuis longtemps fait l’objet de nos vœux. Les lettres dans leur état actuel ont plus be- soin de concorde que de protection; elles ne peuvent être dégradées que par leurs propres dissensions. L'empire de l’opinion n’est-il donc pas assez vaste pour que chacun puisse y ha- biter en repos? Pourqui se faire la guerre? Eh! messieurs, nous demandons la tolérance : accordons-la donc, exerçons-la pour en donner l'exemple. Ne nous identifions pas avec nos ouvrages; disons qu’ils ont passé par nous, mais qu'ils ne sont pas nous; séparons-en notre existence morale; fermons l'oreille aux aboie- BUFFON. 59 ments de la critique; au lieu de défendre ce que nous avons fait, recueillons nos forces pour faire mieux; ne nous célébrons jamais entre nous que par l'approbation; ne nous blämons que par le silence ; ne faisons ni tourbe, ni co- terie; et que chacun poursuivant la route que lui fraie son génie, puisse recueillir sans trou- ble le fruit de son travail. Les lettres prendront alors un nouvel essor, et ceux qui les cultivent un plus haut degré de considération; ils seront généralement révérés par leurs vertus, autant qu'admirés par leurs talents. Qu'un militaire du haut rang, un prélat en dignité, un magistrat en vénération', célèbrent avec pompe les lettres et les hommes dont les ouvrages marquent le plus dans la bttérature ; qu'un ministre affable et bien intentionné les accueille avec distinction, rien n’est plus conve- nable; je dirais rien de plus honorable pour eux- mêmes, parce que rien n’est plus patriotique. Que les grands honorent le mérite en publie, qu'ils exposent nos talents au grand jour, c’est les étendre et les multiplier : mais qu'entre eux les gens de lettres se suffoquent d’encens, ou s’i- nondent de fiel, rien de moins honnête, rien de plus préjudiciable en tout temps, en tout lieu. Rappelons-nous l'exemple de nos premiers mai- tres; ils ont eu l’ambition insensée de vouloir faire secte. La jalousie des chefs, l'enthousiasme des disciples, l’opiniâtreté des sectaires, ont semé la discorde et produittous les maux qu’elleentraine à sa suite. Ces sectes sont tombées comme elles étaient nées, victimes de la même passion qui les avait enfantées , et rien n’a survécu : l’exil de la sagesse, le retour de l'ignorance ont été les seuls et tristes fruits de ces chocs de vanité, qui, même par leurs succès, n’aboutissent qu’au me- pris. Le digne académicien auquel vous succédez , monsieur, peut nous servir de modèle et d’exem- ple par son respect constant pour la réputation de ses confrères, par sa liaison intime avec ses rivaux : M. de Belloy était un homme de paix, amant dela vertu , zélé pour sa patrie, enthou- siaste de cet amour national qui nous attache à nos rois. 11 est le premier qui l’ait présenté sur la scène, et qui, sans le secours de la fiction, aitintéressé la nation pour elle-même par la seule force de la vérité de l’histoire. Jusqu'à lui pres- que toutes nos pièces de théâtre sont dans le cos- ‘ M. de Malesherbes , à sa réception à l'Académie , venait de faire un très-beau discours à l'honneur des gens de lettres. 40 DISCOURS tume antique, où les dieux méchants, leurs mi- nistres fourbes, leurs oracles menteurs, et des rois cruels jouent les principaux rôles; les per- fidies, les superstitions et les atrocités remplis- sent chaque scène. Qu'étaient les hommes sou- mis alors à de pareils tyrans? Comment, depuis Homère, tous les poëtes se sont-ils servilement accordés à copier le tableau de ce siècle barbare? Pourquoi nous exposer les vices grossiers de ces peuplades encore à demi sauvages, dont même les vertus pourraient produire le crime? Pour- quoi nous présenter des scélérats pour des hé- ros , et nous peindre éternellement de petits op- presseurs d’une ou deux bourgades comme de grands monarques? Ici l'éloignement grossit done les objets plus que dans la nature il ne les diminue. J'admire cet art illusoire qui m'a sou- vent arraché des larmes pour des victimes fa- buleuses ou coupables ; mais cet art ne serait- il pas plus vrai, plus utile, et bientôt plus grand, si nos hommes de génie l’appliquaient, comme M. de Belloy , aux grands personnages de no- tre nation? Le siége de Calais et le siége de Troie! quelle comparaison, diront les gens épris de nos poëtes tragiques! les plus beaux esprits, chacun dans leur siècle, n’ont-ils pas rapporté leurs princi- paux talents à cette ancienne et brillante épo- que à jamais mémorable! Que pouvons-nous mettre à côté de Virgile et de nos maitres mo- dernes , qui tous ont puisé à cette source com- mune? Tous ont fouillé les ruines et recueilli les débris de ce siége fameux, pour y trouver les exemples des vertus guerrières , et en tirer les modèles des princes et des héros : les noms de ces héros ont été répétés, célébrés tant de fois, qu'ils sont plus connus que ceux des grands hommes de notre propre siècle. Cependant ceux-ci sont ou seront consacrés par l’histoire, et les autres ne sont fameux que par la fiction. Je le répète, quels étaient ces prin- ces? que pouvaient être ces prétendus héros? qu’étaient même ces peuples grecs ou troyens? quelles idées avaient-ils de la gloire des armes, idées qui néanmoins sont malheureusement les premières développées dans toutpeuple sauvage? Ils n'avaient pas même la notion de l'honneur ; et s'ils connaissaient quelques vertus, c’étaient des vertus féroces qui excitent plus d'horreur que d'admiration. Cruels par-superstition autant que par instinct, rebelles par caprice ou soumis sans raison, atroces dans les vengeances, glorieux par le crime, {es plus noirs attentats donnaient la plus haute célébrité. On transformait en héros un être farouche, sans âme, sans esprit, sans autre éducation que celle d’un lutteur ou d’un coureur. Nous refuserions aujourd’hui le nom d'hommes à ces espèces de monstres dont on faisait des dieux. Mais que peut indiquer cette imitation , ce concours successif des poëtes à toujours présen- ter l’héroïsme sous les traits de l'espèce humaine encore informe? que prouve cette présence éter- nelle des acteurs d'Homère sur notre scène, si- non la puissance immortelle d’un premier génie sur les hommes? Quelque sublimes que soient les ouvrages de ce père des poëtes, ils Jui font moins d'honneur que les productions deses des- cendants , qui n’en sont que les gloses brillantes ou de beaux commentaires. Nous ne voulons rien ôter à leur gloire; mais, après trente sie- cles des mêmes illusions, ne doit-on pas au moins en changer les objets ? Lestemps sontenfin arrivés. Und’entre vous messieurs , a osé le premier créer un poème pou sa nation, et ce second génie influera sur trente autres siècles : j'oserais le prédire; si les hom- mes, au lieu de se dégrader, vont en se per- fectionnant ; si le fol amour de la fable cesse en- fin de l'emporter sur la tendre vénération que l’homme sage doit à la vérité, tant que l'empire des lissubsistera , la Henriade sera notre Iliade: car, à talent égal, quelle comparaison, dirai-je à mon tour, entre le bon grand Henri et le pe- tit Ulysse ou le fier Agamemnon , entre nos po- tentats et ces rois de village, dont toutes les forces réunies feraient à peine un détachement de nos armées? Quelle différence dans Part mème? n'est-il pas plus aisé de monter l'imagi- nation des hommes que d'élever leur raison? de leur montrer des mannequins gigantesques de héros fabuleux quedeleurprésenterles portraits ressemblants de vraishommes vraiment grands? Enfin, quel doit être le but des représentations théâtrales, quel peut en être l'objet utile, si ce n’est d’échauffer le cœur et de frapper l'âme en- tière de la nation par les grands exemples et par les beaux modèles qui l'ontillustrée? Les étran- gers ont avant nous senti cette vérité. Le Tasse, Milton, le Camoëns se sont écartés de la route battue; ils ont su méler habilement l'intérêt de la religion dominante à l’intérétnational, ou bien à un intérêt encore plus universel. Presque tous les dramatiques anglais ont puisé leurs sujets DE M. dans l'histoire de leur pays; aussi la plupart de leurs piècesdethéâtre sont-ellesappropriées aux mœurs anglaises; elles ne présentent que le zèle pour la liberté, que l'amour de l'indépendance, que le conflit des prérogatives. En France, le zèle pour la patrie, et surtout l'amour de notre roi, joueront à jamais les rôles principaux ; et, quoique ce sentiment n'ait pas besoin d'être con- firmé dans des cœurs francais, rien ne peut les remuer plusdélicieusement que de mettre ce sen- timent en action, et de l’exposer au grand jour, en le faisant paraitre sur la scène, avec toute sa DE BUFFON. fl noblesse et toute son énergie, C'est ce qu'a fait M. de Belloy ; c'est ce que nous avons tous senti avec transport à la représentation du Siége de Calais : jamais applaudissements n’ont été plus universels m plus multipliés.…. Mais, monsieur, l'on ignorait jusqu'à ce jour la grande part qui vous revient de ces applaudissements. M. de Bel- loy à dit à ses amis , qu'il vous devait le choix de son sujet ; qu'il ne s’y était arrêté que par vos conseils. Il parlait souvent de cette obligation; avons-nous pu mieux acquitter:sa dette, qu’en vous priant, monsieur, de prendre ici sa place. HOMME 1 Hi su or der | tune | du Pose le) 6 tie sh ait hf | Du à à LÉ M Laruuseru same re gormrn ét Ph ul à Mronprer DLANTOEZ ! List mstfts [ ; MOSS MAL Lans | au bat are ELA Mme | di ROUTE LE re e4 DIT L ttes ur te :_ ‘1 tua fs pa Pier Er tn dasdilantrnenant à bain] till QUE 1, tte Mn , slog Attb avul | stand ir, DRTONTENI TI à sata ait Lg : tout qui el mures eu ctr.. at Horvi arme 1 OM irremmur Htrnde di alba ptit ananas éteuri Mtiniinantttl lens ver em une | end nent veanirn'k vbs 2 MG ve Cal ARE ms ur 4 CIM LL TL |. de what mé HULL al ae k # 8089 8089895 %S%ES TS TS DS DS DS GS DS ES D ES ES EE PE HISTOIRE NATURELLE. THÉORIE DE LA TERRE. PREMIER DISCOURS. DE LA MANIÈRE D'ÉTUDIER ET DE TRAITER L'HISTOIRE NATURELLE. Res ardua velustis novitatem dare, novis auctoritatem, obsoletis nitorem, obseuris lucem, fastiditis gratiom, dubiis fdem, omoibus verd naluram, et naluræ suæ omnia, PLinx. in Præ, ad Vespas. L'histoire naturelle, prise dans toute son éten- due, est une histoire immense; elle embrasse tous les objets que nous présente l’univers. Cette multitude prodigieuse de quadrupèdes, d'oiseaux de poissons, d'insectes, de plantes, de miné- raux, ete, offre à la curiosité de l'esprit humain un vaste spectacle, dont l’ensemble est si grand, qu'il paraît, et qu'il est en effet inépuisable dans les détails. Une seule partie de l’histoire natu- relle,commel'histoire des insectes , ou l’histoire des plantes, suffit pour occuper plusieurs hom- mes; et les plus habiles observateurs n’ont don- né, après un travail de plusieurs années, que des ébauches assez imparfaites des objets trop multipliés que présentent ces branches particu- lières de l’histoire naturelle , auxquelles ils s’é- taient uniquement attachés. Cependant ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient faire; et, bien loin de s’en prendre aux observateurs du peu d’a- vancement de la science, on ne saurait trop louer leur assiduité au travail et leur patience; on ne peut même leur refuser des qualités plus élevées ; car il y a une espèce de force de génie et de courage d'esprit à pouvoir envisager, sans s'étonner, la nature dans la multitude innom- brable de ses productions, et à se croire capable de les comprendre et de les comparer; il y a une espèce de goût à les aimer, plus grand que le goût qui n’a pour but que des objets partieu- liers, et l’on peut dire que l’amour de l’étude de la nature suppose dans l'esprit deux qualités qui paraissent opposées , les grandes vues d’un génie ardent qui embrasse tout d’un coup d'œil, et les petites attentions d’un instinct laborieux qui ne s’attache qu’à un seul point Le premier obstacle qui se présente dans l’é- tude de l’histoire naturelle, vient de cette grande multitude d'objets : mais la variété de ces mêmes objets, et la difficulté de rassembler les produc- tions diverses des différents climats, forment un autre obstacle à l'avancement de nos connais- sances , qui parait invincible , et qu’en effet le travail seul ne peut surmonter ; ce n’est qu’à force de temps , de soins , de dépenses , et sou- vent par des hasards heureux , qu’on peut se procurer des individus bien conservés de chaque espèce d'animaux , de plantes ou de minéraux , et former une collection bien rangée de tous les ouvrages de la nature. Mais lorsqu'on est parvenu à rassembler des échantillons de tout ce qui peuple l'univers, lorsqu’après bien des peines on a mis dans un même lieu des modèles de tout ce qui se trouve répandu avec profusion sur la terre, et qu'on jette pour la première fois les yeux sur ce maga- sin rempli de chosesdiverses, nouvelles et étran- gères , la première sensation qui en résulte est un étonnement mêlé d’admiration, et la pre- mière réflexion qui suit est un retour humiliant sur nous-mêmes. On ne s’imagine pas qu’on puisse avee le temps parvenir au point de re- connaitre tous ces différens objets ; qu’on puisse parvenir , non-seulement à les reconnaitre par la forme , mais encore à savoir tout ce qui a rap- port à la naissance , la production , l’organisa- tion , les usages , en ur mot, à l’histoire de cha- que chose en particulier. Cependant , en se fa- miliarisant avec ces mêmes objets, en les voyant souvent, et, pour ainsi dire , sans dessein , ils forment peu à peu des impressions durables, qui bientôt se lient dans notre esprit par des rap- ports fixes et invariables ; et de là nous nous éle- 41 MANIÈRE DE TRAITER vons à des vues plus générales, par lesquelles nous pouvons embrasser à lafois plusieurs objets différents ; et c'est alors qu’on est en état d’étu- dier avec ordre , de réfléchir avec fruit, et de se frayer des routes pour arriver à des décou- vertes utiles. On doit done commencer par voir beaucoup et revoir souvent. Quelque nécessaire que l’at- tention soit à tout, ici on peut s'en dispenser d'abord : je veux parler de cette attention scru- puleuse , toujours utile lorsqu'on sait beaucoup , et souvent nuisible à ceux qui commencent à s’'instruire. L'essentiel est de leur meubler la tête d'idées et de faits , de les empêcher, s’il est possible , d'en tirer trop tôt des raisonnements et des rapports ; car il arrive toujours que par l'ignorance de certains faits, et par la trop petite quantité d'idées, ils épuisent leur esprit en fausses combinaisons , et se chargent la mé- moire de conséquences vagues et de résultats contraires à la vérité, lesquels forment dans la suite des préjugés qui s’effacent difficilement. C’est pour cela que j'ai dit qu'il fallait com- mencer par voir beaucoup : il faut aussi voir presque sans dessein , parce que si vous avez ré- solu de ne considérer les choses que dans une certaine vue, dans un certain ordre, dans un certain système , eussiez-vous pris le meilleur chemin, vous n’arriverez jamais à la même éten- due de connaissances à laquelle vous pourrez pré- tendre , si vous laissez dans les commencements votreespritmarcherdelui-même,sereconnaitre, s'assurer sans secours, et former seul la pre- mière chaine qui représente l’ordre de ses idées. Ceci est vrai, sans exception , pour toutes les personnes dont l'esprit est fait et le raisonne- ment formé : les jeunes gens au contraire doi- vent être guidés plutôt et conseillés à propos ; il faut mème les encourager par ce qu'il y a de plus piquant dans la science , en leur faisant re- marquer les choses les plus singulières , mais sans leur en donner d'explications précises ; le mystère à cet âge excite la curiosité, au lieu que dans l’âge mûr il n'inspire que le dégoût. Les enfants se lassent aisément des choses qu'ils ont déjà vues ; ilsrevoient avec indifférence, àmoins qu'on ne leur présente les mêmes objets sous d’autres points de vue : et , au lieu de leur répé- ter simplement ce qu'on leur a déjà dit, il vaut mieux y ajouter des circonstances , même étran- geres ou inutiles : on perd moins à les tromper qu'a les dégoüter. Lorsque, apres avoir vuet revu plusieurs fois les choses, ils commenceront à se les représen- ter en gros, que d'eux-mêmes ils se feront des divisions, qu'ils commenceront à apercevoir des distinctions générales, le goùt de la science pourra naître, et il faudra l'aider. Cegont, siné- cessaire à tout, maisen même temps si rare,nese donne point par les préceptes : en vain l’éduca- tion voudrait y suppléer, en vain les pères con- traignent-ils leurs enfants ; 1ls ne les amèneront jamais qu'à ce point commun à tous les hom- mes, à ce degré d'intelligence et de mémoire qui suffit à la société cu aux affaires ordinaires : mais c’est à la nature à qui on doit cette pre- miere étincelle de génie, ce germe de goût dont nous parlons, qui se développe ensuite plus ou moins, suivant les différentes circonstances et les différents objets. Aussi doit-on présenter à l'esprit des jeunes gens des choses de toute espèce, des études de tout genre, des objets de toute sorte, afin de reconnaitre le genre auquel leur esprit se porte avec plus de force, ouse livre avec plus de plai- sir. L'histoire naturelle doit leur être présentée à son tour, et précisément dans ce temps où la raison commence à se développer, dans cet âge où ils pourraient commencer à croire qu'ils sa- vent déjà beaucoup, rien n’est plus capable de rabaisser leur amour propre, et de leur faire sentir combien il y a de choses qu'ils ignorent ; et, indépendamment de ce premier effet, qui ne peut qu'être utile, une étude même légère de l’histoire naturelle élèvera leurs idées , et leur donnera des connaissances d’une infinité de choses que le commun des hommes ignore, et qui se retrouvent souvent dans l'usage de la vie. Mais revenons à l’homme qui veut s'appliquer sérieusement à l'étude de la nature, et repre- nons-le au pointounous l’avons laissé, àce point où il commence à généraliser ses idées, et à se former une méthode d'arrangement et des sys- tèmes d'explication. C’est alors qu'il doit con- sulter les gens instruits , lire les bons auteurs , examinerleursdifférentes méthodes, etemprun- ter des lumières de tous côtés. Mais comme il arrive ordinairement qu'on se prend alors d’af- fection et de goût pour certains auteurs, pour une certaine méthode, et que souvent, sans un examen assez mür , on se livre à un système quelquefois mal fondé, il est bon que nous don- nions ici quelques notions préliminaires sur les L'HISTOIRE NATURELLE. 45 méthodes qu'on a imaginées pour faciliter l'in- telligence de l’histoire naturelle. Ces méthodes sont très-utiles, lorsqu'on ne les emploiequ'avec les restrictions convenables ; elles abrégent le travail, elles aident la mémoire, et elles offrent à l'esprit une suite d'idées, à la vérité composée d'objetsdifférents entre eux, mais qui ne laissent pas d’avoir des rapports communs , et ces rap- ports forment des impressions plus fortes que ne pourraient faire des objets détachés qui n’au- raient aucune relation. Voilà la principale utilité des méthodes ; mais l’incenvénient est de vou- loir trop allonger ou trop resserrer la chaine, de vouloir soumettre à des lois arbitraires les lois de la nature, de vouloir la diviser dans les points où elle est indivisible, et de vouloir mesurer ses forces par notre faible imagination. Un autre inconvénient, qui n’est pas moins grand, et qui est le contraire du premier , c’est de s’assujettir à des méthodes trop particulières, de vouloir juger du tout par une seule partie, de réduire la nature à de petits systèmes qui lui sont étran- gers, et de ses ouvrages immenses en former arbitrairement autant d'assemblages détachés; enfin de rendre, en multipliant les noms et les représentations , la langue de la science plus diflicile que la science elle-même. Nous sommes naturellement portés à imagi- ner en tout une espèce d'ordre et d'uniformité ; et, quand on n’examine que légèrement les ou- vrages de la nature, il parait à cette premiere vue qu’elle a toujours travaillé sur un même plan. Comme nous ne connaissons nous-mêmes qu’une voie pour arriver à un but, nous nous persuadons que la nature fait et opère tout par les mêmes moyens et par des opérations sem- blables. Cette manière de penser à fait imaginer une infinité de faux rapports entre les produc- tions naturelles : les plantes ont été comparées aux animaux ; On a cru voir végéter les miné- raux ; leur organisation si différente, et leur mé- canique si peu ressemblante a étésouvent réduite à la même forme. Le moule commun de toutes ces choses si dissemblables entre elles est moins dans la nature que dans l'esprit étroit de ceux qui l'ont mal connue, et qui savent aussi peu juger de la force d’une vérité que des justes li- mites d’une analogiecomparée. En effet, doit-on, parce que le sang circule , assurer que la sève circule aussi? Doit-on conclure de la végétation connue des plantes à une pareille végétation dans les minéraux, du mouvement du sang à ce- lui de la sève, de celui de la sève au mouvement du sue pétrifiant? N'est-ce pas porter dans la réalité des ouvrages du Créateur les abstractions de notre esprit borné, et ne lui accorder, pour ainsi dire, qu’autant d'idées que nous en avons ? Cependant on a dit, et on dit tous les jours des choses aussi peu fondées, et on bâtit des sys- tèmes sur des faits incertains, dont l'examen n'a jamais été fait , et qui ne servent qu'à mon- trer le penchant qu'ont les hommes à vouloir trouver de la ressemblance dans les objets les plus différents, de la régularité où il ne règne que de la variété, et de l’ordre dans les choses qu'ils n’aperçcoivent que confusément. Car lorsque, sans s'arrêter à des connaissan- ces superficielles dont les résultats ne peuvent nous donner que des idées incomplètes des pro- ductions et des opérations de la nature, nous voulons pénétrer plus avant, et examiner avec des yeux plus attentifs la forme et la conduite de ses ouvrages, on est aussi surpris de la va- riété du dessein que de la multiplicité des moyens d'exécution. Le nombre des produc- tions de la nature, quoique prodigieux, ne fait alors que la plus petite partie de notre étonne- ment ; sa mécanique, son art, ses ressources, ses désordres même, emportent toute notre admi- ration. Trop petit pour cette immensité, acca- blé par le nombre des merveilles, l'esprit hu- main succombe. 11 semble que tout ce qui peut être, est : la main du Créateur ne parait pas s'être ouverte pour donner l'être à un certain nombre déterminé d'espèces, mais il semble qu'elle ait jeté tout à la fois un monde d'êtres relatifs et non relatifs, une infinité de combinai- sons harmoniques et contraires, et une perpé- tuité de destructions et de renouvellements. Quelle idée de puissance ce spectacle ne nous offre-t-il pas! quel sentiment de respect cette vue de l'univers ne nous inspire-t-elle pas pour son auteur ! Que serait-ce si la faible lumière qui nous guide devenait assez vive pour nous faire apercevoir l’ordre général des causes et de la dépendance des effets? Mais l'esprit le plus vaste et le génie le plus puissant ne s’élèveront jamais à ce haut point de connaissance. Les pre- miéres causes nous seront à jamais cachées ; les résultats généraux de ces causes nous seront aussi difficiles à connaitre que les causes mêmes; tout ce qui nous est possible, c’est d’aperce- voir quelques effets particuliers, de les compa- rer, de les combiner, et enfin d’y reconnaitre 46 MANIÈRE DE TRAITER plutôt un ordre relatifä notre proprenature, que convenable à l'existence des choses que nous considérons. Mais , puisque c’est la seule voie qui nous soit ouverte, puisque nous n'avons pas d’autres moyens pour arriver à la connaissance des cho- ses naturelles, il faut aller jusqu'où cette route peut nous conduire; il faut rassembler tous les objets, les comparer, les étudier, et tirer de leurs rapports combinés toutes les lumières qui peu- vent nous aider à les apercevoir nettement et à les mieux connaitre. La première vérité qui sort de cet examen sérieux de la nature est une vérité peut-être hu- miliante pour l’homme : c’est qu’il doit se ran- ger lui-même dans la classe des animaux , aux- quels il ressemble par tout ce qu'il a de matériel ; et même leur instinet lui paraitra peut-être plus sûr que sa raison, et leur industrie plus admi- rable que ses arts. Parcourant ensuite suecessi- vement et par ordre les différents objets qui composent l'univers, et se mettant à la tête de’ tous les êtres créés, il verra avec étonnement qu'on peut descendre, par des degrés presque insensibles , de la créature la plus parfaite jus- qu'à la matière la plus informe, de l'animal le mieux organisé jusqu'au minéral le plus brut ; il reconnaitra que ces nuances imperceptibles sont le grand œuvre de la nature ; il les trouvera, ces nuances, non-seulement dans les grandeurs et dans les formes, mais dans les mouvements, dans les générations, dans les successions de toute espèce. En approfondissant cette idée, on voit claire- ment qu'il est impossible de donner un système général, une méthode parfaite, non-seulement pour l'histoire naturelleentière, mais même pour une seule de ses branches : car, pour faire un système, un arrangement, en un mot une mé- thode générale , il faut que tout y soit compris ; il faut diviser ce tout en différentes classes, par- tager ces classes en genres, sous-diviser ces genres en espèces, et tout cela suivant un ordre dans lequel il entre nécessairement de l’arbi- traire. Mais la nature marche par des gradations inconnues , et par conséquent elle ne peut pas se préter totalement à ces divisions , puisqu'elle passe d’une espèce à une autre espèce, et sou- vent d’un genre à un autre genre, par des nuan- ces imperceptibles ; de sorte qu’il se trouve un grand nombre d’espèces moyennes et d'objets mi-partis qu'on ne sait où placer, et qui déran- gent nécessairement le projet du système ve- néral. Cette vérité est trop importante pour que je ne l’appuie pas de tout ce qui peut la rendre claire et évidente. Prenons pour exemple la botanique, cette belle partie de l’histoire naturelle, qui, par son utilité, a mérité de tout temps d’être la plus cul- tivée, et rappelons à l'examen les principes de toutes les méthodes que les botanistes nous ont données : nous verrons avec quelque surprise qu’ils ont eu tous en vue de comprendre dans leurs méthodes généralement toutes les espèces de plantes, et qu'aucun d’eux n’a parfaitement réussi ; il se trouve toujours dans chacune de ces méthodes un certain nombre de plantes anoma- les, dont l’espèce est moyenne entre deux gen- res , et sur laquelle il ne leur a pas été possi- ble de prononcer juste, parce qu'il n’y a pas plus de raison de rapporter cette espèce à l’un plutôt qu'à l’autre de ces deux genres. En effet, se proposer de faire une méthode parfaite , c’est se proposer un travail impossible : il faudrait un ouvrage qui représentât exactement tonus ceux de la nature; et au contraire, tous les jours il arrive qu'avec toutes les méthodes connues, et avec tous les secours qu’on peut tirer de la bo- tanique la plus éclairée, on trouve des espèces qui ne peuvent se rapporter à aucun des genres compris dans ces méthodes. Ainsi l'expérience est d'accord avec la raison sur ce point, et l’on doit être convaincu qu’on ne peut pas faire une méthode générale et parfaite en botanique. Ce- pendant il semble que la recherche de cette mé- thode générale soit une espèce de pierre philo- sopbale pour les botanistes, qu’ils ont tous cher- chée avec des peines et des travaux infinis : tel a passé quarante ans , tel autre en a passé cin- quante à faire son système; et il est arrivé en botanique ce qui est arrivé en chimie, c’est qu’en cherchant la pierre philosophale que l'on n’a pas trouvée, on a trouvé une infinité de choses utiles ; et de même, en voulant faire une méthode générale et parfaite en botanique, on a plus étudié et mieux connu les plantes et leurs usages. Serait-il vrai qu'il faut un but imaginaire aux hommes pour les soutenir dans leurs tra- vaux, et que, s’ils étaient bien persuadés qu'ils ne feront que ce qu’en effet ils peuvent faire, ils ne feraient rien du tout? Cette prétention qu'ont les botanistes d’éta- blir des systèmes généraux, parfaits et méthodi- ques, est donc peu fondée : aussi leurs travaux L'HISTOIRE NATURELLE. 47 n'ont pu aboutirqu'à nous donner des méthodes défectueuses, lesquelles ont été successivement détruites les unes par les autres, et ont subi le sort commun à tous les systèmes fondés sur des principes arbitraires ; et ce qui a le plus contri- bué à renverser les unes de ces méthodes par les autres, c’est la liberté que les botanistesse sont donnée de choisir arbitrairementune seule par- tie dans les plantes, pour en faire le caractère spécifique. Les uns ont établi leur méthode sur la figure des feuilles, les autres sur leur position, d’autres sur la forme des fleurs, d’autres sur le nombre de leurs pétales , d’autres enfin sur le nombre des étamines. Je ne finirais pas si je voulais rapporter en détail toutes les méthodes qui ont été imaginées ; mais je ne veux parler ici que de celles qui ont été reçues avec applau- dissement, et qui ont étésuivies chacune à leur tour, sans que l'on ait fait assez d'attention à cette erreur de principe qui leur est commune à toutes, et qui consiste à vouloir juger d’un tout, et dela combinaison de plusieurs touts, par une seule partie, et par la comparaison des différen- ces de cette seule partie : car, vouloir juger de la différence des plantes uniquement par celle de jeurs feuilles ou de leurs fleurs, c’est comme si l’on voulait connaitre la différence des ani- maux par la différence de ieurs peaux ou par celle des parties de la génération; et qui ne voit que cette facon de connaitre n’est pas une science, et que ce n’est tout au plus qu’une con- vention , une langue arbitraire, un moyen de s'entendre, mais dont il ne peut résulter aucune connaissance réelle? Me serait-il permis de dire ceque je pense sur l’origine de cesdifférentes méthodes, et sur les causes qui les ont multipliées au point qu'ac- tuellement la botanique elle-même est plus aisée à apprendre que la nomenclature, qui n’en est que la langue? Me serait-il permis dedire qu’un homme aurait plus tôt fait de graver dans sa mémoire les figures detouteslesplantes, etd’en avoir des idées nettes, ce qui est la vraie bota- nique, que de retenir tous les noms que les dif- férentes méthodes donnent à ces plantes, etque par conséquent la langue est devenue plus dif- ficile que la science? Voici, ce me semble, com- ment cela est arrivé. Ona d'abord divisé les vé- gétaux suivant leursdifférentes grandeurs; on a dit : 11 y a de grands arbres, de petits arbres, des arbrisseaux, des sous-arbrisseaux, de gran- des plantes, de petites plantes et des herbes. Voilà le fondement d'une méthode que l'on di- vise et sous-divise ensuite par d'autres relations de grandeurs et de formes, pour donner à cha- que espèce un caractère particulier. Après la méthode faite sur ce plan, il est venu des gens qui ont examiné cette distribution , et qui ont dit : Mais cette méthode, fondée sur la grandeur relative des végétaux , ne peut pas se soutenir; car il y a dans une seule espèce, comme dans celle du chène, des grandeurs si différentes, qu’il y a des espèces de chêne qui s'élèvent à cent pieds de hauteur, et d’autres espèces de chêne qui ne s'élèvent jamais à plus de deux pieds. Il en est de même , proportion gardée , des châtai- gniers , des pins, des aloës et d’une infinité d’au- tres espèces de plantes.On ne doit donc pas, a- t-on dit, déterminer les genres des plantes par leur grandeur, puisque ce signe est équivoque et incertain ; et l’on a abandonné avec raison cetteméthode. D’autres sont venus ensuite, qui, croyant faire mieux, ont dit : Il faut, pour con- naître les plantes, s'attacher aux parties les plus apparentes; et, comme les feuilles sont ce qu'il y a de plus apparent, il faut arranger les plantes par la forme, la grandeur et la position des feuilles. Sur ce projet, on a fait une autre méthode ; on l’a suivie pendant quelque temps : mais ensuite on a reconnu que les feuilles de presque toutes les plantes varient prodigieuse- ment selon les différents âges et les différents terrains ; que leur forme n’est pas plus constante que leur grandeur ; que leur position est encore plus incertaine. On a donc été aussi peu con- tent de cette méthode que de la précédente. En- fin, quelqu'un imagina, et je crois que c’est Gessner, que le Créateur avait mis dans la fruc- tification des plantes un certain nombre de ca- ractères différents et invariables , et que c’était de ce point qu'il fallait partir pour faire une méthode ; etcomme cette idée s’est trouvée vraie jusqu’à un certain point, en sorte que les parties de la génération des plantes se sont trouvées avoir quelques différences plus constantes que toutes les autres parties de la plante prises sé- parément , on a vu tout d’un coup s'élever plu- sieurs méthodes de botanique, toutes fondées a peu près sur ce même principe. Parmi ces mé- thodes, celle de M. de Tournefort est la plus re- ma-quable , la plus ingénieuse et la plus com- plète. Cet illustre botaniste a senti les défauts d’un système qui serait purement arbitraire : en homme d'esprit, il a évité les absurdités qui se lt) MANIÈRE DE TRAITER trouvent dans la plupart des autres méthodes de ses contemporains , et il a fait ses distribu- tions et ses exceptions avec une science et une adresse infinies : ilavait, en un mot, mis la bo- tanique au point de se passer de toutes les au- tres méthodes , et il l’avait rendue susceptible d'un certain degré de perfection. Mais il s’est élevé un autre méthodistequi, après avoir loué son système, a tâché de le détruire pour établir le sien , et qui , ayant adopté, avec M. de Tour- nefort , les caractères tirés de la fructification , a employé toutes les parties de la génération des plantes, et surtout les étamines, pour en faire la distribution de ses genres; et, méprisant la sage attention de M. de Tournefort à ne pas forcer la nature au point de confondre, en vertu de son système , les objets les plus différents, comme les arbres avec les herbes, a mis ensemble et dans les mêmes classes le mürier et Portie, la tulipe et l’épine-vinette, l’orme et la carotte, la rose et la fraise, le chène et la pimprenelle. N'est-ce pas se jouer de la nature et de ceux qui l’étudient? Etsi tout cela n’était pas donné avec une certaine apparence d'ordre mystérieux , et enveloppé de grec et d’érudition botanique, au- rait-on tant tardé à faire apercevoir le ridicule d’une pareille méthode, ou plutôt à montrer la confusion quirésulte d'un assemblage si bizarre? Mais ce n’est pas tout, et je vais insister, parce qu'il est juste de conserver à M. de Tournefort la gloirequ'il a méritée par un travail sensé et suivi, et parce qu'il ne faut pas que les gens qui ontappris la botanique par la méthode de Tour- nefort perdent leur temps à étudier cette nou- velle méthode où tout est changé jusqu'aux noms et aux surnoms des plantes. Je dis done que cette nouvelle méthode, qui rassemble dans la même classe des genres de plantes entière- ment dissemblables ,aencore indépendamment de ces disparates, des défauts essentiels, et des inconvénients plus grands que toutes les mé- thodes qui ont précédé. Comme les caractères des genres sont pris de parties presque infini- ment petites , il faut aller le microscope à la main , pour reconnaitre un arbre ou une plante : la grandeur , la figure, le port extérieur, les feuilles , toutes les parties apparentes, ne ser- vent plus à rien; il n’y a que les étamines ; et si l'on ne peut pas voir les étamines , on ne sait rien, on n'a rien vu. Ce grand arbre que vous apercevez n’est peut-être qu’une pimprenelle ; il faut compter ses étamines pour savoir ce que c'est; et comme ces étamines sont souvent si pe- tites qu’elles échappent à l'œil simple ou à la loupe, il faut un microscope. Mais, malheureu- sement encore pour le système, il y a des plantes qui n'ont point d’étamines, il y a des plantes dont le nombre des étamines varie, et voilà la méthode en défaut comme les autres, malgré la loupe etle microscope *. Après cette exposition sincèredes fondement; sur lesquels on à bâti les différents systèmesde botanique , il est aisé de voir que le grand dé- faut de tout ceci est une erreur de métaphysi- que dans le principe même de ces méthodes. Cette erreur consiste à méconnaitre la marche de la nature, qui se fait toujours par nuances , et à vouloir juger d’un tout par une seule de ses parties : erreur bien évidente, et qu’il est éton- nant de retrouver partout; car presque tous les nomenclateurs n’ont employé qu'une partie, commeles dents, les ongles ou ergots, pourran- ger les animaux, les feuilles ou les fleurs pour distribuer les plantes, au lieu de se servir de toutes les parties, et de chercher les différences ou les ressemblances dans l'individu tout entier. C'est renoncer volontairement au plus grand nombre des avantages que la nature nous offre pour la connaitre , que de refuser de se servir de toutes les parties des objets que nous consi- dérons; et quand même onserait assuré de trou- ver dans quelques parties prises séparémentdes caractères constants et invariables, il ne fau- drait pas pour cela réduire la connaissance des productions naturelles à celles de ces parties constantes qui ne donnent que des idées parti- culières et très-imparfaites du tout : et il me parait que le seul moyen de faire une méthode instructive et naturelle, c’est de mettre ensem- ble les choses qui se ressemblent, et de séparer celles qui different les unes des autres. Si les in- dividus ont une ressemblance parfaite , ou des différences si petites qu’on ne puisse les aperce- voir qu'avec peine , ces individus seront de la même espèce; si les différences commencent à ètre sensibles, et qu’en même temps il y ait tou- jours beaucoup plus de ressemblances que de ! Hoc vero systema, Linnæi scilicet, jam cognitis planta- rum methodis longé vilius et inferius nou solüm, sed et insu- per nimis coactum , lubricum et fallax , imô lusorium depre- henderim; et quidem in tantum, ut non solüm quuad dispositionem ac denominationem plantarum enormes confu- siones post se trahat , sed et vix non plenaria doctrinæ bota- nicæ solidioris obscuratio et perturbatio indè fuerit metuenda. (Vaniloq. Botau. specimen refutatum à Siegesbeck ; Petro- poli, 4741. mette & L'HISTOIRE NATURELLE. différences , les individus seront d’une autre es- pèce , mais du même genre que les premiers ; et si ces différences sont encore plus marquées, sans cependant excéder les ressemblances, alors les individus seront non-seulement d’une autre espèce, mais même d’un autre genre que les premiers et les seconds, et cependant ils seront encore de la même classe, parce qu'ils se res- semblent plus qu'ils ne diffèrent : mais si au contraire le nombre des différences excède celui des ressemblances , alors les individus ne sont pas même de la même classe. Voilà l'ordre mé- thodique que l’on doit suivre dans l’arrange- ment des productions naturelles; bien entendu que les ressemblances et les différences seront prises non-seulement d’une partie, mais du tout ensemble , et que cette méthode d'inspection se portera sur la forme, sur la grandeur, sur le port extérieur, sur les différentes parties, sur leur nombre, sur leur position, sur la substance même de la chose, et qu’on se servira de ces élé- ments en petit ou en grand nombre, à mesure qu'on en aura besoin ; de sorte que si un indi- vidu , de quelque nature qu’il soit, est d’une fi- gure assez singulière pour être toujours reconnu au premier coup d'œil, on ne lui donnera qu’un nom ; mais si cet individu a de commun avec un autre la figure, et qu’il en diffère constamment par la grandeur, la couleur, la substance, ou par quelque autre qualité très-sensible, alors on lui donnera le même nom, en y ajoutant un adjectif pour marquer cette différence ; et ainsi de suite , en mettant autant d’adjectifs qu’il y a de différences, on sera sûr d'exprimer tous les attributs différents de chaque espèce, eton ne craindra pas de tomber dans les inconvénients des méthodes trop particulières dont nous ve- nons de parler, et sur lesquelles je me suis beaucoup étendu, parce que c’est un défaut commun à toutes les méthodes de botanique et d'histoire naturelle, et que les systèmes qui ont Le ; 24 été faits pour les animaux sont encore plus dé- féctueux que les méthodes de botanique : car, comme nous l’avons déjà insinué, on a voulu prononcer sur la ressemblance et la diffé- rence des animaux en n’employant que le nom- bre des doigts ou ergots , des dents et des ma- melles, projet qui ressemble beaucoup à celui des étamines , et qui est en effet du même au- teur. Il résulte de tout ce que nous venons d’expo- ser, qu'il y a dans l'étude de l’histoire naturelle AA deux écueils également dangereux : le premier, de n'avoir aucune méthode; et le second, de vouloir tout rapporter à un système particulier. Dans le grand nombre de gens qui s'appliquent maintenant à cette science, on pourrait trouver des exemples frappants de ces deux manières si opposées, et cependant toutes deux vicieuses. La plupart de ceux qui, sans aucune étude précé- dente de l’histoire naturelle, veulent avoir des cabinets de ce genre, sont de ces personnes ai- sées , peu occupées, qui cherchent à s'amuser, et regardent comme un mérite d’être mises au rang des curieux : ces gens-là commencent par acheter, sans choix, tout ce qui leur frappe les yeux; ils ont l’air de désirer avec passion les choses qu’on leur dit être rares et extraordi- naires ; ils les estiment au prix qu'ils les ontac- quises ; ils arrangent le tout avec complaisance, ou l’entassent avec confusion, et finissent bien- tôt par se dégoûter. D’autres, au contraire, et ce sont les plus savants, après s’être rempli la tête de noms, de phrases , de méthodes particu- lières, viennent à en adopter quelqu'’une, ou s'occupent à en faire une nouvelle, et travaillant ainsi toute leur vie sur une même ligne et dans une fausse direction, et voulant tout ramener à leur point de vue particulier. ils se rétrécissent l'esprit, cessent de voir les objets tels qu'ils sont, et finissent par embarrasser la science et la charger du poids étranger de toutes leurs idées. On ne doit done pas regarder les méthodes que les auteurs nous ont données sur l’histoire naturelle en général, ou sur quelques unes de ses parties, comme les fondements de la science, et on ne doit s’en servir que comme de signes dont on est convenu pour s'entendre. En effet, ce ne sont que des rapports arbitraires et des points de vue différents sous lesquels on a con- sidéré les objets de la nature; et en ne faisant usage des méthodes que dans cet esprit, on peut en tirer quelque utilité : car quoique cela ne pa- raisse pas fort nécessaire, cependant il pourrait être bon qu'on sût toutes les espèces de plantes dont les feuilles se ressemblent, toutes celles dont les fleurs sont semblables , toutes celles qui nourrissent de certaines espèces d'insectes, tou- tes celles qui ont un certain nombre d’étamines, toutes celles qui ont de certaines glandes excré- toires; et de même dans les animaux , tous ceux qui ont un certain nombre de mamelles, tous ceux qui ont un certain nombre de doigts. Cha- 4 50 MANIÈRE DE TRAITER cune de ces méthodes n’est, à parler vrai, qu’un dictionnaire où l’on trouve les noms rangés dans un ordre relatif à cette idée , et par conséquent aussi arbitraire que l’ordre alphabétique : mais l'avantage qu'on en pourrait tirer, c’est qu’en comparant tous ces résultats, on se trouverait enfin a la vraie méthode, qui est la description complète et l’histoire exacte de chaque chose en particulier. C’est ici le principal but qu’on doive se pro- poser : on peut se servir d’une méthode déjà faite comme d’une commodité pour étudier ; on doit la regarder comme une facilité pour s’en- tendre : mais le seul et le vrai moyen d'avancer la science, est de travailler à la description et à l’histoiredes différentes choses qui en font l’objet. Les choses par rapport à nous ne sont rien en elles-mêmes ; elles ne sont encore rien lors- qu’elles ont un nom ; mais elles commencent à exister pour nous lorsque nous leur connaissons des rapports , des propriétés ; ce n’est même que par ces rapports que nous pouvons leur donner une définition : or la définition, telle qu’on la peut faire par une phrase, n’est encore que la représentation très-imparfaite de la chose,etnous ne pouvons jamais bien définir une chose sans la décrire exactement. C’est cette difficulté de faire une bonne définition que l’on retrouve à tout moment dans toutes les méthodes, dans tous les abrégés, qu’on a tâché de faire pour sou- lager la mémoire : aussi doit-on dire que dans les choses naturelles il n’y a rien de bien défini que ce qui est exactement décrit : or, pour dé- crire exactement , il faut avoir vu, revu, exa- miné , comparé la chose qu’on veut décrire, et tout cela sans préjugé, sans idée de système ; sans quoi la description n’a plus le caractère de la vérité, qui est le seul qu’elle puisse compor- ter. Le style même de la description doit être simple, net et mesuré ; il n’est pas susceptible d’élévation, d’agréments, encore moins d’é- carts, de plaisanterie ou d’équivoque : le seul ornement qu'on puisse lui donner, c’est de la noblesse dans l’expression, du choix et de la propriété dans les termes. Dans legrand nombre d'auteurs qui ont écrit sur l’histoire naturelle, il y en a fort peu qui aient bien décrit. Représenter naïvement et net- tement les choses , sans les charger ni les dimi- nuer, et sans y rien ajouter de son imagina- tion, est un talent d'autant plus louable qu'il est moins brillant, et qu'il ne peut être senti que d’un petit nombre de personnes capables d’une certaine attention nécessaire pour suivre les choses jusque dans les petits détails. Rien n’est plus commun que des ouvrages embarrassés d'une nombreuse et sèche nomenclature, de méthodes ennuyeuses et peu naturelles dont les auteurs croient se faire un mérite; rien de si rare que de trouver de l’exactitude dans les des- criptions, de la nouveauté dans les faits , de la finesse dans les observations. | Aldrovande , le plus laborieux et le plus sa- vant de tous les naturalistes , a laissé, après un travail de soixante ans, des volumes immenses sur l’histoire naturelle, qui ont été imprimés successivement, et la plupart après sa mort: on les réduirait à la dixième partie si on en tait toutes les inutilités et toutes les choses étran- gères à son sujet. A cette prolixité près , qui, je l’avoue , est accablante , ses livres doivent être regardés comme ce qu’il y a de mieux sur la to- talité de l’histoire naturelle. Le plan de son ou- vrage est bon, ses distributions sont sensées, ses divisions bien marquées , ses descriptions assez exactes, monotones , à la vérité, mais fidèles. L'historique est moins bon; souvent il est mêlé de fabuleux, et l’auteur y laissewoir trop de penchant à la crédulité. J'ai été frappé, en parcourant cet auteur, d’un défaut ou d’un excès qu’on retrouve pres- que dans tous les livres faits il y a centou deux cents ans, et que les savants d'Allemagne ont encore aujourd’hui ; c’est de cette quantité d'é- rudition inutile dont ils grossissent à dessein | leurs ouvrages, en sorte que le sujet qu'ils trai- tent est noyé dans une quantité de matières étrangères, sur lesquelles ils raisonnent avec tant de complaisance, et s'étendent avec si peu de ménagement pour les lecteurs , qu’ils sem- blent avoir oublié ce qu'ils avaient à vous dire, pour ne vous raconter que ce qu'ont dit les au- tres. Jeme représente un homme comme Al- drovande, ayant une fois concu le dessein de faire un corps complet d'histoire naturelle ; je le vois, dans sa bibliothèque, lire successivement les anciens , les modernes , les philosophes , les théologiens , les juriconsultes, les historiens, les voyageurs, les poëtes , et lire sans autre but que de saisir tous les mots , toutes les phrases qui, de près ou de loin, ont rapport à son objet ; je le vois copier et faire copier toutes ces remar- ques et les ranger par lettres alphabétiques, et, après avoir rempli plusieurs portefeuilles de no- ee L'HISTOIRE tes de toute espèce, prises souvent sans examen et sans choix, commencer à travailler un sujet particulier, etne vouloir rien perdre de tout ce qu'il a ramassé; en sorte qu’à l’occasion de l’his- toire naturelle du coq et du bœuf, il vous ra- conte tout ce qui a jamais été dit des cogs ou desbœufs, tout ce que les anciens en ont pensé, tout ce qu'on a imaginé deleurs vertus, de leur caractère , de leur courage , toutes les choses auxquelles on a voulu les employer, tous les contes que les bonnes femmes en ont faits, tous les miracles qu'on leur a fait faire dans certai- nes religions , tous les sujets de superstition qu'ils ont fournis , toutes les comparaisons que les poêtes en ont tirées, tous les attributs que certains peuples leur ont accordés, toutes les représentations qu’on en fait dans les hiérog|y- phes, dans les armoiries, en un mot toutes les histoires et toutes les fables dont on s’est jamais avisé au sujet des cogs ou des bœufs. Qu'on juge après cela de la portion d'histoire natu- relle qu'on doit s'attendre à trouver dans ce fa- tras d'écritures ; et si en effet l’auteur ne l’eût pas mise dans des articles séparés des autres, elle n'aurait pas été trouvable, ou du moins elle n'aurait pas valu la peine d’y être cher- chée. On s’est tout à fait corrigé de ce défaut dans ce siècle : l’ordre et laprécision avec laquelle on écrit maintenant ont rendu les sciences plus agréables, plus aisées ; et je suis persuadé que cette différence de style contribue peut-être au- tant à leur avancement que l’esprit de recherche -qui règne aujourd’hui ; car nos prédécesseurs cherchaient comme nous, mais ils ramassaient tout ce qui se présentait : au lieu que nous reje- tons ce qui nous paraît avoir peu de valeur , et que nous préférons un petit ouvrage bien rai- sonné à un gros volume bien savant : seulement: il est à craindre que, venant à mépriser l’érudi- tion, nous ne venions aussi à imaginer que l’es- pritpeut suppléer à tout, et que la science n’est qu’un vain nom. Lesgens sensés cependant sentiront toujours que la seule et vraie science est la connaissance des faits : l'esprit ne peut pas y suppléer , et les faits sont dans les sciences ce qu'est l’expé- rience dans la vie civile. On pourrait donc divi- ser toutes les sciences en deux classes principa- les, qui contiendraient tout ce qu’il convient à l’homme de savoir : la première est l’histoire civile, et la seconde l’histoire naturelle , toutes NATURELLE. "M deux fondées sur des faits qu'il est souvent im. portant et toujours agréable de connaitre. La première est l'étude des hommes d'état ; la se- conde est celle des philosophes; et, quoique l'utilité de celle-ci ne soit peut-être pas aussi prochaine que celle de l'autre, on peut cepen- dant assurer que l’histoire naturelle est lasource des autres sciences physiques et la mère de tous les arts. Combien de remèdes excellents la médecine n’a-t-elle pas tirés de certaines pro- ductions de la nature jusqu'alors inconnues | combiende richesses lesarts n’ont-il pastrouvées dans plusieurs matières autrefois méprisées ! Il y a plus, c’est que toutes les idées des arts ont leurs modèles dans les productions de la nature : Dieu a créé, et l’homme imite; toutes les inventions des hommes, soit pour la néces- sité, soit pour la commodité, ne sont que des imitations assez grossières de ce que la nature exéeute avec la dernière perfection. Mais, sans insister plus longtemps sur lPu- tilité qu’on doit tirer de l’histoire naturelle, soit par rapport aux autres sciences, soit par rapport aux arts, revenons. à notre objet prin- cipal, à la manière de l’étudier et de la traiter. La description exacte et l’histoire fidèle de cha- que chose est, comme nous l'avons dit, le seul but qu’on doive se proposer d’abord. Dans la description, l’on doit faire entrer la forme, la grandeur, le poids, les couleurs, les situations dé repos et de mouvements, la position des par- ties, leurs rapports, leur figuré, leur action et toutes les fonctions extérieures. Si l’on peut joindre à tout cela l’exposition des parties in- térieures, la description n’en sera que plus complète; seulement on doit prendre garde de tomber dans de trop petits détails, ou de s’ap- pesantir sur la description de quelque partie peu importante, et de traiter trop légèrement les choses essentielles et principales. L'histoire doit suivre la description, et doit uniquement rouler sur les rapports que les choses naturelles ont entre elles et avec nous. L'histoire d’un animal doit être, non pas l’histoire del’individu, mais celle de l'espèce entière de ces animaux ; elle doit comprendre leur génération, le temps de la pregnation, celui de l’accouchement, le nombre des petits, les soins des pères et des mères, leur espèce d'éducation, leur instinct, les lieux de leur habitation, leur nourriture, la manière dont ils se la procurent, leurs mœurs, { leurs ruses, leur chasse, ensuite les services 52 MANIÈRE DE FRAITER qu'ils peuvent nous rendre, et toutes les utilités ou les commodités que nouspouvons en tirer; et lorsque dans l’intérieur du corps de l’animal il y a des choses remarquables, soit par la con- formation , soit par les usages qu'on en peut faire, on doit les ajouter ou à la description ou à l’histoire : mais ce serait un objet étranger à l'histoire naturelle que d’entrer dans un exa- men anatomiquetrop circonstancié, ou dumoins ce n’est pas son objet principal, et il faut réser- ver ces détails pour servir de mémoires sur l’a- natomie comparée. Ce plan général doit être suivi et rempli avec toute l’exactitude possible; et, pour ne pas tomber dans une répétition trop fréquente du même ordre, pour éviter la monotonie du style, il faut varier la forme des descriptions et chan- ger le fil de l’histoire, selon qu’on le jugera né- cessaire; de même pour rendre les descriptions moins sèches , y mêler quelques faits , quelques comparaisons , quelques réflexions sur les usa- ges des différentes parties; en un mot, faire en sorte qu'on puisse vous lire sans ennui, aussi bien que sans contention. A l'égard de l’ordre général et de la méthode de distribution des différents sujets de l’his- toire naturelle, on pourrait dire qu’il est pu- rement arbitraire, et dès lors on est assez le maitre de choisir celui qu’on regarde comme le plus commode ou le plus communément recu. Mais avant que de donner des raisons qui pour- raient déterminer à adopter un ordre plutôt qu’un autre, il est nécessaire de faire encore quelques réflexions, par lesquelles nous tâche- rons de faire sentir ce qu’il peut y avoir de réel dans les divisions que l’on a faites des produc- tions naturelles. Pour le reconnaitre , il faut nous défaire un instant de tous nos préjugés, et même nous dé- pouiller de nos idées. Imaginons un homme qui a en effet tout oublié ou qui s’éveille tout neuf pour les objets qui l’environnent; plaçous cet homme dans une campagne où les animaux, les oiseaux, les poissons, les plantes, les pierres se présentent successivement à ses yeux. Dans les premiers instants, cet homme ne distinguera rien et confondra tout : mais laissons ses idées s’affermir peu à peu par des sensations réitérées des mêmes objets, bientôt il se formera une idée générale de la matière animée, il la distin- guera aisément de la matière inanimée, et peu de temps après il distinguera très-bien la ma- tière animée de la matière végétative, et natu- rellement il arrivera à cette première grande division, animal, végétal et minéral; et comme il aura pris en même temps une idée nette de ces grands objets si différents , la {erre , l'air et l'euu, il viendra en peu de temps à se for- mer une idée particulière des animaux qui ha- bitent la terre, de ceux qui demeurent dans l’eau, et de ceux qui s'élèvent dans l'air ; et par conséquent il se fera aisément à lui-même cette seconde division , animaux quadrupèdes, oi- seaux, poissons. HN en est de même dans le rè- gne végétal, des arbres et des plantes ; il les distinguera très-bien, soit par leur grandeur , soit par leur substance , soit par leur figure. Voilà ce que la simple inspection doit nécessai- rement lui donner, et ce qu'avec une très-légère attention, il ne peut manquer de reconnaître. C’estlà aussi ce quenous devonsregarder comme réel, et ce que nous devons respecter comme une division donnée par la nature même. En- suite mettons-nous à la place de cet homme , ou supposons qu'il ait acquis autant de connais- sances , et qu'il ait autant d'expérience que nous en avons ; il viendra à juger les objets de l’his- toire naturelle par les ravports qu'ils auront‘ avec lui ; ceux qui lui seront les plus nécessai- res, les plus utiles, tiendront le premier rang ; par exemple, il donnera la préférence dans l’or- dre des animaux au cheval, au chien, au bœuf, ete. ,etil connaitra toujours mieux ceux qui lui seront le plus familiers : ensuite il s’oc- cupera de ceux qui, sans être familiers , ne lais- sent pas que d’habiter les mêmes lieux , les mêmes climats , comme les cerfs, leslièvres et tous les animaux sauvages ; et ce ne sera qu'a-. près toutes ces connaissances acquises, que sa curiosité le portera à rechercher ce que peuvent être les animaux des climats étrangers , comme les éléphants , les dromadaires , ete. Ilen sera de mème pour les poissons , pour les oiseaux , pour les insectes, pour les coquillages, pour les plantes, pour les minéraux , et pour toutes les autres productions de la nature : il les étudiera à proportion de l'utilité qu’il en pourra tirer ; il les considérera à mesure qu’ils se présenteront plus familièrement , et il les rangera dans sa tête relativement à cet ordre de ses connaissan- ces, parce que c’est en effet l'ordre selon lequel il les a acquises, et selon lequel il] lui importe de les conserver. Cet ordre, leplus naturel de tous, est celui + © L'HISTOIRE que nous avons cru devoir suivre. Notre mé- thode de distribution n’est pas plus mystérieuse que ce qu’on vient de voir : nous partons des divisions générales telles qu'on vient de les in- diquer, et que personne ne peut contester; et ensuite nous prenons les objets qui nous inté- ressent le plus par les rapports qu'ils ont avec nous, et de là nous passons peu à peu jusqu’à ceux qui sont les plus éloignés et qui nous sont étrangers; etnous croyons que cette façon sim- ple et naturelle de considérer les choses est pré- férable aux méthodes les plus recherchées et les plus composées, parce qu'il n’y en à pas une ; et de celles qui sont faites, et de toutes celles que l’on peut faire, où il n’y ait plus d’ar- bitraire que dans celle-ci, et qu’à tout prendre il nous est plus facile, plus agréable et plus utile de considérer les choses par rapport à nous que sous aucun autre point de vue. Je prévois qu’on pourra nous faire deux ob- jections : la première , c’est que ces grandes divisions, que nous regardons comme réelles, ne sont peut-être pas exactes ; que, par exem- ple, nous ne sommes pas sûrs qu'on puisse ti- rer une ligne de séparation entre le règne ani- mal et le règne végétal, ou bien entre le règne végétal et le minéral, et que dans la nature il peut se trouver des choses qui participent égale- ment des propriétés de l’un et de l’autre, les- quelles par conséquent ne peuvent entrer ni dans l’une ni dans l’autre de ces divisions. A cela , je réponds que, s’il existe des choses qui soient exactement moitié animal et moitié plante, ou moitié plante et moitié minéral , ete., - elles nous sont encere inconnues, en sorte que dans le fait la division est entière et exacte; et l'on sent bien que plus les divisions seront gé- nérales, moins il y aura de risque de rencon- trer des objets mi-partis qui participeraient de la nature des deux choses comprises dans ces divisions : en sorte que cette même objection, que nous avons employée avec avantage contre les distributions partieulières, ne peut avoir lieu lorsqu'il s'agira de divisions aussi générales que l’est celle-ci, surtout si l’on ne rend pas ces divisions exclusives, et si l’on ne prétend pas y comprendre sans exception, non seulement tous les êtres connus, mais encore tous ceux qu'on pourrait découvrir à l’avenir. D'ailleurs, si l’on y fait attention, l’on verra bien que nos idées générales n'étant composées que d'idées particulières. elles sont relatives à NATURELLE. b { une échelle continue d'objets, de laquelle nous n’apercevons nettement que les milieux , et dont les deux extrémités fuient et échappent toujours de plus en plus à nos considérations; de sorte que nous ne nous attachons jamais qu’au gros des choses, et que par conséquent on ne doit pas croire que nos idées, quelque générales qu’elles puissent être, comprennent les idées particulières de toutes les choses existantes et possibles. La seconde objection qu'on nous fera sans doute, c'est qu'en suivant dans notre ouvrage l'ordre que nous avons indiqué, nous tombe- rons dans l'inconvénient de mettre ensemble des objets très-différents : par exemple, dans l'histoire des animaux , si nous commencons par ceux qui nous sont les plus utiles, les plus fa- miliers , nous serons obligés de donner l’histoire du chien après ou avant celle du cheval ; ce qui ne paraît pas naturel , parce que ces animaux | sont si différents à tous autres égards , qu'ils ne paraissent point du tout faits pour être mis si près l’un de l’autre dans un traité d'histoire naturelle : et on ajoutera peut-être qu'il aurait mieux valu suivre la méthode ancienne de Ja division des animaux en solipèdes, pieds-four- chus, et fissipèdes, ou la méthode nouvelle de Ja division des animaux par les dents et les ma- melles, ete. Cette objection, qui d’abord pourrait paraître spécieuse , s’évanouira dès qu’on l’aura exami- née. Ne vaut-il pas mieux ranger, non-seule- ment dans un traité d'histoire naturelle, mais même dans un tableau , ou partout ailleurs, les objets dans l’ordre et dans la position où ils se trouvent ordinairement , que de les forcer à se trouver ensemble en vertu d’une supposition ? Ne vaut-il pas mieux faire suivre le cheval, qui est solipède, par lechien, qui est fissipède , et qui a coutume de le suivre en effet, que par un zèbre qui nous est peu connu, et qui n’a peut- être d’autre rapport avec le cheval que d'être solipède ? D'ailleurs n’y a-t-il pas le même in- convénient pour les différences dans cet arran- gement que dans le nôtre? Un lion, parcequ'il est fissipède, ressemble-t-il à un rat, qui est aussi fissipède, plus qu’un cheval ne ressemble à un chien? Un éléphant solipède ressemble-t-il plus à un âne, solipède aussi, qu’à un cerf, qui est pied-fourchu ? Et si l’on veut se servir de la nouvelle méthode dans laquelle les dents et les mamelles sont les caractères spécifiques et sur 5 MANIÈRE DE TRAITER lesquels sont fondées les divisions et les distri- butions, trouvera-t-on qu'un lionressembleplus à une chauve-souris qu’un cheval ne ressemble | à un chien? ou bien pour faire notre comparai- son encore plus exactement , un cheval ressem- ble-t-il plus à un cochon qu’à un chien, ou un chien ressemble-t-il plus à une taupe qu’à un cheval? Etpuisqu’il ya autant d'inconvénients et des différences aussi grandes dans ces méthodes d’arrangement que dans la nôtre , et que d’ail- leurs ces méthodes n’ont pas les mêmes avan- tages, et qu’elles sont beaucoup plus éloignées de la façon ordinaire et naturelle de considérer les choses , nous croyons avoir eu des raisons suffisantes pour lui donner la préférence, et ne suivre dans nos distributions que l’ordre des rapports que les choses nous ont paru avoir avec nous-mêmes. Nous n’examinerons pas en détail toutes les méthodes artificielles que l’on a données pour la division des animaux : elles sont toutes plus ou moins sujettes aux inconvénients dont nous avons parlé au sujet des méthodes de botani- que ; et il nous parait que l’examen d’une seule de ces méthodes suffit pour faire découvrir les défauts des autres. Ainsi, nous nous bornerons ici à examiner celle de M. Linnæus , qui est la plus nouvelle, afin que l’on soit en état de juger si nous avons eu raison de la rejeter , et de nous attacher seulement à l’ordre naturel dans lequel tous les hommes ont coutume de voir et de considérer les choses. M. Linnæus divise tous les animaux en six classes, savoir : les quadrupèdes , les oiseaux , les amphibies, les poissons, les énsectes et les vers. Cette première division est, comme l’on voit, très-arbitraire et fort incomplète ; car elle ne nous donne aucune idée de certains genres d'animaux, qui sont cependant très-considéra- bles et très-étendus, les serpents, par exemple, les coquillages, les crustacés : et il paraît , au premier coup d'œil , qu'ils ont été oubliés ; car on n’imagine pas d’abord que les serpents soient des amphibies , les crustacés des insectes, et les coquillages des vers. Au lieu de ne faire que six classes, si cetauteur en eût fait douze ou davan- tage, et qu’il eût dit les quadrupèdes , les oi- seaux , les reptiles , les amphibies , les poissons cétacés, les poissons ovipares , les poissons mous , les crustacés, les coquillages , les insec- tes de terre, les insectes de mer , les insectes d’eau douce , ete. , il eût parlé plus clairement, et ses divisions eussent été plus vraies et moins arbitraires; car , en général, plus on augmen- tera le nombre des divisions des productions naturelles, plus on approchera du vrai, puis- qu'il n'existe réellement dans la nature que des individus , et que les genres , les ordres et les classes n'existent que dans notre imagination. Si l’on examine les caractères généraux qu'il emploie , et la manière dont il fait ses divisions particulières , on y trouvera encore des défauts bien plus essentiels : par exemple, un 4 général, comme celui pris des mamelles pour la division des quadrupèdes , devrait au moins ap- partenir à tous les quadrupèdes ; cependant de- puis Aristote, on sait que le cheval n’a point de mamelles. Il divise la classe des quadrupèdes en cinq ordres : le premier anthropomorpha ; le second Leræ ; letroisième glires ; le quatrième jumenta; et le cinquième pecora; et ces cinq ordres ren- ferment, selon lui , tous les animaux quadrupè- des. On va voir, par l'exposition et l’énuméra- tion même de ces cinq ordres, que cette divi- sion est non-seulement arbitraire, mais encore très-mal imaginée ; car cet auteur met dans le premier ordre l’homme, le singe , le paresseux et le lézard écailleux. Il faut bien avoir la ma- nie de faire des classes , pour mettre ensemble des êtres aussi différents que l’homme et le pa- resseux , ou le singe et le lézard écailleux. Pas- sons au second ordre qu’il appelle feræ, les bé- tes féroces. Il commence en effet par le lion , le tigre; mais il continue par le chat, la belette, la loutre, le veau marin, le chien, l’ours , le blaireau , et il finit par le hérisson, la taupeet la chauve-souris. Aurait-on jamais cru que le nom de feræ en latin, béles sauvages ou féroces en francais , eût pu être donné à la chauve-souris , à la taupe, au hérisson; que les animaux do- mestiques , comme le chien et le chat, fussent des bêtes sauvages? Et n’y a-t-il pas à eela une aussi grande équivoque de bon sens que de mots? Mais voyons le troisième ordre, glires, les loirs. Ces loirs de M. Linnæus sont le porc- épie, le lièvre, l’écureuil, le castor et les rats. J'avoue que dans tout cela je ne vois qu'une es- pèce de rats qui soit en effet un loir. Le qua- trième ordre est celui des jumenta, ou bêtes de somme. Ces bêtes de somme sont l'éléphant, l'hippopotame, la musaraigne, le cheval et le cochon : autre assemblage, comme on voit, qui est aussi gratuit et aussi bizarre que si l’auteur RP L'HISTOIRE NATURELLE. eût travaillé dans le dessein de le rendre tel. Enfin le cinquième ordre, pecora , ou le bétail , comprend le chameau , le cerf, le boue, le bé- lier et le bœuf : mais quelle différence n'y a-t-il pas entre un chameau et un bélier, ou entre un cerf et un bouc? Et quelle raison peut-on avoir pour prétendre que ce soient des animaux du même ordre, si ce n’est que, voulantabsolument | faire des ordres, et n’en faire qu’un petit nom- bre , il faut bien y recevoir des bêtes de toute | espèce? ensuite, en examinant les dernières divisions des animaux en espèces particulières, on trouve que le loup-cervier n’est qu’une es- pèce de chat , le renard et le loup une espèce de chien , la civette une espèce de blaireau, le co- | chon d’Inde une espèce de lièvre, le rat d’eau | une espèce de castor, le rhinocéros une espèce d’eléphant , l’âne une espèce de cheval , ete. ; et tout cela , parce qu’il y a quelques petits rap- de ces animaux, ou quelque ressemblancelégère dans la forme de leurs cornes. Voilà pourtant, et sans y rien omettre, à quoi se réduit ce système de la nature pour les animaux quadrupèdes. Ne serait-il pas plus simple, plus naturel et plus vrai, de dire qu'un âne est un âne , etun chat un chat , que de vou- loir, sans savoir pourquoi, qu'un âne soit un cheval, et un chat un loup-cervier ? On peut juger par cet échantillon , de tout le reste du système. Les serpents , selon cet au- | 50 anciens étaient beaucoup plus avancés et plus instruits que nous ne le sommes , je ne dis pas en physique, mais dans l’histoire naturelle des | animaux et des minéraux, et que les faits de cette histoire leur étaient bien plus familiers qu’à nous, qui aurions dû profiter de leurs dé- couvertes et de leurs remarques. En attendant qu'on en voie des exemples en détail, nous nous contenterons d’indiquer ici les raisons générales qui suffiraient pour le faire pen- ser, quand même on n’en aurait pas des preu- ves particulières. La langue grecque est une des plus anciennes et celle dont on a fait le plus longtemps usage. Avant et depuis Homère, on a écrit et parlé grec jusqu’au treizième ou quatorzième siècle; et actuellement encore , le grec corrompu par les idiomes étrangers ne diffère pas autant du | grec ancien , que l'italien diffère du latin. Cette ports entre le nombre des mamelles et des dents | | faite et la plus abondante de toutes , était, dès teur , sont des amphibies ; les écrevisses sont des | insectes , et non-seulement des insectes , mais des insectes du même ordre que les poux et les puces ; et tous les coquillages , les crustacés et | les poissons mous, sont des vers ; les huîtres, les moules , les oursins , les étoiles de mer , les sèches , ete., ne sont, selon cet auteur, que | des vers. En faut-il davantage pour faire sentir combien toutes ces divisions sont arbitraires , et cette méthode mal fondée? On reproche aux anciens de n’avoir pas fait des méthodes , et les modernes se croient fort au-dessus d’eux , parce qu'ils ont fait un grand nombre de ces arrangements méthodiques et de ces dictionnaires dont nous venons de parler : ils se sont persuadé que cela seul suffit pour prouver que les anciens n'avaient pas, à beau- coup près , autant de connaissances en histoire | naturelle que nous en avons. Cependant c'est | tout le contraire , et nous aurons dans la suite de cet ouvrage mille occasions de prouver que les langue qu’on doit regarder comme la plus par- le temps d’'Homère, portée à un grand point de perfection, ce qui suppose nécessairement uneancienneté considérableavant lesièclemême de ce grand poëte; car l’on pourrait estimer l’an- cienneté ou la nouveauté d’une langue par la quantité plus ou moins grande des mots, et la variété plus ou moinsnuancée des constructions. Or, nous avons dans cette langue les noms d’une très-grande quantité de choses qui n’ont aucun nom en latin ou en francais : les animaux les plus rares, certaines espèces d'oiseaux , ou de poissons, ou de minéraux qu’on ne rencontre que très-difficilement, très-rarement, ont des noms et des noms constants dans cette langue ; preuve évidente que ces objets de l’histoire na- turelle étaient connus, et que les Grecs, non- seulement les connaissaient, mais même qu'ils enavaient une idée précise, qu'ils ne pouvaient avoir acquise que par une étude de ces mêmes objets, étude qui suppose nécessairement des observations et des remarques : ils ont même des noms pour les variétés ; et ce que nous ne pouvons représenter que par une phrase, se nomme dans cette langue par un seul substan- tif. Cette abondance de mots, cette richesse d’ex- pressions nettes et précises, ne supposent-elles pas la même abondance d'idées et de connaissan- ces? Ne voit-on pas que des gens qui avaient nommé beaucoup plus de choses que nous, en connaissaient par conséquent beaucoup plus? et cependant ils n'avaient pas fait, comme nous, 50 des méthodes et des arrangements arbitraires : ils pensaient que la vraie science est la connais- sance des faits; que pour l’acquérir il fallait se familiariser avec les productions de la nature, donner des noms à toutes, afin de les faire re- connaitre, de pouvoir s’en entretenir, de se re- présenter plus souvent les idées des choses rares et singulières, et de multiplier ainsi des con- naissances qui , sans cela, se seraient peut-être évanouies, rien n'étant plus sujet à l'oubli que ce qui n’a point de nom : tout ce qui n’est pas d'un usage commun ne se soutient que par le secours des représentations. D'ailleurs les anciens qui ont écrit sur l’his- toire naturelle étaient de grands hommes, et qui ne s'étaient pas bornés à cette seule étude : ils avaient l'esprit élevé, des connaissances variées, approfondies, et des vues générales; et, s’ilnous parait au premier coup d'œil qu'il leur manquât un peu d’exactitude dans de certains détails, il est aisé de reconnaitre, en les lisant avec ré- flexion, qu'ils ne pensaient pas que les petites choses méritassent une attention aussi grande que celle qu’on leur a donnée dans ces derniers temps; et, quelque reproche que les modernes puissent faire aux anciens, il me parait que Aristote, Théophraste et Pline , qui ont été les premiers naturalistes, sont aussi les plus grands à certains égards. L'histoire des animaux par Aristote est peut-être encore aujourd’hui ce que nous avons de mieux fait en ce genre, et il se- rait fort à désirer qu'il nous eût laissé quelque chose d'aussi complet sur les végétaux et sur les minéraux ; mais les deux livres de plantes, que quelques auteurs lui attribuent , ne ressem- blent pas à ses autres ouvrages, et ne sont pas en effet de lui. Ilest vrai que la botanique n’é- tait pas fort en honneur de son temps : les Grecs , et même les Romains , ne la regardaient pas comme une science qui dût exister par elle- même et qui dût faire un objet à part; ils ne la considéraient que relativement à l’agricul- ture, au jardinage , à la médecine et aux arts : et, quoique Théophraste , disciple d’Aristote, connût plus de cinq cents genres de plantes, et que Pline en cite plus de mille, ils n’en parlent que pour nous en apprendre la culture, ou pour nous dire que les unes entrent dans la composi- tion des drogues, que les autres sont d'usage pour les arts , que d’autres servent à orner nos jardins , ete.; en un mot, ils ne les considè- rent que par l'utilité qu’on en peut tirer, et ils MANIÈRE DE TRAITER ne se sont pas attachés à les décrire exacte- ment. L'histoire des animaux leur était mieux con- nue que celle des plantes. Alexandre donna des ordres et fit des dépenses très-considérables pour rassembler des animaux, et en faire venir de tous les pays, etil mit Aristote en état de les bien observer. Il parait par son ouvrage qu'il les connaissait peut-être mieux et sous des vues plus générales qu’on ne les connait aujour d’hui. Enfin, quoique les modernes aient ajouté leurs découvertes à celles des anciens , je ne vois pas que nous ayons sur l'histoire naturelle beau- coup d'ouvrages modernes qu’on puisse mettre au-dessus de ceux d’Aristote et de Pline ; mais comme la prévention naturelle qu’on a pour son siècle pourrait persuader que ce que je viens de dire est avancé témérairement, je vais faire en peu de mots l'exposition du plan de leurs ou- vrages. 4 Aristote commence son histoire des animaux par établir des différences et des ressemblances générales entre les différents genres d'animaux ; au lieu de les diviser par de petits caractères particuliers , comme l’ont fait les modernes, il rapporte historiquement tous les faits et toutes les observations qui portent sur des rapports généraux et sur des caractères sensibles ; il tire ces caractères de la forme , de la couleur , de la grandeur et de toutes les qualités extérieures de lPanimal entier , et aussi du nombre et de la po- sition de ses parties , de la grandeur , du mou- vement, de la forme de ses membres , des rap- ports semblables ou différents qui se trouvent dans ces mêmes parties comparées , et il donne partout des exemples pour se faire mieux enten- dre. Il considère aussi les différences des ani- maux par leur façon de vivre, leurs actions et leurs mœurs , leurs habitations , etc. Il parle des parties qui sont communes et essentieiles aux animaux , et de celles qui peuvent manquer et qui manquent en effet à plusieurs espèces d’a- nimaux. Le sens du toucher , dit-il , est la seule chose qu'on doiveregarder comme nécessaire, et qui ne doit manquer à aucun animal; et, comme ce sens est commun à tous les animaux , il n’est pas possible de donner un nom à la par- tie de leur corps dans laquelle réside la faculté de sentir. Les parties les plus essentielles sont celles par lesquelles l'animal prend sa nourri- ture, celles qui recoivent et digèrent cette nour- riture, et celles par où il en rend le superflu Il . L'IHISTOIRE examine ensuite les parties de la génération des animaux , celles de leurs membres et de leurs différentes parties qui servent à leurs mouve- ments et à leurs fonctions naturelles. Ces obser- vations générales et préliminaires font un ta- bleau dont toutes les parties sont intéressantes ; et ce grand philosophe dit aussi qu’il les a pré- sentées sous cet aspect pour donner un avant- goüt de ce qui doit suivre, et faire naître l’at- tention qu’exige l’histoire particulière de chaque animal, ou plutôt de chaque chose. Il commence par l’homme, et il le décrit le premier, plutôt parce qu'il est l’animal le mieux connu, que parce qu'il est le plus parfait; et pour rendre sa description moins sèche et plus piquante, iltâche de tirer des connaissances mo- rales en parcourant les rapports physiques du corps humain : il indique les caractères des hommes par les traits de leur visage. Se bien connaître en physionomie serait en effet une science bien utile à celui qui l’aurait acquise; mais peut-on la tirer de l’histoire naturelle? Il décrit done l’homme par toutes ses parties exté- rieures et intérieures, et cette description est la seule qui soit entière : au lieu de décrire chaque animal en particulier , il les fait connaitre tous par les rapports que toutes les parties de leur corps ont avec celles du corps de l'homme : lors- qu'il décrit, par exemple, la tête humaine, il compare avec elle la tête de différentes espèces d'animaux. Il en est de même de toutes les au- tres parties; à la description du poumon de l’homme, il rapporte historiquement tout ce qu’on savait des poumons des animaux, et il fait l’histoirede ceux quien manquent. De même à l’occasion des parties de la génération, il rap- porte toutes les variétés des animaux dans la manière de s’accoupler, d’engendrer, de porter et d’accoucher, etc. ; à l’occasion du sang, il fait l'histoire des animaux qui en sont privés, et, suivant ainsi ce plan de comparaison, dans le- quel, comme l’on voit, l'homme sert de modèle, et ne donnant que les différences qu'il y a des animaux à l’homme, et de chaque partie des animaux à chaque partie de l’homme, il retran- che à dessein toute description particulière; il évite par là toute répétition, il accumule les faits, et il n’éerit pas un mot qui soit inutile : aussi a-t-il compris dans un petit volume un nombre presque infini de différents faits, et je ne crois pas qu'il soit possible de réduire à de moindres termes tout ce qu’il avait à dire sur NATURELLE. 57 cette matière, qui parait si peu susceptible de cette précision, qu'il fallait un génie comme le sien pour y conserver en même temps de l’or- dre et de la netteté. Cet ouvrage d’Aristote s’est présenté à mes yeux comme une table des ma- tières qu’on aurait extraite, avec le plus grand soin, de plusieurs milliers de volumes remplis de descriptions et d'observations de toute es- pèce : c’est l’abrégé le plus savant qui ait jamais été fait, si la science est en effet l’histoire des faits; et quand même on supposerait qu'Aris- tote aurait tiré de tous les livres de son temps ce qu'il a mis dans le sien , le plan de l’ouvrage, sa distribution , le choix des exemples, la jus- tesse des comparaisons, une certaine tournure dans les idées , que j’appellerais volontiers le ca- ractère philosophique , ne laissent pas douter un instant qu'il ne fût lui-même bien plus riche que ceux dont il aurait emprunté. Pline a travaillé sur un plan bien plus grand, et peut-être trop vaste ; il a voulu tout embras- ser, etil semble avoir mesuré la nature et l'avoir trouvée trop petite encore pour l'étendue de son esprit. Son histoire naturelle comprend, in- dépendamment de l’histoire des animaux, des plantes et des minéraux , l’histoire du ciel et de la terre, la médecine, le commerce, la naviga- tion , l’histoire des arts libéraux et mécaniques, l'origine des usages, enfin toutes les sciences naturelles et tous les arts humains; et, ce qu'il y a d'étonnant, c’est que dans chaque partie Pline est également grand. L’élévationdes idées, la noblesse du style relèvent encore sa profonde érudition : non-seulement il savait tout ce qu’on pouvait savoir de son temps, mais il avait cette facilité de penser en grand qui multiplie la science ; il avait cette finesse de réflexion de la- quelle dépendent l'élégance et le goût, et il communique à ses lecteurs une certaine liberté d'esprit, une hardiesse de penser qui est le germe de la philosophie. Son ouvrage, tout aussi varié que la nature, la peint toujours en beau : c’est , si l’on veut, une compilation de tout ce qui avait été écrit avant lui, une copie de tout ce qui avait été fait d’excellent et d’u- tile à savoir; mais cette copie a de si grands traits, cette compilation contient des chosesras- semblées d’une manière si neuve, qu’elle est préférable à la plupart des ouvrages originaux qui traitent des mêmes matières. Nous avons dit que l’histoire fidèle et la des- cription exacte de chaque chose étaient les deux 58 MANIÈRE DE TRAITER seuls objets que l’on devait se proposer d’abord | Cependant cet objet est le plus important, et dans l'étude de l’histoire naturelle. Les anciens | il ne faut pas s’imaginer, même aujourd’hui, ont bien remph le premier, et sont peut-être autant au-dessus des modernes par cette pre- mière partie, que ceux-ci sont au-dessus d’eux par la seconde ; car les anciens ont très-bien traité l'historique de la vie et des mœurs des animaux , de la culture et des usages des plantes, des propriétés et de l'emploi des minéraux ; et en même temps ils semblent avoir negligé à dessein la description de chaque chose. Ce n’est pas qu'ils ne fussent très-capables de la bien faire : mais ils dédaignaient apparemment d’é- crire des choses qu’ils regardaient comme in- utiles , et cette façon de penser tenait à quelque chose de général, et n’était pas aussi déraison- nable qu'on pourrait le croire ; et même ils ne pouvaient guère penser autrement. Première- ment , ils cherchaient à être courts et à ne met- tre dans leurs ouvrages que les faits essentiels et utiles, parce qu'ils n'avaient pas, comme nous , la facilité de multiplier les livres , et de les grossir impunément. En second lieu, ils tournaïent toutes les sciences du côté de l'utilité, et donnaient beaucoup moins que nous à la vaine curiosité ; tout ce qui n’était pas intéres- sant pour la société, pour la santé, pour les arts, était négligé; ils rapportaient tout à Phomme moral , et ils ne croyaient pas que les choses qui n'avaient point d'usage fussent di- gnes de l’occuper ; un insecte inutile dont nos observateurs admirent les manœuvres, une herbe sans vertu dont nos botanistes observent les étamines, n'étaient pour eux qu’un insecte ou une herbe. On peut citer pour exemple le vingt-septième livre de Pline, Reliqua herba- rum genera, où il met ensemble toutes les her- bes dont ilne fait pas grand cas, qu’il se contente de nommer par lettres alphabétiques, en indi- quant seulement quelqu'un de leurs caractères généraux et de leurs usages pour la médecine. Tout cela venait du peu de goût que les anciens avaient pour la physique; ou , pour parler plus exactement, comme ils n'avaient aucune idée de ce que nous appelons physique particulière et expérimentale, ils ne pensaient pas que l’on püt tirer aucun avantage de l'examen scrupu- leux et de la description exacte de toutes les parties d’une plante ou d’un petit animal, et ils ne voyaient pas les rapports que cela pouvait avoir avec l'explication des phénomènes de la uature. que dans l’étude de l’histoire naturelle on doive se borner uniquement à faire des-descriptions exactes et à s'assurer seulement des faits par- ticuliers. C’est à la vérité , et comme nous l’a- vons dit, le but essentiel qu’on doitse proposer d’abord ; mais il faut tâcher de s'élever à quel- que chose de plus grand et plus digne encore de nous occuper : c’est de combiner les observa- tions, de généraliser les faits, de les lier ensem- ble par la force des analogies , et de tâcher d’ar- river à ce haut degré de connaissances, où nous pouvons juger que les effets particuliers dépen- dent d'effets plus généraux , où nous pouvons comparerlanatureavecelle-mêmedansses gran- des opérations , et d’où nous pouvons enfin nous ouvrir les routes pour perfectionner les diffé- rentes parties de la physique. Une grande mé- moire , de l’assiduité et de l'attention suffisent pour arriver au premier but : mais il faut ici quelque chose de plus ; il faut des vues géné- rales, un coup d’œil ferme et un raisonnement formé plus encore par la réflexion que par l’é- tude; il faut enfin cette qualité d’esprit qui nous fait saisir les rapports éloignés , les rassembler et en former un corps d’idées raisonnées, après en avoir apprécié au juste les vraisemblances et en avoir pesé les probabilités. C’est ici’ où l’on a besoin de méthode pour conduire son esprit, non pas de celle dont nous avons parlé, qui ne sert qu’à arranger arbitrai- rement des mots , mais de cette méthode qui soutient l’ordre même des choses, qui guide notre raisonnement, qui éclaire nos vues, les étend et nous empêche de nous égarer. Les plus grands philosophes ont senti la né- cessité de cette méthode, etmêmeils ont voulu nous en donner des principes et des essais : mais les uns ne nous ont laissé que l’histoire de leurs pensées, et les autres la fable de leur ima- gination ; et si quelques-uns se sont élevés à ce haut point de métaphysique d'où l’on peut voir les principes, les rapports et l’ensemble des sciences, aucun ne nous a sur Cela communiqué ses idées, aucun ne nous a donné des conseils , et la méhode de bien conduire son esprit dans les sciences est encore à trouver : au défaut de préceptes on a substitué des exemples; au lieu de principes on a employé des définitions ; au lieu de faits avérés, des suppositions hasardées. Dans ce sièclemême où les sciences paraissent hé L'HISTOIRE être cultivées avec soin, je crois qu’il est aisé de s’apercevoir que la philosophie est négligée, et peut-être plus que dans aucun autre siècle; les arts qu'on veut appeler scientifiques ont pris sa place; les méthodes de caleul et de géo- métrie, celles de botanique et d'histoire natu- relle, les formules, en un mot, et les diction- * naires occupent presque tout le monde : on s’imagine savoir davantage, parce qu’on à aug- menté le nombre des expressions symboliques et des phrases savantes, et on ne fait point at- tention que tous ces arts ne sont que des écha- faudages pour arriver à la science, et non pas la science elle-même; qu'il ne faut s’en servir que lorsqu'on ne peut s’en passer, et qu’on doit toujours se défier qu'ils ne viennent à nous manquer, lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice. La vérité, cet être métaphysique dont tout le monde croit avoir une idée claire , me parait confondue dans un si grand nombre d'objets étrangers auxquels on donne son nom, que je nesuis pas surpris qu'on ait de la peine à la re- connaitre. Les préjugés et les fausses applica- tions’se sont multipliées à mesure que nos hy- pothèses ont été plus savantes, plus abstraites et plus perfectionnées ; il est done plus difficile que jamais de reconnaitre ce que nous pouvons savoir, et de le distinguer nettement de ce que nous devons ignorer. Les réflexions suivantes serviront au moins d'avis sur cesujet important. Le mot de vérité ne fait naître qu’une idée vague, il n’a jamais eu de définition précise ; et la définition elle-même, prise dans un sens général et absolu , n’est qu’une abstraction qui n'existe qu’en vertu de quelque supposition. Au lieu de chercher à faire une définition de la vé- rité, cherchons donc à faire une énumération ; voyons de près ce qu’on appelle communément vérités, et tâchons de nous en former desidées nettes. Il y a plusieurs espèces de vérités, et on a coutume de mettre dans le premier ordre les vérités mathématiques : ce ne sont cependant que des vérités de définitions; ces définitions portent sur des suppositions simples , mais ab- straites , et toutes les vérités en ce genre ne sont que des conséquences composées, mais toujours abstraites de cesdéfinitions. Nous avons fait les suppositions, nous les avons combinées detoutes les façons; ce corps de combinaisons est la seience mathématique; il n'y a donc rien dans NATURELLE. 59 cette science que ce que nous y avons mis, et les vérités qu'on en tire ne peuvent être que des ex- pressions différentes sous lesquelles se présen- tent les suppositions que nous avons employées: ainsi les vérités mathématiques ne sontqueles répétitions exactes des définitions ou supposi- tions. La dernière conséquence n’est vraie que parce qu’elle est identique avec celle qui la pré- cède, et que celle-ci l’est avec la précédente, et ainsi de suiteen remontant jusqu’à la première supposition : et comme les définitions sont les seuls principes sur lesquels tout est établi, et qu’elles sont arbitraires et relatives, toutes les conséquences qu'on en peut tirer sont également arbitraires et relatives. Ce qu’on appelle vérités mathématiques se réduit donc à des identités d'idées, et n’a aucune réalité : nous supposons, nous raisonnons sur nos suppositions, nous en tirons des conséquences, nous coneluons : la conclusion ou dernière conséquence est une proposition, vraie relativement à notre suppo- sition; mais cette vérité n’est pas plus réelle que la supposition elle-même. Ce n’est point ici le lieu de nous étendre sur les usages des scien- ces mathématiques, non plus que:sur l’abus qu’on en peut faire : il nous suffit d'avoir prouvé que les vérités mathématiques ne sont que des vérités de définitions , ou, si l’on veut, des ex- pressions différentes de la même chose, et qu’el- les ne sont vérités que relativement à ces mêmes définitions que nous avons faites : c’est par cette raison qu’elles ont l'avantage d’être tou- jours exactes et démonstratives, mais abstrai- tes, intellectuelles et arbitraires. Les vérités physiques , au contraire, ne sont nullement arbitraires et ne dépendent point de nous ; au lieu d’être fondées sur des suppositions que nous ayons faites, elles ne sont appuyées que sur des faits. Une suite de faitssemblables, ou, si l’on veut , une répétition fréquente et une succession non interrompue des mêmes événe- ments, fait l'essence de la vérité physique : ce qu’on appelle vérité physique n’est done qu’une probabilité, mais une probabilité si grande, qu’elle équivaut à une certitude. En mathéma- tiques on suppose; en physique on pose et on établit. Là , ce sont des définitions; ici, ce sont des faits. On va de définitions en définitions dans les sciences abstraites; on marche d’ob- servations en observations dans lessciences réel- les. Dans les premières on arrive à l'évidence ; dans les dernières, à la certitude. Le mot de 60 MANIÈRE DE TRAITER vérité comprend l'une et l’autre, et répond par conséquent à deux idées différentes : sa signifi- cation est vague et composée, il n’était donc pas possible de la définir généralement ; il fal- lait, comme nous venons de le faire , en distin- guerlesgenres, afin de s’en formeruneidée nette. Je ne parlerai pas des autres ordres de véri- tés : celles de la morale, par exemple, qui sont en partie réelles et en partie arbitraires, deman- deraient une longue discussion qui nous éloi- gnerait de notre but, et cela d’autant plus qu’elles n’ont pour objet et pour fin que des convenances et des probabilités. L'évidence mathématique et la certitude phy- sique sont done les deux seuls point sous les- quels nous devons considérer la vérité; dès qu’élle s’éloignera de l’une ou de l'autre, ce n'est plusque vraisemblance et probabilité. Exa- minons done ce que nous pouvons savoir de science évidente, ou certaine; après quoi nous verrons Ce que nous ne pouvons connaitre que par conjecture, et enfin ce que nous devons ignorer. Nous savons ou nous pouvons savoir de science évidente toutes les propriétés, ou plutôt tous les rapports des nombres, des lignes, des surfaces et de toutes les autres quantités abs- traites ; nous pourrons les savoir d’une manière plus complète àmesurequenous nous exercerons à résoudre de nouvelles questions , et d’une ma- nière plus sûre à mesure que nousrechercherons les causes des difficultés. Comme nous sommes les créateurs de cette science , et qu’elle ne com- prend absolument rien que ce que nous avons nous-mêmes imaginé, il ne peut y avoir ni ob- seurité ni paradoxes qui soient réels ou impossi- bles ; et on en trouvera toujours la solution en examinant avec soin les principes supposés, et en suivant toutes les démarches qu’on a faites pour y arriver; comme les combinaisons ‘de ces principes et les facons de les employer sont innombrables , il y a dans les mathématiques un champ d’une immense étendue de connais- sances acquises et à acquérir, que nous serons toujours les maitres de cultiver quand nous vou- drons, et dans lequel nous recueillerons toujours la même abondance de vérités. Mais ces vérités auraient été perpétuellement depure spéculation, de simple curiosité et d’en- tière inutilité, si on n'avait pas trouvé les moyens de les associer aux vérités physiques. Avant que de considérer les avantages de cette union , voyons ce que nous pouvons espérer de savoir en ce genre. Les phénomènes qui s'offrent tous les jours à nos yeux, quise succèdent et se répètent sans interruption et dans tous les cas, sont le fonde- ment de nos connaissances physiques. Il suffit qu’une chose arrive toujours de la même facon, , pour qu’elle fasse une certitude ou une vérité pour nous ; tous les faits de la nature que nous avons observés , ou que nous pourrons observer, sont autant de vérités : ainsi nous pouvons en augmenter le nombre autant qu’il nous plaira , en multipliant nos observations ; notre science n’est ici bornée que par les limites de l’uni- vers. Mais, lorsqu’après avoir bien constaté les faits par des observations réitérées, lorsqu’après avoir établi de nouvelles vérités par des expé- riences exactes , nous voulons chercher les rai- sons de ces mêmes faits, les causes de ces effets, nous noustrouvons arrêtés tout à coup, réduits à tâcher de déduire les effets d'effets plus généraux, et obligés d'avouer queles causes nous sont et nous seront perpétuellement incon- nues, parce que, nos sens étant eux-mêmes les effets de causes que nous ne connaissons point , ils ne peuvent nous donner des idées que des effets , et jamais des causes ; il faudra donc nous réduire à appeler cause un effet général , etrenoncer à savoir au-delà. Ces effets généraux sont pour nous les vraies lois de la nature : tous les phénomènes que nous reconnaitrons tenir à ces lois et en dépendre seront autant de faits expliqués , autant de vé- rités comprises ; CeUX que nous ne pourrons y rapporter seront de simples faits qu’il faut met- tre en réserve , en attendant qu’un plus grand nombre d'observations et une plus longue ex- périence nous apprennent d’autres faits, et nous découvrent la cause physique , c’est-à-dire l’ef- fet général dont ces effets particuliers dérivent. C'est ici où l'union des deux sciences mathéma- tique et physique peut donner de grands avan- tages : l’une donne le combien, et l’autre le com- ment des choses; et comme il s’agit ici de combiner et d'estimer des probabilités pour ju- ger si un effet dépend plutôt d’une cause que d’une autre, lorsque vous avez imaginé par la physique le comment, c'est-à-dire lorsque vous avez vu qu'un tel effet pourrait bien dépendre de telle cause, vous appliquez ensuite le calcul pour vous assurer du combien de cet effet com- Re — L'IHISTOIRE NATURELLE. (| biné avec sa cause, et si vous trouvez que le résultat s'accorde avec les observations, la pro- babilité que vous avez deviné juste augmente si fort, qu’elle devient une certitude, au lieu que sans ce secours elle serait demeurée simple probabilité. IL est vrai que cette union des mathématiques et de la physique ne peut se faire que pour un très-petit nombre de sujets: il faut pour cela que les phénomènes que nous cherchons à expliquer soient susceptibles d’être considérés d’une ma- nière abstraite, et que de leur nature ils soient dénués de presque toutes les qualités physiques; car, pour peuqu'ils soient composés, lecaleul ne peut plus s’y appliquer. La plus belle et la plus heureuse application qu’on en ait jamais faite est au système du monde; et il faut avouer que si Newton ne nous eùt donné que les idées phy- siques de son système, sans les avoir appuyées sur des évaluations précises et mathématiques, elles n'auraient pas eu à beaucoup près la même force : mais on doit sentir en même temps qu’il yatrès-peu de sujets aussisimples, c’est-à-dire aussi dénués de qualités physiques que l’est ce- lui-ci; car la distance des planètes est si grande qu’on peut les considérer les unes à l’égard des autres comme n’étant que des points. On peut en même temps, sans se tromper, faire abstrac- tion de toutesles qualités physiques des planètes, et ne considérer que leur force d'attraction : leurs mouvements sont d’ailleurs les plus régu- liers que nous connaissions, et n’éprouvent aucun retardement par la résistance. Tout cela concourt à rendre l’explication du système du -monde un problème de mathématique, auquel il ne fallait qu’une idée physique heureusement conçue pour la réaliser ; et cette idée est d’avoir pensé que la force qui fait tomber les graves à la surface de la terre, pourrait bien être la même que celle qui retient la lune dans son orbite. Mais, je le répète, il y a bien peu de sujets en physique où l’on puisse appliquer aussi avanta- geusement les sciences abstraites, et je ne vois guère que l'astronomie et l'optique auxquelles elles puissent être d’une grande utilité : l’astro- nomie, par les raisons que nous venons d’expo- ser, et l'optique, parce que la lumière étant un corps presque infiniment petit, dont les effets s’opèrent en ligne droite avec une vitesse pres- que infinie, ses propriétés sont presque mathé- matiques ; cequi fait qu’on peut y appliquer avec quelque succès le calcul et les mesures géomé- triques.J'e ne parlerai pasdes mécaniques, parce que la mécanique rationnelle est elle-même une science mathématique et abstraite, de laquelle la mécanique pratique, ou l’art de faire et de com- poser les machines, n’emprunte qu’un seul prin- cipe par lequel on peut juger tous les effets en faisant abstraction des frottements et des autres qualités physiques. Aussi m'a-t-il toujours paru qu'il y avait une espèce d'abus dans la manière dont on professe la physique expérimentale, l'objet de cette science n’étant point du tout ce- lui qu’on lui prête. La démonstration des effets mécaniques, comme de la puissance des leviers, des poulies, de l’équilibre des solides et des flui- des , de l’effet des plans inclinés, de celui des forces centrifuges, ete.,appartenant entièrement aux mathémathiques, et pouvant être saisie par les yeux de l’espritavec la dernière évidence, il me parait superflu de la représenter à ceux du corps : le vrai but est au contraire de faire des expériences sur toutes les choses que nous ne pouvons pas mesurer par le caleul, sur tous les effets dont nous ne connaissons pas encore les causes, et sur toutes les propriétés dont nous ignorons les circonstances ; cela seul peut nous conduire à de nouvelles découvertes, au lieu que la démonstration des effets mathématiques ne nous apprendra jamais que ce que nous savions déjà. Mais cet abus n’est rien en comparaison des inconvénients où l’on tombe lorsqu'on veut ap- pliquer la géométrie et le calcul à des sujets de physiquetrop compliqués, à des objets dontnous ne connaissons pas assez les propriétés pour pouvoir les mesurer : on est obligé dans tous ces cas de faire des suppositions toujours contraires à la nature, de dépouiller le sujet de la plupart deses qualités , d’en faire un être abstrait qui ne ressemble plus à l’être réel ; et lorsqu'on a beaucoup raisonné et calculé sur les rapports et les propriétés de cet être abstrait, et qu’on est arrivé à une conclusion tout aussi abstraite, on croit avoir trouvé quelque chose de réel, et on transporte ce résultat idéal dans le sujet réel, ce qui produit une infinité de fausses conséquences et d'erreurs. C’est ici le point le plus délicat et le plus im- portant de l’étude des sciences : savoir bien dis- tinguer ce qu’il y a de réel dans un sujet, de ce que nous y mettons d’arbitraire en le considé- rant; reconnaitre clairement les propiétés qui 62 HISTOIRE NATURELLE. luiappartiennent et celles que nous lui prêtons, me parait être le fondement de la vraie méthode de conduire son esprit dans les sciences ; et si on ne perdait jamais de vue ce principe , on ne ferait pas une fausse démarche, on éviterait de tomber dans ces erreurs savantes qu’on reçoit souvent comme des vérités ; on verrait disparai- tre les paradoxes, et les questions insolubles des sciences abstraites ; on reconnaitrait les préju- gés et les incertitudes que nous portons nous- mêmes dans les sciences réelles ; on viendrait alors à s'entendre sur la métaphysique des sciences; on cesserait de disputer, et on se réunirait pour marcher dans la même route à la suite de l'expérience, et arriver enfin à la connaissance de toutes les vérités qui sont du ressort de Pesprit humain. Lorsque les sujets sont trop compliqués pour qu’on puisse y appliquer avec avantage le calcul etles mesures, comme le sont presque tous ceux de l’histoire naturelle et de la physique particu- lière, il me parait que la vraie méthode de con- duireson esprit dans ces recherches, c’est d’avoir recours aux observations, de les rassembler, d’en faire de nouvelles, et en assez grand nombre pour nous assurer de la vérité des faits principaux, et de n’employer la méhode mathé- matique que pour estimer les probabilités des conséquences qu'on peut tirer de ces faits ; surtout il faut tâcher de les généraliser et de bien distinguer ceux qui sont essentiels de ceux qui ne sont qu’accessoires au sujet que nous considérons; il faut ensuite les lier ensemble par les analogies, confirmer ou détruire certains points équivoques, par le moyen des expé- riences, former son plan d'explication sur la combinaison de tous ces rapports, et les pré- senter dans l’ordre le plus naturel. Cet ordre peut se prendre de deux facons : la première est de remonter des effets particuliers à des effets plus généraux, et l’autre de descendre du géné- ral au particulier : toutes deux sont bonnes, et Je choix de l’une ou de l’autre dépend plutôt du génie de l’auteur que de la nature des choses , qui toutes peuvent être également bien traitées par l’une ou l’autre de ces manières. Nous allons donner des essais de cette méthode dans les dis- cours suivants, de la {héorie de la terre, de la formation des planètes, et de la génération des animaux. SECOND DISCOURS. HISTOIRE ET THÉORIE DE LA TERRE. Vidi ego, quod fuerat quondam solidissima tellus Esse fretum ; vidi fractas ex æquore terras; Et procul a pelago conchæ jacuêre marinæ, Et vetus invenia est in montibus auchora summis Quodque fuit campus, vallem decursus aquar um Fecit , et cluvie mous est deductus in æquor, Ov1v. Metam. lib. 45: JL n’est ici question ni de la figure ! de la terre, ni de son mouvement, ni des rapports qu’elle peut avoir à l'extérieur avec les autres parties de l’univers; c’est sa constitution inté- rieure, sa forme et sa matière que nous nous proposons d'examiner. L'histoire générale de la terre doit précéder l’histoire particulière de ses productions , et les détails des faits singuliers de la vie et des mœurs des animaux , ou de la cul- ture et de la végétation des plantes , appartien- nent peut-être moins à l’histoire naturelle que les résultats généraux des observations qu’on : a. faites sur les différentes matières qui composent le globeterrestre, sur les éminences, les profon- deurs et les inégalités de sa forme, sur lemou- vementdes mers, sur ladirection des montagnes, sur la position des carrières, Sur la rapidité et les effets des courants de la mer, ete. Ceci est la pature en grand, et ce sont là ses principales opérations; elles influent sur toutes les autres, et la théorie de ces effets est une première | science de laquelle dépend l’intelligent des phé- | nomènes particuliers jaussi bien que la connais- Q sance exacte des substances terrestres ; et quand # même on voudrait donner à cette partie des | sciences naturelles le nom de physique, toute À physiqueoù l’on n’admet point de système n’est- | À elle pas l’histoire de la nature? Dans des sujets d’une vaste étehdue dont les rapports sont difficiles à rapprocher, où les faits sont inconnus en partie , et pour le reste incer- tains, il est plus aisé d'imaginer un système que de donner une théorie : aussi la théorie de Ja terre n’a-t-elle jamais été traitée que d’une | manière vague et hypothétique. Je ne parle- rai done que légèrement des idées singulières de quelques auteurs qui ont écrit sur cette ma- tière. i 4 Voyez ci-après les preuves de la théorie de la terre, art, I. THÉORIE DE LA TERRE. 65 L'un‘, plus ingénieux que raisonnable, as- tronome convaincu du système de Newton , en- visageant tous les événements possibles du cours et de la direction des astres , explique, à l’aide d’un calcul mathématique, par la queue d’une comète, tous les changements qui sont arrivés au globe terrestre. Un autre?, théologien hétérodoxe, la tête échauffée de visions poétiques , croit avoir vu créer l’univers. Osant prendre le style prophé- tique, après nous avoir dit ce qu'était la terre au sortir du néant, ce que le déluge y a changé, ce qu’elle a été et ce qu’elle est, il nous prédit ce qu’elle sera, même après la destruction du genre humain. Un troisième *, à la vérité meilleur observa- teur que les deux premiers, mais tout aussi peu réglé dans ses idées , explique, par un abime immense d’un liquide contenu dans les entrailles du globe, les principaux phénomènes de la terre, laquelle , selon lui , n’est qu’une croûte superfi- cielle et fort mince qui sert d’enveloppe au fluide qu’elle renferme. Toutes ces hypothèses faites au hasard, et qui ne portent que sur des fondements ruineux , n'ont point éclairci les idées et ont confondu les faits. On a mêlé la fable à la physique : aussi ces systèmes n’ont été recus que de ceux qui recoivent tout aveuglément, incapables qu'ils sont de distinguer les nuances du vraisemblable, et plus flattés du merveilleux que frappés du vrai. Ce que nous avons à dire au sujet de la terre sera sans doute moins extraordinaire, et pourra - paraîtrecommun en comparaison des grands sys- tèmes dont nous venons de parler : mais on doit se souvenir qu’un historien est fait pour décrire et non pour inventer, qu’il ne doit se permettre aucune supposition , et qu’il ne peut faire usage de son imagination que pour combiner les ob- servations, généraliser les faits, et en former un ensemble qui présente à l’esprit un ordre métho- dique d'idées claires et de rapports suivis et vrai- semblables : je dis vraisemblables, car il ne faut pas espérer qu’on puisse donner des démon- strations exactes sur cettematière,elles n’ont lieu que dans les sciences mathématiques ; et nos connaissances en physique et en histoire natu- * Whiston. Voyez les preuves de la théorie de laterre, art. II. Burnet. Voyez les preuvesde la théorie delaterre, art. IL. Woodward. Voyez les preuves , art. IV, relle dépendent de l'expérience et se bornent à des inductions. Commençons donc par nous représenter ce que l'expérience de tous les temps et ce que nos propres observations nous apprennent au sujet de la terre. Ce globe immense nous offre, à la surface, des hauteurs, des profondeurs, des plaines , des mers, des marais, des fleuves , des cavernes , des gouffres , des volcans; et à la pre- mière inspection nous ne découvrons en tout cela aucune régularité, aucun ordre. Si nous pénétrons dans son intérieur, nous y trouvons des métaux , des minéraux, des pierres, des bitumes, des sables, des terres, des eaux et des matières de toute espèce, placées comme au hasard et sans aucune règle appa- rente. En examinant avec plus d'attention, nous voyons des montagnes affaissées , des ro- chers fendus et brisés , des contrées englouties, des iles nouvelles, des terrains submergés , des cavernes comblées ; nous trouvons des matières pesantes souvent posées sur des matières légè- res ; des corps durs environnés de substances molles ; des choses sèches , humides , chaudes, froides, solides, friables, toutes mélées et dans une espèce de confusion qui ne nous présente d’autre image que celle d’un amas de débris et d’un monde en ruine. J È Cependant nous habitons ces ruines avec une entière sécurité ; les générations d'hommes, d’a- nimaux, de plantes se succèdent sans interrup- tion : la terre fournit abondamment à leur sub- sistance ; la mer a des limites et des lois, ses mouvements y sont assujettis; l’air a ses cou- rants réglés, les saisons ont leurs retours pério- diques et certains , la verdure n’a jamais man- qué de succéder aux frimas ; tout nous parait être dans l’ordre:la terre qui tout à l’heure n’était qu’un chaos , est un séjour délicieux où règnent le calme et l'harmonie, où tout est animé et con- duit avec une puissance et une intelligence qui nous remplissent d’admiration et nous élèvent jusqu’au Créateur. Ne nous pressons donc pas de prononcer sur l'irrégularité que nous voyons à la surface de la terre , et sur le désordre apparent qui se trouve dans son intérieur : car nous en reconnaitrons bientôt l'utilité et même la nécessité; et, en y faisant plus d’attention, nous y trouverons peut- être un ordre que nous ne soupeonnions pas , et des rapports généraux que nous n’apercevions pas au prèmier coup d'œil. A la vérité , nos con- 64 naissances à cet égard seront toujours bornées : nous ne connaissons point encore la surface en- tière du globe : nous ignorons en partie ce qui se trouve au fond des mers ; il y en a dont nous n'avons pu souder les profondeurs; nous ne pou- vons pénétrer que dans l’écorce de la terre, et les plus grandes cavités , les mines les plus profon- des ne descendent pas à la huit-millième partie de son diamètre. Nous ne pouvons donc juger que de la couche extérieure et presque superfi- cielle ; l’intérieur de la masse nous est entière- ment inconnu. On sait que volume pour volume la terre pèse quatre fois plus que le soleil. On a aussi le rapport de sa pesanteur avec les autres planètes : mais ce n’est qu’une estimation rela- tive ; l'unité de mesure nous manque, le poids réel de la matière nous étant inconnu : en sorte que l'intérieur de la terre pourrait être ou vide ou rempli d’une matière mille fois plus pesante que l'or, et nous n'avons aucun moyen de le re- connaitre ; à peine pouvons-nous former sur cela quelques conjectures raisonnables. Il faut donc nous borner à examiner et à dé- crire la surface de la terre, et la petite épaisseur intérieure dans laquelle nous avons pénétré. La première chose qui se présente , c’est l’immense quantité d’eau qui couvre la plus grande partie du globe. Ces eaux occupent toujours les parties les plus basses ; elles sont aussi toujours de ni- veau , etelles tendent perpétuellement à l’équi- libre et au repos. Cependant nous les voyons agi- tées par une forte puissance , qui, S’opposant à la tranquillité de cet élément , lui imprime un mouvement périodique et réglé, soulève et abaisse alternativement les flots, et fait un ba- lancement de la masse totale des mers en les remuant jusqu'à la plus grande profondeur. Nous savons que ce mouvement est de tous les temps, et qu'il durera autant que la lune et le soleil qui en sont les causes. Considérant ensuite le fond de la mer, nous y remarquons autant d’inégalités que sur la sur- face de la terre ; nous y trouvons des hauteurs, des vallées , des plaines , des profondeurs , des rochers, des terrains de toute espèce : nous voyons que toutes les iles ne sont que les som- mets des vastes montagnes dont le pied et les racines sont couvertes de l’élément liquide; nous y trouvons d’autres sommets de montagnes qui sont presqu'à fleur d’eau. Nous y remar- quons des courants rapides qui semblent se sous- traire au mouvement général : on les voit se HISTOIRE NATURELLE. porter quelquefois constamment dans la même direction , quelquefois rétrograder et ne jamais excéder leurs limites , qui paraissent aussi inva- riables que celles qui bornent les efforts des fleu- ves de la terre. Là sont ces contrées orageuses où les vents en fureur précipitent la tempête, où la mer et le ciel, également agités , se choquent et se confondent : ici sont des mouvements in- testins, des bouillonnements, destrombes, et des agitations extraordinaires causées par des vol- cans dont la bouche submergée vomit le feu du sein des ondes, et pousse jusqu'aux nues une épaisse vapeur mêlée d’eau , de soufre et de bi- tume. Plus loin je vois ces gouffres dont on n’ose approcher, qui semblent attirer les vaisseaux pour les engloutir : au-delà j’apercois ces vastes plaines toujours calmes et tranquilles , mais tout aussi dangereuses, où les vents n’ont jamais exercé leur empire , où l’art du nautonnier de- vient inutile, où il faut rester et périr : enfin, portant les yeux jusqu'aux extrémités du globe, je vois ces glaces énormes qui se détachent des continents des pôles , et viennent, comme des montagnes flottantes , voyager etse fondre jus- que dans lesrégions tempérées. à Voilà les principaux objets que nous offre le vaste empire de la mer : des milliers d'habitants de différentes espèces en peuplent toute l’éten- due ; les uns couverts d’écailles légères en tra- versent avec rapidité les différents pays ; d’au- tres, chargés d’une épaisse coquille, se trainent pesamment et marquent avec lenteur leur route sur le sable; d’autres, à qui la nature a donné des nageoires en forme d’ailes, s’en servent pour s'élever et se soutenir dans les airs ; d’autres en- fin, à qui tout mouvement a été refusé, croissent et vivent attachés aux rochers : tous trouvent dans cet élément leur pâture. Le fond de la mer produit abondamment des plantes , des mousses et des végétations encore plus singulières. Le terrain de la mer est de sable, de gravier, sou- vent de vase, quelquefois de terre ferme , de co- quillages , de rochers, et partout il ressemble à la terre que nous habitons. Voyageons maintenant sur la partie sèche du globe : quelle différence prodigieuse entre les climats ! quelle variété de terrains! quelle inéga- lité de niveau ! Mais observons exactement, et nous reconnaitrons que les grandes chaines de montagnes se trouvent plus voisines de l’équa- teur que les pôles ; que dans l’ancien continent elles s'étendent d’orient en occident beaucoup + w THÉORIE DE LA TERRE. 65 plus que du nord ausud, et que dans le Nouveau- Monde elles s'étendent au contraire du nord au sud beaucoup plus que d’orient en occident : maus ce qu'il y a de très-remarquable , c’est que la forme de ces montagnes et leurs contours, qui paraissent absolument irréguliers, ont cepen- dant des directions suivies et correspondantes entre elles; en sorte que les angles saillants d’une montagne se trouvent toujours opposés aux an- gles rentrants de la montagne voisine, qui en est séparée par un vallon ou par une profon- deur. J'observe aussi que les collines opposées ont toujours à très-peu près la même hauteur , et qu’en général les montagnes occupent le mi- lieu des continents, et partagent, dans la plus grande longueur, les iles, promontoires et les autres terres avancées. Je suis de même la di- rection des plus grands fleuves, et je vois qu’elle est toujours presque perpendiculaire à la côte de la mer dans laquelle ils ont leur embouchure, et que, dans la plus grande partie de leurs cours, ils vont à peu près comme les chaines de mon- tagnes dont ils prennent leur source et leur di- rection. Examinantensuite les rivages de la mer, je trouve qu’elle est ordinairement bordée par des rochers ; des marbres et d’autres pierres dures, ou bien par des terres et des sables qu’elle a elle-même accumulés ou que les fleuves ont amenés, et je remarque que les côtes voisines, et qui ne sont séparées que par un bras ou par un petit trajet de mer, sont composées des mêmes matières, et que les lits de terre sont les mêmes de l’un et de l’autre côté. Je vois que les volcans se trouvent tous dans les hautes mon- tagnes, qu’il y en a un grand nombre dont les feux sont entièrement éteints, que quelques-uns deces volcans ont des correspondances souter- raines, et que leurs explosions se font quelque- fois en même temps. J’aperçois une correspon- dance semblable entre certains lacs et les mers voisines. Ici sont des fleuves et des torrents qui se perdent tout à coup et paraissent se pré- cipiter dans les entrailles de la terre; là est une mer intérieure où se rendent cent rivières qui y portent de toutes parts une énorme quantité d’eau sans jamais augmenter ce lac immense , qui semble rendre par des voies souterraines tout ce qu’il recoit par ses bords. Et, chemin faisant, je reconnais aisément les pays ancien- nement habités, je les distingue de ces contrées nouvelles où le terrain paraît encore tout brut , où les fleuves sont remplis de cataractes , où I. * les terres sont en partie submergées, maréca- geuses ou trop arides, où la distribution des eaux est irrégulière, où des bois incultes cou- vrent toute la surface des terrains qui peuvent produire. Entrant dans un plus grand détail , je vois que la première couche qui enveloppe le globe est partout d’une même substance ; que cette sub- stance, qui sert à faire croître et à nourrir les végétaux et les animaux , n’est elle-même qu’un composé de parties animales et végétales dé- truites, ou plutôt réduites en petites parties , dans lesquelles l’ancienne organisation n’est pas sensible. Pénétrant plus avant, je trouve Ja vraie terre; je vois des couches de sable, de pierres à chaux , d'argile, de coquillages, de marbres, de gravier, de craie, de plâtre, ete., et je remar- que que ces couches sont toujours posées paral- lèlement les unes sur les autres, et que chaque couche a la même épaisseur dans toute son éten- due. Je vois que dans les collines voisines les mêmes matières se trouvent au même niveau, quoique les collines soient séparées par des in- tervalles profonds et considérables. J’observe que, dans tous les lits de terre, et même dans les couches plus solides, comme dans les ro- chers, dans les carrières de marbres et de pier- res, il y a des fentes, que ces fentes sont perpen- diculaires à l’horizon, et que, dans les plus grandes comme dans les plus petites profon- deurs, c’est une espèce de règle que la nature suit constamment. Je vois de plus que, dans l'intérieur de la terre, sur la cime des monts et dans les lieux les plus éloignés de la mer, on trouve des coquilles , des squelettes de pois- sons de mer, des plantes marines, ete., qui sont entièrement semblables aux coquilles , aux poissons, aux plantes actuellement vivants dans la mer, et qui en effet sont absolument les mêmes. Je remarque que ces coquilles pétrifiées sont en prodigieuse quantité, qu’on en trouve dans une infinité d’endroits, qu’elles sont ren- fermées dans l’intérieur des rochers et des au- tres masses de marbre et de pierre dure, aussi bien que dans les craies et dans les terres ; ct que non-seulement elles sont renfermées dans toutes ces matières, mais qu’elles y sont incor- porées, pétrifiées et remplies de la substance même qui les environne. Enfin, je me trouve convaincu, par des observations réitérées, que les marbres, les pierres, les craïes, les marnes, les argiles, les sables et presque toutes les ma- 5 66 tières terrestres, sont remplies de coquilles et d’autres débris de la mer, et cela par toute la terre et dans tous les lieux où l’on a pu faire des observations exactes. Tout cela posé, raisonnons. Les changements qui sont arrivés au globe terrestre depuis deux et même trois mille ans sont fort peu considérables en comparaison des révolutions qui ont dû se faire dans les premiers temps après la création ; car il est aisé de démon- trer que, comme toutes les matières terrestres n’ont acquis de la solidité que par l’action con- tinuée de la gravité et des autres forces qui rap- prochent et réunissent les particules de la ma- tière, la Surface de la terre devait être au com- mencement beaucoup moins solide qu’elle ne l’est devenue"dans la suite, et que par consé- quent les mêmes causes, qui ne produisent au- jourd'hui que des changements presque insen- sibles dans l’espace de plusieurs siècles, devaient ‘auser alors de très-grandes révolutions dans un petit nombre d'années. En effet, il paraît cer- tain que la terre, actuellement sèche et habi- tée, a été autrefois sous les eaux de la mer, et que ces eaux étaient supérieures aux sommets des plus hautes montagnes, puisqu'on trouve sur ces montagnes, et jusque sur leurs sommets, des productions marines et des”coquilles, qui, comparées avec les coquillages vivants, sont les mêmes, etqu’on ne peut douter de leur parfaite ressemblance ni de l'identité de leurs espèces. Il paraît aussi que les eaux de la mer ont sé- journé quelque temps sur cette terre, puisqu'on trouve en plusieurs endroits des bancs de co- quilles si prodigieux et si étendus, qu’il n’est pas possible qu’une aussi grande multitude d’a- nimaux ait été tout à la fois vivante en même temps. Cela semble prouver aussi que, quoique les matières qui composent la surface de la terre fussent alors dans un état de mollesse qui les rendait susceptibles d’être aisément divisées, remuées et transportées par les eaux, ces mou- vements ne se sont pas faits tout à coup, mais successivement et par degrés; et, comme on trouve quelquefois des productions de la mer à mille et douze cents pieds de profondeur, il pa- rait que cette épaisseur de terre ou de pierre etant si considérable, il a fallu des années pour la produire : car, quand on voudrait supposer que dans le déluge universel tous les coquilla- ges eussent été enlevés du fond des mers et transportés sur toutes les parties de la terre, HISTOIRE NATURELLE. outre que cette supposition serait difficile à éta- blir, il est clair que comme on trouve ces coquil- les incorporées et pétrifiées dans les marbres et dans les rochers des plus hautes montagnes , il faudrait done supposer que ces marbres et ces rochers eussent été tous formés en même temps et précisément dans l'instant du déluge, et qu'avant cette grande révolution il n’y avait sur le globe terrestre ni montagnes, ni marbres , ni rochers , ni craies, ni aucune autre matière sem- blable à celles que nous connaissons , qui pres- que toutes contiennent des coquilles et d’autres débris des productions de la mer. D’ailleurs , la surface de la terre devait avoir acquis au temps du déluge un degré considérable de solidité, puisque la gravité avait agi sur les matières qui la composent, pendant plus de seize siècles , et, par conséquent, il ne paraît pas possible que les eaux du déluge aient pu bouleverser les terres à la surface du globe jusqu’à d’aussi grandes pro- fondeurs dans le peu de temps que dura l’inon- dation universelle. Mais, sans insister plus longtempssur cepoint qui sera diseuté dans la suite, je m'en tiendrai maintenant aux observations qui Fe nstan- tes et aux faits qui sont certains. Onne peut douter que les eaux de la mer n’aient séjourné sur la surface de la terre quenous habitons , et que, par conséquent, cettemême surfacedenotre continent n’ait été pendant quelque temps le fond d’une mer, dans laquelle tout se passait comme tout se passe actuellement dans la mer d'aujourd'hui. D'ailleurs, les couches des diffé= rentes matières qui composent la terre étant, comme nous l’avons remarqué , posées parallè- lement et de niveau, il est clair que cette position est l'ouvrage des eaux qui ont amassé et accu- mulé peu à peu ces matières , et leur ont donné la même situation que l’eau prend toujours elle- même, c’est-à-dire cette situation horizontale que nous observons presque partout ; car, dans les plaines les couches sont exactement horizon- tales, etil n’y a que dans les montagnes où elles soient inclinées, comme ayant été formées par des sédiments déposés sur une base inclinée, c’est-à-dire sur un terrain penchant. Or je dis que ces couches ont été formées peu à peu, et non pas tout d’un coup, par quelque révolution que ce soit, parce que nous trouvons souvent des eouches de matière plus pesante , posées sur des couches de matière beaucoup plus légère ; ce qui ne pourrait ètre, si, comme le veulent quel- 4 ques auteurs, toutes ces matières dissoutes et . mêlées en même temps dans l’eau se fussent en- suite précipitées au fond de cet élément, parce qu'alors elles eussent produit une tout autre composition que celle qui existe ; les matières les plus pesantes seraient descendues les pre- mières et au plus bas, et chacune se serait ar- rangée suivant sa gravité spécifique, dans un ordre relatif à leur pesanteur particulière , et nous ne trouverions pas des rochers massifs sur des arènes légères , non plus que des charbons de terre sous des argiles , des glaises sous des marbres ; et des métaux sur des sables. Une chose à laquelle nous devons encore faire attention et qui confirme ce que nous venons dedire sur la formation des couches par lemou- vement et par le sédiment des eaux , c’est que toutes les autres causes de révolution ou de changement sur le globene peuvent produire les mêmes effèts. Les montagnes les plus élevées sont composées de couches parallèles , tout de même que les plaines les plus basses, et, par con- séquent , on ne peut pas attribuer l’origine et la formation des montagnes à des secousses , à des tremblements de terre, non plus qu’à des vol- Cas ; et nous avons des preuves que s’il se forme quelquefois de petites éminences par ces mou- yements convulsifs de la terre, ces éminences nesont omposées de couches parallèles; que les matières de ces éminences n’ont intérieure- mentaucune liaison , aucune position régulière, et qu’enfin ces petites collines formées par les volcans neprésentent aux yeux que le désordre d’un tas de matières rejetées confusément. Mais, wcetteespèce d'organisation de la terre que nous écouvrons partout , cette situation horizontale et parallèle des couches , ne peuvent venir que . d’une cause constante et d’un mouvement réglé et toujours dirigé de la même facon. Nous sommes donc assurés par des observa- tions exactes , réitérées et fondées sur des faits incontestables , que la partie sèche du globe que nous habitons a été longtemps sous les eaux de la mer; par conséquent , cette même terre a éprouvé pendant tout ce temps les mêmes mou- vements , les mêmes changements qu’éprouvent actuellement les terres couvertes par la mer. Il parait que notre terre a été un fond de mer : pour trouver done ce qui s’est passé autrefois sur cette terre , voyons ce qui se passe aujour- d’hui sur le fond de la mer, et de là nous tire- rons des inductions raisonnables sur la forme THÉORIE DE LA TERRE. 67 extérieure et la sitio intérieure des ter- res que nous habitons. Souvenons-nous donc que la mer a de tout temps, et depuis la création, un mouvement de flux et de reflux causé principalement par la lune ; quecemouvement, qui dans vingt-quatre heures fait deux fois élever et baisser les eaux, s'exerce avec plus de force sous l'équateur que dans les autres climats. Souvenons-nous aussi que la terre a un mouvement rapide sur son axe, et par conséquent une force centrifuge plus grande à l'équateur que dans toutes les autres parties du globe; que cela seul, indépendam- ment des observations actuelles et desmesures, nous prouve qu’elle n’est pas parfaitement sphé- rique, mais qu’elle est plus élevée sous l’équa- teur que sous les pôles; et concluons de ces premières observations, que quand même on supposerait que la terre est sortie des mains du Créateur parfaitement ronde en tous sens (sup- position gratuite et qui marquerait bien le cerele étroit de nos idées), son mouvement diurne et celui du flux et du reflux auraient élevé peu à peu les parties de l’équateur, en y amenant suc- cessivement les limons, les terres , les coquil- lages, ete. Ainsi les plus grandes inégalités du globe doivent se trouver et se trouvent en effet voisines de l'équateur ; et, comme ce mouve- ment de flux et de reflux se fait par des alter- natives journalières et répétées sans interrup- tion , ilest fort naturel d'imaginer qu’à chaque fois les eaux emportent d’un endroit à l’autre une petite quantité de matière, laquelle tombe ensuite comme un sédiment au fond de l’eau, et forme ces couches parallèles et horizontales qu’on trouve partout; car, la totalité du mou- vement des eaux dansle flux et le reflux étant horizontale, les matières entrainées ont néces- sairement suivi la même direction, et se sont toutes arrangées parallèlement et de niveau. Mais, dira-t-on, comme le mouvement du flux et du reflux est un balancement égal des eaux, une espèce d’oscillation régulière, on ne voit pas pourquoi tout ne serait pas compensé, et pourquoi les matières apportées par le flux ne seraient pas remportées par lereflux ; et dès lors la cause dela formation des couches dispa- rait , et le fond de la mer doit toujours rester le même, le flux détruisant les effets du reflux, et l’un et l’autre ne pouvant causer aucun mou- vement, aueune altération sensible dans le fond de la mer, et eucore moins en changer la forme 5. 68 primitive en y produisant des hauteurs et des inégalités. A cela je réponds que le balancement des eaux n’est point égal, puisqu'il produit un mouve- ment continuel de la mer de lorient vers l’occi- dent; que de plus l'agitation causée par les vents s'oppose à l'égalité du flux et du reflux, et que de tous les mouvements dont la mer est susceptible, il résultera toujours des transports de terre et des dépôts de matière dans de cer- tains endroits ; que ces amas de matières seront composés de couches parallèles et horizontales , les combinaisons quelconques des mouvements de la mer tendant toujours à remuer les terres et à les mettre deniveau les unes sur les autres dans les lieux où elles tombent en forme de sé- diment. Mais, de plus, il est aisé de répondre à cette objection par un fait : c’est que dans toutes les extrémités de la mer où l’on observe le flux et reflux, dans toutes les côtes qui la bornent, on voit que le flux amène une infinité de choses que le reflux ne remporte pas; qu’il y a des terrains que la mer couvre insensible- ment, et d’autres qu’elle laisse à découvert, après y avoir apporté des terres, des sables, des coquilles, ete. , qu’elle dépose , et qui pren- nent naturellement une situation horizontale ; et que ces matières accumulées par la suite des temps , et élevées jusqu'à un certain point, se trouvent peu à peu hors d'atteinte des eaux, restent ensuite pour toujours dans l’état de terre sèche, et font partie des continents terrestres. Mais, pour ne laisser aucun doute sur ce point important, examinons de près la possibi- lité ou l'impossibilité de la formation d’une montagne dans le fond de la mer par le mouve- ment et par le sédiment des eaux. Personnene peut nier que sur une côte contre laquelle la mer agit avec violence dans le temps qu’elle est agi- tée par le flux, ces efforts réitérés ne produisent quelque changement , et que les eaux n’empor- tent à chaque fois une petite portion de la terre de la côte ; et quand même elle serait bordée de rochers , on sait que l’eau use peu à peu ces ro- chers, etque, par conséquent, elle en emporte de petites parties à chaque fois que la vague se re- tire après s’être brisée. Ces particules de pierre ou de terre seront nécessairement transportées par les eaux jusqu’à une certaine distance et dans de certains endroits où le mouvement de l’eau , se trouvant ralenti, abandonnera ces par- ticules à leur propre pesanteur, et alors elles se HISTOIRE NATURELLE. à précipiteront au fond de l'eau en forme de sédi- ment , et là elles formeront une première couche horizontale ou inclinée, suivant la position de la surface du terrain sur laquelle tombe cette première couche, laquelle sera bientôt couverte et surmontée d'une autre couche semblable et produite par la même cause , et insensiblement il se formera dans cet endroit un dépôt considé- rable de matière , dont les couches seront posées parallèlement les unes sur les autres. Cet amas augmentera toujours par les nouveaux Ssédi- ments que les eaux y transporteront , et peu à peu par succession de temps il se formera une élévation , une montagne dans le fond de la mer, qui sera entièrement semblable aux éminences etaux montagnes que nous connaissons sur la terre; tant pour la composition intérieure que pour la forme extérieure. S'il se trouve des co- quilles dans cet endroit du fond de la mer où nous supposons que se fait notre dépôt , les sé- diments couvriront ces coquilles et les rempli- ront ; elles seront incorporées dans les couches de cette matière déposée , et elles feront partie des masses formées par ces dépôts ; on les y trouvera dans la situation qu’elles auront ac- quise en y tombant, ou dans l’état où elles au- ront été saisies ; car, dans cette opération, celles qui se seront trouvées au fond de la mer lors- que les premières couches se seront déposées , se trouveront dans la couche la plus basse ; et celles qui seront tombées depuis dans ce même endroit se trouveront dans les couches plus élevées. Tout de même , lorsque le fond de la mer sera remué par l’agitation des eaux, il se fera né- cessairement des transports de terre, de vase, de coquilles et d’autres matières dans de certai endroits où elles se déposeront en forme de sé= diment. Or, nous sommes assurés par les plon=" geurs , qu'aux plus grandes profondeurs où ils puissent descendre , qui sont de vingt brasses , le fond de la mer est remué au point que l’eau se mêle avec la terre, qu’elle devient trouble, et que la vase et les coquillages sont emportés par le mouvement des eaux à des distances con- sidérables; par conséquentdanstous les endroits de la mer où l’on a pu descendre, il se fait des transports de terre et de coquilles qui vont tomber quelque part et former, en se déposant , des couches parallèles et des éminences qui sont composées comme nos montagnes le sont. Ainsi, le flux et le reflux, les vents, les courants et 9 4 THÉORIE DE LA TERRE, tous les mouvements des eaux produiront des inégalités dans le fond &e la mer, parce que toutes ces causes détachent du fond et des côtes de la mer des matières qui se précipitent en- suite en forme de sédiments. Au reste, il ne faut pas croire que ces trans- ports de matières ne puissent pas se faire à des distances considérables , puisque nous voyons tous les jours des graines et d’autres produc- tions des Indes orientales et occidentales arri- + sur nos côtes ! : à la vérité, elles sont spé- @iiquement plus légères que l’eau, au lieu que les matières dont nous parlons sont plus pe- santes; mais commeellessontréduites en poudre impalpable, elles se soutiendront assez long- temps dans l’eau pour être transportées à de grandes distances. Ceux qui prétendent que la mer n’est pas re- muée à de grandes profondeurs, ne font pas at- tention que le flux et le reflux ébranlent et agi- tent à la fois toute la masse des mers, et que, dans un globe qui serait entièrement liquide, il y aurait de l'agitation et du mouvement jus- qu’au centre ; que la force qui produit celui du flux et du reflux est une force pénétrante qui agit sur toutes les parties proportionnellement à leurs masses; qu'on pourrait même mesurer et déterminer par le calcul la quantité de cette action sur un liquide à différentes profondeurs; et qu’enfin ce point ne peut être contesté qu’en se refusant à l’évidence du raisonnement et à la certitude des observations. Je puis donc supposer légitimement que le flux et le reflux, les vents et toutes les autres causes qui peuvent agiter la mer, doivent pro- duire, par le mouvement des eaux, des émi- nences et des inégalités dans le fond de la mer, qui seront toujours composées de couches hori- zontales ou également inclinées : ces éminences pourront, avec le temps, augmenter considéra- blement, et devenir des collines qui, dans une longue étendue de terrain, se trouveront, comme les ondes qui les auront produites, dirigées du mème sens, et formeront peu à peu une chaîne de montagnes. Ces hauteurs, une fois formées, feront obstacle à l’uniformité du mouvement des eaux, et il en résultera des mouvements particuliers dans le mouvement général de la mer : entre deux hauteurs voisines, il se * Particulièrement sur les côtes d'Écosse et d'Irlande. Voy. Bay's Dict. ! 69 formera nécessairement un courant qui suivra leur direction commune, et coulera, comme coulent les fleuves de la terre, en formant un canal dont les angles seront alternativement op- posés dans toute l’étendue de son cours. Ces hauteurs, formées au-dessus de la surface du fond, pourront augmenter encore de plus en plus; car les eaux qui n'auront que le mouve- ment du flux déposeront sur la cime le sédi- ment ordinaire, et celles qui obéiront au cou- rant entraineront au loin les parties qui se seraient déposées entre deux, et en même temps elles creuseront un vallon au pied de ces montagnes , dont tous les angles se trouve- ront correspondants , et par l’effet de ces deux mouvements et de ces dépôts, le fond de la mer aura bientôt été sillonné, traversé de collines et de chaines de montagnes, et semé d’inégalités telles que nous les y trouvons aujourd’hui. Peu à peu les matières molles dont les éminences étaient d’abord composées, se seront durcies par leur propre poids : les unes, formées de parties purement argileuses, auront produit ces collines de glaise qu'on trouve en tantd’endroits; d’autres , composées de parties sablonneuses et cristallines, ont fait ces énormes amas de ro- chers et de cailloux d’où l’on tire le cristal et les pierres précieuses ; d’autres, faites de par- ties pierreuses mêlées de coquilles, ont formé ces lits de pierres et de marbres où nous retrou- vons ces coquilles aujourd’hui ; d’autres enfin, composées d’une matière encore plus coquil- leuse et plus terrestre, ont produit les marnes , les craies et les terres. Toutes sont posées par lits , toutes contiennent des substances hétéro- gènes; les débris des productions marines s'y trouvent en abondance et à peu près suivant le rapport de leur pesanteur; les coquilles les plus légères sont dans les craies, les plus pesantes dans les argiles et dans les pierres, et elles sont remplies de la matière même des pierres et des terres où elles sont renfermées; preuve incon- testable qu’elles ont été transportées avec la matière qui les environne et qui les remplit, et que cette matière était réduite en particules im- palpables. Enfin; toutes ces matières, dont la situation s’est établie par le niveau des eaux de la mer, conservent encore aujourd’hui leur première position. On pourra nous dire que la plupart des colli- nes et des montagnes dont le sommet est de ro- cher, de pierre ou de marbre, ont pour base des 70 matières les plus légères ; que ce sont ordinai- rement ou des monticules de glaise ferme et solide, ou des couches de sable qu'on retrouve dans les plaines voisines jusqu’à une distance assez grande, et on nous demandera comment il estarrivé que ces marbres et ces rochers sesoient trouvés au-dessus de ces sables et de ces glai- ses. Il me parait que cela peut s'expliquer assez naturellement : l’eau aura d’abord transporté la glaise ou le sable qui faisait la première cou- che des côtes ou du fond de la mer ; ce qui aura produit au bas une éminence composée de tout ce sable ou de toute cette glaise rassemblée; après cela les matières plus fermes et plus pe- santes qui se seront trouvées au-dessous auront été attaquées et transportées par les eaux en poussière impalpable au-dessus de cette émi- nence de glaise ou de sable, et cette poussière de pierre aura formé les rochers et les carrières que nous trouvons au-dessus des cellines. On peut croire qu’étant les plus pesantes, ces ma- tières étaient autrefois au-dessous des autres , et qu’elles sont aujourd’hui au-dessus , parce qu’elles ont été enlevées et transportées les der- nières par le mouvement des eaux. Pour confirmer ce que nous avons dit, exa- minons encore plus en détail la situation des matières qui composent cette première épaisseur du globe terrestre, la seule que nous connais- sions. Les carrières sont composées de différents lits ou couches presque toutes horizontales ou inclinées suivant la même pente; celles qui po- sent sur des glaises ou sur des bases d’autres matières solides sont sensiblement de niveau , surtout dans les plaines. Les carrières où l'on frouve les cailloux et les grès dispersés ont à la vérité une position moins régulière : cependant Vuniformité de la nature ne laisse pas de s’y reconnaitre ; car la position horizontale ou tou- jours également penchante des couches se trouve dans les carrières de roc vif, et dans celles des grès en grande masse : elle n’est altérée et in- terrompue quedansles carrières decailloux etde gres en petite masse, dont nous ferons voir que la formation est postérieure à celle de toutes les autres matières; car le roc vif , le sable vitrifia- ble, les argiles, les marbres , les pierres cal- cinables, les craies, les marnes, sont toutes disposées par couches parallèles , toujours hori- zontales ou également inclinées. On reconnait aisément dans ces dernières matières la première formation ; car les eouches sont exactement ho- HISTOIRE NATURELLE. « rizontales et fort minces, et elles sont arrangées les unes sur les autres comme les feuillets d’un livre. Les couches de sable, d'argile molle, de glaise dure, de craie, de coquilles , sont aussi toutes ou horizontales ou inclinées suivant la même pente. Les épaisseurs des couches sont toujours les mêmes dans toute leur étendue, qui souvent occupe un espace de plusieurs lieues, et que l’on pourrait suivre bien plus loin si l’on observait exactement. Enfin, toutes | les matières qui composent la première é seur du globe sont disposées de cette faço quelque part qu’on fouille, on trouvera couches, et on se convaincra par ses yeux de la vérité de ce qui vient d’être dit. Il faut excepter , à certains égards, les cou- ches de sable ou de gravier entrainées du som- met des montagnes par la pente des eaux : ces veines de sable se trouvent quelquefois dans les plaines, où elles s'étendent même assez consi- dérablement ; elles sont ordinairement posées sous la première couche de la terre labo le, et, dans les lieux plats, elles sont de niveau comme les couches plus anciennes et plus inté- rieures : mais au pied et sur la croupe des montagnes, ces couches de sable sont fort incli- nées, et elles suivent le penchant de la hauteur sur laquelle elles ont coulé. Les rivières et les ruisseaux ont formé ces couches ; et en chan- geant souvent de lit dans les plaines, ils ont en- trainé et déposé partout ces sables et ces gra- viers. Un petit ruisseau coulant des hauteurs voisines suffit, avec le temps, poux étendre une couche de sable ou de gravier sur toute la su- perficie d’un vallon, quelquespacieux qu’il soit ; et j’ai souvent observé dans une campagne envi- ronnée de collines , dont la base est de glaise aussi bien que la première couche de la plaine, qu'au-dessus d’un ruisseau qui y coule, la glaise se trouve immédiatement sous la terre labou- rable, et qu’au-dessous du ruisseau il y a une épaisseur d’environ un pied de sable sur la glaise, qui s’étend à une distance considérable. Ces couches produites par les rivières et par les autres eaux courantes ne sont pas de l’ancienne formation ; elles se reconnaissent aisément à la différence de leur épaisseur, qui varie et n’est pas la même partout comme celle des couches anciennes , à leurs interruptions fréquentes , et enfin à la matière même, qu’il estaisé de juger, et qu’on reconnait avoir été lavée, roulée et ar- rondie. On peut dire la même chose des couches THÉORIE DE LA TERRE. de tourbes et de végétaux pourris qui se trou- vent au-dessous de la première couche de terre dans les terrains marécageux : ces couches ne sont pas anciennes ; et elles ont: été produites par l'entassement successif des arbres et des plantes qui peu à peu ont comblé ces marais. Il en est encore de même de ces couches limo- neuses que l’inondation des fleuves a produites dans différents pays : tous ces terrains ont été nouvellement formés par les eaux courantes ou - stagnantes , et ils ne suivent pas la pente égale ou le niveau aussi exactement que les couches anciennement produites par le mouvement ré- gulier des ondes de la mer. Dans les couches quilles fluviatiles, mais il y en a peu de marines: etle peu qu’on y en trouve est brisé, déplacé, isolé, au lieu que dans les couches anciennes les coquilles marines se trouvent en quantité ; il n’y en a point de fluviatiles , et ces coquilles: de mer y sont bien conservées et toutes placées de la même manière, comme ayant été transportées et posées en mème temps par la même cause. Et en effet , pourquoi ne trouve-t-on pas les ma- | tières entassées irrégulièrement , au lieu de les trouver par couches? Pourquoi les marbres, les pierres dures, les craies , les argiles, les plâtres, les marnes , etc. , ne sont-ils pas dispersés ou joints par couches irrégulières ou verticales ? Pourquoi les choses pesantes ne sont-elles pas toujours au-dessous des plus légères ? Il est aisé d’apercevoir que cette uniformité de la nature , cette espèce d'organisation de la terre, cette jonction des différentes matières par couches parallèles et par lits, sans égard à leur pesan- teur, n’ont pu être produites que par une cause aussi puissante et aussi constante que celle de l'agitation des eaux de la mer, soit par le mou- vement réglé des vents , soit par celui du flux et du reflux , ete. Ces causes agissent avec plus de force sous l'équateur que dans les autres climats, car les vents y sont plus constants et les marées plus violentes que partout ailleurs : aussi les plus grandes chaînes de montagnes sont voisines de Véquateur. Les montagnes de l'Afrique et du Pérou sont les plus hautes qu’on connaisse ; et, après avoir traversé des continents entiers , elles s'étendent encore à des distances très-considé- rables sous les eaux de la mer Océane. Les mon- tagnes de l’Europe et de l'Asie , qui s’étendent depuis l'Espagne jusqu’à la Chine , ne sont pas que les rivières ont formées , on trouve des co- | | 1 71 aussi élevées que celles de l'Amérique méridio- pale et de l'Afrique. Les montagnes du Nord ne sont, au rapport des voyageurs, que des collines, en comparaison de celles des pays méridionaux. D'ailleurs le nombre des iles est fort peu considérable dans les mers septentrio- nales , tandis qu’il y en a une quantité prodi- gieuse dans la zone torride ; et, comme une ile n'est qu'un sommet de montagne , il est clair que la surface de la terre a beaucoup plus d’i- négalités vers l'équateur que vers le nord. Le mouvement général du flux et du reflux a done produit les plus grandes montagnes qui se trouvent dirigées d’occident en orient dans l’ancien continent, et du nord au sud dans le nouveau , dont les chaines sont d’une étendue très-considérable ; mais il faut attribuer aux mouvements particuliers des courants, des vents et des autres agitations irrégulières de la mer Porigine de toutes les autres montagnes. Elles ont vraisemblablement été produites par la com- binaison de tous ces mouvements, dont on voit bien que les effets doivent êtres variés à l'infini , puisque les vents, la position différente des iles et des côtes, ont altéré de tous les temps et dans tous les sens possibles la direction du flux et du reflux des eaux. Ainsi il n’est point éton- nant qu’on trouve sur le globe des éminences considérables dont le cours est dirigé vers dif- férentes plages : il suffit pour notre objet da- voir démontré que les montagnes n’ont point été placées au hasard , et qu’elles n’ont point été produites par des tremblements de terre ou par d’autres causes accidentelles , mais qu’elles sont un effet résultant de l'ordre général de la nature , aussi bien que l’espèce d'organisation qui leur est propre, et la position des matières qui les composent. Mais comment est-il arrivé que cette terre que nous habitons , que nos ancêtres ont habi- tée comme nous , qui, de temps immémorial , est un continent sec, ferme et éloigné des mers, ayant été autrefois un fond de mer , soit actuel- lement supérieure à toutes les eaux , et en soit si distinctement séparée ? Pourquoi les eaux de la mer n’ont-elles pas resté sur cette terre, puisqu’elles y ont séjourné si-long temps ? Quel accident, quelle cause a pu produire ce chan- gement dans le globe? Est-il même possible d’en concevoir une assez puissante pour opérer un tel effet ? Ces questions sont difficiles à résoudre ; mais 72 HISTOIRE NATURELLE. les faits étant certains , la manière dontils sont arrivés peut demeurer inconnue sans préjudicier au jugement que nous devons en porter : cepen- dant , si nous voulons y réfléchir , nous trouve- rons par induction des raisons très-plausibles de ces changements. Nous voyons tous les jours la mer gagner du terrain dans de certai- nes côtes, et en perdre dans d’autres ; nous sa- vons que l'Océan a un mouvement général et continuel d’orient en occident ; nous entendons de loin les efforts terribles que la mer fait con- tre les basses terres et contre les rochers qui la bornent; nous connaissons des provinces en- tières où on est obligé de lui opposer des digues que l’industrie humaine a bien de la peine à soutenir contre la fureur des flots ; nous avons des exemples de pays récemment submergés et de débordements réguliers ; l’histoire nous parle d’inondations encore plus grandes et de délu- ges : tout cela ne doit-il pas nous porter à croire qu'il est en effet arrivé de grandes révolutions sur la surface de la terre, et que la mer a pu quitter et laisser à découvert la plus grande partie des terres qu’elle occupait autrefois ? Par exemple , si nous nous prêtons un instant à sup- poser que l’ancien et le nouveau monde ne fai- saient autrefois qu'un seul continent, et que, par un violent tremblement de terre , le terrain de l’ancienne Atlantique de Platon se soit af- faissé , la mer aura nécessairement coulé de tous côtés pour former l'océan Atlantique, et par conséquent aura laissé à découvert de vastes continents qui sont peut-être ceux que nous habitons. Ce changement a donc pu se faire tout à coup par l’affaissement de quelque vaste caverne dans l’intérieur du globe , et produire par conséquent un déluge universel, ou bien ce changement ne s’est pas fait tout à coup , etila fallu peut-être beaucoup de temps : mais enfin il s’est fait , et je crois même qu'il s’est fait na- turellement ; car, pour juger de ce qui est ar- rivé et même de ce qui arrivera , nous n’avons qu’à examiner ce qui arrive. Il est certain, par les observations réitérées de tous les voyageurs, que l'Océan a un mouvement constant d’orient en occident : ce mouvement se fait sentir non- seulement entre les tropiques , comme celui du vent d'est, mais encore dans toute l'étendue des zones tempérées et froides où l’on a navigué. Il suit de cette observation , qui est constante , que la mer Pacifique fait un effort continuel contre les côtes de la Tartarie, de la Chine et de l'Inde; que l’océan Indien fäit effort contre Ja côte orientale de l'Afrique, et que l’océan At- lantique agit de même contre toutes les côtes orientales de l'Amérique : ainsi la mer a dù et doit toujours gagner du terrain sur les côtes orientales , et en perdre sur les côtes occiden- tales. Cela seul suflirait pour prouver la possi- bilité de ce changement de terre en mer et de mer en terre ; et si en effet il s'est opéré par ce mouvement des eaux d’orient en occident, comme il y a grande apparence, ne peut-on pas conjecturer très-vraisemblablement que le pays le plus ancien du monde est l'Asie et tout le continent oriental? que l’Europe, au con- traire, et une partie de l'Afrique , et surtout les côtes occidentales de ces continents, comme l'Angleterre , la France , l'Espagne, la Maurita- nie, ete., sont des terres plus nouvelles ? L’his- toire parait s’accorder ici avec la physique, et confirmer cette conjecture, qui n’est pas sans fondement. Mais il y a bien d’autres causes qui concou- rent, avec le mouvement continuel de la mer d’orient en occident, pour produire l'effet dont nous parlons. Combien n’y a-t-il pas de terres plus basses que le niveau de la mer, et qui ne sont défendues que par un isthme, un banc de rochers , ou par des digues encore plus faibles ! L’effort des eaux détruira peu à peu ces bar- rières, et dès lors ces pays seront submergés. De plus, ne sait-on pas que les montagnes s’abais- sent continuellement par les pluies qui en déta- chent les terres et les entrainent dans les val- lées? Ne sait-on pas que les ruisseaux roulent les terres des plaines et des montagnes dans les fleuves, qui portent à leur tour cette terre su- perflue dans la mer? Ainsi peu à peu le fond des mers se remplit, la surface des continents s’abaisse et se met deniveau, et il ne faut que du temps pour que la mer prenne successivement la place de la terre. Je ne parle point de ces causes éloignées qu’on prévoit moins qu’on ne les devine; de ces se- cousses de la nature, dont le moindre effet serait la catastrophe du monde: le choc ou l’approche d’une comète, l'absence de la lune, la présence d’une nouvelle planète, etc., sont des supposi- tions sur lesquelles il est aisé de donner carrière à son imagination; de pareilles causes produi- sent tout ce qu’on veut, et d’une seule de ces hypothèses on va tirer mille romans physiques , que leurs auteurs, appelleront Théorie de la « THÉORIE DE terre. Comme historien, nous nous refusons à ces vaines spéculations ; elles roulent sur des possibilités qui, pour se réduire à l’acte, suppo- sent un bouleversement de l’univers, dans lequel notre globe, comme un point de matière aban- donnée, échappe à nos yeux, et n’est plus un objet digne de nos regards: pour les fixer, il faut le prendre tel qu’il est, en bien observer toutes les parties, et, pour les inductions , con- clure du présent au passé. D'ailleurs , des cau- ses dont l'effet est rare, violent et subit , ne doivent pas nous toucher ; elles ne se trouvent pas dans la marche ordinaire de la nature , mais des effets qui arrivent tous les jours, des mouve- mentsquise succèdent et se renouvellent sans in- terruption, des opérations constantes et toujours réitérées, ce sont là nos causes et nos raisons. Ajoutons-y des exemples, combinons la cause générale avec les causes particulières, et don- nons des faits dont le détail rendra sensibles les différents changements qui sont arrivés sur le globe , soit par l’irruption de l’Océan dans les terres, soit par l’abandon de ces mêmes terres, lorsqu'elles se sont trouvées trop élevées. La plus grande irruption de l'Océan dans les terres est celle qui a produit la mer Méditerra- née. Entre deux promontoires avancés, l'Océan coule avec une très-grande rapidité par un pas- sage étroit, et forme ensuite une vaste mer qui couvre un espace, lequel, sans y comprendre la mer Noire, est environ sept fois grand comme la France. Ce mouvement de l'Océan par le dé- troitde Gibraltar est contraire à tous les autres mouvements de la mer, dans tous les détroits qui joignent l'Océan à l’Océan ; car le mouve- ment général de la mer est d’orient en occident, et celui-ci seul est d’occident en orient ; ce qui prouve que la mer Méditerranée n’est point un golfe ancien de l'Océan, mais qu’elle a été for- méepar une irruption des eaux, produite par quelques causes accidentelles, comme serait un tremblement de terre, lequel aurait affaissé les terres à l’endroit du détroit , ou un violent ef- fort de l'Océan , causé par les vents, qui aurait rompu la digue entre les promontoires de Gi- braltar et de Ceuta. Cette opinion est appuyée du témoignage des anciens, qui ont écrit que la mer Méditerranée n’existait point autrefois ; et elle est, comme on voit, confirmée par l’his- toire naturelle et par les observations qu’on a faites sur la nature des terres à la côte d’Afri- que et à celle d’Espagne, où l’on trouve les LA TERRE. 75 mêmes lits de pierres , les mêmes couches de terre en-decà et au-delà du détroit, à peu près comme dans de certaines vallées où les deux collines qui les surmontent se trouvent êtrecom- posées des mêmes matières et au même niveau. L'Océan s'étant donc ouvert cette porte, a d’abord coulé par le détroit avec une rapidité beaucoup plus grande qu'il ne coule aujour- d'hui, et il a inondé le continent qui joignait l'Europe à l'Afrique ; les eaux ont couvert toutes les basses terres dont nous n’apercevons aujour- d’hai que les éminences et les sommets dans l'Italie et dans les îles de Sicile, de Malte, de Corse , de Sardaigne, de Chypre, de Rhodes, et de l’Archipel. Je n’ai pas compris la mer Noire dans cette irruption de l'Océan, parce qu'il parait que la quantité d’eau qu’elle recoit du Danube, du Niéper, du Don, et de plusieurs autres fleuves qui y entrent, est plus que suffisante pour la former, et que d’ailleurs elle coule avec une très-grande rapidité par le Bosphore dans la mer Méditerranée. On pourrait même présumer que la mer Noire et la mer Caspienne ne fai- saient autrefois que deux grands lacs, qui peut- être étaient joints par un détroit de communica- tion, ou bien par un marais où un petit lac qui réunissait les eaux du Don et du Volga auprès de Tria , où ces deux fleuves sont fort voisins Pun de l’autre; et l’on peut croire que ces deux mers ou ces deux lacs étaient autrefois d’une bien plus grande étendue qu'ils ne sont aujour- d’'hui : peu à peu ces grands fleuves, qui ont leurs embouchures dans la mer Noire et dans la mer Caspienne, auront amené une assez grande quantité de terre pour fermer la communica- tion, remplir le détroit et séparer ces deux lacs ; car on sait qu'avec le temps les grands fleuves remplissent les mers et forment des continents nouveaux , Comme la province de l'embouchure du fleuve Jaune à la Chine, la Louisiane à l’em- bouchure du Mississipi, et la partie septentrio- nale de l'Égypte, qui doit son origine et son existence aux inondations du Nil. La rapidité de ce fleuve entraine les terres de l’intérieur de l'Afrique, et il les dépose ensuite dans ses dé- bordements en si grande quantité, qu’on peut fouiller jusqu’à cinquante pieds dans l'épaisseur de ce limon déposé par les inondations du Nil ; de même les terrains de la province de la ri- vière Jaune et de la Louisiane ne se sont formés que par le limon des fleuves. + 74 HISTOIRE NATURELLE. Au reste, la mer Caspienne est actuellement un vrai lac qui n’a aucune communication avec les autres mers, pas même avec le lac Aral, qui parait en avoir fait partie, et qui men est sé- paré que par un vaste pays de sable dans lequel on ne trouve ni fleuves, ni rivières, ni aucun canal par lequel la mer Caspienne puisse verser ses eaux. Cette mer n’a done aucune communi- cation extérieure avec les autres mers, et je ne sais si l’on est bien fondé à soupconner qu’elle en à d’intérieure avec la mer Noire ou avec le golfe Persique. Il est vrai que la mer Caspienne reçoit le Volga et plusieurs autres fleuves qui semblent lui fournir plus d’eau que l’évaporation n’en peut enlever : mais , indépendamment de la difficulté de cette estimation, il parait que, si elle avait communication avec l’une ou l’au- tre de ces mers, on y aurait reconnu un cou- rant rapide et constant qui entrainerait tout vers cette ouverture qui servirait de décharge à ses eaux, et je ne sache pas qu’on ait jamais rien observé de semblable sur cette mer; des voyageurs exacts, sur le témoignage desquels on peut compter, nous assurent le contraire, et par conséquent il est nécessaire que l’évapora- tion enlève de la mer Caspienne une quantité d’eau égale à celle qu’elle recoit. On pourrait encore conjecturer avec quelque vraisemblance, que la mer Noire sera un jour séparée de la Méditerranée, et que le Bosphore se remplira lorsque les grands fleuves, qui ont leurs embouchures dans le Pont-Euxin , auront amené une assez grande quantité de terre pour fermer le détroit; ce qui peut arriver avec le temps, et par la diminution successive des fleuves, dont la quantité des eaux diminue à mesure que les montagnes et les pays élevés, dont ils tirent leurs sources, s’abaissent par le dépouillement des terres que les pluies entrai- nent et que les vents enlèvent. La mer Caspienne et la mer Noire doivent donc être regardées plutôt comme des lacs que comme des mers ou des golfes de l'Océan; car elles ressemblent à d’autres lacs qui reçoiventun grand nombre de fleuves et qui ne rendent rien par les voies extérieures, comme la mer Morte, plusieurs lacs en Afrique, ete. D’ailleursles eaux de ces deux mers ne sont pas à beaucoup près aussi salées que celles de la Méditerranée ou de Océan, et tous les voyageurs assurent que la navigation est très-difficile sur la mer Noire et sur la mer Caspienne, à cause de leur peu de profondeur et de la quantité d’écueils et de bas- fonds qui s’y rencontrent, en sorte qu’elles ne peuvent porter que de petits vaisseaux , ce qui prouve encore qu’elles ne doivent pas être regar- dées comme des golfes de l'Océan, mais comme des amas d’eau formés par les grands fleuves - dans l’intérieur des terres. Il arriverait peut-être une irruption considé- rable de l'Océan dans les terres, si on coupait l'isthme qui sépare l'Afrique de l'Asie, comme les rois d'Egypte, et depuis les califes, en onteu le projet : et je ne sais si le canal de communi- cation qu’on a prétendu reconnaître entre ces deux mers est assez bien constaté; car la mer Rouge doit être plus élevée que la mer Méditer- ranée ; cette mer étroite est un bras de l'Océan qui dans toute son étendue ne recoit aucun fleuve du côté de l'Égypte, et fort peu de l’autre côté : elle ne sera done pas sujette à diminuer comme les mers ou les lacs qui recoivent en même temps les terres et les eaux que les fleu- ves y amènent, et qui se remplissent peu à peu. L'Océan fournit à la mer Rouge toutes ses eaux, et le mouvement du flux et du reflux y est extrèmement sensible : ainsi elle participe immédiatement aux grands mouvements de l'Océan. Mais la mer Méditerranée est plus basse que l'Océan, puisque les eaux y coulent avec une très-grande rapidité par le détroit de Gi- braltar : d’ailleurs elle reçoit le Nil qui coule parallèlement à la côte occidentale de la mer Rouge et qui traverse l'Égypte dans toute sa longueur, dont le terrain est par lui-même ex- trèmement bas : ainsi il est très-vraisemblable que la mer Rouge est plus élevée que la Mé- diterranée , et que , si on ôtait la barrière , en coupant l’isthme de Suez, il s’ensuivrait une grande inondation et une augmentation consi- dérable de la mer Méditerranée, à moins qu’on ne retintles eaux par des digues et des écluses de distance en distance, comme il est à présu- mer qu’on l’a fait autrefois , si l’ancien canal de communication a existé. Mais, sans nous arrêter plus longtemps à des conjectures qui , quoiqué fondées , pourraient paraître trop hasardées, surtout à ceux qui ne jugent des possibilités que par les événements actuels, nous pouvons donner des exemples ré- cents et des faits certains sur le changement de mer en terre ! et de terre en mer. À Venise, le * Voyez les preuves art. XIX. THÉORIE DE LA TERRE. fond de la mer Adriatique s'élève tous les jours, et il y a déjà longtemps que les lagunes et la ville feraient partie du continent, si on n'avait pas un très-grand soin de nettoyer et vider les canaux ; il en est de même de la plupart des ports, des petites baies et des embouchures de toutes les rivières. En Hollande, le fond de la mer s'élève aussi en plusieurs endroits, car le petit golfe de Zuyderzée et le détroit du Texel ne peuvent plus recevoir de vaisseaux aussi grands qu'autrefois. On trouve à l'embouchure de presque tous lesfleuves, desiles, des sables, des terresamoncelées et amenées par les eaux, et il n’est pas douteux que la mer ne se rem- plisse dans tous les endroits où elle reçoit de grandes rivières. Le Rhin se perd dans les sables qu'il a lui-même accumulés. Le Danube, le Nil et tous les grands fleuves, ayant entrainé beau- coup de terrain, n'arrivent plus à la mer par un seul canal ; mais ils ont plusieurs bouches, dont les intervalles ne sont remplis qué des sables ou du limon qu’ils ont charriés. Tous les jours on dessèche des marais, on cultive des terres aban- données par la mer, on navigue sur des pays submergés ; enfin, nous voyons sous nos yeux d’assez grands changements de terres en eau et d’eau en terres, pour être assurés que ces chan- gements se sont faits , se font et se feront ; en sorte qu'avec le temps les golfes deviendront des continents, les isthmes seront un jour des détroits, les marais deviendront des terres arides , et les sommets de nos montagnes les écueils de la mer. . Les eaux ont done couvert et peuvent encore couvrir successivement toutes les parties des continents terrestres , et dès lors on doit cesser d’être étonné de trouver partout des productions marines et une composition dans l’intérieur qui ne peut être que l’ouvrage des eaux. Nous avons vu comment se sont formées les couches hori- zontales de la terre; mais nous n’avons encore rien dit des fentes perpendiculaires qu’on re- marque dans les rochers, dans les carrières , dans les argiles , ete., et qui se trouvent aussi généralement que les couches horizontales dans toutes les matières qui composent le globe. Ces fentes perpendiculaires sont à la vérité beau- coup plus éloignées les unes des autres que les couches horizontales ; et plus les matières sont molles , plus ces fentes paraissent être éloignées les unes des autres. Il est fort ordinaire, dans les carrières de marbre ou de pierre dure, de "75 trouver les fentes perpendiculaires éloignées seulement de quelques pieds : si la masse des rochers est fort grande, on les trouve éloignées de quelques toises ; quelquefois elles descendent depuis le sommet des rochers jusqu’à leur base; souvent elles se terminent à un lit inférieur du rocher, mais elles sont toujours perpendiculai- res aux couches horizontales dans toutes les ma- tières calcinables, comme lescraies,lesmarnes, les pierres, les marbres, etc. ; au lieu qu’elles sont plus obliques et plus irrégulièrement posées dans les matières vitrifiables, dans les carrières de grès et les rochers de caillou, où elles sont intérieurement garnies de pointes de cristal et de minéraux de toute espèce; et dans les car- rières de marbre ou de pierre calcinable, elles sont remplies de spar, de gypse, de gravier et d’un sable terreux, qui est bon pour bâtir et qui contient beaucoup de chaux : dans les argiles, dans les eraies, dans les marnes et dans toutes les autres espèces de terres , à l'exception des tufs, on trouve ces fentes perpendiculaires, ou vides, ou remplies de quelques matières que l’eau y a conduites. 11 me semble qu’on ne doitpas aller chercher loin la cause et l’origine de ces fentes perpendi- culaires : comme toutes les matières ont été amenées et déposées par les eaux, il est naturel de penser qu’elles étaient détrempées et qu’elles contenaient d’abord une grande quantité d’eau ; peu à peu elles se sont durcies et ressuyées, et en se desséchant elles ont diminué de volume, ce qui les a fait fendre de distance en distanee : elles ontdüse fendreperpendiculairement, parce que l’action dela pesanteur des parties les unes sur les autres est nulle dans cette direction, et qu’au contraire elle est tout à fait opposée à cette disruption dans la situation horizontale, ce qui a fait que la diminution de volume n’a pu avoir d’effet sensiblequedansladirection vérita- ble. Je dis que c’est la diminutiondevolume par le desséchement qui seule a produit ces fentes perpendiculaires, et que ce n’est pas l’eau con- tenue dans l’intérieur de ces matières qui a cher- ché des issues et qui a formé les fentes; car j’ai souvent observé que ces deux parois de ces fen- tes se répondent dans toute leur hauteur aussi exactement que deux morceaux de bois qu'on viendrait de fendre : leur intérieur est rude etne parait pas avoir essuyé le frottement des eaux qui auraient à la longue poli et usé les surfaces ; ainsi ces fentes se sont faites ou tout à coup, ou 76. peu à peu par le desséchement, comme nous voyons les gerçures se faire dans les bois, et la plus grande partie de l’eau s’est évaporée par les pores. Mais nous ferons voir dans notre dis- cours sur les minéraux, qu'il reste encore de cette eau primitive dans les pierres et dans plusieurs autres matières, et qu’elle sert à la production des cristaux, des minéraux et de plusieurs autres substances terrestres. L'ouverture de ces fentes perpendiculaires varie beaucoup pour la grandeur : quelques-unes n’ont qu'un demi-pouce, un pouce; d’autres ont un pied, deux pieds; il y en a qui ont quelque- fois plusieurs toises, et ces dernières forment entre les deux parties du rocher ces précipices qu’on rencontre si souvent dans les Alpes etdans toutes les hautes montagnes. On voit bien que celles dont l'ouverture est petite ont été produi- tes par le seul desséchement : mais celles qui présentent une ouverture de quelques pieds de largeur ne se sont pas augmentées à ce point par cette seule cause ; c'est aussi parce que la base qui porte le rocher ou les terres supérieures s'est affaissée un peu plus d’un côté que de l’au- tre, et un petit affaissement dans la base, par exemple, d’une ligne ou deux, suffit pour pro- duire dans une hauteur considérable des ouver- tures de plusieurs pieds, et même de plusieurs toises : quelquefois aussi les rochers coulent un peu sur teur base de glaise ou de sable, et les fentes perpendiculaires deviennent plus grandes par ce mouvement. Je ne parle pas encore de ces larges ouvertures, de ces énormes coupures qu'on trouve dans les rochers et dans les mon- tagnes; elles ont été produites par de grands affaissements, comme serait celui d’une caverne intérieure qui, ne pouvant plus soutenir le poids dont elle est chargée , s’affaisse et laisse un in- tervalle considérableentrelesterres supérieures. Ces intervalles sont différents des fentes perpen- diculaires ; ils paraissent être des portes ouver- tes par les mains de la nature pour la commu- nication des nations. C’est de cette facon que se présentent les portes qu’on trouve dans les chai- nes de montagnes et les ouvertures des détroits de la mer, comme les Thermopyles, les portes du Caucase, des Cordilières, ete., la porte dudé- troit de Gibraltar entreles monts Calpéet Abyla, la porte de l’Hellespont, ete. Ces ouvertures n'ont point été formées par la simple séparation des matières, comme les fentes dont nous ve- nons de parler, mais par l’affaissement et la t. HISTOIRE NATURELLE, destruction d’une partie même des terres, qui a été engloutie ou renversée. Ces grands affaissements, quoique produits par des causes accidentelles et secondaires, ne laissent pas que de tenir une des premières pla- ces entre les principaux faits de l’histoire de la terre, et ils n’ont pas peu contribué à changer la face du globe. La plupart sont causés par des feux intérieurs , dont l’explosion faitles tremble- ments de terre et les volcans : rien n’est com- parable à la force de ces matières enflammées et resserrées dans le sein de la terre; on a vu des villes entières englouties, des provinces boule- versées, des montagnes renversées par leur effort. Mais, quelque grande que soit cette vio- lence , et quelque prodigieux que nous en parais- sent les effets, il ne faut pas croire que ces feux viennent d’un feu central, comme quelques au- teurs l’ont écrit, niméme qu'ils viennent d’une grande profondeur, comme c’est l'opinion com- mune; car l’air est absolument nécessaire à leur embrasement, au moins pour l’entretenir. On peut s'assurer, en examinant les matières qui sortent des volcans dans les plus violentes érup- tions, que le foyer de ia matière enflammée n’est pas à une grande profondeur, et que ce’ sont des matières semblables à celles qu’on trouve sur la croupe de la montagne, qui ne sont défigurées que par la calcination et la fonte des parties métalliques qui y sont mêlées; et, pour se convaincre que ces matières jetées par les volcans ne viennent pas d’une grande profon- deur, il n’y a qu’à faire attention à la hauteur de la montagne et juger de la force immense qui serait nécessaire pour pousser des pierres et des minéraux à unedemi-lieuedehauteur ; car l'Etna , l'Hécla, et plusieurs autres volcans, ont au moins cette élévation au-dessus des plaines. Or, on sait que l’action du feu se fait en tout sens : elle ne pourrait donc pas s'exercer en haut avec une force capable de lancer de gros- ses pierres à une demi-lieue en hauteur, sans réagir avec la même force en bas et vers les côtés; cette réaction aurait bientôt détruit et percé la montagne de tous côtés, parce que les matières qui la composent ne sont pas plus du- res que celles qui sont lancées : et comment imaginer que la cavité qui sert de tuyau ou de ‘anon pour conduire ces matières jusqu’à l’em- bouchure du volcan, puisse résister à une si grande violence? D'ailleurs si cette cavité des- cendait fort bas , comme l’orifice extérieur n'est #“ THÉORIE DE LA TERRE. 77 pas fort grand, il serait comme impossible qu’il en sortit à la fois une aussi grande quantité de matières enflammées et liquides, parce qu'elles se choqueraient entre elles et contre les parois du tuyau, et qu’en parcourant un espace aussi long, elles s’éteindraient et se durciraient. On voit souvent couler du sommet du volcan dans les plaines des ruisseaux de bitume et de soufre fondu qui viennent de l’intérieur, et qui sont jetés au dehors avec les pierres etles minéraux. Est-ilnaturel d'imaginer que des matières si peu solides , et dont la masse donne si peu de prise à une violenteaction, puissent être lancées d’une grande profondeur? Toutes les observations qu'on fera sur ce sujet prouveront que le feu des volcans n’est pas éloigné du sommet de la montagne ; et qu’il s’en faut bien qu'il descende au niveau des a d Cela n'empêche pas cependant que son action ne se fasse sentir dans ces plaines par des secous- ses et des tremblements de terre qui s'étendent quelquefois à une très-grande distance, qu’il ne puisse y avoir de voies souterraines par où la flamme et la fumée peuvent se communiquer d’un volcan à un autre, et que dans ce cas ils ne puissent agir et s’enflammer presque en même temps. Mais c’est du foyer de l’embrase- ment.que nous parlons : il ne peut être qu’à une petite distance de la bouche du volcan, et il n’est pas nécessaire pour produire un tremble- ment de terre dans la plaine, que ce foyer soit au-dessous du niveau de la plaine, ni qu'il y ait des cavités intérieures remplies du même feu ; car une violente explosion, telle qu’est celle d’un volcan, peut, comme celle d’un magasin à poudre, donner une secousse assez violente pour qu’elle produise par sa réaction un tremblement de terre. Je ne prétends pas dire pour cela qu’il n’y ait des tremblements de terre produits immédiate- ment par des feux souterrains; mais il y en a qui viennent de la seule explosion des volcans. Ce qui confirme tout ce que je viens d’avancer à ce sujet , c’est qu'il est très-rare de trouver des volcans dans les plaines; ilssontau contraire tous dans les plus hautes montagnes, et ils ont tous leurs bouches au sommet : si le feu intérieur qui les consume s’étendait jusque dessous les plaines, ne le verrait-on pas, dans le temps de ces violentes éruptions , s'échapper et s’ouvrir un passage au travers du terrain des plaines? et dans le temps de la première éruption, ces feux Wauraient-ils pas plutôt percé dans les plaines et au pied des montagnes, où ils n'auraient trouvé qu’une faible résistance, en comparai- son de celle qu’ils ont dù éprouver, s’il est vrai qu’ils aient ouvert et fendu une montagne d’une demi-lieue de hauteur pour trouver une issue ? Ce qui fait que les volcans sont toujours dans les montagnes , c’est que les minéraux , les py- rytes et les soufres se trouvent en plus grands quantité et plus à découvert dans les monta- gnes que dans les plaines , et que ces lieux éle- vés recevant plus aisément et en plus grande abondance les pluies et les autres impres- sions de l'air, ces matières minérales , qui y sont exposées, se mettent en fermentation et s’échauffent jusqu'au point de s’enflam- mer. Enfin , on a souvent observé qu'après de vio- lentes éruptions pendant lesquelles le volcan rejette une très-grande quantité de matières , le sommet de la montagne s’affaisse et diminue à peu près de la même quantité qu’il serait né- cessaire qu'ildiminuätpour fournir les matières rejetées; autre preuve qu’elles ne viennent pas de la profondeur intérieure du pied de la mon- tagne , mais de la partie voisine du sommet , et du sommet même. Les tremblements de terre ont done produit dans plusieurs endroits des affaissements consi- dérables , et ont fait quelques-unes des grandes séparations qu’on trouve dans les chaines des montagnes : toutes les autres ont été produites, en même temps que les montagnes mêmes , par le mouvement des courants de la mer ; et par- tout où il n’y a pas eu de bouleversements , on trouve les couches horizontales et les angles correspondants des montagnes. Les volcans ont aussi formé des cavernes et des excavations souterraines qu'il est aisé de distinguer de celles qui ont été formées par les eaux, qui, ayant entrainé de l’intérieur des montagnes les sables et les autres matières divisées , n’ont laissé que les pierres et les rochers qui contenaient ces sa- bles , et ont ainsi formé les cavernes que l’on remarque dans les lieux élevés ; car celles qu’on trouve dans les plaines ne sont ordinairement que des carrières anciennes ou des mines de sel et d’autres minéraux, comme la carrière de Mas- tricht et les mines de Pologne, ete., qui sont dans des plaines. Mais les cavernes naturelles appar- tiennent aux montagnes , et elles recoivent les 78 eaux du sommet et des environs , qui y tombent comme dans des réservoirs , d’où elles coulent ensuite sur la surface de la terre lorsqu’elles trouvent une issue. C’est à ces cavités que l’on doit attribuer l’origine des fontaines abondantes et des grosses sources ; et, lorsqu'une caverne s’affaisse et se comble , il s'ensuit ordinairement une inondation. On voit par tout ce que nous venons de dire combien les feux souterrains contribuent à chan- ger la surface et l’intérieur du globe. Cette cause est assez puissante pour produire d'aussi grands effets : mais on ne croirait pas que les vents pussent causer des altérations sensibles sur la terre ; la mer parait être leur empire , et après le flux et le reflux, rien n’agit avec plus de puis- sance sur cet élément ; même le flux et le reflux marchent d’un pas uniforme, et leurs effets s’o- pèrent d’une manière égale et qu’on prévoit : mais les vents impétueux agissent , pour ainsi dire , par caprice ; ils se précipitent avec fureur et agitent la mer avec une telle violence qu’en un instant cette plaine calme et tranquille de- vient hérissée de vagues hautes comme des mon- tagnes , qui viennent se briser contre lesrochers et contre les côtes. Les vents changent donc à tout moment la face mobile de la mer : mais la face de la terre, qui nous parait si solide, ne devrait-elle pas être à l'abri d’un pareil effet? On sait cependant que les vents élèvent des montagnes de sable dans l'Arabie et dans l’Afri- que, qu’ils en couvrent les plaines , et que sou- vent ils transportent ces sables à de grandes distances et jusqu’à plusieurs lieues dans la mer, où ils les amoncèlent en si grande quantité, qu’ils y ont formé des bancs , des dunes et des îles. On sait que les ouragans sont le fléau des Antilles, de Madagascar et de beaucoup d’autres pays , où ils agissent avec tant de fureur , qu’ils enlèvent quelquefois les arbres , les plantes , les animaux avec toute la terre cultivée ; ils font remonter et tarir les rivières , ils en produisent de nouvelles , ils renversent les montagnes et les rochers , ils font des trous et des gouffres dans la terre, et changent entièrement la sur- face des malheureuses contrées où ils se forment. Heureusement il n’y a que peu de climats ex- posés à Ja fureur impétueuse de ces terribles agitations de l'air. Mais , ce qui produit les changements les plus grands etles plus généraux sur la surface de la terre , ce sont les eaux du ciel , les fleuves, HISTOIRE NATURELLE. les rivières et les torrents. Leur première ori- gine vient des vapeurs que le soleil élève au- dessus de la surface des mers, et que les vents transportent dans tous les climats de la terre : ces vapeurs , soutenues dans les airs et pous- sées au gré du vent, s’attachent aux sommets des montagnes qu’elles rencontrent, et s’y ac- cumulent en si grande quantité, qu 'elles y for- ment continuellement des nuages > etretombent incessamment en forme de pluie, de rosée, de brouillard ou de neige. Toutes ces eau Éoot d’abord descendues dans les plaines, , sans tenir de route fixe : mais peu à peu elles ont creusé leur lit, et, cherchant par leur pentematurelle les édités les plus bas de la montagne et les terrains les plus faciles à diviser ou à pénétrer, elles ont entrainé Je: es et les sables; «elles ont formé des ravines TR es en coulant avec rapidité dans les plaines ; elles se sont ouvert des chemins jusqu’à la mer, qui reçoit autant d’eau par ses bords qu’elle en perd par l’évapo- ration : et, de même que les canaux et les ra- vines , que les fleuves ont creusés, ont des si- nuosités et des contours dont } les sont correspondants entre eux , en nr. que l’un des bords formant un angle saillant dans les terres, | le bord opposé fait toujours un angle rentrant, les montagnes et les collines, qu’on doit regar- der comme les bords des vallées qui les/sépa- rent, ont aussi des sinuosités correspondantes de la même façon ; ce qui semble démontrer que les vallées ont été les canaux des courants de la mer, qui les ont creusés peu à peu’et de même manière que les fleuves ont creusé leur lit dans les terres. Les eaux qui roulent sur la surface de la terre, et qui y entretiennent la verdure et la fertilité, ne sont peut-être que la plus petite partie de celles que les vapeurs produisent; car il y a dés veines d’eau qui coulent et de l’humi- dité qui se filtre à de grandes profondeurs dans l'intérieur de la terre. Dans de certains lieux, en quelque endroit qu’on fouille, on est sûr de faire un puits et de trouver de l’eau; dans d’au- tres, on n’en trouve point du tout : dans pres que tous les vallons et les plaines basses, on ne | manque guère de trouver de l’eau à uneprofon- … deur médiocre; au contraire, dans tous les lieux élevés et dans toutes les plaines en montagnes, on ne peut en tirer du sein de la terre, et il faut | ramasser les eaux du ciel. Il ya des pays d’une vaste étendue où l’on n’a jamais pu faire un « THÉORIE DE LA TERRE. 79 puits, et où toutes les eaux qui servent à abreu- ver les habitants et les animaux sont contenues dans desmaresetdes citernes. En Orient, surtout dans l'Arabie, dans l'Égypte, dans la Perse, ete., les puits sont extrêmement rares, aussi bien que les sources d’eau douce ; et ces peuples ont été obligés de faire de grands réservoirs pour recueillir les eaux des pluies et des neiges : ces ouvrages , faits pour la nécessité publique, sont peut-être les plus beaux et les plus magnifiques monuments des Orientaux ; il y a des réservoirs quiront jusqu’à deux lieues de surface, et qui servent à arroser et à abreuver une province en- tière, au moyen des saignées et de petits ruis- seaux qu’on en dérive de tous côtés. Dans d’au- tres pays au contraire, comme dans les plaines où coulent les grands fleuves de la terre, on ne peut pas fouiller un peu profondément sans trou- ver de l’eau; et, dans un camp situé aux envi- rons d’une rivière, souvent chaque tente a son puits au moyen de quelques coups de pioche. Cette quantité d’eau, qu’on trouve partout dans les lieux bas, vient des terres supérieures et des collines voisines, au moins pour la plus grande partie; car, dans le temps des pluies et de la fonte des neiges, une partie des eaux coule sur là surface de la terre, et le reste pénètre dans l’intérieur à travers les petites fentes des terres et des rochers ; et cette eau sourcille en différents endroits lorsquelle trouve des issues, ou bien elle se filtre dans les sables; et, lors- qu’elle vient à trouver un fond de glaise ou de terre ferme et solide, elle forme des lacs , des ruisseaux, et peut-être des fleuves souterrains dont le cours et l'embouchure nous sont incon- nus, mais dont cependant, par les lois de la nature, le mouvement ne peut se faire qu’en al- lant d’un lieu plus élevé dans un lieu plus bas; et par conséquent ces eaux souterraines doivent tomber dans la mer ou se rassembler dans quel- que lieu bas de la terre, soit à la surface, soit dans l’intérieur du globe; car nous connaissons Sur la terre quelques lacs dans lesquels il n’entre et desquels il ne sort aucune rivière, et il y en à un nombre beaucoup plus grand qui, ne rece- vant aucune rivière considérable, sont les sour- ces des plus grands fleuves de la terre, comme les lacs du fleuve Saint-Laurent, le lac Chiamé, d’où sortent deux grandes rivières qui arrosent les royaumes d’Asem, etde Péeu ; les lacs d’As- siniboils en Amérique, ceux d’Ozera en Mosco- ! Ë wie, celui qui donne naissance au fleuve Bog, * = F2 celui d’où sort la grande rivière Frtis, ete. , et une inflnité d’autres qui semblent être les réser- voirs d’où la nature versede tous côtés les eaux qu’elle distribue sur la surface de la terre. On voit bien que ces lacs ne peuvent être produits que par les eaux des terres supérieures, qui cou- lent par de petits canaux souterrains en se fil- trant à travers les graviers et les sables , et viennent toutes se rassembler dans les lieux les plus bas où se trouvent ces grands amas d’eau. Au reste, il ne faut pas croire, comme quelques gens l'ont avancé , qu'il se trouve des lacs au sommet des plus hautes montagnes ; car ceux qu’on trouve dans les Alpes et dans les autres lieux hauts, sont tous surmontés par des terres beaucoup plus hautes, et sont au pied d’autres montagnes peut-être plus élevées que les pre- mières : ils tirent leur origine des eaux qui cou- lent à l'extérieur ou se filtrent dans l’intérieur de ces montagnes, tout de même que les eaux des vallons et des plaines tirent leur source des collines voisines et des terres plus éloignées qui les surmontent. 11 doit done se trouver, etilse trouve en effet, dans l’intérieur de la terre, des lacs et des eaux répandues, surtout au-dessous des plaines et des grandes vallées : car les montagnes, les collines et toutes les hauteurs qui surmontent les terres basses , sont découvertes tout autour, et présentent dans leur penchant une coupe ou perpendiculaire, ou inclinée, dans l’étendue de laquelle les eaux qui tombent sur le sommet de la montagne et sur les plaines élevées, après avoir pénétré dans les terres, ne peuvent man- quer de trouver issue et de sortir de plusieurs endroits en forme de sources et de fontaines; et par conséquent il n’y aura que peu ou point d’eau sous les montagnes. Dans les plaines, au contraire, comme l’eau qui se filtre dans les ter- res ne peut trouver d’issue, il y aura des amas d’eau souterrains dans les cavités de la terre, et une grande quantité d’eau qui suintera à tra- vers les fentes des glaises et des terres fermes , ou qui se trouvera dispersée et divisée dans les graviers et dans les sables. C’est cette eau qu’on trouve partout dans les lieux bas. Pour l'ordi- naire, le fond d’un puits n’est autre chose qu’un petit bassin dans lequel les eaux qui suintent des terres voisines se rassemblent en tombant d’abord goutte à goutte, et ensuite en filets d’eau continus, lorsque les routes sont ouvertes aux eaux les plus éloignées ; en sorte qu'il est 80 vrai de dire que, quoique dans les plaines basses on trouve de l’eau partout , on ne pourrait ce- pendant y faire qu'un certain nombre de puits, proportionné à la quantité d’eau dispersée , ou plutôt à l'étendue des terres plus élevées d’où ces eaux tirent leur source. Dans la plupart des plaines il n’est pas néces- saire de creuser jusqu'au niveau de la rivière pour avoir de l’eau: on la trouve ordinairement à une moindre profondeur, et il n’y a pas d’ap- parence que l’eau des fleuves et des rivières s’é- tende loin en se filtrant à travers les terres. On ne doit pas non plus leur attribuer l’origine de toutes les eaux qu’on trouve au-dessous de leur niveau dans l’intérieur de laterre; car, dans les torrents , dans les rivières qui tarissent , dans celles dont on détourne le cours , on ne trouve pas, en fouillant dans leur lit, plus d’eau qu’on ’en trouve dans les terres voisines. II ne faut une langue de terre de cinq ou six pieds d’é- paisseur pour contenir l’eau et l’empècher de s'échapper, et j'ai souvent observé que les bords des ruisseaux et des mares ne sont pas sensible- ment humides à six pouces de distance. Il est vrai que l'étendue de la filtration est plus ou moins grande , selon quele terrain est plus ou moins pénétrable : mais, si l’on examine les ra- vines qui se forment dans les terres et mênie dans les sables, on reconnaitra que l’eau passe toute daus le petit espace qu’elle se creuse elle-même et qu’à peine les bords sont mouillés à quelques pouces dedistancedans ces sables. Danslesterres végétales même, où la filtration doit être beau- coup plus grande que dans les sables et dans les autres terres puisqu'elle est aidée de la force du tuyau capillaire, on ne s’apercoit pas qu’elles’é- tende fort loin. Dans un jardin on arrose abon- damment , et on inonde, pour ainsi dire , une planche, sans que les planches voisines s’en res- sentent considérablement. J'ai remarqué, en examinant de gros monceaux de terre de jardin de huit ou dix pieds d'épaisseur qui n’avaient pas été remués depuis quelques années, et dont le sommet était à peu près de niveau, que l’eau des pluies n’a jamais pénétré à plus de trois ou quatre pieds de profondeur ; en sorte qu’en re- muant cette terre au printemps, après un hiver fort humide, j'ai trouvé la terre de l'intérieur de ces monceaux aussi sèche que quand on l'avait amoncelée, J'ai fait la même observation sur des terres accumulées depuis près de deux cents ans : au-dessous de trois ou quatre pieds de pro- HISTOIRE NATURELLE. fondeur la terre était aussi sèche que la pous- sière. Ainsi l’eau ne se communique ni ne s’é- tend pas aussi loin qu’on le croit par la seule fil- tration : cette voie n’en fournit dans l’intérieur de la terre que la plus petite partie; mais depuis la surface jusqu’à de grandes profondeurs, l’eau descend par son propre poids; elle pénètre par des conduits naturels ou par de petites routes qu'elle s’estouvertes elle-même; elle suit les raci- nes des arbres, les fentes desrochers, les intersti- ces desterres,etsedivise et s'étend de tous côtés en une infinité de petits rameaux et de filets, tou- jours en descendant, jusqu’à ce qu’elletrouveune issue après avoir rencontré la glaise, ou un au- tre terrain solide sur lequel elle s’est rassemblée, Il serait fort difficile de faire une évaluation un peu juste de la quantité des eaux souterraines qui n’ont point d’issue apparente. Bien des gens ont prétendu qu’elle surpassait de beaucoup celle de toutes les eaux qui sont à la surface de la terre; et sans parler de ceux qui ont avancé que l’intérieur du globe était absolument rempli d’eau , il y en a qui croient qu’il y a une infinité de fleuves, de ruisseaux, de lacs dans la profon- deur de la terre : mais cette opinion, quoique commune , ne me parait pas fondée, et je crois que la quantité des eaux souterraines, qui n’ont point d’issue à la surface du globe, n’est pas con- sidérable; car, s’il y avait un si grand nombre de rivières souterraines, pourquoi ne verrions- nous pas à la surface de la terre les embouchures de quelques-unes de ces rivières, et par consé- quent des sources grosses comme des fleuves? D'ailleurs lesrivières et toutes leseaux courantes produisent des changements très-considérables à la surface de la terre; elles entraînent les ter- NY creusent les Oh déplacent tout ce qui s’oppose à leur passage : il en serait de même des fleuves souterrains ; ils produiraient des altéra- tions sensibles dans l’intérieur du globe; mais on n’y a point observé de ces changements pro- duits par le mouvement des eaux; rien n’est déplacé : les couches parallèles et horizontales subsistent partout; les différentes matières gar- dent partout leur position primitive , et ce n’est qu’en fort peu d’endroits qu’on a observé quel- ques veines d’eau souterraines un peu considé- rables. Ainsi l’eau ne travaille point en grand dans l’intérieur de la terre; mais elle y fait bien de l’ouvrage en petit : comme elle est divisée en une infinité de filets, qu’elle est retenue par * Voyez les preuves , art. x ,XIet XVII. THÉORIE DE LA TERRE. gt autant d'obstacles, et enfin qu’elle est dispersée presque partout, elle concourt immédiatement à la formation de plusieurs substances terrestres qu'il faut distinguer avec soin desmatières an- ciennes, et qui en effet en différent totalement par leur forme et par leur organisation. Ce sont donc les eaux rassemblées dans la vaste étendue des mers qui, par le mouvement continuel du flux et du reflux , ont produit les montagnes, les vallées et les autres inégalités de la terre; ce sont les courants de la mer qui ont creusé les vallons et élevé les collines, en leur donnant des directions correspondantes ; ce sont ces mêmes eaux de la mer qui, en trans- portant les terres , les ont disposées les unes sur les autres par lits horizontaux; et ce sont les eaux du ciel qui peu à peu détruisent l’ou- vrage de la mer, qui rabaissentcontinuellement la hauteur des montagnes, quicomblent les val- lées , les bouches des fleuves et les golfes, et qui, ramenant tout au niveau, rendront un * jour cette terre à la mer, qui s'en emparera successivement , en laissant à découvert de nouveaux continents entrecoupés de vallons et de montagnes , et Lout semblables à ceux que nous habitons aujourd’hui, Monthard, le 5 octobre 1744. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE I. DE LA FORMATION DES PLANÈTES. SORTE Fecitque cadeado Uadique ne caderet. Mat. Notre objet étant l’histoire naturelle, nous nous dispenserions volontiers de parler d’astro- nomie : mais la physique de Ja terre tient à la physique céleste; et d’ailleurs, nous croyons que pour une plus grande intelligence de ce qui a été dit, il est nécessaire de donner quelques idées générales sur la formation, le mouvement et la figure de la terre ct des planètes. La terre est un globe d’environ trois mille lieues de diamètre : elle est située à trente mil- lions de lieues du soleil, autour duquel elle fait sa révolution en trois cent soixante-cinq jours. I. Ce mouvement de révolution est le résultat de deux forces : l’une qu'on peut se représenter comme une impulsion de droite à gauche, ou de gauche à droite; et l’autre comme une attrac- tion du haut en bas, ou du bas en haut, vers un centre. La direction de ces deux forces et leurs quantités sont combinées et proportionnées de facon qu'il en résulte un mouvement presque uniforme dans une ellipse fort approchante d’un cerele. Semblable aux autres planètes, la terre est opaque, elle fait ombre, elle recoit et réflé- chit la lumière du soleil, et elle tourne autour decetastre suivant les lois qui conviennent à sa distance et à sadensité relative : elle tourne aussi sur elle-même en vingt-quatre heures, et l’axe autour duquel se fait ce mouvement de rota- tion est incliné de soixante-six degrés et demi sur le plan de l’orbite de sa révolution. Sa figure est celle d’un sphéroïde dont les deux axes dif- fèrent d'environ une cent-soixante et quinzième partie, et le plus petit axe est celui autour du- quel se fait la rotation. Ce sont là les principaux phénomènes de Ja terre; ce sont là les résultats des grandes dé- couvertes que l’on a faites par le moyen de la géométrie, de l'astronomie et de la navigation. Nous n’entrerons point ici dans le détail qu’elles exigent pour être démontrées, et nous n’exami- nerons pas Comment on est venu au point de s'assurer de la vérité de tous ces faits ; ce serait répéter ce qui a été dit : nous ferons seulement quelques remarques qui pourront servir à éclair- cir ce qui est encore douteux ou contesté, et en mème temps nous donnerons nos idées au sujet de la formation des planètes, et des différents états par où il est possible qu’elles aient passé avant que d'être parvenues à l’état où nous les voyons aujourd'hui. On trouvera dans la suite de cet ouvrage, des extraits de tant de systèmes et de tant d’hypothèses sur la formation du globe terrestre, sur lesdifférents états par oùila passé, et sur les changements qu'il a subis, qu’on ne peut pas trouver mauvais que nous joignions ici nos conjectures à celles des philosophes qui ont écrit surcette matière, et surtout lorsqu'on verra que nous ne les donnons en effet que pour de simples conjectures, auxquelles nous prétendons seulement assigner un plus grand degré de pro- babilité qu'à toutes celies qu’on a faites sur le même sujet. Nous nous refusons d'autant moins à publier ce que nous avons pensé sur cette ma- tière, que nous espérons par la mettre le lec- 6 82 HISTOIRE NATURELLE. teur plus en état de prononcer sur la grande différence qu'il y a entre une hypothèse où il n'entre que des possibilités, et une théorie fon- dée sur des faits; entre un système tel que nous allons en donner un dans cet article sur la for- mation et le premier état de la terre, et une histoire physique de son état actuel, telle que nous venons de la donner dans le discours pré- cédent Galilée ayant trouvé la loi de la chute des corps, et Képler ayant observé que les aires que les planètes principales décrivent autour du so- leil, et celles que les satellites décrivent autour de leur planète principale, sont proportionnelles aux temps, et que les temps des révolutions des planètes et des satellites sont proportionnels aux racines carrées des cubes de leurs distances au soleil ou à leurs planètes principales, Newton trouva que la force qui fait tomber les graves sur la surface de la terre s’étend jusqu’à la lune et Ja retient dans son orbite; que cette force dimi- nue en même proportion que le carré de la dis- tance augmente ; que par conséquent la lune est attirée par la terre ; que la terre ct toutes les planètes sont attirées par le soleil , et qu’en ge- néral tous les corps qui décrivent autour d’un centre ou d’un foyer des aires proportionnelles aux temps, sont attirés vers ce point. Cette force, que nous connaissons sous le nom de pe- santeur, est donc généralement répandue dans toute la matière; les planètes, les comètes, le so- leil , la terre, tout est sujet à ses lois, et elle sert de fondement à l'harmonie de l’univers : nous wavons rien de mieux prouvé en physique que l'existence actuelle et individuelle de cette force dans les planètes, dans le soleil, dans la terre et dans toutes les matières que nous touchons ou que nous apercevons. Toutes les observations ont confirmé l'effet actuel de cette force, et le calcul en a déterminé la quantité et les rapports. L’exactitude des géomètres et la vigilance des astronomes atteignent à peine à la précision de cette mécanique céleste, et à la régularité de ses effets. Cette cause générale étant connue, on en dé- duirait aisément les phénomènes , si l’action des forces qui les produisent n’était pas trop com- binée. Mais qu’on se représente un moment le Système du monde sous ce point desvue, et on sentira quel chaos on a eu à débrouiller. Les pla- nètes principales sont attirées par le soleil; le soleil est attiré par les planètes ; les satellites sont aussi attirés par leurs planètes principales; cha- que planète est attirée par toutes les autres, et elle les attire aussi. Toutes ces actions et réac- tions varient suivant les masses et les distances: elles produisent des inégalités, des irrégularités; comment combiner et évaluer une si grande quantité de rapports? parait-il possible, au mi- lieu de tant d'objets, de suivre un objet parti- culier? Cependant on a surmonté ces difficultés; le calcul a confirmé ce que la raison avait soup- conné; chaque observation est devenue une nouvelle démonstration, et l'ordre systémati- que de l'univers est à découvert aux yeux de tous ceux qui savent reconnaitre la vérité. Une seule chose arrête, et est en effet indé- pendante de cette théorie, c’est la force d'impul- sion : l’on voit évidemment que celle d’attrac- tion tirant toujours les planètes vers le soleil, elles tomberaient en ligne perpendiculaire sur cet astre si elles n’en étaient éloignées par une autre force, qui ne peut être qu’une impulsion en ligne droite, dont l’effet s’exercerait dans la tangente de l'orbite, si la force d’attraction ces- sait un instant. Cette force d’impulsion a cer- tainement été communiquée aux astres en géné- ral par la main de Dieu, lorsqu'elle donna le branle à l’univers; mais comme on doit, autant qu’on peut, en physique, s'abstenir d’avoir re- cours aux causes qui sont hors de la nature, il me parait que dans le système solaire on peut rendre raison de cette force d'impulsion d’une manière assez vraisemblable, et qu’on peut en trouver une cause dont l’effet s'accorde avec les règles de la mécanique, et qui d’ailleurs ne s'éloigne pas des idées qu’on doit avoir au sujet des changements et des révolutions qui peu- vent et doivent arriver dans l’univers. La vaste étendue du système solaire, ou, ce qui revient au même, la sphère de l'attraction du soleil ne se borne pas à l’orbe des planètes, même les plus éloignées; mais elle s’étend à une distanceindéfinie, toujours en décroissant, dans la même raison que le carré de la distance aug- mente. Il est démontré que les comètes qui se perdent à nos yeux dans la profondeur du ciel obéissent à cette force, et que leur mouvement, comme celui des planètes, dépend de l'attraction du soleil. Tous ces astres dont les routes sont si différentes décrivent autour du soleil des aires proportionnelles aux temps, les planètes dans des ellipses plus où moins approchantes d’un cercle, et les comètes dans des ellipses fort allon- < où MAD rage THÉORIE DE LA TERRE. gées. Les comètes et les planètes se meuvent donc en vertu de deux forces, l’une d'attraction et l’autre d’impulsion, qui, agissant à la fois et à tout instant , les obligent à décrire ces cour- bes : mais il faut remarquer que les comètes par- courent le système solaire dans toutes sortes de directions, et que les inclinaisons des plans de leurs orbites sont fort différentes entre elles; en sorte que, quoique sujettes, comme les planètes, à la même force d'attraction, les comètes n’ont rien decommun dans leur mouvement d’impul- sion : elles paraissent à cet égard absolument indépendantes les unes des autres. Les planètes, aucontraire, tournent toutes dans le même sens autour du soleil, et presque dans le même plan, n’y ayant que sept degrés et demi d’inclinaison entre les plans les pluséloignés de leurs orbites. Cette conformité de position et de direction dans le mouvement &es planètes suppose nécessaire- ment quelque chose de commun dans leur mou- vement d’impulsion, et doit faire soupconner qu’il leur a été communiqué par une seule et même cause. Ne peut-on pas imaginer avec quelque sorte de vraisemblance qu’une comète, tombant sur la surface du soleil, aura déplacé cet astre, et qu'elle en aura séparé quelques petites parties auxquelles elle aura communiqué un mouve- ment d’impulsion dans le même sens et par un même choc, en sorte que les planètes auraient autrefois appartenu au corps du soleil, etqu’elles en auraient été détachées par une force im- pulsive commune à toutes , qu’elles conservent encore aujourd’hui? Cela me parait au moins aussi probable que l'opinion de M. Leïbnitz, qui prétend que les planètes et la terre ontété des soleils; et je crois que son système , dont on trouvera le précis à l'article cinquième, aurait acquis un grand de- gré de généralité et un peu plus de probabilité, s'il se füt élevé à cette idée. C’est ici le cas de croire avee lui que la chose arriva dans letemps que Moïse dit que Dieu sépara la lumière des ténèbres; car, selon Leïbnitz, la lumière fut sé- parée des ténèbres lorsque les planètes s’étei- gnirent. Mais ici la séparation est physique et réelle , puisque la matière opaque qui compose les corps des planètes fut réellement séparée de la matière lumineuse qui compose le soleil. Cette idée sur la cause du mouvement d’im- pulsion des planètes paraîtra moins hasardée lorsqu'on rassemblera toutes les analogies qui y 83 ont rapport, et qu’on voudra se donner la peine d’en examiner les probabilités. La première est cette direction commune de leur mouvement d’impulsion, qui fait que les six planètes vont toutes d’occident en orient. Il y a déjà soixan- te-quatre à parier contre un qu’elles n’auraient pas eu ce mouvement dans le même sens , si la même cause ne l'avait pas produit; ce qu’il est aisé de prouver par la doctrine des hasards. Cette probabilité augmentera prodigieusement par la secondeanalogie, qui estque l’inclinaison des orbites n’excède pas sept degrés et demi : car en comparant les espaces, ontrouve qu’il y a vingt-quatre contre un pour que deux planètes se trouvent dans des plans plus éloignés, et par conséquent À ou 7692624 à parier contre un, que ce n’est pas par hasard qu’elles se trouvent toutes six ainsi placées et renfermées dans l’es- pace de sept degrés etdemi; ou, ce quirevient au même, il y a cette probabilité qu’elles ont quelque chose de commun dans le mouvement qui leur a donné cette position. Mais que peut-il y avoir de commun dans l’impression d’un mou- vement d’impulsion, si ce n’est la force et la di- rection des corps qui le communiquent? On peut done conclure avec une très-grande vraisem- blance que les planètes ont reculeur mouvement d’impulsion par un seul coup. Cette probabilité, qui équivaut presque à une certitude, étant ac- quise, je cherche quel corps en mouvement a pu faire ce choc et produire cet effet, et je ne vois que les comêtes capables de communiquer unaussigrand mouvement à d’aussi vastes corps. Pour peu qu’on examine le cours des comè- tes, on se persuadera aisément qu’il est presque nécessaire qu’il en tombe quelquefois dans le soleil. Celle de 1680 en approcha de si près qu’à son périhélie elle n’en était pas éloignée de la sixième partiedu diamètre solaire; et si elle re- vient comme il y apparence, en l’année 2255, elle pourrait bien tomber cette fois dans le so- leil cela dépend des rencontresqu’elleaura faites sur sa route, et du retardement qu’elle a souf- fert en passant dans l'atmosphère du soleil. Voyez Newton, troisième édit., page 525. Nous pouvons done présumer avec le philo- sophe que nous venons de citer, qu’il tombe quelquefois des comètes sur le soleil ; mais cette chute peut se faire de différentes façons : si elles y tombent à plomb, ou même dans une direc- tion qui ne soit pas fort oblique, elles demeu- reront dans le soleil, et serviront d’aliment au 6. 84 feu qui consume cet astre, et le mouvement d'impulsion qu’elles auront perdu et communi- qué au soleil ne produira d’autre effet que celui de le déplacer plus ou moins, selon quela masse de la comète sera plus ou moins considérable. Mais si la chute de la comète se fait dans une direction fort oblique, ce qui doit arriver plus souvent de cette façon que de l’autre, alors la comète ne fera que raser la surface du soleilou la sillonner à une petite profondeur ; et dans ce cas, elle pourra en sortir et en chasser quel- ques parties de matière auxquelles elle com- muniquera un mouvement commun d’impul- sion ,etces parties poussées horsdu corps du so- leil , et la comète elle-même, pourront devenir alors des planètes qui tourneront autour de cet astre dans le même sens et dans le même plan. On pourrait peut-être calculer quelle masse, quelle vitesse et quelle direction devrait avoir une comète pour faire sortir du soleil une quan- tité de matière égale à celle que contiennent les six planètes et leurs satellites : mais cette re- cherche serait ici hors de sa place ; ilsuffira d’ob- | serverquetoutesles planètes avec les satellites ne | font pas la six cent cinquantième partie de la masse du soleil, voyez Newlon, page 405, | parce que la densité des grosses planètes, Sa- turne et Jupiter, est moindre que celle du so- leil, et que, quoique la terre soit quatre fois, et la lune près de cinq fois plus dense que le soleil, elles ne sont cependant que comme des atomes en comparaison de la massede cet astre. J'avoue que, quelque peu considérable que soitune six cent cinquantième partie d’un tout, il parait au premier coup d'œil qu’il faudrait, pour séparer cette partie du corps du soleil, | une très-puisante comète : mais, si l’on fait réflexion à la vitesse prodigieuse des comètes dans leurpérihélie, vitessed’autant plus grande que leur route est plus droite, et qu’elles ap- prochent du soleil de plus près; si d’ailleurs on fait atteution à la densité, à la fixilé, et à la solidité de la matière dont elles doivent être composées, pour souffrir, sans être détruites , la chaleur inconcevable qu’elles éprouvent au- pres du soleil; et si on se souvient en même temps qu’elles présentent aux yeux des obser- vateurs un noyau vif et solide, qui réfléchit fortement la lumière du soleil à travers l’at- mosphère immense de la comètequi enveloppe ct doit obseurcir ce noyau, on ne pourra guère douter que les comètes ne soient composées HISTOIRE NATURELLE, d'une matière très-solide et très-dense, et qu’elles ne contiennent sous un petit volume une grande quantité de matière; que par consé- quent une comètene puisse avoir assez de masse et de vitesse pour déplacer le soleil, et donner un mouvement de projectilité à une quantité de matière aussi considérable que l’est la six cent cinquantième partie de la masse de cet astre. Ceci s'accorde parfaitement avec ce que l’on sait au sujet de la densité des planètes : on croit qu’elle est d'autant moindre que les planètes sont plus éloignées du soleil, et qu’elles ont moins de chaleur à supporter; en sorte que Sa- turne est moins dense que Jupiter, et Jupiter beaucoup moins dense que la terre : et en effet, si la densité des planètes était, comme le pré- tend Newton, proportionnelle à la quantité de chaleur qu’elles ont à supporter, Mercure serait sept fois plus dense que la terre, et vingt-huit fois plus dense que le soleil; la comète de 1680 serait vingt-buit mille fois plus dense que la terre, ou cent douze mille fois plus dense que le soleil; et en la supposant grosse commela terre, elle contiendrait sous ce volumeune quantité de matière égale à peu prés à la neuvième partie de la masse du soleil; ou , en ne lui donnant que la centième partie de Ja grosseur de la terre, sa masse serait encore égale à la neuf centième partie du solêil; d’où il est aisé de conclure qu’une telle masse, qui ne fait qu’une petite comète, pourrait séparer et pousser hors du so- leil une neuf centième ou une six cent cinquan- tième partie de sa masse, surtout si l’on fait attention à l'immense viesse acquise avec la- | quelle les comètes se meuvent lorsqu'elles pas- sent dans le voisinage de cet astre. Une autre analogie, et qui mérite quelque at- tention, c’est la conformité entre la densité de la matière des planètes et la densité de la matière du soleil. Nous connaissons sur la surface de la terre des matières quatorze ou quinze mille fois plus densesles unes que les autres; les densités de l'or et de l'air sont à peu près dans ce rapport; mais l’intérieur de la terre et le corps des pläne- tes sont composés de parties plus similaires, et dont la densité comparée varie beaucoup moins; et la conformité de la densité de la matière des planètes et de la densité de la matière du soleil est telle, que, sur six cent cinquante parties qui composent la totalité de la matière des pla- nètes , il y en a plus de six cent quarante qui sont presque de la mème densité que la matière THÉORIE DE LA TERRE. du soleil , et qu'il n’y a pas dix parties sur ces six cent cinquante qui soient d’une plus grande densité ; car Saturne et Jupiter sont à peu près de la même densité que le soleil ,‘et la quantité de matière que ces deux planètes contiennent estau moinssoixante-quatrefois plus grande que la quantité de matière des quatre planètes infé- rieures, Mars , la Terre, Vénus et Mercure. On doit donc dire que la matière dont sont compo- sées les planètes en général est à peu près la même que celle du soleil, et que par conséquent cette matière peut en avoir été séparée. Mais , dira-t-on , si la comète , en tombant obliquement sur le soleil, en a sillonné la surface et en a fait sortir la matière qui compose les planètes , il parait que toutes les planètes , au lieu de décrire des cercles dont le soleil est le centre , auraient au contraire à chaque révolu- tion rasé la surface du soleil , et seraient reve- nues au même point d’où elles étaient parties , comme ferait tout projectilequ’onlancerait avec assez de force d’un point de la surface de la térre, pour l’obliger à tourner perpétuellement : car il est aisé de démontrer que ce corps re- | viendrait à chaque révolution au point d’où il auroit été lancé , et dès lors on ne peut pas at- tribuer à l'impulsion d’une comète la projection des planètes hors du soleil , puisque leur mou- vement autour de cet astre est différent de ce qu’il serait dans cette hypothèse. A cela je réponds que la matière qui compose les planètes n’est pas sortie de cet astre en glo- bes tout formés , auxquels la comète aurait communiqué son mouvement d’impulsion , mais Que cette matière est sortie sous la forme d’un torrent dont le mouvement des parties anté- rieures a dû être accéléré par celui des parties postérieures ; que d’ailleurs l'attraction des par- ties antérieures a dù aussi accélérer le mouve- ment des parties postérieures, et que cette accé- lération de mouvement , produite par l’une ou | l’autre de ces causes , et peut-être par toutes les deux , a pu être telle qu’elle aura changé la première direction du mouvement d’impulsion, et qu’il a pu en résulter un mouvement tel que nous l’observons aujourd’hui dans les planètes , surtout en supposant que le choc de la comète a déplacé le soleil : car , pour donner un exemple qui rendra ceci plus sensible , supposons qu’on tirât du haut d’une montagne une balle de mousquet , et que la force de la poudre fût assez ] | grande pour la pousser au delà du demi-dia- ! 85 mètre de la terre, il est certain que cette balle Lournerait autour du globe, et reviendrait à cha- que révolution passer au point d'où elle aurait été tirée : mais, si au lieu d’une balle de mous- quet nous supposons qu'on ait tiré une fusée volante, où l’action du feu serait durable et ac- célérerait beaucoup le mouvement d’impulsion, cette fusée, ou plutôt la cartouche qui la con- tient, ne reviendrait pas au même point, comme la balle de mousquet, mais décrirait un orbe dont le périgée serait d'autant plus éloigné de la terre, que la force d’accélération aurait été plus grande et aurait changé davantage la pre- mière direction, toutes choses étant supposées égales d’ailleurs. Ainsi, pourvu qu’il y ait eu de l’accélération dans le mouvement d’impul- sion communiqué au torrent de matière par la chute de la comète, il est très-possible que les planètes qui se sont formées dans ce torrent aient acquis le mouvement que nous leur con- naissons dans des cercles ou des ellipses dont le soleil est le centre ou le foyer. La manière dont se font les grandes érup- tions des volcans peut nous donner une idée de cette accélération de mouvement dans le tor- rent dont nous parlons. On a observé que, quand le Vésuve commence à mugir et à rejeter les matières dont il est embrasé, le premier tourbillon qu'il vomit n’a qu’un certain degré de vitesse; mais cette vitesse est bientôt accé- lérée par l'impulsion d’un second tourbillon qui succède au premier, puis par l’action d’un troi- sième, et ainsi de suite : les ondes pesantes de bitume, de soufre, de cendres, de métal fondu, paraissent des nuages massifs; et quoiqu’ils se succèdent toujours à peu près dans la même di- rection, ils ne laissent pas de changer beaucoup celle du premier tourbillon, et de le pousser ail- leurs et plus loinqu'ilneserait parvenutout seul. D'ailleurs, ne peut-on pas répondre à cette objection , que le soleil, ayant été frappé par la comète, et ayant recu une partie de son mou- vement d’impulsion, il aura lui-même éprouvé un mouvement qui l’aura déplacé; et que, quoi- que ce mouvement du soleil soit maintenant trop peu sensible pour que, dans de petits inter- valles de temps, les astronomes aient pu l’aper- cevoir, il se peut cependant que ce mouvement existe encore, et que le soleil se meuve lente- ment vers différentes parties de l’univers, en décrivant une courbe autour du centre de gra- vité de tout le système? Et si cela est, comme 86 je le présume, on voit bien que les planètes, au lieu de revenir auprès du soleil à chaque révo- lution, auront au contraire décrit des orbites dont les points des périhélies sont d'autant plus éloignés de cet astre, qu’il s’est plus éloigné lui- même du lieu qu'il occupait anciennement. Je sens bien qu’on pourra me dire que si l’ac- célération du mouvement se fait dans la même direction, cela ne change pas le point du péri- hélie, qui sera toujours à la surface du soleil ; mais doit-on croire que, dans un torrent dont les parties se sont succédé, il n’y a eu aucun changement de direction? 11 est au contraire très-probable qu’il y a eu un assez grand chan- gement de direction pour donner aux planètes le mouvement qu’elles ont. On pourra me dire aussi que si le soleil a été déplacé par le choc de la comète, il a dù se mou- voir uniformément, et que dès-lors ce mouve- ment étant commun à tout le système, il n’a dû rien changer; mais le soleil ne pouvait-il pas avoir, avant le choc, un mouvement autour du centre de gravité du système cométaire, auquel mouvement primitif le choc de la comète aura ajouté une augmentation ou une diminution? et cela suffirait encore pour rendre raison du mouvement actuel des planètes. Enfin, si l’on ne veut admettre aucune de ces suppositions, ne peut-on pas présumer, sans choquer la vraisemblance, que dans le choc de la comète contre le soleil, il y a eu une force élastique qui aura élevé le torrent au-dessus de la surface du soleil ,-au lieu de le pousser direc- tement? ce qui seul peut suffire pour écarter le point du périhélie, et donner aux planètes le mouvement qu’elles ont conservé : et cette sup- position n’est pas dénuée de vraisemblance; car la matière du soleil peut bien être fort élasti- que, puisque la seule partie de cette matière que nous connaissions, qui est la lumière, sem- ble par ses effets être parfaitement élastique. J'avoue que je ne puis pas dire si c’est par l’une ou par l’autre des raisons que je viens de rap- porter que la direction du premier mouvement d’impulsion des planètes a changé; mais ces | raisons suffisent au moins pour faire voir que ce changement est possible, et même probable, et cela suffit aussi à mon objet. Mais, sans insister davantage sur les objec- tions qu’on pourrait faire, non plus que sur les preuves que pourraient fournir les analogies en HISTOIRE NATURELLE. Sd tirons des inductions : voyons donc ce qui a pu arriver lorsque les planètes, et surtout la terre, ont reçu ce mouvement d’impulsion , et dans quel état elles se sont trouvées après avoir été séparées de la masse du soleil. Lacomète ayant, par un seul coup , communiqué un mouvement de projectile à une quantité de matière égale à la six cent cinquantième partie de la masse du . soleil , les particules les moins denses se seront séparées des plus denses , et auront formé par leur attraction mutuelle des globes de différente densité : Saturne , composé des parties les plus. grosses et les plus légères, se sera le plus éloigné du soleil; ensuite Jupiter, qui est plus dense que Saturne , se sera moins éloigné , et ainsi de suite. Les planètes les plus grosses et les moins denses sont les plus éloignées , parce qu’elles ont reçu un mouvement d’impulsion plus fort que les plus petites et les plus denses ; car la force d’im- pulsion se communiquant par les surfaces , le même coup aura fait mouvoir les parties les plus grosses et les plus légères de la matière du soleil, avec plus de vitesse que les partiesiles plus petites et les plus massives : il se sera donc fait une séparation des parties denses de diffé- rents degrés , en sorte que la densité de la ma- tière du soleil étant égale à 100, celle de Saturne est égale à 67 , celle de Jupiter — 94 4, celle de Mars — 200 , celle de la terre — 400 , cellede Vénus — 800, et celle de Mercure — 2800. Mais la force d’attraction ne se communiquant pas , comme celle d’impulsion , par la surface , et agissant au contraire sur toutes les parties de la masse, elle aura retenu les portions de matière les plus denses ; et c’est pour cette rai- son que les planètes les plus denses sontles plus voisines du soleil, et qu’elles tournent autour de cet astre avec plus de rapidité que les planè- tes les moins denses , qui sont aussi les plus éloignées. Les deux grosses planètes, Jupiter et Saturne, qui sont, comme l’on sait, les parties princi- pales du système solaire , ont conservé ce rap- port entre leur densité et leur mouvement d’impulsion , dans une proportion si juste, qu’on doit en être frappé : la densité de Saturne est à celle de Jupiter comme 67 à 94 4, et leurs vi- tesses sont à peu près comme 88 ? à 120%, ou comme 67 à 90 #, Il est rare que depures con- jectures on puisse tirer des rapports aussi exacts. Il est vrai que, en suivant ce rapport faveur de mon hypothèse, suivons-en l’objet, et ! entre la vitesse et la densité des planètes , la CS Re PET CUS IS MS # à sd. _. .… THÉORIE DE densité de la terre ne devrait être que comme 2067, au lieu qu'elle est comme 400 : de là on | peut conjecturer que notre globe était d'abord une fois moins dense qu'il ne l’est aujourd'hui. A l'égard des autres planètes, Mars, Vénus et Mercure, comme leur densité n’est connue que par la conjecture , nous ne pouvons savoir si cela détruirait ou confirmerait notre opinion | sur le rapport de la vitesse et de la densité des | planètes en général. Le sentiment de Newton | est que la densité est d’autant plus grande que la chaleur à laquelle la planète est exposée est plus grande ; et c’est sur cette idée que nous | venons de dire que Mars est une fois moins dense que la terre , Vénus une fois plus dense, | Mercure sept fois plus dense , et la comète de 1680 vingt-huit mille fois plus dense que la terre. Mais cette proportion entre la densité des planètes et lachaleur qu’elles ont à suppor- | ter, ne peut pas subsister lorsqu'on fait atten- | tion à Saturne et à Jupiter, qui sont les princi- | paux objets que nous ne devons jamais perdre de vue dans le système solaire; car, selon ce rapport entre la densité et la chaleur, il se trouve que la densité de Saturne serait environ comme 44, et celle de Jupiter comme 145 au | lieu de 67et de 944, différence trop grande pour que le rapport entre la densité et la cha- leur que les planètes ont à supporter puisse être admis : ainsi, malgré la confiance que méritent les conjectures de Newton, je crois que la den- sité des planètes a plusde rapport avec leur vi- tesse qu'avec le degré de chaleur qu’elles ont à supporter. Ceci n’est qu’une eause finale , et l'autre est un rapport physique dont l’exacti- tude est singulière dans les deux grosses planè- tes : il est cependant vrai que la densité de la terre, au lieu d’être 2067, se trouve être 400, | et que par conséquent il faut que le globe ter- restre se soit condensé dans cette raison de | 2067 à 400. Mais la condensation ou la coction des pla- nètes n’a-t-elle pas quelque rapport avec la quantité de la chaleur du soleil dans chaque planète? Et dès lors Saturne , qui est fort éloi- gné de cet astre, n’aura souffert que peu ou point de condensation ; Jupiter sesera condensé de 29%! à 944 : or la chaleur du soleil dans Ju- piter étant à celle du soleil sur la terre comme 145 sont à 400, les condensations ont dû se faire dans la même proportion; de sorte que Jupiter s'étant condensé de 90{tà 94 ÿ la terre LA TERRE. 87 aurait dû se condenser en même proportion de 2067 à 215-%%, si elle eût été placée dans l’or- bite de Jupiter, où elle n'aurait dû recevoir du soleil qu’une chaleur égale à celle que reçoit cette planète. Mais la terre se trouvant beau- | coup plus près de cet astre, et recevant une chaleur dont le rapport à celle que reçoit Jupi- ter est de 400 à 145, il faut multiplier laquan- tité de la condensation qu’elle aurait eue dans Vorbe de Jupiter par le rapport de 400 à 14%, ce qui donne à peu près 234 { pour la quantité dont la terre a dû secondenser. Sa densité était 206 : en y ajoutant la quantité de condensa- tion , l'on trouve pour sa densité actuelle 4007; ce qui approche assez de la densité 400, dé- terminée par la parallaxe de la lune. Au reste, je ne prétends pas donner ici desrapports exacts, mais seulement des approximations, pour faire voir que les densités des planètes ont beaucoup | de rapport avec leur vitesse dans leurs orbites. La comète, ayant done, par sa chute obli- | que, sillonné la surface du soleil , aura poussé hors du corps de cet astre une partie de matière égale à la six cent cinquantième partie de sa masse totale. Cette matière, qu’on doit considé- rer dans un état de fluidité ou plutôt de liqué- faction, aura d’abord formé un torrent ; les parties les plus grosses et les moins denses au- ront été poussées au plus loin, et les parties les plus petites et les plus denses, n'ayant reçu que la même impulsion, nese seront pas si fort éloi- gnées, la force d'attraction du soleil les aura retenues ; toutes les parties détachées par la comète, et poussées les unes par les autres, au- ront été contraintes de circuler autour de cet astre, et en même temps l’attraction mutuelle des parties de la matière en aura formé des globes à différentes distances, dont les plus voi- sins du soleil auront nécessairement conservé plus de rapidité, pour tourner ensuite perpé- tuellement autour de cet astre. Mais, dira-t-on une seconde fois, si la ma- tière qui compose les planètes a été séparée du corps du soleil, les planètes devraient être, comme le soleil, brülantes et lumineuses, et non pas froides et opaques comme elles le sont : rien ne ressemble moins à ce globe de feu qu’un globe de terre et d’eau; et, à en juger par com- paraison , la matière de la terre et des planètes est tout à fait différente de celle du soleil. A cela on peut répondre que, dans la sépara- tion qui s’est faite des particules plus ou moins 58 denses, la matière a changé de forme, et que la lumière ou le feu se sont éteints par cette sépa- ration causée par le mouvement d’impulsion. D'ailleurs, ne peut-on pas soupçonner que si le soleil, ou une étoile brûlante et lumineuse par elle-même, se mouvait avec autant de vitesse que se meuvent les planètes, le feu s’éteindrait peut-être, et que c’est par cette raison que tou- tes les étoiles lumineuses sont fixes et ne chan- sent pas de lieu , et que ces étoiles que l’on ap- pelle nouvelles, qui ont probablement changé de lieu, se sont éteintes aux yeux même des observateurs? Ceci se confirme par ce qu’on a observé sur les comètes; elles doivent brûler jusqu’au centre lorsqu'elles passent à leur péri- bélie : cepéndant elles ne deviennent pas lu- mineuses par elles-mêmes; on voit seulement qu’elles exhalent des vapeurs brülantes dont elles laissent en chemin une partie considé- rable. J'avoue que si le feu peut exister dans un mi- lieu où il n’y a point ou très-peu de résistance , il pourrait aussi souffrir un très-crand mouve- ment sans s’éteindre; j'avoue aussi que ce que je viens de dire ne doit s'entendre que des étoiles qui disparaissent pour toujours, et que celles qui ont des retours périodiques et qui se mon- trentetdisparaissent alternativement sans char - ger de lieu sont fort différentes de celles dont je parle : les phénomènes de ces astres singuliers ont été expliqués d’une manière très-satisfai- | sante par M. de Maupertuis dans son Discours | sur la figure des astres, et je suis convaincu qu’en partant des faits qui nous sont connus , il n’est pas possible de mieux deviner qu’il l’a fait. Mais les étoiles qui ont paru et ensuite disparu | pour toujours se sont vraisemblablement étein- | tes, soit par la vitesse de leur mouvement, soit par quelque autre cause, et nous n’avons point d'exemple dans la nature qu’un astre lumineux | tourne autour d’un autre astre : de vingt-huit ou trente comètes et de onze planètes qui com- | posent notre système, et qui se meuvent autour du soleil avec plus ou moins de rapidité, il n’y en a pas une de lumineuse par elle-même. On pourraitrépondre encoreque le feu ne peut | pas subsister aussi long-temps dans les petites que dans les grandes masses, et qu’au sortir du soleil les planètes ont dû brûler pendant quelque temps, mais qu’elles se sont éteintes fautede ma- tières combustibles, comme le soleil s'éteindra probablement par la même raison, mais dans | HISTOIRE NATURELLE. les âges futurs et aussi éloigués des temps aux- … quels les planètes se sont éteintes, que sa gros- seur l’est de celle des planètes. Quoi qu’il en soit, la séparation des parties plus ou moins denses, qui s’est faite nécessairement dans le temps que la comète a poussé hors du soleil la matière des planètes, me parait suffisante pour rendre raison de cette extinction de leurs feux. La terre et les planètes , au sortir du soleil , étaient donc brülantes et dans un état de liqué- faction totale. Cet état de liquéfaction n’a duré qu’autant que la violence de la chaleur qui Pa- vait produit; peu à peu les planètes se sont re- froidies, et c'est dans le temps de cet état de fluidité causée par le feu, qu’elles auront pris leur figure, et que leur mouvement de rotation aura fait élever les parties de l'équateur en abaissant les pôles. Cette figure, qui s’accorde si bien avecles lois de l’hydrostatique, suppose nécessairement que la terre et les planètes aient été dans un état de fluidité , et je suis ici de l’avis de M . Leiïbnitz ! : cette fluidité était une liquéfaction causée par la violence de la chaleur ; l'intérieur de la terre doit être une matière vitrifiée dont les sables, les grès, le roc vif, les granites, et peut-être les argiles , Sont des fragments et des scories. On peut done croire, avec quelque vraisem- blance, que les planètes ontappartenu au soleil, qu'elles en ont été séparées par un seul coup qui leur a donnéun mouvement d’impulsion dans le même sens et dans la méme plan, et que leur position àdifférentes distances du soleil ne vient que de leurs différentes densités. Il reste main- tenant à expliquer par la même théorie le mou- vement de rotation des planètes et la formation des satellites : mais ceci, loin d’ajouter des difficultés ou des impossibilités à notre hypo- thèse, semble au contraire la confirmer. Carle mouvement de rotation dépend unique- ment de l’obliquité du coup, et il est nécessaire qu’une impulsion , dès qu’elle est oblique à la surface d’un corps , donne à ce corps un mou- vement de rotation : ce mouvement de rotation sera égal et toujours le même, si le corps qui le recoit est homogène; et il sera inégal si le corps est composé de parties hétérogènes, ou de diffé- rente densité : et de là on doit conclure que dans chaque planète lamatière est homogène, puisque leur mouvement derotation estégal:autre preuve ! Protogæa, aut G. G. L. act. Er. Lips. an. 1692. THÉORIE DE LA TERRE. de la séparation des parties denses et moins denses lorsqu'elles se sont formées. Mais l’obliquité du coup a pu être telle qu’il se sera séparé du corps de la planète princi- pale de petites parties de matière, qui auront conservé la même direction de mouvement que la planète même, ces parties se seront réunies, suivant leurs densités , à différentes distances de la planète par la force de leur attraction mutuelle , et en même temps elles auront suivi nécessairement la planète dans son cours au- tour dusoleil, en tournant elles-mêmes autour dg la planète, à peu près dans le plan de son orbite. On voit bien que ces petites parties, que la grande obliquité du coup aura séparées, sont les satellites : ainsi la formation , la posi- tion et la direction des mouvements des satel- lites s'accordent parfaitement avec la théorie ; car ils ont tous la mème direction de mouve- ment dans des cercles concentriques autour de leur planète principale ; leur mouvement est dans le mème plan, et ce plan est celui de l’or- bite de la planète. Tous ces effets , qui leur sont communs, et qui dépendent de leur mouve- ment d’impulsion , ne peuvent venir que d’une cause commune, c’est-à-dire d’une impulsion commune de mouvement, qui leur a été com- muniqué par un seul et même coup, donné sous une certaine obliquité. Ce que nous venons de dire sur la cause du mouvement de rotation et de la formation des satellites, acquerra plus de vraisemblance si nous faisons attention à toutes les circonstan- ces des phénomènes. Les planètes qui tournent le plus vite sur leur axe sont celles qui ont des satellites. La Terre tourne plus vite que Mars dans le rapport d'environ 24 à 15; la Terre a un satellite, et Mars n’en a point. Jupiter sur- tout, dont la rapidité autour de son axe est cinqou six cents fois plus grande que celle de la Terre, a quatre satellites ; et il y a grande ap- parencequeSaturne, quienacinqet un anneau, tourne encore beaucoup plus vite que Jupiter. Onpeutmème conjecturer, avec quelque fon- dement, qué l’anneau de Saturne est parallèle à l'équateur de cette planète ; en sorte que le plan del’équateur del’anneau et celui de l'équateur de Saturne sont à peu près les mêmes; car, en supposant, suivant la théorie précédente , que l'obliquité du coup par lequel Saturne a été mis en mouvement ait été fort grande, la vitesse autour de l’axe, quiaura résulté dececoupobli- 89 que, aura pu d’abord être telle, que la force centrifuge excédait celle de la gravité; et il se sera détaché de l'équateur et des parties voisi- nes de l'équateur de la planète une quantité con- sidérable de matière, qui aura nécessairement pris la figure d’un anneau dont le plan doit être à peu près le même que celui de l'équateur de la planète; et cette partie de matière qui forme l'anneau, ayant été détachée de la planète dans le voisinage de l'équateur, Saturne en a été abaissé d'autant sous l'équateur; ce qui fait que, malgré la grande rapidité que*nous lui suppo- sons autour de son axe, les diamètres de cette planète peuvent n'être pas aussi inégaux que ceux de Jupiter, qui diffèrent de plus d’une onzième partie. Quelque grande que soit à mes yeux la vrai- semblance de ce que j'ai dit jusqu'ici sur la formation des planètes et de leurs satellites « comme chacun a sa mesure , surtout pour esti- mer des probabilités de cette nature, et que cette mesure dépend de la puissance qu’a l'esprit pour combiner des rapports plus ou moins éloignés, je ne prétends pas contraindre ceux qui n’en voudront rien croire. J’ai cru seulement devoir semer ces idées, parce qu’elles m'ont paru rai- sonnables et propres à éclaircir une matière sur laquelle on n’a jamais rien écrit , quelque im- portant qu’en soit le sujet, puisque le mouve- ment d’impulsion des planètes entre au moins pour moitié dans la composition du système de Punivers, que l'attraction seule ne peut ex- pliquer. J’ajouterai seulement, pour ceux qui Youdraient nier la possibilité de mon système, les questions suivantes : 19 N'’est-il pas naturel d'imaginer qu'un corps, qui est en mouvement, ait recu ce mou- vement par le choc d’un autre corps ? 20 N’est-il pas très-probable que plusieurs Corps qui ont la même direction dans leur mou- vement, ont recu cette direction par un seul ou par plusieurs coups dirigés dans le même sens ? 30 N’est-il pas tout à fait vraisemblable que plusieurs corps, ayant la même direction dans leur mouvement et leur position dans un même plan, n’ont pas recu cette direction dansle même sens , et cette position dans le même plan par plusieurs coups, mais par un seul et même coup? 40 N'est-il pas très-probable qu’en même temps qu'un corps reçoit un mouvement d’im- 90 HISTOIRE NATURELLE. pulsion, il le reçoive obliquement, et que par conséquent il soit obligé de tourner sur lui- même, d'autant plus vite que l’obliquité du coup aura été plus grande? Si ces questions ne paraissent pas déraisonnables , le système dont nous venons de donner une ébauche ces- sera de paraitre une absurdité. Passons maintenant à quelque chose qui nous touche de plus près, et examinons la figure de la Terre, sur laquelle on a fait tant de recher- ches et de si grandes observations. La Terre étant, comme il paraît par légalité de son mou- vement diurne et la constance de l’inclinaison de son axe, composée de parties homogènes, et toutes ces parties s’attirant en raison de leurs masses, elle aurait pris nécessairement la figure d’un globe parfaitement sphérique, si le mouve- ment d’impulsion eût été donné dans une direc- tion perpendiculaire à la surface, mais ce coup ayant été donné obliquement, la Terre a tourné sur son axe dans le même temps qu’elle a pris sa forme ; etdela combinaison de ce mouvement de rotation et de celui de l’attraction des par- ties, il a resulté une figure sphéroide, plus éle- vée sous le grand cercle de rotation, et plus abaissée aux deux extrémités de l’axe; et cela, parce que l’action de la force centrifuge prove- nant du mouvement de rotation diminue lac- tion de la gravité : ainsi la Terre étant homo- gène, et ayant pris sa consistance en même tempsqu’ellea reçu son mouvement de rotation, elle a dû prendre une figure sphéroïde dont les deux axes diffèrent d’une 230° partie. Ceci peut se démontrer à la rigueur, et ne dépend point des hypothèses qu’on voudmait faire sur la di- rection de la pesanteur; car il n’est pas permis de faire des hypothèses contraires à des vérités établies, ou qu’on peut établir. Or les lois de la pesanteur nous sont connues ; nous ne pouvons douter que les corps ne pèsent les uns sur les autres en raison directe de leurs masses, et in- verse du carré de leurs distances : de même nous ne pouvons pas douter que l’action géné- rale d’une masse quelconque ne soit composée de toutes les actions particulières des partiesde cette masse. Ainsi iln’y a point d’hypothèse à faire sur Ja direction de la pesanteur : chaque partie dematières’attire mutuellement en raison directe de sa masse, et inverse du carré de la distance; et de toutes ces attractions il résulte une sphère lorsqu'il n’y a point de rotation, et il en résulte un sphéroïde lorsqu'il y a rotation. Ce sphéroïde est plus ou moins accourci aux deux extrémités de l’axe de rotation, à pro- portion de la vitesse de ce mouvement; et la Terre à pris, en vertu de sa vitesse de rotation et de l'attraction mutuelle de toutes ses parties, la figure d’un sphéroïde dont les deux axes sont entre eux comme 229 à 230. Ainsi, par sa constitution originaire, par son homogénéité, et indépendamment de toute hypothèse sur la direction de la pesanteur, la Terre a pris cette figure dans le temps de sa formation, et elle est, en vertu des lois de la mécanique, élevée nécessairement d'environ six lieues et demie à chaqueextrémité du diamètre de l’équateur de plus que sous les pôles. Je vais insister sur cet article, parce qu'il yaencore des géomètres qui croient que la figure de la Terre dépend, dans la théorie, du système de philosophie qu’on embrasse, et de la direc- tion qu'on suppose à la pesanteur. La première chose que nous ayons à démontrer, c’est l’at- _traction mutuelle de toutes les parties de la matière; et la seconde, l’homogénéité du globe terrestre. Si nous faisons voir clairement que ces deux faits ne peuvent pas être révoqués en doute, il n’y aura plus aucune hypothèse à faire sur la direction de la pesanteur : la Terre aura eu nécessairement la figure déterminée par Newton; et toutes les autres figures qu’on voudrait lui donner en vertu des tourbillons ou des autres hypothèses ne pourront subsister. On ne peut pas douter, à moins qu’on ne doute de tout, que ce ne soit la force de ja gravité qui relient les planètes dans leurs orbites. Les sa- tellites de Saturne gravitent vers Saturne, ceux de Jupiter vers Jupiter, la Lune vers la Terre, et Saturne, Jupiter, Mars, la Terre, Vénus et Mercure, gravitent vers le Soleil ; de même Sa- turne et Jupiter gravitent vers leurssatellites, la Terre gravite vers la Lune, et le Soleil gra- vite vers les planètes. La gravité est doncgéné- rale et mutuelle dans toutes les planètes; car l’action d’une force ne peut pas s'exercer sans qu'il y ait réaction : toutes les planètes agissent done mutuellement les unes sur les autres. Cette attraction mutuelle sert de fondement aux lois de leur mouvement , et elle est démontrée par les phénomènes. Lorsque Saturne et Jupiter sont en conjonction, ils agissent l’un sur l’autre, et cette attraction produit uneirrégularité dans leur mouvement autour du Soleil. Il en est de même de la Terre et de la Lune; elles agissent © THÉORIE DE LA TERRE. 91 mutuellement l’une sur l’autre, mais les irré- gularités du mouvement de la Lune viennent de l'attraction du Soleil, en sorte que le Soleil, la Terre et la Lune agissent mutuellement les uns sur les autres. Or cette attraction mutuelle que les planètes exercent les unes sur les autres est proportionnelle à leur quantité de matières lorsque les distances sont égales; etlamême force de gravité qui fait tomber les graves sur la sur- ace de la Terre, et qui s’étend jusqu’à la Lune, - est aussi proportionnelle à la quantité de ma- tière : donc la gravité totale d’une planète est composée de la gravité de chacune des parties qui la composent ; donc toutes les parties de la matière, soit dans la Terre, soit dans les pla- nètes , gravitent les unes sur les autres; done toutes les parties de la matière s’attirent mu- tuellement : cela étant une fois prouvé, la Terre, par son mouvement de rotation, a dû néces- sairement prendre la figure d’un sphéroïde dont les axes sont entre eux comme 229 à 230, et la direction de la pesanteur est nécessairement perpendiculaire à la surface de ce sphéroïde ; par conséquent , il n’y a point d'hypothèse à . . . A . | faire sur la direction de la pesanteur, à moins qu'on ne nie l'attraction mutuelle et générale des parties de la matière : mais on vient de voir que l'attraction mutuelle est démontrée par les observations ; et les expériences des pendules prouvent qu’elle est générale dans toutes les par- ties de la matière : donc on ne peut pas faire de nouvelleshypothèses sur la direction de la pesan- teur, sans aller contre l'expérience et la raison. Venons maintenant à l’homogénéité du globe terrestre. J'avoue que si l’on suppose que le globe soit plus dense dans certaines parties que dans d’autres, la direction de la pesanteur doit être différente de celle que nous venons d’assi- “&ner; qu’elle sera différente suivant les diffé- rentes suppositions qu’on fera, et que la figure de la Terre deviendra différente aussi en vertu des mèmes suppositions. Mais quelle raison a- t-on pour croire que cela soit ainsi? Pourquoi veut-on, par exemple, que les parties voisines du centre soient plus denses que celles qui en sont éloignées? Toutes les particules qui composent le globe ne se sont-elles pas rassemblées par leur attraction mutuelle? Dès lors chaque particule est un centre, et il n’y a pas de raison pour eroire que les parties qui sont autour du centre de grandeur du globe soïent plus denses que velles qui sont autour d’un autre point. Mais d’ailleurs, si une partie considérable du globe était plus dense qu’une autre partie , l’axe de rotation se trouverait plus près des parties den- ses, et il en résulterait une inégalité dans la ré- volution diurne , en sorte qu’à la surface de la Terre ,nousremarquerions de l'inégalité dans le mouvement apparent des fixes ; elles nous parai- traient se mouvoir beaucoup plus vite ou beau- coup plus lentement au zénith qu’à l’horizon, selon que nous serions posés sur les parties den- ses ou légères du globe. Cet axe de la Terre, ne passant plus par le centre de grandeur du globe, changerait aussi très-sensiblement de position. Mais tout cela n'arrive pas : onsait ,au contraire, que le mouvement diurne de la Terre est égal et uniforme ; on sait qu’à toutes les parties de la surface de la Ferre les étoiles paraissent se mou- voiravee la même vitesse à toutes les hauteurs ; et s’il y aune mutation dans l’axe, elleest assez insensible pour avoir échappé aux observa- teurs. On doit donc conclure que le globe est homogène ou presquehomogène dans toutes ses parties. Si la Terre était un globe creux et vide, dont la croûte n'aurait, par exemple, que deux ou trois lieues d’épaisseur , il en résulterait 1° que les montagnes seraient , dans ce cas , des parties si considérables de l'épaisseur totale de la croûte, qu'il y aurait une grande irrégularité dans les mouvements de la Terre par l'attraction de la Lune et du Soleil ; car ,quand les parties les plus élevées du globe, comme les Cordilières , au- raient la Lune au méridien, l'attraction serait beaucoup plus forte sur le globe entier quequand les parties les plus bassesauraient de même cet astre au méridien ; 2° l'attraction des montagnes serait beaucoup plus considérable qu’elle ne l’est en comparaison de l’attraction totale du globe, et les expériences faites à la montagne de Chim- boraço au Pérou , donneraient , dans cecas , plus de degrés qu’elles n’ont donné de secondes pour la déviation du fil à plomb ; 3° la pesanteur des corps serait plus grande au-dessus d’une haute montagne, commele pie de Ténériffe, qu’au ni- veau de la mer; en sorte qu’on se sentirait con- sidérablement plus pesant, et qu’on marcherait plus difficilement dans les lieux élevés que dans les lieux bas. Ces considérations , et quel- ques autres qu’on pourrait y ajouter, doivent nous faire croire que l’intérieur du globe n'est pas vide, etqu’il est rempli d’une matière assez dense. œ HISTOIRE NATURELLE. D'autre côté, si au-dessous de deux ou trois licues la terre était remplie d’une matière beau- coup plus dense qu'aucune des matières que nous connaissons, il arriverait nécessairement que toutes les fois qu'on descendrait à des pro- fondeurs même médiocres , on pèserait sensi- blement beaucoup plus, les pendules s’accélé- reraient beaucoup plus qu'ils ne s’accélèrent en effet lorsqu'on les transporte d’un lieu élevé dans un lieu bas. Ainsi nous pouvons présumer que l’intérieur de la terre est rempli d’une ma- tière à peu près semblable à celle qui compose sa surface. Ce qui peut achever de nous déter- miner en faveur de ce sentiment, c’est que dans le temps de la première formation du globe , lorsqu'il a pris la forme d’un sphéroide aplati sous les pôles, la matière qui le compose était en fusion , et par conséquent homogène et à peu près également dense dans toutes ses parties, aussi bien à la surface qu’à l’intérieur. Depuis ce temps la matière de la surface , quoique la même, a été remuée et travaillée par les causes extérieures ; ce qui a produit des matières de différentes densités. Mais on doit remarquer que les matières qui, comme l'or et les métaux, sont les plus denses , sont aussi celles qu’on trouve le plus rarement , et que, en conséquence de l’action des causesextérieures , la plus grande partie de la matière qui compose le globe à la surface n’a pas subi de très-grands changements par rapport à sa densité, et les matières les plus communes , comme le sable et la glaise, ne dif- fèrent pas beaucoup en densité, en sorte qu’il y a tout lieu de conjecturer avec grande vrai- semblance, que l’intérieur de la terre est rempli d’une matière vitrifiée dont la densité est à peu près la même que celle du sable: et que par con- séquent le globe terrestre en général peut être regardé comme homogène. Il reste une ressource à ceux qui veulent ab- solument faire des suppositions ; c’est de dire que le globe est composé de couches concentri- ques de différentes densités : car, dans ce cas, le mouvement diurne sera égal, et l’inclinaison de l’axe constante, comme dans le cas de l’ho- mogénéité. Je l'avoue; mais je demande en même temps s’il y a aucune raison de croire que ces couches de différentes densités existent, si ce n’est pas vouloir que les ouvrages de la nature s’ajustent à nos idées abstraites , et si l'on doit admettre en physique une supposition quin’est fondéesur aucune observation , aucune analogie, et qui ne s'accorde avec aucune des inductions que nous pouvons tirer d’ailleurs, Il parait done que la terre a pris, en vertu de l'attraction mutuelle de ses parties et de son mouvement de rotation, la figure d’un sphéroïde dont les deux axes diffèrent d’une deux cent trentième partie : il paraît que c’est là sa figure primitive, qu’elle la prise néces- sairement dans le temps de son état de fluidité ou de liquéfaction; il parait qu'en vertu des lois de la gravité et de la force centrifuge, elle ne peut avoir d'autre figure; que du mo- ment même de sa formation il y a eu cette dif- férence entre les deux diamètres, de six lieues et demie d’élévation de plus sous l'équateur que sous le pôle, et que par conséquent toutes les hypothèses par lesquelles on peut trouver plus ou moins de différence sont des fictions auxquelles il ne faut faire aucune attention. Mais, dira-t-on , si la théorie est vraie, si le rapport de 229 à 230 est le vrai rapport des axes, pourquoi les mathématiciens envoyés en Laponie et au Pérou s’accordent-ils à donner le rapport de 174 à 175? d’où peut venir cette différence de la pratique à k théorie? et, sans faire tort au raisonnement qu’on vient de faire pour démontrer la théorie, n'est-il pas plus raisonnable de donner k préférence à la pra- tique et aux mesures, surtout quand on ne peut pas douter qu’elles n'aient été prises par les plus habiles mathématiciens de l’Europe (M. de Maupertuis, Figure de la Terre), et avec toutes les précautions nécessaires pour en constater_le résultat? A cela je réponds que je n’ai garde de donner atteinte aux observations faites sous l'équateur et au cercle polaire, que je n’ai aucun doute sur leur exactitude, et que la terre peut bien être réellement élevée d’une centsoixante-quinzièmé partie de plus sous l’équateur quesous les pôles; maisenmémetemps je maintiens la théorie, etje voisclairement que cesdeux résultats peuventse concilier. Cettedifférence des deux résultats dela théorie etdesmesures est d'environ quatre lieues dans les deux axes, en sorte que les parties sous l'équateur sont élevées de deux lieues de plus qu’elles ne doivent l’être suivant la théorie. Cette hauteur de deux lieues répond assez juste aux plus grandes inégalités de Ja surface du globe : elles proviennent du mouvement de la mer et de l’action des fluides à Ja surface de la terre. Je m'explique : il me parait que dans le à THÉORIE DE LA TERRE. 