è Er 33 4 ra PURE, : à & LA HT : % a = 4 < à * MES le 5 , +$ LV ; > RU PE CLS, MST re 2" # + Vo til. 41 ruse :: >, hf CT "æ d 1 « La - # DA dde, | UNIVERSITY OH TORONTO LIBRARY The Jason A.Hannah Collection in the History re) Medical and Related Sciences Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http:/www.archive.org/details/oeuvrescompltO3buff OEUVRES DE BUFFON. TOME III. 2 20 (RFRUTUT 1H HMOQT REA Eu LEURS ŒUVRES COMPLÈTES E BUFFO! AVEC DES EXTRAIDS. DE DAUBENTON ET LA CLASSIFICATION DE CUVIER. TOME TROISIÈME MAMMIFERES. — I. PARIS AU BUREAU DES PUBLICATIONS ILLUSTRÉES RUE DU RATTOIR, 49. M DCCC XLIX. 7 2” 24 A PA) # FOMHA IA * ATTAE COMENT AMC TAN (x UNS biovuanr Mit di 112 RAD LA DDPEDHLEDEDIISOISOPETEOSTIDODITEIDIDEESTEO HISTOIRE NATURELLE. HISTOIRE DES ANIMAUX. CHAPITRE PREMIER. Comparaison des animaux et des végétaux, Dans la foule d'objets que nous présente ce vaste globe dont nous venons de faire la des- cription, dans le nombre infini des différentes productions dont sa surface est couverte et peu- plée, les animaux tiennent le premier rang, tant par la conformité qu'ils ont avec nous, que par la supériorité que nous leur connais- sons sur les êtres végétants ou inanimés. Les animaux ont par leurs sens, par leur forme, par leurmouvement, beaucoup plus de rapports avec les choses qui les environnent, que n'en ont les végétaux ; ceux-ci, par leur développe- ment, par leur figure, par leur accroissement et par leurs différentes parties, ont aussi un plus grand nombre de rapports avec les objets extérieurs, que n’en ont les minéraux ou les pierres, qui n’ont aucune sorte de vie ou de mouvement, et c'est par ce plus grand nom- bre de rapports que l'animal est réellement au- dessus du végétal, et le végétal au-dessus du minéral. Nous-mêmes, à ne considérer que la partie matérielle de notre être, nous ne sommes au-dessus des animaux que par quel- ques rapports de plus, tels que ceux que nous donnent la langue et la main; et quoique les ouvrages du créateur soient en eux-mêmes tous également parfaits, l'animal est, selon notre facon d’apercevoir, l'ouvrage le plus complet de la nature, et l'homme en est le chef-d'œuvre. En effet, que de ressorts, que de forces, que de machines et de mouvements sont renfermés dans cette petite partie de matière qui com- LA pose le corps d’un animal! que de rapports, que d'harmonie, que de correspondance entre les parties ! combien de combinaisons, d'arran- gements, de causes, d'effets, de principes, qui tous concourent au même but, et que nous ne connaissons que par des résultats si difficiles à comprendre, qu'ils n’ont cessé d’être des mer- veilles que par l'habitude que nous avons prise de n’y point réfléchir ! Cependant, quelque admirable qne cet ou- vrage nous paraisse, ce n’est pas dans l'individu qu'est la plus grande merveille, c'est dans la succession, dans le renouvellement et dans la durée des espèces que la nature paraît tout à fait inconcevable. Cette faculté de produire son semblable, qui réside dans les animaux et dans les végétaux, cette espèce d’unité toujours subsistante et qui parait éternelle, cette vertu procréatrice qui s'exerce perpétuellement sans se détruire jamais, est pour nous un mystère dont il semble qu’il ne nous est pas permis de sonder la profondeur. Car la matière inanimée, cette pierre, cette argile qui est sous nos pieds, a bien quelques propriétés; son existence seule en suppose un très-grand nombre, et la matière la moins or- ganisée ne laisse pas que d’avoir, en vertu de son existence, une infinité de rapports avec toutes les autres parties de l’univers. Nous ne dirons pas, avec quelques philosophes, que la matière, sous quelque forme qu'elle soit, con- nait son existence et ses facultés relatives; cette opinion tient à une question de métaphysique que nous ne nous proposons pas de traiter ici; il nous suffira de faire sentir que, n'ayant pas nous-mêmes la connaissance de tous les rap- ports que nous pouvons avoir avec les objets extérieurs, nous ne devons pas douter que la matière inanimée n'ait infiniment moins de cette connaissance, et que d’ailleurs nos sensations ne ressemblant en aucune facon aux objets qui 1 2 HISTOIRE NATURELLE les causent, nous devons conclure par analogie que la matière inanimée n'a ni sentiment, ni sensation, ni conscience d’existence, et que de lui attribuer quelques-unes de ces facultés, ce serait lui donner celle de penser, d’agir et de sentir à peu près dans le même ordre et de la même facon que nous pensons, agissons et sentons, ce qui répugne autant à la raison qu'à la religion. Nous devons donc dire qu'étant formés de terre et composés de poussière , nous avons en effet avec la terre et la poussière des rapports communs qui nous lient à la matière en géné- ral, tels sont l'étendue, l'impénétrabilité, la pe- santeur, etc.; mais comme nous n’apercevons pas ces rapports purement matériels, comme ils ne font aueune impression au-dedans de nous-mêmes, comme ils subsistent sans notre participation, et qu'après la mort ou avant la vie ils existent et ne nous affectent point du tout, on ne peut pas dire qu'ils fassent partie de notre être; c’est donc l'organisation, la vie, l'ème, qui fait proprement notre existence ; la matière, considérée sous ce point de vue, en est moins le sujet que l'accessoire, c'est une enve- loppe étrangère dont l’union nous est inconnue et la présence nuisible, et cet ordre de pensées, qui constitue notre être, en est peut-être tout- à fait indépendant. Nous existons donc sans savoir comment, et nous pensons sans savoir pourquoi; mais quoi qu'il en soit de notre manière d'être ou de sen- tir, quoi qu'il en soit de la vérité ou de la fausseté, de l'apparence ou de la réalité de nos sensations, les résultats de ces mêmes sensa- tions n'en sont pas moins certains par rapport à nous. Cet ordre d'idées, cette suite de pen- sées qui existe au-dedans de nous-mêmes, quoi- que fort différente des objets qui les causent, ne laisse pas que d'être l'affection la plus réelle de notre individu, et de nous donner des rela- tions avec les objets extérieurs, que nous pou- yons regarder comme des rapports réels, puis- qu'ils sontinvariables et toujours les mêmes relativement à nous; ainsi nous ne devons pas douter que les différences ou les ressemblan- ces que nous apercevons entre les objets, ne soient des différences et des ressemblances cer- laines et réelles dans l'ordre de notre existence, par rapport à ces mêmes objets; nous pouvons donc légitimement mous donner le premier rang dans la nature; nous devons ensuite don- ner la seconde place aux animaux, la troisième aux végétaux, et enfin la dernière aux miné- raux; car quoique nous ne distinguions pas bien nettement les qualités que nous avons en vertu de notre animalité, de celles que nous avons en vertu de la spiritualité de notre âme, nous ne pouvons guère douter que les animaux étant doués, comme nous, des mêmes sens, possé- dant les mêmes principes de vie et de mouve- ment, et faisant une infinité d’actions sem- blables aux nôtres, ils n’aient avec les objets extérieurs des rapports du même ordre que les nôtres, et que par conséquent nous ne leur res- semblions réellement à bien des égards. Nous différons beaucoup des végétaux, cependant nous leur ressemblons plus qu'ils ne ressem- blent aux minéraux, et cela parce qu'ils ont une espèce de forme vivante, une organisation ani- mée, semblable en quelque façon à la nôtre, au lieu que les minéraux n’ont aueun organe. Pour faire donc l'histoire de l’animal, il faut d’abord reconnaitre avec exactitude l’ordre gé- néral des rapports qui lui sont propres, et dis- tinguer ensuite les rapports qui lui sont com- muns avec les végétaux et les minéraux. L'animal] n'a de commun avec le minéral que les qualités de la matière prise généralement : sa substance a les mêmes propriétés virtuelles, elle est étendue, pesante, impénétrable comme tout le reste de la matière; mais son économie est toute différente. Le minéral n’est qu'une matière brute, inactive, insensible, n’agissant que par la contrainte des lois de la mécanique, n'obéissant qu'à la force généralement répan- due dans l'univers, sans organisation, sans puissance, dénuée de toutes facultés, même de celle de se reproduire, substance informe, faite pour être foulée aux pieds par les hommes et les animaux, laquelle, malgré le nom de métal précieux, n’en est pas moins méprisée par le sage, etne peut ayoir qu'une valeur arbitraire, toujours subordonnée à la volonté et dépen- dante de Ja convention des hommes. L'animal réunit toutes les puissances de la nature, les forces qui l'animent lui sont propres et particu- lières, il veut, il agit, il se détermine, il opère, il communique par ses sens avec les objets les plus éloignés, son individu est un centre où tout se rapporte, un point où l'univers entier se réfléchit, un monde en raccourci; voilà les rapports qui lui sont propres; ceux qui Jui sont communs avec les végétaux sont les facul- DES ANIMAUX. 5 tés de croitre, de se développer, de se repro- duire et de se multiplier. La différence la plus apparente entre les ani- maux et les végétaux parait être cette faculté de se mouvoir et de changer de lieu, dont les animaux sont doués, et qui n’est pas donnée aux végétaux : il est vrai que nous ne Connais- sons aucun végétal qui ait le mouvement pro- gressif, mais nous voyons plusieurs espèces d'animaux, comme les huîtres, les galle-insec- tes, ete., auxquelles ce mouvement paraïitavoir été refusé; cette différence n’est donc pas géné- rale et nécessaire. Une différence plus essentielle pourrait se tirer de la faculté de sentir, qu'on ne peut guère refuser aux animaux, et dont il semble que les végétaux soient privés; mais ce mot sentir renferme un si grand nombre d'idées, qu'on ne doit pas le prononcer avant que d’en avoir fait l'analyse; car si par sentir nous entendons seu- lement faire une action de mouvement à l'oc- casion d’un choc ou d'une résistance, nous trouyerons que la plante appelée Sensitive est capable de cette espèce de sentiment, comme les animaux ; si au contraire on veut que sen- ür signifie apercevoir et comparer des percep- tions, nous ne sommes pas sûrs que les animaux aient cette espèce de sentiment, et si nous ac- cordons quelque chose de semblable aux chiens, aux éléphants, etc., dont les actions semblent avoir les mêmes causes que les nôtres, nous le refuserons à une infinité d'espèces d'animaux, et surtout à ceux qui nous paraissent être im- mobiles et sans action; si on voulait que les huitres, par exemple, eussent du sentiment comme les chiens, mais à un degré fort infé- rieur, pourquoi n'accorderait-on pas aux végé- taux ce mème sentiment dans un degré encore au-dessous? Cette différence entre les animaux et les végétaux non-seulement n’est pas géné- rale, mais même n’est pas bien décidée. Une troisième différence parait être dans la manière de se nourrir; les animaux, par le moyen de quelques organes extérieurs, saisis- sent les choses qui leur conviennent, ils vont chercher leur pâture, ils choisissent leurs ali- ments; les plantes, au contraire, paraissent être réduites à recevoir la nourriture que la terre veut bien leur fournir; il semble que cette nour- riture soit toujours la même, aucune diversité dans la manière de se la procurer, aucun choix dans l'espèce, l'humidité de la terre est leur seul aliment. Cependant si l'on fait attention à l'organisation et à l'action des racines et des feuilles, on reconnaitra bientôt que ce sont là les organes extérieurs dont les végétaux se ser- vent pour pomper la nourriture; on verra que les racines se détournent d’un obstacle ou d’une veine de mauvais terrain pour aller chercher la bonne terre; que mème ces racines se divisent, se multiplient, et vont jusqu'à changer de forme pour procurer de la nourriture à la plante; la différence entre les animaux et les végétaux ne peut donc pas s'établir sur la ma- nière dont ils se nourrissent. Cet examen nous conduit à reconnaître évi- demment q'iln’y a aucune différence absolu- ment essentielle et générale entre les animaux etles végétaux; mais que la nature descend par degrés et par nuances imperceptibles d’un ani- mal qui nous paraît le plus parfait à celui qui l'est le moins, et de celui-ci au végétal. Le po- lype d’eau douce sera, si lon veut, le der- nier des animaux et la première des plantes. En effet, après avoir examiné les différences, si nous cherchons les ressemblances des ani- maux et des végétaux, nous en trouverons d’a- bord une qui est générale et très-essentielle, c’est la faculté commune à tous deux dese repro- duire , faculté qui suppose plus d’analogies et de choses semblables que nous ne pouvons l'i- maginer, et qui doit nous faire croire que pour la nature, les animaux et les végétaux sont des êtres à peu près du même ordre. Une seconde ressemblance peut se tirer du développement de leurs parties, propriété qui leur est commune, car les végétaux ont, aussi bien que les animaux, la faculté de croitre, et si la manière dont ilsse développent est diffé- rente, elle ne l’est pas totalement ni essentiel- lement, puisqu'il y a dans les animaux des parties très-considérables, comme les os, les cheyeux, les ongles, les cornes, etc., dont le développement est une vraie végétation, et que dans les premiers temps de sa formation le fæœ- tus végète plutôt qu'il ne vit. Une troisième ressemblance, c'est qu'il y a des animaux qui se reproduisent comme les plantes, et par les mêmes moyens : la multipli- cation des pucerons, qui se fait sans accouple- ment, est semblable à celle des plantes par les graines ; et celle des polypes, qui se fait en les coupant, ressemble à la multiplication des ar. bres par boutures. 4 HISTOIRE NATURELLE On peut donc assurer avec plus de fondement encore, que les animaux et les végétaux sont des êtres du même ordre, et que la nature sem- ble avoir passé des uns aux autres par des nuan- ces insensibles , puisqu'ils ont entre eux des ressemblances essentielles etgénérales, et qu'ils n'ont aucune différence qu'on puisse regarder comme telle. Si nous comparons maintenant les animaux aux végétaux par d'autres faces, par exemple, par le nombre, par le lieu, par la grandeur, par la forme, ete., nous en tirerons de nouvelles inductions. Le nombre des espèces d'animaux est beau- coup plus grand que celui des espèces de plan- tes, car dans le seul genre des insectes il y a peut-être un plus grand nombre d'espèces, dont la plupart échappent à nos yeux, qu'il n'y a d'espèces de plantes visibles sur la surface de la terre. Les animaux même se ressemblent en général beaucoup moins que les plantes, et c’est cette ressemblance entre les plantes qui fait la difficulté de les reconnaitre et de les ran- cer; c'est là ce qui a donné naissance aux mé- thodes de botanique, auxquelles on a par cette raison beaucoup plus travaillé qu'à celles de la zoologie, parce que les animaux ayant en effet entre eux des différences bien plus sensibles que n’en ont les plantes entre elles, ils sont plus aisés à reconnaitre et à distinguer, plus fa- ciles à nommer et à décrire. D'ailleurs il y a encore un avantage pour re- connaitre les espèces d'animaux et pour les dis- tinguer les unes des autres, c’est qu'on doit re- garder comme la même espèce celle qui, au moyen de la copulation, se perpétue et conserve la similitude de cette espèce, et comme des es- pèces différentes celles qui, par les mêmes moyens, ne peuvent rien produire ensemble ; de sorte qu'un renard sera une espèce différente d'un chien, si en effet par la copulation d’un mâle et d'une femelle de ces deux espèces il ne résulte rien, et quand même il en résulterait un animal mi-parti, une espèce de mulet, comme ce mulet ne produirait rien, cela suffirait pour établir que le renard et le chien ne seraient pas de la même espèce, puisque nous avons sup- poséque, pour constituer une espèce, il fallaitune production continue, perpétuelle, invariable, semblable , en un mot, à celle des autres ani- maux. Dans les plantes on n'a pasle même avan- tage, car quoiqu'on ait prétendu y reconnaitre des sexes, et qu'on ait établi des divisions de genres par les parties de la fécondation, comme cela n'est ni aussi certain, ni aussi apparent que dans les animaux, et que d’ailleurs la produc- tion des plantes se fait de plusieurs autres fa- çons , où les sexes n'ont point de part et où les parties de la fécondation ne sont pas nécessaires, on n'a pu employer avec succès cette idée, et ce n'est que sur une analogie mal entendue qu'on a prétendu que cette méthode sexuelle devait nous faire distinguer toutes les espèces différentes de plantes; mais nous renvoyons l'examen du fondement de ce système à notre histoire des végétaux. Le nombre des espèces d'animaux est donc plus grand que celui des espèces de plantes; mais il n’en est pas de même du nombre d'’in- dividus dans chaque espèce; dans les animaux, comme dans les plantes, le nombre d'individus est beaucoup plus grand dans le petit que dans le grand, l'espèce des mouches est peut-être cent millions de fois plus nombreuse que celle . | de l'éléphant; et de même, il y a en général : beaucoup plus d'herbes que d'arbres, plus de chiendent que de chênes; mais si l’on compare la quantité d'individus des animaux et des plan- tes, espèce à espèce, on verra que chaque es- pèce de plante est plus abondante que chaque espèce d'animal; par exemple, les quadrupèdes ne produisent qu'un petit nombre de petits, et dans des intervalles de temps assez considéra- bles; les arbres au contraire produisent tous les ans une grande quantité d'arbres de leur espèce. On pourra me dire que ma comparaison n’est pas exacte, et que pour la rendre telle il fau- drait pouvoir comparer la quantité de graines que produit un arbre, avec la quantité de ger- mes que peut contenir la semence d’un animal, et que peut-être on trouverait alors que les ani- maux sont encore plus abondants en germes que les végétaux; mais si l’on fait attention qu'il est possible en ramassant avec soin toutes les graines d’un arbre, par exemple, d’un orme , et en les semant, d’avoir une centaine de milliers de petits ormes de la production d'une seule année, on m'avouera aisément que quand on prendrait le même soin pour fournir à un cheval toutes les juments qu'il pourraitsail- lir en un an, les résultats seraient fort diffé- rents dans la production de l'animal et dans celle du végétal. Je n'examine donc pas la quantité des germes, premièrement, parce que DES ANIMAUX. 9 dans les animaux nous ne la connaissons pas, et en second lieu parce que dans les végétaux il y a peut-être de même des germes séminaux comme dans les animaux, et que la graine n'est point un germe, mais une production aussi par- faite que l’estle fœtus d'un animal, à laquelle, comme à celui-ci, il ne manque qu'un plus grand développement. On pourrait encore m'opposer ici la prodi- gieuse multiplication de certaines espèces d’in- sectes, comme celle des abeilles, chaque fe- melle produit trente ou quarante mille mouches ; mais il faut observer que je parle du général des animaux comparé au général des plantes ; et d’ailleurs cet exemple des abeilles, qui peut- être est celui de la plus grande multiplication que nous connaissions dans les animaux, ne fait pas une preuve contre ce que nous avons dit; car des trente ou quarante mille mouches que la mère abeille produit, il n’y en a qu'un très-pe- tit nombre de femelles, quinze cents ou deux mille mâles, et tout le reste ne sont que des mu- lets, ou plutôt des mouches neutres ; sans sexe et incapables de produire. Il fant avouer que dans les insectes, les pois- sons, les coquillages, il y a des espèces qui pa- raissent être extrêmement abondantes; les hui- tres, les harengs, les puces, les hannetons, ete., sont peut-être en aussi grand nombre que les mousses et lesautres plantes les plus communes; mais à tout prendre, on remarquera aisément que la plus grande partie des espèces d'animaux est moins abondante en individus que les espè- ces de plantes; et de plus on observera qu’en comparant la multiplication des espèces de plan- tes entre elles, iln’y a pas des différences aussi grandes dans le nombre des individus que dans les espèces d'animaux, dont les uns engendrent un nombre prodigieux de petits, et d'autres n’en produisent qu'un très-petit nombre, au lieu que dans les plantes le nombre des productions est toujours fort grand dans toutes les espèces. Il parait par ce que nous venons de dire, que les espèces les plus viles, les plus abjectes , les plus petites à nos yeux, sont les plus abondan- tes en individus , tant dans les animaux que dans les plantes ; à mesure que les espèces d'a- nimaux nous paraissent plus parfaites, nous les voyons réduites à un moindre nombre d'indivi- dus. Pourrait-on croire que de certaines formes de corps, comme celles des quadrupèdes et des oiseaux, de certains organes pour la perfection du sentiment, coûteraient plus à la nature que la production du vivantet de l’organisé qui nous parait si difficile à concevoir ? Passons maintenant à la comparaison des ani- maux et des végétaux pour le lieu, la grandeur et la forme. La terre est le seul lieu où les vé- gétaux puissent subsister ; le plus grand norn- bre s'élève au-dessus de la surface du terrain, et y est attaché par des racines qui le pénètrent à une petite profondeur; quelques-uns, comme les truffes, sont entièrement couverts de terre, quelques autres, en petit nombre, croissent.sur les eaux ; mais tous ont besoin, pour exister, d’être placés à la surface de la terre : les ani- maux au contraire sont bien plus généralement répaudus ; les uns habitent la surface , les au- tres l’intérieur de la terre ; ceux-ci vivent au fond des mers, ceux-là les parcourent à une hauteur médiocre; il y en a dans l'air, dans l'intérieur des plantes, dans le corps de l'homme et des autres animaux, dans les liqueurs; on en trouve jusque dans les pierrres (les dails). Par l’usage du microscope on prétend avoir découvert un très-grand nombre de nouvelles espèces d'animaux fort différentes entre elles; il peut paraitre singulier qu'à peine on ait pu reconnaitre une ou deux espèces de plantes nou- velles par le secours de cetinstrument; la petite mousse produite par la moisissure est peut-être la seule plante microscopique dont on ait parlé; on pourrait donc croire que la nature s’est re- fusée à produire de très-petites plantes, tandis qu'elle s’est livrée avec profusion à faire naître desanimaleules ; mais nous pourrionsnoustrom- per en adoptant cette opinion sans examen, et notre erreur pourrait bien venir en partie de ce qu'en effet les plantes se ressemblañt beaucoup plus que les animaux, ilest plus difficile de les reconnaitre et d’en distinguer les espèces, en sorte que cette moisissure que nous ne prenons que pour une mousse infiniment petite, pour- rait être une espèce de bois ou de jardin qui se- rait peuplé d’un grand nombre de plantes très- différentes, mais dont les différences échappent à nos yeux. Ilest vrai qu'en comparant la grandeur des animaux et des plantes, elle paraitra assez iné- gale ; car il y a beaucoup plus loin de la grosseur d'une baleine à celle d’un de ces prétendus ani- maux microscopiques, que du chène le plusélevé à la mousse dont nous parlions tout à l'heure; et quoique la grandeur ne soit qu'un attribut pu- 6 HISTOIRE NATURELLE rement relatif, il est cependant utile de consi- dérer lestermes extrêmes où la nature semble s'être bornée. Le grand parait être assez égal dans lesanimaux et dans les plantes ; une grosse baleine et un gros arbre sont d'un volume qui n’est pas fort inégal, tandis qu’en petit on a cru voir des animaux dont un millier réunis n’éga- leraient pas en volume la petite plante de la moisissure. Au reste, la différence la plus générale et la plus sensible entre les animaux et les végétaux, esteelle de la forme; celle des animaux, quoique variée à l'infini, ne ressemble point à celle des plantes, et quoique les polypes, qui se reprodui- sent comme les plantes, puissent être regardés comme faisant la nuance entre les animaux et les végétaux, non-seulement par la façon de se reproduire, maisencore par la forme extérieure, on peut cependant dire que la figure de quelque animal que ce soit, est assez différente de la forme extérieure d'une plante, pour qu’il soit difficile de s'y tromper. Les animaux peuvent à la vérité faire des ouvrages qui ressemblent à des plantes ou à des fleurs, mais jamais les plan- tes ne produiront rien de semblable àun animal, et ces insectes admirables qui produisent et tra- vaillent le corail, n'auraient pas étéméconnus et pris pour des fleurs, si par un préjugé mal fondé on n’eût pas regardé le corail comme une plante. Ainsi les erreurs où l'on pourrait tomber en com- parant la forme des plantes à celle des animaux, ne porteront jamais que sur un petit nombre de sujets qui font la nuance entre les deux; etplus on fera d'observations, plus on se convaincra qu'entre les animaux et les végétaux le créateur n'a pas mis de terme fixe, que ces deux genres d'êtres organisés ont beaucoup plus de proprié- tés communes que de différences réelles , que la production de l'animal ne coûte pas plus, et peut-être moins à la nature que celle du végétal, qu'en général la production des êtres organisés ne lui coûte rien, et qu'enfin le vivant et l’ani- mé, au lieu d'être un Gegré métaphysique des êtres, est une propriété physique de la ma- tière. CHAPITRE I. De la reproduction en général. Examinons de plus près cette propriété com- mune à l'animal et au végétal, cette puissance de produire son semblable, cette chaine d'exis- tences successives d'individus, qui constitue l'existence réelle de l'espèce; et sans nous at- tacher à la génération de l'homme ou à celle d'une espèce particulière d'animal, voyons en général les phénomènes de la reproduction, ras- semblons des faits pour nous donner des idées, et faisons l'énumération des différents moyens dont la nature fait usage pour renouveler les êtres organisés, Le premier moyen, et, selon nous, le plus simple de tous, est de rassembler dans un être uneinfinité d'êtres organiques sem- blables, et de composer tellement sa substance, qu'il n’y ait pas une partie qui ne contienne un germe de la même espèce, et qui par consé- quent ne puisse elle-même devenir un tout sem- blable à celui dans lequel elle est contenue. Cet appareil parait d'abord supposer une dépense prodigieuse etentrainer la profusion; cependant ce n’est qu'une magnificence assez ordinaire à la nature, et qui se manifeste même dans des espèces communes et inférieures, tellesque sont les vers, les polypes, les ormes, les saules, les groseilliers,et plusieursautresplantesetinsectes dont chaque partie contient un tout, qui par le seul développement peut devenir une plante ou un insecte. En considérant sous ce point de vue les êtres organisés et leur reproduction, un individu n’est qu'un toutuniformément organisé dans toutes ses parties intérieures , un composé d’uneinfinité de figures semblablesetde parties similaires, un assemblage de germes ou de pe- tits individus de la même espèce, lesquels peu- vent tous se développer de la même façon, sui- vant les circonstances, et former de nouveaux touts composés comme le premier. En approfondissant cette idée, nous allons trouver aux végétaux et aux animaux un rapport avec les minéraux, que nous ne soupeonnions pas : les sels et quelques autres minéraux sont composés de parties semblables entre elles et semblables au tout qu'elles composent; un grain de sel marin est un cube composé d’une infinité d’autres cubes que l'on peut reconnaitre distine- tement au microscope !, ces petits cubes sont ‘aæ tam parve quàäm magnæ figuræ (salium ) ex magno « solèmnumero minorum particularum quæ camdem figwram «habent, sunt conflatæ. sicuti mihi sæpè licuit observare, < cm aquam marinam aut comnunem in qua sal commune « liquatum erat, intueor per microscopium . quôd ex ea pro- « deunt elegantes, parvæ ac quadrangulares figuræ aded sexiguæ, ut mille earum myriades magnitudinem arenæ « crassioris ne æquent. Quæ salis minute particulæ, quàäm s primüm oculisconspicio, magnitudine ab omnibus lateribus DES ANIMAUX. 1 eux-mêmes composés d’autres cubesqu’on aper- çoitavecun meilleur microscope, etl'on ne peut guère douter que les parties primitives et consti- tuantes de ce sel nesoient aussi des cubes d’une petitesse qui échappera toujours à nos yeux, et même à notre imagination. Les animaux et les plantes qui peuvent se multiplier et se repro- duire par toutes leurs parties, sont des corps or- ganisés, composés d'autres corps organiques semblables, dontles parties primitives et con- stituantes sont aussi organiques semblables, et dont nous discernons à l'œil la quantité aceu- mulée, mais dont nous ne pouvons apercevoir les parties primitives que par le raisonnement et par l’analogie que nous venons d'établir. Cela nous conduit à croire qu'il y a dans la nature une infinité de partiesorganiques actuel- lement existantes, vivantes, etdontla substance est la même que celle des êtres organisés, comme il y a une infinité de particules brutes sembla- bles aux corps bruts que nous connaissons, et que, come il faut peut-être des millions de petits cubes de sel accumulés pour faire l'indi- vidu sensible d’un grain de sel marin, il faut aussi des millions de parties organiques sem- blables au tout, poumformer un seul des germes que contient l'individu d’un orme ou d’un po- lype; et comme il faut séparer, briser et dis- soudre un cube de sel marin pour apercevoir, au moyen de la cristallisation, les petits cubes dont il est composé, il faut de même séparer les parties d'un orme ou d’un polype pour re- connaitre ensuite, au moyen de la végétation ou dù développement, les petits ormes ou les petits polypes contenus dans ces parties. La difficulté de se prêter à cette idée ne peut venir que d’un préjugé fortement établi dans l'esprit des hommes : on croit qu'il n'y a de moyens de juger du composé que par le simple, et que pour connaitre la constitution organique d’un être, il faut le réduire à des parties simples etnon organiques; en sorte qu'il paraît plus aisé de concevoir comment un cube est nécessaire- ment composé d'autres cubes, que de voir qu'il soit possible qu'un polype soit composé d'autres polypes; mais examinons avec attention et voyons ce qu'on doit entendre par le simple et par le composé, nous trouverons qu'en ce- la, comme en tout, le plan de la nature « crescunt, suam tamen elegantem superficiem quadrangula- «rem retinentes ferè... Figuræ hæ salinæ cavitate donatæ « sunt, etc, « Voyez Leuwenhoek, Arc. nat, tomel, pag. 5. est bien différent du canevas de nos idées, Nos sens, comme l’on sait, ne nous donnent pas des notions exactes etcomplètes des choses que nous avons besoin de connaitre ; pour peu que nous voulions estimer, juger, comparer, peser, mesurer, ete., nous sommes obligés d'a- voir recours à des secours étrangers, à des rè- gles, à des principes, à des usages, à des in- struments, ete. Tous ces adminicules sont des ouvrages de l'esprit humain,et tiennent plus ou moins à la réduction ou à l’abstraction de nos idées; cette abstraction, selon nous, est le sim- ple des choses, et la difficulté de les réduire à cette abstraction fait le composé. L'étendue, par exemple, étant une propriété générale et abs- traite de la matière, n’est pas un sujet fort composé ; cependant pour en juger nous avons imaginé des étendues sans profondeur, d’autres étendues sans profondeur et sans largeur, et même des points qui sont des étendues sans étendue. Toutes ces abstractions sont des écha- faudages pour soutenir notre jugement, et com- bien n’avons-nous pas brodé sur ce petit nombre de définitions qu'emploie la géométrie! nous avons appelé simple tout ce qui se réduit à ces définitions , et nous appelons composé tout ce qui ne peut s’y réduire aisément; et de là un triangle, un carré, un cercle, ün cube, ete., sont pour nous des choses simples, aussi bien que toutes les courbes dont nous connaissons les lois et la composition géométrique; mais tout ce que nous ne pouvons pas réduire à ces figures et à ces lois abstraites, nous paraît composé; nous ne faisons pas attention que ces lignes, ces trian- gles, ces pyramides, ces cubes, ces globules et toutes ces figures géométriques n'existent que dans notre imagination, que ces figures ne sont que notre ouvrage, et qu’elles ne se trouvent peut-être pas dans la nature, ou tout au moins que si elles s’y trouvent, c’est parce que toutes les formes possibles s'y trouvent, et qu’il est peut-être plus difficile et plus rare de trouver dans la nature les figures simples d'une py- ramide équilatérale, ou d'un cube exact, que les formes composées d’une plante ou d’unani- mal : nous prenons donc partout l'abstrait pour le simple, et le réel pour le composé. Dans la nature, au contraire , l’abstrait n'existe point, rien n’est simple et tout est composé ; nous ne pénétrerons jamais dans la structure intime des choses; dès lors nous ne pouvons guère pronon- cer sur ce qui est plus ou moins composé; nous 8 HISTOIRE NATURELLE n'avons d'autre moyen de le reconnaitre que par le plus ou le moins de rapport que chaque chose parait avoir avec nous et avec le reste de l'univers, et c'est suivant cette façon de juger que l'animal est à notre égard plus com- | posé que le végétal, et le végétal plus que le minéral. Cette notion est juste par rapport à | | nous; mais nous ne savons pas si dans la réa- | lité les uns ne sont pas aussi simples ou aussi composés que les autres, et nous ignorons si un globule ou un eube coûte plus ou moins à la | nature, qu'un germe ou une partie organique quelconque : si nous voulions absolument faire | sur cela des conjectures, nous pourrions dire que les choses les plus communes, les moins rares et les plus nombreuses sont celles qui sont-les plus simples; mais alors les animaux | seraient peut-être ce qu'il y aurait de plus simple, puisque le nombre de leurs espèces excède de beaucoup celui des espèces de plan- tes ou de minéraux. Mais sans nous arrêter plus long-temps à cette discussion, il suffit d'avoir montré que les idées que nous avons communément du simple et du composé, sont des idées d’abstraction, qu'elles ne peuvent pas s'appliquer à la composition des ouvrages de la nature, et que lorsque nous voulons réduire tous les êtres à des éléments de figure régulière, ou à des particules prismati- ques, cubiques, globuleuses, ete., nous mettons ce qui n’est que dans notre imagination à la place de ce qui est réellement; que les formes Il me paraît donc très-vraisemblable par les raisonnements que nous venons de faire, qu'il existe réellement dans la nature une infinité de petits êtres organisés, semblables en tout aux grands êtres organisés qui figurent dans le monde; que ces petits êtres organisés sont com- posés de parties organiques vivantes qui sont communes aux animaux etaux végétaux ; que ces parties organiques sont des parties primiti- ves et incorruptibles; que l'assemblage de ces parties forme à nos yeux des êtres organisés , etque par conséquent la reproduction ou la géné- ration n’est qu'un changement de forme qui se fait et s'opère par la seule addition de ces parties semblables, comme la destruction de l'être or- ganisé se fait par la division de ces mêmes parties. On n’en pourra pas douter lorsqu'on aura vu les preuves que nous en donnons dans les chapitres suivants ; d’ailleurs, si nous réflé- chissons sur la manière dont les arbres croissent, et si nous examinons comment d’une quantité qui est si petite ils arrivent à un volume si con- des parties constituantes des différentes choses | nous sont absolument inconnues, et que par conséquent nous »ouvons supposer et croire qu'un être organisé est tout composé de parties organiques semblables, aussi bien que nous supposons qu'un cube est composé d’autres cu- bes : nous n'avons, pour en juger, d'autre règle que l'expérience ; de la même facon que nous voyons qu'un cube de sel marin est com- f l posé d’autres cubes, nous voyons aussi qu’un | orme n'est qu’un composé d’autres petits ormes, puisqu'en prenant un bout de branche ou un bout de racine, ou un morceau de bois séparé du tronc, ou la graine, il en vient également un orme ; il en est de même des polypes et de quelques autres espèces d'animaux, qu’on peut couper et séparer dans tous les sens en diffé- | rentes parties pour les multiplier; et puisque notre règle pour juger est la même, pourquoi jugerions-nous différemment ? sidérable, noustrouverons que c’estparlasimple addition de petits êtres organisés semblables entre eux et au tout. La graine produit d'abord un petit arbre qu'elle cet en raccourci; au sommet de ce petit arbre, il se forme un bouton qui contient le petit arbre de l'année suivante, et ce bouton est une partie organique semblable au petit arbre de la première année ; au sommet du petit arbre de la seconde année, il se forme de même un bouton qui contient le petit arbre de la troisième année; et ainsi de suite tant que l’arbre croit en hauteur, et même, | tant qu'il vésgète, il se forme, à l'extrémité de toutes les branches, des boutons qui contiennent en raccourci de petits arbres semblables à celui de la première année : il est donc évident que les arbres sont composés de petits êtres organisés | semblables, et que l'individu total est formé par l'assemblage d'une multitude de petitsindividus semblables. Mais, dira-t-on, tous ces petits êtres organisés semblables étaient-ils contenus dans la graine, et l'ordre de leur développement y était-il tracé ? car il parait que le germe qui s'est développé la premièreannéeestsurmontéparunautre germe semblable, lequel ne se développe qu'à la se- conde année, que celui-ci l’est de même d'un troisième qui ne se doit développer qu'à la troi- sième année ,etque par conséquent la graine con- tient réellement les petits êtres organisés qui DES ANIMAUX. 9 doivent former des boutons ou de petits arbres au bout de cent et de deux cents ans, c'est-à- dire jusqu'à la destruction de l'individu; il parait de même que cette graine contient non- seulement tous les petits êtres organisés qui doivent constituer un jour l'individu, mais en- core toutes les graines, tous les individus, et toutes les graines des graines , et toute la suite d'individus jusqu'à la destruction de l'espèce. C'estici la principale difficulté et le point que nous allons examiner avec le plus d’attention. Il est certain que la graine produit, par le seul développement du germe qu'elle contient, un petit arbre la première année, et que ce petit arbre était en raccourci dans ce germe; mais il n'est pas également certain que le bouton qui est le germe pour la seconde année , et que les germes des années suivantes, non plus que tous les petits êtres organisés et les graines qui doivent se succéder jusqu’à la fin du monde ou jusqu’à la destruction de l'espèce, soient tous contenus dans la première graine; cette opinion suppose un progrès à l'infini, et fait de chaque individu actuellement existant , une source de générations à l'infini. La première graine contenait toutes les plantes de son es- pèce qui se sont déjà multipliées, et qui doi- vent se multiplier à jamais ; le premier homme contenait actuellement et individuellement tous les hommes qui ont paru et qui paraitront sur la terre; chaque graine, chaque animal peut aussi se multiplier et produire à l'infini, et par conséquent contient , aussi bien que la pre- mière graine ou le premier animal , une posté- rité infinie. Pour peu que nous nous Jaissions aller à ces raisonnements , nous allons perdre le fil de la vérité dans le labyrinthe de l'infini, etaulieu d'éclaireir et de résoudre la question , nous n’aurons fait que l’envelopper et l'éloi- gner ; c’est mettre l'objet hors de la portée de ses yeux , et dire ensuite qu'il n’est pas possible de le voir. Arrêtons-nous un peu sur ces idées de pro- grès et de développement à l'infini; d'où nous viennent-elles? que nous représentent-elles ? L'idée de l'infini ne peut venir que de l’idée du fini, c’est ici un infini de succession, un in- fini géométrique, chaque individu estune unité, plusieurs individus font un nombre fini, et l'es- pèce est le nombre infini; ainsi, de la même fa- con que l'on peut démontrer que l'infini géo- métrique n'existe point, on s’assurera que le progrès ou le développement à l'infini n'existe point non plus; que ce n’est qu'une idée d'ab- straction, un retranchement à l'idée du fini, au- quel on Ôte les limites qui doivent nécessaire- ment terminer toute grandeur !, et que par conséquent on doit rejeter de la philosophie toute opinion qui conduit nécessairement à l'idée de l'existence actuelle de l'infini géomé- trique ou arithmétique. Il faut done que les partisans de cette opinion seréduisent à dire que leur infini de succession et de multiplication n’est en effet qu'un nombre indéterminable ou indéfini, un nombre plus grand qu'aucun nombre dont nous puissions avoir une idée, mais qui n’est point infini; et cela étant entendu, il faut qu'ils nous disent que la première graine ou une graine quelcon- que, d'un orme, par exemple, qui ne pèse pas un grain, contient en effet et réellement toutes les parties organiques qui doivent former cet orme, et tous les autres arbres de cette espèce qui paraïitront à jamais sur la surface de la terre; mais par cette réponse que nous expli- quent-ils? n'est-ce pas couper le nœud au lieu de le délier, éluder la question quand il faut la résoudre ? Lorsque nous demandons comment on peut concevoir que se fait la reproduction des êtres, et qu'on nous répond que dans le premier être cette reproduction était toute faite, c’est non- seulement avouer qu'on ignore comment elle se fait, mais encore renoncer à la volonté de le concevoir. On demande comment un être pro- duitson semblable; on répond , c'est qu'il était tout produit; peut-on recevoir cette solution ? car qu'il n'y ait qu'une génération de l’un à l'au- tre, où qu'il y en ait un million, la chose est égale; la même difficulté reste, et bien loin de la résoudre, en l'éloignant on y joint une nou- velle obseurité par la supposition qu'on est obligé de faire du nombre indéfini de germes tous contenus dans un seul. J'avoue qu'il estici plus aisé de détruire que d'établir, et que la question de la reproduction est peut-être de nature à ne pouvoir jamais être pleinement résolue : mais dans ce cas on doit chercher si elle est telle en effet, et pourquoi nous devons la juger de cette nature ; en nous conduisant bien dans cet examen, nous en dé- + On peut voir la démonstration que j'en ai donnée dans la preface de la traduction des Fluxions de Newton. 10 HISTOIRE NATURELLE couvrirons tout ce qu'on peut en savoir, ou tout au moins nous reconnaitrons nettement pourquoi nous devons l'ignorer. Il y a des questions de deux espèces, les unes qui tiennent aux causes premières , les autres qui n'ont pour objet que les effets particuliers : par exemple, si l'on demande pourquoi la ma- tière est impénétrable, on ne répondra pas, ou bien on répondra par la question même, en di- sant : la matière est impénétrable par la rai- son qu'elle est impénétrable; et il en sera de même de toutes les qualités générales de la ma- tière; pourquoi est-elle étendue, pesante, persi- stante dans son état de mouvement ou de repos ? on ne pourra jamais répondre que par la ques- tion même, elle est telle parce qu'en effet elle est telle; et nous ne serons pas étonnés que l'on ne puisse pas répondre autrement, si nous y fai- sons attention; car nous sentirons bien que pour donner la raison d’une chose, il faut avoir un sujet différent de la chose, duquelsujeton puisse tirer cette raison : or, toutes les fois qu'on nous demanderala raison d'une cause générale, c’est- à-dire d’une qualité qui appartient générale- ment à tout, dès lors nous n'avons point de su- jetà qui elle n'appartienne point, par conséquent rien qui puisse nous fournir une raison, et dès lors il est démontré qu'il est inutile de la cher cher , puisqu'on irait par làcontrelasupposition, quiest que la qualité est générale, et qu’elle ap- partient à tout. Si l'on demande au contraire la raison d’un effet particulier, on la trouvera toujours dès qu'on pourra faire voir clairement que cet effet particulier dépend immédiatement des causes premières dont nous venons de parler, et la question sera résolue toutes les fois que nous pourrons répondre que l’effetdont il s’agit, tient à un effet plus général , et soit qu'il y tienne im- médiatement ou qu’il ytienne par un enchaine- ment d’autres effets, la question sera également résolue, pourvu qu'on voie clairement la dépen- dance de ces effets les uns des autres , et les rap- ports qu'ils ont entre eux. Mais si l'effet particulier dont on demande la raison ne nous parait pas dépendre de ces effets généraux , si non-seulement iln'en dépend pas, mais même s'il ne parait avoir aucune analogie avec les autres effets particuliers, dès lors cet effet étant seul de son espèce, et n'ayant rien de commun avec les autres effets, rien au moins qui nous soit connu, la question est insoluble, parce que pour donner la raison d’une chose il faut avoir un sujet duquel on la puisse tirer, et que n’y ayant ici aucun sujet connu qui ait quelque rapport avec celui que nous voulons expliquer, il n’y a rien dont on puisse tirer cette raison que nous cherchons : ceciest lecontraire de ce qui arrive lorsqu'on demande la raison d'une cause générale, on ne la trouve pas, parce que tout a les mêmes qualités; et au con- traire on ne trouve pas la raison de l'effet isolé dont nous parlons , parce que rien de connu n'a les mêmes qualités; mais la différence qu'il y a entre l’un et l’autre, c’est qu'il est démon- tré, comme on l'a vu, qu'on ne peut pas trouver la raison d’un effet général, sans quoi ilneserait pas général, au lieu qu'on peutespérer de trou- ver un jour la raison d’un effet isolé, par la dé- couverte de quelque autre effetrelatifau premier, que nous ignorons, et qu'on pourra trouver ou par hasard ou par des expériences. Il y a encore une autre espèce de question qu'on pourrait appeler question de fait; par exemple, pourquoi y a-t-i! des arbres? pour-" quoi y a-t-il des chiens? pourquoi y a-t-il des puces ? ete. Toutes ces questions de fait sont in- solubles, car ceux qui croient y répondre par des causes finales, ne font pas attention qu'ils prennent l'effet pour la cause; le rapport que ces choses ont avec nous n'influant point du tout sur leur origine, la convenance morale ne peut jamais devenir une raison physique. Aussi faut-il distinguer avec soin les ques- tions où l'on emploie /e pourquoi, de celles où l'on doit employer le comment, et encore de celles où l’on ne doit employer que le combien. Le pourquoi est toujours relatif à la cause de l'effet ou au fait même, le comment est relatif à la facon dont arrive l'effet, et le combien n’a de rapport qu'à la mesure de cet effet. Tout ceci étant bien entendu, examinons maintenant la question de la reproduction des êtres. Si l'on nous demande pourquoi les ani- maux et les végétaux se reproduisent, nous re- connaitrons bien clairement que cette demande étant une question de fait, elle est dès lors in- soluble, et qu'il est inutile de chercher à la ré- soudre; mais si on demande comment les ani- maux et les végétaux se reproduisent , nous croirons y satisfaire en faisant l’histoire de la génération de chaque animal en particulier, et de la reproduction de chagne végétal aussi | en particulier ; mais lorsque, après avoir par- DES ANIMAUX. 11 couru toutes les manières d’engendrer son sem- biable, nous aurons remarqué que toutes ces histoires de la 2énération, accompagnées même desobservations les plus exactes , nous appren- nent seulement les faits sans nous indiquer les causes, et que les moyens apparents dont la nature se sert pour la reproduction ne nous paraissent avoir aucun rapport avec les effets qui en résultent, nous serons obligés de chan- ger la question, et nous serons réduits à de- mander, quel est done le moyen caché que la nature peut employer pour la reproduction des êtres ? Cette question, qui est la vraie, est, comme l'on voit, bien différente de la première et de la seconde; elle permet de chercher et d'imagi- ner, et dès lors elle n’est pas insoluble, car elle ne tient pas immédiatement à une cause géné- rale; elle n'est pas non plus une pure question de fait, et pourvu qu'on puisse concevoir un moyen de reproduction, l'on y aura satisfait; seulement il est nécessaire que ce moyen qu’on imaginera dépende des causes principales , ou du moins qu'il n’y répugne pas, et plus il aura de rapports avec les autres effets de la nature, inieux il sera fondé. Par la question même il est done permis de faire des hypothèses et de choisir celle qui nous paraitra avoir le plus d’analogie avec les autres phénomènes de la nature; mais il faut exelure du nombre de celles que nous pourrions em- ployer, toutes celles qui supposent la chose faite, par exemple, celle par laquelle on sup- poserait que dans le premier germe tous les germes de la même espèce étaient contenus, ou bien qu'à chaque reproduction il y a une nouvelle création, que c’est un effet immédiat de la volonté de Dieu, et cela, parce que ces hypothèses se réduisent à des questions de fait dont il n’est pas possible de trouver les raisons : il faut aussi rejeter toutes les hypothèses qui auraient pour objet les causes finales, comme celles où l'on dirait que la reproduction se fait pour que le vivant remplace le mort, pour que la terre soit toujours également couverte de vé- gétaux et peuplée d'animaux, pour que l'homme trouve abondamment sa subsistance, ete., parce que ces hypothèses, au lieu de rouler sur les causes physiques de l'effet qu'on cherche à ex- pliquer, ne portent que sur des rapports arbi- trairesetsur des convenances morales; en même temps il faut se défier de ces axiomes absolus, de ces proverbes de physique que tant de gens ont mal à propos employés comme principes ; par exemple, il ne se fait point de fécondation hors du corps, aulla fœcundalio eætrà corpus, tout vivant vient d'un œuf, toute génération suppose des sexes, ete. ; il ne faut jamais pren- dre ces maximes dans un sens absolu, il faut penser qu'elles signifient seulement que cela est ordinairement de cette façon plutôt que d'une autre. Cherchons done une hypothèse qui n'ait au- cun des défauts dont nous venons de parler, et par laquelle on ne puisse tomber dans aucun des inconvénients que nous venons d'exposer ; et si nous ne réussissons pas à expliquer la méca- nique dont se sert la nature pour opérer la re- production, au moins nous arriverons à quel- que chose de plus vraisemblable que ce qu'on a dit jusqu'ici. De la mème facon que nous pouvons faire des moules par lesquels nous donnons à l'extérieur des corps telle figure qu'il nous plait, supposons que la nature puisse faire des moules par les- quels elle donne non-seulement la figure exté- rieure, mais aussi la forme intérieure, ne se- rait-ce pas un moyen par lequel la reproduction pourrait être opérée ? Considérons d’abord sur quoi cettesupposition est fondée, examinons si elle ne renferme rien de contradictoire, etensuitenous verrons quelles conséquences on en peut tirer. Comme nos sens ne sont juges que de l'extérieur des corps, nous comprenons nettement les affections extérieures et les différentes figures des surfaces, et nous pouvons imiter la nature et rendre les figures extérieures par différentes voies de représenta- tion , comme la peinture, la sculpture et les moules; mais quoique nos sens ne soient juges que des qualités extérieures, nous n’avons pas laissé de reconnaitre qu'il y adansles corps des qualités intérieures , dont quelques-unes sont générales, comme la pesanteur: cette qualité ou cette force n'agit pas relativement aux sur- faces, mais proportionnellement aux masses, c'est-à-dire à la quantité de matière; il y a done dans la nature des qualités, même fort actives, qui pénètrent les corps jusque dans les parties les plus intimes ; nous n'aurons jamais une idée nette de ces qualités, parce que, comme je viens de le dire, elles ne sont pas extérieures, et que par conséquent elles ne peuvent pas tom- ber sous nos sens, mais nous pouvons en Com- 4 HISTOIRE NATURELLE parer les effets, et il nous est permis d’en tirer des analogies pour rendre raison des effets de qualités du mème genre. Si nos yeux, au lieu de ne nous représenter que la surface des choses, étaient conformés de façon à nous représenter l’intérieur des corps, nous aurions alors une idée nette de cet inté- rieur, sans qu'il nous fût possible d’avoir par ce même sens aucune idée des surfaces ; dans cette supposition les moules pour l'intérieur , que j'ai dit qu'emploie la nature, nous seraient aussi faciles à voir et à concevoir que nous le sont les moules pour l'extérieur, et même les qualités qui pénètrent l'intérieur des corps seraient les seules dontnous aurions des idées claires, celles qui ne s’exerceraient que sur les surfaces nous seraient inconnues, et nous aurions dans ce cas des voies de représentation pour imiter l'in- térieur des corps, comme nous en ayons pour imiter l'extérieur; ces moules intérieurs, que nous n’aurons jamais, la nature peut les avoir, comme elle a les qualités de la pesanteur, qui en effet pénètrent à l’intérieur ; la supposition de ces moules est done fondée sur de bonnes analogies, ilreste àexaminer si elle ne renferme aucune contradiction. On peut nous dire quecetteexpression, moule intérieur, parait d'abord renfermer deux idées contradictoires, que celle du moule ne peut se rapporter qu'à la surface, et que celle de l'in- térieur doit ici avoir rapport à la masse; c'est comme si on voulait joindre ensemble l’idée de la surface et l'idée de la masse, et on dirait tout aussi bien une surface massive qu'un moule in- térieur. J'avoue que quand il faut représenter des idées qui n'ont pas encore été exprimées, on est obligé de se servir quelquefois de termes qui paraissent contradictoires , et c’est par cette raison que les philosophes ontsouvent employé dans ces cas des termes étrangers, afin d'éloi- gner de l'esprit l'idée de contradiction qui peut se présenter, en se servant de termes usités et qui ont une signification reçue; mais nous croyons que cet artifice est inutile, dès qu'on peut faire voir que l'opposition n'est que dans les mots, et qu'il n'y a rien de contradictoire dans l'idée : or, je dis que toutes les fois qu'il y a unité dans l'idée, il ne peut y avoir contra- diction; c'est-à-dire, toutes les fois que nous pou- vons nous former une idée d’une chose, si cette idée est simple, elle ne peut être composée, | elle ne peut renfermer aucune autre idée, et par conséquent elle ne contiendra rien d’opposé, rien de contraire. Lesidées simples sont non-seulement les pre- mières appréhensions qui nous viennent par les sens, mais encore les premières comparaisons que nous faisons de ces appréhensions; car si l'on y fait réflexion, l'on sentira bien que la première appréhension elle-même est toujours une comparaison; par exemple, l'idée de la grandeur d’un objet ou de son éloignement ren- ferme nécessairement la comparaison avec une unité de grandeur ou de distance; ainsi lors- qu'une idée ne renferme qu'une comparaison l'on doit la regarder comme simple, et dès lors comme ne contenantrien de contradictoire.Telle est l’idée du moule intérieur: je connais dans la nature une qualité qu’on appelle pesanteur, qui pénètre les corps à l'intérieur, je prends l'idée du moule intérieur relativement à cette qualité; cette idée n’enferme donc qu'une com- paraison , et par conséquent aucune contradic- tion. Voyons maintenant les conséquences qu’on peut tirer de cette supposition, cherchons aussi les faits qu'on peut y joindre, elle deviendra d'autant plus vraisemblable que le nombre des analogies sera plus grand; et pour nous faire mieux entendre, commençons par développer, autant que nous pourrons, cette idée des mou- les intérieurs, et par expliquer comment nous entendons qu'elle nous conduira à concevoir les moyens de la reproduction. La nature en général me paraît tendre beaw coup plus à la vie qu’à la mort, ilsemble qu’elle cherche à organiser les corps autant qu'il est possible ; la multiplication des germes, qu'on peut augmenter presque à l'infini, en est une preuve , et l'on pourrait dire avec quelque fon- dement, que si la matière n’est pas toute orga- nisée, c’est que les êtres organisés se détrui- sent les uns les autres; car nous pouvons aug- menter, presque autant que nous voulons, la quantité des êtres vivants et végétants, et nous ne pouvons pas augmenter laquantité des pier- res ou des autres matières brutes: cela paraît indiquer que l'ouvrage le plus ordinaire de la nature est la production de l'organique, que c'est là son action la plus familière, etque sa puissance n’est pas bornée à cet égard. Pour rendre ceci sensible, faisons le caleul de ce qu'un seul germe pourrait produire, si DES ANIMAUX. 15 l'on mettait à profit toute sa puissance produc- trice; prenons une graine d'orme , qui ne pèse pas la centième partie d’une once, au bout de cent ans elle aura produit un arbre dont le vo- lume sera, par exemple, de dix toises cubes; mais dès la dixième année cet arbre aura rap- porté un millier de graines, qui étant toutes semées produiront un millier d'arbres, les- quels au bout de cent ans auront aussi un vo- lume égal à dix toises cubes chacun, ainsi en cent dix ans voilà déjà plus de dix milliers de toises cubes de matière organique; dix ans après il en y aura dix millions de toises, sans y comprendre les dix milliers d'augmentation par chaque année, ce qui ferait encore cent milliers de plus; et dix ans encore après il y en aura 10000000000000 de toises cubiques; ainsi en cent trente ans un seul germe produirait un volume de matière organisée de mille lieues cubiques, car une lieue cubique ne contient que 10000000000 toises cubes, à très-peu près; et dix ans après, un volume de mille fois mille, c’est-à-dire d’un million de lieues cubiques ; et dix ans après, un million de fois un million, c’est-à-dire 1000000000000 lieues eubiques de matière organisée; en sorte qu'en cent cin- quante ans le globe terrestre tout entier pour- rait être converti en matière organique d’une seule espèce. La puissance active de la nature ne serait arrêtée que par la résistance des ma- tières, qui, n'étant pas toutes de l'espèce qu'il faudrait qu'elles fussent pour être susceptibles de cette organisation, ne se convertiraient pas en substance organique; et cela même nous prouve que la nature ne tend pas à faire du brut, mais de l’organique, et que quand elle n'arrive pas à ce but, ce n’est que parce qu'il y a des in- convénients qui s’y opposent. Ainsi il paraît que son principal dessein est en effet de pro- duire des corps organisés, et d’en produire leplusqu'il est possible , car ce que nous avons dit de la graine d'orme peut se dire de tout autre germe, et il serait facile de démontrer que si, à commencer d'aujourd'hui, on faisait éclore tous les œufs de toutes les poules, et que pendant trente ans on eùt soin de faire éclore de même tous ceux qui viendraient, sans détruire aucun de ces animaux, au bout de ce temps il y en aurait assez pour couvrir la surface entière de la terre, en les mettant tous près les uns des autres. En réfléchissant sur cette espèce de caleul on se familiarisera avec cette idée singulière, que l'organique est l'ouvrage le plus ordinaire de la nature, et apparemment celui qui lui coûte le moins; mais je vais plus loin : il me parait que la division générale qu’on devrait faire de la matière, est malière vivante et matière morte, au lieu de dire matière organisée et matière brute; le brut n’est que le mort, je pourrais le prouver par cette quantité énorme de coquilles et d’autres dépouilles des ani- maux vivants qui font la principale substance des pierres, des marbres, des craies et des marnes, des terres, des tourbes, et de plu- sieurs autres matières que nous appelons bru- Les , et qui ne sont que les débris et les parties mortes d'animaux ou de végétaux; mais une réflexion qui me paraït être bien fondée, le fera peut-être mieux sentir. Après avoir médité sur l'activité qu'a la na- ture pour produire des êtres organisés, après avoir vu que sa puissance à cet égard n’est pas bornée en elle-même, mais qu’elle est seule- ment arrêtée par des inconvénients et des ob- stacles extérieurs, après avoir reconnu qu'il doit exister une infinité de parties organiques vivantes qui doivent produire le vivant, après avoir montré que le vivant est ce qui coûte le moins à la nature, je cherche quelles sont les causes principales de la mort et de la destruc- tion, et je vois qu’en général les êtres qui ont la puissance de convertir la matière en leur propre substance, et de s’assimiler les parties des autres êtres, sont les plus grands destruc- teurs. Le feu, par exemple, a tant d'activité qu'il tourne en sa propre substance presque toute la matière qu'on lui présente, il s’as- simile et se rend propres toutes les choses com- bustibles, aussi est-il le plus grand moyen de destruction qui nous soit connu. Les animaux semblent participer aux qualités de la flamme, leur chaleur intérieure est une espèce de feu ; aussi, après la flamme, les animaux sont les plus grands destructeurs, et ils s’assimilent et tournent en leur substance toutes les matières qui peuvent leur servir d'aliments; mais quoi- que ces deux causes de destruction soient très- considérables, et que leurs effets tendent per- pétuellement à l’anéantissement de l'organi- sation des êtres, la cause qui la reproduit, est infiniment plus puissante et plus active, et ii semble qu'elle emprunte de la destruction même des moyens pour opérer la reproduc- 14 tion, puisque l'assimilation, qui est une cause de mort, est en même temps un moyen meCES- saire pour produire le vivant. Détruire un être organisé n’est, comme nous l'avons dit, que séparer les parties or- ganiques dont il est composé ; ces mêmes par- ties restent séparées jusqu’à ce qu’elles soient réunies par quelque puissance active; mais quelle est cette puissance? celle que les ani- maux et les végétaux ont de s’assimiler la ma- tière qui leur sert de nourriture n'est-elle pas la même, ou du moins n’a-t-elle pas beaucoup de rapport avec celle qui doit opérer la repro- duction ? CHAPITRE HI. De la nutrition et du développement. Le corps d’un animal estune espèce de moule intérieur dans lequel la matière qui sert à son accroissement se modèle et s'assimile au total; de manière que, sans qu’il arrive aucun chan- gement à l'ordre et à la proportion des parties, il en résulte cependant une augmentation dans chaque partie prise séparément; et c'est cette augmentation de volume qu'on appelle déve- loppement, parce qu’on a cru en rendre raison en disant que l'animal étant formé en petit comme il l’est en grand, il n’était pas difficile de concevoir que ces parties se développaient à mesure qu'une matière accessoire yenait aug- menter proportionnellement chacune de ces | parties. Mais cette même augmentation, ce dévelop- pement, si on veut en avoir une idée nette, comment peut-il se faire, si ce n’est en consi- dérant le corps de l'animal, et même chacune | de ses parties qui doivent se développer, | comme autant de moules intérieurs qui ne re- çoivent la matière accessoire que dans l'ordre | qui résulte de la position de toutes leurs par- ties? et ce qui prouve que ce développement ne peut pas se faire, comme on se le persuade ordinairement, par la seule addition aux surfa- ces, et qu'au contraire il s'opère par une sus- ception intime et qui pénètre la masse, c’est que dans la partie qui se développe, le vo- lume et la masse augmentent proportionnel- lement et sans changer de forme ; dès lors il est nécessaire que la matière qui sert à ce déve- loppement pénètre, par quelque voie que ce | HISTOIRE NATURELLE puisse être, l'intérieur de la partie, et la pénè- tre dans toutes les dimensions; et cependant il est en même temps tout aussi nécessaire que cette pénétration de substance se fasse dans un certain ordre et avec une certaine mesure, telle qu'il n'arrive pas plus de substance à un point de l'intérieur qu'à un autre point, sans quoi certaines parties du tout se développeraient plus vite que d’autres , et dès lors la forme serait altérée. Or, que peut-il y avoir qui prescrive en effet à la matière accessoire cette règle, et qui la contraigne à arriver également et propor- tionnellement à tous les points de l’intérieur, si ce n’est le moule intérieur ? Il nous parait donc certain que le corps de l'animal ou du végétal est un moule intérieur qui a une forme constante, mais dont la masse et le volume peuvent augmenter proportionnel- lement , etque l'accroissement , ou, sil'on veut, le développement de l'animal ou du végétal, ne se fait que par l'extension de ce moule dans toutes ses dimensions extérieures et intérieures, que cette extension se fait par l’intus-susception d’une matière accessoire et étrangère qui pénè- tre dans l'intérieur, qui devient semblable à la forme et identique ayec la matière du moule. Mais de quelle nature est cette matière que l'animal ou le végétal assimile à sa substance ? quelle peut être la force ou la puissance qui donne à cette matière l’activité et le mouvement nécessaires pour pénétrer le moule intérieur ? et s’il existe une telle puissance, ne serait-ce pas par une puissance semblable que le moule intérieur lui-même pourrait être reproduit ? Ces trois questions renferment , comme l’on voit, tout ce qu’on peut demander sur ce sujet, | et me paraissent dépendre les unes des autres, au point que je suis persuadé qu'on ne peut pas expliquer d’une manière. satisfaisante la repro- duction de l'animal et du végétal, si l’on n’a pas une idée claire de la façon dont peut s’opérer la nutrition : il faut donc examiner séparément ces trois questions, afin d’en comparer les con- séquences. La première, par laquelle on demande de quelle nature est cette matière que le végétal assimile à sa substance, me parait être en par- tie résolue par les raisonnements que nous avons faits, et sera pleinement démontrée par des observations que nous rapporterons dans les chapitres suivants : nous ferons voir qu'il existe dans la nature une infinité de parties or- 1 DES ANIMAUX. ganiques vivantes ; que les êtres organisés sont composés de ces parties organiques; que leur production ne coûte rien à la nature, puisque leur existence est constante et invariable; que les causes de destruction ne font que les séparer sans les détruire : ainsi, la matière que l'animal ou le végétal assimile à sa substance, est une matière organique qui est de la même nature que celle de l’animal ou du végétal, laquelle par conséquent peut en augmenter la masse et le volume sans en changer la forme, et sans alté- rer la qualité de la matière du moule, puis- qu'elle est en effet de la même forme et de la même qualité que celle qui le constitue; ainsi dans la quantité d'aliments que l'animal prend pour soutenir sa vie et pour entretenir le jeu de ses organes , et dans la sève que le végétal tire par ses racines et par ses feuilles , il y en a une grande partie qu'il rejette par la transpiration, les sécrétions et les autres voies excrétoires, et il n'y en à qu'une petite portion qui serve à Ja nourriture intime des parties et à leur dévelop- pement : il est très-vraisemblable qu'il se fait dans le corps de l'animal ou du végétal une sé- paration des parties brutes de la matière des ali- ments et des parties organiques, que les pre- mières sont emportées par les causes dont nous venons de parler, qu'il n’y a que les parties or- ganiques qui restent dans le corps de l'animal ou du végétal, et que la distribution s’en fait au moyen de quelque puissance active qui les porte _ àtoutes les parties dans une proportion exacte, et telle qu'il n’en arrive ni plus ni moins qu'il ne faut pour que la nutrition, l'accroissement ou le développement se fassent d’une manière à peu près égale. C'est iei la seconde question : quelle peut être la puissance active qui fait que cette matière organique pénètre le moule intérieur et se joint, ou plutôt s'incorpore intimement avec lui? 11 parait, par ce que nous avons dit dans le cha- pitre précédent, qu'il existe dans la nature des forces, comme celle de la pesanteur, qui sont relatives à l'intérieur de la matière, et qui n’ont aucun rapport avec les qualités extérieures des corps, mais qui agissent sur les parties les plus intimes, et qui les pénètrent dans tous les points; ces forces, comme nous l'avons prouvé, ne pourront jamais tomber sous nos sens, parce que leur action se faisant sur l'intérieur des corps , et nos sens ne pouvant nous représenter que ce qui se fait à l'extérieur , elles ne sont pas 15 du genre des choses que nous puissions aperce- voir; il faudrait pour cela que nos yeux , au lieu de nous représenter les surfaces, fussent orga- nisés de façon à nous représenter les masses des corps, et que notre vue püt pénétrer dans leur structure et dans la composition intime de la matière; il est donc évident que nous n’aurons jamais d'idée nette de ces forces pénétrantes, ni de la manière dont elles agissent; mais en même temps il n’est pas moins certain qu'elles existent, que c’est par leur moyen que se produisent la plus grande partie des effets de la nature, et qu'on doit en particulier leur attribuer l'effet de la nutrition et du développement, puisque nous sommes assurés qu'il ne se peut faire qu'au moyen de la pénétration intime du moule inté- rieur; car de la même façon que la force de la pesanteur pénètre l'intérieur de toute la matière, de même la force qui pousse ou qui attire les parties organiques de la nourriture, pénètre aussi dans l’intérieur des corps organisés , etles y faitentrer par son action; et comme ces corps ont une certaine forme que nous avons appelée le moule intérieur, les parties organiques pous- sées par l’action de la force pénétrante ne peu- vent y entrer que dans un certain ordre relatif à cette force, ce qui par conséquent ne la peut pas changer, mais seulement en augmenter tou- tes les dimensions, tant extérieures qu'inté- rieures, et produire ainsi l'accroissement des corps organisés et leur développement; et si dans ce corps organisé, qui se développe par ce moyen, il se trouve une ou plusieurs parties sem- blables au tout, cette partie ou ces parties, dont la forme intérieure et extérieure est semblable à celle du corps entier , seront celles qui opére- ront la reproduction. Nous voici à la troisième question : n'est-ce pas par une puissance semblable que le moule intérieur lui-même est reproduit? non-seu- lement c’est une puissance semblable, mais il parait que c’est la même puissance qui cause le développement et la reproduction; car il suffit que dans le corps organisé qui se développe, il y ait quelque partie semblable au tout, pour que cette partie puisse un jour devenir elle- même un corps organisé tout semblable à celui dont elle fait actuellement partie : dans le point où nous considérons le développement du corps entier , cette partie, dont la forme intérieure et extérieure estsemblable à celle du corps entier, ne se développant que comme partie dans ce 16 premier développement, elle ne présentera pas à nos yeux une figure sensible que nous puis- sions comparer actuellement avec le corps en- tier; mais si on la sépare de ce corps et qu'elle trouve de la nourriture, elle commencera à se développer comme corps entier , et nous offrira bientôt une forme semblable, tant à l'extérieur qu'a l'intérieur, et deviendra par ce second dé- veloppement un être de la même espèce que le corps dont elle aura été séparée; ainsi dans les saules et dans les polypes, comme il y a plus de parties organiques semblables au tout que d’au- tres parties, chaque morceau de saule ou de po- lype qu'on retranche du corps entier, devient un saule ou un polype par ce second développe- ment. Or, un corps organisé dont toutes les parties seraient semblables à lui-même , comme ceux que nous venons de citer, est un corps dont l'organisation est la plus simple de toutes, comme nous l'avons dit dans le premier chapi- tre , car ce n’est que la répétition de la même forme , et une composition de figures sembla- bles toutes organisées de même, et c’est par cette raison que les corps les plus simples, les espèces les plus imparfaites sont celles qui se reproduisent le plus aisément et le plus abon- damment ; au lieu que si un corps organisé ne contient que quelques parties semblables à lui- même , alors il n’y a que ces parties qui puis- sent arriver au second développement, et par conséquent la reproduction ne sera ni aussi fa- cile ni aussi abondante dans ces espèces, qu’elle l'est dans celles dont toutes les parties sont semblables au tout; mais aussi l'organisation de ces corps sera plus composée que celle des corps dont toutes les parties sont semblables, parce que le corps entier sera composé de par- ties, à la vérité toutes organiques, mais diffé- remment organisées, et plus il y aura dans le corps organisé de parties différentes du tout, et différentes entre elles , plus l'organisation de ce corps sera parfaite , et plus la reproduction sera difficile. Se nourrir, se développer et se reproduire, sont donc les effets d’une seule et même cause ; le corps organisé se nourrit par les par- ties des aliments qui lui sont analogues , il se développe par la susception intime des parties organiques qui lui conviennent, et il se repro- duit, parce qu'il contient quelques parties or- HISTOIRE NATURELLE nant à examiner si ces parties organiques , qui lui ressemblent , sont venues dans le corps or- ganisé par la nourriture, ou bien si elles y étaient auparavant : si nous supposons qu’elles y étaient auparavant, nous retombons dans le progrès à l'infini des parties ou germes sembla- bles contenus les uns dans les autres, et nous avons fait voir l'insuffisance et les difficultés de cette hypothèse; ainsi nous pensons que les parties semblables au toutarrivent au corps or- ganisé par lanourriture , et il nous paraît qu'on peut, après ce qui a été dit, concevoir la ma- nière dont elles arrivent, et dont les molécules organiques qui doivent les former peuvent se réunir. Il se fait, comme nous l'avons dit, une sépa- ration de parties dans la nourriture; celles qui ne sont pas organiques, et qui par conséquent ne sont point analogues à l'animal ou au végé- tal, sont rejetées hors du corps organisé par la transpiration et par les autres voies excrétoi- res ; celles qui sont organiques restent et ser- vent au développement et à la nourriture du corps organisé; mais dans ces parties organi- ques il doit y avoir beaucoup de variété, et des espèces de parties organiques très différen- tes les-unes des autres; et comme chaque partie du corps organisé recois les espèces qui lui con- viennent le mieux , et dans un nombre et une proportion assez égale, il est très-naturel d’ima- giner que le superflu de cette matière organi- que qui ne peut pas pénétrer les parties du corps organisé, parce qu'elles ont recu tout ce qu'elles pouvaient recevoir, que ce superflu, dis-je, soit renvoyé de toutes les parties du corps dans un ou plusieurs endroits communs , où toutes ces molécules organiques se trouvant réunies, elles forment de petits corps organisés sembla- bles au premier, et auxquels il ne manque que les moyens de se développer; car toutes les parties du corps organisé renvoyant des parties organiques semblables à celles dont elles sont elles-mêmes composées , il est nécessaire que de la réunion de toutes ces parties il résulte un corps organisé semblable au premier : cela étant entendu , ne peut-on pas dire que c’est par cette raison que, dans le temps de l'accroissement et du développement, les corps organisés ne peu- ventencore produire ou ne produisent que peu, parce que les parties qui se développent absor- bent la quantité entière des molécules organi- ganiques qui lui ressemblent. Il reste mainte- ! ques qui leur sont propres, et que n’y ayant DES ANIMAUX. 17 point de parties superflues, il n'y en a point de renvoyées de chaque partie du corps, et par conséquent il n’y a encore aucune reproduction. Cette explication de la nutrition et de la re- production ne sera peut-être pas reçue de ceux qui ont pris pour fondement de leur philosophie de n’admettre qu'un certain nombre de prin- cipes mécaniques , et de rejeter tout ce qui ne dépend pas de ce petit nombre de principes. C'est là, diront-ils, cette grande différence qui est entre la vieille philosophie et celle d'au- jourd'hui; il n’est plus permis de supposer des causes, il faut rendre raison de tout par les lois de la mécanique, et il n’y a de bonnes ex- plications que celles qu'on en peut déduire; et comme celle que vous donnez de la nutri- tion et de la reproduction n’en dépend pas, nous ne devons pas l’admettre. J'avoue que je pense bien différemment de ces philosophes; il me semble qu'en n'admettant qu'un certain nombre de principes mécaniques, ils n'ont pas senti combien ils rétrécissaient la philosophie , etils n'ont pas vu que pour un phénomène qu’on pourrait y rapporter, il y en avait mille qui en étaient indépendants. L'idée de ramener l'explication de tous les phénomènes à des principes mécaniques est assurément grande et belle; ce pas est le plus hardi qu'on püt faire en philosophie, et c'est Descartes qui l’a fait; mais cette idée n’est qu'un projet, et ce projet est-il fondé ? quand même il le serait, avons-nous les moyens de l'exécuter ? ces principes mécaniques sont l’é- tendue de la matière, son impénétrabilité, son mouvement , sa figure extérieure, sa divisibi- lité, la communication du mouvement par la voie de l'impulsion , par l’action desressorts, ete. Les idées particulières de chacune de ces qualités de la matière nous sont venues par les sens, et nous les avons regardées comme principes , parce que nous avons reconnu qu'elles étaient générales, c’est-à-dire qu'elles appartenaient ou pouvaient appartenir à toute la matière; mais devons-nous assurer que ces qualités soient les seules que la matière ait en effet, ou plutôt ne devons-nous pas croire que ces qualités, que nous prenons pour des prin- cipes, ne sont autre chose que des facons de voir? et ne pouvons-nous pas penser que si nos sens étaient autrement conformés, nous reconnaitrions dans la matière des qualités très- differentes de celles dont nous venons de faire [LES l'énumération? Ne vouloir admettre dans Ja matière que les qualités que nous lui connais- sons, me parait une prétention vaine et mal fondée; la matière peut avoir beaucoup d’au- tres qualités générales que nous ignorerons toujours , elle peut en avoir d’autres que nous découvrirons, comme celle de la pesanteur , dont on a dans ces derniers temps fait une qualité générale, et avec raison, puisqu'elle existe également dans toute la matière que nous pouvons toucher, et même dans celle que nous sommes réduits à ne connaître que par le rapport de nos yeux : chacune de ces qua- lités générales deviendra un nouveau principe tout aussi mécanique qu'aucun des autres, et l'on ne donnera jamais l'explication ni des uns ni des autres. La cause de l'impulsion, ou de tel autre principe mécanique recu, sera toujours aussi impossible à trouver que celle de l'attraction ou de telle autre qualité géné- rale qu’on pourrait découvrir; et dès lors n’est- il pas très-raisonnable de dire que les principes mécaniques ne sont autre chose que les effets généraux que l'expérience nous a fait remar- quer dans toute la matière, et que toutes les fois qu'on découvrira, soit par des réflexions, soit par des comparaisons, soit par des mesures ou des expériences, un nouvel effet général, on aura un nouveau principe mécanique qu'on pourra employer avec autant de sûreté et d'a- vantage qu'aucun des autres. Le défaut de la philosophie d’Aristote était d'employer comme causes tous les effets parti- culiers; celui de celle de Descartes est de ne vouloir employer comme causes qu'un petit nombre d'effets généraux, en donnant l’exelu- sion à tout le reste. Il me semble que la philoso- phie sans défaut serait celle où l’on n'emploie- rait pour causes que des effets généraux, mais où l’on chercherait en même temps à en aug- menter le nombre, en tâchant de généraliser les effets particuliers. J'ai admis dans monexplication du dévelop- pement et de la reproduction, d’abord les prin- cipes mécaniques recus, ensuite celui de Ja force pénétrante de la pesanteur qu'on est obligé de recevoir , et par analogie j'ai cru pou- voir dire qu'il y avait d'autres forces péné- trantes qui s'exercaient dans les corps orga- nisés, comme l'expérience nous en assure. J'ai prouvé par des faits que la matière tend à s'or- gauiser, et qu’il existe un nombre infini de par- 9 - 18 ties organiques; je n'ai donc fait que générali- ser les observations, sans avoir rien avancé de contraire aux principes mécaniques, lorsqu'on entendra par ce mot ce que l’on doit entendre en effet, c'est-à-dire les effets généraux de la nature. CHAPITRE IV. De la Génération des Animaux, Comme l’organisation de l'homme etdes ani- maux est la plus parfaite et la plus composée, leur reproduction est aussi la plus difficile et la moins abondante; car j'excepte ici de la classe des animaux ceux qui, comme les polypes d'eau douce, les vers, ete., se reproduisent de leurs parties séparées, comme les arbres se reproduisent de boutures, ou les plantes par leurs racines divisées et par cayeux; j'en ex- cepte encore les pucerons et les autres espèces qu'on pourrait trouver, qui se multiplientd'eux- mêmes et sans copulation : il me paraît que la reproduetion des animaux qu’on coupe, celle des pucerons, celle des arbres par les bou- tures , celle des plantes par racines ou par cayeux , sont suffisamment expliquées par ce que nous avons dit dans le chapitre précédent; car pour bien entendre la manière de cette re- production , il suffit de concevoir que dans la nourriture que ces êtres organisés tirent, il y a des molécules organiques de différentes espè- ces; que par une force semblable à celle qui produit la pesanteur, ces molécules organiques pénètrent toutes les parties du corps organisé, ce qui produit le développement et fait la nutrition; que chaque partie du corps organi- sé, chaque moule intérieur, n’admet que les molécules organiques qui lui sont propres; et enfin que, quand le développement et l’accrois- sement sont presque faits en entier, le surplus des molécules organiques qui y servaitaupara- vant, est renvoyé de chacune des parties de l'individu dans un ou plusieurs endroits, où, se trouvant toutes rassemblées, elles forment par leur réunion un ou plusieurs petits corps organisés, qui doivent être tous semblables au premier individu, puisque chacune des parties de cet individa a renvoyé les molécules orga- niques qui lui étaient les plus analogues, celles qui auraient servi à son développement, s'il n'eût pas été fait, celles qui par leur similitude peuvent servir à la nutrition, celles enfin qui HISTOIRE NATURELLE ont à peu près la même forme organique que ces parties elles-mêmes : ainsi, dans toutes les espèces où un seul individu produit son sem- blable, il est aisé de tirer l'explication de la reproduction de celle du développement de la nutrition. Un puceron, par exemple, ou un oignon reçoit, par la nourriture, des molécules organiques et des molécules brutes; la sépara- tion des unes et des autres se fait dans le corps de l'animal ou de la plante, tous deux rejet- tent par différentes voies excrétoires les parties brutes, les molécules organiques restent; celles qui sont les plus analogues à chaque partie du puceron ou de l'oignon pénètrent ces parties, qui sont autant de moules intérieurs différents les uns des autres, et qui n’admettent par con- séquent que les molécules organiques qui leur conviennent ; toutes les parties du corps du pu- ceron et de celui de l’ognon se développent par cette intus-susception des molécules qui leur sont analogues, et lorsque ce développe- ment est à un certain point, que le puceron a grandi et que l'oignon a grossi assez pour être- un puceron adulte et un oignon formé , la quan- tité de molécules organiques qu'ils continuent à recevoir par la nourriture, au lieu d’être em- ployée au développement de leurs différentes parties, est renvoyée de chacune de ces parties dans un ou plusieurs endroits de leur corps, où ces molécules organiques se rassemblent et se réunissent par une force semblable à celle qui leur faisait pénétrer les différentes parties du corps de ces individus; elles forment par leur réunion un ou plusieurs petits corps organisés, entièrement semblables au puceron ou à l’oi- gnon; et lorsque ces petits corps organisés sont formés, il ne leur manque plus que les moyens de se développer , ce qui se fait dès qu'ils se trouvent à portée de la nourriture; les petits pucerons sortent du corps de leur père, et la cherchent sur les feuilles des plantes; on sé- pare de l’oignon son cayeu, et il Ja trouve dans le sein de la terre. Mais comment appliquerons-nous ce raison- nement à la génération de l'homme et des ani- maux qui ont des sexes, et pour laquelle il est nécessaire que deux individus concourent? on entend bien par ce qui vient d'être dit comment chaque individu peut produire son semblable ; mais on ne conçoit pas comment deux indi- vidus, l'un mâle et l'autre femelle, en produi- sent un troisième qui a constamment l'un ou DES ANIMAUX. 19 l'autre de ces sexes; il semble même que la théorie qu'on vient de donner nous éloigne de l'explication de cette espèce de génération, qui cependant est celle qui nous intéresse le plus. Avant que de répondre à cette demande, je ne puis m'empêcher d'observer qu'une des premières choses qui m'aient frappé lorsque j'ai commencé à faire des réflexions suivies sur la génération, c'est que tous ceux qui ont fait des recherches et des systèmes sur celte matière se sont uniquement attachés à la génération de l'homme et des animaux; ils ont rapporté à cet objet toutes leurs idées, et n'ayant considéré que cette génération partieu- lière, sans faire attention aux autres espèces de générations que la nature nous offre , ils n'ont pu avoir d’idées générales sur la reproduction; et comme la génération de l'homme et des ani- maux est de toutes les espèces de générations la plus compliquée, ils ont eu un grand désa- vantage dans leurs recherches, parce que non- seulement ils ont attaqué le point le plus diffi- eile et le phénomène le plus compliqué, mais encore parce qu'ils n'avaient aueun sujet de comparaison dont il leur füt possible de tirer la solution de la question; c’est à cela princi- palement que je crois devoir attribuer le peu de succès de leurs travaux sur cette matière; au lieu que je suis persuadé que par la route que j'ai prise on peut arriver à expliquer d'une mauière satisfaisante les phénomènes de toutes les espèces de générations. Celle de l'homme va nous servir d'exemple: je le prends dans l'enfance, et je conçois que le développement ou l'accroissement des dif- férentes parties de son corps se faisant par la pénétration intime des molécules organiques analogues à chacune de ses parties, toutes ces moléeules organiques sont absorbées dans le premier âge et entièrement employées au dé- veloppement ; que par conséquent il n’y en a que peu ou point de superflues, tant que le dé- veloppement n’est pas achevé, et que c’est pour cela que les enfants sont incapables d'en- gendrer; mais lorsque le corps a pris la plus grande partie de son accroissement, il com- mence à n'avoir plus besoin d’une aussi grande quantité de molécules organiques pour se dé- velopper, le superflu de ces mêmes molécules organiques est done renvoyé de chacune des parties du corps dans des réservoirs destinés à les recevoir, ces réservoirs sont les testicules et les vésicules séminales : c'est alors que commence la puberté , dans le temps, comme on voit, où le développement du corps est à peu près achevé; tout indique alors la surabon- dance de la nourriture, la voix change et gros- sit, la barbe commence à paraitre, plusieurs autres parties du corps se couvrent de poil, celles qui sont destinées à la génération pren- nent un prompt accroissement, la liqueur sémi- nale arrive et remplit les réservoirs qui lui sont préparés, et lorsque la plénitudeest trop grande, elle force, même sans aucune provocation, et pendant le sommeil, la résistance des vais- seaux qui la contiennent, pour se répandre au dehors; tout annonce done dans le mäle une surabondance de nourriture dans le temps que commence la puberté; celle de la femelle est encore plus précoce, et cette surabondance y est même plus marquée par cette évacuation périodique qui commence et finit en même temps que la puissance d'engendrer, par le prompt accroissement du sein, et par un chan- gement dans les parties de la génération, que nous expliquerons dans la suite . Je pense done que les molécules organiques renvoyées de toutes les parties du corps dans les testicules et dans les vésicules séminales du mâle, et dans les testicules ou dans telle autre partie qu’on voudra de la femelle, y forment la liqueur séminale, laquelle dans l’un et l’autre sexe est, comme l'on voit, une espèce d'extrait de toutes les parties du corps; ces molécules organiques, au lieu de se réunir et de former dans l'individu même de petits corps organisés semblables au grand, comme dans le puceron et dans l'oignon, ne peuvent ici se réunireneffetque quand les liqueurs séminales des deux sexes se mêlent; et lorsque dans le mélange qui s'en fait il se trouve plus de molé- cules organiques du mâle que de la femelle, il en résulte un mâle; au contraire, s’il y a plus de particules organiques de la femelle que du mâle, il se forme une petite femelle. Au reste, je ne dis pas que dans chaque in- dividu mâle et femelle, les molécules organi- ques renvoyées de toutes les parties du corps, ne se réunissent pas pour former dans ces mêmes individus de petits corps organisés ; ce que je dis, c'est que lorsqu'ils sont réunis, soit dans le mâle, soit dans la femelle, tous ces 4 Voyez. ci-après l'histoire naturelle de l'homme, chap. 2, 30 HISTOIRE NATURELLE petits corps organisés né peuvent pas se déve- «opper d'eux-mêmes , qu'il faut que la liqueur du mäle rencontre celle de la femelle, et qu'il ay a en effet que ceux qui se forment dans le mélange des deux liqueurs séminales qui puissent se développer; ces petits corps mou- vants, auxquels on a donné le nom d'animaux spermatiques , qu'on voit au microscope dans la liqueur séminale de tous les animaux mâles, sont peut-être de petits corps organisés pro- venant de l'individu qui les contient, mais qui d'eux-mêmes ne peuvent se développer ni rien produire ; nous ferons voir qu'il y en a de semblables dans la liqueur séminale des fe- melles, nousindiquerons l'endroit où l'ontrouve cette liqueur de la femelle; mais quoique la liqueur du mâle et celle de la femelle con- tiennent. toutes deux des espèces de petits corps vivants et organisés, elles ont besoin l’une de l'autre pour que les molécules organiques qu'elles contiennent puissent se réunir et for- mer un animal. On pourrait dire qu'il est très possible, et même fort vraisemblable, que les molécules organiques ne produisent d’abord par leur réu- nion qu'une espèce d'ébauche de l'animal, un petit corps organisé, dans lequel il n'ya que les parties essentielles qui soient formées ; nous n’entrerons pas actuellement dans le dé- teil de nos preuves à cet égard, nous nous contenterons de remarquer que les prétendus animaux spermatiques dont nous venons de parler pourraient bien n'être que très-peu organisés; qu'ils ne sont, tout au plus, que l'ébauche d’un être vivant; ou, pour le dire plus clairement, ces prétendus animaux ne sont que les parties organiques vivantes dont nous avons parlé, qui sont communes aux animaux et aux végétaux; où tout au plus, ils ne sont que la première réunion de ces par- ties organiques. Mais revenons à notre principal objet. Je sens bien qu'on pourra me faire des difficultés particulières du même genre que la difficulté générale à laquelle j'ai répondu dans le chapitre précédent. Comment concevez-vous, me dira-t-on, que les particules organiques superflues puissent être renvoyées de toutes les parties du corps, et ensuite qu'elles puis- sent se réunir lorsque les liqueurs séminales des deux sexes sont mêlées ? d'ailleurs, est-on sûr que ce mélange se fasse ? n'a-t-on pas même prétendu que la femelle ne fournissait aucune liqueur vraiment séminale ? est-il cer- tain que celle du mâle entre dans la ma- trice ? ete. Je réponds à la première question, que si l'on a bien entendu ce que j'ai dit au sujet de la pénétration du moule intérieur par les mo- lécules organiques dans la nutrition ou le dé- veloppement, on concevra facilement que ces molécules organiques ne pouvant plus péné- trer les parties qu’elles pénétraient auparavant, elles seront nécessitées de prendre une autre route, et par conséquent d'arriver quelque part, comme dans les testicules etles vésicules séminales, et qu’ensuite elles se peuventréunir pour former un petit être organisé, par la même puissance qui leur faisait pénétrer les différentes parties du corps auxquelles elles étaient analogues; car vouloir, comme je l'ai dit, expliquer l'économie animale et les diffé- rents mouvements du corps humain, soit celui de la circulation du sang ou celui des mus- cles, ete., par les seuls principes mécaniques auxquels les modernes voudraient borner la phi- losophie , c'est précisément la même chose que si un homme, pour rendre compte d’un tableau, se faisait boucher les yeux, et nous racontait tout ce que le toucher lui ferait sentir sur la toile du tableau ; car il est évident que ni la circulation du sang , ni le mouvement des muscles, ni les fonctions animales ne peuvent s'expliquer par l'impulsion, ni par les autres lois de la méca- uique ordinaire ; il est tout aussi évident que la nutrition, le développement et la reproduction se font par d'autres lois; pourquoi done ne veut-on pas admettre des forces pénétrantes et agissantes sur les masses des corps, puisque d'ailleurs nous en avons des exemples dans la pesanteur des corps, dans les attractions ma- gnétiques, dans les affinités chimiques? et comme nous sommes arrivés par la force des faits et par la multitude et l'accord constant et uniforme des observations, au point d'être as- surés qu'il existe dans la nature des forces qui n’agissent pas par la voied'impulsion, pourquoi n'emploierions-nous pas ces forces comme prin- cipes mécaniques? pourquoi les exclurions-nous de l'explication des phénomènes que nous sa- vons qu'elles produisent? pourquoi veut-on se réduire à n'employer que la force d’impul- sion? n'est-ce pas vouloir juger du tableau par le toucher? n'est-ce pas vouloir expliquer ibm DES ANIMAUX. | les phénomènes de la masse par ceux de la surface, la force pénétrante par l’action super- ficielle? n'est-ce pas vouloir se servir d'un sens, tandis que c'est un autre qu'il faut em- ployer? n'est-ce pas enfin borner volontaire- ment sa faculté de raisonner sur autre chose que sur les effets qui dépendent de ce petit nombre de principes mécaniques auxquels on s'estréduit ? Mais ces forces étantune fois admises, n'est-il pas très-naturel d'imaginer que les parties les plus analogues seront celles qui se réuniront et se lieront ensemble intimement ; que chaque par- tie du corps s'appropriera les molécules les plus convenables, et que du superflu de toutes ces molécules il se formera une matière séminale qui contiendra réellement toutes les molécules nécessaires pour former un petit corps organisé, semblable en tout à celui dont cette matière séminale estl'extrait ? une force toute semblable à celle qui était nécessaire pour les faire pénétrer dans chaque partie et produire le développe- ment, ne suffit-elle pas pour opérer la réunion de ces molécules organiques, et les assembler en effet en forme organisée et semblable à celles du corps dont elles sont extraites ? Je concois donc que dans lesaliments que nous prenons il y a une grande quantité de molécules organiques, et cela n’a pas besoin d’être prouvé, puisque nous ne vivons que d'animaux ou de vé- gétaux, lesquels sont des êtres organisés : je vois que dans l'estomac et les intestins il se fait une séparation des parties grossières et brutes qui sont rejetées par les voies excrétoires: le chyle, que je regarde comme l'aliment divisé, et dont la dépurationest commencée, entre dans les vei- nes lactées, et de là est porté dans le sang avec lequelil se mêle ; le sangtransportece chyle dans toutes les parties du corps, il continue à se dé- purer, parle mouvementdela cireulation, detout ce qui lui restait de molécules non organiques; cette matière brute et étrangère est chassée par cemouvement, etsortpar les voies des sécrétions etde la transpiration; mais les molécules organi- ques restent, parce qu’en effet elles sont analo- gues au sang, et que dès lors il y a une force d’affinité quilesretient. Ensuite, comme toute la masse du sang passe plusieurs fois dans toutel’ha- bitude du corps, je concois que dans ce mouve- ment de circulation continuellechaque partie du corps attire à soiles moléculesles plus analogues, et laisse aller celles qui le sont le moins; de cette façon toutes les parties se développentetse nour- rissent , non pas, comme on leditordinarement, par une simple addition des parties et par une augmentation superficielle, mais par une pénétra- tion intime, produite par une force qui agit dans tous les points de la masse; et lorsque les parties du corps sont au point de développement néces- saire, etqu’elles sont presque entièrement rem- plies de ces molécules analogues, comme leur substance est devenue plus solide, je conçois qu'elles perdent la faculté d'attirer ou de recevoir ces molécules, et alors la circulation continuera de les emporter et de les présenter successive- ment à toutes les parties du corps, lesquelles ne pouvant plus les admettre, il est nécessaire qu'il s’en fasseun depôt quelque part, comme dans les testicules et les vésicules séminales. Ensuite cet extrait du mâle, étant porte dans l'individu de l'autre sexe, se mêle avec l'extrait de la femelle, et par une force semblable àla première, les mo- lécules quise conviennent le mieux se réunissent et forment par cette réunion un petit corps orga- nisé semblable à l'un ou à l’autre de ces indivi- dus, auquel il ne manque plus que le dévelop- pement, qui se fait ensuite dansla matrice de Ja femelle. La seconde question, savoir si la femelle a en effet une liqueur séminale, demande un peu de discussion: quoique nous soyons en état d'y sa- tisfaire pleinement, j'observerai avant tout, comme une chose certaine, que la manière dont se fait l'émission de la semence de la femelle est moins marquée que dans le mâle ; car cette émission se fait ordinairement en dedans: QGuôd intrà se semen jacit fœmina vocatur ; quod in hac jacit, mas, dit Aristote, art. 18 de Anima- libus. Les anciens, coïnme l’on voit, doutaient si peu que les femelles eussent une liqueur sé- minale, que c'était par la différence de l'émis- sion de cette liqueur qu'ils distinguaient le mâle de lafemelle; mais les physiciens, quiont voulu expliquer la génération par les œufs ou par les animaux spermatiques, ont insinué que les fe- mellesn'avaient point de liqueur séminale ; que comme elles répandent différentes liqueurs, on a pu se tromper si l'on a pris pour la liqueur sé- minale quelques-unes deces liqueurs; et que la supposition des anciens sur l'existence d’une liqueur séminale dans la femelle était destituée de tout fondement : cependant cette liqueur existe, etsil'on en a douté, c'estqu'on a mieux aimése livrer à l'esprit de système que de faire 22 des observations, et que d'ailleurs il n'était pas aisé de reconnaitre précisément quelles parties servent de réservoir à cette liqueur séminale de la femelle ; celle qui part des glandes qui sont au col de la matrice et aux environs de l'ori- fice de l’urètre n'a pas de réservoir marqué, et comme elle s'écoule au-dehors, on pourrait croire qu'elle n’est pasla liqueur prolifique, puis- qu'elle ne concourt pas à la formation du fœtus qui se fait dans la matrice ; la vraie liqueur sé- minale de la femelle doit avoir un autre réser- voir, etelleréside en effet dans une autre partie, comme nous le ferons voir : elle est même assez abondante, quoiqu'il ne soit pas nécessaire qu'elle soit en grande quantité, non plus que celle du mâle, pour produire un embryon; il suffit qu'une petite quantité de cette liqueur mâle puisse entrer dans la matrice, soit par son orifice, soit à travers le tissu membraneux de cette partie, pour pouvoir former un fœtus, si cette liqueur mâle rencontre la plus petite goutte de la liqueur femelle : ainsi les observations de quelques anatomistes, qui ont prétendu que la liqueur séminale du mâle n’entrait point dans la matrice, ne font rien contre ce que nous avons dit, d'autant plus que d’autres anatomistes, fon- dés sur d’autres observations, ont prétendu le contraire : mais tout ceci sera discuté et déve- loppé avantageusement dans la suite. Après avoir satisfait aux objections, voyons les raisons qui peuvent servir de preuves à no- tre explication. La première se tire de l’ana- logie qu'il y a entre le développement et la reproduction ; l’on ne peut pas expliquer le dé- veloppement d’une manière satisfaisante, sans employer les forces pénétrantes et les affinités ou attractions que nous avons employées pour expliquer la formation des petits êtres organisés semblables aux grands. Urre seconde analogie, c'est que la nutrition et la reproduction sont toutes deux non-seulement produites par la même cause efficiente, mais encore par la même cause matérielle ; ce sont les parties organiques de la nourriture qui servent à toutes deux, et la preuve que c'est le superflu dela matière qui sert au développement qui est le sujet matériel de la reproduction, c’est que le corps ne com- mence à être en état de produire que quand il a fini de croître, et l’on voit tous les jours dans les chiens et les autres animaux, qui suivent plus exactement que nous les lois de la nature, que tout leur accroissement est pris avant qu'ils HISTOIRE NATURELLE cherchent à se joindre, et dès que les femelles deviennent en chaleur, ou que les mâles com- mencent à chercher la femelle, leur dévelop- pement estachevéen entier, ou du moins pres- que en entier; c’est même une remarque pour connaitre si un chien grossira ou non, car on peut être assuré que s’il est en état d’engen- drer, il ne croîtra presque plus. Une troisième raison qui me paraît prouver que c’est le superflu de la nourriture qui forme la liqueur séminale, c’est que les eunuques et tous les animaux mutilés grossissent plus que ceux auxquels il ne manque rien; la surabon- dance de la nourriture ne pouvant être évacuée faute d'organes, change l'habitude de leur corps; les hanches et les genoux des eunuques grossissent, la raison m'en parait évidente ; après que leur corps a pris l'accroissement or- dinaire, si les molécules organiques superflues trouvaient une issue, comme dans les autres hommes, cet accroissement n’augmenterait pas davantage ; mais comme il n'y a plus d'organes pour l'émission de la liqueur séminale, cette : même liqueur, qui n’est que le superflu de la matière qui servait à l'accroissement, reste et cherche encore à développer davantage les par- ties: or on sait que l'accroissement des os se fait par les extrémités, qui sont molles et spon- gieuses, et que quand les os ont une fois pris de la solidité, ils ne sont plus susceptibles de déve- loppement ni d'extension, et c’est par cette rai- son que ces molécules superflues ne continuent à développer que lesextrémités spongieuses des os, ce qui fait que les hanches, les genoux, ete , des eunuques grossissent considérablement , parce que les extrémités sont en effet les der- nières parties qui s'ossifient. Mais ce qui prouve plus fortement que tout le reste la vérité de notre explication, c’est la ressemblance des enfants à leurs parents ; le fils ressemble, en général, plus à son père qu'à sa mère, et la fille plus à sa mère qu’à son père, parce qu'un homme ressemble plus à un homme qu'à une femme, et qu'une femme ressemble plus à une femme qu'àäun homme pour l'habi. tudetotale du corps; mais pour les traits et pour les habitudes particulières, les enfants ressem- blenit tantôt au père, tantôt à la mère, quelque- fois même ils ressemblent à tous deux; ils au- ront, par exemple, les yeux du père et la bouche de la mère, ou le teint de la mère et la taille du père, ce qu'il est impossible de concevoir, à DES ANIMAUX. moins d'admettre que les deux parents ont con- tribué à la formation du corps de l'enfant, et que par conséquent il y a eu un mélange des deux liqueurs séminales. J'avoue queje me suis fait à moi-même beau- coup de difficultés sur les ressemblances, et qu'avant que j'eusse examiné mürement la question de la génération, je m'étais prévenu de certaines idées du système mixte, où j'em- ployais les vers spermatiques etles œufs des fe- melles, comme premières parties organiques qui formaient le point vivant auquel, par des forces d'attractions, je supposais, comme Harvey, que les autres parties venaient se joindre dans un ordre symétrique et relatif, et comme dans ce système il me semblait que je pouvais expliquer d’une manière vraisemblable tous les phéno- mènes, à l’exceptiondes ressemblances, je cher- chais des raisons pour les combattre et pour en douter, et j'en avais même trouvé de très-spé- cieuses, et qui m'ont fait illusion long-temps, jusqu’à ce qu'ayant prisla peine d'observer moi- même, etavec toute l'exactitude dont je suis ca- pable, un grand nombre de familles, et surtout les plusnombreuses, je n’ai purésister àlamulti- plicité des preuves, et ce n'est qu'après m'être pleinement convaincu à cet égard que j’ai com- mencé à penser différemment et à tourner mes vues du côté que je viens de les présenter, D'ailleurs, quoique j'eusse trouvédesmoyens pour échapper aux arguments qu'on m'aurait faits au sujetdes mulâtres, des métis et des mu- lets que je croyais devoir regarder, les uns comme des variétés superficielles, et les autres coinme des monstruosités, je ne pouvais m'em- pêcher de sentir que toute explication où l’on ne peutrendre raison de ces phénomènes, ne pou- vait être satisfaisante ; je croisn’avoir pas besoin d’avertir combien cette ressemblance aux pa- rents, ce mélange de parties de la même espèce dans les métis, ou de deux espèces différentes dans les-mulets, confirment mon explication. Je vais maintenant en tirer quelques consé- quences. Dans la jeunesse la liqueur séminale est moinsabondante, quoique plus provocante, sa quantité augmente jusqu'à un certain âge, etcela parce qu’à mesure qu’on avance en âge, les parties du corps deviennent plussolides, ad- mettent moins de nourriture, en renvoient par couséquent une plus grande quantité, ce qui produit une plus grande abondance de liqueur 23 ne sent pas usés, les personnes du moyen âge, etmèême les vieillards, engendrent plusaisément que les jeunes gens; ceci est évident dans le genre végétal, plus un arbre est âgé, plus il pro- duit de fruit ou de graine, par la même raison que nous venons d'exposer. Les jeunes gens qui s'épuisent, et qui par desirritations forcées déterminent vers les orga- nes de la génération une plus grande quantité de liqueurséminale qu'iln’enarriveraitnaturel- lement, commencent par cesser de croitre , ils maigrissent et tombent enfin dans le marasme, et celaparce qu'ils perdent par des évacuations trop souvent réitérées la substance nécessaire à leur accroissement et à la nutrition de toutes les parties de leur corps. Ceux dont le corps est maigre sans être dé- charné, ou charnu sans être gras, sont beaucoup plus vigoureux que ceux qui deviennent gras; et dès que la surabondance de la nourriture a pris cette route et qu’elle commence à former de la graisse, c'est toujours aux dépens de la quantité de la liqueur séminale et des autres fa- cultés de la génération. Aussi, lorsque non-seu- lement l'accroissement de toutes les parties du corps est entièrement achevé, mais que les os sont devenus solides dans toutes leurs parties, que les cartilages commencent à s'ossifier, que les membranes ont pris toute la solidité qu’elles pouvaient prendre, que toutes les fibres sont devenuesdureset raides,et qu’enfin toutes les parties du corps ne peuvent presque plus ad- mettre de nourriture, alors la graisse augmente considérablement, et la quantité de la liqueur séminale dimmue, parce que le superflu de la nourriture s'arrête dans toutes les parties du corps, et que les fibres n'ayant presque plus de souplesse et de ressort, ne peuvent plus le ren- voyer, comme auparavant, dans les réservoirs de la génération. La liqueur séminale non-seulement devient, comme je l’ai dit, plus abondante jusqu’à un certain âge, mais elle devient aussi plus épaisse, et sous le même volume elle contient une plus grande quantité de matière, par la raison que l'accroissement du corps diminuant toujours, à mesure qu'on avance en âge, il y a une plus grande surabondance de nourriture, et par con séquent une masse plus considérable de liqueur séminale. Un homme accoutumé à observer, et qui ne m'a pas permis de lenommer, m'a assuré séminale ; aussi, lorsque les organes extérieurs | que, volume pour volume, la liqueur séminale 24 HISTOIRE NATURELLE est près d'une fois plus pesante que le sang, et par conséquent plus pesante spécifiquement qu'aucune autre liqueur du corps. Lorsqu'on se porte bien , l'évacuation de la liqueur séminale donne de l'appétit, et on sent bientôt le besoin de réparer par une nourriture nouvelle la perte de l’ancienne; d’où l’on peut conclure que la pratique de mortification la plus efficace contre la luxure est l'abstinence et le jeûne. Il me reste beaucoup d’autres choses à dire sur ce sujet, que je renvoie au chapitre de l'his- toire de l'homme; mais, avant que de finir ce- lui-ci, je crois devoir faire encore quelques observations. La plupart des animaux ne cher- chent la copulation que quand leur accroisse- ment est pris presque en entier ; ceux qui n'ont qu'un temps pour le rut ou pour le frai, n’ont de liqueur séminale que dans ce temps. Un ha- bile observateur ! a vu se former sous ses yeux non-seulement cette liqueur dans la laite du calmar, mais même les petits corps mouvants et organisés en forme de pompe, les animaux sper- matiques , et la laite elle-même; il n'y en a point dans la laite jusqu'au mois d'octobre, qui est le temps du frai du calmar sur les côtes de Portugal, où il a fait cette observation, et dès que le temps du frai est passé, on ne voit plus ni liqueur séminale ni vers spermatiques dans la laite qui se ride, se dessèche et s’oblitère, jusqu'à ce que l’année suivante le superflu de la nourriture vient former une nouvelle laite et la remplir comme l'année précédente. Nous au- rons occasion de faire voir dans l'histoire du cerf les différents effets du rut; le plus général est l'exténuation de l'animal, et dans les espèces d'animaux dont le rut où le frai n’est pas fré- quent et ne se fait qu'à de grandes intervalles de temps, l'exténuation du corps est d'autant plus grande que l'intervalle du temps est plus consi- dérable. Comme les femmes sont plus petites et plus faibles que les hommes, qu'elles sont d'un tem- pérament plus délicat et qu’elles mangent beau- coup moins, il est assez naturel d'imaginer que le superflu de la nourriture n’est pas aussi abon- dant dans les femmes que dans les hommes, surtout ce superflu organique qui contient une si grande quantité de matière essentielle; dès * M. Needham, V. New microscopical Discoveries. Lon- don, 1745 lors elles auront moins de liqueur séminale, cette liqueur sera aussi plus faible et aura moins de substance que celle de l'homme; et puisque la liqueur séminale des femelles contient moins de parties organiques que celle des mäles, ne doit-il pas résulter du mélange des deux liqueurs un plus grand nombre de mâles que de femelles ? c’est aussi ce qui arrive, et dont on croyait qu'il | était impossible de donnerune raison. IInaïit en- viron un seizième d'enfants mâles de plus que de femelles , et on verra dans la suite que la même cause produit le même effet dans toutes les espèces d'animaux sur lesquelles on à pu faire cette observation. CHAPITRE V. Exposition des systèmes sur la génération. Platon, dans le Timée, explique non-seule- ment la génération de l'homme, des animaux, des plantes, des éléments, mais même celle du ciel et des dieux, par des simulacres réfléchis, et par des images extraites de la divinité créa- trice, lesquelles par un mouvement harmonique se sont arrangées selon les propriétés des nom- bres dans l’ordre le plus parfait. L'univers, selon lui, est un exemplaire de la divinité; le temps, l'espace, le mouvement, la matière , sont des images de ses attributs; les causes secondes et particulières sont des dépendances des qualités numériques etharmoniques de ces simulacres. Le monde est l'animal par excellence, l'être animé le plus parfait; pour avoir la perfection complète, ilétait nécessaire qu'ilcontint tous lesautres ani- maux, c'est-à-dire toutes lesreprésentations pos- sibles ettoutesles formes imaginaires de la faculté créatrice : nous sommes l’une de ces formes, L'essence de toute génération consiste dans l’u- nité d'harmonie du nombretrois, ou du triangle: celui qui engendre, celui dans lequel on engen- dre, et celui qui est engendré. La succession des individus dans les espèces n’est qu'une image fugitive de l'éternitéimmuable decetteharmonie triangulaire, prototype universel de toutes les existences etde toutesles générations; c'estpour cela qu'il a fallu deux individus pour en produire un troisième, c'est là ce qui constitue l’ordre es- sentiel du père et dela mère, et la relation du fils. Ce philosophe est un peintre d'idées, c’est une âme qui, dégagée de la matière, s'élève dans le pays des abstractions, perd de vue les DES ANIMAUX. 25 objets sensibles, n'apercoit, ne contemple et ne rendque l'intellectuel. Une seule cause, un seul but, un seul moyen, font le corps entier de ses perceptions, Dieu comme cause, la perfection comme but, les représentations harmoniques comme moyens; quelle idée plus sublime ! quel plan de philosophie plus simple ! quelles vues plus nobles ! mais quel vide ! quel désert de spé- culations ! Nousne sommes pas en effet de pures intelligences, nousn'avonspas la puissance de donner une existence réelle aux objets dont otre âme est remplie; liés à la matière, ou plu- tôt dépendants de ce qui cause nos sensations, le réel ne sera jamais produit par l’abstrait. Je réponds à Platon dans sa langue : Le Créateur réalisetout ce qu’ilconcoil, ses perceptions en- gendrent l'existence ; l'être créé n’aperçoit au contraire qu’en retranchant à la réalité, et le néant est la production de ses idées. Rabaissons-nous donc sans regret à une phi- losophie plus matérielle, eten nous tenant dans la sphère où la nature semble nous avoir con- finés, examinons les démarches téméraires et le vol rapide de ces esprits qui veulent en sor- ür. Toute cette philosophie pythagoricienne, purement intellectuelle, ne roule que sur deux principes, dont l’un est faux et l’autre précaire; ces deux principes sont la puissance réelle des abstractions , et l'existence actuelle des causes finales. Prendre les nombres pour des êtres réels, dire que l'unité numérique est un indi- vidu général, qui non-seulement représente en effet tous les individus, mais même qui peut leur communiquer l'existence, prétendre que cette unité numérique a de plus l'exercice ac- tuel de la puissance d’engendrer réellementune autre unité numérique à peu près semblable à elle-même , constituer par là deux individus, deux côtés d’un triangle, qui ne peuvent avoir de lien et de perfection que par le troisième côté de ce triangle, par un troisième individu qu'ils engendrent nécessairement; regarder les nombres, les lignes géométriques, les abstrac- tions métaphysiques, comme des causes effi- cientes , réelles et physiques , en faire dépendre la formation des éléments, la génération des animaux et des plantes, et tous les phénome- nes de la nature, me parait être le plus grand abus qu’on püt faire de la raison et le plus grand obstacle qu'on püt mettre à l'avancement de nos connaissances. D'ailleurs, quoi de plus faux que de pareilles suppositions? J'accorderai, si l'on veut, au divin Platon, et au presque divin Malebranche (car Platon l'eût regardé conime son simulacre en philosophie), que la matière n'existe pas réellement, que les objets exté- rieurs ne sont que des effigies idéales de la fa- culté créatrice, que nous voyons tout en Dieu; en peut-il résulter que nos idées soient du mème ordre que celles du Créateur, qu'elles puissent en effet produire des existences? ne sommes-nous pas dépendants de nossensations? que les objets qui les causentsoient réels ou non, que cette cause de nos sensations existe au de- hors où au dedans de nous, que ce soit dans Dieu ou dans la matière que nous voyons tout, que nous importe ! en sommes-nous moins sûrs d'être affectés toujours de la même façon par de certaines causes, et loujours d’une autre fa- çon par d’autres? les rapports de nos sensations n'ont-ils pas une suite, un ordre d'existence, et un fondement de relation nécessaire entre eux? c’est done cela qui doit constituer les principes de nos connaissances, c’est là l’objet de notre philosophie, et tout ce qui ne se rapporte point à cet objet sensible est vain, inutile, et faux dans l'application. La supposition d’une harmo- nie triangulaire peut-elle faire la substance des éléments? la forme du feu est-elle, comme le dit Platon, un triangle aigu, etla lumière et la cha- leur des propriétés de ce triangle? l’air et l’eau sont-ils des triangles rectangles et équilatéraux? et la forme de l'élément terrestre est-elle un carré, parce qu'étant le moins parfait des qua- tre éléments, il s'éloigne du triangle autant qu’il est possible, sans cependant en perdre l'essence? Le père et la mère n’engendrent-ils un enfant que pour terminer un triangle ? Ces idées plato- niciennes, grandes au premier coup d'œil, ont deux aspects bien différents : dans la spéculation, elles semblent partir de principes nobles et su- blimes ; dans l'application, ellesne peuvent arri- ver qu'à des conséquences fausses et puériles. Est-il bien difficile, en effet, de voir que nos idées ne viennent que par les sens, que les cho- ses que nousregardons comme réelles et comme existantes, sont celles dont nos sens nous ont toujours rendu le même témoignage dans tou- tes les occasions; que celles que nous prenons pour certaines, sont celles qui arrivent et qui se présentent toujours de la même façon; que cette facon dont elles se présentent ne dépend pas de nous, non plus que la forme sous la- quelle elles se présentent; que par conséquent 26 uos idées, bien loin de pouvoir être les causes des choses, n'en sont que les effets, et des ef- fets très-particuliers, des effets d'autant moins semblables à la chose particulière , que nous les généralisons davantage; qu'enfin nos ab- stractions mentales ne sont que des êtres néga- tifs, qui n'existent, même intelleciuellement, que par le retranchement que nous faisons des qualités sensibles aux êtres réeis ? Dès lors ne voit-on pas que les abstractions ne peuvent jamais devenir des principes ni d’existences ni de connaissances réelles; qu'au contraire ces connaissances ne peuvent venir que des résultats de nos sensations comparés , ordonnés et suivis; que ces résultats sont ce qu'on appelle l'expérience , source unique de toute science réelle; que l'emploi de tout autre principe est un abus, ei que tout édifice bâti sur des idées abstraites est un temple élevé à l'erreur ? Le faux porte en philosophie une significa- tion bien plus étendue qu'en morale. Dans la morale une chose est fausse uniquement parce qu’elle n'est pas de la façon dont on la repré- sente ; le faux métaphysique consiste non-seu- lement à n'être pas de la facon dont on le repré- sente, mais même à ne pouvoir être d’une façon quelconque ; c’est dans cette espèce d'erreur du premier ordre que sont tombés les platoniciens, les sceptiques et les égoistes, chacun selon les objets qu'ils ont considérés; aussi leurs fausses suppositions ont-elles obseurci la lumière naku- relle de la vérité, offusqué la raison, et retardé l'avancement de la philosophie. Le second principe employé par Platon et par la plupart des spéculatifs que je viens de citer, principe même adopté du vulgaire et de quel- ques philosophes modernes, sont les causes fi- nales: cependant, pour réduire ce principe à sa juste valeur, il ne faut qu'un moment de ré- flexion ; dire qu’il y a de la lumière parce que nous avons des yeux , qu’il y a des sons parce que nous avons des oreilles, ou dire que nous avons des oreilles et des yeux parce qu’il y à de la lumière et des sons , n'est-ce pas dire la même chose, ou plutôt que dit-on? trouvera- t-on jamais rien par cette voie d'explication? ne yoit-on pas que ces causes finales ne sont que des rapports arbitraires et des abstractions mo- rales, lesquelles devraient encore imposer moins que les abstractions métaphysiques? car leur origine est moins noble et plus mal imaginée HISTOIRE NATURELLE et quoique Leïbnitz les ait élevées au plus haut point sous le nom de raison suffisante, et que Platon les ait représentées par le portrait le plus flatteur sous le nom de la perfection, cela ne peut pas leur faire perdre à nos yeux ce qu'elles ont de petit et de précaire : en connaïit- on mieux la nature et ses effets quand on sait que rien ne se fait sans une raison suffisante, ou que tout se fait en vue de la perfection? Qu'est-ce que la raison suffisante? qu'est-ce que la perfection? ne sont-ce pas des êtres moraux créés par des vues purement humaines? ne sont-ce pas des rapports arbitraires que nous avons généralisés ?sur quoi sont-ils fondés? sur des convenances morales, lesquelles bien loin de pouvoir rien produire de physique et de réel, ne peuvent qu'altérer la réalité et confondre les objets de nos sensations, de nos perceptions et de nos connaissances avec ceux de nos sen- timents, de nos passions et de nos volontés. Il y aurait beaucoup de choses à dire à ce su- jet, aussi bien que sur celui des abstractions métaphysiques; mais je ne prétends pas faire” ici un traité de philosophie, et je reviens à la physique que les idées de Platon sur la généra- tion universelle m’avaient fait oublier. Aristote, aussi grand philosophe que Platon, et bien meil- leur physicien, au lieu de se perdre comme lui dans la région des hypothèses, s'appuie au con- traire sur des observations, rassemble des faits et parle une langue plusintelligible; la matière, qui n’est qu'une capacité de recevoir les formes , prend dans la génération une forme semblable à celle des individus qui la fournissent; et à l’é- gard de la génération particulière des animaux qui ont des sexes, son sentiment est que le mâle fournit seul le principe prolifique, et que la fe- melle ne donne rien qu'on puisse regarder comme tel. Voy. Arist. de gener., lib.1,cap.20; et lib. 2, cap. 4. Car, quoiqu'il dise ailleurs, en parlant des animaux en général, que la femelle répand une liqueur séminale au-dedans de soi- même, il parait qu'il ne regarde pas cette li- queur séminale comme un principe prolifique, et cependant, selon lui, la femelle fournit toute la matière nécessaire à la génération ; cette ma- tière est le sang menstruel qui sert à la forma- tion, au développement et à la nourriture du fœtus; mais le principe efficient existe seule- ment dans la liqueur séminale du mâle, laquelle n'agit pas comme matière, mais comme cause. Averroès, Avicenne, et plusieurs philosophes DES ANIMAUX. 27 qui ont suivi le sentiment d’Aristote, ont cher- ché des raisons pour prouver que les femelles n'avaient point de liqueur prolifique; ils ont dit que comme les femelles avaient la liqueur men- struelle, et que cette liqueur était nécessaire et suffisante à la génération, il ne paraissait pas naturel de leur en accorder une autre, et qu'on pouvait penser que ce sang menstruel est en effet la seule liqueur fournie par les femelles pour là génération, puisqu'elle commençait à paraitre dans le temps de la puberté, comme la liqueur séminale du mäle commence aussi à pa- raitre dans ce temps : d’ailleurs, disent-ils, si la femelle a réellement une liqueur séminale et prolifique, comme celle du mäle, pourquoi les femelles ne produisent-elles pas d’elles-mêmes et sans l'approche du mâle, puisqu'elles con- tiennent le principe prolifique, aussi bien quela matière nécessaire pour la nourriture et pour le développement de l'embryon? Cette dernière raison me semble être la seule qui mérite quel- que attention. Le sang menstruel parait être en effet nécessaire à l’accomplissement de la géné- ration, c’est-à-dire à l'entretien, à la nourriture et au développement du fœtus; maisil peut bien n'avoir aueune part à la première formation, qui doit se faire par le mélange de deux liqueurs également prolifiques ; les femelles peuvent done avoir, comme les mâles, une liqueur séminale prolifique pour la formation de l'embryon, et elles auront de plus ce sang menstruel pour la nourriture et le développement du fœtus; mais ilest vrai qu'on serait assez porté à imaginer que Ja femelle, ayant en effet une liqueur séminale qui est un extrait, comme nous l'avons dit, de toutes les parties de son corps, et ayant de plus tous les moyens nécessaires pour le développe- ment, elle devrait produire d'elle-même des fe- melles sans communication avec le mâle; il faut mième avouer que cette raison métaphysique, que donnent les aristotéliciens pour prouver que les femelles n'ont point de liqueur prolifi- que, peut devenir l’objection la plus considéra- ble qu’on puisse faire contre tous les systèmes de la génération, eten particulier contre notre ex- plication : voici cette objection. Supposons, me dira-t-on, comme vous croyez l'avoir prouvé, que ce soit le superflu des molé- cales organiques semblables à chaque partie du corps, qui, ne pouvant plus être admis dans ces parties pour les développer, en est renvoyé dans les testicules et les vésicules séminales du | mâle, pourquoi, par les forces d'affinité que vous avez supposées, ne forment-elles pas là de petits êtres organiques semblables en tout aa mâle ? et de même, pourquoi les molécules orga- niques renvoyées de toutes les parties du corps de la femelle dans les testicules ou dans la ma- trice de la femelle, ne forment-elles pas aussi des corps organisés semblables en tout à la fe. melle? et si vous me répondez qu'il y a appa- rence que les liqueurs séminales du mâle et de la femelle contiennent en effet chacune des em- bryons tout formés, que la liqueur du mäle ne contient que des mâles, que celle de la femelle ne contient que des femelles, mais que tous ces petits êtres organisés périssent faute de déve- loppement, et qu'il n'y a que ceux qui se for- ment actuellement par le mélange des deux li- queurs séminales qui puissent se développer et venir au monde, n’aura-t-on pas raison de vous demander pourquoi cette voie de génération qui est la plus compliquée, la plus difficile et la moins abondante en productions, est celle que la nature a préférée et préfère d'une manière si marquée, que presque tous les animaux se mul- tiplient par cette voie de la communication du mâle avec la femelle? car, à l'exception du pu- ceron, du polype d’eau douce et des autres ani- maux qui peuvent se multiplier d'eux-mêmes ou par la division et la séparation des parties de leur corps, tous les autres animaux ne peuvent produire leur semblable que par la communica- tion des deux individus. Je me contenterai de répondre à présent que la chose étant en effet telle qu’on vient de le dire, les animaux, pour la plus grande partie, ne se produisant qu'au moyen du concours du mâle et de la femelle, l'objection devient une question de fait, à laquelle, comme nous l'avons dit dans le chapitre LL, il n'y à d’autre solution à donner que celle du fait même. Pourquoi les animaux se produisent-ils par le concours des deux sexes? la réponse est, parce qu'ils se pro- duisent en effet ainsi; mais, insistera-t-on, c’est la voie de reproduction la plus compliquée même suivant votre explication. Je l'avoue; mais cette voie la plus compliquée pour nous est apparemment la plus simple pour la nature; et si, comme nous l'avons remarqué, il faut regar- der comme le plus simple dans la nature ce qui arrive le plus souvent, cette voie de génération sera dès lors la plus simple, ce qui n'empêche pas que nous ne devions la juger comme la plus 28 HISTOIRE NATURELLE composée, parce que nous ne la jugeons pas en elle-même, mais seulement par rapport à nos idées et suivant les connaissances que nos sens et nos réflexions peuvent nous en donner. Au reste, il est aisé de voir que ce sentiment particulier des aristotéliciens, qui prétendaient que les femelles n'avaient aucune liqueur proli- fique, ne peut pas subsister, si l'on fait atten- tion aux ressemblances des enfants à la mère, des mulets à la femelle qui les produit, des métis et des mulâtres qui tous prennent autant et sou- vent plus de la mère que du père; si d’ailleurs on pense que les organes de la génération des femelles sont, comme ceux des mâles, confor- més de façon à préparer et recevoir la liqueur séminale, on se persuadera facilement que cette liqueur doit exister, soit qu’elle réside dans les vaisseaux spermatiques, ou dans les testicules, ou dans les cornes de la matrice, ou que ce soit cette liqueur qui, lorsqu'on la provoque, sort par les lacunes de Graaf, tant aux environs du col de la matrice qu'aux environs de l’orifice externe de l'urètre. Mais il est bon de développer ici plus en dé- tail les idées d’Aristote au sujet de la généra- tion desanimaux, parce que ce grand philosophe est celui de tous les anciens qui a le plus écrit sur cette matière, et qui l’a traitée le plus géné- ralement. 11 distingue les animaux en trois es- pèces : les uns qui ont du sang, et qui, à l’excep- tion, dit-il, de quelques-uns, se multiplient tous par la copulation; les autres, qui n’ont point de sang, qui, étant mâles et femelles en même temps, produisent d'eux-mêmes et sans copu- lation; et enfin ceux qui viennent de poarri- ture, et qui ne doivent pas leur origine à des parents de même espèce qu'eux. À mesure que j'exposerai ce que dit Aristote, je prendrai la liberté de faire les remarques nécessaires, et la première sera qu'on ne doit point admettre cette division; car, quoique en effet toutes les es- pèces d'animaux qui ont du sang soient compo- sées de mâles et de femelles, il n’est peut-être pas également vrai que les animaux qui n'ont point de sang soient pour la plupart en même temps mâles et femelles; car nous ne connais- sons guère que le limacon sur la terre, et les vers, qui soient dans ce cas, et qui soient en effet mâles et femelles, et nous ne pouvons pas assurer que tous les coquillages aient les deux sexes à la fois aussi bien que tous les au- que l'on verra dans l’histoire particulière de ces animaux; et à l'égard de ceux qu'il dit prove- nir de la pourriture, comme il n’en fait pas l’é- numération , il y aurait bien des exceptions à faire, car la plupart des espèces que les anciens croyaient engendrées par la pourriture, vien- nent ou d’un œuf ou d’un ver, comme les obser- vateurs modernes s’en sont assurés. 1] fait ensuite une seconde division des ani- maux, savoir, ceux qui ont la faculté de se mou- voir progressivement, comme de marcher, de voler, de nager, et ceux qui ne peuvent se mou- voir progressivement. Tous ces animaux, qui se meuventet quiont du sang, ont des sexes ; mais ceux qui, comme les huitres, sont adhérents, ou qui ne se meuvent presque pas, n’ont point de sexe, et sont à cet égard comune les plantes : ce n’est, dit-il, que par la grandeur ou par quel- que autre différence qu'on les a distingués en mäles et femelles. J'avoue qu’on n’est pas encore assuré que les coquillages aient des sexes, il ya dans l'espèce des huitres des individus féconds, et d'autres individus qui ne le sont pas; les indi- vidus féconds se distinguent à cette bordure dé- liée qui environne le corps de l’huitre, et on les appelle les mâles ‘. I|nous manque sur cela beau- coup d'observations qu'Aristote pouvait avoir, mais dont il me parait qu'il donne ici un résultat trop général. Mais suivons. Le mâle, selon Aristote, ren- ferme le principe du mouvement génératif, etla femelle contient lematériel de la génération. Les organes quiservent à la fonction qui doit les pré- céder , sont différents suivant les différentes es- pèces d'animaux : les principaux sont les tes- ticules dans les mâles, etla matrice dans les femelles. Les quadrupèdes, les oiseaux et les cé- tacées ont des testieules, les poissons et les ser- pents en sont privés; mais ils ont deux conduits propres à recevoir la semence et à la préparer; et de même que ces parties essentielles sont dou- bles dans les mâles, les parties essentielles à la génération sont aussi doubles dans les femelles ; ces parties servent dans les mâles à arrêter le mouvement de la portion du sang qui doit for- mer la semence; il le prouve par l'exemple des oiseaux, dont les testicules se gonflent considé- rablement dans la saison de leurs amours, et qui, après cette saison, diminuent si fort qu’on a { peine à les trouver. 1 Voyez l'observation de M. Leslandes, dans son Trailé de tres animaux qui n'ont point de sang, c'est CE laMarine. Paris, 1747. oo om +" DES ANIMAUX. Tous les animaux quadrupèdes, comme les chevaux, les bœufs, ete., qui sont couverts de poil, et les poissons cétacées, comme les dau- phins et les baleines, sont vivipares; mais les animaux carlilagineux et les vipères ne sont pas vraiment vivipares, parce qu'ils produisent d’abord un œuf au dedans d'eux-mêmes, et ce n’est qu'après s'être développés dans cet œuf que les petits sortent vivants. Les animaux ovi- pares sont de deux espèces, ceux qui produi- sent des œufs parfaits, comme les oiseaux, les lézards, les tortues, etc.; les autres, qui ne pro- duisent que des œufs imparfaits, comme les poissons, dont les œufs s’augmentent et se perfectionnent après qu'ils ont été répandus dans l’eau par la femelle; et à l'exception des oiseaux , dans les autres espèces d'animaux ovi- ‘ pares, les femelles sont ordinairement plus grandes que les mäles, comme dans les pois- sons, les lézards, etc. Après avoir exposé ces variétés générales dans les animaux, Aristote commence à entrer en matière, et il examine d’abord le sentiment des anciens philosophes qui prétendaient que la se- mence, tant du mâle que de la femelle, prove- nait de toutes les parties de leur corps, et il se déclare contre ce sentiment, parce que, dit-il, quoique les enfants ressemblent assez souvent à leurs pères et mères, ils ressemblent aussi quel- quefois à leurs aieux, et que d’ailleurs ils res- semblent à leur père et à leur mère par la voix, par les cheveux, par les ongles, par leur main- tien et par leur manière de marcher : or la se- mence, dit-il, ne peut pas venir des cheveux, de la voix, des ongles ou d’une qualité extérieure, comme est celle de marcher ; done les enfants ne ressemblent pas à leurs parents parce que la se- mence vient de toutes les parties de leur corps, mais par d’autres raisons. Il me semble qu'il n'est pas nécessaire d’avertir ici de quelle fai- blesse sont ces dernières raisons que donne Aris- tote pour prouver que la semence ne vient pas de toutes les parties du corps : j'observerai seule- ment qu'il m'a paru que ce grand homme cher- chait exprès les moyens de s'éloigner du senti- ment des philosophes qui l'avaient précédé; et je suis persuadé que quiconque lira son traité de la génération avec attention, reconnaitra que le dessein formé de donner un système nouveau et différent de celui des anciens, l'o- blige à préférer toujours, et dans tous les cas, les raisons les moins probables, et à éluder, au- 29 tant qu'il peut, la force des preuves, lorsqu'elles sont contraires à ses principes généraux de phi- losophie; car les deux premiers livres semblent n'être faits que pour tâcher de détruire ce senti- ment des anciens, et on verra bientôt que celui qu'il veut y substituer, est beaucoup moins fondé. Selon lui, la liqueur séminale du mâle est un excrément du dernier aliment, c'est-à-dire, du sang, et les menstrues sont dans les femelles un excrément sanguin, le seul qui serve à la géné- ration; les femelles, dit-il, n'ont point d'autre liqueur prolifique, il n’y a done pointde mélange de celle du mâle avec celle de la femelle, et il prétend le prouver, parce qu'il y a des femmes qui concoivent sans aucun plaisir, que ce n’est pas le plus grand nombre de femmes qui répan- dent de la liqueur à l'extérieur dans la copula- tion; qu’en général celles qui sont brunes et qui ont l’air hommasse ne répandent rien, dit-il, et cependant n’engendrentpas moins que celles qui sont blanches et dont l'air est plus féminin, qui répandent beaucoup; ainsi, conelut-il , la femme ne fournit rien pour la génération que le sang menstruel : ce sang est la matière de la généra- tion, et laliqueurséminale du mâlen’y contribue pas comme matière, mais comme forme; c'est la cause efficiente, c'estle principe du mouvement, elle est à la génération ce que le sculpteur est au bloc de marbre, la liqueur du mâle est le sculp- teur, le sang menstruel le marbre, et le fœtus est la figure. Aucune partie de la semence du mâle ne peut donc servir comme matière, à la géné- ration, mais seulement comme cause motrice, qui communique le mouvement aux menstrues qui sont la seule matière; ces menstrues recoi- vent de la semence du mâle une espèce d'âme qui donne la vie, cette âme n’est ni matérielle ni immatérielle; elle n’est pas immatérielle, parce qu'elle ne pourrait agir sur la matière; elle n’est pas matérielle, parce qu'elle ne peut pas entrer comme matière dans la génération, dont toute la matière sont les menstrues; c’est, dit notre philosophe, un esprit dont la substance est sem- blable à celle de l'élément des étoiles. Le cœur est le premier ouvrage de cette âme, il contient en lui-même le principe de son accroissement, etilala puissance d’arranger lesautres membres; lesmenstrues contiennenten puissance toutes les parties du fœtus; l'âme ou l'esprit de la semence du mâle commence à réduire à l'acte, à l'effet, le cœur, et lui communique le pouvoir de ré- 30 HISTOIRE NATURELLE duire aussi à l'acte ou à l'effet les autres viscè- res, et de réaliser ainsi successivement toutes les parties de l'animal. Tout cela paraît fort clair à notre philosophe; il luireste seulement un doute, c'est de savoir si le cœur est réalisé avant le sang qu'il contient, ou si le sang, qui fait inouvoir le cœur, est réalisé le premier, et il avait en effet raison de douter ; car, quoiqu'il ait adopté le sen- timent que c'est le cœur qui existe le premier, Harvey a depuis prétendu par des raisons de la même espèce quecelles que nous venons de don- ner d'après Aristote, que ce n’était pas le cœur, mais le sang qui le premier se réalisait. Voilà quel est le système que ce grand philo- sophe nous a donné sur la génération. Je laisse à imaginer si celui des anciens qu'il rejette, et contre lequel il s'élève à tout moment, pouvait être plus obscur, où même, si l’on veut, plus absurde que celui-ci : cependant ce même sys- tème, que je viens d'exposer fidèlement, a été suivi par la plus grande partie des savants, et on verra tout à l'heure qu'Harvey non-seulement avait adopté les idées d’Aristote, mais même qu'ily enaencoreajoutéde nouvelles, et dans le mêmecsenre, lorsqu'il a voulu expliquer le mys- tère de la génération; comme ce système fait corps avec le reste de la philosophie d’Aristote, où la forme et la matière sont les grands princi- pes, où les âmes végétatives et sensitives sont les êtres actifs de la nature, où les causes finales sont des objets réels, je ne suis point étonné qu'il ait été reçu par tous les auteurs scolastiques ; mais il est surprenant qu'un médecin et un bon observateur, tel qu'était Harvey, ait suivi le tor- rent, tandis que dans le même temps tous les médecins suivaient le sentiment d'Hippocrate et de Galien, que nous exposerons dans la suite. Au reste, ilne faut pas prendreune idée désa- vantageuse d’Aristote par l'exposition que nous venons de faire de sonsystème sur la génération, c'est comme si l’on voulait juger Descartes par son traité de l’homme; les explications que ces deux philosophes donnent de la formation du fœtus ne sont pas des théories ou des systèmes au sujet de la génération seule, ce ne sont pas des recherches particulières qu'ils ont faites sur cet objet, ce sont plutôt des conséquences qu'ils ont voulu tirer chacun de leurs principes philo- sophiques. Aristote admettait, comme Platon, les causes finales eteflicientes; ces causes effi- cientes sont les âmes sensitives et végétatives, s les quelles donnent la forme à la matière, qui d’elle-mème n'est qu'une capacité de recevoir les formes; et comme dans la génération la fe- melle donne la matière la plus abondante, qui est celle des menstrues, et que d'ailleurs il répu- gnait à son système des causes finales , que ce qui peut se faire par un seul soit opéré par plu- sieurs, il a voulu que la femelle contint seule la matière nécessaire à la génération; et ensuite, comme un autre de ses principes était que la matière d'elle-même est informe, et que la forme est un être distinct et séparé de la matière, il a dit que le mâle fournissait la forme, et que par conséquent il ne fournissait rien de matériel. Descartes, au contraire, qui n’admettait en philosophie qu'un petit nombre de principes mécaniques, a cherché à expliquer la formation du fœtus par ces mêmes principes, et il a cru pouvoir comprendre et faireentendreaux autres comment, par les seules lois du mouvement, il pouvait se faire un être vivant et organisé; il différait, comme l’on voit, d'Aristote dans les principes qu'il employait; mais tous deux, au lieu de chercher à expliquer la chose en elle- même, au lieu de l'examiner sans prévention et sans préjugés, ne l'ont au contraire considérée que dans le point de vue relatif à leur système de philosophie et aux principes généraux qu'ils avaient établis, lesquels ne pouvaient pas avoir une heureuse application à l'objet présent de la génération, parce qu'elle dépend en effet, comme nous l'avons fait voir, de principes tout différents. Je ne dois pas oublier de dire que Descartes différait encore d’Aristote, en ce qu'il admet le mélange des liqueurs séminales des deux sexes, qu'il croit que le mâle et la femelle fournissent tous deux quelque chose de matériel pour la génération, et que c’est par la fermenta- tion occasionnée par le mélange de ces deux li- queursséminales quese faitla formation du fœtus. I] parait que si Aristote eût voulu oublier son système général de philosophie, pour raisonner sur la génération comme sur un phénomène par- ticulier et independant de son système, il aurait été capable de nous donner tout ce qu’on pou vait espérer de meilleur sur cette matière; car il ne faut que lire son traite pourreconnaître qu'il n'isnorait aucun des faits anatomiques, aucune observation, et qu’il avaitdes connaissancestrès- approfondies sur toutes les parties accessoires à ce sujet, et d’ailleurs, un génie élevé tel qu'il le faut pour rassembler avantageusement les ob- servations et généraliser les faits. DES ANIMAUX. 31 Hippocrate, qui vivaitsous Perdiccas, c'est-à- dire environ cinquante ou soixante ans avant Aristote, a établi une opinion qui a été adoptée par Gaiien, et suivie en tout ou en partie par le plus grand nombre des médecins jusque dans les derniers siècles; son sentiment était que le mâle et la femelle avaient chacun une liqueur prolifique. Hippocrate voulait même de plus que aans chaque sexe il y eût deux liqueurs sémi- nales, l'une plus forte et plus active, l'autre plus faible et moins active. Voyez Hippocrates, lib. de Genituré, p.129 ; et lib. de Dita, p. 198. Lugd. Bat. 1665, tom. I. La plus forte liqueur séminale du mâle, mêlée avec la plus forte li- queur séminale de la femelle, produit un enfant mäle; et la plus faible liqueur séminale du mâle, mêlée avec la plus faible liqueur séminale de la femelle, produit une femelle; de sorte que le mâle et la femelle contiennent chacun, selon lui, une semence mâle et une semence femelle. II appuie cette hypothèsesur le fait suivant, savoir: que plusieurs femmes qui d’un premier mari n'ont produit que des filles, d'un second ont produit des garcons; et que ces mêmes hommes dont les premières femmesn'avaientproduit que des filles, ayant pris d’autres femmes , ont en- gendré des garçons. Il me parait que quand même ce fait serait bien constaté, il ne serait pas nécessaire, pour en rendre raison, de donner au mâle et à la femelle deux espèces de liqueur sé- miuale, l’une mâle et l’autre femelle; car on peut concevoir aisément que les femmes qui de leur premier mari n’ont produit que des filles, et avec d'autres hommes ont produit des gar- çons, étaient seulement telles, qu'elles fournis- saient plus de parties propres à la génération avec leur premier mari qu'avec le second , ou que le second mari étaittel, qu'il fournissait plus de parties propres à la génération avec la se- conde femme qu'avec la première; car lorsque dans l'instant de la formation du fœtus les molé- cules organiques du mäle sont plus abondantes que celles de la femelle, il en résulte un mäle, et lorsque ce sont les molécules organiques de la femelle qui abondent le plus, il en résulte une femelle ; et il n'est point étonnant qu'avec cer- taines femmes un homme ait du désavantage à cet égard , tandis qu'il aura de la supériorité ayec d'autres femmes. Ce grand médecin prétend que la semence du mäle est une sécrétion des parties les plus a d'humide dans le corps humain; il expli- que même d'une manière assez satisfaisante comment se fait cette sécrétion : Ven el nervi, dit-il, «b omni corpore in pudendum vergunt, quibus dum aliquantulim teruntur etcaleseunt ac implentur, velut pruritus incidit, ex hoc lolè corpori voluplus ac caliditas accidit, quüm verû pudendum terilur et homo movetur, lumidum in corpore calescit ac diffunditur, et à moluconquassalur ac spurneseut, quemadmo- du ulii kumores omnes conquassati spumes- cunt. Sie «ulemin homine ab lumidospumescente id quod robustissimum est ac pinquissimum secernilur, et ad medullam spinalem venit ; tendunt enim in hance ex omni corpore viæ, et diffundunt ex cerebro in lumbos ae in totum corpus etin medullam .et ex ipsa meduliä procedunt viæ, ut el ad 1psam humidum per- Jeratur et ex ips secedal; postquam autem ad hanc medullam genitura pervenerit , procedit ad renes, hac enim vit tendit per venas : et si renes fuerint exulcerati, aliquando etiam san- guis defertur : à renibus autem transit per medios lestes in pudendum , procedit autem non qué urina, verèm alia ipst via est illi con- tigua, ete. Voyez la traduction de Fæsius, page 129, tom I. Les anatomistes trouverontsans doute qu'Hippocrate s'égare dans cette route qu'il trace à la liqueur séminale; mais cela ne fait rien à son sentiment, qui est que lasemence vient de toutes les parties du corps, et qu'il en vient en particulier beaucoup de la tête, parce que, dit-il, ceux auxquels on a coupé les veines auprès des oreilles, ne produisent plus qu'une semence faible et assez souvent inféconde. La femme a aussi une liqueur séminale qu’ elle ré- pand, tantôt en dedans et dans l’intérieur de la matrice, tantôt en dehors et à l'extérieur, lors- que l'orifice interne de la matrice s'ouvre plus qu'il ne faut. La semence du mâle entre dans la matrice où elle se mêle avec celle de la femelle, et comme l'unetl’autreontchacun deux espèces de semences, l'une forte et l’autre faible, si tous deux ont fourni leur semence forte, il en résulte un mâle , si au contraire ils n’ont donné tous deux que leur semence faible, il n’en résulte qu'une femelle; et si dans le mélange il y a plus de parties de la liqueur du père que de celles de la liqueur de la mère, l'enfant vessemblera plus au père qu'à la mère, et au contraire : on pou- fortes et les plus essentielles de tout ce qu'il y | vait lui demander qu'est-ce qui arrive lorsque 32 HISTOIRE NATURELLE l'un fournit sa semence faible et l’autre sa se- mence forte? je ne vois pas ce qu'il pourrait répondre , et cela seul suffit pour faire rejeter cette opinion de l'existence de deux semences dans chaque sexe. Voici comment se fait, selon lui, la formation du fœtus: les liqueurs séminales se mélent d’a- bord dans la matrice, elles s'y épaississent par la chaleur du corps de la mère, le mélange re- çoit et tire l’esprit de la chaleur, et lorsqu'il en est tout rempli, l'esprit trop chaud sort au de- hors; mais, par la respiration de la mère, il ar- rive un esprit froid, et alternativement il entre un esprit froid et il sort un esprit chaud dans le mélange , ce qui lui donne la vie et fait naître une pellicule à la surface du mélange qui prend une forme ronde, parce que les esprits, agissant du milieu comme centre, étendent également de tous côtés le volume de cette matière. J'ai vu, dit ce grand médecin, un fœtus de six jours; c'était une bulle de liqueur enveloppée d’une pellicule, la liqueur était rougeâtreet la pellicule était semée de vaisseaux, les uns sanguins, les autres blancs, au milieu de laquelle était une pe- tite éminence que j'ai cru être les vaisseaux om- bilicaux par où le fœtus reçoit l'esprit de la res- piration de la mère, et la nourriture: peu à peu ilse formeune autre enveloppe, delamême façon que la première pellicule s’est formée. Le sang menstruel qui est supprimé, fournit abondam- ment à la nourriture; et ce sang, fourni par la mère au fœtus, se coagule par degrés et devient chair; cette chair s'articule à mesure qu'elle croit, et c’est l'esprit qui donne cette forme à la chair. Chaque chose va prendre sa place, les parties solides vont aux parties solides, celles humides vont aux parties humides; chaquechose cherche celle qui lui est semblable, et le fœtus estenfin entièrement formé par ces causes etces moyens. Ce système est moins obseur et plus raison- nable que celui d’Aristote , parce qu'Hippocrate cherche à expliquer la chose particulière par des raisons particulières, et qu'il n'emprunte de la philosophie de son temps qu'un seul principe gé- néral, savoir, que le chaud et lefroid produisent des esprits, et que ces esprits ont la puissance d’ordonner et d’arranger la matière; il a vu la génération plus en médecin qu'en philosophe , Aristote l'a expliquée plutôt en métaphysicien qu'en naturaliste, c'est ce qui fait que les dé- fauts du système d'Hippocrate sont particuliers et moins apparents, au lieu que ceux du système d’Aristote sont des erreurs générales et évi- dentes. Ces deux grands hommes ont eu chacun leurs sectateurs; presque tous les philosophes scolas- tiques, en adoptant la philosophie d’Aristote, ont aussi reçu son système sur la génération; presque tous les médecins ont suivi le sentiment d'Hippocrate, et il s’est passé dix-sept ou dix- huit siècles sans qu'il ait rien paru de nouveau sur ce sujet. Enfin, au renouvellement des scien- ces, quelques anatomistes tournèrent leurs vues sur la génération, et Fabrice d’Aquapendente fut le premier qui s'avisade faire des expériences et des observations suivies sur la fécondation et le développement des œufs de poule : voici en substance le résultat de ses observations. Il distingue deux parties dans la matrice de la poule, l’une supérieure et l’autre inférieure, et il appelle la partie supérieure l'ovaire; ce n’est proprement qu'un assemblage d’un très- grand nombre de petits jaunes d'œufs de figure ronde, dont la grandeur varie depuis la gros- seur d’un grain de moutarde jusqu’à celle d’une grossenoix ou d’une nèfle; ces petits jaunes sont attachésles uns aux autres ; ils forment un corps qui ressemble assez bien à une grappe de raisin; ils tiennent à un pédicule commun comme les grains tiennent à la grappe. Les plus petits de ces œufs sont blancs, etils prennent de la cou- leur à mesure qu'ils grossissent. Ayant examiné ces jaunes d'œufs après la communication du coq avec la poule, il n’a pas apercu de différence sensible, il n’a vu de se- mence du mâle dans aucune partie de ces œufs; il croit que tous les œufs, et l'ovaire lui-même, deviennent féconds par une émanation spiri- tueuse qui sort de la semence du mâle, et il dit que c’est afin que cet esprit fécondant se con- serve mieux, que la nature a placé à l’orifice ex- terne de la vulve des oiseaux uneespèce de voile ou de membrane qui permet, comme une val- vule, l'entrée de cet esprit séminal dans les es- pèces d'oiseaux, comme les poules, où il n'y a point d’intromission, et celle du membre génital dans les espèces où il y a intromission ; mais en même temps cette valvule, quine peut pas s'ou- vrir de dedans en dehors, empêche que cette liqueur et l'esprit qu'elle contient ne puisse res- sortir ou s'évaporer. Lorsque l'œuf s’est détaché du pédieule com- mu , il descend peu à peu par un conduit tor- DES ANIMAUX. 33 tueux dans la partie inférieure de la matrice; ce conduit est rempli d'une liqueur assez semblable à celle du blanc d'œuf, et c'est aussi dans cette partie que les œufs commencent à s'envelopper de cette liqueur blanche, de la membrane quila contient, des deux cordons (chalazæ) qui tra- versent le blancetse jaignentau jaune , etmême de la coquille qui se forme la dernière en fort peu de temps, et seulement avant la ponte. Ces cordons, selon notre auteur, sont la partie de l'œuf qui est fécondée par l'esprit séminal du mâle, et c'est là où le fœtus commence à se cor- porifier. L'œuf est non-seulement la vraie ma- trice, c'est-à-dire le lieu de la formation du pou- let, mais c’est de l'œuf que dépend aussi toute la génération; l'œuf la produit comme agent, il y fournit comme matière, comme organe et comme instrument; la matière des cordons est la substance de la formation, le blanc et le jaune sont la nourriture, et l'esprit séminal du mâle est la cause efficiente. Cet esprit communique à la matière des cordons d’abord une faculté alté- ratrice, ensuite une qualité formatrice, et enfin une qualité augmentatrice, etc. Les observations de Fabrice d'Aquapendente ne l'ont pas conduit, comme l'on voit, à une explication bien claire de la génération. Dans le même temps à peu près que cet anatomiste s'oc- cupait à ces recherches, c’est-à-dire vers le mi- lieu et la fin du seizième siècle, le fameux Al- drovande (voyez son Ornithologie) faisait aussi | des abservations sur les œufs ; mais, comme dit fort bien Harvey, page 43, il paraît avoir suivi l'autorité d’Aristote beaucoup plus que l’expé- rience; les descriptions qu'il donne du poulet dass l'œuf ne sont point exactes. Volcher Coi- ter, l'un de ses disciples, réussit mieux que son maitre, et Parisanus, médecin de Venise, ayant travaillé aussi sur la même matière, ils ont donné chacun une description du poulet dans l'œuf, qu'Harvey préfère à toutes les autres. Ce fameux anatomiste, auquel on est rede- vable d'avoir mis hors de doute la question de la cisculation du sang, que quelques observa- teurs avaient à la vérité soupconnée aupara- vant et même annoncée, a fait un traité fort étendu sur la génération. IL vivait au commen- cement et vers le milieu du dernier siècle, et il était médecin du roid’Angleterre, Charles I”. Comme il fut obligé de suivre ce prince malheu- reux dans le temps de sa disgrâce, il perdit, avec ses meubles et ses autres papiers, ce qu'il Ir, avait fait sur la génération des insectes; et il parait qu'il composa de mémoire ce qu'il nous a laissé sur la génération des oiseaux et des quadrupèdes. Je vais rendre compte de ses ob- servations, de ses expériences et de son sys- tème. Harvey prétend que l'homme et tous les ani- maux viennent d’un œuf; que lepremier produit de laconception dans les vivipares est une espèce d'œuf, et que la seule différence qu'il y ait en- tre les vivipares et les ovipares, c’est que les fœtus des premiers prennent leur origine, ac- quièrent leur accroissement, et arrivent à leur développement entier dans la matrice, au lieu que les fœtus des ovipares prennent à la vérité leur première origine dans le corps de la mère, où ils ne sont encore qu'œufs, et que ce n’est qu'après être sortis du corps de la mère, et au dehors, qu'ils deviennent réellement des fœtus ; et il faut remarquer, dit-il, que dans les ani- maux ovipares, les uns gardent leurs œufs au dedans d'eux-mêmes jusqu’à ce qu'äs soient parfaits, comme les oiseaux, les serpents et les quadrupèdes ovipares; les autres répandent ces œufs avant qu'ils soient parfaits, comme les poissons à écailles, les crustacées, les testacées et les poissons mous. Les œufs que ces animaux répandent au dehors ne sont que les principes des véritables œufs; ils acquièrent du volume et de la substance des membranes et du blane, en attirant à eux la matière qui les environne, et ils la tournent en nourriture. Il en est de même, ajoute-t-il, des insectes, par exemple, des chenilles, lesquelles, selon lui, ne sont que des œufs imparfaits qui cherchent leur nourriture , et qui, au bout d’un certain temps, arrivent à l'état de chrysalide, qui est un œuf parfait; etil y a encore une autre dif- férence dans les ovipares, c'est que les poules et les autres oiseaux ont des œufs de différente grosseur , au lieu que les poissons, les gre- nouilles, ete., qui les répandent avant qu'ils soient parfaits, les ont tous de la même gros- seur. Seulementilobserve que, dansles pigeons, qui ne pondent que deux œufs, tous les petits œufs qui restent dans l'ovaire sont de la même grandeur, et qu'il n’y a que les deux qui doi- vent sortir qui soient beaucoup plus gros que les autres, au lieu que dans les poules il y en a de toute grosseur, depuis le plus petit atome presque invisible, jusqu'à la grosseur d'une nèfle. Il observe aussi que dans les poissons 5 34 HISTOIRE NATURELLE cartilagineux, comme la raie, il n’y a que deux œufs qui grossissent et mürissent en même temps; ils descendent des deux cornes de la matrice, et ceux qui restent dans l’ovaire sont, comme dans les poules , de différente grosseur : il dit en avoir vu plus de cent dans l'ovaire d'une raie. I fait ensuite l'exposition anatomique des parties de la génération de la poule, et il ob- serve que dans tous les oiseaux la situation de l'orifice de l’anus et de la vulve est contraire à la situation de ces parties dans les autres ani- maux ; les oiseaux ont en effet l'anus en devant et la vulve en arrière !; et à l'égard de celles du coq, il prétend que cet animal n’a point de verge, quoique les oies et les canards en aient de fort apparentes; l’autruche surtout en a une de la grosseur d’une langue de cerf ou de celle d'un petit bœuf, il dit done qu'il n’y a point d’in- tromission , mais seulement un simple attouche- ment, un frottement extérieur des parties du coq et de la poule, et il croit que dans tous les petits oiseaux qui, comme les moineaux , ne se joignent que pour quelques moments, il n’y a point d’intromission ni de vraie copulation. Les poules produisent des œufs sans coq, mais en plus petit nombre, et ces œufs, quoique par- faits, sont inféconds; il ne croit pas, comme c’est lesentiment des gens de la campagne, qu’en deux ou trois jours d'habitude avec le coq, la poule soit fécondée au point que tous les œufs qu'elle doit produire pendant toute l'année soient tous féconds; seulement il dit avoir fait cette expérience sur une poule séparée du coq depuis vingt jours, dont l'œuf se trouva fécond comme ceux qu’elle avait pondus auparavant. Tant que l’œuf est attaché à son pédicule, c’est- à-dire à la grappe commune, il tire sa nourriture par les vaisseaux de ce pédicule commun; mais dès qu'il s’en détache, il la tire par intus-sus- ception de la liqueur blanche qui remplit les conduits dans lesquels il descend , et tout, jus- qu'à la coquille , se forme par ce moyen. Les deux cordons (c.alazæ) qu'Aquapendente regardait comme le #erme ou la partie produite par la semence du mâle, se trouvent aussi bien dans les œufs infécon@s que la poule produit sans communication avec le coq, que dans les œufs féconds, et Harvey remarque très-bien que ces parties de l'œuf ne viennent pas du ‘ La plupart de ces faits sont tirés d'Aristote, mäle, et qu’elles ne sont pas celles qui sont fé- condées. La partie de l'œuf qui est fécondée est très-petite, c'est un petit cercle blanc qui est sur la membrane du jaune, qui y forme une petite tache semblable à une cicatrice de la grandeur d’une lentille environ , c’est dans ce petit endroit que se fait la fécondation, c'est là où le poulet doit naîtré et croître, toutes les autres parties de l'œuf ne sont faites que pour celle-ci. Harvey remarque aussi que cette cica- tricule se trouve dans tous les œufs féconds ou inféconds, et il &it que ceux qui veulent qu’elle soit produite par la semence du mâle, se trom- pent; elle est de la même grandeur et de la même forme dans les œufs frais et dans ceux qu'on a gardés longtemps; mais dès qu’on veut les faire éclore et que l'œuf recoit un degré de chaleur convenable, soit par la poule qui le couve, soit par le moyen du fumier ou d’un four, on voit bientôt cette petite tache s'augmenter et se dilater à peu près comme la prunelle de l'œil : voilà le premier changement qui arrive au bout de quelques heures de chaleur ou d’incubation. : Lorsque l'œuf a été échauffé pendant vingt- quatre heures, le jaune, qui auparavant était au centre du blane, monte vers la cavité qui est au gros bout de l'œuf; la chaleur faisant évaporer à travers la coquille la partie la plus liquide du blanc, cette cavité du gros bout devient plus grande, et la partie la plus pesante du blanc tombe dans la cavité du petit bout de l'œuf; la cicatricule ou la tache qui est au mi- lieu de la tunique du jaune s'élève avec le jaune, et s'applique à la membrane de la cavité du gros bout, cette tache est alors de la grandeur d’un petit pois , et on y distingue un point blanc dans le milieu, et plusieurs cercles concentri- ques dont ce point parait être le centre. Au bout de deux jours ces cercles sont plus visibles et plus grands, et la tache parait divi- sée concentriquement par ces cercles en deux, et quelquefois, en trois parties de différentes couleurs; il y a aussi un peu de protubérance à l'extérieur , et elle a à peu près la figure d'un petit œil dans la pupille duquel il y aurait un point blanc ou une petite cataracte. Entre ces cercles est contenue par une membrane très-dé- licate une liqueur plus claire que le cristal, qui parait être une partie dépurée du blanc del’œuf, la tache, qui est devenue une bulle, paraît alors comme si elle était placée plus dans le blanc que dans la membrane du jaune. Pendant le troi- sn ln à AMI (O Jrvant le 1° Edition de Leemvenhock Arnimaue spermatiques Animer spermaliques du Lapin du Chien \\ SS A A E 4 PB | G 29. 30 37 32 F3 D\ N du Chien du Bélier dé Cog ve m A — a —————— À : —_————— 41 42. 43 44 45 40 4° 48 49 60 #1 Grave par Ambroire Trdicu DES ANIMAUX. 35 sième jour celte liqueur transparente et cristal- line augmente à l'intérieur, aussi bien que la petite membrane quil’environne. Le quatrième jour on voit à la circonférence.de la bulle une petite ligue de sang couleur de pourpre, et à peu de distance du centre de la bulle , on aper- çoit un point aussi couleur de sang, qui bat; il parait comme une petite étincelle à chaque diastole, et disparait à chaque systole; de ce point animé partent deux petits vaisseaux san- guins qui vont aboutir à la membrane qui en- veloppe la liqueur cristalline ; ces petits vais- seaux jettent des rameaux dans cette liqueur, et ces petits rameaux sanguins partent tous du même endroit, à peu près comme les racines d'un arbre partent du tronc; c’est dansl’angle que ces racines forment avec le tronc, et dans le milieu de la liqueur, qu'est le point animé. Vers lafindu quatrième jour, ou au commen- cement du einquième, le point animé est déjà augmenté de façon qu'il parait être devenu une petite vésicule remplie de sang, et il pousse et tire alternativement ce sang, et dès le même jour on voit très-distinctement cette vésicule se partager en deux parties qui forment comme deux vésicules, lesquelles alternativement pous- sent chacune le sang etse dilatent, et demême alternativement elles repoussent le sang et se contractent ; on voit alors autour du vaisseau sanguin, le plus court des deux dont nous avons parlé, une espèce de nuage qui, quoique trans- parent, rend plus obscure la vue de ce vais- seau; d'heure en heure ce nuage s’épaissit, s’at- tache à la racine du vaisseau sanguin, et paraît conime un petit globe qui pend de ce vais- seau; ce petit globe s’allonge et paraît partagé en trois parties: l’une est orbiculaire et plus grande que les deux autres, et on y voit paraître l’ébauche des yeux et de la tête entière, et dans le reste de ce globe allongé on voit, au bout du cinquième jour , l'ébauche des vertèbres. Le sixième jour les trois bulles de la tête pa- raissent plus clairement: on voit les tuniques dés yeux, eten même temps les cuisses et les ailes, et ensuite le foie, les poumons, le bec; le fœtus commence à se mouvoir et à étendre la tête, quoiqu'il n’ait encore que les viscères intérieurs, car le thorax, l'abdomen et toutes les parties extérieures du devant du corps lui manquent; à la fin de ce jour, ou au commen- cement du septième, on voit paraître les doigts des pieds; le fœtus ouvre le bec et le remue, les parties antérieures du corps commencent à re- couvrir les viscères; le septième jour le poulet est entièrement formé, et ce qui lui arrive dans la suite, jusqu'à ce qu'il sorte de l'œuf, n'est qu'un développement de toutes les parties qu'il à acquises dans ces sept premiers jours ; au qua- torzième ou quinzième jour les plumes parais- sent; il sort enfin, en rompant la coquille avec son bec, au vingt-unième jour. Ces expériences de Harvey sur le poulet dans l'œuf paraissent, comme l'on voit, avoir été faites avec la dernière exactitude; cependanton verra dans la suite qu’elles sont imparfaites, et qu'il y a bien de l'apparence qu’il est tombé lui- même dans le défautqu'il reproche aux autres, d’avoir fait ses expériences dans la vue d’une hypothèse mal fondée, et dans l'idée où il était, d’après Aristote, que lecœur était le point animé qui parait le premier; mais, avant que de por- ter sur cela notre jugement, il est bon de ren- dre compte de ses autres expériences et de son système. Tout le monde sait que c’est sur un grand nombre de biches et de daims que Harvey a fait ses expériences : elles reçoivent le mâle vers la mi-septembre ; quelques jours aprèsl'accoupie- ment les cornes de la matrice deviennent plus charnues et plus épaisses, et en même temps plus fades et plus mollasses, et on remarquedans chacune des cavités des cornes de la matrice cinq caroncules ou verrues molles. Vers le 26ou le 28 de septembre, la matrice s'épaissit encore davantage, les cinq caroncules se gonflent, et alors elles sont à peu près de la forme et de la grosseur du bout de lamamelle d’une nourrice: en les ouvrantavecunscalpel, ontrouve qu'elles sontremplies d'uneinfinité de petits pointsblancs. Harvey prétend avoir remarqué qu'il n’y avait alors, non plus que dans le temps qui suit im- médiatement celui de l’accouplement, aucune altération, aucun changement dans les ovaires ou testicules de ces femelles, et que jamais il n’a vu ni pu trouver une seule goutte de la semence du mäle dans la matrice, quoiqu'il ait fait beau- coup d'expériences etderecherches pour décou- vrir s’il y en était entré. Vers la fin d'octobre ou au commencement de novembre, lorsque les femelles se séparent des mâles, l'épaisseur des cornes de la matrice commence à diminuer, et la surface intérieure de leur cavité se tuméfie et paraît enflée; lespa- rois intérieures se touchentet paraïssent collées 36 ensemble , les caroncules subsistent, et le tout est si mollasse qu'on ne peut y toucher, et res- semble à la substance de la cervelle. Vers le 13 eu 14 de novembre, Harvey ditqu'il aperçut des filaments, comme ceux des toiles d’araignée , qui traversaient les cavités des cornes de la ma- trice, et celle de la matrice même ; ces filaments partaient de l'angle supérieur des cornes, et par leur multiplication formaient une espèce de membrane ou tunique vide. Un jour ou deux après, cette tunique ou sac se remplit d'une matière blanche, aqueuse et gluante; ce sac n'est adhérent à la matrice que par une espèce de mucilage, et l'endroit où il l’est le plus sen- siblement, c'est à la partie supérieure où se forme alors l’'ébauche du placenta; dans le troi- sième mois ce sac contient un embryon long de deux travers de doigt, etil contient aussi un au- tre sac intérieur qui est l’amnios, lequel ren- ferme une liqueur transparente et crystalline dans laquelle nage le fœtus. Ce n'était d'abord qu'un point animé, comme dans l'œuf de la poule; tout lereste seconduit ets’achève comme il l'a dit au sujet du poulet; la seule différence est que les yeux paraissent beaucoup plus tôt dans les poulets que dans les vivipares; le point animé parait vers le 19 ou 20 de novembre dans les biches et dans les daines, dès le lende- main ou le surlendemain, on voit paraître le corps oblong qui contient l'ébauche du fœtus ; six ou sept jours apres il est formé au pojut d'y reconnaitre les sexes et tous les membres, mais l'en voit encore le cœur ettous les viscères à dé- couvert, et ce n'est qu'un jour ou deux après que lethorax etl’abdomen viennent les couvrir, c'est le dernier ouvrage, c'est le toit à l'édifice. De ces expériences, tant sur les poules que sur les biches, Harvey conclut que tous les animaux femelles ont des œufs, que dans ces œufsilse faitune séparation d’une liqueur trans- parente et cristalline contenue par une tunique (l’amnios) et qu'ure autre tunique extérieure (le chorion) contient le reste de la liqueur de l'œuf , et enveloppe l'œuf tout entier; que dans ia liqueur cristalline la première chose qui pa- raît est un point sanguin et animé; qu'en un mot, le commencement de la formation des vi- vipares se fait de la même facon que celle des ovipares , et voici comment il explique la géné- ration des uns et des autres. La génération est l'ouvrage de la matrice, ja- mais il n’y entre de semence du mâle; la ma- Î HISTOIRE NATURELLE trice conçoit le fœtus par une espèce de conta- gion que la liqueur du mâle lui communique, à peu près comme l'aimant communique au fer la vertu magnétique ; non-seulement cette conta- gion masculine agit sur la matrice, mais elle se communique même à tout le corps féminin , qui est fécondé en entier, quoique dans toute la fe- melle il n'y ait que la matrice qui ait la faculté de concevoir le fœtus, comme le cerveau a seul la faculté de concevoir les idées ; et ces deux conceptions se font de la même façon : les idées que conçoit le cerveau sont semblables aux ima- ges des objets qu'il reçoit par les sens; le fœtus, qui est l'idée de la matrice, est semblable à ce- lui qui le produit, et c'est par cette raison que le fils ressemble au père, ete. Je me garderai bien de suivre plusloin notre anatomiste, et d'exposer toutes les branches de ce système, ce que je viens de dire suffit pour en juger; mais nous avons des remarques ün- portantes à faire sur ses expériences; la ma- nière dont il les a données peut imposer, il pa- rait les avoir répétées un grand nombre @e fois, il semble qu'il ait pris toutes les précautions né- cessaires pour voir, et on croirait qu'il a tout vu, et qu'il a bien vu : cependant je me suis apercu que dans l'exposition il règne de l’in- certitude et de l'obscurité; ses observations sont rapportées de mémoire, etil semble, quoi- qu'il dise souvent le contraire, qu’Aristote l’a guidé plus que l'expérience ; car, à toutprenäre, il a vu dans les œufs tout ce qu'Aristote adit, et n'a pas vu beaucoup au delà; la plupart des observations essentielles qu'il rapporte avaient été faites avant lui ; on en sera bientôt convaincu, si l'on veut donner un peu d’attention à ce qui va suivre. Aristote savait que les cordons (ckalazæ) ne servaienten rien à lagénération du pouletdans l'œuf : Que ad principium lutei grandines hæ- rent, nilconferunt ad generationem, ut quidam suspicantur. (Hist. Anim, lib. 6, ce. 2.) Parisa- nus, Volcher Coirer, Aquapendente, ete., avaient remarqué la cicatricule aussi bien qu'Harvey. Aquapendente croyait qu’elle ne servait à rien, mais Parisanus prétendait qu'elle était formée par la semence du mäle, ou du moins que le point blanc qu'on remarque dans le milieu de la cicatricule était la semence du mâle qui devait produire le poulet: Estque, dit-il, illud galli semen albà et lenuissimà tunic4 obductum, quod substat duabuscommunibus toti ovo mem- DES ANIMAUX. branis, ete. Ainsi la seule découverte qui appar- tienne ici à Harvey en propre, c’est d’avoir ob- servé que cette cicatricule se trouve aussi bien dans les œufs inféconds que dans les œufs fé- conds ; car lesautres avaient observé comme lui la dilatation des cercles, l'accroissement du point blane, et il paraîitmème que Parisanus avait vu letout beaucoup mieux que lui. Voilà tout ce qui arrive dans les deux premiers jours de l'incu- bation, selon Harvey; ce qu’il dit du troisième jour n’est, pour ainsidire, que la répétition de ce qu'a dit Aristote (Hist. Anim, lib. 6, cap. 4): Per idtempusascendit jam vitellus ad superio- rem partem ovi aculiorem, ubi el principium ovi est et fœtus excluditur; corque ipsum ap- paretin albumine sanquineipuncti, quod punc- lum salitetmovet sese instar quasi animatum; abeomeatusvenarum specie duo sanguine pleni fiexuosi, qui, crescente fœtu, feruntur in utramque tunicam ambientem, ac membrana sanquineas fibras habens eo tempore albumen continet sub meatibus illis venarum similibus; ac paulè post discernitur corpus pusillum ini- Lio, omninô et candidum, capite conspicuo, at- que in eo oculis maximè lurgidis qui diu sie permanent, serû enim parvi fiunt ac considunt. In parteautem corporis inferiore nullum extat membrum per inilia, quod respondeat supe- rioribus. Meatus autem illi qui à corde pro- deunt, alter ad cireumdantem membranam ten- dit, alter ad luteum, officio wmbilici. Harvey fait un procès à Aristote sur ce qu'il dit quele jaunede l'œuf monte vers la partie la plus aiguë, vers le petit boutde l’œuf; etsur cela seul cet anatomiste conclut qu’Aristote n'avait rien vu de ce qu'il rapporte au sujet de la for- mation du poulet dans l'œuf, que seulement il avait été assez bien informé des faits, etqu'il les tenait apparemment de quelque bon observa- teur.Jeremarqueraiqu'Harveyatortde faire ce reproche à Aristote, et d'assurer généralement, comme il le fait, que le jaune monte toujours vers le gros bout de l'œuf; car cela dépend uni- quement de la position de l'œuf dans le temps qu’il est couvé; le jaune montetoujours au plus haut, comme plus léger que le blanc; et si le gros bout est en bas, le jaune montera vers le pelit bout; comme, au contraire, silepetit bout est en bas, le jaune montera vers le gros bout. Guillaume Langiy, médecin de Dordrecht, qui a fait en 1655, c’est-à-dire quinze ou vingt ans après Harvey, des observationssur les œufs cou- o7 vés, a fait le premier cette remarque. Voyez Will. Langly Observ.editæ à J'usto Schradero, Amst., 1674. Les observations de Langly ne commencent qu'après vingt-quatre heures d'in- cubation, et elles ne nous apprennent presque rien de plus que celles de Harvey. Mais, pour revenir au passage que nous ve- nonsde citer, on voit que la liqueur cristalline, le point animé, les deux membranes, les deux vaisseaux sanguins, ete., sont donnés par Aris- tote précisément comme Harveyles a vus; aussi cetanatomiste prétend que le point animé est le cœur, que ce cœur est le premier formé, que tes viscères et les autres membranes viennent en- suite s’y joindre: tout cela a été dit par Aristote, vu par Harvey, et cependant toutcelan'est pas conforme à la vérité ; ilne faut, pour s’en assu- rer, que répéter les mêmes expériences sur les œufs, ou seulement lire avec attention celles de Malpighi (Malpighii pullus in ovo), qui ont été faites environ trente-cinq ouquarante ans après celles de Harvey. Cetexcellentobservateur a examiné avec at- tention la cicatricule qui en effet est la partie essentielle de l'œuf; il a trouvé cette cicatricule grande dans tousles œufs féconds et petite dans les œufs inféconds; et ayantexaminé cette cica- ticule dans des œufs frais et qui n'avaient pas encore été couvés, ilareconnu que le point blane dont parle Harvey, et qui, selon lui, devient le point animé, est une petite bourse ou une bulle qui nage dans une liqueur contenue par le pre- mier cercle, etdansle milieu de cette bulleil a vu l'embryon; la membrane de cette petite bourse, quiestl’amnios, étanttrès-mince ettransparente, lui laissait voir aisémentle fœtus qu’elle envelop- pait. Malpighi conclut avec raison de cette pre- miéreobservation que le fœtus existe dans l'œuf avant même qu'il ait été couvé, et que ses pre- mières ébauches ont déjà jeté des racines pro- fondes : il n’est pas nécessaire de faire sentir ici combien cette expérience est opposée au senti- ment de Harvey, et même à ses expériences ; car Harvey n’a rien vu de formé ni d’ébauché pendant les deux premiers jours de l'ineubation, et au troisième jour le premier indice du fœtus est, selon lui, un point animé qui est lecœur; au lieu qu'ici l’ébauche du fœtus existe en entier dans l'œuf avant qu’il ait été couvé, chose qui, comme l’on voit, est bien différente, et qui est en effet d’une conséquence infinie, tant par elle-même que par les inductions qu'on 38 en doit tirer pour l'explication de la généra- tion. Après s'être assuré de ce fait important, Mal- pighi a examiné avec la même attention la cica- tricule des œufs inféconds que la poule produit sans avoir eu de communication avec le mâle; cette cicatricule, comme je l'ai dit, est plus pe- tite que celle qu'ontrouve dans lesœufs féconds, elle a souvent des circonscriptions irrégulières, et un tissu qui quelquefois est différent dans les cicatricules de différents œufs : assez près de son centre, au lieu d’une boule quirenfermele fœtus, il y a un corps elobuleux comme une mêle, qui ne contient rien d’organisé, et qui étant ouvert ne présente rien de différent de la môle même, rien de formé ni d'arrangé ; seulement cette môle a des appendices qui sont remplies d'un sue as- sez épais, quoique transparent, et cette masse informe est enveloppée et environnée de plu- sieurs cercles concentriques. Après six heures d’incubation, la cicatrieule des œufs féconds a déjà augmenté considérable- ment; on reconnait aisément dans son centre la bulle formée par la membrane amnios , remplie d’une liqueur dans le milieu de laquelle on voit distinetement nager la tète du poulet jointe à l'épinedu dos; six heuresaprès, toutse distingue plus clairement, parce que tout a grossi, on re- connaît sans peine la tête et les vertèbres de l’é- pine. Six heures encore après, c’est-à-dire au bout de dix-huit heures d'ineubation , la tête a grossi et l’épine s'est allongée, et au bout de vingt-quatre heures la tête du poulet parait s'être recourbée, et l'épine du dos parait toujours de couleur blanchâtre; les vertèbres sont disposées des deux eôtés du milieu de l’épine comme de petits globules , et presque dansle même temps on voit paraitre le commencement des ailes; la tête, le col et la poitrine s’allongent; après trente heures d’ineubation il ne paraîtrien de nouveau, mais tout s’est augmenté, et surtout la mem- brane amnios; on remarque autour de cette membrane les vaisseaux ombilicaux , qui sont d’une couleur obscure; au bout de trente-huit heures, le poulet étant devenu plus fort montre une tête assez grosse dans laquelle on distingue trois vésicules entourées de membranes qui en- veloppent aussi l’épine du dos, à travers les- quelles on voit cependanttrès-bien les vertèbres. Au bout de quarante heures c’était, dit notre ob- servateur, une chose admirable que de voir le poulet vivant dans la liqueur enfermée par l’am- HISTOIRE NATURELLE nios ; l’épine du doss’était épaissie, la tête s'était courbée, les vésieules du cerveau étaient moins découvertes, les premières ébauches des yeux paraissaient, le cœur battait et le sang circulait déjà. Malpighi donne ici la description des vais- seaux et de la route du sang, etil croit avec rai- son que , quoique le cœur ne batte pas avant les trente-huit ou quarante heures d'incubation , il ne laisse pas d'exister auparavant, comme tout le reste du corps du poulet; et en examinant sé- parément le cœur dans une chambre assez obs- eure, il n’a jamais vu qu'il produisit la moindre étincelle de lumière, comme Harvey parait l'insinuer. Au bout de deux jours on voit la bulle ou la membrane amnios remplie d’une liqueur assez abondante dans laquelle est le poulet; la tête, composée de vésieules estcourbée , l’épine du dos s’estallongée, et les vertèbres paraissent s'allon- ger aussi : le cœur, qui pend hors de la poitrine, bat trois fois de suite, car lhumeurqu'’il contient est poussée de la veine par l'oreillette dans les ventricules du cœur, des ventrieules dans les ar- : tères , et enfin dans les vaisseaux ombilieaux. I] remarque qu'ayantalors séparé le poulet du blanc de son œuf, lemouvement du cœur ne laissa pas de continuer et de durer un jour entier. Après deux jours et quatorze heures, ou soixante-deux heures d’incubation, le poulet, quoique devenu plus fort, demeure toujours la tête penchée dans la liqueur contenue par l'amnios; on voit des veines et des artères qui arrosent les vésicules du cerveau, on voit les linéaments des yeux et ceux de la moelle de l’épine qui s'étend le long des vertèbres , ettoutie corps du poulet estcomme enveloppé d’une partie de cette liqueur qui a pris alors plus de consistance que lereste. Au bout de trois jours le corps du poulet paraît courbé; on voit dans la tête, outre les deux yeux, cinq vési- eules remplies d'humeur, lesquelles dans la suite forment le cerveau; on voit aussi les premières ébauches des cuisses ct des ailes , le corps com- mence à prendredela chair, la prunelledes yeux se distingue, eton peut déjà reconnaître le cris- tallin etl'humeur vitrée. Aprèsle quatrième jour, les vésicules du cerveau s'approchent de plus en plus les unes des autres, les éminences des ver- tèbres s'élèventdavantage, les ailes et les cuisses deviennent plus solides à mesure qu'elles s’allon- gent, tout le corps est recouvertd’unechair onc- tueuse, on voit sortir de l'abdomenles vaisseaux ombilicaux ; le cœur est caché en dedans, par- DES ANIMAUX, ce que la capacité de la poitrine est fermée par une membrane fort mince. Après le cinquième jour, et à la fin du sixième, les vésicules du cer- veau commencent à se couvrir, lamoelle de lé- pines'étantdivisée en deux parties, commence à prendre de la solidité et à s'avancer le long du trone, les ailes et les cuisses s’allongent, et les pieds s'étendent , le bas-ventre est fermé et tumé- fié, on voit lefoie fort distinctement, il n’est pas encore rouge, mais de blanchâtre qu'il étaitau- paravant, il est alors devenu de couleur obscure; le cœur bat dans ces deux ventricules , le corps du poulet est recouvert de la peau , et l’on y dis- tingue déjà les points de la naissance des plumes. Le septième jour, la tête du poulet est fort grosse, le cerveau paraïtrecouvertde ses membranes, le beesevoittrès-bienentreles deux yeux, les ailes, les euisseset les pieds ontacquis leur figure par- faite, le cœur paraitalors ètre composé de deux ventrieules , comme de deux bulles contigués et réunies à la partie supérieure avec le corps des oreillettes, et on remarque deux mouvements successifs dans les ventricules aussi bien que dans les oreillettes, c’est comme s’il y avait deux cœurs séparés. Je ne suivrai pas plus loin Malpishi ; le reste n’est qu'un développement plus grand des par- ties, qui se fait jusqu'au vingt-unième jour que le poulet casse sa coquille après avoir pipé; le cœur est le dernier à prendre la forme qu'il doit avoir, et à se réunir en deux ventricules ; car le poumon paraît à la fin du neuvième jour: il est alors de couleur blanchâtre, et le dixième jour les museles des ailes paraissent , les plumes sortent , et ce n’est qu'au onzième jour qu'on voit des artères, qui auparavant étaient éloi- gnées du cœur, s'y attacher eomme les doigts à la main, et qu'il est parfaitement conformé et réuni en deux ventricules. Onestmaintenant en état de juger sainement de la valeur des expériences de Harvey ; il y a grande äâpparence que ce fameux anatomiste ne s’est pas servi de microscope, qui à la vérité n'était pas perfectionné de son temps, car il m'aurait pas assuré, comme il l’a fait, que la cicatrieule d'un œuf infécond et celle d'un œuf fécond n'avaient aucune différence; il n’aurait pas dit que la semence du mäle ne produit au- eune altération dans l'œuf, et qu’elle ne forme rien dans cette cicatrieule; il n'aurait pas dit qu'on ne voit rien avant la fin du troisième jour, et quece qui parait le premier est un point 39 animé dans lequel il croit que s’est changé le point blane; il auraitvu que ce point blancétait une bulle qui contient l'ouvrage entier de la génération , et que toutes les parties du fœtus y sont ébauchées au moment que la poule a eu communication avec le coq; il aurait reconnu de même que, sans cette communication, elle ne contient qu'une môle informe qui ne peut de- venir animée, parce qu'en effet elle n’est pas organisée comme un animal, et que ce n’est que quand cette mêle, qu'on doit regarder comme un assemblage des parties organiques de la semence de la femelle, est pénétrée parles parties organiques de la semence du mâle, qu'il en résulte un animal, qui dès ce moment est formé, mais dont le mouvement est encore imperceptible, et ne se découvre qu'au bout de quarante heures d'incubation; il n'aurait pas assuré que le cœur est formé le premier, que les autres parties viennent s’y joindre par juxta-position, puisqu'il est évident, par les ob- servations de Malpighi, que les ébauches de toutes les parties sont toutes formées d'abord, mais queces parties paraissent àmesure qu'elles se développent; enfins’ileûtvu ce que Malpighi a vu, il n'aurait pas dit affirmativement qu'il ne restait aucune impression de la semence du mâle dans les œufs, et que ce n’était que par contagion qu'ils sont fécondés , etc. Il est bon de remarquer aussi que ce que dit Harvey au sujet des parties de la génération du coq n’est point exact : il semble assurer que le coq n’a point de membre génital, et qu'il n'y a point d'intromission; cependant il est certain que cet animal adeux verges au lieu d'une, et qu’elles agissent toutes deuxenmême temps dans l'acte du coït, qui est au moins une forte compression, si ce n’est pas un vrai accouplementavec intromission (Voyez Regn. Graaf, page 242.) C'est par ce double organe que le coq répand la liqueur séminale dans la matrice de la poule. Comparons maintenant les expériences que Harvey a faites sur les biches avec celles de Graaf sur les femelles de lapins, nous verrons que, quoique Graaf croie, comme Harvey, que tous les animaux viennent d’un œuf, il y a une grande différence dans la façon dont ces deux anatomistes ont vu les premiers degrés de la formation, ou plutôt du développement du fœtus des vivipares. Après avoir fait tous ses efforts pour établir, 40 HISTOIRE NATURELLE par plusieurs raisonnements tirés de l'anatomie comparée , que les testicules des femelles vivipa- res sont de vrais ovaires, Graaf explique com- mentles œufs qui se détachent de ces ovaires tombent dans les cornes de la matrice, et en- suite il rapporte ce qu'il a observé sur une lapine qu'il a disséquée une demi-heure après l'accouplement. Les cornes de la matrice, dit-il, étaient plus rouges; il n’y avait aucun change- ment aux ovaires, non plus qu'aux œufs qu'ils contiennent, et il n'y avait aucune apparence de semence du mâle , ni dans le vagin, ni dans la matrice, ni dans les cornes de la matrice, Ayant disséqué une autre lapine six heures après l'accouplement, il observa que les folli- eules ou enveloppes qui, selon lui, contiennent les œufs dans l'ovaire, étaient devenues rougeà- tres ; il ne trouva de semence du mâle ni dans les ovaires, ni ailleurs. Vingt-quatre heures après l'accouplement il en disséqua une troi- sième, et il remarqua dans l’un des ovaires trois, et dans l’autre cinq follicules altérés ; car declairs et limpides qu'ils sont auparavant, ils étaient devenus opaques et rougeûtres. Dans une autre, disséquée vingt-sept heures après l’accouplement, les cornes de la matrice et les conduits supérieurs qui y aboutissent étaient encore plus rouges, et l'extrémité de ces conduits enveloppait l'ovaire de tous cô- tés. Dansune autre qu'il ouvrit quarante heures après l'accouplement, il trouva dans l’un des ovaires sept, et dans l’autre trois follicules altérés. Cinquante-deux heures après l'accou- plement il en disséqua une autre, dans les ovaires de laquelle il trouva un follicule al- téré dans l’un, et quatre follicules alterés dans l'autre ; et ayant examiné de prèset ouvert ces follieules , il y trouva une matière presque glanduleuse , dans le milieu de laquelle il y avait une petite cavité où il ne remarqua au- cune liqueur sensible, ce qui lui fit soupconner que la liqueur limpide et transparente que ces follicules contiennent ordinairement, et qui est enveloppée , dit-il, de ses propres membra- nes, pouvait en avoir été chassée et séparée par une espèce de rupture; il chercha donc vette matière dans les conduits qui aboutissent aux cornes de la matrice, et dans ces cornes mêmes, 1nais il ny trouva rien; il reconnut seulement que la membrane intérieure des cornes de la matrice était fort enflée. Dans une autre disséquée trois jours après l’accouple- ment, il observa que l'extrémité supérieure du conduit qui aboutit aux cornes de la ma trice embrassait étroitement de tous côtés l’o- vaire; et l'ayant séparée de l'ovaire, il re- marqua dans l'ovaire droit trois follicules un peu plus grands et plus durs qu'auparavant, et ayant cherché avec grand soin dans les con- duits dont nous avons parlé, il trouva, dit-il, dans le conduit qui est à droite, un œuf, et dans la corne droite de la matrice deux autres œufs, si petits qu'ils n'étaient pas plus gros que des grains de moutarde; ces petits œufs avaient chacun deux membranes qui les enveloppaient, et l'intérieur était rempli d’une liqueur très-lim- pide. Ayant examiné l’autre ovaire, il y aper- cut quatre follicules altérés, mais des quatre il y en avait trois qui étaient plus blanes et qui avaient aussi un peu de liqueur limpide dans leur milieu, tandis que le quatrième était plus obseur et ne contenait aueune liqueur, ce qui lui fit juger que l'œuf s'était séparé de ce dernier follicule, et en effet : ayant cherché dans le conduit qui y répond et dans la corne - de la matrice à laquelle ce conduit aboutit, il trouva un œuf dans l'extrémité supérieure de ja corne , et cet œuf était absolument sembla- ble à ceux qu'il avait trouvés dans la corne droite. Il dit que les œufs qui sont séparés de l'ovaire sont plus de dix fois plus petits que ceux qui y sont encore attachés, et il croit que cette différence vient de ce que les œufs , lors- qu'ils sont dans les ovaires, renferment encore une autre matiere, qui est cette substance glan- duleuse qu'il a remarquée dans les follicules. On verra tout à l'heure combien cette opinion est éloignée de la vérité. Quatre jours après l'accouplement, il en ou- vritune autre, et il trouva dans l'un des ovaires quatre, et dans l'autre trois follicules vides | d'œufs, et dans les cornes correspondantes à ces ovaires il trouva ces quatre œufs d'un côté, et les trois autres de l'autre; ces œufs étaient plus gros que les premiers qu'il avait trouvés trois jours après l’accoupiement; ils étaient à peu près de la grosseur du plus petit plomb dont on se sert pour tirer aux petits oiseaux(‘), et il remarqua que dans ces œufs la membrane intérieure était séparée de l’extérieure, et qu'il ! Cette comparaison de la grosseur des œufs avec celle du plomb moulé, n'est mise ici que pour en donner une juste idée, el pour éviter de faire graver la planche de Graaf, où ces œufs sont représentés dans leurs différents états, | | | | | | DES ANIMAUX. 1 paraissaitcomme un second œuf dans le pre- mier. Dans une autre, qui fut disséquée cinq jours après l’accouplement, il trouva dans les ovaires six follicules vides, et autant d'œufs dans la matrice, à laquelle ils étaient si peu ad- bhérents qu'on pouvait, en soufflant dessus, les faire aller où on voulait; ces œufs étaient de la grosseur du plomb qu'on appelle communé- ment du plomb à lièvre, la membrane inté- rieure y était bien plus apparente que dans les précédents. En ayant ouvert une autre six jours après l'accouplement, iltrouva dans l'un des ovaires six follicules vides, mais seulement cinq œufs dans la corne correspondante de la matrice; ces cinq œufs étaient tous cinq comme accumulés dans un petit monceau; dans l’au- tre ovaire, il vit quatre follicules vides, et dans la corne correspondante de la matrice il ne trouva qu'un œuf. (Je remarquerai en passant que Graaf a eu tort de prétendre que le nombre des œufs, ou plutôt des fœtus, répondait tou- jours au nombre des cicatrices ou folheules vi- des de l'ovaire, puisque ses propres observa- tions prouvent le contraire.) Ces œufs étaient de la grosseur du gros plomb à giboyer, ou d’une petite chevrotine. Sept jours après l'accouple- ment, ayantouvertune autre lapine, notre ana- tomiste trouva dans les ovaires quelques folli- cules vides, plus grands, plus rouges et plus durs que tous ceux qu'il avait observés aupara- vant, et il aperçut alors autant de tumeurs transparentes , ou, si l'on veut, autant de cel- lules dans différents endroits de la matrice, et les ayant ouvertes, il en tira les œufs, qui étaient gros conime de petites balles de plomb appelées vulgairement des postes; la mem- brane intérieure était plus apparente qu’elle ne l'avait encore été, et au-dedans de cette mem- brane il n’aperçut rien qu’une liqueur très-lim- pide ; les prétendus œufs, comme l’on voit, avaient en très-peu de temps tiré du dehors une grande quantité de liqueur, et s'étaient attachés à la matrice. Dans une autre qu'il dis- séqua huit jours aprèsl'accouplement, il trouva dans la matrice les tumeurs ou cellules qui con- tiennent les œufs; mais ils étaient trop adhé- rents , il ne put les en détacher. Dans une au- tre, qu'il ouvrit neuf jours après l'accouple- ment, il trouva les cellules qui contiennent les œufs fort augmentées, et dans l'intérieur de l’œuf, qui ne peut plus se détacher, il vit la membrane intérieure contenant à l'ordinaire une liqueur très-claire, mais il aperçut dans le milieu de cette liqueur un petit nuage délié. Dans une autre, disséquée dix jours après l'ac- couplement, ce petit nuage s'était épaissi et formait un corps oblong de la figure d'un petit ver. Enfin, douze jours après l’accouplement, il reconnut distinetement l'embryon, quideux jours auparavant ne présentait que la figure d’un corps oblong; il était même si apparent qu'on pouvait en distinguer les membres: dans la région de la poitrine , il aperçut deux points sanguins et deux autres points blanes, et dans l'abdomen une substance mucilagineuse un peu rougeâtre. Quatorze jours après l'accouple- ment, la tête de l'embryon était grosse et trans- parente, les yeux proéminents, la bouche ou- verte; l'ébauche des oreilles paraissait; l'épine du dos, de couleur blanchâtre, était recourbée vers le sternum, il en sortait de chaque côté de petits vaisseaux sanguins, dont les ramifi- cations s’étendaient sur le dos et jusqu'aux pieds; les deux points sanguins avaient grossi considérablement, et se présentaient comme les ébauches des ventricules du cœur; à côté de ces deux points sanguins, on voyait deux points blanes, qui étaient les ébauches des pou- mons; dans l'abdomen, on voyait l’'ébauche du foie qui était rougeätre, et un petit cor- puseule tortillé comme un fil, qui était celle de l'estomac etdes intestins; après cela, ce n'est plus qu'un accroissement et un développe- ment de toutes ces parties, jusqu'au trente- unième jour, que la femelle du lapin met bas ses petits. De ces expériences Graaf conclut que toutes les femelles vivipares ontdes œufs, que ces œufs sont contenus dans les testicules qu'il appelle ovaires, qu'ils ne peuvent s'en détacher qu'a- pres avoir été fécondés par la semence du mâle, et il dit qu'on se trompe lorsqu'on croit que dans les femmes et les filles il se détache très-souvent des œufs de l'ovaire: il paraît persuadé que ja- mais les œufs ne se séparent de l'ovaire qu'après leur fécondation par la liqueur séminale du mâle, ou plutôt par l'esprit de cette liqueur, parce que, dit-il, la substance glanduleuse au moyen de laquelle les œufs sortent de leurs follicules n’est produite qu'après une copulation qui doit avoir été féconde. Il prétend aussi que tous ceux qui ont cru avoir vu des œufs de deux ou trois jours déjà gros se sont trompés, parce que les œufs, selon lui, restent plus de temps dans l’o- 4 HISTOIRE NATURELLE aire, quoique fécondées, etqu'aulieu d’augmen- ter d'abord , ils diminuent au contraire jusqu'à devenir dix fois plus petits qu'ils n'étaient , et que ce n'est que quand ils sont descendus des ovaires dans la matrice qu'ils commencent à reprendre de l'accroissement. En comparant ces observations avec celles de Harvey, on reconnaitra aisément que les pre- miers et principaux faits lui avaient échappé, et quoiqu'il y ait plusieurs erreurs dans les rai- sonnements et plusieurs fautes dans les expé- riences de Graaf, cependant cet anatomiste , aussi bien que Malpighi , ont tous deux mieux vu que Harvey; ils sont assez d'accord sur le fond des observations, et tous deux ils sont con- traires à Harvey; celui-ci ne s’est pas aperçu des altérations qui arrivent à l'ovaire, il n’a pas vu dans la matrice les petits globules qui con- tiennent l'œuvre de la génération, et que Graaf appelle des œufs, il n’a pas même soupeonné que le fœtus pouvait être tout entier dans cet œuf, et quoique ses expériences nous donnent assez exactement ce qui arrive dans le temps de l'accroissement du fœtus , elles ne nous ap- prennent rien, ni du moment de la fécondation, ni du premier développement. Schrader, mé- decin hollandais, qui a fait un extrait fort ample du livre de Harvey, et qui avait une grande vénération pour cet anatomiste , avoue lui-même qu'il ne faut pas s’en fier à Harvey sur beaucoup de choses et surtout sur ce qu'il dit des premiers temps de la fécondation , et qu'en effet le poulet est dans l'œuf avant l'in- eubation, et que c’est Joseph de Aromatariis qui l'a observé le premier, ete. Voyez Obs. Justi Schraderi, Amst.1674,inpræfatione. Aureste, quoique Harvey ait prétendu que tous les ani- maux venaient d’un œuf, il n’a pas eru que les testicules des femmes continssent des œufs ; ce n'est que par une comparaison dun sac qu'il croyait avoir vu se former dans la matrice des vivipares, avec le revêtement et l’accroissement des œufs dans celle des ovipares, qu’il a dit que tous venaient d’un œuf, etiln’a fait que répéter à cet égard ce qu'Aristote avait dit avant lui. Le premier qui ait découvert les prétendus œufs dans les ovaires des femelles est Stenon : dans la dissection qu’il fit d’un chien de mer femelle, il vit, dit-il, des œufs dans les testicules, quoi- que cet animal soit, comme on sait, vivipare; et il ajoute qu'il ne doute pas que les testicules des fenimes ne soient analogues aux ovaires des ovi- pares , soit que les œufs des femmes tombent, de quelque façon que ce puisse être, dans la matrice , soit qu'il n'y tombe que la matière con- tenue dans ces œufs : cependant, quoique Stenon soit le premier auteur de la découverte de ces prétendus œufs, Graaf a voulu se l’attribuer, et Swammerdam la lui a disputée, même avec aigreur : il a prétendu que Van-Horn avait aussi reconnu ces œufs avant Graaf; il est vraiqu'on peut reprocher à ce dernier d’avoir assuré posi- tivement plusieurs choses que lexpérience a démenties, et d'avoir prétendu qu'on pouvait juger du nombre des fœtus contenus dans la matrice, par le nombre des cicatrices ou folli- cules vides de l'ovaire, ce qui n’est point vrai, comme on le peut voir par les expériences de Verrheyen , {om.11,ch.,1x, edil.de Bruæelles, 1710; par celles de M. Méry, Hist. de l’Acad., 1701; etpar quelques-unes des propres expé- riences de Graaf, où, comme nous l'avons re- marqué, il s'est trouvé moins d'œufs dans la matrice que de cicatrices sur les ovaires : d’ailleurs nous ferons voir que ce qu'il dit sur la séparation des œufs et sur la manière dont ils descendent dans la matrice n’est point exact, que même il n’est point vrai que ces œufs exis- tent dans les testicules des femelles , qu'on ne les a jamais vus, que ce qu’on voit dans la ma- trice n’est point un œuf, et que rien n’est plus mal fondé que les systèmes qu'on a voulu éta- blir sur les observations de ce fameux anato- miste. Cetteprétendue découverte des œufs dans les testicules des femelles attira l'attention de la plu- part des autres anatomistes ; ilsnetrouvèrent ce- pendant que des vésicules dans les testicules de toutes les femelles vivipares sur lesquelles ils pu- rent faire des observations; maïs ils n’hésitèrent pasäregarder ces vésieules comme des œufs ; ils donnèrent aux testicules le nom d’ovaires , et aux vésicules qu'ils contiennent, lenom d'œufs; ils dirent aussi comme Graaf, que danslemême ovaire ces œufs sont de différentes grosseurs , que les plus gros dans les ovaires des femmes ne sont pas de la grosseur d'un petit pois, qu'ils sont très-petits dans les jeunes personnes dequa- torze ou quinze ans , mais que l’âge et l'usage des hommesles fait srossir; qu'on en peut comp- ter plus de vingt dans chaque ovaire; que ces œufs sont fécondés dans l'ovaire par la partie spiritueuse dela liqueurséminale du mâle, qu'en- suite ils se détachentettombent dansla matrice DES ANIMAUX. par lestrompes de Fallope, où le fœtus est formé de la substanceintérieure de l'œuf, et le placenta de la matiere extérieure; que lasubstance glan- duleuse qui n’existe dans l'ovaire qu'après une copulation féconde ne sert qu'à comprimer l'œuf, et à le faire sortir de l'ovaire, ete. Mais Malpighi ayantexaminé les choses de plus près, me parait avoir fait à l'égard de ces anatomistes ee qu'il avait fait à l'égard de Harvey au sujet du poulet dans l'œuf : il a été beaucoup plus loin qu'eux, et quoiqu'il aitcorrigé plusieurs erreurs avant même qu'elles fussent reçues , la plupart des physiciens n'ont pas laissé d'adopter le sen- timent deGraaf et des anatomistes dont nous ve- nops de parler, sans faire attention aux obser- vations de Malpighi, qui cependant sont très- importantes, et auxquelles son disciple Vallis- nieri a donné beaucoup de poids. Vallisnieri est de tous les naturalistes celui qui a parlé le plus à fond sur le sujet de la généra- tion, il a rassemblé tout ce qu'on avait décou- vert avant lui sur cette matière, et ayant lui- même, à l'exemple de Malpighi, faitun nombre infini d'observations , il me parait avoir prouvé bien clairement que les vésicules qu'on trouve dans les testicules de toutes les femelles ne sont pas des œufs, que jamais ces vésicules ne se dé- tachent du testicule , et qu'elles ne sont autre 43 plus grande partie du testicule. Ce corps est composé de plusieurs petits lobes anguleux dont la position est assez irrégulière, et il est couvert d'une tunique semée de vaisseaux sanguins et de nerfs. L'apparence et la forme intérieure de ce corps jaune ne sont pas toujours les mêmes, mais elles varient en différents temps; lorsqu'il n'est encore que de la grosseur d'un grain de mille, il a à peu près la forme d'un paquet glo- buleux dont l'intérieur ne parait êtreque comme un tissu variqueux. Très-souvent on remarque | une enveloppe extérieure, qui est composée de la substance même du corps jaune , autour des vésicules du testicule. Lorsque ce corps jaune est devenu à peu près de la grandeur d'un pois, il a la figure d'une | poire, et en dedans vers son centre il a une pe- | tite cavité remplie de liqueur ; quand il est par- venu à la grosseur d'une cerise, il contient une cavité pleine de liqueur. Dans quelques-uns de ces corps jaunes, lorsqu'ils sont parvenus à leur entière maturité, on voit, dit Malpighi, vers le centre, un petit œuf avec ses appendices, de la grosseur d'un grain de millet; et lorsqu'ils ont jeté leur œuf, on voit ces corps épuisés et vides; ils ressemblent alors à un canal caverneux, dans | lequel on peut introduire un stylet, et la cavité qu'ils renferment et qui s’est vidée est de la chose queles réservoirs d'une lymphe ou d'une | | pighi dit n'avoir vu que quelquefois un œuf de liqueur qui doit contribuer, dit-il, à la généra- tion et à la fécondation d'un autre œuf, ou de quelque chose de semblable à un œuf, qui con- | tient le fœtus tout formé. Nous allons rendre compte des expériences etdes remarques de ces deux auteurs, auxquelles on ne saurait donner trop d'attention. Malpighi ayant examiné un grand nombre de testicules de vaches et de quelques autres femel- les d'animaux, assure avoir trouvé danstous ces | testicules des vésieules de différentes grosseurs, soit dans les femelles encore fort jeunes, soit dans les femelles adultes ; ces vésicules sont tou- tes enveloppées d'une membrane assez épaisse dans l'intérieur de laquelle il y a des vaisseaux sanguins, et elles sont remplies d’une espèce de lymphe ou de liqueur qui se durcit et se caille par la chaleur du feu, comme le blane d'œuf. Avec le temps on voit croître un corps ferme et jaune qui est adhérent au testicule, qui est proéminent, etqui augmente si fort qu'il devient de la grandeur d’une cerise, et qu'il occupe la grandeur d’un pois. On remarquera ici que Mal- la grosseur d’un grain de millet dans quelques- uns de ces corps jaunes; on verra, par ce que nous rapporterons dans la suite, qu'il s’est trompé, et qu'il n'y a jamais d'œuf dans cette cavité, ni rien qui y ressemble. Il croit que l'usage de ce corps jaune et glanduleux que la nature produit et fait paraître dans de certains | temps, est de conserver l'œuf et de le faire sor- tir du testicule , qu’il appelle l'ovaire, et peut- être de contribuer à la génération même de l'œuf; par conséquent, dit-il, les vésicules de l’o- vaire qu'on y remarque en tout temps, et qui en tout temps aussi sont de différentes gran- deurs, ne sont pas les véritables œufs qui doi- vent être fécondés, et ces vésicules ne sérvent | qu’à la production du corps jaune où l’œuf doit se former. Au reste, quoique ce corps jaune ne se trouve pas en tout temps et dans tous les testi- cules, on en trouve cependant toujours es pre- mières ébauches, et notre observateur en a trouvé des indices dans de jeunes sénisses nou- vellement nées, dans des vaches qui étaient plei- 44 nes, dans des femmes grosses, et il conclut, avec raison, que ce corps jaune et glanduleux n’est pas, comme l'a cru Graaf, un effet de la fécon- dation : selon lui, cette substance jaune produit les œuis inféconds qui sortent de l'ovaire sans qu'il y ait communication avec le mâle, et aussi les œufs féconds lorsqu'il y a eu communica- tion; de là ces œufs tombent dans les trompes, et tout le reste s'exécute comme Graaf l'a dé- crit. Ces observations de Malpishi font voir que les testicules des femelles ne sont pas de vrais ovaires, comme la plupart des anatomistes le croyaient de son temps, et le croient encore au- jourd'hui; que les vésicules qu'ils contiennent ne sont pas des œufs; que jamais ces vésicules ne sortent da testicule pour tomber dans la ma- rive, et que ces testicuies sont, comme ceux du mâle, des espèces de réservoirs qui contiennent une liqueur qu'on doit regarder comme une se- mence de la femelle encore imparfaite, qui se perfectionne dans le corps jaune et glanduleux, en remplit ensuite la cavité intérieure. et se répand lorsque le corps glanduleux a acquis une entière maturité; mais avant que de décider ce point important, il faut encore rapporter les ob- servations de Vallisnieri. On reconnaitra que, quoique Malpighi et Vailisnieri aient tous deux fait de bonnes observations , ils ne les ont pas poussées assez loin, et qu’ils n’ont pas tiré de ce qu’ils ont fait les conséquences que leurs obser- vations produisaient naturellement, parce qu’e- tant tous deux fortement prévenus du système des œufs et du fœtus préexistant dans l'œuf, le premier croyait avoir vu l'œuf dans la liqueur contenue dans la cavité du corps jaune, et le se- cond, n'ayant jamais pu y voir cet œuf, n’a pas laissé de croire qu'il y était, parce qu'il fallait bien qu'il fût quelque part, et qu'il ne pouvait être nulle part ailleurs. Vallisniericommencases observations en1 692 sur des testicules de truie; ces testicules ne sont pas composés comme ceux des vaches, des bre- bis, des juments, des chiennes, des ânesses, des chèvres ou des femmes, et comme ceux de beau- coup d’autres animaux femelles vivipares, car ils ressemblent à une petite grappe de raisin, les grains sont ronds, proéminents en dehors : entre ces grains il y en a de plus petits qui sont de la même espèce que les grands, et qui n’en diffè- rent que parce qu'ils ne sont pas arrivés à leur maturité : ces grains ne paraissent pas être en- HISTOIRE NATURELLE veloppés d’une membrane commune, ils sont, dit-il, dans lestruies, ce que sont dans les vaches les corps jaunes que Malpighi a observés; ils sontronds, d’une couleur qui tire sur le rouge, leur surface est parsemée de vaisseaux sanguins, comme les œufs des ovipares, et tous ces grains ensemble forment une masse plus grosse que l'ovaire. On peut, avec un peu d'adresse, et en coupant la membrane tout autour, séparer un à un ces grains, et les tirer de l'ovaire, où ils lais- sent chacun leur niche. Ces corps glanduleux ne sont pas absolument de la même couleur dans toutes lès truies : dans les unes ils sont plus rouges, dans d’autres ils sont plus clairs, et il y en a de toute grosseur, depuis la plus petite jusqu’à celle d’un grain de raisin : en les ouvrant, on trouve dans leur inté- rieur une cavité triangulaire, plus ou moins grande, remplie d’une lymphe ou liqueur très- limpide, qui se caille par le feu, et devient blan- che comme celle qui est contenue dans les vési- cules. Vallisnieri espérait trouver l’œuf dans quelques-unes de ces cavités, et surtout dañs celles qui étaient les plus grandes ; mais il ne le trouva pas, quoiqu'il le cherchât avec grand soin, d'abord dans tous les corps slanduleux des ovaires de quatre truies différentes, et ensuite dans une infinité d’autres ovaires de truies et d'autres animaux, et jamais il ne put trouver l'œuf que Malpighi dit avoir trouvé une fois ou deux. Mais voyons la suite des observa- tiops. Au-dessous de ces corps glanduleux, on voit les vésicules de l'ovaire qui sont en plus grand ou en plus petit nombre, selon et à mesure que les corps glanduleux sont plus gros ou plus pe- tits : car, à mesure que les corps glanduleux grossissent, les vésicules diminuent. Les unes de ces vésicules sontgrosses comme une lentille, et les autres comme un grain de millet; dans lestesticules crus on pourraiten compter vingt, trente, ou trente-cinq; mais lorsqu'on les fait cuire on en voit un plus grand nombre, et elles sont si adhérentes dans l'intérieur du testicule, et si fortement attachées avec des fibres et des vaisseaux membraneux, qu'il n’est pas possible de les séparer du testicule sans rupture des uns ou des autres. Ayant examiné les testicules d'une truie qui n'avait pas encore porté, il y trouva, comme dans les autres, les corps glanduleux, et dans leur intérieur la cavité triangulaire remplie de DES ANIMAUX. Iymphe, mais jamais d'œufs ni dans les unes ni dans les autres: les vésicules de cette truie, qui n'avait pas porté, étaient en plus grand nombre que celles des testicules des truies qui avaient déjà porte ou qui étaient pleines. Dans les testi- cules d’une autre truie qui était pleine, et dont les petits étaient déjà gros, notre observateur trouva deux corps glanduleux des plus grands, qui étaient vides et affaissés, et d'autres plus petits qui étaient dans l'état ordinaire; et ayant disséqué plusieurs autres truies pleines, il ob- serva que le nombre des corps glanduleux était toujours plus grand que celui des fwtus, ce qui confirme ce que nous avons dit au sujet des ob- servations de Graaf, et nous prouve qu'elles ne sont point exactes à cet égard, ce qu'il appelle follicules de l'ovaire n'étant que les corps glan- duleux dont il est ici question, et leur nombre étant toujours plus grand que celui des fœtus. Dans les ovaires d'une jeune truie qui n'avait que quelques mois, les testicules étaient d'une grosseur convenable, et semés de vésicules as- sez gontlées : entre ces vésicules, on voyait la naissance de quatre corps glanduleux dans l'un des testicules, et de sept autres corps glandu- leux dans l’autre testicule. Après avoir fait ces observations sur les testi- cules des truies, Vallisnieri répéta celles de Malpishi sur les testicules des vaches, et il trouva que tout ce qu'il avait dit était conforme à la vérité; seulement Vallisnieri avoue qu'il n’a jamais pu trouver l'œuf que Malpighi croyait avoir apereu une fois ou deux dans la cavité in- térieure du corps glanduleux, et les expériences multipliées que Vallisnierirapporte sur les testi- cules des femelles de plusieurs espèces d’ani- maux, qu'il faisait à dessein de trouver l'œuf, sans jamais avoir pu y réussir, auraient dû le porter à douter de l'existence de cet œuf pré- tendu; cependant on verra que, contre ses pro- pres expériences, le préjugé où il était du sys- tème des œufs lui a fait admettre l'existence de cet œuf, qu'il n’a jamais vu et que jamais per- sonne ne verra. On peut dire qu'il n'est guère possible de faire un plus grand nombre d'expé- riences, ni de les faire mieux qu'il les a faites: car il ne s’est pas borné à celles que nous venons de rapporter, il en a fait plusieurs sur les testi- cules des brebis, et il observe comme une chose particulière à cette espèce d'animal, qu'il n’y a jamais plus de corps glanduleux sur les testi- cules, que de fœtus dans la matrice: dans les | | 45 jeunes brebis qui n'ont pas porté, il n'y a qu'un corps glanduleux dans chaque testicule, et lors- que ce corps est épuisé, il s'en forme un autre; et si une brebis ne porte qu'un seul fœtus dans sa matrice, il n'y à qu'un seul corps glanduleux dans les testicules; si elle a deux fœtus, elle a aussi deux corps glanduleux; ce corps occupe la plus grande partie du testicule, et, après qu'il est épuisé et au’il s'est évanoui, il en pousse un autre qui doit servir à une autre gé- nération. Dans lestesticules d'une ânesse, il trouva des vésicules srosses comme de petites cerises, ce qui prouve évidemment que ces vésicules ne sont pas les œufs, puisque, étant de cette gros- seur, quand même elles pourraient se détacher du testicule, elles ne pourraient pas entrer dans les cornes de la matrice, qui sont dans cet ani- mal trop étroites pour les recevoir. Les testicules des chiennes, des louves et des renards femelles ont à l'extérieur une enveloppe ou une espèce de capuchon ou de bourse pro- duite par l'expansion de la membrane qui envi- ronne la corne de la matrice. Dans une chienne qui commencait à entrer en chaleur, et que le mâle n'avait pas encore approchée, Vallisnieri trouva que cette bourse qui recouvre le testicule, et qui n'y est point adhérente, était baignée in- térieurement d'une liqueur semblable à du pe- tit lait; il y trouva deux corps glanduieux dans le testicule droit, qui avaient environ deux li- gnes de diamètre, ec qui tenaient presque toute l'étendue de ce testicule. Ces corps glanduleux avaientchacunun petit mamelon, dans lequel on voyait très-distinctement une fente d'environ une demi-ligne de largeur, de laquelle il sortait, sans qu'il fût besoin de presser le mamelon, une liqueur semblable à du petit lait assez clair; et, lorsqu'onlepressait, ilen sortait une plus grande quantité, ce qui fit soupconner à notre observa- teur que cette liqueur était la même que celle qu'ilavait trouvée dans l'intérieur du capuchon. Il souffla dans cette fente par le moyen d'un pe- tit tuyau, et dans l'instant le corps glanduleux se gonfla dans toutes ses parties ; et, y ayant in- troduit un fil de soie, il pénétra aisément jus- qu'au fond; il ouvrit ces corps 2landuleux dans le sens que le fil de soie y était entré, etil trouva dans leur intérieur une cavité consi- dérable qui communiquait à la fente, et qui contenait aussi beaucoup de liqueur. Vallisnieri espérait toujours qu’il pourrait enfin être assez 46 HISTOIRE NATURELLE heureux pour y trouver l'œuf; mais quelque re- cherche qu'il fit, et quelque attention qu'il eût à regarder de tous côtés, il ne put jamais l'a- percevoir ni dans l’un ni dans l’autre de ces deux corps glanduleux. Au reste, il crut avoir remarqué que l'extrémité deleur mamelon par où s'écoulait la liqueur était resserrée par un sphincter qui, comme dans la vessie, servait à fermer ou à ouvrir le canal du mamelon; il trouva aussi dans letesticule gauche deux corps glanduleux et les mêmes cavités, les mêmes mamelons, les mêmes canaux et la même li- queur qui endistille; cette liqueur ne sortait pas seulement par cette extrémité du mamelon, mais aussi par une infinité d’autres petits trous de la circonférence du mamelon ; et n'ayant pu trouver l'œuf ni dans cette liqueur, ni daus Ja cavité qui la contient, il fit cuire deux de ces corps glanduleux, espérant que par ce moyen il pourrait reconnaitre l’œuf après lequel, ditl, je soupirais ardemment; mais ce fut en vain, car il ne trouva rien. Ayant fait ouvrir une autre chienne quiavait été couverte depuis quatre ou cinq jours, ii ne trouva aucune différence aux testicules ; il y avait trois corps glanduleux faits comme les précédents, et qui de même laissaient distiller de la liqueur par lesmamelons. Il chercha l'œuf avec grand soin partout, et il ne put le trouver, ni dans ce corps glanduleux, ni dans les autres qu'il examina avec la plus grande attention, et même à la loupe et au microscope; il a reconnu seulement, avec ce dernier instrument, queces corps glanduleux sont une espèce de lacis de vaisseaux formés d'un nombre infini de petites vésicules globuleuses, qui servent à filtrer la li- queur quiremplit la cavité et qui sort par l’ex- trémité du mamelon. Il ouvritensuite uneautre chienne, qui n’était pas en chaleur, et ayant essayé d'introduire de l'air entre le testicule etle capuchon qui le cou- vre, il vit que ce capuchon se dilatait très-con- sidérablement, comme se dilateune vessieenflée d'air. Ayant enlevé ce capuchon, il trouva sur le testicule trois corps glanduleux; mais ils étaient sans mamelon, sans fente apparente, et il n’en distillait aucune liqueur. Dans une autre chienne, qui avait mis bas deux mois auparavant et qui avait cinq petits chiens, iltrouva cinq corps glanduleux, mais fort diminués de volume, etquicommençaient à s'oblitérer, sans produire decicatrices ; il restait encore dans leur milieu une petite cavité, mais elle était sèche et vide de toute liqueur. Non content de ces expériences et de plu- sieurs autres que je ne rapporte pas, Vallis- nieri, qui voulait absolument trouver le pré- tendu œuf, appela les meilleurs anatomistes de son pays, entre autres M. Morgagni, et ayant ouvert une jeune chienne qui était en chaleur pour la premiere fois, et qui avait été couverte trois jours auparavant, ils reconnurent les vé- sicules des testicules, les corpsglanduleux, leurs mamelons, leur canal et la liqueur qui en dé- coule, et qui est aussi dans leur cavité inté- rieure; mais jamais ils ne virent d'œuf dansau- eun de ces corps glanduleux ; il fit ensuite des expériences, dans le même dessein, sur des cha- mois femelles, sur des renards femelles, sur des chattes, sur un grand nombre de souris, etc. ; il trouva dans les testicules de tous ces ani- maux toujours les vésicules, souvent les corps glanduleux et la liqueur qu'ils contiennent, mais jamais il ne trouva d'œuf. Enfin, voulant examimer les testicules dés femmes, il eut occasion d'ouvrir une jeune pay- sanne mariée depuis quelques années, qui s'é- tait tuée en tombant d’un arbre; quoiqu'elle fût d’un bon tempérament, et que son mari fût robuste et de bon âge, elle n'avait point eu d'enfants; il chercha si la cause de la stérilité de cette femme ne se découvrirait pas dans les testicules, et il trouva en effet que les vési- cules étaient toutes remplies d’une matière noi- râtre et corrompue. Dans lestesticules d’une fille de dix-huit ans qui avait été élevée dans un couvent, etqui, se- lon toutes lesapparences, était vierge, il trouva le testicule droit un peu plus gros quelegauche, il était de figureovoïde, et sa superficie était un peu inégale; cette inégalité était produite par la protubérance de cinq ou six vésicules de ce testicule qui avancaient au dehors. On voyait du côté de la trompe une de ces vésicules qui était plus proéminente que les autres, et dont le mamelon avancçait au dehors, à peu près comme dans les femelles des animaux lorsque commencela saison de leurs amours. Ayant ou- vertcette vésicule, il en sortit un jet delymphe; il y avait autour de cette vésicule une matière glanduleuse en forme de demi-lune et d’une couleur jaune tirant sur le rouge: il coupa transversalement le reste de ce testicule, où il vit beaucoup de vésicules remplies d'une li- DES ANIMAUX. queur limpide, et il remarqua que la trompe correspondante à ce testicule était fort rouge et un peu plus grosse que l’autre, comme il l'avait observé plusieurs fois surles matrices des fe- melles d'animaux lorsqu'elles sont en chaleur. Le testicule gauche était aussi sain que le droit, mais il était plus blanc et plus uni à sa surface; car, quoiqu'il y eût quelques vésieules un peu proéminentes, il n'y en avait cepen- dant aucune qui sortit en forme de mamelon , elles étaient toutes semblables les unes aux au- tres et sans matière glanduleuse, et la trompe correspondante n'était ni gonflée ni rouge. Dans une petite fille de cinq ans, il trouva les testicules avec leurs vésicules, leurs vais- seaux sanguins, leurs fibres et leurs nerfs. Dans les testicules d’une femme de soixante ans , il trouva quelques vésicules et les vestiges - de l’ancienne substance glanduleuse, qui étaient comme autant de gros points d’une matière de couleur jaune-brune et obscure. De toutes ces observations, Vallisniericonclut que l'ouvrage de la génération se fait dans les testicules de la femelle, qu'il regarde toujours comme des ovaires , quoiqu'il n'y ait jamais trouvé d'œufs, et qu'ilait démontré au contraire queles vésicules ne sont pas des œufs; il dit aussi qu'iln’estpas nécessaire que la semence du mâle entre dans la matrice pour féconder l'œuf; il suppose que cet œuf sort par le mamelon du corps glanduleux après qu'il a été fécondé dans l'ovaire, que de là il tombe dans la trompe, oùil ne s'attache pas d'abord, qu’il descendet s’aug- mente peu à peu, et qu'enfin il s'attache à la ma- trice ; il ajoute qu'il est persuadé que l'œuf est caché dans la cavité du corps glanduleux, et que c’est là où se fait tout l'ouvrage de la fécon- dation, quoique, dit-il, ni moi ni aucun des ana- tomistes en qui j'ai eu pleine confiance, n’ayons jamais vu ni trouvé cet œuf. Selon lui, l'esprit de la semence du mäle monte à l'ovaire, pénètrel’œuf, et donne le mou- vement au fœtus qui est préexistant dans cet œuf. Dans l'ovaire de la premièrefemme étaient contenus des œufs, qui non-seulement renfer- maient en petit tous les enfants qu'elle a faits ou qu’elle pouvait faire, mais encore toute la race humaine , toute sa postérité , jusqu’à l'ex- tinction de l’espèce. Que sinous nepouvons pas concevoir ce développement infini et cette pe- titesse extrême des individus contenus les uns dans les autres à l'infini, c’est, dit-il, la faute 47 de notre esprit, dont nous reconnaissons tous les jours la faiblesse : il n’en est pas moins vrai que tous les animaux qui ont été, sont et seront, ont été créés tous à la fois, et tous renfermés dans les premières femelles. La ressemblance des enfants à leurs parents ne vient , selon lui, que de l'imagination de la mère : la force de cette imagination est si grande et si puissante sur le fœtus, qu'elle peut produire des taches , des monstruosités, des dérangements de parties, des accroissements extraordinaires , aussi bien que des ressemblances parfaites. Ce système des œufs, par lequel, comme l’on voit, on ne rend raison de rien, et qui est si mal fondé , aurait cependant emporté les suf- frages unanimes de tous les physiciens, si, dans les premiers temps qu'on a voulu l'établir, on n'eût pas fait un autre système fondé sur la dé- couverte des animaux spermatiques. Cette découverte, qu'on doit à Leeuwenhoek et à Hartsoeker , a été confirmée par Audri, Vallisnieri, Bourguet, et par plusieurs autres observateurs. Je vais rapporter ce qu'ils ont dit de ces animaux spermatiques qu'ils ont trouvés dans la liqueur séminale de tous les animaux mâles : ils sont en si grand nombre, que la se- mence parait en être composée en entier, et Leeuwenhoek prétend en avoir vu plusieurs milliers dans une goutte plus petite que le plus petit grain desable. On les trouve, disent ces ob- servateurs, en nombre prodigieux dans tous les animaux mâles , et on n’en trouve aucun dans les femelles ; mais dans les mâles on les trouve, soit dans la semence répandue au dehors par les voies ordinaires, soit dans celle qui est contenue dans les vésicules séminales qu'on a ouvertes dans des animaux vivants. Il y en a moins dans la liqueur contenue dans les testicules que dans celle des vésicules séminales, parce qu'appa- remment la semence n’y est pas encore entiè- rement perfectionnée. Lorsqu'on expose cette liqueur de l’homme à une chaleur même médio- cre, elle s'épaissit, le mouvement de tous ces animaux cesse assez promptement; mais si on la laisse refroidir, elle se délaie, et les animaux conservent leur mouvement longtemps, et jus- qu’à ce que la liqueur vienne à s’épaissir par le desséchement; plus la liqueur est délayée, plus le nombre de ces animalcules parait s'aug- menter, et s'augmente en effet au point qu'on peut réduire et décomposer, pour ainsi dire, toute la substance de la semence en petits ani- 48 HISTOIRE NATURELLE maux, en la mêlant avec quelque liqueur dé- layante , comme avec de l'eau; et lorsque le mouvement de ces animaleules est prêt à finir, soit à cause de la chaleur , soit par le desséche- ment, ils paraissent se rassembler de plus près, et ils ont un mouvement commun de tourbillon dans le centre de la petite goutte qu'on observe, et ils semblent périr tous dans le même instant; au lieu que, dans un plus grand volume de li- queur on les voit aisément périr successivement. Ces animaleules sont, disent-ils, de différente figure dans les differentes espèces d'animaux, cependant ils sont tous longs , menus et sans membres, ils se meuvent avec rapidité et en tout sens; la matière qui contient ces animaux est, comme je l'ai dit, beaucoup plus pesante que le sang. De la semence de taureau a donné à Verrheyen , par la chimie, d’abord du phleg- me, ensuite une quantité assez considérable d'huile fétide , mais peu de sel volatil en pro- portion, et beaucoup plus de terre qu'il n’au- rait cru. Voyez Verrheyen sup. Anat. tom. IT, p. 69. Cet auteur parait surpris de ce qu’en rec- tifiant la liqueur distillée il ne put en tirer des esprits ; et comme il était persuadé que la se- mence en contient une grande quantité, il at- tribue leur évaporation à leur trop grande sub- tilité; mais ne peut-on pas croire avec plus de fondement qu'elle n'en contient que peu ou point du tout? La consistance de cette matière et son odeur n'annoncent pas qu'il y ait des es- prits ardents, qui d’ailleurs ne se trouvent en abondance que dans les liqueurs fermentées; et à l'égard des esprits volatils, on sait que les cornes, les os et les autres parties solides des animaux en donnent plus que toutes les li- queurs du corps animal. Ce que les anatomistes ont doncappeléespritsséminaux, aura semina- dis, pourrait bien ne pas exister , et certaine- ment ce ne sont pas ces esprits qui agitent les particules qu'on voit semouvoir dans les liqueurs séminales; mais pour qu'on soit plus en état de prononcer sur la nature de la semence et sur celle des animaux spermatiques, nous allons rapporter les principales observations qu'on a faites à ce sujet. Leeuwenhoek, ayant observé la semence du coq, y vit des animaux semblables par la figure aux ancuilles de rivière, mais si petits, qu'il pré- tend que cinquante mille de ces animaleules n'égalent pas la grosseur d’un grain de sable; dans la semence du rat, il en faut plusieurs { milliers pour faire l'epaisseur d’un cheveu, ete. Cet excellent observateur était persuadé que la substance entière de la semence n’est qu'un amas de ces animaux : il a observé ces animal- cules dans la semence de l'homme, desanimaux quadrupèdes , des oiseaux, des poissons, des coquillages, des insectes; ceux de la semence de la sauterelle sont longuets et fort menus ; ils paraissent attachés, dit-il, par leur extré- mité supérieure, et leur autre extrémité, qu'il appelle leur queue , a un mouvement très-vif, comme serait celui de la queue d'un serpent dont la tête et la partie supérieure du corps se- raientimmobiles. Lorsqu'on observe la semence dans des temps où elle n’est pas encore par- faite, par exemple, quelque temps avant que les animaux cherchent à se joindre , il prétend avoir vu les mêmes animaleules, mais sans au- eun mouvement; au lieu que quand la saison de leurs amours est arrivée, ces animalcules se remuent avec une grande vivacité. Dans la semence de la grenouille mâle il les vit d'abord imparfaits et sans mouvement, et quelque tempsaprèsil lestrouva vivants; ilssont si petits qu'il en faut, dit-il, dix mille pour éga- ler la grosseur d’un seul œuf de la grenouille fe- melle ; au reste, ceux qu'il trouva dans les testi- eules de la grenouille n'étaient pas vivants, mais seulement ceux qui étaient dans la liqueur séminale en grand volume, où ils prenaient peu à peu la vie et le mouvement. Dans la semence de l'homme et dans celle du chien, il prétend avoir vu des animaux de deux espèces, qu'il regarde, les uns comme mâles et les autres comme femelles; et ayant enfermé dans un petit verre de la semence de chien, il dit que le premier jour il mourut un grand nom- bre de ces petits animaux, que le second et le troisième jourilen mourut encore plus, qu'il en restait fort peu de vivants le quatrième jour, mais qu'ayant répété cette observation une se- conde fois sur la semence du même chien, il y trouva encore au bout desept jours des animal- cules vivants, dont quelques-uns nageaient avec autant de vitesse qu'ils nagent ordinairement dansla semence nouvellement extraite de l’ani- mal;etqu'ayantouvertune chienne qui avait été couverte trois fois par le même chien quelque temps avant l'observation , il ne put apercevoir avec les yeux seuls, dans l'une des cornes de la matrice, aucune liqueur séminale du mâle; mais qu'au moyen du microscope il y trouva DES ANIMAUX. les animaux spermatiques du chien, qu'il les trouva aussi dans l’autre corne de la matrice, et qu'ils étaient en très-grande quantité dans cette partie de la matrice qui est voisine du vagin, ce qui, dit-il, prouve évidemment que la li- queur séminale du mâle était entrée dans la matrice, ou du moins que les animaux sper- matiques du chien y étaient arrivés par leur mouvement, qui peut leur faire parcourir quatre ou cinq pouces de chemin en une demi-heure. Dans la matrice d'une femelle de lapin qui ve- nait de recevoir le mâle, il observa aussi une quantité infinie de ces animaux spermatiques du mâle; il dit que le corps de ces animaux est rond, qu'ils ont de longues queues, et qu'ils changent souvent de figure, surtout lorsque la matière humide dans laquelle ils nagent s’é- vapore et se dessèche. Ceux qui prirent la peine de répéter les obser- vations de Leeuwenhoek les trouvèrent assez conformes à la vérité ; mais il y én eut qui vou- lurent encore enchérir sur ces découvertes, et Dalenpatius, ayant observé la liqueur séminale de l'homme, prétendit non-seulement y avoir trouvé des animaux semblables aux têtards qui doivent devenirdes grenouilles, dont le corps lui parut à peu près gros comme un grain de fro- ment, dont la queue était quatre ou cinq fois plus longue que le corps, quise mouvaient avec unegrandeagilité, etfrappaient avec la queue la liqueur dans laquelleils nageaient; mais, chose plus merveilleuse, il vit un de ces animaux se développer, ou plutôt quitter son enveloppe; ce n'était plus un animal, c'était un corps humain, dont il distingua très-bien, dit-il, les deux jam- bes , les deux bras, la poitrine et la tête, à la- quelle l'enveloppe servait de capuchon ( Voyez Nouvelles de la Républ. des Lettres, année1699, page 552). Mais par les figures mêmes que cet auteur a données de ce prétendu embryon qu'il a vu sortirde son enveloppe, il est évident que le fait est faux; il a cru voir ce qu'il dit, mais il s'esttrompé, car cet embryon, tel qu'il le décrit, aurait été plus formé au sortir de son enveloppe et en quittant sa condition de ver spermatique, qu'ilne l’esteneffet au boutd’un mois ou de cinq semaines dans la matrice même dela mère; aussi cetteobservation de Dalenpatius, au lieu d’avoir été confirméepar d'autres observations, a été re- jetée de touslesnaturalistes, dont les plus exacts et les plus exercés à observer n’ont vu dans cette liqueur de l’homme que de petits corps It, 49 ronds ou oblongs, quiparaissaientavoir de lon- gues queues, mais sans autre organisation exté- rieure, sans membres, comme sont aussi ces petits corps dans la semence de tous les autres animaux. On pourrait dire que Platon avait deviné ces animaux spermatiques qui deviennent des hom- mes ; car il dit à la fin du Timée, page 1088, trad. de Mare. Ficin : Vulvaquoque matrirque in fœminiseâdemratione animalavidum gene- randi, quando procul à fœtuper ætatis florem, aut ultrà diutius detinetur, ægrè fert moram ac plurimümindignatlur, passimque per cor- pus oberrans, meatus spiritüs intercludit, re- spirare non sinit, extremis vexat angustiis, morbis denique omnibus premit, quousqueutro- rumque cupido amorque quasiex arboribus fœ- tum fructumve producunt, ipsum deinde decer- punt, el inmatricem velut agruminspargqunt : hinc animalia primüm talia, ut nec propter parvitatem videantur, necdum appareantfor- mala, concipiunt: mox que conflaverant , ex- plicant, ingentia intüsenutriunt, demüm edu- cunt in lucem, animaliunque generationem perfictunt. Hippocrate dans son traité de Diæta, paraïtinsinuer aussique les semences d'animaux sontremplies d’animalcules ; Démocrite parle de certains vers qui prennent la figure humaine; Aristote dit que les premiers hommes sortirent de la terre sous la forme de ver; mais ni l’auto- rité de Platon, d’'Hippocrate, de Démocrite et d’Aristote, ni l'observation de Dalenpatius ne feront recevoir cette idée, que ces vers sperma- tiques sont de petits hommes cachés sous une enveloppe, car elle est évidemment contraire à l'expérience et à toutes les autres observations. Vallisnieri et Bourguet, que nous avons cités, ayant fait ensemble des observations sur la se- mence d’un lapin, y virent de petits vers dont l’unedes extrémités était plus grosse que l’autre; ils étaient fort vifs, ils partaient d’un endroit pour aller à un autre, et frappaient la liqueur de leur queue ; quelquefois ilss’élevaient, quelque- foisilss’abaissaient, d’autres fois ils se tournaient en rond etse contournaientcomme des serpents; enfin, dit Vallisnieri, je reconnus clairement qu'ils étaientde vrais animaux, e gli riconobbi, e gli giudicai senza dubitamento alcuno per veri,verisstmi, arciverissimi vermi. V. Opere del Cav. Vallisnieri, tom. IL, page 105 , prima col. Cet auteur, qui était prévenu du système des œufs , n’a pas laissé d'admettre les vers sperma- 4 50 tiques et de les reconnaître, comme l'on voit, pour de vrais animaux. M. Andry ayant fait des observationssur ces versspermatiques de l'homme, prétend qu'ils ne se trouventque dans l’âge propre à la génération; que dans la première jeunesse et dans la grande vieillesse ils n'existent point; que dansles sujets incommodes de maladies vénériennes on n’en trouve que peu. et qu'ils y sont languissants et morts pour la plupart; que dans les parties de la génération des impuissants on n’en voit aucun qui soiten vie; que ces vers dans l’homme ont la tête, c'est-à-dire l’une des extrémités, plus grosse, par rapport à l’autre extrémité, qu'elle nel’est dansles autres animaux; ce quis’accorde, dit-il, avec la figure du fœtus et de l'enfant, dont ka tête en effet est beaucoup plus grosse, par rap- portau corps, que celle des adultes; et il ajoute que les gens qui font trop d'usage des femmes, n’ont ordinairement que très-peu ou point du tout de ces animaux. Leeuwenhoek,Andry etplusieurs autress’op- posèrent done de toutes leurs forces au système des œufs; ils avaient découvert dans la semence de tous les mâles des animalcules vivants; ils prouvaient que ces animaleules nepouvaient pas être regardés comme des habitants de cette li- queur, puisqueleur volume était plus grand que celui de la liqueur même, que d’ailleurs on ne trouvait rien de semblable ni dans le sang, ni dansles autres liqueurs du corps des animaux ; ils disaient que les femelles ne fournissant rien de pareil, rien de vivant, il étaitévident que la fécondité qu'on leur attribuait appartenait au contraire aux mâles; qu'iln’yavait que dans la semence de ceux-ci où l’on vit quelque chose de vivant, que ce qu'on y voyait était de vrais animaux, et que ce fait tout seul avançait plus l'explication de la génération que tout ce qu'on avaitimaginéauparavant, puisqu'en effet ce qu’il y a de plus difficile à concevoir dans la généra- tion, c’est la production du vivant, que tout le reste est accessoire, etqu'ainsion ne pouvait pas douter que ces petits animaux ne fussent desti- nés à devenir des hommes ou des animaux par- faits de chaque espèce; etlorsqu'onopposaitaux partisans de ce système qu'il ne paraissait pas naturel d'imaginer que de plusieurs millions d'a- nimalcules, qui tous pouvaient devenir un homme, il n’y en eût qu’un seul qui eût cet avantage; lorsqu'on lui demandait pourquoi cette profusion inutile de germes d'hommes, ils HISTOIRE NATURELLE répondaient que c'était la magnificence ordi- naire de la nature; que dans les planges et dans les arbres, on voyaitbien que, de plusieurs mil- lions de graines qu'ils produisent naturellement, il n'en réussit qu'un très-petit nombre, et qu'ainsi on ne devait point être étonné de célui des animaux spermatiques, quelque prodigieux qu'il fût. Lorsqu'on leur objectait la petitesse infinie du ver spermatique, comparé à l'homme, ils répondaient par l'exemple de la graine des arbres, de l'orme, par exemple, laquelle com- parée à l'individu parfait est aussi fort petite; et ils ajoutaient, avec assez de fondement, des raisons métaphysiques , par lesquelles ils prou- vaient que le grand et le petit n'étant que des relations, le passage du petit au grand, ou du grand au petit, s'exécute par lanature avec en- core plus de facilité que nous n’en avons à le concevoir, D'ailleurs, disaient-ils, n’a-t-on pas des exem- plestrès-fréquents de transformation dans lesin- sectes? ne voit-on pas de petits vers aquatiques devenir des animaux ailés, par un simple de- pouillement de leur enveloppe, laquelle cepen- dant était leur forme extérieure et apparente? lesanimaux spermatiques, par une pareille trans- formation , ne peuvent-ils pas devenir des ani- maux parfaits ? Toutconcourtdonc, coneluaient- ils, à favoriser ce système sur la génération, et à faire rejeter le système des œufs; et si lon veut absolument, disaient quelques-uns, que dans les femelles des vivipares il y ait des œufs comme dans celles des ovipares, ces œufs dans les unes et dans les autres ne seront que de la matière nécessaire à l'accroissement du ver sper- matique, il entrera dans l’œufpar le pédicule qui l'attachait à l'ovaire, il y trouvera une nourri- ture préparée pour lui, tous les vers qui n'auront pas étéassez heureux pour rencontrer cette ou- verture du pédicule de l'œuf périront; celui qui seul aura enfilé ce chemin, arrivera à satrans- formation : c'est par cette raison qu’ilexiste un nombre prodigieux de ces petits animaux, que la difficulté derencontrerun œuf et ensuite l’ou- verture du pédicule de cet œuf, ne peut être compensée que par le nombre infini des vers; il y a un million, si l’on veut, à parier contre un, qu'un tel ver spermatique ne rencontrera pasle pédicule del'œuf, mais aussiil y a un million de vers; dès lors iln’y a plus qu'un à parier contre un que le pédicule de l'œuf sera enfilé par un de ces vers; et lorsqu'il y est une fois entré et qu’il DES ANIMAUX. ÿ1 s'est logé dans l'œuf, un autre ne peut plus y entrer, parce que, disaient-ils, le premier ver bouche entièrement le passage, ou bien il y a une soupape à l'entrée du pédicule qui peut jouer lorsque l'œuf n’est pas absolument plein; mais, lorsque le ver a achevé de remplir l'œuf, la sou- pape ne peutplus s'ouvrir, quoique poussée par un second ver; cette soupape d’ailleurs est fort bien imaginée, parce que s’ilprend envie au pre- mier ver de ressortir de l'œuf, elle s'oppose à son départ, ilest obligé de rester et dese trans- former; le verspermatique est alors le vrai fæ- tus, la substance de l'œuf le nourrit, les mem- branes de cet œuf lui servent d'enveloppe, et lorsque la nourriture contenue dans l'œuf com- mence à lui manquer, ils’applique à la peau in- térieure de la matrice, et tire ainsi sa nourriture du sang delamère, jusqu'à ce que, par son poids et par l'augmentation de ses forces, ilrompe enfin ses liens pour venir au monde. Par ce système, cen'’estplusla première femme qui renfermait toutes les races passées , présen- tes et futures , mais c’est le premier homme qui en effet contenait toute sa postérité; les germes préexistants ne sont plus des embryons sans vie renfermés comme de petites statues dans des œufs contenus à l'infini les uns dans les autres, ce sont de petits animaux, de petits homoncules organisés et actuellement vivants, tous renfer- més les uns dans les autres, auxquels il ne man- que rien, et qui deviennent des animaux par- faits et des hommes, par un simple développe- ment aidé d'une transformation semblable à celle que subissent les insectes avant que d'ar- river à leur état de perfection. Comme ces deux systèmes des vers spermati- ques et des œufs partagent aujourd'hui les phy- siciens , et que tous ceux qui ont écrit nouvelle- ment sur la génération ont adopté l'une ou l’autre de ces opinions, il nous paraît nécessaire de les examiner avec soin, et de faire voir que non-seulement elles sont insuffisantes pour ex- pliquer les phénomènes de la génération, mais encore qu'elles sont appuyées sur des supposi- tions dénuées de toute vraisemblance. Toutes les deux supposent le progrès à l'in- fini, qui, commenous l’avonsdit, est moins une supposition raisonnable qu'une illusion de l’es- prit; un ver spermatique est plus de mille mil- lions de fois plus petit qu'un homme; si done nous supposons que la grandeur del'homme soit prise pour l'unité, la grandeur du ver sperma- tique ne pourra être exprimée que par la fraction Tisscss , C'est-à-dire par un nombre de dix chiffres; et comme l'homme est au ver sperma- tique dela première génération en même raison que ce ver est au ver spermatique de la seconde génération, lagrandeur, ou plutôt la petitessedu ver spermatique de la seconde génération , ne pourra êtreexprimée que par un nombre composé de dix-neuf chiffres; et par la même raison la petitesse du verspermatique de la troisième gé- nération ne pourra être exprimée que par un nombre de vingt-huit chiffres, celle du ver sper- matique de la quatrième génération sera expri- mée par un nombre detrente-sept chiffres, celle du ver spermatique de la cinquième génération parunnombre de quarante-six chiffres, et celle du ver spermatique de Ja sixième génération par un nombre de cinquante-cinq chiffres. Pour nous former une idée de la petitesse représentée par cette fraction, prenons les dimensions de la sphère de l'univers depuis le soleil jusqu'à Sa- turne , en supposant le soleil un million de fois plus gros que la terre, et éloigné de Saturne de mille fois le diamètre solaire; nous trouverons qu'il ne faut que quarante-cinq chiffres pour ex- primer le nombre des lignes cubiques contenues dans cette sphère, et enréduisant chaque ligne cubique en mille millions d’atomes, il ne faut que cinquante-quatre chiffres pour en exprimer le nombre; par conséquent l'homme serait plus grand par rapport au ver spermatique de la sixième génération, que la sphère de l'univers ne l’est par rapport au plus petit atome de ma- tière qu'il soit possible d'apercevoir au micros- cope. Que sera-ce si on pousse ce calcul seule- ment à la dixième génération? la petitesse sera si grande que nous n’aurons aucun moyen de la faire sentir; il me semble que la vraisemblance de cette opinion disparait à mesure que l’objet s'évanouit. Ce calcul peut s'appliquer aux œufs comme aux vers spermatiques, et le défaut de vraisemblance est commun aux deux systèmes : on dira sans doute que la matière étant divisible à l'infini, iln’y a point d'impossibilité dans cette dégradation de grandeur , et que quoiqu’elle ne soit pas vraisemblable, parce qu’elle s'éloigne trop de ce que notre imagination nous repré- sente ordinairement, on doit cependant regar- der comme possible cette division de la ma- tière à l'infini, puisque par la pensée on peut toujours diviser en plusieurs parties un atome, quelque petit que nous le supposions. Mais je 52 HISTOIRE NATURELLE réponds qu'on se fait sur cette divisibilité à l'in- fini la même illusion que sur toutes les autres espèces d'infinis géométriques ou arithméti- ques : ces infinis ne sont tous que des abstrac- tions de notre esprit et n'existent pas dans la na- ture des choses ; et si l'on veut regarder Ja divi- sibilité de la matière à l'infini comme un infini absolu, il est encore plus aisé de démontrer qu'elle ne peut exister dans ce sens; car si une fois nous supposons le plus petit atome possible, par notre supposition même cet atome sera né- cessairement indivisible, puisque s’il étaitdivisi- ble ce ne serait pas le plus petit atome possible, qui serait contraire à la supposition. II me parait done que toute hypothèse où l'on admet un progrès à l'infini doit être rejetée, non-seule- ment comme fausse, mais encore comme dénuée de toute vraisemblance; et comme le système des œufs et celui des vers spermatiques supposent ce progrès, on ne doit pas les admettre. Une autre grande difficulté qu’on peut faire contre ces deux systèmes, c'est que, dans celui des œufs, la première femme contenaitdes œufs mäles et des œufs femelles; que les œufs mâles ne contenaient pas d'autres œufs mâles , ou plu- tôt ne contenaient qu'une génération de mâles; et qu'au contraire les œufs femelles contenaient des milliers de générations d'œufs mâles et d'œufs femelles, de sorte que dans le même temps et dans la même femme il y a toujours un certain nombre d'œufs capables de se déve- lopper à l'infini, et un autre nombre d'œufs qui ne peuvent se développer qu'une fois : et de même dans l'autre système, le premier homme contenait des vers spermatiques, les uns mâles et les autres femelles ; tous les vers femelles n’en contiennent pas d'autres, tous les vers mâles au contraire en contiennent d’autres, les uns mäles et les autres femelles , à l'infini, et dans le même homme et en même temps il faut qu’il y ait des vers qui doivent se développer à l’in- fini, et d'autres vers qui ne doivent se dévelop- per qu'une fois : je demande s’il y a aucune ap- parence de vraisemblance dans cessuppositions. Une troisième difficulté contre ces deux sys- tèmes, c'est la ressemblance des enfants , tantôt au père, tantôt à la mère, et quelquefois à tous les deux ensemble, et les marques évidentes des deux espèces dans les mulets et dans les ani- maux mi-partis. Si le ver spermatique de la se- mence du père doit être le fœtus, comment se peut-il que l'enfant ressemble à la mère? et si le fœtus est préexistant dans l'œuf de la mère, comment se peut-il que l'enfant ressemble à son père? et si le ver spermatique d’un cheval ou l'œuf d'une ânesse contient le fœtus, comment se peut-il que le mulet participe de la nature du cheval et de celle de l’ânesse ? Ces difficultés générales , qui sont invincibles, ne sont pas les seules qu’on puisse faire contre ces systèmes, il y en a de particulières qui ne sont pas moins fortes; et pour commencer par le système des vers spermatiques, ne doit-on pas demander à ceux qui les admettent et qui imaginent que ces vers se transforment en homme, comment ils entendent que se faitcette transformation, et leur objecter que celle des insectes n’a et ne peut avoir aucun rapport avec celle qu'ils supposent? car le ver qui doit de- venir mouche, ou la chenille qui doit devenir papillon , passe par un état mitoyen, qui est ce- lui de la chrysalide, et lorsqu'il sort de la chry- salide, il est entièrement formé, il a acquis sa grandeur totale ettoutela perfection de sa forme, etilest dès lorsen état d'engendrer; au lieu que dans la prétenduetransformation du ver sperma- tique en homme on ne peut pas dire qu’il y ait un état de chrysalide, et quand même on en supposerait un pendant les premiers jours de la conception, pourquoi la production de cette chrysalide supposée n'est-elle pas un homme adulte et parfait, et qu'au contraire ce n’est qu'un embryon encore informe auquel il faut un nouveau développement? on voit bien que l'analogie est ici violée ,et que bien loin de con- firmer cette idée de la transformation du ver spermatique , elle la détruit lorsqu'on prend la peine de l’examiner. D'ailleurs , le ver qui doit se transformer en mouche vient d'un œuf, cet œuf est le produit de la copulation des deux sexes, de la mouche mâle et de la mouche femelle, et il renferme le fœtus ou lever qui doit ensuitedevenir chrysa- lide, et arriver enfin à son état de perfection, à son état de mouche, dans lequel seul l’ani- mal a la faculté d'engendrer; au lieu que le ver spermatique n’a aucun principe de génération, il ne vient pas d'un œuf; et quand même on accorderait que la semence peut contenir des œufs d'où sortentles vers spermatiques, la dif- ficulté restera toujours la même, car ces œufs supposés n'ont pas pour principe d'existence la copulation des deux sexes, comme dans les in- sectes; par conséquent le production supposée, DES ANIMAUX. 55 non plus que le développement prétendu des vers spermatiques, ne peuvent être comparés à la production et au développement des in- sectes; et bien loin que les partisans de cette opinion puissent tirer avantage de la transfor- mation des insectes , elle me parait au contraire détruire le fondement de leur explication. Lorsqu'on fait attention à la multitude in- nombrable des vers spermatiques, et au très- petit nombre de fœtus qui en résulte, et qu'on oppose aux physiciens prévenus de ce système, la profusion énorme et inutile qu'ils sont obli- gés d'admettre, ils répondent, comme je l'ai dit, par l'exemple des plantes et des arbres, qui produisent un très-grand nombre de grai- nes assez inutilement pour la propagation ou la multiplication de l'espèce, puisque de toutes ces graines il n'y en a que fort peu qui produisent des plantes et des arbres, et que tout le reste semble être destiné à l’engrais de la terre, ou à la nourriture des animaux; mais cette compa- raison n'est pas tout à fait juste, parce qu'il est de nécessité absolue que tous les vers sper- matiques périssent, à l'exception d’un seul, au lieu qu'il n’est pas également nécessaire que toutes les graines périssent, et que d’ailleurs en servant de nourriture à d’autres corps orga- nisés, elles servent au développement et à la reproduction des animaux , lorsqu'elles ne de- viennent pas elles-mêmes des végétaux , au lieu qu'on ne voit aucun usage des vers spermati- ques, aucun but auquel on puisse rapporter leur multitude prodigieuse : au reste , je ne fais cette remarque que pour rapporter toutcequ’on a dit ou pu dire sur cette matière , car j'avoue qu'une raison tirée des causes finales n’établira ni ne détruira jamais un système en physique. Une autre objection que l'on a faite contre l'opinion des vers spermatiques, c’est qu'ils semblent être en nombre assez égal dans la se- mence de toutes les espèces d'animaux , au lieu qu'il paraitrait naturel que dans les espèces où le nombre des fœtus est fort abondant, comme dans les poissons , les insectes, ete., le nombre des vers spermatiques füt aussi fort grand; et il semble que dans les espèces où Ja génération est moins abondante, comme dans l’homme, les quadrupèdes, les oiseaux, ete., le nombre des vers dût être plus petit; car s'ils sont la cause immédiate de la production, pourquoi n'y a-t-il aucune proportion entre leur nombre et celui des fœtus? d’ailleurs il n'y a pas de dif- férence proportionnelle dans la grandeur de la plupart des espèces de vers spermatiques, ceux des gros animaux sont aussi petits que ceux des plus petits animaux ; le cabillau et l’éperlan ont des animaux spermatiques également petits ; ceux de la semence d'un rat et ceux de la li- queur séminale d'un homme sont à peu près de la même grosseur; et lorsqu'il y a de Ja dif- férence dans la grandeur de ces animaux sper- matiques , elle n’est point relative à la grandeur de l'individu; le calmar, qui n’est qu'un pois- son assez petit, a des vers spermatiques plus de cent mille fois plus gros que ceux de l'homme ou du chien, autre preuve que ces vers ne sont pas la cause immédiate et unique de la génération. Les difficultés particulières qu'on peut faire contre le système des œufs, sont aussi très-con- sidérables; si le fœtus est préexistant dans l'œuf avant la communication du mâle et de la fe- melle, pourquoi dans les œufs que la poule pro- duit sans avoir eu le coq, ne voit-on pas le fœtus aussi bien que dans les œufs qu'elle produit après la copulation avec le coq? Nous avons rapporté ci-devant les observations de Mal- pighi, faites sur des œufs frais sortant du corps de la poule, et qui n'avaient pas encore été couvés, il a toujours trouvé le fœtus dans ceux que produisaient les poules qui avaient recu le coq ; et dans ceux des poules vierges ou séparées du coq depuis longtemps, il n’a ja- mais trouvé qu'une môle dans la cicatricule : il estdonc bien clair que le fœtus n'est pas préexis- tant dans l'œuf, mais qu’au contraire il ne s'y forme que quand la semence du mälel'a pénétré. Une autre difficulté contre ce système, c’est que non-seulement on ne voit pas le fœtus dans les œufs des ovipares avant la conjonction des sexes, mais même on ne voit pas d'œufs dans les vivipares, Les physiciens qui prétendent que le ver spermatique est le fœtus sous une en- veloppe, sont au moins assurés de l'existence des vers spermatiques; mais ceux qui veulent que le fœtus soit préexistant dans l'œuf, non- seulement imaginent cette préexistence, mais mème ils n'ont aucune preuve de l'existence de l'œuf; au contraire, il y a probabilité pres- que équivalente à la certitude, que ces œufs n'existent pas dans les vivipares, puisqu'on a fait des milliers d'expériences pourtâcher de ies découvrir, et qu'on n’a jamais pu les trouver. Quoique les partisans du système des œufs ne s'accordent point au sujet de ce que l’on 4 HISTOIRE NATURELLE doit regarder comme le vrai œuf dans les tes- ticules des femelles, ils veulent cependant tous que la fécondation se fasse immédiatement dans ce testicule qu'ils appellent l'ovaire, sans faire attention que si cela était, on trouverait la plupart des fœtus dans l'abdomen, au lieu de les trouver dans la matrice, car le pavillon, ou l'extrémité supérieure de la trompe étant, comme l'on sait, séparée du testicule, les pré- tendus œufs doivent tomber souvent dans l’'ab- domen, et on y trouverait souvent des fœtus: or on sait que ce cas est extrêmement rare, je ne sais pas même s'il est vrai que cela soit jamais arrivé par l'effet que nous supposons, et je pense que les fœtus qu'on a trouvés dans l'abdomen, étaient sortis, ou des trompes de la matrice, ou delamatrice même, par quelque accident. Les difficultés générales et communes aux deux systèmes ont été senties par un homme d'esprit, qui me parait avoir mieux raisonné que tous ceux qui ont écrit avant lui sur cette matière, je veux parler de l’auteur de la Vénus physique, imprimée en 1745; cetraité, quoique fort court, rassemble plus d'idées philosophi- ques qu'il n’y en a dans plusieurs gros volumes sur la génération: comme ce livre est entre les mains de tout le monde, je n’en ferai pas l’ana- lyse, il n’en est pas même susceptible; la pré- cision avec laquelle il est écrit, ne permet pas qu'on en fasse un extrait; tout ce que je puis dire, c’est qu'on y trouvera des vues générales qui ne s'éloignent pas infiniment des idées que j'ai données, et que cet auteur est le premier qui ait commencé à se rapprocher de la vérité, dont on était plus loin que jamais depuis qu’on avait imaginé les œufs et découvert les animaux spermatiques. Il ne nous reste plus qu’à rendre compte de quelques expériences particulières, dont les unes ont paru favorables et les autres contraires à ces systèmes. On trouve dans l’histoire de l'Académie des Sciences, année 1701, quelques difficultés pro- posées par M. Méry, contre le système des œufs. Cet habile anatomiste soutenait avec rai- son, que les vésicules qu'on trouve dans les testicules des femelles, ne sont pas des œufs, qu’elles sont adhérentes à la substance inté- rieure du testicule, et qu'il n’est pas possible qu’elles s’en séparent naturellement; que quand même elles pourraient se séparer de la sub- stance intérieure du testicule, elles ne pour- raient pas encore en sortir, parce que la mem- brane commune qui enveloppe tout le testicule, est d'un tissu trop serré pour qu'on puisse concevoir qu'une vésicule où un œuf rond et mollasse püts’ouvrir un passage à travers cette forte membrane; et comme la plus grande par- tie des physiciens et des anatomistes étaient alors prévenus en faveur du système des œufs, et que les expériences de Graaf leur avaient imposé au point qu'ils étaient persuadés, comme cet anatomiste l'avait dit, que les cica- tricules qu'on trouve dans les testicules des fe- melles étaient les niches des œufs, et que le nombre de ces cicatricules marquait celui des fœtus, M. Méry fit voir des testicules de femme où il y avait une très-grande quantité de ces cicatricules, ce qui, dans le système de ces physiciens, aurait supposé dans cette femme une fécondité inouie. Ces difficultés excitèrent lesautres anatomistes de l'Académie, qui étaient partisans des œufs, à faire de nouvelles re- cherches ; M. Duverney examina et disséqua des testicules de vaches et de brebis, il pré- tendit que les vésicules étaient les œufs, parce qu'il y en avait qui étaient plus ou moins adhé- rentes à la substance du testicule, et qu'on devait croire que dans le temps de la parfaite maturité elles s'en détachaient totalement, puis- qu'en introduisant de l'air et en soufflant dans l'intérieur du testicule , l'air passait entre ces vésicules et les parties voisines. M. Méry ré- pondit seulement que cela ne faisait pas une preuvesnffisante, puisque jamais on n'avait vu ces vésicules entièrement séparées du testicule : au reste, M. Duverney remarqua sur les testi- cules le corps glanduleux ; mais il ne le recon- nut pas pour une partie essentielle et néces- saire à la génération, il le prit au contraire pour une excroissance accidentelle et parasite, à peu près, dit-il, comme sont sur les chênes lesnoix de galle, les champignons, ete. M. Littre, dont apparemment la prévention pour le sys- tème des œufs était encore plus forte que celle de M. Duverney, prétendit non-seulement que les vésicules étaient des œufs, mais même il assura avoir reconnu dans l'une de ces vési- eules, encore adhérente et placée dans l'inté- rieur du testicule, un fœtus bien formé, dans lequel il distingua, dit-il, très-bien la tête et le tronc, il en donna même les dimensions; mais outre que cette merveille ne s'est jamais offerte qu'à ses yeux, et qu'aucun autre observateur DES ANIMAUX. n'a jamais *ien aperçu de semblable, il suffit de lire son Mémoire (année 1701, page 111), pour reconnaitre combien cette observation est douteuse. Par son propre exposé on voit que la matrice était squirreuse et le testicule entièrement vicié; on voit que la vésicule, où l'œuf qui contenait le prétendu fœtus, était plus petit que d'autres vésicules où œufs qui ne contenaient rien, ete.; aussi Vallisnieri, quoique partisan, et partisan très-zélé du sys- tème des œufs, mais en même temps homme très-véridique, a-t-il rappelé cette observation de M. Littre et celles de M. Duverney à un examen sévère qu’elles n’étaient pas en état de subir. Une expérience fameuse en faveur des œufs est celle de Nuck; il ouvrit une chienne trois jours après l’accouplement, il tira l'une des cornes de la matrice, et la lia en la serrant dans son milieu, en sorte que la partie supérieure du conduit ne pouvait plus avoir de commu- nication avec la partie inférieure ; après quoi il remit cette corne de la matrice à sa place et ferma la plaie, dont la chienne ne parut être que légèrement incommodée : au bout de viogt-un jours il la rouvrit, et il trouva deux fœtus dans la partie supérieure, c’est-à-dire entre le testicule et la ligature, et dans la par- tie inférieure de cette corne il n’y avait aucun fœtus; dans l’autre corne de la matrice qui n’a- vait pas été serrée par une ligature, il en trouva trois qui étaient régulièrement disposés; ce qui prouve, dit-il, que le fœtus ne vient pas de la semence du mâle, mais qu'au contraire il existe dans l'œuf de la femelle. On sent bien qu'en supposant que cette expérience qui n’a été faite qu'une fois, et sur laquelle par consé- quent on ne doit pas trop compter ; en suppo- sant, dis-je, que cette expérience fût toujours suivie du même effet, on ne serait point en droit d’en conclure que la fécondation se fait dans l'ovaire, et qu'il s'en détache des œufs qui contiennent le fœtus tout formé; elle prouverait seulement que le fœtus peut se for- merdans les parties supérieures des cornes de la matrice, aussi bien que dans les inférieures, et il paraît très-naturel d'imaginer que la liga- ture comprimant et resserrant les cornes de la matrice dans leur milieu, oblige les liqueurs séminales qui sont dans les parties inférieures, à s'écouler au dehors, et détruit ainsi l’ou- vrage de la génération dans ces parties infé- rieures. 55 Voilà, à très-peu près, où en sont demeurés les anatomistes et les physiciens au sujet de la génération. Il me reste à exposer ce que mes propres recherches et mes expériences m'ont appris de nouveau; on jugera si le système que j'ai donné n'approche pas infiniment plus de celui de la nature qu'aucun de ceux dont je viens de rendre compte. Au Jardin du Roi, le 6 février 4746. CHAPITRE VI. Expériences au sujet de la Génération. Je réfléchissais souvent sur les systèmes que je viens d'exposer, et je me confirmais tous les jours de plus en plus dans l'opinion que ma théorie était infiniment plus vraisemblable qu'aucun de ces systèmes; je commençai dès lors à soupconner que je pourrais peut-être parvenir à reconnaître les parties organiques vivantes dontje pensais que tousles animaux et les végétaux tiraient leur origine. Mon premier soupcon fut que les animaux spermatiques qu'on voyait dans la semence de touslesmäles, pouvaient bien n'être que ces parties organi- ques, et voici comment je raisonnais : Si tous les animaux et les végétaux contiennent une infnité de parties organiques vivantes, on doit trouver cesmêmes parties organiques dans leur semence, et on doit les y trouver en bien plus grande quantité que dans aucune autre sub- stance, soit animale , soit végétale, parce que lasemence n'étant que l'extrait de tout ce qu'il y a de plus analogue à l'individu et de plus organique, elle doit contenir un très-crand nombre de molécules organiques, et les ani- malcules qu’on voit dans la semence des mâles ne sontpeut-être que ces mêmes molécules or- ganiques vivantes, ou du moins ils ne sontque la première réunion ou le premier assemblage de ces molécules; mais si cela est, la semence de la femelle doit contenir, comme celle du mâle, des molécules organiques vivantes et à peu près semblables à celles du mâle, et l’on doit, par conséquent, y trouver, comme dans celle du mâle, des corps en mouvement, des ani- maux spermatiques; et de même, puisque les parties organiques vivantes sont communes aux animaux et aux végétaux, on doit aussi les trouver dans les semences des plantes, dans le nectareum, dans les étamines, qui sont les par- 56 HISTOIRE NATURELLE ties les plus substantielles de la plante, et qui contiennent les molécules organiques néces- saires à la reproduction. Je songeai donc sé- rieusement à examiner au microscope les li- queurs séminales des mâles et des femelles, et les germes des plantes, et je fis sur cela un plan d'expériences; je pensai en même temps que le réservoir de la semence des femelles pouvait bien être la cavité du corps glandu- leux, dans laquelle Vallisnieri et les autres avaient inutilement cherché l'œuf, Après avoir réfléchi sur ces idées pendant plus d’un an, il me parut qu'elles étaient assez fondées pour mériter d'être suivies; enfin je me déterminai àentreprendre une suite d'observations et d'ex- périences, qui demandait beaucoup de temps. J'avais fait connaissance avec M. Needham, fort connu de tous les naturalistes par les ex- cellentes observations microscopiques qu'il a fait imprimer en 1745. Cet habile homme, si recommandable par son mérite, m'avait été re- commandé par M. Folkes, président de la So- ciété royale de Londres; m'étant lié d'amitié avec lui, je crus que je ne pouvais mieux faire que de lui communiquer mes idées; et comme il avait un excellent microscope, plus commode et meilleur qu'aucun des miens, je le priai de me le prêter pour faire mes expériences; je lui lus toute la partie de mon ouvrage qu’on vient de voir, et en mème temps je lui dis que je croyais avoir trouvé le vrai réservoir de la se- mence dans les femelles, que je ne doutais pas que la liqueur contenue dans la cavité du corps glanduleux ne fût la vraie liqueur séminale des femelles, que j'étais persuadé qu'on trouverait dans cette liqueur, en l’observant au micro- scope, des animaux spermatiques, comme dans la semence des mâles, et que j'étais très-fort porté à croire qu'on trouverait aussi des corps en mouvement dans les parties les plus sub- stantielles des végétaux, comme dans tous les germes des amandes des fruits, dans le necta- reum, ete.; et qu'il y avait grande apparence que ces animaux spermatiques, qu'on avait dé- couverts dans les liqueurs séminales du mâle, n'étaient que le premier assemblage des parties organiques qui devaient être en bien plus grand nombre dans cette liqueur que dans toutes les autres substances qui composent le corps ani- mal. M. Needham me parut faire cas de ces idées, et il eut la bonté de me prêter son mi- croscope, il voulut même être présent à quel- ques-unes de mes observations ; je communi- quai en même temps à MM. Daubenton, Gue- neau et Dalibard mon système et mon projet d'expériences, et quoique je sois fort exercé à faire des observations et des expériences d'op- tique, et que je sache bien distinguer ce qu'il y a de réel ou d'apparent dans ce que l’on voit au microscope, je crus que je ne devais pas m'en fier à mes yeux seuls, et j'engageai M. Dau- benton à m'aider, je le priai de voir avec moi; je ne puis trop publier combien je dois à son amitié, d'avoir bien voulu quitter ses occupa- tions ordinaires pour suivre avec moi, pendant plusieurs mois, les expériences dont je vais rendre compte; il m'a fait remarquer un grand nombre de choses qui m'auraient peut-être échappé ; dans des matières aussi délicates, où il est si aisé de se tromper, on est fort heureux de trouver quelqu'un qui veuille bien non-seu- lement vous juger, mais encore vous aider. M. Needham, M. Dalibard et M. Gueneau ont vu une partie des choses que je vais rapporter, et M. Daubenton les a toutes vues aussi bien que moi. Les personnes qui ne sont pas fort habituées à se servir du microscope, trouveront bon que je mette ici quelques remarques qui leur se- ront utiles lorsqu'elles voudront répéter ces ex- périences ou en faire de nouvelles. On doit pré- férer les microscopes doubles dans lesquels on regarde les objets du haut en bas, aux micros- copes simples et doubles dans lesquels on re- garde l’objet contre le jour et horizontalement ; ces microscopes doubles ont un miroir plan ou concave qui éclaire les objets par-dessous : on doit se servir, par préférence , du miroir con- cave, lorsqu'on observe avec la plus forte len- tille. Leeuwenhoek, qui sans contredit a été le plus grand et le plus infatigable de tous les cb- servateurs au microscope, ne s’est cependant servi, à ce qu'il parait, que de microscopes simples , avec lesquels il regardait les objets contre le jour ou contre la lumière d’une chan- delle ; si cela est, comme l’estampe qui est à la tête de son livre parait l'indiquer, il a fallu une assiduité etune patience inconcevables pour se tromper aussi peu qu'il l'a fait sur la quantité presque infinie de choses qu’il aobservées d’une manière si désavantageuse. Il a légué à la So- ciété de Londrestous ses microscopes , M. Neeg- ham m'a assuré que le meilleur ne fat pas autant d'effet que la plus forte lentille de celui DES ANIMAUX. d7 dont je me suis servi, et avec laquelle j'ai fait toutes mes observations; si cela est, il est nêces- saire de faire remarquer que la plupart des gra- vures que Leeuwenhoek a données des objets mieroscopiques, surtout celles des animaux sper- matiques , les représentent beaucoup plus gros et plus longs qu'ils ne les a vus réellement, ce qui doit induire en erreur; et que ces prétendus animaux de l’homme, du chien, du lapin, du coq, ete., qu'on trouve gravés dans les Trans- actions philosophiques, ». 141, et dans Leeu- wenhoek, fome I, page 161, et qui ont ensuite été copiés par Vallisnieri, par M. Baker, ete, paraissent au microscope beaucoup plus petits qu'ils ne le sont dans les gravures qui les repré- sentent. Ce qui rend les microscopes dont nous parlons préférables à ceux avec lesquels on est obligé de regarder les objets contre le jour, c'est qu'ils sont plus stables que ceux-ci, le mouve- ment de la main avec laquelle on tient le micros- cope, produisant un petit tremblement qui fait que l'objet parait vacillant et ne présente ja- mais qu'un instant la même partie. Outre cela, il y a toujours dans les liqueurs un mouvement causé par l'agitation de l’air extérieur, soit qu'on les observe à l’un ou à l’autre de ces micros- copes, à moins qu’on ne mette la liqueur entre deux plaques deverre ou de tale très-minces, ce qui ne laisse pas de diminuer un peu la transparence, et d’alloncer beaucoup le travail manuel de l'observation; mais le microscope qu'on tient horizontalement, et dont les porte- objets sont verticaux, aun inconvénient de plus, c'est que les partiesles plus pesantes de la liqueur qu'on observe, descendent au bas de la goutte par leur poids, par conséquent il y a trois mouvements, celui du tremblement de la main, celui de l'agitation du fluide par l’action de }'air, et encore celui des parties de la liqueur qui descendent en bas; et il peut résulter une infinité de méprises de la combinaison de ces trois mouvements, dont la plus grande et la plus ordinaire est de croire que de certains petits globules qu'on voit dans ces liqueurs, se meu- vent par un mouvement qui leur est propre et par leurs propres forces, tandis qu'ils ne font qu'obéir à la force composée de quelques-unes des trois causes dont nous venons de parler. Lorsqu'on vient de mettre une goutte de li- queur sur le porte-objet du microscope double dont je me suis servi, quoique ce porte-objet soit posé horizontalement, et par conséquent dans la situation la plus avantageuse, on ne laisse pas de voir dans la liqueur un mouvement commun qui entraine du même côté tout ce qu'elle con- tient : il faut attendre que le fluide soit en équi- libre et sans mouvement, pour observer, car il arrive souvent que comme ce mouvement du fluide entraine plusieurs globules et qu'il forme une espèce de courant dirigé d'un certain côté, ilse fait ou d'un côté ou de l'autre de ce cou- rant , et quelquefois de tous les deux, une es- pèce de remous qui renvoie quelques-uns de ces globules dans une direction très-différente de celle des autres; l'œil de l'observateur se fixe alors sur ce globule qu'il voit suivre seul une route différente de celle des autres, et il croit voir un animal, ou du moins un corps qui se meut de soi-même, tandis qu'il ne doit son mouvement qu'àcelui du fluide;etcomme les li- queurs sont sujettes à se dessécher et à s'épais- sir par la circonférence de la goutte, il faut tâcher de mettre la lentille au-dessus du centre de la goutte, et il fautque la goutte soit assez grosse et qu'il y ait une aussi grande quantité de liqueur qu'il se pourra, jusqu'à ce que l’on s’a- percoive que si on en prenait davantage il n'y aurait plus assez de transparence pour bien voir ce qui yest. Avant que de compter absolument sur les observations qu’on fait, et même avantque d'en faire, il faut bien connaitre son microscope; il n’y en a aucuns dansles verres desquels il n°y ait quelques taches, quelques bulles, quelques fils, et d'autres défectuosités qu'il faut recon- naître exactement, afin que ces apparences ne se présentent pas comme si c'était des objets réels et inconnus; il faut aussi apprendre à con- naître l'effet que fait la poussière imperceptible qui s'attache aux verres du microscope, on s'assurera du produit de ces deux causes en ob- servant son microscope à vide un grand nombre de fois. Pour bien observer, il faut que le point de vue ou le foyer du microscope ne tombe pas précisément sur la surface de la liqueur, mais un peu au-dessous. On ne doit pas compter au- tant sur ce que l’on voit se passer à la surface, que sur ce que l’on voit à l'intérieur de la li- queur; il y a souvent des bulles à la surface qui ont des mouvements irréguliers qui sont pro- duits par le contact de l'air. On voit beaucoup mieux à la lumiere d’une ou de deux bougies basses, qu’au plus grand 58 et au plus beau jour, pourvu que cette lumière ne soit point agitée; et pour éviter cette agita- tion, il faut mettre une espèce de petit paravent sur la table, qui enferme de trois côtés les lu- mières et le microscope. On voit souvent des corps qui paraissent noirs et opaques, devenir transparents, et même se peindre de différentes couleurs , ou former des anneaux concentriques et colorés, ou des iris sur leur surface, et d’autres corps qu'on à d'abord vustransparents ou colorés, devenir noirs et ob- seurs ; ces changements ne sont pas réels, et ces apparences ne dépendent que de l'obliquité sous laquelle la lumière tombe sur ces corps, et de la hauteur du plan dans lequel ils se trouvent. Lorsqu'il y a dans une liqueur des corps qui se meuvent avec une grande vitesse, surtout lorsque ces corps sont à la surface, ils forment par leur mouvement une espèce de sillon dans la liqueur, qui parait suivre le corps en mouve- ment, et qu'on serait porté à prendre pour une queue; cette apparence m'a trompé quelque- fois dans les commencements, et j'ai reconnu bien clairement mon erreur, lorsque ces petits corps venaient à en rencontrer d’autres qui les arrétaient, caralors il n’y avait plus aucune ap- parence de queue. Ce sont là les petites remar- ques que j'ai faites, et que j'ai cru devoir communiquer à ceux qui voudraient faire usage du microscope sur les liqueurs. PREMIÈRE EXPÉRIENCE. J'ai fait tirer des vésicules séminales d’un homme mort de mort violente, dont le cada- vre était récent et encore chaud, toute la liqueur qui y était contenue, et l'ayant fait mettre dans un cristal de montre couvert, j'en ai pris une goutte assez grosse avee un cure-dent, et je l'ai mise sur le porte-objet d’un très-bon micro- scope double, sans y avoir ajouté de l’eau et sans aucun mélange. La première chose qui s’est présentée , étaient des vapeurs qui mon- taient de la liqueur vers la lentille et qui l'ob- scurcissaient. Ces vapeurs s’élevaient de la li- queur séminale qui était encore chaude, et il fallut essuyer trois ou quatre fois la lentille avant que de pouvoir rien distinguer. Ces va- peurs étant dissipées, je vis d'abord des fila- ments assez gros, qui dans de certains endroits se ramifiaient et paraissaient s'étendre en dif- férentes branches, et dans d’autres endroits ils se pelotonnaient et s’entremèlaient. Ces fila- HISTOIRE NATURELLE ments me parurent ltrès-clairement agités inté- rieurement d'un mouvement d'ondulation, et ils paraissaient être des tuyaux creux qui conte- naient quelque chose de mouvant. Je vis très- distinctement deux de ces filaments qui étaient joints suivant leur longueur , se séparer dans leur milieu et agir l'un à l'égard de l'autre par un mouvement d’ondulation ou de vibration, à peu près comme celui de deux cordes tendues qui seraient attachées et jointes ensemble par les deux extrémités, et qu’on tirerait par leur milieu, l’une à gauche et l’autre à droite, et qui feraient des vibrations par lesquelles cette par- tie du milieu se rapprocherait et s’éloignerait al- ternativement ; ces filaments étaient composés de globules qui se touchaient et ressemblaient à des chapelets. Je visensuite des filaments quise boursouflaient et se gonflaient dans de certains endroits, et je reconnus qu'à côté de ces en- droits gonflés il sortait des globules et de petits ovales qui avaient un mouvement distinct d’o- scillation , comme celui d’un pendule qui serait horizontal : ces petits corps étaient en effet at- tachés au filament par un petit filet qui s’allon- geait peu à peu à mesure que le petit corps se mouvait; et enfin je vis ces petits corps se déta.. cher entièrement du gros filament, et emporter après eux le petit filet par lequel ils étaient atta- chés. Comme cette liqueur était fort épaisse et que les filaments étaient trop près les uns des autres pour que je pusse les distinguer aussi clairement que je le désirais, je délayai avec de l'eau de pluie pure et dans laquelle je m'étais assuré qu'il n'y avait point d'animaux , une au- tre goutte de la liqueur séminale; je vis alors les filaments bien séparés, et je reconnus très- distinctement le mouvement des petits corps dont je viens de parler; il se faisait plus libre- ment, ils paraissaient nager avec plus de vi- tesse, et trainaient leur filet plus légèrement; et si je ne les avais pas vus se séparer des fila- ments et en tirer leur filet, j'aurais pris dans cette seconde observation le corps mouvant pour un animal, et le filet pour la queue de l'a- nimal. J'observai done avec grande attention un des filaments d'où ces petits corps mouvants sortaient, il était plus de trois fois plus gros que ces petits corps; j’eus la satisfaction de voir deux de ces petits corps qui se détachaient avec peine, et qui entrainaient chacun un filet fort délié et fort long, qui empêchait leur mouve- ment, comme je le dirai dans la suite. DES ANIMAUX. Cette liqueur séminale était d'abord fort épaisse, mais elle prit peu à peu de la fluidité ; en moins d'une heure elle devint assez fluide pour être presque transparente ; à mesure que cette fluidité augmentait , les phénomènes chan- geaient, comme je vais le dire. II. Lorsque la liqueur séminale est devenue plus fluide, on ne voit plus les filaments dont j'ai parlé ; mais les petits corps qui se meuvent, pa- raissent en grand nombre, ils ont pour la plu- part un mouvement d'oscillation comme celui d'un pendule , ils tirent après eux un long filet, où voit clairement qu'ils font effort pour s’en débarrasser ; leur mouvement de progression en avant est fort lent, ils font des oscillations à droite et à gauche : le mouvement d’un bateau “retenu sur une rivière rapide par un câble atta- ché à un point fixe, représente assez bien le mouvement de ces petits corps, à l'exception que les oscillations du bateau se font toujours dans le même endroit au lieu que les petits corps avancent peu à peu au moyen de ces oscilla- tions; mais ils ne setiennent pas toujours sur le même plan, ou, pour parler plus clairement, is n’ont pas, comme un bateau , une base large et plate, qui fait que les mêmes parties sont toujours à peu près dans le même plan; on les voit au contraire , à chaque oscillation, prendre un mouvement de roulis très-considérable , en sorte que, outre leur mouvement d'oscillation horizontale , qui est bien marqué, ils en ont un de balancement vertical ou de roulis, qui est aussi très-sensible , ce qui prouve que ces petits corps sont de figure globuleuse, ou du moins que leur partie inférieure n’a pas une base plate assez étendue pour les maintenir dans la même position. III. Au bout de deux ou trois heures , lorsque la liqueur est encore devenue plus fluide, on voit une plus grande quantité de ces petits corps qui se meuvent, ils paraissent être plus libres, les filets qu’ils trainent après eux sont devenus plus courts qu'ils ne l’étaient auparavant ; aussi leur mouvement progressif commence-t-il à être plas direct, et leur mouvement d'oscillation horizontale est fort diminué; car plus les filets qu'ils trainent sont longs, plus grand est l’an- 59 gle de leur oscillation , c’est-à-dire qu'ils font d'autant plus de chemin de droite à gauche, et d'autant moins de chemin en avant, que les fi- lets qui les retiennent et qui les empêchent d’a- vancer sent plus longs, et à mesure que ces filets diminuent de longueur , le mouvement d'oscil- lation diminue et le mouvement progressif aug- mente; celui du balancement vertical subsiste et se reconnait toujours, tant que celui de pro- gression ne se fait pas avec une grande vitesse : or, jusqu'ici pour l'ordinaire , ce mouvement de progression est encore assez lent, et celui de balancement est fort sensible, IV. Dans l'espace de cinq ou six heures la li- queur acquiert presque toute la fluidité qu'elle peut avoir sans se décomposer : on voit alors la plupart de ces petits corps mouvants entiére- ment dégagés du filet qu'ils trainaient ; ils sont de figure ovale , et se meuvent progressivement avec une assez grande vitesse, ils ressemblent alors plus que jamais à des animaux qui ont des mouvements en avant, en arrière et en tout sens. Ceux qui ont encore des queues, ou plutôt qui traînent encore leur filet, paraissent être beaucoup moins vifs que les autres; et parmi ces derniers qui n'ont plus de filet, il y en à qui paraissent changer de figure et de grandeur; les uns sont ronds, la plupart ova- les, quelques autres ont les deux extrémités plus grosses que le milieu , et on remarque en- core à tous un mouvement de balancement et de roulis. V. Au bout de douze heures la liqueur avait dé- posé au bas, dans le cristal de montre, une espèce de matière gélatineuse blanchâtre, ou plutôt couleur de cendre, qui avait de la con- sistance , et la liqueur qui surnageait était pres- que aussi claire que de l’eau, seulement elle avait une teinte bleuâtre, et ressemblait très- bien à de l’eau claire dans laquelle on aurait mêlé un peu de savon; cependant elle conser- vait toujours de la viscosité , et elle filait lors- qu’on en prenait une goutte et qu'on la voulait détacher du reste de la liqueur ; les petits corps mouvants sont alors dans une grande activité ; ils sont tous débarrassés de leur filet, la plupart sont ovales ; il y en a de ronds, ils se meuvent 60 HISTOIRE NATURELLE en tout sens, et plusieurs tournent sur leur centre, J'en ai vu changer de figure sous mes yeux , et d'ovales devenir globuleux ; j'en ai vu se diviser, se partager, et d’un seul ovale ou d'un globule en former deux ; ils avaient d’au- tant plus d'activité et de mouvement, qu'ils étaient plus petits. VI. Vingt-quatre heures après, la liqueur sémi- nale avait encore déposé une plus grande quan- tité de matière gélatineuse; je voulus délayer cette matière avec de l’eau pour l'observer; mais elle ne se mêla pas aisément , et il faut un temps considérable pour qu'elle se ramollisse et se divise dans l’eau. Les petites parties que j'en séparai, paraissaient opaques et composées d'une infinité de tuyaux, qui formaient une espèce de lacis où l’on ne remarquait aucune disposition régulière et pas le moindre mouve- ment; mais il y en avait encore dans la liqueur claire, on y voyait quelques corps en mouve- ment, ils étaient à la vérité en moindre quantité; le lendemain il y en avait encore quelques-uns, mais après cela je ne vis plus dans cette liqueur que des globules sans aucune apparence de mouvement. Je puis assurer que chacune de ces observa- tions a été répétée un très-grandnombre de fois, et suivie avec toute l'exactitude possible, et je suis persuadé que ces filets, que ces corps en mouvement trainent après eux, ne sont pas une queue ou un membre qui leur appartienne et qui fasse partie de leur individu; car ces queues n'ont aucune proportion avecle reste du corps, elles sont de longueur et de grosseur fort diffé- rentes, quoique les corps mouvants soient à peu près de la même grosseur dans le même temps; lesunes de ces queues occupent une étendue très- considérable dans le champ du microscope , et d’autres sont fort courtes; le globule est embar- rassé dans son mouvement, d'autant plus que cette queue est plus longue, quelquefois même il ne peut avancer ni sortir de sa place, et il n’a qu'un mouvement d'oscillation de droite à gau- che ou de gauche à droite lorsque cette queue est fort longue; on voit clairement qu'ils pa- raissent faire des efforts pour s’en débarrasser. VIT. Ayant pris de la liqueur séminale dans un autre cadavre humain , récent et encore chaud elle ne paraissait d'abord être à l'œil simple qu'une matière mucilagineuse presque coagulée et très-visqueuse, je ne voulus cependant pas y mêler de l’eau, et en ayant mis une goutte as- sez grosse sur le porte-objet du microscope, elle se liquéfia d'elle-même et sous mes yeux ; elle était d'abord comme condensée, et elle parais- sait former un tissu assez serré, composé de filaments d’une longueur et d’une grosseur considérables, qui paraissaient naître de la par- tie la plus épaisse de la liqueur. Ces filaments se séparaient à mesure que la liqueur devenait plus fluide, et enfin ils se divisaient en globules qui avaient de l’action et qui paraissaient d’a- bord n'avoir que très-peu de force pour se met- tre en mouvement, mais dont les forces sem- blaient augmenter à mesure qu'ils s’éloignaient du filament, dont il paraissait qu'ils faisaient beaucoup d'effort pour se débarrasser et pour se dégager, et auquel ils étaient attachés par un filet qu'ils en tiraient, et qui tenait à leur partie postérieure ; ils se formaient ainsi lentement chacun des queues de différentes longueurs, dont quelques-unes étaient si minces et si lon- gues qu’elles n'avaient aucune proportion avec le corps de ces globules ; ils étaient tous d'autant plus embarrassés que ces filets ou ces queues étaient plus longues ; l'angle de leur mouvement d’oscillation de gauche à droite et de droite à gauche, était aussi toujours d'autant plus grand que la longueur de ces filets était aussi plus grande, et leur mouvement de progression d’au- tant plus sensible que ces espèces de queues étaient plus courtes. VIII Ayant suivi ces observations pendant qua- torze heures presque sans interruption, je re- connus que ces filets ou ces espèces de queues allaient toujours en diminuant de longueur, et devenaient si minces et si déliées qu’elles ces- saient d’être visibles à leurs extrémités successi- vement; en sorte que ces queues , diminuant peu à peu par leurs extrémités, disparaissaient enfin entièrement; c'était alors que les globules cessaient absolument d’avoir un mouvement d'oscillation horizontale, et que leur mouve- ment progressif était direct, quoiqu’ils eussent toujours un mouvement de balancement verti- cal , comme le roulis d'un vaisseau : cependant ils se mouvaient progressivement, à peu près en ligne droite, et il n’y en avait aucun qui eût DES ANIMAUX. 61 une queue; ils étaient alors ovales, transparents, et tout à fait semblables aux prétendus animaux qu'on voit dans l'eau d'huitre au six ou sep- tième jour, et encore plus à ceux qu'on voit dans la gelée de veau rôti au bout du quatrième jour, comme nous le dirons dans la suite en parlant des expériences que M. Needham a bien voulu faire en conséquence de mon sys- tème , et qu'il a poussées aussi loin que je pou- vais l'attendre &e la sagacité de son esprit et de son habileté daus l'art d'observer au microscope. IX. Entre la dixième et onzième heure de ces observations , la liqueur étant alors fort fluide, tous ces globules me paraissaient venir du même côté et en foule, ils traversaient le champ du microscope en moins de quatre secondes de temps , ils étaient rangés les uns contre les au- tres , ils marchaient sur une ligne de sept ou huit ce front, et se succédaient sans interrup- tion, comme des troupes qui défilent. J'obser- vai ce spectacle singulier pendant plus de cinq minutes, et comme ce courant d'animaux ne finissait point , j'en voulus chercher la source, et ayant remué légèrement mon microscope , je reconnus que tous ces globules mouvants sor- taient d'une espèce de mucilage ou de lacis de filaments qui les produisaient continuellement sans interruption, beaucoup plus abondamment et plus vite que ne les avaient produits les fi- laments dix heures auparavant; il y avait en- core une différence remarquable entre ces espèces de corps mouvants produits dans la liqueur épaisse , et ceux-ci qui étaient produits dans la même liqueur, mais devenue fluide, c'est que ces derniers ne tiraient point de filets après eux, qu'ils n'avaient point de queue, que leur mouvement était plus prompt, et qu'ils allaient en troupeau comme des moutons qui se suivent. J'observai longtemps le mucilage d’où ils sortaient et où ils prenaient naissance, et je le vis diminuer sous mes yeux et se convertir successivement en globules mouvants , jusqu’à diminution de plus de moitié de son volume, après quoi la liqueur s'étant trop desséchée , ce mucilage devint obseur dans son milieu, et tous les environs étaient marqués et divisés par de petits filets qui formaient desintervalles carrés à peu près comme un parquet, et ces petits filets paraissaient être formés des corps ou des cada- vres de ces globules mouvants qui s'étaient réunis, par le desséchement, non pas en une seule masse, mais en filets longs , disposés ré- gulièrement, dont les intervalles étaient qua- drangulaires ; ces filets faisaient un réseau assez semblable à une toile d'araignée sur laquelle la rosée se serait attachée en une infinité de pe- tits globules. X. J'avais bien reconnu par les observations que j'ai rapportées les premières, que ces petits corps mouvants changeaient de figure, et je croyais m'être aperçu qu'en général ils dimi- nuaient tous de grandeur, mais je n'en étais pas assez certain pour pouvoir l'assurer. Dans ces dernières observations, à la douzième ou trei- zième heure, je le reconnus plus clairement; mais en même temps j'observai que, quoiqu'ils diminuassent considérablement de grandeur ou de volume, ils augmentaient en pesanteur spé- cifique , surtout lorsqu'ils étaient prêts à finir de se mouvoir, ce qui arrivait presque tout à coup , et toujours dans un plan différent de ce- lui dans lequel ils se mouvaient; car lorsque leur action cessait , ils tombaient au fond de la liqueur et y formaient un sédiment couleur de cendre , que l’on voyait à l'œil nu, et qui, au microscope, paraissait n'être composé que de globules attachés les uns aux autres , quelque- fois en filets, et d'autres fois en groupes, mais presque toujours d'une manière régulière, le tout sans aucun mouvement. XI. Ayant pris de la liqueur séminale d'un chien, qu'il avait fournie par une émission naturelle en assez grande quantité , j'observai que cette liqueur était claire , et qu’elle n'avait que peu de ténacité. Je la mis, comme les autres dont je viens de parler, dans un cristal de montre, et l'ayant examinée tout de suite au microscope sans y mêler de l'eau, j'y vis des corps mou- vants presque entièrement semblables à ceux de la liqueur de l'homme: ils avaient des filets ou des queues toutes pareilles , ils étaient aussi à peu près de la mème grosseur , en un mot ils ressemblaient, presque aussi parfaitement qu'il est possible , à ceux que j'avais vus dans la li- queur humaine liquéfiée pendant deux ou trois heures. Je cherchai dans cette liqueur du chien les filaments que j'avais vus dans l’autre, mais ce fut inutilement; j'aperçus seulement quel- ques filets longuets et très-déliés, entièrement 62 HISTOIRE NATURELLE semblables à ceux qui servaient de queue à ces globules ; ces filets ne tenaient point à des glo- bules , et ils étaient sans mouvement. Les glo- bules en mouvement, et qui avaient des queues, me parurent aller plus vite et se remuer plus vivement que ceux de la liqueur séminale de l'homme , ils n'avaient presque point de mouve- ment d'oscillation horizontale, mais toujours un mouvement de balancement vertical ou de roulis ; ces corps mouvants n'étaient pas en fort grand nombre, et quoique leur mouvement pro- gressif fût plus fort que celui des corps mou- vants de la liqueur de l’homme, il n'était ce- pendant pas rapide, et il leur fallait un petit temps bien marqué, pour traverser le champ du microscope. J'observai cette liqueur d'abord continuellement pendant trois heures , et je n'y aperçus aucun changement et rien de nouveau ; après quoi je l’observai de temps à autre suc- cessivement pendant quatre jours, et je remar- quai que le nombre des corps mouvants dimi- minuait peu à peu : le quatrième jour il y en avait encore, mais en très-petit nombre, et souvent je n’en trouvais qu'un ou deux dans une goutte entière de liqueur. Dès le second jour le nombre de ceux qui avaient une queue, était plus petit que celui de ceux qui n’en avaient plus; le troisième jour il y en avait peu qui eussent des queues; cependant au dernier jour il en restait encore quelques-uns qui en avaient; la liqueur avait alors déposé au fond un sédiment blanchâtre, qui paraissait être composé de globules sans mouvement et de plusieurs petits filets, qui me parurent être les queues séparées des globules; il y en avait aussi d’attachés à des globules, qui paraissaient être les caduvres de ces petits animaux, mais dont la forme était cependant différente de celle que je leur venais de voir lorsqu'ils étaient en mouvement, car le globule paraissait plus large et comme entr'ouvert, et ils étaient plus gros que les globules mouvants , et aussi que les glo- bules sans mouvement qui étaient au fond, et qui étaient séparés de leurs queues. XII. Ayant pris uneautre fois de la liqueur sémi- nale du même chien, qu'il avait fournie de même par une émission naturelle, je revis les premiers phénomènes que je viens de décrire; mais je vis de plus dans une des gouttes de cette liqueur une partie mucilagineuse, qui produisait des globules mouvants, comme dans l'expé- rience IX, et ces globules formaientun courant, et allaient de front et comme en troupeau. Je m'attachai à observer ce mucilage, il me parut animé intérieurement d’un mouvement de gon- flement, qui produisait de petites boursouflures dans différentes parties assez éloignées les unes des autres; et c'était de ces parties gonflées dont on voyait tout à coup sortir des globules mou- vants avec une vitesse à peu près égale, et une même direction de mouvement. Le corps de ces globules n'était pas différent de celui des autres; mais, quoiqu’ils sortissentimmédiatement dumu- cilage, ils n'avaient cependant point de queues. J'observai que plusieurs de ces globules chan- geaient de figure, ils s'allongeaient considéra- blement , et devenaient longs comme de petits cylindres, après quoiles deux extrémités du cylindre se boursouflaient, et ils se divisaient en deux autres globules, tous deux mouvants, et qui suivaient la même direction que celle qu'ils avaientlorsqu’ils étaient réunis, soitsous la forme de cylindre, soit sous la forme précédente de globule. XIII. Le petit verre qui contenait cette liqueur ayant été renversé par accident, je pris une troi- sième fois de la liqueur du même chien; mais soit qu'il fût fatigué par des émissions trop réi- térées, soit par d’autres causes que j'ignore, la liqueur séminale ne contenait rien du tout, elle était transparente et visqueuse comme la lym- phe du sang, et l'ayant observée dans le mo- mentet une heure, deux heures, trois heures et jusqu'à vingt-quatre heures après, elle n'offrit rien de nouveau, sinon beaucoup de gros glo- bules obseurs, il n'y avait aucun corps mou- vant, aucun mucilage, rien, en un mot, de sem- blable à ce que j'avais vu les autres fois. XIV. Je fis ensuite ouvrir un chien, et je fis sépa- rer les testicules et les vaisseaux qui y étaient adhérents, pour répéter les mêmesobservations; mais je remarquai qu'il n'y avait point de vési- cules séminales, et apparemment dans ces ani- maux la semence passe directement des testi- cules dans l’urètre. Je ne trouvai que très-peu de liqueur dans les testicules, quoique le chien fût adulte et vigoureux, et qu'il ne fût pas en- core mort dans le temps que l’on cherchait cette DES ANIMAUX. liqueur. J'observai au microscope la petite quan- tité que je pus ramasser avec le gros bout d’un eure-dent;; il n’y avait point de corps en mou- vement semblables à ceux que j'avais vus au- paravant; on y voyait seulement une grande quantité de très-petits globules dont la plupart étaient sans mouvement, et dont quelques-uns, qui étaient les plus petits de tous, avaient entre eux différents petits mouvements d'approxima- tion que je ne pus pas suivre, parce queles gout- tes de liqueur que je pouvais ramasser étaient si petites qu'elles se desséchaient deux ou trois minutes après qu'elles avaient été mises sur le porte-objet. XV. Ayant mis infuser les testicules de ce chien, que j'avais fait couper chacun en deux parties, * dans un bocal de verre où il y avait assez d’eau pour les couvrir, et ayant fermé exactement ce bocal, j'ai observé, trois jours après, cette infu- sion que j'avais faite dans le dessein de recon- xaître si la chair ne contient pas des corps en mouvement ; je visen effet, dans l’eau de cette infusion une grande quantité de corps mou- vants de figure globuleuse et ovale, et sembla- bles à ceux que j'avais vus dans la liqueur sé- minale du chien, à l'exception qu'ancun de ces corps n'avait de filets ; ils se mouvaient en tous sens, et même avec assez de vitesse. J’obser- vai longtemps ces corps qui paraissaient ani- més, j'en vis plusieurs changer de figure sous mes yeux, j'en vis qui s’allongeaient, d'autres qui se raccourcissaient , d'autres , et cela fré- quemment, qui se gonflaient aux deux extré- mités; presque tous paraissaient tourner sur leur centre, il y en avait de plus petits et de plus gros; mais tous étaient en mouvement, et à les prendre en totalité, ils étaient de la gros- seuretde la figure de ceux que j'ai décrits dans la IVe expérience. XVI. Le lendemain le nombre de ces globules mouvants était encore augmenté, mais je crus m'apercevoir qu'ils étaient plus petits ; leur mouvement était aussi plus rapide et encore plus irrégulier, ils avaient une autre apparence pour la forme et pour l'allure de leur mouve- ment, qui paraissait être plus confus ; le sur- lendemain et les jours suivants il y eut toujours des corps en mouvement dans cette eau, jus- 63 qu'au vingtième jour ; leur grosseur diminuait tous les jours, et enfin diminua si fort que je cessai de les apercevoir, uniquement à cause de leur petitesse, car le mouvement n'avait pas cessé, et les derniers que j'avais beaucoup de peine à apercevoir aux dix-neuvième et ving- tième jours, semouvaient avec autant et même plus de rapidité que jamais. I] se forma au-des- sus de l'eau une espèce de pellicule qui ne pa- raissait composée que des enveloppes de ces corps en mouvement, et dont toute la substance paraissait être un lacis de tuyaux, de petits f- lets, de petites écailles, etc., toutes sans aucun mouvement; cette pellicule et ces corps mou- vants n'avaient pu venir dans la liqueur par le moyen de l'air extérieur, puisque le bocal avait toujours été très-soigneusement bouché. XVII. J'ai fait ouvrir successivement, et à différents jours, dix lapins, pour observer et examiner avec soin leur liqueur séminale : le premier n'a- vait pas une goutte de cetteliqueur, ni dans les testicules, ni dansles vésicules séminales ; dans le second je n'en trouvai pas davantage, quoique je me fusse cependant assuré que ce second lapin était adulte, et qu'il fût même le père d'une nom- breuse famille; je n’en trouvai point encore dans le troisième, qui était cependant aussi dans le cas du second. Je m'imaginai qu'il fallait peut-être approcher ces animaux de leur femelle pour ex- citer et faire naître la semence, et je fis acheter des mâles et des femelles que l’on mit deux à deux dans des espèces de cages où ils pouvaient se voir et se faire des caresses, mais où il ne leur était pas possible dese joindre. Cela ne me réus- sit pas d'abord, car on en ouvrit encore deux , où je ne trouvai pas plus de liqueur séminale que dans les trois premiers : cependant le sixième que je fis ouvrir en avaitune grande abondance, c'était un gros lapin blane qui paraissait fort vi- goureux ; je luitrouvai dans les vésicules sémi- nales autant de liqueur congelée qu'il en pouvait tenir dans une petite cuillère à café, cette matière ressemblait à de la gelée de viande, elle était d’un jaune citron et presque transparente ; l'ayant examinée au microscope, je vis cette matière épaisse se résoudre lentement et par degrés en filaments et en gros globules, dont plusieurs pa- raissaient attachés les uns aux autres comme des grains de chapelet; mais je ne leur remarquai au- 64 HISTOIRE NATURELLE cun mouvement bien distinct, seulement comme la matière se liquéfiait, elle formait une espèce de courant par lequel ces globules et ces fila- ments paraissaient tous être entrainés du même côté : je m'attendais à voir prendre à cette ma- tière un plus grand degré de fluidité, mais cela n'arriva pas; après qu'elle se fut un peu liqué- fiée , elle se déssécha, et je ne pus jamais voir autre chose que ce que je viens de dire, en ob- servant cette matière sans addition ; je la mêlai done avec de l'eau; mais ce fut encore sans suc- cès d’abord , car l’eau ne la pénétrait pas tout de suite, et semblait ne pouvoir la délayer. XVIII. Ayant fait ouvrir un autre lapin, je n’y trou- vai qu'une très-petite quantité de matière sémi- nale, qui était d’une couleur et d’une consistance différente de celle dont je viens de parler, elle était à peine colorée de jaune, et plus fluide que celle-là; commeil n’y en avait que très-peu, et que je craignais qu'elle ne se desséchât trop promptement, je fus forcé de la mêler avec de l'eau dès la première observation; je ne vis pas les filaments ni les chapelets que j'avais vus dans l'autre, mais je reconnus sur le champ les gros globules, et je vis de plus qu'ils avaient tous un mouvement de trembiement et comme d’'inquié- tude ; ils avaient aussi un mouvement de pro- gression , mais fort lent, quelques-uns tour- naient aussi autour de quelques autres, et la plu- part paraissaient tourner sur leur centre. Je ne pus pas suivre cette observation plus loin, parce que je n'avais pas une assez grande quantité de cette liqueur séminale, qui se dessécha prompte- ment. XIX. Ayant fait chercher dans un autre lapin , on n'y trouva rien du tout, quoiqu'il eût été depuis quelques jours aussi voisin de sa femelle que les autres; mais dans les vésicules séminales d’un autre on trouva presque autant de liqueur con- gelée que dans celui del'observation X VIT. Cette liqueur congelée, que j'examinai d’abord de la même façon, ne me découvrit rien de plus, en sorte que je pris le parti de mettre infuser toute la quantité que j'en avais pu rassembler, dansune quantité presque double d'eau pure, et après avoir secoué violemmentet souventla petite bou- teille où ce mélange était contenu, je le laissai reposer pendant dix minutes, après quoi j'obser- vai cette infusion en prenant toujours à la sur- face de la liqueur les gouttes que je voulais exa- miner : j'y vis les mêmes gros globules dont j'ai parlé, mais en petitnombre et entiërement déta- chés et séparés, et même fort éloignés les uns des autres; ils avaient différents mouvements d’approximation les uns à l'égard des autres , maisces mouvements étaientsi lents, qu'à peine élaient-ils sensibles. Deux ou trois heures après ilme parut que ces globules avaient diminué de volume, et que leur mouvement était devenu plus sensible, ils paraissaient tous tourner sur leurs centres; et quoique leur mouvement de tremblement fût bien plus marqué que celui de progression, cependant onapercevaitclairement qu'ils changeaient tous de place irrégulièrement les uns par rapport aux autres, il y en avait même quelques-uns qui tournaient lentement autour des autres. Six ou sept heures après, les slobules étaient encore devenus plus petits, et leur action était augmentée ; ils me parurent être en beaucoup plus grand nombre, et tous leurs mouvements étaient sensibles. Le lende- main il y avait dans cette liqueur une multitude prodigieuse de globules en mouvement, et ils étaient au moins trois fois plus petits qu'ils ne m'avaient paru d'abord. J'observai ces globules tous les jours plusieurs fois pendant huit jours, il me parut qu'il y en avait plusieurs que si joi- gnaient, et dont le mouvement finissait après cette union, qui cependant ne paraissait être qu'une union superficielle et accidentelle; il y en avait de plus gros, de plus petits, la plupart étaient ronds et sphériques, les autres étaient ovales, d’autres étaient longuets, les plus gros étaient les plus transparents, les plus petits étaient presque noirs; cette différence ne pro- venait pas des accidents de la lumière, car dans quelque plan et dans quelque situation que ces petits globules se trouvassent, ils étaient tou- jours noirs, leur mouvement était bien plus ra- pide que celui des gros, et ce que je remarquai le plus clairement et le plus généralement sur tous, ce fut leur diminution de grosseur, en sorte qu'au huitième jour ils étaient si petits que je ne pouvais presque plus les apercevoir; et enfin ils disparurent absolument à mes yeux sans avoir cessé de se mouvoir, XX. | Enfin ayant obtenu avec assez de peine de la | liqueur séminale d'un autre lapin, telle qu'il la DES ANIMAUX. fournit à sa femelle, avec laquelle il ne reste pas plus d'une minute ‘en copulation, je remarquai qu'elle était beaucoup plus fluide que celle qui avait été tirée des vésicules séminales, et les phénomènes qu’elle offritétaient aussi fort diffé- rents; car il y avait dans cette liqueur les glo- bules en mouvement dont j'ai parlé, et des fila- ments sans mouvement, et encore des espèces de globules avec des filets ou des queues, et qui ressemblaient assez à ceux de l'homme et du chien, seulement ils me parurent plus petits et beaucoup plus agiles ; ils traversaient en un in- stant le champ du microscope; leurs filets ou leurs queues me parurent être beaucoup plus courtes que celles de ces autres animaux sper- matiques, et j'avoue que, quelque soin que je me sois donné pour les bien examiner, je ne suis pas sûr que quelques-unes de ces queues ne fussent pas de fausses apparences produites par le sillon que ces globules mouvants formaient dans la liqueur qu'ils traversaient avec trop de rapidité pour pouvoir les bien observer; car d’ailleurs cette liqueur, quoique assez fluide, se desséchait fort promptement. XXI. Je voulus ensuite examiner la liqueur sémi- nale du bélier; mais comme je n'étais pas à portée d’avoir de ces animaux vivants, je m'’a- dressai à un boucher, auquel je recommandai de m'apporter sur-le-champ les testicules et les autres parties de la génération des béliers qu'il tuerait; il m'en fournit à différents jours, au moins de douze ou treize différents béliers, sans qu'il me fût possible de trouver dans les épididymes, non plus que dans les vésicules séminales, assez de liqueur pour pouvoir la bien observer ; dans les petites gouttes que je pouvais ramasser, je ne vis que des globules sans mouvement. Comme je faisais ces obser- yations au mois de mars, je pensai que cette saison n'était pas celle du rut des béliers, et qu'en répétant les mêmes observations au mois d'octobre, je pourrais trouver alors la li- queur séminale dans les vaisseaux, et les corps mouvants dans la liqueur. Je fis couper plu- sieurs testicules en deux dans leur plus grande longueur, et ayant ramassé avec le cros bout d’un cure-dent la petite quantité de liqueur qu'on pouvait en exprimer, cette liqueur ne m'offrit, comme celle des épididymes, que des globules de différente grosseur, et qui n'a- Il, 65 vaient aucun mouvement : au reste tous ces testicules étaient fort sains, et tous étaient au moins aussi gros que des œufs de poule. XXIT. Je pris trois de ces testicules de trois diffé- rents béliers, je les fis couper chacun en quatre parties, je mis chacun des testicules ainsi coupés en quatre, dans un bocal de verre avec autant d'eau seulement qu'il en fallait pour les couvrir, et je bouchai exactement les bocaux avec du liége et du parchemin; je laissai cette chair infuser ainsi pendant quatre jours, après quoi j'examinai au microscope la liqueur de ces trois infusions; je les trouvai toutes remplies d’une infinité de corps en mou- vement, dont la plupart étaient ovales, et les autres globuleux; ils étaient assez gros, et ils ressemblaient à ceux dont j'ai parlé (exp. VIH). Leur mouvement n'était pas brusque, ni in- certain, ni fort rapide, mais égal, uniforme et continu dans toutes sortes de directions ; tous ces corps en mouvement étaient à peu près de la même grosseur dans chaque liqueur , mais ils étaient plus gros dans l’une, un peu moins gros dans l’autre, et plus petits dans la troi- sième ; aucun n'avait de queue, il n’y avait ni filaments ni filets dans cette liqueur où le mou- vement de ces petits corps s’est conservé pen- dant quinze à seize jours ; ils changeaient souvent de figure, et semblaient se dévêtir suc- cessivement de leur tunique extérieure; ils deve- naient aussi tous les jours plus petits, et je ne les perdis de vue au seizième jour que par leur petitesse extrême ; car le mouvement subsistait toujours lorsque je cessai de les apercevoir. XXIIT. Au mois d'octobre suivant je fis ouvrir un bélier qui était en rut, et je trouvai une assez grande quantité de liqueur séminale dans l'un des épididymes; l'ayant examinée sur-le-champ au microscope, j'y vis une multitude innom- brable de corps mouvants; ils étaient en si grande quantité, que toute la substance de la li- queur paraissait en être composée en entier ; comme elle était trop épaisse pour pouvoir bien distinguer la forme de ces corps mou- vanis, je la délayai avec un peu d’eau; mais je fus surpris de voir que l'eau avait arrêté tout à conp le mouvement de tous ces corps; je les 5 66 voyais très-distinctement dans la liqueur, mais ils étaient tous absolument immobiles : ayant répété plusieurs fois cette même observation, je m'apercus que l'eau qui, comme je lai dit, délaie très-bien les liqueurs séminales de l'homme, du chien, ete., au lieu de délayer la semence du bélier, semblait au contraire la coaguler; elle avait peine à se mêler avec cette liqueur, ce qui me fit conjecturer qu'elle pou- vait être de la nature du suif, que le froid coa- gule et durcit ; et je me confirmai bientôt dans cette opinion, car ayant fait ouvrir l’autre épi- didyme où je comptais trouver de la liqueur, je n’y trouvai qu'une matière coagulée, épais- sie et opaque; le peu de temps pendant lequel ces parties avaient été exposées à l'air avait suffi pour refroidir et coaguler la liqueur sé- minale qu’elles contenaient. XXIV. Je fis donc ouvrir un autre bélier, et pour empêcher la liqueur séminale de se refroidir et de se figer, je laissailes parties dela génération dans le corps de l'animal, que l’on couvrait avec des linges chauds; avec ces précautions il me fut aisé d'observer un très-crand nombre de foïs la liqueurséminale dans son état de fluidité; elle était-remplie d'un nombre infini de corps en mouvement, ils étaient tous oblongs , et ils seremuaient en tout sens; mais dès que la goutte de liqueur qui était sur le porte-objet du mi- croscope était refroidie, le mouvement de tous ces corps cessait dans un instant, de sorte que je ne pouvais les observer que pendant une minute ou deux. J’essayai de délayer la liqueur avec de l'eau chaude, le mouvement des petits corps dura quelque temps de plus, c’est-à-dire trois ou quatre minutes. La quantité de ces corps mouvants était si grande dans cette li- queur, quoique délayée , qu'ils se touchaient presque tous les uns les autres ; ils étaient tous de la même grosseur et de la même figure, au- eun n'avait de queue, leur mouvement n'était pas fort rapide, et lorsque par la coagulation de la liqueur ils venaient à s'arrêter, ils ne chan- geaient pas de forme. XXV. Comme j'étais persuadé, non-seulement par ma théorie, mais aussi par l'examen que j'avais fait des observations et des découvertes de tous ceux qui avaient travaillé avant moi sur cette HISTOIRE NATURELLE matière, que la femelle a, aussi bien que le mâle, une liqueur séminale et vraiment prolifique , et que je ne doutais pas que le réservoir de cette liqueur ne füt la cavité du corps glanduleux du testicule, où les anatomistes prévenus de leur système avaient voulu trouver l'œuf, jefis acheter plusieurs chiens et plusieurs chiennes, et quelques lapins mâles et femelles, que je fis garder et nourrir tous séparément les uns des autres. Je parlai à un boucher pour avoir les portières de toutes les vaches et de toutes les brebis qu'il tuerait , je l'engageai à me les ap- porter dans le moment même que la bête vien- drait d’expirer, je m'assurai d’un chirurgien pour faire les dissections nécessaires; et, afin d'avoir un objet de comparaison pour la liqueur de la femelle, je commençai par observer de nouveau la liqueur séminale d'un chien, qu’il avait fournie par une émission naturelle; j'y trouvai les mêmes corps en mouvement que j'y avais observés auparavant; ces corps trainaient après eux des filets qui ressemblaient à des queues dont ils avaient peine à se débarrasser; ceux dont les queues étaient les plus courtes, se mouvaient avec plus d’agilité que les autres; ils avaient tous, plus ou moins, un mouvement de balancement vertical ou de roulis, et en gé- néral leur mouvement progressif, quoique fort sensible ettrès-marqué, n'était pas d'une grande rapidité. XXVI. Pendant que j'étais occupé à cette observation, l'on disséquait une chienne vivante qui était en chaleur depuis quatre ou cinq jours, et que le mâle n'avait point approchée. On trouva aisé- ment les testicules qui sont aux extrémités des cornes de la matrice, ils étaient à peu près gros comme des avelines ; ayant examiné l’un de ces testicules , j'y trouvai un corps glanduleux, rouge, proéminent , et gros comme un pois; ce corps glanduleux ressemblait parfaitement à un petit mamelon , et il y avait au dehors de ce corps glanduleux une fente très-visible, qui était formée par deux lèvres, dont l’une avançait en dehors un peu plus que l’autre; ayant entr'ou- vert cette fente avec un stylet, nous en vimes dégoutter de la liqueur que nous recueillimes pour la porter au microscope, après avoir recom- mandé au chirurgien de remettre les testicules dans le corps de l'animal qui était encore vi- vant, afin de les tenir chaudement. J'examinai donc cette liqueur au mieroscope, et du pre- DES ANIMAUX. mier coup d'œil j'eus la satisfaction d'y voir des corps mouvants avec des queues, qui étaient presque absolument semblables à ceux que je venais de voir dans la liqueur séminale du chien. MM. Needham et Daubenton, gui observèrent après moi, furent si surpris de cette ressem- blance, qu'ils ne pouvaient se persuader que ces animaux spermatiques ne fussent pas ceux du chien que nous venions d'observer, ils cru- rent que j'avais oublié de changer de porte- objet, et qu'il avait pu rester de la liqueur du chien, ou bien que le cure-dent avec lequel nous avions ramassé plusieurs gouttes de cette liqueur de la chienne, pouvait avoir servi auparavant à celle du chien. M. Needham prit done lui- même un autre porte-objet , un autre cure-dent, et, ayant été chercher de la liqueur dans la fente du corps glanduleux , ill'examina le pre- mier et y revit les mêmes animaux , les mêmes corps en mouvement , et il se convainquit avec moi non-seulement de l'existence de ces ani- maux spermatiques dans la liqueur séminale de la femelle, mais encore de leur ressemblance avec ceux de la liqueur séminale du mâle. Nous revimes au moins dix fois de suite et sur diffé- rentes gouttes les mêmes phénomènes, car il y avait une assez bonne quantité de liqueur sé- minale dans ce corps glanduleux ; dont la fente pénétrait dans une cavité profonde de près de trois lignes. XXVII. Ayant ensuite examiné l’autre testicule, j'y trouvai un corps glanduleux dans son état d'ac- erdissement; mais ce corps n'était pas mür, il n'y avait point de fente à l'extérieur, il était bien plus petit et bien moins rouge que le premier; et l'ayant ouvert avec un scalpel, je n’y trouvai aucune liqueur, il y avait seulement une espèce de petit pli dans l'intérieur , que je jugeai être l’origine de la cavité qui doit contenir la liqueur. Ce second testicule avait quelques vésicules Iym- phatiques très-visibles à l'extérieur ; je perçai l'une de ces vésicules avec une lancette, et il en jaillit une liqueur claire et limpide que j'observai tout de suite au microscope; elle ne contenait rien de semblable à celle du corps glanduleux , e’était une matiere claire, composée de très- petits globules qui étaient sans aucun mouve- ment ; ayant répété souvent cette observation, comme on le verra dans la suite, je m'assurai que cette liqueur que renferment les vésicules , 67 n’est qu'une espèce de lymphe qui ne contient rien d'animé , rien de semblable à cé que l'on voit dans la semencede la femelle, qui se forme et qui se perfectionne dans le corps glanduleux. XXVIII. Quinze jours après je fis ouvrir une autre chienne qui était en chaleur depuis sept ou huit Jours , et qui n'avait pas été approchée pat le mâle ; je fis chercher les testicules, ils sont conti- gus aux extrémités des cornes de la matrice ; ces cornes sont fort longues, leur tunique exté- rieure enveloppe les testicules , et ils paraissent recouverts de cette membrane comme d’un ca- puchon. Je trouvai sur chaque testicule un corps glanduleux en toute maturité ; le premier que j'examinai était entr'ouveït, etilavait un con- duit ou un canal qui pénétrait dans le testicule, et qui était rempli de la liqueur séminale ; le se- cond était un peu plus proéminent et plus gros, et la fente ou le canal qui contenait la liqueur , était au-dessous du mamelon qui sortait au de- hors. Je pris de ces deux liqueurs, et les ayant comparées, je les trouvai tout à fait semblables ; cette liqueur séminale de la femelle est au moins aussi liquide que celle du mâle; ayant ensuite examiné au microscope ces deux liqueurs tirées des deux testicules, j'y trouvai les mêmes corps en mouvement, jerevis à loisir les mêmes phé- nomènes que j'avais vus auparavant dans la li- queur séminale de l'autre chienne, je vis de plus plusieurs globules qui se remuaient très-vive- ment, qui tâchaient de se dégager du mucilage qui les environnaït, et qui emportaient après eux des filets ou des queues; il y en avait une aussi grande quantité que dans la semence du mâle. XXIX. J'exprimai de ces deux corps glanduleux toute la liqueur qu'ils contenaient, et l'ayant rassemblée et mise dans un petit cristal de montre, il y en eut une quantité suffisante pour suivre ces observations pendant quatre ou cinq heures; je remarquai qu'elle faisait un petit dépôt au bas, ou du moins que la li- queur sy épaississait un peu. Je pris une goutte de cette liqueur plus épaisse que l’autre, et l'ayant mise au microscope, je reconnus que la partie mucilagineuse de la semence s'était condensée, et qu’elle formait comme un tissu continu; au bord extérieur de cetissu, GS et dans une étendue assez considérable de sa circonférence, ily avait un torrent, où un cou- rant qui paraissait composé de globules qui coulaient avec rapidité; ces globules avaient des mouvements propres, ils étaient même très- vifs, très-actifs, et ils paraissaient être absolu- ment dégagés de leur enveloppe mucilagineuse et de leurs queues; ceci ressemblait si bien au cours du sang lorsqu'on l'observe dans les pe- tites veines transparentes, que, quoique la ra- pidité de ce courant de globules de la semence füt plus grande, et que, de plus, ces globules eussent des mouvements propres et particu- liers, je fus frappé de cette ressemblance, car ils paraissaient non-seulement être animés par leurs propres forces, mais encore être poussés par une force commune, et comme contraints de se suivre en troupeau. Je conclus de cette observation et de la IX° et XIJ°, que, quand le fluide commence à se coaguler ou à s’épaissir, soit par le desséchement ou par quelques au- tres causes, ces globules actifs rompent et dé- chirent les enveloppes mucilagineuses dans les- quelles ils sont contenus, et qu'ils s'échappent du côté où la liqueur est demeurée plus fluide. Ces corps mouvants n'avaient alors ni filets ni rien de semblable à des queues, ils étaient pour la plupart ovales et paraissaient un peu aplatis par- dessous, car ils n'avaient aucun mouve- ment de roulis, du moins qui fût sensible. XXX. Les cornes de la matrice étaient à l'extérieur mollasses , etelles ne paraissaient pas être rem- plies d'aucune liqueur; je les fis ouvrir longi- tudinalement, et je n'y trouvai qu'une très-pe- tite quantité de liqueur; il y en avait cependant assez pour qu'on püt la ramasser avec un cure- dent. J'observai cette liqueur au microscope, c'était la même que celle que j'avais exprimée des corps glanduleux du testicule, car elle était pleine de globules actifs qui se mouvaient de la même façon, et qui étaient absolument sembla- bles en tout à ceux que j'avais observés dans la liqueur tirée immédiatement du corps glan- duleux ; aussi ces corps glanduleux sont posés de facon qu'ils versent aisément cette liqueur sur les cornes dela matrice, et je suis persuadé que tant que la chaleur des chiennes dure, et peut-être encore quelque temps après, il y a une stillation ou un dégouttement continuel de cette liqueur, qui tombe du corps glanduleux | HISTOIRE NATURELLE dans les cornes de la matrice, et que cette stil- lation dure jusqu'à ce que le corps glanduleux ait épuisé les vésicules du testicule auxquelles il correspond, alors il s'affaisse peu à peu, il s’efface, et il ne laisse qu'une petite cicatrice rougeâtre qu'on voit à l'extérieur du testicule. XXXI. Je pris cette liqueur séminale qui était dans l'une des cornes de la matrice et qui contenait des corps mouvants ou des animaux sperma- tiques , semblables à ceux du mâle; et, ayant pris en même temps de la liqueur séminale d'un chien, qu'il venait de fournir par une émission naturelle, et qui contenait aussi, comme celle de la femelle, des corps en mouvement, j'es- sayai de mêler ces deux liqueurs en prenant une petite goutte de chacune, et, ayant exa- miné ce mélange au microscope, je ne vis rien de nouveau, la liqueur étant toujours la même, les corps en mouvement les mêmes; ils étaient tous si semblables , qu'il n’était pas possible de distinguer ceux du mäle et ceux de la femelle; seulement je crus m'apercevoir que leur mou- vement était un peu ralenti; mais à cela près je ne vis pas que ce mélange eût produit Ja moindre altération dans la liqueur. XXXII. Ayant fait disséquer une autre chienne qui était jeune, qui n'avait pas porté, et qui n’a- vait point encore été en chaleur, je né trouvai sur l’un des testicules qu'une petite protubé- rance solide, que je reconnus aisément pour être l'origine d'un corps glanduleux qui com- mencçait à pousser, et qui aurait pris son ac- croissement dans la suite, et sur l’autre testi- cule je ne vis aucun indice du corps glanduleux ; la surface de ce testicule était lisse et unie, et on avait peine à y voir à l'extérieur les vésicu- les lymphatiques, que je trouvai cependant fort aisément en faisant séparer les tuniques qui re- vêtentces testicules ; mais ces vésicules n'étaient pas considérables, et ayant observé la petite quantité de liqueur que je pus ramasser dans ces testicules avec le cure-dent, je ne vis que quelques petits globules sans mouvement, et quelques globules beaucoup plus gros et plus aplatis, que je reconnus aisément pour être des globules du sang dont cette liqueur était en eftet un peu mêlée, DES ANIMAUX. XXXIIT. Dans une autre chienne qui était encore plus jeune et qui n'avait que trois où quatre mois, il n'y avait sur les testicules aucune apparence du corps glanduleux; ils étaient blanes à l'ex- térieur, unis sans aucune protubérance, et re- couverts de leur capuchon comme les autres; il y avait quelques petites vésieules, mais qui ne me parurent contenir que peu deliqueur , et même la substance intérieure des testicules ne paraissait être que de la chair assez semblable à celle d'un ris de veau, et à peine pouvait-on remarquer quelques vésicules à l'extérieur, ou plutôt à la circonférence de cette chair. J’eus la curiosité de comparer l'un de ces testicules avec celui d'un jeune chien de même grosseur à peu près quela chienne , ils me parurent tout à fait semblables à l'intérieur, la substance de la chair était, pour ainsi dire, de la même nature. Je ne prétends pas contredire par cette remarque, ce que les anatomistes nous ont dit au sujet des testicules des mâles, qu'ils assu- rent n'être qu'un peloton de vaisseaux qu'on peut dévider, et qui sont fort menus et fort longs; je dis seulement que l'apparence de la substance intérieure des testicules des femelles est semblable à celle des testicules des mâles, lorsque les corps glanduleux n'ont pas encore poussé, XXXIV. On m'apporta une portière de vache qu'on vénait de tuer, et comme il y avait près d'une demi-lieue de l'endroit où on l'avait tuée jusque chez moi, on enveloppa cette portière dans des linges chauds, et on la mit dans un panier sur un lapin vivant, qui était lui-même couché sur du linge au fond du panier; de cette manière elle était, lorsque je la reçus, presque aussi chaude qu'au sortir du corps de l’animal. Je fis d’abord chercher les testicules, que nous n’eù- mes pas de peine à trouver; ils sont gros comme de petits œufs de poule, ou au moins comme des œufs de gros pigeons ; l’un de ces testicules avait un corps glanduleux, gros comme un gros pois, qui était protubérant au dehors du testicule, à peu près comme un petit mamelon; mais ce corps glanduleux n’était pas percé, il n’y avait ni fente ni ouverture à l'extérieur, il était ferme et dur; je le pressai avec les doigts, il n’en sortit rien, je l'examinai de près, et à la loupe, pour 69 voir s'il n'avait pas quelque petite (ouverture imperceptible, je n’en aperçus aucune; ilavait cependant de profondes racines dans la sub- stance intérieure du testicule. J'observai, avant que de faire entamer ce testicule, qu'il y avait deux autres corps glanduleux à d'assez grandes distances du premier; mais ces corps glandu- leux ne commencaient encore qu'à pousser, ils étaient dessous la membrane commune du tes- ticule, ils n'étaient guère plus gros que de grosses lentilles; leur couleur était d'un blanc jaunâtre, au lieu que celui qui paraissait avoir percé la membrane du testicule, et qui était au dehors, était d'un rouge couleur de rose. Je fis ouvrir longitudinalement ce dernier corps glanduleux, qui approchait, comme l'on voit, beaucoup plus de sa maturité que les autres; j'examinai avec grande attention l'ouverture qu'on venait de faire et qui séparait ce corps glanduleux par son milieu, je reconnus qu'il y avait au fond une petite cavité; mais ni cette cavité, ni tout le reste de la substance de ce corps glanduleux ne contenait aucune liqueur ; je jugeai donc qu'il était encore assez éloigné de son entière maturité. XXXV. L'autre testicule n'avait aucun corps glandu- leux qui füt proéminent au dehors, et qui eût percé la membrane commune qui recouvre le testicule; il y avait seulement deux petits corps glanduleux qui commencaient à naître et à for- mer chacun une petite protubérance au-des- sous de cette membrane : je les ouvris tous les deux avec la pointe du scalpel, il n'en sortit aucune liqueur; c'étaient des corps durs, blan- châtres, un peu teints de jaune ; on y voyait à la loupe quelques petits vaisseaux sanguins. Ces deux testicules avaient chacun quatre ou cinq vésicules lymphatiques , qu'il était très- aisé de distinguer à leur surface ; il paraissait que la membrane qui recouvre le testicule, était plus mince que dans l'endroit où étaient ces vésicules , et elle était comme transparente : cela me fit juger que ces vésicules contenaient une bonne quantité de liqueur claire et lim- pide; et, en effet, en ayant percé une dans son milieu avec la pointe d'une lancette, la liqueur jaillit à quelques pouces de distance; et ayant percé de même les autres vésicules, je ramassai une assez grande quantité de cette liqueur pour 70 pouvoir l'observer aisément et à loisir; mais je n'y découvris rien du tout; cette liqueur est une lymphe pure, très-transparente, et dans laquelleje ne vis que quelques globules très-pe- tits, et sans aucunesorte de mouvement : après quelques heures j'examinai de nouveau cette liqueur des vésicules, elle me parut être la même ; il n'y avait rien de différent, si ce n’est un peu moins de transparence dans quelques parties de la liqueur: je continuai à l’examiner pendant deux jours jusqu’à ce qu’elle fût des- séchée, et je n'y reconnus aucune altération, aucun changement, aucun mouvement. XXXVI. Huit jours après on m’apporta deux autres portières de vaches qui venaient d'être tuées, et qu'on avait enveloppées et transportées de la même façon que la première; on m'assura que l’une était d'une jeune vache qui n’avait pas encore porté, et que l’autre était d’une va- che qui avait fait plusieurs veaux, et qui ce- pendant n’était pas vieille. Je fis d’abord cher- | cher les testicules de cette vache qui avait porté, et je trouvai sur l’un de ces testicules un corps glanduleux, gros et rouge comme une bonne cerise, ce corps paraissait un peu mol- Jasse à l'extrémité de son mamelon ; j'y dis- tinguai très-aisément trois petits trous où il était facile d'introduire un erin : ayant un peu pressé ce corps glanduleux avec les doigts, il en sortit une petite quantité de liqueur que je portai sur-le-champ au microscope, et j'eus la satisfaction d'y voir des globules mou- vants, mais différents de ceux que j'avais vus dans les autres liqueurs séminales; ces globu- les étaient petits et obscurs; leur mouvement progressif, quoique fort distinct et fort aisé à reconnaitre, était cependant fort lent, la li- queur n'était pas épaisse; ces globules mou- vants n'avaient aussi aucune apparence de queues ou de filets, et ils n'étaient pas à beaucoup près tous en mouvement; il y en avait un bien plus grand nombre qui paraissaient très-semblables aux autres, et qui cependant n'avaient aucun mouvement: voilà tout ce que je pus voir dans cette liqueur que ce corps glanduleux m'avait fournie ; comme il n’y en avait qu'une très-petite quantité, qui se dessé- cha bien vite, je voulus presser une seconde fois le corps glanduleux, mais il ne me fournit HISTOIRE NATURELLE qu'une quantité de liqueur encore plus petite, et mêlée d’un peu de sang; j'yrevis les petits globules en mouvement, et leur diamètre com- paré à celui des globules du sang qui était mêlé dans cette liqueur, me parut être au moins quatre fois plus petit que celui de ces globules sanguins. XXXVII. Ce corps glanduleux était situé à l'une des extrémités du testicule, du côté de la corne de la matrice, et la liqueur qu'il préparait et qu'il rendait devait tomber dans cette corne : cepen- dant ayant fait ouvrir cette corne de la ma- trice, je n'y trouvai point de liqueur dont la quantité fût sensible. Ce corps glanduleux pé- nétrait fort avant dans le testicule, et en occu- pait plus du tiers de la substance intérieure; je le fis ouvrir et séparer en deux longitudina- lement, j'y tr'ouvai une cavité assez considé- rable, mais entièrement vide de liqueur : il y avait sur le même testicule, à quelque distance - du gros corps glanduleux, un autre petit corps de même espèce, mais qui commençait encore à naïtre, et qui formait sous la membrane de ce testicule une petite protubérance de la gros- seur d'une bonne lentille ; il y avait aussi deux petites cicatrices, à peu près de la même gros- seur qu'une lentille, qui formaient deux petits enfoncements, mais très-superficiels ; ils étaient d'un rouge foncé : ces cicatrices étaient celles des anciens corps glanduleux qui s'étaient obli- térés. Ayant ensuite examiné l’autre testicule de cette même vache qui avait porté, j'y comp- tai quatre cicatrices et trois corps glanduleux, dont le plus avancé avait percé la membrane; il n’était encore que d'un rouge couleur de chair, et gros comme un pois : il était ferme et sans aucune ouverture à l'extrémité, et il ne contenait encore aucune liqueur ; les deux au- tres étaient sous la membrane, et quoique gros comme de petits pois, ils ne paraissaient pas encore au dehors ; ils étaient plus durs que le premier, et leur couleur était plus orangée que rouge. Il ne restait sur le premier testicule que deux ou trois vésicules lymphatiques bien ap- parentes, parce que le corps glanduleux de ce testicule, qui était arrivé à son entière matu- rité, avait épuisé les autres vésicules , au lieu que sur le second testicule, où le corps glandu- leux n'avait encore pris que le quart de son accroissement, il y avait un beaucoup plus DES ANIMAUX. 