95 temps que la terre s’est formée, elle anécessaire- ment dù prendre, en vertu de l'attraction mu- tuelle de ses parties et de l’action de la force cen- trifuge, la figure d’un sphéroïde dont les axes différent d’une deux cent trentième partie. La terre ancienne et originaire a eu nécessairement cette figure qu’elle a priselorsqu’elleétait fluide, ou plutôtliquéfiéepar le feu : mais lorsqu'après sa formation et son refroidissement les vapeurs qui étaient étendues et raréfiées, comme nous voyons l'atmosphère et la queue d’une comète, se furent condensées, elles tombèrent sur la sur- face de la terre, et formèrent l’air et l’eau; et lorsquéees eaux qui étaient à la surface furent agitées par le mouvement du flux et reflux, les matières furent entrainées peu à peu des pôles vers l’équateur, en sortequ'il est possible que les parties des pôles se soient abaissées d’envi- ron une lieue, et que les parties de l'équateur se soient élevées de la mème quantité. Cela ne s’est pas fait tout à coup, mais peu à peu et dans la succession des temps : la terre étant à l’exté- rieur exposée aux vents, à l’action de l'air et du soleil, toutes ces eauses irrégulières ont con- couru avec le flux et reflux pour sillonner sa surface; y creuser des profondeurs, y élever des montagnes; ce qui a produit des inégalités, des irrégularités dans cette couche de terre remuée, dont ndant la plus grande épaisseur ne peut être que d’une lieue sous l'équateur. Cette iné- galité de deux lieues est peut-être la plus grande qui puisse être à la surface de la terre; car les p'üs hautes montagnes n’ont guère qu’une lieue de hauteur, et les plus grandes profondeurs de li mer n’ont peut-être pas une lieue. La théorie est done vraie, et la pratique peut l'être aussi : la terre a dù d’abord n'être élevée sous l’équa- teur que d'environ six lieues et demie de plus qu’au pôle; et ensuite, par les changements qui sont arrivés à sa surface, elle a pu s'élever da- vantage. L'histoire naturelle confirme merveil- leusement cette opinion, et nous avons prouvé, dans le discours précédent, que c’est le flux et reflux, etles autres mouvements des eaux, qui ont produit les montagnes et toutes les inéoali- tés de la surface du globe; que cette même surface a subi des changements très-considéra- bles, et qu’à de grandes profondeurs , comme sur les plus grandes hauteurs, on trouve des “os, des coquilles et d’autres dépouilles d’ani- maux habitants des mers ou de la surface de la terre. S- On peut conjecturer par ce qui vient d'être dit que, pour trouver laterre ancienne et les matières qui n’ont jamais été remuées, il fau- drait creuser dans les climats voisins des pôles, où la couche de la terre remuée doit être plus mince que dans les climats méridionaux. Au reste, si l’on examine de près les mesures par lesquelles on a déterminé la figure de la terre, on verra bien qu’il entre de l’hypothéti- que dans cette détermination , car elle suppose que la terre a une figure courbe régulière; au lieu qu’on peut penser que la surface du globe ayant été altérée par une grande quantité de cau- ses combinées à l'infini , elle n’a peut-être aucune figure régulière, et dès lors la terre pourrait bien v’être en effet aplatie que d’une deux cent tren- tième partie, comme le dit Newton, et comme la théorie le demande. D'ailleurs, on sait bien que, quoiqu’on ait exactement la longueur du degré au cercle polaire et à l'équateur, on n’a pas aussi exactement la longueur du degré en France, et que l’on n’a pas vérifié la mesure de M. Picard. Ajoutez à cela que la diminution et l'augmentation du pendule ne peuvent pas s’ac- corder avec le résultat des mesures, et qu’au con- traire elles s’accordent, à très-peu près, avec la théorie de Newton. En voilà plus qu’il n’en faut pour qu’on puisse croireque la terre n’est réelle- mentaplatie que d’unedeux centtrentième partie, et que, s’il y a quelque différence, elle ne peut venir que des inégalités que les eaux et les au- tres causes extérieures ont produites à la sur- face; et ces inégalités étant, selon toutes les apparences , plus irrégulières que régulières . on ne doit pas faire d’hypothèse sur cela, ni supposer, comme on l’a fait, que les méridiens sont des ellipses ou d’autres courbes régu- lières : d'où l'on voit que, quand on mesure- rait successivement plusieurs degrés de la terre dans tous les sens, on ne serait pas en- core assuré par là de la quantité d’aplatisse- ment qu’elle peut avoir de moins ou de plus que de la deux cent trentième partie. Ne doit-on pas conjecturer aussi que, si l’in- clinaison de l’axe de la terre a changé, ce ne peut être qu’en vertu des changements arrivés à lasurface, puisque tout le reste du globe est ho- mogène; que par conséquent cette variation est trop peu sensible pour être apereue par les astronomes, et qu’à moins que la terre ne soit rencontrée par quelque comète, ou dérangée par quelque autre cause extérieure, son axe de- 94 meurera perpétuellement incliné comme il l’est aujourd’hui, et comme il l’a toujours été? Et, afin de n’omettre aucune des conjectures qui me paraissent raisonnables, ne peut-on pas dire que, comme les montagnes et les inégalités qui sont à la surface de la terre ont été formées par l’action du flux etreflux, les montagnes et les inégalités que nous remarquons à la surface de la lune ont été produites par une cause sem- blable? qu’elles sont beaucoup plus élevées que celles de la terre, parce que le flux et le reflux y est beaucoup plus fort, puisqu'ici c’est la lune, et là c’est la terre qui le cause, dont la masse, étant beaucoup plus considérable que celle de la lune, devrait produire des effets beau- coup plus grands si la lune avait, comme la terre, un mouvement de rotation rapide par le- quel elle nous présenterait successivement tou- tes les parties de sa surface? mais comme la lune présente toujours la même face à la terre, leflux et lereflux ne peuvent s’exercer dans cette planète qu’en vertu de son mouvement de li- bration , par lequel elle nous découvre alternati- vement un segment de sa surface; ce qui doit produire une espèce de flux et de reflux fort dif- férent de celui de nos mers, et dont les effets doivent être beaucoup moins considérables qu'ils ne le seraient si ce mouvement avait pour cause une révolution de cette planète autour de son axe, aussi prompte que l’est la rotation du globe terrestre. J'aurais pu faire un livre gros comme celui de Burnet ou de Whiston, si j'eusse voulu dé- layer les idées qui composent le système qu’on vient de voir; et en leur donnant l’air géomé- trique, comme l’a fait ce dernier auteur, je leur eusse en même temps donné du poids ; mais je pense que des hypothèses, quelquewraisembla- bles qu'elles soient, ne doivent point être trai- tées avec cet appareil qui tient un peu de Ja charlatanerie. A Buffon , le 20 septembre 1745. ADDITIONS À L'ARTICLE QUI À POUR TITRE, DE LA FORMATION DES PLANÈTES. Sur la distance de la terre au soleil. J'ai dit que a terre est située à trente mil- HISTOIRE NATURELLE. ‘+ _ lions de lieues du soleil, et c'était en effet l'o- pinion commune des astronomes en 1745, lors- que j'ai écrit ce traité de la formation des planètes: mais de nouvelles observations, et surtout la dernière , faite en 1769, du passage de Vénus sur le disque du soleil, nous ont dé- montré que cette distance de trente millions doit être augmentée de trois ou quatre millions de lieues; et c’est par cette raison que, dans les deux mémoires de la partie hypothétique de cet ouvrage, j'ai toujours np mil- lions de lieues , et non pas trente , pour la dis- tance moyenne de la terre au soleil. Je suis obligé de faire cette remarque , afin qu'on ne me mette pas en opposition avec moi-même. Je dois encore remarquer que, non-seulement on a reconnu, par les nouvelles observations, que le soleil était à quatre millions de lieues de plus de distance de la terre, mais aussi qu’il élait plus volumineux d’un sixième, et que, par conséquent , le volume entier des planètes n’est guère que la huit centième partie de celui du soleil, et non pas la six cent cinquantième par- tie, comme je l'ai avancé, d’après les connais- sances que nous avions en 1745 sur ce sujet : cette différence en moins rend d'autant plus plausible la possibilité de cette projection de la matière des planètes hors du soleil. Sur la matière du soleil et des planètes. J'ai dit que L« matière opaque qui compose le corps des planètes fut réellement séparée de la matière lumineuse qui compose le so- leil. . Cela pourrait induire en erreur : car la ma- tière des planètes, au sortir du soleil, était aussi lumineuse que la matière même de cet astre; et les planètes ne sont devenues opaques, ou, pour mieux dire , obscures, que quand leur état d'in- candescence a cessé. J’ai déterminé la durée de cet état d’incandescence dans plusieurs matières que j’ai soumises à l'expérience , et j'en ai con- clu, par analogie, la durée de l'incandescence | de chaque planète dans le premier mémoire de la partie hypothétique. Au reste, comme le torrent de la matière pro- jetée par la comète hors du corps du soleil a traversé l’immense atmosphère de cet astre, M il en a entrainé les parties volatiles, aériennes t aqueuses qui forment aujourd’hui les atmo- hères et les mers des planètes. Ainsi l’on peut THÉORIE DE LA TERRE. dire qu’à tous égards la matière dont sont com- | posées les planètes est la même que celledu so- leil, et qu'il n’y a d’autre différence que par le degré de chaleur, extrême dans le soleil, etplus ou moins attiédie dans les planètes, suivant le rapport composé de leur épaisseur et de leur densité. Sur le rapport de la densité des planètes avec leur . vitesse. J'ai dit qu'en suivant la proportion de ces rapports, da densilé du globe de la terre ne devrait étre que comme 206% au lieu d’étre comme 400. Cette densité de laterre, qui se trouve ici trop grande relativement à la Vitesse de son mouve- ment autour du soleil, doit être un peu dimi- nuée, par une raison quim’avaitéchappé : c’est que la lune, qu’on doit regarder ici comme fai- sant corps avec laterre, estmoins densedansla raison de 702 à 1000 ,etqueleglobelunaire fai- santunquarante-neuvième du volume du globe terrestre, il faut par conséquent diminuer la den- sité 400 delaterre , d’abord dansla raison de 100 à 702,cequinous donnerait 281, c’est-à-dire 119 dediminution sur la densité 400, si la lune était aussi grosse que la terre ; mais comme elle n’en fait ici quela quarante-neuvième partie, celane produit qu’une diminution de #2 ou 2%; et, par conséquent , la densité de noie globe relative- ment à sa vitesse, au lieu de 2067, doit être es- timée 20672, c'est-à-dire à peu près 209. D'ailleurs, on doit présumgr que notre globe était moins dense au commencement qu'il ne l'est aujourd’hui, et qu'il l’est devenu beaucoup plus, d’abord par lerefroidissement, et ensuite par l’affaissement des vastes cavernes dont son intérieur était rempli. Cette opinion s’accorde avec la connaissance que nous avons des boule- versements qui sont arrivés, et qui arrivent en- core tous les jours à la surface du globe, etjus- qu’à d'assez grandes profondeurs. Ce fait aide même à expliquer comment il est possible que les eauxdela meraient autrefoisété supérieures de deux mille toises aux parties de la terre ac- tuellement habitées; car ces eaux la couvriraient encore si, par de grands affaissements, la sur- face de la terre ne s’était abaissée en différents endroits pour former les bassins de la mer etles autres réceptacles des eaux , tels qu'ils sont au- jourd'hui. Sinous supposons le diamètre du globe ter- 95 restre de 2863 lieues, il en avait deux de plus lorsque les eaux le couvraient de 2000 toises de hauteur. Cette différence de volume de la terre donne-{- d'augmentation pour sa densité , par le seul abaissement des eaux : on peut même dou- bler et peut-être tripler cette augmentation de densité ou cette diminution de volume du globe, par l’affaissement et les éboulements des mon- tagnes , et par le remblais des vallées ; en sorte que depuisla chute des eauxsur laterre, on peut raisonnablement présumer qu’elle a augmenté de plus d’un centième de densité. Sur le rapport donné par Newton entre la densité des planètes et le degré de chaleur qu'elles ont à sup- porter. J'ai dit que, malgré la confiance que méri- tent les conjectures de Newton, la densité des planètes a plus de rapport avec leur vitesse qu'avec le degré de chaleur qu’elles ont à sup- porter. Par l'estimation que nous avons faite, dans les mémoires précédents , de l’action de la cha- leur solaire sur chaque planète, on a dù remar- quer que cette chaleur solaire est en général si peu considérable, qu’elle n’a jamais pu produire qu'une très-légère différence sur Ja densité de chaque planète ; car l’action de cette chaleur so- laire , qui est faible en elle-même , n’influe sur la densité des matières planétaires qu’à la surface même des planètes, et elle ne peut agir sur la matière qui est dans l’intérieur des globes plané- taires , puisque cette chaleur solaire ne peut pé- nétrer qu’à une très-petite profondeur. Aïnsi la densité totale de la masse entière de la planète n’a aucun rapport avec cette chaleur qui lui est envoyée du soleil. Dès lors il me paraît certain que la densitédes planètes ne dépend en aucune facon du degré de chaleur qui leur est envoyée du soleil, et qu’au contraire cette densité des planètes doitavoir un rapportnécessaire avecleur vitesse, laquelledé- pendd'unautrerapport,quime paraitimmédiat, c’est celui deleur distance au soleil. Nous avons vu que les parties les plus denses se sont moins éloignées que les parties les moinsdenses, dans le tempsde la projection générale. Mercure, qui est composé des parties les plusdenses de la ma- tière projetée hors du soleil, est resté dans le voisinage de cet astre ; tandis que Saturne , qui est composé des parties les plus légères de cette 9% HISTOIRE NATURELLE. même matière projetée , s'en est le plus éloigné. Et, comme les planètesles plusdistantes du soleil cireulent autour de cet astreavee plus de vitesse que les planètes les plus voisines , il s'ensuit que leur densitéaunrapportmédiatavecleur vitesse, et plus immédiat avec leur distance au soleil. Les distances des six planètes au soleil sont comme. ....:,.. «.4,7, 10, 15, 52,95; leurs densités, comme 2040, 1270, 1000, 750, 202, 184. Etsil’onsuppose les densités enraison inverse des distances, elles seront 2040 , 1160 , 8894, 660, 210, 159. Ce dernier rapport entre leurs densités respectivesest peut-être plus réel quele premier, parce qu'ilme paraît fondé sur la cause physique qui a dû produire la différence de den- sité dans chaque planète. ra PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE I. DU SYSTÈME DE M. WHISTON. A new Theory of the Earth, by Will. Whiston London , 1708. Cetauteurcommence son 7railé de la Théorie de la terre par une dissertation sur la création du monde. Il prétend qu’on a toujours mal en- tendu le texte de la Genèse; qu’on s’est trop at- taché à la lettre et au sens qui se présente à Ja première vue, sans faire attention à ce que la nature , la raison , la philosophie et même la dé- cence, exigeaient de l'écrivain pour traiter di- gnement cette matière. Il dit que les notions qu’on a communément de l'ouvrage des six jours sont absolument fausses , et que la description de Moïse n’est pas une narration exacte et phi- losophiquede la création de l’univers entier et de l'origine de toutes choses , mais une représenta- tion historique de la formation du seul globe terrestre. La terre , selon lui, existait aupara- vaut dans le chaos , et elle a reçu dans letemps mentionné par Moïse la forme , la situation et la consistance nécessaires pour pouxoir être habi- tée par le genre humain. Nous n’entrerüns point dans ke détail de ses preuves à cet égard .étnous n'entreprendrons pas d’en faire la réfutation : l'exposition que nous venons d’en faire suffit pour démontrer la contrariété de son opinion avec la foi, et, par conséquent, l'insuffisance ses preuves. Au reste, il traite cette matière en théologien controversiste plutôt qu’en phi- losophe éclairé. Partant de ces faux principes, il passe à des suppositions ingénieuses, et qui, quoique ex- traordinaires, ne laissent pas d’avoirundegréde vraisemblance, lorsqu'on veutse livreravee lui à l'enthousiasme du système. 11 dit que l’an- cien chaos, l'origine de notre terre, a été lat- mosphère d’une comète; que le mouvement an- nuel de la terre a commencé dans le temps qu'elle a pris une nouvelle forme; mais queson mouvement diurne n’a commencé qu'au temps de la chute du premier homme; quele cerelede l’écliptique coupait alors le tropique du cancer au pointdu paradisterrestre à la frontièred’As- syrie, du côté du nord-ouest ; qu'avant le dé- luge l’année commençait à l’équinoxe d’au- tomne; que les orbites originaires des planètes, et surtout l'orbite de la terre, étaient , avant le déluge, des cercles parfaits; que le déluge a commencé ledix-huitième jour de novembre de l’année 2365 de la période julienne, c’est-à-dire 2349 ans avant l’ère chrétienne ; que l'année solaire et l’année lunaireétaientlesmèmesavant le déluge , et qu’elles contenaient juste trois cent soixante jours; qu’une comète, descendant dans le plan de l’écliptique vers son périhélie, a passé tout auprès du globe de la terrele jour même que le déluge a commencé; qu'il y a une grande chaleur dans l'intérieur du globe ter- restre qui se répand constamment du centre à la circonférence; que la constitutionintérieure et totale de la terre est comme celle d’un œuf, ancien emblème du globe ; que les montagnes sont les parties les plus légères de la terre, ete. Ensuite il attribue au déluge universel toutes les altérations et tous les changements arrivés à la surface et à l’intérieur du globe : il adopte aveuglémentles hypothèses de Woodward, et sesert indistinctementde toutes les observations de cctauteurausujetde l’état présentdu globe; mais il y ajoute beaucoup lorsqu'il vient à trai- ter del’état futur de la terre : selon lui, elle pé- rira par le feu, et sa destruction sera précédée de tremblements épouvantables, de tonnerres et de météores effroyables; lé soleil et la lune auront l'aspect hideux; les cieux paraîtront sé THÉORIE DE LA TERRE. crouler, l'incendieseragénéralsurlaterre:mais, lorsque le feu aura dévoré tout ce qu’elle con- tient d'impur, lorsqu'elle sera vitrifiée et trans- parente comme le cristal, les suints etles bien- heureux viendront en prendre possession pour l'habiter jusqu'au jour du jugement dernier. Toutes ces hypothèses semblent, au premier coup d'œil, être autant d’assertions téméraires, pour ne pas dire extra vagantes. Cependant l’au- teur les a maniées avec tant d'adresse, et les à réunies avec tant de force, qu’elles cessent de paraître absolument chimériques. Il met dans son sujet autant d'esprit et de science qu’il peut en comporter ; et on sera toujours étonné que, d’un mélange d'idées aussi bizarres et aussi peu faites pour aller ensemble, on ait pu tirer un système éblouissant : ce n’est pas même aux esprits vulgaires, c’est aux yeux des savants qu’il paraitra tel, parce que les savants sont dé- concertés plus aisément que le vulgaire par l'étalage de l’érudition, et par la force et la nouveauté des idées. Notre auteur était un as- tronome célèbre , accoutumé à voir le ciel en raccourei, à mesurer les mouvements desastres, à compasser les espaces des cieux : il n’a jamais pu se persuader que ce petit grain de sable, cette terre que nous habitons, ait attiré l'attention du Créateur au point de l’occuper plus long- temps que le ciel et l'univers entier, dont la vaste étendue contient des millions de millions de soleils etde terres. Il prétend done que Moïse ne nous a pas donné l'histoire de la première création, mais seulement le détail de la nouvelle forme que la terre a prise , lorsque la main du Fout-Puissant l’a tirée du nombre des comètes pour la faire planète, ou, ce qui revient au même, lorsque, d’un monde en désordre et d’un chaos informe, il en a fait une habitation tran- quille et un séjour agréable. Les comètes sont en effet sujettes à des vicissitudes terribles, à cause de l’excentricité de leurs orbites : tantôt, comme dans celle de 1680, il y fait mille fois plus chaud qu’au milieu d’un brasier ardent ; tantôt il y fait mille fois plus froid que dans la glace, et elles ne peuvent guère être habitées que par d'étranges créatures, ou, pour tran- cher court, elles sont inhabitées. Les planètes , au contraire, sont des lieux de repos où la distance au soleil ne variant pas beaucoup, la température reste à peu près la même, et permet aux espèces de plantes et d’a- uimaux de croître, de durer et de multiplier. 1. 97 Au commencement Dieu créa tout l'univers; mais, selon notre auteur, la terre, confondue avec les autres astres errants, n’était alors qu’une comète inhabitable , souffrant alterna- tivement l'excès du froid et du chaud, dans la- quelle les matières se liquéfiant, se vitrifiant, se glaçant tour à tour, formaient un chaos, un abime enveloppé d’épaisses ténèbres, ettencbræ érant super faciem abyssi. Ce chaos était l'at- mosphère de la comète qu'il faut se représenter comme un corps composé de matières hétéro- gènes, dont le centre était occupé par un noyau sphérique, solideet chaud, d'environ deux mille lieues de diamètre, autour duquel s’étendaitune très-grande circonférence d’un fluide épais,mèlé d’une matière informe, confuse, tel qu'était l’ancien chaos, rudis indigestaque moles. Cette vaste atmosphère ne contenait que fort peu de parties sèches, solides ou terrestres, encore moins de particules aqueuses ou aériennes, mais une grande quantité de matières fluides, denses et pesantes, mêlées, agitées et confondues en- semble. Telle était la terre la veille des six jours; mais dès le lendemain , c’est-à-dire dès le premier jour de la création, lorsque l'orbite excentrique de la comète eut été changée en une ellipse presque circulaire, chaque ehose prit sa place , et les corps s’arrangèrent suivant la loi de leur gravité spécifique : les fluides pe- sants descendirent au plus bas, et abandon- nèrent aux parties terrestres, aqueuses et aé- riennes la région supérieure ; celles-ci descendi- rent aussi dans leur ordre de pesanteur, d’abord la terre, ensuite l’eau, et enfin l'air; et cette sphère d’un chaos immenseseréduisit à un globe d’un volume médiocre, au centre duquel est le noyau solide qui conserve encore”aujourd’hui la chaleur que le solëil lui a autrefois commu- niquée lorsqu'il était noyau de comète. Cette chaleur peut bien durer depuis six mille ans, puisqu'il en faudrait cinquante mille à la comète de 1630 pour se refroidir, et qu’elle a éprouvé, en passant à son périhélie une chaleur deux mille fois plus grande que celle d’un fer rouge. Auto de ce noyau solide et brûlant qui oc- cupele centre de la terre, se trouve le fluide dense et pesant qui descendit le premier, et c’est ce fluide qui forme le grand abime sur lequel la terre porterait comme le liége sur le vif-argent ; mais,comme les parties terrestresétaientmélées de beaucoup d’eau, elles ont, en descendant, en- traine une partie de cette eau, qui n’a pu remon- 7 9,8 HISTOIRE NATURELLE. ter lorsque la terre a été consolidée, et cette eau forme une couche concentrique au fluide pesant qui enveloppe le noyau : de sorte que le grand abime est composé de deux orbes concentriques, dont le plus intérieur est un fluide pesant et le supérieur est de l’eau; c’est proprement cette couche d’eau qui sert de fondement à la terre; et c’est de cet arrangement admirable de l’at- mosphère de la comète que dépendent la théorte de la terre et l’explication des phénomènes. Car onsent bien que, quand l'atmosphère de la comète fut une fois débarrassée de toutes ces matières solides et terrestres, il ne resta plus que la matière légère de l'air, à travers laquelle les rayons du soleil passèrent librement ; ce qui tout d’un coup produisit la lumière : Fiat lu. On voit bien que les colonnes qui composent l'orbe de la terre s'étant formées avec tant de précipitation , elles se sont trouvées de diffé- rentes densités, et que, par conséquent, les plus pesantes ont enfoncé davantage dans ce fluide souterrain ; tandis que les plus légères ne se sont enfoncées qu’à une moindre profondeur ; et c’est ce qui a produit sur la surface de Ja terre des vallées et des montagnes. Ces inéga- lités étaient, avant le déluge, dispersées et si- tuées autrement qu’elles ne le sont aujourd’hui : au lieu de la vaste vallée qui contient l’océan, il y avait sur toute la surface du globe plusieurs petites cavités séparées qui contenäient chacune une partie de cette eau, et faisaient autant de petites mers particulières; les montagnes étaient aussi plus divisées, et ne formaient pas des chaines comme elles en forment aujourd’hui. Cependant la terre était mille fois plus peuplée, et par conséquent mille fois plus fertile qu’elle ne l’est ; la vie des hommesset des animaux était dix fois plus longue, t cela parce que la chaleur intérieure de la terre, qui provient du noyau central, était alors dans toute sa force, et que ce plus grand degré de chaleur faisait éclore et germer un plus grand nombre d’ani- maux et de plantes, et leur donnait le degré de vigueur nécessaire pour durer plus longtemps et se multiplier plus abondamment : même chaleur, en augmentant les forces du corps, porta malheureusement à la tête des hommes et des animaux; elle augmenta les pas- sions, elle Ôta la sagesse aux ‘animaux et l’inno- cence à l’homme : tout, à l'exception des pois- sons qui habitent un élément froid, seressentit des effets de cette chaleur du noyau ; enfin, tout devint criminel, et mérita la mort. Elle arriva, cette mort universelle, un mercredi 28 novem- bre, par un déluge affreux de quarante jours et de quarante nuits ; et ce déluge fut causé par la queue d’une autre comète qui rencontra la terre en revenant de son périhélie. La queue d’une comète est la partie la plus légère de son atmosphère; c’est un brouillard - transparent, une vapeur subtile que l’ardeur du soleil fait sortir du corps de l'atmosphère de la comète ; cette vapeur, composée de parti- cules aqueuses et aériennes extrêmement raré- fiées, suit la comète lorsqu’elle descend à son péribélie, et la précède lorsqu’elle remonte, en sorte qu’elle est toujours située du côté opposé au soleil, comme si elle cherchait à se mettre à l'ombre et à éviter la trop grande ardeur de cet astre. La colonne que forme cette vapeur est souvent d’une longueur immense; et, plus une comète approche du soleil, plus la queue est longue et étendue, de sorte qu’elle occupe sou- vent des espaces très-grands ; et, comme plu- sieurs comètes descendent au-dessous de l’orbe annuel de la terre, il n’est pas surprenant que la terre se trouve quelquefois enveloppée de la vapeur de cette queue : c’est précisément ce qui est arrivé dans le temps du déluge : il n’a fallu que deux heures de séjour dans cette queue de comète pour faire tomber autant d’eau qu'il y en à dans la mer; enfin, cette queue était les cataractes du ciel : e{ cataracte cœli apertæ sunt. En effet, le globe terrestre ayant Rs rencontré la queue de la comète, il doit, en y faisant sa route, s'approprier une partie de ja matière qu’elle contient : tout ce quise trouvera dans la sphère de l'attraction du globe doit tom- ber sur la terre, et tomber en forme de pluie, puisque cette queue est en partie composée de vapeurs aqueuses. Voilà donc une pluie du ciel qu’on peut faire aussi abondante qu’on voudra, et un déluge universel dont les eaux surpasse- ront aisément les plus hautes montagnes. Ce- pendant, notre auteur, qui, dans cet endroit, ne veut pas s'éloigner de la lettredulivre sacré, ne donne pas pour cause unique du déluge cette pluie tirée de si loin; il prend de l’eau partout oùil y en a : le grand abime, comme nousayons vu, en contient une bonne quantité, La terre, à l'approchedelacomète, aurasans doute éprouvé la force de son attraction : les liquides conte- nus dans le grand abime, auront étés agités par un mouvement de flux et de reflux si violent, er ut Ge D EN VS + que la croûte superficielle n'aura pu résister ; elle se sera fendue en divers endroits, et les eaux de l'intérieur se seront répandues sur la surface, et rupli sunt fontes abyssi. Mais que faire de ces eaux que la queue de la comète et le grand abime ont fournies si libé- ralement? Notre auteur n’en est point embar- rassé. Dès que la terre, en continuant sa route, se fut éloignée de la comète, l'effet de son attraction , le mouvement de flux et de reflux cessa dans le grañd abime ; et dès lors les eaux supérieures s’y précipitèrent avec violence par les mêmes voies qu'elles en étaient sorties : le grand abime absorba toutes les eaux superflues, et se trouva d’une capacité assez grande pour recevoir, non-seulement les eaux qu'il avait déjà contenues , mais encore toutes celles que la queue de la comète avait laissées, parce que dans le temps de son agitation et de la rupture de la croûte, il avait agrandi l’espace en pous- sant de tous côtés la terre qui l’environnait. Ce fut aussi dans ce temps que la figure de la terre, qui jusque-là avait été sphérique, devint ellip- tique, tant par l’effet de la force centrifuge cau- sée par son mouvement diurne, que par l’action de la comète, et cela, parce que la terre, en parcourant la queue de la comète#se trouva posée de façon qu’elle présentait les partieside l'équateur à cet astre, et que la force de l’at- traction de la comète, concourant avec la force centrifuge de la terre, fit élever les parties de l’équateur avec d'autant plus de facilité que la croûte était rompue et divisée en une infinité d’endroits, et que l’action du flux et du reflux de l’abime poussait plus violemment que par- tout ailleurs les parties sous l’équateur. Voilà donc l’histoire de la création , les causes du déluge universel, celles de la longueur de la vie des premiers hommes, et celles de la fi- gure de la terre. Tout cela semble n’avoir rien coûté à notre auteur; mais l’arche de Noé pa- raît l’inquiéter beaucoup. Comment imaginer en effet qu’au milieu d’un désordre aussi affreux , au milieu de la confusion de la queue d’une comète avec le grand abime, au milieu des ruines de l’orbe terrestre, et dans ces terri- bles moments où, non-seulement les éléments de la terre étaient confondus , mais où il arri- vait encore du ciel et du tartare de nouveaux éléments pour augmenter le chaos; comment imaginer que l’arche voguât tranquillement avec sa nombreuse cargaison sw la cime des flots ? THÉORIE DE LA TERRE. 99 Ici notre auteur rame et fait de grands efforts pour arriver et pour donner une raison physi- que de la conservation de l'arche : mais, comme il m'a paru qu’elle était insuffisante , mal ima- ginéeet peu orthodoxe, jenelarapporterai point; il me suflira de faire sentir combien il est dur pour un homme qui a expliqué de si grandes choses sans avoir recours à une puissance sur- naturelle ou au miracle, d’être arrêté par une circonstance particulière : aussi notre auteur aimemieux risquer de se noyer avec l’arche, que d'attribuer, comme il le devait , à la bonté immédiate du Tout-Puissant la conservation de ce précieux vaisseau. Je ne ferai qu’une remarque sur ce système, dont je viens de faire une exposition fidèle; c'est que, toutes les fois qu’on sera assez té- méraire pour vouloir expliquer par des raisons physiques les vérités théologiques, qu’on se permettra d’interpréterdans des vues pure- ment humaines le pe. des livres sacrés, et que l’on voudra raisonner sur les volontés du très-Haut et sur l'exécution de ses décrets, on tombera nécessairement dans les ténèbres et dans le chaos où est tombé l’auteur de ce sys- tème, qui cependant a été reçu avec grand ap- plaudissement. Il ne doutait ni de la vérité du déluge, ni de l’authenticité des livres sacrés : mais , comme il s’en était beaucoup moins oc- cupé que de physique et d'astronomie, il a pris lespassages de l'Écriture-Sainte pour des faits de physique et pour des résultats d’observa- tions astronomiques; et il a si étrangement mêlé la science divine avec nos sciences humaines , qu’il en est résulté la chose du monde la plus extraordinaire , qui est le système que nous ve- nons d'exposer, PREUVES Se DE LA THÉORIE DE LA TERRE. , ARTICLE III. DU SYSTÈME DE M. BURNET. Thomas Burnet. Telluris Theoria sacra, orbis nostri ori- ginem et mutationes generales quas aut jam subait, aut olim subiturus est, complectens. Londini, 1641. Cet auteur est le premier qui ait traité cette matière généralement et d’une manière systéma- tique. Il avait beaucoup d'esprit, et était homme Lie 100 de belles-lettres. Son ouvrage a eu une grande réputation, et il a été critiqué par quelques sa- vants, entre autres par M.Keill, qui, épluchant cette matière en géomètre, a démontré les er- reurs de Burnet dans un traité qui a pour titre : Exumination of the Theory of the Earth. Lon- don, 1734, 2° édit. Ce même M. Keill a aussi réfuté le système de Wisthon : mais il traite ce dernier auteur bien différemment du premier ; il semble même qu’il est de son avis dans plu- sieurs cas, et il regarde comme une chosefort probable le déluge causé par la queue d’une comète. Mais, pour revenir à Burnet, son livre est élégamment écrit; il sait peindre et présen- ter avec force de grandes images, et mettre sous les yeux des scènes magnifiques. Son plan est vaste; maisl’exécution manque fautedemoyens: son raisonnement est petit, ses preuves sont faibles ; et sa confiance est si grande, qu’il la fait perdre à son lecteur. Il commence par M dire qu'avant le dé- luge la terre avait une forme très-différente de celle que nous lui voyons aujourd’hui. C'était d’abord une masse fluide, un chaos composé de matières de toute espèce et de toutes sortes de figures : les plus pesantes descendirent vers le centre, et formèrent au milieu du globe un corps dur et solide, autour duquel les eaux, plus légères, serassemblèrent et enveloppèrent de tous côtés le globe intérieur; l'air, et toutes les liqueurs plus légères que l’eau, la surmon- tèrent et l’enveloppèrent aussi dans toute la cir- conférence : ainsi, entre l’orbe de l'air et celui de l’eau, il se forma un orbe d’huile et de li- queur grasse plus légère que l’eau. Mais, comme l'air était encore fort impur, et qu’il contenait une très-grande quantité de petitesmparticules de matière terrestre, peu à peu ces particules “descendirent, tombèrent sur la couche d’huile, et formèrent un orbe terrestre mêlé de limon et d'huile, et ce fut là la première terrehabitable et le premier séjour de l’homme. C'était un ex- cellent terrain, une terre légère, grasse et faite exprès pour se prêter à la faiblesse des premiers germes. La surface du globe terrestre étaitdonc, dans ces premiers temps , égale, uniforme, con- tinue, sans montagnes, sans mers et sans iné- galités. Mais la terre ne demeura qu’environ seize siècles dans cet état; car la chaleur du soleil, desséchant peu à peu cette croûte limo- neuse , la fit fendre d’abord à la surface : bien- tôt ces fentes pénétrèrent plus avant, et s'aug- HISTOIRE NATURELLE, : + mentèrent si considérablement avec le temps, qu’enfin elles s’ouvrirent en entier; dans un in- stant toute la terre s’écroula et tomba par mor- ceaux dans l’abime d’eau qu’elle contenait : voilà comme se fit le déluge universel, Mais toutes ces masses de terre, en tombant dans l’abime, entrainèrent une grande quantité d'air, et elles se heurtèrent, se choquèrent, se divisèrent , s’accumulèrent si irrégulièrement, qu’elles laissèrent entre elles de grandes cavités remplies d’air. Les eaux s’ouvrirent peu à peu les chemins deces cavités ; et, à mesure qu’elles les remplissaient, la surface de la terre se dé- couvrait dans les parties les plus élevées. Enfin, il ne resta de l’eau que dans les parties les plus basses, c’est-à-dire dans les vastes vallées qui contiennent la mer. Ainsi notre océan est une partie de l’ancien abime ; le reste est entré dans les cavités intérieures avec lesquelles commu- nique l'océan. Les îles et les écueils sont les petits fragments, les continents sont les gran- des masses de l’ancienne croûte; et comme la rupture et la chute de cette croûte se sont faites avec confusion, il n’est pas étonnant de trouver sur la terre des éminences, des pro- fondeurs, des plaines et des inégalités de toute espèce. Cet échantillon du système de Burnet suffit pour en donner une idée : c’est un roman bien écrit, et un livre qu’on peut lire pour s’amu- ser, mais qu’on ne doit pas consulter pour s'in- struire, L'auteur ignorait les principaux*phéno- mènes de la terre, et n’était nullement informé des observations : il a tout tiré de son imagina- tion, qui, comme l’on sait, sert volontiers aux dépens de la vérité. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE VI. DU SYSTÈME DE M. WOODWARD, Jean Woodward. An Essay towards the natural History of the Earth, etc. On peut dire de cet auteur qu’il a voulu éle- ver un monument immense sur une base moins solide que le sable mouvant, et bâtir l'édifice du monde avec de la poussière, car il prétend que, dans le temps du déluge, il s’est fait une disso- THÉORIE DE LA TERRE. lution totale de la terre. La première idée qui se présente après avoir lu son livre, c’est que cette dissolution s’est faite par les eaux du grand abime, qui se sont répandues sur la surface de laterre, et qui ont délayé et réduit en pâte les pierres, lesrochers, lesmarbres, les métaux, ete. Ilprétend que l’abime, où cette eau était renfer- mée, s’ouvrit tout d’un coup à la voix de Dieu, et répandit sur la surface de la terre la quantité énorme d’eau qui était nécessaire pour la cou- vrir et surmonter de beaucoup les plus hautes montagnes, et que Dieu suspendit la cause de la cohésion des corps, ce qui réduisit tout en poussière, etc. Il ne fait pas attention que, par ces suppositions, il ajoute au miracle du déluge universel d’autres miracles, ou tout au moins des impossibilités physiques qui ne s'accordent ni avec la lettre de la sainte Écriture , ni avec les principes mathématiques de la philosophie vaturelle. Mais, comme cet auteur a le mérite d’avoir rassemblé plusieurs observations im- portantes, et qu’il connaissait mieux que ceux qui ontécrit avant lui les matières dont le globe est composé, son système, quoique mal conçu et mal digéré, n’a pas laissé d’éblouir les gens séduits par la vérité de quelques faits particu- liers, et peu difficiles sur la vraisemblance des conséquences générales. Nous avons donc cru devoir présenter un extrait de cet ouvrage,dans lequel, en rendant justice au mérite de l’auteur etàl’exactitude de ses observations, nous met- trons le lecteur en état de juger de l'insuffisance de son système et de la fausseté de quelques- unes de ses remarques. M. Woodward ditavoir reconnu par ses yeux que toutes les matières qui composent la terre en Angleterre, depuis sa surface jusqu'aux endroits les plus profonds où il est descendu, étaient disposées par cou- ches, et que, dans un grand nombre de ces cou- ches, il y a des coquilles et d’autres productions marines: ensuite il ajoute que, par ses corres- pondants et par ses amis, il s’est assuré que dans tous les autres pays la terre est composée de même, et qu’on y trouve des coquilles, non- seulement dans les plaines et en quelques en- droits, mais encore sur les plus hautes monta- ges, dans les carrières les plus profondes et en une infinité d’endroits : ila vu que ces couches étaient horizontales et posées les unes sur les autres, comme le seraient des matières trans- portées par les eaux et déposées en forme de sédiments. Ces remarques générales , qui sont 101 très-vraies , sont suivies d'observations parti- culières, par lesquelles il fait voir évidemment que les fossiles qu'on trouve incorporés dans les couches sont de vraies coquilles et de vraies productions marines, et non pas des minéraux, des corps singuliers, des jeux de la nature, etc. A ces observations , quoique en partie faites avant lui, qu’il a rassemblées et prouvées, il en ajoute d’autres qui sont moins exactes ; il assure que toutes les matières des différentes couches sont posées les unes sur les autres dans l'ordre de leur pesanteur spécifique, en sorte que les plus pesantes sont au-dessous , et les plus légères au-dessus. Ce fait général n’est point vrai : on doit arrêter ici l’auteur, et lui montrer les rochers que nous voyons tous les jours au-dessus des glaises, des sables , des charbons de terre , des bitumes, et qui certai- nement sont plus pesants spécifiquement que toutes ces matières ; car, en effet, si par toute la terre on trouvait d’abord les couches de bi- tume , ensuite celles de craie, puis celles de marne , ensuite celles de glaise, celles de sable, celles de pierre, celles de marbre , et enfin les métaux , en sorte que la composition delaterre suivit exactement et partout la loi de la pesan- teur , et que les matières fussent toutes placées dans l’ordre de leur gravité spécifique, il y au- rait apparence qu’elles se seraient toutes préci- pitées en même temps, et voilà ce que notre auteur assure avec confiance , malgré l'évidence du contraire : car , sans être observateur , il ne faut qu'avoir des yeux pour être assuré que l'on trouve des matières pesantes très-souvent posées sur des matières légères, et que, par conséquent, ces sédiments ne se sont pas préci- pités tous en mêmetemps, mais qu’au contraire ils ont été amenés et déposés successivement par les eaux. Comme c’est là le fondement de son système, et qu'il porte manifestement à faux , nous ne le suivrons plus loin que pour faire voir combien un principe erroné peut produire de fausses combinaisons et de mauvaises con- séquences. Toutes les matières, ditnotreauteur, qui composent la terre, depuis les sommets des plus hautes montagnes jusqu'aux plus grandes profondeurs des mines et des carrières, sont disposées par couches, suivant leur pesanteur spécifique : donc, conclut-il , toute lamatière qui compose leglobe a été dissoute et s’est précipitée en même temps. Mais dans quellematière et en quel temps a-t-elle été dissoute? Dans l’eau et 102 dans le temps du déluge. Mais il n’y a pasassez d’eau sur le globe pour que cela se puisse, puis- qu'il y a plus de terre que d’eau, etque le fond de la mer est de terre. Hé bien ! nous dit-il, il y a de l’eau plus qu’il n’en faut au centre de la terre : il ne s’agit que de la faire monter, de lui donner tout ensemble la vertu d’un dissolvant universel et la qualité d’un remède préservatif pour les coquilles , qui seules n’ont pas été dis- soutes, tandis que les marbres et les rochers l'ont été; de trouver ensuite le moyen de faire rentrer cette eau dans l’abime, et de faire ca- drer tout cela avec l’histoire du déluge. Voila le système, de la vérité duquel l’auteur ne trouve pas le moyen de pouvoir douter; car , quand on lui oppose que l’eau ne peut point dissoudre les marbres,les pierres , lesmétaux ,surtout en qua- rante jours qu'a duré le déluge, il répond sim- plementquecependant cela est arrivé. Quand on lui demande quelle était donc la vertu de cette eau de l’abime , pour dissoudre toute la terre et conserver en même temps les coquilles , il dit qu'il n’a jamais prétendu que cette eau fût un dissolvant , mais qu’il est clair par les faits que la terre a été dissoute et que les coquilles ont été préservées. Enfin, lorsqu'on le presse et qu’on lui fait voir évidemment que s’il n’a aueune rai- son à donner de ces phénomènes , son système n’explique rien , il dit qu’il n’y a qu’à imaginer que dans le temps du déluge la force de la gra- vité et de la cohérence de la matière a cessé tout à coup, et qu'au moyen de cette supposition, dont l’effet est fort aisé à concevoir , on expli- que d’une manière satisfaisante la dissolution de l’ancien monde. Mais, lui dit-on, si la force qui tient unies les parties de la matière a cessé, pourquoi les coquillesn’ont-elles pas été dissou- tes comme tout le reste? Ici il fait un discours sur l’organisation des coquilles et des osdes ani- maux, par lequel il prétend prouver que leur texture étant fibreuse et différente de celle des minéraux , leur force de cohésion est aussi d’un autre genre. Après tout, il ny a, dit-il, qu’à supposer que la force de la gravité et de la co- hérence n’a pas cessé entièrement , mais seu- lement qu’elle a été diminuée assez pour désunir toutes les parties des minéraux, mais pas assez pour désunir celles des animaux. A tout ceci, on ne peut pas s'empêcher de reconnaitre que notre auteur n’était pas aussi bon physicien qu’il était bon observateur ; et je ne crois pas qu'il soit nécessaire que nous réfutions sérieu- oo HISTOIRE NATURELLE. sement des opinions sans fondement , surtout lorsqu'elles ont été imaginées contre les règles de la vraisemblance, et qu’on n’en a tiré que des conséquences contraires aux lois de la mé- canique. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE V. EXPOSITION DE QUELQUES AUTRES SYSTÈMES. On voit bien que les trois hypothèses dont nous venons de parler ont beaucoup de choses communes; elles s’accordent toutes en ce point, que dans le temps du déluge la terre a changé de forme, tant à l'extérieur qu’à l’intérieur ; ainsi tous ces spéculatifs n’ont pas fait atten- tion que la terre avant le déluge , étant habitée parles mêmes espèces d'hommes et d'animaux, devait être nécessairement telle, à très-peu près, qu’elle est aujourd’hui, et qu'en effet les livres saints nous apprennent qu'avant le délugeil y avait sur la terredesfleuves, des mers, desmon- tagnes, des forêts et des plantes; que ces fleu- ves et ces montagnes étaient, pour la plupart, les mêmes, puisquele Tigreetl’Euphrateétaient les fleuves du Paradis terrestre; que la monta- gne d'Arménie, sur laquelle l'arche s'arrêta , étaitune des plus hautes montagnes du monde au temps du déluge, comme elle l’est encore au- jourd’hui; que les mêmes plantes et les mêmes animaux qui existent, existaient alors, puisqu'il y est parlé du serpent, du corbeau, et que la colombe rapporta une branche d'olivier : car quoique M. de Tournefort prétende qu'il n’y a point d’oliviers à plus de quatre cents lieues du mont Ararath, et qu’il fasse sur cela d'assez mauvaises plaisanteries ( Voyage du Levant , vol. 2, page 336), il est cependant certainqu’il y en avait en ce lieu dans le temps du déluge , puisque le livre sacré nous en assure; et il n’est pas étonnant que dans un espace de quatre milleans les oliviers aient été détruits dans ces cantons et se soient multipliés dans d’autres. C’est donc à tort, et contre la lettre de la sainte Écriture , que ces auteurs ont supposé que la terre était, avant le déluge, totalement diffé- THÉORIE DE LA TERRE. rente de ce qu’elle est aujourd’hui ; et sette con- tradiction de leurs hypothèses avec le texte sacré, aussi bien que leur opposition avec les vérités physiques , doit faire rejeter leurs sys- tèmes, quand même ils seraient d'accord avec quelques phénomènes : mais il s’en faut bien que cela soit ainsi. Burnet , qui a écrit le pre- mier, n'avait, pour fonder son système , ni ob- servation, ni faits. Woodward n’a donné qu’un essai, où il promet beaucoup plus qu’il ne peut tenir; sont livre est un projet dont on n’a pas vu l'exécution. On voit seulement qu'il emploie deux observations générales : la première, que la terre est partout composée de matières qui autrefois ont été dans un état de mollesse et de fluidité, qui ont été transportées par les eaux, et qui se sont déposées par couches horizon- tales; la seconde, qu'il y a des productions ma- rines dans l’intérieur de la terre en une infinité d’endroits. Pour rendre raison de ces faits, il a recours au déluge universel, ou plutôt il parait ne les donner que comme preuves du déluge : mais il tombe, aussi bien que Burnet, dans des contradictions évidentes; car il n’est pas per- mis de supposer avec eux qu'avant le déluge il n'y avait point de montagnes, puisqu'il est dit précisément et très-clairement que les eaux sur- passèrent de quinze coudées les plus hautes montagnes. D'autre côté, il n’est pas dit que ces eaux aient détruit et dissous ces montagnes : au contraire, ces montagnes sont restées en place, et l’arche s’est arrêtée sur celle que les eaux ont laissée la première à découvert. D’ail- leurs, comment peut-on s’imaginer que, pen- dant le peu de temps qu’a duré le déluge, les eaux aient pu dissoudre les montagnes et toute la terre? Nest-ce pas une absurdité de dire qu’en quarante jours l’eau a dissous tous les marbres, tous les rochers, toutes les pierres, tous les minéraux ? Nest-ce pas une contradic- tion manifeste que d’admettre cette dissolution totale , et en même temps de dire que les co- quilles et les productions marines ont été pré- servées, etque, toutayant été détruit etdissous, elles seules ont été conservées, de sorte qu’on , retrouve aujourd’hui entières et les mêmes _Qu'’elles étaient avant le déluge? Je ne craindrai donc pas de dire: avec d'excellentes observa- tions, Woodward n’a fait qu’un fort mauvais système. Whiston, qui est venu le dernier, a beaucoup enchéri sur les deux autres ; mais, en donnant une vaste carrière à son imagination, 105 au moins n’est-il pas tombé en contradiction : il dit des choses fort peu croyables ; mais du moins elles ne sont ni absolument ni évidemment im- possibles. Comme on ignore ce qu’il y a au cen- tre et dans l’intérieur de la terre, il a cru pou- voir supposer que cet intérieur était oceupé par un noyau solide, environné d’un fluide pesant, et ensuite d’eau sur laquelle la croûte extérieure du globe était soutenue, et dans laquelle les dif- férentes parties de cette croûte se sont enfon- cées plus ou moins, à proportion de leur pesan- teur ou de leur légèreté relatives ; ce qui a pro- duit les montagnes et les inégalités de la surface délaterre. Il faut avouer que cet astronome a fait ici une faute de mécanique : il n’a pas songé que la terre, dans cette hypothèse, doit faire voûte de tous côtés, que, par conséquent , elle ne peut être portée sur l’eau qu’elle contient, et encore moins y enfoncer. À cela près, je ne sa- che pas qu’il y ait d’autres erreurs de physique dans ce système. Il y en a un grand nombre quant à la métaphysique et à la théologie : maïs enfin, on ne peut pas nier absolument que la terre, rencontrant la queue d'une comète, lors- quecelle-ci s’approchede son périhélie, ne puisse être inondée, surtout lorsqu'on aura accordé à l'auteur que la queue d’une comète peut conte- nir des vapeurs aqueuses. On ne peut nier non plus, comme une impossibilité absolue, que la queue d’une comète, en revenant du périhélie, pe puisse brüler la terre, si on suppose avec l’auteur que la comète ait passé fort près du soleil , et qu’elle ait été prodigieusement échauf- fée pendant son passage. Il en est de même du reste de ce système; mais, quoiqu'il n’y ait pas d’impossibilité absolue, il y a si peu de proba- bilité à chaque chose prise séparément, qu'il en résulte une impossibilité pour le tout pris ensemble. Les trois systèmes dont nous venons de par- ler ne sont pas les seuls ouvrages qui aient été faits sur la théorie de laterre. Ila paru en 1729 un mémoire de M. Bourguet , imprimé à Ams- terdam avec ses Lettres philosophiques sur la formation des sels, ete., dans lequel il donne un échantillon du système qu'il méditait, mais qu'il n’a pas proposé, ayant été prévenu par la mort. Il faut rendre justice à cet auteur ; per- sonne n’a mieux rassemblé les phénomènes et les faits : on lui doit même cette belle et grande observation, qui est une des clefs de la théorie de la terre ; je veux parler de la correspondance 14 des angles des montagnes. Il présente tout ce qui a rapport à ces matières dans un grand or- dre; mais, avec tous ces avantages, il parait qu'il n'aurait pas mieux réussi que les autres à faire une histoire physique et raisonnée des changements arrivés au globe, et qu'il était bien éloigné d’avoir trouvé les vraies causes des effets qu'il rapporte; pour s’en convaincre, il ne faut que jeter les yeux sur les propositions qu'il déduit des phénomènes, et qui doivent servir de fondement à sa théorie, voyez p.211. Il dit que le globe a pris sa forme dans un même temps, et non pas successivement ; que la forme et la disposition du globe supposent nécessaire- ment qu’il a été dans un état de fluidité; que l'état présent de la terre est très-différent de celui dans lequel elle a été pendant plusieurs siècles après sa première formation; que la matière du globe était dès le commencement moins dense qu’elle ne l’a été depuis qu’il a changé de face ; que la condensation des par- ties solides du globe diminua sensiblement avec la vélocité du globe même, de sorte qu'après avoir fait un certain nombre de révolutions sur son axe et autour du soleil , il se trouva tout à coup dans un état de dissolution qui détruisit sa première structure ; que cela arriva vers l’é- quinoxe du printemps ; que, dans le temps de cette dissolution , les coquilles s’introduisirent dans les matières dissoutes ; qu'après cette dis- solution la terre a pris la forme que nous lui voyons, et qu'aussitôt le feu s’y est mis, la consume peu à peu et va toujours en augmen- tant, de sorte qu’elle sera détruite un jour par une explosion terrible, accompagnée d’un in- cendie général , qui augmentera l'atmosphère du globe et en diminuera le diamètre, et qu’a- lors la terre, au lieu de couches de sable ou de terre, n’aura que des couches de métal et de minéral calciné, et des montagnes composées d’amalgames de différents métaux. En voilà assez pour faire voir quel était le système que l’auteur méditait. Deviner de cette façon le passé , vouloir prédire l'avenir, et encore devi- ner et prédire à peu près comme les autres ont prédit et deviné, ne me parait pas être un ef- fort : aussi cet auteur avait beaucoup plus de connaissances et d’érudition que de vues saines etgénérales, et il m'a paru manquer de cette partie si nécessaire aux physiciens, de cette mé- taphysique qui rassemble les idées particuliè- res, qui les rend plus générales, et qui élève HISTOIRE NATURELLE. l'esprit au point où il doit être pour voir l'en- chainement des causes et des effets. Le fameux Leibnitz donna en 1683 dans les Actes de Leipsick, page 40, un projet de sys- tème bien différent, sous le titre de Protogæa. La terre, selon Bourguet et tous les autres, doit finir par le feu ; selon Leibnitz, elle a commencé par là, et a souffert beaucoup plus de change- ments et de révolutions qu’on ne l’imagine. La plus grande partie de la matière terrestre a été embrasée par un feu violent dans le temps que Moïse dit que la lumière fut séparée des ténè- bres. Les planètes,aussibienque laterre, étaient toutefois des étoiles fixesetlumineuses par elles- mêmes. Après avoir brülé longtemps, il pré- tend qu’elles se sont éteintes faute de matière combustible, etqu’elles sont devenues des corps opaques. Le feu a produit par la fonte des ma- tières une croûte vitrifiée, et la base de toute la matière qui compose le globe terrestre est du verre , dont les sables ne sont que des frag- ments : les autres espèces de terres se sont for- mées du mélange de ce sable avec des sels fixes et de l’eau; et, quand la croûte fut refroïdie, les parties humides qui s’étaient élevées en forme de vapeurs retombèrent et formèrent les mers. Elles enveloppèrent d’abord toute la surface du globe, et surmontèrent même les endroits les plus élevés qui forment aujourd’hui les con- tinents et les îles. Selon cetauteur, les coquilles et les autres débris de la mer qu’on trouve par- tout prouvent que la mer a couvert toute la terre; et la grande quantité de sels fixés, de sables et d’autres matières fondues et calcinées quisontrenfermées danslesentraillesdelaterre, prouvent que l'incendie a été général, et qu’il a précédé l’existence des mers. Quoique ces pen- sées soient dénuées de preuves, elles sont éle vées, et on sent bien qu’elles sont le produit des méditations d’un grand génie. Les idées ont de la liaision, les hypothèses ne sont pas absolu- ment impossibles, et les conséquences qu’on en peut tirer ne sont pas contradictoires : mais le grand défaut de cette théorie, c'est qu’elle ne s'applique point à l’état présent de la terre; c’est le passé qu’elle explique, et ce passé est si F2 4 cien, et nous a laissé si peu de vestiges, qu peut en dire tout ce qu’on voudra, et qu’à pro- portion qu’un homme aura plus d'esprit, il en pourra dire des choses qui aurontl’air plus vrai- semblables. Assurer, comme l’assure Whiston, que la terre a été comète, ou pretendre avec fn mé dne- ds L L THÉORIE DE LA TERRE. Leibnitz qu’elle a été soleil , c’est dire des cho- ses également possibles ou impossibles, et aux- quellès il serait superflu d'appliquer les règles des probabilités. Dire que la mer a autrefois cou- vert toute la terre, qu’elle a enveloppé le globe tout entier, et que c’est par cette raison qu’on trouve des coquilles partout , c’est ne pas faire attention à une chose très-essentielle , qui est l'unité du temps de la création; car si cela était , il faudrait nécessairement dire que les co- quillages et les autres animaux habitants des mers , dont on trouve les dépouilles dans l'inté- rieur de la terre , ont existé les premiers , et long- temps avant l’homme et les animaux terres- tres : or, indépendamment du témoignage des livressacrés , n’a-t-on pas raison de croire que toutes les espèces d'animaux et de végétaux sont à peu près aussi anciennes les unes que les autres? M. Scheuchzer , dans une dissertation qu’il a adressée à l’Académie des Sciences en 1798 ,at- tribue , comme Woodward , le changement, ou plutôt la seconde formation de la surface du globe, au déluge universel ; et, pour expliquer celle des montagnes, il dit qu'après le déluge, Dieu voulant faire rentrer les eaux dans les ré- servoirs souterrains, avait brisé et déplacé de sa main toute-puissante un grand nombre de lits auparavant horizontaux , et les avait élevés sur la surface du globe. Toute la dissertation a été faite pour appuyer cette opinion. Comme il fallait que ces hauteurs ou éminences fussent d'une consistance fort solide , M. Scheuchzer remarque que Dieu ne les tira que des lieux où il y avait beaucoup de pierres : de là vient, dit- il, que les pays , comme la Suisse, où il y en a une grande quantité, sont montagneux, et qu’au contraire eeux qui , comme la Flandre, l’Alle- magne , la Hongrie, la Pologne , n’ont que du sable ou de l'argile , même à une assez grande profondeur , sont presque entièrement sans mon- tagnes. Voyez l'Histoire de l’Acudémie, 1708, page 32. Cet auteur a eu plus qu'aucun autre le défaut de vouloir mêler la physique avec la théologie ; et, quoiqu'il nous ait donné quelques bonnes observations , la partie systématique de ses ou- vrages est encore plus mauvaise que celle de tous ceux qui l'ont précédé : il a même fait sur ce sujet des déclamations et des plaisanteries ridicules. Voyez la plainte des poissons, Pis- cium querelæ , ete., sans parler de son gros 105 livre en plusieurs volumes in-folio, intitulé Physica sacra, ouvrage puéril, et qui parait fait moins pour occuper les hommes que pour amuser les enfants par les gravures et les ima- ges qu’on y a entassées à dessein et sans néces- sité. Stenon , et quelques autres après lui, ontat- tribué la cause des inégalités de la surface de ja terre à des inondations particulières, à des trem- blements de terre, à des secousses, à des éboule- ments , ete. : mais les effets de ces ca ses secon- daires n’ont pu produire que quelques légers changements. Nousadmettonsces mêmes causes après la cause première, qui est le mouvement du flux et reflux, et le mouvement de la mer d’o- rient en occident. Au reste, Stenon ni les autres n’ont pas donné de théorie, nimême de faits gé- néraux sur cette matière. Voyez la Diss. de so- lido intra solidum , etc. Ray prétend que toutes les montagnes ont été produites par des tremblements de terre , etila fait un traité pour le prouver. Nous ferons voir, à l’article des volcans, combien peu cette opi- nion est fondée. % Nous ne pouvons nous dispenser d'observer que la plupart des auteurs dont nous venons de parler, comme Burnet, Whiston et Woodward, ont fait une faute qui nous parait mériter d’être relevée , c’est d’avoir regardé le déluge comme possible par l’action des causes naturelles , au lieu que l'Écriture-Sainte nousleprésentecomme produit par la volonté immédiate de Dieu. Il n’y a aucune cause naturelle qui puisse produire sur la surface entière de la terre la quantité d’eau qu'il a fallu pour couvrir les plus hautes monta- gnes ; et, quand même on pourrait imaginer une cause proportionnée à cet effet , il serait encore impossible de trouver quelque autre cause ca- pable de faire disparaitre les eaux : car, en ac- cordant à Whiston que ces eaux sont venues de la queue d’une comète, on doit lui nier qu’il en soit venu du grand abime, et qu’elles y soient toutes rentrées, puisque le grand abime étant, selon lui, environné et pressé de tous côtés par la croûte ou l’orbe terrestre , il est impossible que l'attraction de la comète ait pu causer aux fluides contenus dans l’intérieur de cet orbe le moindre mouvement ; par conséquent , le grand abime n'aura pas éprouvé, comme il le dit, un flux et reflux violent ; dès-lors il n’en sera pas sorti, et il n’en sera pas entré une seule goutte d’eau ; et, à moins de supposer que l’eau tombée 106 F de la comète a été détruite par miracle, elle se- rait encore aujourd’hui sur la surface de la terre, couvrant les sommets des plus hautes monta- gnes. Rien ne caractérise mieux un miracle que l'impossibilitéd’en expliquer l'effet par les causes naturelles. Nos auteurs ont fait de vains efforts pour rendre raison du déluge : leurs erreurs de physique au sujet des causes secondes qu’ils em- ploient, prouvent la vérité du fait tel qu'il est rapporté dans l’Écriture-Sainte, et démontrent qu'il n’a pu être opéré que par la cause pre- miere, par la volonté de Dieu. D'ailleurs, il est aisé de se convaincre que ce n’est ni dans un seul et même temps, ni par l’ef- fet du déluge, que la mer a laissé à découvert les continents que nous habitons : car il est cer- | tain, par le témoignage des livres sacrés , que le paradis terrestre était en Asie, et que l’Asie était un continent habité avant le déluge ; par consé- quent, ce n'est pas dans ce temps que les mers ont couvert cette partie considérable du globe. La terre était done , avant le déluge, telle à peu près qu’elle est aujourd'hui; et cette énorme quantité d’eau "que la justice divine fit tomber sur la terre pour punir l’homme coupable, donna en effet la mort à toutes les créatures : mais elle ne produisit aucun changement à la surface de | la terre; elle ne détruisit pas même les plantes, puisque la colombe rapporta une branche d’oli- vier. Pourquoi donc imaginer, comme l'ont fait la plupart de nos naturalistes , que cette eau chan- ! gea totalement la surface du globe jusqu’à mille à deux mille pieds de profondeur? pourquoi veulent-ils que ce soit le déluge qui ait apporté sur la terre les coquilles qu’on trouve à sept ou huit cents pieds dans les rochers et dans les mar- bres? Pourquoi dire que c’est dans ce temps que | se sont formées les montagnes et les collines? et | comment peut-on se figurer qu’il soit possible que ces eaux aient amené des masses etdesbanes de coquilles de cent lieues de longueur? Je ne | crois pas qu'on puisse persister dans cette opi- nion, à moins qu’on n’admette dans le déluge un double miracle, le premier pour l’augmen- tation des eaux , et le second pour le transport des coquilles ; mais, comme il n’y a que lepre- | I j ; Y mier qui soit rapporté dans l'Écriture-Sainte, je ne vois pas qu'il soit nécessaire de faire un ar- ticle de foi du second. D'autre côté, si les eaux du déluge, après avoir séjourné au-dessus des plus hautes mon- HISTOIRE NATURELLE. tagnes, se fussent ensuite retirées tout à coup, elles auraient amené une si grande quantité de limon etd’immondices, que les terres n'auraient point été labourables ni propres à recevoir des arbres et des vignes que plusieurs siècles après cette inondation , comme l’on sait que , dans le déluge qui arriva en Grèce, le pays submergé fut totalement abandonné , et ne put recevoir au- eune culture que plus de trois siècles après cette inondation. Voyez Acta erudit. Lips. anno 1691 , page 100. Aussi doit-on regarder le dé- luge universel comme un moyen surnaturel dont s’estserviela toute-puissance divine pour le châ- | timent des hommes , etnon comme un effet na- turel dans lequel tout se serait passé selon les lois de la physique. Le déluge universel est donc un miracle dans sa cause et dans ses effets ; on voit clairement, par le texte del’Ecriture-Sainte, qu'il a servi uniquement pour détruire l’homme et les animaux , et qu’il n’a changé en aucune façon la terre , puisqu’après la retraite des eaux les montagnes, etmêèmeles arbres, étaient à leur place , et que la surface de la terre était propre à recevoir la culture et à produire des vignes et des fruits. Comment toute la race des poissons , qui n’entra pas dans l'arche , aurait-elle pu être conservée, si laterre eût été dissoute dans l’eau, ou seulementsi leseaux eussentété assez agitées pour transporter les coquilles des Indes en Eu- rope, etc. Cependant cette supposition, que c’est le dé- lugeuniversel qui a transporté les coquilles de la mer dans tous les climats de la terre, est de- venue l'opinion, ou plutôt la superstition du commun des naturalistes. Woodward , Scheu- chzer et quelques autres appellent ces coquilles pétrifiées les restes du déluge ; ils les regardent comme les médailles et les monuments que Dieu nous a laissés de ce terrible événement, afin qu'il ne s’effaçât jamais de la mémoire du genre humain ; enfin ils ont adopté cette hypothèse avec tant de respect , pour ne pas dire d’aveu- | glement , qu'ils ne paraissent s’être occupés qu’à | chercher les moyens de concilier PEcriture- | Sainte avec leur opinion , et qu’au lieu de se ser- | vir de leurs observations et d’en tirer des Iu- mières , ils se sont enveloppés dans les nuages d’une théologie physique , dont l'obscurité et la petitesse dérogent à la clarté et à la dignité de la religion , et ne laissent apercevoiraux incrédules | qu'un mélange ridicule d'idées humaines et de | faits divins. Prétendre en effet expliquer le dé- | | | | | | | | « THÉORIE DE LA TERRE. | parallèles à l'équateur : au contraire, elle est di. luge universel et ses causes physiques, vou- loir nous apprendre le détail de ce qui s’est | passé dans le temps de cette grande révolution, | deviner quels en ont été les effets, ajouter des | faits à ceux du livre sacré, tirer des conséquen- » ces de ces faits, n'est-ce pas vouloir mesurer la puissance du Très-Haut? Les merveilles que sa main bienfaisante opère dans la nature d’une manière uniforme et régulière, sont incompré- hensibles ; à plus forte raison les coups d'éclat, les miracles doivent nous tenir dans le saisis- sement et dans le silence. Mais, diront-ils, le déluge universel étant un fait certain, n'est-il pas permis de raison- ner sur les conséquences de ce fait? A la bonne heure : mais il faut que vous commenciez par convenir que le déluge universel n’a pu s opérer par les puissances physiques ; il faut ! que vous le reconnaissiez comme un effet im- | médiat de la volonté du Tout-Puissant ; il faut que vous vous borniez à en savoir seulement ce que les livres sacrés nous en apprennent, avouer en même temps qu'il ne vous est pas permis d’en savoir davantage , etsurtout ne pas mêler une mauvaise physique avec la pureté du livre saint. Ces précautions qu'’exige le res- pectque nous devons aux décrets de Dieu, étant prises ; que reste-t-il à examiner au sujet du déluge? Est-il dit dans l'Écriture- Sainte que | le déluge ait formé les montagnes? Il est dit le contraire. Est-il dit que les eaux fussent dans une agitation assez grande pour enlever du fond des mers les coquilles et les transporter par toute la terre? Non, l’arche voguait tranquille- ment sur les flots. Est-il dit que la terre souffrit une dissolution totale? Point du tout. Le récit de l’historien sacré est simple et vrai; celui de ces naturalistes est composé et fabuleux. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. — ARTICLE VI. GÉOGRAPHIE. La surface de la terre n’est pas , comme celle de Jupiter, divisée par bandes alternatives et 107 visée d’un pôle à l’autre par deux bandes deterre et deux bandes de mer. La première et princi- pale bande est l’ancien continent, dont la plus grande longueur se trouve être diagonale avec l'équateur, et qu'on doit mesurer en commen- cantau nord de la Tartarie la plus orientale ; de là à la terrequi avoisine le golfe Linchidolin, où les Moscovites vont pêcher des baleines; de là à Tobolsk, de Tobolsk à la mer Caspienne, de la mer Caspienne à la Mecque, de la Mecque à la partie occidentale du pays habité par le peuple de Galles en Afrique, ensuite au Monoemugi, au Monomotapa , et enfin au cap de Bonne-Espé- rance. Cette ligne, qui est la plus grande lon- gueur de l’ancien continent, est d’environ 3600 lieues : elle n’est interrompue que par lamer Cas- pienne et par la mer Rouge, dont les largeurs ne sont pas considérables ; et on ne doit pas avoir égard à ces petites interruptions lorsque l’on considère, comme nous le faisons, la surface du globe divisée seulement en quatre parties. Cette plus grande longueur se trouve en me- surant le continent en diagonale : car, si on le mesure au contraire suivant les méridiens , on verra qu'il n’y a que 2500 lieues depuis le cap nord de Laponie jusqu’au cap de Bonne-Espé- rance, et qu'on traverse la mer Baltique dans sa longueur et la mer Méditerranée dans toute sa largeur ; ce qui fait une bien moindre longueur et de plus grandes interruptions que par la pre- miere route. À l’égard de toutes les autres dis- tances qu’on pourrait mesurer dans l’ancien con- tinent sous les mêmes méridiens, on lestrouvera encore beaucoup plus petites que celle-ci, n’y ayant, par exemple, que 1800 lieues depuis la pointe méridionale de l’ile de Ceylan jusqu’à la côte septentrionale de la nouvelle Zemble. De même, si on mesure le continent parallèlement à l'équateur, on trouvera que la plus grande lon- gueur sans interruption se trouve depuis la côte occidentale de l’Afrique à Tréfana, jusqu’à Ning- posur la côte orientale de la Chine, et qu’elle est environ de 2800 lieues ; qu’une autre longueur sansinterruption peut se mesurer depuis la pointe de la Bretagne à Brest jusqu’à la côte de la Tar- tarie chinoise, et qu’elle est environ de 2300 lieues; qu’en mesurant depuis Bergen, en Nor- wége, jusqu’à la côte du Kamtschatka, il n’y a plus que 1800 lieues. Toutes ces lignes ont, comme l’on voit, beaucoup moins de longueur que la première ; ainsi la plus grande étendue de 108 l'ancien continent est en effet depuis le cap oriental de la Tartarie la plus septentrionale jusqu’au cap de Bonne-Espérance, c’est-à-dire de 3600 lieues. Voyes la première carte de la géographie. Cette ligne peut être regardée comme le mi- lieu de la bande de terre qui compose l’ancien continent : car, en mesurant l'étendue de la sur- face du terrain des deux côtés de cette ligne, je trouve qu'il y a dans la partie qui est à gau- che 2471092 5 lieues carrées; et que, dans la partie qui est à droite de cette ligne, il y a 2469687 lieues carrées: ce qui est une égalité singulière, et qui doit faire présumer, avecune très-grande vraisemblance, que cette lighe est le vrai milieu de l’ancien continent, en même temps qu’elle en est la plus grande longueur. L'ancien continent a donc en tout environ 4940780 lieues carrées , ce qui ne fait pas une cinquième partie de la surface totale du globe; et on peut regarder ce continent comme une large bande de terre inclinée à l’équateur d’en- viron 30 degrés. A l’égard du nouveau continent , on peut le regarder aussi comme une bande de terre dont la plus grande longueur doit être prise depuis l'embouchure du fleuve de la Plata jusqu’à cette contrée marécageuse qui s'étend au delà du lac des Assiniboïls. Cette route va de l'embouchure du fleuve de la Plata au lac Caracares ; delà elle passe chez les Mataguais, chez les Chiriguanes, ensuite à Pocona, à Zongo, de Zongo chez les Zamas, les Marianas, les Moruas, de là à San- ta-Fé et à Carthagène, puis, par le golfe du Mexique, à la Jamaïque, à Cuba, tout lelong de la péninsule de la Floride, chez les Apalaches, les Chicachas, de là au fort Saint-Louis ou Crève-Cœur, au fort le Sueur, et enfin chez les peuples qui häbitent au delà du lac des Assini- boïls, où l'étendue des terres n’a pas encore été reconnue. Voyez la seconde carte de la géogra- phie. Cette ligne, qui n’est interrompue que par le golfe du Mexique, qu’on doit regarder comme une mer Méditerranée, peut avoir environdeux mille cinq cents lieues de longueur, et elle par- tage le nouveau continent en deux parties égales, dont celle qui est à gauche à 1069286 ? lieues carrées de surface , et celle qui est à droite en a 1070926 # ; cette ligne, qui faitle milieu de la bande du nouveau continent, estaussi inclinée à l'équateur d'environ trentedegrés, mais en sens é HISTOIRE NATURELLE. opposé; en sorte que celle de l’ancien conti- nent s’étendant du nord-est au sud-ouest, celle du nouveau s'étend du nord-ouest au sud-est; et toutes ces terres ensemble, tant de l’an- cien que du nouveau continent, font environ 7080993 lieues carrées; ce qui n’est pas, à beaucoup près, le tiers de la surface totale du globe, qui en contient vingt-cinq millions. On doit remarquer que ces deux lignes, qui traversent les continents dans leurs plus gran- des longueurs, et qui les partagent chacun en deux parties égales , aboutissent toutes les deux au même degré de latitude septentrionale et australe. On peut aussi observer que les deux continents font des avances opposées et qui se regardent, savoir : les côtes de l'Afrique de- puis les îles Canaries jusqu'aux côtes de la Guinée, et celles de l'Amérique depuis la Guiane jusqu’à l'embouchure de Rio-Janeiro. Il parait donc queles terres les plus anciennes du globe sont les pays qui sont aux deux côtés deceslignes à une distancemédiocre, par exem- ple, à deux cents ou deux cent cinquante lieues de chaque côté; et, en suivant cette idée , qui est fondée sur les observations que nous venons derapporter, nous trouverons dans l’ancien con- tinent que les terres les plus anciennes de l’A- frique sont celles qui s’étendent depuis le cap de Bonne-Espérancejusqu’à lamer Rouge et jusqu’à l'Egypte, sur une largeur d’environ cinq cents lieues, et que, par conséquent, toutes les côtes occidentales de l'Afrique, depuis la Guinée jus- qu’au détroit de Gibraltar, sont des terres plus nouvelles. De même, nous reconnaîtrons qu’en Asie, si on suit la ligne sur la même largeur, les terres les plus anciennes sont l'Arabie heureuse et déserte, la Perse etlaGéorgie, la Turcomanie et une partie de la Tartarie indépendante, la Circassieetune partie de la Moscovie, etc. ;que, par conséquent , l’Europe est plus nouvelle, et peut-être aussi la Chine et la partie orientale de la Tartarie. Dans le nouveau continent, nous trouverons que la terre Magellanique , la partie orientale du Brésil, du pays des Amazones, de la Guiane et du Canada, sont des paysnouveaux en comparaison du Tucuman, du Pérou, dela terre ferme et desiles du golfe du Mexique, de la Floride, du Mississipi et du Mexique. On peut encore ajouter à ces observations deux faits qui sont assezremarquables: le vieux et le nou- veau continent sont presque opposés l’un à l’au- tre; l’ancien est plus étendu au nord de l’équa- Î THÉORIE DE LA TERRE. 109 teur qu'au sud ; au contraire, le nouveau l’est | cidentales de l'Afrique jusqu’au Sénégal, qu'on plus au sud qu’au nord de l'équateur. Le cen- tre de l’ancien continent est à seize ou dix-huit | degrés de latitude nord, et le centre du nou- | veau est à seize ou dix-huit degrés de latitude _ sud; en sorte qu’ils semblent faits pour se con- | trebal cer. Il y a encore un rapport singulier | entre les deux continents , quoiqu’ilme paraisse | plus accidentel que ceux dont je viens de par- oler : c'est que les deux continents seraient cha- eun partagés en deux parties, qui seraient toutes quatre environnées de la mer de tous côtés, sans deux petits isthmes , celui de Suez et celui de Panama. Voilà ce que l’inspection attentive du globe peut nous fournir de plus général sur la division de laterre. Nous nous abstiendrons de faire sur cela des hypothèses et de hasarder des raison- nements qui pourraient nous conduire à de faus- ses conséquences : mais, comme personne n’a- vait considéré sous ce point de vue la division du globe, j'ai eru devoir communiquer ces remar- ques. Il est assez singulier que la ligne qui fait ‘la plus grande longueur des continents terres- tres, les partage en deux parties égales ; il ne l’est pas moins que ces deux lignes commen- cent et finissent aux mêmes degrés de latitude, et qu’elles soient toutes deux inclinées de même à l'équateur. Ces rapports peuvent tenir à quel- que chose de général, que l’on découvrira peut- être, et que nous ignorons. Nous verrons dans la suite à examiner plus en détail les inégalités de la figure des continents ; il nous suffit d’obser- ver ici que les pays les plus anciens doivent être les plus voisins de ces lignes et en même temps les plus élevés,et que les terres les plus nouvelles en doivent être les plus éloignées, et en même - temps les plus basses. Ainsi, en Amérique, la terre des Amazones, la Guiane et le Canada, se- ront les parties les plus nouvelles : en jetant les yeux sur la carte de ce pays, on voit que les eaux y sont répandues de tous côtés, qu’il y a un grand nombre de lacs et de très-grands fleu- veS; ce qui indique encore que ces terres sont nouvelles : au contraire, le Tucuman, le Pérou et le Mexique sont des pays très-élevés, fort mentueux, et voisins de la ligne qui partage le continent; ce qui semble prouver qu’ils sont plus anciens que ceux dont nous venons de parler. De même toute l'Afrique est très-montueuse, et cette partie du monde est fort ancienne ; il n’y a guère que l'Égypte, la Barbarie, et les côtes oc- puisse regarder comme de nouvelles terres. L’Asie est aussi une terre ancienne, et peut-être la plus ancienne de toutes , surtout l’Arabie, la Perse et la Tartarie; mais les inégalités de cette vaste partie du monde demandent, aussi bien que celles de l'Europe, un détail que nous renvoyons à un autre article. On pourrait dire, en général, que l’Europe est un pays nouveau; la tradition sur la migration des peuples etsur l'origine des arts et des sciences parait l’indi- quer:iln'y a pas long-temps qu’elle étaitencore remplie de marais etcouverte de forêts, au lieu que dans les pays très-anciennement habités, il y a peu de bois, peu d’eau , point de marais, beaucoup de landes et de bruyères, une graude quantité de montagnes dont les sommets sont secs et stériles ; eur lesthhommes détruisentles bois, contraignent les eaux, resserrent les fleu- ves, dessèchent les marais, et avecle temps ils donnent à la terre une face toute différente de celle des pays inhabités ou nouvellement peu- plés. Les anciens ne connaissaient qu’une très-pe- tite partie du globe ; l'Amérique entière , les terres Arctiques , läterre AustraleetMagellani- que, une grande partie de l’intérieur de l’Afri- que, leur étaient entièrement inconnues; ils ne savaient pas que la zone torride était habitée, quoiqu'ils eussent navigué tout autour de l’A- frique; car il y a deux mille deux cents ans que Neco, roi d'Égypte, donna des vaisseaux à des Phéniciens qui partirent de la mer Rouge, cô- toyèrent l'Afrique, doublèrent le cap de Bonne- Espérance, et ayant employé deux ans à faire ce voyage, ils entrèrent la troisième année dans ledétroitde Gibraltar. Voyez Hérodote, liv. IN. Cependant les anciens ne connaissaient pas la propriété qu'a l’aimant de se dirigerwwers les pôles dumonde, quoiqu’ilsconnussent celle qu'il a d’attirer le fer ; ils ignoraient la cause géné- rale du flux et du reflux de la mer; ils n’étaient passürsque l’océan environnât le globe sans in- terruption : quelques-uns à la vérité l’ontsoup- conné , mais avec si peu de fondement, qu’au- eun n’a osé dire, ni même conjecturer, qu’il était possible de faire le tour du monde. Magellan a été le premier quil’ait faiten l’année 1519, dans l’espace de onze cent vingt-quatre jours. Fran- çois Drakea été le second en 1577, et il l’a fait en mille cinquante-six jours . Ensuite Thomas Cavendish a fait ce grand voyage en sept cent e 110 soixante-dix-sept jours dans l’année 1586. Ces fameux voyageurs ontété les premiers quiaient démontré physiquement la sphéricité et l’éten- due de la circonférence de la terre; car les anciens étaient aussi fort éloignés d’avoir une juste me- sure de cette circonférence du globe, quoiqu'ils y eussent beaucoup travaillé. Les vents géné- raux etréglés, et l'usage qu’on en peutfaire pour les voyages de long cours , leur étaient aussi ab- solument inconnus : ainsi onne doit pas être sur- prisdu peu de progrès qu’ils ont fait dans la géo- graphie, puisqu’aujourd'hui, malgré toutes les connaissances que l’on aacquises par le secours des sciencesmathématiques etparles découver- tes des navigateurs, il resteencore bien des cho- ses à trouver etde vastes contrées à découvrir. Presquetoutes les terres qui sont du côté du pôle antarctique nous sontinconnues; on sait seule- ment qu’il y en a, et qu’elles sont séparées de tous les autres continents par l'océan. Il reste aussi beaucoup de pays à découvrir du côté du pôle arctique, et on est obligé d’avouer, avec quelque espèce de regret, que depuis plus d’un sièclel’ardeur pour découvrir de nouvelles terres s’est extrèmement ralentie: on a préféré, et peut- être avec raison, l’utilitéqu’on a trouvée à faire valoir celles qu’on connaissait, à la gloire d’en conquérir de nouvelles. Cependant la découverte de ces terres austra- les serait un grand objetde curiosité et pourrait être utile : on n’a reconnu de ce côté-là que quelques côtes, et il est fâcheux que les naviga- teurs qui ont voulu tenter cette découverte en différents temps, aient presque toujours été ar- rêtés par des glaces qui les ont empéchés de prendre terre, La brume, qui est fort considé- rable dans ces parages, est encore un obstacle, Cependant , malgré ces inconvenients, il est à croire qu’en partant du Cap de Bonne-Espérance en différentes saisons , on pourrait enfin recon- paitre une partie de ces terres, lesquelles jus- qu'ici font un monde à part. Il y aurait encoreunautre moyen, qui peut- être réussirait mieux : comme les glaces et les brumes paraissent avoir arrêté tous les naviga- teurs qui ont entrepris la découverte des terres Australes par l'océan Atlantique, et que les gla- ces se sont présentées dans l’été de ces climats aussi bien que dans les autres saisons, ne pour- rait-on pas se promettre un meilleur succès en changeant de route ? 11 me semble qu’on pour- rait tenter d’ariver à ces terres par la mer Paci- HISTOIRE NATURELLE, fique, en partant de Baldivia ou d’un autre port de la côte du Chili, sen cette mer sous le cinquautième degré de latitude sud. 11 n’y a aucune apparence que cette navigation, qui n’a jamais été faite, fût périlleuse : et il est proba- ble qu’on trouverait dans cette traversée de velles terres ; car ce qui nous reste à connaître du côté du pôle austral est mare le, qu'on peut, sans se tromper, l’évaluer à plus du quart de la superficie du globe, en sortes qu’il peut y avoir dans ces climats un conti- nent terrestre aussi grand que l’Europe, l'Asie et l'Afrique prises toutes trois ensemble. Comme nous ne connaissons point du tout cette partie du globe, nous ne pouvons pas sa- voir au juste la proportion qui est entre la sur- face de la terre et celle de la mer ; seulement, autant qu’on en peut juger par l'inspection de ce qui est connu, il parait qu'il y a plus de mer que de terre. Si l’on veut avoir une idée de la quantité énorme d’eau que contiennent les mers, où peut supposer une profondeur commune et gé- nérale à l’océan, et en ne la faisant que de deux cents toises ou de la dixième partie d’une lieue, on verra qu’il y à assez d’eau pour couvrir le globe erftier d’une hauteur de six cents pieds d’eau; et si l’on veut réduire cette eau dans une seule masse, on trouvera qu’elle fait un globe de plus de soixante lieues de diamètre. Les navigateurs prétendent que le continent des terres australes est beaucoup plus froid que celui du pôle arctique : mais, il n’y a aucune apparence que cette opinion soit fondée et pro- bablement elle n’a été adoptée des voyageurs que parce qu’ils ont trouvé des glaces à une la- titude où l’on n’en trouve En jamais dans nos mers septentrionales ; mais cela peut venir de quelques causes particulières. On ne trouve plus de glaces dès le mois d’avril en-decà des 67 et 68 degrés de latitude septentrionale ; et les sauvages de l’Acadie et du Canada disent que quand elles ne sont pas toutes fondues dans ce mois-là, c’est une marque que le reste de l'ân- née sera froid et pluvieux. En 1725 il n’y eut, pour ainsi dire , point d'été, et il plut presque continuellement : aussi non-seulement les glaces des mers septentrionales n’étaient pas fondues au mois d'avril au soixante-septième degré, mais même on en trouva au 15 juin vers le quarante-un ou quarante-deuxième degré. Voy. l'Hist. de l'Acad., année 1725. THÉORIE DE LA TERRE. On trouve une grande quantité de ces glaces flottantes dans la mer du Nord , surtout à quel- que distanee des terres ; elles viennent de la mer de Tartarie dans celle de la Nouvelle-Zem- ble et dans les autres endroits de lamer Glaciale. J'ai été assuré , par des gens dignes de foi, qu'un capitaine anglais , nommé Monson, au lieu de chercher un passage entre les terres du nord pouraller à la Chine, avait dirigé sa route droit au pôle, et en avait approché jusqu’à deux de- grés ; que dans cette route il avait trouvé une haute mer sans aucune glace : ce qui prouve que les glaces se forment auprès des terres et jamais en pleine mer; car, quand même on voudrait supposer, contre toute apparence, qu’il pourrait faire assez froid au pôle pour que la superficie de la merf ée, on neconcevrait pas mieux comment | dormes glaces qui flottent pour- raient se former, si elles ne trouvaient pas un point ee ce les terres , d’où ensuite elles se détachent par la chaleur du soleil. Les deux vaisseaux que la compagnie des Indes en- voya en 1739 à la découverte des terres Aus- trales, trouvèrent des glaces à une latitude de 47 ou 48 degrés; mais ces glaces n’étaient pas fort éloignées des terres, puisqu'ils les recon- aurent, sanscependant pouvoir y aborder. Voyez sur cela la carte de M. Buache, 1739. Ces glaces doivent venirdesterres intérieures et voi- sines du pôle austral , et on peut conjecturer qu’elles suiventle cours de plusieurs grands fleu- ves dont ces terres inconnues sont arrosées , de même que le fleuve Oby, le Jénisca , et les au- tres grandes rivières qui tombent dans les mers du Nord, entraînent les glaces qui bouchent, pendant la plus grande partie de l’année, le dé- troit de Waigats , et rendent inabordable la mer de Tartarie par cette route , tandis qu’au delà de la Nouvelle-Zemble et plus près des pôles, où il y a peu de fleuves et de terres , les glaces sont moins communes et la mer est plus navi- gable ; en sorte que si on voulait encore tenter le voyage de la Chine et du Japon par les mers Wr Nord, il faudrait peut-être , pour s’éloigner le plus des terres et des glaces , diriger sa route droit au pôle , etchercher les plus hautes mers, où certainement il n’y a que peu ou point de — glaces; car on sait que l’eau salée peut , sans se geler, devenir beaucoup plus froide que l’eau douce glacée, et par conséquent, le froid ex- cessif du pôle peut bien rendre l’eau de la mer plus froide que la glace, sans que pour cela la 111 surface de la mer segèle, d'autant plus qu’à 80 ou 82 degrés, la surface de la mer, quoique mêlée de beaucoup de neige et d’eau douce, n’est glacée qu'auprès des côtes En recueillant les témoignages des voyageurs sur le passage de l’Europe à la Chine par la mer du Nord, il paraît qu’il existe, et que s’il a été si souvent tenté inutilement , c’est parce qu’on a toujours craint de s'éloigner des terres et de s'approcher du pôle : les voyageurs l’ont peut-être regardé comme un écueil. Cependant, Guillaume Barents, qui avait échoué, comme bien d’autres , dans son voyage du Nord, ne doutait pas qu’il n’y eût un passage, et que s’il se fût plus éloigné des terres il n’eût trouvé une mer libre et sans glaces. Des voya- geurs moscovites, envoyés par le ezar pour re- connaître les mers du nord, rapportèrent que la Nouvelle-Zemble n’est point une ile, mais une terre ferme du continent de la Tartarie, et qu’au nord de la Nouvelle-Zemble c’est une mer libre et ouverte. Un voyageur hollandais nous assure que la mer jette de temps en temps, Sur la côte de Corée et du Japon , des baleines qui ont sur le dos des harpons anglais et hollandais. Un autre Hollandais a prétendu avoir été jus- que sous le pôle , et assurait qu’il y faisait aussi chaud qu’il fait à Amsterdam en été. Un An- glais nommé Goulden , qui avait fait plus de trente voyages en Groënland , rapporta au roi Charles II que deux vaisseaux hollandais avec lesquels il faisait voile, n'ayant point trouvé de baleines à la côte de l’ile d’Edges, résolurent d'aller plus au nord, et qu’étant de retour au bout de quinze jours , ces Hollandais lui dirent qu'ils avaient été jusqu’au 89° degré de lati- tude , c’est-à-dire à un degré du pôle, etque là ils n'avaient point trouvé de glaces, mais une mer libre et ouverte, fort profonde et semblable à celle de la baie de Biscaye, et qu'ils lui mon- trèrent quatre journaux des deux vaisseaux, qui attestaient la même chose, et s’accordaient à fort peu de chose près. Enfin, il est rapporté dans les Transactions philosophiques que deux navigateurs qui avaient entrepris de découvrir ce passage, firent une route de trois cents lieues à l’orient de la Nouvelle-Zemble; mais, qu’é- tant de retour, la compagnie des Indes, qui avait intérêt que ce passage ne fût pas décou- vert, empècha ces navigateurs de retourner. Voyez le Recueil des voyages du Nord, page 200, Mais la compagnie des Indes de Hollande LOUE ee = -. 112 HISTOIRE NATURELLE. quent , il ya grande apparence qu'on réussirait | en dirigeant sa route vers quelque autre point de ce cercle. D'ailleurs , la description que nous ont donnée Dampier et quelques autres voya- geurs , du terrain dela Nouvelle-Hollande , nous peut faire soupçonner que cette partie du globe | | | crut au contraire qu'il était de son intérêt de trouver ce passage : l'ayant tenté inutilement du côté de l'Europe, elle le fit chercher du côté du Japon; et elle aurait apparemment réussi , si l’empereur du Japon n’eût pas interdit aux étrangers toute navigation du côté des terres de Jesso. Ce passage ne peut donc se trouver qu’en allant droit au pôle au-delà de Spitzberg , ou bien en suivant le milieu de la haute mer, entre la Nouvelle-Zemble et Spitzherg, sous le 79me degré de latitude. Si cette mer a une largeur considérable, on ne doit pas craindre de la trou- ver glacée à cette latitude, et pas même sous le pôle , par les raisons que nous avons alléguées. En effet, il n’y a pas d'exemple qu’on ait trouvé la surface de la mer glacée au large et à une distance considérable des côtes : le seul exemple d’une mer totalement glacée est celui de la mer Noire ; elle est étroite et peu salée, et ellereçoit une très-grande quantité de fleuves qui viennent des terres septentrionales, et qui y apportent des glaces : aussi elle gèle quelquefois au point que sa surface est entièrement glacée, même à une profondeur considérable ; et, si on en croit les historiens , elle gela, du temps de l’empereur Copronyme , de trente coudées d'épaisseur, sans compter vingt coudées de neiges qu’il y avait par-dessus la glace. Ce fait me parait exagéré ; mais il est sûr qu’elle gèle presque tous les hi- vers , tandis que les hautes mers, qui sont de mille lieues plus près du pôle, ne gèlent pas; ce qui ne peut venir que de la différence de la salure et du peu de glaces qu’elles reçoivent par les fleuves en comparaison de la quantité énorme de glacons qu'ils transportent dans la mer Noire. Ces glaces , que l’on regarde comme des bar- rières qui s'opposent à la navigation vers les pôles et à la découverte des terres australes, prouvent seulement qu'il y a de très-grands fleuves dans le voisinage des climats où on les a rencontrées : par conséquent elles nous indi- quent aussi qu'il y a de vastes continents d’où ces fleuves tirent leur origine, et on ne doit pas se décourager à la vue de ces obstacles; car, si l'on y fait attention , l’on reconnaitra aisément que ces glaces ne doivent être que dans certains endroits particuliers; qu'il est presque impos sible que dans le cercle entier que nous pouvons imaginer terminer les terres australes du côté de l'équateur, il y ait partout de grands fleuves qui charrient des glaces, et que, pa consé- qui a voisine lesterres australes , et qui peut-être en fait partie , est un pays moins ancien que le reste de ce continent inconnu. La Nouvelle- Hollande est une terre basse, sans eaux, sans montagnes, peu habitée , dont les naturels sont | sauvages et sans industrie; tout cela concourt à nous faire penser qu’ils pourraient être dans ce continent à peu près ce que les sauvages des Amazones où du Paraguay sont en Amérique. On a trouvé des hommes policés , des empires : et des rois au Pérou, au Mexiquese’est-à-dire dans les contrées de l'Amérique les plus élevées, et par conséquent les plus anciennes ; les Sau- vages, au contraire , se sont trouvés dans les contrées les plus basses et les plus nouvelles. Ainsi on peut présumer que dans l’intérieur des terres australes on trouverait aussi des hommes réunis en société dans les contréesélevées, d’où ces grands fleuves qui amènent à la mer ces glaces prodigieuses tirent leur source. L'intérieur de l’Afrique nous est inconnu, presque autant qu’il l'était aux anciens : ils « avaient, comme nous , fait le tour de cette pres- qu'ile par mer ; mais, à la vérité, ils ne nous avaient laissé ni cartes ni descriptions de ces cô- tes. Pline nous dit qu’on avait, dès le temps d'Alexandre, fait le tour de l'Afrique; qu’on avait reconnu dans la mer d'Arabie des débris de vaisseaux espagnols ; et que Hannon, géné- ral carthaginois , avait fait le voyage depuis Gades jusqu’à la mer d'Arabie, qu’il avait même donné par écrit la relation de ce voyage. Outre cela , dit-il, Cornelius Nepos nous apprend que de son temps, un certain Eudoxe, persécuté par le roi Lathurus , fut obligé de s’enfuir ; qu’étant parti du golfe Arabique, il était arrivé à Gades, et qu'avant ce temps on commercait d’Espagne en Ethiopie par mer. Voyez Plin. Hist. Nat. tom. I, lib. 2. Cependant, malgré ces témoi- gnages des anciens , on s’était persuadé qu'ils n'avaient jamais doublé le cap de Bonne-Es- pérance , et l’on a regardé comme une décou= verte nouvelle cette route que les Portugais ont prise les premiers pouraller aux Grandes-Indes. On ne sera peut-être pas fâché de voir ce qu'on en croyait dans le neuvième siècle. — nes. | À THÉORIE DE LA TERRE. « On a découvert de notre temps une chose « toute nouvelle, et qui était inconnue autrefois « à ceux qui ont vécu avant nous. Personne ne « croyait que la mer qui s'étend depuis les In- « des jusqu'à la Chine eûteommunication avec la « mer de Syrie, et on ne pouvait se mettre cela « dans l'esprit. Voici ce qui est arrivé de notre « temps, selon ce que nous en avons appris. « On a trouvé dans la mer de Roum ou Médi- « terranée les débris d’un vaisseau arabe que « la tempête avait brisé, et tous ceux qui le « montaient étant péris, les flots l'ayant mis « en pièces, elles furent portées par le vent et « par la vague jusque dans la mer des Cozars , « et de là au canal de la mer Méditerranée, d’où « elles furent enfin jetées sur la côte de Syrie. « Cela fait voir que la mer environne tout lepays « de la Chine et de Cila , l'extrémité de Turques- « tan et le pays des Cozars; qu’ensuite elle « coule par le détroit jusqu’à ce qu’elle baigne a la côte de Syrie. La preuve est tirée de la « construction du vaisseau dont nous venons « de parler; car il n’y a que les vaisseaux de Si- « raf dont la fabrique est telle, que les borda- « ges ne sont pointcloués, mais joints ensem- « ble d’une manière particulière , de même que « s'ils étaient cousus ; au lieu que ceux de tous «“ les vaisseaux de la mer Méditerranée et de « la côte de Syrie sont cloués, et ne sont pas « joints de cette manière. » Voyez les ancien- nes relations des voyages faits par terre à la Chine, pages 53 et 54. Voici ce qu’ajoute le traducteur de cette an- cienne relation : « Abuziel remarque comme une chose nou- « velle et fort extraordinaire, qu’un vaisseau « fut porté de la mer des Indes sur les côtes de « Syrie. Pour trouver le passage dans la mer « Méditerranée, il suppose qu’il y a une grande « étendue de mer au-dessus de la Chine, qui a « communication avec la mer des Cozars, c’est- « à-dire de Moscovie. La mer qui est au-delà « du cap des Courants était entièrement incon- y nue aux Arabes, à cause du péril extrême de « la navigation; etle continent était habité par « despeuplessibarbares, qu'il n’était pas facile « de les soumettre, ni même deles civiliser par « le commerce. Les Portugais ne trouvèrent de- « puis le cap de Bonne-Espérance jusqu’à Sof- « fala aucuns Maures établis, comme ils en « trouvèrentdepuis dans toutes les villes mariti- « mes jusqu’à la Chine, Cette ville était la der- 1. 115 « nière que connaissaient les géographes ; mais « ils ne pouvaient dire si la mer avait commu- « nication par l'extrémité de l'Afrique avec la « mer de Barbarie, et ils se contentaient de la « décrire jusqu’à la côte de Zinge, qui est celle « de la Cafrerie : c’est pourquoi nous ne pou- « vons douter que la première découverte du « passage de cette mer par le cap de Bonne-Es- @pérance n’ait été faite par les Européens, sous « la conduite de Vasco de Gama , ou au moins « quelques années avant qu’il doublât le Cap, « s’il est vrai qu'il se soit trouvé des cartes ma- «rines plus anciennes que cette navigation , « où le Cap était marqué sous le nom de Fron- « leira da Afriqua. Antoine Galvan témoigne, « sur le rapport de Francisco de Sousa Tavares, « qu’en 1528 l’infant don Fernand lui fit voir « une semblable carte qui se trouvait dans le .« monastère d’Acoboca , et qui était faite il y « avait cent vingt ans, peut-être sur celle qu’on « dit être à Venise dans le trésor de St-Mare , et « qu’on croit avoir été copiée sur celle de Marc- « Paolo, qui marque aussi la pointe de l’Afri- « que, selon le témoignage de Ramusio , ete. » L’ignorance de ces siècles , au sujet de la navi- gation autour de l’Afrique, paraîtra peut-être moins singulière que le silence de l’éditeur de cette ancienne relation au sujet des passages d’Hérodote, de Pline, etc. , que nous avons cités, et qui prouvent que les anciens avaient fait le tour de l’Afrique. Quoi qu’il en soit , les côtes de l’Afrique nous sont actuellement bien connues ; mais, quelques tentatives qu’on ait faites pour pénétrer dans l’intérieur du pays, on n’a pu parvenir à le con- naitre assez pour en donner des relations exac- tes. Il serait cependant fort à souhaiter que, par le Sénégal ou par quélque autre fleuve , On püt remonter bien avant dans les terres et s’y éta- blir : on y trouverait, selon toutes les appa- rences, un pays aussi riche en mines précieuses que l’est le Pérou ou le Brésil ; car on sait que les fleuves de l’Afrique charrient beaucoup d’or; et, comme ce continent est un pays de monta- Re et que d’ailleurs il est situé sous Péquateur, il n’est pas douteux qu’il ne contienne , aussi bien que l'Amérique, les mines des métaux les plus pesants, et les pierres les plus compactes et les plus dures. La vaste étendue de la Tartarie septentrio- nale et orientale n’a été reconnue que dans ces derniers temps. Siles cartes des Moscovites sont 8 114 justes, on connaît à présent les côtes de toute cette partie de l’Asie, et il paraît que depuis la pointe de la Tartarie orientale jusqu’à l'Améri- que septentrionale , il n’y a guère qu’un espace de quatre ou cinq cents lieues : on a même pré- tendu tout nouvellement que ce trajet était bien plus court: car dans la Gazette d'Amsterdam du 24 janvier 1747, il est dit, à l’article de Pé- tersbourg, que M. Stoller avait découvert, au- delà de Kamtschatka, une des iles de l’ Amérique septentrionale, et qu’il avait démontré qu’on pouvait y aller des terres de l'empire de Russie par un petit trajet. Des jésuites et d’autres mis- sionnaires ont aussi prétendu avoir reconnu en Tartarie des sauvages qu’ils avaient catéchisés en Amérique, ce qui supposerait en effet que le trajetserait encore bien plus court. Voyez l’His- toire de la Nouvelle-France par le P. Charle- voix, tome 3, pages 30 et 31. Cet auteur pré-* tend même que les deux continents de l’ancien et du nouveau monde se joignent par le nord, et il dit que les dernières navigations dés Japo- nais donnent lieu de juger que le trajet dont nous avons parlé n’est qu’une baie au-dessus de laquelle on peut passer par terre d’Asie en Amérique : mais cela demande confirmation ; car, jusqu’à présent, on a cru avec quelque sorte de vraisemblance que le continent du pôle arctique est séparé en entier des autres continents, aussi bien que celui du pôle antarc- tique. L’astronomie et l’art de la navigation sont portés à un si haut point de perfection, qu’on peut raisonnablement espérer d’avoir un jour une connaissance exacte de la surface entière du globe, Les anciens n’en connaissaient qu’une assez petite partie, parce que, n'ayant pas la boussole, ils n’osaient se hasarder dans les hau- tes mers. Je sais bien que quelques gens ont prétendu que les Arabes avaient inventé la bous- sole, et s’en étaient servis longtemps avant nous pour voyager sur la mer des Indes, et commer- cer jusqu’à la Chine ( Voyez l'Abrégé de l'his. toire des Sarrasins de Bergeron, page 119 ) : mais cette opinion m'a toujours paru dénuée de toute vraisemblance; cariln’ya aucun mot dans les langues arabe , turque ou persane, qui puisse signifier la boussole ; ils se servent du mot italien bossola : ils ne savent pas même encore aujourd’hui faire des boussoles ni aiman- ter les aiguilles, et ils achètent des Européens celles dont ils se servent. Ce que dit le père Mar- HISTOIRE NATURELLE. tini, au sujet de cette invention, ne me parait guère mieux fondé ; il prétend que les Chinois connaissaient la boussole depuis plus de trois mille ans (Voy. Hist, Sinica, pag. 106). Mais si cela est, comment est-il arrivé qu'ils en aient fait si peu d'usage? pourquoi prenaient-ils dans leurs voyages à la Cochinchine une route beau- coup plus longue qu’il n’était nécessaire? pour- quoi se bornaient-ils à faire toujours les mêmes voyages, dont les plus grands étaient à Java et à Sumatra? et pourquoi n'auraient-ils pas dé- couvert, avant les Enropéens, uneinfinité d'îles abondantes et de terres fertiles dont ils sont voi- sins, s'ils avaient eu l’art de naviguer en pleine mer? Car, peu d’années après la découverte de cette merveilleuse propriété de l’aimant, les Portugais firent de très-grands voyages : ils doublèrent le cap de Bonne-Espérance; ils tra- versèrent les mers de J’Afrique et des Indes; et tandis qu'ils dirigeaient toutes leurs vues du côté de l’orient et du midi, Christophe Colomb tourna les siennes vers l'occident. Pour peu qu’on y fit attention, il était fort aisé de deviner qu’il y avait des espaces immen- ses vers l’occident : car, en comparant la partie connue du globe, par exemple, la distance de l'Espagne à la Chine, et faisant attention au mouvement de révolution ou de la terre ou du ciel, il était aisé de voir qu’il restait à décou- vrir une bien plus grande étendue vers l’occi- dent , que celle qu’on connaissait vers l’orient. Ce n’est donc pas par le défaut des connaissan- ces astronomiques que les anciens n’ont pas trouvé le Nouveau-Monde, mais uniquement par le défaut de la boussole : les passages de Platon et d’Aristote, où ils parlent de terres fort éloignées au delà des colonnes d’Hercule, semblent indiquer que quelques navigateurs avaient été poussés par la tempête jusqu’en Amérique, d’où ils n'étaient revenus qu'avec des peines infinies; et on peut conjecturer que, quand mème les anciens auraient été persuadés de l’existence de ce continent par la relation de ces navigateurs, ils n’auraient pas même pensé qu’il fût possible de sy frayer des rou- tes, n'ayant aucun guide, aucune connaissance de la boussole. J'avoue qu’il n’est pas absolument impossible de voyager dans les hautes mers sans boussole, et que des gens bien déterminés auraient pu en- treprendre d’aller chercher‘le Nouveau-Monde | en se conduisant seulement par les étoiles voi- 0 ln om à So de oh Tartarie Oriqni = À 66" de lautitroheg: = CARTE DE L'ANCIEN CON INENT 0. / 1 ES 7 Rtats du Grand , : dédon ou plus grande longer L EERNNER — 9 Î depuis La pointe de la Trturie ns 1 é { Jusque au ip de Bonne Hspérance 3 | \ tres — Degrér de l'Equateur . Cap de Bonne Bspérance à ge che latitét «ht THÉORIE DE LA TERRE. sines du pôle. L'astrolabe surtout étant connu des anciens, il pouvait leur venir dans l'esprit de partir de France ou d’Espagne, et de faire route vers l'occident, en laissant toujours l’é- toile polaire à droite, et en prenant souvent hauteur pour se conduire à peu près sous le même parallèle : c’est sans doute de cette façon que les Carthaginoiïs, dont parle Aristote, trou- vèrent le moyen de revenir de ces terres éloi- gnées, en laissant l'étoile polaire à gauche ; mais on doit convenir qu’un pareil voyage ne pouvait être regardé que comme une entreprise téméraire, etque, par conséquent , nous ne de- vons pas être étonnés que les anciens n’en aient pas même conçu le projet. On avait déjà découvert , du temps de Chris- tophe Colomb , les Açores, les Canaries, Ma- dère : on avait remarqué que lorsque les vents d'ouest avaient régné longtemps , la mer ame- nait sur les côtes de ces iles des morceaux de bois étrangers , des cannes d’une espèce incon- nue, et même des corps morts qu’on reconnais- sait à plusieurs signes n’être ni Européens ni Africains.(Voy. /’Histoire de Saint-Domingue, par le P. Charlevoix, tome I, pages 66 et suiv.) Colomb lui-même remarqua que, du côté de l’ouest, il venait certains vents qui ne duraiïent que quelques jours, et qu’il se persuada être des vents de terre; cependant, quoiqu'il eût sur les anciens tous ces avantages et la boussole, les difficultés qui restaientà vaincre étaient encore si grandes, qu’il n’y avait que le succès qui pût justifier l’entreprise : car, supposons pour un instant que le continent du Nouveau-Monde eût été plus éloigné; par exemple, à mille ouquinze cents lieues plus loin qu’il n’est en effet, chose que Colomb ne pouvait ni savoir, ni prévoir, il n’y serait pas arrivé, etpeut-être ce grand pays serait-il encore inconnu. Cette conjecture est d'autant mieux fondée, que Colomb, quoique le plus habile navigateur de son siècle, fut saisi de frayeur et d’étonnement dans son second voyage au Nouveau-Monde; car, comme la première fois il n’avait trouvé que des iles , il dirigea sa route plus au midi, pour tâcher de dé- couvrir une terre ferme , et il fut arrêté par les courants , dont l’étendue considérable et la direction toujours opposée à sa route, l’obligè- rent à retourner pour chercherterre à l'occident: fl s’imaginait que ce qui l’avait empêché d’avan- cer du côté du midi, n’était pas des courants , mais que la mer allait en s’élevant vers le ciel, 115 et que peut-être l’un et l'autre se touchaient du côté du midi : tant il est vrai que dans les trop grandes entreprises la plus petite circon- stance malheureuse peut tourner la tête et abattre le courage! ADDITIONS ET CORRECTIONS À L'ARTICLE QUI À POUR TITRE GÉOGRAPHIE. — Sur l'étendue des Continents terrestres. J'ai dit que la ligne que l’on peut tirer dans la plus grande longueur de l’ancien continent est d'environ trois mille six cents lieues. J’ai entendu des lieues comme on les compte aux environs de Paris, de deux mille ou deux mille cinq cents toises chacune, et qui sont.d’envi- ron vingt-sept au degré. Au reste, dans cet article de géographie gé- nérale, j'ai tâché d’apporter l'exactitude que demandent des sujets de cette espèce; néan- moins il s’y est glissé quelques petites erreurs et quelques négligences. Par exemple, 1° je n’ai pas donné les noms adoptés ou imposés par les Français à plusieurs contrées de l'Amérique ; j'ai suivi en tout les globes anglais faits par Senex, de deux pieds de diamètre , sur lesquels les cartes que j'ai données ont été copiées exac- tement. Les Anglais sont plus justes que nous à l'égard des nations qui leur sont indifférentes; ils conservent à chaque pays le nom originaire, ou celui que leur a donné le premier qui les a découverts. Au contraire , nous donnons sou- vent nos noms français à tous les pays où nous abordons , et c’est de là que vient l’obscurité de la nomeñclature géographique dans notre lan- gue. Mais, comme les lignes qui traversent les deux continents dans leur plus grande longueur sont bien indiquées dans mes cartes , par les deux points extrêmes, et par plusieurs autres points intermédiaires, dont les noms sont géné- ralement adoptés , il ne peut y avoir sur cela aucune équivoque essentielle. 2° J'ai aussi négligé de donner le détail du calcul dela superficie des deux continents, parce qu'il est aisé de le vérifier sur un grand globe. Mais, comme on a paru désirer ce calcul, le 116 HISTOIRE NATURELLE. voici‘, tel que M. Robert de Vaugondi me l’a remis dans le temps. On verra qu'il en résulte en effet, que dans la partie qui est à gauche de la ligne de partage, il y a 2471092 j lieues carrées, et 2469687 lieues carrées dans la par- tie qui est à droite de la même ligne, et que, par conséquent, l’ancien continent contient en tout environ 4940780 lieues carrées , ce qui ne fait pas une cinquième partie de la surface du globe. Et de même, la partie à gauche de la ligne de partage dans le nouveau continent contient 1069286 ÿ lieues carrées; et celle qui est à droite de la mêmeligne, en contient 1070926#, en tout 2140213 lieues environ : ce qui ne fait pas la moitiéde la surface de l’ancien continent. Etles deux continents ensemble ne contenant que 7,080,993 lieues carrées, leur superficie ne { Calcul de notre continent par lieues géométriques carrées, le degré d'un grand cercle étant de vingt-cinq lieues. 14 148 141 14° 141 fait pas à beaucoup près le tiers de la surface de PRE RITES eee be autre sacs totale du globe , qui est environ de 26 millions CORRE : : ; de lieues carrées. 78780 © gp9s7 : ‘© Ni ARTE on 12e 3° J'aurais dû donner la petitedifférence d’in- COOPER Æ VUS: 415780 PE ! ? 144 | clinaison quise trouve entre les deux lignes qui partagent les deux continents ; je me suis con- tenté de dire qu’elles étaient l’une et l’autre in- clinées à l'équateur d'environ 30 degrés en sens opposés. Ceci n’esten effet qu’un environ, celle Calcul de ls moitié à gauche. Calcul de la moltlé à droite. AXS =. 3860957114 x 5 —.... 3560957; AX 3: —=. 421093| 4 x 4 —.... 4120542* BXx 5; =. 398125 |B x 1 413750 Bx4 ==. 455000 | B x 4: 492916+ CKx2 =: 204250 |C x 4 AOUE25 CXx5 =. 301875 |C x 4: 456041! DxiÀi =. 80957:|D x 1 50937; DRA.—=. 161874 | D x 4; 350729 EX =. 78150 |E X A1 —. 78750 E x0: =. 14250 |E x 45 = 554687; 2271092: 2469687 pe mm Dernier, ses 2471092 + (0) L RFC 2469687 AR Différence... 44052 Véuré ct demi en carré. Calcul du continent de l'Amérique, suivant les mêmes mesures que les précédentes. . Caleul de la moitié à gauche. Calcul de la moltlé à droite. Dx2 —. 161965 |D x .….. 215855: Cx2 —. 201250 |C x 2; 225406" Bx2 =. 227500 |A x 0i=. 24062 AXÛ = 60156: [4 x 1 —..."0M42575 AXx0 = 80208:|[B x 2 —.... 227500 B x =. 91000 |C x 2! = 218020 Cxi =. 125801:|D x di — 15750 Dx2—=, 121406 1069286: 1070926 ;, a ae De... 6-20 10709926 2 Oter. 7 1069286 > Différence. 4639 : | Dr CPE Aa Superficie du nouveau continent. 24 10215 Superficie de l'ancien continent 1940780 Tori... 70809953 lieues carrées. peer de l’ancien continent l’étant d’un peu plus de 30 degrés, et celle du nouveau l’étant un peu moins. Sije me fusse expliqué comme je viens de le faire, j'aurais évité l’imputation qu’on m'a faite d’avoir tiré deux lignes d’inégale longueur sous le mème angle entre deux parellèles : ce : qui prouverait, comme l’a dit un critique ano- nyme ', queje ne sais pasles éléments de la géo- métrie. 49 J'ai négligé de distinguer la haute et la basse Égypte : en sorteque, dansles pages 108 et 109, il y a une apparence de contradiction ; il semble que, dans le premier de ces endroits , l'Égypte soit mise au rang des terres les plus an- ciennes ; tandis que, dans le second , je la mets au rang de plus nouvelles. J'ai eu tort de n’avoir pas, dans ce passage, distingué,comme je l'ai fait ailleurs, la Haute-Égypte , qui est en effet une terre très-ancienne , de la Basse-Égypte, quiest, au contraire, une terre très-nouvelle, Sur la forme des Continents. Voici ce que ditsur la figure des continents l'ingénieux auteur de l’ Histoire philosophique et politique des deux Indes : « Oncroit être sûr aujourd’hui que le nou- « veau continent n’a pas la moitié de la surface « du nôtre; leurs figures d’ailleurs offrent des « ressemblances singulières... Ils paraissent { Leltre à un Américain. THÉORIE DE LA TERRE. « former comme deux bandes de terre qui par- « tent du pôle arctique , et vont se terminer au midi , séparées à l’est et à l’ouest par l'océan quiles environne. Quels quesoïent, et la struc- ture de ces deux bandes, et le balancement ou la symétrie qui règne dans leur figure, on voit bien que leur équilibre ne dépend pas de leur position : c’est l’inconstance de la mer qui fait la solidité de la terre. Pour fixer le globe sur sa base, il fallait, ce me semble , un élé- ment qui, flottant sans cesse autour de notre planète , pût contre-balancer par sa pesanteur toutes les autres substances , et par sa fluidité ramener cet équilibre que le combat et le choc des autres éléments auraient pu renverser. L'eau , par la mobilité de sa nature et par sa gravité tout ensemble , est infiniment propre à entretenir cette harmonie et ce balancement des parties du globe autour de son centre. « Si les eaux qui baignent encore les entrail- « les du nouvel hémisphère n’en avaient pas « inondé Ja surface , l’homme y aurait de bonne « heure coupé les bois , desséché les marais, « consolidé un sol pâteux,.…. ouvert une issue « aux vents, et donné des digues aux fleuves ; « « « « « a 2er 2 2 2 2 = = à» = le climat y eût déjà changé. Mais un hémis- phère en friche et dépeuplé ne peut annon- cer qu'un monde récent , lorsque la mer voi- sine de ces côtes serpente encore sourdement dans ses veines. » Nous observerons , à cesujet ,que, quoiqu'il y ait plus d’eau sur la surface de l'Amérique que sur celle des autres parties du monde, on ne doit -pas en conclure qu’une mer intérieure soit con- tenue dans les entrailles de cette nouvelle terre. On doit se borner à inférer de cette grande quan- tité de laes , de marais, de larges fleuves , que l'Amérique n’a été peuplée qu'après l'Asie , l’A- frique et l’Europe, où les eaux stagnantes sont en bien moindre quantité ; d’ailleurs , il y a mille autres indices qui démontrent qu’en géneral on doit regarder le continent de l'Amérique comme une terre nouvelle, dans laquelle la nature n’a pas eu le temps d'acquérir toutes ses forces, ni celui de les manifester par une très-nombreuse population. Sur les Terres Australes. J’ajouterai à ce que j'ai dit des terres austra- les , que depuis quelques années on a fait de nou- velles tentatives pour y aborder, et qu'on en a + 117 même découvert quelques points après être parti, soit du cap de Bonne-Espérance, soit de l'Ile-de-France, mais que ces nouveaux voyageurs ont également trouvé des brumes , de la neige et des glaces dès le quarante- sixième ou le quarante-septième degré. Après avoir conféré avec quelques-uns d’entre eux, et ayant pris d’ailleurs toutes les informations que j'ai pu recueillir, j'ai vu qu'ils s'accordent sur ce fait, et que tous ont également trouvé des glaces et des latitudes beaucoup moins éle- vées qu’on n’en trouve dans l'hémisphère bo- réal; ils ont aussi tous également trouvé des brumes à ces mêmes latitudes, où ils ont ren- | contré des glaces, et cela dans la saison même de l’été de ces climats : il est done très-probable qu'au-delà du 50° degré on chercherait en vain des terres tempérées dans cet hémisphère aus- tral, où le refroidissement glacial s’est étendu beaucoup plus loin qué dans l’hémisphère bo- réal. La brume est un effet produit par la pré- sence où par le voisinage des glaces ; c’est un brouillard épais , une espèce de neige très-fine , suspendue dans l'air et qui le rend obseur : elle accompagne souvent les grandes glaces flottan- tes, et elle est perpétuelle sur les plages glacées. Au reste, les Anglais ont fait tout nouvelle- ment le tour de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Zélande.Cesterres australes sontd’une étendue plus grande que l’Europe entière, Celles de la Zélande sont divisées en plusieurs iles : mais celles de la Nouvelle-Hollande doivent plutôt être regardées comme une partie du con- tinent de l’Asie, que comme une ile du conti- nent austral ; car la Nouvelle-Hollande n’est sé- parée que par un petit détroit de la terre des Papous ou Nouvelle-Guinée , et tout l’Archipel qui s’étend depuis les Philippines vers le sud, jusqu’à la terre d’Arnheim dans la Nouvelle-Hol- lande et jusqu’à Sumatra et Java, vers l’occi- dent et le midi, paraît autant appartenir à ce continent de la Nouvelle-Hollande , qu’au conti- nent de l’Asie méridionale, M. le capitaine Cook, qu’on doit regarder comme le plus grand navigateur de ce siècle , et auquel l’on est redevable d’un nombre infini de nouvelles découvertes, a non-seulement donné la carte des côtes de la Zélande et de la Nou- velle-Hollande, mais il a encore reconnu une grande étendue de mer dans la partie australe voisine de lAmérique ; il est parti de la pointe même de l'Amérique le 30 janvier 1769, et il a 118 parcouru un grand espace sous le soixantième degré sans avoir trouvé des terres. On peut voir, dans la carte qu'il en a donnée, l'étendue de mer qu'il a reconnue ; et sa route démontre que s’il existe des terres dans cette partie du globe, elles sont fort éloignées du continent de l'Amérique, puisque laNouvelle-Zélande, située entre le trente-cinquième et le quarante-cin- quième degré de latitude, en est elle-même très- éloignée : mais il faut espérer que quelques au- tres navigateurs, marchant sur les traces du ca- pitaine Cook , chercheront à parcourir ces mers australes sous le cinquantième degré , et qu’on ne tardera pas à savoir si ces parages immenses, qui ont plus de deux mille lieues d’étendue, sont des terres ou des mers; néanmoins je ne présume pas qu’au-delà du cinquantième degré les régions australes soient assez tempérées pour que leur découverte püût nous être utile. Sur l'invention de la boussole, Au sujet de l'invention de la boussole , je dois ajouter que, par le témoignage des auteurs chi- nois, dont MM. Le Roux et de Guignes ont fait l’extrait, il parait certain que la propriété qu'a le fer aimanté de se diriger vers les pôles, a été très-anciennement connue des Chinois. La forme de ces premières boussoles était une fi- gure d'homme qui tournait sur un pivot, et dont le bras droit montrait toujours le midi. Le temps de cette invention, suivant certaines chroniques de la Chine, est 1115 ans avant l'ère chrétienne, et 2700 ans selon d’autres. { Voyez l'extrait des Annales de la Chine, par MM. Le Roux et de Guignes.) Mais malgré l’ancienneté de cette découverte , il ne parait pas que les Chi- nois en aient jamais tiré l'avantage de faire de longs voyages. Homère , dans l'Odyssée , dit que les Grecs se servirent de l’aimant pour diriger leur naviga- tion lors du siége de Troie ; et cette époque est à peu près la même que celle des chroniques chi- noises. Ainsi, l’on ne peut guère douter que la direction de l'aimant vers le pôle, et même l’u- sage de la boussole pour la navigation, ne soient des connaissances anciennes, et qui datent de trois mille ans au moins. Sur la découverte de l'Amérique. Sur ce que j'ai dit de la découverte de l’A- mérique, un critique, plus judicieux que l’au- HISTOIRE NATURELLE. teur des Lettres à un Américain , m'a repro- ché l’espèce de tort que je fais à la mémoire d’un aussi grand homme que Christophe Co- lomb. C’est , dit-il, le confondre avec ses ma- telots, que de penser qu’il a pu croire que la mer s'élevait vers le ciel, et que peut-être l'un et l'autre se touchaient du côté du midi. Je souscris de bonne grâce à cette critique, qui me parait juste: j'aurais dû atténuer ce fait, que j'ai tiré de quelque relation ; car il est à présumer que ce grand navigateur devait avoir une no- tion très-distincte de la figure du globe, tant par ses propres voyages que par ceux des Portugais au cap de Bonne-Espérance et aux Indes orien- tales. Cependant on sait que Colomb , lorsqu'il fut arrivé aux terres du nouveau continent , se croyait peu éloigné de celles de lorient de l'A- sie. Comme l’on n’avait pas encore fait le tour du monde, il ne pouvait en connaître la circon- férence , et ne jugeait pas la terre aussi étendue qu'elle l'est en effet. D'ailleurs il faut avouer que ce premier navigateur vers l'occident ne pouvait qu'être étonné de voir qu’au-dessous des Antilles il ne lui était pas possible de gagner les plages du midi, et qu’il était continuellement repoussé. Cet obstacle subsiste encore aujour- d'hui ; on ne peut aller des Antilles à la Guiane dans aucune saison, tant les courants sont ra- pides et constamment dirigés de la Guiane à ces îles. I1 faut deux mois pour le retour , tan- dis qu’il ne faut que cinq ou six jours pour venir de la Guiane aux Antilles ; pour retourner, on est obligé de prendre le large à une très-grande distance du côté de notre continent, d’où l’on dirige sa navigation vers la terre-ferme de VA- mérique méridionale. Ces courants rapides et constants de la Guiane aux Antilles sont si vio- lents, qu’on ne peut les surmonter à l’aide du vent ; et comme cela est sans exemple dans la mer Atlantique , il n’est pas surprenant que Co- lomb qui cherchait à vaincre ee nouvel obstacle, et qui , malgré toutes les ressources de son gé- nie et de ses connaissances dans l’art de la navi- gation, ne pouvait avancer vers ces plages du midi, n’ait pensé qu'il y avait quelque chose de très-extraordinaire , et peut-être une élévation plus grande dans cette partie de la mer que dans ancune autre; car ces courants de la Guiane aux Antilles coulent réellement avec autant de rapidité que s’ils descendaient d’un lieu plus élevé pour arriver à un endroit plus bas. ! Les rivières dont le mouvement peut causer 1 66% degrél de Laltude Vert. / Aer, ‘4 / D à CYA Œ > VD, J 2273 A 20 Ë 1 0er V, £e °° au HIHI} ë a € La Mar. 0 | DBur brade- CARTE [274 NOUVEAU CONTINENT Selon st plus grande longueur diametrale? depuis la anere de la Plata jnrquian de lé du Lac des tsainiboits. Dewrés de l'Equateur _— 5 RE “ THÉORIE DE LA TERRE. les courants de Cayenne aux Antilles, sont : 1° Le fleuve des Amazones, dont l’impé- tuosité est très-grande, l'embouchure large de soixante-dix lieues, et la direction plus au nord qu'au sud. 2° La rivière Ouassa , rapide et dirigée de même, et d’à peu près une lieue d'embouchure. 3° L'Oyapok, encore plus rapide que l'Ouas- sa, et venant de plus loin, avee une embou- chure à peu près égale. 4° L'Aprouak, à peu près de même étendue de cours et d’embouchure que l’Ouassa. 5° La rivière Kaw, qui est plus petite, tant de cours que d’embouchure , mais très-rapide quoiqu’elle ne vienne que d’une savane noyée à vingt-cinq ou trente lieues de la mer. 6° L'Oyak, qui est une rivière très-considé- rable, qui se sépare en deux branches à son em- bouchure, pour former l'ile de Cayenne. Cette rivière Oyak en recoit une autre à vingt ou vingt-cinq lieues de distance, qu’on appelle l’'Oraput, laquelle est très-impétueuse et qui prend sa source dans une montagne de rochers, d’où elle descend par des torrents très-rapides. 7° L'un des bras de l'Oyak se réunit près de son embouchure avec la rivière de Cayenne, et ces deux rivières réunies ont plus d’une lieue de largeur; l’autre bras de l’'Oyak n’a guère qu’une demi-lieue. 8° La rivière de Kourou, qui est très-rapide et qui a plus d’une demi-lieue de largeur vers son embouchure , sans compter le Macousia , qui ne vient pas de loin, mais qui ne laisse pas de fournir beaucoup d’eau. 9° Le Sinamari , dont le lit est assez serré, mais qui est d’une grande impétuosité , et qui vient de fort loin. 10° Le fleuve Maroni, dans lequel on a re- monté très-haut, quoiqu'il soit de la plus grande rapidité. Il a plus d’une lieue d’embou- chure , et c’est, après l'Amazone , le fleuve qui fournit la plus grande quantité d'eau. Son em- bouchure est nette, au lieu que les embouchures de l’Amazone et de l’Orénoque sont semées d’une grande quantité d’iles. 11° Les rivières de Surinam, de Berbiché et d’Essequebo, ct quelques autres jusqu’à l’Oré- noque, qui, comme l’on sait, est un fleuve très- grand. Il paraît que c’est de leurs limons accu- mulés et des terres que ces rivières ont entrai- nées des montagnes, que sont forméestoutes les parties basses de ce vaste continent, dans le mi- 119 lieu duquel on ne trouve que quelques monta- gnes, dont la plupart ont été des volcans, etqui sont trop peu élevées pour que les neiges et les glaces puissent couvrir leurs sommets. Il parait donc que c’est par le concours de tous les courants de ce grand nombre de fleu- ves, que s’est formé le courant général de la mer depuis Cayenne aux Antilles, où plutôt depuis l’Amazone ; et ce courant général dans ces parages s’étend peut-être à plus de soixante lieues de distance de la côte orientale de la Guiane. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE VII. SUR LA PRODUCTION DES COUCHES OÙ LITS DE TERRE. Nous avons fait voir dans l’article premier, qu’en vertu de l’attraction démontrée mutuelle entre les parties de la matière, et en vertu de la force centrifuge qui résulte du mouvement de rotation sur son axe, la terre a nécessairement pris la forme d’un sphéroïde dontlesdiamètres dif- fèrent d’une deux-cent-trentième partie, etquece ne peut être que par les changements arrivés à la surface et causés par les mouvements de l’air et des eaux, que cette différence a pu devenir plus grande , comme on prétend le conclure par les mesures prises à l'équateur et au cercle polaire. Cette figure de la terre, qui s’accorde si bien avec les lois de l’hydrostatique et avec notre théorie, suppose que le globe a été dans un état de liquéfaction dans le temps qu’il a pris sa forme; et nous avons prouvé que le mouvement de projection et celui de rotation ont été impri- més en même temps par une même impulsion. On se persuadera facilement que la terre a été dans un état de liquéfaction produite par le feu, lorsqu'on fera attention à la nature des matières que renferme le globe, dont la plus grande partie, comme les sables et les glaises, sont des matières vitrifiées ou vitrifiables, et lorsque d’un autre côté on réfléchira sur l’im- 120 HISTOIRE possibilité qu'il y a que la terre ait jamais pu se trouver dans un état de fluidité produite par les eaux, puisqu'il y a infiniment plus de terre que d’eau, et que d’ailleurs l’eau n’a pas la | puissance de dissoudre les sables, les pierres et les autres matières dont la terre est compo- sée. Je vois done que la terre n’a pu prendre sa figure que dans le temps où elle a été liquéfiée par le feu; et, en suivant notre hypothèse, je conçois qu’au sortir du soleil, la terre n’avait d'autre forme que celle d’un torrent de matières fondues et de vapeurs enflammées ; que ce tor- rent se rassembla par l'attraction mutuelle des parties, et devint un globe auquel le mouve- ment de rotation donna la figure d’un sphé- roïde ; et lorsque la terre fut refroïdie, les va- peurs qui s'étaient d’abord étendues, comme nous voyons s’étendreles queues des comètes, se condensèrent peu à peu , tombèrent en eau sur la surface du globe, et déposèrent en même temps un limon mêlé de matières sulfureuses et salines , dont une partie s’est glissée par le mouvement des eaux dans les fentes perpendi- culaires où elle a produit les métaux et les mi- néraux, et le reste est demeuré à la surface de la terre et a produit cette terre rougeâtre qui forme la première couche de la terre , et qui, suivant les différents lieux, est plus ou moins mêlée de particules animales ou végétales ré- duites en petites molécules dans lesquelles l'organisation n’est plus sensible. Ainsi, dans le premier état de la terre, le globe était, à l'intérieur, composé d’une matière vitrifiée, comme je crois qu’il l’est encore au- jourd’hui;au-dessus de cette matière vitrifiée se sont trouvées les parties que le feu aura le plus divisées, comme les sables, qui ne sont que des fragments de verre; etau-dessus de ces sables, les parties les plus légères, les pierres ponces, les écumes et les scories de la matière vitrifiée, ontsurnagé et ont formé les glaises et les argiles: le tout était recouvert d’une couche d’eau ! de 5 ou 600 pieds d'épaisseur, qui fut produite par 4 Cette opinion, que la terre a été entièrement couverte d'eau, est celle de quelques philosophes anciens, et même de la plupart des pères de l'Église : {n mundi primordio aqua in omnem terram stagnabat, dit saint Damascène, liv. 2, chap. 9. Terra erat invisibilis , quia exundabat aqua et oyeriebat terrasm, ditsaint Ambroise, liv. 1, Hexam. chap. 8. Submersa tellus cùm esset, faciem ejus inundante aqua non erat adspectabilis , dit saint Basile, homélie 2. Voyez aussisaint Augustin, livre , de la Genèse, chap. 12, NAT UR E LLE. | la condensation des vapeurs, lorsque le globe commença à se refroidir; cette eau déposa par- tout une couche limoneuse, mélée de toutes les matières qui peuvent se sublimer et s’exha- ler par la violence du feu, et l’air fut formé des vapeurs les plus subtiles qui se dégagè- rent des eaux par leur légèreté, et les sur- montèrent. Tel était l’état du globe , lorsque l’action du flux et reflux, celle des vents et de la chaleur du soleil commencèrent à altérer la surface de la terre. Le mouvement diurne et celui du flux et reflux élevèrent d’abord les eaux sous les climats méridionaux : ces eaux entraînèrent et portèrent vers l’équateur le limon , les glaises, les sables ; et en élevant les parties de l’équa- teur, elles abaissèrent peut-être peu à peu celles des pôles de cette différence d’environ deux lieues dont nous avons parlé : car les eaux bri- sèrent bientôt et réduisirent en poussière les pierres ponces et les autres parties spongieuses de la matière vitrifiée qui étaient à la surface; elles creusèrent des profondeurs et élevèrent des hauteurs qui, dans la suite, sont devenues des continents , et elles produisirent toutes les inégalités que nous remarquons à la surface de la terre, et qui sont plus considérables vers l’é- quateur que partout ailleurs : car les plus hautes montagnes sont entre les tropiques et dans le milieu des zones tempérées; et les plus basses sont au cercle polaire et au-delà, puisque l’on a, entre les tropiques, les Cordilières et pres- que toutes les montagnes du Mexique et du Brésil , les montagnes de l’Afrique , savoir : le grand etle petit Atlas, lesmonts de la Lune, ete., et que d’ailleurs les terres qui sontentre les'tro- piques sont les plus inégales de tout le globe, aussi bien que les mers, puisqu'il se trouve en- tre les tropiques beaucoup plus d’iles que par- tout ailleurs ; ce qui fait voir évidemment que les plus grandes inégalités de la terre se trou- vent en effet dans le voisinage de l'équateur. Quelque indépendante que soit ma théorie de cette hypothèse sur ce qui s’est passé dans le temps de ce premier état du globe, j'ai été bien aise d'y remonter dans cet article, afin de faire voir la liaison et la possibilité du système que j'ai proposé, et dont j'ai donné le précis dans l’article premier : on doit seulement remarquer que ma théorie qui fait le texte de cet ouvrage, ne part pas de si loin; que je prends la terre dans un état à peu près semblable à celui où nous la THÉORIE DE LA TERRE. voyons, et que je ne me sers d'aucune des sup- positions qu'on est obligé d'employer lorsqu'on veut raisonner sur l’état passé du globe ter- restre : mais, comme je donne ici une nouvelle idée au sujet du limon des eaux, qui, selon moi, a formé la première couche de terre qui enveloppe le globe , il me parait nécessaire de donner aussi les raisons sur lesquelles je fonde cette opinion. ” Les vapeurs qui s'élèvent dans l'air produi- sent les pluies, les rosées, les feux aériens, les tonnerres et les autres météores; ces vapeurs sont done mêlées de particules aqueuses , aé- riennes, sulfureuses, terrestres , ete., et ce sont ces particules solides et terrestres qui forment le limon dont nous voulons parler, Lorsqu'on laisse déposer de l’eau de pluie, il se formeun sédiment au fond ; lorsqu’après avoir ramassé une assez grande quantité de rosée , on la laisse déposer et se.corcompre, elle produit une espèce de limon qui tombe au fond du vase : ce limon est même fort abondant, et la rosée en produit beaucoup plus que l’eau de pluie; il est gras, onctueux et rougeâtre. La première couche qui enveloppe le globe de la terre est composée de ce limon mêlé avec des parties de végétaux ou d'animaux détruits, ou bien avecdes particules pierreuses ou sablon- neuses. On peut remarquer presque partout que la terre labourable est rougeâtre et mêlée plus ou moins de ces différentes matières. Les parti- cules de sable ou de pierre qu’on y trouve sont de deux espèces, le unes grossières et massives, les autres plus fines et quelquefois impalpables : les plusgrosses viennent de la eouche inférieure, dont on les détache en labourant et en travail- lant la terre ; ou bien le limon supérieur, en se glissant et en pénétrant dans la couche inférieure qui est de sable ou d’autres matières divisées, forme ces terres qu’on appelle des sables gras : les autres parties pierreuses qui sont plus fines viennent de l’air, tombent comme les rosées et les pluies, et se mêlent intimement au limon ; c’est proprement le résidu de la poussière que l’air transporte, que les vents enlevent conti- nuellement de la surface de la terre, et qui re- tombe ensuite après s’être imbibé de l'humidité de l'air. Lorsque le limon domine, qu’il se trouve en grande quantité, et qu’au contraire les par- tics pierreuses et sablonneuses sont en petit uombre , la terre est rougeâtre, pétrissable et très-fertile ; si elle est en même temps mêlée 121 d’une quantité considérable de végétaux ou d’a- nimaux détruits, la terre est noirâtre et sou- vent elle est encore plus fertile que la première : mais si le limon n’est qu’en petite quantité , aussi bien queles parties végétales ou animales . alors la terre est blanche et stérile; et lorsque les parties sablonneuses, pierreusesou crétacées, qui composent ces terres stériles et dénuées de limon sont mêlées d'une assez grande quantité de parties de végétaux ou d'animaux détruits, elles forment les terres noires etlégères qui n’ont aucune liaison et peu de fertilité; en sorte que, suivant les différentes combinaisons de ces trois différentes matières, du limon, des parties d’a- nimaux et de végétaux, et des particules de sa- ble et de pierre, les terres sont plus ou moins fécondes et différemment colorées. Nous expli- querons en détail, dans notre discours sur les vé- gétaux, tout ce qui a rapport à la nature et à la qualité des différentes terres; mais ici nous n'avons d'autre but que celui de faire entendre comment s’est formée cette première couche qui enveloppe le globe et qui provient du limon des eaux. Pour fixer les idées, prenons le premier ter- rain qui se présente, et dans lequel on a creusé assez profondément; par exemple, le terrain de Marly-la-Ville, où les puits sont très-profonds : c’est un pays élevé, mais plat et fertile, dont les couches de terre sont arrangées horizonta- lement. J’ai fait venir des échantillons de tou- tes ces couches, que M. Dalibard, habile Lota- niste, et versé d’ailleurs dans toutes les parties des sciences, a bien voulu faire prendre sous ses yeux; el, après avoir éprouvé toutes ces matières a l’eau-forte, j'en ai dressé la table suivante. Érar des différents lils de terre qui se trou- vent à Marly-la-Ville, jusqu'à cent pieds de profondeur. 1. Terre franche rougeätre, mélée de beaucoup de limon , d'une très-petite quan- tité de sable vitrifiable, et d’une quantité un peu plus considérable de sable calcinable, que j'appelle JrAUIET A chat e senc le rente 2. Terre franche ou limon mélé de plus de gravier et d’un peu plus de sable vitri- fiable . . .. 159: Qpo ! La fouille a.été faite pour un puits dans nn terrain qui appartient actuellement à M. de Pommery. 122 De l'autre part. . « + «+ + » + « « 15P- 6po. 5. Limon mélé de sable vitrifiable en assez grande quantité, et qui ne faisait que très- peu d'effervescence avec l'eau-forte. . . ... 5 0 4. Marne dure qui farsait une grande ef- fervescence avec l'eau-forte. . . ....... 2 0 5. Pierre marneuse assez dure. . . . . . . 4 0 fiable rente . Se RS SON 5 0 7. Sable très-fin, vitrifable. . PA 4:18 8. Marne en terre, mélée d'un peu de sable UE TS Re à, CÉRIONR es ele late LISE 9. Marne dure, dans laquelle on trouve du vrai caillou, qui est de la pierre à fusil par- faites, JUAN. 7 et ne niaieie 5 6 10. Gravier ou poussière de marne. . .. 41 0 41. Églantine, pierre de la dureté et du grain du marbre, et qui est sonnante. . . . . 1 6 +12. Gravier marneux 13. Marne en pierre dure, dont le grain font Ram Sr afr no e RCE 7e Ce d 14. Marne en pierre, dont le grain n'est paasifn 70. 15. Marne encore plus grenue et plus is Ces TR ER TE ENT 2 6 16. Sable vitrifiable très-fin, mélé de co- quilles de mer fossiles, qui n'ont aucune ad- bérence avec le sable, et qui ont encore leurs couleurs et leur vernis naturels. . . . , .. 1 6 17. Gravier très-menu ou poussière fine .…. dé minneE EREN ARCEEREET 2 0 18. Marne en pierre dure . . . . .. . .. 5 6 19. Marne en poudre assez grossière. . . . A 6 20. Pierre dure et calcinable comme le DARDEE. CP ele ie cm e ele ie niale ie 1 à 21. Sable gris vitrifiable, mélé de co- quilles fossiles, et surtout de beaucoup d'hui- tres et de spondyles, qui n'ont aucune adhé- rence avec le sable, et qui ne sont nullement SAUT RE SO PE Bus. 0 TPE 5 0 22. Sable blanc, vitrifiable, mélé des memes COQuIIIBs. . ... , . eue. 2 0 25. Sable rayé de rouge et de blanc, vitri- fiable et mélé des mêmes coquilles. . . . . . ÉPPF TA) 24. Sable plus gros, mais toujours vitrifia- ble et mêlé des mêmes coquilles. . . . . . . . 1 0 25. Sable gris, fin, vitrifiable et mélé des mêmes coquilles. . . . . . . . . EME NS 8 6 26. Sable gras, très-fin, où il n'y a plus que UOTE REP ENT 5 0 Le os SERA PR LL à 5 0 28. Sable vitrifiable, rayé de rouge et de blanc 0 29. Sable blanc, vitrifiable, cuire TU 50. Sable vitrifiable, rougeätre, . . . . . . 15 0 Profondeur où l'on a cessé de creuser 101 P- OP. J'ai dit que j'avais éprouvé toutes ces matiè- res à l’eau-forte, parce que quand l'inspection et la comparaison des matières avec d’autres qu'on connait ne suffisent pas pour qu’on soit HISTOIRE NATURELLE en état de les dénommer et de les ranger dans la classe à laquelle elles appartiennent, et qu’on a peine à se décider par la simple observation, il n’y à pas de moyen plus prompt, et peut-être plus sûr, que d’éprouver avec l’eau-forte les matières terreuses ou lapidifiques : celles que les esprits acides dissolvent sur-le-champ avec chaleur et ébullition sont ordinairement calci- nables ; celles au eontraire qui résistent à ces esprits, et sur lesquelles ils ne font aucune im- pression, sont vitrifiables. On voit par cette énumération que le terrain de Marly-la-Ville a été autrefois un fond de mer qui s’est élevé au moins de soixante-quinze pieds , puisqu'on trouve des coquilles à cette profondeur de soixante-quinze pieds. Ces co- quilles ont été transportées par le mouvement des eaux en même temps que le sable où on les trouve, et le tout est tombé en forme de sédi- ments qui se sont arrangés de niveau, et qui ont produit les différentes couches de sable gris, blanc, rayé de blanc et de rouge, etc., dont l’épaisseur totale est de quinze ou dix-huitpieds : toutes les autres couches supérieures jusqu’à la première ont été de même transportées par le mouvement des eaux de la mer, et déposées en forme de sédiments, comme on ne peut en dou- ter, tant à cause de la situation horizontale des couches, qu’à cause des différents lits de sable mêlé de coquilles , et de ceux de marne, qui ne sont que des débris, ou plutôt des détriments de coquilles ; la dernière couche elle-même a été formée presqu’en entier par le limon dont nous avons parlé, qui s’est mêlé avec une partie de à la marne qui était à la surface. J’ai choisi cet exemple comme le plus désa- vantageux à notre explication, parce qu’il pa- rait d’abord fort difficile de concevoir que le limon de l’air et celui des pluies et des rosées aient pu produire une couche de terre franche épaisse de treize pieds : mais on doit observer d’abord qu'il est très-rare de trouver, surtout dans les pays un peu élevés, une épaisseur de terre labourable aussi considérable; ordinaire- ment les terres ont trois ou quatre pieds, et sou- vent elles n’ont pas un pied d'épaisseur. Dans les plaines environnées de collines, cette épais- seur de bonne terre est plus grande, parce que les pluies détachent les terres de ces collines et les entrainent dans les vallées; mais en ne sup- posant ici rien de tout cela, je vois que les der- nières couches formées par les eaux de la mer THÉORIE DE LA TERRE. sont des lits de marne fort épais : il est naturel d'imaginer que cette marne avait au commen- cement une épaisseur encore plus grande, et que, des treize pieds qui composent l'épaisseur de la couche supérieure, il y en avait plusieurs de marne lorsque la mer a abandonné ce pays et a laissé le terrain à découvert. Cette marne , exposée à l'air, se sera fondue par les pluies ; l'action de l'air et de la chaleur du soleil y aura produit des gerçures, de petites fentes ; et ele aura été altérée par toutes ces causes extérieu- res, au point de devenir une matière divisée et réduite en poussière à la surface, comme nous voyons la marne, que nous tirons de la car- rière, tomber en poudre lorsqu'on la laisse ex- posée aux injures de l’air. La mer n’aura pas quitté ce terrain si brusquement qu’elle ne l'ait encore recouvert quelquefois, soit par les al- ternatives du mouvement des marées , soit par élévation extraordinaire des eaux dans les gros temps, ef elle aura mêlé avec cette couche de marne, de la vase, de la boue et d’autres ma- tières limoneuses ; lorsque le terrain se sera en- fin trouvé tout à fait élevé au-dessus des eaux, les plantes auront commencé à y croître, et c’est alors que le limon des pluies et des rosées aura peu à peu coloré et pénétré cette terre, et lui aura donné un premier degré de fertilité que les hommes auront bientôt augmentée par la cul- ture, en travaillant et divisant la surface, et donnant ainsi au limon des rosées et des pluies la facilité de pénétrer plus avant; ce qui à la fin aura produit cette couche de terre franche de treize pieds d'épaisseur. - _Jen’examineraipointici si la couleur rougeä- tre des terres végétales, qui est aussi celle du limon de la rosée et des pluies , ne vient pas du fer qui y est contenu; ce point, qui ne laisse pas que d’êtreimportant, sera discuté dans no- tre discours sur les minéraux ; il nous suffit d’avoir exposé notre façon de concevoir la for- mation dela couche superfieielle de la terre ; et nous allons prouver, par d’autres exemples, que la formation des couches intérieures ne peut être que l’ouvrage des eaux. La surface du globe, dit Woodward, cette couche extérieure sur laquelle les hommes et les animaux marchent, qui sert de magasin pour la formation des végétaux et des animaux, est, pour la plus grande partie, composée de matière végétale ou animale, qui est dans un mouvement et dans un changement continuel. 123 Tous les animaux et les végétaux qui ont existé depuis la création du monde , ont toujours tiré successivement de cette couche la matière qui a composé leurs corps , et ils lui ont rendu à leur mort cette matière empruntée : elle y reste, tou- jours prête à être reprise de nouveau et à ser- xir pour former d’autres corps de la même es- pèce, successivement sans jamais discontinuer ; car la matière qui compose un corps est pro- pre etnaturellement disposée pour en former un autre de cette espèce. ( Voyez Essai sur l'His- toire naturelle, etc.) Dans les pays inhabités, dans les lieux où on ne coupe pas les bois, où ies animaux ne broutent pas les plantes , cette couche de terre végétale s’augmente assez çon- sidérablement avec le temps. Dans tous les bois, et même dans ceux qu’on coupe , il y a une cou- che de terreau desix ou huitpouces d'épaisseur, qui n’a été formée que par les feuilles , les pe- tites branches , et les écorces qui se sont pour- ries. J’ai souvent observé , sur un ancien grand chemin , fait, dit-on, du temps des Romains, qui traverse la Bourgogne dans une longue éten- due de terrain, qu’il s’est formé sur les pierres dont ce grand chemin est construit , une cou- che de terre noire de plus d’un pied d’épaisseur, qui nourrit actuellement des arbres d’une hau- teur assez considérable; et cette couche n’est composée que d’un terreau noir , formé par les feuilles, les écorces et les bois pourris. Comme les végétaux tirent pour leur nourriture beau- coup plus de substance de l'air et de l’eau qu'ils n’en tirent de la terre, il arrive qu’en pourris- sant ils rendent à la terre plus qu’ils n’en ont tiré. D'ailleurs une forêt détermine les eaux de la pluie en arrêtant les vapeurs : ainsi dans un bois qu’on conserverait bien long-temps, sans y toucher , la couche de terre qui sert à la végéta- tion augmenterait considérablement. Mais les animaux rendant moins à la terre qu'ils n’en ti- rent , et les hommes faisant des consommations éuormes de bois et de plantes pour le feu et pour d’autres usages, il s'ensuit que la couche de terre végétale d’un pays habité doit toujours diminuer et devenir enfin coinme le terrain de l'Arabie pétrée, et comme celui de tant d’autres provinces de l'Orient , qui est en effet le climat le plus anciennement habité , où l’on ne trouve que du sel et des sables ; car le sel fixe des plantes et des animaux reste , tandis que toutes les autres parties se volatilisent. Après avoir parlé de cette couche de terre 124 HISTOIRE NATURELLE. extérieure que nous cultivons , il faut examiner | quilles au Pérou dans les couches de terre, la position et la formation des couches intérieu- res. La terre, dit Woodward , parait, en quel- que endroit qu'on la creuse , composée de cou- ches placées l’une sur l’autre, comme autant de sédiments qui seraient tombés successive- ment au fond de l’eau : les couches qui sont les plus enfoncées sont ordinairement les plus épaisses ; et celles qui sont sur celles-ci sont les plus minces par degrés jusqu’à la surface. On trouve des coquilles de mer, des dents et des os de poissons dans ces différentes couches ; il s'en trouve non-seulement dans les couches molles, comme dans la craie, l’argileet la marne, mais même dans les couches les plus solides et les plus dures comme dans celles de pierre, de marbre, ete. Ces productions marines sont in- corporées avec la pierre ; et lorsqu'on la rompt et qu'on en sépare la coquille, on observe tou. jours que la pierre a reçu l'empreinte ou la forme de la surface avec tant d’exactitude, qu'on voit que toutes les parties etaient exactement conti- gues et appliquées à la coquille. « Je me suis «“ assuré, dit cet auteur, qu’en France, en Flan- « dre , en Hollande , en Espagne , en Italie , en « Allemagne, en Danemarek, en Norwége et en Suède ; la pierre et les autres substances ter- restres sont disposées par couches de même qu’en Angleterre ; que ces couches sont divi- sées par des fentes parallèles ; qu’il y a au- dedans des pierres et des autres substances terrestres et compactes une grande quantité de coquillages , et d’autres productions de la mer, disposées de la même manière que dans cette ile ‘. J'ai appris que ces couches se trou- vaient de même en Barbarie , en Égypte , en Guinée et dans les autres parties de l’Afrique, dans l'Arabie, la Syrie, la Perse, le Malabar, Ja Chine et les autres provinces de l’Asie, à la Jamaïque , aux Barbades , en Virginie ; dans la Nouvelle-Angleterre , au Brésil , au Pérou et dans les autres parties de l'Amérique. » Es- sai sur l'Histoire naturelle de la Terre, p. 40, 41,42, etc. Cet auteur ne dit pas comment et par qui il a appris que les couches de la terre au Pérou contenaient des coquilles. Cependant, comme en général ses observations sont exactes , je ne doute pas qu’il n’ait été bien informé ; et c’est ce qui me persuade qu’on doit trouver des co- * En Angleterre, comme on en trouve partout ailleurs. Je fais cette remarque à l’occasion d’un doute qu’on a formé depuis peu sur cela, et dont je parlerai tout à l’heure. Dans une fouille que l’on fit à Amsterdam , pour faire un puits, on creusa jusqu’à deux cent trente-deux pieds de profondeur, eton trouva les couches de terre suivantes : sept pieds de terre végetaleou terre de jardin, neuf piedsde tourbe, neuf pieds de glaise molle, huit pieds d’a- rène, quatre de terre, dix d'argile, quatre de terre, dix pieds d'arène sur laquelle on a cou- tume d’appuyer les pilotis qui soutiennent les maisons d'Amsterdam ; ensuitedeux pieds d’ar- gile , quatre de sable blanc, cinq de terre sè- che, un de terre molle, quatorze d'arène, huit d'argile mêlée d’arène, quatre d’arène mélée de coquilles, ensuite une épaisseur de cent deux pieds de glaise; etenfin trente-un pieds desable, où l’on cessa de creuser. Voyez Varenii Gecg. general , page 46. Il est rare qu’on fouille aussi profondément sans trouver de ’eau, et ce fait est remarquable en plusieurs choses : 10 il fait voir que l’eau de la mer ne communique pas dans l’intérieur de la terre par voie de filtration ou de stillation, comme on le croit vulgairement, 2° nous voyons qu’on trouve des coquilles à cent pieds au-des- sous de la surface de la terre , dans un pays ex- trêmement bas , etque , par conséquent , leter- rain de la Hollande a été élevé de cent pieds par les sédiments de la mer ; 3° on peut en tirer une induction que eette couche de glaise épaisse de cent deux pieds, et la couche de sable qui est au-dessous, dans laquelle on a fouillé à trente-un pieds , et dont l'épaisseur entière est inconnue , ne sont peut-être pas fort éloignées de la première couche de la vraie terre an- cienne et originaire, telle qu’elle était dans le temps de sa première formation, et avant que le mouvement des eaux eût changé sa surface. Nous avons dit, dans l’article premier , que si l’on voulait trouver laterre ancienne, il faudrait creuser dass les pays du nord plutôt que sous l'équateur, dans les plaines basses plutôt que dans les montagnes ou dans les terres élevées. Ces conditions se trouvent à peu près rassem- blées ici; seulement , il aurait été à souhaiter qu'on eût continué cette fouille à une plus grande profondeur, et que l’auteur nous eût appris s’il n’y avait pas de coquilles ou d’au- THÉORIE DE LA TERRE. 495 tres productions marines dans cette couche de terre de cent deux pieds d'épaisseur, et dans celle de sable qui étaitau-dessous. Cet exemple confirme ce que nous avons dit, savoir, que plus on fouille dans l’intérieur de la terre, plus on trouve les couches épaisses ; ce qui s’expli - que fort naturellement dans notre théorie. Non-seulement la terre est composée de cou- ches parallèles et horizontales dans les plaines et dans les collines, mais les montagnes même sont en général composées de la même façon : on peut dire que ces couches y sont plus appa- rentes que dans les plaines , parce que les plai- nes sont ordinairement recouvertes d’une quan- tité assez considérable de sable et de terre que les eaux y ontamenés ; et pour trouver les an- ciennes couches, il faut creuser plus profon- dément dans les plaines que dans les monta- gnes. S J'ai souvent observé que, lorsqu'une mon- tagne est égale et que son sommet est de niveau, les couches ou lits de pierre qui la composent , sont aussi de niveau ; mais sile sommet de la montagne n’est pas posé horizontalement, et s’il penche vers l’orient ou vers tout autre côté, les couches de pierre penchent aussi du même côté. J'avais oui dire à plusieurs personnes que pour l'ordinaire les bancs ou lits des carrières penchent un peu du côté du levant : mais ayant observé moi-même toutes les carrières et toutes les chaînes de rochers qui se sont présentées à mes yeux , j'ai reconnu que cette opinion est fausse, et que les couches ou bancs de pierre ne penchent du côté du levant que lorsque le som- met de la colline penche de ce même côté; et qu’au contraire, si le sommet s’abaisse du côté du nord , du midi , du couchant , ou de tout au- tre côté, les lits de pierres penchent aussi du côté du nord, du midi, du couchant, ete. Lorsqu'on tire les pierres et les marbres des car= rières, onagrand soin deles séparer suivant leur positionnaturelle, etonne pourrait pasmêmeles avoir en grand volume, si on voulait lescouper dans un autre sens. Lorsqu'on les emploie, il faut, pour que la maconnerie soit bonne, et pour que les pierres durent longtemps, les poser sur leur lit de carrière; c’est ainsi que les ouvriers appellent la couche horizontale. Si, dans la ma- connerie , les pierres étaient posées sur un autre sens , elles se fendraient et ne résisteraient pas aussi longtemps au poids dont elles sont char- gées. On voit bien que eeci confirme que les +) pierres se sont formées par couches parallèles et horizontales, qui se sont successivement ac- cumulées les unes sur les autres, etque ces cou- ches ont composé des masses dont la résistance est plus grande dans ce sens que dans toutautre. Au reste, chaque couche, soit qu’elle soit ho- rizontale ou inclinée, a dans toute son étendue une épaisseur égale; c’est-à-dire, chaquelitd’une matière quelconque , pris à part, a une épais- seur égale dans toute son étendue : parexemple, lorsque dans une carrière le lit de pierre dure a trois pieds d'épaisseur en un endroit, il a ses trois pieds d'épaisseur partout ; s’il a six pieds d'épaisseur en un endroit, il en a six partout. Dans les carrières autour de Paris, le lit de bonne pierre n’est pas épais, et il n’a guère que dix-huit à vingt pouces d'épaisseur partout ; dans d’autres carrières, comme en Bourgogne, la pierre a beaucoup plus d'épaisseur. Il en est de même des marbres : ceux dont le lit est le plus épais sont les marbres blancs et noirs; ceux de couleur sont ordinairement plus minces ; et je connais des lits d’une pierre fort dure, et dont les paysans se servent en Bourgogne pour cou- vrir leurs maisons, qui n’ont qu’un pouce d’é- paisseur. Les épaisseurs des différents lits sont donc différentes ; mais chaque lit conserve la même épaisseur dans toute son étendue, En général, on peut dire que l’épaisseur des cou- ches horizontales est tellement variée qu’elle va depuis une ligne et moins encore, jusqu’à un, dix, vingt, trente et cent pieds d'épaisseur. Les carrières anciennes et nouvelles qui sont creu- sées horizontalement, les boyaux des mines, et les coupes à plomb, en long et en travers, de plusieursmontagnes, prouvent qu’il y a des cou- ches qui ont beaucoup d’étendue en tout sens. « IL est bien prouvé, dit l'historien de l’Acadé- « mie, que toutes les pierres ont été une pâte « molle; et comme il y a des carrières presque « partout, la surface de la terre a done été dans « tous ces lieux, du moins jusqu’à une certaine « profondeur , une vase et une bourbe. Les co- « quillages qui se trouvent dans presque toutes « les carrières prouvent que cette vase était une « terre détrempée par l’eau de la mer; et, par « conséquent, la mer a couverttous ces lieux-là, « et elle n’a pu les couvrir sans couvrir aussi « tout ce qui était de niveau ou plus bas, etelle « n’a pu couvrir tous les lieux où il y a des « carrières et tous ceux qui sont de niveau ou « plus bas, sans couvrir toute la surface du 126 « globe terrestre. Ici l’on ne considère point «encore les montagnes que la mer aurait dû « couvrir aussi, puisqu'il s’y trouve toujours « des carrières et souvent des coquillages. Si « on les supposait formées , le raisonnement « que nous faisons en deviendrait beaucoup « plus fort, » « La mer, continue-t-il, couvrait donc toute « la terre ; et de là vient que tous les bancs ou « lits de pierre, qui sont dans les plaines, sont « horizontaux et parallèles entre eux : les pois- 4 sons auront été les plus anciens habitants du * « globe, qui ne pouvait encore avoirni animaux « terrestres, ni oiseaux. Mais comment la mer « s’est-elle retirée dans les grands creux, dans « lesvastes bassins qu’elleoccupeprésentement? « Ce qui se présente le plus naturellement à l’es- « prit, c’est que le globe de la terre, du moins « jusqu’à une certaine profondeur , n’était pas « solide partout , mais entremélé de quelques « grands creux dontles voûtes se sont soutenues « pendant un temps, mais enfin sont venues à « fondre subitement ; alors les eaux seront tom- « bées dans ces creux , les auront remplis , et «auront laissé à découvert une partie de la sur- « face de la terre, qui sera devenue une habita- « tion convenable aux animaux terrestres etaux « oiseaux. Les coquillages des carrières s’accor- « dent fort avec cette idée; car, outre qu’il n’a « puse conserver jusqu’à présent dans les ter- « res que desparties pierreuses des poissons, on « sait qu'ordinairement les coquillages s’amas- « sent en grand nombre dans certains endroits « de la mer, où ils sont comme immobiles et « forment des espèces de rochers , et ils n’au- « ront pu suivre les eaux qui les auront subite- « ment abandonnées : c’est par cette dernière « raison que l’on trouve infiniment plus de co- « quillages que d’arêtes ou d'empreintes d’au- « tres poissons ; et cela même prouve une chute « soudaine de la mer dans ses bassins. Dans le « même temps que les voütes que nous suppo- « sons ont fondu , il est fort possible que d’au- « tres parties de la surface du globe se soient « élevées; et par la même cause, ce seront là les “ montagnes qui se seront placées sur cette sur- « face avec des carrières déjà toutes formées. « Mais les lits de ces carrières n’ont pas pu con- « server Ja direction horizontale qu'ils avaient “ auparavant, à moins que les masses des mon- « tagnes ne se fussent élevées précisément selon « un axe perpendiculaire à la surface de la terre; HISTOIRE NATURELLE. «_ ce qui n’a pu être que très-rare : aussi, comme « nous l’avons déjà observé en 1708 (page 30 « et suiv.), les lits des carrières des montagnes « sont toujours inclinés à l'horizon, mais paral- « lèles entre eux ; car ils n’ont pas changé de « position les uns à l’égard des autres, mais « seulement à l'égard de la surface de la terre, » (Voy. les Mém. de l’Acad., 1716, page 14 et suiv. de l’Histoire. Ces couches parallèles, ces lits de terre ou de pierre, quiont été formés par les sédiments des eaux de la mer, s’étendent souvent à des dis- tances très-considérables, et même on trouve dans les collines séparées par un vallon les mé- mes lits , les mêmes matières , au même niveau. Cette observation que j’ai faite s’accorde parfai- tement avec celle de l'égalité de la hauteur des collines opposées, dont je parlerai tout à l'heure. -On pourra s’assurer aisément de la vérité deces faits ; car, dans tous les vallons étroits où l’on découvre des rochers , on verra que les mêmes lits de pierre ou de marbre se trouvent des deux côtés à la mème hauteur. Dans une campagne quej’habite souvent, et où j’ai beaucoup examiné les rochers etles carrières, j’ai trouvé une car- rièrede marbre qui s'étend à plus de douze lieues en longueur , et dont la largeur est fort considé- rable, quoique je n’aie pas pu m’assurer précisé- ment de cette étendue en largéut. J'ai souvent observé que ee lit de marbre a la même épais- seur partout ; et dans des collines séparées de cette carrière par un vallon de cent pieds de profondeur et d’un quart de lieue de largeur, j'ai trouvé le mème lit de marbre à la même hauteur. Je suis persuadé qu’il en est de même de toutes les carrières de pierre ou de marbre où l’on trouve des coquilles ; car cette observa- tion n’a pas lieu dans les carrières de grès. Nous _donnerons dans la suite les raisons de cette dif- férence , et nous dirons pourquoi le grès n’est pas disposé , commé les autres matières , par lits horizontaux, et qu’il est en blocs irréguliers pour Ja forme et pour la position. On a de même observé que les lits de terre sont les mêmes des deux côtés des détroits de la mer : et cette observation qui est importante, peut nous conduire à reconnaitre les terres et les iles qui ont été séparées du continent; elle prouve, parexemple, quel’Angleterre a été sépa- rée de la France, l'Espagne de l'Afrique, la Si- cile de l'Italie : et il serait à souhaiter qu’on eût fait la même observation dans tous les détroits ; THÉORIE DE LA TERRE. je suis persuadéqu'on la trouverait vraie presque partout; et pour commencer par le plus long dé- troit que nous connaissions, qui est celui de Ma- gellan, nous ne savons pas si les mêmes lits de pierre se trouvent à la même hauteur des deux côtés : mais uous voyons, à l'inspection des car- tes particulières de ce détroit , que les deux côtes élevées qui le bornent forment à peu près, comme les montagnes de la terre, des angles cor- respondants, et que les angles saillants sont op- posés aux angles rentrants dans les détours de ce détroit; ce qui prouve que la Terre de Feu doit être regardée comme une partie du conti- nent de l'Amérique. 11 en est de même du dé- troit de Forbisher; l'ile de Frislande paraît avoir été séparée du continent de Groënland. Les iles Maldives ne sont séparées les unes des autres que par des petits trajets de mer, de chaque côté desquels se trouvent des banes et des rochers composés de la même matière : tou- tes ces îles, qui, prisesensemble, ont prèsdedeux cents lieues de longueur, ne formaient autrefois qu’une même terre; elles sont divisées en treize provinces , que l’on appelle afollons. Chaque atollon contient un grand nombre de petitesiles, dont la plupart sont tantôt submergées et tan- tôt à découvert; mais ce qu’il y a de remarqua- ble, c’est que ces treize atollons sont chacun en- vironnés d’une chaîne derochersdemême nature de pierre, et qu’il n’y a que trois ou quatre ou- vertures dangereuses par où l’on peutentrer dans chaque atollon : ils sont tous posés de suite et bout à bout; et il paraît évidemment que ces iles étaient autrefois une longue montagne cou- ronnée de rochers. (Voy. les Voyages de Franc. Pyrard, vol. 1, Paris, 1719, page 107, etc.) Plusieurs auteurs, comme Verstegan, Twine, Sommer, et surtout Campbell dans sa descrip- tion de l’Angleterre, au chapitre de la province de Kent, donnent des raisons très-fortes pour prouver que l'Angleterre était autrefois jointe à la France, et qu’elle en a été séparée par un coup de mer, qui, s’étant ouvert cette porte, a laissé à découvert une grande quantité de terres basses et marécageuses tout le long des côtes méridionales de Angleterre. Le docteur Wallis fait valoir, comme une preuve de ce fait, la con- formité de l’ancien langage des Gallois et des | Bretons ; et il ajoute plusieurs observations que nous rapporterons dans les articles suivants, Si l’on considère en voyageant la forme des terrains, la position des montagnes et les sinuo- 127 sités des rivières , on s’apercevra qu'ordinaire- ment les collines opposées sont non-seulement composées des mêmes matières, au même ni- veau , mais même qu’elles sont à peu près égale- ment élevées. J'ai observé cette égalité de hau- teur dans les endroits où j'ai voyagé, et je l’ai toujours trouvée la même, à très-peu près, des deux côtés, surtout dans les vallons serrés, et qui n’ont tout au plus qu’un quart ou un tiers de lieue de largeur ; car, dans les grandes val- lées qui ont beaucoup plus de largeur, il est as- sez difficile de juger exactement de la hauteur des collines et de leur égalité, parce qu’il y a er- reur d'optique et erreur de jugement. En regar- dant une plaine ou tout autre terrain de niveau, qui s’étend fort au loin, il parait s’élever; et, au contraire, en voyant de loin des collines, elles paraissent s’abaisser. Ce n’est pas ici le lieu de donner la raison mathématique de cette différence. D'autre côté, il est fort difficile de juger par le simple coup d’œil où se trouve le mi- lieu d’une grande vallée, à moins qu’il n’y ait une rivière; au lieu que, dans les vallons serrés, le rapport des yeux est moins équivoque, et le jugement plus certain. Cette partie de la Bour- gogne qui est comprise entre Auxerre, Dijon, Autun et Bar-sur-Seine, et dont une étendue considérable s'appelle le Bailliage de la Mon- tagne, est un des endroits les plus élevés de la France : d’un côté de la plupart de ces monta- gnes qui ne sont que du second ordre, et qu’on ne doit regarder que comme des collines élevées, les eaux coulent vers l'Océan, et de l’autre vers la Méditerranée. Il y a des points de partage, comme à Sombernon, Pouilli en Auxois, ete., où l’on peut tourner les eaux indifféremment vers l'Océan ou vers la Méditerranée. Ce pays élevé est entrecoupé de plusieurs petits vallons assez serrés, et presque tous arrosés de gros ruisseaux ou de petites rivières. J'ai mille et mille fois observé la correspondance des angles de ces collines et leur égalité de hauteur, et je puis assurer que j’ai trouvé partout les angles saillants opposés aux angles rentrants, et les hauteurs à peu près égales des deux côtés. Plus on avance dans le pays élevé où sont les points de partage dont nous venons de parler, plus les montagnes ont de hauteur ; mais cette hauteur est toujours la même des deux côtés des vallons, et lescollines s'élèvent ou s’abaissent également. En se plaçant à l’extrémité des vallons dans le milieu de la largeur, jai toujours vu que le bas- 128 sin du vallon était environné et surmonté de collines, dont la hauteur était égale. J'ai fait la méme observation dans plusieurs autres pro- vinces de France. C’est cette égalité de hauteur dans les collines qui fait les plaines en monta- gnes ; ces plaines forment, pour ainsi dire, des pays élevés au-dessus d’autres pays : mais les hautes montagnes ne paraissent pas être si éga- les en hauteur ; elles se terminent la plupart en pointes et en pics irréguliers ; et j’ai vu , en tra- versant plusieurs fois les Alpes et l’Apennin, que les angles sont en effet correspondants, mais qu'il est presque impossible de juger à l'œil de l'égalité ou de l'inégalité de hauteur des monta- gnes opposées, parce que leur sommet se perd dans les brouillards et dans les nues. Les différentes couches dont la terre est com- posée ne sont pas disposées suivant l’ordre de leur pesanteur spécifique; souvent on trouve des couches de matières pesantes posées sur des couches de matières plus légères : pour s’en assurer, il ne faut qu’examiner la nature des terres sur lesquelles portent les rochers, et on verra que c’est ordinairement sur des glaises où sur des sables qui sont spécifiquement moins pesants que la matière du rocker. Dans les col- lines et dans les autres petites élévations, on reconnait facilement la base sur laquelle portent les rochers ; mais il n’en est pas de même des grandes montagnes ; non-seulement le sommet est de rocher, mais ces rochers portent sur d’au- tres rochers ; il y a montagnes sur montagnes et ro-hers sur rochers, à des hauteurs si consi- dérables et dans une si grandeétenduede terrain, qu’on ne peut guère s'assurer s’il y a de la terre dessous, et de quelle nature est cette terre. On voit des rochers coupés à pic, qui ont plusieurs centaines de pieds de hauteur ; ces rochers por- tent sur d’autres, qui peut-être n’en ont pas moins. Cependant ne peut-on pas conclure du petit au grand ? et, puisque les rochers des pe- tites montagnes, dont on voit la base , portent sur des terres moins pesantes et moins solides que la pierre, ne peut-on pas croire que la base des hautes montagnes est aussi de terre? Au reste, tout ce que j’ai à prouver ici, c’est qu'ila pu arriver naturellement, par le mouvement des eaux, qu'il se soit accumulé des matières plus pesantes au-dessus des plus légères, et que si cela se trouve cu effet dans la plupart des col- lines, il est probable que cela est arrivé comme je l’explique dans le texte. Mais, quand même HISTOIRE NATURELRE. on voudrait se refuser à mes raisons, en m'ho- jectant que je ne suis pas bien fondé à supposer qu'avant la formation des montagnes, les ma- tières les plus pesantes étaient au-dessous des moins pesantes, je répondrai que je n’assure rien de général à cet égard, parce qu'il y a plu- sieurs manières dont cet effet a pu se produire, soit que les matières pesantes fussent au-des- sous ou au-dessus, ou placées indifféremment, comme nous les voyons aujourd’hui : car, pour concevoir comment la mer ayant d’abord formé une montagne de glaise, l’a ensuite couronnée de rochers, il suffit de faire attention que les sédiments peuvent venir successivement de dif- férents endroits , et qu’ils peuvent être de ma- üères différentes; en sorte que, dans un en- droit de la mer où les eaux auront déposé d’abord plusieurs sédiments de glaise, il peut très-bien arriver que tout d’un coup, au lieu de glaise, les eaux apportent des sédiments pier- reux, et cela, parce qu’elles auront enlevé du fond , ou détaché des côtes toute la glaise, et qu’ensuite elles auront attaqué les rochers, ou bien parce que les premiers sédiments venaient d’un endroit, et les seconds d’un autre. Au reste, cela s’accorde parfaitement avec les ob- servations par lesquelles on reconnaît que les lits de terre, de pierre, degravier, de sable, ete., ne suivent aucune règle dans leur arrangement, ou du moins se trouvent placés indifférem- ment et comme au hasard les uns au-dessus des autres. Cependant ce hasard même doit avoir des rè- gles qu’on ne peut connaître qu’en estimant la valeur des probabilités et la vraisemblance des conjectures. Nous avons vu qu’en suivant notre hypothèse sur la formation du globe, l’intérieur de la terre doit être d’une matière vitrifiée, semblable à nos sables vitrifiables, qui ne sont que des fragments de verre , et dont les glaises sont peut-être les scories ou les parties décom- posées. Dans cette supposition, la terre doit être composée dans le centre, et presque jusqu’à la circonférence extérieure, de verre ou d’une matière vitrifiée qui en occupe presque tout l'intérieur; et au-dessus de cette matière, on doit trouver les sables, les glaises et les autres scories de cette matière vitrifiée. Ainsi, en con- sidérant la terre dans son premier état, c'était d’abord un noyau de verre ou de matière vitri- fiée, qui est, ou massive comme le verre, ou divisée comme le sable, parce que cela dépend PT s THÉORIE DE du degré del’activitédu feu qu’elle aura éprouvé; au-dessus de cette matière étaient les sables , et enfin les glaises : le limon des eaux et de Pair a produit l'enveloppe extérieure, qui est plus ou moins épaisse, suivant la situation du terrain , plus ou moins colorée suivant les différents mé- langes de limon , des sables et des parties d’ani- maux ou de végétaux détruits, et plus ou moins féconde suivant l'abondance ou la disette de ces mêmes parties. Pour faire voir que cette suppo- sition, au sujet de la formation des sables et des glaises , n’est pas aussi gratuite qu’on pour- rait l’imaginer, nous avons cru devoir ajouter à ce que nous venons de dire, quelques remar- ques particulières, Je concois donc que la terre, dans le premier état, était un globe, ou plutôt un sphéroïde de matière vitrifiée, de verre, si l’on veut, très- compacte, couvert d’une croûte légère et fria- ble, formée par les scories de la matière en fusion, d’une véritable pierre ponce : le mou- vement et l'agitation des eaux et de l'air brisè- rent bientôt et réduisirent en poussière cette croûte de verre spongieuse , cette pierre ponce qui était à la surface ; de là les sables qui, en s’unissant, produisirent ensuite les grès et le roc vif, ou, ce qui est la même chose, les cail- loux en grande masse , qui doivent, aussi bien que les cailloux en petite masse, leur dureté, leur couleur ou leur transparence, et la variété de leurs accidents , aux différents degrés de pu- reté et à la finesse du grain des sables qui sont entrés dans leur composition. Ces mêmes sables, dont les parties constituan- tes s’unissent par le moyen du feu, s’assimilent et deviennent un corps du> très-dense, et d’au- tant plus transparent que le sable est plus ho- mogène ; exposés , au contraire, depuis long- temps à l'air, se décomposent par la désunion et l’exfoliation des petites lames dont ils sont formés ; ils commencent à devenir terre, et c’est ainsi qu'ils ont pu former les glaises et les ar- giles. Cette poussière, tantôt d’un jaune bril- lant, tantôt semblable à des paillettes d'argent dont on se sert pour sécher l'écriture, n’est au- tre chose qu’un sable très-pur, en quelque fa- con pourri, presque réduit à ses principes, et qui tendà une décomposition parfaite ; avec le temps ces paillettes se seraient atlénuées et di- visées au point qu’elles n'auraient plus eu assez d'épaisseur et de surface pour réfléchir la lu- miere, etelles auraient acquis toutes les pro- Ll LA TERRE. 129 priétés des glaises. Qu'on regarde au grand jour un morceau d'argile, on y apercevra une grande quantité de ces paillettes talqueuses, qui n’ont pas encore entièrement perdu leur forme. Le sable peut done avec le temps produire l'argile, et celle-ci, en se divisant, acquiert de même les propriétés d’un véritable limon, matière vitri- fiable comme l'argile et qui est du même genre. Cette théorie est conforme à ce qui se passe tous les jours sous nos yeux. Qu'on lave du sa- ble sortant de sa minière, l’eau se chargera d’une assez grande quantité de terre noire, duc- tile, grasse, de véritable argile. Dans les villes où les rues sont pavées de grès , les boues sont toujours noires et très-crasses; et desséchées, elles forment une terre de la mème nature que l'argile. Qu'on détrempe et qu’on lave de même de l'argile prise dans un terrain où il n'y a ni grès ni cailloux , il se précipitera toujours au fond de l’eau une assez grande quantité de sa- ble vitrifiable. Mais ce qui prouve parfaitement que le sable, et même le caillou et le verre, existent dans l'argile et n’y sont que déguisés, c’est que le feu en réunissant les parties de celle-ci, que l'action de l'air et les autres éléments avait peut-être divisés , lui rend sa première forme. Qu'on mette de l’argile dans un fourneau de ré- verbère échauffé au degré de la calcination, elle se couvrira au dehors d’un émail très-dur : si à l’intérieur elle n’est pas encore vitrifiée, elle aura cependant acquis une très-grande dureté, elle résistera à la lime et au burin, elle étincel- lera sous le marteau , elle aura enfin toutes les propriétés du caillou ; un degré de chaleur de plus la fera couler et la convertira en un véri- table verre. L'argile et le sable sont donc des matières parfaitement analogues et du même genre : si l’argile en se condensant peut devenir du cail- lou, du verre, pouquoi le sable en se divisant ne pourrait-il pas devenir de l’argile? Le verre bparait être la véritable terre élémentaire, ettous les mixtes un verre déguisé ; les métaux , les minéraux , les sels, etc. , ne sont qu’une terre vitrescible : la pierre ordinaire , les autres ma- tières qui lui sont analogues, et les coquilles des testacés , des crustacés , ete. , sont les seules substances qu'aucun agent connu n’a pu jus- qu’à présent vitrifier , et les seules qui semblent faire une classe à part. Le feu, en réunissant les parties divisées les premières, en fait une 9 ” 150 malière homogène , dure et transparente à un certain degré, sans aucune diminution de pe- santeur, et à laquelle il n’est plus capable de causer aucune altération ; celles-ci au contraire, dans lesquelles il entre une plus grande quantité de principes actifs et volatils, et qui se calci- nent, perdent au feu plus du tiers de leur poids , et reprennent simplement la forme de terre , sans autre altération que la désunion de leurs principes : ces matières exceptées, qui ne sont pas en grand nombre, et dont les combinai- sons ne produisent pas de grandes variétés dans la nature, toutes les autres substances, et par- ticulièrement l’argile , peuvent être converties en verre , et ne sont essentiellement, par consé- quent, qu’un verre décomposé” Si le feu fait changer promptement de forme ces substances en les vitrifiant , le verre lui-même , soit qu'il ait sa nature de verre , ou bien celle de sable ou de caillou , se change naturellement en argile, mais par un progrès lent et insensible. Dans les terrains où le caillou ordinaire est la pierre dominante, les campagnes en sont ordi- nairement jonchées ; et si le lieu est inculte, et que ces cailloux aient été longtemps exposés à l'air sans avoir été remués , leur superfeie su- périeure est toujours très-blanche, tandis que le côté opposé, qui touche immédiatement à la terre , est très-brun , et conserve sa couleur na- turelle. Si on casse plusieurs de ces cailloux, on reconnaitra que la blancheur n'est pas seu- lement au dehors, mais qu’elle pénètre dans l'intérieur plus ou moins profondément , et y forme une espèce de bande, qui n’a dans de cer- tains cailloux que très-peu d'épaisseur , mais qui dans d’autres occupe presque toute celle du caillou ; cette partie blanche est un peu grenue, entièrement opaque, aussi tendre que la pierre, et elle s'attache à la langue comme les bols, tandis que le reste du caillou est lisse et poli, qu'il n’a ni fil ni grain, et qu’il a conservé sa couleur naturelle , sa transparence et sa même dureté. Si on met dans un fourneau ce même caillou à moitié décomposé, sa partie blanche deviendra d’un rouge couleur de tuile, et sa partie brune d’un très-beau blanc. Qu'on ne dise point , avec un de nos plus célèbres natura- listes , que ces pierres sont des cailloux impar- faits de différents âges, qui n’ont pas encore ac- quis leur perfection; ear, pourquoi seraient-ils tous imparfaits? pourquoi le seraient-ils tous du même côté , et du côté qui est exposé à l'air? HISTOIRE NATURELLE. Ilme semble qu’il est aisé de se convaincre que ce sont au contraire des cailloux altérés , dé- composés, qui tendent à reprendre la forme et les propriétés de l'argile et du bol dont ils ont été formés. Si c’est conjecturer que de raison- ner ainsi, qu’on expose en plein air le caillou le plus caillou (comme parle ce fameux natura- liste), le plus dur et le plus noir, en moins d’une année il changera de couleur à la surface; et si on a la patience de suivre cette expérience, on lui verra perdre insensiblement et par degrés sa dureté, sa transparence et ses autres caractères spécifiques, et approcher de plus en plus cha- que jour de la nature de l'argile. Ce qui arrive au caillou arrive au sable: chaque grain de sablepeut être considéré comme un petit caillou, et chaque caillou comme un amas de grains de sable extrêmement fins et exactement engrenés. L'exemple du premier degré de décomposition du sable se trouve dans cette poudre brillante, mais opaque, #ica, dont nous venons de parler, et dont l'argile et l’ardoise sont toujours parsemés. Les cailloux entièrement transparents, les quartz, produi- sent, en se décomposant, des tales gras et doux au toucher, aussi pétrissables et ductiles que la glaise, et vitrifiables comme-elle, tels que ceux de Venise et de Moscovie; et il me paraît que le tale est un terme moyen entre le verre ou le caillou transparent et l’argile, au lieu que le caillou grossier et impur, en se décomposant, passe à l’argile sans intermède. Notre verre factice éprouve aussi la même al- tération : il se décompose à l'air, et se pourrit en quelque façon en séjournant dans les terres; d’abord sa superficie s’irise, s'écaille , s’exfolie, et en le maniant on s’apercoit qu’il s’en détache des paillettes brillantes ; mais, lorsque sa dé- composition est plus avancée , il s'écrase entre les doigts et se réduit en poudre talqueuse très- blanche et très-fine ; l’art a rnème imité la na- ture pour la décomposition du verre et du cail- lou. Est eliam cerla methodus solius aquæ communis ope silices et arenam in liquorem viscosum , eumdemque in sal viride conver- tendi, et hoc in oleum rubicundum, etc. Solius ignis el aqueæ ope speciali experimento duris- simos quoque lapides in mucorum resolvo, qui distillatus subtilem spiritum exhibet el oleum nullis laudibus prædieabile, Voyez Be- cher. Phys. subter. Nous traiterons ces matières encore plus à sn TE Gain ph THÉORIE DE LA TERRE. fond dans notre discours sur les minéraux, et nous nous contenterons d'ajouter ici que les dif- férentes couches qui couvrent le globe terrestre, étant encore actuellement ou de matières que nous pouvons considérer comme vitrifiées, ou de matières analogues au verre, qui en ont les propriétés les plus essentielles, et qui toutes sont vitrescibles, et que d’ailleurs, comme il est évident que de la décomposition du caillou et du verre, qui se fait chaque jour sous nos yeux, il résulte une véritable terre argileuse, ce n’est donc pas une supposition précaire ou gratuite, que d'avancer, comme je l’ai fait, que les glai- ses, les argiles et les sables ont été formés par les scories et les écumes vitrifiées du globe ter- restre, surtout lorsqu'on y joint les preuves à priori, que nous avons données pour faire voir qu'il a été dans un état de liquéfaction causée par le feu. ADDITIONS A L'ARTICLE QUI À POUR TITRE DE LA PRODUCTION DES COUCHES OÙ LITS DE TERRE. Sur les couches ou lits de terre en différents endroits. Nous avons quelques exemples de fouilles et de puits, dans lesquels on a observé les différen- tes natures des couches ou lits de terre jusqu’à de certaines profondeurs ; celle du puits d’Ams- terdam, qui descendait à deux cent trente-deux -pieds ; celle du puits de Marly-la-Ville, jusqu’à cent pieds ; et nous pourrions en citer plusieurs autres exemples, si les observateurs étaient d’ac- cord dans leur nomenclature; mais les uns appellent marne ce qui n’est en effet que de l’ar- gile blanche; les autres nomment cailloux des pierres calcaires arrondies ; ils donnent le nom de sable à du gravier calcaire : au moyen de quoi Von ne peut tirer aucun fruit de leurs recher- ches , ni de leurs longs mémoires sur ces matiè- res, parce qu’il y a partout incertitude sur la nature des substances dont ils parlent; nous nous bornerons donc aux exemples suivants. Un bon observateur a écrit à un de mes amis, dans les termes suivants, sur les couchesdeterre dans le voisinage de Toulon : « Il existe ici, dit- « il, un immense dépôt pierreux qui occupe toute «la pente de la chaîne de montagnes que nous 151 « avons au nord de la ville de Toulon , qui s’é- tend dans la vallée au levant et au couchant, dont une partie forme le sol de la vallée et va se perdre dans la mer; cette matière lapidifi- que est appelée vulgairement saffre, et c’est proprement ce tuf que les naturalistes appel- lentmarga loffucea fistulosa.M. Guettard m'a demandé des éclaircissements sur ce saffre , pour en faire usage dans ses mémoires, et « quelques morceaux de cette matière pour la « connaitre. Je lui ai envoyé les uns et les au- « tres, et je crois qu’il en a été content, car i « m'en a remercié : il vient même de marquer « qu’il reviendra en Provence et à Toulon au « commencement de mai..…Quoi qu'il en soit, « M. Guettard n’aura rien de nouveau à dire « sur ce dépôt; car M. de Buffon a tout dit à «ce sujet dans son premier volume de l’His- « toire Naturelle, à l’article des Preuves de la « Théorie de la terre ; et il semble qu’en fai- « « muet SUR) D D © sant cet article, il avait sous les yeux les montagnes de Toulon et leur croupe. « A la naissance de cette croupe, qui est d’un « tuf plus ou moins dur, on trouve dans de pe- « tites cavités du noyau de la montagne, quel- « ques mines detrès-beausable, qui sont proba- « biement ces pelottes dont parle M. de Buffon. « En cassant en d’autres endroits la superficie « du noyau, nous trouvons en abondance des « coquilles de mer incorporées avec la pierre. « J’ai plusieurs de ces coquilles, dont l'émail « est assez bien conservé : je les enverrai quel- « que jour à M. de Buffon !. » M. Guettard, qui a fait par lui-même plus d'observations en ce genre qu'aucun autre na- turaliste , s'exprime dans les termes suivants ; en parlant des montagnes qui environnent Paris: « Après la terre labourable, qui n’esttout au « plus que de deux ou trois pieds, est placé un « bane de sable, qui a depuis quatre et six pieds « jusqu’à vingt pieds, et souvent même jusqu’à « trente de hauteur: ce banc est communément « remplide pierres dela naturede la pierre meu- « lière..…. Il y a des cantons où l’on rencontre « dans ce banc sableux des masses de grès iso- « lées. « Au-dessous de cesable, on trouve un tufqui « peut avoir depuis dix ou douze jusqu’à trente, « quarante et mème cinquante pieds.Cetufn’est « cependant pas communément d’une seule 4 Lettre de M de Boissy à M. Guenaud de Montbeillard, Toulon , 46 avril 1775, 1 « RM AS ne « 2° Le tuf, deux toises. . , . c) GA épaisseur ; il est assez souvent coupé par dif- férents lits de fausse marne, de marne glai- seuse, de cos, que les ouvriers appellent /ri- poli, ou de bonne marne, et même de petits bancs de pierres assez dures. Sous ce banc de tuf commencent ceux qui donnent la pierre à bâtir. Ces bancs varient par la hauteur ; ils n’ont guère d’abord qu’un pied. Il s’en trouve dans des cantons trois ou quatre au-dessus l’un de l’autre : ils en précèdent un qui peut être d'environ dix pieds, et dont les surfaces et l’intérieur sont parsemés de noyaux ou d'empreintes de coquilles ; il est suivi d’un autre qui peut avoir quatre pieds ; il porte sur un de sept à huit, ou plutôt sur deux de trois ou quatre. Après ces bancs, il y en a plusieurs autres qui sont petits etqui peuvent former en tout un massif de trois toises au moins ; ce massif est suivi de glaises, avant lesquelles cependant on perce un lit de sable. « Ce sable est rougeâtre et terreux : il a d’é- paisseur deux, deux et demi et trois pieds; il est noyé d’eau ; il a après lui un bane de fausse glaise bleuâtre, c’est-à-dire d’une terre glaiseuse mêlée de sable : l'épaisseur de ce bane peut avoir deux pieds; celui qui suit est au moins de cinq, et d'une glaise noire, lisse, dont les cassures sont brillantes, presque comme du jayet; et enfin cette glaise noire est suivie de la glaise bleue, qui forme un banc de cinq à six pieds d'épaisseur. Dans ces diffé- rentes glaises, on trouve des pyrites hlanchä- tres d’un jaune pâle et de différentes figures. L'eau qui se trouve au-dessous de toutes ces glaises empêche de pénétrer plus avant... «a Le terrain des carrières du canton de Moxowris au haut du faubourg Saint-Mar- ceau , est disposé de la manière suivante : 4 La terre labourable, d'un pied d'épais- seur D CINE E- 3° Le sable, deux à trois toises. . . . . . . 18 4 Des terres jaunâtres, deux toises. . . . 12 5 Letripoli, c'est-à-dire des terres blan- ches, grasses, fermes, qui se dur- cissent an soleil et qui marquent comme la craie, Ge quatre à cinq toises, "CR RER: 0. + 50,0 6° Du cailloutage ou mélange de sable gras, de deux toises. . . . . . . .. 42 0 % De la roche ou rochette, depuis un pied jusqu'à deux. . .. . ....... 2 0 8 Une espèce de bas appareil ou qui a 9 CREER a ————_—_—_—_—_—_—_ HISTOIRE NATURELLE. RONDE + ete ie. el eue te NET peu de hauteur, d'un pied jusqu'à ET SR oo REC SE SR « 9° Deux moies de banc blanc, de chacune six, sept à huit pouces. . ..,.... N 0 « {0° Le souchet, de dix-huit pouces jusqu'à vingt, en y comprenant son bousin. 1 6 « {1° Le banc franc, depuis quinze, dix- huit, jusqu'à trente pouces. . . .. 1 6 » Le liais férault, de dix à douze pouces. 1 6 15° Le bane vert, d'un pied jusqu'à vingt pouce: 2 «ce EU « 14 Les Jambourdes, qui forment deux bancs ,un de dix-huit pouces, et l'autre de deux pieds. . ...... 3 6 « 150 Plusieurs pelits banes de lambourdes bätardes ou moins bonnes que les 1 mbourdes ci-dessus ; ils précèdent la nappe d'eau ordinaire du puits : cette nappe est celle que ceux qui fouillent la terre-à pots sont obligés de passer pour tirer celte terre ou glaise à poterie, laquelle est entre deux eaux, c'est-à-dire entre cette nappe dont je viens de parlér...……., et une autre beaucoup plus considé- rable, qui est au-dessous. » En tout: 99 0* Au reste, je ne rapporte cet exemple que faute d’autres ; cas on voit combien il laisse d’incerti- tudes sur la nature des différentes terres. On ne peut donc trop exhorter les observateurs à dé- signer plus exactement la nature des matières dont ils parlent, et à distinguer au moins celles qui sont vitrescibles ou calcaires comme dans l'exemple suivant. Le sol de la Lorraine est partagé en deux grandes zones toutes différentes et bien distinc- tes : l’orientale,quecouvrelachaîne des Vosges, montagnes primitives, toutes composées de mna- tières vitrifiables et cristallisées, granites, por- phyres, jaspes et quartz, jetés par blocs et par groupes, et non par jits et par couches. Dans toute cette chaine on ne trouve pas le moindre vestige de productions marines, et les collines qui en dérivent sont de sable vitrifiable. Quand ellesfinissent, et sur une lisière suivie dans toute la ligne de leur chute, commence l’autre zone toute calcaire, toute en couches horizontales; toute remplie ou platôt formée de corps ma- rins. Vote communiquée à M. de Buffon par M. l'abbé Bexon, le 15 mars 1777. Les bans et les lits de terre du Pérou sont 4 Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1756. THÉORIE DE LA TERRE. parfaitement horizontaux, et se répondent quel- quefois de fort loin dans les différentes monta- ges : la plupart de ces montagnes ont deux où trois cents toises de hauteur, et elles sont pres- que toujours inaccessibles ; elles sont souvent escarpées comme des murailles , et c’est ce qui permet de voir leurs lits horizontaux , dont ces escarpements présentent l'extrémité. Lorsque le hasard a voulu que quelqu’une fût ronde , et qu’elle se trouve absolument détachée des au- tres, chacun de ces lits est devenu comme un cylindre très-plat et comme un cône tronqué , qui n’a que très-peu de hauteur ; etces différents lits placés les uns au-dessous des autres , et dis- tingués par leur couleur et par les divers talus de leur contour, ont souvent donné au tout la forme d’un ouvrage artificiel et fait avec la plus grande régularité. On voit dans ces pays-là les monta- gnes y prendre continuellement l'aspect d’an- tiens et somptueux édifices, de chapelles, de châteaux, de dômes. Ce sont quelquefois des fortifications formées de longues courtines mu- nies de boulevards. Il est difficile, en distin- guant tous ces objets , et la manière dont leurs couches se répondent , de douter que le terrain ne se soit abaissé tout autour ; il parait que ces montagnes , dont la base était plus solidement appuyée, sont restées comme des espèces de té- moins et de monuments qui indiquent la hau- teur qu'avait anciennement le sol de ces con- trées. La montagne des Oiseaux , appelée en arabe Gebelteir, est si égale du haut en bas l’espace d’une demi-lieue , qu’elle semble plutôt un mur -régulier bâti par la main des hommes , que non pas un rocher fait ainsi par la nature. Le Nil la touche par un très-long espace , et elle est éloi- gnée de quatre journées et demie du Caire, dans l'Égypte supérieure. Je puis ajouter à ces observations une remar- que faite par la plupart des voyageurs, c’est que dans les Arabies le terrain est d’une nature très- différente ; la partie la plus voisine du mont Li- ban n’offre que des rochers tranchés et culbutés, et c’est ce qu’on appelle l'Arabie pétrée. C’est de cette contrée, dont les sables ont été enlevés par le mouvement des eaux, que s’est formé le terrain stérile de l'Arabie déserte ; tandis que les limons plus légers et toutes les bonnes terres ont été portés plus loin dans la partie que l’on ap- pelle l'Arabie heureuse. Aureste, lesrevers dans l'Arabie heureuse sont, comme partout ailleurs, 155 plus escarpés vers la mer d'Afrique, c'est-à-dire vers l'occident que vers la mer Rouge, qui est à l'orient. Sur la roche intérieure du globe. J'ai dit, que, dans les collines et dans lesau- tres élévations, on reconnait facilement la base sur laquelle portent les rochers, mais qu'il n’en est pas de même des grandes montagnes ; que non-seulement leur sommet est de roc vif, de granit, elc., mais que ces rochers portent sur d’autres rochers, à des profondeurs si considé- rables et dans une si grande étendue deterrain, qu'on ne peut quère s'assurer s’il y a de la terre dessous, et de quelle nature est cette terre : on voit des rochers coupés à pic, qui ont plusieurs centaines de pieds de hauteur ; cesrochers por- tent sur d’autres qui peut-être n'en ont pas moins : cependant ne peut-on pas conclure du petit au grand ? et, puisque les rochers des peliles montagnes dont on voil la base por- tent sur des terres moins pesantes et moins so- lides que la pierre, ne peut-on pus croire que la base des hautes montagnes est aussi de terre ? J'avoue que cette conjecture, tirée de l’analo- gie, n’était pas assez fondée; depuis trente- quatre ans que cela est écrit, j'ai acquis des connaissances et recueilli des faits qui m'ont dé- montré que les grandes montagnes composées de matières vitrescibles, et produites par l'action du feu primitif, tiennent immédiatement à la roche intérieure du globe , laquelle est elle-même un roc vitreux de la même nature : ces grandes montagnes en font partie et ne sont que des pro- longements ou éminences qui se sont formées à la surface du globe dans le temps de sa consoli- dation; on doit done les regarder comme des parties constitutives de la première masse de la terre, au lieu que les collines et les petites mon- tagnes qui portent sur des argiles ou sur des sa- bles vitrescibles, ont été formées par un autre élément, c’est-à-dire par le mouvement et le sé- diment des eaux dans un temps bien postérieur à celui de la formation des grandes montagues produites par le feu primitif'. C’est dans ces “ L'intérieur des différentes montagnes primitives, que j'af pénétrées par les puits et galeries des mines à des profondeurs considérables de douze à quinze cents pieds, est partout com- posé de roc vif vitreux, dans lequel il se trouve de légères anfractuosités irrégulières, d'où il sort de l'eau, des dissolu- 154 pointes ou parties saillantes qui forment le noyau des montagnes , que se trouvent les fi- lons des métaux ; et ces montagnes ne sont pas les plus hautes de toutes, quoiqu'il y en ait de fort élevées qui contiennent des mines ; mais la plupart de celles où on les trouve sont d’une hauteur moyenne, et toutes sont arrangées uni- formément , c’est-à-dire par des élévations in- sensibles qui tiennent à une chaine de monta- gnes considérable , et qui sont coupées de temps en temps par des vallées. Sur la vitrification des matières calcaires. J'ai dit que les matières calcaires sont les seules qu'aucun feu connu n’a pu jusqu'à pré- sent vitrifier, et les seules qui semblent, à cet égard , faire une classe à part, toutes les au- tres matières du globe pouvant étre réduites en verre. Je n’avais pas fait alors les expériences par lesquelles je me suis assuré depuis que les ma- tières calcaires peuvent , comme toutes les au- tres, être réduites en verre ; il ne faut en effet pour cela qu’un feu plus violent que celui de fourneaux ordinaires. On réduit la pierre cal- caire en verre au foyer d’un bon miroir ardent : d’ailleurs M. Darcet, savant chimiste, a fondu du spath calcaire, sans addition d'aucune au- tre matière, aux fourneaux à faire de la porce- laine de M. lecomte de Lauraguais : mais cesopé- rations n’ont été faites que plusieurs années après la publication de ma Théorie de la terre. On savait seulement que, dans les hauts fourneaux | * qui servent à fondre la mine de fer, le laitier spu- meux, blanc et léger, semblable à de la pierre- ponce, qui sort de ces fourneaux lorsqu'ils sont | trop échauffés, n’est qu’une matière vitrée qui provient de la castine ou matière calcaire qu’on jette au fourneau pour aider à la fusion de la mine de fer : la seule différence qu'il y ait à l’é- gard de la vitrification entre les matières cal- cairesetlesmatières vitrescibles, c’estquecelles- ci sont immédiatement vitrifiées par la violente tions vitrioliques et métalliques ; en sorte que l'on peut con- clure que tout le noyau de ces montagnes est un roc vif, adhérant à La masse primitive du globe. quoique l'on voie sur leur flanc , du côté des vallées, des masses de terre argileuse, des bancs de pierres calcaires, à des hauteurs assez considé- rables; mais ces masses d'argile et ces bancs calcaires sont des résidus du remblai des cavités de la terre, dans lesquelles les eaux ont creusé les vallées , et qui sont de la seconde épo- que de la nature. (Note communiquée par M. Grignon à M. de Buffon , le 6 août 1777.) | | | HISTOIRE NATURELLE. action du feu, au lieu que les matières calcaires passent par l’état de calcination et forment de la chaux avant dese vitrifier ; mais elles se vi- trifient comme les autres , même au feu de nos fourneaux , dès qu’on les mêle avec des matières vitrescibles, surtout avec celles qui comme l’au- buë ou terre limoneuse, coulent le plus aisé- ment au feu. On peut done assurer, sans crainte de se tromper, que généralement toutes les ma- tières du globe peuvent retourner à leur premiere origine en se réduisant ultérieurement en verre, pourvu qu’on leur administre le degré de feu nécessaire à leur vitrification. PREUVES DE LA " THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE VIN. SUR LES COQUILLES ET LES AUTRES PRODUCS TIONS DE LA MER, QU'ON TROUVE DANS L'INTÉRIEUR DE LA TERRE. J'ai souvent examiné des carrières du haut en bas, dont les bancs étaient remplis de co- quilles; j'ai vu des collines entières qui en sont composées , des chaines de rochers qui en con- tiennent une grande quantité dans toute leur étendue. Le volume de ces productions de la mer est étonnant, et le nombre de ces dépouilles d'animaux marins est si prodigieux qu’il n’est guère possible d'imaginer qu’il puisse y en avoir davantage dans la mer. C’est en considérant cette multitude innombrable de coquilles et d’autres productions marines, qu’on ne peut pas douter que notre terre n’ait été, pendant un très-long temps, un fond de mer peuplé d’au- tant de coquillages que l’est actuellement l’O- céan : la quantité en est immense , et naturelle- ment on n’imaginerait pas qu'il y eût dans la mer une multitude aussi grande ces ani- maux ; ce n’est que par celles des coquilles fossi- les et pétrifiées qu’on trouve sur la terre , que nous pouvons en avoir uneidée. En effet , il ne faut pas croire, comme se l’imaginent tous les gens qui veulent raisonner sur cela sans en avoir rien vu, qu’on ne trouve ces coquilles que par THÉORIE DE LA TERRE. basard , qu’elles sont dispersées çà et là, ou tout au plus par petits tas , comme des coquilles d’huitres jetées à la porte : c’est par montagnes qu'on les trouve , c’est par bancs de cent et de deux cents lieues de longueur; c’est par collines et par provinces qu'il faut les toiser , souvent dans une épaisseur de cinquante ou soixante pieds , et c’est d’après ces faits qu’il faut rai- sonner. ° Nous ne pouvons donner sur ce sujet un exemple plus frappant que celui des coquilles | de Touraine : voici ce qu’en dit l'historien de l'Académie , année 1720 , pages 5 et suivantes. « Dans tous les siècles assez peu éclairés et as- « sez dépourvus du génie d'observation et de « recherche , pour croire que tout ce qu’on ap- « pelle aujourd’hui pierres figurées , et les co- « quillages même trouvés dans la terre, étaient « des jeux de la nature , ou quelques petits ac- u cidents particuliers , le hasard a dù mettre au a jour une infinité de ces sortes de curiosités « que les philosophes mêmes , si c’étaient des « philosophes , ne regardaient qu'avec une sur- « priseignorante ou une légère attention : et tout « cela périssoit sans aucun fruit pour le progrès « des connaissances. Un potier de terre, qui ne « savait ni latin ni grec, fut le premier ! vers Ja « fin du seizième siècle qui osa dire dans Paris « et à la face de tous les docteurs , que les co- | « quilles fossiles étaient de véritables coquilles « déposées autrefois par la mer dans les lieux « où elles se trouvaient alors ; que des animaux « eb surtout des poissons , avaient donné aux -« pierres figurées toutes leurs différentes figu- u res , ele. ; et il défia hardiment toute l’école « d’Aristote d'attaquer ses preuves : c’est Ber- a nard Palissy, Saintongeois?, aussi grand phy- « sicien que la nature seule en puisse former « un : cependant son système a dormi près de « cent ans, et le nom même de l’auteur est « presque mort. Enfin , les idées de Palissy se « sont réveillées dans l’esprit de plusieurs sa- « vants ; elles ont fait la fortune qu’elles méri- « taïent; on a profité de toutes les coquilles , de « toutes les pierres figurées que la terre a four- 4 Je ne puis m'empêcher d'observer que le sentiment de Palissy avaitété celui des anciens : « Conchulas , arenas, buc- cinas, calculos variè infectos frequenti solo, quibusdam etiam in montibus reperiri, certum sigoum maris alluvione eos coopertos locos volunt Herodotus , Plato , Strabo, Seneca, Tertullianus, Plutarchus, Ovidius , et alii, » Vide Dausqui : Terra et aqua, pag. 7. 2 Palissy est né à Agen. 135 « nies : peut-être seulement sont-elles devenues aujourd’hui trop communes, et les conséquen- « ces qu’on en tire sont en danger d’être bientôt br'op incontestables, « Malgré cela, ce doit être encore une chose « étonnante que le sujet des observations pré- « sentes de M. de Réaumur, une masse de « 130,680,000 toises cubiques , enfouies sous «terre, qui n’est qu'un amas de coquilles ou « de fragments de coquilles , sans nul mélange « de matière étrangère, ni pierre, ni terre , ni « sable : jamais , jusqu’à présent, les coquilles « fossiles n’ont paru en cette énorme quantité, « et jamais , quoiqu’en une quantité beaucoup « moindre, elles n’ont paru sans mélange. C’est « en Touraine quesetrouve ce prodigieux amas « à plus de trente-six lieues de la mer : on ly « connait, parce que les paysans de ce canton « se servent de ces coquilles, qu'ils tirent de « terre, comme de marne, pour fertiliser leurs campagnes, qui sans cela seraient absolu- « ment stériles. Nous laissons expliquer à M. de « Réaumur comment ce moyen assez particu- « lier, et en apparence assez bizarre , leur réus- « sit; nous nous renfermons dans la singularité « de ce grand tas de coquilles. « Ce qu’on tire de terre, et qui ordinairement « n’y est pas à plus de huit ou de neuf pieds de « profondeur, ce nesont que de petits fragments « de coquilles, très-reconnaissables pour en être « des fréquents , car ils ont des cannelures très- « bien marquées : seulement ils ont perdu leur « luisant et leur vernis, comme presque tous les « coquillages qu’on trouve en terre, qui doivent « y avoir été longtemps enfouis, Les plus petits « fragments , qui ne sont que de la poussière, « sont encore reconnaissables pour être des « fragments de coquilles, parce qu’ils sont par- « faitement de la même matière que les autres ; « quelquefois il se trouve des coquilles entières. « On reconnait les espèces tant des coquilles «entières que des fragments un peu gros: quel- « ques-unes de ces espèces sont connues sur les « côtes de Poitou, d’autres appartiennent à des « côtes éloignées. Il y a jusqu’à des fragments « de plantes marines pierreuses , telles que des « madrépores, des champignons de mer, ete. : « toute cette matière s’appelle dans le pays du «falun. « Le canton qui, en quelque endroit qu’on le « fouille, fournit du falun, a bien neuf lieues « carrées de surface. On ne perce jamais la mi- = 156 “nière de falun ou falunière au delà de vingt « pieds : M. de Réaumur en rapporte les raisons, « qui ne sont prises que de la commodité des « laboureurs et de l’épargne des frais. Ainsi les | « falunières peuvent avoirune profondeur beau- « coup plus grande que celle qu’on leurconnait; « cependant nous n'avons fait le calcul des | « 130,680,000 toises cubiques, que sur le pied « de dix-huit pieds de profondeur et non pas de « vingt, et nous n'avons mis la lieue qu’à deux | « mille deux cents toises : tout a donc été éva- « lué fort bas, et peut-être l’amas de coquilles « vons posé; qu'il soit seulement double, com- « bien la merveille augmente-t-elle! « Dans les faits de physique, de petites cir- « constances , que la plupart des gens ne s’avi- « seraient pas de remarquer, tirent quelquefois « à conséquence et donnent des lumières. M. de « Réaumur a observé que tous les fragments « de coquilles sont dans leur temps posés sur le | « plat et horizontalement; de là il a conclu que « cette infinité de fragments ne sont pas venus « de ce que, dans le tas formé d’abord de co- « quilles entières, les supérieures auraient par « leur poids, brisé les inférieures ; car de cette « manière il se serait fait des écroulements qui « auraient donné aux fragments une infinité « de positions différentes. Il faut que la mer ait « apporté dans ce lieu-là toutes ces coquilles , « soit entières, soit quelques-unes déjà brisées ; «et, comme elle les apportait flottantes, elles « étaient posées sur le plat et horizontalement ; « après qu’elles ont été toutes déposées au ren- “ dez-vous commun, l’extrème longueur du temps en aura brisé et presque caleiné la plus grande partie sans déranger leur position. « I] parait assez par là qu’elles n’ont pu être « apportées que successivement; et en effet com- « ment la mer voiturerait-elle tout à la fois une « si prodigieuse quantité de coquilles, et toutes « dans une position horizontale? elles ont dû s’assembler dans un même lieu, et par consé- quent ce lieu a été le fond d’un golfe ou une espèce de bassin. « Toutes ces réflexions prouvent que, quoi- qu'il ait dù rester, et qu'il reste effectivement sur la terre beaucoup de vestiges du déluge universel rapporté par l'Écriture-Sainte, ce est point ce déluge qui a produit amas des coquilles de Touraine; peut-être n’y en a-t-il « d'aussi grand amas dans aucun endroit du BR « 2 2 EE ee + HISTOIRE NATURELLE. « fond de la mer : mais enfin le déluge ne les « en aurait pas arrachées , et, s’il l'avait fait, « g'aurait été avec une impétuosité et une vio- « lence qui n’aurait pas permis à toutes ces co- « quilles d’avoir une même position : elles ont « dù être apportées et déposées doucement, len- « tement , et par conséquent en un temps beau- « coup plus long qu’une année. «Il faut donc, ou qu'avant, ou qu'après le « déluge la surface de la terre ait été, du moins «_en quelques endroits , bien différemment dis- | « posée de ce qu’elle est aujourd’hui , que les « est-il de beaucoup plus grand que nous ne l’a- | « mers et les continents y aient eu un autre ar- «rangement, et qu’enfin il y ait eu un grand « golfe au milieu de la Touraine. Les change- «ments qui nous sont connus depuis le temps « des histoires ou des fables qui ont quelque « chose d'historique, sont à la vérité peu consi- « dérables; mais ilsnous donnentlieu d'imaginer « aisément ceux que des temps plus longs pour- « raient amener. M. de Réaumur imagine com- « ment le golfe de Touraine tenait à l'Océan , «_et quel était le courant qui y charriait des co- « quilles; mais cen’est qu’une simple conjecture « donnée pour tenir lieu du véritable fait in- « Connu , qui sera toujours quelque chose d’ap- « prochant. Pour parler sûrement sur cette ma- « tière, il faudrait avoir des espèces de cartes « géographiques dressées selon toutes lesminiè- « res de coquillages enfouis en terre : quelle « quantité d'observations ne faudrait-il pas , et « quel temps pour les avoir ! Qui sait cependant « si les sciences n’iront pas un jour jusque-là , « du moins en partie ? » Cette quantité si considérable de coquilles nous étonnera moins , si nous faisons attention à quelques circonstances qu’il est bon de ne pas omettre. La première est que les coquillages se multiplient prodigieusement , et qu’ils croissent en fort peu de temps ; l’abondance d'individus dans chaque espèce prouve leur fécondité. On a un exemple de cette grande multiplication dans les huitres : on enlève quelquefois dans un seul jour un volume de ces coquillages de plu- sieurs toises de grosseur ; on diminue considé- rablement en assez peu de temps les rochers dont on les sépare, et il semble qu’on épuise les autres endroits où on les pêche : cependant l'année suivante on en retrouve autant qu’il y en avait auparavant ; on ne s’apercoit pas que la quantité d’huîtres soit diminuée , et je ne sa- che pas qu’on ait jamais épuisé les endroits où +. THÉORIE DE LA TERRE. elles vieunent naturellement. Une seconde at- tention qu'il faut faire, c'est que les coquilles sont d’une substance analogue à la pierre, qu’elles se conservent très-longtemps dans les matières molles , qu’elles se pétrifient aisément dans les matières dures , et que ces productions marines etces coquilles que nous trouvons sur la terre, étant les dépouilles deplusieurs siècles, elles ont dù former un volume fort considérable. Il ya, commeon voit, une prodigieusequantité de coquilles bien conservées dans les marbres, dans les pierres à chaux, dans les craies, dans les marnes, ete. On les trouve, comme je viens de le dire, par collines et par montagnes ; elles font souvent plus de la moitié du volume des matières où elles sont contenues : elles parais- sent la plupart bien conservées ; d’autres sont en fragments, mais assez gros pour qu’on puisse feconnaitre à l'œil l’espèce de coquille à la- quelle ces fragments appartiennent, et c’est là où se bornent les observations et les connais- sances que l'inspection peut nous donner. Mais je vais plus loin : je prétends que les coquiiles sont l’intermède que la nature emploie pour former la plupart des pierres; je prétends que les craies, les marnes et les pierres à chaux ne sont composées que de poussière et de détri- ments de coquilles ; que par conséquent la quan- tité des coquilles détruites est encore infiniment plus considérable que celle des coquilles conser- vées. On verra dans le discours sur les miné- raux les preuves que j'en donnerai; je me con- tenterai d'indiquer ici le point de vue sous lequel il faut considérer les couches dont le globe est eomposé. La première couche extérieure est for- mée du limon de l'air, du sédiment des pluies, des rosées, et des parties végétales ou animales, réduites en particules dans lesquelles l’ancienne organisation n’est pas sensible ; les couches in- térieures de craie, de marne, de pierre à chaux, de marbre, sont composées de détriments de coquilles et d’autres productions marines, mé- lées avec des fragments de coquille ou avec des coquilles entières; mais les sables vitrifia- bles et l'argile sont les matières dont l’intérieur du globe est composé; elles ont été vitrifiées dans le temps que le globe a pris sa forme, la- quelle suppose nécessairement que la matière a été toute en fusion. Le granite, le roc vif, les cailloux etlesgrès en grandemasse, les ardoises, les charbons de terre doivent leur origine au sable et à l’argile, et ils sont aussi disposés par 157 couches : mais les tufs, les grès et les cailloux qui ne sont pas en grande masse, les cristaux , les métaux, les pyrites, la plupart des miné- aux , les soufres , ete., sont des matières dont la formation est nouvelle, en comparaison des marbres , des pierres calcinables , des craies, des marnes, et de toutes les autres matières qui sont disposées par couches horizontales, et qui con- tiennent des coquilles et d’autres débris des pro- ductions de la mer. Gomme les dénominations dont je viens de me servir pourraient paraitre obscures ou équivo- ques, je crois qu’il est nécessaire de les expli- quer. J'entends par le mot d'argile, non-seule- ment les argiles blanches, jaunes, mais aussi les glaises bleues, molles , dures , feuilletées, ete., que je regarde comme des scories de verre , ou comme du verre décomposé. Par le motdesable, j'entends toujours le sable vitrifiable ; et non- seulement je comprends sous cette dénomina- tion le sable fin qui produit les grès, et que je regardecomme dela poussière de verre, ou plutôt de pierre-ponce, mais aussi le sable qui provient du grès usé et détruit par le frottement, et en- core le sable gros comme du menu gravier, qui provient du granite et du roc vif, qui est aigre, anguleux, rougeâtre, et qu’on trouve assez com- munément dans le lit des ruisseaux et des ri- vieres qui tirent immédiatement leurs eaux des hautes montagnes, ou des collines qui sont com- posées de roc vif ou de granite. La rivière d’Ar- manson, qui passe à Semur en Auxois, où tou- tes les pierres sont du roc vif, charrie une grande quantité de ce sable, qui est gros et fort aigre ; il est de la même nature que le roc vif, et il n’en est en effet que le débris, comme le gravier calcinable n’est que le débris dela pierrede taille ou du moellon. Au reste, le roc vif et le granite sont une seule et même substance ; mais j'ai cru devoir employer les deux dénominations, parce qu’il y a bien des gens qui en font deux matières différentes. Il en est de même des cailloux et des grès en grande masse : je les regarde comme des espèces de rocs vifs ou de granites, et je les appelle cailloux en grande masse, parce qu’ils sont disposés, comme la pierre calcina- ble, par couches, et pour les distinguer des cail- loux et des grès, que j'appelle en petites masses, qui sont jes cailloux ronds et les grès que l’on trouve à la chasse, comme disent les ouvriers, c’est-à-dire les grès dont les banes n’ont pas de suite et ne forment pas des carrières continues , 138 et qui aient une certaine étendue. Ces grès et ces cailloux sont d’une formation plus nouvelle, et n'ont pas la même origine que les cailloux et les grès en grande masse, qui sont disposés par couches, J'entends par la dénomination d’ar- doise, non-seulement l’ardoise bleue que tout le moude connaît, mais les ardoises blanches, gri- ses, rougcâtres et tous les schistes. Ces matières se trouvent ordinairement au-dessous de l’ar- gile feuilletée, et semblent n'être en effet quede l'argile, dont les différentes petites couches ont pris corps en se desséchant, ce qui produit les délits qui s’y trouvent. Le charbon de terre, la houille, le jais, sont des matières qui appartien- nent aussi à l'argile, et qu’on trouve sous l’ar- gile feuilletée ou sous l’ardoise. Par le mot de tuf j'entends, non-seulement le tuf ordinaire qui parait troué, et pour ainsi dire, organisé, mais encore toutes les couches de pierre qui se sont faites par le dépôt des eaux courantes, toutes les stalactites, toutes les incrustations, toutes les espèces de pierres fondantes : il n’est pas dou- teux que ces matières ne soient nouvelles, et qu’elles ne prennent tous les jours de l’accrois- sement. Le tuf n’est qu’un amas de matières la- pidifiques, dans lesquelles on n’aperçoit aucune couche distincte : cette matière est disposée or- dinairement en petits cylindres creux, irrégu- lièrement groupés et formés par des eaux gout- tières au pied des montagnes ou sur la pente des collines, qui contiennent des lits de marne ou de pierre tendre et calcinable ; la masse totale de ces cylindres, qui font un des caractères spé- cifiques de cette espèce de tuf, est toujours ou oblique ou verticale, selon la direction des filets d’eau qui les forment. Ces sortes de carrières parasites n’ont aucune suite : leur étendue est très-bornée en comparaison des carrières ordi- naires , et clle est proportionnée à la hauteur des montagnes qui leur fournissent la matière de leur accroissement. Le tuf recevant chaque jour de nouveaux sucs lapidifiques , ces petites colonnes cylindriques, qui laissaient entre elles beaucoup d'intervalle, se confondent à la fin, et avec le temps le tout devient compacte; mais cette matière n’acquiert jamais la dureté de la pierre: c’est alors ce qu'Agricola nomme marga tofacea fistulosa. On trouve ordinairement dans ce tuf quantité d’impressions de feuilles d'arbres et de plantes de l'espèce de celles que le terrain des environs produit ; on y trouve aussi assez souvent des coquilles terrestres très-bien con- HISTOIRE NATURELLE. servées, mais jamais de coquilles de mer. Le tuf est done certainement une matière nouvelle, qui doit être mise dans la classe des stalactites, des pierres fondantes, des incrustations , ete. Toutes ces matières nouvelles sont des espèces de pierres parasites qui se forment aux dépens des autres, mais qui n’arrivent jamais à la vraie pétrification. Le cristal, toutes les pierres précieuses, tou- tes celles qui ont une figure régulière, même les cailloux en petites masses qui sont formés par couches concentriques, soit que ces sortes de pierres se trouvent dans les fentes perpendicu- laires des rochers, ou partout ailleurs, ne sont que des exsudations des cailloux en grande masse, des sucs concrets de ces mêmes matiè- res, des pierres parasites nouvelles, de vraies stalactites de caillou ou de roc vif. . On ne trouve jamais de coquilles ni dans le roc vif ou granite, ni dans les grès ; au moins je n’en ai jamais vu, quoiqu'on en trouve, et même assez souvent, dans le sable vitrifiable duquel ces matières tirent leur origine : ce qui semble prouver que le sable ne peut s’unir pour former du grès ou du roc vif, que quand il est pur, et que s’il est mêlé de substances d’un autre genre, comme sont les coquilles, ce mélange de parties, qui lui sont hétérogènes , en empêche la réunion. J’ai observé, dans le dessein de m'en assurer, ces petites pelotes qui se forment sou- vent dans les couches de sable mêlé de coquilles, et je n’y ai jamais trouyé aucune coquille : ces pelotes sont un véritable grès; ce sont descon- crétions qui se forment dans le sable aux en- droits où il n’est pas mêlé de matières hétéro- gènes, qui s'opposent à la formation des banes ou d’autres masses plus grandes que ces pelotes. Nous avons dit qu’on a trouvé à Amsterdam, qui estun pays dont le terrain est fort bas, des coquilles de mer à cent pieds de profondeursous terre, et à Marly-la-Ville, à six lieues de Paris, à soixante-quinze pieds : on en trouve de même au fond des mines et dans des bancs de rochers au-dessous d’une hauteur de pierre decinquante, cent, deux cents et jusqu'à mille pieds d’épais- seur, comme il est aisé de le remarquer dans les Alpes et dans les Pyrénées; il n'y a qu’à exa- miner de près les rochers coupés à plomb, et on voit que dans les lits inférieurs il y a des co- quilles et d’autres productions marines : mais, pour aller par ordre, on en trouve sur les mon- tagnes d’Espagne, sur les Pyrénées , sur jes THÉORIE DE LA TERRE. montagnes de France , sur celles d'Angleterre, dans toutes les carrières de marbre en Flandre, dans les montagnes de Gueldres, dans toutéSles collines autour de Paris, dans toutes celles de Bourgogne et de Champagne , en un mot, dans tous les endroits où le fond du terrain n’est pas de grès ou detuf; et, dans la plupart des lieux dont nous venons de parler, il y a presque dans toutes les pierres plus de coquilles que d’autres matières. J'entends ici par coquilles, non-seule- ment les dépouilles des coquillages, mais celles des crustacés, comme têtes et pointes d’oursin, et aussi toutes les productions des insectes de mer, comme les madrépores, les coraux, les as- troîtes, etc. Je puis assurer, et on s’en convain- cra par ses yeux quand on le voudra, que, dans la plupart des pierres calcinables etdes marbres, il y a une si grande quantité de ces productions marines, qu’elles paraissent surpasser en vo- Jume la matière qui les réunit. Mais BE On trouve ces productions ma- rines dans les Alpes, même au-dessus des plus hautes montagnes, par exemple, au-dessus du mont Cenis ; on en trouve dans les montagnes de Gênes, dans les Apennins et dans la plupart des carrières de pierre ou de marbre en Italie. On en voit dans les pierres dont sont bâtis les plus an- | ciens édifices des Romains ; il y en à dans les montagnes du Tyrol et dans le centre de l’Ita- lie, ausommet dumont Paterneprèsde Bologne, dans les mêmes endroits qui produisent cette pierre lumineuse qu’on appelle la pierre de Po- | logne; onentrouvedansles collinesdela Pouille, | dans celles de la Calabre, en plusieurs endroits de l'Allemagne et de la Hongrie, etgénéralement dans tous les lieux élevés de l’Europe. Voyez sur cela Stenon, Ray, Woodward, ete. En Asie et en Afrique les voyageurs en ont remarqué en plusieurs endroits : par exemple, sur la montagne de Castravan au-dessus de Ba- rut, ily a un lit de pierreblanche, mince comme de l’ardoïse, dont chaque feuille contient un grand nombre et une grande diversité de pois- sons; ils sont la plupart fort plats et fort com- primés, comme est la fougère fossile, et ils sont cependant si bien conservés, qu’on y remarque parfaitement jusqu'aux moindres traits des na- geoires, des écailles, et de toutes les parties qui distinguent chaque espèce depoisson. On trouve de même beaucoup d’oursins de mer et de co- quiiles pétrifiées entre Suez et le Caire, et sur toutes les collines et les hauteurs de la Barbarie, 139 la plupart sont exactement conformes aux espè- ces qu’on prend actuellement dans la mer Rouge. (Voy. les Voyages de Shaw , vol. 2, pages 70 et 84.) Dans notre Europe, on trouve des pois- sons pétrifiés en Suisse, en Allemagne , dans la carrière d’Oningen, ete. La longue chaîne de montagnes, dit M. Bour- guet, qui s'étend d’occident en orient, depuis le fond du Portugal jusqu'aux parties les plus orien- tales de la Chine , celles qui s'étendent collaté- ralement du côté du nord et du midi, les mon- tagnes d’Afrique et d'Amérique qui nous sont connues, les vallées et les plaines de l’Europe, renferment toutes des couches de terre et de pierres qui sont remplies de coquillages , et de là on peut conclure pour les autres parties du monde qui nous sont inconnues. Les iles de l’Europe, celles del’ Asie et de l'A- méfique où les Européens ont eu occasion de creuser, soit dans les montagnes , soit dans les plaines, fournissent aussi des coquilles , ce qui fait voir qu’elles ont cela de commun avec les continents qui les’ avoisinent. (Voy. Lettres phi- losophiques, sur la formation des sels, p. 205.) En voilà assez pour prouver qu’en effet on trouve des coquilles de mer, des poissons pétri- fiés et d’autres productions marines presque dans tous les lieux où on a voulu les chercher, et qu’elles y sont en prodigieuse quantité. « Il est vrai, dit un auteur anglais (Tancred « Robinson), qu’il y a eu quelques coquilles de « mer dispersées çà et là sur la terre par les ar- « mées, par les habitants des villes et des villa- « ges, et que la Loubère rapporte, dans son « voyage de Siam, que les singes au cap de «‘Bonne-Espérance s'amusent continuellement « à transporter des coquilles du rivagede la mer « au-dessus des montagnes; mais cela ne peut « pas résoudre la question pourquoicescoquilles « sont dispersées dans tous les climats de la « terre, et jusque dans l’intérieur des plus hau- « tes montagnes , où elles sont posées par lit, « comme elles le sont dans le fond de la mer. » En lisant une lettre italienne sur les change- ments arrivés au globe terrestre, imprimée à Paris cette année (1746), je m'attendais à y trouver ce fait rapporté par la Loubère; il s’ac- corde parfaitement avec les idées de l’auteur : les poissons pétrifiées ne sont, à son avis , que des poissons rares , rejetés de la table des Ro- mains, paree qu'ils n'étaient pas frais; et à l’é- gard des coquilles, ce sont, dit-il, les pèlerins 140 de Syrie qui ont rapporté, dans le temps des croisades, celles des mers du Levant qu'on trouve actuellement pétrifiées en France, en Ita- lie et dans les autres états de la chrétienté. Pourquoi n’a-t-il pas ajouté que ce sont les sin- ges qui ont transporté les coquilles au sommet des bautes montagnes et dans tous les lieux où les hommes ne peuvent habiter ? cela n’eût rien gâté et eût rendu son explication encore plus vraisemblable, Comment se peut-il que des per- sonnes éclairées et qui se piquent même de phi- losophie , aient encore des idées aussi fausses sur ce sujet? Nous ne nous contenterons done pas d’avoir dit qu’on trouve des coquilles pétri- fiées dans presque tous les endroits de la terre ou l'on a fouillé, et d’avoir rapporté les témoigna- ges des auteurs d'histoire naturelle : comme on ; ; < | pourraitles soupconner d’apercevoir, en vue de quelques systèmes , des coquilles où il n’y en a point, nous croyons devoir encore citer les voya- geurs qui en ont remarqué par hasard , et dont les yeux moins exercés n’ont pu reconnaitre que les coquilles entières et bien conservées; leur témoignagesera peut-êtred’une plus g grande autorité auprès des gens qui ne sont pas à por- tée de s'assurer par eux-mêmes de la, vérité des faits, et de ceux qui ne connaissent ni les co- quilles, ni les pétrifications , et qui, n n'étant pas en état d’en faire la comparaison , pourraient douter que les pétrifications fussent en effet de vraies coquilles, et que ces coquilles se trou vas- sent entassées par millions dans tous les climats de la terre. Tout le monde peut voir par ses yeux les bancs de coquilles qui sont dans les collines des environs de Paris, surtout dans les carrières de pierre, comme à la Chaussée près de Sèvres , à Issy, à Passy et ailleurs. On trouve à Villers- Cotterets une grande quantité de pierres lenti- culaires ; les rochers en sont même entièrement formés, et elles y sont mêlées sans aucun ordre avec une espèce de mortier pierreux qui les tient toutes liées ensemble. A Chaumont , on trouve une si grande quantité de coquilles pétrifiées , que toutes les collines, qui ne laissent pas d’être assezélevées, ne paraissent être composées d’au- tre chose ; il en est de même à Courtagnon près de Reims, où le banc de coquilles a près de qua- tre lieues de largeur sur plusieurs de longueur. Je cite ces endroits, parce qu’ils sont fameux , et que les coquilles y frappent les yeux de tout ie monde. HISTOIRE NATURELLE. À l'égard des pays étrangers, voici ce que les voyageurs ont observé. : « En Syrie, en Phéuicie, la pierre vive qui « sert de base aux rochers du voisinage de La- «tikea, est surmontée d’une espèce de craie « molle, et c’est peut-être de là que la ville «a pris son non de Promontoire-Blanc. La « Nakoura, nommée anciennement Scala Ty- « riorum , où l’ Echelle des Tyriens, est à peu « près de la même nature, et l’on y trouve en- « core , en y creusant, quantité de toutes sortes « de coraux, de coquilles. Voyez les Voyages « de Shaw. « On ne trouve sur le mont Sinaï que peu de « coquilles fossiles et d’autres semblables mar- «ques du déluge, à moins qu’on ne veuille « mettre de ce nombre le tamarin fossile des « montagnes voisines de Sinai : pent-être que « la matière première dont leurs marbres se sont « formés avait une vertu corrosive et peu pro- « pre à les conserver ; mais à Corondel , où le « roc approche davantage de la nature de nos « pierres de taille, je trouvai plusieurs coquilles « de moules et quelques pétoncles, comme aussi «un hérisson de mer fort singulier, de l’espèce « de ceux qu’on appellespatagi, mais plus rond «et plus-uni. Les ruines du petit village d’Ain- « el-Mousa , et plusieurs canaux qui servaient « à y conduire de l’eau, fourmillent de coquil- « Jages fossiles. Les vieux murs de Suez et ce « qui nous reste encore de son ancien port , ont «été construits des mêmes matériaux, qui « semblent tous avoir été tirés d’un même en- « droit. Entre Suez et le Caire, ainsi que sur « toutes les montagnes, hauteurs et collines de «la Libye qui ne sont pas couvertes de sable, «on trouve grande quantité de hérissons de a mer, comme aussi des coquilles bivalves et « de celles qui se terminent en pointe, dont la « plupart sont exactement conformes aux es- « pèces qu’on prend encore aujourd’hui dans la « mer Rouge. (/dem, tome]IT, page 84.) Les sa- « bles mouvants qui sont dans le voisinage de « Ras-Sem , dans le royaume de Barca, cou- « vrent beaucoup de palmiers de hérissons de « mer et d’autres pétrifications que l’on y trouve « communément sans cela. Ras-Sem signifie la « tête du poisson, et est ce qu’on appelle le vil- « lage pétrifié, on l’on prétend qu’on trouve des « hommes, des femmes et des enfants en diver- «ses postures et attitudes, qui avec leur bétail, « leurs aliments et leurs meubles, ont été con- THÉORIE DE LA TERRE. vertis en pierre : mais à la réserve de ces sortes de monuments du déluge, dont il est ici question, et qui ne sont pas particuliers à cet endroit , tout ce qu’on en dit, sont de vains contes et fable toute pure, ainsi que je l’ai ap- pris, non-seulement par M. Le Maire, qui, dans le temps qu’il était consul à Tripoli, y envoya plusieurs personnes pour en prendre connaissance, mais aussi par des gens graves et de beaucoup d'esprit, qui ont été eux- mêmes sur les lieux. ” « On trouve devant les pyramides certains morceaux de pierres taillées par le ciseau de l'ouvrier, et parmi ces pierres on voit des ro- gnures qui ont la figure et la grosseur des len- tilles ; quelques-unes même ressemblent à des grains d'orge à moitié pelés : or, on prétend que ce sont des restes de ce que les ouvriers mangeaient , qui se sont pétrifiés, ce qui ne « me parait pas vraisemblable, etc. » Zdem.Ces lentilles et ces grains d'orge sont des pétrifica- tions de coquilles connues par tous les natura- listes sous le nom de pierre lenticulaire. « On trouve diverses sortes de ces coquillages « dont nous avons parlé, aux environs de Maes- « tricht, surtout vers le village de Zichen ou « Tichen, et à la petite montogne appelée des « Huns.» Voyez le Voyage de Misson, tome III, page 109. « Aux environs de Sienne, je n’ai pas man- « qué de trouver auprès de Certaldo, selon l’a- « vis que vous m'en avez donné, plusieurs « montagnes de sables toutes farcies de diverses « coquilles. Le Monte-Mario , à un mille de « Rome, en est tout rempli ; j'en ai remarqué « dans les Alpes, j'en ai vu en France et ailleurs. « Olearius, Stenon, Cambden, Speed, et quan- « tité d’autres auteurs , tant anciens que mo- « dernes,nous rapportent le même phénomène. » idem , tome IT, page 312. « L'ile de Cérigo était anciennement appelée « Porphyris à cause de la quantité de porphyre « qui s’en tirait.» Voyage de Thévenot, tome I, page 25. Or, on sait que le porphyre est com- posé de pointes d’oursins réunies par un ciment pierreux et très-dur. « Vis-à-vis le village d’Inchené et sur le « bord oriental du Nil, je trouvai des plantes « pétrifiées qui croissent naturellement dans un « espace de terre qui a environ deux lieues de « longueur sur une largeur très-médiocre : c’est « une production des plus singulières de la na- MAL RAR A Se. n'a < 141 « ture ; ces plantes ressemblent assez au co- » rail blanc qu'on trouve dans la mer Rouge. » Voyage de Paul Lucas, tome IL, pages 380 et 381. « On trouve sur le mont Liban des pétrifica- « tions de plusieurs espèces , et entre autres des « pierres plates où l’on trouve des squelettes de « poissons bien conservés et bien entiers, etaussi « des châtaignes de la mer Rouge avec de petits «buissons de corail de la même mer. » Idem , tome III, page 326. « Sur le Mont-Carmel, noustrouvâmes grande « quantité de pierres qui , à ce qu’on prétend ñ « ont la figure d'olives, de melons , de pêches «et d’autres fruits que l’on vend d'ordinaire «aux pèlerins , non-seulement comme de sim- «ples curiosités, mais aussi comme des re- «mèdes contre divers maux. Les olives qui « sont les lapides judaici qu'on trouve dans «les boutiques des droguistes , ont toujours « été regardées comme un spécifique pour Ja « pierre et lagravelle. » Voyages de Shaw ,t. 1, page 70. Ces lapides judaici sont des pointes d’oursins. à « M. la Roche, médecin,medonnadeces olives « pétrifiées , dites lapisjudaicus, qui croissent «en quantité dans ces montagnes, où l’on « trouve, à ce qu’on m'a dit, d’autres pierres « qui représentent parfaitement au dedans des « natures d'hommes et de femmes. » Voyage de Monconys , première partie, page 334; ceci est l’Aysterolithos. « En allant de Smyrne à Tauris, lorsque « nous fûmes à Tocat, les chaleurs étant fort « grandes , nous laissâmes le chemin ordinaire « du côté du nord , pour prendre par les monta- « gnes, où il y a toujours de l’ombrage et de la « fraicheur, En bien des endroits nous trouv4- « mes de la neige et quantité de très-belle « oseille , et sur le haut de quelques-unes de ces « montagnes on trouve des coquilles comme sur « le bord de la mer, ce qui est assez extraordi- « naire. » Tavernier. Voici ceque ditOlearius ausujet des coquilies pétrifiées qu’il a remarquées en Perse et dans les rochers des montagnes où sont taillés les sépul- cres , près du village de P yrmaraus. « Nous fûmes trois qui montâmes jusque sur « le haut du roc par des précipiees effroyables, «nous entr'aidant les uns les autres ; nous y « trouvâmes quatre grandes chambres, et au de- « dans plusieurs niches taillées dans le roc pour 142 « servir de lit : mais ce qui nous surprit le plus, « ce futque noustrouvâmesdans cette voûte, sur « le haut de la montagne , des coquilles de mou- « les, et, en quelques endroits , en si grande + quantité , qu’il semblait que toute cette roche « ne fût composée quede sables et de coquilles. « En revenant de Perse, nous vimes, le long de « la mer Caspie , plusieurs de ces montagnes de « coquilles. » Je pourrais joindre à ce qui vient d’être rap- porté , beaucoup d’autres citations que je sup- prime, pour ne pas ennuyer ceux qui n’ont pas pesoin de preuves surabondantes, et qui se sont assurés, comme moi, par leurs yeux, de l’exis- tence de ces coquilles dans tous les lieux où on a voulu les chercher. On trouve en France non-seulement les co- quilles de nos côtes ,mais encore des coquilles qu'on n’a jamais vues dans nos mers. Il y a même des naturalistes qui prétendent que la quantité de ces coquilles étrangères pétrifiées est beaucoup plus grandeque celle des coquilles denotre climat : mais je crois cette opinion mal fondée ; car , indépendamment des coquillages qui habitent le fond de la mer et de ceux qui sont difficiles à pêcher, et que, par conséquent, on peut regarder comme inconnus ou même étrangers , quoiqu'’ils puissent être nés dans nos mers ; je vois en gros, qu’en comparant les pé- trifications avec les analogues vivants, il y en a plus de nos côtes que d’autres : par exemple, tous les peignes , la plupart des pétoncles , les moules , les huitres , les glands de mer , la plu- part des buecins, les oreilles de mer, le patelles, le cœur de bœuf, les nautilles, les oursins à gros tubereules et à grosses pointes , les oursins chä- taignes de mer, les étoiles, les dentales , les tu- bulites, les astroïtes , les cerveaux, les coraux, les madrépores , etc. , qu’on trouve pétrifiés en tant d’endroits , sont certainement des produc- tions de nos mers ; et, quoiqu’on trouve en grande quantité les cornes d’ammon, les pierres lenticulaires , les pierres judaïques , les colum- nites, les vertèbres des grandes étoiles , et plu- sieurs autres pétrifications , comme les grosses vis , le buccin appelé abajour , les sabots , etc., dont l’analogue vivant est étranger ou inconnu, je suis convaincu par mes observations, que le nombré de ces espèces est petit en comparaison de celui des coquilles pétrifiées de nos côtes : d’ailleurs, ce qui fait le fond de nos marbres et HISTOIRE NATURELLE. , tir, sont des madrépores, des astroïtes , et tou- | tes ces autres productions formées par les in- | sectes de la mer, et qu’on appelait autrefois plantes marines. Les coquilles, quelque abon- | dantes qu’ellessoient, ne font qu’un petit volume en comparaison de ces productions, qui toutes sont originaires de nos mers, et surtout de la Méditerranée, La mer Rouge est de toutes les mers celle qui produit le plus abondamment des coraux, des madrépores et des plantes marines.Il n’y a peut- être point d’endroit qui en fournisse une plus grande variété que le port de Tor : dans un temps calme, il se présente aux yeux une si grande quantité de ces plantes, que le fond de la mer ressemble à une forêt; il y a des madré- pores branchus qui ont jusqu’à huit et dix pieds de hauteur. On en trouve beaucoup dans la mer Méditerranée, à Marseille, près des côtes d’Ita- lie et de Sicile; il y en a aussi en quantité dans la plupart des golfes de l'Océan, autour des iles , sur les bancs , dans tous les climats tem- pérés où la mer n’a qu’une profondeurmédiocre. M. Peyssonel avait observé et reconnu lepre- mier que les coraux , les madrépores , ete., de- vaient leur origine à des animaux, et n’étaient pas des plantes, comme on le croyait, et comme leur forme et leur accroissement paraissaient l'indiquer. On a voulu longtemps douter de la vérité de l'observation de M. Peyssonel; quel- ques naturalistes, trop prévenus de leurs pro- pres opinions, l’ont même rejetée d’abord avec une espèce de dédain; cependant ils ont été obligés de reconnaitre depuis peu la découverte de M. Peyssonel, et tout le mondeest enfin con- venu que ces prétendues plantes marines ne sont autre chose que des ruches , ousplutôt des loges de petits animaux qui ressemblent aux poissons des coquilles ; en ce qu’ils forment , comme eux, une grande quantité de substance pierreuse, dans laquelle ils habitent, comme les poissons dans leurs coquilles. Ainsi les plan- tes marines, que d’abord on avait mises au rang des minéraux, ont ensuite passé dans la classe des végétaux , et sont enfin demeurées pour toujours dans celle des animaux. Il y a des coquillages qui habitent le fond des hautes mers, et qui ne sont jamais jetés sur les rivages : les auteurs les appellent pelagiæ pour les distinguer des autres qu'ils appellent lillorales. Xlest à croire que les eornes d’ammon de presque toutes nos pierres à chaux et à bâ- / et quelques autres espèces qu’on trouve pétri- THÉORIE DE LA TERRE. fiées, et dont on n’a pas encore trouvé les ana- logues vivants, demeurent toujours dans le fond des hautes mers, et qu'ils ont été remplis du sédiment pierreux dans le lieu même où ils étaient : il peut se faire aussi qu'il y ait eu de certains animaux dont l’espèce a péri; ces co- quillages pourraient être du nombre. Les os fossiles extraordinaires qu’on trouve en Sibérie, au Canada , en Irlande et dans plusieurs autres endroits, semblent confirmer cette conjecture ; car jusqu'ici on ne connait pas d'animal à qui on puisse attribuer ces os qui, pour la plupart, sont d’une grandeur et d’une grosseur déme- surée, On trouve ces coquilles depuis le haut jus- qu’au fond des carrières ; on les voit aussi dans des puits beaucoup plus profonds : il y en a au fond des mines de Hongrie. Voyez Woodward. On en trouve à deux cents brasses, c’est-à- dire à mille pieds de profondeur dans les rochers qui bordent l’ile de Caldé, et dans la province de Pembroke en Angleterre. Voyez Ray's Dis- courses, page 178. Non-seulement on trouve à de grandes pro- fondeurs et au-dessus des plus hautes monta- gnes des coquilles pétrifiées , mais on en trouve aussi qui n’ont point changé de nature, qui ont encore le luisant, les couleurs et la légèreté des coquilles de la mer : on trouve des glossopètres et d’autres dents de poisson dans leurs mâchoi- res, etil ne faut, pour se convaincre entièrement sur ce sujet, que regarder la coquille de mer et celle de terre , et les comparer. Il n’y a personne qui, après un examen, même léger, puisse dou- ter un instant que ces coquilles fossiles et pétri- fiées ne soient pas les mêmes que celles de la mer; on y remarque les plus petites articula- tions , et même les perles que l’animal vivant ! produit : on remarque que les dents de poisson sont polies et usées à l'extrémité, et qu’elles ont servi pendant le temps que l’animal était vivant. On trouve aussi presque partout, dans la terre , des coquillages de la même espèce, dont les uns sont petits , les autres gros ; les uns jeu- nes, les autres vieux; quelques-uns imparfaits , d’autres entièrement parfaits : on en voit même de petits et de jeunes attachés aux gros. Le poisson à coquille , appelé purpura, a une langue fort longue dont l’extrémité est osseuse et pointue ; elle lui sert comme de tarière pour percer les coquilles des autres poissons et pour se nourrir de leur chair : on trouve communé- 145 ment dans les terres des coquilles qui sont per- cées de cette façon ; ce qui estune preuve incon- testable qu’elles renfermaient autrefois des pois- sons vivants, et que ces poissons habitaient dans des endroits où il y avait aussi des coquil- lages de pourpre qui s’en étaient nourris. Voyez Woodward, pages 296 et 300. Les obélisques de Saint-Pierre de Rome, de Saint-Jean de Latran, de la place Navone, vien- nent, à ce qu’on prétend , des pyramides d’É- gypte; elles sont de granite rouge, lequel est une espèce de roc vif ou de grès fort dur. Cette ma- tière, comme je l’ai dit, ne contient point de co- quilles, mais les anciens marbres africains et égyptiens, et les porphyres que l’on a tirés, dit- on, du temple de Salomon et des palais des rois d'Égypte, et que l’on a employés à Rome en différens endroits , sont remplis de coquilles. Le porphyre rouge est composé d’un nombre infini de pointes de l’espèce d’oursin que nous appelons châtaignes de mer; elles sont posées assez près les unes des autres, et forment tous les petits points blancs qui sont dans ce por- phyre. Chacun de ces points blanes laisse voir encore dans son milieu un petit point noir, qui est la section du conduit longitudinal de la pointe de l’oursin. Il y a en Bourgogne, dans un lieu appelé Ficin, à trois lieues de Dijon, une pierre rouge tout à fait semblable au porphyre par sa composition , et qui n’en diffère que par la du- reté; n'ayant que celle du marbre, qui n’est pas à beaucoup près si grande que celle du por- phyre; elle est de même entièrement composée de pointes d’oursins, et elle est très-considéra- ble par l'étendue de son lit de carrière et par son épaisseur : on en a fait de très-beaux ouvrages dans cette province, et notamment les gradins du piédestal de la figure équestre de Louis-le- Grand, qu’on a élevée au milieu de la Place Royale à Dijon. Cette pierre n’est pas la seule de cette espèce que je connaisse : il y a dans la même province de Bourgogne, près de la ville de Montbard,unecarrière considérable de pierre composée comme le porphyre, mais dont la du- reté est encore moindre que celle du marbre. Ce porphyre tendre est composé comme le por- phyre dur, et il contient même une plus grande quantité de pointes d’oursins et beaucoup moins dematièrerouge. Voilà done les mêmes pointes d’oursins que l’on trouve dans le porphyre an- cien d'Égypte et dans les nouveaux porphyres de Bourgogne, qui ne different des anciens que 14 par le degré de dureté et par le nombre plus ou moins grand des pointes d’oursins qu’ils con- tiennent. A l'égard de ce que les curieux appellent du porphyre vert, je crois que c’est plutôt un gra- nite qu'un porphyre; il n’est pas composé de pointes d’oursins, comme le porphyre rouge, et sa substance me paraît semblable à celle du gra- nite commun. En Toscane, dans les pierres dont étaient bâtis les anciens murs de la ville de Vo- latera, il y a une grande quantité de coquillages, et cette muraille était faite il y a deux mille cinq cents ans. Voyez Slenon in Prodromo diss. de solido intrà solidum, page 63. La plupart des marbres antiques, les porphyres et les autres pierres des plus anciens monuments contiennent donc des coquilles, des pointes d’oursins, et d’autres débris de productions marines, comme les marbres que nous tirons aujourd’hui de nos carrières. Ainsi on ne peut pas douter, indé- pendamment même du témoignage sacré de l’Écriture-Sainte, qu'avant le déluge la terre n'ait été composée des mêmes matières dont elle l’est aujourd’hui. Par tout ce que nous venons de dire, on peut être assuré qu’on trouve des coquilles pétrifiées en Europe, en Asie et en Afrique, dans tous les lieux où le hasard a conduit les observateurs : on en trouve aussi en Amérique, au Brésil, dans le Tucuman, dans les terres Magellaniques, et en si grande quantité dans les îles Antilles, qu'au-dessous de la terre labourable , le fond, que les habitants appellent la chaux, n’est autre chose qu'un composé de coquilles, de madré- pores, d’astroites et d'autres productions de la mer. Ces observations , qui sont certaines, m’auraient fait penser qu'il y a de même des coquilles, et d'autres productions marines pé- triliées dans la plus grande partie du continent de l'Amérique, et surtout dans les montagnes, comme l’assure Woodward : cependant M. de la Condamine, qui a demeuré pendant plusieurs années au Pérou, m'a assuré qu'il n’en avait pas vu dans les Cordilières ; qu'il en avait cher- ché inutilement, et qu’il ne croyait pas qu'il y en eût. Cette exception serait singulière, et les conséquences qu'on en pourrait tirer le seraient encore plus : mais j'avoue que, malgré le témoi- gnage de ee célèbre observateur, je doute encore à cet égard, et que je suis très-porté à croire qu'il y a dans les montagnes du Pérou, comme partout ailleurs, des coquilles et d’autres pétri- HISTOIRE NATURELLE, fications marines, mais qu'elles ne se sont pas offertes à ses yeux. On sait qu’en matière de témoignages , deux témoins positifs qui assu- rent avoir vu, suffisent pour faire preuve com- plète, tandis que mille et dix mille témoins né- gatifs, et qui assurent seulement n'avoir pas vu, ne peuvent que faire naître un doute léger : c’est par cette raison, et parce que la force de l’analo- gie m’y contraint, que je persiste à croire qu’on trouvera des coquilles sur les montagnes du Pérou , comme on en trouve presque partout ailleurs , surtout si on les cherche sur la croupe de la montagne , etnon pas au sommet. Les montagnes les plus élevées sont ordinai- rement composées , au sommet, de roc vif, de granite , de grès et d'autres matières vitrifiables, qui ne contiennent que peu ou point de coquil- les. Toutes ces matières se sont formées dans les couches du sable de la mer qui recouvraient le dessus de ces montagnes. Lorsque la mer a laissé à découvert ces sommets de montagnes , les sables ont coulé dans les plaines, où ils ont été entrainés par la chute des eaux des pluies, ete.; de sorte qu’il n’est demeuré au-dessus des mon- tagnes que les rochers qui s'étaient formés dans l’intérieur de ces couches de sable. A deux cents, trois cents ou quatre cents toises plus bas que le sommet de ces montagnes, on trouve soggent des matières toutes différentes de celles du som- met, c’est-à-dire des pierres, des marbres et d’autres matières calcinables, lesquelles sont disposées par couches parallèles, et contiennent toutes des coquilles et d’autres productions ma- rines : ainsi il n’est pas étonnant que M. de la Condamine n’ait pas trouvé de coquilles sur ces montagnes , surtout s’il les a cherchées dañsles “ lieux les plus élevés et dans les parties: montagnes quisont composées de roc w grès ou de sable vitrifiable ; mais, au-de de ces couches de sable et de ces rochers font le sommet, il doit y avoir dans les Cordi- lières, comme dans toutes les autres montagnes, des couches horizontales de pierres, de mar- bres, de terres, etc., où il se trouvera des co- quilles ; car, dans tous les pays du monde où l'on a fait des observations, on en a toujours trouvé dans ces couches. Mais supposons un instant que ce fait soit vrai, et qu’en effet il n’y ait aucune production marine dans les montagnes du Pérou, tout ce qu’on en conelura ne sera nullement contraire à notre théorie, et il pourrait bien se faire, ab- THÉORIE DE LA TERRE. 