71 grand nombre de vésieules Iÿmphatiques ; j'en comptai huit à l'extérieur de ce testicule, et ayant examiné au microscope la liqueur de ces vésicules de l’un et de l’autre testicule, je ne vis qu'une matière fort transparente et qui ne contenait rien de mouvant, rien de semblable à ce que je venais de voir dans la liqueur du corps glanduleux. XXXVIIT, J'examinai ensuite les testicules de l’autre vache qui n’avait pas porté: ils étaient cepen- dant aussi gros, et peut-être un peu plus gros que ceux de la vache qui avait porté, mais il est vrai qu'il n'y avait point de cicatrice ni sur l’un ni sur l’autre de ces testicules ; l’un était même absolument lisse, sans protubérance, et fort blane, on distinguait seulement à sa sur- face plusieurs endroits plus clairs et moins opaques que le reste , et c’étaient les vésicules lymphatiques qui y étaient en grand nombre : on pouvait en compter aisément jusqu'à quinze, mais il n’y avait aucun indice de la naissance des corps glanduleux. Sur l’autre testicule, je reconnus les indices de deux corps glandu- leux, dont l'un commencait à naître, et l’autre était déjà gros comme un petit pois un peu aplati; ils étaient tous deux recouverts de la même membrane commune du testicule, comme le sont tous les corps glanduleux dans le temps qu'ils commencent à se former : il y avait aussi sur ces testicules un grand nombre de vésicules lymphatiques; j'en fs sortir avec la lancette de la liqueur que j'examinai, et qui ne contenait rien du tout, et ayant percé avec la même lan- cette les deux petits corps glanduleux, il n’en sortit que du sang. . XXXIX. Je fis couper chacun de ces testicules en quatre parties , tant ceux de la vache qui n’a- vait pas porté, que ceux de la vache qui avait porté, et les ayant mis chacun séparément dans des bocaux, j'y versai autant d'eau pure qu'il en fallait pour les couvrir, et après avoir bou- ché bien exactement les bocaux, je laissai cette chair infuser pendant six jours : après quoi ayant examiné au microscope l'eau de ces in- fusions, j'y vis une quantité innombrable de petits globules mouvants; ils étaient tous, et dans toutes ces infusions , extrèmement petits, fort actifs, tournant la plupart en rond et sur leur centre; ce n'était, pour ainsi dire , que des atomes , mais qui se mouvaient avec une pro- digieuse rapidité, et en tout sens. Je les obser- vai de temps à autre pendant trois jours, ils me parurent toujours devenir plus petits, et enfin ils disparurent à mes yeux par leur ex- trème petitesse, le troisième jour, XL. On m'apporta, les jours suivants, trois autres portières de vaches qui venaient d’être tuées : je fis d'abord chercher les testicules, pour voir s'il ne s'en trouverait pas quelqu'un dont le corps glanduleux fûten parfaite maturité; dans deux de ces portières, je ne trouvai sur les tes- ticules que des corps glanduleux en accroisse- ment, les uns plus gros, les autres plus petits , les uns plus, les autres moins colorés. On n'a- vait pu me dire si ces vaches avaient porté ou non; mais il y avait grande apparence que toutes avaient été plusieurs fois en chaleur, car il y avait des cicatrices en assez grand nombre sur tous ces testicules. Dans la troisième por- tière, je trouvai un testicule sur lequel il y avait un corps glanduleux, gros comme une cerise et fort rouge, il était gonflé et me parut être en maturité; je remarquai à son extrémité un pe- tittrou qui était l’orifice d’un canal rempli de liqueur; ce canal aboutissait à la cavité inté- rieure, qui en était aussi remplie : je pressai un peu ce mamelon avec les doigts, et il en sortit assez de liqueur pour pouvoir l’observer un peu à loisir. Je retrouvai dans cette liqueur des globules mouvants qui paraissaient être absolument semblables à ceux que j'avais vus auparavant dans la liqueur que j'avais expri- mée de même du corps glanduleux d’une au- tre vache dont j'ai parlé article XXXVI, ilme parut seulement qu'ils étaient en plus grande quantité et que leur mouvement progressif était moins lent, ils me parurent aussi plus gros , et les ayant considérés longtemps, j'en vis qui s’allongeaient et qui changeaient de figure ; j’in- troduisis ensuite un stylet très-fin dans le petit trou du corps glanduleux, il y pénétra aisément à plus de quatre lignes de profondeur, et ayant ouvert le long du stylet ce corps glanduleux , je trouvai la cavité intérieure remplie de liqueur ; elle pouvait en contenir en tout deux grosses gouttes. Cette liqueur m'offrit au microscope les 72 mêmes phénomènes, les mêmes globules en mouvement; mais je ne vis jamais dans cette liqueur, non plus que dans celle que j'avais ob- servée auparavant, article XXXVI, ni fila- ments, ni filets, ni queues à ces globules. La liqueur des vésicules que j'observai ensuite ne m'offrit rien de plus que ce que j'avais déjà vu les autres fois, c'était toujours une matière presque entièrement transparente, et qui ne contenait rien de mouvant; j'aurais bien dé- siré d’avoir de la semence de taureau pour la comparer avec celle de la vache, mais les gens à qui je m'étais adressé pour cela me man- quèrent de parole. XLI. On m'apporta encore, à différentes fois, plu- sieurs autres portières de vaches; je trouvai dans les unes les testicules chargés de corps glanduleux presque mürs, dans les testicules de quelques autres je vis que les corps glanduleux étaient dans différents états d’accroissement, et je ne remarquai rien de nouveau, sinon que dans deux testicules de deux vaches différentes je vis le corps glanduleux dans son état d’affais- sement: la base de l'un de ces corps glandu- Jeux était aussi large que la circonférence d'une cerise, et cette base n'avait pas encore diminué de largeur, mais l'extrémité du mamelon était moliasse , ridée et abattue, on y reconnaissait aisément deux petits trous par où la liqueur s’é- tait écoulée; j'y introduisis avec assez de peine un petit erin , mais il n’y avait plus de liqueur dans le canal, non plus que dans la cavité inté- rieure qui était encore sensible, comme je le re- connus en faisant fendre avec un scalpel ce corps glanduleux ; l’affaissement du corps glan- duleux commence done par la partie la plus extérieure, par l'extrémité du mamelon; il diminue de hauteur d’abord, et ensuite il com- mence à diminuer en largeur, comme je l'obser- vai sur un autre testicule où ce corps glandu- leux était diminué des près de trois quarts; il était presque entièrement abattu , ce n’était, pour ainsi dire, qu’une peau d'un rouge obseur qui était vide et ridée, et la substance du testi- cule qui l'environnait à sa base , avait resserré la circonférence de cette base et l'avait déjà ré- duite à plus de moitié de son diamètre. HISTOIRE NATURELLE XLII. Comme les testicules des femelles de lapin sont petits, et qu'il s’y forme plusieurs Corps glanduleux qui sont aussi fort petits, je n'ai pu rien observer exactement au sujet de leur li- queur séminale , quoique j'aie fait ouvrir plu- sieurs de ces femelles devant moi; j'ai seule- ment reconnu que les testicules des lapines sont dans des états très-différents les uns des autres, et qu'aucun de ceux que j'ai vus ne ressemble parfaitement à ce que Graaf a fait graver; car les corps glanduleux n’enveloppent pas les vé- sicules lymphatiques, et je ne leur ai jamais vu une extrémité pointue comme il la dépeint; mais je n’ai pas assez suivi ce détail anatomique pour en rien dire de plus. XLHIT. J'ai trouvé sur quelques-uns des testicules de vaches que j'ai examinés , des espèces de ves- sies pleines d'une liqueur transparente et lim- . pide; j'en ai remarqué trois qui étaient dans différents états, la plus grosse était grosse comme un gros pois, et attachée à la membrane exté- rieure du testicule par un pédieule membraneux et fort: une autre un peu plus petite était encore attachée de même par un pédicule plus court, et la troisième, qui était à peu près de la même grosseur que la seconde, paraissait n’être qu'une vésicule lymphatique beaucoup plus éminente que les autres. J'imagine done que ces espèces de vessies qui tiennent au testicule, ou qui s'en séparent quélquefois , qui aussi deviennent quelquefois d'une grosseur très-considérable , et que les anatomistes ont appelées des hyda- tides, pourraient bien être de la même nature que les vésicules lymphatiques du testicule; car , ayant examiné au microscope la liqueur que contiennent ces vessies, je la trouvai entiè- rement semblable à celle des vésicules lympha- tiques du testicule; c'était une liqueur transpa- rente , homogène, et qui ne contenait rien de mouvant. Au reste, je ne prétends pas dire que toutes les hydatides que l'on trouve, ou dans la matrice, ou dans les autres parties de l’abdo- men, soient semblables à celles-ci; je dis seule- ment qu'il m'a paru que celles que j'ai vues at- tachées aux testicules, semblaient tirer leur origine des vésicules lymphatiques, et qu'elles étaient en apparence de la même nature. DES ANIMAUX. XLIV. Dans ce même temps, je fis des observations sur de l’eau d’'huitres, sur de l'eau où l'on avait fait bouillir du poivre, et sur de l’eau où l'on avait simplement faittremper du poivre, et en- core sur de l’eau où j'avais mis infuser de la graine d’œillet, les bouteilles qui contenaient ces infusions étaient exactement bouchées ; au bout de deux jours, je vis dans l’eau d’huitres une grande quantité de corps ovales et globu- leux qui semblaient nager comme des poissons dans un étang , et qui avaient toute l'apparence d'être des animaux ; cependant ils n'ont point de membres, et pas même de queues; ils étaient alors transparents, gros et fort visibles ; je les ai vus changer de figure sous mes yeux , je les ai vus devenir successivement plus petits, pen- dant sept ou huit jours de suite qu’ils ont duré, et que je les ai observés tous les jours ; et enfin j'ai vu dans la suite, avec M. Needham, des ani- maux si semblables dans une infusion de gelée de veau rôti, qui avait aussi été bouchée très- exactement, que je suis persuadé que ce ne sont pas de vrais animaux , au moins dans l’ac- ception reçue de ce terme, comme nous l’ex- pliquerons dans la suite. L'infusion d’œillet m'offrit au bout de quel- ques jours un spectacle que je ne pouvais me lasser de regarder : la liqueur était remplie d'une multitude innombrable de globules mouvants, et qui paraissaient animés comme ceux des li- queurs séminales et de l'infusion de la chair des animaux ; ces globules étaient même assez gros les premiers jours, et dans un grand mouve- ment, soit sur eux-mêmes autour de leur cen- tre, soit en droite ligne , soit en ligne courbe, les uns autour des autres, cela dura plus de trois semaines , ils diminuèrent de grandeur peu à peu, et ne disparurent que par leur extrème petitesse. Je vis la même chose, mais plus tard, dans l'eau de poivre bouillie, et encore la même chose, mais encore plus tard , dans celle qui n'avait pas bouilli. Je soupconnai dès lors que ce qu'on ap- pelle fermentation pouvait bien n'être que l’ef- fet du mouvement de ces parties organiques des animaux et des végétaux, et pour voir quelle différence il y avait entre cette espèce de fer- mentation et celle des minéraux , je mis au mi- croscope un tant soit peu de poudre de pierre, sur laquelle on versa une petite goutte d’eau- 75 forte , ce qui produisit des phénomènes tout dif- férents, c’étaient de grosses bulles qui mon- taient à la surface et qui obscureissaient dans un instant la lentille du microscope, c'était une dis- solution de parties grossières et massives qui tombaient à côté et qui demeuraient sans mou- vement, et il n'y avait rien qu'on pût comparer en aucune facon avec ce que j'avais vu dans les infusions d’œillet et de poivre. XLV. J'examinai la liqueur séminale qui remplit les laites de différents poissons, de la carpe, du brochet, du barbeau ; je faisais tirer la laite tan- dis qu'ils étaient vivants, et ayant observé avec beaucoup d'attention ces différentes liqueurs, je n'y vis pas autre chose que ce que j'avais vu dans l'infusion d'œillet , c'est-à-dire une grande quantité de petits globules obscurs en mouve- ment ; je me fis apporter plusieurs autres de ces poissons vivants, et ayant comprimé seulement en pressant un peu avec les doigts la partie du ventre de ces poissons par laquelle ils répandent cette liqueur, j'en obtins, sans faire aucune blessure à l'animal , une assez grande quantité pour l'observer, et j'y vis de même une infinité de globules en mouvement, qui étaient tous ob- scurs, presque noirs et fort petits. XLVI. Avant que de finir ce chapitre, je vais rap- porter les expériences de M. Needham sur la semence d'une espèce de sèches appelées Cal- mar ; cet habile observateur ayant cherché les animaux spermatiques dans les laites de piu- sieurs poissons différents, les a trouvés d'une grosseur considérable dans la laite du calmar : ils ont trois et quatre lignes de longueur, vus à l’œil simple. Pendant tout l'été qu'il disséqua des calmars à Lisbonne, il ne trouva aucune apparence de laite, aucun réservoir qui lui pa- rüt destiné à recevoir la liqueur séminale , et ce ne fut que vers le milieu de décembre qu'il commença à apercevoir les premiers vestiges d'un nouveau vaisseau rempli d'un suc laiteux. Ce réservoir augmenta , s’étendit, et le suc lai- teux , ou la semence qu'il contenait, y était ré- pandue assez abondamment. En examinant cette semence au microscope, M. Needham n'apereut dans cette liqueur que de petits globules opaques, qui nageaient dans une espèce de matière sé- reuse, sans aucune apparence de vie; mais 74 HISTOIRE NATURELLE ayant examiné quelque temps apres la laite d'un autre calmar, et la liqueur qu'elle contenait, il y trouva des parties organiques toutes formées dans plusieurs endroits du réservoir, et ces parties organiques n'étaient autre chose que de petits ressorts faits en spirale, et renfermés dans une espèce d’étui transparent. Ces res- sorts lui parurent, dès la première fois, aussi parfaits qu'ils le sont dans la suite; seulement, il arrive qu'avec le temps le ressort se resserre, et forme une espèce de vis, dont les pas sont d'autant plus serrés, que le temps de l’action de ces ressorts est plus prochain. La tête de l'étui dont nous venons de parler est une es- pèce de valvule qui s'ouvre en dehors, et par laquelle on peut faire sortir tout l'appareil qni est contenu dans l'étui; il contient de plus une autre valvule b, un barillet e, et une substance spongieuse d e. Ainsi toute la machine consiste en un étui extérieur, &, transparent et carti- lagineux , dont l'extrémité supérieure est ter- minée par une tête arrondie, qui n’est formée que par l’étui lui-même, qui se contourne et fait office de valvule. Dans cet étui extérieur est contenu un tuyau transparent , qui renferme le ressort dont nous avons parlé , une soupape, un barillet et une substance spongieuse ; la vis oc- cupe la partie supérieure du tuyau et de l'étui, le piston et le barillet sont placés au milieu, et la substance spongieuse occupe la partie infé- rieure. Ces machines pompent la liqueur lai- teuse , la substance spongieuse qu’elles contien- nent s’en remplit, et avant que l'animal fraie, toute la laite n’est plus qu'un composé de ces parties organiques qui ont absolument pompé et desséché la liqueur laiteuse; aussitôt que ces petites machines sortent du corps de l'animal et qu’elles sont dans l’eau ou dans l'air, elles agis- sent, le ressort monte, suivi de la soupape, du barillet et du corps spongieux qui contient la li- queur , et dès que le ressort et le tuyau qui le contient commencent àsortir hors de l’étui, ce ressort se plie, et cependant tout l'appareil qui reste en dedans continue à se mouvoirjusqu'à ce que le ressort, la soupape et le barillet soient entièrement sortis ; dès que cela est fait, tout le reste saute dehors en un instant, et la liqueur laiteuse qui avait été pompée et qui était con- tenue dans le corps spongieux , s'écoule par le barillet. Comme cette observation est très-singulière et qu'elle prouve incontestablement que les corps mouvants qui se trouvent dans la laite du cal- mar ne sont pas des animaux , mais de simples machines, des espèces de pompes, j'ai cru devoir rapporter ici ce qu'en dit M. Needham, ch. 6!. « Lorsque les petites machines sont, dit-il, » parvenues à leur entière maturité , plusieurs » agissent dans le moment qu’elles sont en plein » air; cependant la plupart peuvent être placées » commodément pour être vues au microscope » avant que leur action commence; et même » pour qu'elle s'exécute il faut humecter avec » une goutte d'eau l'extrémité supérieure de » l’étui extérieur, qui commence alors à se dé- » velopper, pendant que les deux petits liga- » ments qui sortent hors de l’étui, se contour- » nent et s’entortillent en différentes façons. En » même temps la vis monte lentement, les vo- » lutes qui sont à son bout supérieur se rappro- » chent et agissent contre le sommet de l'étui ; » cependant celles qui sont plus bas avancent » aussi et semblent être continuellement suivies » par d’autres qui sortent du piston; je dis » qu’elles semblent être suivies , parce que je ne » crois pas qu’elles le soient effectivement, ce » n'est qu'une simple apparence produite par la » nature du mouvement de la vis. Le piston et » le barillet se meuvent aussi suivant la même » direction , et la partie inférieure qui contient » la semence, s'étend en longueur et se meut en » même temps vers le haut de l’étui, ce qu'on » remarque par le vide qu’elle laisse au fond. » Dès que la vis, avec le tube dans lequel elle » est renfermée, commence à paraitre hors de » l’étui, elle se plie, parce qu'elle est retenue » par ses deux ligaments; et cependant tout » l'appareil intérieur continue à se mouvoir len- » tement, et par degrés, jusqu’à ce que la vis, » le piston et le barillet soient entièrement sor- » tis : quand cela est fait, tout le reste saute de- » hors en un moment; le piston à se sépare » du barillet e; le ligament apparent, qui est au- » dessous de ce dernier, se gonfle, et acquiert » un diamètre égal à celui de la partie spon- » gieuse qui le suit : celle-ci, quoique beaucoup » plus large que dans l’étui, devient encore cinq » fois plus longue qu'auparavant; le tube qui » renferme le tout, s’étrécit dans son milieu, et » formeainsi deux espèces denœuds de, distants » environ d'un tiers de sa longueur, de chacune 1 Voy. nouvelles Découvertes faites avec le microscope par M. Needham. Leyde, 1747, pag. 55. DES ANIMAUX. » de ces extrémités; ensuite la semence s'é- » coule par le barillet €, et elle est composée » de petits globules opaques; qui nagent dans » une matière séreuse, sans donner aucun Si- » gne de vie, et qui sont précisément tels que » j'ai dit les avoir vus, lorsqu'ils étaient répan- » dus dans le réservoir de la laite ‘. Dans la fi- » gure, la partie comprise entre les deux nœuds » d, e, parait être frangée ; quand on l'examine » avec attention , l'on trouve que ce qui la fait » paraitre telle, e’est que la substance spon- » gieuse qui est en dedans du tube est rompue » et séparée en parcelles à peu près égales; les » phénomènes suivants prouveront cela claire- » ment. » Quelquefois il arrive que la vis et le tube » se rompent précisément au-dessus du, pis- » ton b, lequel reste dans le barillet c; alors le » tube se ferme en un moment et prend une » figure conique en se contractant, autant » qu'il est possible, par-dessus l'extrémité de » la vis f; cela démontre qu'il est très-élasti- » que en cet endroit, et la manière dont il » s'accommode à la figure de la substance qu'il » renferme, lorsque celle-ci souffre le moindre » changement, prouve qu'il l'est également » partout ailleurs. » M. Needham dit ensuite qu'on serait porté à croire que l’action de toute cette machine se- rait due au ressort de la vis ; mais il prouve par plusieurs expériences que la vis ne fait au contraire qu'obéir à une force qui réside dans la partie spongieuse ; dès que la vis est sépa- rée du reste, elle cesse d'agir et elle perd toute son activité. L'auteur fait ensuite des ré- flexions sur cette singulière machine. « Si j'avais vu, dit-il, les animalcules qu’on » prétend être dans la semence d’un animal » vivant, peut-être serais-je en état de déter- » miner si ce sont réellement des créatures vi- 1 Je dois remarquer que M. Needham n'avait pas alors suivi ces globules assez loin, car s'il les eût examinés attenti- xement, il aurait sans doute reconnu qu'ils viennent à pren- dre de là vie, ou plutôt de l'activité et du mouvement comme toules les autres parties organiques des semences animales ; et de même, si dans ce temps il eût observé là première li- queur laiteuse dans les vues qu'il a eues depuis, d'après ma théorie que je lui ai communiquée, je ne doute pas, et il le croit lui-même, qu'il aurait vu entre ces globules quelqne mouvement d'approximation, puisque les machines se sont se sont formées de l'assemblage de ces globules ; car on doit observer que les ressorts qui sont les parties qui paraissent les premières, sont entièrement détachés du vaisseau séminal qui les contient, et qu'ils nagent librement dans la liqueur, ce qui prouve qu'ils sont formés immediatement de cette li- queur 75 » vantes, ou simplement des machines prodi- » gieusement petites, et qui sont en miniature » ce que les vaisseaux du calmar sont en » grand. » Par cette analogie et par quelques autres raisonnements, M. Needham conclut qu'il y a grande apparence que les vers spermatiques des autres animaux ne sont que des corps or- ganisés, et des espèces de machines semblables à celles-ci, dont l’action se fait en différents temps; car, dit-il, supposons que dans le nom- bre prodigieux de vers spermatiques qu'on voit en même temps dans le champ du micros- cope, il y en ait seulement quelques milliers qui agissent et se développent en même temps, cela suffira pour nous faire croire qu'iis sont tous vivants : concevons de même, ajoute-t-il, que le mouvement de chacun de ces vers sper- matiques dure, comme celui des machines du calmar, environ une demi-minute; alors, comme il y aura succession d’action et de machines les unes aux autres, cela pourra durer longtemps, et les prétendus animaux paraïitront mourir successivement. D'ailleurs, pourquoi le calmar seul n’aurait-il dans sa semence que des ma- chines, tandis que tous les autres animaux au- raient des vers spermatiques, de vrais ani- maux ? l'analogie est ici d’une si grande force, qu'il ne parait pas possible de s'y refuser. M. Needham remarque encore très-bien, que les observations même de Leeuwenhoek sem- blent indiquer que les vers spermatiques ont beaucoup de ressemblance avec les corps or- ganisés de la semence du calmar. J'ai pris, dit Leeuwenhoek en parlant de la semence du ca- billau, ces corps ovales pour ceux des animal- cules qui étaient crevés et distendus, parce qu'ils étaient quatre fois plus gros que les corps des animaleules lorsqu'ils étaient en vie ; et dans un autre endroit, j’ai remarqué, dit-il, en parlant de la semence du chien, que ces animaux changent souvent de figure, surtout quand la liqueur, dans laquelle ils nagent, s’é- vapore ; leur mouvement progressif ne s'étend pas au-delà du diamètre d’un cheveu. (Voyez Leeuwenhoek, Arc. Nat., pag. 306, 309 ct310). Tout cela étant pesé et examiné, M. Need- ham a conjecturé que les prétendus animaux spermatiques pouvaient bien n'être en effet que des espèces de machines naturelles, des corps bien plus simplement organisés que le corps d’un animal. J'ai vu à son microscope, 76 et avec lui, ces mêmes machines de la laite du caimar, et on peut être assuré que la des- cripuon qu'il en a donnée est très-fidèle et tres-exacte. Ces observations nous font done voir que la semence est composée de parties qui cherchent à s'organiser, qu'elle produit en effet dans elle-même des corps organisés, mais que ces corps organisés ne sont pas en- core des animaux ni des corps organisés sem- blables à l'individu qui les produit. On pour- rait croire que ces corps organisés ne sont que des espèces d'instruments qui servent à per- fectionner la liqueur séminale et à la pousser avec force, et que c’est par cette action vive et intérieure qu'elle pénètre plus intimement la liqueur de la femelle. CHAPITRE VII. Comparaison de mes observations avec celles de M. Leeuwenhoek. Quoique j'aie fait les observations que je viens de rapporter, avec toute l'attention dont je suis capable, quoique je les aie répétées un très-crand nombre de fois, je suis persuadé qu’il m'a encore échappé bien des choses que d’autres pourront apercevoir; je n’ai dit que ce que j’ai vu, revu, et ce que tout le monde pourra voir, comme moi, avec un peu d'art et beaucoup de patience. J'ai même évité, afin d’être libre de préjugés, de me remplir la mé- moire de ce que les autres observateurs ont dit avoir vu dans ces liqueurs; j'ai cru que par là je serais plus assuré de n'y voir en effet que ce qui y est, et ce n’est qu'après avoir fait et avoir rédigé mes observations, comme l'on vient de le voir, que j'ai voulu les comparer à celles des autres, et surtout à celles de Leeu- wenhoek. Je n’ai garde de me comparer moi- même à ce célèbre observateur, ni de pré- tendre avoir plus d'habileté qu'il n’en a eu dans l’art d'observer au microscope; il suffit de dire qu'il a passé sa vie entière à faire des microscopes et à s'en servir, qu'il a fait des observations continuelles pendant plus de soixante ans, pour faire tomber les préten- tions de ceux qui voudraient se mettre au- dessus de lui dans ce genre, et pour faire sen- tir en même temps combien je suis éloigné d’en avoir de pareilles. Cependant, quelque autorité que ces consi- HISTOIRE NATURELLE dérations puissent donner aux découvertes de ce fameux microscopiste, il est permis de les examiner, et encore plus de comparer ses pro- pres observations avec les siennes. La vérité ne peut que gagner à cet examen, et on re- connaitra que nous le faisons ici sans aucune partialité, et dans la vue seule d'établir quel- que chose de fixe et de certain sur la nature de ces corps en mouvement qu'on voit dans les liqueurs séminales. Au mois de novembre 1677, Leeuwenhoek, qui avait déjà communiqué à la Société royale de Londres plusieurs observations microsco- piques sur le nerf optique, sur le sang, sur la sève de quelques plantes, sur la texture des arbres, sur l’eau de pluie, etc., écrivit à my- lord Brouncker, président de la Société, dans les termes suivants! : Posiquam Exc. domi- nus professor Cranen me visilalione suû sæ- pius honorärat, litteris rogavit, domino Ham cognalo suo, quasdam observationum mearum videndas darem. Hic dominus Ham me se- cundù invisens, secum in laguneula vitr2a se- men viri, gonorrhœæa laborantis, spontè dis- tillatum, attulit, dicens, se post paucissimas lemporis minutias (cm materia illa jum in lantüm essetresoluta ut fistulæ vitreæ immitti posset) animalcula viva in eo. observasse , que caudata et ultrà 24 horas non viventia judicabat: idem referebat se animalcula ob- servasse morlua post sumplam ab ægroto te- rebenthinam. Materiam prædicatam fistulæ vitreæ immissam, prœæsente domino Ham, observavi, quasdamque in eû creaturas vi- ventes ;at post decursum 2 aut3 horarum eam- dem solus materiam observans, mortuas vidi. Eamdem materiam (semen virile) non œgroti alicujus, non diuturné conservatione corruplam, vel post aliquot momenta fluidio- rem factam, sed sani viri statim post ejectio- nem, ne inlerlabentibus quidem sex arteriæ pulsibus, sæpiusculè observavi, lantamque in eû viventium animaleulorum mulliludinem vidi, ut interdüm plura quäm 1000 in magni- tudine arenæ sese moverent ; non in lolo semine, sed in materiäfluidà crassiori adhæ- rente, ingentem illam animaleulorum mul- titudinem observavi ; in crassiori verû seminis materià quasi sine motu jacebant, quod indè provenire mihi imaginabar ; quèd materia illa \ Voyez Transactions philosophiques, n. 141, p. 1044, DES ANIMAUX. crassa exætèm variis cohæreat partibus, ul ani- malculain ed se movere nequirent; minora glo- buli sanguinis ruborem adferentibus hæc ani- maicula erant, ut judicem, millena millia arenan grandiorem magniludine non æqua- tura.Corporaeorum rotunda, anteriora obtusa, posteriora fermè in aculeum desinentia habe- bant;caudä tenui longitudine corpus quinquies sexiesve excedente, et pellucidà, crassitiem verè ad 25 parlem corporis habente prædila erant, adeo ut ea quoad fiquram cum cycla- minis minoribus, longam caudam habentibus, optimè comparare queam : motu caudeæ ser- pentino, aut ulanguillæ in aqu& natantis pro- grediebantur ; in materià ver aliquantulüm crassiori caudam octies deciesve quidem evi- brabant antequam latiludinem capilli proce- debant. Interdüm mihi imaginabar me in- ternoscere posse adhuc varias in corpore horum animalculorum partes, quia verè con- linud eas videre nequibam, de iis tacebo. His animalculis minora adhuc animalcula, quibus non nisi globuli figuram attribuere possum, permista erant. Memini me ante tres aut quatuor annos, ro- gatu domini Oldenburg B. M. semen virile observasse, et prædicla animalia pro globulis habuisse ; sed quia fastidiebam ab ulteriori inquisitione, et magès quidem à descriptione, tune temporis eam omisi. Jam quoad partes ipsas, ex quibus crassam seminis matleriam, quoad majorem sui partem consistere sæpiüs cum admiratione observavi, ea sunt täm varia ac multa vasa, im in tantà multitudine hœc vasa vidi, ut credam me in unicâ seminis guttà plura observasse quàm anatomico per integrum diem subjectum aliquod secanti oc- currunt. Quibus visis, firmiler credebam nulla in corpore humano jam formato esse vasa, queæ in semine virili bene constitulo non re- periantur. Cùm materia hæc per momenta quædam aëri fuisset exæposita, prædicta va- sorum mullitudo in aquosam magnis oleagi- mosis globulis permistam materiam mutaba- tur, etc. Le secrétaire de la Société royale répondit à cette lettre de M. Leeuwenhoek, qu'ilserait bon de faire des observations semblables sur la se- mence des animaux, comme sur celle des chiens, des chevaux , et d’autres, non-seulement pour mieux juger de la première découverte, mais aussi pour reconnaitre les différences qui pour- 77 raient setrouver, tantdansle nombre que dans la figure de ces animaleules; etparrapport aux vais- seaux de la partie la plus épaisse de la liqueur séminale, il lui marquait qu'on doutait bean- coup de ce qu'il en avait dit, que ce n'étaient peut-être que des filaments ; quæ libi videbatur vasorum congeries, fortassis seminis sunt quæ- dam filamenta, haud organicè constructa; sed dm permearunt vasa generalioni inservien- lia in istiusmodi fiquram elongala. Non dis- simili modo ac sæpits nolalus sum salivam crassiorem ex glandularum faucium forami- nibus edilam, quasi è convolutis fibriliis con- slantem. Voyez la réponse du secrétaire de la Société à la lettre de Leeuwenhoek, dans les Trans. phil., n° 141, pag. 1043. Leeuwenhoek répondit le 18 mars 1678, en ces termes : Si quand canes coeunt marem à fœminà statim seponas, materia quædam te- nuis el aquosa (lympha scilicel spermatica) à pene soletpaulatim exstillare; hance materiam numerosissimis animalculis replelam aliquo- lies vidi, eorum magnitudine que in semine virili conspiciuntur , quibus particulæ globu- lares aliquot quinquagies majores permisce- bantur. Quod ad vasorum in crassiorr seminis vi- rilis portione spectabilium observationem at- linet , denud non semel iteratam , saltem mi- himetipsi comprobasse videor ; meque omninè persuasum habeo , cuniculi, canis, felis, arte- rias, venasve fuisse à peritissimo anatomico haud unquam magis perspicuè observatas , quûm mihi vasa in semine virili, ope perspi- cilli, in conspectum venére. Cum mihi prœdicta vasa primüm inno- luëre, statim etiàm piluilam , tm et salivam perspicillo applicavi ; verùm hic minimè exi- slentia animalia frustrà quæsivi. À cuniculorum coitu lymphæ spermaticæ gutlulam unam et alleram , è femellà exstil- lantem , examini subject, ubi animalia præ- diclorum similia, sed longè pauciora compa- ruêre. Globuli item quäm plurimi, plerique Mmagnitudine animalium, tiisdem permisti sunt. Horum animalium aliquot etiam delinea- liones transmis ; fiqura x exprimil eorum ali- quot vivum (in semine cuniculi arbitror) eâque forma quâ videbatur, dm aspicien- tem me versüs tendit. ABC, capitulum cum trunco indicant ; CD , ejusdem caudam , quam 78 pariter ut suam anguilla inter natandum vi- brat. Horum millena millia, quantüm conjec- tareest, arenulæ majoris molem vix superant. Sunt ejusdem generis animalia, sed jam emorlua. Delineatur vivum animalculum , quemad- modüm in semine canino sese aliquoties mihi attentiùs intuenti exhibuit. EFG, caput cum trunco indigitant, GH, ejusdem caudam. Aa sunt in semine canino quæ motu el vità privantur , qualium etiam vivorum numerum adeù ingentem vidi, ut judicarem portionem lymphæ spermaticæ arenulæ mediocrirespon- dentem, eorum ut minimüm decena millia continere. Par une autre lettre écrite à la Société royale, le 31 mai 1678, Leeuwenhoek ajoute ce qui | suit : Seminis canini tantillum microscopio applicatum ilerwm contemplatus sum, in coque anteà descripta animalia numerosissimè conspezi. Aqua pluviulis pari quantitate ad- jecta, tisdem confestim morlem accersit. Ejus- dem seminis canini porliunculé in vitreo tubulo unciæ partem duodecimalem crasso servatà, sex et triginta horarum spatio con- tenta animalia vità destitula pleraque, reti- qua moribunda videbantur. Quù de vasorum in semine genilali existen- tia magis conslaret, delineationem eorum aliqualem mitto, ut in fiqurà ABCDE quibus lit- teris circumscriptum spalium arenulam me- diocrem vix superat. J'ai cru devoir rapporter tout au long ce que Leeuwenhoek écrivit d'abord dans les premiers temps de la découverte des animaux spermati- ques ; je l'ai copié dans les Transactions philo- sophiques , parce que dans le recueil entier des ouvrages de Leeuwenheok en quatre volumes in-4°, il se trouve quelque différence que je ferai remarquer, et que dans des matières de cette espèce les premières observations que l'on a faites sans aucune vue de système , sont tou- jours celles qui sont décrites le plus fidèlement, et sur lesquelles par conséquent on doit le plus compter. On verra qu'aussitôt que cet habile observateur se fut formé un système au sujet des animaux spermatiques , il commença à va- rier , même dans les choses essentielles. I] est aisé de voir , par les dates que nous ve- nons de citer, que Hartsoeker n'est pas le pre- mier qui ait publié la découverte des animaux spermatiques ; il n’est pas sûr qu'il soit en effet HISTOIRE NATURELLE le premier auteur de cette découverte, comme plusieurs écrivains l'ont assuré. On trouve dans le Journal des Savants, du 15 août 1678, page 331, l'extrait d'une lettre de M. Huyghens, au sujet d'une nouvelle espèce de microscope fait d'une seule petite boule de verre, avec le- quel il dit avoir vu des animaux dans de l’eau où on avait fait tremper du poivre pendant deux ou trois jours, comme Leeuwenhoek l'avait observé auparavant avec de semblables micros- copes, mais dont les boules ou lentilles n'étaient pas si petites. Huyghens ajoute que ce qu'il a observé de particulier dans cette eau de poivre, est que toute sorte de poivre ne donne pas une même espèce d'animaux , ceux de certains poi- vres étant beaucoup plus gros que ceux des au- tres , soit que cela vienne de la vieillesse du poi- vre où de quelque autre cause qu'on pourra découvrir avec le temps. Il y a encore d'autres graines qui engendrent de semblables animaux, comme la coriandre. J'ai vu, continue-t-il, la même chose dans la sève de bouleau après l'avoir gardée cinq ou six jours. Il y en a qui en ont observé dans l’eau où l'on a fait tremper des noix muscades et de la cannelle, et apparem- ment on en découvrira en bien d’autres ma- tières. On pourrait dire que ces animaux s’engendrent par quelque corruption ou fermen- tation; mais il y en a, ajoute-t-il, d’une autre sorte, qui doivent avoir un autre principe, comme sont ceux qu'on découvre avec ce mi- croscope dans la semence des animaux, lesquels semblent être nés avec elle, et qui sont en si grande quantité qu'il semble qu’elle en est pres- que toute composée ; ils sont tous d'une matière transparente , ils ont un mouvement fort vite, et leur figure est semblable à celle qu'ont les gre- nouilles avant que leurs pieds soient formés. Cette dernière découverte, quia été faite en Hol- lande pour la première fois, me paraît fort im- portante , ete. M. Huyghens ne nomme pas, comme l'on voit, dans cette lettre, l’auteur de la découverte, et il n'y est question ni de Leeuwenhoek , ni de Hartsoeker par rapport à cette découverte; mais on trouve dans le Journal du 29 août de la même année , l'extrait d’une lettre de M. Hartsoeker, dans laquelle il donne la manière d'arrondir à la lampe ces petites boules de verre, et l'auteur du Journal dit: « De cette manière, outre les » observations dont nous avons déjà parlé, il a » découvert encore nouvellement que dans l’u- DES ANIMAUX. » rine qu’on garde quelques jours , il s’y engen- » dre de petits animaux, qui sont encore beau- » coup plus petits que ceux qu'on voit dans l'eau » de poivre , et qui ont la figure de petites an- » guilles ; il en a trouvé dans la semence du coq, » qui ont paru à peu près de cette même figure, » qui est fort différente, comme l’on voit, de »celle qu'ont ces petits animaux dans la se- » mence des autres , qui ressemblent, comme » nous l'avons remarqué, à des grenouilles nais- » santes. » Voilà tout ce qu’on trouve dans le Journal des Savants au sujet de cette découverte; l'auteur paraît l’attribuer à Hartsoeker , mais si l'on fait réflexion sur la manière incertaine dont elleyest présentée; sur la manière assurée et détaillée dont Leeuwenhoek la donne dans sa lettre écrite et publiée près d’un an auparavant, on ne pourra pas douter qu'il ne soit en effet le premier qui ait fait cette observation; il la re- vendique aussi, comme un bien qui lui appar- tient, dans une lettre qu'il écrivit à l'occasion des essais de Dioptrique de Hartsoeker , qui pa- rurent vingt ans après. Ce dernier s’attribue dans ce livre la première découverte de ces ani- maux ; Leeuwenhoek s’en plaint hautement , et il fait entendre que Hartsoeker a voulu lui enle- ver la gloire de cette découverte, dont il avait fait part en 1677, non-seulement à milord Brouncker et à la Société royale de Londres, mais même à M. Constantin Huyghens, père du fameux Huyghens que nous venons de citer : cependant Hartsoeker soutint toujours qu'il avait fait cette découverte en 1674 à l’âge de dix-huit ans; il dit qu'il n'avait pas osé la com- muniquer d'abord, mais qu'en 1676 il en fit part à son maitre de mathématiques et à un autre ami, de sorte que la contestation n’a jamais été bien décidée. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas ôter à Leeuwenhoek la première invention de cette espèce de microscope, dont les lentilles sont des boules de verre faites à la lampe : on ne peut pas nier que Hartsoeker n’eût appris cette manière de faire des microscopes de Leeuwen- hoek même , chez lequel il alla pour le voir ob- server ; enfin il paraît que si Leeuwenhoek n'a pas été le premier qui ait fait cette découverte, il est celui qui l’a suivie le plus loin et qui l'a le plus accréditée ; mais revenons à ses observa- tions. Je remarquerai , 1° que ce qu'il dit du nom- bre et du mouvement de ces prétendus animal- cules, est vrai, mais que la figure de leur corps 79 ou de cette partie qu'il regarde comme la tête et le tronc du corps , n’est pas toujours telle qu'il la décrit ; quelquefois cette partie qui précede la queue , est toute ronde ou globuleuse , d’autres fois elle est allongée , souvent elle parait aplatie, quelquefois elle parait plus large que longue, ete.; et à l'égard de la queue, elle est aussi très-sou- vent beaucoup plus grosse ou plus petite qu’il ne le dit ; le mouvement de flexion ou de vibration, motus serpentinus , qu’il donne à cette queue, etau moyen duquel il prétend que l’animalcule nage etavance progressivement dans ce fluide, ne m'a jamais paru tel qu'il le décrit. J'ai vu plu- sieurs de ces corps mouvants faire huit ou dix oscillations de droite à gauche, ou de gauche à droite , avant que d'avancer en effet de l’épais- seur d’un cheveu , et même je leur en ai vu faire un beaucoup plus grand nombre sans avancer du tout , parce que cette queue ; au lieu de les aider à nager , est au contraire un filet engagé dans les filaments ou dans le mucilage, ou même dans la matière épaisse de la liqueur ; ee filet re- tient le corps mouvant, comme un fil accroché à un clou retient la balle d’un pendule, et il m'a paru que quand cette queue ou ee filet avait quelque mouvement, ce n'était que comme un fil qui se plie ou se courbe un peu à la fin d’une oscillation. J'ai vu ces filets ou ces queues te- nir aux filaments que Leeuwenhoek appelle des vaisseaux , vasa; je les ai vus s’en séparer après plusieurs efforts réitérés du corps en mou- vement; je les ai vus s’allonger d'abord, en- suite diminuer , et enfin disparaitre totalement; ainsi je crois être fondé à regarder ces queues comme des parties accidentelles , comme une espèce d’enveloppe au corps mouvant, et non pas comme une partie essentielle , une espèce de membre du corps de ces prétendus animaux. Mais ce qu'il y a de plus remarquable ici, c'est que Leeuwenhoek dit précisément dans cette let- tre à milord Brouncker, qu'outre ces animaux qui avaient des queues, il y avait aussi dans cette liqueur des animaux plus petits qui n'a- vaient pas d’autre figure que celle d’un globule : His animalculis (eaudatis scilicet) minoraad- luc animalceula, quibus non nisi globuli fiqu- ram attribuere possum , permista erant. C'est la vérité; cependant après que Leeuwenhoek eut avancé que ces animaux étaient le seul principe efficient de la génération , et qu’ils de- vaient se transformer en hommes ; après qu'il eut fait son système , il n’a regardé comme des 80 animaux que ceux qui avaient des queues; et comme il ne convenait pas à ses vues que des animaux qui doivent se métamorphoser en hommes, n'eussent pas une forme constante et une unité d'espèce , il ne fait plus mention dans la suite, de ces globules mouvants , de ces plus petits animaux qui n’ont point de queues; et j'ai été fort surpris lorsque j'ai comparé la copie de cette même lettre qu'il a publiée plus de vingt ans après, et qui est dans son troisième vo- lume , page 58, car au lieu des mots que nous venons de citer, on trouve ceux-ci, page 62: Animaleulis hisce permislæ jacebant aliæ mi- nuliores parlieulæ, quibus non aliam quàm globulorum seu sphæricam fiquram assignare queo ; ce qui est, comme l'on voit, fort diffé- rent. Une particule de matière à laquelle i! n’at- tribue pas de mouvement , est fort différente d'un animaleule , et il est étonnant que Leeu- wenhoek , en se copiant lui-même , ait changé cet article essentiel. Ce qu'il ajoute immédiate- ment après , mérite aussi attention ; il dit qu'il s’est souvenu qu'à la prière de M. Oldenburg il avait observé cette liqueur trois ou quatre ans auparavant, et qu'alors il avait pris ces animaleules pour des globules , c’est qu’en ef- fet il y a des temps où ces prétendus animal- cules ne sont que des globules ; des temps où ce ne sont que des globules sans presque aucun mouvement sensible, d’autres temps où ce sont des globules en grand mouvement , des temps où ils ont des queues , d'autres où ils n’en ont point. Il dit en parlant en général des animaux spermatiques , tome III, page 371 : Ex hisce meis observalionibus cogilare cœpi, quamvis antehàc de animalculis in seminibus masculi- nis agens scripserim me in illis caudas non detexisse, fieri lamen posse ul illa animaleula æquè caudis fuerint instrucla ac nunce comperi de animalculis in gallorum gallinaceorum se- mine masculino : autre preuve qu'il a vu sou- vent les prétendus animaux spermatiques de toute espèce sans queues. On doit remarquer ensecond lieu, que les fi- laments dont nous avons parlé, et que l'on voit dans la liqueur séminale avant qu'elle soit li- quéfiée, avaient été reconnus par Leeuwenhoek et que, dans le temps de ses premières obser- vations , lorsqu'il n'avait point encore fait d'hy- pothèse sur les animaux spermatiques , ces fi- laments lui parurent des veines, des nerfs et des artères, qu'il croyait fermement que toutes HISTOIRE NATURELLE ces parties et tous les vaisseaux du corps hu- main se voyaient dans la liqueur séminale aussi clairement qu'un anatomiste les voit en faisant la dissection d'un corps, et qu'il persistait dans cesentiment malgré les représentations que OI- denburg lui faisait à ce sujet, de la part de la Société royale; mais dès qu'il eutsongé àtrans- former en hommes ces prétendus animaux spermatiques, il ne parla plus des vaisseaux qu'il avait observés; et, au lieu de les regarder comme les nerfs, les artères et les veines du corps humain déjàtout formés dans la semence, il ne leur attribue pas même la fonction qu'il ont réellement, qui est de produire ces corps mouvants; et il dit, page 7,tome I, Quid fiet de omnibus illis particulis seu corpuseulis Prœter illa animalcula semini virili homi- num inhærentibus! Olim el priusquäm hæc scriberem , in eû sentenlià fui prædictas strias vel vasa ex tesliculis principium secum duce- re, ete. ; et dans un autre endroit ilditque s’il a écrit autrefois quelque chose au sujet de ces vaisseaux qu'on trouve dans la semence, il ne | faut y faire aucune attention; en sorte que ces vaisseaux, qu'il regardait dans le temps de sa découverte comme les nerfs, les veines et les artères du corps qui devait être formé, ne lui parurent dans la suite que des filaments inuti- les, et auxquels il n’attribue aucun usage, auxquels même il ne veut pas qu'on fasse at- tention. Nous observerons, en troisième lieu , que si l'on compare les figures 1, 2, 3 et que nous avons fait ici représentercomme elles le sont dans les Transactions philosophiques, avec celles que Leeuwenhoek fit graver plusieurs années après, on y trouve une différence aussi grande qu'elle peut l'être dans des corps aussi peu organisés, surtout les figures 2, 3 et 4 des animaux morts du lapin : il en est de même de ceux du chien; je les ai fait re- présenter afin qu'on puisse en juger aisément. De tout cela nous pouvons conclure que Leeu- wenhoek n'a pas toujours vu les mêmes cho- ses; que ies corps mouvants qu'il regardait comme des animaux, lui ont paru sous des for- mes différentes, et qu'iln’a varié dans ce qu'il en dit, que dans la vue d'en faire des espèces constantes d'hommes ou d'animaux. Non-seu- lement il a varié dans le fond de l'observation, mais même sur la manière de la faire, car il dit expressément que toutes les fois quil a DES ANIMAUX. voulu bien voir les animaux spermatiques, il a toujours délayé cette liqueur avec de l'eau, afin de séparer et diviser davantage la liqueur, et de donner plus de mouvement à ces animalcules, {Voyez tome 111, pag. 92 et 95), et cependant il dit, dans cette première lettre à mylord Brou- ncker, qu'ayant mêlé de l’eau de pluie en quan- tité égale avec dela liqueur séminale d'un chien, dans laquelle, lorsqu'il l'examinait sans mé- lange , il venait de voir une infinité d’animaleu- les vivants, cette eau qu'il mêla leur causa la mort ; ainsi les premières observations de Leeu- wenhoek ont été faites comme les miennes, sans mélange , et il paraît qu'il ne s’est avisé de mé- ler de l’eau avec la liqueur, que longtemps après, puisqu'il croyait avoir reconnu, par le premier essai qu'il en avait fait, que cette eau faisait périr les animalcules, ce qui cependant . n'est point vrai; je crois seulement que le mé- lange de l’eau dissout les filaments très-promp- tement, car je n’ai vu que fort peu de ces fila- ments dans toutes les observations que j'ai faites, lorsque j'avais mêlé de l'eau avec la liqueur. Lorsque Leeuwenhoek se fut une fois persuadé que les animaux spermatiques se transfor- maient en hommes ou en animaux, il crut re- marquer, dans les liqueurs séminales de cha- que espèce d'animal, deux sortes d'animaux spermatiques, les uns mâles et les autres fe- melles; et cette différence de sexe servait, se- lon lui, non-seulement à la génération de ces animaux entre eux, mais aussi à la production des mâles et des femelles qui doivent venir au monde, ce qu'il était assez difficile de conce- voir par la simple transformation, si ces ani- maux spermatiques n'avaient pas eu aupara- vant différents sexes. Il parle de ces animalcu- les mâles et femelles dans sa lettre imprimée dans les Transactions philosophiques, n° 145, et dans plusieurs autres endroits ( Voyez tome I, ?. 163, et tome III, p.101 du Recueilde ses ouvrages); mais nulle part il ne donne la des- cription ou les différences de ces animaux mà- les et femelles, lesquels n'ont en effet jamais existé que dans son imagination. Le fameux Boerhaave ayant demandé à Leeuwenhoek s'il n'avait pas observé dans les animaux spermatiques différents degrés d’ac- croissement et de crandeur, Leeuwenhoek lui répond qu'ayant fait disséquer un lapin, il a pris la liqueur qui était dans les épididymes, et qu’il a vu et fait voir à deux autres person- li, 81 nes une infinité d'animaux vivants : /neredi- bilem , dit-il, viventium animalculorum nume- rum conspexerunt, cùm hæc animalcula scy- pho imposita vitreo et illic emortua, in rario- res ordines disparassem, et per continwos ali- quot dies sæpiùs visu examinassem, quædam ad justam magnitudinem nondèm excrevisse adverti. Ad hœc quasdam observavi particu= lasperexiles etoblongas, alias aliis majores, et, quantum oculis apparebat, caudà destitutas; quas quidem particulas non nisi animalcula esse credidi, quæ ad juslam magnitudi- nem non excrevissent ( Voyez tome IV, pag. 280 e{281). Voilà donc des animaux de plu- sieurs grandeurs différentes, voilà des animaux avec des queues , et des animaux sans queues, ce qui s'accorde beaucoup mieux avee nos ob- servations qu'avec le propre système de Leea- wenhoek ; nous différons seulement sur cet article, en ce qu'il dit que ces particules oblon- gues et sans queues étaient de jeunes animal- cules qui n'avaient pas encore pris leur juste accroissement , et qu'au contraire j'ai vu ces prétendus animaux naître avec des queues ou des filets, et ensuite les perdre peu à peu. Dans la même lettre à Boerhaave il dit, page 28, tome IV, qu'ayant fait apporter chez lui les testicules encore chauds d'un bélier qui venait d'être tué, il vit, dans la liqueur qu'il en tira, les animaleules aller en troupeau comme vont les moutons. À {ribus circiter an- nis, tesles arietis, adhüc calentes, ad œdes meas deferri curaveram ; cùm igitur materiam ex epididymibus eductam, ope microscopii contemplarer , non sine ingenti voluptate ad- vertebam animalcula omnia , quotquot inna- labant semini masculino, eumdem natando cursum lenere; ità nimirüm ul quo ilinere priora prœænatarent, eodem posteriora subse- querentur , adeù ut hisce animalculis quasi sit ingenitum , quod oves factitare videmus, sei- licet ul præcedentium vestiqiis grex universus incedat. Cette observation, que Leeuwenhoek a faite en 1713, car sa lettre est de 1716, qu'il regarde comme une chose singulière et nou- velle, me prouve qu'il n'avait jamais examiné les liqueurs séminales des animaux avec atten- tion et assez longtemps de suite, pour nous donner des résultats bien exacts; Leeuwenhoek avait soixante-onze ans en 1713, il y avait plus de quarante-cinq ans qu'il observait au microscope, il y en avait trente-six qu'il avait 6 82 publié la découverte des animaux spermatiques, et cependant il voyait pour la première fois, dans la liqueur séminale du bélier, ce qu'on voit dans toutes les liqueurs séminales, et ce que j'ai vu plusieurs fois et que j'ai rapporté dans le sixième chapitre , article IX de la se- mence de l'homme, article XII de celle du chien , et article XXIX au sujet de la semence de la chienne. Il n’est pas nécessaire de recou- rir au naturel des moutons ; et de transporter leur instinet aux animaux spermatiques du bé- lier , pour expliquer le mouvement de ces ani- malcules qui vont en troupeau , puisque ceux de Fhomme, ceux du chien et ceux de Ja chienne vont de même, et que ce mouvement dépend uniquement de quelques circonstances particulières dont la principale est que toute la matière fluide de la semence soit d’un côté, tandis que la partie épaisse est de l’autre; car alors tous les corps en mouvement se dégagent du mucilage du même côté , et suivent la même route dans la partie la plus fluide de la liqueur. Dans une autre lettre écrite la même année à Boerhaave {Voyez pag. 304 etsuiv., tom. IV), il rapporte d’autres observations qu'il a faites sur les béliers, et il dit qu'il a vu, dans la li- queur prise dans les vaisseaux déférents, des troupeaux d'animaleules qui allaient tous d'un côté, et d'autres troupeaux qui revenaient d’un autre côté et en sens contraire; que dans celle desépididymes il avait vu une prodigieuse quan- tité de ces animaux vivants ; qu'ayant coupé les testicules en deux , il n'avait point trouvé d'animaux dans la liqueur qui en suintait ; mais que ceux des épididymes étaient en si grand nombre et tellement amoncelés, qu'il avait peine à en distinguer le corps et la queue, etil ajoute, neque illud in unicäepididymum parte, sed et in.aliis quas præcideram parti- bus, observavi. Ad hœc, in quädam parasta- tarum reseclà portione complura vidi animal- cula quæ necdim in justam magnitudinem adoleverant,nam etcorpuscula illès exiliora et caudeæ triplo breviores erant quàm adultis. Ad hæc, caudas non habebant desinentes in mu- cronem, quales tamen adullis esse passim comperio.Preætereüin quamdam parastatarum Portlionem incidi, animaleulis , quantim dis- cernere potui, destitutam , tantm illi queæ- dam perexiquæ inerant particule, partim longiores, partèm breviores, sed alteré sui ex- tremilate crassiunculæ; islas particulas in HISTOIRE NATURELLE animaleula transituras esse non dubitabam. Il est aisé de voir , par ce passage, que Læu- wenhoek a vu en effet , dans cette liqueur sé- minale , ce que j'ai vu dans toutes, c'est-à-dire, des corps mouvants de différentes grosseurs, de figures différentes , dont les mouvements étaient aussi différents; et d’en conclure que tout cela convient beaucoup mieux à des particu- lesorganiques en mouvement qu'à desanimaux. Il parait done que les observations de Leeu- wenhoek nesont nullement contraires aux mien- nes, et, quoiqu'il en aittiré des conséquences très-différentes de celles que j'ai cru devoir tirer des miennes, il n’y a quepeu d'opposition dans les faits, et je suis persuadé que si des personnes attentives se donnent la peine de faire de pareil- les observations , elles n'auront pas de peine à reconnaitre d'où proviennent ces différences, et qu'elles verront en même temps que je n'ai rien avancé qui ne soit entièrement conforme à la vérité; pour les mettre plus en état de déci- der , j’ajouterai quelques remarques que j'ai faites et qui pourront leur être utiles. On ne voit pas toujours dans la liqueur sé- minale de l'homme les filaments dont j'ai parlé ; il faut pour cela lexaminer dans le moment qu’elle vient d'être tirée du corps, et encore arrivera-t-il que de trois ou quatre fois iln/y en aura qu'une où l'on verra de ces filaments; quelquefois la liqueur séminale ne présente, surtout lorsqu'elle est fort épaisse, que de gros globules, qu'on peut même distinguer avec une loupe ordinaire; en les regardant ensuite au microscope on les voit gros comme de petites oranges, et ils sont fort opaques , un seul tient souvent le champ entier du microscope. La pre- mière fois que je vis ces globules, je crus d’'a- bord que c'’étaient quelques corps étrangers qui étaient tombés dans la liqueur séminale ; mais en ayant pris différentes gouttes, et ayant tou- jours vu la même chose , les mêmes globules , et ayant considéré cette liqueur entière avec une loupe, je reconnus qu'elle était toute com- posée de ces gros globules. J'en cherchai au microscope un des plus ronds et d’une telle grosseur que, son centre étant dans le milieu du champ du microscope, je pouvais en même temps en voir la circonférence entière, et je l'ob- servai ensuite fort longtemps; d’abord il était absolument opaque, peu de temps après je vis se former sur sa surface, à environ la moitié de la distance du centre à la circonférence, un bel DES ANIMAUX. anneau lumineux et coloré, qui dura plus d'une demi-heure, et qui ensuite approcha du centre du globule par degrés, et alors le centre du glo- bule était éclairé et coloré, tandis que toutle reste était opaque. Cette lumière, qui éclairaitle cen- tre du globule, ressemblait alors à celle que l'on voit dans les grosses bulles d'air qui se trouvent assez ordinairement dans toutes les liqueurs : le gros globule que j'observais prit un peu d'a- platissement, et en même temps un petit degré de transparence , et l'ayant examiné pendant plus de trois heures de suite, je n'y vis aucun autre changement, aucune apparence de mou- vement, ni intérieur, ni extérieur. Je crus qu'en mêlant cette liqueur avec de l’eau ces globules pourraient changer ; ils changèrent en effet, mais ils ne me présentèrent qu'une liqueur transparente et comme homogène, où il n'y avait rien de remarquable. Je laissai la liqueur séminale se liquéfier d'elle-même, et l'ayant examinée au bout de six heures, de douze heu- res, et de plus de vingt-quatre heures, je ne vis plus qu'une liqueur fluide , transparente, homo- gène , dans laquelle il n’y avait aucun mouve- ment ni aucun corps sensible. 3e ne rapporte cette observation que comme une espèce d'aver- tisserment , et pour qu'on sache qu'il y a des temps où on ne voit rien dans la liqueur sémi- nale de ce qu'on y voit dans d’autres temps. Quelquefois tous les corps mouvants parais- sent avoir des queues, surtout dans la liqueur de l’homme et du chien, leur mouvement alors n'est point du tout rapide, et il parait toujours se faire avec effort; si on laisse dessécher la liqueur , on voit cette queue ou ce filet s'atta- cher le premier , et l'extrémité antérieure conti- nue pendant quelque temps à faire des oscilla- tions , après quoi le mouvement cesse partout , eton peut conserver ces corps dans cet état de desséchement pendant longtemps; ensuite, si on mêle une petite goutte d’eau, leur figure change et ils se réduisent en plusieurs petits glo- bules, qui m'ont paru quelquefois avoir de petits moûvements , tant d’approximation entre eux que de trépidation et de tournoiement sur eux- mêmes autour de leurs centres. Ces corps mouvants de la liqueur séminale de l'homme, ceux de la liqueur séminale du chien, et encore ceux de la chienne, se ressemblent au point de s’y méprendre, surtout lorsqu'on les examine dans le moment que la liqueur vient de sortir du corps de l'animal. Ceux du fapin 83 m'ont paru plus petits et plus agiles; mais ces différences ou ressemblances viennent autant des états différents ou semblables, dans lesquels la liqueur se trouve au moment de l'observation, que de la nature même de la liqueur , qui doit être en effet différente dans les différentes es- pèces d'animaux; par exemple , dans celle de l'homme, j'ai vu des stries ou de gros filaments; et j'ai vu les corps mouvants se séparer de ces flaments, où il m'a paru qu'ils prenaient nais- sance; mais je n'ai rien vu de semblable dans celle du chien : au lieu de filaments oudestries séparées, ©’'est ordinairement un mucilage dont le tissu est plus serré, et dans lequel on ne dis- tingue qu'avec peine quelques parties filamen- teuses, et ce mucilage donne naissance aux corps en mouvement, qui sont cependant sem- blables à ceux de l'homme. Le mouvement de ces corps dure plus long- temps dans la liqueur du chien que dans celle de l'homme, et il est aussi plus aisé de s'assurer sur celle du chien, du changement de forme dont nous avons parlé. Dans le moment que cette liqueur sort du corps de l'animal, on verra que les corps en mouvement ont pour la plu- part des queues; douze heures, où vingt-quatre heures, ou trente-six heures après, on trouvera que tous ces corps en mouvement , Qu presque tous, ont perdu leurs queues; ce ne sont plus alors que des globules un peu allongés, des ovales en mouvement, et ce mouvement est souvent plus rapide que dans le premier temps. Les corps mouvants ne sont pas immédiate- ment à la surface de la liqueur, ils y sont plon- gés; on voit ordinairement à la surface quel- ques grosses bulles d'air transparentes , et qui sont sans aucun mouvement; quelquefois à Ja vérité ces bulles se remuent et paraissent avoir un mouvement de progression où de circonvo- lation; mais cé mouvement leur est communiqué par celui de la liqueur que l'air extérieur agite, et qui d'elle-même, en se liquéfiant, a un mou- vement général, quelquefois d’un côté, quel- quefois de l'autre , et souvent de tous côtés. Si lon approche la lentille un peu plus qu'il ne faut , les corps en mouvement paraissent plus gros qu'auparavant ; au contraire, ils paraissent plus petits si on éloigne le verre, et ce n'est que par l'expérience qu'on peut apprendre à bien juger du point de vue, et à saisir toujours le même, Au-dessous des corps en mouvement, on en voitsouvent d'autres beaucoup plus petits, s4 HISTOIRE NATURELLE qui sont plongés plus profondément dans la li- queur, et qui ne paraissent être que comme des globules , dont souvent le plus grand nombre est en mouvement; et j'ai remarqué générale- ment que dans le nombre de globules qu'on voit dans toutes ces liqueurs, ceux qui sont fort petits et qui sont en mouvement, sont ordinai- rement noirs ou plus obseurs que les autres, et que ceux qui sontextrèmement petits ettranspa- rents n'ont que peu ou point de mouvement; il semble aussi qu'ils pèsent spécifiquement plus que les autres, car ils sont toujours au-dessous, soit des autres globules, soit des corps en mou- vement dans la liqueur. CHAPITRE VII. Réflexions sur les expériences précédentes. J'étaisdone assuré par les expériences que je viens de rapporter, que les femelles ont, comme “les mâles, une liqueur séminale qui contient des corps en mouvement; je m'étais confirmé de plus en plus dans l'opinion que ces corps en mouvement ne sont pas de vrais animaux, mais seulement des parties organiques vivantes ; je m'étais convaincu que ces parties existent non-seulement dans les liqueurs séminales des deux sexes, mais dans la chair même des ani- maux, et dans les germes des végétaux ; et pour reconnaitre si toutes les parties des animaux et tous les germes des végétaux contenaient aussi des parties organiques vivantes, je fis faire des infusions de la chair de différents animaux, et de plus de vingt espèces de graines de diffé- rentes plantes; je mis cette chair et ces graines dans de petites bouteilles exactement bouchées, dans lesquelles je mettais assez d’eau pour re- couvrir d'un demi-pouce environ les chairs ou les graines; et les ayant ensuite observées qua- tre ou cinq jours après les avoir mises en infu- sion, j'eus la satisfaction de trouver dans toutes ces mêmes parties organiques enmouvement; les unes paraissaient plus tôt, les autres plus tard; quelques-unes conservaient leur mouvement pendant des mois entiers, d’autres cessaient plus tôt; les unes produisaient d'abord de gros glo- bules en mouvement, qu'on aurait pris pour des animaux , et qui changeaient de figure, se séparaient et devenaient successivement plus petits ; les autres ne produisaient que de petits globules fort actifs, et dont les mouvements étaient très-rapides; les autres produisaient des filaments quis'allongeaient et semblaient végé- ter, et quiensuite se gonflaientet laissaient sortir des milliers de globules en mouvement; mais il est inutile de grossir celivre du détail de mes observations sur les infusions de plantes, parce que M. Needham les a suivies avec beaucoup plus de soin que je n'aurais pu le faire moi- même, et que cet habile naturaliste doit donner incessamment au publie le recueil des découver- tes qu'il a faites sur cette matière; je lui avais lu le traité précédent, et j'avais très-souvent raisonné avec lui sur cette matière, eten parti- eulier sur la vraisemblance qu'il y avait que nous trouverions dans les germes des amandes des fruits, et dans les autres parties les plus substantielles des végétaux, des corps en mou- vement, des parties organiques vivantes, comme dans la semence des animaux mâles et femelles. Cet excellent observateur trouva que ces vues étaient assez fondées et assez grandes pour mé- riter d'être suivies ; il commença à faire des observations sur toutes les parties des végétaux, et je dois avouer que les idées que je lui ai don- nées, sur ce sujet, ont plus fructifié entre ses mains qu'elles n'auraient fait entre les miennes ; je pourrais en citer d'avance plusieurs exem- ples, mais je me bornerai à un seul, parce que j'ai ci-devant indiqué le fait dont il est question, et que je vais rapporter. Pour s'assurer si les corps mouvants qu'on voit dans les infusions de la chair des animaux étaient de véritables animaux , ou si c'étaient seulement, comme je le prétendais, des parties organiques mouvantes, M. Needham pensa qu'il n'y avait qu'à examiner le résidu de la viande rôtie, parce que le feu devait détruire les animaux; et qu’au contraire si ces corps mouvants n'étaient pas des animaux, on devait les y retrouver comme on les trouve dans la viande crue; ayant done pris de la gelée de veau et d'autres viandes grillées et rôties, il les examina au microscope après les avoir laissées infuser pendant quelques jours dans de l’eau qui était contenue dans de petites bouteilles bou- chées avec grand soin, et il trouva dans toutes des corps mouvants en grande quantité; il me fit voir plusieurs fois quelques-unes de ces infu- sions , et entre autres celle de gelée de veau, dans laquelle il y avait des espèces de corps en DES mouvement, si parfaitement semblables à ceux qu'on voit dans les liqueurs séminales de l'hom- me , du chien et de la chienne dans le temps qu'ils n’ont plus de filets ou de queues , que je ne pouvais me lasser de les regarder; on les au- rait pris pour de vrais animaux; et quoique nous les vissions s’allonger , changer de figure et se décomposer, leur mouvement ressemblait si fort au mouvement d’un animal qui nage, que quiconque les verrait pour la première fois , et sans savoir ce qui a été dit précédemment, les prendrait pour des animaux. Je n’ajouterai qu'un mot à ce sujet, c’est que M. Needham s’est assuré par une infinité d'observations, que toutes les parties des végétaux contiennent des parties organiques mouvantes , ce qui confirme ce que j’ai dit, et étend encore la théorie que j'ai établie au sujet de la composition des êtres organisés, et au sujet de leur reproduction. Tous les animaux, mâles ou femelles, tous ceux qui sont pourvus des deux sexes ou qui en sont privés, tous les végétaux, de quelques espèces qu'ils soient, tous les corps, en un mot, vivants ou végétaux, sont donc composés de parties organiques vivantes qu'on peut démon- trer aux yeux de tout le monde; ces parties organiques sont en plus grande quantité dans les liqueurs séminales des animaux, dans les germes des amandes des fruits, dans les grai- nes, dans les parties les plus substantielles de l'animal ou du végétal; et c’est de la réunion de ces parties organiques, renvoyées de toutes les parties du corps de l'animal ou du végétal, que se fait la reproduction, toujours semblable à l'animal ou au végétal dans lequel elle s’o- père, parce que la réunion de ces parties or- ganiques ne peut se faire qu'au moyen du moule intérieur, c’est-à-dire dans l’ordre que produit la forme du corps de l'animal où du végétal ; et c'est en quoi consiste l'essence de l'unité et de la continuité des espèces, qui dès- lors ne doivent jamais s’épuiser, et qui d’elles- mêmes dureront autant qu’il plaira à celui qui les a créées de les laisser subsister. Mais avant que de tirer des conséquences générales du système que je viens d'établir, je dois satisfaire à plusieurs choses particulières qu’on pourrait me demander, eten même temps en rapporter d’autres qui serviront à mettre cette matière dans un plus grand jour. On me demandera sans doute pourquoi je ne veux pas que ces corps mouvants qu'on # ANIMAUX. 85 trouve dans les liqueurs séminales soient des animaux, puisque tous ceux qui les ont ob- servés les ont regardés comme tels, et que Leeuwenhoek et les autres observateurs s'ac- cordent à les appeler animaux , qu'il ne parait même pas qu'ils aient eu le moindre doute, le moindre serupule sur cela. On pourra me dire aussi qu'on ne conçoit pas trop ce que c’est que des parties organiques vivantes, à moins que de les regarder comme des animaleules; et que de supposer qu'un animal est composé de petits animaux, est à peu près la même chose que de dire qu'un être organisé est composé de par- ties organiques vivantes. Je vais tâcher de ré- pondre à ces questions d'une manière satisfai- sante. Il est vrai que presque tous les observateurs se sont accordés à regarder comme des ani- maux les corps mouvants des liqueurs sémi- nales, et qu'iln'y a guère que ceux qui, comme Verheyen, ne les avaient pas observées avec de bons microscopes, qui ont cru que le mou- vement qu'on voyait dans ces liqueurs pou- vait provenir des esprits de la semence qu'ils supposaient être en grande agitation; mais il n’est pas moins certain, tant par mes observa- tions que par celles de M. Needham sur la se- mence du calmar, que ces corps en mouve- ment des liqueurs séminales sont des êtres plus simples et moins organisés que les animaux. Le mot animal, dans l’acception où nous le prenons ordinairement, représente une idée générale, formée des idées particulières qu'on s’est faites de quelques animaux particuliers : toutes les idées générales renferment des idées différentes, qui approchent ou diffèrent plus ou moins les unes des autres, et par conséquent aucune idée générale ne peut être exacte ni précise ; l'idée générale que nous nous sommes formée de l'animal sera, si vous voulez, prise principalement de l’idée particulière du chien, du cheval, et d’autres bêtes qui nous paraissent avoir de l'intelligence, de la volonté, qui sem- blent se déterminer et se mouvoir suivant cette volonté, et qui de plus sont composées de chair et de sang, qui cherchent et prennent leur nourriture, qui ont des seps, des sexes et la faculté de se reproduire. Nous joignons donc ensemble une grande quantité d'idées particu- | lières, lorsque nous nous formons l'idée géné- rale que nous exprimons par le mot animal; Let l'on doit observer que dans le grand nombre 86 HISTOIRE NATURELLE de ces idées particulières, il n’y en a pas une qui constitue l'essence de l'idée générale; car il y a, de l'aveu de tout le monde, des animaux qui paraissent n'avoir aucune intelligence, au- cune volonté, aucun mouvement progressif; il y en a qui n'ont ni chair ni sang, etqui ne pa- raissent être qu'une glaire congelée; il y en a qui ne peuvent chercher leur nourriture, et qui ne la reçoivent que de l'élément qu'ils habi- tent; enfin il y en a qui n'ont point de sens, pas même celui du toucher, au moins à un de- gré qui nous soit sensible : il y en a qui n’ont point de sexes, ou qui les ont tous deux, etil ne reste de général à l'animal que ce qui lui est commun avec le végétal, c’est-à-dire la fa- culté de se reproduire. C’est done du tout en- semble qu'est composée l'idée générale, et ce tout étant composé de parties différentes, il y a nécessairement entre ces parties des degrés et des nuances; un insecte, dans ce sens, est quelque chose de moins animal qu’un chien; une huitre est encore moins animal qu'un in- secte, une ortie de mer, ou un polype d'eau douce, l'est encore moins qu'une huitre; et comme la nature va par nuances insensibles, nous devons trouver des êtres qui sont encore moins animaux qu'une ortie de mer ou un po- lype. Nos idées générales nesont que des métho- desartificielles, que nous nous sommes formées pour rassembler une grande quantité d'objets dans le même point de vue, et elles ont, comme les méthodes artificielles dont nous avons parlé (tome I, dise. 1), le défaut de ne pouvoir jamais tout comprendre; elles sont de mème oppo- sées à la marche de la nature, qui se fait uni- formément, insensiblement et toujours particu- lièrement ; en sorte que c'est pour vouloir comprendreun trop grand nombre d'idées par- ticulières dans un seul mot, que nous n'avons plus une idée claire de ce que ce mot signifie, parce que ce mot étant reeu, on s'imagine que ce mot est une ligne qu'on peut tirer entre les productions de la nature, que tout ce qui est au-dessus de cette ligne est en effet animal, et que tout ce qui est au-dessous ne peut être que végétal; autre mot aussi général que le premier, qu'on emploie de même comme une ligne de séparation entre les corps organisés et les corps bruts, Mais, comme nous l'avons déjà dit plus d'une fois, ces lignes de séparation n'existent point dans la nature; il y a des êtres qui ne sont ni animaux, ni végétaux, ni minéraux, et qu'on tenterait vainement de rapporter aux uns ou aux autres; par exemple , lorsque M,Trembley, cetauteur célèbre de la découverte des animaux qui se multiplient par chacune de leurs parties détachées, coupées ou sépa- rées, observa pour la première fois le polype de la lentille d'eau, combien employa-t-il de temps pour reconnaitre si ce polype était un animal ou une plante, et combien n'eut-il pas sur cela de doutes et d'incertitudes ! c’est qu'en effet le polype de la lentille n’est peut-être ni l'un ni l'autre, et que tout ce qu'on en peut dire, c’est qu'il approche un peu plus de l’ani- mal que du végétal ; et comme on veut abso- lument que tout être vivant soit un animal ou une plante, on croirait n'avoir pas bien connu un être organisé, si on ne le rapportait pas à l'un ou à l’autre de ces noms généraux, tandis qu'il doit y avoir, et qu'en effet il y a une grande quantité d'êtres organisés qui ne sont ni l'un ni l’autre, Les corps mouvants que l'on trouve dans les liqueurs séminales, dans la chair infusée des animaux et dans les graines et les autres parties infusées des plantes, sont de cette espèce; on ne peut pas dire que ce soient des animaux, on ne peut pas dire que ce soient des végétaux, et assurément on dira encore moins que ce sont des minéraux. On peut done assurer, sans crainte de trop avancer, que la grande division des produc- tions de la nature en animaux, végétaux et minéraux, ne contient pas tous les êtres ma- tériels ; il existe, comme on vient de le voir, des corps organisés qui ne sont pas compris dans cette division. Nous avons dit que Ja marche de la nature se fait par des degrés nuancés et souvent imperceptibles, aussi passe- t-elle par des nuances insensibles de l’animal au végétal; mais du végétal au minéral le pas- sage est brusque, et cette loi de n'aller que par desrés nuancés parait se démentir. Cela m'a fait soupconner qu’en examinant de pres la nature, on viendrait à découvrir des êtres intermédiaires, des corps organisés qui, sans avoir, par exemple, la puissance de se repro- duire comme les animaux et les végétaux, au- raient cependant une espèce de vie et de mou- yement; d'autres étres qui, sans être des animaux ou des végétaux, pourraient bien en- trer dans la constitution des uns et des autres ; et enfin d'autres êtres qui ne seraient que le premier assemblage des molécules organiques DES ANIMAUX. dont j'ai parlé dans les chapitres précédents. Je mettrais volontiers dans la première classe de ces espèces d'êtres, les œufs, comme étant le genre le plus apparent. Ceux des poules et des autres oiseaux femelles, tiennent, comme on sait, à un pédicule commun, et ils tirent leur origine et leur premier accroissement du corps de l'animal; mais dans ce temps qu'ils sont attachés à l'ovaire, ce ne sont pas encore de vrais œufs, ce ne sont que des globes jaunes qui se séparent de l'ovaire dès qu'ils sont par- venus à un certain degré d’accroissement ; lorsqu'ils viennent à se séparer, ce ne sont en- core que des globes jaunes, mais des globes dont l'organisation intérieure est telle qu'ils ti- rent de la nourriture, qu'ils la tournent en leur substance, et qu'ils s'approprient la lym- phe dont la matrice de la poule est baignée, et qu’en s’appropriant cette liqueur ils forment le blane, les membranes, et enfin la coquille. L'œuf, comme l'on voit, a une espèce de vie et d'organisation, un accroissement, un déve- loppement, et une forme qu'il prend de lui- même et par ses propres forces ; Il ne vit pas comme l'animal, il ne végète pas comme la plante, il ne se reproduit pas comme l'un et l'autre; cependant il croit, il agit à l'extérieur et il s'organise. Ne doit-pas dès-lors regarder l'œuf comme un être qui fait une classe à part, et qui ne doit se rapporter ni aux animaux, ni aux minéraux ? çar si l’on prétend que l'œuf n'est qu'une production animale destinée pour la nourriture du poulet, et si l'on veut le re- garder comme une partie de la poule, une partie d'animal, je répondrai que les œufs, soit qu'ils soient fécondés ou non, soit qu'ils contiennent ou non des poulets, s'organisent toujours de la même façon ; que même la fé- condation n’y change qu'une partie presque invisible, que dans tout le reste l'organisation de l'œuf est toujours la même, qu'il arrive à sa perfection et à l'accomplissement de sa forme, tant extérieure qu'intérieure, soit qu'il contienne le poulet ou non, et que par consé- quent c'est un être qu'on peut bien considérer à part et en lui-même. Ce que je viens de dire paraïitra bien plus clair, si on considère la formation et l’aceroisse- ment des œufs de poisson; lorsque la femelle les répand dans l'eau, ce ne sont encore, pour ainsi dire, que des ébauches d'œufs; ces ébau- ches séparées totalement du corps de l'animal ; 87 et flottantes dans l’eau, attirent à elles et s’ap- proprient les parties qui leur conviennent, et croissent ainsi par intus-susception ; de la même façon que l'œuf de la poule acquiert des mem- branes et du blanc dans la matrice où il flotte, de même les œufs de poissons acquièrent d'eux- mêmes des membranes et du blanc dans l'eau où ils sont plongés, et soit que le mâle vienne les féconder en répandant dessus la liqueur de sa laite, ou qu'ils demeurent inféconds faute d’a- voir été arrosés de cette liqueur, ils n'arrivent pas moins, dans l’un et l’autre cas, à leur en- tière perfection. II me semble donc qu'on doit regarder les œufs en général comme des corps organisés qui, n'étant ni animaux ni végétaux, font un genre à part. Un second genre d'êtres de la même espèce sont les corps organisés qu'on trouve dans Je se- mence de tous les animaux, et qui, comme ceux de la laite du calmar, sont plutôt des ma- chines naturelles que des animaux. Ces êtres sont proprement le premier assemblage qui ré- sulte des molécules organiques dont nous avons tant parlé , ils sont peut-être même les parties organiques qui constituent les corps organisés des anfmaux. On les a trouvés dans la semence de tous les animaux , parce que la semence n’est en effet que le résidu de toutes les molécules or- ganiques que l'animal prend avec les aliments; c’est, comme nous l'avons dit, ce qu'il y a de plus analogue à l'animal même, ce qu'il y a de plus organique dans la nourriture, qui fait la matière de la semence, et par conséquent on ne doit pas être étonné d'y trouver des corps orga- nisés, Pour reconnaître clairement que ces corps organisés ne sont pas de vrais animaux, il n’y a qu'à réfléchir sur ce que nous présentent les expériences précédentes : les corps mouvants que j'ai observés dans les liqueurs séminales ont été pris pour des animaux, parce qu'ils ont un mouvement progressif, et qu’on a cru leur re- marquer une queue; mais si on fait attention d'un côté à la nature de ce mouvement progres- sif qui, quand il est une fois commencé, fini! tout à coup sans jamais se renouveler, et d l'autre, à la nature de ces queues, qui ne sont que des filets que le corps en mouvement tire après lui, on commencera à douter, car un ani- mal va quelquefois lentement, quelquefois vite, il s'arrête et se repose quelquefois dans son mou- vement; ces corps mouyants au contraire vont ss HISTOIRE NATURELLE toujours de même , dans le même temps, je ne les ai jamais vus s'arrêter et se remettre en mou- vement, ils continuent d'aller et de se mouvoir progressivement sans jamais se reposer, et lors- qu'ils s'arrètent une fois, c’est pour toujours. Je demande si cette espèce de mouvement continu, et sans aucun repos, est un mouvement ordi- naire aux animaux, et si cela ne doit pas nous faire douter que ces corps en mouvement soient de vrais animaux. De même il paraît qu'un ani- mal , quel qu'il soit, doit avoir une forme con- stante et des membres distincts; ces corps mou- vants au contraire changent de forme à tout in- stant, ils n'ont aucun membre distinct, et leur queue ne paraît être qu'une partie étrangère à leur individu; dès-lors, doit-on croire que ces corps mouvants soient en effet des animaux ? On voit dans ces liqueurs des filaments qui s’al- longent et qui semblent végéter, ils se gonflent ensuite et produisent des corps mouvants : ces filaments seront, si l’on veut, des espèces de végétaux; mais les corps mouvants qui en sor- tent ne seront pas des animaux, car jamais l'on n'a vu de végétal produire un animal; ces corps mouvants se trouvent aussi bien dans les ger- mes des plantes que dans la liqueur séminale des animaux , on les trouve dans toutes les sub_ stances végétales ou animales ; ces corps mou- vants ne sont donc pas des animaux; ils ne se produisent pas par les voies de la génération, ils n'ont pas d'espèce constante; ils ne peuvent donc être ni des animaux, ni des végétaux. Que seront-ils done ? on les trouve partout , dans la chair des animaux, dans la substance des vé- gétaux ; on les trouve en plus grand nombre dans les semences des uns et des autres, n’est- il pas naturel de les regarder comme des parties organiques vivantes qui composent l’animal ou le végétal, comme des parties qui, ayant du mouvement et une espèce de vie, doivent pro- duire par leur réunion des êtres mouvants et vivants , et former les animaux et les végétaux? Mais , pour laisser sur cela le moins de doute que nous pourrons , examinons les observations des autres. Peut-on dire que les machines acti- ves que M. Needham a trouvées dans la laite du calmar soient des animaux ? pourrait-on croire que les œufs , qui sont des machines actives d’une autre espèce, soient aussi des animaux ? et si nous jetons les yeux sur la représentation de presque tous les corps en mouvement que Leeuwenhoek a vus au microscope dans une in- finité de différentes matières, ne reconnaîtrons- nous pas, même à la première inspection , que ces corps ne sont pas des animaux , puisque au- cun d'eux n’a de membres, et qu'ils sont tous ou des globules, ou des ovales plus où moins allongés, plus où moins aplatis? Si nous exa- minons ensuite ce que dit ce célèbre observa- teur lorsqu'il décrit le mouvement de ces pré- tendus animaux , nous ne pourrons plus douter qu'il n'ait eu tort de les regarder comme tels, et nous nous confirmerons de plus en plus dans notre opinion, que ce sont seulement des par- ties organiques en mouvement, nous en rap- porterons ici plusieurs exemples. Leeuwenhoek donne (fome I, page 51) la figure des corps mouvants qu'il à observés dans la liqueur des testicules d’une grenouille mäle. Cette figure ne représente rien qu'un corps menu, long et pointu par l'une des extrémités, et voici ce qu'il en dit : Uno tempore caput (c’est ainsi qu'il appelle l'extrémité la plus grosse de ce corps mouvant) erassius mihi apparebat alio ; Plerumque agnoscebam animalculum haudul- terits quäm à capile ad medium corpus, ob caudæ tenuitatem, et cm idem animalculum pauld vehementiùs moveretur (quod tamen lardè fiebat) quasi volumine quodam circà ca- put ferebatur. Corpus ferè carebat mot, cauda tamen in tres quatuorve flexus volve- batur. Voilà le changement de forme que j'ai ditavoir observé, voilàlemucilage dont le corps mouvant fait effort pour se dégager, voilà une lenteur dans le mouvement lorsque ces corps ne sont pas dégagés de leur mucilage, et enfin voilà un animal, selon Leeuwenhoek, dont une partie se meut et l’autre demeure en repos, dont l’une est vivante et l’autre morte; car il dit plus bas : Movebant posteriorem solümpar- tem; que ultima, mortivicina esse judicabam. Tout cela, comme l’on voit, ne convient guère à un animal, et s'accorde avec ce que j'ai dit, à l'exception que je n’ai jamais vu la queue oule filetse mouvoir que par l'agitation du corps qui letire, ou bien par un mouvement intérieur que j'ai vu dans les filaments lorsqu'ils se gonflent pour produire des corps en mouvement. Il diten- suite, page 52, en parlantde la liqueur séminale du cabillau : Non est putandum omnia animal- cula in semine aselli contenta uno eodemque tempore vivere , sed illa potits tantèm vivere que exilui seu parlui viciniora sunt, que et copiosiori humido innatant pre reliquis vil@ DES ANIMAUX. carentibus , adhuc in crassû malerià , quam humor eorum efficit, jacentibus. Si ce sont des animaux , pourquoi n'ont-ils pas tous vie ? pour- quoiceux qui sont dans la partie la plus liquide sont-ils vivants , tandis que ceux qui sont dans la partie la plus épaisse de la liqueur ne le sont pas ? Leeuwenhoek n'a pas remarqué que cette matière épaisse, dont il attribue l'origine à l'hu- meur de ces animaleules , n’est au contraire au- tre chose qu'une matière mucilagineuse qui les produit. En délayant avec de l'eau cette ma- tière mucilagineuse, il aurait fait vivre tous ces animaleules, qui cependant, selon lui, ne doi- vent vivre que longtemps après; souvent même ce mucilage n'est qu'un amas de ces corps qui doiventse mettre en mouvement dès qu'ils peu- vent se séparer, et par conséquent cette ma- tière épaisse, au lieu d’être une humeur que . ces animaux produisent, n'est au contraire que les animaux eux-mêmes, ou plutôt c’est, comme nous venons de le dire, la matière qui contient et qui produit les parties organiques qui doi- vent se mettre en mouvement. En parlant de la semence du coq, Leeuwenhoek dit, page 5 de sa lettre écrite à Grew : Contemplando mate- riam {seminalem), animadverti ibidem tantam abundantiam viventium animalium ,ut eà stu- perem ; forma seu externä fiqurâsuû nostrates anquillas fluviatiles referebant , vehementis- simà agilatione movebantur ; quibus lamen substrati videbantur multi et admodüm exiles globuli, item multæ plan-ovales fiquræ, quibus eliam vila posset attribui, el quidem propter earumdem commotiones ; sed eæxislimabam omnes hasce commotiones etagitationes prove- venire ab animalculis, sicque etiam res se ha- bebat; attamen ego non opinione solùm, sed eliam ad veritatem mihi persuadeo has par- ticulas planam et ovalem fiquram habentes , esse quædam animalcula inter se ordine suo disposila et mixtla, viläque adhuc carentia. Voilà done dans la même liqueur séminale des animaleules de différentes formes, etje suis con- vaincu par mes propres observations que, si Leeuwenhoek eût observé exactementles mou- vements de ces ovales, il aurait reconnu qu'ils se remuaient par leur propre force, et que par conséquent ils étaient vivants aussi bien queles autres. Il est visible que ceci s'accorde parfai- tement avec ce que nous avons dit; ces corps mouvants sont des parties organiques qui pren- nent différentes formes, et ce ne sont pas 89 des espèces constantes d'animaux, car dans le cas présent , si les corps qui ont la figure d'une anguille sont les vrais animaux spermatiques dont chacun est destiné à devenir un coq, ce qui suppose une organisation bien parfaite et une forme bien constante; que seront les au- tres qui ont une figure ovale, et à quoi servi- ront-ils? [1 dit un peu plus bas qu'on pourrait concevoir que ces ovales seraient les mêmes animaux que les anguilles, en supposant que le corps de ces angulles fût tortillé et ras- semblé en spirale; mais alors comment conce- vra-t-on qu'un animal dont le corps est ainsi contraint puisse se mouvoir sans s'étendre ? Je crois donc que ces ovales n'étaient autre chose que les parties organiques séparées de leur filet, et que les anguilles étaient ces mêmes parties qui trainaient leur filet, comme je l'ai vu plu- sieurs fois dans d’autres liqueurs séminales. Au reste Leeuwenhoek, qui croyait que tous ces corps mouvants étaient des animaux , qui avait établi sur cela un système, qui prétendait que ces animaux spermatiques devaient devenir des hommes et des animaux , n’avait garde de soupeonner que ces corps mouvants ne fussent en effet que des machines naturelles , des par- ties organiques en mouvement ; car il ne doutait pas ( voyez tom. I, pag. 67) que ces animaux spermatiques ne continssent en petit le grand animal, etildit: Progeneratio animalis ex ani- malceulo in seminibus masculinis omni excep- lione major est; nam eliamsi in animalculo eæ semine masculo, undè ortum est, figuram animalis conspicere nequeamus, allamen sa- lis superque cerli esse possumus fiquram ani- malis ex quâ animal ortum est, in animaleulo quod in semine masculo reperitur, conclusam jacere sive esse : el quanquam mihi sœæpiüs , conspectis animalculis in semine masculo ani- malis, imaginutus fuerim me posse dicere, en ibè caput, en ibi kumeros, en ibi femora; alta- men cüm ne minim@ quidem certitudine de iis judicium ferre potuerim, hücusque certi quid slatuere supersedeo, donec tale animal, cujus seminamascula tam magna erunt, ut in is fi- guram creaturæ ex quà provenil , agnoscere queam, invenire secunda nobis concedal for - tuna. Ce hasard heureux que Leeuwenhoek dé- sirait, et n’a pas eu, s'est offert à M. Needham. Les animaux spermatiques du calmar ont trois ou quatre lignes de longueur à l'œil simple , il est extrémement aisé d’en voir toute l’organi- 90 HISTOIRE NATURELLE sation et toutes les parties; mais ce ne sont pas de petits calmars, comme l'aurait voulu Leeu- wenhoek, ce ne sont pas même des animaux , quoiqu'ils aient du mouvement; ce ne sont, comme nous l'avons dit, que des machines que l'on doit regarder comme le premier produit de la réunion des parties organiques en mouvement. Quoique Leeuwenhoek n'ait pas eu l'avan- tage de se détromper de cette façon, il avait ce- pendant observé d'autres phénomènes qui au- raient dù l'éclairer; par exemple, il avait remarqué (voyez tom. 1, pag. 160) queles ani- maux spermatiques du chien changeaient sou- vent de figure, surtout lorsque la liqueur dans laquelle ils nageaient était sur le point de s'éva- porer entièrement; il avait observé que ces pré- tendus animaux avaient une ouverture à la tête lorsqu'ils étaient morts, et que cette ouver- ture n'existait point pendant leur vie; ilavait vu que Ja partie qu'il regardait comme la tête de l'animal était pleine et arrondie lors- qu'il était vivant, et qu'au contraire elle était affaissée et aplatie après la mort : tout cela de- yait le conduire à douter que ces corps mou- vants fussent de vrais animaux; et en effet cela convient mieux à une espèce de machine qui se vide , comme celle du calmar, qu'à un animal qui se meut. J'ai dit que ces corps mouvants, ces parties organiques ne se meuvent pas comme se mou- vraient des animaux, qu'il n’y a jamais aucun intervalle de repos dans leur mouvement. Leeu- wenhoek la observé tout de même, et il le remarque précisément, tome I, pag. 168. Quo- diescumque, dit-il, animalcula in semine mas- culo animalium fuerim contemplatus, attamen illa seunquàm ad quietem contulisse, menun- quäm vidisse, mihi dicendum est, si modo sat fluidæ superesset matleriæ in qu sese com- modè movere polerant; at eadem in continuo manentmotu,el lempore quo ipsis moriendum appropinquante, motus magis Mmagisque de- ficil usquedüm nullus prorsus molus in illis agnoscendus sit. I me parait qu'il est difficile de concevoir qu'il puisse exister des animaux qui dès le moment de leur naissance jusqu'à celui de leur mort soient dans un mouvement continuel et très-rapide, sans le plus petit inter- valle de repos, et comment imaginer que ces prétendus animaux du chien, par exemple, que Leeuwenhoek a vus, après le septième jour, en mouvement aussi rapide qu'ils l'étaient au sor- tir du corps de l'animal, aient conservé pendant ce temps un mouvement dont la vitesse est si grande, qu'il n'y a point d'animaux sur Ja terre qui aient assez de force pour se mouvoir ainsi pendant une heure, surtout si l’on fait at- tention à la résistance qui provient tant de la densité que dela ténacité de la liqueur dans laquelle ces prétendus animaux se meuvent ? Cette espèce demouvement continu convient au contraire à des parties organiques qui, comme des machines artificielles, produisent dans un temps leur effet d'une manière continue, et qui s'arrêtent lorsque cet effet est produit. Dans le grand nombre d'observations que Leeuwenhoek à faites, il a sans doute vu sou- vent ces prétendus animaux sans queue, il le dit même en quelques endroits, et il tâche d'ex- pliquer ce phénomène par quelque supposition; par exemple ({om. 11, pag. 150) il dit en par- lant de la semence du merlus : Ubi verû ad lac- lium accederem observalionem, in üis parti- bus quas animaleula esse censebam, neque vilam neque caudam dignoscere potui ; eujus rei ralionem esse existimabam, quèd quandià animalcula natando loca sua perfectè mutare non possunl, tam dit etiam cauda concinmè cireà corpus maneat ordinata , quôdque ide singula animaleulu rotundum repræsentent corpusculum. Il me parait qu'il eût été plus simple de dire, comme cela est en effet, que les animaux spermatiques de ce poisson ont des queues dans un temps et n’en ont point dans d'autres, que de supposer que cette queue est tortillée si exactement autour de leur corps, que cela leur donne la figure d’un globule. Ceci ne doit-il pas nous porter à croire que Leeu- wenhoek n’a fixé ses yeux que sur les corps mouvants auxquels il voyait des queues; qu'il ne nous a donné la description que des corps mouvants qu'il a vus dans cet état; qu'il a né- gligé de nous les décrire lorsqu'ils étaient sans queues, parce qu'alors, quoiqu'ils fussent en mouvement, il ne les regardait pas comme des animaux , et c'est ce qui fait que presque tous les animaux spermatiques qu'il a dépeints, se ressemblent, et qu'ils ont tous des queues, par- ce qu'il neles a pris pour de vrais animaux que lorsqu'ils sont en effet dans cet état, et que quand il les a vus sous d’autres formes il à cru qu'ils étaient encore imparfaits , ou bien qu'ils étaient près de mourir, ou même qu'ils étaient morts. Au reste, il parait par mes ob- DES ANIMAUX, servations que, bien loin que le prétendu ani- maleule déploie sa queue, d'autant plus qu'il est plus en état de nager, comme le dit ici Leeu- wenhoek , il perd au contraire successivement les parties extrèmes de sa queue, à mesure qu'il nage plus promptement, et qu'enfin cette queue, qui n'est qu'un corps étranger, un filet que le corps en mouvement traine, disparait entière- ment au bout d'un certain temps. Dans un autre endroit (om. III, pag. 93), Leeuwenhoek, en parlant des animaux sperma- tiques de l'homme , dit : Aliquando eliam ani- madverti inter animalcula particulas quas- dam minores et subrotundas, cùm verû se ea aliquoties eo modo oculis meis exhibuerint, ut mihi imaginarer eas exiquis instruclas esse caudis, cogitarecæpiannonhe fortè particulæ forent animalcula recens nata; certum enim mihi est ea eliam animalcula per generatio- nem provenire, velex mole minuscul& ad adullam procedere quantitalem : et quis seit an non ea animaleula, ubi moriuntur, alio- rum animalculorum nutrition atque augmini inserviant? Il parait par ce passage que Leeu- wenhoek a vu dans la liqueur séminale de Jhomme des animaux sans queue, aussi bien que des animaux avec des queues, et qu'il est obligé de supposer que ces animaux qui n’a- yaient point de queue étaient nouvellement nés et n'étaient point encore adultes. J'ai observé tout le contraire, car les corps en mouvement ne sont jamais plus gros que lorsqu'ils se sépa- rent du filament , c'est-à-dire lorsqu'ils com- mencent à se mouvoir , et lorsqu'ils sont entiè- rement débarrassés de leur enveloppe , ou si l'on veut, du mucilage qui les environne, ils sont plus petits , et d'autant plus petits qu'ils demeurent plus longtemps en mouvement. A l'égard de la génération de ces animaux , de laquelle Leeuwenhoek dit dans cet endroit qu'il est certain , je suis persuadé que toutes les per- sonnes qui voudront se donner la peine d’ob- server avec soin les liqueurs séminales, trou- yeront qu'il n’y a aucun indice de génération d'animal par un autre animal , ni même d’ac- couplement; tout ce que cet habile observateur dit ici est avancé sur de pures suppositions; il est aisé de le lui prouver, en ne se servant que de ses propres observations ; par exemple, il remarque fort bien (page 98, tome III) que les laites de certains poissons , comme du ca- 91 minale, et qu'ensuite, après que le poisson a ré- paudu cette liqueur , ces laites se dessèchent , se rident, et ne sont plus qu'une membrane sèche et dénuée de toute liqueur. £o tempore, dit-il, guo asellus major lactes suos emisit , rugæ illæ , seu tortiles lactium parles , usque adeù contrahuntur , ut nihil prater pelliculas seu membranas esse videantur. Comment en- tend-il done que cette membrane sèche, dans laquelle il n’y a plus ni liqueur séminale ni ani- maux, puisse reproduire des animaux de la même espèce l'année suivante ? s’il y avait une vraie génération dans ces animaux , c'est-à-dire si l'animal était produit par l'animal, il ne pourrait pas y avoir cette interruption, qui dans la plupart des poissons est d’une année entière; aussi, pour se tirer de cette difiiculté, il dit un peu plus bas : Necessarid statuendum eril, ul asellus major semen suum emiserit, in lactibus etiamnum multüm materiæ semi- nalis gignendis animaleulis aplæ remansisse, ex quà malerià plura oportet provenire ani- malcula seminalia quàm anno proximè elapso emissa fuerant. On voit bien que cette suppo- sition, qu'il reste de la matière séminale dans les laites pour produire les animaux sperma- tiques de l’année suivante, est absolument gra- tuite , et d’ailleurs contraire aux observations, par lesquelles on reconnait évidemment que la laite n’est dans cet intervalle qu'une membrane mince et absolument desséchée. Mais comment répondre à ce que l'on peut opposer encore ici, en faisant voir qu'il y a des poissons, comme le calmar, dont non-seulement la li- queur séminale se forme de nouveau tous les ans, mais même le réservoir qui la contient, la laite elle-même? pourra-t-on dire alors qu'il reste dans la laite de la matière séminale pour produire les animaux de l'année suivante, tandis qu'il ne reste pas même de laite , et qu'a- près l'émission entière de la liqueur séminale , la Jaite elle-même s’oblitère entièrement et dis- parait , et que l'on voit sous ses yeux une nou- yelle laite se former l’année suivante? Il est donc très-certain que ces prétendus animaux spermatiques ne se multiplient pas, comme les autres animaux, par les voies de la génération, ce qui seul suffirait pour faire présumer que ces parties qui se meuvent dans les liqueurs sé- minales ne sont pas de vrais animaux. Aussi | Leeuwenhoek, qui, dans l'endroit que nous ve- Lillau , se remplissent peu à peu de liqueur sé- | nous de citer, dit qu'il est certain que les ani- 92 HISTOIRE NATURELLE maux spermatiques se multiplient et se propa- | gent par la génération, avoue cependant dans un autre endroit ({ome 1, page 26), que la ma- nière dont se produisent ces animaux est fort obscure, et qu'il laisse à d’autres le soin d'é- claircir cette matière. Persuadebam mihi, dit-il en parlant des animaux spermatiques du loir, | hœcce animalcula ovibus prognasci , quia di- versa in orbem jacentia et in semet convoluta | videbam ; sed unde , queæso, primam illorum | originem derivabimus ? an animo nostro con- cipiemus horum animalculorum semen jam | Procreatum esse in ips& generatione, hocque semen tam diù in testiculis hominum hærere, | usquedüm ad annum ætatis decimum quartum | vel decimum quintum aut sextum pervenerint, eademque animalcula tm demüm vità do- nari, vel in justam slaturam excrevisse , illo- que temporis articulo generandi maturitatem adesse? sed hœc lampada aliis trado. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de faire de plus grandes réflexions sur ce que dit ici Leenwen- hoek : il a vu dans la semence du loir des ani- maux spermatiques sans queue et ronds; 27 semet convoluta , dit-il, parce qu'il supposait toujours qu'ils devaient avoir des queues ; et à l'égard de la génération de ces prétendus ani- maux, on voit que bien loin d'être certain, comme il le dit ailleurs, que ces animaux se propagent par la génération, il parait ici con- vaincu du contraire. Mais lorsqu'il eut observé la génération des pucerons, et qu'il se fut assuré (voyez lome II, page 499 et suiv.; et tome LIL, Page 271) qu'ils engendrent d'eux-mêmes et sans accouplement, il saisit cette idée pour ex- pliquer la génération des animaux spermati- ques : Quemadmodum , dit-il, animalcula kæc | quæ pediculorum anteà nomine designavimus (les pucerons), dûm adhuc in utero materno latent, jam prædita sunt materià seminali ex qué ejusdem generis prodilura sunt animal- cula, pari ratione cogitare licet animaleula in seminibus masculinis ex animalium testi- culis non migrare, seu ejict, quin post se re- linquant minuta animalcula, aut sallem ma- leriam seminalem ex qu ilerüm alia ejusdem generis animalcula proventura sunt, idque ubsque coîlu , eâdem ratione quä supradicta animalcula generari observavimus. Ceci est, comme l'on voit, une nouvelle supposition qui ne satisfait pas plus que les précédentes ; car on n'entend pas mieux, par cette comparaison de la génération de ces animaleules avec celle du puceron, comment ils ne se trouvent dans la liqueur séminale de l'homme que lorsqu'il est parvenu à l’âge de quatorze ou quinze ans; on n’en sait pas plus d’où ils viennent, on n’en conçoit pas mieux comment ils se renouvellent tous les ans dans les poissons , ete. ; et il me parait que quelques efforts que Leeuwenhoek ait faits pour établir la génération de ces pré- tendus animaux spermatiques sur quelque chose de probable, cette matière est demeurée dans une entière obseurité , et y serait peut-être de- meurée perpétuellement, si les expériences pré- cédentes ne nous avaient appris que ces ani- maux spermatiques ne sont pas des animaux, mais des parties organiques mouvantes qui sont contenues dans la nourriture quel’animal prend, et qui se trouvent en grande abondance dans la liqueur séminale, qui est l'extrait le plus pur et le plus organique de cette nourriture. Leeuwenhoek avoue en quelques endroits qu'il n’a pas toujours trouvé des animaux dans les liqueurs séminales des mâles; par exemple, dans celle du coq, qu'il a observée très-souvent, il n’a vu des animaux spermatiques en forme d'anguilles qu'une seule fois, et plusieurs an- nées après il ne les vit plus sous la figure d'une anguille (Voyez tome III, page 370), mais avec une grosse tête et une queue que son dessina- teur ne pouvait pas voir. Il dit aussi ({ome III, page 306) qu'une année il ne put trouver, dans la liqueur séminale tirée de la laite d'un cabil- lau, des animaux vivants; tout cela venait de ce qu'il voulait trouver des queues à ces animaux, et que quand il voyait de petits corps en mouvement et qui n'avaient que la forme de petits globules, il ne les regardait pas comme des animaux : c’est cependant sous cette forme qu'on les voit le plus généralement, et qu'ils se trouvent plus souvent dans les sub- stances animales ou végétales. Il dit dans le même endroit, qu'ayant pris toutes les pré- cautions possibles pour faire voir à un dessina- teur les animaux spermatiques du cabillau, qu'il avait lui-même vus si distinctement tant de fois , il ne put jamais en venir à bout : Non solum, dit-il, ob eximiam eorum eæilitalem , sed etiam quôd eorum corpora adeÿ essent fra- gilie, ut corpuscula passim dirumperentur ; unde factum fuit ut nonnisi rarû, nec sine allentissimà observatione animadverterem particulas planas alque ovorum in morem DES ANIMAUX. 95 dongas, in quibus ex parle caudas dignoscere | où il y en a, comme du fromage; mais on les licebat; particulas has oviformes existimavi animalcula esse dirupta, quôd particule hæ diruptæ quadrupià ferè viderentur majo- res corporibus animalculorum vivorum. Lors- qu'un animal, de quelque espèce qu'il soit, cesse de vivre, il ne change pas, comme ceux-ci, subitement de forme; de long comme | ua fil, il ne devient pas rond comme une boule; il ne devient pas non plus quatre fois plus gros, après sa mort, qu'il ne l'était pendant sa vie; rien de ce que dit ici Leeuwenhoek ne convient à des animaux, tout convient au contraire à des espèces de machines qui, comme celles du calmar , se vident après avoir fait leurs fonc- tious. Mais suivons encore cette observation : il dit qu'il a vu des animaux spermatiques du cabillau sous des formes différentes, z17ul{a apparebant animalcula sphæram pellucidam repræsentantia ; il les a vus de différentes gros- seurs, Aæc animalcula minori videbantur mole, quäm ubi eadem antehäc in tubo vitreo rotundo examinaveram. I n’en faut pas da- vantage pour faire voir qu'il m'y a point ici d'espèce ni de forme constante, et que par conséquent il n'y a point d'animaux, mais seu- lement des parties organiques en mouvement, qui prennent en effet par leurs différentes com- binaisons des formes et des grandeurs différen- tes. Ces parties organiques mouvantes se trou- vent en grande quantité dans l'extrait et dans les résidus de la nourriture : la matière qui s'attache aux dents, et qui, dans les personnes saines , a la même odeur que la liqueur sémi- nale, doit être regardée comme un résidu de la nourriture ; aussi y trouve-t-on une srande quantité de ces prétendus animaux , dont quel- ques-uns ont des queues et ressemblent à ceux de la liqueur séminale. M. Baker en a fait gra- ver quatre espèces différentes, dont aucune u'a de membres, et qui toutes sont des espèces de cylindres, d'ovales ou de globules sans queues, ou de globules avec des queues. Pour moi je suis persuadé, après les avoir exami- nées, qu'aucune de ces espèces ne sont de vrais animaux, et que ce ne sont, comme dans la semence, que les parties organiques et vivantes de la nourriture, qui se présentent sous des formes différentes. Leeuwenhoek, quine savait à quoi attribuer l'origine de ces prétendus ani- maux de cette matière qui s'attache aux dents, suppose qu'ils viennent de certaines nourritures trouve ézalement dans ceux qui mangent du fromage et dans ceux qui n'en mangent point; et d'ailleurs ils ne ressemblent en aucune façon aux mites, non plus qu'aux autres petites bêtes qu'on voit dans le fromage corrompu. Dans un autre endroit il dit que ces animaux des dents peuvent venir de l'eau de citerne que l’on boit, parce qu'il a observé des animaux semblables dans l'eau du ciel, surtout dans celle qui a sé- journé sur des toits couverts ou bordés de plomb, où l’on trouve un grand nombre d’es- pèces d'animaux différents; mais nous ferons voir, lorsque nous donnerons l'histoire des ani- maux microscopiques, que la plupart de ces animaux, qu'on trouve dans l’eau de pluie, ne sont que des parties organiques mouvyantes qui se divisent, qui se rassemblent, qui changent de forme et de grandeur, et qu’on peut enfin faire mouvoir et rester en repos, ou vivre et mourir , aussi souvent qu'on le veut. La plupart des liqueurs séminales se délaient d’elles-mêmes , et deviennent plus liquides à l'air et au froid, qu'elles ne le sont au sortir du corps de l'animal ; au contraire elles s'épaissis- sent lorsqu'on les approche du feu et qu'on leur communique un degré, même médiocre, de chaleur. J'ai exposé quelques-unes de ces liqueurs à un froid assez violent, en sorte qu'au toucher elles étaient aussi froides que de l'eau prète à se glacer; ce froid n’a fait aucun mal aux prétendus animaux , ils continuaient à se mouvoir avec la même vitesse et aussi longtemps que ceux qui n'y avaient pas été exposés; ceux au contraire qui avaient souffert un peu de cha- leur cessaient de se mouvoir, parce que la li- queur s'épaississait. Si ces corps en mouvement étaient des animaux, ils seraient donc d’une complexion et d'un tempérament tout différent de tous les autres animaux , dans lesquels une chaleur douce et modérée ne fait qu'entretenir la vie et augmenter les forces et le mouvement, que le froid arrête et détruit. Mais voilà peut-être trop de preuves contre laréalité de ces prétendus animaux, et on pourra trouver que nous nous sommes trop étendus sur ce sujet. Je ne puis cependant m'empêcher de faire une remarque, dont on peut tirer quel- ques conséquences utiles ; c’est que ces préten- dus animaux spermatiques, qui ne sont en effet que les parties organiques vivantes de la nour- riture, existent non-seulement dans les liqueurs 94 séminales des deux sexes et dans le résidu de la nourriture qui s'attache aux dents, mais qu'on les trouve aussi dans le chyle et dans les excré- ments. Leeuwenhoek les ayantrencontrés dans les excréments des grenouilles et de plusieurs autres animaux qu’il disséquait, en fut d'abord fort surpris; et ne pouvant concevoir d'où ve- naient cesanimaux, quiétaient entièrement sem- blables à ceux des liqueurs séminales qu'il venait d'observer , il s'accuse lui-même de mal- adresse, et dit qu'apparemment en disséquant l'animal , il aura ouvertavec le scalpel les vais- seaux qui contiennent la semence, et qu'elle se sera sans doute mêlée aveclesexeréments; mais ensuite lesayant trouvés dans lesexeréments de quelques autres animaux, et même dans les siens, il nesait plus quelle origine leur attribuer. J'observerai que Leeuwenhoek ne les à jamais trouvés dans ses excréments, que quand ils étaient liquides; toutes les fois que son estomac ne faisait pas ses fonctions et qu'il était dé- voyé, il y trouvait de ces animaux ; mais lors- que la coction de lanourriture se faisait bien et queles excréments étaient durs, il n’y en avait aucun, quoiqu'il les délayätaveede l'eau, ce qui semble s'accorder parfaitement avec tout ce que nous avons dit ci-devant ; car il est aisé de com- prendre que lorsque l'estomac et les intestins font bien leurs fonctions, les excréments ne sont que le mare de la nourriture, et que tout ce qu'il y avait de vraiment nourrissant et d'orga- nique est entré dans les vaisseaux qui servent à nourrir l'animal ; que par conséquent on ne doit point trouver alors de ces molécules orga- niques dans ce mare, qui est principalement composé des parties brutes de la nourriture et des récréments du corps, qui ne sont aussi que des parties brutes; au lieu que si l'estomac et les intestins laissent passer la nourriture sans la digérer-assez pour que les vaisseaux qui doivent recevoir ces molécules organiques puissent les admettre: ou bien, ce qui est encore plus proba- ble, s’il y a trop de relâchement ou de tension dansles parties solides de ces vaisseaux, et qu'ils ne soient pas dans l’état où il faut qu'ils soient pour pomper la nourriture, alors elle passe avec les parties brates, et on trouve les molécules or- ganiques vivantes dans les excréments; d'où l'on peut conclure que les gens qui sont souvent dévoyés doivent avoir moins de liqueur sé- minale que les autres; et que ceux au con- traire dont les excréments sont moulés, et qui HISTOIRE NATURELLE vont rarement à la garde-robe, sont les plus vigoureux et les plus propres à la génération. Dans tout ce que j'aidit jusqu'ici, j'ai toujours supposé que la femelle fournissait, aussi bien que le mâle, une liqueur séminale, et que cette liqueur séminale était aussi nécessaire à l'œuvre de la génération que celle du mäle. J'ai tâché d'établir (chapitre 1) que tout corps organisé doit contenir des parties organiques vivantes. J'ai prouvé (chapitres IT et IT}) que la nutri- tion et la reproduction s'opèrent par une seule et même cause ; que la nutrition se fait par la pénétration intime de ces parties organiques dans chaque partie du corps, et que la repro- duction s'opère par le superflu de ces mêmes parties organiques, rassemblées dans quelque endroit où elles sont renvoyées de toutes les parties du corps. J'ai expliqué (chapitre IV) comment on doit entendre cette théorie dans la génération de l’homme et des animaux qui ont des sexes. Les femelles étant done des êtres or- ganisés comme les mâles, elles doivent aussi, comme je l'ai établi, avoir quelques réservoirs où le superflu des parties organiques soït renvoyé de toutes les parties de leur corps; cesuperflu ne peut pas y arriver sous une autre forme que sous celle d’une liqueur, puisque c’est un extrait de toutes les parties du corps, et cette liqueurest ce que j’aitoujours appelé la semence de la femelle. Cette liqueur n’est pas, comme le prétend Aristote, une matière inféconde par elle-même, et qui n'entre ni comme matière, ni comme for- me, dans l'ouvrage de la génération; c’est au contraire une matière prolifique, et aussi essen- tiellement prolifique que celle du mäle, qui contient les parties caractéristiques du sexe fé- minin, que la femelle seule peut produire; comme celle du mâle contient les parties qui doivent former les organes masculins : et cha- une de ces liqueurs contient en même temps toutes les autres parties organiques, qu'on peut regarder comme communes aux deux sexes, ce qui fait que par leur mélange la fille peut res- sembler à son père, et le fils à sa mère. Cette liqueur n’est pas composée comme le dit Hippo- crate, de deux liqueurs , l'une forte, qui doit servir à produire des mâles, et l'autre faible, qui doit former les femelles; cette supposition est gratuite ; et d’ailleurs, je ne vois pas comment on peut concevoir que dans une liqueur qui ést l'extrait de toutes les parties du corps de la fe- melle, il y ait des parties qui puissent produire ———————— DES ANIMAUX. des organes que la femelle n’a pas , c’est-à-dire les organes du mâle. Cette liqueur doit arriver par quelque voie dans la matrice des animaux qui portent et nourrissent leur fœtus au dedans de leur corps; ou bien elle doit se répandre sur d’autres parties dans les animaux qui n'ont point de vraie ma- trice; ces parties sont les œufs, qu'on peut re- garder comme des matrices portatives, et que l'animal jette au dehors. Ces matrices contien- nent chacune une petite goutte de cette liqueur prolifique de la femelle, dans l'endroit qu'on appelle la cicatricule; lorsqu'il n’y à pas eu de communication avec le mâle, cette goutte de liqueur prolifique se rassemble sous la figure d'un petit môle, comme l’a observé Malpighi, et quand cette liqueur prolifique de la femelle , contenue dans la cicatricule, a été pénétrée par celle du mâle, elle produit un fœtus qui tire sa nourriture des sucs de cette matrice dans laquelle il est contenu. Les œufs, au lieu d'être des parties qui se trouvent généralement dans toutes les femelles, ne sont done au contraire que des parties que la natureaemployées pour remplacer la matrice dans les femelles qui sontprivées de cet organe; au lieu d'être les partiesactives et essentielles à la première fécondation, les œufs ne servent que comme parties passives et accidentelies à la nutrition du fœtus déjà formé par le mélange des liqueurs des deux sexes, dansun endroit de cette matrice, comme le sont les fœtus dans quelque endroit de la matrice des vivipares; au lieu d’être des êtres existants de tout temps, renfermés à l'infini les uns dans les autres, et contenantdes millions de millions de fœtus mâles et femelles, les œufs sont au contraire des corps qui se forment du superflu d'une nourriture plus grossière et moins organique que celle qui produit la liqueur séminale et prolifique; c’est dans les femelles ovipares quelque chose d’é- quivalent, non-seulement à la matrice, mais même aux menstrues des vivipares. Ce qui doit achever de nous convaincre que les œufs doivent être regardés comme des par- ties destinées, par la nature, à remplacer lama- trice dans les animaux qui sontprivésdece vis- cère, c'est que ces femelles produisent des œufs indépendamment du mâle. De la même facon quela matriceexiste dans les vivipares, comme partieappartenante au sexe féminin, les poules, qui n'ont point de matrice, ont des œufs qui la h remplacent ; ce sont plusieurs matrices qui se produisent successivement, et qui existent dans ces femelles nécessairement et indépendamment de Pacte de la génération etde la communication avecle mâle. Prétendre que le fœtusest préexis- tant dans ces œufs, et que ces œufs sont conte- nus à l'infini les uns dans les autres, c'està peu près comme si l’on prétendait que le fœtus est préexistant dans la matrice, et que toutes les ma- trices étaient renfermées lesunes dans lesautres, et toutes dansla matrice de la première femelle. Les anatomistes ont pris lemot œuf dans des acceptions diverses, et ont entendu des choses différentes par ce nom. Lorsque Harvey a pris pour divise : Omnia eæ ovo, il entendait par l'œuf des vivipares, lesac qui renferme le fœtus et tous ses appendices ; il croyait avoir vu former cet œuf ou ce sac sous ses veux après la copulation du mâle et de la femelle; cet œuf ne venait pas de l'ovaire ou du testicule de la femelle, il a même soutenu qu'il n'avait pas remarqué lamoindre altération à cetesticule, ete. On voit bien qu'il n'ya rien iciqui soit sembla- ble à ce que l’on entend ordinairement par le mot d'œuf, si ce n’est que la figure d'un sac peut être celle d’un œuf, comme celle d'un œuf peut être celle d’un sac. Harvey, qui a disséqué tant de femelles vivipares, n’a, dit-il, jamais apercu d'altération aux testicules ; il tes regarde même comme de petites glandes qui sont tout à fait inutiles à la génération (voyez Harvey, Exercit. 64 et 65); tandis que ces testicules sont des parties fort considérabies dans la plu- part des femelles, et qu’il y arrive des change- ments et des altérations très-marquées, puis- qu'on peut voir dans les vaches croître le corps glanduleux depuis la grosseur d'un grain de millet jusqu’à celle d’une grosse cerise; ce qui a trompé ce grand anatomiste , c’est que ce changement n’est pas à beaucoup près si mar- qué dans les biches et dans les daines. Conrad Pever, qui a fait plusieurs observations sur les testicules des daines, dit : Exiqui quidem sunt damarum testiculi, sedpost coitum fœcun- dum in allerutro eorum papilla, sive tubercu- lum fibrosum semper succrescil; serofs autem prœægnantibus tanta accidit testiculorum mu- latio, utmediocrem quoque attentionem fugere nequeat. (Vide Conradi Peyeri Merycologia.) Cet auteur croit avec quelque raison que Ia petitesse des testicules des daines et des biches est cause de ce que Harvey n'y a pasremarqué 96 de changements, mais ilest lui-même dans l’er- reuren ce qu'il dit que ces changements qu'il y a remarqués, et qui avaient échappé à Harvey, n'arrivent qu'après une copulation féconde. Il parait d'ailleurs que Harvey s’est trompé sur plusieurs autres choses essentielles; il as- sure que la semence du mâle n'entre pas dans la matrice de la femelle, et même qu'elle ne peut pas y entrer; et cependant Verheyen a trouvé une grande quantité de semence du mâle dans la matrice d'une vache disséquée seize heures après l’accouplement ( Voyez Verheyen, sup. Anal. Tra. V, cap. 3). Le célèbre Ruysch as- sure avoir disséqué la matrice d’une femme qui, ayant été surprise en adultère, fut assassinée sur-le-champ, et avoir trouvé non-seulement dans la cavité de la matrice, mais aussi dansles deux trompes, une bonne quantité de liqueur séminale du mâle (Voyez Ruysch, Thes. anat. pag. 90, Tabl. VE, fig. 4). Vallisnieri assure que Fallope et d'autres anatomistes ont aussi trouvé, comme Ruysch , de la semence du mâle dans la matrice de plusieurs femmes; on ne peut donc guère douter, après le témoignage positif de ces grands anatomistes, que Harvey ne se soit trompé sur ce point important, sur- tout si l'on ajoute à ces témoignages celui de Leeuwenhoek, qui assure avoir trouvé de la semence du mäle dans la matrice d’un très- grand nombrede femelles de toute espèce, qu'il a disséquées après l’accouplement,. Une autre erreur de fait est ce que dit Har- vey, cap. 16, n° 7, au sujet d'une fausse cou- che du second mois ; dont la masse était grosse comme un œuf de pigeon, mais encore sans aucun fœtus formé; tandis qu'on est assuré, par le témoignage de Ruysch et de plusieurs autres anatomistes, que le fœtus est toujours re- connaissable, même à l'œil simple, dans le pre- mier mois. L'Histoire de l'Académie fait men- tion d’un fœtus de vingt-un jours, et nous ap- prend qu'il était cependant formé en entier, et qu'on en distinguait aisément toutes les parties. Si l'on ajoute à ces autorités celle de Malpighi, qui a reconnu le poulet dans la cicatricule, im- médiatement après que l'œuf fut sorti du corps de la poule, et avant qu'il eût été couvé, on ne pourra pas douter que le fœtus ne soit formé et n'existe dès le premier jour et immédiate- ment après la copulation ; et par conséquent on ne doit donner aucune croyance à tout ce que Harvey dit au sujet des parties qui viennent HISTOIRE NATURELLE s’ajuster les unes auprès des autres par juxta- position, puisque au contraire elles sont toutes existantes d'abord, et qu’elles ne font que se développer successivement. Graaf a pris le mot d'œuf dans une accep- tion toute différente de Harvey; il a prétendu que les testicules des femmes étaient de vrais ovaires qui contenaient des œufs semblables à ceux que contiennent les ovaires des femelles ovipares; mais seulement que ces œufs étaient beaucoup plus petits, et qu'ils ne tombaient pas au dehors, qu'ils ne se détachaient jamais que quand ils étaient fécondés; et qu'alors ils des- cendaient de l'ovaire dans les cornes de la ma- trice, où ils grossissaient. Les expériences de Graaf sont celles qui ont le plus contribué à faire croire l'existence de ces prétendus œufs, qui cependant n’est point du tout fondée; car ce fameux anatomiste se trompe, i°en ce qu'il prend les vésiculaires de l'ovaire pour des œufs, tandis que ce ne sont que des parties insépa- fables du testicule de la femelle, qui même en forment la substance, et que ces mêmes vési- cules sont remplies d'une espèce de lymphe. Il se serait moins trompé s’il n'eût regardé ces vésicules que comme de simples réservoirs, et la lymphe qu'elles contiennent comme la li- queur séminale de la femelle, au lieu de pren- dre cette liqueur pour du blanc d'œuf; 2° ilse trompe encore en cequ'il assure que le follicule ou le corps glanduleux est l'enveloppe de ces œufs ou de ces vésicules, car il est certain, par les observations de Malpighi, de Valisnieri, et par mes propres expériences, que ce corps glanduleux n'enveloppe point ces vésicules, et n’en contient aucune ; 3° ilse trompe encore davantage lorsqu'il assure que ce follicule ou corps glanduleux ne se forme jamais qu'a- près la fécondation; tandis qu'au contraire on trouve ces corps glanduleux formés dans toutes les femelles qui ont atteint la puberté; 4° il se trompe lorsqu'il dit que les globules qu'il a vus dans la matrice, et qui contenaient le fœtus, étaient ces mêmes vésicules ou œufs de l'ovaire qui y étaient descendus, etqui, dit-il, y étaient devenus dix fois plus petits qu'ils ne l’étaient dans l'ovaire : cette seule remarque de les avoir trouvés dix fois plus petits dans la matrice qu'ils ne l’étaient dans l'ovaire au moment de la fécondation, ou même avant et après cet in- stant, n'aurait-elle pas dù lui faire ouvrir les yeux , et lui faire reconnaitre que ce qu'il voyait DES ANIMAUX. 97 dans la matrice n'était pas ce qu'il avait vu dans le testicule? 5° Il se trompe en disant que les corps glanduleux du testicule ne sont que l'enveloppe de l'œuf fécond. et que le nombre de ces enveloppes ou follicules vides répond toujours au nombre des fœtus : cette assertion est tout à fait contraire à la vérité, car on trouve toujours sur les testicules de toutes les femelles un plus grand nombre de corps glan- duleux ou de cicatrices qu'il n'y a eu de pro- ductions de fœtus, et on en trouve dans celles qui n’ont pas produit du tout. Ajoutez à tout cela qu'il n'a jamais vu l'œuf dans sa prétendue enveloppe ou dans son follieule , et que ni lui, ni Verheyen, ni les autres qui ont fait les mêmes expériences, n'ont vu cet œuf sur le- quel ils ont cependant établi leur système. Malpighi, qui a reconnu l'accroissement du corps glanduleux dans le testicule de la femelle, s'est trompé lorsqu'il a eru voir une fois ou deux l'œuf dans la cavité de ce corps glandu- leux, puisque cette cavité ne contient que de la liqueur, et qu'après un nombre infini d'ob- servations on n'y à jamais trouvé rien de sem- blable à un œuf, comme le prouvent les expé- riences de Valisnieri. Valisnieri, qui ne s’est point trompé sur les faits, en a tiré une fausse conséquence, sa- voir: que, quoiqu'il n'ait jamais, ni lui ni au- cun anatomiste en quiil eût confiance, pu trou- ver l'œuf dans la cavité du corps glanduleux, il fallait bien cependant qu'il y füt. Voyons donc ce qui nous reste de réel dans les découvertes de ces observateurs , et sur quoi nous puissions compter. Graaf a reconnu le pre- mier qu'il yavaitdesaltérations aux testicules des femelles, et il a eu raison d'assurer que ces testi- cules étaient des parties essentielles et néces- saires à la génération. Malpighi a démontré ce que c'était que ces altérations aux testicules des femelles , etil a fait voir que c’étaient des corps glanduleux qui croissaient jusqu’à une entière maturité, après quoi ils s’affaissaient, s’oblité- raient, et ne laissaient qu'une très-lésère cica- trice. Valisnieri a mis cette découverte dans un très-grand jour : il a fait voir que ces corps glanduleux se trouvaient sur les testicules de tou- tes les femelles, qu'ils prenaient un accroisse- ment considérable dans la saison de leurs amours, qu'ils s’augmentaient et croissaient aux dépens des vésicules lymphatiques du tes- ticule, et qu'ils contenaient toujours dans le HI, temps de leur maturité une cavité remplie de liqueur. Voilà à quoi se réduit au vrai tout ce qu'on a trouvé au sujet des prétendus ovai- res et des œufs des vivipares. Qu'en doit-on conclure? deux choses qui me paraissent évi- dentes : l'une, qu'il n'existe point d'œufs dans les testicules des femelles, puisqu'on n'a pu y en trouver; l’autre, qu'ilexiste de la liqueur, et dans les vésicules du testicule , et dans la cavité du corps glanduleux , puisqu'on y en a toujours trouvé; et nous avons démontré, par les expé- riences précédentes, que cette dernière liqueur est la vraie semence de la femelle, puisqu'elle contient, comme celle du mâle, des animaux spermatiques, ou plutôt des parties organi- ques en mouvement. Nous sommes donc assurés maintenant que les femelles ont, comme les mâles, une liqueur séminale. Nous ne pouvons guère douter, après tout ce que nous avons dit, que la liqueur sé- minale en général ne soit le superflu de la nour- riture organique, qui est renvoyé de toutes les parties du corps dans les testicules et les vési- cules séminales des mâles, et dans les testicules et la cavité des corps glanduleux des femelles : cette liqueur, qui sort par le mamelon des corps glanduleux, arrose continuellemext les cornes de la matrice de la femelle, et peut aisément y pénétrer, soit par la succion du tissu même de ces cornes qui, quoique membraneux, ne laisse pas d’être spongieux ; soit par la petite ouver- ture qui est à l'extrémité supérieure des cornes, etiln'y a aucune difficulté à concevoir com- ment cette liqueur peut entrer dans la matrice; au lieu que, dans la supposition que les vé- sicules de l'ovaire étaient des œufs qui se dé- tachaient de l'ovaire, on n'a jamais pu com- prendre comment ces prétendus œufs, qui étaient dix ou vingt fois plus gros que l’ouver- ture des cornes de la matrice n’était large, pou- vaient y entrer, et on a vu que Graaff, auteur de ce système des œufs, était obligé de sup- poser, ou plutôt d’avouer que, quand ils étaient descendus dans la matrice, ils étaient devenus dix fois plus petits qu'ils nele sont dans l'ovaire. La liqueur que les femmes répandent lors- qu’elles sont excitées, et qui sort, selon Graaf, des lacunes qui sont autour du col de la matrice et autour de l'orifice extérieur de l’urètre, pourrait bien être une portion surabondante de la liqueur séminale qui distille continuellement des corps glanduleux du testicule sur les trompes 7 98 de la matrice, et qui peut y entrer directement toutes les fois que le pavillon se relève et s'ap- proche du testicule; mais peut-être aussi cette liqueur est-elle une sécrétion d'un autre genre et tout à fait inutile à la génération? Il aurait fallu, pour décider cette question, faire des ob- servations au microscope sur cette liqueur; mais toutes les expériences ne sont pas permises, même aux philosophes : tout ce que je puis dire, c’est que je suis fort porté à croire qu'on y trouverait les mêmes corps en mouvement, les mêmes animaux spermatiques, que l'on trouve dans la liqueur du corps glanduleux ; et je puis citer à ce sujet un docteur italien, qui s’est permis de faire avec attention cette espèce d'observation, que Valisnieri rapporte en ces termes (tome IT, p.156.col.1) : Aggiugne il lo- dato sig. Bono d’avergli ancoveduti(animali spermalici) in questa linfa o siero, diro cosi voluttuoso, che nel tempo dell” amorosa zuffa scappa dalle femine libidinose, senza che si potesse sospettare che fossero di que’ del mus- chio, ete. Si le fait est vrai, comme je n'en doute pas, il est certain que cette liqueur, que les femmes répandent, est la même que celle qui se trouve dans la cavité des corps glandu- ieux de leurs testicules, et que, par conséquent, c'est de la liqueur vraiment séminale; et quoique les anatomistes n'aient pas découvert de communication entre les lacunes de Graaf et les testicules, cela n'empêche pas que la li- queur séminale des testicules étant une fois dans la matrice, où elle peut entrer, comme je l'ai dit ci-dessus, elle ne puisse en sortir par ces petites ouvertures ou lacunes qui en envi- ronnent le col, et que, par la seule action du tissu spongieux de toutes ces parties, elle ne puisse parvenir aussi aux lacunes qui sont au- tour de l'orifice extérieur de l'urètre, surtout si le mouvement de cette liqueur est aidé par les ébranlements et la tension que l'acte de la génération occasionne dans toutes ces par- ties. De là on doit conclure que les femmes qui ont beaucoup de tempérament, sont peu fé- condes, surtoutsi elles font un usage immo- déré des hommes, parce qu'elles répandent au dehors la liqueur séminale qui doit rester dans la matrice pour la formation du fœtus. Aussi voyons-nous que les femmes publiques ne font point d'enfants, ou du moins qu'elles en font bien plus rarement que les autres ; et dans Jes HISTOIRE NATURELLE pays chauds, où elles ont toutes beaucoup plus de tempérament que dans les pays froids, elles sont aussi beaucoup moins fécondes. Mais nous aurons occasion de parler de ceci dans la suite. Il estnaturel de penser que la liqueur sémi- nale, soit du mâle, soit de la femelle, ne doit être féconde que quand elle contient des corps en mouvement; cependant c’est encore une question, et je serais assez porté à croire que, comme ces corps sont sujets à des changements de forme et de mouvement, que ce ne sont que des parties organiques qui se mettent en mou- vement selon différentes circonstances, qu’ils se développent, qu'ils se décomposent, ou qu'ils se composent suivant les différents rapports qu'ils ont entre eux, il y a une infinité de diffé- rents états de cette liqueur, et que l’état où elle est lorsqu'on y voit ces parties organiques en mouvement, n'est peut-être pas absolument nécessaire pour que la génération puisse s’o- pérer. Le même docteur italien que nous avons cité, dit qu'ayant observé, plusieurs années de suite, sa liqueur séminale, il n’y avaitjamais vu d'animaux spermatiques pendant toute sa jeu- nesse, que cependant il avait lieu de croire que cette liqueur était féconde, puisqu'il était devenu pendant ce temps le père de plusieurs enfants, et qu’il n'avait commencé à voir des animaux spermatiques dans cette liqueur, que quand il eut atteint le moyen âge, l’âge auquel on est obligé de prendre des lunettes, qu'il avait eu des enfants dans ce dernier temps aussi bien que dans le premier, et il ajoute qu'ayant comparé les animaux spermatiques de sa li- queur séminale avec ceux de quelques autres, il avait toujours trouvé les siens plus petits que ceux des autres. Il semble que cette observa- tion pourrait faire croire que la liqueur sémi- nale peut être féconde quoiqu'elle ne soit pas actuellement dans l’état où il faut qu'elle soit pour qu'on y trouve les parties organiques en mouvement, peut-être ces partiesne prennent- elles du mouvement dans ce cas, que quand la liqueur est dans le corps de la femelle; peut- être le mouvement qui y existe est-il insensible, parce que les molécules organiques sont trop petites. On peut regarder ces corps organisés qui se meuvent, ces animaux spermatiques, comme le premier assemblage de ces molécules orga- niques qui proyiennent de toutes les parties du DES ANIMAUX. 99 corps; lorsqu'ils'en rassemble une assez grande | que ce sont des animaux si imparfaits, qu’on quantité, elles forment un corps qui se meut et qu'on peut apercevoir au microscope ; mais Si elles ne se rassemblent qu’en petite quantité, le corps qu'elles formeront sera trop petit pour être aperçu, et dans ce cas on ne pourra rien distinguer de mouvant dans la liqueur sémi- uale : c’est aussi ce que j'ai remarqué très-sou- vent ; il y a des temps où cette liqueur ne con- tient rien d'animé, et il faudrait une très-longue suite d'observations pour déterminer quelles peuvent être les causes de toutes les différences qu'on remarque dans les états de cette liqueur. Ce que je puis assurer, pour l'avoir éprouvé souvent, c’est qu'en mettant infuser avec de l'eau les liqueurs séminales des animaux dans de petites bouteilles bien bouchées, on trouve au bout de trois ou quatre jours, et souvent plus tôt, dans la liqueur de ces infusions, une multitude infinie de corps en mouvement; les liqueurs séminales dans lesquelles il n'y a au- cun mouvement, aucune partie organique mouyante au sortir du corps de l'animal, en produisent tout autant que celles où il y ena une grande quantité ; le sang, le chyle, la chair, et même l'urine, contiennent aussi des parties organiques qui se mettent en mouvement au bout de quelques jours d'infusion dans de l'eau pure; les germes des amandes de fruits, les graines, le nectareum, le miel et même les bois, les écorces etles autres parties des plantes en produisent aussi de la même façon : on ne peut donc pas douter de l'existence de ces par- ties organiques vivantes dans toutes les sub- stances animales ou végétales. Dans les liqueurs séminales, il paraît que ces parties organiques vivantes sont toutes en action; il semble qu'elles cherchent à se déve- lopper, puisqu'on les voit sortir des filaments, et qu’elles se forment aux yeux même de l'ob- servateur ; au reste, ces petits corps des li- queurs séminales ne sont cependant pas doués d'une force qui leur soit particulière, car ceux que l’on voit dans toutes les autres substances animales ou végétales, décomposées à un cer- tain point, sont doués de la même force; ils agissent et se meuvent à peu près de la même façon, et pendant un temps assez considérable; ils changent de forme successivement pendant plusieurs heures, et même pendant plusieurs jours. Si l'on voulait absolument que ces corps fussent des animaux, il faudrait donc avouer | ne doit tout au plus les regarder que comme des ébauches d'animal, ou bien comme des corps simplement composés des parties les plus essentielles à un animal ; car des machines na- turelles, des pompes telles que sont celles qu'on trouve en si grande quantité dans la laite du calmar, qui d'elles-mèmes se mettent en action dans un certain temps, et qui ne finissent d'agir et de se mouvoir qu'au bout d'un autre temps, et après avoir jeté toute leur substance, ne | sont certainement pas des animaux, quoique ce soient des êtres organisés, agissants, et, pour ainsi dire, vivants , mais leur organisation est plus simple que celle d'un animal; et si ces machines naturelles, au lieu de n’agir que pen- dant trente secondes ou pendant une minute tout au plus, agissaient pendant un temps beaucoup plus long, par exemple pendant un mois où un an, je ne sais si On ne serait pas obligé de leur donner le nom d'animaux, quoi- qu’elles ne parussent pas avoir d'autre mouve- ment que celui d'une pompe qui agit par elle- même, et que leur organisation fût aussi simple en apparence que celle de cette machine artifi- cielle; car, combien n'y at-il pas d'animaux dans lesquels nous ne distinguons aucun mou- vement produit par la volonté! et n’en con- naissons-nous pas d’autres dont l’organisation nous parait si simple que tout leur corps est tansparent comme du cristal, sans aucun membre et presque sans aucune organisation apparente ? Si l'on convient une fois que l'ordre des pro- ductions de la nature se suit uniformément et se fait par degrés et par nuances, on n'aura pas de peine à concevoir qu'il existe des corps or- ganiques qui ne sont ni animaux, ni végétaux, ni minéraux : ces êtres intermédiaires auront eux-mêmes des nuances dans les espèces qui les constituent, et des degrés différents de per- fection et d'imperfection dans leur organisa- tion; les machines de la laite du calmar sont peut-être plus organisées, plus parfaites que les autres animaux spermatiques, peut-être aussi le sont-elles moins, les œufs le sont peut-être encore moins que les uns et les autres; mais nous n'avons sur cela pas même de quoi fonder des conjectures raisonnables. Ce qu'il y a de certain, c'est que tous les ani- maux et tous les végétaux, et toutes les parties des animaux et des végétaux contiennent une 100 HISTOIRE NATURELLE infinité demolécules organiques vivantes, qu'on peut exposer aux yeux de tout le monde, comme nous l'avons fait par les expériences | précédentes; ces molécules organiques pren- nent successivement des formes différentes et des degrés différents de mouvement et d'acti- vité, suivant les différentes circonstances : elles sont en beaucoup plus grand nombre dans les liqueurs séminales des deux sexes et dans les germes des plantes, que dans les autres par- ties de l'animal ou du végétal; elles y sont au moins plus apparentes et plus développées, ou, si l'on veut, elles y sont accumulées sous la forme de ces petits corps en mouvement. I] existe donc dans les végétaux et dans les ani- maux une substance vivante qui leur est com- mune, c'est cette substance vivante et organi- que qui est la matière nécessaire à la nutrition ; l'animal se nourrit de l'animal ou du végétal, comme le végétal peut aussi se nourrir de l’a- nimal ou du végétal décomposé : cette sub- stance nutritive, commune à l’un et à l’autre, est toujours vivante, toujours active; elle pro- duit l'animal ou le végétal, lorsqu'elle trouve un moule intérieur, une matrice convenable et analogue à l'un et à l'autre, comme nous l’a- vons expliqué dans les premiers chapitres ; mais, lorsque cette substance active se trouve rassemblée en grande abondance dans des en- droits où elle peut s'unir, elle forme dans le corps animal d’autres animaux tels que le tænia , les ascarides , les vers qu'on trouve quelquefois dans les veines, dans les sinus du cerveau, dans le foie, ete. Ces espèces d'’ani- maux ne doivent pas leur existence à d’autres animaux de même espèce qu'eux, leur géné- ration ne se fait pas comme eelle des autres animaux ; on peut donc croire qu'ils sont pro- duits par cette matière organique lorsqu'elle est extravasée, ou lorsqu'elle n’est pas pompée par les vaisseaux qui servent à la nutrition du corps de l'animal; il est assez probable qu'a- lors cette substance productive, qui est tou- jours active, et qui tend à s'organiser, produit des vers et de petits corps organisés de diffé- rente espèce suivant les différents lieux, les différentes matrices où elle se trouve rassem- blée : nous aurons dans la suite occasion d'exa- miner plus en détail lanature de ces vers et de plusieurs autres animaux qui se forment de la même façon, etde faire voir que leur production esttrès-différente de cequel'ona pensé jusqu'ici. Lorsque cette matière organique, qu'on peut resarder comme une semence universelle, est rassemblée en assez grande quantité, comme elle l'est dans les liqueurs séminales et dans la partie mucilagineuse de l'infusion des plantes, son premier effet est de végéter ou plutôt de produire des êtres végétants; ces espèces de zoophytes se gonflent, se boursouflent, s’éten- dent, se ramifient, et produisent ensuite des globules, des ovales et d'autres petits corps de différente figure, qui ont tous une espèce de vie animale, un mouvement progressif, sou- vent très-rapide, et d'autres fois plus lent; ces globules eux-mêmes se décomposent, changent de figure, et deviennent plus petits, et à me- sure qu'ils diminuent de grosseur, la rapidité de leur mouvement augmente; lorsque le mou- vement de ces petits corps est fort rapide, et qu'ils sont eux-mêmes en très-grand nombre dans la liqueur, elle s'échauffe à un point même très-sensible, ce qui m'a fait penser que le mouvement et l’action de ces parties organi- ques des végétaux et des animaux, pourraient bien être la cause de ce que l’on appelle fer- mentation. J'ai cru qu'on pouvait présumer aussi que le venin de la vipère et les autres poisons actifs, même celui de la morsure d’un animal enragé, pourraient bien ètre cette matière active trop exaltée; mais je n'ai pas encore eu le temps de faire les expériences que j'ai projetées sur ce sujet, aussi bien que sur les drogues qu'on em- ploie dans la médecine; tout ce que je puis as- surer aujourd'hui, c'est quetoutes les infusions des drogues les plus actives fourmillent de corps en mouvement, et que ces corps s’y for- ment en beaucoup moins de temps que dans les autres substances. Presque tous les animaux microscopiques sont de la même nature que les corps organisés qui se meuvent dans les liqueurs séminales, et dans les infusions des végétaux et de la chair des animaux; les anguilles de la farine, celles du blé ergaté, celles du vinaigre, celles de l'eau qui a séjourné sur des gouttières de plomb, ete., sont des êtres de la même nature que les premiers, et qui ont une oïigine semblable; mais nous réservons pour l'histoire particulière des animaux microscopiques les preuves que nous pourrions en donner ici. DES ANIMAUX. ADDITION Aux articles où il est question des corps glanduleux qui contiennent la liqueur séminale des femelles, Comme plusieurs physiciens, et mème quel- ques anatomistes paraissent encore douter de l'existence des corps glanduleux dans les ovaires, ou pour mieux dire dans les testicules des femelles, et particulièrement dans les tes- ticules des femmes, malgré les observations de Valisnieri, confirmées par mes expériences et par la découverte que j'ai faite du réservoir réel de la liqueur séminale des femelles, qui est filtrée par ces corps glanduleux, et conte- nue dans leur cavité intérieure; je crois de- voir rapporter ici le témoignage d'un très-ha- bile anatomiste, M. Ambroise Bertrandi, de Turin, qui m'a écrit dans les termes suivants au sujet de ces corps glanduleux In puellis à decimo-quarto ad vigesimum annum, quas non mins transaclæ vilæ genus, quäm partium genitalium intemerata integri- tas virgines decessisse indicabat, ovarialevia, globosa, atque turgidula reperiebum; in ali- quibus porrè luteas quasdam papillas detege- bam que corporum luteorum rudimenta refer- rent. In aliis verd adeû perfecta et turgentia vidi, ut totam amplitudinem suam acquisi- visse viderentur. Im in robustä el succi plenà puellà quæ furore uterino, diutino et vehe- menti, landem occubuerat, hujusmodi corpus inveni, quod cerasi magnitudinem excedebat, cujus ver papilla gangrent erat correpta, id- que totum atro sanguine oppletum. Corpus hoc luteum apud amicum asservatur. Ovaria in adolescentibus intùs interlexta videntur confertissimis vasculorum fasciculis, que arteriæ Spermaticæ propagines sunt. {In üis, quibus mammæ sororiari incipiunt et menstrua fluunt, admodim rubella apparent; nonnullæ ipsorum tenuissimæ propagines cir- cum vesiculas, quas ova nominant perducun- tur. Verüm è profundo ovarii villos nonnullos luteos germinantes vidimus, qui graminis ad instar, ut ait Malpighius, vesiculis in arcum ducebantur. Luleas hujusmodi propagines è sanguineis vasculis spermalicis elongart ex eo suspicabar, quèd injiciens per arteriam Spermaticam tenuissimam qummi solutionem in alkool, corporis lutei mamillas pervadisse viderim. 101 Tres porcellas Indicas à matre subduæi, alque à masculis separalas per quindecim menses asservavt; fine enecalis ,in duorum tur- gidulis ovariis corpuscula lutea inveni, succi plena,atque perfectæ plenitudinis. In pecubus quæ quidem à masculo compressæ fuerant, nunquan verû conceperant, lulea corpora sæpissimè observavi. Egregius anatomicus Santorinus hœæc scrip- sit de corporibus luteis. Observationum ana- tomicarum, cap XI. S x1v. 1n connubiis maturis ubi eorum cor- pora procreationt aplasunt.….. corpus luteum perpetuù reperilur. S xv. Graafius…. corpora lutea cognovit post coilum duntaxat, anteà nunquun sibi visa dicit… Nos ea tamen in intemeralis vrr- ginibus plurimis sæpè commonstrala luculen- ter vidimus, atque adeù neque ex viri inilu tüm primüm excilari, neque ad maturilatem perduci, sedisdem conclusum ovulum solum- mod fecundari dicendum est. .... Levia virginum ovaria quibus etiaäm maturum corpus inerat, nullo pertusa osculo albà validä circumsepta membranà vidimus. Vidimus aliquandÔ et nostris copiam fecimus in malur intemeralà quemodici habitàs vir- gine, dirissimi ventris cruciatu brevi per- emptà, non sic se allerum ex ovariis habere; quod quüm molle ac totum ferè succulentum , in allero tamen extremo luteum corpus, mèno- ris cerasi ferè magnitudine, paululüm promi- nens exhibebat, quod non mole duntaxat, sed et habitu et colore se conspiciendum da- bat. Il est done démontré, non-seulement par mes propres observations, mais encore par cel- les des meilleurs anatomistes qui ont travaillé sur ce sujet, quil croit sur les ovaires, ou pour mieux dire sur les testicules de toutes les fe- melles , des corps glanduleux dans l’âge de leur puberté , et peu de temps avant qu’elles n'entrent en chaleur; que dans la femme, où toutes les saisons sont à peu près égales à cet égard, ces corps glanduleux commencent à paraître lorsque le sein commence à s'élever, et que ces corps glanduleux, dont on peut com- parer l'accroissement à celui des fruits par la végétation, augmentent en effet en grosseur et en couleur jusqu'à leur parfaite maturité ; cha- que corps glanduleux est ordinairement isolé ; il se présente d'abord comme un petit tuber- 102 cule formant une légère protubérance sous la peau lisse et unie du testicule, peu à peu il sou- lève cette peau fine, et enfin il la perce lorsqu'il parvient àsa maturité; il est d'abord d'un blanc- jaunâtre, qui bientôt se change en jaune foncé, ensuite en rouge-rose, enfin en rouge couleur | de sang; ce corps glanduleux contient, comme les fruits, sa semence au dedans; mais au lieu d'une graine solide, ce n’est qu’une liqueur qui est la vraie semence de la femelle. Dès que le corps glanduleux est mûr, il s'entr’ouvre par son extrémité supérieure, et la liqueur sémi- nale contenue dans sa cavité intérieure s'écoule | par cette ouverture, tombe goutte à goutte dans les cornes de lamatrice etse répand dans toute la capacité de ce viscère, où elle doit rencon- trer la liqueur du mâle, et former l'embryon par leur mélange intime ou plutôt par leur pé- nétration. La mécanique par laquelle se filtre la liqueur séminale du mâle dans les testicules, pour ar- river et se conserver ensuite dans les vésicules séminales, a été si bien saisie et décrite dans un si grand détail par les anatomistes, que je ne dois pas m'en occuper ici; mais ces corps glanduleux, ces espèces de fruits que porte la femelle, et auxquels nous devons en par- tie notre propre génération, n'avaient été que très-légèrement observés, et personne avant moi n’en avait soupconné l'usage, ni connu les véritables fonctions , qui sont de filtrer la liqueur séminale et de la contenir dans leur cavité intérieure, comme les vésicules sémi- nales contiennent celle du mâle. Lesovaires outesticules des femelles sont done dans un travail continuel depuis la puberté jus- qu’à l’âge de stérilité. Dans les espèces où la femelle n'entre en chaleur qu’une seule fois par an, ilne croitordinairement qu'un ou deux corps glanduleux sur chaque testicule, et quelquefois sur un seul; ils se trouvent en pleine maturité dans le temps de la chaleur dont ils paraissent être la cause occasionnelle; c'est aussi pendant ce temps qu'ils laissent échapper la liqueur con- tenue dans leur cavité, et dès que ce réservoir est épuisé et que le testicule ne lui fournit plus de liqueur, la chaleur cesse et la femelle ne se soucie plus de recevoir le mâle; les corps glan- duleux, qui ont fait alors toutes leurs fonctions, commencent à se flétrir, ils s’affaissent, se des- sèchent peu à peu, et finissent par s’oblitérer en ne laissant qu'une petite cicatrice sur la peau HISTOIRE NATURELLE du testicule. L'année suivante, avant le temps de la chaleur, on voit germer de nouveaux corps glanduleux sur les testicules, mais jamais dans le même endroit où étaient les précédents; ainsi les testicules de ces femelles qui n’entrent en chaleur qu'une fois par an, n’ont de travail que pendant deux ou trois mois; au lieu que ceux de la femme , qui peut concevoir en toute sai- son, etdont la chaleur, sans être bien marquée, ne laisse pas d'être durable et même conti- ruelle, sont aussi dans un travail continuel; les corps glanduleux y germent en tout temps, il y en a toujours quelques-uns d’entièrement mûrs, d'autres approchant de la maturité, et d’autres, en plus grand nombre, qui sont obli- térés, et qui ne laissent que leur cicatrice à Ja surface du testicule. On voit, par l'observation de M. Ambroise Bertrandi, citée ci-dessus, que quand ces corps glanduleux prennent une végétation trop forte, ils causent dans toutes les parties sexuelles une ardeur si violente, qu'on l'a appelée fureur ulérine; si quelque chose peut la calmer, c’est l'évacuation de la surabondance de cette liqueur séminale filtrée en trop grande quantité par ces corps glanduleux trop puissants; la conti- nence produit dans ce cas les plus funestes ef- fets; car si cette évacuation n’est pas favorisée par l'usage du mâle, et par la conception qui doit en résulter, tout le système sexuel tombe en irritation et arrive à un tel érétisme que quelquefois la mort s'ensuit et souvent la dé- mence. C'est à ce travail continuel des testicules de la femme, travail causé par la germination et l'oblitération presque continuelle de ces corps glanduleux, qu'on doit attribuer la cause d’un grand nombre des maladies du sexe. Les ob- servations recueillies par les médecins anato- mistes, sous le nom de maladies des ovaires, sont peut-être en plus grand nombre que celles des maladies de toute autre partie du corps, et cela ne doit pas nous surprendre, puisque l’on sait que ces parties ont de plus que les autres, et indépendamment de leur nutrition, un tra- vail particulier presque continuel, qui ne peut s’opérer qu'à leurs dépens, leur faire des bles- sures, et finir par les charger de cicatrices. Les vésieules qui composent presque toute la substance des testicules des femelles, et qu'on croyait jusqu’à nos jours être les œufs des vi- vipares, ne sont rien autre chose que les ré- DES ANIMAUX. servoirs d'une Iymphe épurée, qui fait la pre- mière base de la liqueur séminale : cette lymphe qui remplit les vésicules ne contient encore au- eune molécule animée, aucun atome vivant ou se mouvant; mais dès qu'elle a passé par le filtre du corps glanduleux et qu’elle est déposée dans sa cavité, elle change de nature : car dès lors elle parait composée, comme la liqueur séminale du mâle, d’un nombre infini de par- tieules organiques vivantes et toutes semblables à celles que l'on observe dans la liqueur éva- cuée par le mâle, ou tirée de ses vésicules sé- minales. C'était done par une illusion bien grossière que les anatomistes modernes, pré- venus du système des œufs, prenaient ces vési- cules , qui composent la substance et forment l'organisation des testicules, pour les œufs des femelles vivipares; et c'était non-seulement par une fausse analogie qu'on avait transporté le mode de la génération des ovipares aux vivi- pares, mais encore par une grande erreur qu'on attribuait à l'œuf presque toute la puissance et l'effet de la génération. Dans tous les genres, l'œuf, selon ces physiciens-anatomistes , conte- nait le dépôt sacré des germes préexistants, qui n'avaient besoin pour se développer que d'être exeités par l'esprit séminal (aura semi- nalis) du mâle; les œufs de la première fe- melle contenaient non-seulement les germes des enfants qu'elle devait ou pouvait produire, mais ils renfermaient encore tous les germes de sa postérité, quelque nombreuse et quelque éloignée qu'elle pût être. Rien de plus faux que toutes ces idées : mes expériences ont elai- rement démontré qu'il n'existe point d'œuf dans les femelles vivipares, qu'elles ont comme le mâle leur liqueur séminale, que cette liqueur réside dans la cavité des corps elanduleux; qu'elle contient, comme celle des mâles, une infinité de molécules organiques vivantes. Ces mêmes expériences démontrent de plus que les femelles oviparesont, commeles vivipares, leur liqueur séminale toute semblable à celle du mâle; que cette semence de la femelle est contenue dans une très-petite partie de l'œuf, qu'on ap- pelle la cicatricule; que l'on doit comparer cette cicatricule de l'œuf des femelles ovipares au corps glanduleux des testicules des vivipares, puisque c’est dans cette cicatricule que se filtre et se conserve la semence de la femelle ovipare, comme la semence de la femelle vivipare se fil- tre et se conserve de même dans le corps glan- 103 duleux ; que c'est à cette même cicatricule que la liqueur du mâle arrive pour pénétrer celle de la femelle et y former l'embryon; que toutes les autres parties de l'œufne servent qu'à sa nutri- tion et à son développement; qu'enfin l'œuf lui- même n’est qu'une vraie matrice, une espèce de viscère portatif, qui remplace dans les femelles ovipares la matrice qui leur manque; la seule différence qu'il y ait entre ces deux viscères, c'est que l'œuf doit se séparer du corps de l'a- nimal , au lieu que la matrice y est fixement ad- hérente; quechaque femelle viviparen’a qu'une matrice, qui fait partie constituante de son corps et qui doit servir à porter tous les individus qu'elle produira, au lieu que dans la femelle ovipare il se forme autant d'œufs, c’est-à-dire autant de matrices qu'elle doit produire d’em- bryons, en la supposant fécondée par le mâle ; cette production d'œufs ou de matrices se fait successivement et en fort grand nombre, ellese fait indépendamment de la communication du mâle ; et lorsque l'œuf ou matrice n’est pas im- prégnée dans sa primeur, et que la semence de la femelle contenue dans la cicatricule de cet œuf naissant n'est pas fécondée, c’est-à-dire pénétrée de lasemence du mâle, alors cette ma- trice, quoique parfaitement formée à tous au- tres égards, perd sa fonction principale, qui est de nourrir l'embryon qui ne commence à s'y développer que par la chaleur de l'incuba- tion. Lorsque la femelle pond, elle n’accouche donc pas d’un fœtus, mais d'une matrice entiè- rement formée ; et lorsque cette matrice a été précédemment fécondée par le mâle, elle con- tient dans sa cicatricule le petit embryon dans un état de repos ou de 0n-vie, duquel il ne peut sortir qu'à l’aide d’une chaleur addition- nelle, soit par l'incubation, soit par d’autres moyens équivalents; etsi la cicatricule qui con- tient la semence de la femelle n’a pas été ar- rosée de celle du mâle, l'œuf demeure infécond, mais il n’en arrive pas moins à son état de per- fection ; comme il a en propre et indépendam- ment de l'embryon une vie végétative, il croit, se développe et grossit jusqu'à sa pleine matu- rité; c’est alors qu'ilse sépare de la grappe à la- quelle il tenait par son pédicule, pour serevétir ensuite de sa coque. Dans les vivipares, la matrice a aussi une vie végétative; mais cette vie est intermittente, et n'est même excitée que par la présence de 10% HISTOIRE NATURELLE l'embryon. A mesure que le fœtus croît, la ma- trice croit aussi, et ce n’est pas une simple ex- tension en surface, ce qui ne supposerait pas une vie végétative, mais c'est un accroisse- ment reel, une augmentation de substance et d'étendue dans toutes les dimensions ; en sorte que la matrice devient, pendant la grossesse, plus épaisse, plus large et plus longue. Et cette espèce de vie végétative de la matrice, qui n’a commencé qu'au même moment que celle du fœtus, finit et cesse avec son exclusion; car après l'accouchement la matrice éprouve un mouvement rétrograde dans toutes ses dimen- sions ; au lieu d’un accroissement, c’est un af- faissement, elle devient plus mince, plus étroite, plus courte, et reprend en assez peu de temps ses dimensions ordinaires, jusqu'à ce que la presence d’un nouvel embryon lui rende une nouvelle vie. La vie de l'œuf étant au contraire tout à fait indépendante de celle de l'embryon, n'est point intermittente, mais continue depuis le premier instant qu'il commence de végéter sur la grappe à laquelle il est attaché, jusqu'au moment de son exclusion par la ponte; et lorsque l'em- bryon, excité par la chaleur de l'incubation, commence à se développer, l'œuf, qui n’a plus de vie végétative, n'est dès lors qu'un être passif, qui doit fournir à l'embryon la nourri- ture dontila besoin pour son accroissement et son développement entier ; l'embryon convertit en sa propre substance la majeure partie des différentes liqueurs contenues dans l'œuf qui est sa vraie matrice, et qui ne diffère des au- tres matrices que parce qu'il estséparé du corps de la mère; et lorsque l'embryon a pris dans cette matrice assez d’'accroissement et de force pour briser sa coque, il emporte avec lui le reste des substances qui y étaient renfermées. Cette mécanique de la génération des ovipa- res, quoique en apparence plus compliquée que celle de la génération des vivipares , est néan- moins la plus facile pour la nature, puisqu'elle est la plus ordinaire et la plus commune; car si l’on compare le nombre des espèces vivipa- res à celui des espèces ovipares, on trouvera que les animaux quadrupèdes et cétacés. qui seuls sont vivipares, ne font pas la centième partie du nombre des oiseaux , des poissons et des insectes qui tous sont ovipares ; et comme cette génération par les œufs a toujours été celle qui s’est présentée le plus généralement et le plus fréquemment, il n’est pas étonnant qu'on ait voulu ramener à cette génération par les œufs, celle des vivipares, tant qu'on n'a pas connu la vraie nature de l'œuf, et qu'on ignorait encore si la femelle avait, comme le mâle, une liqueur séminale : l’on prenait done les testicules des femelles pour des ovaires, les vésicules lymphatiques de ces testicules pour des œufs, et on s'éloignait de la vérité, d'au- tant plus qu'on rapprochait de plus près les prétendues analogies , fondées sur le faux prin- cipe omnia ex ovo, que toute génération venait d’un œuf. CHAPITRE IX. Variétés dans la génération des animaux, La matière qui sert à la nutrition et à la re- production des animaux et des végétaux est done la même; c’est une substance productive et universelle composée de molécules organi- ques toujours existantes , toujours actives, dont la réunion produit les corps organisés. La na- ture travaille done toujours sur le même fonds, et ce fonds est inépuisable; mais les moyens qu'elle emploie pour le mettre en valeur sont différents les uns des autres , et les différences ou les convenances générales méritent que nous y fassions attention, d'autant plus que c'est de là que nous devons tirer les raisons des exceptions et des variétés particulières. On peut dire en général que les grands ani- maux sont moins féconds que les petits; la ba- leine, l'éléphant, le rhinocéros, le chameau, le bœuf, le cheval, l'homme, ete., ne produi- sent qu'un fœtus , et très-rarement deux ; tandis que Les petits animaux , comme les rats, les ha- rengs, les insectes, produisent un grand nom- bre de petits. Cette différence ne viendrait-elle pas de ce qu’il faut beaucoup plus de nourri- ture pour entretenir un grand corps que pour en nourrir un petit, et que, proportion gardée, il y a dans les grands animaux beaucoup moins de nourriture superflue qui puisse devenir se- mence, qu'il n'y en a dans les petits animaux? Il est certain que les petits animaux mangent plus à proportion que les grands ; mais il sem- ble aussi que la multiplication prodigieuse des plus petits animaux, comme des abeilles, des mouches et des autres insectes, pourrait être DES ANIMAUX. attribuée à ce que ces petits animaux étant doués d'organes très-fins et de membres très- déliés , ils sont plus en état que les autres de choisir ce qu'il y a de plus substantiel et de plus organique dans les matières végétales où animales dont ils tirent leur nourriture. Une abeille, qui ne vit que de la substance la plus pure des fleurs, reçoit certainement par cette nourriture beaucoup plus de molécules organi- ques , proportion gardée, qu'un cheval ne peut en recevoir par les parties grossières des végé- taux , le foin et la paille , qui lui servent d'ali- ment; aussi le cheval ne produit-il qu'un fœtus, tandis que l'abeille en produit trente mille. Les animaux ovipares sont en général plus petits que les vivipares, ils produisent aussi beaucoup plus : le séjour que les fœtus font dans la matrice des vivipares s'oppose encore à la multiplication; tandis que ce viscère est rempli et qu'il travaille à la nutrition du fœtus, il ne peut y avoir aucune nouvelle génération ; au lieu que les ovipares qui produisent en même temps les matrices et les fœtus, et qui les lais- sent tomber au dehors, sont presque toujours en état de produire ; et l'on sait qu'en empè- chant une poule de couver et en la nourrissant largement, on augmente considérablement le produit de sa ponte; si les poules cessent de pondre lorsqu'elles couvent, c'est parce qu'elles ont cessé de manger , et que la crainte où elles paraissent être de laisser refroidir leurs œufs fait qu'elles ne les quittent qu’une fois par jour, et pour un très-petit temps, pendant lequel elles prennent un peu de nourriture, qui peut- être ne va pas à la dixième partie de ce qu'elles en prennent dans les autres temps. Les animaux qui ne produisent qu'un petit nombre de fœtus prennent la plus grande partie de leur accroissement, et même leur ac- croissement tout entier , avant que d'être en état d’engendrer ; au lieu que les animaux qui multiplient beaucoup engendrent avant même que leur corps ait pris la moitié, ou même le quart de son accroissement. L'homme, le che- val , le bœuf, l'âne, le boue, le bélier, ne sont capables d’engendrer que quand ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement; il en est de même des pigeons et des autres oiseaux qui ne produisent qu’un petit nombre d'œufs ; mais ceux qui en produisent un grand nombre, comme les coqs et les poules, les poissons, ete., engendrent bien plus tôt; un coq est capable 105 d'engendrer à l'âge de trois mois, et il n’a pas alors pris plus du tiers de son accroissement; un poisson qui doit au bout de vingt ans peser trente livres, engendre dès la première ou se- conde année , et cependant il ne pèse peut-être pas alors une demi-livre. Mais il y aurait des observations particulières à faire sur l'accrois- sement et la durée de la vie des poissons ; on peut reconnaitre à peu près leur âge, en exa- minant avec une loupe ou un microscope les couches annuelles dont sont composées leurs écailles, mais on ignore jusqu'où il peut s'é- tendre; j'ai vu des carpes chez M. le comte de Maurepas, dans les fossés de son château de Pontchartrain, qui ont au moins cent cinquante ans bien avérés , et elles m'ont paru aussi agi- les et aussi vives que des carpes ordinaires. Je ne dirai pas avec Leeuwenhoek que les poissons sont immortels , ou du moins qu'ils ne peuvent mourir de vieillesse; tout, ce me semble, doit périr avec le temps, tout ce qui a eu une ori- gine, une naissance, un commencement , doit arriver à un but, à une mort, à une fin; mais il est vrai que les poissons vivant dans un élé- ment uniforme, et étant à l'abri des grandes vi- cissitudes et de toutes les injures de l’air, doi- vent se conserver plus longtemps dans le même état que les autres animaux ; et si ces vicissitu- des de l'air sont, comme le prétend un grand philosophe ‘, les principales causes de la des- truction des êtres vivants, il est certain que les poissons étant de tous les animaux ceux qui y sont le moins exposés , ils doivent durer beau- coup plus longtemps que les autres; mais ce qui doit contribuer encore plus à la longue durée de leur vie, c’est que leurs os sont d’une sub- stance plus molle que ceux des autres animaux, et qu'ils ne se durcissent pas, et ne changent presque point du tout avec l’âge; les arêtes des poissons s’allongent , grossissent et prennent de l'accroissement sans prendre plus de solidité, du moins sensiblement ; au lieu que les os des autres animaux, aussi bien que toutes les au- tres parties solides de leur corps, prennent tou- jours plus de dureté et de solidité; et enfin lors- qu'elles sont absolument remplies et obstruées, le mouvement cesse et la mort suit. Dans les arêtes, au contraire, cette augmentation de so- lidité, cette réplétion, cette obstruction qui est la cause de la mort naturelle, ne se trouve pas, * Le chancelier Bâcon. Voyez son Traité de la Vie et de la mort, 106 ou du moins ne se fait que par degrés beaucoup plus lents et plus insensibles, et il faut peut-être beaucoup de temps pour que les poissons arri- vent à la vieillesse. Tousles animaux quadrupèdes et quisont cou- verts de poil sont vivipares; tous ceux qui sont couverts d’écailles sont ovipares; les vivipares sont, comme nous l'avons dit, moins féconds que les ovipares : ne pourrait-on pas croire que dans les quadrupèdes ovipares, il se fait une bien moindre déperdition de substance par la transpiration, que le tissu serré des écailles la retient, au lieu que dans les animaux couverts de poil cette transpiration est plus libre et plus abondante? et n'est-ce pas en partie par cette surabondance de nourriture, qui ne peut être emportée par la transpiration , que ces animaux multiplient davantage, et qu'ils peuvent aussi se passer plus longtemps d'aliments que les au- tres? Tous les oiseaux et tous les insectes qui volent, sont ovipares, à l'exception de quelques espèces de mouches ‘ qui produisent d’autres petites mouches vivantes; ces mouches n'ont point d'ailes au moment de leur naissance, on voit ces ailes pousser et grandir peu à peu, à mesure que la mouche grossit, et elle ne com- mence à s'en servir que quand elle a pris son accroissement; les poissons couverts d’écailles sont aussi tous ovipares; les reptiles qui n’ont point de pieds, comme les couleuvres et les dif- férentes espèces de serpents, sont aussi ovipa- res; ils changent de peau, et cette peau est composée de petites écailles. La vipère ne fait qu'une lésère exception à la règle générale , car elle n'est pas vraiment vivipare; elle produit d’abord des œufs, et les petits sortent de ces œufs; mais il est vrai que tout cela s'opère dans le corps de la mère , et qu'au lieu de jeter ses œufs au dehors, comme les autres animaux ovi- pares elleles garde et les faitécloreen dedans : les salamandres dans lesquelles on trouve des œufs, et en même temps des petits déjà formés, comme l’a observé M. de Maupertuis ?, feront une exception de la même espèce daus les ani- maux quadrupèdes ovipares. La plus grande partie des animaux se perpé- tuent par la copulation; cependant parmi les animaux qui ont des sexes il y en a beaucoup qui ne se joignent pas par une vraie copula- tion; il semble que la plupart des oiseaux ne ! Voyez Leenwenhoek. tom. IV, pages 91 et 92. ? Mémoires de l'Académie, année 1727, page 52, HISTOIRE NATURELLE fassent que comprimer fortement la femelle, comme le coq, dont la verge, quoique double , est fort courte, les moineaux, les pigeons, ete. d’autres à la vérité, comme l’autruche, le ca- nard, l'oie, ete., ont un membre d’une gros- seur considérable, et l'intromission n’est pas équivoque dans ces espèces: les poissons mâles s'approchent de la femelle dans le temps du frai ; il semble même qu'ils se frottent ventre contre ventre, car le mälese retourne quelque- fois sur le dos pour rencontrer le ventre de la femelle ; mais avec cela il n’y a aucune copula- tion, le membre nécessaire à cet acte n'existe pas, et lorsque les poissons mâles s’approchent de si près de la femelle, ce n’est que pour ré- pandre la liqueur contenue dans leurs laites sur les œufs que la femelle laïsse couler alors; il semble que ce soient les œufs qui les attirent plutôt que la femelle, car si elle cesse de jeter des œufs, le mâle l'abandonne, et suit avec ardeur les œufs que le courant emporte, ou que le vent disperse : on le voit passer et repasser cent fois dans tous les endroits où il y a des œufs: ce n'est sûrement pas pour l'amour de la mère qu'ilse donne tous ces mouvements, il n’est pas à présumer qu'il la connaisse toujours, car on le voit répandre sa liqueur sur tous les œufs qu'il rencontre, etsouvent avant que d'avoir rencon- tré la femelle. Il y a done des animaux qui ont des sexes et des parties propres à la copulation, d’autres qui ont aussi des sexes, et qui manquent des parties nécessaires à la copulation; d’autres, comme les limacons, ont des parties propres à la copulation, et ont en même temps les deux sexes ; d’autres, comme les pucerons, n’ont point de sexe, sont également pères ou mères, et engendrent d'eux-mêmes et sans copulation, quoiqu'ils s’accouplent aussi quand il leur plait, sans qu'on puisse savoir trop pourquoi, ou, pour mieux dire, sans qu'on puisse savoir si cet accouplement estune conjonction de sexes, puisqu'ils en paraissent tous également privés ou également ponrvus ; à moins qu'on ne veuille supposer que la nature a voulu renfermer dans l'individu de cette petite bête plus de facultés pour la génération que dans aucune autre es- pèce d'animal, et qu'elle lui aura accordé non- seulement la puissance de se reproduire tout seul, mais encore le moyen de pouvoir aussi se multiplier par la communication d’un autre in- dividu. | DES ANIMAUX. Mais de quelque facon que la génération s'o- père dans les différentes espèces d'animaux, il parait que la nature la prépare par une nou- velle production dans le corps de l'animal ; soit que cette production se manifeste au dehors, soit qu'elle reste cachée dans l'intérieur, elle précède toujours la génération; ear si l'on exa- mine les ovaires des ovipares et les testicules des femelles vivipares, on reconnaitra qu'a- vant l'imprégnation des unes et la fécondation des autres, il arrive un changement considé- rable à ces parties, et qu'il se forme des pro- ductions nouvelles dans tous les animaux , lorsqu'ils arrivent au temps où ils doivent se multiplier. Les ovipares produisent des œufs, qui d'abord sont attachés à l'ovaire, qui peu à peu grossissent ets'en détachent, pour se re- vêtir ensuite, dans le canal qui les contient, du blane, de leurs membranes et de la coquille. Cette production est une marque non équi- voque de la fécondité de la femelle, marque qui la précède toujours, et sans laquelle la génération ne peut être opérée. De même dans les femelles vivipares il y asur les testicules un ou plusieurs corps glanduleux, qui croissent peu à peu au-dessous de la membrane qui en- veloppe le testicule; ces corps glanduleux grossissent, s'élèvent, percent, ou plutôt pous- sent et soulèvent la membrane qui leur est commune avec le testicule; ils sortent à l’ex- térieur, et lorsqu'ils sont entièrement formés, et que leur maturité est parfaite, il se fait à leur extrémité extérieure une petite fente ou plusieurs petites ouvertures, par où ils laissent échapper la liqueur séminale, qui tombe en- suite dans la matrice: ces corps glanduleux sont, comme l'on voit, une nouvelle production qui précède la génération, et sans laquelle il n'y en aurait aucune. Dans les mâles il y a aussi une espèce de production nouvelle qui précède toujours la génération ; car dans les mâles des ovipares, il se forme peu à peu une grande quantité de li- queur qui remplit un réservoir très-considéra- ble, et quelquefois le réservoir même se forme tous les ans; dans les poissons, la laite se forme de nouveau tous les ans, comme dans le cal- mar; ou bien, d'une membrane sèche et ridée qu'elle était auparavant, elle devient une mem- brane épaisse et qui contient une liqueur abon- dante ; dans les oiseaux, les testicules se gon- flent extraordinairement dans le temps qui 107 précède celui de leurs amours, en sorte que leur grosseur devient, pour ainsi dire, mon- strueuse si on la compare à celle qu'ils ont or- dinairement ; dans les mâles des vivipares, les testicules se gonflent aussi assez considérable- ment dans les espèces qui ont un temps de rut marqué ; et en général dans toutes les espèces il y a de plus un gonflement et une extension du membre génital, qui, quoiqu’elle soit passagère etextérieure au corps de l'animal, doit cepen- dant être regardée comme une production nou- velle qui précède nécessairement toute géné- ration. Dans le corps de chaque animal, soit mâle, soit femelle, il se forme donc de nouvelles pro- ductions qui précèdent la génération; ces pro- ductions nouvelles sont ordinairement des par- ties particulières, comme les œufs, les corps glanduleux, les laites, ete., et quand il n'y à pas de production réelle, il y a toujours un gonflement et une extension très-considérable dans quelques-unes des parties qui servent à la génération ; mais dans d’autres espèces, non- seulement eette production nouvelle se mani- feste dans quelques parties du corps, mais même il semble que le corps entier se repro- duise de nouveau avant que la génération puisse s'opérer, je veux parler des insectes et de leurs métamorphoses. IL me parait que ce change- ment, cette espèce de transformation qui leur arrive, n'est qu'une production nouveile qui leur donne la puissance d’engerdrer; c'est au moyen de cette production que les organes de la génération se développent et se mettent en état de pouvoir agir, car l'accroissement de l'animal est pris en entier avant qu'il se trans- forme; il cesse alors de prendre de la nourri- ture, et le corps sous cette première forme n’a aucun organe pour la génération, aueun moyen de transformer cette nourriture, dont ces ani- maux ont une quantité fort surabondante, en œufs et en liqueur séminale; et dès lors cette quantité surabondante de nourriture, qui est plus grande dans les insectes que dans aucune autre espèce d'animal, se moule et se réunit tout entière, d'abord sous une forme qui dé- pend beaucoup de celle de l'animal même, et qui y ressemble en partie: la chenille devient papillon, parce que n'ayant aucun organe, au- eun viscère capable de contenir le superflu de la nourriture, et ne pouvant par conséquent produire de petits êtres organisés, semblables 108 au grand, cette nourriture organique, toujours active, prend une autre forme en se joignant en total selon les combinaisons qui résultent de la figure de la chenille, et elle forme un pa- pillon, dont la figure répond en partie, et mème pour la constitution essentielle, à celle de la chenille, mais dans lequel les organes de la génération sont développés, et peuvent rece- voir et transmettre les parties organiques de la nourriture qui forment les œufs et les indi- vidus de l'espèce, qui doivent, en un mot, opérer la génération; et les individus qui pro- viennent du papillon ne doivent pas être des pa- pillons, mais des chenilles, parce qu'en effet c’est la chenille qui a pris la nourriture, et que les parties organiques de cette nourriture se sont assimilées à la forme de la chenille et non pas à celle du papillon, qui n'est qu'une production accidentelle de cette même nourri- ture surabondante, qui précède la production réelle des animaux de cette espèce, et qui n’est qu'un moyen que la nature emploie pour y arriver, comme lorsqu'elle produit les corps glanduleux, ou les laites, dans les autres es- pèces d'animaux : mais cette idée, au sujet de la métamorphose des insectes, sera développée avecavantage, et soutenue de plusieurs preuves, dans notre histoire des insectes. Lorsque la quantité surabondante de lanour- riture organique n'est pas grande, comme dans l'homme et dans la plupart des gros animaux, la génération ne se fait que quand l'accroisse- ment du corps de l'animal est pris, et cette gé- nération se borne à la production d’un petit nombre d'individus ; lorsque cette quantité est plus abondante, comme dans l’espèce des coqs, dans plusieurs autres espèces d'oiseaux, et dans celles de tous les poissons ovipares, la génération se fait avant que le corps de l'ani- mal ait pris son accroissement, et la produc- tion de cette génération s'étend à un grand nombre d'individus ; lorsque cette quantité de nourriture organique est encore plus surabon- dante, comme dans les insectes, elle produit d'abord un grand corps organisé, qui retient la constitution intérieure et essentielle de l'ani- mal, mais qui en diffère par plusieurs parties, comme le papillon diffère de la chenille ; et en- suite, après avoir produit d'abord cette nou- velle forme de corps, et développé sous cette forme les organes de la génération, cette gé- nération se fait en très-peu de temps. et sa pro- HISTOIRE NATURELLE duction est un nombre prodigieux d'individus semblables à l'animal qui le premier à préparé cette nourriture organique dont sont composés les petits individus naissants ; enfin, lorsque la surabondance de la nourriture est encore plus grande, et qu'en même temps l'animal a les organes nécessaires à la génération, comme dans l'espèce des pucerons, elle produit d’a- bord une génération dans tous les individus, et ensuite une transformation, c’est-à-dire un grand corps organisé, comme dans les autres insectes; le puceron devient mouche, mais ce dernier corps organisé ne produit rien, parce qu'il n’est en effet que le superflu, ou plutôt le reste de la nourriture organique qui n'avait pas été employée à la production des petits puce- rons. Presque tous les animaux, à l'exception de l'homme, ontchaque année des temps marqués pour la génération; le printemps est pour les oiseaux la saison de leurs amours ; celle du frai des carpes et de plusieurs autres espèces de poissons, est le temps de la plus grande cha- leur de l’année, comme aux mois de juin et d'août; celle du frai des brochets, des bar- beaux et d'autres espèces de poissons, est au printemps ; les chats se cherchent au mois de janvier, au mois de mai et au mois de septem- bre ; les chevreuils, au mois de décembre ; les loups et les renards, en janvier; les chevaux, en été ; les cerfs, au mois de septembre et d'oc- tobre ; presque tous les insectes ne se joignent qu'en automne, ete. Les uns, comme ces der- niers, semblent s'épuiser totalement par l'acte de la génération; et en effet, ils meurent peu de temps après, comme l’on voit mourir au bout de quelques jours les papillons qui pro- duisent les vers à soie; d'autres ne s’épuisent pas jusqu'à l'extinction de la vie, maïs ils de- viennent, comme les cerfs, d'une maigreur ex- trême et d’une grande faiblesse, et il leur faut untemps considérable pour réparer la perte qu'ils ont faite de leur substance organique ; d'autres s’épuisent encore moins et sont en état d'engendrer plus souvent; d'autres enfin, comme l’homme, ne s’épuisent point du tout, ou du moins sont en état de réparer prompte- ment la perte qu'ils ont faite, et ils sont aussi en tout temps en état d'engendrer; cela dépend uniquement de la constitution particulière des organes de ces animaux : les grandes limites que la nature a mises dans la manière d'exister, DES ANIMAUX. se trouvent toutes aussi étendues dans la ma- uière de prendre et de digérer la nourriture, dans les moyens de la rendre ou de la garder, dans ceux de la séparer et d'en tirer les molé- eules organiques nécessaires à la reproduction; et partout nous trouverons toujours que tout ce qui peut être, est. On doit dire lamème chose du temps de la génération des femelles ; les unes, comme les juments, portent le fœtus pendant onze à douze mois; d’autres, comme les femmes, les vaches, les biches, pendant neuf mois ; d’autres, comme les renards, le: louves, pendant cinq mois; les chiennes pendant neuf semaines, les chattes pendant six, les lapins trente-un jours; la plu- part des oiseaux sortent de l'œuf au bout de vingt-un jours ; quelques-uns, comme les se- rins, éclosent au bout de treize ou quatorze jours, ete.; la variété est ici tout aussi grande qu’en toute autre chose, seulement il parait que les plus gros animaux, qui ne produisent qu'un petit nombre de fœtus, sont ceux qui portent le plus longtemps ; ce qui confirme encore ce que nous avons dit, que la quantité de nourriture organique est à proportion moindre dans les gros que dans les petits animaux, car c’est du superflu de la nourriture de la mère, que le fœtus tire celle qui est nécessaire à son ac- croissement et au développement de toutes ses parties ; et puisque ce développement demande beaucoup plus de temps dans les gros animaux que dans les petits, c’est une preuve que la quantité de matière qui y contribue n’est pas aussi abondante dans les premiers que dans les derniers. Il y a done une variété infinie dans les ani- maux pour le temps et la manière de porter, de s'accoupler et de produire, et cette même variété se trouve dans les causes mêmes de la génération ; car quoique le principe général de toute production soit cette matière organique qui est commune à tout ce qui vitou végète, la manière dont s’en fait la réunion doit avoir des combinaisons à l'infini, qui toutes peuvent de- venir des sources de productions nouvelles : mes expériences démontrent assez clairement qu'il n'y a point de germes préexistants, et en même temps elles prouvent que la génération des animaux et des végétaux n’est pas uni- voque ; il y a peut-être autant d'êtres, soit vi- vants, soit végétants, qui se produisent par l'assemblage fortuit des molécules organiques, 109 qu'il y a d'animaux ou de végétaux qui peu- vent se reproduire par une succession Con- stante de générations; c'est à la production de ces espèces d'êtres, qu'on doit appliquer l'axiome des anciens: Corruplio unius, gene- ratio alterius. La corruption, la décomposition des animaux et des végétaux produit une in- finité de corps organisés vivants et végétants : quelques-uns, comme ceux de la laite du cal- mar, ne sont que des espèces de machines, mais des machines qui, quoique très-simples, sont actives par elles-mêmes ; d'autres, comme les animaux spermatiques, sont des corps qui, par leur mouvement, semblent imiter les ani- maux ; d'autres imitent les végétaux par leur manière de croitre et de s'étendre; il yena d'autres, comme ceux du blé ergoté, qu'on peut alternativement faire vivre et mourir aussi souvent que l'on veut, et l'on ne sait à quoi les comparer; il y en a d'autres, même en grande quantité, qui sont d’abord des es- pèces de végétaux, qui ensuite deviennent des espèces d'animaux, lesquels redeviennent à leurtour des végétaux, ete. Il y a grande ap- parence que plus on observera ce nouveau genre d'êtres organisés, et plus on y trouvera de variétés, toujours d'autant plus singulières pour nous qu'elles sont plus éloignées de nos yeux et de l'espèce des autres variétés que nous présente la nature. Par exemple, l'ergot ou le blé ergoté, qui est produit par une espèce d’altération ou de décomposition de la substance organique du grain, est compose d'une infinité de filets ou de petits corps organisés, semblables par la figure à des anguilles; pour les observer au micros- cope, il n'y a qu’à faire infuser le grain pendant dix à douze heures dans de l’eau, et séparer les filets qui en composent la substance, on verra qu'ils ont un mouvement de flexion et de tor- tillement très-marqué, et qu'ils ont en même temps un léger mouvement de progression qui imite en perfection celui d'une anguille qui se tortille ; lorsque l’eau vient à leur manquer, ils cessent de se mouvoir ; en y ajoutant de la nou- velle eau, leur mouvement recommence, et si on garde cette matière pendant plusieurs jours, pendant plusieurs mois, et même pendant plu- sieurs années, dans quelque temps qu'on la prenne pour l’observer, on y verra les mêmes petites anguilles, dès qu’on la mélera avec de l'eau, les mêmes filets en mouvement qu'on y 110 aura vus la première fois; en sorte qu'on peut faire agir ces petites machines aussisouvent et aussi longtemps qu’on le veut, sans les détruire et sans qu'elles perdent rien de leur force ou de leur activité. Ces petits corps seront, si l'on veut, des espèces de machines qui se mettent en mou- vement dès qu'elles sont plongées dans un fluide. Ces filets s'ouvrent quelquefois comme les filaments de la semence, et produisent des globules mouvants ; on pourrait done croire qu'ils sont de la même nature, et qu'ils sont seulement plus fixes et plus solides que ces fila- ments. Les anguilles qui se forment dans la colle faite avec de la farine, n'ont pas d'autre origine que la réunion des molécules organiques de la partie la plus substantielle du grain; les premières anguilles qui paraissent ne sont certainement pas produites par d’autres anguilles; cependant, quoiqu'elles n'aient pas été engendrées, elles ne laissent pas d'engendrer elles-mêmes d’autres anguilles vivantes ; on peut, en les coupant avec la pointe d'une lancette, voir les petites an- guilles sortir de leur corps, et même en très- grand nombre, il semble que le corps de l’ani- mal ne soit qu'un fourreau ou un sac-qui con- tient une multitude d'autres petits animaux, qui ne sont peut-être eux-mêmes que des fourreaux de la même espèce, dans lesquels , à mesure qu'ils grossissent, la matière organique s’assimile et prend la même forme d'anguilles. Il faudrait un plus grand nombre d’observa- tions que je n’en ai, pour établir des classes et des genres entre ces êtres si singuliers et jus- qu'à présent si peu connus; il y en à qu'on pourrait regarder comme de vrais zoophytes qui végètent, et qui en même temps paraissent se tortiller, et qui meuvent quelques-unes de leurs parties, comme les animaux les remuent ; ily en a qui paraissent d’abord être des ani- maux, et qui se joignent ensuite pour former des espèces de végétaux : qu'on suive seule- ment avec un peu d'attention la décomposition d'un grain de froment dans l’eau, on y verra une partie de ce que je viens de dire. Je pour- rais joindre d'autres exemples à ceux-ci ; mais je ne les ai rapportés que pour faire remarquer la variété qui se trouve dans la génération prise généralement; il y a certainement des êtres organisés que nous regardons comme des animaux, et qui cependant ne sont pas engen- drés par des animaux de même espèce qu'eux ; HISTOIRE NATURELLE il y en a qui ne sont que des espèces de ma- chines; il y a de ces machines, dont l'action est limitée à un certain effet, et qui ne peuvent agir qu'une fois et pendant un certain temps, comme les vaisseaux laiteux du calmar; il y en a d'autres qu'on peut faire agir aussi longtemps et aussi souvent qu'on le veut, comme celles du blé ergoté; il y a des êtres végétants qui produisent des corps animés, comme les fila- ments de la semence humaine, d'où sortent des globules actifs et qui se meuvent par leurs pro- pres forces. Il y a dans la classe de ces êtres organisés qui ne sont produits que par la cor- ruption, la fermentation, ou plutôt la décom- position des substances animales ou végétales ; il y a, dis-je, dans cette classe des corps orga- nisés qui sont de vrais animaux, qui peuvent produire leurs semblables, quoiqu'ils n'aient pas été produits eux-mêmes de cette facon. Les limites de ces variétés sont peut-être encore plus grandes que nous ne pouvons l'imaginer ; nous avons beau généraliser nos idées, et faire des efforts pour réduire les effets de la nature à de certains points, et ses productions à de certaines classes, il nous échappera toujours une infinité de nuances, et même de degrés, qui cependant existent dans l'ordre naturel des choses. ADDITION A l'article des Variétés dans la Génération, et aux articles où il est question de la génération spon- tance. Mes recherches et mes expériences sur les molécules organiques démontrent qu'il ny a point de germes préexistants, et en même temps elles prouvent que la génération des animaux et des végétaux n'est pas univoque ; qu'il y a peut-être autant d'êtres, soit vivants, soit vé- gétants, qui se reproduisent par l'assemblage fortuit des molécules organiques, qu'il y a d’a- nimaux ou de végétaux qui peuvent se repro- duire par une succession constante de généra- tions; elles prouvent que la corruption, la décomposition des animaux et des végétaux, produit une infinité de corps organisés vivants et végétants; que quelques-uns, comme ceux de la laite du calmar, ne sont que des espèces de machines, mais des machines qui, quoique très-simples, sont actives par elles-mêmes; que d'autres, comme les animaux spermatiques, DES ANIMAUX. sont des corps qui, par leur mouvement, sem- blent imiter les animaux ; que d'autres ressem- blent aux végétaux par leur manière de croitre et de s'étendre dans toutes leurs dimensions ; qu'il y en a d'autres, comme ceux du b/é ergoté, qu'on peut faire vivre et mourir aussi souvent que l’on veut; que l’ergot ou le blé ergoté, qui est produit par une espèce d’altération ou de décomposition de la substance organique du grain, est composé d'une infinité de filets ou de petits corps organisés, semblables pour la fi- gure à des anguilles; que pour les observer au microscope il n'y a qu'à faire infuser le grain ergoté pendant dix à douze heures dans l'eau, et séparer les filets qui en composent la sub- stance ; qu'on verra qu'ils ont un mouvement de flexion et de tortillement très-marqué, et qu'ils ont en même temps un léger mouvement de progression qui imite en perfection celui d'une anguille qui se tortille; que quand l'eau vient à leur manquer ils cessent de se mou- voir; mais qu'en ajoutant de la nouvelle eau, leur mouvement se renouvelle; et que si on garde cette matière pendant plusieurs jours, pendant plusieurs mois, et même pendant plu- sieurs années, dans quelque temps qu'on la prenne pour l'observer on y verra les mêmes petites anguilles dès qu’on la mêlera avec de l'eau, les mêmes filets en mouvement qu'on y aura vus la première fois; eu sorte qu'on peut faire agir ces petits corps aussi souvent et aussi longtemps qu'on le veut, sans les détruire et sans qu'ils perdent rien de leur force ou de leur activité. Ces petits corps seront, si l'on veut, des espèces de machines qui se mettent en mouvement dès qu'elles sont plongées dans un fluide. Ce sont des filets ou filaments qui s’ou- yrent quelquefois comme les filaments de la se- mence des animaux, et produisent des globules mouvants ; on pourrait done croire qu'ils sont de la même nature, et qu’ils sont seulement plus fixes et plus solides que ces filaments de la li- queur séminale. Voilà ce que jai ditausujet dela décomposition du blé ergoté .Celame parait assez préciset même tout à fait assez détaillé; cependantje viens de re- cevoir une lettre de M. l'abbé Luc Magnanima, datée de Livourne, le50 mai 1775, par laquelle il m'annonce, comme une grande et nouvelle découverte de M. l'abbé Fontana, ce que l'on vient de lire, et que j'ai publié il y a plus de trente ans, Voici les termes de cette lettre : Z 111 Sig. Abbate Fontana, FisicodisS. À. R. ha fatto stampare, poche setlimane sono, una lettera nella quale egli publica due scoperte che deb- bon sosprendere chiunque. La prima versa in- torno a quella malattia del grano che à Fran- cesi chiamano ergot, e noi grano cornulo.…. Ha trovalo, colla prima scoperta, il sig. Fontana, che si ascondono in quella malattia del grano alcune anguillette , o serpentelli, à quali morti che sieno, posson tornare a vivere mille e mille volle, e non con allro mezzo che con una simplice goccia d'acqua ; si dirà che non eran forse morli quando si è preteso che dornino in vila. Queslo si è pensalo dal! observalore stesso, e per accerlarsi che eran morti di fatlo, colla punta di un ago ei gli ha tentali, e gli ha veduli andarsene in ce- nere. Il faut que MM. les abbés Magnanima et Fontana n'aient pas lu ce que j'aiécrit àce sujet, ou qu'ils ne se soient pas souvenus de ce petit fait, puisqu'ils donnent cette découverte comme nouvelle : j'aidone tout droit de la revendiquer, et je vais y ajouter quelques réflexions. C'est travailler pour l'avancement des scien- ces, que d'épargner du temps à ceux qui les cultivent : je crois donc devoir dire à ces obser- vateurs, qu'il ne suffit pas d'avoir un bon mi- croscope pour faire des observations qui méri- tent le nom de découvertes. Maintenant qu'il est bien reconnu aue toute substance organisée contient une infinité de molécules organiques vivantes, et présente encore après sa décompo- sitionles mêmes particules vivantes; maintenant que l’on sait que ces molécules organiques ne sont pas de vrais animaux, et qu'il y a dans ce genre d'êtres microscopiques autant de variétés et de nuances que la nature ena mis dans toutes ses autres productions , les découvertes qu’on peut faire au microscope se réduisent à bien peu de chose, car on voit de l'œil de l'esprit et sans microscope l'existence réelle de tous ces petits êtres dont il est inutile de s'occuper séparément; tous ont une origine commune et aussi ancienne que la nature, ils en constituent la vie, et pas- sent de moules en moules pour la perpétuer. Ces molécules organiques toujours actives, tou- jours subsistantes, appartiennent également à tous les êtres organisés, aux végétaux comme aux animaux; elles pénètrent lamatière brute, la travaillent, la remuent dans toutes ses di- mensions, et la font servir de base au tissu de 112 l'organisation , de laquelle ces molécules vivan- tes sont les seuls principes et les seuls instru- ments; elles ne sont soumises qu’à une seule puissance qui, quoique passive, dirige leur mouvement et fixe leur position. Cette puissance est le moule intérieur du corps organisé; les molécules vivantes que l'animal ou le végétal tire des aliments ou de la sève, s’assimilent à toutes les parties du moule intérieur du corps, elles le pénètrent dans toutes ses dimensions , elles y portent la végétation et la vie, elles ren- dent ce moule vivant et croissant dans toutes ses parties; la forme intérieure du moule déter- mine seulement leur mouvement etleur position pour la nutrition et le développement dans tous les êtres organisés. Et lorsque ces molécules organiques vivantes ne sont plus contraintes par la puissance du moule intérieur, lorsque la mort fait cesser le jeu de l'organisation , c’est-à-dire la puissance de ce moule, la décomposition du corps suit, et les molécules organiques, qui toutes survivent, se retrouvant en liberté dans la dissolution et la putréfaction des corps , passent dans d’autres corps aussitôt qu’elles sont pompées par la puis- sance de quelque autre moule ; en sorte qu'elles peuvent passer de l'animal au végétal, et du végétal à l'animal sans altération , et avec la propriété permanente et constante de leur porter la nutrition et la vie, seulement il arrive une infinité de générations spontanées dans cet intermède où la puissance du moule est sans action, c’est-à-dire dans cet intervalle &e temps pendant lequel les molécules organiques se trouvent en liberté dans la matière des corps morts et décomposés; dès qu’elles ne sont point absorbées par le moule intérieur des êtres orga- nisés qui composent les espèces ordinaires de la nature vivante ou végétante , ces molécules toujours actives travaillent à remuer la matière putréfiée, elles s’en approprient quelques parti- cules brutes, et forment par leur réunion une multitude de petits corps organisés, dont les uns, commeles vers de terre, les champignons, ete., paraissent être des animaux ou des végétaux assez grands; mais dont les autres, en nombre presque infini, ne se voient qu'au microscope ; tous ces corps n'existent que par une génération spontanée, et ils remplissent l'intervalle que la nature a mis entre la simple molécule organi- que vivante et l'animal ou le végétal; aussi trouve-t-on tous les degrés, toutes les nuances HISTOIRE NATURELLE imaginables dans cette suite, dans cette chaîne d'êtres, qui descend de l'animal le mieux orga- nisé à la molécule simplement organique; prise seule, cette molécule est fort éloignée de la na- ture de l'animal; prises plusieurs ensemble, ces molécules vivantes en seraient encore tout aussi loin si elles ne s’appropriaient pas des particules brutes, et sielles ne les disposaient pas dans une certaine forme approchante de celle du moule intérieur des animaux ou des végétaux ; etcomme cette disposition de forme doit varier à l'infini, tant pour le nombre que par la diffé- rente action des molécules vivantes contre la matière brute, il doit en résulter et il en résulte en effet des êtres de tous degrés d’'animalité. Et cette génération spontanée à laquelle tous ces êtres doivent également leur existence s'exerce et se manifeste toutes les fois que les êtres orga- nisés se décomposent; elle s'exerce constam- ment et universellement après la mort, et quel- quefois aussi pendant leur vie, lorsqu'il y a quelque défaut dans l’organisation du corps, qui empêche le moule intérieur d’absorber et de s’assimiler toutes les molécules organiques con- tenues dans les aliments; ces molécules sur- abondantes qui ne peuvent pénétrer le moule intérieur de l'animal pour sa nutrition, cher- chent à se réunir avec quelques particules de la matière brute des aliments, et forment, comme dans la putréfaction , des corps organisés; c’est là l'origine des ténias , des ascarides, des dou- ves et de tous les autres vers qui naissent dans le foie, dans l'estomac, les intestins et jusque dans les sinus des veines de plusieurs animaux ; c'estaussi l'origine de tous les vers qui leur per- cent la peau; c’est la même cause qui produit les maladies pédiculaires; et je ne finirais pas si je voulais rappeler ici tous les genres d'êtres qui ne doivent leur existence qu'à la génération spontanée; je me contenterai d'observer que le plus grand nombre de ces êtres n'ont pas la puissance de produire leur semblable : quoi- qu'ils aient un moule intérieur, puisqu'ils ont à l'extérieur et à l'intérieur une forme déter- minée, qui prend de l'extension dans toutes ses dimensions, et que ce moule exerce sa puissance pour leur nutrition, il manque néanmoins à leur organisation Ja puissance de renvoyer les molécules organiques dans un réservoir com- mun, pour y former de nouveaux êtres sem- blables à eux. Le moule intérieur suffit donc ici à la nutrition de ces corps organisés, son nt DES ANIMAUX. action est limitée à cette opération, mais sa puissance ne s'étend pas jusqu'à la reproduc- tion. Presque tous ces êtres engendrés dans la corruption y périssent en entier; comme ils sont nés sans parents ils meurentsans postérité. Cependant quelques-uns, tels que les anguilles du mucilage de la farine, semblent contenir des germes de postérité; nous avons vu sortir, même en assez grand nombre, de petites an- guilles de cette espèce d'une anguille plus grosse; néanmoins cette mère anguille n'avait point eu de mère, et ne devait son existence qu'à une génération spontanée; il parait donc par cet exemple et par plusieurs autres, tels que la production de la vermine dans les mala- dies pédiculaires , que dans de certains cas cette génération spontanée a la même puissance que la génération ordinaire, puisqu'elle produit des êtres qui ont la faculté de se reproduire. A la vérité, nous ne sommes pas assurés que ces petites anguilles de la farine, produites par la mère anguille, aient elles-mêmes la faculté de se reproduire par la voie ordinaire de la géné- ration, mais nous devons le présumer, puisque dans plusieurs autres espèces, telles que celles des poux qui, tout à coup sont produits en si grand nombre par une génération spontanée dans les maladies pédiculaires, ces mêmes poux qui n’ont ni père ni mère, ne laissent pas de se perpétuer comme les autres par une généra- tion ordinaire et successive. Au reste, j'ai donné dans mon Traité de la Génération un grand nombre d'exemples qui prouvent la réalité de plusieurs générations spontanées : j'ai déjàdit (v. p.155 de ce volume) que les molécules organiques vivantes , conte- nues dans tous les êtres vivants ou végétants, sont toujours actives, et que quand elles ne sont pas absorbées en entier par les animaux, ou par les végétaux pour leur nutrition, elles produisent d’autres êtres organisés. J'ai dit aus- si, p. 156, que quand cette matière organique et productive se trouve rassemblée en grande quantité dans quelques parties de l'animal où elle est obligée de séjourner sans pouvoir être repompée , elle y forme des êtres vivants; que le ténia, les ascarides, tous les vers qu'on trouve dans le foie , dans les veines, etc , ceux qu'on tire des plaies, la plupart de ceux qui se forment dans les chairs corrompues , dans le pus, n'ont pas d'autre origine; et que les an- guilles de la colle de farine, celles du vinaigre: LLLA 113 tous les prétendus animaux microscopiques, ne sont que des formes différentes que prend d'elle-même , et suivant les circonstances, cette matière toujours active et qui ne tend qu’à l’or- ganisation. Il y a des circonstances où cette même ma- tière organique non-seulement produit des corps organisés, comme ceux que je viens de citer, mais encore des êtres dont la forme par- ticipe de celle des premières substances nutri- tives qui contenaient les molécules organi- ques. J'ai donné précédemment l'exemple d'un peuple des déserts de l'Éthiopie, qui est sou- vent réduit à vivre de sauterelles : cette mau- vaise nourriture fait qu'il s'engendre dans leur chair des insectes ailés, qui se multiplient en si grand nombre , qu'en très-peu de temps leur corps en fourmille; en sorte que ces hommes, qui ne se nourrissent que d'insectes, sont à leur tour mangés par ces mêmes insectes. Quoique ce fait m'ait toujours paru dans l’ordre de la nature , il serait incroyable pour bien des gens, si nous n'avions pas d'autres faits analogues et même encore plus positifs. Un très-habile physicien et médecin de Mont- pellier, M. Moublet, a bien voulu me commu- niquer , avec ses réflexions, le Mémoire sui- vant, que j'ai cru devoir copier en entier. « Une personne âgée de quarante-six ans, dominée depuis longtemps par la passion immo- dérée du vin, mourut d’une hydropisie ascite, au commencement de mai 1750. Son corps resta environ un mois et demi enseveli dans la fosse où il fut déposé et couvert de cinq à six pieds de terre. Après ce temps, on l'en tira pour en faire la translation dans un caveau neuf, préparé dans un endroit de l’église éloi- gné de la fosse. Le cadavre n’exhalait aucune mauvaise odeur; mais quel fut l'étonnement des assistants, quand l'intérieur du cercueil et le linge dans lequel il était enveloppé, parurent absolument noirs , et qu'il en sortit par la se- cousse et le mouvement qu'on y avait excité , un essaim ou une nuée de petits insectes ailés , d'une couleur noire, qui se répandirent au dehors. Cependant on le transporta dans le ca- veau qui fut scellé d'une large pierre, qui s’a- justait parfaitement. Le surlendemain on vit une foule des mêmes animaleuies qui erraient et voltigeaient autour des rainures et sur les petites fentes de la pierre où ils étaient particu- lièrement attroupés. Pendant les trente à qua- 8 114 rante jours qui suivirent l'exhumation, leur nombre y fut prodigieux, quoiqu'on en écrasât une partie en marchant continuellement dessus. Leur quantité considérable ne diminua ensuite qu'avec le temps, et trois mois s'étaient déjà écoulés qu'il en existait encore beaucoup. « Ces insectes funèbres avaient le corps noi- râtre ; ils avaient pour la figure et pour la forme une conformité exacte avec les moucherons qui sucent la lie du vin; ils étaient plus petits, et paraissaient entre eux d’une grosseur égale : leurs ailes étaient tissues et dessinées dans leur proportion en petits réseaux, comme celles des mouches ordinaires; ils en faisaientpeu d'usage, rampaient presque toujours, et malgré leur mul- titude ils n’excitaient aucun bourdonnement. « Vus au microscope, ils étaient hérissés sous le ventre d'un duvet fin, légèrement sil- lonné et nuancé en iris, de différente couleur, ainsi que quelques vers apodes, qu'on trouve dans des plantes vivaces. Ces rayons colorés étaient dus à des petites plumes squammeuses, dont leur corcelet était inférieurement couvert et dont on aurait pu facilement les dépouiller, en se servant de la méthode que Swammerdam employait pour en déparer le papillon de jardin. « Leurs yeux étaient lustrés comme ceux de la Musea chrysophis de Goëdaert. Ils n'étaient armés ni d'antennes, ni de trompes, ni d'ai- guillons; ils portaient seulement des barbillons à la tête , et leurs pieds étaient garnis de petits : maillets ou de papilles extrêmement légères, qui s'étendaient jusqu’à leurs extrémités. « Je ne les ai considérés que dans l’état que je décris; quelque soin que j'aie apporté dans mes recherches, je n’ai pu reconnaitre aucun indice qui me fit présumer qu'ils aient passé par celui de larve et de nymphe; peut-être plusieurs raisons de convenance et de proba- bilité donnent lieu de conjecturer qu'ils ont été des vers microscopiques d'une espèce par- ticulière, avant de devenir ce qu'ils m'ont paru. En les anatomisant, je n’ai découvert aucune | sorte d'enveloppe dont ils pussent se dégager, ni aperçu sur le tombeau aucune dépouille qui ait pu leur appartenir. Pour éclaircir et ap- profondir leur origine, ilaurait été nécessaire, et il n’a pas été possible de faire infuser de la chair du cadavre dans l’eau, ou d'observer sur lui-même, dans leur principe, les petits corps mouvants qui en sont issus. « D'après les traits dont je viens de les dé- HISTOIRE NATURELLE peindre, je crois qu'on peut les rapporter au premier ordre de Swammerdam. Ceux que j'ai écrasés n'ont point exhalé de mauvaise odeur sensible; leur couleur n'établit point une diffé- rence : la qualité de l'endroit où ils étaient resserrés, les impressions diverses qu'ils ont recues et d’autres conditions étrangères, peu- vent être les causes occasionnelles de la confi- guration variable de leurs pores extérieurs , et descouleurs dont ils étaient revêtus. On sait que les vers de terre, après avoir été submergés et avoir resté quelque temps dans l’eau, devien- nent d’un blanc de lis qui s’efface et se ternit quand onles a retirés, et qu'ils reprennent peu à peu leur première couleur. Le nombrede ces in- sectes ailés a été inconcevable ; cela me per- suade que leur propagation a coûté peu à la nature, et que leurs transformations, s'ils en ont essuyé, ont dû êtrerapides et bien subites. « Il est à remarquer qu'aucune mouche ni au- eune autre espèce d'insectes ne s’en sont jamais approchés. Ces animalcules éphémères, retirés de dessus la tombe dont ils ne s’éloignaient point, périssaient une heure après, sans douté pour avoir seulement changé d’élément et de pâture, et je n'ai pu parvenir par aucun moyen à les conserver en vie. « J’ai eru devoir tirer de la nuit du tombeau etde l'oubli des temps qui l'ont annihilée, cette observation particulière et si surprenante. Les objets qui frappent le moins les yeux du vul- gaire, et que la plupart des hommes foulent aux pieds, sont quelquefois ceux qui méritent le plus d'exercer l'esprit des philosophes. « Car comment ont été produits ces insectes dans un lieu où l'air extérieur n’avait ni com- munication ni aucune issue? pourquoi leur génération s'est-elle opérée si facilement? pourquoi leur propagation a-t-elle été si grande? quelle est l’origine de ceux qui, attachés sur les bords des fentes de la pierre qui couvrait le caveau, ne tenaient à la vie qu'en humantlair que le cadavre exhalait! d'où viennent enfin leur analogie et leur similitude avec les mou- cherons qui naissent dans le marc du vin? Il semble que plus on s'efforce de rassembler les lumières et les découvertes d'un plus grand nombre d'auteurs, pour répandre un certain jour sur toutes ces questions, plus leurs juge- ments partagés et combattus les replongent dans l'obscurité où la nature les tient cachées. « Les anciens ont reconnu qu'il nait con- DES ANIMAUX. stamment et régulièrement une foule d'in- sectes ailés de la poussière humide des caver- nes souterraines', Ces observations et l'exemple que je rapporte, établissent évidemment que telle est la structure de ces animalcules que l'air n’est point nécessaire à leur vie ni à leur ! génération, et on a lieu de présumer qu’elle n'est accélérée, et que la multitude de ceux qui étaient renfermés dans le cercueil n'a été si grande, que parce que les substances ani- males qui sont concentrées profondément dans le sein de la terre, soustraites à l’action de l'air, ne souffrent presque point de déperdition, et que les opérations de la nature n'y sont trou- blées par aueun dérangement étranger. « D'ailleurs, nous connaissons des animaux qui ne sont point nécessités.de respirer notre air ; il y en a qui vivent dans la machine paeumatique. Enfin Théophraste et Aristote ont cru que certaines plantes et quelques ani- maux s’engendrent d'eux-mêmes, sans germe, sans semence, sans la médiation d'aucun agent extérieur; car on ne peut pas dire, selon la supposition de Gassendi et de Lyster, que les insectes du cadavre de notre hydropique aient été fournis par les animalcules qui circulent dans l'air, ni par les œufs qui peuvent se trou- ver dans les aliments, ou par des germes pré- existants qui se sont introduits dans son corps pendant la vie, et qui ont éclos et se sont mul- tipliés après sa mort. « Sans nous arrêter, pour rendre raison de ce phénomène, à tant de systèmes incomplets de ces philosophes, étayons nos idées de ré- flexions physiques d'un savant naturaliste qui a porté dans ce siècle le flambeau de la science dans le chaos de la nature. Les éléments de notre corps sont composés de particules si- milaires et organiques qui sont tout à la fois nutritives et productives, elles ont une exis- tence hors de nous, une vertu intrinsèque inal- térable. En changeant de position, de combi- naison et de forme, leur tissu ni leur masse ne dépérissent point, leurs propriétés originelles | ne peuvent s’altérer; ce sont de petits ressorts doués d’une force active en qui résident les principes du mouvement et de la vitalité, qui ont des rapports infinis avec toutes les choses créées, qui sont susceptibles d'autant de chan- gements et de résultats divers qu'ils peuvent être mis en jeu par des causes différentes. No- ! Pline, Hist.nat., lib. XIL 115 tre corps n’a d'adhérence à la vie qu'autant que ces molécules organiques conservent dans leur intégrité leurs qualités virtuelles et leurs facultés génératives, qu'elles se tiennent arti- eulées ensemble dans une proportion exacte, et que leurs actions rassemblées concourent également au mécanisme général; car chaque partie de nous-mêmes est un tout parfait quia un centre où son organisation se rapporte, et d'où son mouvement progressif etsimultané se développe, se multiplie et se propage dans tous les points de la substance. « Nous pouvons donc dire que ces molé- cules organiques, telles que nous les représen- tons, sont les germes communs, les semences universelles de tous les règnes, et qu'elles cir- culent et sont déterminées en tout lieu : nous les trouvons dans les aliments que nous pre- nons, nous les humons à chaque instant avec l'air que nous respirons; elles s’ingèrent et s’incorporent en nous, elles réparent par leur établissement local, lorsqu'elles sont dans une quantité suffisante, les déperditions de notre corps, et en conjuguant leur action et leur vie particulière, elles se convertissent en notre propre nature et nous prêtent une nouvelle vie et des forces nouvelles. « Mais si leur intus-susception et leur abon- dance sont telles, que leur quantité excède de beaucoup celle qui est nécessaire à l'entretien et à l'accroissement du corps, les particules organiques qui ne peuvent être absorbées pour ses besoins, refluent aux extrémités des vais- seaux, rencontrent des canaux oblitérés, se ramassent dans quelque réservoir intérieur, et selon le moule qui les recoit, elles s’assimilent, dirigées par les lois d’une affinité naturelle et réciproque, et mettent au jour des espèces nouvelles, des êtres animés et vivants, et qui n'ont peut-être point eu de modèles et qui n'existeront jamais plus. « Et quand en effet sont-elles plus abon- dantes, plus ramassées, que lorsque la nature accomplit la destruction spontanée et parfaite d'un corps organisé? Dès l'instant que la vie est éteinte, toutes les molécules organiques qui composent la substance vitale de notre corps lui deviennent excédantes et superflues ; Ja mort anéantit leur harmonie et leur rapport, détruitleur combinaison, rompt les liens qui les enchainent et qui les unissent ensemble ; elle en fait l'entière dissection et la vraie ana- 116 HISTOIRE NATURELLE lyse. La matière vivante se sépare peu à peu de la matière morte; il se fait une division réelle des particules organiques et des particules brutes ; celles-ci, qui ne sont qu'accessoires, et qui ne servent que de base et d'appui aux premières, tombent en lambeaux et se perdent dans la poussière, tandis que les autres se dégagent d'elles-mêmes, affranchies de tout ce quiles cap- tivait dans leur arrangement et leur situation particulière; livrées à leur mouvement intestin, elles jouissent d’une liberté illimitée et d'une anarchie entière, et cependant disciplinée, parce que la puissance et les lois de la nature survivent à ses propres ouvrages. Elles s'amon- celent encore, s'anastomosent et s’articulent, forment de petites masses et de petits embryons qui se développent , et produisent, selon leur assemblage et les matrices où elles sont recélées, des corpsmouvants, des êtres animés et vivants. La nature, d'une manière également facile, ré- gulière etspontanée, opère par le même méca- nisme la décomposition d’un corps et la généra- tion d’un autre. « Si cette substance organique n’était effec- tivement douée de cette faculté générative, qui se manifeste d'une façon si authentique dans tout l'univers, comment pourraient éclore ces animalcules qu'on découvre dans nos viscères les plus cachés, dans les vaisseaux les plus pe- tits ? Comment dans des corps insensibles, sur des cendres inanimées, au centre de la pourri- tureet de la mort, dans le sein des cadavres qui reposent dans une nuit etun silence imper- turbables, naïtrait en si peu de temps une si grande multitude d'insectes si dissemblables à eux-mêmes, qui n'ont rien de commun que leur origine, et que Leeuwenhoek et M. de Réau- mur ont toujours trouvés d’une figure plus étrange, et d’une forme plus différente et plus extraordinaire ? « Il y a des quadrupèdes qui sont remplis de lentes. Le père Kircher (Serut. pert. sect. I, cap. 7 ; experim. 3, el mund. sublerran. lib. XI1) a aperçu, à l'aide d'un microscope, dans des feuilles de sauge, une espèce de ré- seau, tissu comme une toile d’araignée, dont toutes les mailles montraient un nombre infini de petits animaleules. Swammerdam a vu le cadavre d’un animal qui fourmillait d’un million de vers; leur quantité était si prodigieuse, qu'il n'était pas possible d'en découvrir les chairs qui ne pouvaient suffire pour les nourrir; il semblait à cet auteur qu'elles se transformaient toutes en vers. « Mais siees molécules organiques sont com- munes à tous les êtres, si leur essence et leur ac- tion sont indestructibles, ces petits animaux de- vraient toujours être d'un même genre et d’une même forme ; ou si elle dépend de leur combi- naison, d'où vient qu'ilsne varient pas à l'infini dans le même corps? Pourquoi enfin ceux de notre cadavre ressemblaient-ils aux mouche- rons qui sortentdu marc du vin? « S'ilest vrai que l’action perpétuelle et una- nime des organes vitaux détache et dissipe à chaque instant les parties les plus subtiles et les plus épurées de notre substance; s’il est néces- saire que nous réparions journellement les dé- perditions immenses qu'elle souffre par les éma- nations extérieures et par toutes les voies excrétoires; s'il faut enfin que les parties nu- tritives des aliments, après avoir recu les coc- tions et toutes les élaborations que l'énergie de nos viscères leur fait subir, se modifient, s'assi- milent, s'affermissent et inhèrent aux extrémi- tés des tuyaux capillaires, jusqu'à ce qu'elles en soient chassées et remplacées à leur tour par d'autres qui sont encore amovibles ; nous sommes induits à croire que la partie substan- tielle et vivante de notre corps doit acquérir le caractère des aliments que nous prenons, et doit tenir et emprunter d'eux les qualités foncières et plastiques qu'elles possèdent. « La qualité, la quantité de la chair, dit M. de Buffon ( voy. l'art. du Cerf, dans les Mammifères), varient suivant les différen- tes nourrilures. Cette matière organique que l'animal assimile à son corps par la nutri- tion, n’est pas absolument indifférente à re- cevoir telle ou telle modification, elle retient quelques caractères de son premier élat, et agit par sa propre forme sur celle du corps orga- nisé qu’elle nourrit... L'on peut donc pré- sumer que des animaux auxquels on ne don- neraitjamais que lamémeespècedenourriture, prendraient en assez peu de temps une tein- ture des qualités de cette nourriture. Ce ne se- rait plus la nourriture qui s’assimilerait en entier à la forme de l'animal, mais l'animal qui s'assimilerail en partie à la forme de la nourriture. « En effet, puisque les molécules nutritives et organiques ourdissent la trame desfibres de notre corps, puisqu'elles fournissent la source DES ANIMAUX. des esprits, du sang et des humeurs, et qu’elles se résénèrent chaque jour, il est plausible de penser qu'il doit acquérir le même tempéra- ment qui résulte d’elles-mêmes. Ainsi à la ri- gueur et dans un certain sens, le tempéra- ment d’un individu doit souvent changer, être tantôt énervé, tantôt fortifié par la qualité et le mélange varié des aliments dont il se nour- rit. Ces inductions conséquentes sont relatives à la doctrine d'Hippocrate qui, pour corriger l'excès du tempérament, ordonne l’usage con- tinu d’une nourriture contraire à sa consti- tution. « Le corps d’un homme qui mange habi- tuellement d'un mixte quelconque, contracte done insensiblement les propriétés de ce mixte, et, pénétré des mêmes principes, devient sus- ceptible des mêmes dépravations et de tous les changements auxquels il est sujet. Rédi ayant ouvert un meunier peu de temps après sa mort, trouva l'estomac, le colon, le cœcum et toutes les entrailles remplies d'une quantité prodigieuse de vers extrèmement petits, qui avaient la tête ronde et la queue aiguë, par- faitement ressemblants à ceux qu'on observe dans les infusions de farine et d’épis de blé; ainsi pous pouvons dire d'une personne qui fait un usage immodéré du vin, que les parti- cules nutritives qui deviennent la masse orga- nique de son corps sont d'une nature vineuse, qu'il s'assimile peu à peu, et se transforme en elles, et que rien n'empêche en se décompo- sant qu'elles ne produisent les mêmes phéno- mènes qui arrivent au marc du vin. « On a lieu de conjecturer qu'après que le cadavre a étéinhumé dans le caveau, la quan- tité des insectes qu'il a produits a diminué, parce que ceux qui étaient placés au dehors sur les fentes de la pierre savouraient les par- ticules organiques qui s’exhalaient en vapeurs et dont ils se repaissaient, puisqu'ils ont péri dès qu'ils en ont été sevrés. Si le cadavre eût resté enseveli dans la fosse, où il n’eût souffert aucune émanation ni aucune perte, celles qui se sont dissipées par les ouvertures, et celles qui ont été absorbées pour l'entretien et pour la vie des animalcules fugitifs qui y étaient arrêtés, auraient servi à la génération d'un plus grand nombre. « Car il est évident que lorsqu'une sub- stance organique se démonte, et que les par- ties qui la composent se séparent et semblent 117 se découdre, de quelque manière que leur dé- périssement se fasse, abandonnées à leur action naturelle, elles sont nécessitées à produire des animaleules particuliers à elles-mêmes. Ces faits sont vérifiés par une suite d'observations exactes, Il est certain qu'ordinairement les corps des animaux herbivores et frugivores, dont l'instinct détermine la pâture et règle l'appétit, sont couverts après la mort des mê- mes insectes qu'on voit voltiger et abonder sur les plantes et les fruits pourris dont ils se nour- rissent. Ce qui est d'autant plus digne de re- cherche et facile à remarquer, qu'un grand nombre d’entre eux ne vivent que d'une seule plante ou des fruits d’un même genre. D'habiles naturalistes se sont servis de cette voie d’ana- logie pour découvrir les vertus des plantes; et Fabius-Columna a cru devoir attribuer les mêmes propriétés et le même caractère à toutes celles qui servent d'asile et de pâture à la même espèce d'insecte, et les a rangées dans la même classe. « Le père Bonanni, qui défend la généra- tion spontanée, soutient que toute fleur parti- culière, toute matière diverse, produit par la putréfaction constamment et nécessairement une certaine espèce de vers ; en effet, tous les corps organisés qui ne dégénèrent point, qui ne se dénaturent par aucun moyen, et qui vi- vent toujours d’une manière réculière et uni- forme, ont une facon d'être qui leur est parti- culière, et des attributs immuables qui les caractérisent. Les molécules nutritives qu'ils puisent en tout temps dans une même source conservent une similitude, une salubrité, une analogie, une forme et des dimensions qui leur sont communes; parfaitement semblables à celles qui constituent leur substance organique, elles se trouvent toujours chez eux sans al- liage, sans aucun mélange hétérogène. La même force distributive les porte, les assortit, les applique, les adapte et les contient dans toutes les parties avee une exactitude égale et une justesse symétrique; elles subissent peu de changements et de préparations ; leur disposi- tion, leur arrangement, leur énergie, leur contexture et leurs facultés intrinsèques, ne sont altérées que le moins qu'il est possible, tant elles approchent du tempérament et de la nature du corps qu'ellesmaintiennentet qu'elles reproduisent; et lorsque l’âge et les injures du temps, quelque état forcé ou un accident im- 118 prévu et extraordinaire viennent à saper et à détruire leur assemblage, elles jouissent en- core, en se désunissant, de leur simplicité, de leur homogénéité, de leur rapport essentiel, de leur action univoque ; elles conservent une pro- pension égale, une aptitude naturelle, une af- finité puissante qui leur est générale et qui les rejoint, les conjugue et les identifie ensemble de la même manière, et suscite et forme une combinaison déterminée ou un être organisé dont la structure, les qualités, la durée et la vie, sont relatives à l'harmonie primitive qui les distingue, et au mouvement génératif qui les anime et les revivifie. Tous les individus de la même espèce qui reconnaissent la même origine, qui sont gouvernés par les mêmes principes, formés selon les mêmes lois, éprou- vent les mêmes changements et s'assimilent avec la même régularité. « Ces productions effectives , surprenantes et invariables, sont de l'essence même des êtres. On pourrait, après une analyse exacte et par une méthode sûre, ranger des classes , prévoir et fixer les générations microscopiques futures, tousles êtres animés invisibles, dont la naissance etlaviesont spontanées, en démélant le caractère génériqueetparticulier des particulesintégrantes qui composent les substances organisées dont elles émanent, si le mélange et l’abus que nous faisons des choses créées n'avait bouleversé l’or- dre primitif du globe que nous habitons , si nous n'avions perverti, aliéné, fait avorter les pro- ductions naturelles. Mais l’art et l'industrie des hommes, presque toujours funestes aux arran- gements médités par la nature, à force d’allier des substances hétérogènes, disparates et in- compatibles, ont épuisé les premières espèces qui en sont issues etont varié à l'infini, par la succession des temps, les combinaisons irrégu- lières des masses organiques et la suite des gé- nérations qui en dépendent. « C'est ainsi que telle est la chaine qui lie tous les êtres et les événements naturels, qu’en por- tant le désordre dans les substances existantes, nous détériorons , nous défigurons, nous chan- geons encore celles qui en naïtront à l'avenir, car la façon d'être actuelle ne comprend pas tous les états possibles. Toutes les fois que la santé du corps et que l'intégrité de ses fonctions s'altèrent vivement, parce que la masse du sang est atteinte de quelque qualité vicieuse, ou que les humeurs sont perverties par un mélange ou HISTOIRE NATURELLE un levain corrupteur, on ne doit imputer ces accidents funestes qu’à la dégénérescence des mo- léeules organiques; leur relation, leur équili- bre, leur juxta-position, leur assemblage et leur action, ne se dérangent qu'’autant qu'elles sont affectées d’une détérioration particulière , qu'elles prennent une modification différente, qu'elles sont agitées par des mouvements dés: ordonnés, irréguliers et extraordinaires; car la maladie ébranle leur arrangement, infirme leur tissu, émousse leur activité, amortüt leurs dispo- sitions salubres, et exalte les principes hétéro- gènes et destructeurs qui les inficient. « On comprend par là combien il est dange- reux de manger de la chair des animaux morts de maladie; une petite quantité d'une substance viciée et contagieuse parvient à pénétrer , à cor- rompre et à dénaturer toute la masse vitale de notre corps, trouble son mécanisme et ses sen- sations, et change son existence, ses propor- tions et ses rapports. « Les mutations diverses qu’elle éprouve sou- vent se manifestent sensiblement pendant la vie; tant de sortes de vers qui s'engendrent dans nos viscères et la maladie pédiculaire ne sont- ils pas des preuves démonstratives de ces trans- formations et de ces aliénations fréquentes ? Dans les épidémies, ne regardons-nous pas les vers qui sortent avec les matières excrémen- tielles comme un symptôme essentiel qui dési- gne le degré éminent de dépravation où sont portées les particules intégrantes substantielles et spiritueuses des humeurs? et qu'est-ce que ces particules, si ce n’est les molécules organi- ques qui, différemment modifiées , affinées , et foulées par la force systaltique des vaisseaux, nagent dans un véhicule qui les entraîne dans le torrent de la cireulation ? « Ces dépravations malignes que contractent nos humeurs , ou les particules intégrantes et es- sentielles qui les constituent, s’attachent et in- hèrent tellement en elles, qu'elles persévèrent et se perpétuent au-delà du trépas. 11 semble que la vie ne soit qu'un mode du corps; sa dis- solution ne parait être qu'un changement d'état, ou une suite et une continuité des mêmes révo- lutions et des dérangements qu'il a soufferts, et qui ont commencé de s’opérer pendant la ma- ladie, qui s’'achèvent et se consomment après Ja mort. Ces modifications spontanées des mo- lécuies organiques et ces productions vermi neuses, ne paraissent le plus souvent qu'alors; DES ANIMAUX. et ce n’est que rarement, dans les maladies vio- lentes et les plus envenimées où leur dégéné- rescence est accélérée, qu’elles se développent plus tôt en nous. Nos plus vives misères sont donc cachées dans les horreurs du tombeau, et nos plus grands maux ne se réalisent, ne s’ef- fectuent , etne parviennent à leur comble, que lorsque nous ne les sentons plus! « J'ai vu depuis peu un cadavre qui se cou- vrit bientôt, après la mort, de petits vers blancs, ainsi qu'il est remarqué dans l'observation citée ci-dessus. J'ai eu lieu d'observer en plusieurs circonstances, que la couleur, la figure, la forme de ces animaleules varient suivant l'intensité et le genre des maladies. « C'est ainsi que les substances organisées se transforment et ont différentes manières d'être, etque cette multitude infinie d'insectes concen- trés dans l’intérieur de la terre et dans les en- droits les plus infects et les plus ténébreux sont évoqués , naissent, et continuent à se repaitre des débris et des dépouilles de l'humanité. L'u- nivers vit de lui-même, et tous les êtres en pé- rissant ne font que rendre à la nature les parties organiques et nutritives qu'elle leur a prêtées pour exister; tandis que notre âme, du centre de la corruption, s’élance au sein dela divinité, notre corps porte encore après la mort l'em- preinte et les marques de ses vices et de ses dé- pravations; et, pour finir enfin par concilier la saine philosophie avec la religion, nous pou- vons dire que jusqu'aux plus sublimes décou- vertes de la physique, tout nous ramène à no- tre néant. » Je ne puis qu'approuver ces raisonnements de M. Moublet, pleins de discernement et de sagacité ; il a très-bieu saisi les principaux points de mon système sur la reproduction, etje re- garde son observation comme une des plus cu- rieuses qui aient été faites sur la génération spon- tanée'. Plus on observera la nature de près, * On peut voir plusieurs exemples de la génération spon- tanée de quelques insectes dans différentes parties du corps humain , en consultant les ouvrages de M. Andry et de quel- qnes autres observateurs qui se sont efforcés, sans succès , de les rapporter à des espèces connues, et qui tâchaient d'ex- pliquer leur génération, en supposant que les œufs de ces insectes avaient été respirés ou avalés par les personnes dans lesquelles ils se sont trouvés ; mais cette opinion, fondée sur le préjugé que tout être vivant ne peut venir que d'un œuf, se trouve démentie par les faits mêmes que rapportent cesob- servateurs. Il est impossible que des œufs d'insectes, respirés ou avalés, arrivent dans le foie, dans les veines, dans les sinus, etc.; et d'ailleurs plusieurs de ces insectes, trouvés dans l'intérieur du corps de l'homme et des animaux , n'ont 119 et plus on reconnaîtra qu'il se produit en petit beaucoup plus d'êtres de cette façon que da que peu ou point de rapport avec les autres insectes, et doi- vent , sans contredit, leurorigine et leur naissance à une gé- nération spontanée. Nous citerons ici deux exemples récents, le premier, de M. le président H. . . . . qui a rendu par les urines un petit crustacé assez semblable à une crevette ou chevrette de mer, mais qui n'avait que trois ligues ou trois lignes et demie de longueur, Monsieur son fils a eu la bonté de me faire voir cet insecte, qui n'était pas le seul de cette espèce que monsieur son père avait rendu par les urines ; et précédemment il avait rendu par le nez, dans un violent éternuement, une espèce de chenille qu'on n'a pas conservée et que je n'ai pu voir, Un autre exemple est celui d'une demoiselle du Mans, dont M. Vetillard, médecin de cette ville, m'a envoyé le détail par sa lettre du 6 juillet 4771, dont voici l'extrait. « Mademoiselle « Cabaret, demeurante au Mans, paroisse Notre-Dame de la « Couture , âgée de trente et quelques années, était malade « depuis environ trois ans, et au troisième degré, d'une phthi- « sie pulmonaire, pour laquelle je lui avais fait prendre le « lait d'ânesse le printemps et l'automne 1759, Je l'ai gouver- « née en conséquence depuis ce temps. « Le 8 juia dernier, sur les onze heures du soir, la malade après de violents efforts occasionnés, disait-elle, par un chatouillement vif et extraordinaire au creux de l'estomac, rejeta une partie de rôtie au vin et au sucre qu'elle avait prise dans l'après-dinée. Quatre personnes présentes alors avec des lumières pour secourir la malade , qui croyait être à sa dernière heure, aperçurent quelque chose remuer au- tour d'une parcelle de pain, sortant de la bouche de la ma- lade : c'était un insecte qui, par Le moyen d'un grand nom- bre de pattes, cherchait à se détacher du petit morceau de pain qu'il entourait en forme de cercle. Dans l'instant les efforts cessèrent, et la malade se trouva soulagée ; elle réunit son attention à la curiosité et à l'étonnement des quatre spectatrices qui reconnaissaient à cet insecte la fi- gure d'une chenille ; elles la ramassèrent dans un cornet de papier qu'elles laissèrent dans la chambre de la malade, Le lendemain, à cinq heures du matin, ellesme firent aver- tir de ce phénomène , que j'allai aussitôt examiner. L'on me présenta une chenille, qui d'abord me parut morte, mais l'ayant réchauffée avec mon haleine, elle reprit vi- gueur et se mit à courir sur le papier. « Après beaucoup de questions et d'objections faites à la malade et aux témoins, je me déterminai à tenter quelques expériences , et à ne point mépriser , dans une affaire de physique , le témoignage de cinq personnes , qui toutes m'assuraient le même fait et avec les mêmes circon- stances. « L'histoire d'un ver-chenille, rendu par un grand-vicaire d'Alais, que je me rappelai avoir lue dans l'ouvrage de M. Andri,contribua à me faire regarder la chose comme possible... « J'emportai la chenille chez moi , dans une boite de bois que je garnis d'étoffe et que je perçai en différents en- droits : je mis dans la boîte des feuilles de différentes plantes légumineuses, que je choisis bien entières , afin de m'apercevoir auxquelles elle se serait attachée: j'y regar- dai plusieurs fois dans la journée ; voyant qu'aucune ne paraissait de son goût, j'y substituai des feuilles d'arbres et d'arbrisseaux que cet insecte n'accueillit pas mieux. Je retirai toutes ces feuilles intactes, et je trouvai à Chaque fois le petit animal monté au couvercle de la boite, comme pour éviter la verdure que je lui avais présentée, « Le9 au soir, sur les six heures, ma chenille était encore à jeun depuis onze heures du soir la veille, qu'elle était sortie de l'estomac; je tentai alors de lui donner les mêmes aliments que ceux dont nous nous nourrissons, je com- mençai par lui présenter le pain en rôtie avec le vin, l'eau et le sucre, tel que celui autour duquel on l'avait trouvée CC Am AnA rase namtan 120 toute autre. On s'assurera de même que cette manière de génération est non-seulement la plus attachée ; elle fuyait à toutes jambes : le pain sec, différen- tes espèces de laitage, différentes viandes crues, différents fruits, elle passait par-dessus sans s'en embarrasser et sans y toucher. Le bœuf et le veau cuits, un peu chauds, elle s'y arrêla, mais sans en manger, Voyant mes tentatives inuti- les, je pensai que si l'insecte était élevé dans l'estomac , les aliments ne passaient dans ce viscère qu'après avoir été préparés par la mastication, et conséquemment empreints des sucs salivaires; qu'ils étaient de goût différent, et qu'il fallait lui offrir des aliments mâchés, comme plus analogues à sa nourriture ordinaire ; après plusieurs expériences de ce genre faites et répétées sans succès, je mâchai du bœuf et le lui présentai, l'insecte s'y attacha, l'assujettit avec ses pates antérieures, et j'eus, avec beaucoup d'autres témoins, la satisfaction de le voir manger pendant deux minutes après lesquelles il abandonna cet aliment et se remit à cou- rir. Je lui en donnai de nouveau maintes et maintes fois sans succès, Je mâchai du veau, l’insecte affamé me donna à peine le temps de le lui présenter, il accourut à cet ali- ment, s'y attachaet ne cessa de manger pendant une demi- heure. Il était environ huit heures du soir ; et cette expé- rience se fit en présence de huit ou dix personnes dans la maison de la malade, chez laquelle je l'avais reporté. Il est bon de faire observer que les viandes blanches faisaient partie du régime que j'avais prescrit à cette demoiselle, et qu'elles étaient sa nourriture ordinaire, aussi le poulet mäché s'est-il également trouvé du goût de ma chenille. « Je l'ainourrie de cette manière depuis le 8 juin jusqu'au 27, qu'elle périt par accident, quelqu'un l'ayant laissé tom- ber par terre, à mon grand regret; j'aurais été fort curieux de savoir si cette chenille se serait métamorphosée, et comment? malgré mes soins et mon attention à la nourrir selon son goût, loin de profiter pendant les dix-neuf jours que je l'ai conservée, elle a dépéri de deux ligues en lon- gueur et d'une demi-ligne en largeur : je la conserve dans l'esprit-de-vin. « Depuis le 47 juin jusqu'au 22, elle fut paresseuse lan- guissante, ce n'était qu'en la réchauffant avec mon haleine que je la faisais remuer ; elle ne faisait que deux ou trois petits repas dans la journée, quoique je lui présentasse de la nourriture bien plus souvent; cette langueur me fit es- pérer de la voir changer de peau, mais inutilement ; vers le 22 sa vigueur et son appélit revinrent sans qu'elle eût quitté sa dépouille. « Plus de deux cents personnes de toutes conditions ont assisté à ses repas , qu'elle recommençait dix à douze fois le jour, pourvu qu'on lui donnât des mets selon son goût et récemment mâchés ; car sitôt qu'elle avait abandonné un morceau elle n'y revenait plus. Tant qu'elle a vécu j'ai con- tinué tous les jours de mettre dans sa boîte différentes es- pèces de feuilles sans qu'elle en ait accueilli aucune. . ., et il est de fait incontestable, que cet insecte ne s'est nourri que de viande depuis le 9 juin jusqu'au 27. « Je ne crois pas que, jusqu'à présent, les naturalistes aient remarqué que les chenilles ordinaires vivent de viande; j'ai fait chercher, et j'ai cherché moi-même, des chenilles de toutes les espèces, je les ai fait jeûner plusieurs jours, etje n'en ai trouvé aucune qui ait pris goût à la viande crue, cuite ou mâchée. . .. « Notre chenille a donc quelque chose de singulier, et qui méritait d'être observé , ne serait-ce que son goût pour la viande, encore fallait-ilqu'elle fût récemment mâchée ; au- tre singularité. . . . . vivant dans l'estomac elle était ac- contumée à un grand degré de chaleur, et je ne doute pas que le degré de chaleur moindre de l'air où elle se trouva lorsqu'elle fut rejetée, ne soit la cause de cet engourdisse- ment où je latrouvai le matin, et qui me la fit croire morte; je ne la tirai de cet état qu'en l'échauffant avec mon ha- leine, moyen dont je me suis toujours servi quand elle m'a Sd ananaanasinnnannannnanan a a na à _. " 2417 nn nan nn nanman HISTOIRE NATURELLE fréquente et la plus générale, mais encore la plus ancienne, c’est-à-dire la première et ja plus universelle; car supposons pour un instant qu’il plût au souverain Étre de supprimer la vie de tous les individus actuellement existants, que tous fussent frappés de mort au même instant; les molécules organiques ne laisseraient pas de survivre à cette mort universelle; le nombre de ces molécules étant toujours le même, et leur essence indestructible aussi permanente que celle de la matière brute que rien n'aurait anéanti, la nature posséderait toujours la même quantité de vie, et l'on verrait bientôt paraître des espè- ces nouvelles qui remplaceraient les anciennes ; car les molécules organiques vivantes se trou- vant toutes en liberté, et n’étant ni pompées, ni absorbées par aucun moule subsistant, elles pourraient travailler la matière brute en grand; produire d'abord une infinité d'êtres organisés , dont les uns n'auraient que la faculté de croître et de se nourrir, et d’autres plus parfaits qui seraient doués de celle de se reproduire; ceci nous parait clairement indiqué par le tra- vail que ces molécules font en petit dans la pu- tréfaction et dans les maladies pédiculaires , où s’engendrent des êtres qui ont la puissance de se reproduire; la nature ne pourrait manquer de faire alors en grand ce qu’elle ne fait au- jourd'hui qu’en petit, parce que la puissance de ces molécules organiques étant proportion- nelle à leur nombre et à leur liberté, elles formeraient denouveaux moulesintérieurs, aux- quels elles donneraient d'autant plus d’'exten- paru avoir moins de vigueur : peut-être aussi le manque de chaleur a-t-il été cause qu'elle n'a point changé de peau, et qu'elle a sensiblement dépéri pendant le temps que je l'ai conservée, . .. « Cette chenille était brunâtre avec des bandes longitudi- nales plus noires, elle avait seize jambes et marchait comme les autres chenilles; elle avait de petites aigrettes de poil, principalement sur les anneaux de son corps. . La tête noire, brillante, écailleuse, divisée par un sillon en deux parties égales; ce qui pourrait faire prendre ces deux parties pour les deux yeux. Cette tête est attachée au pre- mier anneau ; quand la chenille s'allonge, on aperçoit entre la tête et le premier anneau, un intervalle membraneux d'un blanc sale, que je croirais être le cou, si entre les au- tres anneaux, je n'eusse pas également distingué cet inter- valle qui est surtout sensible entre le premier etle second, et le devient moins à proportion de l'éloignement de la tête. « Dans le devant de la tête on aperçoit un espace trian- « gulaire blanchätre , au bas duquel est une partie noire et « écailleuse, comme celle qui forme les deux angles supé- « Li rieurs ; on pourrait regarder celle-ci comme une espèce de museau. . . . Fait au Mans, le 6 juillet 4761. » Cette relation est appuyée d'un certificat signé de la ma- lade, de son médecin et de quatre autres témoins, DES ANIMAUX. sion qu'elles se trouveraient concourir en plus grande quantité à la formation de ces moules, lesquels présenteraient dès lors une nouvelle nature vivante, peut-être assez semblable à celle que nous connaissons. Ce remplacement de la nature vivante ne se- rait d'abord que très-incomplet; mais avec le temps tous les grands êtres qui n'auraient pas la puissance de se reproduire disparaitraient; tous les corps imparfaitement organisés , toutes les espèces défectueuses s'évanouiraient, et il ne resterait, comme il ne reste aujourd'hui, que les moules les plus puissants, les plus complets, soit dans les animaux , soit dans les végétaux ; et ces nouveaux êtres seraient en quelque sorte semblables aux anciens, parce que la matière brute et la matière vivante étant toujours la même, il en résulterait le même plan général d'organisation et les mêmes variétés dans les formes particulières; on doit seulement présu- mer , d'après notre hypothèse, que cette nou- velle nature serait rapetissée, parce que la cha- leur du globe est une puissance qui influe sur l'étendue des moules; et cette chaleur du globe n'étant plus aussi forte aujourd’hui qu'elle l'était au commencement de notre nature vivante , les plus grandes espèces pourraient bien ne pas naïi- tre ou ne pas arriver à leurs dimensions. Nous en avons presque un exemple dans les animaux de l'Amérique méridionale : ce conti- nent, qui ne tient au reste de la terre que par la chaine étroite et montueuse de l'isthme de Panama , et auquel manquent tous les grands animaux nés dans les premiers temps de la forte chaïieur de la terre, ne nous présente qu'une nature moderne , dont tous les moules sont plus petits que ceux de la nature plus ancienne dans l'autre continent; au lieu de l'éléphant, du rhi- nocéros, de l'hippopotame, de la giraffe et du chameau, qui sont les espèces insignes de la na- ture dans le vieux continent, on ne trouve dans le nouveau , sous la même latitude, que letapir, le cabiai, le lama, la vigogne , qu'on peut re- garder comme leurs représentants dégénérés, défigurés, rapetissés, parce qu'ils sont nés plus tard, dans un temps où la chaleur du globe était déjà diminuée. Et aujourd'hui que nous nous trouvons dans le commencement de l'arrière- saison de celle de la chaleur du globe, si par quelque grande catastrophe la nature vivante se trouvait dans la nécessité de remplacer les formes actuellement existantes, elle ne pourrait 421 | le faire que d’une manière encore plus impar- faite qu’elle l’a fait en Amérique; ses produc- tions n'étant aidées dans leur développement que de la faible chaleur de latempérature ac- tuelle du globe, seraient encore plus petites que celles du nouveau continent. Tout philosophe sans préjugés, tout homme de bon esprit qui voudra lire avec attention ce que j’ai écritausujetde la nutrition, de la géné- ration, de laproduction, et quiaura méditésur la puissance des moules intérieurs, adoptera sans peine cette possibilité d'une nouvelle nature, dont je n'ai fait l'exposition que dans l'hypo- thèse de la destruction générale et subite de tous les êtres subsistants; leur organisation détruite, leur vie éteinte, leurs corps décom- posés, ne seraient pour la nature que des for- mes anéanties, qui seraient bientôt remplacées par d'autres formes, puisque les masses géné- rales dela matière vivante et de la matière brute, sont etseront toujours les mêmes ; puisque cette matière organique vivante survit à toute mort, et ne perd jamais son mouvement, son activité ni sa puissance de modeler la matière brute et d'en former des moules intérieurs, c’est-à-dire des formes d'organisation capables de croitre, de se développeret de se reproduire. Seulement on pourrait croire avec assez de fondement, que la quantité de la matière brute, qui a tou- jours été immensément plus grande que celle de la matière vivante, augmente avec letemps, tandis qu’au contraire laquantité de la matière vivante diminue et diminuera toujours de plus en plus, à mesure que la terre perdra, par le refroidissement, les trésors de sa chaleur, qui sont en même temps ceux de sa fécondité et de toute vitalité. Car, d'où peuvent venir primitivement ces molécules organiques vivantes ? nous ne con- naissons dans la nature qu'un seul élément ac- tif, les trois autres sont purement passifs, et ne prennent de mouvement qu'’autant que le pre- mier leuren donne. Chaque atome de lumière ou de feu suffit pour agiter et pénétrer un ou plusieurs autres atomes d’air, de terre ou d’eau: et comme il se joint à la force impulsive de ces atomes de chaleur une force attractive, réci- proque et commune à toutes les parties de Ja matrre, il est aisé de concevoir que chaque atome brut et passif devient actif et vivant au moment qu'il est pénétré dans toutes ses di- mensions par l'élément vivifiant: le nombre 122 des molécules vivantes est done en même rai- son que celui des émanations de cette chaleur douce, qu'on doit regarder comme l'élément primitif de la vie. Nous n'ajouterons rien à ces réflexions, elles ont besoin d’une profonde connaissance de la nature, et d’un dépouillement entier de tout préjugé pour être adoptées, même pour être senties ; ainsi unplus grand développement ne suffirait pas encore à la plupart de mes lec- teurs, et serait superflu pour ceux qui peuvent m'entendre. CHAPITRE X. De la formation du fœtus, Il parait certain par les observations de Verheyen, qui a trouvé de la semence de tau- reau dans la matrice de la vache; par celles de Ruysch, de Fallope, et des autres anatomistes, qui ont trouvé de celle de l'homme dans la matrice de plusieurs femmes, par celles de Leeuwenhoek, quien a trouvé dans la matrice d'une grande quantité de femelles toutes dis- séquées immédiatement après l’accouplement; il parait, dis-je, très-certain que la liqueur sé- minale du mâle entre dans la matrice de la fe- meile, soit qu'elle y arrive en substance par l'orifice interne qui parait être l'ouverture na- turelle par où elle doit passer, soit qu’elle se fasse un passage en pénétrant à travers le tissu du col et des autres parties inférieures de la matrice qui aboutissent au vagin, Il est très- probable que dans le temps de la copulation l'orifice de la matrice s'ouvre pour recevoir la liqueur séminale, et qu’elle y entre en effet par cette ouverture qui doit la pomper: mais on peut croire aussi que cette liqueur, ou plu- tôt la substance active et prolifique de cette li- queur, peut pénétrer à travers le tissu même des membranes de la matrice; car la liqueur séminale étant, comme nous l'avons prouvé, presque toute composée de molécules orga- niques qui sont en grand mouvement, et qui sont en même temps d’une petitesse extrême, je concois que ces petites parties actives de la semence peuvent passer à travers le tissu des membranes les plus serrées, et qu'elles peu- vent pénétrer celles de la matrice avec une grande facilité. Ce qui prouve que la partie active de cette liqueur peut non-seulement passer par les po- HISTOIRE NATURELLE res de la matrice, mais même qu’elle en pé- nètre la substance, c’est le changement prompt et, pour ainsi dire, subitquiarrive à ce viseère dès les premiers temps de la grossesse; les rè- gles et même les vidanges d’un accouchement qui vient de précéder, sont d'abord suppri- mées, la matrice devient plus mollasse, elle se gonfle, elle paraît enflée à l'intérieur, et pour me servir dela comparaison de Harvey, cette enflure ressemble à celle que produit la pi- qüre d’une abeille sur les lèvres des enfants : toutes ces altérations ne peuvent arriver que par l’action d'une cause extérieure, c'est-à-dire par la pénétration de quelque partie de la li- queur séminale du mâle dans la substance même de la matrice; cette pénétration n’est point un effet superficiel qui s'opère unique- ment à la surface, soit extérieure, soit inté- rieure, des vaisseaux qui constituent la ma- trice, et de toutes les autres parties dont ce viscère est composé; mais c'est une pénétration intime, semblable à celle de la nutrition et du développement; c’est une pénétration dans toutes les parties du moule intérieur de la ma- trice, opérée par des forces semblables à celles qui contraignent la nourriture à pénétrer le moule intérieur du corps, et qui en produisent le développement sans en changer la forme. On se persuadera facilement que cela est ainsi, lorsque l'on fera réflexion que la matrice dans le temps de la grossesse, non-seulement augmente en volume, mais encore en masse, et qu'elle a une espèce de vie, ou si l’on veut, une végétation où un développement qui dure et va toujours en augmentant jusqu'au temps de l'accouchement; car si la matrice n'était qu'un sac, un récipient destiné à recevoir la semence et à contenir le fœtus, on verrait cette espèce de sac s'étendre et s'amincir à mesure que le fœtus augmenterait en grosseur; et alors il n’y aurait qu'une extension, pour ainsi dire, superficielle des membranes qui composent ce viscère; mais l'accroissement de la matrice n’est pas une simple extension ou une dilata- tion à l'ordinaire, non-seulement la matrice s'étend à mesure que le fœtus augmente, mais elle prend en même temps de la solidité, de l'épaisseur, elle acquiert, en un mot, du vo- lume et de la masse en même temps ; cette es- pèce d'augmentation est un vrai développe- ment, un accroissement semblable à celui de toutes les autres parties du corps, lorsqu'elles DES ANIMAUX 123 se développent, qui dès lors ne peut être pro- duit que par la pénétration intime des molécules organiques analogues à la substance de cette partie ; et comme ce développement de la ma- trice n'arrive jamais que dans le temps de l'imprégnation, et que cette imprégnation sup- pose nécessairement l’action de la liqueur du mâle, ou tout au moins qu'elle en est l'effet, on ne peut pas douter que ce ne soit la liqueur du mâle qui produise cette altération à la ma- trice, et que cette liqueur ne soit la première cause de ce développement, de cette espèce de végétation et d'accroissement que ce viscère prend avant même que le fœtus soit assez gros et qu'il ait assez de volume pour le forcer à se dilater. Il parait de même tout aussi certain, par mes expériences, que la femelle a une liqueur séminale qui commence à se former dans les testicules, et qui achève de se perfectionner dans les corps slanduleux ; cette liqueur coule et distille continuellement par les petites ou- vertures qui sont à l'extrémité de ces corps glanduleux ; et cette liqueur séminale de la fe- melle peut, comme celle du mâle, entrer dans la matrice de deux facons différentes, soit par les ouvertures qui sont aux extrémités des cornes de la matrice, qui paraissent être les passages les plus naturels, soit à travers letissu membraneux de ces cornes, que cette liqueur humecte et arrose continuellement. Cesliqueurs séminales sont toutes deux un extrait de toutes les parties du corps de l'ani- mal; celle du mâle est un extrait de toutes les parties du corps du mâle, celle dela femelle est un extrait de toutes les parties du corps de la femelle ; ainsi, dans le mélange qui se fait de ces deux liqueurs, il y atout ce qui est nécessaire pour former un certain nombre de mâles et de femelles ; plus la quantité de liqueur fournie par l'un et par l’autre est grande, ou pour mieux dire, plus cette liqueur est abondante en molé- cules organiques analognes à toutes les parties du corps de l'animal dont elles sont l'extrait, et plus le nombre des fœtus est srand, commeon le remarque dans les petits animaux; et au con- traire, moins ces liqueurs sont abondantes en molécules organiques, et plus le nombre des fœtus est petit, comme il arrive dans les espèces des grands animaux. Mais, pour suivre notre sujet avec plus d’at- tentivn, nous n'examinerons ici que la forma- tion particulière du fœtus humain, sauf à re- venir ensuite à l'examen de la formation du fœtus dans les autres espèces d'animaux, soit vivipares, soit ovipares. Dansl'espèce humaine comme dans celle des gros animaux, les li- queurs séminales du mâle et de la femelle ne contiennent pas une grande abondance de mo- lécules organiques, analogues aux individus dont elles sont extraites, et l'homme ne pro- duit ordinairement qu'un, et rarement deux fœtus ; ce fœtus est mâle, si le nombre des mo- lécules organiques du mâle prédomine dans le mélange des deux liqueurs; il est femelle, si le nombre des parties organiques de la femelle est le plus grand; et l'enfant ressemble au père ou à la mère, ou bien à tous deux, selon les combinaisons différentes de ces molécules organiques , c’est-à-dire suivant qu'elles se trouvent en telle ou telle quantité dans le mélange des deux liqueurs. Je concçois done que cette liqueur séminale du mâle, répandue dans le vagin, et celle de la femelle, répandue dans la matrice, sont deux matières également actives, également char- gées de molécules organiques propres à la gé- nération ; et cette supposition me paraît assez prouvée parmesexpériences, puisque j'ai trouvé les mêmes corps en mouvement dans la liqueur de la femelle et dans celle du mâle:je vois que la liqueur du mâle entre dans la matrice, où elle rencontre celle de la femelle; ces deux li- queurs ont entre elles une analogie parfaite, puisqu'elles sont composées toutes les deux de partiesnon-seulementsimilaires par leur forme, mais encore absolument semblables dans leurs mouvements et dans leur action, comme nous l'avons dit chapitre VI. Je concois done que par ce mélange des deux liqueurs séminales, cette activité des molécules organiques dechacune des liqueurs est comme fixée par l’action contre- balancée de l’une et de l’autre, en sorte que chaque molécule organique venant à cesser de se mouvoir, reste à la place qui lui convient, et cette place ne peut être que celle de la partie qu'elle occupait auparavant dans l'animal, ou plutôt dont elle a été renvoyée dans le corps de l'animal; ainsi, toutes les molécules qui auront été renvoyées de la tête de l'animal, se fixeront et se disposeront dans un ordre semblable à celui danslequel elles ont en effet été renvoyées; celles qui auront été renvoyées de l’épine du dos, se fixeront de même dans un ordre conve- 124 nable , tant à la structure qu’à la position des vertèbres, et il en sera de même de toutes les autres parties du corps; les molécules orga- niques qui ont été renvoyées de chacune des parties du corps de l'animal, prendront naturel- lement la même position, etse disposeront dans le même ordre qu’elles avaient lorsqu'elles ont été renvoyées de ces parties, par conséquent ces molécules formeront nécessairement un petit être organisé, semblable en tout à l'animal dont elles sont l'extrait. On doit observer que ce mélange des molé- cules organiques des deux individus contient des parties semblables etdes parties différentes; les parties semblables sont les molécules qui ont été extraites de toutes les parties communes aux deux sexes ; les parties différentes ne sont que celles qui ont été extraites des parties par lesquelles le mâle diffère de la femelle; ainsiil y a dans ce mélange le double des molécules organiques pour former, par exemple, la tête ou le cœur, ou telle autre partie commune aux deux individus, au lieu qu'il n'y a que ce qu'il faut pour former les parties du sexe:or, les par- ties semblables, comme le sont les molécules organiques des parties communes aux deux in- dividus, peuvent agir les unes sur les autres sans se déranger, et se rassembler, comme si elles avaient été extraites du même corps; mais les parties dissemblables, comme le sont les mo- lécules organiques des parties sexuelles, ne peuvent agir les unes sur les autres, ni se mêler intimement, parce qu’elles ne sont pas sem- blables; dès lors ces parties seules conserve- ront leur nature sans mélange, et se fixeront d'elles-mêmes les premières sans avoir besoin d'être pénétrées par les autres ; ainsi les molé- cules organiques qui proviennent des parties sexuelles, seront les premières fixées, et toutes les autres, qui sont communes aux deux indivi- dus, se fixeront ensuite indifféremment et in- distinctement, soit celles du mâle, soit celles de la femelle, ce qui formera un être organisé qui ressemblera parfaitement à son père si c'est un mäle, et à sa mère si c'est une femelle, par ces parties sexuelles, mais qui pourra ressembler à l'un ou à l’autre, ou à tous deux, par toutes les autres parties du corps. Il me semble que cela étant bien entendu, aous pouvons en tirer l'explication d'une très- grande question, dont nous avons dit quelque chose au chapitre V, dans l'endroit où nous HISTOIRE NATURELLE avons rapporté le sentiment d’Aristote au sujet de la génération : cette question est de savoir pourquoi chaque individu mâle ou femelle ne produit pas tout seul son semblable. Il faut avouer, comme je l'ai déjà dit, que pour qui- conqueapprofondira la matière de la génération et se donnera la peine de lire avec attention tout ce que nous avons dit jusqu'ici, il ne res- tera d'obscurité qu’à l'égard de cette question, surtout lorsqu'on aura bien compris la théorie que j'établis; et quoique cette espèce de diffi- culté ne soit pas réelle ni particulière à mon système, et qu'elle soit générale pour toutes les autres explications qu'on a voulu, ou qu’on voudrait encore donner de la génération, ce- pendant je n’ai pas cru devoir la dissimuler , d'autant plus que dans la recherche de la vé- rité, la première règle de conduite est d’être de bonne foi avec soi-même. Je dois done dire qu'ayant réfléchi sur ce sujet, aussi longtemps et aussi mürement qu'il l'exige , j'ai cru avoir trouvé une réponse à cette question, que je vais tâcher d'expliquer, sans prétendre cependant la faire entendre parfaitement à tout le monde. Il est clair, pour quiconque entendra bien le système que nous avons établi dans les quatre premiers chapitres, et que nous avons prouvé par des expériences dans les chapitres suivants, que la reproduction se fait par la réunion de molécules organiques renvoyées de chaque par- tie du corps de l’animal ou du végétal dans un ou plusieurs réservoirs communs; que les mêmes molécules qui servent à la nutrition et au déve- loppement du corps, servent ensuite à la repro- duction; que l’une et l'autre s'operent par la même matière et par les mêmes lois. Il me semble que j'ai prouvé cette vérité par tant de raisons et de faits, qu’il n'est guère possible d'en douter; je n'en doute pas moi-même, et j'avoue qu'il ne me reste aucun serupule sur le fond de cette théorie dont j'ai examiné très-ri- goureusement les principes , et dont j'ai com- biné très-scrupuleusement les conséquences et les détails ; mais il est vrai qu'on pourrait avoir quelque raison de me demander pourquoi chaque animal , chaque végétal, chaque être organisé; ne produit pas tout seul son semblable , puis- que chaque individu renvoie de toutes les par- ties de son corps dans un réservoir commun toutes les molécules organiques nécessaires à la formation du petit être organisé. Pourquoi done cet être organisé ne s'y forme-t-il pas, et que DES ANIMAUX. dans presque tous les animaux il faut que la li- queur qui contient ces molécules organiques soit mêlée avec celle de l'autre sexe pour pro- duire un animal ? Si je me contente de répondre que dans presque tous les végétaux, dans toutes les espèces d'animaux qui se produisent par la division de leur corps, et dans celle des puce- rons qui se reproduisent d'eux-mêmes, la na- ture suit en effet la règle qui nous parait la plus naturelle, que tous ces individus produisent d'eux-mêmes d'autres petits individus sem- blables, et qu'on doit regarder comme une ex- ception à cette règle l'emploi qu'elle fait des sexes dans les autres espèces d'animaux , on aura raison de me dire que l'exception est plus grande et plus universelle que la règle, et c'est en effet là le point de la difficulté; difficulté qu'on n’affaiblit que: très-peu lorsqu'on dira que chaque individu produirait peut-être son semblable, s'ilavait des organes convenables et s'il contenait la matière nécessaire à la nourri- ture de l'embryon; car alors on demandera pourquoi les femelles, qui ont cette matière et en même temps les organes convenables, ne produisent pas d’elles-mèmes d’autres femelles, puisque dans cette hypothèse on veut que ce ne soit que faute de matrice ou de matière propre à l'accroissement et au déveioppement du fœtus que le mâle ne peut pas produire de lui-même. Cette réponse ne lève done pas la dif- ficulté en entier, car, quoique nous voyions que les femelles des ovipares produisent d'elles- mêmes des œufs qui sont des corps organisés, cependant jamais les femelles , de quelque es- pèce qu'elles soient , n'ont seules produit des animaux femelles, quoiqu'elles soient douées de tout ce qui parait nécessaire à la nutrition et au développement du fœtus. Il faut au contratre, pour que la production de presque toutes les espèces d'animaux s'accomplisse, que le mâle et la femelle concourent, que les deux liqueurs séminales se mélent et se pénètrent , sans quoi il n'y a aucune cénération d'animal. Si nous disons que l'établissement local des molécules organiques, et de toutes les parties qui doivent former an fœtus, ne peut pas se faire de soi-même dans l'individu qui fournit ces molécules ; que, par exemple, dans les testicules et les vésicules séminales de l'homme qui con- tiennent toutes les molécules nécessaires pour former un mâle, l'établissement local, l'arran- gement de ces molécules, ne peut se faire, 125 parce que ces molécules, qui y sont renvoyées, sont aussi continuellement repompées, et qu'il y à une espèce de circulation de la semence , ou plutôt un repompement continuel de cette li- queur dans le corps de l'animal, et que, comme ces moléculesont une très-crande analogie avec le corps de l'animal qui les a produites, il est fort naturel de concevoir que, tant qu'elles sont dans le corps de ce même individu, la force qui pourrait les réunir et en former un fœtus, doit céder à cette force plus puissante par la- quelle elles sont repompées dans le corps de l'a- nimal, où du moins que l'effet de cette réunion est empêché par l'action continuelle des nou- velles molécules organiques qui arrivent dans ce réservoir, et de celles qui en sont repompées et qui retournent dans les vaisseaux du corps de l'animal : si nous disons de même que les femmes dont les corps glanduleux des testicules contiennent la liqueur séminale , laquelle dis- tille continuellement sur la matrice, ne pro- duisent pas d'elles-mèmes des femelles, parce que cette liqueur qui a, comme celle du mâle , avec le corps de l'individu qui la produit une très-crande analogie, est repompée par les par- ties du corps de la femelle, et que, comme cette liqueur est en mouvement, et pour ainsi dire en cireulation continuelle, il ne peut se faire aucune réunion, aucun établissement local des parties qui doivent former une femelle, parce que la force qui doit opérer cette réunion n’est pas aussi srande que celle qu'exerce le corps de lanimal pour repomper et s’assimiler ces molécules qui en ont été extraites ; mais qu'au contraire, lorsque les liqueurs séminales sont mélées , elles ont entre elles plus d'analogie qu'elles n’en ont avec les parties du corps de la femelle où se fait ce mélange, et que c’est par cette raison que la réunion ne s'opère qu'au moyen de ce mélange, nous pourrons par cette réponse avoir satisfait à une partie de la ques- tion ; mais, en admettant cette explication, on pourra me demander encore pourquoi la ma- nière ordinaire de génération dans les animaux n'est-elle pas celle qui s'accorde le mieux avec cette supposition ? car il faudrait alors que chaque individu produisit comme produisent les limacons, que chacun donnât quelque chose à l’autre également et mutuellement, et que chaque individu remportant les molécules or- saniques que l’autre lui aurait fournies, la réu- nion s’en fit d'elle-même et par la seule force 126 d'affinité de ces molécules entre elles, qui dans ce cas ne serait plus détruite par d’autres forces comme ellle l'était dans le corps de l’autre in- dividu. J'avoue que si c'était par cette seule raison que les molécules organiques ne se réu- nissent pas dans chaque individu, il serait na- turel d'en conclure que le moyen le plus court pour opérer la reproduction des animaux se- rait celui de leur donner les deux sexes en même temps, et que par conséquent nous devrions trouver beaucoup plus d'anmaux doués des deux sexes, comme sont les limaçons , que d'autres animaux qui n'auraient qu'un seul sexe; mais c’est tout le contraire: cette manière de génération est particulière aux limaçons et à un petit nombre d’autres espèces d'animaux ; l'autre, où la communication n’est pas mutuelle, où l’un des individus ne recoit rien de l’autre judividu et où il n'y a qu'un individu qui recoit et qui produit, est au contraire la manière la plus générale et celle que la nature emploie le plus souvent. Ainsi cette réponse ne peut satis- faire pleinement à la question, qu'en supposant que c'est uniquement faute d'organes que le mâle ne produit rien, que ne pouvant rien re- cevoir de la femelle, et que n'ayant d’ailleurs aucun viscère propre à contenir et à nourrir le fœtus, il est impossible qu'il produise comme la femelle qui est douée de ces organes. On peut encore supposer que, dans la liqueur de chaque individu, l'activité des molécules or- ganiques qui proviennent de cet individu a be- soin d'être contre-balancée par l’activité ou la force des molécules d’un autre individu, pour qu’elles puissent se fixer ; qu'elles ne peuvent perdre cette activité que par la résistance ou le mouvement contraire d’autres molécules sem- blables et qui proviennent d’un autre individu, et que sans cette espèce d'équilibre entre l'ac- tion de ces molécules de deux individus diffé- rents il ne peut résulter l'état de repos, ou plutôt l'établissement local des parties orga- niques qui est nécessaire pour la formation de l'animal; que quand il arrive dans le réservoir séminal d'un individu des molécules organiques semblables à toutes les parties de cet individu dont elles sont renvoyées, ces molécules ne peu- vent se fixer, parce que leur mouvement n'est point contre-balancé, et qu'il ne peut l'être que par l'action et le mouvement contraires d’au- tant d’autres molécules qui doivent provenir d’un autre individu , ou de parties différentes HISTOIRE NATURELLE dans le même individu; que, par exemple, dans les arbres, chaque bouton, qui peut devenir un petit arbre , a d'abord été comme le réservoir desmolécules organiques renvoyées de certaines parties de l'arbre ; mais que l'activité de ces molécules n'a été fixée qu après lerenvoi dans le même lieu de plusieurs autres molécules pro- venant d’autres parties, et qu'on peut regarder sous ce point de vue les unes comme venant des parties mâles, et les autres comme prove- nant des parties femelles; en sorte que dans ce sens tous les êtres vivants ou végétants doivent tous avoir les deux sexes conjointement ou séparément , pour pouvoir produire leur semblable : mais cette réponse est trop générale pour ne pas laisser encore beaucoup d’obscu- rité; cependant si l'on fait attention à tous les phénomènes, il me parait qu'on peut l’éclaircir davantage. Le résultat du mélange des deux liqueurs , masculine et féminine, produit non- seulement un fœtus mâle ou femelle, mais en- core d'autres corps organisés, et qui d'eux- mêmes ont une espèce de végétation et un accroissement réel : le placenta , les mem- branes, ete., sont produits en même temps que le fœtus, etcette production paraît même se dé- velopper la première; il y a done dans la li- queur séminale, soit du mâle, soit de la femelle, ou dans le mélange de toutes deux, non-seule- ment les molécules organiques nécessaires à la production du fœtus, mais aussi celles qui doivent former le placenta et les enveloppes ; et l'on ne sait pas d'où ces molécules organiques peuvent venir, puisqu'il n'y à aucune partie dans le corps, soit du mâle, soit de la femelle, dont ces molécules aient pu être renvoyées; et que par conséquent on ne voit pas qu'il y ait une origine primitive de la forme qu'elles pren- nent, lorsqu'elles forment ces espèces de corps organisés différents du corps de l'animal. Dès lors il me semble qu'on ne peut pas se dispen- ser d'admettre que les molécules des liqueurs séminales de chaque individu mäle et femelle , étant également organiques et actives, forment toujours des corps organisés toutes les fois : qu’elles peuvent se fixer en agissant mutuelle- ment les unes sur les autres; que les parties employées à former un mäle seront d'abord celles du sexe masculin qui se fixeront les pre- mières et formeront les parties sexuelles ; et qu'ensuite celles qui sont communes aux deux individus pourront se fixer indifiéremment pour | | DES ANIMAUX. former le reste du corps, et que le placenta et les enveloppes sont formés de l'excédant des molécules organiques qui n'ont pas été em- ployées à former le fœtus : si, comme nous le supposons, le fœtus est mâle, alors il reste, pour former le placenta et les enveloppes, toutes les molécules organiques des parties du sexe fémi- nin qui n'ont pas été employées, et aussi toutes celles de l'un ou de l’autre des individus qui ne seront pas entrées dans la composition du fœtus, qui ne peut en admettre que la moitié; et de même, si le fœtus est femelle, il reste, pour for- mer le placenta, toutes les molécules organiques des parties du sexe masculin et celles des autres parties du corps, tant du mäle que de la fe- melle , qui ne sont pas entrées dans la compo- sition du fœtus, ou qui en ont été exclues par la présence des autres molécules semblables qui se sont réunies les premières. - Mais, dira-t-on, les enveloppes et le placenta devraient alors être un autre fœtus, qui serait fe- melle si le premier était mäle, etqui serait mâle si le premier était femelle, car le premier n'ayant consommé pour se former que les mo- léeules organiques des parties sexuelles de l’un des individus, et autant d'autres molécules or- ganiques de l’un et de l'autre des individus qu'il en fallait pour sa composition entière , il reste toutes les molécules des parties sexuelles de l’autre individu, et de plus, la moitié des autres molécules communes aux deux indivi- dus. À cela on peut répondre que la première réunion, le premier établissement local des mo- lécules organiques , empêche que la seconde réunion se fasse, ou du moins se fasse sous la même forme ; que le fœtus étant formé le pre- mier, il exerce une force à l'extérieur qui dé- range l'établissement des autres molécules or- ganiques, et qui leur donne l'arrangement qui est nécessaire pour former le placenta et les en- veloppes; que c’est par cette même force qu'il s'approprie les molécules nécessaires à son pre- mier accroissement , ce qui cause nécessaire- ment un dérangement qui empêche d’abord la formation d'un second fœtus, et qui produit en- suite un arrangement dont résulte la forme du placenta et des membranes. Nous sommes assurés par ce qui a été dit ci- devant, et par les expériences etles observations que nous avons faites, que tous les êtres vivants contiennent une grande quantité de molécules vivantes et actives; la vie de l'animal ou du vé- 127 gétal ne paraît être que le résultat de toutes les actions, de toutes les petites vies particulières (s'il m'est permis de m'exprimer ainsi) de cha- cune de ces molécules actives, dont la vie est primitive et parait ne pouvoir être détruite ; nous avons trouvé ces molécules vivantes dans tous les êtres vivants ou végétants, nous sommes assurés que toutes ces molécules organiques sont également propres à la nutrition, et par conséquent à la reproduction des animaux ou des végétaux. Il n’est done pas difficile de con- cevoir que quand un certain nombre de ces molécules sont réunies, elles forment un être vivant : la vie étant dans chacune des parties , elle peut se retrouver dans un tout, dans un assemblage quelconque de ces parties. Ainsi, les molécules organiques et vivantes étant com- muues à tous les êtres vivants, elles peuvent également former tel ou tel animal, ou tel ou tel végétal, selon qu'elles seront arrangées de telle ou telle façon; or cette disposition des parties organiques, cet arrangement, dépend absolument de la forme des individus qui four- nissent ces molécules si c’est un animal qui fournit ces molécules; organiques, comme en effet il les fournit dans sa liqueurséminale, elles pourront s'arranger sous la forme d’un indi- vidu semblable à cet animal ; elles s’arrangeront en petit, comme elles s'étaient arrangées en grand lorsqu'elles servaient au développement du corps de l'animal : mais ne peut-on pas sup- poser que cet arrangement ne peut se faire dans de certaines espèces d'animaux , et même de végétaux, qu'au moyen d'un point d'appui ou d'une espèce de base autour de laquelle les mo- lécules puissent se réunir, et que sans cela elles ne peuvent se fixer ni se rassembler, parce qu'il n'y a rien qui puisse arrêter leur activité? or c'est cette base que fournit l'individu de l'autre sexe : je m'explique. Tant que ces molécules organiques sont seules de leur espèce, comme elles le sont dans la li- queur séminale de chaque individu, leur action ne produit aucun effet, parce qu'elle est sans réaction; ces molécules sont en mouvement continuel les unes à l'égard des autres, et il n’y a rien qui puisse fixer leur activité, puisqu'elles sont toutes également animées, également ac- tives; ainsi il ne se peut faire aucune réunion de ces molécules qui soit semblable à l'animal, ni dans l’une ni dans l’autre des liqueurs sé- minales des deux sexes , parce qu'il n’y a, ni 128 dans l'une ni dans l'autre, aucune partie dis- semblable, aucune partie qui puisse servir d'ap- pui ou de base à l'action de ces molécules en | mouvement ; mais lorsque ces liqueurs sont mê- lées , alors il y a des parties dissemblables, et ces parties sont les molécules qui proviennent des parties sexuelles; ce sont celles-là qui ser- vent de base etde point d'appuiaux autres molé- cules, et qui en fixent l’activité; ces parties étant les seules qui soient différentes des autres, il n’y a qu'elles seules qui puissent avoir un ef- fet différent, réagir contre les autres, et arrêter leur mouvement. Dans cette supposition les molécules orga- niques qui, dans le mélange des liqueurs sémi- nales des deux individus, représentent les par- ties sexuelles du mâle, seront les seules qui pourront servir de base ou de point d'appui aux molécules organiques qui proviennent de toutes les parties du corps de la femelle; et de même les molécules organiques qui, dans ce mélange, représentent les parties sexuelles de la femelle, seront les seules qui serviront de point d'appui aux molécules organiques qui proviennent de toutes les parties du corps du mâle, et cela, parce que ce sont les seules qui soient en effet différentes des autres. De là on pourrait con- elure que l'enfant mâle est formé des molécules organiques du père pour les parties sexuelles, et des molécules organiques de la mère pour le reste du corps; et qu'au contraire la femelle ne tire de sa mère que le sexe, et qu'elle prend tout le reste de son père ; les sarcons devraient done, à l'exception des parties du sexe, ressem- bler davantage à leur mère qu'à leur père , et les filles plus au père qu’à la mère; cette con- séquence, qui suit nécessairement de notresup- position , n'est peut-être pas assez conforme à l'expérience. En considérant sous ce point de vue la géné- ration par les sexes, nous en conelurons que ce doit être la manière de reproduction la plus or- dinaire, comme elle l’est en effet. Les individus dont l'organisation est la plus complète, comme celle des animaux dont le corps faitun tout qui ne peut être séparé ni divisé, dont toutes les puissances se rapportent à un seul point et se combinent exactement, ne pourront se repro- duire que par cette voie , parce qu'ils ne con- tiennent en effet que des parties qui sont toutes semblables entre elles, dont la réunion ne peut se faire qu'au moyen de quelques autres parties HISTOIRE NATURELLE | différentes, fournies parun autre individu; ceux | dont l'organisation est moins parfaite, comme l'est celle des végétaux, dont le corps fait un tout qui peut être divisé et séparé sans être dé- truit, pourront se reproduire par d’autres voies, 1° parce qu'ils contiennent des parties dissem- blables, 2° parce que ces êtres n'ayant pas une forme aussi déterminée et aussi fixe que celle de l'animal, les parties peuvent suppléer les unes | aux autres, etse changer selon les circonstances, comme l'on voit les racines devenir des branches et pousser des feuilles lorsqu'on les expose à l'air, ce qui fait que la position et l’établisse- ment local des molécules qui doivent former le petit individu se peuvent faire de plusieurs ma- nières. Il en sera de même des animaux dont l'or- ganisation ne fait pas un tout bien déterminé, comme les polypes d’eau douce et les autres qui peuvent se reproduire par la division ; ces êtres organisés sont moins un seul animal que plu- sieurs corps organisés semblables , réunis sous une enveloppe commune, comme les arbres sont aussi composés de petits arbres semblables (voyez chapitre IT). Les pucerons, qui engen- drent seuls, contiennent aussi des parties dis- semblables, puisqu'après avoir produit d’autres pucerons ils se changent en mouches qui ne pro- duisent rien. Les limacons se communiquent mutuellement ces parties dissemblables, et en- suite ils produisent tous les deux ; ainsi, dans toutes les manières connues dont la génération s'opère, nous voyons que la réunion des molé- cules organiques qui doivent former la nouvelle production ne peut se faire que par le moyen de quelques autres parties différentes quiservent de point d'appui à ces molécules , et qui, par leur réaction, soient capables de fixer le mou- vement de ces molécules actives. Si l'on donne à l’idée du mot sexe toute l’é- tendue que nous lui supposons ici, on pourra dire que les sexes se trouvent partout dans la nature ; car alors le sexe ne sera que la partie qui doit fournir les molécules organiques diffé- rentes des autres, et qui doit servir de point d'appui pour leur réunion. Mais c'est assez rai- sonner sur une question que je pouvais me dis- penser de mettre en avant, que je pouvais aussi résoudre tout d'un coup en disant, que Dieu ayant créé les sexes, il est nécessaire que les animaux se reproduisent par leur moyen. En effet, nous ne sommes pas faits, comme je l'ai DES ANIMAUX. dit, pour rendre raison du pourquoi des choses; nous ne sommes pas en état d'expliquer pour- quoi la nature emploie presque toujours les sexes pour la reproduction des animaux; nous ne saurons jamais , je crois, pourquoi ces sexes existent, et nous devons nous contenter de rai- sonnersur ce qui est, sur leschoses telles qu’elles sont, puisque nous ne pouvons remonter au-delà qu'en faisant dessuppositions, qui s’éloignent peut-être autant de la vérité que nous nous éloignons nous-mêmes de la sphère où nous de- vons nous contenir, et à laquelle se borne la pe- tite étendue de nos connaissances. En partant done du point dont il faut partir, c'est-à-dire en se fondant sur les faits et sur les observations , je vois que la reproduction des êtres se fait à la vérité de plusieurs manières différentes; mais en même temps je concois clairement que c'est par la réunion des molé- cules organiques, renvoyées de toutes les par- ties de l'individu, que se fait la reproduction des végétaux et des animaux. Je suis assuré de l'existence de ces molécules organiques et ac- tives dans la semence des animaux mâles et fe- melles, et dans celle des végétaux, et je ne puis pas douter que toutes les générations, de quel- que manière qu’elles se fassent, ne s'opèrent par le moyen de la réunion de ces molécules orga- niques, renvoyées de toutes les parties du corps des individus; je ne puis pas douter non plus que dans la génération des animaux, eten par- ticulier dans celle de l’homme , ces molécules organiques , fournies par chaque individu mâle et femelle , ne se mêlent dans le temps de la formation du fœtus , puisque nous voyons des enfants qui ressemblent en même temps à leur père et à leur mère; et ce qui pourrait confr- mer ce que j'ai dit ci-dessus , c'est que toutes les parties communes aux deux sexes se mêlent, au lieu que les molécules qui représentent les parties sexuelles ne se mélent jamais, car on voit tous les jours des enfants avoir, par exem- ple, les yeux du père et le front ou la bouche de la mère; mais on ne voit jamais qu’il y ait un semblable mélange des parties sexuelles, et il n'arrive pas qu'ils aient, par exemple, les testicules du père et le vagin de la mère : je dis que cela n’arrive pas, parce que l’on n'a aucun fait avéré au sujet des hermaphrodites, et que la plupart des sujets qu'on a cru être dans ce cas n'étaient que des femmes dans lesquelles certaine partie avait pris trop d'accroissement. un, 429 IL est vrai qu'en réfléchissant sur la structure des parties de la génération de l’un et de l’autre sexe dans l'espèce humaine, on y trouve tant de ressemblance et une conformité si singulière, qu'on serait assez porté à croire que ces parties, qui nous paraissent si différentes à l'extérieur, ne sont au fond que les mêmes organes, mais plus ou moins développés. Ce sentiment, qui était celui des anciens, n’est pas tout à faitsans fondement, et on trouvera dans le volume qui contient la description de la partie du Cabinet qui a rapport à l’histoire naturelle de l'homme, les idées que M. Daubenton a eues sur ce sujet; elles m'ont parutrès-ingénieuses , et d’ailleurs, elles sont fondées sur des observations nouvelles qui probablement n'avaient pas été faites par les anciens, et qui pourraient confirmer leur opinion à ce sujet. La formation du fœtus se fait donc par Ja réunion des molécules organiques contenues dans le mélange qui vient de se faire des li- queurs séminales des deux individus; cette réu- nion produit l'établissement local des parties, parce qu'elle se fait selon les lois d’affinité qui sont entre ces différentes parties, et qui dé- terminent les molécules à se placer comme elles l'étaient dans les individus qui les ont fournies; en sorte que les molécules qui proviennent de la tête, et qui doivent la former , ne peuvent, en vertu de ces lois , se placer ailleurs qu’au- près de celles qui doivent former le cou, et qu'elles n’iront pas se placer auprès de celles qui doivent former les jambes. Toutes ces mo- lécules doivent être en mouvement lorsqu'elles se réunissent, et dans un mouvement qui doit les faire tendre à une espèce de centre autour duquel se fait la réunion. On peut croire que ce centre ou ce point d'appui qui est néces- saire à la réunion des molécules, et qui par sa réaction et son inertie en fixe l’activité et en détruit le mouvement, estune partie différente de toutes les autres , et c’est probablement le premier assemblage des molécules qui pro- viennent des parties sexuelles qui, dans ce mé- lange, sont les seules qui ne soient pas absolu- ment communes aux deux individus. Je concois donc que dans ce mélange des deux liqueurs les molécules organiques qui proviennent des parties sexuelles du mâle , se fixent d’elles-mêmesles premières et sans pou- voir se mêler avec les molécules qui proviennent des parties sexuelles de la femelle, parce qu en 9 150 effet elles en sont différentes, et que ces par- ties se ressemblent beaucoup moins que l'œil, le bras, ou toute autre partie d’un homme ne ressemble à l'œil, au bras ou à toute autre par- tie d'une femme. Autour de cette espèce de point d'appui ou de centre de réunion, les autres molécules organiques s’arrangent successive- ment, et dans le même ordre où elles étaient dans le corps de l'individu ; et selon que les molécules organiques de l’un ou de l’autre in- dividu se trouvent être plus abondantes ou plus voisines de ce point d'appui, elles entrent en plus ou moins grande quantité dans la compo- sition du nouvel être qui se forme de cette fa- çon au milieu d’une liqueur homogène et cris- talline, dans laquelle il se forme en même temps des vaisseaux ou des membranes qui croissent et se développent ensuite comme le fœtus, et qui servent à lui fournir de la nourriture; ces vaisseaux , qui ont une espèce d'organisation qui leur est propre, et qui en même temps est relative à celle du fœtus auquel ils sont atta- chés, sont vraisemblablement formés de l'ex- cédant des molécules organiques qui n’ont pas été admises dans la composition même du fœ- tus; car comme ces molécules sont actives par elles-mêmes et qu’elles ont aussi un centre de réunion formé par les molécules organiques des parties sexuelles de l’autre individu, elles doivent s'arranger sous la forme d’un corps or- ganisé qui ne sera pas un autre fœtus , parce que la position des molécules entre elles a été dérangée par les différents mouvements des autres molécules qui ont formé le premier em- bryon; et par conséquent il doit résulter de l'assemblage de ces molécules excédantes, un corps irrégulier, différent de celui d’un fœtus, et qui n'aura rien de commun que la faculté de pouvoir croître et de se développer comme lai , parce qu'il est en effet composé de molé- cules actives, aussi bien que le fœtus, lesquelles ont seulement pris une position différente, parce qu’elles ont été, pour ainsi dire, rejetées hors de la sphère dans laquelle se sont réunies les molécules qui ont formé l'embryon. Lorsqu'il y a une grande quantité de liqueur séminale des deux individus, ou plutôt lorsque ces liqueurs sont-fort abondantes en molécules organiques , il se forme différentes petites sphè- res d'attraction ou de réunion en différents en- droits de la liqueur; et alors, par une mécani- que semblable à celle quenous venons d'expli- HISTOIRE NATURELLE quer, il se forme plusieurs fœtus, les uns mâles et les autres femelles, selon que les molécules qui représentent les parties sexuelles de l’un ou de l’autre individu se seront trouvées plus à portée d'agir que les autres, et auront en effet agi les premières; mais jamais il ne se fera daus la même sphère d'attraction deux petits em- bryons, parce qu'il faudrait qu'il y eût alors deux centres de réunion dans cette sphère, qui auraient chacun une force égale, et qui com- menceraient tous deux à agir en même temps, ce qui ne peut arriver dans une seule et même sphère d'attraction; et d'ailleurs, si cela arri- vait, il n'y aurait plus rien pour former le pla- centa et les enveloppes, puisqu’alors toutes les molécules organiques seraient employées à la formation de cet autre fœtus, qui dans ce cas serait nécessairement femelle, si l’autre était mâle; tout ce qui peut arriver, c’est que quel- ques-unes des parties communes aux deux in- dividus se trouvant également à portée du pre- mier centre de réunion, elles y arrivent en même temps , ce qui produit alors des monstres par excès, et qui ont plus de parties qu'il ne faut; ou bien que quelques-unes de ces parties communes se trouvant trop éloignées de ce pre- mier centre, soient entrainées par la force du second autour duquel se forme le placenta, ce qui doit faire alors un monstre par défaut, au- quel il manque quelque partie. Au reste , il s'en faut bien que je regarde comme une chose démontrée , que ce soient en effetles molécules organiques des partiessexuel- les qui servent de point d'appui ou de centre de réunion autour duquel se rassemblent toutes les autres parties qui doivent former l'embryon ; je le dis seulement comme une chose probable, car il se peut bien que ce soit quelque autre partie qui tienne lieu de centre et autour de laquelle les autres se réunissent; mais comme je ne vois point de raison qui puisse faire préférer l’une plutôt que l'autre de ces parties, que d’ailleurs elles sont toutes communes aux deux individus , qu'il n'y a que celles des sexes qui soient différentes, j'ai cru qu'il était plus na- turel d'imaginer que c’est autour de ces parties différentes et seules de leur espèce, que se fait la réunion. On a vu ci-devant que ceux qui ont eru que le cœur était le premier formé, se sont trompés; ceux qui disent que c’est le sang, se trompent aussi; tout est formé en même temps. Si l'on ne DES ANIMAUX. consulte que l'observation, le poulet se voit dans l'œuf avant qu'il n'ait été couvé, on y reconnait la tête et l'épine du dos, et en même temps les appendices qui forment le placenta. J'ai ouvert une grande quantité d'œufs à différents temps, avant et après l'incubation!, et je me suis convaincu par mes yeux que le poulet existe en entier dans le milieu de la cicatricule au moment qu'il sort du corps de la poule; la cha- leur que lui communique l'incubation ne fait que le développer en mettant les liqueurs en mouvement; mais il n’est pas possible de dé- terminer, au moins par les observations qui ont été faites jusqu'à présent , laquelle des parties du fœtus est la première fixée dans l'instant dé Ja for- mation, laquelle est celle qui sert de point d'ap- pui au de centre de réunion à toutes les autres. J'ai toujours dit que les molécules organiques étaient fixées, et que ce n’était qu'en perdant leur mouvement qu'elles se réunissaient; cela me parait certain, parce que si l’on observe sé- parément la liqueur séminale du mâle et ceile de la femelle, on y voit une infinité de petits corps en grand mouvement, aussi bien dans l'une que dans l’autre de ces liqueurs; et en- suite, si l’on observe le résultat du mélange de ces deux liqueurs actives, on ne voit qu'un pe- tit corps en repos et tout à fait immobile, au- quel la chaleur est nécessaire pour donner du mouvement; car le poulet qui existe dans le centre de la eicatricule est sans aucun mouve- ment avant l’incubation, et même vingt-quatre heures après; lorsqu'on commence à l'aperce- voir sans microscope, il n’a pas la plus petite apparence de mouvement , nimême le jour@ui- vant; ce n’est, pendant ces premiers jours, qu'une petite masse blanche d’un mucilage qui a de la consistance dès le second jour , et qui augmente insensiblement et peu à peu, par une espèce de vie vésétative dont le mouvement est très-lent, et ne ressemble point du tout à celui des parties organiques qui se meuvent ra- pidement dans la liqueur séminale. D'ailleurs, j'ai eu raison de dire que ce mouvement est absolument détruit, et que l’activité des molé- cules organiques est entièrement fixée; car si on garde un œuf sans l'exposer au degré de cha- leur qui est nécessaire pour développer le pou- let, l'embryon, quoique formé en entier, y “ Les figures que Lansly a données des différents états du poulet dans l'œuf, m'ont paru assez conformes à la nature de ce que j'ai vu moi-mème. 151 demeurera sans aueun mouvement ; et les mo- lécules organiques dont il est composé resteront fixées , sans qu'elles puissent d’elles-mêmes donner le mouvement et la vie à l'embryon qui a été formé par leur réunion, Ainsi, après que le mouvement des molécules organiques a été détruit, après lu réunion de ces molécules et l'établissement local de toutes ies parties qui doivent former un corps animal , il faut encore une puissance extérieure pour l’animer et lui donner la force de se développer en rendant du mouvement à celles de ces molécules qui sont contenues dans les vaisseaux de ce petit corps; car avant l’incubation la machine animale existe en entier, elle est entière, complète et toute prête à jouer; mais il faut un agent extérieur pour la mettre en mouvement, et cet agent est la chaleur, qui, en raréfiant les liqueurs, les oblige à circuler, et met ainsi en action tous les organes, qui ne font plus ensuite que se développer et croître, pourvu que cette cha- leur extérieure continue à les aider dans leurs fonctions, et ne vienne à cesser que quand ils en ont assez d'eux-mêmes pour s'en passer ; et pôur pouvoir, en venant au monde, faire usage de leurs membres et de tous leurs organes ex- térieurs. Avant l'action de cette chaleur extérieure, c'est-à-dire, avant l'incubation, l’on ne voit pas la moindre apparence de sang, et ce n’est qu’en- viron vingt-quatre heures après que j'ai vu quelques vaisseaux changer de couleur et rou- gir; leS premiers qui prennent cette couleur et qui contiennent en effet du sang, sont dans le placenta , et ils communiquent au corps du pou- Jet; mais il Semble que ce sang perde sa cou- leur en approchant du corps de l'animal; car le poulet entier est tout blanc, et à peine dé- couvre-t-on dans le premier, le second et le troisième jour après l'incubation , un, ou deux, ou trois petits points sanguins, qui sont voisins du corps de l'animal, mais qui semblent n'en pas faire partie dans ce temps, quoique ce soient ces points sanguins qui doivent ensuite former le cœur. Aïnsi la formation du sang n’est qu'un changement occasionné dans les liqueurs par le mouvement que la chaleur leur communique, et ce sang se forme même hors du corps de l’a- nimal , dont toute Ja substance n’est alors qu’une espèce de mucilage , de gelée épaisse, de ma- tière visqueuse et blanche , comme serait de la lymphe épaissie. 152 L'animal, aussi bien que le placenta, tirent la nourriture nécessaire à leur développement par une espèce d'intussusception, et ils s'assi- milent les parties organiques de la liqueur dans taquelle ils nagent; car on ne peut pas dire que le placenta nourrisse l'animal, pas plus que l’a- nimal nourrit le placenta , puisque, si l’un nour- rissait l’autre, le premier paraitrait bientôt di- minuer, tandis que l’autre augmenterait; au lieu que tous deux augmentent ensemble. Seulement il est aisé d'observer, comme je l'ai fait sur les œufs , que le placenta augmente d'abord beau- coup plus à proportion que l'animal, et que c’est par cette raison qu'il peut ensuite nourrir l'ani- mal, ou plutôt lui porter de la nourriture, et ce ne peut être que par l’intussusception que ce placenta augmente et se développe. Ce que nous venons de dire du poulet s’ap- plique aisément au fœtus humain : il se forme par la réunion des molécules organiques des deux individus qui ont concouru à sa produc- tion ; les enveloppes et le placenta sont formés de l'excédant de ces molécules organiques qui ne sont point entrées dans la composition de l'embryon; il est done alors renfermé dans un double sac où il y a aussi de la liqueur qui peut- être n'est d’abord et dans les premiers instants, qu'une portion de la semence du père et de la mère; et comme il ne sort pas de la matrice, il jouit, dans l'instant même de sa formation, de la chaleur extérieure qui est nécessaire à son dé- veloppement; elle communique un mouvement aux liqueurs, elle met en jeu tous les organes, et le sang se forme dans le placenta et dans le corps de l'embryon , par le seul mouvement oc- casionné par cette chaleur; on peut même dire que la formation du sang de l’enfant est aussi indépendante de celui de la mère, que ce qui se passe dans l’œuf est indépendant de la poule qui le couve, ou du four qui l’échauffe. Il est certain que le produit total de la géné- ration, c’est-à-dire, le fœtus, son placenta, ses enveloppes, croissent tous par intussusception; car, dans les premiers temps, le sa qui contient l'œuvre entière de la génération n’est point ad- hérent à la matrice. On a vu par les expériences de Graaf sur les femelles des lapins, qu'on peut faire rouler dans la matrice ces globules où est renfermé le produit total de la génération , et qu'il apppelait mal à propos des œufs ; ainsi dans les premiers temps ces globules et tout ce qu'ils contiennent, augmentent et s'accroissent par HISTOIRE NATURELLE intussusception , en tirant la nourriture des li- queurs dont la matrice est baignée; ils s'y atta- chent ensuite, d'abord par un mucilage dans lequel avec le temps il se forme de petits vais- seaux , comme nous le dirons dans la suite. Mais, pour ne pas sortir du sujet que je me suis proposé de traiter dans ce chapitre, je dois revenir à la formation immédiate du fœtus, sur laquelle il y a plusieurs remarques à faire, tant pour le lieu où se doit faire cette formation, que par rapport à différentes circonstances qui peu- vent l'empêcher ou l’altérer. Dans l'espèce humaine, la semence du mâle entre dans la matrice, dont la cavité est consi- dérable ; et lorsqu'elle y trouve une quantité suffisante de celle de la femelle, le mélange doit s’en faire , la réunion des parties organi- ques succède à ce mélange, et la formation du fœtus suit ; le tout est peut-être l'ouvrage d'un instant, surtout si les liqueurs sont toutes deux nouvellement fournies, et si elles sont dans l'état actif et florissant qui accompagne toujours les productions nouvelles de la nature. Le lieu où le fœtus doit se former est la cavité de la matrice, parce que la semence du mâle y arrive plus aisément qu’elle ne pourrait arriver dans les trompes, et que ce viscère n'ayant qu'un petit orifice, qui même se tient toujours fermé, à l'exception des instants où les convulsions de l'amour peuvent le faire ouvrir, l'œuvre de la génération y est en sûreté, et ne peut guère en sortir que par des circonstances rares et des hasards peu fréquents; mais comme la liqueur du mâle arrose d’abord le vagin , qu’ensuite elle pénètre dans la matrice, et que par son ac- tivité et par le mouvement des molécules orga- niques qui la composent, elle peut arriver plus loin et aller dans les trompes, et peut-être jus- qu'aux testicules , si le pavillon les embrasse dans ce moment; et de même comme la liqueur séminale de la femelle a déjà toute sa perfec- tion dans le corps glanduleux des testicules , qu’elle en découle et qu’elle arrose le pavillon et les trompes avant que de descendre dans la matrice , et qu’elle peut sortir par les lacunes qui sont autour du col de la matrice, il est pos- sible que le mélange des deux liqueurs se fasse dans tous ces différents lieux. IL est done pro- bable qu'il se forme souvent des fœtus dans le vagin , mais qu'ils en retombent, pour ainsi dire, aussitôt qu'ils se sont formés, parce qu’il n'y arien qui puisse les y retenir ; il doit ar- DES ANIMAUX. river aussi quelquefois qu'il se forme des fœtus 155 près où est l'oreille. Dans le même volume dans les trompes; mais ce cas sera fort rare , ! (page 244) il est rapporté que M. Méry trouva car cela n'arrivera que quand la liqueur sémi- nale du mâle sera entrée dans la matrice en grande abondance, qu'elle aura été poussée jus- qu'à ses trompes , dans lesquelles elle se sera mêlée avec la liqueur séminale de la femelle. Les recueils d'observations anatomiques font mention non-seulement de fœtus ‘trouvés dans les trompes : mais aussi de fœtus trouvés dans les testicules; on conçoit très-aisément, par ce que nous venons de dire, comment il se peut qu'il s'en forme quelquefois dans les trompes ; mais à l'égard des testicules, l'opération me parait beaucoup plus difficile , cependant elle n’est peut-être pas absolument impossible ; car si l’on suppose que la liqueur séminale du mâle soit lancée avec assez de force pour être portée jusqu'à l'extrémité des trompes, et qu'au moment qu'elle y arrive, le pavillon vienne à se redresser et à embrasser le testi- cule, alors il peut se faire qu’elle s'élève encore plus haut, et que le mélange des deux liqueurs se fasse dans le même lieu de l’origine de cette liqueur , c’est-à-dire, dans la cavité du corps glanduleux, et il pourrait s'y former un fœtus, mais qui n’arriverait pas à sa perfection. On a quelques faits qui semblent indiquer que cela est arrivé quelquefois. Dans l'Histoire de l'an- cienne Académie des Sciences {Zome IT, page 91), on trouve une observation à ce sujet. M. Theroude, chirurgien à Paris, fit voir à l'Académie une masse informe qu'il avait trou- vée dans le testicule droit d’une fille âgée de dix-huit ans; on y remarquait deux fentesou- vertesetgarnies de poils comme deux paupières, au-dessus de ces paupières était une espèce de front avec une ligne noire à la place des sour- cils; immédiatement au-dessus il y avait plu- sieurs cheveux ramassésen deux paquets, dont l'un était long de sept pouces et l’autre de trois; au-dessous du grand angle de l'œil sor- taient deux dents molaires, dures, grosses et | blanches, elles étaient avec leurs gencives, elles avaient environ trois lignes de longueur, etétaient éloignées l’une de l’autre d’une ligne; une troisième dent, plus grosse, sortait au-des- sous de ces deux-là; il paraissait encore d’au- tres dents différemment éloignées les unes des autres et de celles dont nous venons de parler; deux autres, entre autres , de la naturedes ca- nines, sortaient d’une ouverture placée à peu dansle testicule d’une femme, qui était abcédé, | Rs e un os de lamächoire supérieure avec plusieurs dents si parfaites, que quelques-unes parurent avoir plus de dix ans. On trouve dans le Jour- nal de Médecine (janvier 1683), publié par l'abbé de La Roque, l’histoire d'une dame qui, ayant fait huit enfants fort heureusement, mourut de la grossesse du neuvième, qui s'était formé auprès del’un de ses testicules, oumême dedans; je dis auprès ou dedans, parce que cela n’est pasbien clairement expliqué dans la relation qu'un M. de Saint-Maurice, médecin, à qui on doit cette observation, a faite de cette grossesse ; il dit seulement qu'il ne doute pas que le fœtus ne fût dans le testicule; mais lorsqu'il le trouva il était dans l'abdomen; ce fœtus était gros comme le pouce et entièrement formé, on y reconnaissait aisément le sexe. On trouve aussi, dans les Transactions philoso- phiques, quelques observations sur des testi- cules de femmes , où l’on a trouvé des dents, des cheveux, des os. Si tous ces faits sont vrais, on ne peut guère les expliquer que comme nous l'avons fait, et il faudra supposer que la liqueur séminale du mâle monte quel- quefois , quoique très-rarement , jusqu'aux testicules de la femelle; cependant j’avouerai que j'ai quelque peine à le croire, première- | ment, parce que les faits qui paraissent le prouver sont extrêmement rares; en second lieu, parce qu'on n’a jamais vu de fœtus par- fait dans les testicules, et que l'observation de M. Littre, qui est la seule de cette espèce, a paru fort suspecte; en troisième lieu, parce qu'il n’est pas impossible que la liqueur sémi- nale de la femelle ne puisse toute seule pro- duire quelquefois des masses organisées, comme des moles, des kistes remplis de che- veux, d'os, de chair; et enfin parce que si l’on veut ajouter foi à toutes les observations des anatomistes , on viendra à croire qu’il peut se former des fœtus dans les testicules des hom- mes aussi bien que dans ceux des femmes ; car on trouve dans le second volume de l'His- toire de l’ancienne Académie ( page 298) une observation d'un chirurgien qui dit avoir trouvé dans le serotum d’un homme une masse, de la figure d'unenfant, enfermée dans les membra- nes; on y distinguait la tête, les pieds, les yeux, des os et des cartilages, Si toutes ces 154 HISTOIRE NATURELLE observations étaient également vraies, il fau- drait nécessairement choisir entre les deux hypothèses suivantes, ou que la liqueur sémi- pale de chaque sexe ne peut rien produire toute seule et sans être mêlée avec celle de l'autre sexe, ou que cette liqueur peut pro- duire toute seule des masses irrégulières, quoi- que organisées; en se tenant à la première hypothèse, on serait obligé d'admettre, pour expliquer tous les faits que nous venons de rapporter, que la liqueur du mâle peut quel- quefois monter jusqu'au testicule de la femelle, et y former, en se mélant avec la liqueur sé- minale de la femelle , des corps organisés; et de même que quelquefois la liqueur séminale de la femelle peut, en se répandant avec abon- dance dans le vagin , pénétrer dans le temps de la copulation jusque dans le scrotum du mâle, à peu près comme le virus vénérien y pénètre souvent; et que dans ces cas, qui sans doute seraient aussi fort rares, il peut se former un corps organisé dans le scrotum, par le mélange de cette liqueur séminale de la fe- melle avec celle du mâle , dont une partie qui était dans l’urètre aura rebroussé chemin, et sera parvenue avec celle de la femelle jusque dans le scrotum; ou bien, si l'on admet l’autre hypothèse qui me parait plus vraisemblable, et qu'on suppose que la liqueur séminale de chaque individu ne peut pas à la vérité pro- duire toute seule un animal, un fœtus; mais qu’elle puisse produire des masses organisées lorsqu'elle se trouve dans des lieux où ses particules actives peuvent en quelque façon se réunir , etoù le produit de cette réunion peut trouver de la nourriture, alors on pourra dire que toutes ces productions osseuses, charnues, chevelues , dans les testicules des femelles et dans le serotum des mâles, peuvent tirer leur origine de la seule liqueur de l'individu dans lequelelles se trouvent. Mais c'estassez s'arrêter sur des observations dont les faits me paraissent plusincertainsqu'inexplicables, car j'avoue que je suis très-porté à imaginer que dans de certai- nes circonstances et dans de certains états, la li- queur séminale d’un individu mâle ou femelle peut seule produire quelque chose. Je serais, par exemple, fort tenté de croire que les filles peuvent faire des môles sans avoir eu de com- munication avec le mâle, comme les poules font des œufs sans avoir vu le coq ; je pourrais appuyer cette opinion de plusieurs observations qui me paraissent au moins aussi certaines que celles que je viens de citer, et je me rappelle que M. de la Saône, médecin et anatomiste de l'Académie des Sciences, a fait un mémoire sur ce sujet, dans lequel il assure que des reli- gieuses bien cloitrées avaient fait des moles; pourquoi cela serait-il impossible, puisque les poules font des œufs sans communication avec le coq, et que dans la cicatricule de ces œufs on voit, au lieu d'un poulet, une môle avec des appendices? l'analogie me paraît avoir assez de force pour qu'on puisse au moins dou- ter et suspendre son jugement. Quoi qu'il en soit , il est certain qu'il faut le mélange des deux liqueurs pour former un animal , que ce mélange ne peut venir à bien que quand il se fait dans la matrice , ou bien dans les trompes de la matrice, où les anatomistes ont trouvé quelquefois des fœtus; et qu'il est naturel d'i- maginer que ceux qui ont été trouvés hots de la matriceet dans la cavité de l'abdomen, sont sortis par l'extrémité des trompes ou par quel- que ouverture qui s’est faite par accident à la matrice; et que ces fœtus ne sont pas tombés du testicule, où il me paraît fort difficile qu'ils puissent se former, parce que je regarde comme une chose presque impossible que la liqueur séminale du mâle puisse remonter jus- que-là. Leeuwenhoek a supputé la vitesse du mouvement de ses prétendus animaux sper- matiques, et il a trouvé qu'ils pouvaient faire quatre ou cinq pouces de chemin en quarante minutes ; ce mouvement serait plus que suffi- sant pour parvenir du vagin dans la matrice, de la matrice dans les trompes, et des trompes dans les testicules en une heure ou deux, si toute la liqueur avait ce même mouvement ; mais comment concevoir que les molécules or- ganiques qui sont en mouvement dans cette liqueur du mâle, et dont le mouvement cesse aussitôt que le liquide dans lequel elles se meu- vent vient à leurmanquer, comment convevoir, dis-je, que ces molécules puissent arriver jus- qu'au testicule, à moins que d'admettre que la liqueur elle-même y arrive et les y porte? ce mouvement de progression, qu'il faut supposer dans la liqueur même, nepeut être produit par celui des moléeulesorganiques qu'elle contient; ainsi, quelque activité que lon suppose à ces molécules, on ne voit pas comment elles pour- raient arriver aux testicules et y former un fœtus, à moins que par quelque voie que nous DES ANIMAUX. ne connaissons point, par quelque force rési- dante dans le testicule, la liqueur même ne fût pompée et attirée jusque-là, ce qui estune sup- position non-seulement gratuite, mais même contre la vraisemblance. Autant il est douteux que la liqueur sémi- nale du mâle puisse jamais parvenir aux tes- ticules de la femelle, autant il paraît certain qu'elle pénètre la matrice et qu'elle y entre, soit par l'orifice, soit à travers le tissu même des membranes de ce viscère. La liqueur qui découle des corps glanduleux des testicules de la femelle peut aussi entrer dans la matrice, soit par l'ouverture qui est à l'extrémité su- périeure des trompes, soit à travers le tissu même de ces trompes et de la matrice. Il y a des observations qui semblent prouver claire- ment que ces liqueurs peuvent entrer dans la matrice à travers le tissu de ce viscère ; je vais en rapporter une de M. Weitbrech, habile anatomiste de l'Académie de Pétersbourg, qui confirme mon opinion : Res omni atlen- tione dignissima oblata mihi est in utero fe- mine alicujus à me dissectæ ; erat utlerus eû magnitudine qué esse solet in vérginibus ; lu- bœque ambæ aperlæ quidem ad ingressum uteri, ia ut ex hoc in illas cum specillo facilè possem transire ad flatum injicere, sed in tu- barumezxtremo nulla dabatur apertura, nullus aditus; fimbriarum enim ne vestigium qui- dem aderat, sed loco illarum bulbus atiquis pyriformis materià subalbidä fluidä turgens, ên cujus medio fibraplana nervea, cicatriculæ œmula, apparebat, que sub ligamentuli specie usque ad ovarii involucra protendebatur. Dices : eadem à Regnero de Graaf jam olim notata. Equidem non negaverim illustrem hune prosectorem in libro suo de organis mu- liebribus non modà similemtubam delineasse, tab. XIX, fig. 3; sed et monuisse « lubas, « quamvis secundüm ordinariam naturæ dis- « posilionem in eætremilate suà nolabilem « semper coarelationem habeant, præter na- « turam tamen aliquandà claudi ; » verm enim verû cum non meminerit auctor an id in uträque tubé ità deprehenderit ? an in vir- gine? an status iste præternaturalis sterilila- tem inducat? an verû conceptio nihilominüs fieri possil ? an à principio vilæ talis struc- tura suam originem ducat? sive an traclu temporis ilà degenerare tubæ possint ? facilè perspicimus multa nobis relicta esse proble- 155 mata que, utcumque soluta, mullm negotii facescant in exemplo nostro. Erat enim hæc femina marilata, viginti quatuor annosnata, que filium pepererat quem vidi ipse, octo jam annos natum. Dic igilur tubas ab incunabulis clausas sterililatem inducere : quare hæc nes- tra femina peperit? Dic concepisse tubisclau- sis:quomodô ovulum ingreditubam potuit? Dic coaluisse tubas post partum : quomodo1d nosti? quomodè adeù evanescere in utroque lutere Jimbriæ possunt, tanquäm numquäm adfuis- sent? Siquidem ex ovario ad tubas alia da- relur via præter illarum orificium , unico gressu omnes superarentur difficullates : sed Jictiones intellectum quidem adjuvant, rei ve- rilatem non demonstrant ; præslat igitur igno- rationem fateri, quàm speculationibus indul- gere. ( V. Comm. Acad. Petropol. vol. IV, ?. 261 e/262). L'auteur de cette observation, qui marque, comme l’on voit, autant d'esprit et de jugement que de connaissances en ana- tomie, a raison de se faire ces difficultés, qui paraissent être en effet insurmontables dans le système des œufs, mais qui disparaissent dans notre explication; et cette observation semble seulement prouver, comme nous l'avons dit, que la liqueur séminale de la femelle peut bien pénétrer le tissu de la matrice, et y entrer à travers les pores des membranes de ce viscère, comme je ne doute pas que celle du mâle ne puisse y entrer aussi de la même façon; il me semble que pour se le persuader, il suffit de faire attention à l’altération que la liqueur sé- minale du mâle cause à ce viscère, et à l’es- pèce de végétation ou de développementqu'elle y cause. D'ailleurs, la liqueur qui sort par les lacunes de Graaf, tant celles qui sont autour du col de la matrice, que celles qui sont aux environs de l’urificeextérieur del’urètre, étant, comme nous l'avons insinué, de la même na- ture que la liqueur du corps glanduleux, il est bien évident que cette liqueur vient des testi- cules, et cependant il n’y a aucun vaisseau qui puisse la conduire, aucune voie connue par où elle puisse passer ; par conséquent on doit con- clure qu’elle pénètre le tissu spongieux de toutes ces parties, et que non-seulement elle entre ainsi dans lamatrice, mais même qu’elleen peut sortir lorsque ces parties sontenirritation. Mais quand même on se refuserait à cette idée, et qu'on traiterait de chose impossible la pénétration dutissu de la matrice etdestrompes 136 par les molécules actives des liqueurs sémi- nales, on ne pourra pas nier que celle de la fe- melle, qui découle des corps glanduleux des testicules, ne puisse entrer par l'ouverture qui est à l'extrémité de la trompe et qui forme le pavillon, qu'elle ne puisse arriver dans la ca- vité de la matrice par cette voie, comme celle du mäle y arrive par l'orifice de ce viscère, et que par conséquent ces deux liqueurs ne puis- sent se pénétrer, se mêler intimement dans cette cavité, et y former le fœtus de la manière dont nous l'avons expliqué. CHAPITRE XI. Du développement et de l'accroissement du fœtus , de l'accouchement, etc. On doit distinguer dans le développement du fœtus, des degrés différents d’accroissement dans de certaines parties qui font, pour ainsi dire, des espèces différentes de développe- ment Le premier développement, qui succède immédiatement à la formation du fœtus, n'est pas un accroissement proportionnel de toutes les parties qui le composent; plus on s'éloigne du temps de la formation, plus cet accroisse- ment est proportionnel dans toutes les parties, | et ce n’est qu'après être sorti du sein de la mère que l’accroissement de toutes les parties du corps se fait à peu près dans la même pro- portion. Il ne faut donc pas s’imaginer que le fœtus aumomentde sa formation soitun homme infiniment petit, duquel la figure et la forme soient absolument semblables à celles de l'homme adulte; il est vrai que le petit em- bryon contient réellement toutes les parties qui doivent composer l’homme, mais ces par- ties se développent successivement et diffé- remment les unes des autres. Dans un corps organisé comme l’est celui d'un animal, on peut croire qu'il y a des par- ties plus essentielles les unes que les autres, et sans vouloir dire qu'il-pourrait y en avoir d’in- utiles ou de superflues, on peut soupconner que toutes ne sont pas d’une nécessité égale- ment absolue, et qu'il y en a quelques-unes dont les autres semblent dépendre pour leur développement et leur disposition. On pour- rait dire qu'il y a des parties fondamentales, sans lesquelles l'animal] ne peut se développer; d'autres, qui sont plus accessoires et plus ex- térieures qui paraissent tirer leur origine des HISTOIRE NATURELLE premières, et qui semblent être faites autant pour l’ornement, la symétrie et la perfection extérieure de l'animal, que pour la nécessité de son existence et l'exercice des fonctions es- sentielles à la vie. Ces deux espèces de parties différentes se développent successivement, et sont déjà toutes presque également apparentes lorsque le fœtus sort du sein de la mère; mais il y aencored’autres parties, commeles dents, que la nature semble mettre en réserve pour ne les faire paraître qu’au bout de plusieurs années; ilyena, comme les corps glanduleux des tes- ticules des femelles , la barbe des mâles , ete., qui ne se montrent que quand le temps de produire son semblable est arrivé , ete. Il me parait que pour reconnaître les par- | ties fondamentales et essentielles du corps de l'animal, il faut faire attention au nombre, à la | situation et à la nature de toutes les parties; | celles qui sont simples, celles dont la position est invariable, celles dont la nature est telle que l'animal ne peut pas exister sans elles, se- ront certainementles parties essentielles; celles au contraire qui sont doubles, ou en plus grand nombre, celles dont la grandeur et la position varient, et enfin celles qu'on peut retrancher de l’animal sans le blesser, ou même sans le faire périr, peuvent être regardées comme moins nécessaires et plus accessoires à la ma- chine animale. Aristote a dit que les seules parties qui fussent essentielles à tout animal, étaient celle avec laquelle il prend la nourri- ture, celle dans laquelle il la digère, et celle par laquelle il en rend le superflu ; la bouche, et le conduitintestinal depuis la bouche jus- qu'à l'anus, sont en effet des parties simples, | et qu'aucune autre ne peut suppléer. La tête et l’épine du dos sont aussi des parties sim- ples, dont la position est invariable ; l’épine du dos sert de fondement à la charpente du corps, et c'est de la moelle allongée qu’elle contient que dépendent les mouvements et l’action de la plupart des membres et des organes, c’est aussi cette partie qui paraît une des premières dans l'embryon: on pourrait même dire qu’elle parait la première, car la première chose qu’on voit dans la cicatricule de l’œuf est une masse allongée, dont l'extrémité, qui formelatète, ne diffère du total de la masse que par une espèce de forme contournée, et un peu plus renflée que le reste : or, ces parties simples et qui paraissent les premières, sont toutes essentielles DES ANIMAUX. à l'existence, à la forme et à la vie de l'animal. Il y a beaucoup plus de parties doubles dans le corps de l'animal, que de parties simples, et ces parties doubles semblent avoir été produites symétriquement de chaque côté des parties simples, par une espèce de végétation; car ces parties doubles sontsemblables par la forme, et différentes par la position. La main gauche, par exemple, ressemble à la main droite, parce qu'elle est composée du même nombre de par- ties, lesquelles étant prises séparément, etétant comparées une à une et plusieurs à plusieurs, n'ont aucune différence ; cependant si la main gauche se trouvait à la place de la droite, on ne pourrait pas s’en servir aux mêmes usages, et on aurait raison de la regarder comme un membre très-différent de la main droite. Il en est de même de toutes les autres parties dou- bles, elles sont semblables pour la forme, et différentes pour la position : cette position se rapporte au corps de l'animal, et en imaginant une ligne qui partage le corps du haut en bas en deux parties égales, on peut rapporter à cette ligne, comme à un axe, la position de toutes ces parties semblables. La moelle allongée, à la prendre depuis le cerveau jusqu'à son extrémité inférieure, et les vertèbres qui la contiennent, paraissent être l'axe réel auquel on doit rapporter toutes les parties doubles du corps animal, elles sem- blent en tirer leur origine et n'être que les ra- meaux symétriques qui partent de ce tronc ou de cette base commune; car on voit sortir les côtes dechaque côté des vertèbres dans le petit poulet, et le développement de ces parties doubles et symétriques se fait par une espèce de végétation, comme celle de plusieurs ra- meaux qui partiraient de plusieurs boutons disposés régulièrement des deux côtés d’une branche principale. Dans tous les embryons, les parties du milieu de la tête et des vertèbres paraissent les premières, ensuite on voit aux deux côtés d’une vésicule qui fait le milieu dela tête, deux autres vésicules qui paraissent sortir de la première; ces deux vésicules contiennent les yeux et les autres parties doubles de la tête : de même on voit de petites éminences sortir en nombre égal de chaque côté des ver- tèbres, s'étendre, prendre de l'accroissement et former les côtes et les autres parties doubles du tronc ; ensuite, à côté de ce trone déjà formé, on voit paraitre de petites éminences 157 pareilles aux premières, qui se développent, croissent insensiblement et forment les extré- mités supérieures et inférieures, c'est-à-dire les bras et les jambes. Ce premier développe- ment est fort différent de celui qui se fait dans la suite; c'est une production des parties qui semblent naître et qui paraissent pour la pre- mière fois; l’autre, quilui succède, n’est qu'un accroissement de toutes les parties déjà nées, et formées en petit, à peu près comme elles doivent l'être en grand. Cet ordre symétrique de toutes les parties doubles se trouve dans tous les animaux ; la ré- gularité de la position de ces parties doubles, l'égalité de leur extension et de leur accroisse- ment, tanten masse qu’en volume, leur par- faite ressemblance entre elles, tantpour le total que pour le détail des parties qui les compo- sent, semblent indiquer qu’elles tirent réelle- ment leur origine des parties simples; qu'il doit résider dans ces parties simples une force qui agit également de chaque côté, ou, ce qui revient au même, que les parties simples sont les points d'appui contre lesquels s'exerce l'ac- tion des forces qui produisent le développe- ment des parties doubles; que l’action de la force par laquelle s'opère le développement de la partie droite est égale à l’action de la force par laquelle se fait le développement de la partie gauche, et que par conséquent elle est contrebalancée par cette réaction. De là on doit inférer que s’il y a quelque défaut, quelque excès ou quelque vice dans la matière qui doit servir à former les parties doubles, comme la force qui les pousse de chaque côté de leur base commune est tou- jours égale, le défaut, l'excès ou le vice se doit trouver à gauche comme à droite; et que, par exemple, si par un défaut de matière un homme se trouve n'avoir que deux doigts au lieu de cinq à la main droite, il n'aura non plus que deux doigts à la main gauche; ou bien que, si par un excès de matière organique il se trouve avoir six doigts à l’une des mains, il aura de même six doigts à l’autre ; ou si par quelque vice la matière qui doit servir à la for- mation de ces parties doubles se trouve alté- rée, il y aura la même altération à la partie droite qu'à la partie gauche. C’est aussi ce qui arrive assez souvent, la plupart des monstres le sont avec symétrie ; le dérangement des par- ties parait s'être fait avec ordre, et l'on voit 138 par les erreurs mêmes de la nature, qu’elle se méprend toujours le moins qu’il est possible. Cette harmonie de position, quise trouve dans les parties doubles desanimaux, se trouve aussi dans les végétaux ; les branches poussent des boutons de chaque côté, les nervures des feuilles sont également disposées de chaque côté de la nervure principale; et quoique l’or- dre symétrique paraisse moins exact dans les végétaux que dans les animaux, c'est seule- ment parce qu'il y est plus varié, les limites de la symétrie y sont plus étendues et moins pré- cises; mais on peut cependant y reconnaitre aisément cet ordre et distinguer les parties simples et essentielles de celles qui sont dou- bles, et qu'on doit regarder conime tirant leur origine des premières. On verra, dans notre discours sur les végétaux, quelles sont les par- ties simples et essentielles du végétal, et de quelle manière se fait le premier développe- ment des parties doubles dont la plupart ne sont qu'accessoires. Il n’est guère possible de déterminer sous quelle forme existent les parties doubles avant leur développement, de quelle facon elles sont pliées les unes sur les autres, et quelle est alors la figure qui résulte de leur position par rap- port aux parties simples; le corps de l'animal dans l'instant de sa formation contient certaine- ment toutes les parties qui doivent le composer; mais la position relative de ces parties doit être bien différente alors de ce qu’elle devient dans la suite : ilen est de même de toutes les parties de l'animal ou du végétal, prises séparément ; qu'on observe seulement le développement d’une petite feuille naissante, on verra qu’elle est pliée des deux côtés de Ja nervure principale, que ces parties latérales sont comme superpo- sées, et que sa figure ne ressemble point du tout dans ce temps à celle qu’elle doit acquérir dans la suite. Lorsque l'on s'amuse à plier du papier pour former ensuite, au moyen d’un certain développement, des formes régulières etsymétriques, comme des espèces de couron- nes, de coffres, de bateaux , etc., on peut ob- server que les différentes plicatures que l'on fait au papier, semblent n'avoir rien de com- mun avec la forme qui doit en résulter par le développement; on voit seulement que ces pli- catures se font dans un ordre toujours symétri- que, et que l'on fait d’un côté ce que l'on vient de faire de l'autre; mais ce serait un problème HISTOIRE NATURELLE au-dessus de la géométrie connue , que de dé- terminer les figures qui peuvent résulter de tous les développements d'un certain nombre de plicatures données. Tout ce qui a immédia- tement rapport à la position, manque absolu- ment à nos sciences mathématiques; cet art, que Leibnitz appelait Analysis sitüs, n’est pas encore né, et cependant cet art, qui nous fe- rait connaitre les rapports de position entre les choses, serait aussi utile, et peut-être plus né- cessaire aux sciences naturelles, que l’art qui n’a que la grandeur des choses pour objet; car on a plus souvent besoin de connaître la forme que la matière. Nous ne pouvons done pas, lors- qu'on nous présente une forme développée, reconnaitre ce qu’elle était avant son développe- ment; et de même, lorsqu'on nous fait voir une forme enveloppée, c’est-à-dire une forme dont les parties sont repliées les unes sur les autres, nous ne pouvons pas juger de ce qu’elle doit produire par tel ou tel développement; n'est-il donc pas évident que nous ne pouvons juger en aucune façon de la position relative de ces parties repliées, quisont comprises dans un tout qui doit changer de figure en se développant? Dans le développement des productions de la nature, non-seulement les parties pliées et su- perposées, comme dans les plicatures dont nous avons parlé, prennent de nouvelles posi- tions, mais elles acquièrent en même temps de l'étendue et de la solidité : puisque nous ne pouvons donc pas même déterminer au juste le résultat du développement simple d’une forme enveloppée , dans lequel, comme dans le mor- eeau de papier plié , il n’y a qu'un changement de position entre les parties, sans aucune aug- mentation ni diminution du volume ou de la masse de la matière; comment nous serait-il possible de juger du développement composé du corps d'un animal dans lequel la position relative des parties change aussi bien que le vo- lume et la masse de ces mêmes parties? Nous ne pouvons done raisonner sur cela qu’en ti- rant quelques inductions de l'examen de la chose même dans les différents temps du dé- veloppement, et en nous aidant des observa- tions qu'on a faites sur le poulet dans l'œuf, et sur les fœtus nouvellement formés, que les accidents et les fausses couches ont souvent donné lieu d'observer. On voit à la vérité le poulet dans l'œuf avant qu'il ait été couvé; il est dans une liqueur DES ANIMAUX. transparente qui est contenue dans une petite bourse formée par une membrane très-fine au centre de la cicatricule; mais ce poulet n'est encore qu'un point de matière inanimée , dans lequel on ne distingue aucune organisation sen- sible , aucune figure bien déterminée; on juge seulement, par la forme extérieure, que l'une des extrémités est la tête, et que le reste est l'épine du dos; le tout n'est qu'une gelée trans- parente qui n’a presque point de consistance. 