445 solument parlant, qu’il y ait sur le globe des parties qui n'aient jamais été sous les eaux de la mer , et surtout des parties aussi élevées que le sont les Cordilières : mais en ce cas, il y au- rait de belles observations à faire sur ces mon- tagnes ; car elles ne seraient pas composées de couches parallèles entre elles, comme toutes les autres le sont. Les matières seraient aussi fort différentes de celles que nous connaissons ; il n’y aurait point de fentes perpendiculaires ; la composition des rochers et des pierres ne res- semblerait point du tout à la composition des rochers et des pierres des autreS pays; et enfin nous trouverions dans ces montagnes l’ancienne structure de la terre, telle qu’elle était eriginai- rement et avant que d’être changée et altérée par le mouvement des eaux : nous verrions dans ces climats le premier état du globe, les matiè- res anciennes dont il était composé, la forme, la liaison et l’arrangement naturel de la terre , etc. Mais c’est trop espérer, et sur des fondements trop légers , et je pense qu’il faut nous borner à croire qu'on y trouvera des coquilles , comme on en trouve partout ailleurs. A l'égard de la manière dont ces coquilles sont disposées et placées dans les couches de terre oude pierre, voici cequ'endit Woodward:. « Tous les coquillages qui se trouvent dans une « infinité de couches de terres et de bancs de « rochers , sur les plus hautes montagnes et « dans les carrières et les mines les plus profon- « des, dans les cailloux de cornaline , de chal- « cédoine , ete. et dans les masses de soufre, « de marcassites et d’autres matières minérales « et métalliques , sont remplis de la matiere | eu qui forme les banes ou les couches, ou s masses qui les renferment , et jamais d’au- « cune matière hétérogène ,» page 206, et ail- leurs. « La pesanteur spécifique des différentes « espèces desables ne diffère quetrès-peu , étant « généralement , par rapport à l’eau , comme “ 2 $ ou 2 & à 1; et les coquilles de pétoncles, « qui sont à peu près de la même pesanteur, «“ s'y trouvent ordinairement renfermées en « grand nombre, tandis qu’on a de la peine à y « trouver des écailles d’huitres, dont la pesan- « teur spécifique n’est environ que comme 2 { à 1, de hérissons de mer, dont la pesanteur « n’est que comme 2 ou 2 £ à 1, ou d’autres es- “pèces de coquilles plus légères : mais au con- « taire, dans la craie, qui est plus légère que « la pierre, n'étant à la pesanteur de l’eau que « comme environ 2 -}- à 1, on ne trouve que « des coquilles de hérissons de mer et d’autres « espèces de coquilles plus légères. » Il faut observer que ce que ditici Woodward ne doit pas être regardé comme règle générale ; car on trouve des coquilles plus légères et plus pesantes dans les mêmes matières, par exem- ple , des pétoncles , des huitres et des oursins dans les mêmes pierres et dans les mêmes ter- res ; etmême on peut voir au Cabinet du Roi un pétoncle pétrifié en cornaline, et des oursins pétrifiés en agate : ainsi Ja différence de la pe- santeur spécifique des coquilles n’a pas influé, autant que le prétend Woodward , sur le lieu de leur position dans les couches de terre; et la vraie raison pourquoi les coquilles d’oursins , et d’autres aussi légères , se trouvent plus abon- damment dans les craies, c’est que la craie n’est qu’un détriment de coquilles , et que celles des oursins étant plus légères, moins épaisses et plus friables que les autres , eHes auront été ai- sément réduites en poussière et en craie; en sorte qu'il ne se trouve des couches de craie que dans les endroits où il y avait anciennement sous les eaux de la mer une grande abondance de ces coquilles légères, dont les débris ont formé la craie dans laquelle nous trouvons celles qui ,ayant résisté au choc et aux frottements, se sont conservées tout entières, ou du moins en parties assez grandes pour que nous puissions les reconnaître. Nous traiterons ceci plus à fond dans notre discours sur les minéraux ; contentons-nous seulement d’avertir ici qu’il faut encore donner une modification aux expressions de Wood- ward : il parait dire qu’on trouve des coquilles dans les cailloux , dans les cornalines, dans les chalcédoines , dans les mines , dans les masses de soufre , aussi souvent et en aussi grand nom- bre que dans les autres matières, au lieu que la vérité est qu’elles sont très-rares dans toutes les matières vitrifiables ou purement inflammables, et qu’au contraire elles sont en prodigieuse abondance dans les craies, dans les marnes, dans les marbres et dans les pierres : en sorte que nous ne prétendons pas dire ici qu’absolu- ment les coquilles les plus légères sont dans les matières légères, et les plus pesantes dans celles qui sont aussi les plus pesantes , mais seulement qu’en général cela se trouve plus souvent ainsi qu’autrement. À la vérité, elles sont toutes éga- lement remplies de la substance même qui les 40 146 environne , aussi bien celles qu’on trouve dans lescouches horizontales, que celles qu’on trouve en plus petit nombre dans les matièresiqui occu- pent les fentes perpendiculaires, parce qu’en effet les unes et les autres ont été également for- mées par les eaux, quoiqu’en différents temps et de différentes façons ; les couches horizonta- les de pierre, de marbre, etc., ayant été for- mées par les grands mouvements des ondes de la mer, etles cailloux, les cornalines , les chal- cédoines et toutes les matières qui sont dans les fentes perpendiculaires, ayant été produites par le mouvement particulier d’une petite quantité d’eau chargée de différents sucs lapidifiques , métalliques , ete. ; et, dans les deux cas, ces ma- tières étaient réduites en poudre fine et impal- pable, qui a rempli l’intérieur des coquilles s pleinement et si absolument, qu’elle n’y a pas laissé le moindre vide, et qu’elle. s’en est fait autant de moules, à peu près comme on voit un cachet se mouler sur le tripoli. | Il y a donc dans les pierres, dans les mar- bres,ete., unemultitude très-grandedecoquilles quisont entières, belles et si peu altérées, qu’on peut aisément les comparer avec les coquilles qu’on conserve dans les cabinets où qu’on trouve sur les rivages de la mer : elles ont préci- sément la même figure et la même grandeur ; elles sont de la même substance et leur tissu est le même ; la matière particulière qui les com- pose estla même ; elle est disposée et arrangée de la même manière; la direction de leurs fibres etdes lignes spirales est la même; la composi- tion des petites lames formées par les fibres est la même dans les unes et les autres : on voit dans le même endroit les vestiges ou insertions des tendons par le moyen desquels l’animal était attaché et joint à sa coquille; on y voit les mêmes tubercules, les mêmesstries, les mêmes cannelu- res; enfin tout est semblable, soitau dedans, soit au dehors de la coquille, dans sacavité ou sur sa convexité, dans sa substance ou sur sa superfi- cie. D'ailleurs ces coquillages fossiles sont su- jets aux mêmes accidents ordinaires que les coquillages de la mer ; par exemple, ils sont at- tachés les plus petits aux plus gros ; ils ont des conduits vermiculaires ; on y trouve des perles et d’autres choses semblables qui ont été produi- tes par l'animal lorsqu'il habitait sa coquille; leur gravité spécifique est exactement la même que celle de leur espèce qu’on trouve actuelle- ment dans la mer, et par la chimie on y trouve HISTOIRE NATURELLE. l'es mêmes choses; en un mot, ils resserublent exactement à ceux de la mer. Voyez Wood- ward. J'ai souvent observé moi-même avec une es- pèce d’étonnement, comme je l’ai déjà dit, des montagnes entières , des chaines de rochers , des bancs énormes de carrières tout eomposés de coquilles et d’autres débris de productions marines , qui y sont en si grande quantité, qu'il n’y a pas à beaucoup près autant de wolume dans la matière qui les lie. J’ai vu des champs labourés dans lesquels toutes les pierres étaient des pétoncles pétrifiés ; en sorte qu'en fermant les yeux et ramassant au hasard, on pouvait parier de ramasser un pétonele : j’en ai vu d’éfitièrement couverts de cornes d’ammon, d’autres dont toutes les pier- res étaient des cœurs de bœufspétrifiés ; et plus on examinera la terre, plus on sera convaincu que le nombre de ces pétrifications est infini, et on en conclura qu’il est impossible que tous les animaux qui habitaient ces coquilles ajp existé dans le même temps. J’ai même fait une observation en cherchant ces coquilles qui peut être de quelque utilité ; c’est que dans tous les pays où l’on trouve dans es champs et dansiles terres labourables un très-grand nombre de ces coquilles pétrifiées , comme pétoneles , cœurs de bœuf, etc., entiè- res, bien conservées, et totalement séparées, on peut être assuré que la pierre de ces pays est gélisse. Ces coquilles ne s’en sont séparées en si grand nombre que par l’action de la gelée, qui détruit la pierre et laisse subsister plus longtemps la coquille pétrifiée. h Cette immense quantité de fossiles marins que l’on trouve en tant d’endroits, prouve qu'ils n’y ont pas été transportés par un déluge ; car on observe plusieurs milliérs de gros rochers et des carrières dans tous les pays où“il y a des marbres et de la pierre à chaux, qui sont toutes remplies de vertèbres d'étoiles de mer, de poin- tes d’oursins , de coquillages et d’autres débris de productions marines. Or, si ces coquilles , qu’on trouve partout , eussent été amenées sur la terre sèche par un déluge ou par une inonda- tion, la plus grande partie serait demeurée sur la surface de la terre, ou du moins elles ne se- raient pas enterrées à une pan tnieus, et on ne les trouverait pas di arbres les plus solides à sept ou huit cents pieds de pro- fondeur. n \ PEL » THÉORIE DE LA TERRE. Dans toutes les carrières , ces coquilles font partie de la pierre à l’intérieur; et on en voit quelquefois à l’extérieur qui sont recouvertes de stalactites, qui, comme l’on sait, ne sont pas des matières aussi anciennes que la pierre qui contient les coquilles. Une seconde preuve que cela n’est point arrivé par un déluge, c’est que les os , les cornes , les ergots, les ongles ; etc., ne se trouvent que très-rarement , et peut-être point du tout, renfermés dans les marbres et dans les autres pierres dures ; tahdis que si c’é- tait effet d’un déluge où tout aurait péri, on y devrait trouver les restes des animaux de la terre aussi bien que ceux des mers. Voyez Ray's Discourses. C’est , comme nous l’ayons dit, une supposi- tion bien gratuite , que de prétendre que toute la terre a été dissoute dans l’eau au temps du déluge, et on ne peut donner quelque fonde- ment à cette idée, qu’en supposant un second miracle qui aurait donné à l’eau la propriété | d’un dissolvant universel; miracle dont il n’est | fait aucune mention dans l’Ecriture - Sainte. | D'ailleurs , ee qui anéantit la supposition et la | rend même contradictoire ; "c’est que toutes les matières ayant été dissoutes dans l’eau, les co- quilles ne l’ogt pas été, puisque nous les trou- vons entières et bien conservées dans toutes les masses qu’on prétend avoir été dissoutes : cela prouve évidemment qu'il n’y à jamais eu de telle dissolution, etque l’arrangément des cou- ches horizontales et parallèles ne s’est pas fait en un instant, mais par les sédiments qui se sont amoncelés peu à peu, et qui ont enfin pro- - duit des hauteurs considérables par la succes- sion des temps ; car il est évident, pour tous les qui se donneront la peine d’observer , que l’arrangement de toutes les matières qui compo- sent le globe , est l'ouvrage des eaux. Il n’est done question que de savoir si cet arrangement a été fait dans le même temps : or , nous avons prouvé qu’il n’a pas pu se faire dans le même temps, puisque les matières ne gardent pas l’or- dre de la pesanteur spécifique , et qu’il n’y a pas eu de dissolution générale de toutes les ma- tières; done cet arrangement a été produit par les eaux, ou plutôt par les sédiments qu’elles ont déposés dans la succession des temps : toute autre révolution , tout autre mouvement, toute autre cause aurait produit un arrangement très- différent. D'ailleurs , un accident particulier, une révolution ou un bouleversement, n’aurait è F. L2 147 pas produit un pareil effet dans le globe tout en- tier ; et si l’arrangement des terres et des cou- ches avait pour cause des révolutions particu- lières et accidentelles, on trouverait les pierres et les terres disposées différemment en diffé- rents pays, au lieu qu’on Les trouve partout disposées de même par couches parallèles, ho- rizontales, ou également inclinées. Voici ce que dit à ce sujet l’historien de l'A- cadémie, année 1718, pages 3 et suiv. « Des vestiges très-anciens et en très-grand « nombre d’inondations qui ont dù être très- « étendues, et la manière dont on est obligé de « concevoir que les montagnes se sont formées, « prouvent assez qu’il est arrivé autrefois à la « surface de la terre de grandes révolutions. Au- « tant qu’on en a pu creuser, on n’a presque vu « que des ruinés, des débris, de vastes décom- « bres entassés pêle-mêle, et qui, par une lon- « gue suite de siècles, se sont incorporés en- « semble, et unis en une seule masse le plus « qu'il a été possible : s’il y a dans le globe de « la terre quelque espèce d'organisation régu- « lière, elle est plus profonde , et par consé- « quent nous sera toujours inconnue , et toutes « nos recherches se termineront à fouiller dans « les ruines de la croûte extérieure ; elles don- « neront encore assez d'occupation aux philo- « sophes. «M. de Jussieu a trouvé aux environs de « St-Chaumont, dans le Lyonnais, une grande « quantité de pierres écaieuses ou feuilletées, « dont presque tous les feuillets portaient sur « leur superficie l'empreinte ou d’un bout de « tige, ou d’une feuille , ou d’un fragment de « feuille de quelque plante : les représentations « de feuilles étaient toujours exactement éten- « dues, comme si on avait collé les feuilles sur « les pierres avec la main ; ce qui prouve qu’el- « les avaient été apportées par de l’eau qui les « avait tenues en cet état; elles étaient en dif- « férentes situations , et quelquefois deux ou « trois se croisaient. « On imagine bien qu’une feuille déposée par « l’eau sur une vase molle , et couverte ensuite « d’une autre vase pareille , imprime sur l’une « l’image de l’une de ses deux surfaces, et sur « l’autre l’image de l’autre surface ; de sorte que « ces deux lames de vase étant durcies et pétri- « fées, ellesporterontchacunel’empreïnted’une « face différente. Mais ce qu’on aurait cru devoir « être, n’est pas : les deuxlames ont l'empreinte 148 ° RE | A an Le als de la même face de la feuille , l’uneen relief, et l’autre en creux. M. de Jussieu a observé, dans toutes ces pierres figurées de Saint-Chau- mont, ce phénomène, qui est assez bizarre ; nous lui en laissons l'explication, pour pas- ser à ce que ces sortes d'observations ont de plus général et de plus intéressant. « Toutes les plantes gravées dans les pierres de Saint-Chaumont sont des plantes étran- gères; non-seulement elles ne se retrouvent ni dans le Lyonnais ni dans le reste de la France, mais elles ne sont que dans les Indes orien- tales et dans les climats chauds d'Amérique : ce sont la plupart des plantes capillaires, et souvent en particulier des fougères. Leurtissu dur et serré les a rendues plus propres à se graver et à se conserver dans les moules au- tant de temps qu'il a fallu. Quelques feuilles de plantes des Indes, imprimées dans des pierres d'Allemagne, ont paru étonnantes à M. Leibnitz ! : voici la même merveille infi- niment multipliée ; il semble même qu’il y ait à cela une certaine affectation de la na- ture ; dans toutes les pierres de St-Chaumont on ne trouve pas une seule plante du pays. « Il est certain , par les coquillages des car- rières et des montagnes , que ce pays, ainsi que beaucoup d’autres, a dù autrefois être couvert par l’eau de la mer ; mais comment la mer d'Amérique ou celle des Indes orien- tales y est-elle venue? « On peut, pour satisfaire à plusieurs phéno- mènes, supposer avec assez de vraisemblance que la mer a couvert tout leglobe de laterre : mais alors il n’y avait point de plantes terres- tres, et ce n’est qu'après ce temps-là, et lors- qu’une partie du globe a été découverte, qu'il s’est pu faire les grandes inondations qui ont transporté des plantes d’un pays dans d’au- tres fort éloignés. « M. de Jussieu croit que, comme le lit de la mer hausse toujours par les terres , le limon, les sables que les rivières y charrient inces- samment , des mers, renfermées d’abord en- tre certaines digues naturelles, sont venues à les surmonter et se sont répandues au loin. Que les digues aient elles-mêmes été minées par les eaux et s’y soient renversées, ce sera encore le même effet, pourvu qu’on les sup- pose d’une grandeur énorme. Dans les pre- ! Voyez l'Histoire de 1708. LE) HISTOIRE NATURELLE. « miers temps de la formation de la terre, rien n'avait encore pris une forme réglée et arré- tée ; il a pu se faire alors des révolutions pro- digieuses et subites dont nous ne voyons plus d'exemples , parce que tout est venu à peu près à un état de consistance, qui n’est pour- tant pas tel, que les changements lents et peu considérables qui arrivent ne nous donnent lieu d’en imaginer comme possibles d’autres de même espèce, mais plus grands et plus prompts. à « Par quelqu’une de ces grandes révolutions, la mer des Indes, soit orientales, soit occiden- tales, aura été poussée jusqu’en Europe, et y aura apporté des plantes étrangères flottantes sur ses eaux; elle les avait arrachées en che- min , et les allait déposer doucement dans les « lieux où l’eau n’était qu’en petite quantité, et « pouvait s'évaporer. » 2 2 a a 2e = »# »2 ADDITIONS ET CORRECTIONS A L'ARTICLE QUI À POUR TITRE, v SUR LES COQUILLAGES ET AUTRES PRODUCTIONS MARINES QU'ON TROUVE DANS L'INTÉRIEUR DE LA TERRE, Des coquilles fossiles et pétrifiées. Sur ce que j'ai écrit , au sujet de la lettre ita- lienne, dans laquelle il est dit que ce Sont les pèlerins et autres qui, dans le temps des croi- sades, ont rapporté de Syrie les coquilles que nous trouvons dans le sein de la terre èn France , ete., on a pu trouver, comme jesle trouve moi-même , que je n’ai pas traité M. de Voltaire assez sérieusement; j’avoue que j’au- rais mieux fait de laisser tomber cette opinion que de la relever par une plaisanterie, d'autant que ce n’est pas-mon ton, et que c’est peut-être la seule qui soit dans mes écrits. M. de Voltaire est un homme qui, par la supériorité de ses ta- lents, mérite les plus grands égards. On m’ap- porta cette lettre italienne dans le tempsmême que je corrigeais la feuille de mon livre où il en est question ; je ne lus cette lettre qu’en partie, imaginant que c'était l'ouvrage de quelque éru dit d'Italie, qui , d’après ses connaissances his- toriques, n'avait suivi que son préjugé , sans consulter la nature; et ce ne fut qu'après lim- # ee. THÉORIE DE IA TERRE. pression de mon volume sur la théorie de la terre, qu'on m’assura que la lettre était de M. de Voltaire : j'eus regret alors à mes expres- sions. Voilà la vérité : je la déclare autant pour M. de Voltaire, que pour moi-même et pour la postérité, à laquelle je ne voudrais pas laisser douter de la haute estime que j'ai toujours eue pour un homme aussi rare, et qui fait tant d’hon- neur à son siècle. L'autorité de M. de Voltaire ayant fait im- pression sur quelques personnes , il s’en est trouvé qui ont voulu vérifier par eux-mêmes si les objections contre les coquilles avaient quel- que fondement , et je crois devoir donner ici l’ex- trait d’un mémoire qui m'a été envoyé, et qui me paraît n'avoir été fait que dans cette vue : « En parcourant différentes provinces du royaume et même de l'Italie, j’ai vu, ditle P. Chabenat, des pierres figurées de toutes parts, et dans certains endroits en si grande quan- tité, etarrangées de façon qu'on ne peut s'em- pêcher de croire que ces parties de la terre n'aient autrefois été le lit de la mer. J’ai vu parfaitement semblables à leurs analogues vi- vants. J'en ai vu de la même figure et de la même grandeur : cette observation m'a paru suffisante pour me persuader que tous ces in- dividus étaient de différents âges, mais qu'ils étaient de la même espèce. J’ai vu des cornes d’ammon depuis un demi-pouce jusqu’à près de trois pieds de diamètre. J’ai vu des péton- cles de toutes les grandeurs, d’autres bivalves et des univalves également. J'ai vu outre cela des bélemnites, des champignons de mer, ete. « La forme et la quantité de toutes ces pierres figurées nous prouvent presque invincible- ment qu'elles étaient autrefois des animaux qui vivaient dans la mer. La coquille surtout dont elles sont couvertes, semble ne laisser aucun doute, parce que, dans certaines, elle se trouve aussi luisante, aussi fraiche et aussi naturelle que dans les vivants; si elle était séparée du noyau, on ne croirait pasqu'’elle fût pétritiée. Il n’en est pas de même de plusieurs autrespierresfigurées quel’on trouvedanscette vaste etbelleplainequis’etend depuis Montau- ban jusqu’à Toulouse, depuis Toulouse jusqu’à Alby et dans les endroits circonvoisins : toute cette vaste plaine est couverte de terre végé- « tale depuis l’épaisseur d’un demi-pied jusqu’à «“ deux ; ensuite on trouve un lit de gros gra- 2 22 2 228 2 A ma A 22222 = «a Re 2m 8 2 2 2 = 2 de. DE 9 des coquillages de toute espèce, et qui sont | [l 149 vier, et de la profondeurd’environ deux pieds; au-dessous du lit de gros gravier est un lit de sable fin, à peu près de la mème profondeur ; et au-dessous du sable fin, on trouve tar J’ai examiné sHeutvenen le gros gravier ; je l’examine tous les jours, jy trouve une infi- nité de pierres figurées de la même forme et de différentes grandeurs, J'y ai vu beaucoup d’holothuries et d’autres pierres de forme ré- gulière , et parfaitement ressemblantes, Tout ceci semblait me dire fort intelligiblement que ce pays-ci avait été anciennement le lit de Ja mer, qui par quelque révolution soudaine , s’en est retirée et y a laissé ses productions comme dans beaucoup d’autres endroits. Ce- pendant je suspendais mon jugement à cause des objections de M. de Voltaire. Pour y ré- pondre, j'ai NS l'expérience à l'ob- servation. LerP: cn rapporte ensuite plusieurs expériences pour prouver que les coquilles qui se trouvent dans le sein de la terre sont de la même nature que celles de la mer ; je ne les rap- porte pas ici, parce qu’elles n’apprennent rien de nouveau , et que personne ne doute de cette identité de nature entre les coquilles fossiles et les coquilles marines. Enfin le P, Chabenat con- clut et termine son mémoire en disant : « On ne « peut donc pas douter que toutes ces coquilles «qui se trouvent dans le sein de la terre, ne « soient de vraies coquilles et des dépouilles des «animaux de la mer qui couvrait autrefois «toutes ces contrées, et que, par conséquent , «les objections de M. de Voltaire ne soient « mal fondées. » 2 2R QAR BR LS ee 2 = © « Sur les lieux où l'on a trouvé des coguilles. Il me serait facile d'ajouter à l’énumération des amas de coquilles qui se trouvent dans tou- tes les parties du monde, un très-grand nombre d'observations particulières qui m'ont été com- muniquées depuis trente-quatre ans. J’ai reçu des lettres des îles de l'Amérique, par lesquelles on m'assure que presque dans toutes on trouve des coquilles dans leur état de nature ou pétri- fiées dans l’intérieur de la terre, et souvent sous la première couche de la terre végétale ; M. de Bougainville a trouvé aux îles Malouines des pierres qui se divisent par feuillets, sur lesquel- les on remarquait des empreintes de coquilles 150 fossiles d’une espèce inconnue dans ces mers. J'ai reçu des lettres de plusieurs endroits des Grandes-Indes et de l'Afrique, où l’on me mar- que les mêmes choses. Don Ulloa nous apprend (t. III, p. 314 de son Voyage) qu’au Chili, dans le terrain qui s'étend depuis Talca-Guano jus- qu’à la Conception, l’on trouve des coquilles de différentes espèces en très-grande quantité et sans aucun mélange de terre, et que c’est avec ces coquilles que l’on fait de la chaux. Il ajoute que cette particularité ne serait pas si remar- quable si l’on ne trouvait ces coquilles que dans les lieux bas et dans d’autres parages sur les- quels la mer aurait pu les couvrir; mais ce qu’il y'a de singulier, dit-il , c'est que les mêmes tas de coquilles se trouvent dans les collines à cinquante toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer. Je ne rapporte pas ce fait comme sin- gulier, mais seulement comme s’accordant avec tous les autres, et comme étant le seul qui me soit connu sur les coquilles fossiles de cette par- tie du monde, où je suis très-persuadé qu’on trouverait, comme partout ailleurs, des pétri- fications marines, à des hauteurs bien plus grandes que cinquante toises au-dessus du ni- veau de la mer : car le même Don Ulloa a trouvé depuis des coquilles pétrifiées dans les mon- tagnes du Pérou, à plus de deux mille toises de hauteur ; et, selon M. Kalm, on voit des coquil- lages dans l'Amérique septentrionale, sur les sommets de plusieurs montagnes ; il dit en avoir vu lui-même sur le sommet de la montagne Bleue. On en trouve aussi dans les craies des environ de Montréal, dans quelques pierres qui se tirent près du lac de Champlain en Ca- nada, et encore dans les parties les plus septen- trionales de ce nouveau continent, puisque les Groëlendais croient que le monde a été noyé par un déluge, et qu'ils citent pour garants de cetévénement, les coquilles et les os de baleine qui couvrent les montagnes les plus élevées de leur pays. Si de là on passe en Sibérie, on trouvera éga- lement des preuves de l’ancien séjour des eaux de la mer sur tous nos continents. Près de la montagne de Jéniseïk, on voit d’autres monta- gnes moins élevées, sur le sommet desquelles on trouve des amas de coquilles bien conservées dans leur forme et leur couleur naturelles, ces coquilles sont toutes vides, et quelques-unes tombent en poudre dès qu’on les touche ; {a mer de cette contrée n'en fournit plus de sembla- HISTOIRE NATURELLE. bles, les plus grandes ont un pouce de large, d’autres sont très-petites. Mais je puis encore citer des faits qu’on sera bien plus à portée de vérifier : chacun dans sa province n’a qu’à ouvrir les yeux , il verra des coquilles dans tous les terrains d’où l’on tire de la pierre pour faire de la chaux; il en trouvera aussi dans la plupart des glaises, quoiqu’en général ces productions marines y soient en bien plus petite quantité que dans les matières calcaires. # Dans le territoire de Dunkerque, au hautde la montagne des Récollets, près de celle de Cas- sel , à quatre cents pieds du niveau de la basse mer, on trouve un lit de coquillages horizonta- lement placés et si fortement entassés, que la plus grande partie en sont brisés, et par-dessus ce lit, une couche de sept ou huit pieds deterre et plus ; c'est à six lieues dedistance de la mer, et ces coquilles sont de la même espèce que celles qu’on trouve actueliement dans la mer je Au mont Gannelon près d’Anet, à quelque distance de Compiègne, il y a plusieurs carrières de très-belles pierres calcaires, entre les diffé- rents lits desquelles il se trouve du gravier, mêlé d’uneinfinité de coquilles ou de portions de co- quilles marines très-légères et fort friables : on y trouve aussi des lits d’huîtres ordinaires de la plus belle conservation, dont l'étendue est de plus de einq quarts de lieue en longueur. Dans l’une de ces carrières, il se trouve trois lits de coquilles dans différents états : dans deux de ces lits, elles sont réduites en parcelles , et on ne peut en reconnaitre les espèces, tandis que, dans le troisième lit, ce sont des huitres qui n’ont souffert d’autre altération qu’une séche- resse excessive : la nature de la coquille, l'émail et la figure sont les mêmes que dans l’analogue vivant ; mais ces coquilles ont acquis de la lé- gèreté et se détachent par feuillets. Ces carriè- res sont au pied de la montagne et un peu en pente. En descendant dans la plaine, on trouve beaucoup d’huitres, qui ne sont ni changées, ni dénaturées, ni desséchées comme les premières; elles ont le même poids et le même émail que celles que l'on tire tous les jours de la mer ?. Aux environs de Paris, les coquilles marines ! Mémoire pour la Subdélégation de Dunkerque , relative- ment à l'histoire naturelle de ce canton. 1 Extrait d'une lettre de M. Leschevin à M. de Buffon - Compiègne, le 8 octobre 1772. THÉORIE DE LA TERRE. ne sont pas moins communes que dans les en- droits qu'on vient de nommer. Les carrières de Bougival, où l’on tire de la marne, fournissent une espèce d’huitres d’une moyenne grandeur : on pourrait les appeler huîtres tronquées, ailées el lisses, parce qu'elles ont le talon aplati, et qu’elles sont comme tronquées en devant. Près Belleville, où l’on tire du grès , on trouve une masse de sable dans la terre, qui contient des corps branchus, qui pourraient bien être du co- rail ou des madrépores devenus grès ; ces COrps marins ne sont pas dans le sable même , mais dans les pierres qui contiennent aussi des co- quilles de différents genres , telles que des vis, des univalves et des bilvalves ‘. é La Suisse n’est pas moins abondante en corps marins fossiles que la France et les autres con- trées dont on vient de parler; on trouve au mont Pilate, dans le canton de Lucerne , des coquillages de mer pétrifiés, des arêtes et des carcasses de poissons. C’est au-dessous de la corne de Dôme où l’on en rencontre le plus ; "on y à aussi trouvé du corail, des pierres d’ar- doise qui se lèvent aisément par feuillets, dans lesquelles on trouve presque toujours un pois- son. Depuis quelques années, on a même trouvé des crânes entiers et des mâchoires de poissons garnies de leurs dents *. | M. Altman observe que, dans une des parties les plus élevées des Alpes, aux environs de Grin- delvald, où se forment les fameux Gletchers, il y à de très-belles carrières de marbre, qu’il a fait graver sur une des planches qui représen- tent ces montagnes : ces carrières de marbre ne sont qu’à quelques pas de distance du Glet- cher. Ces marbres sont de différentes couleurs ; il y en a du jaspé, du blanc, du jaune, du rou- ge, du vert : on transporte l'hiver ces marbres sur des traineaux par-dessus les neiges jusqu’à Underseen, où on les embarque pour les mener à Berne par le lac de Thorne, et ensuite par la rivière d’Aar. Ainsi les marbres et les pierres calcaires se trouvent, comme l’on voit, à une très-grande hauteur dans cette partie des Alpes. M. Cappeler, en faisant des recherches sur le mont Grimsel dans les Alpes, a observé que les collines et monts peu élevés qui confinent aux vallées, sont en bonne partie composés de pierre + Mémoire de M. Guettard, Académie des Sciences, année 1764, page 492. ? Promenade au mont Pilate. Journal étranger , mois de mars 1756. 151 de taille ou pierre mollasse, d’un grain plus où moins fin et plus ou moins serré. Les sommités des monts sont composées , pour la plupart, de pierre à chaux de différentes couleurs et du- reté : les montagnes, plus élevées que ces ro- chers calcaires, sont composées de granites et d’autres pierres qui paraissent tenir de la nature du granite et de celle de l’émeri ; c’est dans ces pierres graniteuses que se fait la première gé- nération du cristal de roche, au lieu que, dans les banes de pierre à chaux qui sontau-dessous, l'on ne trouve que des concrétions calcaires et des spaths. En général, on a remarqué sur tou- tes les coquilles , soit fossiles , soit pétrifiées, qu’il y a certaines espèces qui se rencontrent constamment ensemble, tandis que d’autres ne se trouvent jamais dans ces mêmes endroits. I en’est de même dans la mer, où certaines espè- ces de ces animaux testacés se tiennent Con- stamment ensemble, de même que certaines plantes croissent toujours ensemble à la surface de la terre. On a prétendu trop généralement qu’il n’y avait point de coquilles ni d’autres productions de la mer sur les plus hautes montagnes. I est vrai qu’il y a plusieurs sommets et un grand nombre de pies qui ne sont composés que de granites et de rochers vitrescibles dans lesquels on n’aperçoit aucun mélange , aucune empreinte de coquille ni d’aucun autre débris de produc- tions marines ; mais il y a un bien plus grand nombre de montagnes, et même quelques-unes fort élevées, où l’on trouve de ces débris ma- rins. M. Costa, professeur d'anatomie et de bo- tanique en l’Université de Perpignan, a trouvé, en 1774, sur la montagne de Nas, située au midi de la Cerdagne espagnole, l’une des plus hautes parties des Pyrénées, à quelques toises au-dessous du sommet de cette montagne, une très-grande quantité de pierres lenticulées , c’est-à-dire des blocs composés de pierres len- ticulaires, et ces blocs étaient de différentes for- mes et de différents volumes ; les plus gros pou- vaient peser quarante ou cinquante livres. Il a observé que la partie de la montagne où ces pierres lentieulaires se trouvent, semblaits’être affaissée; il vit en effet dans cet endroit une dé- pression irrégulière, oblique, très-inelinée à l'horizon, dont une des extrémités regarde le haut de la montagne, et l’autre le bas. Il ne put apercevoir distinctement les dimensions de cet affaissement à cause de la neige qui le recou- 152 HISTOIRE NATURELLE. vrait presque partout, quoique ce fût au mois d'août. Les bancs de pierres qui environnent ces pierres lenticulées , ainsi que ceux qui sont im- médiatement au-dessous, sont calcaires jusqu'à plus de cent toises toujours en descendant. Cette montagne de Nas, à en juger par le coup d'œil, semble aussi élevée que le Canigou; elle ne présente nulle part aucune trace de volcan. Je pourrais citer cent et cent autres exemples de coquilles marines trouvées dans une infinité d'endroits , tant en France que dans les différen- tes provinces de l'Europe; mais ce serait gros- sir inutilement cet ouvrage de faits particuliers déjà tropmultipliés ,et dont on ne peut s'empé- cher de tirer la conséquence très-évidente, que uos terres actuellément habitées ont autrefois été, et pendant fort longtemps, couvertes par les mers. Je dois seulement observer, et on vient de le voir, qu’on trouve ces coquilles marines dans des états différents : les unes pétrifiées , elest-à- dire moulées sur une matière pierreuse , et les autresdans leur état naturel, c’est-à-dire telles qu’elles existent dans la mer. La quantité de coquilles pétrifiées qui ne sont proprement que des pierres figurées par les coquilles , est infi- niment plus grande que celle des coquilles fos- siles, et ordinairement on ne trouve pas les unes et les autres ensemble, ni même dans les lieux contigus. Ce n’est guère que dans le voisinage et à quelques lieues de distance de la mer que l'on trouve des lits de coquilles dans leur état de na- ture, et ces coquilles sont communément les mêmes que dans les mers voisines : c'est au contrairedans les terres plus éloignées de la mer et sur les plus hautes colines que l’on trouve presque partout des coquilles pétrifiées, dont un grand nombre d'espèces n'appartiennent point à nos mers, etdont plusieurs même n’ont aueun analogue vivant; ce sont ces especes an- ciennes dont nous avons parlé, qui n’ont existé que dans les temps de la grande chaleur du globe. De plus de cent espèces de cornes d'am- mon que l'on pourrait compter, dit un de nos savants académiciens, et qui se trouvent en France aux environs de Paris, de Rouen, de Dive, de Langreset de Lyon, dans les Cévennes, en Provence et en Poitou, en Angleterre, en Ai- lemagne et dans d’autres contrées de l’Europe, il n’y en a qu’une seule espèce, nommée a auli- lus papyraceus , qui se trouve dans nos mers ; et cinq à six espèces qui naissent dans les mers étrangères ‘. U "1 , Sur les grandes volutes appelées Connrs D'AMMON , €l sur quelques grands ossements d'animaux terres: tres. J'ai dit, « qu'il est à crorre que les cornes « d'ammon et quelques autres espèces qu’on « trouve pétrifiées, et dont on n’a pas encore « trouvé les analogues vivants, demeurent tou- « jours dans lefond des hautes mers, et qu’elles « ont été remplies du sédiment pierreux dans « le lieu même où elles étaient; qu’il peut se « faire aussi qu’il y ait eu de certains animaux « dont l’espèce a péri, et que ces coquillages « pourraient être du nombre ; que les os fossi- « les extraordinaires qu’on trouve en Sibérie,au @Canada , en Irlande et dans plusieurs autres « endroits, semblent confirmer cette conjecture; « car jusqu'ici on ne connait pas d’animal à qui « on puisse attribuer ces os qui, pour la plu- « part, sont d’une grandeur et d’une grosseur « démesurée. » J'ai deux observations essentielles à faire sur ce passage : la première, c’est que ces cornes d'ammon, qui paraissent faire un genre plutôt qu’une espèce dans la classe des animaux à co- quilles, tant elles sont différentes les unes des autres par la forme et la grandeur, sontréelle- ment les dépouilles d'autant d'espèces qui ont péri et ne subsistent plus. J'en ai vu de si peti- tes qu’elles n'avaient pas une ligne, et d’autres si grandes qu’elles avaient plus de trois pieds de diamètre. Des observateurs dignes de foi m'ont assuré en avoir vu de beaucoup plus grandes encore, et entre autres une de huit pieds de dia- mètre sur un pied d'épaisseur. Ces différentes cornes d’ammon paraissent former des espèces distinetement séparées : les unes sont plus, les autres moins aplaties; il y en a de plus ou de moins cannelées, toutes spirales, mais différem- ment terminées tant à leur centre qu’à leurs extrémités : et ces animaux, si nombreux au- trefois, ne se trouvent plus dans aucune de nos mers ; ils ne nous sont connus que par leurs dé- pouilles , dont je ne puis mieux représenter le nombre immense que par un exemple que jai tous les jours sous les yeux. C’est dans une mi- nière de fer en grain près d'Étivey, à trois lieues 1 Voyez les Mém. de l'Académie des Sciences , année 1722, p.242. , THÉORIE de mes forges de Buffon ; minière qui est ou- verte il y à plus de cent cinquante ans, et dont on a tiré depuis ce temps tout le minerai qui s’est consommé à la forge d’Aisy ; c’est là, dis-je, que l’on voit une si grande quantité de ces cornes d’ammon entières et en fragments, qu'il semble que la plus grande partie de la mi- nière a été modelée dans ses coquilles. La mine de Conflans en Lorraine, qui se traite au four- neau de Saint-Loup en Franche-Comté , n’est de même composée que de bélemnites et de cor- nes d’ammon : ces dernières coquilles ferrugi- neuses sont de grandeurs si différentes , qu’il y en a du poids depuis un gros jusqu’à deux cents livres !. Je pourrais citer d’autres endroits où elles sont également abondantes. Il en est de même des bélemnites , dés pierres lenticulaires et de quantité d’autres coquillages dont on ne retrouve point aujourd'hui les analogues vi- vants dans aucune région de la mer, quoiqu'el- les soient presque universellement répandues sur la surface entière de la terre. Je suis per- suadé que toutes ces espèces, qui m’existent plus , ont autrefois subsisté pendant tout le temps que la température du globe et des eaux de ia mer était plus chaude qu'elle ne l’est au- jourd'hui , et qu'il pourra de même arriver , à mesure que le globe se refroidira , que d’autres espèces actuellement vivantes cesseront de se multiplier , et périront , comme ces premières ont péri, par le refroidissement. La seconde observation, c'est que quelques- uns de ces ossements énormes , que je croyais appartenir à des animaux inconnus, et dont je Supposais les espèces perdues , nous ont paru néanmoins , après les avoir serupuleusement examinés , appartenir à l'espèce de l'éléphant et | à celle de l’hippopotame, mais , à la vérité , à des éléphants et des hippopotames plus grands que ceux du temps présent. Je ne connais dans les animaux terrestres qu’une seule espèce per- due : c’est celle de l'animal dont j'ai décrit les dents molaires avec leurs dimensions ; les au- tres grosses dents et grands ossements que j’ai pu recueillir , ont appartenu à des éléphants et à des hippopotames. Mémoires de physique de M. de Grignon. DE LA TERRE. 153 | PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. — ARTICLE IX. « SUR LES INÉGALITÉS DE LA SURFACE DE LA TERRE, Les inégalités qui sont à la surface de Ja terre, qu’on pourrait regarder comme une im- perfection à la figure du globe, sont en même temps un disposition favorable et qui était né- cessaire pour conserver la végétation et la vie sur le globe terrestre : il ne faut, pour s’en as- surer, que se prêter un instant à concevoir ce que serait la terre si elle était égale et régulière à sa surface; on verra qu’au lieu de ces collines agréables d’où coulent des eaux pures qui entre- tiennent la verdure de la terre, au lieu de ces campagnes riches et fleuries où les plantes et les animaux trouvent aisément leur subsistance, une triste mer couvrirait le globe entier, etqu'il ne resterait à la terre, de tous ses attributs, que | celui d’être une planète obscure, abandonnée, et destinée tout au plus à l'habitation des Rs ls sons | Mais » indépendamment de la nécessité mo- | rale, laquelle ne doit que rarement faire preuve en philosophie, il y a une nécessité physique pour que la terre soit irrégulière à sa surface ; et cela, parce qu’en la supposant même par- faitement régulière dans son origine, le mou- vement des eaux , les feux souterrains, les vents et les autres causes extérieures auraient néces- sairement produit à la longue des irrégularités semblables à celles que nous voyons. Les plus grandes inégalités sont les profon- deurs de l'Océan, comparées à l'élévation des montagnes : cette profondeur de l’Océan est fort différente, même à de grandes distances des terres ; on prétend qu’il y a des endroits qui ont jusqu’à une lieue de profondeur : mais cela est rare, et les profondeurs les plus ordinaires sont depuis soixante jusqu’à cent cinquante brasses. Les golfes et les parages voisins des côtes sont bien moins profonds, et les détroits sont ordi- nairement les endroits de la mer où l’eau a le moins de profondeur. 154 Pour sonder les profondeurs de la mer, on se sert ordinairement d’un morceau de plomb de trente ou quarante livres, qu’on attache à une petite corde. Cette manière est fort bonne pour les profondeurs ordinaires : mais lorsqu'on veut sonder de grandes profondeurs, on peut tom- ber dans erreur et ne pas trouver de fond où cependant il y en a, parceque la corde étant spécifiquement moins pesante que l’eau, il ar- rive, après qu’on en a beaucoup dévidé, que le volume de la sonde et celui de la corde ne pè- sent plus qu'autant ou moins qu’un pareil vo- lume d’eau ; dès lors la sonde ne descend plus, et elle s'éloigne en ligne oblique en se tenant toujours à la même hauteur : ainsi, pour sonder de grandes profondeurs, il faudrait une chaîne de fer ou d'autre matière plus pesante que l’eau. Il est assez probable que c’est faute d’avoir fait cette attention , que les navigateurs nous disent que la mer n’a pas de fond dans une si grande quantité d’endroits. En général, les profondeurs dans les hautes mers augmentent ou diminuent d’une manière assez uniforme; et ordinairement plas on s'é- loigne des côtes, plus la profondeur est grande : cependant cela n’est pas sans exception, et il y a des endroits au milieu de la mer où l’on trouve’ des écueils , comme aux Abrolhos dans la mer Atlantique ; d’autres où il y a des bancs d’une étendue très-considérable, comme le Grand- Banc, le banc appelé le Borneur dans notre Océan , les bancs et les bas-fonds de l'océan Indien, ete. De même le long des côtes les profondeurs sont.fort inégales : cependant on peut donner comme une règle certaine, que la profondeur de la mer à la côte est toujours proportionnée à la hauteur de cette même côte, en sorte que, si la côte est fort élevée, la profondeur sera fort grande, et au contraire, si la plage est basse et le terrain plat, la profondeur est fort petite, comme dans les fleuves où les rivages élevés annoncent toujours beaucoup de profondeur, et où les grèves et les bords de niveau montrent ordinairement un gué, on du moins une profon- deur médiocre. Il estencore plus aisé de mesurer la hauteur des montagnes que de sonder les profondeurs des mers, soit au moyen de la géométrie pra- que, soit par le baromètre : cet instrument peut donner la hauteur d’une montagne fort exacte- ment, surtout dans les pays où sa variation HISTOIRE NATURELLE, n’est pas considérable , comme au Pérou etsous les autres climats de l'équateur. On a mesuré par l’un ou l’autre de ces moyens la hauteur de k plupart des éminences qui sont à la surface du globe ; par exemple, on a trouvé que les plus hautes montagnes de Suisse sont élevées d’en- viron seize cents toises au-dessus du niveau.de la mer plus que le Canigou, qui est une des plus hautes des Pyrénées ( Voyez l’Hist. de l'Acad. 1708, page 24). I] paraît que ce sont les plus hautes de toute l’Europe, puisqu'il en sort une grande quantité de fleuves qui portent leurs eaux dans différentes mers fort éloignées , comme le PO, qui se rend dans la mer Adriati- que ; le Rhin, qui se perd dans les sables en* Hollande ; le Rhône , qui tombe dans la Médi- terranée ; et le Danube, qui va jusqu’à la mer Noire. Ces quatre fleuves dont les embouchu- res sont si éloignées les unes des autres, tirent tous une partie de leurs eaux du mont Saint- Gothard et des montagnes voisines , ce qui prouve que ce point est le plus élevéde l’Europe. Les plus hautes montagnes de l'Asie sont, le mont Taurus, le mont Imaüs, le Caucase et les montagnes du Japon. Toutes ces montagnes sont plus élevées que celles de l’Europe; celles d'Afrique , le grand Atlas et les monts de la Lüne sont'au moins aussi hautes qüe celles de l'Asie ; et lesplus élevées de toutes sont celles * re Le Sn de l'Amérique méridionale , surtout celles du Pérou, qui ontjusqu’àtrois mille toises de hau- teur au-dessus du niveau de la mer. En géné- ral, les montagnes entre les tropiques sont plus élevées que celles des zones tempérées, et cel- les-ci plus que celles des zones froides ; de sorte que plus on approche de l’équateur, et plus les … inégalités de la surface de la terre sont gran- des. Ces inégalités, quoique fort considérables par rapport à nous , ne sont rien quand on les considère par rapport au globe terrestre. Trois mille toises de différence sur trois mille lieues de diamètre, c’est une toise sur une lieue ou un pied sur deux mille deux cents pieds; ce qui, sur un globe de deux pieds et demi de dia- mètre, ne fait pas la sixième partie d’une ligne : ainsi la terre , dont la surface nous paraît tra- versée etcoupée par la hauteur énorme des mon- tagnes et par la profondeur affreuse des mers, n’est cependant, relativement à son volume, que très-légèrement sillonnée d’inégalités si peu sen- sibles, qu’elles ne peuvent causer aucune diffé- rence à la figure du globe. F. À THÉORIE DE LA TERRE. . Dans les continents, les montagnes sont con- %, nues et forment des chaines ; dans les iles, elles paraissentétreplus interrompues et plüsiso- . Iées, etelless’'élèventordinairement au-dessus de la mer en forme de cône ou de pyramide, eton les appelle des pieds. Le pic de Ténériffe, dans l'ile de Fer, est une des plus hautes montagnes de la terre; elle a près d’une lieue et demie de hauteur perpendiculaire au-dessus du niveau de la mer. Le pic de Saint-George dans l’une des Acores, le pie d'Adam dans l’ile de Ceylan, sont aussi fort élevés. Tous ces pies sont composés de rochers entassés les uns sur les autres, et ils vomissent à leur sommet, du feu, des cendres, du bitume, des minéraux et des pierres. Il°y a même des iles qui ne sont précisément que des pointes de montagnes, comme l’île Sainte-Hé- lène, l’île de FAscension, la plupart des Canaries et des Açores ; et il faut remarquer que dans la plupart des iles, des promontoires et des autres avancées dans la mer, la partie du milieu — est toujours la plus élevée, et qu'elles sont or: dinairement séparées en deux par des chaines de montagnes qui les partagent dans leur plus grande longueur, comme en Écosse le mont Grans-Bain, qui s’étend d’orient en ccident et partage l'ile de la Grande-Bretagne en deux parties : il en'est de même des iles de Sumatra, de Luçon , de Bornéo, des Célebes, de Cuba et de Saint-Domingue, et aussi de l'Italie, qui est traversée dans toute sa longueur par l’Apen- . nin; de la presqu’ile de Corée, de celle de Ma- laye, ete. Les montagnes, comme l’on voit, diffèrent up en hauteur ; les collines sont les plus basses de toutes ; ensuite viennent les monta- gnes médiocrement élevées, qui sont suivies d’un troisième rang de montagnes encore plus hautes, lesquelles, comme les précédentes, sont ordinairement chargées d’arbres et de plantes, mais qui, ni les unes ni les autres, ne fournis- sent aucune source, excepté au bas; enfin, les plus hautes de toutes les montagnes sont celles sur lesquelles on ne trouve que du sable, des pierres, des cailloux et des rochers dont les pointes s'élèvent souvent jusqu’au-dessus des nues : c’est précisément au pied de ces rochers qu'il y a de petits espaces , de petites plaines, des enfoncements, des espèces de vallons où Veau de la pluie, la neige et la glace s’arrêtent, et où elles forment des étangs, des marais, des fontaines d’où les fleuves tirent leur origine. | forme de sédiment; 155 Voyez Lettres philosophiques sur la formation des sels, etc. : La forme des montagnes est aussi fort diffé- rente : les unes forment des chaînes dont la hauteur'est assez égale dans une très-longue étendue de terrain, d’autres sont coupées par des vallons très-profonds ; les unes ont des con- tours assez réguliers , d’autres paraissent au premier coup d’œilirrégulières , autant qu'il est possible de l’être ; quelquefois on trouve au mi- lieu d’un vallon ou d’une plaine un monticule isolé : et, de même qu’il y a des montagnes de différentes espèces, il y a aussi deux sortes de plaines, les unes en pays bas, les autres en montagnes : les premières sont ordinairement partagées par le cours de quelque grosse rivière; les autres, quoique d’une étendue considérable, sont sèches, Mont tout ou plus que quelque B ruisseau. Ces plaines en montagnes sont Vent fort élevées, et toujours de difficile ac- cès : elles forment des pays au-dessus des autres pays, comme en Auvergne, en Savoie et dans plusieurs autres pays élevés ; le terrain en est ferme ebproduit beaucoup d’ fre bes et de plantes odoriférantes , ce qui rend ces dessus de mon- es les meilleurs pâturages du monde. Le sommet des hautes montagnes est com- posé de rochers plus ou moins élevés, qui res- semblent , surtout vus de loin, aux-ondes de la mer. Voyez Lettres philosophiques sur la for- mation des sels. Ce n’est pas sur cette obser- vation seule que l’on pourrait assurer , comme nous l’avons fait, que les montagnes ont été formées par les ondes de la mer, et je ne la rap- porte que parce qu’elle s'accorde avec toutes les autres. Ce qui prouve évidemment que la mer a couvert et formé les montagnes, ce sont les coquilleset les autres productions marines qu’on trouve partout en si grande quantité, qu’il n’est pas possible qu’elles aient été transportées de la mer actuelle dans des continents aussi éloi- gnés et à des profondeurs aussi considérables. Ce qui le prouve, ce sont les couches horizon- tales et parallèles qu’on trouve partout, et qui ne peuvent avoir été formées que par les eaux; c’est la composition des matières , même les plus dures, comme de la pierre et du marbre, à laquelle on reconnaît clairement que les ma- tières étaient réduites en poussière avant la for- mation de ces pierres et de ces marbres, et qu'elles se sont précipitées au fond de l’eau en c’est encore l’exatitude 156 avec laquelle les coquilles sont moulées sur ces matières ; c’est l’intérieur de ces mêmes co- quilles, qui est absolument rempli des matières dans lesquelles elles sont renfermées : et enfin ce qui le démontre incontestablement , ce sont les angles correspondants des montagnes et des collines, qu'aucune autre cause que kes cou- rants de la mer n’auraitpu former ; c’est l'égalité de la hauteur des collines opposées et les lits des différentes matières qu'on y trouve à la inême hauteur; c’est la direction des monta- unes, dont les chaines s'étendent en longueur dans le même sens, comme l’on voit s'étendre les ondes de la mer. A l'égard des profondeurs qui sont à la sur- face de la terre, les plus grandes sont, sans contredit, les profondeurs de,la mer : mais, comme elles ne se présentent point à l'œil, et qu'on n’en peut juger que par la sonde, mous n’entendons parler ici que des profondeurs de terre ferme, telles que les profondes vallées que l’on voit entre les montagnes, les précipices qu'on trouve entre les rochers, les abimes qu’on aperçoit du haut des montagnes , comme Pa- bime du mont Ararath, les précipices des Alpes, les vallées des Pyrénées. Ces profondeurs sont une suite naturelledel’élévation des montagnes; elles recoivent les eaux et les terres qui coulent de la montagne; le terrain en est ordinairement très-fertile et fort habité. Pour les précipices qui sont entre les rochers , ils se forment par l'affaissement des rochers , dont la base cède quelquefois plus d’un côté que de l’autre, par l’action de l’air et de la gelée qui les fait fendre et les sépare, et par la chute impétueuse des torrents, qui s'ouvrent des routes et entrainent tout ce qui s'oppose à leur violence : mais ces abimes, c’est-à-dire ces énormes et vastes pré- cipices qu’on trouve au sommet des montagnes, et au fond desquels il n’est quelquefois pas pos- sible de descendre, quoiqu’ils aient une demi- lieue ou une lieue de tour, ont été formés par le feu ; ces abimes étaient autrefois les foyers des volcans , et toute la matiere qui y manque en a été rejetée par l’action et l'explosion de ces feux, qui depuis se sont éteints faute de matière combustible. L’abime du mont Ararath, dont M. de Tournefort donne la description dans son voyage du Levant , est environné de ro- chers noirs et brülés , comme seront quelques jours les abimes de l’Etna, du Vésuve et de tous les autres volcans, lorsqu'ils auront con- HISTOIRE NATURELLE. sumé toutes les matières combustibles qu'ils renferment. à Dans l’histoire naturelle de la province de Stafford en Angleterre, par Plot, il est parlé d’une espèce de gouffre qu'on a sondé jusqu’à la profondeur de deux mille six cents pieds per- pendiculaires, sans qu’on y ait trouvé d’eau : on n’a pu même en trouver le fond, parce que la corde n’était pas assez longue. Voyez le Jour- nal des Savants, année 1680. Les grandes cavités et les mines profondes sont ordinairement dans les montagnes, et elles ne descendent jamais, à beaucoup près, au ni- veau des plaines : ainsi nous ne connaissons, par ces cavités, que l’intérieur de la montagne, et point du tout celui du globe. D'ailleurs, ces profondeurs ne sont pas en effet fort considérables. Ray assure que les mines les plus profondes n’ont pas un demi-mille de profondeur. La mine de Cotteberg, qui, du temps d’Agricola, passait pour la plus profonde de toutes les mines connues , n'avait que deux mille einq cents pieds de profondeur perpendi- culaire. Il est vrai qu’il y a des trous dans cer- tains endroits , comme,celui dont nous venons de parler dans la province de Stafford sou le Poolshole dans la province de Darby en Angle- terre, dont la profondeur est peut-être plus grande : mais tout cela n’est rien en comparai- son de l'épaisseur du globe. Si les rois d'Égypte, au lieu d’avoir fait des pyramides et élevé d'aussi fastueux monuments de leurs richesses et de leur vanité, eussent fait la même dépense pour sonder la terre et y faire une profonde excavation, comme d’une lieue de profondeur, on aurait peut-être trouvé des ma- tières qui auraient dédommagé de la peine et de la dépense, ou tout au moins on aurait des con- naissances qu’on n’a pas sur les matières dont le globe est composé à l’intérieur ; ee qui serait peut-être fort utile. Mais revenons aux montagnes. Les plus éle- vées sont dans les pays méridionaux; et plus on approche de l'équateur, plus on trouve d’in- égalités sur la surface du globe. Ceci est aisé à prouver par une courte énumération des mon- tagnes et des iles. En Amérique, la chaîne des Cordilières , les plus hautes montagnes de la terre, est précisé- ment sous l’équateur, et elle s'étend des deux côtés bien loin au-delà des cercles qui renfer- ment la zone torride. £ « | THÉORIE DE LA TERRE. En Afrique, les hautes montagnes de la Lune et du Monomotapa , le grand et le petit Atlas, sont sous l'équateur, ou n’en sont pas éloignés. En Asie, le mont Caucase, dont la chaine s'étend sous différents noms jusqu'aux monta- gnes de la Chine , est dans toute cette étendue plus voisin de l’équateur que des pôles. “ En Europe, les Pyrénées, les Alpes et les montagnes de la Grèce, qui ne sont que la même chaine, sont encore moins éloignées de l’équa- teur que des pôles. Or ces montagnes , dont nous venons de faire l'énumération, sont toutes plus élevées , plus considérables et plus étendues en longueur et en laïgeur que les montagnes des pays septen- _ trionaux. Û A l'égard de la direction de ces chaines de montagnes , on verra que les Alpes, prises dans toute leur étendue, forment une chaine qui tra- verse le continent entier depuis l'Espagne jus- qu’à la Chine : ces montagnes commencent au nées , traversent la France par le Vivarais et PAuvergne, séparent l'Italie, s'étendent en Al- | _ bord de la mer en Galice, arrivent aux Pyré- | | | | lemagne et au-dessus de la Dalmatie jusqu’en Macédoine, et de là se joignent avec les mon- . tagnes d'Arménie, le Caucase, le Taurus , l’I- - maüs, et s'étendent jusqu’à la mer de Tartarie, De même le mont Atlas traverse le continent entierde l'Afrique d’oceident en orient depuis le royaume de Fez jusqu’au détroit de la mer Rouge. Les monts de la Lune ont aussi la même direction. Mais en Amériquela direction est toute con- traire, et les chaînes des Cordilières et des au- tres montagnes s'étendent du nord au sud plus que d’orient en occident. Ce que nous observons ici sur les plus gran- des éminences du globe, peut s’observer aussi - sur les plus grandes profondeurs de la mer. Les plus vastes et les plus hautes mers sont plus voisines de l'équateur que des pôles ; etilrésulte de cette observation que les plus grandes inéga- lités du globe se trouvent dans les climats mé- - ridionaux. Ces irrégularités qui se trouvent à la surface du globe, sont la cause d’une infinité d'effets ordinaires etextraordinaires ; par exem- ple, entre les rivières de l’Inde et le Gange, il ya une large chersonèse qui est divisée dans son milieu par une chaine de hautes montagnes que l'on appelle le Gate, qui s'étend du nord 157 au sud depuis les extrémités du mont Caucase jusqu'au cap de Comorin : de lun des côtés est Malabar, et de l’autre Coromaniiel: du côté de Malabar, entre cette chaîne de montagnes et la mer, la saison de l’été est depuis le mois de sep- tembre jusqu’au mois d'avril, et pendant tout ce temps le ciel est serein et sans aucune pluie; de l’autre côté de la montagne, sur la côte de Coromandel, cette même saison est leur hiver, et il y pleut tous les jours en abondance; et du mois d'avril au mois dé septembre c’est la sai- son de l'été, tandis que c’est celle de l'hiver en Malabar ; en sorte qu’en plusieurs endroits, qui ne sont guère éloignés que de vingt lieues de chemin , on peut, en croisant la montagne, changer de saison. On dit que la même chose se trouve au cap Razalgat en Arabie, et de même à la Jamaïque, qui est séparée dans son milieu par une chaîne de montagnes, dont la direction est de l’est à l’ouest, et que les planta- tions qui sont au midi de ces montagnes éprou- vent la chaleur de l’été, tandis que celles qui sont au nord souffrent la rigueur de l'hiver dans ce même temps: Le Pérou, qui est situé sous la ligne et qui s’étend à environ mille lieues vers le midi, est divisé en trois parties longues et étroites, que les habitants du Pérou appellent Lanos, Sierras et Andes. Les lanos, qui sont les plaines, s’étendent tout le long de la côte de la mer du Sud ;les sierras sont des collines avec quelques vallées ; et les andes sont ces fameuses Cordilières, les plus hautes montagnes que l’on connaisse. Les lanosont dix lieues plus ou moins de largeur ; dans plusieurs endroits, les sierras ont vingt lieues dellargeur, et les andes autant, quelquefois plus, quelquefois moins : la largeur est de l’est à l’ouest, et la longueur, du nord au sud. Cette partie du monde a ceci de remar- quable : 10 dans les lanos, le long de toute cette côte, le vent du sud-ouest souffle constamment, ce qui est contraire à ce qui arrive ordinaire- ment dans la zone torride; 20 il ne pleut ni ne tonne jamais dans les lanos, quoiqu'il y tombe quelquefois un peu de rosée ; 30] pleut presque continuellement sur les andes ; 40 dans les sier- ras, qui sont entre les lanos et les andes, il pleut depuis le mois de septembre jusqu’au mois d’avril. On s’est apercu depuis longtemps que les chaines des plus hautes montagnes allaient d’oc- cident en orient; ensuite, après la découverte du Nouveau-Monde, on a vu qu’il y en avait + 158 de fort considérables qui tournaient du nord au sud : mais personne n'avait découvert, avant M. Bourguet, la surprenante réitart de la structure de ces grandes masses ; il à trouvé après avoir passé trente fois les Alpes en qua- torze endroits différents, deux fois l’Apennin , et fait plusieurs tours dans les environs de ces montagnes et dans le mont Jura, que toutes les montagnes sont formées dans leurs contours à SR près comme les ouvrages de fortification. Lorsque le corps d’une montagne va d’occident en orient, elle forme des avances qui regardent, autant qu’il est possible, le nord et le midi : cette régularité admirable est si sensible dans les vallons, qu’il semble qu’on y marché dans un chemin couvert fort régulier; car si, par exemple, on voyage dans un vallon du nord au sud, on remarque que la montagne qui est à droite forme des avances ou des angles qui re- gardent l’orient, et ceux de la montagne du côté “gauche regardent l'occident ; de sorte que néan- moins les angles saillants de chaque côté répon- dent réciproquement aux angles rentrants qui leur sont toujours alternativement opposés. Les angles que les montagnes forment dans les gran- des vallées, sont moins aigus, parce que la pente est moins raide et qu’ils sont plus éloi- gnés les uns des autres; et dans les plaines ils ne sont sensibles que dans le cours des rivières, qui en occupent ordinairement le milieu : leurs coudes naturels répondent aux avances les plus marquées ou aux angles les plus avancés des montagnes auxquelles le terrain où les rivières coulent va aboutir. Il est étonnant qu'on: n’ait pas aperçu une chose si visible ; et lorsque dans une vallée la pente de l’une des montagnes qui la bordent est moins rapide que celle de l’autre, la rivière prend son cours beaucoup plus près de la montagne la plus rapide, et elle ne coule pas dans le milieu. Voyez Lettres philosoph. sur la format. des sels. On peut joindre à ces observations d’autres observations particulières qui les confi par exemple, îes montagnes de Suisse sont bien plus rapides, et leur pente est bien plus grande du côté du midi que du côté du nord, et plus grande du côté du couchant que du côté du le- vant ; on peut le voir dans la montagne Gemmi, dans le mont Brisé, et dans presque toutes les autres montagnes. Les plus hautes de ce pays sont celles qui séparent la Vallésie et les Gri- sons de la Savoie, du Piémont et du Tyrol ; ces _considérables , composée decouches parallèl HISTOIRE NATURELLE. pays "soitées mêmes une continuation de ces montagnes, dont la chaîne s'étend jusqu’à la Méditerranée , et continue même assez loin sous les eaux de cette mer : les montagnes des Py- rénées ne sont aussi qu'une continuation de cette vaste montagne qui commence dans la Vallésie supérieure, et dont les branches s’étendent fort loin au couchant et au midi, en se soutenant toujours à une grande hauteur, tandis qu’au . contraire du côté du nord et de l’est ces monta- gnes s’abaissent par degrés jusqu’à devenir des plaines , comme on lé voit par les vastes pays que le Rhin, par exemple , et le Danube arro- sent avant que d’arriver à leurs embouchures ; au lieu qne le Rhône descend avecrapi ers le midi dans la mer Méditerranée. La même ob- servation sur le penchant plus rapide des mon- tagnes du côté du midi et du couchant que du côté du nord ou du levant, se trouve vraie dans les montagnes d’Angleterre et dans celles de u Norwége : mais la partie du monde où de. Ja voit le plus évidemment, c’est au Pérou et au Chili; la longue chainé.des Cordilières est cou- … pée très-rapidement du côté du couchant, le M long de la mer Pacifique , au lieu que, du côté | du levant, elle s’abaisse par degrés dans de vas- tes plaines arrosées par les plus grandes riviè- res du monde. Voyez Transact. pins: Abridg. vol. VI, part. 2. J M. Bourguet, à qui on doit cette belle obser- vation de la correspondancedes angles des mon- tagnes , l'appelle avec raison, la clef de la théo- rie de la terre; cependant il me parait que s’il en eût senti toute l’importante , il l'aurait em- ployée plus heureusemeñt en la liant avee des. faits vs. et qu’il aurait donné une théo- riedelaterre plus vraisemblable, au lieuquedans son mémoire, dont on a vu l'exposé , il nepré- sente que le projet d’un système hypo en dont la plupart des conséquences son sses où précaires. La théorie que nous avons données roule sur quatre faits principaux , des quels on ne peut pas douter après avoir exa iné les preuves qui les constatent : le premier est, que la terre est partout, et jusqu’à des p deurs et de matières qui ont été autrefois dans un état de mollesse; le second, > que la mer a couvert pendant quelque temps la terre que nous habi- tons; le troisième, que les marées et les autres mouvements deseaux produisent des e æn dans le fond de la mer; et le quatrième , que LA 5 e THÉORIE DE LA TERRE. ce sont les courants de la mer qui ont donné aux montagnes la forme de leurs contours, et la direction correspondante dont il est ques- tion. On jugera, après avoir lu les preuves que contiennent les articles suivants, si j'ai eu tort d'assurer que ces faits, solidement établis , éta- blissent aussi la vraie théorie de la terre” Ce que j'ai dit dans le texte au sujet de la formation des montagnes, n’a pas besoin d’une plus am- ple explicationgÿmais comme on pourrait m’ob- jecter que je ne rends pas raison de la formation des pies ou pointes de montagnes, non plus que de quelques autres faits particuliers , j'ai cru devoir ajouter ici les observations et les ré- flexions que j'ai faites sur ce sujet. J'ai tâché de me faire une idée nette et géné- rale de la manière dont sont arrangées les dif- férentes matières qui composent le globe, et il m'a paru qu’on pouvait les considérer d’une ma- différente de celle dont on les a vues jus- qu'ici; j'en fais deux classes générales auxquelles je les réduis toutes : la première est celle des matières que nous trouvons posées par couches, par lits, par bancs horizontaux ou régulière- ment inclinés; et la seconde comprend toutes les matières qu’on trouve par amas, par filons, par veines perpendiculaires et irrégulièrement inclinées. Dans la première classe sont compris les sables, ies argiles, les granites ou leroc vif, les cailloux et les grès en grande masse , les char- bons de terre, les ardoises , les schistes, ete., et aussi les marnes, les craies, les pierres calci- nables, les marbres, ete. Dans la seconde, je mets les métaux, les minéraux, les cristaux, les —… pierres fines, et les cailloux en petites masses. Cesdeux classes comprennent généralementtou- tes les matières que nous connaissons ‘les pre- ières doivent leur origine aux sédiments trans- “portés et déposés par les eaux de la mer, et on doit distinguer celles qui, étant mises à l’é- preuve du feu, sé calcinent et se réduisent en chaux, de celles qui se fondent et se réduisent en verre; pour les secondes, elles se réduisent toutes en verre, à l'exception de celles que le feu consume entièrement par l’inflammation. Dans la première classe nous distinguerons d’abord deux espèces de sable : l’une, que je re- garde comme la matière la plus abondante du globe, qui est vitrificable, ou plutôt qui n’est aülun composé de fragments de verre ; l’autre, dontla quantité est beaucoup moindre, qüi est | 459 caleinable et qu’on doit regarder conime du dé- bris ou de la poussière de pierre, etqui ne dif- fère du gravier que par la grosseur des grains. Le sable vitrifiable est en général posé par cou- ches comme toutes les autres matières : mais ces couches sont souvent interrompues par des massés de rochers de grès, de roc vif, de cail- lou, et quelquefois ces matières sont aussi des bancs et des lits d’une grande étendue. En examinant ce sable et ces matières vitri- fiables, on n’y trouve que peu de coquilles de mer ; et celles qu’on y trouve ne sont pas placées par lits, elles n’y sont que parsemées et comme jetées au hasard : par exemple, je n’en ai jamais vu dansles grès ; cette pierre, qui est fort abon- dante en certains endroïts, n’est qu’un composé de parties sablonneusesqui se sont réunies : on ne la trouveque dans les pays où le Sable vitri- fiable domine, et ordinairement les carrières de grès sont dan des collines pointues , dans des terres säblonneuses et dans des éminences en- trecoupées. On peut attaquer ces carrières dans tous les sens; et s’il y a des lits, ils sont beau- coup plus éloignés les uns des autres que dans les carrières de pierres calcinables, ou de mar- bres : on coupe dans le massif de la carrière de grès des blocs de toutes sortes de dimensions et dans tous les sens, selon le besoin et la plus grande commodité ; et quoique le grès soit dif- ficile à travailler, il n’a cependant qu’un genre de dureté, c’est de résister à des coups violents sans s'éclater ; car le frottement l’use peu à peu et le réduit aisément en sable , à l’exception de certains clous noirâtres qu’on y trouve, et qui sont d’une matière si dure, que les meilleures limes ne peuvent y mordre. Le roc vifest vitri- fiable comme le grès, et il est de la même na- ture ; seulement il est plus dur, et les parties en sont mieux liées : il y a aussi plusieurs clous semblables à ceux dont nous venons de parler, comme on peut le remarquer aisément sur les sommets des hautes montagnes, qui sont pour la plupart de cette espèce de rocher, et sur les- quels on ne peut pas marcher un peu de temps à sans s’apercevoir que ces clous coupent et dé-" chirent le euir des. souliers. Ce roe vif qu’on trouve au-dessus des hautes montagnes, et que je regarde comme une espèce de granite, con- tient une grande quantité de paillettes talqueu- ses, et il tous les genres de dureté au point de ne pouvoir être travaillé qu'avec une peine infinie. 160 J'ai examiné de près la nature de ces clous qu'on trouve dans le grès et dans le roc vif, et j'ai reconnu que c’est une matière métallique fondue et calcinée à un feu très-violent, et qui ressemble parfaitement à de certaines matières rejetées par les volcans, dont j'ai vu une grande quantité étant en Italie, où l’on me dit que les gens du pays les appelaient schiarri. Ce sont des masses noirâtres fort pesantes sur lesquelles le feu, l’eau, ni la lime, ne peuvent faire aucune impression, dont la matière est différente de celle de la lave; car celle-ci est une espèce de verre, au lieu que l’autre parait plus métallique que vitrée. Les clous du grès et du roc vif res- semblent beaucoup à cette première matière, ce qui semble prouver encore que toutes ces matières ont été autrefois liquéfiées par le feu. On voit quelquefois en certains endroits, au plus haut des montagnes, une prodigieuse quan- tité de blocs d’une grandeur considérable de ce roc vif, mêlé de paillettes talqueuses : Meur po- sition est si irrégulière qu’ils paraissent avoir été lancés etjetés au hasard ; et on croirait qu’ils sont tombés de quelque hauteur voisine , si les lieux où on les trouve n'étaient pas élevés au- dessus de tous les autres lieux : mais leur sub- | stance vitrifiable et leur figure anguleuse et | carrée, comme celle des rochers de grès, nous découvrent une origine commune entre ces ma- tières. Ainsi, dans les grandes couches de sable vitrifiable , il se forme des blocs de grès et de roc vif, dont la figure et la situation nesuivent | pas exactement la position horizontale de ces | couches : peu à peu les pluies ont entrainé du | sommet des collines et des montagnes le sa- ble qui les couvrait d’abord , et elles ont com- mencé par sillonner et découper ces collines | dans les intervalles qui se sont trouvés en- tre les noyaux de grès, comme on voit que, sont découpées les collines de Fontainebleau ; chaque pointe de colline répond à un noyau | qui fait une carrière de grès , et chaque inter- | valle a été creusé et abaissé par les eaux, qui | ont fait couler le sable dans la plaine. De même les plus hautes montagnes, dont les sommets sont composés de roc vif et terminés par ces blocs anguleux dontnous venons de parler, au- rontautrefois été recouvertes de plusieurs cou- | ches de sable vitrifiable dans lequel ces blocs se | seront formés ; et les pluies ayant entrainé tout le sable qui les couvrait et qui les environnait, | ils seront demeurés au sommet des montagnes | HISTOIRE NATURELLE. dans la position où ils auront été formés. Ces blocs présentent ordinairement des pointes au- dessus et à l’extérieur : ils vont en augmentant de grosseur à mesure qu’on descend et qu’on fouille plus profondément; souvent même un bloc en rejoint un autre par la base , ce second un troisième, et ainsi de suite en laissant entre eux, des intervalles irréguliers; et comme par la succession des temps les pluies ont enlevé et entrainé tout le sable qui couvroit ces différents noyaux, il ne reste au-dessus des hautes mon- tagnes que les noyaux mêmes qui forment des pointes plus ou moins élevées , et c’est là l’ori- gine des pics ou des cornes de montagnes. Car supposons, comme il est facile de le prou ver par les productions marines qu’on y trouve, que la chaîne des montagnes des Alpes ait été autrefois couverte des eaux de la mer, et qu’au- dessus de cette chaîne de montagnes il y eût une grande épaisseur de sable vitrifiable que l’eau de la mer y avaittransporté et déposé, de la même façon et par les mêmes causes qwélle a déposé et transporté dans les lieux un peu plus bas de ces montagnesunegrande quantité de coquillages , et considérons cette couche exté- rieure de sable vitrifiable comme posée d’abord de niveau en formant un plat pays de sable au- dessus des montagnes des Alpes, lorsqu’elles étaient encore couvertes des eaux de la mer: il se sera formé dans cette épaisseur de sable’des noyaux de roc, de grès, de caillou et de toutes les matières qui prennent leur origine et leur figure dans les sables par une mécanique à peu près semblable à celle de la cristallisation des sels ; ces noyaux une fois formés auront soutenu … les parties où ils se sont trouvés, et les pluies auront détaché peu à peu tout le sable intermé- « diaire, aussi bien que celui qui les environnait immédiatement; lestorrents, les ruisseaux, en se précipitant du haut de ces montagnes auront en- trainé ces sables dans les vallons, dans les plai- nes, et.en auront conduit une.partie jusqu’à la mer; de cette facon, le sommet des montagnes | se sera trouvé à découvert, et les noyaux dé- | chaussés auront paru dans toute leur hauteur, C’est ce que nous appelons aujourd’hui des pies ou des cornes de montagnes, et ce qui a formé toutes ces éminences pointues qu’on voit en tant d’endroits ; c’est aussi là l’origne de ces roches élevées et isolées qu’on trouve à la Chine et dans d’autres endroits, comme en Irlande, où on feur a donné le nom de Devil's siones ou THÉORIE DE LA TERRE., prerres du diable, et dont la formation, aussi bien que celle des pics des montagnes, avait toujours paru une chose difficile à expliquer : cependant l'explication que j'en donne, est si naturelle, qu’elle s'est présentée d’abord à l’es- prit de ceux qui ont vu ces roches; et je dois citer ici ce qu’en dit le père du Tertre dans les Lettres Edifiantes : « De Yan-chuin-yen nous « vinmes à Hotcheou; nous rencontrâmes en « chemin une chose ass@ particulière ; ce sont « des roches d’une hauteur extraordinaire et de « la figure d’une grosse tour carrée qu’on voit « plantées au milieu des plus vastes pleines. On « ne sait comment elles se trouvent la, si ce « n'est que ce furent autrefois des montagnes, « et que les eaux du ciel ayant peu à peu fait « ébouler la terre qui environnait ces masses de « pierre, les aient ainsi à la longue escarpées « de toutes parts : ce qui fortifie la conjecture, « c'est que nous en vimes quelques-unes qui, « vers le bas , sont encore environnées de terre « jusqu’à une certaine hauteur. (Voy. Lett. Ed, rec.2;t-1): Le sommet des plus hautes montagnes est done ordinairement composé de rochers et de plusieurs espèces de granite, de roc vif, de grès, et d’autres matières dures et vitrifiables, et cela souvent jusqu’à deux ou trois cents toises en descendant ; ensuite on y trouve souvent des carrières de marbre ou de pierre dure qui sont remplies de coquilles, et dont la matière est calcinable , comme on peut le remarquer à la grande Chartreuse en Dauphiné et sur le mont Cenis , où les pierres et les marbres qui contien- nent les coquilles sont à quelques centaines de loises au-dessous des sommets , des pointes et des pies des plus hautes montagnes , quoique ces pierres remplies de coquilles soient elles-mé- mes à plus de mille toises au-dessus du niveau de la mer. Ainsi les montagnes où l’on voit des pointes ou des pies sont ordinairement de roc vitrifiable , et celles dont les sommets sont plats contiennent, pour la plupart, des marbres et des pierres dures remplies de productions ma- rines. Il en est de mème des collines lorsqu'elles sont des grès ou de roc vif; elles sont, pour la plupart , entrecoupées de pointes , d’éminences, de tertres et de cavités , de profondeurs et de petits vallons intermédiaires; au contraire, celles qui sont composées de pierres calcinables sont à peu près égales dans toute leur hauteur, et elles ne sont interrompues que par des gorges et I. 461 des vallons plus grands, plus réguliers, et dont les angles sont correspodants ; enfin elles sont couronnées de rochers dont la position est ré- gulière et de niveau. Quelque différence qui nous paraisse d’abord entre ces deux formes de montagnes, elles viennent cependant toutes deux de la même cause, comme nous venons de le faire voir; seulement on doit observer que ces pierres cal- cinables n’ont éprouvé aucune altération , au- eun changement, depuis la formation des cou- ches horizontales, au lieu que celles de sable | vitrifiable ont pu être altérées et interrompues par la productionMpostérieure des rochers et des blocs anguleux qui se sont formés dans l’in- térieur de ce sable. Ces deux espèces demonta- gnes ont des fentes qui sont presque toujours | perpendiculaires dans celles de pierres calcina- bles etqui paraissent être un peu plus irrégulières dans celles de roc vif et de grès; c’est dans ces fentes qu'on trouve les métaux, les minéraux, les cristaux, les soufres et toutes les matières de la seconde classe, et c’est au-dessous de ces fen- tes que les eaux se rassemblent pour pénétrer ensuite plus avant et former les veines d’eau qu'on trouve au-dessous de la surface de la terre. ADDITIONS A L'ARTICLE QUI À POUR TITRE DES INÉGALITÉS DE LA SURFACE DE LA TERRE. Sur la hauteur des montagnes. Nous avons dit, que Les plus hautes monta- gnes du globe sont les Cordilières en Améri- que; surtout dans la partie de ces montagnes qui est située sous l'équateur et entre les tro- piques. Nos mathématiciens envoyés au Pérou, et quelques autres observateurs , en ont mesuré les hauteurs au-dessus du niveau de la mer du Sud, les uns géométriquement, les autres par le moyen du baromètre, qui, n’étant pas sujet à de grandes variations dans ce climat, donne une mesure presque aussi exacte que celle de la | trigonométrie. Voici le résultat de leurs obser- vations. Hauteur des montagnes les plus élevées de la province de Quito au Pérou. loises. Cota-catché an nord de Quito. 2570 41 162 toises. Cayambé-orcou , sous l'équateur. . . . . ss. 6050 Pitchiucha, volcan en 1559, 1577 et 1660. . . .. . "2450 Anlisana, volcan en 1590. ............5020 Sinchoulogea, volcan en 1660. . . ...... 92570 Illinica, présumé volcan 2717 Coto-Paxi, volcan en 1555, 1742 et 1744. 2950 Chimboraço , volcan : on ignore l'époque de son éruption .. . ... . Cargavi-Raso, volcan déraulé en 1698. . . ... Tougouragoa, volcan en 1641 .......... El-altan, l'une desmontagnes appelées Coillanes Sanguaï, volcan actuellement enflammé depuis 1728... . 5220 2450 2620 2750 En comparant ces mesures des montagnes de l'Amérique méridionale ayee celles de notre continent, on verra qu’elles sont en général élevées d’un quart de plus que celles de l’Eu- rope, et que presque toutes ont été ou sont en- core des volcans embrasés ; tandis que celles de l'intérieur de l’Europe, de l'Asie et de l’Afrique, même celles qui sont les plus élevées, sont tran- quilles depuis un temps immémorial. Il est vrai que, dans plusieurs de ces dernières montagnes, on reconnait assez évidemment l’ancienne exis- tence des volcans, tant par les précipices dont les paroïs sont noires et brülées , que par la na- ture des matières qui environnent ces précipi- ces , et qui s'étendent sur la croupe de ces mon- tagnes : mais comme elles sont situées dans l’intérieur des continents , et maintenant très- éloignées des mers, l’action de ces feux souter- rains , qui ne peut produire de grands effets que par le choc de l’eau, a cessé lorsque les mers se sont éloignées ; et c’est par cette raison que, dans les Cordilières, dont les racines bordent pour ainsi dire la mer du Sud, la plupart des pics sont des volcans actuellement agissants, tandis que depuis très-longtemps les volcans d'Auvergne, du Vivarais, du Languedoc et ceux d'Allemagne, de la Suisse, ete., en Eu- rope , ceux du mont Ararath en Asie, et ceux du mont Atlas en Afrique, sont absolument éteints. La hauteur à laquelle les vapeurs se glacent est d'environ 2,400 toises sous la zone torride; et en France, de 1,500 toises de hauteur : les cimes des hautes montagnes surpassent quel- quefois cette ligne de 8 à 900 toises , et toute cette hauteur est couverte de neiges qui ne fon- dent jamais; les nuages (qui s'élèvent le plus haut) ne les surpassent ensuite que de 3 à 400 toises, et n’excèdent par conséquent le niveau des mers que d'environ 3,600 toises : ainsi, s’il HISTOIRE NATURELLE. y avait des montagnes plus hautes encore, on leur verrait sous la zone torride une ceinture de neige à 2,400 toises au-dessus de la mer, qui finirait à 3,500 ou 2,600 toises, non par la ces: sation du froid , qui devient toujours plus vif à mesure qu’on s'élève, mais parce que les va- peurs n’iraient pas plus haut !. M. de Keralio , savant physicien, a recueilli toutes les mesures prises par différentes person- nes sur la hauteur des montagnes dans plusieurs contrées. En Grèce, M. Bernouilli a déterminé la hau- teur de l’'Olympe à 1,017 toises : ainsi la neige n’y est pas constante, non plus que sur le Pé- lion en Thessalie, le Cathalylium et le Cylle- nou ; la hauteur de ces monts n’atteint pas le degré de la glace. M. Bouguer donne 2,500 toi- ses de hauteur au pie de Ténériffe , dont le som- met est toujours couvert de neige. L’Etna , les monts Norwégiens, l’'Hémus, l’Athos , l'Atlas, le Caucase, et plusieurs autres, tels que le mont Ararath , le Taurus , le Libanon, sont en tout temps couverts de neige à leurs sommets. toises. Selon Pontoppidam, les plus hauts monts de Norwége ont. . ..... tr 5000 Nota. Cette mesure, ainsi que la suivante, me paraissen’ exagérées. Selon M. Brovallius, les plus hauts monts de Suède onf.”. . : . . - - oo D CRC DLL Di 2553 Selon les Mémoires de l'Académie royale des Sciences (année 1718), les plus hautes montagnes de France sont les suivantes : toises LeCantal. .................,. 981 Le mont Ventoux... . "1". Dre et LUDB Le Canigou des Pyrénées. . . . . . .. . . . 1441 Le Mouisec ner Em + 05 VON AUS Le Saint-Barthélemy. + : . . . . . . . . . . . 1184 Le mont d'Or en Auvergne, volcan éteint. .. 1048 Selon M. Necdham, les montagnes de Savoie ont en hauteur : Le couvent du grand Saint-Bernard. . . . .. 1241 Le Roc au sud-ouest de ce mont. . . ..... 1974 Le mont Sérène: .. 4 4 5). 1. COTON L'allée Blanche. . . . . . . . . . RAC D Le mont Tourné. . . . . . . . .. DD Se Selon M. Facio de Duiller, le mont Blanc c ou la Montagne maudite a... ......... 2215 Il est certain que les principales montagnes de Suisse sont plus hautes que celles de France, d'Espagne, d’Italie et d'Allemagne; plusieurs * Mémoires de l'Académie des Sciences , année 1744. THÉORIE DE LA TERRE. savants ont déterminé, comme il suit, la hau- teur de ces montagnes. Suivant M. Mikhéli, la plupart de ces mon- tagnes, comme le Grimselberg, le Wetter-Horn, le Schrekhorn, l'Eighess-Schnéeberg, le Ficher- horn, le Stroubel, le Fourke, le Louk-Manier, le Crispalt, le Mougle, la cime du Baduts et du Gothard, ont de 2,4000 à 2,750 toises de hau- teur au-dessus du niveau de la mer : mais je soupconne que ces mesures données par M. Mi- khéli sont trop fortes, d'autant qu’elles excè- dent de moitié celles qu'ont données MM. Cas- sini, Scheuchzer et Mariotte, qui pourraient bien être trop faibles, mais non pas à cet ex- cès; et ce qui fonde mon doute, c’est que, dans les régions froides et tempérées où l’air est tou- jours orageux , le baromètre est sujet à trop de variations, même inconnues des physiciens , pour qu'ils puissent compter sur les résultats qu'il présente. Sur la formation des montagnes. Toutes les vallées et tous les vallons de la surfacede laterre, ainsi quetoutes lesmontagnes et collines, ont eu deux causes primitives : la première est le feu et la seconde l’eau. Lorsque la terre a pris sa consistance, il s’est élevé à sa surface un grand nombre d’aspérités, il s’est fait des boursouflures comme dans un bloc de verre ou de métal fondu. Cette première cause a donc produit les premières et les plus hautes monta- gnes qui tiennent par leur base à la roche inté- rieure du globe, et sous lesquelles, comme par- tout ailleurs, il a dû se trouver des cavernes qui se sont affaissées en différents temps : mais, sans considérer ce second événement de l’affai- blissement des cavernes, il est certain que, dans ie premier temps où la surface de la terre s’est consolidée, elle était sillonnée partout de pro- fondeurs et d’éminences uniquement produites par l’action du premierrefroidissement. Ensuite, lorsque les eaux se sont dégagées de l’atmo- sphère, ce qui est arrivé dès que la terre a cessé d’être brülante au point de les rejeter en va- peurs, ces mêmes eaux ont couvert toute la sur- face de la terre actuellement habitée jusqu’à la hauteur de deux mille toises; et, pendant leur long séjour sur nos continents, le mouvement du flux et du reflux et celui des courants ont changé la disposition et la forme des montagnes et des vallées primitives. Ces mouvements au- ront formé des collines dans les vallées , ils au- 165 ront recouvert et environné de nouvelles cou- ches de terre le pied et les croupes des monta- gnes, et les courants auront creusé des sillons, des vallons , dont tous les angles se correspon- dent. C’est à ces deux causes, dont l’une est bien plus ancienne que l’autre, qu'il faut rap- porter la forme extérieure que nous présente la surface de la terre. Ensuite, lorsque les mers se sont abaissées , elles ont produit des escarpe- ments du côté de l'occident où elles s’écoulaient le plusrapidement , et ont laissé des pentes dou- ces du côté de l’orient. Les éminences qui ont été formées par le sé- diment et les dépôts de la mer, ont une struc- ture bien différente de celles qui doivent leur origine au feu primitif : les premières sont tou- tes disposées par couches horizontales et con- tiennent une infinité de productions marines : les autres , au contraire, ontunestructure moins régulière et ne renferment aucun indice de pro- ductions de lamer. Ces montagnes de première et de seconde formation n’ont rien de commun que les fentes perpendiculaires qui se trouvent dans les unes comme dans les autres ; mais ces fentes sont un effetcemmun de deux causes bien différentes. Les matières vitrescibles, en se re- froidissant, ont diminué de volume et se sont par conséquent fendues de distance endistance : celles qui sont composées de matières calcaires amenées par les eaux se sont fendues par le dessèchement. J'ai observé plusieurs fois, surles collines iso- lées, que le premier effet des pluies est de dé- | pouiller peu à peu leur sommet et d’en entrai- ner les terres , qui forment au pied de la colline une zone uniforme ettrès-épaisse de bonneterre, tandis que le sommet est devenu chauve et dé- pouillé dans son contour ; voilà l’effet que pro- duisent et doivent produire les pluies : mais une preuve qu’il y a eu une autre cause qui avait précédemment disposé les matières autour de la colline, c’est que, dans toutes et même dans celles qui sont isolées, il y a toujours un côté où le terrain est meilleur ; elles sont escarpées d’une part et en pente douce de l’autre; ce qui prouve l’action et la direction du mouvement des eaux d’un côté plus que de l’autre. Sur la direction des montagnes. J'ai dit que la direction des grandes monta- gnes est du nord au sud en Amérique, et d’oc- cident en orient dans l'ancien continent. Cette 16% dernière assertion doit être modifiée : car, quoi- qu'il paraisse au premier coup d'œil qu’on puisse suivre les montagnes de l'Espagne jusqu’à la Chine en passant des Pyrénées en Auvergne , aux Alpes, en Allemagne, en Macédoine, au Caucase et autres montagnes de l'Asie, jusqu’à la mer de Tartarie; etquoiqu’ilsemble de même que le mont Atlas partage d’occident en orient le continent del’Afrique, cela n'empêche pas que le milieu de cette grande presqu'ile ne soit une chaine continue de hautes montagnes qui s'étend depuislemont Atlasaux montsdela Lune,etdes monts de la Lune jusqu'aux terres du cap de Bonne-Espérance; ensortequel’Afriquedoitètre considérée comme composée de montagnes qui en occupent le milieu dans toute sa longueur, et quisontdisposées du nordau sud etdanslamême direction que celles de l'Amérique. Les parties de l'Atlas qui s'étendent depuis le milieu et des deux côtés vers l'occident et vers l’orient, ne doivent être considérées que comme des bran- ches de la chaine principale. Il en sera de même de la partie des monts de la Lune qui s’étend versl’occidentet versl’orient: ce sont des mon- tagnes collatérales de la branche principale qui occupe l’intérieur , c’est-à-dire lemilieu de PA- frique ; et, s’il n’y a point de volcans dans cette prodigieuse étendue de montagnes , c’est parce que la mer est des deux côtés fort éloignée du milieu de cette vaste presqu'ile ; tandis qu’en Amérique la mer est très-voisine du pied des hautes montagnes , et qu’au lieu de former le milieu de la presqu'ile de l'Amérique méridio- nale , elles sont au contraire toutes situées à l'occident , et que l'étendue des basses terres est en entier du côté de lorient. La grande chaine des Cordilières n’est pas la seule, dans le nouveau continent , qui soit diri- gée du nord au sud ; car , dans le terrain de la Guiane , à environ cent cinquante lieues de Cayenne, il y a aussi une chaine d’assez hautes montagnes qui court également du nord au sud: cette montagne est si escarpée du côté qui re- garde Cayenne , qu’elle est pour ainsi dire inac- cessible.Cerevers à-plomb de la chaine demon- tagnes semble indiquer qu’il y a de l’autre côté une pente douce et une bonne terre : aussi la tradition du pays , ou plutôt le témoignage des Espagnols , est qu’il y a au delà de cette mon- tagne des nations de sauvages réunis en assez grand nombre. On a dit aussi qu’il y avait une nine d'or dans ces montagnes , et un lac où HISTOIRE NATURELLE. l'on trouvait des paillettes d'or; mais ce fait ne s’est pas confirmé. En Europe, la chaîne de montagnes qui com- mence en Espagne, passe en France, en Alle- magne eten Hongrie, se partage en deux gran- des branches, dont l’une s’étend en Asie par les montagnes de la Macédoine, du Caucase, etc., et l’autre branche passe de la Hongrie dans la Pologne , la Russie, et s’étend jusqu'aux sour- ces du Wolga et du Borysthène; et, se prolon- geant encore plus loin, elle gagne une autre chaîne de montagnes en Sibérie qui aboutit en- fin à la mer du Nord, à l’occident du fleuve Oby. Ces chaines de montagnes doivent être regar- dées comme un sommet presque continu, dans lequel plusieurs grands fleuves prennent leur source : les uns, comme le Tage, le Douro en Espagne, la Garonne, la Loire en France, le Rhin en Allemagne, se jettent dans l'Océan ; les autres, comme l’Oder, la Vistule, le Nié- men, se jettent dans la mer Baltique; enfin d’autres fleuves, comme la Doine, tombent dans la mer Blanche, et le fleuve Petzora dans la mer Glaciale. Du côte de lorient, cette même chaîne de montagnes donne naissance à | Yeu- car et l’'Ébre en Espagne, au Rhône en France, au P6 en Italie, qui tombent dans la mer Médi- terranée ; au Danube et au Don, qui se perdent dans lamer Noire; et enfin au Wolga, qui tombe dans la mer Caspienne. Le sol de la Norwége est plein de rochers et de groupes de montagnes. II y a cependant des plaines fort unies de six, huit et dix milles d’é- tendue. La direction des montagnes n’est point à l’ouest ou à l’est, comme celle des autres mon- tagnes de l'Europe; elles vont au contraire, comme les Cordilières, du sud au nord. Dans l’Asie méridionale, depuis l’ile de Cey- lan et le cap Comorin, il s’étend une chaine des montagnes qui sépare le Malabar de Coroman- del, traverse le Mogol , regagne le mont Cau- case, se prolonge dans le pays des Calmoucks et s'étend jusqu’à la mer du Nord à l'occident du fleuve Irtis : on en trouve une autre qui s’é- tend de même du nord au sud jusqu’au cap Ra- zalgat en Arabie, et qu’on peut suivre à quel- que distance de la mer Rouge jusqu’à Jérusa- lem ; elle environne l’extrémité de la mer Mé- diterranée et la pointe de la mer Noire, et de là s'étend par la Russie jusqu'au même point de la mer du Nord. On peut aussi observer que les montagnes de Ps THÉORIE DE LA TERRE. l’Indostan et celles de Siam courent du sud au nord, et vont également se réunir aux rochers du Thibet et de la Tartarie, Ces montagnes of- frent de chaque côté des saisons différentes : à l’ouest on a six mois de pluie, tandis qu’on jouit à l’est du plus beau soleil, Toutes les montagnes de Suisse , c’est-à-dire celles de la Vallésie et des Grisons, celles de la Savoie, du Piémont et du Tyrol, forment une chaîne qui s'étend du nord au sud jusqu’à la Méditerranée. Le mont Pilate, situé dans le canton de Lueerne, à peu près dans le centre de la Suisse, forme une chaine d’environ qua- torze lieues qui s'étend du nord au sud jusque dans le canton de Berne. On peut done dire qu’en général les plus grandes éminences du globe sont disposées du nord au sud, et que celles qui courent dans d’au- tres directions ne doivent être regardées que comme des branches collatérales de ces premiè- res montagnes ; et c’est en partie par cette dis- position des montagnes primitives , que toutes les pointes des continents se présentent dans la direction du nord au sud, comme on le voit à la pointe de l'Afrique ;à celle de l'Amérique, celle de Californie, à celle du Groënland, au cap Co- morin, à Sumatra, à la Nouvelle-Hollande, ete.: ce qui paraît indiquer, comme nous l'avons déjà dit, que toutes les eaux sont venues en plusgran- de quantité du pôle austral que du pôle boréal. Si l’on consulte une nouvelle mappe-monde dans laquelle on a représenté autour du pôle Arctique toutes les terres des quatre parties du _monde , à l'exception d’une pointe de l’Améri- que, et autour du pôle Antarctique, toutes les mers et le peu de terres qui composent l’hémis- phère pris dans ce sens, on reconnaitra évidem- ment qu’il y a eu beaucoup plus de bouleverse- ments dans ce second hémisphère que dans le premier , et que la quantité des eaux y a tou- jours été et y est encore bien plus considérable que dans notre hémisphère. Toutconcourt done à prouver que les plus grandes inégalités du globe se trouvent dans les parties méridionales, et que la direction la plus générale des monta- | gnes primitives est du nord au sud plutôt que d’orient en occident dans toute l’étendue de la surface du globe. Sur Ja dureté que certaines matières acquièrent par le feu aussi bien que par l'eau. J'ai dit, qu’on trouve dans les grès des es- 165 pèces de clous d’une matière métallique, noi- râtre, qui parait avoir élé fondue à un feu très-violent. Cela semble indiquer que les gran- des masses de grès doivent leur origine à l’ac- tion du feu primitif, J'avais d’abord pensé que cette matière ne devait sa dureté et la réunion de ses parties qu’à l’intermède de l’eau ; mais je me suis assuré depuis que l’action du feu pro- duit le même effet, et je puis citer sur cela des expériences qui d’abord m'ont surpris, et que j'ai répétées assez souvent pour n’en pouvoir douter. EXPÉRIENCES. J'ai fait broyer des grés de differents degrés de dureté, et je les ai fait tamiser en poudre plus ou moins fine, pour m’en servir à couvrir les cé- mentations dont je me sers pour convertir le fer en acier : cette poudre de grès répandue sur le cément, etamoncelée en forme de dôme de trois ou quatre pouces d'épaisseur, sur une caisse de trois pieds de longueur et de deux pieds de lar- geur, ayant subi l’action d’un feu violent dans mes fourneaux d'aspiration pendant plusieurs jours et nuits de suite sans interruption , n’était plus de la poussière de grès, mais une masse so- lide que l’on était obligé de casser pour décou- vrir la caisse qui contenait le fer converti en acier boursouflé ; en sorte que l’action du feu sur cette poudre de grès en a fait des masses aussi solides que le grès de médiocre qualité qui ne sonne point sous le marteau. Cela m'a dé- montré que le feu peut, tout aussi bien que l’eau, avoir agglutiné les sables vitrescibles, et avoir par conséquent formé les grandes masses de grès qui composent le noyau de quelques-unes de nos montagnes. Je suis done très-persuadé que toute la ma- tière vitrescible dont est composée la roche inté- rieure du globe, et les noyaux de ses grandes éminences extérieures, ont été produits par l’action du feu primitif, et que les eaux n’ont formé que les couches inférieures et accessoires qui enveloppent cesnoyaux , et qui sont toutes posées par oulles , horizontales ou égalementinclinées, et dans lesquelles on trouve des débris de coquilles et d’autres productions de la mer. Ce n’est pas que je prétende exclure l’inter- mède de l’eau pour la formation des grès, et de plusieurs autres matières vitrescibles ; je suis au contraire porté à croire que le sable vitrescible 166 peut acquérir de la consistance, et se réunir en masses plus ou moins dures par le moyen de l'eau, peut-être encore plus aisément que par l'action du feu ; et c’est seulement pour préve- nir les objections qu’on ne manquerait pas de faire, si l’on imaginait que j’attribue unique- ment à l’intermède de l’eau la solidité et la con- sistance du grès et des autres matières compo- sées de sable vitrescible. Je dois même observer que les grès qui se trouvent à la superficie ou à peu de profondeur dans la terre, ont tous été formés par l’intermède de l’eau ; car l’on remar- que des ondulations et des tournoiements à la surface supérieure des masses de ces grès, et l'on y voit quelquefois des impressions de plan- tes et de coquilles. Mais on peut distinguer les grès formés par le sédiment des eaux , de ceux qui ont été produits par le feu : ceux-ci sont d’un plus gros grain , et s’égrènent plus facile- ment que les grès dont l’agrégation des parties est due à l’intermède de l’eau. Ils sont plus serrés, plus compactes ; les grains qui les com- posent ont des angles plus vifs, et en général ils sont plus solides et plus durs que les grès coagulés par le feu. Les matières ferrugineuses prennent un très- grand degré de dureté par le feu, puisque rien n’est si dur que la fonte de fer; mais elles peu- vent aussi acquérir une dureté considérable par l’intermède de l’eau : je m’en suis assuré en met- tant une bonne quantité de limaille de fer dans des vases exposés à la pluie; cette limaille a formé des masses si dures, qu'on ne pouvait les casser qu’au marteau. La roche vitreuse qui compose la masse de l'intérieur du globe est plus dure que le verre ordinaire ; mais elle ne l’est pas plus que certai- nes laves de volcans, et beaucoup moins que la fonte de fer, qui n’est cependant que du verre mélé de parties ferrugineuses. Cette grande du- reté de la roche du globe indique assez que ce sont les parties les plus fixes de toute la matière qui se sont réunies, et que, dès le temps de leur consolidation, elles ont pyjs la consistance et la dureté qu’elles ont encore aujourd’hui. L'on ne peut done pas argumenter contremon hypothèse de la vitrification générale, en disant que les matières réduites en verre par les feux de nos fourneaux sont moins dures que la roche du globe , puisque la fonte de fer, quelques laves ou basaltes, et même certaines porcelaines, sont plus dures que cette roche, et néanmoins ne HISTOIRE NATURELLE. doivent, comme elle, leur dureté qu’à l’action du feu. D'ailleurs, les éléments du fer etdes au- tres minéraux qui donnentde la dureté aux ma- tières liquéfiées par le feu ou atténuées par l’eau, existaient ainsi que les terres fixes dès le temps de la consolidation du globe; et j'ai déjà dit qu'on ne devait pas regarder la roche de son intérieur comme du verre pur , semblable à ce- lui que nous faisons avec du sable et du salin , mais comme un produit vitreux niêlé des ma- tières les plus fixes et les plus capables de sou- tenir la grande et longue action du feu primitif, dont nous ne pouvons comparer les grands ef- fets que de loin, avec le petit effet de nos feux de fourneaux ; et néanmoins cette comparaison, quoique désavantageuse, nous laisse apercevoir clairement ce qu’il peut y avoir de commun dans les effets du feu primitif et dans les pro- duits de nos feux , et nous démontre en même temps que le degré de dureté dépend moins de celui du feu que de la combinaison des matières soumises à son action, Sur l'inclinaison des couches de la terre dans les mon- tagnes. J'ai dit que dans les plaines les couches de la terre sont exactement horizontales, et qw’il n'y a que dans les montagnes où elles soient in- clinées comme ayant été formées par des sédi- ments déposés sur une base inclinée , c’est-à- dire sur un terrain penchant. Non-seulement les couches de matières cal- caires sont horizontales dans les plaines, mais elles le sont aussi dans toutes les montagnes où il n’y a point eude bouleversement par les trem- blements de terre ou par d’autres causes acci- dentelles ; et, lorsque ces couches sont inclinées, c’est que la montagne elle-même s’est inclinée tout en bloc, et qu’elle a été contrainte de pen- cher d’un côté par la force d’une explosion sou- terraine, ou par l’affaissement d’une partie du terrain qui lui servait de base. L'on peut donc dire qu’en général toutes les couches formées par le dépôt et le sédiment des eaux sont hori- zontales, comme l’eau l’est toujours elle-même, à l’exception de celles qui ont été formées sur une base inclinée, c’est-à-dire sur un terrain penchant , comme se trouvent la plupart des mines de charbon de terre. La couche la plus extérieure et superficielle de la terre, soit en plaine, soit en montagne, n’est composée que de terre végétale , dont l’o- | THÉORIE DE LA TERRE. rigine est due aux sédiments de l'air, au dépôt des vapeurs et des rosées, et aux détriments successifs des herbes, des feuilles. et des autres parties des végétaux décomposés. Gette pre- mière couche ne doit point ètre iei considérée; elle suit partout les pentes et les courbures du terrain, et présente une épaisseur plus ou moins grande, suivant les différentes circonstances lo- cales !, Cette couche de terre végétale est ordi- nairement bien plus épaisse dans les vallons que | sur les collines; etsa formation est postérieure | aux couches primitives du globe, dont les plus anciennes et les plus intérieures ont été formées par le feu, et les plus nouvelles et les plus exté- rieures ont été formées par les matières trans- portées et déposées en forme de sédiments par le mouvement des eaux. Celles-ci sont en géné- ral toutes horizontales, et ce n’est que par des causes particulières qu’elles paraissent quelque- fois inclinées. Les bancs de pierres calcaires sont ordinairement horizontaux ou légèrement inclinés ; et de toutes les substances calcaires, la craie est celle dont les bancs conservent le plus exactement la position horizontale. Comme la craie n’est qu’une poussière des détriments calcaires , elle a été déposée par les eaux dont le mouvement était tranquille et les oscillations réglées; tandis que les matières qui n’étaient que brisées et en plus gros volume, ontététrans- portées par les courants et déposées par le re- mous des eaux ; en sorte que leurs bancs ne sont pas parfaitement horizontaux comme ceux _de la craie. Les falaises de [a mer en Normandie sont composées de couches horizontales de craie si régulièrement coupées à plomb, qu’on les prendrait de loin pour des murs de fortification. L'on voit entre les couches de craie de petits | | faire dans toute ma Théorie de la terre , que ce- lits de pierre à fusil noire, qui tranchent sur le blanc de la craie : c’est là l’origine des veines noires dans les marbres blancs. Indépendamment des collines calcaires dont les banes sont légèrement inclinés et dont la po- 4 11 y a quelques montagnes dont la surface à la cime est absolument nue , et ne présente que le roc vif ou le granite sans aucune végétation que dans les petites fentes , où le vent a porté et accumulé les particules de terre qui flottent dans l'air. On assure qu'à quelque distance de la rive gauche du Nil, en remontant ce fleuve, la montagne composée de gra- nite, de porphyre et de jaspe , s'étend à plus de vingt lieues en longueur , sur une largeur peut-être aussi grande, et que la surface entière de la cime de cette énorme carrière est ab- solument dénuée de végétaux; ce qui forme un vaste désert, que ni les animaux ni les oiseaux, ni même les insectes, ne peuvent fréquenter. Mais ces exceptions particulières et lo- cales ne doivent point être ici considérées. 167 sition n'a point varié , il y en a grand nombre d’autres qui ont penché par différents accidents, et dont toutes les couches sont fort inclinées. On en a de grands exemples dans plusieurs en- droits des Pyrénées, où l’on en voit qui sont inclinées de 45, 50, et même 60 degrés au-des- sous de la ligne horizontale; ce qui semble prouver qu'il s’est fait de grands changements dans ces montagnes par l’affaissement des ca- vernes souterraines sur lesquelles leur masse était autrefois appuyée. Sur les pics des montagnes. J'aitâché d'expliquer, page 160 dece volume, comment les pies des montagnes ont été dépouil- lés des sables vitrescibles qui les environnaient au commencement, et mon explication ne pèche qu'en ce que j'ai attribué la première formation des rochers qui forment le noyau de ces pics-a l'intermède de l’eau, au lieu qu’on doit l’attri- buer à l’action du feu ; ces pics ou cornes de montagnes ne sont que des prolongements et des pointes de la roche intérieure du globe, les- quelles étaient environnées d’une grande quan- tité de scories et de poussière de verre ; ces ma- tières divisées auront été entrainées dans les lieux inférieurs par les mouvements de la mer, dans le temps qu’elle a fait retraite, et ensuite les pluies et les torrents des eaux courantes au- ront encore sillonné du haut en bas les monta- gnes , et auront par conséquent achevé de dé- pouiller les masses de roc vif qui formaient les éminences du globe, et qui, par ce dépouille- ment, sont demeurées nues et telles que nous les voyons encore aujourd’hui. Je puis dire en général qu'il n’y à aucun autre changement à lui de la composition des premières montagnes qui doivent leur origine au feu primitif, et non pas à l’intermède de l’eau, comme je l'avais conjecturé, parce que j'étais alors persuadé, par l'autorité de Wooward et de quelques autres naturalistes, que l’on avait trouvé des coquilles au-dessus des sommets de toutes les montagnes; au lieu que, par des observations plus récentes , il parait qu’il n’y a pas de coquilles sur les plus hauts sommets , mais seulement jusqu’à la hau- teur de deux mille toises au-dessus du niveau des mers; d’où il résulte qu’elle n’a peut-être pas surmonté ces hauts sommets , ou du moins qu’elle ne les a baignés que pendant un petit 168. temps ; en sorte qu'elle n’a formé que les colli- nes et les montagnes calcaires , qui sont toutes | | jusqu’à Lyon, est-il dirigé de l’orient vers l’oc- au-dessous de cettehauteur de deux mille toises. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE X. ° DES FLEUVES. Nous avens dit que, généralement parlant, les plus grandes montagnes occupent le milieu des continents, que les autres occupent le milieu des iles , des presqu'iles et des terres avancées dans la mer; que dans l'ancien continent les plus grandes chaines de montagnes sont diri- gées d’occident en orient, et que celles qui tour- nent vers le nord ou vers le sud, ne sont que des branches de ces chaines principales : on verra de même que les plus grands fleuves sont diri- gés comme les plus grandes montagnes, et qu'il y en a peu qui suivent la direction des branches | de ces montagnes. Pour s’en assurer et le voir en détail, il n'y a qu’à jeter les yeux sur un globe, et parcourir l’ancien continent depuis l'Espagne jusqu’à la Chine; on trouvera qu’à commencer par l'Espagne, le Vigo, le Douro, le Tage et la Guadiana, vont d’orient en occi- | dent, et l'Ébre d’occident en orient, et qu’il n’y a pas une rivière remarquable dont le cours soit dirigé du sud au nord , ou du nord au sud , quoi- que l'Espagne soit environnée de la mer en en- tier du cô*£ du midi, et presque en entier du côté du nord. Cette observation sur la direction des fleuves en Espagne prouve, non-seulement que les montagnes de ce pays sont dirigées d'oc- cident en orient, mais encore que le terrain mé- ridional et qui avoisine le détroit, et celui du détroit même , est une terre plus élevée que les côtes de Portugal; et de même du côté du nord , que les montagnes de Galice, des Astu- ries , etc. , ne sont qu’une continuation des Py- rénées ; et que c’est cette élévation des terres, tant au nord qu’an sud, qui ne permet pas aux fleuves d'arriver par là jusqu’à la mer. On verra, aussi en jetant les yeux sur la carte HISTOIRE NATURELLE. dirigé du nord au midi, et encore dans près de la moitié de son cours, depuis les montagnes cident; mais qu'au contraire, tous les autres grands fleuves, comme la Loire, la Charente, la Garonne et même la Seine, ont leur direc- tion d’orient en occident. On verra de même qu’en Allemagne il n’y a que le Rhin qui, comme le Rhône, a la plus grande partie de son cours du midi au nord ; mais que les autres grands fleuves , comme le Danube, la Drave, et toutes les grandesrivières qui tombent dans ces fleuves, vont d’occident en orient se rendre dans la mer Noire. On retonnaitra que cette mer Noire, que l’on doit plutôt considérer comme un grand lac que comme une mer, a presque trois fois plus d’é- tendue d’orient en occident que du midi au nord, et que, par conséquent, sa position est sembla- ble à la direction des fleuves en général; qu'il en est de même de la mer Méditerranée, dont la longueur d’orient en occident est environ six fois plus grande que sa largeur moyenne, prise du nord au midi. A la vérité, la mer Caspienne , suivant la cartequi ena été levée par ordre du czar PierreT, a plus d’étendue du midi au nord que d’orient en occident ; au lieu que dans les anciennes car- tes elle était presque ronde , ou plus large d’o- rient en occident que du midi au nord : mais, si l’on fait attention que le lac Aral peut être re- gardé comme ayant fait partie de la mer Cas- pienne, dont il n’est séparé que par des plaines de sable, on trouvera encore que la longueur,» depuis le bord occidental de la mer Caspienne jusqu’au bord oriental du lac Aral, est plus grande que la longueur depuis le bord méri- dional jusqu’au bord septentrional de la même mer. On trouvera de même que l’Euphrate et le golfe Persique sont dirigés d’occident en orient, et que presque tous les fleuves dela Chine vont d’occident en orient. Il en est de même de tous les fleuves de l’intérieur de l'Afrique au delà de la Barbarie; ils coulent tous d’orient en occi- dent, et d’occident en orient : iln’y a quelles ri- vières de Barbarie et le Nil qui coulent du midi au nord. A la vérité, il y a de grandes rivières en Asie qui coulent en partie du nord au midi, comme le Don, le Wolga, etc. : mais, en pre- nant la longueur entière de leur cours, on verra de la France, qu'il n'y a que le Rhône qui soit ! qu'ils ne se tournent du côté du midi que pour TR RE OT de - age 2 ANS DulOne Dies ce THÉORIE DE LA TERRE. se rendre dans la mer Noire et dans la mer Cas- pienne, qui sont des lacs dans l’intérieur des terres. On peut done dire en général que dans l’'Eu- rope, l'Asie et l'Afrique , les fleuves et les au- tres eaux méditerranées s'étendent plus d’orient en occident que du nord au sud; ce qui vient ge ce que les chaines de montagnes sont diri- dées, pour la plupart, dans ce sens, et que d’ailleurs le continent entier de l’Europe et de l'Asie est plus large dans ce sens que dans l’au- tre; car il y a deux manières de concevoir cette direction des fleuves. Dans un continent long et étroit , comme est celui de l'Amérique méridio- nale, et dans lequel il n’y a qu’une chaine prin- cipale de montagnes qui s’étend du nord au sud, les fleuves, n'étant retenus par aucune autre chaîne de montagnes, doivent couler dans le sens perpendiculaire à celui de la direction des montagnes, c’est-à-dire d’orient en occident, ou d’occident en orient . c’est en effet dans ce sens que coulent toutes les grandes rivières de l’A- mérique, parce qu’à l'exception des Cordilières, il n’y a pas de chaines de montagnes fort éten- dues , et qu’il n’y en a point dont les directions soient parallèles aux Cordilières. Dans l’ancien continent comme dans le nouveau, la plus grande partie des eaux ont leur plus grande étendue d’occident en orient , et le plus grand nombre des fleuves coulent dans cette direction, mais c’est par une autre raison ; c’est qu'il y a plu- sieurs longues chaines de montagnes parallèles les unes aux autres, dont la direction est d'oc- cident en orient, et que les fleuves et les autres eaux sont obligés de suivre les intervalles qui séparent ces chaines de montagnes : par con- séquent une seule chaîne de montagnes, dirigée du nord au sud, produira des fleuves dont la direction sera la même que celle des fleuves qui sortiraient de plusieurs chaines de montagnes dont la direction commune serait d'orient en occident ; et c’est par cette raison particulière que les fleuves d'Amérique ont cette direction comme ceux de l’Europe, de l'Afrique et de l'Asie. Pour l'ordinaire , les rivières occupent le mi- lieu des vallées, ou plutôt la partie la plus basse du terrain compris entre les deux collines ou montagnes opposées. Si les deux collines qui sont de chaque côté de la rivière ont chacune une pente à peu près égale, la rivière occupe à peu près le milieu du vallon ou de la vallée in- 169 termédiaire. Que cette valléesoitlargeouétroite, si la pente des collines ou des terres élevées qui sont de chaque côté de la rivière est égale, la rivière occupera le milieu de la vallée. Au con- traire, si l’une des collines à une pente plus ra- pide que n’est la pente de la colline opposée, la rivière ne sera plus dans le milieu de la vallée, mais elle sera d’autant plus voisine de la colline la plus rapide, que cette rapidité de pente sera plus grande que celle de la pente de l’autre col- line : l’endroit le plus bas du terrain, dans ce cas, n’est plus le milieu de la vallée; il est beaucoup plus près de la colline dont la pente est la plus grande, et c’est par cette raison que la rivière en est aussi plus près. Dans tous les endroits où il y a d’un côté de la rivière des mon- tagnes ou des collines fort rapides, et de l’autre côté des terres élevées en pente douce, on trou- vera toujours quela rivière coule au pied de ces collines rapides, et qu’elle les suit dans toutes leurs directions, sans s’écarter de ces collines, jusqu'à ce que de l’autre côté il se trouve d’au- tres collines dont la pente soit assez considéra- ble pour que le point le plus bas du terrain se trouve Li: 0 qu'il ne l'était de la colline rapide. L'arrive ordinairement que par la suc- cession des temps la pente de la colline la plus rapide diminue et vient à s’adoucir, parce que les pluies entrainent les terres en plus grande quantité , et les enlèvent avec plus de violence sur une pente rapide que sur une pente douce: la rivière est alors contrainte de changer de lit pour retrouver l’endroit le plus bas du vallon. Ajoutez à cela que, comme toutes les rivières grossissent et débordent de temps en temps, elles transportent et déposent des limons en diffé- rents endroits, et que souvent il s’accumule des sables dans leur lit, ce qui fait refluer les eaux et en change la direction. Il est assez ordinaire de trouver dans les plaines un grand nombre d'anciens lits de la rivière, surtout si elle est impétueuse et sujette à de fréquentes inonda- tions, et si elle entraine beaucoup de sable et de limon. Dans les plaines et dans les larges vallées où coulent les grands fleuves, le fond du lit du fleuve estordinairement l'endroit le plus basde la vallée : mais souvent la surface de l’eau du fleuve est plus élevée que les terres qui sont ad- jacentes à celle des bords du fleuve. Suppo- sons, par exemple, qu'un fleuvesoità plein bord, c’est-à-dire queles bords et l’eau du fleuve soient 170 de niveau, et que l’eau, peu après, commence à déborder des deux côtés : bientôt inondée jusqu’à une largeur considéra- ble , et l’on observera que des deux côtés du fleuve les bords seront inondés les derniers; | : : £ | ce qui prouve qu'ils sont plus élevés que le reste | du terrain; en sorte que de chaque côté du fleuve, depuis les bords jusqu’à un certain point de la plaine, il y a une pente insensible , une espèce de talus qui fait que la surface de l’eau du fleuve est plus élevée que le terrain de la | plaine, surtoutlorsque lefleuve est à plein bord. Cette élévation du terrain aux bords des fleuves provient du dépôt du limon dans les inonda- tions : l’eau est communément très-bourbeuse dans les grandes crues des rivières; lorsqu'elle commence à déborder, elle coule très-lentement par-dessus les bords; elle dépose le timon qu’elle contient, et s’épure, pour ainsi dire, à mesure qu’elle s'éloigne davantage au large dans la plaine : de même toutes les parties de limon ke le courant de la rivière n’entraine pas, sont déposées sur les. bords; ce qui les élève peu à peu au-dessus du restede la plaine. Les fleuves sont, comme l’on sait, toujours plus larges à leur embouchure; à mesure qu'on avance dans les terres et qu’on.s’éloigne de la mer, ils diminuent de largeur : mais ce qui est plus remarquable et peut-être moins connu, c’est que dans l’intérieur des terres, à une dis- tance considérable de la mer, ils vont droit, et suivent la même direction dans de grandes lon- gueurs ; et à mesure qu'ils approchent de leur embouchure, les sinuosités de leurs cours semul- tiplient. J'ai oui dire à un voyageur, homme d'esprit et bon observateur, qui a fait plusieurs | grands voyages par terre dans la partiedel’ouest de l'Amérique septentrionale, queles voyageurs la plaine sera | et même les sauvages ne se trompaient guère sur la distance où ils se trouvaient de la mer; que pour reconnaitre s'ils étaient bien avant dans l’intérieur desterres, ou s'ils étaient dans un pays voisin de la mer, ils suivaient le bord d’une grande rivière ; et que quand la direction ! de la rivière était droite dans une longueur de quinze ou vingt lieues, ilsjugeaient qu'ils étaient | fort lein de la mer ; qu’au contraire, sila rivière | avait des Sinuosités et changeait souvent de di- rection dans son cours , ils étaient assurés de n'être pas fort éloignés de la mer. M. Fabry a vérifié lui-même cette remarque, qui lui a été HISTOIRE NATURELLE. des pays inconnus et presque inhabités. Il y a encore une remarque qui peut être utile en pa- reil cas ; c’est que, dans les grands fleuves, il y a , le long des bords, un remous considérable, et d'autant plus considérable, qu’on est moins éloigné de la mer et que le lit du fleuve est plus large ; ce qui peut encore servir d'indice pour juger si l’on est à de grandes ou à de petites distances de l'embouchure : et comme les si- nuosités des fleuves se multiplient à mesure qu'ils approchent de [a mer, il n’est pas éton- nant que quelques-unes de ces sinuosités, venant à s'ouvrir, forment des bouches par où une par. tie des eaux du fleuve arrive à la mer; et c’est une des raisons pourquoi les grands fleuves se divisent ordinairement en plusieurs bras pour arriver à la mer. Le mouvement des eaux dans le cours des fleuves se fait d’une manière fort différente de celle qu’ont supposée les auteurs qui ont voulu donner des théories mathématiques sur cette ma- tière : non-seulement la surface d’une rivière en mouvement n’est pas de niveau en la prenant d’un bord à l’autre ; mais même, selon les cir- constances, le courant qui est dans le milieu est considérablement plusélevé ou plus basque l’eau qui est près des bords. Lorsqu'une rivière grossit subitement par la fonte des neiges, ou lorsque, par quelque autre cause, sa rapidité augmente, si la direction de la rivière est droite, le milieu de l’eau , où est le courant , s'élève, et la rivière forme une espèce de courbe convexe ou d’éléva- tion très-sensible, dont le plus haut pointestdans le milieu du courant. Cette élévation est quel- quefois fort considérable; et M. Hupeau, habile ingénieur des ponts et chaussées, m'a dit avoir un jour mesuré cette différence du niveau de | l'eau du bord de l’Aveyron et de celle du cou- rant, ou du milieu de ce fleuve, et avoir trouvé trois pieds de différence ; en sorte que le milieu de l'Aveyron était de trois pieds plus élevé que | l’eau du bord. Cela doit en effet arriver toutes les fois que l’eau aura une très-grande rapidité : la vitesse avec laquelle elle est emportée, dimi- | nuant l’action de sa pesanteur, l’eau qui forme le courant ne se met pas en équilibre par tout son poids avec l’eau qui est près des bords, et c’est ce qui fait qu’elle demeure plus élevée que celle-ci. D’autre côté, lorsque les fleuves appro- chent de leur embouchure, il arrive assez ordi- nairement que l’eau qui est près des bords est fort utile dans ses voyages, lorsqu'il parcourait | plus élevée que celle du milieu , quoique le cou- THÉORIE DE LA TERRE. 471 rant soit rapide; la rivière paraît alors former une courbe concave dont le point le plus bas est dans le plus fort du courant : ceci arrive toutes les fois que l’action des marées se fait sentir dans un fleuve. On sait que dans les grandes ri- vières le mouvement des eaux occasionné par les marées estsensible à cent ou deux cents lieues de la mer ; on sait aussi que le courant du fleuve conserve son mouvement au milieu des eaux de la mer jusqu’à des distances considérables : il y a donc dans ce cas, deux mouvements contrai- res dans l’eau du fleuve; le milieu, qui forme le courant, se précipite vers la mer, et l’action de la marée forme un contre-courant, un remous, qui fait remonter l’eau qui est voisine des bords, tandis que celle du milieu descend ; et comme alors toute l'eau du fleuve doit passer par le cou- rant qui est au milieu, celle des bords descend continuellement vers le milieu, et descended’au- tant plus qu'elle est plus élevée et refoulée avec plus de force par l’action des marées. Il y a deux espèces de remous dans les fleu- ves. Le premier, qui est celui dont nous venons de parler, est produit par une force vive, telle qu'est celle de l’eau de la mer dans les marées, qui non-seulement s'oppose comme obstacle au mouvementde l’eau du fleuve,mais comme corps en mouvement, et en mouvement contraire et opposé à celui du courant de l’eau du fleuve; ce remous fait un contre-courant d'autant plus sen- sible que la marée est plus forte. L'autre espèce * de remous n’a pour cause qu’une force morte, comme est celle d’un obstacle, d’une avance de terre, d’une île dans la rivière, ete. Quoique ce remous n’occasionne pas ordinairement un con- tre-courant bien sensible, il l’est cependant assez pour être reconnu, et même pour fatiguer les conducteurs des bateaux sur les rivières. Si cette espèce de remous ne fait pas toujours un contre- courant, il produit nécessairement ce que les gens de rivières appellent une morte, c'est-à- dire des eaux mortes, qui ne coulent pas comme le reste de la rivière, mais qui tournoient de fa- con que, quand les bateaux y sont entrainés, il faut employer beaucoup de force pour les en faire sortir. Ces eaux mortes sont fort sensibles dans toutes les rivières rapides au passage des ponts. La vitesse del’eau augmente, comme l’on sait, à proportion que lediamètredes canaux parotelle passe diminue, la force qui la pousse étant sup- posée lamème; la vitesse d’unerivière augmente done au passage d’un pont, dans la raison in- verse de la somme de la largeur des arches à a largeur totale de la rivière ; et encore faut-il aug- menter cette raison de celle de la longueur des arches, ou ce qui est le même, de la largeur du pont; l'augmentation de la vitesse de l’eau étant donc très-considérable en sortant de l'arche d’un pont , celle qui est à côté du courant est pous- sée latéralement et de côté contre les bords de la rivière, et par cette réaction, il se forme un mouvement de tournoiement quelquefois très- fort. Lorsqu'on passe sous le pont Saint-Esprit, les conducteurs sont forcés d’avoir une grande attention à ne pas perdre le fil du courant de l’eau, même après avoir passé le pont ; car, s'ils laissaient écarter le bateau à droite ou à gauche, on serait porté contre le rivage avec danger de périr, ou tout au moins on serait entraîné dans le tournoiement des eaux mortes, d’où l’on ne pourrait sortir qu'avec beaucoup de peine. Lors- que ce tournoiement , causé par le mouvement du courant et par le mouvement opposé du re- mous, est fort considérable, cela forme une es- pèce de petit gouffre; et l’on voit souvent dans les rivières rapides, à la chute de l’eau, au delà des arrière-becs des piles d’un pont, qu’ilse forme de ces petits gouffres ou tournoiements d’eau, dont le milieu parait être vide et former une es- pèce de cavité cylindrique autour de laquelle l’eau tournoie avec rapidité. Cette apparence de cavité cylindrique est produite par l’action de la force centrifuge, qui fait que l’eau tâche de s’éloigner et s'éloigne en effet du centre du tourbillon causé par le tournoiement. Lorsqu'il doit arriver une grande crue d’eau, les gens de rivière s’en aperçoivent par un mou- vement particulier qu’ils remarquent dans l’eau; ils disent que la rivière mouve de fond , c’est- à-dire que l’eau du fond de la rivière coule plus vite qu’elle ne coule ordihairement. Cette aug- mentation de vitesse dans l’eau du fond de la rivière annonce toujours, selon eux, un prompt etsubitaccroissement des eaux. Le mouvement et le poids des eaux supérieures qui ne sont point encore arrivées, ne laissent pas que d’agir sur les eaux de la partie inférieure de la rivière, et leur communiquent ce mouvement; car il faut, à certains égards , considérer un fleuve qui est contenu et qui coule dans son lit, comme une co- lonne d’eau contenue dans un tuyau, et lefleuve entier comme un très-long canal oùtous les mou- vements doivent se communiquer d’un bout à l'autre. Or, indépendamment du mouvementdes 172 eaux supérieures, leur poids seul pourrait faire augmenter la vitesse de la rivière et peut-être la faire mouvoir de fond ; car, on sait qu’en met- tant à l’eau plusieurs bateaux à la fois, on aug- mente dans ce moment la vitesse de la partie inférieure de la rivière , en même temps qu’on retarde la vitesse de la partie supérieure. La vitesse des eaux courantes ne suit pas exactement, ni même à beaucoup près, la pro- portion de la pente. Un fleuve dont la pente serait uniforme et double de la pente d’un au- tre fleuve, ne devrait, à ce qu'il parait, couler qu’une fois plus rapidement que celui-ci: mais il coule en effet beaucoup plus vite encore; sa vi- tesse, au lieu d’êtredouble, est triple, ou quadru- ple, ete. Cette vitesse dépend beaucoup plus de la quantité d’eau et du poids des eaux supérieu- res que de la pente ; et, lorsqu'on veut creuser le lit d’un fleuve ou celui d’un égout , ete., il ne faut pas distribuer la pente également sur toute la longueur ; il est nécessaire, pour donner plus de vitesse à l’eau, de faire la pente beaucoup plus forte aucommencementqu’à l'embouchure, où elle doit être presque insensible , comme nous le voyons dans les fleuves : lorsqu'ils ap- prochent de leur embouchure, la pente est pres- que nulle , et cependant ils ne laissent pas de conserver une rapidité d'autant plus grande que le fleuve a plus d’eau : en sorte que dans les grandes rivières, quand même le terrain serait de niveau, l’eau ne laisserait pas de couler, et même de couler rapidement, non-seulement par la vitesse acquise !, mais encore par l’action et le poidsdes eaux supérieures. Pour mieux faire sentir la vérité de ce que je viens de dire, sup- posons que la partie de la Seine, qui est entre le Pont-Neuf et le Pont-Royal , fût parfaitement de niveau, et que partout elle eût dix pieds de profondeur; imaginons pour un instant que tout d’un coup on püût mettre à sec le lit de la rivière au-dessous duPont-Royal et au-dessous du Pont- Neuf; alors l’eau qui seraitentre ces deux ponts, quoique nous l’ayons supposée parfaitement de niveau, coulera des deux côtés en haut et en bas, 1 C'est faute d'avoir fait ces réflexions que M. Kuhn dit que la source du Danube est au moins de deux milles d'Allema- gne plus élevée que son embouchure ; que la mer Méditer- ranée est de 6 + milles d'Allemagne plus basse que les sources du Nil; que la mer Atlantique est plus basse d'un demi-mille que la Méditerranée , etc., ce qui est absolument contraire à la vérité : au reste, le principe faux dont M, Kubhn tire toutes ces conséquences , n'est pas la seule erreur qui se trouve dans celle pièce sur l'origine des fontaines , qui a remporté le prix de l'Académie de Bordeaux en 1744, HISTOIRE NATURELLE. et continuera de couler jusqu'à ce qu’elle se soit épuisée; car, quoiquelle soit de niveau, comme elle est chargée d’un poids de dix pieds d’épais- seur d’eau, elle coulera des deux côtés avec une vitesse proportionnelle à ce poids; et cette vi- tesse diminuant toujours à mesure que la quan- tité d’eau diminuera, ellenecessera de couler que quand elle aura baissé jusqu’au niveau du fond. Le poids de l’eau contribue done beaucoup à la vitesse de l'eau; et c’est pour cette raison que la plus grande vitesse du courant n’est ni à la sur- face de l’eau, ni au fond, mais à peu près dans le milieu de la hauteur de l’eau, parce qu'elle est produite par l’action du poids de l’eau qui est à la surface, et par la réaction du fond. Il y a même quelque chose de plus; c’est que si un fleuve avait acquis une très-grande vitesse, il pourrait non-seulement la conserver en traver- sant un terrain de niveau, mais même il serait en état de surmonter une éminence sans se ré- pandre beaucoup des deux côtés, ou du moins sans causer une grande inondation. On serait porté à croire que les ponts, les le- vées et les autres obstacles qu’on établit sur les rivières, diminuent considérablement la vitesse totale du cours de l'eau; cependant cela n’y fait qu'une très-petite différence. L’eau s’élève à la rencontre de P’avant-bec d’un pont : cette éléva- tion fait qu’elle agit davantage par son poids , ce qui augmente la vitesse du courant entre les piles, d'autant plus que les piles sont plus lar- ges et les arches plus étroites, en sorte que le retardement que ces obstacles causent à la vi- tesse totale du cours de l’eau, est presque in- sensible, Les coudes, les sinuosités, les terres avancées, les îlés ne diminuent aussi que très- peu la vitesse totale du cours de l’eau. Ce qui produit une diminution très-considérable dans cette vitesse, c’est l’abaissement des eaux, comme au contraire l'augmentation du volume d'eau augmente cette vitesse plus qu'aucune autre cause. Si les fleuves étaient toujours à peu près éga- lement pleins , le meilleur moyen de diminuer la vitesse de l’eau et de les contenir, serait d’en élargir le canal : mais, comme presque tous ies fleuves sont sujets à grossir et à diminuer beau- coup, il faut au contraire, pour les contenir, rétrécir leur canal, parce que , dans les basses “aux, si le canal est fort large, l’eau qui passe dans le milieu y creuse un lit particulier, y forme des sinuosités; et, lorsqu'elle. vient à THÉORIE DE LA TERRE. grossir, elle suit cette direction qu’elle a prise dans ce lit particulier ; elle vient frapper avec force contre les bords du canal, ce qui détruit les levées et cause de grands dommages. On pourrait prévenir en partie ces effets de la fu- reur de l’eau , en faisant de distance en distance de petits golfes dans les terres, c’est-à-dire , en élevant le terrain de l’un des bords jusqu’à une certaine distance dans les terres : et pour que ces petits golfes soient avatageusement placés, il faut les faire dans l'angle obtus des sinuosités du fleuve ; car alors le courant de l’eau se dé- tourne et tournoie dans ces petits golfes , ce qui en diminue la vitesse. Ce moyen serait peut-être fort bon pour prévenir la chute des ponts dans les endroits où il n’est pas possible de faire des barres auprès du pont : ces barres soutiennent l’action du poids de l’eau ; les golfes dont nous venons de parler en diminuent le courant : ainsi tous deux produiraient à peu près le même effet, c’est-à-dire la diminution de la vitesse. La manière dont se font les inondations mé- rite une attention particulière. Lorsqu'une ri- vière grossit , la vitesse de l’eau augmente tou- jours de plus en plus jusqu’à ce que le fleuve commence à déborder : dans cet instant la vi- tesse de l’eau diminue ; ce qui fait que le débor- dement une fois commencé, il s'ensuit toujours une inondation qui dure plusieurs jours : car, quand même il arriverait une moindre quan- tité d’eau après le débordement qu'il n’en arri- vait auparavant , l’inondation ne laisserait pas de se faire, parce qu’elle dépend beaucoup plus de Ha diminution de la vitesse de l’eau que de la quantité de l’eau qui arrive. Si cela n’était pas ainsi, on verrait souvent les fleuves débor- der pour une heure ou deux , et rentrer ensuite dans leur lit, ce qui n’arrive jamais : l’inonda- tion dure au contraire toujours pendant quel- ques jours, soit que la pluie cesse ou qu’il arrive une moindre quantité d’eau, parce que le débor- dement a diminué la vitesse, et que par consé- quent, la même quantité d’eau n'étant plus emportée dans le même temps qu’elle l’était auparavant, c’est comme s’il en arrivait une plus grande quantité. L'on peut remarquer, à l’occasion de cette diminution, que s’il arrive qu’un vent constant souffle contre le courant de la riviere, l’inondation sera beaucoup plus grande qu’elle n'aurait été sans cette cause ac- cidentelle, quidiminuela vitesse de l’eau; comme | donner des règles générales q 175 au contraire, si le vent souffle dans la même di- rection que suit le courant de la rivière, l'inon- dation sera bien moindre et diminuera plus promptement. Voici ce que dit M. Granger du débordement du Nil. « La crue du Nil et son inondation a long- « temps occupé les savants ; la plupart n’ont u'ouvé que du merveilleux dans la chose du monde la plus naturelle, et qu'on voit dans tous les pays du monde. Ce sont les pluies qui tombent dans l’Abyssinie et dans V'É- thiopie qui font la croissance et l’inondation de ce fleuve; mais on doit regarder le vent du nord comme cause primitive, 19 parce qu'il chasse les nuages qui portent cette pluie du côté de l’Abyssinie; 20 parce que, étant le traversier des deux embouchures du Nil, il en fait refouler les eaux à contre-mont, et em - pêche par là qu’elles ne se jettent en trop grande quantité dans la mer : on s'assure tous les ans de ce fait, lorsque le vent étant au nord et changeant tout à coup au sud, le Nil « perd dans un jour ce dont il était crû dans « quatre. Pages 13 et 14, Voyag. de Granger, « Paris, 1745. » Les inondations sont ordinairement plus gran- des dans les parties supérieures des fleuves que dans les parties inférieures et voisines de leur embouchure, parce que, toutes choses étant égales d’ailleurs, la vitesse d’un fleuve va tou- jours en augmentant jusqu'à la mer; et, quoi- que ordinairement la pente diminue d'autant plus qu’il est plus près de son embouchure, la vitesse cependant est souvent plus grande par les raisons que nous avons rapportées. Le père Castelli, qui a écrit fort sensément sur cette matière, remarque très-bien que la hau- teur des levées qu’on a faites pour contenir le Pô, va toujours en diminuant jusqu’à la mer, en sorte qu'à Ferrare, qui est à cinquante ou soixante milles de distance de la mer, les levées ont près de vingt pieds de hauteur au-dessus de la surface ordinaire du PO ; au lieu que plus bas, à dix ou douze milles de distance de la mer, les levées n’ont pas douze pieds, quoique le canal du fleuve y soit aussi étroit qu’à Fer- rare. Voyez Raccolla d’autori che trattano del moto dell'acque, vol. I, p. 123. Au reste, la théorie du mouvement des eaux courantes est encore sujette à beaucoup de dif- ficultés et d’obseurités, et il est très-difficile de uissent s’ap- atlas Al'a 2 A 22 2 A na = A 174 HISTOIRE N pliquer à tous les cas particuliers : l’expérience est ici plus nécessaire que la spéculation ; il faut non-seulement connaitre par expérience les ef- fets ordinaires des fleuves en général, mais il faut encore connaître en particulier la rivière à laquelle on a affaire, si l’on veut en raisonner juste et y faire des travaux utiles et durables. Les remarques que j'ai données ci-dessus sont nouvelles pour la plupart : il serait-à désirer qu'on rassemblât beaucoup d'observations sem- blables, on parviendrait peut-être à éclaircir cette matière, et à donner des règles certaines pour contenir et diriger les fleuves, et prévenir la ruine des ponts, des levées, et les autres dommages que cause la violente impétuosité des eaux. Les plus grands fleuves de l’Europe sont le Wolga, qui a environ six cent cinquante lieues de cours depuis Reschow jusqu'à Astracan sur la mer Caspienne; le Danube, dont le cours est d'environ quatre cent cinquante lieues depuis les montagnes de Suisse jusqu’à la mer Noire; le Don, qui a quatre cents lieues de cours de- puis la source du Sosna, qu’il recoit, jusqu’à son embouchure dans la mer Noire; le Niéper, dont le cours est d’environ trois cent cinquante lieues, qui se jette aussi dans la mer Noire ; la Duina, qui a environ trois cents lieues de cours, et qui va se jeter dans la mer Blanche, etc. Les plus grands fleuves de l’Asie sont le Hoanho de la Chine, qui a huit cent cinquante lieues de cours en prenant sa sourte à Raja-Ri- bron, et qui tombe dans la mer de Ja Chine, au midi du golfe de Changi; le Jénisca de la Tar- tarie, qui a huit cents lieues environ d’étendue, depuis le lac Selinga jusqu’à la mer septentrio- nale de la Tartarie; le fleuve Oby, qui en a en- viron six cents, depuis le lac Kila jusque dans la mer du nord, au delà du détroit de Waïigats ; le fleuve Amour de la Tartarie orientale, qui a environ cinq centsoixante-quinze lieues de cours en comptant depuis la source du fleuve Kerlon, qui s’y jette, jusqu’à la mer de Kamtschàtka où il a son embouchure; le fleuve Menamcon , qui a son embouchure à Poulo-Condor, et qu’on peut mesurer depuis la source du Longmu qui s’y jette ; le fleuve Kian, dont le cours est en- viron de cingeent cinquante lieues, en le me- surant depuis la source de la rivière Kinxa, qu'il reçoit, jusqu’à son embouchure dans la mer de la Chine; le Gange, qui a aussi environ cinq cent cinquantelieues de cours; l’Euphrate, qui NATURELLE. en a cinq cents, en le prenant depuis la soure de!a rivière Irma qu’il recoit ; l’Indus , qui a en- viron quatre cents lieues de cours, et qui tombe dans la mer d'Arabie à la partie occidentale de Guzarat; le fleuve Sirderoias , qui a une éten- due de quatre cents lieues environ, et quise jette dans le lac Aral. Les plus grands fleuves de l’Afrique sont le Sénégal , qui a onze cent vingt-cinq lieues envi- ron de cours , en y comprenant le Niger, qui n'en est en effet qu’une continuation, et en re- montant le Niger jusqu’à la source du Gomba- rou, qui se jette dans le Niger ; le Nil, dont la longueur est de neuf cent soixante-dix lieues , et prend sa source dans la Haute-Éthiopie, où il fait plusieurs contours : il y a aussi le Zaïre et le Coanza , desquels on connait environ qua- tre cents lieues, mais qui s'étendent bien plus loin dans Îles terres du Monoémugi; le Coua- ma , dont on ne connait aussi qu'environ qua- tre cents lieues , et qui vient de plus loin, des terres de la Cafrerie; le Quilmanci, dont le cours entier est de quatre cents lieues , ét qui prend sa source dans le royaume de Gingiro. Enfin les plus grands fleuves de l'Amérique, qui sont aussi les plus larges fleuves du monde, sont la rivière des Amazones, dont le cours est de plus de douze cents lieues, si l’on remonte jusqu’au lac qui est près de Guanuco, à trente lieues de Lima, où le Maragnon prend sa source; et si l’on remonte jusqu’à la source de la rivière Napo, à quelque distance de Quito, le cours de la rivière des Amazones est de plus de mille lieues. Voyezle Voyage de M. de la Condamine. On pourrait dire que le cours du fleuve Saint- Laurent en Canada est de plus de neuf cents lieues , depuis son embouchure en remontant le lac Ontario et le lac Érié, de là au lac Huron, ensuite au lac Supérieur, de là au lac Alemipi- go, au lac des Christinaux, et enfin au lac des Assiniboïls, les eaux de tous ces lacs tombant des uns dans les autres , et enfin dans le fleuve Saint-Laurent. Le fleuve Mississipi a plus de sept cents lieues d’étendue depuis son embouchure jusqu’à quelques-unes de ses sources , qui ne sont pas éloignées du lac des Assiniboils dont nous ve- nons de parler. Le fleuve de la Plata a plus de huit cents lieues de cours, en le remontant depuis son em- bouchure jusqu'éls source de la rives qu’il reçoit. THÉORIE DE LA TERRE. Le fleuve Orénoque a plus de cinq cent soixante-quinze lieues de cours , en comptant depuis la source de la rivière Caketa près de Pasto , qui se jette en partie dans l’'Orénoque , et coule aussi en partie vers la rivière des Ama- zones. La rivière Madera , qui se jette dans celle des Amozones , a plus de six cent soixante ou six cent soixante-dix lieues. + Pour savoir à peu près la quantité d’eau que la mer recoit par tous les fleuves qui y arri- vent, supposons que la moitié du globe soit cou- verte par la mer , et que l’autre moitié soit terre sèche, ce qui est assez juste; supposons aussi que la moyenne profondeur de la mer, en la prenant dans toute son étendue, soit d’un quart de mille d'Italie , c’est-à-dire d'environ deux =cent trente toises , la surface de toute la terre étant de cent soixante-dix millions neuf cent | quatre-vingt-un mille douze milles , la surface | de la mer est de quatre-vingt-cinq millions qua- tre cent quatre-vingt-dix mille cinq cent six milles carrés, qui étant multipliés par 4, profon- deur de la mer, donnent vingt-un millions trois cent soixante-douze mille six cent vingt-six milles cubiques pour la quantité d’eau contenue dans l'océan tout entier. Maintenant pour cal- culer la quantité d’eau que l'Océan recoit des rivières , prenons quelque grand fleuve dont la vitesse et la quantité d’eau nous soient con- nues , le Pô, par exemple , qui passe en Lom- bardie et qui arrose un pays de trois cent qua- tre-vingt milles de longueur, suivant Riccioli : sa largeur , avant qu'il se divise en plusieurs bouches pour tomber dans la mer, est de cent perches de Bologne , ou de mille pieds, et sa profondeur de dix pieds ; sa vitesse est telle qu’il parcourt quatre milles dans une heure : ainsi le PÔ fournit à la mer deux cent mille perches cubiques d’eau en une heure, ou quatre millions huit cent mille dans un jour; mais un mille cubique contient cent vingt-cinq millions de perches eubiques : ainsi il faut vingt-six jours pour qu'il porte à la mer un mille cubique d’eau. Reste maintenant ä#déterminer la proportion qu’il y à entre la rivière du Pô et toutes les ri- vières de la terre prises ensemble, ce qu’il est impossible de faire exactement; mais, pour le savoir à peu près , supposons que la quantité d’eau que la mer reçoit par les grandes rivières dans tous les pays, soit proportionnelle à l’é- tendue et à la surface de ces pays , et que par 179 conséquent le pays arrosé par le PÔ et par les rivières qui y tombent soit à la surface de toute la terre sèche en même proportion que le Pô est à toutes les rivières de la terre. Or, par les car- tes les plus exactes, le Pô, depuis sa source jus- qu’à son embouchure, traverse un pays de trois cent quatre-vingts milles de longueur, et les ri- vières qui y tombent de chaque côté viennent de sources et de rivières qui sont à environ soixante milles de distance du PÔ : ainsi ce fleuve et les rivières qu'il reçoit arrosent un pays de trois cent quatre-vingts milles de long et decent vingt milles de large, ce qui fait quarante- cinq mille six cents milles carrés. Mais la sur- face de toute la terre sèche est de quatre-vingt- cinq millions quatre cent quatre-vingt-dix mille cinq cent six milles carrés; par conséquent la | quantité d’eau que toutes les rivières portent à la mer, sera dix-huit cent soixante-quatorze fois plus grande que la quantité que le Pà lui four- nit : mais comme vingt-six rivières comme le Pô | fournissent un mille cubique d’eau à la mer par | jour, il s'ensuit que dans l’espace d’un an mille huit cent soixante-quatorze rivières comme le P6 fourniront à la mer vingt-six milletrois cent huit milles cubiques d’eau , et que dans l’espace de huit cent douze ans toutes ces rivières four- niraient à la mer vingt-un millions trois cent soixante-douze mille six cent vingt-six milles cubiques d’eau, c’est-à-dire autant qu'il y en a dans l'Océan, et que par conséquent il ne fau- drait que huit cent douze ans pour le remplir. Voyez J. Keily, Examinalion of Burnel’s Theory. London , 1734. II résulte de ce calcul, que la quantité d’eau que l’évaporation enlève de la surface de la mer, que les vents transportent sur la terre, et qui produit tous les ruisseaux et tous les fleuves, est d'environ deux cent quarante-cinq lignes, ou de vingt à vingt et un pouces par an, ou d'environ les deux tiers d’une ligne par jour ; ceci est une très-petite évaporation, quand même on la doublerait ou triplerait, afin de te- nir compte de l’eau qui retombe sur la mer, et qui n’est pas transportée sur la terre. Voyez sur ce sujet l’Ecrit de Haley dans les Trans- actions philosoph., n° 192, où il fait voir évi- demment et par le caleul, que les vapeurs qui s'élèvent au-dessus de la mer et que les vents transportent sur la terre, sont suffisantes pour former toutes les rivières et entretenir toutes les eaux qui sont à la surface de la terre. 176 Après le Nil, le Jourdain est le fleuve le plus considérable qui soit dans le Levant, et même | dans la Barbarie : il fournit à la mer Morte en- viron six millions de tonnes d’eau par jour : toute cette eau, et au-delà, est enlevée par l'é- | vaporation ; car en comptant, suivant le caleul | de Halley, six mille neuf cent quatorze tonnes d’eau qui se réduit en vapeurs sur chaque mille superficiel , on trouve que la mer Morte, qui a soixante-douze milles de long sur dix-huit milles de large, doit perdre tous les jours par l’évapo- ration près de neuf millions de tonnes d’eau, c'est-à-dire non-seulement toute l’eau qu’elle recoit du Jourdain, mais encore celle des pe- tites rivières qui y arrivent des montagnes de Moab et d’ailleurs : par conséquent elle ne com- | munique avec aucune autre mer par des ca- naux souterrains. Les fleuves les plus rapides de tous sont le Tigre, l’Indus, le Danube, lYrtis en Sybérie, le Malmistra en Cihicie, ete. Voy. Varenii Geogr. pag. 118; mais, comme nous l'avons dit au commencement de cet article, la mesure de la | vitesse des eaux d’un fleuve dépend de deux causes : la première est la pente, et la seconde le poids et la quantité d’eau. En examinant sur le globe quels sont les fleuves qui ont le plus de pente, on trouvera que le Danube en a beau- coup moins que le Pô, le Rhin et le Rhône, puisque, tirant quelques-unes de ses sources des mêmes montagnes , le Danube a un cours beaucoup plus long qu'aucun de ces trois au- tres fleuves , et qu’il tombe dans la mer Noire, qui est plus élevée que la Méditerranée, et peut-être plus que l'Océan. Tous les grands fleuves recoivent beaucoup d’autres rivieres dans toute l’étendue de leur cours ; on a compté, par exemple, que le Da- nube en recoit plus de deux cents, tant ruis- seaux que rivières. Mais, en ne comptant que les rivières assez considérables que les fleuves reçoivent, on trouvera que le Danube en recoit trente ou trente et une, le Volga en recoit trente- deux ou trente-trois, le Don cinq ou six, le Niéper dix-neuf ou vingt, la Duina onze ou douze; et de même en Asie le Hoanho recoit trente-quatre ou trente-cinq rivières, le Jénisca en recoit plus de soixante, l'Oby tout autant, le fleuve Amour environ quarante; le Kian ou fleuve de Nanquin en reçoit environ trente, le Gange plus de vingt, l’Euphrate dix ou onze, ete. En Afrique, le Sénégal reçoit plus ! HISTOIRE NATURELLE. d de vingt rivières : le Nil ne reçoit aucune ri- vière ,qu’à plus de cinq cents lieues deson em- bouchure : la dernière qui y tombe est le Mo- | raba; et de cet endroit jusqu’à sa source il reçoit environ douze ou treize rivières. En Amérique, le fleuvedes Amazones en recoit plus de soixan- | te, et toutes fort considérables ; le fleuve Saint- | Laurent, environ quarante, en comptant celles qui tombent dans les lacs; le fleuve Mississipi plus de quarante, le fleuve de la Plata plus de cinquante, etc. Il y a sur la surface de la terre des contrées élevées qui paraissent être des points de par- tage marqués par la nature pour la distri- bution des eaux. Les environs du mont Saint- Gothard sont un de ces points en Europe. Un autre point est le pays situé entre les pro- vinces de Belozera et de Vologda en Moscovie, ” d'où descendent des rivières dont les unes vont à la mer Blanche, d’autres à la mer Noire, et d’autres à la mer Caspienne; en Asie, le pays | des Tartares-Mogols, d’où il coule des rivie- res dont les unes vont se rendre dans la mer Tranquille ou mer de la Nouvelle-Zemble, d’au- tres au golfe de Linchidolin, d’autres à la mer de Corée, d’autres à celle de la Chine ; et de même le Petit-Thibet , dont les eaux coulent vers la mer de la Chine, vers le golfe de Ben- | gale , vers le golfe de Cambaïe et vers le lac Aral; en Amérique, la province de Quito , qui | fournit des eaux à la mer du Sud, à la mer du | Nord et au golfe du Mexique. Il y a dans l’ancien continent environ quatre cent trente fleuves qui tombent immédiatement dans l'Océan ou dans la Méditerranée et la mer Noire; et dans le nouveau continent, on ne con- nait guère que cent quatre-vingts fleuves qui tombent immédiatement dans la mer ; au reste , je n'ai compris dans ce nombre que des rivières grandes au moins comme l’est la Somme en Pi- cardie. Toutes ces rivières transportent à la mer avec leurs eaux une grande quantité de parties mi- nérales et salines qu’elles ont enlevées des dif- férents terrains par où elles ont passé. Les particules de sel qui, comme l’on sait, se dissol- vent aisément, arrivent à la mer avec les eaux des fleuves- Quelques physiciens , et entre au- tres Halley , ont prétendu que la salure de la mer ne provenait que des sels de la terre que les fleuves y transportent ; d’autres ont dit que la salure de la mer était aussi ancienne que la mer THÉORIE DE LA TERRE 177 même; et que ce sel n'avait été créé que pots l'empêcher de se corrompre : mais on peut croire que l’eau de la mer est préservée de la corruption par l'agitation des vents et par celle du flux et du reflux , autant que par le sel qu'elle contient; car, quand on la garde dans un tonneau , elle se corrompt au bout de quel- ques jours, et Boyle rapporte qu'un naviga- teur, pris par un calme qui dura treize jours, trouva la mer si infectée au bout de ce temps, que si le calme n’eût cegsé, la plus grande par- tie de son équipage aurait péri. ( Voy. Boyle, vol. IT, page 222.) L'eau de la mer est aussi mê- lée d’une huile bitumineuse, qui lui donne un goût désagréable et qui la rend très-malsaine. La quantité de sel que l’eau de la mer contient . est d'environ une quarantième partie , et la mer est à peu près également salée partout, au- dessus comme au fond , également sous la ligne et au cap de Bonne-Espérance , quoiqu'il y ait quelques endroits , comme à la côte de Mozam- bique, où elle est plus salée qu'ailleurs. ( Voy. Boyle , vol. IT, page 217.) On prétend aussi qu’elle est moins salée dans la zone arctique : cela peut venir de la grande quantité de neige et des grands fleuves qui tombent dans ces mcrs, et de ce que la chaleur du soleil n’y pro- duit que peu d’évaporation , en comparaison de l’évaporation qui se fait dans les climats chauds. Quoi qu'il en soit , je crois que les vraies cau- ses de la salure de la mer sont non-seulement les bancs de sel qui ont pu se trouver au fond de la mer et le long des côtes , mais encore les sels mème de la terre que les fleuves y trans- portent continuellement : et que Halley a eu quelque raison de présumer qu’au commence- ment du monde la mer n’était que peu ou point salée , qu’elle l’est devenue par degrés et à me- surequeles fleuves y ont amené des sels; que cette salure augmente peut-être tous les jours et augmentera toujours de plus en plus, et que par conséquent il a pu conclure qu’en faisant des expériences pour reconnaitre la quantité de sel dont l’eau d’un fleuve est chargée lorsqu'elle arrive à la mer, et qu’en supputant la quantité d'eau que tous les fleuves y portent, on vien- drait à connaitre l’ancienneté du monde par le degré de la salure de la mer. Les plongeurs et les pêcheurs de perles assu- rent, au rapport de Boyle, que plus on descend dans la mer, plus l’eau est froide; que le froid 1. est même si grand à une profondeur considé- rable, qu'ils ne peuvent le souffrir, et que c’est par cette raison qu'ils ne demeurent pas aussi longtemps sous l’eau , lorsqu'ils descendent à une profondeur un peu grande, que quand ils ne descendent qu’à une petite profondeur. Ilme paraît que le poids de l’eau pourrait en être la cause aussi bien que le froid, si on descendait à une grande profondeur, comme trois ou quatre cents brasses; mais, à la vérité, les plongeurs ne descendent jamais à plus de cent pieds ou envi- ron. Le même auteur rapporte que dans un voyage aux Indes orientales, au-delà de la ligne, à environ trente-cinq degrés de latitude sud, on laissa tomber une-sonde à quatre cents brasses de profondeur , et qu'ayant retiré cette sonde, qui était de plomb et qui pesait environ trente à trente-cinq livres, elle était devenue si froide, qu'il lui semblait toucher un morceau de giace, On sait aussi que les voyageurs, pour rafraichir leur vin, descendent les bouteilles à plusieurs brasses de profondeur dans la mer; et plus on les descend, plus le vin est frais. Tous ces faits pourraient faire présumer que l’eau de la mer est plus salée au fond qu’à la surface; cependant on a des témoignages con- traires, fondés sur des expériences qu’on a faites pour tirer dans des vases, qu’on ne débouchait qu'à une certaine profondeur, de l’eau de la mer, laquelle ne s’est pas trouvée plus salée que celle de la surface : il y a même des endroits où l'eau de la surface étant salée, l’eau du fond se trouve douce, et cela doit arriver dans tous les lieux où il y a des fontaines et des sources qui sourdent du fond de la mer, comme auprès de Goa, à Ormuz , etmême dans la mer de Naples, où il y a des sources chaudes dans le fond. I y a d’autres endroits où l’on a remarqué des sources bitumineuses et des couches de bi- tume au fond de la mer; et sur la terre, il y a une grande quantité de ces sources qui portent le bitume mêlé avec l’eau dans la mer. A la Bar- bade il ÿ a une source de bitume pur qui coule des rochers jusqu’à la mer; le sel et le bitume sont done les matières dominantes dans l’eau de la mer : maïs elle est encore mélée de beau- coup d'autres matières ; car le goût de l’eau n’est pas le même dans toutes les parties de l'Océan. D'ailleurs l'agitation et la chaleur du soleil alte- rent le goût naturel que devrait avoir l’eau dela mer, et les couleurs différentes des différentes mers, et des mêmes mers en différents temps , 12 178 : prouvent que l'eau de la mer contient des ma- tières de bien des espèces, soit qu’elle les dé- tache de son propre fond , soit qu’elles y soient amenées par les fleuves. Presque tous les pays arrosés par de grands fleuves sont sujets à des inondations périodi- ques, surtout les pays bas et voisins de leur embouchure; et les fleuves qui tirent leurs sources de fort loin sont ceux qui débordent le plus régulièrement. Tout le monde a entendu parler des inondations du Nil : il conserve dans un grand espace, et fort loin dans la mer, la douceur et la blancheur de ses eaux. Strabon et les autres anciens auteurs ont écrit qu'il avait sept embouchures; mais aujourd'hui il n’en reste que deux qui soient navigables ; il y à un troisième canal qui descend à Alexandrie pour remplir les citernes, et un quatrième canal qui est encore plus petit. Comme on a négligé de- puis fort longtemps de nettoyer les canaux, ils se sont comblés. Les anciens employaient à ce travail un grand nombre d'ouvriers et de sol- dats ; et tous les ans, après l’inondation , l’on enlevait le limon et le sable qui étaient dansles canaux ; ce fleuve en charrie une très-grande quantité. La cause du débordement du Nil vient des pluies qui tombent en Éthiopie : elles com- mencent au mois d'avril, et ne finissent qu’au mois de septembre. Pendant les trois premiers mois les jours sont sereins et beaux : mais, dès que le soleil se couche , il pleut jusqu’à ce qu’il se lève ; ce qui est accompagné ordinairemeut de tonnerres et d’éclairs. L’inondation ne com- mence en Egypte que vers le 17 de juin : elle augmente ordinairement pendant environ qua- rante jours , et diminue pendant tout autant de temps : tout le plat pays de l'Égypte estinondé. Mais ce débordement est bien moins considé- rable aujourd’hui qu'il ne l'était autrefois; car Hérodote nous dit que le Nil était cent jours à croître et autant à décroitre. Si le fait est vrai, on ne peut guère en attribuer la cause qu’à l’é- lévation du terrain, que le limon des eaux a haussé peu à peu, et à la diminution de la hauteur des montagnes de l’intérieur de l’Afri- que, dont il tire sa source ; il est assez naturel d'imaginer que ces montagnes ont diminué , parce que les pluies abondantes qui tombent dons ces climats pendant la moitié de l’année, entrainent les sables et les terres du dessus des montagnes dans les vallons, d’où les torrents les charrient dans le canal du Nil, qui en em- HISTOIRE NATURELLE, porte une bonne partie en Egypte, où il les dé- pose dans ses débordements. Le Nil n’est pas le seul fleuve dont les inon- dations soient périodiques et annuelles : on à appelé la rivière de Pégu le Nil indien , parce que ses débordements se font tous les ans régu- lièrement ; il inonde ce pays à plus de trente lieues de ses bords, et il laisse , comme le Nil, un limon qui fertilise si fort la terre, que les pâturages y devienneyt excellents pour le bé- tail , et que le riz y vient en si grande abon- dance , qu’on en charge tous les ans un grand nombre de vaisseaux, sans que le pays en manque. (Voyez les voyages d'Owington , tome IT, page 290.) Le Niger, ou, ce qui re- vient au même, la partie supérieure du Séné- gal , déborde aussi comme le Nil, et l’inonda- tion qui couvre tout le pays plat de la Nigritie, commence à peu près dans le mème temps que celle du Nil, vers le 15 juin; elle augmente aussi pendant quarante jours. Le fleuve de la Plata au Brésil déborde aussi tous les ans, et dans le même temps que le Nil ; le Gange, l’In- dus , l’Euphrate et quelques autres débordent aussi tous les ans : mais tous les autres fleuves n’ont pas des débordements périodiques ; et quand il arrive des inondations , c’est un effet de plusieurs causes qui se combinent pour four- nir une plus grande quantité d’eau qu’à l’ordi- naire , et pour retarder en même temps la vi- tesse du fleuve. Sd Nous avons dit que dans presque tous les fleuves la pente de leur lit va toujours en dimi- nuant jusqu’à leur embouchure , d’une manière assez insensible : mais il y en a dont la pente est très-brusque dans certains endroits, ce qui forme ce qu’on appelle une cataracte , qui n’est autre chose qu’une chute d’eau plus vivequele courant ordinaire du fleuve. LeRhin, parexem- pie, a deux cataractes, l’une à Bielefeld ; et lau- tre auprès de Schaffhouse. Le Nil en a plusieurs, et entre autres deux qui sont très-violentes et qui tombent de fort haut entre deux montagnes. La rivière Vologda en Moscovie a aussi deux cataractes auprès de Ladoga. Le Zaire , fleuve du Congo, commence par une forte cataracte qui tombe du haut d’une montagne. Maïs la plus fameuse cataracte est celle de la rivière Niagara en Canada ; elle tombe de cent cin- quante-six pieds de hauteur perpendiculaire , comme un torrent prodigieux, et elle à plus ! d'un quart de lieue de largeur : la brume ou Je , | | | THÉORIE DE LA TERRE. brouillard que l’eau fait en tombant , se voit de cinq lieues et s'élève jusqu'aux nues; il s’y forme un très-bel arc-en-ciel lorsque le soleil donne dessus. Au-dessous de cette cataracte il y a des tournoiements d’eau si terribles , qu’on ne peut y naviguer jusqu’à six milles de dis- tance; et au-dessus de la cataracte la rivière est beaucoup plus étroite qu’elle ne l’est dans les terres supérieures. ( Voy. Transact. philo- soph. abr., vol. VI, part. IE, page (19 Woïci la description qu’en donne le père Charlevoix : « Mon premier soin fut de visiter la plus « belle cascade qui soit peut-être dans la na- «a ture; mais je reconnus d’abord que le baron « de la Hontan s'était trompé sur sa hauteur « et sur sa figure, de manière à faire juger « qu'il ne l’avait point vue. « Il est certain que, si on mesure sa hauteur « par les trois montagnes qu’il faut franchir « d'abord , il n’y a pas beaucoup à rabattre des « six cents pieds que lui donne la carte de « M. Delisle, qui, sans doute, n’a avancé ce « paradoxe que sur la foi du baron de la Hon- « tan et du père Hennepin : mais, après que je « fus arrivé au sommet de la troisième monta- « gne, j'observai que, dans l’espace de trois « lieues que je fis ensuite jusqu’à cette chute « d’eau , quoiqu'il faille quelquefois monter, il « faut encore plus descendre; et c’est à quoi « ces voyageurs paraissent n'avoir pas fait as- « sez d'attention. Comme on ne peut approcher « la cascade que de ce côté, ni la voir que de « profil, iln’est pas aisé d’en mesurer la hauteur « avec les instruments : on a voulu le faire avec « une longue corde attachée à une longue per- « che; et après avoir souvent réitéré cette ma- « nière on n’a trouvé que cent quinze ou cent « vingt pieds de profondeur : mais il n’est pas « possible de s'assurer si la perche n’a pas été « arrêtée par quelque rocher qui avançait ; car, « quoiqu’on l’eût toujoursretiréemouillée, aussi « bien qu’un bout de la corde à quoi elle était « attachée , cela ne prouve rien, puisque l’eau « qui se précipite de la montagne rejaillit fort « haut en écumant. Pour moi, après l’avoir eon- « sidérée de tous les endroits d’où on peut l’exa- « miner à son aise, j'estime qu'on ne saurait « lui donner moins de cent quarante ou cent « cinquante pieds. ; « Quant à sa figure, elle est en fer à cheval, « et elle a environ quatre cents pas de circon- « férence : mais, précisément dans son milieu , 179 elle est partagée en deux par une ile fort étroite et d’un demi-quart de lieue de long, qui y aboutit. Il est vrai que ces deux parties ne tardent pas à se joindre : celle qui était de mon côté, et qu’on ne voyait que de profil, a plusieurs pointes qui avancent ; mais celle que je découvyrais en face me parut fort unie. Le baron de la Hontan y ajoute un torrent qui vient de l’ouest : il faut que dans la fonte des neiges les eaux sauvages viennent se déchar- « ger là par quelque ravine, etc. Il y a une autre cataracte à trois lieues d’AI- banie, dans la province de la Nouvelle-York, qui a environ cinquante pieds de hauteur perpen- diculaire, et de cette chute d’eau il s’élève aussi un brouillard dans lequel on aperçoit un léger arc-en-ciel, qui change de place à mesure qu’on s’en éloigne ou qu’on s’en approche. ( Voyez Trans. phil. abr. vol. VI, part. I.) En général, dans tous les pays où le nombre d'hommes n’est pas assez considérable pour for- mer des sociétés policées, les terrains sont plus irréguliers et lelitdes fleuves plus étendu, moins égal , et rempli de cataractes. Il a fallu des siè- cles pour rendre le Rhône et la Loire navigables. C’est en contenant les eaux , en les dirigeant et en nettoyant le fond des fleuves, qu’on leur donne un cours assuré; dans toutes les terres où il y a peu d'habitants, la nature est brute, et quelquefois difforme. Il y a des fleuves qui se perdent dans les sa- bles, d’autres qui semblent seprécipiter dans les entrailles de la terre ; le Guadalquivir en Espa- gne, la rivière de Gottemburg en Suède, et le Rhin même, se perdent dans la terre. On assure que dans la partie occidentale de l’île Saint- Domingue, il y a une montagne d’une hauteur considérable, au pied de laquelle sont plusieurs cavernes où les rivières et les ruisseaux se pré- cipitent avec tant de bruit, qu’on l’entend de sept ou huit lieues. ( Vid. Varenii Geograph. gener., page 43.) Au reste, lenombre de ces fleuves qui se per- dent dans le sein de la terre est fort petit, etil n’y a pas d'apparence que ces eaux descendent bien bas dans l’intérieur du globe ; il est plus vraisemblable qu’elles se perdent , comme celles du Rhin, en se divisant dans les sables : ce qui est fort ordinaire aux petites rivières qui arro- sent les terrains secs etsablonneux ; on en a plu- sieurs exemples en Afrique, en Perse, en Ara- bie, etc. 2 A2 22 R 20 { 180 Les fleuves du Nord transportent dans les mers une prodigieuse quantité de glaçons qui, venant à s'aceumuler, forment ces masses énor- mes de glace si funestes aux voyageurs. Un des endroits de la mer Glaciale, où elles sont le plus abondantes , est le détroit de Waigats, qui est gelé en entier pendant la plus grande partie de l'année : ces glaces sont formées des glaçons que le fleuve Oby transporte presque continuel- lement ; elles s’attachent le Iong des côtes, et s'élèvent à une hauteur considérable des deux côtés du détroit : le milieu du détroit est l’en- droit qui gèle le dernier, et où la glace est le moins élevée; lorsque le vent cesse de venir du nord, et qu'ilsouffle dans la direction du détroit, la glace commence à fondre et à se rompre dans le milieu ; ensuite il s’en détache des côtes de grandes masses qui voyagent dans la haute mer. Le vent, qui pendant l'hiver vient du nord et passe sur les terres gelées de la Nouvelle- Zemble, rend le pays arrosé par l'Oby, et toute la Sibérie si froids, qu'à Tobolsk même, qui est au 57° degré, il n’y a point d'arbres fruitiers, tandis qu'en Suède, à Stokholm, et même à de plus hautes latitudes, on a des arbres fruitiers et des légumes. Cette différence ne vient pas, comme on l’a cru , de ce que la mer de Laponie est moins froide que celle du détroit, ou de ce que la terre de la Nouvelle-Zemble l’est plus que celle de la Laponie, mais uniquement de ce que la mer Baltique et le golfe de Bothnie adou- cissent un peu la rigueur des vents du nord; au lieu qu’en Sibérie il n’y a rien qui puisse tem- pérer l'activité du froid. Ge que je dis ici est fondé sur de bonnes observations ; il ne fait ja- mais aussi froid sur les côtes de la mer que dans l'intérieur des terres : il y à des plantes qui passent l'hiver en plein air à Londres, et qu’on ne peut conserver à Paris ; et la Sibérie, qui fait un vaste continent où la mer n’entre pas, est, par cette raison , plus froide que la Suède, qui est environnée de la mer presque de tous côtés. Le pays du monde le plus froid est le Spitz- berg : c’est une terre au 78° degré de latitude, toute formée de petites montagnes aiguës; ces montagnes sont composées de gravier et de cer- taines pierres plates, semblables à de petites pierres d’ardoise grise, entassées les unes sur les autres. Ces collines se forment, disent les voya- geurs, de ces petites pierres et de ces graviers que les vents amoncèlent; elles croissent à vue d'œil, et les matelots en découvrent tous les ans HISTOIRE NATURELLE, de nouvelles : on ne trouve dans ce pays que des rennes, qui paissent une petite herbe fort courte et de la mousse. Au-dessus de ces petites mon- tagnes , et à plus d’une lieue dans la mer, on a trouvé un mât qui avait une poulie attachée à un de ses bouts, ce qui a fait penser que la mer passait autrefois sur ces montagnes, et que ce pays est formé nouvellement : il est inhabité et inhabitable ; le terrain qui forme ces petites montagnes n'a aucune liaison, et il en sort une vapeur si froide et si pénétrante , qu’on est gelé pour peu qu’on y demeure. Les vaisseaux qui vont au Spitzberg pour la pêche de la baleine, y arrivent au mois de juil- let, et en partent vers le 15 d’août; les glaces empécheraient d'entrer dans cette mer avant ce temps, et d’en sortir après : on y trouve des morceaux prodigieux de glaces épaisses de soixante , soixante-dix et quatre-vingts bras- ses. Il y a des endroits où il semble que la mer soit glacée jusqu'au fond : ces glaces qui sont si élevées au-dessus du niveau de Ja mer sont claires et luisantes comme du verre. Voyez le Recueil des Voyages du Nord, t. I, page 154. Il y a aussi beaucoup de glaces dans les mers du nord de l'Amérique, comme dans la baie de l’Ascension , dans les détroits de Hudson, de Cumberland, de Davis, de Forbisher, ete. Ro- bert Lade nous assure que les montagnes de Frisland sont entièrement couvertes de neige, et toutes les côtes de glace , comme d’un boule- vard qui ne permet pas d’en approcher : «Il «est, dit-il, fort remarquable que dans cette « mer on trouve des Îles de glace de plus d’une « demi-lieue de tour, extrêmement élevées , et « qui ont soixante-dix ou quatre-vingts brasses « de profondeur dansla mer : cette glace, quiest « douce, est peut-être formée dans les détroits « des terres voisines, ete. Ces iles ou montagnes « de glace sont si mobiles, que dans des temps « orageux elles suivent la course d’un vaisseau « commesielles étaient éntrainées dans lemême « sillon : il y en a de si grosses, que leur super- « ficie au-dessus de l’eau surpasse l’extrémité « des mâts des plus gros navires, ete. » On trouve dans le Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes de Hollande, un petit journal historique au sujet des glaces de la Nouvelle-Zemble, dont voici l'extrait. « Au cap de Troost le temps fut « si embrumé, qu’il fallut amarrer le vaisseau à & un banc de glace qui avait trente-six brasses D e « D D'OR. 0. RD. 22222124 «A 2 RAAS=S2=s= 2 EURE AR 0 n An ‘en BIMRLAE THÉORIE DE de ondeur dans l’eau, et environ seize brassesau-dessus, si bienqu'il avaiteinquante- deux brasses d'épaisseur. « Le 10 août, les glaces s'étant séparées, les glacens commencèrent à flotter , et alors on remarqua que le gros banc de glace auquel le vaisseau avait été amarré, touchait au fond , | parce que tous les autres passaient au long et le heurtaient sans l’ébranler; on craignit done de demeurer pris dans les glaces , et on tâcha de sortir de ce parage, quoiqu’en pas- sant on trouvât déjà l’eau prise , le vaisseau faisant craquer la glace bien loin autour de lui : enfin on aborda un autre banc où l'on porta vite l'ancre de toue , et l’on s’y amarra | jusqu’au soir. « Après le repas, pendant le premier quart, les glaces commencèrent à se rompre avec un bruit si terrible qu’il n’est pas possible de l’exprimer. Le vaisseau avait le cap au cou- rant qui charriait les glaçons, si bien qu'à fal- lut filer du câble pour se retirer; on compta | plus de quatre cents gros bancs de glace, qui enfoncaient de dix brasses dans l’eau, et pa- raissaient de la hauteur de deux brasses au- | dessus. « Ensuite on amarra le vaisseau à un autre banc qui enfoncait de six grandes brasses, et l'on y mouilla en croupière. Dès qu’on y fut établi, on y vit encore un autre banc peu éloi- gné de cet endroit-là , dont le haut s'élevait | en pointe , tout de même que la pointe d’un | clocher, et il touchait le fond de la mer; on s’avança vers ce bane, etl’on trouva qu'il avait vingt brasses de haut dans l’eau, et à peu près douze brasses au-dessus. « Le 11 août on nagea encore vers un autre | bane qui avait dix-huit brasses de profondeur et dix brasses au-dessus de l’eau. « Le 21, les Hollandais entrèrent assez avant dans le port des glaces , et y demeurèrent à l’ancre pendant la nuit : le lendemain matin ils se retirèrent et allèrent amarrer leur bâti- ment à un banc de glace, sur lequel ils mon- tèrent et dont ils admirèrent la figure, comme une chose très-singulière ; ce banc était cou- vert de terre sur le haut, et on y trouva près de quarante œufs; la couleur n’en était pasnon plus comme celle de la glace, elle était d’un bleu céleste. Ceux qui étaient là raisonnèrent beaucoup sur cet objet ; les uns disaient que c'était un effet de la glace, et les autres sou- LA TERRE. 1S1 « tenaient que c'était une terre gelée. Quoi qu'il « en füt, ce bancétait extrêmement haut, il avait «environ dix-huit brasses sous l’eau et dix « brasses au-dessus. » Wafer rapporte que près de la terre de Feu il a rencontré plusieurs glaces flottantes très- élevées, qu'il prit d’abord pour des îles. Quel- ques-unes, dit-il, paraissaient avoir une lieue ou deux de long, et la plus grosse de toutes lui parut avoir quatre ou cinq cents pieds de haut. Toutes ces glaces, comme je l'ai dit dans l’ar- ticle VI, viennent des fleuves qui les transpor- tent dans la mer; celles de la mer de la Nou- velle-Zemble et du détroit de Waigats viennent de l’Oby, et peut-être du Jénisca et des autres grands fleuves de la Sibérie et de la Tartarie; celles du détroit de Hudson viennent de la baie de l’Ascension,où tombent plusieurs fleuves du nord de l'Amérique ; celles de la terre de Feu viennent du continent austral; et s’il y en a moins sur les côtes de la Laponie septentrionale que sur celles de la Sibérie et au détroit de Wai- gats, quoique la Laponieseptentrionale soit plus près du pôle, c’est que toutes les rivières de la Laponie tombent dans le golfe de Bothnie, et qu'aucune ne va dans la mer du Nord. Elles peuvent aussi se former dans les détroits oùles marées s'élèvent beaucoup plus haut qu’en pleine mer, et où par conséquent les glaçons qui sont à la surface peuvent s’amonceler et former ces bancs de glace qui ont quelques brasses de hau- teur : mais pour celles qui ont quatre ou cinq | cents pieds de hauteur, il me paraït qu’elles ne | peuvent se former aïlleurs que contre des côtes élevées, et j'imagine que dans le temps de Ja fonte des neiges qui couvrent le dessus de ces côtes, il en découle des eaux qui, tombant sur des glaces, se glacent elles-mêmes de nouveau, et augmentent ainsi le volume des premieres jusqu’à cette hauteur de quatre ou cinq cents pieds; qu’ensuite dans un été plus chaud, par l’action des vents et par l'agitation de la mer, et peut-être même parleur propre poids, ces gla- ces collées contre les côtes se détachent et voyagent ensuite dans la mer au gré du vent, et qu’elles peuvent arriver jusque dans les cli- mats tempérés avant que d’être entièrement fondues. 182 HISTOIRE NATURELLE. ADDITIONS A L'ARTICLE QUI À POUR TITRE : DES FLEUVES. Observations qu'il faut ajouter à celles que j'ai données sur la théorie des eaux courantes. Au sujet de la théorie des eaux courantes, je vais ajouter une observation nouvelle que j'ai faite depuis que j'ai établi des usines, où la dif- férente vitesse de l’eau peut sereconnaître assez exactement. Sur neuf roues qui composent le mouvement de ces usines, dont les unes reçoi- vent leur impulsion par une colonne d’eau de deux ou trois pieds, et les autres de cinq à six pieds de hauteur, j’ai été assez surpris d’abord de voir que toutes ces roues tournaient plus vite la nuit que le jour, et que la différence était d'autant plus grande que la colonne d’eau était plus haute et plus large. Par exemple, si l’eau a six pieds de chute, c’est-à-dire si le bief près de la vanne a six pieds de hauteur d’eau, et que l’ouverture de la vanne ait deux pieds de hauteur, la roue tournera pendant la nuit d’un dixième et quelquefois d’un neuvième plus vite que pendant le jour; et, s’il y a moins de hau- teur d’eau, la différence entre la vitesse pendant la nuit et pendant le jour sera moindre, mais toujours assez sensible pour être reconnue. Je me suis assuré de ce fait, en mettant des mar- ques blanches sur les roues et en comptant avec une montre à secondes le nombre de leurs révo- lutions dans un même temps, soit la nuit, soit le jour, et j’ai constamment trouvé, par.un très- grand nombre d'observations, que le temps de la plus grande vitesse des roues était l’heure la plus froide de la nuit, et qu’au contraire celui de la moindre vitesse était le moment de la plus grande chaleur du jour : ensuite j'ai de même “reconnu que la vitesse de toutes les roues est gé- néralement plus grande en hiver qu’en été, Ces faits, qui n’ont été remarqués par aucun phy- sicien, sont importants dans la pratique. La théorie en est bien simple : cette augmentation de vitesse dépend uniquement de la densité de l'eau, laquelle augmente par le froid et diminue par le chaud ; et, comme il ne peut passer que le même volume par la vanne, il se trouve que ce volume d’eau, plus dense pendant la nuit et en hiver qu'il ne l’est pendant le jour ou en été, agit avec plus de masse sur la roue, etlui com- munique par conséquent une plus grande quan- tité de mouvement. Ainsi, toutes choses étant égales d’ailleurs, on aura moins de perte à faire chômer ses usines à l’eau pendant la chaleur du jour , et à les faire travailler pendant la nuit: | j'ai vu dans mes forges que cela ne laissait pas d’influer d’un douzième sur le produit de la fa- brication du fer. “# Une seconde observation, c’est %e de deux roues , l’une plus voisine que l’autre du bief, mais du reste parfaitement égales, ettoutes deux mues par une égale quantité d’eau , qui passe par des vannes égales, celle des roues qui est la plus voisine du bief tourne toujours plus vite que l’autre qui en est plus éloignée, et à laquelle l’eau ne peut arriver qu'après a voir parcouru un - certain espace dans le courant particulier qui aboutit à cette roue. On sent bien que le frotte- ment de l’eau contre les parois de ce canal doit en diminuer la vitesse ; mais cela seul ne suffit pas pour rendre raison de la différence considé- rable qui se trouve entre le mouvement de ces deux roues : elle provient, en premier lieu, de ce que l’eau contenue dans ce canal cesse d’être pressée latéralement, comme elle l’est en effet lorsqu'elle entre par la vanne du bief etqu’elle frappe immédiatement les aubes de la roue ; se- condement , cette inégalité de vitesse, qui se mesure sur la distance du bief à ces roues, vient encore de ce que l’eau qui sort d’une vanne n’est pas une colonne qui ait les dimensions de la vanne; Car J’eau forme dans son passage un cône irrégulier, d'autant plus déprimé sur les côtés, que la masse d’eau dans le biefa plus de largeur. Si les aubes de Ja roue sont très-près de la vanne, l’eau s’y applique presque à la bau- teur de l'ouverture de la vanne : mais, si la roue est plus éloignée du bief, l’eau s’abaisse dans le coursier et ne frappe plus les aubes de la roue à la même hauteur ni avec autant de vitesseque dans le premier cas ; et ces deux causes réunies produisent cette diminution de vitesse dans les roues qui sont éloignées du bief. Sur la salure de la mer. Au sujet de la salure de la mer, il y a deux opinions, qui toutes deux sont fondées et en parties vraies : Halley attribue la salure de la mer uniquement aux sels de la terre que les fleuves y transportent, et pense même qu’on peut reconnaître l'ancienneté du monde par le . THÉORIE DE LA TERRE. degré de cette salure des eaux de la mer. Leib- nitz croit au contraire que le globe de la terre ayant été liquéfié par le feu, les sels et les au- tres parties empyreumatiques ont produit avec les vapeurs aqueuses une eau lixivielle et salée, et que par conséquent la mer avait son degré de salure dès le commencement. Les opinions de ces deux grands physiciens, quoique opposées, doivent être réunies, et peuvent même s’accor- der avee la mienne ; il est en effet très-probable que l’action du feu, combinée avec celle de l’eau, a fait la dissolution de toutes les matières sali- nes qui se sont trouvées à la surface de la terre, dès le commencement, et que par conséquent le premier degré de salure de la mer provient de la cause indiquée par Leibnitz; mais cela n'empêche pas que la seconde cause désignée par Halley n’ait aussi très-considérablement influé sur le degré de la salure actuelle de la mer, quine peut manquer d'aller toujours en aug- mentant , parce qu’en effet les fleuves ne ces- sent de transporter à la mer une grande quantité de sels fixes, que l’évaporation ne peut enlever : ils restent donc mêlés avec la masse des eaux qui, dans la mer, se trouvent généralement d’autant plus salées qu’elles sont plus éloignées de l'embouchure des fleuves, et que la chaleur du climat y produit une plus grande évapora- tion. La preuve que cette seconde cause y fait peut-être autant et plus que la première , c’est que tous les lacs dont il sort des fleuves, ne sont point salés ; tandis que presque tous ceux qui recoivent des fleuves sans qu'ils en sortent, sont imprégnés de sel. La mer Caspienne, le lac Aral, la mer Morte, ete., ne doivent leur salure qu'aux sels que les fleuves y transportent, et que l’évaporation ne peut enlever. Sur les cataractes perpendiculaires. J'ai dit que la cataracte de la rivière de Nia- gara au Canada était la plus fameuse, et qu’elle tombait de cent cinquante-six pieds de hauteur perpendiculaire. J'ai depuis été informé qu’il se trouve en Europe une cataracte qui tombe de trois cents pieds de hauteur ; c’est celle de Terni, petite ville sur la route de Rome à Bo- logne. Elle est formée par la rivière de Velino, qui prend sa source dans les montagnes de l’A- bruzze. Après avoir passé par Rietle, ville fron- tière du royaume de Naples, elle se jette dans le laede Luco, qui parait entretenu par des sources abondantes ; car elle en sort plus forte qu’elle 185 n’y est entrée, et va jusqu’au pied de la monta- gne del Marmore , d’où elle se précipite par un saut perpendiculaire de trois cents pieds ; elle tombe comme dans un abime, d'où elle s’é- chappe avec une espèce de fureur. La rapidité de sa chute brise ses eaux avec tant d’effort contre les rochers et sur le fond de cet abime, qu'il s’en élève une vapeur humide, sur laquelle les rayons du soleil forment des ares-en-ciel qui sont très-variés; et, lorsque le vent du midi souffle et rassemble ce brouillard contre la mon- tagne, au lieu de plusieurs petits ares-en-ciel , on n’en voit plus qu’un seul qui couronne toute la cascade. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE XI. DES MERS ET DES LACS, L'Océan environne de tous côtés les conti- nents; il pénètre en plusieurs endroits dans l'intérieur des terres, tantôt par des ouvertures assez larges, tantôt par de petits détroits, et il forme les mers méditerranées , dont les unes participent immédiatement à ses mouvements de flux et de reflux, et dont les autres semblent n'avoir rien de commun que la continuité des eaux : nous allons suivre l'Océan dans tous ses contours, et faire en même temps l’énumération de toutes les mers méditerranées ; nous tâche- rons de les distinguer de celles qu’on doit appe- ler golfes, et aussi de celles qu'on devrait re- garder comme des lacs, La mer qui baigne les côtes occidentales de la France fait un golfe entre les terres de VEs- pagne et celles de la Bretagne : ce golfe, que les navigateurs appellent le golfe de Biscaye, est fort ouvert , et la pointe de ce golfe la plus avan- cée dans les terres est entre Bayonne et Saint- Sébastien ; une autre partie du golfe, qui est aussi fort avancée, c’est celle qui baigne les côtes du pays d’Aunis à La Rochelle et à Ro- chefort. Ce golfe commence au cap d’Ortegal et finit à Brest, où commence un détroit entre la pointe de la Bretagne et le cap Lézard : ce dé- troit, qui d’abord est assez large, fait un petit golfe dans le terrain de la Normandie, dont la 18% HISTOIRE pointe la plus avancée dans les terres est à Avranches ; le détroit continue sur une assez grande largeur jusqu'au Pas-de-Calais, où 11 est fort étroit, ensuite il s’élargit tout à coup ort considérablement, et finit entre le Texel et la côte d'Angleterre à Norwich ; au Texel il forme une petite mer méditerranée qu'en ap- pelle Zuyderzée, et plusieurs autres grandes la- gunes , dont les eaux ont peu de profondeur, aussi bien que celles de Zuyderzée. Après cela l'Océan forme un grand golfe qu’on appelle la mer d'Allemagne, et ce golfe, pris dans toute son étendue, commence à la pointe septentrionale de l'Écosse, en descendant tout le long des côtes orientales de l'Écosse et de l'Angleterre jusqu'à Norwich, de là au Texel tout le long des côtes de Hollande et d’Allema- gne, de Jutland et de la Norwége jusqu’au-des- sus de Berghen : on pourrait même prendre ce grand golfe pour une mer méditerranée, parce que les iles Orcades ferment en partie son ou- verture , et semblent être dirigées comme si elles étaient une continuation des montagnes de Norwége. Ce grand golfe forme un large dé- troit qui commence À la pointe méridionale de la Norwége , et qui continue sur une grande largeur jusqu’à l’ile de Zélande, où il se rétré- cit tout à coup, et forme, entre les côtes de la Suède, les iles du Danemark et de Jutland, quatre petits détroits, après quoi il s’élargit comme un petit golfe, dont la pointe la plus avancée est à Lubeck ; de là il continue sur une assez grande largeur jusqu'à l’extrémité méri- dionale de la Suède ; ensuite il s’élargit toujours de plus en plus, et forme la mer Baltique, qui est une mer méditerranée qui s'étend du midi au nord, dans une étendne de près de trois cents lieues, en y comprenant le golfe de Bothnie, qui n’est en effet que la continuation de la mer Baltique. Cette mer a de plus deux autres gol- fes : celui de Livonie, dont la pointe la plus avancée dans les terres est auprès de Mittau et de Riga ; et celui de Finlande, qui est un bras de la mer Baltique, qui s'étend entre la Livonie et la Finlande jusqu'à Pétersbourg, et commu- nique au lac Ladoga, et même au lac Onéga, qui communique par le fleuve Onéga à la mer Blanche. Toute cette étendue d'eau qui forme la mer Baltique, le golfe de Bothnie, celui de Finlande et celui de Livonie, doit être regardée comme un grand lae qui est entretenu par les eaux des fleuves qu’il recoit en très-grand nom- NATURE£LLE. . . bre, comme l’Oder, la Vistule, le Niémen, la Droine en Allemagne et en Pologne, plusieurs autres rivières en Livonie et en Finlande, d’au- tres plus grandes encore qui viennent des terres de la Laponie, comme le fleuve de Tornea, les rivières Calis, Lula, Pitha, Uma, et plusieurs autres encore qui viennent de la Suède : ces fleuves, qui sont assez considérables, sont au nombre de plus de quarante, y compris les ri- vières qu'ils reçoivent ; ce qui ne peut manquer de produire une très-grande quantité d’eau, qui est probablement plus que suffisante pour en- tretenir la mer Baltique. D'ailleurs cette mer n’a aucun mouvement de flux et de reflux, quoiqu’elle soit étroite : elle est aussi fort peu salée ; et, si l’on considère le gisement des ter- res et le nombre des lacs et des marais de la Finlande et de la Suède, qui sont presque con- tigus à cette mer, on sera très-porté à la regar- der, non pas comme une mer, mais comme un grand lac formé dans l'intérieur des terres par l'abondance des eaux , qui ont forcé les passa- ges auprès du Danemarck pour s’écouler dans l'Océan, comme elles y coulent en effet, au rapport de tous les navigateurs. Au sortir du grand golfe qui forme la mer d'Allemagne, et qui finit au-dessus de Berghen, l'Océan suit les côtes de Norwége, de la Lapo- ie suédoise , de la Laponie septentrionale, et de la Laponie Moscovite , à la partie orientale de laquelle il forme un assez large détroit qui aboutit à une mer méditerranée, qu’on appelle la mer Blanche. Cette mer peut encore être re-* gardée commeungrand lac ; car ellerecoit douze ou treize rivières toutes assez considérables, et qui sont plus quesuffisantes pour l’entretenir, et elle n’est que peu salée. D’ailleurs il ne s’en faut presque rien qu’elle n'ait communication avee la mer Baltique en plusieurs endroits : elle en a même une effective avec le golfe de Fin- lande, car en remontant le fleuve Onéga on arrive au lac de même nom; de ce lac Onéga, il y a deux rivières de communication avec le lac Ladoga ; ce dernier lac communique par un large bras avec le golfe de Finlande, etil y a dans la Laponie Suédoise plusieurs endroits dont les eaux coulent presque indifféremment les unes vers la mer Blanche , les autres vers le golfe de Bothnie, et les autres vers celui de Finlande; et tout ce pays étant rempli de lacs et de marais , il semble que la mer Baltique et la mer Blanche soient les réceptacles de toutes THÉORIE DE ces eaux, qui se déchargent ensuite dans la mer Glaciale et dans la mer d'Allemagne. . En sortant de la mer Blanche et en côtoyant l'ile de Candenos et les côtes septentrionales de la Russie, on trouve que l'Océan fait un petit bras dans les terres à l'embouchure du fleuve Petzora ; ce petit bras, qui a environ quarante lieues de longueur sur huit ou dix de largeur, est plutôt un amas d’eau formé par le fleuve qu’un golfe de la mer, et l’eau y est aussi fort peu salée. Là, les terres font un cap avancé et terminé par les petites iles Maurice etd’'Orange; et, entre ces terres et celles qui avoisinent le détroit de Waigats au midi, il y a un petit golfe d'environ trente lieues dans sa plus grande pro- fondeur au dedans des terres; ce golfe appar- tient immédiatement à l'Océan, et n’est pas formé des eaux de la terre. On trouve ensuite le détroit de Waigats, qui est à très-peu près sous lesoixante-dixièmedegré delatitudenord;ce dé- troitn’a pas plusdehuitou dix lieuesdelongueur et communique à une mer qui baigne les côtes septentrionales de la Sibérie : comme ce détroit est fermé par les glaces pendant la plus grande partie de l’année, il est assez difficile d'arriver dans la mer qui est au delà. Le passage de ce détroit a été tenté inutilement par un grand nombre de navigateurs ; et ceux qui l’ont passé heureusement ne nous ont pas laissé de cartes exactes de cette mer, qu'ils ont appelée mer Tranquille : il paraît seulement par les cartes les plus récentes , et par le dernier globe de Sénex fait en 1739 ou 1740, que cette mer Tran- quille pourrait bien être entièrement méditer- ranée, et ne pas communiquer avee la grande mer de Tartarie; car elle parait renfermée et bornée au midi par les terres des Samoïèdes, qui sont aujourd’hui bien connues; et ces terres , qui la bornent au midi, s'étendent de- puis le détroit de Waigats jusqu’à l'embouchure du fleuve Jénisca; au levant elle est bornée par la terre de Jelmorland , au couchant par celle de la nouvelle Zemble; et quoiqu'on ne connaisse pas l'étendue de cette mer méditer- ranée du côté du nord et du nord-est, comme on y connait des terres non interrompues, il est très-probable que cette mer Tranquille est une mer méditerranée, une espèce de cul-de-sac fort difficile à aborder et qui ne mène à rien. Ce qui le prouve, c’est qu’en partant du détroit de Waigats on acôtoyé la Nouvelle-Zemble dans la mer Glaciale tout lelongdesescôtesoccidentales LA TERRE, 185 etseptentrionales jusqu'au cap Désiré ; qu'après ce Cap on a suivi les côtes à l’est de la Nouvelle- Zemble jusqu’à un petit golfe qui est environ à soixante-quinze degrés ,où les Hollandais passè- rent un hiver mortel en 1596; qu’au delà de ce petit golfe on a découvert la terre de Jelmorland en 1664; laquelle n’est éloignéeque de quelques lieues des terres de la Nouvelle-Zemble, en sorte que le seul petit endroit qui n'ait pas été re- connu , est auprès du petit golfe dont nous ve- nous.de parler, et cet endroit n’a peut-être pas trente lieues Fe longueur : de sorte que , si la mer Tranquille communique à l'Océan , il faut que ce soit à l'endroit de ce petit golfe, qui est le seul paroù cettemer méditerranée peutsejoindre à la grande mer; et, comme ce petit golfe est à soixante-quinze degrésnord, etque, quand même la communication existerait , il faudrait tou- jours s'élever de cinq degrés verslenord pour ga- guer la grande mer, il est clair que, si l’on veut tenter la route du nord pour aller à Ja Ghine, il vaut beaucoup mieux passer au nord de la Nou- velle-Zemble à soixante-dix-huit degrés , où d’ailleurs la mer est plus libre et moins glacée, que de tenter encore le chemin du détroit glacé de Waigats , avec l'incertitude de ne pouvoir sortir de cette mer méditerranée. En suivant donc l'Océan tout le long des côtes de la Nouvelle-Zemble et du Jelmorland, on a reconnu cesterres jusqu’à l’embouchuredu Cho- tanga, qui estenviron au soixante-treizième de- gré; après quoi l’on trouve un espace d'environ deux centslieues, dontles côtesnesont pas encore connues : on a su seulement, par le rapport des Moscovites qui ont voyagé par terre dans ces climats , que les terres ne sont point interrom- pues , et leurs cartes y marquent des fleuves et des peuples qu'ils ont appelés Populi Patati. Cet intervalle de côtes encore inconnues est de- puis l'embouchure de Chotanga jusqu’à celle du Kauvoina au soixante-sixième degréde latitude : hs l'Océan fait un golfe dont le point le plus Eincé dans les terres est à l’embouchure du Len , qui est un fleuve très-considérable ; ce golfe est formé par les eaux de l'Océan ; il est fortouvert et il appartient à la mer de Tartarie ; on l’appelle le golfe Linchidolin , et les Mosco- vites y pêchent la baleine. De l'embouchure du fleuve Len , on peut sui- vre les côtes septentrionales de la Tartarie dans un espace de plus de cinq cents lieues vers l’o- rient , jusqu'à une grande péninsule ou terre 186 HISTOIRE NATURELLE. avancée où habitent les peuples Schelates ;, cette pointe est l'extrémité la plus septentrionale de la Tartarie la plus orientale, etelle est située sous le soixante-douzième degré environ de latitude nord. Dans cette longueur de plus de cinq cents lieues, l'Océan ne fait aucune irruption dans les terres, aucun golfe, aucun bras: il forme seule- ment un coude considérable à l’endroitde la nais- sance de cette péninsule des peuples Schelates, à l’'embouchuredu fleuve Korvinea : cette pointe de terre fait aussi l'extrémité orientale de la côte septentrionale du continent de l’afféien monde, dont l’extrémité occidentale est au cap Nord en Laponie, en sorte que l’ancien conti- nent à environ mille sept cents lieues de côtes septentrionales, en y comprenant les sinuosités des golfes , en comptant depuis le cap Nord de Laponie jusqu’à la pointe de la terre des Sche- lates, et il y a environ one. cents lieues en na- viguant sous le même parallèle. Suivons maintenant les côtes orientales de l'ancien continent , en commençant à cette pointe de la terre des peuples Schelates , et en descendant vers l’équateur : l’Océ id’ abord un coude entre la terre des peuples lélates et celle des peuples Tschurtschi qui avance con- sidérablement dans la mer ; au midi de cette terre, il forme un petit golfe fort ouvert , qu’on appelle le golfe Suctoikret , et ensuite un autre plus petit golfe , qui ayance même comme un bras à quarante ou cinquante lieuesdans la terre de Kamtschatka ; après quoi l'Océan entre dans les terres par un large détroit rempli de plu- sieurs petites îles , entre la pointe méridionale «de la terre de Kamtschatka et la pointe septen- trionale de la terred’Y eco, etilforme une grande mer méditerranée dont il est bon que nous sui- vions toutes les parties. La première est la mer de Kamtschatka , dans laquelle se trouve une ile très-considérable qu’on appelle île Amour ; cette mer de Kamtschatka pousse un bras dans les terres au nord-est : mais ce petit bras et la mer de Kamtschatka elle-même pourraient bien” ètre, au moins en partie, formés par l’eau des fleuves qui y arrivent, tant des terres de Kamt- schatka , que de celles de la Tartarie. Quoi qu'il en soit, cette mer de Kamtschatka communique par un très-large détroit avec la mer de Corée, qui fait la seconde partie de cette mer méditer- ranée , et toute cette mer , qui a plusde six cents lieues de longueur , est bornée à l’occident et au uord par les terres de Corée et de Tartarie, à lorient et au midi par celles de Kamtschatka, d’Yeço et du Japon, sans qu'il y ait d’autre communication avec l'Océan que celle du dé- troit dont nous avons parlé, entre Kamtschatka et Yeco : car on n’est pas assuré si celui que quelques cartes ont marqué entre leJapon et la terre d’Yeco , existe réellement ; et quand même ce détroit existerait, la mer de Kamtschatka et celle de Corée ne laisseraient pas d’être tou- jours regardées comme formant ensemble une grande mer méditerranée, séparée de l'Océan de tous côtés, et qui ne doit pas être prise pour un golfe, car elle ne communique pas directe- ment avec le grand océan par son détroit mé- ridional qui est entre le Japon et la Corée; la mer de la Chine , à laquelle elle communique par ce détroit, est plutôt encore une mer mé- diterranée qu’un golfe de l'Océan. Nous avons dit dans le discours précédent, que la mer avait un mouvement constant d’o- rient en occident, et que, par conséquent, la grande mer Pacifique fait des efforts continuels contre lesterresorientales. L’inspectionattentive du globe confirmera les conséquences que nous avons tirées de cette observation; car, si l’on examine le gisement des terres, à commencer de Kamtschatka jusqu’à la Nouvelle-Bretagne, découverte en 1700 par Dampier, et qui est à quatre ou cinq degrés de l'équateur, latitude sud, on sera très-porté à croire que l’Océan a rongé toutes lesterres deces climats dans une profon- deur de quatre ou cinq cents lieues ; que par conséquent les bornes orientales de l’ancien continent ont été reculées, et qu’il s’étendait autrefois beaucoup plus vers l’orient : car, on remarquera que la Nouvelle-Bretagne et le Kamtschatka, qui sont les terres les plus avan- cées vers lorient, sont sous le même méridien ; on observera que toutes les terres sont dirigées du nord au midi. Kamtschatka fait une pointe d’environ cent soixante lieues du nord au midi, et cette pointe, qui du côté de l’orient est bai- gnée par la mer Pacifique, et de l’autre par la mer méditerranée dont nous venons de parler, est partagée dans cette direction du nord au midi par une chaîne de montagnes. Ensuite Yeco et le Japon forment une terre dont la direc- tion est aussi du nord au midi dans une étendue de plus de quatre cents lieues entre la grande mer et celle de Corée, et les chaînes des mon- tagnes d’Yeco et de cette partie du Japon ne peuvent pas manquer d’être dirigées du nord THÉORIE DE LA TERRE. au midi, puisque ces terres qui ont quatre cents lieues de longueur dans cette direction, n'en ont pas plus de cinquante, soixante, ou cent de largeur dans l’autre direction de l’est à l’ouest; ainsi Kamtschatka, Yeço et la pärtie orientale du Japon sont des terres qu’on doit regarder comme contiguès et dirigées du nord au sud ; et suivant toujours la même direction, l’on trouve, après la pointe du cap Ava au Japon, l'ile de Barnevelt et trois autres iles qui sont po- sées les unes au-dessus des autres , exactement dans la direction du nord au sud , et qui occu- pent en tout un espace d’environ cent lieues ; on trouve ensuite, dans la même direction, trois autres iles appelées les îles de Callanos, qui sont encore toutes trois posées les unes au-dessus des autres dans la même direction du nord au sud ; après quoi on trouve les îles des Larrons, au nombre de quatorze ou quinze, qui sont tou- tes posées les unes au-dessus des autres dans la même direction du nord au sud, et qui occupent toutes ensemble, y compris les iles des Callanos, un espace de plus de trois cents lieues de lon- gueur dans cette direction du nord au sud, sur une largeur si petite, que, dans l’endroit où elle est la plus grande, ces îles n’ont pas sept à huit lieues ; il me parait donc que Kamtschatka, Yeco, le Japon oriental, les iles Barnevelt, du Prince, des Callanos et des Larrons , ne sont que la même chaîne de montagnes et les restes de l’ancien pays que l’Océan a rongé et couvert peu à peu. Toutes ces contrées ne sont en effet que des montagnes , et ces iles des pointes de montagnes : les terrains moins élevés ont été submergés par l'Océan ; et si ce qui est rapporté dans les Lettres édifiantes est vrai, et qu’en effet on ait découvert une quantité d’iles qu’on a appelées les Nouvelles-Philippines, et que leur position soit réellement telle qu’elle est don- née par le P. Gobien, on ne pourra guère dou- ter que les iles les plus orientales de ces Nou- velles-Philippines ne soient une continuation de la chaîne de montagnes qui forme les iles des Larrons; car, ces iles orientales, au nombre de onze, sont toutes placées les unes au-dessus des autres dans la même direction du nord au sud ; elles occupent en longueur un espace de plus de deux cents lieues, et la plus large n’a pas sept ou huit lieues de largeur dans la di- rection de l’est à l’ouest. Mais si l’on trouve ces conjectures trop ha- sardées , et qu'on m’oppose les grands inter- alles qui sont entre les iles voisines du cap Ava , du Japon et celles des Callanos, et entre ces iles et celles des Larrons, et encore entre celles des Larrons etles Nouvelles-Philippines, dont, en effet, le premier est d'environ cent soixante lieues, le second de cinquante ou soixante , et le troisième de près de cent vingt, je répondrai que les chaines des montagnes s'étendent souvent beaucoup plus loin sous les eaux de la mer, et que ces intervalles sont petits en comparaison de l'étendue de terre que présentent ces montagnes dans cette direction , qui est de plus de onze cents lieues, en les pre- nant depuis l’intérieur de la presqu'ile de Kamt- schatka. Enfin, si l’on se refuse totalement à cette idée que je viens de proposer au sujet des cinq cents lieues que l'Océan doit avoir gagnées sur les côtes orientales du continent, et de cette suite de montagnes que je fais passer par les iles des Larrons, on ne pourra pas s'empêcher de m’accorder au moins que Kamtschatka, Yeco, le Japon, les iles Bongo, Tanaxima , celles de Lequeo-Grande, l'ile des Rois, celle de For- mosa , celle de Vaif, de Bashe, de Babuyanes, la grande ile de Luçon, les autres Philippines, Mindanao, Gilolo , ete., et, enfin, la Nouvelle- Guinée, qui s’étend jusqu’à la Nouvelle-Breta- gne, située sous le même méridien que Kamt- schatka, ne fassent une continuité de terre de plus de deux mille deux cents lieues, qui n’est interrompue que par de petits intervalles, dont le plus grand n’a peut-être pas vingt lieues ; en sorte que l'Océan forme, dans l’intérieur des terres du continent oriental , un très-grand golfe, qui commence à Kamtschatka, et finit à la Nou- velle-Bretagne ; que ce golfe est semé d’iles; qu’il est figuré comme le serait tout autre en- foncement que les eaux pourraient faire à la longue en agissant continuellement contre des rivages et des côtes, et que, par conséquent , on peut conjecturer avec quelque vraisemblance que l'Océan, par son mouvement constant d’o- rient en occident, a gagné peu à peu cette éten- due sur le continent oriental , et qu'il a de plus formé les mers méditerranées de Kamtschatka, de Corée, de la Chine, et peut-être tout l’archi- pel des Indes : car, la terre et la mer y sont mêlées de façon qu’il parait évidemment que c’est un pays inondé, duquel on ne voit plus que les éminences et les terres élevées, et dont les terres plus basses sont cachées par les eaux : aussi, cette mer n'est-elle pas profonde comme 187 158 les autres, et les iles innombrables qu’on y trouve ne sont presque toutes que des mon- lagnes. Si l’on examine maintenant toutes ces mers en particulier, à commencer au détroit de la mer de Corée vers celle de la Chine, où nous | en étions demeurés , on trouvera que cette mer de la Chine forme dans sa partie septentrio- nale un golfe fort profond , qui commence à l'ile | Fungma , et se termine à la frontière de la pro- | vince de Pékin , à une distance d’environ qua- rante-cinq ou cinquante lieues de cette capitale . . | de l'empire chinois; ce golfe, dans sa partie la plus intérieure et la plus étroite, s'appelle le golfe de Changi; il est très-probable que ce | golfe de Changi et une partie de cette mer de la Chine ont été formés par l'Océan, qui a inondé tout le plat pays de ce continent, dont il ne | reste que les terres les plus élevées, qui sont les îles dont nous avons parlé: dans cette partie méridionale sont les golfes de Tunquin et de Siam , auprès duquel est la presqu’ilede Malaie, formée par une longue chaine de montagnes, dont la direction est du nord au sud, et les ilés Andamans, qui sont une autre chaine de montagnes dans la même direction, et qui ne HISTOIRE NATURELLE. Valle appelle le Mehi. Le second bras, vers l’o- rient, est cet endroit fameux par la vitesse et ja hauteur des marées, qui y sont plus grandes qu'en aucun lieu du monde, en sorte que ce bras , ou ce petit golfe tout entier, n’est qu’une terre, tantôt couverte par le flux , et tantôt dé- couverte par le reflux, qui s’étend à plus de cin- quante lieues : iltombedans cet endroit plusieurs grands fleuves, tels que l’Indus, le Padar, ete., qui ont amené une grande quantité de terre et de limon à leurs embouchures ; ce qui a peu à peu élevé le terrain du golfe, dont la pente est si douce, que la marée s'étend à une distance extrêmement grande. Le premier bras du golfe Arabique vers l'occident est le golfe Persique, qui a plus de deux cent cinquante lieues d’é- tendue dans les terres, et le second est la mer Rouge, qui en a plus de six cent quatre-vingts, en comptant depuis l’île de Socotora, On doitre- garder ces deux bras comme deux mers médi- terranées , en les prenant au delà des détroits d'Ormuz et de Babelmandel ; et, quoiqu’elles soient toutes deux sujettes à un grand flux et reflux, et qu’elles participent, par conséquent, aux mouvements de l'Océan, c’est parce qu’elles >araissent être qu’une suite des montagnes de | I Sumatra. L'Océan fait ensuite un grand golfe qu’on appelle le golfe de Bengale, dans lequel on peut remarquer que les terres de la presqu’ilede l'Inde font une courbe concave vers lorient, à peu près comme le grand golfe du continent oriental ; ce qui semble aussi avoir été produit par le même | | dont le mouvement puisse s'opposer à celui du mouvement de l'Océan d’orient en occident : c’est dans cette presqu’ile que sont les monta- gnes de Gates, qui ont une direction du nord au sud jusqu’au cap de Comorin, et il semble que l'ile de Ceylan en ait été séparée, et qu’elle ait fait autrefois partie de ce continent. Les Mal- dives ne sont qu'une autre chaîne de montagnes, dont la direction est encore la même, c’est-à-dire du nord au sud : après cela est la mer d’Arabie, qui est un très-grand golfe, duquel partent qua- tre bras qui s'étendent dans les terres, les deux plus grands, du côté de l'occident, et les deux plus petits, du côté de l’orient. Le premier de ces bras, du côté de lorient, est le petit golfe de Cambaie, qui n’a guère que cinquante à soixante lieues de profondeur, et qui recoit deux rivières assez considérables , savoir : le fleuve Tapti et la rivière de Baroche, que Piétro della ne sont pas éloignées de l'équateur où le mou- vement des marées est beaucoup plus grand que | dans les autres climats , et que d’ailleurs elles sont toutes deux fort longues et fort étroites. Le mouvement des marées est beaucoup plus vio- lent dans la mer Rouge que dans le golfe Per- sique, parce que la mer Rouge, qui est près de trois fois plus longue et presque aussi étroite que le golfe Persique, ne recoit aucun fleuve flux, au lieu que le golfe Persique en recoit de très-considérables à son extrémité la plus avan- cée dans les terres. Il parait ici assez visible- ment que la mer Rouge a été formée par une ir- ruption de l'Océan dans les terres; car si on examine le gisement des terres au-dessus et au- dessous de l'ouverture qui lui sert de passage, on verra que ce passage n’est qu’une coupure, et que, de l’un et de l’autre côté de ce passage les côtes suivent une direction droite et sur la même ligne, la côte d'Arabie depuis le cap Ra- zalgate jusqu'au cap Fartach étant dans la même direction que la côte d'Afrique depuis le cap de Guarduafui jusqu’au cap de Sands. A l'extrémité de la mer Rouge est cette fa- meuse langue de terre qu’on appelle l'isthme de Suez, qui fait une barrière aux eaux de la mer THÉORIE DE LA TERRE. Rouge et empêche la communication des mers. On a vu dans le discours précédent les raisons qui peuvent faire croire que la mer Rouge est plus élevée que la Méditerranée , et que, si l’on coupait l’isthme de Suez, il pourrait s’ensuivre une inondation et une augmentation de la Mé- diterranée ; nous ajouterons à ce que nous avons dit, que, quand même on ne voudrait pas conve- nir que la mer Rouge fût plus élevée que la Mé- diterranée, on ne pourra pas nier qu'il n’y ait aucun flux et reflux dans cette partie de la Mé- diterranée voisine des bouches du Nil , et qu’au contraire il y a dans la mer Rouge un flux et re- flux très-considérable et qui élève les eaux de plusieurs pieds, ce qui seul suffirait pour faire passer une grande quantité d’eau dans la Médi- terranée, si l’isthme était rompu. D'ailleurs, nous avons un exemple cité à ce sujet par Va- renius, qui prouve que les mers ne sont pas éga- lement élevées dans toutes leurs parties; voicice qu'ilen dit, page 100 de sa géographie : Ocea- nus Germanicus, qui est Allantici pars, inter Frisiam et Hollandiam se effundens, efficit sinum, qui, etsi parvus sit, respeclu celebrium sinuum maris, tamen et ipse dicitur mare, al- luilque Hollandiæ emporium celeberrimum , Amstelodamum. Non procul indè abest lacus Harlemensis, qui etiam mare Harlemense di- citur. Hujus altitudo non est minor allitu- dine sinu illèus Belgici, quem diximus , et millitramum adurbem Leidam, ubi invarias fosses divaricatur. Quoniam, ilaque , nec la- eus hie,neque sinusille, Hollandicimaris inun- dant adjacentes agros ( de naturali constitu- tione loquor, non ubi lempeslatibus urgentur, propter quas aggeres facti sunt) palet indè quôd non sint alliores quàm agri Hollandic. At ver Oceanum Germanicum esse alliorem quäm tlerras hasce experti sunl Leidenses, cüm suscepissent fossam seu alveum ex urbe suû ad Oceani Germanici liltora, propè Catto- rum vicum perducere (dislantia est duorum milliarium) , ut, recepto per alveum hune ma- ri, possint navigalionem instiluere in Ocea- num Germanicum, el hinc in varias lerræ re- giones. Verüm enimverd , cùm magnam jam alvei partem perfecissent, desistere coacli sunt, quoniam, tm, demüm ; per observatio- nem cognilum est Oceani Germanici aquam esse altiorem quàm agrum inter Leidam et littus Oceani illius ; undè locus ille, ubi fo- dere desierunt , dicilur Het malle Gat. Ocea- 189 nus ilaque Germanieus est aliquantüm altior quäm sinus ille Hollandicus, ete. Ainsi, on peut croire que la mer Rouge est plus haute que la Méditerranée, comme la mer d'Allemagne est plus haute que la mer de Hollande. Quelques an- ciens auteurs, comme Hérodote et Diodore de Sicile, parlent d’un canal de communication du Nil et de la Méditerranée avec la mer Rouge, et, en dernier lieu, M. Delisle a donné une carte en 1704, dans laquelle il a marqué un bout de canal qui sort du bras le plus oriental du Nil, et qu’il juge devoir être une partie de celui qui fai- sait autrefois cette communication du Nil avec la mer Rouge. Voyez les Mémoires de l'Acadé- mie des Sciences, année 1704. Dans latroisième partie du livre qui a pour titre, Connaissance de l’ancien monde, imprimé en 1707, on trouve le même sentiment, et il y est dit, d’après Dio- dore de Sicile, que ce fut Néco roi d’Egypte qui commença ce canal, que Darius, roi de Perse, le continua, et que Ptolémée II l’acheva et le conduisit jusqu’à la ville d’Arsinoé; qu’il le fai- sait ouvrir et fermer, selon qu’il en avait besoin. Sans que je prétende vouloir nier ces faits, je suis obligé d’avouer qu’ils me paraissent dou- teux, et je ne sais pas si la violence et la hau- teur des marées dans la mer Rouge, ne se sc- raient pas nécessairement communiquées aux eaux de ce canal; il me semble qu’au moins il aurait fallu de grandes précautions pour conte- nir les eaux, éviter les inondations, et beaucoup de soin pour entretenir ce canal en bon état ; aussi les historiens qui nous disent que ce canal a été entrepris et achevé, ne nous disent pas s’il a duré; et les vestiges qu’on prétend en recon- naitre aujourd’hui sont peut-être tout ce qui en a jamais été fait. On a donné à ce bras de l'O- céan le nom de mer Rouge, parce qu’elle a en effet cette couleur dans tous les endroits où il se trouve des madrépores sur son fond : voici ce qui est rapporté dans l'Histoire générale des Voyages, tome I, pages 198 et 199. « Avant « que de quitter la mer Rouge, Dom Jean exa- « mina quelles peuvent avoir étéles raisons qui « ont fait donner ce nom au golfe Arabique par « les anciens, et si cette mer est en effet diffé- « rente des autres par la couleur. Il observa « que Pline rapporte plusieurs sentiments sur « l’origine de ce nom : les uns le font venir d’un « roi nommé Érythros, qui régna dans ces can- « tons, el dont le nom en grec signifie rouge ; « d’autres se sont imaginé que la réflexion du % 190 HISTOIRE NATURELLE, « soieil produit une couleur rougeâtre sur la sur- « face de l’eau; et d’autres, que l’eau du golfe a « naturellement cettecouleur.Les Portugais,qui « avaient déjà fait plusieurs voyages à l'entrée « des détroits, assuraient que toute la côte d’A- « rabie étant fort rouge, le sable et la poussière « qui s’en détachaient, et que le vent poussait « dans la mer, teignaient les eaux de la même couleur. « Dom Jean, qui, pour vérifier ces opinions, « ne cessa point jour et nuit depuis son départ « de Socotora, d'observer la nature de l’eau et « les qualités des côtes jusqu'à Suez, assure que « loin d’être naturellement rouge, l’eau est de la « couleur des autres mers, et que le sable ou la « poussière n'ayant rien de rouge non plus, ne « donnent point cette teinte à l’eau du golfe. La « terre sur les deux côtes est généralement « brune, et noire mème en quelques endroits ; « dans d’autres lieux elle est blanche : ce n’est « qu'au delà de Suaquem, c’est-à-dire sur des « côtes oùles Portugais n’avaient pointencorepé- « nétré, qu'il viteneffet trois montagnes rayées « de rouge, encoreétaient-elles d’un roefortdur, « etle pays voisin était de la couleur ordinaire. « La vérité donc est que cettemer, depuis l’en- « trée jusqu'au fond du golfe, est partout de la « même couleur ; ce qu’il est facile de se démon- « trer à soi-même, en puisant de l’eau à cha- « que lieu : mais il faut avouer aussi que dans « quelques endroits elle paraît rouge par acci- « dent, et dans d’autres verte et blanche. Voici « l'explication de ce phénomène. Depuis Sua- « quem jusqu’à Kossir, c’est-à-dire pendant l’es- « pace de cent trente-six lieues, la mer est rem- « plie de bancs et de rochers de corail : on leur « donne ce nom, parce que leur forme et leur « couleur les rendent si semblables au corail , « qu'il faut une certaine habileté pour ne pas s’y « tromper; ils croissent comme des arbres, et « leurs branches prennent la forme de celles du « corail;onen distingue deux sortes, l’une blan- « che et l’autre fort rouge; ils sont couverts en « plusieurs endroits d'une espèce de gomme ou « de glu verte, et dans d'autres lieux, orange « foncé. Or, l’eau de cette mer étant plus claire « et plus transparente qu'aucune autre eau du « monde, de sorte qu'à vingt brasses de profon- « deur l'œil pénètre jusqu'au fond, surtout de- « puis Suaquem jusqu'à l'extrémité du golfe, il «arrive qu'elle parait prendre la couleur des «“ choses qu'elle couvre : par exemple, lorsque 2 « les rocs sont comme enduits deglu verte, l'eau « qui passe par-dessus parait d’un vert plus « foncé que lesrocs mêmes; et lorsque le fond «_ estuniquement de sable, l’eau paraît blanche: de même lorsque les rocs sont de corail, dans le sens que j'ai donné à ce terme, et que la glu « qui les environne est rouge ou rougeâtre, l’eau « se teint ou plutôt semble se teindre en rouge. « Ainsi, comme les rocs de cette couleur sont « plus fréquents que les blancs et les verts, Dom « Jean conclut qu’on a dû donner au golfe « Arabique le nom de mer Rouge plutôt que ce- « lui de mer verte ou blanche; il s’applaudit de « cette découverte avec d'autant plus de raison, « que la méthode par laquelle il s’en était assuré 2 « « ne pouvait lui laisser aucun doute. I] faisait « amarrer une flûte contre les rocs dans les lieux « qui n’avaient point assez de profondeur pour « permettre aux vaisseaux d’approcher, et sou- « vent les matelots pouvaient exécuter ses or- « dres à leur aise, sans avoir la mer plus haut « que l’estomac à plus d’une demi-lieue des « rocs; la plus grande partie des pierres ou des « cailloux qu’ils en tiraient dans les lieux où l’eau « paraissait rouge, avaitaussicette couleur;dans « l'eau qui paraissait verte, les pierres étaient « vertes ; et si l’eau paraissait blanche, le fond « était d’un sable blane , où l’on n’apercevait « point d'autre mélange. » Depuis l'entrée de la mer Rouge au cap Guar- duafui jusqu’à la pointe de l'Afrique au cap de Bonne-Espérance, l'Océan a une direction assez égale , et il ne forme aueun golfe considérable dans l’intérieur des terres; il y a seulement une espèce d’enfoncement à la côte de Mélinde, qu'on pourrait regarder comme faisant partie d’un grand golfe, si l'ile de Madagascar était réunie à la terre-ferme. Il est vrai que cette île, quoi- que séparée par le large détroit de Mozambique, parait avoir appartenu autrefois au continent : car , il y a des sables fort hauts et d’une vaste étendue dans ce détroit, surtout du côté de Ma- dagasear ; ce qui reste de passage absolument libre dans ce détroit, n’est pas fort considérable. En remontant la côte occidentale del Afrique depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’au cap Négro, les terres sont droites et dans la même direction, et il semble que toute cette longue côte ne soit qu’une suite de montagnes; c'est au moins un pays élevé qui ne produit, dans une étendue de plus de cinq cents lieues, aueune ri- vière considérable, à l’exception d’une ou de | # 4 RC OR ET ES THÉORIE DE LA TERRE. deux , dont on n’a reconnu que l'embouchure : mais au delà du cap Négro la côte fait une courbe dans les terres, qui, dans toute l'étendue de cette courbe, paraissent être un pays plus bas que le reste de l'Afrique, et qui estarrosé de plusieurs fleuves dont les plus grands sont le Coanza et le Zaire ; on compte depuis le cap Négro jusqu’au cap Gonsalvez vingt-quatre embouchures de ri- vières toutes considérables , et l’espaceæontenu entre ces deux caps est d’environ quatre cent vingt lieues en suivant les côtes. On peut croire que l'Océan a un peu gagné sur ces terres basses de l’Afrique, non pas par son mouvement natu- rel d’orient en occident, qui est dans une direc- tion contraire à celle qu’exigerait l'effet dont il est question, mais seulement parce que ces ter- res étant plus basses que toutes les autres, illes aura surmontées et minées presque sans effort. Du cap Gonsalvezau cap des Trois-Pointes l’O- céan forme un golfe fort ouvert qui n’a rien de remarquable, sinon un cap fort avancé et situé à peu près dans le milieu de l’étendue des côtes qui forment ce golfe : on l’appelle le cap For- mosa. Il y a aussi trois iles dans la partie la plus méridionale de ce golfe, qui sont les îles Fer- nandpo, du Prince et de Saint-Thomas; ces îles paraissent être la continuation d’une chaîne de montagnes située entre Rio-del-Rey et le fleuve Jamoer. Du cap des Trois-Pointes au cap Pal- mas l'Océan rentre un peu dans les terres, et du cap Palmas au cap Tagrin il n’y a rien de re- marquable dans le gisement des terres; mais, auprès du Tagrin l'Océan fait un très-petit . golfe dans les terres de Sierra-Lona, et plus haut un autre encore plus petit où sont lesiles Bisa- gas. Ensuite on trouve le cap Vert, qui est fort avancé dans la mer, et dont il parait que les îles du même nom ne sont que la continuation , ou, si l’on vent, celle du cap Blane, qui estuneterre élevée, encore plus considérable et plus avancée que celle du cap Vert. On trouve ensuite la côte montagneuse et sèche qui commence au cap Blanc et finit au cap Bajador; les iles Canaries paraissent être une continuation de ces monta- gnes. Enfin, entre les terres du Portugal et de l'Afrique , l'Océan fait un golfe fort ouvert , au milieu duquel est le fameux détroit de Gibraltar, par lequel l’Océan coule dans la Méditerranée avec une grande rapidité. Cette mer s’étend à près de neuf cents lieues dans l’intérieur des ter- res, et elle a plusieurs choses remarquables : premièrement elle ne participe pas d’une ma- 191 nière sensible au mouvement de flux et de re- flux, et iln’y a que dans le golfe de Venise, où elleserétrécit beaucoup ,quecemouvementse fait sentir ; on prétend aussi s'être aperçu de quelque petit mouvement à Marseille et à la côtede Tripo- li; en second lieu elle contient de grandes iles, celle de Sicile , celle de Sardaigne, de Corse, de Chypre, de Majorque, etc. etl’une desplusgran- des presqu’iles du monde, qui est l'Italie : elle a aussi un archipel, ou plutôt c’est de cet archipel de notre mer Méditerranée que les autres amas d'îles ont emprunté ce nom ; mais cet archipel de la Méditerranée me paraît appartenir plutôt à la mer Noire, et il semble que ce pays de la Grèce ait été en partie noyé par les eaux surabon- dantes de la mer Noire, qui coulent dans la mer de Marmara, et de là dans la mer Méditerranée. Je sais bien que quelques gens ont prétendu qu'il y avait dans le détroit de Gibraltar un double courant; l’un supérieur, qui portait l'eau de l’océan dans la Méditerranée, et l’autre infé- rieur, dont l'effet disent-ils, est contraire ; mais cette opinion est évidemment fausse et contraire aux lois de l’hydrostatique. On a dit de même que, dans plusieurs autres endroits, il y avait de ces courants inférieurs , dont la direction était opposée à celle du courant supérieur, comme dans le Bosphore, dans le détroit du Sund, etc. ; et Marsilli rapporte même des expériences qui ont été faites dans le Bosphore, et qui prou- vent ce fait ; mais il y a grande apparence que les expériences ont été mal faites, puisque la chose est impossible, et qu'elle répugne à toutes les notions que l’on a sur le mouvement des eaux. D'ailleurs Greaves, dans sa Pyramido- graphie, pages 101 et 102, prouve par des ex- périences bien faites, qu’il n’y a dans le Bosphore aucun courant inférieur dont la direction soit opposée au courant supérieur. Ce qui a pu tromper Marsilli et les autres, c’est que dans le Bosphore comme dans le détroit de Gibraltar et dans tous les fleuves qui coulent avec quelque rapidité, il y a un remous considérable le long des rivages, dont la direction est ordinairement différente, et quelquefois contraire à celle du courant principal des eaux. Parcourons maintenant toutes les côtes dunou- veau continent, et commençons par le point du cap Hold-with-hope, situé au soïxante-treizième degré latitude nord : c’est laterre la plus sep- tentrionale que l'on connaisse dans le nouveau Groëpland ; elle n’est éloignée du cap Nord de 192 Laponieque d'environ cent soixante ou cent qua- tre-vingts lieues. De ce cap on peut suivre la côte du Groënland jusqu’au cercle polaire; là, l'Océan forme un large détroit entre l’Islande et les ter- res du Groënland. On prétend que ce pays voisin de l'Islande n’est pas l'ancien Groënland que les Danois possédaient autrefois comme province dé- pendante de leur royaume; il y avait dans cetan- cien Groënland des peuples policés et chrétiens, des évèques , des églises, des villes considéra- bles par leur commerce ; les Danoïs y allaient aussi souvent etaussiaisémentqueles Espagnols pourraient aller aux Canaries ; il existe encore, à ce qu'on assure, des titres et des ordonnances pour les affaires de ce pays, et tout cela n'est pas bien ancien : cependant, sans qu'on puisse deviner comment ni pourquoi , ce pays est ab- solument perdu, et l’on n'a trouvé dans le nou- veau Groënland aucun indice de tout ce que nous venons de rapporter : les peuples y sont sauva- ges; il n'y a aucun vestige d'édifice, pas un mot de leur langue qui ressemble à la langue da- noise, enfin rien qui puisse faire juger que c’est le même pays; il est même presque désert et bordé de glaces pendant la plus grande partie de l'année. Mais, comme ces terres sont d'une très-vaste étendue , et que les côtes ont été très- peu fréquentées par les navigateurs modernes, ces navigateurs ont pu manquer le lieu où habi- tent les descendants de ces peuples policés ; ou bien il se peut que les glaces étant devenues plus abondantes dans cette mer, elles empêchent aujourd’hui d'aborder en cet endroit : tout ce pays, cependant, à en juger par les cartes, a été côtoyé et reconnu en entier ; il forme une grande presqu'ile à l'extrémité de laquelle sont les deux détroits de Forbisher etl'ilede Frisland, où il fait un froid extrême, quoiqu'ils nesoient qu’à lahau- teur des Orcades, c’est-à-dire à soixante degrés. Entre la côte occidentale du Groënland et celle de la terre de Labrador, l'Océan fait un golfe, et ensuite une grande mer méditerranée, la plus froide de toutes les mers, et dont les côtes ne sont pas encore bien reconnues. En sui- vant ce golfe droit au nord , on trouve le large détroit de Davis, qui conduit à la mer Chris- tiane, terminée par la baie de Baffin, qui fait un cul-de-sac dont il parait qu'on ne peut sortir que pour tomber dans un autre cul-de-sac , qui est la baie de Hudson. Le détroit de Cumber- land , qui peut , aussi bien que celui de Davis, conduire à la mer Christiane, est plus étroit et HISTOIRE NATURELLE. plus sujet à être glacé; celui de Hudson, quoi- que beaucoup plus méridional , est aussi glacé pendant une partie de l’année; et on a remar- qué dans ces détroits et dans ces mers méditer- ranées un mouvement de flux et reflux très- fort, tout au contraire de ce qui arrive dans les mers méditerranées de l’Europe, soit dans la Méditerranée, soit dans la mer Baltique, où il n’y à point de flux et reflux ; ee qui ne peut venir que de la différence du mouvement de la mer, qui, se faisant toujours d’orient en occi- dent, occasionne de grandes marées dans les dé- troits qui sont opposés à cette direction de mou- vement, c’est-à-dire dans les détroits dont les ouvertures sont tournées vers l’orient; au lieu que, dans ceux de l’Europe, qui présentent leur ouverture à l'occident , il n’y aucun mouve- ment : l'Océan, par son mouvement général, entre dans les premiers et fait les derniers , et c’est par cette même raison qu’il y a de violen- tes marées dans les mers de la Chine, de Corée et de Kamtschatka. En descendant du détroit de Hudson vers la terre de Labrador, on voit une ouverture étroite, dans laquelle Davis, en 1586 , remonta jusqu’à trente lieues, etfit quelque petit commerce avec les habitants ; mais personne , que je sache, n’a depuis tenté la découverte de ce bras de mer, et on ne connaît de la terre voisine que le pays des Eskimaux : le fort Pontchartrain est la seule habitation et la plus septentrionale de tout ce pays, qui n’est séparé de l’île de Terre-Neuve que par le petit détroit de Bellisle qui n’est pas trop fréquenté; et comme la côte orientale de Terre-Neuve est dans la même direction que la côte de Labrador, on doit regarder l’ile de Terre- Neuve comme une partie du continent, de même que l’ile Royale parait être une partie du conti- nent de l’Acadie : le grand banc et les autres bancs sur lesquels on pêche la morue ne sont pas des hauts fonds, comme on pourrail le croire ; ils sont à une profondeur considérable sous l’eau , et produisent dans cet endroit des courants très-violents. Entre le cap Breton et Terre-Neuve est un détroit assez large par le- quel on entre dans une petite mer méditerra- née qu'on appelle le golfe de Saint-Laurent : cette petite mer a un bras qui s’étend assez con- sidérablement dans les terres, et qui semble n'être que l'embouchure du fleuve Saint-Lau- rent : le mouvement du flux et reflux est extré- mement sensible dans ce bras de mer ; et à Qué- THÉORIE DE LA TERRE. bec même, qui est plus avancé dans les terres , les eaux s'élèvent de plusieurs pieds. Au sortir du golfe de Canada, et en suivant la côte de l’Acadie, on trouve un petit golfe qu'on appelle la baie de Boston , qui fait un petit enfoncement carré dans les terrres. Mais, avant que desuivre cette côte plus loin, il est bon d'observer que, depuis l'ile de Terre-Neuve, jusqu'aux iles An- tilles les plus avancées, comme la Barbade et Antigoa, et même jusqu’à celle de la Guiane, l'Océan fait un très-grand golfe qui a plus de cinq cents lieues d’enfoncement jusqu’à la Flo- ride. Ce golfe du nouveau continent est sembla- ble à celui de l’ancien continent dont nous avons parlé; et tout de même que dans le continent oriental l'Océan, après avoir fait un golfe entre les terres de Kamtschatka et de la Nouvelle-Bre- tagne, forme ensuite une vaste mer méditerra- née, qui comprend la mer de Kamtschatka, celle de Corée, celle de la Chine, ete. ; dans le nou- veau continent, l'Océan, après avoir fait un grand golfe entre les terres de Terre-Neuve et celles dela Guiane, forme une très-grande mer méditerranée quis’étend depuis les Antilles, jusqu'au Mexique : ce qui confirme ce que nous avons dit au sujet des effets du mouvement de l'Océan d’orient en occident; car il semble que l'Océan ait gagné tout autant de terrain sur les côtes orientales de l'Amérique , qu’il en a gagné sur les côtes orientales de l’Asie, et ces deux grands golfes ou enfoncements que l'Océan a formés dans ces deux continents, sont sous le même degré de latitude, et à peu près de la même étendue; ce qui fait des rapports ou des - convenances singulières, et qui paraissent ve- air de la même cause. Si l’on examine la position des iles Antilles, à commencer par celle de la Trinité, qui est la plus méridionale , on ne pourra guère douter que les îles de ia Trinité , de Tabago, de la Gre- nade, les îles des Granadilles, celles de Saint- Vincent, de la Martinique, de Marie-Galande, de la Désirade, d’Antigoa, de la Barbade, avec toutes les autres iles qui les accompagnent, ne fassent une chaine de montagnes dont la direc- tion est du sud au nord, comme est celle de l’île de Terre-Neuve et de la terre des Esquimaux. Ensuite la direction de ces îles Antilles est de l’est à l’ouest en commençant à l’ile de la Bar- bade, passant par Saint-Barthélemi, Porto- Rico, Saint-Domingue et l'ile de Cubasà peu près comme les terres du cap Breton, de l’Aca- L L 2 195 die, de la Nouvelle-Angleterre. Toutes ces îles sont si voisines les unes des autres, qu’on peut les regarder comme une bande de terre non in- terrompue et comme les parties les plus élevées d’un terrain submergé : la plupart de ces îles ne sont en effet que des pointes de montagnes ; et la mer qui est au delà est une vraie mer mé- diterranée, où le mouvement du flux et reflux n’est guère plus sensible que dans notre mer Méditerranée, quoique les ouvertures qu’elles présentent à l'Océan soientdirectement opposées au mouvement des eaux d’orient en occident ; ce qui devrait contribuer à rendre ce mouve- ment sensible dans le golfe du Mexique : mais, comme cette mer méditerranée est fort large, lemouvement du flux et reflux qui lui est com- muuiqué par l'Océan, se répandant sur un aussi grand espace , perd une grande partie de sa vi- tesse, et devient presque insensible à la côte de la Louisiane et dans plusieurs autres en- droits. L'ancien et le nouveau continent paraissent done tous les deux avoir été rongés par l'Océan à la même hauteur et à la même profondeur dans les terres; tous deux ont ensuite une vaste mer méditerranée et une grande quantité d’iles qui sont encore situées à peu près à la même bauteur : la seule différence est que l’ancien continent étant beaucoup plus large que le nou- veau, il y a dans la partie occidentale de cet an- cien continent une mer méditerranée occiden- tale qui ne peut pas se trouver dans le nouveau continent ; mais il paraît que tout ce qui est ar- rivé aux terres orientales de l’ancien monde, est aussi arrivé de même aux terres orientales du nouveau monde, et que c’est à peu près dans leur milieu et à la même hauteur que s’est faite la plus grande destruction des terres, parce qu’en effet c’est dans ce milieu et près de l’é- quateur qu'est le plus grand mouvement de l'Océan. Les côtes de la Guiane, comprises entre l’em- bouchure du fleuve Orénoque et celle de Ja rivière des Amazones, n’offrent rien de remar- quable ; mais cette rivière, la plus large de l'u- nivers , forme une étendue d’eau considérable auprès de Coropa, avant que d'arriver à la mer par deux bouches différentes qui forment l'ile de Caviana. De l’embouchure de la rivière des Amazones jusqu’au cap Saint-Roch , la côte va presque droit de l’ouest à l’est : du cap Saint- Roch au cap Saint-Augustin, elle va du nord au 45 194 sud ; et du cap Saint-Augustin à la baie de Tous- les-Saints , elle retourne vers l’ouest; en sorte que cette partie du Brésil fait une avance con- sidérable dans la mer, qui regarde directement une pareille avance de terre que fait l'Afrique en sens opposé. La baie de Tous-les-Saints est un petit bras de l'Océan qui a environ cinquante lieues de profondeur dans les terres, et qui est fort fréquenté des navigateurs. De cette baie jusqu'au cap fe Saint-Thomas, la côte va droit du nord au midi, et ensuite dans une direction sud-ouest jusqu’à l'embouchure du fleuve de la Plata , où la mer fait un petit bras qui remonte à près de cent lieues dans les terres. De là à l’ex- trémité de l'Amérique , l'Océan paraît faire un grand golfe terminé par les terres voisines de la terre de Feu , comme l'ile Falkland , les terres du cap de Sion JE Beauchènes et les terres qui forment le détroit de la Roche, dé- couvert en 1671 : on trouve au fond de ce golfe le détroit de Magellan , qui est le plus long de tous les détroits, et où le flux et reflux est ex- trémement sensible; au delà est celui de Le Maire, qui est plus court et plus commode, et enfin le cap Horn, qui est la pointe du conti- nent de l'Amérique méridionale. On doit remarquer, au sujet de ces pointes formées par les continents, qu’elles sont toutes posées de la même façon, elles regardent toutes le midi , et la plupart sont coupées par des dé- troits qui vont de lorient à l'occident : la pre- mière est celle de l’'Ami regarde le midi ou le pôle austral, et qui est coupée par le détroit de agellan ; la seconde est celle du Groënland, qui regarde aussi direc- tement le midi, et qui est coupée de même de l'est à l’ouest par les détroits de Forbisher ; la troisième est celle de l'Afrique, qui regarde aussi le midi, et qui a, au delà du cap de Bonne- Espérance , des bancs et des hauts-fonds qui paraissent en avoir été séparés ; la quatrième est la pointe de la presqu'île de l'Inde, qui est coupée par un détroit qui forme l’île de Ceylan, et qui regarde le midi, comme toutes les autres. ue méridionale, qui HISTOIRE NATURELLE. nale, l’Océanrentreassez considérablement dass les terres , et cette côte semble suivre exacte- ment la direction des hautes montagnes qui tra- versent du midi au nord toute l'Amérique mé- ridionale depuis l'équateur jusqu’à la terre dé Feu. Près de l'équateur, l’Océan fait un golfe assez considérable, qui commence au cap Saint- François, et s'étend jusqu’à Panama, où est le fameux isthme qui, comme celui de Suez, em- pêche la communicationgles deux mers; et sans lesquels il y aurait une séparation culte de l’ancien et du nouveau continent en deux p par- ties; de là il n’y a rien de remarquable jusqu'a la Californie, qui est une presqu'’ile fort longue, entre les terres de laquelle et ceiles du Nouveau- Mexique l'Océan fait un bras qu’on appelle la . mer Vermeille, qui a plus de deux cents lieues d’étendue en longueur. Enfin, on a suivi les cô- tes occidentales de la Californie jusqu’au qua- rante-troisième degré ; et à cette latitude, Drake, qui le premier a fait la découverte de la terre qui est au nord de la Californie, et qui l’a ap- pelée zouvelle-Albion, fut obligé, à cause de la rigueur du froid, de changer sa route, et de s’arrèter dans une petite baie quip son nom; de sorte qu’au delà du quarante-troisième ou du quarante-quatrième degré, les mers de ces elimats n’ont pas été reconnues, non plus que les terres de l'Amérique septentrionale, dont les derniers peuples qui sont connus sont les Moozemlekis, sous le quarante-huitième degré, et les Assiniboils, sous le cinquantetet uniè 4 et les premiers sn beaucoup plus r vers l’ouest que les seconds. Tout ce qui e là, soit terre, soit mer, dans une étendue de milie lieues en longueur et d’autant en lar- geur, est inconnu, à moins que les Moscovites dans leurs dernièresnavigationsn’aient, comme ils l’ont annoncé, reconnu une partie de ces climats en partant de Kamtschatka, qui est la terre la plus voisine du côté de lorient. L'Océan environne done toute la terre sans interruption de continuité, et on peut faire le tour du globe en passant à la pointe de l'Amé- Jusqu'ici nous ne voyons pas qu’on puisse don- | que méridionale ; mais on ne sait pas encore ner la raison de cette singularité, et dire pour- quoi les pointes de toutes les grandes presqu’i- les sont toutes tournées vers le midi, et presque toutes coupées à leurs extrémités par des dé- troits, En remontant de la terre de Feu tout le long des côtes occidentales de l'Amérique méridio- ! si l'Océan environne de même la partie sep- tentrionale du globe, et tous les navigateurs qui ont tenté d'aller d'Europe à la Chine par le nord-est ou par le nord-ouest, ont également échoué dans leurs entreprises. Les lacs diffèrent des mers méditerranées en ce qu'ils ne tirent aucune eau de l'Océan, et _ THÉORIE DE LA TERRE. qu'au contraire , s’ils ont communication avec les mers, ils leur fournissent des eaux : ainsi la mér Noire, que quelques géographes ont regar- dée comme une suite de la mer Méditerranée, et par conséquent comme un appendice de l'O- céan , n’estqu’un lac, parce qu'au lieu de tirer des eaux de la Méditerranée elle lui en fournit, et coule avec rapidité par le Bosphore dans le lac appelé mer de Marmara, et delà par le dé- troit des Dardanelles dans la mer de Grèce. La mer Noire a environ deux cent cinquante lieues de longueur sur cent de largueur , etelle reçoit un grand nombre de fleuves dont les plus consi- dérables sont le Danube, le Niéper , le Don, le Bog , le Donjec , ete. Le Don , quise réunitavec le Donjec, forme, avant que d’arriver à la mer Noire, un lac ou un marais fort considérabie , qu'on appelle le Palus- Méotide , dont l'étendue est de plus de cent lieues en longueur , sur vingt ou vingt-cinq de largeur. La mer de Marmara, qui est au-dessous de la mer Noire , est un lac plus petit que le Palus-Méotide, et il n’a qu’en- viron cinquante lieues de longueur sur huit ou neuf de largeur. Quelques anciens , et entre autres Diodore de Sicile , ont écrit que le Pont-Euxin , ou la mer. Noire, n’était autrefois que comme une grande rivière ou un grand lac qui n’avait aucune com- munication avec la mer de Grèce; mais que, ce grand lac s'étant augmenté considérablement avec le temps , par les eaux des fleuves qui y arrivent , il s'était enfin ouvert un passage , d’a- bord du côté des iles Cyanées , et ensuite du côté de l’Hellespont. Cette opinion me parait assez vraisemblable, et même il est facile d’ex- pliquer le fait; car , en supposant que le fond de la mer Noire fût autrefois plus bas qu'il ne l’est aujourd’hui , on voit bien que les fleuves qui y arrivent auront élevé le fond de cette mer par le limon et les sables qu'ils entrainent, etque, par conséquent , il a pu arriver que la surface de cette mer se soit élevée assez pour que l’eau ait pusefaire une issue; et comme les fleuves con- tinuent toujours à amener du sableet desterres, et qu’en même temps la quantité d’eau diminue dans les fleuves à proportion que les montagnes dont ils tirent leur souree s’abaissent, il peut * arriver par une longue suite de siècles que le Bosphore se remplisse : mais, comme ces effets dépendent de plusieurs causes, il n’est guère possible de donner sur cela quelque chose de plus que de simples conjectures. C’est sur ce 195 témoignage des anciens que M. de Tournefort dit, dans son Voyage du Levant , que la mer Noire recevant les eaux d’une grande partie de l'Europe et de l'Asie, après avoir augmenté considérablement , s’ouvrit un chemin par le Bosphore, et ensuite forma la Méditerranée, où laugmenta si considérablement, que d’un lac qu'elle était autrefois, elle devint une grande mer, quis’ouvrit ensuite elle-même un chemin par le détroit de Gibraltar ; et que c’est proba- blement dans ce temps que l’ile Atlantide, dont parle Platon, a été submergée.Cette opinion ne peut se soutenir, dès qu’on est assuré que c’est l'Océan qui coule dans la Méditerranée, et non pas la Méditerranée dans l'Océan. D'ailleurs, M. de Tournefort n’a pas combiné deux faits essentiels, et qu'ilrapporte cependant tous deux: le premier, c’est que la mer Noire recoit neuf ou dix fleuves, dont il n’y en a pas un qui ne lui fournisse plus d’eau que le Bosphore n’en laisse sortir ; le second , c’est que la mer Médi- terranée ne reçoit pas plus d’eau par les fleuves que la mer Noire ; cependant elle est sept ou huit fois plus grande, et ce que le Bosphore lui fournit ne fait pas la dixième partie de ce qui tombe dans la mer Noire : comment veut-ilque cette dixième partie de ce qui tombe dans une petite mer, ait formé non-seulement une grande mer, mais encore ait si fort augmenté la quan- tité des eaux, qu’elles aient renversé les terres à l'endroit du détroit, pour aller ensuite sub- merger une ile plus grande que l’Europe? II est aisé de voir que cet endroit de M. de Tour- nefort n’est pas assez réfléchi. La mer Méditer- ranée tire, au contraire, au moins dix fois plus d’eau de l'Océan, qu’elle n’en tire de la mer Noire, parce que le Bosphore n’a que huit cents pas de largeur dans l'endroit le plus étroit, au lieu que le détroit de Gibraltar en a plus de cinq mille dans l'endroit le plus serré, et qu’en supposant les vitesses égales dans l’un et dans l’autre détroit, celui de Gibraltar a bien plus de profondeur. M. de Tournefort , qui plaisante sur Polybe au sujet de l’opinion que le Bosphore se rem- plira, et qui la traite de fausse prédiction, n’a pas fait assez d'attention aux circonstances, pour prononcer, comme il le fait, sur l’impos- sibilité de cet événement. Cette mer, qui reçoit huit ou dix grands fleuves, dont la plupart en- trainentbeaucoup de terre, de sable et de limon, ne se remplit-elle pas peu à peu ? les vents et 196 HISTOIRE NATURELLE. le courant naturel des eaux vers le Bosphore, ne doivent-ils pas y transporter une partie de ces terres amenées par ces fleuves? II est donc au contraire très-probable que par la succession des temps le Bosphore se trouvera rempli, lors- que les fleuves qui arrivent dans la mer Noire auront beaucoup diminué : or, tous les fleuves diminuent de jour en jour, paree que tous les jours les montagnes s'abaissent ; les vapeurs qui s'arrêtent autour des montagnes étant les premières sources des rivières , leur grosseur, et leur quantité d'eau dépend de la quantité de ces vapeurs, qui ne peut manquer de diminuer à mesure que les montagnes diminuent de hau- teur. Cette mer recoit à la vérité plus d’eau par les fleuves que la Méditerranée, et voici ce qu’en dit le même auteur : « Tout le monde sait que « les plus grandes eaux de l'Europe tombent « dans la mer Noire par le moyen du Danube, « dans lequel se dégorgent les rivières de Soua- « be, de Franconie, de Bavière , d'Autriche, « de Hongrie, de Moravie, de Carinthie , de « Croatie, de Bothnie, de Servie , de Transyl- « vanie, de Valachie ; celles de la Russie noire + et dela Podoliese rendent dans la même mer “ par le moyen du Niester; celles des parties « méridionales et orientales de la Pologne, de la «a Moscovie septentrionale et du pays des cosa- « ques, y entrent par le Niéper ou Borysthène ; « le Tanaïs et le Copa arrivent aussi dans la « mer Noire par le Bosphore Cimmérien ; les ri- « vières de la Mingrélie, dont le Phase est la «“ principale, se vident aussi dans la mer Noire, « de même que le Casalmae, le Sangaris et les « autres fleuves de l’Asie mineure qui ont leur « cours vers le nord ; néanmoins le Bosphore «a de Thrace n’est comparable à aucune de ces « grandes rivières.» ( Voy. Voyage du Levant de Tournefort, vol. II, page 123.) Tout cela prouve que l'évaporation suffit pour enlever une quantité d’eau très-considéra- ble , et c’est à cause de cette grande évapora- tion qui se fait sur la Méditerranée , que l'eau de l’Océan coule continuellement pour y arriver par le détroit de Gibraltar. Il est assez difficile de juger de la quantité d’eau que recoit une mer ; il faudrait connaître la largeur, la profon- deur et la vitesse de tous les fleuves qui y arri- vent, savoir de combien ils augmentent et di- minuent dans les différentes saisons de l’année : ét quand même tous ces faits seraient acquis, le plus important et le plus difficile reste encore, c’est de savoir combien cette mer perd par l’é- vaporation ; car en la supposant même propor- tionnelle aux surfaces, ou voit bien que dans un climat chaud elle doit être plus considérable que dans un pays froid. D'ailleurs , l’eau mêlée de sel et de bitume s’évapore plus lentement que l’eau douce; une mer agitée, plus promp- tement qu'une mer tranquille : la différence de profondeur y fait aussi quelque chose : en sorte qu'il entre tant d'éléments dans cette théorie de l’évaporation, qu'il n’est guère possible de faire sur cela des estimations qui soient exactes. L'eau de la mer Noire paraît étre moins claire, et elle est beaucoup moins salée que celle de l'Océan. On ne trouve aucune ile dans toute l'étendue de cette mer : les tempêtes y sont très-violentes et plus dangereuses que sur l'Océan, parce que toutes les eaux étant con- tenues dans un bassin qui n’a, pour ainsi dire, aucuneissue, elles ont une espèce demouvement de tourbillon, lorsqu'elles sont agitées, qui bat les vaisseaux de tous les côtés avec une violence insupportable. (Voyez les Voyages de Char. din , page 142.) Après la mer Noire, le plus grand lac de l’u- nivers est la mer Caspienne, qui s'étend du midi au nord sur une longueur d’environ trois cents lieues, et qui n’a guère que cinquante lieues de largeur en prenant une mesure moyen- ne. Ce lac recoit l’un des plus grands fleuves du monde, qui est le Volga, etquelques autres ri- vières considérables, comme celles de Kur, de Faie, de Gempo; mais cequ'il y a de singulier, c’est qu’elle n’en recoit aucune dans toute cette longueur de trois cents lieues du côté de l'o- rient. Le pays qui Pavoisine de ce côté est un désert de sable que personne n’avait reconnu jusqu'à ces derniers temps; le czar Pierre Ier y ayant envoyé des ingénieurs pour lever la carte de la mer Caspienne, il s’est trouvé que cette mer avait une figure tout à fait différente de celle qu'on lui donnait dans les cartes géo- graphiques ; on la représentait ronde, elle est fort longue et assez étroite : on ne connaissait donc point du tout les côtes orientales de cette mer, non plus que le pays voisin ; on ignorait jusqu’à l’existence du lac Aral, qui en est éloi- gné vers lorient d'environ cent lieues ; ou, si on connaissait quelques-unes des côtes de ce lac Aral, on croyaitque c’était une partie de la mer Caspienne : ensorte qu'avant les découvertes du THÉORIE DE ezar, il y avait dans ce climat un terrain de plus de hrois cents lieues de longueur sur cent et cent cinquante de largeur, qui n'était pas encore connu. Le lac Aral est à peu près de figure oblongue, et peut avoir quatre-vingt-dix ou cent lieues dans sa plus grande longueur, sur cinquante ou soixante de largeur; il reçoit deux fleuves très-considérables, qui sont le Sir- deroias et l'Oxus, et les eaux de ce lac n’ont aucune issue non plus que celles de la mer Cas- pienne : et de même que la mer Caspienne ne recoit aucun fleuve du côté de l’orient, le lac Aral n’en recoit aucun du côté de l'occident; ce qui doit faire présumer qu'autrefois ces deux laes n’en formaient qu’un seul, et que les fleu- ves ayant diminué peu à peu et ayant amené une très-grande quantité de sable et de limon, tout le pays qui les sépare aura été formé de ces sabies. II y a quelques petites iles dans la mer Caspienne, et ses eaux sont beaucoup moins salées que celles de l'Océan. Les tempêtes y sont aussi fort dangereuses, et les grands bâtiments n’y sont pas d'usage pour la navigation, parce qu’elle est peu profonde et semée de banes et d’écueils au-dessous de la surface de l’eau. Voici ce qu’en dit Pietro della Valle, tome 111, page 235. « Les plus grands vaisseaux que l’on & voit sur la mer Caspienne, le long des côtes de « la province de Mazande en Perse, où est « bâtie la ville de Ferhabad , quoiqu'ils les ap- « pellent navires, me paraissent plus petits que « nos tartanes; ils sont fort hauts de bord , en- « foncent peu dans l’eau , et ont le fond plat : ils « donnent aussi cette forme à leurs vaisseaux, -« non-seulement à cause que la mer Caspienne « n’est pas profonde à la rade et sur les côtes, « mais encore parce qu’elle est remplie de bancs « de sable, et que les eaux sont basses en plu- “ sieurs endroits; tellement que, si les vaisseaux « n'étaient fabriqués de cette façon , on ne pour- « raitpass’enservirsurcettemer. Certainement, « je m'étonnais, et avec quelque fondement , ce « me semble, pourquoi ils ne pêchaient à Fer- « habad que des saumons qui se trouvent à « l'embouchure du fleuve , et de certains estur- « geons très-mal conditionnés, de même que « de plusieurs autres sortes de poissons qui se «rendent à l’eau douce, et qui ne valent rien ; « et comme j’en attribuais la cause à l’insuffi- « sance qu'ils ont en l’art de naviguer et de «“ pêcher, ou à la crainte qu'ils avaient de se « perdre s’ils péchaient en haute mer, parce LA TERRE. 197 que je sais d'ailleurs que les Persans ne sont pas d’habiles gens sur cet élément, et qu'ils | n’entendent presque pas la navigation, le kan d'Estérabad, qui fait sa résidence sur le port de mer, et à qui, par conséquent, les raisons n’en sont pas inconnues, par l’expé- rience qu'il en a, m'en débita une, savoir, que les eaux sont si basses à vingt et trente milles dans la mer , qu'il est impossible d'y jeter des filets qui aillent au fond , et d’y faire aucune pêche qui soit de la conséquence de celle de nos tartanes ; de sorte que c’est par cette raison qu'ils donnent à leurs vaisseaux la forme que je vous ai marquée ci-dessus, et qu'ils ne les montent d'aucune pièce de ca- non, parce qu'il se trouve fort peu de cor- saires et de pirates qui courent cette mer. » Struys, le P. Avril et d’autres voyageurs ont prétendu qu'il y avait dans le voisinage de Ki- lan deux gouffres, où les eaux de la mer Cas- pienne étaient englouties , pour se rendre en- suite par des canaux souterrains dans le golfe Persique. De Fer et d’autres géographes ont même marqué ces goulfres sur leurs cartes : cependant ces gouffres n'existent pas , les gens envoyés par le ezar s’en sont assurés. ( Voyez les Mémoires de l’'Acad. des Scienc., année 1721.) Le fait des feuilles de saule qu’on voit en quantite sur le golfe Persique , et qu'on pré- tendait venir de la mer Caspienne, parce qu’il n'y à pas de saules sur le golfe Persique, étant avancé par les mêmes auteurs, est apparem- ment aussi peu vrai que celui des prétendus gouffres ; et Gémelli Carreri, aussi bien que les Moscovites, assure que ces gouffres sont abso- lument imaginaires. En effet, si l'on compare l'étendue de la mer Caspienne avec celle de la mer Noire, on trouvera que la première est de près d’un tiers plus petite que la seconde ; que la mer Noire recoit beaucoup plus d’eau que la mer Caspienne ; que, par conséquent, l’évapo: ration suffit dans l’une et dans l’autre pour en- lever toute l’eau qui arrive dans ces deux lacs, et qu'il n’est pas nécessaire d'imaginer des gouffres dans la mer Caspienne plutôt que dans la mer Noire. Il y a des lacs qui sont comme des mares, qui ne recoivent aucune rivière, et desquels il n’en sort aucune ; il y en a d’autres qui rêçoivent des fleuves, et desquels il sort d’autres fleuves ; et enfin d'autres qui seulement reçoivent des fleuves. La mer Caspienne et ie lac Aral sont 198 de cette dernière espèce; ils reçoivent les eaux de plusieurs fleuves et les contiennent : la mer Morte reçoit de même le Jourdain, et il n’en sort aucun fleuve. Dans l’Asie mineure, il y a un petit lac de la même espèce, qui recoit les eaux | d'une rivière dont la source est auprès de Co- gni, et qui n’a, comme les précédents, d'autre voie que l’évaporation pour rendre les eaux qu'il reçoit. Il y en a un beaucoup plus grand en | Perse, sur lequel est située la ville de Marago; il est de figure ovale et il a environ dix ou douze lieues de longueur sur six ou sept de lar- geur : il reçoit la rivière de Tauris, qui n’est pas considérable. Il y a aussi un pareil petit lac en Grèce à douze ou quinze lieues de Lépante. Ce ! sont là les seuls lacs de cette espèce qu’on con- naisse en Asie; en Europe, il n’y en a pas un qui soit un peu considérable. En Afrique, il y en a plusieurs , mais qui sont tous assez petits, comme le lac qui recoit le fleuve Ghir, celui dans lequeltombelefieuvede Zez, celuiquireçoit la rivière de Touguedout, et celui auquel abou- tit le fleuve Tafilet. Ces quatre lacs sont assez près les uns des autres, et ils sont situés vers les frontières de Barbarie près des déserts de Sahara. 11 y en a un autre situé dans la contrée de Kovar , qui recoit la rivière du pays de Ber- doa. Dans l’Amérique septentrionale , où il y a plus de lacs qu'en aucun pays du monde , on | n’en connait pas un de cette espèce, à moins qu'on ne veuille regarder comme tels deux pe- tits amas d’eau formés par des ruisseaux, l’un auprès de Guatimapo, et l’autre à quelques | lieues de Réal-Nuevo , tous deux dans le Mexi- que. Mais dans l'Amérique méridionale, au Pé- rou, il y a deux lacs consécutifs, dont l’un, qui est le lac Titicaca, est fort grand , qui recoi- vent une rivière dont la source n’est pas éloi- gnée de Cusco, et desquels il ne sort aucune autre rivière : il y en a un plus petit dans le Tucuman , qui recoit la rivière Salta; et un au- tre un peu plus grand dans le même pays , qui reçoit la rivière de San-lago, et encore trois ou quatre autres entre le Tucuman et le Chili. Les lacs dont il ne sort aucun fleuve et qui n’en reçoivent aucun , sont en plus grand nom- bre que ceux dont je viens de parler : ces lacs ne sont que des espèces de mares où se rassem- blent les eaux pluviales, ou bien ce sont des eaux souterraines qui sortent en forme de fon- taines dans les lieux bas, où elles ne peuvent ensuite trouver d'écoulement, Les fleuves qui HISTOIRE NATURELLE, . débordent, peuvent aussi laisser dans les terres des eaux stagnantes, qui se conservent ensuite | pendant longtemps, et qui ne se renouvellent : que dans le temps des inondations. La mer, par de violentes agitations, a pu inonder quelque- fois de certaines terres et y former des lacs sa- lés, comme celui de Harlem et plusieurs autres de la Hollande, auxquels il ne parait pas qu'on puisse attribuer une autre origine; ou bien la mer, en abandonnant par son mouvement natu- . rel de certaines terres, y aura laissé des eaux dans les lieux les plus bas, qui y ont formé des lacs que l’eau des pluies entretient. Ily a, en Europe, plusieurs petits lacs de cette espèce, comme en Irlande, en Jutland , ea Italie, dans le pays des Grisons, en Pologne, en Moscovie, en Finlande, en Grèce; mais tous ces lacs sont très-peu considérables. En Asie, il y en a un près de l’Euphrate, dans le désert d’Irac, qui a plus de quinze lieues de longueur ; un autre aussi en Perse, qui est à peu près de la même étendueque le premier, et sur lequel sont situées les villes de Kélat, de Tétuan, de Vastanet de Van; un autre petit dans le Chorassan auprès de Ferrior ; un autre petit dans la Tartarie in- dépendante, qu’on appelle le lac Lévi; deux au- tres dans la Tartarie moscovite; un autre à la Cochinchine, et enfin un à la Chine, qui est assez grand, et qui n’est pas fort éloigné de Nan- kin ; ce lac cependant communique à la mer voisine par un canal de quelques lieues. En Afrique, il y a un petit lac de cette espèce dans le royaume de Maroc; un autre près d’Alexan- drie, qui paraît avoir été laissé par la mer; un autre assez considérable, formé par les eaux pluviales dans le désert d’Azarad, environ sous le trentième degré de latitude; ce lac a huit ou dix lieues de longueur ; un autre encore plus grand , sur lequel est située la ville de Gaoga sous le vingt-septième degré ; un autre, mais beaucoup plus petit, près de la ville de Kanum, sous le trentième degré; un près de l’embou- chure de la rivière de Gambia; plusieurs autres | dans le Congo à deux ou trois degrés de latitude sud ; deux autres dans le pays des Cafres, l'an appelé le lac Rufumbo, qui est médiocre, et l’autre dans la province d’Arbuta, qui est peut- être le plus grand lac de cette espèce, ayant | vingt-cinq lieues environ de longueur sur sept ou huit de largeur. Il y a aussi un de ces lacs | à Madagascar, près de la côte orientale, environ | sous le vingt-neuvième degré de latitude sud. LA ‘ THÉORIE DE LA TERRE. En Amérique , dans le milieu de la péninsule de la Floride, il y a un de ces lacs, au milieu duquel est une île appelée Serrope. Le lac de la ville de Mexico est aussi de cette espèce; et ce lac , qui est à peu près rond, a environ dix lieues de diamètre. Il y en a un autre encore plus grand dans la Nouvelle-Espagne, à vingt- cinq lieues de distance ou environ de la côte de la baie de Campèche, et un autre plus petit dans la même contrée, près des côtes de la mer du sud. Quelques voyageurs ont prétendu qu’il y avait dans l’intérieur des terres de la Guiane un très-grand lac de cette espèce ; ils l’ont ap- pelé le lac d’Or ou le lac Parime ; et ils ont ra- conté des merveilles de la richesse des pays | voisins , et de l’abondance des paillettes d’or qu’on trouvait dans l’eau de ce lac : ils donnent à ce lac une étendue de plus de quatre cents lieues de longueur, et de plus de cent vingt-cinq d eur ; il n’en sort, disent-ils, aucun fleuve, etiln!y en entre aucun. Quoique plusieurs géo- graphes aient marqué ce grand lac sur leurs cartes, il n’est pas certain qu’il existe , et il l'est encore bien moins qu'il existe tel qu'ils nous le représentent. Mais les lacs les plus ordinaires et les plus communément grands, sont ceux qui, après avoir recu un autre fleuve , ou plusieurs petites rivières, donnent naissance à d’autres grands fleuves. Gomme le nombre de ces lacs est fort grand, je ne parlerai que des plus considérables, ou de ceux qui auront quelque singularité. En commençant par l’Europe, nous avons en Suisse le lac de Genève , celui de Constance, etc.; en - Hongrie , celüi de Balaton ; en Livonie, un lac qui est assez grand et qui sépare les terres de cette province de celles dela Moscovie ; en Fin- lande, le lac Lapwert, qui est fort long et qui se divise en plusieurs bras ; le lac Oula qui est de figure ronde ; en Moscovie le lac Ladoga qui a plus de vingt-cinq lieues de longueur sur plus de douze de largeur ; le lac Onéga, qui est aussi long , mais moins large ; le lac ilmen ; celui de Béloséro, d’où sort l’une des sources du Volga; lIwan-Oséro duquel sort l’une des sources du Dou ; deux autres lacs dont le Vitzogda tire son origine ; en Laponie le lac dont sort le fleuve de Kimi; un autre beaucoup plus grand, qui n’est pas éloigné de la côte de Wardhus; plusieurs autres desquels sortent les fleuves de Lula , de Pitha , d’'Uma , qui tous ne sont pas fort consi- dérables ; en Norwége, deux autres à peu près 199 de même grandeur que ceux de Laponie ; en Suède , le lac Véner , qui est grand , aussi bien que le lac Méler, sur lequel est situé Stockholm; deux autres lacs moins considérables, dont l’un est près d’Elvédal et l’autre de Lincopin. Dans la Sibérie et dans la Tartarie moscovite et indépendante, il y a un grand nombre de ces lacs, dont les principaux sont le grand lac Ba- raba qui a plus de cent lieues de longueur , et dont les eaux tombent dans PIrtis ; le grand lac Estraguel à la souree du même fleuve Irtis ; plusieurs autres moins grands à la source du Jénisea ; le grand lae Kita à la source del’Oby; un autre grand lac à la source de l’Angara; le lac Baïcal qui a plus de soixante-dix lieues de longueur, et qui est formé par le même fleuve Angara; le lac Péhu, d'où sort le fleuve Urack , ete. ; à la Chine et dans la Tartarie chi- noise, le lac Dalaï, d’où sort la grosse rivière d’Argus qui tombe dans le fleuve Amour; le lac des Trois-Montagnes , d’où sort la rivière Hé- lum, qui tombe dans le même fleuve Amour ; les lacs de Cinhal, de Cokmor et de Sorama, desquels sortentles sources du fleuve Hoanho; deux autres grands lacs voisins du fleuve de Nankin , ete. ; dans le Tonquin le lac de Gua- :dag, qui est considérable ; dans l’Inde le lac Chiamat, d’où sort le fleuve Laquia , et qui est voisin des sources du fleuve Ava, du Longe- nu , ete. ; ce lac a plus de quarante lieues de largeur sur cinquante de longueur; un autre lae à l’origine du Gange; un autre près de Cachemire à l’une des sources du fleuve In- dus , ete. En Afrique, on a le lac Cayar et deux outrois autres qui sont voisins de l'embouchure du Sé- négal ; le lac de Guarde et celui de Sigismes, qui tous deux ne font qu'un même lac de forme presque triangulaire, qui a plus de cent lieues de longueur sur soixante-quinze de largeur , et qui contient une île considérable : c'est dans ce lac que le Niger perd son nom ; et au sortir de ce lac qu’il traverse, on l’appelle Sénégal. Dans le cours du même fleuve, en remontant vers la source , on trouve un autre lac considérable qu’on appelle le lac Bournou , où le Niger quitte encore son nom, car la rivière qui y arrive s’ap- | pelle Gambaru ou Gombarow. En Ethiopie, aux sources du Nil , est le grand lac Gambia , qui a plus de cinquante lieues de longueur. IL y a aussi plusieurs lacs sur la côte de Guinée, qui paraissent avoir été formés par la mer ; etil n'y 200 à que peu d’autres lacs d’une grandeur un peu considérable dans le reste de l'Afrique. L'Amérique septentrionale est le pays des laes : les plus grands sont le lac Supérieur, qui a plus de cent vingt-cinq lieues de longueur sur cinquante de largeur ; le lae Huron, qui a près de cent lieues de longueur sur environ quarante de largeur; le lac des Illinois , qui, en y com- prenant la baie des Puants, est tout aussi éten- du que le lac Huron; le lac Érié et le lac Onta- rio, qui ont tous deux plus de quatre-vingts lieues de longueur sur vingt ou vingt-cinq de largeur; le lac Mistasin, au nord de Québec, qui à environ cinquante lieues de longueur ; le lae de Champlain au midi de Québec, qui est à peu pres de la même étendue que le lac Mista- sin ; le lac Alemipigon etle lac des Christinaux, tous deux au nord du lac Supérieur, sont aussi fort considérables; le lac des Assiniboils , qui contient plusieurs îles, et dont l’étendue en longueur est de plus de soixante-quinze lieues, il y en aussi deux de médiocre grandeur dans le Mexique, indépendamment de celui de Mexi- co; un autre beaucoup plus grand appelé le lae Nicaragua dans la province du même nom; ce lac a plus de soixante ou soixante-dix lieues d'étendue en longueur. Enfin , dans l'Amérique méridionale , il y en a un petit à la source du Maragnon; un autre plus grand à la source de la rivièredu Paraguai; le lac Titicares , dont les eaux tombent dans le fleuve de la Plata; deux autres plus petits dont les eaux coulent aussi vers ce même fleuve, et quelques autres qui ne sont pas considérables dans l’intérieur des terres du Chili. Tous les lacs dont les fleuves tirent leur ori- gine, tous ceux qui se trouvent dans le cours des fleuves ou qui en sont voisins et qui y ver- sent leurs eaux, ne sont point salés : presque tous ceux au contraire qui recoivent des fleu- ves, sans qu'il en sorte d’autres fleuves, sont salés; ce qui semble favoriser l’opinion que nous ayons exposée au sujet de la salure de la mer, qui pourrait bien avoir pour cause les sels que les fleuves détachent des terres , et qu'ils trans- portent continuellement à la mer : car l’éva- poration ne peut pas enlever les sels fixes, et par conséquent ceux que les fleuves portent dans la mer, y restent; et quoique l’eau des fleuves pa- raisse douce, on sait que cette eau doucenelaisse pas de contenir une petite quantité de sel , et, par la succession des temps, la mer a dù ac- HISTOIRE NATURELLE. quérir un degré de salure considérable ; qui doit toujours aller en augmentant. C'est ainsi, à ce que j'imagine, que la mer Noire, la mer Cas- pienne, le lac Aral , la mer Morte, ete., sont de- venus salés ; les fleuves qui se jettent dans ces lacs, y ont amené successivement tous les sels qu'ils ont détachés des terres, et l'évaporation n'a pu les enlever. A l'égard des Jacs qui sont comme des mnares, qui ne reçoivent aucun fleuve, et desquels il n’en sort aucun, ils sont ou doux ou salés, suivant leur différente ori- gine; ceux qui sont voisins de la mer, sontor- dinairement salés, et ceux qui en sont éloignés, sont doux, et cela, parce que les uns ont été formés par des inondations de la mer, et que les autresne sont que des fontaines d'eau douce, qui, n'ayant pas d'écoulement , forment une grande étendue d’eau. On voit aux Indes plu- sieurs étangs et réservoirs faits par l’industrie des habitants, qui ont jusqu’à deux "1 lieues de superficie, dont les bords sont revêtus d’une muraille de pierre ; ces réservoirs se rem- plissent pendant la saison des pluies, et servent aux habitants pendant l'été, lorsque l’eau leur manque absolument , à cause du grand éloigne- ment où ils sont des fleuves et des fontaines. Les lacs qui ont quelque chose de particulier, sont la mer Morte, dont les eaux contiennent beaucoup plus de bitume que de sel; ce bitume, qu’on appelle bitume de Judée, n’est autrechose quede l'asphalte , et aussi quelques auteurs ont appelé la mer Morte, lac Asphaltite. Les terres aux environs du lac contiennent une grande quantité de ce bitume. Bien des gens se sont persuadé , au sujet de ce lac, des choses sembla- bles à celles que les poëtes ont écrites du lac d’Averne, que le poisson ne pouvait y vivre; que les oiseaux qui passaient par-dessus étaient suffoqués : mais ni l’un ni l’autre de ces laes ne produit ces funestes effets , ils nourrissent tous deux du poisson; les oiseaux volent par-dessus, et les hommes s’y baisnent sans aucun danger. Il y a, dit-on, en Bohème, dans la campagne de Boleslaw , un lac où il y a des trous d'une profondeur si grande qu’on n’a pu la sonder, etils’élève de ces trous des vents impétueux qui parcourent toute la Bohème, et qui, pendant l'hiver , élèvent souvent en l'air des morceaux de glace de plus de cent livres de pesanteur Voyez Act. Lips., année 1682, page 246. On parle d’un lac en Islande qui pétrifie; le lac Néagh en Irlande a aussi la même propriété : pe à * chaine de montagnes qui s'étend depuis le Kamt- THÉORIE DE mais ces pétrifications produites par l’eau de ces lacs ne sont sans doute autre chose que des incrustations comme celles que fait l’eau d’Ar- cueil. … ADDITIONS ET CORRECTIONS À L'ARTICLE QUI À POUR TITRE, DES MERS ET DES LACS. Sur les limites de la mer du Sud. La mer du Sud qui,comme l’on sait, a beau- coup plus d’étendue en largeur que la mer At- lantique , parait être bornée par deux chaines de montagnes qui se correspondent jusqu’au delà de l'équateur : la première de ces chaines est celle des montagnes de Californie, du nouveau Mexique , de l’isthme de Panama et des Cordi- lières du Pérou, du Chili, ete. ; l’autre est la schatka, et passe par Yeco , par le Japon, et s'étend jusqu'aux iles des Larrons , et même aux Nouvelles-Philippines. La direction de ces chaines de montagnes , qui paraissent être les anciennes limites de la mer Pacifique, est pré- cisément du nord au sud; en sorte que l’ancien continent était borné à l’orient par l’une de ces chaines , et le nouveau continent par Pautre. Leur séparation s’est faite dans le temps où les eaux, arrivant du pôle austral, ont commencé à couler entre ces deux chaînes de montagnes qui semblent se réunir, ou du moins se rapprocher de très-près vers le contrées septentrionales ; et ce n’est pas le seul indice qui nous démontre l’ancienne réunion des deux continents vers le nord. D'ailleurs , cette continuité des deux con- tinents entre le Kamtschatka et les terres les plus occidentales de l'Amérique, parait mainte- nant prouvé par les nouvelles découvertes des navigateurs, qui ont trouvé sous ce même pa- rallèle une grande quantité d’iles voisines les unes des autres; en sorte qu'il ne reste que peu ou point d'espaces de mer entre cette partie orientale de l'Asie et la partie occidentale de l'Amérique sous le cercle polaire. Sur le double courant des eaux dans quelques endroits de l'Océan. J'ai dit trop généralement et assuré trop posi- tivement,qu’él ne se trouvait pas dans la mer des endroits où les eaux eussent un courant LA TERRE. 201 inférieur opposé et dans une direction con- traire au mouvement du courant supérieur : j'ai recu depuis des informations qui semblent prouver que cet effet existe et peut même se démontrer dans de certaines plages de la mer; les plus précises sont celles que M. Deslandes, habile navigateur, a eu la bonté de me commu- niquer par ses lettres des G décembre 1770 et 5 novembre 1773, dont voici l'extrait : « Dans votre Théorie de la terre, art. XI ; « Des mers et des lacs, vous dites que quel- ques personnes ont prétendu qu'il y avait, dans le détroit de Gibraltar , un double cou- rant, supérieur et inférieur , dont l’effet est contraire ; mais que ceux qui ont eu de pa- reilles opinions auront sans doute pris des remous qui se forment au rivage par la rapi- dité de l’eau , pour un courant véritable : et que c’est une hypothèse mal fondée. C’est d’après la lecture de ce passage que je me détermine à vous envoyer mes observations à ce sujet. « Deux mois après mon départ de France, je pris connaissance de terre entre les caps Gonsalvez et de Sainte-Catherine ; la force des courants dont la direction est au nord- nord-ouest , suivant exactement le gisement des terres qui sont ainsi situées , m'obligea de mouiller. Les vents généraux dans cette partie sont du sud-sud-est, sud-sud-ouest et sud-ouest ; je fus deux mois et demi dans l'attente inutile de quelque changement, et faisant presque tous les jours de vains efforts pour gagner du côté de Loango, où j'avais affaire. Pendant ce temps, j'ai observé que la mer descendait dans la direction ci-dessus avec sa force, depuis une demie jusqu’à une lieue à l'heure, et qu'à de certaines profon- deurs, les courants rémontaient en dessous avec au moins autant de vitesse qu'ils des- cendaient en dessus. « Voici comme je me suis assuré de la hau- « teur de ces différents courants. Etant mouillé par huit brasses d’eau , la mer extrémement claire, j'ai attaché un plomb de trente li- vres au bout d’une ligne; à environ deux brasses de ce plomb , j'ai mis une serviette liée à la ligne par un de ses coins, laissant tomber le plomb dans l’eau; aussitôt que la serviette y entrait, elle prenait la direction du « premier courant : continuant à l’observer, je « la faisais descendre ; d’abord que je m’aper- BL 2 SL ER RAR = 2 = « EE 202 « cevais que le courant n’agissait plus, j'arrê- « lais, pour lors elle flottait indifféremment « autour de la ligne. Il y avait done dans cet « endroit interruption de cours. Ensuite, bais- “sant ma serviette à un pied plus bas, elle pre- a nait une direction contraire à celle qu'elle * avait auparavant. Marquant la ligne à la sur- « face de l’eau, il y avait trois brasses de dis- « tance à la serviette, d’où j'ai conclu, après « différents examens , que sur les huit brasses « d’eau, il y en avait trois qui couraient sur le « nord-nord-ouest , et cinq en sens contraire, « sur le sud-sud- est, « Réitérant l'expérience le même jour, jus- « qu'à cinquante brasses, étant à la distance de « six à sept lieues de terre, j'ai été surpris de « trouver la colonne d’eau courant sur la mer, « plus profonde à raison de la hauteur du fond; « sur cinquante brasses, j'en ai estimé de douze « quinze dans la première direction : ce phé- « nomène n’a pas eu lieu pendant deux mois et « demi que j'ai été sur cette côte, mais bien à 4 peu près un mois en différents tanins Dans « les interruptions , la marée descendaiten to- « tal dans le golfe de Guinée. « Cette division des courants me fit naître « l’idée d’une machine qui, coulée jusqu’au cou- « rantinférieur, présentant une grande surface, « aurait entrainé mon navire contre les courants « supérieurs; j'en fis l’épreuve en petit sur un « canot, et je parvins à faire équilibre entre « l'effet de la marée supérieure joint à l'effet du « vent sur le canot, et l’effet de la marée infé- « rieure sur la machine. Les moyens me man- « querent pour faire de plus grandes tentatives. « Voilà, monsieur, un fait évidemment vrai, et « que tous les navigateurs qui ont été dans ces « climats peuvent vous confirmer. « Je pense que les vents sont pour beaucoup « dans les causes générales de ces effets, ainsi «“ que les fleuves qui se déchargent dans la mer, « le long de cette côte, charroyant une grande « quantité de terre dans le golfe de Guinée. En- « fin, le fond de cette partie qui oblige par sa « pente la marée de rétrograder, lorsque l’eau, « étant parvenue à un certain niveau, se trouve « pressée par la quantité nouvelle qui la charge « sans cesse, pendant que les vents agissent en “ sens contraire sur la surface, la contraint en « partie de conserver son cours ordinaire. Cela « me parait d'autant plus probable, que la mer « entre de tous côtés dans ce golfe, et n’en sort “# HISTOIRE NATURELLE. i « que par des révolutions qui sont fort rares. « La lune n’a aucune part apparente dans ceci, « cela arrivant indifféremment dans tous ses « quartiers. « J'ai eu occasion de me convaincre @e plus « en plus que la seule pression de l’eau parve- « nue à son niveau, jointe à l’inclinaison n! « saire du fond, sont les seules etuniques causes « qui produisent ce phénomène. J'ai éprouvé « que ces courants n’ont lieu qu’à raison de la « pente plus ou moins rapide du rivage, et jai « toutlieu de croire qu’ils ne se font sentir qu’à « douze ou quinze lieues au large , qui est l'é- « loignement le plus grand le long de la côte « d’Angole , où l’on puisse se promettre avoir « fond... Quoique sans moyens certains de « pouvoir m'assurer que les courants du large « n'éprouvent pas un pareil changement, voici « la raison qui me semble l'assurer. Je prends « pour exemple une de mes expériences faite « par une hauteur de fond moyenne, telle que « trente-cinq brasses d'eau: j'éprouvais jusqu'à « la hauteur de cinq à six brasses , le cours di- « rigé dans le nord-nord-ouest ; en faisant cou- « ler davantage comme de deux à trois bras- « ses, ma ligne tendait à l’ouest-nord-ouest ; « ensuite trois ou quatre brasses de profondeur « de plus me l’amenaient à l’ouest-sud-ouest , « puis au sud-ouest et au sud ; enfin, à vingt « cinq ou vingt-six brasses au sud-sud-est , et « jusqu’au fond au sud-est et à l’est-sud-est ; « d’où j'ai tiré les conséquences suivantes, que « je pouvais comparer l'Océan entre l'Afrique «_ et l'Amérique, à un grand fleuve dontle cours «est presque continuellement dirigé daus le « nord-ouest; que, dans son cours, il transporte « un sable ou limon qu'il dépose sur ses bords, « lesquels se trouvant rehaussés, augmentent le « volume d’eau, ou ce qui est la même chose, « élèvent son niveau, et l'obligent de rétrogra- « der selon la pente du rivage. Mais il y a un « premier effort qui le dirigeait d’abord : il ne « retourne donc pas directement; mais , obéis- « sant encore au premier Rp ou cé- « dant avec-peine à ce dernier Na il doit « nécessairement décrire une courbe plus ou « moins allongée, jusqu'à ce qu'il rencontre ce « courant du milieu avec lequel il peut se réunir «en partie, ou qui lui sert de point d'appui « pour suivre la direction contraire que lui im- « pose le fond : comme il faut considérer la « masse d'eau en mouvement continue] , le fond — “ L « subira toujours les premiers changements, « comme étant plus près de la cause et plus « pressé, et il ira en sens contraire du courant « Supérieur ; pendant qu'à des hauteurs diffé- « rentes, il n’y sera pas encore parvenu. Voilà, « monsieur, quelles sont mes idées. Au reste, « j'aitiré parti plusieurs jois de ces courants « inférieurs ; et moyennant une machine que « j'ai coulée à différentes profondeurs , selon la « hauteur du fond où je me trouvais, j'ai re- « monté contre le courant supérieur. d’ai éprou- « vé que, dans un temps calme, avee une sur- « face trois fois plus grande que la proue noyée « du vaisseau, on peut faire d’un tiers à une « demi-lieue par heure. Je me suis assuré de « cela plusieurs fois, tant par ma hauteur en « latitude que par des bateaux que je mouillais, a dont je me trouvais fort éloigné dans une « heure, et enfin, par la distance des pointes le « long de la terre. » Ces observations de M. Deslandes me parais- sent décisives, et j'y souscris avec plaisir ; je ne puis même assez le remercier de nous avoir démontré que mes idées sur ce sujet n'étaient justes que pour le général, mais que, dans quel- ques circonstances , elles souffraient des excep- tions. Cependant il n’en est pas moins certain que l'Océan s’est ouvert la porte du détroit de Gibraltar, et que, par conséquent, l’on ne peut douter que la mer Méditerranée n’ait en même temps pris une grande augmentation par l’ir- ruption de l'Océan. J’ai appuyé cette opinion, uon-seulement sur le courant des eaux de l’O- céan dans la Méditerranée, mais encore sur la nature du terrain et la correspondance dés mé- mes couches de terre des deux côtés du détroit, ce qui a été remarqué par plusieurs navigateurs instruits. « L'irruption qui a formé la Méditer- « ranée est visible et évidente, ainsi que celle de‘ « la mer Noire par le détroit des Dardanelles, « où le courant est toujours très-violent, et les a angles saillants et rentrants des deux bords, a très-marqués, ainsi que la ressemblance des « couches de matières, qui sont les mêmes des « deux côtés. ! » Au reste, l’idée de M. Deslande, qui consi- dère la mer entre l'Afrique et l’ Amérique comme un grand fleuve dont le cours est dirigé vers le nord-ouest, s'accorde parfaitement avec ce que j'ai établi sur le mouvement des eaux venant du 4 Fragment d'une lettre écrite à M. de Buffon. en 1772. $ THÉORIE DE LA TERRE. 903" | pôle austral en plus grande quantité que du pôle boréal. Sur les parties septentrionales de la mer Atlantique. A la vue des iles et des golfes qui se multi- plient ou s'agrandissent autour du Groënland , lil est difficile, disent les navigateurs, de ne pas soupeonner que la mer ne refoule, pour ainsi dire, des pôles vers l'équateur : ce qui peutau- toriser cette conjecture, c'est que le flux qui monte jusqu'à dix-huit pieds au cap des États, ne s'élève que de huit pieds à la baie de Disko, c'est-à-direà dix degrés plushautdelatitudenord. Cette observation des navigateurs, jointe à celle de l'article précédent, semble confirmer encore ce mouvement des mers depuis les ré- gions australes aux septentrionales, où elles sont contraintes, par l'obstacle des terres, de refouler ou refluer vers les plages du midi. Dans la baie de Hudson, les vaisseaux ont à se préserver des montagnes de glace auxquelles des navigateurs ont donné quinze à dix- huit cents pieds d'épaisseur, et qui, étant formées par un hiver permanent de cinq à six ans dans de petits golfes éternellement remplis de neige, en ont été détachées par les vents de nord-ouest, ou par quelque cause extraordinaire. Le vent du nord-ouest, qui rèene presque continuellement durant l'hiver, et très-souvent en été, excite, dans la baie même, des tempé- tes effroyables. Elles sont d'autant plus à craim- dre que les bas-fonds y sont très-communs. Dans les contrées qui bordent cette baie, le so- leil ne se lève, ne se couche jamais sans un grand cône de lumière ; lorsque ce phénomène a disparu, l'aurore boréale en prend la place. Le ciel y est rarement serein; et, dans le prin- temps et darts l’automne, l'air est habituelle- ment rempli de brouillards épais, et, durant l'hiver, d'une infinité de petites flèches glacia- les sensibles à l'œil. Quoique les chaleurs . l'été soient assez vives durant deux mois ou six semaines,le tonnerre et les éclairs sont rares. La mer, le long des côtes de Norwége, quisont bordées par des rochers, a ordinairement depuis cent jusqu'à quatre cents brasses de profon- deur, et les eaux sont moins salées que dans les climats plus chauds. La quantité de poissons huileux dont cette mer est remplie la rend grasse, au point d’en être presque inflamma- ble. Le flax n'y est point considérable; et la plus haute marée n'y est que de huit pieds. 204 HISTOIRE NATURELLE, On a fait, dans ces dernières années, quel- ques observations sur la température des terres et des eaux dans les climats les plus voisins du pôle boréal. « Le froid commence dans le Groënland à la nouvelle année, et devient si perçant aux mois de février et de mars, que les pierres se fendent en deux, et que la mer fume comme un four, surtout dans les baies. Cependant, le froid n’est pas aussi sensible au milieu de ce brouillard épais que sous un ciel sans nuages : car, dès qu'on passe des terres à cette atmo= sphère de fumée qui couvre la surface et le bord des eaux, on sent un air plus doux et le froid moins vif, quoique les habits et les cheveux y soient bientôt hérissécs de bruine et de glaçons. Mais aussi cette fumée cause plutôt des engelures qu'un froid sec; et, dès qu'elle passe de la mer dans une atmosphère plus froide, elle se change en une espèce de verglas, que le vent disperse dans l'horizon, et qui cause un froid si piquant, qu'on ne peut sortir au grand air sans risquer d’avoir les picdsetles mains entièrementsaelés. C’est dans cette saison que l’on voit glacer l’eau sur le feu avant de bouillir : c’est alors que l'hiver pave un chemin de glace sur la mer, entre les iles voisines, et dans les baies etles détroits… « La plus belle saison du Groënland est l’au- tomne ; mais sa durée est courte , et souvent interrompue par des nuits de gelée très-froi- des. C’est à peu près dans ces temps-là que, sous une atmosphère noircie de vapeurs , on voit les brouillards qui se gèlent quelquefois jusqu’au verglas, former sur la mer comme un tissu glacé de toile d’araignée, et dans les campagnes charger l'air d’atomes luisants, ou le hérisser de glacons pointus semblables à de fines aiguilles. « On a remarqué plus d’une fois que le temps et la saison prennent dans le Groënland une température opposée à celle qui règne dans toute l’Europe ; en sorteque, si l’hiver est très- RC 2 se =» CR NN NC ET EN DE | : au Groënland ; et tres-vif en cette partie du nord , quand il est le plus modéré dans nos contrées. A la fin de 1739, l'hiver fut si doux à la baie de Disko , que ies oies passèrent, au mois de janvier Suivant, dela zone tempérée dans la glaciale , pour y chercher un air plus chaud , et qu’en 1740 on ne vit point de glace rigoureux danslesclimatstemperés, ilestdoux | à Disko jusqu’au mois de mars, tandis qu’en « Europe, elle régna constamment depuis octo- « bre jusqu'au mois de mai... « De même l'hiver de 1763, qui fut extrême- « ment froid dans toute l'Europe, se fit si peu « sentir au Groënland, qu'on y à vu quelquefois « des étés moins doux. » Les voyageursnousassurentquedans ces mers voisines du Groënland , il y a des montagnes de glaces flottantes très-hautes, et d’autres gla- ces flottantes comme des radeaux, qui ont plus de deux cents toises de longueur sur soixante ou quatre-vingts de largeur ; mais ces glaces qui for- ment des plaines immenses sur la mer, n'ont communément que neuf à douze pieds d’épais- seur : il paraitqu’elles se formentimmédiatement sur la surface de la mer dans la saison la plus froide, au lieu que les autres glaces flottantes et très-élevées viennent de la terre, c’est-à-dire des environs des montagnes et des côtes, d’où elles ont été détachées et roulées dans la mer par les fleuves. Ces dernières glaces entraînent beau- coup de bois, qui sont ensuite jetés par la mer sur les côtes orientales du Groëénland : il parait que ces bois ne peuvent venir que de la terre de Labrador, et non pas de la Norwége, parce que les vents du nord-est, qui sont tres-violents dans ces contrées, repousseraient ces bois, comme les courants qui portent du sud au dé- troit de Davis et à la baie de Hudson, arrête- raient tout ce qui peut venir de l'Amérique aux côtes du Groënland. La mer commence à charrier des glaces au Spitzberg dans les mois d'avril et de mai; elles viennent au détroit de Davis en très-grandequan- tité, parties de la Nouvelle-Zemble, et la plupart le long de la côte orientale du Groëniand , por- tées de l'est à l’ouest, suivant le mouvement général de la mer ‘. L'on trouve, dans le Voyage du capitaine Phipps, les indices et les faits suivants : « Dès 1527, Robert Thorne, marchand de « Bristol, fit naître l’idée d'aller aux Indes «orientales par le pôle boréal... Cependant on « ne voit pas qu'on ait formé aucune expédition « pour les mers du cercle polaire avant 1607, « lorsque Henri Hudson fut envoyé par plusieurs « marchands de Londres, à la découverte du « passage à la Chine et au Japon par le pôle bo- « réal... Il pénétra jusqu’au quatre-vingtième « degré vingt-trois minutes, et il ne put aller « plus loin... ‘ Histoire générale des Voyages, tome XEX, pag. 13 etsuiy. THÉORIE DE LA TERRE. a En 1609, sir Thomas Smith fut sur la côte « méridionale du Spitzherg, et il apprit, par des « gens qu'il avait envoyés à terre, que les laes et « les mares d'eau n'étaient pas tous gelés (c'était « le 26 mai), et que l’eau en était douce. Il dit « aussi qu'on arriverait aussitôt au pôle de ce « côté que par tout autre chemin qu’on pourrait « trouver, parceque le soleil produit une grande « chaleur dans ce climat, et parce que les gla- « ces ne sont pas d’une grosseur aussi énorme « que celles qu’il avait vues vers le soixante- « treizième degré. Plusieurs autres voyageurs « ont tenté des voyages au pôle pour y décou- s« vrir ce passage , mais aucun n’a réussi... D» Le 5 juillet, M. Phipps vit des glaces en quantité vers soixante-dix-neuf degrés trente- quatre minutes de latitude; le temps était bru- meux ; et, le 6 juillet, il continua sa route jusqu'à soixante-dix-neuf degrés cinquante- neuf-minutes trente-neuf secondes, entre la terre du Spitzhers et les glaces :le 7 , il continua de naviguer entre des glaces flottantes, en cher- chant une ouverture au nord par où il aurait pu entrer dans une mer libre : mais la glace ne formait qu'une seule masse au nord-nord- ouest, et à quatre-vingts degrés trente-six mi- nutes la mer était entièrement glacée ; en sorte que toutes les tentatives de M. Phipps pour trouver un passage ont été infructueuses. « Pendant que nous essuyions , dit ce navi- « gateur, une violente rafale , le 12 septembre, « le docteur Irving mesura la température de la « mer dans cet état d'agitation; et il trouva « qu’elle était beaucoup plus chaude que celle « de l'atmosphère. Cette observation est d’au- « tant plus intéressante, qu’elle est conforme “ à un passage des questions naturelies de « Plutarque, où il dit que la mer devient « chaude jorsqu’elle est agitée par les flots... « Ces rafales sont aussi ordinaires au prin- « temps qu'en automne ; il est done probable « que si nous avions mis à la voile plus tôt, « mous aurions eu en allant le temps aussi « mauvais qu'il a été à notre retour. » Et comme M. Phipps est parti d'Angleterre à la fin de mai, il croit qu’il a profité de la saison la plus favorable pour son expédition. « Enfin, continue-t-il, si la navigation au pôle « était praticable, il y avait la plus grande pro- « babilité de trouver, après le solstice, la mer « ouverte au nord, parce qu’alors la chaleur des « rayons du soleil a produit tout son effet, et 205 « qu'il reste d’ailleurs une assez grande portion « d'été pour visiter les mers qui sont au nord « et à l’ouest de Spitzberg.» Je suis entièrement du même avis que cet ha- bile navigateur, et je ne crois pas que l’expédi- tion au pôle puisse se renouveler avec succès, ni qu'on arrive jamais au delà du quatre-vingt- deux ou quatre-vingt-troisième degré. On assure qu’un vaisseau du port de Whilby, vers la fin du mois d'avril 1774, a pénétré jusqu’au quatre- vingtième degré sans trouver de glaces assez fortes pour gêner la navigation. On cite aussi un capitaine Robinson, dont le journal fait foi qu’en 1773 il a atteint le quatre-vingt-unième trente minutes. Et enfin on cite un vaisseau de guerre hollandais, qui protégeait les pêcheurs de cette nation, et qui s’est avancé, dit-on, il y à cin- quante ans, jusqu’au quatre-vingt-huitième degré. Le docteur Campbell, ajoute-t-on, tenait ce fait d’un certain docteur Daillie, qui était à bord du vaisseau et qui professait la médecine à Londres en 1745‘. C’est probablement le même navigateur que j'ai citémoi-même sous le nom du capitaine Mouton ; mais je doute beaucoup de la réalité de ce fait, et je suis maintenant très- persuadé qu’on tenterait vainement d’aller au delà du quatre-vingt-deux ou quatre- vingt- troisième degré, et que si le passage par le nord est possible, ce ne peut être qu’en prenant la route de la baie de Hudson. Voici ce que dit à ce sujet le savant et ingé- nieux auteur de l’Histoire des deux Indes : « La « baie de Hudson a été long-temps regardée, et « on la regarde encore comme la route la plus « courte de l’Europe aux Indes orientales et aux « contrées les plus riches de l'Asie. a Ce fut Cabot qui le premier eut l’idée d’un « passage par le nord-ouest à la mer du Sud. « Ses succès se terminèrent à la découverte de « l’île de Terre-Neuve. On vit entrer dans la « carrière après lui un grand nombre de navi- « gateurs anglais. Ces mémorables et hardies « expéditions eurent plus d'éclat que d'utilité. « La plus heureuse ne donna pas la moindre « conjecture sur le but qu'onse proposait... On « croyait enfin que c'était courir après des chi- « mères, lorsquela découvertedela baie de Hud- « son ranima les espérances prêtes à s’éteindre. « A cette époque une ardeur nouvelle fait re- i « commencer les travaux, et enfin arrive Ja fa- | Gazette de Littérature , etc. du 9 août 1774, n. €t. 206 « meuse expédition de 1746, d’où l’on voit sor- « tir quelques clartés après des ténèbres pro- fondes qui duraient depuis deux siècles. Sur quoi les derniers navigateurs fondent-ils de meilleures espérances ? D’après quelles expé- riences osent-ils former leurs conjectures? C'est ce qui mérite une discussion. « Trois vérités dans l’histoire de la nature doivent passerdésormais pour démontrées. La première est que les marées viennent de lO- céan, et qu’elles entrent plus où moins avant dans les autres mers, à proportion que ces di- vers canaux communiquent avec le grand ré- servoir par des ouvertures plus ou moins con- sidérables : d’où il s’ensuit que cemouvement périodique n’existe point ou nese fait presque pas sentir dans la Méditerranée, dans la Bal- tique , et dans les autres golfes qui leur res- semblent. La seconde vérité de fait, est que les marées arrivent plus tard et plus faibles dans les lieux éloignés de l'Océan, que dans les endroits qui le sont moins. La troisième est que les vents violents qui soufflent avec lama- rée, la font remonter au delà de ses bornes or- dinaires, et qu'ils la retardenten la diminuant, lorsqu'ils soufflent dans un sens contraire. « D’après ces principes, il est constant que si la baie de Hudson était un golfe enclavé u dans des terres, et qu’il ne fût ouvert qu'à la « mer Atiantique , la marée y devrait être peu « marquée, qu’elle devrait s’affaiblir en s’éloi- « gnantde sa source, et qu’elle devrait perdre de « sa force lorsqu'elle aurait à lutter contre les « vents. Or, il est prouvé , par des observations faites avec la plus grande intelligence, avec « la plus grande précision , que la marée s’élève à une grande hauteur dans toute l’étendue de la baie. Il est prouvé qu’elle s'élève à une plus grande hauteur au fond de la baie que dans le détroit même ou au voisinage. Il est prouvé « que cette hauteur augmente encore, lorsque « les vents opposés au détroit se font sentir. Il a doit donc être prouvé que la baie de Hudson « a d’autres communications avec l'Océan que « celle qu’on a déjà trouvée. « Ceux qui ont cherché à expliquer des faits « si frappants en supposant une communication « de la baie de Hudson avec celle de Baflin, « avec le détroit de Davis, se sont manifeste- ment ésarés. [ls ne balanceraïent pas à aban- donner leur conjecture, qui n’a d’ailleurs au- cun fondement, s’ils voulaient faire attention > & nm « = 22m 22 ARR A 2 € 2 = 2 HISTOIRE NATURELLE. « que la marée est beaucoup plus basse dans « le détroit de Davis, dans la baie de Baffin, « que dans celle de Hudson. « Siles marées, qui se font sentir dans le « golfe dont il s’agit, ne peuvent venir ni de « l'océan Atlantique, ni d’aucune autre mer « septentrionale, où elles sont toujours beau- « coup plus faibles, on ne pourra s'empêcher « de penser qu’elles doivent avoir leur source « dans la mer du Sud. Ce système doit tirer un « grand appui d’une vérité incontestable, c’est « que les plus hautes marées qui se fassent re- « marquer sur ces côtes, sont toujours causées « par les vents du nord-ouest qui soufflent di- « rectement contre ce détroit. « Après avoir constaté, autant que la nature « le permet, l’existence d’un passage si long- « temps et si inutilement désiré, il reste à dé- « terminer dans quelle partie de la baïe il doit « se trouver. Tout invite à croire que le wel- « come à la côte occidentale doit fixer les ef- «forts dirigés jusqu'ici de toutes parts sans « choix et sans méthode. On y voit le fond de « la mer à la profondeur de onze brasses : c’est « un indice que l’eau y vient de quelque océan ; « parce qu’une semblable transparence est in- « compatible avec des décharges de rivières, de « neiges fondues et de pluies. Des courantsdont on ne saurait expliquer la violence qu’en les « faisant partir de quelque mer occidentale, « tiennent ce lieu débarrassé de glaces, tandis « que le reste du golfe en est entièrement cou- « vert. Enfin les baleines qui cherchent con- « stamment dans l’arrière-saison à se retirer « dans des climats plus chauds, s’y trouvent en « fort grand nombre à la fin de l'été; ce qui « parait indiquer un chemin pour se rendre, non « à l’ouest septentrional, mais à la mer du Sud. « Il est raisonnable de conjecturer quele pas- « sage est court. Toutes les rivières quiseper- « dent dans la côte occidentale de la baïe de « Hudson sont faibles et petites ; ce qui parait « prouver qu’elles ne viennent pas de loin, et « que, par conséquent , les terres qui séparent « les deux mers ont peu d’étendue : cet argu- « ment est fortifié par la force et la régularité « des marées. Partout où le flux et le reflux ob- « servent des temps à peu pres égaux, avec la « seule différence qui est occasionnée par le re- « tardement de la lune dans son retour au mé- ridien, on est assuré de la proximité de LO- céan, d'où viennent ces martes. Si lè passage & = ! THÉORIE DE LA TERRE. « est court, et qu'il ne soit pas avancé dans le « nord, comme tout l'indique, on doit présumer « qu'il n’est pas difficile ; la rapidité des cou- « rants qu’on observe dans ces parages , et qui « ne permettent pas aux glaces de s’y arrêter , « ne peut que donner du poids à cette conjec- « ture. » Je crois, avec cet excellent écrivain, que, s’il existe en effet un passage praticable, ce ne peut être que dans le fond de la baie de Hudson, et qu'on letenterait vainement par la baie de Baffin, dont le climat est trop froid, et dont les côtes sont glacées, surtout vers le nord : mais, cequi doit faire douter encore beaucoup de l'existence | de ce passage par le fond de la baie de Hudson, ce sont les terres que Béring et Tschirikow ont | découvertes, en 1741, sous la même latitude que la baie de Hudson; car ces terres semblent faire partie du grand continent de l'Amérique, qui parait contenu sous cette même latitude jus- qu’au cercle polaire : ainsi ce ne serait qu’au- dessous du cinquante-cinquième degré que ce | passage pourrait aboutir à la mer du Sud. Sur la mer Caspienne. A tout ce que j'ai dit pour prouver que la mer Caspienne n’est qu’un lac qui n’a point de com- munication avec l'Océan, et qui n’en a jamais fait partie, je puis ajouter une réponse que j'ai reçue de l'Académie de Pétersbourg, à quelques questions que j'avais faites au sujet de cette mer. Augusto 1748, oclobr. 5, etc. Cancellaria Academiæ Scientiarum mandavit , ut Astra- chanensis Gubernii Cancellaria responderet ad sequentia.1. Sunt ne vortices in mari Cas- pico, necne ? 2. Que genera piscium illud in- habitant? Quomodo appellantur ? Et an ma- rini tantüm aut et fluviatiles ibidem reperian- tur? 3. Qualia genera concharum? Que species ostrearum et cancrorum occurrunt? 4. Que genera marinarum avium in ipso Mari aut | circa illud versantur? ad que Astrachanensis Cancellariad. 13 mart. 1749, sequentibus res- pondit : Ad 1, in mari Caspico vortices occurrunt nusquam : hinc est, quod nec in mappis mari- nis exslant, nec ab ulloofficialium rei navalis visi esse perhibentur. Ad 2, pisces Caspium more inhabiiant ; “Acipenseres, Sturioli Gmelin, Siruli, Cyprini clavati, Brame, Percæ, Cyprini ventre äcuto, 207 ignoti alibi pisces , tineæ, salmones, qui, ut é mari fluvios intrare , ila et in mare à fluviis remeare solent. Ad 3 ,concheæ in liltoribus maris obviæ qui- dem sunt, sed parve, candidæ, aut ex und | parte rubræ. Cancri ad litloru observantur Mmagnitudine fluviatilibus similes ; ostreæ au- den et capita Medusæ visa sunt nusquam. Ad 4, aves marinæ que cirea mare Cas- pium versantur sunt anseres vulgares et ru- bri , pelicani, cygni , anates rubræ et nigri- cantes aquilæ., corvi aqualici, grues, plateæ, | ardeæ albæ, cinereæ et nigricantes, ciconiæ lbæ gr fee süniles , Karawaiki (1gnotum avis nomen) , larorum variæ species, sturni nigri et lateribus albis instar picarum , pha- siani, anseres parvè nigricantes , Tudaki (ignotum avis nomen) albo colore præditi. Ces faits, qui sont précis etauthentiques, con- firment pleinement ce que j’ai avancé , savoir : que la mer Caspienne n’a aucune communica- tion souterraine avec l'Océan , et ils prouvent de plus qu’elle n’en a jamais fait partie , puis- qu'on n’y trouve "point d’huitres ni d’autres co- quillages de mer, mais seulement les espèces de ceux qui sont dans les rivières. On ne doit donc regarder cette mer que comme un grand lac for- mé dans le milieu des terres par les eaux des | fleuves , puisqu'on n’y trouye que les mêmes | poissons et les mêmes coquillages qui habitent les fleuves, et point du tout ceux qui peuplent l'Océan ou la Méditerranée. Sur les lacs salés de l'Asie. Dans la contrée des Tartares Ufiens , ainsi appelés , parce qu’ils habitent les bords de la rivière Uf, il se trouve, dit M. Pallas, des lacs dont l’eau est aujourd'hui salée, et ne l'était pas autrefois. Ii dit la même chose d’un lac près de Miaes , dont l’eau était ci-devant douce, et est actuellement salée. L'un des lacs les plus fameux par la quantité de sels qu'on en tire, est celui qui se trouve vers les bords de la rivière Isel, et que l’on nomme Soratschya. Le sel en est en général amer : la médecine l’emploie comme un bon purgatif ; deux onces de ce sel forment une dose très- forte. Vers Kurtenegsch , les bas-fonds se cou- vrent d’un sel amer qui s’élève comme un tapis de neige à deux pouces dehauteur; le lae salé de Korjackof fournit annuellement trois cent mille 208 pieds eubiques de sel! Le lac de Jennu en donne aussi en abondance. Dans les Voyages de MM. de l’Académie de Pétersbourg , il est fait mention du lac salé de Jamuscha en Sibérie ; ce lac , qui est à peu près rond , n’a qu'environ neuf lieues de circonfé- rence. Ses bords sont couverts de sel , et le fond est revêtu de cristaux de sel. L'eau est salée au suprème degré ; et, quand le soleil y donne , le lac parait rouge comme une belle aurore. Le sel est blane comme neige , et se forme en cristaux cubiques. Il y en a une quantité si prodigieuse qu’en peu de temps on pourrait en charger un grand nombre de vaisseaux ; et dans les endroits où l’on en prend , on en retrouve d’autre cinq à six jours après. Il suffit de dire que les provinces de Tobolsk et Jéniseik en sont approvisionnées, et que ce lac suffirait pour fournir cinquante provinces semblables. La couronne s’en est ré- servé le commerce de même que celui des au- tres salines. Ce sel est d’une bonté parfaite ; il surpasse tous les autres en blancheur, eton n’en trouve nulle part d'aussi propre pour saler la viande. Dans le midi de l'Asie , on trouve aussi des lacs salés : un près de l'Euphrate, un autre près de Barra. Il y en a encore, à ce qu’on dit, près d'Haleb et dans l’île de Chypre à Larnaca; ce dernier est voisin de la mer. La vallée de sel de Barra n'étant pas loin de l'Euphrate, pour- rait être labourée , si l'on en faisait couler les eaux dans ce fleuve, et que le terrain fût bon; mais à présent cette terre rend un bon sel pour la cuisine, et même en si grande quantité , que les vaisseaux de Bengale le chargent en retour pour lest ?. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE XI. DU FLUX ET DU REFLUX. L'eau n’a qu'un mouvement naturel qui Jui vient de-sa fluidité ; elle descend toujours des lieux les plus élevés dans les lieux les plus bas, ‘ Le pied cubique pése trente-cinq livres, de seize onces chacune. 3 Description de l'Arabie , par M. Niébubir , page 2. HISTOIRE NATURELLE. L lorsqu'il n’y a point de digues ou d'obstacles qui la retiennent où qui s'opposent à son mou- vement; et lorsqu'elle est arrivée au lieu le plus bas , elle y reste tranquille et sans mouvement, . à moins que quelque cause étrangère et violente ne l’agite et ne l’en fasse sortir. Toutes les caux de l'Océan sont rassemblées dans les lieux les plus bas de la superficie de la terre; ainsi les mouvements de la mer viennent de causes ex- térieures. Le principal mouvement est celui du flux et du reflux, qui se fait alternativement en sens contraire, et duquel il résulte un mouve- ment continuel et général de toutes les mers d'orient et d’occident; ces deux mouvements ont un rapport constant et régulier avec les mouvements de la lune. Dans les pleines et dans les nouvelles lunes ce mouvement des eaux d’o- rient enoccidentestplus sensible, aussi bien que celui du flux et du reflux ; celui-ci se fait sentir dans l'intervalle de six heures et demie sur la plupart des rivages, en sorte que le flux arrive toutes les fois que la lune est au-dessus ou au- dessous du méridien, et le reflux succède toutes les fois que la lune est dans son plus grand éloi- 2nement du méridi st-à-dire t ois g t du méridien, c’est-à-dire toutes les f qu'elle est à l'horizon, soit à son coucher, soit à son lever. Le mouvement de la mer d’orient en occident est continuel et constant, parce que tout l'océan dans le flux se meut d’orient en oc- cident, et pousse vers l'occident une très-grande quantité d’eau, et quele reflux ne parait se faire en sens contraire qu'à cause de la moindre quantité d’eau qui est alors poussée vers l’occi- dent; car le flux doit plutôt être regardé comme une intumescence, et le reflux comme une dé- tumescence des eaux, laquelle, au lieu de trou- bler le mouvement d’orient en occident, le pro- duit et le rend continuel., quoiqu’à la vérité il soit plus fort pendant l’intumescence, et plus faible pendant la détumescence , par la raison que nous venons d'exposer. Les principales circonstances de ce mouve- ment sont, 1° qu'il est plus sensible dans les nouvelles et pleines lunes que dans les quadra- tures : dans leprintempset l'automne ilest aussi plus violent que dans les autres temps de l’an- née, et il est leplus faible dans le tempsdes sol- stices, ce qui s'explique fort naturellement par la combinaison des forces de l’attraction de la lune et du soleil. Voyez sur cela les démons- trations de Newton. 2 Les vents changent souvent la direction et la quantité de ce mou- TT TR TE SEE Rd GS 2. THÉORIE DE LA TERRE. vement , surtout les vents qui soufflent con- stamment du même côté ; il en est de même des grands fleuves qui portent leurs eaux dans la mer, et qui y produisent un mouvement de cou- rant qui s'étend souvent à plusieurs lieues ; et lorsque la direction du vent s'accorde avec le mouvement général, comme est celui d’orient en occident, il en devient plus sensible : on en a un exemple dans la mer Pacifique, où le mou- vement d'orient en occident est constant et très- sensible. 3° On doit remarquer que lorsqu'une partie d’un fluide se meut , toute la masse du fluide se meut aussi : or, dans le mouvement des marées, il y a une très-grande partie de l'O- céan qui se meut sensiblement ; toute la masse des mers se meut donc en même temps, et les mers sont agitées par ce mouvement dans toute leur étendue et dans toute leur profondeur. Pour bien entendre ceci il faut faire attention à la nature de la force qui produit le flux et le reflux, et réfléchir sur son action et sur ses ef- fets. Nous avons dit que la lune agit sur la terre par une force que les uns appellent attraction, et les autres pesanteur : cette force d'attraction ou de pesanteur pénètre le globe de la terre dans toutes les parties de sa masse; elle est exacte- ment proportionnelle à Ia quantité de matière. et en même temps elle décroit comme le carré de la distance augmente. Cela posé, examinons ce qui doit arriver en supposant la lune au mé- ridien d’une plage de lamer. La surface des eaux étant immédiatement sous la lune , est alors plus près de cet astre que toutes les autres par- ties du globe , soit de Ja terre , soit de la mer ; dès lors cette partie de la mer doits’élever vers la lune, en formant une éminence dont le som- met correspond au centre de cet astre :-pour que cette éminence puisse se former, il est nécessaire queleseaux, tant de la surface environnante que du fond de cette partie de la mer, y contribuent, cequ'elles font en effet à proportion de la proxi- mité où elles sont de l’astre qui exerce cette action dans la raison inverse du carré de la dis- tance. Ainsi la surface de cette partie de la mer s’élevant la première, les eaux de la surface des parties voisines s’élèveront aussi, mais à une moindre hauteur, et les eaux du fond de toutes ces parties éprouveront le même effet et s’éle- veront par la même cause; en sorte que toute cette partie de la mer devenant plus haute, et formant une éminence, il est nécessaire que les eaux de la surface et du fond des parties éloi- ï a —— A D = 209 gnées , et sur lesquelles cette force d'attraction n'agit pas, viennentavec précipitation pour rem- placer les eaux qui se sont élevées : c’est là ce qui produit le flux, qui est plus ou moins sensible sur les différentes côtes, et qui, comme lon voit, agite la mer non-seulement à sa surface , mais jusqu'aux plus grandes profondeurs. Le reflux arrive ensuite par la pente naturelle des eaux ; lorsque l'astre à passé et qu'il n’exerce plus sa force, l’eau qui s'était élevée par l’action de cette puissance étrangère reprend son niveau et regagne les rivages et les lieux qu'elle avait été forcée d'abandonner : ensuite lorsque la lune passe au méridien de l’antipode du lieu où nous avons supposé qu’elle a d’abord élevé les eaux, le mème effet arrive; les eaux, dans cet instant où la lune est absente et le plus éloignée, s’élè- vent sensiblement autant que dans le temps où elle est présente et le plus voisine de cette partie de la mer. Dans le premier cas les caux s’élè- vent, parce qu’elles sont plus près de l’astre que toutes les autres parties du globe; et dans le sc- cond cas, c’est par Ja raison contraire; elles ne s'élèvent que parce qu’elles en sont plus éloi- gnées que toutes les autres parties du globe : et l’on voit bien que cela doit produire le même effet; car alors les eaux de cette partie étant moins attirées que tout le reste du globe, elles s’éloigneront nécessairement du reste du globe et formeront une éminence dont le sommet ré- pondra au point de la moindre action, c’est-à- dire au point du ciel directement opposé à celui où se trouve la lune, ou, ce qui revient au mé- me, au point où elle était treize heures aupara- vant, lorsqu'elle avait élevé les eaux la première fois : car lorsqu'elle est parvenue à l'horizon , le reflux étant arrivé, la mer est alors dans son état naturel , et les eaux sont en équilibre et de niveau; mais quand la lune est au méridien op- posé, cet équilibre ne peut plus subsister, puis- que les eaux de la partie opposée à la lune étant à la plus grande distance où elles puissent être decetastre, elles sont moins attirées que le reste du globe, qui, étant intermédiaire, se trouve être plus voisin de la lune, et dès lors leur pe- santeur relative, qui les tient toujours en équi- libre et de niveau , les pousse vers le point op- posé à Ja lune, pour que cet équilibre se con- serve. Ainsi, dans les deux cas, lorsque la lune est au méridien d’un lieu ou au méridien oppo- sé, les eaux doivent s'élever à très-peu près de lamème quantité, et, par conséquent, s’abaisser 14 210 etrefluer aussi de la même quantité lorsque la lune est à l'horizon , à son coucher ou à son le- ver. On voit bien qu’un mouvement dont la cause et l'effet sont tels que nous venons de l’ex- pliquer ébranle nécessairement la masse en- tiere des mers, et la remue dans toute son éten- due et dans toute sa profondeur ; et si ce mou- vement parait insensible dans les hautes mers, et lorsqu'on est éloigné des terres, il n’en est ce- pendant pas moins réel : le fond et la surface sont remués à peu près également ; et même les eaux du fond , que les vents ne peuvent agiter comme celles de la surface, éprouvent bien plus régulièrement que celles de la surface cette ac- tion , et elles ont un mouvement plus réglé et qui est toujours alternativement dirigé de la même façon. De ce mouvement alternatif de flux etde re- flux il résulte, comme nous l'avons dit, un mouvement continuel de la mer de l’orient vers l'occident, parce que l’astre qui produit lintu- mescence des eaux va lui-même d’orient en oc- cident, et qu’agissant successivement dans cette direction , les eaux suivent le mouvement de l’astre dans la mêmedirection. Ce mouvement de la mer d’orient en occident est très-sensible dans tous les détroits : par exemple, au détroit de Magellan le flux élève les eaux à près de vingt pieds de hauteur, et cette intumescence dure six heures, au lieu que le reflux ou la détumes- cence ne dure que deux heures (Voy. le Voyage deNarbrough) , et l’eau coule vers l'occident ; ce qui prouve évidemment que le reflux n’est pas égal au flux, et que de tous deux il résulte un mouvement vers l'occident, mais beaucoup plus fort dans le temps du flux que dans celui du reflux ; et c’est pour cette raison que , dans les hautes mers éloignées de toute terre, les marées ne sont sensibles que par le mouve- ment général qui en résulte, c’est-à-dire par ce mouvement d’orient en occident. Les marées sont plus fortes, et elles font hausser et baisser les eaux bien plus considéra- blement dans la zone torride entre les tropi- ques, que dans le reste de l'Océan; elles sont aussi beaucoup plus sensibles dans les lieux qui s'étendent d’orient en occident, dans les golfes qui sont longs et étroits, et sur les côtes où il y a des iles et des promontoires : le plus grand flux qu’on connaisse est, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, à l’une des embou- chures du fleuve Indus , où les eaux s'élèvent HISTOIRE NATURELLE. de trente pieds ; il est aussi fort remarquable auprés de Malaye, dans le détroit de la Sonde, dans la mer Rouge, dans la baie de Nelson, à cinquante-cinq degrés de latitude septentrio- nale, où il s'élève à quinze pieds, à l’embou- chure du fleuve Saint-Laurent, sur les côtes de la Chine , sur celles du Japon, à Panama, dans le golfe de Bengale, etc. Le mouvement de la mer d’orient en occi- dent est très-sensible dans de certains endroits; les navigateurs l’ont souvent observé en allant de l’Inde à Madagascar et en Afrique ; il se fait sentir aussi avec beaucoup de force dans la mer Pacifique , et entre les Moluques et le Brésil : mais les endroits où ce mouvement est le plus violent sont les détroits qui joignent l'Océan à l'Océan; par exemple , les eaux de la mer sont portées avec une si grande force d’o- rient en occident par le détroit de Magellan, que ce mouvement est sensible, même à une grande distance, dans l'océan Atlantique, et on prétend que c’est ce qui a fait conjecturer à Ma- gellan qu'il y avait un détroit par lequel les deux mers avaient une communication. Dans le détroit des Manilles et dans tous les canaux quiséparent les îles Maldives, la mer coule d'o- rient en occident, comme aussi dans le golfe du Mexique entre Cuba et Jucatan ; dans le golfe de Paria , ce mouvement est si violent, qu’on appelle le détroit la gueule du Dragon; dans la mer de Canada, ce mouvement est aussi très- violent, aussi bien que dans la mer de Tartarie et dans le détroit de Waïgats, par lequel l'O- céan, en coulant avec rapidité d’orient en occi- dent , charrie des masses énormes de glaces de la mer de Tartarie dans la mer du nord de l’Europe. La mer Pacifique coule de même d’o- rient en occident par les détroits du Japon; la mer du Japon coule vers la Chine ; l’océan In- dien coule vers l'occident dans le détroit de Java et par les détroits des autres iles de l’Inde. On ne peut donc pas douter que la mer n’ait un mouvement constant et général d’orient en oc- cident, et l’on est assuré que l’océan Atlantique coule vers l'Amérique, et que la mer Pacifique s’en éloigne, comme on le voit évidemment au cap des Courants entre Lima et Panama. (Voy. Varenii Geogr. general., pag. 119.) Au reste, les alternatives du flux et du reflux sont régulières et se font de six heures et demie en six heures et demie sur la plupart des côtes de la mer, quoiqu’à différentes heures, suivant THÉORIE DE LA TERRE. 211 le climat et la position des côtes : ainsi les côtes de la mer sont battues continuellement des va- gues, qui enlèvent à chaque fois de petites par- ties de matières qu’elles transportent au loin, et qui se déposent au fond ; et de même les va- gues portent sur les plages basses des coquilles, des sables qui restent sur les bords, et qui, s'accumulant peu à peu par couches horizonta- les, forment à la fin des dunes et des hauteurs say ; è ë | aussi élevées que des collines, et qui sont en effet des collines tout à fait semblables aux au- | tres collines , tant par leur forme que par leur composition intérieure; ainsi la mer apporte beaucoup de‘productions marines sur les pla- ges basses, et elle emporte au loin toutes les matières qu’elle peut enlever des côtes élevées contre lesquelles elle agit, soit dans le temps du flux, soit dans le temps des orages et des grands vents. Pour donner une idée de l'effort que fait la mer agitée contre les hautes côtes, je crois de- voir rapporter un fait qui m'a été assuré par une personne très-digne de foi, et que j’ai eru d'autant plus facilement, que j'ai vu moi-même quelque chose d’approchant. Dans la principale des îles Orcades, il y a des côtes composées de rochers coupés à plomb et perpendiculaires à la surface de la mer, en sorte qu’en se plaçant au- dessus de ces rochers, on peut laisser tomber un plomb jusqu'à la surface de l’eau , en met- tant la corde au bout d’une perche de neuf pieds. Cette opération , que l’on peut faire dans le temps que la mer esttranquille, a donné la mesure de la hauteur de la côte, qui est de deux cents pieds. La marée dans cet endroit est fort considérable , comme elle l’est ordinai- rement dans tous les endroits où il y a des ter- res avancées et des iles : mais, lorsque le vent est fort, ce qui est très-ordinaire en Écosse, et qu’en même temps la marée monte , le mouve- ment est si grand et l’agitation si violente, que Veau s'élève jusqu’au sommet des rochers qui bordent la côte, c’est-à-dire à deux cents pieds de hauteur, et qu’elle y tombe en forme de pluie ; elle jette même à cette hauteur des gra- viers et des pierres qu’elle détache du pied des rochers, et quelques-unes de ces pierres, au rapport du témoin oeculaire que je cite ici, sont plus larges que la main. J'ai vu moi-même dans le port de Livourne, où la mer est beaucoup plus tranquille, et où il p'y à point de marée, une tempête au mois de décembre 1731, où l'on fut obligé de couper les mâts de quelques vaisseaux qui étaient à la rade , dont les ancres avaient quitté ; j'ai vu, dis-je, l’eau de la mer s'élever au-dessus des fortifications, qui me parurent avoir une éléva- tion très-considérable au-dessus des eaux; et comme j'étais sur celles qui sont le plus avan- cées, je ne pus regagner la ville sans être mouillé de l’eau de la mer beaucoup plus qu’on ne peut l'être par la pluie la plus abondante. Ces exemples suffisent pour faire entendre | avec quelle violence la mer agit contre les cô- tes ; cette violente agitation détruit, use ', ronge et diminue peu à peu le terrain des côtes; la mer emporte toutes ces matières et les laisse tomber dès que Le calme a succédé à l'agitation. Dans ces temps d'orage, l’eau de la mer, qui est ordinairement la plus claire de toutes les eaux, est trouble et mêlée des différentes matières que le mouvement des eaux détache des côtes et du fond; et la mer rejette alors sur les riva- ges une infinité de choses qu’elle apporte de loin , et qu'on ne trouve jamais qu'après les grandes tempêtes , comme de l’ambre gris sur les côtes occidentales de l'Irlande, de l’ambre jaune sur celles de Poméranie, des cocos sur les côtes des Indes, etc., et quelquefois des pierres ponces et d’autres pierres singulières. Nous pouvons citer à cette occasion un fait rapporté dans les Nouveaux Voyages aux iles de l’Amé- rique : « Étant à Saint-Domingue, dit l’auteur, «on me donna entre autres choses quelques « pierres légères que la mer amène à la côte « quand il a fait de grands vents du sud : il y « en avait une de deux pieds et demi de long « sur dix-huit pouces de large et environ un « pied d'épaisseur, qui ne pesait pas tout à fait « cinq livres ; elle était blanche commelaneige, « bien plus dure que les pierres ponces , d’un « grain fin, ne paraissant point du tout po- « reuse ; et cependant, quand on la jetait dans « l’eau, elle bondissait comme un ballon qu’on « jette contre terre ; à peine enfonçait-elle un « demi-travers de doigt. J’y fis faire quatre « trous de tarière pour y planter quatre bâtons, 4 Une chose assez remarquable sur les côtes de Syrie et de Phénicie , c'est qu'il paraît que les rochers qui sont le long de cette côte ont été anciennement taillés en beaucoup d'en- droits en forme &'auges de deux ou trois aunes de longueur , et larges à proportion , pour y recevoir l'eau de la mer et en faire du sel par l'évaporation ; mais nonobstant la dureté de la pierre, ces auges sont, à l'heure qu'il est, presque entière- ment usées et aplanies par le battement continuel des vagues, Voyez les Voyages de Shaw, vol. IT, page 69. 21) « et soutenir deux petites planches légères qui « renfermaient les pierres dont je la chargeais : a j'ai eu le plaisir de lui en faire porter une fois « cent soixante livres, et une autre fois trois « poids de fer de cinquante livres pièce. Elle « servait de chaloupe à mon nègre,qui se met- « tait dessus et allait se promener autour de la “ caye.» (Tome V, page 260.) Cette p'erre de- vait être une pierre ponce d’un grain très-fin et serré, qui venait de quelque volean, et que la mer avait transportée, comme elle transporte l'ambre gris, les cocos, la pierre ponce ordi- maire, les graines des plantes, les roseaux, etc. On peut voir sur cela les discours de Ray : c’est principalement sur les côtes d'Irlande et d’E- cosse qu'on à fait des observations de cette es- pèce. La mer, par son mouvement général d’o- rient en occident, doit porter sur les côtes de PAmérique les productions de nos côtes , et ce n'est peut-être que par des mouvements irrégu- liers , et que nous ne connaissons pas, qu'elle apporte sur nos rivages les productions des In- des orientales et occidentales ; elle apporte aussi des productions du nord. Il y a grande appa- rence que les vents entrent pour beaucoup dans les causes de ces effets. On a vu souvent dans les hautes mers et dans un très-grand éloigne- ment des côtes, des plages entières couvertes de pierres ponces : on ne peut guère soupconner qu’elles puissent venir d’ailleurs que des vol- cans des iles ou de la terre ferme, et ce sont apparemment les courants qui les transportent au milieu des mers. Avant qu'on connüt la partie méridionale de l'Afrique, et dans le temps où on croyait que la mer des Indes n’a- vait aucune communication avec notre Océan, on commença à la soupconner par un indice de cette nature. Le mouvement alternatifdu flux et du reflux, et le mouvement constant de la mer d’orient en oceident, offrent différents phénomènes dans les différents climats ; ces mouvements se mo- difient différemment suivant le gisement des terres et la hauteur des côtes : il y a des en- droits où le mouvement général d'orient en oc- cident n’est pas sensible; il y en à d’autres où la mer a même un mouvement contraire, comme sur la côte de Guinée : mais ces mouvements contraires au mouvement général sont occa- sionnés par les vents, par la position des terres, par les eaux des grands fleuves , et par la dis- HISTOIRE NATURELLE. produisent des courants qui altèrent et changent souvent tout à fait la direction du mouvement général dans plusieurs endroits de la mer.Mais, comme ce mouvement des mers d’orient en oc- cident est le plus grand , le plus général et le plus constant, il doit aussi produire les plus grands effets, et, tout pris ensemble, la mer doit, avec le temps, gagner du terrain vers l'occident et en laisser vers lorient, quoiqu'il puisse arriver que sur les côtes où le vent douest souffle pendant la plus grande partie de l’année, comme en France, en Angleterre, la mer gagne du terrain vers l’orient : mais en- core une fois, ces exceptions particulières ne détruisent pas l’effet de la cause générale PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE XII. DES INÉGALITÉS DU FOND DE LA MER ET DES COURANTS. On peut distinguer les côtes de la mer en trois espèces : 1° les côtes élevées qui sont de rochers et de pierres dures, coupées ordinaire- ment à plomb à une hauteur considérable , et qui s'élèvent quelquefois à sept ou huit cents pieds; 2° les basses côtes, dont les unes sont unies et presque de niveau avec la surface de la mer, et dont les autres ont une élévation mé- diocre et sont souvent bordées de rochers à fleur d’eau , qui forment des brisants et ren- dent l'approche des terres fort difficile ; 3° les dunes qui sont des côtes formées par les sables que la mer accumule, ou que les fleuves dépo- sent; ces dunes forment des collines plus ou moins élevées. Les côtes d'Italie sont bordées de marbres et de pierres de plusieurs espèces, dont on distin- gue de loin les différentes carrières ; les rochers qui forment la côte paraissent à une très-grande distance, comme autant de piliers de marbres qui sont coupés à plomb. Les côtes de France, depuis Brest jusqu’à Bordeaux , sont presque partout environnées de rochers à fleur d’eau , qui forment des brisants ; il en est de même de position du fond de la mer; toutes ces causes | ceiles d'Angleterre, d'Espagne et de plusieurs THÉORIE DE L autres côtes de l'Océan et de la Méditerranée , qui sont bordées de rochers et de pierres dures, à l'exception de quelques endroits dont on à profité pour faire les baies, les ports, et les havres. La profondeur de l’eau le long des côtes est ordinairement d'autant plus grande que ces cû- tes sont plusélevées, etd’autantmoindrequ’elles sont plus basses ; l'inégalité du fond de la mer le long des côtes correspond aussi ordinaire- ment à l'inégalité de la surface du terrain des côtes. Je dois citer ici ce qu’en dit un célèbre navigateur : « J'ai toujours remarqué que, dans les en- « droits où la côte est défendue par des rochers « escarpés, la mer y est très-profonde, et qu’il « est rare d'y pouvoir ancrer; et au contraire, | « dans les lieux où la terre penche du côté de « la mer, quelque élevée qu’elle soit plus avant « dans le pays, le fond y est bon , et par con- « séquent l’ancrage. A proportion que la côte « penche, ou est escarpée près de la mer, à « proportion trouvons-nous aussi communé- « mentque le fond pour ancrer est plus ou moins « profond ou escarpé : aussi mouillons-nous plus | « près ou plus loin de la terre, comme nous ju- « geons à propos; car il n’y à point, que je sa- « che, de côte au monde, ou dont j'aie entendu « parler, qui soit d’une hauteur égale, et qui « n'ait des hauts et des bas. Ce sont ces hauts « et ces bas, ces montagnes et ces vallées, qui « font les inégalités des côtes et des bras de « mer, des petites baies et des havres, ete., où « l’on peut ancrer sûrement , parce que, telle « est la surface de la terre, telle est ordinaire- « ment le fond qui est couvert d’eau. Ainsi l’on |! « trouve plusieurs bons havres sur les côtes où « la terre borne la mer par des rochers escarpés, « et cela parce qu'il y à des pentes spacieuses | « entre ces rochers : mais dans les lieux où la « pente d’une montagne ou d’un rocher n’est « pas à quelque distance en terre d’une monta- « gne à l’autre, et que, comme sur la côte de « Chili et du Pérou, le penchant va du côté de « la mer, ou est dedans, que la côte est perpen- « diculaire ou fort escarpée depuis les monta- « gnes voisines, comme elle est en ces pays-là « depuis les montagnes d’Andes, qui y règnent « le long de la côte, la mer y est profonde, et, « pour des havres ou bras de mer, il n’y en a « que peu ou point; toute cette côte est trop es- “ carpée pour y anerer, el je ne connais point de A TERRE. côtes où il y ait si peu de rades commodes aux vaisseaux. Les côtes de Galice, de Portugal, de Norwége, de Terre-Neuve, ete., sont comme la côte du Pérou et des hautes iles de l’Archi- pélague, mais moins dépourvues de bons havres. Là où il y a de petits espaces deterre, il y à de bonnes baies aux extrémités de ces espaces, dans les lieux où ils avancent dans la mer, comme sur la côte de Caracas, ete. Les iles de Jean-Fernando, de Sainte-Hé- lène, ete., sont des terres hautes dont la côte est profonde. Généralement parlant, tel est le fond qui parait au-dessus de l’eau, tel est celui que l’eau couvre : et, pour mouiller sù- rement, il faut ou que le fond soit au nis veau, où que sa pente soit bien peu sensible; car, s’il est escarpé, l’ancre glisse et le vais- seau est emporté. De là vient que nous ne nous mettons jamais en devoir de mouiller dans les lieux où nous voyons les terres hau- tes et des montagnes escarpées qui bornent la mer : aussi étant à vue des iles des Etats, pro- che de la terre del Fuego, avant que d’entrer dans les mers du sud, nous ne songeâmes seulement pas à mouiller après que nous eù- mes vu la côte, parce qu’il nous parut, près de la mer, des rochers escarpés : cependant il peut y avoir de petits havres où les barques ou autres petits bâtiments peuvent mouiller ; mais nous ne nous mimes pas en peine de les chercher. « Comme les côtes hautes et escarpées ont ceci d’incommode qu’on n’y mouille que rare- ment, elles ont aussi ceci de commede, qu’on les découvre de loin, et qu’on en peut appro- cher sans danger : aussi, est-ce pour cela que nous les appelons côtes hardies, ou, pour parler plus naturellement, côtes exhaussées : mais, pour les terres basses, on ne les voit que de fort près, et il y. a plusieurs lieux dont on n'ose approcher de peur d’échouer avant que de les apercevoir; d’ailleurs il v en a piu- sieurs avec des bancs qui se forment par le concours des grosses rivières qui, des terres basses , se jettent dans la mer. « Ce que je viens de dire, qu’on mouille d'or- dinaire sûrement près des terres basses, peut se confirmer par plusieurs exemples. Au midi de la baie de Campêche les terres sont basses pour la plupart; aussi peut-on ancrer tout le long de la côte , et il y a des endroits à l’o- rient de la ville de Campèche, où vous avez 214 « autant de brasses d’eau que vous êtes éloigné « de la terre, c’est-à-dire depuis neuf à dix « lieues de distance, jusqu'à ce que vous en « soyez à quatre lieues ; et de là jusqu’à la côte « la profondeur va toujours en diminuant. La « baie de Honduras est encore un pays bas, et « continue de même tout le long de là aux côtes « de Porto-Bello et de Carthagène , jusqu’à ce « qu’on soit à la hauteur de Sainte-Marthe ; de « là, le pays est encore bas jusque vers la côte « de Caracas, qui est haute. Les terres des en- « virons de Surinam , sur la même côte, sont « basses, et l’ancrage y est bon; il en est de 1 même de là à la côte de Guinée. Telle est « aussi la baïe de Panama ; et les livres de pi- « lotage ordonnent aux pilotes d’avoir toujours « lasondeàla main, et de ne pas approcher d’une « telle profondeur, soit de nuit, soit de jour. « Sur les mêmes mers, depuis les hautes terres « de Guatimala en Mexique jusqu’à Californie, « la plus grande partie de la côte est basse : « aussi y peut-on mouiller sûrement. En Asie, « la côte de la Chine, les baies de Siam et de « Bengale, toute la côte de Coromandel et la « côte des environs de Malaga , et, près de là, « l'ile de Sumatra du même côté, la plupart de « ces côtes sont basses et bonnes pour ancrer : « mais à côté de l’occident de Sumatra les côtes sont escarpées et hardies ; telles sont aussi la plupart des iles situées à l’orient de Sumatra, « comme les iles de Bornéo, des Célèbes, de « Gilolo, et quantité d’autres iles de moindre « considération qui sont dispersées par-ci par- « là sur ces mers, et qui ont de bonnes rades « avec plusieurs fonds bas : mais les iles de l’O- « « céan de l'Inde orientale , surtout l’ouest de ces iles, sont des terres hautes et escarpées, « principalement les parties occidentales , non- « seulement de Sumatra , mais aussi de Java, « de Timor, etc. On n'aurait jamais fait si l’on « voulait produire tous les exemples qu’on « pourraittrouver; on dira seulement, en géné- « ral, qu'il est rare que les côtes hautes soient « sans eaux profondes, et au contraire les terres « basses et les mers peu creuses, se trouvent « presque toujours ensemble. » Voyage de Dampier autour dumcnde, lome II, page 476 et suivantes. On est donc assuré qu'il y a des inégalités dans le fond de Ja mer, et des montagnes très- considérables , par les observations que ies na- vigateurs ont faites avec la sonde. Les plan- HISTOIRE NATURELLE. geurs assurent aussi qu'il y a d’autres petites inégalités formées par des rochers, et qu'il fait fort froid dans les vallées de la mer. En général, dans les grandes mers, les profondeurs aug- mentent, comme nous l'avons dit, d’une ma- nière assez uniforme, en s’éloignant ou en s’ap- prochant des côtes. Par la carte que M. Buache a dressée de la partie de l'Océan comprise entre les côtes d'Afrique et d'Amérique; et par les coupes qu'il donne de la mer depuis le cap Ta- grin jusqu’à la côte de Rio-Grande, il paraît qu’il y a des inégalités dans tout l'Océan comme sur la terre ; que les Abrolhos, où il y a des vi- gies et où l’on voit quelques rochers à fleur d’eau , ne sont que des sommets de très-grosses et de très-crandes montagnes, dont l'ile Dau- phine est une des plus hautes pointes ; que les îles du cap Vert ne sont de même que des sommets de montagnes; qu'il y a un grand nombre d’écueils dans cette mer, où l'on est obligé de mettre des vigies ; qu'ensuite le ter- rain tout autour de ces Abrolhos descend jus: qu'à des profondeurs inconnues, et aussi au- tour des iles. A l’égard de la qualité des différents terrains qui forment le fond de la mer, comme il est im- possible de l’examiner de près, et qu'il faut s’en rapporter aux plongeurs et à la sonde, nous ne pouvons rien dire de bien précis : nous sa- vons seulement qu'il y a des endroits couverts de bourbe et de vase à une grande épaisseur, et sur lesquels les ancres n’ont point de tenue ; c’est probablement dans ces endroîits que se dé- pose le limon des fleuves : dans d’autres en- droits, ce sont des sables semblables aux sables que nous connaissons, et qui se trouvent de même de différentecouleur et de différente gros- seur, comme nos sables terrestres ; dans d’au- tres, ce sont des coquillages amoncelés, des madrépores, des coraux et d’autres productions animales, lesquelles commencent à s'unir, à prendre corps et à former des pierres ; dans d’autres, ce sont des fragments de pierre, des graviers , et même souvent des pierres toutes formées et des marbres ; par exemple, dans les iles Maldives, on ne bâtit qu'avec de la pierre dure que l’on tire sous les eaux à quelques bras- ses de profondeur ; à Marseille, on tire de très- beau marbre du fond de la mer : j'en ai vu plu- sieurs échantillons ; et bien loin que la mer al- tère et gâte les pierres et les marbres, nous prouverons dans notre discours sur les: miné- THÉORIE DE raux, que c’est dans la mer qu’ils se forment et qu'ils se conservent, au lieu que le soleil, la terre, l’air et l’eau des pluies les corrompent et les détruisent. À Nous ne pouvons donc pas douter que le fond de la mer ne soit composé comme la terre que uous habitons, puisqu’en effet on y trouve les mêmes matières, et qu'on tire de la surface du fond de la mer les mêmes choses que nous tirons de la surface de laterre; et, demêmequ'ontrouve au fond de la mer de vastes endroits couverts de coquillages, de madrépores, et d’autres ouvra- ges des insectes de la mer, on trouve aussi sur la terre une infinité de carrières et de bancs de craie et d’autres matières remplies de ces mê- mes coquillages, de ces madrépores, etc. ; en sorte qu'à tous égards, les parties découvertes du globe ressemblent à celles qui sont couvertes par les eaux, soit pour la composition et pour le mélange des matières, soit par les inégalités de la superficie. C’est à ces inégalités du fond de la mer qu’on doit attribuer l’origine des courants; car on sent bien que, si le fond de l'Océan était égal et de niveau, il n'y aurait dans la mer d’autre courant que le mouvement général d'orient en occident, et quelques autres mouvements qui auraient pour cause l’action des vents et qui en suivraient la direction : mais une preuve cer- taine que la plupart des courants sont produits par le flux.et le reflux, et dirigés par les inéga- lités du fond de la mer, c’est qu'ils suivent ré- gulièrement les marées et qu'ils changent de di- rection à chaque flux et à chaque reflux. Voyez - sur cet articie ce que dit Piétro della Valle, au sujet des courants du golfe de Cambaie, vol. 6 page 363, et le rapport de tous les navigateurs, qui assurent unanimement que dans les endroits où le flux ou le reflux de la mer sont le plus vio- lents et le plus impétueux, les courants y sont aussi plus rapides. Ainsi on ne peut pas douter que le flux et le reflux ne produisent des courants dont la direc- tion suit toujours celle des collines ou des mon- tagnes opposées entre lesquelles ils coulent. Les courants qui sont produits par les vents sui- vent aussi la direction de ces mêmes collines qui sont cachées sous l’eau ; car ils ne sont presque jamais opposés directement au vent qui les pro- duit, non plus que ceux qui ont le flux et reflux pour cause ne suivent pas pour cela la même direction. : LA TERRE. 215 Pour donner une idée nette de la production des courants, nous observerons d’abord qu’il y en à dans toutes les mers ; que les uns sont plus rapides et les autres plus lents ; qu'il y en a de fort étendus , tant en longueur qu’en largeur, et d’autres qui sont plus courts et plus étroits ; que la même cause , soit le vent, soit le flux et le reflux , qui produit ces courants , leur donne à chacun une vitesse et une direction souvent très-différentes ; qu’un vent de nord , par exem- ple, qui devrait donner aux eaux un mouvement général vers le sud , dans toute l'étendue de la mer où il exerce son action, produit , au con- taire , un grand nombre de courants séparés les uns des autres et bien différents en étendue et en direction : quelques-uns vont droit au sud , d’autres au sud-est, d’autres au sud-ouest; les uns sont fort rapides, d’autres sont lents: il y en a de plus ou moins forts, deplus ou moins larges , de plus ou moins étendus, etcela dans une variété de combinaisons si grande, qu'on ne peut leur trouver rien de commun que la cause qui les produit ; et lorsqu'un vent contraire succède , comme cela arrive souvent dans toutes les mers , el régulièrement dans l'océan Indien, tous ces courants prennent une direction oppo- sée à la première , et suivent en sens contraire les mêmes routes et le même cours ; en sorte que ceux qui allaient au sud vont au nord, et ceux qui coulaient vers le sud-est vont au. nord-ouest, éte. ; et ils ont la même étendue en lougueur et en largeur, la même vitesse, etc., et leur cours , au milieu des autres eaux de la mer se fait précisément de la même façon qu’il se ferait sur la terre entre deux rivages oppo- sés et voisins , comme on le voit aux Maldives etentre toutes les iles de la mer des Indes , où les courants vont comme les vents , pendant six mois dans une direction, et pendant six au- tres mois dans la direction opposée. On a fait la mème remarque sur les courants qui sont en- tre les bancs de sable et entre les hauts-fonds ; et en général, tous les courants, soit qu’ils aient pour cause le mouvement du flux et du reflux , ou l’action des vents , ont chacun con- stamment la même étendue , la même largeur et la même direction dans tout leur cours ; et ils sont très-différents les uns des autres en longueur, en largeur , en rapidité et en direc- tion, ce qui ne peut venir que des inégalités des collines , des montagnes et des vallées qui sont au fond de la mer , comme l’on voit qu'en- 216 tre deux lies le courant suit la direction des vôles aussi bien qu'entre les bancs de sable , les écueils et les hauts-fonds. On doit donc regar- der les collines et les montagnes du fond de la mer comme les bords qui contiennent et qui di- rigent les courants , et dès lors un courant est un fleuve dont la largeur est déterminée par celle de la vallée dans laquelle il coule, dont la rapidité dépend de la force qui le produit , com- binée avec le plus où le moins de largeur de l'intervalle par où il doit passer , et enfin dont la direction est tracée par la position des colli- nes et des inégalités entre lesquelles il doit pren- dre son cours. Ceci étant entendu , nous allons donner une raison palpable de ce fait singulier dont nous avons parlé, de cette correspondance des angles des montagnes et des collines, qui se trouve partout, et qu’on peut observer dans tous les pays du monde. On voit, en jetant les yeux sur les ruisseaux, les rivières et toutes les eaux con- rantes, que les bords qui les contiennent for- ment toujours des angles alternativement op- | posés ; de sorte que, quand un fleuve fait un coude, l'un des bords du fleuve forme d’un côté | une avance où un angle rentrant dans les ter- res, et l’autre bord forme, au contraire, une pointe où un angle saillant hors des terres; et que, dans toutes les sinuosités de leur cours, celte correspondance des angles alternativement opposés se trouve toujours : elle est en effet fon- dée sur les lois du mouvement des eaux et l’éca- lité de l’action des fluides, et il nous serait très- facile de démontrer la cause de cet effet; mais ! il nous suffit ici qu'il soit général et universelle- ment reconnu, etque tout le monde puisse s'as- surer par ses yeux que, toutes les fois que le bord d’une rivière fait une avance dans les ter- res, que je suppose à main gauche, Pautre bord main droite. Des lors les courants de la mer, qu'on doit regarder comme de grands fleuves ou des eaux courantes, sujettes aux mêmes lois que les fleu- ves de la terre, formeront de même, dans Pé- tendue de leur cours, plusieurs sinuosités dont les avances ou les angles seront rentrants d’un côté et saillants de Fautre côté; et comme les bords de ces courants sont les collines et les montagnes qui se trouvent au-dessous où au- dessus de la surface des eaux, ils auront donné ces éminences , cette même forme qu'on remar- HISTOIRE NATURELLE. que aux bords des fleuves. Ainsi on ne doit pas s’étonner que nos collines etnos montagnes, qui ont été autrefois couvertes des eaux de la mer, et qui ont été formées par le sédiment des eaux, aient pris par le mouvement des courants cette figure régulière, et que tous les angles en soient alternativement opposés : elles ont été les bords des courants ou des fleuves de la mer; elles ont donc nécessairement pris une figure et des di- rections semblables à celles des bords des fleu- ves de la terre; et, par conséquent, toutes les fois que le bord à main gauche aura formé un angle rentrant, le bord à main droite aura formé un angle saillant, comme nous lobservons dans toutes les collines opposées. Cela seul, indépendamment des autres preu- ves que nous avons données, suffirait pour faire voir que la terre de nos continents a été autre- fois sous les eaux de la mer; et l’usage que je fais de cette observation de la correspondance des angles des montagnes, et la cause que j'en assigne, me paraissent être des sources de lu- micre et de démonstration dans le sujet dont il est question : car ce n'était point assez que d’avoir prouvé quelles couches extérieures de la terre ont été formées par les sédiments de la mer, que les montagnes se sont élevées par l’en- tassement successif de ces mêmes sédiments, qu’elles sont composées de coquilles et d’autres productions marines ; il fallait encore rendre raison de cette régularité de figure des coilines dont les angles sont correspondants, et en trou- ver la vraie cause, que personne jusqu'à pré- sent n'avait même soupconnée, etqui cependant étant réunie avec les autres, forme un corps de preuves aussi complet qu’on puisse en avoir en physique, et fournit une théorie appuyée sur des faits et indépendante de toute hypothèse, sur un sujet qu'on n'avait jamais tenté par cette fait, au contraire, une avance hors des terres à | voie, et sur lequel il paraissait avoué qu'il était permis et même nécessaire de s’aider d’une in- finité de suppositions et d’hypothèses gratuites, pour pouvoir dire quelque chose de conséquent et de systématique. Les principaux courants de l'Océan sont ceux | qu'on a observés dans la mer Atlantique près de la Guinée; ils s'étendent depuis le cap Vert jusqu'à la baie de Fernandopo : leur mouve- ment est d’occident en orient, et il est contraire au mouvement général de la mer qui se fait d'o- rient en occident. Ces courants sont fort vio- lents, en sorte que les vaisseaux peuvent venir THÉORIE DE LA TERRE. en deux jours de Moura à Rio de Bénin, c’est- à-dire faire une route de plus de cent cinquante lieues, et il leur faut six à sept semaines pour y retourner; ils ne peuvent même sortir de ces parages qu’en profitant des vents orageux qui s'élèvent tout à coup dans ces climats : mais il y à des saisons entières pendant lesquelles ils sont obligés de rester, la mer étant continuel- lement calme, à l'exception du mouvement des courants, qui est toujours dirigé vers les côtes dans ect endroit; ces courants ne s'étendent guère qu'à vingt lieues de distance des côtes. Auprès de Sumatra, il y a des courants rapi- des quicoulent du midi vers le nord, et qui pro- bablement ont formé le golfe qui est entre Ma- laye et l'Inde. Ontrouvedescourants semblables entre l'ile de Java et la terre de Magellan. [y a aussi de très-grands courants entre le cap de Bonne-Espérance et l’ile de Madagascar, et sur- tout sur la côte d'Afrique, entre la terre de Na- lal et le Cap. Dans la mer Pacifique, sur les cô- | tes du Pérou et du reste de l'Amérique, la mer se meut du midi au nord, et il y règne con- stamment un vent de midi qui semble être la cause de ces courants; on observe le même mouvement du midi au nord sur les côtes du Brésil, depuis le cap Saint-Augustin jusqu'aux iles Antilles, à l'embouchure du détroit des Ma- nilles, aux Philippines et au Japon dans le port de Kibuxia. ( Vide” Varen. Gecgraph. gener. pag. 140.) Il y a des courants tres-violents dans la mer voisine des iles Maldives ; et entre ces iles ces courants coulent, comme je lai dit, constam- ment pendant six mois d’orient en occident, et rétrogradent pendant les six autres mois d’oc- cident en orient; ils suivent la direction des vents moussons, et il est probable qu'ils sont produits par ces vents, qui, comme l’on sait, soufflent dans cette mer six mois de l’est à | l’ouest, et six mois en sens contraire. Au reste, nous ne faisons ici mention que des | courants dont l'étendue et la rapidité sont fort considérables : car il y à dans toutes les mers une infinité de courants que les navigateurs ne reconnaissent qu'en comparant la route qu’ils ont faite avec celle qu'ils auraient dù faire, etils sont souvent obligés d'attribuer à l’action de ces courants la dérive de leur vaisseau. Le flux et le reflux, les vents et toutes les autres causes qui peuvent donner de l'agitation aux eaux de la mer, doivent produire des courants, lesquels | | 217 seront plus ou moins sensibles dans les diffé- rents endroits, Nous avons vu que le fond de la mer est, comme la surface dela terre, hérissé de montagnes , semé d’inévalités, et coupé par desbances de sable : dans tous ces endroits mon- tueux et entrecoupés , les courants seront vio- lents; dans les lieux plats, où le fond de la mer se trouvera de niveau, ils seront presque insen- Sibles : la rapidité du courantaugmentera à pro- portion des obstacles que les eaux trouveront, ou plutôt du rétrécissement des espaces par les- quels elles tendent à passer entre deux chaines de montagnes qui seront dans la mer: il se for- mera nécessairement un courant, qui sera d’au- tant plus violent que ces deux montawnes seront plus voisines; il en sera de même entre deux bancs de sable ou entre deux iles voisines : aussi remarque-t-on dans l'océan Indien, qui est en- trecoupé d’une infinité d’ileset de banes, qu'il y a partout des courants très-rapides qui rendent la navigation de cette mer fort périlleuse; ces courants ont en général des directions sembla- bles à celles des vents, ou du flux et du reflux qui les produisent. Non-seulement toutes les inégalités du fond de la mer doivent former des courants, mais les côtes mêmes doivent faire un effet en partie semblable. Toutes les côtes font refouler les eaux à des distances plus ou moins considéra- bles : ce refoulement des eaux est une espèce de courant que les circonstances peuvent rendre continuel et violent; la position oblique d’une côte, le voisinage d’un golfe ou de quelque grand fleuve, un promontoire, en un mot, tout obstacle particulier qui s'oppose au mouvement général , produira toujours un courant : or, comme rien n’est plus irrégulier que le fond et ies bords de la mer, on doit donc cesser d’être surpris du grand nombre de courants qu’on y trouve presque partout. Au reste, tous ces courants ont une largeur déterminée et qui ne varie point : cette largeur du courant dépend de celle de l'intervalle qui est entre les deux éminences qui lui servent de iit. Les courants coulent dansla mer comme les fleuves coulent sur la terre, et ils y produisent des effets semblables; ils formentleurs lits, et ils donnent aux éminences entre lesquelles ils cou- lent une figure régulière, et dont les angles sont correspondants : ce sont, en un mot, ces courants qui ont creusé nos vallées , Gguré nos montagnes, et donné à la surface de notre terre, 218 lorsqu'elle était sous l'eau de la mer, la forme qu'elle conserve encore aujourd’hui. Si quelqu'un doutait de cette correspondance des angles des montagnes , j'oserais en appeler aux yeux de tous les hommes, surtout lorsqu'ils auront lu ce qui vient d’être dit : je demande seulement qu’on examine, en voyageant, la po- sition des collines opposées, et les avances qu'elles font dans les vallons, on se convainera par ses yeux que le vallon était le lit, et les col- lines les bords des courants; car les côtés op- posés des collines se correspondent exactement, comme les deux bords d’un fleuve. Dès que les collines à droite du vallon font une avance, les collines à gauche du vallon font une gorge. Ces collines ont aussi à très-peu près la même élé- vation, et il est très-rare de voir une grande iné- galité de hauteur dans deux collines opposées et séparées par un vallon : je puis assurer que plus j'ai regardé lescontours etles hauteurs des collines, plus j'ai été convaincu de la correspon- dance des angles, et de cette ressemblance qu’ellesont avec les lits et les bordsdes rivières; et c’est par des observations réitérées sur cette régularité surprenante et sur cette ressemblance frappante, que mes premièresidées sur la théo- rie de la terre me sont venues. Qu’on ajoute à cette observation celle des couches parallèles et horizontales , et celle des coquillages répan- dus dans toute la terre et incorporés dans toutes les différentes matières , et on verra s'il peut y avoir plus de probabilité dans un sujet de cette espèce. ADDITIONS ET CORRECTIONS A L'ARTICLE QUI À POUR TITRE: DES INÉGALITÉS DU FOND DE LA MER ET DES COURANTS. Sur la nature et la qualité des terrains du fond dela mer. M. l'abbé Dicquemare , savant physicien, a fait sur ce sujet des réflexions et quelques ob- servations particulières qui me paraissent s’ac- corder parfaitement avec ce que j'en ai dit dans ma Théorie de la terre. « Les entretiens avec des pilotes de toutes a langues , la discussion des cartes et des son- « des écrites , anciennes et récentes , l'examen s des corps qui s’attachent à la sonde, l’inspec- « tion desrivages, des banes, celle des couches « qui forment l'intérieur de la terre, jusqu’à HISTOIRE NATURELLE. « une profondeur à peu près semblable a la lon- « gueur des lignes des sondes les plus ordinai- “res , quelques réflexions sur ce que la phy- « sique , la cosmographie et l’histoire naturelle « ont de plus analogue avec cet objet, nous ont « fait soupconner, nous ont même persuadé, dit « M. l'abbé Dicquemare, qu’il doit exister, « dans bien des parages, deux fonds diffé. «rents, dont l’un recouvre souvent luutre « par intervalles. Le fond ancien ou perma- « nent, qu’on peut nommer fond général, et « le fond accidentel ou particulier. Lepremier, « qui doit faire la base d'un tableau général, est « le sol même du bassin de la mer. Ilest com- « posé des mêmes couches que nous trouvons « partout dans le sein de la terre, telles que la « marne, la pierre , la glaise, le sable, les co- « quillages, que nous voyons disposés horizon- « talement, d'une épaisseur égale, sur une fort « grande étendue... ici, ce sera un fond de « marne : là, un de glaise, de sable, de roches. « Enfin, le nombre des fonds généraux qu’on « peut discerner par la sonde ne va guère qu’à « six ou sept espèces. Les plus étendues et les « plus épaisses de ces couches, se trouvant dé- « couvertes ou coupées en biseau, forment dans la mer de grands espaces, où l’on doit recon- naitre le fond général , indépendamment de ce que les courants et autres circonstances peuvent y déposer d’étranger à sa nature. 11 est encore des fonds permanents dont nous n'avons point parlé; ce sont ces étendues im- « menses de madrépores, de coraux, qui recou- « vrent souvent un fond de rochers, et ces « bancs d’une énorme étendue de coquillages , « que la prompte multiplication ou d’autres « causes y a accumulés ; ils y sont comme par « peuplades. Une espèce paraît occuper une « certaine étendue ; l’espace suivant est occupé “ par une autre, comme on le remarque à l’é- « gard des coquilles fossiles , dans une grande « partie de l’Europe, et peut-être partout. Ce « sont même ces remarques sur l'intérieur de la « terre, et des lieux où la mer découvre beau- « coup, où l’on voit toujours une espèce domi- « ner comme par cantons, qui nous ont mis à « portée de conclure sur la prodigieuse quan- utité des individus, et sur l'épaisseur des | « bancs du fond de la mer, dont nous ne pou- « vons guère connaître par la sonde que la su- “ perficie. « Le fond accidentel ou particulier... est but on | | THÉORIE DE “ composé d’une quantité prodigieusede pointes « d’oursins de toute espèce, que les marins « nomment pointes d'alènes ; de fragments de « coquilles, quelquefois pourries ; de crustacés, « de madrépores , de plantes marines, de pyri- « tes , de granites arrondis par le frottement, « de particules de nacre, de mica, peut-être « même de tale, auxquels ils donnent des noms « conformes à l'apparence; quelques coquilles « entières, mais en petite quantité , et comme « semées dans des étendues médiocres; de pe- « tits cailloux, quelques cristaux, des sables co- « lorés, un léger limon, ete. Tous ces corps, « disséminés par les courants, l’agitation de la « mer, ete., provenants en partie des fleuves, « des éboulements de falaises et autres causes « accidentelles , ne recouvrent souvent qu’im- « parfaitement le fond général, qui se repré- « sente à chaque instant , quand on sonde fré- “ quemment dans les mêmes parages.…. J'ai re- # marqué que, depuis près d’un siècle, une « grande partie des fonds généraux du golfe « de Gascogne et de la Manche n'ont presque « pas changé, ce qui fonde encore mon opinion « Sur les deux fonds. » Sur les courants de la mer. On doit ajouter à l’'énumération des courants de la mer le fameux courant de Moscheæ, Mosche où Male, sur les côtes de Norwége, dont un savant Suédois nous a donné la description dans Îles termes suivants : « Ce courant, qui a pris son nom du rocher « de Moschensicle, situé entre les deux iles de « Lofæde et de Woerœn, s’étend à quatre mil- « les vers le sud et vers le nord. « Il est extrêmement rapide, surtout entre « le rocher de Mosche et la pointe de Lofæde; « mais, plus il s'approche des deux iles de « Woerœn et de Roest, moins il a de rapidité. « Il achève son cours du nord au sud en six « heures , puis du sud au nord en autant de « temps. « Ce courant est sirapide, qu’il fait un grand « nombre de petits tournants, que les habitants « du pays ou les Norwégiens appellent garga- « ner. « Son cours ne suit point celui des eaux de la « mer dans leur flux et dans leur reflux : il y « est plutôt tout contraire. Lorsque les eaux de « l'Océan montent, elles vont du sud au nord, « et alors le courant va du nord au sud : lors- LA TERRE. 219 « que la mer se retire, elle va du nord au sud, « et pour lors le courant va du sud au nord. « Ce qu'il y a de plus remarquable, c’est que, « tant en allant qu’en revenant, il ne décrit pas « une ligne droite, ainsi que les autres courants « qu'on trouve dans quelques détroits, où les « eaux de la mer montent et descendent ; mais «il va en ligne circulaire. « Quand les eaux de la mer ont monté à moi- « tié, celles du courant vont au sud-sud-est. « Plus la mer s’élève, plus il se tourne vers le « sud ; de là il se tourne vers le sud-ouest, et « du sud-ouest vers l’ouest. « Lorsque les eaux de la mer ont entièrement « monté, le courant va vers le nord-ouest, eten- « suite vers le nord : vers le milieu du reflux, « il recommence son cours, après l'avoir sus- « pendu pendant quelques moments. « Le principal phénomène qu'on y observe, «est son retour par l’ouest du sud-sud-est vers « le nord, ainsi que du nord vers le sud-est. S’il « ne revenait pas par le même chemin, il serait « fort difficile, et presque impossible, de passer « de la pointe de Lofæde aux deux grandes iles « de Woerœn et de Roest. Il y a cependant « aujourd’hui deux paroisses qui seraientnéces- « sairement sans habitants, si le courant ne pre- « nait pas le chemin que je viens de dire; mais, « comme il le prend en effet, ceux qui veulent « passer de la pointe de Lofæde à ces deux iles, « attendent que la mer ait monté à moitié, parce « qu’alors le courant se dirige vers l’ouest : « lorsqu'ils veulent revenir de ces îles vers la « pointe de Lofæde, ils attendent le mi-reflux, « parce qu’alors le courant est dirigé vers le « continent ; ce qui fait qu’on passe avec beau- « coup de facilité. Or, il n’y a point de courant « sans pente; et ici, l’eau monte d’un côté et « descend de l’autre... « Pour se convaincre de cette vérité, il suflit « de considérer qu’il y a une petite langue de « terre qui s'étend à seize milles de Norwége « dans la mer, depuis la pointe de Lofæde, qui « est le plus à l’ouest, jusqu’à celle de Loddinge, « qui est la plus orientale. Cette petite langue « de terre est environnée par la mer; et, soit « pendant le flux, soit pendant le reflux, leseaux « y sont toujours arrêtées , parce qu’elles ne « peuvent avoir d’issueque par six petits détroits ou passages qui divisent cette langue de terre « en autant de parties. Quelques-uns de ces dé- « troits ne sont larges que d’un demi-quart de « mille, etquelquefois moitié moins; ils ne peu- “ vent donc contenir qu'une petite quantité « d'eau, Ainsi, lorsque la mer monte, les eaux « qui vont vers le nord s'arrêtent en grande par- « Lie au sud de cette langue de terre : elles sont « done bien plus élevées vers le sud que vers le « nord. Lorsque la mer se retire et va vers le « sud, il arrive pareillement que les eaux s’ar- « rêtent en grande partie au nord de cette lan- « gue de terre, et sont par conséquent bien plus « hautes vers le nord que vers le sud. « Les eaux arrêtées de cette manière, tantôt « au nord, tantôt au sud, ne peuvent trouver « d’issue qu'entre la pointe de Lofæde et de l'ile « de Woeræn, et qu'entre cette île et célle de « Roest. « La pente qu'elles ont, lorsqu'elles descen- « dent, cause la rapidité du courant; et, par la « mème raison, cette rapidité est plus grande « vers la pointe de Lofæde que partout ailleurs. « Comme cette pointe est plus près de l’endroit « où les eaux s’arrètent, la pente y est aussi « plus forte; et plus les eaux du courant s’éten- « dent vers les iles de Woeræn et de Roest, « plus il perd de sa vitesse. « Après cela, il est aisé de concevoir pour- « quoi ce courant est toujours diamétralement « opposé à celui des eaux de la mer. Rien ne « s'oppose à celles-ci, soit qu’elles montent, soit « qu’elles descendent : au lieu que celles qui « sont arrêtées au-dessus de la pointe de Lofæde « ne peuvent se mouvoir ni en ligne droite, ni « au-dessus de cette même pointe, tant que la « mer n’est point descendue plus bas, et n’a « pas, en se retirant, emmené les eaux que « celles qui sont arrêtées au-dessus de Lofæde, « doivent remplacer... « Au commencement du flux et du reflux, « les eaux de la mer ne peuvent pas détourner « celles du courant ; mais, lorsqu'elles ont monté « ou descendu à moitié, elles ont assez de force « pour changer sa direction. Comme il ne peut « alors se tourner vers l’est, parce que l’eau est « toujours stable près de la pointe de Lofæde, « ainsi que je l'ai déjà dit, il faut nécessaire- « ment qu'il aille vers l’ouest où l'eau est plus « basse‘. » Cette explication me parait bonne et conforme aux vrais principes de la théorie des eaux courantes. Nous devons encore ajouter ici la description ! Description du courant de Mosckôe, etc. Journal étran- ver, février 175$, page 25. HISTOIRE NATURELLE. du fameux courant de Charybde et Seylla, près de la Sicile, sur lequel M. Bridone à fait nou- vellement des observations qui semblent prou- ver que sa rapidité et la violence de tous ses mouvements est fort diminuée. « Le fameux rocher de Scylla est sur la côte « de la Calabre, le cap Pelore sur celle de Sicile, « et le célèbre détroit du Phare court entre les « deux. L'on entend, à quelques milles de di- « stance de l'entrée du détroit, le mugissement « du courant; il augmente à mesure qu’on s’ap- « proche, et, en plusieurs endroits, l’eau forme « degrands tournants , lors même que tout le « reste de la mer est uni comme une glace. Les « Vaisseaux sont attirés par ces tournants d’eau; « cependant on court peu de danger quand le « temps est calme : mais, si les vagues rencon- «trent ces tournants violents, elles forment une « mer terrible. Le courant porte directement «_ vers le rocher de Scylla : il est à enviren un « mille de l’entrée du Phare, Il faut convenir « que réellement ce fameux Scylla n'approche « pas de la description formidable qu'Homère « en a faite; le passage n’est pas aussi prodi- « gieusement étroit ni aussi difficile qu’il le re- « présente: ilest probable que, depuis cetemps, «il s’est fort élargi, et que la violence du cou- « rant a diminué en même proportion. Le ro- « cher a près de deux cents pieds d’élévation ; « on y trouve plusieurs cavernes etune espèce « de fort bâti au sommet. Le fanal est à pré- « sent sur le cap Pelore. L'entrée du détroit «entre ce cap et la Coda-di- Volpe en Calabre, « parait avoir à peine un mille de largeur ; son « canal s’élargit, et il a quatre milles auprès de « Messine, qui est éloignée de douze milles de « l'entrée du détroit. Le célèbre gouffre ou tour- « nant de Charybde est près de l'entrée duhavre « de Messine : il occasionne souvent dans l’eau « un mouvement si irrégulier, que les vaisseaux « ont beaucoup de peine à y entrer. Aristote « fait une longue et terrible description de ce « passage difficile ‘. Homère, Lucrèce, Virgile «et plusieurs autres poètes l’ont décrit comme «un objet qui inspirait la plus grande terreur. « 1 n'est certainement pas si formidable au- « jourd’hui, et il est très-probable que le mou- « vement des eaux, depuis ce temps, a émoussé « les pointes escarpées des rochers, et détruit « les obstacles qui resserraient les flots. Le dé- « troit s’est élargi considérablement dans ceten- { Anistot, De admirandis, cap, 125. THÉORIE DE droit. Les vaisseaux sont néanmoins obligés de ranger la côte de Calabre de très-près, afin d'éviter l'attraction violente occasionnée par le tournoiement des eaux ; et lorsqu'ils sont arrivés à la partie la plus étroite et la plus ra- pide du détroit, entre le cap Pelore et Seylla, ils sont en grand danger d'être jetés directe- mentcontre ce rocher. De là vient le proverbe: incidit in Scyllam cupiens vitare Charyb- din. On a placé un autre fanal pour avertir les marins qu'ils approchent de Carybde, comme le fanal du cap Pelore les avertit qu’ils approchent de Seylla ‘. » » PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE XIV. DES VENTS RÉGLÉS. Rien ne parait plus irrégulier et plus variable que la force et la direction des vents dans nos climats ; mais il y a des pays où cette irrégu- larité west pas si grande , et d’autres où le vent souffle constamment dans la même direction et presque avec la même force. Quoique les mouvements de l'air dépendent d'un grand nombre de causes, il y en a cepen- dant de principales dont on peut estimer les ef- fets ; mais il est difficile de juger des modifica- tions que d'autres causes secondaires peuvent y apporter. La plus puissante de toutes ces cau- ses est la chaleur du soleil, laquelle produit successivement une raréfaction considérable dans les différentes parties de l'atmosphère ; ce qui fait le vent d’est, qui souffle constam- ment entre les tropiques, où la rarefaction est la plus grande. La force d'attraction du soleil, et même celle de la lune sur l'atmosphère , sont des causes dont l'effet est insensible en comparaison de celles dont nous venons de parler. Il est vrai que cette force produit dans l'air un mouvement semblable à celui du flux et du reflux dans la mer : mais ce mouvement n'est rien en Compa- raison des agitations de l'air qui sont produites par la raréfaction ; car il ne faut pas croire que { Voyage en Sicile, par M. Bridone , tome I, p. 46 et suiv. LA TERRE. l'air, parce qu'il a du ressort et qu'il est huit cents fois plus léger que l’eau, doive recevoir par l'action de la lune un mouvement de flux fort considérable. Pour peu qu’on y réfléchisse , on verra que ce mouvement n’est guère plus consi- dérable que celui du flux et du reflux des eaux de la mer ; car la distance à la lune étant sup- posée la même, une mer d’eau ou d'air, ou de telle autre matière fluide qu’on voudra imagi- ner, aura à peu près le même mouvement, parce que la force qui produit ce mouvement pénètre la matière, et est proportionnelle à sa quantité. Ainsi une mer d’eau, d’air ou de vif-argent, s’é- lèverait à peu près à la même hauteur par l’ac- tion du soleil et de la lune, et dès lors on voit que le mouvement que l'attraction des astres peut causer dans l'atmosphère n’est pas assez considérable pour produire une grande agita- tion !; et, quoiqu’elle doive causer un léger mouvement de l'air d’orient en occident, ce mouvement est tout à fait insensible en compa- raison de celui que lachaleur du soleil doit pro- duire en raréfiant l'air; et, comme la raréfac- tion sera toujours plus grande dans les endroits où le soleil est au zénith, il est clair que le cou- rant d'air doit suivre le soleil et former un vent constant et général d’orient en occident. Ce vent souffle continuellement sur la mer dans la zone torride , et dans la plupart des endroits de la terre entre les tropiques : c’est le même vent que nous sentons au lever du soleil ; et en géné- ral les vents d’est sont bien plus fréquents et bien plus impétueux que les vents d'ouest; ce vent général d’orient en occident s'étend même au delà des tropiques , et il souffle si constam- ment dans la mer Pacifique, que les navires qui vont d’Acapulco aux Philippines font cette route , qui est de plus de deux mille sept cents lieues, sans aucun risque , et, pour ainsi dire, sans avoir besoin d'être dirigés. Il en est de même de la mer Atlantique entre l'Afrique et le Brésil ; ce vent général y souffle constam- ment. Il se fait sentir aussi entre les Philippines et l’Afrique, mais d’une manière moins con- stante, à cause des îles et des différents obtacles qu'on rencontre dans cette mer : car il souffle pendant les mois de janvier, février, mars et avril, entre la côte de Mozambique et l'Inde ; mais pendant les autres mois il cède à d’autres 221 : L'effet de cette cause a été déterminé géométriquement dans différentes hypothèses, et calculé par M. d'Alembert. Voyez Réflexions sur la cause générale des Vents. Paris, 1747. 299 HISTOIRE vents; et, quoique ce vent d’est soit moins sen- sible sur les côtes qu’en pleine mer, et encore moins dans le milieu des continents que sur les côtes de la mer, cependant il y a des lieux où il souffle presque continuellement ; comme sur les côtes orientales du Brésil, sur les côtes de Loango en Afrique, ete. Ce vent d'est, qui souffle continuellement sous la ligne, fait que, lorsqu'on part d'Europe pour aller en Amérique, on dirige le cours du vaisseau du nord au sud dans la direction des côtes d'Espagne et d'Afrique jusqu’à vingt de- grés en deçà de la ligne, où l’on trouve ce vent d’est qui vous porte directement sur les côtes d'Amérique; et de même dans la mer Pacifique l'on fait en deux mois le voyage de Callao ou d'Acapulco aux Philippines à la faveur de ce vent d'est, qui est continuel ; mais le retour des Philippines à Acapulco est plus long et plus dif- ficile. A vingt-huit ou trente degrés de ce côté- ci de la ligne , on trouve des vents d'ouest assez constants, et c’est pour cela que les vaisseaux qui reviennent des Indes occidentales en Eu- rope, ne prennent pas la même route pour aller et pour revenir: ceux qui viennent de la Nou- velle-Espagne font voile le long des côtes et vers le nord jusqu'à ce qu'ils arrivent à la Havane dans l'ile de Cuba, et de là ils gagnent du côté du nord pour trouver les vents d’ouest, qui les aménent aux Acores et ensuite en Espagne. De même dans la mer du Sud, ceux qui reviennent des Philippines ou de la Chine au Pérou, ou au Mexique, gagnent le nord jusqu'à la hauteur du Japon , et naviguent sous ce parallèle jusqu’à une certaine distance de Californie, d’où, en suivant la côte de la Nouvelle-Espagne, ils ar- rivent à Acapulco. Au reste, ces vents d’est ne soufflent pas toujours du même point , mais en général ils sont au sud-est depuis le mois d’a- yril jusqu’au mois de novembre , et ils sont au nord-est depuis novembre jusqu’en avril, Le vent d’est contribue par son action à aug- menter le mouvement général de la mer d’orient en occident; il produit aussi des courants qui sont constants et qui ont leur direction, les uns ! de l’est à l’ouest, les autres de l’est au sud-ouest | ou au nord-ouest, suivant la direction des émi- | nences.et des chaînes de montagnes qui sont au fond dela mer, dont les vallées ou les interval- | les qui les séparent servent de canaux à ces | courants. De même les vents alternatifs, qui soufflent tantôt de l’est et tantôt de l’ouest pro- NATURELLE. duisent aussi des courants qui changent de di- rection en même temps que ces vents en chan- gent aussi. Les vents qui soufflent constamment pendant quelques mois, sont ordinairement suivis de vents contraires, et les navigateurs sont obligés attendre celui qui leur est favorable; lorsque ces vents viennent à changer, il y a plusieurs jours, et quelquefois un mois ou deux de calme ou de tempêtes dangereuses. Ces vents généraux , causés par la raréfac- tion de l’atmosphère, se combinent différem- ment par différentes causes dans différents cli- mats. Dans la partie de la mer Atlantique qui est sous la zone tempérée, le vent du nord souffle presque constamment pendant les mois d'octobre, novembre, décembre et janvier: c’est pour cela que ces mois sont les plus favorables pour s’embarquer lorsqu'on veut aller de PEu- rope aux Indes, afin de passer la ligne à la fa- veur de ces vents; et l’on sait par expérience que les vaisseaux qui partent au mois de mars d'Europe, n'arrivent quelquefois pas plus tôt au Brésil que ceux qui partent au mois d’octo- bre suivant. Le vent du nord règne presque continuellement pendant l'hiver dans la Nou- velle-Zemble et dans les autres côtes septen- trionales. Le vent du midi souffle pendant le mois de juillet au cap Vert : c’est alors le temps des pluies, ou l'hiver de ces climats. Au cap de Bonne-Espérance , le vent de nord-ouest souf- fle pendant le mois de septembre. A Patna, dans l’Inde, ce même vent de nord-ouest souf- fle pendant les mois de novembre, décembre et janvier, et il produit de grandes pluies ; mais les vents d'est soufflent pendant les neuf autres mois. Dans l'océan Indien, entre l’Afrique et l'Inde, et jusqu'aux îles Moluques, les vents moussons règnent d’orient en occident depuis janvier jusqu’au commencement de juin, et les vents d'occident commencent aux mois d'août et de septembre, et pendant l’intervalle de juin et de juillet , il y a de très-grandes tempêtes, ordinairement par des vents du nord : mais sur les côtes ces vents varient davantage qu’en pleine mer. Dans le royaume de Guzarate et sur les côtes de la mer voisine, les vents du nord soufllent depuis le mois de mars jusqu'au mois de sep- tembre, et pendant les autres mois de l’année il règne presque toujours des vents du midi. Les Hollandais, pour revenir de Java, partent or- THÉORIE DE LA TERRE. dinairement aux mois de janvier et de février par un vent d'est qui se fait sentir jusqu'à dix- huit degrés de latitude australe, et ensuite ils trouvent des vents de midi qui les portent jus- qu’à Sainte Hélène. (Voyez Varen. Geograph. gener. cap. 20.) Il y a des vents réglés qui sont produits par la fonte des neiges; les anciens Grecs les ont observés. Pendant l’été les vents de nord-ouest, et pendant l'hiver ceux de sud-est, se font sen- tir en Grèce, dans la Thrace, dans la Macé- doine , dans la mer Égée, et jusqu’en Égypte et en Afrique; on remarque des vents de même espèce dans le Congo, à Guzarate, à l'extrémité de l'Afrique, qui sont tous produits par la fonte des neiges. Le flux et le reflux de la mer pro- duisent aussi des vents réglés qui ne durent que quelques heures; et dans plusieurs endroits on remarque des vents qui viennent de terre pen- dant la nuit, et de la mer pendant le jour, comme sur les côtes de la Nouvelle-Espagne, sur celles de Congo, à la Havane, etc. Les vents de nord sont assez réglés dans les climats des cercles polaires : mais plus on ap- proche de l'équateur, plus ces vents de nord sont faibles ; ce qui est commun aux deux pôles. Dans l'Océan Atlantique et Éthiopique, ilya un vent d’est général entre les tropiques, qui dure toute l’année sans aucune variation con- sidérable , à l’exception de quelques petits en- droits, où il change suivant les circonstances et la position des côtes. 1° Auprès de la côte d’A- frique, aussitôt que vous avez passé les iles Ca- naries, vous êtes sûr de trouver un vent frais de nord-est à environ vingt-huit degrés de lati- tude nord : ce vent passe rarement le nord-est ou le nord-nord-est, et il vous accompagne jus- qu'à dix degrés de latitude nord , à environ cent lieues de la côte de Guinée, où l’on trouve au quatrième degré de latitude nord les calmes et tornados ; 2° ceux qui vont aux iles Caraïbes trouvent , en approchant de l’Amérique, que ce même vent de nord-est tourne de plus en plus à l’est, à mesure qu’on approche davantage ; 3° les limites de ces vents variables dans cet océan sont plus grandes sur les côtes d'Amérique que sur celles d'Afrique. Il y a dans cet océan un endroit où les vents du sud et de sud-ouest sont continuels , savoir, tout le long de la côte de Guinée dans un espace d'environ cinq cents lieues, depuis Sierra - Leone jusqu'à l'ile de Saint-Thomas. L'endroit le plus étroit de cette Pr, 7) mer est depuis la Guinée jusqu'au Brésil, ou il n'y à qu'environ cinq cents lieues : cependant les vaisseaux qui partent de la Guinée ne diri- gent pas leurs cours droit au Brésil, mais ils descendent du côté du sud, surtout lorsqu'ils partent aux mois de juillet et d'août, à cause des vents de sud-est qui règnent dans ce temps. (Voy. Trans. phil. Abridg'd., tome II, p. 129.) Dans la mer Méditerranée, le vent souffle de la terre vers la mer au coucher du soleil, et au contraire de la mer vers la terre au lever, en sorte que le matin c’est un vent du levant, et le soir un vent du couchant. Le vent du midi, qui est pluvieux, et qui souffle ordinairement à Paris, en Bourgogne et en Champagne au com- mencement de novembre, et qui cède à une bise douce et tempérée, produit le beau temps qu’on appelle vulgairement l'été de la Saint- Martin, ( Voyez le Traité des Eaux de M. Ma- riotle.) Le docteur Lister, d'ailleurs bon observa- teur, prétend que le vent d'est général qui se fait sentir entre les tropiques pendant toute l’année, n’est produit que par la respiration de la plante appelée lentille de mer, qui est extrè- mement abondante dans ces climats, et que la différence des vents sur la terre ne vient que de la différente disposition des arbres et des fo- rêts, et il donne très-sérieusement cette ridicule imagination pour cause des vents, en disant qu’à l'heure de midi le vent est plus fort, parce que les plantes ont plus chaud et respirent l'air plus souvent, et qu’il souffle d'orient en occi- dent, parce que toutes les plantes font un peu le tournesol , et respirent toujours du côté du soleil. D’autres auteurs, dont les vues étaient plus saines, ont donné pour cause de ce vent con- stant le mouvement de la terre sur son axe: mais cette opinion n’est que spécieuse, et il est facile de faire comprendre aux gens, même les moins initiés en mécanique, que tout fluide qui environnerait la terre ne pourrait avoir aucun mouvement partieulier en vertu de la rotation du globe, que l'atmosphère ne peut avoir d’au- tre mouvement que celui de cette même rota- tion, et que, tout tournant ensemble et à la fois, ce mouvement de rotation est aussi insen- sible dans l'atmosphère, qu’il l’est à la surface de la terre. La principale cause de ce mouvement con- stant est, comme nous l'avons dit, la chaleur du soleil; on peut voir sur cela le Traité de Haileu dans les Transac. philosoph.; et en cénéral , toutes les causes qui produiront dans l'air une raréfaction ou une condensation consi- dérable , produiront des vents dont les direc- tions seront toujours directes ou opposées aux lieux où sera la plus grande raréfaction où la plus grande condensation. La pression des nuages, les exhalaisons de la terre , l’inflammation des météores, la réso- lution des vapeurs en pluies, ete., sont aussi des causes qui toutes produisent des agitations considérables dans l'atmosphère : chacune de ces causes se combinant de différentes facons, produit des effets différents : il me paraît donc qu'on tenterait vainement de donner une théo- rie des vents, et qu'il faut se borner à travail- ler à en faire l’histoire : c’est dans cette vue que j'ai rassemblé des faits qui pourront y servir. Si nous avions une suite d'observations sur la direction, la force et la variation des vents dans les différents climats; si cette suite d’ob- servations était exacte et assez étendue pour qu’on pôt voir d’un coup d'œil le résultat de ces vicissitudes de l'ait dans chaque pays, je ne doute pas qu'on n’arrivät à ce degré de connaissance dont nous sommes encore si fort éloignés, à une méthode par laquelle nous pour- rions prévoir et prédire les différents états du ciel et la différence des saisons : mais il n’y a pas assez longtemps qu'on fait des observations météorologiques ; il y en a beaucoup moins. qu’on les fait aveesoin, etil s'en écoulera peut- être beaucoup avant qu’on sache en employer les résultats, qui sont cependant les seuls moyens que nous ayons pour arriver à quel- que connaissance positive à ce sujet. Sur la mer les vents sont plus réguliers que sur la terre, parce que la mer est un espace li- bre, et dans lequel rien ne s'oppose à la direc- tion du vent; sur la terre, au contraire, les mon- tagnes , les forêts, les villes, ete., forment des obstacles qui font changer la direction des vents, et qui souvent produisent des vents contraires aux premiers. Ces vents, réfléchis par les mon- tagnes, se font sentir dans toutes les provinces qui en sont voisines, avec une impétuosité sou- vent aussi srande que celle du vent direct qui les produit ; ils sont aussi très-irréguliers, parce leur direction dépend du contour, de la hauteur et de la situation des montagnes qui les réflé- HISTOIRE NATURELLE. chissent. Les vents de mer soufflent avec plus de force et plus de continuité que les vents de terre ; ils sont aussi beaucoup moins variables , et durent plus longtemps. Dans les vents de terre , quelque violents qu'ils soient , il y a des moments de rémission et quelquefois des in- stants de repos ; dans ceux de mer, le courant d'air est constant et continuel sans aucune in- terruption : la différence de ces effets dépend de la cause que nous venons d'indiquer. En général , sur la mer, les vents d’est et ceux qui viennent des pôles sont plus forts que les vents d'ouest et que ceux qui viennent de l’é- quateur ; dans les terres, au contraire, les vents d'ouest et de sud sont plus où moins violents que les vents d’est et de nord, suivant la situa- tion des climats. Au printemps et en automne, les vents sont plus violents qu’en été ou en hi- ver, tant sur mer que sur terre; on peut en donner plusieurs raisons : 1° le printemps et Pautomne sont les saisons des plus grandes marées , et, par conséquent , les vents que ces marées produisent, sont plus violents dans ces deux saisons ; 2° le mouvement que l’action du soleil et de la lune produit dans l'air, c’est-à- dire le flux et le reflux de l'atmosphère, est aussi plus grand dans la saison des équinoxes ; 3° la fonte des neiges au printemps, et la réso- lution des vapeurs que le soleil a élevées pen- dant l'été, qui retombent en pluies abondantes pendant l'automne, produisent, ou du moins, augmentent les vents ; 4° le passage du chaud au froid , ou du froid au chaud , ne peut se faire sans augmenter et diminuer considérablement le volume de l'air, ce qui seul doit produire de très-grands vents. On remarque souvent dans l’air des courante contraires : on voit des nuages qui se meuvent dans une direction , et d’autres nuages plus éle: vés ou plus bas que les premiers, qui se meu- vent dans une direction contraire; mais cette contrariété de mouvement ne dure pas long- temps, et n’est ordinairement produite que par la résistance de quelque nuage à l’action du vent, et par la répulsion du vent direct qui ré- gne seul dès que l’obstacle est dissipé. Les vents sont plus violents dans les lieux élevés que dans les plaines; et plus on monte dans les hautes montagnes, plus la force du vent augmente jusqu'à ce qu’on soit arrivé à la hauteur ordinaire des nuages, c’est-à-dire à environ un quart où un tiers de lieue de bau- 1” THÉORIE DE LA TERRE. teur perpendiculaire : au delà de cette hauteur, le ciel est ordinairement serein , au moins pen- dant l'été, et le vent diminue ; on prétend même qu'il est tout à fait insensible au sommet des plus hautes montagnes : cependant , la plupart de ces sommets , et même les plus élevés, étant couverts de glace et de neige, il est naturel de penser que cette région de l'air est agitée par les vents dans le temps de la chute de ces nei- ges; ainsi, ce ne peut être que pendant l'été que les vents ne s’y font pas sentir. Ne pour- rait-on pas dire qu’en été les vapeurs légères qui s'élèvent au sommet de ces montages re- tombent en rosée, au lieu qu’en hiver elles se condensent, se gèlent et retombent en neige ou en glace ; ce qui peut produire en hiver des vents au-dessus de ces montagnes, quoiqu'il n’y en ait point en été? Un courant d’air augmente de vitesse comme un courant d’eau, lorsque l’espace de son pas- sage se rétrécit : le même vent, qui ne se fait sentir que médiocrement dans une plaine large et découverte, devient violent en passant par une gorge de montagne, ou seulement entre deux bâtiments élevés, et le point de la plus violente action du vent est au-dessus de ces mêmes bâtiments ou de la gorge de la monta- gne; l'air, étant comprimé par la résistance de ces obstacles, a plus de masse, plus de densité ; et la même vitesse subsistant, l’effort ou le coup du vent, le momentum en devient beaucoup plus fort. C’est ce qui fait qu'auprès d’une église ou d’une tour les vents semblent être beaucoup plus violents qu'ils ne le sont à une certaine distance de ces édifices. J’ai souvent remarqué que le vent , réfléchi par un bâtiment isolé, ne laissait pas d’être bien plus violent que le vent direct qui produisait ce vent réfléchi; et lors- que j'en ai cherché la raison, je n’en ai pas trouvé d'autre que celle que je viens de rappor- ter : l’air chassé se comprime contre le bâti- ment et se réfléchit, non-seulement avec la vi- tesse qu’il avait auparavant, mais encore avec plus de masse : ce qui rend en effet son action beaucoup plus violente. A ne considérer que la densité de l’air, qui est plus grande à la surface de la terre que dans tout autre point de l’atmosphère, on serait . porté à croire que la plus grande action du vent devrait être aussi à la surface de la terre, et je crois que cela est en effet ainsi toutes les fois que le ciel est serein : mais , lorsqu'il est chargé 99", 229 de nuages , la plus violente action du vent est à la hauteur de ces nuages , qui sont plus denses que l’air, puisqu'ils tombent en forme de pluie ou de grêle. On doit donc dire que la force du vent doit s’estimer, non-seulement par sa vi- tesse, mais aussi par la densité de l’air, de quel- que cause que puisse provenir cette densité , et qu’il doit arriver souvent qu’un vent qui n'aura pas plus de vitesse qu’un autre vent ne laissera pas de renverser des arbres et des édifices, uniquement parce que l'air poussé par ce vent sera plus dense. Ceci fait voir l’imperfection des machines qu’on à imaginées pour mesurer la vitesse du vent. Les vent particuliers . soit qu’ils soient di- rects ou réfléchis, sont plus violents que les vents généraux. L'action interrompue des vents de terre dépend de cette compression: de l'air, qui rend chaque bouffée beaucoup plus violente qu’elle ne le serait si le vent soufflait uniformé- ment ; quelque fort que soit un vent continu, il ne causera jamais les désastres que produit la fureur de ces vents qui soufflent, pour ainsi dire , par accès : nous en donnerons des exem- ples dans l’article qui suit. On pourrait considérer les vents et leurs dif- férentes directions sous des points de vue géné- raux, dont on tirerait peut-étredesinductions utiles : par exemple, il me paraît qu’on pourrait diviser les vents par zones; que le vent d’est, qui s'étend à environ vingt-cinq ou trente de- grés de chaque côté de l’équateur, doit être re- gardé comme exerçant son action tout autour du globe dans la zone torride; le vent de nord souffle presque aussi constamment dans la zone froide que le vent d’est dans la zone torride , et on a reconnu qu’à la Terre de Feu et dans les en- droits les moins éloignés du pôle austral où l’on est parvenu, le vent vient aussi du pôle. Ainsi, l'on peut dire que le vent d’est occupant la zone torride, les vents du nord occupent les zones froides, et, à l’égard des zones tempérées , les vents qui y règnent ne sont, pour ainsi dire, que des courants d'air, dont lemouvement est com- posé de ceux de ces deux vents principaux qui doivent produire tous les vents dont la direction tend à l'occident; et, à l’égard des vents d'ouest, dont la direction tend à l’orient, et qui règnent souvent dans la zone tempérée, soit dans la mer Pacifique, soit dans l’océan Atlantique , on peut les regarder comme des vents réfléchis par les terres de l’Asie et de l'Amérique, mais dont la 15 226 première origine est due aux vents d’est et de nord. Quoique nous ayons dit que, généralement parlant, le vent d’est règne tout autour du globe à environ vingt-cinq ou trente degrés de chaque côté de l'équateur, il est cependant vrai que dans quelques endroits il s'étend à une bien moindre distance, et que sa direction n’est pas partout de l’est à l’ouest; car, en deçà de l'équateur, il est un peu est-nord-est, et au delà de l’équateur, ilest sud-est ; et plus on s'éloigne de l'équateur, soit au nord, soit au sud, plus la direction du vent est oblique : l’équateur est la ligne sous la- quelle la direction du vent de l’est à l’ouest est la plus exacte. Par exemple , dans l’océan In- dien , le vent général d’orient en occident ne s’é- tend guère au delà de quinze degrés : en allant de Goa au cap de Bonne-Espérance, on ne trouve ce vent d’est qu’au delà de l'équateur, environ au douzième degré de latitude sud , et il ne se fait pas sentir en decà de l'équateur: mais, lors- qu'on est arrivé à ce douzième degré de latitude sud, on a ce vent jusqu’au vingt-huitième degré de latitude sud. Dans la mer qui sépare l’Afri- que de l'Amérique , il y a un intervalle qui est depuis le quatrième degré de latitude nord , jus- qu’au dixième ou onzième degré de latitude nord , où ce vent général n’est pas sensible, mais au delà de ce dixième ou onzième degré, ce vent règne et s'étend jusqu’au trentième degré. Il y a aussi beaucoup d’exceptions à faire au sujet des vents moussons, dont le mouvement estalternatif : les uns durent plus ou moins long- temps, les autres s'étendent à de plus grandes ou à de moindres distances, les autres sont plus ou moins réguliers, plus ou moins violents. Nous rapporterons ici, d’après Varenius, les princi- paux phénomènes de ces vents. « Dans l'océan « Indien, entre l'Afrique et l’Inde jusqu'aux « Moluques, les vents d'est commencent à ré- « gner au mois de janvier, et durent jusqu’au « commencement de juin ; au mois d’août ou de « septembre, commence le mouvement con- « traire, et les vents d'ouest règnent pendant « trois ou quatre mois ; dans l'intervalle de ces « moussons, c’est-à-dire à la fin de juin ,au mois « de juillet etau commencement d'août, il n’y «a sur cette mer aucun vent fait, eton éprouve « de violentes tempêtes qui viennent du septen- trion. « Ces vents sont sujets à de plus grandes va- rialions en approchant des terres ; car les vais- HISTOIRE NATURELLE. seaux ne peuvent partir de la côte de Malabar, non plus que des autres ports de la côte occi- dentale de la presqu’ile de PInde, pouraller en Afrique, en Arabie, en Perse, ete.,que depuis le mois de janvier jusqu'au mois d'avril ou de mai : car, dès la fin de mai et pendant les mois de juin , de juillet et d'août, il se fait de si violentes tempêtes par les vents de nord ou de nord-est, que les vaisseaux ne peuvent tenir à la mer; au contraire, de l’autre côté de cette presqu’ile, c’est-à-dire sur la mer qui baigne la côte de Coromandel , on ne connait point ces tempêtes. « On part de Java , de Ceylan et de plusieurs endroits, au mois de septembre, pour aller aux iles Moluques , parce que le vent d’ocei- dent commence alors à souffler dans ces pa- rages ; cependant , lorsqu'on s’éloigne de l’é- quateur à quinze degrés de latitude australe, on perd ce vent d’ouest, et on retrouve le vent général, qui est dans cet endroit un vent de sud-est. On part de mème de Cochin pour aller à Malaca , au mois de mars , parce que les vents d’ouest commencent à souffler dans ce temps. Ainsi, ces vents d’occident se font sentir en différents temps dans la mer des Indes : on part, comme l’on voit, dans un temps pouraller de Java aux Moluques, dans un autre temps pour aller de Cochin à Ma- laca, dans un autre pour aller de Malaea à la Chine, et encore dans un autre pour aller de la Chine au Japon. « À Banda, les vents d’occident finissent à la fin de mars ; il règne des vents variables et des calmes pendant le mois d'avril; au mois de mai, les vents d’orient recommencent avecune grande violence. À Ceylan, les ventsd’occident commencent vers le milieu du mois de mars et durent jusqu’au commencement d’octobre, que reviennent les vents d’est, ou plutôt d’est- nord-est. À Madagascar, depuis le milieu d’a- vril jusqu’à la fin de mai, on a des vents de nord et de nord-ouest; mais au mois de fé- vrier et de mars, ce sont des vents d’orient et de midi. De Madagascar au cap de Bonne- Espérance, le vent du nord et les vents colla- téraux soufflent pendant les mois de mars et d'avril. Dans le golfe de Bengale, le vent du midi se fait sentir avec violence après le 20 d'avril; auparavant il règne dans cette mer des vents de sud-ouest ou de nord-ouest. Les vents d'ouest sont aussi très-violents dans la , l THÉORIE DE LA TERRE. « mer de la Chine pendant Les mois de juin et de « juillet ; c’est aussi la saison la plus convenable « pour aller de la Chine au Japon : mais, pour « revenir du Japon à la Chine, ce-sont les mois « de février et de mars qu’on préfére, paree que « les vents d’est ou de nord-est règnent alors « dans cette mer. « Il y a des vents qu’on peut regarder comme « particuliers à de certaines côtes : par exemple, « le vent de sud-est presque continuel sur les « côtes du Chili et du Pérou ; il commence au { quarante-sixième degré ou environ de latitude « sud , et il s'étend jusqu'au delà de Panama , « ce qui rend le voyage de Lima à Panama a beaucoup plus aisé à faire et plus court que « le retour. Les vents d’occident soufflent pres- « que continuellement , ou du moins très-fré- « quemment , sur les côtes de la terre Magella- « nique, aux environs du détroit de Lemaire ; « sur Ja côte de Malabar , les vents de nord et « de nord-ouest règnent presque continuelle- « ment; sur la côte de Guinée , le vent de nord- « ouest est aussi fort fréquent , et à une certaine « distance de cette côte , en pleine mer, on re- « trouvele vent denord-est ;les vents d’occident « règnent sur les côtes du Japon aux mois de « novembre et de décembre. » Les ventsalternatifs ou périodiques dont nous | venons de parler sont des vents de mer; mais il y a aussi des vents de terre qui sont périodi- ques, et qui reviennent , ou dans une certaine saison , ou à de certains jours , ou même à de certaines heures : par exemple, sur la côte de Ma- labar, depuis le mois de septembre jusqu’au mois d'avril , il souffle un vent de terre qui vient du côté de lorient ; ce vent commence ordinai- rement à minuit et finit à midi, et il n’est plus sensible, dès qu’on s'éloigne à douze ou quinze lieues de la côte; etdepuis midi jusqu’à minuit il règne un vent de mer qui est fort faible, et qui vieut de l'occident : sur la côte de la Nouvelle- Espagne en Amérique , et sur celle du Congo en Afrique , il règne des vents de terre pendant la nuit et des vents de mer pendant le jour : à la Jamaïque les vents-soufflent de tous côtés à la fois pendant la nuit, et les vaisseaux ne peu- vent alors y arriver sûrement, ni en sortir avant le jour. eo En hiver , le port de Cochin est inabordable, il ne peut en sortir aucun vaisseau, parce que les vents y soufflent avec une telle impétuosité, queles bâtiments nepeuveut pas tenir à la mer, 227 et que, d’ailleurs, le vent d'ouest qui y souffle avec fureur amène à l'embouchure du fleuve de Cochin une si grande quantité de sable, qu’il est impossible aux navires , et même aux bar- ques, d'y entrer pendant six mois de l’année ; mais les vents d'est, qui soufflent pendant les six autres mois, repoussent ces sables dans la mer, et rendent libre l'entrée de la rivière. Au détroit de Babel-Mandel ,il y a des vents de sud- est qui y règnent tous les ans dans la même sai- son, et qui sont toujours suivis des vents de nord-ouest. À Saint-Domingue, il y à deux vents différents qui s'élèvent régulièrement presque chaque jour : l'un, qui est un vent de mer, vient du côté de lorient , et il commence à dix heures dumatin ; l’autre, qui est un vent de terre etqui vient de l'occident, s'élève à six ou sept heures du soir et dure toute la nuit. Il y aurait plu- sieurs faits de cetteespèce à tirer des voyageurs dont la connaissance pourrait peut-être nous conduire à donner une histoire des vents, qui serait un ouvrage très-utile pour la navigation et pour la physique. ADDITIONS À L'ARTICLE QUI À POUR TITRE DES VENTS RÉGLÉS. Sur le vent réfléchi. Je dois rapporter ici une observation qui me paraitavoir échappé à l'attention des physiciens, quoique tout le monde soit en état de la véri- fier ; c’est que le vent réfléchi est plus violent que le vent direct, et d'autant plus qu’on est plus près de l’obstaele qui le renvoie. J’en ai fait nombre de fois l'expérience, en approchant d’une tour qui a près de cent pieds de hauteur et qui se trouve située au nord, à l'extrémité de mon jardin , à Montbard : lorsqu'il souffle un grand vent du midi, on se sent fortement poussé jusqu’à trente pas de la tour ; après quoi, ilya un intervalle de cinq ou six pas où l’on cesse d’être poussé, et où le vent ,qui est réfléchi par la tour, fait, pour ainsi dire, équilibre avec le vent direct; après cela, plus on approche de la tour et plus le vent qui en est réfléchi est vio- lent ; il vous repousse en arrière avec beaucoup plus de force que le vent directne vous poussait en avant. La cause de cet effet, qui estgénéral, 228 et dont on peut faire l'épreuve contre tous les grands bâtiments, contre les collines coupées à plomb, ete., n’est pas difficile à trouver. L'air dans le vent direct n’agit que par sa vitesse et sa masse ordinaire: dans le vent réfléchi, la vi- tesse est un peu diminuée, mais la masse est considérablement augmentée par la compression que l'air souffre contre l'obstacle qui le réflé- chit ; et, comme la quantité de tout mouvement est composée de la vitesse multipliée par la masse, cette quantité est bien plus grandeaprès la compression qu'auparavant. C’est une masse d'air ordinaire, qui vous pousse dans le pre- mier cas, et c’est une masse d’air une ou deux fois plus dense, qui vous repousse dans le se- cond cas. Sur l'état de l'air au-dessus des hautes montagnes, Il est prouvé, par des observations constan- tes etmille fois réitérées, queplus on s'élève au- dessus du niveau de la mer ou des plaines, plus la colonne du mercure des baromètres descend, et que, par conséquent, le poids de la colonne d'air diminue d'autant plus qu'on s’élève plus haut; et, comme l’air est un fluide élastique et compressible , tous les physiciens ont conclu de ces expériences du baromètre, que l’air est beau- coup plus comprimé et plus dense dans les plai- nes, qu’il ne l’est au-dessus des montagnes. Par exemple, sile barometre étant à vingt-sept pou- ces dans la plaine , tombe à dix-huit pouces au haut dela montagne, ce qui fait untiers de dif- férence dans le poids de la colonne d’air; on adit que la compression de cet élément étant tou- jours proportionnelle au poids incombant, l’air du haut de la montagne est en conséquence d’un tiers moins dense que celui de la plaine, puisqu'il est comprimé par un poids moindre d’un tiers. Mais de fortes raisons me font dou- ter de la vérité de cette conséquence, qu'on a regardée comme légitime et même naturelle. Faisons, pour un moment, abstraction de cette compressibilité de l'air que plusieurs cau- ses peuvent augmenter , diminuer, détruire ou compenser ; supposons que l’atmosphère soit également dense partout : si son épaisseur n’était que de trois lieues, il est sûr qu’en s’élevant à une lieue , c’est-à-dire de la plaine au haut de la montagne, le baromètre, étant chargé d’un tiers de moins, descendrait de vingt-sept pouces à dix-huit. Or Pair, quoique compressible, me pa- rait être également dense à toutes les hauteurs, HISTOIRE NATURELLE. \ et voici les faits et les réflexions sur lesquels je fonde cette opinion. 1° Les vents sont aussi puissants , aussi vio- lents au-dessus des plus hautes montagnes que dansles plaines les plus basses; tous les observa- teurs sont d'accord sur ce fait. Or, si l'air y était d’un tiers moins dense, leur action serait d’un tiers plus faible, ettous les vents ne seraient que des zéphyrs à une lieue de hauteur, ce qui est absolument contraire à l'expérience. 2° Les aigles et plusieurs autres oiseaux , non-seulement volent au sommet des plus hau- tes montagnes, mais même ils s’élèvent encore au-dessus à de grandes hauteurs. Or, je de- mandes’ils pourraient exécuter leur vol ni même se soutenir dans un fluide qui serait une fois moins dense, etsi le poidsde leurs corps, malgré tous leurs efforts , ne les ramenèrait pas en bas? 3° Tous les observateurs qui ont grimpé au sommet des plus hautes montagnes convien- nent qu’on y respire aussi facilement que par- tout ailleurs, et que la seule incommodité qu’on y ressente est celle du froid , qui augmente à mesure qu’on s’élève plus haut. Or, si l’air était d'un tiers moins dense au sommet des monta- gaes , la respiration de l’homme et des oiseaux qui s'élèvent encore plus haut serait non-seu- lement gènée, mais arrêtée, comme nous le voyonsdans la machinepneumatique, dès qu’on en a pompé le quart ou le tiers de la masse de l'air contenu dans le récipient. * 4° Comme le froid condense l'air autant que la chaleur le raréfie , et qu’à mesure qu’on s’é- lève sur les hautes montagnes, le froid aug- mente d’une manière très-sensible , n'est-il pas nécessaire que les degrés de la condensation de l'air suivent le rapport des degrés du froid? et cette condensation peut égaler et même surpas- ser celle de l’air des plaines, où la chaleur qui émane de l’intérieur de la terre est bien plus grande qu’au sommet des montagnes, qui sont les pointes les plus avancées et les plus refroi- dies de la masse du globe. Cette condensation de l’air par le froid, dans les hautes régions de l'atmosphère , doit done compenser la diminu- tion de densité produite par la diminution de la charge ou poids incombant , et par conséquent l'air doit être aussi dense sur les sommets froids des montagnes que dans les plaines. Je serais même porté à croire que l’air y est plus dense, puisqu'il semble que les vents y soient plus vio- lents et que les oiseaux qui volent au-dessus de THÉORIE DE LA TERRE. ces sommets de montagnes semblent se soute- nir dans les airs d'autant plus aisément qu'ils s'élèvent plus haut. De là, je pense qu’on peut conclure que l'air libre est à peu près également dense à toutes les hauteurs, et que l'atmosphère aérienne ne s’é- tend pas à beaucoup près aussi haut qu’on l’a déterminée, en ne considérant l'air que comme une masse élastique, comprimée par le poids incombant : ainsi, l’épaisseur totale de notre at- mosphère pourrait bien n’êtreque de trois lieues, au lieu de quinze où vingt, comme l'ont dit les physiciens !. Nous concevons à l’entour de la terre une première couche de l'atmosphère, qui est rem- plie des vapeurs qu’exhale ce globe, tant par sa chaleur propre que par celle du soleil. Dans cette couche, qui s'étend à la hauteur des nua- ges, la chaleur que répandent les exhalaisons du globe produit et soutient une raréfaction qui fait équilibre à la pression de la masse d’air supérieur, de manière que la couche basse de l'atmosphère n’est point aussi dense qu’elle le devrait être à proportion de la pression qu’elle éprouve : mais, à la hauteur où cette raréfac- tion cesse, l’air subit toute la condensation que celle que peut imprimer sur les régions infé- rieures, soutenues par la raréfaction, le poids des couches supérieures ; c’est du moins ce que semble prouver un autre phénomène, qui est la condensation et la suspension des nuages dans la couche élevée où nous les voyons se tenir. Au-dessous de cette moyenne région, dans la- quelle le froid et la condensation commencent, lés vapeurs s'élèvent sans être visibles, si ce n’est dans quelques circonstances où une partie de cette couche froide parait se rabattre jusqu’à la surface de la terre, et où la chaleur émanée de la terre, éteinte pendant quelques moments 1 Albazen. par la durée des crépuscules, a prétendu que la hauteur de l'atmosphère est de 41551 toises. Képler , par cette même durée , lui donne 41410 toises. M. de la Hire , en parlant de la réfraction horizontale de 32 minutes , établit le terme moyen de la hauteur de l’atmo- sphère à 34585 loises. M. Mariotte , par ses expériences sur la compressibilité de Yair, donne à l'atmosphère plus de 50 mille toises. Cependant , en ne prenant pour l'atmosphère que la partie de l'air où s'opère la réfraction, ou du moins presque la to- talité de la réfraction , M. Bouguer ne trouve que 5158 toises, c'est-à-dire deux lieues et demie ou trois lieues ; et je crois ce résultat plus certain et mieux fondé que tous les autres. 224 par des pluies, se ranimant avec plus de force, les vapeurs s’épaississent à l’entour de nous en brumes et en brouillards : sans cela elles ne deviennent visibles que lorsqu'elles arrivent à cette région où le froid les condense en flo- cons, en nuages, et, par là même, arrête leur ascension ; leur gravité, augmentée à proportion qu’elles sont devenues plus denses, les établis- sant dans un équilibre qu’elles ne peuvent plus franchir. On voit que les nuages sont générale- ment plus élevés en été, et constamment encore plus élevés dans les climats chauds; c’est que, dans cette saison et dans ces climats, la couche de l’évaporation de la terre a plus de hauteur : au contraire , dans les plages glaciales des pô- les, où cette évaporation de la chaleur du globe est beaucoup moindre, la couche dense de l'air paraît toucher à la surface de la terre et y rete- nir les nuages qui ne s’élèvent plus, et envelop- pent ces parages d’une brume perpétuelle. Sur quelques vents qui varient régulièrement. Il y a de certains climats et de certaines con- trées particulières où les vents varient, mais constamment et régulièrement ; les uns au bout de six mois, les autres après quelques semai- nes, et enfin d’autres du jour à la nuit ou du soir au matin. J’ai dit, dans ce volume, page 227, qu'à Saint-Dominque il y o& deux vents dif- Jérents, qui s'élèvent régulièrement presque chaque jour ; que l'un est un vent de mer qui vient de lorient, et que l'autre est un vent de terre qui vient de l'occident. M. Fresnaye m'a écrit que je n’avais pas été exactement informé. « Les deux vents réguliers, dit-il, qui soufflent « à Saint-Domingue, sont tous deux des vents « de mer, et soufflent l’un de l’est le matin, et « l'autre de l’ouest le soir, qui n’est que le même « vent renvoyé; comme il est évident que c’est « le soleil qui le cause, il y a un moment de « bourrasque que tout le monde remarque en- « tre une heure et deux l'après-midi. Lorsque le « soleil a décliné, raréfiant l'air de l’ouest, il « chasse dans l’est les nuages que le vent du « matin avait confinés dans la partie opposée. « Ce sont ces nuages renvoyés, qui, depuis avril « et mai jusque vers l'automne , donnent dans « la partie du Port-au-Prince les pluies réglées « qui viennent constamment de l’est. Il n’y a « pas d’habitant qui ne prédise la pluie du soir « entre six et neuf heures, lorsque, suivant leur « expression , /a brise a élé renvoyée. Le vent 250 « d'ouest ne dure pas toute la nuit, il tombe ré- « gulièrement vers le soir; et c’est lorsqu'il a « cessé, que les nuages poussés à lorient ont la « liberté de tomber, dès que leur poids excède « un pareil volume d’air : le vent que l’on sent « la nuit est exactement un vent de terre , qui « n’est ni de l’est ni de l’ouest, mais dépend de « la projection de la côte. Au Port-au-Prince, « ce vent du midi est d’un froid intolérable « dans les mois de janvier et de février : comme « il traverse la ravine de la rivière froide, il y « est modifié !. » Sur les lavanges. Dans les hautes montagnes , il y a des vents accidentels qui sont produits par des causes par- ticulières, etnotamment par les lavanges. Dans les Alpes , aux environs des glaciéres, on dis- tingue plusieurs espèces de lavanges. Les unes sont appelées lavanges venteuses,, parce qu’el- les produisent un grand vent; elles se forment lorsqu'une neige nouvellement tombée vient à être mise en mouvement, soit par l'agitation de l'air, soit en fondant par-dessous, au moyen de la chaleur intérieure de la terre : alors la neige se pelotonne, s’accumule et tombe en coulant en grosses masses vers le vallon ; ce qui cause une grande agitation dans l'air, parce qu’elle coule avec rapidité et en très-grand volume; et les vents que ces masses produisent sont si impé- tueux qu'ils renversent tout ce qui s’oppose à leur passage, jusqu’à rompre de gros sapins. Ce lavanges couvrent d’une neige très-fine tout leterrain auquel elles peuvent atteindre, et cette poudre de neige voltige dans Pair au caprice des vents, c’est-à-dire sans direction fixe; ce qui rend ces neiges dangereuses pour les gens qui se trouvent alors en campagne, parce qu’on ne sait pas trop de quel côté tourner pour les éviter, car , en peu de moments, on se trouve enveloppé et même entièrement enfoui dans la neige. Une autre espèce de lavanges , encore plus dangereuses queles premières, sontcelles que les gens du pays appellent schlaglauwen , c’est-à- dire lavanges frappantes ; elles ne surviennent pas aussi rapidement queles premières, et néan- moins elles renversent tout ce qui se trouve sur leur passage, parce qu’elles entrainent avec elles une grande quantité de terre de pierres , de ! Note commuuiquée à M. de Buffon par M. Fresnaye. HISTOIRE NATURELLE. cailloux, et même des arbres tout entiers ; en sorte qu’en passant et en arrivant dans le val- lon , elles tracent un chemin de destruction en écrasant tout ce qui s'oppose à leur passage. Comme elles marchent moins rapidement que les lavanges qui ne sont que de neige, on les . évite plus aisément : elles s’annoncent de loin, car elles ébranlent, pour ainsi dire, les monta- gnes et les vallons par leur poids et leur mou- vement, qui causent un bruit égal à celui du tonnerre. Au reste, il ne faut qu'une très-petite cause pour produire ces terribles effets; il suffit de quelques flocons de neige tombés d’un arbre ou d’un rocher, ou même du son des cloches, du bruit d’une arme à feu, pour que quelques por- tions de neige se détachent du sommet, se pelo- tonnent et grossissent en descendant jusqu’à devenir une masse aussi grosse qu’une petite montagne. Les habitants des contrées sujettes aux la- vanges ont imaginé des précautions pour se garantir de leurs effets ; ils placent leurs bâti- ments contre quelques petites éminences qui puissent rompre la force de la lavange : ils plan- tent aussi des bois derrière leurs habitations ; on peut voir au mont Saint-Gothard une forèt de forme triangulaire, dont l'angle aigu est tourné vers le mont, et qui semble plantée ex- près pour détourner les lavanges et les éloigner du village d’Urseren et des bâtiments situés au pied de la montagne; et il est défendu, sous de grosses peines, de toucher à cette forêt, qui est, pour ainsi dire, la sauvegarde du village. On voit de même, dans plusieurs autres endroits, des murs de précaution dont l’angle aigu estop- ” posé à la montagne, afin de rompre et détourner les lavanges ; il y a une muraille de cette espèce à Davis, au pays des Grisons, au-dessus de lé- glise du milieu, comme aussi vers les bains de Leuk ou Louache en Valais. On voit dans ce même pays des Grisons et dans quelques autres endroits, dans les gorges de montagnes, des voûtes de distance en distance, placées à côté du chemin et taillées dans le roc, qui servent aux passagers de refuge contre les layanges !. 1 Histoire naturelle helvétique, par Scheuchzer, tome EL, page 155 elsuivantes. . THÉORIE DE LA TERRE. PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE XV. DES VENTS IRRÉGULIERS, DES OURAGANS ; DES TROMBES, ET ‘DE QUELQUES AUTRES PHÉNO- MÈNES CAUSÉS PAR L'AGITATION DE LA MER ET DE L'AIR, Les vents sont plus irréguliers sur terre que sur mer, et plus irréguliers dans les pays élevés que dans les pays de plaines. Les montagnes non-seulement changent la direction des vents, mais même elles en produisent qui sont ou con- stants ou variables, suivant les différentes cau- ses : la fonte des neiges qui sont au-dessus des montagnes produit ordinairement des vents constants , qui durent quelquefois assez long- temps ; les vapeurs qui s’arrêtent contre les montagnes et qui s’y accumulent produisent des vents variables, qui sont très-fréquents dans tous les climats, et il y a autant de va- riations dans ces mouvements de l’air qu’il y a d’inégalités sur la surface de la terre. Nous ne pouvons donc donner sur celaque des exemples, et rapporter les faits qui sont avérés ; et, comme nous manquons d'observations suivies sur la variation des vents, et même sur celle des saisons dans les différents pays, nous ne prétendons pas expliquer toutes les causes de ces différences , et nous nous bornerons à indi- quer celles qui nous paraitront les plus natu- relles et les plus probables. Dans les détroits, sur toutes les côtes avan- cées, à l'extrémité et aux environs de tous les promontoires, des presqu’ileset descaps, etdans tous les golfes étroits, les orages sont fréquents; mais il y a, outre cela, des mers baaucoup plus orageuses que d’autres. L’océan Indien, la mer du Japon , la mer Magellanique, celle de la côte d'Afrique au delà des Canaries, et de l’autre côté, vers la terre de Natal , la mer Rouge, la mer Vermeille, sonttoutes fort sujettes aux tem- pèêtes. L’océan Atlantique est aussi plus ora- geux que le grand Océan, qu’on a appelé, à cause de sa tranquillité, mer Pacifique : cepen- dant cette mer Pacifique n’est absolument tran- quille qu'entre les tropiques, et jusqu’au quart 251 environ des zones tempérées : et plus on appro- che des pôles, plus elle est sujette à des vents variables, dont le changement subit cause sou- vent des tempêtes. Tous les continents terrestres sont sujets à des vents variables , qui produisent souvent des effets siuguliers: dans leroyaume de Cachemire, qui est environné des montagnes du Caucase, on éprouve, à la montagne Pire-Penjale, des changements soudains ; on passe, pour ainsi dire , de l’été à l'hiver en moins d’une heure : il y règne deux vents directement opposés , l’un de nord , et l’autre de midi, que, selon Bernier, on sent successivement en moins de deux cents pas de distance. La position de cette montagne doit être singulière , et mériterait d’être obser- vée. Dans la presqu'ile de l’Inde, qui est traver- sée du nord au sud par les montagnes de Gate, on a l’hiver d’un côté de ces montagnes, et l’été de l’autre côté dans le même temps, en sorte que sur la côte de Coromandel l’air est serein et tranquille, et fort chaud, tandis qu’à celle de Malabar , quoique sous la même latitude, les pluies , les orages , les tempêtes , rendent l'air aussi froid qu’il peut l’être dans ce climat ; et au contraire , lorsqu'on a l’été à Malabar , on a l'hiver à Coromandel. Cette mème différence se trouve des deux côtés du cap de Rasalgate en Arabie : dans la partie de la mer qui est au nord du cap il règne une grande tranquillité, tandis que dans la partie qui est au sud on éprouve de violentes tempêtes. Il en est encore de même dans l’ile de Ceylan : l'hiver et les grands vents se font sentir dans la partie septentrionale de l'ile , tandis que dans les parties méridionales il fait un très-beau temps d'été; et au contraire quand la partie septentrionale jouit de la dou- ceur de l’été, la partie méridionale à son tour est plongée dans un air sombre, orageux et pluvieux. Cela arrive non-seulement dans plu- sieurs endroits du continent des Indes, mais aussi dans plusieurs iles : par exemple, à Cé- ram , qui est une longue ile dans le voisinage d’Amboine, on a l'hiver dans la partie septen- trionale de l'ile, et l’été en même temps dans la partie méridionale, et l’intervalle qui sépare les deux saisons n’est pas de trois ou quatre lieues. En Égypte, il règne souvent pendant l’été des vents du midi, qui sont si chauds qu’ils empêchent la respiration; ils élèvent une si grande quantité de sable , qu’il semble que le 939 ciel est couvert de nuages épais ; ce sable est si fin, et il est chassé avec tant de violence, qu'il pénètre partout, et même dans les coffres les mieux fermés : lorsque ces vents durent plu- sieurs jours , ils causent des maladies épidémi- ques , et souvent elles sont suivies d’une grande mortalité. 11 pleut très-rarement en Egypte : cependant tous les ans il y a quelques jours de pluie pendant les mois de décembre, janvier et février. Il s’y forme aussi des brouillards épais qui y sont plus fréquents que les pluies, surtout aux environs du Caire: ces brouillards com- mencent au mois de novembre, et continuent pendant l'hiver; ils s’élèvent avant le lever du soleil; pendant toute l’année, il tombe une rosée si abondante, lorsque le ciel est serein, qu’on pourrait la prendre pour une petite pluie. Dans la Perse, l'hiver commence en novem- bre et dure jusqu’en mars : le froid y est assez fort pour y former de la glace, et il tombe beau- coup de neige dans les montagnes, et souvent un peu dans les plaines; depuis le mois de mars jusqu’au mois de mai, il s’élève des vents qui soufflent avec force et qui ramènent la chaleur : du mois de mai au mois deseptembre, le ciel est serein, et la chaleur de la saison est modérée pendant la nuit par des vents frais , qui s’élé- vent tous les soirs, et qui durent jusqu’au lende- main matin; et en automne il se fait des vents qui, comme ceux du printemps , soufflent avec force; cependant , quoique ces vents soient as- sez violents, ilestrare qu'ils produisent des ou- ragans et des tempêtes : mais il s'élève souvent pendant l'été, le long du golfe Persique, un vent très-dangereux, que les habitants appellent samyel, et qui est encore plus chaud et plus terrible que celui d'Egypte, dont nous venons de parler ; ce vent est suffocant et mortel; son action est presque semblable à celle d’un tour- billon de vapeur enflammée , et on ne peut en éviter les effets, lorsqu'on s’y trouve malheu- reusement enveloppé. Il s'élève aussi sur la mer Rouge, en été, et sur les terres de l'Arabie, un vent de même espèce, qui suffoque les hommes et les animaux, et qui transporte une si grande quantité de sable, que bien des gens prétendent que cette mer se trouvera comblée avec le temps par l’entassement successifdes sables qui y tom- bent, Il y à souvent de ces nuées de sable en Arabie, qui obscurcissent l'air, et qui forment des tourbillons dangereux. A la Vera-Cruz, lorsque le vent du nord souffle, les maisons de 52 HISTOIRE NATURELLE, la ville sont presque enterrées sous le sable qu'un vent pareil amène : il s'élève aussi des vents chauds en été à Négapatan dans la pres- qu'ile de l'Inde, aussi bien qu’à Pétapouli et à Masulipatan. Ces vents brülants, qui font pé- rir les hommes , ne sont heureusement pas de longue durée; mais ils sont violents; et plus ils ont de vitesse, plus ils sont brülants ; au lieu que tous les autres vents rafraichissent d’au- tant plus qu’ils ont plus de vitesse. Cette diffé- rence ne vient que du degré de chaleur de l’air : tant que la chaleur de l’air est moindre que celle du corps des animaux, le mouvement de l'air est rafraichissant ; mais, si la chaleur de l'air est plus grande que celle du corps, alors le mouvement de l’air ne peut qu’échauffer et brü- ler. À Goa, l'hiver, ou plutôt le temps des pluies et des tempêtes, est au mois de mai, de juin et de juillet ; sans cela, les chaleurs y seraient in- supportables. Le cap de Bonne-Espérance est fameux par ses tempêtes et par le nuage singulier qui les produit : ce nuage ne parait d'abord que comme une petite tache ronde dans le ciel , et les ma- telots l'ont appelé «il de bœuf ; j'imagine que c'est parce qu’il se soutient à une très-grande hauteur, qu'il parait si petit. De tous les voyae geurs qui ont parlé de ce nuage, Kolbe me pa- rait être celui qui l’a examiné avec le plus d’at- tention : voici ce qu’il en dit, tome Ï, pages 224 et suivantes : « Le nuage qu’on voitsur lesmon- « tagnes de la Table, ou du Diable, ou du Vent, « est composé, si je ne me trompe , d’une inf- « nité de petites particules poussées premiè- « rement contre les montagnes du Cap, qui « sont à l’est, par les vents d’est qui règnent « pendant presque toute l’année dan ne | « pendant presque toute l dans la z0 « torride ; ces particules ainsi poussées sont ar- « rêtées dans leur cours par ces hautes monta- « gnes, et se ramassent sur leur côté oriental ; « alors elles deviennent visibles, et y forment « de petits monceaux ou assemblages de nua- « ges, qui, étant incessamment poussés par le « vent d'est, s’élevent au sommet de ces monta- « gnes. Ils n’y restent pas longtemps tranquil- « les et arrêtés; contraints d’avancer, ils s’en- « gouffrent entre les collines qui sont devant « eux, où ils sont serrés et pressés comme dans « une manière de canal : le vent les presse au- « dessous, et les côtés opposés des deux monta- « gnes les retiennent à droite et à gauche. Lors- « qu'en avançant toujours ils parviennent au banane cm ren qu em CS A oh MC LR RAS 0-6 « = « S 2 2 2 DM BR SR "Se ee 22 & 22 as: « THÉORIE DE LA TERRE. 233 pied de quelque montagne, où la campagne est un peu plusouverte, ils s'étendent, se déploïient et deviennent de nouveau invisibles; mais bientôt ils sont chassés sur les montagnes par les nouveaux nuages qui sont poussés der- rièreeux, et parviennent ainsi, avec beaucoup d’impétuosité, sur les montagnes les plus hau- tes du Cap, qui sont celles du Vent et de la Table, où règne alors un vent tout contraire : là , il se fait un conflit affreux , ils sont pous- sés par derrière et repoussés par devant, ce qui produit des tourbillons horribles, soit sur les hautes montagnes dont je parle, soit dans la vallée de la Table, où ces nuages voudraient se précipiter. Lorsque le vent de nord-ouest a cédé le champ de bataille, celui de sud-est augmente et continue de souffler avec plus ou moins de violence pendant son semestre ; il se renforce pendant que le nuage de l'œil de bœuf est épais , parce que les particules qui viennent s’y amasser par derrière s’efforcent d'avancer; il diminue lorsqu'il est moins épais, parce qu'alors moins de particules pressent par derrière ; il baisse entièrement lorsque le nuage ne parait plus, parce qu'il n’y vient plus de l’est de nouvelles particules, ou qu’il n’en arrive-pas assez; le nuage enfin ne se dissipe point, ou plutôt paraît toujours à peu près de même grosseur, parce que de nou- velles matières remplacent par derrière celles qui se dissipent par devant. « Toutes ces circonstances du phénomène conduisent à une hypothèse qui en explique bien toutes les parties. 1° Derrière la monta- gne de la Table on remarque une espèce de sentier ou une trainée de légers brouillards blancs, qui, commençant sur la descente orientale de cette montagne, aboutit à la mer et occupe dans son étendue les montagnes de Pierre. Je me suis très-souvent occupé à contempler cette trainée, qui, suivant moi, était causée par le passage rapide des parti- cules dont je parle, depuis les montagnes de Pierre jusqu’à celle de la Table. « Ces particules, que je suppose, doivent être extrêmement embarrassées dans leur marche par les fréquents chocs et contre-chocs cau- sés, non-seulement par les montagnes, mais encore par les vents de sud et d’est qui rè- gnent aux lieux circonvoisins du Cap; c’est ici ma seconde observation. J'ai déjà parlé des deux montagnes qui sont situées sur les « pointes de la baie Fa/zo où fausse baie : l’une « s'appelle la Lèvre pendante et l'autre Nor- « wége. Lorsque les particules que je conçois « sont poussées sur ces montagnes par les vents « d'est, elles en sont repoussées par les vents « de sud, ce qui les porte sur les montagnes « voisines; elles y sont arrêtées pendant quel- « que temps et y paraissent en nuages, comme « elles le faisaient sur les deux montagnes de « la baie Falso, et même un peu davantage. « Ces nuages sont souvent fort épais sur la Hol- « lande hottentote, sur les montagnes de Stel- « lenbosch, de Drakenstein et de Pierre, mais « surtout sur la montagne de la Table et sur « celle du Diable. « Enfin ce qui confirme mon opinion est que, « constamment deux ou trois jours avant que « les vents du sud-est soufflent, on apercoit sur « la Téte du lion de petits nuages noirs qui la « couvrent ; ces nuages sont, suivant moi, com- « posés des particules dont j'ai parlé : si le vent « du nord-ouest règne encore lorsqu'elles arri- « vent, elles sont arrêtées dans leur course ; « mais elles ne sont jamais chassées fort loin jusqu’à ce que le vent de sud-est commence. » Les premiers navigateurs qui ont approché du cap de Bonne-Espérance ignoraient les ef- fets de ces nuages funestes , qui semblentse for- mer lentement, tranquillement et sans aucun mouvement sensible dans Pair, et qui tout d’un coup lancent la tempête et causent un orage qui précipite les vaisseaux dans le fond de la mer, surtout lorsque les voiles sont déployées. Dans la terre de Natal , il se forme aussi un petit nuage semblable à l'œil de bœuf du cap de Bonne-Espérance, et de ce nuage il sort un vent terrible et qui produit les mêmes effets. Dans la mer qui est entre l'Afrique et l'Amérique, surtout sous l’équateur et dans les parties voi- sines de l’équateur, il s'élève très-souvent de ces espèces de tempêtes. Près de la côte de Guinée il se fait quelquefois trois ou quatre de ces orages en un jour : ils sont causés et annon- cés, comme ceux du cap de Bonne-Espérance, par de petits nuages noirs ; le reste du ciel est ordinairement fort serein, et la mer tranquille, Le premier coup de vent qui sort de ces nuages est furieux , et ferait périr les vaisseaux en pleine mer, si l’on ne prenait pas auparavant la précaution de caler les voiles. C’est principa- lement aux mois d'avril, de mai et de juin, qu’on éprouve ces tempêtes sur la mer de Gui- 254 née , parce qu'il n’y règne aucun vent réglé dans cette saison ; et plus bas, en descendant à Loango, la saison de ces orages sur la mer voi- sine des côtes de Loango, est celle des mois de janvier, février, mars et avril. De l’autre côté de l'Afrique, au cap de Guardafui, il s'élève de ces espèces de tempêtes au mois de mai, et les nuages qui les produisent sont ordinairement au nord, comme ceux du cap de Bonne-Espé- rance. Toutes ces tempêtes sont donc produites par des vents qui sortent d’un nuage, et qui ont une direction, soit du nord au sud, soit du nord- est au sud-ouest, ete. : mais il y a d’autres es- pèces de tempêtes que l’on appelledes ouragans, qui sont encore plus violentes que celles-ci, et dans lesquelles les vents semblent venir de tous les côtés ; ils ont un mouvement de tourbillon et de tournoiement auquel rien ne peut résister. Le calme précède ordinairement ces horribles tempêtes , et la mer parait alors aussi unie qu’une glace; mais dans un instant la fureur des vents élève les vagues jusqu'aux nues. Il y a des endroits dans la mer où l’on ne peut pas aborder, parce qu’alternativement il y a tou- jours ou des calmes ou des ouragans de cette espèce : les Espagnols ont appelé ces endroits calmes tornados. Les plus considérables sont auprès de. la Guinée à deux ou trois degrés la- titude nord : ils ont environ trois cents ou trois cent cinquante lieues de longueur sur autant de largeur, ce qui fait un espace de plus de cent mille lieues carrées. Le calme ou les orages sont presque continuels sur cette côte de Guinée, et il y a des vaisseaux qui y ont été retenus trois mois sans pouvoir en sortir. Lorsque les vents contraires arrivent à la fois dans le même endroit, comme à un centre, ils produisent ces tourbillons et ces tournoiements d'air par la contrariété de leur mouvement, comme les courants contraires produisent dans l’eau des gouffres et des tournoiements : mais lorsque ces vents trouvent en opposition d’au- tres vents qui contre-balancent de loin leur ac- tion, alors ils tournent autour d’un grand es- pace dans lequel il règne un calme perpétuel; et c’est ce qui forme les calmes dont nous par- lons, et desquels il est souvent impossible de sortir. Ces endroits de la mer sont marqués sur les globes de Sénex , aussi bien que les direc- tions des différents vents qui règnent ordinaire- ment dans toutes les mers. A la vérité, je serais HISTOIRE NATURELLE. porté à croire que la contrariété seule des vents ne pourrait pas produire cet effet , si la direc- tion des côtes et la forme particulière du fond de la mer, dans ces endroits, n’y contribuaient pas ; j'imagine donc que les courants causés en effet par les vents, mais dirigés par la forme des côtes et des inégalités du fond de la mer, viennent tous aboutir dans ces endroits, et que leurs directions opposées et contraires forment les tornados en question, dans une plaine envi- ronnée de tous côtés d’une chaine de monta- gnes. L Les gouffres ne paraissent être autre chose que des tournoiements d’eau causés par l’action de deux ou de plusieurs courants opposés. L'Eu- ripe, si fameux par la mort d’Aristote, absorbe et rejette alternativement les eaux sept fois en vingt-quatre heures : ce gouffre est près des côtes de la Grèce. Le Charybde, qui est près du détroit de Sicile , rejette et absorbe les eaux trois fois en vingt-quatre heures. Au reste, on n’est pas tr'op sûr du nombre de ces alternatives de mouvement dans ces gouffres. Le docteur Pla- centia, dans son traité qui a pour titre l’Ægeo redivivo, dit que l’Euripe a des mouvements irréguliers pendant dix-huit ou dix-neuf jours de chaque mois, et des mouvements réguliers pendant onze jours ; qu’ordinairementil ne gros- sit que d’un pied et rarement de deux pieds; il dit aussi que les auteurs ne s'accordent pas sur le flux et le reflux de l’Euripe ; que les unsdisent qu'il se fait deux fois, d’autres sept, d’autres onze, d’autres douze, d’autres quatorze fois en vingt-quatre heures; mais que Loirius l'ayant examiné de suite pendant un jour entier, il la- vait observé à chaque six heures d’une manière évidente et avec un mouvement si violent, qu’à chaque fois il pou vait faire tourner alternative- ment les roues d’un moulin. Le plus grand gouffre que l’on connaisse est celui de la mer de Norwége; on assure qu'il a plus de vingt lieues de circuit; il absorbe pen- dant six heures tout ce qui est dans son Voisi- nage, l’eau, les baleines, les vaisseaux, et rend ensuite pendant autant de temps tout ce qu’il a absorbé. Il n’est pas nécessaire de supposer dans le fond de la mer des trous et des abimes qui en- gloutissent continuellement les eaux, pour ren- dre raison de ces gouffres; on sait que quand l’eau a deux directions contraires, la composi- tion de ces mouvements produit un tournoie- À GE ER N en De 4 te Game LL THÉORIE DE LA TERRE. ment cireulaire, et semble former un vide dans le centre de ce mouvement, comme on peut l'ob- server dans plusieurs endroits auprès des piles qui soutiennent les arches des ponts , surtout dans les rivières rapides : il en est de même des gouffres de la mer ; ils sont produits par le mou- vement de deux ou de plusieurs courants con- traires ; et, comme le flux et le reflux sont la principale cause des courants , en sorte que pen- | dant le flux ils sont dirigés d’un côté, et que | pendant le reflux ils vont en sens contraire, il n’est pas étonnant que les gouffres qui résultent le ces courants attirent et engloutissent pen- dant quelques heures tout ce qui les environne, et qu'ils rejettent ensuite pendant tout autant de temps tout ce qu’ils ont absorbé. Les gouffres ne sont donc que des tournoie- ments d’eau qui sont produits par des courants ppposés , et les ouragans ne sont que des tour- billons ou tournoiements d'air produits par des vents contraires : ces ouragans sont communs dans la mer de la Chine et du Japon : dans celle des îles Antilles et en plusieurs autres endroits de la mer , surtout auprès des terres avancées et des côtes élevées ; mais ils sont encore plus fréquents sur la terre , et les effets en sont quel- quefois prodigieux. « J'ai vu , dit Bellarmin , je « ne le croirais pas si je ne l’eusse pas vu, une « fosse énorme creusée par le vent , et toute la « terre de cette fosse emportée sur un village, « en sorte que l'endroit d’où la terre avait été « enlevée paraissait un trou épouvantable , et « que le village fut entièrement enterré par _« cette terre transportée. » Bellarminus, de ascensu mentis in Deum. On peut voir dans l’histoire de l’Académie des Seiences , et dans les Transactions Philosophiques , le détail des effets de plusieurs ouragans qui paraissent in- concevables , et qu’on aurait de la peine à croire, si les faits n'étaient attestés par un grand nom- bre de témoins oculaires , véridiques et intelli- gents. Il en est de même des trombes que les navi- gateurs ne voient jamais sañs crainte et sans admiration. Ces trombes sont fort fréquentes auprès de certaines côtes de la Méditerranée , surtout lorsque le ciel est fort couvert , et que le vent souffle en même temps de plusieurs côtés; elles sont plus communes près des caps de Lao- dicée , de Grecgo et de Carmel , que dans les au- tres parties de la Méditerranée. La plupart de ces trombes sont autant de cylindres d’eau qui 235 tombent des nues, quoiqu'il semble quelquefois, surtout quand on est à quelque distance, que l'eau de la mer s’élève en haut. Voyez les Voya- ges de Schaw, vol. X1, p. 56. Mais il faut distinguer deux espèces de trom- bes. La première, qui est la tombe dont nous venons de parler, n’est autre chose qu’une nuée épaisse, comprimée, resserrée et réduite en un petit espace par des vents opposés et contraires, lesquels, soufflant en même temps de plusieurs côtés, donnent à la nuée la forme d’un tour- billon cylindrique, et font que l’eau tombe tout à la fois sous cette forme cylindrique ; la quan- tité d’eau est si grande et la chute en est si pré- cipitée, que si malheureusement une de ces trombes tombait sur un vaisseau, elle le brise- rait et le submergerait dans un instant. On pré- tend, et cela pourrait être fondé, qu’en tirant sur la trombe plusieurs coups de canons char- gés à boulets, on la rompt, et que cette com- motion de l’air la fait cesser assez promptement : cela revient à l'effet des cloches qu’on sonne pour écarter les nuages qui portent le tonnerre et la grèle. L'autre espèce de trombe s’appelle typhon:; et plusieurs auteurs ont confondu le typhon avec l'ouragan, surtout en parlant des tempêtes de la mer de la Chine, qui est en effet sujette à tous deux : cependant ils ont des causes bien différentes. Le typhon ne descend pas des nua- ges comme la première espèce de trombe ; il n’est pas uniquement produit par le tournoie- ment des vents, comme l'ouragan : il s’élève de la mer vers le ciel avec une grande violence; et, quoique ces typhons ressemblent aux tourbil- lons qui s'élèvent sur la terre en tournoyant, ils ont une autre origine. On voit souvent, lors- que les vents sont violents et contraires, les ouragans élever des tourbillons de sable, de terre, et souvent ils enlèvent et transportent dans ce tourbillon les maisons, les arbres, les animaux. Les typhons de mer, au contraire, restent dans la même place, et ils n’ont pas d'autre cause que celle des feux souterrains; car la mer est alors dans une grande ébullition, et l'air est si fort rempli d’exhalaisons sulfureuses, que le ciel parait caché d’une croûte couleur de cuivre, quoiqu'il n’y ait aucun nuage et qu'on puisse voir à travers ces vapeurs le soleil et les étoiles : c’est à ces feux souterrains qu'on peut attribuer la tiédeur de la mer de la Chine en hiver, où ces typhons sont très-fréquents. L À 250 HISTOIRE NATURELLE. (Voyez Acta erud. Lips. Supplem. tome X, page 405. Nous allons donner quelques exemples de la mauière dont ils se produisent. Voici ce que dit Thévenot dans son Voyage du Levant : « Nous « vimes des trombes dans le golfe Persique en- « tre les iles Quésomo, Laréca et Ormus. Je « crois que peu de personnes ont considéré les « trombes avec toute l’attention que j'ai faite, « dans la rencontre dont je viens de parler, et « peut-être qu'on n’a jamais fait les remarques « que le hasard m’a donné lieu de faire; je les « exposerai avectoute la simplicité dont je fais « profession dans tout le récit de mon voyage, « afin de rendre les choses plus sensibles et plus « aisées à comprendre. « La première qui parut à nos veux était du « côté du nord ou tramontane, entre nous et « l’ile Quésomo , à la portée d’un fusil du vais- « seau; nous avions alors la proue à grec levant « ou nord-est. Nous aperçümes d’abord en cet « endroit l’eau qui bouillonnait et était élevée « de la surface de la mer d'environ un pied ; « elle était blanchâtre, et au-dessus paraissait « comme une fumée noire un peu épaisse, de « manière que cela ressemblait proprement à « un tas de paille où l’on aurait mis le feu, mais « qui ne ferait encore que fumer : cela faisait « un bruit sourd, semblable à celui d’un torrent « qui court avec beaucoup de violence dans un « profond vallon ; mais ce bruit était mêlé d'un « autre un peu plus clair, semblable à un fort « sifflement de serpents ou d’oies. Un peu après « nous vimes comme un canal obseur qui avait « assez de ressemblance à une fumée qui va « montant aux nues en tournant avec beaucoup « de vitesse , et ce canal paraissait gros comme « le doigt, etle même bruit continuait toujours. « Ensuite la lumière nous en ôta la vue, et nous « connümes que cette trombe était finie, parce « que nous vimes que cette trombe ne s'élevait « plus, et ainsi la durée n’avait pas été de plus « d’un demi-quart d'heure. Celle-là finie, nous « en vimes une autre du côté du midi, qui com- « mença de la même manière qu'avait fait la « précédente; presque aussitôt il s’en fit une « semblable à côté de celle-ci vers le couchant, « et incontinent après une troisième à côté de « cette seconde : la plus éloignée des trois pou- « vait être à portée du mousquet loin de nous ; elles paraissaient toutes trois comme trois tas = de paille hauts d'un pied etdemi ou de deux, « « « qui fumaient beaucoup, et faisaient même bruit que la première. Ensuite, nous vimes tout autant de canaux qui venaient depuis les nues sur ces endroits où l’eau était élevée , et chacun de ces canaux était large par le bout qui tenait à lanue , comme le large bout d’une trompette, et faisait la mème figure (pour l'expliquer intelligiblement) que peut faire la mamelle ou la tette d’un animal tirée perpen- diculairement par quelque poids. Ces canaux paraissaient blanes d’une blancheur blafarde, et je crois que c'était l’eau qui était dans ces canaux transparents qui les faisait paraitre blancs : car apparemment ils étaient déjà for- més avant que de tirer l’eau , selon qu’on peut juger par ce qui suit; et lorsqu'ils étaient vi- des , ils ne paraissaient pas, de même qu’un canal de verre fort clair exposé au jour devant nos yeux à quelque distance ne parait pas s’il n’est rempli de quelque liqueur teinte. Ces canaux n'étaient pas droits, mais courbés en quelques endroits ; même ils n'étaient pas per- pendiculaires : au contraire, depuis les nues où ils paraissaient entés jusqu'aux endroits où ils tiraient l’eau , ils étaient fort inclinés; et ee qui est de plus particulier , c’est que la nue où était attachée la seconde de ces trois, ayant été chassée du vent , ce canal la suivit sans se rompre et sans quitter le lieu où il tirait l’eau , et passant derrière le canal de la première , ils furent quelque temps croisés comme en sautoir , ou en croix de Saint- dré. Au commencement ils étaient tous trois gros comme le doigt, si ce n’est auprès de la nue qu'ils étaient plus gros, comme j'ai déjà remarqué; mais dans la suite, celui de la première de ces trois se grossit considérable- ment : pour ce qui est des deux autres, je n’en ai autre chose à dire ; car la dernière for- mée ne dura guère davantage qu'avait duré celle que nous avions vue du côté du nord. La seconde, du côté du midi , dura environ'un quart d'heure : mais la première de ce même côté dura un peu davantage, et ce fut celle qui nous donna le plus de crainte ; et c’estde celle-là qu'il me reste encore quelque chose à dire. D'abord son canal était gros comme le doigt, ensuiteil se fit gros comme le bras, et après comme la jambe, et enfin comme un gros tronc d'arbre , autant qu'un homme pourrait embrasser. Nous voyions distinete- ment au travers de ce corps transparent l’eau EE ee THÉORIE DE LA TERRE. « qui montait en serpentant un peu, et quel- « quefois il diminuait un peu de grosseur, tan- « tôt par le haut et tantôt par le bas : pour lors « il ressemblait justement a un boyau rempli de « quelque matière fluide que l’on presserait avec « les doigts, ou par haut, pour faire descendre « cette liqueur, où par bas pour la faire monter; « et je me persuadai que c’était la violence du « vent qui faisait ces changements, faisant « monter l’eau fort vite lorsqu'il pressait le ca- « nal par le bas, et la faisant descendre lors- « qu'il le pressait par le haut. Après cela, il diminua tellement de grosseur, qu'il était plus menu que le bras, comme un boyau qu'on « « allonge en le tirant perpendiculairement ; en- « suite il retourna gros comme la cuisse ; après « il redevint fort menu : enfin, je vis que l’eau « élevée sur la superficie de la mer commen- cait à s’abaisser, et le bout du eanal qui lui « touchait s’en sépara et s’étrécit, comme si « on l’eût lié , et alors la lumière qui nous parut « par le moyen d’un nuage qui se détourna , « m'en Ôta la vue. Je ne laissai pas de re- « garder encore quelque temps si je ne le re- « verrais point, parce que j'avais remarqué a que , par trois ou quatre fois, le canal de la « seconde de ce même côté du midi nous avait « paru se rompre par le milieu, et incontinent « après nous le revoyions entier , et ce n’était « que la lumière qui nous en cachaït la moitié : « mais j’eus beau regarder avec toute l’attention « possible , je ne revis plus celui-ci, et il ne se « fit plus de trombe, etc. « Ces trombes sont fort dangereuses sur mer ; « car, sielles viennent sur un vaisseau , elles « se mêlent dans les voiles, en sorte que quel- « quefois elles l’enlèvent, et, le laissant ensuite «“ retomber, elles le coulent à fond ; et cela ar- « rive particulièrement quand c’est un petit « vaisseau ou une barque : tout au moins, si « elles n’enlèvent pas un vaisseau, elles rom- « pent toutes les voiles, ou bien laissent tomber « dedans toute l’eau qu’elles tiennent ; ce qui le « fait souvent couler à fond. Je ne doute point « que ce ne soit par de semblables accidents a que plusieurs des vaisseaux dont on n'a ja- « mais eu de nouvelles ont été perdus, puis- « qu'il n'y à que trop d'exemples de ceux que « l’on a su de certitude avoir péri de cette ma- « nière. » Je soupconne qu'il y a plusieurs illusions d'optique dans les phénomènes que ce voyageur 237 nous raconte ; mais j'ai été bien aise de rappor- ter les faits tels qu’il a cru les voir, afin qu’on puisse ou les vérifier, ou du moins les comparer avec ceux que rapportent les autres voyageurs. Voici la description qu’en donne le Gentil dans son Voyage autour du monde. « A onze heures « du matin, l'air étant chargé de nuages, nous « vimes autour de notre vaisseau, à un quart « de lieue environ de distance, six trombes de « mer qui se formèrent avec un bruit sourd, « semblable à celui que fait l’eau en coulant « dans des canaux souterrains ; ce bruit s’acerut « peu à peu , et ressemblait au sifflement que « font les cordages d’un vaisseau lorsqu'un vent « impétueux s'y mêle. Nous remarquäâmes d’a- « bord l’eau qui bouillonnait, et qui s'élevait « au-dessus de la surface de la mer d'environ « un pied et demi ; il paraissait au-dessus de ce « bouillonnement un brouillard , ou plutôt une « fumée épaisse d’une couleur pâle, et cette fu- « mée formait une espèce de canal qui montait « à la nue. « Les canaux ou manches de ces trombes se « pliaient selon que le vent emportait les nues « auxquelles ils étaient attachés; et, malgré « l’impulsion du vent, non-seulement ils ne se « détachaient pas, mais encore il semblait qu'ils « s’allongeassent pour les suivre, en s’étrécis- « sant et se grossissant à mesure que le nuage « s’élevait ou se baissait. _ « Ces phénomènes nous causèrent beaucoup « de frayeur, et nos matelots , au lieu de s’en- « hardir, fomentaient leur peur par les contes « qu’ils débitaient. Si ces trombes , disaient-ils, « viennent à tomber sur notre vaisseau, elles « l’enlèveront, et, le laissant ensuite retomber, «elles le submergeront. D’autres {et ceux-ci « étaient les officiers) répondaient d’un ton dé- « cisif qu’elles n’enlèveraient pas le vaisseau , « mais que, venant à le rencontrer sur leur « route, cet obstacle romprait la communication « qu’elles avaient avec l’eau de la mer, et qu’é- « tant pleines d’eau , toute l’eau qu’elles renfer- « maient tomberait perpendiculairement sur le « tillac du vaisseau et le briserait. « Pour prévenir ce malheur, on amena les « voiles, et on chargea le canon, les gens de « mer prétendant que le bruit du canon, agitant « l'air, fait crever les trombes et les dissipe : « mais nous n’eümes pas besoin de recourir à « ce remède ; quand elles eurent couru pendant « dix minutes autour du vaisseau, les unes à 258 « un quart de lieue, les autres à une moindre « distance, nous vimes que les canaux s’étré- « cissaient peu à peu, qu’ils se détachèrent de « la superficie de la mer, et qu’enfin ils se dis- « sipérent, » Tome I, page 191. Il paraît, par la description que ces deux voyageurs donnent des trombes , qu’elles sont produites, au moins en partie, par l’action d'un feu ou d’une fumée qui s’élève du fond de la mer avec une grande violence, et qu’elles sont fort différentes de l’autre espèce de trombe qui est produite par l’action des vents contrai- res, et par la compression forcée et la résolution subite d’un ou de plusieurs nuages, comme les décrit M. Shaw, tome IL, page 56. « Les « trombes, dit-il, que j'ai eu occasion de voir m'ont paru autant de cylindres d'eau qui tombaient des nuées, quoique, par la réflexion des colonnes qui descendent, ou par les gouttes qui se détachent de l'eau qu'elles contiennent, et quitombent, il semble quelquefois, surtout quand on en est à quelque distance, que l’eau s'élève de la mer en haut. Pour rendre raison de ce phénomène , on peut supposer que les nuées étant assemblées dans un même en- droit par des vents opposés, ils les obligent, en les pressant avec violence, de se condenser et de descendre en tourbillons. » Il reste beaucoup de faits à acquérir avant qu’on puisse donner une explication complète de ces phénomènes ; il me parait seulement que, s'il y a sous les eaux de la mer des terrains mêlés de soufre, de bitume et de minéraux , comme l'on n'en peut guère douter, on peut concevoir que ces matières, venant à s'enflam- mer, produisent une grande quantité d'air, comme en produit la poudre à canon ; que cette quantité d’airnouvellement généré et prodigieu- sement raréfié, s'échappe et monte avec rapi- dité; ce qui doit élever l'eau et peut produire ces trombes qui s'élèvent dela mer vers le ciel : et de même, si, par l’inflammation des matières sulfureuses que contient un nuage, il se forme un courant d'air qui descende perpendiculaire- ment du nuage vers la mer, toutes les par- ties aqueuses que contient le nuage peuvent suivre le courant d'air, et former une trombe qui tombe dÜciel sur la mer. Maïs il faut avouer que l'explication de cetteespèce de trambe, non plus que celle que nous avons donnée par le tournoiement des vents et la compression des nuages, ne salisfait pas encore à tout; car on 22222 2 = »2 à HISTOIRE NATURELLE. aura raison de nous demander pourquoi l’on ne voit pas plus souvent, sur la terre comme sur la mer, de ces espèces de trombes qui tombent perpendiculairement des nuages. L'Histoire de l’Académie , 1727, fait men- tion d’une trombe de terre qui parut à Capestan, près de Béziers ; c'était une colonne assez noire qui descendait d’une nue jusqu’à terre, et di- minuait toujours de largeur en approchant de la terre, où elle se terminait en pointe; elle obéissait au vent qui soufflait de l’ouest au sud- ouest; elle était accompagnée d’une espèce de fumée fort épaisse et d’un bruit pareil à celui d’une mer fort agitée, arrachant quantité de rejetons d’olivier, déracinant des arbres et jus- qu'à un gros noyer qu’elle transporta jusqu'à quarante ou cinquante pas, et marquant son chemin par une large trace bien battue, où trois carrosses de front auraient passé. Il parut une autre colonne de la même figure, mais qui se joignit bientôt à la première; et, après que le tout eut disparu , il tomba une grande quan- tité de grêle. Cette espèce de trombe paraît être encore dif- férente des deux autres : il n’est pas dit qu’elle contint de l’eau , et il semble, tant par ce que je viens d’en rapporter, que par l'explication qu’en a donnée M. Andoque, lorsqu'il a fait part de l'observation de ce phénomène à l’Académie, que cette trombe n’était qu’un tourbillon devent épaissi et rendu visible par la poussière et les vapeurs condensées qu'il contenait.(Voy.l'Hist. de l’Acad.,1727, pag. 4 et suiv.) Dans lamême histoire, 1741, il est parlé d’une trombe vue- sur le lac de Genève : c'était une colonnedont la partie supérieure aboutissait à un nuage assez noir, et dont la partie inférieure , qui était plus étroite, se terminait un peu au-dessus del’eau. Ce météore ne dura que quelques minutes ;1t, dans le moment qu'il se dissipa, on aperçutune vapeur épaisse qui montait de l’endroit où il avait paru, et là même, les eaux du lae bouillon- naient et semblaient faire effort pour s'élever. L'air était fort calme pendant letemps que pa- rut cette trombe ; et lorsqu'elle se dissipa, il ne s’ensuivit ni vent ni pluie. « Avec tout ce que « nous savons ‘déjà, » dit l'historien de l'Aca- démie , « sur lestrombes marines , ne serait-ce « pas une preuve de plus qu’elles ne se forment « point par le seul conflit des vents , et qu’elles « sont presque toujours produites par quelque « éruption de vapeurs souterraines ou même de CR THÉORIE DE LA TERRE. « volcans, dont on sait d’ailleurs que le fond « de la mer n’est pas exempt? Les tourbillons « d'air et les ouragans , qu’on croit communé- « ment être la cause de ces sortes de phéno- « mènes, pourraient done bien n’en être que « l'effet ou une suite accidentelle, » (Voyez l'Histoire de l Académie, 1741 , page 20.) © ———— ADDITIONS À L'ARTICLE QUI À POUR TITRE DES VENTS. IRRÉGULIERS , DES TROMBES , ETC. Sur la violence des vents du midi dans quelques contrées septentrionales. Les voyageurs russes ont observé qu’à l’en- trée du territoire de Milim, il y a sur le bord de la Lena, à gauche, une grande plaine en- tièrement couverte d'arbres renversés, et que tous ces arbres sont couchés du sud au nord en ligne droite, sur une étendue de plusieurs lieues ; en sorte que tout ce district, autrefois couvert d’une épaisse forêt, est aujourd’hui jonché d’arbres dans cette même direction du sud au nord. Cet effet des vents méridionaux dans le nord a aussi été remarqué ailleurs. Dans le Groënland, principalement en au- tomne, il règne des vents si impétueux, que les maisons s’en ébranlent et se fendent; les tentes et les bateaux en sont emportés dans les airs. Les Groënlandais assurent même que, quand ils veulent sortir pour mettre leurs ca- nots à abri, ils sont obligés de ramper sur le ventre, &e peur d’être le jouet des vents. En été, on voit s'élever de semblables tourbillons, qui bouleversent les flots de la mer, et font pi- rouetter les bateaux. Les plus fières tempêtes viennent du sud, tournent au nord et s’y cal- ment : c’est alors que la glace des baïes est en- levée de son lit et se disperse sur la mer en menceaux. Sur les trombes. M. de la Nux, que j’ai déjà eu occasion de citer plusieurs fois dans mon ouvrage, et qui a demeuré plus de quarante ans dans l’île de Bourbon, s’esttrouvé à portée de voir un grand nombre de trombes, sur lesquelles il a bien voulu me communiquer ses observations, que je erois devoir donner ici par extrait. 239 Les trombes que cet observateur a vues se sont formées, 1° dans desrjours calmes et des intervalles de passage du vent de la partie du nord à celle du sud, quoiqu'il en ait vu une qui s’est formée avant ce passage du vent à l’autre, et dans le courant même d’un vent de nord, c'est-à-dire assez longtemps avant que ce vent eût cessé; le nuage duquel cette trombe dé- pendait , et auquel elle tenait , était encore vio- lemment poussé; le soleil se montrait en même temp$ derrière lui, eu égard à la direction du vent : c'était le 6 janvier, vers les onze heures du matin. 2° Ces trombes se sont formées pendant le jour dans des nuées détachées, fort épaisses en apparence , bien plus étendues que profondes , et bien terminées par-dessous parallèlement à l'horizon , le dessous de ces nuées paraissant toujours fort noir. 3° Toutes ces trombes se sont montrées d’a- bord sous la forme de cônes renversés, dont les bases étaient plus ou moins larges. 4° De ces différentes trombes qui s’annon- çaient par ces cônes renversés , et qui quelque- fois tenaient au même nuage, quelques-unes n’ont pas eu leur entier effet : les unes se sont dissipées à une petite distance du nuage, les autres sont descendues vers la surface de la mer, et en apparence fort près, sous la forme d’un long cône aplati, très-étroit et pointu par le bas. Dans le centre de ce cône, et sur toute sa longueur, régnait un canal blanchâtre, trans- parent, et d’un tiers environ du diamètre du cône, dont les deux côtés étaient fort noirs, surtout dans le commencement de leur appa- rence. Elles ont été observées d’un point de l'ile de Bourbon, élevé de cent cinquante toises au- dessus du niveau de la mer, et elles étaient, pour la plupart, à trois, quatre ou cinq lieues de distance de l'endroit de l’observation, qui était la maison même de observateur. Voïci la description détaillée de ces trombes. Quand le bout de la manche , qui pour lors est fort pointu , est descendu environ au quart de la distance du nuage à la mer, on com- mence à voir sur l’eau , qui d'ordinaire est calme et d’un blanc transparent, une petite noirceur circulaire , effet du frémissement (ou tournoie- ment) de l’eau : à mesure que la pointe de cette manche descend , l’eau bouillonne , et d'autant plus que cette pointe approche de plus près la 240 surface de la mer, et l’eau de la mer s'élève successivement en tourbillon , à plus ou moins de hauteur, et d'environ vingt pieds dans les plus grosses trombes, Le bout de la manche est toujours au-dessus du tourbillon , dont la gros- seur est proportionnée à celle de la trombe qui le fait mouvoir. Il ne paraît pas que le bout de la manche atteigne jusqu’à la surface de la mer, autrement qu’en se joignant au tourbillon qui s'élève. © On voit quelquefois sortir du même nuage de gros et de petits cônes de trombes ; il y en a qui ne paraissent que comme des filets, d’autres un peu plus forts. Du même nuage on voit sortir assez souvent dix ou douze petites trombes tou- tes complètes, dont la plupart se dissipent très- près de leur sortie, et remontent visiblement à leur nuage : dans ce dernier cas, la manche s’élargit tout à coup jusqu’à l'extrémité infé- rieure, et ne parait plus qu’un cylindre sus- pendu au nuage , déchiré par en bas, et de peu de longueur. Les trombes à large base, c’est-à-dire les grosses trombes , s’élargissent insensiblement dans toute leur longueur, et par le bas, qui pa- rait s’éloigner de la mer et se rapprocher de la nue. Le tourbillon qu’elles excitent sur l’eau di- minue peu à peu, et bientôt la manche de cette trombe s’élargit dans sa partie inférieure, et prend une forme presque cylindrique : c’est dans cet état que des deux côtés élargis du ca- nal, on voit comme de l’eau entrer en tour- noyant vivement et abondamment dans le nuage; et c'est enfin par le raccourcissement successif de cette espèce de cylindre, que finit l'apparence de la trombe. Les plus grosses trombes se dissipent le moins vite ; quelques-unes des plus grosses durent plus d’une demi-heure. On voit assez ordinairement tomber de fortes ondées, qui sortent du même endroit du nuage d’où sont sorties et auxquelles tiennent encore quelquefois les trombes : ces ondées cachent souvent aux yeux celles qui ne sont pas encore dissipées. J’en ai vu , dit M. de la Nux, deux, le 26 octobre 1755 , très-distinctement, au mi- lieu d’une ondée qui devint si forte, qu’elle m’en déroba la vue. Le vent, ou l'agitation de l’air inférieur sous la nuée, ne rompt ni les grosses ni les petites trombes, seulement cette impulsion les dé- tourne de la perpendiculaire : les plus petites HISTOIRE NATURELLE. forment des courbes très-remarquables , et quelquefois des sinuosités; en sorte que leur extrémité, qui aboutissait à l’eau de la mer, était fort éloignée de l’aplomb de l’autre extré- mité qui était dans le nuage. On ne voit plus de nouvelles trombes se for- mer lorsqu'il est tombé de la pluie des nuages d’où elles partent. « Le 14 juin de l’année 1756, sur le quatre « heures après-midi , j'étais, dit M. de la Nux, au bord de la mer, élevé de vingt à vingt- cinq pieds au-dessus de son niveau. Je vis sortir d’un même nuage douze à quatorze trombes complètes, dont trois seulement considérables, et surtout la dernière. Le canal du milieu de la manche était si transparent , qu'à travers je voyais les nuages que derrière elle, à mon égard, le soleil éclairait. Le nuage, magasin de tant de trombes , s'éten- dait à peu près du sud-est au nord-ouest , et cette grosse trombe , dont il s’agit unique- ment ici, me restait vers le sud-sud-ouest : le soleil était déjà fort bas, puisque nous étions dans les jours les plus courts. Jene vis point d’ondées tomber du nuage : son éléva- tion pouvait être de cinq ou six cents toises au plus. v + Plus le ciel est chargé de nuages, et plus il est aisé d'observer les trombes et toutes les ap- parences qui les accompagnent. M. de la Nux pense, peut-être avec raison, que ces trombes ne sont que des portions vis- queuses du nuage , qui sont entraînées par dif- férents tourbillons , c’est-à-dire par des tour- noiements de l’air supérieur, engouffré dans les masses des nuées dont le nuage total est com- posé. 44 ; Ce qui parait prouver que ces tr nt composées de parties visqueuses , “ie Fe té- nacité, et, pour ainsi dire, leur cohérence ; car elles font des inflexions et des coubures, même en sens contraire, sans se rompre : si cette ma- tière des trombes n’était pas visqueuse , pour- rait-on concevoir comment elles se courbent et obéissent aux vents sans se rompre? Si tou- tes les parties n'étaient pas fortement adhéren- tes entre elles, le vent les dissiperait, ou , tout au moins ; les ferait changer de forme ; mais , comme cette forme est constante dans les trombes grandes et petites, c’est un indice presque certain de la ténacité visqueuse de la matière qui les compose. 2 & ee, ee sLa € £ pes. THÉORIE DE LA TERRE. Ainsi, le fond de la matière des trombes est une substance visqueuse contenue dans les nua- ges, et chaque trombe est formée par un tour- billon d'air qui s’engouffre entre les nuages, et, boursoufflant le nuage inférieur, le perce et des- cend avec son enveloppe de matière visqueuse ; et, comme les trombes qui sont complètes des- cendent depuis le nuage jusque sur la surface de la mer, l’eau frémira, bouillonnera, tourbil- lonnera à l'endroit vers lequel le bout de la trombe sera dirigé, par l’effet de Pair qui sort de l'extrémité de la trombe comme du tuyau d’un souîMet : les effets de ce soufflet sur la mer augmenteront à mesure qu'il s’en appro- chera, et que l’orifice de cette espèce de tuyau, s’il vient à s’élargir, laissera sortir plus d’air. On a cru mal à propos que les trombes enle- vaient l’eau de la mer, et qu'elles en renfer- maient une grande quantité : ce qui a fortifié ce préjugé, ce sont les pluies, ou plutôt les averses, qui tombent souvent aux environs des trombes. Le canal du milieu de toutes les trom- bes est toujours transparent, de quelque côté qu'on les regarde : si l’eau de la mer paraît monter, ce n’est pas dans ce canal, mais seu- lement dans ses côtés ; presque toutes les trom- bes souffrent des inflexions, et ces inflexions se font souvent en sens contraire, en forme d’S, dont la tête est au nuage et la queue à la mer. Les espèces de trombes dont nous venons de parler ne peuvent donc contenir de l’eau, ni pour la verser à la mer, ni pour la monter au nuage : ainsi ces trombes ne sont à craindre que par l’impétuosité de l'air qui sort de leur ori- fice inférieur ; car il paraïitra certain à tous ceux qui auront occasion d'observer ces trom- bes, qu’elles ne sont composées que d’un air | engouflré dans un nuage visqueux , et déter- | miné par son tournoiement vers la surface de la mer. M. de la Nux a vu des trombes autour de l'ile de Bourbon, dans les mois de janvier, mai, juin, octobre, c’est-à-dire en toutes saisons ; il en a vu dans des temps calmes et pendant de grands vents : mais néanmoins on peut dire que ces phénomènes ne se montrent que rarement, et ne se montrent guère que sur la mer, parce que la viscosité des nuages ne peut provenir que des parties bitumineuses et grasses que la cha- leur du soleil et les vents enlèvent à la surface des eaux de la mer, et qui se trouvent rassem- blées dans des nuages assez voisins de sà sur- [ 241 face; c'est par cette raison qu’on ne voit pas de pareilles trombes sur la terre , où il n’y a pas, comme sur la surface de la mer, une abondante quantité de parties bitumineuses et huileuses que l’action de la chaleur pourrait en détacher. On en voit cependant quelquefois sur la terre , et même à de grandes distances de la mer ; ce qui peut arriver lorsque les nuages visqueux sont poussés rapidement par un vent violent de la mer vers les terres. M. de Grignon a vu, au mois de juin 1768, en Lorraine , près de Vau- villiers , dans les coteaux qui sont une suite de l’empiétement des Vosges, une trombetrès-bien formée ; elle avait environ cinquante toises de hauteur ; sa forme était celle d’une colonne, et elle communiquait à un gros nuage fort épais, et poussé par un ou plusieurs vents violents , qui faisaient tourner rapidement la trombe , et pro- duisaient des éclairs et des coups de tonnerre, Cette trombe ne dura que sept ou huit minutes, et vint se briser sur la base du coteau , qui est élevée de cinq ou six cents pieds !, Plusieurs voyageurs ont parlé des trombes demer, mais personne ne les a si bien observées que M. de la Nux. Par exemple, ces voyageurs disent qu’il s'élève au-dessus de la mer une fu- mée noire , lorsqu'il se forme quelques trombes ; nous pouvons assurer que cette apparence est trompeuse, et ne dépend que de la situation de l’observateur : s’il est placé dans un lieu assez élevé pour que le tourbillon qu’une trombe ex- cite sur l’eau ne surpasse pas à ses yeux l’ho- rizon sensible , il ne verra que de l’eau s'élever et-retomber en pluie, sans aucun mélange de fumée ; et on le reconnaitra avec la dernière évidence, si le soleil éclaire le lieu du phéno- mène. Les trombes dont nous venons de parler n’ont rien de commun avec les bouillonnements et les fumées que les feux sous-marins excitent quelquefois , et dont nous avons fait mention ailleurs ; ces trombes nerenferment ni n’excitent aucune fumée. Elles sont assez rares partout : seulement , les lieux de la mer où l’on en voit le plus souvent, sontles plages des climats chauds, et en même temps celles où les calmes sont or- dinaires et où les vents sont le plus inconstants ; elles sont peut-être aussi plus fréquentes près lesiles et vers les côtes que dans la pleine mer, ! Note communiquée par M. de Grignon à M, de Buffon, le G août 1777. 16 PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE XVI. DES VOLCANS ET DES TREMBLEMENTS DE TERRE. Les montagnes ardentes qu’on appelle vol- cans , renferment dans leur sein le soufre, le bi- tume et les matières qui servent d’aliment à un feu souterrain , dont l’effet , plus violent que ce- Jui de la poudre ou du tonnerre, a detout temps étonné , effrayé les hommes, et désolé la terre. Un volcan est un canon d’un volume immense, dontl’ouverturea souvent plus d’unedemi-lieue: cette large bouche à feu vomit des torrents de fumée et de flammes , des fleuves de bitume, de soufre et de métal fondu , des nuées de cendres et de pierres, et quelquefois ellelance à plusieurs lieues de distance des masses de rochers énor- mes , et que toutes les forces humaines réunies ne pourraient pas mettre en mouvement. L’em- | brasement est siterrible, etla quantité des ma- tières ardentes, fondues , calcinées , vitrifiées, que la montagne rejette, estsi abondante, qu’el- les enterrent les villes , les forêts, couvrent les campagnes de cent et de deux cents pieds d’é- paisseur , et forment quelquefois des collines et des montagnes , qui ne sont que des monceaux de ces matières entassées. L'action de ce feu est si grande, la force de l’explosion estsi violente, qu’elle produit par sa réaction des secousses assez fortes pour ébranler et faire trembler la terre , agiter la mer, renverser les montagnes, détruire les villes et les édifices les plus solides, à des distances même très-considérables. Ces effets, quoique naturels, ont été regardés HISTOIRE NATURELLE. tions sont les effets de la fureur et du désespoir de ces malheureux. Tout cela n’est cependant que du bruit, du feu et de la fumée : il se trouve dans une mon- tagne des veines de soufre, de bitume et d’au- tres matières inflammables ; il s’y trouve en même temps des minéraux, des pyrites, qui peuvent fermenter et qui fermentent en effet toutes les fois qu’elles sont exposées à l’air ou à l'humidité, il s’en trouve ensemble une très- grande quantité; le feu s’y met et cause une explosion proportionnée à la quantité des ma- tières enflammées, et dont les effets sont aussi plus ou moins grands dans la même proportion : voilà ce que c’est qu’un volcan pour un physi- cien, et il lui est facile d’imiter l’action de ces feux souterrains, en mêlant ensemble une cer- tainequantitéde soufre et de limaillede ferqu’on enterre à une certaine profondeur, et de faire ainsi un petit volcan dont les effets sont les mêmes, proportion gardée, que ceux desgrands ; car il s’enflamme par la seule fermentation , il jette la terre et les pierres dont il est couvert, et il fait de la fumée, de la flamme et des ex- plosions. Il y aen Europe trois fameux voleans, lemont Etna en Sicile, le mont Hécla en Islande , et le mont Vésuve en Italie, près de Naples. Lemont Etna brûle depuis un temps immémorial; ses éruptions sont très-violentes, et les matières qu'il rejette si abondantes, qu’on peut y creuser jusqu'a soixante-huit pieds de profondeur, où l’on a trouvé des pavés de marbre et des ves- tiges d’une ancienne ville qui a été couverte et enterrée sous cette épaisseur de terre rejetée, de la même facon que la ville d’Héraclée a été couverte par les matières rejetées du Vésuve. II s’est formé de nouvelles bouches de feu dans | V’Etna, en 1650, 1669 et en d’autres temps. On | voit les flammes et les fumées de ce volcan de- comme des prodiges; et, quoiqu’on voie en petit | des effets du feu assez semblables à ceux des volcans, le grand , de quelque nature qu’il soit, a si fort le droit de nous étonner, que je ne suis pas surpris que quelques auteurs aient pris ces montagnes pour les soupiraux d’un feu central, et le peuple pour les bouches de l’enfer. L’éton- nement produit la crainte, et la crainte fait naitre lasuperstition : les habitants de l'ile d’Is- lande croient que les mugissements de leur vol- puis Malte, qui en est à soixante lieues : il s’en élève continuellement de la fumée, et il y ades temps où cette montagne ardente vomit avec impétuosité des flammes et des matières de toute espèce. En 1537, il y eut une éruption de ce volcan qui causa un tremblement de terre dans toute la Sicile pendant douze jours, et qui ren- versa un très-grand nombre de maisons et d’é- difices ; il ne cessa que par l’ouverture d’une nou- velle bouche à feu qui brüla tout à cinq lieues aux environs de la montagne; les cendres reje- can sont les cris des damnés , et que leurs érup- | tées par le volcan étaient si abondantes et lan- 2 pe - RES + he Po ee mm THÉORIE DE LA TERRE. cées avec tant de force , qu’elles furent portées jusqu'en Italie; et des vaisseaux , qui étaient “loignés de la Sicile, en furent incommodés. Fazelli décrit fort au long les embrasements de cette montagne, dont il dit que le pied a cent lieues de circuit. Ce volcan à maintenant deux bouches princi- pales : l’une est plus étroite que l’autre. Ces deux ouvertures fument toujours , mais on n’y voit jamais de feu que dans le temps des érup- tions : on prétend qu’on a trouvé des pierres qu'il a lancées jusqu’à soixante mille pas. En 1683, il arriva un terrible tremblement en Sicile, causé par une violente éruption de ce vol- can ; il détruisit entièrement la ville de Catane, et fit périr plus de soixante mille personnes dans cette ville seule, sans compter ceux qui périrent dans les autres villes et villages voisins. L’Héela lance ses feux à travers les glaces et les neiges d’une terre gelée ; ses éruptions sont cependant aussi violentes que celles de l’Etna et des autres volcans des pays méridionaux. Il jette beaucoup de cendres, des pierres ponces, et quelquefois, dit-on, de l’eau bouillante; on ne peut pas habiter à six lieues de distance de ce volcan, et toute l’ile d'Islande est fort abon- dante en soufre. On peut voir l'histoire des vio- lentes éruptions de l’Hécla dans Dithmar Bleff- ken. Le mont Vésuve, à ce que disent les histo- riens, n’a pas toujours brülé, et il n’a commencé que du temps du septième consulat de Tite Ves- pasien et de Flavius Domitien : le sommet s’é- tant ouvert, ce volcan rejeta d’abord des pierres et des rochers, et ensuite du feu et des flammes en si grande abondance , qu’elles brülèrent deux villes voisines, et des fumées si épaisses, qu’elles obseurcissaient la lumière du soleil. Pline, vou- lant considérer cet incendie de trop près, fut étouffé par la fumée. Voyez /’Épitre de Pline le jeune à Tacite. Dion Cassius rapporte que cette éruption du Vésuve fut si violente, qu’il jeta des cendres et des fumées sulfureuses en si grande quantité et avec tant de force, qu’elles furent portées jusqu’à Rome, et même au delà de la mer Méditerranée en Afrique et en Égypte. L'une des deux villes qui furent couvertes des matières rejetées par ce premier incendie du Vésuve est celle d'Héraclée, qu’on a retrouvée dans ces derniers temps à plus desoixante pieds de profondeur sous ces matières, dont la sur- face était devenue , par la succession du temps, 243 un terre labourable et cultivée. La relation de la découverte d'Héraclée est entre les mains de tout le monde : il serait seulement à désirer que quelqu'un, versé dans l’histoire naturelle et la physique, prit la peine d'examiner les différen- tes matières qui composent cette épaisseur de terrain de soixante pieds; qu'il fit en même temps attention à la disposition et à la situation de ces mêmes matières, aux altérations qu’elles ont produites ou souffertes elles-mêmes, à la direction qu’elles ont suivie, à la dureté qu’elles ont acquise, etc. Il y a apparence que Naples est situé sur un terrain creux et rempli de minéraux brülants , puisque le Vésuve et la Solfatare semblent avoir des communications intérieures ; car, quand le Vésuve brüle, la Solfatare jette des flammes ; et lorsqu'il cesse, la Solfatare cesse aussi. La ville de Naples est à peu près à égale distance entre les deux. Une des dernières et des plus violentes érup- tions du Vésuve a été celle de l’année 1737; la montagne vomissait par plusieurs bouches de gros torrents de matières métalliques fondues et ardentes, qui se répandaient dans la campagne et s’allaient jeter dans la mer. M. de Montea- lègre, qui communiqua cette relation à l’Aca- démie des sciences, observa a vec horreur un de ces fleuves de feu, et vit que son cours était de six ou sept milles depuis sa source jusqu’à la mer, sa largeur de cinquante ou soixante pas, sa profondeur de vingt-cinq ou trente palmes , et, dans certains fonds ou vallées, de cent vingt ; la matière qu’il roulait était semblable à l’écume qui sort du fourneau d’une forge , etc. Voyez l'Histoire de l'Académie , année 1737, pages 7 et 8. En Asie, surtout dans les îles de l’océan In- dien, il y a un grand nombre des volcans; l’un des plus fameux est le mont Albours auprès du mont Taurus, à huit lieues de Hérat : son som- met fume continuellement, et il jette fréquem- ment des flammes et d’autres matières en si grande abondance , que toute la campagne aux environs est couverte de cendres. Dans l’ile de Ternate, il y a un volcan qui rejette beaucoup de matière semblable à la pierre ponce. Quel- que voyageurs prétendent que ce volcan est plus enflammé et plus furieux dans le temps des équinoxes que dans les autres saisons de l'année, parce qu’il règue alors de certains vents qui contribuent à embraser la matière qui nour- 244 rit ce feu depuis tant d'années. Voyez les Voya- ges d'Argensola , tome, page 21. L'ile de Ter- aate n’a que sept lieues de tour, et n’est qu’un sommet de montagne ; on monte toujours depuis le rivage jusqu’au milieu de l'ile, où le volcan s'élève à une hauteur tres-considérable, et à la- quelle il est très-difficile de parvenir. II coule plusieurs ruisseaux d’eau douce qui descendent sur Ja croupe de cette même montagne; et, lors- que l’air est calme et que la saison est douce, ce gouffre embrasé estdans une moindre agitation que quand il fait de grands vents et des orages- Voyez le Voyage de Schouten. Ceci confime ce que j'ai dit danslediscours précédent , et sem- bie prouver évidemment que le feu qui consume les volcans ne vient pas de la profondeur de la montagne, mais du sommet, ou du moins d’une profondeur assez petite, et que le foyer de l’em- brasement n’est pas éloigné du sommet du vol- can; car, si cela n’était pas ainsi, les grands vents ne pourraient pas contribuer à leur em- brasement. II y a quelques autres volcans dans les Moluques. Dans l’une des iles Maurices , à soixante-dix lieues des Moluques, il y a un vol- can dont les effets sont aussi violents que ceux de la montagne de Ternate. L'ile de Sorca, l’une des Moluques, était autrefois habitée ; il y avait au milieu de cette île un volcan , qui était une montagne très-élevée. En 1693, ce volcan vo- mit du bitume et des matières enflammées en si grande quantité, qu’il se forma un lac ardent qui s’étendit peu à pen, et toute l’île fut abimée et disparut. Voyez Trans. Phil. Ab. vol. IT, page 391. Au Japon, il y a aussi plusieurs vol- cans ; et dans lesiles voisines du Japon, les na- \igateurs ont remarqué plusieurs montagnes dontles sommets jettent des flammes pendant la nuit et de la fumée pendant le jour. Aux îles Philippines, il y a aussi plusieurs montagnes ardentes. Un des plus fameux volcans des iles de l'océan Indien, eten même temps un des plus nouveaux , est celui qui est près de la ville de Panaruean, dans l'ile de Java : il s’est ouvert en 1586;.on n'avait pas mémoire qu'il eût brûlé suparavant ; et à la première éruption, il poussa une énorme quantité de soufre , de bitume et de pierres. La même année, le mont Gounapi, dans l'ile de Banda, qui brülait seulement depuis dix- sept ans, s’ouvrit et vomit, avec un bruit af- freux , des rochers et des matières de toute es- pêce. Il y a encore quelques autres volcans dans les Indes, comme à Sumatra et dans le nord de HISTOIRE NATURELLE. l'Asie, au delà du fleuve Jéniscéa et de la ri- vière de Pésida : mais ces deux derniers vols ne sont pas bien reconnus. En Afrique, il y a une montagne, ou plutôt une caverne appelée Beni Guazeval , auprès de Fez, qui jette toujours de la fumée, et quelque- fois des flammes. L'une des îles du cap Vert, appelée l’ilede Fuogue, n’est qu'unegrosse mon- tagne qui brûle continuellement : ce volcan re- jette, comme les autres, beaucoup de cendres et de pierres ; et les Portugais, qui ont plusieurs fois tenté de faire des habitations dans cette ile, ont été contraints d'abandonner leur projet, par la crainte des effets du volcan. Aux Canaries, le pic de Ténériffe, autrement appelé la monta- gne de Teide, qui passe pour être l’une des plus hautes montagnes de la terre, jette du feu, des cendres et de grosses pierres : du sommet cou- lent des ruisseaux de soufre fondu , du côté du sud , à travers les neiges ; ce soufre se coagule bientôt, et forme des veines dans la neige, qu'on peut distinguer de fort loin. En Amérique, il y a un très-grand nombre de volcans , et surtout dans les montagnes du Pérou et du Mexique : celui d’Aréquipa est un des plus fameux , il cause souvent des tremble- ments de terre plus communs dans le Pérou que dans aucun autre pays du monde. Le volcan de Carrapa et celui de Malahallo sont, au rapport des voyageurs, les plus considérables après ce- lui d’Aréquipa ; mais il y en a beaucoup d’au- tres dont on n’a pas une connaissance exacte. M. Bouguer, dans la relation qu’il a donnée de son voyage au Pérou, dans le volume des Mé- moires de l’Académie de l’année 1744, fait men- tion de deux volcans, l’un appelé Cotopaxi , et l'autre Pichincha ; le premier est à quelque dis- tance, et l’autre très-voisin de la ville de Quito : il a même été témoin d’un incendie da Coto- paxi, en 1742, et de l'ouverture qui se fit dans cette montagne d’une nouvelle bouche à feu; cette éruption ne fit cependant d’autre mal que celui de fondre les neiges de la montagne, et de produire ainsi des torrents d’eau si abondants, qu’en moins de trois heures ils inondèrent un pays de dix-huit lieues d’étendue, et renversè- rent tout ce qui se trouva sur leur passage. Au Mexique, il y a plusieurs Voleans dont les plus considé rables sont Popochampèche et Po- pocatepec : ce fut auprès de ce dernier volcan que Cortès passa pour aller au Mexique; et il y eut des Espagnols qui montèrent jusqu'au à THÉORIE DE LA TERRE. sommet, où ils virent la bouche du volcan, qui a environ une demi-lieue de tour. On trouve aussi de ces montagnes de soufre à la Guade- loupe, à Tercère et dans les autres îles des Acores ; et si on voulait mettre au nombre des volcans toutes les montagnes qui fument, ou desquelles il s'élève même des flammes, on pourrait en compter plus de soixante : mais nous n'avons parlé que de ces volcans redouta- bles, auprès desquels on n’ose habiter, et qui rejettent des pierres et des matières minérales à une grande distance. Ces volcans , qui sont en si grand nombre dans les Cordilières, causent , comme je l'ai dit, des tremblements de terre presque continuels, ce qui empêche qu’on n’y bâtisse avec de la pierre au-dessus du premier étage ; et, pour ne pas risquer d’être écrasés, les habitants de ces parties du Pérou ne construisent les étages su- périeurs de leurs maisons qu'avec des roseaux | et du bois léger. Il y a aussi dans ces monta- tagnes plusieurs précipices et de larges ouvertu- res dont les paroïs sont noires et brülées, comme dans le précipice du mont Ararat en Arménie, qu'on appelle l’Abème ; ces abimes sont les bou- ! ches des anciens volcans qui se sont éteints. 11 y a eu dernièrement un tremblement de terre à Lima , dont les effets ont été terribles; la ville de Lima et le port de Callao ont été pres- été plus considérable au Callao. La mer a cou- vert de ses eaux tous les édifices , et, par con- séquent, noyé tous les habitants ; il n’est resté qu’une tour. De vingt-cinq vaisseaux qu'il y avait dans ce port , il y en a eu quatre qui ont été portés à une lieue dans les terres, et le reste « été englouti par la mer. À Lima , qui est une | très-grande ville, il n’est resté que vingt-sept maisons sur pied; il y a eu un grand nombre |! de personnes qui ont été écrasées, surtout des | moines et des religieuses, parce que leurs édi- fices sont plus exhaussés, et qu’ils sont con- struits de matières plus solides que les autres maisons. Ce malheur est arrivé dans le mois | d'octobre 1746 pendant la nuit : la secousse a duré quinze minutes. Il y avait autrefois près du port de Pisco, au Pérou , une ville célèbre située sur lerivagede la mer : mais elle fut presque entièrement ruinée | et désolée par letremblement de terre qui arriva le 19 octobre 1682; car la mer, ayant quitté ses bornes ordinaires, engloutit cette ville mal- | 24 heureuse, qu'on a tâché de rétablir un peu plus loin à un bon quart de lieue de la me». Si l'onconsulte les historiens et les voyageurs, on y trouvera des relations de plusieurs trem- blements de terreet d'éruptions de volcans, dont les effets ont été aussi terribles que ceux que nous venons de rapporter. Posidonius, cité par Strabon dans son premier livre, rapporte qu'il y avait une ville en Phénicie, située auprès de Si- don, qui fut engloutie par un tremblement de terre, et avec elle le territoire voisin et les deux tiers même de la ville de Sidon, et que cet ef- fet ne se fit pas subitement, de sorte qu'il donna le temps à la plupart des habitants de fuir ; que ce tremblement s'étendit presque par toute la Syrie et jusqu'aux iles Cyclades, et en Eubée, où les fontaines d'Aréthuse tarirent tout à coup et ne reparurent que plusieurs jours après par denouvelles sources éloignées desanciennes: et ce tremblement ne cessa pas d'agiter l'ile, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, jusqu'à ce que la terre se fût ouverte dans la campagne de Lépante, et qu'elle eût rejeté une grande quantité de terres et de matières enflom- mées. Pline, dans son premier livre, chap. 84, | rapporte que, sous le règne de Tibère, il ar- riva un tremblement de terre quirenversa douze villes d'Asie ; et dans son second livre, chap. 83, | il fait mention dans les termes suivants d'un que entièrement abimés, mais le mal a encore | prodige causé par un tremblement de terre : Fac- lun est semel (quod equidem in Etrusceæ dis- ciplinæ voluminibus inveni) ingens terrarum portentum Lucio Marcio, Sex. Julio Coss.in agro Mutinensi. Namque montes duo inter se concurrerunt crepitu maximo adsullantes, re- cedentesque, inter eos flammä fumoque in c«æ- lum exeunte interdid, spectante à vià Æmilia magna equilum romanorum , familiarumque et vialorum multitudine. Eo concursu ville omnes elisæ; animalia permulta, que intrè Juerant, exanimata sunt, ete. Saint Augustin, lib. 2, de Miraculis, cap. 3, dit que, par un très- grand tremblement de terre, il y eut cent villes renversées dans la Lybie. Du temps de Trajan, la ville d’Antioche et une grande partie du pays adjacent furent abimés par un tremblement de terre ; et du temps de Justinien, en 528, cette ville fut une seconde fois détruite par la même cause avec plus de quarante mille de ses habi- tants; et soixante ans après, du temps de saint Grégoire, elle essuya un troisième tremblement avec perte de soixante mille de ses habitants. + 246 Du temps de Saladin, en 1182, la plupart des villes de Syrie et du royaume de Jérusalem fu- rent détruites par la même cause, Dans Ja Pouille et dans la Galabre, il est arrivé plus de tremblements de terre qu’en aucune autre partie de l'Europe : du temps du pape Pie II, toutes les églises et les palais de Naples furent renver- sés; il y eut près de trente mille personnes de tuées, et tous les habitants qui restèrent furent obligés de demeurer sous des tentes jusqu’à ce qu'ils eussent rétabli leurs maisons. En 1629, il y eutdestremblements de terre dans la Pouille, qui firent périr sept mille personnes ; et en 1638, la ville de Sainte-Euphémie fut engloutie, et il n'est resté en sa place qu’un lac de fort mau- vaise odeur; Raguse et Smyrne furent aussi presque entièrement détruites. Il y eut en 1692, un tremblement de terre qui s’étendit en Angle- terre, en Hollande, en Flandre, en Allemagne, en France, et qui se fitsentir principalement sur les côtes de la mer et auprès des grandes riviè- res; il ébranla au moins deux mille six cents lieues carrées ; il ne dura que deux minutes : le mouvement était plus considérable dans lesmon- tagnes que dans les vallées. (Voyez Ray's Dis- courses, page 272.) En 1688, le 10 de juillet, il ÿ eut un tremblement de terre à Smyrne, qui commença par un mouvement d’occident en orient. Le château fut renversé d’abord, ses quatre murs s'étant entr'ouverts et enfoncés de six pieds dans la mer. Ce château, qui était un isthme, est à présent une véritable ile éloignée de la terre d'environ cent pas, dans l’endroit où la langue de terre a manqué :lesmurs qui étaient du couchant au levant sont tombés; ceux qui allaient du nord au sud sont restés sur pied. La ville, qui est à dix milles du château, fut ren- versée presque aussitôt ; on vit en plusieurs en- droits des ouvertures à la terre, on entendit di- vers bruits souterrains : il y eut de cette manière cinq ou six secousses jusqu’à la nuit; la première dura environ unedemi-minute; les vaisseaux qui étaient à la rade furent agités ; le terrain de la ville a baissé de deux pieds ; il n’est resté qu'en- viron le quart de la ville , et principalement les maisons qui étaient sur des rochers : on acompté quinze ou vingt mille personnes accablées par ce tremblement de terre. (Voyez l’Hist. de l’A- cad. des Sciences, année 1683.) En 1695, dans un tremblement de terre qui se fit sentir à Bolo- gue en Italie, on remarqua , comme une chose particulière, que les eaux devinrent troubles un HISTOIRE NATURELLE, jour auparavant. (Voyez l’Hist. de l'Acad., année 1696.) « Il se fit un si grand tremblement de terre à Tercère, le 4 mai 1614, qu’il renversa en la ville d'Argra onze églises et neuf chapelles sans les maisons particulières ; et en la ville de Praya il fut si effroyable qu’il n’y demeura presque pas une maison debout ; et le 46 juin 1628, il y eut un si horribletremblement dans l'ile de Saint-Michel , que proche de là la mer s’ouvrit et fit sortir de son sein , en un lieu où il y avait plus de cent cinquante toises d’eau, une île qui avait plus d’une lieue et demie de long et plus desoixante toises dehaut.» (Voyez les Voyages de Mandelslo.) « IL s’en était fait un autre en 1591, qui commenca le 26 de juil- let, et dura dans l’ile de Saint-Michel jusqu’au 12 du mois suivant; Tercère et Fayal furent agitées le lendemain avec tant de violence, qu’elles paraissaient tourner ; mais ces affreu- ses secousses n’y recommencèrent que quatre fois, au lieu qu’à Saint-Michel elles ne cessè- rent point un moment pendant plus de quinze jours ; les insulaires, ayant abandonné leurs maisons, qui tombaient d’elles-mêmes à leurs yeux, passèrent tout ce temps exposés aux in- jures de l’air. Une ville entiere, nommée Villa- Franca, fut renversée jusqu'aux fondements, et la plupart de ses habitants écrasés sous les ruines. Dans plusieurs endroits les plaines s’é- levérent en collines, et dans d’autres quelques montagnes s’aplanirent ou changèrent de si- tuation ; il sortit de la terre une source d’eau vive qui coula pendant quatre jours, et qui parut ensuite sécher tout d’un coup; l’air et la mer, encore plus agités, retentissaient d’un bruit qu'on aurait pris pour le mugissementde quantité de bêtes féroces ; plusieurs personnes mouraient d’effroi; il n’y eut point de vais- seaux dans les ports mêmes qui ne souffrissent des atteintes dangereuses, et ceux qui étaient à l’ancre ou à la voile, à vingt lieues aux en- virons des iles, furent encore plus maltraités. Les tremblements de terre sont fréquents aux Açores ; vingt ans auparavant il en était are rivé un dans l’ile de Saint-Michel, qui avait renversé une montagne fort haute. » (Voyez Hist. gén. des Voyag. ton. I, page 325.) « 11 « s’en fit un à Manille au mois de septembre « 1627, qui aplanit une des deux montagnes « qu’on appelle Carvallos, dans la province de « Cagayan. En 1645, la troisième partie de la = « 2e<:e DES M ARÉCAGES ; DES BOIS SOUTERRAINS, DES EAUX SOUTER- RAINES. Sur l'éboulement et le déplacement de quelques terrains. La rupture des cavernes et l’action des feux souterrains sont les principales causes des grands éboulements de la terre, mais souvent il s’en fait aussi par de plus petites causes ; la filtration des eaux , en délayant les argiles sur lesquelles portent les rochers de presque toutes les montagnes calcaires , a souvent fait pencher ces montagnes et causé des éboulements assez remarquables pour que nous devions en donner ici quelques exemples. « En 1757, dit M. Perronet, une partie du « terrain qui se trouve situé à mi-côte, avant « d'arriver au château de Croix-Fontaine, s’en- « tr'ouvrit en nombre d’endroits et s'éboula « successivement par parties; le mur de ter- 204 « rasse qui retenait le pied de ces terres fut ren- « versé, et on fut obligé de transporter plus « loin le chemin qui était établi le long du « mur... Ce terrain était porté sur une base de « terre inclinée. » Ce savant et premier ingé- nieur de nos ponts et chaussées cite un autre accident de même espèce arrivé en 1733 à Par- dines, près d’Issoire en Auvergne : le terrain , sur environ quatre cents toises de longueur et trois cents toises de largeur, descendit sur une prairie assez éloignée, avec les maisons , les ar- bres et ce qui était dessus. Il ajoute que l’on voit quelquefois des parties considérables de terrain emportées, soit par des réservoirs supérieurs d’eau, dont les digues viennent à se rompre, ou par une fonte subite de neiges. En 1757 , au vil- lage de Guet, à dix lieues de Grenoble, sur la route de Briançon, tout le terrain, lequel est en pente, glissa et descendit en un instant vers le Drac , qui en est éloigné d’environ un tiers de lieue ; la terre se fendit dans le village, et la par- tie qui a glissé se trouve de six, huit et neuf pieds plus basse qu’elle n’était : ce terrain était posé sur un rocher assez uni et incliné à l’hori- zon d'environ quarante degrés ". Je puis ajouter à ces exemples un autre fait, dont j'ai eu tout le temps d’être témoin, et qui m'a même occasionné une dépense assez consi- dérable. Le tertre isolé sur lequel sont situés la ville et le vieux château de Montbard est élevé de cent quarante pieds au-dessus de la rivière, et la côte la plus rapide est celle du nord-est: ce tertre est couronné de rochers calcaires dont les banes pris ensemble ont cinquante-quatre pieds d'épaisseur ; partout ils portent sur un massif de glaise , qui par conséquent a jusqu’à la ri- vière quatre-vingt-six pieds d'épaisseur. Mon jardin , environné de plusieurs terrasses , est si- tué sur le sommet de ce tertre. Une partie du mur, longue de vingt-cinq à vingt-six toises, de la dernière terrasse du côté du nord-est où la pente est le plus rapide, a glissé tout d’une pièce en faisant refouler le terrain inférieur ; et il serait descendu jusqu’au niveau du terrain voisin de la rivière, si l’on n’eüt pas prévenu son mouvement progressif en le démolissant : ce mur avait sept pieds d'épaisseur, et il était fondé sur la glaise. Ce mouvement se fit très- lentement : je reconnus évidemment qu'il n’é- ! Histoire de l'Académie des Sciences, année 1769, pages 253 et suivantes. HISTOIRE NATURELLE, tait occasionné que par le suintementdes eaux ; toutes celles qui tombent sur la plate-forme du sommet de ce tertre pénètrent par les fentes des rochers , jusqu’à cinquante-quatre piedssur le massif de glaise qui leur sert de base : on en est assuré par les deux puits qui sontsur la plate- forme et qui ont en effet cinquante-quatre pieds de profondeur ; ils sont pratiqués du haut en bas dans les bancs calcaires. Toutes les eaux pluviales qui tombent sur cette plate-forme et sur les terrasses adjacentes se rassemblent donc sur le massif d’arsile ou glaise auquel aboutis- sent les fentes perpendiculaires de ces ro- chers ; elles forment de petites sources en dif- férents endroits qui sont encore clairement indiquées par plusieurs puits, tous abondants et creusés au-dessous de la couronne des ro- chers ; et, dans tous les endroits où l’on tranche ce massif d'argile par des fossés, on voit l’eau suinter, et venir d’en haut : il n’est done pas étonnant que des murs, quelque solides qu'ils soient, glissent sur le premier banc de cette ar- gile humide, s’ils ne sont pas fondés à plusieurs pieds au-dessous, comme je l'ai fait faire en les reconstruisant. Néanmoins la même chose est encore arrivée du côté du nord-ouest de ce ter- tre, où la pente est plus douce et sans sources apparentes : on avaittiré de l’argile à douze ou quinze pieds de distance d’un gros mur épais de onze pieds sur trente-cinq de hauteur et douze toises de longueur; ce mur est construit de très-bons matériaux , et il subsiste depuis plus de neuf cents ans : cette tranchée où lon tirait de l’argile, et qui ne descendait pas à plus de quatre à cinq pieds, a néanmoins fait faire un mouvement à cet énorme mur; il penche d’en- viron quinze pouces sur sa hauteur perpendi- eulaire, et je n’ai pu le retenir et prévenir sa chute que par des piliers buttants de sept à huit pieds de saillie sur autant d’épaisseur , fondés à quatorze pieds de profondeur. De ces faits particuliers, j'ai tiré une consé- quence générale dont aujourd’hui on ne fera pas autant de cas que l’on en aurait fait dans les siècles passés : c’est qu'il n’y a pas un château ou forteresse située sur des hauteurs, qu’on ne puisse aisément faire couler dans la plaine où vallée, au moyen d’une simple tranchée de dix ou douze pieds de profondeur sur quelques toi- ses de largeur, en pratiquant cette tranchée à une petite distance des derniers murs , et choi- sissant pour l’établir le côté où la pente est le THÉORIE DE LA TERRE. plus rapide. Cette manière , dont les anciens ne se sont pas doutés, leur aurait épargné bien des béliers et d’autres machines de guerre, et au- jourd'hui même on pourrait s’en servir avanta- geusement dans plusieurs cas : je me suis con- vaineu par mes yenx, lorsque ces murs ont glissé, que si la tranchée qu’on a faite pour les reconstruire n’eût pas été promptement remplie de forte maçonnerie, les murs anciens et les deux tours, qui subsistent encore en bon état depuis neuf cents ans, et dont l’une accent vingt- cing pieds de hauteur, auraient coulé dans le vallon avec les rochers sur lesquels ces tours et ces murs sont fondés ; et, eemme toutes nos col- lines composées de pierres calcaires portent généralement sur un fond d'argile, dont les « x « premiers lits sont toujours plus où moins hu-- mectés par les eaux qui filtrent dans les fentes des rochers et descendent jusqu’à ce premier lit d'argile , il me paraît certain qu’en éventant cette argile, c’est-à-dire en exposant à l'air par unetranchée ces premierslits imbibés des eaux, la masse entière des rochers et du terrain qui porte sur ce massif d’argile coulerait en glis- sant sur le premier lit et descendrait jusque dans la tranchée en peu de jours, surtout dans un temps de pluie. Cette manière de démanteler une forteresse est bien plus simple que tout ce qu'on a pratiqué jusqu'ici, et l’expérience m'a démontré que le succès en est certain. Sur la tourbe. On peut ajouter à ce que j’ai dit sur les tour- bes les faits suivants : Dans les châtellenies et subdélégations de Bergues-Saint-Winox, Furnes et Bourbourg , on trouve de la tourbe à trois ou quatre pieds sous terre ; ordinairement ces lits de tourbe ont deux pieds d'épaisseur, et sont composés de bois pourris, d’arbres même entiers, avec leurs branches et leurs feuilles dont on connait l'espèce, et particulièrement de coudriers, qu’on reconnait à leurs noisettes encore exis- tantes, entremélées de différentes espèces de roseaux faisant corps ensemble. D'ou viennent ces lits de tourbes qui s’éten- dent depuis Bruges par tout le plat pays de la Flandre jusqu'à la rivière d’Aa, entre les du- nes et les terres élevées des environs de Ber- gues , etc? Il faut que, dans les siècles reculés, lorsque la Flandre, n’était qu’une vaste forêt, 29 une inondation subite de la mer ait submergé tout le pays , et en se retirant ait déposé tous les arbres , bois et roseaux qu’elle avait déraci- nés et détruits dans cet espace de terrain, qui est le plus bas de la Flandre, et que cet évé- nement soit arrivé vers le mois d’août ou sep- tembre, puisqu'on trouve encore les feuilles aux arbres, ainsi que les noisettes aux cou- driers. Cetteinondation doit avoir été bien long- temps avant la conquête que fit Jules-César de cette province, puisque les écrits des Romains, depuis cette époque, n’en ont pas fait men- tion !. Quelquefois on trouve des végétaux dans le sein de la terre, qui sont dans un état différent de celui de la tourbe ordinaire : par exemple, au mont Ganelon , près de Compiègne , on voit, d’un côté de la montagne, les carrières de belies pierres et les huîtres fossiles dont nous avons parlé ; et, de l’autre côté de la montagne, on trouve, à mi-côte , un lit de feuilles de toutes sortes d'arbres, et aussi des roseaux, des goé- mons , le tout mêlé ensemble et renfermé dans la vase ; lorsqu'on remue ces feuilles, on re- trouve la même odeur de marécage qu’on res- pire sur le bord de la mer, et ces feuilles con- servent cette odeur pendant plusieurs années. Au reste, elles ne sont point détruites, on peut en reconnaitre aisément les espèces : elles n’ont que dela sécheresse , et sont liées faiblement les unes aux autres par la vase ?. « On reconnaît , dit M. Guettard , deux es- « pèces de tourbes : les unes sont composées de « plantes marines , les autres de plantes terres- « tres ou qui viennent danses prairies. On sup- « pose que les premières ont été formées dans « le temps que la mer recouvrait la partie de la « terre qui est maintenant habitée : on veut que « les secondes se soient accumulées sur celles- « ci. On imagine, suivant ce système, que les « courants portaient dans des bas-fonds for- « més ‘par les montagnes qui étaient élevées « dans la mer, les plantes marines qui se déta- « chaïent des rochers , et qui, ayant été ballot- 1 Mémoire pour la subdélégation de Dunkerque, relative- ment à l'histoire naturelle de ce canton. 2 Lettre de M. Leschevin à M. de Buffon; Compiègne, 8 août 4772. C'est la seconde fois. et ce ne sera pas la dernière, que j'aurai occasion de citer M. Leschevin, chef des bureaux de la Maison du Roi, qui, par son goût pour l'histoire naturelle et par amitié pour moi, m'a facilité des correspondances et procuré des observations et des morceaux rares pour l'aug- mentation dn Cabine!du Roi. x 296 HISTOIRE NATURELLE. 22 An 28. 