11 parait que c’est là le premier produit de la fécondation , et que cette forme est le premier résultat du mélange qui s'est fait dans la cica- tricule, de lasemence du mâle et de celle de la femelle; cependant, avant que de l’assurer, il y a plusieurs choses auxquelles il faut faire at- tention : lorsque la poule a habité pendant quel- ques joursavec le coq, et qu'on l'en sépare en- suite, les œufs qu'elle produit après cette sé- paration ne laissent pas d'être féconds comme ceux qu'elle a produits dans le temps de son habitation avec le mâle. L’œuf que la poule pond, vingt jours après avoir été séparée du coq, produit un poulet comme celui qu'elle aura pondu vingt jours auparavant, peut-être même que ce terme est beaucoup plus long, et que cette fécondité, communiquée aux œufs de la poule par le coq, s'étend à ceux qu'elle ne doit pondre qu'au bout d'un mois ou davantage : les œufs qui ne sortent qu'après ce terme de vingt jours ou d’un mois, et qui sont féconds comme les premiers, se développent dans le même temps; il ne faut que vingt-un jours de chaleur, aux uns comme aux autres, pour faire éclore le poulet; ces derniers œufs sout donc composés comme les premiers, et l'embryon y est aussi avancé , aussi formé. Dès lors on pourrait penser que cette forme sous la- quelle nous parait le poulet dans la cicatricule | de l'œuf avant qu'il ait été couvé, n’est pas la forme qui résulte immédiatement du mélange | des deux liqueurs, et il y aurait quelque fonde- ment à soupconner qu'elle a été précédée d’au- tres formes pendant le temps que l'œuf a sé- journé dans le corps de la mère; car, lorsque l'embryon a la forme que nous lui voyons dans l'œuf qui n'a pas encore été couvé, il ne lui faut plus que de la chaleur pour le développer et le faire éclore : or, s’il avait eu cette forme vingt Jours ou un mois auparavant, lorsqu'il a été féconde , pourquoi la chaleur de l'intérieur du corps de la poule , qui est certainement as- 139 sez grande pour le développer, ne l’a-t-elle pas développé en effet ? et pourquoi ne trouve- t-on pas le poulet tout formé et prêt à éclore dans ces œufs, qui ont été fécondés vingt-un jours auparavant, et que la poule ne pond qu'au bout de ce temps ? Cette difficulté n'est cependant pas aussi grande qu'elle le paraît, car on doit concevoir que, dans le temps de l'habitation du coq avec la poule, chaque œuf recoit dans sa cicatricule une petite portion de la semence du mâle; cette cica- tricule contenait déjà celle de la femelle. L'œuf attaché à l'ovaire est dans les femelles ovipares ce qu'est le corps glanduleux dans les testicules des femelles vivipares; la cicatricule de l'œuf sera, si l'on veut, la cavité de ce corps grandu- leux dans lequel réside la liqueur séminale de la femelle, celle du mâle vient s'y mêler et la pénétrer; il doit donc résulter de ce mélange un embryon, quise forme dans l'instant même de la pénétration des deux liqueurs; aussi le premier œuf que la poule pond immédiatement après la communication qu'elle vient d'avoir avec le coq, se trouve fécondé et produit un poulet ; ceux qu'elle pond dans la suite ont été fécondés de la même façon et dans le même instant; mais comme il manque encore à ces œufs des parties essentielles dont la production est indé- pendante de la semence du mâle, qu'ils n’ont encore ni blane , ni membranes , ni coquille, le petit embryon contenu dans la cicatricule ne peut se développer dans cet œuf imparfait, quoiqu'il y soit contenu réellement, et que son développement soit aidé de la chaleur de l'in- térieur du corps de la mère. Il demeure donc dans la cicatriceule dans l’état où il a été formé, jusqu'à ce que l'œuf ait acquis par son accrois- sement toutes les parties qui sont nécessaires à l'action et au développement du poulet, et ce n'est que quand l'œuf est arrivé à sa perfection, que cet embryon peut commencer à naitre et à se développer. Ce développement se fait au dehors par l'incubation; mais il est certain qu'il pourrait se faire au dedans, et peut-être qu'en sortant ou cousant l'orifice de la poule pour l'empêcher de pondre et pour retenir l'œuf dans l'intérieur de son corps, il pourrait arri- ver que le poulet s'y développerait comme il se développe au dehors, et que si la poule pou- vait vivre vingt-un jours après cette opération, on lui verrait produire le poulet vivant, à moins que la trop grande chaleur de l'intérieur du 140 corps de l'animal ne fit corrompre l'œuf; car on sait que les limites du degré de chaleur né- cessaire pour faire éclore des poulets, ne sont pas fort étendues, et que le défaut ou l'excès de chaleur au-delà de ces limites, est égale- ment nuisible à leur développement. Les der- niers œufs que la poule pond, et dans lesquels l'état de l'embryon est le même que dans les premiers, ne prouvent done rien autre chose, sinon qu'il est nécessaire que l'œuf ait acquis toute sa perfection pour que l'embryon puisse se développer , et que, quoiqu'il ait été formé dans ces œufs longtemps auparavant, il est de- meuré dans le même état où il était au moment de la fécondation, par le défaut de blanc et des autres parties nécessaires à son développement, qui n'étaient pas encore formées; comme il reste aussi dans le même état dans les œufs parfaits par le défaut de la chaleur nécessaire à ce même développement, puisqu'on garde souvent des œufs pendantun temps considérable avant que de lesfaire couver , ce quin'empêche point du tout le développement du poulet qu'ils contiennent. Il paraît done que l’état dans lequel est l'em- bryon dans l'œuf lorsqu'il sort de la poule, est le premier état qui succède immédiatement à la fécondation ; que la forme sous laquelle nous le voyons, est la première forme résultante du mé- lange intime et de la pénétration des deux li- queurs séminales; qu'il n’y a pas eu d'autres formes intermédiaires, d’autres développe- ments antérieurs à celui qui va s'exécuter; et que par conséquent, en suivant, comme l’a fait Malpighi, ce développement heure par heure, on en saura tout ce qu'il est possible d’en sa- voir, à moins que de trouver quelque moyen qui püt nous mettre à portée de remonter en- core plus haut, et de voir les deux liqueurs se méler sous nos yeux, pour reconnaitre com- | ment se fait le premier arrangement des par- | ties qui produisent la forme que nous voyons à | l'embryon dans l'œuf avant qu'il ait été couvé. | Si l'on réfléchit sur cette fécondation, qui se fait dans le même moment de ces œufs, qui ne doivent cependant paraitre que successivement | et longtemps les uns après les autres, on en ti- rera un nouvel argument contre l'existence des | œufs dans les vivipares; car si les femelles des | animaux vivipares, si les femmes contiennent des œufs comme les poules, pourquoi n'y en a- | t-il pas plusieurs de fécondés en même temps, dont les uns produiraient des fœtus au bout de ! HISTOIRE NATURELLE neuf mois, et les autres quelque temps après? et lorsque les femmes font deux ou trois enfants, pourquoi viennent-ils au monde tous dans le même temps? si ces fœtus se produisaient au moyen des œufs, ne viendraient-ils pas suc- cessivement les uns après les autres, selon qu'ils auraient été formés ou excités par la se- mence du mâle dans des œufs plus ou moins avancés, ou plus ou moins parfaits, et les super- fétations ne seraient-elles pas aussi fréquentes qu'elles sont rares, aussi naturelles qu’elles pa- raissent être accidentelles ? On ne peut pas suivre le développement du fœtus humain dans la matrice, comme on suit celui du poulet dans l'œuf; les occasions d’ob- server sont rares, et nous ne pouvons en sa- voir que ce que les anatomistes, les chirur- giens et les accoucheurs en ont écrit : c’est en rassemblant toutes les observations particuliè- res qu'ils ont faites, et en comparant leurs re- marques et leurs descriptions, que nous allons faire l'histoire abrégée du fœtus humain. Il y a grande apparence qu'immédiatement après le mélange des deux liqueurs séminales, tout l'ouvrage de la génération est dans la ma- trice sous la forme d’un petit globe, puisque l'on sait, par les observations des anatomistes, que, trois ou quatre jours après la conception, il y a dans la matrice une bulle ovale qui a au moins six lignes sur son grand diamètre, et quatre lignes sur le petit; cette bulle est formée par une membrane extrêmement fine, qui ren- ferme une liqueur limpide et assez semblable à du blanc d'œuf. On peut déjà apercevoir dans cette liqueur quelques petites fibres réunies, qui sont les premières ébauches du fœtus; on voit ramper sur la surface de la bulle un lacis de pe- tites fibres, qui occupe la moitié de la superficie de cet ovoïde depuis l’une des extrémités du grand axe jusqu'au milieu, c’est-à-dire jus- qu'au cercle formé par la révolution du petit axe; ce sont là les premiers vestiges du placenta. Sept jours après la conception l’on peut dis- tinguer à l'œil simple les premiers linéaments du fœtus; cependant ils sont encore informes, | on voit seulement au bout de ces sept jours, ce qu'on voit dans l'œuf au bout de vingt-qua- tre heures, une masse d'une gelée presque | transparente qui a déjà quelque solidité, et dans laquelle on reconnait la tête et le tronc, | parce que cette masse est d’une forme allongée, que la partie supérieure, quireprésente letronc, DES ANIMAUX. est plus déliée et plus longue; on voit aussi quelques petites fibres en forme d'aigrette qui sortent du milieu du corps du fœtus, et qui aboutissent à la membrane dans laquelle il est renfermé aussi bien que la liqueur qui l'envi- ronne; ces fibres doivent former dans la suite le cordon ombilical. Quinze jours après la conception l'on com- mence à bien distinguer la tête, et à reconnai- tre les traits les plus apparents du visage; le nez n'est encore qu'un petit filet proéminent et per- pendiculaire à une ligne qui indique la sépara- tion des lèvres; on voit deux petits points noirs àla place des yeux , et deux petits trous à celle des oreilles : le corps du fœtus a aussi pris de l'accroissement ; on voit aux deux côtés de la partie supérieure du tronc et au bas de la partie inférieure , de petites protubérances qui sont les premières ébauches des bras et des jambes, la longueur du corps entier est alors à peu près de cinq lignes. Huit jours après, c'est-à-dire, au bout de trois semaines , le corps du fœtus n’a augmenté que d'environ une ligne, mais les bras et les jambes, les mains etles pieds sont apparents; l’accrois- sement des bras est plus prompt que celui des jambes, et les doigts des mains se séparent plus tôt que ceux des pieds; dans ce même temps l’organisation intérieure du fœtus commence à être sensible, les os sont marqués par de petits filets aussi fins que des cheveux ; on reconnait les côtes, elles ne sont encore que des filets dis- posés régulièrement des deux côtés de l’épine ; les bras , les jambes, et les doigts des pieds et des mains sont aussi représentés par de pareils filets. A un mois le fœtus a plus d’un pouce de lon- gueur, il est un peu courbé dans la situation qu'il prend naturellement au milieu de Ja li- queur qui l'environne; les membranes qui con- tiennent le tout se sont augmentées en éten- due et en épaisseur ; toute la masse est toujours de figure ovoïde , et elle est alors d'environ un pouce et demi sur le grand diamètre, et d’un pouce et un quart sur le petit diamètre. La fi- gure humaine n’est plus équivoque dans le fœæ- tus, toutes les parties de la face sont déjà re- connaissables ; le corps est dessiné, les hanches et le ventre sont élevés , les membres sont for- més , les doigts des pieds et des mains sont sé- parés les uns des autres; la peau est extrême- ment mince et transparente, les viscères sont 14 déjà marqués par des fibres pelotonnées, les vaisseaux sont menus comme des fils, et les membranes extrêmement déliées; les os sont encore mous, etce n'est qu'en quelques endroits qu'ils commencent à preudre un peu de solidité: les vaisseaux qui doivent composer le cordon ombilical sont encore en ligne droite les uns à côté des autres; le placenta n'occupe plus que le tiers de la masse totale, au lieu que dans les premiers jours il en occupait la moitié; il paraît donc que son accroissement en étendue super- ficielle n’a pas été aussi grand que celui du fœ- tus et du reste de la masse ; mais il a beaucoup augmenté en solidité, son épaisseur est devenue plus grande à proportion de celle de l'enveloppe du fœtus, et on peut déjà distinguer les deux membranes dont cette enveloppe est composée. Selon Hippocrate , le fœtus mâle se développe plus promptement que le fœtus femelle ; il pré- tend qu’au bout de trente jours toutes les par- ties du corps du mâle sont apparentes , et que celles du fœtus femelle ne le sont qu'au bout de quarante-deux jours. A six semaines le fœtus a près de deux pou- ces de longueur, la figure humaine commence à se perfectionner , la tête est seulement beau- coup plus grosse à proportion que les autres parties du corps; on aperçoit le mouvement du cœur à peu près dans ce temps; on l’a vu battre dans un fœtus de cinquante jours , etmême con- tinuer de battre assez longtemps après que le fœtus fut tiré hors du sein de la mère. A deux mois le fœtus a plus de deux pouces de longueur, l'ossification estsensible au milieu du bras, de l’avant-bras, de la cuisse et de la jambe, et dans la pointe de la mâchoire infé- rieure , qui est alors fort avancée au-delà de la mächoire supérieure. Ce ne sont encore, pour ainsidire, que des points osseux ; mais par l'effet d'un développement plus prompt les clavicules sont déjà ossifiées en entier , le cordon ombili- cal est formé, les vaisseaux qui le composent commencent à se tourner et à se tordre à peu près comme les fils qui composent une corde; mais ce cordon est encore fort court en compa- raison de ce qu'il doit être dans la suite. A trois mois le fœtus a près de trois pouces, il pèse environ trois onces. Hippocrate dit que c'est dans ce temps que les mouvements du fœtus mâle commencent à être sensibles pour la mère, et il assure que le fœtus femelle ne se fait senür ordinairement qu'après le quatrième 142 mois; cependant il y a des femmes qui disent avoir senti dès le commencement du second mois le mouvement de leur enfant : il est assez difficile d’avoir sur cela quelque chose de cer- tain , la sensation que les mouvements du fœtus excitent dépendant peut-être plus, dans ces commencements, de la sensibilité de la mère que de la force du fœtus. Quatre mois et demi après la conception la longueur du fœtus est de six à sept pouces; toutes les parties de son corps sont si fort aug- mentées qu'on les distingue parfaitement les unes des autres, les ongles même paraissent aux doigts des piedset des mains. Les testicules des mâles sont enfermés dans le ventre au-des- sus des reins; l'estomac est rempli d'une hu- meur un peu épaisse et assez semblable à celle que renferme l’amnios; on trouve dans les pe- tits boyaux une matière laiteuse, et dans les gros une matière noire et liquide; il y a un peu de bile dans la vésicule du fiel, et un peu d’u- rine dans la vessie. Comme le fœtus flotte libre- ment dans le liquide qui l’environne, il y a toujours de l’espace entre son corps et les mem- branes qui l’enveloppent; ces enveloppes crois- sent d'abord plus que le fœtus; mais après un certain temps c’est tout le contraire, le fœtus croit à proportion plus que ces enveloppes, il peut y toucher par les extrémités de son corps, et on croirait qu'il est obligé de les plier. Avant la fin du troisième mois la tête est courbée en avant, le menton pose sur la poitrine, les ge- noux sont relevés, les jambes repliées en ar- rière ; souvent elles sont croisées et la pointe du pied est tournée en haut et appliquée contre la cuisse, de sorte que les deux talons sont fort près l’un de l’autre : quelquefois les genoux s'élèvent si haut qu'ils touchent presque aux joues , les jambes sont pliées sous les cuisses, et la plante du pied est toujours en arrière ; les bras sont abaissés et repliés sur la poitrine : l'une des mains, souvent toutes les deux, tou- chent le visage, quelquefois elles sont fermées, quelquefois aussi les bras sont pendants à côté du corps. Le fœtus pren ensuite des situations différentes de celles-ci; lorsqu'il est prêt à sortir de la matrice, et même longtemps auparavant, il a ordinairement la tête en bas et la face tour- | née en arrière , et il est naturel d'imaginer qu’il peut changer de situation à chaque instant. Des personnes expérimentées dans l'art des aecou- cheménts, ont prétendu s'être assurées qu'il HISTOIRE NATURELLE en changeait en effet beaucoup plus souvent qu'on ne le croit vulgairement. On peut le prou- ver par plusieurs observations, 1° on trouve souvent le cordon ombilical tortillé et passé au- tour du corps et des membres de l'enfant, d'une manière qui suppose nécessairement que le fœæ- tus ait fait des mouvements dans tous les sens, et qu'il ait pris des positions successives très- différentes entre elles; 2° les mères sentent les mouvements du fœtus tantôt d'un côté de la matrice et tantôt d'un autre côté, il frappe éga- lement en plusieurs endroits différents, ce qui suppose qu'il prend des situations différentes ; 5° comme il nage dans un liquide qui l’envi- ronne de tous côtés, il peut très-aisément se tourner, s'étendre, se plier par ses propres forces, et il doit aussi prendre des situations différentes , suivant les différentes attitudes du corps de la mère, par exemple, lorsqu'elle est couchée , le fœtus doit être dans une autre si- tuation que quand elie est debout. La plupart des anatomistes ont dit que le fæ- tus est contraint de courber son corps et de plier ses membres, parcequ'il est trop gêné dans son enveloppe; mais cette opinion ne me parait pas fondée , car il y a, surtout dans les cinq ou six premiers mois de la grossesse, beaucoup plus d'espace qu'il n’en faut pour que le fœtus puisse s'étendre, et cependant il est dans ce temps même courbé et replié : on voit aussi que le poulet est courbé dans la liqueur que contient l'amnios, dans le temps même que cette mem- brane est assez étendue et cette liqueur assez abondante pour contenir un corps cinq ou six fois plus gros que le poulet; ainsi on peut croire que cette forme courbée et repliée que prend le corps du fœtus est naturelle, et point du tout forcée ; je serais volontiers de l'avis de Harvey, qui prétend que le fœtus ne prend cette atti- tude que parce qu'elle est la plus favorable au repos et au sommeil; car tous les animaux met- tent leur corps dans cette position pour se re- poser et pour dormir; et comme le fœtus dort presque toujours dans le sein de la mère, il prend naturellement la situation la plus avan- tageuse : Certè, dit ce fameux anatomiste, ani- maliaomnia, dum quiescuntet dormiunt,mem- bra sua ut plurimüm adducunt et complicant, Jiquramque ovalem ac conglobatam quærunt : | ilà pariter embryones qui @tatem suam mazimè somno transiqunt, membra sua posilione eû | quâ plasmantur | tanquàm naluralissimé ac | DES ANIMAUX. maæimè indoienti quielique aptissimä ) com- ponunt. (Voyez Harvey, de General. p.257.) | La matrice prend, comme nous l'avons dit, un assez prompt accroissement dans les pre- miers temps de la grossesse , elle continue aussi à augmenter à mesure que le fœtus augmente; ais l'accroissement du fœtus devenant ensuite plus grand que celui de la matrice, surtout dans les derniers temps, on pourrait croire qu'il s’y trouve trop serré, et que, quand le temps d’en sortir est arrivé, il s'agite par des mouvements réitérés ; il fait alors en effet successivement et à diverses reprises des efforts violents, la mère en ressent vivement l'impression ; l'on dé- signe ces sensations douloureuses et leur retour périodique, quand on parle des heures du tra- vail de l’enfantement; plus le fœtus a de force pour dilater la capacité de la matrice, plus il trouve de résistance, le ressort naturel de cette partie tend à la resserrer et en augmente la réac- tion : dès lors tout l'effort tombe sur son orifice; cet orifice a déjà été agrandi peu à peu dans les derniers mois de la grossesse; la tête du fœ- tus porte depuis longtemps sur les bords de cette ouverture, et la dilate par une pression conti- nuelle; dans le moment de l'accouchement le fœtus, en réunissant ses propres forces à celles -de la mère, ouvre enfin cet orifice autant qu'il est nécessaire pour se faire passage et sortir de la matrice. Ce qui peut faire croire que ces douleurs, qu'on désigne par le nom d'heures du travail, ne pro- viennent que de la dilatation de l’orifice de la matrice, c'est que cette dilatation est le plus sûr moyen pour reconnaitre si les douleurs que res- sent une femme grosse sont en effet les douleurs de l'enfantement : il arrive assez souvent que - les femmes éprouvent dans la grossesse des | douleurs très-vives, et qui ne sont cependant pas celles qui doivent précéder l'accouchement; pour distinguer ces fausses douleurs des vraies, Deventer conseille à l’accoucheur de toucher lorifice dela matrice, etil assure que si ce sont en effet les douleurs vraies, la dilatation de cet | orifice -augmentera toujours par l'effet de ces de fausses douleurs, c'est-à-dire des douleurs qui proviennent de quelque autre cause que de celle d’un enfantement prochain, l'orifice de la matrice se rétrécira plutôt qu'il ne se dilatera, où du moins qu'il ne continuera pas à se dilater; dés lors on est assez fondé à imaginer que ces | 145 | douleurs ne proviennent que de la dilatation for- cée de cet orifice : la seule chose qui soit em- barrassante , est cette alternative de repos et de souffrance qu'éprouve la mère; lorsque la pre- mière douleur est passée , il s'écoule un temps considérable avant que la seconde se fasse sen- tir; et de mème il y a des intervalles, souvent très-longs, entre la seconde et la troisième, en- tre la troisième et la quatrième douleur, ete. Cette circonstance de l'effet ne s'accorde pas parfaitement avec la cause que nous venons d'indiquer ; car la dilatation d'une ouverture qui se fait peu à peu, et d’une manière continue, devrait produire une douleur constante et con- tinue, et non pas des douleurs par accès; je ne sais done si on ne pourrait pas les attribuer à une autre cause, qui me parait plus convenable à l'effet, cette cause serait la séparation du pla- centa : on sait qu'il tient à la matrice par un certain nombre de mamelons qui pénètrent dans les petites lacunes ou cavités de ce viscère ; dès lors ne peut-on pas supposer que ces mamelons ne sortent pas de leurs cavités tous en même temps? le premier mamelon qui se séparera de la matrice, produira la première douleur, un autre mamelon qui se séparera quelque temps après, produira une autre douleur, ete. L'effet répond ici parfaitement à la cause, et on peut appuyer cette conjecture par une autre obser- vation; c’est qu'immédiatement avant l’accou- chement, il sort une liqueur blanchâtre et vis- queuse, semblable à celle que rendent les mamelons du placenta lorsqu'on les tire hors des lacunes où ils ont leur insertion, ee qui doit faire penser que cette liqueur, qui sort alors de la matrice , est en effet produite par la séparation de quelque mamelon du placenta. Il arrive quelquefois que le fœtus sort de la matrice sans déchirer les membranes qui l'en- veloppent, et par conséquent sans que la li- queur qu'elles contiennent, se soit écoulée : cet accouchement parait être le plus naturel, et ressemble à celui de presque tous les animaux; cependant le fœtus humain perce ordinaire- | ment ses membranes, à l'endroit qui se trouve douleurs ; et qu’au contraire, si ce ne sont que | sur l’orifice de la matrice, par l'effort qu'il fait contre cette ouverture; et il arrive assez sou- vent que l’amnios qui est fort mince, ou même le chorion, se déchirent sur les bords de l'ori- fice de la matrice, et qu'il en reste une partie | sur la tête de l’enfant en forme de calotte, c'est ce qu'on appelle naître coiffé. Dès que cette 144 membrane est percée ou déchirée, la liqueur qu'elle contient, s'écoule : on appelle cet écou- lement le bain ou les eaux de la mère; les bords de l'orifice de la matrice et les parois du vagin en étant humectés, se prêtent plus faci- lement au passage de l'enfant; après l'écoule- ment de cette liqueur, il reste dans la capacité de la matrice un vide dont les accoucheurs in- telligents savent profiter pour retourner le fœ- tus, s’il est dans une position désavantageuse pour l'accouchement , ou pour le débarrasser des entraves du cordon ombilical, qui l'em- pêchent quelquefois d'avancer. Lorsque le fœ- tus est sorti , l'accouchement n'est pas encore fini, il reste dans la matrice le placenta et les membranes : l'enfant nouveau-né y est attaché par le cordon ombilical, la main de l'accou- cheur, ou seulement le poids du corps de l’en- fant, les tire au dehors par le moyen de ce cordon : c'est ce qu'on appelle délivrer la femme, et on donne alors au placenta et aux membranes le nom de délivrance. Ces organes, qui étaient nécessaires à la vie du fœtus, de- viennent inutiles et nuisibles à celle du nouveau- né; on les sépare tout de suite du corps de l’en- fant en nouant le cordon à un doigt de distance du nombril , et on le coupe à un doigt au-des- sus de la ligature ; ce reste du cordon se des- sèche peu à peu , et se sépare de lui-même à l'endroit du nombril, ordinairement au sixième ou septième jour. En examinant le fœtus dans le temps qui précède la naissance , l’on peut prendre quel- que idée du mécanisme de ses fonctions natu- relles; il a des organes qui lui sont nécessaires dans le sein de sa mère, mais qui lui de- viennent inutiles dès qu'il en est sorti. Pour mieux entendre le mécanisme des fonctions du fœtus, il faut expliquer un peu plus en détail ee qui a rapport à ses parties accessoires, qui sont le cordon , les enveloppes , la liqueur qu’elles contiennent, et enfin le placenta : le cordon qui est attaché au corps du fœtus à l'endroit du nombril est composé de deux artères et d’une veine qui prolongent le cours de la circulation du sang, la veine est plus grosse que les artères: à l'extrémité de ce cordon, chacun de ces vais- seaux se divise en une infinité de ramifications qui s'étendent entre deux membranes, et qui s'écartent également du tronc commun, de sorte que le composé de ces ramifications est plat et arrondi ; on l'appelle placenta, parce HISTOIRE NATURELLE qu'il ressemble en quelque facon à un gâteau , la partie du centre en est plus épaisse que celle des bords , l'épaisseur moyenne est d'environ un pouce, et le diamètre de huit ouneuf pouces, et quelquefois davantage ; la face extérieure, qui est appliquée contre la matrice , est con- vexe , la face intérieure est concave ; le sang du fœtus cireule dans le cordon et le placenta; les deux artères du cordon sortent de deux grosses artères du fœtus et en reçoivent du sang qu'elles portent dans les ramifications artérielles du placenta , au sortir desquelles il passe dans les ramifications veineuses qui le rapportent dans la veine ombilicale ; cette veine communique avec une veine du fœtus dans laquelle elle le verse. La face concave du placenta est revêtue par le chorion, l'autre face est aussi recouverte par une sorte de membrane molle et facile à dé- chirer, qui semble être une continuation du chorion, et le fœtus est renfermé sous la dou- ble enveloppe du chorion et de l'amnios ; la forme du tout est globuleuse, parce que les in- tervalles qui se trouvent entre les enveloppes et le fœtas sont remplis par une liqueur trans- parente qui environne le fœtus. Cette liqueur est contenue par l’amnios, qui est la membrane intérieure de l'enveloppe commune; cette mem- brane est mince et transparente , elle se replie sur le cordon ombilical à l'endroit de son in- sertion dans le placenta, etle revêt sur toute sa longueur jusqu’au nombril du fœtus : le chorion est la membrane extérieure , elle est épaisse et spongieuse , parsemée de vaisseaux sanguins , et composée de plusieurs lames dont on croit que l'extérieure tapisse la face convexe du pla- centa ; elle en suit les inégalités, elle s'élève pour recouvrir les pétits mamelons qui sortent du placenta , et qui sont recus dans les cavités qui se trouvent dans le fond de la matrice, et que l’on appelle Lacunes; le fœtus ne tient à la matrice que par cette seule insertion de quelques points de son enveloppe extérieure dans les petites cavités ou sinuosités de ce vis- cère. Quelques anatomistes ont cru que le fœtus humain avait, comme ceux de certains animaux quadrupèdes, une membrane appelée Allan- toide, qui formait une capacité destinée à rece- voir l'urine, et ils ont prétendu l'avoir trouvée entre le chorion et l'amnios, ou au milieu du placenta à la racine du cordon ombilical, sous DES ANIMAUX. 145 la forme d'une vessie assez grosse, dans laquelle l'urine entrait par un long tuyau qui faisait partie du cordon, et qui allait s'ouvrir d'un côté dans la vessie, et de l'autre dans cette mem- brane allantoïde; c'était, selon eux, l'ouraque tel que nous le connaissons dans quelques ani- maux. Ceux qui ont cru avoir fait cette décou- verte de l'ouraque dans le fœtus humain, avouent qu'il n'était pas à beaucoup près si gros que dans les quadrupèdes, mais qu'il était par- tagé en plusieurs filets si petits, qu'à peine pou- vait-on les apercevoir; que cependant ces filets étaient creux, et que l'urine passait dans la cavité intérieure de ces filets, comme dans au- tant de canaux. L'expérience etles observations du plus grand nombre des anatomistes, sont contraires à ces faits; on ne trouve ordinairement aucuns ves- tiges del’allantoïde entre l'ammios et le chorion, ou dans le placenta, ni del’ouraque dans le cor- don ; il y a seulement une sorte de ligament qui tient d’un bout à la face extérieure du fond de la vessie, et de l’autre au nombril, mais il de- vient si délié en entrant dans le cordon, qu'il y est réduit à rien; pour l'ordinaire ce ligament n'est pas creux, et on ne voit point d'ouverture dans le fond de la vessie, qui y réponde. Le fœtus n'a aucune communication avec l'air libre, et les expériences que l'on a faites sur ses poumons ont prouvé qu'ils n'avaient pas recu l'air comme ceux de l'enfant nou- veau-né, car ils vont à fond dans l’eau, au lieu que ceux de l'enfant qui a respiré, surnagent; le fœtus ne respire done pas dans le sein de la mère, par conséquent il ne peut former aucun son par l'organe de la voix, et il semble qu'on doit regarder comme des fables les histoires qu'on débite sur les gémissements et les cris des enfants avant leur naissance. Cependant il peut arriver, après l'écoulement des eaux, que Yair entre dans la capacité de la matrice, et que l'enfant commence à respirer avant que d'en être sorti ; dans ce cas, il pourra crier, comme le petit poulet crie avant même que d’avoir cassé la coquille de l'œuf qui le renferme, parce qu'il y a de l'air dans la cavité qui est entre la membrane extérieure et la coquille, comme on peut s'en assurer sur les œufs dans lesquels le poulet est déjà fort avancé, ou seulement sur ceux qu'on à gardés pendant quelque temps et dont le petit lait s'est évaporé à travers les po- res de la coquille; car en cassant ces œufs on Il, trouve une cavité considérable dans le bont supérieur de l'œuf entre la membrane et {a co- quille, et cette membrane est dans un état de fermeté et de tension, ce qui ne pourrait être, si cette cavité était absolument vide, car dans ce cas, le poids du reste de la matière de l'œuf casserait celte membrane, et le poids de l’at- mosphère briserait la coquille à l'endroit de celte cavité ; il est donc certain qu'elle est remplie d'air, et que c'est par le moyen de cet air que le poulet commence à respirer avant que d’avoir cassé la coquille; et si l'on de- mande d'où peut venir cet air, qui est renfermé dans cette cavité, il est aisé de répondre qu'il est produit par la fermentation intérieure des matières contenues dans l'œuf, comme l'on sait que toutes les matières en fermentation en produisent. Voyez la Slatique des végétaux, chap. 6. Le poumon du fœtus étant sans aucun mou- vement, il n'entre dans ce viscère qu'autant de sang qu'il en faut pour le nourrir et le faire croitre, et il y a une autre voie ouverte pour le cours de la circulation : le sang qui est dans l'oreillette droite du cœur, au lieu de passer dans l'artère pulmonaire, et de revenir après avoir parcouru le poumon, dans l'oreillette gauche par la veine pulmonaire, passe immé- diatement de l'oreillette droite du cœur dans la gauche, par une ouverture nommée le trou ovale , qui est dans la cloison du cœur entre les deux oreillettes : ilentreensuite dans l'aorte, qui le distribue dans toutes les parties du corps par toutes ses ramifications artérielles, au sortir desquelles les ramifications veineuses le recoi- vent et le rapportent au cœur en se réunissant toutes dans ia veine-cave, qui aboutit à l'o- reillette droite du cœur : le sang que contient cette oreillette, au lieu de passer en entier par le trou ovale, peut s'échapper en partie dans l'artère pulmonaire; mais il n'entre pas pour cela dans le eorps des poumons, parce qu'il y a une communication, entre l'artère pulmonaire et l'aorte, par un canal artériel qui va immé- diatement de l’une à l’autre; c'est par ces voies que le sang du fœtus circule sans entrer dans le poumon, comme il y entre dansles enfants, les adultes, et dans tous les animaux qui res- pirent. On a cru que le sang de la mère passait dans le corps du fœtus, par le moyen du placenta et du cordon ombilical : on supposait que les 10 116 vaisseaux sanguins de la matrice étaient ou- verts dans les lacunes, et ceux du placenta dans les mamelons, et qu'ils s’abouchaient les uns avec les autres, mais l'expérience est con- traire à cette opinion; on a injecté les artères du cordon, la liqueur est revenue en entier par les veines, et il ne s’en est échappé au- cune partie à l'extérieur : d’ailleurs, on peut ürer les mamelons des lacunes où ils sont logés, sans qu'il sorte du sang, ni de la matrice, ni du placenta; il suinte seulement de lune et de l'autre une liqueur laiteuse : c’est, comme nous l'avons dit, cette liqueur qui sert de nourriture au fœtus; il semble qu’elle entre dans les veines du placenta, commelechyle entre dans la veine sous-clavière, et peut-être le placenta fait-il en grande partie l'office du poumon pour la san- euification. Ce qu'il y a de sûr, c’est que le sang parait bien plus tôt dans le placenta que dans le fœtus, et j'ai souvent observé dans des œufs couvés pendant un jour ou deux, que le sang parait d’abord dans les membranes, et que les vaisseaux sanguins y sont fort gros et en très-crand nombre, tandis qu’à l'exception du point auquel ils aboutissent, le corps en- tier du petit poulet n’est qu’une matière blan- che et presque transparente, dans laquelle il n'y à encore aucun vaisseau sanguin. On pourrait croire que la liqueur de l'am- nios est une nourriture que le fœtus reçoit par la bouche; quelques observateurs prétendent avoir reconnu cette liqueur dans son estomac, et avoir vu quelques fœtus auxquels le cordon ombilical manquait entièrement, et d'autres qui n’en avaient qu’une très-petite portion qui ne tenait point au placenta ; mais dans ce cas, la liqueur de l’amnios ne pourrait-elle pas en- trer dans le corps du fœtus par la petite portion du cordon ombilical, ou par l'ombilie même? d'ailleurs, on peut opposer à ces observations d'autres observations. On a trouvé quelquefois des fœtus qui avaient la bouche fermée, etdont les lèvres n'étaient pas séparées ; on en a vu aussidontl'œsophage n'avait aucune ouverture: pour concilier tous ces faits, il s’est trouvé des anatomistes qui ont cru que les aliments pas- saient au fœtus en partie par le cordon ombi- lical, et en partie par la bouche. II me parait qu'aucuue de ces opinions n'est fondée; iln’est pas question d'examiner le seul accroissement du fœtus, et de chercher d’où et par où il tire sa nourriture ; il s'agit de savoir comment se HISTOIRE NATURELLE fait l'accroissement du tout, car le placenta, la liqueur et les enveloppes croissent et augmen- tent aussi bien que le fœtus; et par conséquent ces instruments, ces canaux, employés à rece- voir où à porter cette nourriture au fœtus, ont eux-mêmes une espèce de vie. Le développe- ment ou l'accroissement du placenta et des en- veloppes est aussi difficile à concevoir que ce- lui du fœtus, et on pourrait également dire, comme je l'ai déjà insinué, que le fœtus nour- rit le placenta, comme l'on dit que le placenta nourrit le fœtus. Le tout est, comme l'on sait, flottant dans la matrice, et sans aucune adhé- rence dans les commencements de cet accrois- sement, ainsi il ne peut se faire que par une intussusception de la matière laiteuse qui est contenue dans la matrice; le placenta paraît tirer le premier cette nourriture, convertir ce lait en sang, et le porter au fœtus par des vei- nes ; la liqueur de l'amnios ne paraît être que cette même liqueur laiteuse dépurée, dont la quantité augmente par une pareille intussus- ception, à mesure que cette membrane prend de l'accroissement, et le fœtus peut tirer de cette liqueur par la mème voie de lintussus- ception la nourriture nécessaire à son déve- loppement, car on doit observer que dans les premiers temps, et même jusqu’à deux et trois mois, le corps du fœtus ne contient que très- peu de sang; il est blanc comme de l'ivoire, et ne paraît être composé que de lymphe qui a pris de la solidité; et comme la peau est trans- parente , et que toutes les parties sont très- molles, on peut aisément concevoir que la E- queur dans laquelle le fœtus nage peut les pénétrer immédiatement, et fournir ainsi la matière nécessaire à sa nutrition et à son déve- loppement. Seulement on peutcroire que dans les derniers temps il prend de la nourriture par la bouche, puisqu'on trouve dans son estomac une liqueur semblable à celle que contient Pamnios, de l'urine dans la vessie, et des ex- créments dans les intestins; et comme on ne trouve ni urine, ni #econium, c’est le nom de ces excréments, dans la capacité de l'amnios, il y a tout lieu de croire que le fœtus ne rend point d'exeréments, d'autant plus qu'on en a vu naître sans avoir l'anus percé, et sans qu'il y eùt pour cela une plus grande quantité de mecontium dans les intestins. Quoique le fœtus ne tienne pas immédiate- ment à la matrice, qu'il n'y soit attaché que par DES ANIMAUX. de petits mamelons extérieurs à ses enveloppes, qu'il n'y ait aucune communication du sang de la mère avec le sien, qu'en un mot il soit à plu- sieurs égards aussi indépendant de la mère qui le porte, que l'œuf l'est de la poule qui le couve, on a prétendu que tout ce qui affectait la mère affectait aussi le fœtus; que les impressions de l'une agissaient sur le cerveau de l’autre, et on a attribué à cette influence imaginaire les res- semblances, les monstruosités, et surtout les taches qu'on voit sur la peau. J'ai examiné plusieurs de ces marques, et je n'ai jamais apereu que des taches qui m'ont paru causées par un dérangement dans le tissu de la peau. Toute tache doit nécessairement avoir une fi- gure qui ressemblera, si l’on veut, à quelque chose; mais je crois que la ressemblance que l'on trouve dans celles-ci, dépend plutôt de l'i- . magination de ceux qui les voient, que de celle de la mère. On a poussé sur ce sujet le merveil- leux aussi loin qu'il pouvait aller; non-seule- ment on a voulu que le fœtus portàt les repré- sentations réelles des appétits de sa mère, mais on à encore prétendu que par une sympathie singulière les taches qui représentaient des fruits, par exemple, desfraises, des cerises, des müres, que la mère avait desiré de manger, changeaient de couleur, que leur couleur deve- nait plus foncée dans la saison où ces fruits en- traient en maturité. Avee un peu plus d’atten- tion et moins de prévention, l'on pourrait voir cette couleur des taches de la peau changer bien plus souvent : ces changements doivent arriver toutes les fois que le mouvement du sang est accéléré, et cet effet est tout ordinaire dans le temps où la chaleur de l'été fait mürir les fruits. Ces taches sont toujours ou jaunes, ou rouges, ou noires, parce quele sang donne ces teintes de couleur à la peau lorsqu'il entre en trop grande quantité dans les vaisseaux dont elle est parsemée : si ces taches ont pour cause l'ap- pétit de la mère, pourquoi n'ont-elles pas des formes et des couleurs aussi variées que les ob- jets de ces appétits? que de figures singulières on verrait, si les vains desirs de la mère étaient écrits sur la peau de l'enfant! Comme nos sensations ne ressemblent point aux objets qui les causent, il est impossible que le desir, la frayeur, l'horreur , qu'aucune pas- sion en un mot, aucune émotion intérieure, puissent produire des représentations réelles de ves mêmes objets; et l'enfant étant à cet égard 147 aussi indépendant de la mère qui le porte, que l'œuf l’est de la poule qui le couve, je croirai tout aussi volontiers, ou tout aussi peu, que l'imagination d’une poule qui voit tordre le cou à un coq, produira dans les œufs qu'elle ne fait qu'échauffer, des poulets qui auront le cou tor- du, que je croirais l'histoire de la force de l'imagination de cette femme, qui, ayant vu rompre les membres à un criminel, mit au monde un enfant dont les membres étaient rompus. Mais supposons pour un instant que ce fait fût avéré, je soutiendrais toujours que l'imagi- nation de la mère n’a pu produire cet effet; car quel est l'effet du saisissement et de l'hor- reur? un mouvement intérieur, une convulsion, si l'on veut, dans le corps de la mère, qui aura secoué, ébranlé, comprimé, resserré, reläché, agité la matrice; que peut-il résulter de cette commotion ? rien de semblable à la cause; car si cette commotion est très-violente, on conçoit que le fætus peut recevoir un coup qui le tuera, qui le blessera, ou quirendra difformes quelques- unes des parties qui auront été frappéesavec plus de force que les autres; mais comment conce- vra-t-on que ce mouvement , cette commotion communiquée à la matrice, puisse produire dans le fœtus quelque chose de semblable à la pensée de la mère, à moins que de dire, comme Harvey, que la matrice a la faculté de conce- voir des idées, et de les réaliser sur le fœtus ? Mais, me dira-t-on, comment donc expliquer le fait; si ce n’est pas l'imagination de la mère qui a agi sur le fœtus, pourquoi est-il venu au monde avec lesmembres rompus? A cela je ré- ponds que quelque témérité qu’il y ait à vouloir expliquer un fait lorsqu'il est en même temps extraordinaireetincertain, quelquedésavantage qu'on ait à vouloir rendre raison de ce même fait supposé comme vrai, lorsqu'on en ignoreles circonstances, ilme parait cependant qu’on peut répondre d’une manière satisfaisante à cette espèce de question, de laquelle on n’est pas en droit d'exiger une solution directe. Les choses les plus extraordinaires, et qui arrivent le plus rarement, arrivent cependant aussi nécessai- rement que les choses ordinaires etqui arrivent très-souvent; dans le nombre infini de combi- naisons que peut prendre la matière, les arran- gements les plus extraordinaires doivent se trouver, et se trouvent en effet, mais beaucoup plus rarement que les autres ; dès lors on peut parier, et peut-être avec avantage , que sur un million, ou, si l'on veut, mille millions d'enfants qui viennent au monde, il en naitra un avec deux têtes, ou avec quatre jambes, ou avec des membres rompus, ou avec telle difformité ou monstruosité particulière qu'on voudra suppo- ser. Il se peut donc naturellement, et sans que l'imagination de la mère y ait eu part, qu'il soit né un enfant dont les membres étaient rompus ; il se peut même que cela soit arrivé plus d'une fois ; et il se peut enfin encore plus naturelle- ment, qu'une femme , qui devait accoucher de cet enfant, ait été au spectacle de la roue, et qu'on ait attribué à ce qu'elle y avait vu, et à son imagination frappée, le défaut de confor- mation deson enfant. Mais indépendamment de cette réponse générale, qui ne satisfera guère que certaines gens , ne peut-on pas en donner une particulière, et qui aille plus directement à l'explication de ce fait? Le fœtus n'a, comme nous l'avons dit, rien de commun avec la mère; ses fonctions en sont indépendantes, 1l a ses or- ganes, son sang, ses mouvements, et tout cela lai est propre et particulier; la seule chose qu’il tire de sa mère, est cette liqueur ou Jymphe nourricière qui filtre de la matrice; si cette lymphe est altérée, si elle est envenimée du virus vénérien, l'enfant devient malade de la même maladie; et on peut penser que toutes les maladies qui viennent du vice ou de l’altération des humeurs, peuvent se communiquer de la mère au fœtus; on sait en particulier que la vérole se communique, et l’on n’a que trop d'exemples d'enfants qui sont, même en nais- sant, les victimes de la débauche de leurs pa- rents. Le virus vénérien attaque les parties les plus solides des os, et il paraît même agir avec plus de force, et se déterminer plus abondam- ment vers ces parties les plus solides , qui sont toujours celles du milieu de la longueur des os, car on sait que l’ossification commence par cette partie du milieu , qui se durcit la première et s'ossifie longtemps avant les extrémités de l'os. Je concois donc que si l'enfant dont il est ques- tion a été, comme il est très-possible , attaqué de cette maladie dans le sein de sa mère, il a pu se faire très-naturellement qu'il soit venu au mondeaveclesosrompus dans leur milieu, parce qu'ils l'auront en effet été dans cette partie par le virus vénérien. Le rachitisme peut aussi produire le même effet; il y a au Cabinet du roiun squelette d'en- HISTOIRE NATURELLE fant rachitique, dont les os des bras et des jambes ont tous des calus dans le milieu de leur longueur ; à l'inspection de ce squelette, on ne peut guère douter que cet enfant n’ait eu les os des quatre membres rompus dans le temps que la mère le portait; ensuite les os se sont réunis et ont formé ces calus. Mais c’est assez nous arrêter sur un fait quela seule crédulité a rendu merveilleux; malgré toutes nos raisons et malgré la philosophie , ce fait, comme beaucoup d’autres, restera vrai pour bien des gens; le préjugé, surtout celui qui est fondé sur le merveilleux, triomphera toujours de la raison, et l’on serait bien peu philosophe si l'on s’en étonnait. Comme il est souvent question dans le monde , de ces mar- ques des enfants, et que dans le monde les rai- sons générales et philosophiques font moins d'effet qu'une historiette, il ne faut pas compter qu'on puisse jamais persuader aux femmes que les marques de leurs enfants n’ont aucun rap- port avec lesenvies qu’elles n’ont pu satisfaire ; cependant ne pourrait-on pas leur demander, avant la naissance de l'enfant, quelles ont été les envies qu'elles n’ont pu satisfaire, et quelles seront par conséquent les marques que leur enfant portera? j'ai fait quelquefois cette question, et j'ai fàché les gens sans les avoir convaincus. La durée de la grossesse est pour l'ordinaire d'environ neuf mois, c'est-à-dire, de deux cent soixante et quatorze ou deux cent soixante et quinze jours; cetemps est cependant quelquefois plus long, ettrès-souvent bien plus court ; on sait qu'il nait beaucoup d'enfants à sept et à huit mois ; on sait aussi qu’il en naît quelques-uns beaucoup plus tard qu'au neuvième mois ; mais en général, les accouchements qui précèdent le terme de neuf mois sont plus communs que ceux qui le passent. Aussi on peut avancer que le plus grand nombre des accouchements qui p'arrivent pas entre le deux cent soixante ct dixième jour et le deux cent quatre-vingtième , arrivent du deux cent soixantième au deux eent soixante et dixième; et ceux qui disent que ces accouchements nedoiventpas être regardés comme prématurés, paraissent bien fondés; selon ce calcul, les tempsordinaires de l’accou- chement naturel s'étendent à vingt jours, c'est- à-dire depuis huitmois et quatorzejours jusqu'à neuf mois et quatre jours. On a fait une observation qui parait prouver DES ANIMAUX. l'étendue de cette variation dans la durée des grossesses en général, et donner en même temps le moyen de la réduire à un terme fixe dans telle ou telle grossesse particulière. Quel- ques personnes prétendent avoir remarqué que l'accouchement arrivait après dix mois lunaires de vingt-sept jourschacun, ou neuf mois solaires de trente jours, au premier ou au second jour qui répondaient aux deux premiers jours aux- quels l'écoulement périodique arrivait à la mère avant sa grossesse. Avec un peu d'attention l'on verrra que le nombre de dix périodes de l'écoulement des règles , peut en effet fixer le temps de l'accouchement à la fin du neuvième mois ou au commencement du dixième !. Il naïtbeaucoup d'enfants avant le deux cent soixantièmejour, etquoique cesaccouchements précèdent le terme ordinaire, ce ne sont pas de fausses couches, parce que ces enfants vivent pour la plupart; on dit ordinairement qu'ils sont nés à sept mois ou à huit mois; mais il ne faut pas croire qu'ils naissent en effet précisé- ment à sept mois ou à huit mois accomplis, c’est indifféremment dans le courant dusixième, du septième, du huitième et même danslecom- mencement du neuvième mois. Hippocrate dit clairement queles enfants de sept mois naissent dès le cent quatre-vingt-deuxième jour, ee qui fait précisément la moitié de l’année solaire. On croit communément que les enfants qui naissent à huit mois ne peuvent pas vivre, ou du moins qu'il en périt beaucoup plus de ceux- là que de ceux qui naissent à sept mois. Pour peu que l’on réfléchisse sur cette opinion, elle parait n'être qu'un paradoxe , et je ne sais si, en consultant l'expérience, on ne trouvera pas que c’est une erreur: l'enfant qui vient à huit mois, est plus formé, et par conséquent plus vigoureux, plus fait pour vivre , que celui qui n’a que septmois ; cependant cette opinion que les enfants de huit mois périssent plutôt que ceux de sept, est assez communément recue ; etelle est fondée sur l'autorité d’Aristote , qui dit : Cœleris animantibus ferendi uteri unum est tempus, homini verd plura sunt ; quippe et ‘ « Ad hanc normam matronæ prudentiores calculos suos « subducentes (dum singulis mensibus solitum menstrui «< fluxûs diem in fastos referunt ) spe rarù excidunt; verüm « transactis decem lunæ curriculis, eodem die quo ( absque « prægnatione foret) menstrua üs profluerent , partum ex- « periuntur ventrisque fructum colligunt.r (Harvey, de Ge- nerat., p. 262.) 149 seplimo mense eldecimo nascitur, atque etiam inter seplimum el decimum posilis, qui enim mense oclavo nascuntur, etsi minüs, {men vivere possunt. (V. de Generat. anim. L. EV, cap. ull.) Le commencement du septième mois est donc le premier terme de l'accouchement ; si le fœtus est rejeté plus tôt, il meurt, pour ainsi dire, sans être né; c'est un fruit avorté qui ne prend point de nourriture, et, pour l'ordinaire , il périt subitement dans la fausse couche. Il y a, comme l'on voit, de grandes li- mites pour lestermes de l'accouchement, puis- qu'elles s'étendent depuis le septième jusqu'au neuvième et dixième mois, et peut-être jus- qu'au onzième; il naît à la vérité beaucoup moins d'enfants au dixième mois qu'il n’en naît dans le huitième, quoiqu'il en naisse beaucoup au septième ; mais en général les limites du temps del'accouchementsont au moins de trois mois, c’est-à-dire depuis le septième jusqu’au dixième. Les femmes qui ont fait plusieurs enfants, as- surent presque toutes que les femelles naissent plus tard que les mâles; si cela est, on ne de- vrait pas être surpris de voir naître des enfants à dix mois, surtout des femelles. Lorsque les enfants viennent avant neuf mois, ils ne sont pas aussi gros ni aussi formés que les autres; ceux au contraire qui ne viennent qu'à dix mois, ou plus tard, ont le corps sensiblement plus gros et mieux formé que ne l’est ordinai- rement celui des nouveau-nés; les cheveux sont plus longs; l'accroissement des dents, quoique cachées sous les gencives, est plus avancé; le son de la voix est plus net, et le ton en est plus grave qu'aux enfants de neuf mois. On pourrait reconnaitre à l'inspection du nou- veau-né, de combien sa naissance aurait été retardée, si les proportions du corps de tous les enfants de neuf mois étaient semblables, et si les progrès de leur accroissement étaient réglés ; mais le volume du corps et son accroissement varient selon le tempérament de la mère et celui de l'enfant; ainsi tel enfant pourra naître à dix ou onze mois, qui ne sera pas plus avancé qu'un autre qui sera né à neuf mois. Il y à beaucoup d'incertitude sur les causes occasionnelles de l'accouchement, et l'on ne sait pas trop ce qui peut obliger le fœtus à sor- tir de la matrice; les uns pensent que le fœtus ayant acquis une certaine grosseur, la capacité de la matrice se trouve trop étroite pour qu'il 150 trouve l'oblige à faire des efforts pour sortir | de sa prison; d'autres disent, et cela revient à peu près au même, que c'est le poids du fœ- tus qui devient si fort que la matrice s'en trouve surchargée, et qu'elle est forcée de s'ouvrir pour s'en délivrer. Ces raisons ne me paraissent pas satisfaisantes; la matrice a toujours plus de capacité et de résistance qu'il n’en faut pour contenir un fœtus de neuf mois et pour en sou- tenir le poids, puisque souvent elle en contient deux, et qu'il est certain que le poids et la grandeur de deux jumeaux de huit mois, par exemple, sont plus considérables que le poids et la grandeur d’un seul enfant de neuf mois ; d’ail- leurs il arrive souvent que l'enfant de neuf mois qui vient au monde est plus petit que le fœtus de | huit mois, qui cependant reste dans la matrice. Galien a prétendu que le fœtus demeurait dans la matrice jusqu’à ce qu'il fût assez formé pour pouvoir prendre sa nourriture par la bou- che, et qu'il ne sortait que par le besoin de nourriture, auquel il ne pouvait satisfaire. D'au- tres ont dit que le fœtus se nourrissait par la bouche, de la liqueur même de l’amnios , et que cette liqueur qui dans les commencements est unelymphe nourricière, peut s’altérer sur la fin de la grossesse par le mélange de Ja transpira- tion ou de l'urine du fœtus, et que quand elle est altérée à un certain point, le fœtus s’en dé- goûte et ne peut plus s’en nourrir, ce qui l’o- blige à faire des efforts pour sortir de son en- veloppe et de la matrice. Ces raisons ne me paraissent pas meilleures que les premières, car il s'ensuivrait de là que les fœtus les plus faibles et les plus petits resteraient nécessairement dans le sein de la mère plus longtemps que les fœtus plus forts et plus gros, ce qui cependant n'arrive pas; d’ailleurs ce n’est pas la nourri- ture que le fœtus cherche dès qu'il est né, il peut s'en passer aisément pendant quelque temps; il semble au contraire que la chose la plus pressée est de se débarrasser du superflu de la nourriture qu'il a prise dans le sein de la mère, et de rendre le #econium : aussi a-t-il paru plus vraisemblable à d’autresanatomistes!, de croire que le fœtus ne sort de la matrice que pour être en état de rendre ses excréments; ils ont imaginé que ces excréments accumulés dans les boyaux du fœtus, lui donnent des coliques * Drelincourt est, je crois, l'auteur de cette opinion. HISTOIRE NATURELLE puisse y demeurer, et que la contrainte où il se | douloureuses, qui lui font faire des mouve- ments et des efforts si grands, que la matrice est enfin obligée de céder et de s'ouvrir pour le laisser sortir, J'avoue que je ne suis guère plus satisfait de cette explication que des au- tres; pourquoi le fœtus ne pourrait-il pas rendre ses excréments dans l'amnios même, s’il était en effet pressé de les rendre? or cela n’est ja- mais arrivé, il parait au contraire que cette né- cessité de rendre le »econium, ne se fait sentir qu'après la naissance, et que le mouvement du diaphragme, occasionné par celui du poumon, comprime les intestins et cause cette évacuation qui ne se ferait pas sans cela, puisque l’on n'a point trouvé de meconium dans l’amnios des fœtus de dix et onze mois, qui n’ont pas res- piré, et qu'au contraire un enfant à six ou sept mois rend ce #econium peu de temps après | 1: sur qu'il a respiré. D'autres anatomistes, et entre autres Fabrice d’Aquapendente, ont cru que le fœtus ne sor- tait de la matrice que par le besoin où il se trouvait de se procurer du refraichissement au moyen de la respiration. Cette cause me parait encore plus éloignée qu'aucune des autres; le fœtus a-t-il une idée de la respiration, sans avoir jamais respiré? sait-il si la respiration le rafrai- chira? est-il même bien vrai qu'elle rafrai- chisse? il parait au contraire qu’elle donne un plus grand mouvement au sang, et que par conséquent elle augmente la chaleur intérieure, comme l'air chassé par un soufflet augmente l’ardeur du feu. Après avoir pesé toutes ces explications et toutes les raisons d'en douter, j'ai soupçonné que la sortie du fœtus devait dépendre d’une cause toute différente. L'écoulement des mens- trues se fait, comme l’on sait, périodiquement et à des intervalles déterminés; quoique la gros- sesse supprime cette apparence, elle n’en dé- truit cependant pas la cause, et quoique le sang ne paraisse pas au terme accoutumé; il doit se faire dans ce même temps une espèce de révo-= lution semblable à celle qui se faisait avant la grossesse; aussi y a-t-il plusieurs femmes dont les menstrues ne sont pas absolument suppri- mées dans les premiers mois de la grossesse. J'imagine donc que lorsqueune femme a concu, la révolution périodique se fait comme aupara- vant, mais que, comme la matrice est gonflée et qu'elle a pris de la masse et de l’accroisse- ment, les canaux excrétoires étant plus serrés te titi DES ANIMAUX. 45 et plus pressés qu'ils ne l'étaient auparavant, ° ne peuvent s'ouvrir ni donner d’issue au sang, à moins qu'il n'arrive avec tant de force ou en si grande quantité qu’il puisse se faire passage malgré la résistance qui lui est opposée; dans ce cas il paraîtra du sang, et s’il coule en grande quantité, l'avortement suivra; la matrice re- prendra la forme qu'elle avaitauparavant, parce que le sang ayant rouvert tous les canaux qui s'étaient fermés , ils reviendront au même état qu'ils étaient; si lé sang ne force qu'une partie de ces canaux, l'œuvre de la génération ne sera pas détruite, quoiqu'il paraisse du sang, parce que la plüs grande pârtie de la matrice se trouve encore dans l’état qui est nécessaire pour qu’elle puisse s'exécuter; dans ce cas il paraîtra du sang, et l'avortement ne suivra pas; ee Sang sera seulement en moindre quan- tité que dans les évacuations ordinaires. Lorsqu'il n’en paraît point du tout, comme c'est le cas ordinaire, la première révolution périodique ne laisse pas de se marquer et de se faire sentir par les mêmes douleurs, les mêmes symptômes; il se fait done dès le temps de la première suppression, uné violente action sur la matrice, et pour peu que cette action fût augmeritée, elle détruirait l'ouvrage de la gé- nération : on peut même croire avec assez de foncement, que de toutes les conceptions qui se font dans les derniers jours qui précèdent l’ar- rivée des menstrues, il en réussit fort peu, et que l’action du sang détruit aisément les faibles racines d'un gérme si tendre et si délicat; les conceptions au contraire qui se font dans les jours qui suivent l'écoulement périodique, sont celles qui tiennent et qui réussissent le mieux, parce que le produit de la conception a plus de temps pour croître, pour se fortifier, et pour résister à l’action du sang et à la révolution qui doit arriver au terme de l'écoulement. Le fœtus ayant subi cette première épreuve, et y ayant résisté, prend plus de force etd’ac- croissement, et est plus en état de souffrir la seconde révolution qui arrive un mois après la première; aussi les avortements causés par la seconde période sont-ils moins fréquents que ceux qui sont causés par la première ; à Ja troi- sième période le danger est encore moins grand, et moins encore à la quatrième et à la ciaquiè- me; mais il y en a toujours; il peut arriver, et il arrive en effet, de fausses couches dans les temps de toutes ces révolutions périodiques ; seulement on a observé qu'elles sont plus rares dans le milieu de la grossesse, et plus fréquen- tes au commencement et à la fin : on entend bien, par ce que noùs venons de dire, pourquoi elles sont plus fréquentes au commencement; il nous reste à expliquer pourquoi elles sont aussi plus fréquentes vers la fin que vers le milieu ce la grossesse. Le fœtus vient ordinairement au monde dans le temps de la dixième révolution; lorsqu'il naît à la neuvième ou à la huitième , il ne laisse pas de vivre, et ces accouchements précoces ne sont pas regardés comme de fausses cou- ches, parce que l'enfant, quoique moins formé, ne laisse pas de l’être assez pour pouvoir vi- vre : on à même prétendu avoir des exemples d'enfants nés à la septième, et même à la sixième révolution, c'est-à-dire à cinq ou six mois, qui n'ont pas laissé de vivre; il n'y a donc de différence entre l'accouchement et la fausse couche, que relativement à la vie du nouveau-né; et en considérant la chose géné- ralement, le nombre des fausses couches du premier , du second et du troisième mois est très-considérable par les raisons que nous avons dites, et le nombre des accouchements précoces du septième et du huitième mois est aussi assez grand, en comparaison de celui des fausses couches des quatrième, cinquième et sixième mois, parce que dans ce temps du mi- lieu de la grossesse, l'ouvrage de la génération a pris plus de solidité et plus de force, qu'ayant eu celle de résister à l'action des quatre pre- mières révolutions périodiques , il en faudrait une beaucoup plus violente queles précédentes pour ledétruire : la même raison subsiste pour le cinquième et sixième mois, et même avec avan- tage, car l'ouvrage de la génération est encore plus solide à cinq mois qu'à quatre, et à six mois qu'à Cinq; mais lorsqu'on est arrivé à ce terme, le fœtus qui jusqu'alors est faible et ne peut agir que faiblement par ses propres forces, commence à devenir fort et à s’agiter avec plus de vigueur; et lorsque le temps de la huitième période arrive et que la matrice en éprouve l'action, le fetus qui l’éprouve aussi, fait des efforts qui, se réunissant avec ceux de la ma- trice, facilitent son exclusion ; et il peut venir au monde dès le septième mois toutes les fois qu'il est à cet âge plus vigoureux ou plus avancé que les autres, et dans ce cas il pourra vivre; au contraire, s’il ne venait au monde que par 152 HISTOIRE NATURELLE la faiblesse de la matrice qui n'aurait pu résis- | duire du sang; ne peut-on pas croire que c’est ter au coup du sang dans cette huitième révo- | lution, l'accouchement serait regardé comme une fausse couche, et l'enfant ne vivrait pas; mais ces cas sont rares, car si le fœtus a résisté aux sept premières révolutions, il n’y a que des accidents particuliers qui puissent faire qu'il ne résiste pas à la huitième, en supposant qu'il n'ait pas acquis plus de force et de vigueur qu'il n'en a ordinairement dans ce temps. Les fœtus qui n'auront acquis qu'un peu plus tard l'action du sang qui produit l'accouchement ? | et cesang est celui des menstrues qui force les ce mème degré de force et de vigueur plus | grande, viendront au monde dans le temps de la neuvième période, et ceux auxquels il fau- dra le temps de neuf mois pour avoir cette même force, viendront à la dixième période, ce qui est le terme le plus commun et le plus | A. : , | général; mais lorsque le fœtus n’aura pas ac- | | quis dans ce temps de neuf mois ce même de- gré de perfection et de force, il pourra rester . æ ,: .: x | dans la matrice jusqu'à la onzième, et même | jusqu'à la douzième période, c’est-à-dire ne naitre qu'à dix ou onze mois, comme on en a des exemples. Cette opinion, que ce sont les menstrues qui | sont la cause occasionnelle de l'accouchement | en différents temps, peut être confirmée par plusieurs autres raisons que je vais exposer. Les femelles de tous les animaux qui n’ont point de menstrues mettent bas toujours au même terme à très-peu près , il n’y a jamais qu'une très-légère variation dans la durée de la gesta- tion; on peut donc soupconner que cette va- | riation, qui dans jes femmes est si grande, vient de l’action du sang qui se fait sentir à toutes les périodes. Nous avons dit que le placenta ne tient à la | matrice que par quelques mamelons , qu'il n'y a de sang ni dans ces mamelons, ni dans les Ja- cunes où ils sont nichés, et que quand on les sépare, ce qui se fait aisément et sans effort, il ne sort de ces mamelons et de ces lacunes qu'une liqueur laiteuse; or, comment se fait-il done que l'accouchement soit toujours suivi d’une hémorragie, même considérable, d’abord de sang assez pur, ensuite de sang mêlé de sé- rosités, etc.? Ce sang ne vient point de la sé- paration du placenta, les mamelons sont tirés hors des lacunes sans aucune effusion de sang, puisque ni les uns ni les autres n’en contien- nent; l'accouchement qui consiste précisément dans cette séparation ne doit donc pas pro- | vaisseaux dès que la matrice est vide, et qui commence à couler immédiatement après l'en- fantement, comme il coulait avant la concep- tion. On sait que, dans les premiers temps de la grossesse, le sae qui contient l'œuvre de la gé- nération n'est point du tout adhérent à la ma- trice; on a vu par les expériences de Graaf qu'on peut, en soufflant dessus la petite bulle, la faire changer de lieu; l'adhérence n’est même jamais bien forte dans la matrice des femmes, et à peine le placenta tient-il à la membrane inté- rieure de ce viscère dans les premiers temps, il n'y est que contigu et joint par une matière mu- cilagineuse qui n'a presque aucune adhésion ; dès lors pourquoi arrive-t-ilque dans les fausses couches du premier et du second mois, cette bulle, qui ne tient à rien, ne sort cependant ja- mais qu'avec grande effusion de sang ? ce n'est certainement pas la sortie de la bulle qui occa- sionne cette effusion, puisqu'elle ne tenait point du tout à la matrice ; c'est au contraire l’action de ce sang qui oblige la bulle à sortir : et ne doit-on pas croire que ce sang est celui des menstrues, qui, en forçant les canaux par les- quels il avait coutume de passer avant la con- ception, en détruit le produit en reprenant sa route ordinaire ? Les douleurs de l'enfantementsont occasion- nées principalement par cette action du sang , car on sait qu'elles sont tout au moins aussi vio- lentes dans les fausses couches de deux et trois mois, que dans les accouchements ordinaires , et qu'il y a bien des femmes qui ont dans tous les temps , et sans avoir conçu, des douleurs très-vives lorsque l'écoulement périodique est sur le point de paraître et ces douleurs sont de la même espèce que ceiles de la fausse couche ou de l'accouchement; dès lors ne doit-on pas soupconner qu'elles viennent de la même cause ? Il parait done que la révolution périodique du sang menstruel peut influer beaucoup sur l'accouchement, et qu'elle est la cause de la va- riation des termes de l'accouchement dans les femmes, d'autant plus que toutes les autres fe- melles qui ne sont pas sujettes à cet écoulement périodique , mettent bas toujours au même terme : mais il paraît aussi que cette révolution DES ANIMAUX. occasionnée par l'action dusang menstruel, n’est pas la cause unique de l'accouchement, et que l'action propre du fœtus ne laisse pas d'y con- tribuer, puisqu'on a vu des enfants qui se sont fait jour et sont sortis de la matrice après la mort de la mère, ce qui suppose nécessairement dans le fœtus une action propre et particulière, par laquelle il doit toujours faciliter son exclu- sion, et même se la procurer en entier dans de certains Cas. Les fœtus des animaux , comme des vaches, des brebis, ete., n’ont qu'un terme pour naître; le temps de leur séjour dans le ventre de la mère est toujours le mème et l'accouchement est sans hémorragie; n’en doit-on pas conclure que le sangqueles femmesrendent après l'accouche- ment, estlesane des menstrues, et que si le fœtus humain nait à destermes si différents, ce ne peut être quepar l’action de ce sang, quise fait sentir sur la matrice à toutes les revolutions périodi- ques? Il est naturel d'imaginer quesiles femelles des animaux vivipares avaient des menstrues commeles femmes, leurs accouchements seraient suivis d’effusion de sang, etqu'ils arriveraient à différents termes. Les fœtus des animaux vien- nent au monde revêtus de leurs enveloppes, et il arrive rarement que les eaux s’écoulent et que les membranes qui les contiennent se dé- chirent dans l'accouchement, au lieu qu'il est très-rare de voir sortir ainsi le sac entier dans les accouchements des femmes ; cela semble prouver que le fœtus humain fait plus d'efforts que les autres pour sortir de sa prison , ou bien que la matrice de la femmene se prête pas aussi naturellement au passage du fœtus que celle des animaux, car c'est le fœtus qui déchire sa mem- brane par les efforts qu'il fait pour sortir de la matrice, et ce déchirement n'arrive qu'à cause de la grande résistance que fait l'orifice de ce viscère avant que dese dilater assez pour laisser passer l'enfant. ADDITION A l'article de l'accouchement, pages 156 et suivantes de ce volume. I. Observation sur l'embryon , qu’on peut joindre à celles que j'ai déjà citées. M. Roume de Saint-Laurent, dans l'ile de la Grenade , a eu occasion d'observer la fausse 153 couche d'une négresse qu’on lui avaitapportée: ilse trouvait dans une quantité de sang caillé , un sac de la grosseur d'un œuf de poule, l’en- veloppe paraissait fort épaisse, et avait adhéré par sa surface extérieure à la matrice; de sorte qu'il se pourrait qu'alors toute l'enveloppe ne fût qu'une espèce de placenta. « Ayant ouvert « le sae, dit M. Roume, je l'ai trouvé rempli « d’une matière épaissecomme du blane d'œuf, « d'une couleur tirant sur le jaune; l'embryon « avait un peu moins desix lignes de longueur, « il tenait à l'enveloppe par un cordon ombili- « cal fort large et très-court, n'ayant qu'envi- « ron deux lignes de longueur ; la tête, presque « informe, se distinguait néanmoins du reste du « corps; on ne distinguait point la bouche, le «nez ni les oreilles ; mais les yeux paraissaient « par deux très-petits cercles d’un bleu foncé, « Le eœur était fort gros, et paraissait dilater « par son volume la capacité de la poitrine. « Quoique j'eusse mis cet embryon dans un plat « d'eau pour le laver, cela n'empêcha point « quele cœur ne battit très-fort, et environ trois « fois dans l’espace de deux secondes pendant « quatre ou cinq minutes; ensuite les battements « diminuèrent de force et de vitesse, et cessèrent «environ quatre minutes après. Le coccyx était « allongé d'environ une ligne et demie, ce qui «aurait fait prendre, à la première vue, cet «embryon pour celui d’un singe à queue. On «ne distinguait point les os; mais on voyait « cependant au travers de la peau du derrière « de la tête, une tache en losange dont les angles « étaient émoussés , qui paraissait l'endroit où « les pariétaux, coronaux et occipitaux devaient « se joindre dans la suite; de sorte qu'ils étaient « déjà cartilagineux à la base. La peau était «une pellicule très-déliée. Le cœur était bien « visible au travers de la peau, et d'un rouge « pâle encore, mais bien décidé. On distinguait « aussi à la base du cœur des petitsallongements « qui étaient vraisemblablement les commen- « cements des artères et peut-être des veines ; « iln'y en avait que deux qui fussent bien dis- « tincts. Je n’ai remarqué ni foie, ni aucune « autre glande !. » Cette observation de M. Roume s'accordeavec celles que j'ai rapportées sur la forme extérieure et intérieure du fœtus dans les premiers jours après la conception, et il serait à désirer qu'on ‘Journal de Physique, par M. l'abbé Rozier ; juillet 4775, pages 52 el 55. 154 en rassemblät sur ce sujet un plus grandnombre que je n'ai pu le faire; car le développement du fœtus, dans les premiers temps après sa forma- tion, n’est pas encore assez connu ni assez nel- tement présenté par les anatomistes ; le plus beau travail qui se soit fait en ce genre est ce- lui de Malpighi et de Vallisnieri , sur le déve- loppement du poulet dans l'œuf; mais nous n’a- vons rien d'aussi précis ni d'aussi bien suivisur le développement de l'embryon dans les ani- maux vivipares, ni du fœtus dans l’espèce hu- mainé ; et cependant les premiers instants, ou si l'on veut les premières heures qui suivent le momentde la conception, sont les plus précieux, les plus dignes de la curiosité des physiciens et des anatomistes : on pourrait aisément faire une suite d'expériences sur des animaux quadru- pèdes, qu'on ouvrirait quelques heures et quel- ques jours après la copulation; et du résultat de ces observations, on conclurait pour le dévelop- pement du fœtus humain, parce que l'analogie serait plus grande, et les rapports plus voisins que ceux qu’on peut tirer du développement du poulet dans l'œuf; mais, en attendant, nous ne pouvons mieux faire que de recueillir, rassem- bler et ensuite comparer toutes les observa- tions que le hasard ou les accidents peuvent présenter sur les conceptions des femmes dans les premiers jours, et c’est par cette raison que j'ai cru devoir publier l'observation pré- cédente. IT. Observation sur une naissance tardive, J'ai dit, page 149 de ce volume, qu'on avait des exemples de grossesses de dix, onze, douze et même treize mois. J'en vais rapporter une ici que les personnes intéressées m'ont permis de citer, et je ne ferai que copier le mémoire qu'elles ont eu la bonté de m'envoyer. M. de la Motte, ancien aide-major des gardes-fran- çaises, a trouvé dans les papiers de feu M. de la Motte, son père, la relation suivante, certi- fiée véritable de lui, d'un médecin, d’un chi- rurgien, d'un accoucheur, d’une sage-femme, et de madame de la Motte, son épouse. Cette dame a eu neuf enfants , savoir, trois filles et six garçons , du nombre desquels deux filles et un garçon sont morts en naissant, deux autres garçons sont morts au service du roi, où les cinq garçons restants avaient été placés à l'âge de quinze ans. HISTOIRE NATURELLE Ces cinq garçons, et la fille qui a vécu, étaient tous bien faits , d’une jolie figure ainsi que le père et la mère, et nés, comme eux, avec beau- coup d'intelligence, excepté le neuvième enfant, garçon nommé au baptème Augustin-Paul, der- nier enfant que la mère ait eu, lequel, sans être absolument contrefait, est petit, ade grosses jambes, une grosse tête , et moins d'esprit que les autres. IL vint au monde le 10 juillet 1755, avec des dents et des cheveux, après treize mois de grossesse , remplis de plusieurs accidents surprenants dont sa mère fut très-incommo- dée. Elleeut une perte considérableen juillet 1734, une jaunisse dans le même temps, qui rentra et disparut par une saignée qu'on se crut obligé de lui faire, et après laquelle la grossesse parut entièrement évanouie. Au mois de septembre, un mouvement de l'enfant se fit sentir pendant cinq jours, et cessant tout d'un coup, la mère commenca bientôt à épaissir considérablement et visible- ment dans lé même mois ; et au lieu du mou- vement de l'enfant, il parut une petite boule, comme de ja grosseur d'un œuf, qui changeait de côté et se trouvait tantôt bas, tantôt haut, par des mouvements très-sensibles. La mère fut en travail d'enfant vers le 10 oc- tobre ; on la tint couchée tout ce mois pour lui faire atteindre le cinquième mois de sa gros- sesse, ne jugeant pas qu'elle püt porter son fruit plus loin, à cause de a grande dilatation qui fut remarquée dans la matrice. La boule en ques- tion augmenta peu à peu, avec les mêmes chan- gements, jusqu'au 2 février 1735 ; mais à la fin de ce mois, ou environ, l’un des porteurs de chaise de la mère (qui habitait alors une ville de province}, ayant glissé et laissé tomber ia chaise, le fœtus fit de très-grands mouvements pendant trois ou quatre heures, par la frayeur qu'eut la mère; ensuite il devint dans la même disposition qu'au passé. La nuit qui suivit ledit jour, 2 février, la mère avait été en travail d'enfant pendant cinq heures, c'était le neuvième mois de la grossesse, et l'accoucheur ainsi que la sage-femme avaient assuré que l'accouchement viendrait la nuit sui- vante. Cependant il a été différé jusqu'en juil- let, malgré les dispositions prochaines d’aceou- cher où se trouva la mère depuis ledit jour 2 février, et cela très-fréquemment. DES ANIMAUX. Depuis ce moment le fœtus a toujours été en mouvement, et si violent pendant les deux der- niers mois, qu'il semblait quelquefois qu'il al- lait déchirer sa mère , à laquelle il causait de vives douleurs. Au mois de juillet elle fut trente-six heures en travail; les douleurs étaient supportables dans les commencements , et le travail se fit lente- ment, à l'exception des deux dernières heures, sur la fin desquelles l'envie qu'elle avait d'être délivrée de son ennuyeux fardeau, et de la si- tuation gènante dans laquelle on fut obligé de la mettre à cause du cordon qui vint à sortir avant que l'enfant parût, lui fit trouver tant de forces qu'elle enlevait trois personnes ; elle ac- coucha plus par les efforts qu'elle fit, que par les secours du travail ordinaire. On la erut longtemps grosse de deux enfants, ou d’un enfant et d’une môle. Cet événement fit tant de bruit dans le pays, que M. de la Motte, père de l'enfant, écrivit la présente relation pour la conserver. III. Observation sur une naissance {rès-précoce. J'ai dit, page 151 de ce volume, qu'on a vu des enfants nés à la septième et même à la sixième révolution, c’est-à-dire à cinq ou six mois, qui n'ont pas laissé de vivre : cela est très-vrai, du moins pour six mois, j'en ai eu ré- cemment un exemple sous mes yeux : par des circonstances particulières j'ai été assuré qu’un accouchement arrivé six mois onze jours après la conception, ayant produit une petite fille très-délicate , qu'on a élevée avec des soins et des précautions extraordinaires, cet enfant n'a pas laissé de vivre et vit encore âgé de onze ans : mais le développement de son corps et de son esprit a été également retardé par la faiblesse de Sa nature ; cet enfant est encore d'une très- petite taille, a peu d'esprit et de vivacité ; ce- pendant sa santé, quoique faible, est assez bonne. RÉCAPITULATION. Tous les animaux se nourrissent de végétaux ou d’autres animaux , qui se nourrissent eux- mêmes de végétaux; il y a done dans la nature une matière commune aux uns et aux au- Lres, qui sert à la nutrition et au développement 155 de tout ce qui vit ou végète; cette matière ne peut opérer la nutrition et le développement qu'en s’assimilant à chaque partie du corps de l'animal ou du végétal, et en pénétrant intime- ment la forme de ces parties, que j'ai appelée le moule intérieur, Lorsque cette matière nutri- tive est plus abondante qu'il ne faut pour nour- rir et développer le corps animal ou végétal, elle est renvoyée de toutes les parties du corps dans un ou dans plusieurs réservoirs sous la forme d’une liqueur; cetteliqueur contient toutes les molécules analogues au corps de l'animal, et par conséquent tout ce qui est nécessaire à la reproduction d'un petit être entièrement sem- blable au premier. Ordinairement cette matière nutritive ne devient surabondante , dans le plus grand nombredes espèces d'animaux, que quand le corps à pris la plus grande partie de son ac- croissement, et c’est par cette raison que les animaux ne sont en état d’engendrer que dans ce temps. Lorsque cette matière nutritive et produe- tive, qui est universellement répandue , a passé par le moule intérieur de l'animal ou du végé- tal, et qu'elle trouve une matrice convenable, elle produit un animal ou un végétal de même espèce; mais lorsqu'elle ne se trouve pas dans une matrice convenable; elle produit des êtres organisés différents des animaux et des végé- taux, comme les corps mouvants et végétants que l'on voit dans les liqueurs séminales des animaux, dans les infusions des germes des plantes, ete. Cette matière productive est composée de par- ticules organiques toujours actives, dontle mou- vement et l’action sont fixés par les parties bru- tes dela matière en général , et particulièrement par les particules huileuses et salines ; mais dès qu'on les dégase de cette matière étrangère, elles reprennentleur action et produisent diffé- rentes espèces de végétations et d’autres êtres animés , qui se meuvent progressivement. On peut voir au microscope les effets de cette matière productive dans les liqueurs séminales des animaux de l’un et de l’autre sexe : la se- mence des femelles vivipares est filtrée par les corps glanduleux qui croissent sur leurs testi- cules , et ces corps glanduleux contiennent une assez bonne quantité de cette semence dans leur cavité intérieure; les femelles ovipares ont, aussi bien que les femelles vivipares, une liqueur séminale, et cette liqueur séminale des femelles 136 ovipares est encore plus active que celle des fe- melles vivipares, comme je l'expliquerai dans l'histoire des oiseaux. Cette semence de la fe- melle est en général semblable à celle du mâle, lorsqu'elles sont toutes deux dans l'état naturel; elles se décomposentdelamême façon, elles con- tiennentdes corpsorganiques semblables, etelles offrent également tous les mêmes phénomènes. Toutes les substances animales ou végétales renferment une grande quantité de cette ma- tière organique et productive; il ne faut, pour le reconnaitre, que séparer les parties brutes dans lesquelles les particules actives de cette matière sont engagées , et cela se fait en mettant ces substances animales ou végétales infuser dans de l’eau, les selsse fondent , les huiles se sé- parent, et les parties organiques se montrent ense mettanten mouvement; elles sont en plus grande abondance dans les liqueurs séminales que dans toutes les autres substances animales, ou plutôt elles y sont dans leur état de déve- loppement et d'évidence ; au lieu que dans la chair elles sont engagées et retenues par les parties brutes, et il faut les en séparer par l’in- fusion. Dans les premiers temps de cette infu- sion, lorsque la chair n’est encore que légère- ment dissoute, on voit cette matière organique sous la forme de corps mouvants qui sont pres- que aussi gros que ceux des liqueurs séminales; mais à mesure que la décomposition augmente, ces parties organiques diminuent de grosseur, etaugmententen mouvement; et quand la chair est entièrement décomposée ou corrompue par une longue infusion dans l’eau, ces mêmes par- ties organiques sont d’une petitesse extrême, et dans un mouvement d’une rapidité infinie ; c'est alors que cette matière peut devenir un poison , comme celui de la dent de la vipère, où M. Mead a vu une infinité de petits corps pointus qu'il a pris pour des sels, et qui ne sont queces mêmes parties organiques dans une très- grande activité. Le pus qui sort des plaies en fourmille , et il peut arriver très-naturellement que le pus prenne un tel degré de corruption, qu'il devienne un poison des plus subtils; car toutes les fois que cette matière active sera exal- tée à un certain point, ce qu'on pourra toujours reconnaitre à la rapidité et à la petitesse des corps mouvants qu'elle contient, elle deviendra une espèce de poison, il doit en être de même des poisons des végétaux. La même matière qui sert à nous nourrir , lorsqu'elle est dans son HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX. état naturel, doit nous détruire, lorsqu'elle est corrompue; on le voit par la comparaison du bon bléet du blé ergoté, qui fait tomber en gan- grène les membres des animaux etdes hommes qui veulent s’en nourrir; onle voit par la com- paraison de cette matière qui s'attache à nos dents, qui n’est qu'un résidu de nourriture qui n'est pas corrompu, et de celle de la dent de a vipère ou du chien enragé, qui n’est que cette même matière trop exaltée et corrompue au dernier degré. Lorsque cette matière organique et produe- tive se trouve rassemblée en grande quantité dans quelques parties de l'animal, où elle est obligée de séjourner, elle y forme des êtres vi- vants, quenous avons toujours regardés comme des animaux, le tænia, les ascarides, tous les vers qu’on trouve dans les veines, dans le foie, ete.; tous ceux qu'on tire des plaies, la plupart de ceux qui se forment dans les chairs corrompues, dans le pus, n'ont pas d'autre ori- gine; les anguilles de la colle de farine, celles du vinaigre, tous les prétendus animaux mi- croscopiques ne sontque des formes différentes que prend d'elle-même, et suivant les circon- stances, cette matière toujours active et qui ne tend qu’à l'organisation. Dans toutes les substances animales ou vé- gétales, décomposées par l'infusion, cette ma- tière productive se manifeste d’abord sous la forme d’une végétation: on la voit former des filaments qui croissent et s'étendent comme une plante qui végète; ensuite les extrémités etles nœuds de ces végétations se gonflent, se boursouflent et crèvent bientôt pour donner passage à une multitude de corps en mouve- ment qui paraissent étre des animaux, en sorte qu'il semble qu’en tout la nature commence par un mouvement de végétation ; on le voit par ces productions microscopiques; on le voitaussi par le développement de l'animal, car le fœ- tus dans les premiers temps ne fait que végéter. Les matières saines et qui sont propres à nous nourrir, ne fournissent des molécules en mouvement qu'après un temps assez considé- rable, il faut quelques jours d'infusion dans l'eau pour que la chair fraiche, les graines, les amandes des fruits, ete., offrent aux yeux des corps en mouvement; mais plus les matières sont corrompues, décomposées ou exaltées, comme le pus, le blé ergoté, le miel, les li- queurs séminales, ete., plus ces corps en mou- | | HISTOIRE NATURELLE DE L'HOMME. vement se manifestent promptement; ils sont | tout développés dans les liqueurs séminales, | il ne faut que quelques heures d’infusion pour les voir dans le pus, dans le blé ergoté, dans le miel, ete. ; il en est de même des drogues de médecine, l’eau où on les met infuser en four- mille au bout d'un très-petit temps. Il existe donc une matière organique ani- mée, universellement répandue dans toutes les substances animales ou végétales, qui sert également à leur nutrition, à leur développe- ment et à leur reproduction; la nutrition s'o- père par la pénétration intime de cette matière dans toutes les parties du corps de l'animal ou du végétal ; le développement n'est qu'une es- pèce de nutrition plus étendue, qui se fait et s'opère tant que les parties ont assez de ducti- lité pour se gonfler et s'étendre, et la repro- duction ne se fait que par la même matière _ devenue surabondante au corps de l'animal ou du végétal ; chaque partie du corps de l'un ou de l'autre renvoie les molécules organiques qu'elle ne peut plus admettre : ces molécules sont absolument analogues à chaque partie dont elles sont renvoyées, puisqu'elles étaient destinées à nourrir cette partie; dès lors quand toutes les moléculesrenvoyées de tout le corps viennent à se rassembler, elles doivent former un petit corps semblable au premier, puisque chaque molécule est semblable à la partie dont elle a été renvoyée; c’est ainsiquese fait lare- production dans toutes les espèces, comme les arbres, les plantes, les polypes, les puce- rons, ete., où l'individu tout seul reproduit son semblable; et c'est aussi le premier moyen que la nature emploie pour la reproduction des animaux qui ont besoin de la communica- tion d’un autre individu pour se reproduire, car les liqueurs séminales des deux sexes con- tiennent toutes les molécules nécessaires à la reproduction; mais il faut quelque chose de plus pour que cette reproduction se fasse en effet, c'est le mélange de ces deux liqueurs dans un lieu convenable au développement de ce qui doiten résulter, et ce lieu est la matrice de la femelle. 11 n'y a done point de germes préexistants, point de germes contenus à l'infini les uns dans les autres ; mais il y a une matière organique toujours active, toujours prête à se mouler, à s’assimiler et à produire des êtres semblables à ceux qui la reçoivent: les espèces d'animaux | 157 ou de végétaux ne peuvent done jamais s'é- puiser d’elles-mêmes : tant qu'il subsistera des individus l'espèce sera toujours toute neuve, elle l'est autant aujourd'hui qu'elle l'était il y a trois mille ans; toutes subsisteront d'elles-mèê- mes, tant qu’elles ne seront pas anéanties par la volonté du Créateur. Au Jardin du Roi, le 27 mai 1748. cecreecc HISTOIRE NATURELLE DE L'HOMME. DE LA NATURE DE L'HOMME. Quelque intérêt que nous ayons à nous con- naître nous-mêmes, je ne sais si nous ne con- naissons pas mieux tout ce qui n'est pas nous. Pourvus par la nature d'organes uniquement destinés à notre conservation, nous ne les em- ployons qu’à recevoir les impressions étrangè- res, nous ne cherchons qu'à nous répandre au dehors, et à exister hors de nous; trop occupés à multiplier les fonctions de nos sens, et à aug- menter l'étendue extérieure de notre être, ra- rement faisons-nous usage de ce sens intérieur qui nous réduit à nos vraies dimensions, et qui sépare de nous tout ce qui n’en est pas; c'est cependant de ce sens qu'il faut nous servir, si nous voulons nous connaitre, c’est le seul par lequel nous puissions nous juger; mais Com- ment donner à ce sens son activité et toute son étendue? comment dégager notre âme, dans la- quelle il réside, de toutes les illusions de notre esprit? Nous avons perdu l'habitude de l’em- ployer , elle est demeurée sans exercice au mi- lieu du tumulte de nossensations corporelles, elle s’estdesséchée par le feu de nos passions; lecœur, l'esprit, les sens, tout a travaillé contre elle. Cependant, inaltérable dans sa substance, im- passible par son essence, elle est toujours la même ; sa lumière offusquée a perdu son éclat sans rien perdre de sa force, elle nous éclaire moins, mais elle nous guide aussi sûrement : recueillons pour nous conduire ces rayons qui parviennent encore jusqu'à nous, l'obscurité qui nous environne diminuera, et si la route n'est pas également éclairée d’un bout à l’autre, au moins aurons-nous un flambeau avec lequel nous marcherons sans nous égarer. Le premier pas et le plus difficile que nous 15 HISTOIRE NATURELLE ayons à faire pour parvenir à la connaissance de nous-mêmes, est de reconnaitre nettement la nature des deux substances qui nous compo- sent; dire simplement que l’une est inétendue, immatérielle, immortelle, et que l’autre est étendue, matérielle et mortelle, se réduit à nier de l’une ce que nous assurons de l’autre; quelle connaissance pouvons-nous acquérir par cette voie de négation? ces expressions privatives ne peuvent représenter aucune idée réelle et posi- tive : mais dire que nous sommes certains de l'existence de la première, et peu assurés de l'existence de l’autre, que la substance de l’une est simple, indivisible, et qu'elle n’a qu'une forme, puisqu'elle ne se manifeste que par une seule modification qui est la pensée; que l’autre est moins une substance qu'un sujet capable de recevoir des espèces de formes relatives à celles de nos sens, toutes aussi incertaines, toutes aussi variables que la nature même de ces or- ganes, c’est établir quelque chose, c’est attri- buer à l’une et à l’autre des propriétés diffé- rentes, c'est leur donner des attributs positifs etsuffisants pour parvenir au premier degré de connaissance de l’une et de l’autre, et commen- cer à les comparer. Pour peu qu'on ait réfléchi sur l’origine de nos connaissances, il est aisé de s’apercevoir que nous ne pouvons en acquérir que par la voie de la comparaison; ce qui est absolument incomparable, est entièrement incompréhensi- ble; Dieu est le seul exemple que nous puissions donner ici, ilne peut être compris, parce qu'il ne peut être comparé ; mais tout ce qui est sus- ceptible de comparaison , tout ce que nous pou- vons apercevoir par des faces différentes, tout ce que nous pouvons considérer relativement , peut toujours être du ressort de nos connais- sances; plus nous aurons de sujets de compa- raison , de côtés différents , de points particuliers sous lesquels nous pourrons envisager notre objet, plus aussi nous aurons de moyens pour le connaitre et de facilité à réunir les idées sur lesquelles nous devons fonder notre jugement. L'existence de notre âme nous est démontrée, ou plutôt nous ne faisons qu’un , cette existence et nous : étre et penser, sont pour nous la même chose, cette vérité est intime et plus qu'intui- tive , elle est indépendante de nos sens, de no- tre imagination , de notre mémoire , et de toutes nos autres facultés relatives. L'existence de no- tre corps et des autres objets extérieurs est dou- teuse pour quiconque raisonne sans préjugé, car cette étendue en longueur, largeur et pro- fondeur, que nous appelons notre corps, et qui semble nous appartenir de si près, qu’est-elle autre chose sinon un rapport de nos sens? les organes matériels de nos sens, que sont-ils eux- mêmes , sinon des convenances avec ce qui les affecte ? et notre sens intérieur , notre âme a- t-elle rien de semblable, rien qui lui soit commun avec la nature de ces organes extérieurs? la sensation excitée dans notre âme par la lumière ou par le son, ressemble-t-elie à cette matière ténue qui semble propager la lumière, ou bien à ce trémoussement que le son produit dans l'air? ce sont nos yeux et nos oreilles qui ont avec ces matières toutes les convenances néces- saires, parce que ces organes sont en effet de la même nature que cette matière elle-même; mais la sensation que nous éprouvons n’a rien de commun, rien de semblable; cela seul ne suffi- rait-il pas pour nous prouyer que notre âme est en effet d’une nature différente de celle de la matière ? : Nous sommes done certains que la sensation intérieure est tout à fait différente de ce qui peut la causer, et nous voyons déjà que s’il existe des choses hors de nous, elles sont en elles- mêmes tout à fait différentes de ce que nous les jugeons , puisque la sensation ne ressemble en aucune facon à ce qui peut la causer; dès lors ne doit-on pas conclure que ce qui cause nos sensations est nécessairement et par sa nature tout autre chose que ce quenous croyons? cette étendue que nous apercevons par les yeux, cette impénétrabilité dont le toucher nous donne une idée, toutes ces qualités réunies qui constituent la matière, pourraient bien ne pas exister, puisque notre sensa- tion intérieure, et ce qu’elle nous représente par l'étendue, l'impénétrabilité, ete., n'est nul- lement étendu ni impenétrable, et n'a même rien de commun avec ces qualités. Si l’on fait attention que notre âme est sou- vent, pendant le sommeil et l'absence desobjets, affectée de sensations; que ces sensations sont quelquefois fort différentes de celles qu’elle a éprouvées par la présence de ces mêmes objets, en faisant usage des sens, ne viendra-t-on pas à penser que cette présence des objets n’est pas nécessaire à l'existence de ces sensations , et que par conséquent, notre âme et nous, pouvons exister tout seuls et indépendamment de ces ane DE L'HOMME. objets? car dans le sommeil et après la mort notre corps existe, il a même tout le genre d'existence qu'il peut comporter , il est le mème qu'il était auparavant, cependant l'âme ne s’a- perçoit plus de l'existence du corps, il a cessé d'être pour nous : or, je demande si quelque chose qui peut être, et ensuite n'être plus, si cette chose qui nous affecte d'une manière toute différente de ce qu’elle est, ou de ce qu’elle a été, peut être quelque chose d'assez réel pour que nous ne puissions pas douter de son existence. Cependant nous pouvons croire qu'il y à quelque chose hors de nous, mais nous n'en sommes pas sûrs ; au lieu que nous sommes as- surés de l'existence réelle de tout ce qui est en nous ; celle de notre âme est donc certaine , et celle de notre corps parait douteuse , dès qu'on vient à penser que la matière pourrait bien n'être qu’un mode de notre âme, une de ses facons de voir; notre âme voit de cette façon quand nous veillons, elle voit d’une autre facon pendant le sommeil, elle verra d’une manière bien diffé- rente encore après notre mort; et tout ce qui cause aujourd’hui ses sensations, la matière en général, pourrait bien ne pas plus exister pour elle alors que notre propre corps qui ne sera plus rien pour nous. Mais admettons cette existence dela matière, et quoiqu'il soit impossible de la démontrer, prèlons-nous aux idées ordinaires, et disons qu'elle existe, et qu'elle existe même comme nous la voyons; noustrouverons, en comparant notre âme avec cet objet matériel, des diffé- rences si grandes, des oppositions si marquées, que nous ne pourrops pas douter un instant qu'elle ne soit d’une nature totalement diffé- rente, et d'un ordre infiniment supérieur. Notre âme n'a qu'une forme très-simple, très- générale, très-constante ; cette forme est la pen- sée; il nous est impossible d’apercevoir notre âme autrement que par la pensée; cette forme Wa rien de divisible, rien d'’étendu , rien de pénétrable , rien de matériel; done le sujet de cette forme, notre âme, est indivisible et imma- térielle : notre corps, au contraire, et tous les autres corps ont plusieurs formes; chacune de ces formes est composée, divisible, variable, destructible , et toutes sont relatives aux diffé- rents organes avec lesquels nous les apereevons ; notre corps, et toute la matière, n’a done rien de constant, rien de réel, rien de général par où nuus pussions la saisir et nous assurer de la 59 connaître. Un aveugle n'a nulle idée de l'objet matériel qui nous représente les images des corps ; un lépreux dont la peau serait insensible n'aurait aucune des idées que le toucher fait naitre : un sourd ne peut connaitre les sons; qu'on détruise successivement ces trois moyens de sensation dans l'homme qui en est pourvu, l'âme n'en existera pas moins, ses fonctions in- térieures subsisteront, et la pensée se manifes- tera toujours au dedans de lui-même : ôtez au contraire toutes ces qualités à la matière, ôtez- lui ses couleurs, son étendue, sa solidité et toutes les autres propriétés relatives à nos sens, vous l’anéantirez; notre âme est done impéris- sable, et la matière peut et doit périr. Il en est de même des autres facultés de notre âme, comparées à celles de notre corps et aux propriétés les plus essentielles à toute matière. L'âme veut et commande, le corps obéit tout autant qu'il le peut; l'âme s’unit intimement à tel objet qu'il lui plait; la distance, la grandeur, la figure, rien ne peut nuire à cette union lors- que l'âme la veut, elle se fait, et se fait en un instant; le corps ne peut s'unir à rien: il est blessé de tout ce qui le touche de trop près, il lui faut beaucoup de temps pour s'approcher d’un autre corps, tout lui résiste, tout est ob- stacle, son mouvement cesse au moindre choc. La volonté n'est-elle done qu'un mouvement corporel, et la contemplation un simple attou- chement? comment cet attouchement pourrait- il se faire sur un objet éloigné, sur un sujet abstrait? comment ce mouvement pourrait-il s'opérer en un instant indivisible ? a-t-on jamais concu de mouvement sans qu'il y eût de l’es- pace et du temps? la volonté, si c’est un mou- vement, n’est donc pasun mouvement matériel, et si l'union de l'âme à son objet est un attou- chement, un contact, cet attouchement ne se fait-il pas au loin? ce contact n'est-il pas une pénétration ? qualités absolument opposées à celles de la matière, et qui ne peuvent par con- séquent appartenir qu'à un être immatériel. Mais je crains de m'être déjà trop étendu sur un sujet que bien des gens regarderont peut- être comme étranger à notre objet; des consi- dérations sur l'âme doivent-elles se trouver dans un livre d'histoire naturelle ? J'avoue que je serais peu touché de cette réflexion , si je me sentais assez de force pour traiter digne- ment des matières aussi élevées, et que je n'ai abrégé mes pensées que par la crainte de ne 160 pouvoir comprendre ce grand sujet dans toute son étendue : pourquoi vouloir retrancher de l'histoire naturelle de l'homme, l'histoire de la partie la plus noble de son être? pourquoi l'avilir mal à propos et vouloir nous forcer à ne le voir que comme un animal , tandis qu'il est en effet d’une nature très-différente , très- distinguée, et si supérieure à celle des bêtes, qu'il faudrait être aussi peu éclairé qu'elles le sont, pour pouvoir les confondre ? Ilest vrai que l'homme ressemble aux ani- maux par ce qu'il a de matériel, et qu’en vou- lant le comprendre dans l’énumération de tous les êtres naturels, on est forcé de le mettre dans la classe des animaux ; mais, comme je l'ai déjà fait sentir, la nature n’a ni classes ni genres, elle ne comprend que des individus; ces genres et ces classes sont l'ouvrage de notre esprit, ce ne sont que des idées de convention; et lorsque nous mettons l’homme dans l'une de ces classes, nous ne changeons pas la réalité de son être, nous ne dérogeons point à sa noblesse, nous n’altérons pas sa condition, enfin nous n'ôtons rien à la supériorité de la nature humaine sur celle des brutes; nous ne faisons que placer l'homme avec ce qui lui ressemble le plus, en donnant même à la partie matérielle de son être le premier rang. En comparant l'homme avec l'animal, on trouvera dans l’un et dans l’autre un corps, une matière organisée, des sens, de la chair et du sang, du mouvement et une infinité decho- ses semblables ; mais toutes ces ressemblances sont extérieures, et ne suffisent pas pour nous faire prononcer que la nature de l'homme est semblable à celle de l'animal ; pour juger de la nature de l’un et de l’autre, il faudrait connaitre les qualités intérieures de l'animal aussi bien que nous connaissons les nôtres, et comme il n’est pas possible que nous ayons jamais con- naissance de ce qui se passe à l'intérieur de l'animal , comme nous ne saurons jamais de quel ordre, de quelle espèce peuvent être ses sensations relativement à celles de l'homme, nous ne pouvons juger que par les effets, nous ne pouvons que comparer les résultats des opé- rations naturelles de l'un et de l’autre. Voyons done ces résultats, en commencant par avouer toutes les ressemblances particu- lières , et en n’examinant que les différences, même les plus générales. On conviendra que le plus stupide des hommes suffit pour conduire le HISTOIRE NATURELLE plus spirituel des animaux ; il le commande et le fait servir à ses usages, et c’est moins par force et par adresse que par supériorité de na- ture , et parce qu'il a un projet raisonné , un ordre d'actions et une suite de moyens par lesquels il contraint l'animal à lui obéir, car nous ne voyons pas que les animaux qui sont plus forts et plus adroits, commandent aux au- tres et les fassent servir à leur usage; les plus forts mangent les plus faibles , mais cette action ne suppose qu'un besoin, un appétit, qualités fort différentes de celle qui peut produire une suite d'actions dirigées vers le même but. Si les animaux étaient doués de cette faculté, n’en verrions-nous pas quelques-uns prendre l'em- pire sur les autres et les obliger à leur chercher la nourriture , à les veiller, à les garder, à les soulager lorsqu'ils sont malades ou blessés? or il n’y a parmi tous les animaux aucune marque de cette subordination, aucune apparence que quelqu'un d’entre eux connaisse ou sente la su- périorité de sa nature sur celle des autres; par conséquent on doit penser qu'ils sont en effet tous de même nature, et en mêmetemps on-doit conclure que celle de l'homme est non-seule- ment fort au-dessus de celle de l'animal , mais qu'elle est aussi tout-à-fait différente. L'homme rend par un signe extérieur ce qui se passe au-dedans de lui, il communique sa pensée par la parole, ce signe est commun à toute l'espèce humaine; l'homme sauvage parle comme l’homme policé , et tous deux parlent naturellement, etparlent pour se faire entendre : aucun des animaux n’a ce signe de la pensée, ce n’est pas, comme on le croit communément, faute d'organes; la langue du singe a paru aux anatomistes ! aussi parfaiteque celle del’honime; le singe parlerait donc s’il pensait; si l’ordre de ses pensées avait quelque chose de commun avec les nôtres, il parlerait notre langue; et en supposant qu'il n’eût que des pensées de singe, il parlerait aux autres singes; mais on ne les a jamais vus s’entretenir ou discourir ensemble; ils n’ont done pas même un ordre, une suite de pensées à leur facon , bien loin d’en avoir de semblables aux nôtres; il ne se passe à leur in- térieur rien de suivi, rien d’ordonné, puisqu'ils n’exprimeñt rien par des signes combinés et ar- rangés ; ils n’ont donc pas la pensée, même au plus petit degré: * 4 Voyez les descriptions de M. Perrault dans son Histoire des Animaux, DE L'HOMME. 161 Il est si vrai que ce n'est pas faute d'organes que les animaux ne parlent pas, qu'on en con- naît de plusieurs espèces auxquels on apprend à prononcer des mots, et même à répéter des phrases assez longues; et peut-être y en aurait- il un grand nombre d'autres auxquels on pour- rait, si l’on voulait s'en donner la peine, faire articuler quelques sons ‘; mais jamais on n'est’ parvenu à leur faire naiître l'idée que ces mots expriment ; ils semblent ne les répéter, et même ne les articuler, que comme un écho ou une machine artificielle les répéterait ou les artieu- lerait; ce ne sont pas les puissances mécaniques ou les organes matériels, mais c'est la puissance intellectuelle, c’est la pensée qui leur manque. C'est donc parce qu'une langue suppose une suite de pensées , que les animaux n’en ont au- cune; car quand même on voudrait leur accor- der quelque chose de semblable à nos premières appréhensions, et ànos sensations les plus gros- sières et les plus machinales, il parait certain qu'ils sont incapables de former cette association d'idées qui seule peut produire la réflexion, dans laquelle cependant consiste l'essence de Ja pensée; c’est parce qu'ils ne peuvent joindre ensemble aucune idée, qu'ils ne pensent ni ne parlent; c'est par la même raison qu'ils n’in- ventent et ne perfectionnent rien; s'ils étaient doués de la puissance de réfléchir, même au plus petit degré, ils seraient capables de quelque espèce de progrès , ils acquerraient plus d'in- dustrie; les castors d'aujourd'hui bâtiraientavec plus d’artet de solidité que ne bâtissaient les premiers castors, l'abeille perfectionnerait en- core tous les jours la cellule qu'elle habite; car si on suppose que cette cellule est aussi parfaite qu'elle peut l'être, on donne à cet insecte plus d'esprit que nous n’en avons, on lui accorde une intelligence supérieure à la nôtre, par laquelle il apercevrait tont d'un coup le der- nier point de perfection auquel il doit porter son ouvrage; tandis que nous-mêmes ne voyons jamais clairement ce point, et qu'il nous faut beaucoup de réflexion ; de temps et d'habitude, pour perfectionner le moindre de nos arts. D'où peut venir cette uniformité dans tous les ouvrages des animaux? pourquoi chaque espèce ne fait-elle jamais que la même chose, de la même façon? et pourquoi chaque individu ne la fait-il ni mieux ni plus mal qu'un autre ‘ M. Leibnitz fait mention d'un chien auquel on avait ap- pris à prononcer quelques mots allemands ct français. 111. individu ? y a-t-il de plus forte preuve que leurs opérations ne sont que des résultats mécaniques et purement matériels ? car s’ilsavaient la moin- dre étincelle de la lumière qui nous éclaire, on trouverait au moins de la variété, si l’on ne voyait pas dela perfection dans leurs ouvrages, chaque individu de la mème espèce ferait quel- que chose d'un peu différent de ce qu'aurait fait un autre individu; mais non, tous travail- lent sur le même modèle, l'ordredeleurs actions est tracé dans l’espèce entière , il n'appar- tient point à l'individu, et si l'on voulait attri- buer une âme aux animaux , on serait obligé à n'en faire qu'une pour chaque espèce, à laquelle chaque individu participerait également; cette âme serait done nécessairement divisible , par conséquent elle serait matérielle et fort diffé- rente de la nôtre. Car pourquoi mettons-nous au contraire tant de diversité et de variété dans nos productions et dans nos ouvrages? pourquoi limitation ser- vile nous coûte-t-elle plus qu’un nouveau dessin? c'est parce que notre âme est à nous, qu'elle est indépendante de celle d’un autre, que nous n'avons rien de commun avec notre espèce que la matière de notre corps, et que ce n’est en effet que par les dernières de nos facultés que nous ressemblons aux animaux. Si les sensations intérieures appartenaient à la matière et dépendaient des organes corpo- rels , ne verrions-nous pas parmi les animaux demèême espèce, comme parmi les hommes, des différences marquées dans leurs ouvrages ? ceux qui seraient le mieux organisés ne feraient- ils pas leurs nids , leurs cellules ou leurs coques d'une manière plus solide, plus élégante, plus commode? et si quelqu'un avait plus de génie qu'un autre , pourrait-il ne le pas manifester de cette façon? or tout cela n'arrive pas et n'est jamais arrivé; le plus ou le moins de perfection des organes corporels n'influe done pas sur Ja nature des sensations intérieures; n’en doit-on pas conclure que les animaux n'ont point de sensations de cette espèce , qu'elles ne peuvent appartenir à la matière, ni dépendre pour leur nature des organes corporels? ne faut-il pas par conséquent qu'il y ait en nous une substance différente de la matière, qui soit le sujet et la cause qui produit et reçoit ces sensations ? Mais ces preuves de l'immatérialité de notre âme peuvent s'étendre encore plus loin. Nous avons dit que la nature marche toujours et agit (E 162 HISTOIRE en tout par degrés {mperceptibles et par nuan- ces ; cette vérité, qui d’ailleurs ne souffreaucune exception, se dément ici tout à fait; il y a une distance infinie entre les facultés de l'homme et celles du plus parfait animal, preuve évidente que l'homme est d’une différente nature, que seul il fait une classe à part , de laquelle il faut descendre en parcourant un espace infini avant | que d'arriver à celle des animaux ; car si | | il est dans ces premiers temps plusfaible qu’au- l'homme était de l’ordre des animaux, il y au- rait dans la nature un certain nombre d'êtres moins parfaits que l’homme, et plus parfaits que l'animal, par lesquels on descendrait insensible- ment et par nuances de l’homme au singe; mais cela n’est pas, on passe tout d'un coup de l'être pensant à l'être matériel, de la puissance intellectuelle à la force mécanique , de l'ordre et du dessein au mouvement aveugle, de la ré- flexion à l'appétit. En voilà plus qu'il n'en faut pour nous dé- montrer l'excellence de notre nature, et la dis- tance immense que la bonté du créateur a mise entre l'homme et la bête : l'homme est un être raisonnable , l'animal est un être sans raison; et conime il n’y à point de milieu entre le posi- tif et le négatif, comme il n'y a point d'êtres in- termédiaires entre l'être raisonnable et l'être sans raison , il est évident que l'homme est d'une nature entièrement différente de celle de l'animal, qu'il ne lui ressemble que par l’exté- rieur, et que le juger par cette ressemblance matérielle, c’est se laisser tromper par l'appa- rence et fermer volontairement les yeux à la lumière qui doit nous la faire distinguer de la réalité. Après avoir considéré l'homme intérieur , et avoir démontré la spiritualité de son âme, nous pouvons maintenant examiner l’homme exté- rieur, et faire l'histoire deson corps; nous en avons recherché l'origine dans les chapitres précédents, nous avons expliqué sa formation et son développement, nous avons amené l'homme jusqu'au moment de sa naissance; reprenons-le où nous l'avons laissé, parcourons les différents âges de sa vie, et conduisons-le à cet instant où il doit se séparer de son corps, l'abandonner et le rendre à la masse commune dela matière à laquelle il appartient. NATURELLE DE L'ENFANCE. Si quelque chose est capable de nous donner une idée de notre faiblesse, c'est l'état où nous nous trouvons immédiatement après la nais- sance ; incapable de faire encore aucun usage de ses organes et de se servir de sessens, l’en- fant qui naît a besoin de secours de toute es- pèce, c’est une image de misère et de douleur ; cun des animaux , sa vie incertaine et chance- lante paraît devoir finir à chaque instant ; il ne peut se soutenir nise mouvoir, à peine a-t-il la force nécessaire pour exister et pour annoncer par des gémissements les souffrances qu'il éprouve , comme si la nature voulait l’avertir qu'il est né pour souffrir, et qu'il ne vient prendre place dans l'espèce humaine que pour en partager les infirmités et les peines. Ne dédaignons pas de jeter les yeux sur un état par lequel nous avons tous commencé, voyons-nous au berceau , passons même sur le dégoût que peut donner le détail des soins que cet état exige, et cherchons par quels degrés cette machine délicate, ce corps naissant, et à peine vivant, vient à prendre du mouvement, de la consistance et des forces. L'enfant qui naît passe d'un élément dans un autre ; au sortir de l'eau qui l’environnait de toutes parts dans le sein de sa mère, il se trouve exposé à l'air , et il éprouve dans l'instant les impressions de ce fluide actif ; l’air agit sur les nerfs de l'odorat et sur les organes de la respi- ration, cette action produit une secousse , une espèce d’éternuement qui soulève la capacité de la poitrine, et donne à l'air la liberté d’entrer dans les poumons ; il dilate leurs vésicules et les gonfle, il s'y échauffe et s’y raréfie jusqu'à un certain degré; après quoi le ressort des fibres dilatées réagit sur ce fluide léger et le fait sor- tir des poumons. Nous n’entreprendrons pas d'expliquer ici les causes du mouvement alter- natif et continuel de la respiration, nous nous bornerons à parler des effets; cette fonction est essentielle à l'homme et à plusieurs espèces d'animaux; c'est ce mouvement qui entretient la vie, s’il cesse , l'animal périt, aussi la respi- ration ayant une fois commencé, elle ne finit qu'à la mort, et dès que le fœtus respire pour la première fois, il continue à respirer sans in- terruption; cependant on peut croire avec quel- que fondement que le trou ovale ne se ferme DE L'HOMME. pas tout à coup au moment de la naissance, et que par conséquent une partie du sang doit continuer à passer par cette ouverture ; tout le sang ne doit donc pas entrer d'abord dans les poumons, et peut-être pourrait-on priver de l'air l'enfant nouveau-né pendant un temps considé- rable, sans que cette privation lui causât la mort. Je fis, il y a environ dix ans, une expérience sur de petits chiens qui semble prouver la pos- sibilité de ce que je viens de dire; j'avais pris la précaution de mettre la mère, qui était une grosse chienne de l'espèce des plus grands lé- vriers, dans un baquet rempli d’eau chaude, et l'ayant attachée de facon que les parties de derrière trempaient dans l'eau, elle mit bas trois chiens dans cette eau ; et ces petits animaux se trouvèrent, au sortir de leurs enveloppes, dans un liquide aussi chaud que celui d’où ils sor- taient ; on aida la mère dans l'accouchement , on accommoda et on lava dans cette eau les pe- tits chiens, ensuite on les fit passer dans un plus petit baquet rempli de laitchaud, sans leur donner le temps de respirer. Je les fis mettre dans du lait au lieu de les laisser dans l’eau, afin qu'ils pussent prendre de la nourriture s'ils en avaient besoin; on les retint dans le lait où ils étaient plongés, et ils y demeurèrent pen- dant plus d’une demi-heure ; après quoi les ayant retirés les uns après les autres, je les trouvai tous trois vivants; ils commencèrent à respirer et à rendre quelque humeur par la gueule ; je les laissai respirer pendant une de- mi-heure, et ensuite on les replongea dans le lait que l'onavait fait réchauffer pendant ce temps; je les y laissai pendant une seconde demi-heure , et les ayant ensuite retirés , il y en avait deux qui étaient vigoureux , et qui ne paraissaient pas avoir souffert de la privation de l'air, mais le troisième paraissait être lan- guissant ; je ne jugeai pas à propos de le re- plonger une seconde fois , je le fis porter à la mère; elle avait d'abord fait ces trois chiens dans l'eau , et ensuite elle en avait encore fait six autres. Ce petit chien qui était né dans l'eau, qui d'abord avait passé plus d'une demi-heure dans le lait avant d'avoir respiré , et encore une autre demi-heure après avoir respiré, n'en était pas fort incommodé, car il fut bientôt ré- tabli sous la mère, et il vécut commeles autres. Des six qui étaient nés dans l'air, j'en fis jeter quatre, de sorte qu'il n’en restait alors à la mère que deux de ces six, et celui qui était né dans 165 l'eau. Je continuai ces épreuves sur les deux autres qui étaient dans le lait, je les laissai res- pirer une seconde fois pendant une heure en- viron, ensuite je les fis mettre de nouveau dans le lait chaud, où ils se trouvèrent plongés pour la troisième fois; je ne sais s’ils en avalèrent ou non ; ils restèrent dans ce liquide pendant une demi-heure, et lorsqu'on les en tira, ils parais- saient être presque aussi vigoureux qu'aupara- vant; cependant les ayant fait porter à la mère, l'un des deux mourut le même jour; mais je ne pus savoir si c'était par accident, ou pour avoir souffert dans le temps qu'il était plongé dans la liqueur et qu'il était privé de l'air ; l’autre vé- eut aussi bien que le premier, etils prirent tous deux autant d’accroissement que ceux qui n'a- vaient pas subi cette épreuve. Je n'ai pas suivi ces expériences plus loin; mais j'en ai assez vu pour être persuadé que la respiration n’est pas aussi absolument nécessaire à l'animal nou- veau-né qu'à l'adulte, et qu'il serait peut-être possible, en s'y prenant avec précaution, d'em- pêcher de cette façon le trou ovale de se fer- mer, et de faire par ce moyen d'excellents plon- geurs et des espèces d'animaux amphibies, qui vivraient également dans l'air et dans l'eau. L’air trouve ordinairement, en entrant pour la première fois dans les poumons de l'enfant , quelque obstacle causé par la liqueur qui s’est amassée dans la trachée-artère ; cet obstacle est plus où moins grand, à proportion de la visco- sité de cette liqueur; mais l'enfant en naissant relève sa tête qui était penchée en avant sur sa poitrine, et par ce mouvement il allonge le ca- pal de la trachée-artère, l'air trouve place dans ce canal au moyen de cet agrandissement, il force la liqueur dans l'intérieur du poumon, et en dilatant les bronches de ce viscère , il dis- tribue sur leurs parois la mucosité qui s’oppo- sait à son passage ; le superflu de cette humi- dité est bientôt desséché par le renouvellement de l'air, ou si l'enfant en est incommodé, il tousse, et enfin il s'en débarrasse par l’expec- toration, on la voit couler de sa bouche, car il n’a pas encore la force de cracher. Comme nous ne nous souvenons de rien de ce qui nous arrive alors, nous ne pouvons guère juger du sentiment que produit l'impression de l'air sur l'enfant nouveau-né; il parait seule- ment que les gémissements et les cris qui se font entendre dans le moment qu'il respire sont 161 HISTOIRE NATURELLE des signes peu équivoques de la douleur que l'action de l'air lui fait ressentir. L'enfant est en effet, jusqu'au moment de sa naissance, ac- coutumé à la douce chaleur d’un liquide tran- quille, et on peut croire que l’action d’un fluide dont la température est inégale ébranle trop violemment les fibres délicates de son corps; il paraît être également sensible au chaud et au froid , il gémit en quelque situation qu'il se trouve, et la douleur paraît être sa première et son unique sensation. La plupart des animaux ont encore les yeux. fermés pendant quelques jours après leur naïs- sance; l'enfant les ouvre aussitôt qu'il est né; mais ils sont fixes et ternes, on n'y voit pas ce brillant qu'ils auront dans la suite, ni le mou- vement qui accompagne la vision; cependant lalumière qui les frappesemble faireimpression, puisque la prunelle, qui a déjà jusqu’à une li- gne et demie ou deux de diamètre, s’étrécit ou s'élargit à une lumière plus forte ou plus faible, en sorte qu'on pourrait croire qu’elle produit déjà une espèce de sentiment; mais ce senti- ment est fortobtus; le nouveau-né ne distingue rien, car ses yeux, même en prenant du mou- vement, ne s'arrêtent sur aucun objet; l'or- ane est encore imparfait, la cornée est ridée, et peut-être la rétine est-elle aussi trop molle pour recevoir les images des objets et donner la sensation de la vuedistincte. Il paraît en être de même des autres sens; ils n’ont pas encore pris une certaine consistance nécessaire à leurs opérations, et lors même qu'ils sont arrivés à cet état, il se passe encore beaucoup de temps avant que l'enfant puisse avoir des sensations justes et complètes. Les sens sont des espèces d'instruments dont il faut apprendre à se ser- vir, celuide la vue, qui parait être le plus no- ble et le plus admirable, est en même temps le moins sûr et le plus illusoire, ses sensations ne produiraient que des jugements faux, s'ils n’é- taient à tout instant rectifiés par le témoignage du toucher; celui-ci est le sens solide, c'est la pierre detouche et la mesure de tous les autres sens, c’est le seul qui soit absolument essentiel à l'animal, c'est celui qui est universel et qui est répandu dans toutes les parties deson corps; cependant ce sens même n’est pas encore par- fait dans l'enfant au moment de sa naissance, il donne à la vérité des signes de douleur par ses gémissements et ses cris; mais il n’a en- core aueune expression pour marquer le plaisir; il ne commence à rire qu'au bout de quarante jours, c’est aussi le temps auquel il commence à pleurer, car auparavant les cris et les gémis- sements ne sont point accompagnés de larmes. Ilne paraît done aucun signe des passions sur le visage du nouveau-né, les parties de la face n'ont pas même toute la consistance et tout le ressort nécessaires à cette espèce d'expression des sentiments de l'âme: toutes les autres par- ties du corps, encore faibles et délicates, n’ont que des mouvements incertains et mal assurés; il ne peut pas se tenir debout, ses jambes et ses cuisses sontencore pliées par l'habitude qu'il a contractée dans le sein de sa mère, il n’a pas la force d'étendre les bras ou de saisir quelque choseavec la main ; si on l’abandonnait, il res- terait euuché sur le dos sans pouvoir se re- tourner, En réfléchissant sur ce que nous venons de dire, il paraît que la douleur que l'enfant res- sent dans les premiers temps, et qu'il exprime par des gémissements, n’est qu'une sensation corporelle, semblable à celle des animaux qui gémissent aussi dès qu'ils sont nés, et que les sensations de l'âme ne commencent à se manifester qu'au bout de quarante jours, car le rire et les larmes sont des produits de deux sensations intérieures, qui toutes deux dépen- dent de l’action de l'âme. La première est une émotion agréable qui ne peut naître qu’à la vue ou par le souvenir d'un objet connu, aimé et désiré; l’autre est un ébranlement désagréable, mêlé d’attendrissement et d’un retour sur nous-mêmes ; toutes deux sontdes passions qui supposentdes connaissances, des comparaisons et des réflexions, aussi le rire et les pleurs sont-ils des signes particuliers à l'espèce hu- maine pour exprimer le plaisir ou la douleur de l'âme, tandis que les cris, les mouvements et les autres signes des douleurs et des plaisirs du corps, sont communs à l'homme et à la plu- part des animaux. Mais revenons aux parties matérielles et aux affections du corps : la grandeur de l'enfant né à terme est ordinairement de vingt-un pou- ces; ilen naît cependant de beaucoup plus pe- tits, et il y en a même qui n’ont que quatorze pouces, quoiqu'ils aient atteint le terme de neuf mois; quelques autres au contraire ont plus de vingt-un pouces. La poitrine des enfants de vingt-un pouces, mesurée sur la longueur du sternum a près de trois pouces, et seulement DE L'HOMME, deux lorsque l'enfant n’en a que quatorze. A neuf mois le fœtus pèse ordinairement douze livres, et quelquefois jusqu’à quatorze; la tète du nouveau-né-est plus grosse à proportion que le reste du corps ; et. cette disproportion, qui était encore beaucoup plus grande dans le premier âge du fœtus, ne disparait qu'après la première enfance; la peau de l'enfant qui nait est fort fine, elle parait rougeâtre, parce qu'elle est assez transparente pour laisser paraitre une nuance faible de la couleur du sang; on pré- tend même que les enfants dont la peau est la plus rouge en naissant sont ceux qui dans la suite auront la peau la plus belle et la plus blanche. La forme du corps et des membres de l’en- fant qui vient de naître n’est pus bien expri- mée, toutes les parties sont trop arrondies, elles paraissent même gonflées lorsque l'enfant se porte bien et qu’il ne manque pas d'embon- point. Au bout de trois jours, il survient ordi- nairement une jaunisse, et dans ce même temps y a du lait dans les mamelles de l'enfant, qu'on exprime avec les doigts; la surabon- dance des sues et le gonflement de toutes les parties du corps diminuent ensuite peu à peu à mesure que l'enfant prend de l’accroisse- ment. On voit palpiter, dans quelques enfants nou- veau-nés, le sommet de la tête à l'endroit de la fontanelle, et dans tous on y peut sentir le battement des sinus ou des artères du cerveau, si on y porte la main. Il se forme au-dessus de cette ouverture une espèce de croûte ou de gale, quelquefois fort épaisse, et qu'on est obligé de frotter avec des brosses pour la faire tomber à mesure qu’elle se sèche : il semble que eette production, qui se fait au-dessus de l'ouverture du crâne, ait quelque analogie avec celle des cornes des animaux, qui tirent aussi leur origine d’une ouverture du crâne et de la substance du cerveau. Nous ferons voir dans la suite que toutes les extrémités des nerfs de- viennent sèlides lorsqu'elles sont exposées à l'air, et que c'est cette substance nerveuse qui produit les ongles, les ergots, les cornes, etc. La liqueur contenue dans l’amnios laisse sur l'enfant une humeur visqueuse et blanchâtre, et quelquefois assez tenace pour qu'on soit obligé de la détremper avec quelque liqueur douce afin de la pouvoir enlever ; on a toujours dans ce pays-ci la sage précaution de ne laver 165 l'enfant qu'avec des liqueurs tièdes; cependant des nations entières, celles même qui habitent les climats froids, sont dans l'usage de plonger leurs enfants dans l'eau froide aussitôt qu'ils sont nés, sans qu'il leur en arrive aucun mal; on dit même que les Lapones laissent leurs enfants dans la neige jusqu'à ce que le froid les ait saisis au point d'arrêter la respiration, et qu'alors elles les plongent dans un bain d’eau chaude; ils n’en sont pas même quittes pour être lavés avec si peu deménagement au mo- ment de leur naissance. on les lave encore de la même façon trois fois chaque jour pendant la première année de leur vie, et dans les sui- vantes on les baigne trois fois chaque semaine dans l'eau froide. Les peuples du nord sont persuadés que les bains froids rendent les hom- mes plus forts et plus robustes, et c’est par cette raison qu'ils les forcent de bonne heure à en contracter l'habitude. Ce qu'il y a de vrai, c'est que nous ne connaissons pas assez jus- qu'où peuvent s'étendre les limites de ce que notre corps est capable de souffrir, d'acquérir ou de perdre par l'habitude; par exemple, les Indiens de l’Isthme de l'Amérique se plongent impunément dans l'eau froide pour se rafrai- chir lorsqu'ils sont en sueur; leurs femmes les y jettent quand ils sontivres, pour faire passer leur ivresse plus promptement; les mères se baignent avec leurs enfants dans l’eau froide un instant après leur accouchement; avec cet usage, que nous regarderions comme fort dan- gereux, ces femmes périssent très-rarement par les suites des couches, au lieu que malgré tous nos soins nous en voyons périr un grand nom- bre parmi nous. Quelques instants après sa naissance l'enfant urine, c’est ordinairement lorsqu'il sent la cha- leur du feu; quelquefois il rend en même temps le #econium ou les excréments qui se sont for- més dans les intestins pendant le temps de son séjour dans la matrice ; cette évacuation ne se fait pas toujours aussi promptement, souvent elle est retardée; mais si elle n’arrivait pas dans l'espace du premier jour, il serait à craindre que l'enfant ne s'en trouvät incommodé, et qu'il ne ressentit des douleurs de colique ; dans ce cas on tâche de faciliter cette évacuation par quelques moyens. Le meconium est de couleur noire; on connaît que l'enfant en est absolu- ment débarrassé lorsque les excréments qui succèdent ont une autre couleur , ils devien- 166 HISTOIRE NATURELLE nent blanchâtres; ee changement arrive ordi- nairement le deuxième ou le troisième jour; alors leur odeur est beaucoup plus mauvaise que n'est celle du #econium, ce qui prouve que la bile etles sucs amers du corps commen- cent à s'y mêler, Cette remarque parait confirmer ce que nous avons dit ci-devant dans le chapitre du déve- loppement du fœtus, au sujet de la manière dont il se nourrit; nous avons insinué que ce devait être par intussusception, et qu'il ne pre- nait aucune nourriture par la bouche: ceci semble prouver que l'estomac et les intestins ne font aucune fonction dans le fœtus, du moins aucune fonction semblable à celles qui s’opèrent dans la suite lorsque la respiration a commencé à donner du mouvement au dia- phragme et à toutes les parties intérieures sur lesquelles il peut agir, puisque ce n'est qu'alors que se fait la digestion et le mélange de la bile et du suc pancréatique avec la nourriture que l'estomac laisse passer aux intestins; ainsi, quoique la sécrétion de la bile et du suc du pan- créas se fasse dans le fœtus, ces liqueurs de- meurent alors dans leurs réservoirs et ne pas- sent point dans les intestins, parce qu'ils sont, aussi bien que l'estomac, sans mouvement et sans action, par rapport à la nourriture ou aux excréments qu'ils peuvent contenir, On ne fait pas téter l'enfant aussitôt qu'il est né, on lui donne auparavant le temps de rendre la liqueur et les glaires qui sont dans son esto- mac, et le meconium qui est dans ses intestins: ces matières pourraient faire aigrir le lait et produire un mauvais effet; ainsi on commence par lui faire avaler un peu de vin sucré pour fortifier son estomac et procurer les évacuations qui doivent le disposer à recevoir de la nourri- ture et à la digérer ; ce n’est que dix ou douze heures après la ‘naissance qu'il doit téter pour la première fois. A peine l'enfant est-il sorti du sein de læ mère, à peine jouit-il de la liberté de mouvoir et d'étendre ses membres, qu'on lui donne de nouveaux liens, on l'emmaillotte, on le couche la tête fixe et les jambes allongées, les bras pendants à côté du corps, il est entouré de lin- ges et de bandages de toute espèce qui ne lui permettent pas de changer de situation; heu- reux si on ne l’a pas serré au point de l'empê- cher de respirer, et si on a eu la précaution de le coucher sur le côté, afin que les eaux qu'il doit rendre par la bouche puissent tomber d'elles-mêmes, car il n'aurait pas la liberté de tourner la tête sur le côté pour en faciliter l'é- coulement. Les peuples qui se contentent de couvrir ou de vêtir leurs enfants sans les mettre au maillot, ne font-ils pas mieux que nous ? les Siamois les Japonais, les Indiens, les nègres, les sauvages du Canada, ceux de Virginie, du Brésil, et la plupart des peuples de la partie méridionale de l'Amérique, couchentles enfants aus sur des lits de coton suspendus, ou les mettent dans des espèces de berceaux couverts et garnis de pelleteries. Je crois que ces usages ne sont pas sujets à autant d’inconvénients que le nôtre; on ne peut pas éviter, en emmaillot- tant les enfants, de les gèner au point de leur faire ressentir de la douleur ; les efforts qu'ils font pour se débarrasser sont plus capables de corrompre l'assemblage de leurs corps, que les mauvaises situations où ils pourraient se mettre eux-mêmes s'ils étaient en liberté. Lesbandages | du maillot peuvent être comparés aux corps que l'on fait porter aux filles dans leur jeu- nesse; cette espèce de cuirasse, ce vêtement incommode, qu'on a imaginé pour soutenir la taille et l'empêcher de se déformer, cause ce- pendant plus d’incommodités et de difformités qu'il n’en prévient. Si le mouvement que les enfants veulent se donner dans le maillot peut leur être funeste, l'inaction dans laquelle cet état les retient peut aussi leur être nuisible. Le défaut d'exercice est capable de retarder l'accroissement des membres et de diminuer les forces du corps; ainsi les enfants qui ont la liberté de mouvoir leurs membres à leur gré doivent être plus forts que ceux qui sont emmaillottés; c'était pour cette raison que les anciens Péruviens laissaient les bras libres aux enfants dans un maillot fort large ; lorsqu'ils les en tiraient, ils les mettaient en liberté dans un trou fait en terre et garni de linges, dans lequel ils les des- cendaient jusqu’à la moitié du corps; de cette façon ils avaient les bras libres, etils pouvaient mouvoir leur tête et fléchir leur corps à Jeur gré sans tomber et sans se blesser; dès qu'ils pouvaient faire un pas, on leur présentait la mamelle d’un peu loin comme un appât pour les obliger à marcher. Les petits nègres sont quelquefois dans une situation bien plus fati- gante pour têter, ils embrassent l'une des han- ches de la mère avec leurs genoux et leurs SE DE L'HOMME. 107 pieds, et ils la serrent si bien qu'ils peuvents'y soutenir sans le secours des bras de la mère ; ils s'attachent à la mamelle avec leurs mains, et ils la sucent constamment sans se déranger et sans tomber, malgré les différents mouve- ments de la mère qui, pendant ce temps, tra- vaille à son ordinaire. Ces enfants commencent à marcher dès le second mois, ou plutôt à se trainer sur les genoux et sur les mains; cet exercice leur donne pour la suite la facilité de courir dans cette situation presque aussi vite que s’ils étaient sur leurs pieds. Les enfants nouveau-nés dorment beau- coup, mais leur sommeil est souvent inter- rompu; ils ont aussi besoin de prendre souvent de la nourriture, on les fait téter pendant la journée de deux heures en deux heures, et pendant la nuit à chaque fois qu'ils se réveil- lent, Ils dorment pendant la plus grande partie du jour et de la nuit, dans les premiers temps de leur vie, ils semblent même n'être éveillés que par la douleur ou par la faim, aussi les plaintes et les cris succèdent presque toujours à leur sommeil: comme ils sont obligés de de- meurer dans la même situation dans le berceau, et qu'ils sont toujours contraints par les en- traves du maillot, cette situation devient fati- gante et douloureuse après un certain temps; ils sont mouillés et souvent refroidis par leurs excréments, dont l'âcreté offense la peau qui est fine et délicate, et par conséquent très-sen- sible. Dans cet état, les enfants ne font que des efforts impuissants, ils n’ont dans leur faiblesse que l'expression des gémissements pour de- mander du soulagement; on doit avoir la plus grande attention à les secourir, ou plutôt il faut prévenir tous ces inconvénients, en changeant une partie de leurs vêtements au moins deux ou trois fois par jour et même dans la nuit. Ce soin est si nécessaire, que les sauvages mêmes y sont attentifs, quoique le linge manque aux sauvages et qu'il ne leur soit pas possible de changer aussi souvent de pelleterie, que nous pouvons changer de linge: ils suppléent à ce défauten mettant dans les endroits convenables quelque matière assez commune pour qu'ils ne soient pas dans la nécessité de l'épargner. Daus la partie septentrionale de l'Amérique, on met au fond des berceaux une bonne quantité de cette poudre que l’on tire du bois qui a été rongé des vers, et que l’on appelle communé- ment vermoulu; les enfants sont couchés sur cette poudre et recouverts de pelleteries. On prétend que cette sorte de lit est aussi douce et aussi molle que la plume; mais ce n'est pas pour flatter la délicatesse des enfants, que cet usage est introduit, c'est seulement pour les tenir propres: en effet, cette poudre pompe l'humidité, et après un certain temps on la re- nouvelle, En Virginie, on attacheles enfants nus sur une planche garnie de coton, qui est percée pour l'écoulement des excréments ; le froid de ce pays devrait contrarier cette pratique, qui est presque générale en Orient, et surtout en Turquie: au reste cette précaution supprime toute sorte de soins, c’est toujours le moyen le plus sûr de prévenir les effets de la négligence ordinaire des nourrices: il n'y a que la ten- dresse maternelle qui soit capable de cette vi- gilance continuelle, de ces petites attentions si nécessaires ; peut-on l’espérer de nourrices mer- cenaires et grossières ? Les unes abandonnent leurs enfants pendant plusieurs heures, sans avoir la moindre inquié- tude sur leur état; d’autres sont assez cruelles pour n'être pas touchées de leurs gémissements; alors ces petits infortunés entrent dans une sorte de désespoir, ils font tous les efforts dont ils sont capables, ils poussent des cris qui du- rent autant que leurs forces; enfin ces excès leur causent des maladies, ou au moins les mettent dans un état de fatigue et d'abattement qui dérange leur tempérament et qui peut même influer sur leur caractère. Il est un usage dont les nourrices nonchalantes et paresseuses abu- sent souvent; au lieu d'employer des moyens efficaces pour soulager l'enfant, elles se con- tentent d’agiter le berceau en le faisant balan- cer sur les côtés ; ce mouvement lui donneune sorte dedistraction qui apaise ses cris; en con- tinuant le même mouvement on l'étourdit, et à la fin on l’endort : mais ce sommeil forcé n’est qu'un palliatif qui ne détruit pas la cause du mal présent; au contraire, on pourrait causer un mal réel aux enfants en les berçant pen- dant un trop long temps, on les ferait vomir ; peut-être aussi que cette agitation est capable de leur ébranler la tête, et d'y causer du dé- rangement. Avant que de bercer les enfants, il faut être sûr qu'il ne leur manque rien, et on ne doitja- mais les agiter au point de les étourdir; si on s'aperçoit qu'ils ne dorment pas assez, il suffit d'un mouvement lent et égal pour les assoupir: 158 on ne doit donc les bercer que rarement, car si on les y accoutume, ils ne peuvent plus dormir autrement. Pour que leur santé soit'bonne, il faut que leur sommeil soit naturel etlong, ce- pendant s'ils dormaient trop, il serait à craindre que leur tempérament n’en souffrit; dans ce cas il faut les tirer du berceau et les éveiller par de petits mouvements, leur faire entendre des sons doux et agréables, leur faire voir quelque chose de brillant. C'est à cet âge que l'on reçoit les premières impressions des sens, elles sont sans doute plus importantes que l'on ne croit pour le reste de la vie. Les yeux des enfants se portent toujours du côté le plus éclairé de l'endroit qu'ils habitent, et s'iln'y a que l’un de leurs yeux qui puisse s'y fixer, l’autren'étant pasexercé n’acquerra pas autant de force : pour prévenir cet inconvé- nient, il faut placer le berceau de facon qu'il soit éclairé par les pieds, soit que la lumière vienne d’une fenêtre ou d'un flambeau ; dans cette position les deux yeux de l'enfant peu- vent la recevoir en même temps, et acquérir par l'exercice une force égale : si l’un des yeux prend plus de force que l’autre, l'enfant de- viendra louche, car nous avons prouvé que l’in- égalité de force dans les yeux est la cause du regard louche. (Voyez les Mémoires de l'Aca- demie des Sciences, année 1745.) La nourrice ne doit donner à l'enfant que le lait de ses mamelles pour toute nourriture, au moins pendant les deux premiers mois ; il ne faudrait même lui faire prendre aucun autre aliment, pendant le troisième et le quatrième mois, surtout lorsque son tempérament est faible et délicat. Quelque robuste que puisse être un enfant, il pourrait en arriver de grands inconvénients, si on lui donnait d'autre nour- riture que le lait de la nourrice avant la fin du premier mois. En Hollande, en Italie, en Tur- quie, et en général dans tout le Levant, on ne donne aux enfants que le lait des mamelles pendant un an entier; les sauvages du Canada les allaitent jusqu'à l'âge de quatre ou cinq ans, et quelquefois jusqu'à six ou sept ans: dans ce pays-ci, comme la plupart des nourrices n'ont pas assez de lait pour fournir à l'appétit de leurs enfants, elles cherchent à l'épargner, et pour cela elles leur donnentun aliment composé de farme etde lait, même dèsles premiers jours de leur naissance; cette nourriture apaise la HISTOIRE NATURELLE fants étant à peine ouverts, et encore trop fai- bles pour digérer un aliment grossier et vis- queux, ils souffrent , deviennent malades et périssent quelquefois de cette espèce d'indi- gestion. Le lait des animaux peut suppléer au défaut de celui des femmes ; si les nourrices en man- quaient dans certains cas,ous’ily avait quelque chose à craindre pour elles de la part de l'en- fant, on pourrait lui donner à téter le mamelon d’un animal, afin qu'il recüt le lait dans unde- gré de chaleur toujours égal et convenable, et surtout afin que sa propre salive se mêlât avec le lait pour en faciliter la digestion, comme caa se fait par le moyen de la succion, parce que les muscles qui sont alors en mouvement, font couler la salive en pressant les glandes et les autres vaisseaux. J'ai connu à la campagne quelques paysans qui n’ont pas eu d’autres nourrices que des brebis, et ces paysans étaient aussi vigoureux que les autres. Après deux ou trois mois, lorsque l'enfant a acquis des forces, on commence à lui donner une nourriture un peu plus solide; on fait cuire de la farine avec du lait, c’est une sorte de pain qui dispose peu à peu son estomac à recevoir le pain ordinaire etles autres aliments dont il doit se nourrir dans la suite. Pour parvenir à l'usage des aliments solides on augmente peu à peu la consistance des ali- ments liquides; ainsi après avoir nourril’enfant avec de la farine délayée et cuite dans du lait, on lui donne du pain trempé dans une liqueur convenable. Lesenfants dans la première année de leur âge sont incapables de broyer les ali- ments; les dents leur manquent, ils n’en ont encore que le germe enveloppé dans des gen- cives si molles, que leur faible résistance ne ferait aucun effet sur des matières solides. On voit certaines nourrices, surtout dans le bas peuple, qui mâchent des aliments pour les faire avaler ensuite à leurs enfants: avant que de réfléchir sur cette pratique, écartons toute idée de dégoût, et soyons persuadés qu'à cet âge les enfants ne peuvent en avoir aucune impres- sion; en effet ils ne sont pas moins avides de recevoir leur nourriture de la bouche de Ja nourrice, que de ses mamelles; au contraire, il semble que la nature même ait introduit cet usage dans plusieurs pays fort éloignés les uns des autres: il est en Italie, en Turquie et dans faim, mais l'estomae et les intestins de ces en- | presque toute l'Asie; on le retrouve en Amé- DE L'HOMME. 169 rique, dans les Antilles, au Canada, ete. Je le crois fort utile aux enfants, ettrès-convenable- à leur état, c’est le seul moyen de fournir à leur estomac toute la salive qui est nécessaire pour la digestion des aliments solides : si la nourrice mâche du pain, sa salive le détrempe et en fait une nourriture bien meilleure ques’il était détrempé avec toute autre liqueur; ce- pendant cette précaution ne peut être néces- saire que jusqu'à ce qu'ils puissent faire usage de leurs dents, broyer les aliments et les dé- tremper de leur propre salive. Les dents que l'on appelle incisives sont au nombre de huit, quatre au devant de chaque mâchoire; leurs germes se développent ordi- nairement les premiers, communément ce n'est pas plus tôt qu’à l'âge de sept mois, souvent à celui de huit ou &ix mois, et d’autres fois à la fin de la première année; ce développement est quelquefois très-prématuré; on voit assez souvent des enfants naître avec des dents assez grandes pour déchirer le sein de leur nour- rice : on a aussi trouvé des dents bien formées dans des fœtus longtemps avant le terme ordi- paire de la naissance. Le germe des dents est d'abord contenu dans l'alvéole et recouvert par la gencive, en crois- sant il pousse des racines au fond de l’alvéole, et il s'étend du côté de la gencive. Le corps de la dent presse peu à peu contre cette mem- brane, et la distend au point de la rompre et de la déchirer pour passer au travers; cette opé- ration, quoique naturelle, ne suit pas les lois ordinaires de la nature, qui agit à tout instant dans le corps humain sans y causer la moindre douleur, et même sans exciter aucune sensa- tion; iciilse fait un effort violent et doulou- reux qui est accompagné de pleurs et de cris, etqui a quelquefois des suites fâcheuses; les enfants perdent d'abord leur gaité et leur en- jouement , on les voit tristes et inquiets ; alors leur gencive est rouge et gonflée, et ensuite elle blanchit lorsque la pression est au point d’in- tercepter le cours du sang dans les vaisseaux ; ils ÿ portent le doigt à toutmoment pour tâcher d'apaiser la démangeaison qu'ils y ressentent ; on leur facilite ce petit soulagement en mettant au bout de leur hochet un morceau d'ivoire ou de corail, ou de quelque autre corps dur et poli; ils le portent d'eux-mêmes à leur bouche, et ils le serrent entre les gencives à l'endroit doulou- reux ; cet effort, opposé à celui de la dent, re- lâche la gencive et calme la douleur pour un instant, il contribue aussi à l’amincissement de la membrane de la gencive, qui, étant pressée des deux côtés à la fois, doit se rompre plus ai- sément; mais souvent cette rupture ne se fait qu'avec beaucoup de peine et de danger. La nature s'oppose àelle-même ses propres forces; lorsque les gencives sont plus fermes qu'à l'or- dinaire, par la solidité des fibres dont elles sont tissues, elles résistent plus longtemps à la pres- sion de la dent, alors l'effort est si grand de part et d'autre qu'il cause une inflammation accompagnée de tous ses symptômes, ce qui est, comme on le sait, capable de causer la mort ; pour prévenir ces accidents on a recours à l'art, on coupe la gencive sur la dent; au moyen de cette petite opération la tension et l'inflammation de la gencive cessent, et la dent trouve un libre passage. Les dents canines sont à côté des incisives, au nombre de quatre ; elles sortent ordinaire- ment dans le neuvième ou le dixième mois. Sur la fin de la première ou dans le courant de la seconde année, on voit paraître seize autres dents que l'on appelle molaires oumächelières, quatre à côté de chacune des canines. Ces ter- mes, pour la sortie des dents, varient; on pré- tend que celles de la mâchoire supérieure pa- raissent ordinairement plus tôt, cependant il arrive aussi quelquefois qu'elles sortent plus tard que celles de la mâchoire inférieure. Les dents incisives, les canines et les quatre premières mâchelières tombent naturellement dans la cinquième, la sixième ou la septième année; mais elles sont remplacées par d’autres, qui paraissent dans la septième année, souvent plus tard, et quelquefois elles ne sortent qu'à l'âge de puberté; la chute de ces seize dents est causée par le développement d'un second germe placé au fond de l'alvéole, qui en crois- sant les pousse au dehors ; ce germe manque aux autres mâchelières, aussi ne tombent-elles que par accident, et leur perte n'est presque jamais réparée. Il y a encore quatre autres dents qui sont placées à chacune des deux extrémités des mä- choires; ces dents manquent à plusieurs per- sonnes, leur développement estplus tardif que celui des autres dents, il ne se fait ordinaire- ment qu'à l’âge de puberté, et quelquefois dans un âge beaucoup plus avancé, on les a nom- mées dents de sugesse ; elles paraissent succes- 170 HISTOIRE NATURELLE sivement l'une après l'autre ou deux en même | ment les yeux bleus, les roux ont les yeux d'un temps, indifféremment en haut ou en bas, et le | jaune ardent, les bruns d’un jaune faible et nombre des dents en général ne varie que parce que celui des dents de sagesse n’est pas tou- jours le même ; de là vient la différence de vingt-huit à trente-deux dans le nombre total des dents ; on croit avoir observé qne les fem- mes en ont ordinairement moins que les hommes. Quelques auteurs ont prétendu que les dents croissaient pendant tout le cours de la vie, et qu'elles augmenteraienten longueur dansl'hom- me, comme dans certains animaux, à mesure qu'il avancerait en âge, si le frottement des ali- ments ne les usait pas continuellement; mais cette opinion parait être démentie par l'expé- rience, car les gens qui ne vivent que d'’ali- ments liquides n'ont pas les dents plus longues que ceux qui mangent des choses dures, et si quelque chose est capable d’user les dents, c'est leur frottement mutuel des unes contre les autres, plutôt que celui des aliments: d'ail- leurs on a pu se tromper au sujet de l'accrois- sement des dents de quelques animaux, en confondant les dents avec les défenses; par exemple, les défenses des sangliers croissent pendant toute la vie de ces animaux, il en est de même de celles de l'éléphant; mais il est fort douteux que leurs dents prennent aucun accroissement lorsqu'elles sont une fois arri- vées à leur grandeur naturelle. Les défenses ont beaucoup plus de rapport avec les cornes qu'avecles dents, mais ce n’est pas ici le lieu d'examiner ces différences ; nousremarquerons seulement que les premières dents ne sont pas d'une substance aussi solide que l’est celle des dents qui leur succèdent; ces premières dents n'ont aussi que fort peu de racine, elles ne sont pas infixées dans la mâchoire, et elles s'ébran- lent très-aisément. Bien des gens prétendent que les cheveux que l'enfant apporte en naissant sont toujours bruns; mais que ces premiers cheveux tombent bientôt, et qu'ils sont remplacés par d'autres de couleur différente; je ne sais si cette re- marque est vraie, presque tous les enfants ont les cheveux blonds, et souvent presque blancs; quelques-uns les ont roux, et d'autres les ont noirs; mais tous ceux qui doivent être un jour blonds, châtains ou bruns, ont les cheveux plus ou moins blonds dans le premier âge. Ceux qui doivent être blonds ont ordinaire- brun : mais ces couleurs ne sont pas bien mar- quées dans les yeux des enfants qui viennent de naitre, ils ont alors presque tous les yeux bleus. Lorsqu'on laisse crier les enfants trop fort et trop longtemps, ces efforts leur causent des descentes, qu'il faut avoir grand soin de réta- blir promptement par un bandage, ils guéris- sent aisément par ce secours ; mais si l’on né- gligeait cette incommodité, ils seraient en danger de la garder toute leur vie. Les bornes que nous nous sommes prescrites ne permet- tent pas que nous parlions des maladies parti- culières aux enfants; jeneferai sur cela qu'une remarque, c'est que les vers et les maladies vermineuses auxquelles ils sont sujets ont une cause bien marquée dans la qualité de leurs aliments; le lait est une espèce de chyle, une nourriture dépurée qui contient par conséquent plus de nourriture réelle, plus de cette matière organique et productive, dont nous avons tant parlé, et qui, lorsqu'elle n’est pas digérée par l'estomac de l'enfant pour servir à sa nutrition et à l'accroissement de son corps, prend par l'activité qui lui est essentielle d'autres formes, et produit des êtres animés, des vers en si grande quantité que l'enfant est souvent en danger d’en périr. En permettant aux enfants de boirede temps en temps un peu de vin, on préviendrait peut-être une partie des mauvais effets que causent les vers; car les liqueurs fermentées s'opposent à leur génération, elles contiennent fort peu de parties organiques et nutritives, et c’est principalement par son ac- tion sur les solides, que le vin donne des for- ces, il nourrit moins le corps qu’il ne le fortifie; au reste, la plupart des enfants aiment le vin, ou du moins s'accoutument fort aisément à en boire. Quelque délicat que l’on soit dans l'enfance, on est à cet âge moins sensible au froid que dans tous les autres temps de la vie; la chaleur inté- rieure est apparemment plus grande: on sait que le pouls des enfants est bien plus fréquent que celui des adultes , cela seul suffirait pour faire penser que la chaleur intérieure est plus grande dans la même proportion, et l'on ne peut guère douter que les petits animaux n'aient plus de chaleur que les grands par cette même raison , car la fréquence du battement du cœur et des DE L'HOMME, 14 artères est d'autant plus grandeque l'animal est plus petit; cela s'observe dans les différentes espèces, aussi bien que dans la même espèce: le pouls d’un enfant ou d’un homme de petite sta- ture est plus fréquent que celui d'une personne adulte ou d’un homme de haute taille ; le pouls d'un bœuf est plus lent que celui d'un homme, celui d'un chien est plus fréquent, et les batte- ments du cœur d'un animal encore plus petit, comme d'un moineau, se succèdent si prompte- ment qu'à peine peut-on les compter. La vie de l'enfant est fort chancelante jus- qu'à l'âge de trois ans ; mais dans les deux ou trois années suivantes elle s'assure, et l'enfant de six ou sept ans est plus assuré de vivre, qu'on ne l'est à tout autre âge : en consultant les nou- velles tables ! qu'on a faites à Londres sur les degrés de la mortalité du genre humain dans les différents âges , il parait que d’un certain nombre d'enfants nés en même temps, il en meurt plus d'un quart dans la première année, plus d'un tiers en deux ans, et au moins la moi- tié dans les trois premières années. Si ce calcul était juste , on pourrait done parier , lorsqu'un enfant vient au monde, qu'il ne vivra que trois ans, observation bien triste pour l'espèce hu- maine ; car on croit vulgairement qu'un homme qui meurt à vingt-cinq ans, doit être plaint sur sa destinée et sur le peu de durée desa vie, tan- dis que suivant ces tables la moitié du genre hu- main devrait périr avant l’âge de trois ans , par conséquent tous les hommes qui ont vécu plus de trois ans , loin de se plaindre de leur sort, devraient se regarder comme traités plus favo- rablement que les autres par le Créateur. Mais cette mortalité des enfants n’est pas à beaucoup près aussi grande partout, qu’elle l'est à Londres; car M. Dupré de Saint-Maur s’est assuré par un grand nombre d'observations faites en France, qu'il faut sept ou huit années pour que la moi- tié des enfants nés en même temps soit éteinte ; on peut done parier en ce pays qu'un enfant qui vient de naître, vivra sept ou huit ans. Lorsque l'enfant a atteint l’âge de cinq, six ou sept ans, il parait par ces mêmes observations que sa vie est plus assurée qu'à tout autre âge, car on peut parier pour quarante-deux ans de vie de plus, au lieu qu’à mesure que l’on vit au-delà de cinq, six ou sept ans, le nombre des années que l'on peut espérer de vivre va toujours en diminuant, ! Voyez les Tables de M. Simpson, publiées à Londres en 1742. de sorte qu'à douze ans on nè peut plus parier que pour trente-neuf ans, à vingt ans pour trente-trois ans et demi, à trente ans pour vingt- huit années de vie de plus, et ainsi de suite jus- qu'à quatre-vingt-cinq ans qu'on peut encore parier raisonnablement de vivre trois aps. ( Voyes ci-après les Tables.) Il y a quelque chose d'assez remarquable dans l'accroissement du corps humain : le fœ- tus dans le sein de la mère croit toujours de plus en plus jusqu'au moment de la naissance ; l'enfant au contraire croit toujours de moins en moins jusqu'à l'âge de puberté, auquel il croit, pour ainsi dire , tout à coup, et arrive en fort peu de temps à la hauteur qu'il doit avoir pour toujours. Je ne parle pas du premier temps après la conception , ni de l'accroissement qui suc- cède immédiatement àla formation du fœtus; je prends le fœtus àun mois, lorsque toutes ses parties sont développées, il a un pouce de hau- teur alors, à deux mois deux pouces un quart, à trois mois trois pouces et demi, à quatre mois cinq pouces et plus, à cinq mois six pouces et demi ou sept pouces, à six mois huit pouces et demi ou neuf pouces , à sept mois onze pouces et plus, à huit mois quatorze pouces, à neuf mois dix-huit pouces. Toutes ces mesures va- rient beaucoup dans les différents sujets , et ce n'est qu'en prenant les termes moyens que je les ai déterminées; par exemple, il nait des enfants de vingt-deux pouces et de quatorze , j'ai pris dix-huit pouces pour le terme moyen ; ilen estdemême des autres mesures; mais quand il y aurait des variétés dans chaque mesure par- ticulière, cela serait indifférent à ce que j'en veux conclure , le résultat sera toujours que le fœtus croît de plus en plus en longueur , tant qu'il est dans le sein de sa mère ; mais s’il a dix-huit pouces en naissant, il ne grandira pen- dant les douze mois suivants que de six ou sept pouces au plus, c'est-à-dire qu'à la fin de la première année il aura vingt-quatre ou vingt- cinq pouces, à deux ans il n’en aura que vinat- huit ou vingt-neuf, à trois ans trente ou trente- deux au plus, et ensuite il ne grandira guère que d’un pouce et demi ou deux pouces par an jusqu'à l'âge de puberté : ainsi le fœtus croit plus en un mois sur la fin de son séjour dans la | matrice, que l'enfant ne croit en un ar jusqu’à cet âge de puberté, où la nature semble faire un effort pour achever de développer et de perfec- | tionner son ouvrage , en le portant, pour ainsi 172 dire, tout à coup au dernier degré de son ac- croissement. Tout le monde sait combien il est important, pour la santé des enfants de choisir de bonnes nourrices; il est absolument nécessaire qu'elles soient saines et qu'elles se portent bien, on n’a que trop d'exemples de la communication réci- proque de certaines maladies de la nourrice à l'enfant, et de l'enfant à la nourrice ; il y a eu des villages entiers dont tous les habitants ont été infectés du virus vénérien que quelques nourrices malades avaient communiqué en donnant à d’autres femmes leurs enfants à allai- ter. Si les mères nourrissaient leurs enfants, il y a apparence qu'ils en seraient plus forts et plus vigoureux; le lait de leur mère doit leur conve- nir mieux quele lait d'une autre femme, car le fœtus se nourrit dans la matrice d'une liqueur laiteuse qui est fort semblable au lait qui se forme dans les mamelles; l'enfant est done déjà, pour ainsi dire, accoutumé au lait de sa mère, au lieu que le lait d'une autre nourrice est une nourriture nouvelle pour lui, et qui est quel- quefois assez différente de la première pour qu'il ne puisse pas s'y accoutumer, car on voit des enfants qui ne peuvent s’accommoder du lait de certaines femmes ; ils maigrissent, ils de- viennent languissants et malades; dès qu'on s'en apercoit, il faut prendre une autre nour- rice ; sil’on n’a pas cette attention, ils périssent en fort peu de temps. Je ne puis m'empêcher d'observer ici que l'usage où l’on est de rassembler un grand nom- bre d'enfants dans un même lieu , comme dans | les hôpitaux des grandes villes, est extrème- ment contraire au principal objet qu’on doit se proposer , qui est de les conserver ; la plupart de ces enfants périssent par une espèce de scor- but ou par d'autres maladies qui leur sont com- munes à tous, auxquelles ils ne seraient pas | sujets s'ils étaient élevés séparément les uns des autres, ou du moins s'ils étaient distribués en | du G et de l'J consonne, ou du G et du K, celui plus petit nombre dans différentes habitations à la ville, et encore mieux à la campagne. Le même revenu suffirait sans doute pour les entre- tenir, et on éviterait la perte d'une infinité d'hommes qui, comme l'on sait, sont la vraie richesse d'un état. Les enfants commencent à bégayer à douze ou quinze mois , la voyelle qu'ils articulent le plus aisément est l'A, parce qu'il ne faut pour HISTOIRE NATURELLE cela qu'ouvrir les lèvres et pousser un son ; VE suppose un petit mouvement de plus, la langue se relève en hauten même temps queles lèvres s'ouvrent; il en est de même de l'T, la langue se relève encore plus, et s'approche des dents de la mâchoire supérieure ; l'O demande que la langue s'abaisse, et que leslèvres se resserrent ; il faut qu’elles s'allongent-un peu, et qu’elles se serrent encoreplus pour prononcer l'U. Les pre- mières consonnes que les enfants prononcent sont aussi celles qui demandent le moins de mouvement dans les organes; le B,l’M et le P sont plus aisées à articuler; il ne faut pour le B et le P, que joindre les deux lèvres et les ouvrir avec vitesse, et pour l'M, les ouvrir d’abord et ensuite les joindre avec vitesse : l'articulation de toutes les autres consonnes suppose des mouvements plus compliqués que ceux-ci, et il y a un mouvement de la langue dansle C, le D, le G, lL, l'N,leQ,l'R,/S et le T; il faut pour articuler l'E un son continué plus longtemps que pour les autres consonnes; ainsi, de toutes les voyelles l’A est la plus aisée, et de toutes les consonnes le B, le P et l'M sont aussi les plus faciles à articuler; il n’est donc pas étonnant que les premiers mots que les enfants pronon- cent soient composés de cette voyelle et de ces consonnes , et l’on doit cesser d’être surpris de ce que dans toutes les langues et chez tous les peuples les enfants commencent toujours par bégayer Baba, Mama, Papa; ces mots ne sont, pour ainsi dire, que les sons les plus na- turels à l'homme, parce qu'ils sont les plus ai- sés à articuler; les lettres qui les composent, ou plutôt les caractères qui les représentent, doivent exister chez tous les peuples qui ont l'écriture ou d’autres signes pour représenter les sons. On doit seulement observer que les sons de quelques consonnes étant à peu près semblables, comme celui du B et du P, celui du G et de l'S, ou du K et du Q dans de certains cas, celui du Det duT, celui de l'Fet du V consonne, celui de l'L et de V'R, il doit y avoir beaucoup de langues où ces différentes consonnes nese trou- vent pas; mais il y aura toujours un B ou un P, un G ou une S, un C ou bien un K ou un Q dans d’autres cas; un D ou un T, une F ou un V consonne, un G ou un J consonne, une L ou une R, et il ne peut guère y avoir moins de six ou sept consonnes dans le plus petit de tous les DE L'HOMME, alphabets, parce que ces six ou sept sons ne supposent pas des mouvements bien compliqués, et qu'ils sont tous très-sensiblement différents entre eux. Les enfants qui n'articulent pas ai- sément l'R , y substituent L, au lieu du T ils articulent le D, parce qu'en effet ces premières lettres supposent dans les organes des mouve- ments plus difficiles que les dernières ; et c'est de cette différence et du choix des consonnes plus ou moins difficiles à exprimer, que vient la douceur ou la dureté d'une langue; mais il est inutile de nous étendre sur ce sujet. Il y a des enfants qui à deux ans prononcent distinetement et répètent tout ce qu'on leur dit; mais la plupart ne parlent qu'à deux ans et de- mi, et très-souvent beaucoup plus tard; on re- marque que ceux qui commencent à parler fort tard ne parlent jamais aussi aisément que les autres; ceux qui parlent de bonne heure sont en état d'apprendre à lire avant trois ans ; j'en ai connu quelques-uns qui avaient commencé à apprendre à lire à deux ans, qui lisaient à mer- veille à quatre ans. Au reste on ne peut guère décider s’il est fort utile d’instruire les enfants d'aussi bonne heure, on a tant d'exemples du peu de succès de ces éducations prématurées, on à vu tant de prodiges de quatre ans, de huit ans, de douze ans, de seize ans, qui n’ont été que des sots ou des hommes fort communs à vingt-cinq ou à trente ans, qu'on serait porté à croire que la meilleure de toutes les éducations est celle qui est la plus ordinaire, celle par laquelle on ne force pas la nature, celle qui est la moins sévère, celle qui est la plus propor- tionnée, je ne dis pas aux forces, mais à la fai- blesse de l'enfant. ADDITION À L'ARTICLE DE L'ENFANCE. 1e Enfants nouveau-nés auxquels on est obligé de couper le filet de la langue. Ondoit donner àtéter aux enfants dix ou douze heures après leur naissance; mais il y a quel- ques enfants qui ont le filet de la langue si court, que cette espèce de bride les empêche de téter, et l'on est obligé de couper ce filet; ce qui est d'autant plus difficile qu'il est plus court, parce qu'on ne peut pas lever le bout de la langue pour bien voir ce que l’on coupe. Cependant, 175 lorsque le filet est coupé, il faut donner à téter à l'enfant tout de suite après l'opération , car il est arrivé quelquefois que, faute de cette atten- tion, l'enfant avale sa langue à force de sucer le sang qui coule de la petite plaie qu'on lui a faite !. IT. Sur l'usage du maillot et des corps. J'ai dit, pages 166 de ce volume, que les bandages du maillot, ainsi que les corps qu'on fait porter aux enfants et aux filles dans leur jeunesse, peuvent corrompre l'assemblage du corps, et produire plus de difformités qu'ils n’en préviennent. On commence heureusement à re- venir un peu de cet usage préjudiciable, et l'on ne sauraittrop répéter ce qui a été dit à ce sujet par les plus savants anatomistes. M. Winslow a observé dans plusieurs femmes et filles de condition, queles côtes inférieures se trouvaient plus basses , et que les portions cartilagineuses de ces côtes étaient plus courbées que dans les filles du bas peuple; il jugea que cette diffé- rence ne pouvait venir que de l'usage habituel des corps, qui sont d'ordinaire extrêmement serrés par en bas. Il explique et démontre par de très-bonnes raisons tous les inconvénients qui en résultent; la respiration gênée par le serrement des côtes inférieures et par la voüte forcée du diaphragme, trouble la circulation, occasionne des palpitations , des vertiges, des maladies pulmonaires, ete.; la compression for- cée de l'estomac, du foieet de la rate, peut aussi produire des accidents plus ou moins fâcheux par rapport aux nerfs, comme des faiblesses , des suffocations , des tremblements, ete. 2. Mais ces maux intérieurs ne sont pas les seuls que l’usage des corps occasionne; bien loin de redresser les tailles défectueuses , ils ne font qu'en augmenter les défauts, et toutes les per- sonnes sensées devraient proscrire dans leurs familles l'usage du maillot pour leurs enfants, et plussévèrement encorel'usagedes corps pour leurs filles , surtout avant qu'elles aient atteint leur accroissement en entier. * Voyez les observations de M. Petit, sur les maladies des enfants nouveau-nés. Mémoires de l'académie des Sciences, année 1742, p. 254. 2 Mémoires de l'académie des Sciences, année 1744, p. 36 et suiv. 174 HISTOIRE NATURELLE IT. Sur l'accroissement successif des enfants. Voici la table de l'accroissement successif d'un jeune homme de la plus belle venue , né le 11 avril 1759, et qui avait, Pi. po. lig. Au moment de sa naissance. . ... . . .. 107210 A six mois, c'est-à-dire le 41 octobre suivant NT entr 6. ESS PRO 2. 0 0 Ainsi son accroissement depuis la naissance dans les premiers six mois a élé de cinq pouces. A un an, c’est-à-dire le 41 avril 1760, ilavait Ainsi son accroissement pendant ce second semestre a été de trois pouces. A dix-huit mois, c'est-à-dire le 11 octobre 00 ENS Re re Oo uen 620 Ainsi il avait augmenté dans le troisième se- mestre de trois pouces. A deux ans, c'est-à-dire le 11 avril 1761 ,1l AA NS PU EN NT 2 OS Et par conséquent il a augmenté dans le qua- trième semestre de trois pouces trois li- gnes. A deux ass et demi, c'est-à-dire le 1f octobre BTOC ANA NE SE SRI NAN OUSS Ainsi il n’a augmenté dans ce cinquième se- mestre que d'un pouce et une demi-ligne. A trois ans, c'est à-dire le 11 avril M il Gi (tonton dog tai oiaiot t : Il avait par conséquent augmenté dans ce sixième semestre de deux pouces deux li- gnes el demie. À {rois ans et demi, c’est-à-dire le {{ octo- DrotiO2ilavni EME ane EL LA QU El par conséquent il n'avait augmenté dans ce septième semestre que de sept lignes. A quatre ans, c'est-à-dire le {1 avril 1765, il ANAL ne ace AM PE LE Il avait dons augmenté dans ce huitième se- mestre d'ua pouce neuf lignes et demie. A quatre ans sept mois, c'est-à-dire le 41 no- vembre 1765, ilavait. .......... 5 4 5 Et avait augmenté dans ces sept mois d'un pouce sept lignes. A cinq ans, c'est-à-dire le 11 avril 1764, il avait... se... Il avait donc augmenté dans ces cinq mois de neuf lignes et demie. A cinq ans sept mois, c'est-à-dire le 14 no- vembre 1764, il avait-. . . . ,...... 5 6 8 Il avait donc augmenté dans ces sept mois d'ua pouce cinq lignes. A six ans, c'est-à-dire le 21 avril 1765,ilavait 5 J1 a augmenté dans ces cinq mois de dix li- gnes et demie. A six aps six mo's dix-neuf jours, c'est-à-dire le 50 octobre 1765, ilavait. . ...... 5 9 5 Et par conséquent il avait grandi Gans ces six mois dix-neuf jours d'un pouce dix lignes et demie. A sept ans, c'est-à-dire le {4 avril 1766, il 19 PA e LL] e a LL LE © L | Ce] ble EI dr a io Ro MPNGIOR 1 c Il n'avait par conséquent grandi dans ces cinq mois onze jours que de six lignes. A sept ans trois mois, c'est-à-dire le 11 juil- JELATOUS A AVAIL TS = Le 'e . = - als Pine Ainsi dans ces trois mois il a grandi d’un pouce, A septans et demi, c'est-à-dire le 11 octobre 1166,il avait. <. .... ren. Ainsi dans ces trois mois il a grandi de huit lignes. À huit ans, c’est-à-dire le 11 avril 1767, il avait. Je MN. dede Et par conséquent il n'a grandi dans ces six mois que de neuf lignes. A huit ans et demi, c'est-à-dire le 11 octobre AIG AT TS 00 PERTE ER Et par conséquent il avait grandi dans ces six mois d'un pouce trois lignes et demie. A neuf aus, c'est-à-dire le 41 avril 1768, il AVAL TS soie te 2 5 se eee e eee Et par conséquent dans ces six moisil a grandi d'un pouce. A neuf ans sept mois douze jours, c'est-à-dire le 25 novembre 1768, ilavait . . . . . . . Et par conséquent il avait augmenté dans ces sept moïs douze jours d'un pouce deux lignes. A dix ans, c'est-à-dire le 141 avril 1769, il AVI sue ere die te elle Lie ie rene Il avait donc grandi dans ces quatre mois dix- huit jours de huit lignes. A onze ans et demi, c'est-à-dire le 11 octo- bre 4770, Laval. à JAMIE Et par conséquent il a grandi dans dix-huit ois de deux pouces cinq lignes et demie. A douze ans, c'est-à-dire le {1 avril 4771 , il Filet et eo: 2... Et par conséquent iln'a grandi dans ces six mois que de six lignes. A douze ans huit mois, c'est-à-dire le 411 dé-. cembre 1771, il avait. . . . . . . . , . Et par conséquent il a grandi dans ces huit. mois d’un pouce six lignes. A treize ans, c’est-à-dire le 11 avril 4772, il avait: . « ce ete RIRE Ainsi dans ces quatre mois il a grandi de cinq lignes et demie. A treize ans et demi, c’est-à-dire le 11 octo- bre1712;1lavait 6 mere Il avait donc grandi dans ces six mois d’un pouce deux lignes et demie. A quatorze ans, c'est-à-dire le 11 avril 1775, AAVAIES (Un etats OMOMCAUE 550 ef Luc Il avait ae grandi dans ces six mois d'un pouce sept lignes. A quatorze ans six mois dix Jours, c'est-à-dire Je 21 octobre 1775, il avait. . . . . . . Et par conséquent il a grandi dans ces six mois dix jours de deux pouces quatre li- gnes. A quinze ans deux jours, c’est-à-dire le 13 ayril 1774, il avait, . . . .. ce Il a donc grandi dans ces cinq mois dix-huit jours de deux pouces deux lignes. 3 91 3 1041 Ce mi à Sie DE L'HOMME. A quinse ans sfx mois buft jours, c'est-à-dire le 19 octobre 1774, il avait... ..... 5 5 7 Il n'a done grandi dans ces six mois six jours que de onze lignes. A seize ans trois mois huit jours, c'es!-à-dire le 49 juillet 1774, il avait . . . .... .. 5 7 +# Il a done grandi dans ces neuf mois d'un pouce cinq lignes et demie. A seize ans six mois six jours, c'est-à-dire le {octobre 1775, il avait. . . . . . . . .. ST Il a donc grandi dans ces deux mois vingt- huit jours de huit lignes et demie. A dix-sept ans deux jours , c'est-à-dire le 15 NE a rail nn use se D Il u'&vait done grandi dans ces six mois deux jours que de cinq lignes. A dix-sept ans un mois neuf jours, c'est-à- dire le 20 mai 1776, il avait. . . ..... 5 8 57 11 avait donc grandi dans un mois sept jours de trois lignes trois quarts. A dix-sept ans cinq mois cinq jours , c'est-à- dire le 16 septembre 1776, il avait . . .. 3 Il avait done grandi dans ces trois mois vingt- six jours de quatre lignes un quart. À dix-sept ans sept mois et quatre jours, c'est- à-dire le 11 novembre 1776, il avait . .. 