2222 n Rr ae ana 222eR2e 2 222 A 2 À 2 ee a tées par les flots, se déposaient dans des lieux profonds « Cette production de tourbes n’est certaine- ment pas impossible ; la grande quantité de plantes qui croissent dans la mer parait bien suffisante pour former ainsi des tourbes : les Hollandais même prétendent que la bonté des leurs ne vient que de ce qu’elles sont ainsi produites , et qu’elles sont pénétrées du bitume dont les eaux de la mer sont char- « Les tourbières de Villeroy sont placées dans la vallée où coule la rivière d’Essone ; la par- tie de cette vallée peut s'étendre depuis Rois- sy jusqu’à Escharcon.…… C'est même vers Roissy qu'on a commencé à tirer des tour- bes.... : mais celles que l’on fouille auprès d'Escharcon sont les meilleures... « Les prairies où les tourbières sont ouvertes sont assez mauvaises ; elles sont remplies de jones, de roseaux, de préles et autres plantes qui croissent dans les mauvais prés : on fouille ces prés jusqu’à la profondeur de huit à dix pieds... Après la couche qui forme actuelle- ment le sol de la prairie est placé un lit de tourbe d'environ un pied : il est rempli de plusieurs espèces de coquilles fluviatiles et ter- restres..... « Ce banc de tourbe qui renferme les coquil- les est continuellement terreux : ceux qui le suivent sont à peu près de la même épaisseur, et d'autant meilleurs qu'ils sont plus profonds; les tourbes qu'ils fournissent sont d’un brun noir , lardées de roseaux, de jones, de cypé- roïdes et autres plantes qui viennent dans les prés ; on ne voit point de coquilles dans ces bancs... « On a quelquefois rencontré dans la masse des tourbes des souches de saules et de peu- pliers , et quelques racines de ces arbres ou de quelques autres semblables. On a découvert du côté d’Escharcon un chêne enseveli à neuf pieds de profondeur : il était noir et presque pourri ; il s’est consommé à l'air : un autre a été rencontré du côté de Roissy, à la profon- deur de deux pieds, entre la terre et latourbe. On a encore vu près d'Escharcon des bois de cerfs ; ils étaient enfouis jusqu’à trois ou qua- tre pieds... « [l ya aussi des tourbes dans les environs d'Étampes, et peut-être aussi abondamment qu'aupres de Villeroy : ces tourbes ne sont e A <= = 2e (| « « « point mousseuses, ou le sont très-peu ; leur couleur est d’un beau noir, elles ont de la pe- santeur, elles brûlent bien au feu ordinaire, etil n’y a guère lieu de douter qu’on n’en püt faire de très-bon charbon... « Les tourbières des environs d’Étampes ne sont, pour ainsi dire, qu’une continuité de celles de Villeroy; en un mot, toutes les prairies qui sont renfermées entre les gorges où la rivière d'Étampes coule sont probable- ment remplies de tourbe. On en doit, à ce que je crois, dire autant de celles qui sont arrosées par la rivière d’Essone ; celles deces prairies que j'ai parcourues mont fait voir les mêmes plantes que celles d'Étampes et de Villeroy . » Au reste, selon l’auteur, il y a en Franceen- core nombre d’endroits où l’on pourrait tirer de la tourbe, comme à Bourneuille, à Croué au- près de Beauvais, à Bruneval aux environs de Péronne, dans le diocèse de Troyes en Cham- pagne, ete. ; et cette matière combustible serait d'un grand secours, si l’on en faisait usage dans les endroits qui manquent de bois. Il y a aussi des tourbes près Vitry-le-Fran- çais, dans des marais le long de la Marne : ces tourbes sont bonnes et contiennent une grande quantité de cupules de gland. Le marais de Saint-Gon aux environs de Châlons n’est aussi qu’une tourbière considérable, que l'on sera obligé d'exploiter dans la suite, par la disette de bois ?. « « (Q « « « Sur les bois souterrains pétrifiés et charbonnifiés. « Dans les terres du duc de Saxe-Cobourg , qui sont sur les frontières de la Franconie et de la Saxe, à quelques lieues de la ville de Cobourg même, on a trouvé, à une petite profondeur, des arbres entiers pélrifiés à un tel point de perfection, qu’en les travaillant on trouve que cela fait une pierre aussi belle et aussi dure que l’agate Les princes de Saxe en ont &onné quelques morceaux à M. Schæp- flin, qui en a envoyé deux à M. de Buffon, pour le Cabinet du Roi : on a fait de ces bois pétrifiés des vases et autres beaux ou- vrages Ÿ. » ‘ Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1761, page 380 jusqu'à 597. 2 Note communiquée à M. de Buffon par M. de Grignon, le 6 août 1777. #* Lettre de M. Schæpflin ; Strasbourg , 24 septembre 1746. THÉORIE DE LA TERRE. On trouve aussi du bois qui n’a point changé de nature, à d'assez grandes profondeurs dans la terre. M. Duverny, officier d'artillerie m'en a envoyé des échantillons, avec le détail sui- vant : « La ville de La Fère, où je suis actuel- « lement en garnison , fait travailler, depuis le 15 du mois d'août de cette année 1753, à chercher de l'eau par le moyen de la tarière : lorsqu'on fut parvenu à trente-neuf pieds au- dessous du sol, on trouva un lit de marne, que l'on a continué de percer jusqu à cent vingt-un pieds : ainsi, à cent soixante pieds de profondeur, on a trouvé, deux fois consé- cutives, la tarière remplie d'une marne mêlée « d’une très-grande quantité de fragments de bois , que tout le monde a reconnu pour être du chène. Je vous en envoie deux échantil- lons. Les jours suivants, on a trouvé toujours la même marne, mais moins mêlée de bois, et on en a trouvé jusqu'à la profondeur de deux cent dix pieds, où l'on a cessé le tra- « vail!. « On trouve, dit M. Justi, des morceaux de « bois pétrifié d'une prodigieuse grandeur dans « le pays de Cobourg, qui appartient à une « branche de la maison de Saxe ; et, dans les 4 montagnes de Misnie, on a tiré de la terre des « arbres entiers, qui étaient entièrement chan- « gés en une très-belle agate. Le Cabinet impé- « rial de Vienne renferme un grand nombre de pétrifications en ce genre. Un morceau des- tiné pour ce même Cabinet était d'une circon- férence qui égalait celle d'un gros billot de boucherie. La partie qui avait été bois était changée dans une trés-belle agate d'un gris noir ; et, au lieu de l'écorce, on voyait régner tout autour du tronc une bande d'une très- belle agate blanche... « L'empereur aujourd hui régnant..…, a sou- haité qu'on découvrit quelque moyen pour fixer l’âge des pétrifications… II donna ordre à son ambassadeur à Constantinople de de- mander la permission de faire retirer du Da- uube un des piliers du pont de Zrajan, qui est à quelques milles au-dessous de Belgrade. Cette permission ayant été accordée, on retira un de ces piliers, que l'on présumait devoir être pétrifié par les eaux du Danube ; mais on reconnut que la pétrification était très-peu avancée pour un espace de temps si considé- CRC | * Lettre de M. Bresse du Verny ; La Fère, {#novembre 1755. 297 rable, Quoiqu'il se fût passé plus de seize siè- cles depuis que le pilier en question était dans le Danube, elle n’y avait pénétré tout au plus qu’à l'épaisseur de trois quarts de pouce , et même à quelque chose de moins : le reste du bois, peu différent de l'ordinaire, ne commen- çait qu’à se calciner. « Si de ce fait seul on pouvait tirer une juste conséquence pour toutes les autres pétrifica- tions, on en concluraitque la nature a eu be- soin peut-être de cinquante mille ans pour changer en pierres des arbres de la grosseur de ceux qu’on a trouvés pétrifiés en différents endroits ; mais il peut fort bien arriver qu’en d’autres lieux le concours de plusieurs causes opère la pétrification plus promptement.…. « On a vu à Vienne une büche pétrifiée , qui était venue des montagnes Carpathes , en Hongrie , sur laquelle paraissaient distincte- ment les hachures qui y avaient été faites avant sa pétrification; et ces mêmes hachures étaient si peu altérées par le changement ar- rivé au bois, qu'on y remarquait qu’elles avaient été faites avec un tranchant qui avait une petite brèche. .…. « Au reste, il paraît que le bois pétrifié est beaucoup moins rare dans la nature qu’on ne le pense communément, et qu’en bien des en- droits , il ne manque, pour le découvrir, que l'œil d’un naturaliste curieux. J’ai vu auprès de Mansfeld une grande quantité de bois de chêne pétrifié, dans un endroit où beaucoup de gens passenttous les jours sans apercevoir ce phénomène. Il y avait des büches entière- ment pétrifiées, dans lesquelles on reconnais- sait très-distinctement les anneaux formés par la croissance annuelle du bois , l'écorce, l'endroit de la coupe, et toutes les marques « du bois de chène !. « M. Clozier, qui a trouvé différentes pièces de bois pétrifiésur les collines, aux environs d’E- tampes, et particulièrement sur celle de Saint- Symphorien, a jugé que ces différents mor- ceaux de bois pouvaient provenir de quelques souches pétrifiées qui étaient dans ces monta- gnes : en conséquence, il a fait faire des fouilles sur la montagne de Saint-Symphorien, dans un endroit qu’on lui avait indiqué ; et, après avoir creusé la terre de plusieurs pieds, il vit d’abord une racine de bois pétrifiée, qui le con- LC A A 2 1 Aa 2 a = ON 5224 seconde période, c’est-à-dire 55 et aura LES qui, étant multipliés par 12 £, moi- tié de la somme de tous les termes, donnent Se ou 64 environ, pour la compensation to- tale qu'a faite la chaleur envoyée par la Terre à la Lune dans cette seconde période. Et, comme la perte de la chaleur propre est à la compen- sation en même raison que le temps de la pé- riode est au prolongement du refroidissement. on aura 25 : 64 © :: 14323 : 38057 ans cnviron. Ainsi, le prolongement du refroidissement de la Lune par la chaleur de la Terre, qui a été de 1957 ans pendant la première période, se trouve de 38657 ans environ pour la seconde période | de 14393. A l’écard du moment où la chaleur envoyée par le Soleil à la Lune a été égale à sa chaleur | propre, il ne s’est trouvé ni dans la première ni ! dans la seconde période de 14323 ans, mais dans la troisième précisément, au secomd terme de cettetroisième période, qui, multiplié par 5723, 21 522 HISTOIRE NATURELLE. donne 1145 %}, lesquels , ajoutés aux 28646 années de deux périodes , font 29791 ans 2. Ainsi, c’est dans l’année 29792 de la formation des planètes que l'accession de la chaleur du So- leil a commencé à égaler et ensuite surpasser la déperdition de la chaleur propre de la Lune. Le refroidissement de cette planète a donc été prolongé pendant la première période : 1° de 149 ans par la chaleur du Soleil ; 2° de 1937 ans par la chaleur de la Terre ; et, dans la seconde pé- riode, le refroidissement de la Lune a été pro- longé, 3° de 3724 ans par la chaleur du Soleil ; et 4° de 38057 ans par la chaleur de la Terre. En ajoutant ces quatre termes, on aura 43867 ans, qui, étant joints aux 28646 ans des deux périodes, font en tout 72513 ans. D'où l’on voit que ca été dans l’année 72513, c’est-à-dire il y à 2318 ans que la Lune a été refroidie au point de ;; de la température actuelle du globe de la Terre, La plus grande chaleur que nous ayons Com- parée à celle du Soleil ou de la Terre est la cha- leur du fer rouge; et nous avons trouvé que cette chaleur extrême n’estnéanmoinsque vingt- cinq fois plus grande que la chaleur actuelle du globe de la Terre; en sorte que notre globe, lors- qu’il était en incandescence , ayant 25 de cha- leur, n’en a plus que la vingt-cinquième partie, c’est-a-dire # ou 1 ; et, en supposant la première période de 74047 ans, on doit conclure que, dans une seconde période semblable de 74047 ans, cette chaleur ne sera plus que & de ce qu’elle était à la fin de la première période, c’est- à-direil y a785 ans. Nousregarderons le terme £ comme celui de la plus petite chaleur, de la même facon que nous avons pris 25, comme celui de la plus forte chaleur dont un corps so- lide puisse être pénétré. Cependant ceci ne doit s’entendre que relativement à notre propre na- ture et à celle des êtres organisés : ear cette cha- leur £ de la température actuelle de la Terre est encore double de celle qui nous vient du So- leil,_ce qui fait une chaleur considérable, et qui ne peut être regardée comme très-petite que relativement à celle qui est nécessaire au main- tien de la nature vivante; car il est démontré, méme par ce que nous venons d'exposer, que si la chaleur actuelle de la Terre était vingt-cinq fois plus petite qu’elle ne l’est, toutes les matiè- res fluides du globe seraient gelées , et que ni l’eau, ni la sève, ni le sang, ne pourraient cir- culer; et c’est par cette raison que j'ai regardé le terme ; de la chaleur actuelle du globe comme le point de la plus petite chaleur, relativement à la nature organisée, puisque, de la même ma- nière qu’elle ne peut naître dans le feu, ni exis- ter dans la très-grande chaleur, elle ne peut de même subsister sans chaleur ou dans une trop petite chaleur, Nous tâcherons d'indiquer plus précisément les termes de froid et de chaud où les êtres vivants cesseraient d’exister : mais il faut voir auparavant comment se fera le progrès du refroidissement du globe terrestre jusqu'à ce point & de sa chaleur actuelle. Nous avons deux périodes de temps, chacune de 74047 ans, dont la première est écoulée, et a été prolongée de 785 ans par l’accession de la chaleur du Soleil et de celle de la Lune. Dans cette première période, la chaleur propre de la Terre s’est réduite de 25 à 1; et, dans la seconde période, elle se réduira de 1 à £. Or nous n’a- vons à considérer dans cette seconde période que la compensation de la chaleur du Soleil ; car on voit que la chaleur de la Lune est de- puis longtemps si faible, qu’elle ne peut en en- voyer à la Terre qu’une si petite quantité, qu’on doit la regarder comme nulle. Or, la compensa- tion par la chaleur du Soleil étant £ à la fin de la première période de la chaleur propre de la Terre, sera par conséquent & à la fin de la se- conde période de 74047 ans. D’où il résulte que la compensation totale que produira la chaleur du Soleil pendant cette seconde période sera 5% ou 64. Et, comme la perte totale de la cha- leur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolon- gement du refroidissement, on aura 25 : 6 5 :: 74047 : 19252 environ. Ainsi, la chaleur du Soleil , qui a prolongé le refroidissement de la Terre de 770 ans pour la première période, le prolongera pour la seconde de 19252 ans. Et le moment où Ja chaleur du Soleil sera égale à la chaleur propre de la Terre ne se trouvera pas encore dans cette seconde période, mais au second terme d’une troisième période de 74047 ans; et, comme chaque terme de ces périodes est de 2962 ans, en les multipliant par 2, on a 5924 ans, lesquels ajoutés aux 148094 ans des deux premières périodes, il se trouve que ce ne sera que dans l’année 154018 de Ja for- mation des planètes, que la chaleur envoyée du Soleil à la Terre sera égale à sa chaleur propre. Le refroidissement du globe terrestre a don: été prolongé de 776 ans ÿ pour la première pé- THÉORIE DE riode, tant par la chaleur du Soleil que par celle de la Lune, et il sera encore prolongé de 19252 ans par la chaleur du Soleil pour la seconde période de 74047 ans. Ajoutant ces deux ter- mes aux 148094 ans des deux périodes, on voit que ce ne sera que dans l’année 168123 de la formation des planètes, c'est-a-dire dans 93291 ans, que la Terre sera refroidie au point de :; de la température actuelle, tandis que la Lune l’a été dans l’année 72514, c’est-à-dire il y a 2318 ans, et l’aurait été bien plus tôt si elle ne tirait, comme la Terre, des secours de chaleur que du Soleil, et si celle que lui a envoyée la Terre n’avait pas retardé son refroidissement beaucoup plus que celle du Soleil. Recherchons maintenant quelle a été la com- pensation qu'a faite la chaleur du Soleil à la perte de la chaleur propre des cinq autres pla- nètes. Nous avons vu que Mercure, dont le diamè- tre n’est que £ de celui du globe terrestre, se se- rait refroidi au point de notre température ac- tuelle en 50351 ans, dans la supposition que la Terre se fût refroidie à ce même point en 74047 ans; mais, comme elle ne s’est réellement re- froidie à ce point qu’en 74832 ans, Mercure n’a pu se refroidir de même qu’en 50884 ans ? en- viron, et cela en supposant encore que rien n’eût compensé la perte de sa chaleur propre. Mais sa distance au Soleil étant à celle de la Terre au même astre :: 4 : 10, il s’ensuit que la chaleur qu'il recoit du Soleil, en comparaison de celle que recoit la Terre, est :: 100 : 16,ou ::6£:1 Dès lors la compensation qu’a faite la chaleur du Soleil lorsque cette planète était à la tempé- rature actuelle de la Terre, au lieu de n’être que RC à %) Élait 3; et, dans le temps de son incandes- cence, c’est-à-dire 50884 ans À auparavant, cettecompensation n’était que. Ajoutant ces deux termes de compensation % et 55 du premier et du dernier temps de cette période, on aura 5, qui, étant multipliés par 12 !, moitié de la somme de tous les termes, donnent 20512 781: : mo Ou 1 3% pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du Soleil pendant cette première période de 50884 ans ?, Et, comme la perte de la chaleur propre est à la compensation en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidissement, on aura 25 : LA TERRE. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 525 1% :: 50884 3 : 3307 ans $ environ. Ainsi, le temps dont la chaleur du Soleil a prolongé lere- froidissement de Mercure a été de 3307 ans ; pour la première période de 50884 ans $. D'où l'on voit que ç’a été dans l’année 54192 de la formation des planètes, c’est-à-dire il y a 29640 ans , que Mercure jouissait de la même tempé- rature dont jouit aujourd’hui la Terre. Mais dans la seconde BANANE: la D: tion étant au commencement + Du a à la fin ou aura, en ajoutant ces temps, LL , qui, PA multipliés par 12 {, moitié de la somme de tous les termes, donnent —; CAE ou 40 à pour la com- pensation totale par la chaleur du Soleil dans cette seconde période. Et, comme la perte de la chaleur propre est à la compensation en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement du refroidissement, on aura 25 : 40 5 :: 50884 Ë : 82688 ans environ. Ainsi, le temps dont la chaleur du Soleil a prolongé et prolongera celui du refroidissement deMercure, ayant été de 3307 ans ! dans la première pé- riode, sera pour la seconde de 82688 ans. Le moment où la chaleur du Soleil s’est trou- vée égale à la chaleur propre de cette planète est au huitième terme de cette seconde période, qui, multiplié par 2035 + environ, nombre des années de chaque terme de cette période, donne 16283 ans environ , lesquels , étant ajoutés aux 50884 ans à de la période, on voit que c’a été dans l’année 67167 de la formation des planètes que la chaleur du Soleil a commencé de surpas- ser la chaleur propre de Mercure. Le refroidissement de cette planète a done été prolongé de 3307 ans £ pendant la première période de 50884 ans À, et sera prolongé de même par la chaleur du Soleil de 82688 ans pour la seconde période. Ajoutant ces deux nombres d’années à celui des deux périodes, on aura 187765 ans environ: d’où l’on voit que ce ne sera que dans l’année 187765 de la forma- tion des planètes que Mereure sera refroidi à £ de la température actuelle . la Terre. Vénus, dont le diamètre est # de celui de la Terre, se serait refroidie au point de notre tem- pérature actuelle en 88815 ans, dans la suppo- sition que la Terre se fût refroidie à ce même point en 74047 ans; mais , comme elle ne s’est réellement refroidie à la température actuelle qu'en 74832 ans, Vénus n’a pu se refroidir de 524 HISTOIRE NATURELLE. même qu'en 89757 ans environ, en supposant encore que rien n’eüt compensé la perte de sa chaleur propre. Mais sa distance au Soleil étant à celle de la Terre au mème astre comme 7 sont à 10, il s'ensuit que la chaleur que Vénus re- coit du Soleil, en comparaisonde celle que recoit la Terre, est :: 100 : 49. Dès lors la compensa- tion que fera la chaleur du Soleil lorsque cette planètesera à latempérature actuelle dela Terre, au lieu de n'être que 4, sera 25; et, dans le temps de son incandescence, cette compensa- tion n’a été que de 2. Ajoutant ces deux ter- mes de compensation du premier et du dernier temps de cette première période de 89757 ans, on aura fin qui, étant multipliés par 12 5, moitié de la somme de tous les termes, don- nent as pour la compensation totale qu’a faite et que fera la chaleur du Soleil pendant cette première période de 89757 ans. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la com- pensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidis- sement, on aura 25 : SE :: 89757 : 1885 ans ! environ. Ainsi le prolongement du refroidisse- ment de cette planète par la chaleur du Soleil sera de 1885 ans & environ, pendant cette pre- mière période de 89757 aus, d’où l’on voit que ce sera dans l’année 91643 de la formation des planètes, c'est-à-dire dans 16811 ans, que cette planète jouira de la même température dont jouit aujourd’hui la Terre. Dans la seconde période, la composition étant 27 ; 50; 4 au commencement Lu et à la fin 3j”, On aura en cjogtni ces termes , =, qui, multipliés par 124, moitié de la somme de tous les termes, 5567 donnent te ou 13 {ÿ pour la compensation totale par la chaleur du Soleil pendant cette se- conde période. Et, comme la perte de la chaleur propre est à la compensation en même raison que le temps de la période est au Rp du refroidissement, on aura 25 : 13 f :: 89757 : 47140 ans + environ. Ainsi le temps dont la chaleur du Soleil a prolongé le refroidissement de Vénus, étant pour la première période de 1885 ans !, sera pour la seconde de 47140 ans x environ. Le moment où la chaleur du Soleil sera égale à la Re propre de cette planète se trouve au 24 {, terme de l'écoulement du temps de cette seconde période, qui, multiplié par 2590 7% environ, nombre des années de chaque terme de ces périodes de 89757 ans, donne 86167 ans environ, lesquels étant ajoutés aux 89757 ans de la période , on voit que ce ne sera que dans l’année 175924 de la formation des planètes que la chaleur du Soleil sera égale à la chaleur pro- pre de Vénus. Le refroidissement de cette planète sera done prolongé de 1885 ans £, pendant la première pé- riode de 89757 ans, et sera prolongé de même de 47140 ans % dans la seconde période. En ajoutant ces deux nombres d'années à celui des deux périodes , qui est de 139514 ans, on voit que ce ne sera que dans l’année 228540 de la formation des planètes que Vénus sera refroidie à 4, de la température actuelle de la Terre. Mars, dont le diamètre est 5 de celui de la Terre , se serait refroidi au voint de notre tem- pérature actuelle en 28108 ans, dans la Suppo- sition que la Terre se fût refroidie à ce même point en 74047 ans; mais, comme elle ne s’est réellement refroidie à ce point qu’en 74832 ans, Mars n’a pu se refroidir qu’en 28406 ans envi- ron , en supposant-encore que rien n’eût Com- pensé la perte de sa chaleur propre. Mais sa di- stance au Soleil étant à celle de la Terre au même astre :: 15 : 10, il s'ensuit que la chaleur qu'il recoit du Soleil, en comparaison de celle que recoit la Terre, est :: 100 : 225, ou :: 4: 9. Dès lors la compensation qu'a faite la chaleur du Soleil, lorsque cette planète était à la tempéra- ture actuelle de la Terre, au lieu d’être #, n’était 4 que à ,et,dansle temps del’incindescence, cette 4 compensation n'était que ::,. Ajoutant ces deux termes de compensation du premier et du der- nier temps de cette première période de 28406 on ans, dn aura 55% Qui, étant multipliés par 124 moitié de la somme de tous les termes, donne 1500 144 550 QU 50 pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du Soleil pendant ectte première pé- riode. Et, comme la perte de la chaleur propre est à la compensation en même raison que le temps de la période est au Sr | du re- froidissement , on aura 25 : _. :: 28406 : 131 % environ. Ainsi, le temps dont la chaleur du Soleil a prolongé le een de Mars a été d'environ 131 ans #, pour la première pé- riode de 28406 ans. D'ou l’on voit que Ça été THÉORIE DE LA. TERRE, dans l’année 28538 de la formation des planè- tes, c’est-à-dire il y a 46294 ans, que Mars était à la température actuelle de la Terre. Mais, dans la seconde période, la compensa- 4 100 tion étant au commencement ?,, et à la fin #, 104 on aura, en ajoutant ces termes .& , qui, mul- tipliés par 12 À, moitié de la somme de tous les 1300 144; termes, donnent -à- ou w pour la compensa- tion totale par la chaleur du Soleil pendant cette seconde période. Et, comme la perte de la cha- leur propre est à la compensation en même rai- son que le temps de la période est au prolon- gement du refroidissement , on aura 25 : # :: 28406 : 3382 ans À, environ. Ainsi, le temps dont la chaleur du Soleil a prolongé le refroidis- sement de Mars dans la première période, ayant été de 131 ans # , sera dans la seconde de 3382 ans À. Le moment où la chaleur du Soleil s’est trou- vée égale à la chaleur propre de cette planète, est au 12 ?, terme de l'écoulement du temps dans cette seconde période, qui multiplié par 1136 5 ,nombre des années de chaque terme de ces périodes , donne 14203 ans, lesquels étant ajoutés anx 28406 ans de la première période, on voit que cç’a été dans l’année 42509 de la for- mation des planètes, que la chaleur du Soleil a été égale à la chaleur propre de cette planète, et que depuis ce temps elle l’a toujours sur- passée. Le refroidissement de Mars à done été pro- longé, par la chaleur du Soleil, de 131 ans & pendant la première période, et l’a été dans la seconde période de 3382 ans Æ. Ajoutant ces deux termes à la somme des deux périodes, on aura 60325 ans 4 environ. D'où l’on voit que c’a été dans l’année 60326 de la formation des planètes, c’est-à-dire il y a 14506 ans, que Mars a été refroidi à £ de la chaleur actuelle de la Terre. Jupiter, dont le diamètre est onze fois plus graud que celui de la Terre, et sa distance au Soleil : : 52 : 10, ne se refroidira au point de la Terre, qu’en 237838 ans, abstraction faite de toute compensation que la chaleur du Soleil et celle de ses satellites ont pu et pourront faire à la perte de sa chaleur propre, etsurtout en sup- posant que la Terre se füt refroidie au point de la température actuelle en 74047 ans; mais, comme elle ne s’est réellement refroidie à ce PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 52 point, qu'en 74832 ans, Jupiter ne pourra se refroidir au même point, qu’en 240358 ans. Et en ne considérant d’abord que la compensation faite par la chaleur du Soleil sur cette grosse planète, nous verrons que la chaleur qu'elle re- çoit du Soleil est à celle qu’en recoit la Terre :: 100 : 2704, ou :: 52 : 676. Des lors la com- pensation que fera la chaleur du Soleil lorsque Jupiter sera refroidi à la température actuelle 25 de la Terre, au lieu d'être ÿ> ne sera que %° ; et dans le temps de l’incandescence, cette com- 25 pensation n’a été que. En ajoutant ces deux termes de compensation du premier et du der- nier temps de cette première période de 240358 650 ans, On à {539 Qui, multipliés par 12 !, moitié 8125 de la somme de tous les termes , donnent 56 o-!1 . ou 4 pour la compensation totale que fera la chaleur du Soleil, pendant cette première pé- riode de 240358 ans. Et, comme la perte de la chaleur propre est à la compensation en même raison que le temps de la période est au pro- longement du refroidissement, on aura 25 : :: 240358 : 93 ans environ. Ainsi, le temps dont la chaleur du Soleil prolongera le refroi- dissement du Jupiter ne sera que de 93 ans pour la première période de 240358 ans ; d’où l'on voit que ce ne sera que dans l’année 240451 de la formation des planètes, c’est-à-dire dans 165619 ans, que le globe de Jupiter sera re- froidi au point de la température actuelle du globe de la Terre. Dans la seconde période, la compensation 5 625 étant au commencement ®, sera à la fin %. En 650 ajoutant ces deux termes, on aura #6, qui, mul- tipliés par 12 { moitié de la somme de tous les 8125 BUS jour termes, donnent © ou = pour la compensa- tion totale par la chaleur du Soleil pendant cette seconde période. Et, comme la perte de la chaleur propre est à la compensation en même raison que le temps de la période est au prolon- gement du refroidissement, on aura 25 : Lee :: 240358 : 2311 ans environ. Ainsi, le temps dont la chaleur du Soleil prolongera le refroidis- sement de Jupiter n'étant que de 93 ans dans la première période, sera de 2311 pour la se- conde période de 240358 ans. Le moment où la chaleur du Soleil se trou- 326 HISTOIRE NATURELLE. vera égale à la chaleur propre de cette planète est si éloigné, qu'il n’arrivera pas dans cette se- conde période, ni même dans la troisième, quoi- qu'elles soient chacune de 240358 ans; en sorte qu'au bout de 721074 ans, la chaleur propre de Jupiter sera encore plus grande que celle qu'il recoit du Soleil. Car, dans la troisième période, la compensa- 625 tion étant au commencement ® ; elle sera à la cf ce qui démontre qu'à la fin de cette troisième période, où la chaleur de Jupiter ne sera que ;4 de la chaleur actuelle de la Terre, elle sera néanmoins de près de moitié plus forte que celle du Soleil; en sorte que ce ne sera que dans la quatrième période, que le moment entre l'égalité de la cha- leur du Soleil et celle de la chaleur propre de dupiter se trouvera au 2 {, terme de l’écoule- ment du temps dans FRNE quatrième période , qui, multiplié par 9614 £, nombre des années de chaque terme de ces pér iodes de 240358 ans, donne 19228 ans £environ, lesquels ajoutés aux 721074 ans des trois périodes precédentes, font en tout 740302 ans #; d’où l’on voit que ce ne sera que dans ce torts prodigieusement éloi- gné, que la chaleur du Soleil sur Jupiter se trouvera égale à sa chaleur propre. Le refroidissement de cette grosse planète sera donc prolongé, par la chaleur du Soleil, de 93 ans pour la première période, et de 2311 ans pour la seconde. Ajoutant ces deux nombres d'années aux 480716 des deux premières pé- riodes, on aura 483120 ans ; d’où il résulte que ce ne sera que dans l’année 483121 de la forma- tion des planètes, que Jupiter pourra être re- froidi à £ de la température actuelle de la Terre. Saturne, dont le diamètre est à celui du globe terrestre : : 9 £ : 1, et dont la distance au So- leil est à celle de la Terre au même astre, aussi :: 9 À : 1, perdrait de sa chaleur propre, au point de la température actuelle de la Terre, en 129434 ans, dans la suppositionque la Terre se fût refroidie à ce même point en 74047 ans. Mais comme elle ne s’est réellement refroidie à la température actuelle qu’en 74832 ans, Sa- turne ne se refroidira qu’en 130806 ans, en sup- posant eucore que rien ne compenserait la perte de sa chaleur propre. Mais la chaleur du Soleil, quoique très-faible à cause de son grand éloigne- ment, la chaleur de ses satellites, celle de son anneau, et même celle de Jupiter, duquel il fin de cette même troisième période = n’est qu’à une distance médiocre, en comparai- son de son éloignement du Soleil, ont dû faire quelque compensation à la perte de sa chaleur propre, et par conséquent prolonger un peu le temps de son refroidissement. Nous ne considérerons d’abord que la com- pensation qu'à dû faire la chaleur du Soleil. Cette chaleur que recoit Saturne est à celle que reçoit la Terre :: 100 : 9025, ou :: 4: 361. Dès lors la compensation que fera la chaleur du So- leil lorsque cette planète sera refroidie à la tem- pérature to de la Terre, au lieu d’être &, ne sera que si, ; et, dans les temps de l'incandes- cence, cette compensation n’a été que si. Ajou- pue tant ces deux termes, on aura 5, qui, multi- pliés par 124, moitié de la somme de tous les ter- I5nû Br mes, donnent ou 1250 pour la compensation totale que fera la chaleur du Soleil dans les 130806 ans de la première période. Et, comme la perte de la chaleur propre est à la compensa- tion en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidissement, on aura 25 : 55 :: 130806 : 15 ans environ. Ainsi la chaleur du Soleil ne prolongera le refroidis- sement de Saturne que de 15 ans pendant cette première période de 130806 ans : d’ou l’on voit que ce ne sera que dans l’année 130821 de Ja formation des planètes, c’est-à-dire dans 55989 ans, que cette planète pourra être refroidie au point de la température actuelle de la Terre. Dans la seconde période, la compensation par la chaleur envoyée du Soleil, étant au con- soi PROS LD ue riode, %. Ajoutant ces deux termes de compen- sation du premier et du dernier temps par la chaleur du Soleil dans cette seconde période, on jui aura 9, qui, multipliés par 124, moitié ss 4 somme de tous les termes, donnent 3% pu UF sera, à la fin de cette même pé- pour la compensation totale que fera ir dÉtièr du Soleil pendant cette seconde période. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en mêre raison que le temps total de la période est au prolongement du refroidissement ,on aura 25 : ru :: 130806 : 377 ans environ. Ainsi, le his ‘ait la cha- leur du Soleil prolongera le refroidissement de Saturne , étant de 15 ans pour la première pé- THÉORIE DE LA TERRE, riode, sera de 377 ans pour la seconde. Ajou- tant ensemble les 15 ans et les 377 ans, dont la chaleur du Soleil prolongera le refroidissement de Saturne pendant les deux périodes de 130806 ans, on verra que ce ne sera que dans l’année 262020 de la formation des planètes , c'est-à- dire dans 187188 ans, que cette planète pourra être refroidie à # de la chaleur actuelle de la Terre. Dans la troisième période, le premier terme de la compensation par la chaleur du Soleil étant sut au commencement , et à la fin se ou +5", on voit que ce ne sera pas encore dans cette troisième période qu’arrivera le moment où la chaleur du Soleil sera égale à la chaleur propre de cette planète, quoiqu à la fin de cette troi- sième période elle aura perdu de sa chaleur propre, au point d’être refroidie à; de la tem- pérature actuelle de la Terre. Mais ce moment se trouvera au septième terme # de la quatrième période, qui, multiplié par 5232 ans & , nombre des années de chaque terme de ces périodes de 130806 ans, donne 37776 ans ©, lesquels étant ajoutés aux trois premières périodes, dont la somme est 392418 ans, font 430194 ans #. D'où l'on voit que ce ne sera que dans l’année 430195 dela formation des planètes, que la chaleur du Soleil se trouvera égale à la chaleur propre de Saturne. Les périodes des temps du refroidissement de la Terre et des planètes sont donc dans l’ordre suivant : REFROIDIES À 37 del REFROIDIES À LA TEMPÉRAT. ACTUELLE. ela Températ. actuelle, 74852 ans. | En 168123 ans. 16409 ans. | En 72515 ans. 54192 ans. | En 187765 ans. 91645 ans. | En 228540 ans. 28558 ans. | En 60526 ans. JUPITER.. 210451 ans. | En 485121 ans. SATURNE. ... ocre. en 150821 ans. | En 262020 ans. On voit, en jetant un coup d’œil sur ces rap- ports, que, dans notre hypothèse, la Lune et Mars sont actuellement les planètes les plus froides; que Saturne, et surtout Jupiter, sont les plus chaudes ; que Vénus est encore bien plus chaude que la Terre ; etque Mercure, qui acom- mencédepuis longtemps à jouir d’une tempéra- ture égale à celle dont jouit aujourd’hui la Terre, estencore actuellement et sera pour longtemps PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 327 | au degré de chaleur qui est nécessaire pour le maintien de la nature vivante, tandis que la Lune et Mars sont gelés depuis longtemps, ct par conséquent impropres, depuis ce même temps, à l’existence des êtres organisés. | Je ne peux quitter ces grands objets sans r'e- chercher encore ce qui s’est passé et se passera dans les satellites de Jupiter et de Saturne, rela- tivement au temps du refroidissement de chacun en particulier. Les astronomes ne sont pas ab- solument d'accord sur la grandeur relative de ces satellites : et, pour ne parler d’abord que de ceux de Jupiter, Whiston a prétendu que le troisième de ses satellites était le plus grand de tous, et il l'a estimé de la même grosseur à peu près que le globe terrestre ; ensuite il dit que le premier est un peu plus gros que Mars, le second un peu plus grand que Mercure, et que le qua- trième n’est guère plus grand que la Lune. Mais notre plus illustre astronome (Dominique Cas- sini) a jugé au contraire que le quatrième sa- tellite était le plus grand de tous !. Plusieurs causes concourent à cetteincertitude sur la gran- deur des satellites de Jupiter et de Saturne : j'en indiquerai quelques-uns dans la suite, mais je me dispenserai d'en faire ici l'énumération et la discussion, ce qui m'éloignerait trop de mon sujet : je me contenterai de dire qu'il me paraît plus que probable que les satellites les plus éloignés de leur planète principale sont réellement les plus grands, de la même ma- nière que les planètes les plus éloignées du So- leil sont aussi les plus grosses. Or, les distances des quatre satellites de Jupiter, à commencer par le plus voisin, qu'on appellele premier, sont, à très-peu près, comme 52,9, 14£,25;; el leur grandeur n'étant pas encore bien détermi- née, nous supposerons , d'après l’analogie dont nous venons de parler, que le plus voisin ou le | premier n’est que de la grandeur de la Lune, le second de celle de Mercure , le troisième de la grandeur de Mars , et le quatrième de celle du globe de la Terre; et nous allons rechercher combien le bénéfice de la chaleur de Jupiter a compensé la perte de leur chaleur propre. Pour cela , nous regarderons comme égale la chaleur envoyée par le Soleil à Jupiter et à ses satellites, parce qu'en effet leurs distances à cet astre de feu sont àtrès-peu près les mêmes. Nous supposerons aussi comme chose très-plausible, | ! Voyez l'Astronomie de M. De la Lande, art. 2581. 528 que la densité de satellites de Jupiter est égale à celle de Jupiter même !. Cela posé ; nous verrons que le premier satel- lite, grand comme la Lune, c'est-à-dire qui n'a que # du diamètre de la Terre , se serait CONSO- lidé jusqu'au centre en 792 ans ä, refroidi au point de pouvoir le toucher en 9248 ans ;, et au point de la température actuelle de la Terre en 20194 ans Z , si la densité de ce satellite n'é- tait pas différente de celle de la Terre ; mais , comme Ja densité du globe terrestre est à celle de Jupiter ou deses satellites : : 1000 : 292, il s'ensuit que le temps employé à la consolidation jusqu'au centre et au refroidissement doit être diminué dans la même raison,en sorteque ce Sa- tellite se sera consolidé en 231 ans , , refroidi au point d'en pouvoir toucher la surface en 2690 ans ?, et qu'enfin il aurait perdu assez de sa chaleur propre pour être refroidi à la tempéra- ture actuelle de la Terre en 5897 ans, si rien n'eùt compensé cette perte de sa chaleur propre. 11 est vrai qu’à cause du grand éloignement du Soleil, la chaleur envoyée par cet astre sur les satellites ne pourrait faire qu’une très-légère compensation, telle que nous l'avons vue sur Jupiter même. Mais la chaleur que Jupiter en- voyait à ses satellites était prodigieusement grande, surtout dans les premiers temps, et il est très-nécessaire d'en faire ici l'évaluation. Commencant par celle du Soleil, nous verrons que cette chaleur envoyée du Soleil étant en raison inverse du carré des distances , la com- pensation qu'elle a faite, dans le temps de l'in- 25 candescence , n'était que 5, et qu'à la fin de la première période de 5897 ans , cette compensa- 25 25 tion n'était que F5. Ajoutant ces deux termes Lu 2 et ©5 du premier et du dernier temps de cette 650 première période de 5897 ans, on aura LS qui, multipliés par 12 #, moitié de la sonime de 12: ñ tous les termes, donnent Fa ou fe pour la compensation totale qu'a faite la chaleur du So- leil pendant cette première périone. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la com- pensation totale en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement du re- 4 Quand même on se refuserait à cette suppos tion de l'éga- lité de densité de Jupiter et de ses satellites, cela ne change- raitrien à ma théorie, et les résultats du calcul seraient seu- tement un peu différents; mais le calcul lui-même ne scrail pas plus dificile à faire. HISTOIRE NATURELLE. froidissement , ou aura 25 : ire. :: 5897: 2 ans 4. Ainsi, le prolongement du refroidissement de ce satellite par la chaleur du Soleil pendant cette première période de 5897 ans n’a élé que de deux ans quatre-vingt dix-sept jours. Mais la chaleur de Jupiter, qui était 25 dans le temps de l’incandescence , n'avait diminué, au bout de la période de 5897 ans, que de ;j en- viron, et elle était encore alors 24 # ; et, comme ce satellite n’est éloigné de sa planète principale que de 5 ? demi-diamètres de Jupiter, ou de 62 ! demi-diamètres terrestres , c’est-à-dire de 89292 lieues, tandis que sa distance au Soleil est de 171 millions 600 mille lieues, la chaleur envoyée par Jupiter à son premier satellite au- rait été à la chaleur envoyée par le Soleil à ce même satellite comme le carré de 171600000 est au carré 89292, si la surface que Jupites présente à ce satellite était égale à la surface que lui présente le Soleil : mais la surface de Jupiter, qui n’est dans le réel que 51, de celle du Soleil, parait néanmoins à ce satellite plus grande que ne lui parait celle de cet astre dans le rapport inverse du carré des distances; on aura done (89291) 2: (171600000) ? :: 5 : 390325 environ. Done la surface que présente Jupiter à ce satellite étant 39032 fois { plus grande que celle que lui présente le Soleil, cette grosse pla- nète, dans le temps de l’incandescence, était , pour son premier satellite un astre de feu 39032 fois 4 plus grand que le Soleil. Mais nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du Soleil à la perte de la chaleur propre de ce sa- 25 tellite n’était que ©, lorsqu’au bout de 5897 ans il se serait refroidi à la température actuelle de la terre par la déperdition de sa chaleur pro- pre, et que, dans le temps de l'incandescence , cette compensation, par la chaleur du Soleil, LENS n'a été que de FE : il faut done multiplier ces deux termes de compensation par 39032 5, et , 1445% : . l'on aura + pour la compensation qu'a faite la chaleur de Jupiter, dès le commencement de cette période, dans le temps de l’incandescence, aast à : : et “© pour la compensation que Jupiter aurait faite à la fin de cette même période de 5897 ans, s'il eût conservé son état d'incandescence. Mais, comme sa chaleur propre a diminué de 25 à 24 3. pendant cette mème période , la compensation à ln fin de la période , au lieu d'être “HE n'a été | | | THÉORIE DE LA TERRE. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 5 à 4408! que — i, Ajoutant ces deux termes [CEE à > Fr à Pie la compensation dans le premier et le dernier temps de la période, on a “55° , les- quels, multipliés par 12 ;, moitié de la somme de tous les termes, donnent 55° ou 366 { envi- ron, pour la compensation totale qu'a faite la chaleur de Jupiter à la perte de la chaleur pro- pre de son premier satellite pendant cette pre- mière période de 5897 ans. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à lacompensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroissement, on aura 25 : 366 À : : 5897 : temps, dont la chaleur envoyée par Jupiter à son premier satellite a prolongé son refroidisse- ment pendant cette première période, est de 86450 ans & ; etle temps dont la chaleur du so- leil a aussi prolongé le refroidissement de ce sa- tellite pendant cette même période de 5897 ans, n'ayant été que de deux ans quatre-vingt-dix- sept jours, il se trouve que le temps du refroi- dissement de ce satellite a été prolongé d’envi- ron 86452 ans { au delà des 5897 ans de la pé- riode : d’où l'on voit que ce ne sera que dans l'année 92350 de la formation des planètes, c'est-à-dire dans 17518 ans, que le premier satellite de Jupiter pourra être refroidi au point de-la température actuelle de la terre. Le moment où la chaleur envoyée par Jupi- ter à ce satellite était égale à sa chaleur propre s’est trouvé dans le temps de l’incandescence , et même auparavant , si la chose eût été possi- ble; car, cette masse énorme de feu qui était 39032 fois £ plus grande que le soleil pour ce satellite, lui envoyait, dès le temps de l’incan- ; descence de tous deux , une chaleur plus forte que la sienne propre, puisqu'elle était 14434, tandis que celle du satellite n'était que 1250 : ainsi c’a été de tout temps que la chaleur de Jupiter, sur son premier satellite, a surpassé la perte de sa chaleur propre. Dès lors on voit que la chaleur propre de ce satellite ayant toujours été fort au-dessous de la chaleur envoyée par Jupiter, on doit évaluer au- trement latempérature du satellite , ensorte que l'estimation que nous venons de faire du prolon- gement du refroidissement, et que nous ayons trouvée être de 86452 ans #, doit être encore augmentée de beaucoup : car, dès le temps de l’incandescence , la chaleur extérieure envoyée 86450 ans #. Ainsi, le 529 5 et | Par Jupiter était plus grande que la chaleur | propre du satellite dans la raison de 1443 5 à 1250 ; et, à la fin de la première période de 5897 ans, cette chaleur envoyée par Jupiter était plus grande que la chaleur propre du sa- tellite dans la raison de 1408 à 50, ou de 140 à 5 à peu près. Etde même, à la fin de la seconde période, la chaleur envoyée par Jupiter était à la chaleur propre du satellite : : 3433 : 5. | Ainsi, la chaleur propre du satellite, dès la fin de la première période , peut être regardée comme si petite, en comparaison de la chaleur envoyée par Jupiter, qu'on doittirerletemps du refroidissement de ce satellite presque unique- ment de celui du refroidissement de Jupiter, Or, Jupiter ayant envoyé à ce satellite, dans le temps de l’iacandescence , 39032 foisi plus de chaleur que le soleil, lui envoyait encore, au bout de la première période de 5897 ans, une chaleur 38082 fois £ plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Jupiter n'avait diminué que de 25 à 24 À; et, au bout d'une seconde période de 5897 ans, c’est-à-dire après la déperdition de la chaleur propre du sa- tellite, au point extrème de & dela chaleur ac- tuelle de la terre, Jupiter envoyait encore à ce satellite une chaleur 37131 fois ; plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Jupiter n’avait encore diminué que de 24 ? à 23 À ; ensuite, après une troisième période de 5897 ans, où la chaleur propre du satellite doit être regardée comme a bsolument nulle, Jupiter lui envoyait encore une chaleur 36182 fois plus grande que celle du soleil. En suivant la même marche, on trouvera que la chaleur de Jupiter, qui d abord était 25 , et qui décroit constamment de # par chaque #E riode de 5897 ans, diminue par conséquent sur ce satellite de 950 pendant chacune de ces pé- riodes ; de sorte qu'après 37 2 périodes, cette chaleur envoyée par Jupiter au satellite sera à très-peu près encore 1350 fois plus grande que la chaleur qu'il reçoit du soleil. Mais, comme la chaleur du soleil sur Jupiter et sur ses satellites est à peu près à celle du so- leil sur la terre : : 1 : 27, et que la chaleur du globe terrestre est 50 fois plus grande que celle qu'il reçoit actuellement du soleil; il s'ensuit qu'il faut diviser par 27 cette quantité 1350 de chaleur ci-dessus pour avoir une chaleur égale à celle que le soleil envoie sur la terre : et cette dernière chaleur étant & de la chaleur actuelle 350 du globe terrestre, il en résulte qu’au bout de 37 ? périodes de 5897 ans chacune, c'est-à-dire au bout de 222120 ans #, la chaleur que Jupiter enverra à ce satellite sera égale à la chaleurac- tuelle de la terre, et que, quoiqu'il ne lui restera rien alors de sa chaleur propre, il jouira néan- moins d’une température égale à celle dont jouit aujourd’hui la terre, dans cette année 222120 & de la formation des planètes. Et de la même manière que cette chaleur en- voyée par Jupiter prolongera prodigieusement le refroidissement de ce satellite à la tempéra- ture actuelle de la terre, elle le prolongera de même pendant trente-sept autres périodes ; , pour arriver au point extrême de ;£ de la cha- leur actuelle du globe de la terre : en sorte que ce ne sera que dans l’année 444240 de la for- mation des planètes que ce satellite sera re- froidi à 4 de latempérature actuelle de la terre. Il en est de même de l'estimation de la cha- leur du soleil, relativement à la compensation qu’elle a faite à la diminution de la température du satellite dans les différents temps. Il est cer- tain qu’à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite, cette chaleur du so- leil n'aurait fait compensation dans le temps de l'incandescence que de dE ; et qu'à la fin de la première période, qui est de 5897 ans, cette même chaleur du soleil aurait fait unecompen- ë sation de ©, et que dès lors le prolongement du refroidissement par l’accession de cette chaleur du soleil aurait en effet été de 2 ans £. Mais la chaleur envoyée par Jupiter dès le temps de l’in- candescence étant à la chaleur propre du satel- lite :: 1443 { : 1250, il s'ensuit que la compen- sation faite par la chaleur du soleil doit être diminuée PR la même raison; en one qu’au HE Heu d'être ae , elle n’a été que 557 au com- mencement de cette période; et que cette com- pensation, qui aurait été ire à la fin de cette première période, si l’on né considérait que la déperdition de la chaleur propre du satellite , doit être diminuée dans la raison de 1408 à 50, parce que la chaleur envoyée par Jupiter était encore plus grande que la thaleur propre du sa- tellite dans cette même raison. Dès lors la com- pensation à Ja fin de cette premiere période, au lieu d’être de , n’a été que. En Pres ces HE deux termes de compensation 333 et &# € Qu pre- HISTOIRE NATURELLE. mier et du pis temps de cette première pé- 10608 riode, on ares où 5%, qui, multipliés par 123, DRPSe de la somme de tous les termes, donnent #5: pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du soleil pendant cette première période. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la compensation totale en même raison que le temps dela période est au prolon- gement du refroidissement , on aura 27 : #24 :: 5897 : ne ou :: 5897 ans : 41 jours %. Ainsi, le prolongement du refroidissement par Ja chaleur du soleil, au lieu d’avoir été de 2 ans 97 jours, n’a réellement été que de 41 jours %. On trouverait de la même manière les temps du prolongement du refroidissement par la cha- leur du soleil, pendant la seconde période, et pendant les périodes suivantes ; mais il est plus facile et plus court de l'évaluer en totalité de la manière suivante : La compensation par la chaleur du soleil, dans le temps de l’incandescence , ayant été, 25 PRPETE s comme nous venons de le dire 253: , sera à la 23 fin de 37 2 Lt, fr, puisque ce n'est qu'a- près ces 37 ? périodes , que la température du satellite sera égale à la température actuelle de la terre. Ajoutant donc ces deux termes decom- 25 pensation Se et © 5 du premier et du dernier ET temps de ces 37 2 périodes, on à g667s OÙ 356% » qui, multipliés par 124, moitié de la somme de tous les termes de la diminution de la chaleur, donnent LES ou environ pour la compen- sation totale par la chaleur du soleil, pendant les 37 ? périodes de 5897 ans chacune. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la compensationtotaleen même raison que letemps total est au prolongement du refroidissement , on aura 25 : 45, :: 222120 1: 82 ans & environ. Ainsi dansle prolongement Ftotal que fera la cha- leur du soleil, ne sera que de 82 ans # qu'il faut ajouter aux 222120 ans £. D'où l'on voit que ce ne sera que dans l’année 222203 de la formation des planètes ,que ce satellite jouira de la même température dont jouit aujourd’hui la Terre, et qu'il faudra le double du temps, © ’est-à-dire que ce ne sera que dans l'année 444406 de la _ formation des planètes qu'il pourra être refroidi à 4 de la chaleur actuelle de la terre. au THÉORIE DE LA TERRE. Faisant le même calcul pour le second satel- lite, que nous avons supposé grand comme Mer- cure, nous verrons qu'il aurait dù se consolider jusqu’au centre en 1342 ans, perdre de sa cha- leur propre en 11303 ans Lau point de pouvoir le toucher, et se refroidir par la même déperdi- tion de sa chaleur propre, au point de la tempé- rature actuelle de la terre en 24682 ansf, si sa densité était égale à celle de la terre : mais, comme la densité du globe terrestre est à celle de Jupiter ou de ses satellites :: 1000 : 292, il s'ensuit que ce second satellite, dont le diamètre estide celui de la terre, se serait réellement consolidé jusqu’au centre en 282 ans environ, re- froidi au point de pouvoir le toucher en 3300 ans#, et à le température actuelle de la terre eu 7283 ans ©, si la perte de sa chaleur propre n’eût pas été compensée par la chaleur que le soleil, et plusencore par celle que Jupiter ont en- voyées à ce satellite. Or, l’action de la chaleur du soleil sur ce satellite étant en raison inverse ducarrédes distances, la compensationque cette chaleur du soleil a faite à la perte de la chaleur propre du satellite était, dans le temps de l’in- nn. candescence , ÊÆ , et d ; à }', fin de cette pre- mière période de 7283 ans ! 5, Ajoutant ces deux :35 2 termes Ê et &6 de la compensation dans le pre- 4250 mier et le dernier temps de cette période, on a 650. qui, multipliés par 12+, pain de la somme de tous les termes, donnent pu ou ee pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du so- leil pendant cette première période de 7283 ans #. Et, comme la perte totale de la chaleur pro- pre est à la compensation totale en même raison que letemps de la période est au prolongement du refroidissement , on aura 25 : Ds : 1283 ans #5: 2 ans 252 jours. Ainsi le prolongement du refroidissement de ce satellite par la chaleur du soleil, pendant cette première période, n’a été que de 2 ans 252 jours. Mais, lachaleur de Jupiter, qui, dans le temps de l’incandescence , était 25, avait diminué au bout de 7283 ans $ deË environ, et elle était encore alors 24 &. Et, comme ce satellite n’est éloigné de Jupiter que de 9 demi-diamètres de Jupiter, ou 99 demi-diamètres terrestres , c’est- à-dire de 141817 lieuesf, etqu'ilest éloigné du soleil de 171 millions 600 mille lieues, il en ré- sulte que la chaleur envoyée par Jupiter à ce sa- PARTIE HYPOTHÉTIQUE. tellite aurait été :: (1171600000 }? : (1418172, si la surface que présente Jupiter à ce satellite était égale à la surface que lui présente le soleil. Mais la surface de Jupiter, qui, dans le réel, n'estque decelledusoleil, parait iéamoins plus grande à ce satellite, dans la raison inverse du carré des distances ; on aura donc (141817 5) 2: (171600000 P :: ca : 15473 © environ. Donc la surface que Jupiter présente à ce satel- lite est 15473 fois 2 plusgrande que celle que lui présente le soleil. Ainsi Jupiter, dans le temps de l'incandescence, était, pour ce satellite, un astre de feu 15473 fois = plus étendu que le so- leil. Mais nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du soleil , à la perte ee la 551 chaleur propre de ce ttes n'était que éré ; lorsqu'au bout de 7283 aus $, il se serait re- froidi à la température actuelle de la Terre, et que, dans le temps de l'incandescence, cette compensation par la chaleur du soleil n'étant 25 : on aura donc 15473 ?, multipliés par STIare ee , pour la compensation qu'a faite la 1250 OU chaleur de Jupiter sur ce satellite dans le com- mencement de cette première période, et pour la compensation qu’elle aurait faite à la in de cette même période de 7283 ans £ ; si Jupi- ter eût conservé son état d’incandescence. Mais, comme sa chaleur propre a diminué pendant cette période de 25 à 24 #, la compensation à la Le fin Se la période, au lieu d’être “+= ,n’a été que 5557 de ‘ _ 5 environ. Ajoutant ces ‘he termes + et ST Ers = dela compensation dans le premier et Hs le dernier temps de cette première période, on 44 “152 a: _. environ , lesquels, multipliés par 125, moitié de la somme de tous les termes , don- nent ts ou 144 5 environ, pour la compen- sation totale qu’a faite la chaleur de Jupiter pen- dant cette première période de 7285 ans £. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du re- Era on aura 25 : 144 5 : 7283 : 42044 45. Ainsi le temps dont la chaleur de Ju- piter a prolongé le refroidissement de ce satel- lite a été de 42044 ans 52 jours, tandis que la chaleur du soleil ne l'a prolongé que de 2 ans 252 jours : d’où l'on voit, en ajoutant ces deux temps à celui dela période de 7283 ans 233 jours, 992 HISTOIRE que ç'a été dans l'année 49331 de la formation des planètes, c’est-à-dire il y a 25501 ans, que ce second satellite de Jupiter a pu être refroidi au point de la température actuelle de la terre. Le moment où la chaleur envoyée par Jupi- ter a été égale à la chaleur propre de ce satel- lite s'est trouvé au 2 , terme environ de l’é- coulement du temps de cette première période de 7283 ans 233 jours, qui, multipliés par 291 ans 126 jours, nombre des années de chaque termede cette période, donnent 638 ans 67 jours. Ainsi, c'a été dès l’année 639 de la formation des planètes, que la chaleur envoyée par Jupi- ter à son second satellite s’est trouvée égale à sa chaleur propre Dès lors on voit que la chaleur propre de ce satellite a toujours été au-dessous de celle que lui envoyait Jupiter dès l'année 639 de la for- mation des planètes : on doit donc évaluer , comme nous l'avons fait pour le premier satel- lite, la température dontil a joui et dont il jouira pour la suite. Or, Jupiter ayant d’abord envoyé à ce satel- lite, dans le temps de l’incandescence, une cha- Eur 15473 fois ? plus grande que celle du so- leil, Jui envoÿait FAGOR à la fin de la première pe jode de 7283 ans $, une chaleur 14960 fois & plus grande que celle du soleil , parce que la chaleur propre de Jupiter n’avait encore dimi- nué que de 25 à 24 +. Et, au bout d’une se- conde période de 1283 ans 1, c'est-à-dire après la déperdition de la chaleur propre du satellite, jusqu’au point extrême de £ de la chaleur ac- tuelle de la terre , Jupiter envoyait encore à ce satellite une chaleur 14447 fois plus grandeque celle du Soleil, parce que la chaleur propre de Jupiter n’avaitencore diminué que de 24 à 23... En suivant la même marche, on voit que la chaleur de Jupiter, qui d'abord était 25 , et qui décroit DRE de # par chaque période de 7282 ans ©, diminue par conséquent sur ce satellite de 513 à peu près pendant chacune de ces périodes; en sorte qu'après 275 périodesen- viron, cette chaleur envoyée parJupiter au sa- tellite sera à très-peu prèsencore 1350 fois plus grande que la chaleur qu'il reçoit du soleil. Mais , comme la chaleur du soleil sur Jupiter et sur ses satellites està celle du Soleil sur la terre à peu près :: 1 : 27 , etque la chaleur de la Terre est 50 fois plus grande que celle qu'elle recoit actuellement du soleil , il s'ensuit qu'il faut diviser par 27 cette quantité 1350 pour NATURELLE. avoir une chaleur égale à celle que le soleil en- voie sur la terre; et cette dernière chaleur étant # de la chaleur actuelle du globe terrestre, il en résulte qu’au bout de 26 | périodes de 7283 ans % chacune, c’est-à-dire au bout de 193016 ans +, la chaleur que Jupiter enverra à ce satellite sera égale à la chaleur actuelle de la terre, et que, n'ayant plus de chaleur propre, il jouira néanmoins d’une température égale à celle dont jouit aujourd’hui la terre dans l’année 193017 de la formation des planètes. Et, de même que cette chaleur envoyée par Jupiter prolongera de beaucoup le refroïdisse- ment de ce satellite au point de la température actuelle de la terre, elle le prolongera de même, pendant 26 autres périodes { pour arriver au point extrême de # de la chaleur actuelle du globe de la terre; en sorte que ce ne sera que dans l’année 386034 de la formation des planè- tes que ce satellite sera refroidi à £ de la tempé- rature actuelle de la terre. Il en est de même de l'estimation de la cha- leur du soleil , relativement à la compensation qu'elle a faite et fera à la diminution de la tem- pérature du satellite. Il est certain qu'à ne con- sidérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite, cette chaleur du soleil n'aurait fait compensation, dansle temps del’incandescence, FF que de + , 4 SE à la fin de la première période de 7283 ans 5, cette même re du soleil aurait fait une compensation de ce , et que dès lors le prolongement du refroidissement par l'accession de cette chaleur du soleil aurait été de 2 ans ?. Mais, la chaleur envoyée par Jupi- ter, dès le temps de l’incandescence, étant à la chaleur propre du satellite : : 572 8 : 1250, il s'ensuit que la compensation faite par la chaleur du soleil doit être diminuée dans la même rai- _2S son, en sorte qu’au lieu d'être © , elle n’a été 676 . que 15»:1: au commencement de cette période. Et de même cette compensation, qui aurait été os à la fin de cette première période, en ne con- sidérant que la déperdition de la chaleur propre du satellite, doit être diminuée dans la même raison de 553 £ à 50, parce que la chaleur en- voyée par Jupiter était encore plus grande que la chaleur propre du satellite dans cette même raison. Des lors la CPAS. à la fin de cette première période, au lieu d’être ve , n'a été que THÉORIE DE LA TERRE. Pen &s:. En ajoutant ces deux termes de compensa- 25 2 DRE 676 = 4 tion 582: etws: du premier et du dernier 60639: temps de cette première période, on a hè5 89: $ dec Re OÙ xs, Qui, multipliés par 12 4, moitié de la somme de tous les termes, donnent ex pour la compensation totale qu'a pu faire la chaleur du soleil pendant cette première pé- riode. Et comme la perte de la chaleur est à la compensation en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidis- 120 8163545 : 1283 Ê sement , On aura 25 : -555ess : AD u :: 7283 ans {© : 108 jours #, au lieu de 2 ans? que nous avions trouvés par la première éva- luation. Et, pour évaluer en totalité la compensation qu’a faite cette chaleur du soleil, pendant toutes les périodes, on trouvera que la compensation, 25 l LÉ dansletemps del’incandescence, 8y ant étés sera , à la fin de 26 PRÉ de Ë 6, puisque ce n’est qu'après ces 26 ! 1 périodes que la tempé- rature du satellite sera égale à la température actuelle de la terre. Ajoutant donc ces deux 5 termes de compensation 752 Due “set% du premier #er3 et du dernier temps de ces 26 { périodes, on a 46806: re LT ,qui, multipliés par 12 ! moitié de la somme de tous les termes de la SAS | 865- de la chaleur, donnent aux ou ,$, environ, pour | la compensation totale par la chaleur du soleil, pendant les 26 periodes À de 7283 ans . Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la compensation totale en même raison que le | l È | pensation totale qu'a faite la chaleur du soleil | pendant le temps de cette première période. temps total de sa période est au prolongement du temps du refroidissement , on aura 25 : $x ::193016 & : 72 À. Ainsi le prolongement to- tal que ne la chaleur du soleil ne sera que de 72 ans 2, qu'il faut ajouter aux 193016 ans £ ; d'où l'on voit que ce ne sera que dans l’année 193090 de la formation des planètes que ce sa- tellite jouira de la même température dont jouit aujourd’hui la terre, et qu’il faudra le double de ce temps, c'est-à-dire que ce ne sera que dans l’année 386180 de la formation des pla- nètes qu'il pourra être refroidi à & de la tem- pérature actuelle de la terre. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. Faisant les mêmes raisonnements pour le troisième satellite de Jupiter, que nous avons supposé grand comme Mars, c’est-à-dire de % du diamètre de la terre, et qui est à 14 !demi- diamètres de Jupiter, ou 156? demi- -ditmètres terrestres, c'est-à-dire à 225857 lieues de dis- tance de sa planète principale, nous verrons que ce satellite se serait consolidé jusqu’au centre, en 1490 ans ?, refroidi au point de pouvoir le toucher en 16633 ans &, et au point de la tem- pérature actuelle de la terre en 38504 ans {{, si la densité de ce satellite était égale à celle de la terre ; mais, comme la densité du globe ter- restre est à celle de Jupiter et de ses satellites 1000 : 291, il faut diminuer en même raison les temps de la consolidation et du refroidissement, Ainsi, ce troisième nos se sera consolidé jusqu’au centre en 435 ans 5, rod au point de pouvoir le toucher en 5149 ans if, et il au- rait perdu assez de sa chaleur propre pour arri- ver au point de la température actuelle de la terre en 11243 ans Z environ, si la perte de sa chaleur propre n’eût pas été compensée par l’accession de la chaleur du soleil, et surtout par celle de la chaleur envoyée par Jupiter à ce satellite. Or, la chaleur envoyée par le soleil étant en raison inverse du carré des distances, la compensation qu’elle faisait à la perte de la chaleur propre du satellite était, dans le temps 25 25 de l’incandescence , £$ et F5 à la fin de cette première période de 11243 ans +. Ajoutant ces A 23 deux termes 5 et À de la compensation dans le premier et dans le dernier temps de cette pre- 630 mière période de 11243 ans £, on a, qui, | multipliés par 12 {, moitié de la somme de tous ee a pour la com- 85 les termes, donnent % ou Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidissement , on aura 25 : E : & : 4 environ. Ainsi, le prolongement du re- froidissement de ce satellite par la chaleur du soleil, pendant cette première période de 11243 ans Z, aurait été de 4 ans 116 jours. Mais la chaleur de Jupiter qui, dans ie temps de l’incandescence était 25, avait diminué pen- dant cette première période de 25 à 23 ? envi- 394 ron ; et, comme ce satellite est éloigné de Jupi- ter de 225857 lieues, et qu'il est éloigné du soleil de 171 millions 600 mille lieues, il en résulte que la chaleur envoyée par Jupiter à ce satellite aurait été à la chaleur envoyée par le soleil comme le carré de 171600000 est au carre de 225857, si la surface que présente Jupiter à ce satellite était égale à la surface que lui présente le soleil. Mais la pyPAce de Jupi- ter, qui, dans le réel, n’est que 2% de celle du soleil, parait néanmoins plus grande à ce sa- tellite dans le rapport inverse du carré des dis- tances ; on aura donc(225857)2 :(171600000) 2 44 : 6101 environ. Done la surface que pré- sente Jupiter àsontroisième satellite étant 6101 fois plus grande que la surface que lui présente le soleil, Jupiter, dans le temps de l’incandes- cence, était pour ce satellite un astre de feu 6101 fois plus grand que le soleil, Mais nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du soleil à la perte de la chaleur propre de ce sa- tellite n’était que cé , lorsqu’au bout de 11243 ans & il se serait refroidi à la température ac- tuelle de la terre, et que, dans le temps de l’in- candescence, cette compensation par la chaleur 25 du soleil n'a été que #5. Il faut donc multi- plier par 6101 chacun de ces deux termes de compensation, et l’on aura pour lepremier #2 et pour le second Lx ; et cette dernière com- pensation de la fin de la période serait exacte si Jupiter eût conservé son état d’incandescence pendant tout le temps de cette même période de 11243 ans Z. Mais, comme sa chaleur propre a diminué de 25 à 23 Ÿ pendant cette période, la compensation à la fin de la lé au lieu d’être Le , D'a été que de À =, Ajoutant ces deux 2187 et 2255 i termes “= €t EE de la Ve du pre- mier et du dernier temps dans cette première période, on a “ee environ, lesquels étant mul- tipliés par 12 !, moitié dela somme de tous les termes , donnent re Où 56 {ÿ environ pour la compensation totale qu'a faite M chaleur de Ju- piter sur son troisième satellite pendant cette première période de 11243 ans Z. Et, comme la perte totale de la chaleur propié est à la com- pensation totale en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement du refroidissement, on aura 25 : 56 # :: 11243 Z : 25340. Ainsi, le temps dont la chaleur de Ju- HISTOIRE NATURELLE. ter a prolongé le refroidissement de ce satellite pendant cette première période de 11243 ans %, a été de 25340 ans; et, par conséquent, en y ajoutant le prolongement par la chaleur du so- leil, qui est de 4 ans 116 jours, on a 25344 ans 116 jours pour le prolongement total du refroi- dissement ; ce qui, étant ajouté au temps de la période, donne 36787 ans 218 jours; d’où l’on voit que c’a été dans l’année 36588 de la formation des planètes, c'est-à-direil y a 38244 ans, que ce satellite jouissait de la même tem- pérature dont jouit aujourd’hui la terre. Le moment où la chaleur envoyée par Jupi- ter à ce satellite était égale à sa chaleur propre, s’est trouvé au 5 5%, terme de l’écoulement du temps de cette première période de 11243ans%, qui, étant multiplié par 4495, nombre des an- nées de chaque terme de cette période , donne 2490 ans environ. Ainsi ç'a été dès l’année 2490 de la formation des planètes, que la chaleur en- voyée par Jupiter à son troisième satellite s’est trouvée égale à la chaleur propre de ce satellite. Dès lors on voit que cette chaleur propre du satellite a été au-dessous de celle que lui en- voyait Jupiter dès l’année 2490 de la formation des planètes ; et en évaluant comme nous avons fait pour les deux premiers satellites, la tempé- rature dont celui-ci doit jouir, on trouve que Jupiter ayant envoyé à ce satellite, dans le temps de l’incandescence, une chaleur 6101 fois plus grande que celle du soleil, il fui envoyait encore, à la fin de la premide période de 11243 ans +, une chaleur 5816 #5 fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Jupiter n'avait diminué que de 25 à 235; et au bout d’une seconde période de 112453 ans, c’est-à-dire après la déperdition de la chaleur propre du satellite, jusqu’au point extrême deZ de la chaleur actuelle de la terre, Jupiter en- voyait encore à ce satellite une chaleur 5531 ,55 fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Jupiter n’avait encore di- minué que de 23 ÿ à 224. En suivant la même marche, on voit que la chaleur de Jupiter, qui d’abord était 25, et qui décroit constamment de ? par chaque période de 11243 ans;,, diminue par conséquent sur ce satellite de 284 (7: pendant chacune de ces pé- riodes ; en sorte qu'après 152 périodes environ, cette chaleur envoyée par Jupiter au satellite sera à très-peu près encore 1350 fois plus grande que la chaleur qu’il reçoit du soleil. a. ræ +445 Sprpsmin D © THÉORIE DE LA TERRE Mais,comme la chaleur du soleil sur Jupiter et sur ses satellites est à celle du sojeil sur Ja terre, à peu près :: 1 : 27, et que la chaleur de la terre est 50 fois plus grande que celle qu'elle reçoit actuellement du soleil , il s’ensuit qu'il faut diviser par 27 cette quantité 1350 pour avoir une chaleur égale à celle que le so- leil envoie sur la terre; et cette dernière cha- leur étant + de la chaleur actuelle du globe ter- restre, il en résulte qu'au bout de 15 ? périodes, chacune de 11243 ans %, c’est-à-dire au bout de 176144 #, la chaleur que Jupiter enverra à ce satellite sera égale à Ja chaleur actuelle de la terre, et que, n'ayant plus de chaleur propre, il jouira néanmoins d’une température égale à celle dont jouit aujourd’hui la terre dans l’an- née 176145 de la formation des planètes. Et, comme cette chaleur envoyée par Jupi- ter prolongera de beaucoup le refroidissement de ce satellite au point de la température ac- tuelle de la terre, elle le prolongera de même pendant 15 ? autres périodes, pour arriver au point extréme de+ de lachaleur actuelledu globe terrestre ; en sorte que ce ne sera que dans l’an- née 352290 de la formation des planètes que ce satellite sera refroidi à £ de la température actuelle de la terre. Il en est de même de l’estimationde la chaleur du soleil relativement à la compensation qu’elle a faite à la diminution de la température du sa- tellite dans les différents temps. Il est cer- tain qu’à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite , cette chaleur du Soleil n'aurait fait compensation , dans 25 le temps de l’incandescence, que de 5% ; et qu’à la fin de la première période , qui est de 11243 ans +, cette même chaleur du soleil aurait fait 2 une compensation de © , et que dès lors le pro- longement du refroidissement par l'accession de cette chaleur du soleil aurait “en effet été de 4 ans ?. Mais la chaleur envoyée par Jupiter, dès le temps de l’incandescence , étant à la chaleur propre du satellite :: 225 ## : 1250, il s’ensuit que la compensation faite par la cha- leur du soleil doit être diminuée dans la même 25 raison ; en sorte qu’au lieu d’être Ê# , ellen’a été 25 6 16 . que 4752 au commencement de cette période, et | É . PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 299 que la déperdition de la chaleur propre du satel- lite, doit être diminuée dans la raison de 218 # à 50, parce que la chaleur envoyée par Jupiter était encore plus grande que la chaleur propre du satellite dans cette même raison. Dès lors la compensation à la fin de cette première période, 50 au lieu d’être %, n’a été que xs. En ajoutant HE RE ces deux termes de compensation {4752 et 26555 du premier et du dernier temps de cette premiere se période, on a syse Ou 5575, qui, multipliés par 124, moitié de la somme de tous les termes, 8067 donnent 5957342 pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du soleil pendant cette premiere période. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolon- gement du refroidissement , on aura 25 : 5957542 11243: MO, ou :; 11243 ans % : 334 jours environ, au lieu de 4 ans { que nous ayions trouvés par la première évaluation. Et, pour évaluer en totalité la compensation qu'a faite cette chaleur du soleil pendant toutes les périodes , on trouvera que la compensation qu'a faite cette chaleur du soleil, dans le temps 25 de l’incandescence, ayant été WE, sera, à la fin 25 de 15 ? périodes, de 56, puisque ce n’est qu'après ces 15 2 périodes , que la température du satel- lite sera égale à la température actuelle de la terre. Ajoutant done ces deux termes de com- pensation 4752 et du premier et du dernier ou CE temps de ces 15 2 périodes, On à 357827 OU 75782; qui, multipliés par 12 ;, moitié de la somme de tous les termes de la diminution de la chaleur, 7052 donnent 55782; ou 5, environ pour la compensa- tion totale par la chaleur du soleil, pendant les 15 2 périodes de 11243 ans chacune. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la com- pensation totale en même raison que le temps total de la période est au prolongement du re- E 55_ .. 17 _Æ froidissement , on aura 25 : 363 :: 176144 À : quecette compensation, qui aurait été % à la fin | 66 {!. Ainsi, le prolongement total que fera la de cette première période, si l'on ne considérait chaleur du soleil ne sera que de 66 ans FA qu'il 550 faut ajouter aux 176144 ans #; d’où l’on voit que ce ne sera que dans l’année 176212 de la formation des planètes , que ce satellite jouira en effet de la même température dont jouit au- jourd’hui la terre, et qu'il faudra le double de ce temps, c'est-à-dire que ce ne sera que dans l'année 352424 de la formation des planètes que sa température sera 25 fois plus froide que la température actuelle de laterre. Faisant le mème calcul sur le quatrième sa- tellite de Jupiter, que nous avons supposégrand comme la terre , nous verrons qu'il aurait dû se consolider jusqu’au centre en 2905 ans, se refroidirau point de pouvoir le toucher en 33911 ans , et perdre assez de sa chaleur propre pour arriver au point de la température actuelle de la terre en 74047 ans, si sa densité était la même que celle du globe terrestre ; mais, comme la densité de Jupiter et deses satellites est à celle de la terre :: 292: 1000, les temps de la con- solidation et du refroidissement par la déperdi- tion de la chaleur propre doivent être diminués dans la même raison. Ainsi, ce satellite nes'est consolidé jusqu’au centre qu'en 848 ans #, re- froidi au point de pouvoir le toucher en 9902 ans : et enfin il aurait perdu assez de sa chaleur propre, pour arriver au point de la température actuelle de la terre, en 21621 ans, si la perte de sa chaleur propre n’eût pas été compensée par la chaleur envoyée par le soleil et par Jupiter. Or, la chaleur envoyée par le soleil à ce satellite étant en raison inverse du carré des distances, la compensation produite par cette chaleur, 25 2 était, dans le temps de l'incandescence, 5 et Ut à la fin de cette première HÉROS de 21621 ans. 25 Ajoutant ces deux termes de et 5 de la com- pensation du premier ét du der 1e temps de | 550 cette période, on a 5, qui multipliés par 12 #, moitié de la somme de tous les termes, donnent | us 12 120 ou 235 pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du soleil pendant cette première période de 21621 ans. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation to- tale en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement du refroidissement, on aura 25 : Le ::21621 :8 %.Ainsi,le prolon- gement du refroidissement de ce is par la chaleur du soleil a été de 8 ans # pour cette première période. donnent 53 HISTOIRE NATURELLE. Mais la chaleur de Jupiter, qui, dansletemps de l’incandescence, était 25 fois plus grande que la chaleur actuelle de la terre, avait dimi- nué au bout des 21621 ans, de 25 à 22 5; et, comme ce satellite est éloigné de Jupiter de 277 ; demidiamètres terrestres , ou de 397877 lieues, tandis qu’il est éloigné du soleil de 171 millions 600 mille lieues, il en résulte que la chaleur envoyée par Jupiter à ce satellite aurait été à la chaleur envoyée par le soleil comme le carré de 171600000 est au carré de 397877, si la surface que Jupiter présente à son qua- trième satellite était égale à la surface que lui présente le soleil, Mais la surface de Jupiter, qui , dans le réel, n’est que 474, de celle du so- _leil, parait néanmoins à ce satellite bien plus grande que celle de cet astre dans le rapport inverse du carré des distances; on aura donc (397877) :(171600000)° :: 4 : 1909 environ. Ainsi Jupiter,dans le temps de l’incandescence, était pour son quatrième satellite un astre de feu 1909 fois plus grand que le soleil. Mais nous avons vu que la compensation faite par Ja cha- leur du soleil à la perte de la chaleur propre du satellite était ©, lorsqu’au bout de 21621 ans il se serait refroidi à la température actuelle de la terre ; et que, dans le temps de l’incandes- cence , cette compensation, par la chaleur du 25 soleil, n’aété LS #5, qui, multipliés par 1909, donnent Fe # pour la compensation qu'a faite la chaleur de Jupiter au commencement de cette période, c'est-à-dire dans le venue de l’incan- descence,et par conséquent 97° “+ pourla compen- sation que la chaleur de FT aurait faite à la fin de cette première période, s’il eût conservé son état d’incandescence ; mais sa chaleur pro- pre ayant diminué pendant cette première pé- riode de 25 à 225, la compensation, au lieu d'é- Br 64 tre , n'a été que % environ. Ajoutant ces deux termes 6 et T° de la compensation dans le premier et dans le dernier temps de cette pé- riode , on a 5 environ, lesquels, multipliés par 12 ;, “moitié de la somme de tous les termes, 20887; ou 16 ? environ pour la com- ! pensation totale qu'a faite la chaleur envoyée par Jupiter à la perte de la chaleur propre de son quatrième satellite. Et, comme la perte to- tale de ja chaleur propre est à la compensation THEORIE DE LA TERRE. totale en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement du refroidissement, on aura 25 : 165:: 21621 : 14486 5. Ainsi, le temps dont la chaleur de Jupiter a prolongé le refroidissement de ce satellite pendant cette première période de 21621 ans , étant de 14186 ans 4%, et la chaleur du soleil l'ayant aussi prolongé de 8 ans & pendant la même pé- riode, on trouve, en ajoutant ces deux nombres d'années aux 21621 ans de la période, que c'a été dans l’année 36116 de la formation des planètes , c’est-à-dire il y a 38716 ans que ce quatrième satellite de Jupiter jouissait de la même température dont jouit aujourd'hui la Terre. Le moment où la chaleur envoyée par Jupi- ter à son quatrième satellite a été égale à la chaleur propre de ce satellite s’est trouvé au 17 2,terme environ de l’écoulement du temps de cette première période , qui, multiplié par 864 3, nombre des années de chaque ue de cette période de 21621 ans , donne 15278 %!. Ainsi, c'a été dans l’année 15279 de la formation des planètes que la chaleur envoyée par Jupiter à son quatrième satellite s’est trouvée égale à la chaleur propre de ce même satellite. Dès lors on voit que la chaleur propre de ce satellite a été au-dessous de celle que lui en- voyait Jupiter dans l’année 15279 de la forma- tion des planètes, et que Jupiter ayant envoyé à ce satellite, dans le temps de l’incandescence, une chaleur 1999 fois plus grande que celle du soleil , illui envoyait encore , à la fin de la pre- mière période de 21621 ans, une chaleur 1737 + fois plus grande que celle du soleil , parce que la chaleur propre de Jupiter n'a diminué pendant ce temps que de 25 à 22 ÿ; et au bout d'une seconde période de21621 ans,c’est-à dire, après [a déperdition de la chaleur propre de ce satellite, jusqu'au point extrême de £ de la cha- leur actuelle de la terre, Jupiter cover encore à ce satellite une chaleur 1567 4 fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Jupiter n'avait encore di- minué que de 22 5 à 20 #. En suivant la même marche, on voit que la chaleur de Jupiter, qui d'abord était 25, et qui décroît constamment de 2 À par chaque période de 21621 ans, diminue par conséquent sur ce satellite.de 171 # pendant chacune de ces pé- riodes ; en sorte qu’après 3 £ périodes environ, cette chaleur envoyée par Jupiter au satellite p PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 537 sera à très-peu près encore 1350 fois plusgrande que la chaleur qu’il reçoit du soleil. Mais, comme la chaleur du soleil sur Jupiter et sur ses satellites est à celle du soleil sur la terre à peu près :: 1 : 27, et que la chaleur de la terre est 50 fois plus grande que celle qu’elle recoit du soleil, il s'ensuit qu’il faut diviser par 27 cette quantité 1350 pour avoir une chaleur égale à celle que le soleil envoie sur la terre; et cette dernière chaleur étant £ de la chaleur ac: tuelle du globe, il est évident qu’au bout de 3 4 périodes de 21621 ans chacune , c'est-à-dire au bout de 70268 { ans, la chaleur que Jupiter a envoyée à ce satellite a été égale à la chaleur actuelle de la terre, et que, n'ayant plus de chaleur propre, il n’a pas laissé de jouir d’une température égale à celle dont jouit actuelle- ment la terre dans l’année 70269 de la forma- tion des planètes, c’est-à dire il y à 4563 ans. Et comme cette chaleur envoyée par Jupiter a prolongé le refroidissement de ce satellite au point de la température actuelle de la terre, elle le prolongera de même pendant 3 £ autres périodes, pour arriver au point extrême de # de la chaleur actuelle du globe de la terre ; en sorte que ce ne sera que dans l’année 140538 de la formation des planètes que ce satellite sera refroidi à & de la température actuelle de la terre. Il en est de même de l’estimation de la cha- leur du soleil , relativement à la compensation qu'elle à faite à la diminution de la tempé- rature du satellite dans les différents temps. I] est certain qu’à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite , cette chaleur du soleil n'aurait fait compensation dans le 29b-- temps de l’incandescence que de £ , et qu'à la fin de la première période de 21621 ans, cette même chaleur du soleil aurait fait unecompen- 25 sation de % , et que dès lors le prolongement du refr nc par l’accession de cette chaleur du soleil aurait en effet été de 8 ans 5 ; mais la chaleur envoyée par Jupiter, dans le temps de l'incandescence, étant à la chaleur propre du sa- tellite :: 1250, il s’ensuit que la com- pensation fite par la chaleur du soleil doit être diminuée dans la même raison ; en SOL te qu’au 25 lieu d’être {5 , elle n’a été que Se au com- mencement de cette pér iode , et que cette com- 70 as: pensation ; qui aurait été 676 à la fin de cette 22 298 première période, si l’on ne considérait que la | déperdition de la chaleur propre du satellite, doit être diminuée dans la même raison de 64 à 50, parce que la chaleur envoyée par Jupiter était encore plus grande que la chaleur propre | de ce satellite dans cette même raison. Dès lors la compensation à A fin de cette pregière pé- riode, au lieu d’être © Hnaétéque de. En ajou- 25 _676 tant ces deux termes de compensation 152: 25 fi du premier et du dernier temps de cette pre- s5sss EEE mière période, on a House OU 1505482 eNVIrON, qui, multipliés par 124, moitié ét la somme de tous les termes , pensation totale | qu'a pu faire la chaleur du s0- leil pendant cette première période. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la com- pensation {otale en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement du re- froidissement , on aura 25 : TE : 21621 ans : 4 ans 140 jours. Ainsi, le prolongement du refroidissement par la chaleur du soleil, au lieu d’avoir été de 8 ans 5, n'a été que de 4 ans 140 jours. Et, pour évaluer en totalité la compensation qu'a faite cette chaleur du soleil pendant tou- tes les périodes , on trouvera que la compensa- tion ; dans le temps de l’incandescence, te été de 5. 5, Sera, à la fin de 3 { périodes, de #5 Li puisque ce n’est qu'après ces 3 ! périodes que la température de ce satellite sera égale à la température actuelle de la terre. Ajoutant done 25 Ge 22 ces deux termes de compensation 15%: et &* du premier et du eue temps de ces 3 ; pério- 34264 des,on a 5, ou 0, qui multipliés par 12 ! 25 moitié de Fe somme de tous les termes de la di- minution de la chaleur, donnent 55, pour la compensation totale, par la chaleur du soleil, pendant les 3 ! périodes de 21621 ans chacune. Et comme la diminution totale de la chaleur est à la compensation totale en même raison que le temps total des périodes est à celui du prolon- peus du Dar + on on aura 25 : : 70268 : 27. Ainsi, le prolongement total qu'a fait la A. du soleil n’a été que de 27 | ans, qu’il faut ajouter aux 70268 ans 4; d’où | l'on voit que cç’a été dans l'année 70296 de la | HISTOIRE NATURELLE. formation des planètes, c’est-à-dire il y a 4536 ans, que ce quatrième satellite de Jupiter jouis- sait de la même température dont jouit aujour- d'hui la ferre ; et de même, que ce ne sera que dans le double du temps , c’est-à-dire dans l’an- née 140592 de la formation des planètes, quesa température sera refroidie au point extrême de 3 de la température actuelle de la terre. Faisons maintenant les mêmes recherches sur les temps respectifs du refroidissement des sa- tellites de Saturne, et du refroidissement de son anneau. Ces satellites sont à la vérité si difficiles à voir, que leurs grandeurs relatives ne sont pas bien constatées ; mais leurs distances à leur pla- nète principale sont assez bien connues, et il parait, par les observations des meilleurs astro- nomes, que le satellite le plus voisin de Saturne est aussi le plus petit de tous; que le second n’est guèreplus grosquele premier, le troisième, un peu plus grand ; que le quatrième paraît le plus grand de tous, et qu’enfin le cinquième parait tantôt plus grand que le troisième et tan- tôt plus petit ; mais cette variation de grandeur dans ce dernier satellite n’est probablement qu’une apparence dépendante de quelques cau- ses particulières qui ne changent pas sa gran- deur réelle, qu’on peut regarder comme égale a celle du quatrième, puisqu'on l’a vu quelquefois surpasser le troisième. Nous supposerons donc que le premier et le plus petit de ces satellites est gros comme la lune; le second, grand comme Mercure; letroi- : sième, grand comme Mars; le quatrième et le cinquième, grands comme laterre,et, prenantles distances respectives de ces satellites à leur pla-- nète principale, nous verrons que le premier est environ à 66 mille 900 lieues de distance de Sa- turne ; le second, à 85 milles 450 lieues, ce qui est à peu près la dun de la luneà la terre; le troisième, à 120 mille lieues ; le quatrième, à 278 mille lieues, et le PRE à 808 mille lieues , tandis que le satellite le plus éloigné de Jupiter n’en est qu’à 398 mille lieues. Saturne a donc une vitesse de rotation plus grande que celle de Jupiter, puisque, dans l'é- tat de liquéfaction, sa force centrifuge a projeté des parties de sa masse à plus du double de la distance à laquelle la force centrifuge de Jupiter a projeté celles qui forment son satellite le plus éloigné. Et, ce qui prouve encore que cette force cen- trifuge, provenant de la vitesse de rotation, est THÉORIE DE LA TERRE. plus grande dans Saturne que dans Jupiter, c'est | anneau dontilestenvironné, et qui , quoi- que fort mince, suppose une projection de ma- tière encore bien plus considérable que celle des cinq satellites pris ensemble. Cet anneau, con- centrique à la surface de l’équateur de Saturne , n’en est éloigné que d'environ 55 mille lieues ; sa forme est celle d’une zone assez large, un peu courbée sur le plan de sa largeur, qui est d'environ un tiers du diamètre de Saturne, c’est- à-dire de plus de 9 mille lieues ; mais cette zone de 9 mille lieues de largeur n'a peut-être pas 100 lieues d'épaisseur ; car , lorsque l’an- neau ne nous présente exactement que sa tran- | che, il ne réfléchit pas assez de lumière pour | qu'on puisse l’apercevoir avec les meilleures lu- nettes ; au lieu qu’on l’aperçoit pour peu qu'il s'incline ou se redresse, et qu’il découvre en con- séquence une petite partie de sa largeur. Or, cette largeur, vue de face, étant de 9 mille lieues, ou plus exactement de 9 mille 110 lieues, serait d'environ 4 mille 555 lieues vue sous l’angle de | 45 degrés, et par conséquent d'environ 100 | lieues vue sous un angle d’un degré d’obliquité; | car on ne peut guère présumer qu'il fût possi- | ble d’apercevoir cet anneau , s’il n'avait pas au moins un degré d’obliquité , c’est-à-dire s’il ne | nous présentait pas une tranche au moins égale à une quatre-vingt-dixième partie de sa lar- geur : d'où je conclus que son épaisseur doit être | égale à cette quatre-vingt-dixième partie, qui | équivaut à peu près à 100 lieues. Il est bon de supputer, avantd’aller plus loin, toutes les dimensions de cet anneau, et de voir quelle est la surface et le volume de la matière qu'il contient. Sa largeur est de 9 mille 410 lieues. Son épaisseur supposée de 400 lieues. Son diamètre intérieur de 194 mille 296 lieues. Son diamètre extérieur, c'est-à-dire y compris les épaisseurs , de 191 mille 496 lieues. Sa circonférence intérieure de 444 mille 75 lieues. Sa circonférence extérieure de 444 mille 701 lieues. Sa surface concave de 4 milliards 455 millions 5 mille 30 lieues carrées. Sa surface convexe de 4 milliards 512 millious 226 mille 110 lieues carrées. La surface de l'épaisseur en dedans, de 44 millions 407 mille 50n lieues carrées. La surface de l'épaisseur en dehors , de 44 millions 470 mille 100 lienes carrées. Sa surface totale de 8 milliards 185 millions 608 mille | 540 lieues carrées. Sa solidité de 404 milliards 836 millions 557 mille | lieues cubiques. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 339 Ce qui fait environ trente fois autant de volume de matière qu’en contient le globe terrestre, dont la solidité n’est que de 12 milliards 365 millions 103 mille 160 lieues cubiques. Et, en comparant la surface de l'anneau à la surface de la terre, on verra que celle-ci n'étant que de 25 millions 772 mille 725 lieues carrées,celle de toutes les faces de l'anneau étant de 8 milliards 185 millions 608 mille 540 lieues , elle est par conséquent plus de deux cent dix-sept fois plus grande que celle de la terre; ensorte que cet an- neau, qui ne paraît être qu’un volume anomal, un assemblage de matière sous une forme bi- zarre, peut néanmoins être une terre dont la surface est plus de trois cents fois plus grande que celle de notre globe, et qui, malgré son grand éloignement du soleil, peut cependant jouir de la même température que la terre. Car, si l'on veut rechercher l'effet de la cha- leur de Saturne et de celle du soleil sur cet an- neau, et reconnaitre les temps de son refroidis- sement par la déperdition de sa chaleur propre, comme nous l'avons fait pour la lune et pour | les satellites de Jupiter, on verra que, n'ayant que 100 lieues d'épaisseur, il se serait consolidé jusqu'au milieu ou au centre de cette épaisseur en 101 ans {environ , si sa densité était égale à celle de la terre ; mais comme la densité de Sa- turne et celle de ses satellites et de son anneau, que nous supposons la même , n’est à la densité de la terre que :: 184 : 1000, il s'ensuit que l’anneau, au lieu de s’être consolidé jusqu’au centre de son épaisseur en 101 ans #, s’est réel- lement consolidé en 18 ans #. Et de même on verra que cet anneau aurait dû se refroidir, au point de pouvoir le toucher, en 1183 ans 3£., si sa densité était égale à celle de laterre; mais, comme elle n’est que de 184 au lieu de 1000, le temps du refroidissement, au lieu d’être de 1183 ans 20. n’a été que de 217 ans #7, et celui du refroidissement à la température actuelle, au lieu d’être de 1958 ans, n’a réellement été que de 360 ans +, abstraction faite de toute com- pensation , tant par la chaleur du soleil que par celle de Saturne, dont il faut faire l'évaluation. Pour trouver la compensation par la chaleur du soleil, nous consdérerons que cette chaleur du soleil sur Saturne, sur ses satellites et sur | son anneau, est à très-peu près égale, parce que tous sont à très-peu près également éloignés de cet astre : or cette chaleur du soleil que reçoit | Saturne est à celle que reçoit la terre :: 100 340 HISTOIRE : 9095, ou :: 4 : 361. Dès lors la compensation qu'a faite la chaleur du soleil lorsque l'anneau a été refroidi à la température actuelle de la terre, au lieu d’être & comme sur la terre, n’a été que 4 %, et, dans le temps de l’incandescence, cette Car compensation n'était que #1. Ajoutant ces deux termes du premier et du dernier temps de cette 404 période de 360 ans %, on aura £ , qui pliés par 124, , multi- moitié de la somme de tous les 1500 su 61 termes , donnent ou pus pour la compensa- tion totale qu'a faite la chaleur du soleil dans les 360 ans Z de la première période. Et,comme la perte totale de la chaleur propre est à la com- pensation totale en même raison que le temps total de la période est à celui du prolongement du refroidissement , on aura 25 : :: 869 L: Rp EET (tt ans, ou 15 jours environ, dont le refroidis- on de l'anneau a été prolongé, par la cha- 360 ans %- Mais la compensation, par la chaleur du so- | 28752 NATURELLE, plus grande que celle de cet astre dans la raison inverse du carré des distances ; on aura donc (54656)? : (313500000 } :: -%*, : 259332 en- viron ; donc là surface que Saturne présente à son anneau est259332 fois plus grande que celle que lui présente le soleil. Ainsi Saturne , dans le temps de l’incandescence , était pour son an- neau un astre de feu 259332 fois plus étendu que le soleil. Mais nous avons vu que la com- pensation faite par la chaleur du soleil à la perte #4 süt | dela chaleur propre de l’ ue n'était que %6 » | lorsqu’au bout de 360 ans %, il se serait refroidi à la température actuelle de la terre, et que , dans le temps de l’incandescence, cette compen- + sation, par la chaleur du soleil, n’était que 5; 4 on aura done 259332, multipliés par Æ5 ou Ke environ pour la compensation qu'a faite ! lachaleur de Saturne au commencementde cette leur du soleil, pendant cette première périodede leil, n’est pour ainsi dire rien en comparaison | ; P de celle qu’a faite la chaleur de Saturne. Cette chaleur de Saturne , dans le temps de l’incan- | descence, c’est-à-dire au commencement de Ja période, était vingt-cinq fois plus grande que la chaleur actuelle de la terre, et n'avait encore diminué au bout de 360 ans Z que de 25 à 24 2 environ. Or cet anneau est à 4 demi-diamè- tres de Saturne, c’est-à-dire à 54 mille 656 lieues de distance de sa planète, tandis que sa distance au soleil est de 313 millions 500 mille lieues, en supposant 33 millions de lieues pour la distance de la terre au soleil. Dès lors Saturne, dans le temps de l’incandescence, et même longtemps et très-longtemps après, a fait sur son anneau une compensationinfiniment plus grande que la cha- leur du soleil. Pour en faire la comparaison, il faut considé- rer que la chaleur croissant comme le carré de la distance diminue la chaleur envoyée par Sa- turne à son anneau, aurait été à la chaleur en- voyée par le soleilcommele carréde313500000 est au carré de 54656 , si la surface que Saturne présente à son anneau était égale à la surface que lui présente le soleil ; mais la surface de Sa- turne , qui n’est, dans le réel, que ps de celle du soleil, parait néanmoins à son anneau bien période, dans le temps de l'incandescence, et 5% pour la compensation que Saturne aurait faites à la fin de cette même période de 360 ans Z, s’il eüt conservé son état d’incandescence. Mais, comme sa chaleur propre a diminué 5 25 à 24 2! pendant cette période de 360 ans Z, | la compensation à la fin de cette période, au lieu fe LE d'être T°, n'a été que. Ajoutant ces deux termes in et A du premier et du deruier temps de cette première période de 360 ans 2 0 on aura 5%, qui, multipliés par 12! , moitié de la somme de tous les termes, donnent 21290 ou 745 4 environ pour la compensation totale qu'a faite la chaleur de Saturne sur son es pendant cette première période de 360 ans x. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement : refroidissement, on aura 25 : 745 5 :: 360 : 10752 5 environ. Ainsi le temps dont la ue de Saturne a prolongé le refroidisse- ment de son anneau pendant cette première pé- riode a été d’environ 10752 ans £, tandis que la chaleur du soleil ne l'a prolongé, pendant la méme période ,que de 15 jus Ajoutant ces deux nombres aux 360 ans £ de la période, on voit que c'est dans l’année 1118 de la forma- tion des planètes, c’est-à-dire il y a 63719 ans, | Ph THÉORIE DE LA TERRE. que l'anneau de Saturne aurait pu se trouver au même degré de température dont jouit aujour- d'hui la terre, si la chaleur de Saturne, sur- passant toujours la chaleur propre de l'anneau, n'avait pas continué de le brüler pendant plu- sieurs autres périodes de temps. Car le moment où la chaleur envoyée par Sa- | turne à son anneau était égale à la chaleur pro- pre de cet anneau s’est trouvé dès le temps de l’incandescence où cette chaleur envoyée par | Saturne était plus forte que la chaleur propre de l'anneau dans le rapport de 2873 5 à 1250. Dès lors on voit que la chaleur propre de | l'anneau a été au-dessous de celle que lui en-, voyait Saturne dès le temps de l’incandescence, ! et que, dans ce même temps, Saturne ayant en- voyé à son anneauunechaleur 259322 fois plus grande que celle du soleil, il lui envoyait ee core, à la fin de la première période de 360 une dléor 258608 Z fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Sa- | turne n'avait diminué que de 25 à 244; et, au bout d’une seconde période de 360 ans 3,c'est- à-dire après la déperdition de la chaleur propre de l'anneau, jusqu’au point extrême de £ de la chaleur actuelle de la terre, Saturne envoyait encore à son anngçau une chaleur 257984 & fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Saturne n'avait encore dimi- nué que de 24 À à 24 57. En suivant la même marche, on voit que la ehaleur de Saturne, qui d’abord était 25,et qui décroit constamment de £ par chaque période de 360 ans7, diminue par conséquent, sur l'an- | neau , de 723 © pendant chacune de ces pério- des ; en sorte qu'après 351 périodes environ , cettechaleur envoyée par Saturne à son anneau, sera encore àtrès-peu près 4500 fois plus grande que la chaleur qu’il reçoit du soleil. Mais, comme la chaleur du soleil, tant sur Saturne que sur ses satellites et sur son anneau, est à celle du soleil sur la terre à peu près ::1 : 90, et que la chaleur de la terre est 50 fois plus grande que celle qu’elle reçoit du soleil, il s'ensuit qu'il faut diviser par 90 cette quantité 4500 pour avoir une chaleur égale à celle que le soleil envoie sur la terre; et cette dernière cha- leur étant # de la chaleur actuelle du globe ter- restre, il est évident qu’au bout de 351 périodes de 360 ans Z chacune, c’est-à-dire au bout de 126458 ans , la chaleur que Saturneenverra en- core à son anneau sera égale à la chaleur ac- PARTIE HYPOTHÉTIQUE. oH tuelle de la terre, et que, n'ayant plus aucune chaleur propre depuis très-longtemps , cet an- neau ne laissera pas de jouir encore alors d’une température égale à celle dont jouit aujourd’hui la terre. Et, comme cette chaleur envoyée par Sa- turne aura prodigieusement prolongé le refroi- dissement de son anneau au point de la tempé- rature actuelle de la terre, elle le prolongera de même pendant 351 autres périodes, pour arriver au point extrème de # de la chaleur actuelle du globe terrestre ; en sorte que ce ne sera que dans l’année 252916 de la formation des planètes que l'anneau de Saturne sera refroidi à £ de la tem- pérature actuelle de la terre. 3) | Il en est de même de l'estimation de la cha- leur du soleil , relativement à la compensation qu'elle a dû faire à la diminution de la tempéra- ture de l’anneau dans les différents temps. Il est | certain qu’à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre de l’anneau, cette chaleur du soleil n'aurait fait compensation, dans le temps ar de l’incandescence, que de EL et qu’à la fin de la première Léo qui est de 360 ans Z, cette | même chaleur du soleil aurait fait une compen- 4 sation de %!, et que dès lors le prolongement du refroidissement par Paccession de cette chaleur du soleil aurait en effet été de quinze jours ; mais la chaleur envoyée par Saturne, dans le temps de l’incandescence, étant à la chaleur propre de l’anneau :: 2873 £ : 1250 ,ils’ensuit | que la compensation faite par la chaleur du so- leil doit être diminuée dans la même raison ; en 4_ 561 1250 sorte qu’au tieu d'être elle n'a été que Lie au commencement de cette ASE; et que cette compensation, qui aurait été #1 sh à la fin de cette première période, si l’on ne So dérait que la déperdition de la chaleur propre de l’anneau, doit être diminuée dans la raison de 2867 { à 50, parce que la chaleur envoyée par Saturne était encore plus grande que la chaleur propre de l’anneau dans cette même raison. Dès lors la compensation, àla fin de cette première période, 6 pe re 61. au lieu d’être À, n’a été que zur: . fn ge M LE 0 56 ces deux termes de compensation à TES Qt 29175 du premier et du dernier tempsde cette première ssl — : r. période, on à ven OÙ 7ovexs > Qui, Mullipliés 542 par 124, moitié de la somme de tous les termes de la diminution de la chaleur propre pendant cette première période de 360 ans Z£ , donnent 4 pour la compensation totale qu’a pu faire la chaleur du soleil pendant cette première pé- riode. Et, comme la diminution totale de la cha- leur est à la compensation totale en même rai- son que le temps de la période est au prolonge- ment du nement, on aura 25 : FEEDS : 860 L: Lo, OÙ :: 360 ans £ : dix heures quatre minutes. Ainsi le prolongement du re- froidissement , par la chaleur du soleil sur l’an- neau de Saturne pendant la première période , au lieu d'avoir été de quinze jours, n’a réelle- ment été que de dix heures quatorze minutes. Et, pour évaluer en totalité la compensation qu’a faite cette chaleur du soleil pendant toutes les périodes, on trouvera que la compensation , Fr le temps de l’incandescence, ayant été ES + 414}, sera, à la finde 351 périodes, de 5%, puis- que ce n’est qu'après ces 351 périodes, que la température de l’anneau sera égale à la tempé- rature actuelle de la terre. Ajoutant donc ces deux termes de compensation Fr et 55 mier et du dernier temps de ces 351 Dérioies à Le on a où SE ,qui multipliés par 42 #, moi- tié de la somme de tous les termes de la dimi- nution de la chaleur pendanttoutes ces périodes, donnent; environ pour la compensation to- tale, par la chaleur du soleil, pendant les 351 périodes de 360 ans Z chacune. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la compen- sation totale en même raison que le temps total de la période est au EL EN du refroidis- SERIEUs on aura 25 : is :: 126458 : 14 ans 23. Ainsi le prolongement total qu'a fait et que fera la chaleur du soleil sur l'anneau de Saturne n’est que de 14 ans ;4, qu'il faut ajouter aux 126458 ans. D'où l’on voit que te ne sera que dans l’année 126473 de la formation des plane- tes, que cet anneau jouira de la même tempéra- ture dont jouit aujourd’hui la terre, et qu'il faudra le double de temps, c’est-à-dire que ce ne sera que dans l’année 252946 de la formation des planètes, que la température de l'anneau de Sa- turne sera refroidie à £ de la température ac- tuelle de la terre. Pour faire sur les satellites de Saturne la même évaluation que nous venons de faire sur qu pre- HISTOIRE NATURELLE, le refroidissement de son anneau, nous suppose- rons, Comme nous l’avons dit, que le premier de ces satellites, c’est-à-dire le plus voisin de Sa- turne , est de la grandeur de la lune ; le second, de celle de Mercure; le troisième, de la gran- deurde Mars ; le quatrième etle cinquième, de la grandeur de la terre. Cette supposition , qui ne pourrait être exacte que par un grand hasard, ne s’éloigne cependant pas assez de la vérite pour que, dans le réel, elle ne nous fournisse pas des résultats qui pourront achever de com- pléter nos idées sur les temps où la nature a pu naitre et périr dansles différents globes quicom- posent l’univers solaire. Partant donc de cette supposition , nous ver- rons que le premier satellite, étant grandcomme la lune, a dû se consolider jusqu’au centre en 145 ans 5 environ, parce que, n'étant que de # du diamètre de la terre, il se serait consolidé jusqu’au centre en 792 ans 3, s’il était de même densité : mais la densité de la terre étant à celle de Saturne et de ses satellites :: 1000 : 184, il s’ensuit qu’on doit diminuer le temps de la consolidation et du refroidissement dans la même raison, ce qui donne 145 ans ? pour le temps nécessaire à la consolidation. Il en est de même du temps du refroidissement au point de pouvoir toucher sans se brûler la surface de ce satellite : on trouvera, par les mêmes règles de proportion, qu’il aura perdu assez de sa chaleur pour arriver à ce pointen 1701 ans #, et ensuite que, par la même déperdition de sa chaleur pro- pre, il se serait refroidi au point de la tempéra- rature actuelle de la terre en 3715 ans #;. Or, l'action de la chaleur du soleil étant en raison inverse du carré de la distance, la compensation que cette chaleur envoyée par le soleil a faite au commencement de cette première pérlonts dans ca le temps de l’incandescence , a été É ( æ in à la fin de cette même ere de “ 15 ans . Ajou- tant ces deux termes FT et % sit ï de la compensa- tion dans le premier et dans le dernier temps de 404 cette période, on a %, qui, multipliés par 124, moitié de la somme de tous les termes, donnent 1500 ñ 3 ou À? pour la compensation totale qu’e faite la chaleur du sp pendant cette première période de 3715 ans #. Et, comme la perte to- tale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le tempsde la période est à celui du prolongement du refroidissement, THÉORIE DE LA TERRE. on aura 25 : +34, :: 3715 ans À, : 156 jours. Ainsi le prolongement du refroidissement de ce satellite par la chaleur du soleil n’a été que de 156 jours pendant cette première période. Mais la chaleur de Saturne, qui, dans le temps de l’incandescence , c’est-à-dire dans le commencement de cette première période , était 25 , n'avait encore diminué au bout de 3715 ans £ quede 25 à 24 environ; et, comme ce sa- tellite n’est éloigné de Saturne que de-66900 lieues , tandis qu'il est éloigné du soleil de 313 millions 500 mille lieues, la chaleurenvoyée par Saturne à ce premier satellite aurait été à la chaleur envoyée par le soleil comme le carré de 313500000 est au carré de 66900 , si la surface que Saturne présente à ce satellite était égale à la surface que lui présente le soleil : mais la sur- face de Saturne, qui n’est, dans le réel , que _. de celle du soleil , paraît néanmoins à ce satel- lite plus grande que celle de cet astre dans le rapport inverse du carré des distances ; on aura donc (66900) : (3135000002:: 5 : 173102 environ; done la surface que Saturne présente à son premier satellite étant 173 mille 102 fois plus grande que celle que lui présente le soleil , Saturne, dans le temps de l'incandescence, était pour ce satellite un astre de feu 173102 fois plus grand que le soleil. Mais nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du soleil à la perte de la chaleur propre de ce satellite, n’était 4 que ETS dans le temps de l’incandescence, et su lorsqu’au bout de 3715 ans © il se seraitrefroïdi à la température actuelle de la terre ; on aura 4 ' EN ET = 1918- : done 173102 multipliés par À, ou => environ pour la compensation qu’a faite la chaleur de Saturne au commencement de cette période , dans le temps de l’incandescence, et Je pour la compensation que Saturne aurait faite à la fin de cette même période , s’il eût conservé son état d’incandescence : mais , comme la chaleur propre de Saturne a diminué de 25 à 24 5 en. viron pendant cette période de 3715 ans ?, la compensation , à la fin de cette période , au lieu AUS d’être % n’a été que #& environ. Ajoutant ces : 4918, : deux termes #5 et “+ de la compensation du premier et du dernier temps de cette période , S548- 154 on aura Er , lesquels, multipliés par 125, moitié de la somme detousles termes , donnent LA L 4 919 PARTIE HYPOTHÉTIQUE. SE ou 485 £ environ pour la compensation to- tale qu'a faite la chaleur de Saturue sur son pre- mier satellite pendant cette première période de 3715 ans 2. Et, comme la perte totale de la cha- leur propre est à la compensation totale en même raison que le temps total de la période est au prolongement du refroidissement , on aura 25 : 485 £ :: 3715 2 : 12136 environ. Ainsi, le temps dont la chaleur de Saturne a prolongé le refroi- dissement deson premier satellite pendant cette première période de 37155, a été de 72156 ans, tandis que la chaleur du soleil ne Pa prolongé pendant la même période que de 156 jours. En ajoutant ces deux termes avec celui de la pé- riode, quiest de 3715 ans environ ; On voit que | ce sera dans l’année 75853 de la formation des planètes, c’est-à-dire dans 1021 ans , que ce , | premier satellite de Saturne pourra jouir de la même température dont jouit aujourd’hui la terre. Lemoment où la chaleur envoyée par Saturne à ce satellite a été égale à sa chaleur propre, s’est trouvé dès le premier moment de l’incan- descence , ou plutôt ne s’est jamais trouvé ;car, dans le temps même de l’incandescence ; la cha- leur envoyée par Saturne à ce satellite était en: core plus grande que lasienne propre; quoiqu'il fût lui-même en incandescence, puisque la com- pensation que faisait alors la chaleur de Saturne à la chaleur propre du satellite, était ee el que pour qu'elle n’eüt été qu'égale, il aurait fallu que la température n’eùt été que ue. Dès lors on voit que la chaleur propre de ce | satellitea étéau-dessous decelle queluienvoyait Saturne dès le moment de l’incandescence ; et que, dans ce même temps ; Saturne ayant en- vové à ce satellite une chaleur 173102 fois plus grande que celle du soleil, il lui envoyait en- core, à la fin de la première période de 3715 ans &, une chaleur 168308 ; fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Saturne n'avait diminué que de 25 à 24 #;et, au bout d’une seconde période de 5715 ans 5 après la déperdition de la chaleur propre de ce satellite, jusqu’au point extrême de 3 de la cha- leur actuelle dela terre, Saturne envoyait en- core à ce satellite une chaleur 163414 fois plus grande que celle du soleil , paree que la chaleur propre de Saturne n'avait encore diminué que de 24 3 à 23 À. En suivant Ja mème marebe , on voit que la oi HISTOIRE NATURELLE. chaleur de Saturne , qui d’abord était 25 , et qui décroit constamment de * par chaque période de 3715 ans #, diminue par conséquent , sur ce satellite, de 4893 ? pendant chacune de ces pé- riodes ; en sorte qu ’après 334 périodes envi- ron , cette chaleur envoyée par Saturne à son premier satellite sera encore à très-peu près 4500 fois plus grande que Ja chaleur qu’il reçoit du soleil. Mais comme cette chaleur du soleil sur Sa- turne et sur ses satellites est à celle du soleil sur la terre :: 1 : 90 à très-peu près , et que la cha- leur de la terre est 50 fois plus grande que celle qu’elle reçoit du soleil , il s'ensuit qu’il faut di- viser par 90 cette quantité 4500 pour avoir une chaleur égale à celle que le soleil envoie sur la terre ; et cette dernière chaleur étant # de la chaleur actuelle du globe terrestre , il est évident qu’au bout de 33 £ périodes de 3715 ans #7 chacune, c’est-à-dire au bout de 124475 ans ÿ, la chaleur que Saturne enverra encore à ce satellite sera égale à la chaleur actuelle de Ja terre , et que ce satellite, n'ayant plus aucune chaleur propre depuis très-longtemps , ne lais- sera pas de jouir alors d’une température égale à celle dont jouit aujourd’hui la terre. Et, comme cette chaleur envoyéepar Saturne a prodigieusement prolongé le refroidissement de ce satellite au pointde latempérature actuelle de la terre, il le prolongera de même pendant 33 ! autres périodes, pour arriver au point ex- trême de £ de la chaleur actuelle du globe de la terre ; en sorte que ce ne sera que dans l’année 248951 de la formation des planètes , que ce premier satellite de Saturne sera refroidi à ; de la température actuelle de la terre. Ilen est de même de l'estimation de la cha- leur du soleil, relativement à la compensation qu’elle a faite à la diminution de la température de ce satellite dans les différents temps. Il est certain qu’à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite, cette chaleur du soleil n'aurait fait éompensatine dans letemps de l’incandescence , que de ic et qu'à È fin de la première période, qui est de 3715 ans 7, celte même chaleur du soleil aurait fait une compen- sation de si, et que dès lors le prolongement du refroidissement par l'accession de cette cha- leur du soleil aurait été en effet de 156 jours mais la chaleur envoyée-par Saturne dans le temps de l'incandescence étant à la chaleur propre du satellite : 1918 £ : 1250, il s’ensuit que la compensation faite par la chaleur du so- leil doit être diminuée dans la même raison; en . EVE un sorte qu’au lieu d’être %f, elle n’a été que tu au commencement de cette période, et que cette compensation, qui aurait été sic à la finde cette première période, si on ne considérait que la dé- perditivn de la chaleur propre du satellite, doit être diminuée dans la raison de 1865 à50, parce que la chaleur envoyée par Saturne était encore plus grande que la chaleur propre du satellite dans cette même raison. Dès lors la compensa- tion à la fin de cette première période, au lieu 4 4 d’être #5, n’a été que er. 12 n ajoutant ces deux termes decompensation us ou ns du premier et du dernier temps de cette première période de 20352 6224 3715 ans , On à io OÙ go6r0ss QUi, multi- pliés par 12{, moitié dela somme de tous les termes de la diminution de la chaleur du satel- lite pendant cette première période, donnent Hu pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du. soleil pendant cette première pé- riode. Et, comme la diminution totale de la cha- leur estàla compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidissement, on aura 25 : @M5 :: 3715 LE Se ou :: 3715 ans EE : 6 jours 7 heures environ. Anse le prolongement du refroidisse- ment par la chaleur du soleil, pendant cette première période, au lieu d’avoir été de 156 jours, n’aréellement étéque de 6 jours 7 heures. Et, pour évaluer en totalité la compensation qu'a faite cette chaleur du soleil pendant toutes les périodes , on trouvera que la compensation dans le temps de l’incandescence , ayant été, Per. Et sera , à la fin de 33 4 périodes de 3715 #z mL. de comme nous venons de ledire, 4 süi, puisque ce n’est qu'après ces 33 ; périodes que la température de ce satellite sera légale à la température actuelle de la terre. see donc ces deux termes de compensation Er et sir du premier et du io temps des 33 4 à pério- 42873 des,on a tr ou SE qui, multipliés par 12 5, moitié de la somme de tous les termes de la di- THÉORIE DE minution de la chaleur pendant toutes ces pé- riodes, donnent-#% pour la compensation to- tale, par la nn du soleil, pendant les 33 { périodes de 3715 ans Ÿ chacune. Et ,comme la diminution totale de la chaleur est à la compen- sation totale en même raison que le temps total des périodes est au prolongement du refroidis- sement, on aura 25 : ,:: 124475 ans À : 14 ans 4 jours environ. Ainsi, le le on to- tal que fera la chaleur du soleil ne sera que de 14 ans 4 jours , qu'il faut ajouter aux 124475 ans &. D'où l’on voit que ce ne sera que sur la fin de l’année 124490 de la formation des pla- uètes, que ce satellite jouira de la même tempé- rature dont jouit aujourd’hui la terre, et qu’il faudra le double de ce temps, c’est-à-dire 248980 ans à dater de la formation des planètes, pour que ce pb satellite de Saturne puisse être refroidi à 4 de la température actuelle de la terre. Faisant le même calcul pour le second satel- lite de Saturne , que nous avons supposé grand comme Mercure, et qui est à 85 mille 450 lieues de distance de sa planète principale , nous ver- rons que ce satellite a dû se consolider jusqu’au centre, en 178 ans +, parce que, n étant que de + du diamètre de la terre , il se serait consolidé jusqu’au centre en 968 ans +, s’il était de même densité; mais comme la densité de la terre est à la densité de Saturne et de ses satellites :: 1000 : 184, il s'ensuit qu’on doit diminuer le temps de la consolidation et du refroidissement dans la meme raison, ce qui donne 178 ans £ pour le temps nécessaire à la consolidation. 11 en est de même du temps du refroidissement au point de toucher sans se brüler la surface du satellite; on trouvera, par lesmémes règles de DEApORION, qu’il s'est refroidi à ce point en 2079 ans ©, et ensuite qu’il s’est refroidi à la température ac- tuelle de la terre en 4541 ans f environ. Or, l'ac- tion de la chaleur du soleil étant en raison in- verse du carré des distances, la compensation était au commencement de cette RERnIETE pé- riode, dans le temps de l’incandescence, ar NÉE 4_ % à la fin de cette même période de 4541 ans 5. Ajoutant ces deux termes ar et ir du premier et du dernier temps de cette période, on a ae, qui, multipliés par 12 #, moitié de la somme de 1500 5;; touslestermes | donnent ou ÿ:39 pour la com- LA TERRE. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 45 pensation totale qu'a faite la chaleur du soleil pendant cette première période de 4541 ans ! es Et, comme la perte totale de la chaleur propre està la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidissement, on aura 25 : LHEpE :: 75414:191 jours. Ainsi, le prolongement du refr oidissement de ce satellite par la chaleur du soleil aurait été de 191 jours pendant cette première période de 4541 ans #. Mais la chaleur de Saturne qui, dans le temps de l’incandescerfte , était 25 fois plus grande que la chaleur actuelle de la terre, n'avait diminué au bout de 4541 ans {que de 7 environ, et était encore 24 & à la fin de cette même période. Et, ce satellite n'étant éloigné que de 85 mille 450 lieues de sa planète principale, tandis qu'il est éloigné dusoleil de 313 millions 500 millelieues, il en résulte que la chaleur envoyée par Satuyne à ce second satellite aurait été comme le carré de 313500000 est au carré de 85450, si la sur- face que présente Saturne à ce satellite était égale à la surface que lui présente le soleil; mais la Se de Saturne qui, dans le réel, n’est que fus de celle du soleil, paraît néanmoins plus grande à ce satellite Hans le rapport inverse du carré des dÉnes On aura donc (85450 ) ? : (8313500000 }° :: Pr: 106104 environ. Ainsi, la surface que présente Saturne à ce satellite étant 106 mille 104 fois plus grande que la sur- face que lui présente le soleil, Saturne, dans le temps de l'incandescence, était pour son second satellite un astre de feu 106 mille 104 fois plus grand que le soleil. Mais nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du soleil à la perte de la chaleur propre du satellite , dans le 4 temps de l’incandeseance,n’était que 2 et qu’à la fin de la première période de 4541 ansf, lors- qu’il serait refroidi par la déperdition de sa cha- leur propre au point de la température actuelle de la terre, la compensation par la chaleur du M: soleil a été %%*. 11 faut donc multiplier ces deux termes de compensation par 106104, etl'on aura AATSS se environ pour la compensation qu'a faite la chaleur de Saturne sur ce satellite au commen- cement de cette première période, dans letemps se 11752 : de l'incandescence, et = pour la compensation que la chaleur de Saturne aurait, faite à la fin 546 de cette même période, s’il eût conservé son état d'incandescence; mais, comme la chaleur propre de Saturne a diminué de 25 à 24 & pen- dant cette période de 4541 ans, la compensa- sation à la fin de la période, au lieu d’être 7% PA TELE ‘ : n’a été que “ee environ. Ajoutant ces deux 417SE 4154 termes de compensation 7,4 et-5 du premier et du dernier temps de la période, on a AM lesquels, multipliés par 124, moitié de la somme de tous les termes, donnent Po OU 295 ÿ en- iron pour la compensation totale qu’a faite la chaleur envoyée par Saturne à ce satellite pen- dant cette première période de 4541 ans 1. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du re- froidissement, on aura 25 : 295 2 :: 4541 j : 53630 environ. Ainsi, le temps dont la chaleur de Saturne a prolongé le refroidissement de ce satellite, pour cette premiere période , a été de 53630 ans, tandis que la chaleur du soleil, pen- dant le même temps, ne l’a prolongé que de 191 jours D'où l’on voit, en ajoutant ces temps à celui de la période, qui est de 4541 ans£, que ça été dans l’année 58173 de la formation des planètes, c’est-à-dire il y à 16659 ans, que ce second satellite de Saturne jouissait de la même température dont jouit aujourd’hui la terre. Le moment où la chaleur envoyé par Saturne à ce satellite a été égale à sa chaleur propre, s’est trouvé presque immédiatement après l’in- ae Fret di et à candescence ; c’est-à-dire à Hs52 du premier terme de l’écoulement du temps de cette pre- mière période, qui, multipliés par 181$, nombre des années de chaque terme de cette période de 4541 ans ;, donnent 7 ans 4 environ. Ainsi, ç’a été dès l'année 8 de la formation des planètes, que la chaleur envoyéeparSaturne à son second satellite, s'est trouvée égale à la chaleur propre | de ce même satellite. Dès lors on voit que la chaleur propre de ce satellite à été au-dessous de celle qui lui en- voyait Saturne , dès le temps le plus voisin de l’incandescence, et que , dans le premier mo- ment de l'incandescence, Saturne ayantenvoyé à ce satellite une chaleur 106 mille 104 fois plus grande que celle du soleil, il lui envoyait en- core, à la fin de la première période de 45 41 ans 2 une chaleur 102382 ? fois plus grande que : HISTOIRE NATURELLE. celle du soleil, parce que la chaleur propre de Saturne n'avait diminué que de 25 à 24 £; et au bout d’une seconde période de 4541 ans #, après la déperdition de la chaleur propre de ce satellite, jusqu’au point extrême de 3; de la cha leur actuelle de la terre, Saturne envoyait en- core à ce satellite une chaleur 98660 ? fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Saturne n’avait encore diminué que de24 & à 23 f5. En suivant la même marche, on voit que la chaleur de Saturne, qui d’abord était 25, et qui décroît constamment de 7 par chaque périodede 4541 ans }, diminue par conséquent sur ce sa- tellite de 3721 £ pendant chacune de ces pério- des; en sorte qu'après 26 À périodes environ, cette chaleur envoyée par Saturne à son second satellite sera encore à peu près 4500 fois plus grande que la chaleur qu’il recoit du soleil. Mais comme cette chaleur du soleil sur Sa- turne et sur ses satellites est à celle du soleil sur la terre :: 1 : 90 à très-peu près, et que la cha- leur de la terre est 50 fois plus grande que celle qu’elle reçoit du soleil ,il s'ensuit qu'il faut di- viser par 90 cette quantité 4500 pour avoir une chaleur égale à celle que le soleil envoie sur Ja terre; et cette dernière chaleur étant $ de la chaleur actuelle du globe terrestre, il est évi- dent qu’au bout de 26 { périodes de 4541 ans À, c’est-à-dire au bout de 119592 ans À, la chaleur que Saturne enverra encore à ce satellite sera égale à la chaleur actuelle de la terre, et que ce satellite, n'ayant plus aucune chaleur propre depuis très-longtemps, ne laissera pas de jouir alors d’une température égale à celle dont jouit aujourd’hui la terre. Et, comme cette chaleur envoyée par Saturne a prodigieusement prolongé le refroidissement de ce satellite au point de latempérature actuelle de la terre, il le prolongera de même pendant 26 { autres périodes, pour arriver au point ex- trème de # de la chaleur actuelle du globe de la terre; en sorte que ce ne sera que dans l’année 239185 de la formation des planètes, que ce se- cond satellite de Saturne sera refroidi à + de la température actuelle de la terre. Il en est de même de l'estimation de la cha- leur du soleil, relativement à la compensation qu’elle a faite à la diminution de la température du satellite dans les différents temps. Il est cer- tain qu’à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite, cette chaleur du so- sn: 06 pi D En ne Léna Des. sn. "a Ré th el | THÉORIE DE LA TERRE. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. leil n'aurait fait compensation dans le temps de l'incandescence, que de € , et qu’à la fin de la premiére période qui est de 4541 ans 5, cette même chaleur du soleil aurait fait compensation de % Et , etque dès lors le prolongement du refroi- ent par l’accession de cette chaleur du soleil aurait en effet été de 191 jours; mais la chaleur envoyée par Saturne, dans le temps de l'incandescence, étant à la chaleur propre du sa- tellite :: 1175 ? : 1250, il s’ensuit que la com- peusation faite pur la chaleur du soleil doit être diminuée dans la même raison ; en sorte qu’au 4 lieu d'être ai , elle n’a été que Es au com- mencement de cette période , et que cette com- 4 pensation , qui aurait été ! à la fin de cette première période, si l’on neconsidéraitque ladé- perdition de la chaleur propre du satellite, doit étrediminuée dansla raisonde1134{à50,parce | que la chaleur envoyée par Saturne était encore plus grande que la chaleur propre du satellite dans cette même raison. Dès lors la compensa- tion , à a fin de cette première période , au lieu d'être Ÿ sr 4 560. n a été que ue En a RUES ces deux termes de compensation , ets _. du premier et du dernier temps de cette première 1440 ériode, on a=3% — E ss ET UTEMUET Te RS tipliés par 124 moitié de la somme de tous les termes de la FACE de la chaleur , donnent 9— environ, qui , mul- fo pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du soleil pendant cette première période. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidissement, on aura 25 : 5% :: 4541 : ÆS., ou ::4541 5 : 19 jours environ. Ainsi, le prolongement du refroidissement par la chaleur du soleil, au lieu d’être de 191 jours, n’a réel- lement été que de 19 jours environ. Et pour évaluer en totalité la compensation qu’a faite cette chaleur du soleil pendant toutes les périodes, on trouve que lacompensation , par la chaleur du soleil, dans letemps de l’incandes- cence, ayant été, comme nous venons de le dire, 4 TS ; 4252 , sera , à la finde 264 périodes de 4541 ans 347 4 chacune, de St puisque ce n’est qu'après ces 26 { périodes que la température du satellite sera égale à la température actuelle de la terre. Ajoutant donc ces deux termes de compensa- 3 4 tion sur et *! du premier et du Prin temps de 902. ces 26! À ap on à 5 ou; Fr Ré, qui, mul- tipliés par 12 , moitié de la somme de tous les termes de la diminution de la chaleur pendant toutes ces périodes, donnent, 55e Pour la com- pensation totale par la chaleur du soleil , pen- dant les 26 £ périodes de 4541 ans { chacune. Et comme la diminution totale de la chaleur est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement au refroidissement , on aura 25 : En 119592 : 12 & environ. Ainsi le prolongement total que fera la chaleur du soleil ne sera que de 13 ans #5, qu'il faut ajouter aux 119592 ans 4; d'où l’on voit que ce ne sera que dans l’année 119607 de la formation des planètes , que ce satellite jouira de la même température dont jouit au- jourd’hui la terre , et qu’il faudra le double du temps , c’est-à-dire que ce ne sera que dans l’an- née 239214 de la formation des planètes, que sa température sera refroidie à ;; de la tempéra- ture actuelle de la terre. Faisant les mêmes raisonnements, pour le troisième satellite de Saturne , que nous avons supposé grand comme Mars , et qui est eloigné de Saturne de 120 mille lieues, nous verrons que ce satellite aurait de se consolider deu centre en 277 ans #, parce que, n ’étant que & du diamètre de la terre , ilse serait refroidi jus- qu’au centre en 1510 ans #, s’il était de même densité; mais , la densité de la terre , étant à celle de cesatellite :: 1000 : 184, il s’ensuit qu’on doit diminuer le temps de sa consolidation dans la même raison , ce qui donne 277 ans 5 ENVi- ron. Il en est de même du temps du refroidisse- ment au point de pouvoir, sans se brüler , tou- cher la surface du satellite : on trouvera, par les mêmes règles de proportion, qu'il s’est refroidi à ce point, en 3244 , et ensuite qu'il s'est re- froidi au point de la température actuelle de la terre en 7083 ans # environ. Or , l’action de la chaleur du soleil étant en raison inverse du carré de la distance , la compensation était au commencement de cette première période, dans 48 AA 4 le temps de l'incandescence , 5, et Sôl à la fin de cette mème périvde de 7083 ans 4. Ajoutant ces deux termes de compensation du premier et du 104 dernier temps de cette période, on a ËE., qui, mul- tipliés par 124, moitié de la somme de tous les 1500 ar y »S 561 TE “ termes , donnent £f ou ;5;, pour la compensa tion totale qu'a faite la Chaleur du soleil pen- dant cette première période de 7083 ans #. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du re- 52” froidissement , on aura 25 : Si :: 1083 ans ! : 296 jours. Ainsi, le prolongement du refroïdis- sement de ce satellite, par la chaleur du soleil, n’a été que de 296 jours pendant cette première période de 7083 ans #. Mais la chaleur de Saturne, qui dans le temps de l’incandescence , était 25, pe diminué, eu bout de la période de 7083 ans de 25 à23 &, et, comme ce satellite est éloigné de Saturne de 120 mille lieues , et qu'il est distant du soleil de 313 millions 500 mille lieues, il en résulte que la chaleur envoyée par Saturne à ce satellite au- rait été comme le carré de 313500000 est au carré de 120000 , si la surface que présente Sa- turne à ce satellite était égale à la surface que lui présente le soleil; mais la surface de Satur- ne n'étant, dans le réel, que En de celle du soleil, parait néanmoins à ce satellite plus grande que celle de cet astre dans le rapport inverse du carré des SE à on aura done (120000) :(313500000):: Der 3891 environ. Donc la surface que Saturne présente à ce satellite est 53801 fois plus grande que celle que lui présente le soleil. Ainsi Saturne, dans le temps de l’in- candescence , était pour ce satellite un astre de feu 53801 fois plus grand que le soleil. Mais nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du soleil à la perte de la chaleur propre 4. de ce satellite était %°, lorsqu’au bout de 7083 ans ?,il se serait, comme Mars, refroidi à la tem- pérature actuelle de la terre, et que , dans le temps de l’incandescence, celte RAREREOn me par la chaleur du soleil, n’était que x, ; on au- & mer ra donc 53801, multipliés par sh OU 3350 pour la compensation qu'a faite la chaleur de Saturne au commencement de cette période, HISTOIRE NATURELLE, dans le temps del'incandescence, et ME pour la compensation à la fin de cette même période, si Saturne eût conservé son état d’incandes- cence : mais, comme sa chaleur propre à dimi- nué de 25 à 23 #f environ pendant cette période de 7083 ans ?, la CRPEAUR à la fin de cette période , au lieu d’ être es n'a étéquede = né Ajoutant ces deux termes % et “2%: Qu pre- mier et du dernier temps de cette période, on 14685 % 154 RE a ss environ, lesquels, multipliés par 12 4, moitié dela somme de tous les termes, don- ln environ ou 146 ÿ pour la compensa- “tion totale qu'a faite la RE de Saturne sur ce troisième te pendant cette première pé- riode de 7083 ans {#. Et comme la perte totale de la chaleur propre et à la compensation totale en même raison que le temps de la période est à celui du prolongement du refroidissement , on aura 25 : 146 à :: 7083 3 : 41557 { environ. Ainsi, le temps dont la chaleur de Saturne a pro- longé le refroidissement de son troisième satel- lite pendant cette période de 7083 ans ?, a été de 41557 ans À, tandis que la chaleur du soleil ne l'a prolongé pendant ce même temps que de 296 jours. Ajoutant ces deux temps à celui de la période de 7083 ans ? on voit que ce serait dans l’année 48643 de la formation des planè- tes, c’est-à-dire il y a 26189 ans, que ce troi- sième satellite de Saturne aurait jouide la même température dont jouit aujourd’hui la terre. Le moment où la chaleur envoyée par Sa- turne à ce satellite a été égale à sa chaleur pro- pre , s’est trouvé au 2+, terme environ de l’é- coulement du temps de cette première période , lequel, multiplié par 283 £,nombre des années de chaque terme de la période de 7083 ?, donne 630 ans £ environ. Ainsi ç’a été dès l’année 631 de la formation des planètes que la chaleur en- voyée par Saturne à son troisieme satellite s’est trouvée égale à la chaleur propre de ce même satellite. Dès lors on voit que la chaleur propre de ce satellite a été au-dessous de celle que luï en- voyait Saturne dès l’année 631 de la formation des planètes, et que Saturne ayant envoyé à ce satellite une chaleur 53801 fois plus grande que celle du soleil, il lui envoyait encore , à la fin de la premniené période de 7083 ans, une chaleur 50854 + fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Saturne n ‘avait THÉORIE DE diminué que de 25 à 23 # environ. Et au bout d’une seconde période de 7083 ans? ,après la déperdition de la chaleur propre de ce satellite, jusqu’au point extrême de + de la chaleur ac- tuelle de la terre, Saturne envoyait encore à ce satellite une chaleur 47907 !? fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Saturne n’avait encore diminué que de 23 # à 22 4. En suivant la même marche, on voit que la chaleur de Saturne, qui d'abord était 25, et qui décroit constamment de 1 # par chaque période de 7083 ans ?, diminue par conséquent sur ce satellite de 2946 3 pendant chacune de ces pé- riodes ; en sorte qu'après 15 périodes environ, cette chaleur envoyée par Saturne à son troi- sième satellite sera encore 4500 fois plus grande que la chaleur qu'il recoit du soleil. Mais ,comme cette chaleur du soleil sur Sa- turne et sur ses satellites est à celle du soleil sur la terre :: 1 : 90 à très-peu près, et que la chaleur de la terre est 50 fois plus grande que celle qu’elle recoit du soleil, il s'ensuit qu’il faut diviser par 90 cette quantité de chaleur 4500 pour avoir une chaleur égale à celle que le soleil envoie sur la terre; et cette dernière chaleur étant & de la chaleur actuelle du globe terres- tre, il est évident qu'au bout de 15 5 périodes de 7083 ans ?, c’est-à-dire au bout de 111567 ans, la chaleur que Saturne enverra encore à ce satellite sera égale à la chaleur actuelle de la terre , et que ce satellite n’ayant plus aucune chaleur propre depuis très-longtemps , ne lais- sera pas de jouir alors d’une température égale à celle dont jouit aujourd'hui la terre. Et, comme cette chaleur envoyée par Saturne a très-considérablement prolongé le refroidisse- ment de ce satellite au point de la température actuelle de la terre , il le prolongera de mème pendant 15 ÿ autres périodes , pour arriver au point extrême de + de la chaleur actuelle du globe de la terre ; en sorte que ce ne sera que dans l’année 223134 de la formation des pla- nètes que ce troisième satellite de Saturne sera refroidi à £ de la température actuelle de la terre. Il en est de même de l'estimation de la cha- leur du soleil, relativement à la compensation qu’elle a faite à la diminution de la température du satellite dans les différents temps. Il est cer- tain qu’à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite , cette chaleur du so- LA TERRE. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 519 leil n'aurait fait compensation, dans le temps de 4 l'incandescence, que de Æ£ , et qu'à la fin de la première Déode t qui est de 7083 ans ?, cette même chaleur du soleil aurait fait une compen- 4 sation de %! ; et que dès lors le prolongement du refroidissement , par l’accession de cette cha- leur du soleil, aurait en effet été de 296 jours. Mais la chaleur envoyée par Saturne dans le temps de l’incandescence étant à la chaleur pro- pre du satellite :: 596 $ : 1250 ,il s'ensuit que la compensation faite par la chaleur du soleil doit être diminuée dans la même raison ; en - sorte qu’au lieu d’être #5, elle n’a été que pi? | me au commencement de cette période, et 4_ que cette compensation, qui aurait été 561 à la fin de cette période, si l’on ne considérait que la dé- perdition de la chaleur propre du satellite, doit être diminuée dans la raison de 5634 à 50, parce que la chaleur envoyée par Saturne était en- core plus grande que la chaleur propre de ce satellite dans celte même raison. Dès lors la compensation à la fin de cette premiere période, 4 EU au lieu d’être 5%, n’a été que 652. En UE 756 st ces deux termes de compensation TEL et 645: du premier et du dernier temps de cette première _9858 Fe rte OÙ 5060 Qui, multipliés par moitié de la somme de tous les termes, De ona 12 { £ #99 donnent ee , pour la compensation totale qu’a pu faire la chaleur du soleil pendant cette pre- mière période. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidissement, on aura 25 : 40% = 24198782 most :: 71083 2: te) OU :: 7083 2ans : 31 jours environ. Ainsi, le prolongement da refroi- dissement, par la chaleur du soleil, au lieu d’a- voir été de 296 jours, n’a réellement été que de 31 jours. cars Et, pour évaluer en totalité la compensation qu'a faite cette chaleur du soleil pendant toutes ces périodes, on trouvera que la compensation , par la chaleur du soleil, dans le temps de l’in- candescence, ayant été, comme nous venons de , sera, à la fin de 15 5 périodes, de 500 _4 7083 ans ? chou de EL , puisque ce n'est qu'après ces 15 périodes que la température du satellite sera égale à la température actuelle de la terre. Ajoutant donc ces deux termes de 4 ait , compensation 4846, et sil du premier et du der- CSST nier temps de ces 15 } périodes, on a 5 ou ELU 92506$ M:+z css su: , qui, multipliés par 12 !, moitié de la somme de tous les termes de la diminution de la chaleur pendant les 15 # périodes de 7083 ans À 969 262, . | chacune, donnent s595; pour la compensation totale qu'a faite la chaleur du soleil. Et,comme la diminution totale de la chaleur est à la com- pensation totale en même raison que le temps total des périodes est au prolongement du re- 269+ froidissement, on aura 25 : ÿ5s0ç: :: 111567 ans :12ans 254 jours. Ainsi, le prolongement total que fera la chaleur du soleil pendant toutes ces périodes ne sera que de 12 ans 254 jours, qu'il faut ajouter aux 111567 ans : d’où l'on voit que ce ne sera que dans l’année 111580 de la for- mation des planètes que ce satellite jouira réel- lement de la même température dont jouit au- jourd’hui la terre, et qu’il faudra le double de ce temps, c'est-à-dire que ce ne sera que dans l’année 223160 de la formation des planètes que sa température pourra être refroidie à de la température actuelle de la terre. Faisant les mêmesraisonnements pour le qua- trième satellite de Saturne, que nous avons sup- posé grand comme la terre, on verra qu'il au- rait dû se consolider jusqu’au centre en 534 ans #, parce que ce satellite étant égal au globe ter- restre , il se serait consolidé jusqu’au centre en 2905 ans, s’il était de même densité; mais la densité de la terre étant à celle de ce satellite :: 1000 : 184,1l s’ensuit qu’on doit diminuer le temps de la consolidation dans la même raison, cequi donne 534 ans &. Il en est de même du temps du refroidissement au point de toucher, sans se brüler, la surface du satellite : on trou- vera, par les mêmes règles de proportion, qu'il s’estrefroidi à ce point en 6239 ans ?, et ensuite qu'il s’est refroidi à la température actuelle de la terre en 13624 ©. Or, l’action de la chaleur du soleil étant en raison inverse du carré des di- stances , la compensation était au commence- HISTOIRE NATURELLE. ment de cette première éniqs dans le temps NN de l’incandescence, 3 ti à la fin de cette même période de 13624 2. Ajoutant ces deux 2 t 0 du premier et du dernier temps 4104 de cette période, on a SE, qui, multipliés par 124, moitié de la somme de tous les termes, 1500 sir donnent 55 ou 5%: pour la compensation to- tale qu'a faite la chaleur du soleil pendant cette période de 13624 ans ?. Et, comme la perte to- tale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la pé- riode est au prolongement du refroidissement, 4: termes #5 e on aura 25 : Yi :: 13624 2: 1 {environ. Ainsi le prolongement du refroidissement de ce sa- PES par la chaleur du soleil , n’a été que de 1 an # pendant cette première période de 13624 ans ? 3. Maisla chaleur de Saturne, qui, dans le temps de l’incandescence , était 25 fois plus grande que la chaleur de la température actuelle de la terre, n'avait encore diminué , au bout de cette période de 136242, que de 25 à 22 environ. Et, comme ce satellite est à 278 mille lieues de distance de Saturne, et à 313 millions 500 mille lieues de distance du soleil, la chaleur envoyée par Saturne, dans le temps de l'incandescence, aurait été comme le carré de 313500000 est au carré de 278000, si la surface que présente Sa- turne à son quatrième satellite était égale à la surface que lui présentele soleil ; mais lasurface 1 de Saturne n'étant dans le réel, que 4% de celle du soleil, paraît néanmoins à ce satellite plus grande que celle de cetastre, dans la raison inverse du carré des distances. Fe l’on aura (278000 }? : (313500000 )? :: FE : 10024 À environ. Done la surface que présente Saturne à ce satellite est 10024 ! fois plus grande que celle que lui présente le soleil. Mais nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du soleil à la perte de la chaleur propre de ce sa- telite n’était que si , lorsqu’au bout de 13624 ans ; ilse serait refroidi comme la terre au point de la température actuelle , et que, dans le temps de l’incandescence, cettecompensation 4 par la chaleur du soleil n’a été que /»,, ; on aura THÉORIE DE LA TERRE. PL 4 Fes donc 10024 { multipliés par 35 ou “as pour | la compensation qu'a faite læ chaleur de Saturne au commencement de cette ae dans letemps de l'incandescence, et “5= pour la compensa- tion que la teur de Le aurait faite à la fin de cette même période, s’il eût conservé son état d’incandescence : mais, comme la chaleur propre de Saturne a doué de 25 à 22 $ en- viron pendant cette période de 13624 ans 4 , la compensation à la fin de cette période, au lieu d'être !{*7, n’a été que de Ÿ# environ. Ajou- TE tant ces deux termes -,et 55 : de la com- pensation du premier et du dernier temps de Ér cette période, on aura Le environ, lesquels, multipliés par 12 £, moitié de la somme de tous les termes , donnent #55 ou 26 environ pour la compensation totale qu’a faite la chaleur de Saturne sur son quatrième satellite, pendant cette première période de 13624 ans 3. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolonge en du refroidissement , on aura 25 : 26 4:: 13624 À : 14180 &. Ainsi , le temps dont la chaleur de Saturne a prolongé le refrojnissement de ce sa- tellite a été de 14180 ans # environ pour cette première période, tandis que le prolongement de son refroidissement, par la chaleur du soleil, n'a été que de 1 an #. Ajoutant à ces deux temps celui de la période, on voit que ce serait dans l’année 27807 de la formation des planè- tes, c’est-à-dire il y a 47025 ans , que ce qua- trième satellite aurait joui de la même tempé- rature dont jouit aujourd’hui la terre. Le moment où la chaleur envoyée par Sa- turne à ce quatrième satellite a été égale à sa chaleur propre s’est trouvé au 11 ? terme envi- ron de cette première période, qui, multiplié par 545, nombre des années de chaque terme de cette période , donne 6131 ans { ; en sorte que c’a été dans l’année 6132 de la formation des planètes que la chaleur envoyée par Saturne à son quatrième satellite s'est trouvée égale à la chaleur propre de ce satellite. Dès lors on voit que la chaleur propre de ce satellite a été au-dessous de celle que lui en- voyait Saturne dans l’année 6132 de la forma- | tion des planètes, et que Saturne ayant envoyé à ce satellite une chaleur 10024 £ fois plus PARTIE HYPOTHÉ QUE. 351 | grande que celle du soleil , il lui envoyait en- | core , à la fin de la première période de 13624 ans $, une chaleur 8938 8 fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur de Saturne n'avait diminué que de 25 à 22 # pendant cette première période. Et, au bout d'une seconde période de 13624 ans ?, après la déperdition de la chaleur propre de ce satellite, jusqu’au point extrême de 4 de la température actuelle de la terre, Saturne enyayait encore à ce satellite une chaleur 7853 + fois plus grande que celle du soleil, parce que la chaleur propre de Saturne n'avait encore diminué que de 22 & à 20 &. En suivant la même marche, on voit que la chaleur de Saturne, qui d’abord était 25, et qui décroit constamment de 2 #£ par chaque période de 13624 ans ?, diminue par conséquent sur son satellite de 1085 { # pendant chacune de ces pé- riodes ; en sorte qu’ après quatre périodes envi- ron , cette chaleur envoyée par Saturne à son quatrième satellite sera encore 4500 fois plus grande que la chaleur qu'il reçoit du soleil. Mais , comme cette chaleur du soleil sur Sa- turne et sur ses satellites est à celle du soleil sur la terre :: 1 : 90 à très-peu près , etque la cha- leur de la terre est 50 fois plus grande que celle qu’ellerecoit du soleil, il s’ensuit qu'il faut divi- ser par 90 cette quantité de chaleur 4500 pour avoir une chaleur égale à celle que le soleil en- Jus sur la terre; et cette dernière chaleur étant & de la chaleur actuelle du globe terrestre, il est évident qu’au bout de 4 périodes de 13624 ans $ 5 chacune, c’est-à-dire au bout de 54498 ans ? 274 chaleur que Saturne a envoyée à son es satellite était égale à la chaleur actuelle de la terre, et que ce satellite, n’ayant plus aucune chaleur propre depuis longtemps, n’a pas laissé de jouir alors d’une température égale à celle dont jouit aujourd’hui la terre. Et, comme cette chaleur envoyée par Saturne a considérablement prolongé le refroidissement de ce satellite au point de latempérature actuelle de la terre, il le prolongera de même pendant 4 autres périodes, pour arriver au point extrême de + de la chaleur actuelle du globe terrestre; en sorte que ce ne sera que dans l’année 108997 de la formation des planètes que œ quatrième satellite de Saturne sera refroidi à £ de la tem- | pérature actuelle de la terre. Il en est de même de l'estimation de la cha- . leur du soleil, relativement à la compensation qu’elle a faite à la diminution de la température 3)2 L HISTOIRE NATURELLE. du satellite dans les différents temps. Il est cer- tain qu'à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite, cette chaleur du so- leil n'aurait fait compensation , dans le temps de 4 l'incandescence , que de #5, et qu’à la fin de la première période, qui est de 13624 ans ÿ, cette même chaleur du soleil aurait fait une compen- 4 sation de % , et que dès lors le prolongement du refroidissement par l’accession de cette chaleur du soleil aurait en effet été de 1 an 204 jours : mais la chaleur envoyée par Saturne , dans le temps de l'incandescence , étant à la chaleur propre du satellite :: 111 5 : 1250 , il s'ensuit que la compensation faite par la chaleur du so- leil doit être diminuée dans la même raison; 4 en sorte qu’au lieu d'être 5! , elle n’a été que — 8 7, au commencement de cette période, etque 4 cette compensation, qui aurait été #! à la fin de cette premiérepériode, si l’on ne considérait que la déperdition de la chaleur propre du satellite , doit être diminuée dans la raison de 99 { à 50, parce que la chaleur envoyée par Saturne était encore plus grande que la chaleur propre du satellite dans cette même raison. Dès lors la compensation, àla fin de cette première période, - LU FR RES au lieu d’être %!, n’a été que 492. En ajoutant 27; ces deux termes de compensation 156 du premier et du dernier tempsde cette première 6014— 46 période, on a — | moitié é de la somme re tous les ter- 208 mes , donnent a5o72.= pour la compensation to- tale qu'a pu faire la chaleur du soleil pendant cette première période ; et, comme la diminu- tion totale de la chaleur est à la compensation totale en même raison que le temps dela période est au prolongementdurefroidissement, on aura par 124 205070 » . 2837109: 25: 208-- :: 13624 & © Ho706n9 » OU 13624 204 jours environ. Ainsi, le prolongement du - refroidissement de ce satellite par la chaleur du soleil, au lieu d’avoir été de 1 an 204 jours, n’a réellement été que de 204 jours. Et, pour évaluer en totalité la compensation qu'a faite la chaleur du soleil pendant toutes, ces périodes, on trouvera que la compensation EE » dans le temps de l’incandescence, ayant été —— 4 5 — aàlafi 2 Li 561 612 » Sera à la fin de 4 périodes, %% , puisque ce n’est qu'après ces 4 périodes que la tempéra- ture de ce satellite sera égale à la température ac- 1 tuelle de la terre.Ajoutant ces deux termes =  + du premier et du dernier temps de ces 4 pé- us Por bre riodes, on a — _ Te OÙ Gsoss: y Qui , multipliés par 12 %, moitié dela somme de touslestermes, don- 495 936. nent 6055: pour la compensation totale qu’a faite la chaleur du soleil pendant les 4 périodes de 13624 ans ?chacune, Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la compensation en même raison que le temps total de ces périodes est à celui du prolongement du refroidissement, ne :: 54498 ans ? : 6 ans 87 jours. Ainsi , le prolongement total que fera la chaleur du soleil sur ce satellite ne sera que de 6 ans 87 jours, qu'il faut ajouter aux 54498 ans 2; d’où l'on voit que ç’a été dans l’année 54505 de la formation des planètes que ce satellite a joui de la même température dont jouit aujour- d'hui la terre , et qu'il faudra le double de ce temps, c’est-à-dire que ce ne sera que dans l’an- née 109010 de la formation des planètes , que sa température sera refroidie à 3; de la tempé- rature actuelle de la terre. on aura 25 : : Enfin, faisant le même raisonnement pour le cinquième satellite de Saturne, que nous sup- poserons encore grand comme la terre, on verra qu'il cp dù se consolider jusqu’au centre en 534 ans 5, se refroidir au point d’en on la surface , sans se brüler , en 6239 ans #, etau point de la tempér rature “actuelle de la terre en 13624 ans ?, et l’ on trouvera de même que le prolongement du refroidissement de ce satellite par la chaleur du soleil n’a été que de 1 an 204 jours pour la première période de 13624 ans 3, Mais la chaleur de Saturne, qui, dans le temps de l’incandescence , était 25 fois plus grande que la chaleur actuelle de la terre , n’a- vaitencore diminué, au bout de cette période de 13624 ?, que de 25 à 22 $. Et, comme ce satel- lite est à 808 mille lieues de Saturne , et à 313 millions 500 mille lieues de distance du soleil, la chaleur envoyée par Saturne , dans le temps THÉORIE DE LA TERRE. s de l'incandescence, à ce satellite. aurait été en raison du carré de 313500000 au carré de 808000, si la surface que présente Saturne à son cinquième satellite était égale à la surface que lui présente le soleil ; mais “ surface de Saturne n'étant , dans le réel, que -%:, de celle du soleil, parait néanmoins nos grande à ce satellite que celle de cet astre dans la raison inverse du carré des distances. Ainsi, l’on aura (808000) ? : (8135000009) 2:: 5 : 11862. Donc la surface que Saturne présente à ce satellite est 1186 2 fois plus grande que celle que lui présente le soleil. Mais nous avons vu que la compensation faite par la chaleur du soleil à la perte de la chaleur 4 propre de ce satellite n’était que FT , lorsqu'au bout de 13624 ans 2il seserait refroidi, comme la terre, aupointdelatempératureactuelle, et que, dans le temps de l’incandescence, la HE tion par la chaleur du soleil n’a été que ER on er "Jet 3 415,5 Fi aura done 1186 ; multipliés par EU ou pour lacompensation, dans le temps de l’incandescen- | | me ce, et PARTIE HYPOTHETIQUE. 393 mation des planètes, c’est-à-dire il y à 59534 ans , que ce cinquieme satellite de Saturne au- rait joui de la même température dont jouit aujourd'hui la terre. Dans le commencement de la seconde période de 13624 ans ?, Ja chaleur de Saturne a fait compensation de: fie , et aurait fait, à la fin de « 2934 cette même période, une compensation de . ,» si Saturne eût conservé son même état de cha- leur ; mais, comme sa chaleur propre a diminué ? ? pendant cette seconde période de 22 {? à 20 4, 293; cette Re No lieu d’être 5" , n’estque de = environ. Ajoutant ces deux termes Les et LE du premier et du dernier temps de cette De, période, on aura LE à très-peu près, qui, multipliés par 125, moitié de la somme de tous les termes, donnent 5% ou 71 £ pour la compensation Due qu'a faite la eu de | pour la compensation à la fin de cette : première période, siSaturneeñtconservésonétat | d’incandescence : mais, comme sa chaleur propre a diminué de 25 à 23 £ pendant cette période de 13624 €, la compensation à la fin de la période, ni a LE : tie , l'a été que de “x environ. Le Lin au lieu d'être = Ajoutant ces A termes = et fes du premier et du dernier temps de ue période , on aura %E, lesquels, étant multipliés par 12 £ moitié de la somme de tous les termes, donnent #7 ou 3 Le pour la compensation totale qu'a faite la chaleur de Saturne pendant cette première période. Et, comme la perte de la chaleur pro- pre est à la compensation en même raison que ce temps de la période est au RES du refroidissement, on aura 25 : 3 À :: : 136242 : 1670 S. Ainsi, le a dont la chaleur de Sa- turne à Proiengé le refroidissement de ce satel- lite, pendant cette première période de 136242, a été de 1670 ans #, tandis que le prolonge- ment dù refroidissement par la chaleur du s0- leil n’a été que de 1 an 204 jours. Ajoutant ces deux temps du prolongement du refroidissement au temps de la période, qui est de 13624 ans?, on aura 15297 ans 30 Jours environ : | première période de 13624 ans ? d’où l'on | Saturne pendant cette seconde période. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du D enent , On aura 25:71 %:: 136242: 38792 5%. Ainsi, le prolongement du temps pour le refroidissement de ce satellite par chaleur de Saturne ayant été de 1670 ans # pour la première période, a été de 38792 5 + pour la seconde. Le moment où la chaleur envoyée par Sa- turne s’est trouvée égale à la chaleur propre de ce satellite, est au 4 terme à très-peu près de l'écoulement du temps dans cette seconde période, qui, multiplié par 545, nombre des années de chaque terme de ces périodes, donne 2320 ans 346 jours, lesquels, étant ajoutés aux 13624 ans 243 jours de la première période, donnent 15945 ans 224 jours. Ainsi, c'a été dans l’année 15946 de la formation des planètes que la chaleur envoyée par Saturne à ce satel- lite s’est trouvée égale à sa chaleur propre. Dès lors on voit que la chaleur propre de ce satellite a été au-dessous de celle que lui en- voyait Saturne dans l’année 15916 de la forma- tion des planètes , et que Saturne ayant envoyé à ce satellite, dans le temps de l’incandescence, une chaleur 1186 © fois plus grande que celle du soleil, il lui envoyait encore, à la fin de la > une chaleur 1058 + fois plus grande que celle du soleil, voit que ce serait dans l’année 15298 de la for- | parce que la chaleur de Saturne n'avait dimi. 25 354 nué que de 25 à 22 pendant cette première période ; et au bout ‘# une seconde période de 13624 ans ?, après la déperdition de la chaleur propre de ce satellite, jusqu’à & de la tempé- rature actuelle de la terre , Saturne envovait encore à ce satellite une chaleur 929 # fois plus grande que celle du soleil, parce que la cha- leur propre de Saturne n’avait encore diminué que de 22 8 à 20 En suivant la mème marche on voit que la chaleur de Saturne qui d’abord était 25, et qui décroit constamment de 2 # par chaque pé- riode de 13624 ans ? Ie par conséquent sur ce satellite de 198 ? # pendant chacune de ces périodes. Mais , comme cette chaleur du soleil sur Sa- turne et sur ses satellites est à celle du soleil sur la terre :: 1 : 90, à très-peu près, et que la chaleur de la terre est 50 fois plus grande que celle qu’elle reçoit du soleil , il s'ensuit que ja- mais Saturne n’a envoyé à ce satellite une cha- leur égale à celle du globe de la terre, puisque, dans le temps même de l'incandescence, cette chaleur envoyée par Saturne n’était que 1186 ? fois plus grande que celle du soleil sur Sa- turne, c’est-à-dire Le ou 13% fois plus grande que elle de la chaleur du soleil sur la terre, ce qui ne fait que = 5 de la chaleur actuelle du globe de la terre, et c ’est pour cette raison qu'on doits’en teniràl’évaluationtellequenousl’avons faite ci-dessus dans la première et la seconde période du refroidissement de ce satellite. Mais l'évaluation de la compensation faite par la chaleur du soleil doit être faite comme celle des autres satellites, parce qu’elle dé- pend encore beaucoup de celle que la chaleur de Saturne a faite sur ce même satellite dans les différents temps. Il est certain qu'à ne considérer que la déperdition de la chaleur propre du satellite, cette chaleur du soleil p’aurait fait compensation, dans le temps de ee 5 l'incandescence , que de %, et qu’à la fin de cette même pér iode de 13624 ans ?, cette même chaleur du soleil aurait fait une compensation de sir , €t que dès lors le prolongement du re- ftoA En Ent par l'accession de cette chaleur du soleil aurait en effet été de 1 an 204 jours : mais la chaleur envoyée par Saturne, dans le temps del neandesoenges étant à la challir propre du satellite *: 13 5 : 1250, il s'ensuit que la com- | sement, on aura 25 : HISTOIRE NATURELLE. pensation faite par la chaleur du soleil doit être diminuée que la même raison; en sorte pa lieu d'être sir , €lle n’a été que de ie au commencement de cette EE , et que cette compensation qui aurait été sir à la fin de cette première période , si l’on ne ddrit que la déperdition de la chaleur propre du satellite, doit être diminuée dans la même raison de 11 # à 50, parce que la chaleur envoyée par Saturne était encore plus grande que la chaleur propre du satellite dans cette même raison. Dès lors la compensation à Ja fin de cette Fe période, 4" Et] É 0) NA Que au lieu d’être TES En ajoutant sh 56 et sit 42655 00 rs du premier et du dernier temps de cette pre- 52995 mière période, on a ;#%5 ou HE qui, multipliés par 12 ?, moitié de la somme de tous les termes, ces deux termes de compensation donnent sr pour la compensation totale qu'a faite la chaleur du soleil pendant cette première période. Et, comme la diminution totale de Ja chaleur est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est au prolon- gement du refroidissement, on aura 25 : si 13624 2: 1 an 186 jours. Ainsi, le prolonge- ment du refroidissement de ce satellite par la chaleur du soleil, au lieu d’avoir été de 1 an 204 jours, n’a réellement été que de 1 an 186 jours pendant la première période. Dans la seconde dE - la compensation étant au commencement &5 Cr :, sera à la fin de 400 cette même période ot, parce que la chaleur envoyée par Saturne pendant cette seconde pé- riode a diminué dans cette même raison. Ajou- 1 EE tant ces deux termes à TE Hetus : 1,0na-—, qui, multipliés par 12 À, moitié de la somme de tous sons 2 les termes, donnent #% où #5 pour la com- pensation totale qu'a pu faire la chaleur du so- leil'pendant cette seconde période. Et, comme la diminution totale de la chaleur est à la com- pensation totale en même raison que le temps de la période est au prolongement du refroidis- - si Mrs: .. ane :: 13624 £: 32 ans \214 jours. Ainsi, le prolongementtotal quefera la hu. THÉORIE DE 1 chaleur du soleil sera de 32 ans 214 jours pen- dant cette seconde période, Ajoutant donc ces deux temps, 1 an 186 jours et 32 ans 214 jours du prolongement du refroidissement par la cha- leur du soleil, pendant la première et laseconde période, aux 1670 ans 313 jours du prolonge- ment par la chaleur de Saturne, pendant la pre- miere période, et aux 38792 ans 69 jours du prolongement par cette même chaleur de Sa- turne pour la seconde période, on a pour le prolongement total 40497 ans 52 jours, qui, étant joints aux 27249 ans 121 jours des deux périodes , font en tout 67746 ans 173 jours; d’où l’on voit que c’a été dans l’année 67747 de la formation des planètes , c’est-à-dire il y a 7085 ans, que ce cinquième satellite de Saturne a été refoidi au point de £ de la température actuelle de la terre. Voici donc, d’après nos hypothèses , l’ordre dans lequel la terre , les planètes et leurs satel- lites se sont refroidis ou se refroidiront au point de la chaleur actuelle du globe terrestre, et en- suite au point d’une chaleur vingt-cinq fois plus petite que cette chaleur actuelle de la terre. REFROIDIES 4 F de Ja Températ. actuelle. RSS TR | En 168125 ans. | En 72514 aus. | En 187765 an.. En 225540 ans. | En 60526 aus. En 485121 ans. En 414406 ans. | En 5861*0 ans. En 552424 ans. | En 140542 ans Eu 2 2020 ans. tn 252496 ans. En 248980 ans. | En 259214 ans. En 225460 ans. | En 109010 ans. | En 67747 ans. BEFROIDIES À LA TEMPERAT. ACTUELLE. 74852 ans. 16409 ans. 54192 ans 91645 ans. È 28558 ans . en 240451 ans. . en 2222053 ans. .. en 195090 ans. . en 176212 ans. . en 70296 ans. en 150821 ans. en 126473 ans Le 1%. en 124490 ans. Le 2.. en 119607 ans. Le 5°.. en 111580 ans. Le 4°. en 354505 ans Le5°.. eu 15298 ans. SATELLITES de Jupiter. ANNEAU de Saturne... SATELLITES dé Saturne. Et, à l'égard de la consolidation de la terre, des planètes et de leurs satellites , et de leur re- froïdissement respectif, jusqu’au moment où leur chaleur propre aurait permis de les toucher sans se brüler, c’est-à-dire sans ressentir de la douleur, nous avons trouvé qu’abstraction faite de toute compensation, et ne faisant attention qu’à la déperdition de leur chaleur propre, les rapports de leur consolidation jusqu'au centre, et de leur refroidissement au point de pouvoir les toucher, sans se brüler , sont dans l’ordre suivant : A TERRE, PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 359 RLFROIDIES à CONSOLIDÉES JUSQU'AU CENTRE. pouvoir les toucher En 33911 ans. En #492ans. En 25054 ans. Eu 40674 ans En 12875ans En10:922 ans. 2590 ans?. en 2905 «ns. 556 ans. . en . en eu .. en en en en è ! en e 5° . en . en . en SATELLITES de Jupiter. | F48 aus2. 9923 ans 5078 ans. ét rerké de Saturne. 554 me 4 554 ans. 6259 aus. Ces rapports, quoique moins précis que ceux du refroidissement à la température actuelle, le sont néanmoins assez pour notre objet, et c’est par cette raison que je n’ai pas cru devoir pren- dre lamèême peine pour faire l'évaluation de tou- tes les compensations que la chaleur du soleil, aussi bien que celle de la lune, et celle des sa- tellites de Jupiter et de Saturne, ont pu faire à la perte de la chaleur propre de chaque planète, pour le temps nécessaire à leur consolidation jusqu’au centre. Comme ces temps ont précédé celui de l'établissement de la nature vivante, et que les prolongements produits par les com- pensations dont nous venons de parler ne sont pas d’un très-grand nombre d’années, cela de- vient indifférent aux vues que je me propose, et je me contenterai d'établir, par une simple règle de proportion, les rapports de ces prolon- gements pour les temps nécessaires à la conso- lidation des planètes , et à leur refroidissement jusqu’au point de pouvoir les toucher : par exemple, on trouvera le temps de la consolida- tion de la terre jusqu’au centre, en disant : La période de soixante-quatorze mille quarante- sept ans du temps nécessaire pour son refroidis- sement à la température actuelle (abstraction faite de toute compensation) est à la périnde de deux mille neuf cent cinq, temps nécessaire à la consolidation jusqu’au centre(abstraction faite aussi de toute compensation) comme la période soixante-quatorze mille huit cent trente-deux de sonrefroidissementàlatempérature actuelle, toute compensation évaluée, est a deux mille neuf cent trente-six ans, temps réel de sa consi- lidation, toute compensation aussi comprise ; et de même on dira : La période soixante-quatorze HISTOIRE 06 mille quarante-sept du temps nécessaire pour le refroidisssement de la terre à la température actuelle (abstraction faitede toute compensation) est à la période de trente-trois mille neuf cent onze ans , temps nécessaire à son refroidisse- ment au point de pouvoir la toucher (abstrac- tion faite aussi de toute compensation } conne la période soixante-quatorze mille huit cent trente-deux de son refroidissement à la tempé- rature actuelle, toute compensation évaluée, est à trente-quatre mille deux cent soixante- dix ans£, temps réel de son refroidissement Jusqu'au point de pouvoir la toucher, toute compensation évaluée. On aura donc, dans la table suivante, l’or- dre de ces rapports, que je joins à ceux indi- qués ci-devant, pour le refroidissement à la température actuelle , et à % de cette tempéra- ture. REFROIDIES à la température actuelle. CONSOLIDÉES | jusqu'au rentre. REFROIDIES à de lo tempe- ralture actuelle. RÉFROIDIES à pouxoir | les toucher. | LA TERRE, En 54270 ans;.[En 74852 ans.|En 168125 ans. LA LUNE, 7515 ans [En 16409 ans. MERCURE. En 24815 ans.[En 54192 ans VENUS. En 41969 ans.|En 91645 ans. MARS. En 45054 ans.[En 2S558 ans. JUPITER. En 110118 ans.| En 240451 ans. PREMIER SATELLITE. En 101576 aus.|En 222205 ans. SECOND SATELLITE. En 87500 ans.[En 495090 ans. TROISIÈME SATELLITE. En 80700 ans.|En 176212 ans. QUATRIÈME SATELLITE. En 2758 ans.|En 52194 ans.|En 70296 ans. SATURNE. En5140 ans.|En 59911 ans.[En 150821 ans. ANNEAU DE SATURNE lEn 6558 ans.|En 76512 ans.|En 126475 ans. | En 252946 ans. | PREMIER SATELLITE. | {En 4891 ans.) En 57014 ans [En 124450 ans. | En 248980 ans. SECOND SATELLITE. | En 468$ ans.| En 54774 ans.!En 119607 ans.| En 259214 aus. TROISIÈME SATELLITE. | En 4555 ans.|En 51108 ans.|[En 111580 aus.| En 223160 ans. | QUATRIÈME SATELLITE. En 2158ans.|En 24962 ans.|Eu 54503 aus, CINQUIÈME SATELLITE. 7005 ans.lEn 15298 ans.|En 67747 ans. En 2956 ans. En 644 aus.| En En 725l4ans, En 2127 ans. En 187765 ans. | En 556 ans. En 228540 ans. En 1150 ans. En 60526 ans. Ea 9455 ans. Eu 485121 ans. En 8886 ans. En 44440 ans. lEn 7496 ans. En586180ans. 532424 ans. En 6821 ans. En En 149542 ans. En 262020 ans. | En 109010 ans. | En 600 ans.|En NATURELLE. pas fait entrer, à l'exception de la lune, où cet élément est employé. Or, ne connaissant pas le rapport reel de la densité des satellites de Jupi- ter et des satellites de Saturne à leurs planètes principales, et neconnaissant que le rapport de la densité de la lune à la terre, nous nous fon- derons sur cette analogie, et nous supposerons, en conséquence, que le rapport deladensité de Jupiter, ainsi que le rapport de la densité de Saturne, sont les mêmes que celui de la densité de la terre à la densité de la lune, qui est son satellite, c’est-à-dire :: 1000 : 702; car il est très-naturel d'imaginer, d’après cet exemple que la lune nous offre, que cette différence en- tre la densité de la terre et de la lune vient de ce que ce sont les parties les plus légères du globe terrestre qui s’en sont séparées dans le temps de la liquéfaction pour former la lune : la vitesse de la rotation de la terre, étant de neufmille lieues en vingt-trois heures cinquante- six minutes, ou desix ; lieues par minute, était suffisante pour projeter un torrent de la matière liquide la moins dense, qui s’est rassemblé, par l'attraction mutuelle de ses parties, à quatre- vingt-cinq mille lieues de distance, et y a formé le globe de la lune, dans un plan parallèle à celui de l'équateur de la terre. Les satellites de Jupiter et de Saturne , ainsi que son anneau, sont aussi dans un plan parallèle à leur équa- teur, et ont été formés de même par la force centrifuge, encore plus grande dans ces grosses planètes que dans le globe terrestre, puisque leur vitesse de rotation est beaucoup plusgrande. Et de la même manière que la lune est moins dense que la terre dans la raison de sept cent | deux à mille, on peut présumer que les satelli- tes de Jupiter et ceux de Saturne sont moins denses que ces planètes dans cette même raison de sept cent à deux mille, Il faut donc corriger dans la table précédente tous les articles des satellites d’après ce rapport, et alors elle se présentera dans l'ordre suivant : Il ne manque à cette table, pour lui donner toute l'exactitude qu'elle peut comporter, que le rapport des densités des satellites à la densité | de leur planète principale, aue nous n’y avons #é THÉORIE DE LA TERRE. Table plus exacte des lemps du refroidisse- ment des planètes et de leurs satellites. REFROIDIES BEFROIDIES | Î CONSOLIDEES REFROIDIES jusqu'au à pouvoir à la température | à de la tempé- centre, les toucher, actuelle, ralure actuelle. | L LA TERRE, En 54270 ans;.[En 74852 ans. | En 168125 ans. LA LUNE. En 644 ans.|En 7515 ans [En 16409 ans.| En 72514ans. MERCURE Eu 2127 ans.|En 24815 ans [En 54192 ans. [En t87765ans. VENUS. En 5596 ans.|En 41969 ans.|En 91645 ans.|En 228540 ans. MARS. En {1150 ans.| En 15054 ans.[En 28558 ans | En 60526ans. JUPITER. Ea 9453 ans.| En 110118 ans.| En 240451 ans. | Eu 485121 ans. PREMIER SATELLITE. Eu 6258 ans.|En 71166 ans.|En 155986 ans.| En511975ans. SECOND SATELLITE. | Eo 5262 ans.|En 61425 ans.[ln 155549 ans.|En 271098 ans. TROISIÈME SATELLITE. | En 4788 aus.| En 56:51 ansz.|En 125700ans:, En247401ansi QUATRIÈME SATELLITE. | En 1956 ans. | En 22600 ans!.|En 49548 ans.| En 98696 ans.) SATURNE. | En 5140 ans.|En 59941 ans.|En 158821 ans. | En 262020 ans. s ANNEAU DE SATURNE | En 4604 ans.|En 53711 ans.|En 88784 ans. | EL 177568 ans.) PREMIER SATELLITE. | En 5455 ans.| En10021ans— [En 87592 ans.| En174784ans. SECOND SATELLITE. | Ea 3291 ans.| En 58451 ans:.[En 85964 ans.|En 167928 ans. TROISIÈME SATELLITE | En 3182 ans.|En 55878 ans.|En 78329 ans.|En 156658 ans. QUATRIÈME SATELLITE. En 1502 ans.|En 17525 ans2.|Eu 58262 aus:,|En 76525ans.| CINQUIÈME SATELLITE, 4916 ans.|En 10759 ee 47558 ans. | Ea 2959 ans. En 421 ans |En En jetant un coup d’œil de comparaison sur cette table, qui contient le résultat de nos re- cherches et de nos hypothèses, on voit : 1° Que le cinquième satellite de Saturne a été la première terre habitable, et que la nature vivante n’y a duré que depuis l’année 4916 jusqu’à l’année 47558 de la formation des pla- nètes ; en sorte qu’il y longtemps que cette planète secondaire est trop froide pour qu'il puisse y subsister des êtres organisés sembla- bles à ceux que nous connaissons ; 2° Que la lune a été la seconde terre habita- ble, puisque son refroidissement au point de pouvoir en toucher la surface s’est fait en sept mille cinq cent quinze ans: et son refroidis- sement à la température actuelle s’étant fait en seize mille quatre cent neuf ans, il s’ensuit qu’elle a joui d’une chaleur convenable à Ja na- ture vivante peu d'années après les sept mille cinq cent quinze ans depuis la formation des planètes; et que par conséquent la nature or- ganisée a pu y être établie dès ce temps, et que PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 557 depuis cette année 7515 jusqu’à l'année 72514. la température de la lune s’est refroidie jusqu’à % de la chaleur actuelle de la terre : en sorte que les êtres organisés n’ont pu y subsister que pendant soixante mille ans tout au plus; eten- fin qu'aujourd'hui, c'est-à-dire depuis deux mille trois cent dix-huit ans environ ; cette pla- nète est trop froide pour être peuplée de plantes et d'animaux ; 3° Que Mars a été la troisième terre habita- ble, puisque son refroidissement au point de pouvoir en toucher la surface s’est faite en treize mille trente-quatre ans, et son refroidissement à la température actuelle, s'étant fait en vingt- buit mille cinq cent trente-huit ans, il s'ensuit qu'il a joui d’une chaleur convenable à la nature vivante peu d'années aprèsles treize mille trente- quatre, et que par conséquent la nature orga- nisée a pu y être établie dès ce temps de la for- mation des planètes , et que depuis cette année 13034 jusqu’à l’année 60326 , la température s’est trouvée convenable à la nature des êtres organisés , qui, par conséquent, ont pu y sub- sister pendant quarante-sept mille deux cent quatre-vingt-douze ans , mais qu'aujourd'hui cette planète est trop refroidie pour être peuplée depuis plus de quatorze mille ans; 49 Que le quatrième satellite de Saturne a été la quatrième terre habitable, et que la nature vivante y a duré depuis l’année 17523 et durera taut au plus jusqu’à l’année 76526 de la forma- tion des planètes; en sorte que cette planète se- condaire étant actuellement ( c’est-à-dire en 74832) beaucoup plus froide que la terre, les êtres organisés ne peuvent y subsister que dans un état de langueur, ou même n’y subsistent plus; 5° Que le quatrième satellite de Jupiter a été la cinquième terre habitable, et que la nature vivante y a duré depuis l’année 22600, et y durera jusqu’à l’année 98696 de la formation des planètes ; en sorte que cette planète secon- daire est actuellement plus froide que la terre, mais pas assez néanmoins pour que les êtres organisés ne puissent encore y subsister ; 6° Que Mercure a été la sixième terre habi- table, puisque son refroidissement au point de pouvoir le toucher s’est fait en vingt-quatre mille huit cent treize ans , et son refroidisse- ment à la température actuelle en cinquante- quatre mille cent quatre-vingt-douze ans ; il s'ensuit donc qu’il a joui d’une chaleur convena- 38 ble à la nature vivante peu d'années après les vingt-quatre mille huit cent treize ans , et que, par conséquent, la nature organisée a pu y être établie dès ce temps, et que depuis cette année 24813 de la formation des planètes , jusqu’à l’année 187765 , sa température s’est trouvée etse trouvera convenable à la nature des êtres organisés , qui par conséquent ont pu et pour- ront encore y subsister pendant cent soixante- deux mille neuf cent cinquante-deux ans; en sorte qu'aujourd'hui cette planète peut être peuplée de tous les animaux et de toutes les plantes qui couvrent la surface de la terre à 7° Que le globe terrestre a été la septième terre habitable, puisque son refroidissement au point de pouvoir le toucher s’est fait en trente- quatre mille sept cent soixante-dix ans #; etson refroidissement à la température actuelle s’étant fait en soixante-quatorze mille huit cent trente- deux ans, il s'ensuit qu'il a joui d’une chaleur convenable à la nature vivante peu d’années après les trente-quatre mille sept cent soixante- dix ans, et que par conséquent la nature, telle que nous la connaissons, a pu y être établie dès ce temps, c’est-à-dire il y a quarante mille soixante-deux ans, et pourra encore y subsis- ter jusqu’en l’année 168123, c’est-à-dire pen- dant quatre-vingt-treize mille deux cent quatre- vingt-onze ans, à dater de ce jour ; 8° Que letroisième satellite de Saturne a été la huitièmeterre habitable, et que la nature vi- vante y a duré depuis l’année 35878, et y du- rera jusqu’à l’année 156658 de la formation des planètes; en sorte que cette planète secondaire étant actuellement un peu plus chaude que la Terre, la nature organisée y est dans sa vigueur et telle qu’elle était sur la terre il y a trois ou quatre mille ans; 9° Que le second satellite de Saturne a été la neuvième terre habitable , et que la nature vi- vante y à duré depuis l’année 38451, et y du- rera jusqu'à l’année 167928 dela formation des planètes ; en sorte que cette planète secondaire étant actuellement plus chaude de la Terre, la nature organisée y: est dans sa pleine vigueur et telle qu’elle était sur le globe terrestre il y a huit ou neuf mille ans; 10° Que le premier satellite de Saturne a été la dixième terre habitable, et que la nature vi- vante y a duré depuis l’année 40020, et y du- rera jusqu’à l’année 174784 de la formation des planètes; en sorte que cette planète secon- HISTOIRE NATURELLE. daire étant actuellement considérablement plus chaude que le globe terrestre, la nature orga- nisée y est dans sa première vigueur et telle qu’elle était sur la terre il y a douze à treize mille ans ; ( 11° Que Vénus a Cté la onzième terre habi- table, puisque son refroidissement au point de pouvoir la toucher s’est fait en quarante-un mille neuf cent soixant-:euf ans; et son re- froidissement à la température actuelle s'étant fait en quitre-vingt-onze mille six cent qua- rante-trois ans, il s'ensuit qu’elle jouit actuel- lement d’une chaleur plus grande que celle dont nous jouissons, et à peu près semblable à celle dont jouissaient nos ancêtres il y a six ou sept mille ans; et que depuis cette année 41969 ou quelque temps après, la nature organisée a pu y être établie, et que jusqu’à l’année 228540, elle pourra y subsister ; en sorte que la durée de la nature vivante dans cette planète a été et sera de cent quatre-vingt-six mille cinq cent soixante-onze ans ; : 12° Que l’anneau de Saturne a été la dou- zième terre habitable, et que la nature vivante y est établie depuis l’année 53711, et y durera jusqu’à l’année 177568 de la formation des pla- nètes ; en sorte que cet anneau étant beaucoup plus chaud que le globe terrestre, la nature or- ganisée y est dans sa première vigueur , telle qu’elle était sur la terre il y a treize à quatorze mille ans ; 13° Que le troisième satellite de Jupiter a été la treizième terre habitable , et que la nature vivante y est établie depuis l’année 56651 , et y durera jusqu’en l’année 246401 de la forma- tion des planètes ; en sorte que cette planète secondaire étant de beaucoup plus chaude que la terre, la nature organisée ne fait que com- mencer de s’y établir; 14° Que Saturne a été la quatorzième terre habitable, puisque son refroidissement au point de pouvoir le toucher s’est fait en cinquante- neuf mille neuf cent onze ans ; et son refroidis- sement à la température actuelle devantse faire en cent trente mille huit cent vingt-un ans, il s’ensuit que la nature vivante a pu y être éta- blie peu de temps après cette année 59911 de la formation des planètes, et que par consé- quent elle y a subsisté et pourra y subsister encore jusqu’en l’année 262020 ; en sorte que la nature vivante y est actuellement dans sa première vigueur , et pourra durer dans cette THÉORIE DE LA TERRE. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. grosse planète pendant deux cent soixante-deux mille vingt ans ; 15° Que le second satellite de Jupiter a été la quinzième terre habitable, et que la nature vi- vante y est établie depuis l’année 61425, c’est- à-dire depuis treize mille quatre cent sept ans, et qu’elle y durera jusqu’à l’année 271098 de la formation des planètes ; 16° Que le premier satellite de Jupiter a été la seizième terre habitable, et que la nature vi- vante y est établie depuis l’année 71166, c’est- à-dire depuis trois mille six cent soixante six ans et qu’elle y durera jusqu’en l’année 311973 de la formation des planètes ; 17° Enfin, que Jupiter est le dernier des glo- bes planétaires sur lequel la nature vivante pourra s'établir. Nous devons donc conclure, d’après ce résultat général de nos recherches, que des dix-sept corps planétaires, il y en a en effet trois, savoir : le cinquième satellite de Saturne, la Lune et Mars, où notre nature se- rait gelée; un seul, savoir, Jupiter, où la nature vivante n’a pu s'établir jusqu’à ce jour, par la raison de la trop grande chaleur encore subsis- tante dans cette grosse planète ; mais que dans les treize autres, savoir : le quatrième satel- lite de Saturne, le quatrième satellite de Ju- piter, Mercure, le globe terrestre, le troisie- me , le second et le premier satellite de Sa- turne, Vénus, l'anneau de Saturne, le troisième satellite de Jupiter, Saturne, le second et le premier satellite de Jupiter, la chaleur, quoique de degrés très-différents, peut néanmoins con- venir actuellement à l’existence des êtres orga- nisés, et on peut croire que tous ces vastes corps sont, comme le globe terrestre, couverts de plantes, et même peuplés d'êtres sensibles, à peu près semblables aux animaux de la Terre. Nous démontrerons ailleurs, par un grand nom- bre d'observations rapprochées, que, dans tous les lieux où la température est la même, on trouve non-seulement les mêmes espèces de plantes , les mêmes espèces d’insectes, les mé- mes espèces de reptiles, sans les ÿ avoir por- tées, mais aussi les mêmes espèces de poissons, les mêmes espèces de quadrupèdes, les mêmes espèces d'oiseaux, sans qu'ils y soient allés ; et je remarquerai en passant qu’on s'est souvent trompé en attribuant à la migration et au long voyage des oiseaux les espèces de l'Europe qu’on trouve en Amérique ou dans l'orient de l'Asie, tandis que ces oiseaux d'Amérique et 399 d’Asie , tout à fait semblables à ceux de l’Eu- rope, sont nés dans leur pays, et neviennent pas plus chez nous que les nôtres ne vont chez eux. La même température nourrit, produit partout les mêmes êtres ; mais cette vérité générale sera démontrée plus en détail dans quelques-uns des articles suivants. On pourra remarquer 1° que l’anneau de Sa- turne a été presque aussi longtemps à se refroi- dir au point de la consolidation et du refroi- dissement à pouvoir le toucher , que Saturne même ; ce qui ne paraît pas vrai ni vraisembla- ble , puisque cet anneau est fort mince , et que Saturne est d’une épaisseur prodigieuse en com paraison : mais il faut faire attention d’abord à l'immense quantité de chaleur que cette grosse planète envoyait dans les commencements à son anneau , et qui, dans le temps de l’incan- descence , était plus grande que celle de cet anneau , quoiqu'il fût aussi lui-même dans cet état d’incandescence , et que par conséquent le temps nécessaire à sa consolidation a dù être prolongé de beaucoup par cette première cause. 20Que, quoique Saturne fût lui-même conso- lidé jusqu’au centre en cinq mille cent quarante ans, il n’a cessé d’être rouge et très-brülant que plusieurs siècles après , et que par conséquent il a encore envoyé , dans les siècles postérieurs à sa consolidation, une quantité prodigieuse de chaleur à son anneau; ce qui a dù prolonger son refroidissement dans la proportion que nous avons établie. Seulement il faut convenir que les périodes du refroidissement de Saturne au point de la consolidation et du refroidissement à pouvoir le toucher sont trop courtes, parce que nous n'avons pas fait l’estimation de la chaleur que son anneau et ses satellites lui ont envoyée, et que cette quantité de chaleur que nous n’avons pas estimée ne laisse pas d’être considérable : car Panneau , comme très-grand et très-voisin, envoyait à Saturne, dans le com- mencement, non-seulement une partie de sa chaleur propre, mais encore il lui réfléchissait une grande portion de celle qu'il en recevait; en sorte que je crois qu'on pourrait , sans se tromper , augmenter d’un quart le temps de la consolidation de Saturne , c’est-à-dire assigner six mille huit cent cinquante-sept ans pour sa consolidation jusqu’au centre; etde même aug- menter d’un quart les cinquante-neuf mille neuf cent onze ans que nous avons indiqués pour son refroidissement au point de le toucher , ce 360 qui donne soixante-dix-neuf mille huit cent quatre-vingt-un ans ; en sorte que c'es deux ter- mes peuvent être substitués dans la table géné- rale aux deux premiers. Il est de même très-certain que le temps du refroidissement de Saturne , au point de la tem- pérature actuelle de la Terre, qui est de cent trente mille huit cent vingt-un ans, doit, par les mêmes raisons, être augmenté non pas d’un quart, mais peut-être d'un huitième , et que cette période, au lieu d’être de cent trente mille huit cent vingt-un ans, pourrait être de cent quarante-sept mille cent soixante-treize ans. On doit aussi augmenter un peu les périodes du refroidissement de Jupiter, parce que ses sa- tellites leur ont envoyé une portion de leur cha- leur propre, et en même temps une partie de celle que Jupiter leur envoyait : en estimant un dixième le prolongement que cette addition de chaleur a pu faire aux trois premières périodes du refroidissement de Jupiter, il ne se sera con- solidé jusqu’au centre qu’en dix mille trois cent soixante-seize ans , et ne se refroidira au point de pouvoir le toucher qu’en cent vingt-un mille cent vingt-neuf ans, et au point de la tempéra- ture actuelle de la terre en deux cent soixante- quatre mille cinq cent six ans. Je n'admets qu’un assez petit nombre d’an- nées entre le point où l’on peut commencer à toucher , sans se brûler, les différents globes , et celui où la chaleur cesse d’être offensante pour les êtres sensibles : car j'ai fait cette esti- ‘ mation d’après les expériences très-souvent réi- térées dans mon second Mémoire, par lesquelles j'ai reconnu qu'entre lepoint par lequel on peut, pendant une demi-seconde , tenir un globe sans se brûler, et le point où on peut le manier long- temps, et où sa chaleur nous affecte d'une ma- nière douce et convenable à notre nature, il n’y a qu'un intervalle assez court ; en sorte, par exemple, que s’il faut vingt minutes pour re- froidir un globe au point de pouvoir le toucher sans se brûler, il ne faut qu'une minute de plus pour qu'on puisse le manier avec plaisir. Dès lors, en augmentant d’un vingtième les temps nécessaires au refroidissement des globes plané- taires, au point de pouvoir les toucher, on aura plus précisément les temps de la naissance de la nature dans chacun, et ces temps seront dans l’ordre suivant : Dare de la formationdesplanètes, 74832 ans. HISTOIRE NATURELLE. Commencement, fin et durée de l'existence de la nature organisée dans chaque planèle. DUREE DUREE |à dater absolue COMMENCEMENT. ts ce jour. De la for- mawon des pla- nèles. É ans. 42589|...... De la for- mation des pla- nêles, 5° satellite de Saturne. 5161... LADUNR Terre 1990 Mans..... 15685... 4" satellite de Saturne. 18599... 4° satellite de Jupiter. 25750... MERCURE.......,.. 26053... LA TERRE......... + 55985... 15° satellite de Saturne, 57672... 2° satellite de Siturne. 40575...1167928... i‘fsate lite de Saturne. 42021...1174784 .. MENUS---s--moe-ese 44067...1228540... Anneau de Saturne. 56596.../177368... 5° satellite de Jupiter. 59485...1247401... SATURNE, «esse 6:906...1262020.. 2° satellite de Jupiter. 64496.../271098.. H‘fsatellite de Jupiter. 74724...13511975... JOPITER. ..... 115625...1485121.., 47558... 7:514... 60526... 76525. .. 98696... 187765... 168125... 156658... après ce dernier tableau, qui approche le plus de la vérité, on voit : 1° Que la nature organisée, telle que nous la connaissons, n’est point encore née dans Jupi- ter, dont la chaleur est trop grande encore au- jourd’hui pour pouvoir en toucher la surface ; et que ce ne sera que dans quarante mille sept cent quatre-vingt-onze ans que les êtres vi- vants pourraient y subsister ; mais qu’ensuite, s'ils y étaient établis , ils dureraient trois cent soixante-sept mille quatre cent quatre-vingt- dix-huit ans dans cette grosse planète ; 2° Que la nature vivante, telle que nous la connaissons, est éteinte dans le cinquième sa- tellite de Saturne depuis vingt-sept mille deux cent soixante-quatorze ans; dans Mars, depuis quatorze mille cinq eent six ans; et dans la Lune, depuis deux mille trois cent dix-huit ans ; 3° Que la nature est prête à s’éteindre dans le quatrième satellite de Saturne, puisqu'il n’y a plus que seize cent quatre-vingt-treize ans pour arriver au point extrème de la plus petite chaleur nécessaire au maintien des êtres orga- nisés ; 49 Que la nature vivante est faible dans le quatrième satellitede Jupiter, quoiqu’elle puisse y subsister encore pendant vingt-trois mille huit cent soixante-quatre ans ; 5° Que sur la planète de Mercure, sur la Terre, sur le troisième, sur le second et sur le premier satellite de Saturne, sur la planète de Vénus sur l’anneau de Saturne, sur le troi- ce an THÉORIE DE LA TERRE. sième satellite de Jupiter, sur la planète de Sa- turne , sur le second et sur le premier satellite de Jupiter, la nature vivante est actuellement en pleine existence, et que, par conséquent, tous ces corps planétaires peuvent être peuplés comme le globe terrestre. Voilà mon résultat général et le but auquel je me proposais d'atteindre. On jugera par la peine que m'ont donnée ces recherches ‘, et par le grand nombre d'expériences préliminaires qu’elles exigeaient, combien je dois être per- suadé de la probabilité de mon hypothèse sur la formation des planètes. Et, pour qu'on ne me croie pas persuadé sans raison, et même sans de très-fortes raisons, je vais exposer dans le Mémoiresuivant les motifs de ma persuasion, en présentant les faits et les analogies sur les- quels j'ai fondé mes opinions, établi l’ordre de mesraisonnements , suivi les inductions que l’on en doit déduire, et enfin, tiré la consé- quence générale de l'existence réelle des êtres organisés et sensibles dans tous les corps du sys- tème solaire, et l'existence plus que probable de ces mêmes êtres dans tous les autres corps qui composent les systèmes des autres soleils ; ce qui augmente et multiplie presque à l'infini l'étendue de la nature vivante, et élève en même temps le plus grand de tous les monuments à la gloire du Créateur. SECOND MÉMOIRE. FONDEMENTS DES RECHERCHES PRÉCÉDENTES SUR LA TEMPÉRATURE DES PLANÈTES. L'homme nouveau n’a pu voir et l'homme ignorant ne voit encore aujourd’hui la nature et l'étendue de l'univers que par le simple rapport de ses yeux ; la Terre est pour lui un solide d’un volume sans bornes, d’une étendue sanslimites, * Les calculs que supposaient ces recherchessont plus longs que difficiles, mais assez délicats pour qu'on puisse se trom- per. Je ne me suis pas piqué d'une exactitule rigoureuse, parce qu'elle n'aurait produit que de légères différences , et qu'elle m'aurait pris beaucoup de temps que j pouveis mieux employer. IL m'a suffi que la méthod- que j'ai suivie fût exacte, et que mes raisonn: ments fussent clairs et consé- quents : c'est là tout ce que j'ai prétendu. Mon hypothèse sur la liquéfaction de la Terre et des planètes m'a paru assez fon- dée pour prendre la peine d'en évaluer les effets, et j'ai cru devoir donner en détail ces évaluations eomme je les ai trou- vées , afin que, s'il s'est glissé dans ce long travail quelques fautes de calcul ou d'inattention, mes lecteurs soient en état de les corriger eux-mêmes, PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 561 dont il ne peut qu'avec peine parcourir de pe- tits espaces superficiels ; tandis que le Soleil, les planètes et l'immensité des cieux ne lui présen- tent que des points lumineux, dont le Soleil et la Lune lui paraissent être les seuls objets di- gnes de fixer ses regards. A cette fausse idée sur l'étendue de la nature et sur les proportions de l’univers s’est bientôt joint le sentiment en- core plus disproportionné de la prétention. L'homme, en se comparant aux autres êtres terrestres , s’est trouvé le premier : dès lors il a cru que tous étaient faits pour lui; que la Terre même n'avait été créée que pour lui servir de domicile , et le ciel de spectacle; qu’enfin l’uni- vers entier devait se rapporter à ses besoins et même à ses plaisirs. Mais, à mesure qu'il a fait usage de cette lumière divine, qui seule anoblit son être , à mesure que l’homme s’est instruit, ila été forcé de rabattre de plus en plus de ses prétentions; il s’est vu rapetisser en même raison que l'univers s’agrandissait, et il lui est aujourd'hui bien évidemment démontré que cette Terre qui fait tout son domaine, et sur la- quelle il ne peut malheureusement subsister sans querelle et sans trouble, est à proportion tout aussi petite, pour l’univers , que lui-même l’est pour le Créateur. En effet , il n’est plus pos- sible de douter que cette même Terre, si grande et si vaste pour nous , ne soit une assez médio- cre planète, une petite masse de matière qui circule avec les autres autour du Soleil; que cet astre de lumière et de feu ne soit plus de douze cent mille fois plus gros que le globe de la Terre, et que sa puissance ne s’étende à tous les corps qu’il fléchit autour de lui ; en sorte que notre globe en étant eloigné de trente-trois mil- lions de lieues au moins, la planète de Saturne se trouve à plus de trois cent treize millions des mêmes lieues : d’où l’on ne peut s’empècher de conclure que l'étendue de l'empire du Soleil, ce roi de la nature, ne soit une sphere, dont le dia- mètre est de six cent vingt-sept millions de lieues , tandis que celui de la Terre n’est que de deux mille huit cent soixante-cinq; et si l’on prend le cube de ces deux nombres, on se dé- montrera que la Terre est plus petite, relative- ment à cet espace, qu’un grain de sable ne l’est relativement au volume entier du globe. Néanmoins la planète de Saturne, quoique la plus éloignée du Soleil, n'est pas encore à beau- coup près sur les confins de son empire. Les limites en sont beaucoup plus reculées, puisque 562 les comètes parcourent au delà de cette distance, des espaces encore plus grands que l'on peut es- timer par la période du temps de leurs révolu- tions. Une comète qui , comme celle de l’année 1680, circule autour du Soleil en cinq cent soixante-quinze ans, s'éloigne de cet astre quinze fois plus que Saturne n’en est distant; car le grand axe de son orbite est cent trente-huit fois plus grand que la distance de la Terre au Soleil. Dès lors on doit augmenter encore l'étendue de la puissance solaire de quinze fois la distance du Soleil à Saturne, en sorte que tout l’espace dans lequel sont comprises les planètes, n’est qu’une petite province du domaine de cet astre, dont les bornes doivent être posées au moins à cent trente-huit fois la distance du Soleil à la Terre , c’est-à-dire à cent trente-huit fois trente-trois ou trente-quatre millions de lieues. Quelle immensité d'espace! et quelle quan- tité de matière! car, indépendamment des pla- nètes, il existe probablement quatre ou einq cents comètes, peut-être plus grosses que la Terre, qui parcourent en tous sens les différen- tes régions de cette vaste sphère, dont le globe terrestre ne fait qu’un point, une unité sur 191,201,612,985,514,272,000, quantité que ces nombres représentent, mais que l’imagina- tion ne peut atteindre ni saisir. N’en voilà-t-il pas assez pour nous rendre, nous, les nôtres, et notregranddomicile, plus petits que des atomes? Cependant cette énorme étendue, cette sphère si vaste n’est encore qu’un très-petit espace dans l'immensité des cieux ; chaque étoile fixe est un soleil, un centre d’une sphère tout aussi vaste ; et, comme on en compte plus de deux mille qu’on aperçoit à la vue simple, et qu'avec les lunettes on en découvre un nombre d’autant plus grapd que ces instruments sont plus puis- sants , l'étendue de l’univers entier parait être sans bornes, et le système solaire ne fait plus qu’une province de l'empire universel du Créa- teur, empire infini comme lui. Sirius, étoile fixe la plus brillante, etque, par cette raison, nous pouvons regarder comme le soleil le plus voisin du nôtre, ne donnant à nos yeux qu'une seconde de parallaxe annuelle sur le diamètre entier de l’orbe de la Terre, est à 6771770 millions delieues de distance de nous , c’est-à-dire à 6767216 millions des limites du système solaire, telles que nous les avons assi- gnées d’après la profondeur à laquelle s’enfon- cent les comètes dont la période est la plus lon- HISTOIRE NATURELLE. gue. Supposant done qu’il ait été départi à Sirius un espace égal à celui qui appartient à notre So- leil, on voit qu'il faut encore reculer les limites de notre système solaire de sept cent quarante- deux fois plus qu'il ne l’est déjà jusqu’à l'aphé- lie de la comète, dont l'énorme distance au So- leil n’est néanmoins qu’une unité sur sept cent quarante-deux du demi-diamètre total de la sphère entiere du système solaire !. lieues. 55 millions. 515 millions. { Distance de la Terre au Soleil . . Distance de Saturne au Soleil. . . Distance de l'aphélie de la comète au Soleil . . .. Distance de Sirius au Soleil, . . Distance de Sirius au point de l'aphélie de la comète, en supposant qu en remontant du Soleil la comète ait pointé directement vers Sirius, (supposilion qui diminue la distance autant qu'il est possible) . . . . . Moitié de la . istance de Sirius au Soleil, ou profondeur du système so- laire et du système sirien, . . . . . . Étendue au delà des limites de l’aphélie des comèles. . . . . . ... Ce qui, étant divisé par la dis- tance de 1 aphélie de la comète,doune 742 = environ. Où peut encore d'une autre manière se former une idée de cette distance immense de Sirius à nous, en se rappelant que le disque du Soleil forme à nos yeux un angle de trente- deux minutes, tandis que celui de Sirius n'en fait pas un d'une seconde ; et Sirius étant uu soleil comme le nôtre, que nous supposerons d'une égale grandeur, puisqu il n'y a pas plus de raison de le supposer plus grand que plus petit, il nous paraitrait aussi grand que le Soleil s'il n'était qu à la même distance. Prenant donc deux nombres proportionnels au carré de trente-deux minutes et au carré d'une seconde, on aüra trois millions six cent quatre-vingt-six mille quatre cents pour la distance de la Terre à Sirius, et un pour sa di+- tance au Soleil ; et comme cette unité vaut trente-trois mil- lions de lieues, on voit à combien de milliard. de lieues Sirius est loin de nous, puisqu'il faut multiplier ces trente-trois mil- lious par trois millions six cent quaire-vingt-six mille quatre ceuts; et si nous divisions l'espace entre ces deux Suleils voi- sius, quoique si fort éloignés , uous verrions que les comèles pourraient s'éloigner à uue distance dix-huit cent mille fois plus grande que celle de la Terre au Soleil, sans sortir des limites de l'univers solaire, et sans subir par conséquent d'au- tres lois que celle de notre Soleil ; et de là on peut conclure que le système solaire a pour diamètre une étendue qui. quoi- que prodigieuse, ne fait néanmoins qu'une très-petite portion des cieux, et l'on en doitinférer uue vérité peu counue, c'est que de tous les points de l'uuivers planétaire, c'est-à-dire que du Soleil, de la Terre et de toutes les autres planètes , le Ciel doit paraître le même. Lorsque dans une belle nuit l'on considère tous ces feux dont briile la voûte céleste, on imaginerait qu'en se trans- portant dans une autre planète plus éloignée du Soleil que ne l'est la Terre , on verrait ces astres étincelants grandir et ré- pandre une lumière plus vive. puisqu'on les verrait de plus près. Néanmoins l'espèce de calcul que nous venons de faire démontre que, quand nous serious placés dans Saturne , c'est 4354 millions, 6771770 millions. 6767216 millions. 3385885 millions. 5581551 millions. à-dire neuf ou dix fois plus loin de notre Soleil, et trois cent - millions delieues plus près de Sirius, il ne nous paraîtrait plus gros que d'une 194021° partie, augmentation qui serait abso- lument insensible; d'où l'on doit conclure que le Ciel a pour toutes les planètes le même aspect que pour la Terre, THÉORIE DE LA TERRE. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. Ainsi, quand même il existerait des comètes dont la période de révolution serait double, tri- ple et même décuple de la période de cinq cent soixante-quinze ans , la plus longue qui nous soit connue ; quand les comètes en conséquence pourraient s’enfoncer à une profondeur dix fois plus grande, il y aurait encore un espace soixante-quatorze ou soixante-quinze fois plus profond pour arriver aux derniers confins, tant du système solaire que du système sirien; en sorte qu’en donnant à Sirius autant de grandeur et de puissance qu’en a notre soleil, et supposant dans son système autant ou plus de corps co- métaires qu'il n'existe de comètes dans le sys- tème solaire, Sirius les régira comme le Soleil régit les siens , et il restera de même un inter- valle immense entre les confins des deux empi- res, intervalle qui ne parait étre qu'un désert dans l’espace, et qui doit faire soupconner qu'il existe des corps cométaires dont les périodes sont plus longues, et qui parviennent à une beaucoup plus grande distance que nous ne pou- vons le déterminer par nos connaissances ac- tuelles. Il se pourrait aussi que Sirius fût un soleil beaucoup plus grand et plus puissant que le nôtre; et si cela était, il faudrait reculer d'autant les bornes de son domaine en les rap- prochant de nous, et rétrécir en même raison la circonférence de celui du soleil. On ne peut s'empêcher de présumer, en effet, que dans ce très-grand nombre d'étoiles fixes qui toutes sont autant de soleils, il n'y en ait de plus grands et de plus petits que le nôtre, d’au- tres plus ou moins lumineux, quelques-uns plus voisins qui nous sont représentés par ces astres que les astronomes appellent Étoiles de la pre- mière grandeur, et beaucoup d’autres plus éloi- gnés, qui par cette raison nous paraissent plus petits : les étoiles qu'ils appellent nébuleuses, semblent manquer de lumière et de feu, et n'é- tre, pour ainsi dire, allumées qu’à demi; celles qui paraissent et disparaissent alternativement sont peut-être d’une forme aplatie par la vio- lence de la forcecentrifuge dans leur mouvement de rotation : on voit ces soleils lorsqu'ils mon- trent leur grande face, et ils disparaissent toutes les fois qu’ils se présentent de côté. II y a dans ce grand ordre de choses, et dans la nature des astres , les mêmes variétés, les mêmes diffé- rences en nombre , grandeur, espace, mouve- ment, forme et durée; les mêmes rapports, les mêmes degrés, les mêmes nuances qui se trou- 303 vent dans tous les autres ordres de la création. Chacun de ces soleils étant doué comme le nôtre, et comme toute matière l’est, d’une puis- sance attractive , qui s'étend à une distance in- définie, et décroit comme l'espace augmente, l’analogie nous conduit à croire qu’il existe dans la sphère de chacun de ces astres lumineux un grand nombre de corps opaques , planètes ou comètes qui circulent autour d'eux , mais que nous n’aperceyvrons jamais que par l'œil de l’es- prit , puisque, étant obscurs et beaucoup plus petits que les soleils qui leur servent de foyer, ils sont hors de la portée de notre vue, et même de tous les arts qui peuvent l’étendre ou la per- fectionner. On pourrait donc imaginer qu’il passe quel- quefois des comètes d’un système dans l’autre, et, ques’il s’en trouve sur les confins des deux empires , elles seront saisies par la puissance prépondérante , et forcées d’obéir aux lois d’un nouveau maitre. Mais, par l'immensité de l’es- pace qui se trouve au delà de l’aphélie de nos comètes , il parait que le souverain ordonna- teur a séparé chaque système par des déserts mille et mille fois plus vastes que toute l’éten- due des espaces fréquentés. Ces déserts , dont les nombres peuvent à peine sonder la profon- deur , sont les barrières éternelles, invincibles, que toutes les forces de la nature créée ne peu- vent franchir ni surmonter, Il faudrait, pour qu'il y eût communication d’un système à l’au- tre, et pour que les sujets d’un empire pussent pâsser dans un autre , que le siége du trône ne fût pas immobile; car l'étoile fixe , ou plutôt le soleil , le roi de ce système, changeant de lieu, entrainerait à sa suite tous les corps qui dé- pendent de lui, et pourrait dès lors s’approcher et même s'emparer du domaine d’un autre. Si sa marche se trouvait dirigée vers un astre plus faible , il commencerait par lui enlever les su- jets de ses provinces les plus éloignées , ensuite ceux des provinces intérieures; il les forcerait tous à augmenter son cortége en circulant au- tour de lui; et son voisin, dès lors dénué de ses sujets, n'ayant plus ni planètes ni comètes, per- drait en même temps sa lumière et son feu, que leur mouvement seul peut exciter et entretenir: dès lors cet astre isolé, n'étant plus maintenu dans sa place par l'équilibre des forces , serait contraint de changer de lieu en changeant de nature, et, devenu corps obscur, obéirait comme les autres à la puissance du conquérant, dont le 564 feu augmenterait à proportion du nombre de ses conquêtes. Car , que peut-on dire sur la nature du So- leil, sinon que c’est un corps d’un prodigieux volume , une masse énorme de matière péné- trée de feu, qui parait subsister sans aliment comme dans un métal fondu , ou dans un corps solide en incandescence? Et, d’où peut venir cet état constant d’incandescence, cette production toujours renouvelée d’un feu dont la consom- mation ne paraît entretenue par aucun aliment, et dont la déperdition est nulle ou du moins in- sensible, quoique constante depuis un si grand nombre de siècles? Y a-t-il, peut-il même y avoir une autre cause de la production et du maintien de ce feu permanent, sinon le mou- vement rapide de la forte pression de tous les corps qui cireulent autour de ce foyer commun, qui l’échauffent et l’embrasent, comme une roue rapidement tournée embrase son essieu? La pression qu'ils exercent en vertu de leur pesan- teur équivaut au frottement, et même est plus puissante, parce que cette pression est une force pénétrante qui frotte non-seulement la surface extérieure, mais toutes les parties intérieures de la masse; la rapidité de leur mouvement est si grande , que le frottement acquiert une force presque infinie, et met nécessairement toute la masse de l’essieu dans un état d’incandescence, de lumière, de chaleur et de feu , qui dès lors n’a pas besoin d’aliment pour être entretenu , et qui, malgré la déperdition qui s’en fait chaque jour par l'émission de la lumière, peut durêr des siècles de siècles sans atténuation sensible, les autres soleils rendant au nôtre autant de lu- mière qu’il leur en envoie , et le plus petitatome de feu ou d’une matière quelconque ne pouvant se perdre nulle part dans un système où tout s'attire. Si de cette esquisse du grand tableau des cieux que je n’ai tâché de tracer que pour me représenter la proportion des espaces et celle du mouvement des corps qui les parcourent; si de ce point de vue auquel je ne me suis élevé que pour voir plus clairement combien la nature doit être multipliée dans les différentes régions de l'univers, nous descendons à cette portion de l’espace qui nous est mieux connue, et dans laquelle le soleil exerce sa puissance, nous re- connaitrons que , quoiqu'il régisse par sa force tous les corps qui s’y trouvent, il n’a pas néan- moins la puissance de les vivifier, ni même HISTOIRE NATURELLE. celle d'y entretenir la végétation et la vie. Mercure, qui, de tous les corps cireulant au- tour du Soleil, en est le plus voisin, n’en recoit néanmoins qu'une chaleur © fois plus grande que celle que la terre en recoit, et cette chaleur * fois plus grande que la chaleur envoyée du Soleil à la Terre, bien loin d’être brülante, comme on l’a toujours cru , ne serait pas assez grande pour maintenir la pleine vigueur de la nature vivante ; car la chaleur actuelle du So- leil sur la Terre n'étant que + de celle de la cha- leur propre du globe terrestre, celle du Soleil sur Mercure est par conséquent % ou £ de la chaleur actuelle de la Terre. Or, si l’on dimi- nuait des trois quarts et demi la chaleur qui fait aujourd’hui la température de la Terre , il est sûr que la nature vivante serait au moins bien engourdie, supposé qu’ellenefütpas éteinte. Et puisque le feu du Soleil ne peut pas seul maintenir la nature organisée dans la planète la plus voisine , combien à plus forte raison ne s’en faut-il pas qu’il puisse vivifier celles qui en sont plus éloignées ? Il n’envoie à Vénus qu’une chaleur a fois plus grande quecellequ’il envoie < | TAN : à la Terre; et cette chaleur 2: fois plus grande que celle du Soleil sur la Terre, bien loin d’être assez forte pour maintenir la nature vivante, ne suffirait certainement pas pour entretenir la liquidité des eaux, ni peut-être même la flui- dité de l'air, puisque notre température actuelle se trouverait refroidie à + ou à H= ; ce qui est tout près du terme £ que nous avons donné comme Ja limite extrème de la plus petite cha- leur, relativement à la nature vivante. Et, à l’é- gard de Mars, de Jupiter, de Saturne et de tous leurs satellites , la quantité de chaleur que le Soleil leur envoie est si petite en comparaison de celle qui est nécessaire au maintien de la na- ture, qu'on pourrait la regarder comme de nul effet, surtout dans les deux plus grosses planè- tes, qui néanmoins paraissent être les objets essentiels du système solaire. Toutes les planètes , sans même en excepter Mercure, seraient donc et-auraient toujours été des volumes aussi grands qu'inutiles , d'une matière plus que brute, profondément gelée, et par conséquent des lieux inhabités de tous les temps, inhabitables à jamais, si elles re renfer- maient pas au-dedans d’elles-mêmes des trésors d'un feu bien supérieur à celui qu’elles reçoi- THÉORIE DE LA TERRE, PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 565 vent du Soleil Cette quantité de chaleur que notre globe possède en propre, et qui est cin- quante fois plus grande que la chaleur qui lui vient du Soleil, est en effet le trésor de la na- ture, le vrai fonds du feu qui nous anime, ainsi que tous les êtres : c’est cette chaleur intérieure de la Terre qui fait tout germer, tout éclore ; c’est elle qui constitue l'élément du feu, propre- ment dit, élément qui seul donne le mouve- ment aux autres éléments, et qui, s’il était ré- duit à #, ne pourrait vaincre leur résistance, et tomberait lui-même dans lPinertie. Or, cet élé- ment, le seul actif, le seul qui puisse rendre l'air fluide , l’eau liquide , et la terre pénétrable, n’aurait-il été donné qu'au seul globe terrestre? L'analogie nous permet-elle de douter que les autres planètes ne contiennent de même une quantité de chaleur qui leur appartient en pro- pre, et qui doit les rendre capables de recevoir et de maintenir la nature vivante? N’est-il pas plus grand , plus digne de l’idée que nous de- vons avoir du Créateur , de penser que partout il existe des êtres qui peuvent le connaitre et célébrer sa gloire, que de dépeupler l'univers, à l'exception de la Terre, et de le dépouiller de tous les êtres sensibles, en le réduisant à une profonde solitude , où l’on ne trouverait que le désert de l’espace, et les épouvantables masses d'une matière entièrement inanimée? Il est done nécessaire, puisque la chaleur du Soleil est si petite sur la Terre et sur les autres planètes, que toutes possèdent une chaleur qui leur appartient en propre; et nous devons re- chercher d'où provient cette chaleur qui seule peut constituer l'élément du feu dans chacune des planètes. Or, où pourrons-nous puiser cette grande quantité de chaleur, si ce n’est dans la source même de toute chaleur, dans le Soleil seul , de la matière duquel les planètes ayant été formées et projetées par une seule et même impulsion, auront toutes conservé leur mouve= ment dans le même sens, et leur chaleur, à pro- portion de leur grosseur et de leur densité? Qui- conque pèsera la valeur de ces analogies et sen- tira la force de leurs rapports , ne pourra guère douter que les planètes ne soient issues et sorties du Soleil par le choc d’une comète, parce qu’il n’y a dans le système solaire que les comètes qui soient des corps assez puissants et en assez grand mouvement pour pouvoir communiquer une pareille impulsion aux masses de matière qui composent les planètes.Si l’on réunit à tous les faits sur lesquels j'ai fondé cette hypothèse, le nouveau fait de la chaleur propre de la Terre et de l'insuffisance de celle du Soleil pour main- tenir la nature, on demeurera persuadé, comme je le suis, que dans le temps de leur formation les planètes et la terre étaient dans un état de liquéfaction , ensuite dans un état d’incandes- cence, et enfin, dans un état successif de cha- leur, toujours décroissante depuis l'incandes- cence jusqu’à la température actuelle, Car y a-t-il moyen de concevoir autrement l’origine et la durée de cette chaleur propre de la Terre ? Comment imaginer que le feu qu’on appelle central püt subsister ex effet au fond du globe sans air, c’est-à-dire sans son premier aliment? et d’où viendrait ce feu qu’on suppose renfermé dans le centre du globe ? Quelle source, quelle origine pourra-t-on lui trouver ? Descartes avait déjà pensé que la Terre et les: planètes n'étaient que de petits soleils encrot- tés, c’est-à-dire, éteints. Leïbnitz n’apas hésité à prononcer que le globe terrestre devait sa forme et la consistance de ses matières à l’élé- ment du feu ; etnéanmoins ces deux grands philosophes n'avaient pas , à beaucoup près, autant de faits, autant d'observations qu'on en a rassemblé et acquis de nos jours : ces faits sont actuellement en si grand nombre et si bien constatés, qu'il me paraît plus que probable que la Terre, ainsi que les planètes, ont été projetées hors du Soleil, et par conséquent composées de la même matière, qui d’abord étant en liqué- faction, a obéi à la force centrifuge en même temps qu’elle se rassemblait par celle de l’at- traction ; ce qui à donné à toutes les planètes la forme renflée sous l'équateur, et aplatie sous les pôles, en raison de la vitesse de leur rota- tion; qu’ensuite ce grand feu s'étant peu à peu dissipé, l’état d’une température bénigne et convenable à la nature organisée a succédé ou plus tôt ou plus tard dans les différentes pla- uètes, suivant la différence de leur épaisseur et de leur densité. Et quand même il y aurait pour la Terre etpour les planètes d’autres causes par- ticulières de chaleur qui se combineraient avec celles dontnousavons calculéles effets nos résul- tats n’en sont pas moins curieux, et n’en seront que plusutiles à l'avancement des s‘iences. Nous parlerons ailleurs de ces causes particulières de + Voyez dans ce volume l'article qui a pour titre - De {a formation des planètes. 506 chaleur; tout ce que nous en pouvons dire ici , pour ne pas compliquer les objets , c’est que ces causes particulières pourront prolonger encore le temps du refroidissement du globe et la durée de la nature vivante au delà des termes que nous avons indiqués. Mais , me dira-t-on, votre théorie est-elle également bien fondée dans tous les points qui lui servent de base? Il est vrai, d’après vos ex- périences, qu’un globe gros comme la Terre et composé des mêmes matières ne pourrait se re- froidir, depuis l’incandescence à la température actuelle, qu’en soixante-quatorze mille ans , et que, pour l’échauffer jusqu’à l’incandescence, il faudrait la quinzième partie de ce temps, c’est- à-dire environ cinq mille ans ; et encore fau- drait-il que ce globe fût environné pendant tout ce temps du feu le plus violent : dès lors il y a, comme vous le dites, de fortes présomptions que cette grande chaleur de la Terre n’a pu lui être communiquée de loin , et que par consé- quent la matière terrestre a fait autrefois partie de la masse du Soleil; mais il ne parait pas éga- lement prouvé que la chaleur de cet astre sur la Terre ne soit aujourd’hui que £ de la chaleur propre du globe. Le témoignage de nos sens semble se refuser à cette opinion que vous don- uez comme une vérité constante ; et quoiqu’on ne puisse pas douter que la Terre n’ait une cha- leur propre qui nous est démontrée par sa tem- pérature toujours égale dans tous les lieux pro- fonds où le froid de l’air ne peut communiquer, en résulte-t-il que cette chaleur, qui ne nous pa- rait être qu’une température médiocre , soit néanmoins cinquante fois plus grande que la chaleur du Soleil, qui semble nous brüler ? Je puis satisfaire pleinement à ces objections; mais il faut auparavant réfléchir avec moi sur la nature de nos sensations. Une différence très- légère, et souvent imperceptible dans la réalité où dans la mesure des causes qui nous affectent, en produit une prodigieuse dans leurs effets. Y a-t-il rien de plus voisin du très-grand plaisir que la douleur? Et qui peut assigner la distance entre le chatouillement vif qui nous remue déli- cieusement , et le frottement qui nous blesse , entre le feu qui nous réchauffe et celui qui nous brûle , entre la lumière qui réjouit nos yeux et celle qui les offusque, entre la saveur qui flatte notre goût et celle qui nous déplait, entrel’odeur dont une petite dose nous affecte agréablement d’abord et bientôt nous donne des nausées? On HISTOIRE NATURELLE. doit donc cesser d’être étonné qu'une petite augmentation de chaleur telle que #& puisse nous paraître si sensible, et que les limites du plus grand chaud de lété au plus grand froid de l’hiver soient entre sept et huit , comme l’a dit M. Amontons,ou même entretrenteet un et trente-deux, comme M. de Mairan l’a trouvé en prenant tous les résultats des observations faites sur cela pendant cinquante-six années consécutives. Mais il faut avouer que, si l’on voulait juger de la chaleur réelle du globe d’après les rap- ports que ce dernier auteur nous a donnés des émanations de la chaleur terrestre aux acces- sions de la chaleur solaire dans ce climat, il se trouverait que leur rapport étant à peu près :: 29 : 1 en été, et ::-471 ou même :: 491 en hiver : 1; il se trouverait, dis-je, en joignant ces deux rapports, que la chaleur solaire ne se- rait à la Chaleur terrestre que :: 445: 2, ou:: 35: 1. Mais cette estimation serait fautive, et l’erreur deviendrait d'autant plus grande que les climats seraient plus froids. 11 n’y a donc que celui de l’équateur jusqu'aux tropiques, où la chaleur étant en toutes saisons presque égale, on puisse établir avec fondement la proportion entre la chaleur des émanations de la terre et des ac- cessions de la chaleur solaire. Or, ce rapport dans tout ce vaste climat, où les étés et les hi- vers sont presque égaux, est à très-peu près :: 50 : 1. C’est par cette raison que j'ai adopté cette proportion, et que j’en ai fait la base du calcul de mes recherches. Néanmoins je ne prétends pas assurer affir- mativement que la chaleur propre de la Terre soit réellement cinquante fois plus grande que celle qui lui vient du Soleil ; comme cette cha- leur du globe appartientà toutela matière terres- tre, dont nous faisons partie, nous n’avons point de mesure que nous puissions en séparer, ni par conséquent d’unité sensible et réelle à laquelle nous puissions la rapporter. Mais, quand même on voudrait que la chaleur solaire fût plus grande ou plus petite que nous ne l’avons supposée, re- lativement à la chaleur terrestre,notre théoriene changerait que par la proportion des résultats. Par exemple , si nous renfermons toute l’é- tendue de nos sensations du plus grand chaud au plus grand froid dans les limites données par les observations de M. Amontons , c’est-à-dire entre sept et huit ou dans {, et qu'en même temps nous supposions que la chaleur du Soleil THÉORIE DE LA TERRE. peut produire seule cette différence de nos sensa- tions, on aura dès lors la proportion de huit à un de la chaleur propre du globe terrestre à celle qui lui vient du Soleil, et par conséquent la com- pensation que fait actuellementsur la Terre cette chaleur du Soleil serait de, et la compensation qu’elle à faite dans le temps de l’incandescence aura été 4. Ajoutant deux de ces termes, on a a» qui, multipliés par 124, moitié de la somme de tous les termes de la diminution de la cha- leur, donnent 5% ou 1 à pour la compensation totale qu'a faite la chaleur du Soleil pendant la période de soixante-quatorze mille quarante- sept ans du refroidissement de la Terre à la tem- pérature actuelle. Et, comme la perte totale de la chaleur propre est à la compensation totale en même raison que le temps de la période est à celui du refroidissement , on aura 25 : 1; :: 74047 : 4813 £; en sorte que le refroidis- sementduglobedela Terre, au lieu de n’avoir été prolongé que de sept cent soixante-dix ans , l'aurait été de 4813 & ans ; ce qui, joint au pro- longement plus long que produirait aussi la cha- leur de la Lune dans cette supposition, donne- rait plus de cinq mille ans, dont il faudrait encore reculer la date de la formation des pla- netes. Si l’on adopte les limites données par M. de Mairan, qui sontdetrente et un à trente-deux, et qu’on suppose que la chaleur solaire n’est ques de celle de la Terre, on n’aura que le quart de ce prolongement , c’est-à-dire environ douze centeinquante ans, au lieu de sept cent soixante- dix que donne la supposition de & que nous avons adoptée. Maïs , au contraire, si l’on supposait que la | chaleur du Soleil n’est que 4 de celle de la Terre, comme cela paraît résulter des observa- tions faites au climat de Paris, on aurait pour la compensation dans le temps de l’incandes- cence =, et + pour la compensation à la fin de la période de soixante-quatorze mille qua- rante-sept ans du refroidissement du globe ter- restre à la température actuelle, et l’on trouve- rait 45, pour la compensation totale faite par la chaleur du Soleil pendant cette période : ce qui ne donnerait quecentcinquante-quatreans,e’est- à-dire le cinquième de sept cent soixante-dixans pour le temps du prolongement du refroidisse- ment. Et de même, si, au lieu de £ nous sup- posions que la chaleur solaire fût + de la cha- leur terrestre, nous trouverions que le temps du PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 367 prolongement serait cinq fois plus long, c’est-à- dire de trois mille huit cent cinquante ans; en sorte que plus on voudra augmenter la chaleur qui nous vient du Soleil , relativement à celle qui émane de la Terre, et plus on étendra la durée de la nature, et l’on reculera le terme de l'antiquité du monde: car, en supposant que cette chaleur du Soleil sur la Terre fût égale à la chaleur propre du globe, on trouverait que le temps du prolongement serait de trente-huit mille cinq cent quatre ans; ce qui, par consé- quent, donnerait à la Terretrente-huit ou trente- neuf mille ans d'ancienneté de plus. Si l’on jette les yeux sur la table que M. de Mairan a dressée avec grande exactitude , et dans laquelle il donne la proportion de la cha- leur qui nous vient du Soleil à celle qui émane de la Terre dans tous les climats, on y recon- naîtra d’abord un fait bien avéré, c’est que dans tous les climats où l’on a fait des observations, les étés sont égaux, tandis que les hivers sont prodigieusement inégaux. Ce savant physicien attribue cette égalité constante de l'intensité de la chaleur pendant l’été dans tous les climats à la compensation réciproque de la chaleur s0- laire et de la chaleur des émanations du feu central : Ce n’est donc pas ici (dit-il page 253) une affaire de choix de système ou de conve- nance, que cette marche alternativement dé- croissante et croissante des émanations cen- trales en inverse des étés solaires , c’est le fait même , ete. ; en sorte que, selon lui, les émana- tions de la chaleur de la Terre croissent ou dé- croissent précisément dans la même raison que l’action de la chaleur du Soleil décroit et croit dans les différents climats ; et comme cette pro- portion d’accroissement et de décroissement en- tre la chaleur terrestre et la chaleur solaire lui parait, avec raison, très-étonnante suivant sa théorie, et qu'en même temps il ne peut pas douter du fait, il tâche de l’expliquer en disant : Que le globe terrestre étant d'abord une pâte molle de terre et d’eau , venant à tourner sur sonaxe,etcontinuellementeæposée auxrayons du Soleil, selon tous les aspects annuels des climats, s'y sera durcivers la surface, et d’au- tant plus profondément, que ses parties y se- ront plus exactement exposées. El si un ler- rain plus dur, plus compacte , plus épais , et en général plus difficile à pénétrer , devient dans ces mêmes rapports un obstacle d'autant plus grand aux émanations du Jeu intérieur 508 de la Terre , COMME IL EST ÉVIDENT QUE CELA DOIT ARRIVER, ne voilà-t-il pas dès lors ces obstacles en raison directe des différentes cha- leurs de l’élé solaire, et les émanations centra- les en inverse de ces mêmes chaleurs? et qu’est- ce alors autre chose que l’inégulité universelle des étés? car, supposant ces obstacles ou ces relranchements de chaleur faits à l'émanation constante et primitive, exprimés par les va- leurs mêmes des éléssolaires, c'est-à-dire dans la plus parfaite et la plus visible de toutes les proportionnalités , l'égalité , ilest clair qu’on ne retranche d'un côté à la même grandeur que ce qu'on y ajoule de l’autre, el que par conséquent les sommes ou les étés en seront toujours et partout les mêmes. Voilà donc (ajoute-t-il) cette égalilé surprenante des étés dans lous lesclimats de la Terre, ramencée à un principe intelligible; soit que la Terre, da- bord fluide , ait élé durcie ensuite par l’action du Soleil, du moins vers les dernières couches qui la composent; soit que Dieu l'ail créée tout d'un coup dans l’élat où les causes phy- siques et les lois du mouvement l'auraient amenée.I\ me semble que l’auteur aurait mieux fait de s’en tenir bonnement à cette dernière cause, qui dispense de toutes recherches et de toutes spéculations , que de donner une expli- cation qui pèche non-seulement dansle principe, mais dans presque tous les points des consé- quences qu’on en pourrait tirer. Car y a-t-il rien de plus indépendant l’un de l’autre que la chaleur qui appartient en propre à la Terre , et celle qui lui vient du dehors? Est- il naturel, est-il même raisonnable d'imaginer qu'il existe réellement dans la nature une loi de calcul par laquelle les émanations de cette cha- leur intérieure du globe suivraient exactement l'inverse des accessions de la chaleur du Soleil sur la Terre, et cela dans une proportion si pré- cise, que l'augmentation des unes compenserait exactement la diminution des autres? Il ne faut qu’un peu de réflexion pour se convaincre que cerapport purement idéaln’est nullement fondé, et que par conséquent le fait très-réel de l’éga- lité des étés, ou de l’égale intensité de chaleur en été dans tous les climats, ne dérive pas de cette combinaison précaire dont ce physicien fait un principe, mais d’une cause toute diffé- rente que nous allons exposer. Pourquoi dans tous les climats de la terre où l’on a fait desobservations suivies avecdes ther- HISTOIRE NATURELLE. momètres comparables, se trouve-t-il que les étés, (c'est-à-dire l'intensité de la chaleur er été) sont Cgaux , tandis que les hivers (c’est-à- dire l’intensité de la chaleur en hiver) sont pro- digieusement différents et d'autant plus inégaux qu'on s’avance plus vers les zônes froides? Voilà la question. Le fait est vrai : mais l'explication qu’en donne l’habile physicien que je viens de citer me parait plus que gratuite ; elle nous ren- voie directement aux causes finales qu'il croyait éviter : car n'est-ce pas nous dire pour toute ex- plication que le Soleil et la Terre ont d’abord été dans un écat tel que la chaleur de l’un pou- vait cuire les couches extérieures de l’autre, et les durcir précisément à un tel degré , que les émanations de la chaleur terrestre trouveraient toujours des obstacles à leur sortie, qui seraient exactement en proportion des facilités avec les- quelles la chaleur du Soleil arrive à chaque cli- mat; et que de cette admirable contexture des couches de la Terre, qui permettent plus ou moins l'issue des émanations du feu central , il résulte sur la surface de la Terre une compensa- tion exacte dela chaleur solaire et de la chaleur terrestre, ce qui néanmoins rendrait les hivers égaux partout aussi bien que les étés ; mais que dans la réalité, comme il n’y a que les étés d’é- gaux dans tous les climats , et que les hivers y sont au contraire prodigieusement inégaux , il faut bien que ces obstacles mis à la liberté des émanations centrales soient encore plus grands qu'on ne vient de les supposer , et qu'ils soient en effet et très-réellement dans la proportion qu'exige l'inégalité des hivers des différents climats ? Or, qui ne voit que ces petites combi- naisons ne sont point entrées dans le plan du souverain Être, mais seulement dans la tête du physicien , qui, ne pouvant expliquer cette éga- lité des étés et cette inégalité des hivers, a eu recours à deux suppositions qui n’ont aucun fondement, et à des combinaisons qui n’ont pu même à ses yeux avoir d'autre mérite que celui de s’accommoder à sa théorie , et de ramener, comme il le dit, cette égalité surprenante des étés à un principe intelligikle? Mais ce prin- cipe une fois entendu n’est qu’une combinaison de deux suppositions, qui toutes deux sont de l'ordre de celles qui rendraient possible l'impos- sible , et dès lors présenteraient en effet l’ab- surde comme intelligible. Tous les physiciens qui se sont occupés de cet objet conviennent avec moi que le globe ete ed entier THÉORIE DE LA TERRE. terrestre possède en propre une chaleur indé- pendante de celle qui lui vient du Soleil : dès lors n'est-il pas évident que cette chaleur pro- pre serait égale sur tous les points de la surface du globe, abstraction faite de celle du Soleil, et qu'il n’y aurait d'autre différence à cet égard que celle qui doit résulter du renflement de la terre à l'équateur, et de son aplatissement sous les pôles? différence qui, étant en même raison à peu près que les deux diamètres, n’ex- cède pas ;4 ; en sorte que la chaleur propre du sphéroïde terrestre doit ètre de ;4; plus grande sous l'équateur que sous les pôles. La déperdi- tion qui s’en est faite et le temps du refroidisse- ment doit donc avoir été plus prompt dans les climats septentrionaux, où l'épaisseur du globe est moins grande que dans les climats du midi ; mais cette différence de 4; ne peut pas produire cellede l'inégalité des émanations centrales , dont le rapport à la chaleur du soleil en hiver étant : : 50 : 1 dans les climats voisins de l’é- quateur, se trouve déjà double au vingt-sep- tième degré, triple au trente-cinquième, qua- druple au quarantième, décuple au quarante- neuvième , et trente-cinq fois plus grand au soixantième degré de latitude. Cette cause qui se présente la première contribue au froid des climats septentrionaux ; mais elle est insuffi- sante pour l’effet de l'inégalité des hivers, puis- que cet effet serait trente-cinq fois plus grand que sa cause au soixantième degré, plus grand encore et même excessif dans les climats plus voisins du pôle, et qu'en même temps il ne serait nulle part proportionnel à cette même cause. D'autre côté, ce serait sans aucun fondement qu'on voudrait soutenir que dans un globe qui a réçu ou qui possède un certain degré de cha- leur, il pourrait y avoir des parties beaucoup moins chaudes les unes que les autres. Nous connaissons assez le progrès de la chaleur et les phénomènes de sa communication pour être as- surés qu’elle se distribue toujours également, puisqu’en appliquant un corps, même froid, sur un corps chaud, celui-ci communiquera né- cessairement à l’autre assez de chaleur pour que tous deux soient bientôt au même degré de température. L'on ne doit done pas supposer qu'il y ait, vers le climat des pôles, des couches de matières moins chaudes, moins perméables à la chaleur, que dans les autres climats ; car, de quelque nature qu’on les voulût supposer, fé PARTIE HYPOTHÉTIQUE. l'expérience nous démontre qu’en un très-petit temps elles seraient devenues aussi chaudes que les autres. Les grands froids du nord ne viennent donc pas de ces prétendus obstacles qui s'oppose- raient à la sortie de la chaleur, ni de la petite différence que doit produire celle des diamètres du sphéroïde terrestre ; et il m’a paru, après y avoir réfléchi, qu'on devait attribuer l'égalité des étés et la grande inégalité des hivers à une cause bien plus simple, et qui néanmoins a échappé à tous les physiciens. Il est certain que, comme la chaleur propre de la Terre est beaucoup plus grande que celle qui lui vient du Soleil, les étés doivent paraitre, à très-peu près, égaux partout, parce que cette même chaleur du Soleil ne fait qu’une petite augmentation au fonds réel de la chaleur pro- pre, et que, par conséquent, si cette chaleur en- voyée du Soleil n’est que de £ de la chaleur propre du globe, le plus ou moins de séjour de cet astre sur l’horizon, sa plus grande ou sa moin- dreobliquité sur le climat, et même son absence totale, ne produirait que £ de différence sur Ja température du climat, et que dès lors les étés doivent paraître, et sont en effet à très-peu près égaux dans tous les climats de la Terre. Mais , ce qui fait que les hivers sont si fort inégaux s c’estqueles émanations de cette chaleur inté- rieure du globe se trouvent en très-crande par- tie supprimées dès que le froid et la gelée res- serrent et consolident la surface de la Terre et des eaux. Comme cette chaleur qui sort du globe décroit dans les airs à mesure eten même raison que l’espace augmente, elle a déjà beaucoup perdu à une demi-lieue ou à une lieue de hauteur: la seule condensation de l'air, par cette cause, suffit pour produire des vents froids qui, se ra- battant sur la surface de la Terre, la resserrent et la gèlent ‘. Tant que dure ce resserrement de la couche extérieure de la Terre, les émanations de la chaleur intérieure sont retenues, et le froid paraît et est en effet très-considérable- ment augmenté par cette suppression d’une par- tie de cette chaleur : mais, dès que l’air devient plus doux , et que la couche superficielle du globe perd sa rigidité, la chaleur, retenue pen- 569 { On s'aperçoit de ces vents rabattus toutesles fois qu'il doit geler ou tomber de la neige; le vent, saus même être trèc- violent, se rabat par les cheminées, et chasse dans la chambre les cendres du foyer: cela ne manque jamais d'arriver , sur- tout peadant la nuit, lorsque le feu est éteint ou couvert. 24 370 dant tout le temps de la gelée, sort en plus grande abondance que dans les climats où il ne gèle pas, en sorte que la somme des émanations de la chaleur devient égale et la même partout; et c’est par cette raison que les plantes végè- tent plus vite, et que les récoltes se font en beaucoup moins de temps. dans les pays du nord ; c’est par la même raison qu'on y ressent souvent, au commencement de l'été, des cha- leurs insoutenables, ete. Si l’on voulait douter de la suppression des émanations de la chaleur intérieure par l’effet de la gelée, ilne faut, pour s’en convaincre, que se rappeler des faits connus de tout le monde. Qu’après une gelée il tombe de la neige, on la verra se fondre sur tous les puits, les aquedues, les citernes, les ciels de carrière, les voûtes des fosses souterraines ou des galeries des mines ) lors même que ces profondeurs , ces puits ou ces citernes ne contiennent point d’eau. Les émanations de la Terre ayant leur libreissue par ces espèces de cheminées, le terrain qui en re- couvre le sommet n’est jamais gelé au même degré que la terre pleine ; il permet aux émana- tions leur cours ordinaire, etleur chaleur suffit pour fondre la neige sur tous ces endroits creux , tandis qu’elle subsiste et demeure sur tout le reste de la surface où la terre n’est point excavée. Cette suppression des émanations de la cha- leur propre de la Terre se fait, non-seulement par la gelée, mais encore par le simple resser- rement de la Terre, souvent occasionné par un moindre degré de froid que celui qui estnéces- saire pour en geler la surface. Il y a très-peu de pays où ilgèle dans les plaines au delà du tren- te-cinquième degré de latitude, surtout dans l'hémisphère boréal ; il semble done que depuis l'équateur jusqu’au trente-cinquième degré les émanations de la chaleur terrestre ayant tou- jours leur libre issue, il ne devrait y avoir pres- que aucune différence de l'hiver à l’été, puisque cette différence ne pourrait provenir que de deux causes , toutes deux trop petites pour produire un résultat sensible. La première de ces causes est la différence de l’action solaire : mais comme cette action elle-même est beaucoup plus petite que celle de la chaleur terrestre, leur différence devient dès lors si peu considérable, qu'on peut la regarder comme nulle. La seconde cause est l'épaisseur du globe, qui, vers le trente-cin- quième degré, est à peu près de ;4, moindre HISTOIRE NATURELLE. qu'à l'équateur : mais cette différence ne peut encore produire qu'un très-petit effet, qui n’est nullement proportionnel à celui que nous indi- quent les observations, puisqu’à trente-cinq de- grés lerapport des émanations de la chaleur terrestre à la chaleur solaire est, en été, de trente-trois à un, et en hiver, de cent cinquante- trois à un, ce qui donnerait cent quatre-vingt- six à deux, où quatre-vingt-treize à un. Ce ne peut donc être qu'au resserrement de la terre occasionné par le froid, ou même au froid pro- duit par les pluies durables qui tombent dans ces climats, qu’on peut attribuer cette différence de l'hiver à l'été: le resserrement de la Terre par le froid supprime une partie des émanations de la chaleur intérieure, et le froid, toujours renouvelé par la chute des pluies, diminue l’in- tensité de cette même chaleur ; ces deux causes produisent done ensemble la différence de l’hi- ver à l'été. D'après cet exposé, il me semble que l’on est maintenant en état d'entendre pourquoi les hi- vers semblent être si différents. Ce point de physique générale n'avait jamais été discuté ; personne, avant M. de Mairan, n'avait même cherché les moyensdel’expliquer, etnous avons démontré précédemment l'insuffisance de l’ex- plication qu’il en donne : la mienne, au con- taire, me parait si simple et si bien fondée, que je ne doute pas qu’elle ne soit entendue par tous les bons esprits. Après avoir prouvé que la chaleur qui nous vient du Soleil est fort inférieure à la chaleur propre de notre globe ; après avoir exposé qu’en ne la supposant que de #, le refroidissement du globe à la température actuelle n’a pu se faire qu’en soixante-quatorze mille huit cent trente- deux ans ; après avoir montré que le temps de ce refroidissement serait encore plus long si la chaleur envoyée par le Soleil à la Terre était dans un rapport plus grand, c’est-à-dire de £ou de + au lieu de #, on ne pourra pas nous blâämer d’avoir adopté la proportion qui nous paraît la plus plausible par les raisons physi- ques, et en même temps la plus concevable, pour ne pas trop étendre et reculer trop loin le temps du commencement de la nature, que nous avons fixé à trente-sept ou trente-huit mille ans, … à dater en arrière de ce jour. J'avoue néanmoins que ce temps, tout consi- dérable qu'il est, ne me paraît pas encore assez grand, assez long pour certains changements, THÉORIE DE LA TERRE. certaines altérations successives que l’histoire naturelle nous démontre, et qui semblent avoir exigé une suite de siècles encore plus longue : je serais donc très-porté à croire que, dans le réel , les temps ci-devant indiqués pour la durée de la nature doivent être augmentés peut-être du double, si l’on veut se trouver à l'aise pour l'explication de tous les phénomènes. Mais, je le répète, je m’en suis tenu aux moindres ter- mes, et j'ai restreint les limites du temps au- tant qu'il était possible de le faire, sans contre- dire les faits et les expériences. On pourra peut-être chicaner ma théorie par une autre objection qu'il est bon de prévenir. On me dira que j'ai supposé, d’après Newton, la chaleur de l’eau bouillante trois fois plus grande que celle du soleil d'été, et la chaleur du fer rouge huit fois plus grande que celle de l’eau bouillante, c’est-à-dire, vingt-quatre ou vingt-cinq fois plus grande que celle de la tem- pérature actuelle de la Terre, et qu'il entre de l’hypothétique dans cette supposition, sur la- quelle j'ai néanmoins fondé la seconde base de mes calculs, dont les résultats seraient sans doute fort différents , si cette chaleur du fer rouge ou du verre en incandescence, au lieu d'être en effet vingt-cinq fois plus grande que la chaleur actuelle du globe, n'était, par exemple, que cinq ou six fois aussi grande. Pour sentir la valeur de cette objection , fai- sons d’abord le calcul du refroidissement de la Terre, dans cettesuppositionqu’ellen’était, dans le temps de l’incandescence, que ciuq fois plus chaudequ'ellenel’estaujourd’hui, ensupposant, comme dans les autres calculs, que la chaleur solaire n’est que +de la chaleur terrestre. Cette chaleur solaire, qui fait aujourd’hui compensa- tion de #, n'aurait fait compensation que de + dans le temps de l’incandescence. Ces deux ter- mes ajoutés donnent ;$;, qui, multipliés par 24, moitié de la somme de tous les termes de la di- minution de Ja chaleur, donnent pour la com- pensation totale qu’a faite la chaleur du Soleil pendant la période entière de la déperdition de la chaleur propre du globe, qui est de soixante- quatorze mille quarante-sept ans. Ainsi l’on aura 5 : 5 :: 74047 : 888 #. D'où l’on voit que le prolongement du refroidissement , qui, pour une chaleur vingt-cinq fois plus grande que la température actuelle, n’a été que de sept cent soixante-dix ans, aurait été de 888 # dans la supposition que cette première chaleur n'aurait PARTIE HYPOTHÉTIQUE. 571 été que cinq fois plus grande que cette même tempétature actuelle, Cela seul nous fait voir que, quand même on voudrait supposer cette chaleur primitive fort au-dessous de vingt-cinq, il n’en résulterait qu'un prolongement plus long pour le refroidissement du globe, et cela seul me paraît suffire aussi pour satisfaire à l'objec- tion. Enfin, me dira-t-on, vous avez calculé la du- rée du refroidissement des planètes, non-seule- ment par la raison inverse de leurs diamètres, mais encore par la raison inverse de leur den- sité : cela serait fondé, si l’on pouvait imaginer qu'il existe en effet des matières dont la densité serait aussi différente de celle de notre globe; mais en existe-t-il? Quelle sera, par exemple, la matière dont vous composerez Saturne, puis- que sa densité est plus de cinq fois moindre que celle de la Terre ? A cela je réponds qu’il serait aisé de trouver, dans le genre végétal, des matières cinq ou six fois moins denses qu'une masse de fer, de mar- bre blanc, de grès, de marbre commun et de pierre calcaire dure, dont nous savons que la Terre est principalement composée : mais sans sortir du règne minéral, et considérant la den- sité de ces cinq matières, on a, pour celle du fer, 21 {; pour celle du marbre blane, 8%; pour celle du grès , 7 # ; pour celle du marbre com- mun et de la pierre calcaire dure, 7 2: prenant le terme moyen des densités de ces cinq matiè- res , dont le globe terrestre est principalement composé, on trouve que sa densité est 10 #. Il s’agit done de trouver une matière dont la den- sité soit 1 De ce qui est le même rapport de cent quatre-vingt-quatre , densité de Saturne, à mille, densité de la Terre. Or cette matière se: rait une espèce de pierre ponce un peu moins dense que la pierre ponce ordinaire, dont la den- sité relative est ici de 1 $ : il paraît donc que Saturne est principalement composé d’une ma- tière légère semblable à la pierre ponce. De même la densité de la Terre étant à celle de Jupiter : : 1000 : 292, ou :: 10 À : 3 x > On doit croire que Jupiter est composé d’une ma- tière plus dense que la pierre ponce, et moins dense que la craie. La densité de la Terre étant à celle de la Lune :: 1000 : 702, ou :: 10 À : 7 2, cette planète secondaire est composée d’une matière dont la densité n’est pas tout à fait si grande que celle 972 de la pierre calcaire dure, mais plus grande que celle de la pierre calcaire tendre. La densité de la Terre étant à celle de Mars x022 :: 1000 : 730, Ou :: 10 À : 7 >, On doit croire que cette planète est composée d’une matière dont la densité est un peu plus grande que celle du grès, et moins grande que celle du marbre blanc. Mais la densité de la Terre étant à celle de Vénus :: 1000 : 1270,ou :: 10 À: 13 56 On peut croire que cette planète est principalement composée d’une matière plus dense que l’éme- ri, et moins dense que le zinc. Enfin, la densité de la Terre étant à celle de Mercure :: 1000 : 2040, ou :: 10 & : 20 55, on doit croire que cette planète est composée d’une matière un peu moins dense que le fer, mais plus dense que l’étain. Hé! comment, dira-t-on, la nature vivante, que vous supposez établie partout, peut-elle exister sur des planètes de fer, d’émeri ou de pierre ponce? Par les mêmes causes, répon- drai-je, et par les mêmes moyens qu'elle existe sur le globe terrestre, quoique composé de pierre, de grès , de marbre , de fer et de verre. Il en est des autres planètes comme de notre globe : leur fonds principal est une des matiè- res que nous venons d'indiquer ; mais les causes extérieures auront bientôt altéré la couche su- pertficielle de cette matière, et selon les diffé- rents degrés de chaleur ou de froid , de séche- resse ou d'humidité, elles auront converti en assez peu de temps cette matière, de quelque nature qu’on la suppose, en uneterre féconde et propre à recevoir les germes de la nature orga- nisée , qui tous n’ont besoin que de chaleur et d'humidité pour se développer. Après avoir satisfait aux objections qui pa- raissent se présenter les premières, il est né- cessaire d'exposer les faits et les observations par lesquelles on s’est assuré que la chaleur du Soleil n’est qu'un accessoire , un petit complé- ment à la chaleur réelle qui émane continuelle- ment du globe de la Terre ; etil sera bon de faire voir en même temps comment les thermomè- tres comparables nous ont appris d’une manière certaine que le chaud de l'été est égal dans tous les climats de la Terre, à l’exception de quelques endroits, comme le Sénégal, et de HISTOIRE NATURELLE, leur est plus grande qu'ailleurs, par des rai- sons particulières dont nous parlerons lors- qu’il s'agira d'examiner les exceptions à cette règle générale. On peut démontrer, par des évaluations in- contestables, que la lumière, et par conséquent la chaleur envoyée du Soleil à la Terre en été, est très-grande en comparaison de la chaleur envoyée par ce même astre en hiver, et que néanmoins, par des observations très-exactes et très-réitérées , la différence de la chaleur réelle de l'été à celle de l’hiver est fort petite. Cela seul serait suffisant pour prouver qu’il existe dans le globe terrestre une très-grande chaleur, dont celle du Soleil ne fait que le complément; car, en recevant les rayons du Soleil sur le même thermomètreen été et en hiver, M. Amon- tons a le premier observé que les plus grandes chaleurs de l’été dans notre elimat ne diffèrent du froid de l'hiver, lorsque l’eau se congèle, que comme sept diffère de six, tandis qu’on peut démontrer que l’action du Soleil en été est en- viron soixante-six fois plus grande que celle du Soleil en hiver : on ne peut donc pas douter qu'il n’y ait un fonds de tres-grande chaleur dans le globe terrestre, sur lequel, comme base, s'élèvent les degrés de la chaleur qui nous vient du Soleil, et que les émanations de ce fonds de chaleur à la surface du globe ne nous donnent une quantité de chaleur beaucoup plus grande que celle qui nous arrive du Soleil. Si l’on demande comment on a pu s’assurer que la chaleur envoyée par le Soleil en été est soixante-six fois plus grande que la chaleur envoyée par ce même astre en hiver dans notre climat, je ne puis mieux répondre qu’en ren- voyant aux Mémoires donnés par feu M. de Mairan en 1719, 1722 et 1765, et insérés dans ceux de l’Académie, où il examine avee une at- tention scrupuleuse les causes de la vicissitude des saisons dans les différents climats. Ces cau- ses peuvent se réduire à quatre principales, sa- voir : 1° l’inclinaison sous laquelle tombe la lu- miere du Soleil, suivant les différentes hauteurs de cet astre sur l’horizon ; 2° l’intensité de la lumière , plus ou moins grande à mesure que son passage dans l'atmosphère est plus ou moins oblique ; 3° la différente distance de la Terre au Soleil en été eten hiver ; 4° l'inégalité de la lon- gueur des jours dans les climats différents. Et, en partant du principe que la quantité de la quelques autres parties de l’Afrique, où la cha- | chaleur est proportionnelle à l’action de la lu- THÉORIE DE LA TERRE. mière, on se démontrera aisément à soi-même que ces quatre causes réunies, combinées et comparées, diminuent pour notre climat cette action de la chaleur du Soleil dans un rapport d'environ soixante-six à un du solstice d’été au solstice d'hiver Et, en supposant l’affaiblisse- ment de l’action de la lumière par ces quatre causes, c’est-à-dire, 1° par lamoindre ascension ou élévation du Soleil à midi du solstice d'hiver, en comparaison de son ascension à midi du solstice d'été; 2° par la diminution de l'intensité de la lumière qui traverse plus obliquement l’at- mosphèreau solstice d'hiver qu’au solsticed’été; 3° par la plus grande proximité de la Terre au Soleil en hiver qu’en été ; 4° par la diminution de la continuité de la chaleur produite par la moindre durée du jour, ou par la plus longue absence du Soleil au solstice d’hiver, qui, dans notre climat , est à peu près double de celle du solstice d'été , on ne pourra pas douter que la différence ne soit en effet très-grande et en- viron de soixante-six à un dans notre climat ; et cette vérité de théorie peut être regardée comme aussi certaine que la seconde vérité, qui est d'expérience et qui nous démontre , par les ob- servations du thermomètre exposé immédiate- ment aux rayons du Soleil en hiver et en été, que la différence de la chaleur réelle dans ces deux temps n’est néanmoins tout au plus que de sept à six. Je dis tout au plus; car cette dé- termination donnée par M. Amontons n’est pas, à beaucoup près, aussi exacte que celle qui a été faite par M. de Mairan d’après un grand nom- bre d'observations ultérieures, par lesquelles il prouve que ce rapport est :: 32 : 31. Que doit donc indiquer cette prodigieuse inégalité entre ces deux rapports de l’action de la chaleur so- laire en été et en hiver, qui est de soixante-six à un, et de celle de la chaleur réelle, qui n’est que de trente-deux à trente un de l’été à l'hiver? N'’est-il pas évident que la chaleur propre du globe de la Terre est nombre de fois plus grande que celle qui lui vient du Soleil ? Il paraît en effet que dans le climat de Paris cette cha- leur de la Terre est vingt-neuf fois plus grande en été, et quatre cent quatre-vingt-onze fois plus grande en hiver que celle du Soleil, comme l'a déterminé M. de Mairan. Mais j'ai déjà averti qu'on ne devait pas conclure de ces deux rapports combinés le rapport réel de la chaleur du globe de la Terre à celle qui lui vient à PARTIE HYPOTHÉTIQUE. O1: cidé à supposerqu'on peut estimer cette chaleur du Soleil cinquante fois moindre que la chaleur qui émane de la Terre. Il nous reste maintenant à rendre compte des observations faites avec les thermomètres. On a recueilli, depuis l’année 1701 jusqu’en 1756 in- clusivement, le degré du plus grand chaud et celui du plus grand froid qui s’est fait à Paris chaque année : on en a fait une somme, et l’on a trouvé qu’année commune tous les thermomè- tres, réduits à la division de Réaumur, ont donné mille vingt-six, pour la plus grande chaleur de l'été, c’est-à-dire vingt-six degrés au-dessus du point de la congélation de l’eau. On a trouvé de même que le degré commun du plus grand froid de l'hiver a été, pendant ces cinquante-six années, de neuf cent quatre-ving-quatorze, ou de six degrés au-dessous de la congélation de l’eau : d’où l’on a conclu, avec raison, que le plus grand chaud de nos étés à Paris ne diffère du plus grand froid de nos hivers que de +, puisque 994 : 1026 : : 31 : 32. C’est sur ce fon- dement que nous avons dit que le rapport du plus grand chaud au plus grand froid n'était que : : 32 : 31. Mais on peut objecter contre la précision de cette évaluation le défaut de con- struction du thermomètre, division de Réau- mur , auquel on réduit ici l'échelle de tous les autres ; et ce défaut est de ne partir que de mille degrés au-dessous de la glace, comme si ce mil- lième degré était en effet celui du froid absolu ; tandis que le froid absolu n'existe point dans la nature, et que celui de la plus petite chaleur devrait être supposé de dix mille au lieu de mille, ce qui changerait la graduation du ther- momètre. On peut encore dire qu’à la vérité il n’est pas impossible que toutes nos sensations entre le plus grand chaud et le plus grand froid soient comprises dans un aussi petit intervalle que celui d'une unité sur trente-deux de cha- leur, mais que la voix du sentiment semble s'é- lever contre cette opinion, et nous dire que cette limite est trop étroite, et que c’est bien as- sez réduire cet intervalle que de lui donner un huitième ou un septième au lieu d’un trente- deuxième. Mais, quoi qu’il en soit de cette évaluation, qui se trouvera peut-être encore trop forte lors- qu’ou aura des thermomètres mieux construits, on ne peut pas douter que la chaleur de la Terre, qui sert de base à la chaleur réelle que du Soleil, et j'ai donné les raisons qui m'ont dé- : nous éprouvons, ne soit très-considérablement 574 plus grande que celle qui nous vient du Soleil , etque cette dernière n’en soit qu'un petit com- plément. De même , quoique les thermomètres dont on s’est servi pêchent par le principe de leur construction et par quelques autres dé- fauts dans leur graduation, on ne peut pas dou- ter de la vérité des faits comparés que nous ont appris les observations faites en différents pays avec ces mêmes thermomètres construits et gra- dués de la même façon, parce qu'il ne s’agit ici que de vérités relatives et de résultats compa- rés, et non pas de vérités absolues. Or, de la même manière qu’on a trouvé, par l'observation de cinquante-six années successi- ves, la chaleur de l'été, à Paris, de mille vingt- six ou de vingt-six degrés au-dessus de la con- gélation, on a aussi trouvé, avec les mêmes thermomètres, que cette chaleur de l’été était mille vingt-six dans tous les autres climats de la Terre, depuis l'équateur jusque vers le cercle polaire ! : à Madagascar, aux îles de France et de Bourbon, à l'ile Rodrigue, à Siam, aux Indes orientales, à Alger, à Malte, à Cadix , à Mont- pellier, à Lyon , à Amsterdam, à Varsovie, à Upsal, à Pétersbourg, et jusqu’en Laponie près du cercle polaire ; à Cayenne , au Pérou, à la Martinique, à Carthagène en Amérique, et à Panama ; enfin, dans tous les climats des deux hémisphères et des deux continents où l’on a pu faire des observations , on a constamment trouvé que la liqueur du thermomètre s'élevait également à vingt-cinq, vingt-six ou vingt-sept degrés dans les jours les plus chauds de l'été ; et de là résulte le fait incontestable de l'égalité de la chaleur en été dans tous les climats de la Terre. Il n’y a sur cela d’autre exception que celle du Sénégal et de quelques autres endroits où le thermomètre s'élève cinq ou six degrés de plus , c'est-à-dire à trente-un ou trente-deux degrés ; mais c’est par des causes accidentelles et locales, qui n’altérent point la vérité des ob- servations ni la certitude de ce fait général, le- quel seul pourrait encore nous démontrer qu'il existe réellement une très-grande chaleur dans le globe terrestre, dont l'effet ou les émanations sont à peu près égales dans tous les points de sa surface, et que le Soleil, bien loin d’être la sphère unique de la chaleur qui animela nature, n’en est tout au plus que le régulateur. { Voyez sur cela les Mémoires de feu M. de Réaumur, dans ceux de l'Académie, années 1733 et 1741; et aussi les Mémoires de M. de Mairan , dans ceux de l'année 1765, page 215. HISTOIRE NATURELLE. Ce fait important , que nous consignons à la postérité, lui fera reconnaitre la progression réelle de la diminution de la chaleur du globe terrestre, que nous n’avons pu déterminer que d'une manière hypothétique : on verra , dans quelques siècles, que la plus grande chaleur de l'été, au lieu d'élever la liqueur du thermomè- tre à vingt-six, ne l’élèvera plus qu’à vingt- cinq, à vingt-quatre ou au-dessous, eton jugera par cet effet, qui est le résultat de toutes les causes combinées, dela valeur de chacune des causes particulières qui produisent l’effet total de la chaleur à la surface du globe ; car, indé- pendamment de la chaleur qui appartient en propre à la Terre, et qu'elle possède dès le temps de l’incandescence, chaleur dont la quan- tité est très-considérablement diminuée, et continuera de diminuer dans la succession des temps ; indépendamment de la chaleur qui nous vient du Soleil, qu'on peut regarder comme constante, et qui par conséquent fera dans la suite une plus grande compensation qu'aujourd'hui à la perte de cette chaleur pro- pre du globe , il y a encore deux autres causes partieulières qui peuvent ajouter une quantité considérable de chaleur à l'effet des deux pre- mières, qui sont les seules dont nous ayons fait jusqu'ici l'évaluation. L'une de ces causes particulieres provient en quelque façon de la première cause générale, et peut y ajouter quelque chose. Il est certain que dans le temps de l’incandescence, et dans tous les siècles subséquents, jusqu’à celui du refroidissement de la terre au point de pouvoir la toucher, toutes les matières volatiles ne pou- vaient résider à la surface, ni même dans lin- térieur du globe; elles étaient élevées et ré- pandues en forme de vapeurs , et n’ont pu se déposer que successivement à mesure qu’il se refroidissait. Ces matières ont pénétré par les fentes et les crevasses de la terre à d'assez grandes profondeurs, en une infinité d’endroits: c’estlàle fonds primitif des volcans, qui, comme l’on sait, se trouvent tous dans les hautes montagnes, où les fentes de la terre sont d’au- tant plus grandes que ces pointes du globe sont plus avancées, plus isolées. Ce dépôt des matières volatiles du premier âge aura été pro- digieusement augmenté par l'addition de toutes les matières combustibles, dont la formation est des âges subséquents. Les pyrites , les sou- fres , les charbons de terre, les bitumes , ete... THÉORIE DE LA TERRE. PARTIE HYPOTHÉTIQUE. ont pénétré dans les cavités de la terre, et ont produit presque partout de grands amas de ma- tières inflammables , et souvent des incendies qui se manifestent par des tremblements de terre , par l’éruption des volcans , et par les sources chaudes qui découlent des montagnes, ou sourdent à l’intérieur dans les cavités de la terre. On peut donc présumer que ces feux souterrains, dont les uns brülent, pour ainsidire, sourdement et sans explosion , et dont les au- tres éclatentavec tant de violence , augmentent un peu l'effet de la chaleur générale du globe. Néanmoins cette addition de chaleur ne peut être que très-petite; car on a observé qu'il fait à très-peu près aussi froid au-dessus des vol- cans qu'au-dessus des autres montagnes à la même bauteur , à l'exception des temps où le volcan travaille et jette au-dehors des vapeurs enflammées ou des matières brülantes. Cette cause particulière de chaleur ne me parait done pas mériter autant de considération que lui en ont donné quelques physiciens. Il n’en est pas de même d’une seconde cause à laquelle il semble qu’on n’a pas pensé, c’est le mouvement de la Lune autour dela Terre. Cette planète secondaire fait sa révolution autour de nous en vingt-sept jours un tiers environ , et étant éloignée à quatre-vingt-cinq mille trois cent vingt-cinq lieues , elle parcourt une circon- férence de cinq cent trente-six mille trois cent vingt-neuf lieues dans cet espace de temps, ce qui fait un mouvement de huit cent dix-sept lieues par heure, ou de treize à quatorze lieues par minute, Quoique cette marche soit peut- être la plus lente de tous les corps célestes , elle ne laisse pas d’être assez rapide pour produire sur la Terre qui sert d’essieu ou de pivot à ce mouvement, une chaleur considérable par le | frottement qui résulte de la charge et de la vi- | tesse de cette planète. Mais il ne nous est pas possible d'évaluer cette quantité de chaleur pro- duite par cette cause extérieure, parce que nous n’avous rien jusqu'ici qui puisse nous servir d’u- nité ou de terme de comparaison. Mais si l’on parvient jamais à connaître lenombre, la gran- deur et la vitesse de toutes les comètes, comme nous connaissons le nombre , la grandeur et la vitesse de toutes les planètes qui circulent au- tour du Soleil, on pourra juger alors de la quan- | tité de chaleur que la Lune peut donner à la Terre, par la quantité beaucoup plus grande de feu quetous ces vastes corps excitent dans le So- 519 leil. Et je serais fort porté à croire que la cha- leur produite par cette cause dans le globe de la Terre ne laisse pas de faire une partie assez considérable de sa chaleur propre, et qu’en conséquence il faut encore étendre les limites des temps pour la durée de la nature. Mais re- venons à notre principal objet. Nous avons vu que les étés sont à très-peu près égaux dans tous les climats de la terre, et que cette vérité est appuyée sur des faits incon- testables : mais il n’en est pas de même des hi- vers ; ils sont très-inégaux, et d'autant plus iné- gaux dans les différents climats, qu'on s’éloigne plus de celui de l'équateur, où la chaleur en hi- ver et en été est à peu près la même. Je crois en avoir donné la raison dans le cours de ce Mé- moire , et avoir expliqué d'une manière satis- faisante la cause de cette inégalité, par la sup- pression des émanations de la chaleur terrestre. Cette suppression est, comme je l'ai dit, occa- sionnée par les vents froids qui se rabattent du haut de l'air , resserrent les terres , glacent les eaux , et renferment les émanations de la cha- leur terrestre pendant tout le temps que dure la gelée , en sorte qu'il n’est pas étonnant que le froid des hivers soit en effet d'autant plus grand que l’on avance davantage vers les climats où la masse de l’air, recevant plus obliquement les rayons du Soleil, est, par cette raison, la plus froide. Mais il ya pour le froid comme pour le chaud quelques contrées sur la terre qui font une ex- ception à la règle générale. Au Sénégal, en Gui- née, à Angole, et probablement dans tous les pays où l’on trouve l'espèce humaine teinte de noir, comme en Nubie, à la terre des Papous, dans la nouvelle Guinée, etc... il est certain que la chaleur est plus grande que dans tout le reste de la terre, mais c’est par des causes locales, dont nousavons donné l'explication dans letroi- sième volume de cet ouvrage". Ainsi, dans ces climats particuliers où le vent d’est règne toute l’année, et passe, avant d’arriver, sur une éten- due de terre très-considérable où il prend une chaleur brülante, il n’est pas étonnant que la chaleur se trouve plus grande de cinq, six et mème sept degrés qu’elle ne l’est partout ail- leurs. Et de même les froids excessifs de la Si- bérie ne prouvent rien autre chose, sinon que cette partie de la surface du globe est beaucoup 4 Voyez l'Histoire naturelle , article Variétés de l'espèce humaine. plus élevée que toutes les terres adjacentes. Les pays asiatiques septentrionaux , dit le baron de Srahlemberg, sont considérablement plus élevés que les européens : ils le sont comme une table l'est en comparaison du plancher sur le- quel elle est posée ; car , lorsqu’en venant de l'ouest et sortant de la Russie on passe à l'est par les monts Riphées et Rymniques pour en- trer en Sibérie , on avance toujours plus en montant qu'en descendant‘. Il y a bien des plaines en Sibérie, dit M. Gmelin, qui ne sont pas moins élevées au-dessus du reste de la terre ni moins éloignées de son centre que ne le sont d'assez hautes montagnes en plusieurs autres régions ?. Ces plaines de Sibérie paraissent être en effet tout aussi hautes que le sommet des monts Riphées, sur lequel la glace et la neige ne fondent pas entièrement pendant l'été; et si ce même effet n'arrive pas dans les plaines de Si- bérie, c’est parce qu’elles sont moins isolées, car cette circonstance locale fait encore beau- coup à la durée et à l'intensité du froid ou du chaud. Une vaste plaine une fois échauffée con- servera sa chaleur plus longtemps qu’une mon- tagne isolée, quoique toutes deux également élevées ; et par cette même raison , la montagne une fois refroidie conservera sa neige ou sa glace plus longtemps que la plaine. Mais si l'on compare l’excès du chaud à l’ex- cès du froid produit par ces causes particulières et iocales, on sera peut-être surpris de voir que dans les pays tel que le Sénégal , où la chaleur est la plus grande, elle n'excède néanmoins que de sept degrés la plus grande chaleur générale, qui est de vingt-six degrés au-dessus de la con- gélation, et que la plus grande hauteur à la- quelle s'élève la liqueur du thermomètre n'est tout au plus que de trente-trois degrés au-des- sus de ce même point, tandis que les grands froids de Sibérie vont quelquefois jusqu’à soixante et soixante-dix degrés au-dessous de ce même point de la congélation, et qu’à Péters- bourg, à Upsal, cte., sous la même latitude de la Sibérie , les plus grands froids ne font des- cendre la liqueur qu'à vingt-cinq ou vingt-six devrés au-dessous de la congélation. Ainsi l’ex- cès de Ja chaleur produit par les causes locales n'étant que de six ou sept degrés au-dessus de “ Description de l'Empire Russien, tradnction francaise, tome 1, page 322, d'après l'allemand, imprimée à Stockholm, gun 1730, 2 Flora Siberica, praf. pag. 58 ce: 64. HISTOIRE NATURELLE. la plus grande chaleur du reste de la zone tor- ride, et l'excès du froid produit de même par les causes locales étant de plus de quarante de- grés au-dessous du plus grand froid, sous la même latitude , on doit en conclure que ces mêmes causes locales ont bien plus d'influence dans les climats froids que dans les climats chauds, quoiqu’on ne voie pas d’abord ce qui peut produire cette grande différence dans l’ex- cès du froid et du chaud. Cependant , en y ré- fléchissant , il me semble qu’on peut concevoir aisément la raison de cette différence. L'aug- mentation de la chaleur d’un climat tel que le Sénégal ne peut venir que de l’action de l'air, de la nature du terroir et de la dépression du terrain : cette contrée , presque au niveau de la mer , est en grande partie couverte de sables ari- des ; un vent d’est constant , au lieu d’y rafrai- chir l'air, le rend brülant, parce que ce vent traverse, avant que d'arriver, plus dedeux mille lieues de terre , sur laquelle il s’échauffe tou- jours de plus en plus ; et néanmoins toutes ces causes réunies ne produisent qu'un excès de six ou sept degrés au-dessus de vingt-six, qui est le terme de la plus grande chaleur de tous les autres climats. Mais , dans une contréetelle que la Sibérie, où les plaines sont élevées comme les sommets des montagnes le sont au-dessus du niveau du reste de la terre , cette seule diffé- rence d'élévation doit produire un effet propor- tionnellement beaucoup plus grand que la dé- pression du terrain du Sénégal, qu’on ne peut pas supposer plus grande que celle du niveau de la mer ; car, si les plaines de Sibérie sont seule- ment élevées de quatre ou cinq cents toises au- dessus du niveau d’Upsal ou de Pétersbourg, on doit cesser d’être étonné que l'excès du froid y soit si grand, puisque la chaleur qui émane de la terre décroissant à chaque point comme l’espace augmente, cette seule cause de l'élévation du terrain suffit pour expliquer cette grande diffé- rence du froid sous la même latitude. Il nereste sur cela qu'une questionassez inté- ressante. Les hommes, les animaux et les plan- tes peuvent supporter pendant quelque temps la rigueur de ce froid extrême , qui est de soixante degrés au-dessous dela congélation : pourraient- ils également supporter une chaleur qui serait de soixante degrés au-dessus ? Oui, si l'on pou- vait se précautionner et se mettre à l'abri contre le chaud, comme on sait le faire contre le froid; si d'ailleurs cette chaleur excessive ne durait . PROPOSITIONS, Ere, comme le froid excessif, que pendant un petit temps, et si l'air pouvait pendant le reste de l’année rafraichir la terre de la même manière que les émanations de la chaleur du globe ré- chauffent l'air dans les pays froids. On connait des plantes, des insectes et des poissons qui croissent et vivent dans des eaux thermales, dont la chaleur est de quarante-cinq, cinquante, et jusqu'à soixante degrés : il y a donc des es- pèces dans la nature vivante qui peuvent sup- porter ce degré de chaleur; et comme les nè- gres sont dans le genre humain ceux que la grande chaleur incommode le moins, ne de- vrait-on pas en conclure avec assez de vraisem- blance, que dans notre hypothèse leur race pour- rait être plus ancienne que celle des hommes blancs ? LETTRE DE MM. LES DÉPUTÉS ET SYNDIC DE LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE, A M. DE BUFFON. MOonsiEUR, Nous avons été informés par un d’entre nous, de votre part , que lorsque vous avez appris que d'Histoire Naturelle, dont vous êtes auteur, était un des ouvrages qui ont été choisis par ordre de la Faculté de Théologie pour être examinés et censurés, comme renfermantdes principes et des maximes qui ne sont pas conformes à ceux de la religion , vous lui avez déclaré que vous n’aviez pas eu intention de vous en écarter, et que vous étiez disposé à satisfaire la Faculté sur chacun des articles qu’elle trouverait répréhensibledans votre dit ouvrage; nous ne pouvons, Monsieur, donner trop d’éloges à une résolution aussi chré- tienne; etpour vous mettre en état de l’exécuter, nous vous envoyons les propositions extraites de votre livre, qui nous ont paru contraires à la croyance de l’Église. Nous avons l’honneur d’être avec une parfaite considération, Monsieur, Vos très-humbles et très-obéissants servileurs, LES DÉPUTÉS ET SYNDIC De la Faculté de Théologie de Paris. Eos 13 maison de la Faculté, le 15 janvier 1751, 371 PROPOSITIONS EXTRAITES D'UN OUVRAGE QUI À POUR TITRE HISTOIRE NATURELLE, ET QUI ONT PARU RÉPRÉNENSIULES À MM. LES DÉPUTÉS DE LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE PARIS, I. Cesontleseaux de lamer quiont produitles montagnes, les vallées de la terre..….; ce sont les eaux du ciel qui, ramenant tout au niveau, rendront un jour cette terre à la mer , qui s’en emparera successivement , en laissant à décou- vert de nouveaux continents semblables à ceux que nous habitons. Tome I, Théorie de la terre, page 81. IL.Ne peut-on pass’imaginer….qu’unecomète tombant sur la surface du soleil aura déplacé cet astre, et qu’elle en aura séparé quelques petites parties auxquelles elle aura communiqué un mouvement d’impulsion....; en sorte que les planètes auraient autrefois appartenu au corps du soleil, et qu’elles en auraient été déta- chées, etc. Tome I, page 83. IL. Voyons dans quel état elles (les planètes et surtout la terre) se sont trouvées après avoir été séparées de la masse du soleil. Zome 1, page 86. IV. Le soleil s’éteindra probablement. faute de matière combustible... la terre, au sortir du soleil, était donc brülante et dans un état de li- quéfaction. Zoe I, page 88. V. Le mot de vérité ne fait naître qu’une idée vague... et la définition elle-même, prise dans un sens général et absolu, n’est qu’une abstrac- tion qui n’existe qu’en vertu de quelque suppo- sition. Tome I, page 59. VI. Il y a plusieurs espèces de vérités, et on a coutume de mettre dans le premier ordre les vé- rités mathématiques; ce ne sont cependant que des vérités de définition : ces définitions portent sur des suppositionssimples, mais abstraites, et toutes les vérités en ce genre ne sont aue des conséquences composées, mais toujours abstrai- tes, de ces définitions. Tome I, page 59. VIT. Lasignification du terme de vérité est va- gue etcomposée; il n'était donc pas possibledela définir généralement; il fallait, commenous ve- nons de le faire, en distinguer les genres , afin de s'en formerune idée nette. Tome I, page 60. VIH. Je ne parlerai point des autres ordres de vérités; cellesdela morale, par exemple, qui sont en partie réelles et en partie arbitraires. elles 578 n’ont pour objet que des convenances et des pro- babilités. Tome 1, page 60. IX. L'évidence mathématique et la certitude physique sont donc les deux seuls points sous lesquels nous devons considérer la vérité ; dès qu'elle s’éloignera de l’un ou de l’autre, ce n’est plus que vraisemblance et probabilité. Tome 1, page60. X. L'existence de notre âme nous est démon- trée, ou plutôt nous ne faisons qu’un, cette exis- tence et nous. Tome 111, Histoire naturelle de l’homme. De la nature de l'homme, page 158. XI. L'existence de notre corps et des autres objets extérieurs est douteuse pour quiconque raisonne sans préjugé; car cette étendue en lon- gueur, largeur et profondeur, que nous appelons notre corps, et qui semble nous appartenir de si près, qu’est-elle autre chose, sinon un rapport de nossens ? /bidem, page 158. XII. Nous pouvons croire qu’il y a quelque chose hors denous, mais nous n’en sommes pas sûrs, au lieu que nous sommes assurés de l’exis- tence réelle de tout cequi esten nous; celle deno- tre âme est donc certaine; etcelle de notre corps parait douteuse dès qu’on vient à penser que la matiere pourrait bien n’être qu’un mode de notre âme, une de ses façons de voir. /bid., page 159. XHIL.Elle(notre âme) verra d'unemanière bien plus différenteencore aprèsnotremort, et tout ce qui cause aujourd’hui ses sensations, la matière en général pourrait bien ne pas plus exister pour elle alors que notre propre corps , qui ne sera plus rien pour nous. /bidem, page 159. MIV-/Tramie 2 27 est impassible par son essence. /bidem. RÉPONSE DE M. DE BUFFON. À MM. LES DÉPUTÉS ET SYNDIC DE LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE. MEssreuRs , J'ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’hon- neur de m'écrire, avec les propositions qui ont été extraites de mon livre, et je vous remercie de m'avoir mis à portée de les expliquer d’une manière qui ne laisse aucun doute ni aucune in- certitude sur la droiture de mes intentions , et si vous le désirez, Messieurs, je publierai bien volontiers, dans le premier volume de mon ou- vrage qui paraîtra, les explications que j'ai EXPLICATIONS. l'honneur de vous envoyer. Je suis avec res- pect, Messieurs, Votre très-humble et très-obéissant serviteur, BurFox. Le 12 mars 1751, Je déclare, 1° Que je n’ai eu aucune intention de contre- dire le texte de l'Écriture ; que je crois très-fer- mement toutce qui y estrapporté sur la création, soit pour l’ordre des temps, soit pour les circon- stances des faits ; et que j'abandonne ce qui, dans mon livre, regarde la formation de la terre, et en général tout ce qui pourrait être contraire à la narration de Moïse , n’ayant présenté mon hypothèse sur la formation des planètes que comme une pure supposition philosophique. 2° Que par rapport à cette expression , le mot de vérilé ne fait naîlre qu'une idée vague, je nai entendu que ce qu’on entend dans les éco- les par idée générique, qui n’existe point en soi-même, mais seulement dans les espèces dans lesquelles elle a une existence réelle; et par conséquent il y a réellement des vérités cer- taines en elles-mêmes, comme je l’explique dans l’article suivant. 3° Qu'outre les vérités de conséquence et de supposition , il y a des premiers principes abso- lument vrais et certains dans tous les cas, et in- dépendamment de toutes les suppositions ; et que ces conséquences , déduites avec évidence de ces principes, ne sont pas des vérités arbi- traires, mais des vérités éternelles et évidentes ; n'ayant uniquement entendu par vérités de dé- finitions que les seules vérités mathématiques. 4° Qu'il y a de ces principes évidents et de ces conséquences évidentes dans plusieurs sciences, et surtout dans la métaphysique et la morale ; que tels sont en particulier dans la métaphy- sique l’existence de Dieu , ses principaux attri- buts, l'existence, la spiritualité et l’immortalité de notre âme ; et dans la morale, l'obligation de rendre un culte à Dieu, et à un chacun ce qui lui est dù, et en conséquence qu'on est obligé d'éviter le larcin , l’homicide, et les au- tres actions que la raison condamne. 5° Que les objets de notre foi sont très-cer- tains, sans être évidents ; et que Dieu qui les a révélés, et que la raison même m'apprend ne i ! LR LL, ÉPOQUES DE pouvoir me tromper, m'en garantit la vérité et la certitude; que ces objets sont pour moi des vérités du premier ordre, soit qu'ils regardent le dogme, soit qu'ils regardent la pratique dans la morale; ordre de vérités dont j'ai dit expressé- ment que je ne parlerais point, parce que mon sujet ne le demandait pas. 6° Que quand j'ai dit que les vérités de la mo- rale n’ont pour objet et pour fin que des conve- nances et des probabilités, je n'ai jamais voulu parler des vérités réelles, telles que sont non- seulement les préceptes de la loi divine, mais en- core ceux qui appartiennent à la loi naturelle ; et que je n’entends par vérités arbitraires, en fait de morale, que les lois qui dépendent de la volonté des hommes, et qui sont différentes dans différents pays, et par rapport à la con- stitution des différents états. 1° Qu'il n’est pas vrai que l’existence de notre âme et nous ne soient qu’un, en ce sens que l’homme soit un être purement spirituel, et non un composé de corps et d'âme ; que l’existence de notre corps et des autres objets extérieurs est une vérité certaine, puisque non-seulement la foi nous l’apprend, mais encore que la sagesse et la bonté de Dieu ne nous permettent pas de penser qu'il voulüt mettre les hommes dans une illu- sion perpétuelle et générale; que par cette rai- son, éette étendue en longueur, largeur et profondeur (notre corps) n’est pas un simple rapport de nos sens. 8° Qu’en conséquence nous sommes très-sûrs qu'il y a quelque chose hors de nous, et que la croyance que nous avons des vérités révélées présuppose et renferme l’existence de plusieurs objets hors de nous ; et qu’on ne peut croire que la matière ne soit qu’une modification de notre âme, même en ce sens, que nos sensations exis- tent véritablement, mais queles objets qui sem- blent les exciter n'existent point réellement. 9° Que, quelle que soit la manière dont l’âme verra dans l’état où elle se trouvera depuis sa mort jusqu’au jugement dernier, elle sera cer- taine de l'existence des corps, et en particulier de celle du sien propre, dont l’état futur l’inté- ressera toujours, ainsi que l’Écriture nous l’ap- prend. 10° Que, quand j'ai dit que l’âme était impas- sible par son essence, je n’ai prétendu dire rien autre chose, sinon que l’âme par sa naturen’est pas susceptible des impressions extérieures qui pourraient la détruire; et je n’ai pas cru que, LA NATURE. 319 par la puissance de Dieu, elle ne pût être sus- ceptible des sentiments de douleur que la foi nous apprend devoir faire dans l’autre vie la peine du péché et le tourment des méchants. Signé BurFron. Le 12 mars 1731 SECONDE LETTRE DE MM. LES DÉPUTÉS ET SYNDIC DE LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE, A M. DE BUFFON. MONSIEUR , Nous avons reculesexplicationsque vousnous avez envoyées des propositions que nous avions trouvées répréhensibles dans votre ouvrage qui a pour titre, l'Histoire naturelle ; et après les avoir lues dans notre assemblée particulière , nous les avons présentées à la Faculté dans son assemblée générale du 1er avril 1751, présente année ; et après en avoir entendu la lecture, elle les a acceptées et approuvées par sa délibéra- tion et sa conclusion dudit jour. Nous avons fait part en même temps, Mon- sieur, à la Faculté, de la promesse que vous nous avez faite de faire imprimer ces explica- tions dans le premier ouvrage que vous don- nerez au public , si la Faculté le désire ; elle à recu cette proposition avec une extrême joie, et elle espère que vous voudrez bien l’exécuter. Nous avons l'honneur d'être, avec les senti- ments de la plus parfaite considération , Monsieur, Vos très-humbles et très-obéissants serviteurs, LES DÉPUTÉS ET SYNDIC de la Faculté de Théologie de Paris. En la maison de la Faculté, le 4 mai 1751. DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Comme dans l’histoire civile, on consulte les titres, on recherche les médailles, on déchiffre les inscriptions antiques, pour déterminer les époques des révolutions humaines, et constater les dates des événements moraux: de même, dans l’histoire naturelle, il faut fouiller les ar- 380 chives du monde, tirer des entrailles de la terre les vieux monuments, recueillir leurs débris, et rassembler en un corps de preuves tous les in- dices des changements physiques qui peuvent nous faire remonter aux différents âges de la nature, C'est le seul moyen de fixer quelques points dans l’immensité de l’espace, et de placer un certain nombre de pierres numéraires sur la route éternelle du temps. Le passé est comme la distance; notre vue y décroit, et s’y perdrait de même, si l’histoire et la chronologie n’eus- sent placé des fanaux, des flambeaux aux points les plus obscurs : mais, malgré ces lumieres de la tradition écrite, si l'on remonte à quel- ques siècles, que d'incertitude dans les faits ! que d'erreurs sur les causes des événements ! etquelle obscurite profonde n’environne pas les temps antérieurs à cette tradition! D'ailleurs elle ne nous a transmis que les gestes de quel- ques nations, c’est-à-dire les actes d’une très- petite partie du genre humain; tout le reste des hommes est demeuré nul pour nous , nul pour la postérité; ils nesont sortis de leur néant que pour passer comme des ombres qui ne lais- sent point de traces : et plüt au ciel que le nom de tous ces prétendus héros dont on a célébré les crimes ou la gloire sanguinaire fût égale- ment enseveli dans la nuit de l'oubli ! Ainsi l'histoire civile, bornée d’un côté par les ténèbres d’un temps assez voisin du nôtre, ne s'étend de l’autre qu'aux petites portions de terres qu'ont occupées successivement les peu- ples soigneux de leur mémoire; au lieu que l'histoire naturelle embrasse également tous les espaces, tous les temps, et n’a d’autres limites que celles de l'univers. La nature étant contemporaine de la matière, de l’espace et du temps, son histoire est celle de toutes les substances, de tous les lieux, de tous les âges ; et, quoiqu'il paraisse à la première vue queses grands ouvrages ne s’altèrent nine chan- gent, et que dans ses productions, même les plus fragiles et les plus passagères, elle se mon- tre toujours et constamment la même, puisqu’à chaque instant ses premiers modèles reparais- sent à nos yeux sous de nouvelles représenta- tions, cependant, en l’observant de près, on s’apercevra que son cours n’est pas absolument uniforme ; on reconnaitra qu’elle admet des va- riitions sensibles, qu'elle reçoit des altérations su-cessives, qu'elle se prête même à des combi- uaisons nouvelles, à des mutations de matière HISTOIRE NATURELLE. et de forme; qu'enfin, autant elle paraît fixe dans son tout, autant elle est variable dans chacune de ses parties; et si nous l’embrassons dans toute son étendue, nous ne pourrons dou- ter qu’elle ne soit aujourd’hui très-différente de ce qu'elle était au commencement et de ce qu’elle est devenue dans la succession destemps : ce sont ces changements divers que nous appelons ses époques. La nature s’est trouvée dans différents états; la surface de la terre a pris successive- ment des formes différentes ; les cieux mêmes ont varié, et toutes les choses de l’univers phy- sique sont, comme celles du monde moral, dans un mouvement continuel de variations successi- ves. Par exemple, l’état danslequel nous voyons aujourd’hui la nature est autant notre ouvrage que le sien ; nous avons su la tempérer, la mo- difier, la plier à nos besoins, à nos désirs; nous avons sondé, cultivé, fécondé la terre : l’aspect sous lequel elle se présente est donc bien diffé- rent de celui des temps antérieurs à l’invention des arts. L'âge d'or de la morale, ou plutôt de la fable, n’était que l’âge de fer de la physi- que et de la vérité. L'homme de ce temps, en- core à demi sauvage, dispersé, peu nombreux, ne sentait pas sa puissance, ne connaissait pas sa vraie richesse ; le trésor de ses lumières était enfoui ; il ignorait la force des volontés unies, et ne se doutait pas que, par la société et par des travaux suivis et concertés, il viendrait à bout d'imprimer ses idées sur la face entière de l’u- nivers. Aussi faut-il aller chercher et voir la nature dans ces régions nouvellementdécouvertes, dans ces contrées de tout temps inhabitées, pour se former une idée de son état ancien ; et cet an- cien état est encore bien moderne en comparai- son de celui où nos continents terrestres étaient couverts par les eaux, où les poissons habitaient sur nos plaines, où nos montagnes formaient les écueils des mers. Combien de changements et de différents états ont dû se succéder depuis ces temps antiques {qui cependant n'étaient pas les premiers ) jusqu'aux âges de l’histoire! Que de choses ersevelies! combien d'événements entiè- rementoubliés ! que derévolutionsantérieuresà la mémoire des hommes! Il a fallu une très-lon- gue suite d'observations, il a fallu trente siècles de culture à l'esprit humain, seulement pour re- connaitre l’état présent des choses. La terre n’est pas encore entièrement découverte; ce n’est que depuis peu qu’on a déterminé sa fi- ÉPOQUES DE gure; ce n’est que de nos jours qu'on s’est élevé à la théorie de sa forme intérieure, et qu’on a démontré l'ordre et la disposition des matières dont elle est composée : ce n’est donc que de cet instant que l’on peut commencer à comparer la nature avec elle-même, et remonter de son état actuel et connu à quelques époques d’un état plus ancien. Mais comme il s’agit ici de percer la nuit des temps, de reconnaitre par l'inspection des cho- ses actuelles l’ancienne existence des choses anéanties, et de remonter par la seule force des faits subsistants à la vérité historique des faits ensevelis ; comme il s’agit, en un mot , de juger, non seulement le passé moderne, mais le passé le plus ancien, par le seul présent, etque, pour nous élever jusqu’à ce point de vue, nous avons besoin de toutes nos forces réunies, nous em- ploicrons trois grands moyens : 1° les faits qui peuvent nous rapprocher de l’origine de la na- ture; 2° les monuments qu'on doit regarder comme les témoins de ses premiers âges; 3° les traditions qui peuvent nous donner quelque idée des âges subséquents tâcherons de lier le tout par des analogies, et de former une chaine qui, du sommet de l’é- chelle du temps, descendra jusqu’à nous. PREMIER FAIT. — La terre est élevée sur l’é- quateur et abaissée sous les pôles, dans la pro- portion qu'exigent les lois de la pesanteur et de | la force centrifuge. LA NATURE. 581 pr'ouvés, ou du moins peuvent l'être; «près quoi nous passerons aux inductions que l’on en doit tirer, Le premier fait du renflement de la terre à l'équateur et de son aplatissement aux pôles, est mathématiquement démontré et physique- ment prouvé par la théorie de la gravitation et par les expériences du pendule. Le globe ter- restre à précisément la figure que prendrait un globe fluide qui tournerait sur lui-même avec la vitesse que nous connaissons au globe dela terre. Ainsi, la première conséquence qui sort de ce fait incontestable, c’est que la matière dont no- tre terre est composée était dans un état de flui- dité au moment qu’elle a pris sa forme, et ce moment est celui où elle a commencé à tourner sur elle-même : car si la terre n’eût pas été fluide et qu’elle eût eu la même consistance que nous lui voyons aujourd'hui, il est évident que cette matière consistante etsolide n'aurait pasobéià la loi de la force centrifuge, et que par conséquent, malgré la rapidité de son mouvement de rota- : après quoi nous | DEUXIÈME Farr. — Le globe terrestre a une | chaleur intérieure qui lui est propre, et qui est indépendante de celle que les rayons du soleil peuvent lui communiquer. TROISIÈME FAIT. — La chaleur que le soleil envoie à la terre est assez petite, en comparaison | de la chaleur propre du globe terrestre ; et cette chaleur envoyée par le soleil ne serait pas seule suffisante pour maintenir la nature vivante. QUATRIÈME FAIT. — Les matières qui compo- sent le globe de la terre sont en général de la nature du verre, et peuvent être toutes ré- duites en verre. : CINQUIÈME FAIT. — On trouve sur toute la surface de la terre, et même sur les montagnes, jusqu’à quinze cents et deux mille toises de hau- teur, une immense quantité de coquilles et d’au- tres débris des productions de la mer. Examinons d'abord si, dans ces faits que je veux employer, il n’y a rien qu’on puisse rai- sonnablement contester. Voyons si tous sont tiou, la terre, au lieu d’être un sphéroïde renflé sur l’équateur et aplati sous les pôles, serait, au eontraire, une sphère exacte, et qu’elle n’au- rait jamais pu prendre d'autre figure que celle d’un globe parfait, en vertu de l'attraction mu- tuelle de toutes les parties de la matière dont elle est composée. Or, quoiqu'en général toute fluidité ait la cha- leur pour cause, puisque l’eau même, sans la chaleur, ne formerait qu’une substance solide, | nous avons deux manières différentes de con- cevoir la possibilité de cet état primitif de flui- dité dans le globe terrestre , parce qu’il semble d’abord que la nature ait deux moyens pour l’o- pérer. Le premier est la dissolution , ou même le délaiement des matières terrestres dans l’eau; et le second, leur liquéfaction par le feu. Mais l'on sait que le plus grand nombre des matières solides qui composent le globe terrestre ne sont pas dissolubles dans l’eau; et en même temps l'on voit que la quantité d’eau est si petite en comparaison de celle de la matière solide, qu'il n’est pas possible que l'une ait jamais été dé- layée dans l’autre. Ainsi, cet état de fluidité dans lequel s’est trouvée la masse entière de la terre, n'ayant pu s'opérer ni par la dissolution, ni par le délaiement dans l’eau , il est nécessaire que cette fluidité ait été une liquéfaction causée par le feu. Cette juste conséquence, déjà très-vraisem- 582 blable par elle-même, prend un nouveau degré de probabilité par le second fait, et devient une certitude par le troisième fait. La chaleur inté- rieureduglobe, encore actuellement subsistante, et beaucoup plus grande que celle qui nous vient du soleil, nous démontre que cet ancien feu qu’a éprouvé le globe n’est pas encore, à beaucoup pres, entièrement dissipé : la surface de la terre est plus refroidie que son intérieur. Des expé- riences certaines et réitérées nous assurent que la masse entière du globe a une chaleur propre et tout à fait indépendante de celle du soleil. Cette chaleur nous est démontrée par la compa- raison de nos hivers à nos étés ! ; et on la recon- nait d’une manière encore plus palpable dès qu'on pénètre au dedans de la terre ; elle est con- stante en tous lieux pour chaque profondeur; et elle paraît augmenter à mesure que l’on des- cend *. Mais que sont nos travaux en comparai- son de ceux qu’il faudrait faire pour reconnaitre les degrés successifs de cette chaleur intérieure dans la profondeur du globe? Nous avons fouillé les montagnes à quelques centaines detoises pour en tirer les métaux; nous avons fait dans les plaines des puits de quelques centaines de pieds; ce sont là nos plus grandes excavations ou plutôt nos fouilles les plus profondes; elles effleurent à peine la première écorce du globe, et néan- moins la chaleur intérieure y est déjà plus sen- siblequ’à la surface : on doitdonc présumer que, si l’on pénétrait plus avant, cette chaleur serait plus grande, et que les parties voisines du cen- tre de la terre sont plus chaudes que celles qui en sont éloignées, comme l’on voit dans un boulet rougi au feu l’incandescence se conserver dans les parties voisines du centre longtemps après que la surface a perdu cet état d’incan- descence et de rougeur. Ce feu, ou plutôt cette chaleur intérieure de la terre, est encore indi- qué par les effets de l'électricité, qui convertit en éclairs lumineux cette chaleur obseure; elle nous est démontrée par la température de l’eau de la mer, laquelle, aux mêmes profondeurs, est à peu près égale à celle de l’intérieur de la ter- re”. D'ailleurs il est aisé de prouver que la li- quidité des eaux de la mer, en général , ne doit point être attribuée à la puissance des rayons so- ! Voyez dans cet ouvrage l'article qui a pour titre : des Élé- ments, tomel ,et particulièrement les deux Mémoires sur la tempéralure des planètes, même tome. ? Voyez ci-aprèsles notes justificatives des faits. * Voyez Ibidem. HISTOIRE NATURELLE. laires , puisqu'il estdémontré, par l'expérience , que la lumière du soleil ne pénètre qu’à six cents pieds ! à travers l’eau la plus limpide, et que, par conséquent, sa chaleur n'arrive peut-être pas au quart de cette épaisseur, c’est-à-dire à cent cinquante pieds ?. Ainsi toutes les eaux qui sont au-dessous de cette profondeur seraient gla- cées sans la chaleur intérieure de la terre, qui seule peut entretenir leur liquidité. Etde même il est encore prouvé, par l'expérience, que la chaleur des rayons solaires ne pénètre pas à quinze ou vingt pieds dans la terre , puisque la glace se conserve à cette profondeur pendant les étés les plus chauds. Donc il est démontré qu'il ya, au-dessous du bassin de la mer, comme dans les premières couches de la terre, une émanation continuelle de chaleur qui entre- tient la liquidité des-eaux et produit la tempéra- ture de la terre. Donc il existe dans son inté- rieur une chaleur qui lui appartient en propre, et qui est tout à fait indépendante de celle que le soleil peut lui communiquer. Nous pouvons encore confirmer ce fait géné- ral par un grand nombre de faits particuliers. Tout le monde a remarqué , dans le temps des frimas, que la neige se fond dans tous les en- droitsoù les vapeurs de l’intérieur de la terre ont une libre issue , comme sur les puits , les aque- ducs recouverts , les voûtes, les citernes, ete. ; tandis que sur tout le reste de l’espace, où la terre, resserrée par la gelée, intercepte ces vapeurs, la neige subsiste et se gèle au lieu de fondre. Cela seul suffirait pour démontrer que ces émanations de l’intérieur de la terre ont un degré de chaleur très-réel et sensible. Mais il est inutile de vouloir aceumuler ici denouvelles preuves d’un fait constaté par l’expérience et par les observations; il nous suffit qu’on ne puisse désormais le révoquer en doute, et qu’on reconnaisse cette chaleur intérieure de la terre comme un fait réel et général, duquel, comme des autres faits généraux de la nature, on doit déduire les effets particuliers. Il en est de même du quatrième fait ; on ne peut pas douter, après les preuves démonstra- tives que nous en avons données dans plusieurs articles de notre Théorie de la terre , que * les matières dont le globe est composé ne soient de la nature du verre : le fond des minéraux, des végétaux et des animaux n’est qu'une matière { Voyez ci-après les notes justificatives des faits. 2 Ibidem, 5 Ibidein, - EE à cs “Ed ÉPOQUES DE vitrescible , car tous les résidus , tous leurs dé- triments ultérieurs, peuvent se réduireen verre. | Les matières que les chimistes ont appelées ré- fractaires , et celles qu'ils regardent comme in- | fusibles , parce qu’elles résistent au feu de leurs | fourneaux sans seréduireen verre, peuventnéan- moins s’y réduire par l’action d’un feu plus vio- lent. Ainsi , toutes les matières qui composent le globe de la terre, du moinstoutes celles qui nous sont connues, ont le verre pour base deleur sub- stance !, et nous pouvons , en leur faisant subir la grande action du feu , les réduire toutes ulté- rieurement à leur premier état. La liquéfaction primitive de la masse entière de la terre par le feu est donc prouvée dans toute la rigueur qu’exige la plus stricte logi- que : d’abord à priori, par le premier fait de son élévation sur l'équateur , et de son abaisse- ment sous les pôles; 2° ab actu , par le second et le troisième fait de la chaleur intérieure de la terre encore subsistante ; 3° & posteriori, par le quatrième fait, qui nous démontre le produit de cetteaction du feu, c’est-à-dire le verre dans tou- tes les substances terrestres. Mais, quoique les matières qui composent le globe de la terre aient été primitivement de la nature du verre, et qu’on puisse aussi les y ré- duire ultérieurement, on doit cependant les dis- tinguer et les séparer, relativement aux diffé- rents états où elles se trouvent avant ce retour à leur première nature , c’est-à-dire avant leur réduction en verre par le moyen du feu. Cette cousidération est d'autant plus nécessaire ici , que seule elle peut nous indiquer en quoi diffère la formation de ces matières : on doit donc les diviser d’abord en matières vitrescibles et en matières calcinables ; les premières n'éprouvant aucune action de la part du feu, à moins qu'il ne soit porté à un degré de force capable de lesconvertir en verre ; les autres , au contraire, éprouvant à un degré bien inférieur une action qui les réduit en chaux. La quantité de sub- stances calcaires , quoique fort considérable sur la terre , est néanmoins très-petite en comparai- son de la quantité des matières vitrescibles. Le cinquième fait, que nous avons mis en avant, prouve que leur formation est aussi d’un autre temps et d’un autre élément ;etl’on voit évidem- ment que toutes les matières qui n’ont pas été produites immédiatement par l’action du feu ! Voyez ci-après les notes justificatives des faits. LA NATURE, 583 | primitif,ont été formées par l'intermèdede l’eau, parce que toutes sont composées de coquilles et d’autres débris des productions de la mer.Nous mettons dans la classe des matières vitrescibles le roc vif, les quartz, les sables, les grès et gra- nites, les ardoises, les schistes, les argiles, les métaux et minéraux métalliques : ces matières, prises ensemble, forment le vrai fonds du globe et en composent la principale et très-grande par- tie; toutes ont originairement été produites par le feu primitif. Le sable n’est que du verre en poudre; les argiles,des sables pourris dans l’eau; les ardoises et les schistes , des argiles dessé- chées et durcies ; le roc vif, les grès, le granite, ne sont que des masses vitreuses ou des sables vitrescibles sous une forme concrète; les cail- loux, les cristaux , les métaux, et la plupart des autres minéraux, ne sont que les stillations , les exsudations ou les sublimations de ces premiè- res matières, qui toutes nous décèlent leur ori- gine primitive et leur nature commune par leur aptitude à se réduire immédiatement en verre. Maislessablesetgravierscalcaires, les craies, la pierre de taille, le moellon, les marbres, les albâtres , les spaths calcaires, opaques et trans- parents, toutes les matières, en un mot, qui se convertissent en chaux, ne présentent pas d’a- bord leur première nature : quoique origiuaire- ment de verre comme toutes les autres, ces ma- tières calcaires ont passé par des filières qui les ont dénaturées; elles ont été formées dans l’eau’; toutes sont entièrement composées de madré- pores , de coquilles, et de détriments des dé- pouilles de ces animaux aquatiques, qui seuls savent convertir le liquide en solide, et trans- former l’eau de la mer en pierre !. Les marbres communsetlesautres pierres calcaires sontcom- posés de coquilles entières et de morceaux de coquilles, de madrépores, d’astroites, ete., dont toutes les parties sont encore évidentes ou très- reconnaissables :les graviers ne sont que les dé- bris des marbres etdes pierres calcaires que l’ac- tion de l’air et des gelées détache des rochers ; etl’on peut faire de la chaux avec ces graviers, comme l’on en fait avec le marbre ou la pierre; on peut en faire aussi avec les coquilles mêmes, 1 On peut se former une idée nette de cetle conversion. L'eau de la mer tient en dissolution des particules de terre qui, combinées avec la matière animale, concourent à former les coquilles par le mécanisme de la digestion de ces animaux testacés : comme la soie est le produit du parenchyme des | feuilles, combiné avec la matière animale du ver à soie. 384 HISTOIRE NATURELLE. etavec lacraie et les tufs, lesquels ne sont encore que des débris, ou plutôt des détriments de ces mêmes matières. Les albâtres, et les marbres qu’on doit leur comparer lorsqu'ils contiennent de l'albâtre, peuvent être regardés comme de grandes stalactites qui se forment aux dépens des autres marbres et des pierres communes : les spaths calcaires se forment de même par l’exsudation ou la stillation dans les matières calcaires, comme le cristal de roche se forme dans les matières vitrescibles. Tout cela peut se prouver par l’inspection de ces matières et par l'examen attentif des monuments de la nature. PREMIERS MONUMENTS. — On trouve à la sur- face et à l’intérieur de la terre des coquilles et autres productions de la mer ; et toutes les ma- tières qu'on appelle calcaires sont composées de leurs détriments. SECONDS MONUMENTS. — En examinant ces coquilles et autres productions marines que l’on tire de la terre, en France, en Angleterre, en Allemagne et dans le reste de l'Europe, on re- connait qu'une grande partie des espèces d’ani- maux auxquels ees dépouilles ont appartenu ne se trouvent pas dans les mers adjacentes,et que ces espèces, où ne subsistent plus, ou ne se trouvent que dans les mers méridionales. De méme, on voit &ans les ardoises et dans d’au- tres matières, à de grandes profondeurs , des impressions de poissons et de plantes, dont au- cune espèce n'appartient à notre climat, et les- quelles n'existent plus, ou ne se trouvent sub- sistautes que dans les climats méridionaux. TROISIÈMES MONUMENTS. — On trouve en Si- bérie , et dans les autres contrées septentriona- les de l’Europe et de l'Asie, des squelettes, des défenses, des ossements d’éléphants , d’hippo- potames et de rhinocéros, en assez grande quan- tité pour être assuré que les cspèces de ces animaux qui nepeuvent se propager aujourd’hui que dans les terres du midi, existaient et se propageaient autrefois dans les terres du nord; et l’on a observé que ces dépouilles d’éléphants et d'autres animaux terrestres se présentent à une assez petite profondeur, au lieu que les coquilles et les autres débris des productions de la mer se trouvent enfouis à de plus gran- des profondeurs dans l’intérieur de la terre. QUATRIÈMES MONUMENTS. — On trouve des défenses et des ossements d’éléphants, ainsique des dents d'hippopotames, non-seulement dans les terres du nord de notre continent, mais aussi dans celles du nord de l'Amérique , quoi- que les espèces de léléphant et de l’hippopo- tame n'existent point dans ce continent du Nou- veau-Monde. CINQUIÈMES MONUMENTS. — On trouve dans le milieu des continents , dans les lieux les plus éloignés des mers , un nombre infini de coquil- les, dont la plupart appartiennent aux animaux de ce genre actuellement existants dans les mers méridionales , et dont plusieurs autres n’ont au- cun analogue vivant; en sorte que les espèces en paraissent perdues et détruites , par.des cau- ses jusqu’à présent inconnues. En comparant ces monuments avec les faits, on voit d’abord que le temps de la formation des matières vitrescibles est bien plus reculéque celui de la composition dessubstances calcaires; et il paraît qu’on peut déjà distinguer quatre et même cinq époques dans la plus grande pro- fondeur des temps : la première, où la matière du globe étant en fusion par le feu , la terre a pris sa forme , et s’est élevée sur l'équateur et abaissée sous les pôles par son mouvement de rotation ; la seconde , où cette matière du globe s’étant consolidée, a formé les grandes masses de matières vitrescibles; la troisième, où la mer couvrant la terre actuellement habitée, a nourri les animaux à coquilles dont les dépouilles ont formé les substances calcaires ; et la quatrième, où s’est faite la retraite de ces mêmes mers qui couvraient nos continents. Une cinquième épo- que, tout aussi clairement indiquée que les qua- tre premières, est celle du temps où les élé- phants, les hippopotames et les autres animaux du midi ont habité les terres du nord : cette époque est évidemment postérieure à la qua- trième, puisque les dépouilles de ces animaux terrestres se trouvent presque à la surface de la terre , au lieu que celles des animaux marins sont pour la plupart et dans les mêmes lieux , enfouies à de grandes profondeurs. Quoi! dira-t-on, les éléphants et les autres animaux du midi ont autrefois habité les terres du nord ? Ce fait, quelque singulier, quelque ex- taordinaire qu'il puisse paraitre , n’en est pas moins certain. On a trouvé et on trouve encore tous les jours en Sibérie , en Russie et dans les autres contrées septentrionales de l’Europe et de l'Asie, de l’ivoire en grande quantité ; ces défenses d’éléphants se tirent à quelques pieds sous terre , ou se découvrent par les eaux lors- au’elles font tomber les terres du bord des fleu- sn ét. > ss. st ge", ÉPOQUES DE LA NATURE. ves. On trouve ces ossements et défenses d’elé- phant en tant de lieux différents et en si grand nombre, qu'on ne peut plus se borner à dire que ce sont les dépouilles de quelques éléphants amenés par les hommes dans ces climats froids ; on est maintenant forcé , par les preuves réité- rées, de convenir que ces animaux étaient au- trefois habitants naturels des contrées du nord, comme ils le sont aujourd’hui des contrées du midi; et ce qui parait encore rendre le fait plus merveilleux , c’est-à-dire plus difficile à expli- quer, c’est qu'on trouve ces dépouilles des ani- maux du midide notrecontinent, non-seulement dans les provinces de notre nord, mais aussi dans les terres du Canada et des autres parties de l'Amérique septentrionale. Nous avons au Cabinet du Roi plusieurs défenses et un grand nombre d’ossements d’éléphant trouvés en Si- bérie; nous avons d’autres défenses et d’autres os d’éléphant qui ont été trouvés en France ; et enfin nous avons des défenses d’éléphant et des dents d’'hippopotame trouvées en Amérique dans les terres voisines de la rivière d'Ohio. Il est donc nécessaire que ces animaux, qui ne peuvent subsister et ne subsistent en effet au- jourd’hui que dans les pays chauds , aient au- trefois existé dans les climats du nord, et que, par conséquent, cette zone froide füt alors aussi chaude que l’est aujourd’hui notre zone torride ; car il n’est pas possible que la forme constitu- tive, ou, si l'on veut, l'habitude réelle du corps des animaux , qui est ce qu'il y a de plus fixe dans la nature, ait pu changer au point de don- ner le tempérament du renne à l'éléphant, ni de supposer que jamais ces animaux du midi, qui ont besoin d’une grande chaleur pour sub- sister, eussent pu vivre et se multiplier dans les terres du nord, si la température du climat eût étéaussi froidequ'’ellel’estaujourd’hui. M.Gme- lin, qui a parcouru la Sibérie et qui a ramassé lui-même plusieurs ossements d’éléphant dans ces terres septentrionales, cherche à rendre rai- son du fait en supposant que de grandes inon- dations survenues dans les terres méridionales ont chassé les éléphants vers les contrées du nord ; où ils auront tous péri à la fois par la ri- gueur du climat. Mais cette cause supposée n’est pas proportionnelle à l’effet : on a peut-être déjà tiré du nord plus d'ivoire que tous les élé- phants des Indes actuellement vivants n’en pour- raient fournir ; on en tirera bien davantage avec le temps, lorsque ces vastes déserts du nord, 1 38Ù qui sont à peine reconnus, seront peuplés, et que les terres en seront remuées et fouillées par les mains de l’homme. D'ailleurs il serait bien étrange que ces animaux eussent pris la route qui convenait le moins à leur nature, puisqu'en les supposant poussés par des inondations du midi, il leur restait deux fuites naturelles vers lorient et vers l'occident. Et pourquoi fuir jus- qu'ausoixantième degré du nord, lorsqu'ils pou- vaient s'arrêter en chemin ou s’écarter à côté dans des terres plus heureuses ? Et comment concevoir que, par une inondation des mers méridionales, ils aient été chassés à millelieues dans notre continent, et à plus de trois mille lieues dans l’autre? Il est impossible qu’un dé- bordement de la mer des Grandes-Indes ait en- voyé des éléphants en Canada ni même en Si- bérie, et il est également impossible qu'ils y soient arrivés en nombre aussi grand que l'in- diquent leurs dépouilles. Etant peu satisfait de cette explication , j'ai pensé qu’on pouvait en donner une autre plus plausible, et qui s'accorde parfaitement avec ma théorie de la terre. Mais, avant de la pré- senter, j'observerai, pour prévenir toutes diffi- cultés, 1° que l’ivoire qu’on trouve en Sibérie et en Canada est certainement de l’ivoire d’élé- phant, et non pas de l’ivoire de morse ou vache marine, comme quelques voyageurs l’ont pré- tendu : on trouve aussi dans les terres septen- trionales de l’ivoire fossile de morse; mais il est différent de celui de l'éléphant , et il est fa- cile de les distinguer par la comparaison de leur texture intérieure. Les défenses , les dents mâchelières, les omoplates, les fémurs et les autres ossements trouvés dans les terres du nord sont certainement des os d’éléphant ; nous les avons comparés aux différentes parties respec- tives du squelette entier de l’éléphant , et l’on . ne peut douter de leur identité d’espèce. Les grosses dents carrées trouvées dans ces mêmes terres du nord, dont la face qui broie est en forme de trèfle, ont tous les caractères des dents molaires de l’hippopotame ; et ces autres énor- mes dents dont la face qui broie est composée de grosses pointes mousses ont appartenu à une espèce détruite aujourd'hui sur la terre, comme les grandes volutes appelées cornes d'Ammon sont actuellement détruites dans la mer. 2° Les os et les défenses de ces anciens élé- phants sont au moins aussi grands et aussi 25 60 gros que ceux des éléphants actuels ! auxquels nous les avons comparés ; ce qui prouve que ces animaux n'habitaient pasles terres du nord par force, mais qu’ils y existaient dans leur état de nature et de pleine liberté, puisqu'ils y avaient acquis leurs plus hautes dimensions , et pris leur entier accroissement. Ainsi l’on ne peut pas supposer qu’ils y aient été transportés par les hommes ; le seul état de captivité, indépen- damment de la rigueur du elimat ?, les aurait réduits au quart ouau tiers de la grandeur que nous montrent leurs dépouilles. 3° La grande quantité que l’on en a déjà trou- vée, par hasard, dans ces terres presque désertes où personne ne cherche, suffit pour démontrer que ce n’est ni par un seul ou plusieurs acci- dents, ni dans un seul et mêmetemps que quel- ques individus de cette espèce se sont trouvés dans ces contrées du nord , mais qu’il est de nécessité absolue que l'espèce même y ait au- trefois existé, subsisté et multiplié, comme elle existe, subsiste et se multiplie aujourd’hui dans les contrées du midi. * Cela posé, il me semble que la question se réduit à savoir, ou plutôt consiste à chercher s'ily a ou s’il y a eu une cause qui ait pu changer la température dans les différentes par- ties du globe, au point que les terres du nord, aujourd’hui très-froides , aient autrefois éprouvé le degré de chaleur des terres du midi. Quelques physiciens pourraient penser que cet effet a été produit par le changement de l’o- bliquité de l’écliptique, parce qu’à la première vue, ce changement semble indiquer que l’in- clinaison de l’axe du globe n’étant pas con- slante , la terre a pu tourner autrefois sur un axe assez éloigné de celui sur lequel elle tourne aujourd’hui, pour que la Sibérie se fût alors trouvée sous l'équateur. Les astronomes ontob- servé que le changement de l’obliquité de l’é- cliptique est d'environ quarante-cinq secondes par siècle : donc, en supposant cette augmen- lation successive et constante, il ne faut que soixante siècles pour produire une différence de quarante-cinq minutes, et trois mille six cents siècles pour donner celle de quarante-cinq de- rés; ce qui ramènerait le soixantième degré de latitude au quinzième, c’est-à-dire les terres de la Sibérie, où les éléphants ont autrefois existé, aux terres de l'Inde où ils vivent au- * Voyez ci-après les notes justificatives des faits. * Ibidem. HISTOIRE NATURELLE. jourd’hui. Gr, il ne s’agit, dira-t-on, que d’ad- mettre dans le passé cette longue période de temps , pour rendre raison du séjour des élé- phants en Sibérie : il y a trois cent soixante mille ans que la terre tournait sur un axe éloi- gné de quarante-cinq degrés de celui sur lequel elle tourne aujourd'hui ; le quinzième degré de latitude actuelle était alors le soixantième, ete. A cela je réponds que cette idée et le moyen d’explication qui en résulte ne peuvent pas se soutenir lorsqu'on vient à les examiner : léchan- gement de l’obliquité de l’écliptique n’est pas une diminution ou une augmentation successive et constante ; ce n’est, au contraire, qu'une va- riation limitée, et qui se fait tantôt en un sens et tantôt en un autre, laquelle, par conséquent, n’a jamais pu produire en aucun sens ni pour aucun climat cette différence de quarante-cinq degrés d’inelinaison ; car la variation de l’obli- quité de l’axe de la terre est causée par l’action des planètes qui déplacent l’écliptique sans af- fecter l’équateur. En prenant la plus puissante de ces attractions , qui est celle de Vénus, il faudrait douze cent soixante mille ans pour qu’elle pût faire changer de cent quatre-vingts degrés la situation de l’écliptique sur lorbite de Vénus, et, par conséquent, produire un changement de six degrés quarante-sept minu- tes dans l’obliquité réelle de l'axe de la terre, puisque six degrés quarante-sept minutes sont le double de l’inclinaison de l'orbite de Vénus. De même l’action de Jupiter ne peut, dans un espace de neuf cent trente-six mille ans, chan- ger l’obliquité de l’écliptique que de deux degrés trente-huit minutes, et encore cet effet est-il en partie compensé par le précédent ; en sorte qu’il n’est pas possible que ce changement de l’obli- quité de l'axe de la terre aille jamais à six de- grés , à moins de supposer que toutes les orbites des planètes changeront elles-mêmes ; supposi- tion que nousne pouvons ni ne devons admet, puisqu'il n’y aaucune cause qui puisse produire cet effet. Et, comme on ne peut juger du passé que par l'inspection du présent et par la vue de l'avenir, il n’est pas possible, quelqueloïn qu'on veuille reculer les limites du temps, de supposer que la variation de l’écliptique ait jamais pu produire une différence de plus de six degrés dans les climats de la terre : ainsi, cette cause est tout à fait insuffisante, et l'explication qu’on voudrait en tirer doit être rejetée. Mais je puis donner cette explication si diff 7e ÉPOQUES DE LA NATURE. cile, et la déduire d’une cause immédiate. Nous venons de voir que le globe terrestre , lorsqu'il a pris sa forme, était dans un état de fluidité; etil est démontré que, l’eau n'ayant pu produire la dissolution des matières terrestres, cette flui- dité était une liquéfaction causée par le feu. Or, pour passer de ce premier état d’embrasement et de liquéfaction à celui d’une chaleur douce et tempérée, il a fallu du temps : le globe n’a pu se refroidir tout à coup au point où il l’est aujourd'hui. Ainsi, dans les premiers temps après sa formation, la chaleur propre de la terre était infiniment plus grande que celle qu’elle reçoit du soleil, puisqu'elle est encore beaucoup plus grande aujourd’hui ; ensuite ce grand feu s'étant dissipé peu à peu, le climat du pôle a éprouvé, comme tous les autres cli- mats, des degrés successifs de moindre chaleur et de refroidissement. Il y a donc eu un temps, etmème une longue suite de temps pendant la- quelle les terres du nord, après avoir brülé comme toutes les autres, ont joui de la même chaleur dont jouissent aujourd’hui les terres du midi : par conséquent, ces terres septentriona- les ont pu et dû être habitées par les animaux qui habitent actuellement les terres méridio- nales , et auxquels cette chaleur est nécessaire. Dès lors le fait, loin d’être extraordinaire, se lie parfaitement avec les autres faits, et n’en est qu’une simple conséquence : au lieu de s’op- poser à la théorie de la terre que nous avons établie, ce même fait en devient, au contraire, une preuve accessoire qui ne peut que la confir- mer dans le point le plus obscur, c’est-à-dire lorsqu'on commence à tomber dans cette pro- fondeur du temps où la lumière du génie semble s’éteindre, et où , faute d'observations , elle pa- rait ne pouvoir nous guider pour aller plus loin. Une sixième époque, postérieure aux cinq au- tres , est celle de la séparation des deux conti- nents. Il estsür qu’ils n'étaient pas séparés dans le temps que les éléphants vivaient également dans les terres du nord de l'Amérique , de l’Eu- rope et de l'Asie : je dis également, car on trouve de même leurs ossements en Sibérie, en Russie et au Canada. La séparation des continents ne s'est donc faite que dans des temps postérieurs à ceux du séjour de ces animaux dans les terres septentrionales : mais, comme l’on trouve aussi des défenses d’éléphant en Pologne, en Allema- gne, en France, en Italie', on doit en conclure 1 Voyez ci-après les notes justificatives des faits. à D] 387 qu'à mesure que les terres septentrionales se re- froidissaient , ces animaux se retiraient vers lés contrées des zones tempérées où la chaleur du soleil etla plus grande épaisseur du globe com- pensaient la perte de la chaleur intérieure de la terre; et qu’enfin ces zones s'étant aussi trop refroidies avec le temps, ils ont successivement gagné les climats de la zone torride, qui sont ceux où la chaleur intérieure s’est conservée le plus longtemps par la plus grande épaisseur du sphéroïde de la terre, et les seuls où cette cha- leur, réunie avec celle du soleil, soit encore as- sez forte aujourd’hui pour maintenir leur na- ture et soutenir leur propagation. De même on trouve en France, et dans toutes les autres parties de l’Europe, des coquilles, des squelettes et des vertèbres d'animaux marins qui ne peuvent subsister que dans les mers les plus méridionales. Il est done arrivé, pour les climats delamer, le même changement de tem- pérature que pour ceux de la terre ; et ce second fait, s’expliquant, comme le premier, par la même cause, parait confirmer le tout au point de la démonstration. Lorsque l’on compare ces anciens monuments du premier âge de la nature vivante avec ses productions actuelles , on voit évidemment que la forme constitutive de chaque animal s’est conservée la même et sans altération dans ses principales parties : le type de chaque espèce n’a point changé ; le moule intérieur a conservé sa forme et n’a point varié. Quelque longue qu’on voulût imaginer la succession des temps, quel- que nombre de générations qu'on admette ou qu'on suppose , les individus de chaque genre représentent aujourd’hui les formes de ceux des premiers siècles , surtout dans les espèces ma- jeures, dont l'empreinte est plus ferme et la na- ture plus fixe ; car les espèces iaférieures ont, comme nous l’avons dit, éprouvé d’une manière sensible tous les effets des différentes causes de dégénération. Seulement il est à remarquer au sujet de ces espèces majeures , telles que l’élé- phant et l’'hippopotame, qu’en comparant leurs dépouilles antiques avec celles de notre temps, on voit qu’en général ces animaux étaient alors plus grands qu’ils nele sont aujourd’hui ; la na- ture était dans sa première vigueur ; la chaleur intérieure de la terre donnait à ses productions toute la force et toute l'étendue dont elles étaient susceptibles. Il y a eu dans ce premier âge des géants en tout genre; les nains et les pygmées 388 sont arrivés depuis , c'est-à-dire après le re- froidissement ; et si (comme d’autres monu- ments semblent le démontrer) il y a eu des es- pèces perdues, c’est-à-dire des animaux qui aient autrefois existé et qui n'existent plus, ce ne peuvent être que ceux dont la nature exigeait une chaleur plus grande que la chaleur actuelle de la zone torride. Ces énormes dents molaires, presque carrées, et à grosses pointes mousses, ces grandes volutes pétrifiées , dont quelques- unes ont plusieurs pieds de diamètre! plusieurs autres poissons et coquillages fossiles dont on ne retrouve nulle part les analogues vivants, n’ont existé que dans ces premiers temps où la terre et la mer encore chaudes devaient nourrir des animaux auxquels ce degré de chaleur était né- cessaire, et qui ne subsistent plus aujourd’hui, parce que probablement ils ont péri par le re- froidissement. Voilà donc l’ordre des temps indiqués par les faits et par les monuments; voilà six époques dans la succession des premiers âges de la na- ture, six espaces de durée dont les limites, quoique indéterminées, n’en sont pas moins réel- les ; car ces époques ne sont pas, comme celles del’histoire civile, marquées par des pointsfixes, ou limitées par des siècles et d’autres portions du temps que nous puissions compter et mesu- rer exactement : néanmoins nous pouvons les comparer entre elles , en évaluer la durée rela- tive, et rappeler à chacune de ces périodes de durée d’autres monuments et d’autres faits qui nous indiqueront des dates contemporaines, et peut-être aussi quelques époques intermédiaires et subséquentes. Mais, avant d’aller plus loin, hâtons-nous de prévenirune objection grave qui pourrait même dégénérer en imputation. Comment accordez- vous, dira-t-on, cette haute ancienneté que vous donnez à la matière, avec les traditions sacrées, qui ne donnent au monde que six ou huit mille ans? Quelque fortes que soient vos preuves, quelque fondés que soient vos raisonnements , quelque évidents que soient vos faits, ceux qui sont rapportés dans le Livre sacré ne sont-ils pas encore plus certains? Les contredire, n’est- ce pas manquer à Dieu , qui a eu la bonté de nous les révéler ? Je suis affligé toutes les fois qu'on abuse de ce grand , de ce saint nom de Dieu: je suis ! Voyez ci-après les notes justificatives des faits. | HISTOIRE NATURELLE, blessé toutes les fois que l’homme le profane, et qu'il prostitue l’idée du prernier être, en la substituant à celle du fantôme de ses opinions. Plus j'ai pénétré dans le sein de la nature, plus j'ai admiré et profondément respecté son au- teur : mais un respect aveugle serait supersti- tion ; la vraie religion suppose , au contraire, un respect éclairé. Voyons donc, tächons d’enten- dre sainement les premiers faits que l'interprète divin nous a transmis au sujet de la création; recueillons avec soin ces rayons échappés de la lumière céleste : loin d’offusquer la vérité, ils ne peuvent qu'y ajouter un nouveau degré d'é- clat et de splendeur. & AU COMMENCEMENT, DIEU CRÉA LE CIEL ET « LA TERRE. D Cela ne veut pas dire qu’au commencement Dieu créa le ciel et la terre {els qu'ils sont, puis- qu'il est ditimmédiatement après, que lu terre élait informe, etque le soleil, la lune et les étoi- les ne furent placés dans le ciel qu’au quatrième jour de la création. On rendrait done le texte contradictoire à lui-même, si l’on voulait sou- tenir qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre tels qu'ils sont. Ce fut dans un temps subséquent qu’il les rendit en effet els qu’ils sont, en donnant la forme à la matière, et en plaçant le soleil, la lune et les étoiles dans le ciel. Ainsi, pour entendre sainement ces pre- mières paroles, il faut nécessairement suppléer un mot qui concilie le tout, et lire : Au com- mencement Dieu créa LA MATIÈRE du ciel et de la terre. Et ce commencement, ce premier temps, le plus ancien de tous, pendant lequel la matière du ciel et de la terre existait sans forme déter- minée, paraît avoir eu une longue durée; car écoutons attentivement la parole de l'interprète divin : « LA TERRE ÉTAIT INFORME ET TOUTE NUE, LES { TÉNÈBRES COUVRAIENT LA FACE DE L’ABÎME, « ET L'ESPRIT DE DIEU ÉTAIT PORTÉ SUR LES « EAUX. D) La terre élail, les ténèbres couvraient, V'es- prit de Dieu était. Ces expressions, par lim- parfait du verbe, n’indiquent-elles pas que c’est pendant un long espace de temps que la terre a été informe, et que les ténebres ont couvert la face de l’abime? Si cet état informe, si cette ÉPOQUES DE LA NATURE. face ténébreuse de l'abime n'eussent existéqu’un jour, si même cet état u'eût pas duré long- temps, l'écrivain sacré, où se se rait autrement exprimé, ou n'aurait fait aucune mention de ce moment des ténèbres ; il eùt passé de la créa- tion de la matière en général à la production de ses formes particulières, et n'aurait pas fait un repos appuyé, une pause marquée entre le pre- mier etle second instant des ouvrages de Dieu. Je vois done clairement que non-seulement on peut, mais que même l’on doit, pour se confor- mer au sens du texte de l’Ecriture sainte, re- garder la eréation de la matière en général comme plus ancienne que les productions par- ticulières et successives de ses différentes for- mes ; et cela se confirme encore par la transi- tion qui suit . « OR, DIEU DIT. » Ce mot or suppose des choses faites et des choses à faire : c’est le projet d’un nouveau des- sein, c’est l'indication d’un décret pour changer l'état ancien ou actuel des choses en un nouvel état. « QUE LA LUMIÈRE SOIT FAITE, ET LA LUMIÈRE & FUT FAITE. » Voila la première parole de Dieu ; elle est si sublime et si prompte, qu’elle nous indique as- sez que la production de la lumière se fit en un instant : cependant la lumière ne parut pas d’a- bord ni tout à coup comme un éclair universel ; elle demeura pendant du temps confondue avec les ténèbres, et Dieu prit lui-même du temps pour la considérer ; car, est-il dit, Dieu VIT QUE LA LUMIÈRE ÉTAIT BONNE, ET & IL SÉPARA LA LUMIÈRE D'AVEC LES TÉNE- « BRES. » L’acte de la séparation de la lumière d’avec les ténèbres est donc évidemment distinct et physiquement éloigné par un espace de temps de l'acte de sa production ; et ce temps, pen- dant lequel il plut à Dieu de la considérer pour voir qu’elle élait bonne, c’est-à-dire utile à ses desseins ; ce temps, dis-je, appartient encore et doit s'ajouter à celui du chaos, qui ne com- mença à se débrouiller que quand la lumière fut séparée des ténèbres. Voilà donc deux temps, voilà deux espaces 389 de durée que le texte sacré nous force à recon- naitre : le premier, entre la création de la ma- tière en général et la production de la lumière; le second, entre cette production de la lumière et sa séparation d'avec les ténèbres. Ainsi, loin de manquer à Dieu en donnant à la matière plus d'ancienneté qu’au monde {el qu'il est, c'est au contraire le respecter autant qu’il est en nous , en conformant notre intelligence à sa parole, En effet, la lumière qui éclaire nos âmes ne vient- elle pas de Dieu? Les vérités qu’elle nous pré- sente peuvent-elles être contradictoires avec celles qu’il nous a révélées? Il faut se souvenir que son inspiration divine a passé par les orga- nes de l’homme ; que sa parole nous a été trans- mise dans une langue pauvre, dénuée d’expres- sions précises pour les idées abstraites, en sorte que l'interprète de cette parole divine a été obligé d'employer souvent des mots dont les acceptions ne sont déterminées que par les cir- constances : par exemple, le mot eréer et le mot former où faire, sont employés indistincte- ment pour signifier la même chose ou des cho- ses semblables, tandis que dans nos langues ces deux mots ont chacun un sens très-différent et très-déterminé : créer est tirer une substance du néant; former ou faire, c’est la tirer de quel- que chose sous une forme nouvelle; et il parait que le mot créer ! appartient de préférence , et peut-être uniquement, au premier verset de la Genèse, dont la traduction précise en notre langue doit être : Au commencement Dieu tira du néant la matière du ciel ct de la terre; et ce qui prouve que ce mot créer, ou tirer du | néant, ne doit s’appliquer qu’à ces premières paroles, c’est que toute la matière du ciel et de la terre ayant éte créée ou tirée du néant dès le commencement , il n’est plus possible, et par conséquent plus permis de supposer de nou- velles créations de matière, puisque alors foule matière n'aurait pas été créée dès le commen- cement. Par conséquent l’ouvrage des six jours ne peut s'entendre que comme une formation , une production de formes tirées de la matière créée précédemment, et non pas comme d’au- tres créations de matières nouvelles tirées im- médiatement du néant; et en effet, lorsqu'il est question de la lumière, qui est la première de ces formations ou productions tirées du sein de * Le mot bara, que l'én traduit ici par créer , se tradnit, dans tous les autres passages de l'Écriture, par former ou faire. 590 HISTOIRE NATURELLE. la matière, il est dit seulement que la lumière | parce que les différentes généalogies du genre soul faile, etnon pas, que la lumière soil créée. Tout concourt done à prouver que la matière ayant été créée èn principio, ce ne fut que dans des temps subséquents qu'il plut au souverain Être de lui donner la forme, et qu’au lieu de tout créer et de tout former dans le même in- stant, comme il l'aurait pu faire, s’il eût voulu déployer toute l'étendue de sa toute-puissance, il n’a voulu, au contraire, qu’agir avec le temps, produire successivement, et mettre même des repos, des intervalles considérables entre cha- cun de ses ouvrages. Que pouvons-nous enten- dre par les six jours que l'écrivain sacré nous désigne si précisément en les comptant les uns après les autres, sinon six espaces de temps, six intervalles de durée? Et ces espaces de temps indiqués par le nom de jours, faute d’autres ex- pressions, ne peuvent avoir aucun rapport avec nos jours actuels, puisqu'il s’est passé successi- vement trois de ces jours avant que le soleil ait été placé dans le ciel. Il n'est donc pas possible que ces jours fussent semblables aux nôtres ; et l'interprète de Dieu semble l'indiquer assez en les comptant toujours du soir au matin, au lieu que les jours solaires doivent se compter du ma- tin au soir. Ces six jours n’étaient donc pas des jours solaires semblables aux nôtres, ni même des jours de lumière , puisqu'ils commençaient par le soir et finissaient au matin. Ces jours n’é- taient pas même égaux, car ils n’auraient pas été proportionnés à l’ouvrage, Ce ne sont donc que six espaces de temps : l’historien sacré ne détermine pas la durée de chacun; mais le sens de la narration semble la rendre assez longue pour que nous puissions l’étendre autant que l’exigent les vérités physiques que nous avons à démontrer. Pourquoi donc se récrier si fort sur cet emprunt du temps, que nous ne faisons qu’autant que nous y sommes forcés par la con- naissance démonstrative des phénomènes de la nature? pourquoi vouloir nous refuser ce temps, puisque Dieu nous le donne par sa propre pa- role, et qu’elle serait contradictoire ou inintelli- gible, si nous n’admettions pas l’existence de ces premiers temps antérieurs à Ja formation du monde {el qu'il est ? A la bonne heure que l’on dise, que l’on sou- tienne, même rigoureusement, que depuis le dernier terme, depuis la fin des ouvrages de Dieu, c'est-à-dire depuis la création de homme, il ne s’est écoulé que six ou huit mille ans, humain depuis Adam n’en indiquent pas davan- tage ; nous devons cette foi, cette marque de soumission et de respect à la plus ancienne, à la plus sacrée de toutes les traditions ; nous lui de- vons même plus, c’est de ne jamais nous per- mettre de nous écarter de la lettre de cette sainte tradition que quand la lettre tue, c’est-à-dire quand elle parait directement opposée à la saine raison et à la vérité des faits de [a nature; car toute raison, toute vérité venant également de Dieu, iln’y a de différence entre les vérités qu'il nous à révélées et celles qu’il nous a permis de découvrir par nos observations et nos recher- ches; iln’y a, dis-je, d'autre différence que celle : d’une première faveur faite gratuitement à une seconde grâce qu’il a voulu différer et nous faire mériter par nos travaux ; et c’est par cette raison que son interprète n’a parlé aux premiers hom- mes, encore très-ignorants, que dans le sens vulgaire, et qu'il ne s’est pas élevé au-dessus de leurs connaissances, qui, bien loin d’atteindre au vrai système du monde, ne s’étendaient pas même au delà des notions communes fondées sur le simple rapport des sens ; parce qu'en ef- fet c’était au peuple qu'il fallait parler, et que la parole eût été vaine et inintelligible, si elle eût étételle qu'on pourrait la prononcer aujourd’hui, puisque aujourd'hui même il n’y a qu’un petit nombre d'hommes auxquels les vérités astro- nomiques et physiques soient assez connues pour n’en pouvoir douter, et qui puissent en en- tendre le langage. Voyons donc ce qu'était la physique dans ces premiers âges du monde, et ce qu’elleserait encore si l’homme n’eût jamais étudié la nature. On voit le ciel comme une voûte d’azur, dans lequel le soleil et la lune paraissent être les as- tres les plus considérables, dont le premier pro- duit toujours la lumière du jour, et le second fait souvent celle de la nuit ; on les voit paraître ou se lever d’un côté, et disparaître ou se cou- cher de l’autre, après avoir fourni leur course et donné leur lumière pendant un certain espace de temps. On voit que la mer est de la même couleur que la voûte azurée, et qu'elle parait toucher au ciel lorsqu'on la regarde au loin. Toutes les idées du peuple sur le système du monde ne portent que sur ces trois ou quatre notions ; et quelque fausses qu'elles soient, il fallait s’y conformer pour se faire entendre. En conséquence de ce que la mer parait dans cs méme 5 +. dés dut ns SRE ÉPOQUES DE LA NATURE. 591 … le lointain se réunir au ciel, il était naturel d’i- maginer qu’il existe en effet des eaux supérieu- res et des eaux inférieures, dont les unes rem- plissent le ciel, et les autres la mer; et que, pour soutenir les eaux supérieures, il fallait un fir- mament, c’est-à-dire un appui, une voûte solide et transparente, au travers de laquelle on aper- ût l’azur des eaux supérieures ; aussi est-il dit : Que le firmament soit fait au milieu des eaux, et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux ; et Dieu fil le firmament , et sépara les eaux qui étaient sous le firmament de celles qui étaient au-dessus du firmament, et Dieu donna au firmament le nom de ciel….et à toutes les eaux rassemblées sous le firmament, le nom de mer. C’est à ces mêmes idées que se rapportent les cataractes du ciel, c’est-à-dire les portes ou les fenêtres de ce firmament solide qui s’ouvrirent lorsqu'il fallut laisser tomber les eaux supé- rieures pour noyer la terre. C’est encore d’a- près ces mêmes idées qu'il est dit que les pois- sons etles oiseaux ont eu une origine commune. Les poissons auront été produits par les eaux inférieures , et les oiseaux par les eaux supé- rieures, parce qu'ils s’approchent par leur vol de la voûte azurée, que le vulgaire n’imagine pas étrebeaucoup plus élevée que les nuages. De même lepeupleatoujours cru queles étoiles sont attachées comme des clous à cette voûte solide, qu'elles sontpluspetites quelalune, etinfiniment plus petites que lesoleil : il ne distinguepas même les planètes des étoiles fixes ; et c’est par cette raison qu’il n’est fait aucune mention des pla- nètes dans tout le récit de la création; c’est par la même raison que la lune y est regardée comme le second astre, quoique ce ne soit en effet que le plus petit de tous les corps cé- lestes, ete, ete., etc. Tout, dans le récit de Moïse, est mis à la por- tée de l'intelligence du peuple; tout y est re- présenté relativement à homme vulgaire, au- quel il ne s’agissait pas de démontrer le vrai sys- tème du monde, mais qu’il suffisait d’instruire de ce qu’il devait au Créateur, en lui montrant les effets de sa toute-puissance comme autant de bienfaits : les vérités de la nature ne devaient paraître qu'avec le temps, et le souverain Ëtre se les réservait comme le plus sûr moyen de rappeler l’homme à lui, lorsque sa foi, déclinant dans la suite des siècles, serait devenue chance- lante, lorsque éloignéde son origine il pourrait l'oublier; lorsque enfin, trop accoutumé au spectacle de la nature, il n’en serait plus tou: ché et viendrait à en méconnaitre l'auteur. I était done nécessaire de raffermir de temps en temps, et même d'agrandir l’idée de Dieu dans l'esprit et dans le cœur de l'homme. Or, chaque découverte produit ce grand effet ; chaque nou - veau pas que nous faisons dans la nature, nons rapproche du Créateur. Une vérité nouvelle est une espèce de miracle ; l'effet en est le même, et elle ne diffère du vrai mifacle, qu'en ce que cc- lui-ci est un coup d'éclat que Dieu frappe immé- diatement et rarement , au lieu qu'il se sert de l’homme pour découvrir et manifester les mer- veilles dont il a rempli le sein de la nature ; et que, comme ces merveilles s'opèrent à tout instant , qu’elles sont exposées de tout temps et pour tous les temps à sa contemplation , Dieu le rappelle incessamment à lui , non-seulement par le spectacle actuel , mais encore par le dé- veloppement successif de ses œuvres. Au reste, je ne me suis permis cette interpré- tation des premiers versets de la Genèse , que dans la vue d'opérer un grand bien ; ce serait de concilier à jamais la science de la nature avec celle de la théologie : elles ne peuvent, selon moi, être en contradiction qu’en apparence, et mon explication semble le démontrer. Mais si cette explication, quoique simple et très-claire, paraît insuffisante et même hors de propos à quelques esprits trop strictement attachés à la lettre, je les prie de me juger par l'intention , et de considérer que mon système sur les époques de la nature, étant purement hypothétique, il ne peut nuire aux vérités révélées, qui sont au- tant d’axiomes immuables, indépendants de toute hypothèse, et auxquels J'ai soumis et je soumets mes pensées. PREMIÈRE ÉPOQUE. LORSQUE LA TERRE ET LES PLANÈTES ONT PRIS LEUR FORME. Dans ce premier temps où la terre en fusion, tournant sur elle-même, a pris sa forme et s’est élevée sur l'équateur en s’abaissant sous les pô- les, les autres planètes étaient dans le mème état de liquéfaction, puisqu’en tournant sur elles- mêmes elles ont pris, comme la terre, une forme renflée sur leur équateur et aplatie sous leurs pôles, et que ce renflement et cette dépression sont propor fionnels à la vitesse de leur rotation. 592 Le globe de Jupiter nous en fournit la preuve: comme il tourne beaucoup plus vite que celui de la Terre, il esten conséquence bien plus élevé sur son équateur et plus abaissé sous ses pôles, car les observations nous démontrent que les deux diamètres de cette planète different de plus d’un treizième, tandis que ceux de la Terre ne diffèrent que d'une deux cent trentième par- tie : elles nous montrent aussi que dans Mars, qui tourne près d’une fois moins vite que la Terre, cette différence entre les deux diamètres n’est pas assez sensible pour être mesurée par les astronomes, et que dans la Lune, dont le mouvement de rotation estencore bien plus lent, ! les deux diamètres paraissent égaux. La vitesse | de la rotation des planètes est done la seule cause de leur renflement sur l’équateur ; et ce renflement, qui s’est fait en même temps que leur aplatissement sous les pôles, suppose une fluidité entière dans toute la masse de ces glo- bes, c’est-à-dire un état de liquéfaction causé par le feu ‘. D'ailleurs, toutes les planètes circulant au- tour du Soleil, dans le même sens et presque dans le même plan, elles paraissent avoir été mises en mouvement par une impulsion com- mune et dans un même temps ; leur mouvement de circulation et leur mouvement de rotation sont contemporains, aussi bien que leur état de fusion ou de liquéfaction par le feu, et ces mouvements ont nécessairement été précédés par l'impulsion qui les a produits. Dans celles des planètes dont la masse a été frappée le plus obliquement, le mouvement de rotation a été le plus rapide ; et, par cette rapi- dité de rotation, les premiers effets de la force centrifuge ont excédé ceux de la pesanteur : en conséquence il s’est fait dans ces masses liquides une séparation et une projection de parties à leur équateur, où cette force centrifuge est la plus grande ; lesquelles parties, séparées et chassées par cette force, ont formé des masses concomi- tantes, et sont devenues des satellites qui ont dû cireuler et qui circulent en effet tous dans le plan de l'équateur de la planète dont ils ont été séparés par cette cause. Les satellites des pla- nètes se sont donc formés aux dépens de Ja ma- tière de leur planète principale, comme les pla- nèles elles-mêmes paraissent s'être formées aux dépens de la masse du Soleil. Ainsi, le temps de { Vovez la Théorie de la Terre, article de la formation des plancies , tome L gd HISTOIRE NATURELLE. la formation dessatellitesestlemémequeceluidn le moment où la matière qui les compose venait de se rassembler , et ne formait encore que des globes liquides, état dans lequel cette matière en liquéfaction pouvait en être séparée et projetée fort aisément : car, dès que la surface de ces globes eut commencé à prendre un peu de con- sistance et de rigidité par le refroidissement, la malière, quoique animée de la même force cen- trifuge, étant retenue par celle de la cohésion, ne pouvait plus être séparée ni projetée hors de la planète par ce même mouvement de rotation. Comme nous ne connaissons dans la nature aucune cause de chaleur, aucun feu que celui du soleil, qui ait pu fondre ou tenir en liquéfac- tion la matière de la terre et des planètes, il me parait qu’en se refusant à croire que les planètes sont issues et sorties du soleil, onserait au moins forcé de supposer qu’elles ont été exposées de très-près aux ardeurs de cet astre de feu pour | pouvoir être liquéfiées. Mais cette supposition ne serait pas encore suffisante pour expliquer l'effet, et tomberait d'elle-même par une circon- stance nécessaire, c’est qu’il faut du temps pour que le feu, quelque violent qu’il soit, pé- nètre les matières solides qui lui sont exposees, et un très-long temps pour les liquéfier. On a vu, par les expériences ! qui précèdent, que pour échauffer un corps jusqu’au degré de fu- sion, il faut au moins la quinzième partie du temps qu’il faut pour le refroidir, et qu’attendu les grands volumes de la Terre etdes autres pla- nètes, il serait de toute nécessité qu’elles eussent été pendant plusieurs milliers d'années station- naires auprès du soleil , pour recevoir le degré de chaleur nécessaire à leur liquéfaction : or il est sans exemple dans l'univers qu'aucun corps, aucune planète, aucune comète , demeure sta- tionnaire auprès du soleil, même pour un in- stant ; au contraire, plus les comètes en appro- chent, et plus leur mouvement est rapide : le temps de leur périhélie est extrêmement court, etle feu de cet astre, en brülant la surface, n’a pas le temps de pénétrer la masse des comètes qui s’en approchent le plus. | Ainsi, tout concourt à prouver qu'il n’a pas suffi que la terre et les planètes aient passé comme certaines comètes dans le voisinage du soleil, pour que leur liquéfaction ait pu s’y opé- | rer; nous devons done présumer que cette ma- 1! Voyez le premicr et le second mémoires commencement de la rotation des planètes : c'est ÉPOQUES DE tière des planètes a autrefois appartenu au corps même du soleil, et en a été séparée, comme nous l'avons dit , par une seule et même impul- sion : car les comètes qui approchent le plus du soleil ne nous présentent que le premier de- gré des grands effets de la chaleur ; elles parais- sent précédées d'une vapeur enflammée lors- qu’elles s'approchent, et suiviesd’une semblable vapeur lorsqu'elles s’éloignent decetastre.Ainsi, une partie de la matière superficielle de la co- | mète s'étend autour d'elle, et se présente à nos yeux en forme de vapeurs lumineuses , qui se trouvent dans un état d'expansion et de volati- lité causée par le feu du soleil; mais le noyau, c’est-à-dire le corps même de la comète, ne pa- rait pas être profondément pénétré par le feu , puisqu'il n’est pas lumineux par lui-même, comme le serait néanmoins toute masse de fer, de verre ou d'autre matière solide, intimement | pénétrée par cet élément ; par conséquent, il parait nécessaire que la matière de la terre et des planètes , qui a été dans un état de liqué- faction, appartienne au corps même du soleil, et qu’elle fasse partie des matières en fusion qui | constituent la masse de cet astre de feu. Les planètes ont recu leur mouvement par une seule et même impulsion, puisqu'elles cir- culent toutes dans le même sens et presque dans le même plan; les comètes , au contraire , qui circulent comme les planètes autour du soleil, mais dans des sens et des plansdifférents, pa- raissent avoir été mises en mouvement par des impulsions diffèrentes. On doit donc rapporter à une seule époque le mouvement des planètes, au lieu que celui des comètes pourrait avoir été donné en différents temps. Ainsi, rien ne peut nous éclairer sur l’origine du mouvement des comètes; mais nous pouvons raisonner sur ce- lui des planètes , parce qu’elles ont entre elles des rapports communs qui indiquent assez clai- rement qu’elles ont été mises en mouvement par une seule et même impulsion. Il est donc permis de chercher dans la nature la cause qui a pu produire cette grande impulsion, au lieu que nous ne pouvons guère former de raison- nements , ni même faire des recherches sur les causes du mouvement d'impulsion des comètes. Rassemblant seulement les rapports fugitifs et les légers indices qui peuvent fournir quelques conjectures , on pourrait imaginer, pour satis- faire quoique très-imparfaitement, à la curiosité | # Voyez ci-après les notes justificatives des faits. | LA NATURE. 995 de l'esprit, que les comètes de notre système solaire ont été formées par l'explosion d’une étoile fixe ou d’un soleil voisin du nôtre , dont toutes les parties dispersées, n'ayant plus de centre ou de foyer commun, auront été forcées d’obéir à la force attractive de notre soleil, qui dès lors sera devenu le pivot etle foyer de toutes nos comètes. Nous et nos neveux n’en dirons pas davantage jusqu’à ce que, par des observa- tions ultérieures, on parvienne à reconnaitre quelque rapport commun dans le mouvement d’impulsion des comètes ; car, comme nous ne connaissons rien que par comparaison , dès que tout rapport nous manque, et qu'aucune analo- gie ne se présente, toute lumière fuit, et non- seulement notre raison, mais même notre ima- | gination , se trouvent en défaut. Aussi, m’étant abstenu ci-devant ! de former des conjectures sur la cause du mouvement d’fmpulsion des co- mètes, j'ai cru devoir raisonnersur celle de l’im- pulsion des planètes ; et j’ai mis en avant, non pas comme un fait-réel et certain, mais seule- ment comme une chose possible, que la matière des planètes a été projetée hors du soleil par le choe d’une comète. Cette hypothèse est fondée sur ce qu'il n’y à dans la nature aucun corps en mouvement, sinon les comètes , qui puissent ou aient pu communiquer un aussi grand mouve- ment à d’aussigrandes masses, et en mêmetemps sur ce que les comètes approchent quelquefois de si près du soleil, qu'il est pour ainsi dire né- cessaire que quelques-unes y tombent oblique- ment et en sillonnent la surface, en chassant de- l . . * vantelles les matières mises en mouvement par leur choc. Il en est de même de la cause qui a pu pro- duire la chaleur du soleil : il m’a paru ? qu'on peut la déduire des effets naturels, c’est-à-dire la trouver dans la constitution du système du monde ; car le soleil ayant à supporter tout le poids, toute l’action de la force pénétrante des vastes corps quicireulent autour de lui, et ayant à souffrir en même temps l’action rapide de cette espèce de frottement intérieur dans toutes les parties de sa masse, la matière qui le compose doit être dans l’état de la plus grande division ; elle a dû devenir et demeurer fluide, lumineuse et brülante, en raison de cette pression et de ce frottement intérieur toujours également subsi- 1 Voyez l'article dela formation des planètes dans ce volume. 2 Voyez l'article qui a pour titre : Le la nature, première vue, 54 HISTOIRE NATURELLE. stant. Lesmouvements irréguliers des taches du soleil , aussi bien que leur apparition spontanée et leur disparition, démontrent assez que cet astre est liquide, et qu'il s'élève de temps en temps à sa surface des espèces de scories ou d’é- cumes , dont les unes nagent irrégulièrement sur cette matière enfusion, et dont quelques au- tres sont fixes pour un temps, et disparaissent comme les premières, lorsque l’action du feu les a de nouveau divisées. On sait que c’est par le moyen de quelques-unes de ces taches fixes qu'on a déterminé la duréede la rotation du so- leil en vingt-cinq jours et demi. Or, chaque comète et chaque planète forment une roue, dont les rais sont les rayons de la force attractive ; le soleil est l’essieu ou le pivot commun de toutes ces différentes roues ; la co- mète ou la planète en est la jante mobile, et chacune contribue de tout son poids et de toute sa vitesse à l’embrasement de ce foyer général, dont le feu durera par conséquent aussi long- temps que le mouvement et la pression des vas- tes corps qui le produisent. De là ne doit-on pas présumer que si l’on ne voit pas de planètes autour des étoiles fixes, ce west qu’à cause de leur immense éloignement ? Notre vueesttrop bornée, nos instruments trop peu puissants pour apercevoir cesastresobseurs, puisque ceux mêmequi sont lumineux échappent à nos yeux, et que, dans le nombre infini de ces étoiles, nous ne connaitrons jamais que celles dont nos instruments de longue vue pourront nous rapprocher : mais l’analogie nous indique qu'étant fixes et lumineuses comme le soleil, les étoiles ontdû s'échauffer, se liquéfier et brûler par la même cause, c’est-à-dire par la pression active des corps opaques, solidesetobscurs, qui circulent autour d’elles. Cela seul peut expliquer pourquoi il n’y a que les astres fixes qui soient lumineux, et pourquoi dans l'univers solaire tous les astres errants sont obscurs. Et la chaleur produite par cette cause devant être en raison du nombre, de la vitesse, et de la masse des corps qui cireulent autour du foyer , le feu du soleil doit être d’une ardeur ou plutôt d'une violence extrême, non-seulement paree que les corps qui circulent autour de lui sont tous vastes, solides et mus rapidement, mais en- core parce qu'ils sont en grand nombre : car, indépendamment des six planètes, de leurs dix satellites et de l’anneau de Saturne , qui tous pèsent sur le soleil, et forment un volume de matière deux mille fois plus grand que celui de la terre, le nombre des comètes est plus consi- dérable qu’on ne le croit vulgairement : elles seules ont pu suffire pour allumer le feu du so- seil avant la projection des planètes , et suff- raient encore pour l’entretenir aujourd’hui. L'homme ne parviendra peut-être jamais à re- connaître les planètes qui circulent autour des étoiles fixes ; mais , avec le temps , il pourra sa- voir au juste quel est le nombre des comètes dans le système solaire. Je regarde cette grande connaissance comme réservée à la postérité. En attendant , voici une espèce d'évaluation qui, quoique bien éloignée d’être précise, ne laissera pas de fixer les idées sur le nombre de ces corps cireulant autour du soleil. à En consultant les recueils d'observations, on voit que , depuis l'an 1101 jusqu’en 1766, c’est- à-dire en six cent soixante-cinq années , il y a eu deux cent vingt-hujt apparitions de comètes. Mais le nombre de ces astres errants qui ont été remarqués n’est pas aussi grand que celui des apparitions , puisque la plupart, pour ne pas dire tous, font leur révolution en moins de six cent soixante-cinq ans. Prenons donc les deux comètes desquelles seules les révolutions nous sont parfaitement connues , savoir , la comète de 1680 , dont la période est d’environ einq cent soixante-quinze ans ; et celle de 1759, dont la période est de soixante-seize ans. On peut croire, en attendant mieux , qu’en prenant le terme moyen , trois cent vingt-six ans, entre ces deux périodes de révolution, il y a autant de co- mètes dont la période excède trois cent vingt- six ans, qu’il y en a dont la période est moin- dre. Ainsi, en les réduisant toutes à trois cent vingt-six ans, chaque comète aurait paru deux fois en six cent cinquante-deux ans, et l’on au- rait par conséquent à peu près cent quinze co- mètes pour deux cent vingt-huit apparitions en six cent soixante-cinq ans. Maintenant, si l’on considère que vraisembla- blement il y a plus de comètes hors de la portée de notre vue ou échappées à l’œil des observa- teurs , qu’il n’y en a eu de remarquées, cenom- bre croitra peut-être de plus du triple, en sorte qu’on peut raisonnablement penser qw’il existe dans le système solaire quatre ou cinq cents co- mètes. Et s’il en est des comètes comme des planètes ; si les plus grosses sont les plus éloi- gnées du soleil ; si les plus petites sont les seu- les qui en approchent d'assez près pour que I I # : nous puissions les apercevoir, quel volume im- mense de matière ! quelle charge énorme sur le corps de cet astre! quelle pression, C’est-à- dire quel frottement intérieur dans toutes les parties de sa masse, et par conséquent quelle chaleur et quel feu produits par ce frot- tement ! Car , dans notre hypothèse, le soleil était une masse de matière en fusion, même avant la pro- jection des planètes; par conséquent ce feu n’a- vait alors pour cause que la pression de ce grand nombre de comètes qui cireulaient précédem- ment et circulent encore aujourd'hui autour de ce foyer commun. Si la masse ancienne de so- leil a été diminuée d’un six cent cinquantième ! par la projection de la matière des pianètes, lors de leur formation, la quantité totale de lacause de son feu, c’est-à-dire de la pression totale , a été augmentée dans la proportion de la pression entière des planètes, réunie à la première pres- sion de toutes les comètes, à l'exception de celle qui a produit l'effet de la projection, et dont la matière s’est mêlée à celle des planètes pour sortir du soleil, lequel par conséquent , après cette perte, n’en est devenu que plus bril- lant, plus actif et plus propre à éclairer, échauf- fer et féconder son univers. En poussant ces inductions encore plus loin , on se persuadera aisément que les satel- lites qui circulent antour de leur planète prin- cipale, et qui pèsent sur elle comme les planètes pèsent sur le soleil ; que ces satellites, dis- je, doivent communiquer un certain degré de Chaleur à la planète autour de laquelle ils cir- culent : la pression et le mouvement de la lune doivent donner à la terre un degré de chaleur; qui serait plus grand, si la vitesse du mouve- ment de circulation de la lune était plus grande. Jupiter, qui a quatre satellites, et Saturne, qui en a cinq,avec un grand anneau, doivent, par cette seule raison , être animés d'un certain de- gré de chaleur. Si ces planètes très-éloignées du soleil n'étaient pas douées comme la terre d’une chaleur intérieure, elles seraient plus que gelées ; et le froid extrême que Jupiter et Sa- turne auraient à supporter, à cause de leur éloi- gnement du soleil, ne pourrait être tempéré que par l’action de leurs satellites. Plus les corps cireulants seront nombreux, grands et ra- pides, plus le corps qui leur sert d’essieu ou de “ Voyez l'article qui a pour titre: De la formation des planètes. ÉPOQUES DE LA NATURE. 995 pivot s’échauffera par le frottement intime qu'ils feront subir à toutes les parties de sa masse. Ces idées se lient parfaitement avec celles qui servent de fondement à mon hypothèse sur la formation des planètes ; elles en sont des consé- quences simples etnaturelles : mais j'ai la preuve que peu de gens ont saisi les rapports et l’en- semble de ce grand système.Néanmoins y a-t-il un sujet plus élevé, plus digne d’exercer la force du génie? On m'a critiqué sans m’enten- dre ; que puis-je répondre? sinon que tout parle à des yeux attentifs , tout est indice pour ceux qui savent voir ; mais que rien n’est sensible, rien n'est clair pour le vulgaire, et même pour ce vulgaire savant qu'aveugle le préjugé. Tä- chons néanmoins de rendre la vérité plus pal- pable; àugmentons le nombre de probabilités ; rendons la vraisemblance plus grande ; ajou- tons lumières sur lumières , en réunissant les faits, en accumulant les preuves, et laissons- nous juger ensuite sans inquiétude et sans ap- pel : car j'ai toujours pensé qu'un homme qui écrit doit s'occuper uniquement de son sujet , et nullement de soi ; qu'il est contre la bien- séance de vouloir en occuper les autres, et que par conséquent les critiques personnelles doi- vent demeurer sans réponse. Je conviens que les idées de ce système peu- ventparaitre hypothétiques, étranges, etmème chimériques, à tous ceux qui, ne jugeant les choses que par le rapport de leurs sens , n’ont jamais conçu comment on sait que la terre n’est qu’une petite planète, renflée sur l’équateur et abaissée sous les pôles; à ceux qui ignorent comment on s’est assuré que tous les corps cé- lestes pèsent, agissent et réagissent les uns sur les autres; comment on a pu mesurer leur gran- deur, leur distance, leurs mouvements, leur pe- santeur, ete. : mais je suis persuadé que ces mêmes idées paraitront simples, naturelles , et même grandes , au petit nombre de ceux qui, par des observations et des réflexions suivies , sont parvenus à connaître les lois de l'univers, et qui, jugeant des choses par leurs propres lu- mières , les voient sans préjugé , telles qu’elles sont, ou telles qu’elles pourraient être : car ces deux points de vue sont à peu près les mêmes ; et celui qui, regardant une horloge pour la pre- mière fois , dirait que le principe de tous ses mouvements est un ressort, quoique ce fût un poids, ne se tromperait que pour le vulgaire, et 596 aurait, aux yeux du philosophe , expliqué la machine. Ce n’est donc pas que j'aie affirmé ni même positivement prétendu que notre terre et les planètes aient été formées nécessairement et réellement par le choc d’une comète, qui a pro- jeté hors du soleil la six cent cinquantième par- tie de sa masse : mais ce que j'ai voulu faire en- tendre, et ce que je maintiens encore comme hy- pothèse très-probable, c'est qu'une comète qui, dans son périhélie, approcherait assez près du soleil pour en effleurer et sillonner la surface, pourrait produire de pareils effets, et qu'il n’est pas impossible qu’il se forme quelque jour , de cette même manière, des planètes nouvelles, qui toutes circuleraientensemblecomme les planètes actuelles, dans le même sens , et presque dans un même plan autour du soleil; des planètes qui tourneraient aussi sur elles-mêmes, et dont la matière étant, au sortir du soleil, dans un état de liquéfaction , obéirait à la force centri- fuge, et s’élèverait à l'équateur en s’abaissant sous les pôles; des planètes qui pourraient de même avoir des satellites en plus ou moins grand nombre, circulant autour d’elles dans le plan de leurs équateurs, et dontles mouvementsseraient semblables à ceux des satellites de nos planètes : en sorte que tous les phénomènes de ces planè- tes possibles et idéales seraient (je ne dispas les mêmes), mais dans le même ordre, et dans des rapports semblables à ceux des phénomènes des planètes réelles. Et pour preuve, je demande seulement que l'on considère si le mouvement de toutes les planètes, dans le même sens, et presque dans lemême plan, ne suppose pas une impulsion commune? Je demande s’il y a dans l'univers quelque corps , excepté les comètes, qui ait pu communiquer ce mouvement d’im- pulsion? Je demande s’il n’est pas probable qu’il tombe de temps à autre des comètes dans le soleil, puisque celle de 1680 en a, pour ainsi dire, rasé la surface, et si, par conséquent, une telle comète , en sillonnant cette surface du so- leil, ne communiquerait pas son mouvement d'impulsion à une certaine quantité de matière qu'elle séparerait du corps du soleil, en la pro- jetant au dehors? Je demande si, dans ce tor- rent de matière projetée, il ne se formerait pas des globes par l'attraction mutuelle des parties, et si ces globes ne se trouveraient pas à des dis- tances différentes, suivant la différente densité des matieres, et si les plus légères ne seraient HISTOIRE NATURELLE. pas poussées plus loïn que les plus denses par la même impulsion ? Je demande si la situation de tous ces globes presque dans le même plan, n'indique pas assez que le torrent projeté n’é- tait pas d’une largeur considérable, et qu’il n’a- vait pour cause qu'une seule impulsion , puis- que toutes les parties de la matière dont il était composé ne se sont éloignées que très-peu de la direction commune ? Je demande comment et où la matière de la terre et des planètes aurait pu se liquéfier, si elle n’eût pas résidé dans le corps même du soleil; et si l’on peut trouver une cause de cette chaleur et de cet embrase- ment du soleil, autre que celle de sa charge, et du frottement intérieur produit par l’action de tous ces vastes corps quicirculentautour de lui? Enfin je demande qu’on examine tous les rap- ports , que l’on suive toutes les vues, que l’on compare toutes les analogies sur lesquelles j'ai fondé mes raisonnements , et qu’on se contente de conclure avec moi que , si Dieu l’eût permis, il se pourrait , par les seules lois de la nature, que la Terre et les planètes eussent été formées de cette même maniere. Suivons donc notre objet, et de ce temps qui a précédé les tempset s’est soustrait à notre vue, passons au premier âge de notre univers, où la terre et les planètes ayant recu leur forme, ont pris de la consistance, et de liquides sont deve- nues solides. Ce changement d'état s’est fait na- turellemeut et par le seul effet de la diminution de la chaleur : la matière qui compose le globe terrestre et les autres globes planétaires était en fusion lorsqu'ils ont commencé à tourner sur eux-mêmes; ils ont donc obéi, comme tout autre matière fluide, aux lois de la force centrifuge : les parties voisines de l’équateur, qui subissent le plus grand mouvement dans la rotation , se sont le plus élevées ; celles qui sont voisines des pôles, où ce mouvement est moindre ou nul, se sont abaissées dans la proportion juste et pré- cise qu’exigent les lois de la pesanteur, combi- nées avec celles de la force centrifuge ‘; et cette forme de la Terre et des planètes s'est conser- vée jusqu’à ce jour, et se conservera perpétuel- lement, quand même l’on voudrait supposer que le mouvement de rotation viendrait à s’accélé- rer, parce que la matière ayant passé de l’état de fluidité à celui de solidité, la cohésion des ‘ Voyez ci-après les additions et les notes justificatives des faits, EPOQUES DE parties suffit seule pour maintenir la forme pri- mordiale, et qu'il faudrait pour la changer quele mouvement de rotation prit une rapidité pres- que infinie, c’est-à-dire assez grande pour que l'effet de la force centrifuge devint plus grand que celui de la force de cohérence. Or, lerefroidissement'de la Terre et des pla- nètes, comme celui de tous les corps chauds, à commencé par la surface : les matières en fusion S’y sont consolidées dans un temps assez court, Dès que le grand feu dontelles étaient pénétrées s’est échappé, les parties de la matière qu'il te- nait divisées se sont rapprochées et réunies de plus près par leur attraction mutuelle; celles qui avaient assez de fixité pour soutenir la violence du feu ont formé des masses solides; mais celles qui, comme l'air et l’eau, se raréfient ou se volatilisent par le feu , ne pouvaient faire corps avec les autres ; elles en ont été séparées dans les premiers temps du refroidissement. Tous les éléments pouvant se transmuer et se convertir, l'instant de la consolidation des matières fixes fut aussi celui de la plus grande conversion des éléments et de la production des matières vola- tiles : elles étaient réduites en vapeurs et dis- persées au loin, formant autour des planètes une espèce d’atmosphère semblable à celle du soleil; car on sait que le corps de cet astre de feu est environné d’une sphère de vapeurs qui s’étend à des distances immenses , et peut-être jusqu'à l’orbe de la terre ‘. L'existence réelle de cette atmosphère solaire est démontrée par un phéno- mène qui accompagne les éclipses totales du so- leil. La lune en couvre alors à nos yeux le dis- que tout entier; et néanmoins l’on voit encore un limbe ou grand cercle de vapeurs, dont la lumière est assez vive pour nous éclairer à peu près autant que celle de la lune : sans cela, le globe terrestre serait plongé dans l’obscurité la plus profonde pendant la durée de l’éclipse to- tale. On a observé que cette atmosphère solaire est plus dense dansses parties voisines du Soleil, et qu’elle devientd'autant plusrareet plus trans- parente qu’elle s’étend et s'éloigne davantage du corps de cet astre de feu: l’on ne peut done pas douter que le soleil ne soit environné d’une sphère de matières aqueuses, aériennes et vola- tiles, que sa violente chaleur tient suspendues et reléguées à des distances immenses, et que, dans * Voyez les Mémoires de MM. Cassini, Facio, etc., sur la lu- mière zodiacale , et le Traité de M. de Mairan sur l'Aurore boréale ; pages 10 et suivantes. LA NATURE, 397 le moment de la projection des planètes, le tor- rent des matières fixes sorties du po à soleil n'ait, en traversant son atmosphère, entrainé une grande quantité de ces matières volatiles dont elle est composée ; et ce sont ces mêmes matières volatiles, aqueuses et aériennes, qui ont ensuite formé les atmosphères des planètes, lesquelles étaient semblables à l'atmosphère du soleil, tant que les planètes ont été, comme lui, dans un état de fusion ou de grande incan- descence. Toutes les planètes n'étaient donc alors que des masses de verre liquide, environnées d’une sphère de vapeurs. Tant qu'a duré cet état de fusion, et même longtemps après, les planètes étaient lumineuses par elles-mêmes, comme le sont tous les corps en incandescence ; mais à me- sure queles planètes prenaientde la consistance, elles perdaient de leur lumière : elles ne devin- rent tout à fait obscures qu'après s’être conso- lidées jusqu’au centre, et longtemps après la con- solidation de leur surface, comme l'on voit dans une masse de métal fondu la lumière et la rou- geur subsister très-longtemps après la consoli- dation de sa surface. Et dans ce premier temps où les planètes brillaient de leurs propres feux, elles devaient lancer des rayons, jeter des étin- celles, faire des explosions, et ensuite souffrir en se refroidissant, différentes ébullitions, à me- sure que l’eau, l’air et les autres matières qui ue peuvent supporter le feu, retombaient à leur surface : la production des éléments, et ensuite leur combat, n’ont pu manquer de reproduire des inégalités , des aspérités, des profondeurs, des hauteurs, des cavernes à la surface et dans les premières couches de l’intérieur de ces gran- des masses ; et c’est à cette époque que l’on doit rapporter la formation des plus hautes monta- gnes de la terre, de celles de la lune, et de tou- tes les aspérités ou inégalités qu’on aperçoit sur les planètes. Représentons-nous l’état et l'aspect de notre univers dans son premier âge : toutes les pla- nètes, nouvellement consolidées à la surface , étaient encore liquides à l’intérieur, et lancaient au dehors une lumière tres-vive ; ©’étaient au- tant de petits soleils détachés du grand , qui ne lui cédaient que par le volume, et dont la lu- mière et la chaleur se répandaient de même. Ce temps d’incandescence a duré tant que la pla- nète n’a pas été consolidée jusqu'au centre, c’est-à-dire environ deux mille neufcent trente- 398 six ans pour la terre, six cent quarante-quatre ans pour la lune, deux mille cent vingt-sept ans pour Mercure, onze cent trente ans pour Mars , trois mille cinq cent quatre-vingt-seize ans pour Vénus, cinq mille cent quarante ans pour Saturne, et neuf mille quatre cent trente- trois ans pour Jupiter !. Les satellites de ces deux grosses planètes, aussi bien que l'anneau qui environne Saturne, lesquels sont tous dans le plan de l'équateur de leur planète principale, avaient été projetés dans le temps de la liquéfaction par la force centrifuge de ces grosses planètes, qui tournent sur elles-mêmes avec une prodigieuse rapidité : la terre, dont la vitesse de rotation est d’envi- ron neuf mille lieues pour vingt-quatre heures, c’est-à-dire de six lieues un quart par minute, a, dans ce même temps, projeté hors d'elle les parties les moins denses de son équateur, les- quelles se sont rassemblées par leur attraction mutuelle à quatre-vingt-cinq mille lieues de dis- tance , où elles ont formé le globe de la lune. Je n'avance rien ici qui ne soit confirmé par le fait, lorsque je dis que ce sont les parties les moins denses qui ont été projetées, et qu’elles l'ont été de la région de l'équateur ; car l’on sait que la densité de la lune est à celle de la terre, comme sept cent deux sont à mille, c’est- à-dire de plus d’un tiers moindre; et l’on sait aussi que la lune circule autour de la terre dans un plan qui n’est éloignéquede vingt-troisdegrés de notre équateur, et que sa distance moyenne est d’environ quatre-vingt-cinq mille lieues. Dans Jupiter, qui tourne sur lui-même en dix heures, et dont la circonférence est onze fois plus grande que celle de la terre, et la vitesse de rotation de cent soixante-cinq lieues par mi- nute, cette énorme force centrifuge a projeté un grand torrent de matière de différents degrés de densité, dans lequel se sont formés les quatre satellites de cette grosse planète, dont l'un, aussi petit que la lune, n’est qu'à quatre-vingt-neuf mille cinq cents lieues de distance, c’est-à-dire presque aussi voisin de Jupiter que la lune l’est de la terre; le second, dont la matière était un peu moins dense que celle du premier, et qui est environ gros comme Mercure, s’est formé à cent quarante-un mille huit eents lieues; le troi- sième, composé de parties encore moins denses, * Voyez les recherches sur la température des planètes, premier et second Mémoires, HISTOIRE NATURELLE. et qui est à peu près grand comme Mars, s’est formé à deux cent vingt-cinq mille huit cents lieues ; et enfin le quatrième, dont la matière était la plus légère de toutes, a été projeté en- core plus loin, et ne s’est rassemblée qu’à trois cent quatre-vingt-dix-sept mille huit cent soixante-dix-sept lieues; et tous les quatre se trouvent, à très-peu près , dans le plan de l’é- quateur de leur planète principale, et circulent dans le même sens autour d’elle !. Au reste, la matière qui compose le globe de Jupiter est elle-même beaucoup moins dense que celle de la terre. Les planètes voisines du soleil sont les plus denses; celles qui en sont les plus. éloignées sont en même temps les plus légè- res : la densité de la terre est à celle de Jupiter comme mille sont à deux cent quatre-vingt douze; et il est à présumer que la matière qui compose ses satellites est encore moins dense que celle dont il est lui-même composé *. Saturne , qui probablement tourne sur lui- même encore plus vite que Jupiter, a non-seu- lement produit cinq satellites, mais encore un anneau qui, d’après mon hypothèse , doit être parallèle à son équateur, et qui l’environne comme un pont suspendu etcontinu à cinquante- quatre mille lieues de distance : cet anneau, beaucoupplus large qu’épais, estcomposé d’une matière solide, opaque et semblable à celle des satellites ; il s’est trouvé dans le mème état de fusion , et ensuite d’incandescence. Chacun de ces vastes corps a conservé cette chaleur primi- tive, en raison composée de leur épaisseur et de leur densité; en sorte que l’anneau de Saturne, qui parait être le moins épais de tous les corps célestes, est celui qui aurait perdu le premier sa chaleur propre , s’il n’eût pas tiré de très-grands suppléments de chaleur de Saturne même, dont il est fort voisin; ensuite la lune et les premiers satellites de Saturne et de Jupiter , qui sont les plus petits des globes planétaires, auraient perdu leur chaleur propre dans des temps toujours proportionnels à leur diamètre ; après quoi les plus gros satellites auraient de même perdu 1 M. Bailly a montré, par des raisons tres-plausibles, tirées du mouvement des nœuds dessatellites de Jupiter, que le pre- mer de ces satellites circule dans le plan même de l'équateur de cette planète , et que les trois autres ne s'en écartent pas d'un degré. Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1766. Saturne la même densité relative qui se trouve entre la terre et la lune, c'est-à-dire de mille à sept cent deux: Voyez le premier Mémoire sur la température des planètes. 2 J'ai, par analogie, donné aux satellites de Jupiler etde # E EPOQUES DE leur chaleur, et tous seraient aujourd’hui plus refroidis que le globe de la terre, si plusieurs d’entre eux n'avaient pas reeu de leur planète principale une chaleur immense dans les com- mencements : enfin les deux grosses planètes , Saturne et Jupiter, conservent encore actuelle- ment une très-grande chaleur en comparaison de celle de leurs satellites , et mème de celle du globe de la terre. Mars, dont la durée de rotation est de vingt- quatre heures quarante minutes, et dont la cir- . conférence n’est que treize vingt-cinquièmes de celle de la terre , tourne une fois plus lentement que le globe terrestre, sa vitesse de rotation n’é- tant guère que de trois lieues par minute; par conséquent sa force centrifuge a toujours été moindre de plus de moitié que celle du globe terrestre : c’est par cette raison que Mars, quoi- que moins dense que la terre dans le rapport de sept cent trente à mille, n’a point de satellite. Mercure, dont la densité est à celle de la terre comme deux mille quarante sont à mille, n’au- rait pu produire un satellite que par une force centrifuge plus que double de celle du globe de la Terre ; mais , quoique la durée de sa rotation n'ait pu être observée par les astronomes, il est plus que probable qu’au lieu d’être double de celle de la terre , elle est au contraire beaucoup moindre. Ainsi, l’on peut croire avec fondement que Mercure n’a point de satellite. Vénus pourrait en avoir un; car, étant un peu moins épaisse que la terre dans la raison de dix-sept à dix-huit, et tournant un peu plus vite dans le rapport de vingt-trois heu- res vingt minutes à vingt-trois heures cin- quante-six minutes, sa vitesse est de plus de six lieues trois quarts par minute, et par consé- quent sa force centrifuge d'environ un treizième plus grande que celle de la terre. Cette planète aurait done pu produire un ou deux satellites dans le temps de sa liquéfaction , si sa densité, plus grande que celle de la terre, dans la raison de mille deux cent soixante-dix à mille, c’est- à-dire de plus de cinq contre quatre, ne se fût pas vpposée à la séparation et à la projection de ses parties , même les plus liquides ; et ce pour- rait être par cette raison que Vénus n’aurait point de satellite, quoiqu'il y ait des observa- teurs qui prétendent en avoir aperçu un autour de cette planète. A tous ces faits que je viens d'exposer, on doit en ajouter un qui m'a été communiqué par LA NATURE. 399 M, Bailly, savant physicien-astronome, de l’A- cadémie des Sciences. La surface de Jupiter est, comme l’on sait, sujette à des changements sensibles, qui semblent indiquer que cette grosse planète est encore dans un état d’inconstance et de bouillonnement. Prenant done, dans mon système de l’incandescence générale et du re- froidissement des planètes, les deux extrêmes, c’est-à-dire Jupiter comme le plus gros, et la Lune comme le plus petit de tous les corps pla- nétaires, il se trouve que le premier, qui n’a pas eu encore le temps de se refroidir et de prendre consistance entière , nous présente à sa surface les effets du mouvement intérieur dont il est agité par le feu, tandis que la lune, qui, par sa petitesse, a dû se refroidir en peu de siècles, ne nous offre qu’un calme parfait, c’est-à-dire une surface qui est toujours la même, et sur laquelle l'on n’apercçoit ni mouvement ni changement. Ces deux faits, connus des astronomes , se joi- gnent aux autres analogies que j'ai présentées sur ce sujet, et ajoutent un petit degré de plus à la probabilité de mon hypothèse. Par la comparaison que nous avons faite de Ja chaleur des planètes à celle de la terre, on a vu que letemps de l’incandescence pour le globe terrestre a duré deux mille neuf cent trente-six ans; que celui de-sa chaleur, au point de ne pouvoir le toucher, a été de trente-quatre mille deux cent soixante-dix ans, ce qui fait en tout trente-sept mille deux cent six ans ; et que c’est là le premier moment de la naissance possible de la nature vivante. Jusqu’alors les éléments de l'air et de l’eau étaient encore confondus, et ne pouvaient se séparer ni s’appuyer sur la surface brülante de la terre, qui les dissipait en va- peurs; mais, dès que cette ardeur se fut attié- die, une chaleur bénigne et féconde succéda par degrés au feu dévorant qui s’opposait à toute production, et même à l'établissement des elé- ments. Celui du feu, dans ce premier temps, s’é- tait, pour ainsi dire , emparé des trois autres ; aueun n'existait à part : la terre, l’air et l’eau, pétris de feu et confondus ensemble, n’offraient, au lieu de leurs formes distinctes, qu'une masse brûlante environnée de vapeurs enflammées. Ce n’est donc qu'après trente-sept mille ans que les gens de la terre doivent dater les actes de leur monde et compter les faitsdelanature organisée, Il faut rapporter à cette première époque ce que j'ai écrit de l’état du ciel dans mes Mémoires sur la température des planètes. Toutes au 400 HISTOIRE NATURELLE. commencement étaient brillanteset lnmineuses; | Serail-ce parce que la somme du temps ne peut chacune formait un petit soleil !, dont la cha- leur et la lumière ont diminué peu à peu et se sont dissipées successivement dans le rapport | des temps , que j'ai ci-devant indiqué , d’après mes expériences sur le refroidissement des corps en général, dont la durée est toujours à très-peu près proportionnelle à leurs diamètres et à leur densité ?, Les planètes, ainsi que leurs satellites, sesont donc refroidies les unes plus tôt et les autres plus tard ; et, en perdant partie de leur chaleur, ! elles ont perdu toute leur lumière propre. Le soleil seul s’est maintenu dans sa splendeur, | parce qu'il est le seul autour duquel cireulent un assez grand nombre de corps pour en entre- tenir la lumière, la chaleur et le feu. Mais, sans insister plus longtemps sur ces objets, qui paraissent si loin de notre vue, ra- baissons-la sur le seul globe de la terre. Passons à la seconde époque, c’est-à-dire au temps où la matière qui le compose s'étant consolidée, a formé les grandes masses de matières vitres- cibles. Je dois seulement répondre à une espèce d’objection que l’on m'a déjà faite sur la très- longue durée des temps. Pourquoi nous jeter, m'a-t-on dit, dans un espace aussi vaguequ'une durée de cent soixante-huit mille ans? car, à la vuede votre tableau, laterre estàägée desoixante- quinze milleans, et la nature vivante doit sub- sister encore pendant quatre-vinet-treize mille ans : est-il aisé, est-il même possible de se for- mer une idée du tout, ou des parties d’une aussi longue suite de siècles ? Je n'ai d'autre réponse que l’exposition des monuments et la considé- ration des ouvrages de la nature : j’en donnerai le détail et les dates dans les époques qui vont suivre celle-ci, et l’on verra que, bien loin d’a- voir augmenté sans nécessité la durée du temps, je l'ai peut-être beaucoup trop raccourcie. Eh ! pourquoi l'esprit humain semble-t-il se perdre dans l’espace de la durée plutôt que dans celui de l'étendue, ou dans la considération des mesures , des poids et des nombres? Pourquoi cent mille ans sont-ils plus difficiles à concevoir et à compter que cent mille livres de monnaie? 4 Jupiter, lorsqu'il est le plus près de la terre, nous parait sous un angle de cinquante-neuf ou soixante secondes; il for- mait donc un soleil dont le diamètre n'était que treute-une fois pins petit que celui de notre soleil. ? Voyez le premier et le second Mémoire sur les progrès de la chaleur, et les recherches sur la température des planètes. se palper ni se réaliser en espèces visibles? ou plutôt n'est-ce pas qu'étant accoutumés par notre trop courte existence à regarder cent ans comme une grosse somme de temps, nous avons peine à nous former une idée de mille ans, et ne pou- vons plus nous représenter dix mille ans, ni même en concevoir cent mille? Le seul moyen est de diviser en plusieurs parties longues périodes de temps, de comparer par la vue de l'esprit la durée de chacune de ces parties avec les grands effets, et surtout avec les construc- tions de la nature, se faire des aperçus sur le nombre de siècles qu'il a fallu pour produire tous les animaux à coquilles dont la terre est remplie, ensuite sur le nombre encore plus grand des siè- cles qui se sont écoulés pour le transport et le dépôt de ces coquilles et de leurs détriments , enfin sur le nombre des autres siècles subsé- quents , nécessaires à la pétrification’ et au des- séchement de ces matières ; et dès lors on sen- tira que cette énorme durée de soixante-quinze mille ans , que j'ai comptée depuis la formation de la terre jusqu’à son état actuel , n’est pas en- core assez étendue pour tous les grands ouvra- ges de la nature, dont la construction nous dé- montre qu'ils n’ont pu se faire que par une succession lente de mouvements réglés et con- stants. Pour rendre cet apercu plus sensible, don- nons un exemple ; cherchons combien il a fallu de temps pour la construction d’une colline d’ar- gile de mille toises de hauteur. Les sédiments successifs des eaux ont formé toutes les cou- ches dont la colline est composée depuis la base jusqu’à son sommet. Or, nous pouvons juger du dépôt successif et journalier des eaux par les feuillets des ardoises ; ils sont si minces qu’on peut en compter une douzaine dans une ligne d'épaisseur. Supposons done que chaque marais dépose un sédiment d’un douzième de ligne d’é- paisseur, c’est-à-dire d’un sizième de ligne cha- que jour, le dépôt augmentera d’une ligne en six jours, de six lignes en trente-six jours, et, par conséquent, d’environ cinq pouces en un an ; ce qui donne plus de quatorze mille ans pour le temps nécessaire à la composition d’une col- line de glaise de mille toises de hauteur : ce temps paraîtra même trop court, si on le com- pare avec ce qui se passe sous nos Yeux Sur Cer- tains rivages de la mer, où elle dépose“des li- | mons et des argiles, comme sur les côtes de } : ÉPOQUES DE LA NATURE. 40i Normandie! : car le dépôt n’augmente qu’insen- siblement et de beaucoup moins de cinq pouces par an. Et si cette colline d'argile est couron- née de rochers calcaires, la durée du temps, que je réduis à quatorze mille ans , ne doit-elle pas être augmentée de celui qui a été nécessaire pour le transport des coquillages dont la colline est surmontée? et cette durée si longue n’a- t-elle pas encore été suivie du temps nécessaire à la pétrification et au desséchement de ces sé- diments, et encore d’un temps tout ausi long pour la figuration de la colline par angles sail- lants et rentrants? J'ai cru devoir entrer d'a- vance dans ce détail, afin de démontrer qu’au lieu de reculer trop loin les limites de la durée, je les ai rapprochées autant qu'il m'a été possi- ble, sans contredire évidemment les faits con- signés dans les archives de la nature. LE SECONDE ÉPOQUE. LORSQUE LA MATIÈRE , S'ÉTANT CONSOLIDÉE , A FORMÉ LA ROCHE INTÉRIEURE DU GLOBE, AINSI QUE LES GRANDES MASSES VITRESCIBLES QUI SONT A SA SURFACE. On vient de voir que, dans notre hypothèse, il a dû s’écouler deux mille neuf cent trente-six ans avant que le globe terrestre ait pu prendre toute sa consistance, et que sa masse entière se soit consolidée jusqu’au centre. Comparons les effets de cette consolidation du globe de la terre en fusion à ce que nous voyons arriver à une masse de métal ou de verre fondu , lorsqu'elle commence à se refroidir : il se forme à la sur- face de ces masses des trous, des ondes, des aspérités ; et au-dessous de la surface, il se fait des vides, des cavités, des boursouflures, les- quelles peuvent nous représenter iciles premie- res inégalités qui se sont trouvées sur la surface de la terre et les cavités de son intérieur : nous aurons dés lors une idée du grand nombre de montagnes, de vallées, de cavernes et d’anfrac- tuosités, qui se sont formées dès ce premier temps dans les couches extérieures de Ja terre. Notre comparaison est d'autant plus exacte, que les montagnes les plus élevées, que je suppose de trois mille ou trois mille cinq cents toises de hauteur, ne sont, par rapport au diamètre de la terre, que ce qu’un huitième de ligne est par * Voyez ci-après les notes jnstificatives des faits rapport au diamètre d’un globe de deux pieds. Ainsi, ces chaines de montagnes, qui nous pa- raissent si prodigieuses, tant par le volume que par la hauteur , ces vallées de la mer, qui sem- blent être des abîmes de profondeur, ne sont dans la réalité que de légères inégalités, propor- tionnées à la grosseur du globe, et qui ne pou- vaient manquer de se former lorsqu'il prenait sa consistance : ce sont des effets naturels pro- duits par une cause tout aussi naturelle et fort simple, c’est-à-dire par l’action du refroidisse- ment sur les matières en fusion lorsqu'elles se consolident à la surface. C’est alors que se sont formés les éléments par le refroidissement et pendant ses progrès : car, à cette époque, et même longtemps après, tant que la chaleur excessive a duré, il s’est fait une séparation et même une projection de toutes les parties volatiles, telles que l’eau, Pair etles autres substances que la grande chaleur chasse au dehors, et qui ne peuvent exister que dans une région plus tempérée que ne l’était alors la surface de la terre. Toutes ces matières vola- tiles s’étendaient donc autour du globe en fornie d’atmosphère à une grande distance où la chu- leur était moins forte, tandis que les matières fixes, fondues et vitrifiées , s'étant consolidées, formèrent la roche intérieure du globe et le noyau des grandes montagnes, dont les som- mets , les masses intérieures et les bases sont en effet composées de matières vitrescibles. Ainsi le premier établissement local des grandes chaines de montagnes appartient à cette seconde époque, qui a précédé de plusieurs siècles celle de la formation des montagnes calcaires , les- quelles n'ontexisté qu'après l'établissement des eaux, puisque leur composition suppose la pro- duction des coquillages et des autres substan- ces que la mer fomente et nourrit. Tant que la surface du globe n’a pas été refroidie au point de permettre à l’eau d’y séjourner sans s'exha- ler en vapeurs, toutes nos mers étaient dans l'atmosphère ; elles n’ont pu tomber et s’éta- blir sur la terre qu’au moment où sa surface s'est trouvée assez attiédie pour ne plus rejeter l’eau par une trop forte ébullition. Et ce temps de l'établissement des eaux sur la surface du globe n’a précédé que de peu de siècles le mo- ment où l’on aurait pu toucher cette surface sans se brüler; de sorte qu’en comptant soixante- quinze mille ans depuis la formation dela terre, et la moitié de ce temps pour son refroidisse- 26 402 ment au point de pouvoir la toucher, il s’est peut-être passé vingt-cinq mille des premières années avant que l’eau, toujours rejetée dans l'atmosphère, ait pu s'établir à demeure sur la surface du globe ; car, quoiqu'il y ait une assez grande différence entre le degré auquel l’eau chaude cesse de nous offenser et celui où elle entre en ébullition, et qu'il y ait encore une distance considérable entre ce premier degré d’ébullition et celui où elle se disperse sitbite- ment en vapeurs, on peut néanmoins assurer que cette différence de temps ne peut pas être plus grande que je l’admets ici. Ainsi, dans ces prémières vingt-cinq mille années, le globe terrestre, d’abord lumineux et chaud comme le soleil, n’a perdu que peu à peu sa lumière et son feu : son état d’incandes- cence a duré pendant deux mille neuf cent trente-six ans, puisqu'il a fallu ce temps pour qu'il ait été consolidé jusqu’au centre. Ensuite les matières fixes dont il est composé sont de- venues encore plus fixes en se resserrantde plus en plus par le refroidissement, elles ont pris peu à peu leur nature et leur consistance telle que nous la reconnaissons aujourd’hui dans la roche du globe et dans les hautes montagnes , qui ne sont en effet composées, dans leur inté- rieur et jusqu’à leur sommet, que de matières de la même nature'. Ainsi l’origine date de cette même époque. C’est aussi dans les premiers trente-sept mille ans que se sont formés, par la sublimation, toutes les grandes veines et les gros filons de mines où se trouvent les métaux. Les substan- ces métalliques ont été séparées des autres ma- tières vitrescibles par la chaleur longue et con- stante qui les a sublimées et poussées de l’inté- rieur de la masse du globe dans toutes les émi- nences de sa surface, où le resserrement des matières, causé par un plus prompt refroidisse- * ment, laissait des fentes et des cavités qui ont été incrustées et quelquefois remplies par ces substances métalliques que nous y trouvons au- jourd’hui”; car il faut, à l'égard de l’origine des mines, faire la même distinction que nous avons indiquée pour l'origine des matières vitresci- bles et des matières calcaires, dont les premie- res ont cté produites par l’action du feu, et les autres par l'intermède de l’eau. Dans les mines * Voyez ci-après les notes justificatives des faits. + Voyez ibidem. e HISTOIRE NATURELLE. € métalliques, les principaux filons, ou, si Yon veut, les masses primordiales, ont été produites par la fusion et par la sublimation , c’est-à-dire par l’action du feu; et les autres mines, qu’on doit regarder comme des filons secondaires et parasites, n’ont été produites que postérieure- ment par le moyen de l’eau. Ces filons princi- paux, qui semblent présenter les troncs des ar-n . bres métalliques , ayant tous été formés, soit par la fusion, dans le temps du feu primitif, soit par la sublimation , dans les temps subsé- quents, ils se sont trouvés et setrouvent encore aujourd’hui dans les fentes perpendiculaires des hautes montagnes ; tandis que c’est au pied de ces mêmes montagnes que gisent les petits fi- lons que l’on prendrait d’abord pour les ra- meaux de ces arbres métalliques, mais dont l'o- rigine est néanmoins bien différente : car ces mines secondaires n’ont pas été formées par le feu , elles ont été produites par l’action succes- sive de }’ eau qui , dans des temps postérieurs aux premiers , a détaché de ses anciens » des particules minérales qu’elle a chamMées et déposées sous différentes formes, et toujours au-dessus des filons primitifs !. ® . Ainsi la production de ces mines secondäifes étant bien plus récente que celle des mines pri- mordiales, et supposant le concours et l'inter- mède de l’eau, leur formation doit, comme celle des matières calcaires, se rapporter à des épo- ques subséquentes, c'est-à-dire au temps où, la chaleur brülante s'étant attiédie, la tempéra- ture de la surface de la terre a permis aux eaux de s’établir, et ensuite au tempsoù, ces mêmes eaux ayant laissé nos continents à découvert , les vapeurs ont commencé à se condenser con- tre les montagnes pour y produire des sources d’eau courante. Mais, avant ce second et ce troi- sième temps, il y a eu d’autres grands eme que nous devons indiquer. Représentons-nous, s’il est possible, l'aspect qu’offrait la Terre à cette seconde époque, c'est- à-dire immédiatement après que sa surface eut pris de la consistance, et avant que la grande chaleur permit à l’eau d’y séjourner ni même de tomber de l’atmosphère. Les plaines , les mon- tagnes, ainsi que l’intérieur du globe étaient également et uniquement composés dematières fondues par le feu , toutes vitrifiées , toutes de la même nature. Qu’ on se figure pour un instant 1 Voyez ci-après les notesjustificatives des faits. . js Vp ÉPOQUES DE la surface actuelle du globe , dépouillée de tou- tes ses mers, de toutes ses collines calcaires , ainsi que de toutes ses couches horizontales de pierre, de craie, de tuf, deterre végétale , d’ar- gile, en un mot de toutes les matières liqui- des ou solides qui ont été formées ou déposées par les eaux : quelle serait cette surface après l'enlèvement de ces immenses déblais? Ilne res- terait que le squelette de la terre, c’est-à-dire la roche vitrescible qui en constitue la masse ins térieure ; il resterait les fentes perpendiculaires produites dans le temps de la consolidation , augmentées , élargies par le refroidissement ; il resterait les métaux et les minéraux fixes qui, séparés de la roche vitrescible par l’action du feu , ont rempli par fusion ou par sublimation les fentes perpendiculaires de ces prolongements de la roche intérieure du globe ; et enfin il res- terait les trous , les anfractuosités et toutes les cavités intérieures de cette roche, qui en est la base , etqui sert de soutien à toutes les matières terrèstres amenéés ensuite par les eaux. Et comme ces fentes occasionnées par le re- froidissement coupent et tranchent le plan ver- tical des montagnes, non-seulement de haut en bas, mais dedevant en arrière ou d’un côté à l’au- tre , et que dans chaque montagne elles ontsuivi _ la direction générale de sa première forme, il en a résulté que les mines , surtout celles des métaux précieux , doivent se chercher à la bous- sole, en suivant toujours la direction qu'indique la découvertedu premier filon ; car dans chaque montagne les fentes perpendiculaires qui la tra- versent sont à peu près parallèles : néanmoins iln’en faut pas conclure , comme l’ont fait quel- ques minéralogistes , qu’on doive toujours cher- cher les métaux dans la même direction , par exemple, sur la ligne de onze heures ou sur celle de midi; car souvent une mine de midi ou de onze heures se trouve coupée par un filon de huit ou neufheures, ete., quiétend des rameaux sous différentes directions ; et d’ailleurs on voit que, suivant la forme différente de chaque mon- tagne, les fentes perpendiculaires la traversent à la vérité parallèlement entre elles , mais que leur direction, quoique commune dans le même lieu , n’a rien de commun avec la direction des fentes perpendiculaires d’une autre montagne, à moins que cette seconde montagne ne soit pa- rallèle à la première. . Les métaux et la plupart des minéraux mé- M æ Malliques sont donc l'ouvrage du feu , puisqu'on LA NATURE. 403 ne les trouve que dans les fentes de la roche vi- trescible, et que, dans ces mines primordiales, - l’on ne voit jamais ni coquilles ni aucun autre débris de la mer mélangés avec elles. Les mines secondaires qui se trouvent au contraire, et en petite quantité, dans les pierres calcaires, dans les schistes, dans les argiles, ont été formées postérieurement aux dépens des premières, et par l’intermede de l’eau. Les paillettes d’or et d'argent que quelques rivières charrient vien- | uent certainement de ces premiers filons mé- talliques renfermés dans les montagnes supé- rieures : des particules métalliques encore plus petites et plus ténues peuvent, en se rassem- blant, former de nouvelles petites mines des mêmes métaux ; mais ces mines parasites qui prennent mille formes différentes appartien- nent, comme je l’ai dit, à des temps bien moder- nes en comparaison de celui de la formation des premiers filons qui ont été produits par l’action du feu primitif. L’or et l’argent, qui peuvent demeurer très-longtemps en fusion sans être sensiblement altérés, se présentent souvent sous leur forme native : tous les autres métaux ne se présentent communément que sous une forme minéralisée, parce qu'ils ont été formés plus tard par la combinaison de l’air et de l’eau qui sont entrés dans leur composition. Au reste, tous les métaux sont susceptibles d’être volatili- sés par le feu à différents degrés de chaleur, en sorte qu’ils se sontsublimés successivement pen- dant le progrès du refroidissement. - On peut penser que, s’il se trouve moins de mines d’or et d'argent dans les terres septentrio- nales que dans ies contrées du midi, c’est que communément il n’y a dans les terres du nord que de petites montagnes en comparaison de celles des pays méridionaux : la matière primi- tive, c’est-à-dire la roche vitreuse dans laquelle seule se sont formés l'or et l'argent, est bien plus abondante, bien plus élevée, bien plus dé- couverte dans les contrées du midi. Ces métaux précieux paraissent être le produit immédiat du feu : les gangues et les autres matières qui les accompagnent dans leur mine sont elles-mêmes des matières vitrescibles ; et, comme les veines | deces métaux se sont formées soit par la fu- sion, soit par la sublimation, dans les premiers temps du refroidissement, ils se trouvent en plus grande quantité dans les hautes montagnes du midi. Les métaux moins parfaits, tels que le fer et le cuivre, qui sont moins fixes au feu, 404 HISTOIRE NATURELLE. parce qu'ils contiennent des matières que le feu peut volatiliser plus aisément, se sont formés dans des temps postérieurs : aussi les trouve- t-on en bien plus grande quantité dans les pays du nord que dans ceux du midi. Il semble même que la nature ait assigné aux differents climats du globe les différents métaux; l'or et l'argent aux régions les plus chaudes ; le fer et le cuivre aux pays les plus froids, et le plomb et l'étain aux contrées tempérées. I1 semble de même qu’elle ait établi l'or et l'argent dans les plus hautes montagnes, le fer et le cuivre dans les montagnes médiocres, et le plomb et Pétain dans les plus basses. Il paraît encore que, quoi- que ces mines primordiales des différents mé- taux se trouvent toutes dans la roche vitresci- ble, celles d'or et d’argent sont quelquefois mélangées d’autres métaux ; que le fer et le cuivre sont souvent accompagnés de matières qui supposent l'intermède de l’eau, ce qui sem- ble prouver qu’ils n’ont pas été produits en même temps ; et, à l'égard de l’etain, du plomb et du mercure, il y a des différences qui sem- blent indiquer qu’ils ont été produits dans des temps très-différents. Le plomb est le plus vi- | trescible de tous les métaux, et l’étain l’est le moins ; le mereure est le plus volatil de tous, et cependant il ne differe de l'or, qui est le plus fixe de tous, que par le degré de feu que leur sublimation exige; car l'or ainsi que tous les | autres métaux peuvent également être volatilisés | par une plus ou moins grande chaleur. Ainsi, | tous les métaux ont été sublimés ou volatilisés | successivement, pendant le progrès du refroi- dissement. Et, comme il ne faut qu’une très-lé- gère chaleur pour volatiliser le mercure, et qu'une chaleur médiocre suffit pour fondre l’é- tain et le plomb, ces deux métaux sont demeu- rés liquides et coulants bien plus longtemps que les quatre premiers ; et le mercure l’est encore, parce que la chaleur actuelle de laterre est plus que suffisante pour le tenir en fusion : il ne de- viendra solide que quand le globe sera refroidi d'uncinquièmede plus qu'ilne l’est aujourd’hui, puisqu'il faut cent quatre-vingt-dix-sept degrés au-dessous de la température actuelle de la terre pour que ce métal fluide se consolide ; ce qui fait à peu près la cinquième partie des mille degrés au-dessous de la congélation. Le plomb, l'étain et le mercure ont donc: coulé successivement, par leur fluidité, dans les parties les plus basses de la roche du globe, ct ils ont été, comme tousles autres métaux, su- blimés dans les fentes des montagnes élevées. Les matières ferrugineuses qui pouvaient sup- porter une très-violente chaleur sans se fondre assez pour couler ont formé, dans les pays du nord , des amas métalliques si considérables , qu'il s'y trouve des montagnes entières de fer‘, c’est-à-dire d’une pierre vitrescible ferrugineuse, qui rend souvent soixante-dix livres de fer par quintal : ce sont là les mines de fer primitives; elles occupent de très-vastes espaces dans les contrées de notre nord; et leur substance né- tant que du fer produit par l’action du feu , ces mines sont demeurées susceptibles de l’attrac- tion magnétique, comme le sont toutes les ma- tières ferrugineuses qui ont subi le feu. L'aimant est de cette même nature ;: ce n’est qu’une pierre ferrugineuse dont il se trouve de grandes masses et même des montagnes dans quelques contrées, et particulièrement dans cel- les de notre nord ? : c’est par cette raison que l'aiguille aimantée se dirige toujours vers ces contrées où toutes les mines de fer sont magné- tiques. Le magnétisme est un effet constant de l'électricité constante produite par la chaleur intérieure et par la rotation du globe ; mais s’il dépendait uniquement de cette cause générale , l'aiguille aimantée pointerait toujours, et par- tout, directement au pôle : or, les différentes dé- clinaisons, suivant les différents pays , quoique sous le même parallèle , démontrent que le ma- gnétisme particulier des montagnes de fer et d’aimant influe considérablement sur la direc- tion de l'aiguille, puisqu'elle s’écarte plus ou | moins à droite ou à gauche du pôle , selon le | lieu où elle se trouve, et selon la distance plus ou moins grande de ces montagnes de fer. Mais revenons à notre objet principal , à la | topographie du globe antérieure à la chute des eaux, Nous n’avonsque quelques indices encore subsistants de la première forme de sa surface ; les plus hautes montagnes , composées de ma- tières vitrescibles, sont les seuls témoins de cet ancien état ; elles étaient alors encore plus éle- vées qu’elles ne le sont aujourd’hui ; car depuis | ce temps, et après l'établissement des eaux, les mouvements de la mer, et ensuite les pluies, les | vents, les gelées , les courants d’eau, la chute | des torrents , enfin toutes les injures des été- 1 Voyez ci-après les notes justificatives des faits. ? Voyez ibidem. ÉPOQUES DE ments de l'air et de l’eau, et les secousses des mouvements souterrains, n'ont pas cessé de les dégrader, de les trancher, et même d’en renver- ser les parties les moins solides ; et nous ne pou- vons douter que les vallées qui sont au pied de ces montagnes ne fussent bien plus profon- des qu’elles ne le sont aujourd'hui. Tächons de donner un apereu plutôt qu'une énumération de ces éminences primitives du globe. 1° La chaine des Cordilières ou des mon- tagnes de l'Amérique, qui s'étend depuis la pointe de la terre de Feu jusqu’au nord du nou- veau Mexique, et aboutit enfin à des régions septentrionales que l’on n’a pas encore recon- nues, On peut regarder cette chaîne de monta- gnes comme continue dans une longueur de plus de cent vingt degrés, c’est-à-dire de trois mille lieues ; car le détroit de Magellan n’est qu’une coupure accidentelle et postérieure à l’établisse- ment local de cette chaine, dont les plus hauts sommets sont dans la contrée du Pérou , et se rabaissent à peu près également vers le nord et vers le midi : c’est donc sous l’équateur même que se trouvent les parties les plus élevées de cette chaine primitive des plus hautes monta- gnes du monde; et nous observerons , comme chose remarquable, que de ce point de l’équa- teur elles vont en se rabaissant à peu près éga- lement vers le nord et vers le midi, et aussi qu’elles arrivent à peu près à la même distance, | c’est-à-dire à quinze cents lieues de chaque côté de l’équateur ; en sorte qu’il ne reste, à chaque | extrémité de cette chaine de montagnes, qu’en- viron trente degrés, c’est-à-dire sept cent cin- quante lieues de mer ou de terre inconnue vers | le pôle austral, et un égal espace dont on a re- connu quelques côtes vers le pôle boréal. Cette chaîne n’est pas précisément sous le même mé- ridien, et ne forme pas une ligne droite ; elle se courbe d’abord vers l’est, depuis Baldivia jus- qu'à Lima, et sa plus grande déviation se trouve sous le tropique du Capricorne; ensuite elle avance vers l’ouest, retourne à l'est, auprès de Popayan, et de là se courbe fortement vers l'ouest, depuis Panama jusqu’à Mexico ; après quoi elle retourne vers l’est, depuis Mexico jus- qu’à son extrémité, qui est à trente degrés du pôle , etaui aboutit à peu près aux iles décou- vertes par de Fonté. En considérant la situation de cette longue suite de montagnes, on doit ob- server encore, comme chose très-remarquable, qu’elles sont toutes bien plus voisines des mers LA NATURE. 403 de l'occident que de celles de l’orient. 2° Les montagnes d'Afrique, dont la chaine principale, appelée par quelques auteurs /’ Épine dumonde, est aussi fort élevée, et s'étend du sud au nord, comme celle des Cordilières en Amérique. Cette chaine, qui forme en effet l'épine du dos de l'Afrique , commence au cap de Bonne-Espé- rance , et court presque sous le même méridien jusqu’à la mer Méditerranée , vis-à-vis la pointe de la Morée. Nous observerons encore, comme chose très-remarquable, que le milieu de cette grande chaine de montagnes, longue d'environ quinze cents lieues, se trouve précisément sous l'équateur, comme le point milieu des Cordi- lières ; en sorte qu'on ne peut guère douter que les parties les plus élevées des grandes chaines de montagnes, en Afrique et en Amérique, ne se trouvent également sous l'équateur. Dans ces deux parties du monde, dont l’é- quateur traverse assez exactement les conti- nents , les principales montagnes sont donc di- rigées du sud au nord ; mais elles jettent des branches très-considérables vers lorient et vers loccident. L'Afrique est traversée de l’est à l'ouest par une longue suite de montagnes , de- puis le cap Gardafui jusqu'aux îles du cap Vert : le mont Atlas la coupe aussi d’orient en occi- dent. En Amérique, un premier rameau des Cordilieres traverse les terres Magellaniques de l’est à l'ouest ; un autre s’étend, à peu près dans la même direction, au Paraguay et dans toute la largeur du Brésil ; quelques autres branches s'étendent depuis Popayan , dans la Terre-Fer- me, et jusque dans la Guyane : enfin, si nous suivons toujours cette grande chaîne de monta- gnes , il nous paraîtra que la péninsule d'Yuca- tan, les iles de Cuba, de la Jamaïque , de Saint- Domingue, Porto-Rico et toutes les Antilles, n’en sont qu’une branche qui s’étend du sud au nord, depuis Cuba et la pointe de la Floride jus- qu'aux lacs de Canada, et de là court de l’est à l’ouest pour rejoindre l’extrémité des Cordilie- res , au delà des lacs Sioux. 3° Dans le grand | continent de l'Europe et de l’Asie, qui non-seu- | lement n’est pas, comme ceux de l'Amérique et de l’Afrique, traversé par l'équateur, mais en est même fort éloigné, les chaînes des principa- les montagnes , au lieu d'être dirigées du sud au nord , le sont d’occident en orient. La plus longue de ces chaines commence au fond de l'Espagne, gagneles P yrénées, s'étend en France par l'Auvergne et le Vivarais, passe ensuite par 406 les Alpes, en Allemagne, en Grèce, en Crimée, et atteint le Caucase, le Taurus , l’Imaüs, qui environnent la Perse, Cachemire et le Mogol au nord, jusqu'au Thibet, d'où elle s'étend dans la Tartarie chinoise et arrive vis-à-vis la terre d’Yeço. Les principales branches que jette cette chaine principale sont dirigées du nord au sud en Arabie , jusqu’au détroit de la mer Rouge ; dans l’Indostan, jusqu'au cap Comorin; du Thibet, jusqu’à la pointe de Malaca. Ces bran- ches ne laissent pas de former des suites de montagnes particulières dont les sommets sont fortélevés. D'autre côté, cette chaine principale jette du sud au nord quelques rameaux qui s’é- tendent depuis les Alpes du Tyrol jusqu’en Po- logne; ensuite depuis le mont Caucase jusqu’en Moscovie,et depuis Cachemire jusqu’en Sibérie; et ces rameaux , qui sont du sud au nord de la chaine principale, ne présentent pas des mon- tagnes aussi élevées que celles des branches de cette même chaine qui s'étendent du nord au sud. Voilà donc à peu près la topographie de la surface de la Terre, dans le temps de notre se- conde époque, immédiatement après la consoli- dation de la matière. Les hautes montagnes que nous venons de désigner sont les éminences pri- mitives, c’est-à-dire les aspérités produites à la surface du globe au moment qu’il a pris sa con- sistance ; elles doivent leur origine à l’effet du feu, et sont aussi, par cette raison, composées, dans leur intérieur et jusqu’à leurs sommets, de matières vitrescibles : toutes tiennent, par leur base, à la roche intérieure du globe , qui est de mêmenature. Plusieurs autres éminences moins élevées ont traversé, dans cemême temps et presque en tout sens, la surface de la Terre, et l’on peut assurer que, dans tous les lieux où l’on trouve des montagnes de roc vifoudetoute autre matière solide ou vitrescible, leur origine et leur établissement local ne peuvent être attri- bués qu’a l’action du feu et aux effets de la con- solidation, qui ne se fait jamais sans laisser des inégalités sur la surperficie de toute masse de matière fondue. En même temps que ces causes ont produit des éminences et des profondeurs à la surface de la Terre, elles ont aussi formé des boursou- flures et des cavités à l’intérieur, surtout dans les couches les plus extérieures. Ainsi le globe, dès le temps de cette seconde époque, lorsqu'il eut pris sa consistance, et avant que les eaux HISTOIRE NATURELLE. n’y fussent établies, présentait une surface hé- rissée de montagnes et sillonnée de vallées : mais toutes les causes subséquentes et posté- rieures à cette époque ont coucouru à combler toutes les profondeurs extérieures et même les cavités intérieures. Ces causes subséquentes ont aussi altéré presque partout la forme de ces inégalités primitives; celles qui ne s’élevaient qu'à une hauteur médiocre ont ur la plu- part, recouvertes dans la sui les sédi- ments des eaux, et toutes ont vironnées à leurs bases , jusqu’à de grandes hauteurs , de ces mêmes sédiments. C’est par cette raison que nous n'avons d’autres témoins apparents de la première forme de la surface de la terre, que les montagnes composées de matières vitresci ; dont nous venons de faire l’énumération: ce- pendant ces témoins sont sûrs et suffisants; car, comme les plus hauts sommets de ces pre- mières montagnes n'ont peut-être jamais été surmontés par les eaux, ou du moins qu'ils ne l'ont été que pendant un petit temps, attendu qu'on n’y trouve aucun débris des productions marines, et qu'ils ne sont composés que de ma- tières vitrescibles , on ne peut pas douter qu'ils ne doivent leur origine au feu, et que ces émi- nences , ainsi que la roche intérieure du globe, ne fassent ensemble un corps continu de même nature, c’est-à-dire de matière vitrescible, dont la formation a précédé celle de toutes les autres matières. En tranchant le globe par l’équateur et com- parant les deux hémisphères, on voit que celui de nos continents contient à proportion beau- coup plus de terre que l’autre; car Asie seule est plus grande que les parties de l'Amérique, de l'Afrique , de la Nouvelle-Hollande, et de tout ce qu’on a découvert de terres au delà: HI y avait done moins d’éminences et d’aspérités sur l'hémisphère austral que sur le boréal, dès le temps même de la consolidation de la Terre, et si l’on considère pour un instant ce gisement général des terres et des mers, on reconnaîtra que tous les continents vont en se rétrécissant du côté du midi, et qu’au contraire toutes les mers vont en s’élargissant vers ce même côté du midi. La pointe étroite de l'Amérique méri- dionale, celle de Californie, celle du Groënland, la pointe de l’Afrique, celles des deux presqu’i- - les de l'Inde , et enfin celle de la Nouvelle-Hol- lande, démontrent évidemment ce rétrécisse- ment des terres et cet élargissement des mers - . ÉPOQUES DE LA NATURE. vers les régions australes. Cela semble indiquer que la surface du globe a eu originairement de plus profondes vallées dans l'hémisphère aus- tral, et des éminences en plus grand nombre dans l’hémisphère boréal. Nous tirerons bientôt quelques inductions de cette disposition générale des continents et des mers. La Terre, avant d’avoir recu les eaux, était donc irrégulièrement hérissée d’aspérités , de profondeurs et d’inégalités semblables à celles que nous voyons sur un bloc de métal ou de verre fondu ; elle avait de même des boursou- flures et des cavités intérieures, dont l’origine, comme celle des inégalités extérieures, ne doit être attribuée qu'aux effets de la consolidation. Les plus grandes éminences , les profondeurs extérieures et les cavités intérieures, se sont trouvées dès lors et se trouvent encore aujour- d’hui sous l'équateur, entre les deux tropiques, parceque cette zone de la surface du globe est la dernière qui s’est consolidée, et que c’est dans cette zone où le mouvement de rotation étant le plus rapide, il aura produit les plus grands effets; la matière en fusion s’y étant élevée plus que partout ailleurs et s'étant refroidie la dernière, il a dù s’y former plus d’inégalités que dans toutes les autres parties du globe où le mouvement de rotation était plus lent et le | refroidissement plus prompt. Aussi trouve-t-on sous cette zone les plus hautes montagnes, les mers les plus entrecoupées, semées d’un nom- bre infini d’iles , à la vue desquelles on ne peut douter que dès son origine cette partie de la Terre ne füt la plus irrégulière et la moins so- lide de toutes ". Et, quoique la matière en fusion ait dû arriver également des deux pôles pour renfler l’équa- teur, il parait, en comparant les deux hémi- sphères, que notre pôle enæun peu moins fourni que l’autre, puisqu'il y a beaucoup plus de terre et moins de mer depuis le tropique du * Cancer au pôle boréal, et qu’au contraire il ya beaucoup plus de mers et moins de terres de- puis celui du Capricorne à l’autre pôle. Les plus profondes vallées se sont donc formées dans les zones froides et tempérées de l’hémisphère austral, et les terres les plus solides et les plus | élevées se sont trouvées dans celles de 1’hémi- sphère septentrional. Le globe était alors, comme il est encore au Voyez ci-après les notes justificatives des fails. 407 | jourd’hui, renflé sur l'équateur, d'une épaisseur de près de six lieues un quart; mais les couches superficielles de cette épaisseur y étaient à l’in- térieur semées de cavités, et coupées à l’exté- rieur d'éminences et de profondeurs plus gran- des que partout ailleurs : le reste du globe était sillonné et traversé en différents sens par des aspérités toujours moins élevées à mesure qu’elles approchaïient des pôles ; toutes n’étaient composées que de la même matière fondue,dont est aussi composée la roche intérieure du globe; toutes doivent leur origine à l’action du feu pri- mitif et à la vitrification générale. Ainsi la sur- face de la Terre , avant l'arrivée des eaux , ne présentait que ces premières aspérités qui for- ment encore aujourd’hui les noyaux de nos plus hautes montagnes ; celles qui étaient moins éle- vées, ayant été dans la suite recouvertes par les sédiments des eaux et par les débris des pro- ductions de la mer, elles ne nous sont pas aussi évidemment connues que les premières : on trouve souvent des bancs calcaires au-dessus des rochers de granite, de roc vif et des autres masses de matières vitrescibles; mais l’on ne voit pas des masses de roc vif au-dessus des bancs calcaires. Nous pouvons donc assurer, sans crainte de nous tromper, que la roche du globe est continue avec toutes les éminences hautes et basses qui se trouvent être de lamèême | nature , c’est-à-dire de matières vitrescibles : ces éminences font masse avec le solide du globe : elles n’en sont que de très-petits prolon- gements , dont les moins élevés ont ensuite été recouverts par les scories de verre, les sables, les argiles, et tous les débris des productions de la mer amenés et déposés par les eaux, dans les temps subséquents , qui font l’objet de notre troisième Époque. TROISIÈME ÉPOQUE. LORSQUE LES EAUX ONT COUVERT NOS CONTINENTS. À la date de trente ou trente-cinq mille ans dela formation des planètes, la Terre setrouvait assez attiédie pour recevoir les eaux sans les | rejeter en vapeurs. Le chaos de l'atmosphère avait commencé de se débrouiller : non-seule- ment les eaux, mais toutes les matières volatiles que la trop grande chaleur y tenait relésuées et suspendues tombèrent successivement; elles 108 remplirent toutes les profondeurs, couvrirent toutes les plaines, tous les intervalles qui se trouvaient entre les éminences de la surface du globe, et même elles surmontèrent toutes celles qui n'étaient pas excessivement élevées. On a des preuves évidentes que les mers ont couvert le continent de l’Europe jusqu’à quinze cents toises au-dessus du niveau de la mer actuelle !, puisqu'on trouve des coquilles et d’autres pro- ductions marines dans les Alpes et dans les Pyrénées jusqu’à cette même hauteur. On a les mêmes preuves pour les continents de l’Asie et de l'Afrique; et même dans celui de l'Améri- que, où les montagnes sont plus élevées qu’en Europe, on a trouvé des coquilles marines à plus de deux mille toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer du Sud. Il est done certain que, dans ces premiers temps , le diametre du globe avait deux lieues de plus , puisqu'il était enveloppé d’eau jusqu'à deux mille toises de hauteur. La surface de la terre en général était done beaucoup plus élevée qu’elle ne l'est au- jourd’hui : et pendant une longue suite de temps les mers l'ont recouverte en entier, à l'exception peut-être de quelques terres très-élevées et des sommets des hautes montagnes qui seuls surmontaient cette mer universelle, dont lélé- yation était au moins à cette hauteur où l’on cesse de trouver des coquilles : d’où l’on doit inférer que les animaux auxquels ces dépouilles ont appartenu peuvent être regardés comme les premiers habitants du globe; et cette population était innombrable, à en juger par l’immense quantité de leurs dépouilles et de leurs détri- ments, puisque c’est de ces mêmes dépouilles et de leurs détriments qu'ont été formées toutes les couches des pierres calcaires, des marbres, des craies et des tufs qui composent nos collines et qui s'étendent sur de grandes contrées dans toutes les parties de la terre. Or, dans les commencements deceséjour des eaux sur la surface du globe, n’avaient-ellespas un degré de chaleur que nos poissons et nos coquillages actuellement existants n'auraient pu supporter? etne devons-nous pas présumer que les premières productions d’une mer encore bouillante étaient différentes de celles qu’elle nous offre aujourd’hui? Cette grande chaleur ne pouvait convenir qu’à d'autres natures de co- quillages et de poissons; et par conséquent 1 Voyez ci-après les notes justificatives des faits. HISTOIRE NATURELLE. H c’est aux premiers temps de cette époque, c’est- à-dire depuis trente jusqu’à quarante milleans den la formation de la terre, que l’on doit rapporter l'existencedes espèces perdues, donton netrouve nulle part les analogues vivants. Ces premières espèces, maintenant anéanties, ont subsisté pendant les dix ou quinze mille ans qui ont suivi le temps auquel les eaux venaient de s'établir. Et l’on ne doit point être étonné de ce que j'avance ici, qu’il y a eu des poissons et d’autres animaux aquatiques capables de supporter un degré de chaleur beaucoup plus grand que celui de la température actuelle de nos mers méridio- nales, puisque, encore aujourd’hui, nous con- naissons des espèces de poissons et de plantes qui vivent et végètent dans des eaux presque bouillantes, ou du moins chaudes jusqu’à ein- quante et soixante degrés ! du thermomètre. Mais pour ne pas perdre le fil des grands et nombreux phénomènes que nous avons à expo- ser, reprenons ces temps antérieurs où les eaux, jusqu'alors réduites en vapeurs, se sont conden- sées et ont commencé de tomber sur la Terre brülante, aride, desséchée, crevassée par le feu. Tâchons de nous représenter les prodigieux ef- fets qui ont accompagné et suivi cette chute pré- cipitée des matières volatiles, toutes séparées, combinées, sublimées dans le temps de la con- solidation et pendant le progrès du premier re- froidissement. La séparation de l'élément del’air et de l'élément de l’eau, le choc des vents et des flots qui tombaient en tourbillons sur une terre fumante; la dépuration de l'atmosphère, qu'au- paravant les rayons du soleil ne pouvaient pé- nétrer; cette même atmosphère obseurcie de nouveau par les nuages d’une épaisse fumée ; la cohobation mille fois répétée et le bouillon- nement continuel des eaux tombées et rejetées alternativement; enfin la lessive de l'air, par l'abandon des matières volatiles précédem- ment sublimées, qui toutes s’en séparèrent et descendirent avec plus ou moins de précipita- tion : quels mouvements, quelles tempêtes ontdû précéder, accompagner et suivre l'établissement local de chacun de ces éléments! Et ne devons- nous pas rapporter à ces premiers moments de choc et d'agitation les bouleversements, les premières dégradations, les irruptions et les changements qui ont donné une seconde forme à la plus grande partie de la surface de la terre? Il est aisé de sentir que les eaux qui la cou- ! Voyez ci-après les notes juslihicatives des faits. ÉPOQUES DE vraient alors presque tout entière, étant con- tinuellement agitées par la rapidité de leur chute, par l’action de la Lune sur l'atmosphère etsur les eaux déjà tombées, par la violence des vents, ete., auront obéi à toutes ces impulsions, et que dans leurs mouvements elles auront com- mencé par sillonner plus à fond les vallées de la Terre, par renverser les éminences les moins solides, rabaisser les crêtes des montagnes, percer leurs chaines dans les points les plus fai- bles ; et qu'après leur établissement ces mêmes eaux se seront ouvert des routes souterraines , qu’elles ont miné les voûtes des cavernes, les | ont fait écrouler, et que par conséquent ces : mêmes eaux se sont abaissées successivement pour remplir les nouvelles profondeurs qu’elles venaient de former. Les cavernes étaient l’ou- vrage du feu : l'eau dès son arrivée a commencé par les attaquer ; elle les a détruites, et continue de les détruire encore. Nous devons done attri- buer l’abaissement des eaux à l’affaissement des cavernes, comme à la seule cause qui nous soit démontrée par les faits. Voilà les premiers effets produits par la mas- se, par le poids et par le volume de l’eau; mais elle en a produit d’autres par sa seule qualité : elle a saisi toutes les matières qu’elle pouvait délayer et dissoudre; elle s’est combinée avec l'air, la terre et le feu pour former les acides, les sels, etc. ; elle a converti les scories et les poudres du verre primitif en argiles ; ensuite elle a, par son mouvement, transporté de place en place ces mêmes scories, et toutes les matières quise trouvaient réduites en petits volumes. Il s’est donc fait dans cette seconde période , de- puis trente-cinq jusqu’à cinquante mille ans, un si grand changement à la surface du globe, que la mer universelle, d’abord tres-élevée, s’est successivement abaissée pour remplir les pro- fondeurs occasionnées par l’affaissement des ca- vernes , dont les voütes naturelles, sapées ou percées par l’action et l’effet de ce nouvel élé- ment, ne pouvaient plus soutenir le poids cu- mulé des terres et des eaux dont elles étaient chargées. À mesure qu’il se faisait quelque grand affaissement par la rupture d’une ou de plusieurs cavernes, la surface de la Terre se dé- primant en ces endroits, l’eau arrivait de toutes parts pour remplir cette nouvelle profondeur, et par conséquent la hauteur générale des mers diminuait d'autant ; en sorte qu'étant d’abord à deux mille toises d’élévation, la mer a successi- LA NATURE. 409 vement baissé jusqu’au niveauonousla voyons aujourd’hui. On doit présumer que les coquilles et les au- tres productions marines que l’on trouve à de grandes hauteurs au-dessus du niveau actuel des mers, sont les espèces les plus anciennes de la nature; et il serait important pour l’histoire naturelle de recueillir un assez grand nombre | de ces productions de la mer qui se trouvent à | cette plus grande hauteur, et de les comparer avec ceiles qui sont dans les terrains plus bas. | Nous sommes assurés que les coquilles dont nos | collines sont composées appartiennent en partie à des espèces inconnues, c’est-à-dire à des es- pèces dont aucune mer fréquentée ne nous offre les analogues vivants. Si jamais on fait un re- cueil de ces pétrifications prises à la plus grande élévation dans les montagnes, on sera peut-être en état de prononcer sur l'ancienneté plus ou moins grande de ces espèces, relativement aux autres. Tout ce que nous pouvons en dire au- jourd’hui,c'estquequelques-unsdes monuments qui nous démontrent l'existence de certains ani- maux terrestres et marins dont nous ne connais- sons pas les analogues vivants, nous montrent en même temps que ces animaux étaient beau- coup plus grands qu'aucune espèce du même genre actuellement subsistante. Ces grosses dents molaires à pointes mousses, du poids de onze ou douze livres; ces cornes d’ammon, de sept à huit pieds de diamètre sur un pied d’é- paisseur, dont on trouve les moules pétrifiés, sont certainement des êtres gigantesques dans le genre des animaux quadrupèdes et dans celui des coquillages. La nature était alors dans sa première force et travaillait la matière organique et vivante avec une puissance plus active dans une température plus chaude : cette maière or- ganique était plus divisée, moins combinée avec d’autres matières, et pouvait se réunir etsecom- biner avec elle-même en plus grandes masses, pour se développer en plus grandes dimensions. Cette cause est suffisante pour rendre raison de toutes les productions gigantesques qui pa- raissent avoir été fréquentes dans ces premiers âges du monde ‘. | En fécondant les mers, la nature répandait aussi les principes de vie sur toutes les terres que l’eau n'avait pu surmonter ou qu’elle avait | promptementabandonnées; et cesterres, comme ‘ Voyez ci-après les mtes justificatives de: faits. 410 les mers, ne pouvaient être peuplées que d’ani- maux et de végétaux capables de supporter une chaleur ples grande que celle qui convient au- jourd’hui à la nature vivante. Nous avons des monuments tirés du sein de la Terre, et parti- culièrement du fond des minières de charbon et d’ardoise, qui nous démontrent que quelques- uns des poissons et des végétaux que ces ma- tières contiennent ne sont pas des espèces ac- tuellement existantes !. On peut donc croire que la population de la mer en animaux n’est pas plus ancienne que celle de la Terre en végétaux : les monuments et les témoins sont plus nom- breux , plus évidents pour la mer; mais ceux qui déposent pour la terre sont aussi certains, etsemblent nous démontrer que ces espèces an- ciennes dans les animaux marins et dans les vé- gétaux terrestres se sont anéanties, ou plutôt ont cessé de se multiplier dès que la Terre et la mer ont perdu la grande €haleur nécessaire à l’effet de leur propagation. Les coquillages ainsi que les végétaux de ce premier temps s'étant prodigieusement multi- pliés pendant ce long espace de vingt mille ans, et la durée de leur vie n’étant que de peu d’an- nées , les animaux à coquilles, les polypes des coraux, des madrépores, des astroites et tous les petits animaux qui convertissent l’eau de la mer en pierre, ont, à mesure qu’ils périssaient, abandonné leurs dépouilles et leurs ouvrages aux caprices des eaux : elles auront transporté, brisé et déposé ces dépouilles en mille et mille endroits; car c’est dans ce même temps que le mouvement des marées et de vents réglés a commencé de former les couches horizontales de la surface de la Terre par les sédiments et le dépôt des eaux ; ensuite les courants ont donné à toutes les collines et à toutes les montagnes de médiocre hauteur des directions correspon- dantes; en sorte que leurs angles saillants sont toujours opposés à des angles rentrants. Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit à ce sujet dans notre Thévrie de la Terre, et nous nous contenterons d'assurer que cette disposi- tion générale de la surface du globe par angles correspondants, ainsi que sa composition par couches horizontales, ou également et parallè- lement inclinées, démontrent évidemment que la structure et la forme de la surface actuelle de la Terre ont été disposées par les eaux et pro- duites par leurs sédiments. I] n’y a eu que les Voyezci-après les notes justificatives des faits. HISTOIRE NATURELLE. crêtes etles pics des plus hautes montagnes qui peut-être se sont trouvés hors d'atteinte aux eaux , ou n’en ont été surmontés que pendant un petit temps, et sur lesquels par conséquent la mer n’a point laissé d'empreintes : mais, ne pouvant les attaquer par leur sommet, elles les a prises par la base; elle a recouvert ou miné les parties inférieures de ces montagnes primitives ; elle les à environnées de nouvelles matières, ou bien elle a percé les voûtes qui les soutenaient ; souvent elle les a fait pencher ; enfin elle atrans- porté dans leurs cavités intérieures les matiè- res combustibles provenant du détriment des végétaux, ainsi que les matières pyriteuses, bitumineuses et minérales , pures ou mêlées de terres et de sédiments de toute espèce. =” La production des argiles paraît avoir pré- cédé celle des coquillages ; car la première opé- ration de l’eau a été de transformer les stories et les poudres de verre en argile : aussi les lits: d’argiles se sont formés quelque temps avantles bancs de pierres calcaires ; et l’on voit que ces dépôts de matières argileuses ont précédé céux des matières calcaires, car presque partout les rochers calcaires sont posés sur des glaises qui leur servent de base. Je n'avance rien ici qui ne soit démontré par l'expérience ou confirmé par les observations : tout le monde pourra s’assu- rer, par des procédés aisés à répéter ! , que le verre et le grès en poudre se convertissent en peu de temps en argile, seulement enséjournant dans l’eau; et c’est d’après cette connaissance que j'ai dit, dans ma Théorie de la Terre, que les argiles n'étaient que des sables vitrescibles décomposés et pourris. J’ajouté ici que c'est probablement à cette décomposition du sable vi- trescible dans l’eau qu’on doitattribuer l'origine de l'acide; car le principe acide qui se trouve dans l’argile peut être regardé comme unecom- binaison de la terre vitrescible avec le feu, l'air et l’eou ; et c’est ce même principe acide qui est la première cause de ja ductilité de l’ar- gile etde toutes les autres matières,, sans même en excepter les bitumes, les h et les grais- ses qui ne sont ductiles et ne communiquent de la ductilité aux autres matières que parce qu’elles contiennent des acides. Après la chute et l'établissement des eaux bouillantes sur la surface du globe, la plus grande partie des scories de verre qui la cou- vraient en entier, ont donc été converties en 4 Voyez ci-après les notes jusUlicatives des laits. su ÉPOQUES DE LA NATURE. assez peu de temps en argiles : tous les mouve- ments de la mer ont contribué à la prompte formation de ces mêmes argiles, en remuant et trañSportant les scories et Les poudres de Verre, et les forçant de se présenter à l’action de l’eau daus tous les sens ; et, peu de temps dprès, les argiles formées par l’intermède et l'impression de l’eau ont successivement été transportées et déposées au-dessus de la roche primitive du globe, c’est-à-dire au-dessus de la masse solide de matières vitrescibles qui en fait le fond , et qui, par sa ferme consistance et sa dureté, avait résisté à cette même action des eaux. La décomposition des poudres et des sables vitrescibles, et. la production des argiles, se sont faites en d'autant moins de temps que l’eau était plus chaude : cette décomposition a continué de se faire et se fait encore tous les jours, mais plus lentement et en bien moindre quantité ; car, quoique les argiles se présentent presque partout comme enveloppant le globe, quoique souvent ces couches d’argiles aient cent et deux cents pieds d’épaisseur , quoique les rochers de pierres calcaires et toutes les collines composées de ces pierres soient ordinairement appuyées sur des couches argileuses, on trouve quelque- fois au-dessous de ces mêmes couches des sables witrescibles qui n’ont pas été convertis, et qui conservent le caractère de leur première origine. 11 y a aussi des sables vitrescibles à la superficie de la Terre et sur celle du fond des mers : mais la formation de ces sables vitrescibles qui se présentent à l'extérieur est d’un temps bien térieur à la formation des autres sables de ps pature qui se trouvent à de grandes pro- fondeurs sous les argiles ; car ces sables, qui se présentent à la superficie de la Terre, ne sont que les détriments des granites, des grès et de la roche vitreuse, dont les masses formentles noyaux et les sommets des montagnes, desquel- les les pluies, la gelée et les autres agents exté- rieurs ont détaché et détachent encore tous les jours de petites parties, qui sont ensuite entrai- nées et déposées par les eaux courantes sur la surface de la Terre : on doit done regarder comme très-récente, en comparaison de l’autre, cette production des sables vitrescibles qui se présentent sur le fond de la mer ou à la super- ficie de la Terre. Ainsi les argiles et l’acide qu’elles contien- nent ont été produits très-peu de temps après l'établissement des eaux et peu de temps avant an la naissance des coquillages ; car nous trouvons dans ces mêmes argiles une infinité de bélemni- tes, de pierres lenticulaires, de cornes d’ammon et d’autres échantillons de ces espèces perdues dont on ne retrouve nulle part les analogues vi- vants. J'ai trouvé moi-même dans une fouille que j'ai fait creuser à cinquante pieds de pro- fondeur, au plus bas d’un petit vallon ! tout composé d'argile, et dont les collines voisines étaient aussi d'argile jusqu’à quatre-vingts pieds de hauteur; j'ai trouvé, dis-je, des bélemnites qui avaient huit pouces de long sur près d’un pouce de diamètre, et dont quelques-unes étaient attachées à une partie plate et mince comme l’est le têt des crustacés. J’y ai trouvé de même un grand nombre de cornes d’ammon pyriteu- ses et bronzées, et des milliers de pierreslenticu- laires. Ces anciennes dépouilles étaient, comme l'on voit, enfouies dans l'argile à cent trente pieds de profondeur ; car, quoiqu’on n’eût creusé qu'à cinquante pieds dans cette argile au mi- lieu du vallon, il est certain que l'épaisseur de cette argile était originairement de cent trente pieds, puisque les couches en sont élevées des deux côtés à quatre-vingts pieds de hauteur au- dessus : cela me fut démontré par la correspon- dance de ces couches et par celle des bancs de pierres caleaires qui les surmontent de chaque côté du vallon. Ces bancs calcaires ont cin- quante-quatre pieds d'épaisseur, et leurs diffé- rents lits se trouvent correspondants et posés horizontalement à la même hauteur au-dessus de la couche immense d’argile qui leur sert de base et s'étend sous les collines caleaires de toute cette contrée. Le temps de la formation des argiles a donc immédiatement suivi celuidel’établissement des eaux ; le temps dela formation des premiers Co- quillages doit être placé quelques siècles après ; et le temps du transport de leurs dépouilles a suivi presque immédiatement : il n’y a eu d’in- tervalle qu’autant que la nature en a mis entre la naissance et la mort de ces animaux à coquil- les. Comme l'impression de l’eau convertissait chaque jour les sables vitrescibles en argiles, et queson mouvement les transportait de placeen place, elle entrainait en même temps les coquil- les et les autres dépouilles et débris des produc- tions marines ; et, déposant le tout comme des ‘ ce petit vallon est tout voisin de la ville de Montbard , au midi. 12 sédiments, elle a formé dès lors les couches d'argile où nous trouvons aujourd’hui ces mo- numents, les plus anciens de la nature organi- sée, dont les modèles ne subsistent plus. Ce n’est pas qu'il n’y ait aussi dans les argiles des co- quilles dont l’origine est moins ancienne, et même quelques espèces que l’on peut comparer avec celles de nos mers, et mieux encore avec celles des mers méridionales ; mais cela n’ajoute aucune difliculté à nos explications, car l’eau n’a pas cessé de convertir en argiles toutes les scories de verre et tous les sables vitrescibles qui se sont présentés à son action : elle a donc formé des argiles en grande quantité, dès qu'eile s'est emparée de la surface de la Terre : elle a continué et continue encore de produire le même effet; car la mer transporte aujourd’hui ses vases avec les dépouilles des coquillages actuellement vivants, comme elle a autrefois transporté ces mêmes vases avec les dépouilles des coquillages alors existants. La formation des schistes, des ardoises, des charbons de terre et des matières bitumineuses, date à peu près du même temps : ces matières se trouvent ordinairement dans les argiles à d'assez grandes profondeurs ; elles paraissent même avoir précédé l'établissement local des dernières couches d'argile; car, au-dessous de cent trente pieds d'argile dont les lits conte- naient des bélemnites, des cornes d’ammon et d’autres débris des plus anciennes coquilles, j’ai trouvé des matières charbonneuses et inflam- mables ; et l’on sait que la plupart des mines de charbon de terre sont plus ou moins sur- montées par des couches de terres argileuses. Je crois même pouvoir avancer que c’est dans ces terres qu’il faut chercher les veines de char- bon desquelles la formation est un peu plus an- cienne que celles des couches extérieures des terres argileuses qui les surmontent : ce qui le prouve, c’est que les veines de ces charbons de terre sont presque toujours inclinées, tandis que celles des argiles, ainsi que toutes les au- tres couches extérieures du globe, sont ordi- nairement horizontales. Ces dernières ont donc été formées par le sédiment des eaux qui s’est déposé de niveau sur une base horizontale, tandis que les autres, puisqu'elles sont incli- nées, semblent avoir été amenées par un cou- rant sur un terrain en pente. Ces veines de char- bon, qui toutes sont composées de végétaux mélés de plus ou moins de bitume, doivent leur HISTOIRE NATURELLE. origine aux premiers végétaux que la Terre a formés : toutes les parties du globe qui se trou- vaient élevées au-dessus des eaux produisirent, dès les premiers temps, une infinité de plantes et d'arbres de toute espèce , lesquels, bientôt tombañt de vétusté, furent entrainés par les eaux , et formèrent des dépôts de matières vé- gétales en une infinité d’endroits ; et comme les bitumes et les autres huiles terrestres parais- sent provenir des substances végétales et ani- males, qu’en même temps l'acide provient de la décomposition du sable vitrescible par le feu, l'air et l’eau, et qu’enfin il entre de l'acide dans la composition des bitumes, puisqu’avec une huile végétale et del’acide on peut faire du bitume , il parait que les eaux se sont des lors mélées avec ces bitumes et s’en sont impré- gnées pour toujours; et comme elles transpor- taient incessamment les arbres et les autres matières végétales descendues des hauteurs de la Terre, ces matières végétales ont continué de se mêler avec les bitumes déjà formés des résidus des premiers végétaux, et la mer, par son mouvement et par ses courants, les a re- muées, transportées et déposées sur les émi- nences d’argile qu’elle avait formées précédem- ment. # Les couches d’ardoises, qui contiennent aussi des végétaux et même des poissons, ont été for- mées de la même manière, et l’on peut en don- ner des exemples, qui sont, pour ainsi dire, sous nos yeux ‘. Ainsi les ardoisières et les mi- nes de charbon ont ensuite été recouvertes par d’autres couches &e terres argileuses que la mer a deposées dans des temps postérieurs : ily a même eu des intervalles considérables et des al- ternatives de mouvement entre l’établissement des différentes couches de charbon dans le même terrain; car on trouve souvent au-des- sous de la première couche de charbon une veine d'argile ou d’autre terre qui suit la même inclinaison, et ensuite on trouve assez commu- nément une seconde couche de charbon inclinée comme la première, et souvent une troisième , ésalement séparées l’une de l’autre par des vei- ues de terre, et quelquefois même par des bancs de pierres calcaires, comme dans les mines de charbon du Hainaut. L'on ne peut done pas douter que les couches les plus basses de char- bon n'aient été produites les premières par le 1 Voyez ci-après les notes justificatives des faite. ÉPOQUES DE transport des matières végétales amenées par les eaux ; et lorsque le premier dépôt d’où la mer enlevait ces matières végétales se trouvait épuisé, le mouvement des eaux continuait de transporter au même lieu les terres ou les au- tres matières qui environnaient ce dépôt : ce sont ces terres qui forment aujourd’hui la veine intermédiaire entre les deux couches de char- bon ; ce qui suppose que l’eau amenait ensuite de quelque autre dépôt des matières végétales pour former la seconde couche de charbon. J'entends ici par couches la veine entière de charbon , prise dans toute son épaisseur, et non pas les petites couches ou feuillets dont la sub- stance même du charbon est composée , et qui soùvent sont extrêmement minces : ce sont ces mêmes feuillets , toujours parallèles entre eux , qui démontrent que ces masses de charbon ont été formées et déposées par le sédiment et même par la stillation des eaux imprégnées de bitume; et cette même forme de feuillets se trouve dans les nouveaux charbons dont les couches se for- ment par stillation , aux dépens des couches plus anciennes. Ainsi les feuillets du charbon de terre ont pris leur forme par deux causes combinées : la première est le dépôt toujours horizontal de l’eau; et la seconde, la disposi- tion des matières végétales , qui tendent à faire des feuillets ‘. Au surplus, ce sont les mor- ceaux de bois souvent entiers, et les détri- ments très-reconnaissables d’autres végétaux , qui prouvent évidemment que la substance de. ces charbons de terre n’est qu’un assemblage de débris de végétaux liés ensemble par des bi- tumes. La seule chose qui pourrait être difficile à concevoir , c’est l’immense quantité de débris de végétaux que la composition de ces mines de charbon suppose ; car elles sont très-épaisses , très-étendues, et se trouvent en une infinité d’endroits : mais si l’on fait attention à la pro- duction peut-être encore plus immense de végé- taux qui s’est faite pendant vingt ou vingt-cinq mille ans , et si l’on pense en même temps que l’homme n'étant pas encore créé , il n’y avait aucune destruction des végétaux par le feu, on sentira qu'ils ne pouvaient manquer d’être em- portés par les eaux , et de former en mille en- droits différents des couches très-étendues de matière végétale. On peut se faire une idée en 4 Voyez l'expérience de M. de Morvean sur une conctétion blanche qni est devenue du charbon de terre noir et feuilleté, LA NATURE, 413 petit de ce qui est alors arrivé en grand : quelle énorme quantité de gros arbres certains fleuves, comme le Mississipi, n’entrainent-ils pas dans la mer! Le nombre de ces arbres est si prodi- gieux, qu'il empêche dans de certaines saisons la navigation de ce large fleuve : il en est de même sur la rivière des Amazones et sur la plu- part des grands fleuves des continents déserts ou mal peuplés. On peut donc penser, par cette comparaison , que toutes les terres élevées au- dessus des eaux étant dans le commencement couvertes d’arbres et d’autres végétaux, que rien ne détruisait que leur vétusté, il s’est fait, dans cette longue période de temps, des trans- ports successifs de tous ces végétaux et de leurs détriments, entraînés par les eaux courantes du baut des montagnes jusqu'aux mers. Les mé- mes contrées inhabitées de l'Amérique nous en fournissent un autre exemple frappant : on voit à la Guiane des forêts de palmiers /ataniers de plusieurs lieues d’étendue, qui croissent dans des espèces de marais, qu’on appelle des savanes noyées, qui ne sont que des appendices de la mer; ces arbres, après avoir vécu leur âge, tombent de vétusté et sont emportés par le mouvement des eaux. Les forêts plus éloignées de la mer, et qui couvrent toutes les hauteurs de l’intérieur du pays, sont moins peuplées d'arbres sains et vigoureux que jonchées d’ar- bres décrépits et à demi pourris. Les voyageurs qui sont obligés de passer la nuit dans ces bois ont soin d'examiner le lieu qu'ils choisissent pour gite, afin de reconnaitre s’il n’est envi- ronné que d’arbres solides , et s'ils ne courent pas risque d’être écrasés pendant leur sommeil par la chute de quelque arbre pourri sur pied ; et la chute de ces arbres en grand nombre est très-fréquente : un seul coup de vent fait sou- vent un abatis si considérable , qu’on en entend le bruit à de grandes distances. Ces arbres, rou- lant du haut des montagnes, en renversent quan- tité d'autres, et ils arrivent ensemble dans les lieux les plus bas, où ils achèvent de pourrir, pour former de nouvelles couches de terre vé- gétale ; ou bien ils sont entraînés par les eaux courantes dans les mers voisines, pour aller former au loin de nouvelles couches de charbon fossile. Les détriments des substances végétales sont done le premier fonds des mines de charbon; ce sont des tresors que la nature semble avoir accumulés d'avance pour les besoinsà venirdes 414 HISTOIRE grandes populations. Plus les hommes se mul- tiplicront, plus les forêts diminueront : le bois ne pouvant plus suflire à leur Consommation , ils auront recours à ces immenses dépôts de ma- tières combustibles, dont l'usage leur deviendra d'autant plus nécessaire que le globe se refroi- dira davantage ; néanmoins ils ne les épuiseront jamais, car une seule de ces mines de charbon contient peut-être plus de matière combustible que toutes les forêts d’une vaste contrée. L'ardoise, qu'on doit regarder comme une ar- gile durcie, est formée par couches qui contien- | nent de même du bitume et des Végétaux, mais en bien plus petite quantité; et en même temps elles renferment souvent des coquilles, des crus- tacés et des poissons, qu’on ne peut rapporter à aucune espèce connue. Ainsi l’origine des char- bons et des ardoises date du même temps; la seule différence qu’il y ait entre ces deux sortes de matières, c’est que les végétaux composent la majeure partie de la substance des charbons de terre, au lieu que le fonds de la substance de l'ardoise est le même que celui de l'argile, et que les végétaux, ainsi que les poissons, ne pa- raissent s’y trouver qu'accidentellement et en assez petit nombre : mais toutes deux contien- nent du bitume, et sont formées par feuillets ou par couches très-minces, toujours parallèles en- tre elles ; ce qui démontre clairement qu’elles | ont également été produites par les sédiments successifs d’une eau tranquille, et dont les oscil- lations étaient parfaitement réglées , telles que sont celles de nos marées ordinaires ou des cou- rants constants des eaux. Reprenant donc pour un instant tout ce que je viens d’exposer, la masse du globe terrestre | composée de verre en fusion ne présentait d’a- bord que les boursouflures et les cavités irré- gulières qui se forment à la superficie de toute matière liquéfiée par le feu et dont le refroidis- sement resserre les parties. Pendant ce temps et dans le progrès du refroidissement , les élé- ments se sont séparés, les liquations et les su- blimations des substances métalliques et miné- | rales se sont faites, elles ont occupé les cavités des terres élevées et les fentes perpendiculaires des montagnes; car ces pointes avancées au- dessus de Ja surface du globe s’étant refroidies les premières, elles ont aussi présenté aux élé- ments extérieurs les premières fentes produites par le resserrement de la matière qui se refroi- dissait, Les métaux et les minéraux ont été pous- & NATURELLE. | sés par la sublimation, ou déposés par les eaux dans toutes ces fentes, et c’est par cette raison qu’on les trouve presque tous dans les hautes montagnes, et qu'on ne réhcontre dans les ter- res plus basses que des mines de nouvelle for= mation : peu de temps après, les argiles se sont formées, les premiers coquillages et les premiers végétaux ont pris naissance; et, à mesure qu’ils ont péri, leurs dépouilles et leurs détriments ont fait les pierres calcaires, etceux des végétaux ont produit les bitumes et les charbons ; et en même temps les eaux; par leur mouvement et par leurs sédiments, ont composé l’organisation de la surface de la Terre par couches horizonta= les ; ensuite les courants de ces mêmes eaux lui ont donné sa forme extérieure par angles sail- lants et rentrants ; et ce n’est pas trop étendre le temps nécessaire pour toutes ces grandes opé- rations et ces immenses constructions de la na- ture , que de compter vingt mille ans depuis la naissance des premiers coquillages et des pre- miers végétaux : ils étaient déjà très-multi- pliés, très-nombreux à la date de quarante- cinq mille ans de la formation de la Terre ; et comme les eaux, qui d’abord étaient si prodi- gieusement élevées , s’abaissèrent successive- ment et abandonnèrent les terres qu’elles sur- montaient auparavant , ces terres présentèrent dès lors une surface toute jonchée de produe- tions marines. "2 42 ou La durée du temps pendant lequel les eaux couvraient nos continents a été très-longue ; l’on n’en peut pas douter en considérant l'immense | quantité de productions marines qui se trouvent | jusqu’à d'assez grandes profondeurs et à detrès- grandes hauteurs dans toutes les parties de la terre. Et combien ne devons-nous pas encore ajouter de durée à ce temps déjà si long, pour que ces mêmes productions- marines aient été brisées , réduites en poudre et transportées par le mouvement des eaux , et former ensuite les marbres, les pierres calcaires et les craies ! Cette longue suite de siècles , cette durée de vingt mille ans, me parait encore trop courte pour la succession des effets que tous ces mo- numents nous démontrent. Car il faut se représenter ici la marche de la nature, et même se rappeler l’idée de ses moyens. Les molécules organiques vivantes ont . existé dès que les éléments d’une chaleur douce ont pu s’incorporer avec les substances qui com- posent les corps organisés ; elles ont produit sur Es + les parties élevées du globe une infinité de vé- gétaux, et dans les eaux un nombre immense de coquillages, de crustacés et de poissons, qui se sont bientôt multipliés par la voie de la gé- nération. Cette multiplication des végétaux et des coquillages, quelque rapide qu’on puisse la supposer , n’a pu se faire que dans un grand nombre de siècles , puisqu'elle a produit des volumes aussi prodigieux que le sont ceux de leurs détriments. En effet, pour juger de ce qui s’est passé , il faut considérer ce qui se passe. Or, ne faut-il pas bien des années pour que des huitres qui s’'amoncèlent dans quelques endroits de la mer s’y multiplient en assez grande quan- tité pour former une espèce de rocher? Et com- bien n'a-t-il pas fallu de siècles pour que toute la matière calcaire de la surface duglobeaïit été produite? Et n’est-on pas forcé d'admettre non- seulement des siècles, maisdes sièclesde siècles, pour queces productions marines aient été non- seulement réduites en poudre, mais transpor- téeset déposées parles eaux, de manière à pou- voir former les craies, les marnes, les marbres et les pierres calcaires? Et combien de siècles encore ne faut-il pas admettre pour que ces mé- mes matières calcaires, nouvellement déposées par les eaux, se soient purgées de leur humidité superflue, puis séchées et durcies au point qu'elles le sont aujourd’hui et depuis si long- temps ? 7 Comme le globe terrestre n’est pas unesphère parfaite, qu’il est plus épais sous l’équateur que sous les pôles , et que l’action du soleil est aussi bien plus grande dans les climats méridionaux, il en résulte que les contrées polaires ont été re- froidies plus tôt que celles de l’équateur. Ces parties polaires de la terre ont done reçu les premières les eaux et les matières volatiles qui sont tombées de l’atmosphère : le reste de ces eaux a dù tomber ensuite sur les climats que nous appelons tempérés, et ceux de l’équateur auront été les derniers abreuvés. Il s’est passé bien des siècles avant queles parties de l’équa- teur aient été assez attiédies pour admettre les eaux; l’équilibreet même l'occupation des mers a done été longtemps à se former et à s'établir: et les premières inondations ont dû venir des deux pôles. Maisnousavonsremarqué! quetous les continentsterrestres finissent en pointe vers * Voyez Hist. Nat., tome I, Théorie de la Terre art. Géo- graphie. ÉPOQUES DE LA NATURE. M5 les régions australes : ainsi les eaux sont venues en plus grande quantité du pôle austral que du pôle boréal, d’où elles ne pouvaient que refluer et non pas arriver, du moins avec autant de force ; sans quoi les continents auraient pris une forme toute différente de celle qu'ils nous présentent; ils se seraient élargis vers les pla- ges australes, au lieu de se rétrécir. En effet, les contrées du pôle austral ont dû se refroidir plus vite que celles du pôle boréal, et par con- séquent recevoir plus tôt les eaux de l’atmo- sphère, parce que le soleil fait un peu moins de séjour sur cet hémisphère austral que sur le boréal ; et cette cause me paraît suffisante pour avoir déterminé le premier mouvement des eaux et le perpétuer ensuite assez longtemps pour avoir aiguisé les pointes de tous les continents terrestres. D'ailleurs , il est certain que les deux conti- nents n'étaient pas encore séparés vers notre nord, et que mème leur séparation ne s’est faite que longtemps après l'établissement de la na- ture vivante dans nos climats septentrionaux , puisque les éléphants ont en même temps existé en Sibérie et au Canada; ce qui prouve invin- ciblement la continuité de l'Asie ou de l’Europe avec l'Amérique, tandis qu’au contraire il pa- rait également certain que l'Afrique était dès les premiers temps séparée de l'Amérique mé- ridionale, puisqu'on n’a pas trouvé dans cette partie du Nouveau-Monde un seul des animaux de l’ancien continent , ni aucune dépouille qui puisse indiquer qu'ils y aient autrefois existé. Il paraît que les éléphants dont on trouve les ossements dans l'Amérique septentrionale y sont demeurés confinés ; qu’ils n’ont pu fran- chir les hautes montagnes qui sont au sud de l'isthme de Panama , et qu’ils n’ont jamais pé- nétré dans les vastes contrées de l'Amérique méridionale : mais il est encore pluséertain que les mers qui séparent l'Afrique et l'Amérique existaient avant la naissance des éléphants en Afrique ; car si ces deux continents eussent été contigus, les animaux de Guinée se trouveraient au Brésil , et l’on eût trouvé des dépouilles de ces animaux dans l'Amérique méridionaie comme l’on en trouve dans les terres de l'Amé- rique septentrionale. Ainsi, dès l’origine et dans le commencement de la nature vivante, lesterres les plus élevées du globe et les parties de notre nord ont été les premières peuplées par les espèces d’animaux #10 terrestres auxquels la grande chaleur convient le mieux : les régions de l'équateur sont de- meurées longtemps désertes, et même arides et sans mers. Les terres élevées de la Sibérie, de la Tartarie et de plusieurs autres endroits de l'Asie, toutes celles de l'Europe qui forment la chaine des montagnes de Galice, des Pyrénées, de l'Auvergne, des Alpes, des Apennins, de Sicile, de la Grèce et de la Macédoine, ainsi que les monts Riphées, Rymniques, ete, ont été les premieres contrées habitées, mème pen- dant plusieurs siècles, tandis que toutes les ter- res moins élevées étaient encore couvertes par les eaux. » Pendant ce long espace de durée que la mer a séjourné sur nos terres, les sédiments et les dépôts des eaux ont formé les couches horizon- tales de la terre, les inférieures d’argiles, et les supérieures de pierres calcaires. C'est dans la mer même que s’est opérée la pétrification des marbres et des pierres : d’abord ces matières étaient molles, ayant été successivement dépo- sées les unes sur les autres, à mesure que les eaux les amenaient et les laissaient tomber en forme de sédiments ; ensuite elles se sont peu à peu durcies par la force de l’affinité de leurs parties constituantes, et enfin elles ont formé toutes les masses des rochers calcaires, qui sont composées de couches horizontales ou également inclinées, comme le sont toutes les autres ma- tières déposées par les eaux. C’est dès les premiers temps de cette même période de durée que se sont déposées les argi- les où se trouvent les débris des anciens co- quillages ; et ces animaux à coquilles n'étaient pas les seuls alors existants dans la mer; car, indépendamment des coquilles, on trouve des débris de crustacés, des pointes d’oursins, des vertèbres d'étoiles dans ces mêmes argiles; et dans les ardoises, qui ne sont que des argiles durcies et mélées d’un peu de bitume, on trouve, ainsi que dans les schistes, des impressions en- tières ettres-bien conservées de plantes, de crus- tacés et de poissons de différentes grandeurs : enfin, dans les minières de charbon de terre, la masse entière de charbon ne parait composée que de débris de végétaux. Ce sont là les plus anciens monuments de la nature vivante, et les premières productions organisées tant de la mer que de la terre. Les régions septentrionales, et les parties les plus élevées du globe, et surtout les sommets HISTOIRE NATURELLE des montagnes , dont nous avons fait l'énumé- ration, et qui, pour la plupart, ne présentent aujourd’hui que des faces sèches et des sommets stériles, ont done autrefois été des terres fécon- des et les premières où la nature se soit mani- festée, parce que ces parties du globe ayant été bien plus tôt refroidies que lesterres plus basses ou plus voisines de l'équateur, elles auront les premières reçu les eaux de l'atmosphère et tou- tes les autres matières qui pouvaient contribuer à la fécondation. Ainsi l’on peut présumer qu'a- vant l'établissement fixe des mers, toutes les parties de la terre qui se trouvaient supérieures aux eaux ont été fécondées, et qu’elles ont dû dès lors et dans ce temps produire les plantes dont nous retrouvons aujourd'hui les impres- sions dans les ardoises , et toutes les substances végétales qui composent les charbons de terre. Dans ce même temps où nos terres étaient couvertes par la mer, et tandis que les bancs calcaires de nos collines se formaient des détri- ments deses productions. plusieurs monuments nous indiquent qu’il se détachait du sommetdes montagnes primitives et des autres parties dé- couvertes du globe, une grande quantité de substances vitrescibles , lesquelles sont venues par alluvion , c’est-à-dire par le transport des eaux, remplir les fentes et les autres intervalles que les masses calcaires laissaient entre elles. Ces fentes perpendiculaires ou légèrement in- clinées dans les bancs calcaires se'sont formées par le resserrement de ces matières calcaires, lorsqu'elles se sont séchées et durcies, de la même manière que s'étaient faites précédem- ment les premières fentes perpendiculaires dans les montagnes vitrescibles produites par le feu , lorsque ces matières se sont resserrées par leur consolidation. Les pluies, les vents et les autres agents extérieurs avaient déjà détaché de ces masses vitrescibles une grande quantité de pe- tits fragments que les eaux transportaient en différents endroits. En cherchant des mines de fer dans des collines de pierres calcaires, j'ai trouvé plusieurs fentes et cavités remplies de mines de fer en grains, mêlées de sable vitres- cible et de petits cailloux arrondis. Ces sacs ou nids de mine de fer ne s'étendent pas horizon- talement, mais descendent presque perpendieu- lairement, etils sont tous situés sur la crête la plus élevée des collines calcaires'. J'ai reconnu { Je puis encore citer ici les mines de fer en pie: re qui se | Crouvent er, Champagnr, etqui sont ensachées entre les ra | | ‘ ÉPOQUES DE LA NATURE. plus d’une eentaine de ces sacs, et j'en ai trouvé huit principaux et très-considérables dans la seule étendue de terrain qui avoisine mes forges à une ou deux lieues de distance : toutes ces mines étaient en grains assez menus, et plus ou moins mélangées de sable vitrescible et de petits cailloux. J'ai fait exploiter cinq de ces mines pour l'usage de mes fourneaux : on a fouillé les unes à cinquante ou soixante pieds, et les autres jusqu'à cent soixante-quinze pieds de profondeur : elles sont toutes également si- tuées dans les fentes des rochers calcaires ; et il n’y a dans cette contrée ni roc vitrescible, ni quartz, ni grès, ni cailloux, ni granites ; en sorte que ces mines de fer qui sont en grains plus ou moins gros, et qui sont toutes plus ou moins mélangées desable vitrescible et de petits cailloux , n'ont pu se former dans les matières calcaires où elles sont renfermées de tous côtés comme entre des murailles, et par conséquent elles y ont été amenées de loin par le mouve- ment des eaux qui les y auront déposées en mème temps qu'elles déposaient ailleurs des glaises et d’autres sédiments ; car ces sacs de mines.de fer en grains sont tous surmontés ou latéralement accompagnés d’une espècede terre limoneuse. rougeâtre, plus pétrissable, plus pure et plus fine que l’argile commune. Il paraît même que cette terre limoneuse, plus ou moins colorée de la teinture rouge que le fer donne à la terre, est l’ancienne matrice de ces mines de fer, et que c’est dans cette même terre que les grains métalliques ont dû se former avant leur transport. Ces mines, quoique situées dans des collines entièrement calcaires, ne contiennent aucun gravier de cettemêmenature ; ilsetrouve seulement, à mesure qu'on descend, quelques masses isolées de pierres calcaires autour des- quelles tournent les veines de la mine, toujours accompagnées de la terre rouge, qui souvent traverse les veines de la mine , ou bien est ap- pliquée contre les parois des rochers calcaires qui la renferment. Et ce qui prouve d’une ma- nière évidente que ces dépôts de mines se sont faits par le mouvement des eaux, c’est qu’a- près avoir vidé les fentes et cavités qui les con- tiennent, on voit, à ne pouvoir s’y tromper, que les parois de ces fentes ont été usées et chers calcaires, dans des directions et des inclinaisons diffé- rentes, perpendiculaires ou obliques. Voyez le Recueil des Mémoires de Physique et d'Histoire Naturelle , par M. de Gri- guon, in-4°, Paris, 1775, page 55 ctsuivautes. Ci A7 même polies par l’eau , et que par conséquent elles les a remplies et baignées pendant un assez long temps, avant d'y voir déposé la mine de fer , les petits cailloux , le sable vitrescible et la terre limoneuse , dont ces fentes sont actuelle- ment remplies : et l’on ne peut pas se prêter à croire que les grains de fer se soient formés | dans cette terre limoneuse depuis qu’elle a été déposée dans ces fentes de rochers ; car une chose tout aussi évidente que la première s’op- pose à cette idée , c’est que la quantité des mi- nes de fer parait surpasser de beaucoup celle de la terre limoneuse. Les grains de cette sub- slance métallique ont à la vérité tous été for- més dans cette même terre , qui n’a elle-même été produite que par le résidu des matières ani- males et végétales, dans lequel nous démon- trerons la production du fer en grains; mais cela s’est fait avant leur transport et leur dépôt dans les fentes des rochers. La terre limoneuse, les grains de fer , le sable vitrescible et les pe tits cailloux ont été transportés et déposés en semble ; etsi depuisil s’est formé dans cette mé- me terre des grains de fer, ce ne peut être qu’en petite quantité. J’ai tiré de chacune de ces mi- nes plusieurs milliers de tonneaux , et sang avoir mesuré exactement la quantité de terre limoneuse qu’on a laissée dans ces mêmes ca- vités , j'ai vu qu’elle était bien moins considé- rable que la quantité de la mine de fer dans chacune. Mais ce qui prouve que ces mines de fer en grains ont été toutes amenées par le mouve- ment des eaux, c’est que dans cemême canton, à trois lieues de distance, il y a une assez grande étendue de terrain formant une espèce de petite plaine au-dessus des collines calcaires , et aussi élevée que celles dont je viens de parler , et qu'on trouve dans ce terrain une grande quan- tité de mine de fer en grains , qui est très-diffé- remment mélangée etautrement située: car, au lieu d'occuper les fentes perpendiculaires et les cavités intérieures des rochers calcaires, au lieu de former un ou plusieurssacs perpendiculaires, cette mine de fer est au contraire déposée en nappe, c’est-à-dire par couches horizontales , comme tous les autres sédiments des eaux ; au lieu de descendre profondément, comme les pre- mières, elle s'étend presque à la surface du terrain sur une épaisseur de quelques pieds; au lieu d’être mélangée de cailloux et de sable vi- trescible, elle n’est au contraire mélée partout 27 118 que de graviers et de sables calcaires. Elle pré- sente de plus un phénomène remarquable : c’est un nombre prodigieux de cornes d’ammon et d'autres anciens coquillages , en sorte qu’il sem- ble que la mine entière en soit composée, tan- dis que dans les huit autres mines dont j’ai parlé ci-dessus , il n'existe pas le moindre vestige de coquilles , ni même aucun fragment ; aucun in- dice du genre calcaire, q uoiqu’elles soient enfer- mées entre des masses de pierres entièrement calcaires. Cette autre mine, qui contient un nombre si prodigieux de débris de coquilles ma- rines , même des plus anciennes , aura donc été transportée avec tous ces débris de coquilles par le mouvement des eaux, et déposée en forme de sédiment par couches horizontales ; et les grains de fer qu’elle contient, et qui sont encore bien plus petits que ceux des premières mines , mêlées de cailloux , auront été amenés avec les coquilles mêmes. Ainsi, le transport de toutes ces matières et le dépôt de toutes ces mines de fer en grains, se sont faits par allu- vion à peu près dans le même temps, c’est-à- dire lorsque les mers couvraient encore nos collines calcaires. Et le sommet de toutes ces collines, ni les collines elles-mêmes, ne nous représentent plus, à beaucoup près, le même aspect qu’elles avaient lorsque les eaux les ont abandonnées. A peine … Jeur forme primitive s’est-elle maintenue ; leurs angles saillants et rentrants sont devenus plus obtus, leurs pentes moins rapides , leurs som- mets moins élevés et plus chenus ; les pluies en ont détaché et entrainé les terres : les collines se sont donc rabaissées peu à peu , et les val- lons se sont en même temps remplis de ces ter- res entrainées par les eaux pluviales ou couran- tes. Qu'on se figure ce que devait être autrefois la forme du terrain à Paris et aux environs : d’une part, sur les collines de Vaugirard jus- qu’à Sèvres, on voit des carrières de pierres calcaires remplies de coquilles pétrifiées ; de l’autre côté vers Montmartre , des collines de plâtre et de matières argileuses ; et ces collines, à peu près également élevées au-dessus de la Seine, ne sont aujourd’hui que d’une hauteur très-médiocre; mais au fond des puits que l’on a faits à Bicètre et à l'École militaire, on a trouvé des bois travaillés de main d'homme à soixante-quinze pieds de profondeur. Ainsi l’on ne peut douter que cette vallée de la Seine ne se soit remplie de plus de soixante-quinze pieds HISTOIRE NATURELLE. seulement depuis que les hommes existent : et qui sait de combien les collines adjacentes ont diminué dans le même temps par l'effet des pluies , et quelle était l'épaisseur de terre dont elles étaient autrefois revêtues ? Il en est de même de toutes les autres collines et de toutes les autres vallées ; elles étaient peut-être du double plus élevées et du double plus profondes dans le temps que les eaux de la mer les ont laissées à découvert. On est même assuré que les montagnes s'abaissent encore tous les jours, et que les vallées se remplissent à peu près dans la même proportion; seulement cette diminu- tion de la hauteur des montagnes, qui ne se fait aujourd’hui que d’une manière presque insen- sible, s’est faite beaucoup plus vite dans les pre- miers temps en raison de la plus grande rapi- dité de leur pente, et il faudra maintenant plu- sieurs milliers d’années pour que les inégalités de la surface de la terre se réduisent encore au- tant qu’elles l’ont fait en peu de siècles dans les premiers âges. Mais revenons à cette époque antérieüre où les eaux, après être arrivées des régions polai- res, ont gagné celles de l'équateur: Cet dans ces terres de la zone torride où se sont faits les plus grands bouleversements ; pour en être con- vaincu, il ne faut que jeter les yeux sur un globe géographique ; on reconnaitra que pres- que tout l’espace compris entre les cercles de cette zone ne présente que les débris de conti- nents bouleversés et d’une terre ruinée. L’im- mense quantité d’iles, de détroits , de hauts et de bas-fonds, de bras de mer et de terre entre- coupés, prouveles nombreux affaissements qui se sont faits dans cette vaste partie du monde. Les montagnes y sont plus élevées, les mers plus profondes que dans tout le reste de la terre; et c’est sans doute lorsque ces grands affaisse- ments se sont faits dans les contrées de l’équa- teur, que les eaux qui couvraient nos conti-. nents se sont abaissées et retirées en coulant à grands flots vers ces terres du midi dont elles ont rempli les profondeurs, en laissant à décou- vert, d’abord les parties les plus élevées des terres, et ensuite toute la surface de nos con- tinents. Qu'on se représente l'immense quantité des matières de toute espèce qui ont alors été trans- portées par les eaux : combien de sédiments de différente nature n’ont-elles pas déposés les uns sur les autres, et combien, par conséquent , la ÉPOQUES DE première face de la terre n’a-t-elle pas changé par ces révolutions ! D'une part, le flux et le reflux donnaient aux eaux un mouvement Con- Stant d’orient en occident ; d'autre part, les al- luvions venant des pôles croisaient ce mouve- ment, et déterminaient les efforts de la mer autant, et peut-être plus, vers l'équateur que vers l'occident. Combien d'irruptions particu- lières se sont faites alors de tous côtés! A me- sure que quelque grand affaissement présentait une nouvelle profondeur, la mer s’abaissait , et les eaux couraient pour la remplir; et quoiqu'il paraisse aujourd’hui que l’équilibre des mers Soit à peu près établi, et que toute leur action se réduise à gagner quelque terrain vers l’oc- cident et en laisser à découvert vers lorient, il est néanmoins très-certain qu’en général les mers baissent tous les jours de plus en plus, et qu’elles baisseront encore à mesure qu'il se fera quelque nouvel affaissement, soit par l'effet des volcans et des tremblements de terre, soit par des causes plus constantes et plus simples : car toutes les parties caverneuses de l’intérieur du globe ne se sont pas encore affaissées ; les vol- cans et les secousses des tremblements de terre en sont une preuve démonstrative. Les eaux mineront peu à peu les voütes et les remparts de ces cavernes souterraines; et lorsqu'il s’en écroulera quelques-unes, la surface de la terre, se déprimant dans ces endroits, formera de | nouvelles vallées dont la mer viendra s’empa- | | ont été d’abord aiguisés en pointe vers le midi rer. Néanmoins, comme ces événements , qui, dans les commencements, devaient être très- fréquents , sont actuellement assez rares, on peut croire que la terre est à peu près parvenue à un état assez tranquille pour que ses habitants n'aient plus à redouter les désastreux effets de ces grandes convulsions. L'établissement de toutes les matières métal- liques etminérales a suivi d’assez près l’établis- sement des eaux ; celui des matières argileuses et calcaires a précédé leur retraite ; la forma- tion , la situation , la position de toutes ces der- nières matières datent du temps où la mer cou- vrait les continents. Mais nous devons observer que, le mouvement général des mersayant com- mencé de se faire alors, comme il se fait encore aujourd'hui, d’orient en occident, elles ont tra- vaillé la surface de la terre dans ce sens d'orient en occident autant et peut-être plus qu’elles ne l'avaient fait précédemment dans le sens du midi au nord. L'on n’en doutera pas si l’on fait LA NATURE. 119 attention à un fait très-général et très-vrai ! , c'est que, dans tous les continents du monde, la pente des terres, à la prendre du sommet des montagnes, est toujours beaucoup plus rapide du côté de l'occident que du côté de lorient; cela est évident dans le continent entier de l'A- mérique, où les sommets de la chaine des Cor- dilières sont très-voisins partout des mers de l’ouest , et sont très-éloisnés de la mer de l’est. La chaine qui sépare l Afrique dans sa longueur, et qui s'étend depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu'aux monts de la lune, est aussi plus voi- sine des mers à l’ouest qu’à l’est. 11 en est de même des montagnes qui s'étendent depuis le cap Comorin, dans la presqu’ile del’Inde; elles sont bien plus près de la mer à l’orient qu’à l'occident ; et si nous considéronsles presqu'iles, les promontoires, les iles et toutes les terres environnées de la mer, nous reconnaîtrons par- tout que les pentes sont courtes et rapides vers l'occident, et qu’elles sont douces et longues vers l’orient : les revers de toutes les montagnes sont de même plus escarpés à l’ouest qu’à l’est, parce que le mouvement général des mers s’est toujours fait d’orient en occident, et qu’à me- sure que les eaux se sont abaissées, elles ont détruit les terres et dépouillé les revers des montagnes dans le sens de leur chute , comme l’on voit dans une cataracte les rochers dépouil- lés et les terres creusées par la chute continuelle de l’eau. Ainsi, tous les continents terrestres par les eaux qui sont venues du pôle austral plus abondamment que du pôle boréal; et en- suite ils ont été tous escarpés en pente plus rapide à l'occident qu’à l’orient, dans le temps subséquent où ces mêmes eaux ont obéi au seul mouvement général qui les porte constam- ment d’orient en occident. QUATRIÈME ÉPOQUE. LORSQUE LES EAUX SE SONT RETIRÉES, ET QUE LES VOLCANS ONT COMMENCÉ D'AGIR. On vient de voir que les éléments de Pair et de l’eau se sont etablis par le refroidissement , et que les eaux, d’abord reléguées dans l’atmo- sphère par la force expansive de la chaleur, sont ensuite tombées sur les parties du globe qui 4 Voyez ci-après les notes justificatives des faits. 420 HISTOIRE NATURELLE. étaient assez attiédies pour ne les pas rejeter en | arbres et de végétaux de toute espèce , la mer vapeurs ; et ces parties sont les régions polaires et toutes les montagnes. Il y a donc eu, à l’épo- que de trente-cinq mille ans, une vaste mer aux environs de chaque pôle, et quelques lacs ou grandes mares sur les montagnes et les terres élevées qui, se trouvant refroidies au même de- gré que celles des pôles, pouvaient également recevoir et conserver les eaux ; ensuite à mesure que le globe se refroidissait, les mers des pôles, toujours alimentées et fournies par la chute des eaux de l'atmosphère, se répandaient plus loin ; et les lacs où grandes mares, également fournies par cette pluie continuelle, d'autant plus abon- dante que l’attiédissement était plus grand, s’é- tendaient en tous sens et formaient des bassins et de petites mers intérieures dans les parties du globe auxquelles les grandes mers des deux pôles n'avaient point encore atteint : ensuite les eaux continuant à tomber toujours avec plus d’a- bondance jusqu’àl'entièredépuration del’atmos- phère, elles ontgagné successivement du terrain et sont arrivées aux contrées de l’équateur , et enfin elles ont couvert toute la surface du globe à deux mille toises de hauteur au-dessus du ni- veau de nos mers actuelles. La terre entière était alors sous l'empire de la mer, à l'exception peut- être du sommet des montagnes primitives, qui n'ont été, pour ainsi dire, que lavées et bai- gnées pendant le premier temps de la chute des eaux, lesquelles se sont écoulées de ces lieux élevés pour occuper les terrains inférieurs dès qu'ils se sont trouvés assez refroidis pour les admettre sans les rejeter en vapeurs. Il s’est donc formé successivement une mer universelle, qui n’était interrompue et surmon- tée que par les sommets des montagnes d’où les premières eaux s'étaient déjà retirées en s’écou- lant dans les lieux plus bas. Ces terres élevées, ayant été travaillées les premières par le séjour et le mouxement des eaux, auront aussi été fé- condées les premières; et tandis que toute la surface du globe n’était, pour ainsi dire, qu’un archipel général , la nature organisée s’établis- sait sur ces ‘montagnes : elle s’y déployait même avec une grande énergie ; car la chaleur et l'humidité, ces deux principes de toute fé- condation , s’y trouvaient réunies et combinées à un plus haut degré qu’elles ne le sont aujour- d'hui dans aucun climat de la terre. Or, dans ce même temps où les terres éle- générale se peuplait partout de poissons et de coquillages ; elle était aussi le réceptacle univer- sel de tout ce qui se détachait des terres qui la surmontaient. Les scories du verre primitif et les matières végétales ont été entrainées des éminences de la terre dans les profondeurs de la mer, sur le fond de laquelle elles ont formé les premières couches de sable vitrescible, d'argile, de schiste et d’ardoise , ainsi que les minières de charbon, de sel et de bitume, qui dès lors ont imprégné toute la masse des mers. La quantité de végétaux produits et détruits dans ces pre- mières terres est trop immense pour qu’on puisse se la représenter ; car quand nous rédui- rions la superficie de toutes les terres élevées alors au-dessus des eaux à la centième ou même à la deux centièmepartie dela surface du globe, c’est-à-dire à cent trente mille lieues carrées, il est aisé de sentir combien ce vaste terrain de cent trente mille lieues superficielles a produit d’arbres et de plantes pendant quelques milliers d'années, combien leurs détriments se sont ac- cumulés , et dans quelle énormequantité ils ont été entraînés et déposés sous les eaux, où ils ont formé le fond du volume tout aussi grand des mines de charbon qui se trouvent en tant de lieux. Il en est de même des mines de sel, de celles de fer en grains, de pyrites et de toutes les autres substances dans la composition des- quelles il entre des acides, et dont la première formation n'a pu s’opérer qu'après la chute des eaux : ces matières auront été entrainées et dé- posées dans les lieux bas et dans les fentes de la roche du globe, où trouvant dejà les substan- cesminérales sublimées par la grande chaleur de la terre , elles auront formé le premier fond de l'aliment des volcans à wenir : je dis à venir, car il n'existait aucun volcan en action avant l'établissement des eaux, et ils n’ont commencé d'agir, ou plutôt ils n'ont pu prendre une ac- tion permanente, qu'après leur abaissement : car l’on doit distinguer les volcans terrestres des volcans marins; ceux-ci ne peuvent faire que des explosions , pour ainsi dire momentanées , parce qu’à l'instant que leur feu s’allume par l'effervescence des matières pyriteuses et com- bustibles, il est immédiatement éteint par l’eau qui les couvre et se précipite à flots jusque dans leur foyer par toutes les routes que le feu s'ouvre pour en sortir. Les volcans de Ja terre ont au vées au-dessus des eaux se couvraient de grands | contraire une action durable et proportionnée à EPOQUES DE LA NATURE, Li la quantité de matières qu'ils contiennent : ces matières ont besoin d'une certaine quantité d'eau pour entrer en effervescence; et ce n’est ensuite que par le choc d'un grand volume de feu contre un grand volume d'eau que peuvent se produire leurs violentes éruptions ; et de même qu'un volcan sous-marin ne peut agir que par instants, un volcan terrestre ne peut durer qu'autant qu'il est voisin des eaux. C’est par cette raison que tous les volcans actuellement agissants sont dans les îles ou près des côtes de la mer, et qu’on pourrait en compter cent fois plus d’éteints que d’agissants ; car, à mesure que les eaux , en se retirant , se sont trop éloi- gnées du pied de ces volcans, leurs éruptions ont diminué par degrés, et enfin ont entière- ment cessé, et les légères effervescences que l’eau pluviale aura pu causer dans leur ancien foyer n'aura produit d'effet sensible que par des circonstances particulières et très-rares. Les observations confirment parfaitement ce que je dis ici de l’action des volcans : tous ceux qui sont maintenant en travail sont situés près des mers; tous ceux qui sont éteints, et dont le nombre est bien plus grand , sont placés dans le milieu des terres, ou tout au moins à quelque distance de la mer, et, quoique la plupart des voleans qui subsistent paraissentappartenir aux plus hautes montagnes, il en a existé beaucoup d’autres dans les éminences de médiocre hau- teur. La date de l’âge des volcans n’est done pas partout la même : d’abord il est sûr que les premiers, c’est-à-dire les plus anciens, n’ont pu acquérir une action permanente qu'après l’a- baissement des eaux qui couvraiert leur som- met, et ensuite, il parait qu'ils ont cessé d’agir dès que ces mêmes eaux se sont trop éloignées de leur voisinage : car, je le répète, nulle puis- sance, à l'exception de celle d’une grande masse d’eau choquée contre un grand volume de feu, ne peut produire des mouvements aussi prodi- gieux que ceux de l’éruption des volcans. Il est vrai que nous ne voyons pas d'assez près la composition intérieure de ces terribles bouches à feu, pour pouvoir prononcer sur leurs effets en parfaite connaissance de cause; nous savons seulement que souventil y a des commu- nications souterraines de volcan à volcan ; nous savons aussi que, quoique le foyer de leur em- brasement ne soit peut-être pas à une grande distance de leur sommet, il y a néanmoins des cavités quidescendent beaucoup plus bas. et aue mi ces cavités, dont la profondeur et l'étendue nous sont inconnues peuvent être, en tout ou en par- tie, remplies des mêmes matières que celles qui sont actuellement embrasées. D'autre part, l'électricité me paraît jouer un très-grand rôle dans les tremblements de terre et dans les éruptions des volcans; je me suis convaincu par des raisons très-solides, et par la comparaison que j'ai faite des expériences sur l'électricité, que le fond de la matière électri- que est la chaleur propre du globe terrestre : les émanations continuelles de cette chaleur, quoi- que sensibles, ne sont pas visibles, et restent sous la forme de chaleur obscure, tant qu'elles ont leur mouvement libre et direct; mais elles produisent un feu très-vif et de fortes explo- sions , dès qu’elles sont détournées de leur di- rection, ou bien accumulées par le frottementdes corps. Les cavités intérieures de la terre conte- nant du feu , de l’air et de l’eau , l’action de ce premier élément doit y produire des vents im- pétueux , des orages bruyants et des tonnerres souterrains, dont les effets peuvent être compa- rés à ceux de la foudre des airs : ces effets doi- vent même être plus violents et plus durables , par la forte résistance que la solidité de la terre oppose de tous côtés à la force électrique de ces tonnerres souterrains. Leressort d’un airméléde vapeurs denses et enflammées par l'électricité, l'effort de l’eau , réduite en vapeurs élastiques par le feu, toutes les autres impulsions de cette puissance électrique, soulèvent, entr’ouvrent la surface de la terre, ou du moins l’agitent par des tremblements, dont les secousses ne durent pas plus longtempsque le coup de la foudre intérieure qui les produit; et ces secousses se renouvellent jusqu'à ce que les vapeurs expansives se soient fait une issue par quelqu'ouverture à lasurfacede la terre ou dans le sein des mers. Aussi les érup- tions des volcans et lestremblementsdeterresont précédés etaccompagnés d’un bruit sourd et rou- lant, qui ne diffère de celui dutonnerre que parle ton sépuleral et profond que le son prend néces= sairement en traversant une grande épaisseur de matière solide, lorsqu'il s’y trouve renfermé, Cette électricitésouterraine, combinéecomme cause générale avec les causes particulières des feux allumés par l’effervescence des matières pyriteuses et combustibles que la terre recèle en tant d’endroits, suffit à l'explication des prin- cipaux phénomènes de l’action des volcans : par exemple, leur foyer parait être assez voisin de 422 leur sommet ; mais l’orage est au-dessous. Un volcan n’est qu'un vaste fourneau dont les souf- flets, ou plutôt les ventilateurs, sont placés dans les cavités inférieures à côté et au-dessous du foyer. Ce sont ces mêmes cavités, lorsqu'elles s'étendent jusqu'à la mer, qui servent de tuyaux d'aspiration pour porter en haut, non-seulement les vapeurs, mais les masses même de l’eau et l'air; c’est dans ce transport que se produit la foudre souterraine qui s’annonce par des mugis- sements, et n’éclate que par l’affreux vomisse- ment des matières qu’elle a frappées, brûlées et caleinées : des tourbillons épais d’une noire fu- méeoud’uneflammelugubre,desnuages massifs de cendres et de pierres, des torrents bouillon- pantsdelaye en fusion, roulant au loinleurs flots brülants et destructeurs, manifestent au dehors lemouvement convulsifdes entrailles de la terre. Cestempêtes intestines sont d'autant plus vio- lentes qu’elles sont plus voisines des montagnes à volcan et des eaux de la mer, dont le sel et les huiles grasses augmentent encore l'activité du feu ; les terres situées entre le volcan et la mer ne peuvent manquer d’éprouver des secous- ses fréquentes. Mais pourquoi n’y a-t-il aucun endroit du monde où l’on n’ait ressenti, même de mémoire d'homme, quelques tremblements, quelquetrépidation, causés par ces mouvements intérieurs de la terre? Ils sont à la vérité moins violents et bien plus rares dans le milieu des continents éloignés des volcans et des mers ; mais ne sont-ils pas des effets dépendants des mêmes causes? Pourquoi donc se font-ils res- sentir où ces causes n'existent pas, c’est-à-dire dans les lieux où il n’y a ni mers ni volcans? La réponse est aisée : c’est qu’il y a eu des mers partout et des volcans presque partout; et que, quoique leurs éruptions aient cessé lorsque les mers s’en sont éloiynées, leur feu subsiste, et nous est démontré par les sources des huiles ter- restres, par les fontaines chaudes et sulfureuses quise trouvent fréquemment au pied des mon- tagnes, jusque dans le milieu des plus grands continents. Ces feux des anciens volcans, deve- nus plus tranquilles depuis la retraite des eaux, suffisent néanmoins pour exciter de temps en temps des mouvements intérieurs et produire de légères secousses, dont les oscillations sont diri- gées dans le sens des cavités de la terre, et peut- être dans la direction des eaux ou des veines des métaux, comme conducteurs de cette élec- tricité souterraine. HISTOIRE NATURELLE. On pourra me demander encore pourquoi tous les volcans sont situés dans lesmontagnes? pour- quoi ils paraissent être d’autant plus ardents que les montagnes sont plus hautes? quelle est la cause qui a pu disposer ces énormes cheminées dans l’intérieur des murs les plus solides et les plus élevés du globe? Si on a bien compris ce que j'ai dit au sujet des inégalités produites par le premier refroidissement, lorsque les matières en fusion se sont consolidées, on sentira que les chaines des hautes montagnes nous représen- tent les plus grandes boursouflures qui se sont faites à la surface du globe dans le temps qu’il a pris sa consistance. La plupart des montagnes sontdonesituéessurdescavitésauxquellesabou- tissent les fentes perpendiculaires qui les tran- chent du haut en bas : ces cavernes et ces fentes contiennent des matières qui s’enflamment par la seule effervescence, ou qui sont allumées par les étincelles électriques de la chaleur intérieure du globe. Dès que le feu commence à se faire sentir, l’airattiré par la raréfactionen augmente la force et produit bientôt un grand incendie - dont l'effet est de produire à son tour les mouve- ments et les orages intestins , les tonnerres sou- terrains et toutes les impulsions, les bruits et les secousses qui précèdent et accompagnent l'é- ruption des volcans. On doit donc cesser d’être étonné que les volcans soient tous situés dans les hautes montagnes, puisque ce sont les seuls anciens endroits de la Terre où les cavités inté- rieures se soient maintenues, les seuls où ces cavités communiquent du bas en haut par des fentes qui ne sont pas encore comblées, et enfin les seuls où l’espace vide était assez vaste pour contenir la très-grande quantité de matières qui servent d’aliment au feu des volcans permanents et encore subsistants. Au reste, ils s’éteindront comme les autres dans la suite des siècles ; leurs éruptions cesseront : oserai-je même direque les hommes pourraient y contribuer? En coûte- rait-il autant pour couper lacommunication d’un volcan avec la mer voisine, qu’il en a coûté pour construire les pyramides d'Egypte? Ces monuments inutiles d’une gloire fausse et vaine, nous apprennent au moins qu’en employant les mêmes forces pour des monuments de sagesse, nous pourrions faire de très-grandes choses, et peut-être maitriser la nature au point de faire cesser, on du moins de diriger les ravages du feu , comme nous savons déjà par notre artdi- riger et rompre les efforts de l’eau. th... 207 ÉPOQUES DE Jusqu'au temps de l'action des volcans, il n'existait sur le globe que trois sortes de matiè- res : 1° les vitrescibles produites par le feu pri- mitif; 2° les calcaires formées par l’intermède de l'eau ; 3° toutes les substances produites par le détriment des animaux et des végétaux : mais le feu des volcans a donné naissance à des ma- tières d’une quatrième sorte, qui souvent par- ticipent de la nature des trois autres. La pre- mièreclasserenfermenon-seulement les matières premières solides et vitrescibles dont la nature wa point été altérée, et qui forment le fond du globe, ainsi que le noyau de toutes les monta- gnes primordiales, mais encore les sables, les schistes, les ardoises, les argiles et toutes.les matières vitrescibles décomposées et transpor- tées par les eaux. La seconde classe contient toutes les matières calcaires, c’est-à-dire toutes les substances produites par les coquillages et autres animaux de la mer : elles s'étendent sur des provinces entières et couvrent même d’assez vastes contrées ; elles se trouvent aussi à des profondeurs assez considérables, et elles envi- ronnent les bases des montagnes les plus élevées jusqu’à une très-grande hauteur. La troisième classe comprend toutes les substances qui doi- vent leur origine aux matières animales et végé- tales, et ces substances sont en très-grand nom- bre; leur quantité parait immense, car elles recouvrent toute la superficie de la terre. Enfin, la quatrième classe est celle des matières sou- levées et rejetées par les volcans, dont quelques- unes paraissent être un mélange des premières, et d’autres, pures de tout mélange, ont subi une seconde action du feu qui leur a donné un nouveau caractère. Nous rapportons à ces qua- tre classes touteslessubstances minérales, parce qu’en les examinant, on peut toujours reconnai- tre à laquelle de ces classes elles appartiennent et par conséquent prononcer sur leur origine : ce qui suffit pour nous indiquer à peu près le temps de leur formation ; car, comme nous ve- nons de l’exposer, il parait clairement que tou- tes les matières vitrescibles solides, et qui n’ont pas changé de nature ni de situation, ont été pro- duites par le feu primitif, et que leur formation appartient au temps de notre seconde époque, tandis que la formation des matières calcaires ainsi que celle des argiles, des charbons, etc., n’a eu lieu que dans des temps subséquents, et doit être rapportée à notre troisième époque. Et, comme dans les matières rejetées par les vol- LA NATURE. 425 cans, on trouve quelquefois des substances cal- aires et souvent des soufres et des bitumes, on ne peut guère douter que la formation de ces substances rejetées par les volcans ne soit encore postérieure à la formation de toutes ces matiè- res, et n’appartienne à notre quatrième époque. Quoique la quantité des matières rejetées par les volcans soit très-petite en comparaison de la quantité des matières calcaires, elles ne laissent pas d'occuper d'assez grands espaces sur la sur- face des terres situées aux environs de ces mon- tagnes ardentes et de celles dont les feux sont éteints etassoupis. Parleurs éruptions réitérées, elles ont comblé les vallées , couvert les plaines et même produit d’autres montagnes. Ensuite, lorsque les éruptions ont cessé, la plupart des volcans ont continué de brüler, mais d’un feu paisible et qui ne produit aucune explosion vio- lente, parce que étant éloignés des mers, il n’y a plus de choc de l’eau contre le feu : les matie- res en effervescence et les substances combus- tibles anciennement enflammées continuent de brüler ; et c’est ce qui fait aujourd’hui la chaleur de toutes nos eaux thermales : elles passent sur les foyers de ce feu souterrain et sortent très- chaudes du sein de la terre. Il y a aussi quel- ques exemples de mines de charbon qui brülent de temps immémorial, et qui se sont allumées par la foudre souterraine ou par le feu tranquille d’un volcan dont les éruptions ont cessé. Ces eaux thermales et ces mines allumées se trou- vent souvent, eomme les volcans éteints, dans les terres éloignées de la mer. La surface de la terre nous présente en mille endroits les vestiges etles preuves de l'existence de ces volcans éteints : dans la France seule, nous connaissons les vieux volcans de l’Auver- gne, du Vélai, du Vivarais, de la Provence et du Languedoc. En Italie, presque toute la terre est formée de débris de matières volcanisées, et il en est de même de plusieurs autres contrées. Mais pour réunir les objets sous un point de vue général, etconcevoir nettement l’ordre des bou- leversements que les volcans ont produits à la surface du globe, il faut reprendre notre troi- sième époque à cette date où la mer était uni- verselle et couvrait toute la surface du globe, à l'exception des lieux élevés sur lesquels s’était fait le premier mélange des scories vitrées de la masse terrestre avec les eaux : c’est à cette même date que les végétaux ont pris naissance, et qu'ils se sont multipliés sur les terres que la 424 mer venait d'abandonner. Les volcans n'exis- taient pas encore ; car les matières qui servent d’aliment à leur feu, c’est-à-dire les bitumes, les charbous de terre, les pyrites et même les acides, ne pouvaient s’être formés précédem- ment, puisque leur composition suppose l’inter- mède de l’eau et la destruction des végétaux. Ainsi, les premiers volcans ont existé dans les terresélevées du milieu des continents ; et à me- sure que les mers en s’abaissant se sont éloi- gnées de leur pied , leurs feux se sont assoupis et ont cessé de produire ces éruptions violentes qui ne peuvent s’opérer que par le conflit d’une grande masse d’eau contre un grand volume de feu. Or, il a fallu vingt mille ans pour cet abais- sement successif des mers et pour la formation de toutes nos collines calcaires ; et comme les amas des matières combustibles et minérales HISTOIRE NATURELLE. duit ces »#0rnes ou tertres qui se voient dans toutes les montagnes à volcan, et ils ont élevé ces remparts de basalle qui servent de côtes aux mers dont ils sont voisins. Ainsi, après que l’eau , par des mouvements uniformes et cons- tants, eutachevé la construction horizontale des couches de la terre, le feu des volcans , par des explosions subites, a bouleversé, tranché et couvert plusieurs de ces couches, et l’on nedoïit pas être étonné de voir sortir du sein des volcans des matières de toute espèce, des cendres, des pierres calcinées, des terres brûlées, ni de trou- ver ces matières mélangées des substances cal- caires et vitrescibles dont ces mêmes couches | sont composées. quiserveutd'aliment aux volcans n’ont pu se dé- | poser que successivement, et qu'il a dû s’écouler beaucoup de temps avant qu’elles se soient mi- ses en action, ce n’est guère que sur la fin de cette période, c’est-à-dire à cinquante mille ans | de la formation du globe, que les volcans ont commencé à ravager la terre. Comme les envi- rons de tous les lieux découverts étaient encore baignés des eaux, il y a eu des volcans presque partout , et il s’est fait de fréquentes et prodi- gieuses éruptions, qui n’ont cessé qu'après la retraite des mers ; mais cette retraite ne pouvant se faire que par l’affaissement des boursouflures | du globe, il est souvent arrivé que l’eau venant à flots remplir la profondeur de ces terres affais- sées, elle a mis en action les volcans sous-ma- rins qui, par leur explosion, ont soulevé une par- tie de cesterres nouvellement affuissées, et les ont quelquefois poussées au-dessus du niveau de la mer, où elles ont formé des iles nouvelles, comme nous l’avons vudans la petite ile formée auprèsde cellede Santorin : néanmoinsces effets sont rares, et l’action des volcans sous-marins w’estnipermanenteniassez puissante pour élever ua grand espace de terre au-dessus de la surface des mers. Les volcansterrestres, par la continuité de leurs éruptions, ont au contraire couvert de leurs déblais tous les terrains qui les environ- naient ; ils ont, par le dépôt successif de leurs la- ves, forméde nouvelles couches; ces lavesdeve- nues fécondes avec le temps, sont une preuve invincible que la surface primitive de la terre, d'abordenfusion, puisconsolidée, a pu de même devenir féconde: enfin les volcans ont aussi pro- | Les tremblements de terre ont dû se faire sentir longtemps avant l’éruption des volcans : dès les premiers moments de l’affaissement des cavernes, il s’est fait de violentes secousses qui ont produit des effets tout aussi violents et bien plus étendus que ceux des volcans. Pour s’en former l’idée, supposons qu’une caverne soute- nant un terrain de cent lieues carrées, ce qui ne ferait qu'une des petites boursouflures du globe, se soit tout à coup écroulée : cet écrou- lement n’aura-t-il pas été nécessairement suivi d'une commotion qui se sera communiquée et fait sentir très-loin par un tremblement plus ou moins violent? Quoique cent lieues carrées ne fassent que la deux cent soixante millième partie de la surface de la terre, la chute de cette masse n’a pu manquer d’ébranler toutes les terres ad- jacentes, et de faire peut-être écrouler en même temps les cavernes voisines : il ne s’est donc fait aucun affaissement un peu considérable qui nait été accompagné de violentes secousses de tremblement de terre, dont le mouvement s’est communiqué par la force du ressort dont toute matière est douée, et qui a dû se propager quel- quefois très-loin par les routes que peuvent of- frir les vides de la terre, dans lesquels les vents souterrains , excités par ces commotions, au- ront peut-être allumé les feux des volcans ; en sorte que d’une seule cause, c’est-à-dire de l’af- faissement d'une caverne, il a pu résulter plu- sieurs effets, tous grands et la plupartterribles : d’abord , l'abaissement de la mer, forcée de courir à grands flots pour remplir cette nouvelle profondeur et de laisser par conséquent à décou- vert de nouveaux terrains; 2” l’ébranlement des terres voisines par la commotion dela chute des matières solides qui formaient les voûtes de la xt ÉPOQUES DE LA NATURE ‘ BESANCON CARTE DE LA CHAINE DES MONTAGNES DE LANGRES. ÉPOQUES DE caverne, et cet ébranlement fait pencher les montagnes , les fend vers leur sommet, et en détache des masses qui roulent jusqu'à leur base; 3° le même mouvement , produit par la commotion et propagé par les vents et les feux souterrains, soulève au loin la terre et les eaux, élève des tertres et des mormes, forme des souf- fres et des crevasses, change le cours des ri- vières, tarit les anciennes sources , en produit de nouvelles, et ravage, en moins de temps que je ne puis le dire, tout ce qui se trouve dans sa direction. Nous devons done cesser d’être surpris de voir en tant de lieux l’uniformité de l'ouvrage horizontal des eaux détruite et tran- chée par des fentes inclinées , des éboulements irréguliers, et souvent cachée par des déblais informes accumulés sans ordre, non plus que de trouver de si grandes contrées toutes recou- vertes de matières rejetées par les volcans. Ce désordre causé par les tremblements de terre ne fait néanmoins que masquer la nature aux yeux de ceux qui ne la voient qu’en petit, et quid’un effet accidentel et particulier font une cause gé- nérale et constante. C'est l’eau seule qui, comme cause générale et subséquente à celle du feu pri- mitif,aachevé de construire et de figurer la sur- face actuelle de la terre ; etce qui manque à l’uni- formité de cette construction universelle n’est que l’effet particulier de la cause accidentelle des tremblements de terre et de l’action des volcans. Or, dans cette construction de la surface de la terre par le mouvement et le sédiment des eaux, il faut distinguer deux périodes de temps. La première a commencé après l'établissement de la mer universelle, c’est-à-dire après la dé- puration parfaite de l'atmosphère par la chute des eaux et de toutes les matières volatiles que l’ardeur du globe y tenait reléguées : cette pé- riode a duré autant qu’il était nécessaire pour multiplier les coquillages au point de remplir de leurs dépouilles toutes nos collines calcaires, autant qu'il était nécessaire pour multiplier les végétaux et pour former de leurs débris toutes nos mines de charbon, enfin autant qu’il était nécessaire pour convertir les scories du verre primitif en argiles, et former les acides , les sels, les prrites, etc. Tous ces premiers et grands effets ont été produits ensemble dans les temps qui sesont écoulés depuis l'établissement des eaux jusqu’à leur abaissement. Ensuite a commencé la seconde période. Cette retraite des eaux ue.s’est pas faite tout à coup, mais par LA NATURE. 