5 9 0 Toujours mesuré pieds nus et de la même manière, etiln'a par conséquent grandi dans ces deux derniers mois que d’une li- gne et demie. Depuis ce temps, c'est-à-dire depuis quatre mois et demi , la talle de ce grand jeune homme est, pour ainsi dire, stationnaire, et M. son père a remarqué que pour peu qu'il ait voyagé, couru , dansé la veille du jour où l’on prend sa mesure, il est au-dessous des neuf pouces le lendemain matin; cette mesure se prend tou- jours avec la même toise, la même équerre et par la même personne. Le 50 janvier dernier, après avoir passé toute la nuit au bal, il avait perdu dix-huit bonnes lignes; il n'avait dans ce moment que cinq pieds sept pouces six lignes faibles ; diminution bien considérable, que néanmoins vingt-quatre heures de repos ont rétablie. Il parait, en comparant l'accroissement pen- dant les semestres d'été à celui des semestres d'hiver, que jusqu'à l'âge de cinq ans, la somme moyenne de l'accroissement pendant l'hiver est égale à la somme de l'accroissement pendant l'été. Mais en comparant l'accroissement pendant les semestres d'été à l'accroissement des semes- tres d'hiver, depuis l'âge de cinq ans jusqu'à dix , on trouve une tres-grande différence, car la somme moyenne des accroissements pendant l'été est de sept pouces une ligne, tandis que la 175 somme des accroissements pendant l'hiver n'est que de quatre pouces une ligne et demie. Et lorsque l’on compare , dans les années sui- vantes, l'accroissement pendant l'hiver à celui de l'été, la différence devient moins grande; mais il me semble néanmoins qu'on peut con- clure de cette observation, que l'accroissement du corps est bien plus prompt en été qu'en hi- ver, et que la chaleur, qui agit généralement sur le développement de tous les êtres organisés, influe considérablement sur l'accroissement du corps humain. Il serait à desirer que plusieurs personnes prissent la peine de faire une Table pareille à celle-ci sur l'accroissement de quel- ques-uns de leurs enfants. On en pourrait dé- duire des conséquences que je ne crois pas de- voir hasarder d'après ce seul exemple; il m'a été fourni par M. Gueneau de Montbeillard, qui s’est donné le plaisir de prendre toutes ces mesures sur son fils. On a vu des exemples d'un accroissement très-prompt dans quelques individus; l’histoire de l’Académie fait mention d’un enfant des en- virons de Falaise en Normandie, qui, n'étant pas plus gros ni plus grand qu'un enfant ordinaire en naissant, avait grandi d’un demi-pied cha- que année, jusqu’à l'âge de quatre ans où il était parvenu à trois pieds et demi de hauteur; et dans les trois années suivantes, il avait encore grandi de quatorze pouces quatrelignes ; ensorte qu'il avait, à l’âge de sept ans, quatre pieds huit pouces quatre lignes étant sans souliers !. Mais cet accroissement si prompt dans le pre- mier âge de cet enfant s’est ensuite ralenti; car, dans les trois années suivantes, il n’a cru que de trois pouces deux lignes; en sorte qu'à l’âge de dix ans, il n'avait que quatre pieds onze pouces six lignes, et dans les deux années sui- vantes, il n’a cru que d'un pouce de plus; en sorte qu’à douze , il avait en tout cinq pieds six lignes. Mais comme ce grand enfant était en même temps d'une force extraordinaire, et qu'il avait des signes de puberté dès l'âge de cinq à six ans, on pourrait présumer qu'ayant abusé des forces prématurées de son tempérament, son accroissements'était ralenti par cette cause?, Un autre exemple d’un très-prompt accrois- sement est celui d’un enfant né en Angleterre, et dont il est parlé dans les Transactions philo- sophiques, n° 475, art. Il. + Hist. de l'académie des Sciences, année 1756, p. 85. “1bid., année1741, page 21 176 Cetenfant , âgé de deux ans st dix mois, avait trois pieds huit pouces et demi. A trois ans un mois, c'est-à-dire trois mois après, il avait trois pieds onze pouces. Il pesait alors quatre stones, c'est-à-dire 56 livres. Le père et la mère étaient de taille commune, et l'enfant, quandil vint au monde, n'avait rien d'extraordinaire , seulement les parties de la gé- nération étaient d'une grandeur remarquable. A trois ans, la verge en repos avait trois pouces de iongueur , et en action quatre pouces trois dixièmes, et toutes les parties de la génération étaient accompagnées d’un poil épais et frisé. À cet âge de trois ans, il avait-la voix mâle, l'intelligence d’un enfant de cinq à six ans, et il battait et terrassait ceux de neuf ou dix ans. J1 eût été à desirer qu'on eût suivi plus loin l'accroissement de cet enfant si précoce; mais je n'ai rien trouvé de plus à ce sujet dans jes Transactions philosophiques. Pline parle d’un enfant de deux ans qui avait trois coudées , c'est-à-dire quatre pieds et denii ; cet enfant marchait lentement, il était encore sans raison , quoiqu'il fût déjà pubère, avec une voix mâle et forte; il mourut tout à coup à l'âge de trois ans par une contraction convulsive de tous ses membres. Pline ajoute avoir vu lui- même un accroissement à peu près pareil dans le fils de Corneille Tacite, chevalier romain, à l'exception de la puberté qui lui manquait; et il semble que ces individus précoces fussent plus communs autrefois qu'ils ne le sont aujourd'hui; car Pline dit expressément que les Grecs les ap- pelaient Æctrapelos ; mais qu'ils n'ont point de nom dans la langue latine. Pline, lib. VIT, cap. 16. DE LA PUBERTÉ. La puberté accompagne l'adolescence et pré- cède la jeunesse. Jusqu’alors la nature ne paraît avoir travaillé que pour la conservation et l'ac- croissement de son ouvrage, elle ne fournit à l'enfant que ce qui lui est nécessaire pour se nourrir et pour croître; il vit, ou plutôt il vé- gète d'une vie partieulière, toujours faible , ren- fernée en lui-même, et qu'il ne peut commu- piquer; mais bientôt les principes de vie se multiplient, il a non-seulement tout ce qu'il lui faut pour être, mais encore de quoi donner HISTOIRE NATURELLE l'existence à d’autres; cette surabondance de vie, source de la force et de la santé, ne pou- vant plus étre contenue au dedans, cherche à se répandre au dehors; elle s'annonce par plu- sieurs signes ; l'âge de la puberté est le printemps de Ja nature, la saison des plaisirs. Pourrons- nous écrire l'histoire de cet àge avec assez de circonspection pour ne réveiller dans l’imagina- tion que des idées philosophiques? La puberté, les circonstances qui l'accompagnent, la cireon- cis'on, la castration , la virginité, l'impuissance, sont cependant trop essentielles à l’histoire de l’homme pour que nous puissions supprimer les faits qui y ont rapport; nous tâcherons seule- ment d'entrer dans ces détails avec cette sage retenue qui fait la décence du style, et de les présenter comme nous les avons vus nous-mê- mes, avec cette indifférence philosophique qui détruit tout sentiment dans l'expression, et ne laisse aux mots que leur simple signification. La circoncision est un usage extrêmement ancien et qui subsiste encore dans la plus grande partie de l'Asie. Chez les Hébreux, cette opé- ration devait se faire huit jours après la nais- sance de l'enfant; en Turquie on ne la fait pas avant l’âge de sept ou huit ans, et même on attend souvent jusqu’à onze ou douze; en Perse, c’est à l'âge de cinq ou six ans; on guérit la plaie en y appliquant des poudres caustiques ou astringentes , et particulièrement du papier brülé, qui est, dit Chardin , {e meilleur remède; il ajoute que la circoncision fait beaucoup de douleur aux personnes âgées, qu'elles sont obligées de garder la chambre pendant trois se- maines où un mois, et que quelquefois elles en meurent. Aux îles Maldives , on circoncit les enfants à l'âge de sept ans, et on les baigne dans la mer | pendant six ou sept heures avant l'opération , pour rendre la peau plus tendre et plus molle. Lcs Israélites se servaient d’un couteau de pierre; les Juifs conservent encore aujourd’hui cet usage dans la plupart de leurs synagocues ; mais les Mahométans se servent d’un couteau de fer ou d’un rasoir. Dans de certaines maladies, on est obligé de faire une opération pareille à la circoncision ( Voy. l’Anat. de Dionis, Dém. 4). On croit que les Tures et plusieurs autres peuples, chez qui la circoncision est en usage , auraient natu- rellement le prépuce trop long si on n'avait pas la précaution de le couper. La Boulaye dit qu'il DE a vu dans les déserts de Mésopotamie et d'A- rabie , le long des rivières du Tigre et de l'Eu- phrate, quantité de petits garçons arabes qui avaient le prépucesi long, qu'il croit que , sans le secours de la circoncision , ces peuples seraient inhabiles à la génération. La peau des paupières est aussi plus longue chez les Orientaux que chez les autres peuples, et cette peau est, comme l'on sait, d’une sub- stance semblable à celle du prépuce; mais quel rapport y a-t-il entre l'accroissement de ces deux parties si éloignées ? € Une autre circoncision est celle des filles; elle leur est ordonnée comme aux garcons en quelques pays d'Arabie et de Perse, comme vers le golfe Persique et vers la mer Rouge; mais ces peuples ne circoncisent les filles que quand elles ont passé l’âge de la puberté, parce qu'il n'y a rien d'excédant avant ce temps-là. Dans d'autres climats, cet accroissement trop grand des nymphes est bien plus prompt, et il est si général chez de certains peuples , comme ceux de la rivière de Benin, qu'ils sont dans l'usage de cireoncire toutes les filles, aussi bien que les garcons , huit ou quinze jours après leur naïis- sance; cette circoncision des filles est même très-ancienne en Afrique, Hérodote en parle comme d'une coutume des Éthiopiens. La circoncision peut donc être fondée sur la nécessité, et cet usage a du moins pour objet la propreté; mais l'infibulation et la castration ne peuvent avoir d'autre origine que la jalousie ; ces opérations barbares et ridicules ont été ima- ginées par des esprits noirs et fanatiques , qui, par une basse envie contre le genre humain, ont dicté des lois tristes et cruelles, où la pri- vation fait la vertu, et la mutilation le mérite. L'infibulation pour les garcons se fait en ti- rant le prépuce en avant, on le perce et on le traverse par un gros fil que l’on y laisse jusqu'à ce que les cicatrices des trous soient faites; alors on substitue au fil un anneau assez orand qui doit rester en place aussi longtemps qu'il plait à celui qui a ordonné l'opération, et quel- quefois toute la vie. Ceux qui parmi les moines orientaux font vœu dechasteté, portent un très- gros anneau pour se mettre dans l'impossibilité d'y manquer. Nous parlerons dans la suite de l'infibulation des filles , on ne peut rien imaginer de bizarre et de ridicule sur ce sujet que les hommes n'aient mis en pratique, ou par pas- sion, où par superstition, [EL L'HOMME. 177 Dans l'enfance, il n'y a quelquefois qu'un tes- ticule dans le scrotum , et quelquefois point du tout; on ne doit cependant pas toujours juger que les jeunes gens qui sont dans l'un ou l’autre de ces cas, soient en effet privés de ce qui pa- rait leur manquer; il arrive assez souvent que les testicules sont retenus dans l'abdomen ou encasés dans les anneaux de muscles; mais souvent ils surmontent avec le temps les obsta- cles qui les arrêtent, et ils descendent à leur place ordinaire; cela se fait naturellement à l’âge de huit ou dix ans, ou même à l'âge de puberté; ainsi on ne doit pas s'inquiéter pour les enfants qui n'ont point de testicules ou qui n’en ont qu'un. Les adultes sont rarement dans le cas d'avoir les testicules cachés, apparemment qu'à l'âge de puberté la nature fait un effort pour les faire paraitre au dehors; c'est aussi quelquefois par l'effet d’une maladie ou d’un mouvement violent, tel qu'un saut ou une chu- te , ete. Quand même les testicules ne se mani- festent pas, on n’en est pas moins propre à la génération; l'on a même observé que ceux qui sont dans cet état, ont plus de vigueur que les autres. Il se trouve des hommes qui n’ont réellement qu'un testicule, ce défaut ne nuit point à la gé- nération; l’on a remarqué que le testicule qui est seul, est alors beaucoup plus gros qu'à l’or- dinaire : il y a aussi des hommes qui en ont trois, ils sont, dit-on, beaucoup plus vigoureux et plus forts de corps que les autres. On peut voir par l'exemple des animaux, combien ces parties contribuent à la force et au courage; quelle différence entre un bœuf et un taureau, un bélier et un mouton, un coq et un chapon! L'usage de la castration des hommes est fort ancien et assez généralement répandu, c’étaitla peine de l'adultère chez les Égyptiens; il y avait beaucoup d’eunuques chez les Romains; aujour- d'hui dans toute l'Asie et dans une partie de l’A- frique, on se sert de ces hommes mutilés pour garder les femmes. En Italie, cette opération infâme et cruelle n’a pour objet que la perfection d'un vain talent. Les Hottentots coupent un tes- ticule dans l'idée que ce retranchement les rend plus légers à-la course; dans d’autres pays les pauvres mutilent leurs enfants pour éteindre leur postérité, et afin que ces enfants ne se trouvent pas un jour dans la misère et dans l’af- fliction où il se trouvent eux-mêmes lorsqu'ils n’ont pas de pain à leur donner. 12 178 Il y a plusieurs espèces de castration ; ceux qui n'ont en vue que la perfection de la voix , se contentent de couper les deux testicules; mais ceux quisont animés par la défiance qu'in- spirela jalousie, ne croiraient pas leurs femmes | en sûreté si elles étaient gardées par des eu- nuques de cette espèce, ils ne veulent que ceux auxquels on a retranché toutes les parties exté- rieures de la génération. L'amputation n’est pas le seul moyen dont on se soit servi; autrefois on empèchait l'accrois- sement des testicules, et on les détruisait, pour ainsi dire, sans aucune incision ; l'on baignait les enfants dans l’eau chaude et dans des décoc- tions de plantes, et alors on pressait et on frois- sait les testicules assez longtemps pour en dé- truire l'organisation ; d'autres étaient dans l'usage de les comprimer avec un instrument: on prétend que cette sorte de castration ne fait courir aucun risque pour la vie. L'amputation des testicules n’est pas fort dan- gereuse; on peut la faire à tout âge, cependant on préfère le temps de l'enfance; mais l'ampu- tation entière des parties extérieures de la gé- nération est le plus souvent mortelle, si on la | fait après l’âge de quinze ans; et en choisissant l’âge le plus favorable qui est depuis sept ans | jusqu'à dix, il y a toujours du danger. La dif- ficulté qu'il y a de sauver ces sortes d'eunuques dans l'opération, les rend bien plus chers que les autres; Tavernier dit que les premiers coù- | ! la puberté ou un peu plus tard, sont à peu près tent cinq ou six fois plus que les autres en Turquie et en Perse; Chardin observe que l'am- putation totale est toujours accompagnée de la plus vive douleur, qu'on la fait assez sûrement sur les jeunes enfants, mais qu'elle est très- | dangereuse passé l'âge de quinze ans, qu'il en | çante, n'est jamais d’un ton grave; souvent les réchappe à peine un quart, et qu'il faut six se- maines pour guérir la plaie; Pietro della Valle dit au contraire que ceux à qui on fait cette opé- ration en Perse pour punition du viol et d'autres | crimes du même genre, en guérissent fort heu- reusement, quoique avancés en âge, et qu'on n’applique que de la cendre sur la plaie. Nous lie Savons pas si ceux qui subissaient autrefois la même peine en Égypte, comme le rapporte Diodore de Sicile, s'en tiraient aussi henreuse- ment, Selon Thevenot, il périt toujours un grand nombre des nègres que les Tures sou- mettent à cette opération, quoiqu'ils prennent des | enfants de huit ou dix ans. Outre ces eunuques nègres, il y a d'autres HISTOIRE NATURELLE eunuques à Constantinople, dans toute la Tur- quie, en Perse, etc., qui viennent pour la plu- part du royaume de Golconde, de la presqu'ile en-deçà du Gange, des royaumes d'Assan, d'At- racan, de Pégu et de Malabar , où le teint est gris, du golfe de Bengale, ou ils sont de cou- leur olivâtre; il y en a de blancs de Géorgie et de Circassie , mais en petit nombre. Tavernier dit qu'étant au royaume de Golconde, en 1657, on y fit jusqu'à vingt-deux mille eunuques. Les noirs viennent d'Afrique , principalement d'Éthiopie; ceux-ci sont d'autant plus recher- chés et plus chers qu'ils sont plus horribles, on veut qu'ils aient le nez fort aplati, le regard affreux, les lèvres fort grandes et fort grosses , et surtout les dents noires et écartées les unes des autres; ces peuples ont communément les dents belles, mais ce serait un défaut pour un eunuque noir, qui doit être un monstre hi- deux. Les eunuques auxquels on n’a Ôté que les tes- ticules, ne laissent pas de sentir de l’irritation dans ce qui leur reste , et d'en avoir le siene extérieur , même plus fréquemment que les autres hommes; cette partie qui leur reste, n'a cependant pris qu'un très-petit accroissement, car elle demeure à peu près dans le même état où elle était avant l'opération; un eunuque fait à l’âge de sept ans, est à cet égard à vingt ans comme un enfant de sept ans; ceux au contraire qui n’ont subi l'opération que dans le temps de comme les autres hommes. Il y a des rapports singuliers, dont nous ignorons les causes , entre les parties de la gé- nérationet celles de la gorge; les eunuquesn'ont point de barbe; leur voix, quoique forte et per- maladies secrètes se montrent à la gorge. La correspondance qu'ont certaines parties du corps humain avec d’autres fort éloignées et fort dif- férentes , et qui est ici si marquée, pourrait s’observer bien plus généralement; mais on ne fait pas assez d'attention aux effets, lorsqu'on ne soupconne pas quelles en peuvent être les causes : c'est sans doute par cette raison qu'on n'a jamais songé à examiner ayec soin ces cor- | respondances dans le corps humain , sur les- quelles cependant roule une grande partie du jeu de la machine avimale : il y a dans les femmes une grande correspondance entre ja matrice, les mameiles et Ja tête ; combien n’en | | | ; | DE L'HOMME, trouverait-on pas d'autres si les grands méde- cins tournaient leurs vues de ce côté-là ? il me paraît que cela serait peut-être plus utile que la nomenclature de l'anatomie. Ne doit-on pas être bien persuadé que nous ne connaitrons jamais les premiers principes de nos mouvements ? les vrais ressorts de notre organisation ne sont pas ces muscles , ces veines , ces artères , ces nerfs que l’on décrit avec tant d’exactitude et de soin; il réside, comme nous l'avons dit, des forces intérieures dans les corps organisés, qui ne sui- vent point du tout les lois de la mécanique gros- sière que nous ayons imaginée , et à laquelle nous voudrions tout réduire; au lieu de cher- cher à connaitre ces forces par leurs effets , on a tâché d'en écarter jusqu'à l'idée , on a voulu les bannir de la philosophie , elles ont reparu cependant, etavee plus d'éclat que jamais, dans la 2ravitation, dans les affinités chimiques, dans . les phénomènes de l'électricité, ete.; mais mal- gré leur évidence et leur universalité , comme elles agissent à l'intérieur, comme nous ne pou- ons les atteindre que par le raisonnement, comme en un mot elles échappent à nos yeux, nous ayons peine à les admettre, nous voulons toujours juger par l’extérieur, nous nous ima- ginons que cet extérieur est tout, il semble qu'il ne nous soit pas permis de pénétrer au-delà, et nous négliseons tout ce qui pourrait nous y con- duire. Les anciens , dontle génie étaitmoins limité et la philosophie plus étendue, s’étonnaient moins que nous des faits qu'ils ne pouvaient expliquer; ils voyaient mieux la nature telle qu'elle est, une sympathie, une correspondance singulière n'était pour eux qu'un phénomène, et c’est pour nous un paradoxe dès que nous ne pouvons le rapporter à nos prétendues lois du mouvement: ils savaient que la nature opère par des moyens inconnus la plus grande partie de ces effets; ils étaient bien persuadés que nous ne pouvons pas faire l'énumération de ces moyens et de ces res- sources de la nature, qu'il est par conséquent impossible à l'esprit humain de vouloir Ja limi- ter en la réduisant à un certain nombre de prin- cipes d'action et de moyens d'opération: il leur suffisait au contraire d’avoir remarqué un cer- tin nombre d'effets relatifs et du même ordre, pour constituer une cause. Qu'avec les anciens on appelle sympathie cette correspondance singulière des différentes parties du corps, ou qu'avec les modernes on 179 la considère comme un rapport inconnu dans l'action des nerfs, cette sympathie ou ce rap- port existe dans toute l’économie animale, et l'on ne saurait trop s'appliquer à en observer les effets, si l'on veut perfectionner la théorie de la médecine; mais ce n’est pas ici le lieu de m'étendre sur ce sujet important. J'observerai seulement que cette correspondance entre Ja yoix et Jes parties de la génération se reconnait nop-seulement dans les eunuques , mais aussi dans les autres hommes, etmême dans les fem- mes ; la voix change dans les hommes à l'âge de puberté, et les femmes qui ont la voix forte, sont soupconnées d’avoir plus de penchant à l'amour, ete. Le premier signe de la puberté est une espèce d’engourdissement aux aines, qui devient plus sensible lorsque l'on marche ou lorsque l'on plie le corps en avant; souvent cet engourdissement est accompagné de douleurs assez vives dans toutes les jointures des membres ; ceci arrive presque toujours aux jeunes gens qui tiennent un peu du rachitisme : tous ont éprouvé aupara- vant , ou éprouyent en même temps une sensa- tion jusqu'alors inconnue dans les parties qui caractérisent le sexe : il s'y élève une quantité de petites proéminences d’une couleur blanchä- tre ; ces petits boutons sont les germes d’une nouvelle production , de cette espèce de che- veux qui doivent voiler ces parties; le son de la voix change, il devient rauque et inégal pendant un espace de temps assez long, après lequel il se trouve plus plein, plus assuré, plus fort et plus grave qu'il n’était auparavant; ce changement est très-sensible dans les garçons; et s’il l'est moins dans les filles ; c’est parce que le son de leur voix estnaturellement plus aigu. Ces signes de puberté sont communs aux deux sexes , mais il y en a de particuliers à chacun; l’éruption des menstrues, l'accroisse- ment du sein pour les femmes ; la barbe et l'é- mission de laliqueur séminale pour les hommes; ilest vrai que ces signes ne sont pas aussi con- stants les uns que les autres, la barbe, par exemple, ne paraît pas toujours précisément au temps de la puberté, il y amême des nations entières où les hommes n’ont presque point de barbe, et il n’y a au contraire aucun peuple chez qui la puberté des femmes ne soit marquée par l'accroissement des mamelles. Dans toute l'espèce humaine les femmes ar- rivent à la puberté plus tôt que les mäles ; mais 180 HISTOIRE NATURE LLE chez les différents peuples l’âge de puberté est différent et semble dépendre en partie de la température du climat et de la qualité des aliments; dans les villes et chez les gens aisés, les enfants, accoutumés à des nourritures suc- culentés et abondantes, arrivent plus tôt à cet état ; à la campagne et dans le pauvre peuple les enfants sont plus tardifs, parce qu’ils sont mal et trop peu nourris; il leur faut deux ou trois années de plus ; dans toutes les parties méridionales de l'Europe et dans les villes, Ja plupart des filles sont pubères à douze ans et les garcons à quatorze; mais dans les provinces dunord et dans les campagnes, à peine les filles le sont-elles à quatorze et les garcons à seize. Si l'on demande pourquoi les filles arrivent plus tôt à l’état de puberté que les garcons, et pourquoi dans tous les climats, froids ou chauds, les femmes peuvent engendrer de meilleure heure que les hommes ; nous croyons pouvoir satisfaire à cette question en répondant que comme les hommes sont beaucoup plus grands et plus forts que les femmes, comme ils ont le corps plus solide, plus massif, les os plus durs, lies muscles plus fermes, la chair plus compacte, on doit présumer que le temps nécessaire à l’ac- croissement de leur corps, doit être plus long que le temps qui est nécessaire à l’accroisse- ment de celui des femelles; et comme ce ne peut être qu'après cet accroissement pris en entier , ou du moins en grande partie, que le superflu de la nourriture organique commence à être renvoyé de toutes les parties du corps dans les parties de la génération des deux sexes, il arrive que dans les femmes la nourriture est renvoyée plus tôt que dans les hommes, parce que leur accroissement se fait en moins de temps, puisqu'en total il est moindre , et que les femmes sont réellement plus petites que les hommes. Dans les climats les pluschauds de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, la plupart des filles sont pubères à dix et même à neuf ans ; l'écou- lement périodique , quoique moins abondant dans ces pays chauds, parait cependant plus tôt que dans les pays froids; l'intervalle de cet écoulement est à peu près le même dans toutes les nations, et il y a sur cela plus de diversité d'individu à individu que de peuple à peuple ; car dans le même climat et dans la même na- tion, il y a des femmes qui tous les quinze jours sont sujettes au retour de cettwévacuation na- turelle, et d'autres qui ont jusqu à cinq et six semaines de libres ; mais ordinairement l'inter- valle est d'un mois, à quelques jours près. La quantité de l'évacuation parait dépendre de la quantité des aliments, et de celle de la transpiration insensible. Les fermes qui man- gent plus que les autres et qui ne font point d'exercice, ont des menstrues plus abondantes; celles des climats chauds, où la transpiration est plus grande que dans les pays froids, en ont moins. Hippocrate en avait estimé la quan- tité à la mesure de deux émines, ce qui fait neuf onces pour le poids; il est surprenant que cette estimation, qui a été faite en Grèce, ait été trouvée trop forte en Angleterre, et qu'on ait prétendu la réduire à trois onces et au-dessous; mais il faut avouer que les indices que l'on peut avoir sur ce fait, sont fort incertains; ce qu'il y a de sûr, c’est que cette quantité varie beaucoup dans les différents sujets et dans les: différentes circonstances; on pourrait peut-être aller depuis une ou deux onces jusqu’à une li- vre et plus. La durée de l'écoulement est de trois, quatre ou cinq jours dans la plupart des femmes, etde six, sept et même huit dans quel- ques-unes. La surabondance de la nourriture et du sang est la cause matérielle des menstrues, les symptômes qui précèdent leur écoulement, sont autant d'indices certains de plénitude, comme la chaleur, la tension, le gonflement, et même la douleur que les femmes ressentent, non-seulement dans les endroits mêmes où sont les réservoirs, et dans ceux qui les avoisinent, mais aussi dans les mamelles; elles sont gon- flées, et l'abondance du sang y est marquée par la couleur de leur aréole qui devient alors plus foncée; les yeux sont chargés, et au-des- sous de l'orbite la peau prend une teinte de bleu ou de violet; les joues se colorent, la tête est pesante et douloureuse , et en général tout le corps est dans un état d'accablement causé par la surcharge du sang. C'est ordinairement à l'âge depuberté que le corps achève de prendre son accroissement en hauteur; les jeunes gens grandissent presque tout à coup de plusieurs pouces, mais de toutes les parties du corps, celle où l'accroissement est le plus prompt et le plus sensible, sont les par- ties de la génération dans l'un et l’autre sexe ; mais cet accroissement n'est dans les mâles qu'un développement, une augmentation de volume, au lieu que dans les femelles, il pro- DE L'HOMME. duit souvent un rétrécissement auquel on a donné différents noms lorsqu'on a parlé des signes de la virginité. Les hommes, jaloux des primautés en tout genre, ont toujours fait grand cas de tout ce qu'ils ont cru pouvoir posséder exclusivement et les premiers ; c'est cette espèce de foliequi a fait un être réel de la virginité des filles. La virginité, qui est un être moral, une vertu qui ne consiste que dans la pureté du cœur, est de- venue un objet physique dont tous les hommes se sont occupés; ils ont établi sur cela des opi- nions, des usages, des cérémonies, des super- stitions, et même des jugements et des peines ; les abus les plus illicites, les coutumes les plus déshonnèêtes , ont été autorisés; on a soumis à l'examen de matronesignorantes, etexposé aux yeux de médecins prévenus, les parties les plus secrètes de la nature, sans songer qu'une pa- reille indécence est un attentat contre la virgi- | nité, que c’est la violer que de chercher à la reconnaitre , que toute situation honteuse, tout état indécent dont une fille est obligée de rou- gir intérieurement, est une vraie défloration. Je n'espère pasréussir à détruire les préjugés ridicules qu'on s'est formés sur ce sujet; les choses qui font plaisir à croire seront toujours crues, quelque vaines et quelque déraisonnables qu'elles puissent être; cependant comme dans une histoire on rapporte non-seulement la suite des événements et les circonstances des faits, mais aussi l’origine des opinions et des erreurs dominantes, j'ai cru que dans l’histoire de l'homme je ne pourrais me dispenser de parler de l’idole favorite à laquelle il sacrifie, d'exa- miner quelles peuvent être les raisons de son culte, et de rechercher si la virginité est un être réel, ousice n’estqu'unedivinité fabuleuse. Fallope, Vesale, Diemerbroek, Riolan, Bar- tholin, Heister, Ruysch et quelques autres ana- tomistes prétendent que la membrane de l'hy- men est une partie réellement existante, qui doit être mise au nombre des parties de la gé- nération des femmes, et ils disent que cette membrane est charnue, qu'elle est fort mince dans les enfants, plus épaisse dans les filles adultes, qu'elle est située au-dessous de l’orifice de l'urètre, qu'elle ferme en partie l'entrée du vagin, que cette membrane est percée d'une ouverture ronde, quelquefois longue , ete., que l’on pourrait à peine y faire passer un pois dans l'enfance, et une grosse fève dans l'âge de pu- 181 berté. L'hymen, selon M. Winslow, est un re- pli membraneux plus ou moins cireulaire , plus ou moins large, plus ou moins égal, quelquefois semi-lunaire , qui laisse une ouverture très-pe- tite dans les unes, plus grande dans les au- tres, ete. Ambroise Paré, Dulaurent, Graaf, Pineus, Dionis, Mauriceau, Palfyn et plusieurs autresanatomistes aussi fameux et tout au moins aussi accrédités que les premiers que nous avons cités, soutiennent au contraire que la membrane de l'hymen n’est qu'une chimère, que cette partie n’est point naturelle aux filles, et ils s’étonnentde ce queles autres en ont parlé comme d’ane chose réelle et constante ; ils leur opposent une multitude d'expériences par les- quelles ils se sont assurés que cette membrane n'existe pas ordinairement; ils rapportent les observations qu'ils ont faites sur un grand nombre de filles de différents âges, qu'ils ont disséquées et dans lesquelles ils n’ont pu trou- ver cette membrane ; ils avouent seulement qu'ils ont vu quelquefois , mais bien rare- ment, une membrane qui unissait des protubé- rances charnues qu'ils ont appelées caron- cules myrtiformes; mais ils soutiennent que cette membrane était contre l’état naturel. Les anatomistes ne sont pas plus d’accordentre eux sur la qualité et le nombre de ces caroncules ; sont-elles seulement des rugosités du vagin? sont-elles des parties distinctes et séparées? sont-elles des restes de la membrane de l'hy- men ? le nombre en est-il constant? n'y ena- t-il qu'une seule ou plusieurs dans l’état de virginité? chacune de ces questions a été faite, et chacune a été résolue différemment. Cette contrariété d'opinions sur un fait qui dépend d’une simple inspection prouve que les hommes ont voulu trouver dans la nature ce qui n’était que dans leur imagination, puisqu'il yaplusieurs anatomistes qui disent de bonne foi qu'ils n’ont jamais trouvé d’hymen ni de caron- cules dans les filles qu'ils ont disséquées, même avant l’âge de puberté, puisque ceux qui sou- tiennent au contraire que cette membrane et ces caroncules existent, avouenten même temps que ces parties ne sont pas toujours les mêmes, qu’elles varient de forme , de grandeur et de consistance dans les différents sujets; que sou- vent au lieu d'hymen il n'y a qu'une caroncule, que d’autres fois il y en a deux ou plusieurs réunies par une membrane, que l'ouverture de cette membrane est de différente forme, etc. 182 Quelles sont les conséquences qu'on doit tirer de toutes ces observations? qu’en peut-on con- clufe, sinon que les causes du prétendu rétré- cissement de l'entrée du vagin ne sont pas con- stantes , et que lorsqu'elles existent, elles n’ont tout au plus qu'un effet passager qui est sus- ceptible de différentes modifications ? L'anato- mie laisse, comme l'on voit, une incertitude entière sur l'existence de cette membrane de lhymen et de ces caroneules; elle nous permet de rejeter ces signes de la virginité, non-seule- ment comme incertains, mais même comme imaginaires ; il en est de même d’un autresigne plus ordinaire, mais qui cependant est tout aussi équivoque, c'est le sang répandu : on a cru dans tous les temps que l'effusion de sang était une preuve réelle de la virginité ; cependant il est . # o | évident quece prétendu signe estnul dans toutes les circonstances où l'entrée du vagin a pu être relâchée ou dilatée naturellement. Aussi toutes les filles, quoique non déflorées, ne répandent pas du sang ; d’autres, qui le sont en effet, ne laissent pas d’en répandre; les unes en donnent abondamment et plusieurs fois, d’autres très- peu et une seule fois, d’autres point du tout ; cela dépend de l'âge, de la santé, de la confor- mation et d'un grand nombre d’autres circon- stances; nous nous contenterons d’en rapporter quelques-unes en même temps que nous tâche- rons de démêler sur quoi peut être fondé tout ce qu'on raconte des signes physiques de la vir- ginité. Il arrive dans les parties de l’un et de l’autre sexe un changement considérable dans le temps de la puberté; celles de l'homme prennent un prompt accroissement ; et ordinairement elles arrivent en moins d’un an ou deux à l'état où elles doivent rester pour toujours; celles de la femme croissent aussi dans le même temps de la puberté, les nymphes surtout qui étaient au- paravant presque insensibles , deviennent plus grosses, plus apparentes, et même elles ex- cèdent quelquefois les dimensions ordinaires ; l'écoulement périodiquearrive en même temps, et toutes ces parties se trouvant gonflées par l'abondance du sang, et étant dans un état d'ae- croissement, elles se tuméfient, elles se serrent mutuellement, et elles s’attachent les unes aux autres dans tous les points où elles se touchent immédiatement; l'orifice du vagin se trouve ainsi plus rétréci qu'il ne l'était, quoique le va- Sin lui-même ait pris aussi de l'accroissement HISTOIRE NATURELLE dans le même temps; la forme de ce rétrécis- sement doit, comme l'on voit, être fort diffé- rente dans les différents sujets et dans les diffé- rents degrés de l'accroissement de ces parties : aussi parait-il par ce qu'en disent les anato- mistes, qu'il y a quelquefois quatre protubé- rances ou caroncules, quelquefois trois ou deux, et que souvent il se trouve une espèce d'an- neau cireulaire où semi-lunaire, ou bien un fron- cement, une suite de petits plis; mais ce qui n’est pas dit par les anatomistes, c'est que quel- que forme que prenne ce rétrécissement, il n'arrive que dans le temps de la puberté. Les petites filles que j'ai eu occasion de voir dissé- quer n'avaient rien de semblable, et ayant re- cueilli des faits sur ce sujet, je puis avancer que quand elles ont commerce avec les hommes’ avant la puberté , il n’y a aucune effusion de sang, pourvu qu'il n'y ait pas une dispropor- tion trop grande ou des efforts trop brusques ; au contraire, lorsqu'elles sont en pleine pu- berté et dans le temps de laccroissement de ces parties , il y a très-souvent effusion de sang pour peu qu'on y touche; surtout si elles ont de l'embonpoint et si les règles vont bien , car celles qui sont maigres ou qui ont des fleurs blanches n’ont pas ordinairement cette appa- rence de virginité; et ce qui prouve évidem- ment que ce n’est en effet qu'une apparence trompeuse , c'est qu’elle se répète même plu- sieurs fois, et après des intervalles de temps as- sez considérables; une interruption de quelque temps fait renaitre cette prétendue virginité, et il est certain qu'une jeune personne qui dans les premières approches aura répandu beau- coup de sang , en répandra encore après une absence, quand même le premier commerce au- rait duré pendant plusieurs mois et qu'il aurait été aussi intime et aussi fréquent qu’on le peut supposer : tant que le corps prend de l'accrois- sement l’effusion de sang peutserépéter, pourvu qu'il y ait une interruption de commerce assez longue pour donner le temps aux parties de se réunir et de reprendre leur premier état; et il estarrivé plus d'une fois que des filles qui avaient eu plus d'une faiblesse, n'ont pas laissé de don- ner ensuite à leur mari cette preuve de leur vir- ginité sans autre artifice que celui d’avoir re- noncé pendant quelque temps à leur commerce illégitime. Quoique nos mœurs aient rendu les femmes trop peu sincères sur cet article, ils'en est trouvé plus d'une qui ont avoué les faits que DE L'HOMME. je viens de rapporter ; il y en a dont la préten- due virginité s'est renouvelée jusqu'à quatre et même cinq fois, dans l’espace de deux ou trois ; : | ans : il faut cependant convenir que ce renou- vellement n'a qu'un temps, c'est ordinairement de quatorze à dix-sept, ou de quinze à dix-huit ans ; dès que le corps a achevé de prendre son accroissement, les choses demeurent dans l'état où elles sont, et elles ne peuvent paraitre diffé- rentes qu'en employant des secours étrangers et des artifices dont nous nous dispenserons de parler. Ces filles dont la virginité se renouvelle ne sont pas en aussi grand nombre que celles à qui la nature a refusé cette espèce de faveur ; pour peu qu'il y ait de dérangement dans la | santé, que l'écoulement périodique se montre mal et difficilement, que les parties soient trop humides et que les fleurs blanches viennent à les relâcher, il ne se fait aucun rétrécissement, aucun froncement; ces parties prennent de l'ac- croissement, mais étant continuellement hu- mectées, elles n'acquièrent pas assez de fermeté pour se réunir, il ne se forme ni caroncules, ni anneau , ni plis, l'on ne trouve que peu d’ob- stacles aux premières approches, et elles se font sans aucune effusion de sang. Rien n'est donc plus chimérique que les pré- jugés des hommes à cet égard , et rien de plus incertain que ces prétendus signes de la virgi- nité du corps; une jeune personne aura com- merce avec un homme avant l’âge de puberté, et pour la première fois, cependant elle ne don- hera aucune marque de cette virginité ; ensuite la même personne après quelque temps d'in- terruption, lorsqu'elle sera arrivée à la puberté, ne manquera guère, si elle se portebien, d'avoir tous ces signes et de répandre du sang dans de | nouvelles approches; elle ne deviendra pucelle qu'après avoir perdu sa virginité , elle pourra même le devenir plusieurs fois de suite et aux mêmes conditions ; une autre au contraire qui sera vierge en effet, ne sera pas pucelle, ou du moins n’en aura pas la moindre apparence. Les hommes devraient donc bien se tranquilliser sur tout cela , au lieu dé se livrer, commeils le font souvent , à des soupcons injustes ou à de fausses joies, selon ce qu'ils s'imaginent avoirren- contré. Si l'on voulait avoir un signe évident et in- faillible de virginité pour les filles, il faudrait le chercher parmi ces nations sauvages et bar- 185 bares, qui n ayant point de sentiments de vertu et d'honneur à donner à leurs enfants par une bonne éducation , s'assurent de la chesteté de leurs filles par un moyen que leur a suggéré la grossièreté de leurs mœurs. Les Éthiopiens et plusieurs autres peuples de l'Afrique, les habi- tants du Pégu et de l'Arabie Pétrée et quelques autres nations de l'Asie, aussitôt que leurs filles sont nées, rapprochent par une sorte de couture les parties que la naturea séparées, et ne laissent libre que l'espace qui est nécessaire pour les écoulements naturels : les chairs adhèrent peu à peu à mesure que l'enfant prend son accrois- sement, de sorte que l’on est obligé de les sé- parer par une incision lorsque le temps du ma- riage est arrivé ; on dit qu’ils emploient pour cette infibulation des femmes un fil d'amiante, parce que cette matière n’est pas sujette à la corruption. Il y a certains peuples qui passent seulement un anneau; les femmes sontsoumises, comme les filles, à cet usage outrageant pour la vertu, on les force de mème à porter un anneau; la seule différence est que celui des filles ne peut s’ôter, et que celui des femmes a une espèce de serrure dont le mari seul à la clef. Mais pour- quoi citer des nations barbares, lorsque nous avons de pareils exemples aussi près de nous ? la délicatesse dont quelques-uns de nos voisins se piquent sur la chasteté de leurs femmes, est- elle autre chose qu’une jalousie brutale et cri- minelle ? Quel contraste dans les goûts et dans les mœurs des différentes nations ! quelle contra- riété dans leur façon de penser! Après ce que nous venons de rapporter sur le cas que Ja plu- part des hommes font de la virginité, sur les précautions qu'ils prennent, etsur les moyens honteux qu'ilssesontavisés d'employer pours'en assurer, imaginerait-on que d’autres peuples la méprisent, et qu’ils regardent comme un ou- vrage servile la peine qu'il faut prendre pour l'ôter ? La superstition a porté certains peuples à cé- der les prémices des vierges aux prêtres de leurs idoles, ou à en faire une espèce de sacrifice à l'idole même; les prètres des royaumes de Co- chin et de Calicut jouissent de ce droit, et chez les Canarins de Goa, les vierges sont prostituées de gré ou de force par leurs plus proches pa- rents à une idole de fer; la superstition aveugle de ces peuples leur fait commettre ces excès dans des vues de religion; des vues purement 184 humaines en ont engagé d'autres à livrer avec empressement leurs filles à leuss chefs, à leurs maitres, à leurs seigneurs; les habitants des iles Canaries, du royaume de Congo, prostituent leurs filles de cette façon sans qu'elles en soient déshonorées : c'est à peu près la même chose en Turquie et en Perse, et dans plusieurs autres pays de l'Asie et de l'Afrique, où les plus grands seigneurs se trouvent trop honorés de recevoir de la main de leur maitre les femmes dont il s'est dégoûté. Au royaume d’Arracan et aux iles Philippi- nes, un homme se croirait déshonoré s’il épou- sait une fille qui n'eût pas été déflorée par un autre, et ce n'est qu'à prix d'argent que l'on peut engager quelqu'un à prévenir l'époux. Dans la province de Thibet, les mères cherchent des étrangers et les prient instamment de mettre leurs filles en état de trouver des maris; les Lapons préfèrent aussi les filles qui ont eu commerce avec des étrangers; ils pensent qu'’el- les ont plus de mérite que les autres, puisqu'el- les ont su plaire à des hommes qu'ils regardent comme plus connaisseurs et meilleurs juges de la beauté qu'ils ne le sont eux-mêmes. À Mada- gascar et dans quelques autres pays, les filles les plus libertines et les plus débauchées sont celles qui sont le plus tôt mariées; nous pour- rions donner plusieurs autres exemples de ce goût singulier , qui ne peut venir que de la gros- sièreté ou de la dépravation des mœurs. L'état naturel des hommes après la puberté est celui du mariage ; un homme ne doit avoir qu'une femme , comme une femme ne doit avoir qu'un homme; cette loi est celle de la nature, puisque le nombre des femelles est à peu près égal à celui des mäles; ce ne peut donc être qu’en s'éloignant du droit naturel, et par la plus injuste de toutes les tyrannies, que les hommes ont établi des lois contraires; la raison, l'huma- nité, la justice réclament contre ces sérails odieux , où l’on sacrifie à la passion brutale ou dédaigneuse d'un seul homme, la liberté et le cœur de plusieurs femmes, dont chacune pour- rait faire le bonheur d’un autre homme. Ces ty- rans du genre humain en sont-ils plus heureux ? environnés d’eunuques et de femmes inutiles à eux-mêmes et aux autres hommes, ils sont as- sez punis, ils ne voient que les malheureux qu'ils ont faits. Le mariage, tel qu'il est établi chez nous et chez les autres peuples raisonnables et religieux, HISTOIRE NATURELLE est donc l'état qui convient à l'homme et dans lequel il doit faire usage des nouvelles facultés qu'il a acquises par la puberté, qui lui devien- draient à charge , et même quelquefois funestes, s'il s'obstinait à garder le célibat. Le trop long séjour de la liqueur séminale dans ses réservoirs peut causer des maladies dans l'un et dans l’au- tre sexe, ou du moins des irritations si violentes que la raison et la religion seraient à peine suf- lisantes pour résister à ces passions impétueuses; elles rendraient l’homme semblable aux ani- maux, qui sont furieux et indomptables lors- qu'ils ressentent ces impressions. L'effet extrême de cette irritation dans les femmes est la fureur utérine; c'est une espèce de manie qui leur trouble l'esprit et leur ôte toute pudeur; les discours les plus lascifs , les actions les plus indécentes accompagnent cette triste maladie et en décèlent l'origine. J’ai vu, et je l'ai vu comme un phénomène, une fille de douze ans, très-brune, d’un teint vif et fort coloré, d'une petite taille, mais déjà formée, avec de la gorge et de l'embonpoint, faire les actions les plus indécentes au seul aspect d’un homme; rien n'était capable de l'en empé- cher, ni la présence de sa mère, ni les remon- trances, ni les châtiments; elle ne perdait cependant pas la raison, et son accès, qui était marqué au point d'en être affreux, cessait dans le moment qu'elle demeurait seule avee des femmes. Aristote prétend que c'est à cet âge que l'irritation est la plus grande et qu'il faut garder le plus soigneusement les filles; cela peut être vrai pour le climat où il vivait, mais il parait que dans les pays plus froids le tempé- rament des femmes ne commence à prendre de l’ardeur que beaucoup plus tard. Lorsque la fureur utérine est à un certain degré, le mariage ne la calme point, il y a des exemples de femmes qui en sont mortes. Heu- reusement la force de la nature cause rarement toute seule ces funestes passions, lors même que le tempérament y est diposé; il faut, pour qu'elles arrivent à cette extrémité, le concours de plusieurs causes dont la principale est une imagination allumée par le feu des conversations licencieuses et des images obscènes. Le tempé- rament opposé est infiniment plus commun parmi les femmes, la plupart sont naturellement froides ou tout au moins fort tranquilles sur le physique de cette passion; il y a aussi des hom- mes auxquels la chasteté ne coûte rien; j'en ai DE L'HOMME, connu qui jouissaient d'une bonne sante, et qui avaient atteint l'âge de vingt-cinq à trente ans, sans que la nature leur eùt fait sentir des be- soins assez pressants pour les déterminer à les satisfaire en aucune facon. Au reste, les excès sont plus à craindre que fa continence : le nombre des hommes immo- dérés est assez grand pour en donner des exem- ples; les uns ont perdu la mémoire, les autres ont été privés de la vue, d'autres sont devenus chauves , d'autres ont péri d'épuisement; la sai- gnée est, comme l'on sait, mortelle en pareil cas. Les personnes sages ne peuvent trop avertir les jeunes gens du tort irréparable qu'ils font à leur santé : combien n'y en a-t-il pas qui cessent d'être hommes, ou du moins qui cessent d'en avoir les facultés, avant l’âge de trente ans ! combien d'autres prennent à quinze et à dix-huit ans les germes d'une maladie hon- teuse et souvent incurable ! Nous avons dit que c'était ordinairement à l'âge de puberté que le corps achevait de pren- dre son accroissement : il arrive assez souvent dans la jeunesse, que de longues maladies font grandir beaucoup plus qu'on ne grandirait si l'on était en santé ; cela vient, à ce queje crois, de ce que les organes extérieurs de la généra- tion étant sans action pendant tout le temps de la maladie, la nourriture organique n'y arrive pas, parce qu'aucune irritation ne l'y déter- mine , et que ces organes étant dans un état de faiblesse et de langueur, ne font que peu ou point de sécrétion de liqueur séminale ; dès lors ces particules organiques restant dans la masse du sang, doivent continuer à développer les extrémités des os, à peu près comme il arrive dans les eunuques; aussi voit-on très-souvent des jeunes gens après de longues maladies être beaucoup plus grands, mais plus mal faits qu'ils n'étaient; les uns deviennent contrefaits des jambes, d’autres deviennent bossus, ete., parce que les extrémités encore ductiles de leurs os se sont développées plus qu'il ne fallait par le superflu des molécules organiques, qui, dans un état de santé, n'aurait été employé qu'à former la liqueur séminale. L'objet du mariage est d'avoir des enfants, mais quelquefois cet objet ne se trouve pas rem- pli; dans les différentes causes de la stérilité il y en a de communes aux hommes et aux fem- mes; mais comme elles sont plus apparentes dans les hommes, on les leur at*-ibue pour l'or- 185 dinaire. La stérilité est causée dans l’un et dans l’autre sexe, ou par un défaut de conformation, ou par un vice accidentel dans les organes; les défauts de conformation les plus essentiels dans les hommes, arrivent aux testicules ou aux muscles érecteurs; la fausse direction du canal de l'urètre, qui, quelquefois, est détourné à côté ou mal percé, est aussi un défaut contraire à la génération, mais il faudrait que ce canal fût supprime en entier pour la rendre impossi- ble; l'adhérence du prépuce par le moyen du frein peut être corrigée, et d’ailleurs ce n'est pas un obstacle insurmontable. Les organes des femmes peuvent aussi être mal conformés; la matrice toujours fermée ou toujours ouverte serait un défaut également contraire à la géné- ration; mais la cause de stérilité la plus ordi- naire aux hommes et aux femmes, c'est l’alté- ration de la liqueur séminale dans les testicules ; on peut se souvenir de l'observation de Vallis- nieri, que j'ai citée ci-devant, qui prouve que les liqueurs des testicules des femmes étant cor- rompues, elles demeurent stériles; il en est de même de celles de l'homme: si la sécrétion par laquelle se forme la semence est viciée, cette liqueur ne sera plus féconde; et quoiqu'à l’ex- térieur tous les organes de part et d'autre pa- raissent bien disposés, il n'y aura aucune pro- duction. Dans les cas de stérilité on a souvent employé différents moyens pour reconnaître si le défaut venait de l'homme ou de la femme : l'inspection est le premier de ces moyens, et il suffit en ef- fet, si la stérilité est causée par un défaut exté- rieur de conformation ; mais si les organes dé- fectueux sont dans l’intérieur du corps, alors on ne reconnait le défaut des organes que par la nullité des effets. Il y a des hommes qui, à la première inspection, paraissent être bien con- formés, auxquels cependant le vrai signe de Ja bonne conformation manque absolument; il y en a d'autres qui n’ont ce signe que si impar- faitement ou si rarement, que c’est moins un signe de virilité, qu'un indice équivoque de l'impuissance. Tout le monde sait que le mécanisme de ces parties est indépendant de la volonté; on ne commande point à ces organes, l'âme ne peut les régir; c'est du corps humain la partie la plus animale; elle agit en effet par une espèce d'in- stinct dont nous ignorons les vraies causes : com- bien de jeunes gens élevés dans la pureté, et 186 vivant dans la plus parfaite innocence et dans l'ignorance totale des plaisirs, ont ressenti les impressions les plus vives, sans pouvoir de- viner quelle en était la cause et l'objet! com- bien de gens au contraire demeurent dans la plus froide langueur malgré tous les efforts de leurs sens et de leur imagination, malgré la présence des objets, malgré tous les secours de l'art de la débauche! Cette partie de notre corps est donc moins à nous qu'aucune autre, elle agit ou elle languit sans notre participation, ses fonctions commen- cent et finissent dans de certains temps, à un certain âge ; tout cela se fait sans nos ordres, et souvent contre notre consentement. Pour- quoi donc l'homme ne traite-t-il pas cette par- tie comme rebelle, ou du moins comme étran- gère? pourquoi semble-t-il lui obéir ? est-ce parce qu'il ne peut lui commander ? Sur quel fondement étaient donc appuyées ces lois si peu réfléchies dans le principe et si déshonnètes dans l'exécution ? comment le con- grès a-t-il pu être ordonné par des hommes qui doivent se connaitre eux-mêmes et savoir que rien ne dépend moins d'eux que l'action de ces organes, par des hommes qui ne pou- vaient ignorer que toute émotion de l'âme, et surtout la honte, sont contraires à cet état, et que la publicité et l'appareil seuls de cette épreuve étaient plus que suffisants pour qu'elle füt sans succès ? Au reste, la stérilité vient plus souvent des femmes que des hommes, lorsqu'il n’y a aucun défaut de conformation à l'extérieur, car indé- pendamment de l'effet des fleurs blanches qui, quand elles sont continuelles, doivent causer où du moins occasionner la stérilité , il me pa- rait qu'il y a une autre cause à laquelle on n'a pas fait attention. On a vu par mes expériences (chap. VI) que les testicules des femelles donnent nais- sance à des espèces de tubérosités naturelles que j'ai appelées corps glanduleux ; ces corps qui croissent peu à peu, et qui servent à fil- trer, à perfectionner et à contenir la liqueur sé- minale, sont dans un état de changement con- tinuel: ils commencent par grossir au-dessous de lamembrane du testicule, ensuiteils lapercent, ils se gonflent , leur extrémité s'ouvre d'elle- même, elle laisse distiller la liqueur séminale pendant un certain temps, après quoi ces corps glanduleux s'affaissent peu à peu, se dessè- HISTOIRE NATURELLE chent,seresserrent et s'oblitèrent enfin presque entièrement ; ils ne laissent qu'une petite cica- trice rougeätre à l'endroit où ils avaient pris naissance. Ces corps glanduleux ne sont passitôt évanouis qu'il en pousse d'autres, et même pendant l’affaissement des premiersil s'en forme de nouveaux, en sorte que les testicules des femelles sont dans un état de travail continuel; ils éprouvent des changements et des altéra- tions considérables; pour peu qu'il y ait donc de dérangement dans cet organe, soit par l’é- paississement des liqueurs, soit par la faiblesse des vaisseaux, il ne pourra plus faire ses fonc- tions, il n'y aura plus de sécrétion de liqueur séminale, ou bien cette même liqueur sera al- térée, viciée, corrompue, ce qui causera né- cessairement la stérilité. , Il arrive quelquefois que la conception de- vance les signes de la puberté; ily a beaucoup de femmes qui sont devenues mères avant que d'avoir eu la moindre marque de l'écoulement naturel à leur sexe; il y en a même quelques- unes qui, sans être jamais sujettes à cet écoule- ment périodique, ne laissent pas d'engendrer; on peut en trouver des exemples dans nos cli- mats, sans les chercher jusque dans le Brésil où des nations entières se perpétuent, dit-on, sans qu'aucune femme ait d'écoulement pério- dique : ceci prouve encore bien elairement que le sang des menstrues n'est qu'une matière ac- cessoire à la génération, qu’elle peut être sup- pléée, que la matière essentielle et nécessaire est la liqueur séminale de chaque individu; on sait aussi que la cessation des règles, qui ar- rive ordinairement à quarante ou cinquante ans, ne met pas toutes les femmes hors d'état de concevoir; il y en a qui ont conçu à soixante et soixante et dix ans, et même dans un âge plus avancé. On regardera, si l'on veut, ces exemples, quoique assez fréquents, comme des exceptions à la règle, mais ces exceptions suf- fisent pour faire voir que la matière des mens- trues n'est pas essentielle à la génération. Dans le cours ordinaire de la nature, les femmes ne sont en état de concevoir qu'après la première éruption des règles, et la cessation de cet écoulement à un certain âge les rend stériles pour le reste de leur vie. L'âge auquel l'homme peut engendrer n'a pas de termes aussi marqués: il faut que le corps soit parvenu à un certain point d'accroissement pour que la liqueur séminale soit produite, il faut peut-être DE L'HOMME. un plus grand desré d'accroissement pour que l'élaboration de cette liqueur soit parfaite, cela arrive ordinairement entre douze et dix-huit ans; mais l'âge où l'homme cesse d'être en état d'engendrer ne semble pas être déterminé par la nature: à soixante ou soixante et dix ans, lorsque la vieillesse commence à énerver le corps, la liqueur séminale estmoins abondante, 187 ment de contraction ou de resserrement dans la matrice, et il ajoute que des femmes lui ont dit qu'elles avaient eu cette sensation au mo- , ment où elles avaient concu; d'autres auteurs et souvent elle n'est plus prolifique ; cependant | on à plusieurs exemples de vieillards qui ont engendré jusqu'à quatre-vingts et quatre- vingt-dix ans; les recueils d'observations sont remplis de faits de cette espèce. 11 y a aussi des exemples de jeunes garçons | qui ont engendré à l’âge de neuf, dix et onze | ans, et de petites filles qui ont concu à sept, huit et neuf ans; mais ces faits sont extrême- | ment rares, et on peutles mettre au nombre des phénomenes singuliers. Le signe extérieur de la virilité commence dans la première enfance; mais cela seul ne suffit pas, il faut de plus la production de la liqueur séminale poux que la génération S'accomplisse, et cette production ne se fait que quand le corps a pris la plus crande partie de son accroissement. La pre- mière émission est ordinairement accompagnee de quelque douleur, parce que la liqueur n'est pas encore bien fluide; elle est d'ailleurs en très-pétite quantité, et presque toujours infé- conde dans le commencement de la puberté. Quelques auteurs ont indiqué &eux signes pour reconnaitre si une femme a concu : lepre- mier est un saisissement ou une sorte d’ébran- lement qu'elle ressent, disent-ils, dans tout le corps au moment de la conception, et qui méme dure pendant quelquès jours; le second est pris de l'orifice dela matrice, qu'ils assurent être entièrement fermé après la conception, Mais il me parait que ces signes sont au moins bien équivoques, s'ils ne sont pas imaginaires. Le saisissement qui arrive au moment de la conception est indiqué par Hippocrate dans ces termes : ZLiquidè constat harum rerum perilis, quèd mulier, ubi concepit, stalim in- horrescit ac dentibus stridet, et articulum re- liquumque corpus convulsio prehendit. C'est donc une sorte de frisson que les femmes res- sentent dans tout le corps au moment de la conception, selon Hippocrate, et le frisson se- rait assez fort pour faire choquer les dents les unes contre les autres, comme dans la fièvre. Galien explique ce symptôme par un mouve- l'expriment par un sentiment vague de froid qui parcourt tout le corps, et ils emploient aussi le mot d’horror et d'Aorripilatio ; la plu- part établissent ce fait, comme Galien, sur le rapport de plusieurs femmes.Ce symptôme se- rait done un effet de la contraction de la ma- trice qui se resserrerait au moment de la con- eeption, et qui fermerait par ce moyen son | orifice, comme Hippocrate l'a exprimé par ces mots : Quæ in ulero gerunt, harum os uleri clausum esl; où selon un autre traduc- teur, Quæcumque sunt gravide, illis os uteri connivet. Cependant les sentiments sont par- tagés sur les changements qui arrivent à l'ori- fice interne de la matrice après la conception : les uns soutiennent que les bords de cet orifice se rapprochent de facon qu'il ne reste aucun espace vide entre eux, et c'est dans ce sens qu'ils interprètent Hippocrate; d'autres préten- dent que ces bords ne sont exactement rappro- ches qu'après les deux premiers mois de la grossesse, mais ils conviennent qu'immédiate- ment après la conception l'orifice est fermé par l'adhérence d'une humeur glutineuse, et ils ajoutent que la matrice qui, hors de la gros- sesse, pourrait recevoir par son orifice un corps de la grosseur d'un pois, n'a plus d'ouverture sensible après la conception, et que cette diffé- rence est si marquée, qu'une sage-femme ha- bile peut la reconnaitre; cela supposé, on pour- rait done constater l'état de la grossesse dans les premiers jours. Ceux qui sont opposés à ce sentiment, disent que si l'orifice de la matrice était fermé après la conception, il serait impos- sible qu'il y eùt de superfétation. On peut ré- pondre à cette objection, qu'il est très-possible que la liqueur séminale pénètre à travers les membranes de la matrice, que même la ma- trice peut s'ouvrir pour la superfétation dans de certaines circonstances, et que d’ailleurs les superfétations arrivent si rarement, qu'elles ne peuvent fairequ'une légère exception à la règle générale. D'autres auteurs ont avancé que le changement qui arriverait à l'orifice de la ma- trice ne pourrait être marqué que dans les femmes qui auraient déjà mis des enfants au monde, et non pas dans celles qui auraient coueu pour læpremière fois; il est à croire que 188 dans celles-ci la différence sera moins sensible, mais quelque grande qu'elle puisse être, en doit-on conclure que ce signe est réel, constant et certain ? ne faut-il pas du moins avouer qu'il n’est pas assez évident? L'étude de l'ana- tomie et l'expérience ne donnent sur ce sujet que des connaissances générales qui sont fau- tives dans un examen particulier de cette na- ture; il en est de même du saisissement ou du froid convulsif que certaines femmes ont dit avoir ressenti au moment de la conception : comme la plupart des femmes n'éprouvent pas le même symptôme, que d’autres assurent au contraire avoir ressenti une ardeur brülante causée par la chaleur de la liqueur séminale du mâle, et que le plus grand nombre avouent n'avoir rien senti de tout cela, on doit en con- clure que ces signes sont très-équivoques, et que lorsqu'ils arrivent, c'est peut-être moins un effet de la conception que d’autres causes qui paraissent plus probables. J'ajouterai un fait qui prouveque l'orifice de la matrice ne se. ferme pas immédiatement après la conception, ou bien que, s'il se ferme, la liqueur séminale du mâle entre dans la ma- trice en pénétrant à travers le tissu de ce vis- cère. Une femme de Charles-Town, dans la Caroline méridionale, accoucha en 1714 de deux jumeaux qui vinrent au monde tout de suite l'un après l’autre; il se trouva que l'un était un enfant nègre, et l’autre un enfant blanc, ce qui surprit beaucoup les assistants. Ce témoignage évident de l'infidélité de cette femme à l'égard de son mari, la força d’avouer qu'un nègre qui la servait, était entré dans sa chambre un jour que son mari venait de la quitter et de la laisser dans son lit, et elle ajouta, pour s'excuser, que cenègre l'avait me- nacée de la tuer, et qu'elle avait été contrainte de le satisfaire. Voyez Lectures on muscular motion, by M. Parsons. London, 1745, p. 79. Ce fait ne prouve-t-il pas aussi que la concep- lion de deux ou de plusieurs jumeaux ne se fait pas toujours dans le même temps? et ne parait-il pas favoriser beaucoup mon opinion sur la pénétration de la liqueur séminale au travers du tissu de la matrice ? La grossesse a encore un grand nombre de symptômes équivoques auxquels on prétend communément la reconnaître dansles premiers mois, savoir, une douleur légère dans la ré- gion de la matrice et dans les lombes, un en- HISTOIRE NATURELLE gourdissement dans tout le corps, et un assou- pissement continuel, une mélancolie qui rend les femmes tristes et capricieuses, des douieurs de dents, le mal de tête, des vertiges qui offus- quent la vue, le rétrécissement des prunelles, les yeux jaunes et injectés, les paupières af- faissées, la pâleur et les taches du visage, le goût dépravé, le dégoût, les vomissements, les crachements, les symptômes hystériques, les fieurs blanches, la cessation de l'écoulement périodique ou son changementen hémorragie, la sécrétion du lait dans les mamelles, etc. Nous pourrions encore rapporter plusieurs au- tres symptômes qui ont été indiqués comme des signes de la grossesse, mais qui ne sont souvent que les effets de quelques maladies. Mais laissons aux médecins cet examen à faire, nous nous écarterions trop de notre sujet si nous voulions considérer chacune de ces choses en particulier; pourrions-nous même le faire d'une manière avantageuse, puisqu'il n'y en a pas une qui nedemandât une longue suite d'ob- servations bien faites ? il en est ici commed'une infinité d'autres sujets de physiologie et d'éco- nomie animale; à l'exception d'un petit nombre d'hommes rares ‘ qui ont répandu de la lumière sur quelques points particuliers de ces sciences, la plupart des auteursquien ont écrit, lesont trai- tées d'une maniere si vague, et les ontexpliquées par des rapports si éloignés et par des hypo- thèses si fausses, qu'il aurait mieux valu n’en rien dire du tout; il n'y a aucune matière sur laquelle on ait plus raisonné, sur laquelle on ait rassemblé plus de faits et d'observations, mais ces raisonnements, ces faits et ces observations sont ordinairement si mal digérés, et entassés avec si peu de connaissance, qu'il n’est pas sur- prenant qu'on n’en puisse tirer aucune lumière, aucune utilité. ADDITION A L'ARTICLE DE LA PUBERTÉ. Dans l'histoire de la nature entière, rien ne nous touche de plus près que l'histoire de l'homme ; et dans cette histoire physique de l'homme, rien n’est plus agréable et plus pi- quant que le tableau fidèle de ces premiers mo- ‘ Je mets dans ce nombre l'auteur de l'Anatomie d'Heister; de tous les ouvrages que j'ai lus sur la physiologie, je n'en ai pont trouvé qui m'ait paru mieux fait et plus d'accord avec la bonne physique, DE ments où l’homme se peut dire homme. L'âge de la première et de la seconde enfance d'abord ne nous présente qu'un état de misere qui de- mande toute espèce de secours, et ersuite un état de faiblesse qu'il faut soutenir par des soins continuels. Tant pour l'esprit que pour le corps, l'enfant n’est rien ou n'est que peu de chose jusqu'à l'âge de puberté ; mais cet âge est l'aurore de nos premiers beaux jours, c’est le moment où toutes les facultés tant corporelles qu'intellectuelles, commencent à entrer en plein exercice ; où les organes ayant acquis tout leur développement, le sentiment s'épanouit comme une belle fleur, qui bientôt doit produire le fruit précieux de la raison. En ne considérant ici que le corps et les sens, l'existence de l'homme ne nous paraitra complete que quand il peut la communiquer; jusqu'alors sa vie n'estpourainsi dire qu'une végétation , il n'a que ce qu'il faut pour être et pour croitre, toutes les puissances intérieures de son corps se réduisent à Sa nu- trition et à son développement; les principes de vie qui consistent dans les moléculesorganiques vivantes qu'il tire desaliments ne sont employés qu'à maintenir la nutrition, et sont tous absor- bés par l'accroissement du moule qui s'étend dans toutes ses dimensions; mais lorsque cet accroissement du corps est à peu pres à son point, ces mêmes molécules organiques vivan- tes, qui ne sont plus employées à l'extension du moule, forment une surabondance de vie qui doit se répandre au dehors pour se communi- quer : le vœu de la nature n'est pas de renfer- mer notre existence en nous-mêmes; par la même loi qu'elle a soumis tous les êtres à la mort , elle les a consolés par la faculté de se re- produire; elle veut done que cettesurabondance de matière vivante se répande et soit employée à de nouvelles vies, et quand ons'obstine à con- trarier la nature, il en arrive souvent de funes- tes effets, dont il est bon de donner quelques exemples. Extrait d'un Mémoire adressé à M. de Buffon, par M. *"* le premier octobre 1774. « Je naquis de parents Jeunes et robustes; je passai du sein de ma mère entre ses bras , pour y être nourri de son lait; mes organes et mes membres se développèrent rapidement, je n'é preuvaiaucune des maladiesde l'enfance. J'avais de la facilité pour apprendre et beaucoup d’ac- L'HOMME. 189 quis pour mon âge. A peine avais-je onze ans, que la force etla maturité précoce de mon tem- pérament me firent sentir vivement les aiguil- lons d'une passion qui communément ne se déclare que plus tard. Sans doute je me serais livré dès lors au plaisir qui m'entrainait; mais prémuni par les leçons de mes parents qui me destinaient à l'état ecclésiastique, envisageani ces plaisirs comme des crimes, je me contins rigoureusement, en avouant néanmoins à mon pere que l'état ecclésiastique n'était point ma vocation ; mais il fut sourd à mes représenta- tions , et il fortifia ses vues par le choix d'un directeur dont l'unique occupation était de for- mer de jeunes ecciésiastiques; il me remit entre ses mains; je ne lui laissai pas ignorer l'oppo- sition que je me sentais pour la continence; il me persuada queje n’en aurais que plus de mé- rite, et je fis de bonne foi le vœu de n'y jamais manquer. Je m'efforcais de chasser les idées contraires , et d'étouffer mes desirs; je ne me permettais aucun mouvement qui eût trait à l'inclination de la nature; je captivai mes re- gards et ne les portai jamais sur une personne du sexe; j'imposai la même loi à mes autres sens; cependant le besoin de la nature se faisait sentir si vivement, que je faisais des efforts in- croyables pour y résister, et de cette opposition, de ce combat intérieur, il en résultait une stu- peur, une espèce d'agonie qui me rendait sem- blable à un automate, et m'ôtait jusqu'à la fa- culté de penser. Lanatureautrefoissiriante à mes yeux, ne m'offrait plus que des objets tristes et lugubres; cette tristesse, dans laquelle je vivais, éteignit en moi le desir de m'instruire, et je parvins stupidement à l'âge auquel il fut ques- tion de se décider pour la prêtrise; cet état n'exiceant pas de moi une pratique de la conti- nence plus parfaite que celle que j'avais déjà observée, je me rendis aux pieds des autels avec cette pesanteur qui accompagnait toutes mes actions ; après mon vœu, je me crus néan- moins lié plus étroitement à celui de chasteté , et à l'observance de ce vœu auquel je n'avais ci-devant été obligé quecomme simple chrétien; il y avait une chose qui m'avait fait toujours beaucoup de peine; l'attention avec laquelle je veillais sur moi pendant le jour empéchait les images obscènes de faire sur mon imagination une impression assez vive et assez longue, pour émouvoir les organes de la génération au point de procurer l'évacuation de l'humeur sé- 490 minale; mais pendant le sommeil la nature ob- tenait son soulagement, ce qui me paraissait un désordre qui m'affligeait vivement, parce | que je craignais qu'il n'y eût de ma faute , en sorte que je diminuai considérablement ma nourriture; je redoublai surtout mon attention et ma vigilance sur moi-même, au point que pen- dant le sommeil, la moindre disposition qui ten- dait à ce désordre m'éveillaitsur-le-champ, et je l'évitais en me levant en sursaut. Il y avait un mois que je vivais dans ce redoublement d'attention , et j'étais dans la trente-deuxième année de mon âge , lorsque tout à coup cette continence forcée porta dans tous mes sens une sensibilité ou plutôt une irritation que je n'avais jamais éprouvée; étant allé dans une maison , je portai mes regards sur deux per- sonnes du sexe, qui firent sur mes yeux , et de là dans mon imagination , une si forte impres- sion, qu'ellesmeparurent vivement enluminées, et resplendissantes d'un feu semblable à des étincelles électriques; une troisième femme, qui était auprès des deux autres, ne me fitau- eun effet , et j'en dirai ci-après la raison; je la voyais telle qu'elle était, c'est-à-dire, sans ap- parence d'étineelle nide feu. Jemeretirai brus- quement, croyant que cette apparence étaitun prestige du démon ; dans le reste de la journée, mes regards ayant rencontré quelques autres personnes du sexe, j'eus les mêmes illusions. Le lendemain, je vis dans la campagne es fem- mes qui me causèrent les mêmes impressions , et lorsque je fus arrivé à la ville, voulant me ra- fraichir à l'auberge , le vin, Je pain et tous les autres objets me paraissaient troubles et même dans une situation renversée. Le jour suivant, environ une demi-heure après le repas, je sentis tout à coup dans tous mes membres , une con- traction et une tension violentes, accompagnées d’un mouvement affreux et convulsif, sembla- ble à celui dont sont suivies les attaques d'épi- lepsie les plus violentes. A cet état convulsif succéda le délire; la saignée ne m'apporta aucun soulagement; les bains froids ne me calmèrent que pour un instant; dès que la chaleur fut re- venue , mon imagination fut assaillie par une foule d'images obseènes que lui suggérait le be- soin de la nature. Cet état de délire convulsif dura plusieurs jours, et mon imagination tou- jours occupée de ces mêmes objets, auxquels se mélcrent des chimères de toute espèce, et sur- tout des fureurs guerrières, dans lesquelles je HISTOIRE NATURELLE | pris les quatre colonnes de mon lit, dort je ne fis qu'un paquet, eten lançai une avee tant de force contre la porte de ma chambre, queje la lis sortir des gonds; mes parents m'enchainèrent les mains et me lièrent le corps. La vue de mes chaines qui étaient de fer, fit une impression si forte sur mon imagination, que je restai plus | de quinze jours sans pouvoir fixer mes regards | Sur aucune pièce de fer, sans une extrême hor- reur. Au bout de quinze jours, comme je parais- | sais plus tranquille, on medélivra de meschai- nes , et j'eus ensuite un sommeil assez calme; | mais qui fut suivi d'un accès de délire aussi violent que les précédents. Je sortis de mon lit brusquement, et j'avais déjà traversé les cours etle jardin, lorsque des gens accourus vinrentme saisir; je me laissai ramener sans grande résis- tance , mon imagination était, dans ee moment et les jours suivants, si fort exaltée, queje des- sinais des plans et des compartiments sur le sol de ma chambre; j'avais le coup d'œil si juste et la main si assurée , que sans aucun instrument je les traçais avec une justesse étonnante : mes parents et d’autres gens simples, étonnés de me voir un talent que je n'avais jamais cultivé, et d’ailleurs ayant vu beaucoup d’autres singula- rités dans le cours de ma maladie, s'imaginèrent qu'il y avait dans tout cela du sortilége, et en conséquence ils firent venir des charlatans de toute espèce pour me guérir; mais je les reçus fort mal, car quoiqu'il y eût toujours chez moi de l'aliénation , mon esprit et mon caractère avaient déjà pris une tournure différente de celle que m'avait donnée ma triste éducation. Je n'étais plus d'humeur à croire les fadaises dont j'avais été infatué; je tombai Gone impétueuse- ment sur ces guérisseurs de sorciers, et je les mis en fuite. J'eus, en conséquence, plusieurs accès de fureur guerrière, dans lesquels j'ima- ginai être successivement Achille, Gésar et Henri IV. J’exprimais par mes paroles et par mes gestes leurs caractères, leur maintien et leurs principales opérations de guerre, au point que tous les gens qui m'environnaient en étaient stupéfiés. « Peu de temps après je déclarai que je vou- lais me marier; il me semblait voir devant moi des femmes de toutes les nations et de toutes les couleurs ; des blanches, des rouges, des jau- nes, des vertes, des basanées, ete., quoique je n'eusse jamais su qu'il y eût des femmes d'au- tres couleurs que des blanches et des noires; +. to nel diedé DE L'HOMME. mais j'ai depuis reconnu à ce trait età plusieurs autres, que par le genre de maladie que j'avais, mes esprits exaltés au suprême degré, il se fai- sait une secrète transmutation d'eux aux corps qui étaient dans lanature, ou de ceux-ci à moi, qui semblait me faire deviner ce qu'elle avait . de secret; ou peut-être que mon imagination dans son extrème activité, ne laissant aucune image à parcourir, devait rencontrer tout ce qu'il y a dans la nature, et c'est ce qui, je pense, aura fait attribuer aux fous, le don de la divi- nation. Quoi qu'il ensoit, le besoin de la nature pressant, et n'étant plus, comme auparavant , combattu par mon opinion, je fus obligé d'ov- ter entre toutes ces femmes; j'en choisis d'a- bord quelques-unes, qui répondaient au nom- bre des différentes nations que j'imaginaisav oir vaincues dans mes accès de fureur guerrière ; il me semblait devoir épouser chacune de ces femmes selon les lois et les coutumes de sa na- tion ; il y en avait une que je regardais comme la reine de toutes les autres; c'était une jeune demoiselle que j'avais vue quatre jours avant le commencement de ma maladie; j'en étais dans ee moment éperdument amoureux, j'exprimais mes desirs tout haut de la manièrela plus vive et la plus énergique; je n'avais cependant jamais lu aucun roman d'amour, de ma vie je n'avais fait aucune caresse ni même donné un baiser à une femme ; je parlais néanmeins très-indé- cemment de mon amour à tout le monde, sans songer à mon état de prêtre; j'étais fort sur- pris de ce quemes parents blämaient mes propos et condamnaient mon inclination, Un sommeil assez tranquille suivit cet état de crise amou- reuse ,-pendant laquelle je n'avais senti que du plaisir, et après ce sommeil revinrent le sens et la raison. Réfléchissant alors sur la cause de ma maladie, je vis clairement qu'elle avait été causée par la surabondance et la rétention forcée de l'humeur séminale, etvoici les réflexions que je fis sur le changement subit de mon caractère et de toutes mes pensées. « 1° Une bonne nature et un excellent tem- pérament , toujours contredits dans leurs incli- nations, et refusés à leurs besoins, durent s’ai- grir et s'indisposer; d'où il arriva que mon caractère , naturellement porté à la joie et à la gaieté, se tourna au chagrin et à la tristesse, qui couvrirent mon âme d'épaisses ténèbres, et, engourdissant toutes ses facultés d'un froid mortel, étouffèrent les germes des talents que 1H | j'avaissentis pointer dans ma première jeunesse , | Gont j'ai dû depuis retrouver les traces: mas, | hélas ! presque effacées faute de culture. « 2° J'aurais eu bien plus tôt la maladie dit- férée à l'âge de trente-deux ans, si la nature et mon tempérament n'eussent été souvent et comme périodiquement soulagés par l'évacua- tion de l'humeur séminale, procurée par l'illu- sion etles songes de la nuit; en effet, ces sortes d'évacuations étaient toujours précédées d'une pesanteur de corps et d'esprit, d’une tristesse et d'un abattement qui m'inspiraient une espèce de fureur qui approchait du désespoir d'Ori- gène; car j'avais été tenté mille fois de me faire la même opération. « 3° Ayant redoublé mes soins et ma vigi lance pour éviter l'unique soulagement que se proeurait furtivement la nature, l'humeur sé- minale dut augmenter et s'échauffer , et d'après cette abondance et effervescence, se porter aux yeux qui sont lesiège et les interprètes des pas- sions, surtout de l'amour, comme on le voit dans les animaux, dont les yeux, dans l'acte, deviennent étincelants. L'humeur séminale dut produire le même effet dans les miens, et les parties de feu dont elle était pleine , portant vi- vement contre la vitre de mes yeux, durent y exciter un mouvement violent et rapide, sem- blable à celui qu'excite la machine électrique , d'où il dut résulter le même effet et les objets me paraitre enflammés, non pas tous indifié- remment, mais ceux qui avaient rapport avec mes dispositions particulières, ceux de qui émas naient certains corpuseules, qui, formant une continuité entre eux et moi, nous mettaient dans une espèce de contact, d'où il arriva que des trois premières femmes que je vis toutes trois ensemble, il n'y en eut que deux qui fi- rentsur moi cette impression singulière , et c'est parce que la troisième était enceinte qu'elle ne me donna point de desirs, et que je ne la vis que telle qu'elle était. « 4° L’humeur devenant de jour en jour plus abondante, et ne trouvant point d'issue, par Ja résolution constante où j'étais de garder la con- tinence, porta tout d'un coup à la tête, et y causa le délire suivi de convulsions. « On comprendra aisément que cette même humieur trop abondante, jointe à une excel- lente organisation, devait exalter mon imasi- nation; toute ma vie n'avait été qu'un effort vers la vertu de la chasteté; la passion de l’a- 19% mour, qui, d'après mes dispositions naturelles, aurait dû se faire sentir la première, fut la der- nière à me conquérir; ce n’est pas qu'elle n'eût formé la première de violentes attaques contre mon âme; mais mon ctat toujours présent à ma mémoire , faisait que je la regardais avec horreur, et ce ne fut que quand j'eus entière- ment oublié mon état, et au bout des six mois que dura ma maladie, que je me livrai à cette passion , et que je ne repoussai pas les images qui pouvaient la satisfaire. « Aureste, je ne me flatte pas d'avoir donné une idée juste, ni un détail exact de l'excès et de la multiplicité des maux et des douleurs qu'a soufferts en moi la nature dans le cours de ma malheureuse jeunesse, ni même dans cette der- nière crise ; j'en ai rapporté fidèlement les traits principaux ; et après cette étonnante maladie, me considérant moi-même, je ne vis qu'un triste et infortuné mortel , honteux et confus de son état, mis entre le marteau et l’enclume, en opposition avec les devoirs de religion et la né- cessité de nature; menacé de maladie s’il refu- sait celle-ci, de honte et d'ignominie s’il aban- donnait celui-là : affreuse alternative! aussi fus-je tenté de maudire le jour qui m'avait rendu la lumière ; plus d’une fois je m'écriai avec Job: Lux eur data misero ? » Je termine ici l'extrait dece mémoire de M***, qui m'est venu voir de fort loin pour m'en cer- tifier les faits; c’est un homme bien fait, très- vigoureux de corps et en même temps spirituel, honnète et très-relicieux ; je ne puis done dou- ter de sa véracité. J'ai vu sous mes yeux l'exem- ple d'un autre ecclésiastique qui, désespéré de manquer trop souvent au devoir de son état, s’est fait lui-même l'opération d'Origène. La ré- tention trop longue de la liqueur séminale peut donc causer de grands maux d'espritet de corps, la démence et l'épilepsie; car la maladie de M*** n'était qu'un délire épileptique qui a duré six mois. La plupart des animaux entrent en fu- reur dans le temps du rut, ou tombent en con- vulsion lorsqu'ils ne peuvent satisfaire ce be- soin de nature; les perroquets, les serins, les bouvreuils et plusieurs autres oiseaux, éprou- vent tous les effets d'une véritable épilepsie lors- qu'ils sont privés de leurs femelles. On a souvent remarqué dans les serins que c'est au moment qu'ils chantent le plus fort. Or, comme je l'ai HISTOIRE NATURELLE dit! , le chant est dans les oiseaux l'expressier, vive du sentiment d'amour; un serin séparé de sa femelle, qui la voit sans pouvoir l'approcher, ne cesse de chanter et tombe enfin tout à coup faute de jouissance ou plutôt de l'émission de cette liqueur de vie, dont la nature ne veut pas qu'on renferme la surabondance, et qu’au con- traire elle a destinée à se répandre au dehors . et passer de corps en corps. Mais ce n’est que dans la force de l’âge ct pour les hommes vigoureux , que cette évacua- tion est absolument nécessaire, elle n’est même salutaire qu'aux hommesquisaventse modérer ; pour peu qu’on se trompe en prenant ses de- sirs pour des besoins, il résulte plus de mal de la jouissance que de la privation ; on a peut-être mille exemples de gens perdus par les excès, pour un seul malade de continence. Dans le commun des hommes, dès que l’on a passé cin- quante-cing ou soixante ans, on peut garder en conscience et sans grand tourment cette li- queur, qui, quoique aussi abondante, est bien moins provocante que dans la jeunesse; c’est même un baume pour l'âge avancé; nous finis- sons àtous égards commenous avons commencé. L'on sait que dans l'enfance, et jusqu’à la pleine puberté , il y a de l'érection sans aucune émis- sion, la même chose se trouve dans la vieil- lesse, l'érection se fait encore sentir assez long- temps après que le besoin de l'évacuation a cessé, et rien ne fait plus de mal aux vieillards que de se laisser tromper par ce premier signe, qui ne devrait pas leur en imposer, car il n’est jamais aussi plein ni aussi parfait que dans la jeunesse, il ne dure que peu de minutes, il n’est point accompagné de ces aiguillons de la chair, qui seuls nous font sentir le vrai besoin de na- ture dans la vigueur de l'âge; ce n’est ni le tou- cher, nila vue qu'on est le plus pressé de satis- faire, c'est un sens différent, un sens intérieur et particulier , bien éloigné du siége des autres sens, par lequel la chair se sent vivante, non- seulement dans les parties de la génératioh, mais dans toutes celles qui les avoisinent; dès que ce sentiment n'existe plus, la chair est morte au plaisir, et la continence est plus salu- taire que nuisible. 4 Histoire naturelle des Oiseaux. Discours sur lai haisre des Oiseaux. DE L'HOMME. 193 DE L'AGE VIRIL. Description de l'Homme Le corps achève de prendre son accroisse- ment en hauteur à l’âge de la puberté, et pen- dant les premières années qui succèdent à cet âge; il y a des jeunes gens qui ne grandissent plus après la quatorzième on la quinzième an- née; d’autres croissent jusqu'à vingt-deux ou viugt-trois ans ; presque tous dans ce temps sont minces de corps, la taille est effilée, les cuisses et les jambes sont menues ,-toutes les parties musculeuses ne sont pas encore remplies comme elles le doivent être; mais peu à peu la chair augmente , les muscles se dessinent, les inter- valles se remplissent, les membres se moulent et s'arrondissent, et le corps est avant l'âge de trente ans, dans les hommes, à son point de perfection pour les proportions de sa forme. Les femmes parviennent ordinairement beau- coup plus tôt à ce point de perfection; elles ar- rivent d’abord plus tôt à l’âge de puberté, leur accroissement qui, dans le total, est moindre que celui des hommes, se fait aussi en moins de temps; lesmuscles, les chairs et toutes les au- tres parties qui composent leur corps, étant moins fortes , moins compactes, moins solides quecelles du corpsde l'homme, il faut moins de temps pour qu'elles arrivent à leur développe- ment entier, qui est le point de perfection pour la forme; aussi le corps de la femme est ordi- nairement à vingt ans aussi parfaitement formé que eelui de l'homme l’est à trente. Le corps d'un homme bien fait doit être carré, les muscles doivent être durement exprimés, le contour des membres fortement dessiné, les traits du visage bien marqués. Dans la femme tout est plus arrondi, les formes sont plus adou- cies , les traits plus fins; l'homme a la force et la majesté, les grâces etla beauté sont l'apanage de l’autre sexe. Tout annonce dans tous deux les maîtres de la terre; tout marque dans l'homme, même à l'extérieur , sa supériorité sur tous les êtres vi- vants; il se soutient droit et élevé, son attitude est celle du commandement, sa tête regarde le ciel et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité; l’image de l'âme y est peinte par la physionomie, l’excel- lence de sa nature perce à travers les organes [ILE matériels et anime d'un feu divin les traits de son visage ; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie, annoncent sa noblesse et son rang; il ne touche à la terre que par ses extré- mités les plus éloignées, il ne la voit que de loin, et semble la dédaigner; les bras ne lui sont pas donnés pour servir de piliers d'appui à la masse de son corps, sa main ne doit pas fouler la terre, et perdre par des frottements réitérés la finesse du toucher dont elle est le principal organe ; le bras et lamain sont faits pour servir à desusages plus nobles , pour exécuter les ordres de la vo- lonté, pour saisirles choses éloignées, pour écar- ter les obstacles, pour prévenir les rencontres et lechoc de ce qui pourrait nuire, pour embrasser et retenir ce qui peut plaire, pour le mettre à portée des autres sens. Lorsque l'âme est tranquille, toutes les par- ties du visage sont dans un état de repos, leur proportion, leur union, leur en semblemarquent encore assez la douce harmonie des pensées, et répondent au calme de l’intérieur ; mais, lors- que l’âme est agitée, la face humaine devient un tableau vivant, où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie , où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère, dont l'impression viveet promptedevance la volonté, nous déeèle et rendau dehors par des signes pa- thétiques les images de nos secrètes agitations. C’estsurtout dans les yeux qu’elles se peignent et qu’on peut les reconnaitre; l'œil appartient à l’âme plus qu'aucun autre organe , il semble y toucher et participer à tous ses mouvements, il en exprime les passions les plus vives et les émo- tions les plus tumultueuses, comme les mouve- ments les plus doux êt les sentiments les plus délicats ; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté tels qu'ils viennent de naître; il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre âme le feu, l’action, l'image de celle dont ils partent ; l'œil recoit et réfléchit en même temps la lumière de la pensée et la cha- leur du sentiment; c’est le sens de l'esprit et la langue de l'intelligence. Les personnes qui ont la vue courte, où qui sont louches, ont beaucoup moins de cette âme extérieure qui réside principalement dans les yeux; ces défauts détruisent la physionomie, et rendentdésagréables ou difformesles plus beaux visages; comme l'on n’y peut reconnaître que les passions fortes et qui mettent en jeu les 15 194 autres parties, et comme l'expression de l'esprit et de la finesse du sentiment ne peut s'y mon- trer, on juge ces personnes défavorablement lorsqu'on ne les connait pas et quand on les connaît , quelque spirituelles qu'elles puissent être, on a encore de la peine à revenir du pre- mier jugement qu'on a porté contre elles. Nous sommes si fort accoutumés à ne voir les choses que par l'extérieur, que nous ne pou- vons plus reconnaître combien cet extérieur in- flue sur nos jugements, même les plus graves et les plus réfléchis; nous prenons l'idée d'un homme, et nous la prenons par sa physionomie qui ne dit rien, nous jugeons dès lors qu'il ne pense rien ; il n’y à pas jusqu'aux habits et à Ja coiffure qui n'influent sur notre jugement; un homme sensé doit regarder ses vétements comme faisant partie de lui-même, puisqu'ils en font en effet partie aux yeux des autres , et qu'ils entrent pour quelque chose dans l'idée totale qu'on se forme de celui qui les porte. La vivacité ou la langueur du mouvement des yeux fait un des principaux caractères de Ja physionomie, et leur couleur contribue à rendre ce caractère plus marqué. Les différentes cou- ieurs des yeux sont l’orangé foncé, le jaune, le vert, le bleu, le gris, et le gris mêlé de blanc; la substance de l'iris est veloutée et disposée par filets et par flocons : les filets sont dirigés vers le milieu de la prunelle comme des rayons qui tendent à un centre ; les flocons remplissent les intervalles qui sont entre les filets; et quelque- fois les uns et les autres sont disposés d’une ma- nière si régulière, que le hasard a fait trouver dans les yeux de quelques personnes, des fi- gures qui semblaient avoir été copiées sur des modèles connus. Ces filets et ces flocons tien- nent les uns aux autres par des ramifications très-fines et très-déliées; aussi la couleur n’est pas si sensible dans ces ramifications que dans le corps des filets et des flocons, qui paraissent toujours être d'une teinte plus foncée. Les couleurs les plus ordinaires dans les yeux sont l'orangé et le bleu , et le plus souvent ces couleurs se trouvent dans le même œil. Les yeux que l’on croît être noirs, ne sont que d’un jaune-brun, où d’orangé foncé; il ne faut, pour s'en assurer, que les regarder de près, car, lors- qu'en les voit à quelque distance, ou lorsqu'ils sont tournés à contre-jour, ils paraissent noirs, parce que la couleur jaune-brun tranche si fort sur le blanc de l'œil, qu'on la juge noire par HISTOIRE NATURELLE l'opposition du blanc. Les yeux qui sont d’un jaune moins brun , passent aussi pour des yeux noirs; mais on ne les trouve pas si beaux que les autres, parce que cette couleur tranche moins sur le blanc; il y a aussi des yeux jaunes et jaunes-clairs; ceux-ci ne paraissent pas noirs, parce que ces couleurs ne sont pas assez fon- cées pour disparaitre dans l'ombre. On voit très- communément dans le même œil des nuances d'orangé, de jaune , de gris et de bleu; dès qu'il y à du bleu, quelque léger qu'il soit , il devient la couleur dominante; cette couleur paraît par filets dans toute l'étendue de l'iris, et l’orangé est par flocons autour et à quelque petite dis- tance de la prunelle; le bleu efface si fort cette couleur, que l'œil parait tout bleu, et on ne s’a- percoït du mélange de l'orangé qu'en le regar- dant de près. Les plus beaux yeux sont ceux qui paraissent noirs ou bleus; la vivacité et le feu qui font le principal caractère des yeux ; éclatent davantage dans les couleurs foncées que dans les demi-teintes de couleur; les yeux noirs ont donc plus de force d'expression et plus de vivacité, mais il y a plus de douceur , et peut-être plus de finesse dans les yeux bleus; on voit dans les premiers un feu qui brille uni- formément, parce que le fond, qui nous paraît de couleur uniforme, renvoie partout les mêmes reflets, mais on distingue des modifications dans Ja lumière qui anime les yeux bleus, parce qu'il y a plusieurs teintes de couleur qui produisent des reflets différents. Il y a des yeux qui se font remarquer sans avoir, pour ainsi dire, de couleur, ils paraissent être composés différemment des autres : l'iris n'a que des nuances de bleu ou de gris si faibles qu'elles sont presque blanches dans quelques endroits; les nuances d'orangé qui s’y rencon- trent sont si légères qu'on les distingue à peire du gris et du blanc, malgré le contraste de ces couleurs; le noir de la prunelle est alors trop marqué, parce que la couleur de l'iris n’est pas assez foncée ; on ne voit, pour ainsi dire, que la prunelle isolée au milieu de l'œil; ces yeux ne disent rien, et le regard en paraît être fixe ou effaré. Il y a aussi des yeux dont la couleur de l'iris tire sur le vert ; cette couleur est plus râre que le bleu, le gris, le jaune, et le jaune-bruns il se trouve aussi des personnes dont les deux yeux ne sont pas de la même couleur. Cette variété, qui se trouve dans la couleur des yeux, est DE L'HOMME. 195 particulière à l'espèce humaine, à celle du che- val, ete.; dans la plupart des autres espèces d’a- nimaux , la couleur des yeux de tous les indi- vidus est la même : les yeux des bœufs sont bruns, ceux des moutons sont couleur d'eau , ceux des chèvres sont gris, ete. Aristote, qui fait cette remarque, prétend que dans les hommes les yeux gris sont les meilleurs , que les bleus sont les plus faibles, que ceux qui sont avancés hors de l'orbite ne voient pas d'aussi loin que ceux qui y sont enfoncés, que les yeux bruns ne voient pas si bien que les autres dans l'ob- securité. Quoique l'œil paraisse se mouvoir comme s’il était tiré de différents côtés , il n'a cependant qu'un mouvement de rotation autour de son cen- tre, par lequel la prunelle parait ‘approcher ou s'éloigner des angles de l'œil, et s’élever où s'a- baisser. Les deux yeux sont plus près l’un de l'autre dans l'homme que dans tous les autres animaux; cet intervalle est même si considé- rable dans la plupart des espèces d'animaux , qu'il n'est pas possible qu ils voient le mème objet des deux yeux à la fois , à moins que cet objet ne soit à une grande distance. Après les yeux les parties du v isage qui Con- tribuent le plus à marquer la physionomie, sont les sourcils ; comme ils sont d’une nature difé- rente des autres parties, ils sont PRE apparents par ce contraste et frappent plus qu'aucun autre trait; les sourcils sont une ombre dans le ta- bleau, qui en relève les couleurs et les formes Les cils des paupières font aussi leur effet, lots qu'ils sont longs et garnis, les yeux en parais- sent plus beaux et le regard plus doux; il n'y a que l'homme et le singe qui aient des ‘eils aux deux paupières , les autres animaux n'en ont point à la paupière inférieure, et dans l homme même il y en a beaucoup moins à la paupière inférieure qu'à la supérieure ; le poil des sour- cils devient quelquefois si long dans la vieillesse, qu'on est obligé de le couper. Les sourcils n'ont que deux mouvements qui dépendent des mus- cles, du front, l'un par lequel on les élève , et autre par lequel on les fronce et on les abaisse en les approchant l'un de l'autre. Les paupières servent à garantir les yeux et à empècher la cornée de se dessécher ; la pau- pière supérieure se relève ets "abaisse , ‘infé- rieure n’a que peu de mouvement , et Motte le mouvement des paupières débende de la vo- lonté, cependant l'on n’est pas maitre de les te- nir élevées lorsque le sommeil presse, ou lors- que les yeux sont fatigués; il arrive aussi très- souvent à cette partie des mouvements con vul- sifs et d'autres mouvements involontaires, des- quels on ne s'aperçoit en aucune façon; dans les oiseaux et les quadrupèdes amphibies la pau- pière inférieure est celle qui a du mouvement, et les poissons n’ont de paupières ni en haut ni en bas, Le front est une des grandes parties dela face, et l'une de celles qui contribuent le plus à la beauté de sa forme ; il faut qu'il soit d’une juste proportion , qu'il ne soit ni trop rond , ni trop plat, ni trop étroit, ni trop court, et qu'il soit régulièrement garni decheveux au-dessus etaux côtés. Tout le monde sait combien les cheveux font à la physionomie, c’est un défaut que d'être chauve; l'usage de porter des cheveux étran- gers , qui est devenu si général, aurait dû se borner à cacher les têtes chauves, car cette es- pèce de coiffure empruntée altère la vérité de la physionomie, et donne au visage un air dif- férent de celui qu'il doit avoir naturellement ; on jugerait beaucoup mieux les visages si cha- eun portait ses cheveux et les laissait flotter li- brement. La partie la plus élevée de la tête est celle qui devient chauve la premiere, aussi bien que celle qui est au-dessus des tempes : il est rare que les cheveux qui accompagnent le bas des tempes, tombent en entier, non plus que ceux de la partie inférieure du derrière de la tête. Au reste, il n’y a que les hommes qui de- viennentchauves en avançanten âge, les femmes conservent toujours leurs cheveux, et quoiqu’ils deviennent blancs comme ceux des hommes lorsqu'elles approchent de la vieillesse, ils tom- bent beaucoup moins ; les enfants et les eu- nuques ne sont pas plus sujets à être chauves que les femmes ; aussi les cheveux sont-ils plus grands et plus abondants dans la jeunesse qu'ils ne le sont à tout autre âge. Les plus longs che- veux tombent peu à peu, àmesure qu'on avance en âge ils diminuent et se dessèchent ; ils com- mencent à blanchir par la pointe; dès qu'ils sont devenus blancs ils sont moins forts et se cassent plus aisément. On a des exemples de jeunes gens , dont les cheveux devenus blancs par l'effet d’une grande maladie, ont ensuite re- pris leur couleur naturelle peu à peu lorsque leur santé a été parfaitement rétablie. Aristote et Pline disent qu'aucun homme ne devient chauve avant d'avoir fait usage des femmes , à 196 HISTOIRE NATURELLE l'exception de ceux qui sont chauves dès leur naissance : les anciens écrivains ont appelé les habitants de l'ile de Mycone têtes chauves ; on prétend que c'était un défaut naturel à ces insu- laires, et comme une maladie endémique avec laquelle ils venaient presque tous au monde. Voyez la description des iles de l'Archipel par Dapper, page 354. Voyez aussi le second vol. de l'édition de Pline par le Père Hardouin , page 541. Le nez est la partie la plus avancéeet le trait le plus apparent du visage; mais comme il n’a que très-peu de mouvement, et qu'il n'en prend ordinairement que dans les plus fortes passions, il fait plus à la beauté qu'à la physionomie, et, à moins qu'il ne soit fortdisproportionné ou très- difforme, on ne le remarque pas autant que les autres parties qui ont du mouvement , comme la bouche ou les yeux. La forme du nez, etsa position plus avancée que celle de toutes les autres parties de la face, sont particulières à l'espèce humaine , car la plupart des animaux ont des narines ou naseaux avec la cloison qui les sépare; mais dans aucun le nez ne fait un trait élevé et avancé; les singes même n'ont , pour ainsi dire, que des narines , ou du moins leur nez, qui est posé comme celui de l'homme, est si plat et si court qu'on ne doit pas le re- garder comme une partie semblable; c'est par cet organe que l'homme et la plupart des ani- maux respirent et sentent les odeurs. Les oi- seaux n'ont point de narines, ils ont seulement deux trous ou deux conduits pour la respira- tion et l'odorat, au lieu que les animaux qua- drupèdes ont des naseaux ou des narines carti- lagineuses comme les nôtres. La bouche et les lèvres sont, après les yeux, les parties du visage qui ont le plus de mouve- ment et d'expression ; les passions influent sur ces mouvements, la bouche en marque les dif- férents caractères par les différentes formes qu'elle prend ; l'organe de la voix anime en- core cette partie, et la rend plus vivante que toutes les autres; la couleur vermeilledeslèvres, la blancheur de l'émail des dents, tranchent avec tant d'avantage sur les autres couleurs du visage, qu'elles paraissent en faire le point de vue principal; on fixe en effet les yeux sur la bouche d'un homme qui parle , et on les y ar- rête plus longtemps que sur toutes les autres parties; chaquemot, chaque articulation, Chaque son produisent des mouvements différents dans les lèvres : quelque variés et quelque rapides que soient ces mouvements, on pourrait les dis- tinguer tous les uns des autres; on a vu des sourds en connaitre si parfaitement les diffé- rences et les nuances successives, qu'ils enten- daient parfaitement ce qu'on disait, en voyant comme on le disait. La mâchoire inférieure est la seule qui ait du mouvement dans l'homme et dans tous les animaux, sans en excepter même le crocodile, quoique Aristote assure en plusieurs endroits que la mâchoire supérieure de cet animal est la seule qui ait du mouvement, et que la mà- choire inférieure, à laquelle, dit-il, la langue du crocodile est attachée, soit absolument immo- bile; j'ai voulu vérifier ce fait, et j'ai trouvé, en examinant le squelette d’un crocodile, que c'est au contraire la seule mâchoire inférieure qui est mobile, et que lasupérieureest, comme dans tous les autres animaux, jointe aux au- tres os de la tête, sans qu'il y ait aucune arti- culation qui puisse la rendre mobile. Dans le fœtus humain lamâchoireinférieure est, comme dans le singe, beaucoup plus avancée que la mâchoire supérieure ; dans l'adulte il serait également difforme qu'elle fût trop avancée ou trop reculée, elle doit être à peu près de ni- veau avec la mâchoire supérieure. Dans les in- stants les plus vifs des passions, la mâchoire a souvent un mouvement involontaire, comme dans les mouvements où l'âme n'est affectée de rien; la douleur, le plaisir, l'ennui, font également bâiller, mais il est vrai qu'on bâäille vivement, et que cette espèce de convul- sion est très-prompte dans la douleur et le plaisir, au lieu que le bâillement de l'ennui en porte le caractère par la lenteur avee laquelle il se fait. Lorsqu'on vient à penser tout à coup à quelque chose qu'on desire ardemment ou qu’on regrette vivement, on ressent un tressaillement ou un serrement intérieur; ce mouvement du diaphragme agit sur les poumons, les élève et occasionne une inspiration vive et prompte qui forme le soupir; et lorsque l'âme a réfléchi sur la cause de son émotion, et qu’elle ne voit aueun moyen de remplir son desir ou de faire cesser ses regrets, les soupirs se répètent, la tristesse, qui est la douleur de l'âme, succède à ces premiers mouvements; et lorsque cette douleur de l'âme est profonde et subite, elle fait couler les larmes, et l'air entre dans la poi- DE L'HOMME. trine par secousses, il se fait plusieurs inspira- tions réitérées par une espèce de secousse in- volontaire; chaque inspiration fait un bruit plus fort que celui du soupir, c'est ce qu'on appelle sangloter; les sanglots se scccèdent plus rapidement que les soupirs, et le son de la voix se fait entendre un peu dans le sanglot ; les accents en sont encore plus marqués dans le gémissement, c'est une espèce de sanglot continué, dont le son lent se fait entendre dans l'inspiration et dans l'expiration; son expres- sion consiste dans la continuation et la durée d'un ton plaintif formé par des sons inarticu- lés : ces sons du gémissement sont plus ou moins longs, suivant le degré de tristesse, d'af- fliction et d’abattement qui les cause; mais ils sont toujours répétés plusieurs fois; le temps de l'inspiration est celui de l'intervalle de si- lence qui est entre les gémissements, et ordi- nairement ces intervalles sont égaux pour la durée et pour la distance. Le eri plaintif estun gémissement exprimé avec force et à haute voix ; quelquefois ce cri se soutient dans toute son étendue sur le même ton, e’estsurtout lors- qu'il est fort élevé et très-aigu; quelquefois aussi il finit par unton plus bas, c’est ordinai- rement lorsque la force du cri est modérée. Le ris est un son entrecoupé subitement et à plusieurs reprises par une sorte de trémousse- ment qui est marqué à l'extérieur par le mou- vement du ventre qui s'élève et s’abaisse pré- cipitamment ; quelquefois pour faciliter ce mouvement on penche la poitrine et la tête en avant, la poitrine se resserre et reste immobile; les coins de la bouche s’éloignent du côté &es joues, qui se trouvent resserrées et gonflées ; l'air, à chaque fois que le ventre s’abaisse, sort de la bouche avec bruit, et l'on entend un éclat de la voix qui se répète plusieurs fois de suite, quelquefois sur le même ton, d’autres fois sur des tons différents qui vont en diminuant à chaque répétition. Dans le ris immodéré et dans presque toutes les passions violentes, les lèvres sont fort ou- vertes ; mais dans des mouvements de l'âme plus doux et plus tranquilles, les coins de la bouche s’éloignent sans qu'elle s'ouvre, les joues se gonflent, et dans quelques personnes ilse forme sur chaque joue, à une petite dis- tance des coins de la bouche, un léger enfon- cement que l'on appelle la fossette, c'est un 197 est ordinairement accompagné. Le souris est une marque de bienveillances d'applaudisse- ment et de satisfaction intérieure; c’est aussi une façon d'exprimer lemépris etla moquerie; mais dans ce souris malin on serre davantage les lèvres l’une contre l'autre par un mouve- ment de la lèvre inféricure. Les joues sont des parties uniformes qui n’ont par elles-mêmes aucun mouvement, aucune expressign, sice n'est par la rougeur ou la pà- leur qui les couvre involontairement dans des passions différentes ; ces parties forment le contour de la face et l'union des traits, elles contribuent plus à la beauté du visage qu'à l'expression des passions, il en est de même au menton, des oreilles et des tempes. On rougit dans la honte, la colère, l'orgueil, la joie; on pâlit dans la crainte, l'effroi et la tristesse; cette altération de la couleur du vi- sage est absolument involontaire, elle manifeste l'état de l'âme sans son consentement ; c’est un effet du sentiment sur lequel la volonté n'a aucun empire, elle peut commander à tout le reste, car un instant de réflexion suffit pour qu'on puisse arrêter les mouvements muscu- laires du visage dans les passions, et même pour les changer; mais il n'est pas possible d'empêcher le changement de couleur, parce qu'il dépend d'un mouvement du sang occa- sionné par l’action du diaphragme, qui est le principal organe du sentiment intérieur. La tête en entier prend dans les passions, des positions et des mouvements différents; elle est abaissée en avant dans l'humilité, la honte, la tristesse ; penchée à côté dans la lan- gueur, la pitié; élevée dans l’arrogance; droite et fixe dans l’opiniâtreté; la tête fait un mou- vement en arrière dans l’étonnement, et plu- sieurs mouvements réitérés de côté et d'autre dans le mépris, la moquerie, la colère et l'in- dignation. Dans l’affliction, la joie, l'amour, la honte, la compassion, les yeuxse gonflent tout à coup, une humeur surabondante les couvre et les ob- seurcit, 1l en coule des larmes; l’effusion des larmes est toujours accompagnée d’une tension des muscles du visage, qui fait ouvrir la bou- che; l'humeur qui se forme naturellement dans le nez devient plus abondante, les larmes s'v joignent par des conduits intérieurs, elles ne coulent pas uniformément, et elles semblent agrément qui se joint aux grâces dont le souris | s'arrêter par intervalles. 198 Dans latristesse !, les deux coins de la bouche s'abaissent, la lè re inférieure remonte, la pau- pière est En à à demi, la prunelle de l'œil est élevée et à moitié cachée e par la paupière, les autres muscles de la face sont relächés, de sorte que l'intervalle qui est entre la boucheet les yeux x. | plus grand qu'à l'ordinaire, et par conséquent le visage parait allongé. Dans la peur, la terreur, l’effroi, l'horreur, le front se ride, les sourcils s'élèvent, la pau- pière s'ouvre autant qu'il est possible, ‘tlle sur- monte la prunelle, et laisse paraitre une partie du blane de l'œil au-dessus de la prunelle, qui est abaissée et un peu cachée par la paupière inférieure ; la bouche est en même temps fort ouverte, les lèvres se retirent et laissent pa- raitreles dents en haut et en bas. Dansle mépris et la dérision, la lèvre supé- rieure se relève d'un côté et laisse paraître les dents, tandis que de l'autre côté elle a un petit mouvement comme pour sourire; le nez se fronce du même côté que la lèvre s’est élevée, et le coin de la bouche recule; l'œil du même côté est presque fer mé, tandis que l’autre est ouvert à Vordinaire; mais les deux prunelles sont abaissées comme lorsqu'on regarde du haut en bas. # Dans la jalousie, l'envie, la malice, les sour- cils descendent et se froneent, les paupières s'élèvent et les prunelles s’abaissent, la lèvre supérieure s'élève de chaque côté, tandis que les coins de: Ja bouche s’abaissent un peu, et que le milieu de la lèvre inférieure se relève pour joindrele milieu de la lèvre supérieure. Dans leris, les deux coins de la bouche recu- lent et s'élèvent un peu, la partie supérieure des joues se relève, les yeux se ferment plus ou moins, la lèvre supérieure s'élève, l'infé- rieure s’abaisse; la bouche s'ouvre et la peau du nez se fronce dans les ris immodérés. Les bras, les mains et tout le corps entrent aussi dans l'expression des passions; les gestes concourent avec les mouvements du visage pour exprimer les différents mouvements de l'âme. Dans la joie, par exemple, les yeux, la tête, les bras et tout le corps sont agités par des mouvements prompts et variés: dans la lan- gueur et la tristesse, les yeux sont abaissés, la tête est penchée sur le côté, les bras sont pen- 4 Voyez la dissertation de M. Parsons, qui a pour titre : Human physionomy explain'd. London, 1747. HISTOIRE NATURELLE dants et tout le corps est immobile : dans l'ad- miration, la surprise, l'étonnement, tout mou- vement est suspendu, on reste dans une même attitude. Cette première expression des pas- sions est indépendante de la volonté; mais il y a une autre sorte d'expression, qui semble être produite par une réflexion de l'esprit et par le commandement de la volonté, qui fait agir les yeux, la tête, les bras et tout le corps: ces mouvements paraissent être autant d'efforts que fait l'âme pour défendre le corps, ce sont au moins autant de signes secondaires qui ré- pètent les passions, et qui pourraient seuls les exprimer, par exemple, dans l'amour, dans le desir, dans l'espérance, on lève la tête et les yeux vers le ciel, comme pour demander le bien que l’on souhaite; on porte la tête et le corps en avant, comme pour ayancer, En S'ap- prochant, la possession de l'objet desiré; on étend les bras, on ouvre les mains pour l'em- brasser et le saisir : au contraire dans la crainte, dans la haine, dans l'horreur, nous avancons les bras avec précipitation, comme pour re- pousser ce qui fait l’objet de notre aversion, nous détournons les yeux et la tête, nous recu- lons pour l’éviter, nous fuyons pour nous en éloigner. Ces mouvements sont si prompts qu'ils paraissent involontaires; mais c’est un effet de l'habitude qui nous trompe, car ces mouvements dépendent de la réflexion, et marquent seule- ment la perfection des ressorts du corps hu- main, par la promptitude ayec laquelle tous les membres obéissent aux ordres de la vo- lonté. Comme toutes les passions sont des mouve- ments de l'âme, la plupart relatifs aux impres- sions des sens, elles peuvent être exprimées par les mouvements du corps, et surtout par ceux du visage; on peut juger de ce qui se passe à l'intérieur par l'action extérieure, et connaitre, à l'inspection des changements du visage, la situation actuelle de l'âme; mais comme l'âme n’a point de forme qui puisse être relative à aucune forme matérielle, on ne peut pas la juger par la figure du corps ou par la forme du visage; un corps mal fait peut ren- fermer une fort belle âme, et l'on ne doit pas juger du bon ou du mauvais naturel d’une per- sonne par les traits deson visage ; car ces traits n'ont aueun rapport avec la nature de l'âme, aucune analogie sur laquelle on puisse fonder des conjectures raisonnables; DE L'HOMME. Les anciens étaient cependant fort attachés à cette espèce de préjugé, et dans tous les temps il y a eu des hommes qui ont voulu faire une science divinatoire de leurs prétendues connaissances en physionomie; mais il est bien évident qu'elles ne peuvent s'étendre qu'à de- | yiner les mouvements de l'âme par ceux des yeux, du visage et du corps, et que la forme du nez, de la bouche et des autres traits ne fait pas plus à la forme de l'âme, au naturel de la persanne, que la grandeur ou la grosseur des membres fait à la pensée. Un homme en sera- t-il plus spirituel parce qu'il aura le nez bien fait ? en sera-t-il moins sage parce qu'il aura les yeux petits et la bouche grande? il faut donc avouer que tout ce que nous ont dit les physionomistes est destitué de tout fondement, et que rien n'est plus chimérique que les in- duetions qu'ils ont voulu tirer de leurs préten- - dues observations métoposcopiques. Les.parties de la tête qui font le moins à la physionomie et à l'air du visage sont les oreil- les ; elles sont placées à côté et cachées par les cheveux : cette partie, qui est si petite et si peu apparente dans l'homme, est fort remarquable dans la plupart des animaux quadrupèdes, elle fait beaucoup à l'air de la tête de l'animal, elle indique même son état de vigueur ou d’abatte- ment, elle a des mouvements musculaires qui dénotent le sentiment et répondent à l'action intérieure de l'animal. Les oreilles de l'homme n'ont ordinairement aucun mouvement, volon- taire ou involontaire, quoiqu'il y ait des mus- clesqui y aboutissent; les plus petites oreilles sont, à ce qu'on prétend, les plus jolies; mais les plus grandes, qui sont en même temps bien bordées, sont celles qui entendent le mieux. Il y a des peuples qui en agrandissent prodi- gieusement le lobe, en le perçant et en y met- tant des morceaux de bois ou de métal, qu'ils remplacent successivement par d’autres mor- ceaux plus gros, ce qui fait avec le temps un trou énorme dans le tube de l'oreille, qui croît toujours à proportion que le trou s’élargit; j'ai vu de ces morceaux de bois, qui avaient plus d'un pouce et demi de diamètre, qui venaient des Indiens de l'Amérique méridionale, ils res- semblent à des dames de trictrac. On ne sait sur quoi peut être fondée cette coutume singu- lière des’'agrandir si prodigieusementles oreilles; il est vrai qu'on ne sait guère mieux d'où peut venir l'usage, presque général dans toutes les | 199 nations, de percer les oreilles, et quelquefois les narines, pour porter des boucles, des an- neaux, ele., à moins que d'en attribuer l'origine aux peuples encore sauvages et nus, qui ont cherché à porter de la manière la moins in- commode les choses qui leur ont paru les plus précieuses, en les attachant à cette partie. La bizarrerie et la variété des usages parais- sent encore plus dans la manière différente dont les hommes ontarrangé les cheveux et ia barbe ; les uns, comme les Turcs, coupent leurs cheveux et laissent croître leur barbe; d’autres, comme la plupart des Européens, portent leurs cheveux ou des cheveux empruntés et rasent leur barbe ; les sauvages se l’arrachent et con- servent soigneusement leurs cheveux; les nè- | gres se rasent la tête par figures, tantôt en étoiles tantôt à la facon des religieux, et plus communément encore par bandes alternatives, en laissant autant de plein que de rasé, et ils font la même chose à leurs petits garçons ; les talapoins de Siam font raser la tête ct les sour- cils aux enfants dont on leur confie l'éducation; chaque peuple a sur cela des usages différents, les uns font plus de cas de la barbe de la lèvre supérieure que de celle du menton; d’autres préfèrent celle des joues et celle du dessous du visage ; les uns la frisent, les autres la por- tent lisse. Il n’y a pas bien longtemps quenous portions les cheveux du derrière de la tête épars et flottants, aujourd'hui nous les portons dans un sac; nos habillements sont différents de ceux de nos pères, la variété dans la ma- nière de se vêtir est aussi grande que la diver- sité des nations; et ce qu'il y a de singulier, c'est que de toutes les espèces de vêtements nous avons choisi l’une des plus incommodes, et que notre manière, quoique généralement imitée par tous les peuples de l'Europe, est en même temps de toutes les manières de se vé- tir celle qui demande le plus de temps, celle qui me parait être le moins assortie à la na- ture. Quoïque les modes semblent n'avoir d'autre origine quele caprice etla fantaisie, les capri- ces adoptés et les fantaisies générales méritent d'être examinés : les hommes ont toujours fait et feronttoujours cas de tout ce qui peut fixer les yeux des autres hommes et leur donner en mêmetemps des idéesavantageuses de richesses, de puissance, de grandeur, etc. La valeur de ces pierres brillantes qui de tout temps ont été 200 regardées comme des ornements précieux, n'est fondée que sur leur rareté et sur leur éclat éblouissant; il en est de même de ces mé- taux éclatants, dont le poids nous parait si léger lorsqu'il est réparti sur tous les plis de nos vêtements pour en faire la parure: ces pierres, ces métaux sont moins des ornements pour uous, que des signes pour les autres, aux- quels ils doivent nous remarquer et reconnaitre nos richesses ; nous tâchons de leur en donner une plus grande idée en agrandissant la surface de ces métaux , nous voulons fixer leurs yeux ou plutôt les éblouir; combien peu y en at-il en effet qui soient capables deséparer la per- sonne de son vêtement, et de juger sans mé- lange l'homme et le métal! Tout ce qui est rare et brillant sera donc tou- jours de mode, tant que les hommes tireront plus d'avantage de l’opulence que de la vertu, tant que les moyens de paraitre considérable seront si différents de ce qui mérite seul d'être considéré : l'éclat extérieur dépend beaucoup dela manière de se vêtir; cette manière prend des formes différentes, selon les différents points de vue sous lesquels nous voulons être regar- dés; l'homme modeste, ou qui veut le paraitre, veuten même temps marquer cette vertu par la simplicité de son habillement, l'homme glo- rieux ne néglige rien de ce qui peut étayer son orgueil ou flatter sa vanité, on le reconnait à la richesse ou à la recherche de ses ajuste- ments. Un autre point de vue que les hommes ont assez généralement, est de rendre leur corps plus grand, plus étendu : peu contents du petit espace dans lequel est cireonscrit notre être, nous voulons tenir plus de place en ce monde, que la nature ne peut nous en donner; nous cherchons à agrandir notre figure par des chaus- sures élevées , par des vêtements renflés; quelque amples qu’ils puissent être, la vanité qu'ils couvrent n'est-elle pas encore plus grande ? pourquoi la tête d’un docteur est-elle environnée d'une quantité énorme de cheveux empruntés, et que celle d’un homme du bel air en est si légèrement garnie? l’un veut qu'on juge de l'étendue de sa science par la capacité physique de cette tête, dont il grossit le volume apparent; et l’autre ne cherche à le diminuer, que pour donner l'idée de la légèreté de son esprit. Il y a des modes dont l'origine est plus rai- HISTOIRE NATURELLE sonnable, ce sont celles où l'on a eu pour but de cacher des défauts et de rendre H nature moins désagréable. A prendre les hommes en général, il y a beaucoup plus de figures défec- tueuses et de laids visages, que de personnes belles et bien faites : les modes, qui ne sont que l'usage du plus grand nombre, usage auquel le reste se soumet, ont donc été introduites, éta- blies par ce grand nombre de personnes inté- ressées à rendre leurs défauts plus supporta- bles. Les femmes ont coloré leur visage lorsque les roses de leur teint sesont flétries, et lors- qu'une päleur naturelle les rendait moins agréables que les autres; cet usage est presque universellement répandu chez tous les peuples de la terre; celui de se blanchir les cheveux‘ avec de la poudre, et deles enfler par la frisure, quoique beaucoup moins général et bien plus nouveau, parait avoir été imaginé pour faire sortir davantage les couleurs du visage, et en accompagner plus avantageusement la forme. Mais laissons les choses accessoires et exté- rieures, etsans nous occuper plus longtemps des ornements et de la draperie du tableau, reve- nons à la figure. La tête de l'homme est à l'ex- térieur et à l’intérieur d’une forme différente de celle de la tête de tous les autres animaux, à l'exception du singe, dans lequel cette partie est assez semblable; il a cependant beaucoup moins de cerveau etplusieurs autres différences dont nous parlerons dans la suite: le corps de presque tous les animaux quadrupèdes vivi- pares est en entier couvert de poils, le derrière de la tête de l'homme est jusqu'à l’âge de pu- berté la seule partie de son corps qui en soit couverte, et elle en est plus abondamment garnie que la tête d'aucun animal. Le singe ressemble encore à l’homme par les oreilles, par les narines, par les dents: il y a une très- grande diversité dans la grandeur, la position et le nombre des dents des différents animaux; les uns en ont en hautet en bas; d'autres n’en ont qu'àla mâchoire inférieure; dans les uns les dents sont séparées les unes des autres; dans d’autres elles sont continues et réunies; le palais de certains poissons n’est qu'une espèce de masse osseuse très-dure et garnie d'un très- ‘Les Papoux , habitants de la Nouvelle-Guinée, qui sont des peuples sauvages, ne laissent pas de faire grand cas de leur barbe et de leurs cheveux, et de les poudrer avec de la chaux. Voyez Recueil des Voyages qui ont servi à l'établisse- ment de la compagnie des Indes, tom. AV, p. 637. DE L'HOMME. grand nombre de pointes qui font l'office de dents . Dans presque tous les animaux, la partie par laquelle ils prennent la nourriture est ordinai- rement solide ou armée de quelques.corps durs; dans l'horame, les quadrupèdes et les poissons, les dents ; le bec dans les oiseaux; les pinces, les scies, ete., dans les insectes, sont des in- struments d'une matière dure et solide, avec lesquels tous ces animaux saisissent et broient leurs aliments ; toutes ces parties dures tirent leur origine des nerfs, comme les ongles, les cornes, ete. Nous avons dit que la substance nerveuse prend de la solidité et une grande du- reté dès qu'elle se trouve exposée à l'air; la bouche est une partie divisée, une ouverture dans le corps de l'animal; il est donc naturel d'imaginer que les nerfs qui y aboutissent, doi- vent prendre à leurs extrémités de la dureté et de la solidité, et produire par conséquent les dents, les palais osseux, les becs, les pinces, et toutes les autres parties dures que nous trou- vons dans tous les animaux, comme ils produi- sent aux autres extrémités du corps auxquelles ils aboutissent, les ongles, les cornes, les ergots, et même à la surface les poils, les plumes, les écailles, ete. Le col soutient la tête et la réunit avec le corps; cette partie est bien plus considérable dans la plupart des animaux quadrupèdes, qu'elle ne l’est dans l'homme; les poissons et les autres animaux qui n’ont point de poumons semblables aux nôtres, n'ont point de cou. Les oiseaux sont en général les animaux dont le cou est le plus long; dans les espèces d'oiseaux qui ont les pattes courtes, le col est aussi assez court; et dans celles où les pattes sont fort lon- gues, le col est aussi d’une très-grande longueur. Aristote dit que les oiseaux de proie, qui ontdes serres, ont tous le col court. La poitrine de l’homme est à l'extérieur con- formée différemment de celle des autres ani- * On trouve dans le Journal des Savants, année 1673, un ex- trait de l'/storia anatomica dell’ ossa del corpo humano, di Bernardino Genga, etc, par lequel il paraît que cet au- teur prétend qu'il s'est trouvé plusieurs personnes qui n'a- vaient qu'une seule dent qui occupait toute la mâchoire, sur laquelle on voyait de petites lignes distinctes par le moyen desquelles il semblait qu'il y en eût plusieurs : il dit avoir trouvé dans le cimetière de l'hôpital du Saint-Esprit de Rome, une tête qui n'avait pas de mâchoire inférieure, et que dans la supérieure il n'y avait que trois dents, savoir, deux molai- res, dont chacune était divisée en cinq avec les racines sépa- rées, el l’autre formait les quatre dents incisives et les deux qu'on appelle canines, page 254. 1 201 maux , elle est plus large à proportion du corps, et il n'y a que l'homme et le singe dans lesquels on trouve ces os qui sont immédiatement au dessous du cou, et qu'on appelle les c/avicules. Les deux mamelles sont posées sur la poitrine; celles des femmes sont plus grosses et plus émi- nentes que celles des hommes , cependant elles paraissent être à peu près de la même consis- tance , et leur organisation est assez semblable, car les mamelles des hommes peuvent former du lait comme celles des femmes ; on a plusieurs exemples de ce fait, et c’est surtout à l’âge de puberté que cela arrive; j'ai vu un jeune homme de quinze ans faire sortir d'une deses mamelles plus d'une cuillerée d'une liqueur laiteuse, ou plutôt de véritable lait. Il y a dans les animaux une grande variété dans la situation et dans le nombre des mamelles; les uns, comme lesinge, l'éléphant , n’en ont que deux qui sont posées sur ie devant de la poitrine ou à côté; d’autres en ont quatre, comme l'ours; d’autres, comme les brebis, n’en ont que deux placées entre les cuisses; d’autres ne les ont ni sur la poitrine ni entre les cuisses, mais sur le ventre , comme les chiennes, les truies, ete., qui en ont un grand nombre ; les oiseaux n’ont point de mamelles, non plus que tous les autres animaux ovipares : les poissons vivipares, comme la baleine, le dauphin, le lamantin, etc., ont aussi des ma- melles et du lait. La forme des mamelles varie dans les différentes espèces d'animaux et dans la même espèce suivant les différents âges. On prétend que les femmes dont les mamelles ne sont pas bien rondes, mais en forme de poire, sont les meilleures nourrices , parce que les en- fants peuvent alors prendre dans leur bouche non seulement le mamelon, mais encore une partie même de l'extrémité de la mamelle. Au reste, pour que les mamelles des femmes soient bien placées , il faut qu'il y ait autant d'espace de l’un des mamelons à l’autre, qu'il yen a depuis le mamelon jusqu’au milieu de la fos- sette des elavicules, en sorte que ces trois points fassent un triangle équilatéral. Au dessous de la poitrine est le ventre, sur lequel l'ombilie ou le nombril est apparent et bien marqué , au lieu que dans la plupart des espèces d'animaux il est presque insensible, et souvent même entièrement oblitéré; les sin- ges même n'ont qu'une espèce de callosité ou de dureté à la place du nombril, Les bras de l'homme ne ressemblent point 202 du tout aux jambes de devant des quadrupèdes, non plus qu'aux ailes des oiseaux ; lesinge est le seul de tous les animaux qui ait des bras et des mains; mais ces bras sont plus grossière- ment formés et dans des proportions moins exactes que le bras et la main de l'homme; les épaules sont aussi beaucoup plus larges et d’une forme très-différente dans l'homme, de ce qu'el- les sont dans tous les autres animaux; le haut des épaules est la partie du corps sur laquelle l'homme peut porter les plus grands fardeaux. La forme du dos n’est pas fort différente dans l'homme de ce qu'elle est dans plusieurs animaux quadrupèdes; la partie des reins est seulement plus musculeuse et plus forte ; mais les fesses, qui font les parties les plus infé- rieures du tronc, n'appartiennent qu'à l’es- pèce humaine, aucun des animaux quadru- pèdes n’a de fesses; ce que l'on prend pour cette partie sont leurs euisses. L'homme est le seul qui se soutienne dans une situation droite et perpendiculaire; c'est à cette position des parties inférieures qu'est relatif cerenflement au haut des cuisses, qui forme les fesses. Le pied de l'homme est aussi très-différent de celui de quelque animal que ce soit, etmême de celui du singe; le pied du singe est plutôt une main qu'un pied, les doigts en sont longs et disposés comme ceux de la main, celui du milieu est plus grand que les autres, comme dans la main; ce pied du singe n’a d’ailleurs point de talon semblable à celui de l’homme: l'assiette du pied est aussi plus grande dans l'homme que dans tous les animaux quadru- pèdes , et les doigts du pied servent beaucoup à maintenir l'équilibre du corps et à assurer ses mouyements dans la démarche, la course, la danse, ete. Les ongles sont plus petits dans l'homme que dans tous les autres animaux; s'ils excédaient beaucoup les extrémités des doigts , ils nuiraient à l'usage de la main; lessauvages, qui les lais- sent croitre , s'en servent pour déchirer la peau des animaux ; mais quoique leurs ongles soient plus forts et plus grands que les nôtres, ils ne le sont point assez pour qu'on puisse les comparer en aucune façon à la corne ou aux ergots du pied des animaux. On n'a rien observé de parfaitement exact dans le détail des proportions du corps humain; non-seulement les mêmes parties du corps n’ont pas les mêmes dimensions proportionnelles dans HISTOIRE NATURELLE deux personnes différentes, mais souvent, dans la même personne, une partie n'est pas exacte- ment semblable à la partie correspondante ; par exemple, souvent le bras ou la jambe du côté droit n’a pas exactement les mêmes dimensions que le bras ou la jambe du côté gauche, ete. Ii a done fallu des observations répétées pendant longtemps pour trouver un milieu entre ces dif- férences , afin d'établir au juste les dimensions des parties du corps humain, et de donner une idée des proportions qui font ce que l’on appelle la belle nature : ce n’est pas par la comparaison du corps d'un homme avec celui d'un autre homme, ou par des mesures actuellement prises sur un grand nombre de sujets, qu’on a pu ac- quérir cette connaissance ; c’est par les efforts qu'on a faits pour imiter et copier exactement la nature, c’est à l'art du dessin qu'on doit tout ce que l’on peut savoir en ce genre; le senti- ment et le goût ont fait ce que le mécanique ne pouvait faire : on a quitté la règle et le compas pour s’en tenir au coup d'œil, on a réalisé sur le marbre toutes les formes, tous les contours de toutes les parties du corps humain, et on a mieux connu la nature par la représentation que par la nature même; dès qu’il y a eu des statues, on a mieux jugé de leur perfection en les voyant, qu'en les mesurant. C’est par un grand exercice de l’art du dessin et par un sen- timent exquis, que les grands statuaires sont parvenus à faire sentir aux autres hommes les justes proportions des ouvrages de la nature; les anciens ont fait de si belles statues, que d'un commun accord on les a regardées comme la représentation exacte du corps humain le plus parfait. Ces statues , qui n'étaient que des copies de l'homme, sont devenues des originaux, parce que ces copies n'étaient pas faites d'après un seul individu, mais d'après l'espèce hu- maine entière bien observée, et si bien vue qu'on n'a pu trouver aucun homme dont le corps füt aussi bien proportionné que ces sta- tues; c'est donc sur ces modèles que l’on a pris les mesures du corps humain, nous les rap- porterons ici comme les dessinateurs les ont données. On divise ordinairement la hauteur du corps en dix parties égales , que l’on appelle faces en terme d'art, parce que la face de l'homme a été le premier modèle de ses mesures; on distingue aussi trois parties égales dans cha- que face, c'est-à-dire, dans chaquedixième par- tie de la hauteur du corps; cette seconde divi- ee ———————— DE L'HOMME. sion vient de celle que l'on a faite de la face humaine en trois parties égales. La première commence au dessus du front à la naissance des cheveux, et finit à la racine du nez; le nez fait la seconde partie de la face; et la troisième, en commencant au-dessous du nez, va jusqu'au- dessous du menton : dans les mesures du reste du corps on désigne quelquefois la troisième partie d'une face, ou une trentième partie de toute la hauteur, par le mot de nez, ou de lon- gueur de nez. La première face dont nous ve- nons de parler , qui est toute la face de l’homme, ne commence qu'à la naissance des cheveux, qui est au-dessus du front; depuis ce point jus- qu'au sommet de la tête il y a encore un tiers de face de hauteur, ou, ce qui est la même chose, une hauteur égale à celle du nez; ainsi, depuis le sommet de la tête jusqu'au bas du menton, c'est-à-dire dans la hauteur de la tête, il y a une face et un tiers de face; entre le bas du menton et la fossette des elavieules , qui est au-dessus de la poitrine, il y a deux tiers de face; ainsi la hauteur depuis le dessus de la poitrine jusqu’au sommet de la tête, fait deux fois la longueur de la face, ce qui est la cin- quième partie de toute la hauteur du corps ; de- puis la fossette des clavicules jusqu’au bas des mamelles on compte une face : au dessous des mamelles commence la quatrième face, qui finit au nombril, et la cinquième va à l'endroit où se fait la bifurcation du tronc, ce qui fait en tout la moitié de la hauteur du corps. On compte deux faces dans la longueur de la cuisse jus- qu'au genou; le genou fait une demi-face , qui est la moitié de la huitième : il y a deux faces dans la longueur de la jambe depuis le bas du genou jusqu'au cou-de-pied , ce qui fait en tout neuf faces et demie ; et depuis le cou-de-pied jus- qu'à la plante du pied, il y a une demi-face, qui complète les dix faces dans lesquelles on a divisé toute la hauteur du corps. Cette division a été faite pour le commun des hommes; mais pour ceux qui sont d’une taille haute et fort au- dessus du commun, il se trouve environ une demi-face de plus dans la partie du corps qui estentre les mamelles etla bifurcation du tronc; c’est donc cette hauteur de surplus dans cet en- droit du corps, qui fait la belle taille; alors la naissance de la bifurcation du trone ne se ren- contre pas précisément au milieu de la hauteur du corps, mais un peu au-dessous. Lorsqu'on étend les bras de façon qu'ils soient tous deux 205 sur une même ligne droite et horizontale, la distance qui se trouve entre les extrémités des grands doigts des mains est égale à la hauteur du corps. Depuis la fossette qui est entre les cla- vicules jusqu'à l'emboiture de l'os de l'épaule avec celui du bras il y a une face; lorsque le bras est appliqué contre le corps et plié en avant, on y compte quatre faces, savoir: deux entre l'emboiture de l'épaule et l'extrémité du coude, et deux autres depuis le coude jusqu’à la pre- mière naissance du petit doigt; ce qui fait cinq faces, et cinq pour le côté de l’autre bras, c’est en tout dix faces, c’est-à-dire une longueur égale à toute la hauteur du @rps; il reste cependant à l'extrémité de chaque main la longueur des doigts, qui est d'environ une demi-face; mais il faut faire attention que cette demi-face se perd dans les emboîtures du coude et de l'épaule lorsque les bras sont étendus. La main a une face de longueur, le pouce a un tiers de face ou une longueur de nez, de même que le plus long doigt du pied; la longueur du dessous du pied est egale à une sixième partie de la hau- teur du corps en entier. Si l’on voulait vérifier ces mesures de longueur sur un seul homme, on les trouverait fautives à plusieurs égards, par les raisons que nous en avons données; il serait encore bien plus difficile de déterminer les mesures de la grosseur des différentes par- ties du corps; l’embonpoint ou la maigreur change si fort ces dimensions, et le mouvement des muscles les fait varier dans un si grand nom- bre de positions, qu'il est presque impossible de donner là-dessus des résultats sur lesquels on puisse compter. Dans l'enfance, les parties supérieures du corps sont plus grandes que les parties inférieures, les cuisses et les jambes ne font pas, à beau- coup près, la moitié de la hauteur du corps; à mesure que l'enfant avance en âge, ces parties inférieures prennent plus d’accroissement que les parties supérieures, et lorsque l’accroisse- ment de tout le corps est entièrement achevé, les cuisses et les jambes font à peu près la moitié de la hauteur du corps. Dans les femmes, la partie antérieure de la poitrine est plus élevée que dans les hommes, en sorte qu'ordinairement la capacité de la poi- trine formée par les côtes, a plus d'épaisseur dans les femmes et plus de largeur dans les hommes, proportionnellement au reste du corps; les hanches des femmes sont aussi beaucoup 204 plus grosses, parce que les os des hanches et ceux qui y sont joints et qui composent ensem- ble cette capacité qu'on appelle le bassin, sont plus larges qu'ils ne le sont dans les hommes ; cette différence, dans la conformation de la poi- trine et du bassin, est assez sensible pour être reconnue fort aisément, et elle suffit pour faire distinguer le squelette d'une femme de celui d'un homme. La hauteur totale du corps humain varie as- sez considérablement : la grande taille pour les hommes est depuis cinq pieds quatre ou cinq pouces, jusqu’à cinq pieds huit ou neuf pouces ; la taille médiocre est depuis cinq pieds ou cinq pieds un pouce, jusqu'à cinq pieds quatre pou- ces; et la petite taille est au-dessous de cinq pieds : les femmes ont en général deux ou trois pouces de moins que les hommes; nous parle- rens ailleurs des géants et des nains. Quoique le corps de l'homme soit à l'extérieur plus délicat que celui d'aucun des animaux, il est cependant très-nerveux , et peut-être plus fort, par rapport à son volume, que celui des animaux les plus forts; car sinous voulons com- parer la force du lion à celle de l'homme, nous devons considérer que cet animal étant armé de griffes et de dents, l'emploi qu'il fait de ses forces nous en donne une fausse idée, nous at- tribuons à sa force ce qui n'appartient qu'à ses armes; celles que l’homme a recues de la nature ne sont point offensives , heureux si l’art ne lui en et pas mis à la main de plus terribles que les ongles du lion. Mais il y aune meilleure manière de comparer la force de l'homme avec celle des animaux, c’est par le poids qu'il peut porter; on assure que les porte-faix ou crocheteurs de Constanti- nople portent des fardeaux de neuf cents livres pesant; je me souviens d’avoir lu une expé- rience de M. Desaguliers au sujet de la force de l'homme : il fit faire une espèce de harnoïs, par le moyen duquel il distribuait sur toutes les par- ties du corps d'un homme debout un certain nombre de poids, en sorte que chaque partie du corps supportait tout ce qu'elle pouvait sup- porter relativement aux autres, et qu'il n'y avait aucune partie qui ne fût chargée comme elle devait l'être ; on portait, au moyen de cette machine , sans être fort surchargé, un poids de deux milliers : si on compare cette charge avec celle que, volume pour volume, un cheval doit porter, on trouvera que, comme le corps de cet HISTOIRE NATURELLE animal à au moins six ou sept fois plus de vo- lume que celui d’un homme, on pourrait done charger un cheval de douze à quatorze milliers, ce qui est un poids énorme en comparaison des fardeaux que nous faisons porter à cet animal, même en distribuant le poids du fardeau aussi avantageusement qu'il nous est possible. On peut encore juger de la force par la con- tinuité de l'exercice et par la légèreté des mou- vements : les hommes qui sont exercés à la course, devancent les chevaux, ou du moins soutiennent ce mouvement bien plus longtemps; et même dans un exercice plus modéré, un homme accoutumé à marcher fera chaque jour plus de chemin qu'un cheval, et s’il ne fait que le même chemin, lorsqu'il aura marché autant de jours qu'il sera nécessaire pour que le cheval soit rendu , l'homme sera encore en état de con- tinuer sa route sans en être incommodé. Les chaters d’Ispahan, qui sont des coureurs de profession , font trente-six lieues en quatorze ou quinze heures. Les voyageurs assurent que les Hottentots devancent les lions à la course, que les sauvages qui vont à la chasse de l'orignal, poursuivent ces animaux , qui sont aussi légers que des cerfs , avec tant de vitesse qu'ils les las- sent et les attrapent : on raconte mille autres choses prodigieuses de la légèreté des sauvages à la course, et des longs voyages qu'ils entre- prennent et qu'ils achèvent à pied dans les mon- tagnes les plus escarpéés, dans les pays les plus difficiles, où il n’y a aucun chemin battu, au- cun sentier tracé ; ces hommes font, dit-on, des voyages de mille à douze cents lieues en moins de six semaines ou deux mois. YŸ a-t-il aucun animal , à l'exception des oiseaux, qui ont en effet les muscles plus forts à proportion que tous les autres animaux , y a-t-il, dis-je, aucun animal qui püût soutenir cette longue fatigue ? l'homme civilisé ne connaît pas ses forces, il ne sait pas combien il en perd par la mollesse, et combien il pourrait en acquérir par l'habitude d'un fort exercice. Ilse trouve cependant quelquefois parmi nous des hommes d’une force ‘ extraordinaire; mais ce don de la nature, qui leur serait précieux s'ils étaient dans le cas de l'employer pour leur dé- fense ou pour des travaux utiles, est un très- {« Nos quoque vidimus Athanatum nomine prodigiosæ os- « tentationis quingenario thorace plumbeo indutum, co- « thurnisque quingentorum pondo calcatum, per scenam in- l'« gredi. » Pline, vol. IL, lib. 7, p, 59. DE L'HOMME. petit avantage dans une société policée , où l'es- prit fait plus que le corps, et où le travail de la main ne peut être que celui des hommes du der- nier ordre. Les femmes ne sont pas, à beaucoup près, aussi fortes que les hommes; et le plus grand usage, ou le plus grand abus que l'hemme ait fait de sa force, c'est d'avoir asservi et traité souvent d'une manière tyrannique cette moitié du genre humain, faite pour partager avec lui les plaisirs et les peines de la vie. Les sauvages obligent leurs femmes à travailler continuelle- ment, ce sont elles qui cultivent la terre, qui font l'ouvrage pénible, tandis que le mari reste nonchalamment couché dans son hamae, dont il ne sort que pour aller à la chasse ou à la pê- che, ou pour se tenir debout dans la même atti- tude pendant des heures entières; car les sau- vages ne savent ce que c'est que dese promener, et rien ne les étonne plus dans nos manières, que de nous voir aller en droite ligne et revenir ensuite sur nos pas plusieurs fois de suite; ils n'imaginent pas qu'on puisse prendre cette peine sans aucune nécessité, et se donner ainsi du mouvement qui n’aboutit à rien. Tous les hom- mes tendent à la paresse; mais les sauvages des pays chauds sont les plus paresseux de tous les hommes, et les plus tyranniques à l'égard de leurs femmes par les services qu'ils en exigent avec une dureté vraiment sauvage : chez les peuples policés, les hommes, comme les plus forts , ont dicté des lois où les femmes sont tou- jours plus lésées, à proportion de la grossièreté des mœurs; et ce n'est que parmi les nations civilisées jusqu'à la politesse, que les femmes ont obtenu cette égalité de condition, qui ce- pendant est si naturelle et si nécessaire à la dou- ceur de la société; aussi cette politesse dans les mœurs est-elle leur ouvrage, elles ont opposé à la force des armes victorieuses, lorsque par leur modestie elles nous ont appris à reconnai- tre l'empire de la beauté, avantage naturel plus grand que celui de la force, mais qui suppose l’art de le faire valoir. Car les 1dées que les dif- férents peuples ont de la beauté sont si singu- lières et si opposées, qu'il y a tout lieu de croire que les femmes ont plus gagné par l’art de se faire desirer , que par ce don même de la na- ture , dont les hommes jugent si différemment ; ils sont bien plus d'accord sur la valeur de ce qui est en effet l'objet de leurs desirs, le prix de la chose augmente par la difficulté d'en ob- 205 tenir la possession, Les femmes ont eu de la beauté dès qu'elles ont su se respecter assez pour se refuser à tous ceux qui ont voulu les attaquer par d’autres voies que par celles du sentiment, et du sentiment une fois né la poli- tesse a dû suivre. Les anciens avaient des goûts de beauté dif- férents des nôtres; les petits fronts , les sourcils joints ou presque point séparés, étaient des agré- ments dans le visage d'une femme : on fait en< core aujourd'hui grand cas, en Perse, des gros sourcils qui se joignent; dans quelques pays des Indes il faut, pour être belle, avoir les dents noires et les cheveux blancs, et l’une des prin- cipales occupations des femmes aux iles Ma- rianes est de se noircir les dents avec des her- bes, et de se blanchir les cheveux à force de les laver avec de certaines eaux préparées. A la Chine et au Japon c'est une beauté que d'avoir le visage large, les yeux petits et couverts, le nez camus et large, les pieds extrêmement pe- tits, le ventre fort gros, ete. Il y a des peuples, parmi les Indiens de l'Amérique et de l'Asie, qui aplatissent la tête de leurs enfants en leur serrant le front et le derrière de la tête entre des planches, afin de rendre leur visage beau- coup plus large qu'il ne le serait naturellement; d'autres aplatissent la tête et l’allongent en la serrant par les côtés ; d’autres l’aplatissent par le sommet; d’autres enfin la rendent la plus ronde qu'ils peuvent; chaque nation a des pré- jugés différents sur la beauté, chaque homme a même sur cela ses idées et son goût particu- lier; ce goût est apparemment relatif aux pre- mières impressions agréables qu’on a reçues de certains objets dans le temps de l'enfance, et dépend peut-être plus de l'habitude ou du ha- sard que de la disposition de nos organes. Nous verrons, lorsque nous traiterons du dévelop- ment des sens, sur quoi peuvent être fondées les idées de beauté en général que les yeux peu- vent nous donner. ADDITION A l'article de la Description de l'Homme, I. Hommes d’une grosseur extraordinaire. . Il se trouve quelquefois des hommes d'une grosseur extraordinaire ; l'Angleterre nous en 206 fournit plusieurs exemples. Dans un voyage que le roi George II fit en 1724, pour visiter quel- ques-unés de ses provinces, où lui présenta un homme du comté de Lincoln, qui pesait cinq cent quatre-vingt-trois livres poids de mare : la circonférence de son corps était de dix pieds anglais, et sa hauteur de six pieds quatre pou- ces; il mangeait dix-huit livres dé bœuf par jour; il est mort avant l'âge de vingt-neuf ans, et il a laissé sept enfants !. Dans l’année 1750, le 10 novembre, un An- glais nommé Édouard Brimht, marchand , mourut âgé de vingt-neuf ans à Malder en Es- sex ; il pesait six cent neuf livres, poids anglais, etcinqcent cinquante-sept livres , poids de Nu- rémberg; sa grosseur était si prodigieuse, que sept personnes d’une taille médiocre pouvaient tenir ensemble dans son habit et le boutonner?. Un exemple encore plus récent , est celui qui est rapporté dans la Gazette anglaise du 24 juin 1775, dont voici l'extrait : « M. Sponer est mort dans la province de Warwick. On le regardait comme l'homme le plus gros d'Angleterre; car quatre ou cinq se- maines avant sa mort il pesait quarante s/ones neuf livres ( c'est-à-dire 649 livres ); il était Agé de cinquante-sept ans, et il n'avait pas pu se promener à pied depuis plusieurs années ; mais il prenait l'air dans une charrette aussi légère qu'il était pesant, attelée d’un bon che- val: mesuré après sa mort, sa largeur, d’une épaule à l'autre, était de quatre pieds trois pou- ces : il a été amené au cimetière dans sa char- rette de promenade. On fit le cercueil beaucoup trop long, à dessein de donner assez de place aux personnes quidevaient porter lecorps, de la charrette à l'église, et de là à la fosse. Treize hommes portaient ce corps, six à Cha- que côté et un à l'extrémité. La graisse de cet homme sauva sa vie il y a quelques an- nées ; il était à la foire d'Atherston, où s'étant querellé avec un juif, celui-ci lui donna un coup de canif dans le ventre ; mais la lame étant courte, ne lui perça pas les boyaux, et même elle n’était pas assez longue pour passer au tra- vers de la graisse. » On trouve encore dans les Transactions phi- losophiques, n° 474, art. 2, un exemple de deux frères, dont l’un pesait trente-cinqstones, * Voyez les Gazettes anglaises. Décembre 1724. 3 Linnée natur. system. Edit. allemande. Nuremberg, 1775, vol. I, page 104, avec la figure de ce très-8ros homme , pl. 2. HISTOIRE NATURELLE c'est-à-dire quatre cent quatre-vinet dix livres: et l'autre trente-quatre stones, c'est-à-dire quatre cent soixante-seize livres, à quatorze livres le stone. Nous n'avons pas d'exemple en France d’une grosseur aussi monstrueuse ; je me suis informé des plus gros hommes, soit à Paris, soit en pro- | vince, et jamais leur poids n’a été de plus de trois cent soixante, et tout au plus trois cent quatre-vingts livres, encore ces exemples sont- ils très-rares : le poids d’un homme de cinq pieds six pouces doit être de cent soixante à cent quatre-vingts livres ; il est déjà gros s’il pèse deux cents livres, trop gros s'il en pèse deux cent trente, et beaucoup trop épais s’il pèse deux cent cinquante et au-dessus ; le poids d'un homme de six pieds de hauteur , doit être de deux cent vingt livres; il sera gros, relative- ment à sa taille, s’il pèse deux cent soixante, trop gros à deux cent quatre-vingts, énorme à trois cents et au-dessus. Et* si l’on suit cette même proportion, un homme de six pieds et demi de hauteur peut peser deux cent quatrée- vinot-dix livres, sans paraître trop gros; ét un géant de sept pieds de grandeur doit, pour être bien proportionné, peser au moins trois cent cinquantelivres ; un géant de sept pieds et demi, plus de quatre cent cinquante livres; et enfin un géant de huit pieds doit peser cinq cent vingt ou einq cent quarante livres, si la gros- seur de son corps €t de ses membres est dans les mêmes proportions que celles d'un homme bien fait. IT, GÉANTS. Exemple de géants d'environ sept pieds de grandeur et au-dessus, - Le géant qu'on a vu à Paris en 1735, etqui avait six pieds huit pouces huit lignes, était né en Finlande, sur les confins de la Laponie mé- ridionale , dans un village peu éloigné de Tor- neo. Le géant de Thoresby en Angleterre, haut dé sept pieds cinq pouces anglais. Le géant, portier du due de Wirtemberg en Allemagne, de sept pieds et demi du Rhin. Trois autres géants vus en Angleterre, l'un de sept pieds six pouces, l’autre de sept pieds sept pouces , et le troisième de sept pieds huit pouces. DE L'HOMME, Le géant Cajanus, en Finlande, de sept pieds huit pouces du Rhin, ou huit pieds, mesure de Suède, Un paysan Suédois, de même grandeur de huit pieds, mesure de Suède. ; Un garde du due de Brunswick-Hanovre, huit pieds six pouces d'Amsterdam. Le géant Gilli, de Tyente dans le Tirol, de huit pieds deux pouces, mesure suédoise. Un Suédois , garde du roi de Prusse, de huit pieds six pouces, mesure de Suède. Tous ces géants sontcités, avec d'autres moins grands, par M. Schreber, Hist. des quadrup. Erlang. 1775, tome I, pages 35 et 56. Goliath, de gelh allitudinis seæ cubitorum etpalmi, 1. Reg. €. 17, v. 4. En donnant à la coudée dix-huit pouces de hauteur, le géant Goliath, avait neuf pieds quatre pouces de gran- deur. Solus quippe Og reæ Bazan restiterat de slirpe gigantum : monstralus lectus ejus fer: reus qui esl'in Rabath….….novem eubitos ha- bens longitudiniselquatuor latitudinisadmen- suram eubiti virilis manus. Deuteron, e. IT, vor M. Le Cat, dans un mémoire lu à l'Académie de Rouen, fait mention des géants cités dans l'Écriture-Sainte et par les auteurs profanes. Il dit avoir vu lui-même plusieurs géants de sept pieds, et quelques-uns de huit; entre autres le géant qui se faisait voir à Rouen en 1735, qui avait huit pieds quelques pouces. Il cite la fille géane, vue par Goropius , qui avait dix pieds de hauteur; le corps d'Oreste, qui selon les Grecs avait onze pieds et demi (Pline dit sept coudées, c'est-à-dire, dix pieds et demi. } Le géant Gabara, presque comtemporain de Pline, qui avait plus de dix pieds ; aussi bien que le squelette de Secondilla et de Pusio, con- servés dans les jardins de Salluste. M. Le Cat cite aussi l'Écossais Funnam , qui avait onze pieds et demi. Il fait ensuite mention des tom- beaux où l'on a trouvé des 6s de géants de quinze, dix-huit, vingt, trente et trente-deux pieds de hauteur ; mais il parait certain que ces grands ossements ne sont pas des os humains, et qu'ils appartiennent à de grands animaux, tels que l'éléphant, la girafe, le cheval; car il y a eu des temps où l’on enterrait les guerriers avec leur cheval , peut-être avec leur éléphant II. NAINS. Exemples au sujet des Naius, Lenommé Bébé du roide Pologne (Stanislas) avaittrente-trois pouces de Paris, la taille droite et bien proportionnée jusqu'à l'âge de quinze ou seize ans qu'elle commença à devenir con- trefaite ; il marquait peu de raison, II mourut l'an 1764, à l’âge de vingt-trois ans. Un autrequ'on a vu à Paris en 1760; c'était un gentilhomme polonais qui, à l'âge de vinet- deux ans, n'avait que la hauteur de vingt-huit pouces de Paris; mais le corps bien fait et l'es- prit vif, et il possédait même plusieurs langues. IL avait un frère aîné qui n'avait que trente- quatre pouces de hauteur. Un autre à Bristol, qui , en 1751, à l'âge de quinze ans, n'avait que trente-un pouces an- glais ; il était accablé de tous les accidents de la vieillesse, et de dix-neuf livres qu'il avait pesé dans sa septième année, il n’en pesait plus que treize. Un paysan de Frise, qui, en 1751, se fit voir pour de l'argent à Amsterdam; il n'avait à l’âge de vingt-six ans, que la hauteur de vingt-neuf pouces d'Amsterdam. Un nain de Norfolk , qui se fit voir dans la même année à Londres, avait à l’âge de vingt- deux ans, trente-huit pouces anglais , et pesait vingt-sept livres et demie. Zransaclions phi- losophiques, n° 495. On à des exemples de naïns qui n'avaient que deux pieds !; vingt-un et dix-huit pouces ? ; et même d’un qui, à l’âge de trente-sept ans, n'avait que seize pouces ÿ. Dans les Transactions philosophiques, n° 467, art. 10, il est parlé d’un nain âgé de vinet- deux ans, qui ne pesait que trente-quatre livres étant tout habillé, et qui n'avait que trente-huït pouces de hauteur avee ses souliers et sa per- ruque. Marcum Maximum et Marcum Tullium , equiles romanos binum cubilorum fuisse auc- tor est M. Varro, et ipsi vidimus in loculis as- servalos. Elin. lib. VIT, cap. 16. Dans tout ordre de productions, lanaturenous offre les mêmes rapports en plus ou en moins, * Cardanus, de Subtil. p. 557. ? Journal dé Méd, et Télliamed. 5 Birch, Hist. of the, R. Soc. tom. IV, page 500, 208 les nains doivent avoir avec l'homme ordinaire les mêmes proportions en diminution que les géants en augmentation. Un homme de quatre pieds et demi de hauteur ne doit peser que quatre-vingt-dix ou quatre-vingt-quinze livres. Un homme de quatre pieds, soixante-cinq ou tout au plus soixante-dix livres; un nain de trois pieds et demi, quarante-cinq livres; un de trois pieds, vingt-huit ou trentelivres, sileur corps et leurs membres sont bien proportion- nés, ce qui est tout aussi rare en petit qu'en grand; car il arrive presque toujours que les géants sont trop minces et les nains trop épais ; ils ont surtout Ja tête beaucoup trop grosse, les cuisses et les jambes trop courtes ; au lieu que les géants ont communément la tête petite, les cuisses et les jambes trop longues. Le géant dis- séqué en Prusse, avait une vertèbre de plus que les autres hommes, et il y a quelque apparence que dans les géants bien faits , le nombre des vertèbres est plus grand que dans les autres hommes. Il serait à desirer qu'on fit la même recherche sur les nains, qui peut-être ont quel- ques vertèbres de moins. En prenant cinq pieds pour la mesure com. mune de la taille des hommes , sept pieds pour celle des géants , et trois pieds pour celle des nains, on trouvera encore des géants plus grands et des nains plus petits. J'ai vu moi-même des géants de sept pieds et demi et de sept pieds huit pouces; j'ai vu des nains qui n’avaient que vingt-huit et trente pouces de haut; il paraît donc qu'on doit fixer les limites de la nature ac- tuelle, pour la grandeur du corps humain, de- puis deux pieds et demi jusqu’à huit pieds de hauteur ; et quoique cet intervalle soit bien con- sidérable, et que la différence paraisse énorme, elle est cependant encore plus grande dans quelques espèces d'animaux, tels que les chiens; un enfant qui vient de naître est plus grand re- lativement à un géant, qu'un bichon de Malte adulte ne l'est en comparaison du chien d’AI- banie ou d'Irlande. IN Nourriture de l'homme dans les différents climats, En Europe, et dans la plupart des climats tempérés de l'un etde l’autre continent, le pain, la viande, le lait, les œufs, les légumes et les fruits, sont les aliments ordinaires de l'homme; et le vin, le cidre et la bière sa boisson, car l'eau HISTOIRE NATURELLE pure ne suffirait pas aux hommes de travail pour maintenir leurs forces. Dans les climats plus chauds , le sagou, qui est la moelle d'un arbre, sert de pain, et les fruits des palmiers suppléent au défaut de tous les autres fruits ; on mange aussi beaucoup de dattes en Égypte, en Mauritanie, en Perse, et le sagou est d’un usage commun dans les Indes méridionales, à Sumatra, Malacca, ete. Les fi- gues sont l'aliment le plus commun en Grèce, en Morée et dans les îles de l'Archipel, comme les châtaignes dans quelques provinces de France et d'Italie. Dans la plus grande partie de l'Asie, en Perse, en Arabie, en Égypte, et de là jusqu'à la Chine, le riz fait la principale nourriture. Dans les parties les plus chaudes de l’Afri- que, le grand et le petit millet, sont la nourri- ture des Nègres. Le mais dans les contrées tempérées de l’A- mérique. Dans les îles de la mer du Sud, le fruit d’un arbre appelé l'arbre de pain. A Californie, le fruit appelé Pitahaïa. La cassave dans toute l'Amérique méridio- nale, ainsi que les pommes de terre, les igna- mes et les patates. Dans les pays du nord, la bistorte , surtout chez les Samoïèdes et les Jakutes. La saranne au Kamtschatka. En Islande, et dans les pays encore plus voi- sins du nord, on fait bouillir des mousses et du varec. Les Nègresmangent volontiers de l'éléphant et des chiens. Les Tartares de l'Asie etles Patagons de l'A- mérique, vivent également dela chair de leurs chevaux. Tous les peuples voisins des mers du Nord, mangent la chair des phoques, des morses et des ours. Les Africains mangent aussi la chair des pan- thères et des lions. Dans tous les pays chauds de l’un et l’autre continent , on mange de presque toutes les es- pèces de singes. Tous les habitants des côtes de la mer, soit dans les pays chauds, soit dans les climats froids , mangent plus de poisson que de chair. Les habitants des iles Orcades, les Islandais, les Lapons, les Groënlandais ne vivent pour ainsi dire que de poisson. DE L'HOMME. Le lait sert de boisson à quantité de peuples; les femmes tartares ne boivent que du lait de jument ; le petit-lait , tiré du lait de vache, est la boisson ordinaire en Islande. Il serait à desirer qu'on rassemblât un plus grand nombre d'observations exactes sur la dif- férence des nourritures de l’homme dans les eli- mats divers, et qu'on püt faire la comparaison du régime ordinaire des différents peuples , il en résulterait de nouvelles lumières sur la cause des maladies particulières , et pour ainsi dire indigènes dans chaque climat. —— DE LA VIEILLESSE ET DE LA MORT. Tout change dans la nature, tout s’altère, tout périt; le corps de l'homme n'est pas plus tôt ar- rivé à son point de perfection, qu'il commence à déchoir : le dépérissement est d'abord insen- sible ; il se passe même plusieurs années avant que nous nous apercevions d'un changement considérable : cependant nous devrions sentir le poids denos années mieux que les autres ne peuventen compter le nombre ; et comme ils ne se trompent pas sur notre âge en le jugeant par les changements extérieurs, nous devrions nous tromper encore moins sur l'effet intérieur qui les produit, si nous nous observions mieux, si nous nous flattions moins, et si, dans tout, les autres ne nous jugeaient pas toujours beau- coup mieux que nous ne nous jugeons nous- mêmes. Lorsque le corps a acquis toute son étendue en hauteur et en largeur par le développement entier de toutes ses_ parties , il augmente en épaisseur ; le commencement de cette augmen- tation est le premier point de son dépérisse- ment, car cette extension n’est pas une conti- nuation de développement ou d'accroissement intérieur de chaque partie, par lesquelsle corps continuerait de prendre plus d'étendue dans toutes ses parties organiques, et par conséquent plus de force et d'activité; mais c’est une sim- ple addition de matière surabondante qui enfle le volume du corps etle charge d’un poids inu- tile. Cette matière est la graisse qui survient ordinairement à trente-cinq ou quarante ans; et à mesure qu’elle augmente, le corps a moins de légèreté et de liberté dans ses mouvements, ses facultés pour la génération diminuent , ses membres s'appesantissent , il n'acquiert de [LEA 209 l'étendue qu'en perdant de la force et de l'ac- tivité. D'ailleurs, les os et les autres parties solides du corps ayant pris toute leur extension en longueur et en grosseur, continuent d’augmen- ter en solidité ; les sues nourriciers qui y arri- vent, et qui étaient auparavant employés à en augmenter le volume par le développement, ne servent plus qu'à l'augmentation de la masse, en se fixant dans l’intérieur de ces par- ties; les membranes deviennent cartilagineuses, les cartilages deviennent osseux, les os de- viennent plus solides, toutes les fibres plus dures, la peau se dessèche, les rides se for- ment peu à peu, les cheveux blanchissent, les dents tombent, le visage se déforme, le corps se courbe, ete.; les premières nuances de cet état se font apercevoir avant quarante ans; elles augmentent par degrés assez lents jus- qu'à soixante; par degrés plus rapides jusqu’à soixante et dix; la caducité commence à cet âge de soixante et dix ans, elle va toujours en augmentant; la décrépitude suit, et la mort termine ordinairement avant l’âge de quatre- vingt-dix ou cent ans la vieillesse et la vie. Considérons en particulier ces différents ob- jets; et de la même facon que nous avons exa- miné les causes de l’origine et du développe- ment de notre corps, examinons aussi celles de son dépérissement et de sa destruction. Les os, qui sont les parties les plus solides du corps, ne sont dans le commencement que des filets d’une matière ductile qui prend peu à peu de la consistance et de la dureté. On peut consi- dérer les os dans leur premier état comme au- tant de filets ou de petits tuyaux creux revêtus d'une membrane en dehors eten dedans. Cette double membrane fournit la substance qui doit devenir osseuse, ou le devient elle-même en partie; car le petit intervalle qui est entre ces deux membranes, c'est-à-dire entre le périoste intérieur et le périoste extérieur, devient bientôt une lame osseuse. On peut concevoir en par- tie comment se fait la production et l’accroisse- mentdes os etdes autres parties solides du corps des animaux, par la comparaison de ia manière dontse forment le bois et les autres partiessolides des végétaux. Prenons pour exemple une espèce d'arbre dont le bois conserve une cavité à son intérieur, comme un figuier ou un sureau, et comparons la formation du bois de cetuyau creux de sureau avec celle de l'as de la cuisse d’un 14 210 animal, qui ade même une cavité. La première année, lorsque le bouton qui doit former la branche commence à s'étendre, ce n’est qu'une matière ductile qui par son extension devient uü filet hérbacé, et qui se développe sous la forme d'un petit tuyau rempli de moelle; l'ex= térieur de ce tuyau est revêtu d'une mernbrane fibreuse, et les parois intérieures de la cavité sont aussi tapissées d'une pareille membrane ; ces membranes, tant l’extérieure que l’inté- rieure, sont, dans leur très-petite épaisseur, composées de plusieurs plans superposés de fibres encore molles qui tirent la nourriture nécessaire à l'accroissement du tout; ces plans intérieurs de fibres se durcissent peu à peu pai: le dépôt de la sève qüi y arrive, et la pre- mière année il se forme une lame ligneuse en- tre les deux membranes ; cette lame est plusou moins épaissé à proportion de la quantité de sève houfricière qi a été pompée et déposée dans l’intérvalle qui sépare la membrane ex- tériéure de la membrane intérieure; mais, quoique ces deux membranes soient devenues solides et lisneuses par leurs surfaces inté- rieures, élles conservent à leurs surfaces ex- térieures de la souplesse et de la ductilité; et l'année suivante, lorsque le bouton qui est à leur sümmet commun vient à prendre de l’ex- tension, la sève monte par ces fibres ductiles de chacune de ces membranes, et en se dépo- sant dans les plans intérieurs de leurs fibres, ét même dans la lame ligneuse qui les sépare, ces plans intérieurs deviennent ligneux comme les autres qui ont formé la première lame, et en même temps cette première lame augmente en densité : il se fait done deux couches nou- velles de bois, l'une à la face extérieure, et l'autre à la face intérieure de la première lame, ce qui augmente l'épaisseur du bois et rend plus grand l'intervalle quisépare les deux mem- bräñes ductiles. L'année suivante elles s’éloi- snent encore davantage par deux nouvelles couches de bois qui se collent contre les trois premières, l’uné à l'extérieur et l’autre à l’inté- rieur, et de cetté manière le bois augmente toujours en épaisseur et en solidité : la cavité intérieure augmente aussi à mesure que la branché grossit, parce qué la membrane inté- vieure croît, comté l'extériéure, à mesure que tout le resté s'étend; elles ne deviennent toutes deux ligneuses que dans la partie qui touche au bois déjà formé. Si l'on uc considère done HISTOIRE NATURELLE que la petite branche qui a éte produite pen- dant la première année, ou bien si l’on prend un intervalle entre deux nœuds, c'est-à-dire la production d’une seule année, on trouvera que cette partie de la branche conserve en grand la même figure qu'elle avait en petit ; es nœuds qui terminent et séparent les pro- ductions de chaque année marquent les ex- trémités de l'accroissement de cette partie de la branche; ces extrémités sont les points d’ap- pui contre lesquels se fait l’action des puissan- ces qui servent au développement ét à l’éexten- sion des parties contiguës qui se développent l'année suivante ; les boutons supérieurs pous- sent et s'étendent en réagissant contre ce point d'appui, et forment une seconde partie de la branche, de la même façon que s’est formée la première; et ainsi de suite tant que la branche croit: La manière dont se forment les os serait as- sez semblable à celle que je viens de décrire, si les points d'appui de l'os au lieu d’être à ses extrémités, comme dans les bois, ne se trou- vaient au contraire dans la partie du milieu, comme nous allons tâcher de le faire enten- dre, Dans les premiers temps les os du fœtus ne sont encore que des filets: d’une matière ductile que l’on aperçoit aisément et distincte- ment à travers la peau et les autres parties ex- térieures, qui sont alors extrêmement minces et presque transparentes. L'os de la cuisse, par exemple, n'est qu'un petit filet fort court qui, comme le filet herbacé dont nous venons de parler, contient une cavité; ce petit tuyau creux est fermé aux deux bouts par une ma- tière ductile, et il est revêtu à sa surface exté- rieure et à l'intérieur de sa cavité, de deux membranes composées, dans leur épaisseur, de plusieurs plans de fibres toutes molles et duc- tiles. À mesure que ce petit tuyau recoit des sues nourriciers, les deux extrémités s’éloignent de la partie du milieu; cette partie reste tou- jours à la même place, tandis que toutes les autres s’en éloignent peu à peu des deux côtés; elles ne peuvent s'éloigner dans cette direction opposée, sans réagir sur cette partie du milieu: les parties qui environnent ce point du milieu, prennent done plus de consistance, plus de solidité, et commencent à s'ossifier les pre- mières: Ja première lame osseuse est bien, comme la première lame ligneuse, produite dans l'intervalle qui sépare les deux mémbra- DE nes, c'est-à-dire entre le périoste extérieur et le périoste qui tapisse les parois de la cavité intérieure; mais elle ne s'étend pas, comme la lame ligneuse, dans toute la longueur de la partie qui prend de l'extension. L'intervalle des deux périostes devient osseux , d’abord dans la partie du milieu de la longueur de l'os; ensuite les parties qui avoisinent le milieu sont celles qui s'ossifient, tandis que les extrémités de l'os ét les parties qui avoisinent ces extré- mités restent ductilesetspongieuses, et comme la partie du milieu est celle qui est la première ossifiée, et que quand une fois une partie est ossifiée, elle ne peut plus s'étendre, il n'est pas possible qu'elle prenne autant de grosseur que les autres: la partie du milieu doit donc ètre la partie la plus menue de l'os, car les autres par- ties et les extrémités ne se durcissant qu'après celle du milieu, elles doivent prendre plus d'ac- croissement et de volume; et c'est par cette raison que la partie du milieu des os est plus menué que toutes les autres parties, et que les têtes des os, qui se durcissent les dernières et qui sont les parties les plus éloignées du milieu, sont aussi les parties les plus grosses de l'os. Nous pourrions suivre plus loin cette théorie sur la figure des os ; mais, pour ne pas nous éloisner de notre principal objet, nous nous contenterons d'observer qu'indépendamment de cet accroissement en longueur qui se fait, comme l'on voit, d'une manière différente de celle dont se fait l'accroissement du bois, l'os prend en même temps un accroissement en grosseur , qui s'opère à peu près de la même magière que celui du bois, car la première lame osseuse est produite par la partie inté- rieure du périoste; et lorsque cette première lame osseuse est formée entre le périoste inté- rieur et le périoste extérieur, il s’en forme bientôt deux autres qui se collent de chaque côté de la première, ce qui augmente en même temps la circonférence de l'os et le diamètre de sa cavité; et les parties intérieures des deux périostes continuant ainsi à s'ossifier, l'os continue à grossir par l'addition de toutes ces couches osseuses produites par les périostes, de la même facon que le bois grossit par l'addition des couches ligneuses produites par les écorces. Mais lorsque l'os estarrivé à son développe- ment eutier, lorsque les périostes ne fournis- sent plus de matière ductile capable de s'ossi- fier, ce qui arrive lorsque l'animal à pris son L'HOMME, gti accroissement en entier, alors les sues nourri- ciers qui étaient employés à augmenter le vo- lume de l'os, ne servent plus qu'à en augmenter la densité; ces sucs se déposent dans l'inté- rieur de l'os, il devient plus solide, plus massif, plus pesant spécifiquement, comme on peut le voir par la pesanteur et la solidité des os d'un bœuf, comparée: à la pesanteur et à la solidité des os d’un veau; etenfin lasubstance de l'os devient avec le temps si compacte qu'elle ne peut plus admettre les sues nécessaires à cette espèce de cireulation qui fait la nutrition de ces parties ; dès lors cette substance de l'os doit s'altérer, comme le bois d’un vieil arbre s'altère lors- qu'il a une fois acquis toute sa solidité. Cette altération dans la substance même des os est une des premières causes qui rendent néces- saire le dépérissement de notre corps. Les cartilages, qu'on peut regarder comme des os mous et imparfaits, reçoivent, comme les os, des sucs nourriciers qui en augmentent peu à peu la densité, ils deviennent plus so- lides à mesure qu'on avance en âge, et dans la vieillesse ils se durcissent presque jusqu'à l'os- sification, ce qui rend les mouvements des jointures du corps très-difficiles, et doit enfin nous priver de l'usage de nos membres, et pro- duire une cessation totale du mouvement ex- térieur, seconde cause très-immédiate et très- nécessaire d'un dépérissement plus sensible et plus marqué que le premier, puisqu'il se ma- niféste par la cessation des fonctions extérieu- res de notre corps. Les membranes, dont la substance a bien des choses communes avec cellé des cartilages, prennent aussi à mesure qu’on avance en âge plus de densité et de sécheresse; par exemple, celles qui environnent les os cessent d'être duc- tiles de bonne heure ; dès que l'accroissement du corps est achevé , c'est-à-dire dèsJ’âge de dix-huit ou vingt ans , elles ne peuvent plus s'étendre, elles commencent donc à augmenter en solidité et continuent à devenir plus denses à mesure qu'on vieillit. Il en est de même des fibres qui composent les muscles et la chair ; plus on vit, plus la chair devient dure : cepen- dant, à en juger par l'attouchement extérieur, on pourrait croire que c'est tout le contraire, car dès qu'on a passé l’âge de la jeunesse, il semble que la chair commence à perdre de sa fraicheur et de sa fermeté, et à mesure qu’on avance en âge il paraît qu'elle devient toujours 242 HISTOIRE NATURELLE plus molle. 