495 une longue succession de temps, dans laquelle il faut encore saisir des points différents. Les montagnes composées de pierres calcaires ont certainement été construites dans cette mer an- cienne, dont les différents courants les ont tout aussi certainement figurées par les angles cor- respondants. Or, l'inspection attentive des cô- tes de nos vallées nous démontre que le ravail particulier des courants a élé postérieur à l'ouvrage général de la mer. Ce fait, qu'on n’a pas même soupçonné, est trop important pour ne le pas appuyer de tout ce qui peut le rendre sensible à tous les yeux. Prenons pour exemple la plus haute monta- gne calcaire de la France, celle de Langres, qui s'élève au-dessus de toutes les terres de la Champagne, s'étend en Bourgogne jusqu’à Montbard, et même jusqu’à Tonnerre, et qui, dans la direction opposée, domine de mémesur les terres de la Lorraine et de la Franche-Comté, Ce cordon continu de la montagne de Langres, qui, depuis les sources de la Seine jusqu’à celles de la Saône, a plus de quarante lieues en lon- gueur, est entièrement calcire, c’est-à-dire entièrement composé des productions de la mer; et c’est par cette raison que je lai choisi pour nous servir d'exemple. Le point le plus élevé de cette chaine de montagnes est très-voisin de la ville de Langres, et l’on voit que, d’un côté, cette même chaine verse ses eaux dans l'Océan par la Meuse, la Marne, la Seine, ete., et que, de l’autre côté, elle les verse dans la Méditer- ranée par les rivières qui aboutissent à la Saône. Le point où est situé Langres se trouve à peu près au milieu de cette longueur de quarante lieues, et les collines vont en s’abaissant à peu près ésalement vers les sources de la Seine et vers celles de la Saône. Enfin, ces collines qui forment les extrémités de cette chaine de mon- tagnes calcaires aboutissent également à des contrées de matières vitrescibles , savoir : au delà de lArmanson près de Sémur, d’une part ; etau delà des sources de la Saône et de la petite rivière du Conay, de l’autre part. En considérant les vallons voisins de ces montagnes, nous reconnaitrons que le point de Langres étant le plus élevé, il a été découvert le premier dans le temps que les eaux se sont abaissées : auparavant ce sommet était recou- vert comme tout le reste par les eaux, puisqu'il est composé de matières calcaires ; mais, au moment qu'il a été découvert, la mer ne pou 126 HISTOIRE vant plus le surmonter, tous ses mouvements se sont réduits à battre ce sommet des deux côtés, et par conséquent à creuser par des cou- rants constants les vallons et les vallées que suivent aujourd’hui les ruisseaux et les rivières qui coulent des deux côlés de ces montagnes. La preuve évidente que les vallées onttoutes été creusées par descourants réguliers et constants, c’est que leurs angles saillants correspondent partout à des angles rentrants: seulement on observe que les eaux ayant suivi les pentes les plus rapides, et n'ayant entamé d’abord que les terrains les moins solides et les plus aisés à diviser, il se trouve souvent une différence re- marquable entre les deux coteaux qui bordent la vallée. On voit quelquefois un escarpement considérable et des rochers à pie d’un côté, tan- dis que de l’autre, les bancs de pierresont cou- verts de terres en pente douce ; et cela est ar- rivé nécessairement toutes les fois que la force du courant s’est portée plus d’un côté que de l’autre, et aussi toutes les fois qu'il aura été troublé ou secondé par un autre courant. Si l’on suitle cours d’une rivière ou d’un ruis- seau voisin des montagnes d’où descendent leurs sources, on reconnaitra aisément la figure et même la nature des terres qui forment les co- teaux de la vallée. Dans les endroits où elle est étroite, la direction de Ja rivière et l’angle de son cours indiquent au premier coup d'œil le côté vers lequel se doivent porter ses eaux, et par conséquent le côté où le terrain doit se trou- ver en plaine, tandis que, de l’autre côté, il continuera d’être en montagne. Lorsque la val- lée est large, ce jugement est plus difficile : ee- pendant on peut, en observant la direction de la rivière, deviner assez juste de quel côté les terrains s’élargiront ou se rétréciront. Ce que nos rivières font en petit aujourd’hui, les cou- rants de la mer l'ont autrefois fait en grand : ils ont creusétous nos vallons, ils les ont tran- chés des deux côtés ; mais, en transportant ces déblais, ils ont souvent formé des escarpements d'une part et des plaines de l’autre. On doit aussi remarquer que dans le voisinage du som- mel de ces montagnes calcaires, et particuliè- rement dans le sommet de Langres, les vallons commencent par une profondeur circulaire, et que de là ils vont toujours en s’élargissant à mesure qu'ils s’éloignent du lieu de leur nais- sance ; les vallons paraissentaussi plus profonds à ce point où ils commencent et semblent aller NATURELLE, toujours en diminuant de profondeur à mesure qu’ils s'élargissent et qu'ils s’éloignent de ce point : mais c’est une apparence plutôt qu’une réalité; car, dans l’origine, la portion du vallonla plus voisine du sommet a été la plus étroite et la moins profonde ; le mouvement des eaux a commencé par y former une ravine qui s’est élargie et creusée peu à peu; les déblais ayant été transportés et entrainés par le courant des eaux dans la portion inférieure de la vallée , ils en auront comblé le fond, et c’est par cette rai- son que les vallons paraissent plus profonds à leur naissance que dans le reste de leurcours, et que les grandes vallées semblent être moins profondes à mesure qu’elles s’éloignent dayan- tage du sommet auquel leurs rameaux aboutis- sent: car l’on peut considérer une grande vallée comme un trone qui jette des branches par d’autres vallées, lesquelles jettent des rameaux par d’autres petits vallons qui s'étendent et re- montent jusqu’au sommet auquel ilsaboutissent. En suivant cet objet dans l'exemple que nous venons de présenter, si l’on prend ensemble tous les terrains qui versent leurs eaux dans la Seine, ce vaste espace formera une vallée du premier ordre, c’est-à-dire de la plus grande étendue ; ensuite, sinous ne prenons que les terrains qui portent leurs eaux à la rivière d’Yonne, cet es- pace sera une vallée du second ordre; et, con- tinuant à remonter vers le sommet de la chaine des montagnes , les terrains qui versent leurs eaux dans l’Armanson, le Serin et la Cura, for- meront des vallées du troisième ordre; et en- suite la Brenne , qui tombe dans l’Armanson, sera une vallée du quatrième ordre, et enfin l’Oze et l’Ozerain, qui tombent dans la Brenne, et dont les sources sont voisines de celles de la Seine, forment des vallées du cinquième ordre. De même, si nous prenons les terrains qui portent leurs eaux à la Marne, cet espace sera une vallée du second ordre; et, continuant à remonter vers le sommet de la chaine des mon- tagnes de Langres, si nous ne prenons que les terrains dont les eaux s’écoulent dans la rivière de Rognon, ce sera une vallée du troisième or- dre; enfin les terrains qui versent leurs eaux dans les ruisseaux de Bussièreet d'Orguevaux , forment des vallées du quatrième ordre. Cette disposition est générale dans tous les continents terrestres. Amesure que l’on remonte etqu’on s'approche du sommet des chaines de montagnes, on voit évidemment que les vallées ÉPOQUES DE sont plus étroites; mais, quoiqu'elles paraissent aussi plus profondes , il est certain néanmoins que l’ancien fond des vallées inférieures était beaucoup plus bas autrefois que ne l’est actuel- lement celui des vallons supérieurs. Nous avons dit que , dans la vallée de la Seine à Paris, l'on a trouvé des bois travaillés de main d'homme à soixante-quinze pieds de profondeur : le pre- mier fond de cette vallée était donc autrefois bien plus bas qu’il ne l’est aujourd'hui; car, au-dessous de ces soixante-quinze pieds, on doit encore trouver les déblais pierreux et ter- restres entraînés par les courants depuis le som- met général des montagnes , tant par les vallées de la Seine que par celles de laMarne, del’ Yonne et de toutes les rivières qu’elles reçoivent. Au contraire, lorsque l’on creuse dans les petits allons voisins du sommet général, on ne trouve aucun déblai, mais des bancs solides de pierre calcaire posée par lits horizontaux , et des ar- giies au-dessous à une profondeur plus ou moins grande. J’ai vu , dans une gorge assez voisine de la crête de ce long cordon de la montagne de Langres, un puits de deux cents pieds de pro- fondeur ereusé dans la pierre calcaire avant de | trouver l'argile. Le premier fond des grandes vallées formées par le feu primitif, ou même par les courants de la mer, a donc été recouvert et élevé succes- sivement de tout le volume des déblais entraînés par le courant à mesure qu’il déchirait les ter- rains supérieurs : le fond de ceux-ci est demeuré presque nu, tandis que celui des vallées infé- rieures a été chargé de toute la matière que les autres ont perdue; de sorte que, quand on ne voit que superficiellement la surface de nos con- tinents , on tombe dans l'erreur en la divisant en bandes sablonneuses , marneuses , schisteu- ses, ete. : car toutes ces bandes ne sont que des déblais superficiels qui ne prouvent rien, et qui ne font , comme je l’ai dit, que masquer la na- tureet nous tromper sur la vraie théorie de la terre. Dans les vallons supérieurs, on ne trouve d’autres déblais que ceux qui sont descendus longtemps après la retraite des mers par l’effet des eaux pluviales ; et ces déblais ont formé les petites couches de terre qui recouvrent actuel- lement le fond et les coteaux de ces vallons. Ce même effet a eu lieu dans les grandes vallées, mais avec cette différence que dans les petits * Au château de Rochefort , près d'Anières en Champagne. LA NATURE. 42 vallons, les terres, les graviers et les autres détriments amenés parles eaux pluviales et par les ruisseaux, se sont déposés immédiatement sur un fond nu et balayé par les courants de la mer, au lieu que, dans les grandes vallées, ces mêmes détriments amenés par les eaux pluvia- les n'ont pu que se superposer sur les couches beaucoup plus épaisses des déblais entrainés et déposés précédemment par ces mêmes cou- rants : c’est par cette raison que , dans toutes les plaines et les grandes vallées, nos observa- teurs croient trouver la nature en désordre, parce qu’ils y voient les matières calcaires mé- langées avec les matières vitrescibles, ete. Mais n'est-ce pas vouloir juger d’un bâtiment par les gravois, ou de toute autre construction par les recoupes des matériaux ? Ainsi, sans nous arrêter sur ces petites et fausses vues, suivons notre objet dans l’exem- ple que nous ayons donné. Les trois grands courants qui se sont formés ‘ au-dessous des sommets de la montagne de Lan- gres nous sont aujourd’hui représentés par les vallées de la Meuse, de la Marne et de la Vin- geanne. Si nous examinons ces terrains en dé- tail, nous observerons que les sources de la Meuse sortent en partie des marécages du Bas- signy, et d’autres petites vallées très-étroites et très-escarpées ; que la Mance et la Vingeanne, qui toutes deux se jettent dans la Saône, sor- tent aussi de vallées très-étroites de l’autre côté du sommet; que la vallée de la Marne, sous Langres, a environ cent toises de profondeur ; que, dans tous ces premiers vallons, les co- teaux sont voisins et escarpés ; que, dans les vallées inférieures, et à mesure que les courants se sont éloignés du sommet général et commun, ils se sont étendus en largeur, et ont, par consé- quent, élargiles vallées, dont les côtes sont aussi moins escarpées, parce que le mouvement des eaux y était plus libre et moins rapide que dans les vallons étroits desterrains voisins du sommet. L'on doit encore remarquer que la direction des courants a varié dans leur cours , et que la déclinaison des coteaux a changé par la même cause. Les courants dont la pente était vers le midi, et qui nous sont représentés par les val- lons de la Tille, de la Venelle, de la Vingeanne, du Saulon et de la Mance, ont agi plus forte- ment contre les coteaux tournés vers le sommet de Langres et à l’aspect du nord. Les courants, au contraire, dont la pente était vers le nord, 428 et qui nous sont représentés par les vallons de l'Aujon , de la Suize, dela Marne et du Rognon, ainsi que par ceux de la Meuse, ont plus forte- ment agi contre les coteaux qui sont tournés vers ce même sommet de Langres, et qui se trouvent à l'aspect du midi. Il y avait done , lorsque les eaux ont laissé le sommet de Langres à découvert, une mer dont les mouvements et les courants étaient di- rigés vers le nord , et de l’autre côté de ce som- met, uneautre mer, dont lesmouvementsétaient dirigés vers le midi : ces deux mers battaient les deux flancs opposés de cette chaîne de mon- tagnes , comme l’on voit dans la mer actuelle les eaux battre les deux flancs opposés d’une longue ile ou d’un promontoire avancé. Il n’est donc pas étonnant que tous les coteaux escarpés de ces vallons se trouvent également des deux côtés de ce sommet général des montagnes ; ce HISTOIRE NATURELLE. tinent par une langue de terre très-étroite. On voit encore une de ces collines isolées à Andilly, une autre auprès d'Heuilly-Coton, ete. Nous devons observer qu’en général ces collines cal- caires isolées sont moins hautes que celles qui les environnent , et desquelles ces collines sont actuellement séparées , parce que le courant remplissant toute la largeur du vallon, passait par dessus ces collines isolées avec un mouve- ment direct, et les détruisait par le sommet, tandis qu'il ne faisait que baigner le terrain des coteaux du vallon, et ne les attaquait que par un mouvement oblique; en sorte que les montagnes qui bordent les vallons sont demeu- rées plus élevées que les collines isolées qui se trouvent entre deux. À Montbard, par exem- ple, la hauteur de la colline isolée au-dessus de laquelle sont situés les murs de l’ancien châ- , teau n’est que de cent quarante pieds, tandis n'est que l'effet nécessaire d’une cause très- | que les montagnes qui bordent le vallon des évidente. Si l’on considère le terrain qui environre l’une des sources de ia Marne près de Langres, deux côtés au nord et au midi en ont plus de trois cent cinquante; et il en est de même des autres collines calcaires que nous venons de ci- on reconnaitra qu’elle sort d’un demi-cerele | coupé presque à plomb ; et, en examinant les se démontrera que ceux des deux côtés et ceux du fond de l'arc de cerele qu’il présente, étaient autrefois continus, et ne faisaient qu’une seule masse, que les eaux ont détruite dans la partie qui forme aujourd’hui ce demi-cercle. On verra la mÿme chose à l’origine des deux autres sour- ces de la Marne ; savoir : dans le vallon de Ba- lesme et dans celui de Saint-Maurice : tout ce terrain était continu avant l’abaissement de la mer ; et cette espèce de promontoire, à l’extré- mité duquel la ville de Langres est située, était, dans ce même temps, continu non-seulement avec ces premiers terrains, mais avec ceux de Breuvonne, de Peigney, de Noidan-le-Ro- cheux, ete. Il est aisé de se convaincre, par ses yeux, que la continuité de ces terrains n’a été détruite que par le mouvement et l’action des eaux. Dans cette chaine de la montagne de Langres, on trouve plusieurs collines isolées, les unes en forme de cône tronqué, comme celle de Mont- saugeon , les autres en forme elliptique, comme celles de Montbard , de Montréal; et d’autres tout aussi remarquables , autour des sources de la Meuse, vers Clémont et Montigny-le-Roi , qui est situé sur un monticule adhérent au con- ter : toutes celles qui sont isolées sont en même , temps moins élevées que les autres, parce qu’é- lits de pierre de cette espèce d’amphithéâtre, on | tant au milieu du vallon au fil de l’eau, elles ont été minées sur leurs sommets par le cou- rant , toujours plus violent et plus rapide dans le milieu que vers les bords de son cours. Lorsqu'on regarde ces escarpements, souvent. élevés à pic à plusieurs toises de hauteur; lors- qu’on les voit composés du haut en bas de bancs de pierres calcaires très-massives et fort dures, on est émerveillé du temps prodigieux qu’il faut supposer pour que les eaux aient ouvert et creusé ces énormes tranchées. Mais deux cir- constances ont concouru à l'accélération de ce grand ouvrage : l’une de ces circonstances est que, dans toutes les collines et montagnes cal- aires , les lits supérieurs sont les moins com- pactes et les plus tendres, en sorte que les eaux ont aisément entamé la superficie du terrain, et formé la première ravine qui a dirigé leur cours ; la seconde circonstance est que, quoique ces banes de matière calcaire se soient formés et même séchés et pétrifiés sous les eaux de la mer, il est néanmoins très-certain qu'ils n’é- taient d'abord que des sédiments superposés de matières molles , lesquelles n’ont acquis de la dureté que successivement par l’action de Ja gravité sur la masse totale, et par l’exercice de la force d'affinité de leurs parties constituantes. ÉPOQUES DE LA NATURE, Nous sommes done assurés que ces matières n'avaient pas acquis toute la solidité et la du- reté que nous leur voyons aujourd'hui, etque, dans ce temps de l’action des courants de la mer, elles devaient lui céder avee moins de ré- sistance. Cette considération diminue l’énormité de la durée du temps de ce travail des eaux, et explique d'autant mieux la correspondance des angles saillants et rentrants des collines, qui ressemble parfaitement à la correspondance des bords de nos rivières dans tous les terrains aisés à diviser. . C’est pour la construction mème de ces ter- rains calcaires, et non pour leur division, qu'il est nécessaire d'admettre une très-longue pé- riode de temps ; en sorte que, dans les vingt mille ans, j'en prendrais au moins les trois pre- miers quarts pour la multiplication des coquil- lages, le transport de leurs dépouilles et la composition des masses qui les renferment, et le dernier quart pour la division et pour la ;livres. J'ai comparé les dimensions comme les poids de ces différents os : celui du plus gros bœuf qu'on a pu trouver à boucherie de Paris, n'avait que treize pouces de longueur sur sept pouces de circonfé- rence à la base; tandis que des deux autres tirés du sein de la Terre, l'un a vingt-quatre pouces de longueur sur douze pouces de circonférence à la base, et l'autre vingt-sept pouces de longueur sur treize de circonference. En voilà plus qu'il v'en faut pour démontrer que dans l'espèce du 475 bœuf, comme dans celles de l’hippopotame et de l'éléphant , il y a eu de prodigieux géants. IV. Nous avons des monuments tirés du sein de la Terre, et particuliérement du fond des miniéres de charbon et d'ardoise, qui nous démontrent que quelques-uns des poissons et des végétaux que ces matières contiennent, ne sont pas des espèces ac- tuellement existantes. Sur cela nous obsérverons, avec M. Lehman, qu'on ne trouve guère des em- preintes de pJantes dans les mines d'ardoise, à l'ex- ception de celles qui accompagnent les mines de charbon de terre, et qu'au contraire on ne trouve ordinairement les empreintes de poissons que dans les ardoises cuivreuses. Tome III, page 407. On à remarqué que les banes d’ardoise chargés de poissons pétrifiés, dans le comté de Mansfeld, sont surmontés d'un bancde pierres appelées puan- tes ; c'est une espèce d'ardoise grise, qui a tiré son origine d’une eau croupissante, dans laquelle les poissons avaient pourri avant de se pétrifier. Lee- beroht, journal économique, juillet 4752. M. Hoffman , en parlant des ardoises, dit que non-seulement les poissons que l’on y trouve pétri- fiés ont été des créatures vivantes, mais que les couches d'ardoises n'ont été que le dépôt d’une ean fangeuse, qui, après avoir fermenté et s'être pétri- fiée , s'était précipitée par couches très-minces. « Les ardoises d'Angers , dit M. Guettard , pré- sentent quelquefois des empreintes de plantes et de poissons , qui méritent d'autant plus d’atten- tion, que les plantes auxquelles ces empreintes sont dues étaient des fucus de mer, et que celles des poissons représentent différents crustacés ou animaux de la classe des écrevisses, dont les em- preintes sont plus rares que celles des poissons et des coquillages. Il ajoute qu'après avoir consulté plusieurs auteurs qui ont écrit sur les poissons, les écrevisses et les crabes, il n'a rien trouvé de ressemblant aux empreïintes-en question, si ce n’est le pou de mer, qui y a quelques rapports , mais qui en diffère néanmoins par le nombre de ses anneaux, qui sont au nombre de treize; au lieu que les anneaux ne sont qu’au nombre de sept ou huit dans les empreintes de l’ardoise : les em- preintes de poissons se trouvent communément parsemées de matière pyriteuse et blanchâtre. Une singularité, qui ne regarde pas plus les ar- doisières d'Angers que celles des autres pays, tombe sur la fréquence des empreintes de pois- sons et la rareté des coquillages dans les ardoi- ses, tandis qu’elles sont si communes dans les « pierres à chaux ordinaires. » Mémoires de l'Aca- démie des Sciences, année 1757, page 52. On peut donner des preuves démonstratives que tous les charbons de terre ne sont composés que de débris de végétaux, mêlés avec du bitume et du soufre, ou plutôt de l'acide vitriolique, qui se fait A ea here) 2 AUS A) DA MON MR à AUS À» À 2 476 NOTES JUSTIFICATIVES. sentir dans la combustion : on reconnait les végé- taux souvent en grand volume dans les couches supérieures des veines de charbon de terre ; et , à mesure que l'on descend, on voit les nuances de la décomposition de ces mêmes végétaux. Il y a des espèces de charbon de terre qui ne sont que des bois fossiles : celui qui se trouve à Sainte-Agnès, près Lons-le-Saunier, ressemble parfaitement à des bûches ou tronçons de sapin; on y remarque très- distinctement les veines de chaque crue annuelle, ainsi que le cœur : ces tronçons ne diffèrent des sapins ordinaires qu'en ce qu'ils sont ovales sur leur longueur, et que leurs veines forment autant d'ellipses concentriques. Ces büches n'ont guère qu'environ un pied de tour, et leur écorce est très- épaisse et fort crevassée, comme celle des vieux sapins ; au lieu que les sapins ordinaires de pareille grosseur ont toujours une écorce assez lisse. « J'aitrouvé, dit M. de Gensanne, plusieurs filons - de ce même charbon dans le diocèse de Mont- « pellier : ici les tronçons sont très-gros, leur tissu « esttrès-semblable à celui des châtaigniers de trois «“ à quatre pieds de tour. Ces sortes de fossiles ne «“ donnent au feu qu'une légère odeur d’asphalte ; : ils brûient, donnent de la flamme ét de la braise «“ comme le bois; c'est ce qu'on appelle communé- « ment er: France de la houille ; elle se trouve fort « près de la surface du terrain : ces houilles an- « noncent , pour l'ordinaire, du véritable charbon « de terre à de plus grandes profondeurs. » Hist. naturelle du Languedoc, par M. de Gensanne, tome I , page 20. Ces charbons ligneux doivent être regardés comme des bois déposés dans une terre bitumi- meuse à laquelle est due leur qualité de charbons fossiles : on ne les trouve jamais que dans ces sor- tes de terres, et toujours assez près de la surface du terrain ; il n'est pas même rare qu'ils forment la tête des veines d’un véritable charbon; il y en a qui, n'ayant reçu que peu de substance bitumi- neuse , ont conservé leurs nuances de couleur de bois. « J'en ai trouvé de cette espèce, dit M. de « Gensanne, aux Cazarets, près de Saint-Jean-de- « Cueul, à quatre lieues de Montpellier ; mais pour « l'ordinaire la fracture de ce fossile présente une « surface lisse entièrement semblable à celle du « jayet. Il y a dans le même canton, près d’Aseras , “ du bois fossile qui est en partie changé en une « vraie pyrite blanche ferrugineuse. La matière « minérale y occupe le cœur du bois, et on y re- « marque très-distinctement la substance ligneuse “ rongée en quelque sorte et dissoute par l'acide « minéralisateur.» Histoirenaturelle du Languedoe, tome I, page 54. J'avoue que je suis surpris de voir qu'après de pareilles preuves rapportées par M. de Gensanne lui-même, qui d’ailleurs est bon minéralogiste, il attribue néanmoins l'origine du charbon de terre à l'argile plus ou moins imprégnée de bitume : non- seulement les faits que je viens de citer d’après lui démentent cette opinion, mais on verra par ceux que je vais rapporter, qu’on ne doit attribuer qu'aux détriments des végétaux mêlés de bitumes la masse entière de toutes les espèces de charbons de terre. Je sens bien que M. de Gensanne ne regarde pas ces bois fossiles, non plus que la tourbe et même la houille, comme de véritables charbons de terre entièrement formés ; et en cela je suis de son avis. Celui qu'on trouve auprès de Lons-le-Saunier a été examiné nouvellement par M. le président de Ruf- fey, savant académicien de Dijon. I] dit que ce bois fossile s'approche beaucoup de la nature des char- bons de terre, mais qu'on le trouve à deux ou trois pieds de la surface de la terre dans une étendue de deux lieues sur trois à quatre pieds d'épaisseur , et que l'on reconnait encore facilement les espèces de bois de chêne, charme, hêtre, tremble; qu'il y a du bois de corde et du fagotage, que l'écorce des bü- ches est hien conservée , qu'on y distingue les-cer- cles des sèves et les coups de hache, et qu'à diffé- rentes distances on voil des amas de copeaux ; qu'au reste ce charbon, dans lequel le bois s'est changé, est excellent pour souder le fer; que néanmoins il répand, lorsqu'on le brûle, une odeur fétide, et qu'on en a extrait de l’alun. Mémoires de l'acudé- mie de Dijon, tome I, page 47. « Près du village nommé Beichlitz, à une lieue «environ de la ville de Halle, on exploite deux « couches composées d’une terre bitumineuse et « de bois fossile (il y a plusieurs mines de cette es- « pèce dans le Pays de Hesse), et celui-ci est sem- « blable à celui que l'on trouve dans le village de « Sainte-Agnès en Franche-Comté, à deux lieues « de Lons-le-Saunier. Cette mine est dans le ter- « rain de Saxe ; la première couche est à trois toi- «ses et demie de profondeur perpendiculaire, et « de huit à neuf pieds d'épaisseur : pour y parve- « nir on traverse un sable blanc, ensuite une ar- « gile blanche et grise qui sert de toit, et qui a trois « pieds d'épaisseur ; on rencontre encore au-des- « sous une bonne épaisseur, tant de sable que d'ar- « gile, qui recouvre la seconde couche, épaisse «“ seulement de trois et demi à quatre pieds : on a « sondé beaucoup plus bas sans en trouver d’au- «tres. « Ces couches sont horizontales, mais elles plon- « gent ou remontent à peu près comme les autres « couches connues. Elles consistent en une terre « brune, bitumineuse, qui est friable lorsqu'elle « est sèche, et ressemble à du bois pourri. Il s'y «trouve des pièces de bois de toute grosseur, « qu'il faut couper à coups de hache, lorsqu'on les « retire de la mine où elles sont encore mouillées. « Ce bois étant sec se casse très-facilement. Il est NOTES JUSTIFICATIVES. « luisant dans sa cassure comme le bitume ; mais «“ on y reconnait toute l'organisation du bois. Il «“ est moins abondant que la terre; les ouvriers le «“ mettent à part pour leur usage. « Un boisseau ou deux quintaux de terre bitu- « mineuse se vend dix-huit à vingt sous de France. « Il y a des pyrites dans ces couches; la matière « en est vitriolique, elle relleurit et blinchit à l'air : « mais la matière bitumineuse n’est pas d'un grand « débit, elle ne donne qu'une chaleur faible, » Voyages métallurgiques de M. Jars, pages 520 et suivantes. d Tout ceci prouverait qu'en effet cette espèce de mine de bois fossile, qui se trouve si près de la sur- face de la Terre, serait bien plus nouvelle que les mines de charbon de terre ordinaire, qui presque toutes s’enfoncent profondément : mais cela n'em- pèche pas que les anciennes mines de charbon ! n'aient été formées des débris des végétaux, puis- que, dans les plus profondes, on y reconnait la substance ligneuse et plusieurs autres caractères qui n’appartiennent qu'aux végétaux ; d’ailleurs on a quelques exemples de bois fossiles trouvés en grandes masses et en lits fort étendus sous des bancs de grès et sous des rochers calcaires. Voyez ce que j'en ai dit à l’article des additions sur les bois souterrains. Il n'y a done d'autre différence entre le vrai charbon de terre et ces bois char- bonnifiés, que le plus ou moins de décomposition, et aussi le plus ou moins d'imprégnation par les bitumes ; mais le fond de leur substance est le même , ettous doivent leur origine aux détriments des végétaux. M. le Monnier, premier médecin ordinaire du Roi, et savant botaniste, a trouvé dans le schiste ou fausse ardoise qui traverse une masse de charbon de terre en Auvergne, les impressions de plusieurs ! espèces de fougères qui lui étaient presque toutes inconnues ; il croit seulement avoir remarqué l'im- pression des feuilles de l'osmonde royale, dont il dit n'avoir jamais vu qu’un seul pied dans toute l'Auvergne. Observations d'Histoire naturelle par M. le Mounier. Paris, 4759, page 195. | 11 serait à désirer que nos botanistes fissent des observations exactes sur les impressions des plan- | tes qui se trouvent dans les charbons de terre, dans les ardoises et dans les schistes : il faudrait même dessiner et graver ces impressions de plantes aussi bien que celles des crustacés, des coquilles et des poissons que ces mines renferment ; Car ce ne sera | qu'après ce travail qu'on pourra prononcer sur l'existence actuelle ou passée de toutes ces espè- ces, et mème sur leur ancienneté relative. Tout ce que nous en savons aujourd'hui, c’est qu'il y en a plus d'inconnues que d'autres, et que, dans celles qu'on a voulu rapporter à des espèces bien connues, l'on a loujours trouvé des différences assez gran- 477 des pour n'être pas pleinement satisfait de la com- paraison. ” V. Nous pourons démontrer par des expériences aisées à répèler, que le verre et le grés en poudre se convertissent en peu de temps en argile par leur sé- jour dans l'eau. « J'ai mis dans un vaisseau de faïence deux li- «vres de grès en poudre, dit M. Nadault; j'ai « rempli le vaisseau d'eau de fontaine distillée , de « façon qu'elle surnageait le grès d'environ trois ou « quatre doigts de hauteur ; j'ai ensuite agité ce « grès pendant l'e.pace de quelques minutes, et j'ai « exposé le vaisseau en plein air. Quelques jours « après je me suis aperçu qu'il s'était formé sur « ce grès une couche de plus d’un quart de pouce « d'épaisseur d’une terre jaunâtre très-fine, très- « grasse et très-Quctile : j'ai versé alors par incli- « naison l’eau qui surnageait dans un autre vais- « seau , et cette terre, plus légère que le grès, s'en «est séparé sans qu'il s'y soit mêlé. La quantité « que j'en ai retirée par cette première lotion était trop considérable pour pouvoir penser que, « dans un espace de temps aussi court, il eût pu se « faire une assez grande décomposition de grès « pour avoir produit autant de terre : j'ai done « jugé qu'il fallait que cette terre fût déjà dans le « grès dans le même état que je l'en avais retirée, «et qu'il se faisait peut-être ainsi continuellement « une décomposilion du grès dans sa propre mine. « J'ai rempli ensuite le vaisseau de nouvelle eau « distillée; j'ai agité le grès pendant quelques in- « stants, et, trois jours après, j'ai encore trouvé sur ce grès une couche de terre de la même qualité « que la première, mais plus mince de moitié. « Ayant mis à part ces espèces de sécrétions, j'ai , “ continué, pendant le cours de plus d’une année, « cette même opération et ces expériences que j'a- « vais commencées dans le mois d'avril; et la quan- « tité de terre que m'a produit ce grès a diminué « peu à peu, jusqu'à ce qu'au bout de deux mois, « en transvidant l'eau du vaisseau qui le conte- « nait, je ne trouvai plus sur le grès qu’une pel- « licule terreuse qui n'avait pas une ligne d'épais- seur ; mais aussi pendant tout le reste de l'année, et tant que le grès a été dans l'eau, cette pellicule «n'a jamais manqué de se former dans l’espace de « deux ou trois jours, sans augmenter ni diminuer { «en épaisseur, à l'exception du temps où j'ai été « obligé, par rapport à la gelée, de mettre le vais- « seau à couvert, qu'il m'a paru que la décompo- sition du grès se faisait un peu plus lentement. « Quelque temps après avoir mis ce grès dans « l'eau , j'y ai aperçu une grande quantité de pail- « lettes brillantes et argentées, comme le sont celles « dutalc,quin'y étaient pas auparavant, et j'ai jugé « que c'était là son premier état de décomposition ; “ que sa molécules, formées de plusieurs petites 478 couches, s'exfoliaient , comme j'ai observé qu'il arrivait au verre dans certaines circonstances, et « que ces paillettes s'atténuaient ensuite peu à peu « dans l'eau, jusqu'à ce que, devenues si petites « qu'elles n'avaient plus assez de Surface pour ré- « flechir la lumière , elles acquéraient la forme et «les propriétés d'une véritable terre : j'ai done 1 amassé et mis à part toutes les sécrétions ter- « reuses que les deux livres de grès m'ont pro- « duites pendant le cours de plus d'une année ; et « lorsque cette terre a été bien sèche, elle pesait “environ cinq ônces. J'ai aussi pesé le grès « après l'avoir fait sécher , et il avait diminué en « pesanteur dans lamême proportion, de sorte qu'il « s’en était décomposé un peu plus de la sixième « partie. Toute cette terre était au reste de la même « qualité, et les dernières sécrétions étaient aussi “ grasses, aussi ductiles que les premières, et tou- « jours d’un jaune tirant sur l'orangé : mais comme « j'y apercevais encore quelques paillettes brillan- “Les, quelques molécules de grès, qui n'étaient pas « entièrement décomposées , j'ai remis cette terre « avec de l’eau dans un vaisseau de verre, et je l'ai « laissée exposée à l'air, sans la remuer, pendant « lout un été, ajoutant de temps en temps de nou- « velle eau à mesure qu'elle s'évaporait ; un mois «_ après, cette eau a commencé à se corrompre, et «_ elle est devenue verdûtre et de mauvaise odeur : « la terre paraissait être aussi dans un état de fer- « mentation où de putréfaction, car il s’en élevait «une grande quantité de bulles d'air; et, quoi- « qu’elle eût conservé à sa superficie sa couleur « jaunätre , celle qui était au fond du vaisseau était « brune, et cette couleur s’étendait de jour en jour, « et paraissait plus foncée; de sorte qu'à la fin de « « = = l'été cette terre était devenue absolument noire. J'ai laissé évaporer l'eau sans en remettre de nou- « velle dans le vaisseau , et, en ayant tiré la terre, « qui ressemblait assez à de l'argile grise lorsqu'elle « est humectée, je l'ai fait sécher à la chaleur du « feu ; et lorsqu'elle a été échauffée, il m'a paru “ qu'elle exhalait une odeur sulfureuse : mais ce « qui m'a surpris davantage , c'est qu’à proportion « qu'elle s'est desséchée , la couleur noire s’est un « peu effacée , et elle est devenue aussi blanche que « l'argile la plus blanche; d'où on peut conjee- «“ turer que c'était par conséquent une matière vo- « latile qui lui communiquait cette couleur brune : « les esprits acides n'ont fait aucune impression «“ sur celle terre ; et lui ayant fait éprouver un de- « gré de chaleur assez violent , elle n’a point rougi « comme l'argile grise, mais elle a conservé sa blan- “ cheur ; de sorte qu il me paraît évident que cette «“ malière que m'a produite le grès en s'atténuant et “en se décomposant dans l’eau est une véritable « argile blanche. » Note communiquée à M. de Buf- fon par M. Nadault, correspondant de er NOTES JUSTIFICATIVES. des Sciences, ancien avocat général de la Chambre des comptes de Dijon. VI. Le mouvement des eaux d'orient en occident a travaillé la surface de la Terre dans ce sens ; dans tous les continents dumonde, lupente est plus rapide du côté de l'occident que du côté de lorient. Cela est évident dans le continent de l'Amérique, dont les pentes sont extrêmement rapides vers les mers de l'ouest, et donttoutes les terres s'étendent en pente douce, et aboutissent presque toutes à de grandes plaines du côté de la mer de l'orient. En Europe, laligne du sommet de la Grande-Bretagne, qui sé- tend du nord au sud, est bien plus proche du bord occidental que de l’oriental de l'Océan, et, par la même raison, les mers qui sont à l'occident de l'Ir- lande et de l'Angleterre sont plus profondes que la mer qui sépare l'Angleterre et la Hollande. La ligne du sommet de la Norvége est bien plus pro: che de l'Océan que de la mer Baltique. Les monta- gnes du sommet général de l'Europe sont bien plus hautes vers l'occident que vers l’orient ; et si l'on prend une partie de ce sommet depuis la Suisse jus- qu'en Sibérie , il est bien plus près de la mer Bal- tique et de la mer Blanche, qu'il ne l'est de la mer Noire et de la mer Caspienne. Les Alpes et l Apen- nin règuent bien plus près de la Méditerranée que de la mer Adriatique. La chaîne de montagnes qui sort du Tyrol, et qui s'etend en Dalmatie et jusqu’à la pointe de la Morée, côtoie pour ainsi dire la mer Adriatique, tandis que les côtes orientales qui leur sont opposées sont plus basses. Si l’on suit en Asie la chaîne qui s'étend depuis les Dardanelles jusqu'au détroit de Babel-Mandel, on trouve que les sommets du mont Taurus, du Liban et de toute l'Arabie, côtoient la Méditerranée et la mer Rouge; et qu'à lorient, ce sont de vastes continents où coulent des fleuves d’un long cours, qui vont se jeter dans le golfe Persique. Le sommet des fameuses montagnes de Gattes s'approche plus des mers occidentales que des mers orientales. Le sommet qui s'étend depuis les frontières occidentales de la Chine jus- qu’à la pointe de Mälaca est encore plus près de la mer d'occident que de la mer d'orient. En Afrique, la chaîne du mont Atlas envoie dans la mer des Canaries des fleuves moins longs que ceux qu'elle envoie dans l'intérieur du continent, et qui vont se perdre au loin dans des lacs et de grands marais. Les hautes montagnes qui sont à l'occident vérs le cap Vert et dans toute la Guinée, lesquelles, après avoir tourné autour du Congo, vont gagner les monts de la Lune, et s’allongent jusqu'au cap de Bonne-Espérance, occupent assez régulièrement le milieu de l'Afrique : on reconnaitra néanmoins, en considérant la mer à lorient et à l'occident, que celle à lorient est peu profonde, avec grand nom- bre d'îles, tandis qu'à l'occident elle a plus de > fondeur et très-peu d'îles ; en sorte que l'endroit le LL, cn NOTES JUSTIFICATIVES. 479 plus profond de la mer occidentale est bien plus près de cette chaîne que le plus profond des mers orientales ou des Iudes. On voit donc généralement dans tous les grands continents, que les points de partage sont toujours beaucoup plus près des mers de l'ouest { que des mers de l'est; que les revers de ces continents sont tous allongés vers l'est, et toujours raccourcis à l’ouest; que les mers des rives occidentales sont plus profondes et bien moins semées d'ilesique les orientales ; et même l'on reconnaîtra que, dans loutes ces mers, les côtes des iles sont toujours plus hautes et les mers qui les baignent plus pro- fondes à l'occident qu’à lorient. NOTE SUR LA CINQUIÈME ÉPOQUE. Il y a des animaux et méme des hommes si brutes, qu'ils préférent de languir dans leur ingrate terre natale à la peine qu'il faudrait prendre pour se gêter plus commodément ailleurs. Je puis en citer un exemple frappant : les Maillés, petite nation Sauvage de la Guiane, à peu de distance de l'em- bouchure de la rivière Ouassa, n'ont pas d'autre domicile que les arbres, au-dessus desquels ils se tiennent toute l'année, parce que leur terrain est toujours plus ou moins couvert d'eau; ils ne des- cendent de ces arbres que pour aller en canots chercher leur subsistance. Voilà un singulier exemple du stupide attachement à la terre natale ; car il ne tiendrait qu'à ces sauvages d’aller comme les autres habiter sur la terre, en s'éloignant de quelques lieues des savanes noyées, où ils ont pris naissance et où ils veulent mourir. Ce fait, cité par quelques voyageurs !, m'a été confirmé par plu- sieurs témoins qui ont vu récemment cette petite nation, composée de trois ou quatre cents sauvages : ils se tiennent en effet sur les arbres au-dessus de l’eau , ils y demeurent toute l'année : leur terrain est une grande nappe d’eau pendant les huit ou neuf mois de pluie; et pendant les quatre mois d'été, la terre n’est qu’une boue fangeuse, sur la- quelle il se forme une petite croûte de cinq ou six pouces d'épaisseur, composée d'herbes plutôt que de terre, et sous lesquelles on trouve une grande épaisseur d’eau croupissante et fort infecte. " Les Maillés, l’uve des nations sauvages de la Guiane , ha- bitent le long de la côte; et comme leur pays est souvent noyé, ils ont construit leurs cabanes sur les arbres, au pied desquels ils tiennent leurs canots, avec lesquels ils vont chercher ce qui leur est nécessaire pour vivre. (Voyage de Desmarchais, tome 1V, page 552.) NOTES SUR LA SIXIÈME ÉPOQUE. [. La mer Caspienne était anciennement bien plus grande qu'elle ne l'estaujourd'hui; cette supposition est bien fondée. « En parcourant, dit M. Pallas, les immenses déserts qui s'étendent entre le Volga, le Jaik, la mer Caspienne et le Don, j'ai remar- qué que ces steppes ou déserts sablonneux sont de toutes parts environnés d’une côte élevée, qui embrasse une grande partie du lit du Jaik, du Volga et du Don, et que ces rivières très-pro- fondes , avant que d'avoir pénétré dans cette en- ceinte , sont remplies d'iles et de bas-fonds, dès qu’elles commencent à tomber dans les steppes , où la granderivière de Kuman va se perdre elle- même dans les sables. De ces observations réu- nies, je conclus que la mer Caspienne a couvert autrefois tous ces déserts ; qu’elle n’a eu ancien- nement d'autres bords que ces mêmes côtes éle- vées qui les environnent de toutes parts, et qu'elle a communiqué, au moyen du Don, avec la mer Noire, supposé même que cette mer, ainsi que celle d'Azoff, n'en ait pas fait par- « tie. !» M. Pallas est sans contredit l’un de nos plus sa- vants naturalistes ; et c'est avec la plus grande sa- tisfaction que je le vois iei entièrement de mon avis sur l'ancienne étendue de la mer Caspienne, et sur la probabilité bien fondée qu’elle communiquait autrefois avec la mer Noire. IL. La tradition ne nous « conservé que la mé- moire de la submersion de la Taprobane…. Il y & eu des bouleversements plus grands et plus fréquents dans l'Océan Indien que dans aucune autre partie du monde. La plus ancienne tradition qui reste de ces affaissements dans les terres du midi, est celle de la perte de la Taprobane dont on croit que les Maldives et les Laquedives ont fait autrefois par- tie. Ces îles, ainsi que les écueils et les bancs qui règnent depuis Madagascar qu’ à la pointe de l'Inde, semblent indiquer les sommets des terres qui réunissaient l'Afrique avec l'Asie; car ces îles ont presque toutes , du côté du nord, des terres et des banes qui se prolongent très-loin sous les eaux. Il paraît aussi que les iles de Madagascar et de Ceylan étaient autrefois unies aux continents qui les avoisinent. Ces séparations et ces grands bou- leversements dans les mers du midi ont la plu- part été produits par l’affaissement des cavernes, par les tremblements de terre et par l'explosion des feux souterrains ; mais il y a eu aussi beaucoup de terres envabhies par le mouvement lent et successif de la mer d'orient en occident. Les endroits du 4 Journal Historique et Politique , mois de novembre 1775, arlicle Pétersbourg. $0 monde où cet effet estle plus sensible sont les ré- gions du Japon, de la Chine, et de toutes les par- ties orientales de l'Asie. Ces mers, situées à l'occi- dent de la Chine et du Japon , ne sont, pour ainsi dire , qu'accidentelles , et peut-être encore plus ré- centes que notre Méditerranée. Les îles de la Sonde, les Moluques et les Philip- pines ne présentent que des terres bouleversées , et sont encore pleines de volcans ; il y en a beau- coup aussi dans les iles du Japon , et l'on prétend que c'est l'endroit de l'univers le plus sujet aux tremblements de terre; on y trouve quantité de fontaines d’eau chaude. La plupart des autres îles de l'Océan Indien ne nous offrent aussi que des pies ou des sommets de montagnes isolées qui vo- missent le feu. L'ile de France et l'ile de Bourbon paraissent deux de ces sommets, presque entière- ment couverts de matières rejetées par les volcans ; ces deux îles étaient inhabitées lorsqu'on en a fait la découverte. IL. À la Guiane, les fleuves sont si voisins les uns des autres, et en même temps si gonflés, si ra- pides dans la saison des pluies, qu'ils entraînent des limons immenses qui se déposent sur toutes les terres basses et sur le fond de la mer en sédiment vaseur. Les côtes de la Guiane française sont si basses, que ce sont plutôt des grèves toutes cou- vertes de vase en pente très-douce, qui commence dans les terres et s'étend sur le fond de la mer à une très-grande distance. Les gros navires ne peu- vent approcher de la rivière de Cayenne sans tou- cher, et les vaisseaux de guerre sont obligés de rester deux ou trois lieues en mer. Ces vases en pente douce s'étendent tout le long des rivages, depuis Cayenne jusqu'à la rivière des Amazones ; l'on ne trouve dans cette grande étendue que de la vase et point de sable, et tous les bords de la mer sont couverts de palétuviers : mais à sept ou huit lieues au-dessus de Cayenne, du côté du nord-ouest jusqu'au fleuve Marony, on trouve quelques anses dont le fond est de sable et de rochers qui forment des brisants; la vase cependant les recouvre pour la plupart, aussi bien que les couches de sable, et celte vase a d'autant plus d'épaisseur qu'elle s’é- loigne davantage du bord de la mer. Les petits ro- chers n'empêchent pas que ce terrain ne soit en pente très-douce à plusieurs lieues d'étendue dans les terres. Cette partie de la Guiane, qui est au nord-ouest de Cayenne , est une contrée plus éle- vée que celles qui sont au sud-est : on en a une preuve démonstrative ; car tout le long des bords de la mer on trouve de grandes savanes noyées qui bordent la côte, et dont la plupart sont dessé- chées dans la partie du nord-ouest, tandis qu'elles sont loutes couvertes des eaux de la mer dans les parties du sud-est, Outre ces terrains noyés ac- tuellement par la mer, il y en a d'autres plus éloi- o NOTES JUSTIFICATIVES. gnés , et qui de même étaient noyés autrefois. On trouve aussi en quelques endroits des savanes d'eau douce; mais celles-ci ne produisent point des pa- létuviers, et seulement beaucoup de palmiers lata- niers. On ne trouve pas une seule pierre sur toutes ces côtes basses : la marée ne laisse pas d'y monter de sept ou huit pieds de hauteur , quoique les cou- rants lui soient opposés, car ils sont tous dirigés vers les îles Antilles. La marée est fort sensible, lorsqueles eaux des fleuves sont basses, et on s'en aperçoit alors jusqu'à quarante et même cinquante lieues dans ces fleuves; mais en hiver, c’est-à-dire dans la saison des pluies, lorsque les fleuves sont gonflés, la marée y est à peine sensible à une ou deux lieues, tant le courant de ces fleuves est ra- pide, et il devient de la plus grande impétuosité à l'heure du reflux. Les grosses tortues de mer viennent déposer leurs œufs sur le fond de ces anses de sable, et on ne les voit jamais fréquenter les terrains vaseux ; en sorte que depuis Cayenne jusqu'à la rivière des Amazones, il n'y a point de tortues, et on va les pêcher depuis la rivière Courou jusqu’au fleuve Ma- rony. 11 semble que la vase gagne tous les jours du terrain sur les sables, et qu'avec le temps, cette côte nord-ouest de Cayenne en sera recouverte comme la côte sud-est ; car les tortues qui ne veu- lent que du sable pour y déposer leurs œufs, s’é- loignent peu à peu de la rivière Courou , et depuis quelques années, on est obligé deles aller chercher plus loin du côté du fleuve Marony, dont les sa- bles ne sont pas encore couverts. Au delà des savanes, dont les unes sont sèches et les autres noyées, s'étend un cordon de collines, qui sont toutes couvertes d'une grande épaisseur de terre, plantées partout de vieilles forêts : com- munément ces collines ont trois cent cinquante ou quatre cents pieds d'élevation, mais en s’éloignant davantage on en trouve de plus élevées, et peut- être de plus du double. en s'avançant dans les terres jusqu'à dix ou douze lieues. La plupart de ces montagnes sont évidemment d'anciens volcans éteints. Il y en a pourtant une appelée la Gabrielle, au sommet de laquelle on trouve une grande mare ou petit lac, qui nourrit des caymans en assez grand nombre, dont apparemment l'espèce s'y est conservée depuis le temps où la mer couvrait cette colline. Au delà de cette montagne Gabrielle, on ne trouve que de petits vallons, des tertres, des mor- nes et des matières volcanisées, qui ne sont point en grandes masses, mais qui sont brisées par petits blocs : la pierre la plus commune, et dont les eaux ont entrainé des blocs jusqu’à Cayenne, est celle que l'on appelle la pierre à ravets, qui, commenous l'avons dit, n'est point une pierre, mais une lave de volcan : on l'a nommée pierre à ravets, parce NOTES JUSTIFICATIVES, qu'elle est trouée, et que les insectes appelés ravets se logent dans les trous de cette lave. IV. La race des géants dans l'espèce humaine a été détruite depuis nombre de siècles duns Les lieux de son origine en Asie. On ne peut pas douter qu'il n'y ait eu des individus géants dans tous les cli- mats de la terre, puisque, de nos jours, on en voit encore naître en tout pays, et que récemment on en a vu un qui était né sur les confins de la Lapo- nie, du côté de la Finlande. Mais on n’est pas éga- lement sûr qu'il y ait eu des races constantes, et moins encore des peuples entiers de géants : ce- pendant le témoignage de plusieurs auteurs an- ciens, et ceux de l'Écriture-Sainte, qui est encore plus ancienne, me paraissent indiquer assez clai- rement qu'il y a eu des races de géants en Asie; et nous croyons devoir présenter ici les passages les plus positifs à ce sujet. Il est dit, Nombres, XIIT, verset 54 : Nous avons vu les géants de la race d'Hanac, aux yeux desquels nous ne devions pu- raître pas plus grands que des cigales. Et par une autre version, il est dit : Nous avons vu des mon- stres de la race d'Enak, auprès desquels nous n'é- tions pas plus grands que des sauterelles. Quoique ceci ait l'air d’une exagération, assez ordinaire dans le style oriental, cela prouve néanmoins que ces géants étaient très-grands. Dans le Deutéronome, chapitre XXI, verset 20, il est parlé d’un homme très-grand de la race d'A- rapha, qui avait six doigts aux picds et aux mains. Et l'on voit par le verset 18, que cette race d’Ara- pha était de genere gigantum. On trouve encore dans le Deutéronome plu- sieurs passages qui prouvent l'existence des géants et leur destruction : Un peuple nombreux, est-il dit, et d'une grande hauteur, comme ceux d'Éna- cim, que le Seiqueur a détruits ; chapitre ET, ver- set 21. Et il est dit, versets 19 et 20 : Le pays d'Ammon est réputé pour un pays de géants, dans lequel ont autrefois habité les géants que les Ammo- nites apprl'ent Zomzommim. Dans Josué, chapitre XI, verset 22, il est dit : Les seuls géants de la race d'Énacim qui soient restés parmi les enfants d'Israël étaient dans les villes de Gaza, de Geth et d'Azot; tous les autres déants de celte race ont été détruit®. Philon, saini Cyrille et plusieurs autres auteurs, semblent croire que le mot de géants n'indique que des hommes superbes et impies, et non pas des hommes d'une grandeur de corps extraordinaire ; mais ce sentiment ne peut pas se soutenir, puisque souvent il est question de la hauteur et de la force de corps de ces mêmes hommes. Dans le prophète Amos, il est dit que le peuple des Amorrhéens était si haut, qu’on les a compa- rés aux cèdres, sans donner d'autres mesures à ieur grande hauteur. 1. 48 O4, roi de Bazan, avait la hauteur de neuf cou- dées, et Goliath, de dix coudées et une palme. Le lit d Og avait neuf coudées de longueur, c'est-à- dire treize pieds et demi, et de largeur quatre cou- dées, qui fout six pieds. Le corselet de Goliath pesait deux cent huit li- yres quatre onces, et le fer de sa lance pesait vingt- cinq livres. Ces témoignages me paraissent suffisants pour qu'on puisse croire, avec quelque fondement, qu'il a autrefois existé dans le contir.ent de l'Asie, non- seulement des individus, mais des races de géants, qui ont été détruites, et dont les derniers subsis- taient encore du temps de David. Et quelquelois la nature, qui ne perd jamais ses droits, semble re- monter à ce même point de force de production et de développement; car, dans presque tous les climats de la Terre, il paraît de temps en temps des hommes d'une grandeur extraordinaire, c'est- à-dire de sept pieds et demi, huit et même neuf pieds : car, indépendamment des gé.nts bien avé- rés, et dont nous avons fait mention, nous pour- rions citer un nombre infini d'autres exemples rapportés par les auteurs anciens et modernes, des géants de dix, douze, quinze, dix-huit pieds de hauteur, et même encore au delà ; mais je suis bien persuadé qu'il faut beaucoup rabattre de ces der- nières mesures : On a souvent pris des os d'élé- phants pour des os humains, et d'ailleurs la na- ture, telle qu'elle nous est connue, ne nous offre dans aucune espèce des disproportions aussi gran - des, excepté peut-être dans l'espèce de 1 hippopo- tame, dont les dents trouvées dans le sein de la terre sont au moins quatre fois plus grosses que les dents des hippopotames actuels. Les os du prétendu roi Theutobochus. trouvés en Dauphiné, ont fait le sujet d'une dispute entre Habicot, chirurgien de Paris, et Riolan, docteur en médecine, célèbre anatomiste. Habicot a écrit dans un petitouvrage qui a pour titre: Gagantostéologiet, que ces os étaient dans un sépulcre de brique, à dix-huit pieds en terre, entouré de sablon : il ne donne ni la description exacte, ni les dimensions, ni le nombre de ces os; il prétend que ces os étaient vraiment des os humains, d'autant, dit-il, qu'aucun animal n’en possède de tels. Il ajoute que ce sont des maçons qui, travaillant chez le seigneur de Lagon, gentiliomme du Dauphiné , trouvèrent, le 41 janvier 1615, ce tombeau, proche les masures du château de Chaumont; que ce tombeau était de brique ; qu'il avait trente pieds de longueur, douze de largeur et huit de profondeur, en comptant le chapiteau, au milieu duquel était une pierre grise, sur lsquelle était gravé : Theutobochus Rex ; que ce tombeau ayant été ouvert, on vit un squelette 1 Paris, 1615, in-12, H 482 NOTES JUSTIFICATIVES. humain de vingt-cinq pieds et demi de longueur, dix de largeur à l'endroit des épaules, et cinq d'é- paisseur ; qu'avant de toucher ces os on mesura la tête, qui avait cinq pieds de longueur et dix en rondeur. (Je dois observer que lu proportion de la longueur de la tête humaine avec celle du corps n'est pas d'un cinquième, mais d'un septième et demi ; en sorte que cette tête de cinq pieds suppose- rail un corps humain de 37 + pieds de hauteur.) Enfin il dit que la mâchoire inférieure avait six pieds de tour, les orbites des yeux sept pouces de tour, Chaque clavicule quatre pieds de long, et que la plupart de ces ossements se mirent en poudre après avoir été frappés de l'air. Le docteur Riolan publia, la même année 1615, un écrit sous le nom de Gigantomachie, dans le- quel il dit que le chirurgien Habicot a donné, dans sa Gigantostéologie, des mesures fausses de la gran- deur du corps et des os du prétendu géant Theu- tobochus ; que lui Riolan a mesuré l'os de la cuisse, celui de la jambe, avec l’astragale joint au calca- néum, et qu'il ne leur a trouvé que 6 14 SEM PE 40 Or, CESR LE 15 EN cu PE sea 46 Cuivre, en. ..... 10 2 IREN SET AL 50 Fersen Strat 18 | 0 RCE ARE CASE 56 Dans le même four, mais à un moindre de- gré de chaleur, les mêmes boulets, avec un autre boulet d’étain, se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroïdis à les tenir pendant Refroïdis à la température une demi-seconde. actuelle. a minules. minutes. Élain, en: 77 ÉmRT eRre Loe 20 Argent, en. , . . .. 11 2 CPE NERENT ENTR 51 Or, en Eee CRE RACE 0 Cuivre; èn. F0 14 ns Se rte 15 Ferjiéne 2000 LOT ENS SE LR RON: 47 XI: Dans le même four, et à un degré de chaleur encore moindre, les mêmes boulets se sont re- froidis dans les proportions suivantes INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. Refroidis à les tenir pendant Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. hu minutes. minutes, Etain en”... 06 Pic ets st Argent, en. ..... 9 ER «…. 26 Or, CREER TES COR IN 507 Feu ST ... «28 Cuivre, en. . .... 10 Ettt face" eut Si Han enr 11 ERP 550 On doit conclure de ces expériences : 1° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du cuivre, au point de les tenir :: 11 + 16 À 18 : 10 + 14 + 165, où :: 45 À : 40 ! par les trois expériences présentes ; et comme ce rapport a été trouvé par les expériences précédentes (art. 4) :: 534 : 45, on aura , en ajoutant ces temps, 99 à 85 j pour le rapport encore plus précis du premier refroi- dissement du fer et du cuivre, et pour le se- cond, c’est-à-dire pour le refroidissement en- tier, le rapport donné par les présentes expé- riences étant :: 35 + 47 +- 56 : 31 + 43 + 50 ou :: 138 : 124, et :: 142 : 125 parles expé- riences précédentes (ar£. 4), on aura, en ajou- tant ces temps, 280 à 249 pour le rapport en- core plus précis du refroidissement entier du fer et du cuivre. 2° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de l'or, au point de pauvoir les tenir :: 45 À : 37, et au point de la température :: 138 : 114. 3° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de l'argent, au point de pouvoir les tenir :: 45 £ : 34, et au point de ‘la température :: 138 : 97. 49 Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de l’étain, au point de pouvoir les tenir :: 45 4 : 21 par les présen- tes expériences, et :: 24 : 11 par les expérien- ces précédentes (ar£. 3). Ainsi, l’on aura, en ajoutant ces temps, 69 & à 32 pour le rapport encore plus précis de leur refroidissement; et pour le second , le rapport donné par les expé- riences présentes étant :: 138 : 61, et par les expériences précédentes (ar£. 5) :: 136: 73, on aura, en ajoutant ces temps, 274 à 134 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du fer et de l’étain. 5° Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui de l'or, au point de pouvoir les te- nir :: 40; : 37, et :: 124 : 114 pour leur entier refroidissement. 69 Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de l'argent, au PARTIE EXPÉRIMENTALE. 59) point de pouvoir les tenir :: 40 {: 124 : 97 pour leur refroidissement. 79 Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de l'étain, au point de pouvoir les tenir : : 40 £ : 21 par les présen- tes expériences, et : : 48 ! : 22 {par les expé- riences précédentes (ar{. 6). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 84 à 43 { pour le rapport encore plus précis de leur premier refroidisse- ment; etpour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant : : 124 : 61, et :: 123 : 71 par les expériences précédentes (ar£. 6), on aura en ajoutant ces temps, 247 à 132 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du euivre et de l’étain. 8° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de l'argent, au point de pouvoir les tenir : : 37 : 34,et:: 114: 97 pour leur entier refroidissement. 99 Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de l’étain, au point de pouvoir les tenir : : 37 : 21, et :: 114: 61 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de l’étain, au point de pouvoir les tenir : : 34 : 21, et : : 97 : 61 pour leur entier refroidissement. XII. Ayant mis dans le même four cinq boulets, placés de même , et séparés les uns des autres, leur refroidissement s’est fait dans les propor- tions suivantes : Refroidis à lestenir pendant|Refroidis à La température 34, et : : une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. BANANE. ee 6 ic) El s Lu dure 25 Bismuth, en. . . .. 7 MS RES ae 26 Plomb, en. . . . .. 8 ENG EC ele « 27 Zinv, en. . .... 10 MEN tre 50 Emeril en”: « + +. [RENNES SR, 58 XII. Ayant répété cette expérience avec un degré de chaleur plus fort, et auquel l’étain et le bis- muth se sont fondus, les autres boulets se sont refroidis dans la progression suivante : Refroidis àlestenirpendant| Refroidis à la température une demi-Seconde. actuelle. minutes. minutes. Aulimoine, en. . . . Sd A RER QE ES PSS CT Plomb, en. . . . .. SEEN oi. ec: 4 AE À ane: tus JevLé LT CRM QUES 44 Emeri}, en. . . . . . 16 ENS. Ar vet, 50 XIV. On a placé dans le même four et de la même manière un autre boulet de bismuth , avec six autres boulets , qui se sont refroidis dans la pro- gression suivante : Refroidis à les tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minules, Antimoine, en. . .. 6 Éric 2) 2 25 Bismuth, en. . .., 6 Mn ae 25 Plombiencr.r "* TL MENT Etats ré s L2R Argent, en. . . . .. DA EBTES se dr ES 50 LANG PRE NEA PER sr Nc 52 ORENP US en 1e 11 1 ETAPE TE 52 Benuheutent erit Ent. x . . us 59 XV. Ayant répété cette expérience avec les sept mêmes boulets, ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes, minutes. Autitnoineens 20622: | En dors . 25 Bismulh, en. . . .. ALES Hat dre 5! Plomb, en. . . . .. ol I ren ue e NE 29 Afrpent, en. & . . . . PUS IREM dre 52 AT HORDE IPB RO ete ro 58 OEFen Ce. 14 ED ee ere a 41 Emeri], en... 15 MU = etai 14 Toutes ces expériences ont été faites avec soin , et en présence de deux ou trois personnes, qui ont jugé comme moi par le tact, et en ser- rant dans la main pendant une demi-seconde les différents boulets. Ainsi l’on doit en con- clure : 1° Que le temps du refroidissement de l’e- meril est à celui du refroidissement de l’or, au point de pouvoir les tenir : :28 4: 25,et::83: 73 pour leur entier refroidissement. 2° Quele temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement du zinc, au point de pouvoir les toucher :: 56 : 484, et :: 171 : 144 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement de l'argent , au point de pouvoir les tenir :: 284:21,et::83: 62 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement du plomb, au point de les tenir :: 56 : 324, et :: 171 : 123 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement du bismuth , au point de les tenir : : 40 : 20 $,et:: 121 : 80 pour leur entier refroidissement. 6° Que ie temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement de l’antimoine , 530 au point de pouvoir les tenir : : 56 : 26 ÿ, età la température : : 171: 99. 7% Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement du zine , au point de les tenir : : 25 : 24, et :: 73: 70 pour leur en- tier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de l'argent , au point de pouvoir les tenir : : 25 : 21 par les présentes expériences, et : : 37 : 34 par les expériences précédentes (arf 11). Ainsi l’on aura, en ajou- tant ces temps, 62 à 55 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et, pour le second , le rapport donné par les présentes expériences étant : : 73 : 62,et.. 114: 97 par les expériences précédentes (art 11), on aura en ajoutant ces temps , 187 à 159 pour le rap- port plus précis de leur entier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement du plemb, au point de pouvoir les tenir :: 25 : 15 , et :: 73 : 57 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement du bismuth , au point de pouvoir les tenir :: 25:13 5,et:: 73: 56 pour leur entier refroidissement. 11° Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement de l’antimeine, au point de les tenir :: 25 : 124, et: : 73 : 46 pour leur entier refroidissement. 12° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement de l'argent , au point de pouvoir les tenir : : 24 : 21, et :: 70: 62 pour leur entier refroidissement. 13° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir ::484:: 32%, et :: 144 : 123 pour leur entier refroidissement. 14° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du bismuth , au point de pouvoir les tenir :: 34£: 20 $, et :: 100 : 80 pour leur entier refroidissement. 15° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de lestenir :: 484 : 26 % , et à la tempéra- ture : : 144 : 99. 16° Que le temps du refroidissement de l’ar- cent est à celui du refroidissement du bismuth , au point de pouvoir les tenir : : 21 : 13 5, et :: 62 : 56 pour leur entier refroidissement. 17° Que le temps du refroidissement de l’ar- vent est à celui du refroidissement de Panti- | INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. moine, au point de les tenir : : 21 : 123,et:: 62 : 46 pour leur entier refroidissement. 18° Quele temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement du bismuth , au pointdeles tenir : : 23 : 204, et : : 84: 80pour leur entier refroidissement. 19° Quele temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de les toucher : : 324 : 26 #, et à la tem- pérature : : 123 : 99. 20° Que le temps du refroidissement du bis- muth est à celui du refroidissement de lanti- moine, au point de pouvoir les tenir :: 204 : 19,et::80 : 71 pourleurentier refroidissement. Je dois observer qu’en général, dans toutes ces expériences, les premiers rapports sont bien plus justes que les derniers, parce qw’il est difli- cile de juger du refroidissement jusqu’à la tem- pérature actuelle, et que cette température étant variable, les résultats doivent varier aussi ; au lieu que le point du premier refroidissement peut être saisi assez juste par la sensation que produit sur la même main la chaleur du boulet, lorsqu'on peut le tenir ou le toucher pendant une demi-seconde. XVI. Comme il n'y avait que deux expériences pour la comparaison de l’or avec l’émeril, le zine, le plomb, le bismuth et l’antimoine; que le bis- muth s’était fondu en entier, et que le plombet lantimoine étaient fort endommagés, je me suis servi d’autres boulets de bismuth, d’anti- moine et de plomb, et j'ai fait une troisième expérience, en mettant ensemble dans le même four bien chauffé ces six boulets : ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis a lestenir pendan!|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Anfimoine, en. . .. 7 Enfer FRS au ré Bismuth, en. . . . . 8 Eng ons d'a 29 Plomb, en. . . . d Eu. Er ES . DD VAUT HEAR 12 ENTIER SSII Or,eu.…..... 15 D PEER 7 +82 Eméri, eu..." 19 Sal ENCRES pen D'où l’on doit conclure , ainsi que des eæpé- riences 14 et 15, 1° que letemps du refroidis- sement de l’émérilest à celui du refroidissement de l'or, au point de pouvoir les tenir :: 44 : 38, et au point de la température :: 131 115. 20 Que le temps du refroidissement de lêéme- ril est à celui du refroidissement du zinc, au PARTIE EXPERIMENTALE. point de pouvoir les tenir :: 15 { : 12. Mais le rapport trouvé par les expériences précédentes (art. 15} étant :: 56: 484, on aura, en ajou- tant ces temps, 71 4 à 60 £ pour leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport trouvé par l'experience présente étant :: 48 : 37, et par les expériences précédentes (@7{.15) :: 171 : 144; ainsi, en ajoutant ces temps, on aura 239 à 181 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’émeril et du zinc, 3° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir :: 154 : 9. Mais le rapport trouvé par les expériences précédentes (art. 15) étant :: 56 : 32 £, ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 71 4 à 414 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par l’expé- rience précédente étant :: 48 : 33, et par les ex- périences précédentes (ar. 15):: 171 : 123, 0n aura , en ajoutant ces temps, 239 à 156 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement de l’éméril et du plomb. 49 Que le temps du refroidissement de l’é- meril est à celui du refroidissement du bis- muth, au point de pouvoir les tenir :: 154:8, et par les expériences précédentes (474. 15), :: 40 : 20 #. Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 554 à 28{ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par l'expérience présente, étant :: 48 : 29, et :: 121 : 80 par les experiences pré- cédentes (arl. 15), on aura, en ajoutant ces temps , 169 à 109 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’éméril et du bismuth. 5° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement de !’antimoine, au point de pouvoir les tenir :: 15 ; : 7. Mais le rapport trouvé par les expériences précédentes (art. 15), étant :: 56 : 264, on aura, en ajou- tant ces temps, 71 4 à 33 { pour le rapport en- core plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par l’expé- rience présente étant :: 48 : 27, et ::171 : 99 par les expériences précédentes (@r{.15), on aura, en ajoutant ces temps, 219 à 126 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement de l’éméril et de l’antimoine. 6° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement du zine , au point de & 507 pouvoir les tenir :: 38 : 36,et:: 115: 107 pour leur entier refroidissement. 79 Que le tempsdurefroidissement de l'or est à celui du refroidissement du plomb, au point de les toucher : : 38 : 24, et à la température::115:90. 8° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement du bismuth, au point de pouvoir les tenir :: 38:214, et à la tempé- rature :: 115 : 85. 99 Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement de l’antimoine , au point de les toucher :: 38 : 194, et à la tempé- rature :: 115 : G9. 100 Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir :: 12 : 9. Mais le rap- port trouvé par les expériences précédentes (art. 15) étant :: 484 : 324, on aura, en ajoutant ces temps, 605, à 41 pour le rapport plus pré- cis de leur premier refroidissement; et pour le second , le rapport donné par l’expérience pré- sente étant :: 37 : 33, et par les expériences pré- cédentes (ar£. 15):: 144: 123, on aura, en ajou- tant ces temps, 181 à 156 pour le rapport en- core plus précis de l’entier refroidissement du zinc et du plomb. 11° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement du bismuth, au point de les toucher :: 12 : 8 par la présente expérience. Mais le rapport trouvé par les ex- périences précédentes (art. 15) étant :: 344: 20 4 ; en ajoutant ces temps, on aura 46! à 28! pour le rapport plus précis de leur premier re- froidissement; et pour le second, le rapport donné par l'expérience présente étant :: 37 : 29, et par les expériences précédentes (art. 15) :: 100 : 80, on aura , en ajoutant ces temps, 137 à 109 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du zinc et du bis- muth. 12 Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement de l’antimoine, pour pouvoir les tenir :: 12 : 7 par la présente expérience. Mais, comme le rapport trouvé par les expériences précédentes(art.15)est :: 484 : 26, On aura, en ajoutant ces temps, 604 à 33 4 pour le rapport encore plus précis de leur pre- mier refroidissement ; et pour le second, le rap- port donné par l’expérience présente étant :: 37 : 27, et:: 144 : 99 par les expériences précé- dentes (art. 15),0n aura, en ajoutant ces temps : 181 à 126 pour le rapport plus précis de l’en- 098 tier refroidissement du zine et de l’antimoine. 13° Quele temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement du bismuth, au point de pouvoir les tenir :: 8 : 8 par l’expé- rience présente , et :: 23 : 20 4 par les expé- riences précédentes (art. 15). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 32 à 284 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par la présente expérience étant :: 33 : 29 et :: 84 : 80 par les expériences précédentes (ar£. 15), on aura, en ajoutant ces temps , 117 à 109 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du plomb et du bismuth. 14° Que letemps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de les tenir :: 9 : 7 par la présente ex- périence , et :: 32 £: 26 4 par les expériences précédentes (art. 15). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 415 à 33 £ pour le rapport plus pré- cis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par l'expérience pré- sente étant :: 33 : 27, et :: 123 : 99 par les ex- périences précédentes (ar£. 15), on aura, en ajoutant ces temps, 156 à 126 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du plomb et de l’antimoine. 15° Que letemps du refroidissement du bis- muth est à celui du refroidissement de l’anti- moine, au point de pouvoir les tenir :: 8 : 7 par l'expérience présente, et :: 20 £ : 19 par les ex- périences précédentes (arf. 15). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps , 28 ; à 26 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par l'expérience présente étant :: 29 : 27, et :: 80 : 71 par les expériences précédentes (ar£. 15), on aura, en ajoutant cestemps, 109 à 98 pour lerapport en- core plus précis de l’entier refroidissement du bismuth et de l’antimoine. XVII Comme il n’y avait de même que deux expé- riences pour la comparaison de l’argent avec l’émeril, le zine, le plomb, le bismuth et l’anti- moine , j'en ai fait une troisième, en mettant dans le même four, qui s'était un peu refroidi, les six boulets ensemble ; et, après les avoir ti- rés tous en même temps, comme on Ja tou- jours fait , ils se sont refroidis dans l’ordre sui- vant : INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. Refroidis à les tenir pendant, Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Antimoive, en. . .. 6 En... . 7000 Bismuth,en, .... 7 ENS Jess 00 LE Plomb, en. . . ... LE CCE M | ATRENE EN... . =. 11 + ER RE". .. 56 ZIRU EN eee 42 4 ENS. te A. 59 Eméril,\en 21% 15.21 Enter en On doit conclure de cette expérience et de celles des articles 14 et15: 1° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement du zine, au point de les tenir, par l’expérience présente :: 153:12#4,et:: 714: 604 par les expériences précédentes (art. 16). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps, 87 à 73 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le se- cond , le rapport donné par l’expérience pré- sente étant :: 47 : 39, et par les expériences précédentes (art.16) :: 239 : 181, on aura, en ajoutant ces temps, 286 à 220 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroïdisse- ment de l’éméril et du zinc. 29 Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement de l'argent :: 44 : 824 au point de les tenir , et :: 130 : 98 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement du plomb , au point de les tenir, :: 15 { : 8{ par l'expérience présente, et :: 714: 41% par les expériences précédentes (ar£. 16). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps , 87 à 49 5 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par l’expérience présente étant :: 47 : 34, et :: 239 : 156 par les expériences précédentes (ar{. 16), on aura, en ajoutant ces temps, 286 à 190 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment de l’éméril et du plomb. 49 Que le temps du refroidissement de l’'éme- ril est à celui du refroidissement du bismuth, au point de pouvoir les tenir :: 15#:7, par l'expérience présente, et :: 55! : 28 par lesex- périences précédentes (ar{. 16). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 71 à 35 ; pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement , et pour le second , le rapport donné par lPexpé- | rience présente étant :: 47 : 31, et :: 169 : 109 par les expériences précédentes (art. 16), on aura, en ajoutant ces temps , 216 à 140 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi dissement de l’éméril et du bismuth D] 4 PARTIE EXPERIMENTALE. 5° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de les tenir :: 15}: 6 par l'expérience présente, et:: 71 £ : 33 £ par les expériences précédentes (art. 16). Ainsi, en ajoutant ces temps, on aura 87 à 39 ! pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par l'expérience pre- sente étant :: 47 : 29, et par les expériences précédentes (art. 16) :: 219 : 126, on aura, en ajoutant ces temps, 266 à 155 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’éméril et de l’antimoine. 6° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement de l'argent; au point de pouvoir lestenir :: 36 £: 324, et :: 109: 98 pour leur entier refroidissement. 7° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir :: 12 À : 8 4 par l’ex- périence présente, et :: 604: 41 £ par les ex- périences précédentes (ar£.16). Ainsi on aura en ajoutant ces temps, 73 à 43 : pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par l'expérience présente étant :: 39 : 33, et par les expériences précédentes (art. 16) :: 181 : 156, on aura, en ajoutant ces temps, 220 à 189 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du zinc et du plomb. 8° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du bismuth, au point de pouvoir les tenir ::12 £: 7 par la pré- sente expérience, et :: 46 4: 28 £ par les expé- riences précédentes (ar{. 16). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 59 à 35 £ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pourle second, le rapport donné par l’expérience présente étant :: 39 : 31, et :: 137: 109 par les expériences précédentes (art. 16), on aura, en ajoutant ces temps , 176 à 140 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroïdisse- ment du zine et du bismuth. 9° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement de l’antimoine, au pointde les tenir :: 12 & : 6 par la présente ex- périence , et :: 60 £: 334 par les expériences précédentes (ar. 16). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps. 73 à 39 £ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport trouvé par l’expérience présente étant :: 39 : 29, et :: 181 : 126 par les ! 09 expériences précédentes (art. 16), on aura, en ajoutant ces temps , 220 à 155 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du zinc et de l’antimoine. 109 Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir :: 32 4 : 234, et :: 98 : 90 pour leur entier refroidissement. 119 Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du bismuth, au point de les tenir :: 324 : 204, et :: 98 : 87 pour leur entier refroidissement. 120 Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de lanti- moine, au point de pouvoir les tenir :: 324: 18 #, et :: 98 : 75 pour leur entier refroidisse- ment. 130 Que le temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement du bismuth, au point de les tenir :: 84: 7 par la présente expérience, et :: 32 : 28 ! par les expériences précédentes (art. 16). On aura, en ajoutant ces temps, 40 {à 35 4 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le se- cond, le rapport donné par l’expérience présente étant :: 34 : 31, et:: 117 : 109 par les expérien- ces précédentes (ar. 16), on aura, eu ajoutant ces temps, 141 à 140 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du plomb et du bismuth. 140 Que le temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de pouvoir les tenir :: 8 { : 6 par l’expé- rience présente, et par les expériences précé- dentes (art. 16) :: 414: 33 4. Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 49 ? à 39; pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par la présente expérience étant :: 34 : 29, et :: 156: 126 par les expériences précédentes (art. 16), on aura , en ajoutant ces temps, 190 à 155 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du plomb et de l’antimoine. 15° Que le temps du refroidissement du bis- muth est à celui du refroidissement de l’anti- moine, au point de pouvoir les tenir :: 7 : 6 par la présente expérience, et :: 28 ; : 26 par les expériences précédentes (47£. 16). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 35 à 32 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second , le rapport donné par la présente expérience étant :: 31 : 29, et :: 109 : 98 par 560 les expériences précédentes (art. 16), on aura, en ajoutant ces temps, 140 à 127 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du bismuth et de l’antimoine. XVIII. On a mis dans le même four un boulet de verre, un nouveau boulet d’étain, un de cuivre et un de fer, pour en faire une première COMpa- raison ; ils se sont refroidis dans l'ordre suivant : Refroidis à les tenirpendant|Refroidis à La température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Etain, 8n TRE 8 En. Re SEE 27 Verre; entra RETIENS IS lee 7 Di 22 Cuire en. 14 0 LOC OS 42 Fer, en ER. 16 Encre cctre 50 XIX. La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. À minules. minutes. Élain, en. Rs ee TÉMIOEN. Et. Cris 21 Verre en:.t. 0e 8 EURE 1.125 Cuivre,en. . . ... 12 Mn: see 56 Fersen 2er 15 En rs tete AT XX. Par une troisième expérience, les boulets chauffés pendant un plus long temps, mais à une chaleur un peu moindre, se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroïdis à lestenir pendant|Refroidis à la t« mpérature une demi-seconde. actuelle. mioules, minules, Etain en. ct. SAME AR ee CE 22 Verre, en" ER 9 Rni A. EVO Re cE-r 24 Cuivre, en. . . : .. 15 LT RERS HRS 45 Ker'en RE 17 Enr et 46 XXI. Par une quatrième expérience répétée, les mêmes boulets chauffés à un feu plus ardent, se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minules. minules. Étain, en... .... CN ÉEN PE else 25 Verre, en. : « « » » # En she 25 Cuivre, en. . . - . . PAU EU. or «cn s 55 Fer, en... 11 INT LT 45 Il résulte de ces expériences répétées quatre fois : 19 Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du cuivre, au point de les tenir :: 62 : 524 par les présentes expé- riences, et :: 99 : 85 { par leSexpériences précé- INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. dentes (ar£. 11). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 161 à 138 pour le rapport plus précis de leurpremier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 186 : 156, et par les expériences pré- cédentes (arf. 11) :: 280 : 249, on aura, en ajou- tant ces temps, 466 à 405 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du fer et du cuivre. 29 Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir :: 62 : 34, et :: 186 : 97 pour leuren- tier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de l’étain, au point de pouvoir les tenir :: 62 : 324 parles présentes expériences, et :: 695 : 32 par les expériences précédentes (ar{. 11). Ainsi on aura , en ajou- tant ces temps, 131 5 à 64 À pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second , le rapport donné par les expériences présentes étant :: 186 : 92,et:: 274 : 134 par les expériences précédentes (art. 11), on aura, en ajoutant ces temps , 460 à 226 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du fer et de l’étain. 4° Que le temps du refroidissement du eui- vre est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir : 51 } : 344, et :: 157 : 97 pour leur entier refroidissement. 5° Quele temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de l’étain, au point de pouvoir les tenir :: 52 4 : 32 £ par les expériences présentes, et :: 84 : 43 À par les ex- périences précédentes (ar£. 11). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 136 À à 76 pour le rap- port plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les ex- périences présentes étant :: 157 : 92, et par les expériences précédentes (arl. 11) :: 247 :132, on aura, en ajoutant ces temps, 304 à 224 pour le rapport encore plus précis de lentier refroi- dissement du cuivre et de l’étain. 6° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir :: 24 £ : 324, et:: 97 : 92 pour leur entier refroidissement. XXII. On a fait chauffer ensemble les boulets d’or, de verre, de porcelaine, de gypse et de grès ; ils se sont refroidis dans l’ordre suivaat : PARTIE EXPÉRIMENTALE. Refroïdis a les tenir pendant| Refroidis à La température une demi-seconde. actuelle. minutes, minutes, Gypse, en. . . . .. ÿ En. :. .… . 14 eine; en. . . 8 + | En. . 4. 72 25 Verre, en. ... . . 9 En, amet 26 DEN... . . . 10 En SAR 52 A . . HULL ENS LM 45 XXII. La même expérience répétée sur les mêmes boulets , ils se sont refroidis dans l’ordre sui- vant : Refroidis à les tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes, minutes. Gypse enr. . 4 En." EC ME) Porcelaine, en. . .. 7 re MR RE 22 Re de) Em rss 24 Ces en... LS SON MO CT OL OR 55 OR 6 1 2 LE AN STORE UE 41 XXIV. La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroïdis à les tenir pendant|Refroidis à la tempéralure une demi-seconde. actuelle. minutes. minules. GO er 026 En... dise 12 Porcelaine, en... . . 5; | En... ....... 19 MR - 9 : | EN... - 16 bn 0 MÉDROPE 45 XXVIT. La même expérience répétée , les boulets se sont refroidis dans l'ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. | minutes. minules, Pierre calcaire ten- l'AC TIREUR 9 En usé . 26 Pierre calcaire dure, OS Dont ee ete 10 I EN ATEN dt ste DD Marbre commun, en 12 : | En... ,..,.,... . 58 . Marbre blanc, eu.. . 15 ; | En. . . . .. cu 09 Argent, en . .... 16 En rie .. 42 56 502 Il résulte de ces trois expériences : 1° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du marbre blanc, au point de les tenir :: 45 1:894, et :: 125 : 115 pour leur entier refroidissement. 2° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du marbre commun, au point de les tenir :: 454: 36, et : 125 : 113 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de la pierre dure , au point de les tenir :: 454 : 314, et :: 125 : 107 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de la pierre tendre , au point de les tenir :: 45 4: 26, et 125 : 78 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement du marbre commun , au point de les tenir :: 39 4: 36, et:: 115 : 113 pour leur entier refroidisse- ment. 6° Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir :: 394: 314, et :: 115 : 107 pour leur entier refroidissement. 7° Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de les tenir :: 39 { : 26, et :: 115 : 78 pour leur entier refroidisse- ment, 8° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir :: 36 : 314, et :: 113 : 109 pour leur entier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de les tenir :: 36 : 26,et:: 113 : 78 pour leur entier refroidisse- ment. 10° Que le temps du refroidissement de la pierre dure est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de les tenir :: 31 4: 26, et:: 107 : 78 pour leur entier refroidisse- ment. XXVIIT. On a mis dans le même four bien chauffé des boulets d’or, de marbre blanc, de marbre com- mun , de pierre dure et de pierre tendre ; ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX An Refroidis à les tenir pendant| Refroïdis à la température une demi-seconde. actuelle. miuutes. minutes. Pierre calcaire ten- dre;en 4: 9 En. . S « D Marbrecommun,en. 11 ? | En. ....... 1 180 Pierre dure , en. . . 11 4 | En. $ cr on Marbre blanc,en. . . 13 En rer SR SUD) Oren te ee 15 4 | En. LEFT 45 XXIX. La même expérience répétée à une moindre chaleur, les boulets se sont refroidis dans l’or- dre suivant : Refroidis à les tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes, Pierre calcaire ten- üré: CD: S'en 6 Et... TR Pierre dure,en ... 8 En. C8 . 3002) Marbrecommun, en. 9 + | En. ......... 26 Marbre blanc, en. . 10 EN CECRRREE 29 OPERA MEET 12 En: 23% DT XXX. La même expérience répétée une troisième fois , les boulets chauffés à un feu plus ardent, ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à lestenir pendant|Refroidis a la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Pierre tendre, en. . 7 En. 7er + À Pierre dure, en. . . 8 En. : 5 00e Marbrecommun,en. 8 + | En. .....,... 20 Marbre blanc, en. . 9 En... ds 6e CR Re (AT ESA MONA 12 En... Rien Il résulte de ces trois expériences : 1° Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement du marbre blane , au point de les tenir :: 39 £: 32, et:: 117 : 92 pour leur entier refroidissement. 20 Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement du marbre commun, au point de les tenir :: 394: 294, et :: 117 : 87 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir :: 39: 27 4, et :: 117 : 86 pour leur entier refroidissement. 40 Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de la pierre ten- dre, au point de les tenir :: 39 { : 22, et :: 117 : 68 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du mar- x bre blanc est à celui du refroidissement du marbre commun, au point de les tenir :: 32 : 29, et :: 92 : 87 pour leur entier refroidisse- ment. PARTIE EXPÉRIMENTALE. 6° Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir :: 32: 27 4, et :: 92 : 84 pour leur entier refroidissement. 7° Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de les tenir :: 32: 22, et :: 92: 68 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir :: 29 : 27 4, et :: 87 : 84 pour leur entier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de les tenir :: 29 : 22, et :: 87 : 68 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement de la pierre dure est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de les tenir :: 27 ! : 22, et :: 84: 68 pour leur entier refroidissement. XXXI. On a mis dans le même four les boulets d’ar- gent, de grès, de verre, de porcelaine et de gypse; ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroïdis à les tenir pendant, Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Gypsb, en. © 0. . . 5 Lo idée Éric b 14 Porcelaine, en. . . . 6 + | En. .... RM VERNON 0 EN. 5... CU 000 CRE 5e ee 9 LOT ENE TE 27 AENENRS RE Et + Ds OR. ee se ee ee 59 XXXII. La même expérience répétée, et les boulets chauffés à une chaleur moindre, ils se sont re- froidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant} Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Gypse, en: . . - . 5 Eniecatle ss "st Porcelaine, en. . .. 7 En sets à CE € 9 = | En. . .. . . . . . 22 Grès, en. ET UT lee es tale eee 26 Argent, en. . . . .. 12 Br RP RUNRR1 54 XXXIII. La même expérience répétée une troisième fois, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à lestenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes Gypse, en. . . ... 5 En: cute ... 12 Porcelaine, en.. .. 6 BR 17 Moiens .- ... 7 2) EM... af Age CE ee tente D DER SP UT 27 Argent, en. . ... * 11.3 | En. d'a taters) 54 563 Il résulte de ces trois expériences : 1° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du grès, au point de les tenir :: 36 : 264, et :: 103 : 80 pour leur entier refroidissement. 20 Que le temps du refroidissement de l’ar gent est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir :: 36 : 25, et :: 103 : 62 pour leur entier refroidissement. 39 Que le temps du refroidissement de l’ar gent est à celui du refroidissement de la porce- laine, au point de les tenir :: 36: 20, et :: 103 : 54 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir :: 36 : 9, et :: 103 : 39 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir :: 26 4 : 25 parles expériences pré- sentes, et:: 28 £: 27 par les expériences précé- dentes (art.24). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, cinquante-cinq à cinquante-deux pour le rapport plus précis de leur premier refroidis- sement; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 80 : 62, et :: 90 : 70 par les expériences précédentes (art. 24), on aura, en ajoutant ces temps, 170 à 132 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du grès et du verre. 6° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement de la porcelaine, au point de pouvoir les tenir :: 264: 195 par les présentes expériences, et:: 28 ! : 21 parles expériences précédentes (ar£. 24). Ainsion aura, en ajoutant ces temps, 55 à 40 ? pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par les pré- sentes expériences étant :: 80 : 54, et:: 90 : 66 par les précédentes expériences (ar£. 24), on aura, en ajoutant ces temps, cent soixante-dix à cent vingt pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du grès et de la por- celaine. 7° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir :: 26 £ : 9 par les expériences présentes , et :: 28 4 : 12 4 par les expériences précédentes (ar. 24). Ainsi on aura , en ajou- tant ces temps, 55 à 21 £pour le rapport plus précis de leur premier refroïdissement ; et pour le second, le rapport donné par la présente ex- 564 périence étant :: 80 : 39, et :: 90 : 39 par les expériences précédentes (ar£. 24), on aura, en ajoutant ces temps, cent soixante-dix à soixan- te-dix-huit pour le rapport encore plus pré- cis de l’entier refroidissement du grès et du gypse. 8° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de la porcelaine, au point de les tenir :: 25 : 19 par les présentes expériences, et :: 27 : 21 par les expériences précédentes (ar{. 24). Ainsi, en ajoutant ces temps, on aura 52 à 40 À pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 62 : 51, et :: 70 : 66 par les expériences précédentes (art. 24), on aura, en ajoutant ces temps, cent trente-deux à cent dix- sept pour le rapport encore plus précis de l’en- tier refroidissement du verre et de la porce- laine. 99 Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir :: 25 : 9 par les présentes ex- périences , et .: 27 : 12 £ par les expériences précédentes (ar. 24). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 52 à 21 { pour le rapport encore plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par les pré- sentes expériences étant :: 62 : 39, et :: 70 : 39 par les expériences précédentes (ar. 24), on aura, en ajoutant ces temps , cent trente-deux à soixante-dix-huit pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du verre et du pypse. 10° Que le temps du refroidissement de la porcelaine est à celui du refroidissement du | gypse, au point de les tenir :: 19 5: 9 parles. présentes expériences, et :: 21 : 12 $ par les expériences précédentes (4r£.24). Ainsi on aura, en ajoutant à ces temps, 40 ; à 21 ; pour lerap- | port plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par l’expé- rience présente étant :: 54 : 39, et par les expé- riences précédentes (art. 24):: 66 : 39, onaura, | en ajoutant ces temps, cent vingt à soixante- dix-huit pour le rapport encore plus précis de l’entier. refroidissement de la porcelaine et du TV k hi XXXIV. On a mis dans le mème four les boulets d'or, de craie blanche , d’ocre et de glaise; ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉBAUX. Refroidis à les tenir pendant Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes, Craie, ent. 10e 6 EME M YU, 15 Ocro Ten timer 16 AE RE ré 16 Glaise en ts 7 LH MERE 18 (D PR tro sb Era L EN re Le 56 XXXV. La même expérience répétée avec les mêmes boulets et un boulet de plomb, leur refroidisse- ment s’est fait dans l’ordre suivant : Refroïdis àlles tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Craie,en . +. .: i En: 5... CE CRE Ocre enr 5 En... MORTE 15 Glaïse, en... "12 D En...” Rio 15 Plomb,en....., vf Env PRES (0) HT AMAR ARE S 9 En, 5 A CEE Il résulte de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir :: 9 £ : 7 par lexpé- rience présente, et :: 38 : 24 par les expériences précédentes (arl. 16). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 47 % à 31 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par l'expérience présente étant :: 29 : 18, et :: 115 : 90 par les expériences précédentes (ar. 16), on aura, en ajoutant ces temps, cent quarante-quatre à cent huit pour le rapport encore plus précis de l’en- tier refroidissement de l'or et du plomb. 2° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de la glaise, au point de les tenir :: 21 { : 124, et :: 65 : 33 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement de l’ocre, au point de les tenir :: 215:11#,et :: 65 : 29 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir :: 21 £ : 10, et ::65 : 26 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement de la glaise, au point de pouvoir les tenir :: 7 : 54, et :: 18:15 pour leur entier refroidissement. * de les tenir :: 7 6° Que le temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement de l’ocre, au point :5,et::18 : 13 pour leur en- tier refroidissement. 7° Que le temps du refroidissement du plomb PARTIE EXPERIMENTALE. est à celui du refroidissement de la craie, au point de les tenir, :: 7 : 4, et ::18 : 11 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement de la glaise est à celui du refroidissement de l’ocre, au point de pouvoir les tenir, :: 124:11 4, et :: 33 : 29 pour leur entier refroidissement. 90 Que le temps du refroidissementde laglaise est à celui du refroidissement de la craie , au point de pouvoir les tenir, :: 12 3: 10, et :: 33 : 26 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement de l’ocre est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir, :: 114 : 10, et :: 29 : 26 pour leur entier refroidissement. XXXVI. On a mis dans le même four les boulets de fer, d'argent, de gypse, de pierre ponce et de bois, mais à un degré de chaleur moindre, pour ne point faire brüler le bois; et ils se sont re- froidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant| Refroïdis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. mioules. Pierre ponce, en... 2 Ens ts niet cp BOT... - 2 Enr rer 1 Gypse, en. . . . . . D'MNMEDMSS e e 11 Argent, ne..... 10 (eme LATE NS Es 5ù Fer ele... . 15 En te ee AU XXXVII. La méme expérience répétée à une moindre chaleur, les boulets se sont refroidis dans l'or- dre suivant : Refroidis à les tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minules. minutes. Pierre ponce, en... { + | En... ....... 4 BOIRE ER ee 2 Te one io 5 Gypse, en. : . . . . 2R Ent... 9 Argent, en ..... 7 nr Mcrc C'Rie D LTL 24 RON Sul EDS le << e Ce | Il résulte de ces expériences : 1° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de l'argent, au point de pouvoir les tenir, :: 21 : 17 par les présentes expériences, et :: 454: 34 par les ex- périences précédentes (ar£. 11). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps, soixante-sept à cinquante- un pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par les expériences présentes étant :: 71 :59 et :: 138 : 97 par les expériences précé- dentes (arf. 11), on aura, en ajoutant ces temps, 265 deux cent neuf à cent cinquante-six pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du fer et de l'argent; 2° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du gypse, au point de pouvoir les tenir :: 211: 5, et :: 71 : 20 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du bois, au point de pouvoir les tenir, :: 21 £: 4,et:: 71 : 11 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de la pierre ponce, au point de les tenir, :: 21 4:34, et :: 71 : 9 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du gypse, au point de lestenir, :: 17 : 5,et :: 59 : 30 pour leur entier refroidissement. 6° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du bois , au point de pouvoir les tenir, :: 17 : 4, et:: 59 : 11 pour leur entier refroidissement. 79 Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de la pierre ponce, au point de pouvoir les tenir, :: 17 : 2 4, et:: 59 : 9 pour leurentier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement du gvpse est à celui du refroidissement du bois, au point de pouvoir les tenir, :: 5 : 4, et :: 20 leur entier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement du gypse est à celui du refroidissement de la pierre ponce, au point de pouvoir les tenir, :: 5 : 34, et :: 20 : 9 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement du bois est à celui du refroidissement de la pierre ponce, au point de les tenir, :: 4:34, et :: 11: 9 pour leur entier refroidissement. XXXVIIT. Ayant fait chauffer ensemble les boulets d'or, d'argent , de pierre tendre et de gypse, ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : : 11 pour Refroidis à les tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minules. minutes. Gypse, en. . . . . . 414 | Fn. ... 4.1.0" 14 Pierre tendre, en. . 12 Enr. . 27 Argent, en . .. .. 16 ED - 42 OR ON ele LM ct DC as "47 Il résulte de cette expérience : 1° Que le temps du refroidissement de l'or est 506 à celui du refroidissement de l'argent, au point de pouvoir les tenir, :: 18 : 16 par l’expérience présente, et :: 62 : 55 par les expériences pré- cédentes (art. 15). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 98 à 71 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le se- cond ; le rapport donné par l'expérience pré- sente étant :: 35 : 42, et :: 187 : 159 par les expériences précédentes (art. 15), on aura, en ajoutant ces temps, 234 à 201 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l'or et de l'argent. 2° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de les tenir, :: 18 : 12, et :: 394: 23 par les expériences précédentes (ar£. 30). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps, 57 5 à 35 pour le rapport plus précis de leur premier refroidis- sement ; et pour le second, le rapport donné par l'expérience présente étant :: 47 : 27; et par les expériences précédentes (ar£. 30) :: 117 : 68, on aura, en ajoutant ces temps, 164 à 95 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’or et de la pierre tendre. 3° Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir, :: 18 : 44, et :: 38 : 124 par les expériences précédentes (arf. 24). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 56 à 17 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par la présente expérience étant :: 47 : 14, et :: 118 : 39 par les expériences précédentes (ar£. 24), on aura, en ajoutant ces temps, 165 à 53 pour le rap- port encore plus précis de leur entier refroi- dissement. 4% Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de les tenir, :: 16 : 12 par la présente expérience, et :: 45 £: 26 par les ex- périences précédentes (arf. 27). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 61 $à 38 pour le rap- port plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second , le rapport donné par la pré- sente expérience étant :: 42 : 27, et :: 125 : 78 par les expériences précédentes (arl. 27), on aura, en ajoutant ces temps, 167 à 105 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement de l’argent et de la pierre tendre. 5° Que le temps du refroidissement de l'argent est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir :: 16 : 4£ par la présente ex- | sente étant :: 42 : INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. périence , et :: 17 : 5 par les expériences pre- cédentes (art. 36). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 33 à 9} pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le se- cond ; le rapport donné par l'expérience pré- 14, et :: 59 : 20 par les ex- périences précédentes (art. 36), on aura, en ajoutant ces temps, 101 à 34 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’argent et du gypse. - 6° Que le temps du refroidissement de la pierre tendre est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir :: 12:44, et :: 72 : 14 pour leur entier refroidissement. XXXIX. Ayant fait chauffer pendant vingt minutes, c’est-à-dire pendant un temps à peu près dou- ble de celui qu’on tenait ordinairement les bou- lets au feu, qui était communément de dix minutes, les boulets de fer, de cuivre, de verre, de plomb et d’étain, ils se sont refroïdis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Éfain, en... - =... 10 En. ......... 25 Plomb,en. . .... 11 En Ar uci Qc 50 Nerres En e 7.7 12 1 A 1 EE er CRE UE Guivre; en... . . 161 NEn. CAC RE AR 1 REVERS 20 S'LER . eee 50 Il résulte de cette expérience, qui a été faite avec la plus grande précaution : 1° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du cuivre, au point de les tenir, :: 20 £ : 16 4 par la présente expé- rience , et :: 161 : 138 par les expériences pré- cédentes (art. 21). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 1814 à 154 £ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par l'expérience présente étant :: 50 : 44, et :: 466 : 405 par les expériences précédentes (art. 21), on aura, en ajoutant ces temps, 516 à 449 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du fer et du cuivre. 20 Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du verre, au point de pouvoir les tenir, :: 20 # : 12 par l'expérience précédente, et:: 62 : 354 par les expériences précédentes (art. 21). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 825 à 46 pour le rapport encore plus précis de leur premier refroidissement ; et PARTIE EXPÉRIMENTALE. pour le second, le rapport donné par l’expé- rience présente étant :: 50 : 35, et :: 186 : 97 507 . étant :: 44 : 30, et :* 125 : 94 4 par les expé- par les expériences précédentes (art. 21), on | aura, en ajoutant ces temps, 236 à 132 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du fer et du verre. 3° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir, :: 20 # : 11 par la présente expérience, et :: 53 £: 27 par les expériences précédentes (art. 4). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 74 à 38 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le se- cond , le rapport donné par la présente expé- rience étant :: 50 : 30, et :: 142 : 94; par Îles expériences précédentes (ar. 4), on aura, en ajoutant ces temps, 192 à 124 £pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du fer et du plomb. 4° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de l’étain, au point de pouvoir les tenir, :: 20 À: 10,et::131:64 par les expériences précédentes (aré. 21). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 152 à 74 pour le rapport plus précis de leur premier refroidis- sement; et pour le second, le rapport donné par l’expérience présente étant :: 50 : 25, et :: 460 : 226 par les expériences précédentes (art. 21), on aura, en ajoutant ces temps, 510 à 251 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du fer et de l’étain. 5° Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement du verre, au point de pouvoir les tenir, :: 164: 12 par la présente expérience, et :: 524: 34 À par les expériences précédentes (art. 21). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 69 à 46 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par la présente ex- périence étant :: 44 : 35, et :: 157 : 97 parles expériences précédentes (art. 21), on aura , en ajoutant ces temps, 201 à 132 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du cuivre et du verre. 6° Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement du plomb, au point de les tenir, :: 16 £ : 11 par la présente ex- périence, et :: 45 : 27 par les expériences précé- dentes (art. 5). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 61 4 à 38 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par la présente expérience | riences précédentes (art. 5), on aura , en ajou- tant ces temps, 169 à 124 4 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du cuivre et du plomb. 7° Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir, :: 16 £ : 10 par l'expérience présente, et :: 136 4 : 76 par les expériences pré- cédentes (art. 21). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 153 à 86 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second , le rapport donné par la présente expé- rience étant :: 44:25, et :: 804: 224 par les expériences précédentes (art. 21), on aura, en ajoutant ces temps, 348 à 249 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du cuivre et de l’étain. 8° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir, :: 12 : 11, et :: 35 : 30 pour leur entier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir, :: 12 : 10 par la présente ex- périence, et :: 344 : 32 £ par les expériences précédentes (art. 21). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 46 à 42 #£ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par l'expérience étant :: 35 : 25, et :: 97 : 92 par les expériences précédentes (ar£. 21), on aura , en ajoutant ces temps, 132 à 117 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du verre et de l'étain. 10° Que le temps du refroidissementdu plomb est à celui du refroidissement de l'étain, au point de les tenir, :: 11 : 10 par la présente expé- rience, et :: 25 ! : 21 4 par les expériences pré- cédentes (art. 8). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 36 # à 31 # pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le se- cond , le rapport donné par la présente expé- rience étant :: 30 : 25, et :: 79 £: 64 par les expériences précédentes (a/. 8), on aura, en ajoutant ces temps, 109 ; à 89 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du plomb et de l’étain. XL. Ayant mis chauffer ensemble les boulets de cuivre, de zine , de bismutb , d’étain et d’an- Hit timoine, ils se sont refroidis dans l’ordre sui- vant : Refroidis à lestenir pendant} Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes minules. Antimoine, en. . . . 8 En: 4 24 Bismutb, en. . . . . à) En. siennes. 25 Élain, en... . +4 8 + | En M on « 25 Zinc; eh: +. 12 En: 2e". 0 50 Cuivre, en. . . . « 11 En. MIRE Lt 40 XLI. La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendanl| Refroidis à la tempéralure une demi-seconde. act.elle. minutes. minutes. Antimoine, en. . . . 8 En clear 93 Bismuth, en. . . . « 8 En: lt cite 24 Étain,en....... DENMENT AT +." 25 Zinc, en. . . . - -- 12 EDP creme ne 58 Cuivre, en. . . . - 14 Ent ERA 40 Il résulte de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement du zine, au point de les tenir :: 28 : 24, et :: 80 : 68 pour leur entier refroidissement. 20Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir, :: 28 : 18 par les présentes expériences, et :: 153 : 86 par les expériences précédentes (art. 39). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps , 181 à 104 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second , le rapport donné par la présente ex- périence étant :: 80 : 47, et par les expériences précédentes («r£. 39) :: 348 : 249, on aura, en ajoutant ces temps, 428 à 296 pour le rapport plus précis de l'entier refroidissement du cuivre et de l’étain. 30 Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de l’antimoine , au point de pouvoir les tenir, :: 28 : 16, et: 80 : 47 pour leur entier refroidissement. 49 Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement du bismuth, au point de les tenir, :: 28 : 16, et :: 80 : 47 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir, :: 24 : 18, et :: 68 : 47 pour leur entier refroidissement. 60 Que le temps du refroidissement du zinc INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de les tenir, + 94 : 16 par les présentes expériences, et :: 73 : 39 4 par les expériences précédentes (arl. 17). Ainsi, en ajoutant ces temps , on aura 97 à 55 ; pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 68 : 47, et :: 220 : 155 par les expériences précédentes (art. 17), on aura , en ajoutant ces temps, 288 à 202 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du zine et de l’antimoine. 1° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du bismuth, au point de pouvoir les tenir, :: 24: 16, et": 59: 35 4 par les expériences précédentes (art. 17). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps, 83 à 51} pour le rapport encore plus précis de leur pre- mier refroidissement; et pour le second , le rap- port donné par la présente expérience étant :: 68 : 47, et :: 176: 140 par les expériences pré- cédentes (arl. 17), on aura, en ajoutant ces temps, 244 à 187 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du zinc et du bismuth. 8° Que letemps du refroidissement de l’étain est à celui du refroidissement de l’antimoine , au point de les tenir, :: 18 : 16, et :: 50 : 47 pour leur entier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement de l’étain est à celui du refroidissement du bismuth , au point de les tenir, :: 18 : 16, et :: 50 : 47 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement du bis- muth est à celui du refroidissement de l’anti- moine, au point de pouvoir les tenir :: 16: 16 par la présente expérience , et :: 35 3:32 par les expériences précédentes (ar£. 17). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 51 £ à 48 pour le rapport plus précis de leur premier refroidisse- ment; et pour le second , le rapport donné par l'expérience présente étant :: 47 : 47, et par les expériences précédentes (ar. 17) :: 140 : 127,0onaura, en ajoutant ces temps, 187 à 174 pour le rapport encore plus précis de l’en- tier refroidissement du bismuth et de l’anti- moine. XLIT. Ayant fait chauffer ensemble les boulets d’or, d'argent, de fer, d'éméril et de pierre dure, ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : PARTIE EXPÉRIMENTALE. Refroidis à les tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. mioules. mioutes. Pierre calcaire dure, EU 01. 1. 44 2 Eds er 32 Argent, en. . . . .. 15 Eli < ARRET 57 Pen. . 14 LOS 340 Émeril, en... ... 15 PI PER MT EE 46 ape. ENS Came s 5! 1l résulte de cette expérience : 19 Quele temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de l’éméril, au point | de pouvoir les tenir, :: 17: 154, et :: 51 : 46 pour leur entier refroidissement. 2° Que le temps du refroidissement du fer est | à celui du refroidissement de l’or, au point de pouvoir les tenir :: 17 : 14 par la présente ex- | périence, et :: 45 £:37 par les expériences pré- | cédentes (art. 11). Ainsi on aura, en ajoutant | ces temps, 62 { à 51 pour le rapport plus précis | de leur premier refroidissement ; et pour le se- cond , le rapport donné par la présente expé- rience étant :. 51 : 40, et :: 138 : 114 par les expériences précédentes (art. 11), on aura, en ajoutant ces temps, 189 à 154 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du fer et de l'or. 30 Que letemps du refroidissement du ferest à celui du réfroidissement de l'argent, au point de les tenif, :: 17 : 13 par la présente expé- rience, et :: 67 : 51 par les expériences précé- dentes (&r£. 37). Ainsi on aura, en ajoutant ces | temps; 84 à 64 pour le rapport plus précis de | leur gremier refroidissement ; et pour le second, le vâpport donné par la présente expérience étant :: 51 : 37, et :: 209 : 156 par les expé- riénces précédentes (art. 37), on aura, en ajou- tant ces temps, 260 à 193 pour le rapport en- core plus précis de l’entier refroidissement du fer et de l'argent. 49 Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir, :: 17 : 11 5, et :: 51 : 52 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement de l’é- meril est à celui du refroidissement de l'or, au point de les tenir, :: 15 £: 14 par la présente ex- périence, et :: 44 : 38 par les expériences pré- cédentes (art. 16). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 594 à 52 pour lerapport encore plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par la présente ex- périence étant :: 46 : 40, et :: 131 : (15 parles 909 expériences précédentes (art. 16), on aura, en ajoutant ces temps, 177 à 115 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’émeril et de l'or. 6° Que le temps du refroidissement de l’éme- rilest à celui du refroidissement de l'argent, au point de pouvoir les tenir :: 15 !: 13 par la pre- sente expérience, et :: 43 : 32 4 par les expé- riences précédentes (a7{. 17). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 58 £ à 45 £ pour le rapport plus précis du premier refroidissement de l’é- méril et de l'argent; et pour le second, le rap- port donné par la présente expérience étant :: 46:37, et:: 125 : 98 par les expériences pré- cédentes (ar£. 17), on aura, en ajoutant ces temps , 171 à 135 pour le rapport encore plus précis de leur entier refroidissement. 79 Que le temps du refroidissement de l'éme- ril est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir :: dette: 46 : 32 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de l'argent, au point de les tenir :: 14 : 13 par la présente ex- périence, et :: 80 : 71 par les expériences pré- 155: | cédentes (arf. 38). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 94 à 84 pour le rapport encore plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné j ar la présente ex- périence étant :: 40 : 37,et :: 234 : 201 par les expériences précédentes (art. 38), on aura, en ajoutant ces temps, 274 à 238 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l'or et de l'argent, 99 Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir :: 14 : 12 par la présente ex- périence , et : : 39 # : 27 £ par les expériences précédentes (ar{. 30). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 53 À à 39 ! pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par la présente ex- périence étant :: 40 : 32, et :: 117 : SG par les expériences précédentes (4r{. 30), on aura, en ajoutant ces temps , 157 à 118 pour le rapport encore plus précis de l'entier refroidissement de l’or et de la pierre dure. 10° Que letemps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de pouvoir les tenir :: 13 : 12 par la présente expérience, et :: 45 ; : 31 {par les expériences précédentes (arf. 27). Ainsi, en »70 ajoutant ces temps , on aura 58 { à 43 £ pour le rapport encore plus précis de leur premier re- froidissement; et pour le second le rapport donné par l'expérience présente étant :: 37 : 32, et::125:107 par les expériences précédentes (art. 28), on aura, en ajoutant ces temps, 162 à 139 pour le rapport encore plus précis de l’en- tier refroidissement de l'argent et de la pierre dure. XLIIT. Ayant fait chauffer ensemble les boulets de plomb, de fer, de marbre blanc, de grès, de pierre tendre, ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant|Refroïdis à La température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Pierre calcaire ten- dre, On 0 | at ER. ses de 20 Plomb, en. ..... 8 Re EL Et 29 CRRAR Si 2% SA IMEN VMS. à 29 Marbre blanc, en.. . 10 4 | En. ......... 29 Fer, (en. 2.100 15 EUR Te 6 45 XLIV. La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l'ordre suivant : Refroidis à lestenir pendant Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. ' minutes. minutes, Pierre calcaire ten- créent er TN RS A Tres 21 Plomb, en. ..... 8 ERNST ee. Rien 28 Green. 02 - CT LI PES dE EE 28 Marbre blanc, en LE D ne OMR 50 POr/En: .-: 2.1: 16 ER meer 15 Il résulte de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du marbre blane, au point de les tenir, :: 31:21, et :: 88 : 59 pour leur entier refroidissement. 2° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du grès, au point de les tenir, :: 31 : 17 par la présente expérience, t:: 534 : 32 par les expériences précédentes (art. 4). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 84% à 49 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par la présente expérience étant ::88: 57,et :: 142: 102 4 par les expériences précédentes (art. 4), on aura, en ajoutant ces temps, 230 à 159 £ pour le rapport encore plus précisdel’entier refroidissementdu fer et du grès 3° Que le temps durefroidissement du fer est à celui du refroidissement du plomb, au point INTRODUCFION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. de pouvoir les tenir, :: 31 : 16 par les expérien- ces présentes, et :: 74 : 38 par les expériences précédentes (art. 39). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 105 à 54 pour le rapport en- core plus précis de leur premier refroidisse- ment; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 88 : 57, et :: 192 : 124 ; par les expériences précédentes (art. 39), on aura, en ajoutant ces temps, 280 à 1817 pour le rapport encore plus précis de l'entier refroidissement du fer et du plomb. 4° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de pouvoir les tenir, :: 31 : 13, et ;: 88 : 41 pour leur entier refroidissement, 5° Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement du grès, au point de les tenir, :: 21 : 17, eb :: 59 : 57 pour leur entier refroidissement. 6° Que le temps du refroidissement du marbre blanc est à celui du refroidissement du plomb, au point de les tenir, 1:16, et :; 59 : 57 pour leur entier refroidissement. ‘70 Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement de la pierre calcaire tendre, au point de les tenir, :: 1:13, par les présentes expériences, et :: 32:23 par les expériences précédentes (aré. 30). Ainsi, en ajoutant ces temps, on aura 53 à 36 À pour le rapport plus précis de leur premier re- froidissement ; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 59 : 41, et :: 92: 68 par les expériences précéden- tes (ar£. 30), on aura, en ajoutant ces temps, 151 à 129 pour le rapportencore plus précis de l’entier refroidissement du marbre blanc et de la pierre calcaire tendre, 8° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissementdu plomb, au point de les tenir, :: 17 : 16 par les expériences pré- sentes, et :: 425 : 35 4 par les expériences pré- cédentes (art. 7). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 593 à 51 £ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le se- cond, le rapport donné par les présentes expé- riences étant :: 57 : 57, et :: 130 : 121 À par les expériences précédentes (ar{. 8), on aura, en ajoutant ces temps, 187 à 1784 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du grès et du plomb, 99 Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement de la pierre ten- PARTIE EXPÉRIMENTALE. 571 dre, au point de pouvoir le tenir :: 17 : 134, et :: 57 : 41 pour leur entier refroidissement. 1 1° Que le temps du refroidissement du plomb està celui du refroidissement de la pierre ten- dre, au point de les tenir :: 16 : 13 4, et :: 57 : 41 pour leur entier refroidissement. XLV. On & fait chauffer ensemble les boulets de gypse, d’ocre, de craie, de glaise et de verre, et voici l'ordre dans lequel ils se sont refroidis : Refroidis à les tenir pendant} Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Gypse, en.”. . . .. BE PER TN 15 On an res 08 ER Se ie 6 16 CORRE Din LENS 5 on ve ste 16 Glaise, en. . . . .. 7 Lai ee Re 18 MAR er ESS MO EMS ee 24 XLVI. La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant} Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes, minules. Gypse, en... - . . . ENS er si 14 COR EN e - « PR NE ee chesc ete 16 CPE emo) En ns. 16 Gite ten 4.1. 0 21 En... .: ë 18 Nerrer bn... a 8 LU NE 22 Il résulte de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de la glaise, au point de les tenir :: 16 5: 13 $ ,et:: 46 : 36 pour leur entier refroidissement. 2° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de la craie, au point de lestenir, :: 16 5: 11, et :: 46: 32 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de l’ocre, au point deles tenir, :: 16 £: 11, et :: 46 : 32 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement du gypse, au point de pouvoir les tenir, :: 164: 7 par la pré- sente expérience, et:: 52 : 214 par les expé- riences précédentes (art. 33). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 68 £ à 28 £ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par les expé- riences présentes étant : : 46 : 29, et : : 32 : 78 par les expériences précédentes (aré. 33), on aura, en ajoutant ces temps, 178 à 107 pour le rapport encore plus précis de l’entier re- froidissement du verre et du gypse. 5° Que le temps du refroidissement de la glaise est à celui du refroidissement de la craie, au point de les tenir :: 13 £: 11 par la présente expérience, et :: 12 £ 10 par les expériences précédentes (ar. 35). Ainsi on aura , en ajou- tant ces temps, 26 à 21 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second , le rapport donné par les présentes expériences étant :: 36 : 32, et :: 33 : 26 parles expériences précédentes (ar£. 35), on aura, en ajoutant ces temps, 69 à 58 pour le rapport en- core plus précis de l’entier refroidissement de la glaise et de la craie. 6° Que le temps du refroidissement de la glaise est à celui du refroidissement de l'ocre, au point de les tenir :: 13 £: 11 par les présen- tes expériences, et ::124:11 ! par les expérien- ces précédentes (art. 35). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps, 26 à 22 ; pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second , le rapport donné par les pré- sentes expériences étant :: 36 : 32, et :: 35 :29 par les expériences précédentes (ar. 35), on aura, en ajoutant ces temps, 69 à 61 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement de la glaise et de l’ocre. 1° Que le temps du refroidissement de la glaise est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir :: 13 4: 17,,et :: 36 : 29 pour leur entier refroidissement. 80 Que le temps du refroidissement de la craie est à celui du refroidissement de l’ocre, au point de les tenir :: 11 : 11 par les présentes expé- riences , et :: 10 : 11 £ par les précédentes ex- périences (art. 35). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps, 21 à 224 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le se- cond, le rapport donné par les expériences pré- sentes étant :: 32 : 32,et:: 26 : 29 par les ex- périences précédentes (ar{. 35), on aura, en ajoutant ces temps, 58 à 61 pour le rapport en- core plus précis de l’entier refroidissement de la craie et de l’ocre. 92 Que le temps du refroidissement de la craie est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir :: 11 : 7,et:: 32: 29 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement de l’ocre est à celui du refroidissement du gypse, au point 572 de les tenir :: 11: 7,et:: 32 : 29 pour leur entier refroidissement. XLVII. Ayant fait chauffer ensemble les boulets de zine, d’étain, d’antimoine , de grès et de mar- bre blanc, ils se sont refroidis dans l’ordre sui- vant : Refroïdis à les tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Autimoine, en. . . . 6 En... ete ice 16 Étain; eus. :.# 0. © 6 "En: CEE LE 20 Grès, en. .ù se « 8 En. + PCR 26 Marbre blanc, en. . 9 ; | En... . . . . . .. 29 DIN ERP non « AT IE SET et 55 XLVIIL. La même expérience répétée , les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant| Refroiïdis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Antimoine,en. . . . 5 En Lee eLE 15 Élain, e0--:2: 6 Es, PANIER EN 16 GFés en. te | Er ee ee à 21 Marbre blanc, en.. 8 En ce Tee 24 Zinc,en. . . . ... QE EM TOD Il résulte de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du marbre blanc, au point de les tenir :: 21 : 17 4, et :: 65 : 53 pour leur entier refroidissement. 2 Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du grès, au point de les tenir :: 21 : 15, et :: 65 : 47 pour leur entier refroidissement. 30 Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement de l’étain , au point de les tenir :: 21 : 123 par les présentes expériences, et :: 24 : 18 par les expériences précédentes (arl. 41). Ainsi en ajoutant ces temps, on aura 45 à 30; pour lerapport encore plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les expé- riences présentes étant :: 65 : 36, et par les ex- périences précédentes (ar£. 41), :: 68 : 47, on aura , en ajoutant ces temps, 133 à 83 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du zine et de l’étain. 4° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement de l'antimoine , au point de les tenir :: 21 : 11 par les présentes expériences, et :: 73 : 39 ! par les expériences précédentes (ar. 17). Ainsi, en ajoutant ces INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. temps, on aura 94 à 50 4 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant : : 65 : 29, et : : 220 : 155 par les expériences précédentes (ar£. 17), on aura, en ajoutant ces temps, 285 à 184 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroïdisse- ment du zinc et de l’antimoine. 50 Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement du grès, au point de pouvoir les tenir :: 17 £: 15 par les présentes expériences , et :: 21 : 17 par les ex- périences précédentes (ar£. 44), Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 38 5 à 32 pour le rap- port plus précis de leur premier refroidisse- ment ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 53 : 47, et:: 59: 57 par les expériences précédentes (474.44), on aura, en ajoutant ces temps, {12 à 104 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du marbre blanc et du grès. 6° Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement de l’é- tain, au point de les tenir :: 17 :124, et::53 : 36 pour leur entier refroidissement. 79 Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement de l’an- timoine, au point de les tenir :: 17 4: 11, et :: 53 : 36 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir :: 15 : 124 par les présentes expériences, et :: 30 : 21 ! par les expériences précédentes (ar{.8). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 45 à 34 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le se- cond, le rapport donné par les présentes expé- riences étant :: 47 : 36, et :: 84: 64 par les expériences précédentes (arl. 8), on aura, en ajoutant ces temps, 131 à 100 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du grès et de l’étain. 9° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de les tenir :: 15: 11, et:: 47 : 29 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement de l’é- tain est à celui du refroidissement de l’anti- moine, au point de pouvoir les tenir :: 124 : 11 par les présentes expériences, et :: 18 : 16 par les expériences précédentes (art. 40). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps 30 $à 27 pour le PARTIE EXPÉRIMENTALE. rapport plus précis de leur premier refroidis- sement; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 36 : 29, et :: 47 : 47 par les expériences précédentes (art. 40), on aura, en ajoutant ces temps, 83 à 76 pour lerapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’étain et de l’antimoine. XLIX. Ona fait chauffer ensemble les boulets de cui- vre, d'émeril, de bismuth, de glaise et d’ocre, etils se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroïdis àles tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes, minutes. Ocre; en... . . . 6 En terra delle 18 Bismuth, en. . . .. 7 IDE Aer OP SE 22 Giaise en ca 2. 7 Lire RES 35 Guivre, en. . . . .. 15 HuNgereui Din 56 EnéeaneeteMS sn lbEn: s :2...2< 45 L. La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant} Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minules. Ocre, en... . 5 ; | En. Cr Eee RE 15 Bismuth, en. . . . . 6 BU Par como 18 Glaise, en. . : .. 16 ENCRES En ee Cuivre, en. . . . .- . 10 dE APE OL 50 role etc | "En. 5. 58 Il résulte de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement du cuivre, au point de les tenir, :: 27 : 23, et :: 81 : 66 pour leur entier refroidissement. 20 Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement de la glaise , au point de les tenir, :: 27 : 13, et :: 81 : 42 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement de l’é- meril est à celui du refroidissement du bis- muth, au point de les tenir, :: 27 : 13 par les présentes expériences , et :: 71: 35 £par les expériences précédentes (ar{. 17). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 98 à 48 5 pour le rapport plus précis de leur premier refroi- dissement ; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 81 : 40, et par les expériences précédentes (art. 17) :: 216 : 140, on aura, en ajoutant ces temps, 297 à 180 pour le rapport encore plus précis de l’en- 975 tier refroidissement de l’émeril et du bismuth. 1° Quele temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement de l’ocre, au point deles tenir, :: 27:11 {, et :: 81 : 31 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de la glaise , au point de les tenir, :: 23 : 13, et :: GG : 42 pour leur entier refroidissement. 6° Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement du bismuth, au point de pouvoir les tenir, :: 23 : 13 parles pré- sentes expériences, et :: 28 : 16 par les expé- riences précédentes (art. 41). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 51 à 39 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par les présen- tes expériences étant :: 66 : 40, et :: 80 : 47 par les expériences précédentes (art. 41), on aura, en ajoutant ces temps, 146 à 87 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du cuivre et du bismuth. 7° Que le temps durefroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de l’ocre, au point de les tenir, :: 33 : 11 4, et :: 66 : 31 pour leur entier refroidissement. 8° Quele tempsdu refroidissement de la glaise est à celui du refroidissement du bismuth, au point de pouvoir les tenir, :: 13 : 13, et :: 42 : 41 pour leur entier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement de la glaise est à celui du refroidissement de l'ocre, au point de les tenir, :: 13: 11 ? par les expériences pré- sentes, et :: 26 : 22 par les expériences pré- cédentes (art. 46). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 39 à 34 pour lerapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 42 : 31, et :: 69 : G1 par les expérien- ces précédentes (44. 46), on aura, en ajoutant ces temps, 111 à 92 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement dela glaise et de l'ocre. 10° Que le temps du refroidissement du bis- muth est à celui du refroidissement de l’ocre, pour pouvoir les tenir, :: 13 : 114, et :: 42 : 31 pour leur entier refroidissement. LI. Ayant fait chauffer ensemble les boulets de fer , de zine, de bismuth , de glaise et de craie, il se sont refroidis dans l'ordre suivant : 974 Refroidis à les tenir pendant Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle, minutes. minutes. Cheb, en 7.5 Le din Lt 5 1 8 Par el 18 Bismuth, en. ..,. 7 Ent. em Ne 19 Glaise, en. . . .. . 8 En. de volés 20 Zinc en re 15 EDR st 25 Fer en 19 En. RAGE se 45 LIL: La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenirpendant|Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes Gruie, en 0. : EUR ITR TEE 20 Bismulh, en. , ... 14: EnrisEk & 1024 21 Glaise, en. ..... 9 JS ANT EN PRES A 24 ZT... 16 PR re DORE 54 FAO TER À 2 TMERS 2. se 53 On peut conclure de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement du fer est | à celui du refroidissement du zinc, au point de | les tenir, :: 40 4: 31, et :: 98 : 59 pour leur en- tier refroidissement. 2° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement du bismuth, au point de les tenir, :: 40 £ : 14 À, et :: 98 : 40 pour leur entier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de la glaise, au point de les tenir, :: 40 $: 17, et :: 98 : 44 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement du fer est à celui du refroidissement de la craie, au point de les tenir, :: 40 : 124, et :: 98 : 38 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement du bismuth, au point de les tenir :: 31 : 14 £ par les présentes expériences, et :: 344 : 20 £ par les expériences précédentes (ar£. 15). Ainsi on aura, en ajoutant | ces temps, 65 ; à 35 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement, et pour le se- cond, le rapport donné par les présentes expé- riences étant :: 59 : 40, et :: 100 : 80 par les expériences précédentes (art. 15), on aura, en ajoutant ces temps, 159 à 120 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du Zinc et du bismuth. 6° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement de la glaise, au point de les tenir :: 31 : 17, et :: 59 : 44 pour leur entier refroidissement, INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. 7° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroïdissement de la craie, au point de les tenir :: 31 : 12 ,et:: 59:38 pour leur entier refroidissement. i 8° Que le temps du refroidissement du bis- muth est à celui du refroidissement de la glaise au point de les tenir :: 14 4 : 17 par les présen- tes expériences, et :: 13 : 13 par les expériences précédentes (ar{. 50). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 27} à 30 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 40 : 44, et :: 41 : 42 par les | expériences précédentes (art. 50), on aura, en ajoutant ces temps, 81 à 86 pour le rapport en- core plus précis de l’entier refroidissement du bismuth et de la glaise. 9® Que le temps du refroidissement du bis- muth est à celui du refroidissement de la craie, au point de les tenir :: 14 £ : 13 4, et :: 40 : 38 pour leur entier refroidissement. 10° Quele temps durefroidissementdela glaise est à celui du refroidissement de la craie, au point de les tenir :: 17 : 13 À par les expérien- ces présentes , et:: 26 : 21 par les expériences précédentes (art. 46). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 43 à 34 ! pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement, et pour le second, lerapport donné par les présentes ex- périences , étant :: 44 : 38, et :: 69 : 58 par les expériences précédentes (ar. 46), on aura, en ajoutant ces temps, 113 à 96 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de la glaise et de la craie. LIT. Ayant fait chauffer ensemble les boulets d’é- | meril, de verre, de pierre calcaire dure et de bois , ils se sont refoidis dans l'ordre suivant : Refroidis à lestenir pendant Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes 150 nc SE 9 2'| En. CT EN CIRE Verre, eh : 5. «7: 9 4, 1-Ehs:s0t6 ARR (EST ACT PPS 11 EN etes LEE ierre calcaire dure, Fa Fee ere ete 2 En. : 4 20. ME NES Émeril, en. . . . .. 15 En. ss cé vue dt LIV. La même expérience répétée , les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : PARTIE EXPÉRIMENTALE. Refroidis à les tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes, minutes. Bolenin 1 .. 2 Ent : s 46:17 05 6. 7. 4 | Ent. os te nai GRO. . .... 8 Eu, CERTAINS Pierre dure, en. .. 8 Emeril, en.. . . .. 14 Il résulte de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement de la pierre dure, au point de les tenir, :: 29 : 20 $ par les présentes expériences, et :: 154: 12 par les expériences précédentes (art. 42). Ainsi en ajoutant ces temps, on aura 44 À à 32; pour le rapport plus précis de leur premier refroidisse- ment ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 89 : 62, et :: 46 : 32 par les expériences précédentes (art. 42), on aura, en ajoutant ces temps, 135 à 94 pour le rapport encore plus précis del’entier refroidissement de l’émeril et de la pierre dure. 29 Que le temps du refroidissement de l'émé- ril est à celui du refroidissement du grès, au point de les tenir, :: 29 : 19, et :: 89 : 58 pour leur entier refroidissement. 30 Que le temps du refroidissement de l’éme- ril est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir, :: 29 : 17,et :: 89 : 49 pour leur entier refroidissement. 4° Que ie temps du refroidissement de l’éméril est à celui du refroidissement du bois, au point de les tenir, :: 29 : 4£,et :: 89 : 28 pour leur entier refroidissement. 5° Quele temps du refroidissementde la pierre dure est à celui du refroidissement du grès, au point de les tenir, :: 20 4: 19, et :: 62 : 58 pour leur entier refroidissement. 6° Que letemps du refroidissement dela pierre dure est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir, :: 20 £: 17,et :: 62 : 49 pour leur entier refroidissement. 7° Queletemps durefroidissement de la pierre dure est à celui du refroidissement du bois , au point de les tenir, :: 204: 44, et :: 62 : 28 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir, :: 19 : 17 par les présentes expé- riences , et:: 55 : 52 par les expériences précé- dentes (art. 33). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 74 à 69 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; etpour lesecond, 575 le rapport donné par les présentes expériences étant :: 58 : 49, et : : 170 : 132 par les expé- riences précédentes (ar. 33), on aura, en ajou tant ces temps, 228 à 181 pour le rapport en- core plus précis de l’entier refroidissement du grès et du verre. 90 Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement du bois, au point de pouvoir les tenir, :: 15 : 44, et :: 58 : 28 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement du bois, au point de les tenir, :: 17:44, et:: 49 : 28 pour leur entier refroidissement. LV. Ayant fait chauffer ensemble les boulets d’or, d’étain, d’'émeril, de gypse et de craie, ils se sont refreidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Gypse, En. .. - «+ 5 Ent Cr 15 Crasrens et 7" RE 1 LR OO 21 Pam en... 1 LEE LE TR ES 50 (6 DC: ONE PAU 16 EE os! i 41 Emeril, en..." 20 neo ation s 49 LVI. La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à lestenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes, Gypse; en: 0 À ENS + AM arme 15 Craie, en © . = . 4, BIT ER : 18 Étainen er, 10 1 EN ER 27 OT'ER rer 15 EL e ce eie ee 40 Émeril, en. . . . . - 18 LS A RENE 46 On peut conclure de ces expériences, 1° Que le temps durefroidissement de l’éméril est à celui du refroidissement de l’or, au point de les tenir, :: 38 : 31 par les expériences pre- sentes, et : : 594: 52 par les expériences pré- cédentes (art. 42). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 97 { à 83 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le se- cond, le rapport donné par les présentes expé- riences étant : : 95 : 81, et :: 166 : 155 par les expériences précédentes (art. 42), on aura, en ajoutant ces temps, 261 à 236 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’émeril et de l’or. 39 Que le temps du refroidissement de l'émeril 576 estäcelui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir, :: 38: 21 4, et :: 95 : 57 pour leur cntier refroidissement. 3° Que le temps du refroidissement de l'éme- rilest à celui du refroidissement de la craie, au point de les tenir, :: 38 : 14, et:: 95 : 3 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement de l'éme- ril est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir, : : 38: 9, et :: 95: 28 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir, :: 31 : 22 par les présentesexpérien- ces, et : : 37 : 21 par les expériences précéden- tes (ar. 11). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 68 à 43 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 81 : 57,et :: 114 : 61 par les expérien- ces précédentes (ar£. 11), on aura, en ajoutant ces temps, 195 à 118 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’or et de l’étain. 6° Que le temps du refroidissement de l'or est à celui du refroidissement de la craie, au point de les tenir, :: 31 : 14 par les présentes expé- riences, et :: 21 £: 10 par les expériences pré- cédentes (art. 35). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 52 ; à 24 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le se- cond, le rapport donné par les présentes expé- rience étant :: 81 : 39, et :: 65 : 26 par les ex- périences précédentes (art. 35), on aura, en ajoutant ces temps, 146 à 65 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l'or et de la craie. 7° Que le temps du refroidissement de l’or est à celui du refroidissement du gypse, au point de ! pouvoir les tenir, :: 31 : 9 parles présentes ex- périences, et :: 56 : 17 par les expériences pré- cédentes (art. 38). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 87 à 26 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le se- cond, le rapport donné par les présentes expé- riences étant : : 81 : 28, et : : 165 : 53 parles expériences précédentes (ar{. 38), on aura, en ajoutant cestemps, 246 à 81 pour lerapport en- core plus précis de l’entier refroidissement de l'or et du gypse. 8° Que le temps du refroidissement de l’étain est à celui du refroidissement de la craie, au point INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. deles tenir, :: 22:14, et :: 57 : 39 pour leur en- tier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement de l’étain est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir, :: 22 :9,et :: 57 : 28 pour leur en- tier refroidissement. 10Quele temps durefroidissement de la craie est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir, :: 14 : 9 par les présentes expérien- ces et :: 11 : 7 par les expériences précéden- tes (art. 46). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 25 à 16 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 39 : 28, et:: 32 : 29 par les expérien- ces précédentes (ar. 46), on aura, en ajou- tant ces temps, 71 à 57 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de la craie et du gypse. LVIT. Ayant fait chauffer ensemble les boulets de marbre blanc, de marbre commun, de glaise, d’ocre et de bois, ils se sont refroidis dans l’or dre suivant: Refroidis à les tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minules. Bois, en. . . « .. « 25 |NED CRD Ocre ren. 0 6 + | En, OVH Glaise, en. . . . . . 7 ; | En: COR Marbre commun, en. 3 | En:-- FCO CRE 1 Marbre blane , en. . 1 Eù. . Ame 54 LVIIT. La même expérience répétée les boulets se se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis les tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde. acluelle. ; minutes. minutes, Bois, en. Re 5 En. sc RENl Ocresen.s-77 1 En... SCT OMIO0 Craie en ne 2 82i!Enf.. 0.5 Marbre commun,en. 12 3; | En. sm LUE Marbre blanc, en. . 13 En: RME ERP On peut conclure de ces deux expériences : 1° Quele temps du refroidissement du marbre blanc est à celui du refroidissement du marbre commun, au point de pouvoir les tenir :: 25 : 22 par les présentes expériences, et:: 39 {: 36 par les expériences précédentes (ar£. 27). Aïusi on aura, en ajoutant ces temps, 64 ; à 58 pour le rapport plus précis de leur premier refroidisse- ment; et pour le second, le rapport donné par | | ! PARTIE EXPÉRIMENTALE. les présentes expériences étant :: 70 : 61, et | :: 115 :113 par les expériences précédentes (art. 27), on aura, en ajoutant ces temps, 185 à 174 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du marbre blane et du marbre commun. 20 Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement de la glaise, au point de pouvoir les tenir, :: 25 : 16, et :: 70 : 44 pour leur entier refroidissement. 39 Que le temps du refroidissement du mar- bre’blanc est à celui du refroidissement de l’o- cre, au point de les tenir, :: 25 : 134,et :: 70 : 39 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement du marbre blane est à celui du refroidissement du bois, au point de les tenir, :: 25: 54, et :: 70 : 20 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de la glaise, au point de lestenir, :: 22 : 16,et :: 61 : 44 pour leur entier refroidissement. 6° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de l'ocre, au point de les tenir, :: 22 : 13 #,et :: 61 : 39 pour leur entier refroidissement. 7° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroïdissement du bois , au point de les tenir, :: 22: 5 4, et :: 61 : 20 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement de laglaise est à celui du refroidissement de l’ocre, au point de les tenir, :: 16 : 13! par les présentes expé- riences, et :: 12 4: 11 { par les expériences précédentes (art. 35). Ainsi on aura, en ajou- tant ces temps, 28 £ à 25 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 44: 39, et :: 33 : 29 par les expériences précédentes (ar. 35), on aura, en ajoutant ces temps, 77 à 68 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de la glaise et de l’ocre. 9° Que letemps du refroidissement de la glaise est à celui du refroidissement du bois, au point de les tenir, :: 16 : 5 #, et :: 44 : 20 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement de l’ocre est à celui du refroidissement du bois, au point de les tenir, :: 134 : 5 3, et :: 39 : 20 pour leur entier refroidissement. 571 LIX. Ayant mis chauffer ensemble les boulets d’ar- gent, de verre, de glaise, d’ocre et de craie, ils se sont refroidis dans l'ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant} R:froidis à la température une demi-seconde. actuelle, minutes. minutes (ARC D'Un es ee CR HO Dane: 6 Enr. PE a 18 Glaise, en. . . . .. 8 Eat nr tee 22 Norsien... . . :. DIET sou, + 29 APPENE, O0. . 0 RME «8 35 LX. La même expérience répétée, les boulets, chauffés plus longtemps, se sont refroidis dans l'ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minules. Graie, en... .£ er pee ct. LORIE 22 Ocre ten... SHAlEneEn s! vote 125 Glaise, en. . .... OR EE ue st 29 VEUEOTHIRENSENT NII SES) 58 Argent, en... ... 16 : DE, APR OIEMEEEE 41 On peut conclure de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir, :: 29 : 22 par les présentes expériences , et : : 36 : 25 par les expériences précédentes (art. 33). Ainsi on aura , en ajou- tant ces temps, 65 à 47 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant : : 76 : 67, et : : 103 : 62 par les expériences précédentes (ar£. 33), on aura . en ajoutant ces temps, 179 à 129 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment de l'argent et du verre. 2° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de la glaise , au point de pouvoir les tenir, : : 29 : 17 set :: 76: 51 pour leur entier refroidissement, 3° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de l’ocre, au point deles tenir, :: 29 : 14 {, et :: 76:43 pour leur entier refroidissement. 4° Que le temps du refroidissement de l’ar- gent est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir, : : 29: 124, et : 76 : 38 pour leur entier refroidissement. 5°Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de la glaise, au point de les tenir, :: 22 : 17 {par les expérien- 57 578 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. ces présentes, et :: 16 £ : 13 À par les expérien- ces précédentes (art. 46). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps, 38 £ à 31 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second ; le rapport donné par les pré- sentes expériences étant :: 67 : 51, et : : 46 : 36 par les expériences précédentes (art. 46), on aura, en ajoutant ces temps, 113 à 87 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du verre et de la glaise. 6° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du A de l’ocre, au point de pouvoir les LL : 144 par les présen- tes expériences, et : 41 par les expérien- ces précédentes We ei Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 38 £ à 25 { pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par les pré- sentes expériences étant : : 67: 43, et :: 46 : 32 par les expériences précédentes (ar. 46), on aura , en ajoutant ces temps , 113 à 75 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du verre et de l’ocre. 7° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir, :: 22 : 12 4 par les présentes expériences, et :: 164: 11 par les expériences précédentes (ar£.46).Aïnsi on aura, en ajoutant ces temps, 38 £ à 23 { pour le rap- port encore plus précis de leur premier refroi- dissement ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant : : 67:38, et :: 46: 32 par les expériences précédentes (art. 46), on aura, en ajoutant ces temps, 113 à 70 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du verre et de la craie. 8° Que le temps du refroidissement de la glaise est à celui du Re de l’ocre, au point de les tenir, :: 17 3 : 14 {parles présen- tes expériences, et : : 26 : 22 À par les expérien- ces précédentes (ar£. 46). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 43 4 à 37 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par l’expé- rience présente étant :: 51 : 43, et :: 69: 63 par les expériences précédentes (art. 46), on aura, en ajoutant ces temps, 120 à 104 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement de la glaise et de l’ocre. 99 Que le temps du refroidissement de la | glaise est à celui du refroidissement de la En au point de pouvoir les tenir, :: 17 5: 12 £ par les présentes expériences, et :: 26 : 21 par les expériences précédente (es 46). oo en ajoutant ces temps, 43 5 à 33 £ pour le rap- port plus précis deleur dune: tefrdidissement} et pour le second, le rapport donné par les pré- sentes expériences étant :: 51 : 38, et :: 69 : 58 par les expériences précédentes (art. 46), on aura, en ajoutant ces temps, 120 à 96 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement de la glaise et de la craie. 10° Que le temps du refroidissement de l’o- cre est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir, :: 144: 12 4 par les présentes expériences, et :: 11 # : 10 par les expériences précédentes (art. 35 )}. Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 26 à 224 pour le rapport plus précis de leur premier refroidisse- ment ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 43 : 38, et :: 29 : 26 par les précédentes expériences (art. 35), on aura, en ajoutant ces temps, 72 à 64 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’ocre et de la craie LXI. Ayant mis chauffer ensemble à un grand de- gré de chaleur les boulets de zine, de bismuth, de marbre blane, de grès et de gypse, le bis- muth s’est fondu tout à coup, et il n’est resté que les quatre autres, qui se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à Les tenir pendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. miuules. minutes. GYpS8, En. 1 ER. SCENE Grès, ns 3 + 3 1e 2 ©: A6 l'ENS MEME Marbre blanc, en . . . 419 | En... ....:.. 50 Zinc, en. .. .. ....25 | ER SANT LXII La même expérience répétée avec les quatre boulets ci-dessus et un boulet de plomb, à un feu moins ardent, ils se sont refroïdis dans l’or- dresuivant : Refroidis à les tenir pendant| Refroïdis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. migutes: Gypse, en. . . « « - 4 { | Ens usine 016 Plomb, en . .. .. 2: En. xt 0 RAS Grés:en/ 7.7. 10 ENT so cire rc Marbre blanc, en. . 122 | En: ....:::.. 56 Zinc, en Le 0 15 En: : 18 IE On peut conclure de ces deux expériences : 19 Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du marbre blanc, PARTIE EXPÉRIMENTALE. au point de pouvoir lestenir, :: 38 :31 À par les présentes expériences, et :: 21 : 17 } par les expériences précédentes (art. 48). Ainsi, en ajoutant ces temps, on aura 59 à 49 pour le rapport plus précis de leur premier refroidis- ment; et pour le second, le rapport donné par l'expérience présente étant :: 100 : 86,et : : 65 : 53 par les expériences précédentes (art. 48), on aura , en ajoutant ces temps, 165 à 139 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du zinc et du marbre blanc. 2° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement du grès, au point de les tenir, :: 38 : 26 par les présentes expé- riences, et :: 21 : 15 par les expériences pré- cédentes (ar£. 48).Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 59 à 41 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant : : 100 : 74, et : : 65 : 47 par les expé- riences précédentes (art. 48), on aura, en ajou- tant ces temps, 165 à 121 pour lerapportencore plus précis de l’entier refroidissement du zinc et du grès. 3° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir, ::15 : 9 £ par la pré- sente expérience, et :: 73 : 43 5 par les expé- riences précédentes (art. 17). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 88 à 53 ! pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par l’expé- rience présente étant :: 43 : 20, et :: 220 : 189 par les expériences précédentes (ar£. 17), on aura, en ajoutant ces temps, 263 à 209 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du zine et du plomb. 49 Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du gypse, au point de les tenir, : : 38 : 15 4, et : : 100 : 44 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du mar- breblance està celui du refroidissement du grès, au point de les tenir, :: 31 4 : 26 par les présen- tes expériences, et :: 38 ! : 32 par les expé- riences précédentes (ar£. 48). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 70 à 58 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par lesprésen- tes expériences étant :: 86 : 74, et :: 112 : 104 par les expériences précédentes (art. 48), on aura, en ajoutant ces temps, 198 à 178 pour le 579 rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du marbre blanc et du grès. 6° Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement du plomb, au point de les tenir, :: 12£#:9 #, et :: 86 : 20 pour leur entier refroidissement. 1% Que le temps du refroidissement du mar- bre blanc est à celui du refroidissement du gypse, au point de pouvoirles tenir, :: 31 : 154, et :: 86 : 44 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir, :: 10 : 9 £ par la présente expérience, et :: 59 : 51 & par les expériences précédentes (arf. 44). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 69 à 61 pour le rapport plus précis de leur premier refroidisse- ment; et pour le second , le rapport donné par les présentes expériences étant :: 32 : 20, et:: 187 : 178 par ses expériences précédentes (art. 44), on aura, en ajoutantces temps, 211 à 96 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du grès et du plomb. 9° Que le temps du refroidissement du grès est à celui du refroidissement du gypse, au point de pouvoir les tenir, :: 26 : 15 4 par les présentes expériences , et :: 55 : 21 4 par les expériences précédentes(art. 33). Ainsion aura, en ajoutant ces temps, 81 à 37 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les pré- sentes expériences étant :: 74 : 44, et :: 170 : 18 par les expériences précédentes (art. 33), on aura, en ajoutant cestemps, 244 à 122 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du grès et du gypse. 10° Que le temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement du gypse, au point de pouvoir les tenir, ::9 +:4{,et ::28 : 16 pour leur entier refroidissement. LXIII. Ayant fait chauffer ensemble les boulets de cuivre, d’antimoine, de marbre commun, de pierre calcaire tendre et de craie, ils se sont re- froidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenirpendant| Refroidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes, Graiéeni.ss tata 0 UINEN Se. + ce RO ANtMIOIner en ste dar tl Es s 0 ce 26 Pierre tendre, en. . 7 :| En. ........ 26 Marbre commun,en. 11 3 | En. ........ EM À | Cuivre, en .,.... 16 EN. des 49 580 LXIV. La même expérience répétée, les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroïdis à les tenir pendant|Refroidis à la température une demi-seconde, actuelle. minutes. minules. Crals-en: 0... DA MEN ré sem ruse 18 Autimoine, en. ... 6 EDS SPA TEL 24 Pierre tendre en... 8 Enr. fs te. Mt 25 Marbrecommun,en. 10 DNS ele CE 29 Cuirre en. . 12 We ITEN LS - OUR 58 On peut conclure de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement du cui- vre est à celui du refroidissement du marbre commun, au point de pouvoir les tenir, :: 29 À : 21 £ par les présentes expériences, et :: 45 : 35 + par les expériences précédentes (art. 5). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 74 1à57 pour le rapport plus précis de leur premier re- froidissement ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 87 : 60, et:: 125 : 111 par les expériences précé- dentes (art. 5), on aura, en ajoutant ces temps, 212 à 170 pour le rapportencore plus précis de l'entier refroidissement du cuivre et du mar- bre commun. 2° Que le temps du refroidissement du cuivre est a celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de pouvoir les tenir, :: 29 & :15 et :: 87 : 49 pour leur entier refroidis- sement. 3° Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de pouvoir les tenir, :: 29 1: 13 4 par les présentes expériences, et ::28 : 16 par les expériences précédentes (ar£. 41). Ainsionaura, en ajoutant ces Lemps, 57 4 à 29 ; pour le rap- port plus précisde leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les ex- périences présentes étant :: 87 : 50, et :: 80 : 47 par les expériences précédentes (art. 41), on aura, en ajoutant ces temps, 167 à 97 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du cuivre et de l’antimoine. 4% Que le temps du refroidissement du cuivre est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoirlestenir, :: 29 $ : 12, et :: 87 : 38 pour leur entier refroidissement. 5° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de la pierre tendre, au point de pouvoir les tenir, :: 21 !: 14 par les expériences présentes, et :: 29 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINERAUX. : 23 par les expériences précédentes (art. 30). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 50 4 à 37 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pourle second, le rapport douné par les présentes expériences étant :: 60 :49, et:: 87 : 68 par les expériences précé- dentes (art. 20),onaura, en ajoutant ces temps, 147 à 117 pour lerapport encore plus précis de l’entier refroidissement du marbre commun et de la pierre tendre, 6° Quele temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de les tenir, :: 214 :18 4, et:: 60 : 50 pour leur entier refroidissement. 7° Que le temps du refroidissement du mar- bre commun est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir, :: 21 4 : 12,et:: 60 : 38 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement de la pierre tendre est à celui du refroidissement de l’'antimoine, au point de pouvoir les tenir, :: 14 : 134, et :: 49 : 50 pour leur entier refroidis- sement. 99 Que le temps du refroidissement de la pierre tendre est à celui du refroidissement de lacraie,au point depouvoir les tenir, :: 14 : 12, et :: 49 : 38 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement de l’an- timoine est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir, :: 13 +: 12, et :: 50 : 38 pour leur entier refroidissement. LXV. Ayant fait chauffer ensemble les boulets de plomb, d’étain, de verre, de pierre calcaire dure, d'ocre et de glaise, ils se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à lestenir pendant |Refroïdis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes, minutes. Ocre en. : 2 0. Ent = se: - RCRIT Glaise, en. . . . .- - 1 5: | En. SAMIR Étain,en.. . .- - . - 8 4 L'En. ANR Plomb, jen. en. . 1. 9 FANEN CR CTI Verre,en. .... 10 En. . 0 ei set Pierre dure, en. . . 403 | En: .. SC Il résulte de cette expérience : 1° Que ie temps du refroidissement de la pierre dure est à celui du refroidissement du verre, au point de les tenir, :: 10 # : 10 par la présente expérience, et :: 20 £ : 17 par les ex- périences précédentes (ar{. 54). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 31 à 27 pour le rapport TE OT OR TU. Ssl PARIIE EXPÉRIMENTALE. 581 plus précis de leur premier refroidissement ; et, précis de leur premier refroidissement ; et pour pour le second, le rapport donné par la présente expérience étant :: 29 : 27, et:: 62 : 49 par les expériences précédentes (ar£. 54), on aura, en ajoutant ces temps, 91 à 76 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de la pierre dure et du verre. 29 Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement du plomb , au point de pouvoir les tenir : : 10 : 9 ; par la pré- sente expérience, et : : 12 : 11 par les expérien- ces précédentes (art. 39); ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 22 à 20 £ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par l’expé- rience présente étant : : 27 : 23, et : : 35 : 30 par les expériences précédentes (ar£. 39), on aura , en ajoutant ces temps , 62 à 53 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du verre et du plomb. 3° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de l’étain, au point de pouvoir les tenir :: 10 : 8 { par la pré- sente expérience, et :: 46 : 42 $ par les expé- riences précédentes (art. 39). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 56 à 5{ pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par les expé- riences présentes étant : : 27 : 21 , et par les ex- périences précédentes (art. 39) :: 132 : 117,0n aura , en ajoutant ces temps, 159 à 138 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du verre et de l’étain. 49 Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de la glaise, au point de pouvoir les tenir :: 10: 7{,ct::38{ : 31 par les expériences précédentes (ar{. 60). Ainsi on aura , en ajoutant cestemps, 48 5 à 385 pour le rapport plus précis de leur premier re- froidissement; et pour le second, le rapport donné par la présente expérience étant :: 27 : 20 ,et:: 113: S7 par les expériences précé- dentes (arf. 60), on aura, en ajoutant ces temps, 140 à 107 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du verre et de la glaise. 5° Que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement de l’ocre , au point de pouvoir les tenir :: 10 : 5 par les présentes expériences, et : : 38 4: 35 4: par les expériences précédentes (ar£. 60). Ainsi on aura, en ajou- le second, le rapport donné par la présente ex- périence étant : : 27 : 16, et par les expérien- ces précédentes (ar. 60) :: 113 : 75, on aura, en ajoutant ces temps, 140 à 91 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment du verre et de l’ocre. 6° Que le temps du refroidissement de la pierre dure est à celui du refroidissement du plomb, au point de pouvoir les tenir ::104:94#, et:: 29 : 23 pour leur entier refreidissement. 7° Que le temps du refroidissement de la pierre dure est à celui du refroidissement de l’étain, au point de les tenir :: 10 :8{, et :: 29 : 21 pour leur entier refroidissement. 8° Que le temps du refroidissement de la pierre dure est à celui du refroidissement de la glaise, au point de les tenir :: 10 4: 7 4, et::29 : 20 pour leur entier refroidissement. 9° Que le temps du refroidissement de la pierre dure est à celui du refroidissement de l'ocre, au point de les tenir :: 10 5: 5, et :: 29 : 16 pour leur entier refroidissement. 10° Que le temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement de l’étain , au point de les tenir :: 9 {: 8% par la présente ex- périence, et :: 364 : 31 £ par les expériences précédentes (ar£. 39). Ainsi on aura , en ajou- tant ces temps, 46 à 40 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par la présente ex- périence étant :: 23:21, et:: 109 : 89 par les expériences précédentes (art. 39), on aura, en ajoutant ces temps, 132 à 110 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement du plomb et de l’étain. 11° Que le temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement de la glaise, au point de pouvoir les tenir :: 94 : 74 par la présente expérience , et :: 7: 5 £ par les expériences précédentes (art. 35}. Ainsi on au- ra, en ajoutant ces temps, 16 £à 13 pour le rapport plus précis de leur premier refroidisse- ment; et pour le second, le rapport donné par | la présente expérience étant :: 23 : 20, et :: 18 : 15 par les expériences précédentes (ar{. 35), on aura, en ajoutant ces temps , 41 à 35 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du plomb et de la glaise. 12° Que le temps du refroidissement du plomb est à celui du refroidissement de l’ocre, tant ces temps , 48 £ à 30 À pour le rapport plus | au point de pouvoir les tenir :: 95: 5 par la D82 présente expérience, et :: 7 : 5 par les expé- riences précédentes (ar. 35), Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 16 4 à 10 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second , le rapport donné par la pré- sente expérience étant :: 23 : 16,et:: 18 : 13 par les expériences précédentes (art. 35), on aura, en ajoutant ces temps, 41 à 29 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du plomb et de l’ocre. 13° Que le temps du refroidissement de l’é- tain est à célui du refroidissement de la glaise, au point de les tenir :: 84: 7 4, et :: 21 : 20 pour leur entier refroidissement. 14° Que le temps du refroidissement de l’é- tain est à celui du refroidissement de l’ocre, au point de les tenir :: 8 £ :5,et:: 21 : 16 pour leur entier refroidissement. 15° Que le temps du refroidissement de la glaise est à celui du refroidissement de l’ocre, au point de pouvoir les tenir : : 7 4 : 5 par la présente expérience, et :: 43#: 37 par les ex- periences précédentes (arf. 60). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 50 à 42 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par la présente expérience étant :: 20 : 16, et :: 120 : 104 par les expériences précédentes (arf. 60), on aura, en ajoutant ces temps, 140 à 120 pour le rap- port encore plus précis de l’entier refroidisse- ment de la glaise et de l’ocre. LXVI. Ayant fait chauffer ensemble les boulets de zinc, d'antimoine, de pierre calcaire tendre, de craie et de gypse, ils se sont refroidis dans l’or- dre suivant : Refroidis à les tenir pendant|Refroïidis à la température une demi-seconde. actuelle. minutes. minutes. Gypsestensr5v.. D IMENENS - este aie 11 Craig me. Lo mvx En srenaieNs AT 16 Antimoine, en. . .. 6 Énet. chle 22 Pierre tendre, en. . 7 : | En... .... IDE, ZINC; ON; ne 4375 T'Etae ts non ce el LXVII. La même expérience répétée , les boulets se sont refroidis dans l’ordre suivant : Refroidis à les tenir pendant| Refroïidis à la température une demi-seconde. actuelle. miautes. minules. Gypse, en. .t1. 18044 En 20e Die Craie; en. 215 ER 415 | En, pe Dia Antimoine, en. . . . 6 BR ee US 20 Pierre tendre, en. . 8 Eo. . . . 21 Pine, en. 4 22 IAE er 2 cl INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. On peut conclure de ces deux expériences : 1° Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement de la pierre ten- dre, au point de pouvoir les tenir :: 28 : 15 À, et:: 57: 44 pour leur entier refroidissement. 29 Que le temps du refroidissement du zine est à celui du refroidissement de l’antimoine, au point de pouvoir les tenir :: 28 : 12 parles présentes expériences , et:: 94 : 52 par les ex- périences précédentes (ar£. 48) ; ainsi, en ajou- tant ces temps, on aura 122 à 64 pour le rap- port plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les pré- sentes expériences étant ::57 :42; et :: 285: 184 par les expériences précédentes (ar{. 48), on aura, en ajoutant ces temps, 342 à 226 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement du zinc et de l’antimoine. 3° Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir :: 28 : 9 À par [es pré- sentes expériences , et :: 31 : 12£ par les expé- riences précédentes (ar£.52). Ainsi,onaura , en ajoutant ces temps, 59 à 22 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant :: 57 : 30, et :: 59 : 38 par les expériences précédentes (ar{. 52), on aura, en ajoutant ces temps , 116 à 68 pour le rap-- port encore plus précis de l’entier refroidisse- sement du zine et de la craie. 4% Que le temps du refroidissement du zinc est à celui du refroidissement du gypse , au point de pouvoir les tenir :: 28 : 7 par les présen- tes expériences , et :: 38 : 15 £ par les expé- riences précédentes (arf. 62). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 66 à 224 pour le rap- port plus précis de leur premier refroidissement, et pour le second, le rapport donné par les pré- sentes expériences étant :: 57 : 23, et :: 100 : 44 par les expériences précédentes (ar. 62), ou aura, en ajoutant ces temps, 157 à 67 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroi- dissement du zine et du gypse. 5° Que le temps du refroidissement de l’an- timoine est à celui du refroidissement de ja pierre calcaire tendre , au point de les tenir :: 12 :154 et:: 42 : 44 pour leur entier refroidis- sement, 6° Que le temps du refroidissement de l’an- timoine est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir :: 12:9% PARTIE EXPÉRIMENTALE. par les présentes expériences, et:: 134: 12 par les expériences précédentes (art. 64). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 25 { à 214 pour le rapport plus précis de leur premier refroidisse- ment ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant : : 42 : 30, et 4: 50 : 38 par les expériences précédentes (art. 64), on aura, en ajoutant ces temps, 92 à 68 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidissement de l’antimoine et de la craie. 7° Quele temps du refroidissement de l’anti- moine est à celui du refroidissement du gypse, au point de pouvoir les tenir : : 12:7, et : : 42 : 23 pour leur entier refroidissement. 8" Que le temps du refroidissement de la pierre tendre est à celui du refroidissement de la craie, au point de pouvoir les tenir :: 154:95 par les présentes expériences, et :: 14 : 12 par les expériences précédentes (art. 64). Ainsi on aura, en ajoutant ces temps, 29 À à 21 £ pour le rapport plus précis de leur premier refroidisse- ment ; et pour le second, le rapport donné par les présentes expériences étant : : 44 : 50, et :: 49 : 38 par les expériences précédentes (art. 64), on aura, en ajoutant ces temps, 93 à 68 pour le rapport encore plus précis de l’en- tier refroidissement de la pierre tendre et de la craie. 99 Que le temps du refroidissement de la pierre calcaire tendre est à celui du refroidisse- ment du gypse, au point de les tenir :: 151:7 par les présentes expériences, et : : 12: 4 par les expériences précédentes (ar£. 38). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps, 27 & à 11: pour le rapport plus précis de leur premier refroidis- sement ; et pour le second, le rapport donné par les expériences présentes étant :: 44: 23, ct :: 27 : 14 par les expériences précédentes {art 38), on aura, en ajoutant ces temps, 71 à 37 pour le rapport encore plus précis de l’en- tier refroidissement de la pierre tendre et du gypse. 10° Que le temps du refroidissement de la craie est à celui du refroidissement du gypse, au point de pouvoir les tenir :: 9 £ : 7 par les présentes expériences, et :: 25: 16 par les expé- riences précédentes (arf. 56). Ainsi on aura , en ajoutant ces temps , 34 ! à 23 pour le rapport plus précis de leur premier refroidissement ; et pour le second, le rapport donné par les pré- sentes expériences étant, :: 30 :23,et::71:57 par les expériences précédentes (arf. 56), on —————_—_—— 2 D85 aura, en ajoutant ces temps, 101 à 80 pour le rapport encore plus précis de l’entier refroidis- sement de la craie et du gypse. Je borne ici cette suite d'expériences assez longues à faire et fort ennuyeuses à lire; j’ai cru devoir les donner telles que je les ai faites à plusieurs reprises dans l’espace de six ans : si je m'étais contenté d’en additionner les résul- tats, j'aurais à la vérité fort abrégé ce Mémoire, mais on n'aurait pas été en état de les répéter, et c’est cette considération qui m'a fait préférer de donner l’énumération et le détail des expé- riences mêmes, au lieu d’une table abrégée que j'aurais pu faire de leurs résultats accumulés. Je vais néanmoins donner, par forme de réca- pitulation, la table générale de ces rapports tous comparés à dix mille, afin que, d'un coup d'œil, on puisse en saisir les différences. nm TABLE DES RAPPORTS DU REFROIDISSEMENT DES DIFFÉRENTES SUBSTANCES MINÉRALES. FER. Premier Entier ; refroidissement. refroid. JÉmeril.............. 10000 à 9117 — 9020. .. 10000 à 8512 — 8702. cs .. 10000 à 8160 — 8148. ZINC. .…..s.sosonees 10000 à 7654 — 6020 | Cuivre 6804 Argent...\.......... 10000 à 7619 — 7425. Marbre blan ... 10000 à 6774 — 6704. N Marbre commun... 10000 à 6656 — 6746. Pierre calcaire dure. 40000 à 6617 — 6274. 10000 à 5796 — 6926. Feret... ... à — 5605. RIDDD- -------e 10000 à 5143 — 6482. Étain. 40000 à 4898 — 4921. Pierre C 10000 à 4194 — 4659. GARE .-----.---.0s 10000 à 4198 — 4490. Bismuth... 10800 à 5580 — 4081. CrAIB ere runohesce 10000 à 5086 — 587$. GYPSE «sonores 10000 à 2525 — 2817. MAR es cs---epesce 10000 à 1860 — 1549. \ Pierre ponce..…...... 10000 à 1627 — 1268. EMERIL. GUIVTE. ee cn nee 10000 à 8519 — 8148. OL smmes semer 10000 à 8513 — 8360, AIDE men essesse 10000 à 8590 — 7692. 7458 AGENT. ssssssres 10000 à 7778 — 7895. Pierre calcaire dure.. 10000 à 7504 — 6965. GPÉS. os oossoes se 10000 à 2 — 6317. SA ET DO 10000 à 5862 — 5506. Émeril et....{ Plomb. ............. 10000 à 5718 — 6615. Elain... ss... 10000 à 5658 — 6000. Glalse...:... sec 10050 à 5185 — 5185. Bismuth ....... . 40000 à 4949 — 6060 Antimoine... . 10000 à 4540 — 5827. Ocre....... . .. 40000 à 4259 — 5827. Craie... ... 10000 à 5684 — 4105. Gypse. . 10000 à 2568 — 2917. BOIS. ...s.ssssessous 10000 à 1552 — 5146 584 Cuivre et... ( Or Cle. se. Zinc ele... se( Argent ct. | | | INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. CUIVRE, Premier refroidissement. Entier refroid, OT ssssssssenusssses 10000 à 9136 — 9194, [.ZiNCes rs scoseneosoe pur Lt — 9250. \ Pierre ponce ATEN, roses 10000 à 8503 — 782 Marbre cournun..., 10000 à 7658 — 8019. Grès. 10000 à 7355 — 8160. Verre. 10000 à 6667 — 6567. Plomb. 10000 à G179 — 7567. Etain. ............. 10000 à 5746 — G916. Pierre calcaire tendre 10000 à 5168 — 5633. GHAÏSe....ssossonsse 10000 à 5652 — 6565. Bismuth..........., 10000 à 5686 — 5959, Antimoine, «+ 10000 à 5170 — 5808. Ocre ..... . + 10000 à 5000 — 4697. Craie.......sesess.. 10000 à 4068 — 4568. OR. ZinC.ssossssocsssse 10000 9504. 8422 Argent......... 10000 à 8686. Marbre blanc. 10000 à gro — 7865. Marbre commun .... 10000 à 7342 — 7455. Pierre calcaire dure.. 10000 à 7383 — 7516. GrOR CAR, enseterree 10000 à 7368 — 7627. Verre... 10000 à 7105 — 5952. Plomb. . . 10000 à 6526 — 7500, (Etain 2 10000 à 6524 — 6051. Pierre calcaire tenûre 10000 à 6087 — 5814, Glaise.............. 10000 à 5814 — 5077. Bismuth | 2e sense. 10000 à 5658 — 7045. Porcelaine. ......... 10000 à 3526 — 5595. Antimoiue.......... 10000 à 5395 — 6348. Ocrens ter 10000 à 5349 — 4462, Craie... 10000 à 4571 — 44352, \Gypse 10000 à 2989 — 5293. Argent ..........,.. 10000 à 8904 — 8990, 10015 Marbre blanc........ 10000 à sn — 8424 Grès; .,... snssssure 10000 à GO4D — 7335. 5838 Plomb.......... “... 40000 à 6031 — 7947 1940 Étain....ssssocsseee 10000 à 6777 — 6240 5666 Pierre calcaire tendre 10000 à ss — 7719. 4125 GIaise ...s.s.soso.. 10000 à 3484 — 7458. 4373 Bismuth............ 10000 à 5545 — 7547. 1232 Antimoine...,..,... 10000 à 5246 — 6608, 4195 Craie. ...sssosssoses 10000 à 3729 — 5862, 2618 Spa rercrsseseses 10000 à 5409 — 4268. 2298 ARGENT. Marbre blanc........ 10000 à 8681 — 9200. Marbre commun..... 10000 à 7912 — 9040 Pierre calcaire dure.. 10000 à 7456 — 8380, GTÈS..s.ossosnse ... 10000 à 7561 — 7767 Verre... .. 10000 à 7250 — 7212 Plomb... . 140000 à 7154 — 9184. ÉD Server 10000 à 6176 — 6288. Pierre calcaire tendre 10000 à 6178 — 6287. GAiSQu se sussneeoe 10000 à 6034 — 6710. Bismuth 10000 à 6508 — 8877 Porcelaine... . 10000 à 5536 — 5212. Antimoine. . 10000 à 5692 — 7653. Ocre...... . 40000 à 5000 — 5658. Craie... 10000 a 4310 — 5000. Gba -srtee 10000 à 2879 — 5366. | Bois. ::. . 10000 à 2353 — 1864 10000 à 2059 — 1525, Marbre blanc LA CCE Marbre com- mun et... dure Pierre et.. Grés'et.... Verrcet..... Plomb et... Élain et... \ ne ee , À a —, | Glaise..….. MARBRE BLANC. refroidissement. .. 10000 à 8992 — 9405. Marbre commun. Pierre dure, ..….. GE Re -sre Plomb... Etain, terre Pier, e calcaire tendre Glaie..….….. annee Autiinoine... OCDE ue. eines Gypse.. \ Bois... Premier Entier refroid. 10000 à 8394 — 9150. 10000 à 8286 — 8990. 10000 à 7604 — 5553. 10000 à 7145 — 6792. 10000 à 6792 — 7218. 10 OÙ à G400 — 286. 10000 à 6256 — 6792. 16000 à 3400 — 5371. 10000 à 4920 — 5116. 10000 à 2200 — 2857. MARBRE COMMUN. Piérreldures.. sec. GrOS bee sante Pierretendre..... GIASC seen Antimoine....... 10000 à 9485 — 9635, 10000 à 8767 — 9275. . 40000 à 7671 — 8590. 10000 à 7424 — 6666. 10000 à 7527 — 7959. 16000 à 7272 — 7215. 10000 à 6279 — 8553. 10000 à 6136 — 6595. 10000 à 5581 — 6555. - 10000 à 2500 — 3279. PIERRE CALCAIRE DURE. GTS terre s. Verre Plomb... Pierre tendre . Glaise...... GRÈS. Étain.. Pierre te: dre. Porcelaine. ..... Autimoine.......... GYPSE ....s... BOIS... se co s stone VERRE. Plomb........ Etain. so... Glaise Porcelaine... Ocre....…. Craie...... GYPSE,. s...... Bois. .............s PLOMB. Étain..…. Picrre tendre ....... Glaise....... Bismuth ..... Antimoiue........ GYPSE one n nv atote ne ÉTAIN. Bismuth ...... ANLIMOINE . ss. « ocre... Craie... : GYPSCr servoous ve sms 10000 à 9268 — 9355. ... 10000 à 8710 — 8552. .. 10009 à 8571 -— 7951. + 10000 à 8095 — 7951. .. 10000 à 8000 — 8095. .. 10000 à 6190 — 6897. . 10000 à 4762 — 5317. 10000 à 2195 — 4516. 10000 à 9324 — 705). 10000 à 8561 — 84350. 10000 à 7667 — 7655. + 10000 à 7647 — 7195. 10000 à 7364 — 7039. 1 000 à 7553 — 6170. 10000 à 4568 — 5000. 10000 à 2568 — 4828. 1090 à 9518 — 8548. . 100,0 à 9107 — 8679. 10000 à 7958 — 7645. 10000 à 7692 — 8865. 10000 à 6289 — 6500. 10000 à 6104 — 6195. 10000 à 4160 — 60411. 16000 à 2647 — 5314. 10000 à 8693 — 8335. 10000 à 8437 — 7192 10000 à 7878 — 8356. 10000 à 8698 — 8750, 10000 à 8241 — 8201. 10000 à 6060 — 7073. 10000 à 5714 — 61H. 10000 à 4750 — 3714. 10000 à 8823 — 9524. 10000 à 8888 — 9400. 10000 à 8710 — 9136. 1C000 à 5882 — 7619. 10000 à 6364 — 6842. 10000 à 4000 — 4942. PARTIE EXPÉRIMENTALE. PIERRE CALCAIRE TENDRE. Pierre tendre C'EEEEEEEE Antimoine .,...,.... 10000 à 7742 — 9545. oran" 10000 à 7288 — 7512. GYPSE «essss...s.. 10000 à 4182 — 3211. GLAISE. Bismuth......... .. 10000 à 8870 — 9419. OCLE. se uurseesee 10000 à 8400 — 8571. Gtmet-n.) Criles, 4.2 .... 10000 à 7701 — SOON. 10200 à 5183 — RO. | Gypse..…. 10000 à 35137 — Bois... ...se. BISMUTH. 10000 à 9349 — 9572. 10000 à SS46 — 73580. 10000 à 8620 — 9500. AULIMOINE, «us... OCT. ..snoone Craie. ....... Bismuth et... POCCELAINE, Porcelaine et gypse................ 10000 à 5508 — 6500. ANTIMOINE. Le Crale ns... diececs 10000 À 8451 — 7301. ANLIMOIN ++ | Gypse ses esccece 10000 À 5835 — 5476. OCRE, 10000 à 88354 — 10000 à 6364 — 9062. Craie. .....osssocn es + Ocreet ..... { Gypse ....... = BOÏS..… senc so eos e S 10000 à 4074 — 5128. CRAIE. Craie et SYPS@.. s.sssonsossssssenese 10000 à 6667 — 7920. GYPSE. | f Bois eee se... 10000 à 8000 — 5250. Gxpse et»... | pierre ponce..….... 10000 à 7000 — 4500. BOIS. Bois et pierre PONCE......s......... 10000 à 8750 — 8182. Quelque attention que j'aie donnée à mes ex- périences, quelque soin que j'aie pris pour en rendre les rapports plus exacts, j'avoue qu'il y a encore quelques imperfections dans cette table qui les contient tous ; mais ces défauts sont lé- gers et n’influent pas beaucoup sur les résultats généraux : par exemple, on s’apercevra aisé- ment que le rapport du zine au plomb, étant de dix mille à six mille cinquante-un, celui du zinc à l’étain devrait être moindre de six mille, tan- dis qu'il se trouve dans la table de six mille sept cent soixante-dix-sept. Il en est de même de celui de l’argent au bismuth, qui devrait être moindre que six mille trois cent huit ; et encore de celui du plomb à la glaise, qui devrait être de plus de huit mille, et qui ne se trouve être dans la table que de sept millehuit centsoixante- dix-huit; mais cela provient de ce que les bou- lets de plomb et de bismuth n’ont pas toujours été les mêmes : ils se sont fondus aussi bien que ceux d'’étain et d’antimoine ; ce qui n’a pu man- quer de produire des variations, dont les plus grandes sont les trois que je viens de remarquer. Il ne m'a pas été possible de faire mieux : les O8 différents boulets de plomb, d'étain, de bismuth et d’antimoine, dont je me suis successivement servi, étaient faits, à la vérité, sur le même alibre ; mais la matière de chacun pouvait être un peu différente, selon la quantité d’alliage du plomb et de l’étain, car je n'ai eu de l’étain pur que pour les deux premiers boulets : d’ailleurs, il reste assez souvent une petite cavité dans ces boulets fondus , et ces petites causes suffisent pour produire les petites différences qu'on pouira remarquer dans ma table. Il en est de même du rapport de l’étain à l’o- cre, qui devait être de plus de six mille, et qui ne se trouve dans la table quede cinq mille huit cent quatre-vingt-deux , parce que l’ocre étant une matière friable qui diminue par le frotte- ment, j'ai été obligé de changer trois ou quatre fois les boulets d’ocre. J'avoue qu’en donnant à ces expériences le double du très-longtemps que j'y ai employé, j'aurais pu parvenir à un plus grand degré de précision ; mais je me flatte qu'il y en a suffisamment pour qu’on soit convaincu de la vérité des résultats que l’on peut en tirer. Il n’y a guère que les personnes accoutumées à faire des expériences qui sachent combien il est difficile de constater un seul fait de la nature jar tous les moyens que l’art peut nous fournir : il faut joindre la patience au génie, et souvent cela ne suffit pas encore ; il faut quelquefois re- noncer, malgré soi, au degré de précision que l'on désirerait, parce que cette précision en exi- gerait une tout aussi grande dans toutes les mains dont onsesert, et demanderait en même temps une parfaite égalité dans toutes les ma- tières que l’on emploie : aussi, tout ce que l’on peut faire en physique expérimentale ne peut pas nous donner des résultats rigoureusement exacts, et ne peut aboutir qu’à des approxima- tions plus ou moins grandes; et quand l’ordre général de ces approximations ne se dément que par de légères variations, on doit être satisfait. Au reste, pour tirer de ces nombreuses expé- riences tout le fruit qu’on doit en attendre, il faut diviser les matières qui en font l’objet en quatre classes ou genres différents : 1° Les métaux ; 2° les demi-métaux et miné- raux métalliques; 3° les substances vitrées et vitrescibles ; 4° les substances calcaires et cal- cinables ; comparer ensuite les matières de cha- que genre entre elles, pour tâcher de reconnai- tre la cause ou les causes de l’ordre que suit le progrès de la chaleur dans chacune; et enfin 980 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. comparer les genres même entre eux, pour es- sayer d'en déduire quelques résultats généraux. 1. L'ordre des six métaux, suivant leur den- sité, est : étain, fer, cuivre, argent, plomb, or; tandis que l’ordre dans lequel ces métaux recoi- vent et perdent la chaleur est, étain, plomb, ar- gent, or, cuivre, fer, dans lequel il n’y a que l’etain qui conserve sa place. Le progrès et la durée de la chaleur dans les métaux ne suit donc pas l’ordre de leur den- silé, si ce n’est pour l’étain, qui, étant le moins dense de tous, esten même temps celui qui perd le plus tôt sa chaleur : mais l’ordre des cinq au- tres métaux nous démontre que c’est dans le rapport de leur fusibilité que tous reçoivent et perdent la chaleur ; car le fer est plus difficile à fondre que le cuivre, le cuivre l’est plus que l'or, l'or plus que l'argent, l'argent plus que le plomb, et le plomb plus que l’étain : on doit done en conclure que ce n’est qu’un hasard si la densité et la fusibilité de l’étain se trouvent ici réunies pour le placer au dernier rang. Cependant ce serait trop s’avancer que de prétendre qu'on doit tout attribuer à la fusibi- lité, et rien du tout à la densité; la nature ne se dépouille jamais d’une de ses propriétés en faveur d'une autre d’une manière absolue, c’est- à-dire de facon que la première n’influe en rien sur la seconde : ainsi, la densité peut bien en- trer pour quelque chose dans le progrès de la chaleur ; mais au moins nous pouvons pronon- cer affirmativement que, dans les six métaux, elle n’y fait que très-peu, au lieu que la fusibi- lité y fait presque le tout. Cette première vérité n’était connue ni des chimistes ni des physiciens : on n’aurait pas même imaginé que l'or, qui est plus de deux fois et demi plus dense que le fer, perd néan- moins sa chaleur un demi-tiers plus vite. Il en est de même du plomb, de l'argent et du cuivre, qui tous sont plus denses que le fer, et qui, comme l'or, s'échauffent et se refroïdissent plus promptement; car, quoiqu'il ne soit question que du refroidissement dans ce second Mé- moire, les expériences du Mémoire qui précède celui-ci démontrent, à n’en pouvoir douter, qu’il en est de l’entrée de la chaleur dans les corps comme de sa sortie, et que ceux qui la recoi- vent le plus vite sont en même temps ceux qui la perdent le plus tôt. Si l’on réfléchit sur les principes réels de la densité et sur la cause de la fusibilité, on sentira que la densité dépend absolument de la quan- | tité de matière que la nature place dans un es- pace donné; que plus elle peut y en faire entrer, | plus il y a de densité; et que l'or est, à cet | égard, la substance qui de toutes contient le plus de matière relativement à son volume, C'est pour celte raison que l'on avait cru jusqu'ici qu'il fallait plus de temps pour échauffer ou re- froidir l'or queles autres métaux. Il est en effet assez naturel de penser que, contenant sous le même volume le double ou le triple de matière, il faudrait Le double ou le triple du temps pour la pénétrer de chaleur; et cela serait vrai si, dans toutes les substances , les parties consti- tuantes étaient de la même figure, et, en consé- quence, toutes arrangées de même. Mais, dans les unes comme dans les plus denses, les molé- cules de la matière sont probablement de figure assez régulière pour ne pas laisser entre elles de très-grands espaces vides ; dans d’autres moins denses, leurs figures plus irrégulières laissent des vides plus nombreux et plus grands; etdans les plus légères, les molécules étant en petit nombre et probablement de figure très-irrégu- lière, ilse trouve mille et mille fois plus de vide que de plein : car on peut démontrer, par d'au- tres expériences, que le volume de la substance même la plus dense contient encore beaucoup plus d’espace vide que de matière pleine. Or, la principale cause de la fusibilité est la facilité que les particules de la chaleur trouvent à séparer les unes des autres ces molécules de la matière pleine : que la somme des vides en soit plus ou moins grande, ce qui fait la densité ou la lésèreté, cela est indifférènt à la sépara- tion des molécules qui constituent le plein, et la plus où moins grande fusibilité dépend en en- tier de la force de cohérence qui tient unies ces parties massives et s'oppose plus ou moins à leur séparation. La dilatation du volume total est le premier degré de l’action de la chaleur ; et, dans les différents métaux, elle se fait dans le même ordre que la fusion de la masse, qui s’opère par un plus grand degré de chaleur ou de feu. L'étain, qui de tous se fond le plus promptement, est aussi celui quise dilate le plus vite; et le fer, qui est de tous le plus difficile à fondre, est de même celui dont la dilatation est la plus lente. D’après ces notions générales, qui paraissent claires, précises et fondées sur des expériences que rien ne peut démentir, ou serait porté àcroire PARTIE EXPERIMENTALE. que la duetilité doit suivre l’ordre de la fusibi- lité, parce que la plus ou moins grande ducti- lité semble dépendre deki plus ou moins grande adhésion des parties dans chaque métal; cepen- dant cet ordre de la ductilité des métaux pa- rait avoir autant de rapport à l’ordre de la densité qu'à celui de leur fusibilité. Je dirais vo- lontiers qu'il est en raison composée des deux autres; mais ce n’est que par estime et par une présomption qui n’est peut-être pas assez fon- dée; car il n’est pas aussi facile de déterminer au juste les différents degrés de la fusibilité que ceux de la densité ; et comme la ductilité parti- cipe des deux, et qu’elle varie suivant les cir- constances, nous n'avons pas encore acquis les connaissances nécessaires pour prononcer affir- mativement sur ce sujet, qui est d’une assez grande importance pour mériter des recherches particulières. Le même métal traité à froid ou à chaud donne des résultats tout différents : la malléabilité est le premier indice de la ductilité; mais elle ne nous donne néanmoins qu’une no- tion assez imparfaite du point auquel la ducti- lité peut s'étendre. Le plomb, le plus souple, le plus malléable des métaux, ne peut se tirer à Ja filière en fils aussi fins que l’or, ou même que le fer, qui de tous est le moins malléable. D’ail- leurs il faut aider la ductilité des métaux par l'addition du feu, sans quoi ils s’écrouissent et deviennent cassants; le fer même, quoique le plus rebustede tous, s’écrouit comme les autres. Ainsi la ductilité d’un métal et l’étendue de continuité qu'il peut supporter dépendent non- seulement de sa densité et de sa fusibilité, mais encore de la manière dont on le traite, de la per- eussion plus lente ou plus prompte, et de l’addi- tion de chaleur ou de feu qu'on lui donne à propos. 11. Maintenant, si nous comparons les sub- stances qu’on appelle demi-melaux et miné- raux mélalliques qui manquent de ductilité, nous verrons que l’ordre de leur densité est : émeril, zine, antimoine, bismuth; et que celui dans lequel ils reçoivent et perdent la chaleur est : antimoine, bismuth, zinc, émeril; ce qui ne suit en aucune facon l’ordre de leur densité, mais plutôt celui de leur fusibilité. L’émeril, qui est un minéral ferrugineux, quoiqu’une fois moins dense quele bismuth, conserve la chaleur une fois plus longtemps; le zine, plus léger que l’antimoine et le bismuth, conserve aussi la cha- leur beaucoup plus iongtemps; l’antimoine etle 087 bismuth la recoivent et la gardent à peu près également. Il en est done des demi-métaux et des minéraux métalliques comme des métaux : le rapport dans lequel ils recoivent et perdent la chaleur est à peu près le même que celui de leur fusibilité , et ne tient que très-peu ou point du tout à celui de leur densité. Mais en joignant ensemble les six métaux et les quatre demi-métaux où minéraux métalli- ques que j’ai soumis à l'épreuve , on verra que l'ordre des densités de ces dix substances mi- nérales est : Émeril , zine, antimoine, étain, fer, cuivre, bismuth, étain , plomb, or: Et que l’ordre dans lequel ces substances s’é- chauffent et se refroidissent est : Antimoine, bismuth, étain, plomb , argent, zinc, or, cuivre, émeril, fer : Dans lequel il y a deux choses qui ne parais- sent pas bien d’accord avec l’ordre de la fusibi- lité : 1° L’antimoine, qui devrait s’échauffer et se refroidir plus lentement que Le plomb, puisqu'on a vu par les expériences de Newton, citées dans le mémoire précédent, que l’antimoine de- mande pour se fondre dix degrés de la même chaleur, dont il n’en faut que huit pour fondre le plomb ; au lieu que, par mes expériences, il se trouve que l’antimoine s’échauffe et se refroi- dit plus vite que le plomb. Mais on observera que Newton s’est servi de régule d’antimoine, et que je n'ai employé dans mes expériences que de l’antimoine fondu : or le régule d’antimoine ou l’antimoine naturel est bien plus difficile à fondre que l’antimoine qui a déjà subi une pre- mière fusion ; ainsi, cela ne fait point une ex- ception à la règle. Au reste, j'ignore quel rap- port il y aurait entre l’antimoine naturel ou ré- gule d’antimoine et les autres matières que j’ai fait chauffer et refroidir ; mais je présume, d’a- près l’expérience de Newton, qu’il s’'échauffe- rait et se refroidirait plus lentement que le plomb. 2° L'on prétend que le zinc se fond bien plus aisément que l’argent; par conséquent il de- vrait se trouver avant l’argent dans l’ordre in- diqué par mes expériences, si cet ordre était, dans tous les cas , relatif à celui de la fusibilité ; et j'avoue que ce demi-métal semble, au pre- mier coup d'œil, faire une exception à cette loi que suivent tous les autres. Mais il faut obser- ver : 1° que la différence donnée par mes ex- D85 périences entre le zinc et l'argent est fort petite; 2° que le petit globe d'argent dont je me suis servi était de l'argent le plus pur, sans la moin- dre partie de cuivre ni d'autre alliage, et l'ar- gent pur doit se fondre plus aisément et s’é- chauffer plus vite que l'argent mêlé de cuivre; 3° quoique le petit globe de zinc m'’ait été donné par un de nos habiles chimistes ", ce n’est peut- être pas du zine absolument pur et sans mé- lange de cuivre, ou de quelqu'autre matière en- core moins fusible. Comme ce soupçon m'était resté après toutes mes expériences faites, jai remis le globe de zinc à M. Rouelle, qui me l’a- vait donné, en le priant de s'assurer s’il ne con- tenait pas du fer ou du cuivre, ou quelque autre matière qui s’opposerait à sa fusibilité. Les épreu- ves en ayant été faites, M. Rouelle a trouvé dans ce zine une quantité assez considérable de fer ou safran de mars : j'ai done eu la satisfac- tion de voir que non-seulement mon soupçon était bien fondé, mais encore que mes expérien- ces ont été faites avec assez de précision pour faire reconnaitre un mélange dont il n’était pas aisé de se douter. Ainsi le zine suit aussi exac- tement que les autres métaux et demi-métaux , dans le progrès de la chaleur, l’ordre de la fusi- bilité, et ne fait point une exception à la regle. On peut donc dire, en général , que le progrès de la chaleur dans les métaux, demi-métaux et minéraux métalliques , est en même raison, ou du moins en raison très-voisine de celle de leur fusibilite?. III. Les matières vitrescibles et vitrées que j'ai mises à l'épreuve, étant rangées suivant l'ordre de leur densité, sont : Pierre ponce, porcelaine, ocre, glaise, verre, cristal de roche et grès; car je dois observerque, quoique le cristal ne soit porté dans la table des poids de chaque matière que pour six gros vingt- deux grains, il doit être supposé plus pesant d'environ un gros, parce qu’il était sensible- * M. Rouelle, démonstrateur de chimie aux écoles du Jar« din du Roi. 3 Nota. Le globe de ziac sur lequel ont été failes toutes les expériences s'étant trouvé mêlé d'une portion de fer, j'ai élé obligé de substituer. dans la tible générale, aux premiers rap- ports, de nouveaux rapports, que j'ai placés sous les autres : par exemple, le rapport du fer au zinc de 10000 à 7654 n'est pas le vrai rapport, et c'est celui de 10000 à 6804, écrit an- dessous, qu'il faut adopter. Il en est de même de toutes les au- tres corrections que j'ai faites d'un neuvième sur chaque nom- bre, parce que j'ai reconnu que la portion de fer contenue daus ce zinc avait diminué, au moins d'un neuvième, le pro- grès de la chaleur. INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. ment trop petit; et c'est par cette raison que je lai exclu de la table générale des rapports, ayant rejeté toutes les expériences que j'ai fai- tes avec ce globe trop petit. Néanmoins le ré- sultat général s'accorde assez avec les autres, pour que je puisse le présenter. Voici donc l’or- dre dans lequel ces différentes substances sesont refroidies : Pierre ponce, ocre, porcelaine, glaise, verre, cristal etgrès, qui, comme l’on voit, est le même que celui de la densité; car l’ocre ne se trouve ici avant la porcelaine que parce qu’étant une matière friable, il s’est diminué par le frottement qu'il a subi dans les expériences ; et d’ailleurs sa densité diffère si peu de la porcelaine, qu'on peut les regarder comme égales. Ainsi, la loi du progrès de la chaleur dans les matières vitrescibles et vitrées est relative à l'ordre de leur densité , et n’a que peu ou point de rapport avec leur fusibilité, par la raison qu'il faut, pour fondre toutes ces substances, un de- gré presque égal du feu le plus violent, et que les degrés particuliers de leur différentes fusi- bilités sont si près les uns des autres, qu’on ne peut pas en faire un ordre composé de termes distincts. Ainsi leur fusibilité presque égale ne faisant qu'un terme, qui est l’extrème de cet ordre de fusibilité, on ne doit pas être étonné de ce que le progrès de la chaleur suit ici l’ordre de la densité, et que ces différentes substances, qui toutes sont également difficiles à fondre, s'échauffent et se refroidissent plus lentement et plus vite, à proportion de la quantité de ma- tières qu’elles contiennent. On pourra m’objecter que le verre se fond plus aisément que la glaise, la porcelaine, locre et la pierre ponce , qui néanmoins s’échauffent et se refroidissent en moins de temps que le verre; mais l’objection tombera lorsqu'on réflé- chira qu'il faut, pour fondre le verre, un feu très-violent dont le degré est si éloigné des de- grés de chaleur que recoit le verre dans nos ex- périences sur le refroidissement, qu’il ne peut influer sur ceux-ci. D'ailleurs, en pulvérisant la glaise, la porcelaine, l’ocre et la pierre ponce, et leur donnantdes fondantsanalogues, commel’on en donne au sable pour le convertir en verre, il est plus que probable qu'on ferait fondre toutes ces matières au même degré de feu, et que par conséquent on doit regarder comme égale ou presque égale leur résistance à la fusion; et c’est par cette raison que la loi du progrès de la cha- PARTIE EXPÉRIMENTALE. leur dans ces matières se trouve proportion- uelle à l’ordre de leur densité, : 1V. Les matières calcaires, rangées suivant l'ordre de leur densité, sont : Craie, pierre tendre , pierre dure, marbre commun, marbre blanc. L'ordre dans lequel elles s’échauffent et se refroidissent est : craie, pierre tendre, pierre dure, marbre commun et inarbre blanc, qui, comme l’on voit, est le mème que celui de leur densité. La fusibilité n'y entre pour rien, parce qu'il faut d’abord un très-grand degré de feu | pour les caleiner, et que, quoique la caleination en divise les parties, on ne doit en regarder l’ef- fet que comme un premier degré de fusion, et non pas comme une fusion complète ; toute la puissance des meilleurs miroirs ardents suffit à peine pour l’opérer. J’ai fondu et réduit en une espèce de verre quelques-unes de ces matières calcaires au foyer d’un de mes miroirs, et je me suis convaineu que ces matières peuvent , comme toutes les autres, se réduire ultérieure- ment en verre, sans y employer aucun fondant, et seulement par la force d’un feu bien supé- rieur à celui de nos fourneaux. Par conséquent, le terme commun de leur fusibilité est encore plus éloigné et plus extrême que celui des ma- tières vitrées; et c’est par cette raison qu’elles suivent aussi plus exactement, dans le progrès de la chaleur, l’ordre de la densité. Le gypse blanc, qu’on appelle improprement albâtre, est une matière qui se calcine, comme tous les autres plâtres, à un degré de feu plus médiocre que celui qui est nécessaire pour la calcination des matières calcaires : aussi ne suit- il pas l’ordre de la densité dans le progrès de la chaleur qu'il recoit ou qu'il perd ; car, quoi- que beaucoup plus dense que la craie, et un peu plus dense que la pierre calcaire blanche, il s’échauffe et se refroidit néanmoins bien plus promptement que l’une et l’autre de ces matie- res. Ceci nous démontre que la calcination et la fusion, plus oumoins faciles, produisent le méme effet, relativement au progrès de la chaleur. Les matières gypseuses ne demandent pas, pour se calciner, autant de feu que les matières cal- caires ; et c’est par cette raison que, quoique plus denses, elles s'échauffent et se refroidis- sent plus vite. Ainsi, on peut assurer, en général, que le pro- grès de la chaleur, dans toutes les substances minérales, est toujours à très-peu près en rai- 589 son de leur plus ou moins grande facilité à se calciner ou à se fondre; mais que, quand Jeur | calcination ou leur fusion sont également dit- | Jiciles, elqu'elles exigent un degré de chaleur extrèéme, alors le progrès de la chaleur se fait suivant l’ordre de leur densité. Au reste, j'ai déposé au Cabinet du Roi les globes d'or, d'argent et de toutes les autres sub- stances métalliques et minérales qui ont servi aux expériences précédentes, afin de les rendre plus authentiques, en mettant à portée de les vé- rifier ceux qui voudraient douter de la vérité de leurs résultats, et de la conséquence géné- rale que je viens d’en tirer. TROISIÈME MÉMOIRE. — OBSERVATIONS SUR LA NATURE DE LA PLATINE !, On vient de voir que de toutes les substances minérales que j'ai mises à l'épreuve, ce ne sont pas les plus denses , mais les moins fusibles, auxquelles il faut le plus de temps pour recevoir et perdre la chaleur : le fer et l’émeril, qui sont les matières métalliques les plus difficiles à fon- dre, sont en même temps celles qui s’échauffent et se refroidissent le plus lentement. Il n’y a dans la nature que la platine qui pourrait être encore moins accessible à la chaleur, et qui la conserverait plus longtemps que le fer. Ce mi- néral, dont on ne parle que depuis peu , parait être encore plus difficile à fondre; le feu des meilleurs fourneaux n’est pas assez violent pour produire cet effet, ni même pour en agelutiner les petits grains, qui sont tous anguleux, émous- sés, durs, et assez semblables pour la forme à de Ja grosse limaille de fer, mais d’une couleur un peu jaunâtre : et quoiqu’on puisse les faire couler sans addition de fondants, et les réduire en masse au foyer d’un bon miroir brülant, la platine semble exiger plus de chaleur que la mine et la limaille de fer, que nous faisons ai- sément fondre à nos fourneaux de forge. D’ail- leurs la densité de la platine étant beaucoup plus grande que celle du fer, les deux qualités de densité et de non fusibilité se réunissent ici pour 4 Buffon fait partout le mot platine féminin, quoiqu'il soit masculin : nous avons cru devoir conserver le texte de ce grand naturaliste. 590 rendre cette matière la moins accessible de tou- tes au progrès de la chaleur. Je présume done que la platine serait à la tête de ma table, et avant le fer, si je l’avais mise en expérience; mais il ne m'a pas été possible de m'en procu- rer un globe d’un pouce de diamètre : on ne la trouve qu'en grains ‘;et celle qui est en masse n’est pas pure, parce qu'on y a mêlé, pour la fondre, d'autres matières qui en ont altéré la nature. Un de mes amis *, homme de beaucoup d'esprit, qui a la bonté de partager souvent mes vues, m'a mis à portée d'examiner cette sub- stance métallique encore rare, et qu’on ne con- nait pas assez. Les chimistes qui ont travaillé sur la platine l'ont regardée comme un métal nouveau , parfait, propre, particulier et diffé- rent de tous les autres métaux : ils ont assuré que sa pesanteur spécifique était à très-peu près égale à celle de l’or; que néanmoins ce huitième métal différait d’ailleurs essentiellement de l’or, n’en ayant ni la ductilité ni la fusibilité. J'avoue que je suis dans une opinion différente et même tout opposée. Une matière qui n’a ni ductilité ni fusibilité ne doit pas être mise au nombre des métaux, dont les propriétés essentielles et com- munes sont d’être fusibles et ductiles. Et la pla- tine, d’après l'examen que j'en ai pu faire, ne me parait pas être un nouveau métal différent de tous les autres, mais un mélange, un alliage de fer et d’or formé par la nature, dans lequel la quantité d’or semble dominer sur la quantité de fer; et voici les faits sur lesquels je crois pouvoir fonder cette opinion. De huit onces trente-cinq grains de platine que m’a fournis M. d’Angivillers, et que j'ai présentés à une forte pierre d’aimant, il ne m’en est resté qu’une once un gros vingt-neuf grains; tout le reste a été enlevé par l’aimant , à deux gros près , qui ont été réduits en poudre qui s’est attachée aux feuilles de papier, et qui les a profondément noircies, comme je le dirai tout à l’heure. Cela fait donc à très-peu près six sep- tièmes du total, qui ont été attirés par l’aimant; ce qui est une quantité si considérable, relative- ment au tout, qu’il est impossible de se refuser à croire que le fer ne soit contenu dans la ‘Un homme digne de foi m'a néanmoins assuré qu'on trouve quelquefois de la platine en masse, et qu'il en avait vu un morceau de vingt livres pesant, qui n'avait point été fondu, mais tiré de la mine même. ? M. le comte de la Billarderie d'Angivillers, de l'Académie des Sciences, intendant en survivance du Jardin et du Cabi- uet du Roi. INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. substance intime de la platine, et qu'il n'y soit même en assez grande quantité. Il y a plus: c’est que si je ne m'étais pas lassé de ces expérien- ces, qui ont duré plusieurs jours , j'aurais en- core tiré par l’aimant une grande partie du res- tant de mes huit onces de platine; car l’aimant en attirait encore quelques grains un à un , et quelquefois deux, quand on a cessé de le pré- senter. Ily a donc beaucoup de fer dans la pla- tine; et il n’y est pas simplement mêlé comme matière étrangère, mais intimement uni, et fai- sant partie de sa substance : ou, si l’on veut le nier, il faudra supposer qu’il existe dans la na- ture une seconde matière qui, comme le fer, est attirable par l’aimant; mais cette supposition gratuite tombera par les autres faits que je vais rapporter. Toute la platine que j'ai eu occasion d’exami- ner m'a paru mélangée de deux matières dif- férentes : l’une noire, et très-attirable par l’ai- mant ; l’autre en plus gros grains, d’un blanc livide un peu jaunâtre, et beaucoup moins ma- gnétique que la premiére. Entre ces deux ma- tières , qui sont les deux extrêmes de cette es- pèce de mélange, se trouvent toutes les nuances intermédiaires, soit pour le magnétisme, soit pour la couleur et la grosseur des grains. Les plus magnétiques , qui sont en même temps les plus noirs et les plus petits, se réduisent aisé- ment en poudre par un frottement assez léger, et laissent sur le papier blanc la même couleur que le plomb frotté. Sept feuilles de papier dont on s’est servi successivement pour exposer la platine à l’action de l’aimant , ont été noircies sur toute l’étendue qu'occupait la platine, les dernieres feuilles moins que les premières, à me- sure qu’elle se triait, et que les grains qui res- taient étaient moins noirs etmoins magnétiques. Les plus gros grains, qui sont les plus colorés et les moins magnétiques, au lieu de se réduire en poussière comme les petits grains noirs, sont au contraire très-durs et résistent à toute tritu- ration; néanmoins ils sont susceptibles d’exten- sion dans un mortier d’agate ‘, sous les coups réitérés d’un pilon de même matière, et j'en ai aplati et étendu plusieurs grains au double et au triple de l’étendue deleur surface : cette partie de la platine a donc un certain degré de malléa- bilité et de ductilité, tandis que la partie noire ! Nota. Je n'ai pas voulu les étendre sur le tas d'acier, dans la crainte de leur communiquer plus de magnétisme qu'iln'eu ont naturellement, PARTIE EXPÉRIMENTALE. 591 ne paraît être ni malléable ni ductile. Les grains intermédiaires participent des qualités des deux extrêmes ; ils sont aigres et durs, ils se cassent ou s'étendent plus difficilement sous les coups du pilon, et donnent un peu de poudre noire, mais moins noire que la première. Ayant recueilli cette poudre noire et les grains les plus magnétiques que l’aimant avait attirés les premiers, j'ai reconnu que le tout était du vrai fer, mais dans un état différent du fer or- dinaire. Celui-ci, réduit en poudre eten limaille, se charge de l’humidité et se rouille aisément : à mesure que la rouille le gagne, il devient moins magnétique et finit absolument par perdre cette qualité magnétique , lorsqu'il est entièrement et intimement rouillé ; au lieu que cette poudre de fer, ou, si l’on veut, ce sablon ferrugineux qui se trouve dans la platine, est au contraire inac- cessible à la rouille quelque long temps qu'il soit exposé à l’humidité; il est aussi plus infusible, et beaucoup moins dissoluble que le fer ordi- naire; mais ce n’en est pas moins du fer, qui ne m'a paru différer du fer connu que par une plus grande pureté. Ce sablon est en effet du fer ab- solument dépouillé de toutes les parties combus- tibles, salines et terreuses, qui se trouvent dans le fer ordinaire et même dans l'acier : il paraît enduit et recouvert d’un vernis vitreux qui le défend de toute altération. Et ce qu’il y a de très-remarquable, c’est que ce sablon de fer pur n'appartient pas exclusivement, à beaucoup près, à la mine de platine; j'en ai trouvé , quoique toujours en petite quantité, dans plusieurs en- droits où l’on a fouillé les mines de fer qui se con- somment à mes forges. Comme je suis dans l’u- sage de soumettre à plusieurs épreuves toutes les mines que je fais exploiter, avant de me dé- terminer à les faire travailler en grand pour l’u- sage de mes fourneaux, je fus assez surpris de voir que dans quelques-unes de ces mines, qui toutes sont en grains, et dont aucune n’est at- tirable par l’aimant, il se trouvait néanmoins des particules de fer un peu arrondies et luisantes comme de la limaille de fer, et tout à fait sem- blables au sablon ferrugineux de la platine ; elles sont tout aussi magnétiques, tout aussi peu fusi- bles, tout aussi difficilement dissolubles.Tel fut le résultat de la comparaison que je fis du sa- blon de la platine , et de ce sablon trouvé dans deux de mes mines de fer, à trois pieds de pro- fondeur, dans des terrains où l’eau pénètre as- sez facilement. J'avais peine à concevoir d’où pouvaient provenir ces particules de fer ; com- ment elles avaient pu se défendre de la rouille depuis des siècles qu’elles sont exposées à l’hu- midité de la terre ; enfin , comment ce fer très- magnétique pouvait avoir été produit dans des veines de mines qui ne le sont point du tout. J'ai appelé l'expérience à mon secours ; et je me suis assez éclairé sur tous ces points pour être satisfait. Je savais, par un grand nombre d’ob- servations , qu'aucune de nos mines de fer en grains n’est attirable par l’aimant : j'étais bien persuadé, comme je le suis encore , que toutes les mines de fer qui sont magnétiques n’ont ac- quis cette propriété que par l’action du feu ; que les mines du nord, qui sont assez magnétiques pour qu’on les cherche avec la boussole, doivent leur origine à l'élément du feu , tandis que tou- tes nos mines en grains, qui ne sont point du tout magnétiques, n’ont jamais subi l’action du feu, et n’ont été formées que par le moyen ou l'intermède de l’eau. Je pensais done que ce sa- blon ferrugineux et magnétique, que je trouvais en petite quantité dans mes mines de fer, devait son origine au feu ; et ayant examiné le local , je me confirmai dans cette idée. Le terrain où se trouve ce sablon magnétique est en bois , de temps immémorial ; on y a fait très-ancienne- ment, et on y fait tous les jours, des fourneaux de charbon : il est aussi plus que probable qu'il y à eu dans ces bois des incendies considéra- bles. Le charbon et le bois brülé, surtout en grande quantité, produisent du mâchefer ; et ce mâchefer renferme la partie la plus fixe du fer que contiennent les végétaux : c’est ce fer fixe qui forme le sablon dont il est question , lors- que le mächefer se décompose par l’action de L'air, du soleil et des pluies ; car alors ces par- ticules de fer pur , qui ne sont point sujettes à la rouille ni à aucune autre espèce d’altération, se laissent entrainer par l’eau , et pénètrent dans la terre avec elle à quelques pieds de profon- deur. On pourra vérifier ce que j’avance ici, en faisant broyer du mâchefer bien brülé ; on y trouvera toujours une petite quantité de ce fer pur, qui, ayant résisté à l’action du feu, résiste également à celle des dissolvants , et ne donne point de prise à la rouille ‘. 4 J'ai reconnu dans le Cabinet d'histoire naturelle, des sa- blons ferrugineux de même espèce que celui de mes mines, qui m'ont été envoyés de differents endroits, et qui sont éga- lement magnétiques. On en trouve à Quimper en Bretagne, en Danemarck, en Sibérie, à Saint-Domingue; et les ayant tous comparés, j'ai vu que le sablon ferrugineux de Quimper était 592 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. M'étant satisfait sur ce point, et après avoir comparé le sablon tiré de mes mines de fer et du mâchefer avec celui de la platine assez pour ne pouvoir douter de leur identité, je ne fus pas longtemps à penser , vu la pesanteur spécifique de la platine, que si ce sablon de fer pur , pro- venant de la décomposition du mâchefer, au lieu d'être dans une mine de fer, se trouvait dans le voisinage d’une mine d'or, il aurait, en s'unis- sant à ce dernier métal, formé un alliage qu serait absolument de la même nature que la platine. On sait que l'or et le fer ont ui grand degré d’affinité ; on sait que la plupart des mi- nes de fer contiennent une petite quantité d’or; on sait donner à l’or la teinture , la couleur et même l’aigre du fer, en les faisant fondre en- semble : on emploie cet or couleur de fer sur différents bijoux d'or, pour en varier les cou- leurs ; et cetor, mêlé de fer, est plus ou moins gris et plus ou moins aigre, suivant la quan- tité de fer qui entre dans le mélange. J’en ai vu d'une teinte absolument semblable à la couleur de la platine. Ayant demandé à un orfèvre quelle était la proportion de l'or et du fer dans ce mélange, qui était de la cou- leur de Ja platine , il me dit que l’or de 24 ka- rats n’était plus qu'à 18 karats, et qu’il y entrait un quart de fer. On verra que c’est à peu près la proportion qui se trouve dans la pla- tine naturelle , si l’on en juge par la pesanteur spécifique. Cet or , mélé de fer, est plus dur , plus aigre et spécifiquement moins pesant que l'or pur. Toutes ces convenances , toutes ces qualités communes avec la platine , m'ont per- suadé que ce prétendu métal n’est dans le vrai qu'un alliage d’or et de fer , et non pas une sub- stance particulière, un métal nouveau , parfait , et différent de tous les autres métaux, comme les chimistes l’ont avancé. On peut d’ailleurs se rappeler que l'alliage aigrit tous les métaux , et que quand il ya pé- nétration , c’est-à-dire augmentation dans Ja celui qui ressemblait le plus au mien. et qu'il n'en ii que par un peu plus de pesanteur spécifique. Celui de Saint- Domingue est plus léger, celui de Danemarck est moins pe et plus mélangé de terre, et celui de Sibérie est en masse et en morceaux gros comme le pouce , solides, pesants, et que l'aimant soulève à peu près comme si c'étail une masse de fer pur. On peut donc présumer que ces sablons magnétiqr es, provenant du mâchefer, se trouvent aussi Ci mmunément que le mâchefer même, mais seulement en bien plus pelite quan- tité. 1lest rare qu'on en trouve des amas un peu considérables, et c'est par cette raison qu'ils ont échappé, pour la plupart, ux recherches des minéralogistes, pesanteur spécifique, l’alliage en est d'autant plus aigre que la pénétration est plus grande, et le mélange devenu plus intime, comme on le reconnait dans l’alliage appelé métal des clo- ches, quoiqu'il soit composé de deux métaux très-ductiles. Or, rien n’est plus aigre ni plus pesant que la platine : cela seul aurait dû fire soupconner que ce n’est qu'un alliage fait par la nature, un mélange de fer et d’or, qui doit sa pesanteur spécifique en partie à ce dernier métal, et peut-être aussi en grande partie àla pé- nétration des deux matières dontilest composé. Néanmoins, cette pesanteur spécifique de le platine n’est pas aussi grande que nos chimistes l'ont publié, Comme cette matière, traitée seule et sans addition de fondants, est très-difficile à réduire en masse, qu’on n’en peut obtenir au feu du miroir brûlant que de très-petites masses, et que les expériences hydrostatiques faites sur de petits volumes sont si défectueuses qu’on n’en peut rien conclure, ilme paraît qu’on s’est trom- pé sur l'estimation de la pesanteur spécifiquede ce minéral. J'ai mis de la poudre d’or dans un petit tuyau de plume, que j'ai pesé très-exacte- ment; j'ai mis dans le même tuyau un égal vo- lume de platine, il pesait près d’un dixième de moins : mais cette poudre d’or était beaucoup trop fine en comparaison de la platine. M. Til- let, qui joint à une connaissance approfondie des métaux le talent rare de faire des expériences avecJa plus grande précision, a bien voulu ré- péter, à ma prière, celle de la pesanteur spéci- fique de la platine comparée à l'or pur. Pour cela, il s’est servi, comme moi, d’un tuyau de plume, et il a fait couper à la cisaille de Por à 24 karats, réduit autant qu’il était possible à la grosseur des grains de la platine, et il a trouvé, par huit expériences, que la pesanteur de la platine différait de celle de l’or pur d’un quin- zième à très-peu près ; mais nous avons observé tous deux que les grains d'or, coupés à la ci- saille, avaient les angles beaucoup plus vifs que la platine. Celle-ci, vue à la loupe, est à peu près de la forme des galets roulés par l’eau ; tous les angles sont émoussés ; elle est même douce au toucher, au lieu que les grains de cet or coupés à la cisaille avaient des angles vifs et des pointes tranchantes, en sorte qu’iis ne pou- vaient pas s’ajuster ni s’entasser les uns sur les autres aussi aisément que ceux de la platine; tandis qu'au contraire la poudre d’or, dont je me suis servi, était de l'or en paillettes, telles que Cr prs > PARTIE EXÉRIMENTALE. 295 les arpailleurs les trouvent dans le sable des ri- vières. Ces paillettes s'ajustent beaucoup mieux les unes contre les autres. J'ai trouvé environ un dixième de différence entre le poids spécili- quede ces paillettes et celui de la platine: néan- moins ces paillettes ne sont pas ordinairement d'or pur, il s’en faut souvent plus de deux ou trois karats:; ce qui en doit diminuer en même rapport la pesanteur spécifique. Ainsi, tout bien considéré et comparé, nous avons cru qu'on pouvait maintenir le résultat de mes expérien- ces , et assurer que la platine en grains, et telle que la nature la produit , estau nioins d’un on- zième ou d’un douzième moins pesante que l'or. Il y a toute apparence que cette erreur de fait sur la densité de la platine vient de ce qu’on ne l'aura pas pesée dans son état de nature, mais seulement après l'avoir réduite en masse; et comme cette fusion ne peut se faire que par l'addition d’autres matières et à un feu très-vio- lent, ce n’est plus de la platine pure, mais un composé dans lequel sont entrées des matières fondantes , et duquel le feu a enlevé les parties les plus légères. Ainsi la platine , au lieu d'être d’une densité égale ou presque égale à celle de l'or pur,comme l'ont avancé les auteurs qui en ont écrit, n’est que d'une densité moyenne entre celle de l'or et celle du fer, et seulement plus voisine de celle de ce premier métal que de celle du dernier. Supposant done que le pied eube d'or pèse treize cent vingt-six livres, et celui du fer pur cinq cent quatre-vingts livres , celui de la platine en grains se trouvera peser environ onze cent qua- tre-vingt-quatorze livres; ce qui supposerait plus de trois quarts d’or sur un quart de fer dans cet alliage, s’il n’y a pas de pénétration : mais, comme on en tire six septièmes à l’aimant , on pourrait croire que le fer y est en quantité de plus d’un quart, d'autant plus qu’en s’obstinant à cette expérience, je suis persuadé qu’on vien- drait à bout d'enlever, avec un fort aimant, toute la platine jusqu’au dernier grain. Néan- moins, on n’en doit pas conclure que le fer y soit contenu en si grande quantité; car, lorsqu'on le mêle par la fonte avec l’or, la masse qui ré- sulte de cet alliage est attirable par l’aimant, quoique le fer n’y soit qu’en petite quantité. J'ai vu, entre les mains de M. Beaumé , un bouton de cet alliage pesant soixante-six grains, dans lequel il n’était entré que six grains, c’est-à-dire un onzième de fer; et ce bouton se laissait en- re lever aisément par un bon aimant. Dès lors la platine pourrait bien ne contenir qu'un onzième de fer sur dix onzièmes d’or, cet donner néan- moins tous les mêmes phénomènes, c'est-à-dire être attirée en entier par l’aimant; et cela s’accorderait parfaitement avec la pesanteur spécifique, qui est d’un dixième ou d’un dou- xième moindre que celle de l'or. Mais ce qui me fait présumer que la platine contient plus d’un onzième de fer sur dix onziè- mes d’or, c’est que l’alliage qui résulte de cette proportion est encore couleur d'or et beaucoup plus jaune que ne l’est la platine la plus colo- rée, et qu'il faut un quart de fer sur trois quarts d'or pour que l’alliage ait précisément la cou- leur naturelle de la platine. Je suis done tres- porté à croire qu’il pourrait bien y avoir cette quantité d’un quart de fer dans la platine. Nous nous sommes assurés, M. Tillet et moi, par plusieurs expériences , que le sablon de ce fer pur que contient la platine est plus pesant que la limaille de fer ordinaire. Ainsi cette cause, ajoutée à l'effet de la pénétration, suffit pour rendre raison de cette grande quantité de fer contenue sous le petit volume indiqué par la pesanteur spécifique de la platine. Aureste, il est très-possible que je me trompe daus quelques-unes des conséquences que j’ai cru devoir tirer de mes observations sur cette substance métallique : je n’ai pas été à portée d'en faire un examen aussi approfondi que je l'aurais voulu; ce que j’en dis n'est que ce que j'ai vu ,.et pourra peut-être servir à faire voir mieux. PREMIÈRE ADDITION. Comme j'étais sur le point de livrer ces feuil- les à l'impression , le hasard fit que je parlai de mes idées sur la platine à M. le comte deMilly, qui a beaucoup de connaissances en physique et en chimie : il me répondit qu’il pensait à peu près comme moi sur la nature de ce minéral. Je lui donnai le Mémoire ci-dessus pour l’exa- miner, et, deux jours après , il eut la bonté de m'envoyer les observations suivantes, que je crois aussi bonnes que les miennes, et qu'il m'a permis de publier ensemble. « J'ai pesé exactement trente-six grains de « platine ; je l’ai étendue sur une feuille de pa- « pier blanc, pour pouvoir mieux l'observeravec «une bonne loupe : j’v ai apereu ou j'ai cru y 58 D94 « apercevoir très-distinctementtroissubstances « différentes : la première avait le brillant mé- « tallique , elle était la plus abondante ; la se- « conde, vitriforme , tirant sur le noir, ressem- « bleassez à unematière métallique ferrugineuse « qui aurait subi un degré de feu considérable, « telles que des scories de fer, appelées vulgai- « rement #achefer ; la troisième, moins abon- « dante que les deux premières , est du sable de « toutes couleurs, où cependant le jaune, cou- « leur de topaze , domine. Chaque grain de sa- « ble , considéré à part , offre à la vue des cris- « taux réguliers de différentes couleurs; j’en ai «remarqué de cristallisés en aiguilles hexago- « nes, se terminant en pyramide comme le eris- « tal de roche, et il m'a semblé que ce sable « n'était qu’un detrilus de cristaux de roche « où de quartz de différentes couleurs. « Je formai le projet de séparer, le plus exac- a tement possible, ces différentes substances « par le moyen de l’aimant , et de mettre à part « la partie la plus attirable à l’aimant, d'avec \ celle qui l'était moins, et enfin de celle qui ne « l'était pas du tout; ensuite d’examiner cha- « que substance en particulier et de les sou- « mettre à différentes épreuves chimiques et ‘ mécaniques. « Je mis à part les parties de la platine qui « furent attirées avec vivacité à la distance de \ deux ou trois lignes , c’est-à-dire sans le con- « tact de l’aimant , et je me servis, pour cette “ expérience , d’un bon aimant factice de « M. l'abbé.…; ensuite je touchai avec ce méme « aimant le métal, et j'en enlevai tout ce qui « voulut céder à l'effort magnétique, que je mis i à part : je pesai ce qui était resté et qui n’é- « tait presque plus attirable ; cette matière non « attirable, et que je nommerai n° 4, pesait « vingt-trois grains; n° 1€, qui était le plus \ sensible à l’aimant, pesait quatre grains ; n° 2 » pesait de même quatre grains ; et n° 3, cinq « grains. « N°17, examiné à la loupe, n’offrait a la « vue qu’un mélange de parties métalliques , « d’un blanc sale tirant sur le gris, aplaties et « arrondies en forme de galets et de sable noir « vitriforme , ressemblant à du mâchefer pilé, « dans lequel on aperçoit des parties très-rouil- « lées, enfin telles que les scories de fer en « présentent lorsqu'elles ont été exposées à « l'humidité, —_—_—_—__ —_—_—_—_—@ à « N°2 présentait à peu près la même chose, ! = INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. « à l’exception queles parties métalliques domi- « naient, et qu'il n’y en avait que très-peu de « rouillées. « N°3 était la même chose : mais les parties « métalliques étaient plus volumineuses ; elles « ressemblaient à du métal fondu , et qui a été « jeté dans l’eau pour le diviser en grenailles : « elles sont aplaties ; elles affectent toutes sortes « de figures, mais arrondies sur les bords , à la « manière des galets qui ont été roulés et polis « par les eaux. « N° 4, qui n'avait point été enlevé par l’ai- « mant, mais dont quelques parties donnaient « encore les marques de sensibilité au magné- « tisme , lorsqu'on passait l’aimant sous le pa- « pier où elles étaient étendues , était un mé- « lange de sable, de parties métalliques et de « vrai mâche-fer friable sous les doigts, qui \ noircissait à la manière du mâchefer ordinaire. « Le sable semblait ètre composé de petits eris- « taux de topaze, de cornaline et de cristal de « roche ; j’en écrasai quelques cristaux sur un « tas d'acier, et la poudre qui en résulta était « comme du vernis réduit en poudre. Je fis la « même chose au mâchefer : il s’écrasa avee la plus grande facilité , et il m'offrit une poudre « noire ferrugineuse qui noircissait le papier « comme le mâchefer ordinaire. « Les parties métalliques de ce dernier (n° 4) « me parurent plus ductiles sous le marteau que « celles du n° 1°, ce qui me fit croire qu’elles « contenaient moins de fer que les premières ; « d’où ils’ensuit que la platine pourrait fortbien 1 n'être qu'un mélange de fer et d’or fait par la « nature, où peut-être de la main des hommes, « comme je le dirai par la suite. « Je tâcherai d’examiner, par tous les moyens « qui me seront possibles , la nature de la pla- « tine , si je peux en avoir à ma disposition en « suffisante quantité ; en attendant, voici les « expériences que j’ai faites. « Pour m’assurer de la présence du fer dans la « platine par des moyens chimiques , je pris les « deux extrèmes, c’est-à-dire n° 14 qui était très= « attirable à l’aimant , et n° 4 qui ne l’était pas; « je les arrosai avec de l'esprit de nitre un peu « fumant : j'observai avec la loupe ce qui en ré- « sulterait ; mais je n’y aperçus aucun mouve- « ment d’effervescence. J’y ajoutai de l’eau dis- « tillée, et il ne se fit encore aucun mouvement; « mais les parties métalliques se décapèrent, et « elles prirent un nouveau brillant semblable à el PARTIE EXPÉRIMENTALE. « celui de l'argent. J'ai laissé ce mélange tran- « quille pendant ciuq à six minutes; et, ayant « encore ajouté de l’eau , j'y laissai tomber quel- « ques gouttes de la liqueur alcaline saturée de « la matière colorante du bleu de Prusse, et sur- à le-champ le n° 1 me donna un très-beau bleu « de Prusse. « Le n° 4 ayant été traité de même, et, quoi- « qu'il se fût refusé à l’action de l'aimant et à « celle de l’esprit de nitre , me donna de même « que le n° 1° du très-beau bleu de Prusse. « Il y a deux choses fort singulières à remar- « quer dans ces expériences. 4° Il passe pour « constant parmi les chimistes qui ont traité « de la platine , que l’eau-forte ou l'esprit de « nitre n’a aucune action sur elle ; cependant , « comme on vient de le voir, il s’en dissout as- « sez , quoique sans effervescence , pour donner « du bleu de Prusse lorsqu'on y ajoute de la li- « queur alcaline phlogistiquée et saturée de la « matière colorante , qui , comme on sait, pré- « cipite le fer en bleu de Prusse. « 2° La platine qui n'est pas sensible à l’ai- « mant n’en contient pas moins du fer, puisque « l'esprit de nitre en dissout assez, sans occa- « sionner d’effervescence, pour former du bleu « de Prusse. « D'où il s'ensuit que cette substance , que « les chimistes modernes , peut-être trop avides « du merveilleux et de vouloir donner du nou- « veau , regardent comme un huitième métal, « pourrait bien n'être , comme je l’ai dit, qu’un « mélange d'or et de fer. « Il reste sans doute bien des expériences à « faire pour pouvoir déterminer comment ce « mélange a pu avoir lieu ; si c’est l'ouvrage de « la nature, et comment ; ou si c’est le produit « de quelque volcan , ou simplement le produit « des travaux que les Espagnols ont faits dans « le Nouveau-Monde pour retirer l’or des mines à du Pérou : je ferai mention par la suite de « mes conjectures là-dessus. « Si l’on frotte de la platine naturelle sur un « linge blanc, elle le noircit comme pourrait le « faire le mâchefer ordinaire; ce qui m'a fait « soupconner que ce sont les parties de fer ré- « duites en mâchefer qui se trouvent dans la « platine , qui donnent cette couleur , et qui ne « sont dans cet état que pour avoir éprouvé « l'action d’un feu violent. D’ailleurs ayant exa- « miné une seconde fois de la platine avec ma « loupe, j'y apereus différents globules de mer- 999 cure coulant; ce qui me fit imaginer que le platine pourrait bien être un produit de la « main des hommes, et voici comment. « La platine, à ce qu’on m'a dit, se tire des « mines les plus anciennes du Pérou, que les « Espagnols ont exploitées après la conquête du «a Nouveau-Monde. Dans ces temps reculés, on « ne connaissait guère que deux manières d’ex- « traire l’or des sables qui le contenaient : 1° par « l’amalgame du mercure; 2° par le départ à « sec: ontriturait le sable aurifère avec du mer- « cure, et lorsqu'on jugeait qu’il s'était chargé « de la plus grande partie de l’or, on rejetait le « sable qu’on nommait crasse, comme inutile « et de nulle valeur. « Le départ à sec se faisait avec aussi peu « d'intelligence. Pour y vaquer, on commençait « par minéraliser les métaux aurifères par le « moyen du soufre, qui n'a point d'action sur « l'or, dont la pesanteur spécifique est plus « grande que celle des autres métaux; mais « pour faciliter sa précipitation, on ajoutait du « fer en limaille qui s'empare du soufre sura- « « bondant , méthode qu'on suit encore aujour- d'hui'. La force du feu vitrifie une partie du « fer; l’autre se combine avec une petite por- « tion d’or et même d'argent qui se mêle avec « les scories, d’où on ne peut le retirer que par « plusieurs fontes, etsans être bien instruit des « intermèdes convenables que les docimasistes « emploient. La chimie, qui s’est perfectionnée « de nos jours, donne à la vérité les moyens de « retirer cet or et cet argent en plus grande par- « tie : mais, dans le temps où les Espagnols ex- « ploitaient les mines du Pérou, ils ignoraient « sans doute l’art detraiter les mines avec le plus « grand profit; et d’ailleurs, ils avaient de si « grandes richesses à leur disposition, qu’ils « négligeaient vraisemblablement les moyens « qui leur auraient coûté de la peine, des soins « et du temps. Ainsi il y a apparence qu'ils « se contentaient d’une première fonte, et je- « taient les scories comme inutiles, ainsi que le « sable quiavait passé parle mercure; peut-être « même ne faisaient-ils qu’un tas de ces deux mélanges, qu’ils regardaient comme de nulle valeur. « Cesscories contenaient encore de l'or, beau- « coup de fer sous différents états, et cela en 2 = 4 Voyez les Éléments docimastiques de Cramer ; l'Art de traiter les mines, par Schulter, Schindeler, etc. 596 des proportions différentes qui nous sont in- connues, mais qui sont telles peut-être qu’elles peuvent avoir donné l'existence à la platine. Les globules de mereure que j'ai observés, et les paillettes d’or que j'ai vues distinetement, à l'aide d'une bonne loupe, dans la platine que j'ai eue entre les mains, m'ont fait naître les idées que je viens d'écrire sur l'origine de ce métal; mais je ne les donne que comme des conjectures hasardées : il faudrait, pour en acquérir quelque certitude, savoir au juste où sont situées les mines de la platine; si elles ont été exploitées anciennement ; si on la tire d'un terrain neuf, ou si ce ne sont que des décombres ; à quelle profondeur on latrouve, et enfin si la main des hommes y est expri- mée ou non. Tout cela pourait aider à véri- fier ou à détruire les conjectures que j’ai avan- cées !. » 2 REMARQUES. Ces observations de M. le comte de Milly confirment les miennes dans presque tous les points. La nature est une, et se présente tou- jours la même à ceux qui la savent observer: ainsi l’on ne doit pas être surpris que, Sans au- eune communication, M. de Milly ait vu les mêmes choses que moi, et qu'il en ait tiré la méme conséquence, que la platine n’est point un nouveau métal, différent de tous les autres métaux, mais un mélange de fer et d’or. Pour concilier encore de plus près ses observations avec les miennes, et pour éclaircir en même temps les doutes qui restent en orand nombre sur l’origine et sur la formation de la platine, j'ai cru devoir ajouter les remarques suivantes : 1° M. le comte de Milly distingue dans la platine trois espèces de matières, savoir : deux métalliques, et la troisième non métallique, de substance et de forme quartzeuse où cristal- line, 11 a observé, comme moi, que, des deux matières métalliques, l’une est très-attirable par l'aimant, et que l’autre l’est très-peu ou point du tout. J'ai fait mention de ces deux ma- tières comme lui; mais je n’ai pas parlé de la troisième, qui n’est pas métallique, parce qu'il n'y en avait point ou très-peu dans la platine M. le baron dé Sickingen, ministre de l'électeur palatin, à dit a M. de Milly avoir actuellement entre les mains deux Mé- moires qui lui outété remis par M. Keliner, chimiste et mé- talluegiste, attaché à M. le prince de Birckenfeld, à Manheim, qui offre à la cour d'Espagne de rendre à peu près autant d'ur pesant qu'on lui livrera de platine. INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. sur laquelle j'ai fait mes observations. Il y a ap- parenceque la platinedonts’estservi M.deMilly était moins pure que la mienne , que j'ai obser- vée avec soin, et dans laquelle je n’ai vu que quelques petits globules transparents comme du verre blanc fondu , qui étaient unis à des particules de platine ou de sablon ferrugineux , et qui se laissaient enlever ensemble par l’ai- mant. Ces globules transparents étaient en très- petit nombre ; et dans huit onces de platine que j'ai bien regardée et fait regarder à d’autres avec une loupe très-forte , on n’a point aperçu de cristaux réguliers. Il m'a paru au contraire que toutes les particules transparentes étaient globuleuses comme du verre fondu , et toutes attachées à des parties métalliques, comme le laitier s'attache au fer lorsqu'on le fond. Néan- moins , comme je ne doutais point du tout de la vérité de l'observation de M. de Milly, qui avait vu dans sa platine des particules quartzeuses et cristallines de forme régulière et en grand nom- bre, j'ai cru ne devoir pas me borner à l’exa- men de la seule platine dont j’ai parlé ci-devant : j'en ai trouvé au Cabinet du roi que j’ai exami- née avec M. Daubenton, de l’Académie des Sciences , et qui nous à paru à tous deux bien moins pure que la première ; et nous y avons en effet remarqué un grand nombre de petits cristaux prismatiques et transparents, les uns couleur de rubis-balais, d’autres couleur de to- paze, et d’autres enfin parfaitementblancs. Ainsi M. le comte de Milly ne s'était point trompé dans son observation ; mais ceci prouve seule- ment qu'il y a des mines de platine bien plus pures les unes que les autres, et que, dans celles qui le sont le plus, il ne se trouve point de ces corps étrangers. M. Daubenton a aussi remar- qué quelques grains aplatis par-dessous et ren- flés par-dessus, comme serait une goutte de métal fondu qui se serait refroidie sur un plan, J'ai vu très-distinctement un de ces grains hé- misphériques, et cela pourrait indiquer que la platine est une matière qui a été fondue par le feu : mais il est bien singulier que dans cette matière fondue par le feu on trouve de petits cristaux , des topazes et des rubis, et je ne sais si l'on ne doit pas soupconner de la fraude de la part de ceux qui ont fourni cette platine, et qui, pour en augmenter la quantité, auront pu la mêler avec ces sables cristallins ; car, je le répète , je n’ai point trouvé de ces cris- taux dans plus d’une demi-livre de platine Li PARTIE EXPERIMENTALE. 997 que m'a donnée M. le comte d’Angivillers. | 20 J'ai trouvé , comme M. de Milly , des pail- ! lettes d’or dans la platine; elles sont aisées à reconnaitre par leur couleur, et parce qu’elles ne sont point du tout magnétiques : mais j’a- voue que je n'ai pas aperçu les globules de mer- cure qu'a vus M. de Milly. Je ne veux pas pour cela nier leur existence ; seulement il me sem- ble que les paillettes d’or se trouvant avec ces globules de mercure dans la même matière, elles seraient bientôt amalgamées , et ne conserve- raient pas la couleur jaune de l’or que j'ai re- marquée dans toutes les paillettes d’or que j'ai pu trouver dans une demi-livre de platine ‘. D'ailleurs les globules transparents dont je viens de parler ressemblent beaucoup àdes glo- bules de mercure vif et brillant, en sorte qu’au premier coup d'œil il est aisé de s’y tromper. 3° 11 y avait beaucoup moins de parties ternes et rouillées dans ma première platine que dans celle de M. Milly ; et ce n’est pas proprement de la rouille qui couvre la surface de ces parti- cules ferrugineuses , mais une substance noire, produite par le feu , et tout à fait semblable à celle qui couvre la surface du fer brülé : mais ma seconde platine, c’est-à-dire celle que j'ai prise au Cabinet du roi, avait encore de com- mun avec celle de M. le comte de Milly d’être mélangéedequelques parties ferrugineuses, qui sous le marteau se réduisaient en poussière jaune etavaient tous les caractères de la rouille. Ainsi cette platine du Cabinet du roi, et celle de M. de Milly, se ressemblant à tous égards, il est vraisemblable qu'elles sont venues du même endroit et par la même voie ; je soupconne même que toutes deux ont été sophistiquées et mélan- gées de près de moitié avec des matières étran- gères, cristallines et ferrugineuses rouillées , qui ne se trouvent pas dans la platine naturelle. 49 La production du bleu de Prusse par la platine me parait prouver évidemment la pré- sence du fer dans la partie même de ce minéral qui est la moins attirable à l’aimant, et confir- mer en même temps ce que j’ai avancé du mé- lange intime du fer dans sa substance. Le déca- pement de la platine par l’esprit de nitre prouve que, quoiqu'il n’y ait point d’effervescence sen- sible, cet acide ne laisse pas d’agir sur la pla- 4 J'ai trouvé depuis dans d'autre platine des paillettes d'or qui n'étaient pas jaunes, mais brunes et même noires comme le sablon ferrugineux de la platine, qui probablement leur avait donné cette couleur noirätre. tine d’une manière évidente, etque les auteurs qui ont assuré le contraire ont suivi leur rou- tine ordinaire, qui consiste à regarder comme nulle toute action qui ne produit pas l’efferves- cence. Ces deux expériences de M. de Milly me paraissent très - importantes ; elles seraient même décisives si elles réussissaient toujours également. 