11 faut faire attention que ce n’est pas de la chair, mais de la peau que cette ap- parence dépend: lorsque la peau est bien ten- due, comme elle l’est en effettant que les chairs et les autres parties prennent de l’augmenta- tion de volume, la chair, quoique moins solide qu'elle ne doit le devenir, paraît ferme au tou- cher ; cette fermeté commence à diminuer lors- que la graisse recouvre les chairs, parce que la graisse, surtout lorsqu'elle est trop abondante , forme une espèce de couche entre la chair et la peau : cette couche de graisse que recouvre la peau, étant beaucoup plus molle que la chair sur laquelle la peau portait auparavant, on s’aper- coit au toucher de cette différence, et la chair parait avoir perdu de sa fermeté; la peau s’é- tend et croit à mesure que la graisse augmente, et ensuite pour peu qu’elle diminue, la peau se plisse et la chair paraît être alors fade et molle au toucher. Ce n’est donepasla chair elle-même qui se ramollit, mais c'est la peau dont elle est couverte, qui, n'étant plus assez tendue, devient molle, car la chair prend toujours plus de du- reté à mesure qu'on avance en âge : on peut s’en assurer par la comparaison de la chair des jeunes animaux avec celle de ceux qui sont vieux ; l'une est tendre et délicate , et l’autre est si sèche et si dure qu'on ne peut en man- ger. La peau peut toujours s'étendre tant que le volume du corps augmente : mais lorsqu'il vient à diminuer, elle n’a pas tout le ressort qu'il fau- drait pour se rétablir en entier dans son pre- mier état; il reste alors des rides et des plis qui nes’effacent plus. Les rides du visage dépendent en partie de cette cause , mais il y a dans leur production une espèce d'ordre relatif à la forme, aux traits et aux mouvements habituels du vi- sage. Sil'on examine bien le visage d’un homme de vingt-cinq ou trente ans , on pourra déjà y découvrir l'origine de toutes les rides qu'il aura dans sa vieillesse ; il ne faut pour cela que voir le visage dans un état de violente action, comme est celle du ris, des pleurs, ou seule- ment celle d'une forte grimace : tous les plis qui se formeront dans ces différentes actions se- ront un jour des rides ineffaçables ; elles sui- vent en effet la disposition des muscles , et se gravent plus ou moins par l'habitude plus ou moins répétée des mouvements qui en dépen- dent. À mesure qu'on ayance en âge, les os, les cartilages , les membranes, la chair, la peau et toutes les fibres du corps, deviennent done plus solides, plus dures, plus sèches ; toutes les parties se retirent, se resserrent, tous les mouvements deviennent plus lents, plus difficiles ; la cireu- lation des fluides se fait avec moins de liberté, la transpiration diminue , les sécrétions s’altè- rent, la digestion des aliments devient lente et laborieuse, les sucs nourriciers sont moins abon- dants, et ne pouvant être recus dans la plupart des fibres devenues trop solides , ils ne servent plus à la nutrition ; ces parties trop solides sont des parties déjà mortes, puisqu'elles cessent de se nourrir. Le corps meurt done peu à peu et par parties , son mouvement diminue par de- grés, la vie s'éteint par nuances successives, et la mort n'est que le dernier terme de cette suite de degrés, la dernière nuance de la vie. Comme les os , les cartilages , les muscles et toutes les autres parties qui composent le corps sont moins solides et plus molles dans les fem- mes que dans les hommes , il faudra plus de temps pour que ces parties prennent cette soli- dité qui cause la mort ; les femmes par consé- quent doivent vieillir plus que les hommes; c’est aussi ce qui arrive , et on peut observer , en consultant les tables qu'on a faites sur la mor- talité du genre humain, que quand les femmes ont passé un certain âge, elles vivent ensuite plus long-temps que les hommes du même âge. On doit aussi conclure de ce que nous avors dit, que les hommes qui sont en apparence plus faibles que les autres , et qui approchent plus de la constitution des femmes , doivent vivre plus long-temps que ceux qui paraissent être les plus forts et les plus robustes ; et de même on peut croire que dans l’un et l’autre sexe, les personnes qui n'ont achevé de prendre leur ac- croissement que fort tard sont celles qui doi- ventvivre le plus, car dans ces deux cas lesos, les cartilages et toutes les fibres arriveront plus tard à ce degré de solidité qui doit produire leur destruction. Cette cause de la mort naturelle est générale et commune à tous les animaux, et même aux végétaux. Un chêne ne périt que parce que les parties les plus anciennes du bois, qui sont au centre , deviennent si dures et si compactes qu'elles ne peuvent plus recevoir de mourri- ture; l'humidité qu'elles contiennent n'ayant plus de cireulation et n'étant pas remplacée par une sève nouvelle, fermente, se corrompt et al- DE L'HOMME. tère peu à peu les fibres du bois ; elles devien- nent rouges, elles se désorganisent , enfin elles tombent en poussière. La durée totale de la vie peut se mesurer en quelque façon par celle du temps de l'acerois- sement; un arbre où un animal qui prend en peu de temps tout son accroissement, périt beaucoup plus tôt qu'un autre auquel il faut plus de temps pour croitre. Dans les animaux , comme dans les végétaux , l'accroissement en hauteur est celui qui est achevé le premier ; un chêne cesse de grandir longtemps avant qu'il cesse de grossir : l'homme croit en hauteur Jusqu'à seize ou dix-huit ans , et cependant le développement entier de toutes les parties de son corps en grosseur n'est achevé qu'à trente ans; les chiens prennent en moins d’un an leur accroissement en longueur , et ce n’est que dans la seconde année qu'ils achèvent de prendre leur grosseur. L’homme,qui est trente ans à croître, vit quatre-vingt-dix ou cent ans; le chien, qui ne croît que pendant deux ou trois ans, ne vit aussi que dix ou douze ans; il en est de mème de la plupart des autres animaux. Les poissons qui ne cessent de croître qu'au bout d’un très-grand nombre d'années, vivent des siècles, et comme nous l'avons déjà insinué, cette longue durée de leur vie doit dépendre de la constitution particulière de leurs arêtes, qui ne prennent jamais autant de solidité que les os des animaux terrestres. Nous examinerons dans l'histoire particulière des animaux , s’il y a des exceptions à cette espèce de règle que suit la nature dans la proportion de la durée de la vie à celle de l’accroissement, et si en effet il est vrai queles corbeaux et les cerfs vivent, comme on ie prétend, un si grand nombre d'années: ce qu'on peut dire en général, c'est que les grands animaux vivent plus longtemps que les petits, parce qu'ils sont plus de temps à croître. Les causes de notre destruction sont done nécessaires, et la mort est inévitable; il ne nous est pas plus possible d’en reculer le terme fatai, quedechanger les loisdelanature. Les idées que quelques visionnaires ont eues sur la possibilité de perpétuer la vie par des remèdes, auraient dû périr avec eux, si l'amour-propre n’augmen- tait pas toujours la crédulité au point de seper- suader ce qu'il y a même de plus impossible , et de douter de ce qu'il y a de plus vrai, de plus réel et de plus constant. La panacée, quelle 215 qu'en fût la composition, la transfusion du sang et les autres moyens qui ont été proposés pour rajeunir où immortaliser le corps, sont au moins aussi chimériques que la fontaine de Jouvence est fabuleuse. Lorsque le corps est bien constitué, peut-être est-il possible de le faire durer quelques années de plus en le ménageant: il se peut que la mo- dération dans les passions, la tempérance et la sobriété dans les plaisirs contribuent à la du- rée de I@vie, encore cela même paraît-il fort douteux ; il est peut-être nécessaire que le corps fasse l'emploi de toutes ses forces, qu'il consomme tout ce qu'il peut consommer, qu'il s'exerce autant qu'il en est capable; que ga- gnera-t-on dès lors par la diète et par la priva- tion? Il y a des hommes qui ont vécu au-delà du terme ordinaire, et, sans parler de ces deux vieillards dontil est fait mention dans les Tran- sactions philosophiques ; dont l’un a vécu cent soixante-cinq ans etl'autrecentquarante-quatre, nous avons un grand nembre d'exemples d'hommes qui ont vécu cent dix, et même cent viugt ans : cependant ces hommes ne s'étaient pes plus ménagés que d’autres ; au contraire il parait que la plupart étaient des paysans accou- tumés aux plus grandes fatigues, des chasseurs, des gens de travail, des hommes en un mot qui avaient employé toutes les forces de leur corps, qui en avaient même abusé , s’il est possible d’en abuser autrement que par l'oisiveté et la débauche continuelle. D'ailleurs, si l'on fait réflexion que l'Euro- péen, le Nègre, le Chinois, l'Américain, l'homme policé, l'homme sauvage , le riche, le pauvre, l'habitant de la ville , celui de la campagne, si différents entre eux par tout le reste, se res- semblent à cet égard, et n’ont chacun que la même mesure , le même intervalle de temps à parcourir depuis la naissance à la mort; que la différence des races, des climats, des nour- ritures, des commodités, n’en fait aucune à la durée de la vie; que les hommes qui ne se nourrissent que de chair crue ou de poisson sec, de sagou ou de riz, de cassave ou de racines, vivent aussi longtemps que ceux qui se nourris- sent de pain ou de mets préparés; on reconnaitra encore plus clairement que la durée de la vie ne dépend ni des habitudes , ni des mœurs, ni de la qualité des aliments; que rien ne peut changer les lois de la mécanique, qui règlent fe nombre de nos années, et qu'on ne peut guère 214 HISTOIRE NATURELLE les altérer que par des excès de nourriture ou par de trop grandes diètes, S'il y a quelque différence tant soit peu re- marquable dans la durée de la vie, il semble qu'on doit l’attribuer à la qualité de l'air; on a observé que dans les pays élevés il se trouve communément plus de vieillards que dans les lieux bas; les montagnes d'Écosse, de Galles, d'Auvergne, de Suisse ont fourni plus d'exem- ples de vieillesses extrêmes que les plaines de Hollande , de Flandre , d'Allemagngget de Po- logne. Mais, à prendre le genre humain en gé- néral , il n'y à, pour ainsi dire, aucune diffé- rence dans la durée de la vie; l'homme qui ne meurt point de maladies accidentelles vit par- tout quatre-vingt-dix ou cent ans ; nos ancêtres n'ont pas vécu davantage, et depuis le siècle de David ce terme n'a point du tout varié. Si l'on nous demande pourquoi la vie des premiers hommes était beaucoup plus longue, pourquoi ils vivaient neuf cents, neuf cent trente, et jus- qu'à neuf cent soixante etneufans, nous pour- rions peut-être en donner une raison, en di- sant que les productions de la terre dont ils fai- saient leur nourriture étaient alors d'une na- ture différente de ce qu'elles sont aujourd'hui; la surface du globe devait être, comme on l'a vu (volume 1, Théorie de lu Terre), beaucoup moins solide et moins compacte dans les pre- miers temps après la création, qu'elle ne l’est aujourd'hui, parce que la gravité n’agissant que depuis peu de temps, les matières terrestres n'avaient pu acquérir en aussi peu d'années la consistance et la solidité qu'elles ont eues de- puis; les productions de la terre devaient être analogues à cet état; la surface de la terre étant moins compacte , moins sèche, tout ce qu'elle produisait devait être plus ductile, plus souple, plus susceptible d'extension; il se pouvait donc que l'accroissement de toutes les productions dela nature, etmême celui du corps de l’homme, ne se fit pas en aussi peu de temps qu'il se fait aujourd'hui; les os , les muscles , ete., conser- vaient peut-être plus longtemps leur ductilité et leur mollesse, parce que toutesles nourritures étaient elles-mêmes plus molles et plus ductiles; dès lors toutes les parties du corps n’arrivaient à leur développement entier qu'après un grand nombre d'années ; la génération ne pouvait s'o- pérer par conséquent qu'après cet accroisse- ment pris en entier, ou presque en entier, c'est- à-dire à cent vingt ou cent trente ans, et la du- rée de ia vie était proportionnelle à celle du temps de l'accroissement, comme elle l'est en- core aujourd'hui: car en supposant que l'âge de puberté des premiers hommes, l'âge auquel ils commençaient à pouvoir engendrer, fût celui de cent trente ans, l'âge auquel on peut engen- dier aujourd'hui étant celui de quatorze ans, il se trouvera que le nombre des années de la vie des premiers hommes et de ceux d’aujour- d'hui sera dans la même proportion, puisqu'en multipliant chacun de ces deux nombres par le même nombre, par exemple, par sept, on verra que la vie des hommes d'aujourd'hui étant de quatre-vingt-dix-huit ans , celle des hommes d'alors devait être de neuf cent dix ans; il se peut donc que la durée de la vie de l'homme ait diminué peu à peu à mesure que la surface de la terre a pris plus de solidité par l’action continuelle de la pesanteur, et que les siècles qui se sont écoulés depuis la création jusqu’à celui de David, ayant suffi pour faire prendre aux matières terrestres toute la solidité qu’elles peuvent acquérir par la pression de la gravité, la surface de la terre soit depuis ce temps-là demeurée dans le même état, qu'elle ait acquis dès lors toute la consistance qu'elle devait avoir à jamais, et que tous les termes de l’accroisse- ment de ses productions aient été fixés aussi bien que celui de la durée de la vie. Indépendamment des maladies accidentelles qui peuvent arriver à tout âge, ef qui dans la vieillesse deviennent plus dangereuses et plus fréquentes , les vieillards sont encore sujets à des infirmités naturelles, qui ne viennent que du dépérissement et de l’affaissement detoutes les parties de leur corps ; les puissances mus- eulaires perdent leur équilibre, la tête vacille, la main tremble, les jambes sont chancelantes ; la sensibilité des nerfs diminuant, les sens de- viennent obtus, le toucher même s'émousse ; mais ce qu'on doit regarder comme une très- grande ipfirmité , c'est que les vieillards fort âgés sont ordinairement inhabiles à la généra- tion. Cette impuissance peut avoir deux causes toutes deux suffisantes pour la produire ; l’une est le défaut de tension dans les organes exté- rieurs , et l’autre l’altération de la liqueur sé- minale. Le défaut de tension peut aisément s'expliquer par la conformation et la texture de l'organe même : ce n'est, pour ainsi dire, qu'une membrane vide, ou du moins qui ne contient à l'intérieur qu'un tissu cellulaire et spongieux ; DE L'HOMME, elle prête, s'étend et reçoit dans ses cavités in- térieures une grande quantité de sang qui pro- duit une augmentation de volume apparent et un certain degré de tension : l'on conçoit bien que dans la jeunesse cette membrane a toute la souplesse requise pour pouvoir s'étendre et obéir aisément à l'impulsion du sang, et que, pour peu qu'il soit porté vers cette partie ayec quelque force , il dilate et développe aisément cette membrane molle et flexible ; mais à mesure qu'on ayance en âge , elle acquiert, comme toutes les autres parties du corps, plus de solidité, elle perd de sa souplesse et de sa flexibilité ; dès lors en supposant même que l'impulsion du sang se fit ayec la même force que dans la jeunesse, ce qui est uneautre ques- tion que je n'examine point ici, eette impulsion ve serait pas suffisante pour dilater aussi aisé- ment cette membrane devenue plus solide, et qui par conséquent résiste dayantage à cette action du sang ; et, lorsque cette membrane aura pris encore plus de solidité et de sécheresse, rien ne sera eapable de déployer ses rides et de Jui donner cet état de gonflement et de ten- sion nécessaire à l'acte de la génération. A l'égard des altérations de la liqueur sémi- pale , ou plutôt de son infécondité dans Ja vieil- lesse, on peut aisément conceyoir que la liquear séminale ne peut être prolifique que lorsqu'elle gontient, sans exception, des molécules orga- niques renvoyées de toutesles parties du corps ; car, comme nous l'avons établi, la production du petit être organisé semblable au grand ( Voy. l'Hist. gén. des Anim., chap. IT, III; etc.) ne peut se faire que par la réunion de toutes ces molécules renyoyées de toutes les parties du corps de l'individu; mais dans les vieillards fort âgés, les parties qui, comme Jes os, les gartilages, ete., sont devenues trop solides, ne pouvant plus admettre de nourriture, ne peuyent par conséquent s’assimiler cette ma- tière nutritive, ni la renvoyer après l'avoir mo- delée et rendue telle qu’elle doit être. Les os et les autres parties devenues trop solides ne peu- vent donc ni produire ni renvoyer des molé- cules organiques de leur espèce; ces moléeules manqueront par conséquent dans la liqueur sé- minale de ces vieillards , et ce défaut suffit pour Ja rendre inféconde , puisque nous avons prouvé que, pour que Ja liqueur séminale soit prolifi- que , il est nécessaire qu’elle contienne des mo- lécules renvoyées de toutes les parties du corps, 215 afin que toutes ces parties puissent en effet se réunir d'abord et se réaliser ensuite au moyen de leur développement, En suivant ce raisonnement qui me parait fondé , et en admettant la supposition que c’est en effet par l'absence des molécules organiques qui ne peuvent être renvoyées de celles des par- ties qui sont devenues trop solides, que la li- queur séminale des hommes fort âgés cesse d'être prolifique, on doit penser que ces molé- cules qui manquent, peuvent être quelquefois remplacées par celles de la femelle ( Vo. l'Hist. gén. des Anim., ch. X.)si elle est jeune, et dans ce cas la génération s'accomplira; c’est aussicequiarrive, Les vieillards décrépits engen- drent, mais rarement, et lorsqu'ils engendrent, ilsont moins de part que les autres hommes à leur produetion; delà vient aussi que les jeunes per- sonnes qu'on marie avec des vieillards décrépits, et dont la taille est déformée, produisent sou- vent des monstres, des enfants contrefaits, plus défectueux encore que leur père; mais ce n’est pas ici le lieu de nous étendre sur ce sujet, La plupart des gens âgés périssent par le scorbut, l’hydropisie, ou par d’autres maladies qui semblent provenir du vice du sang, de l’al- tération de la lymphe, ete. Quelque influence que les liquides contenus dans le corps humain puissent avoir sur son économie, on peut pen- ser que ces liqueurs n'étant que des parties pas- sives et divisées, elles ne font qu’obéir à l’im- pulsion des solides qui sont les vraies parties organiques et actives , desquelles le mouvement, la qualité, et même la quantité des liquides doi- vent dépendre en entier. Dans la vieillesse le calibre des vaisseaux se resserre , le ressort des museles s’affaiblit, les filtres sécrétoires s'ob- struent ; le sang, la lymphe et les autres hu- meurs doivent par conséquent s'épaissir , s’al- térer, s'extravaser et produire les symptômes des différentes maladies qu'on a coutume de rapporter au vice des liqueurs, comme à leur principe, tandis que ja première cause est en effet une altération dans les solides, produite par leur dépérissement naturel , ou par quelque lésion et quelque dérangement accidentel. Il est vrai que, quoique le mauvais état des li- queurs proyienne d’un vice organique dans les solides, les effets qui résultent de cette altéra- tion des liqueurs, se manifestent par des symp- tômes prompts et menaçants, parce que les li- queurs étant en continuelle cireulation et en 216 grand mouvement, pour peu qu'elles devien- nent stagnantes par letrop grand rétrécissement des vaisseaux, ou que par leur relâchement forcé elles se répandent en s'ouvrant de fausses routes, elles ne peuvent manquer de se cor- rompre et d'attaquer en même temps les parties les plus faibles des solides, ce qui produit sou- vent des maux sans remède ; ou du moins elles communiquent à toutes les parties solides qu'el- les abreuvent, leur mauvaise qualité, ce qui doit en déranger le tissu et en changer la nature; ainsi les moyens de dépérissement se multi- plient, le mal intérieur augmente de plus en plus etamène à la hâte l'instant dela destruetion. Toutes les causes de dépérissement que nous venons d'indiquer agissent continuellement sur notre être matériel, et le conduisent peu à peu à sa dissolution ; la mort, ce changement d'état si marqué , si redouté, n’est done dans la na- ture que la dernière nuance d’un état précé- dent; la succession nécessaire du dépérissement de notre corps amène ce degré, comme tous les autres qui ont précédé; la vie commence à s’é- teindre longtemps avant qu'elle s’éteigne en- tièrement, et dans le réel il y a peut-être plus loin de la caducité à la jeunesse, que de la dé- crépitude à la mort; car on ne doit pas ici con- sidérer la vie comme une chose absolue, mais comme une quantité susceptible d'augmentation et de diminution. Dans l'instant de la formation du fœtus, cette vie corporelle n’est encore rien ou presque rien; peu à peu elle augmente, elle s'étend, elle acquiert de la consistance à me- sure que le corps croît, se développe et se for- tifie; dès qu'il commence à dépérir, la quantité de vie diminue; enfin lorsqu'il se courbe, se dessèche et s’affaisse, elle décroîit, elle se res- serre, elle se réduit à rien : nous commençons de vivre par degrés, et nous finissons de mou- rir comme nous commencons de vivre. Pourquoi donc craindre la mort, si l’on a assez bien vécu pour n’en pas craindre les sui- tes? pourquoi redouter cet instant, puisqu'il est préparé par une infinité d’autres instants du même ordre, puisque la mort est aussi natu- relle que la vie, et que l’une et l’autre nous arrivent de la même facon sans que nous le sentions , sans que nous puissions nous en aper- cevoir ? Qu'on interroge les médecins et les mi- uistres de l'église, accoutumés à observer les actions des mourants, et à recueillir leurs der- niers sentiments , ils conviendront qu’à l'excep- HISTOIRE NATURELLE tion d’un très-petit nombre de maladies aiguës, où l'agitation causée par des mouvements con- vulsifs semble indiquer les souffrances du ma- lade, dans toutes les autres on meurt tranquil- lement, doucement et sans douleur; et même ces terribles agonies effraient plus les specta- teurs qu’elles ne tourmentent le malade; car combien n'en a-t-on pas vu qui, après avoir été à cette dernièreextrémité , n'avaient aucun sou- venir de ce qui s'était passé , non plus que de ce qu'ils avaient senti! Ils avaient réellement cessé d'être pour eux pendant ce temps, puisqu'ils sont obligés de rayer du nombre de leurs jours tous ceux qu'ils ont passés dans cet état duquel il ne leur reste aucune idée. La plupart des hommes meurent done sans le savoir; et dans le petit nombre de ceux qui conservent de la connaissance jusqu’au dernier soupir , il ne s’en trouve pas un qui ne conserve peut-treen même tempsde l'espérance, etquine seflatte d’un retour versla vie; la nature a, pour le bonheur de l’homme, rendu ce sentiment plus fort que la raison. Un malade dont le mal est incurable , qui peut juger son état par des exem- ples fréquents et familiers, qui en est averti par les mouvements inquiets de sa famille , par les larmes de ses amis, par la contenance ou l'abandon des médecins, n’en est pas plus con- vaincu qu'il touche à sa dernière heure; l’in- térêt est si grand qu'on ne s’en rapporte qu’à soi ; on n’en croit pas les jugements des autres, on les regarde comme des alarmes peu fondées; tant qu’on se sent et qu'on pense, on ne réflé- chit, on ne raisonne que pour soi, et tout est mort que l'espérance vit encore. Jetéz les yeux sur un malade qui vous aura dit cent fois qu'il se sent attaqué à mort, qu’il voit bien qu'il ne peut pas en revenir, qu’il est prêt à expirer, examinez ce qui se passe sur son visage lorsque par zèle ou par indiserétion quelqu'un vient à lui annoncer que sa fin est prochaineen effet; vousle verrez changer comme celui d’un homme auquel on annonce une nou- velle imprévue : ce malade ne croit donc pas ce qu'il dit lui-même, tant il est vrai qu'il n’est nuliementconvaineu qu'il doit mourir; il a seu- lement quelque doute, quelque inquiétude sur son état, mais il craint toujours beaucoup moins qu'il n’espère, et si l'on ne réveillait pas ses frayeurs par ces tristes soins et cet appareil lu- gubre qui devancent la mort, il ne la verrait point arriver. DE L'HOMME. La mort n'est donc pas une chose aussi ter- rible que nous nous l'imaginons ; nous la ju- geons mal de loin : c’est un spectre qui nous épouvante à une certaine distance, qui dispa- rait lorsqu'on vient à en approcher de près: nous n'en avons done que des notions fausses ; nous la regardons non-seulement comme le plus grand malheur, mais encore comme un mal accompagné de la plus vive douleur et des plus pénibles angoisses; nous avons même cherché à grossir dans notre imagination ces funestes images, et à augmenter nos craintes en raison- nant sur la nature de la douleur. Elle doit être extrême, a-t-on dit, lorsque l'âme se sépare du corps, elle peut aussi être de très-longue durée, puisque le temps, n'ayant d'autre me- sure que la succession de nos idées, un instant de douleur très-vive, pendant lequel ces idées se succèdent avec une rapidité proportionnée à la violence du mal, peut nous paraître plus long qu'un siècle pendant lequel elles coulent lentement et relativement aux sentiments tran- quilles qui nous affectent ordinairement. Quel abus de la philosophie dans ce raisonnement! Il ne mériterait pas d’être relevé s'il était sans conséquence ; mais il influe sur le malheur du genre humain, il rend l'aspect de la mort mille fois plus affreux qu'il ne peut être, et n'y eût-il qu'un très-petitnombre de gens trompés par l'ap- parence spécieuse de ces idées, il seraittoujours utile de les détruire etd'’en faire voir la fausseté. Lorsque l'âme vient s'unir à notre corps, avons-nous un plaisir excessif, une joie vive et prompte qui nous transporte et nous ravisse ? Non: cette union se fait sans que nous nous en apercevions; la désunion doit s’en faire de même sans exciter aucun sentiment. Quelle raison a- t-on pour croire que la séparation de l'âme et du corps ne puisse se faire sans une douleur extrême ? quelle cause peut produire cette dou- leur, ou l’occasionner ? la fera-t-on résider dans l'âme ou dans le corps? la douleur de l'âme ne peut être produite que par la pensée; celle du corps est toujours proportionnée à sa force et à sa faiblesse. Dans l'instant de la mort naturelle le corps est plus faible que jamais; il ne peut donc éprouver qu'une très-petite douleur, si même il en éprouve aucune. Maintenant supposons une mort violente; un homme, par exemple, dont la tête est em- portée par un boulet de canon, souffre-t-il plus d’un instant? a-t-il dans l'intervalle de cet in- 217 stant une succession d'idées assez rapide pour que cette douleur lui paraisse durer une heure, un jour , un siècle? c'est ce qu'il faut examiner. J'avoue que la succession de nos idées est en effet, par rapport à nous, la seule mesure du temps, etque nous devons le trouver plus court ou plus long, selon que nos idées coulent plus uniformément ou se croisent plus irrégulière- ment; mais cette mesure a une unité dont la grandeur n’est point arbitraire ni indéfinie , elle est au contraire déterminée par la nature même, et relative à notre organisation. Deux idées qui se succèdent, ou qui sont seulement différentes l'une de l’autre, ont nécessairement entre elles un certain intervalle qui les sépare; quelque prompte que soit la pensée, il faut un petit temps pour qu'elle soit suivie d’une autre pen- sée ; cette succession ne peut se faire dans un instant indivisible. Il en est de même du senti- ment : il faut un certain temps pour passer de la douleur au plaisir, ou même d’une douleur à une autre douleur; cet intervalle de temps qui sépare nécessairement nos pensées, nos sentiments, est l'unité dont je parle ; il ne peut être ni extrèmement long, ni extrêmement court; il doit même être à peu près égal dans sa durée, puisqu'elle dépend de la nature de notre âme et de l’organisation de notre corps, dont les mouvements ne peuvent avoir qu'un certain degré de vitesse déterminé; il ne peut donc y avoir dans le même individu. des suc- cessions d'idées plus ou moins rapides au degré qui serait nécessaire pour produire cette diffé- rence énorme de durée, qui d'une minute de douleur ferait un siècle, un jour, une heure. Une douleur très-vive, pour peu qu’elle dure, conduit à l'évanouissement ou à la mort; nos organes, n'ayant qu'un certain degré de force, ne peuvent résister que pendant un certain temps à un certain degré de douleur ; si elle de- vient excessive elle cesse, parce qu’elle est plus forte que le corps, qui ne pouvant la suppor- ter, peut encore moins la transmettre à l'âme , aveclaquelleil ne peut correspondre que quand les organes agissent; ici l’action des organes cesse, le sentiment intérieur qu'ils communi- quent à l'âme doit donc cesser aussi. Ce que je viens de dire est peut-être plus que suffisant pour prouver que l'instant de lamort u’est point accompagné d'une douleur extrême ni de longue durée; mais pour rassurer les gens les moins courageux, nous ajouterons en- 18 HISTOIRE NATURELLE core un mot, Une douleur excessive ne permet aueune réflexion, cependant on a vu souvent des signes de réflexion dans le moment même d'une mort violente, Lorsque Charles XIT re- çut le coup qui termina dans un instant ses ex- ploits et sa vie, il porta la main sur son épée; cette douleur mortelle n’était donc pas exces- sive, puisqu'elle n’excluait pas la réflexion ; il se sentit attaqué, il réfléchit qu'il fallait se défendre, il ne souffrit done qu'autant quel'on souffre par un coup ordinaire, On ne peut pas dire que cette action ne fût que le résultat d'un mouvement mécanique; car nous avons prouyéà l’article des passions (Voyez ci-devant la Description de l'Homme) que leurs mouve- ments, même les plus prompts, dépendent tou- jours de la réflexion, et ne sont que des effets d'une volonté habituelle de l'âme, Je ne me suis un peu étendu sur ce sujet que pour tâcher de détruire un préjugé si con- traire au bonheur de l'homme; j'ai vu des vic- times de ce préjugé, des personnes que la frayeur de Ja mort a fait mourir en effet, des femmes surtout que la crainte de la douleur anéantissait, Ces terribles alarmes semblent même n'être faites que pour des personnes élevées et devenues par leur éducation plus sensibles que les autres, car le commun des hommes, surtout ceux de la campagne, voient la mort sans effroi. La vraie philosophie est de voir les choses telles qu'elles sont; le sentiment intérieur se- rait toujours d'accord avec cette philosophie, s'il n’était perverti par les illusions de notre imagination et par l'habitude malheureuse que nous ayons prise de nous forger des fantômes de douleur et de plaisir: il n'y a rien de terri- ble ni rien de charmant que de loin; mais pour s’en assurer, il faut avoir le courage ou la sa- gesse de voir l’un et l’autre de près. Si quelque chose peut confirmer ce que nous avons dit au sujet de la cessation graduelle de la vie, et prouver encore mieux que sa finn'ar- rive que par nuances, souvent insensibles, c'est l'incertitude des signes de Ja mort. Qu'on consulte les recueils d'observations, et en par- ticulier celles que MM. Winslow et Bruhier nous ont données sur ce sujet, on sera con- vaincu qu'entre la mort et Ja vie il n’y a sou- vent qu'une nuance si faible, qu'on ne peut l'apercevoir même avec toutes les lumières de l'art de la médecine et de l'observation la plus attentive. Selon eux « le coloris du visage, la « chaleur du corps, la mollesse des parties « flexibles sont des signes incertains d'une vie « encore subsistante, comme la päleur du wi- « sage, le froid du corps, la raideur des extré- « mités, la cessation des mouvements et l'a- « bolition des sens externes sont des signes « très-équivoques d’une mort certaine. » Il en est de même de la cessation apparente du pouls et de la respiration : ces mouvements sont quel- quefois tellement engourdis et assoupis, qu'il n'est pas possible de les apercevoir: on ap- proche un miroir ou une lumière de la bouche du malade, si le miroir se ternit ou si la lu- mière vacille, on conclut qu'il respire encore; mais souvent ces effets arrivent par d’autres causes, lors même que le malade est mort en effet, et quelquefois ils n'arrivent pas, quoiqu'il soitencore vivant. Ces moyens sont donc très- équivoques ; on irrite les narines par des ster- nutatoires, desliqueurs pénétrantes ; on cherche à réveiller [es organes du tact par des piqüres, des brülures, ete.; on donne des lavements de fumée, on agite les membres par des mouve- ments violents, on fatigue l'oreille par des sons aigus et des cris, on scarifie les omoplates, le dedans des mains et la plante des pieds ; on y applique des fers rouges, de la cire d'Espagne brülante, ete., lorsqu'on veut être bien con- vaincu de la certitude de la mort de quelqu'un; mais il y a des cas où toutes ces épreuves sont inutiles, et on a des exemples, surtout de per- sonnes cataleptiques, qui les. ayant subies sans donner aucun signe de vie, sont ensuite reve- nues d’elles-mêmes, au grand étonnement des spectateurs, Rien ne prouve mieux combien un certain état de vie ressemble à l'état de la mort; rien aussi ne serait plus raisonnable et plus selon l'humanité, que de se presser moins qu'on ne fait d'abandonner, d'ensevelir et d’enterrer les corps; pourquoi n’attendre que dix, vingt, ou vingt-quatre heures, puisque ce temps nesuffit pas pour distinguer une mort vraie d’une mort apparente, et qu'on a des exemples de persou- nes qui sont sorties de leur tombeau au bout de deux ou trois jours ? Pourquoi laisser avec indifférence précipiter les funérailles des per- sonnes mêmes dont nous aurions ardemment desiré de prolonger la vie? pourquoi cet usage, au changement duquel tous les hommes sont | également intéressés, subsiste-t-il ? Ne suffit-il DE L'HOMME, pas qu'il y ait eu quelquefois de l'abus par des enterrements précipilés, pour nous engager à les différer et à suivre les avis des médecins, qui nous disent ! « qu'il est incontestable que « le corps est quelquefois tellement privé de « toute fonction vitale, et que le souffle de vie # y est quelquefois tellement caché, qu'il ne « parait en rien différent de celui d'un mort ; « que la charité et la religion veulent qu'on « détermine un temps suffisant pour attendre « que la vie puisse, si elle subsiste encore, se « manifester par des signes ; qu'autrement on « s'expose à devenir homicide, en enterrant des « personnes vivantes : or, disent-ils, c’est ce « qui peut arriver, si l'on en croit la plus « grande partie des auteurs, dans l’espace de « trois jours naturels ou de soixante-douze « heures; mais si pendant ce temps il ne pa- « rait aucun signe de vie, et qu'au contraire « les corps exhalent une odeur cadavéreuse, « on à une preuve infaillible de la mort, et on « peut les enterrer sans scrupule. » Nous parlerons ailleurs des usages des diffé- rents peuples au sujet des obsèques, des enter- rements, des embaumements, ete.; la plupart même de ceux qui sont sauvages font plus d'attention que nous à ces derniers instants; ils regardent comme le premier devoir ee qui n'est chez nous qu'une cérémonie; ils respec- tent leurs morts, ils les vêtissent, ils leur par- lent, ils récitent leurs exploits, louent leurs vertus; et nous qui nous piquons d’être sensi- bles, nous ne sommes pas même humains, nous fuyons, nous les abandonnons, nous ne vou- lons pas les voir, nous n'avons ni le courage ni la volonté d’en parler, nous évitons même de nous trouver dans les lieux qui peuvent nous en rappeler l’idée; nous sommes done trop in- différents ou trop faibles. Après avoir fait l’histoire dela vieet dela mort par rapport à l'individu, considérons l’une et l'autre dans l’espèceentière. L'homme, comme l'on sait, meurt à tout âge; et quoique en gé- néral on puisse dire que la durée de sa vie est plus longue que celle de la vie de presque tous les animaux, on ne peut pas nier qu'elle ne soit en même temps plus incertaine et plus va- * Voyez la Dissertation de M. Winslow sur l'incertitude des signes de la mort, page 84, où ces paroles sont rappor- tées d'après Terilli, qu’il appelle l'Esculape vénitien. 219 riable, On à cherché dans ces derniers temps à connaitre les degrés de ces variations, et à établir par des observations quelque chose de fixe sur la mortalité des hommes à différents âges ; si ces observations étaient assez exactes et assez multipliées, elles seraient d'une très- grande utilité pour la connaissance de la quan» tité du peuple, de sa multiplication, de la con- sommation des denrées, de la répartition des impôts, et. Plusieurs personnes habiles ont travaillé sur cette matière; et en dernier lieu M. de Parcieux, de l'Académie des Sciences, nous à donné un excellent ouvrage qui servira de règle à l'avenir au sujet des tontines et des rentes viagères; mais comme son projet prin- cipal a été de calculer la mortalité des rentiers, et qu'en général les rentiers à vie sont des hommes d'élite dans un état, on ne peut pas en conelure pour la mortalité du genre humain en entier. Les tables qu'il a données dans le même ouvrage sur la mortalité dans les diffé- rents ordres religieux sont aussi très-curieuses ; mais étant bornées à un certain nombre d'hom- mes qui vivent différemment des autres, elles ne sont pas encore suffisantes pour fonder des probabilités exactes sur la durée générale de la vie. MM. Halley, Graunt, Kersboom, Simp- son, ete., ont aussi donné des tables de la mor- talité du genre humain, et ils les ont fondées sur le dépouillement des registres mortuaires de quelques paroisses de Londres, de Bres- lau, ete,; mais il me parait que leurs recher- ches , quoique très-amples et d'un très-long travail, ne peuvent donner que des approxi- mations assez éloignées sur la mortalité du genre humain en général. Pour faire une bonne table de cette espèce, il faut dépouiller non- seulement les registres des paroisses d’une ville comme Londres, Paris, ete., où il entre des étrangers, et d'où il sort des natifs, mais encore ceux des campagnes, afin qu’ajoutantensemble tous les résultats, les uns compensent les au- tres; c’est ce que M. Dupré de Saint-Maur, de l’Académie Française, a commencé à exéeuter sur douze paroisses de la campagne et trois paroisses de Paris; il a bien voulu me commu niquer les tables qu'il en a faites, pour les pu- blier; je le fais d'autant plus volontiers, que ce sont les seules sur lesquelles on puisse établir les probabilités de la vie des hommes en gé- | néral avec quelque certitude, 220 HISTOIRE NATURELLE ANNÉES DE LA VIE, PAROISSES | DE LA CAMPAGNE. je | 9e | Rss IClemont. = FER 578] 75 IBNNONS eme A 75 MOUV 2 PPT 251 45 ILestontonsts. 1 Ne. 89 16 IVandenuie Le 456! 58 ISaint-Agil. . . . . . .”. . 559 64 DNS Ge + RO 105 51 ISaint-Amant.. . ..... 170 61 MONDE EE A cuite 546! 97 MAIÉDENTE. so =. « - 14 5 Goussainville, . . . . .. 565| 184 TC DES ne 686| 298 | Total des morts. | |Sépanarion des 10805 morts dans | les années de la vie où ils sont) 5758| 965 256| 1478] 154| 107 99 62 59 décédés. Monts avant la fin de leur fre, 2e année, elc., sur 10805 sépultu- res. 5758| 4701 5507| 5485! 5659! 5746! 5845! 5907! 5966 INomene des personnes entrées dans leur 1re, 2e année, elc., sur } 40805 10805. PAROISSES DE PARIS. ISaint-ANdTÉ. - Saint-Hippolyte. . . . . . Ë j Saint-Nicolas. . . . . . . ÿ 22 16 j ; © 1 Total des morts... . . . ISéparaTion des 15189 morts dans les années de la vie où ils sont décédés. 2716, 1415] G55| 444| 551| 252] 200| 141 92] 55 IMonrs avant la fin de leur 1e,] 2e année, elc., sur 13189 se 2716) 4151! 4766) 5210! 5541| 5795] 5995! 6154] 6226! 6281 tures. Re || INomene des personnes entrées dans leur 1'°, 2e année, etc., sur 15189. 1518910475, 9058] 8725 ISépanarion des 25994 morts sur les trois paroisses de Paris, etsur les douze villages. | =: Monrs avant la fin de leur fre, ’ 2% année, etc., sur 23994 sépul-} 6454| 8852! 9817 lures, 12968 112562112255 1120151186! 12477 po des personnes entrées dans } | leur 1°, 2e année, etc.. sur | 2599417540 15162, 14177 | 25994. \ | DE L'HOMME. A PAROISSES © F | DE LA CAMPAGNE. be Miomnnt.: If re . . 1591 6 5 ANNE. M 0. . . 1144 2 9 5 Luttee SR OR OR 588 5 4 5 RO ue « « die o | 225 0 1 1 0 Vandeuvre. .. . . . . . .| 672 5 À 5 4 SAME. 1 + ed. « : 954 5 5 7 ÿ DE 0 . 0. . : 262 0 0 1 1 Saint-Amant. . . . ... . . 748 2 ÿ 5 1 Montibnss se... i 855 À 2 2 5 Villeneuve. . . . . . . . . 151 0 0 2 0 Goussainville, . . . . . . .| 4615 9 5 5 9 ER ES. cts o 2247 4 4 4 Total des morts. . . . .|ros05 ISéPaRaTION des 10805 morts dans E D «ii de la vie où ils sont dé- 5 44 4 47 67 44 cédés. | lentes Er [Monts avant la fin de leur fte, | 12e année, etc., sur 10805 sépul-! G004! 6045 6081! 6119! 6160 : 6249! 6316! 6560 tures. 4760| 4724! 4686! 4645| 4605! 4556| 4489 ANNÉES DE LA 49 do o7 48 61 6504! 6559! 6616| 6664! 6725 Nowene des personnes entrées dans | leur 11e, 12e année, etc., ) 6908| 6862! 6806! 6769] 6754 aus 0 6575| 65235 leur 11e, 12e année, etc., sur) 4859! 4804 Nowsne des personnes entrées dans 10805. PAROISSES = pe) | DE PARIS. À SAME ANATE. . - <+ : - 1728 Saint-Hippolyte. . . . . . 2516 ISaint-Nicolas. . . . . . .| 8945 Total des morts. . . . . | 15189 Séparation des 13189 morts dans les années de la vie où ils sont dé- 46 56 cédés. Monrs avant la fin de leur {{e, 12e année, etc., sur 15189 sépul- tures. 6527| 6585 15189. SEpararion des 25994 morts sur les trois paroisses de Paris, et sur les 81! 100 douze villages. IMorrs avant la fin de leur 1e, | tures. Nowsne des personnes entrées dans | — leur 11e, 12e année, etc., sur 95994. | 12e année, etc., sur 25994 ni | 125281122428 112501 112574112664/12761|1286512980|15085 15226 11747 11666|11566,11495/11420/11550/11255|11129/11014 110909 À HISTOIRE NATURELLE PAROISSES ANNEES DE LA VIE. DE LA CAMPAGNE, = IClemont. . . ; IBFANONTe « tr Jouy... nor Bestioi .. : s . . Vandéuvre, , :.. Saint-Agil. . à Thury. . Saint-Amant, : Montigny. . Villeneuve. , Goussainville, ; .. , De du +9 12 + 19 œ à Lol | = 1010 = N = o7 HADUASS DS RU à à © NO 2 2 EU = Total des morts. . |Sépanarion des 10805 morts dans les années de la vie où ils sont dé- Ù j ) cédés. | Monts avant la fin de leur 21e, 22%e année, etc. , sur 10805 sépul 6480| 6569| 6657| 6659| 6820! 6886 411 7018| 7060! 7206 lures, Nomene des personnes entrées dose. | 4567| 4516] 4256| 4168| 4106! 3985! 3919| 5864| 5787| 5745 leur 21e, 22e année, etc., sur 10805. NÉES TIE PAROISSES ANNEES DE LA V ai: DE PARIS. ë 9e | 99e | 93e 7e | 28 10208 Saint-André ? Ç 4 41 Saint-Hippolyie Saint-Nicolas. .. . . . . . | Total des morts. . . . .|15189 Séparation des 15189 morts dans les années de la vie où ils sont dé- cédés. Morrs avant la fin de leur 21e, 22e année, etc., sur 15189 sépul-} 6850! 6! 5 4| 7 tures. Noxvae des personnes entrées dans leur 21e, 22 année, etc., sur} 6. 555 5212 5: 75| 6007! 5927] 5855| 57941 15189. Séparation des 25994 morts sur les trois paroisses de Paris, et sur les g5 doue villages. Monrs avant la fin de leur 21e, 22e année, etc., sur 25994 sépul- } 15519 tures. | INowene des personnes entrées dans leur 21e, 22e année, etc., sur } 10768 25994. DE L'HOMME, 293 PAROISSES DE LA CAMPAGNE. > Brinon. 4 . . Jouy. .: . Lestiou, ; . . Vandeuvre. . Saint-Agil. . : . Ehurv ae... Saint-Amant. , . Montighy. . : Villeneuve. . ; à Goussainville. , Qi = QI à D CH E à QE à «I D D © CA = _ QD © = QUO = NO = QI de QI à 1= > O1 RO QUE RO QE RO CE à = à D QE CO à = = NO © QC RO x 19 re 0) _ SUIS > > ©] r lSéranarion des 10805 morts dans | k les années de la vie où ils sont dé- | F 62 50! cédés. Mons avant la fin de leur 51e; L 52e année, ele., sur 10805 sépul-} 72 9! 74111 Y461| 7607 tures: INowsne des personnes entrées dans leur 51e, 52e année, elc., sur ; 5456| 5594! 5544 10805. PAROISSES res DE LA Eee 47 45| 21 14 12 4 26 15 15 46], 21 15 10|[ 24 41 54 82] 75 59 46! 109 | DE PARIS. c 93e | 94e 36° | 37e | 38e 40° Séparation des 15189 morts dans les années de la vie où ils sont dé- cédés. Monrs avant la fin de leur 51e, 52e année, etc., sur 15189 sépul- tures. Nowene des personnes entrées dans leur 51e, 52e année, etc., sur 15189. ISépararion des 25994 morts sur les trois paroisses de Paris, et sur les douze villages. Monrs avant la fin dé leur 5e, 52e année, etc. , sur 25994 sépul- } 14769/4.949,15082/15214 tures. Nownne des personnes entrées dans End 32 année, etc., sur} 9507| 9245] 6045| 8949| 8770| 8515 994 HISTOIRE NABURELLE —_—_—_———— — —— © ———© 2 ——— 2 ———— — — ANNÉES DE LA VIE. PAROISSES DE LA CAMPAGNE. 40e | 43e | 44e | 45e | 46e | 470 | 49 GIENONE 5. ce. 10 10 6 20 5 8 b) Brinon En 6 ‘ 8 5 6 11 5 6 9 LT OMS MEGA SE 5 0 4 13 5 4 2 LE TON SARRES SES ER 2 2 0 5 5 0 5 Vandeuvre... .... 5 2 2 14 5 5 4 Saint-AGIl. eu - De - - 8 7 5 14 1 5 5 lhury. . _'CRRTRE 5 1 4 5 0 0 0 Saint-Amant,....,.,.. 6 2 4 15 5 À 6 MODRIBTN 0e « «lee « 6 5 4 45 6 1 6 Villeneuve. .,.,,. 5 (| 0 2 (| 2 5 Goussainville, 5 41 4 5 41 9 5 42 NE Re ee te: 19 7 14 22 10 7 42 Total des morts. . . . . 10805 Séparation des 10805 morts dans les années de la vie où ils sont dé- cédés. Monrs avant la fin de leur 41e, = année, etc., sur 10805 sépul- | 8158| 8220| 8264! 8516! 8455| 8506! 8549] 8611 ures. leur 4le, 42e année, etc., sur} 2702] 2667] 2585 2489| 2550] 2299] 2256| 2194| 2172 None des personnes entrées dans 10805. ANNÉES DE LA VIE. 41e | 42e | 43e | 44° | 45e | 46° | 47° | 48e | 49e | 50° PAROISSES DE PARIS. ‘SLUON Saint-Hippolyte Saint-Nicolas. , Total des morts. . . .. 15189 les années de la vie où ils sont dé- SéraraTion des 13189 morts dans | 46 168; 89 69 96 72| 164 cédés. | Monrs avant la fin de leur 41e, 42e aanée, etc., sur 15189 sépul- tures. | | 8412] 8522] 8606| 8670| 8858| 8927| 8996| 9092] M64| 9528 Nouwsre des personnes entrées dans leur 41e, 42e année, etc., sur 15189. 4195| 4097| 4025 Sépanarion des 25994 morts sur les trois paroisses de Paris, et sur les douze villages. 16550 116742116870 |1698617295|17 42e année, etc, sur 25994 sépul- [Mours avant la fin de leur 44e, | tures. | Nowmne des personnes entrées dans leur 4e, 42e année, etc., sur 7008! 6701! 6561! 6449! 6291) 6197; 23994. DE L'HOMME, 225 | PAROISSES | DE LA CAMPAGNE. MONET. à 08 ee ÿ 14 MMDONNE 2. « «+ « - 2}, 10 ET te ce à 7 0 2 Mandenvre. . .". . . . .. 1 15 Sant-Agil. . . ...... 2] 410 HEUryA . . . . . . .. 1 1 Saint-Amant. ....... À 6 MOD 2. . ie . 5] 10 Villeneuve. . . . . . . .. 1 0 (oussainville. .. . . . . . 6 A se + à 29 Total des morts. . . . . 10805 SépanaTion des 10805 morts dans les années de la vie où ils sont dé- 22 cédés. Mours avant la fin de leur 5e, 2e année, etc., sur 10805 sépul- tures. 8927| 8965] 9009! 9120! 9174| 9225! 9286| 9505| 9574 Nowere des personnes entrées dans leur 51e, 52e année, etc., sur 10805. E4 PAROISSES e =) DE PARIS. mA Saiut-André. . . . . . . . 1728 Saint-Hippolyte. . . . . . 2516 1954| 1878] 1840! 1796! 1685| 1051] 1580! 1519! 1500 Saint-Nicolas. . . . . . . .| 8945 Total des morts. . . .. 15189 SéeanaTiox des 15189 morts dans les années de la vie où ils sont dé- cédés. o7 96 65 76 78 71| 265 2e année, etc., sur 15189 sépul- 95441 9610! 977 Monrs avant la fin de leur 5fe, Fe | tures. EE 9855] 9955 [10034 [10125 110590 Nomsne des personnes entrées dans | | leur 5le, 52e année, etc., sur) 5861| 5804 545| 55 15189. | SépanarTiox des 25994 morts sur les | | | trois paroisses de Paris, et sur les | 1 152! -1401| 4110! 280 douze villages. | A ——————_—_—_—Â_—_—Z—Z— | | ——— ATonrs avant la fin de leur 5e, | 52e année, etc., sur 25994 sépul- tures. x Le] 182356118408 18509 18519/18899|19029/19158/19540!19450 119967 Nomere des personnes entrées dans | leur 5e, 52 année, etc., sur! 5817| 5738| 5586| 5485 925991. | | 1 î Û — a ——— ——— ——_— ————— ————— 5515| 5095| 4965] 4856| 4654| 4564 Hi. 15 HIS | = PAROISSES © & Le DE LA CAMPAGNE. | Vandeuvre. . Ie. Saint-Agil. . sp. Thury. . Po Saint- Amant. 5 Ve MOntSNT. Et. . LR . . Villeneuve. . . Goussainville, . e ste de Total des morts. . . . .|10805 SéparaTion des 10805 morts dans les années de la vie où ils sont dé- cédés. Monts avant la fin de leur 61e, 62e année, elc., sur 10805 sépul- tures. INomsre des personnes entrées dans leur 61e, 62e année, elc., sur 10805: 4251 PAROISSES DE PARIS. Saint-Hippolyte. . Saint-Nicolas. Total des morts. . . . . SEPanaTION des 13189 morts dans les années de la vie où ils sont dé- c'dés. 60| 126 Monrs ayant la fin de leur 6e, 62c année, etc., sur 13189 sépul- tures. 10450 |10576 Nowene des personnes eutrées dans leur 61e, 62e année, etc., sur 15189. SéranaTion des 25994 morls sur les } trois paroisses de Paris, eLsur les 81 douze villages. | Monrs avant la fin de leur 61e, 62e année, ete. , sur 25994 sépul- tures. 20045 /2 INouune des personnes entrées dans leur 6le, 62e année, etc., sur} 25994. | TOIRE 4210] 4159] 4109) 1061 63° an 10687110800,16940|11081 2799] 2759| 2615] 2502 nl NATURELLE ANNÉES DE LA VIE. Ce ET EE Re à OT IQ I RO RO A QE OI OA AI UE — = 64e 50 25 95 4 9 35 75 s5 477 415] 140 461 |" 422 a — | 544120766|2098221124 21555 |21450) 5012| 2870| 2641| 25/4 PAROISSES DE LA CAMPAGNE. BAIN... 7... HP etes « « IMandeuvre... ...... AUTO, 6... ., RL ISaint-Amant. . . . ..., DROODNEN. 21:00. à Villendure. D UN. € IGoussainville, . . . . . . . Total des morts. . . .. Séparation des 10805 morts dans les années de la vie où ils sont dé- cédés. Monts ayant la fin de leur 7ie, 72e année, etc., sur 10805 sépul- tures. Nousae des personnes entrées dans | leur 7le, 72e année, etc., sur | 10805. PAROISSES ë DE PARIS. 5 Saint-André. . . . . . .. ISaint-Hippolyte. . . . . . Saint-Nicolas. . . . . .. Total des morts. . . ., ISépanariox des 15189 morts dans les années de la vie où ils sont dé- cédés. Monrs ayant la fin de leur 7{e, 72e année, etc., sur 15189 sépul- lures. i Nousre des personnes entrées dans leur 71e, 72e année, etc., 1528 15189. Séeararion des 25994 morts sur les trois paroisses de Paris, et sur les douze villages. Mosrs ayant la fin de leur 7e, 72e année, etc., sur 25994 sépul- lures. Nouwere des personnes entrées dans leur 7le, 72e année, etc., sur 25994. | | ur 119151411987 |12144/12281 12574 | \ | DE L'HOMME. 10195 655 108 21959 2160 | | | | j | | 10295 1445 10 552 ANNÉES DE LA VIE. 10576/10464 rosss| 10521 10559 10574] 10663 { 246 251 en 109 FE. 258 22210122519/22487|22745 2155] 47 J 84| 1675] 1507 147 22859|22979|25126 1155] 1015 Gi 2518725452 ss | 868| 807 = 298 HISTOIRE NATURELLE ANNEES DE LA VIE. PAROISSES DE LA CAMPAGNE. D CIéMONU TE. . 0eme BENOIT. . He le LME. . «Lie « à Vandeuvre. : RE SAME... ©. DOOEEE RC - - Saint-Amant. . . . . . .. MONEY. ce - CRUE Villeneuve. fe... . - Goussainville. . . . . . . les années de la vie où ils sont décédés. ISEPaRATION des 10805 morts sil 16 | Monts avant la fin de leur Sie, 82e année, elc., sur 10805 sépul- tures. 10679/10709/10720 10741 10755/10762:10770 10779 10784 10795 | Nowene des personnes entrées dans leur 81°, 82 année, etc., sur 142 85! 641 321 45] 35% 9% 10805. PAROISSES DE PARIS. ISaint-André, . . . . . .. Saiul-Hippolyte. . . . . . |Saint-Nicolas. . . . . . . To!al des morts. . . . . ISépanarion des 15189 morts dans les années de la vie où ils sont 40 56 61 56 48 30 25 51 8 25 décédés. | Monts ayant la fin de leur 81°, | ee année, elc., sur 13189 sépul- } 412809112865 112926/12962/15010 15040 15065 ures CEE PR 2h * à [sp | RS Nomwene des personnes entrées dans leur 81°, 82e année, etc., sur 15189. 420| 580| 3524] 265| 227 7 49| 194 SépanaTion des 25994 morts sur les trois paroisses de Paris, et sur les douze villages. Monrs avant la fin de leur 8e, 82e année, etc., sur 25994 sépul- | 254 314 | 22! 5125765|25802/25855 125878 25891 25925 | tures. INownng des personnes entrées dans le ur 81°, 82 année, etc., sur 562! 506! 420| 548| 291| 951| 492 105 - - DT LORS PAROISSES DE LA CAMPAGNE. BRON 24-02 uns TO ET RRE LESTON NME Vanier nds à son SARA... 2e LUTTE SORA Saint-Amant. . . . . . . . MODEM ec où WAEnEUVE. - - . . ….. . . Goussainville. . .. . . . . Total des morts. . . . ee te 9 1591 1141 588 295 672 954 0 262 748 1 855 151 1615 29247 0 cédés. Morts avant la fin de leur 9e, 92e année, etc. , sur 10805 sépul- tures. Nomene des personnes entrées dans leur 91e, 92 année, etc., sur 10805. SéraraTion des 10805 morts dans | les années de la vie où ils sont dé- } 10805 DE 92 PAROISSES DE PARIS. Saint-Hippolyte. nr. +: Saint-Nicolas. .. . . . .. Total des morts. . . . . SÉpañaTiON des 15189 morts dans les années de la vie où ils sont dé- cédés. 92e année, etc., sur 13189 sépul- tures. Nowere des personnes entrées dans 15189. leur 91e, 92e année, etc., sr. 9 } 1 Monrs avant la fin de leur 91e,| LE L'HOMME, 93° 96° 978 0 0 0 0 1 0 2 0 5 0 0 10794|10797 SEéPaRaTiON des 25994 morts sur les {rois paroisses de Paris, et sur les douze villages. IMonrs avant la fin de leur 9e, 92e année, etc., sur 25994 sépul- tures. INowere des personnes entrées dans leur 91e, 92e année, etc., sur 25991. | =: | 98° | 97e 98° 100° 99° 99° | 100° 4 | 0 n 250) On peut tirer plusieurs connaissances utiles de cette table, que M. Dupré a faite avec beau- coup de soin ; mais je me bornerai ici à ce qui regarde les degrés de probabilité de la durée de la vie. On peut observer que dans les colon- nes qui répondent à 10, 20, 30, 40, 50, 60, 70; 80 ans, etaux autres nombres ronds, comme 25, 35, ete., il y a dans les paroisses de campagne beaucoup plus de morts que dans les colonnes précédentes ou suivantes; cela vient de ce que les curés ne mettent pas sur leurs registres l’âge au juste, mais à peu près : la plupart des paysans ne savent pas leur âge à deux ou trois années près; s'ils meurent à 58 ou 59 ans, on écrit 60 ans sur le registre mor- tuaire ; il en est de même des autres termes en nombres ronds. Mais cette irrégularité peut ai- sément s’estimer par la loi de la suite des nom- bres, c’est-à-dire par la manière dont ils se HISTOIRE NATURELLE succèdent dans la table: ainsi cela ne fait pas un grand inconvénient. ’ar la table des paroisses de la campagne, il paraît que la moitié de tous les enfants qui naissent, meurent à peu près avant l’âge de quatre ans révolus; par celle des paroisses de Paris, il paraît au contraire qu'il faut seize ans pour éteindre la moitié des enfants qui naissent en même temps : cette grande différence vient de ce qu'on ne nourrit pas à Paris tous les en- fants qui y naissent, même à beaucoup près: on les envoie dans les campagnes, où il doit par conséquent mourir plus de personnes en bas âge qu'à Paris. Mais en estimant les degrés de mortalité par les deux tables réunies , ce qui mé parait approcher beaucoup de la vérité, j'ai calculé les probabilités de la durée de la vie comme il suit : TABLE DES PROBABILITÉS DE LA DURÉE DE LA VIE. DURÉE DURÉE DE LA VIE, DE LA VIE, aunées. mois. mois. . |années. mois. _ asonSnusacsess oouwvouSeiuomects peto=-musuouiu=ss DURÉE DURÉE DE LA VIE. DURÉE AGE. DE LA VIE. DE LA VIE. années. mois| ans. années. mois. 4 6 aunées. mois. PPECEÉLELEETETT-E) æ Qu OO: OC CD I NI 0 D © © Losmhiosoncaon— CPELCCPELCES CERPESCEET) On voit par cette table qu'on peut espérer raisonnablement, c’est-à-dire parier un contre un, qu'un enfant qui vient de naitre ou qui a zéro d'âge vivra huit ans; qu'un enfant qui a déjà vécu un an ou qui à un an d'âge, vivra encore trente-trois ans; qu'un enfant de deux ans révolus vivra encore trente huit ans; qu'un homme de vingt ans révolus vivra encore trente-trois ans cinq mois; qu'un homme de trente ans vivra encore vingt-huit ans, et ainsi de tous les autres âges. On ôbservera, 1° que l'âge auquel on peut es- pérer une plus longue durée de vie, est l’âge de sept ans, puisqu'on peut parier un contre un qu'un enfant de cet âge vivra encore qua- rante-deux ans trois mois; 2° qu'à l'âge de douze ou treize ans on a vécu le quart de sa vie, puisqu'on ne peut légitimement espérer que trente-huit ou trente-neuf ans de plus, ét de même qu'à l'âge de vingt-huit ou vingt-neuf ans on a vécu la moitié de sa vie, puisqu'on n'a plus que vingt-huit ans à vivre; et enfin qu'avant cinquante ans on a véeu les trois quarts de sa vie, puisqu'on n'a plus que seize ou dix- sept ans à espérer. Mais ces vérités physiques si mortifiantes en elles-mêmes peuvent se com- penser par des considérations morales; un homme doit regarder comme nulles les quinze DE L'HOMME. premières années de sa vie; tout ce qui lui est arrivé, tout ce qui s'est passé dans ce long intervalle de temps est effacé de sa mémoire, ou du moins a si peu de rapport avec les ob- jets et les choses qui l'ont occupé depuis, qu'il ne s'y intéresse en aucune façon; ce n’est pas la même succession d'idées, ni, pour ainsi dire, la même vie; nous ne commencons à vi- yre moralement que quand nous commençons à ordonner nos pensées, à les tourner vers un certain avenir, et à prendre une espèce de con- sistance, un état relatif à ce que nous devons être dans la suite. En considérant la durée de la vie sous ce point de vue, qui est le plus réel, nous trouverons dans la table qu'à l’âge de vingt-cinq ans on n'a vécu que le quart de sa vie, qu'à l’âge de trente-huit ans on n’en a vécu que la moitié, et que ce n'est qu'à l'âge de cin- quante-six ans qu'on a véeu les trois quarts de sa vie. ADDITION A l'article de la Vieillesse et de la Mort, pages 209 et suivantes de ce volume. J'ai cité, d'après les Transactions philoso- phiques , deux vieillesses extraordinaires, l'une de cent soixante-cinq ans, et l’autre de cent quarante-quatre. On vient d'imprimer en da- noïs la vie d'un Norvécien, Christian-Jacobsen Drachenberg, qui est mort en 1772, âgé de cent quarante six ans ; il était né le 18 novem- bre 1626, et pendant presque toute sa vie il a servi et voyagé sur mer, ayant même subi l'esclavage en Barbarie pendant près de seize ans; il a fini par se marier à l’âge de cent onze sns!. Un autre exemple, est celui du vieillard de Turin, nommé André-Brissio de Bra, qui a vécu cent vingt-deux ans sept mois et vinet- cinq jours , et qui aurait probablement vécu plus longtemps; car il a péri par accident, s'étant fait une forte contusion à la tête en tombant ; il n'avait à cent vingt-deux ans en- core aucune des infirmités de la vieillesse; c’é- tait un domestique actif, et qui a continué son service jusqu'à cet âge ?. Un quatrième exemple, est celui du sieur de Lahaye , qui a vécu cent vingt ans; il était né en France, il avait fait par terre, et pres- ! Gazette de France, du vendredi 41 novembre 1774, arti- cle de Varsovie. 2 Gazette de France, du lundi 44 novembre 1774, article de Turin. 231 que toujours à pied , le voyage des Indes, de la Chine, de la Perse et de l'Égypte‘; cet homme n'avait atteint la puberté qu’à l'âge de cinquante ans, il s'est marié à soixante-dix ans, et a laissé cinq enfants ?. ! Gazette de France, {8 février 1774, article de La Haye, ? Exemples que j'ai pu recueillir de personnes qui ont vécu cent dix ans et au-delà. « Guillaume Lecomte, berger de profession, mort subite- ment le 47 janvier 1776, en la parolsse de Theuville-aux-Mail- lots, dans le pays de Caux, âgé de cent dix ans ; il s'était marié en secondes noces à quatre-vingts ans. » Journal de politique et de littérature, 45 mars 1776, article Paris. « Dans la nomenclature d'un professeur de Dantzick, nommé Hanovius, on cite un médecin impérial nommé Gra- mers, qui avait vu à Temeswar deux frères, l'un de cent dix ans, l'autre de cent douze ans, qui tous deux devinrent pères à cet âge. » Zdem, 15 février 1775, page 197. « La nommée Marie Cocu, morte vers le nouvel an 1776, à Websborough en Irlande, à l'âge de cent douze ans. « Le sieur Istwan Horwaths , chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis , ancien capitaine de hussards au service de France, mort à Sar-Albe, en Lorraine, le 4 décem- bre 1775, âgé de cent douze ans dix mois et vingt-six jours : il était né à Raab en Hongrie, le 8 janvier 1665, et avait passé en France en 1712 avec le régiment de Berchiny : ilse retira du service en 1756. Il a joui jusqu'à la fin de sa vie de la santé la plus robuste, que l'usage peu modéré des liqueurs fortes n'a pu altérer. Les exercices du corps et surtout la chasse, dont il se délassait par l'usage des bains, étaient pour lui des plai- sirs vifs; quelque temps avant sa mort il entreprit un voyage très-long, et le fit à cheval. » Journal de politique et de littérature, 45 mars 1776, article de Paris. « Rosine Jwiwarowska, morte à Minsk en Lithuanie, âgée de cent treize ans. » Idem, 3 mai 1776, ibid. « Le 26 novembre 1775, il est mort dans la paroisse de Frise, au village d'Oldeborn, une veuve nommée Fockjd Jo- hannes, âgée de cent treize ans seize jours; elle a conservé tous ses sens jusqu'à sa mort. » Journal historique et politi- que, 50 décembre 1775, pag. 47. « Lanommée Jenneken Maghbarg, veuve Faus, morte le 2 février 1776, à la maison de charité de Zutphen, dans la province de Gueldres, à l'âge de cent treize ans et sept mois ; elle avait toujours joui deHla santé la plus ferme, et n'avait perdu la vue qu'un an avant sa mort. » Journal de politique et de littérature, 45 mars 1776, article Paris, « Le nommé Patrick Mériton, cordonnier à Dublin, parait encore fort robuste, quoiqu'il soit actuellement (en 4775) âgé de cent quatorze ans:il a été marié onze fois, et la femme qu'il a présentement a soixante-dix-huit ans. » Jour- nal historique et politique, 10 septembre 4775, article Lon- dres, « Marguerite Bonefaut est morte à Wear-@ifford, au comté de Devon, le 26 mars 1774, âgée de cent quatorze ans.» Idem, 10 avril 4774, page 39. » M. Eastmann, procureur, mort à Londres le 41 janvier 1776. à l'âge de cent quinze ans, » Journal de politique et de littérature, 45 mars 1776, art. Paris. « Térence Gallabar, mort le A février 1776, dans la paroisse de Killimon près de Dungannon en Irlande, âgé de cent seize ans et quelques mois. »/bid,, 5 mai 1776, art. Paris. « David Bian, mort au mois de mars 1776, à Tismerane, dans le comté de Clarke en Irlande, à l'âge de cent dix-sept ans. » Zdem, ibidem. « À Vilejark en Hongrie, un paysan nommé Marsk Jonas est mort le 20 janvier 4773, âgé de cent dix-neuf ans , sans ja- mais avoir été malade. Il n'avait été marié qu'une fois, et n'a perdu sa femme qu'il y a deux ans. » Zdem, 15 fév. 1775, page 197. « Éléonore Spicer est morte au mois de juillet 4775, à 252 Il y a dans les animaux, comme dans l’es- ‘ pèce humaine, quelques individus privilégiés, dont la vie s'étend presque au double du terme ordinaire, et je puis citer l'exemple d'un che- val qui a vécu plus de cinquante ans; la note m'en a été donnée par M. le duc de la Roche- foucault, qui non-seulement s'intéresse au pro- grès des sciences, mais les cultive avec grand succès. « En 1734, M. le duc de Saint-Simon étant à Frescati, en Lorraine , vendit à son cousin, évêque de Metz, un cheval normand qu'il ré- formait de son attelage , comme étant plus vieux que les autres, ce cheval ne marquant plus à la dent : M. de Saint-Simon assura son cousin qu'il n'avait que dix ans, et c’est de cette as- surance dont on part pour fixer la naissance du cheval à l’année 1724. « Cet animal était bien proportionné et de belle taille, si ce n’est l’encolure qu'il avait un peu trop épaisse. « M. l’évêque de Metz (Saint-Simon) em- ploya ce cheval jusqu'en 1760 à trainer une voiture dont son maïitre-d’hôtel se servait pour aller à Metz chercher les provisions de Ja ta- ble ; il faisait tous les jours au moins deux fois Accomak, dans la Virginie, âgée de cent vingt-un ans. Cette femme n'avait jamais bu de liqueur spiritueuse, et a conservé l'usage de ses sens jusqu'au dernier terme de sa vie. » Jour- nal historique et politique, 50 décembre 1775, page 47. « Les deux vieillards cités dans les Transactions philoso- phiques, âgés l'on de cent quarante-quatre ans, et l'autre de cent soixante-cinq ans. » Hist. Nat., tome ÎL, in-4°, pag 371. Hanovius, professeur de Dantzick, fait mention dans sa nomenclature d'un vieillard mort àl'âge de cent quatre-vingt- quatre ans. Et encore d'un vieillard trouvé en Valachie, qui, selon lui, était âgé de cent quatre-vingt-dix ans. Journal de politique et de littérature, 45 février 1775, page 197. D'après des registres où l'on inscrivait la naissance et la mort de tous les citoyens, du temps des Romains, il paraît que l'on trouva dans la moitié seulement du pays compris entre les Apennins et le Pô, plusieurs vieillards d'un âge fort avancé; savoir : à Parme, trois vieillards de cent vingt ans et deux de cent trente ; à Brixillum, un de cent vingt- cinq; à Plaisance, un de cent-trente-un ; à Faventin, une femme de cent trente-deux; à Bologne, un homme de cent cinquante ; à Rimini, un homme et une femme de cent trente- sept; dans les collines autour de Plaisance, six personnes de cent dix ans, quatre de cent vingt, et une de cent cinquante, enfin dans la huitième partie de l'Italie seulement, d'après un dénombrement authentique fait par les censeurs , on trouva cinquante-quatre hommes âgés de cent ans ; vingt-sept âgés de cent dix ans ; deux de cent vingt-cinq; quatre de cent trente; autant de cent trente-cinq ou cent trente-sept ; et trois de cent quarante , sans compter celui de Bologne, âgé d'un siècle et demi. Pline observe que l'empereur Claude, alors régnant, fut Curieux de constater ce dernier fait : on le vérilia avec le plus grand soin, et après la plus scrupuleuse recherche , on trouva qu'il était exact. Journal de politique et de littérature, 13 février 1773, page 197. HISTOIRE NATURELLE et quelquefois quatre, le chemin de Frescati à Metz , qui est de 3,600 toises. « M. l'évêque de Meiz étant mort en 1760, ce cheval fut employé jusqu’à l’arrivée de mon- sieur l’évêque actuel, en 1762, et sans aucun ménagement, à tous les travaux du jardin, et à conduire souvent un cabriolet du con- cierge. « Monsieur l’évêque actuel, à son arrivée a Frescati, employa ce cheval au même usage que son prédécesseur; et comme on le faisait fort souvent courir, on s’apercut, en 1766, que son flanc commençait à s'altérer; et dès lors monsieur l'évêque cessa de l'employer à conduire la voiture de son maitre-d'hôtel, et ne le fit plus servir qu à trainer une ratissoire dans les allées du jardin. Il continua ce travail jusqu'en 1772, depuis la pointe du jour jusqu’à l'entrée de la nuit, excepté le temps des repas des ouvriers. On s’apereut alors que ce tra- vail lui devenait trop pénible, et on lui fit faire un petit tombereau, de moitié moins grand que les tombereaux ordinaires, dans lequel il trai- nait tous les jours du sable, de la terre, du fü- mier, ete. Monsieur l’évêque, qui ne voulait pas qu'on laissät cet animal sans rien faire, dans la crainte qu'il ne mourût bientôt, et voulant le conserver, recommanda que, pour peu que le cheval parût fatigué, on le laissât reposer pendant vingt-quatre heures; mais on a été ra- rement dans ce cas : il a continué à bien man- ger, à se conserver gras, et à se bien porter jusqu’à la fin de l'automne 1773, qu'il com- mença à ne pouvoir presque plus broyer son avoine, et à la rendre presque entière dans ses exeréments. Il commença à maigrir; monsieur l'évêque ordonna qu'on lui fit concasser son avoine , et le cheval parut reprendre de l'em- bonpoint pendant l'hiver; mais au mois de fé- vrier 1774, i avait beaucoup de peine à trai- ner son petit tombereau deux ou trois heures par jour, et maigrissait à vue d'œil. Enfin, le mardi de la semaine sainte, dans le moment où on venait de l’atteler, il se laissa tomber au premier pas qu'il voulut faire; on eut peine à le relever ; on le ramena à l'écurie où il se cou- cha sans vouloir manger, se plaignit, enfla beaucoup et mourut le vendredi suivant, ré- pandant une infection horrible. « Ce cheval avait toujours bien mangé son avoine et fort vite; il n'avait pas, à sa mort, les dents plus longues que ne les ont ordinaire- DE L'HOMME. 253 ment les chevaux à douze ou quinze ans; les seules marques de vieillesse qu'il donnait étaient les jointures et articulations des genoux, qu'il avait un peu grosses; beaucoup de poils blanes et les salières fort enfoncées : il n’a ja- mais eu les jambes engorgées. Voilà done, dans l'espèce du cheval, l'exem- ple d’un individu qui a vécu cinquante ans, c'est-à-dire le double du temps de la vie ordi- naire de ces animaux. L'analogie confirme en général ce que nous ne connaissons que par quelques faits particuliers, c'est qu'il doit se trouver dans toutes les espèces, et par consé- quent dans l'espèce humaine comme dans celle du cheval, quelques individus dont la vie se prolonge au double de la vie ordinaire , c'est-à- dire à cent soixante ans au lieu de quatre- vinets. Ces priviléges de la nature sont à la vé- rité placés de loin en loin pour le temps, et à de grandes distances dans l'espace; ce sont les gros lots dans la loterie universelle de la vie; néanmoins ils suffisent pour donner aux vieil- lards, mème les plus âgés, l'espérance d'un âge encore plus grand. Nous avons dit qu'une raison pour vivre est d'avoir véeu, et nous l'avons démontré par l'é- chelle des probabilités de la durée de la vie; cette probabilité est à la vérité d'autant plus petite que l'âge est plus grand ; mais lorsqu'il est complet, c'est-à-dire à quatre-vingts ans, cette même probabilité, qui décroit de moins en moins, devient pour ainsi dire stationnaire et fixe. Si l'on peut parier un contre un, qu'un homme de quatre-vingts ans vivra trois ans de plus, on peut le parier de même pour un homme de quatre-vingt-trois, de quatre-vingt- six, et peut-être encore de même pour un homme de quatre-vingt-dix ans. Nous avons donc toujours, dans l’âge même le plus avancé, l'espérance légitime de trois années de vie. Et trois années ne sont-elles pas une vie complète? ne suffisent-elles pas à tous les projets d'un homme sage ? nous ne sommes donc jamais vieux si notre morale n'est pas trop jeune; le philosophe doit dès lors regarder la vieillesse comme un préjugé, comme une idée contraire au bonheur de l'homme, et qui ne trouble pas celui des animaux. Les chevaux de dix ans, qui voyaient travailler ce cheval de cinquante ans, nele jugeaient pas plus près qu'eux de la mort. Ce n’est que par notre arithmétique que nous en jugeons autrement; mais cette même arith- métique bien entendue nous démontre que dans notre grand âge nous sommes toujours à trois ans de distance de la mort, tant que nous nous portons bien ; que vous autres, jeunes gens, vous en êtes souvent bien plus près, pour peu que vous abusiez des forces de votre âge ; que d'ailleurs, ettout abus égal, c'est-à-dire pro- portionnel, nous sommes aussi sûrs à quatre- vingts ans de vivre encore trois ans , que vous l'êtes à trente d'en vivre vingt-six. Chaque jour que je me lève en bonne santé , n’ai-je pas la jouissance de ce jour aussi présente, aussi plé- nière que la vôtre ? si je conforme mes mou- vements, mes appétits, mes désirs aux seules impulsions de la sage nature , ne suis-je pas aussi sage et plus heureux que vous? ne suis-je pas même plus sûr de mes projets, puisqu'elle me défend de les étendre au-delà de trois ans? et la vue du passé, qui cause les regrets des vieux fous, ne m'offre-t-elle pas au contraire des jouissances de mémoire, des tableaux agréables, des images précieuses qui valent bien vos objets de plaisir ? car elles sont douces, ces images, elles sont pures, elle ne portent dans l'âme qu'un souvenir aimable ; les inquiétudes, les chagrins, toute la triste cohorte qui accom- pagne vos jouissances de jeunesse , disparais- sent dans le tableau qui me les représente ; les regrets doivent disparaitre de même, ils ne sont que les derniers élans de cette folle vanité qui ne vieillit jamais. N'oublions pas un autre avantage ou du moins une forte compensation pour le bonheur dans l'âge avancé; c'est qu'il y a plus de gain au moral que de perte au physique : tout au mo- ral est acquis; et si quelque chose au physique est perdu , on en est pleinement dédommagé. Quelqu'un demandait au philosophe Fonte- nelle, âgé de quatre-vingt-quinze ans, quelles étaient les vingt années de sa vie qu'il regret- tait le plus ; il répondit qu'il regrettait peu de chose , que néanmoins l'âge où il avait été le plus heureux était de cinquante-cinq à soixante-quinze ans; il fit cetaveu de bonne foi, et il prouva son dire par des vérités sensibles et consolantes. À cinquante-cinq ans la fortune est établie, la réputation faite, la considération obtenue , l'état de la vie fixe, les prétentions évanouies ou remplies, les projets avortés ou müris , la plupart des passions calmées ou du moins refroidies, la carrière à peu près remplie pour les travaux que chaque homme doit àla 254 société; moins d'ennemis ou plutôtmoins d’en- vieux nuisibles, parce que le contre-poids du mérite est connu par la voix du public: tout concourt dans le moral à l'avantage de l'âge, jusqu'au temps où les infirmités et les autres maux physiques viennent à troubler la jouis- sance tranquille et douce de ces biens acquis par la sagesse ; qui seuls peuvent faire notre bonheur. L'idée la plustriste, c’est-à-dire la plus contraire au bonheur de l'homme, est la vue fixe de sa pro- chaine fin ; cetteidée faitle malheur de la plupart des vieillards, même de ceux qui se portent le mieux, et qui ne sont pasencore dans un âge fort avancé; jelesprie des’enrapporter à moi :ilsont encore à soixante-dix ans l'espérance légitime desix ansdeux mois, à soixante-quinze ans l’es- pérance tout aussi légitime de quatre ans six mois de vie; enfin à quatre-vingts et même à quatre-vingt-six ans, celle de trois années de plus; il n'y a done de fin prochaine que pour ces âmes faibles qui se plaisent à la rappro- cher : néanmoins le meilleur usage que l'homme puisse faire de la vigueur de son esprit, c’est d'agrandir les images de tout ce qui peut lui plaire en les rapprochant , et de diminuer au contraire, en les éloignant, tous les objets désa- gréables, et surtout les idées qui peuvent faire son malheur; et souvent il suflit pour cela de voir les choses telles qu'elles sont en effet. La vie, ou si l’on veut la continuité de notre exis- tence ne nous appartient qu'autant que nous la sentons; or, ce sentiment de l'existence n'est-il pas détruit par le sommeil ? chaque nuit nous cessons d’être , et dès lors nous ne pouvons regarder la vie comme une suite non interrom- pue d'existences senties; ce n’est point une trame continue, c'est un fil divisé par des nœuds ou plutôt par des coupures qui toutes appartiennent à la mort; chacune nous rappelle l'idée du dernier coup de ciseau, chacune nous représente ce que c’est que de cesser d'être ; pourquoi donc s'occuper de la longueur plus ou moins grande de cette chaine qui se rompt chaque jour ? Pourquoi ne pas regarder et la vie et la mort pour ce qu'elles sont en effet ? mais comme il y a plus de cœurs pusillanimes que d'âmes fortes , l'idée de la mort se trouve toujours exagérée , sa marche toujours préci- pitée, ses approches trop redoutées , et son as- pect .insoutenable ; on ne pense pas que l'on anticipe malheureusement sur son existence HISTOIRE NATURELLE toutes les fois que l'on s’affecte de la destruc- tion de son corps; car cesser d’être n’est rien, maisla crainte estla mort de l'âme. Je ne dirai pas avec le stoicien, Hors homini summun bonum diis denegatum ; je ne la vois ni comme un grand bien ni comme un grand mal, et j'ai tà- ché de la représenter telle qu'elle est (page 209 de ce volume); j'y renvoie mes lecteurs, par le désir que j'ai de contribuer à leur bon- heur. DU SENS DE LA VUE. Après avoir donné la description des diffé- rentes parties qui composent le corps humain, examinons ses principaux organes ; voyons le développement et les fonctions des sens, cher- chons à reconnaitre leur usage dans toute son étendue , et marquons en même temps les er- reurs auxquelles nous sommes, pour ainsi dire, assujettis par la nature. Les yeux paraissent être formés de fort bonne heure dans le fœtus ; ce sont même, des parties doubles, celles qui paraissent se déve- lopper les premières dans le petit poulet; et j'ai observé sur des œufs de plusieurs espèces d'oiseaux , et sur des œufs de lézards, que les yeux étaient beaucoup plus gros et plus avan- cés dans leur développement que toutes les autres parties doubles de leur corps. Il est vrai que dans les vivipares , et en particulier dans le fœtus humain , ils ne sont pas à beaucoup près aussi gros à proportion qu'ils le sont dans les embryons des ovipares; mais cependant ils sont plus formés et ils paraissent se dévelop- per plus promptement que toutes les autres parties du corps. Il en est de même de l'or- gane de l’ouie; les osselets de l'oreille sont en- tièrement formés dans le temps que d’autres os, qui doivent devenir beaucoup plus grands que ceux-ci, n’ont pas encore acquis les premiers degrés de leur grandeur et de leur solidité. Dès le cinquième mois les osselets de l'oreille sont solides et durs ; il ne reste que quelques petites parties qui sont encore cartilagineuses dans le marteau et dans l'enelume; l'étrier achève de prendre sa forme au septième mois, et dans ce peu de temps tous ces osselets ont entièrement acquis dans le fœtus la grandeur, la forme et la dureté qu'ils doivent avoir dans l'adulte. DE L'HOMME. It parait done que les parties auxquelles il aboutitune plus grande quantité de nerfs sont les premières qui se développent. Nous avons dit que la vésicule qui contient le cerveau , le cervelet et les autres parties simples du milieu de latète, est ce qui parait le premier , aussi bien que l'épine du dos, ou plutôt la moelle al- longée qu'elle contient ; cette moelle allongée, prise dans toute sa longueur, est la partie fon- damentale du corps, et celle qui est la première formée. Les nerfs sont done ce qui existe le premier, et les organes auxquels il aboutit un grand nombre de différents nerfs, comme les oreilles , ou ceux qui sont eux-mêmes de gros nerfs épanouis, comme les yeux, sont aussi ceux qui se développent le plus promptement et les premiers. Si l'on examine les yeux d'un enfant quel- ques heures ou quelques jours après sa nais- sance, on reconnait aisément qu'il n’en faiten- core aucun usage; cet organe n'ayant pas éncore assez de consistance, les rayons de la lu- mière ne peuvent arriver que confusément sur la rétine : ce n’est qu'au bout d’un mois ou en- viron qu'il parait que l'œil a pris de la solidité et le degré de tension nécessaire pour trans- mettre ces rayons dans l'ordre que suppose la \ision. Cependant alors même, c’est-à-dire au bout d'un mois , les yeux des enfants ne s’ar- rêtent encore sur rien; ils les remuent et les tournent indifféremment, sans qu'on puisse re- marquer siquelques objets les affectent réelle- ment ; mais bientôt, c'est-à-dire à six ou sept semaines, ils commencentà arrêter leursregards sur les choses les plus brillantes, à tourner sou- vent les yeux et à les fixer du côté du jour, des lumières ou des fenêtres. Cependant l'exercice qu'ils donnent à cet organe ne faitque le fortifier sans leur donner encore aucune notion exacte des différents objets; car le premier défaut du sens de la vue est de représenter tous les ob- jets renversés : les enfants, avant que de s'être assurés par le toucher de la position des choses et de celle de leur propre corps, voient en bas tout ce qui est en haut, et en haut tout ce qui est en bas; ils prennent donc par les yeux une fausse idée de la position des objets. Un se- cond défaut, et qui doit induire les enfants dans une autre espèce d'erreur ou de faux jugement, c'est qu'ils voient d'abord tous les objets dou- bles, parce que dans chaque œil il se forme une image du même objet; cenepeutencore être 255 que par l'expérience du toucher qu'ils ac uiè- rent la connaissance nécessaire pour rectifier cette erreur, et qu'ils apprennent en effet à ju- ger simples les objets qui leur paraissent dou- bles. Cette erreur de la vue, aussi bien que la première, est dans la suite si bien rectifiée par la vérité du toucher, que quoique nous voyions en effet tous les objets doubles et renversés, nous nous imaginons cependant les voir réelle- ment simples et droits , et que nous nous per- suadons que cette sensation par laquelle nous voyons les objets simples et droits, qui n’est qu'un jugement de notre âme occasionné par le toucher, est une appréhension réelle produite par le sens de la vue. Si nous étions privés du toucher, les yeux nous tromperaient donc non- seulement sur la position , mais aussi sur le nombre des objets. La première erreur est une suite de ia con- formation de l'œil, sur le fond duquel les objets se peignent dans une situation renversée, parce que les rayonslumineux, qui forment les ima- ges de ces mêmes objets, ne peuvent entrer dans l'œil qu'en se croisant dans la petite ou- verture de la pupille. On aura une idée bien claire de la manière dont se fait ce renversement des images, si l'on fait un petit trou dans un lieu fort obscur; on verra que les objets du de- hors se peindront sur la muraille de cette cham- bre obseure dans une situation renversée, parce que tous les rayons qui partent des différents points de l'objet, ne peuvent pas passer par le pe- tit trou dans la position et dans l'étendue qu'ils ont en partant de l'objet, puisqu'il faudrait alors que le trou fût aussi grand que l'objet même; mais comme ehaque partie, chaque point de l’objet renvoie des images de tous cô- tés , et que les rayons qui forment ces images partent de tous les points de l'objet comme d'au- tant de centres, il ne peut passer par le petit trou que ceux qui arrivent dans des directions différentes; le petit trou devient un centre pour l'objet entier auquel les rayons de la partie d'en baut arrivent aussi bien que ceux de la partie d'en bas, sous des directions convergentes ; par conséquent, ils se croisent dans ce centre, et peignent ensuite les objets dans unesituation renversée. Il est aussi fort aisé de se convaincre que nous voyons réellement tous les objets doubles, quoique nous les jugions simples : il ne faut pour cela que regarder le mème objet; d'abord 256 HISTOIRE NATURELLE avec l'œil droit, on le verra correspondre à quelque point d'une muraille ou d'un plan que nous supposons au-delà de l'objet ; ensuite en le regardant avec l'œil gauche, on verra qu'il correspond à un autre point de la muraille ; et enfin enle regardant des deux yeux on le verra dans le milieu entre les deux points auxquels il correspondait auparavant. Ainsi il se forme une image dans chacun de nos yeux : nous voyonsl'objet double, c'est-à-dire, nous voyons une image de cet objet à droite et une image à gauche ; et nous le jugeons simple et dans le milieu , parce que nous avons rectifié par le sens du toucher cette erreur de la vue. De même si l’on regarde des deux yeux deux ob- jets qui soient à peu près dans la même direc- tion par rapport à nous, en fixant ses yeux sur le premier, qui est le plus voisin, on le verra simple , mais en même temps on verra double celui qui est le plus éloigné; et au contraire, si l'on fixe ses yeux sur celui-ci qui est le plus éloigné, on le verra simple, tandis qu'on verra double en mème temps l’objet le plus voisin. Ceci prouve encore évidemment que nous voyons en effet tous les objets doubles, quoique nous les jugions simples, et que nous les voyons où ils ne sont pas réellement, quoique nous les jugions où ils sont en effet. Si le sens du tou- cher nerectifiait donc pas le sens dela vue dans toutes les occasions, nous nous tromperions sur la position des objets, sur leur nombre et en- core sur leur lieu ; nousles jugerions renversés, nous les jugerions doubles, et nous les jugerions à droite et à gauche du lieu qu'ils occupent réellement; et si au lieu de deux yeux nous en avions cent, nous jugerions toujours les objets simples, quoique nous les vissions multipliés cent fois. Il se forme donc dans chaque œil une image de l'objet; et lorsque ces deux images tombent sur les parties de la rétine qui sont correspon- dantes , c'est-à-dire qui sont toujours affectées en même temps, les objets nous paraissent sirn- ples, parce que nous avons pris l'habitude de les juger tels; mais si les images des objets tom- bent sur des parties de la rétine qui ne sont pas ordinairement affectées ensemble et en même temps, alors les objets nous paraissent doubles, parce que nous n'avons pas pris l'habitude de rectifier cettesensation, qui n’est pas ordinaire; nous sommes alors dans le cas d’un enfant qui commence à voir et qui juge en effet d'abord les objets doubles. M. Cheselden rapporte dans son Anatomie, page 324, qu'un homme étant devenu louche par l'effet d'un coup à la tête, vit les objets doubles pendant fort longtemps ; mais que peu à peu il vint à juger simples ceux qui lui étaient les plus familiers, et qu'enfin après bien du temps, il les jugea tous simples comme auparavant , quoique ses yeux eussent toujours la mauvaise disposition que le coup avait occasionnée. Cela ne prouve-t-il pas en- core bien évidemment que nous voyons en ef- fet les objets doubles, et que ce n'est que par l'habitude que nous les jugeons simples? et si l'on demande pourquoi il faut si peu de temps aux enfants pour apprendre à les juger simples, et qu'il en faut tant à des personnes avancées en âge, lorsqu'il leur arrive par ac- cident de les voir doubles, comme dans l’exem- ple que nous venons de citer, on peut répondre que les enfants n'ayant aucune habitude con- traire à celles qu'ils acquièrent, il leur faut moins de temps pour rectifier leurs sensations; mais que les personnes qui ont pendant vingt, trente ou quarante ans vu les objets simples, parce qu'ils tombaient sur deux parties corres- pondantes de la rétine, et qui les voient dou- bles, parce qu'ils ne tombent plus sur ces mêmes parties, ont le désavantage d'une habitude contraire à celle qu'ils veulent acquérir, et qu'il faut peut-être un exercice de vingt, trente ou quarante ans pour effacer les traces de cette ancienne habitude de juger ; et l’on peut croire que s’il arrivait à des gens âgés un change- ment dans la direction des axes optiques de l'œil, et qu'ils vissent les objets doubles, leur vie ne serait plus assez longue pour qu'ils pus- sent rectifier leur jugement en effacant les tra- ces de la première habitude, et que par con- séquent ils verraient tout le reste de leur vie les objets doubles. Nous ne pouvons avoir par le sens de la vue aucuneidée des distances : sans le toucher tous les objets nous paraîtraient être dans nos yeux, parce que les images de ces objets y sont en ef- fet; et un enfant qui n'a encore rien touché, doit être affecté comme si tous ces objets étaient en lui-même; il les voit seulement plus gros ou plus petits, selon qu'ils s’approchent ou qu'ils s'éloignent de ses yeux; une mouche qui s'ap- proche de son œil doit lui paraître un animal d'une grandeur énorme; un cheval ou un bœuf qui en est éloigné lui paraît plus petit que la DE L'HOMME. mouche. Ainsi il ne peut avoir par ce sens au- cune connaissance de la grandeur relative des objets, parce qu'il n'a aucune idée de la dis- tance à laquelle il les voit; ce n'est qu'après avoir mesuré la distance en étendant la main ou en transportant son corps d'un lieu à un au- tre, qu'il peut acquérir cette idée de la distance et de la grandeur des objets; auparavant il ne connait point du tout cette distance, et il ne peut juger de Ja grandeur d’un objet que par celle de l'image qu'il forme dans son œil. Dans ce cas, le jugement de la grandeur n’est produit que par l'ouverture de l'angle formé par les deux rayons extrêmes de la partie supérieure et de la partie inférieure de l’objet; par consé- quent il doit juger grand tout ce qui est près, et petit tout ce qui est loin de lui; mais après avoir acquis par le toucher ces idées de dis- tance, le jugement de la grandeur des objets commence à se rectifier; on ne se fie plus à la première appréhension qui nous vient par les yeux, pour juger de cette grandeur, on tâche de connaitre la distance , on cherche en même temps à reconnaitre l'objet par sa forme, et ensuite on juge de sa grandeur. Il n'est pas douteux que dans une file de vingt soldats, le premier, dont je suppose qu'on soit fort près, ne nous parüt beaucoup plus grand que le dernier, si nous en jugions seule- ment par les yeux, et si par le toucher nous n'avions pas pris l'habitude de juger également grand le même objet, ou des objets semblables, à différentes distances. Nous savons que le der- nier soldat estun soldat comme le premier; dès lors nous le jugeons de la même grandeur, comme nous jugerions que le premier serait toujours de la même grandeur, quand il passe- rait de la tête à la queue de la file : et comme nous avons l'habitude de juger le même objet toujours également grand à toutes les distances ordinaires auxquelles nous pouvons en recon- paitre aisément la forme, nous ne nous trom- pons jamais sur cette grandeur que quand la distance devient trop grande , ou bien lorsque l'intervalle de cette distance n'est pas dans la direction ordinaire; car une distance cesse d’é- tre ordinaire pour nous toutes les fois qu'elle devient trop grande, ou bien qu'au lieu de la mesurer horizontalement nous la mesurons du haut.en bas ou du bas en haut. Les premières idées de la comparaison de grandeur entre les objets nous sont venues en mesurant, soit avec 257 la main, soit avec le corps en marchant, la distance de ces objets relativement à nous et entreeux; toutes ces expériences, par lesquelles nous avons rectifié les idées de grandeur que nous en donnait le sens de la vue, ayant été faites horizontalement, nous n'avons pu acqué- rir la même habitude de juger de la grandeur des objets élevés ou abaissés au - dessous de nous, parce que ce n'est pas dans cette direc- tion que nous les avons mesurés par le toucher; et c’est par cette raison et faute d'habitude à juger les distances dans cette direction, que lorsque nous nous trouvons au-dessus d’une tour élevée, nous jugeons les hommes et les animaux qui sont au-dessous beaucoup plus pe- tits que nous ne les jugerions en effet à une distance égale qui serait horizontale, c’est-à- dire dans la direction ordinaire. Il en est de même d’un coq ou d’une boule qu'on voit au- dessus d’un clocher ; ces objets nous paraissent être beaucoup plus petits que nous ne les jugerions en effet, si nous les voyons dans la di- rection ordinaire età la même distance horizon- talement à laquelle nous les voyons verticale- ment. Quoique avec un peu de réflexion il soit aisé de se convaincre de la vérité de tout ce que nous venons de dire au sujet du sens de la vue, il ne sera cependant pas inutile de rapporter ici les faits qui peuvent la confirmer. M. Che- selden, fameux chirurgien de Londres, ayant fait l'opération de la cataracte à un jeune homme de treize ans, aveugle de naissance, et ayant réussi à lui donner le sens de la vue, observa la manière dont ce jeune homme com- mencait à voir, et publia ensuite dans les Trans- actions philosophiques, #° 402, et dans le 55° article du Tattler, les remarques qu'il avait faites à ce sujet. Ce jeune homme, quoique aveugle, ne l'était pas absolument et entière- ment; comme la cécité provenait d’une cata- racte , il était dans le cas de tous les aveugles de cette espèce, qui peuvent toujours distinguer le jour de la nuit; il distinguait même à une forte lumière le noir, le blane et le rouge vif qu'on appelle écarlate; mais il ne voyait ni n'entrevoyait en aucune facon la forme des choses. On ne lui fit l'opération d'abord que sur l'un des yeux. Lorsqu'il vit pour la première fois , il était si éloigné de pouvoir juger en au- cune façon des distances, qu'il croyait que tous les objets indifféremment touchaient ses yeux 238 (ce fut r'expression dont i! se servit), comme les choses qu'il palpait touchaient sa peau. Les objets qui lui étaient le plus agréables étaient ceux dont la forme était unie et la figure régu- lière, quoiqu'il ne pût encore former aucun ju- gement sur leur forme, ni dire pourquoi ils lui paraissaient plus agréables que les autres : il n'avait eu pendant le temps de son aveugle- ment que des idées si faibles des couleurs qu'il pouvait distinguer alors à une forte lumière, qu'elles n'avaient pas laissé des traces suffisan- tes pour qu'il püût les reconnaitre, lorsqu'il les vit en effet; il disait que ces couleurs qu'il voyait, n'étaient pas les mêmes que celles qu'il avait vues autrefois; il ne connaissait la forme d'aucun objet, et il ne distinguait aucune chose d'une autre , quelque différentes qu'elles pus- sent être de figure ou de grandeur. Lorsqu'on lui montrait Ics choses qu'il connaissait aupa- ravant par le toucher, il les regardait avec at- tention , et les observait avec soin pour les re- connaître une autre fois ; mais comme il avait trop d'objets à retenir à la fois, il en oubliait la plus grande partie, et dans le commencement qu'il apprenait (comme il disait) à voir et à connaitre les objets, il oubliait mille choses pour une qu'il retenait. Il était fort surpris que les choses qu'il avait le mieux aimées, n'étaient pas celles qui étaient le plus agréables à ses yeux, et il s'attendait à trouver les plus belles les personnes qu'il aimait le mieux. Il se passa plus de deux mois avant qu'il pût reconnaitre que les tableaux représentaient des corps solides ; jusqu'alors il ne les avait considérés que comme des plans différemment colorés, et des surfaces diversifiées par la variété des couleurs; mais lorsqu'il commenca à reconnaitre que ces ta- bleaux représentaient des corps solides , il s'at- tendait à trouver en effet des corps solides en touchant la toile du tableau , et il fut extrème- ment étonné, lorsqu’en touchant les parties qui par la lumière et les ombres lui paraissaient rondes et inégales, il les trouva plates et unies comme le reste; il demandait quel était donc le sens qui le trompait , si c'était la vue, ou si c’é- tait le toucher. On lui montra alors un petit portrait de son père, qui était dans la boite de la montre de sa mère; il dit qu'il connaissait bien que c'était la ressemblance de son père, mais il demandait avec un grand étonnement comment il était possible qu'un visage aussi large püt tenir dans un si petit lieu , que cela HISTOIRE NATURELLE lui paraissait aussi impossible que de faire tenir un boisseau dans une pinte. Dansles com- mencements il ne pouvait supporter qu’une très- petite lumière, et il voyait tous les objets ex- trêmement gros; mais à mesure qu'il voyait des choses plus grosses en effet, il jugeait les pre- mières plus petites. 11 croyait qu'il n’y avait rien au-delà des limites de ce qu'il voyait; ilsa- vait bien que la chambre dans laquelle il était ne faisait qu'une partie de la maison, cepen- dant il ne pouvait concevoir comment la maison pouvait paraitre plus grande que sa chambre. Avant qu'on lui eût fait l'opération, il n'espérait pas un grand plaisir du nouveau sens qu'on lui promettait, et il n’était touché que de l’avan- tage qu'il aurait de pouvoir apprendre à lire et à écrire. Il disait, par exemple , qu'il ne pou- vait pas avoir plus de plaisir à se promener dans le jardin, lorsqu'il aurait ce sens, qu'il en avait, parce qu'il s'y promenait librement et aisé- ment, et qu'il en connaissait tous les différents endroits; il avait même très -bien remarqué que son état de cécité lui avait donné un avantage sur les autres hommes, avantage qu’il conserva longtemps après avoir obtenu le ‘sens de la vue, qui était d'aller la nuit plus aisément et plus sûrement que ceux qui voient. Mais lors- qu'il eut commencé à se servir de ce nouveau sens , il était transporté de joie ; il disait que chaque nouvel objet était un délice nouveau, et que son plaisir était si grand qu'il ne pouvait l'exprimer. Un an après on le mena à Epsom, où la vue est très-helle et très-étendue; il parut enchanté de ce spectacle , et il appelait ce pay- sage une nouvelle facon de voir. On lui fit la même opération sur l'autre œil plus d'un an après la première, et elle réussit également; il vit d’abord de ce second œil les objets beaucoup plus grands qu'il ne les voyait de l’autre, mais cependant pas aussi grands qu'il les avait vus du premier œil; et lorsqu'il regardait le même objet des deux yeux à la fois, il disait que cet objet lui paraissait une fois plus grand qu'avec son premier œil tout seul; mais il ne le voyait pas double, ou du moins on ne put pas s’assu- rer qu'il eût vu d'abord les objets doubles, lors- qu'on lui eut procuré l'usage de son second «il. M. Cheselden rapporte quelques autres exem- ples d'aveugles qui ne se souvenaient pas d'a- voir jamais vu, etauxquels il avait faitla même opération; et il assure que lorsqu'ils commen- çaient à apprendre à voir, ils avaient dit les DE L'HOMME. mêmes choses que le jeune homme dont nous venons de parler, mais à la vérité avee moins de détail, et qu'il avait observé sur tous que comme ils n'avaient jamais eu besoin de faire mouvoir leurs yeux pendant le temps de leur cécité, ils étaient fort embarrassés d'abord pour leur donner du mouvement, et pour les diriger sur un objet en particulier, et que ce n'était que peu à peu, par degrés et avec le temps qu'ils apprenaient à conduire leurs yeux, et à les diriger sur les objets qu'ils désiraient considérer !. Lorsque, par des circonstances particulières, nous ne pouvons avoir une idée juste de la dis- tance , et que nous ne pouvons juger des objets que par la grandeur de l'angle ou plutôt de l'i- mage qu'ils forment dans nos yeux , nous nous trompons alors nécessairement sur la grandeur de ces objets ; tout le monde a éprouvé qu'en voyageant la nuit on prend un buisson dont on est près pour un grand arbre dont on est loin, ou bien on prend un grand arbre éloigné pour un buisson qui est voisin. De même si on ne connait pasles objets par leur forme, et qu'on ne puisse avoir par ce moyen aucune idée de distance, on se trompera encore nécessaire- ment; une mouche qui passera avec rapidité à quelques pouces de distance de nos yeux nous paraitra , dans ce cas, être un oiseau qui en se- rait à une très-grande distance; un cheval qui serait sans mouvement dans le milieu d'une campagne, et qui serait dans une attitude sem- blable , par exemple , à celle d’un mouton, ne nous paraitra pas plus gros qu'un mouton, tant que nous ne reconnaitrons pas que c'est un cheval; mais dès que nous l'aurons reconnu, il nous paraïtra dans l'instant gros comme un cheval, et nous rectifierons sur-le-champ notre premier jugement. Toutes les fois qu’on se trouvera donc la nuit dans des lieux inconnus où l’on ne pourra ju- ger de la distance , et où l'on ne pourra recon- vaitre la forme des choses à cause de l’obseu- rité, on sera en danger de tomber à tout instant dans l'erreur au sujet des jugements que l’on fera sur les objets qui se présenteront; c'est * On trouvera un grand nombre de faits très-iuléressants, au sujet des aveugles-nés, dans nn petit ouvrage qui vient de paraître et qui a pour titre : Lettres sur les aveugles, à l'ue sage de ceux qui voient. L'auteur y a répandu partout uné métaphysique très-fine et très-vraie, par laquelle il rend rai- son de toutes les différences que doit produire daos l'esprit d'un homme la privation absolue du seas de la vue. 239 de là que vient la frayeur et l'espèce de crainte intérieure que l'obscurité de la nuit fait sentir à presque tous les hommes; c'est sur cela qu'est fondée l'apparence des spectres et des figures gigantesques et épouvantables que tant de gens disent avoir vues. On leur répond communé- ment que ces figures étaient dans leur imagi- nation : cependant elles pouvaient être reeile- ment dans leurs yeux, et il est très-possible qu'ils aient en effet vu ce qu'ils disent avoir vu; car il doit arriver nécessairement, toutes les fois qu'on ne pourra juger d'un objet que par l'angle qu'il forme dans l'œil, que cet objet inconnu grossira et grandira à mesure qu'on en sera plus voisin, et que s'il a paru d'abord au spectateur qui ne peut connaitre ce qu'il voit, ni juger à quelle distance ille voit, que s'il a paru , dis-je, d'abord de la hauteur de quelques pieds lorsqu'il était à la distance de vingt ou trente pas, il doit paraitre haut de plusieurs toises lorsqu'il n'en sera plus éloigné que de quelques pieds, ce qui doiten effet l’éton- ner el l’effrayer, jusqu'à ce qu'enfin il vienne à toucher l’objet ou àle reconnaitre; car dans l'ins- tantméme qu'il reconnaitra ce que c’est, cetobjet qui lui paraissait gigantesque diminuera tout à coup, et ne lui paraîtra plus avoir que sa grandeur réelle; mais si l’on fuit, ou qu'on n'ose approcher, il est certain qu'on n'aura d'autre idée de cet objet que celle de l'image qu'il formait dans l'œil, et qu'on aura réelie- ment vu une figure gigantesque ou épouvanta- ble par la grandeur et par la forme. Le préjugé des spectres est donc fondé dans la nature; et ces apparences ne dépendent pas, comme le croient les philosophes, uniquement de l'ima- gination. Lorsque nous ne pouvons prendre une idée de la distance par la comparaison de l'inter- valle intermédiaire qui est entre nous et les objets, nous tâchons de reconnaitre la forme de ces objets pour juger de leur grandeur; mais lorsque nous connaissons cette forme et qu'en mème temps nous voyons plusieurs objets sem- blables et de cette même forme , nous jugeons que ceux qui sont les plus éclairés sont les plus voisins, et que ceux qui nous paraissent les plus obscurs sont les plus éloignés; et ce juge- ment produit quelquefois des erreurs et des apparences singulières. Dans une file d'objets disposés sur une ligne droite, comme le sont, par exemple , les lanternes sur le chemin de 240 Versailles en arrivant à Paris, de la proximité ou de l'éloignement desquelles nous ne pouvons juger que par le plus ou le moins de lumière qu'elles envoient à notre œil, il arrive souvent que l'on voit toutes ces lanternes à droite au lieu de les voir à gauche où elles sont réelle- ment , lorsqu'on les regarde de loin, comme d'un demi-quart de lieue. Ce changement de situation de gauche à droite est une apparence trompeuse, et qui est produite par la cause que nous venons d'indiquer ; car comme le specta- teur n'a aucun autre indice de la distance où il est de ces lanternes, que la quantité de lumière qu'elles lui envoient, il juge que la plus bril- lante de ces lumières est la première et celle de laquelle il est le plus voisin : or, s’il arrive que les premières lanternes soient plus obscu- res, ou seulement si dans la file de ces lumiè- res il s'en trouve une seule qui soit plus bril- lante et plus vive que les autres, cette lumière plus vive paraïtra au spectateur comme si elle était la première de la file, etil jugera dès lors que les autres , qui cependant la précèdent réellement, la suivent au contraire; or cette transposition apparente ne peutse faire, ou plu- tôt se marquer, que par le changement de leur situation de gauche à droite; car juger devant ce qui est derrière dans une longue file, c'est voir à droite ce qui est à gauche, ou à gauche ce qui est à droite. Voilà les défauts principaux du sens de la vue, et quelques-unes des erreurs que ces défauts produisent; examinons à présent la nature, les propriétés et l'étendue de cet organe admirable, par lequel nous communiquons avec les objets les plus éloignés. La vue n’est qu'une espèce de toucher, mais bien différente du toucher or- dinaire ; pour toucher quelque chose avec le corps ou avec la main, ou il faut quenous nous approchions de cette chose ou qu’elle s’appro- che de nous, afin d’être à portée de pouvoir la palper ; mais nous la pouvons toucher des yeux à quelque distance qu'elle soit, pourvu qu'elle puisse renvoyer une assez grande quantité de lumière pour faire impression sur cet organe, ou bien qu'elle puisse s'y peindre sous un an- gle sensible. Le plus petit angle sous lequel les hommes puissent voir les objets est d'environ une minute ; il est rare de trouver des yeux qui puissent apercevoir un objet sous un angle plus petit. Cet angle donne pour la plus grande distance à laquelle les meilleurs yeux peuvent HISTOIRE NATURELLE apercevoir un objet, environ trois mille quatre cent trente-six fois le diamètre de cet ohjet : par exemple , on cessera de voir à trois mille quatre cent trente-six pieds de distance un ob- jet haut et large d'un pied; on cessera de voir un homme haut de cinq pieds à la distance de dix-sept mille cent quatre-vingts pieds ou d'une lieue et d’un tiers de lieue , en supposant même que ces objets soient éclairés du soleil. Je crois que cette estimation, que l’on a faite de la por- tée des yeux, est plutôt trop forte que trop faible, et qu'il y a en effet peu d'hommes qui puissent apercevoir les objets à d'aussi grandes distances. Mais il s’en faut bien qu'on ait par cette es- timation une idée juste de la force et de l’éten- due de la portée de nos yeux ; car il faut faire attention à une circonstance essentielle dont la considération prise généralement a , ce me semble, échappé aux auteurs qui ont écrit sur l'optique, c’est que la portée de nos yeux diminue ou augmente à proportion de la quan- tité de lumière qui nous environne, quoiqu'on suppose que celle de l'objet reste toujours Ja même; en sorte que si le même objet, que nous voyons pendant le jour à la distance de trois mille quatre cent trente-six fois son diamètre, restait éclairé pendant la nuit de la même quan- tité de lumière dont il l'était pendant le jour, nous pourrions l'apercevoir à une distance cent fois plus grande, de la même facon que nous apercevons la lumière d’une chandelle pendant la nuit à plus de deux lieues, c’est-à-dire en supposant le diamètre de cette lumière égal à un pouce, à plus de trois cent seize mille huit cents fois la longueur de son diamètre, au lieu que pendant le jour, et surtout à midi, on n'a- percevra pas cette lumière à plus de dix ou douze mille fois la longueur de son diamètre , c'est-à-dire à plus de deux cents toises, si nous * la supposons éclairée aussi bien que nos yeux par la lumière du soleil. II en est de même d'un objet brillant sur lequel la lumière du soleil se réfléchit avec vivacité, on peut l’apercevoir pendant le jour à une distance trois ou quatre fois plus grande que les autres objets ; mais si cet objet était éclairé pendant la nuit, de la même lumière dont il l'était pendant le jour , nous l’apercevrions à une distance infiniment plus grande que nous n’apercevons les autres objets. On doit done sonelure que la portée de vos veux est beaucoup plus grande que nous DE L'HOMME. ne l'avons supposé d'abord, et que ce qui empèche que nous ne distinguions les objets éloignés est moins le défaut de lumière, ou la petitesse de l'angle sous lequel ils se peignent dans notre œil, que l'abondance de cette lu- mière dans les objets intermédiaires et dans ceux qui sont les plus voisins de notre œil, qui causent une sensation plus vive et empêchent que nous nous apercevions de la sensation plus faible que causent en même temps les objets éloignés. Le fond de l'œil est comme une toile sur laquelle se peignent les objets : ce tableau a des parties plus brillantes, plus lumineuses , plus colorées que les autres parties. Quand les objets sont fort éloignés, ils ne peuvent se re- présenter que par des nuances très-faibles qui disparaissent lorsqu'elles sont environnées de la vive lumière avec laquelle se peignent les objets voisins ; cette faible nuance est donc in- sensible et disparait dans le tableau : mais si les objets voisins et intermédiaires n’envoient qu’une lumière plus faible que celle de l’objet éloigné, comme cela arrive dans l'obscurité, lorsqu'on regarde une lumière, alors la nuance de l'objet éloigné étant plus vive que celle des objets voisins, elle est sensible et paraît dans le tableau, quand même elle serait réellement beaucoup plus faible qu'auparavant. De là il suit qu'en se mettant dans l'obscurité, on peut avec un long tuyau noirci faire une lunette d'approche sans verre, dont l'effet ne laisse- rait pas que d'être fort considérable pendant le jour. C’est aussi par cette raison que du fond d’un puits ou d’une cave profonde, on peut voir les étoiles en plein midi, ce qui était connu des anciens, comme il parait par ce passage d’Aristote : Manu enim admotà aut per fistu- lam longiüs cernet. Quidam ex foveis puteis- que interdüm stellas conspiciunt. On peut done avancer que notre œil a assez de sensibilité pour pouvoir être ébranlé et af- fecté d'une manière sensible par des objets qui ne formeraient un angle que d’une seconde, et moins d'une seconde, quand ces objets ne réfléchiraient ou n'enverraient à l'œil qu'au- tant de lumière qu'ils en réfléchissaient lors- qu'ils étaient aperçus sous un angle d’une mi- aute, et que par conséquent la puissance de cet organe est bien plus grande qu’elle ne pa- rait d'abord; mais si ces objets, sans former un plus grand angle, avaient une plus grande intensité de lumière , nous les apercevrions en- LL 21 core de beaucoup plus loin. Une petite lumière fort vive, comme celle d’une étoile d'artifice, se verra de beaucoup plus loin qu'une lumière plus obseure et plus grande , comme celle d'un flambeau. Il y a donc trois choses à considérer pour déterminer la distance à laquelle nous pouvons apercevoir un objet éloigné : la pre- mière est la grandeur de l'angle qu'il formedans notre œil; la seconde, le degré de lumière des objets voisins et intermédiaires que l'on voit en même temps; et la troisième, l'intensité de lumière de l’objet lui-même; chacune de ces causes influe sur l'effet de la vision, et ce n’est qu'en les estimant et en les comparant qu'on peut déterminer dans tous les cas la distance à laquelle on peut apercevoir tel ou tel objet par- ticulier. On peut donner une preuve sensible de cette influence qu'a sur la vision l'intensité de lumière. On sait que les lunettes d'approche etles microscopessontdes instruments de même genre , qui tous deux augmentent l'angle sous lequel nous apercevons les objets, soit qu'ils soient en effet très-petits, soit qu'ils nous pa- raissent être tels à cause de leur éloignement : pourquoi donc les lunettes d'approche font-elles si peu d’effet en comparaison des microscopes, puisque la plus longue et la meilleure lunette grossit à peine mille fois l’objet, tandis qu’un bon microscope semble le grossir un million de fois et plus? Il est bien clair que cette différence ne vient que de l'intensité de la lumière, et que si l’on pouvait éclairer les objets éloignés avec une lumière additionnelle, comme on éclaire les objets qu'on veut observer au mi- croscope , on les verrait en effet infiniment mieux, quoiqu'on les vit toujours sous le même angle, et que les lunettes feraient sur les objets éloignés le même effet que les microscopes font sur les petits objets. Mais ce n’est pas ici le lieu de m'étendre sur les conséquences utiles et pratiques qu'on peut tirer de cette réflexion. La portée de la vue, ou la distance à laquelle on peut voir le même objet, est assez rarement la même pour chaque œil; il y a peu de gens qui aient les deux yeux également forts: lors- que cette inégalité de force est à un certain degré, on ne se sert que d’un œil, c’est-à-dire de celui dont on voit le mieux : c’est cette iné- galité de portée de vue dans les yeux qui pro- duit le regard louche comme je l'ai prouvé dans ma Dissertation sur le Strabisme. ( Voyez les Mémoires de l Académie, année 1743.) Lors- 16 242 que les deux yeux sont d'égale force, et que l'on regarde le même objet avec les deux yeux , il semble qu'on devrait le voir une fois mieux qu'avec un seul œil; cependant la sen- sation qui résulte de ces deux espèces de vi- sion parait être la même : il n'y a pas de diffé- rence sensible entre les sensations qui résultent de l’une et de l’autre façon de voir, et après avoir fait sur cela des expériences, on a trouvé qu'avec deux yeux égaux en force on voyait mieux qu'avec un seul œil, mais d'une treizième partie seulement! , en sorte qu'avec les deux yeux on voit l'objet comme s'il était éclairé de treize lumières égales , au lieu qu'avec un seul œil on ne le voit que comme s'il était éclairé de douze lumières. Pourquoi y a-t-il si peu d'augmentation? pourquoi ne voit-on pas une fois mieux avec les deux yeux qu'avee un seul? comment se peut-il que cette cause qui est double produise un effet simple ou presque simple? J'ai cru qu'on pouvait donner une réponse à cette question , en regardant la sen- sation comme une espèce de mouvement com- muniqué aux nerfs. On sait que les deux nerfs optiques se portent au sortir du cerveau vers la partie antérieure de la tète où ils se réunis- sent, et qu'ensuite ils s'écartent l'un de l’autre en faisant un angle obtus avant que d'arriver aux yeux : le mouvement communiqué à ces nerfs par l'impression de chaque image formée dans chaque œil en même temps ne peut pas se propager jusqu'au cerveau, où je suppose que se fait le sentiment, sans passer par la partie réunie de ces deux nerfs, dès lors ces deux mouvements se composent et produisent le même effet que deux corps en mouvement sur les deux côtés d’un carré produisent sur un troisième corps auquel ils font parcourir la diagonale; or si l'angle avait environ centquinze ou cent seize degrés d'ouverture , la diagonale du losange serait au côté comme treize à douze, c'est-à-dire comme la sensation résultante des deux yeux est à celle qui résulte d’un seul œil. Les deux nerfs optiques étant donc écartés l'un de l’autre à peu près de cette quantité, on peut attribuer à cette position la perte de mouve- | ment ou de sensation qui se fait dans la vision des deux yeux à la fois, et cette perte doit être d'autant plus grande que l'angle formé par les deux nerfs optiques est plus ouvert. ‘Voyez le traité de M. Jurin qui a pour titre : Essay on distinct and indistinct vision. HISTOIRE NATURELLE Il y a plusieurs raisons qui pourraient faire penser que les personnes qui ont la vue courte voient les objets plus grands que les autres hommes ne les voient; cependant c’est tout le contraire , ils les voient certainement plus pe- tits. J’aila vue courte, et l'œil £auche plus fort que l'œil droit; j'ai mille fois éprouvé qu'en regardant le même objet, comme les lettres d'un livre, à la même distance successivement avec l’un et ensuite avec l’autre æil, celui Gont je vois le mieux et le plus loin est aussi celui avec lequel les objets me paraissent les plus grands, et, en tournant l’un des yeux pour voir le même objet double, l'image de l'œil droit est plus petite que celle de l'œil gauche; ainsi je ne puis pas douter que plus on a la vue courte, et plus les objets paraissent être petits. J'ai interrogé plusieurs personnes dont la force ou la portée de chacun de leurs yeux était fort inégale ; elles m'ont toutes assuré qu'elles voyaient les objets bien plus grands avee le bon qu'avec le mauvais œil. Je crois que comme les gens qui ont la vue courte sont obligés de regarder de très-près, et qu'ils ne peuvent voir distinctement qu'un petit espace ou un petit objet à la fois, ils se font une unité de gran- deur plus petite que les autres hommes, dont les yeux peuvent embrasser distinctement un plus grand espace à la fois, et que par conséquent ils jugent relativement à cette unité tous les objets plus petits que les autres hommes ne les jugent. On explique la cause de la vue courte d’une manière assez satisfaisante par le trop grand renflement des humeurs réfringen- tes de l'œil: mais cette cause n’est pas unique , et l'on a vu des personnes devenir tout d'un coup myopes par accident, comme le jeune homme dont parle M. Smith dans son Optique, page 10 des notes, tome IT, qui devint myope tout à coup en sortant d’un bain froid, dans lequel cependant il ne s'était pas entièrement plongé ; et depuis ce temps-là il fut obligé de se servir d’un verre concave. On ne dira pas que le cristallin et l'humeur vitrée aient pu tout d’un coup se renfler assez pour produire cette différence dans la vision; et quand même on voudrait le supposer, comment concevra-t-on que ce renflement considérable , et qui a été produit en un instant, ait pu se conservertou- jours au même point ? En effet la vue courte peut provenir aussi bien de la position respec- tive des parties de l'œil, et surtout de Ja rétine, DE L'HOMME. que de la forme des humeurs réfringentes; elle peut provenir d'un degré moindre de sensibi- lité dans la rétine, d'une ouverture moindre dans la pupille, ete.; mais il est vrai que, pour ces deux dernières espèces de vues courtes, les verres concaves seraient inutiles et même nui- sibles. Ceux qui sont dans les deux premiers cas peuvent s’en servir utilement : mais jamais ils ne pourront Voir avec le verre concave, qui leur convient le mieux, les objets aussi distinc- tement ni d'aussi loin que les autres hommes les voient avec les yeux seuls, parce que, comme nous venons de le dire, tous les gens qui ont la vue courte voient les objets plus pe- tits que les autres; et lorsqu'ils font usage du verre concave, l’image de l'objet diminuant encore, ils cesseront de voir dès que cette image deviendra trop petite pour faire une trace sensible sur la rétine; par conséquent ils ne verront jamais d'aussi loin avec ce verre que les autres hommes voient avec les yeux seuls. Les enfants, ayantles yeux plus petits que les personnes adultes, doivent aussi voir les objets plus petits, parce que le plus grand angle que puisse faire un objet dans l'œil est propor- tionné à la grandeur du fond de l'œil; et si l’on suppose que le tableau entier des objets qui se peignent sur la rétine est d'un demi-pouce pour les adultes, il ne sera que d’un tiers ou | d'un quart de pouce pour les enfants ; par con- séquent ils ne verront pas non plus d'aussi loin que les adultes : puisque les objets leur parais- sant plus petits, ils doivent nécessairement dis- paraitre plus tôt; mais comme la pupille des enfants est ordinairement plus large, à propor- tion du reste de l'œil, que la pupille des per- sonnes adultes, cela peut compenser en partie l'effet que produit la petitesse de leurs yeux, et leur faire apercevoir les objets d'un peu plus loin. Cependant il s'en faut bien que la com- pensation soit complète ; car on voit par expé- rience que les enfants ne lisent pas de si loin, et ne peuvent pas apercevoir les objets éloi- gnés d'aussi loin que les personnes adultes. La cornée étant très-flexible à cet âge, prend très- aisément la convexité nécessaire pour voir de plus près ou de plus loin, et ne peut par con- séquent être la cause de leur vue plus courte, et il me parait qu’elle dépend uniquement de ce que leurs yeux sont plus petits. Il n’est donc pas douteux que si toutes les par- ties de l'œil souffraient en même temps une di- 245 minution proportionnelle, par exemple, de moi- tié, on ne vit tous les objets une fois plus petits. Les vieillards, dont les yeux, dit-on, se dessè- chent, devraient avoir la vue plus courte; ce- pendant c’est tout le contraire, ils voientde plus loin et cessent de voir distinctement de près : cette vue plus longue ne provient donc pas uni- quement de la diminution où de l’aplatissement des humeurs de l'œil , mais plutôt d'un chan- gement de position entre les parties de l'œil, comme entre la cornée et le cristallin, ou bien entre l'humeur vitrée et la rétine, ce qu'on peut entendre aisément en supposant que la cornée devienne plus solide à mesure qu'on avance en âge; car alors elle ne pourra pas prêter aussi aisément, ni prendre la plus grande convexité qui est nécessaire pour voir les objets qui sont près, etelle se sera un peu aplatie en se dessé- chant avec l’âge, ce qui suffit seul pour qu'on puisse voir de plus loin les objets éloignés. On doit distinguer dans la vision deux qua- lités qu'on regarde ordinairement comme la même : on confond mal à propos la vue claire avec la vue distincte, quoique réellement l’une soit bien différente de l’autre; on voit claire- ment un objet toutes les fois qu'il est assez éclairé pour qu’on puisse le reconnaitre en gé- | néral, on ne le voit distinctement que lorsqu'on approche d’assez près pour en distinguer toutes les parties. Lorsqu'on aperçoit une tour ou un clocher de loin, on voit clairement cette tour ou ce clocher dès qu’on peut assurer que c’est une tour ou un clocher, mais on ne les voit distinc- tement que quand on est assez près pour re- connaître non-seulement la hauteur, la gros- seur , mais les parties mêmes dont l'objet est composé, comme l’ordre d'architecture, les ma- tériaux, les fenêtres, ete. On peut donc voir clairement un objet, sans le voir distinetement, et on peut le voir distinetement sans le voir en même temps clairement, parce que la vue distincte ne peut se porter que successivement sur les différentes parties de l'objet. Les vieil- lards ont la vue claire et non distincte: ils aper- coivent de loin les objets assez éclairés ou assez gros pour tracer dans l’œil une image d’une cer- taine étendue ; ils ne peuvent au contraire dis- tinguer les petits objets, comme les caractères d'un livre, à moins que l'image n'en soit aug- mentée par le moyen d'un verre qui grossit. Les personnes qui ont la vue courte voient au contraire tres-distinctement les petits objets. et 244 HISTOIRE NATURELLE pe voient pas clairement les grands pour peu qu'ils soient éloignés, à moins qu'ils n’en dimi- nuent l’image par le moyen d'un verre qui ra- petisse. Une grande quantité de lumière est né- cessaire pour la vue claire, une petite quantité de lumière suffit pour la vue distincte : aussi les personnes qui ont la vue courte voient-elles à proportion beaucoup mieux la nuit que les autres. Lorsqu'on jette les yeux sur un objet trop éclatant, ou qu'on les fixe et les arrête trop longtemps sur le même objet, l'organe en est blessé et fatigué, la vision devient indistincte ; et l'image de l’objet ayant frappé trop vivement ou occupé trop longtemps la partie de la rétine sur laquelle elle se peint, elle y forme une im- pression durable que l'œil semble ‘porter en- suite sur tous les autres objets. Je ne dirai rien ici des effets de cet accident de la vue, on en trouvera l'explication dans ma Dissertation sur les couleurs accidentelles. (Voyez les Mémoires de l’Académie, année 1743.) Il me suffira d'ob- server que la trop grande quantité de lumière est peut-être tout ce qu'il y a de plus nuisible à l'œil, que c'est une des principales causes qui peuvent occasionner la cécité. On en a des exemples fréquents dans les pays du nord, où la neige, éclairée par le soleil, éblouit les yeux des voyageurs au point qu'ils sont obligés de se couvrir d’un crêpe pour n'être pas aveuglés. Il en est de même des plaines sablonneuses de l'Afrique : la réflexion de la lumière y estsi vive qu'il n’est pas possible d'en soutenir l’ef- fet sans courir le risque de perdre la vue. Les personnes qui écrivent ou qui lisent trop long- temps de suite, doivent done, pour ménager leurs yeux , éviter de travailler à une lumière trop forte : il vaut beaucoup mieux faire usage d'une lumière trop faible , l'œil s'y accoutume bientôt; on ne peut tout au plus que le fati- guer en diminuant la quantité de lumière, et on ne peut manquer de le blesser en la multi- pliant. ADDITION A l'article du sens de la vue, sur la cause du strabisme ou des yeux louches. Le strabisme est non-seulement un défaut, mais une difformité qui détruit la physionomie et rend désagréables les plus beaux visages ; cette difformité consiste dans la fausse direction de l’un des yeux : en sorte que quand un œil pointe à l’objet, l'autre s'en écarte et se dirige vers un autre point. Je dis que ce défaut con- siste dans la fausse direction de l'un des yeux, parce qu’en effet les yeux n’ont jamais tous deux ensemble cette mauvaise disposition, et que si on peut mettre les deux yeux dans cet état en quelque cas, cet état ne peut durer qu'un in- stant et ne peut pas devenir une habitude. Le strabisme ou le regard louche ne con- siste done que dans l'écart de l’un des yeux, tandis que l’autre parait agir indépendamment de celui-là. On attribue ordinairement cet effet à un dé- faut de correspondance entre les muscles de chaque œil; la différence du mouvement de chaque œil vientde la différence du mouvement de leurs muscles, qui , n’agissant pas de con- cert, produisent la fausse direction des yeux louches. D’autres prétendent, et cela revient à peu près au même , qu'il y a équilibre entre les muscles des deux yeux, que cette égalité de force est la cause de la direction des deux yeux ensemble vers l'objet, et que c’est par le défaut de cet équilibre que les deux yeux ne peuvent se diriger vers le même point. M. de la Hire, et plusieurs autres après lui, ont pensé que Le strabisme n’est pas causé par le défaut d'équilibre ou de correspondance entre les muscles, mais qu’il provient d’un dé- faut dans la rétine ; ils ont prétendu que l’en- droit de la rétine qui répond à l'extrémité de l'axe optique était beaucoup plus sensible que toutle reste de la rétine. Les objets, ont-ils dit, ne se peignent distinetement que dans cette partie plus sensible ; et si cette partie ne se trouve pas correspondre exactement à l'extré- mité de l’axe optique , dans l’un ou l’autre des deux yeux, ils s’écarteront et produiront le re- gard louche, par la nécessité où l’on sera dans ce cas de les tourner de facon que leurs axes optiques puissent atteindre cette partie plus sensible et mal placée de la rétine. Mais cette opinion a été réfutée par plusieurs physiciens , et en particulier par M. Jurin!. En effet, il semble que M. de la Hire n'ait pas fait atten- tion à ce qui arrive aux personnes louches lors- qu'elles ferment le bon œil; car alors l'œil louche ne reste pas dans la même situation, ! Essay upon distinct and indistinct vision, etc. Optique de Smith, à la fin du second volume, DE L'HOMME, comme cela devrait arriver si cette situation était nécessaire pour que l'extrémité de l'axe optique atteignit la partie la plus sensible de la rétine ; au contraire, cet œil se redresse pour pointer directement à l'objet et pour chercher à le voir ; par conséquent l'œil ne s'écarte pas pour trouver cette partie prétendue plus sen- sible de la rétine, et il faut chercher une autre cause à cet effet. M. Jurin en rapporte quel- ques causes particulières, et il semble qu'il ré- duit le strabisme à une simple mauvaise habi- tude dont on peut se guérir dans plusieurs cas; il fait voir aussi que le défaut de correspon- dance ou d'équilibre entre les muscles des deux yeux ne doit pas être regardé comme la cause de cette fausse direction des yeux ; et en effet, ce n’est qu'une circonstance qui même n'ac- compagne ce défaut que dans de certains cas. Mais la cause la plus générale, la plus ordi- paire du strabisme , et dont personne, que je sache, n’a fait mention, c'est l'inégalité de force dans les yeux. Je vais faire voir que cette iné- galité, lorsqu'elle est d'un certain degré , doit nécessairement produire le regard louche, et que dans ce cas, qui est assez commun , ce dé- faut n’est pas une mauvaise habitude dont on puisse se défaire, mais une habitude nécessaire qu'on est obligé de conserver pour pouvoir se servir de ses yeux. Lorsque les yeux sont dirigés vers le même objet, et qu'on regarde des deux yeux cet ob- jet, si tous deux sont d'égale force , il parait plus distinct et plus éclairé que quand on le re- garde avec un seul œil. Des expériences assez aisées à répéter ont appris à M. Jurin ‘ que cette différence de vivacité, de l'objet vu de deux yeux égaux en force ou d’un seul œil, est d'environ une treizième partie ; c'est-à-dire qu'un objet vu des deux yeux parait comme s’il était éclairé de treize lumières égales , et que objet vu d'un seul œil paraît comme s'il était éclairé de douze lumières seulement, les deux yeux étant supposés parfaitement égaux en force ; mais lorsque les yeux sont de force inégale, j'ai trouvé qu'il en était tout autre- ment : un petit degré d'inégalité fera que l'ob- jet vu de l'œil le plus fort sera aussi distincte- ment aperçu que s’il était vu des deux yeux; un peu plus d'inégalité rendra l'objet, quand il sera vu des deux yeux , moins distinct que Essay upon distinct and indistinct vision, etc. 245 s'il est vu äu seul œil le plus fort; et enfin une plus grande inégalité rendra l'objet vu des deux yeux si confus, que pour l'apercevoir dis- tinctement on sera obligé de tourner l'œil faible, et de ie mettre dans une situation où il ne puisse pas nuire. Pour être convaineu de ce que je viens d'a- vancer, il faut observer que les limites de la vue distincte sont assez étendues dans la vision de deux yeux égaux. J'entends par limites de lo vue distincte les bornes de l'intervalle de dis- tance dans lequel un objet est vu distinctement: par exemple , si une personne qui à les yeux ésalement forts peut lire un petit caractère d'impression à huit pouces de distance, à vingt pouces et à toutes les distances intermédiaires, et si en approchant plus près de huit ou en éloignant au-delà de vingt pouces, elle ne peut lire avec facilité ce même caractère; dans ce cas les limites de la vue distincte de cette per- sonne seront huit et vingt pouces, et l'intervalle de douze pouces sera l'étendue de la vue dis- tincte. Quand on passe ces limites, soit au-des- sus, soit au-dessous, il se forme une pénombre qui rend les caractères confus et quelquefois vacillants. Mais avec des yeux de force in- égale , ces limites de la vue distincte sont fort resserrées : Car supposons que l'un des yeux soit de moitié plus faible que l’autre , c’est-à- dire que quand avec un œil on voit distincte- ment depuis huit jusqu’à vingt pouces , on ne puisse voir avec l’autre œil que depuis quatre pouces jusqu’à dix; alors la vision opérée par les deux yeux sera indistincte et confuse depuis dix jusqu'à vingt, et depuis huit jusqu’à quatre; en sorte qu'il ne restera qu'un intervalle de deux pouces, savoir, depuis huit jusqu'à dix, où la vision pourra se faire distinctement , parce que dans tous les autres intervalles la netteté de l’image de l’objet vu par le bon œil est ternie par la confusion de l’image du même objet vu par le mauvais œil : or, cet intervalle de deux pouces de vue distincte, en se servant des deux yeux, n’est que la sixième partie de l'intervalle de douze pouces, qui est l'intervalle de la vue distincte en ne se servant que du bon œil; donc il y a un avantage de cinq contre un à se servir du bon œil seul, et par conséquent à écarter l’autre. On doit considérer les objets qui frappent nos yeux comme placés indifféremment et au hasard à toutes les distances différentes aux- 946 HISTOIRE NATURELLE quelles nous pouvons les apercevoir ; dans ces distances différentes il faut distinguer celles où ces mêmes objets se peignent distinctement à nos yeux, et celles où nous ne les voyons que confusément. Toutes les fois que nous n'aperce- vons que confusément les objets, les yeux font effort pour les voir d'une manière plus dis- tincte, et quand les distances ne sont pas de beaucoup trop petites ou trop grandes, cet effort ne se fait pas vainement. Mais en ne faisant at- tention ici qu'aux distances auxquelles on aper- çoit distinetement les objets , on sent aisément que plus il y a de ces: points de distance, plus aussi la puissance des yeux , par rapport aux objets, est étendue ; et qu'au contraire plus ces intervalles de vue distincte sont petits, et plus la puissance de voir nettement est bornée ; et lorsqu'il y aura quelque cause qui rendra ces intervalles plus petits, les yeux feront effort pour les étendre, car il est naturel de penser que les yeux, comme toutes les autres parties d'un corps organisé, emploient tous les ressorts de leur mécanique pour agir avec le plus grand avantage. Ainsi dans le cas où les deux yeux sont de force inégale , l'intervalle de vue dis- tincte se trouvant plus petit en se servant des deux yeux qu'en ne se servant que d’un œil, les yeux chercheront à se mettre dans la si- tuation la plus avantageuse, et cette situation la plus avantageuse est que l'œil le plus fort agisse seul, et que le plus faible se détourne. Pour exprimer tous les cas , supposons que a—e exprime l'intervalle de la vision distincte pour le bon œil, et b —#%© l'intervalle de la vision distincte pour l'œil faible, b —c exprimera l'in- tervalle de la vision distincte des deux yeux ensemble et l'inégalité de force des yeux sera be a ar servira du bon œil sera & —b, et lenombre des cas où l'on se servira des deux yeux sera b— c; égalant ces deux quantités, on aura a —b—b— a+c 2 et le nombre des cas où l’on se . Substituant cette valeur de b cou b— dans l'expression de l'inégalité, on aura 1 — r € $aXc—$axc. a a—c 1aXe = es € a—c 24a l'inégalité, lorsqu'il y a autant d'avantage à se servir des deux yeux qu'à ne se servir que du bon œil tout seul. Si l'inégalité est plus grande pour la mesure de a—c e , : que —, on doit contracter l'habitude de nese a servir que d'un œil; et si cette inégalité est plus petite, on se servira des deux yeux. Dans l'exemple précédent, 4a—20, e—8; ainsi l'i- négalité des yeux doit être — +; au plus, pour qu'on puisse se servir ordinairement des deux yeux; si cette inégalité était plus grande, on serait obligé de tourner l'œil faible pour ne se servir que du bon œil seul. On peutobserver que dans toutesles vues dont les intervalles sont proportionnels à ceux de cet exemple, le degré d'inégalité sera toujours =. Par exemple, si au lieu d'avoir un inter- valle de vue distincte du bon œil depuis huit pouces jusqu'à vingt pouces, cet intervalle n'é- tait que depuis six pouces à quinze pouces , ou depuis quatre pouces à dix , ou, ete.; ou bien encore si cer inter"alle était depuis dix pouces à vingt-cinq, ou depuis douze pouces à trente, ou etc., le degré d'inégalité qui fera tourner l'œil faible sera toujours +. Mais si l'inter- valle absolu de la vue distincte du bon œil aug- mente des deux côtés, en sorte qu'au lieu de voir depuis six pouces jusqu'à quinze , ou de- puis huit jusqu'à vingt, ou depuis dix jusqu’à . vingt-cinq, ou ete., on voie distinctement de- puis quatre pouces et demi jusqu’à dix-huit, ou depuis six pouces jusqu'à vingt-quatre, ou depuis sept pouces et demi jusqu'à trente, ou etc., alors il faudra un plus grand degré d’inégalité pour faire tourner l'œil. Ontrouve par la formule que cette inégalité doit être pour tous ces cas +. Il suit de ce que nous venons de dire qu'il y a des cas où un homme peut avoir la vue beau- coup plus courte qu'un autre, et cependant être moins sujet à avoir les yeux louches, parce qu'il faudra une plus grande inégalité de force dans ses yeux que dans ceux d’une personne qui aurait la vue plus longue ; cela paraît assez paradoxe, cependantcela doit être: parexemple, à un homme qui ne voit distinctement du bon œil que depuis un pouce et demi jusqu'à six pouces, il faut ? d'inégalité pour qu'il soit forcé de tourner le mauvais œil, tandis qu'il ne faut que -; d'inégalité pour mettre dans ce cas un homme qui voit distinctement depuis huit pouces jusqu'à vingt pouces. On en verra aisé- ment la raisou si l'on fait attention que dans toutes les vues, soit courtes, soit longues, dont les intervalles sont proportionnels à l'in- tervalle de huit pouces à vingt pouces, la me- sure réelle de cet intervalle est ;: ou +, au lieu DE L'HOMME, que dans toutes les vues dontlesintervallessont proportionnels à l'intervalle de six pouces à vingt-quatre, ou d'un pouce et demi à six pou- ces, la mesure réelle est +, et c'est cette me- sure réelle qui produit celle de l'inégalité, car £ - “ celledel'iné- < a—ce , ; galité est ——— , comme on l’a vu ci-dessus. cette mesure étant toujours Pour avoir la vue parfaitement distincte, il est done nécessaire que les yeux soient absolu- ment d'égale force : car si les yeux sont inégaux, on ne pourra pas se servir des deux yeux dans | un assez grand intervalle, et même dans l'in- | tervalle de vue distincte qui reste en employant les deux yeux, les objets seront moinsdistinets. | On a remarqué au commencement de ce mé- moire, qu'avec deux yeux égaux on voit plus | distinetement qu'avec un œil d'environ une treizième partie; mais au contraire dans l'in- tervalle de vue distincte de deux yeuxinégaux, les objets, au lieu de paraitre plus distincts en employant les deux yeux, paraissent moins nets et plus mal terminés que quand on ne se | sert que d'un seul œil; par exemple, si l’on voit distinctement un petit caractère d'impres- sion depuis huit pouces jusqu'à vingt avec l'œil le plus fort, et qu'avec l'œil faible on ne voie distinctement ce même caractère que depuis huit jusqu'à quinze pouces , on n'aura que sept pouces de vue distincte en employant les deux yeux ; mais comme l’image qui se formera dans le bon œil sera plus forte que celle qui se for- mera dans l'œil faible, la sensation commune qui résultera de cette vision ne sera pas aussi nette que si on n'avait employé que le bon œil : j'aurai peut-être occasion d'expliquer ceci plus au long ; mais il me suffit à présent de faire sen- tir que cela augmente encore le désavantage | des yeux inégaux. Mais , dira-t-on, il n’est pas sûr que l'inéga- lité de force dans les yeux doive produire le strabisme; il peut se trouver des louches dont les deux yeux soient d’égale force. D'ailleurs cette inégalité répand à la vérité de la confu- sion sur les objets, mais cette confusion ne doit pas faire écarter l'œil faible; car de quelque côté qu'on le tourne, il reçoit toujours d’autres images qui doivent troubler la sensation autant que la troublerait l'image indistincte de l'objet qu'on regarde directement. Je vais répondre à la première objection par des faits. J'ai examiné la force des yeux de 247 plusieurs enfants et de plusieurs personnes lou- ches; et comme la plupart des enfants ne sa. vaient paslire, j'ai présenté à plusieurs distances à leurs yeux des points ronds, des points trian- gulaires et des points carrés, et en leur fer- mant alternativement l'un des yeux, j'ai trouvé que tous avaient les yeux de force inégale: j'en aitrouvé dont les yeux étaient inégaux au point de ne pouvoir distinguer à quatre pieds avec l'œil faible la forme de l'objet qu'ils voyaient distinctement à douze pieds avec le bon œil. D'autres à la vérité n'avaient pasles yeux aussi inégaux qu'il est nécessaire pour devenir Jou- ches, mais auçeun n'avait les yeux égaux , et il y avait toujours une différence très-sensible dans la distance à laquelle ils apercevaient les objets, et l'œil louche s’est toujours trouvé le plus faible. J'ai observé constammentquequand on couvre le bon œil, et que ces louches ne peuvent voir que du mauvais, cet œil pointe et se dirige vers l'objet aussi régulièrement et aussi directement qu'un œil ordinaire; d'où il est aisé de conclure qu'il n'y a point de défaut dans les muscles; ce qui se confirme encore par l'observation tout aussi constante que j'ai faite en examinant le mouvement de ce mauvais œil , et en appuyant le doigt sur la paupière du bou œil qui était fermé, et par lequel j'ai reconnu que le bon œii suivait tous les moüve- ments du mauvais œil, ce qui achève de prouver qu'il n'y a point de défaut de corres- pondance ou d'équilibre dans les muscles des yeux. La seconde objection demande un peu plus de discussion. Je conviens que, de quelque côté qu'on tourne le mauvais œil, il ne laisse pas d'admettre des images qui doivent un peu trou- bler la netteté de l’image reçue par le bon œil; mais ces images étant absolument différentes, et n'ayant rien de commun ni par la grandeur ni par la figure, avec l'objet sur lequel est fixé le bon œil, la sensation qui en résulte est, pour ainsi dire, beaucoup plus sourde que ne serait celle d’une image semblable. Pour le faire voir bien clairement, je vais rapporter un exemple qui ne m'est que trop familier. J'ai le défaut d'avoir la vue fort courte et les yeux un peu inégaux, mon œil droit étant un peu pius faible que le gauche; pour lire de petits caraetères ou une mauvaise écriture, et même pour voir bien distinctement les petits objets à une Inmière faible, je ne me sers que d'un œil; j'ai observé 248 mille et mille fois qu'en me servant.de mes deux yeux pour lire un petit caractère, je vois toutes les lettres mal terminées, et en tournant l'œil droit pour ne me servir que du gauche, je vois l'image de ces lettres tourner aussi et se séparer de l'image de Fœil gauche, en sorte que ces deux images me paraissent dans diffé- rents plans; celle de l'œil droit n'est pas plus tôt séparée de celle de l'œil gauche, que celle-ci reste très-nette et très-distincte ; et si l'œil droit reste dirigé sur un autre endroit du livre, cet endroit étant différent du premier, il me parait dans un différent plan, et n'ayant rien de com- mun, il ne m'affecte point du tout, et ne trou- ble en aucune façon la vision distincte de l'œil gauche : cette sensation de l'œil droit est en- core plus insensible si mon œil, comme cela m'arrive ordinairement en lisant, se porte au- delà de la justification du livre, et tombe sur la marge, car dans ce cas l’objet de la marge étant d'un blanc uniforme, à peine puis-je m'a- percevoir, en y réfléchissant, que mon œil droit voit quelque chose. Il parait ici qu’en écartant l'œil faible , l’objet prend plus de netteté. Mais ce qui va directement contre l’objection, c’est que les images qui sont différentes de celle de l'objet ne troublent point du tout la sensation, tandis que les images semblables à l'objet la troublent beaucoup, lorsqu'elles ne peuvent pas se réunir entièrement. Au reste, cette im- possibilité de réunion parfaite des images des deux yeux dans les vues courtes comme Ja mienne vient souvent moins de l'inégalité de force dans les yeux que d'une autre cause; c'est la trop grande proximité des deux pru- nelles, ou, ce qui revient au même, l'angle trop ouvert des deux axes optiques, qui pro- duit en partie ce défaut de réunion. On sent bien que plus on approche un petit objet des yeux, plus aussi l'intervalle des deux prunelles diminue: mais comme il y a des bornes à cette diminution, et que les yeux sort posés de fa- çon qu'ils ne peuvent faire un angle plus grand que de soixante degrés tout au plus par les deux rayons visuels, il suit que toutes les fois qu'on regarde de fort près avec les deux yeux, la vue est fatiguée et moins distincte qu'en ne regardant que d’un seul œil; mais cela n'em- pêche pas que l'inégalité de force dans les yeux ne produise le même effet, et que par consé- quent il n'y ait beaucoup d'avantage à écarter l'œil faible, et à l'écarter de facon qu'il recoive HISTOIRE NATURELLE une image différente de celle dont l'œil le plus fort est occupé. S'il reste encore quelques scrupules à cet égard, il est aisé de les lever par uneexpérience très- facile à faire. Je suppose qu'on aitles yeux égaux ou à peu près égaux : il n'y a qu'à pren- dre un verre convexe et le mettre à un demi- pouce de l’un des veux, on rendra par là cet œil fort inégal en force à l’autre ; si l'on veut lire avec les deux yeux, on s'apercevra d'une con- fusion dans les lettres causée par cette inéga- lité, laquelle confusion disparaitra dans l’in- stant qu'on fermera l'œil offusqué par le verre, et qu'on ne regardera plus que d’un œil. Je sais qu'il ya des gens qui prétendent que, quand même on a les yeux parfaitement égaux en force, on ne voit ordinairement que d’un œil; mais c'est une idée sans fondement, qui est contraire à l'expérience : on a vu ci-devant qu'on voit mieux des deux yeux que d’un seul lorsqu'on les a égaux, il n’est donc pas naturel de penser qu'on chercherait à mal voir en ne se servant que d'un œil lorsqu'on peut voir mieux en se servant des deux. Il y a plus, c’est qu'on a un autre avantage très-considérable à se servir des deux yeux lorsqu'ils sont de force égale ou peu inégale; cet avantage consiste à voir une plus grande etendue, une plus grande partie de l’objet qu'on regarde; si on voit un globe d’un seul œil, on n'en apercevra que la moitié; si on le regarde avec les deux yeux, on en verra plus de la moitié, et il est aisé de don- ner pour les distances ou les grosseurs différen- tes la quantité qu'on voit avec les deux yeux de plus qu'avec un seul œil; ainsi on doit se servir, et on se sert en effet dans tous les cas des deux yeux lorsqu'ils sont égaux ou peu inégaux. Aureste, je ne prétends pas que l'inégalité de force dans les yeux soit la seule cause du re- gard louche : il peut y avoir d’autres causes de ce défaut: mais je les regarde comme des cau- ses accidentelles, et je dis seulement que l'in- égalité de force dans les yeux est une espèce de strabisme inné, la plus ordinaire de toutes, et si commune , que tous les louches que j'ai exa- minés sont dans le cas de cette inégalité. Je dis de plus que c'est une cause dont l'effet est nécessaire, de sorte qu'il n’est peut-être pas possible de guérir de ce défaut une personne dont les yeux sont de force trop inégale. J'ai observé, en examinant la portée des yeux de plusieurs enfants qui n'étaient pas louches, DE L'HOMME, qu'ils ne voient pas si loin à beaucoup près que les adultes, et que, proportion gardée, ils ne peuvent voir distinetement d'aussi près : de sorte qu’en avançant en âge, l'intervalle absolu de la vue distincte augmente des deux côtés, et c’est une des raisons pourquoi il y a parmi les enfants plus de louches que parmi les adul- tes, parce que s'il ne leur faut que ;; ou même beaucoup moins d'inégalité dans les yeux pour les rendre louches , lorsqu'ils n'ont qu’un petit intervalle absolu de vue distincte, il leur fau- dra une plus grande inégalité, comme + ou da- vantage, pour les rendre louches quand l'in- tervalle absolu de vue distincte sera augmenté; en sorte qu'ils doivent se corriger de ce défaut en avançant en âge. Mais quand les yeux, quoique de force in- égale , n’ont pas cependant ie degré d'inégalité que nous avons déterminé par la formule ci-des- sus , on peut trouver un remède au strabisme ; il me parait que le plus simple, le plus natu- rel et peut-être le plus efficace de tous les moyens, est de couvrir le bon œil pendant un temps : l'œil difforme serait obligé d’acir et de se tourner directement vers les objets, et pren- drait en peu de temps ce mouvement habituel. J'ai oui dire que quelques oculistes s'étaient servis assez heureusement de cette pratique ; mais avant que d’en faire usage sur une per- sonne, il faut s'assurer du degré d’inégalité des yeux, parce qu'elle ne réussira jamais que sur des yeux peu inégaux. Ayant communiqué cette idée à plusieurs personnes, et entre autres à M. Bernard de Jussieu , à qui j'ai lu cette partie de mon mémoire, j'ai eu le plaisir de voir mon opinion confirmée par une expérience qu'il m'in- diqua, et qui estrapportée par M.Allan, médecin anglais, dans son Synopsis universæ medicine. Il suit de tout ce qae nous venons de dire que, pour avoir la vue parfaitement bonne, il faut avoir les yeux absolument égaux en force; que de plus, il faut que l'intervalle absolu soit fort grand, en sorte qu'on puisse voir aussi bien de fort près que de fort loin: ce qui dépend de la facilité avec laquelle les yeux se contractent ou se dilatent, et changent de figure selon le besoin; car si les yeux étaient solides , on ne pourrait avoir qu'un très-petit intervalle de vue distincte. Il suit aussi de nos observations, qu'un borgne à qui il reste un bon œil voit mieux et plus distinctement que le commun des hommes, parce qu'il voit mieux que tous ceux qui ont les 249 | yeux un peu inégaux , et défaut pour défaut, il vaudrait mieux être borgne que louche, si ce premier défaut n'était pas accompagné d’une plus grande difformité et d’autres incommodités. Il suit encore évidemment de tout ce que nous avons dit, que les louches ne voient jamais que d'un œil,etqu'ils doivent ordinairement tourner le mauvais œil tout près de leur nez, parce que dans cette situation , la direction de ce mauvais œil est aussi écartée qu'elle peut l'être de la direction du bon œil. A la vérité, en écartant ce mauvais œil du côté de l’angle externe , la di- rection serait aussi éloignée que dans le premier cas; mais il y a un avantage de tourner l'œil du côté du nez, parce que le nez fait un gros objet qui, à cette très-petite distance de l'œil, paraît uniforme et cache la plus grande partie des ob= jets qui pourraient être aperçus du mauvais œil, et par cogsequent cette situation du mau- vais œil est la moins désavantageuse de toutes. On peut ajouter à cette raison, quoique suffi- sante, une autre raison tirée de l'observation que M. Winslow a faite sur l'inégalité de la lar- geur de l'iris !: il assure que l'iris est plus étroite du côté du nez et plus large du côté des tempes, en sorte que la prunelle n’est point au milieu de l'iris, mais qu’elle est plus près de la circonférence extérieure du côté du nez; la prunelle pourra donc s'approcher de l'angle in- terne, et il y aura par conséquent plus d’avan- tage à tourner l'œil du côté du nez que de l’au- tre côté, et le champ de l'œil sera plus petit dans cette situation que dans aucune autre. Je ne vois donc pas qu’on puisse trouver de remède aux yeux louches, lorsqu'ils sont tels à cause de leur trop grande inégalité de force; la seule chose qui me parait raisonnable à propo- ser scrait de raccourcir la vue de l'œil le plus fort , afin que les yeux se trouvant moins in- égaux, on füt en état de les diriger tous deux vers le même point, sans troubler la vision au- tant qu'elle l'était auparavant ; il suffirait, par exemple, à un homme qui a - d’inégalité de force dans les yeux , auquel cas il est nécessai- rement louche , il suffirait , dis-je, de réduire cette inégalité à; , pour qu'il cessât de l'être. On y parviendrait peut-être en commencant par couvrir le bon œil pendant quelque temps, afin de rendre au mauvais œil la direction et toute ‘ Voyez les Mémoires de l'Académie des Sciences, an- née 1721. 250 la force que le défaut d'habitude à s’en servir peut lui avoir ôtée , et ensuite en faisant porter des lunettes dont le verre opposé au mauvais œil sera plan , et le verre du bon œil serait con- vexe : insensiblement cet œil perdrait de sa force, et serait par conséquent moins en état d'agir indépendamment de l'autre. En observant les mouvements des yeux de plusieurs personnes louches, j'ai remarqué que, dans tousles cas, les prunelles des deux yeux ne laissent pas de se suivre assez exactement, et que l'angle d’inclinaison des deux axes de l'œil est presque toujours le même; au lieu que dans les yeux ordinaires , quoiqu'ils se suivent très- exactement, cet angle est plus petit ou plus grand , à proportion de l'éloignement ou de la proximité des objets; cela seul suffirait pour prouver que les louches ne voient que d'un œil. Mais il est aisé de s'en convaincre entière- ment par une épreuye facile : faites placer la personne louche à un beau jour, vis-à-vis une fenêtre ; présentez à ses yeux un petit objet, comme une plume à écrire, et dites-lui de la regarder; examinez ses yeux, vous reconnai- trez aisément l'œil qui est dirigé vers l'objet ; couvrez cet œil avec la main, et sur-le-champ la personne, qui croyait voir des deux yeux, sera fort étonnée de ne plus voir la plume , et elle sera obligée de redresser son autre œil et de le diriger vers cet objet pour l'apercevoir. Cette observation est générale pour tous les louches : ainsi il est sûr qu'ils ne voient que d'un œil. Il y a des personnes qui, sans être absolu- ment louches, ne laissent pas d'avoir une fausse direction dans l’un des yeux, qui cependant n'est pas assez considérable pour causer une grande difformité; leurs deux prunelles vont ensemble, mais les deux axes optiques, au lieu d'être inclinés proportionnellement à la dis- tance des objets, demeurent toujours un peu plus ou un peu moins inelinés, ou même pres- que parallèles. Ce défaut qui est assez commun, et qu'on peut appeler wn faux trait dans les yeux à souvent pour cause l'inégalité de force dans les yeux; et s'il provient d'autre chose, comme de quelque accident ou d’une habitude prise au berceau, on peut s'en guérir facilement. Il est à remarquer que ces espèces de louches ont dû voir les objets doubles dans le commen- cement qu'ils ont contracté cette habitude, de la même façon qu'en voulant tourner les yeux | HISTOIRE NATURELLE comme les louches , on voit les objets doubles avec deux bons yeux. En effet, tous les hommes voient les objets doubles, puisqu'ils ont deux yeux, dans chacun desquels se peint une image, et ce n’est que par expérience et par habitude qu'on apprend à les juger simples , de la même facon que nous jugeons droits les objets qui cependant sont renversés sur la rétine; toutes les fois que les deux images tombent sur les points correspon- dants des deux rétines, sur lesquels elles ont coutume de tomber, nous jugeons les objets simples; mais dès que l’une ou l'autre des ima- ges tombe sur un autre point, nous les jugeons doubles. Un homme qui a dans les yeux la fausse direction ou le faux trait dont nous ve- nons de parler a dû voir les objets doubles d'abord, et ensuite par l'habitude il les a jugés simples, tout de même quenous jugeonsles objets simples , quoique nous les voyions en effet tous doubles : ceci est confirmé par une observation de M. Folkes, rapportée dans les notes de M. Smith !; il assure qu'un homme, étant de- venu louche par un coup violent à la tête, vit les objets doubles pendant quelque temps, mais qu'enfin il était parvenu à les voir simples comme auparavant, quoiqu'il se servit de ses deux yeux à la fois. M. Folkes ne dit pas si cet homme étaitentièrement louche : il est à croire qu'il ne l'était que légèrement, sans quoi il n'aurait pas pu se servir deses deux yeux pour regarder le même objet. J'ai fait moi-même une observation à peu près pareille sur une dame qui, à la suite d’une maladie accompa- gnée de grands maux de tête, a vu les objets doubles pendant près de quatre mois; et cepen- dant elle ne paraissait pas être louche, sinon dans des instants; car comme cette double sen- sation l’incommodait beaucoup, elle était venue au point d'être louche tantôt d’un œil et tan- tôt de l’autre, afin de voir les objets simples; mais peu à peu ses yeux se sont fortifiés avec sa santé, et actuellement elle voit les objets simples, et ses yeux sont parfaitement droits. Parmi le grand nombre de personnes louches que j'ai examinées, j'en ai trouvé plusieurs dont le mauvais œil, au lieu de se tourner du côté du nez, comme cela arrive le plus ordi- nairement , se tourne au contraire du côté des tempes. J'ai observé que ces louches n’ont pas UA complete system of optiks, vol, F1. DE L'HOMME, les yeux aussi inégaux en force que les louches dont l'œil est tourné vers le nez; cela m'a fait penser que c’est là le cas de la mauvaise habi- tude prise au berceau, dont parlent les méde- cins : et en effet, on conçoit aisément que si le berceau est tourné de facon qu'il présente le côté au grand jour des fenêtres, l'œil de l’en- fant qui sera du côté de ce grand jour tour- nera du côté des tempes pour se diriger vers la lumière; au lieu qu'il est assez difficile d’ima- giner comment il pourrait se faire que l'œil se tournât du côté du nez, à moins qu'on ne dit que c'est pour éviter cette trop grande lumière; Quoi qu’il en soit, on peut toujours remédier à ce défaut dès que les yeux ne sont pas de force trop inégale, en couvrant le bon œil pendant une quinzaine de jours. Il est évident par tout ce que nous avons dit ci-dessus qu'on ne peut pas être louche des deux yeux à la fois ; pour peu qu'on ait réfléchi sur la conformation de l'œil et sur les usages de cet organe , on sera persuadé de l'impossibilité de ce fait, et l'expérience achèvera d’en convain- cre : mais il y a des personnes qui, sans être louches des deux yeux à la fois, sont alterna- tivement quelquefois louches de l’un et ensuite de l’autre œil, et j'ai fait cette remarque sur trois personnes différentes. Ces trois personnes avaient les yeux de force inégale; mais il ne paraissait pas qu'il y eût plus de -; d’inégalité de force dans les yeux de la personne qui les avait le plus inégaux. Pour regarder les objets éloignés, elles se servaient de l'œil le plus fort, et l’autre œil tournait vers le nez ou vers les tempes; et, pour regarder les objets trop voi- sins, comme des caractères d'impression, à une petite distance, ou des objets brillants, comme la lumière d’une chandelle , elles se servaient de l'œil le plus faible, et l'autre se tournait vers l’un ou l’autre des angles. Après les avoir examinées attentivement, je reconnus que ce défaut provenait d'une autre espèce d'inégalité dans les yeux; ces personnes pouvaient lire très-distinctement à deux et à trois pieds de distance avec l'un des yeux, et ne pouvaient pas lire plus près de quinze ou dix-huit pouces avec ce même œil, tandis qu'avec l'autre œil elles pouvaient lire à quatre pouces de distance et à vingt et trente pouces ; cette espèce d’in- égalité faisait qu'ellesnese servaient quedel'œil le plus fort toutes les fois qu'elles voulaient apercevoir des objets éloignés, et qu'elles 251 étaient forcées d'employer l'œil le plus faible pour voir les objets trop voisins. Je ne crois pas qu'on puisse remédier à ce défaut, si ce n'est en portant des lunettes dont l'un des verres serait convexe et l’autre concave, proportion- nellement à la force ou à la faiblesse de chaque œil: mais il faudrait avoir fait sur cela plus d'expériences que je n’en ai fait, pour être sûr de quelque succès. J'ai trouvé plusieurs personnes qui, sans être louches , avaient les yeux fort inégaux en force: lorsque cette inégalité est très-considé- rable, comme, par exemple, de + ou de , alors l'œil faible ne se détourne pas, parce qu'il ne voit presque point, et on est dans le cas des borgnes, dont l'œil obseurei ou couvert d'une taie ne laisse pas de suivre les mouvements du bon œil. Ainsi, dès que l'inégalité est trop petite ou de beaucoup trop grande, les yeux ne sont pas louches; ou s'ils le sont, on peut les rendre droits, en couvrant, dans les deux cas, le bon œil pendant quelque temps. Mais si l'in- égalité est d'un tel degré que l'un des veux ne serve qu’à offusquer l'autre et en troubler la sensation, on sera louche d'un seul œil sans remède; et si l'inégalité est telle que l’un des yeuxsoitpresbyte, tandis quel'autre estmyope, on sera louche des deux yeux alternativement, et encore sans aucun remède. J'ai vu quelques personnes que tout le monde disait être louches, qui le paraissaient en effet, et qui cependant ne l’étaient pas réellement, mais dont les yeux avaient un autre défaut, peut-être plus grand et plus difforme: les deux yeux vont ensemble, ce qui prouve qu'ils ne sont pas louches ; mais ils sont vacillants, et ils se tournent si rapidement et sisubitement qu'on ne peut jamais reconnaitre le point vers lequel ils sont dirigés. Cette espèce de vue égarée n'empêche pas d'apercevoir les objets, mais c'est toujours d'une manière indistincte. Ces personnes lisent avec peine, et lorsqu'on les regarde, l'on est fort étonné de n'apercevoir quelquefois que le blanc des yeux, tandis qu'elles disent vous voir et vous regarder; mais ce sont des coups d'œil imperceptibles, par les- quelsellesapercoivent ; et quandonles examine de près, ondistingue aisément tousles mouve- ments dont les directions sont inutiles , et tous ceux qui leur servent à reconnaitre les objets. Avant de terminer ce Mémoire, il est bon d'observer une chose essentielle au jugement 253 qu'on doit porter sur le degré d'inégalité de force dans les yeux louches; j'ai reconnu dans toutes les expériences que j'ai faites que l'œillouche, qui est toujours le plus faible, ac- quiert de la force par l'exercice, et que plu- sieurs personnes dont je jugeais le strabisme incurable, parce que par les premiers essais j'a- vais trouvé un trop grand degré d'inégalité, ayant couvert leur bon œil seulement pendant quelques minutes, et ayant par conséquent été obligées d'exercer le mauvais œil pendant ce petit temps, elles étaient elles-mêmes surprises de ce que ce mauvais œil avait gagné beaucoup de force; en sorte que, mesure prise après cet exercice de la portée de cet œil, je la trouvais plus étendue, et je jugeais le strabisme cura- ble. Ainsi, pour prononcer avec quelque espèce de certitude sur le degré d’inégalité des yeux, et sur la possibilité de remédier au défaut des yeux louches, il faut auparavant couvrir le bon œil pendant quelque temps, afin d’obliger le mauvais œil à faire de l'exercice et reprendre toutes ses forces; après quoi on sera bien plus en état de juger des cas où l’on peut espérer queleremèdesimpleque nous proposons pourra réussir. DU SENS DE L'OUIE. Comme le sens de l'ouie a de commun avec celui de la vue de nous donner la sensation des choses éloignées, il est sujet à des erreurs sem- blables , et il doit nous tromper toutes les fois que nous ne pouvons pas rectifier par le tou- cher les idées qu'il produit. De la même facon que le sens de la vue ne nous donne aucune idée de la distance des objets, le sens de l'ouie ne nous donne aucune idée de la distance des corps qui produisent le son; un grand bruit fort éloigné et un petit bruit fort voisin pro- duisent la même sensation; et à moins qu'on n'ait déterminé la distance par les autres sens, on ne sait point si ce qu'on à entendu est en effet un grand ou un petit bruit. Toutes les fois qu'on entend un son inconnu on ne peut donc pas juger par ce son de la dis- tance non plus que de la quantité d'action du corps qui le produit; mais dès que nous pou- vons rapporter ce son à une unité connue, c’est-à-dire dès que nous pouvons savoir que ce bruit est de telle ou telle espèce, nous pouvons HISTOIRE NATURELLE juger alors à peu près non-seulement de la distance, mais encore de la quantité d'action: par exemple, si l'on entend un coup de canon ou le son d’une cloche, comme ces effets sont des bruits qu'on peut comparer avec des bruits de même espèce qu'on a autrefois entendus, on pourra juger grossièrement de la distance à laquelle on se trouve du canon ou de la cloche, et aussi de leur grosseur, c’est-à-dire de la quantité d'action. Tout corps qui en choque un autre produit un son; mais ce son est simple dans les corps qui ne sont pas élastiques, au lieu qu'il se mul- tiplie dans ceux qui ont du ressort. Lorsqu'on frappe une cloche ou un timbre de pendule, un seul coup produit d'abord un son qui se répète ensuite par les ondulations du corps sonore, et se multiplie réellement autant de fois qu'il y a d'oscillations ou de vibrations dans le corps so- nore. Nous devrions done juger ces sons, non pas comme simples , mais comme composés, si par l'habitude nous n'avions pas appris à juger qu'un coup ne produit qu'un son. Je dois rapporter ici une chose qui m’arriva il ya trois ans: j'étais dans mon lit à demi endormi; ma pendule sonna etje comptai cinq heures, c’est-à-dire j'entendis distinetement cinq coups de marteau sur le timbre: je me levai sur-le-champ, et ayant ap- proché Ja lumière, Je vis qu'il n'était qu'une heure, et la pendule n'avait en effet sonné qu'une heure, car la sonnerie n'était point dérangée : je conclus après un moment de réflexion que , si l'on ne savait pas par expé- rience qu'un coup ne doit produire qu'un son, chaque vibration du timbre serait entendue comme un différent son, et comme si plu- sieurs coups se succédaient réellement sur le corps sonore. Dans le moment que j'entendis sonner ma pendule, j'étais dans le cas où serait quelqu'un qui entendrait pour la première fois, et qui, n'ayant aucune idée de la manière dont se produit le son, jugerait de la succession des différents sons sans préjugé, aussi bien que sans règle, et par la seule impression qu'ils font sur l'organe; et dans ce cas il entendrait en ef- fet autant de sons distincts qu'il y a de vibra- tions successives dans le corps sonore. C'est la succession de tous ces petits coups répétés, ou, ce qui revient au même, c’est le nombre des vibrations du corps élastique qui fait le ton du son. Il n'y a point de ton dans un son simple; un coup de fusil, un coup de DE fouet, un coup de canon, produisent des sons différents qui cependant n'ont aueun ton. Il en est de mème de tous les autres sons qui ne durent qu'un instant. Le ton consiste donc dans la continuité du même son pendant un certain temps; cette continuité de son peut être opé- rée de deux manières différentes : la première et la plus ordinaire est la succession des vi- brations dans les corps élastiques et sonores ; et la seconde pourrait être la répétition prompte et nombreuse du mème coup sur les corps qui sont incapables de vibrations: car un corps à ressort, qu'un seul coup ébranle et met en vi- bration, agit à l'extérieur et sur notre oreie comme s’il était en effet frappé par autant de petits coups égaux qu'il fait de vibrations; chacune de ces vibrations équivaut à un coup, et c'est ce qui fait la continuité de ce son et ce qui lui donne un ton; mais si l'on veut trouver cette même continuité de son dans un corps non élastique et incapable de former des vibra- tions, il faudra le frapper de plusieurs coups égaux , successifs et très-prompts, c'est le seul moyen de donner un ton au son que produit ce corps, et la répétition de ces coups égaux pourra faire dans ce cas ce que fait dans l’autre la suc- cession des vibrations. En considérant sous ce point de vue la pro- duction du son et des différents tons qui le mo- difient, nous reconnaitrons que puisqu'il ne faut que la répétition de plusieurs coups égaux sur un corps incapable de vibrations pour pro- duire un ton, si l'on augmente le nombre de ces coups égaux dans le même temps, cela ne fera que rendre le ton plus égal et plus sensible, sans rien changer ni au son, ni à la nature du ton que ces coups produiront; mais qu'au contraire si on augmente la force des coups égaux, le son deviendra plus fort, et le ton pourra changer : par exemple, si la force des coups est double de la première, elle produira un effet double, c'est-à-dire un son une fois plus fort que le premier, dont le ton sera à l'octave; il sera une fois plus grave, parce qu'il appartient à un son qui est une fois plus fort, et qu'il n'est que l'effet continué d'une force double: si la force, au lieu d’être double de la première , est plus grande dans un autre rap- port, elle produira des sons plus forts dans le même rapport, qui par conséquent auront chacun des tons proportionnels à cette quan- titéde force du son, ou, ce quirevientau même, L'HOMME. 