59 Il nous manque en effet beaucoup de con- naissances qui seraient nécessaires pour pouvoir prononcer aflirmativement sur l’origine de Ja platine. Nous ne savons rien de l'histoire natu- relle de ce minéral, et nous ne pouvons trop exhorter ceux qui sont à portée de l’examiner sur les lieux, de nous faire part de leurs obser- vations. En attendant, nous sommes forcés de nous borner à des conjectures, dont quelques- unes me paraissent seulement plus vraisembla- bles que les autres. Par exemple, je ne crois pas que la platine soit l’ouvrage des hommes; les Mexicains et les Péruviens savaient fondre et travailler l'or avant l’arrivée des Espagnols, et ils ne connaissaient pas le fer, qu'il aurait néanmoins fallu employer, dans le départ à sec, en grande quantité. Les Espagnols eux-mêmes n'ont point établi de fourneaux à fondre les mines de fer en cette contrée, dans les premiers temps qu’ils l'ont habitée. Il y a donc toute apparence qu'ils ne se sont pas servis de li- maille de fer pour le départ de l'or, du moins dans les commencements de leurs travaux, qui d’ailleurs ne remontent pas à deux siècles et demi , temps beaucoup trop court pour une production aussi abondante que celle de la pla- tine, qu’on ne laisse pas de trouver en assez grande quantité dans plusieurs endroits. D'ailleurs, lorsqu'on mêle de l'or avec du fer, en les faisant fondre ensemble, on peut tou- jours , par les voies chimiques, les séparer et retirer l’or en entier; au lieu que jusqu’à présent les chimistes n’ont pu faire cette séparation dans la platine , ni déterminer la quantité d’or contenue dans ee minéral. Cela semble prouver que l'or y est uni d’une manière plus intime que dans l’alliage ordinaire, etque le fer y est aussi, comme je l’ai dit, dans un état différent de celui du fer commun. La platine ne me paraît done pas être l'ouvrage de l’lomme , mais le produit dela nature, et je suis très-porté à croire qu’elle doit sa première origine au feu des volcans.Le fer brûlé, autant qu’il est possible, intimement uni avec l'or par la sublimation ou par la fu- 298 sion, peut avoir produit ce minéral, qui d'abord ayant été formé par l’action du feu le plus vio- lent, aura ensuite éprouvé les impressions de l'eau etles frottements réitérés qui lui ont donné la forme qu'ils donnent à tous les autres corps, c’est-à-dire celle des galets et des angles émous- sés. Maisilse pourrait aussi que l’eau seule eût produit la platine ; car , en supposant l'or et le fer tous deux divisés autant qu'ils peuvent l'être par la voie humide, leurs molécules, en se réu- nissant, auront pu former les grains qui la com- posent, etqui, depuis les plus pesants jusqu'aux plus légers, contiennent tous de l'or et du fer. La proposition du chimiste qui offre de rendre à peu près autant d’or qu’on lui fournira de platine semblerait indiquer qu'il n’y a en effet qu'un onzième de fer sur dix onzièmes d’or dans ce minéral, ou peut-être encore moins : mais l’à-peu-près de ce chimiste est probable- ment d’un cinquième ou d’un quart; et ce se- rait toujours beaucoup si sa promesse pouvait se réaliser à un quart près. SECONDE ADDITION. M'étant trouvé à Dijon cet été 1773, l’Aca- démie des Sciences et Belles-Lettres de cette ville, dont j'ai l'honneur d’êtremembre, me pa- rut désirer d’entendre la lecture de mes obser- vations sur la platine. Je m'y prétai d'autant plus volontiers que, sur une matière aussi | neuve, on ne peut trop s'informer ni consulter assez, et que j'avais lieu d’espérer de tirer quel- ques lumières d’une compagnie qui rassemble beaucoup de personnes instruites en tous gen- res. M. de Morveau , avocat-général au parle- ment de Bourgogne, aussi savant physicien que grand jurisconsulte , prit la résolution de tra- vailler sur la platine. Je lui donnai une portion de celle que j'avais attirée par l’aimant, et une autre portion de celle qui avait paru insensible au magnétisme, en le priant d'exposer ce mi- néral singulier au plus grand feu qu’il lui se- rait possible de faire; et, quelque temps après, il m'a remis les expériences suivantes, qu’il a trouvé bon de joindre ici avec les miennes. EXPÉRIENCES FAITES PAR M. DE MORYEAU, EN SEPTEMBRE 1775. « M. le comte de Buffon , dans un voyage « qu'il a fait à Dijon cet été 1773, m'ayant fait ! INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. remarquer dans un demi-2ros de platine, que M. Beaumé m'avaitremis en 1768, des grains en forme de boutons, d’autres plus plats , et « quelques-uns noirs et écailleux , et ayant sé- paré avec l’aimant ceux qui étaient attirables de ceux qui ne donnaient aucun signe sensible « de magnétisme, j'ai essayé de former le bleu de Prusse avec les uns et les autres. J'ai versé de l’acide nitreux fumant sur les parties non «attirables, qui pesaient deux grains et demi, Six heures après, j'ai étendu l'acide par de l'eau distillée , et j'y ai versé de Ja liqueural- « caline , saturée de matière colorante : il n'y a « pas eu un atome de bleu ; la platine avait seu- lement un coup d'œil plus brillant, J'ai pa- reillement versé de l'acide fumant sur les trente-trois grains et demi de platine restante, | « dont partie était attirable : la liqueur étendue après le même intervalle de temps , lemême alcali prussien en a précipité une fécule bleue, « qui couvrait le fond d’un vase assez large. La platine, après cette opération, était bien dé- capée comme la première. Je l’ai lavée et sé- « chée, et j'ai vérifié qu’elle n’avait perdu qu’un quart de grain ou;!e.L'ayant examinée en cet état, j'y ai aperçu un grain d’un beau jaune, qui s’est trouvé une paillette d’or. « M. de Fourey avait nouvellement publié « que la dissolution d’or était aussi précipitée en bleu par l’alcali prussien, et avait consigné | « ce fait dans une table d’affinités. Je fus tenté « de répéter cette expérience ; je versai en con- séquence de la liqueur alealine, phlogistiquée « dans de Ja dissolution d’or de départ, mais la couleur de cette dissolution nechangea pas, « ce qui me fait soupconner que la dissolution d’or employée par M. de Fourcy pouvait bien n'être pas aussi pure. « Et, dans le même temps, M. le comte de « Buffon m’ayant donné une assez grande quan- « tité d’autre platine pour en faire quelques es- sais, j'ai entrepris de la séparer de tous les « corps étrangers par une bonne fonte, Voici « la manière dont j'ai procédé, et les résultats « que j'ai eus. PREMIÈRE EXPÉRIENCE. « Ayant mis un gros de platine dans une pe- «tite coupelle, sous la moufle du fourneau « donné par M. Macquer dans les Mémoires de «1 Académie des sciences, année 1758, j'ai « soutenu le feu pendant deux heures ; la mou- PARTIE EXPÉRIMENTALE. Île s’est affaissée, les supports avaient coulé ; cependant la platine s'est trouvée seulement agglutinée ; elle tenait à la coupelle, et y avait laissé des taches couleur .de rouille. La pla- tine était alors terne, même un peu noire, et n'avait pris qu'un quart de grain d'augmen- tation de poids , quantité bien faible en com- paraison de celle que d’autres chimistes ont observée; ce qui me surprit d'autant plus, que ce gros de platine, ainsi que toute celle que j'ai employée aux autres expériences, avait éte enlevé successivement par l’aimant, et faisait portion des six septièmes de huit onces dont M. de Buffon a parlé dans le Mé- moire ci-dessus. e 8 cn 2 CR RER) pm En Lea DEUXIÈME EXPÉRIENCE, « Un demi-gros de la mème platine, exposé « au même feu dans une coupelle , s’est aussi « agglutiné ; elle était adhérente à la coupelle , « sur laquelle elle avait laissé des taches de “« couleur de rouille. L'augmentation de poids « s’est trouvée à peu près dans la même pro- « portion, et la surface aussi noire. | TROISIÈME EXPÉRIENCE. « J'ai remis ce même demi-gros dans une nouvelle coupelle ; mais au lieu demoule, j'ai renversé sur le support un creuset de plomb noir de Passaw. J'avais eu l'intention de n’em- ployer pour support que des têts d'argile pure très-réfractaire; par ce moyen, je pouvais augmenter la violence du feu et prolonger sa durée, sans craindre de voir couler les vais- seaux, ni obstruer l'argile par les scories. Cet appareil ainsi placé dans le fourneau , j'y ai entretenu pendant quatre heures un feu de la dernière violence. Lorsque tout a été refroidi, j'ai trouvé le creuset bien conservé, soudé au support. Ayant brisé cette soudure vitreuse, j'ai reconnu que rien n’avait pénétré dans l’intérieur du creuset, qui paraissait seulement plus luisant qu’il n’était auparavant. La cou- pelle avait conservé sa forme et sa position ; elle était un peu fendillée, mais pas assez pour se laisser pénétrer : aussi le bouton de platine n’y était-il pas adhérent; ce bouton n'était encore qu'agglutiné, mais d’une manière bien « plus serrée que la première fois : les grains « étaient moins saillants; la couleur en était « plus claire, le brillant plus métallique; et ce « qu'il y eut de plus remarquable, c’est qu’il s’é- 399 « tait élancé de sa surface pendant l'opération, et probablement dans les premiers instants du refroidissement, trois jets de verre, dont l’un, plus élevé, parfaitement sphérique, était porté sur un pédicule d’une ligne de hauteur, de la même matière transparente et vitreuse. Ce pédicule avait à peine un sixième de ligne, tandis que le globule avait une ligne de dia- mètre, d’une couleur uniforme , avec unelé- gère teinte de rouge, qui ne dérobait rien à sa transparence. Des deux autres jets de verre, le plus petit avait un pédicule comme le plus gros, et le moyen n'avait point de pédicule , et était seulement attaché à la platine par sa surface extérieure. Re La ee Re Re = = ©, = 2 2 + QUATRIÈME EXPÉRIENCE. « J'ai essayé de coupeller la platine, et pour cela j’ai mis dans une coupelle un gros des mêmes grains enlevés par l’aimant, avec deux gros de plomb. Après avoir donné un très- grand feu pendant deux heures, jai trouvé dans la coupelle un bouton adhérent, cou- vert d’une croûte jaunâtre et un peu spon- gieuse , du poids de deux gros douze grains, ce qui annonçait que la platine avait retenu un gros douze grains de plomb. « J'ai remis ce bouton dans une autre cou- pelle au même fourneau, observant de le re- tourner ; il n’a perdu que douze grains dans un feu de deux heures : sa couleur et sa forme avaient très-peu changé. « Je lui ai appliqué ensuite le vent du souf- flet, après l'avoir placé dans une nouvelle cou- pelle couverte d’un creuset de Passaw, dans la partie inférieure d’un fourneau de fusion dont j'avais Ôté la grille : le bouton a pris alors un coup d'œil plus métallique, toujours un peu terne; et cette fois il a perdu dix-huit grains. Le même bouton ayant été remis dans le fourneau de M. Macquer, toujours placé dans unecoupelle couverte d’un creuset dePassaw, je soutins le feu pendant trois heures , après lesquelles je fus obligé de l'arrêter, parce que les briques qui servaient de support avaient entièrement coulé. Le bouton était devenu de « plus en plus métallique : il adhérait pourtant « à la coupelle ; il avait perdu cette fois trente- « quatre grains. Je le jetai dans l’acide nitreux « fumant , pour essayer de le décaper ; il y eut « un peu d’effervescence lorsque j'ajoutai de ee A8 RAR A 2e n 2.2 = 2 2 600 2 D A na © nn = = 2 £ = = e = 2 = «a l'eau distillée ; le bouton y perdit effective- ment deux grains, etj'y remarquai quelques petits trous, comme ceux que laisse le départ. « Il ne restait plus que vingt-deux grains de plomb alliés à la platine, à en juger par l’ex- cédant de son poids. Je commencai à espérer de vitrifier cette dernière portion de plomb ; et, pour cela , je mis ce bouton dans une cou- pelle neuve : je disposai le tout comme dans la troisième expérience ; je me servis du même fourneau , en observant de dégager continuel- lement la grille, d'entretenir au-devant, dans le courant d’air qu'il attirait, une évapora- tion continuelle par le moyen d’une capsule que je remplissais d’eau de temps en temps, et de laisser un moment la chape entr’ouverte lorsqu'on venait de remplir le fourneau de charbon. Ces précautions augmentèrent telle- ment l’activité du feu, qu'il fallait recharger de dix minutes en dix minutes. Je le soutins au même degré pendant quatre heures, et je laissai refroidir. « Je reconnus le lendemain que le creuset de plomb noir avait résisté, que les supports n’é- taient que faiencés par les cendres. Je trouvai dans la coupelle un bouton bien rassemblé, nullement adhérent , d’une couleur continue et uniforme, approchant plus de la couleur de l’étain que de tout autre métal , seulement un peu raboteux; en un mot, pesant un gros très-juste, rien de plus, rien de moins. « Tout annonçait donc que cette platine avait éprouvé une fusion parfaite, qu'elle était par- faitement pure, car, pour supposer qu’elle te- nait encore du plomb, il faudrait supposer aussi que ce minéral avait justement perdu de sa propre substance autant qu'il avait retenu de matière étrangère ; et une telle précision ne peut être l'effet d’un pur hasard. « Je devais passer quelques jours avec M. le comte de Buffon , dont la société a, si je puis le dire, le même charme que son style, dont la conversation est aussi pleine que ses livres; je me fis un plaisir de lui porter les produits de ces essais, et je remis à les examiner ulté- rieurement avec lui. « 1° Nous avons observé quelegros de platine agglutinée de la première expérience n’était . pas attiré en bloc par l’aimant; que cependant le barreau magnétique avait une action mar- , quée sur les grains que l’on en détachait. « 2° Le demi-gros de la troisième expérience INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. « n’était non-seulement pas attirable en masse, « mais les grains que l’on en séparait ne don- « naient plus eux-mêmes aucun signe de ma- « gnétisme. « 3° Le bouton de la quatrième expérience « était aussi absolument insensible à l'approche « de l’aimant , ce dont nous nous assurâmes en « mettant le bouton en équilibre dans une ba- « lance très-sensible, et lui présentant un très- « fort aimant jusqu'au contact, sans que son «approche ait le moindrement dérangé l’équi- « libre. « 4° La pesanteur spécifique de ce bouton fut « déterminée par une bonne balance hydrosta- «tique, et, pour plus de sûreté, comparée à l'or « de monnaie et au globe d’or très-pur, employé « par M. de Buffon à ses belles expériences sur «le progrès de la chaleur; leur densité se « trouva avoir les rapports suivants avec l’eau « dans laquelle ils furent plongés : Le globe d'or... .... 19 +. L L'or de monnaie, . . . . 47 Le bouton de platine. . . 14 + « 5° Ce bouton fut porté sur un tas d’acier pour essayer sa ductilité. II soutint fort bien quelques coups de marteau; sa surface devint plane et même un peu polie dans les endroits frappés ; mais il se fendit bientôt après, et il s’en détacha une portion , faisant à peu près le sixième de la totalité ; la fracture présenta plusieurs cavités, dont quelques-unes, d’en- viron une ligne de diamètre, avaient la blan- cheur et le brillant de l'argent ; on remarquait dans d’autres de petites pointes élancées, comme les cristallisations dans les géodes. Le sommet de l’une de ces pointes, vu à la loupe, était un globule absolument semblable, pour la forme, à celui de la troisième expérience, et aussi de matière vitreuse transparente, au- tant que son extrême petitesse permettait d'en juger. Au reste, toutes les parties du AT ares ms Aa ste al RS leur el a Stars grain plus fin, plus serré que celui du meil- leur acier après la plus forte trempe, auquel il ressemblait d’ailleurs par la couleur. « 60 Quelques portions de ce bouton ainsi réduites en parcelles à coups de marteau sur le tas d'acier , nous leur avons présenté lai- mant, et aucune n’a été attirée ; mais les ayant encore pulvérisées dans un mortier d’agate, « nous avons remarqué que le barreau magné- bouton étaient compactes, bien liées, et le” PARTIE EXPÉRIMENTALE. tique en enlevait quelques-unes des plus peti- tes toutes les fois qu’on le posait immédiate- ment dessus. « Cette nouvelle apparition du magnétisme était d'autant plus surprenante, queles grains détachés de la masse agglutinée de ladeuxième expérience nous avaient paru avoir perdu eux-mêmes toute sensibilité à l'approche et au contact de l’aimant. Nous reprimes en con- séquence quelques-uns de ces grains; ils fu- rent de même réduits en poussière dans le mortier d’agate, et nous vimes bientôt les parties les plus petites s'attacher sensible- mentau barreau aimanté. Il n’estpas possible d'attribuer cet effet au poli de !a surface du barreau , ni à aucune autre cause étrangère au magnétisme : un morceau de fer aussi poli, appliqué de la même manière sur les parties de cette platine, n’en a jamais pu enlever une seule. « Par le récit exact de ces expériences et des observations auxquelles elles ont donné lieu, on peut juger de la difficulté de déterminer la nature de la platine. Il est bien certain que celle-cicontenait quelques parties vitrifiables, et vitrifiables même sans addition à un grand feu; il est bien sûr que toute platine contient du fer et des parties attirables : mais si l’al- kali prussien ne donnait jamais du bleu qu’a- vec les grains que l’aimant a enlevés, il sem- ble qu’on en pourrait conclure que ceux qui lui résistent absolument sont de la platine pure, qui n’a par elle-même aucune vertu magnétique, et que le fer n’en fait pas partie essentielle, On devait espérer qu’une fusion aussiayancée, une coupellation aussi parfaite, décideraient au moins cette question; tout an- nonçait qu’en effet ces opérations l'avaient dépouillée de toute vertu magnétique en la séparant de tous corps étrangers : mais Ja dernière observation prouve, d’une manière invincible, que cette propriété magnétique n’y était réellement qu’affaiblie, et peut-être masquée ou ensevelie, puisqu'elle a reparu « lorsqu'on l’a broyée. » DA LL 22 RAR LR 222 mn A 2 RAR Renan LS ARR nn AaÙR nn = na A e « REMARQUES. De ces expériences de M. de Morveau, et des observations que nous avons ensuite faites en- semble, il résulte : 1° Qu'on peut espérer de fondre la platine sans addition dans nos meilleurs fourneaux, en 601 lui appliquant le feu plusieurs fois de suite, parce que les meilleurs creusets ne pourraient résister à l’action d’un feu aussi violent, pen- dant tout le temps qu'exigerait l'opération com- plète. 2° Qu'en la fondant avec le plomb, et la cou- pellant successivement et à plusieurs reprises, on vient à bout de vitrifier tout le plomb, et que cette opération pourrait à la fin la purger d’une partie des matières étrangères qu’elle contient. 3° Qu'en la fondant sans addition, elle paraît se purger elle-même en partie des matières vi- trescibles qu’elle renferme , puisqu'il s’élance à sa surface de petits jets de verre qui forment des masses assez considérables et qu’on en peut séparer aisément après le refroidissement. 41 Qu'en faisant l'expérience du bleu de Prusse avec les grains de platine qui paraissent les plus insensibles à l’aimant, on n’est pas toujours sûr d'obtenir de ce bleu, comme cela ne manque jamais d'arriver avec les grains qui ont plus ou moins de sensibilité au magnétisme;mais comme M. de Morveau a fait cette expérience sur une très-petite quantité de platine, il se propose de la répéter. 5° 11 paraît que ni la fusion ni la coupellation ne peuvent détruire dans la platine tout le fer dont elle est intimement pénétrée : les boutons fondus ou coupellés paraissaient, à la vérité, également insensibles à l’action de l’aimant; mais les ayant brisés dans un mortier d’agate et sur un tas d'acier, nous y avons retrouvé des parties magnétiques, d'autant plus abondantes que la platine était réduite en poudre plus fine. Le premier bouton , dont les grains ne s'étaient qu'agglutinés, rendit, étant broyé, beaucoup plus de parties magnétiques que le second et le troisième, dont les grains avaient subi une plus forte fusion; mais néanmoins tous deux, étant broyés, fournirent des parties magnétiques; en sorte qu'on ne peut pas douter qu’il n’y ait en- core du fer dans la platine après qu’elle a subi les plus violents efforts du feu et l’action dévo- rante du plomb dans la coupelle, Ceci semble achever de démontrer que ce minéral est réel- lement un mélange intime d’or et de fer, que jusqu’à présent l’art n’a pu séparer. 6° Je fis encore, avec M. de Morveau, une autre observation sur cette platine fondue et en- suite broyée ; c'est qu’elle reprend , en se bri- sant, précisément la même forme des galets ar- rondis et aplatis qu'elle avait avant d’être fon- 602 due. Tous les grains de cette platine fondue et brisée sont semblables à ceux de la platine na- turelle, tant pour la forme que pour la variété de grandeur, et ils ne paraissent en différer que parce qu'il n’y a que les plus petits qui se lais- sent enlever à l’aimant, et en quantité d'autant moindre que la platine a subi plus de feu. Cela parait prouver aussi que, quoique le feu ait été assez fort, non-seulement pour brüler et vitri- fier, mais même pour chasser au dehors une partie du fer avec les autres matières vitresci- bles qu’elle contient, la fusion néanmoins n’est pas aussi complète que celle des autres métaux parfaits, puisqu’en la brisant les grains repren- nent la même figure qu’ils avaientavant la fonte. QUATRIÈME MÉMOIRE. EXPÉRIENCES SUR LA TÉNACITÉ ET SUR LA DÉCOMPOSITION DU FER. On à vu, dans le premier Mémoire, que le fer perd de sa pesanteur à chaque fois qu’on le chauffe à un feu violent, et que des boulets chauffés trois fois jusqu’au blanc ont perdu la douzième partie de leur poids. On serait d’a- bord porté à croire que cette perte ne doit être attribuée qu'à la diminution du volume du boulet, par les scories qui se détachent de la sur- face et tombent en petites écailles; mais, si l’on fait attention que les petits boulets , dont par conséquent la surface est plus grande, relative- ment au volume, que celle des gros, perdent moins, et que les gros boulets perdent propor- tionnellement plus que les petits, on sentira bien que la perte totale de poids ne doit pas être simplement attribuée à la chute des écailles qui se détachent de la surface, mais encore à une altération intérieure de toutes les parties de la masse, que le feu violent diminue, et rend d'autant plus légère qu'il est appliqué plus sou- vent et plus long-temps !. Et en effet, si l’on recueille à chaque fois les écailles qui se détachent de la surface des bou- lets, on trouvera que sur un boulet de cinq pou- ‘Une expérience familière et qui semble prouver que le fer perd de sa masse à mesure qu'on le chauffe, méme à un feu très-médiocre, c'est que les fers à friser, lorsqu'on les a sou- vent trempés dans l'ean pour les refroidir, ne conservent pas le même degré de chaleur an bout d'un temps. Il s'en élève aussi des écailles lorsqu'on les a souvent chauffés et trempés ; les écailles sont du véritable fer. [INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. ces, qui , par exemple, aura perdu huit onces par une première chaude , il n’y aura pas une once de ces écailles détachées, et que tout le reste de la perte de poids ne peut être attribué qu’à cette altération intérieure de la substance du fer, qui perd de sa densité à chaque fois qu'on le chauffe; en sorte que , si l’on réitérait souvent cette même opération , on réduirait Je fer à n'être plus qu'unematièrefriableet légère, dont on ne pourrait faire aucun usage : car j'ai remarqué que les boulets non-seulement avaient perdu de leur poids, c’est-à-dire de leur densité, mais qu’en même temps ils avaient aussi beaucoup perdu de leur solidité, c’est- à-dire de cette qualité dont dépend Ja cohé- rence des parties ; car j'ai vu, en les faisant frapper, qu’on pouvait les casser d'autant plus aisément qu'ils avaient été chauffés plus sou- vent et plus longtemps. C'est sans doute parce que l’on ignorait jus- qu’à quel point va cette altération du fer, ou plutôt parce qu’on ne s’en doutait point du tout, que l’on imagina, il y a quelques années, dans notre artillerie, de chauffer les boulets dont il était question de diminuer le volume !. On m'a assuré que le calibre des canons nou- vellement fondus étant plus étroit que celui des anciens canons, il à fallu diminuer les bou- lets; et que, pour y parvenir, on a fait rougir ces boulets à blanc, afin de les ratisser ensuite plus aisément en les faisant tourner. On m'a ajouté que souvent on est obligé de les faire chauffer cinq, six, et même huit et neuf fois, pour les réduire autant qu'il est nécessaire. Or, il est évident, par mes expériences, que cette pratique est mauvaise ; car un boulet chauffé à blanc neuf fois doit perdre au moins le quart de son poids, et peut-être les trois quarts de sa solidité. Devenu cassant et friable, il ne peut servir pour faire brèche, puisqu'il se brise con- tre les murs; et, devenu léger, il a aussi, pour les pièces de campagne, le grand désavantage de ne pouvoir aller aussi loin que les autres. En général , si l’on veut conserver au fer sa solidité et son nerf, c’est-à-dire sa masse et sa force, il ne faut l’exposer au feu ni plus souvent ni plus longtemps qu'il n’est nécessaire; il suf- fira, pour la plupart des usages, de le faire rougir sans pousser le feu jusqu’au blane : ce dernier degré de chaleur ne manque jamais de M. le marquis de Vallière ne s'occupait point alors des tra- | vaux de l'artillarie, PARTIE EXPÉRIMENTALE. le détériorer ; et, dans les ouvrages où il im- porte de lui conserver tout son nerf, comme dans les bandes que l'on forge pour les canons de fusil; il faudrait, s’il était possible, ne les chauffer qu'une fois pour les battre, plier et souder par une seule opération ; car, quand le fer a acquis sous le marteau toute la force dont il est susceptible, le feu ne fait plus que la di- minuer, C'est aux artistes à voir jusqu’à quel point ce métal doit être malléé pour acquérir tout son nerf; et cela ne serait pas impossible à déterminer par des expériences. J’en ai fait quelques-unes que je vais rapporter ici. I. Une boucle de fer dedix-huit lignes et deux tiers de grosseur, c’est-à-dire trois cent qua- rante-huit lignes carrées pour chaque montant de fer, ce qui fait pour le tout six cent quatre- vingt-seize lignes carrées de fer, à cassé sous le poids de vingt-huit milliers qui tirait perpen- diculairement. Cette boucle de fer avait envi- ron dix pouces de largeur sur treize pouces de hauteur, et elle était à très-peu près de la même grosseur partout. Cette boucle a cassé presque au milieu des branches perpendiculaires, et non pas dans les angles. Si l'on voulait conclure du grand au petit sur la force du fer par cette expérience, il se trou- verait que chaque ligne carrée de fer tirée per- pendiculairement ne pourrait porter qu'environ quarante livres. IT. Cependant, ayant mis à l'épreuve un fil de fer d’une ligne un peu forte de diamètre, ce morceau de fil de fer a porté , avant de se rom- pre, quatre cent quatre vingt-deux livres ; et un pareil morceau de fil de fer n'a rompu que sous la charge de quatre cent quatre-vingt- quinze livres : en sorte qu’il est à présumer qu'une verge carrée d’une ligne de ce même fer aurait porté encore davantage, puisqu'elle aurait contenu quatre segments aux quatre coins du carré inscrit au cercle, de plus que le fil de fer rond , d’une ligne de diamètre. Or, cette disproportion dans la force du fer en gros et du fer en petit est énorme. Le gros fer que j'avais employé venait de la forge d’Aisy- sous-Rougemont ; il était sans nerf et à gros grain , et j'ignore de quelle forge était mon fil de fer; mais la différence de la qualité du fer, quelque grande qu’on voulüt la supposer, ne 605 IT. J'ai fait rompre une autre boucle de fer de dix-huit lignes et demie de grosseur , du même fer de la forge d’Aisy ; elle ne supporta de même que vingt-huit mille quatre cent cin- quante livres , et rompit encore presque dans le milieu des deux montants. IV. J'avais fait faire en même temps une boucle du même fer que j'avais fait reforger pour le partager en deux, en sorte qu’ilse trouva réduit à une barre de neuf lignes sur dix-huit; l'ayant mise à l'épreuve , elle supporta , avant de rompre, la charge de dix-sept mille trois cents livres, tandis qu’elle n'aurait dù porter tout au plus que quatorze milliers, si elle n’eût pas été forgée une seconde fois. V. Une autre bouele de fer deseize lignes trois quarts de grosseur, ce qui fait pour chaque mon- tant à peu près deux cent quatre-vingts lignes carrées , c’est-à-dire cinq cent soixante , a porté vinet-quatremillesix cents livres, au lieu qu’elle n'aurait dû porter que vingt-deux mille quatre cents livres, si je ne l’eusse pas fait forger une seconde fois. VI. Un cadre de fer de la même qualité, c’est- à-dire sans nerf et à gros grain, et venant de la même forge d’Aisy , que j'avais fait établir pour empêcher l’écartement des murs du haut fourneau de mes forges , et qui avait vingt-six pieds d’un côté sur vingt-deux pieds de l’autre, ayant cassé par l'effort de la chaleur du four- neau dans les deux points milieux des deux plus longs côtés, j'ai vu que je pouvais comparer ce cadre aux boucles des expériences précédentes, parce qu’il était du même fer, et qu'il a cassé de la même manière. Or, ce fer avait vingt-une lignes de gros , ce qui fait quatre cent quarante- une lignes carrées ; et ayant rompu comme les boucles aux deux côtés opposés , cela fait huit cent quatre-vingt-deux lignes carrées qui se sont séparées par l'effort de la chaleur. Et comme nous avons trouvé, par les expériences précé- dentes , que six cent quatre-vinot-seize lignes carrées du même fer ont cassé sous le poids de vingt-huit milliers, on doit en conclure que huit cent quatre-vingt-deux lignes de ce même fer n'auraient rompu que sous un poids de trente- | cinq mille quatre cent quatre-vingts livres, et | que par conséquent l'effort de la chaleur devait peut pas faire celle qui se trouve ici dans leur | résistance, qui , comme l’on voit , est douze fois moindre dans le gros fer que dans le petit. être estimé comme un poids de trente-cinq mille quatre cent quatre-vingts livres. Ayant fait fa- briquer pour contenir le mur intérieur de mor ! fourneau , dans le fondage qui se fit après la ü01 rupture de ce cadre, un cercle de vingt-six pieds et demi de circonférence , avec du fer ner- veux provenant de la fonte et de la fabrique de mes forges , cela m'a donné le moyen de com- parer la ténacité &u bon fer avec celle du fer commun. Ce cerele de vingt-six pieds et demi de circonférence était de deux pièces, retenues et jointes ensemble par deux clavettes de fer passées dans des anneaux forgés au bout des deux bandes de fer; la largeur de ces bandes était de trente lignes sur cinq d'épaisseur : cela fait cent cinquante lignes carrées, qu'on ne doit pas doubler, parce que, si ce cercle eût rompu, ce n'aurait été qu'en un seul endroit, et non pas en deux endroits opposés comme les boucles ou le grand cadre carré. Mais l'expérience me démontra que pendant un fondage de quatre mois , où la chaleur était même plus grande que dans le fondage précédent, ces cent cinquante lignes de bon fer résistèrent à son effort, qui était de trente-cinq mille quatre cent quatre- vingts livres ; d’où l’on doit conclure avec cer- titude entière , que le bon fer, c’est-à-dire le fer qui est presque tout nerf, est au moins cinq fois aussi tenace que lé fer sans nerf et à gros grains, Que l’on juge par là de l'avantage qu’on tr'ou- verait àn’employer que du bon fer nerveux dans les bâtiments et dans la construction des vais- seaux : il en faudrait les trois quarts moins, et l'on aurait encore un quart de solidité de plus. Par de semblables expériences , et en faisant malléer une fois, deux fois, trois fois, des verges | de fer de différentes grosseurs, on pourrait s’as- surer du nazimum de la force du fer, combi- ner d’une manière certaine la légèreté des armes avec leur solidité, ménager la matière dans les autres onvrages, sans craindre la rupture, en un mot, travailler ce métal sur des principes uniformes et constants. Ces expériences sont le seul moyen de perfectionner l’art de la manipu- lation du fer: l’état en tirerait de très-grands avantages ; car il ne faut pas croire que la qua- lité du fer dépende decelle de la mine; que, par exemple, le fer d'Angleterre, ou d'Allemagne , ou de Suède, soit meilleur que celui de France; que le fer du Berri soit plus doux que celui de Bourgogne : la nature des mines n’y fait rien, c'est la manière de les traiter qui fait tout; et ce que je puis assurer pour lavoir vu par moi- même, c'est qu'en malléant beaucoup et chauf- fant peu , on donne au fer plus de force, et qu’on | | INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. approche de ce m#aæimum dont je ne puis que recommander la recherche, et auquel on peut arriver par les expériences que je viens d’indi- quer. Dans les boulets que j’ai soumis plusieurs fois à l'épreuve du plus grand feu, j'ai vu que le fer perd de son poids et de sa force d’autant plus qu'on lechauffe plus souvent et plus longtemps; sa substance se décompose, sa qualité s’altère, et enfin il dégénère en une espèce de mächefer ou de matière poreuse, légère, qui se réduit en une sorte de chaux par la violence et la longue application du feu : le mächefer commun est d’une autre espèce; et, quoique vulgairement on croie que le mâchefer ne provient et même ne peut provenir que du fer, j'ai la preuve du contraire. Le mâchefer est , à la vérité, une ma- tière produite par le feu ; mais, pour le former, il n’est pas nécessaire d'employer du fer ni au- eun autre métal : avec du bois et du charbon brûlé et poussé à un feu violent, on obtiendra du mäâchefer en assez grande quantité; et si l’on prétend que ce mâchefer ne vient que du fer con- tenu dans le bois (parce que tous les végétaux en contiennent plus ou moins), je demande pour- quoi l'on ne peut pas en tirer du fer même une plus grande quantité qu’on n’en tire du bois, dont la substance est si différente de celle du fer. Dès que ce fait me fut connu par l'expérience , il me fournit l'intelligence d’un autre fait qui m'avait paru inexplicable jusqu'alors. Ontrouve dans les terres élevées, et surtout dans les forêts où il n’y a ni rivières ni ruisseaux, et où par conséquent il n'y a jamais eu de forges, non plus qu'aucun indice de volcans ou de feux sou- terrains ; on trouve, dis-je, souvent degros blocs de mâchefer, que deux hommes auraient peine à enlever : j'en ai vu pour la première fois en 1745, à Montigny-l Encoupe, dans les forêts de M. de Trudaine; j'en ai fait chercher et trouver depuis dans nos bois de Bourgogne, qui sont encore plus éloignés de l’eau que ceux de Mon- tigny ; on en a trouvé en plusieurs endroits : les petits morceaux m'ont paru provenir de quel- ques fourneaux de charbon qu’on aura laissés brûler ; mais les gros ne peuvent venir que d’un incendie dans la forêt, lorsqu'elle était en pleine venue, et que les arbres y étaient assez grands et assez voisins pour produire un feu très-vio- lent et très-longtemps nourri. Le mâchefer, qu’on peut regarder comme un résidu de la combustion du bois, contient du fer; PARTIE EXPÉRIMENTALE. et l’on verra dans un autre Mémoire les expé- riences que j'ai faites, pour reconnaitre par ce résidu la quantité de fer qui entre dans la com- position des végétaux. Et cette terre morte, ou cette chaux, dans laquelle le fer se réduit par la trop longue action du feu , ne m'a pas paru con- tenir plus de fer que le mâchefer du bois; ce qui semble prouver que le fer est, comme le bois, une matière combustible , que le feu peut éga- lement dévorer en l'appliquant seulement plus violemment et plus longtemps. Pline dit, avec une grande raison : ferrum accensum igni, nisi duretur iclibus, corrumpilur ‘. On en sera per- suadé si l'on observe dans une forge la pre- mière loupe que l’on tire de la gueuse : cette loupe est un morceau de fer fondu pour la se- conde fois, et qui n’a pas encore été forgé, c’est- à-dire consolidé par le marteau ; lorsqu'on le tire de la chaufferie , où il vient de subir le feu le plus violent, il est rougi à blane ; il jette non- seulement des étincelles ardentes, mais il brûle réellement d'une flamme très-vive qui consom- merait une partie de sa substance si on tardait trop de temps à porter cette loupe sous le mar- teau ; ce fer serait, pour ainsi dire, détruit avant que d’être formé ; il subirait l’effet complet de la combustion, si le coup du marteau, en rap- prochant ses parties trop divisées par le feu, ne commencait à lui faire prendre le premier degré de sa ténacité. On le tire dans cet état et encore tout rouge de dessous le marteau, et on le re- porte au foyer de l’affinerie, où il se pénètre d’un nouveau feu ; lorsqu'il est blanc on le trans- porte de même et le plus promptement possible au marteau, sous lequel il se consolide et s’é- tend beaucoup plus que la première fois; enfin, on remet encore cette pièce au feu , et on la re- porte au marteau, sous lequel-on l’achève en entier. C’est ainsi qu’on travaille tous les fers communs; on ne leur donne que deux ou tout au plus trois volées de marteau : aussi n'ont-ils pas à beaucoup près la ténacité qu'ils pour- raient acquérir, si on les travaillait moins pré- cipitamment. La force du marteau non-seule- ment comprime les parties du fer trop divisées par le feu , mais en les rapprochant elle chasse les matières étrangères, et le purifie en le conso- lidant. Le déchet du fer en gueuse est ordinai- rement d’un tiers, dont la plus grande partie se brüle, et le reste coule en fusion et forme cequ’on 4 Hist. nat. lib. XXXIV, Cap. 15. 60 ; appelle Les erasses du fer : ces crasses sont plus pesantes que le mâchefer du bois, et contien- nent encore une assez grande quantité de fer, qui est, à la vérité, très-impur et très-aigre , mais dont on peut néanmoins tirer parti, en mêlant ces crasses broyées et en petite quantité avec la mine que l’on jette au fourneau. J'ai l'expérience qu'en mêlant un sixième de ces crasses avec cinq sixièmes de mine épurée par mes cribles , la fonte ne change pas sensible- ment de qualité; mais, si l’on en met davan- tage, elle devient plus cassante, sans néanmoins changer de couleur ni de grain. Mais, si les mi- nes sont moins épurées, ces crasses gâtent ah- solument la fonte, parce qu’étant déjà très-aicre et très-cassante par elle-même , elle le devient encore plus par cette addition de mauvaise ma- tière ; en sorte que cette pratique, qui peut de- venir utile entre les mains d’un habile maitre de l’art, produira dans d’autres mains de si mauvais effets , qu'on ne pourra se servir ni des fers ni des fontes qui en proviendront. Il y a néanmoins des moyens, je ne dis pas de changer, mais de corriger un peu la mau- vaise qualité de la fonte, et d’adoucir à la chauf- ferie l’aigreur du fer qui en provient. Le pre- mier de ces moyens est de diminuer la force du vent, soit en changeant l’inclinaisonde la tuyére, soit en ralentissant le mouvement des soufflets: car, plus on presse le feu, plus le fer devient aigre. Le second moyen, et qui est encore plus efficace, c’est de jeter, sur la loupe de fer qui se sépare de la gueuse, une certaine quantité de gravier calcaire, où même de chaux toute faite : cette chaux sert de fondant aux parties vitrifiables quele feraigre contient en trop grande quantité, et le purge de ses impuretés. Mais ce sont de petites ressources auxquelles il ne faut pas se mettre dans le cas d’avoir recours: ce qui n’arriverait jamais si l’on suivait les procé- dés que j'ai donnés pour faire de bonne fonte. Lorsqu'on fait travailler les affineurs à leur compte , et qu’on les paie au millier, ils font , comme les fondeurs, le plus de fer qu'ils peu- vent dans leur semaine : ils construisent le foyer de leur chaufferie de la manière la plus avanta- geuse pour eux; ils pressent le feu, trouvent que les soufflets ne donnent jamais assez de vent : ils travaillent moins la loupe, et font ordinaire- ‘on trouvera ces procédés dans mes Mémorres > a ex EL] L2 eo LRR=NSASAOLOMUAUONUEUSUOUT ES DRSONDEON DE AMLRIIODOENOURNIe Re UMNOQUMOeUNNOM—»e DR NIUUMUNUeOMNIUUUONSUNINEENEUIDIIAUS 754 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX ANNÉE 1744. MOIS ET JOURS, Avril....25, vent... 24, pluie... 25, pluie... 28; SC eee 27, vent... 28, pluie... 29, Mai... 1°", beau... 2, chaud... beau... 4, beau... 5, beau... 6;:vents..r. 7, pluie... 8, pluie... beau... 11, ventes. 45, vent... 13, vent... 17, pluie... 19, pluie... 21, tonnerre. 23, beau... 23, pluie... 27, beau... 29, beau... 51, beau... Juin... 4, pluie... 6, sec... 14, chaud... 16, pluie... 18, couv... 20, pluie... 22, couv... 24, chaud... TEMPS pendant lequel les bois ont resté à l'eau, 24 heures... | 24 heures... 21 heures... 24 heures. 24 heures... 24 heures... 24 heures... 24 heures. 24 heures. 24 heures... 24 heures. 24 24 heures.. heures... 24 heures... 24 heures.. 24 heures... 24 heures... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours. 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours. 2 jours. 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... | ni | | | | | , | N : | | | | | | ps ï | J | | | | | : | | = POIDS des deux morceaux de bois. iv. OnC. gr. 15 D DD 1 = D © QG © Qt LE OC © D OU MUNIE IEUNUDENNO Ge > CIO = + —æ — + cu _ _ HU UCNOReNOomou DNA GE On de NI 2 GE OI © RS de QE © D GI © I © = RO De UE NO de © QI © de © CA CA OZ RO O7 CA QE AI =I O3 CA CA mm © A CA UE CA UE = de DU M ONAURNIONISe DUO — ED RO I CE CE CI CE ANNÉE 1774. MOIS ET JOURS, Juin....26, sec... 28, sec...... 50, sec... Juillet, 2, chaud. 4, pluie... 6, pluie... 8, vent... TEM Ps pendant lequel les bois ont resté à l'eau. 2 jours... 2 jours... 2 jours... 2 jours... | 2 jours... | | | 2 jours... 2 jours... | { POIDS des deux morceaux SONGS = 10 CE © 7% Le 10, on a été obligé de les changer de cuvier, deux cercles s'élant brisés, 12, pluie... 16, pluie... 20, pluie... 24 couv... 28, beau. ..… Août... 4°", vent. 5, couv... 9, chaleur. 15, pluie... 17, vent... 21, pluie... 25, variab.…. 29, beau... Sept..... 2, beau. 6, beau... 10, variab.. 14, beau... 18, chaud... 22, beau... 25, chaud... 50, beau... Octobre. 4, vent... 8, pluie... 12, pluie. 16, pluie... 20, pluie... 24, pluie... 28, gelée... . 4°", beau: 5, pluie... 9, beau... 15, beau . 4 jours... | ; 4 jours... 4 jours... 4 jours, ... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... 4 jours... ee Om te md te mo me tn me mate ment ENCES | |? 4 jours... | | Den on de © Vois 2 Lil > TO D D Où — de 19 Où = QE © CA CO RO 00 + 1 © QD à QE GA Où DD GA DD CA me 29 © + (D © O0 de OÙ Qi QE Dei euh. sum 0 LEE af = = = CA > à à & QI OA ES CA ES RD 19 = © © (CO CE LOI _ Ben SNR MORE OCR QD © © 1H CERN à me IRD de OI © de de CA OH OT NI D D ON RE UINIEOUUMIImNEUDOSSCEUNSOSOOnN PARTIE EXPÉRIMENTALE. 135 re 3 | F TEMPS ; TEMPS ; ANNÉES 4744 er 4745. | pendant lequel KG ANNÉES 1745, 1746, 4747. | pendant 1equet ë RE" les bois de les bois à | MOIS ET JOURS. ont Ceux MOrCeaUux MOIS ET JOURS. ont eux peux | resté à l'eau. resté à l'eou. debois. | liv. À à i V7, Nov... 17 pluie Hidcé den 15 21] 4745. Juill. 5, pluie, + Lerh 5 4 4 “à 2 D TS td chaud... PET NE" AU SR ATTRSS : er « F A, variab... | 4jours....| 0745 0 2 ut, en Sjourmuse| 6209 6 der45 1 0 19, pluie. as | tr on 5 on, Dr pe Ajours..… | 2e 43 7 0 ctaud.…….| SJOUTS... | ge 44 15 0! , neige et 445 2 0 e - er | Sr aps 4 jours... à DS "5 0 27, beau.… 8 jours... | 2 : E: À Déc... 5, dégel...| 4 jours... | sg : - = Août.. 4, pluie... 8 jours... | H Fi ? 7, variab.….. 4 jours... DE = : 12, pluie... 8 jours... | ms L > | 1, gelée. 4 jours... | 2 ; : 20, pluie... 8 jours... LS à fr : 15, pluie, «45 2 6 28, pluie, ï 144 10 1 MRC 4jours.…..| 54 9 6 Dan ese 8 jours... | 245 4 0! 19. pluie, 1r45 5 4 : {er | rouille. 4 jours. | %iS 9 4 Sept.. 5, beau....| 8 jours... | 2e à 4 : | er 4 L 4 L3 nbige. ? + 4jours.…. | a É w : 21, beau... | 16 jours... _. ps il Fi | 51, æ . ee « dl pc. 8 jours... | EE + è Octob. 7, sec...... | 416 jours... LÉ de ; 1745. Janv. 8, brouill. 1r45 5 4 : tri 15 et pluie. … 8 jours... | de 45 1 2 25, beau... | 16 jours... | 2e ps 2 $ 16, gelée … | 8 jours... | . F è Nov... 8, variab….. | 16 jours... _ : : ; 24, gelée, er 45 5 n gel : CT Te En MS ci ; 24, humide. | 46 jours... Re, 2 0 dégel 1... 2e 45 414 0 J | 2 45 9 0 eve. 1, neige. 8 jours... | me à Déc..…10, gelée … | 46 jours... | 630 0! 9, pluie... | 8 jours... | es s = 26, humide.. | 16 jours... | Le Fa û | 17, pluie, [LE 3 8 5 = 2 de gelée. | $ jours... Î 2e 44 © 0! 1746.Janv..il, variab... | 16 jours... _ = . “ | &r435 9 6 27, gelée, : 145 6 Le * ph 8 jours... | a HCN 0 {et 16 jours... | 9e É 12 54 rs. eau?, ares. 4 L.4 i : { qer 6 gelée... | jours... She at erne) Fe <= 16 jours... | 5e 43 42 0 15, ge'ée.….. | 8 jours... | LE ne e : 28, dégel..…. | 16 jours... } e “e . . | e KA 9 21, vent... | 8 jours... A SU : : RSS | 16 jours. My 2 à Es RE ‘nine 5 1 Mihean.……. | jours... 4 1 2 Avril. 4°, vent, ee Me NASA à 0! , . .. 2e 44 5 2 neige... | 16 jours... } ,e 33 15 0 Avril. 6, sec... | 8 jours... | … a r TA TOR | 46 jours. | mr = : e Ca ° 45 44, sec... | 8 jours... | LES, 1503 re ; 443 10 0! ï re pe 9 Mai.. 5, variab.. | 46 jours... ei 2 43 15 0! 2, pluie... | 8 jours... } 2 4; 6 0 penet 46 jours... | 1745 n à 30, beau... | 8 jours... be : 15 : Juin pe EL 16 jours. | ter 5 9 41! Re: ne , ra 4 3 Fr Co "RES “x W 2] Mai.... 8, pluie’... 8 jours... | 2 #4 7 2 20, variab.. | 16 jours... | es u: È | 16, beau : os AA i rari e 5 | ne ns Î 8 jours... | De EN 7 0 Juill. A | 46 jours... | ee LL 7 | chaud, = ‘TA 1 OÙ . « | ; pluie … | 8 jours... | de 44 8 1 22, sec...... | 16 jours... Nue 4 ë Juin., 14%. froid, 8 jou 17 44 2.3 { 4r4z 42 0 | giboulée… ns 09) PCT EN Août. 7, humide. | 46 jours... } o 7! DA 3 U246 0 7| chaud ..…. De” 9 , Chaud. sonne} ne : | 47. frais, ci sie Se 0 à Dr = + - r 2 “ Sept.. 8, pluie... jours... ; 2 46 5 0 3-00 ajoressf D72 . 6 jours... {2528 0 6 ss ts ne 1 ACT SEEES jours... 6 5 61 $ «46 1 5 4 Le baquet était entièrement gelé; il n'y avalt qu'une pinte d'eau Oct... 10, humide. | 16 jours... pa % 4 5 | qui ne fût point glacée. On avait changé les bois Er ours aupara- æ # pour relier le baquet. ; J … 26, beau 16 jours. + 5 » L : Les bois étaient si fort serrés par la glace, qu'il a fallu LE jeter de er 0 l'eau chaude. Ils ont passé la nuit d \ i j 1546 02 D ta Ps à à le cuvier. ” 5 s 11 est visible i ici que c'est la vicissitude du temps qui détermine nn LÉ EE | 2 46 6 6 e plus où le moins d'angmeniation, après un pareil nombre de BIC jours; les bois ont considérablement augmenté cette fois, parce que Déc...13, humide. | 46 jours... 2 & 7 4 les deux jours i out précédé celui qu'on les a pesés il a fait une 1746 5 0 pluie continne e par un vent du couchant , et le lendemain il a en- 29, humide. | 16 jours... | e 46 7 0 EE Los ué de pleuvoir un peu, et ensuite un temps couvert et { ee & 5 0 1747. Janv..14, gelée... | 16 jours... | 2 46 $ 0 756 | ANNÉES 1747, 48, 49. MOIS ET JOURS. 1747. Janv. Fév.. Mars.. 5, 50, humide. .15, tempér.. dégel..… 19, froid... TEMPS pendant lequel les bois ont resté à l'eau, 16 jours... 16 jours... 16 jours... . 16 jours... [l | POIDS des deux morceaux de bois. Avril. 4, pluie... 16 jours... 2 46 20, sec... | 16 jours... à 5 Mai... 6, tempér.. | 16 jours... LE r: 21, variab... | 16 jours... te ps Juin.. 7, pluv.... | 46 jours... | LL : 25, tempér. , 4° AG p'uvienx.. «| 16 jours... | 2° 16 er 36 Juill., 9, variah.. 16 jours ….….. Je 5 25, chaud et} d | 4746 humide: - “ 16 jours...) 2 46 Août, More IHOoure ee | Ÿ 4 156 loss. . j 22 » 26, chaud, }) + { 1er 46 RE sf 16 jours... { 2°. 46 Sept..11 16 jours... } Le ne 27, pluv.. 16 jours. A ne Octob 27, re re mn 16046 couvert. | 50 jours... | 2° 46 Nov..27. brum. ) ae } 1°°46 peudant8)j. ! 50 jours... |! 9e 47 er Déc...27, pluv. * | 50 jours. si à: pe 1748. Janv..27, be Se { 4747 néiseetdeg. l 50 jours... si 2° 47 Fév...27, dégel et LAS ITA doux ee. 30 jours... | pe 47 er Mars..27, froid... | 30 jours... nel : rL Avril.27. froid ct rar " RITES Î 50 jours... 7 z, ñ Mai...27, sec € PRE Das froid... À 50 jours... | 4 er y Juin-.27. sec... 50 j'urs. +3 1 ro Juill..27, chaleur e ge { 19747 et pluie .… a, 1 47 Août. 27, chaleur, FR CR NT ENT brouill….. 30 jours... | 2° 47 er Sept..27, pluv.... | 30 jours. 4 se JL octot : on {4747 ctob.27, humide, | 30 jours... + | 9e 47 Nov ..27, gelée. 30 jours. a ee Déc, pluie et et 50 jours . ji La Fi ente. ; 1 2 4179, Janv..17, plu... | 30 jours. M wi 2 Fév...27, plie, #0: iours { 1°747 ensuitesec. | 50 jours... "| 247 LLS Mars..27, pluv.... | 30 jours... # pi Avril (AIDE Avril..7, veut... 30 jours... } 2 47 Mai..27, chaud... | 50 jours... 1e Ni onc. 2RISLAN— AI SORæSCc CES _ DR SNA de AI ON CT END IQ D —æ > de ND QI ID à © 19 = 09 © —æ De © à UE RS CA ee QU @ © © © @ 1 LA DS HONO>-NI>>- > UHUHOSSSn 2 DOLDSOS>RODOCONDESDOOSLCOSOONORDOO=UNOUSS NH LROSCNSS T7 INIRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. ANNÉES 1749, 50, 51, 52, 51. MOIS ET JOURS. 1749. Juin..27, variab... Juill..27, variab... Aoùt..27, pluv.... Sept..27, Se0...... Oct...27, SOC. | Nov..27, pluv.... Déc, or SRE | gel... | 1750. Re humide. Févr..27, variab... Mars.27, beau... Avril.27, beau... -Æ Mai...27, pluv.... Juin..27, brain... Juill,.27, chal..... Août..27, pluv.…. Sept..27, bruin.….. Oct...27, beau, [l couvert... | Nov..27, pluv.... 1751. Janv..27, pluy..… Févr..27, gelée... Mars..27, Avril. 27, plu'e.... pluie... Mai...27, variab….. Juin..27, chal. Août..27, temp... OC 2m puise Déc..….27, 752. Févr..27, Avril.27, sec..... Juin..27. chaud, } pluvi.ux.. | Août..27, variab. . gelée... variab.…. Oct...27, beau... Déc...27, pluv..*.. 1755. Fév...27, humide, doux. .... Avril. 27, pluv..….. décembre. TEMPS pendant lequel les bois ont resté à l'eau, ns 50 jours... 50 jours... 50 jours... 30 jours 50 jours... | | | l { ! 50 jours... 30 jours... | 50 jours... | 50 jours... 30 jours... 30 jours... ! 50 jours... 30 jours... 50 jours... 50 jours... 50 jours... [l | 50 jours... | 50 jours... 61 jours... | 50 jours .... { 50 jours... 50 jours... 50 jours... 50 jours... 69 jours .…. 60 jours... 60 jours... 60 jours... 60 jours... 60 jours... 60 jours... 60 jours... 60 jours... 60 jours... 60 jours... On voit par cette expérience, qui a duré vingt ans : 1% Qu'après le desséchement à l’air pendant dix ans, et ensuite au soleil et au feu pendant POIDS des deux morceaux de bois, liv. 19747 2° 47 4°" 47 2° 47 1°7 47 2° 47 19747 2° 47 19747 2° 47 1° 47 2° 48 41°" 47 2° 47 1747 2° 47 q°r 47 2° 47 ar 47 2° 48 1747 2° 47 on 47 2° 47 ru #7 2° 47 AT 47 2° 47 1748 2° 48 se 48 2° 48 EL 418 2° 45 FE 48 2° 48 47 48 2° 48 1748 2° 48 1748 2° 48 ru 48 2° 48 1748 2° 43 a 45 2° 48 rl 18 2° 48 rh 19 2° 49 1 LA 48 2° 48 Ru 48 2° 48 1748 2° 48 Ar 48 2° 48 1°7 48 2° 48 per 48 2° 48 ar 48 2° 48 [AL 48 2° 48 Eu 48 2° 48 a ——— onc. _ LRON-L00CS * On a oublié de peser les deux morceaux de bois dans le mois de —————_——_—————" ——————— "— ————————— ————————————————————— gr. ST CRT NT ES PR SR RS RE OR RER ET RER 4 dix jours, le bois de chêne, parvenu au dernier degré de son desséchement, perd plus d’un tiers de son poids lorsqu'on le travaille tout vert, et moins d’un tiers lor squ'on le garde dans son PARTIE EXPÉRIMENTALE. 727 écorce pendant un an avant de le travailler : cur le morceau de la première expérience s’est en dix ans réduit de 45 livres 10 onces à 29 li- vres 6 onces 7 gros, et le morceau de la seconde expérience s’est réduit, en neuf ans , de 42 li- yvres 8 onces à 29 livres 6 onces. 2° Que le bois, eardé dans son écorce avant d'être travaillé, prend plus promptement et plus abondamment l’eau, et par conséquent l'humi- dité de l'air, que le bois travaillé tout vert : car le premier morceau, qui pesait 29 livres 6 onces 7 gros, lorsqu'on l’a mis dans l’eau, n’a pris en une heure que 2 livres 8 onces 3 gros, tandis que le second morceau, qui pesait 29 livres G onces, à pris dans le même temps 3 livres 6 onces. Cette différence, dans la plus prompte et la plus abondante imbibition, s'est soutenue très-longtemps; car au bout de vingt-quatre heures de séjour dans l’eau, le premier morceau n'avait pris que 4 livres 15 onces 7 gros, tan- dis que le second a pris dans le même temps 5 livres 4 onces 6 gros. Au bout de huit jours, le premier morceau n'avait pris que 7 livres 1 once 2 gros, tandis que le second a pris dans le même temps 7 livres 12 onces 2 gros. Au bout d’un mois, le premier morceau n’avait pris que 8 livres 12 onces, tandis que le second a pris dans le même temps 9 livres 11 onces 2 gros. Au bout de trois mois de séjour dans l’eau, le premier morceau n'avait pris que 10 livres 14 onces 1 gros, tandis que le second a pris dans le même temps 11 livres 8 onces 5 gros. Enfin ce n’a été qu'au bout de quatre ans sept mois que les deux morceaux se sont trouvés à très- peu près égaux en pesanteur. 3° Qu'il a fallu vingt mois pour que ces mor- ceaux de bois, d'abord desséchés jusqu’au der- nier degré, aient repris dans l’eau autant d’hu- midité qu'ils en avaient sur pied et au moment qu'on venait d’abattre l'arbre dont ils ont été tirés ; car au bout de ces vingt mois de séjour dans l'eau, ils pesaient 45 livres quelquts on- ces, à peu près autant que quand on les a tra- vaillés. 4° Qu'après avoir pris, pendant vingt moisde séjour dans l’eau, autant d'humidité qu'ils en avaient d'abord, ces bois ont continué à pom- per l’eau pendant cinq ans ; car au mois d’octo- bre 1751, ils pesaient tous deux également 49 livres. Ainsi, le bois plongé dans l’eau tire non- seulement autant d'humidité qu'il contenait de sève, mais encore près d'un quart au delà ; et la différence en poids de l'entier desséchement à la pleine imbibition est de trente à cinquante, ou de trois à cinq environ. Un morceau de bois bien see qui ne pèse que 3 livres en pèsera 5 lorsqu'il aura séjourné plusieurs annécs dans l'eau. ° 5° Lorsque l'imbibition du bois dans l'eau est plénière, le bois suit au fond de l'eau les vicis- situdes de l'atmosphère : il se trouve toujours plus pesant lorsqu'il pleut, et plus léger lors- qu'il fait beau, comme on le voit par les pesées de ces bois dans les dernières années des expé- riences, en 1751, 1752 et 1753; en sorte qu'on pourrait dire, avec juste raison, qu'il fait plus humide dans l'eau lorsqu'il pleut que quand il fait beau temps. EXPÉRIENCE VII. Pour reconnaitre la d'fférence de l'imbibition des bois, dout la solidité est plus ou moins grande. Le 2 avril 1735, j'ai fait prendre dans un chène âgé de soixante ans, qui venait d’être abattu, trois petits cylindres, l’un dans le centre de l'arbre, le second à la circonférence du bois parfait, et l’autre dans l’aubier. Ces trois cylin- dres pesaient chacun 985 grains. Je les ai mis dans un vase rempli d’eau douce tous trois en même temps, et je les ai pesés tous les jours pen- dant un mois, pour voifdans quelle proportion se faisait leur imbibition. 758 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX Table de l’imbibilion de ces trois cylindres de bois. POIDS DES TROIS CYLINDRES. DATES DATES d e. les cire des a ’ : confér. . : PESÉES. Cœur, | Gu |Aubier, PESÉES. cœur, ES | 1755. le graius.}| 4735. Avril, le2....... 985 | 985 | 985 |lAvril.15, sec... 5,6h.mat.| 4014 | 1016 | 1065 16, chaud. Me ee 1021 | 1027 | 4065 17, chaud. | 5, pluie..! 1028 | 1054 | 1075: 18, sec... 6, humid.| 1050 | 1040 | 1084 19, sec, | 7, humid.! 1055 | 1044 | 1085 20, couv. | 8, pluie, .| 1056 | 1048 | 10882 21. pluie... 9, humid.! 1037 | 1051 | 1090 22, couv... | 10, couv..| 4039 | 1055 | 4092: 25. couv... 11, sec... | 4040 | 1056 | 1084 24, sec... | 12, sec... | 1042 | 4059 | 1078, ADR 15, sec....| 1045 | 1061 | 10787 29, sec... | 14, couv. .| 1048,| 1064 | 1079:||Maï... 5, chaud. } DES TROIS CYLINDRES. — Cir= sue Cœur. RL Aubier PESÉES, Cœur, sonère Aubier. cœur. cœur, | grains, | grains. | grains.|| 17335. grains. | grains. | grains. 10502! 1065 | 1078 ||Mai... 9, sec ...| 1072 | 1095 | 1074 | 1051 | 1066 | 1074 15, chaud.| 1075 | 1095}| 1070 1051: 1067 | 1072 21, pluie..| 1075 | 1101 | 1070 1052 | 1068 | 1075 1055 | 1069 | +071 10356 | 1072 | 1072 1057 | 1075 | 1079 1057; | 1075;| 10782|[Juill.. 6. pluie..| 1084 | 4109 | 4069 1058 | 1077 | 1074! 15. pluie..| 406 | 1412 | 1077 1059 | 1078;| 4074 25, pluie..| 1113 | 4126 | 1098 1060 | 1079 | 1074 1065 | 1087 | 1074 1068: | 1091 | 1075 POIDS DES TROIS CYLINDRES. POIDS DATES des 25, pluie..| 10773 2,sec....| 1078 10, bumid.| 1082 18, sec....| 1080 Juin... Août.25, sec....| 1112 Sept..25, pluie..| 1120 Octob.25, pluie..| 1128 Cette expérience présente quelque chose de fort singulier. On voit que, pendant le premier jour, Paubier, qui est le moins solide des trois morceaux, tire 80 grains pesant d’eau, tandis que le morceau de la circonférence du cœur n’en tire que 31, le morceau du centre 26, et que le lendemain ce même morceau d’aubier cesse de tirer l’eau; en sorte que, pendant vingt-quatre heures entières, son poids n’a pas augmenté d’un seul grain, tandis que les deux autres mor- ceaux continuent à tirer l’eau et à augmenter de poids; et en jetant les yeux sur la table de l'imbibition de ces trois morceaux, on voit que celui du centre et celui de la circonférence pren- nent des augmentations de pesanteur depuis le 2 avril jusqu’au 10 juin, au lieu que le morceau d’aubier augmente et diminue de pesanteur par des variations fort irrégulières. Il a été mis dans Peau le 1er avril à midi; le ciel était couvert et l’air humide ; cemorceau pesait, commeles deux autres, 985 grains. Le lendemain, à six heures du matin, il pesait 1065 grains. Ainsi, en dix- huit heures, il avait augmenté de 80 grains, c’est-à-dire environ de son poids total. I était naturel de penser qu’il continuerait à augmen- ter de poids : cependant au bout de dix-huit heures il acessé tout d’un coup de tirer de l’eau, et il s’est passé vingt-quatre heures sans qu’il ait augmenté ; ensuite ce morceau d’aubier a re- pris de l’eau, et a continué d’en tirer pendant six jours, en sorte qu’au 10 avril il avait tiré 107 grains £ d’eau : mais les deux jours suivants, le 11 etle 12, il a reperdu 14 grains À: ce qui fait plus de lamoitié dece qu'ilavaittiré lessixjours précédents. Il a demeuré presquestationnaire et au mème point pendant les trois jours suivants, les 13,14 et15, après quoiil a continué àrendre l’eau qu'ila tirée; en sorteque le 19 du même mois" il se trouve qu’il avait rendu 21 grains 4 depuis le 10. IT a diminué encore plus aux 13 et 21 du mois suivant, et encore plus au 18 de juin ; car il se trouve qu’il a perdu 28 grains { depuis le 10 avril. Après cela il a augmenté pendant le mois de juillet, et au 25 de ce mois il s’est trouvé avoir tiré en total 113 grains pesant d’eau. Pen- dant le mois d’août il en a repris 33 grains; et enfin il a augmenté en septembre et surtout en octobre si considérablement , que, le 25 de ce dernier mois, il avait tiré en total 139 grains. Une expérience que j'avais faite dans une au- tre vue a confirmé celle-ci ; je vais en rapporter le détail pour en faire la comparaison. J'avais fait faire quatre petits cylindres d’au- bier de l’arbre dont j'avais tiré les petits mor- ceaux de bois qui m'ont servi à l’expérience rapportée ci-dessus. Je les avais fait travailler le 8 avril, et jeles avais mis dans le même vase. Deux de ces petits cylindres avaient été coupés dans le côté de l’arbre qui était exposé au nord lorsqu'il était sur pied, et les deux autres petits cylindres avaient été pris dans le côté de l'ar- bre qui était exposé au midi. Mon but, dans cette expérience, était de savoir si le bois de la partie de l’arbre qui est exposée au midi est plus ou moins solide que le bois qui est exposé au nord. Voici la proportion de leur imbibition ; PARTIE EXPÉ Lablz de l'imbibition de ces quatre cylindres. | Poins DES MORCEAUX méridionaux. FOIDS DES MONCKAUX septeutrionaux. DATES des EE PESEES. L'un. mt grains. 64 L'autre.! L'un. |Lautre. —— graius grains. grains. 64 76 15 + 76 5 : 76 | | 1755. Avril. 8 À 1 , sluuioéte 76 76 76 77 76 : 76 76 76 77 76 76 76 71 = 76 80 >ér-euc RECETTE 1 &æ A aleimnte simalmaimalmag fi afmsteel-el- 02 Juin...50 Juillet.25 AGût ..23 Sept. ..25 Octob..25 $0 84 CE MENT slmsimelm ne BA I DEC > oo Cù Et à Cette expérience s’accorde avec l’autre, et on voit que ces quatre morceaux d’aubier augmen- | tent et diminuent de poids les mêmes jours que ! le morceau d’aubier de l’autre expérience aug- mente ou diminue, et que par conséquent il y a une cause générale qui produit ces variations. On en sera encore plus convaincu après avoir jeté les yeux sur la table suivante. Le 11 avril de la mème année, j'ai pris un morceau d’aubier du même arbre qui pesait, avant que d’avoir été mis dans l’eau, 7 onces 3 gros. Voici la proportion de son imbibition : MOIS et JOURS. POIDS du moréeau MOIS et JOURS. POIDS du morceau, | 1755. Avril... 7:44 12 1755. Avril... 2 2 - 5 8 ..2l 25 NE EE ÉBenl:) 25 JD: 025 Juillet......25 Août.......23 Septembre. .23 Octobre ....23 [HI 15 14 15 16 17 18 9 [Era 1 Pb AN 1m PIN PANTIN FH) Cette expérience confirme encore les autres; et on ne peut pas douter, à la vue de ces tables, RIMENTALE. 731) des variations singulières qui arrivent au bois dans l’eau. On voit que tous ces morceaux de bois ont augmenté considérablement au 25 juil- let; qu’ils ont tous diminué considérablement au 25 août, et qu'ensuite ils ont tous augmenté encore plus considérablement aux mois de sep- tembre et d'octobre. Il est très-certain que le bois, plongé dans l’eau, en tire et rejette alternativement dans une proportion dont les quantités sont très-considé- rables par rapport au total de l'imbibition. Ce fait, après queje l’eus absolument vérifié , m’é- tonna. J’imaginai d’abord que ces variations pouvaient dépendre de la pesanteur de l'air; je pensai que l'air étantplus pesant dans le temps qu'il fait sec et chaud, l’eau chargée alors d’un | plus grand poids devait pénétrer dans les pores du bois avec une force plus grande, et qu’au contraire, lorsque l’air est plus léger, l’eau qui | y était entrée par la force du plus grand poids de l'atmosphère pouvait en ressortir : mais cette explication ne va pas avec les observations; | car il parait, au contraire, par les tables précé- dentes, que le boisdans l’eau augmente toujours de poids dans les temps de pluie, et diminue _ considérablement dans les tempssees et chauds ; Let c’est ce qui me fit proposer, quelques annces : après, à M. Dalibard, de faire ces expériences sur le bois plongé dans l’eau, en comparant les variations de la pesanteur du bois avec les mou- | vements du baromètre, du thermomètre, et de : l'hygromètre, ce qu'il a exécuté avec succès et : publié dans le premier volume des Mémoires étrangers , imprimés par ordre de l’Académie. EXPÉRIENCE IX. Sur l'imbibilion du bois vert. Le 9 avril 1735, j'ai pris dans le centre d’un chène abattu le même jour , âgé d’environ soixante ans, un morceau de bois cylindrique qui pesait 11 onces; je l'ai mis tout de suite dans un vase plein d’eau , que j'ai eu soin de tenir toujours rempli à la mème hauteur. 140 Table de l'imbibition de ce morceau de cœur de chéne \. POIDS du cœur dechène ANNÉE, MOIS et JOURS. ANNÉE, MOIS et POIDS | du cœui Jouns. de chêne | —_— 1755. Avril... 2 À | CSSS 5 | Juin Juillet...... 25 Aoùût........2? Septembre. . Octobre ....25 Il parait, par cette expérience, qu'il y a dans le bois une matière grasse que l’eau dissout fort aisément; il parait aussi qu'il y a des parties de fer dans cette matière grasse qui donnent la couleur noire. On voit que le bois qui vient d’être coupé h'augmente pas beaucoup en pesanteur dans l'eau , puisqu'en six mois l'augmentation n'est ici que d’une douzième partie de la pesanteur totale. EXPÉRIENCE X. Sur l'imbibition da bois sec, tant dans l'eau douce que dans l'eau saice. Le 22 avril 1735, j'ai pris dans une solive de chêne, travaillée plus de vingt ans auparavant, et qui avait toujours été à couvert, deux petits parallélipipèdes d'un pouce d'équarrissage sur deux pouces de hauteur. J'avais auparavant fait fondre, dans une quantité de 15 onces d’eau, { once de sel marin. Après avoir pesé les mor- ceaux de bois dont je viens de parler, et avoir écrit leur poids qui était de 450 grains chacun, j'ai mis l’un de ces morceaux dans l’eau salée, et l'autre dans une égale quantité d’eau com- mune. Chaque morceau pesait, avant que d’être 4 L'ean, quoique changée très-souvent, prenait nne couleur noire peu de temps après qne le bois y était plongé ; quelque- fois cette eau était reconverte d'une espèce de pellicule hui- leuse, et le bois a toujours été gluant jusqu'au 29 avril, quoi- que l'ean se soit clarifiée quelques jours auparavant. ? On voit que, dans les temps auxquels les aubiers des ex- périences précédentes diminuent an lieu d'augmenter de pe- santenr dans l'ean, le bois de cœur de chêne n'augm nte ni ne Himinue, INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. dans l’eau, 450 grains; ils y ont été mis à cinq heures du soir, et on les a laissés surnager libre- ment. | Table de l'imbibilion de ces deux morceaux | de bois. | POIDS | PoIns | ANNÉE, MOIS ET JOURS. imbibé Fmbioe UE salée, | grains. gains. IM733, Avril... 2à7h du soir ASS 481 | 310 h dusoir.| 495 187 25à6 h du mat.| 506 + 495 àGh dusoir.| 521: 502 24 àGhduamat.| 531 ; | 59; 23, mème heure. | 547 s17 54 360 528 | 575 555 582 35) 3 589 : | 5453 598 549 ETES oo 605 531 609 : | 535 + 628 585 648 + | 507 6:37 607 682 616 684 625 704 650 Juin:-sscres 5 7123 | 61 752 648 755 ; | 665 ; Juillet#+:27 Pont edanes 770 701 AONtER-E sr: PÈE DU AA ac 00 782 + 756 Septembrs. 23... 788 : 756 ; OCIoNFE MS res eme 796 + | 760 J'ai observé, dans le cours de cette expé- rience, que le bois devient plus glissant et plus huileux dans l’eau douce que dans l’eau salée; l'eau douce devient aussi plus noire. Il se forme dans l’eau saléede petits cristaux quis’attachent au bois sur la surface supérieure, c’est-à-dire sur la surface qui est la plus voisine de Pair. Je n'ai jamais vu de cristaux sur la surface infé- rieure. On voit, par cette expérience, que le bois tire l’eau douce en plus grande quantité que l’eau salée. On en sera convaineu en jetant les yeux sur lestables suivantes. Le même jour, le 22 avril, j'ai pris dans la même solive six morceaux de bois d’un pouce d'équarrissage, qui pesaient chacun 430 grains; j'en ai mis trois dans 45 onces d’eau salée de 5 onces de sel, et j'ai mis les trois autres dans 45 onces d’eau douce et dans des vases semblables, Je les avais numérotés : 1, 2, 3 étaient dans l'eau salée, et les numéros 4, 5, 6 étaient dans l'eau douce. “ * 11 s'était formé de petits cristaux de sel tout autour du morceau, un peu au-dessous de la ligne de l'eau dans laquelie il surnageait. PARTIE EXPERIMENTALE. T1 ‘Taie de l'imbibition de ces six morceau: Volta, Avant d'avoir été mis dans l'eau, ils pesaient tous 450 grains; on les a mis dans l'eau à ciny heures et demie du soir. POIDS || MOIS ET JOURS MOIS ET JOURS | POIDS des es des | e : numéros |nutméros < FÉSÈÉES. uoas. asc PÉSÈES. ——— mm —— | 1755. grains. grains. | 1755. avril, 22 à Gheures (450 + ré » | et demie, L Na us rt eh s | à 7 heures 5 et demie. | 54 455: | à S heure, E A et demie. 455 459 + à 9 heures | ee _ Mai et demie. | 455 FRS] | iii 467 479 5 | 25 à G heures = "Re du matin. } Es pis hi à 6 heures { pi F © du soir. | en 488 | 24 ; mime ; ne id a ieurc.... | _ “| 475 501 490 = | 51S > | 25... | 486 2 | 516 4x5 à 515 { . 552 \ l - — —— POIDS | POIDS || Los ET JOURS POIDS FOIDS des des des des | * ” des F th | auméros|t numéros cel numéros |numéres 1,2,5. | 4,5 G PESÉES, 1,2,5. | 4,5,6. | 1753 grains, graiss { 619: 682 Mai...9à6h.uus.{ GIS * | 667 | 612 664 : || { 622 694 Cou | PE TU EL SAS ARS ‘ 620 ; | 680 ÿ à L 615 679 + Î 628 03 | RSA SERA 627 696 | 620 61 à { 645 724 re des < ! (1}1188-7 ESSOR . | 657 5 Le 170 | 688 | MO -20- cer esse ‘ 694 : Ü 6:56 A 3 à. | 718 = |ISept..25..... re. 71 3 | 704 2 || { 725 : HAIOCIQRe eee de 7 5: | L | 707 : l Il résulte de cette expérience et de toutes les précédentes : 1° Que le bois de chêne perd environ un tiers de son poids par le desséchement, et que les bois moins solides que le chène perdent plus d’un tiers de leur poids; 20 Qu'il faut sept ans au moins pour dessé- cher des solives de 8 à 9 pouces de grosseur, et que par conséquent il faudrait beaucoup plus du double de temps, c’est-à-dire plus de quinze aus pour dessécher une poutre de 16 à 18 pouces d'équarrissage ; 3° Que le bois abattu et gardé dans son écorce se dessèche si lentement, que le temps qu’on le garde dans son écorce est en pure perte pour le desséchement, et que par conséquent il faut équarrir les bois peu de temps après qu'ils au- ront été abattus ; 4° Que, quand le bois est parvenu aux deux tiers de son desséchement , il commence à re- pomper l'humidité de l'air, et qu'il faut par conséquent conserver dans des lieux fermés les bois secs qu’on veut employer à la menui- serie ; 3° Que le desséchement du bois ne diminue pas sensiblement son volume, et que la quan- tité de la sève est le tiers de celle des parties solides de l'arbre; 6° Que le bois de chêne abattu en pleine sève, s’il est sans aubier , n’est pas plus sujet aux vers que le bois de chène abattu dans toute autre saison ; 7° Que le desséchement du bois est d’abord en raison plus grande que celle des surfaces, et ensuite en moindre raison; que le desséchement total d’un morceau de bois de volume égal , et de surface double d’un autre, se fait en deux ou trois fois moins de temps; que le desséchement total du bois à volume égal et surface triple se fait en cinq ou six fois environ moinsdetemps; 8° Que l’augmentation de pesanteur que le bois sec acquiert en repompant l'humidité de air est proportionnelle à la surface ; 99 Que le desséchement total des bois est proportionnel à leur légèreté, en sorte que l’au- bier se dessèche plus que le cœur de chêne, dans la raison de sa densité relative, qui est à peu près de £ moindre que celle du cœur ; 10° Que, quand le bois est entierement des- séché à l'ombre, la quantité dont on peut en- 142 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. core le dessécher en l’exposant au soleil, et en- suite dans un four échauffé à 47 degrés, ne sera guère que d'une dix-septième ou dix-huitième partie du poids total du bois, et que par consé- quent ce desséchement artificiel est coûteux et inutile; 119 Que les bois secs et légers, lorsqu'ils sont plongés dans l’eau, s’en remplissent en très-peu de temps ; qu'il ne faut, par exemple, qu’un jour à un petit morceau d’aubier pour se rem- plir d’eau, au lieu qu'il faut vingt jours à un pareil morceau de cœur de chêne; 12° Que le bois de cœur de chêne n’aug- mente que d’une douzième partie de son poids total, lorsqu'on l’a plongé dans l'eau au moment qu'on vient de le couper, et qu'il faut même un très-long temps pour qu’il augmente de cette douzième partie en pesanteur ; 13° Que le bois plongé dans l’eau douce la tire plus promptement et plus abondamment que le bois plongé dans l’eau salée ne tire l’eau salée ; 14° Que le bois plongé dans l’eau s’imbibe bien plus promptement qu'il ne se dessèche à l'air, puisqu'il n’a fallu que douze jours aux morceaux des deux premières expériences pour reprendre dans l’eau la moitié de toute l’humi- dité qu’ils avaient perdue par le desséchement en sept ans, et qu’en vingt-deux mois ils se sont chargés d'autant d'humidité qu'ils en avaient jamais eu, en sorte qu’au bout de ces vingt-deux mois de séjour dans l’eau ils pe- saient autant que quand on les avait coupés douze ans auparavant; 15° Enfin, que quand les bois sont entière- ment remplis d’eau, ils éprouvent , au fond de l'eau , des variations relatives à celles de l’at- mosphère, et qui se reconnaissent à la variation de leur pesanteur ; et quoiqu’on ne sache pas bien à quoi correspondent ces variations , on voit cependant en général que le bois plongé dans l’eau est plus humide lorsque l'air est hu- mide , et moins humide lorsque l’air est see, puisqu'il pèse constamment plus dans les temps de pluie que dans les beaux temps. ARTICLE II. SUR LA CONSERVATION ET LE RÉTABLISSEMENT DES FORÊTS. Le bois, qui était autrefois très-commun en France, maintenant suffit à peine aux usages indispensables, et nous sommes menacés pour l'avenir d’en manquer absolument. Ce seraitune vraie perte pour l’état d’être obligé d’avoir re- cours à ses voisins, et de tirer de chez eux à grands frais ce que nos soins et quelque légère économie peuvent nous procurer. Mais il faut s’y prendre à temps, il faut commencer dès au- jourd’hui ; car si notre indolence dure, sil'envie pressante que nous avons de jouir continue à augmenter notre indifférence pour la postérité; enfin si la police des hoïs n’est pas réformée, il est à craindre que les forêts, cette partie la plus noble du domaine de nos rois, ne deviennent des terres incultes, et que le bois de service, dans lequel consiste une partie des forces maritimes de l’état, ne se trouve consommé et détruit sans espérance prochaine de renouvellement. Ceux qui sont préposés à la conservation des bois se plaignent eux-mêmes de leur dépérisse- ment : mais ce n’est pas assez de se plaindre d’un mal qu’on ressent déjà, et qui ne peut qu'aug- menter avec le temps; il en faut chercher le re- mède, et tout bon citoyen doit donner au publie les expériences et les réflexions qu'il peut avoir faites à cet égard. Tel a toujours été le princi- pal objet de l’Académie : l’utilité public est le but de ses travaux. Ces raisons ont engagé feu M. de Réaumur à nous donner, en 1721, de bonnes remarques sur l’état des bois du royau- me. Il pose des faits incontestables, iloffre des vues saines, et il indique des expériences qui feront honneur à ceux qui les exécuteront. En- gagé par les mêmes motifs, et me trouvant à por- tée des bois, je les ai observés avec une atten- tion particulière ; et enfin, animé par les ordres de M. le comte de Maurepas, j'ai fait plusieurs expériences sur ce sujet. Des vues d'utilité par- ticulière, autant que de curiosité de physicien, m'ont porté à faire exploiter mes bois taillis sous mes yeux; j'ai fait des pépinières d'arbres forestiers ; j’ai semé et planté plusieurs cantons de bois, et ayant fait toutes ces épreuves en grand, je suis en état de rendre compte du peu de succès deplusieurs pratiques qui réussissaient en petit, et que les auteurs d'agriculture avaient recommandées. Il en est ici comme de tous les autres arts : le modèle qui réussit le mieux en petit souvent ne peut s’exécuter en grand. Tous nos projets sur les bois doivent se ré- duire à tâcher de conserver ceux qui nous res- tent, et à renouveler une partie de ceux que nous avons détruits. Commençons par examiner PARTIE EXPÉRIMENTALE. 745 les moyens de conservation, après quoi nous viendrons à ceux de renouvellement. Les bois de service du royaume consistent danses forêts qui appartiennent à Sa Majesté, dans les réserves des ecclésiastiques et des gens de mainmorte, et enfin dans les baliveaux que l’Ordonnance oblige de laisser dans tous les bois. On sait, par une expérience déjà trop longue, que le bois des baliveaux n’est pas de bonne qualité, et que d'ailleurs ces baliveaux font tort aux taillis. J'ai observé fort souvent les effets de la gelée du printemps dans deux cantons de bois taillis voisins l’un de l’autre. On avait con- servé dans l’un tous les baliveaux de quatre coupessuccessives; d’ans l’autre, on n'avait con- servé que les baliveaux de la dernière coupe. J'ai reconnu que la gelée avait fait un si grand tort au taillis surchargé de baliveaux, que l’au- tre taillis l’a devancé de cinq ans sur douze. L'exposition était la même ; j'ai sondé le terrain en différents endroits, il était semblable. Ainsi je ne puis attribuer cette différence qu'à l'ombre et à l'humidité que les baliveaux jetaient sur le taillis, et à l'obstacle qu'ils formaient au dessé- chement de cette humidité, en interrompant l’action du vent et du soleil. Les arbres qui poussent vigoureusement en bois produisent rarement beaucoup de fruit; les baliveaux se chargent d’une grande quantité de glands , et annoncent par là leur faiblesse. On imaginerait que ce gland devrait repeupler et garnir les bois : mais cela se réduit à bien peu de chose; car de plusieurs millions de ces grai- nes qui tombent au pied des arbres, à peine en voit-on lever quelques centaines , et ce petit nombre est bientôt étouffé par l’ombre conti- nuelle ou le manque d'air, ou supprimé par le dégoutltement de l'arbre , et par la gelée qui est toujours plus vive près de la surface de la terre, ou enfin détruit par les obstacles que ces jeunes plantes trouvent dans un terrain traversé d’une infinité de racines et d'herbes de toute espèce. On voit, à la vérité, quelques arbres de brin dans les taillis ; ces arbres viennent de graines, car le chêne ne se multiplie pas par rejetons au loin , etne pousse pas de la racine : mais ces ar- bres de brin sontordinairement danslesendroits clairs des bois, loin des gros baliveaux . et sont dus aux mulots ou aux oiseaux , qui, en trans- portantles glands, en sèment une grande quan- tité. J'ai su mettre à profit ces graines que les oiseaux laissent tomber. J'avais observé, dans un champ qui depuis trois ou quatre ans était demeuré sans culture, qu'autour de quelques petits buissons , qui s’y trouvaient fort loin les uns des autres, plusieurs petits chênes avaient paru tout d'un coup;jereconnus bientôt parmes yeux que cette plantation appartenait à des geais, qui, en sortant des bois, venaient d’ha- bitude se placer sur ces buissons pour manger leur gland, et en laissaient tombera plus grande partie, qu’ils ne se donnaient jamais la peine de ramasser. Dans un terrain que j'ai planté dans la suite, j'ai eu soin d’y mettre de petits buissons; les oiseaux s’en sont emparés , et ont garni les environs d’une grande quantité de jeunes chênes. Il faut qu'il y ait déjà du temps qu’on ait commencé à s’apercevoir du dépérissement des bois, puisque autrefois nos rois ont donné des ordres pour leur conservation. La plus utile de ces Ordonnances est celle qui établit, dans les bois des ecclésiastiques et gens de mainmorte, la réserve du quart pour croître en futaie; elle est ancienne et a été donnée, pour la première fois, en 1573, confirmée en 1597, et cependant demeurée sans exécution jusqu’à l’année 1669. Nous devons souhaiter qu’on nese relâche point à cet égard. Ces réserves sont un fonds , un bien réel pour l’état, un bien de bonne nature; car elles ne sont pas sujettes aux défauts des bali- veaux : rien n’a été mieux imaginé, et on en aurait bien senti les avantages , si jusqu’à pré- sent le crédit, plutôt que le besoin, n’en eût pas disposé. On préviendrait cet abus en sup- primant l’usage arbitraire des permissions , et en établissant un temps fixe pour la coupe des réserves : ce temps serait plus où moins long, selon la qualité du terrain, ou plutôt selon la profondeur du sol; car cette attention est abso- lument nécessaire. On pourrait donc en régler les coupes à cinquante ans dans un terrain de deux pieds et demi de profondeur, à soixante- dix ans dans un terrain de trois pieds et demi, et à cent ans dans un terrain de quatre pieds et demi et au delà de profondeur. Je donne ces termes d’après les observations que j'ai faites, au moyen d’une tarière haute de cinq pieds, avec laquelle j'ai sondé quantité de terrains, où j'ai examiné en même temps la hauteur, la gros- seur et l’âge des arbres; cela se trouvera assez juste pour les terres fortes et pétrissables. Dans les terres légères et sablonneuses, on pourrait 744 fixer les termes des coupes à quarante, soixante } et quatre-vingts ans; on perdrait à attendre plus longtemps, etil vaudrait infiniment mieux garder du bois de service dans des magasins, que de le laisser sur pied dans les forêts, où il ne peut manquer de s’ultérer après un certain âce. Dans quelques provinces maritimes durovau- me, comme dans la Bretagne près d’Ancenis, il y a des terrains de communes qui n’ont jamais été cultivés, etqui, sans être en nature de bois, sont couverts d’une infinité de plantes inutiles, comme de fougères, de genêts et de bruyères, mais qui sont en même temps plantés d’une assez grande quantité de chênes isolés. Ces ar- | bres, souvent gâtés par l’abroutissement du bé- tail, ne s'élèvent pas; ils se courbent, ils se tor- | tillent, et ils portent une mauvaise figure, dont cependant on tire quelqueavantage, car ils peu- vent fournir un grand nombre de pièces courbes pour la marine, et, par cette raison , ils méritent d’être conservés. Cependant on dégrade tous les jours ces espèces de plantations naturelles ; les seigneurs donnent ou vendent aux paysans la liberté de couper dans ces communes, et il est à craindre que ces magasins de bois courbes ne soient bientôt épuisés. Cette perte serait consi- dérable; car les bois courbes de bonne qualité, tels que sont ceux dont je viens de parler, sont fort rares. J'ai cherché les moyens de faire des bois courbes , et j'ai sur cela des expériences | commencées qui pourront réussir, et queje vais rapporter en deux mots. Dans un taillis j'ai fait couper à différentes hauteurs, savoir, à 2, 4, 6, 8, 10 et 12 pieds au-dessus de terre, Les tiges de plusieurs jeunes arbres, et, quatre années en- suite, j'ai fait couper le sommet des jeunes bran- ches que ces arbres étêtés ont produites; la fi- eure de ces arbres est devenue, par cette double | opération, siirréeulière, qu'il n’est pas possible de la décrire, et je suis persuadé qu’un jour ils fourniront du bois courbe. Cette facon de cour- ber le bois serait bien plus simple et bien plus aisée à pratiquer que celle de charger d’un | poids, ou d’assujettir par une corde la tête des jeunés arbres, comme quelques gens l’ont pro- posé !. ‘ Ces jeunes arbres que j'avais fait étéler en 1751, et dont on avait encore coupé la principale branche en 1757, m'ont fourni, en 1769, plusieurs courbes très-bonnes, et dont je me suis servi pour les roues des marteaux et des soufilets de mes forges. INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINÉRAUX, Tous ceux qui connaissent un peu les bois sa vent que la gelée du printemps est le fléau des taillis; c’est elle qui, dans les endroits bas et dans les petits vallons, supprime continuelle- ment les jeunes rejetons, et empêche le bois de s'élever : en un mot, elle fait au bois un aussi grand tort qu’à toutes les autres productions de la terre; et si ce tort a jusqu'ici été moins connu, moins sensible, c’est que la jouissance d’un tail- lis étant éloignée, le propriétaire y fait moins d'attention, et se console plus aisément de la perte qu’il fait : cependant cette perte n’en est pas moins réelle, puisqu'elle recule son revenu . de plusieurs années. J'ai tâché de prévenir, au tant qu’il est possible, les mauvais effets de la gelée, en étudiant la facon dont elle agit, et j'ai fait sur cela des expériences qui m'ont appris que la gelée agit bien plus violemment à l’expo- sition du midi qu’à l'exposition du nord; qu’elle fait tout périr à l'abri du vent, tandis qu’elle épargne tout dans les endroits où il peut passer librement. Cette observation , qui est constante, fournit un moyen de préserver de la gelée quel- ques endroits des taillis, au moins pendant les deux ou trois premières années , qui sont le temps critique, et où elle les attaque avec plus d'avantage.Cemoyen consiste à observer, quand on les abat, de commencer la coupe du côté du nord, 11 est aisé d’y obliger les marchands de bois en mettant cette clause dans leur marché, et je me suis déjà très-bien trouvé d’avoir pris cette précaution pour quelques-uns de mes taillis. Un père de famille, un homme arrangé qui se trouve propriétaire d’une quantité un peu con- sidérable de bois taillis, commence par les faire arpenter, borner, diviser et mettre en coupe ré- glée; ils’imagine que c’est là le plus haut point d'économie : tous les ans il vend le même nom- bre d’arpents ; de cette façon ses bois devien- nent un revenu annuel. Il se sait bon gré de cette régle, et c’est cette apparence d’ordre qui a fait prendre faveur aux coupes réglées. Ce- pendant il s’en faut bien que ce soit la le moyen de tirer de ses taillis tout le profit qu’on en pour- rait obtenir. Ces coupes réglées ne sont bonnes que pour ceux qui ont des terres éloignées qu'ils ne peuvent visiter : la coupe réglée de leurs bois est une espèce de ferme; ils comptent sur le produit, et le reçoivent sans se donner aucun soin. Cela doit convenir à grandnombre degens; mais pour ceux dont l’habitalion se trouve 0 PARTIE EXPÉRIMENTALE. ixée à la campagne, et meme pour ceux qui y vont passer un certain temps toutes les années, il leur est facile de mieux ordonner les coupes de leurs bois taillis. En général ont peut assurer que, dans les bons terrains, on gagnera à les attendre, et que, dans les terrains où il n'y a pas de fond, il faut les couper fort jeunes ; mais il serait à souhaiter qu'on pût donner de la pré- cision à cette règle, et déterminer au juste l’âge où l’on doit couper les taillis. Cet àge est celui où l'accroissement du bois commence à dimi- uuer. Dans les premières années, le bois croit de plus en plus, c’est-à-dire que la production de la seconde année est plus considérable que celle de la première année; l’accroissement de la troisième année est plus grand que celui de la seconde : ainsi l'accroissement du bois augmente jusqu'à un certain âge, apres quoi il diminue. C’est ce point , ce Maximum , qu'il faut saisir pour tirer de son taillis tout l’avantage et tout le profit possible. Mais comment le reconnaitre ? comment s'assurer de cet instant? il n’y à que des expériences faites en grand, des expériences longues et pénibles, des expériences telles que : M. de Réaumur les a indiquées, qui puissent nous apprendre l’âge où les bois commencent à croître de moins en moins. Ces expériences con- sistent à couper et peser tous les ans le produit de quelques arpents de bois, pour comparer l'augmentation annuelle, etreconnaitre, au bout de plusieurs années, l’âge où elle commence à diminuer. J'ai fait plusieurs autres remarques sur la conservation des bois, et sur les changements qu'on devrait faire aux règlements des forêts, que je supprime comme n'ayant aucun rapport avec des matières de physique ; mais je ne dois pas passer sous silence ni cesser de recomman- der le moyen que j'ai trouvé d'augmenter la force et la solidité du bois de service, et que j'ai rapporté dans le premier article de ce Mémoire. Rien n’est plus simple; car il ne s'agit que d’é- corcer les arbres , et les laisser ainsi sécher et mürir sur pied avant que de les abattre. le cœur de chêne; il augmente considérablement de force et de densité, comme je m’en suis as- suré par un grand nombre d'expériences, et les souches de ces arbres écorcés et séchés sur pied ne laissent pas que de repousser et de repro- duire des rejetons. Ainsi il n’y a pas le moindre inconvénient à établir cette pratique, qui, en "| au- | bier devient, par cette opération, aussi dur que | 745 augmentant la force et la durée du bois mis en œuvre, doit en diminuer la consommation, et, par conséquent, doit être mise au nombre des moyens de conserver les bois, Venons mainte- nant à ceux qu'on doit employer pour les re- uouveler. Cetobjet n'est pas moins important que le premier. Combien y a-t-il, dans le royaume, de terres inutiles, de landes, de bruyères, de com- munes qui sont absolument stériles! La Bre- tagne, le Poitou, la Guyenne, la Bourgogne, la Champagne et plusieurs autres provinces ne contiennent que trop de ces terres inutiles. Quel avantage pour l’état si on pcavait les met- tre en valeur! La plupart de ces terrains étaient autrefois en nature de bois, comme je lai re- marqué dans plusieurs de ces cantons déserts, | où l’on trouve encore quelques vieilles souches presque entièrement pourries. Il est à croire qu'on a peu à peu dégradé les bois de ces ter- | rains, comme on dégrade aujourd’hui les com- munes de Bretagne, et que, par la succession des temps, on les a absolument dégarnis. Nous pouvons done raisonnablement espérer de réta- blir ce que nous avons détruit. On n'a pas de regret à voir des rochers nus, des montagnes couvertes de glace ne rien produire ; mais com- ment peut-on s’accoutumer à souffrir, au mi- lieu des meilleures provinces d’un royaume, de bonnes terres en friches , des contrées entières mortes pour l'état? Je dis de bonnes terres, parce que j'en ai vu et j’en ai fait défricher, . qui non-seulement étaient de qualité à produire de bon bois, mais même des grains de toute es- pèce. IT ne s'agirait done que de semer ou de planter ces terrains : mais il faudrait que cela pütse faire sans grande dépense ; ce qui ne laisse pas que d'avoir quelques difficultés, comme on jugera par le détail que je vais faire. Comme je souhaitais de m’instruire à fond sur la manière de semer et de planter des bois, après avoir lu le peu que nos auteurs d’agri- culture disent sur cette matière, je me suis atta- ché à quelques auteurs anglais, comme Evelyn, Miller, etc., qui me paraissaient être plus au fait, et parler d’après l'expérience. J'ai voulu d’abord suivre leurs méthodes en tout point, et j'ai planté et semé des bois à leur façon ; mais je n’ai pas été longtemps sans m’apercevoir que cette facon était ruineuse, et qu’en suivant leurs conseils, les bois, avant que d’être en âge, m'auraient coûté dix fois plus que leur valeur. J'ai reconnu alors que toutes leurs expériences avaient été faites en petit dans des jardins, dans des pépinières, ou tout au plus dans quelques pares, où l’on pouvait cultiver et soigner les jeunes arbres ; mais ce n’est point ce qu’on cher- che quand on veut planter des bois : on a bien de la peine à se résoudre à la première dépense nécessaire ; comment ne se refuserait-on pas à toutes les autres, comme celles de la culture, de l'entretien, qui d’ailleurs deviennent immen- ses lorsqu'on plante de grands cantons? J'ai donc été obligé d'abandonner ces auteurs et leurs méthodes, et de chercher à m'instruire par d’autres moyens ; et j'ai tenté une grande quantité de facons différentes, dont la plupart, je l’avouerai, ont été sans succès, mais qui du moins m'ont appris des faits, et m'ont mis sur la voie de réussir. Pour travailler, j'avais toutes les facilités qu’on peut souhaiter, des terrains de toute es- | pèce, en friche et cultivés ; une grande quan- tité de bois taillis et des pépinières d’arbres fo- restiers , où je trouvais tous les jeunes plants dont j'avais besoin. Enfin j'ai commencé par vouloir mettre en nature de bois une espèce de terrain de quatre-vingts arpents, dont il y en | avait environ vingt en friche, et soixante en terres labourables, produisant tous les ans du froment et d’autres grains, même assez abon- damment. Comme mon terrain était naturelle- ment divisé en deux parties presque égales par une haie de bois taillis, que l’une des moitiés était d’un niveau fort uni, et que la terre me paraissait être partout de même qualité, quoi- que de profondeur assez inégale, je pensai que je pourrais profiter de ces circonstances pour commencer une expérience dont le résultat est fort éloigné, mais qui sera fort utile; c’est de Savoir dans le même terrain la différence que produit sur un bois l'inégalité de profondeur du sol, afin de déterminer, plus juste que je ne lai fait ci-devant, à quel âge on doit couper les bois de futaie. Quoique j'aie commencé fort jeune, je n’espère pas que je puisse me satis- faire pleinement à cet égard, même en me sup- INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. plan tous les points où j'ai sondé, avec la note de la profondeur du terrain et de la qualité de la pierre qui se trouvait au-dessous, dont la mèche de latarière ramenait toujours des échan- tillons; et de cette façon, j'ai le plan de la su- perficie et du fond de ma plantation, plan qu'il sera aisé quelques jours de comparer avec la production *. Après cette opération préliminaire, j'ai par- tagé mon terrain en plusieurs cantons , que j'ai fait travailler différemment. Dans l’un, j'ai fait donner trois labours à la charrue, dans un au- tre, deux labours, dans un troisième, un labour seulement; dans d’autres, j'ai fait planter les glands à la pioche et sans avoir labouré ; dans d’autres , j'ai fait simplement jeter les glands, ou je les ai fait placer à la main dans l'herbe; dans d'autres, j’ai planté de petits arbres, que j'ai tirés de mes bois; dans d'autres, des arbres de même espèce, tirés de mes pépinières ; j'en ai fait semer et planter quelques-uns à un pouce de profondeur , quelques autres à six pouces ; dans d’autres, j'ai semé des glands que j'avais auparavant fait tremper dans différentes li- queurs, comme dans l’eau pure, dans de la lie de vin, dans l'eau qui s'était égouttée d’un fu- mier, dans de l’eau salée. Enfin, dans plusieurs cantons, j'ai semé des glands avec de l’avoine; dans plusieurs autres, j'en ai semé que j'avais fait germer auparavant dans la terre. Je vais rapporter en peu de mots le résultat de toutes ces épreuves, et de plusieurs autres que je sup- primeici, pour ne pas rendre cette énumération trop longue. La nature du terrain où j'ai fait ces essais m'a paru semblable dans toute son étendue ; c’est une terre fort pétrissable, un tant soit peu mélée de glaise, retenant l’eau longtemps, et se séchant assez difficilement, formant par la gelée et par la sécheresse une espèce de croûte avec plusieurs petites fentes à sa surface, pro- * Cette opération ayant été faite en 1751, et le bois semé la même année, on a recépé les jeunes plants en 1758 pour leur | donner plus de vigueur. Vingt ans après, c'est-à-dire en 4758, posant une fort longue vie; mais j'aurai au : moins le plaisir d'observer quelque chose de nouveau tous les ans : et pourquoi ne pas laisser à la postérité des expériences commencées? J'ai donc fait diviser mon terrain par quart d’ar- pent, et, à chaque angle, j'ai fait sonder la pro- ils formaient un bois dont les arbres avaient communément huit à neuf pouces de lour au pied du tronc; ona coupé ce bois la même aunée, c'est-à-dire vingt-quatre ans après l'avoir semé. Le produit n'a pas été tout à fait moitié du produit d'un bois ancien de pareil âge dans le même terrain ; mais aujourd'hui, en 1774, ce même bois, qui n'a que seize ans, est aussi garni, et produira tont aulant que les bois anciennement ! plantés; et malgré l'inégalité de la profondeur du terrain. qui varie depuis un pied et demi jusqu'à quatre pieds et demi, > Â: + ? | on ne s'aperçoit d'aucune différence dans la grosseur des ba- fondeur avec ma tarière ; j'ai rapporté sur un liveanx réservés dans le taillis. PARTIE EXPLRIMENTALE. grande quantité | duisant naturellement une d’hièbles dans les endroits cultivés, et de geniè- vres dans les endroits en friche. Ce terrain est environné de tous côtés de bois d’une belle ve- nue. J'ai fait semer avec soin tous les glands un à un, et à un pied de distance les uns des au- tres, de sorte qu'il en est entré environ douze mesures ou boisseaux de Paris dans chaque ar- pent. Je crois qu'il est nécessaire de rapporter ces faits pour qu'on puisse juger plus sainement de ceux qui doivent suivre. L'année d’après, j'ai observé avec grande at- tention l’état de ma plantation, et j'ai reconnu que, dans le canton dont j’espérais le plus , et que j'avais fait labourer trois fois, et semer avant l'hiver, la plus grande partie des glands n’a- vaient pas levé ; les pluies de l'hiver avaient tel- lement battu et corroyé la terre, qu'ils n'avaient pu percer : le petit nombre de ceux qui avaient pu trouver issue n'avait paru que fort tard, environ à la fin de juin ; ils étaient faibles, efli- lés, la feuille était jaunâtre, languissante, et ils étaient si loin les uns des autres, le canton était si peu garni, que j’eus quelque regret aux soins qu’ils avaient coûté. Le canton qui n’avait eu que deux labours, et qui avait aussi été semé avant l'hiver, ressemblait assezau premier ; ce- pendant il y avait un plus grand nombre de jeunes chènes, parce que la terre était moins divisée par le labour, la pluie n'avait pa la bat- treautant que celle du premier canton. Le troi- sième, qui n'avait eu qu'un seul labour, était, par la même raison, un peu mieux peuplé que le second ; mais cependant il l'était si mal, que plus des trois quarts de mes glands avaient encore manqué. Cette épreuve me fit connaitre que, dans les terrains forts et mêlés de glaise, il ne faut pas labourer et semer avant l’hiver : j’en fus entie- rement convaineu en jetant les yeux sur les au- tres cantons. Ceux que j'avais fait labourer et semer au printemps étaient bien miéux gar- nis : mais ce qui me surprit, c’est que les en- droits où j'avais fait planter le gland à la pio- che, sans aucune culture précédente, étaient considérablement plus peuplés que les autres ; ceux même où l’on n'avait fait que cacher les glands sous l'herbe étaient assez bien fournis, quoique les mulots, les pigeons ramiers, et d’au- tres animaux en eussent emporté une grande quantité. Les cantons où les glands avaient été semés à six pouces de profondeur se trouvè- —————____—_——_—_—_—_————————__——— ——…——…—…—————…—"— 747 rent beaucoup moins garnis que ceux où on les avait fait semer à un pouce ou deux de profon- deur. Dans un petit canton où j'en avais fait semer à un pied de profondeur, il n’en parut pas un, quoique, dans un autre endroit où j'en avais fait mettre à neuf pouces, il en eût levé plusieurs. Ceux qui avaient été trempés pendant huit jours dans la lie de vin et dans l’égout du fumier sortirent de terre plustôt que les autres. Presque tous les arbres, gros et petits, que j’a- vais fait tirer de mes taillis, ont péri à la pre- mière ou à la seconde année, tandis que ceux que j'avais tirés de mes pépinières ont presque tous réussi. Mais ce qui me donna le plus de sa- tisfaction , ce fut le canton où j'avais fait plan- ter au printemps les glands que j'avais fait au- paravant germer dans la terre; il n’en avait presque point manqué : à la vérité ils ont levé plus tard que les autres, ce que j’attribue à ce qu’en les transportant ainsi tout germés, on cassa Ja radicule de plusieurs de ces glands. Les années suivantes n’ont apporté aucun changement à ce qui s’est annoncé dès la pre- mièreannée. Lesjeunes chênes du canton labouré trois fois sont demeurés toujours un peu au-des- sous des autres : ainsi je crois pouvoir assurer que, pour semer une terre forte et glaiseuse, il faut conserver ie gland pendant l’hiver daos la terre, en faisant un lit de deux pouces de glands sur un lit de terre d’undemi-pied, puis un lit de terre et un lit de glands, toujours alternative- ment, et enfin en couvrant le magasin d’un pied de terre pour que la gelée ne puisse y pénétrer. On en tirera le gland au commencement de mars, et on le plantera à un pied de distance. Ces glands, qui ont germé, sont déjà autant de jeunes chènes, et le succès d’une plantation faite de cette façon n’est pas douteux; la dé- pense même n’est pas considérable , car il ne faut qu’un seul labour. Si l’on pouvait se garan- tir des mulots et des oiseaux , on réussirait tout de même et sans aucune dépense, en mettant eu automne le glana sous l’herbe; car il perce et s’enfonce de lui-même, et réussit à merveille sans aucune culture dans les friches dont le gazon est fin, serré et bien garni; ce qui indi- que presque toujours un terrain ferme et glai- seux. Comme je pense que la meilleure façon de semer du bois dans un terrain fort et mêlé de glaise est de faire germer les glands dans la terre, il est bon de rassurer sur le petit incon- 748 vénient dont j'ai parlé. On transporte le gland wermé dans des mannequins, des corbcilles, des paniers, et on ne peut éviter de rompre la radi- cule de plusieurs de ces glands : mais cela ne leur fait d'autre mal que de retarder leur sortie de terre de quinze jours ou trois semaines ; ce qui même n’est pas un mal, parce qu'on évite par là celui que la gelée des matinées de mai fait aux graines qui ont levé de bonne heure, et qui est bien plus considérable. J'ai pris des glands germés auxquels j'ai coupé le tiers, la moitié, les trois quarts, et même toute la radi- cule; je les ai semés dans un jardin où je pou- vais les observer à toute heure:ils ont tous levé, mais les plus mutilés ont levé les derniers. Jai semé d’autres glands germés auxquels, outre la radicule, j'avais encore ôté l’un des lobes; ils ont encore levé : mais si on retranche les deux lobes ou si l’on coupe la plume , qui est la par- tie essentielle de l'embryon végétal, ils péris- sent également. Dans l’autre moitié de mon terrain, dont je n'ai pas encore parlé, il y a un canton dont la terre est bien moins forte que celle que j'ai dé- crite, et où elle est même mélée de quelques pierres à un pied de profondeur; c'était un champ qui rapportait beaucoup de grain , et qui avait été bien cultivé. Je le fis labourer avant l'hiver ; et aux mois de novembre, décembre et février, j'y plantai une collection nombreuse de toutes les espèces d'arbres des forêts, que je fis ! arracher dans mes bois taillis de toute gran- deur, depuis trois pieds jusqu’à dix et douze de hauteur. Une grande partie de ces arbres n’a pas repris; et de ceux qui ont poussé à la pre- mière sève, un grand nombre a péri pendant les chaleurs du mois d’août; plusieurs ont péri à la seconde, et encore d'autres la troisième et la quatrième année : de sorte que de tous ces ar- bres , quoique plantés et arrachés avec soin, et méme avec des précautions peu communes, il ne m'est resté que des cerisiers, des alisiers, des cormiers , des frénes et des ormes; encore les alisiers et les frènes sont-ils languissants , ils n’ont pas augmenté d'un pied de hauteur en cinq ans; les cormiers sont plus vigoureux, mais les merisiers et les ormes sont ceux qui de tuus ont le mieux réussi. Cette terre se couvrit pen- dant l'été d’une prodigieuse quantité de mau- vaises herbes, dont les racines détruisirent plu- sieurs de mes arbres. Je fis semer aussi dans ce canton des glands germés; les mauvaises her- INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINERAUX. bes en étouffèrent une grande partie. Ainsi je crois que, dans les bons terrains qui sont d’une nature moyenne entre les terres fortes et les terres légères, il convient de semer de l’avoine avec les glands, pour prévenir la naissance des mauvaises herbes, dont la plupart sont vivaces, et qui font beaucoup plus de tort aux jeunes chènes que l’avoine qui cesse de pousserdes ra- cines au mois de juillet. Cette observation est sûre; car dans le même terrain les glands que j'avais fait semer avec l’avoine avaient mieux réussi que les autres. Dans le reste de mon ter- rain, j'ai fait planter de jeunes chènes, de l'or- mille et d’autres jeunes plants, tirés de mes pé- pinières, qui ont bien réussi : ainsi je crois pou- voir conclure, avec connaissance de cause, que c’est perdre de l'argent et du temps, que de faire arracher de jeunes arbres dans les bois, pour les transplanter dans des endroits où on estobligé de les abandonner et de les laissersans culture, et que quand on veut faire des plan- tations considérables d’autres arbres que de chêne ou de hêtre, dont les graines sont fortes, et surmontent presque tous les obstacles, il faut des pépinières où l’on puisse élever et soigner les jeunes arbres pendant les deux premières années ; après quoi on les pourra planter avec succès pour faire du bois. M'étant done un peu instruit à mes dépens en faisant cette plantation, j'entrepris, l’année suivante, d’en faire une autre presque aussi con- sidérable, dans un terrain tout différent; la | A PES 112 . | terre y est sèche, légère, mêlée degrawvier, et le sol n'a pas huit pouces de profondeur, au-des- sous duquel on trouve la pierre, y fis aussi un | grand nombre d'épreuves, dont je nerapporterai pas le détail; je me contenterai d’avertir qu’il faut labourer ces terrains, et les semer avant l'hiver. Si l’on ne sème qu’au printemps, la cha- leur du soleil fait périr les graines : si on se con- tente de les jeter ou de les placer sur la terre, comme dans les terrains forts, elles se dessè- chent et périssent, parce que l'herbe qui fait le gazon de ces terres légères n’est pas assez gar- nie et assez épaisse pour les garantir de la gelée pendant l’hiver et de l’ardeur du soleil au prin- temps. Les jeunes arbres arrachés dans les bois réussissent encore moins dans ces terrains que dans les terres fortes; et si on veut les planter, il faut le faire avant l'hiver avec de jeunes plants pris en pépinière. Je ne dois pas oublier de rapporter une ex- PARTIE EXPÉRIMENTALE. 749 périence qui à un rapport immédiat avec notre sujet. J'avais envie de connaitre les espèces de terrains qui sont absolument contraires à la végétation, et pour cela j'ai fait remplir une demi-douzaine de grandes caisses à mettre des orangers, de matières toutes différentes : la première, de glaise bleue ; la seconde, de gra- viers gros comme des noisettes ; la troisième, de glaise de couleur d'orange ; la quatrième, d'ar- gile blanche; la cinquième, de sable blane, et la sixième,de fumier de vache bien pourri.J’aisemé dans chacune de ces caisses un nombre égal de glands, de châtaignes, et de graines de frênes , et j'ai laissé lescaisses à l’air sans les soigner et sans les arroser : la graine de frène n’a levé dans aucune de ces terres ; les châtaignes ont levé et ont vécu, mais sans faire de progrès dans la caisse de glaise bleue. A l'égard des glands, il en a levé une grande quantité dans toutes les caisses, à l'exception de celle qui con- tenait la glaise orangée qui n’arien produit du tout. J'ai observé que les jeunes chènes qui avaient levé dans la glaise bleue et dans l’ar- gile, quoique un peu effilés au sommet, étaient forts et vigoureux en comparaison des autres ; ceux qui étaient dans le fumier pourri, dans le sable et dans le gravier, étaient faibles, avaient la feuille jaune et paraissaient languis- sants. En automne, j’en fis enlever deux dans chaque caisse : l’état des racines répondait à celui de la tige ; car dans les glaises la racine était forte, et n’était proprement qu'un pivot gros et ferme, long de trois à quatre pouces, qui n'avait qu'une ou deux ramifications. Dans le gravier, au contraire, et dans le sable, la racine s'était fort allongée, et s'était prodigieu- sement divisée ; elleressemblait, si je puis m'ex- primer ainsi, à une longue coupe de cheveux. Dans le fumier, la racine n'avait guère qu’un pouce ou deux de longueur, et s'était divisée, dès sa naissance, en deux ou trois cornes cour- tes et faibles. Il est aisé de donner les raisons de ces différences; mais je ne veux ici tirer de cette expérience qu'une vérité utile, c’est que le gland peut venir dans tous les terrains. Je ne dissimulerai pas cependant que j'ai vu dans plusieurs provinces de France des terrains d’une vasteétendue couverts d’une petite espèce de bruyère, où je n’ai pas vu un chêne, niaueune autre espèce d'arbres. La terre de ces cantons est légère comme de la cendre noire, pou- dreuse, sans aucune liaison. J'ai fait ultérieu- rement des expériences sur ces espèces de ter- res, que je rapporterai dans la suite de ce Mé- moire, et qui m'ont convaincu que, si les chênes n’y peuvent croître, les pins, les sapins, et peut- être quelques autres arbres utiles, peuvent y ve- nir. J'ai élevé de graine, et je cultive actuelle- ment une grande quantité de ces arbres : j'ai remarqué qu'ils demandent un terrain sembla- ble à celui que je viens de décrire. Je suis donc persuadé qu'il n’y à point de terrain, quelque mauvais, quelque ingrat qu’il paraisse, dont on nedüt tirer parti, même pour planter des bois: il ne s'agirait que de connaître les espèces d'arbres qui conviendraient aux différents terrains. ARTICLE IV. SUR LA CULTURE ET L'EXPLOITATION DES FORÊTS. Dans les arts qui sont de nécessité premiere, tels que l’agriculture, les hommes, mème les plus grossiers, arrivent, à force d'expériences, à des pratiques utiles : la manière de cultiver le blé, la vigne, les légumes et les autres pro- ductions de la terre que l’on recueille tous les ans, est mieux et plus généralement connue que la facon d'entretenir et cultiver une forêt ; et quand même la culture des champs serait dé- fectueuse à plusieurs égards, il est pourtant certain que les usages établis sont fondés sur des expériences continuellement répétées, dont les résultats sont des espèces d’approximations du vrai. Le cultivateur, éclairé par un intérêt toujours nouveau, apprend à ne pas se trom- per, où du moins à se tromper peu sur les moyens de rendre son terrain plus fertile. Ce mème intérêt se trouvant partout, il se- rait naturel de penser que ls hommes ont donné quelque attention à la culture des bois : cepen- dant rien n’est moins connu, rien n’est plus négligé ; le bois parait être un présent de la nature , qu'il suffit de recevoir tel qu'il sort de ses mains. La nécessité de le faire valoir ne s'est pas fait sentir, et la manière d’en jouir n'étant pas fondée sur des expériences assez répétées, on ignore jusqu'aux moyens les plus simples de conserver les forêts, et d'augmenter leur produit. Je n’ai garde de vouloir insinuer par là que les recherches et les observations que j’ai faites sur cette matière soient des découvertes admi- rables ; je dois avertir au contraire que ce sont 750 des choses communes, mais que leur utilité peut rendre importantes. Jai déjà donné, dans l’article précédent, mes vues sur ce sujet; je vais, dans celui-ci, étendre ces vues, en pré- sentant de nouveaux faits. Le produit d’un terrain peut se mesurer par la culture : plus la terre est travaillée, plus elle rapporte de fruits ; mais cette vérité, d’ailleurs si utile, souffre quelques exceptions, et, dans les bois, une culture prématurée et mal enten- due cause la disette au lieu de produire l'abon- dance : par exemple, on imagine, et je lai cru longtemps, que la meilleure manière de mettre un terrain en nature de bois est de nettoyer ce terrain, et de le bien cultiver avant que de semer le gland ou les autres graines qui doivent un jour le couvrir de bois, et je n’ai été désa- busé de ce préjugé, qui parait si raisonnable, que par une longue suite d'observations. J’ai fait des semis considérables et des plantations assez vastes; je les ai faites avec précaution; j'ai souvent fait arracher les genièvres, les bruyères, et jusqu'aux moindres plantes que je regardais comme nuisibles, pour cultiver à fond et par plusieurs labours les terrains que je voulais ensemencer. Je ne doutais pas du suc- cès d’un semis fait avec tous ces soins; mais, au bout de quelques années, j'ai reconnu que ces mêmes soins n'avaient servi qu'à retarder l'accroissement de mes jeunes plants, et que cette culture précédente, qui m'avait donné tant d'espérance , m'avait causé des pertes con- sidérables : ordinairement on dépense pour ac- quérir, iei la dépense nuit à l’acquisition. Si l’on veut donc réussir à faire croître du bois dans un terrain de quelque qualité qu'il soit, il faut imiter la nature; il faut y planter et y semer des épines et des buissons qui puis- sent rompre la force du vent, diminuer celle de la gelée et s'opposer à lPintempérie des saisons ; ces buissons sont des abris qui garantissent les jeunes plants , et les protégent contre l’ardeur du soleil et la rigueur des frimas. Un terrain couvert, ou plutôt à demi couvert de genièvres, de bruyères, est un bois à moitié fait, et qui a peut-être dix ans d'avance sur un terrain net et cultivé. Voici les observations qui m’en ont assuré. J'ai deux pièces de terre d'environ quarante arpents chacune, semées en bois depuis neuf ans : ces deux pièces sont environnées de tous côtés de bois taillis. L'une des deux était un INFRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. champ cultivé. On a semé également et en même temps plusieurs cantons dans cette pièce, les uns dans le milieu de la pièce, les autres le long des boïs taillis; tous les cantons du milieu sont dépeuplés, tous ceux qui avoisinent le bois sont bien garnis. Cette différence n’était pas sensible à la première année, pas même à la seconde ; mais je me suis aperçu, à la troisième année, d’une petite diminution dans le nombre des jeunes plants du canton du milieu; et les ayant observés exactement, j'ai vu qu’à chaque été et à chaque hiver des années suivantes, il en a péri considérablement, et les fortes gelées de 1740 ont achevé de désoler ces cantons, tan- dis que tout est florissant dans les parties qui s'étendent le long des bois taillis; les jeunes arbres y sont verts, vigoureux, plantés tous les uns contre les autres, et ils se sont élevés sans aueune culture à quatre ou cinq pieds de hau- teur. Il est évident qu’ils doivent leur accrois- sement au bois voisin qui leur a servi d’abri contre les injures des saisons. Cette pièce de quarante arpents est actuellement environnée d’une lisière de cinq à six perches de largeur d’un bois naissant qui donne les plus belles es- pérances ; à mesure qu’on s'éloigne pour gagner le milieu, le terrain est moins garni, et, quand on arrive à douze ou quinze perches de distance des bois taillis, à peine s’aperçoit-on qu’il ait été planté. L'exposition trop découverte est la seule cause de cette différence ; car le terrain est absolument le même au milieu de la pièce etlelong du bois ; ces terrains avaient en même temps recu les mêmes cultures; ils avaient été semés de la même facon et avec les mêmes grai- nes. J’ai eu occasion de répéter cette observa- tion dans des semis encore plus vastes, où j'ai reconnu que le milieu des pièces est toujours dégarni, et que, quelque attention qu’on ait à resemer cettepartie du terrain tous les ans, elle ne peut se couvrir de bois, et reste en pure perte au propriétaire. Pour remédier à cet inconvénient, j'ai fait faire deux fossés qui se coupent à angles droits dans le milieu de ces pièces, et j'ai fait planter des épines, du peuplier et d’autres bois blancs tout le long de ces fossés : cet abri, quoique léger, a suffi pour garantir les jeunes plants voisins du fossé; et par cette petite dépense j'ai prévenu la perte totale de la plus grande partie de ma plantation. L'autre pièce de quarante arpents, dont j'ai PARTIE EXPERIMENTALE. 751 rlé, était, avant la plantation, composée de ! de plantes des boutures de peuplier, ou quel- parie, ; P ; Il ; vingt arpents d’un terrain net et bien cultivé, et de vingt autres arpents en friche et recou- verts d’un grand nombre de genièvres et d’épi- nes : j'ai fait semer en même temps la plus grande partie de ces deux terrains; mais comme on ne pouvait pas cultiver celui qui était cou- vert de genièvres, je me suis contenté d'y faire jeter des glands à la main sous les genièvres, et j'ai fait mettre , dans les places découvertes, le gland sous le gazon au moyen d’un seul coup de pioche ; on y avait même épargné la graine dans l'incertitude du succès, et je l’avais fait prodiguer dans le terrain cultivé. L'événement a été tout différent de ce que j'avais pensé; le terrain découvert et cultivé se couvrit à la pre- | mière année d'une grande quantité de jeunes chênes, mais peu à peu cette quantité a diminué, et elle serait aujourd’hui presque réduite à rien, conserver le reste. Le terrain, au contraire, qui | était couvert d'épines et de genièvres , est de- venu en neuf ans un petit bois, où les jeunes | chênes se sont élevés à cinq à six pieds de hau- teur. Cette observation prouve, encore mieux que la première, combien l’abri est nécessaire à la conservation et à l'accroissement des jeunes | plants; ear je n’ai conservé ceux qui étaient dans le terrain trop découvert qu’en plantant au printemps des boutures de peupliers et des épines, qui, après avoir pris racine, ont fait | un peu de couvert, et ont défendu les jeunes chènes trop faibles pour résister par eux-mêmes à la rigueur des saisons. Pour convertir en bois un champ, ou tout autre terrain cultivé, le plus difficile est donc de faire du couvert. Si l’on abandonne un champ, il faut vingt ou trente ans à la nature pour y faire croître des épines et des bruyères ; ici il faut une culture qui, dans un an ou deux, puisse mettre le terrain au même état où il se trouve après une non-culture de vingt ans. J'ai fait à ce sujet différentes tentatives; j'ai fait semer de l’épine , du genièvre et plusieurs autres graines avec le gland : mais il faut trop de temps à ces graines pour lever et s'élever ; la plupart demeurent en terre pendant deux ans, et j'ai aussi inutilement essayé des graines qui me paraissent plus hâtives; il n’y a que la graine de marseau qui réussisse et qui croisse assez promptement sans culture : mais je n'ai rien trouvé de mieux, pour faire du couvert, que ques pieds de tremble en même temps qu'on sème le gland dans un terrain humide, et, dans des terrains secs, des épines, du sureau et quel- ques pieds de sumach de Virginie: ce dermer arbre surtout, qui est à peine connu des gens qui ne sont pas botanistes, se multiplie de re- jetons avec une telle facilité, qu'il suffira d’en mettre un pied dans un jardin pour que tous les ans on puisse en porter un grand nombre dans ses plantations, et les racines de cet arbre s'étendent si loin, qu'il n’en faut qu’une dou- zaine de pieds par arpent pour avoir du cou- vert au bout de trois ou quatre ans : on obser- vera seulement de les faire couper jusqu’à terre à la seconde année, afin de faire pousser un plus grand nombrederejetons. Après le sumach, le tremble est le meilleur ; car il pousse des re- | jetons à quarante ou cinquante pas, et j'ai garni sans les soins que je me suis donnés pour en | plusieurs endroits de mes plantations , en fai- sant seulement abattre quelques trembles qui s’y trouvaient par hasard. IL est vrai que cet arbre ne se transplante pas aisément, ce qui doit faire préférer le sumach ; de tous les arbres que je connais, c’est le seul qui, sans aucune culture, croisse et se multiplie au point de gar- nir un terrain en aussi peu de temps ; ses raci- nes courent presque à la surface de la terre, ainsi elles ne font aucun tort à celles des jeunes chènes qui pivotent et s’enfoncent dans la pro- fondeur du sol. On ne doit pas craindre que ce sumach ou les autres mauvaises espèces de bois, comme le tremble, le peuplier et le marseau, puissent nuire aux bonnes espèces, comme le chêne et le hêtre: ceux-ci ne sont faibles que dans leur jeunesse ; et après avoir passé les pre- mières années à l'ombre et à l'abri des autres arbres, bientôt ils s’éléveront au-dessus, et, de- venant plus forts, ils étoufferont tout ce qui les environnera, Je l’ai dit, et je le répète : on ne peut trop cultiver la terre , lorsqu'elle nous rend tous les ans le fruit de nos travaux; mais lorsqu'il faut attendre vingt-cinq ou trente ans pour jouir, lorsqu’il faut faire une dépense considérable pour arriver à cette jouissance, ona raison d’exa- miner, on a peut-être raison de se dégoüter. Le fonds ne vaut que par le revenu, et quelle dif- férence d’un revenu annuel à un revenu éloigné, mème incertain ! J'ai voulu m’assurer, par des expériences con- stantes, des avantages de la culture par rap- 752 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MIN ÉRAUX. port au bois, et, pour arriver à des connais- | surpris lorsque je dirai qu’à la première année, sances précises, j'ai fait semer dans un jardin quelques glands de ceux que je semais en même temps et en quantité dans mes bois; j’ai aban- donné ceux-ci aux soins de la nature, et j'ai cultivé ceux-là avec toutes les recherches de l'art, En cinq années les chênes de mon jardin avaient acquis une tige de dix pieds, et de deux à trois pouces de diamètre, et une tête assez formée pour pouvoir se mettre aisément à l’om- bre dessous ; quelques-uns de ces arbres ont même donné, dès la cinquième année, du fruit qui, étant semé au pied de ses pères, a produit d’autres arbres redevables de leur naissance à la force d’une culture assidue et étudiée. Les chênes de mes bois, semés en même temps, n'avaient, après cinq ans, que deux ou trois pieds de hauteur (je parle des plus vigoureux , car le plus grand nombre n'avaient pas un pied) : leur tige était à peu près grosse comme le doigt; leur forme était celle d’un petit buisson; leur mauvaise figure , loin d'annoncer de la posté- rité, laissait douter s'ils auraient assez de force pour se conserver eux-mêmes. Encouragé par ces succès de culture, et ne pouvant souffrir les avortons de mes bois, lorsque je Les compa- rais aux arbres de mon jardin, je cherchai à me tromper moi-même sur la dépense , et j'entre- pris de faire dans mes bois un canton assez considérable , où j'élèverais les arbres avec les mêmes soins que dans mon jardin : il ne s’agis- sait pas moins que de faire fouiller la terre à deux pieds et demi de profondeur, de la culti- ver d’abord comme ou cultive un jardin, et pour amélioration de faire conduire dans ce terrain, qui me paraissait un peu trop ferme et trop froid, plus de deux cents voitures de mau- outre les ennemis que j'eus à combattre, comme les mulots, les oiseaux, etc., la quantité des mauvaises herbes fut si grande, qu’on était obligé de sarcler continuellement, et qu’en le faisant à la main et avec la plus grande précau- tion, on ne pouvait cependant s'empêcher de déranger les racines des petits arbres naissants, ce qui leur causait un préjudice sensible. Je me souvins alors, mais trop tard, de la remarque des jardiniers qui, la première année, n’atten- dent rien d’un jardin neuf, et qui ont bien de la peine, dans les trois premières années, à purger le terrain des mauvaises herbes dont ii est rempli. Mais ce ne fut pas la le plus grand inconvénient : l’eau me manqua pendant Pété ; et ne pouvant arroser mes jeunes plants, ils en souffrirent d'autant plus qu'ils y avaient été ac- coutumés au printemps : d’ailleurs, le grand soin avec lequel on ôtait les mauvaises herbes, par de petits labours réitérés, avait rendu le terrain net, et sur la fin de l’été la terre était devenue brülante et d’une sécheresse affreuse ; ce qui ne serait point arrivé si on ne l'avait pas cultivée aussi souvent, et si on eüùt laissé les mauvaises herbes qui avaient crû depuis le mois de juillet. Mais le tort irréparable fut celui que | causa la gelée du printemps suivant : mon ter- ain , quoique bien situé, n'était pas assez éloi- gné des bois pour que la transpiration des feuilles naissantes des arbres ne se répandit pas sur mes jeunes plants; cette humidité, accom- pagnée d’un vent du nord, les fit geler au 16 | de mai, et dés ce jour je perdis presque toutes vais bois de recoupe et de copeaux que je fis brûler sur la place, et dont on mêla les cendres avec la terre. Cette dépense allait déjà beau- coup au delà du quadruple de la valeur du fonds; mais je me satisfaisais, et je voulais avoir du bois en cinq ans. Mes espérances étaient fon- dées sur ma propre expérience, sur la nature d'un terrain choisi entre cent autres terrains , et plus encore sur la résolution de ne rien épar- gner pour réussir; car c'était une expérience : cependant elles ont été trompées; j'ai été con- traint, dès la première année, de renoncer à | mes idées , et à la troisième j'ai abandonné ce terrain avec un dégoût égal à l’empressement que j'avais eu pour le cultiver, On n’en sera pas mes espérances. Cependant je ne voulus point encore abandonner entierement mon projet; je tâchai de remédier au mal causé par la gelée, en faisant couper toutes les parties mortes ou malades. Cette opération fitun grand bien; mes jeunes arbres reprirent de la vigueur, et, comme je n'avais qu’une certaine quantité d’eau à leur donner, je la réservai pour le besoin pressant ; je diminuai aussi le nombre des labours, crainte de trop dessécher la terre, et je fus assez con- tent du succès de ces petites attentions : la sève d'août fut abondante, et mes jeunes plants poussèrent plus vigoureusement qu'au prin- temps. Mais le but principal était manqué; le grand et prompt accroissement que je désirais se réduisit au quart de ce que j'avais espéré et de ce que j'avais vu dans mon jardin : cela ra- lentit beaucoup mon ardeur, et je me contentai, PARTIE EXPÉRIMENTALE. 753 après avoir fait un peu élaguer mes jeunes plants, de leur donner deux labours l’année suivante , et encore y eut-il un espace d’envi- ron un quart d’arpent qui fut oublié et qui ne reçut aucune culture. Cet oubli me valut une connaissance; car j'observai avec quelque sur- prise que les jeunes plants de ce canton étaient aussi vigoureux que ceux du canton cultivé; et cette remarque changea mes idées au sujet de la culture , et me fit abandonner ce terrain qui | m'avait tant coûté. Avant que de le quitter, je dois avertir que ces cultures ont cependant fait avancer considérablement l'accroissement des jeunes arbres, et que je ne me suis trompé sur cela que du plus au moins. Mais la grande er- reur de tout ceci est la dépense : le produit n’est point du tout proportionné , et plus on répand d'argent dans un terrain qu’on veut convertir en bois, plus on se trompe; c'est un intérèt qui décroit à mesure qu'on fait de plus grands fonds. 11 faut donc tourner ses vues d’un autre côté ; la dépense devenant trop forte, il faut renoncer à ces cultures extraordinaires, et même à ces cultures qu'on donne ordinairement aux jeunes piants deux fois l’année en serfouillant légère- ment la terre à leur pied : en outre des inconvé- nients réels de cette dernière espèce de culture, celui de la dépense est suffisant pour qu’on s’en dégoûte aisément, surtout si l’on peut y sub- stituer quelque chose de meilleur et qui coute beaucoup moins. Le moyen de suppléer aux labours et pres- que à toutes les autres espèces de cultures, c’est decouperles jeunes plants jusqu’auprèsdeterre : ce moyen, tout simple qu’il parait, est d’une utilité infinie, et, lorsqu'il est mis en œuvre à propos, il accélère de plusieurs années le succès d'une plantation. Qu’on me permette, à ce su- jet, uu peu de détail, qui peut-être ne déplaira pas aux amateurs de l’agriculture. Tous les terrains peuvent se réduire à deux espèces, savoir, les terrains forts et les terrains légers : cette division, quelque générale qu’elle soit, suffit à mon dessein. Si l’on veut semer dans un terrain léger, on peut le faire labourer ; cette opération fait d'autant plus d'effet et cause d’autant moins de dépense que le terrain estplus léger ; il ne faut qu’un seul labour, et on sème le gland eu suivant la charrue. Comme ces ter- raius sont ordinairement secs et brülants, il ne faut point arracher les mauvaises herbes que Le produit l'été suivant; elles entretiennent une fraicheur bienfaisante et garantissent les petits chènes de l’ardeur du soleil ; ensuite, venant à périr et à sécher pendant l'automne, elles ser- vent de chaume et d’abri pendant l'hiver, et empêchent les racines de geler : il ne faut done aucune espèce de culture dans ces terrains sa- blonneux. J'ai semé en bois un grand nombre d’arpents de cette nature de terrain, et j'ai réussi au delà de mes espérances : les racines des jeu- nes arbres, trouvant une terre légère et aisée à diviser, s'étendent et profitent de tous les sucs qui leur sont offerts; les pluies et les rosées pé- nètrent facilement jusqu'aux racines. Ilne faut qu'un peu de couvert et d’abri pour faire reus- sir un semis dans des terrains de cette espece : mais il est bien plus difficile de faire croitre du bois dans des terrains forts, et il faut une pra- tique toute différente. Dans ces terrains les pre- miers labours sont inutiles et souvent nuisibles; la meilleure manière est de planter les glands à la pioche sans aucune culture précédente : mais il ne faut pas les abandonner comme les premiers, au point de les perdre de vue et de n’y plus penser ; il faut au contraire les visiter souvent; il faut observer la hauteur à laquelle ils se seront élevés la première année, obser- ver ensuite s'ils ont poussé plus vigoureuse- ment à la seconde année qu’à la première, et à la troisième qu'à la seconde. Tant que l’ac- croissement va en augmentant ,; Où même tant qu’il se soutient sur le même pied , il ne faut pas y toucher : mais on s’apercevra ordinai- rement, à la troisième année , que l’accroisse- ment va en diminuant, et si on attend la qua- trième, la cinquième, la sixième, ete., on re- connaltra que l’accroissement de chaque année est toujours plus petit. Ainsi, dès qu’on s’aper- cevra que, sans qu'il y ait eu de gelées ou d’au- tres accidents, les jeunes arbres commencent à croître de moins en moins, il faut les faire cou- per jusqu’à terre au mois de mars, ct l'on ga- gnera un grand nombre d'années. Le jeune ar- bre, livré à lui-même dans un terrain fort et serré, ne peut étendre ses racines; la terre trop dure les fait refouler sur elles-mêmes; les petits filets tendres et herbacés qui doivent nourrir l'arbre et former la nouvelle production de l'an- née ne peuvent pénétrer la substance trop ferme de la terre. Ainsi l’arbre languit privé de nour- riture, et la production annuelle diminue sou- vent jusqu’au point de ne donner que des feuil- 45 7354 les et quelques boutons. Si vous coupez cet arbre, toute la force de la sève se porte aux ra- cines, en développe tous les germes, et, agis- sant avec plus de puissance contre le terrain qui leur résiste, les jeunes racines s’ouvrent des chemins nouveaux, et divisent, par le surcroit de leur force, cette terre qu’elles avaient jus- qu’alors vainement attaquée; elles y trouvent abondamment des sucs nourriciers ; et, dès qu’elles sont établies dans ee nouveau pays , elles poussent avec vigueur au dehors la sura- bondance de leur nourriture, et produisent, dès la première année, un jet plus vigoureux et plus élevé que ne l’était l’ancienne tige de troisans. J'ai si souvent réitéré cette expérience, que je dois la donner comme un fait sûr, et comme la pratique la plus utile que je connaisse dans la culture des bois. Dans un terrain qui n’est que ferme sans être trop dur, il suffira de recéper une seule fois les jeunes plants pour les faire réussir. J’ai des cantons assez considérables d’une terre ferme el pétrissable, où les jeunes plants n'ont été coupés qu’une fois, où ils croissent à merveille, et où j'aurai du bois taillis prét à couper dans quelques années. Mais j’ai remarqué, dans un autre endroit où la terre est extrémement forte et dure, qu'ayant fait couper à la seconde année mes jeunes plants, parce qu’ils étaient languis- sants, cela n’a pas empêché qu’au bout de quatre autres années on n’ait été obligé de les couper une seconde fois, et je vais rapporter une autre expérience qui fera voir la nécessité de couper deux fois dans de certains cas. J'ai fait planter depuis dix ans un nombre très-considérable d’arbres de plusieurs espè- ces, comme des ormes, des frênes, des char- mes, etc. La première année, tous ceux qui re- prirent poussérent assez vigoureusement ; la seconde année ils ont poussé plus faiblement ; la troisième année, plus languissamment ; ceux qui me parurent les plus malades étaient ceux qui étaient les plus gros et les plus âgés lorsque je les fis transplanter. Je voyais que la racine n'avait pas la force de nourrir ces grandes tiges. Cela me détermina à les faire couper; je fis faire la même opération aux plus petits les années suivantes, parce que leur langueur devint telle que, sans un prompt secours, elle ne laissait plus rien à espérer. Cette première coupe re- nouvela mes arbres et leur donna beaucoup de vigueur, surtout pendant les deux premières INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. années; mais à la troisième je m’aperçus d’un peu de diminution dans l'accroissement : je l’at- tribuai d’abord à la température des saisons de cette année, qui n'avait pas été aussi favorable que celle des années précédentes ; mais je re- connus clairement pendant l’année suivante , qui fut heureuse pour les plantes, que le mal n'avait pas été causé par la seule intempérie des saisons ; l’accroissement de mes arbres conti- nuait à diminuer, et aurait toujours diminué, comme je m’en suis assuré en laissant sur pied quelques-uns d’entre eux, si je ne les avais pas fait couper une seconde fois. Quatre ans se sont écoulés depuis cette seconde coupe, sans qu’il y ait eu de diminution dans l'accroissement , et ces arbres, qui sont plantés dans un terrain qui est en friche depuis plus de vingt ans, et qui n’ont jamais été cultivés au pied, ont autant de force, et la feuille aussi verte que des arbres de pépinière : preuve évidente que la coupe faite à propos peut suppléer à toute autre culture. Les auteurs d'agriculture sont bien éloignés de penser comme nous sur ce sujet ; ils répètent tous les uns après les autres que, pour avoir une futaie, pour avoir des arbres d’une belle venue, il faut bien se garder de couper le sommet des jeunes plants, et qu’il faut conserver avec grand soin le montant, c’est-à-dire le jet prin- cipal. Ce conseil n’est bon que dans de certains cas particuliers ; mais il est généralement vrai, et je puis l’assurer, après un très-grand nom- bre d’expériences , que rien n’est plus efficace pour redresser les arbres , et pour leur donner une tige droite et nette, que la coupe faite au pied. J’ai même observé souvent que lesfutaies venues de graines ou de jeunes plants n'étaient pas si belles ni si droites que les futaies venues sur les jeunes souches. Ainsi on ne doit pas hé- siter à mettre en pratique cette espèce de cul- ture si facile et si peu coûteuse. Il n’est pas nécessaire d’avertir qu’elle est en- core plus indispensable lorsque les jeunes plants ont été gelés : il n’y a pas d’autre moyen pour les rétablir que de les recéper. On aurait dû, par exemple, recéper tous les taillis de deux ou trois ans qui ont été gelés au mois d'octobre 1740. Jamais gelée d'automne n'a fait autant de mal. La seule facon d’y remédier c’est de couper : on sacrifie trois ans pour n’en pas per- dre dix ou douze. A ces observations générales sur la culture du bois, qu’il me soit permis de joindre quel- PARTIE EXPERIMENTALE. quesremarques utiles, et qui doivent mémepré- céder toute culture. Le chêne et le hêtre sont les seuls arbres, à l'exception des pins et de quelques autres de moindre valeur, qu'on puisse semer avec suc- cès dans des terrainsineultes. Lehêtre peut être semé dans les terrains légers; lagraine ne peut pas sortir dans une terre forte, parce qu’elle pousse au-dehors son enveloppe au-dessus de la tige naissante; ainsi il lui faut une terre meu- ble et facile à diviser, sans quoi elle reste et pourrit. Le chène peut être semé dans presque tous les terrains; toutes les autres espèces d'arbres veulent être semées en pépinière, et ensuite transplantées à l’âge de deux ou trois ans. | Il faut éviter de mettre ensemble les arbres qui ne se conviennent pas : le chène craint le voisinage des pins, dessapins, des hètres, et de tous les arbres qui poussent de grosses racines dans la profondeur du sol. En général, pour tirer le plus grand avantage d’un terrain, il faut pianter ensemble les arbres qui tirent la sub- stance du fond en poussant leurs racines à une grande profondeur, et d’autres arbresqui puis- sent tirer leur nourriture presque de la surface de la terre, comme sont les trembles, les til- leuls, les marseaux et les autres, dont les raci- nes s’étendentetcourent à quelques pouces seu- lement de profondeur sans pénétrer plus avant. Lorsqu'on veut semer du bois il faut atten- dre une année abondante en glands, non-seu- lement parce qu'ils sont meilleurs et moins chers, mais encore parce qu’ils ne seront pas dévorés par les oiseaux, les mulots et les san- gliers, qui, trouvant abondamment du gland dans les forêts, ne viendront pas attaquer votre semis ; ce qui ne manque jamais d’arriver dans des années de disette. On n’imaginerait pas jusqu’à quel point les seuls mulots peuvent dé- truire un semis. J’en avais fait un, il y a deux ans, de quinze à seize arpents ; j'avais semé au mois de novembre; au bout de quelques jours je m’apercus que les mulots emportaient tous les glands. Ils habitent seuls, ou deux à deux, et quelquefois trois à quatre dans un même trou. Je fis découvrir quelques-uns de ces trous, et je fus épouvanté de voir dans chacun un demi-boisseau et souvent un boisseau de glands que ces petits animaux avaient ramassés. Je donnai ordre sur-le-champ qu'on dressât dans ce canton un grand nombre de piéges, où, pour To toute amorce, on mit une noixgrillée; en moins de trois semaines de temps, on m’apporta près de treize cents mulots. Je ne rapporte ce fait que pour faire voir combien ils sont nuisibles, et par leur nombre, et par leur diligence à ser- rer autant de glands qu'il peut en entrer dans leurs trous, ARTICLE V. OBSERVATIONS ADDITION AUX PRÉCÉDENTES. 1. Dans un grand terrain très-ingrat et mal situé, où rien ne pouvait croître, où le chêne, le hêtre et les autres arbres forestiers que j'avais semés n'avaient pu réussir , où tous ceux que j'avais plantés ne pouvaient s’élever,parce qu’ils étaient tous les ans saisis par les gelées , je fis planter en 1734 des arbres toujours verts , sa- voir : une centaine de petits pins !, autant d’é- picéas et de sapins que j'avais élevés dans des caisses pendant trois ans. La plupart des sapins périrent dans la première année, et les épicéas dans les années suivantes; mais les pins ont ré- sisté, etse sont emparés d'eux-mêmes d’un as- sez grand terrain. Dans les quatre ou cinq pre- mières années, leur accroissement était à peine sensible. On ne les a ni cultivés ni recépés ; en- tièrement abandonnés aux soins de la nature, ils ont commencé au bout de dix ans à se mon- trer en forme de petits buissons. Dix ans après, ces buissons, devenus bien plus gros, rappor- taient des cônes, dont le vent dispersait les graines au loin, Dix ans après, c’est-à-dire au bout de trente ans, ces buissons avaient pris de la tige, etaujourd’hui, en 1774, c’est-à-dire au bout de quarante ans, ces pins forment d'assez grands arbres dont les graines ont peuplé le terrain à plus de cent pas de distance de chaque arbre. Comme ces petits pins venus de graine étaient en trop grand nombre, surtout dans le voisinage de chaque arbre, j'en ai fait enlever un très-grand nombre pour les transplanter plus loin, de manière qu'aujourd'hui ce ter- rain, qui contient près de quarante arpents, est entièrement couvert de pins et forme un petit bois toujours vert, dans un grand espace qui de tout temps avait été stérile. Lorsqu'on aura donc des terres ingrates, où le bois refuse de croître, et des parties de ter- rain situées dans de petits vallons en montagne, où la gelée supprime les rejetons des chênes et des autres arbres qui quittent leurs feuilles , la { Pinus sylvestris genevensis. y 274 150 munière la plus sûre et la moins coûteuse de peupler ces terrains est d'y planter de jeunes pins à vingt ou vingt-cinq pas les uns des au- tres. Au bout de trente ans, tout l’espace sera couvert de pins, et vingt ans après on jouira du produit de la eoupe de ce bois, dont la plantation n'aura presque rien coûté. Et quoique la jouis- sance de cette espècedeculturesoit fort éloignée, la très-petite dépense qu’elle suppose, et la sa- tisfaction de rendre vivantes des terres absolu- ment mortes, sont des motifs plus que suffisants pour déterminer tout père de famille et tout bon citoyen à cette pratique utile pour la postérité : l'intérêt de l’état, et à plus forte raison celui de chaque particulier, est qu'il ne reste aucune terre inculte; celles-ci, qui de toutes sont les plus stériles, et paraissent se refuser à toute cul- ture, deviendront néanmoins aussi utiles que les autres. Car un bois de pins peut rapporter autant et peut-être plus qu'un bois ordinaire, et, en l'exploitant convenablement, devenir un fondsnon-seulement aussi fructueux, mais aussi durable qu'aucun autre fonds de bois. La meilleuremanière d'exploiter les taillis ox- diaaires est de faire coupe nette, en laissant le moins de baliveaux qu'il est possible. Il est très- certain que ces baliveaux font plus de tort à l'accroissement des taillis, plus de perte au pro- priétaire, qu’ils ne donnent de bénéfice; et par conséquent il y aurait de l'avantage à les tous supprimer. Mais comme l’Ordonnance prescrit d’en laisser au moins seize par arpent, les gens les plus soigneux de leurs bois, ne pouvant se dispenser de cette servitude mal entendue, ont au moins grande attention à n’en pas laisser da- vantage, et font abattre à chaque coupe subsé- quente ces baliveaux réservés. Dans un buis de pins l'exploitation doit se faire tout autrement. Comme cette espèce d'arbre ne repousse pas sur souche ni des rejetons au loin, et qu'il ne se propage et multiplie que par les graines qu’il produit tous les ans, qui tombent au pied ou sont transportées par le vent aux environs de chaque arbre, ce serait détruire ce bois que d'en faire coupe nette ; il faut y laisser cinquante où soixantearbres par arpent, ou, pour Inieux faire encore, ne couper que la moitié ou le tiers des arbres alternativement , c'est-à-dire éclaircir seulement le bois d’un tiers ou de moitié, ayant soin de laisser les arbres qui portent le plus de graines. Tousles dix ans on fera, pour ainsi dire, une demi goupe ; où même on pourra, tous les INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. ans, prendre dans ce taillis le bois dont on aura besoin. Cette dernière maniere, par laquelle on jouit annuellement d’une partie du produit de son fonds, est de toutes la plus avantageuse. L'épreuve que je viens de rapporter a été faite en Bourgogne, dans ma terre de Buffon, au- dessus des collines les plus froides et les plus stériles : la graine m'était venue des montagnes voisines de Genève. Onne connaissait pointcette espèce d'arbre en Bourgogne, qui y est mainte- nant naturalisé et assez multiplié pour en faire à l'avenir de très-grands cantons de bois dans toutes les terres où les autres arbresne peuvent réussir. Cette espèce de pin pourra croître et se multiplier avec le même succès danstoutes nos provinces, à l’exception peut-être des plus mé- ridionales, où l’on trouve une autre espèce de pin, dontles cônes sont plus allongés, et qu’on connait sous le nom de pin maritime, où pin de Bordeaux, comme l’on connaît celui dont j'ai parlé, sous le nom de pin de Genève. Je fis veniret semer, il y a trente-deuxans,une assez grande quantité de ces pins de Bordeaux ; ils n’ont pas à beaucoup près aussi bien réussi que ceux de Genève : cependant il y en a quelques- uns (ui sont même d’unetrès-belle venue parmi les autres, et qui produisent des graines depuis plusieurs années ; mais on ne s’apercoit pas que ces graines réussissent sans culture et peuplent les environs de cesarbres, comme les graines du pin de Genève. A l’égard des sapins et des épicéas, dont j'ai voulu faire des bois par cette mème méthode si facile ét si peudispendieuse, j'avouerai qu'avant fait souvent jeter des graines de ces arbres en très-srande quantité dans ces mêmes terres où le pin a si bien réussi, je n’en ai jamais vu le produit, ni même eu la satisfaction d'en voir germer quelques-unes autour de ces arbres que j'avais fait planter, quoiqu’ils portent des cônes depuis plusieurs années. Il faut done un autre procédé, ou du moins ajouter quelque chose à celui que je viens de donner, si l’on veut faire des bois de ces deux dernières espèces d'arbres toujours verts, IT. Dans les boisordinaires, c’est-à-dire dans ceux qui sont plantés de chênes, de hêtres etde charmes, de frênes, et d’autres arbres dont | l'accroissement est plus prompt, tels que les trembles, les bouleaux les marseaux, les cou- driers, ete., il y a du bénéfice à faire couper au | bout de douze à quinze ans cesdernières espèces PARTIE EXPÉRIMENTALE. d'arbres, dont on peut faire des cercles ou d'au- tres menus ouvrages ; On coupe en même temps les épines et autres mauvais bois. Cette opéra- tion ne fait qu'éclaireir le taillis, et, bien loin de lui porter préjudice, elle en accélère l'accrois- sement ; le chène, le hêtre et les autres bons ar- bres n’en croissent que plus vite : en sorte qu'il y a le double avantage de tirer d'avance une | partie de son revenu par la vente de ces bois blanes, propres à faire des cercles, et de trou- ver ensuite un taillis tout composé de bois de bonne essence, et d’un plus gros volume. Mais ce qui peut dégoûter de cette pratique utile, c’est qu'il faudrait, pour ainsi dire , le faire par ses mains ; car en vendant le cerclage de ces bois | aux bücherons ou aux petits ouvriers qui em- ploient cette denrée , on risque toujours la dé- gradation du taillis; il est presque impossible de les empècher de couper furtivement des ché- nes ou d’autres bons arbres, et dès lors le tort qu'ils vous font fait une grande déduction sur le bénéfice, et quelquefois l’excède. HIT. Dans les mauvais terrains, qui n’ont que six pouces ou tout au plus un pied de profon- deur, et dont la terre est graveleuse et maigre, on doit faire couper les taillis à seize ou dix- huit ans ; dans les terrains médiocres, à vingt- trois ou vingt-quatre ans, et dans les meilleurs fonds, il faut les attendre jusqu’à trente : une expérience de quarante ans m'a démontré que ce sont à très-peu près les termes du plus | grand profit. Dans mes terres, et dans toutes celles qui les environnent, même à plusieurs lieues de distance, on choisit tout le gros bois, depuis sept pouces de tour et au-dessus, pour le faire flotter et l'envoyer à Paris, et tout le menu bois est consommé par le chauffage du | | laissé quelques bouquets de bois, que tout ce peuple ou par les forges ; mais dans d'autres can- tons de la province, où il n’y à point de forges, et où les villages éloignés les uns des autres ne font que peude consommation, tout lemenu bois tomberait en pure perte si l’on n'avait trouvé le moyen d’y remédier en changeant les procédés de l’exploitation. On coupe ces taillis à peu près : comme j'ai conseillé de couper les bois de pins, etavec cette différence qu’au lieu de laisser les grands arbres, on ne laisse que les petits. Cette manière d'exploiter les bois en les jardinant est en usage dans plusieurs endroits; on abat tous les plus beaux brins, et on laisse subsister les autres, qui, dix ans après, sont abattus à leur tour; et ainsi de dix ans en dix ans, on de douze 157 ans en douze ans, on a plus de moilié coupe, c'est-à-dire plus de moitié de produit, Mais celte manière d'exploitation, quoique utile, ne laisse pas d’être sujette à des inconvénients, On ne peut abattre les plus grands arbres sans faire souffrir les petits. D'ailleurs, le bûcheron, étant presque loujours mal à l'aise, ne peut couper la plupart de ces arbres qu’à un demi-pied, et sou- vent plus d'un pied au-dessus de terre ; ce qui fait un grand tort aux revenus; ces souches élevées ne poussent jamais des rejetons aussi vigoureux ni en aussi grand nombre que les souches coupées à fleur de terre; et l’une des plus utiles attentions qu’on doive donner à l’ex= ploitation des taillis, est de faire couper tous les arbres le plus près de terre qu'il est possible. IV. Les bois occupent presque partout le haut des coteaux et les sommets des collines et des montagnes d’une médiocre hauteur. Dans ces espèces de plaines au-dessus des montagnes, il se trouve des terrains enfoncés, des espèces de vallons secs et froids , qu’on appelle des com- bes. Quoique le terrain de ces combes ait ordi- | nairement plus de profondeur, et soit d’une meilleure qualité que celui des parties élevées qui les environnent, le bois, néanmoins, n’y est jamais aussi beau ; il ne pousse qu’un mois plus tard, et souvent il y a de la différence de plus de moitié dans l’accroissement total. A quarante ans le bois du fond de la combe ne vaut pas plus que celui des coteaux qui l’environnent vaut. à vingt ans. Cette prodigieuse différence est occa- sionnée par la gelée qui tous les ans et presque en toute saison se fait sentir dans ces combes, et, supprimant en partie les jeunes rejetons, rend les arbres raffaus, rabougris et galeux. J'ai re- marqué dans plusieurs coupes où l’on avait qui était auprès de ces bouquets et situé à l'abri du vent du nord, était entièrementgâté par l'effet de la gelée, tandis que tous les endroits exposés au vent du nord n'étaient point da tout gelés. Cette observation me fournitla véritable raison pourquoi les combes et les lieux bas dans les bois sont si sujets à la gelée, et si tardifs à l’é- gard des terrains plus élevés, où les bois devien- nent très-beaux, quoique souvent la terre y soit moins bonne que dans les combes; c’est paree que l’humidité etles brouillards qui s'élèvent de la terre séjournent dans les combes, s'y conden- sent, et par ce froid humide occasionnent la ge- lée; tandis que, sur les lieux plus élevés, les 758 vents divisent et chassent les vapeurs nuisibles, etles empêchent de tomber sur les arbres, ou du moins de s'y attacher en aussi grande quantité et enaussigrosses gouttes.Il y a de ces lieux bas où il gèle tous les mois de l’année ; aussi le bois n'y vaut jamais rien. J’ai quelquefois parcouru en été, Ja nuit à la chasse, ces différents pays de bois, et je me souviens parfaitement que, sur les lieux élevés, j'avais chaud ; mais qu’aus- sitôt que je descendais dans ces combes un froid vifetinquiétant, quoiquesans vent, mesaisissait, de sorte quesouvent, à dix pas de distance, onau- rait cru changer de climat : des charbonniers qui marchaient nu-pieds trouvaient la terre chaude sur ces éminences, et d’une froideur insuppor- table dans ces petits vallons.Lorsqueces combes se trouvent situées de manière à être enfilées par les vents froids et humides du nord-ouest, la gelée s'y fait sentir même au mois de juillet et d'août : le bois ne peut y croître ; les genie- vres même ont bien de la peine à s’y maintenir, et ces combes n’offrent, au lieu d’un beau tail- lis semblable à ceux qui les environnent, qu'un espace stérile qu’on appelle une chuume, et qui différe d’une friche en ce qu'on peut rendre celle-ci fertile par la culture, au lieu qu’on ne sait comment cultiver ou peupler ces chaumes qui sont au milieu des bois. Les grains qu'on pourrait y semer sont toujours détruits par les grands froids de l'hiver ou par les gelées du printemps : il n’y a guère que le blé noir ou sar- rasin qui puisse y croître, et encore le produit ne vaut pas la dépense de la culture. Ces ter- rains restent donc déserts, abandonnés, et sont en pure perte. J’ai une de ces combes au milieu de mes bois, qui seule contient cent cinquante arpents, dont le produit est presque nul. Le suc- cès de ma plantation de pins, qui n’est qu’à une lieue de cette grande combe, m’a déterminé à y planter de jeunes arbres de cette espèce. Je n’ai commencé que depuis quelques années ; je | | en bas ou en haut qui gâtent le pied de l'arbre. vois déjà, par le progrès de ces jeunes plants, que quelque jour cet espace, stérile de temps | immémorial , sera un bois de pins tout aussi fourni que le premier que j'ai décrit. V. J'ai fait écorcer sur pied des pins, des sapins , et d’autres espèces d’arbres toujours verts ; j'ai reconnu que ces arbres, dépouillés de leur écorce, vivent plus longtemps que les chênes auxquels on fait la même opération, et leur bois acquiert même plus de dureté, plus de force et de solidité. I serait done très-utile de INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. faire écorcer sur pied les sapins qu’on destine aux mâtures des vaisseaux ; en les laissantdeux, trois et mème quatre ans sécher ainsi sur pied , ils acquerront une force et une durée bien plus grande que dans leur état naturel. Il en est de même de toutes les grosses pièces de chêne que l'on emploie dans la construction des vaisseaux; elles seraient plus résistantes, plus solides et plus durables si on les tirait d'arbres écorcés et séchés sur pied avant de les abattre. A l’égard des pièces courbes, il vaut mieux prendre des arbres de brin, de la grosseur né- cessaire pour faire une seule pièce courbe, que de scier ces courbes dans de plus grosses piè- ces : celles-ci sont toujours tranchées et faibles, au lieu que les pièces de brin, étant courbées dans du sable chaud, conservent presque toute la force de leurs fibres longitudinales. J'ai re- connu en faisant rompre des courbes de ces deux espèces, qu'il y avait plus d’un tiers de diffé- rence dans leur force; que les courbes tran- chées cassaient subitement, et que celles qui avaient été courbées par la chaleur graduée et par une charge constamment appliquée, se ré- tablissaient presque de niveau avant que d’é- clater et serompre. VI. On est dans l’usage de marquer avec un gros marteau, portant empreinte des armes du roi ou des seigneurs particuliers, tous les arbres que l’on veut réserver dans les bois qu’on veut couper. Cette pratique est mauvaise; on enlève l'écorce et une partie de laubier avant de don- ner le coup de marteau. La blessure ne se cica- trise jamais parfaitement, et souvent elle pro- duit un abreuvoir au pied de l'arbre. Plus la tige en est menue, plus le mal est grand. On retrouve dans l’intérieur d’un arbre de cent ans les coups de marteau qu'on lui aura donnés à vinet-cinq, cinquante et soixante-quinze ans, et tous ces endroits sont remplis de pourriture, et forment souvent des abreuvoirs ou des fusées Il vaudrait mieux marquer avec une couleur à l'huile les arbres qu’on voudrait réserver ; la dé- pense serait à peu près la même, et la couleur ne ferait aucun tort à l’arbre, et durerait au moins pendant tout le temps de l'exploitation. VIT. On trouve communément dans les bois deux espèces de chênes, ou plutôt deux varié- tés remarquables et différentes l’une de l’autre à plusieurs égards. La première est le chêne à gros gland , qui n’est qu'un à un, ou tout au PARTIE plus deux à deux sur la branche : l'écorce de ces chènes est blanche et lisse, la feuille grande et large, le bois blanc, liant, très-ferme, et néanmoins très-aisé à fendre. La seconde espèce porte ses glands en bouquets ou trochets comme les noisettes, de trois, quatre ou cinq ensemble; l'écorce en est plus brune et toujours gercée, le bois aussi plus coloré, la feuille plus petite et l'accroissement plus lent. J'ai observé que dans tous les terrains plus profonds , dans toutes les terres maigres, on ne trouve que des chènes à petits glands en trochets, et qu'au contraire on ne voit guère que des chênes à gros glands dans les très-bons terrains. Je ne suis pas as- suré que cette variété soit constante et se pro- page par la graine; mais j'ai reconnu, après avoir semé plusieurs années une très-grande quantité de ces glands , tantôt indistinctement et mêlés, etd’autres fois séparés, qu'il ne m'est venu que des chênes à petits glands dans les mauvais terrains , et qu'il n’y à que dans quel- ques endroits de mes meilleures terres où il se trouve des chênes à gros glands. Le bois de ces chènes ressemble si fort à celui du châtaignier par la texture et par la couleur, qu’on les a pris l'un pour l'autre : c’est sur cette ressemblance, qui n’a pas été indiquée, qu'est fondée l’opinion que les charpentes de nos anciennes églises sont de bois de châtaignier. Jai eu occasion d’en voir quelques-unes, et jai reconnu que ces bois, prétendus de châtaignier, étaient du chêne blanc à gros glands, dont je viens de parler, qui était autrefois bien plus commun qu'il ne l’est au- jourd’hui, par une raison bien simple : c’est qu'autrefois, avant que la France fût aussi peu- plée, il existait une quantité bien plus grande de bois en bon terrain , et, par conséquent, une bien plus grande quantité de ces chênes, dont le bois ressemble à celui du châtaignier. Le châtaignier affecte des terrains particu- liers ; il ne croît point ou vient mal dans toutes les terres dont le fond est de matière calcaire : il ya donc de très-sgrands cantons et des provin- ces entières où l’on ne voit point de châtaisniers dans les bois, et, néanmoins, on nous montre, dans ces mêmes cantons, des charpentes ancien- nes, qu’on prétend être de châtaignier, et qui sont de l'espèce de chêne dont je viens de parler. Ayant comparé le bois de ces chênes à gros slands au bois des chênes à petits glands dans un grand nombre d'arbres du même âge, et de- puis vingt-cinq ans jusqu’à cent ans et au-des- EXPÉRIMENTALE. 754 sus, j'ai reconnu que le chêne à gros giands à constamment plus de cœur et moins d’aubier que le chêne à petits glands, dans la proportion du double au simple : si le premier n’a qu'un pouce d’aubier sur huit pouces de cœur, le se- cond n'aura que sept pouces de cœur sur deux pouces d’aubier, et ainsi de toutes les autres mesures ; d'où il résulte une perte du double lors- qu'on équarrit ces bois ; car on ne peut tirer qu'une pièce de sept pouces d’un chêne à petits glands, tandisqu'ontire une pièce de huit pouces d’un chêne àgros glands demême âge etdemèême grosseur, On ne peut done recommander assez la conservation et le repeuplement de cette belle espèce de chênes, qui a sur l’espèce commune le plus grand avantage d’un accroissement plus prompt, et dont le bois est non-seulement plus plein, plus fort, mais encore plus élastique. Le trou fait par une balle de mousquet dans une planche de ce chêne se rétrécit par le ressort du bois de plus d’un tiers de plus que dans le chêne commun, et c’est une raison de plus de préférer ce bon chêne pour la construction des vaisseaux ; le boulet de canon ne le ferait point éclater, et les trous seraient plus aisés à bou- cher. En général plus les chènes croissent vite, plus ils forment de cœur et meilleurs ils sont pour le service, à grosseur égale; leur tissu est plus ferme que celui des chènes qui croissent lentement, parce qu'il y a moins de cloisons, moins de séparation entre les couches ligneuses dans le même espace. _ TREIZIÈME MÉMOIRE. RECHERCHES De la cause de l'excentricité des couches ligneuses qu'on aperçoit quand on coupe horizontalement le tronc d'un arbre , de l'inégalité d'épaisseur, et du différent nombre de ces couches, tant dans le bois formé que dans l'aubier. PAR MM. DUHAMEL ET DE BUFFON. On ne peut travailler plus utilement pour la physique, qu'en constatant des faits douteux, et en établissant la vraie origine de ceux qu'on attribuait sans fondement à des causes imagi- naires ou insuffisantes. C’est dans cette vue que nous avons entrepris, M. de Buffon et moi, plu- sieursrecherches d'agriculture ; que nousavons, par exemple, fait des observations et des expé- 760 riences sur l'accroissement et l'entretien des ar- bres, sur leurs maladies et sur leurs défauts, sur les plantations et sur le rétablissement des forêts, ete. Nous commencons à rendre compte à l'Académie du succès de ce travail, par l’exa- men d’un fait dont presque tous les auteurs d’a- ericulture font mention, mais qui n’a été ( nous n'hésitons pas de le dire ) qu'entrevu, et qu’on a, pour cette raison, attribué à des causes qui sont bien éloignées de la vérité. Tout le monde sait que, quand on coupe ho- rizontalement le tronc d’un chène, par exem- ple, on apercoit, dans le cœur et dans l’aubier, des cercles ligneux qui l’enveloppent; ces cercles sont séparés les uns des autres par d’autres cer- cles ligneux d’une substance plus rare, et ce sont ces derniers qui distinguent et séparent la crue de chaque année : il est naturel de penser que, sans des accidents particuliers, ils de- vraient être tous à peu près d’égale épaisseur, et également éloignés du centre. ILen est cependant tout autrement, et la plu- part des auteurs d'agriculture, qui ontreconnu cette différence, l'ont attribuée à différentes causes, et en ont tiré diverses conséquences. Les uns, par exemple, veulent qu’on observe avec soin la situation des jeunes arbres dans les pépinières, pour les orienter dans la place qu’on jeur destine, ce que les jardiniers appellent planter à la boussole : ils soutiennent que le côté de l’arbre qui était opposé au soleil dans la pé- pinière , souffre immanquablement de son ac- tion lorsqu'il y est exposé. D'autres veulent que les cercles ligneux de tous les arbres soient excentriques, et toujours plus éloignés du centre ou de l’axe du tronc de l'arbre du côté du midi que du nord : ce qu'ils proposent aux voyageurs qui seraient égarés dans les forêts, comme un moyen assuré de s'orienter et de retrouver leur route. Nous avons cru devoir nous assurer par nous- mêmes de ces deux faits ; et d’abord, pour re- connaître si les arbres transplantés souffrent lorsqu'ils se trouvent à une situation contraire à celle qu'ils avaient dans la pépiniere, nous uvons choisi cinquante ormes qui avaient été élevés dans une vigne, et non pas dans une pé- pinière touffue, afin d’avoir des sujets dont l'exposition füt bien décidée. J'ai fait, à une même hauteur, élever tous ces arbres, dont le tronc avait douze à treize pouces de circonfé- rence ; et avant de les arracher, j'ai marqué INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. d’une petite entaille le côté exposé au midi; en- suite je les ai fait planter sur deux lignes, ob- servant de les mettre alternativement, un dans la situation où il avait été élevé, et l’autre dans une situation contraire, en sorte que j'ai eu vingt-cinq arbres orientés comme dans la vigne, à comparer avec vingt-cinq autres qui étaient dans une situation tout opposée. En les plan- tant ainsi alternativement, j'ai évité tous les soupcons qui auraient pu naitre des veines de terre, dont la qualité change quelquefois tout d’un coup. Mes arbres sont prêts à faire leur troisième pousse, je les ai bien examinés, il ne me paraît pas qu'il y aitaucune différence entre les uns et les autres. Il est probable qu'il n’y en aura pas dans la suite; çar si le changement d'exposition doit produire quelque chose, ce ne peut être que dans les premières années, et jus- qu’à ce que les arbres se soient accoutumés aux impressions du soleil etdu vent, qu'on prétend être capables de produire un effèt sensible sur ces jeunes sujets. Nous ne déciderons cependant pas que cette attention est superflue dans tous les cas; car nous voyons, dans lesterres légères, les pêchers et les abricotiers de haute tige, plantés en espa- lier au midi, se dessécher entièrement du côté du soleil, et ne subsister que par le côté du mur. Il semble done que dans les pays chauds, sur le penchant des montagnes, au midi , le soleil peut produire un effetsensiblesur la partie de l'écorce qui lui est exposée; mais mon expérience dé- cide incontestablement que, dans notre climat et dans les situations ordinaires, il est inutile d'orienter les arbres qu’on transplante : c'est tou- jours une attention de moins, qui ne laisserait pas que de gêner lorsqu'on plante des arbres en alignement; car pour peu que le trone des ar- bres soit un peu courbe, ils font une grande dif- formité quand on n’est pas le maître de mettre la courbure dans le sens de Palignement. A l'égard de l’excentricité des couches li- gneuses vers le midi, nous avons remarqué que les gens le plus au fait de l'exploitation des fo- rêts ne sont point d'accord sur ce point. Tous, à la vérité, conviennent de l’excentricité des couches annuelles : mais les uns prétendent que ces couches sont plus épaisses du côté du nord, parce que, disent-ils, le soleil dessèche le côté du midi; et ils appuient leur sentiment sur le prompt accroissement des arbres des pays sep- tentrionaux , qui viennent plus vite et grossis- 0 PARTIE EXPERIMENTALE. sent davantage que ceux des pays méridio- naux. D’autres, au contraire, et c’est le plus grand nombre, prétendent avoir observé que les cou- ches sont plus épaisses du côté du midi ; et pour ajouter à leur observation un raisonnement phy- sique, ils disent que le soleil étant le principal moteur de la sève, il doit la déterminer à pas- ser avec plus d’abondance dans la partie où il a le plus d'action, pendant que les pluies qui viennent souvent du vent du midi humectent l'écorce, la nourrissent où du moins prévien- nent le desséchement que la chaleur du soleil aurait pu causer. Voilà done des sujets de doute entre ceux-là mêmes qui sont dans l’usage actue! d'exploiter des bois, eton ne doit pas s’en étonner; car les différentes circonstances produisent des variétés considérables dans l'accroissement des couches ligneuses. Nous allons le prouver par plusieurs expériences. Mais avant que de les rapporter, il est bon d’avertir que nous distinguons ici les chênes, d’abord en deux espèces, savoir : ceux qui portent des glands à longs pédicules , et ceux dont les glands sont presque collés à la branche. Chacune de ces espèces en donne trois autres , savoir : les chènes qui portent de très-gros glands, ceux dont les glands sont de médiocre grosseur, et enfin ceux dont les glands sont très-petits. Cette division, qui serait gros- sière et imparfaite pour un botaniste, suffitaux forestiers ; et nous l’avons adoptée, parce que nous avons cru apercevoir quelque différence dans la qualité du bois de ces espèces , et que, d’ailleurs, il se trouve dans nos forêts un très- grand nombre d'espèces différentes de chênes dont le bois est absolument semblable , aux- quelles, par conséquent, nous n’avons pas eu égard. EXPÉRIENCE PREMIÈRE. Le 27 mars 1734, pour nous assurer si les ar- res croissent du côté du midi plus que du côté du nord, M. de Buffon a fait couper un chêne à gros glands, âgé d'environ soixante ans, à un bon pied et demi au-dessus de la surface du terrain, c’est-à-dire dans l’endroit où la tige commence à se bien arrondir , car les racines causent toujours un élargissement au pied des arbres : celui-ci était situé dans une lisière dé- couverte à lorient, mais un peu couverte au nord d’un côté, et @e l’autre au midi. Il a fait 761 itire la coupe le plus horizontalement qu'il a été possible ; et, ayant mis la pointe d’un compas dans le centre des cercles annuels, il a reconnu qu'il coincidait avec celui de la circonférence de l'arbre, et qu'ainsi tous les côtés avaient égale- ment grossi : mais ayant fait couper ce même arbre à vingt pieds plus haut, le côté du nord était plus épais que celui du midi; il a remarqué qu'il y avait une grosse branche du côté du nord, un peu au-dessous des vingt pieds. EXPÉRIENCE IT. Le même jour il a fait couper de la même fa- con, à un pied et demi au-dessus de terre, un chêne à petits glands , âgé d'environ quatre- vingts ans, situé comme le précédent : il avait plus grossi du côté du midi que du côté du nord. Il a observé qu'il y avait au dedans de l'arbre un nœud fort serré du côté du nord qui venait des racines. EXPERIENCE III. Le même jour il a fait couper de même un chêne à glands de médiocre grosseur, âgé de soixante ans, dans une lisière exposée au midi; le côté du midi était plus fort que celui du nord, mais il l'était beaucoup moins que celui du le- vant. I a fait fouiller au pied de l'arbre, et il a vu que la plus grosse racine était du côté du levant; il a ensuite fait couper cet arbre à deux pieds plus haut, c'est-à-dire à près de quatre pieds de terre en tout, et à cette hauteur le côté du nord était plus épais que tous les autres. EXPÉRIENCE I. Le même jour il a fait couper à la même hau- teur un chêne à gros glands, âgé d'environ soixante ans, dans unelisière exposée au levant, et il a trouvé qu'il avait également grossi de tous côtés ; mais à un pied et demi plus haut, c’est-à-dire à trois pieds au-dessus de la terre, le côté du midi était un peu plus épais que ce- lui du nord. EXPSRIENCE Y. Un autre chêne à gros glands, âgé d'environ trente-cinq ans, d’une lisière exposée au levant, avait grossi d’un tiers de plus du côté du midi que du côté du nord, à un pied au-dessus de terre : mais à un pied plus haut cette inégalité diminuait déià, et à un pied plus haut il avait 702 également grossi de tous côtés : cependant en le faisant encore couper plus haut, le côtédu midi était un tant soit peu plus fort. EXPÉRIENCE VI. Un autre chêne à gros glands, âgé de trente- cinq ans, d’une lisière exposée au midi, coupé à trois pieds au-dessus de terre, était un peu plus fort au midi qu'au nord, mais bien plus fort du côté du levant que d'aucun autre côté. EXPÉRIENCE VII. Un autrechène demême âge etmêmesglands, situé au milieu des bois, également erû du côté du midi et du côté du nord, et plus du côté du levant que du côté du couchant. EXPÉRIENCE VUE, Le 29mars 1734, il a continué ces épreuves, et il a faitcouper, à un pied et demi au-dessus de terre , un chêne à gros glands, d’une très- belle venue, âgé de quarante ans, dans une li- siere exposée au midi; il avait grossi du côté du nord beaucoup plus que d’aueun autre côté; celui du midi étaitmème le plus faible de tous. Avant fait fouiller au pied de l'arbre, il a trouvé que la plus grosse racine était du côté du nord. EXPÉRIENCE IX. Un autre chêne, de même espèce, même âge, et à la même exposition, coupé à la même hau- teur d’un pied et demi au-dessus de la surface du terrain, avait grossi du côté du midi plus que du côté du nord. Il à fait fouiller au pied, etil a trouvé qu'il y avait une grosse racine du côté du midi, et qu'il n’y en paraissait point du côté du nord. EXPÉRIENCE X. Un autre chène de même espèce, mais âgé de soixante ans, et absolument isolé , avait plus grossi du côté du nord que d’aueun autre côté. En fouillant, il a trouvé quela plus grosse racine était du côté du nord. Je pourrais joindre à ce observations beau- coup d'autres pareilles, que M. de Buffon a fait exécuter en Bourgogne, de même qu'un grand nombre que j'ai faites dans la forêt d'Orléans, qui se montent à l'examen de plus de quarante arbres, mais dont il m'a paru inutile de donner le détail. Hsuffit de dire qu’elles décident toutes INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. que l’aspect du midi ou du nord n’est point du tout la cause de l’excentricité des couches li- gneuses, mais qu’elle ne doit s’attribuer qu'à la position des racines et des branches, de sorte que les couches ligneuses sont toujours plus épaisses du côté où il y a plus de racines ou de plus vigoureuses. Il ne faut cependant pas man- quer de rapporter une expérience que M. de Buffon a faite, et qui est absolument ‘décisive, Il choisit, ce même jour 29 mars, un chêne isolé, auquel il avait remarqué quatre racines à peu près égales et disposées assez régulière- ment, en sorte que chacune répondait à très- peu près à un des quatre points cardinaux ; et, l'ayant fait couper à un pied et demi au-dessus de la surface du terrain, il trouva, comme il le soupçonnait, que le centre des couches ligneu- ses coïncidait avec celui de la circonférence de l'arbre, et que, par conséquent, il avait grossi de tous côtés également. Ce qui nous a pleinement convaineus que la vraie cause de l’excentricité des couches ligneu- ses est la position des racines, et quelquefois des branches, et que, si l’aspect du midi ou du nord, etc., influe sur les arbres pour les faire grossir inégalement, ce ne peut être que d’une manière insensible, puisque, dans tous ces ar- bres, tantôt c’étaient les couches ligneuses du côté du midi qui étaient les plus épaisses , et tantôt celles du côté du nord ou de tout autre côté; etque, quand nous avons coupé des trones d'arbres à différentes hauteurs, nous avons trouvé les couches ligneuses, tantôt plus épais- ses d’un côté, tantôt d’un autre. Cette dernière observation m’a engagé à faire fendre plusieurs corps d'arbres par le milieu. Dans quelques-uns, le cœur suivait à peu près en ligne droite l’axe du tronc; mais dans le plus grand nombre, et dans les bois même les plus parfaits et de la meilleure fente, il faisait des inflexions en forme de zigzag; outre cela , dans le centre de presque tous les arbres, j’ai remarqué aussi bien que M. de Buffon, que, dans une épaisseur de un pouce ou un pouce et demi vers le centre, il y avait plusieurs petits nœuds, en sorte que le bois ne s’est trouvé bien franc qu’au delà de cette petite épaisseur, Ces nœuds viennent sans doute de l’éruption des branches que le chène pousse en quantité dans sa jeunesse , qui, venant à périr, se re- couvrent avec le temps, et forment ces petits nœuds auxquels on doit attribuer en partie cette PARTIE EXPÉRIMENTALE. direction irrégulière du cœur qui n’est pas na- turelle aux arbres. Elle peut venir aussi de ce qu'ils ont perdu dans leur jeunesse leur flèche ou montant principal par la gelée, l'abroutisse- ment du bétail, la force du vent ou de quelque autre accident; car ils sont alors obligés de nourrir des branches latérales pour en former leurs tiges ; et le cœur de ces branches ne répon- dant pas à celui du trone, il s’y fait un chan- gement de direction. Il est vrai que peu à peu ces branches se redressent ; mais il reste toujours une inflexion dans le cœur de ces arbres. Nous n’ayons done pas aperçu que l’exposi- tion produisit rien de sensible sur l'épaisseur des couches ligneuses, et nous croyons que, quand on en remarque plus d’un côté que d’un autre, elle vient presque toujours de l'insertion des racines, ou de l’éruption de quelques bran- ches, soit que ces branches existent actuelle- à : | ment, ou qu'ayant péri, leur place soit recou- | verte. Les plaies cicatrisées, la gelivure, le double aubier, dans un même arbre, peuvent encore produire cette augmentation d'épaisseur des couches ligneuses ; mais nous la croyons absolument indépendante de l'exposition ; ce que nous allons encore prouver par plusieurs observations familières. OBSERVATION PREMIÈRE. Tout le monde peut avoir remarqué, dans les vergers, des arbres qui s’emportent, comme disent les jardiniers, sur une de leurs branches, c’est-à-dire qu’ils poussent sur cette branche avec vigueur, pendant que les autres restent chétives et languissantes. Si l’on fouille au pied de ces arbres pour examiner leurs racines, on trouvera à peu près la même chose qu'au de- hors de la terre, c’est-à-dire que du côté de la branche vigoureuse il y aura de vigoureuses racines, pendant que celles de l’autre côté se- ront en mauvais état. OBSERVATION II. Qu'un arbre soit planté entre un gazon et une terré faconnée, ordinairement la partie de arbre qui est du côté de la terre labourée sera plus verte et plus vigoureuse que celle qui ré- pond au gazon. OBSERVATION III. On voit souvent un arbre perdre subitement 765 une branche, et si l’on fouille au pied, on trouve le plus ordinairement la cause de cet accident dans le mauvais état où se trouvent les racines qui répondent à la branche qui a péri. OBSERVATION IV. Si on coupe une grosse racine à un arbre, comme on le fait quelquefois pour mettre un arbre à fruit, ou pour l'empêcher de s’emporter sur une branche, on fait languir la partie de l'arbre à laquelle cette racine correspondait : mais il n'arrive pas toujours que ce soit celle qu'on voulait affaiblir, parce qu'on n’est pas toujours assuré à quelle partie de l’arbre une racine porte sa nourriture, et une même racine la porte souvent à plusieurs branches ; nous en allons dire quelque chose dans le moment. OBSERVATION V. Qu'on fende un arbre, depuis une de ses branches, par son tronc, jusqu'à une de ses racines; on pourra remarquer que les racines, de même que les branches, sont formées d'un faisceau de fibres, qui sont une continuation des fibres longitudinales du tronc de l'arbre. Toutes ces observations semblent prouver quele tronc des arbres estcomposé de différents paquets de fibres longitudinales, qui répondent par un bout à une racine, et par l’autre, quel- quefois à une, et d’autres fois à plusieurs bran- ches ; en sorte que chaque faisceau de fibres pa- raît recevoir sa nourriture de la racine dont il est une continuation. Suivant cela, quand une racine périt, il s’en devrait suivre le desséche- ment d’un faisceau de fibres dans la partie du tronc et dans la branche correspondante; mais il faut remarquer : 1° Que dans ce cas les branches ne font que languir, et ne meurent pas entièrement ; 20 Qu'ayant greffé par le milieu sur un sujet vigoureux une branche d’orme assez forte qui était chargée d’autres petites branches, les ra- meaux qui étaient sur la partie inférieure de la branche greffée poussèrent, quoique plus fai- blement que ceux du sujet. Et j'ai vu, aux Char- treux de Paris, un oranger subsister et grossir en cette situation quatre ou cinq mois sur le sauvageon où il avait été greffé. Ces expériences proüvent que la nourriture qui est portée à une partie d’un arbre se communique à toutes les autres , et par conséquent la sève a un mouve- 764 ment de communication latérale. On peut voir sur cela les expériences de M. Hales. Mais ce mouvement latéral ne nuit pas assez au mouve- ment direct de la sève pour l'empêcher de se rendre en plus grande abondance à la partie de l'arbre, et au faisceau même des fibres qui cor- respond à la racine qui la fournit, et c’est ce qui fait qu’elle se distribue principalement à une partie des branches de l'arbre, et qu’on voit or- dinairement la partie de l'arbre où répond une racine vigoureuse, profiter plus que tout le reste, comme on le peut remarquer sur les ar- bres des lisières des forêts ; car leurs meilleures racines étant presque toujours du côté duchamp, c’est aussi de ce côté que les couches ligneuses sont communément les plus épaisses. Ainsi il parait par les expériences que’nous venons de rapporter, que les couches ligneuses sont plus épaisses dans les endroits de l’arbre où la sève a été portée en plus grande abon- dance, soit que cela vienne des racines ou des branches: car on sait que les unes et les autres agissent de concert pour le mouvement de la sève. C’est cette même abondance de sève qui fait que l’aubier se transforme plustôt en bois : c’est d'elle que dépend l’épaisseur relative du bois parfait avec l’aubier dans les différents terrains et dans les diverses espèces; car l’aubier n’est autre chose qu'un bois imparfait, un bois moins dense, qui a besoin que la sève le traverse, et y dépose des parties fixes pour remplir ses po- res et le rendre semblable au bois : la partie de l’aubier dans laquelle la sève passera en plus grande abondance sera done celle qui se trans- formera plus promptement en bois parfait, et cette transformation doit, dans les mêmes es- pèces, suivre la qualité du terrain. EXPÉRIENCES. M. de Buffon a fait scier plusieurs chènes à deux ou trois pieds de terre; et ayant fait polir la coupe avee la plane, voici ce qu'il a re- marqué : Un chène âgé de quarante-six ans environ avait d’un côté quatorze couches annuelles d'au- bier, et du côté opposé il en avait vingt ; cepen- dant les quatorze couches étaient d’un quart plus épaisses que les vingt de l’autre côté. Un autre chène qui paraissait du même âge avait d'un côté seize couches d’aubier , et du côté opposé il y en avait vingt-deux; cependant INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINERAUX. les seize couches étaient d’un quart plus épais- ses que les vingt-deux. Un autre chène de même âge avait d'un côté vingt couches d’aubier, et du côté opposé il en avait vingt-quatre; cependant les vingt couches étaient d’un quart plus épaisses que les vingt-quatre. Un autre chène de mème âge avait d’un côté dix couches d’anbier, et du côté opposé il en avait quinze; cependant les dix couches étaient d’un sixième plus épaisses que les quinze. Un autre chène de même âge avait d’un côté quatorze couches d’aubier, et de l’autre vingt- une; cependant les quatorze couches étaient d’une épaisseur presque double de celle des vinot-une. Un chêne de même âge avait d’un côté onze couches d’aubier, et du côté opposé il en avait dix-sept; cependant les onze couches étaient d’une épaisseur double de celle des dix-sept. Il a fait de semblables observations sur les trois espèces de chènes qui se trouvent le plus ordinairement dans les forêts, et il n’y a point aperçu de différence. Toutes ces expériences prouvent que l’épais- seur de l’aubier est d'autant plus grande que le nombre des couches qui le forment est plus pe- tit. Ce fait paraît singulier ; l'explication en est cependant aisée. Pour la rendre plus claire, supposons pour un instant qu'on ne laisse à un arbre que deux racines, l’une à droite, double de celle qui est à gauche ; si on n’a point d’at- tention à la communication latérale de la sève, le côté droit de l’arbre recevrait une fois autant de nourriture que le côté gauche; les cercles annuels grossiraient done plus à droite qu’à gauche, et en même temps la partie droite de l'arbre se transformerait plus promptement en bois parfait que la partie gauche, parce qu’en se distribuant plus de sève dans la partie droite que dans la gauche, il se déposerait dans les interstices de lPaubier un plus grand nombre de parties fixes propres à former le bois. Il nous parait donc assez bien prouvé que de plusieurs arbres plantés dans le même terrain, ceux qui croissent plus vite ont leurs couches ligneuses plus épaisses, et qu'en même temps leur aubier seconvertit plus tôt en bois que dans les arbres qui croissent lentement. Nous allons maintenant faire voir que les chênes qui sont crûs dans les terrains maigres ont plus d’au- bier, par proportion à la quantité de leur bois, PARTIE EXPÉRIMENTALE. que ceux qui sont crûs dans les bons terrains. Effectivement , si l’aubier ne se convertit en bois parfait qu'à proportion que la sève qui le traverse y dépose des parties fixes , il est clair que l’aubier sera bien plus longtemps à se con- vertir en bois dans les terrains maigres que dans les bons terrains. C'est aussi ce que j'ai remarqué en examinant des bois qu'on abattait dans une vente, dont le bois était beaucoup meilleur à une de ses extré- mités qu'à l’autre, simplement parce que le ter- rain y avait plus de fond. Les arbres qui étaient venus dans la partie où il y avait moins de bonne terre, étaient moins gros, leurs couches ligneuses étaient plus min- ces que dans les autres; ils avaient un plus grand nombre de couches d’aubier, et même généralement plus d’aubier par proportion à la grosseur de leur bois : je dis par proportion au bois; car si on se contentait de mesurer avec un compas l'épaisseur de l’aubier dans les deux terrains, on le trouverait communément bien plus épais dans le bon terrain que dans l'autre. M. de Buffon a suivi bien plus loin ces ob- servations ; car avant fait abattre dans un ter- rain sec et graveleux , où les arbres commen- cent à couronner à trente ans, un grand nombre de chênes à médiocres et petits glands, tous âvés de quarante-six ans, il fit aussi abattre au- tant de chènes de même espèce et du même âge dans un bon terrain, ou le bois ne couronne que fort tard. Ces deux terrains sont à une portée de fusil l’un de l’autre, à la même exposition , et ils ne different que par la qualité et la profon- deur de la bonne terre, qui dans l’un est de quelques pieds, et dans l’autre de huit à neuf pouces seulement. Nous avons pris avec une règle et un compas les mesures du cœur et de l’aubier de tous ces différents arbres; et, après avoir fait une Table de ces mesures, et avoir pris la moyenneentretoutes, nous avonstrouvé : 1° Qu’à l’âge de quarante-six ans, dans le terrain maigre, les chênes communs ou de giand médiocre , avaient 1 d’aubier et 2 ++ de cœur, et les chènes de petits glands 1 d’aubier et 1 —+- 4 de cœur. Ainsi, dans le terrain maigre les premiers ont plus du double de eœur que les derniers. 2° Qu'au même âge de quarante-six ans, dans un bon terrain, leschènes communs avaient un d’aubier et trois de cœur, et les chènes de petits glands , un d’aubier et deux et demi de EE 765 cœur. Ainsi, dans les bons terrains, les pre- miers ont un sixième de cœur plus que les der- niers. 3° Qu'au même âge de quarante-six ans, dans le même terrain maigre, les chênes communs avaient seize ou dix-sept couches ligneuses d’aubier,et les chênes de petits glands en avaient viogt-une. Ainsi l’aubier se convertit plus tôt en cœur dans les chênes communs que dans les chênes de petits glands. 41 Qu'à l’âge de quarante-six ans, la grosseur du bois de service, y compris l’aubier des ché- nes à petits glands dans le mauvais terrain, est à la grosseur du bois de service des chênes de mème espèce dans le bon terrain comme vingt- un et demi sont à vingt-neuf; d’où l'on tire, en supposant les hauteurs égales, la proportion de la quantité de bois de service dans le bon terrain, à la quantité dans le mauvais terrain, comme huit cent quarante-un sont à quatre cent soixante-deux , c’est-à-dire presque dou- ble; et comme les arbres de même espèce s’é- ièvent à proportion de la bonté et de la profon- deur du terrain, on peut assurer que la quantité du bois que fournit un bon terrain, est beau- coup plus du double de celle que produit un mauvais terrain. Nous ne parlons ici que du bois de service, et point du tout du taillis ; car après avoir fait les mêmes épreuves et les mé- mes calculs sur des arbres beaucoup plus jeunes, comme de. vingt-cinq à trente ans, dans le bon et le mauvais terrains, nous avons trouvé que les différences n'étaient pas, à beaucoup près, si grandes : mais comme ce détail serait un peu long, et que d’ailleurs il y entre quelques expé- riences sur l’aubier et le cœur du chêne, selon les différents âges, sur le temps absolu qu'il faut à l’aubier pour se transformer en cœur, et sur le produit des terrains maigres, comparé au produit des bons terrains, nous renvoyons le tout à un autre Mémoire. Il n'est donc pas douteux que, dans les ter- rains maigres , l’aubier ne soit plus épais, par proportion au bois, que dans les bons terrains ; et quoique nous ne rapportions rien ici que sur les proportions des arbres qui se sont trouvés bien sains, cependant nous remarquerons en passant, que ceux qui étaient un peu gâtes avaient toujours plus d’aubier que les autres. Nous avons pris aussi les mèmes proportions du cœur et de l’aubier dans les chênes de diffé- rents âges, et nous avons reconnu que les cou- 766 ches ligneuses étaient plus épaisses dans les jeu- nes arbres que dans les vieux, mais aussi qu’il y en avait une bien moindre quantité. Con- cluons donc de nos expériences et de nos obser- vations I. Que, dans tous les cas où la sève est por- tée avec plus d’abondance,les couches ligneuses, de même que les couches d’aubier, y sont plus épaisses, soit que l’abondance de cette sève soit un effet de la bonté du terrain ou de la bonne constitution de l’arbre, soit qu’elle dépende de l’âge de l'arbre, de la position des branches ou des racines, ete.; IT. Que l’aubier se convertit d'autant plus tôt en bois, que la sève est portée avec plus d'a- bondance dans des arbres ou dans une portion de ces arbres que dans une autre; ce qui est une suite de ce que nous venons de dire; III. Que l’excentricité des couches ligneuses dépend entièrement de l’abondance de la sève qui setrouve plus grande dans une portion d’un arbre que dans une autre; ce qui est toujours produit par la vigueur des racines, ou des bran- ches qui répondent à la partie de l’arbre où les couches sont les plus épaisses et les plus éloi- gnées du centre ; IV. Que le cœur des arbres suit très-rare- ment l’axe du tronc, cequi est produit quelque- fois par l’épaisseur inégale des couches ligneuses dont nous venons de parler, et quelquefois par des plaies recouvertes, ou des extravasions de substances, et souvent par les accidents qui ont fait périr le montant principal. QUATORZIÈME MÉMOIRE. OBSERVATIONS Des différents effets que produisent sur les végétaux les grandes gelées d'hiver et les petites gelées du prin- temps, PAR MM. DUHAMEL ET DE BUFFON. La physique des végétaux, qui conduit à la perfection de l’agriculture, est une de ces scien- ces dont le progrès ne s’augmente que par une multitude d'observations qui ne peuvent être l'ouvrage ni d’un homme seul ni d’un temps borné. Aussi ces observations ne passent-elles guère pour certaines, que lorsqu'elles ont été répétées et combinées en différents lieux, en différentes saisons, et par différentes personnes INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX., qui aient eu les mêmes idées. C'a été dans cette vue que nous nous sommes joints, M. de Buf- fon et moi, pour travailler de concert à l’éclair- cissement d’un nombre de phénomènes difficiles à expliquer dans cette partie de l’histoire de Ja nature, de la connaissance desquels il peut ré- sulter une infinité de choses utiles dans la pra- tique de l’agriculture. L'accueil dont l’Académie a favorisé les pré- mices de cette association, je veux dire le Mé- moire formé de nos observations sur l’excen- tricité des couches ligneuses, sur l'inégalité de l'épaisseur de ces couches, sur les circonstances qui font que laubier se convertit plus tôt en bois, ou reste plus longtemps dans son état d’aubier ; cet accueil, dis-je, nous a encoura- gés à donner également toute notre attention à un autre point de cette physique végétale, qui ne demandait pas moins de recherches , et qui n’a pas moins d'utilité que le premier. La gelée est quelquefois si forte pendant l’hi- ver, qu’elle détruit presque tous les végétaux, et la disette de 1709 est une époque de ses cruels effets. Les grains périrent entièrement; quelques espèces d’arbres, comme les noyers, périrent aussi sans ressource; d'autres, comme les oli- viers et presque tous les arbres fruitiers furent moins maltraités ; ils repoussèrent de dessus leur souche, leurs racines n'ayant point été endommagées. Enfin, plusieurs grands arbres plus vigoureux poussèrent au printemps pres- que sur toutes les branches, et ne parurent pas en avoir beaucoup souffert. Nous ferons cependant remarquer dans la suite les domma- ges réels et irréparables que cet hiver leur a causés. Une gelée qui nous prive des choses les plus nécessaires à la vie, qui fait périr entièrement plusieurs espèces d'arbres utiles, et n’en laisse presque aucun qui ne se ressente de sa rigueur, est certainement des plus redoutables. Ainsi, nous avons tout à craindre des grandes gelées qui viennent pendant l'hiver, et qui nous rédui- raient aux dernières extrémités , si nous en res- sentions plus souvent les effets; mais heureu- sement on ne peut citer que deux à trois hivers qui, comme celui de l’année 1709, aient produit une calamité si générale. Les plus grands désordres que causent jamais les gelées du printemps ne portent pas à beau- coup près sur des choses aussi essentielles, quoi- PARTIE EXPÉRIMENTALE. 707 qu’elles endommagent les grains , et principa- lement le seigle lorsqu'il est nouvellement £pié et en lait ; on n’a jamais vu que cela ait produit de grandes disettes : elles n’affectent pas les parties les plus solides des arbres, leur tronc ni leurs branches; mais elles détrui- sent totalement leurs productions, et nous pri- vent de récoltes, de vins et de fruits, et par la suppression des nouveaux bourgeons elles cau- sent un dommage considérable aux forêts. Ainsi, quoiqu'il y ait quelques exemples que la gelée d'hiver nous ait réduits à manquer de pain, et à être privés pendant plusieurs années d’une infinité de choses utiles que nous four- nissent les végétaux, le dommage que causent les gelées du printemps nous devient encore plus important , parce qu’elles nous affligent beaucoup plus fréquemment ; car, comme il ar- rive presque tous les ans quelques gelées en cette saison, il est rare qu’elles ne diminuent pas nos revenus. A ne considérer que les effets de la gelée , même très-superficiellement , on aperçoit déjà que ceux que produisent les fortes gelées d’hi- ver sont très-différents de ceux qui sont occa- sionnés par les gelées du printemps , puisque les unes attaquent.le corps même et les parties les plus solides des arbres, au lieuque les autres détruisent simplement leurs productions, et s'opposent à leurs accroissements. C’est ce qui sera plus amplement prouvé dans la suite de ce Mémoire. Mais nous ferons voirenmême temps qu’elles agissent dans des circonstances bien différentes, et que ce ne sont pas toujours les terroirs, les expositions et les situations où l’on remarque quelesgelées d'hiver ont produit de plus grands désordres, qui souffrent le plus des gelées du printemps. On concoit bien que nous n’avons pas pu par- venir à faire cette distinction des effets de la gelée , qu’en rassemblant beaucoup d’observa- tions , qui rempliront la plus grande partie de ve Mémoire. Mais seraient-elles simplement cu- rieuses , et n’auraient-elles d'utilité que pour ceux qui voudraient rechercher la cause phy- sique de la gelée? Nous espérons de plus qu’elles seront profitables à l’agriculture, et quesi elles ne nous mettent pas à portée de nous garantir entièrement des torts que nous fait la gelée, elles nous donneront des moyens pour en pa- rer une partie : c’est ce que nous aurons soin de faire sentir, à mesure que nos observations nous en fourniront l’occasion. 11 faut donc en donner le détail, que nous commencerons par ce qui regarde les grandes gelées d'hiver; nous parle- rons ensuite des gelées du printemps. Nous ne pouvons pas raisonner avec autant de certitude des gelées d'hiver que de celles du printemps, parce que, comme nous lavons déjà dit, on est assez heureux pour n’éprouver que rarement leurs tristes effets. La plupart des arbres étant, dans cette sai- son, dépouillés de fleurs, de fruits et de feuilles , ont ordinairement leurs bourgeons endurcis et en état de supporter des gelées assez fortes, à moins que l’été précédent n’ait été frais; car en ce cas les bourgeons n’étant pas parvenus à ce degré de maturité que les jardiniers appellent aoülés, ils sont hors d'état de résister aux plus médiocres gelées d'hiver : mais ce n’est pas l'ordinaire, et le plus souvent les bourgeons mürissent avant l'hiver, et les arbres suppor- tent les rigueurs de cette saison sans en être endommagés, à moins qu'il ne viennedes froids excessifs, joints à des circonstances fâcheuses , dont nous parlerons dans la suite. Nous avons cependant trouvé dans les forêts beaucoup d’arbres attaqués de défauts considé- rables, qui ont certainement été produits par les fortes gelées dont nous venons de parler ; et particulièrement par celle de:1709 ; car quoique cette énorme gelée commence à être assez an- cienne, elle a produit dans les arbres qu’elle n’a pas entièrement détruits, des défauts qui nes’ef- faceront jamais. Ces défauts sont : 1° des gerces qui suivent la direction des fibres, et que les gens de forêts appellent gelivures ; 50 Une portion de bois mort renfermée dans le bon bois, ce que les forestiers appellent la ge- livure entrelardée : 3° Enfin, le double aubier, qui est une cou- ronne entière de bois imparfait, remplie et re- couverte par de bon bois. Il faut détailler ces défauts, et dire d’où ils procèdent. Nous allons commencer par ce qui regarde le double aubier. L'aubier est, comme l’on sait, une couronne ou une ceinture plus ou moins épaisse de bois blanc et imparfait, qui dans presque tous les arbres se distingue aisément du bois parfait, qu’on appelle le cœur, par la différence de sa couleur et de sa dureté. Il se trouve immédiate- ment sous l’écorce, et il enveloppe le bois par- 768 fait, qui dans les arbres sains est à peu près de la même couleur, depuis la circonférence jus- qu'au centre; mais dans ceux dont nous vou- lons parler, le bois parfait se trouve séparé par une seconde couronne de bois blane, en sorte que sur la coupe du tronc d’un de ces arbres, on voit alternativement une couronne d’aubier, puis une de bois parfait, ensuite une seconde couronne d’aubier , et enfin un massif de bois parfait. Ce défaut est plus ou moins grand , et plus ou moins commun, selon les différents ter- rains et les différentes situations : dans les ter- res fortes et dans le touffu des forêts, il est plus rare et moins considérable que dans les clairiè- res et dans les terres légères. A la seule inspection de ces couronnes de bois blane, que nous appellerons dans la suite le faux aubier , on voit qu’elles sont de mauvaise qualité. Cependant, pour en être plus certain, M. de Buffon en a fait faire plusieurs petits so- liveaux de deux pieds de longueur sur neuf à dix lignes d’équarrissage, et en ayant fait faire de pareils de véritable aubier , il a fait rompre les uns et les autres en les chargeant dans leur milieu ; et ceux de faux aubier ont toujours rompu sous un moindre poids que ceux du vé- ritable aubier, quoique, comme l’on sait, la force de l’aubier soit trés-petite en comparaison de celle du bois formé. Il a ensuite pris plusieurs morceaux de ces deux espèces d’aubier, il les a pesés dans Pair et ensuite dans l’eau, et il a trouvé que la pe- santeur spécifique de l’aubier naturel était tou- jours plus grande que celle du faux aubier. Il a fait la même expérience avec le bois du centre de ces mêmes arbres, pour le comparer à celui de la couronne qui se trouve entre les deux au- biers , et il a reconnu que la différence était à peu près celle qui se trouve naturellement entre la pesanteur du bois du centre de tous les ar- bres et celle de la circonférence : ainsi tout ce qui est devenu bois parfait dans ces arbres dé- fectueux, s’est trouvé à peu près dans l’ordre ordinaire. Mais il n’en est pas de même du faux aubier, puisque, comme le prouvent les expé- riences que nous venons de rapporter, il est plus faible, plus tendre et plus léger quele vrai aubier, quoiqu'il ait été formé vingt et vingt- cinq ans auparavant; ce que nous avons re- connu en comptant les cercles annuels, tant de l’aubier que du bois quirecouvre ce faux aubier : et cetteobservation, que nous avons répétée sur INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. nombre d'arbres, prouve incontestablement que ce défaut est une suite du grand froid de 1709: car il ne faut pas être surpris de trouver tou- jours quelques couches de moins que le nom- bre des années qui se sont écoulées depuis 1709, non-seulement parce qu’on ne peut ja- mais avoir par le nombre des couches ligneuses l’âge des arbres, qu'à trois ou quatre années près, mais encore parce que les premières cou- ches ligneuses qui se sont formées depuis 1709, étaient si minces et si confuses , qu’on ne peut les distinguer bien exactement. Il est encore sûr que c’est la portion de Par- bre qui était en aubier dans le temps de la grande gelée de 1709, qui, au lieu de se perfec- tionner et de se convertir en bois, est au con- traire devenue plus défectueuse; on n’en peut pas douter après les expériences que M. de Buffon a faites pour s'assurer de la qualité de ce faux aubier. D'ailleurs , il est plus naturel de penser que l’aubier doit plus souffrir des grandes gelées que le bois formé, non-seulement parce que étant à l'extérieur de l’arbre, il est plus exposé au froid, mais encore parce qu'il contient plus de sève, et que les fibres sont plus tendres et plus délica- tes que celles du bois. Tout cela paraît d’abord souffrir peu de difficulté; cependant on pourrait objecter l'observation rapportée dans l'Histoire de l’Académie, année 1710, par laquelle il pa- rait qu’en 1709 les jeunes arbres ont mieux supporté le grand froid que les vieux arbres. Mais comme le fait que nous venons de rappor- ter est certain, il faut bien qu'il y ait quelque différence entre les parties organiques, les vais- seaux, les fibres, les vésicules, ete., de l’aubier des vieux arbres et de celui des jeunes : elles se- ront peut-être plus souples , plus capables de prêter dans ceux-ci que dans les vieux, de telle sorte qu'une force qui sera capable de faire rom- pre les unes ne fera que dilater les autres. Au reste, comme ce sont là des choses que les yeux ne peuvent apercevoir, et dont l’esprit reste peu satisfait, nous passerons plus légèrement sur ces conjectures , et nous nous contenterons des faits que nous avons bien observés. Cet aubier a donc beaucoup souffert de la gelée, c'est une chose incontestable; mais a-t-il été entièrement désorganisé? II pourrait l'être sans qu'il s’en füt suivi la mort de l’arbre; pourvu que l'écorce fut restée saine , la végétation aurait pu conti- nuer.On voit tous les jours des saules et des or- PARTIE EXPERIMENTALE. 769 mes qui ne subsistent que par leur écorce; et la méme chose s’est vue longtemps à la pépinière du Roule, sur un oranger qui n’a péri que de- puis quelques années. Mais nous ne croyons pas que le faux aubier dont nous parlons soit mort; il m'a toujours paru être dans un état bien différent de l’aubier qu'on trouve dans les arbres qui sont attaqués de la gelivure entrelardée, et dont nous parle- rons dans un moment. Il a aussi paru de même à M. de Buffon, lorsqu'il en a fait faire des so- liveaux et des cubes, pour les expériences que = nous avons rapportées ; et d’ailleurs, s’il eût été désorganisé, comme il s'étend sur toute la cir- conférence des arbres, il aurait interrompu le mouvement latéral de la sève, et le bois du cen- tre, qui se serait trouvé recouvert par cette en- veloppe d’aubier mort, n'aurait pas pu végéter, il serait mort aussi, et se serait altéré ; ce qui n’est pas arrivé, comme le prouve l'expérience de M. de Buffon, queje pourrais confirmer par plusieurs que j'ai exécutées avec soin, mais dont je ne parlerai pas pour le présent, parce qu’elles ont été faites dans d’autres vres. Cependant on ne conçoit pas aisément comment cet aubier a paru être altéré au point de ne pouvoir se convertir en bois, et que bien loin qu'il soit mort, il ait même été en état de fournir de la sève aux couches ligneuses qui se sont formées par-dessus dans un état de perfection qu'on peut comparer au bois des arbres qui n’ont souffert aucun accident. Il faut bien cependant que la chose se soit passée ainsi, et que le grand hiver ait causé une maladie incurable à cet aubier ; car s’il était mort aussi bien que l'écorce qui le recouvre, il n’est pas douteux que l’arbre au- rait péri entièrement : c’est ce qui est arrivé en 1709 à plusieurs arbres dont l'écorce s’est détachée, qui par un reste de sève qui était dans leur tronc ent poussé au printemps, mais qui sont morts d’épuisement avant l’automne faute de recevoir assez de nourriture pour subsister. Nous avons trouvé de ces faux aubiers qui étaient plus épais d’un côté que d’un autre ; ce qui s'accorde à merveille avec l’état le plus or- dinaire de l’aubier.Nous en avons aussi trouvé de très-minces; apparemment qu'il n’y avait eu que quelques couches d’aubier d’endommagées. Tous ces faux aubiers ne sont pas de la même couleur, et n’ont pas souffert une altération éga- le; ils ne sont pas aussi mauvais les uns que les autres, et cela S’accorde à merveille avec ce que 1° nous avons dit plus haut. Enfin nous avons fait fouiller au pied de quelques-uns de ces arbres, pour voir si ce même défaut existait aussi dans les racines ; mais nous les avons trouvées très- saines. Ainsi il est probable que la terre qui les recouvrait les avait garanties du grand froid. Voilà done un effet des plus fâcheux des ge- lées d'hiver, qui, pour être renfermé dans l’in- térieur des arbres, n’en est pas moins à crain- dre, puisqu'ilrendlesarbres qui en sontattaqués presque inutiles pour toutes sortes d'ouvrages ; mais outre cela il est très-fréquent , et on a tou- tes les peines du monde à trouver quelques ar- bres qui en soient totalement exempts : cepen- dant on doit conclure des observations que nous venons de rapporter, que tous les arbres dont le bois ne suit pas une nuance réglée depuis le centre où il doit être d’une couleur plus foncée jusqu'auprès de l’aubier, où la couleur s’éclair- cit un peu, doivent être soupconnés de quelques défauts, et même être entièrement rebutés pour les ouvrages de conséquence, si la différence est considérable. Disons maintenant un mot de cet autre défaut que nous avons appelé la ge- livure entrelardee. En sciant horizontalement des pieds d'arbres, on aperçoit quelquefois un morceau d’aubier mort et d’écorce desséchée, qui sont entière- ment recouverts par le bois vif. Cet aubier mort occupe à peu près le quart de la circonférence ‘ dans l’endroit du tronc où ïl se trouve; il est quelquefois plus brun que le bon bois, et d’au- tres fois presque blanchâtre. Ce défaut se trouve plus fréquemment sur les coteaux exposés au midi , que partout ailleurs. Enfin, par la profon- deur où cet aubier se trouve, dans le trone, il pa- raît dans beaucoup d’arbres avoir péri en 1709, et nous croyons qu’il est dans tous une suite des grandes gelées d'hiver, qui ont fait entièrement périr une portion d’aubier et d’écorce, qui ont ensuite été recouverts par le nouveau bois ; et cet aubier mort se trouve presque toujours à l’exposition du midi, parce que le soleil venant à fondre la glace de ce côté, il en résulte une humidité qui regèle de nouveau et sitôt après que le soleil a disparu ; ce qui forme un verglas qui, comme l’on sait, cause un préjudice consi- dérable aux arbres. Ce défaut n’occupe pas or- dinairement toute la longueur du tronc, de sorte que nous avons vu des pièces équarries qui pa- raissaient très-saines, et que l’on n’a reconnues attaquées de zette gelivure que quand on les a 49 770 INTRODUCTION À L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. eu refendues, pour en faire des planches ou des membrières. Si on les eût employées detoute leur grosseur, on les aurait crues exemptes de tous défauts. On conçoit cependant combien un tel vice dans leur intérieur doit diminuer leur force et précipiter leur dépérissement. Nous avons dit encore que les fortes gelées d'hiver faisaient quelquefois fendre les arbres suivant la direction de leurs fibres, et même avec bruit; ainsi il nous reste à rapporter les observations que nous avons pu faire sur cet accident. Ontrouve dans les forêts des arbres qui, ayant été fendus suivant la direction de leurs fibres, sont marqués d’une arête qui est formée par la cicatrice qui a recouvert ces gerçures qui r'es- tent dans l'intérieur de ces arbres sans se réu- nir, parce que, comme nous le prouverons dans une autre occasion , il ne se forme jamais de réu- nion dans les fibres ligneuses, sitôt qu’elles ont été séparées ou rompues. Tous les ouvriers re- gardent toutes ces fentes comme l'effet des ge- lées d'hiver, c’est pourquoi ils appellent des ge- livures toutes les gerçures qu'ils aperçoivent dansles arbres. Il n’est pas douteux que la sève, qui augmente de volume lorsqu'elle vient à ge- ler, comme font toutes les liqueurs aqueuses, peut produire plusieurs de ces gerçures ; mais nous croyons qu’il y en à aussi qui sont indé- pendantes de la gelée, et qui sont occasion- nées par une trop grande abondance de sève. Quoi qu'il en soit, nous avons trouvé de ces défectuosités dans tous les terroirs et à toutes les expositions, mais plus fréquemment qu’ail- leurs dans les terroirs humides, et aux exposi- tions’ du nord et du coubant : peut-être cela vient-il, dans un cas, de ceque le froid est plus violent à ces expositions, et, dans l'autre, de ce que les arbres qui sont dans les terroirs maré- cageux ont le tissu de leurs fibres ligneuses plus faible et plus rare, et de ce que leur sève est plus abondante et plus aqueuse que dans les terroirs secs ; ce qui fait que l'effet de la raré- faction des liqueurs par la gelée est plus sen- sible et d'autant plus en état de désunir les fi- bres ligneuses, qu’elles y apportent moins de résistance. Ceraisonnement paraît être confirmé par une autre observation. c’estque les arbres résineux ; comme le sapin, sont rarement endommagés par les grandes gelées, ce qui peut venir de ce que leur sève est résineuse ; car on sait que les hui- les ne gèlent pas parfaitement, et qu'au lieu d'augmenter de volume à la gelée, comme l’eau, elles en diminuent lorsqu'elles se figent '. Au reste, nous avons scié plusieurs arbres attaqués de cette maladie, et nous avons pres- que toujours trouvé, sous la cicatrice proémi- pente dont nous avons parlé, un dépôt de sève ou de bois pourri, et elle ne se distingue de ce qu’on appelle dans les forêts des abreuvoirs ou des gouttières que parce que ces défauts , qui viennent d’une altération desfibresligneuses qui s’est produite intérieurement, n’ont oecasionné aucune cicatrice qui change la forme extérieure ” des arbres, au lieu que les gelivures qui vien- nent d’une gerçure qui s’est étendue à l’exté- rieur , et qui s’est ensuite recouverte par une cicatrice, forment une arête ou une éminence en forme de corde, qui annonce le vice intérieur. Les grandes gelées d'hiver produisent sans doute bien d’autres dommages aux arbres, et nous avons encore remarqué plusieurs défauts quenous pourrions leur attribuer avecheaucoup de vraisemblance : mais comme nous n'avons pas pu nous en convainere pleinement, nous n’a- jouterons rien à ce que nous venons de dire , et nous passerons aux observations quenous avons faites sur les effets des gelées du printemps , après avoir dit un mot des avantages et des dés- avantages des différentes expositions par rap= port à la gelée; car cette question est trop inté- ressante à l’agriculture pour ne pas essayer de léclaircir, d'autant que les auteurs se trouvent dans des oppositions de sentiments plus capa- bles de faire naître des doutes, que d’augmen- ter nos connaissances, les uns prétendant que la gelée se fait sentir plus vivement à Pexposition du nord, les autres voulant que ce soit à celle du midi ou du couchant; et tous ces avis ne sont fondés sur aueune observation. Nous sentons cependant bien ce qui a pu partager ainsi les sentiments, et e’estce qui nousa mis à portée de 1 M. Hales, ce savant observateur qui nous a tant appris de choses sur la végétation, dit dans son livre de la Statique des végétaux, page 19, que ce sont les plantes qui transpirent le moins qui résistent le mieux au froid des hivers, parce qu'elles n'ont besoin, pour se conserver, que d'une très-petite quantité de nourriture. Il prouve, dans le même endroit, que les plantes qui conservent leurs feuilles pendant l'hiver sont celles qui transpirent le moins; cependant on sait que l'oran- ger, le myrte, et encore ples le jasmin d'Arabie, etc., sont très-sensibles à la gelée, quoique ces arbres conservent leurs feuilles pendant l'hiver ; il faut donc avoir recours à une au- tre cause pour expliquer pourquoi certains arbres, qui ne se dépouillent pas pendant l'hiver, supportent si bien les plus fortes gelées. PARTIE EXPÉRIMENTALE. les concilier. Mais avant que de rapporter les ob- servations et les expériences qui nous y ont con- duits , il est bon de Conner une idée plus exacte de la question. + Il n’est pas douteux que c’est à l'exposition du nord qu'il fait le plus grand froid : elle est à l'abri du soleil, qui peut seul, dans les grandes gelées, tempérer la rigueur du froid ; d’ailleurs elle est exposée au vent du nord, de nord-est et de nord-ouest, qui sont les plus froids de tous, non-seulement à en juger par les effets que ces vents produisent sur nous , mais encore par la liqueur des thermomètres, dont la décision est bien plus certaine. Aussi voyons-nous le long de nos espaliers, que la terre est souvent gelée et endurcie toute la journée au nord, pendant qu’elle est meuble et qu'on la peut labourer au midi. Quand après cela il succède une forte gelée pendant la nuit, il est clair qu'il doit faire bien | plus froid dans l’endroit où il y a déjà de la gla- ce, que dans celui où la terre aura été échauf- fée par le soleil; c’est aussi pour cela que, même dans les pays chauds, on trouve encore de la neige à l'exposition du nord , sur les revers des hautes montagnes : d’ailleurs la liqueur du ther- momètre se tient toujours plus bas à l’exposition du nord qu’à celle du midi; ainsi il est incontesta- ble qu’il y fait plus froid et qu’il y gèle plus fort. En faut-il davantage pour faire conclure que la gelée doit faire plus de désordre à cette expo- sition qu’à celle du midi? et on se confirmera dans ce sentiment par l’observation que nous avons faite de la gelivure simple, que nous avons trouvée en plus grande quantité à cette exposition qu’à toutes les autres. Effectivement il est sûr que tous les acci- dents qui dépendront uniquement de la grande force de la gelée, tels que celui dont nous ve- nons de parler, se trouveront plus fréquemment à l'exposition du nord que partout ailleurs. Mais est-ce toujours la grande force de la gelée qui endommage les arbres, et n’y a-t-il pas des ac- cidents particuliers qui font qu’une gelée mé- diocre leur cause beaucoup plus de préjudice que ne font les gelées beaucoup plus violentes, quand elles arrivent dans des circonstances heureuses ? Nous en avons déjà donné un exemple en parlant de la gelivure entrelardée qui est pro- 774 les autres, et l’on se souvient bien encore qu'une partie des désordres qu'a produits l'hiver de 1709 doit être attribuée à un faux dégel qui fut suivi d'une gelée encore plus forte que celle qui l'avait précédé. Mais les observations que nous avons faites sur les effets des gelées du prin- temps nous fournissent beaucoup d’exemples pareils, qui prouvent incontestablement que ce n’est pas aux expositions où il gele le plus fort, et où il fait le plus grand froid, que la gelée fait le plus de tort aux végétaux ; nous en atlons donner le détail, qui va rendre sensible la pro- position générale que nous venons d’avancer, et nous commencerons par une expérience que M. de Buffon a fait exécuter en grand dans ses bois, qui sont situés près de Montbard en Bour- gogne. Il à fait couper, dans le courant de l’hiver 1734, un bois taillis de sept à huit arpents, si- tué dans un lieu sec, sur un terrain plat, bien découvert et environné de tous côtés de terres labourables. Il a laissé dans ce même bois plu- sieurs petits bouquets carrés sans les abattre, et qui étaient orientes de façon que chaque face regardait exactement le midi, le nord, le levant et le couchant. Après avoir bien fait nettoyer la coupe ,il a observé avec soin, au printemps, l'accroissement du jeune bourgeon, principale- ment autour des bouquets réservés : au 20 ayril, il avait poussé sensiblement dans les endroits exposés au midi, et qui, par conséquent, étaient à l'abri du vent du nord par les bouquets ; c’est done en cet endroit que les bourgeons poussè- rent les premiers et parurent les plus vigoureux. Ceux qui étaient à l'exposition du levant paru- rent ensuite, puis ceux de l’exposition du cou- chant, et enfin ceux de l’exposition du nord. Le 28 avril, la gelée se fit sentir très-vive- ment le matin, par un vent du nord, le ciel étant fort serein et l’air fort sec, surtout depuis trois jours. Il alla voir en quel état étaient les bourgeons autour des bouquets, et il les trouva gâtés et absolument noircis dans tous les endroits qui étaient exposés au midi et à l'abri du vent du nord ; au lieu que ceux qui étaient exposés au vent froid du nord, qui soufflaitencore, n'étaient ! que légèrement endommagés; et il fit la même | observation autour de tous les bouquets qu’il | avait fait réserver. A l’égard des expositions duite par le verglas, et qui se trouve plus fré- | du levant et du couchant, elles étaientce jour- quemment à l'exposition du midi qu'à toutes | là à peu près également endommagées. 172 “Les 14, 15 et 22 mai, qu'il gela assez vive- ment par les vents du nord et de nord-nord- ouest, il observa pareillement que tout ce qui était à l'abri du vent par les bouquets était très-endommagé, tandis que ce qui avait été exposé au vent avait très-peu souffert, Cette ex- périence nous parait décisive, et fait voir que, quoiqu'il gèle plus fort aux endroits exposés au vent du nord, qu'aux autres, la gelée y fait ce- pendant moins de tort aux végétaux. Ce fait est assez opposé au préjugé ordinaire, mais il n’en est pas moins certain, et même il est aisé à expliquer : il suffit pour cela de faire attention aux circonstances dans lesquelles la gelée agit, et on reconnaîtra que l'humidité est la principale cause de ses effets, en sorte que tout ce qui peut occasionner cette humidité rend en même temps la gelée dangereuse pour les vé- gétaux; et tout ce qui dissipe l'humidité, quand même ce serait en augmentant le froid, tout cé qui dessèche diminue les désordres de la gelée. Ce fait va être confirmé par quantité d’obser- vations. Nous avons souvent remarqué que dans les endroits bas, et où il règne des brouillards, la gelée se fait sentir plus vivement etplus souvent qu'ailleurs. Nous avons, par exemple, vu en automne et au printemps les plantes délicates gelées dans un jardin potager qui est situé sur le bord d’une rivière, tandis que les mêmes plantes se con- servaient bien dans un autre potager qui est situé sur la hauteur. De même dans les vallons et les lieux bas des forêts, le bois n’est jamais d’une belle venue, ni d’une bonne qualité, quoi- que souvent ces vallons soient sur un meilleur fonds que le reste du terrain. Le taillis n’est ja- mais beau dans les endroits bas; et, quoiqu'il y pousse plus tard qu'ailleurs, à cause d’une fraicheur qui y est toujours concentrée, et que M. de Buffon m’a assuré avoir remarquée même l'été en se promenant la nuit dans les boïs ; car il y sentait sur les éminences presque autant de chaleur que dans les campagnes découver- tes, et dans les vallons il était saisi d’un froid vif et inquiétant; quoique, dis-je, le bois y pousse plus tard qu'ailleurs, ces pousses sont encore endommagées par la gelée, qui, en gà- tant les principaux jets, oblige les arbres à pousser des branches latérales, ce qui rend les taillis rabougris et hors d'état de faire jamais de beaux arbres de service : et ce que nous ve- INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. nons de dire ne se doit pas seulement entendre des profondes vallées qui sont si susceptibles de cesinconvénients, qu’on en remarqued’exposées au nord et fermées du côté du midi en cul-de- sac, dans lesquelles il gèle souvent les douze mois de l’année; mais on remarquera encore la même chose dans les plus petites vallées, de sorte qu'avec un peu d'habitude on peut re- connaître simplement à la mauvaise figure du taillis la pente du terrain. C’est aussi ce que j'ai remarqué plusieurs fois, et M. de Buffon l’a particulièrement observé le 28 avril 1744; car ce jour-là les bourgeons de tous les taillis d'un an , jusqu’à six et sept, étaient gelés dans tous les lieux bas, au lieu que dans les endroits éievés et découverts il n’y avait que les rejets près de terre qui fussent gâtés. La terre était alors fort sèche, et l'humidité de l’air ne lui parut pas avoir beaucoup contribué à ce dommage. Les vignes, non plus que les noyers de la cam- pagne, ne gelérent pas : cela pourrait faire croire qu'ils sont moins délicats que le chêne; mais nous pensons qu'il faut attribuer cela à l’humi- dité, qui est toujours plus grande dans les bois que dans le reste des campagnes, car nous avons remarqué que souvent les chênes sont fort en- dommagés de la gelée dans les forêts, pendant que ceux qui sont dans les haies ne le sont point du tout. Dans le mois de mai 1736, nous avons encore eu occasion de répéter deux fois cette observa- tion, qui a même été accompagnée de circon- stances particulières , mais dont nous sommes obligés de remettre le détail à un autre endroit de ce Mémoire, pour en faire mieux sentir la singularité. Les grands bois peuvent rendre les taillis qui sont dans leur voisinage, dans le même état qu'ils seraient dans le fond d’une vallée : aussi avons-nous remarqué que le long ct près des lisières des grands bois, les taillis sont plus sou- vent endommagés par la gelée, que dans les en- droits qui en sont éloignés ; comme dans le mi- lieu des taillis et dans les bois où on laisse un grand nombre de baliveaux, elle se fait sentir avec bien plus de force que dans ceux qui sont plus découverts. Or, tous les désordres dont nous venons de parler, soit à l'égard des vallées, soil pour ce qui se trouve le long des grands bois ou à couvert par les baliveaux, ne sont plus considérables dans ces endroits que dans les autres, que parce que le vent etle soleil ne pou- PARTIE EXPÉRIMENTALE, 775 vant dissiper la transpiration de la terre et des plantes, il y reste une humidité considérable , qui, comme nous l'avons dit, cause un très- grand préjudice aux plantes. Aussiremarque-t-on que la gelée n’estjamais plus à craindre pour la vigne, les fleurs, les bourgeons des arbres, ete., que lorsqu'elle suc- cède à des brouillards, où même à une pluie, quelque légère qu'elle soit : toutes ces plantes supportent des froids très-considérables sans en être endommagées lorsqu'il y a quelque temps qu'il n’a plu, et que la terre est fort sèche, comme nous l'avons encore éprouvé ce prin- temps dernier. C’est principalement pour cette même raison que la gelée agit plus puissamment dans les en- droits qu'on a fraichement labourés qu'ailleurs, et cela parce que les vapeurs qui s'élèvent con- tinuellement de la terre transpirent plus libre- ment et plus abondamment des terres nou- vellement labourées que des autres ; il faut néanmoins ajouter à cette raison, que les plantes fraichement labourées poussent plus vigoureu- sement que les autres, ce qui les rend plus sen- sibles aux effets de la gelée. De même, nous avons remarqué que dans les terrains légers et sablonneux, la gelée fait plus de dégâts que dans les terres fortes, en les supposant également sèches, sans doute parce qu'ils sont plus hâtifs, et encore plus parce qu’il s'échappe plus d’exhalaisons de ces sortes de terres que des autres, comme nous le prouve- rons ailleurs; et si une vigne nouvellement fu- mée est plus sujette à être endommagée de la gelée qu'une autre, n'est-ce pas à cause de lhu- midité qui s'échappe des fumiers? Un sillon de vigne qui est le long d’un champ de sainfoin ou de pois, ete., est souvent tout perdu de la gelée, lorsque le reste de la vigne est très-sain ; ce qui doit certainement être at- tribué à la transpiration du sainfoin ou des au- tres plantes qui portent une humidité sur les pousses de la vigne. Aussi dans la vigne les verges , qui sont de longs sarments qu’on ménage en taillant, sont- elles toujours moins endommagées que la sou- che, surtout quand, n’étant pas attachées à l’échalas, elles sont agitées par le vent, qui ne tarde pas de les dessécher. La même chose se remarque dans les bois ; et j'ai souvent vu dans les taillis tous les bour- geors latéraux d’une souche entièrement gâtés par la gelée, pendant queles rejetons supérieurs n'avaient pas souffert ; mais M. de Buffon a fait cette même observation avec plus d'exactitude; il lui a toujours paru que la gelée faisait plus de tort à un pied de terre qu’à deux, à deux qu'à trois, de sorte qu'il faut qu’elle soit bien violente pour gâter les bourgeons au-dessus de quatre pieds. Toutes ces observations, qu'on peut regarder comme très - constantes, s'accordent donc à prouver que le plus souvent ce n’est pasle grand froid qui endommage les plantes chargées d’hu- midité, ce qui explique à merveille pourquoi elle fait tant de désordres à l'exposition du midi, quoiqu'il y fasse moins froid qu'à celle du nord; et de même la gelée cause plus de dommage à l'exposition du couchant qu’à toutes les autres, quand, après une pluie du vent d'ouest, le vent tourne au nord vers le soleil couché, comme cela arrive assez fréquemment au printemps, où quand par un vent d'est il s'élève un brouil- lard froid avant le lever du soleil, ce qui n’est pas si ordinaire. Il y à aussi des circonstances où la gelée fait plus de tort à l'exposition du levant qu'àtoutes les autres; mais comme nous avons plusieurs observations sur cela, nous rapporterons aupa- ravant celle que nous avons faite sur la gelée du printemps de 1736, qui nous a fait tant de tort l’année dernière. Comme il faisait très-sec ce printemps, il a gelé fort longtemps sans que cela ait endommagé les vignes : mais il n’en était pas de même dans les forêts, apparemment parce qu’il s’y conserve toujours plus d’humi- dité qu'ailleurs : en Bourgogne, de même que dans la forêt d'Orléans, les taillis furent en- dommagés de fort bonne heure. Enfin la gelée augmenta si fort, que toutes les vignes furent perdues malgré la sécheresse qui continuait toujours ; mais au lieu que c’est ordinairement à l’abri du vent que la gelée fait plus de dom- mage, au contraire, dans le printemps dernier, les endroits abrités ont été les seuls qui aient été conservés, de sorte que dans plusieurs clos de vignes entourés de murailles, on voyait les souches le long de l’exposition du midi être assez vertes, pendant que toutes les autres étaient sèches comme en hiver; et nous avons eu deux cantons de vignes d’épargnés , l’un parce qu'il était abrité du vent du nord par une pépinière d'ores, ct l'autre parce que la vigne était rem- plie de beaucoup d'arbres fruitiers. 774 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. Mais cet effet est très-rare, et cela n’est ar- rivé que parce qu'il faisait fort see , et que les vignes ont résisté jusqu’à ce que la gelée fût devenue si forte, pourla saison, qu’elle pouvait endommager les plantes indépendamment de l'humidité extérieure ; et, comme nous l'avons dit , quand la gelée endommage les plantes in- dépendamment de cette humidité et d’autres circonstances particulières, c’est à l’exposition du nord qu’elle fait le plus de dommage, parce que c’est à cette exposition qu’il fait plus de froid. Mais il nous semble encore apercevoir une autre cause des désordres que la gelée produit plus fréquemment à des expositions qu’à d’au- tres, au levant, par exemple, plus qu’au couchant ; elle est fondée sur l'observation sui- vante, qui est aussi constante que les précé- dentes. Une gelée assez vive ne cause aucun préju- dice aux plantes , quand elle fond avant que le soleil les ait frappées : qu'il gèle la nuit, si le matin le temps est couvert, s’il tombe une pe- tite pluie, en un mot, si, par quelque cause que ce puisse être, la glace fond doucement et in- dépendamment de l’action du soleil, ordinaire- ment elle ne les endommage pas; et nous avons souvent sauvé des plantes assez délicates qui étaient par hasard restées à la gelée, en les rentrant dans la serre avant le lever du soleil , ou simplement en les couvrant avant que le so- leil eùt donné dessus. Une fois entre autres, il était survenu en au- tomne une gelée très-forte pendant que nos orangers étaient dehors ; et comme il était tombé de la pluie la veille, ils étaient tous cou- verts de verglas : on leur sauva cet accident en les couvrant avec des draps avant le soleil levé ; de sorte qu’il n’y eut que les jeunes fruits et les pousses les plus tendres qui en furent en- dommagés ; encore sommes-nous persuadés qu’ils ne l’auraient pas été si la couverture avait été plus épaisse. De même une autre année, nos geranium , et plusieurs autres plantes qui craignent le verglas, étaient dehors , lorsque tout à coup le vent qui était sud-ouest se mit au nord, et fut si froid, que toute l’eau d’une pluie abondante qui tom- bait se gelait, et dans un instant tout ce qui y était exposé fut couvert de glace : nous crûmes toutes nos plantes perdues ; cependant nous les fimes porter dans le fond de la serre, et nous fimes fermer les croisées; par ce moyen nous en eûmes peu d’endommagées. Cette précaution revient assez à ce qu’on pra- tique pour les animaux : qu’ils soient transis de froid, qu’ils aient un membre gelé, on se donne bien de garde de les exposér à une chaleur trop vive; on les frotte avec de la neige, ou bien on les trempe dans de l’eau, on les enterre dans du fumier; en un mot, on les réchauffe par degrés et avec ménagement. De même, si l’on fait dégeler trop précipitam- - ment des fruits, ils se pourrissent à l'instant, au lieu qu’ils souffrent beaucoup moins de dom- mage si on les fait dégeler peu à peu. Pour expliquer comment le soleil produit tant de désordres sur les plantes gelées, quelques- uns avaient pensé que la glace, en se fondant, se réduisait en petites gouttes d’eau sphériques, qui faisaient autant de petits miroirs ardents quand le soleil donnait dessus; mais quelque court que soit le foyer d’une loupe, elle ne peut produire de chaleur qu’à une distance, quelque petite qu’elle soit, et elle ne pourra pas produire un grand effet sur un corps qu’elle touchera : d’ailleurs, la goutte d’eau qui est sur la feuille d’une plante est aplatie du côté qu’elle touche à la plante, ce qui éloigne son foyer. Enfin, si ces gouttes d’eau pouvaient produire cet effet , pourquoi les gouttes de rosée , qui sont pareïl- lement sphériques, ne le produiraient-elles pas aussi? Peut-être pourrait-on penser que les par- ties les plus spiritueuses et les plus volatiles de la sève fondant les premières, elles seraient éva- porées avant que les autres fussent en état de se mouvoir dans les vaisseaux de la plante, ce qui décomposerait la sève. Mais on peut dire en général que la gelée, augmentant le volume des liqueurs , tend les vaisseaux des plantes, et que le dégel ne se pou- vant faire sans que les parties qui composent le fluide gelé entrent en mouvement, ce change- ment se peut faire avec assez de douceur pour ne pas rompre les vaisseaux les plus délicats des plantes, qui rentreront peu à peu dans leur ton naturel , et alors les plantes n’en souffri- ront aucun dommage : mais s’il se fait avec trop de précipitation, ces vaisseaux ne pourront pas reprendre sitôt le ton qui leur est naturel ; après avoir souffert une extension violente , les liqueurs s’évaporeront et la plante restera des- séchée. Quoi qu’on puisse conclure de ces conjectu- PARTIE EXPÉRIMENTALE. res, dont je ne suis pas à beaucoup près satis- fait, il reste toujours pour constant : 1° Qu'il arrive, à la vérité rarement, qu’en hiver ou au printemps les plantes soient en- £ . | dommagées simplement par la grande force de la gelée, et indépendamment d'aucune cir- constance particulière ; et dans ce cas, c’est à l'exposition du nord que les plantes souffrent lesplus. 20 Dans le temps d’une gelée qui dure plu- sieurs jours, l’ardeur du soleil fait fondre la glace en quelques endroits et seulement pour quelques heures ; car souventil regèle avant le coucher du soleil , ce qui forme un verglas très- préjudiciable aux plantes ; et on sent que l’ex- position du midi est plus sujette à cet inconvé- nient que toutes les autres. 3° On a vu que les gelées du printemps font principalement du désordre dans les endroits où il y a de l'humidité. Les terroirs qui trans- pirent beaucoup, les fonds des vallées, et gé- | néralement tous les endroits qui ne pourront être desséchés par le vent et le soleil, seront donc plus endommagés que les autres. Enfin, si, au printemps, le soleil qui donne sur les plantes gelées leur occasionne un dom- mage plus considérable, ilest clair que ce sera l’exposition du levant, etensuite du midi qui souffriront le plus de cet accident, Mais, dira-t-on, si cela est, il ne faut donc plus planter à l’exposition du midi en à-dos {qui sont des talus de terre qu’on ménage dans les potagers ou le long des espaliers), les giro- flées, les choux desavents, leslaitues d'hiver, les pois verts et lesautres plantes délicates aux- quelles on veut faire passer l’hiver, et que l'on souhaite avancer pour le printemps ; ce sera à l'exposition du nord qu’il faudra dorénavant planter les pêchers et les autres arbres délicats. Il est à propos de détruire ces deux objections, et de faire voir qu’elles sont de fausses consé- quences de ce que nous avons avancé. On se propose différents objets quand on met des plantes passer l'hiver à des abris exposés au midi : quelquefois c’est pour hâter leur vé- gétation ; c’est, par exemple, dans cette inten- tion qu’on plante, le long des espaliers, quel- ques rangées de laitues, qu’on appelle, à cause de cela, des lailues d'hiver, quirésistent assez bien à la gelée quelque part qu’on les mette, mais quiavancent davantage à cette exposition; d’autres fois c’est pour les préserver de la ri- | 775 gueur de cette saison, dans l'intention de les replanter de bonne heure au printemps; on suit , par exemple, cette pratique pour les choux qu'on appelle des avents, qu’on sème en cette saison le long d’un espalier. Cette espèce de choux, de même que les broccolis , sont assez tendres à la gelée, et périraient souvent à ces abris si on n’avait pas soin de les couvrir pen- dant les grandes gelées avec des paillassons où de fumier soutenu sur des perches. Enfin on veut quelquefois avancer la végéta- tion de quelques plantes qui craignent la gelée, comme seraient les giroflées et les pois verts , et pour cela on les plante sur des à-dos bien ex- posés au midi; mais de plus on les défend des grandes gelées en les couvrant, lorsque le temps l'exige. On sent bien, sans que nous soyons obligés de nous étendre davantage sur cela , que l’ex- position du midi est plus propre que toutes les autres à accélérer la végétation, et on vient de voir que c’est aussi ce qu’on se propose princi- palement quand on met quelques plantes passer l'hiver à cette exposition, puisqu'on est obligé, comme nous venons de le dire, d'employer ou- tre cela des couvertures pour garantir de la ge- lée les plantes qui sont un peu délicates ; mais il faut ajouter que s’il y a quelques circonstan- ces où Ja gelée fasse plus de désordre au midi qu'aux autres expositions, il y a aussi bien des cas qui sont favorables à cette exposition, sur- tout quand il s’agit d’espalier. Si, par exemple, pendant l'hiver, il y a quelque chose à craindre des verglas, combien de fois arrive-t-il que la | chaleur du soleil, qui est augmentée par la ré- flexion de la muraille, a assez de force pour dissiper toute l’humidité, et alors les plantes sont presque en süreté contre le froid ! De plus, combien arrive-t-il de gelées sèches qui agissent au nord sans relâche, et qui ne sont presque pas sensibles au midi! De même au printemps, on sent bien que si, après une pluie qui vient de sud-ouest ou desud-est, le ventsemetau nord, l'espalier du midi étant à l’abri du vent , souf- frira plus que les autres. Mais ces cas sont ra- res, et le plus souvent c’est après des pluies de nord-ouest ou de nord-est que le vent se met au nord , et alors l’espalier du midi ayant été à l’abri de la pluie par le mur, les plantes qui y seront auront moins à souffrir que les autres, non-seulement parce qu'elles auront moins reçu de pluie, mais encore parce qu'il y fait toujours 770 moins froid qu'aux autres expositions, comme nous l'avons fait remarquer au commencement de ce Mémoire. \ De plus, comme le soleil dessèche beaucoup la terre le long des espaliers qui sont au midi, la terre y transpire moins qu'ailleurs. On sent bien que ce que nous venons de dire doit avoir son application à l'égard des pèchers et des abricotiers, qu’on a coutume de mettre à cette exposition et à celle du levant; nous ajou- terons seulement qu'il n’est pas rare de voir les pêchers geler au levant et au midi, et ne le pas être au couchant ou même au nord : mais in- dépendamment de cela, on ne peut jamais compter avoir beaucoup de pêches et de bonne qualité à cette dernière exposition; quantité de fleurs tombent tout entières et sans se nouer; d’autres après être nouées se détachent de l’ar- bre, et celles qui restent ont peine à parvenir à une maturité. J'ai même un espalier de pêchers à l'exposition du couchant , un peu déclinante au nord, qui ne donne presque pas de fruit, quoique les arbres y soient plus beaux qu'aux expositions du midi et du nord. Ainsi on ne pourrait éviter les inconvénients qu'on peut reprocher à l’exposition du midi à l'écard de la gelée, sans tomber dans d’autres plus fâcheux. Mais tous les arbres délicats , comme les fi- guiers, les lauriers, ete., doivent être mis au midi, ayant soin, comme l'on fait ordinaire- ment, de les couvrir; nous remarquerons seule- ment que le fumier sec est préférable pour cela à la paille, qui ne couvre jamais si exactement, et dans laquelle il reste toujours un peu de grain qui attire les mulots et les rats, qui mangent quelquefois l'écorce des arbres pour se désalté- rer dans le temps de la gelée, où ils netrouvent point d'eau à boire, ni d'herbe à paitre ; c’est ce qui nous est arrivé deux à trois fois : mais quand on se sert de fumier, il faut qu’il soit sec, sans quoi il s’échaufferait et ferait moisir les jeunes branches. Toutes ces précautions sont cependant bien inférieures à ces espaliers en niche ou en ren- foncement , tels qu’on en voit aujourd’hui au jardin du Roi; les plantes sont de cette manière à l'abri de tous les vents,excepté celui du midi quine leur peut nuire : le soleil, qui échauffe ces endroits pendant le jour, empêche que le froid n'y soit si violent pendant la nuit eton peut avec grande facilité mettre sur ces renfonce- EE EEE ——, INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. ments une légère couverture, qui tiendra les plantes qui y seront dans un état de sécheresse, infiniment propre à prévenir tous les accidents que le verglas et les gelées du printemps au- raient pu produire; et la plupart des plantes ne souffriront pas d’être ainsi privées de l’humidité extérieure, parce qu’elles ne transpirent pres- que pas dans l'hiver, non plus qu’au commen- cement du printemps, de sorte que l’humidité de l’air suffit à leur besoin. Mais puisque les rosées rendent les plantes si susceptibles de la gelée du printemps, ne pour- rait-on pas espérer que les recherches que MM. Musschenbroeck et du Fay ont faites sur cette matiere pourraient tourner au profit de l'agriculture ? Car enfin, puisqu'il y a des corps qui semblent attirer la rosée, pendant qu'il y en a d’autres qui la repoussent, si on pouvait peindre, enduire ou crépir les murailles avec quelque matière qui repousserait la rosée, il est sûr qu'on aurait lieu d’en espérer un succès plus heureux, quede la précaution que l’on prend de mettre une planche en manière de toit au-des- sus des espaliers ; ce qui ne doit guère diminuer l'abondance de la rosée sur les arbres, puisque M. du Fay a prouvé que souvent elle ne tombe pas perpendiculairement commeune pluie, mais qu’elle nage dans l’air et qu’elle s'attache aux corpsqu'elle rencontre; de sorte qu’il a souvent autant amassé de rosée sous un toit que dans les endroits entièrement découverts. Il nous serait aisé de reprendre toutes nos observa- tions, et de continuer à en tirer des conséquen- ces utiles à la pratique de l’agriculture ; ce que nous avons dit, par exemple, au sujet de la vigne, doit déterminer à arracher tous les ar- bresqui empêchent le vent dedissiper les brouil- lards. Puisqu’en labourant la terre on en fait sortir plus d'exhalaisons, il faut prêter plus d’atten- tion à ne la pas faire labourer dans les temps critiques. On doitdéfendre expressément qu’on ne sème sur les sillons de vigne des plantes potagères, qui, par leurs transpirations, nuiraient à la vigne. | On ne mettra des échalas aux vignes que le plus tard qu’on pourra. On tiendra les haies qui bordent les vignes du côté dunord, plusbassesque de toutautrecôte. On préférera amender les vignes avec des terreaux, plutôt que de les fumer. PARTIE EXPÉRIMENTALE. Enfin, si on est à portée de choisir un ter- rain, on évitera ceux qui sont dans des fonds, ou dans les terroirs qui transpirent beaucoup. Une partie de ces précautions peut aussi être emplovée très-utilement pour les arbres frui- tiers, à l'égard, par exemple, des plantes pota- gères, que les jardiniers sont toujours empres- sés de mettre aux pieds de leurs buissons, et encore plus le long de leurs espaliers. S'il y a des parties hautes et d'autres basses dans les jardins, on pourra avoir l'attention de semer les plantes printanieres et délicates sur le haut, préférablement au bas, à moins qu’on n’ait dessein de les couvrir avec des cloches, des châssis, ete. : car, dans le cas où l'humidité ne peut nuire, ilseraitsouvent avantageux de choi- sir les lieux bas pour être à l’abri du vent du nord et du nord-ouest. On peut aussi profiter de ce que nous avons dit à l'avantage des forêts : car si on a des ré- serves à faire, ce ne sera jamais dans les en- droits où la geléé cause tant de dommage. Si on sème un bois, on aura attention de mettre dans les vallons des arbres qui soient plus durs à la gelée que le chêne. Quand on fera des coupes considérables, on mettra dans les clauses du marché qu’on les commencera toujours du côté du nord , afin 777 que ce vent, qui règne ordinairement dans les temps des gelées, dissipe cette humidité qui est préjudiciable aux taillis. Enfin si, sans contrevenir aux ordonnances, on peut faire des réserves en lisières, au lieu de laisser des baliveaux qui, sans pouvoir ja- mais faire de beaux arbres, sont à tous égards la perte des taillis, et particulièrement dans l'occasion présente, en retenant sur les taillis cette humidité qui est si fâcheuse dans les temps de gelée; on aura en même temps attention que la lisière de réserve ne couvre pas le taillis du côté du nord. Il y aurait encore bien d’autres conséquences utiles qu'on pourrait tirer de nos observations; nous nous contenterons cependant d’en avoir rapporté quelques-unes, parce qu'on pourra suppléer à ce que nous avons omis, en prétant un peu d'attention aux observations que nous avons rapportées. Nous sentons bien qu'il y aurait encore sur cette matière nombre d’ex- périences à faire , mais nous avons cru qu'il n’y avait aucun inconvénient à rapporter celles que nous avons faites : peut-être même enga- geront-elles quelque autre personne à travail- ler sur la même matière ; et si elles ne produi- sent pas cet effet, elles ne nous empêcheront pas de suivre les vues que nous avons encore FIN DU PREMIER VOLUME. R Li CP ' PL Mutrig AU A M PN| re A À n° TE $ N ds vultbtl te vol | LAbiet dt h: ah Jranes MP \ [ARS iftict sal | FO, f NE hu sf 14 QU LT AU Fe DETTE EE LRS LE TEE ES TTL EE CYTUE 2e CON RER | RL TASER TR OUIDAESS) Vri ex 6, 4 { Va RTL Moy GG Hrat 21 LA ATEN 21 ; pelle ; in. ; ? "le ' he ui LUI mobs UE AE ra dr. bye +. de. D, fi +’ DT CONTE l , % . { CT . € ( ï i 4 M. , et + dant #} J ? U È iMtr Lol y tip: 1 il ; «90 Url et dl tr tan #4 di 3 PH net RL OR | D eq | TE \ î LAURE Wgri MN 1 CIM fu} Lu LL 4 Ah DA (TEL LA À H ENT S : PE | ‘He MENU 0 luc, PPRe ste M d Re . es la L « L \ AN | j » ALLIE ' “ û 15 Pi DIE “i vi “ Per t 4 “DM Wwr té se ? la f ; 44 PV NUME-CAN } FRE sl L n {Ds AT 1 ‘ n ) 1 | / cpl À PA Li y t e ‘ n } HF CHI #4 Pr s }« je ie tu en” s ZDAE ALL vrai DA Fo l'IP LA fe à } « . \ è * Ex) au NS AE Cas € re CS LA 4 CP " CS U v'+t DPF Fr," € à NC TE LT TABLE DES MATIÈRES « CONTENUES DANS CE VOLUME. 2 —— . Pages. l'ages. Eloge de Buffon par Vieq d'Azyr. 1 ont à supporter. 95 Réponse de St-Lambert, directeur de l'Académie, Article IT. — Du système de M. Whiston. 96 au discours de M. Vicq d'Azyr. 12 | Article III. — Du système de M. Burnet. 99 Éloge historique de Daubenton, lu à la séance Article IV. — Du système de M. Woodward. 100 publique de l'Institut du 5 avril 4800 par M. le Article V.— Exposition de quelques autres sys- baron Cuvier , secrétaire perpétuel de l'Acadé- tèmes. > : 102 mie des Sciences. 17 | Article VI. — Géographie. 107 Au Roi. 27 | Additions et corrections à l'article qui a pour li- Discours prononcé à l'Académie Française par tre : Géographie. — Sur l'étendue des Gonti- M. de Baflon, le jour de sa réception. ibid. nents terrestres. 115 Adresse à MM. de l'Académie Française. 51 | Sur la forme des Continents. 116 Projet d'une réponse à M. de Coetlosquet, ancien Sur les Terres Australes. 117 évêque de Limoges, lors de sa réception à l'Aca- Sur l'invention de la Boussole. 118 démie Française. Ibid. | Sur la découverte de l'Amérique. lbid, Réponse à M. Watelet, le jour de sa réception à l'Académie Française, le samedi 19 janvier 1701, 53 Réponse à M. de la Condamipe , le jour de sa ré- ception à l'Académie Francaise, le lundi 21 jan- vier 1761. 34 : Réponse à M. le chevalier de Chätelux, le jour de sa réception à l'Académie Française, le jeudi 27 avril 1775. 55 Réponse à M. le maréchal duc de Duras, le jour de sa réception à l'Académie Française, le 15 mai 1775. 58 Théorie de la Terre. — Premier Discours. De la manière d'étudier et de traiter l'histoire natu- relle. 45 Second Discours.—Histoireet Théorie de la Terre. 62 Preuxes de la Théorie de la Terre. — Article pre- mier. De la tormatien des Planètes. 81 Additions à l'article qui a pour titre: De la forma- tion des Planètes. 94 Sur la matière du Soleil et des Planètes. Ibid. Sur le rapport de la densité des Planètes avec leur vilesse, 95 Sur le rapport donné par Newion entre la den- sité des Planètes et le degré de chaleur qu'elles Article VII. — Sur la production des couches ou lits de terre. 119 État des différents lits de terre qui se trouvent à Marly-la-Ville, jusqu'à cent pieds de profon- deur. 121 Additions à l'article qui a pour titre : De la pro- duction des couches ou lits de terre. — Sur les couches ou lits de terre en différents endroits. 151 Sur la roche intérieure du globe. 155 Sur la vitrification des matières calcaires. 154 Article VIIL.— Sur les coquilles et les autres pro- ductions de la mer, qu'on trouve dans l'inté- rieur de la terre. Ibid. Additions et corrections à l'article ci-dessus. — Des coquillles fossiles et pétriliées. 148 Sur les lieux où l'on a trouvé des coquilles. 119 Sur les grandes volutes appelées cornes d'Ammon, et sur quelques grands ossements d'animaux ter- restres. 152 Article IX. — Sur les inégalités de la surface de la terre. 155 Additions à l’article ci-dessus. — Sur la bauteur des montagnes. LL Sur la formation des montagnes. 165 180 Pages, Sur la direction des montagnes. 165 Sur la dureté que certaines malitres acquitrent par le feu aussi bien que par l'eau. 165 Expériences. Ibid. Sur l'inclinaison des couches de la terre dans les montagnes. 166 Sur les pics des montagnes. 167 Article X. — Des fleuves. 168 Additions à l'article ci-dessus.—Observalions qu'il faut ajouter à celles que j'ai données sur la Théo- rie des eaux courantes, 182 Sur la salure de la mer. Ibid, Sur les Cataractes perpendiculaires. 185 Article XI. — Des mers el des lacs. Ibid. Additions et corrections à l'article ci-dessus. — Sur les limites de la mer du Sud. 201 Sur le double courant des eaux dans quelques en- droits de l'Océan. « Ibid. Sur les parlies septentrionales de la mer Atlanti- que. 205 Sur la mer Caspienne. 907 Sur les lacs salés de l'Asie. Ibid. Article XII. — Du flux et du reflux. 208 Article XIII. — Des inégalités du fond de la mer, et des courants. 212 Additions et corrections à l'article ci-dessus. — Sur la nature et la qualité &es terrains du fond de la mer. 218 Sur les courants de la mer. 219 Article XIV. — Des vents réglés. 221 Additions à l'article ci-dessus. — Sur le vent ré- fléchi. Pr Sur l'état de l'air au-dessus des hautes montagnes. 228 Sur quelques vents qui varient régulièrement. 229 Sur les Lavanges. 250 Article XV.—Des vents irréguliers, des ouragans, des trombes et de quelques autres phénomi nes causés par l'agitation de la mer et de l'air. 251 Additions à l'article ci-dessus. — Sur la violence des vents du Midi dans quelques contrées sep- tentrionales. 259 Sur les Trombes. Ibid. Article XVI, — Des volcans et des tremblements de terre. 242 Additions à l'article ci-dessus. — Sur les tremble- ments de terre, 255 Des Volcans. 255 Des Volcans éleints. 268 Des Lavyes et Basaltes, 275 Article XVII. — Des iles nouvelles, des cavernes. des fentes perpendiculaires, etc. 217 Addiions a l'articie ci-dessus. — Sur les cavernes formées par le feu primitif. 258 | Notes sur la sixième époque. TABLE DES MATIÈRES. é Pages Article XVIII. — De l'effet des pluies , des maré- cages, des bois souterrains, des eaux souter- raines. 290 Additions à l'article ci-dessus. — Sur l'éboulement et le déplacement de quelques terrains. 295 Sur la Tourbe. 295 Sur les bois souterrains pétrifiés et charbonnifiés. 296 Sur les ossements que l'on trouve que'quefois dans l'intérieur de la terre. 500 Article XIX. — Des changements de terres en mers et de mers'en terres. 902 Additions à l’article qui a pour titre : Des change- ments de mers en terres. 512 Conclusion. 515 Supplément à la Théorie de la Terre.—Partie hy- pothétique. — Ier Mémoire. — Recherches sur le refroidissement de la Terre et des Planètes. Ibid. Second Mémoire. — Fondements des recherches précédentes sur la température des Planètes. 561 Lettre de MM. les Députés et Syndic de la Faculté de Théologie, à M. de Buffon. 577 Propositions extraites d'un ouvrage qui a pour ti- tre : Histoire Naturelle, et qui ont paru répré- bensibles à MM. les Députés de la Faculté de Théologie de Paris. Ibid. Réponse de M. de Buffon. 378 Seconde lettre de MM. les Députés et Syndie de la Faculté de Théologie, à M. de Buffon. 57 Des époques de la Nature. Ibid. Première époque. — Lorsque la Terre et les Pla- nètes ont pris leur forme. 591 Seconde époque. — Lorsque la matière, s'étant consolidée, a formé la roche intérieure du globe, ainsi que les grandes masses vitrescibles qui sont à sa surface. 401 Troisième époque. — Lorsqueles eaux ont couvert nos continents. 407 Quatrième époque. — Lorsque les eaux se sont retirées et que les volcans ont commencé d'agir. 419 Cinquième époque. — Lorsque les éléphants et les autres animaux du Midi ont habité les terres du Nord. 450 Sixième époque. — Lorsque s'est faite la sépara- tion des continents. 458 Septième et dernière époque. — Lorsque la puis- sance de l'homme a secondé ‘celle de la nature. 449 Notes justificalives des faits rapportés dans les épo- ques de la Nature. — Sur le premier discours. 458 Notes sur la première époque. 465 Notes sur la seconde époque. 466 Notes sur la troisième époque. AT Noces sur la cinquième époque. 479 Ibid. lABLE DES Pages. | Notes sur la septième époque. 490 Explication de la Carte Géographique, 492 latroduction à l'histoire des Minéraux. 197 Des Eléments. — Première partie, — De la Lu- mière, de la Chaleur et du Feu. Ibid. Seconde partie. —De l'Air, de l'Eauet dela Terre. 521 Réflexions sur la loi de l’Attraction. 556 Addition. 539 Première démonstration. Ibid. Deuxième démonstration. 540 lutroduction à l'histoire des Minéraux. — Partie expérimentale. 541 Premier mémoire. — Expériences sur le progrès de la chaleur dans les corps. 542 Expériences. 545 | Diamètres. 545 Second mémoire. — Suite des expériences sur le progrès de la chaleur dans les différentes sub- stances minérales. 551 Table des rapports du refroidissement des diffé- rentes substances minérales. 585 | Troisième mémoire. — Observations sur la nature de la Platine. 559 | Première addition. 595 Remarques. 596 Seconde addition. 558 Expériences faites par M. de Morveau, en seplem- bre 1775. Ibid. Première experience. Ibid. Deuxième expérience. 599 Troisième expérience. Ibid. Quatrième expérience. Ibid. Remarques. 601 Quatrième mémoire.—Expériences sur la Lénacité et sur la décomposition du fer. 602 Cinquième mémoire. — Expériences sur les effets de la chaleur obscure. 611 Première expérience. Ibid. Deuxième expérience. 614 Troisième expérience. 616 Quatrième expérience. 617 Cinquième expérience. = 619 Sixième expérience. 620 Sixième mémoire. — Article premier. — Invention de miroirs pour brüler à de grandes distances. 621 Article second. — Réflexions sur le jugement de Descartes au sujet des miroirs d’Archimède, avec le développement de la théorie de ces mi- roirs et l'explication de leurs principaux usages. 650 Article troisième. — Invention d'autres miroirs pour brüler à de moindres distances. 618 1. — Miroirs d'une seule pièce à foyer mobile. Ibid, IE. — Miroirs d'une seule pièce pour brüler très- MATIÈRES. 781 Pares vivement à des distances médiocres et à de pe- tites distances. 649 II.— Lentilles ou miroirs à l'eau. 651 1V. Lentilles de verre solide, 655 V. —Lentilles à échelons pour brü'er avec la plus grande vivacité possible. G5û Septième mémoire, — Observations sur les cou- leurs accidentelles et sur les ombres colorées. Ibid. Huitième mémoire. — Expériences sur la pesan- teur du feu et sur la durée de l’incandescence, 664 Sur le fer. 669 Sur le verre. 670 Neuvième mémoire, — Expériences sur la fusion des mines de fer. 674 Dixième mémoire. — Observations et expériences faites dans la vue d'améliorer les canons de la marine. 688 Onzième mémoire. — Expériences sur la force du bois. 697 Expériences. 7u8 Tables des expériences sur la force du bois. 719 Première table pour les pièces de quatre pouces d'écarrissage. Ibid. Seconde table pour les pièces de cinq pouces. Ibid. Troisième table pour les pièces de six pouces. Ibid. Quatrième table pour les pièces de sept pouces. Ibid. Cinquième table pour les pièces de huit pouces. 720 Sixième table pour les charges moyennes de toutes les expériences précédentes. Ibid, Septième table. — Comparaison de la résistance du bois trouvée par les expériences précédentes, et de la résistance du bois suivant la règle que celte résistance est comme la largeur de la pièce multipliée par le carré de la hauteur, en suppo- sant la même longueur. Ibid. Douzième mémoire. — Arlicle premier. — Moyen facile d'augmenter la solidité, la force et la du- rée du bois. Ibid. Article IL. — Expériences sur le desséchement du bois à l'air et sur son imbibition dans l’eau. ne Expérience première.— Pour reconnaitre le temps et la gradation du dessèchement. Ibid. Expérience II. — Ponr comparer le temps e! la gradation du desséchement. Ibid. Expérience III.— Pour reconnaitre si le desséche- went se fait proportionnellement aux surfaces, 728 Expérience IV. — Sur le méme sujet que la pré- cédente. 729 Expérience Ÿ. 750 Expérience VI. — Pour comparer le desséche- ment du bois parfait qu'on appelle le cœur, avec le desséchement da bois imparfait qu'on appelle l'aubier. 782 TABLE DES Pages. Expérience VIT. 752 Table de l'imbibition de ces deux morceaux de bois qui élaient entièrement desséchés, lorsqu'on les a plongés dans l'eau. 755 Expérience VIIL. — Pour reconnaitre la différence de l'imbibition des boïs, dont la solidité est plus ou moins grande, 757 Table de l'imbibition de ces trois cylindres de bois. Table de l'imbibition de ces quatre cylindres. Expérience IX. — Sur l'imbibition du bois vert. Table de l'imbibition de ce morceau de cœur de chêne. 740 Expérience X.— Sur l'imbibition du bois sec, Ibid. tant dans l’eau douce que dans l'eau salée, Ibid. Table del'imbibition de ces deux morceaux de bois. Ibid. Table de l'imbibition de ces six morceaux. 741 Article IT. — Sur la conservation et le rétablisse- ment des forêts. 742 Article IV. — Sur la culture et l'exploitation des forêts. 749 ärticle V. — Addition aux observations précé- dentes. 755 Treizièmemémoire. — Recherches de la cause de Vexcentricité des couches ligneuses qu'on aper- MATIÈRES. ‘Pages çoit quand on coupe horizontalement le tronc d'un arbre, de l'inégalité d'épaisseur et du dif- férent nombre de ces couches, tant dans le bois formé que dans l'aubier, par MM. Duhamel et de Buffon. 759 Expérience première. 761 Expérience II, Ibid, Expérience IIT. Ibid. Expérience IV. Ibid. Expérience V. Ibid. Expérience VI. 762 Expérience VII. Ibid. Expérience VIIL. Ibid. Expérience IX. Ibid. Expérience X. Ibid. Observation première. 765 Observation II. Ibid. Observation IIT. Ibid. Observation IV. Ibid, Observation V. Ibid. Expériences. 764 Quatorzième mémoire. — Observations des diffé- rents effets que produisent sur les végétaux les grandes gelées d'hiver et les petites gelées du printemps, par MM. Duhamel et de Buflon. 166 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES. l ' ! À # ! . + à > 87, se: 277 a (/ à im < AS 1 4 . [ABC \àts 1) Le > à. wi A 7 À CR A ee | Cr) n 3 © « (0 À % Hs) & LR È 4] " 2 A», = TS r LS 202 LP Re A 10 OLA a ( , A RU N X { « 2 < Li" À à BAT À 1e 6 C Q k 1 . 1) - "1 , S40! 5 ) a Le 7e ù ; DE. \7 A D | 4 À à 2 à «) D / ù AN FA 2 LAN, 66 ; 1 x SU NZ : + M * IDR S EX £ \ | Co Je LE 4 4 Lt N 4 Put 0 A U Z RE) EP LES TCA set AS (2 \C TT 4\y AN G À le QE A AG a: Des - . « \ LIT SIENNE Q Le) Ar É ESS AIX 4? \ D (J y en ( HOME At CAS SA 4» Ge e 1OYVAEN 0) CANESPUSE . ( | À # \ A L SOLS - sil ’ “1548 À