235 de la force des coups qui le produisent, et non pas de la fréquence plus où moins grande de ces coups égaux. Ne doit-on pas considérer les corps élastiques qu'un seul coup met en vibration comme des corps dont la figure ou la longueur détermine précisément la force de ce coup, et la borne à ne produire que tel son qui ne peut être ni plus fort ni plus faible ? Qu'on frappe sur une cloche un coup une fois moins fort qu'un autre coup, on n’entendra pas d'aussi loin le son de cette cloche, mais on entendra toujours le même ton. IL en est de même d'une corde d'instrument ; la même longueur donnera toujours le même ton. Dès lors ne doit-on pas croire que dans l’expli- cation qu'on a donnée de la production des dif- férents tons par le plus ou le moins de fréquence des vibrations, on a pris l'effet pour la cause ? Car les vibrations dans les corps sonores ne pouvant faire que ce que font les coups égaux répétés sur des corps incapables de vibrations, la plus grande ou la moindre fréquence de ces vibrations ne doit pas plus faire à l'égard des tons qui en résultent que la répétition plus ou moins prompte des coups successifs doit faire au ton des corps non sonores : or cette répéti- tion plus ou moins prompfg n'y change rien; la fréquence des vibrations ne doit donc rien changer non plus, et le ton, qui dans le premier cas dépend de la force du coup, dépend dans le second de la masse du corps sonore; s’il est une fois plus gros dans la même longueur ou une fois plus long dans la même grosseur, le ton sera une fois plus grave, comme il l'est lorsque le coup est donné avec une fois plus de force sur un corps incapable de vibra- tions. Si done l'on frappe un corps incapable de vi- brations avec une masse double, il produira un son qui sera double, c'est-à-dire à l’octave en bas du premier : car c’est la même chose que si l'on frappait le même corps avec deux masses égales , au lieu de ne le frapper qu'avec une seule; ce qui ne peut manquer de donner au son une fois plus d'intensité. Supposons done qu'on frappe deux corps incapables de vibra- tions, l'un avec une seule masse, et l’autre avec deux masses, chacune égale à la première, le premier de ces corps produira un son dont l'in- tensité ne sera que la moitié de celle du son que produira le second; mais si l'on frappe l'un de ces corps avec deux masses et l’autre 254 avec trois, alors ce premier corps produira un son dont l'intensité sera moindre d'un tiers que celle du son que produira le second corps ; et de mème si l'on frappe l'un de ces corps avec trois masses égales, et l’autre avec quatre, le premier produira un son dont l'intensité sera moindre d'un quart que celle du son produit par le second : or, de toutes les comparaisons possibles de nombre à nombre, celles que nous faisons le plus facilement sont celles d’un à deux, d'un à trois, d'un à quatre, ete.; et, de tous les rapports compris entre le simple et le double, ceux que nous apercevons le plus aisé- ment sont ceux de deux contre un, de trois contre deux, de quatre contre trois, ete. Ainsi nous ne pouvons pas manquer, en jugeant les sons, de trouver que l'octave est le son qui con- vient ou qui s'accorde le mieux avec le premier, et qu'ensuite ce qui s'accorde le mieux est la quinte et la quarte, parce que ces tons sont en effet dans cette proportion; car supposons que les parties osseuses de l’intérieur des oreilles soient des corps durs et incapablesde vibrations, qui reçoivent les coups frappés par ces masses égales, nous rapporterons beaucoup mieux à une certaine unité de son produit par une de ces masses les autfes sons qui seront produits par des masses dont les rapportsseront à la pre- mière masse comme 1 à deux, ou 2 à 3, ou 3 à 4, parce que ce sont en effet les rapports que l'âme aperçoit le plus aisément. En considérant donc le son comme sensation, on peut donner la raison du plaisir que font les sons harmoni- | ques : il consiste dans la proportion du son fon- damental aux autres sons: si ces autres sons mesurent exactement et par grandes parties le son fondamental, ils seront toujours harmoni- ques et agréables; si au contraire ils sont in- commensurables ou seulement commensurables par petites parties, ils seront discordants et désagréables. On pourrait me dire qu'on ne conçoit pas trop comment une proportion peut causer du plaisir, etqu'on ne voit pas pourquoitelrapport, parce qu'il est exact, est plus agréable que tel autre quinepeut passe mesurer exactement. Je répondrai cependantquec'estdans cette justesse de proportion que consiste la cause du plaisir, puisque toutes les fois que nos sens sont ébran- lés de cette façon , il en résulte un sentiment agréable, et qu'au contraire ils sont toujours aifectés désagréablement par la disproportion. HISTOIRE NATURELLE On peut se souvenir de ce que nous avons dit au sujet de l’aveugle-né auquel M. Chesei- den donna la vue en lui abattant la cataracte : les objets qui lui étaient les plus agréables lorsqu'il commençait à voir étaient les for- mes régulières et unies; les corps pointus et irréguliers étaient pour lui des objets désa- gréables. Il n’est donc pas douteux que l’idée de la beauté et le sentiment du plaisir qui nous arrive par les yeux, ne naisse de la proportion et de la régularité. Il en est de même du tou- cher : les formes égales, rondes et uniformes nous font plus de plaisir à toucher que les angles , les pointes et les inégalités des corps raboteux, Le plaisir du toucher a done pour cause, aussi bien que celui de la vue, la pro- portion des corps et des objets; pourquoi le plaisir de l'oreille ne viendrait-il pas de la pro- portion des sons ? Le son a, comme la lumière, non-seulement la propriété de se propager au loin , mais en- core celle de se réfléchir. Les lois de celte ré- flexion du son ne sont pas à la vérité aussi bien connues que celles de la réflexion de la lumière; on est seulement assuré qu'il se ré- fléchit à la rencontre des corps durs; une montagne, un bâtiment, une muraille réflé- chissent le son, quelquefois si parfaitement | qu'on croit qu'il vient réellement de ce côté opposé , et lorsqu'il se trouve des concavités dans ces surfaces planes , ou lorsqu'elles sont elles-mêmes régulièrement concaves, elles for- ment un écho qui est une réflexion du son plus parfaite et plus distincte; les voûtes dans un bâtiment, les rochers dans une montagne, les arbres dans une forêt, forment presque tou- jours des échos: les votes, parce qu’elles ont une figure concaverégulière ; les rochers, parce qu'ils forment des voûtes et des cavernes, ou qu'ils sont disposés en forme concave et régu- lière, et les arbres parce que dans le grand nombre de pieds d'arbres qui forment la forêt, il y en a presque toujours un certain nombre qui sont disposés etplantés les uns à l'égard des autres de manière qu'ils forment une espèce de figure concave. La cavité intérieure de l'oreille paraît être un écho où le son se réfléchit avec la plus grande précision : cette cavité est creusée dans la partie pierreuse de l'os temporal , comme une concavité dans un rocher; le son se répète et s'articule dans cette cavité, et ébranle ensuite | DE L'HOMME. 255 la partie solide de la lame du limaçon; cet ébranlement se communique à la partie mem- braneuse de cette lame; cette partie membra- neuse est une expansion du nerf auditif qui transmet à l'âme ces différents ébranlements dans l'ordre où elle les reçoit. Comme les parties osseuses sont solides et insensibles, elles ne peuvent servir qu'à recevoir et réflé- chir le son; les nerfs seuls sont capables d'en produire la sensation. Or, dansl'organedel'ouie, la seule partie qui soit nerf est cette portion de la lame spirale; tout le reste est solide, et c'est par cette raison que je fais consister dans cette partie l'organe immédiat du son; on peut même le prouver par les réflexions suivantes. L'oreille extérieure n'est qu'un accessoire à l'oreille intérieure ; sa concavité , ses plis peu- vent servir à augmenter la quantité du son, mais on entend encore fort bien sans oreilles extérieures : on le voit par les animaux aux- quels on les a coupées. La membrane du tym- pan, qui est-ensuite la partie la plus extérieure de cet organe n'est pas plus essentielle que l'o- reille extérieure à la sensation du son; il y a des personnes dans lesquelles cette membrane est détruite en tout ou en partie, qui ne laissent pas d'entendre fort distinctement : on voit des gens qui font passer de la bouche dans l'oreille, et font sortir au dehors de la fumée de tabac, des cordons de soie, des lames de plomb, ete., et qui cependant ont le sens de l'ouie tout aussi bon que les autres. Il en est encore à peu près de même des osselets de l'oreille; ils ne sont pas absolument nécessaires à l'exercice du sens de l'ouie; il est arrivé plus d'une fois que ces osselets se sont cariés et sont même sortis de l'oreille par morceaux après des suppurations, et ces personnes, qui n'avaient plus d'osselets, ne laissaient pas d'entendre; d'ailleurs on sait que ces osselets ne se trouvent pas dans les oi- Seaux, qui cependant ont l'ouie très-fine et très- bonne. Les canaux semi-cireulaires paraissent être plus nécessaires : ce sont des espèces de tuyaux courbés dansl’os pierreux, qui semblent servir à diriger et conduire les parties sonores jusqu’à la partie membraneuse du limacon sur laquelle se fait l’action du son et la production de la sensation. Une incommodité des plus communes dans la vieillesse est la surdité. Cela se peut expli- quer fort naturellement par le plus de densité que doit prendre la partie membraneuse de la lame du limacon: elle augmente en solidité à mesure qu'on avance en âge; dès qu’elle de- vient trop solide, on a l'oreille dure; et lors- qu'elle s'ossifie, on est entièrement sourd, parce qu'alors il n'y a plus aucune partie sensible dans l'organe qui puisse transmettre la sensa- tion du son. La surdité qui provient de cette cause est incurable ; mais elle peut aussi quel- quefois venir d'une cause plus extérieure; le canal auditif peut se trouver rempli et bouché par des matières épaisses, Dans ce cas il me semble qu'on pourrait guérir la surdité, soit en seringuant des liqueurs ou en introduisant même des instruments dans ce canal ; et il y a un moyen fort simple pour reconnaitre si Ja surdité est intérieure ou si elle n’est qu'exté- rieure, c'est-à-dire pour reconnaitre si la lame spirale est en effet insensible, ou bien si c’est la partie extérieure du canal auditif qui est bouchée : il ne faut pour cela que prendre une petite montre à répétition, la mettre dans la bouche du sourd et la faire sonner: s'il entend ce son, sa surdité sera certainement causée par un embarras extérieur auquel il est toujours possible de remédier en partie. J'ai aussi remarqué sur plusieurs personnes qui avaient l'oreille et la voix fausse qu'elles entendaient mieux d'une oreille que d'uneautre. On peut se souvenir de ce que j'ai dit au sujet des yeux louches; la cause de ce défaut est l'inégalité de force ou de portée dans les yeux ; une personne louche ne voit pas d'aussi loin avec l'œil qui se détourne qu'avec l’autre : l'analogie m'a conduit à faire quelques épreuves sur des personnes qui ont la voix fausse, et jusqu'à pré- sent j'ai trouvé qu'elles avaient en effet une oreille meilleure que l'autre; elles recoivent donc à la fois par les deux oreilles deux sensa- tions inégales, ce qui doit produire une discor- dance dans le résultat total de la sensation, et c'est par cette raison qu'entendant toujours faux , elles chantent faux nécessairement, et sans pouvoir même s’en apercevoir. Ces personnes, dont les oreilles sont inégales en sensibilité, se trompent souvent sur le cûté d’où vient le son : si leur bonne oreille est à droite, le son leur paraitra venir beaucoup plus souvent du côté droit que du côté gauche. Au reste, je re parle ici que des personnes nées avec ce défaut: ce n'est que dans ce cas que l'inégalité de sensibi- lité des deux oreilles leur rend l'oreille et la voix fausses; car ceux auxquels cette différence 256 n'arrive que par accident, et qui viennent avec l'âge à avoir une des oreilles plus dure que l'autre, n'auront pas pour cela l'oreille et la voix fausses, parce qu'ils avaient auparavant les oreilles également sensibles, qu'ils ont com- mencé par entendre et chanter juste, et que si dans la suite leurs oreilles deviennent inégale- ment sensibles et produisent une sensation de faux, ils la rectifient sur le champ par l'habitude où ils ont toujours été d'entendre juste et de juger en conséquence. Les cornets ou entonnoirs servent à ceux qui ont l'oreille dure, comme Îles verres convexes servent à ceux dont les yeux commencent à baisser lorsqu'ils approchent de la vieillesse. Ceux-ci ont la rétine et la cornée plus dure et plus solide, et peut-être aussi les humeurs de l'œil plus épaisses et plus denses ; ceux-là ont la partie membraneuse de la lame spirale plus so- lide et plus dure; il leur faut done des instru- ments qui augmentent la quantité des parties lumineuses ou sonores qui doivent frapper ces organes; les verres convexes et les cornets pro- duisent cet effet. Tout le monde connait ces longs cornets avec lesquels on porte la voix à des distances assez grandes ; on pourrait aisé- ment perfectionner cette machine et la rendre à l'égard de l'oreille ce qu'est la lunette d’ap- proche à l'égard des yeux; mais il est vrai qu'on ne pourrait se servir de ce cornet d’ap- proche que dans des lieux solitaires où toute la nature serait dans le silence ; car les bruits voi- sins se confondent avec les sons éloignés, beau- coup plus que la lumière des objets qui sont dans le même cas. Cela vient de ce que la pro- pagation de la lumière se fait toujours en ligne droite, et que quand il se trouve un obstacle intermédiaire elle est presque totalement inter- ceptée; au lieu que le son se propage à la vérité en ligne droite; mais quand il rencontre un obstacle intermédiaire , il cireule autour de cet obstacle et ne laisse pas d'arriver ainsi oblique- ment à l'oreille presque en aussi grande quan- tité que s’il n’eût pas changé de direction. L'ouie est bien plus nécessaire à l'homme qu'aux animaux ; ce sens n'est dans ceux-ci qu'une propriété passive capable seulement de leur transmettre les impressions étrangères. Dans l'homme c’est non-seulement une proprié- té passive, mais une faculté qui devient active par j'organe de la parole. C’est en effet par ce sens que nous vivons en société , que nous rece- HISTOIRE NATURELLE vons la pensée des autres , et que nous pouvons leur communiquer la nôtre. Les organes de la voix seraient des instrumentsinutiles, s'ils n'é- taient mis en mouvement par ce sens. Un sourd de naissance est nécessairement muet; il ne doit avoir aucune connaissance des choses abstraites etgénérales. Je dois rapporter ici l'histoire abré- gée d'un sourd de cette espèce, qui entendit tout à coup pour la première fois à l’âge de vingt-quatre ans, telle qu'on la trouve dans le volume de l'Académie, année 1703, page 18. « M. Félibien, de l'Académie des Inserip- « tions , fit savoir à l'Académie des sciences un « événement singulier, peut-être inouï, qui ve- « nait d'arriver à Chartres. Un jeune homme « de vingt-trois à vingt-quatre ans, fils d’un « artisan, sourd et muet de naissance, Com- « mença tout d'un coup à parler, au grand éton- « nement de toute la ville. On sut de lui que « quelque trois ou quatre mois auparavant il « avait entendu ie son des cloches et avait été « extrêmement surpris de cette sensation nou- « velle et inconnue; ensuite il Jui était sorti « une espèce d’eau de l'oreille gauche, et il « avait entendu parfaitement des deux oreilles; « il fut ces trois ou quatre mois à écouter sans « rien dire, s'accoutumant à répéter tout bas « les paroles qu'il entendait, et s’affermissant « dans la prononciation et dans les idées atta- « chées aux mots; enfin il se crut en état de « rompre le silence, et il déclara qu'il parlait, « quoique ce ne füt encore qu'imparfaitement. « Aussitôt des théologiens habiles l'interroge- «rent sur son état passé, et leurs principales « questions roulèrent sur Dieu, sur l’âme, sur « la bonté ou la malice morale des actions; il « ne parut pas avoir poussé ses pensées jusque- « là. Quoiqu'il fût né de parents catholiques , « qu'il assistât à la messe, qu'il fût instruit à « faire le signe de la croix et à se mettre à ge- « noux dans la contenance d'un homme qui prie, «il n'avait jamais joint à tout cela aucune in- « tention, ni compris celle que les autres y joi- « gnaient; il ne savait pas bien distinetement « ce que c'était que la mort, etiln’y pensait ja- « mais ; il menait une vie purement animale, « tout occupé des objets sensibles et présents, «_et du peu d'idées qu'il recevait par les yeux ; «il ne tirait pas même de la comparaison de « ces idées tout ce qu'il semble qu'il en aurait « putirer. Ce n’est pas qu'il n’eût naturellement « de l'esprit, mais l'esprit d'un homme privé DE L'HOMME, “ du commerce des autres est si peu exercé et « si peu cultivé, qu'il ne pense qu'autant qu'il « y est indispensablement forcé par les objets « extérieurs. Le plus grand fonds des idées des « hommes est dans leur commerce récipro- « que. » Ê Il serait cependant très-possible de commu- niquer aux sourds ces idées qui leur manquent, et même de leur donner des notions exactes et précises des choses abstraites et générales, par des signes et par l'écriture. Un sourd de nais- sance pourrait avec le temps et des secours as- . sidus lire et comprendre tout ce qui serait écrit, et par conséquent écrire lui-même et se faire entendre sur les choses même les plus compli- | quées. Il y en a, dit-on, dont on a suivi l'édu- cation avec assez de soin pour les amener à un : point plus difficile encore , qui est de compren- dre le sens des paroles par le mouvement des lèvres de ceux qui les prononcent; rien ne prou- verait mieux combien les sens se ressemblent au fond , et jusqu'à quel point ils peuvent se suppléer. Cependant il me parait que comme la plus grande partie des sons se forment et s’ar- | tieulent au-dedans de la bouche par des mou- vements de la langue qu'on n'apercoit pas dans un homme qui parle à la manière ordinaire , un sourd et muet ne pourrait connaitre de cette fa- con que le petit nombre des syllabes qui sont en effet articulées par le mouvement des lè- vres. , : Nous pouvons citer à ce sujet un fait tout nouveau, duquel nous venons d'être témoins. M. Rodrigue Pereire, Portugais, ayant cherché les moyens les plus faciles pour faire parler les sourds et muets de naissance, s'est exercé as- sez longtemps dens cet art singulier pour le porter à un grand point de perfection ; il m'a- mena il y a environ quinze jours son élève, M. d'Azy d'Étavigny : ce jeune homme, sourd et muet de naissance, est âgé d’environ dix- neuf ans. M. Pereire entreprit de lui appren- dre à parler, à lire, ete., au moisde juillet 1746; au bout de, quatre mois il prononçait déjà des syllabes et des mots, et après dix mois il avait l'intelligence d'environ treize cents mots, et il les prononcait tous assez distinctement. Cette éducation si heureusement commencée fut interrompue pendant neuf mois par l'absence du maitre , et il ne reprit son élève qu'au mois de février 1748 : ille retrouva bien moins in- struit qu’il ne l'avait laissé, sa prononciation mt, | 257 était devenue très-vicieuse, et. la plupart des mots qu'it avait appris étaient déjà sortis de sa tmémoire, parce qu'il ne s'en était pas servi pendant un assez long temps pour qu'ils eussent fait des impressions durables et permanentes. M Pereire commenca donc à l'instruire, pour ainsi dire, de nouveau au mois de février 1748; et depuis ce temps-là ilne l’a pas quitté jusqu'à ce jour (au mois de juin 1749). Nous avons vu ce jeune sourd et muet à l'une de nos assem- blées de l'Académie : on lui a fait plusieurs ques- tions par écrit; il y a très-bien répondu, tant par l'écriture que par la parole. Il a à la vérité la prononciation lente et le son de la voix rude; mäis cela ne peut guère être autrement, puis- que ce n’est que par limitation que nous ame- nons peu à peu nos organes à former des sons précis, doux et bien articulés; et comme ce jeune sourd et muet n’a pas même l'idée d’un son, etqu'il n’a par conséquent jamais tiré au- cun secours de limitation, sa voix ne peut manquer d’avoir une certaine rudesse que l’art de son maître pourra bien corriger peu à peu jusqu'à un certain point. Le peu de temps que le maître a employé à cette éducation, et les progrès de l'élève qui à la vérité parait avoir de la vivacité et de l'esprit, sont plus que suffisants pour démontrer qu'on peutavecdel’art amener tous les sourds et muets de naissance au pointde commercer ayec les autres hommes; car je suis persuadé que si l’on eût commen- cé à instruire ce jeune sourd dès l’âge de sept ou huit ans, il serait actuellement au même point où sont les sourds qui ont autrefois parlé, et qu'il aurait un aussi grand nombre d'idées que les autres hommes en ont communément. ADDITION A l'article du sens de l'ouie. J'ai dit, dans cet article, qu'en considérant le son comme sensation , on peut donner la raison du plaisir que font les sons harmoniques, et qu'ils consistent dans la proportion du son fon- damental aux autres sons. Maïs je ne crois pas que la nature ait déterminé cette proportion dans le rapport que M. Rameau établit pour principe : ce grand musicien , dans son Trailé del’ Harmonie , déduit ingénieusement son sys- tème d’une hypothèse qu'il appelle le principe fondamental de la musique; cette hypothèse 17 258 est que le son n’est pas simple , mais composé, en sorte que l'impression qui résulte dans no- tre oreille d’un son quelconque n'est jamais une impression simple qui nous fait entendre ce,seul son , mais une impression composée qui nous fait entendre plusieurs sons ; que c'est là ce qui fait la différence du son et du bruit ; que le bruit ne produit dans l'oreille qu'une im- pression simple ; au lieu que le son produit tou- jours une impression composée. Z'oule cause, dit l’auteur, qui produit sur mon oreille une impression unique el simple, me fait entendre du bruit; toute cause qui produit sur mon oreille une impression composée de plusieurs autres, me fait entendre du son, Et de quoi est composée cette impression d’un seul son, de ut, par exemple? elle est composée : 1° du son même de ut que l’auteur appelle le son fonda- mental; 2° de deux autres sons très-aigus, dont l'un estla douzième au-dessus du son fon- damental, c’est-à-dire l'octave desa quinte en montant; et l’autre la dix-septième majeure au-dessus de ce même son fondamental, c'est-à- dire la double octave de sa tierce majeure en montant. Cela étant une fois admis, M. Ra- meau en déduit tout le système de la: musique, et il explique la formation de l'échelle diatoni- que, les règles du mode majeur, l’origine du mode mineur, les différents genres de musique qui sont le ie le chromatique etl'en- harmonique : ramenant tout à ce système, il donne des règles plus fixes et moins arbitraires que toutes celles qu'on a données jusqu’à pré- sentipour la composition. C’est en cela que consiste la principale uti- lité du travail de M. Rameau. Qu'il existe en effet dans un son trois sons, savoir, le son fon- damental, la douzième et la dix-septième, ou que l auteur les ysuppose, celarevient au même pour la plupart des conséquences qu'on en peut nirer ; et je ne serais pas éloigné de croire que M. Rameau, au lieu d’avoir trouvé ce prin- cipe dans la nature, l'a tiré des combinaisons de la pratique de son art : il a vu qu'avec cette supposition il pouvait tout expliquer , dès-lors il l’a adoptée, et a cherché à la trouver dans la nature. Mais y existe-t-elle? Toutes les fois qu'on entend un son , est-il bien vrai qu'on en- tend trois sons différents? Personne avant M. Rameau ne s’en était apercu ; c'est done un phénomène qui tout au plus n’existe dans la na- ture que pour des oreilles musiciennes; l'auteur HISTOIRE NATURELLE semble en convenir lorsqu'il dit que ceux qui sont insensibles au plaisir de la musique n'en- tendent sans doute que le son fondamental, et que ceux qui ont l'oreille assez heureuse pour entendre en même temps le son fondamental et les sons concomitants sont nécessairement très-sensibles aux charmes de l'harmonie. Ceci est une seconde supposition, qui, bien loin de confirmer la première hypothèse, ne peut qu’en fairedouter. La condition essentielle d'un phénomène physique et réellement existant dans la nature est d’être général et générale- ment aperçu de tous les hommes : mais iei on avoue qu'il n'y a qu'un petit nombre de per- sonnes qui soient capables de le reconnaître ; l'auteur dit qu’il est le premier qui s'en soit aperçu, que les musiciens même ne s’en étaient pas doutés. Ce phénomène n’est donc pasigé- néral ni réel; il n'existe que pour M. Rameau et pour quelques oreilles également musi ciennes. Les expériences par lesquelles l’auteur a voulu se démontrer à lui-même qu'un son est ac- compagné de deux autres sons, dont l'un est la douzième et l’autre la dix-septième au-dessus de ce même son, ne me paraissent pas concluan- tes; car M. Rameau conviendra que, dans tous les sons aigus et même dans tous les sons ordi- naires, il n'est pas possible d'entendre en même temps la douzième et la dix-septième en haut, et il est obligé d'avouer que ces sons concomi- tanis ne s'entendent que dans les sons graves, comme ceux d'une grosse cloche ou d’une lon- gue corde. L'expérience, comme l’on voit, au lieu de donner ici un fait général, ne donne même pour les oreilles musiciennes qu'un effet particulier, et encore cet effet particulier sera différent de ce que prétend l’auteur; car un musicien qui n'aurait jamais entendu parler du système de M. Rameau pourrait bien ne point entendre la douzième et la dix-septième dans les sons graves ; et quand même on leprévien- drait que le son de cette grosse cloche qu'il en- tend n’est pas un son simple , mais composé de trois sons, il pourrait convenir quil entend en effet trois sons, mais il dirait que ces trois sons sont le son fondements, la tierce ct la quinte. | Il aurait donc été plus facile an. Rameau de faire recevoir ces derniers rapports que ceux qu'il emploie , s'il cata ue ee ‘eft de sa nature contre 1, qu'une per- sonne de 24 ans vivra 1 un de plus ; 10117 contre ‘if, ou 143 ÿ contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois ; 10117 contre “#, ou 286 $ contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 10117 contre ft, ou 26189 contre 1 , qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 9395 contre 863, ou 10 ? contre 1, qu'elle vi- vra 6 ans de plus ; 8619 contre 1639, ou 5 { contre 1, qu'elle vi- vra 11 ans de plus ; 7741 contre 2517, ou 3 + contre 1, qu'elle vi- vra 16 ans de plus ; 6835 contre 3423, ou près de 2 contre 1, qu'elle vivra 21 ans de plus ; 6034 contre 4224, ou 1 ÿ contre 1, qu'elle vi- vra 26 ans de plus ; 5204 contre 5054, ou 1 £ contre 1, qu'elle vivra 31 ans de plus ; 5940 contre 4318, ou 1 {5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 36 ans de plus ; 6887 contre 3371, ou 2{, contre 1, qu'elle ne vivra pas 41 ans de plus ; 7853 contre 2405 , ou 3 ? contre 1 , qu'elle ne vivra pas 46 ans de plus ; 8775 contre 1483, ou 5 © contre 1, qu'elle ne vivra pas 51 ans de plus ; 9595 contre 663, ou 14 # contre { , qu'elle ne vivra pas 56 ans de plus ; 10021 contre 237, ou 42 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 61 ans de plus ; 10173 contre 85 , ou 119 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 66 ans de plus ; 10234 contre 24 , ou 426 ; contre 1 , qu'elle ne vivra pas 71 ans de plus ; 10256 contre 2, ou 5128 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 76 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus; Pour une personne de vingt-cinq ans. On peut parier 9975 contre 142, ou 70 & contre 1, qu'une per- sonne de 25 ans vivra 1 an de plus ; 9975 contre © , ou 140 ; contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois ; 9975 contre #2, ou 280 £ contre {, qu'elle vi- vra 3 mois; et 9975 contre {E, ou 25640 contre 1 , qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 9395 contre 722, ou un peu plus de 13 contre, qu'elle vivra 5 ans de plus; 8619 contre 1498, ou 5 # contre 1, qu'elle vi- vra 10 ans de plus ; 7741 contre 2376, ou 3 £ contre 1, qu'elle vi- vra 15 ans de plus : 6835 contre 3282, ou 2 + contre 1, qu'elle vi- vra 20 ans de plus ; 6034 contre 4083, ou 1 ? contre 1, qu'elle vi- vra 25 ans de plus ; 5204 contre 4913, ou 1 à contre 1, quelle vi- vra 30 ans de plus ; 5799 contre 4318, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 35 ans de plus ; 6746 contre 3371, ou 2 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 40 ans de plus ; 7712 contre 2405 , ou 3 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 45 ans de plus; 8634 contre 1483 , ou 5° contre 1 , qu'elle ne vivra pas 50 ans de plus ; 546 9454 contre 663, ou 14#£contre1, vivra pas 55 ans de plus ; 9880 contre 237, ou 41 {contre 1 , qu’elle ne vivra pas 60 ans de plus ; 10032 contre 85, ou un peu plus de 118 contre , qu'elle ne vivra pas 65 ans de plus ; 10093 contre 24, ou 420 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 70 ans de plus ; 10115 contre 2, où 5057 4 contre 1, qu’elle ne vivra pas 75 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. qu'elle ne Pour une personne de vingt-six ans. On peut parier 9832 contre 143, ou 68 Ÿ contre 1, qu’une per- sonne de 26 ans vivra 1 an de plus ; 9832 contre #5, ou 137 3 contre 1, qu'elle vi- vra 6 MOIS ; 9832 contre {#, ou 274 £ contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et 9832 contre #5, ou 25091 5 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 9395 contre 580, ou 16 { contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 8619 contre 1356, ou 6 # contre 1, qu'elle vivra 9 ans de plus ; 7741 contre 2234, ou 3 # contre 1, qu'elle vivra 14 ans de plus; 6835 contre 3140, ou 2 à contre 1, qu'elle vivra 19 ans de plus; 6034 contre 3941, ou 1 % contre 1, qu'elle vivra 24 ans de plus ; 5204 contre 4771, ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 29 ans de plus; 5657 contre 4318, ou 1 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 34 ans de plus ; 6604 contre 3371, ou 1 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 39 ans de plus ; 1570 contre 2405, ou 3 £ contre 1, qu'ellene vivra pas 44 ans de plus; 8492 contre 1483, ou 5 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 49 ans de plus ; 9312 contre 663, ou 14 £contre 1, qu'elle ne vivra pas 54 at de plus; 9738 contre 237, ou 41 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 59 ans de plus ; 9890 contre 85, ou 116 % contre 1, qu'elle ne vivra pas 64 ans de plus ; 9951 contre 24, ou 414 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 69 ans de plus ; PROBABILITÉS 9973 contre 2, où 4986 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 74 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de vingt-sept ans. On peut parier 9688 contre 144, ou 67 ? contre 1, qu'une personne. de 27 ans vivra 1 an de plus ; 9688 contre {#, ou 134 À contre 1, qu'elle vi- vra 6 Mois; 9688 contre L#, ou 269 { contre 1, qu’elle vi- vra 3 MG et 9688 contre {f5, ou près de 24556 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt- heures ; 9395 contre 437, ou 21 % contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus 8619 contre 1213, ou 7 contre 1, qu’elle vivra 8 ans de us. ; 7741 contre 2091, ou 3 ZX contre 1, qu’elle vivra 13 ans de pie 6835 contre 2997, ou 2 & contre 1, qu’elle vivra 18 ans de plus; 6034 contre 3798, ou 1 Z contre 1, qu'elle vivra 23 ans de plus: 5204 contre 4628, ou 1 À contre 1, qu'elle vivra 28 Di de ÉURE 5514 contre 4318, ou 1 #} contre 1, ne vivra pas 33 aus de plus; 6461 contre 3371, ou { #? contre 1, qu'elle ne vivra pas 38 ans de plus ; 7427 contre 2405, ou 3 3 contre 1, qu'elle ne vivra pas 43 ans de plus; 8349 contre 1483, ou 5 +; contre 1, qu’elle ne vivra pas 48 ans de plus; 9169 contre 663, ou 13 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 53 ans de plus; 9595 contre 237, ou 40 ff contre 1, qu'elle ne vivra pas 58 ans de plus; 9747 contre 85, ou 114 Ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 63 ans de plus; 9808 contre 24, ou 408 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 68 ans de plus; 9830 contre 2, ou 4915 contre 1, qu'elle ne vivra pas 73 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. qu'elle Pour une personne de vingt-huit ans. On peut parier 9543 contre 145, ou 65 #} contre 1, qu'une DELA DURÉE DE LA VIE. 347 personne de 28 ans vivra 1 an de plus; 9543 contre ‘#, ou 131 À contre 1, qu’elle vi- vra 6 mois; 9543 contre {#, ou 263 £ contre 1, qu’elle vi- vra 3 mois; et 9543 contre fi, ou 24022 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 9395 contre 293, ou 32 & contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 8619 contre 1069, ou 8 & contre {, qu'elle vivra 7 ans de plus ; 1741 contre 1947, ou près de 4 contre 1, qu'elle vivra 12 ans de plus ; 6835 contre 2853, ou 2 { contre 1, qu'elle vivra 17 ans de plus ; 6034 contre 3654, ou 1 & contre 1, qu'elle vivra 22 ans de plus; 5204 contre 4484, ou 1 7 contre 1, qu'elle vivra 27 ans de plus ; 5370 contre 4318, ou 1 {$ contre 1, qu'elle ne vivra pas 32 ans de plus : 6317 contre 3371, ou 1 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 37 ans de plus ; 7283 contre 2405, ou 3 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 42 ans de plus; 8205 contre 1483, ou 5 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 47 ans de plus; 9025 contre 663, ou 13 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 52 ans de plus; 9451 contre 237, ou 39 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 57 ans de plus ; 9603 contre 85, ou près de 113 contre 1, , qu'elle ne vivra pas 62 ans de plus; 9664 contre 24, ou 402 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 67 ans de plus; 9686 contre 2, ou 4843 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 72 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de vingt-neuf ans. On peut parier 9395 contre 148, ou 63 ;, contre { , qu'une personne de 29 ans vivra 1 an de plus ; 9395 contre “5, ou 127 contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 9395 contre 5, ou 254 contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 9395 contre f$ , ou 23170 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 8619 contre 924, ou 9 £ contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 7741 contre 1802, ou 4 %, contre 1, qu'elle vi- vra 11 ans de plus; 6835 contre 2708, ou 2 {{ contre 1, qu'elle vi- vra 16 ans de plus; 6034 contre 3509, ou 1 À contre 1, qu'elle vi- vra 21 ans de plus; 5204 contre 4339, ou 1 £ contre 1, qu'elle vi- vra 26 ans de plus; 5225 contre 4318, ou 1 ?, contre 1, qu'elle ne vivra pas 31 ans de plus; 6172 contre 3371, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 36 ans de plus; 7138 contre 2405, ou 2 3j contre 1, qu'elle ne vivra pas 41 ans de plus; 8060 contre 1483 , ou 5 5 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 46 ans de plus; 8880 contre 663 , ou 13 4 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 51 ans de plus; 9306 contre 237, ou 39 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 56 ans de plus; 9458 contre 85, ou 111 $ contre 1 , qu'elle ne vivra pas 61 ans de plus; 9519 contre 24 , ou 396 à contre 1, qu'elle ne vivra pas 66 ans de plus ; 9541 contre 2, ou 4770 ; contre 1, qu'elle ne vivra pas 71 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de trente ans. On peut parier 9244 contre 151, ou 61 { contre 1, qu'une per- sonne de 30 ans vivra 1 an de plus; 9244 contre !, où 122 2 contre 1 , qu'elle vi- vra 6 mois; 9244 contre #1, ou 2444 contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois; et 9244 contre $!, ou 22345 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 8619 contre 776, ou 111 £ contre 1, qu'elle vi- vra 5 ans de plus ; 7141 contre 1654, ou 4 % contre 1, qu'elle vi- vra 10 ans de plus; 6835 contre 2560 , ou 2 £ contre 1, qu'elle vi- vra 15 ans de plus; 6034 contre 3361 , ou 1 £ contre 1, qu’elle vi- vra 20 ans de plus; 548 5204 contre 4191, ou 1 À contre 1, qu'elle vi- vra 25 ans de plus; 5077 contre 4318, ou 1 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus; 6024 contre 3371, ou { $ contre 1, qu'elle ne vivra pas 35 ans de plus; 6990 contre 2405, ou 2 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 40 ans de plus ; 7912 contre 1483 , ou 5 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 45 de plus; 8732 contre 663, ou 13 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 50 ans de plus; 9158 contre 237, ou 38 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 55 ans de plus; 9310 contre 85, ou 109 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 60 ans de plus ; 9371 contre 24, ou 390 ; contre 1, qu'elle ne vivra pas 65 ans de plus; 9393 contre 2, ou 4696 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 70 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de trente et un ans. On peut parier 9091 contre 153, ou 59 £& contre 1, qu'une per- sonne de 31 ans vivra 1 an de plus; 9091 contre ‘#, ou 118 4 contre 1, qu’elle vi- vra 6 mois; 9091 contre ‘#, ou 237 3 contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et 9091 contre #Ÿ, ou 21688 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les 24 heures; 8619 contre 625, ou 13 2 contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 7741 contre 1503, ou 5 À contre 1, qu’elle vivra 9 ans de plus; 6835 contre 2409, ou 2 ? contre 1, qu'elle vivra 14 ans de plus ; 6034 contre 3210, ou + ? contre 1, qu'elle vivra 19 ans de plus ; 5204 contre 4040, ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 24 ans de plus ; 4926 contre 4318, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 29 ans de plus ; 5873 contre 3371, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 34 ans de plus; 6839 contre 2405 , ou 2 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 39 ans de plus ; 7761 contre 1483, ou 5 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 44 ans de plus; 8581 contre 663, ou 12 X contre 1 , qu'elle ne vivra pas 49 ans de plus; PROBABILITÉS 9007 contre 237, ou 38 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 54 ans de plus ; 9159 contre 85, ou 107 5 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 59 ans de plus ; 9220 contre 24, ou 384 £ contre 1 , qu'elle ne vivra pas 64 ans de plus ; 9242 contre 2, ou 4621 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 69 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de trente-deux ans. On peut parier 8937 contre 154, ou un peu plus de 58 contre 1, qu'une personne de 32 ans vivra 1 an de plus ; 8937 contre 5!, ou un peu plus de 216 contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 8937 contre ‘*, ou un peu plus de 432 contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 8937 contre $*, ou 21182 contre 1 , qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 8619 contre 472, ou 18 £ contre 1, qu'elle vi- 8 vra 3 ans de plus ; 71741 contre 1350, ou 5 # contre 1, qu'elle vivra 8 ans de plus; 6835 contre 2256, ou un peu plus de 3 contre 1. qu'elle vivra 13 ans de plus; 6034 contre 3057 , ou 1 À contre 1, qu'elle vi- vra 18 ans de plus; 5204 contre 3887, ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 23 ans de plus; 4773 contre 4318 , ou 1 & contre 1, qu’elle ne vivra pas 28 ans de plus ; 5720 contre 3371, ou 1 E contre 1, qu'elle ne vivra pas 33 ans de plus; 6686 contre 2405 , ou 25 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 38 ans de plus ; 7608 contre 1483, ou 5 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 43 ans de plus; 8428 contre 663 , ou 122 contre 1, qu'elle ne vivra pas 48 ans de plus; 8854 contre 237 , ou 37 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 53 ans de plus; 9006 contre 85, ou près de 106 contre 1, qu'elle ne vivra pas 58 ans de plus; 9067 contre 24, ou 377 5 contre 1, qu’elle ne vivra pas 63 ans de plus; 9089 contre 2, ou 4544 { contre 1 , qu'elle ne vivra pas 68 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. DE LA DURÉE DE LA VIE. Pour une personne de trente-lrois ans. On peut parier 8779 contre 158, ou 55 ÿ contre 1, qu'une per- sonne de 33 ans vivra { an de plus; | 8779 contre , ou 111 { contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois ; 8779 contre {#, ou 222 ? contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 8779 contre £$, ou 20280 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 8619 contre 318, ou 27 À contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 3741 contre 1196, ou 6 = contre { , qu'elle vi- vra 7 ans de plus; 6835 contre 2102, ou 3; contre 1, qu'elle vivra 12 ans de plus; 6034 contre 2903, ou 2 & contre 1, qu'elle vi- vra 17 ans de plus; 5204 contre 3733, où { # contre 1, qu'elle vi- vra 22 ans de plus, 4619 contre 4318, ou 1 À contre 1 , qu'elle ne vivra pas 27 ans de plus; 5566 contre 3371, ou 1 contre 1, qu’elle ne vivra pas 32 ans de plus; 6532 contre 2405, ou 2 # contre 1 , qu’elle ne vivra 37 ans de plus; 7454 contre 1483, ou un peu plus des contre 1, qu'elle ne vivra pas 42 ans de plus; 8274 contre 663, ou 12 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 47 ans de plus; 8700 contre 237, ou 36 5 contre 1, qu’elle ne vivra pas 52 ans de plus; 8852 contre 85, où 104{ contre 1 , qu'elle ne + vivra pas 57 ans de plus; 8913 contre 24, ou 371 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 62 ans de plus; 8935 contre 2, ou 4467 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 67 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de trente-quatre ans. On peut parier 8619 contre 160, ou 53 5 contre 1, qu'une per- sonne de 34 ans vivra 1 an de plus ; 8619 contre ‘, ou 107 5 contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 8619 contre ®, ou 2154 contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et 8619 contre 1%, ou 19662 contre 1, qu'elle ne 349 mourra pas dans les vingt-quatre neures ; 8454 contre 325, où 26 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 8284 contre 495, ou 16 Ÿ contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus: 8109 contre 670 , où 12 & contre 1 , qu'elle vi- vra 4 ans de plus; 7928 coutre 851, ou 9 { contre 1 , qu'elle vivra 5 ans de plus; 1741 contre 1038, ou 7 ? contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 6836 contre 1944, ou 3 ? contre 1 , qu'elle vi- vra 11 ans de plus; 6034 contre 2745, ou 2 ;- contre 1, qu'elle vi- vra 16 ans de plus ; 5204 contre 3575, ou 1 Ÿ contre 1, qu'elle vi- vra 21 ans de plus; 4461 contre 4318 , ou 1 ;; contre 1, qu'elle ne vivra pas 26 ans de plus; 5408 contre 3371 , ou 1 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 31 ans de plus: 6374 contre 2405, ou 2# contre 1, qu'elle ne vivra pas 36 ans de plus; 7296 contre 1483, ou 4 Ë contre 1, qu'elle ne vivra pas 41 ans de plus; 8116 contre 663 , ou 12 Ë contre 1, qu'elle ne vivra pas 46 ans de plus; 8542 contre 237, ou un peu plus de 36 contre 1, qu’elle ne vivra pas 51 ans de plus ; 8694 contre 85, ou 102 { contre {, qu'elle ne vivra pas 56 ans de plus; 8755 contre 24, ou 364 3 contre 1, qu'elle ne vivra pas 61 ans de plus; 8777 contre 2, ou 4388 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 66 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de trente-cinq ans. On peut parier 8454 contre 165, où 51 4 contre 1, qu'une personne de 35 ans vivra { an de plus: 8454 contre {, ou 102 ? contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois; 8454 contre ‘%, ou 2045 contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et 8454 concre 5, ou 18701 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 8284 contre 335, ou 24 # contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 390 8109 contre 510, ou 15 & contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 7928 contre 691, ou 11 # contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus ; 1741 contre 878 , ou 8 £ contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 7555 contre 1064, ou 7 # contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 7370 contre 1249 , ou 5 # contre 1 , qu’elle vivra 7 ans de plus; 7186 contre 1433, ou un peu plus de 5 contre 1 , qu'elle vivra 8 ans de plus ; 6835 contre 1784, ou 3 # contre 1, qu'elle vivra 10 ans de plus ; 6034 contre 2585, ou 2 À contre 1, qu’elle vivra 15 ans de plus; 5204 contre 3415 , ou 1 £ contre 1, qu'elle vivra 20 ans de plus; 4318 contre 4301, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle vivra 25 ans de plus ; 5248 contre 3371, ou 1 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus ; 6214 contre 2405 , ou 2 Z contre 1, qu’elle ne vivra pas 35 ans de plus ; 7136 contre 1483, ou 4 $ contre 1, qu’elle ne vivra pas 40 ans de plus; 7956 contre 663, ou 12 contre 1, qu’elle ne vivra pas 45 ans de plus ; 8382 contre 237, ou 35 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 50 ans de plus ; 8534 contre 85, ou 100 ÿ contre 1 , qu’elle ne vivra pas 55 ans de plus; 8595 contre 24, ou 358 contre 1, qu'elle ne vivra pas 60 ans de plus ; 8617 contre 2, ou 4308 { contre 1 , qu'elle ne vivra pas 65 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de trente-six ans. On peut parier 8284 contre 170, ou 48 © contre {, qu'une personne de 36 ans vivra 1 an de plus; 8284 contre °, ou 97 Z contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 8284 contre “©, ou 194 # contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 8284 contre {+ , ou 17786 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 8109 contre 345, ou 23 £ contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; PROBABILITÉS 7928 contre 526, ou 15 & contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 7741 contre 713, ou 10 $ contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus ; 7555 contre 899, ou 8 À contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 7370 contre 1084, ou 6 contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 7186 contre 1268, ou 5 À contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus ; 7007 contre 1447 , ou 4 5 contre 1, qu'elle vivra 8 ans de plus; 6835 contre 1619, ou 4 & contre 1, qu'elle vivra 9 ans de plus; 6034 contre 2420, ou 2 4 contre 1, qu'elle vivra 14 ans de plus; 5204 contre 3250, ou 1 Ë contre 1, qu’elle vivra 19 ans de plus; 4318 contre 4136, ou 1 contre 1, qu’elle vivra 24 ans de plus; 5083 contre 3371, ou 1 { contre 1, qu’elle ne vivra pas 29 ans de plus; 6049 contre 2405 , ou 2 { contre 1, qu’elle ne vivra pas 34 ans de plus ; 6971 contre 1483 , ou 4 ? contre 1, qu’elle ne vivra pas 39 ans de plus; 7791 contre 663, ou 11 ? contre 1, qu’elle ne vivra pas 44 ans de plus; 8217 contre 237, ou 34 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 49 ans de plus ; 8369 contre 85, ou 98 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 54 ans de plus; 8430 contre 24, ou 351 ? contre 1 , qu'elle ne vivra pas 59 ans de plus; 8452 contre 2, ou 4226 contre 1, qu’elle ne vivra pas 64 ans de plus c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pourune personne de trente-sept ans. On peut parier 8109 contre 175, ou 46 # contre 1, qu'une personne de 37 ans vivra 1 an de plus ; 8109 contre , ou 92 © contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 8109 contre , ou 185 # contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 8109 contre {, ou 16907 contre 1, qu'ell:ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 1928 contre 356, ou 22 & contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; DE LA DURÉE DE LA VIE. 591 1141 contre 543, ou 14 % contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus ; 1555 coutre 729, ou 10 # contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus ; 7370 contre 914, ou 8 ÿ, contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus ; 7186 contre 1098, ou 6 $ contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus ; 7007 contre 1277, ou 5 À contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus; 6835 eontre 1449, ou 4 contre 1, qu'elle vivra 8 ans de plus ; 6034 contre 2250, ou 2 & contre 1, qu'elle vivra 13 ans de plus ; 5204 contre 3080, ou 1 Z contre 1, qu’elle vivra 18 ans de plus ; 4318 contre 3966, ou 1 £ contre 1, qu’elle vivra 23 ans de plus ; 4913 contre 3371, ou 1 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 28 ans de plus; 5879 contre 2405 , ou 2 à contre 1 , qu'elle ne vivra pas 33 ans de plus ; 6801 contre 1483 , ou 4 À contre 1 , qu'elle ne vivra pas 38 ans de plus ; 7621 contre 663 , ou 11 ; contre 1 , qu'elle ne vivra pas 43 ans de plus; S047 contre 237, ou près de 34 contre 1, qu'elle ne vivra pas 48 ans de plus; S199 contre 85 , ou 96 à contre 1, qu’elle ne vivra pas 53 ans de plus; 8260 contre 24, ou 344 contre 1, qu'elle ne vivra pas 58 aus de plus; 8282 contre 2, ou 4141 contre 1, qu'elle ne vivra pas 63 ans de plus, c’est-à-dire en tout cent ans révolus. Pour une personne de trente-huil ans. On peut parier 7928 contre 181, ou 43 ? contre 1, qu'une per- sonne de 33 ans vivra 1 an de plus; 7928 contre ‘!, ou 87 $ contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 7928 contre !, ou 175 £ contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 7928 contre Êt, ou 15987 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 7741 contre 368, ou 21 4 contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 7555 contre 554, ou 13 Z contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 7370 contre 739, ou près de 10 contre #, gu'elle vivra 4 ans de plus; 7186 contre 923, ou 7 } contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 7007 contre 1102, ou 6 # contre 1, qu’elle vivra 6 ans de plus; 6835 contre 1274, où 5 £ contre {, qu'elle vivra 7 ans de plus; 6034 contre 2075 , ou 2 # contre 1, qu'elle vivra 12 ans @e plus; 5204 contre 2905, où 1 & contre 1, qu'elle vivra 17 ans de plus; 4318 contre 3791, ou 1 4 contre 1 , qu’elle vivra 22 ans de plus; 4738 contre 3371, où 1 & contre 1, qu’elle ne vivra pas 27 ans de plus; 5704 contre 2405, où 2 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 32 ans de plus; 6626 contre 1483, ou 4 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 37 ans de plus; 7446 contre 663 , ou 11 ff contre 1 , qu'elle ne vivra pas 42 ans de plus ; 7872 contre 237, ou 33 ÿ; contre 1 , qu’elle ne vivra pas 47 ans de plus; 8024 contre 85 , ou 94 ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 52 ans de plus; 8085 contre 24, ou près de 337 contre 1, qu'elle ne vivra pas 57 ans de plus; 8107 contre 2, ou 4053 à contre 1 , qu’elle ne vivra pas 62 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de trente-neuf ans. On peut parier 7741 contre 187, ou 41 Z contre 1, qu'une per- sonne de 39 ans vivra 1 an de plus ; 7741 contre ‘7, ou 823 contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 7741 contre 7, ou 165 à contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et, 7741 contre #7, ou 15109 contre 1 , quelle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 1555 contre 373, ou 20 & contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 7370 contre 558, ou 13 # contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus; 7186 contre 742, ou 9 Ÿ contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus; 7007 contre 921 , ou 7 & contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 552 6835 contre 1093, ou 6 $ contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 6034 contre 1894 , ou 3 {contre {, qu'elle vivra 11 aus de plus; 5204 contre 2724, ou 1 $ contre 1, qu'elle vivra 16 ans de plus; 4318 contre 3610 , ou 1 4 contre 1 , qu'elle vi- vra 21 ans de plus; 4557 contre 3371, ou 1 ; contre 1, qu'elle ne vivra pas 26 ans de plus; 5523 contre 2405, ou 2 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 31 ans de plus; 6445 contre 1483 , ou 4 # contre 1 , qu’elle ne vivra pas 36 ans de plus ; 7265 contre 663 , où 10 # contre {1 , qu'elle ne vivra pas 41 ans de plus; 7691 contre 237, ou 32 1 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 46 ans de plus; 7843 contre 85, ou 92 | contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 51 ans de plus; 7904 contre 24, ou 329 ; contre 1, qu'elle ne vivra pas 56 ans de plus; 7926 contre 2, ou 3963 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 61 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quarante ans. On peut parier 7555 contre 186, ou 40 # contre 1, qu’une personne de 40 ans vivra 1 an de plus ; 7555 contre ‘}°, ou 81 4 contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 7555 contre ‘©, ou 162 4 contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 1555 contre F5, ou près de 14826 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt- quatre heures ; 1310 contre 371, ou 19 © contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 7186 contre 555, ou 12 2 contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus; 7007 contre 734, ou 9 £ contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus ; 6835 contre 906, ou 7 & contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 6669 contre 1072, ou 6 { contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus ; 6516 contre 1225, ou 5 { contre 1, qu’elle vivra 7 ans de plus ; 8357 contre 1384, ou 4 ÿ, contre 1 , qu'elle vi- vra 8 ans de plus; PROBABILITÉS 6196 contre 1545, ou un peu plus de 4 contre 1, qu'elle vivra 9 ans de plus; 6034 contre 1707, ou 3 & contre 1, qu'elle vi- vra 10 ans de plus ; 5204 contre 2537, ou 2 & contre 1, qu'elle vi- vra 15 ans de plus ; 4318 contre 3423, ou 1 contre 1 , qu'elle vi- vra 20 ans de plus ; 4370 contre 3371 , ou 1 j; contre 1, qu'elle ne vivra pas 25 ans de plus; 5336 contre 2405, où 2 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus; 6258 contre 1483, ou 4 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 35 ans de plus ; 1078 contre 663 , ou 10 ? contre 1 , qu'elle ne vivra pas 40 ans de plus; 7504 contre 237, ou 31 © contre 1, qu’elle ne vivra pas 45 ans de plus ; 7656 contre 85, où 90 £ contre 1, qu'elle ne ‘vivra pas 50 ans de plus ; 7717 contre 24, ou 321 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 55 ans de plus; 7739 contre 2, ou 3869 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 60 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quarante et un ans. On peut parier 7370 contre 186, ou 39 Z contre 1, qu'une personne de 41 ans vivra 1 an de plus ; 7370 contre #6, ou 79 # contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 7370 contre ‘#5, ou 158 Z contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et 7370 contre #5, ou 14463 contre 1 , qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 7186 contre 369 , ou 19 € contre 1, qu’elle vi- vra 2? ans de plus; 7007 contre 548, ou 12 # contre 1, qu’elle vi- vra 3 ans de plus; 6835 contre 720, ou près de 9 4 contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus ; 6669 contre 886, ou 7 # contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 6516 contre 1039, ou 6 $ contre 1, qu'elle vi vra 6 ans de plus; 6357 contre 1198, ou 5 # contre 1, qu’elle vi- vra 7 ans de plus; 6196 contre 1359, ou 4 Z contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus ; DE 6034 contre 1521, ou 3 # contre 1 , qu’elle vi- vra 9 ans de plus; 5204 contre 2351, ou 2 £ contre 1 vra 14 ans de plus ; 1318 contre 2237, ou 1 À; contre 1, qu'elle vi- vra 19 ans de plus 4184 contre 3771, ou 1 # contre 1 vivra pas 24 ans de plus: 5150 contre 2405, ou 2 { contre 1, vivra pas 29 ans de plus ; 6072 contre 1483, ou 4 ;; contre 1; qu’elle ne vivra pas 34 ans de plus ; 6S92 contre 663, ou 10 $ contre 1, qu'elle ne vivra pas 39 ans de plus; 71318 contre 237, ou 30 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 44 ans de plus; 7470 contre 85, ou 87 % contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 49 ans de plus; 1531 contre 24, ou 313 % contre 1 vivra pas 54 ans de plus ; 7553 contre 2, ou 3776 : contre 1, qu’elle ne vivra pas 59 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. , qu'elle vi- , qu'elle ne qu'elle ne , qu'elle ne Pour une personne de quarante-deux ans. On peut parier 7186 contre 185, ou 38 # contre 1, qu'une personne de 42 ans vivra 1 an de plus ; 7186 contre #, ou 77 6 mois ; 7186 contre ©, ou 155 À contre 1 , qu’elle vi- vra 3 mois; et 7186 contre {, ou près de 14178 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt- quatre heures ; 7007 contre 363, ou 19 { contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus : s 6835 contre 535 , ou 12 # contre 1, qu’elle vi- vra 3 ans de plus; 6669 contre 701, ou 9 © contre 1, qu'elle vivra 4 ans de dus 6516 contre 854, ou 7 # contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus : 6357 contre 1013, ou près de 6 { contre 1, qu'elle vivra 6 ans de nt : 6196 contre 1174, ou 5 # contre 1, qu’elle vi- vra 7 Ans de pu 6034 contre 1336, ou 4 À contre 1, qu'elle vivra 8 ans de te ur, - contre 1, qu’elle vivra LA DURÉE DE LA VIE. 359 5204 contre 2166, ou 2 X contre 1, qu'elle vivra 13 ans de plus; 4318 contre 3052, ou 1 ? contre 1, qu'elle vi- vra 18 ans de pins; 3999 contre 3371, ou 1 à contre 1, qu'elle ne vivra pas 23 ans de plus; 4965 contre 2405, ou 2 + contre 1, qu'elle ne vivra pas 28 ans de plus; 5887 contre 1483, uu près de 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 33 ans de plus; 6707 contre 663, ou 10 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 38 ans de plus: 7133 contre 237, ou 30 & contre 1 vivra pas 43 ans de plus; 7285 contre 85 , ou 85 #2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 48 ans de plus ; 7346 contre 24, ou 306 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 53 ans de plus; 7368 contre 2, ou 3684 contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 58 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. , qu'elle ne Peur une personne de quaranle-trois ans. On peut parier 7007 contre 184, ou 38 À contre 1, qu’une personne de 43 ans vivra 1 an de plus ; 7007 contre #5, ou 76 £ contre 1, qu’elle vivra 6 mois; 7007 contre {#, ou 152 À contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et 7007 contre £#, ou 13900 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 6835 contre 351, ou 19 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus: 6669 contre 517 , ou 12 € contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de vus: 6516 contre 670, ou 9 € contre 1 , qu’elle vivra 4 ans de pue 6357 contre 829 , ou 7 à 5 ans de rt ; 6196 contre 990, ou un peu plus de 6 contre 1, qu’elle vivra 6 ans de plus ; 6034 contre 1152, ou 5 2 contre 1, qu’elle vi- vra 7 ans de Qué 5204 contre 1982, ou 2 € contre 1, qu’elle vivra 12 ans de ar 4318 contre 2868 , ou 1 4 contre 1, qu'elle vi- vra 17 ans de pins: 3 contre 1 , qu’elle vivra 23 554 PROBABILITÉS 3815 contre 3371 , ou 1 £ contre 1, qu’elle ne vivra pas 2 9 ans de plus; 4781 contre 2405 ,ou près de2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 27 ans de plus; 5703 contre 1483, ou 3 £contre 1, qu'elle ne vivra pas 32 ans de plus ; 6523 contre 663, ou 9 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 37 ans de plus; 6949 contre 237 , ou 29 Zcontre1, vivra pas 42 ans de plus; 7101 contre 85, ou 83 & contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 47 ans de plus: 7162 contre 24, ou 298 contre 1, qu'elle ne vivra pas 52 an de plus; 7184 contre 2, ou 3592 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 57 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. qu'elle ne Pour une personne de quarante-quatre ans. On peut parier 6835 contre 179, ou 38 £ contre 1, qu'une per- sonne de 44 cn vivra 1 ans de plus; 6835 contre “À, ou 76 & contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 6835 contre ‘, ou 152 2 contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 6835 contre {© , ou 13937 contre 1 , qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 6669 contre 338, ou 19 À contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 6516 contre 491 , ou 13 # contre 1 , qu'elle vi- vra 3 Bus de plus; 6357 contre650, ou 9 # contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus: 6196 contre 811, ou 7 contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 6034 contre 973, ou 6 { contre 1 , qu'elle vivra 6 ans de plus; 5204 contre 1803, ou 2 contre 1, qu’elle vivra 11 ans de plus; 4318 contre 2689 , ou 2 À contre 1 , qu’elle vi- vra 16 ans de plus; 3636 contre 3371 , ou 1 Z contre 1, qu’elle vi- vra 21 ans de plus; 4602 contre 2405 , ou 1 # contre 1 , qu’elle ne vivra pas 26 ans de plus ; 5524 contre 1483, ou 35 contre 1, qu'elle ne vivra pas 31 ans de plus; 6344 contre 663, ou 9 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 36 ans de plus; 6770 contre 237, ou 28 # contre 1 , qu’elle ne vivra pas 41 ans de plus ; 6922 contre 85 , ou 81 # contre 1 , qu’elle ne vivra pas 46 ans de plus; 6983 contre 24, ou près de 291 contre 1, qu'elle ne vivra pas 51 ans de plus ; 7005 contre 2, ou 35024 contre 1, qu’elle ne vivra pas 56 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quarante-cing ans On peut parier 6669 contre 172, ou 39 Z contre 1, qu'une per- sonne de 45 ans vivra 1 an de plus, 6669 contre #2, ou 78 contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 6669 contre “2, ou 156 ; contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 6669 contre #2, ou 14152 contre, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 6516 contre 319, ou 20 © contre 1 , qu'elle vi- vra 2 ans de plus! 6357 contre 478, ou 13 # contre 1, qu ‘elle vivra 3 ans de plus ; 6196 contre 639, ou 9 # contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus ; 6034 contre 801 , ou 7 % contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 5871 contre 964, ou 6 # contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 5707 contre 1128 , ou 5 & contre 1, qu'elle vi- vra 7 ans de plus; 5542 contre 1293, ou 4 { contre 1, qu’elle vivra 8 ans de plus; 5374 contre 1461, ou 3 & contre 1, qu’elle vivra 9 ans de plus; 5204 contre 1631 , ou 3 # contre 1, qu’elle vi- vra 10 ans de plus; 4318 contre 2517 , ou 1 & contre 1 , qu'elle vi- vra 15 ans de plus; 3464 contre 3371 , ou un peu plus de 1 contre 1,qu'elle ne vivra pas 20 ans de plus ; 4430 contre 2405, ou 1 Ë contre 1 , qu'elle ne vivra pas 25 ans de plus; 5352 contre 1483, ou 3 # contre 1 , qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus, 6172 contre 663, ou 9 , contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 35 ans de plus; 6598 contre 237, ou 27 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 40 ans de plus; DE LA DURÉE DE LA VIE, 6750 contre 85, ou 79 5 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 45 ans de plus; 6811 contre 24, ou 283 Ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 50 ans de plus; 6833 contre 2, ou 3416 contre 1, qu'elle ne vivra pas 55 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quarante-siæ ans. On peut parier 6516 contre 166, ou 39 { contre 1, qu'une per- sonne de 46 ans vivra 1 an de plus; 6516 contre “, ou 78 { contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 6516 contre #5, ou 157 contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 6516 contre 1%, ou 14327 { contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 6357 contre 312, ou 20 £ contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 6196 contre 473, ou 13 £ contre 1, qu’elle vi- vra 3 ans de plus; 6034 contre 635, ou 9 À contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 5871 contre 798, ou 7 # contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 5707 contre 962, ou 5 Ë contre 1, qu’elle vivra 6 ans de plus ; 5542 contre 1127, ou 4% contre 1, qu'elle vi- vra 7 ans de plus; 5374 contre 1295, ou 4 # contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus; 5204 contre 1465, ou 3 À contre 1, qu'elle vi- vra 9 ans de plus; 5031 contre 1638, ou 3 4 contre 1, qu'elle vi- vra 10 ans de plus; - 4680 contre 1989 , ou près de 2 £ contre 1, qu'elle vivra 12 ans de plus; 4318 contre 2351 , ou 1 © contre 1, qu'elle vi- vra 14 ans de plus; 3371 contre 3298 , ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 19 ans de plus; 4264 contre 2405 , ou 1 5 contre 1 , qu’elle ne vivra pas 24 ans de plus; 5186 contre 1483, ou à peu près 3 { contre 1, qu'elle ne vivra pas 29 ans de plus: 6006 contre 663, ou 9 & contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 34 ans de plus; 6432 contre 237, ou 27 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 39 ans de plus; 395 6584 contre 85, où 77 Ë contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 44 ans de plus; * 6645 contre 24, ou 276 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 49 ans de plus ; 6667 contre 2, ou 3333 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 54 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quarante-sept ans. On peut parier 6357 contre 159, ou près de 40 contre 1, qu'une personne &e 47 ans vivra { an de plus ; 6357 contre , ou près de 80 contre 1, qu’elle vivra 6 mois; 6357 contre, ou près de 160 contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 6357 contre 5}, ou 14593 contre { , qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 6196 contre 320, ou 19 & contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 6034 contre 482, ou 12 À contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus; 5871 contre 645, ou 9 Ë contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus; 5707 contre 809, ou 7 4 contre {, qu’elle vivra 5 ans de plus; 5542 contre 974, ou 5 ? contre 1, qu’elle vivra 6 ans de plus; 5374 contre 1142, ou4 contre 1, qu’elle vivra 7 ans de plus; 5204 contre 1312, ou près de 4 contre 1, qu'elle vivra 8 ans de plus; 4857 contre 1659, ou 2 Ÿ contre {, qu'elle vi- vra 10 ans de plus ; 4501 contre 2015, ou 2 { contre 1, qu’elie vi- vra {2 ans de plus ; 4318 contre 2198, ou près de ? contre 1, qu'elle vivra 13 ans de plus; 3947 contre 2569, ou 1 & contre 1, qu’elle vi- vra 15 ans de plus; 3371 contre 3145 , ou 1 contre 1, qu’elle vi- vre 18 ans de plus; 4111 contre 2405 , ou 1 Ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 23 ans de plus; 5033 contre 1483, ou 3 ;; contre 1, qu'elle ne vivra pas 28 ans de plus; 5855 contre 663, ou 8 À contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 33 ans de plus; 6279 contre 237, ou près de 26; contre 1, qu’elle ne Vivra pas 38 ans de plus; 3 131 contre 85,0u75 contre 1, qu’elle ne vivra pas 43 ans de plus; 6492 contre 24, ou 270 ÿ contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 48 ans de plus; 6514 contre 2, ou 3257 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 53 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quarante-huil ans On peut parier 6196 contre 161, ou 38 Zcontre 1, qu'une per- sonne de 48 ans vivra 1 an de plus; 6196 contre ‘5, où 76 & contre 1, qu’elle vivra 6 mois; 6196 contre {!, ou 153 Ÿ contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 6196 contre {%!, ou 14047 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 6034 contre 323, ou 18 ? contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 5871 contre 486, ou 12 {; contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus; 5107 contre 650, ou 8 {! contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 5542 contre 815, ou 6 Ÿ contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 5374 contre 983, ou 5 & contre f, qu'elle vivra 6 ans de plus; 5204 contre 1153, ou un peu plus de 4 £ contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus; 4680 contre 1677 , ou 2 # contre 1, qu'elle vivra 10 ans de plus; 4318 contre 2039, ou 2 # contre 1 , qu'elle vivra 12 ans de plus; 3758 contre 2599, ou 1 © contre 1, qu’elle vivra 15 ans de plus; 3371 contre 2986, ou 1 ;; contre 1, qu'elle vivra 17 ans de plus; 3182 contre 3175, où un peu plus de 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 3952 contre 2405, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 22 ans de plus; 4874 contre 1483, ou près de 3 Z contre f{, qu'elle ne vivra pas 27 ans de plus; 5694 contre 663, ou 8 € contre 1, qu'elle ne vivra pas 32 ans de plus; 6120 contre 237, ou 25 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 37 ans de plus; 6272 contre 85, ou près de 75 contre 1, qu'elle ue vivra pas 42 ans de plus ; PROBABILITÉS 6333 contre 24, ou 263 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 47 ans deplus, 6355 contre 2, ou 3177 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 52 ans de plus, c'est-à- dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quarante-neuf ans. On peut parier 6034 contre 162, ou 37 { contre 1, qu’une per- sonne de 49 ans vivra 1 an de plus; 6034 contre ?, ou 74 £ contre 1 , qu’elle vivra 6 mois; 6034 contre ‘2, ou 149 contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 6034 contre #?, ou 13595 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 5871 contre 325, ou 18 # contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 5707 contre 489, ou 11 ? contre 1 , qu’elle vivra 3 ans de plus; 5542 contre 654 , ou 8 # contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 3 5374 contre 822, ou 6 Z contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 5204 contre 992, ou 5 £ contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 5031 contre 1165, ou 4 # contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus; 4857 contre 1339, ou 3 £ contre 1, qu’elle vivra 8 ans de plus ; 4501 contre 1695, ou 2 # contre 1, qu’elle vivra 10 ans de plus; 4318 contre 1878, ou 2 # contre 1, qu'elle vivra 11 ans de plus ; 4133 contre 2063, ou un peu plus de 2 contre 1, qu'elle vivra 12 ans de plus: 3568 contre 2628, ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 15 ans de plus ; 3371 contre 2825, ou 1 ; contre 1, qu'elle vivra 16 ans de plus; 3216 contre 2980, ou 1 à contre 1, qu'eile ne vivra pas 18 ans de plus; 3791 contre 2405, ou 1 # contre 1, qu'elle ne yivra pas 21 ans de plus ; 4713 contre 1483, ou 3 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 26 ans de plus; 5533 contre 663, où 8 { contre 1 , qu’elle ne vivra pas 31 ans de plus; 5959 contre 257, ou 25 contre 1, qu'elle ne vivra pas 36 ans de plus; | | | sitio À DE LA DURÉE DE LA VIE. 557 6111 contre 85, ou 71 { contre 1, qu’elle ne | 6010 contre 24, ou 250 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 41 ans de plus; 6172 contre 24, ou 257 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 46 ans de plus; 6194 contre 2, ou 3097 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 51 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de cinquante ans. On peut parier, 5871 contre 163, où un peu plus de 36 contre 1, qu'une personne de 50 ans vivra 1 an de plus; 5871 contre ‘, ou un peu plus de 72 contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 5871 contre ‘5, ou un peu plus de 144 contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 5871 contre {5, ou près de 13147 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt- quatre heures; 5707 contre 327, ou 17 Æ contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 5542 contre 492, ou 11 % contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 5374 contre 660, ou 8 à contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; _ 5204 contre 830, ou 6 ; contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 5031 contre 1003, ou un peu plus de 5 contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 4680 contre 1354 , ou 3 £ contre 1 , qu'elle vivra 8 ans de plus; 4318 contre 1716, ou un peu plus de 2 4 contre 1, qu'elle vivra 10 ans de plus; 3947 contre 2087, ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 12 ans de plus; 3371 contre 2663, ou 1 & contre 1, qu'elle vivra 15 ans de plus; 3054 contre 2980 , ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus ; 3629 contre 2405 , ou un peu plus de 1 { contre 1, qu'elle ne vivra pas 20 ans de plus; 4551 contre 1483, ou 3 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 25 ans de plus; 5371 contre 663, ou 8 ;; contre 1, qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus; 5797 contre 237, ou 24 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 35 ans de plus; 5949 contre 85, ou 67 ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 40 ans de plus ; vivra pas 45 ans de plus; 6032 contre 2, où 3016 contre 1, qu'elle ne vivra pas 50 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de cinquante-un ans. On peut parier 5707 contre 164, ou 34 # contre 1, qu'une personne de 51 ans vivra 1 au de plus; 5707 contre ‘*, ou 69 Ÿ contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 5707 contre ‘#, ou 139 { contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 5707 contre {5}, ou 12702 contre 1. qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 5542 contre 329, ou 16 Z contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 5374 contre 497, ou 10 $ contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus ; 5204 contre 667, ou 7 # contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus ; 5031 contre 840 , ou près de 6 contre 1 , qu'elle vivra 5 ans de plus ; 4680 contre 1191, ou 3 # contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus; 4318 contre 1553 , ou 2 ? contre 1, qu'elle vivra 9 ans de plus; 3758 contre 2113, ou 1 © contre 1, qu'elle vivra 12 ans de plus ; 3371 contre 2500, où 1 À contre 1, qu'elle vivra 14 ans de plus; 2980 contre 2891, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle vivra 16 ans de plus; 3466 contre 2405, ou 1 ; contre 1 , qu'elle ne vivra pas 19 ans de plus; 4388 contre 1483, ou près de 3 contre 1, qu'elle ne vivra pas 24 ans de plus; 5208 contre 663 , ou 7 ? contre 11, qu'elle ne vivra pas 29 ans de plus; 5634 contre 237, ou 23 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 34 aus de plus ; 5786 contre 85, ou un peu plus de 68 contre 1, qu'elle ne vivra pas 39 ans de plus ; 5847 contre 24, eu 243 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 44 ans de plus; 5869 contre 2, ou 29314 { contre 1, qu'elle ne vivra pas 49 de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. 358 Pour une personne de cinquante-deux ans. On peut parier 5542 contre 165, ou 33% contre 1 , qu'une per- sonne de 52 ans vivra 1 an de plus; 5542 contre ‘5, ou 67 { contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 5542 contre ‘#5, ou 134 f contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 5542 contre 4, ou 12259 # contre 1, qu'ellene mour'a pas dans les vingt-quatre heures : 5374 contre 333. ou 16 £ contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 5204 contre 503, ou 17 # contre 1, qu’elle vi- vra 3 ans de plus; 5031 contre 676, ou un peu plus de 7 ? contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 4857 contre 850, ou 5 contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 4680 contre 1027, ou un peu plus de 4{ contre , qu'elle vivra 6 ans de plus; 4318 contre 1389, ou 3 £ contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus ; 3947 contre 1760, ou 2 4 contre 1, qu'elle vi- vra 10 ans de plus ; 3371 contre 2336, ou 1 Pcontre 1, qu'elle vi- vra 13 ans de plus; 2980 contre 2727, ou 1 & contre 1, qu'elle vi- vra 15 ans de plus; 2921 contre 2786, ou 1 & contre 1, qu’elle ne vivra pas 16 ans de plus ; 3302 contre 2405 , ou 4 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus ; 4224 contre 1483, ou 2 ÿ contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 23 ans de plus; 5044 contre 663, ou 7 © contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 28 ans de plus; 5470 contre 237, ou 23 & contre1, qu’elle ne vivra pas 33 ans de plus; 5622 contre 85, ou 66 { contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 38 ans de plus; 5683 contre 24, ou 236 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 43 ans de plus; 5705 contre 2, ou 2852$ contre 1, qu’elle ne vivra pas 48 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de cinquante-trois ans. On peut parier 5374 contre 168, ouprès de 32 contre 1, qu'une PROBABILITÉS personne de cinquante-trois ans vivra 1 an de plus; 5374 contre ‘#5, ou près de 64 contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 5374 contre !5, ou près de 128 contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 5374 contre ff$, ou 11675 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 5204 contre 338, ou 15 # contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 5031 contre 511, ou 9j; contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus; 4857 contre 685, ou 7 # contre 1, vra 4 ans de piGe! 4680 contre 862, ou 5 # contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 4501 contre 1041, ou 4 # contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; 4318 contre 1224, ou 3 À contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus; 4133 contre 1409, ou 2 # contre 1, qu’elle vi- vra 8 ans de plus; 3947 contre 1595, ou 24 contre 1, qu'elle vivra 9 ans de plus ; 3758 contre 1784, ou 2 ;; contre 1, qu ‘elle vi- vra 10 ans de plus ; qu'elle vi- 3568 contre 1974, ou 1 Ÿ contre 1, qu “elle vi-- vra 11 ans de plus ; 3371 contre 2171 , ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 12 ans de plus ; 2786 contre 2756 , ou un peu plus de 1 contre 1, qu’elle M 15 ans de plus; 3137 contre 2405, ou 1 Z contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 Fr de plus ; 4059 contre 1483, ou 2 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 22 ans de plus ; 4879 contre 663 , ou 7 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 27 ans de plus ; 5305 contre 237, ou 22 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 32 ans de plus ; 5457 contre 85, ou 64 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 37 ans de plus; 5518 contre 24, ou 229 { contre 1, qu'elle ne vivra pas 42 ans de plus; 5540 contre 2, ou 2770 contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 47 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de cinquante-quatre ans. L On peut parier 5204 contre 170, ou 30 # contre 1, qu'une per- DE LA DURÉE DE LA VIE. 559 sonne de 54 ans vivra 1 an de plus; 5204 contre ‘9, ou 61 # contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 5204 contre {°, ou 122 # contre 1, qu'elle vi- vra 8 mois; et 5204 contre {?, ou 11173 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 5031 contre 343 , ou 14 {{ contre 1, qu’elle vi- vra 2? ans de plus ; 4857 contre 517, où 9 Scontre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 4680 contre 694, ou 6 contre 1 , qu'elle vivra 4 ans de plus; 4501 contre 873, ou 5 Ë contre 1, qu'elle vi- vra 5 ans de plus; 4318 contre 1056, ou 4 À, contre 1, qu'elle vi- vra 6 ans de plus; 3947 contre 1427, ou 2 # contre {, qu’elle vi- vra 8 ans de plus; 3568 contre 1806, ou près de 2 contre 1, qu’elle vivra 10 ans de plus ; 3371 contre 2003, ou 1 Ÿ contre 1, qu'elle vi- vra 11 ans de plus; 3175 contre 2199, ou 1 À contre 1 , qu'elle vi- vra 12 ans de plus; 2786 contre 2588, ou 1 & contre 1, qu'elle vi- vra 14 ans de plus; 2969 contre 2405 , ou 1 Z contre 1 , qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus; 3891 contre 1483, où 2 © contre 1, qu’elle ne vivra pas 21 ans deplus; 4711 contre 663, ou 7 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 26 ans de plus ; 5137 contre 237, ou 21 #£ contre 1 , qu'elle ne vivra pas 31 ans de plus ; 5289 contre 85, ou 62 { contre 1, qu'elle ne vivra pas 36 ans de plus ; 5350 contre 24 , ou 222 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 41 ans de plus ; 5372 contre 2 ou 2686 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 46 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus, Pour une personne de cinquanle-cinq ans. On peut parier 5031 contre 173, ou 29 £ contre 1, qu'une personne de 55 ans vivra 1 an de plus ; 5031 contre ‘5, ou 58 2 contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois; 5031 contre 5, où 116 £ contre 1, qu’elle vi- vra 3 mois; et 5031 contre {5 ou un peu plus de 10614 ; contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 4857 contre 347, ou 14 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 4680 contre 524, ou 8 # contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 4501 contre 703, ou 6? contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus ; 4318 contre 886, ou 4 ? contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 4133 contre 1071, ou 3 # contre 1, qu'elle vi- vra 6 ans de plus; 3758 contre 1446, ou 2 $ contre 1, qu'elle vivra 8 ans de plus; 3371 contre 1833, ou 1 3 contre 1, qu'elle vivra 10 ans de plus; 2980 contre 2224, ou 1 % contre 1, qu’elle vi- vra 12 ans de plus; 2609 contre 2595, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus ; 2799 contre 2405 , ou 1 { contre 1 , qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 3721 contre 1483 , ou 24 contre 1, qu’elle ne vivra pas 20 ans de plus; 4541 contre 663, ou 6 à contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 25 ans de plus; 4967 contre 237, ou près de 21 contre 1, qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus ; 5119 contre 85, ou 60 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 35 ans de plus; 5180 contre 24, ou 215 © contre 1, qu'elle ne vivra pas 40 ans de plus; 5202 contre 2, ou 2601 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 45 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus, Pour une personne de cinquante-six ans. On peut parier 4857 contre 174, ou 27 © contre 1, qu'une per- sonne de 56 ans vivra 1 an de plus; 4857 contre {#, ou 55 Ë contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 4857 contre {%#, ou 111 # contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois; et 4857 contre {#, ou 10189 à peu près contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt- quatre heures; S0Ù 4680 contre 351, ou 13 {contre 1, qu'elle vi- vra 2? ans de plus; 4501 contre 530,ou8 Æcontre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 4318 contre 713, ou 6 # contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus ; 3947 contre 1084, ou 3 É contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus ; 3568 contre 1463, ou 2 5 contre 1, qu'elle vivra 8 ans de plus; 3371 contre 1660, ou un peu plus de 2 contre 1, qu'elle vivra 9 ans de plus; 2786 contre 2245, ou 1 3; contre 1, qu'elle vi- vra 12 ans de plus; 2595 contre 2436, ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 13 ans de plus ; 2626 contre 2405, ou 1 ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus ; 3548 contre 1483, ou 2 À contre 1 , qu'elle ne vivra pas 19 ans de plus; 4368 contre 663, ou 6 { contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 24 ans de plus ; 4794 contre 237, ou 20 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 29 ans de plus; 4946 contre 85, ou 58 { contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 34 ans de plus ; 5007 contre 24, ou 208 À contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 39 ans de plus ; 5029 contre 2, ou 2514 { contre 1, qu'elle ne vivra pas 44 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de cinquante-sept ans. On peut parier 4680 contre 177, ou 26 Z contre 1, qu'une personne de 57 ans vivra 1 an de plus ; 4680 contre #7, ou 52 # contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 4680 contre #7, ou 105 # contre 1, qu'elle vi- vra 3 Mois ; et 4680 contre #7, ou 9651 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 1501 contre 356, ou 122 contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 4318 contre 539, ou un peu plus des contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus ; 4133 contre 724, ou 5? contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 3947 contre 910, ou 4 ! contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; | PROBABILITÉS 3758 contre 1099 , ou 3 ? contre 1, qu’elle vi. vra 6 ans de plus; 3568 contre 1289, ou 2} contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus; 3371 contre 1486, ou 2 # contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus; 3175 contre 1682, ou 1 ? contre 1, qu’elle vi- vra 9 ans de plus; 2980 contre 1877, ou 1 # contre 1, qu’elle vi- vra 10 ans de plus ; 2786 contre 2071,ou 1 3 contre 1, qu’elle vivra 11 ans de plus ; 2595 contre 2262, ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 12 ans de plus ; 2452 contre 2405 , ou un peu plus de 1 contre 1, qu'ellene vivra pas 13 ans deplus ; 3374 contre 1483, ou 2 contre 1, qu’elle ne vivra pas 18 ans de plus ; 4194 contre 663, ou 6 Z contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 22 ans de plus ; 4620 contre 237, ou 19 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 28 ans de plus; 4772 contre 85, ou 56 { contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 33 ans de plus; ; 4833 contre 24, ou 201 À contre 1 , qu’elle ne vivra pas 38 ans de plus ; 4855 contre 2, ou 2427 : contre 1 , qu'elle ne vivra pas 43 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de cinquante-huit ans. On peut parier 4501 contre 179, ou 25 À contre 1, qu'une per- sonne de 58 ans vivra 1 un de plus ; 4501 contre , ou 50 # contre 1, qu’elle vi- vra 6 mois ; 4501 contre ‘©, ou 100 & contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et 4501 contre #9, ou 9178 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 4318 contre 362, ou 11 # contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 4133 contre 547, ou 7 écontre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus ; 3947 contre 733, ou 5 À contre 1, qu’elle vi- vra 4 ans de plus; 3758 contre 922, ou 4 & contre 1, qu’elle vi- vra 5 ans de plus ; 3568 contre 1112, ou 3 à contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus ; DE LA DURÉE DE LA VIE. s61 3371 contre 1309, ou 2 À contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus ; 3175 contre 1505, ou 2 À contre 1 , qu'elle vivra 8 ans de plus ; 2980 contre 1700, ou 1 Ÿ contre 1, qu'elle vi- vra 9 ans de plus ; 2786 contre 1894, ou 1 $ contre 1, qu'elle vi- vra 10 ans de plus; 2595 contre 2085, ou 1 { contre 1, qu’elle vi- vra 11 ans de plus ; 2405 contre 2275, ou 1 % contre 1, qu'elle vi- vra 12 ans de plus ; 2464 contre 2216, ou 1 # contre 1 , qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus ; 2839 contre 1841, ou un peu plus de 1 {contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 3197 contre 1483 , ou 2 + contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus; 4017 contre 663, ou 6% contre 1, qu'elle ne vivra pas 22 ans de plus; 4443 contre 237, ou 18 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 27 ans de plus ; 4595 contre 85, ou un peu plus de54 contre 1, qu'elle ne vivra pas 32 ans de plus ; 4656 contre 24, ou 194 contre 1, qu’elle ne vivra pas 37 ans de plus; 4678 contre 2, ou 2339 contre 1, qu'elle ne vivra pas 42 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de cinquante-neuf ans. On peut parier 4318 contre 183, ou 23 À contre t, qu'une per- sonne de 59 ans vivra 1 an de plus; 4318 contre ‘5, ou 47 À contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois; 4318 contre ‘#, ou 94 5 contre 1 , qu'elle vivra 4 mois ; et 4318 contre ‘5, ou 8612 TX contre 1 , qu'elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 4133 contre 368, ou 41 ? contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 3947 contre 554, ou 7 & contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus; 3758 contre 743, ou 5 À contre 1 , qu'elle vi- vra 4 ans de plus ; 3568 contre 933, ou 3 ? contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus ;. 3371 contre 1130, ou près de3 contre, qu'elle vivra 6 ans de plus; 3175 contre 1326, ou 2 À contre 1, qu'elle vi- vra 7 aus de plus ; 2980 contre 1521, ou un peu moins de 2 con- tre 1, qu'elle vivra 8 ans de plus; 2786 contre 1715, ou 1 4 contre 1, qu'elle vi- vra 9 ans de plus ; 2595 contre 1906, ou { Z contre 1, qu'elle vi- vra 10 ans de plus; 2405 contre 2096, ou 1 & contre 1, qu'elle vi- vra 11 ans de plus ; 2285 contre 2216, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 2841 contre 1660, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus ; 3018 contre 1483 , ou un peu plus de 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus : 3838 contre 663, ou 5 © contre 1, qu'elle ne vivra pas 21 ans de plus ; 4264 contre 237 , ou près de 18 contre 1, qu'elle ne vivra pas 26 ans de plus ; 4416 contre 85, ou 53 £ contre 1, qu'elle ne vi: vra pas 31 ans de plus; 4477 contre 24, ou 186 # contre 1 , qu'elle ne -_ vivra pas 36 ans de plus; 4499 contre 2, ou 2249 £ contre 1, qu'elle n« vivra pas 41 ans de plus, c'est-à-dire - en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante ans. On peut parier 4133 contre 185, ou 22 À contre 1, qu'une per- sonne de 60 ans vivra un an de plus; 4133 contre ‘©, ou 44 © contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 4133 contre ‘+, ou 89 ? contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 4133 contre 5, ou 8154 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 3947 contre 371, ou 10 E contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus ; 3758 contre 560 , ou 6 % contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus; 3568 contre 750 , ou 4 ÿ contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 3371 contre 947, ou 3 5 contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus ; 3175 contre 1143, ou 2 # contre 1, qu'elle vi- vra 6 ans de plus; 2980 contre 1338, ou 2 £ contre 1, qu'elle vi- vra 7 ans de plus ; 362 2786 contre 1532, ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus; 2595 contre 1723, ou 1 £ contre 1 , qu’elle vi- vra 9 ans de plus; 2105 contre 1918, ou 1 # contre 1 , qu’elle vi- vra 10 ans dé plus ; 2216 contre 2102, ou 1 # contre 1 , qu’elle vi- vra 11 ans de plus ; 2290 contre 2028, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 2835 contre 1483, ou près de 2 contre 1, qu’elle ne vivra pas 15 ans de plus ; 3354 contre 964, ou 8 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus ; 3655 contre 663, ou 5 Æ contre 1 , qu'elle ne vivra pas 20 ans de plus ; 4081 contre 237 , ou 17 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 25 ans de plus ; 4233 contre 85 , ou 49 3 contre 1, qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus ; 4294 contre 24, ou 178 # contre 1 , qu’elle ne vivra pas 35 ans de plus ; 4316 contre 2, ou 2158 contre 1, qu'elle ne vivra pas 40 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-un ans. On peut parier 3947 contre 186 , ou 21 ? contre 1 qu'une per- sonne de 61 ans vivra À an de plus ; 3947 contre #5, ou 42 $ contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 3947 contre #, ou 84 $ contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 8947 contre {#$, ou 7745 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures : 3758 contre 375, ou un peu plus de 10 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 8568 contre 565, ou 6 ? contre 1 , qu'elle vivra 3 ans de plus ; 3371 contre 762, ou 4 À contre 1, qu’elle vi- vra 4 ans de plus; 3175 contre 958, ou 3# contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus ; 2980 contre 1153, ou 2 £ contre 1, qu'elle vi- vra 6 ans de plus ; 2786 contre 1347 , ou 2 # contre 1, qu'elle vi- vra 7 ans de plus ; 2595 contre 1538, ou 1 % contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus; PROBABILITÉS 2405 contre 1728, ou 1 contre 1 , qu’elle vi- vra 9 ans de plus ; 2216 contre 1917, ou 1 contre 1, qu'elle vi- vra 10 ans de plus ; 2105 contre 2028, ou un peu plus de 1 contre t, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus ; 2292 contre 1841 , ou 1 3 contre 1, qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 2650 contre 1483 , ou 1 “contre 1, qu’elle ne vivra pas 14 ans de plus; 2825 contre 1308 , ou 2 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 15 ans de plus ; 3169 contre 964, ou 3 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus; 3470 contre 663, ou 5 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 19 ans de plus; 3593 contre 540, ou 6 , £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 20 ans de plus ; 3779 contre 354, ou 10 ? contre 1, qu’elle ne vivra pas 22 ans de plus ; 3896 contre 237, ou {6 contre 1, qu'elle ne vivra pas 24 ans de plus ; 4048 contre 85, ou 47 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 29 ans de plus ; 4109 contre 24, ou 171 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 34 ans de plus ; 4131 contre 2, ou 2065 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 39 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-deux ans. On peut parier 3758 contre 189, ou 19 5 contre 1, qu'une per- sonne de 62 ans vivra 1 an de plus; 3758 contre ?, ou 39 ? contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 3758 contre ‘#, ou 79 5 contre 1 ; qu’elle vivra 3 mois; et 3758 contre ?, ou 7204 {# contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 3568 contre 379, ou 9 © contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 3371 contre 576, ou 5 À contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus ; 3175 contre 772, ou 4 £ contre 1 , qu’elle vi- vra 4 ans de plus ; 2980 contre 967, ou 3 & contre 1 , qu'elle vivra 5 ans de plus; 2786 contre 1161, ou 2 # contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus; DE LA DURÉE DE LA VIE. 2595 contre 1352, ou 1 # contre 1 , qu'elle vi- vra 7 ans de plus; 2405 contre 1542, ou 1 & contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus; 2216 contre 1731, où 1 # contre 1 , qu’elle vi- vra 9 ans de plus; 2028 contre 1919, ou 1 & contre 1 , qu’elle vi- vra 10 ans de plus; 2106 contre 1841 , ou 1 4 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus; 2287 contre 1660 , ou 1 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus; 2464 contre 1483, où 1 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus; 2639 contre 1308, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus; 2813 contre 1134, ou 2 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 2983 contre 964, ou près de 3 contre {, qu’elle ne vivra 16 ans de plus ; 3140 contre 807, ou 3 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus; 3284 contre 663, ou près de 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 3510 contre 437, ou 8 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 20 ans de plus; 3710 contre 237 , ou 15 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 23 ans de plus; 3862 contre 85, ou 45 ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 28 ans de plus; 3923 contre 24 , ou 162 À! contre 1, qu'ellene vivra pas 33 ans de plus; 3945 contre 2, ou 1972 4 contre 1, qu’elle ne vivra pas 38 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-lrois ans. On peut parier 3568 contre 190, ou à peu près 18 # contre 1, qu’une personne de 63 ans vivra 1 an de plus; 3568 contre {%, ou à peu près 37 # contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 3568 contre “, ou à peu près 75 4 contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 3568 contre {% ou 6854 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 3371 contre 387, ou 8 ? contre {, qu'elle vivra 2 ans de plus; 365 3175 contre 583, ou 5 4 contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 2980 contre 778, ou 8 £ contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus ; 2786 contre 972, ou 2 À contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 2595 contre 1163, ou 2 ÿ contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus ; 2405 contre 1353, ou 1 & contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus ; 2216 contre 1542, ou 1 ? contre 1 , qu'elle vi- vra 8 ans de plus ; 2028 contre 1730, ou 1 À contre 1, qu'elle vi- vra 9 ans de plus ; 1917 contre 1841, ou un peu plus de 1 contre 1,qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus; 2098 contre 1660, ou 1 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus ; 2275 contre 1483 , ou 1 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus; 2450 contre 1308, ou 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus; 2624 contre 1134, ou 2 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 14 ans de plus; 2794 contre 964, ou 2 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 2951 contre 807, ou 3 À contre 1, vivra pas 16 ans de plus; 3095 contre 663, ou 4 ? contre 1, vivra pas 17 ans de plus; 3218 contre 540, ou 5 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 3404 contre 354, ou 9 * contre 1, qu'elle ne vivra pas 19 ans de plus; 3521 contre 237, ou 14 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 22 ans de plus ; 3673 contre 85, ou 43 £ contre 1, qu’elle ne vivra pas 27 ans de plus; 3734 contre 24, ou 154 Z contre 1, qu’elle ne vivra pas 32 ans de plus; 3756 contre 2, ou 1878 contre 1, qu'elle ne vivra pas 37 ans de plus , c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. qu’elle ne qu'elle ne Pour une personne de soixante-quatre ans. On peut parier 3371 contre 197, où 17 à contre 1, qu'une personne de 64 ans vivra 1 an de plus ; 3371 contre 7, ou 34 # contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois; 3871 contre ‘Ÿ, ou 68 # contre 1, qu'elle vi- vra 3 mois ; et 3371 contre 47, où 6246 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 3175 contre 393, ou 8 ; contre {, qu'elle vi- vra 2 ans de plus ; 2980 contre 582, où 5 & contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus ; 2786 contre 782, ou 3 # contre 1, qu'elle vi- vra 4 ans de plus ; 2595 contre 073, ou 2 ? contre 1 , qu'elle vi- vra 5 ans de plus ; 2405 contre 1163, ou 2 ;7, contre 1, qu'elle vivra 6 ans de plus ; 2216 contre 1352, ou 1 À contre 1, qu'elle vivra 7 ans de plus; 2028 contre 1540, ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus; 1841 contre 1727, ou 1 +4 contre 1 , qu’elle vivra 9 ans de plus ; 1908 contre 1660, ou 1 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus; 2085 contre 1483 , ou & contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus, 2260 contre 1308, ou 1 # contre 1, qu'elie ne vivra pas 12 ans de plus ; 2434 contre 1134, ou 2 + contre 1, qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus ; 2604 contre 964, ou 2 © contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus ; 2761 contre 807, où 3 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 2905 contre 663, ou 4? contre 1, qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus; 3131 contre 437, ou 7 Z contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 3331 contre 237, ou 14 contre 1, qu'elle ne vivra pas 21 ans de plus; 3483 contre 85, ou près de 41 contre 1, qu'elle ne vivra pas 26 ans de plus ; 3544 contre 24, ou 147 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 31 ans de plus; 3566 contre 2, ou 1783 contre 1, qu'elle ne vivra pas 36 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-cinq ans. On peut parier 8175 contre 196, ou 16 # contre 1, qu'une personne de 65 ans vivra { an de plus; PROBABILITÉS 3175 contre #, ou 32 & contre 1, qu’elle vivra 6 mois; 3175 contre ‘°, où 64 % contre 1, qu’elle vi- vra 3 mois; et 3175 contre #5, ou 5913 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 2980 contre 391, ou 7 ? contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 2786 contre 585, ou 4 % contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus ; 2595 contre 776, ou 3 ? contre 1, qu'elle vi- vra 4 ans de plus ; 2405 contre 966, ou 2 4 contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 2216 contre 1155, ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 6 ans de plus; 2028 contre 1343, ou 1 # contre 1, qu'elle vi- vra 7 ans de plus; 1841 contre 1530, ou 1 : contre 1, qu'elle vi- vra 8 ans de plus ; 1711 contre 1660, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus; 1888 contre 1483, ou 1 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus; 2063 contre 1308, ou 1 Z contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus; 2237 contre 1134, ou près de 2 contre 1, qu’elle ne vivra pas 12 ans de plus; 2407 contre 964, ou 2 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 13 ans de plus; 2564 contre 807, ou 3 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus; 2708 contre 663 , ou 4 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus ; 2934 contre 437, ou 6 ? contre 1, qu’elle ne vivra pas 17 ans de plus ; 3017 contre 354, ou 8 © contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 3134 contre 237, ou 13 - contre 1, qu’elle ne vivra pas 20 ans de plus; 3286 contre 86, ou 38 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 25 ans de plus; 3347 contre 24, ou 139 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus; 3369 contre 2, ou 1684 contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 35 ans de ‘plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. DE LA DURÉI Pour une personne de soivante-six ans. On peut parier 2980 contre 195, ou 15 À contre 1, qu'une personne de 66 ans vivra { an de plus ; 2980 contre °, ou 30 {5 contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois ; 2980 contre ‘#, ou 61 contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 2980 contre {Ÿ, ou 5578 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 2786 contre 389, ou 7 £& contre 1, qu'elle vi- vra 2 ans de plus ; 2595 contre 580 , ou 4 ? contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 2405 contre 770 , ou 3 + contre 1, qu'elle vi- vra 4 ans de plus ; 2216 contre 959, ou 2 & contre 1, qu'elle yivra 5 ans de plus ; 2028 contre 1147 , où 1 # contre 1, qu’elle vi- vra 6 ans de plus ; 1841 contre 1334 , ou 1 À contre 1 , qu’elle vi- vrà 7 ans de plus; 1660 contre 1515, ou 1 £ contre 1, qu’elle vi- vra 8 ans de plus; 1692 contre 1483, ou 1 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 9 ans de plus; 1867 contre 1308, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus ; 2041 contre 1134, ou 1 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 11 ans de plus ; 2211 contre 964, ou 2 Z contre 1 , qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 2368 contre 807, ou 2 © contre 1, qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus ; 2512 contre 663, ou 3 Ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus ; 2635 contre 540, ou 4 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 15 ans de plus; 2738 contre 437, ou 6 £ contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 16 ans de plus; 2884 contre 291, ou 9 % contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 18 ans de plus; 2938 contre 237, ou 12 + contre 1, qu'elle ne vivra pas 19 ans de plus; 3090 contre 85 , ou 36 ÿ contre 1 , qu'elle ne vivra pas 24 ans de plus ; 3151 contre 24, ou 131 Z contre 1 , qu’elle ne vivra pas 29 ans de plus ; 3173 contre 2, ou 1586 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 34 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus, 5 DE LA VIE. 365 Pour une personne de soixante-sept ans. On peut parier 2786 contre 194, ou 14 % contre 1, qu'une personne de 67 ans vivra 1 an de plus ; 2786 contre ‘}, ou 28 {$ contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 2786 contre {}*,ou 57 # contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 2786 contre ff, ou 5242 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 2595 contre 385, ou 6 5 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 2405 contre 575, ou 4 © contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus; 2216 contre 764, ou 2 & contre 1, qu'elle vi- vra 4 ans de plus ; 2028 contre 952, ou 2 $ contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 1841 contre 1139, ou 1 = contre 1, qu’elle vi- vra 6 ans de plus; 1660 contre 1320 , ou { # contre 1, qu’elle vi- vra 7 ans de plus; 1497 contre 1483, ou un peu plus de 1 contre 1, qu’elle ne vivra pas 8 ans de plus: 1672 contre 1308, où 1 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus; 1846 contre 1134, ou 1 contre 1, qu'ellene vivra pas 10 ans de plus; 2016 contre 964, ou 2 & contre 1, qu’elle ne vivra pas 11 ans de plus; 2173 contre 807, ou ? # contre 1, qu’elle ne vivra pas 12 ans de plus; 2317 contre 663, ou 3 © contre 1, qu’elle ne vivra pas 13 ans de plus; 2440 contre 540, ou 4 # contre {, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus; 2543 contre 437, où 5 Ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 2626 contre 354, ou 7 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus; 2743 contre 237, ou 11 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 2895 contre 85, ou un peu plus de 34 contre 1, qu'elle ne vivra pas 23 ans de plus; 2956 contre 24, ou 123 { contre 1, qu'elle ne vivra pas 28 ans de plus; 2978 contre 2, ou 1489 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 33 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. 366 Pour une personne de soixante-huil ans. On peut parier 2595 contre 191, ou 13 # contre 1, qu'une personne de 68 ans vivrai an de plus ; 2595 contre ‘}!, ou 27 # contre 1, qu’elle vivra © mois ; 2595 contre {{!, ou 54 # contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et ' 2595 contre fl, ou 4959 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 2405 contre 481, ou 6 # contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 2216 contre 570, ou 3 À contre 1, qu’elle vi- vra 3 ans de plus; 2028 contre 758, ou 2 ? contre 1, qu'elle vi- vra 4 ans de plus; 1841 contre 945 , ou près de 2 contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 1660 contre 1126, ou 1 + contre 1, qu'elle vi- vra 6 ans de plus ; 1483 contre 1303 , ou 1 & contre 1, qu'elle vi- vra 7 ans de plus; 1478 contre 1308 , ou 1 ; contre 1, qu'elle ne vivra pas 8 ans de plus ; 1652 contre 1134, ou 1 # contre 1|, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus ; 1822 contre 964 , ou 1 £ contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 10 ans de plus; 1979 contre 807 , ou 2 & contre 1, qu’elle ne vivra pas 11 ans de plus; 2123 contre 663, ou 3 { contre 1, qu’elle ne vi- vra pas {2 ans de plus; 2246 contre 540 , ou 4 £ contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 13 ans de plus ; 2349 contre 437 , ou 5 £ contre 1, qu’elle ne vivra pas 14 ans de plus; 2432 contre 354, ou 6 5 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 15 ans de plus; 2495 contre 291, ou 8 É contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 16 ans de plus ; 2549 contre 237, ou 10 contre 1, qu’elle ne vivra pas 17 ans de plus ; 2663 contre 123, ou 21 ÿcontre 1, qu'elle ne vivra pas 20 ans de plus; 2701 contre 85, ou 31 ? contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 22 ans de plus ; 2762 contre 24, ou 115 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 27 ans de plus; 2784 contre 2, ou 1392 contre 1, qu’elle ne vi- PROBABILITÉS vra pas 32 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 æns révolus. Pour une personne de soixante-neuf ans. On peut parier 2405 contre 190, où 12 # contre 1, qu'une personne de 69 ans vivra 1 an de plus ; 2405 contre #°, ou 25 ; contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 2405 contre #°, ou 50 # contre 1, qu’elle vi- vra 3 mois; et 2405 contre #5, ou 4620 contre 1 , qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 2216 contre 379, ou 5 contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus ; 2028 contre 567, ou 3 # contre 1 , qu’elle vi- vra 3 ans de plus; 1841 contre 754, ou 2 # contre +, qu'elle vi- vra 4 ans de plus; 1660 contre 935, ou 17% contre 1, vra 5 ans de plus ; 1483 contre 1112, on 1 { contre 1, qu'elle vi- vra 6 ans de plus; 1308 contre 1287 , ou 1 & contre 1, qu'elle vi- vra 7 ans de plus ; 1461 contre 1134, ou 1 À contre 1 , qu’elle ne vivra pas 8 ans de plus ; 1631 contre 964, ou 1 5 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 9 ans de plus; 1788 contre 807 , ou 2 £ contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 10 ans de plus; 1932 contre 663, ou 2 © contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus; 2055 contre 540 , ou 3 contre 1, qu’elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 2158 contre 437, ou 4 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus, 2241 contre 354, où 6 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus; 2304 contre 291, ou 7 % contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus ; 2358 contre 237, ou près de 10 contre 1, qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus; 2440 contre 155, où 15 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 2510 contre 85, ou 294 contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 21 ans de plus; 2571 contre 24, ou 107 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 26 ans de plus; qu'elle vi- DE LA DURÉE 2593 contre 2, ou 1296 4 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 31 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-dix ans. On peut parier 2216 contre 189, ou {1 © contre 1, qu'une per- sonne de 70 ans vivra 1 an de plus; 2216 contre {À , ou 23 { contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 2216 contre ‘©, ou 46 ÿ contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 2216 contre LÀ, ou 4332 { contre 1 , qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 2028 contre 377, ou 5 # contre {, qu'elle vi- vra 2 ans de plus; 1841 contre 564 , ou 3 { contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus ; 1660 contre 745 , ou 2 + contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus ; 1483 contre 922 , ou 1 contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus ; 1308 contre 1097 , ou 1 { contre 1 , qu’elle vivra 6 ans de plus; 1271 contre 1134, ou i # contre 1, qu’elle ne vivra pas 7 ans de plus; 1441 contre 964, ou 1 $ contre 1, qu’elle ne vivra pas 8 ans de plus; 1598 contre 807, où près de 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus; 1742 contre 663, ou 2 ? contre 1, qu’elle ne vivra pas 10 ans de plus; 1865 eontre 540, ou 3 ? contre 1, qu’elle ne vivra pas 11 ans de plus; 1968 contre 437, ou un peu plus 4 À contre f, qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 2051 contre 354, ou 5 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus ; 2114 contre 291, où 7 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus; 2168 contre 237 , où 9 & contre 1, qu'elle ne __ vivra pas 15 ans de plus; 2212 contre 193, ou 11 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 16 ans de plus; 2282 contre 123, ou 17 contre 1, qu’elle ne vivra pas {8 ans de plus; 2320 contre 85 , où 27 { contre 1, qu’elle ne vivra pas 20 ans de plus ; 2381 contre 24, ou 99 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 25 ans de plus ; et or DE LA VIE, 2403 contre 2, ou 1201 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 30 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. 507 LA Pour une personne de soixantle-onse ans. On peut parier 2028 contre 188, ou 10 % contre 1, qu'une personne de 71 ans vivra 1 an de plus ; 2028 contre ‘5, ou 21 ÿ contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 2028 contre ‘, ou 43 & contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 2028 contre #5, ou 3937 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 1841 contre 375, ou 4 # contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 1560 contre 556, ou près de 3 contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus ; 1483 contre 733, ou un peu plus de 2 contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus ; 1308 contre 908, ou 1 # contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 1134 contre 1082, ou 1 à contre +, qu'elle vi- vra 6 ans de plus; 1252 contre 964, ou 1 Z contre + , qu’elle ne vivra pas 7 ans de plus ; 1409 contre 807, où 1 ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 8 ans de plus ; 1553 contre 663, ou 2 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus ; 1676 contre 540 , ou 3 contre +, qu'elle ne : vivra pas 10 ans de plus ; 1779 contre 437, où 4 £ contre {, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus; 1862 contre 354, ou 5 £ contre 1 , qu’elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 1925 contre 294 , ou 6 & contre 4 , qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus ; 1979 contre 237, ou un peu plus des {contre 1, qu'elle ne vivra pas 14 ans de plus, 2023 contre 193 , ou 10 & contre 4 , qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus ; 2061 contre 155, ou 13 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 46 ans de plus ; 2131 contre 85 , ou 25 -; contre +, qu'elle ne vi- vra pas 19 ans de plus; 2192 contre 24, ou 91 £ contre 1, qu'elle ne vi- vivra pas 24 ans de plus ; 2214 contre 2, ou 1107 contre #, qu’elle ne vi- 368 tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-douze ans. On peut parier 1841 contre 187, ou 9 Ÿ contre 1, qu'une per- sonne de 72 ans vivra 1 an de plus; 1841 contre ‘#7, ou 19 £ contre 1 , qu’elle vivra 6 mois ; 1841 contre {#7 , ou 39 £ contre 1 , qu'elle vivra 3 mois; et 1841 contre 7, ou 3593 contre 1 , qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 1660 contre 368, ou 4 { contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 1483 contre 545, ou 2 5 contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus ; 1338 contre 720 , ou 1 £ contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus ; 1134 contre 894, ou 1 # contre 1, qu’elle vivra 5 ans de plus; 1064 contre 964, ou 1 # contre 1 , qu’elle ne vivra pas 6 ans de plus ; 1221 contre 807, ou un peu plus de 1 £contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans de plus ; 1365 contre 663, ou 2 % contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 8 ans de plus ; 1488 contre 540 , ou 2 © contre 1 , qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus; 1591 contre 437, ou un peu plus de 3? contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de, plus; 1674 contre 354, ou 4; contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus; 1737 contre 291, ou près de 6 contre 1, qu’elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 1791 contre 237, ou 7 & contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 13 ans de plus ; 1835 contre 193, ou 9 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 14 ans de plus; 1873 contre 155, ou 12 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 1905 contre 123, ou 15 À contre 1 , qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus, 1925 contre 103, ou 18 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus; 1943 contre 85, ou 22 7 contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 1973 contre 55, ou 35 $ contre 1, qu’elle ne vivra pas 20 ans de plus; | PROBABILITÉS vra pas 29 ans de plus , c’est-à-dire en , 2004 contre 24, ou 83 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 23 ans de plus ; 2026 contre 2, ou 1013 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 28 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-treize ans. On peut parier 1660 contre 181 , ou 9 £ contre 1 , qu'une per- sonne de 73 ans vivra 1 an de plus; 1660 contre ‘!, ou 18 £ contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 1660 contre ‘5! , ou 36 4 contre 1, qu'elle vi- yra 3 mois; et 1660 contre ft, ou 3347 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 1483 contre 358 , ou 4 + contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 1308 contre 533, ou 2 4 contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus; 1134 contre 707 , ou 1 À contre 1, qu’elle vivra 4 ans de plus ; : 964 contre 877, ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 5 ans de plus; 1034 contre 807, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 6 ans de plus ; 1178 contre 663, ou 1 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 7 ans de plus ; 1301 contre 540, ou 2 # contre 1, qu'elle ne + vivra pas 8 ans de plus ; 1404 contre 437, ou 3 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 9 ans de plus; 1487 contre 354, ou 4 À contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 10 ans de plus; 1550 contre 291, ou 5 & contre 1, qu’elle ne vivra pas 11 ans de plus ; 1604 contre 237, ou 6 © contre 1, qu’elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 1648 contre 193, ou 8 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 13 ans de plus ; 1686 contre 155, ou 10 © contre 1, qu’ellene vivra pas 14 ans de plus ; 1718 contre 123, ou près de 14 contre 1, qu’elle ne vivra pas 15 ans de plus ; 1756 contre 85 , ou 20 ? contre 1, qu’elle ne vivra pas 17 ans de plus; 1798 contre 43, ou 41 Ë contre 1, qu’elle ne vivra pas 20 ans de plus ; 1817 contre 24, ou 75 X contre 1, qu’elle ue vivra pas 22 ans de plus ; DE LA DURÉE 1839 contre 2, ou 919 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 27 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-quatorse ans. On peut parier 1483 contre 177, ou 8 £ contre {, qu'une per- sonne de 74 ans vivra 1 an de plus; 1183 contre ‘7, où 16 5 contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois ; 1483 contre 7, ou 33 Z contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 1483 contre 7, ou 3058 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 1308 contre 352, ou 3 5 contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus ; 1134 contre 526, où 2 £ contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus ; 964 contre 696, où 1 £ contre 1 , qu'elle vivra 4 ans de plus ; S53 contre 807, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 997 contre 663, ou 1 { contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 6 ans de plus ; 1120 contre 540, ou 2 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 7 ans de plus ; 1223 contre 437, ou 2 5 contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 8 ans de plus ; 1306 contre 354, ou 3 ? contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 9 ans de plus ; 1369 contre 291, ou 4 £ contre 1, qu’elle ne vivra pas 10 ans de plus ; 1423 contre 237, ou 6 contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus ; 1467 contre 193, ou 7 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 12 ans de plus ; 1505 contre 155, ou 9 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 13 ans de plus; 1557 contre 103, ou 15 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 1575 contre 85, ou 18 4 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 16 ans de plus; 1605 contre 55, ou 27 2? contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus; 1636 contre 24, ou 68 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 21 ans de plus; 1658 contre 2, ou 829 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 26 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. LE DE LA VIE. 369 Pour une personne de soixanle-quinse ans On peut parier 1308 contre 175, ou 7 j; contre 1, qu'une per- sonne de 75 ans vivra 1 an de plus; 1308 contre %, où 14 { contre 1, qu'elle vi- vra 6 mois: 1308 contre ‘#, ou 29 vra 3 mois ; et 1308 contre {5, ou 2728 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 1134 contre 349, ou 3 # contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 964 contre 519, ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 807 contre 676, ou 1 # 4 ans de plus; 820 contre 663, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 5 ans de plus; 943 contre 540 , ou 1 contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 6 ans de plus ; 1046 contre 437, ou 2 Ÿ contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 7 ans de plus; 1129 contre 354, ou 3 £ contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 8 ans de plus; 1192 contre 291, ou 4 & contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 9 ans de plus; 1246 contre 237, ou 5 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 10 ans de plus; 1290 contre 193, ou 6 & contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 11 ans de plus; 1328 contre 155, ou 8 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus; 1360 contre 123, ou un peu plus de 11 contre 1, qu'ellene vivra pas 13 ans de plus; 1398 contre 85, ou 16 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus ; 1440 contre 43, ou 33 contre 1, qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus ; 1459 contre 24 , ou 60 À contre 1 , qu'elle ne vivra pas 20 ans de plus; 1481 contre 2, ou 740 À contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 25 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. contre 1, qu'elle vi- contre 1, qu'elle vivra Pour une personne de soixante-seise ans. On peut parier 1134 contre 174, ou sonne de 1, qu'une per- 1 an de plus; 25 370 PROBABILITÉS 1134 contre j#, ou 13 # contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 1134 contre {#, ou 26 À contre 1 , qu'elle vi- vra 3 mois; et 1134 contre#}$ , ou 2379 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 964 contre 344, ou 27 contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 2 ans de plus ; 807 contre 501 , ou 1 5 contre 1, qu'elle vi- vra 3 ans de plus; 663 contre 645, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle vivra 4 ans de plus; 768 contre 540, ou 1 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 5 ans de plus; 871 contre 437, ou près de 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 6 ans de plus ; 454 contre 359, ou un peu plus de 2 ? contre, qu’elle ne vivra pas 7 ans de plus; 1017 contre 291, ou 3 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 8 ans de plus ; 1071 contre 237, ou un peu plusde 4 contre, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus ; 1115 contre 193, ou 5 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 10 ans de plus; 1153 contre 155, ou 73 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 11 ans de plus ; 1185 contre 123, ou 9% contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 12 ans de plus; 1205 contre 103, ou 11 % contre 1, qu'elle ne vivra pas 13 aus de plus ; 1223 contre 85, ou 14% contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 14 ans de plus; 1239 contre 69, ou près de 18 contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 1253 contre 55, ou 22 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus ; 1265 contre 43, ou 29 © contre 1, qu’elle ne vivra pas 17 ans de plus; 1284 contre 24,ou 53 { contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 19 ans de plus; 1291 contre 17, ou près de 76 contre 1, qu'elle ne vivra pas 20 ans de plus ; 1306 contre 2, ou 653 contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 24 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-dix-sept ans. On peut parier 964 contre 170, ou 5 contre 1, qu'une per- sonne de 77 ans vivra 1 an de plus; 964 contre #9, ou 11 # contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 964 contre #9, ou 22 # contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 964 contre #2, ou 2070 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 807 contre 327, ou 2 # contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus ; 663 contre 471, ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 594 contre 540 , ou 1 ;+ contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 4 ans de plus; 697 contre 437 , ou 1 # contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 5 ans de plus; 780 contre 354, ou 2 { contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 6 ans de plus; 843 contre 291, ou 2 % contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 7 ans de plus ; 897 contre 237, ou 3 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 8 ans de plus; 941 contre 193, ou près de 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus ; 979 contre 155 , ou 6 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus ; 1011 contre 123, ou 8 # contre 1 , qu’elle ne vi- vra pas 11 ans de plus ; 1031 contre 103, ou un peu plus de 10 contre, qu’elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 1049 contre 85, ou 12 { contre 1 , qu’elle ne vi- vra pas 13 ans de plus ; 1079 contre 55, ou 19 ? contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 15 ans de plus ; 1110 contre 24, ou 46 £ contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 18 ans de plus ; 1122 contre 12, ou 93 4 contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 20 ans de plus ; 1132 contre 2, ou 566 contre 1, qu'elle ne vivra pas 23 aus de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soixante-dix-hüil ans. On peut parier 807 contre 157, où 5 & contre 1, qu'une personne de 78 ans vivra un an de plus ; 807 contre ‘7, ou 10 £ contre 1, qu'elle vivra G mois; 807 contre 7, ou 20 # contre 1 , qu’elle vivra 3 mois; et 807 contre 7 x) OÙ 1876 contre 1 , qu'elle ne È m TT ee DE LA DURÉE DE LA VIE. 571 mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 663 contre 301, ou 2? { contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus ; 540 contre 424 , ou 1 # contre 1, qu'elle vivra | 3 ans de plus ; 527 contre 437, ou 1 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 4 ans de plus ; 610 contre 354, ou 1 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 5 ans de plus ; 673 contre 291, ou 2 & contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 6 ans de plus ; 721 contre 237, ou 3 £ contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 7 ans de plus ; 771 contre 193, ou près de 4 contre 1, qu'elle ne vivra pas 8 ans de plus ; 809 contre 155, ou 54 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 9 ans de plus ; 841 contre 123, ou 6 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus; 861 contre 103, où 8 À contre 1 , qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus ; 879 contre 85, ou 10 f contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 12 ans de plus ; 895 contre 69, ou près de 13 contre 1, qu'elle ne vivra pas 13 ans de plus ; 909 contre 55, ou 16 ? contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 14 ans de plus ; 921 contre 45, ou 21 f contre 1 , qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus ; 940 contre 24, ou 39 À contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 17 ans de plus ; 947 contre 17 , ou 55 # contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 18 ans de plus ; 962 contre 2, ou 481 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 22 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de soivante-dix-neuf ans. On peut parier 663 contre 144, ou4 # contre 1, qu'une personne de 79 ans vivra 1 an de plus; 663 contre #*, ou 9 ? contre { , qu’elle vivra 6 mois ; 663 contre #, ou 18 ? contre 1 , qu'elle vivra 3 mois ; et 663 contre X#, ou 1680 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 540 contre 267, ou un peu plus de 2 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 437 contre 370, où 1 £ contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus ; 453 contre 354, où un peu plus de { # contre 1, qu'elle ne vivra pas 4 ans de plus; 516 contre 291, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 5 ans de plus ; 5710 contre 237, ou 2 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 6 ans de plus ; 614 contre 193, ou 3 # contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 7 ans de plus ; 652 contre 155, ou 1! contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 8 ans de plus ; 684 contre 123, ou 5 ; contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 9 ans de plus ; 704 contre 103, ou 6£ contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 10 ans de plus ; 722 contre 85, ou 8 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 11 ans de plus ; 738 contre 69, ou 10 ? contre 1 , qu’elle ne vi- vra pas 12 ans de plus ; 752 contre 55, ou 13 À contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 13 ans de plus ; 764 contre 43, ou 17 Ÿ contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 14 ans de plus; 7174 contre 33, ou 23 contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 15 ans de plus ; 783 contre 24, ou 32 ÿ contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 16 ans de plus ; 795 contre 12, ou 66 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 18 ans de plus ; 805 contre 2, ou 402 £ contre 1, qu’elle ne vivra pas 21 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingts ans. On peut parier 540 contre 123, ou 4 & contre 1, qu'une per- sonne de 80 ans vivra 1 an de plus; 540 contre ##, ou 8 4 contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 540 contre ##, ou 16 & contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 540 contre #5, ou 1586 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 437 contre 226, ou 1 2! contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 354 contre 309, ou 1 & contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus ; 372 contre 291, ou 1 & contre {, qu'elle ne vi- vra pas 4 ans de plus; 372 PROBABILITÉS 426 contre 237, ou 1 Ë contre 1 , qu'elle ne vi- | 347 contre 193, ou 1 5 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 5 ans de plus ; | vra pas 5 ans de plus ; 470 contre 193, ou 2 contre 1, qu’elle ne | 385 contre 155, ou 2 4 contre 1 , qu'elle ne vi- vivra pas 6 ans de plus ; | vra pas 6 ans de plus ; 508 contre 155, ou 3 # contre 1, qu'elle ne vi- | 417 contre 123, ou 3 ! contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 7 ans de plus ; vra pas 7 ans de plus ; 540 contre 123, ou 44 contre 1, qu'elle ne vi- | 437 contre 103, ou 4 { contre 1 , qu’elle ne wvi- vra pas 8 ans de plus ; vra pas 8 ans de plus ; 560 contre 103 , ou 5? contre 1, qu’elle ne vi- | 455 contre 85, ou 5 À contre 1, qu'elle ne vivra vra pas 9 ans de plus ; pas 9 ans de plus ; 578 contre 85, ou 6 5 contre 1, qu’elle ne vivra | 471 contre 69, ou 6 contre 1, qu’elle ne vivra pas 10 ans de plus ; pas 10 ans de plus; 594 contre 69, ou 8 3 contre 1, qu’elle ne vivra | 485 contre 55, ou 8$ contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus ; pas 11 ans de plus ; 608 contre 55, ou un peu plus de 1 contre 1, | 497contre43, ou 11 4 contre 1, qu'elle ne vivra qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus ; pas 12 ans de plus ; 620 contre 43, ou 14 { contre 1, qu’elle ne vi- | 507 contre 33, ou 15 # contre 1, qu'elle ne vi vra pas 13 ans de plus; vra pas 13 ans de plus ; 630 contre 33, ou 19 + contre 1, qu'elle ne vi- | 516 contre 24, ou 21 £ contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 14 ans de plus ; vra pas 14 ans de plus; 639 contre 24, ou 26 ÿ contre 1, qu'elle ne vi- | 523 contre 17, ou 30 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 15 ans de plus : vra pas 15 ans de plus; 646 contre 17, ou 38 contre 1, qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus ; 651 contre 12, ou 54 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus; 655 contre 8, ou 81 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus ; 658 contre 5, ou 131 ? contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 19 ans de plus; 661 contre 2, ou 3304 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 20 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. | pas 16 ans de plus ; 532 contre 8, ou 66 £ contre {, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus; 535 contre 5, où 107 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 18 ans de plus ; 538 contre 2, ou 219 contre 1, qu'elle ne vivra pas 19 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-deux ans. Pour une personne de quatre-vingl-un ans. On peut parier 354 contre 83, ou 4 À contre 1, qu’une personne de 82 ans vivra { an de plus ; 354 contre Ÿ, ou 8 £ contre 1 , qu'elle vivra 6 On peut parier 437 contre 103, ou 4 { contre 1, qu'une per- sonne de 81 ans vivra 1 an deplus; mois ; 437 contre {#, ou 8 ? contre 1, qu'elle vivra 6 354 contre #, ou 17 contre 1, qu’elle vivra 3 mois ; mois ; et 437 contre 5, ou 16 { contre 1, qu’elle vivra 3 | 354 contre $&, ou 1557 contre {, qu'elle ne mois ; et mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 291 contre 146, ou à très-peu près 2 contre 1. qu'elle vivra 2 ans de plus; 237 contre 200, ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus ; 244 contre 193, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 4 ans de plus; 282 contre 155, où 1 À contre {, qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 437 contre 5, ou 1549 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 354 contre 186, ou 1 Ë contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 291 contre 249, ou 1 ; contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus ; 303 contre 237, ou 1 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 4 ans de plus ; 528 contre 12, ou 44 contre 1, qu'elle ne vivra DE LA DURÉE DE LA VIE. 575 214 contre 123, ou 2 à contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 6 ans de plus; 334 contre 103, ou 3 ! contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans de plus ; 352 contre 85, ou 4 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 8 ans de plus; 368 contre 69, ou 5 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 9 ans de plus; 382 contre 55 , ou près de 7 contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus ; 394 contre 43 , ou 9 Z contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 11 ans de plus; 404 contre 33, ou 12 { contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 12 ans de plus; 413 contre 24, ou 17 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 13 ans de plus; 420 contre 17, ou 24 © contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 14 ans de plus; 425 contre 12, ou 35 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 15 ans de plus; 429 contre 8, ou 53 } contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 16 ans de plus ; 432 contre 5, ou 86 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus; 435 contre 2, ou 217 À contre 1, qu'elle ne vi- vra pas {8 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-trois ans. On peut parier 291 contre 63 , ou 4 # contre 1, qu'une per- sonne de 83 ans vivra { an de plus; 291 contre ©, ou 9 + contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 291 contre ©, ou 18 # contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 291 contre #, ou 1686 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre beures ; 237 contre 117, ou un peu plus de 2 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 193 contre 161, ou 1 À, contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; « 199 contre 155, ou 1 # contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 4 ans de plus ; 231 contre 123, ou 1 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus ; 251 contre 103, ou 2 ? contre 1, qu'elle ne vi- via pas 6 ans de plus; 269 contre 85, ou 3 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans de plus; 285 contre 69, ou 4 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 8 ans de plus ; 299 contre 55, ou 5 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus ; 311 contre 43, ou 7 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 10 ans de plus; 321 contre 33, ou 9 # contre 1, qu'elle ne vi- pas 11 ans de plus ; 330 contre 24, ou 13 £ contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 12 ans de plus ; 337 contre 17, où 19 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 13 ans de plus ; 342 contre 12, ou 28 { contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 14 ans de plus; 346 contre 8, ou 43 { contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 15 ans de plus ; 349 contre 5, ou 69 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 16 ans de plus ; 352 contre 2, ou 176 contre 1, qu'elle ne vivra pas 17 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-quatre ans. Qn peut parier 237 contre 54, ou 4 Æ contre 1 , qu'une per- sonne de 84 ans vivra 1 an de plus; 237 contre #, ou 8 ? contre 1 , qu’elle vivra G mois ; 237 contre 5, ou 17 à contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 237 contre #, ou 1602 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 193 contre 98 , ou près de 2 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 155 contre 136, ou 1 £ contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 168 contre 123 , ou 1 £ contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 4 ans de plus; 188 contre 103, ou 1 # contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 5 ans de plus ; 206 contre 85, ou 2 5 contre 1, qu’elle ne vivra pas 6 ans de plus; 222 contre 69, ou 3 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans de plus; 236 contre 55, ou 4 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 8 ans de plus; 248 contre 43, ou 5 ? contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 9 ans de plus; 374 PROBABILITÉS 258 contre 33, ou 7 # contre 1, qu'elle ne vivra | 229 contre 8, ou 28 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 10 ans de plus ; 267 contre 24, ou 11 { contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 11 de plus; 274 contre 17, ou 16 À contre 1 , qu’elle ne vi- vra pas 12 de plus; 279 contre 12, où 23 ; contre { , qu’elle ne vi- vra pas 13 ans de plus; 283 contre 8, ou 35 Ë contre 1 , qu’elle ne vivra pas 14 ans de plus; 286 contre 5, ou 57 {contre 1, qu'elle ne vivra pas 15 ans de plus; 289 contre 2, ou 144 ; contre 1 , qu’elle ne vi- vra pas 16 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-cinq ans. Où peut parier 193 contre 44, ou un peu plus de 4 # contre 1 qu'une personne de 85 ans vivra 1 an de plus; 193 contre #, ou un peu plus de 8 £ contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 193 contre #, ou un peu plus de 17 contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 193 contre 4, où 1601 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 155 contre 82, ou 4 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 123 contre 114, ou 1 x contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus; 134 contre 103, ou 1 # contre 1 , qu’elle ne vi- vra pas 4 ans de plus ; 152 contre 85 , ou 1 contre 1, qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 168 contre 69 , ou 2 4 contre 1 , qu’elle ne vi- vra pas 6 ans de plus; 182 contre 55 , ou 3 ! contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 7 ans de plus; 194 contre 43 , ou 4 4 contre 1 , qu’elle ne vivra pas 8 ans de plus ; 204 contre 33, ou 6 # contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 9 ans de plus; 213 contre 24 ou 8 { contre 1 , qu’elle ne vivra pas 10 ans de plus; 220 contre 17, ou près de 13 contre 1, qu’elle ne vivra pas 11 ans de plus; 225 contre 12, ou 18 Scontre 1, qu’elle ne vi- vra pas 12 ans de plus ; pas 13 ans de plus; 232 contre 5, ou 46 ? contre 1, qu’elle ne vivra pas 14 ans de plus; 235 contre 2, ou 117 £ contre 1 , qu’elle ne vi- vra pas 15 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-six ans. On peut parier 155 contre 38 , ou près de 4 - contre 1, qu’une personne de 86 ans vivra 1 ans de plus ; 155 contre # ou 8 Z contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 155 contre % ou 16 {, contre 1 , qu'elle vivra 3 mois ; et 155 contre 5, ou 1489 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 123 contre 70, ou 1 ÿ contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus ; . 103 contre 90 , ou 1 5 contre 1, qu’elle vivra 3 ans de plus (1); 108 contre 85, ou 1 contre 1 , qu’elle ne vivra pas 4 ans de plus ; 124 contre 69, ou 1 contre { , qu’elle ne vivra pas 5 ans de plus; 138 contre 55 , ou près de 2 À contre 1 , qu’elle ne vivra pas six ans de plus ; 150 contre 43 , ou 3 £ contre 1 , qu’elle ne vivra pas 7 ans de plus; 160 contre 33 , ou un peu plus de 4 £ contre 1, qu’elle ne vivra pas 8 ans de plus; 4169 contre 24, ou 7 # contre 1 , qu’elle ne vivra pas 9 ans de plus; 176 contre 17, ou 10 £ contre 1, qu’elle ne vivra pas 10 ans de plus; 181 contre 12, ou 15 ;; contre 1, qu’elle ne vivra pas 11 ans de plus; 185 contre 8, ou 23 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 12 ans de plus; 188 contre 5, ou 37 À contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 13 ans de plus; (4) Nota. La probabilité de vivre trois ans se trouve ici trop forte d'une manière évidente, puisqu'elle est plus grande que celle de la table précédente ; cela vient de ce que j'ai négligé de faire fluer uniformément les nombres 32, 20 et 48, qui, dans la table générale, correspondent aux 88°, 89° et 90° an- nées de la vie; mais ce petit défaut ne peut jamais produire une grande erreur. DE LA DURÉE DE LA VIE. 875 191 contre 2, ou 95 j contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 14 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-sept ans. On peut parier 123 contre 32, ou près de 8 £ contre 1, qu'une personne de 87 ans vivra { an de plus ; 123 contre , ou près de 7 Æ contre 1 , qu'elle vivra 6 mois ; 123 contre ?, ou près de 15 # contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 123 contre +, ou 1403 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 103 contre 52 , ou près de 2 contre 1 , qu'elle vivra 2 ans de plus; 85 contre 70 , ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 86 contre 69, ou 1 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 4 ans de plus; 100 contre 55, ou 1 À contre 1 , qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 112 contre 43, ou 2 contre 1, qu’elle ne vivra pas 6 ans de plus; 122 contre 33, ou 3 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans,de plus; 131 contre 24, ou 5 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 8 ans de plus; 138 contre 17, ou 8 À contre 1 , qu'elle ne vi- vra pas 9 ans de plus ; 143 contre 12 , ou près de 12 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus; 147 contre 8, ou 18 % contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus; 150 contre 5 , ou 30 contre 1 , qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus ; 153 contre 2, où 76 À contre 1, qu'elle ne vi- yra pas 13 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingl-huil ans. On peut parier 103 contre 20, ou près de 5 Ÿ contre 1, qu'une personne de 88 ans vivra 1 an de plus ; 103 contre ?, ou près de 10 ? contre 1, qu’elle vivra 6 mois; 103 contre ©, ou près de 20 ; contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 103 contre +, ou près de 1880 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; 85 contre 38, ou 2 À contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 69 contre 54, ou 1 # contre 1, qu'elle vivra 3 aus de plus; 68 contre 55, ou 1 Ë contre 1, qu'elle ne vivra pas 4 ans de plus; 80 contre 43, ou 1 contre {, qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 90 contre 33, ou 2 # contre 1, qu’elle ne vivra pas 6 ans de plus; 99 contre 24, ou 4 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans de plus; 106 contre 17, ou 6 # contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 8 ans de plus; 111 contre 12, ou 9 ? contre 1, qu’elle ne vi- vra pas 9 ans de plus; 115 contre 8, ou 14 contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 10 ans de plus; 118 contre 5, ou 23 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus; 121 contre 2, ou 60 & contre 1, qu'elle ne vivra pas 12 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-neuf ans. On peut parier 85 contre 18, ou 4 Ë contre 1, qu'une personne de 89 ans vivra 1 an de plus; 85 contre Ÿ, ou 9 4 contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 85 contre &, ou 18 $ contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 85 contre <&, ou 1724 contre 1 , qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 69 contre 34, ou 2 + contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus, 55 contre 48, ou 1 Z contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus; 60 contre 43, ou 1 Z contre 1, qu'elle ne vi- vra pas 4 ans de plus; 70 contre 33, ou 2 £ contre 1 ; qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 79 contre 24, ou 3 Z contre 1, qu'elle ne vivra pas 6 ans de plus; 376 PROBABILITÉS 86 contre 17, ou 5 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans de plus; 91 contre 12, ou7 Z contre 1, qu'elle ne vivra pas 8 ans de plus ; 95 contre 8, ou près de 12 contre 1 , qu’elle ne vivra pas 9 ans de plus; 98 contre 5, ou 19 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus; 101 contre.2 , ou 50 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 11 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-dix ans. On peut parier 69 contre 16, ou près de 4 { contre 1 , qu'une personne de 90 ans vivra 1 an de plus ; 69 contre #, ou près de 8? contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 69 contre ‘À, ou près de 17 { contre 1, qu’elle vivra 3 mois; et 69 contre #, ou 1574 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 55 contre 30, où 1 À contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus ; 43 contre 37, ou un peu plus de 1 contre 1, qu'elle vivra 3 ans de plus, 52 contre 33, où 1 © contre 1, qu’elle ne vivra pas 4 ans de plus, 61 contre 24, ou 2 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 68 contre 17, ou 4 contre 1, qu’elle ne vivra pas 6 ans de plus; 73 contre 12, ou 6 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans de plus ; 77 contre 8, ou 9 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 8 ans de plus; 80 contre 5, ou 16 contre 1, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus ; 83 contre 2, ou 41 À contre 1, qu'elle ne vivra pas 10 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-onse ans. On peut parier 55 contre 14, ou 3 £ contre, qu'une personne de 91 ans vivra 1 an de plus; 55 contre #, ou 7 £ contre 1, qu'elle vivra 6 mois; 55 contre #, ou 15 À contre 1, qu'elle vivra 8 mois ; et 55 contre #, ou 1434 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 43 contre 26, ou 1 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 36 contre 33, ou 1 ;£ contre 1, qu'elle ne vivra pas 3 ans de plus ; 45 contre 24, ou 1 contre 1 , qu’elle ne vivra pas 4 ans de plus ; 52 contre 17, ou 3 £ contre 1 , qu’elle ne vivra pas 5 ans de plus ; 57 contre 12, ou 4 5 contre 1 , qu’elle ne vivra pas 6 ans de plus; 61 contre 8, ou 7 ÿ contre 1, qu'elle ne vivra pas 7 ans de plus ; 64 contre 5, ou 12 ÿ contre 1, qu’elle ne vivra pas 8 ans de plus; 67 contre 2, ou 33 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 9 ans de plus , c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-douse ans. On peut parier 43 contre 12, ou 3 Z contre 1, qu'une personne de 92 ans vivra 1 an de plus ; 43 contre #, ou 7 { contre 1, qu'elle vivra 6 MOIS ; j 43 contre ©, ou 14 { contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 43 contre 4, ou 1308 contre 1, qu’elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 33 contre 22, ou 1 { contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 31 contre 24, ou { & contre 1 , qu'elle ne vivra pas 3 ans de plus ; 38 contre 17,ou 2 # contre 1, qu'elle ne vivra pas 4 ans de plus ; 43 contre 12, ou 3 Z contre 1, qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 47 contre 8, ou 5 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 6 ans de plus ; 53 contre 2, ou 26 ; contre 1, qu'elle ne vivra pas $ ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. DE LA DURÉE DE LA VIE. Pour une personne de qualre-vingt-treise ans. On peut parier 33 contre 10, ou 3 À contre 1, qu'une personne de 93 ans vivra 1 an de plus; 33 contre Ÿ, ou 6 ? contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 33 contre ©, ou 13 © contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 33 contre {à , ou 1204 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 24 contre 19, ou 1 ; contre 1, qu’elle vivra 2 ans de plus; 26 contre 17 ,ou 1 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 3 ans de plus; 31 contre 12, ou 2 Z contre 1 , qu'elle ne vivra pas 4 ans de plus ; 35 contre 8, ou 4? contre 1 , qu’elle ne vivra pas 5 ans de plus ; 38 contre 5,ou 7 À contre 1, qu’elle ne vivra pas 6 ans de plus ; 41 contre ?, ou 20 4 contre 1, qu’elle ne vivra pas 7 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-quatorze ans. On peut parier 24 contre 9, ou 2 ? contre 1, qu'une personne de 94 ans vivra { an de plus ; 24 contre $, ou 5 ? contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 23 contre ?, ou 10 ? contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 24 contre , ou 9 £ contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 17 contre 16, ou 1 ;; contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus; 21 contre 12, ou 1 ÿ contre 1 , qu'elle ne vivra pas 3 ans de plus ; 25 contre 8, ou 3 £ contre 1, qu’elle ne vivra pas 4 ans de plus ; 28 contre 5, ou 5 À contre 1 , qu'elle ne vivra pas 5 ans de plus; 31 contre 2, ou 15 ; contre 1 , qu’elle ne vivra pas 6 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. 911 Pour une personne de quatre-vingt-quinseans. On peut parier 17 contre 7, où 2 5 contre 1, qu'une personne de 95 ans vivra 1 an de plus; 17 contre 7, ou 4 ? contre 1, qu’elle vivra 6 mois ; 17 contre 7, ou 9 ÿ contre 1, qu'elle vivra 3 mois ; et 17 contre -7,, ou 886 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt - quatre heures ; 12 contre 12, ou 1 contre 1, qu'elle vivra 2 ans de plus ; 16 contre 8, ou 2 contre 1, qu'elle ne vivra pas 3 ans de plus ; 19 contre 5, ou 3 £ contre 1, qu'elle ne vivra pas 4 ans de plus ; 22 contre 2, ou 11 contre 1, qu’elle ne vivra pas 5 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-seise ans. On peut parier 12 contre 5,ou 2 ? contre 1, qu'une personne de 96 ans vivra 1 an de plus; 12 contre Ÿ, ou 4 À contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 12 contre 5, ou 9 mois ; et 12 contre -5., ou 876 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; 9 contre 8, ou 1 { contre 1, qu'elle ne vivra pas 2 ans de plus ; 12 contre 5, ou 2 ? contre 1, qu'elle ne vivra pas 3 ans de plus ; 15 contre 2, ou 7 ; contre 1, qu’elle ne vivra pas 4 ans de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus. contre 1, qu'elle vivra 3 Pour une personne de quatre-vingt-dix-sept ans. On peut parier 8 contre 4, ou 2 contre 1, qu'une personne de 97 ans vivra 1 an de plus; 8 contre #, ou 4 contre 1, qu'elle vivra 6 mois ; 8 contre 4, ou 8 contre 1, qu'elle vivra 3 mois; et 578 8 contre;f, ou 730 contre 1, qu'elle ne mourra \ pas dans les vingt-quatre heures ; 7 contre 5 , où 1 $ contre 1 , qu’elle ne vivra pas 2 ans de plus; 10 contre 2, où 5 contre 1, qu'elle ne vivra pas 3 ans de plus, c'est-à-dire en tout 100 ans révolus. Pour une personne de quatre-vingt-dix-huit ans. On peut parier 5 contre 3, ou 1 2 contre 1, qu'une personne de 98 ans vivra 1 an de plus; 5 contre ?, ou 3 {contre 1, qu’elle vivra 6 mois; HISTOIRE NATURELLE, 5 contre Ÿ, ou 6 mois ; et 5 contre; , où 608 contre 1, qu'elle ne mourra pas dans les vingt-quatre heures ; | 6 contre 2, ou 3 contre 1 qu ‘elle ne vivra pas 2 ans de plus, c’est-à-dire en tout, 100 ans révolus. 4 contre 1, qu’elle vivra 3 Pour une personne de quatre-vingt-dix-neuf ans. On peut parier 2 contre 3, qu'une personne de 99 ans vivra 1 an de plus, c’est-à-dire en tout 100 ans révolus, ÉTAT GÉNÉRAL DES NAISSANCES, DES MARIAGES ET DES MORTS DANS LA VILLE DE PARIS, DEPUIS L'ANNÉE 1709 JUSQUES ET COMPRIS L'ANNEE 1766 INCLUSIVEMENT. ANNÉES. BAPTÈMES. MARIAGES. MORTS. ANNÉES, BAPTÈMES. Ensuite est l'état plus détaillé des Baptèmes, Mariages et Mortuaires de la villeet des faubourgs de Paris, depuis l'année 1745 jusqu'en 1766. NAISSANCES, MARIAGES, erc. ANNÉE 4746. ANNÉE 14745. o 5 Ï BAPTÈMES. MORTUATRES. MOT Ogg) + — Hommes | Femmes Janvier... Février... | «5 ee Juillet... AOÛ... es Septembre... . Octobre ..…. . Novembre... Décembre... Religieux.......... ARCS Religieuses....... ÉCELELECETEE) à Etrangers......... —"— | Janvier....... Rôvrir.cces.i Juillet... .. Septembre Octobre... Novembre... Décembre ..… Religieux... Religieuses... Août......... Septembre... Octobre... Novembre... Décembre... 579 Religieuses.. Etrangers........,.. Total..........18547... ..4146 Janvier....... Février....... Juin... Juillet. ...... Août. . Septemb Octobre...... Novembre... | Décembre... Religieuses.. Etrangers... ReligIEUX. . . .vsssonesose su MORTUAIRES.| _—_—_— Hommes| Femmes! Novembre... Religieux... ..... Serre Réligieuses.…. MOIS. Janvier... . | Février... . Juin. Juillet AOÛ. ....... ‘ Septembre... Octobre…..... Novembre. Décembre... Religieux. Religieuses Etrangers 380 HISTOIRE ANNÉE 1751. MORTUAIRES | Hommes! Femmes Janvier... 757 655 l'évrier.. 764 729 Mars. . 911 772 Avril. 867 779 | Mai... 909 s04 | Juin, 706 625 Juillet, 656 | Août... 558 Septembr 661 Octobre. 598 Novembre... 671 Décembre... 704 ss Po Î RelRIUXS.- secret Î LOC TRE TRES) SES Etrangers... NATURELLE ANNÉE 1752. BAPTEMES. MOKRTUAIRES Filles, 851 871 898 837 837 778 755 776 822 846 810 818 9919 Janvier... Février. Mars... Avril. Mai. . Juin... Juillet, Septembre. Octobre... Novembre... Décembre .... Religieuses.….. Etrangers..,..... MORTUAIRES. + —— Hommes| Femmes MOIS. Garçons. ——_—_— | Janvier. 4011 | Février. 897 Mars. ses Avril, 894 Mai. 919 Juin 777 795 865 809 780 796 798 10229 Septembre... Octobre Novembre... Décembre... 9500 Religieux... ...... cr. pe Keligieuse Etrangers 11676 |10040 D 21746 Tobl 252 19729 Religieux... ........... Keligienses..... ANNÉE 17 D. Ce MORTUAIRES.| lonimes | Femmes —_— 887 959 1065 901 827 748 64 596 615 585 605 629 9057 | Septembre... Octobre...... Novembre... Décembre ... 680 10794 Religieux... 89 RARICUSES. 25. ne 109 EUTANEETA EE ecran eue 47 19 | 10950 9165 20093 Total 0e 19412....... 4501 MOIS. Janvier. Février. Mars... Avril. Septembre... Octobre Novembre.... Décembre... à 10169 Religieux. heligienses.. | 9857 PET Let Ce 21721 Nora. Il est mort à l'hôtel-Dieu 126 enfants dout les sexes n'ont pu être désignés, par conséquent Je norubre des morts, pour celleanuée, NAISSANCES, MARIAGES, ETC. ANNÉE 1757. BAPTÈMES. Gorçons. | Filles. Marlages | Jauvier....... Février . Mars. Septembre... Octobre Novembre... Décembre ..… Religieux. .... Religieuses...... Etrangers......1...... MORTUAIRES. . EE — tiommes | Femmes 10682 LE 20120 ANNÉE 1758. Garçons. —— Janvier 867 Février ..] 00 .| 855 810 769 778 749 . .…| 567 Septembre....f 77 | Octobre......} 825 Novembre....} 759 Décembre ....f 811 9677 Religieux... Religicuses... Etrangers. ....... Total 401480... 1512 19202 | Janvier. | Février. Mars Avril... Mai. Juin. Juillet. Août... Septembre Octobre. . | Novembre... Décembre... Étrangers.... Lecrece er Total......,..19058......4039 MORTUAIRES. Hommes | Femmes 8770 95 21 ANNÉE 1761. ANNÉE 1760. BAPTÈMES. —_— Garçons. MOIS. Marlage: Filles. | Janvier Févrie 857 Mars. . s81 Avril... © 0 INA... 701 | Juin «1 756 | Juillet. ..] 709 «| 720 Septemi re... 754 | Octobre. 1 759 Novembr ..) 704 Décembre... } 713 9214 Religieux. ..... : Religieuses ... .. Etrangers... .... MORTUAIRES llommes|Femmes — #69 £09 941 894 BAPTÈMES, MOIS. Garçons.| Filles. Jauvier.. ) 864 Février 20 17 740 : $42 752 741 624 708 781 Septembre... 747 Octobre... 745 Novembre... 710 Décembre... .. 706 9414 | S960 3947 Religieux... keligieuses.. Etrangers... Total 18374......3947 446 8258 17684 mm — | Janvier | Mars | Décembre. BAPTÈMES. Marlages Févrie, Septembre... Octobre... Novembre MORTUAIRES. 4 Hommes |Femmes 719 721 991 844 709 635 790 756 697 755 740 790 8762 Religieux...... Saccos OODBE Religienses ETranBers.. ec. Total.........17809......4115 10691 582 HISTOIRE NATURELLE. ANNÉE 1765. BAPTÈMES. MORTUAIRES. | AOUE- a. Septembre... Octobre... Novembre... Décembre... MARQUE secs 1. Ecligleuses.…......,..........1cc-s.. Rangers... use ANNÉE 1764. BAPTÈMES. MORTUAIRES. Janvier,. Février, Juillet. AOÛL. une Septembre .… Octobre. Novembre... Décembre... Religieuses Etrangers MORTUAIRES. Janvier... Février... Septembr Octobre . | Religieux. Religieuses Etrangers . TOR S. se sece 1040 D uen » e 0 LOTO A er x" | | em De la première table des naissances, des ma- riages et des morts à Paris, depuis l’année 1709 jusqu'en 1766, on peut inférer : 19 Que daps l'espèce humaine la fécondité dé- pend de l'abondance des subsistances , et que la disette produit la stérilité ; car on voit qu'en 1710, il n’est né que 13634 enfants, tandis que dans l’année précédente 1709 ; et dans la sui- vante 1711, il en est né 16910 et 16593. La différence, qui est d'un cinquième au moins, ne peut provenir que de la famine de 1709. Pour produire abondamment il faut être nourri largement ; l'espèce humaine affligée pendant cette cruelle année a donc non-seulement perdu le cinquième sur sa régénération, mais encore elle a perdu presque au double de ce qu'elle aurait dû perdre par la mort; car le 4 nombre des morts à été de 29288 en 1709, tan-« dis qu’en 1711 et dans les années suivantes , ce nombre n’a été que de 15 ou 16 mille; et s'il se trouve être de 23389 en 1710, c'est encore par la mauvaise influence de l’année 1709, dont le : mal s'est étendu sur une partie de l’année sui-« vante et jusqu'au temps des récoltes. C’est par la même raison qu'en 1709 et 1710, il y a eu un quart moins de mariages que dans les années : ordinaires. | \ 29 Tous les grands hivers augmentent la mortalité ; si nous la supposons d'après cettéei même table de 18 à 19 mille personnes, année commune, à Paris, elle s'est trouvée de 29288 eu 1709, de 23389 en 1710, de 25284 en 1740, NAISSANCES, MARIAGES, ere. de 23574 en 1741 , et de 22784 en 1742, par- ce que l'hiver de 1740 à 1741, et celui de 1742 à 1743 ont été les plus rudes que l’on ait éprou- vés depuis 1709. L'hiver de 1754 est aussi marqué par une mortalité plus grande, puis- qu'au lieu de 18 ou 19 mille qui est la mortalité moyenne, elle s'est trouvée en 1753 de 21716, et en 1754 de 21724. 3° C’est par une raison différente que la mor- talité s'est trouvée beaucoup plus grande en 1719 eten 1720 : il n'y eut dans ces deux an- nées ni grand hiver ni disette, mais le système des finances attira un si grand nombre de gens de province à Paris, que la mortalité, au lieu de 18 à 19 mille, fut de 24151 en 1719, et de 20371 en 1720. 49 Si l'on prend le nombre total des morts pendant les einquante-huit années, et qu’on di- vise 1087995 par 58 pour avoir la mortalité moyenne, on aura 18758, et c’est par cette rai- son que je viens de dire, que cette mortalité moyenne était de 18 ou de 19 mille par chacun an. Néanmoins, comme l’on peut présumer que dans les commencements , cette recherche des naissances et des morts ne s’est pas faite aussi exactement, ni aussi complétement que dans la suite, je serais porté à retrancher les douze premières années, et j'établirais la morta- lité moyenne sur les quarante-six années de- puis 1721 jusqu'en 1766, d'autant plus que la disette de 1709 , et l’affluence des provinciaux à Paris en 1719, ont augmenté considérable- ment lamortalitédans ces années, et que ce n’est qu'en 1721 qu'on a commencé à comprendre les religieux etreligieuses dans la liste des mor- tuaires. En prenant done le total des morts de- puis 1721 jusqu’en 1766, on trouve 868540, ce qui divisé par 46, nombre des années de 1721 à 1766, donne 18881 pour le nombre qui repré- sente la mortalité moyenne à Paris pendant ces quarante-six années. Mais, comme cettefixation de la moyenne mortalité est la base sur laquelle doit porter l'estimation du nombre des vivants, nous pensons que l'on approchera de plus près encore du vrai nombre de cette mortalité moyenne si l'on n'emploie que les mortuaires depuis l’année 1745 : car ce ne fut qu’en cette année qu'on distingua dans le relevé des bap- tèmes Les garçons et les filles , et dans celui des mortuaires les hommes et les femmes, ce qui prouve que ces relevés furent faits plus exacte- ment que ceux des années précédentes. Prenant 583 donc le total des morts depuis 1745 jusqu'en 1766,ona414777,ce qui divisé par 22, nombre des années depuis 1745 jusqu'en 1766, donne 18853, nombre qui ne s'éloigne pas beaucoup de 18881; en sorte qu'il me paraît qu’on peut, sans se tromper , établir la mortalité moyenne de Paris, pour chaque année, à 18800 , avec d'autant plus de raison que les dix dernières années, depuis 1757 jusqu'en 1766, ne donnent que 18681 pour cette moyenne mortalité. 50 Maintenant si l’on veut juger du nombre des vivants par celui des morts, je ne crois pas qu'on doive s’en rapporter à ceux qui ont écrit que ce rapport était de 32 ou de 33 à 1, et j’ai quelques raisons que je donnerai dans la suite, qui me font estimer ce rapport de 35 à 1, c'est à-dire que, selon moi, Paris contient trente-cinq fois 18800 ou six cent cinquante-huit mille per- sonnes ; au lieu que selon les auteurs qui ne comptentque trente-deux vivants pour un mort, Paris ne contiendrait que six cent un mille six cents personnes ‘. 6° Cette première table semble démontrer que la population de cette grande ville ne va pas en augmentant aussi considérablement qu'on serait porté à le croire, par l'augmentation de son étendue et des bâtiments en très-crand nombre dont on allonge ses faubourgs. Si dans les qua- rante-six années depuis 1721 jusqu'en 1766,nous prenons les dix premières années et les dix der- nières, on trouve 181590 naissances pour les dix premières années , et 186813 naissances pour les dix dernières , dont la différence 5223 ne fait qu'un trente-sixième environ. Or, je crois qu'on peut supposer sans se tromper que Paris s’est depuis 1721, augmenté de plus d’un dix- huitièmeen étendue. Lamoitié de cetteaugmen- tation doit done se rapporter à la commodité, puisque la nécessité, c’est-à-direl’aceroissement de la population, ne demandait qu'un trente- sixième de plus d’étendue. De la seconde table des baptèmes , mariages et mortuaires, qui contient vingt-deux années depuis 1745 jusques et compris 1766, on peut inférer, 1° que les mois dans lesquels il naït le plus d'enfants, sont les mois de mars, janvier et 4 Nota. Tout ceci a été écrit en 1767 : il se pourrait que de- puis ce temps lenombre des habitants de Paris fût angmenté ; car je vois dans la Gazette du 22 janvier 4775, qu'en 1772 i y a eù 20,374 morts. S'ilen est de même des autres années , et que la mortalité moyenne soit actuellement de vingt mille par an, il y aura sept cent mille personnes vivantes à Paris, en comptant trente-cinq vivants pour un mort. 384 février, et que ceux pendant lesquels il en nait le moins, sont juin, décembre et novembre; car en prenant le total des naissances dans chacun de ces mois pendant les vingt-deux années, on trouve qu'en mars il est né 37778, en janvier 37691, eten février 35816 enfants; tandis qu'en juin il n'en est né que 31857, en décembre 32064, et en novembre 32836. Ainsi les mois les plus heureux pour la fécondation des femmes sont juin, août et juillet, etles moins favorables sont septembre, mars et février ; d'où l'on peut infé- rer que, dans notre climat, la chaleur de l'été contribue au succès de la génération. 20 Que les mois dans lesquels il meurt le plus de monde sont mars, avril et mai, et que ceux pendant lesquels il en meurt le moins sont août, juillet et septembre; car en prenant le total des morts dans chacun de ces mois pendant les vingt-deux années, on trouve qu'en mars il est mort 42438 personnes, en avril 42299, et en mai 38443; tandis qu'en août il n’en est mort que 28520, en juillet 29197, et en septembre 29251. Ainsi c’est après l'hiver, et au commencementde la nouvelle saison, que les hommes, comme les plantes, périssent en plus grand nombre, 39 Qu'il nait à Paris plus de garçons que de filles, maïs seulement dans la proportion d'en- viron 27 à 26, tandis que dans d'autres endroits cette proportion du nombre des garçons et des filles est de 17 à 16, comme nous l'avons dit; car pendant ces vingt-deux années la somme totale des naissances desmäâles est 211976, et lasomme des naissances des femelles est 204205, c’est-à- dire d'un vingt-septièmede moins à très-peu près. 49 Qu'il meurt à Paris plus d'hommes que de femmes, non-seulement dans la proportion des naissances des mâles qui excèdent d’un vingt- septième les naissances des femelles, mais encore considérablement au-delà de ce rapport; car le total des mortuaires pendant ces vingt-deux an- nées est pour les hommes de 221698, et pour les femmes de 191753 ; et comme il nait à Paris vingt-sept mâles pour vingt-six femelles, le nombre des mortuaires pour les femmes devrait êtrede 213487, celui des hommes étant de 221698, si les naissances et la mort des uns et des autres étaient dans la même proportion ; mais le nombre des mortuaires des femmes n'é- tant que de 191753, au lieu de 213487, il s'en- suit (en supposant toutes choses égales d'’ail- leurs) que, dans cette ville, les femmes vivent plus que les hommes, dans la raison de 213487 HISTOIRE NATURELLE à 191753, c'est-à-dire un neuvième de plus à très-peu près. Ainsi sur dix ans de vie courante, les femmes ont un an deplus que les hommes à Paris ; et comme l'on peut croire que la nature seule ne leur a pas fait ce don, c'est aux peines, aux travaux et aux risques subis ou courus par les hommes qu'on doit rapporter en partie cette abréviation de leur vie. Je dis en partie, car les femmes ayant les os plus ductiles que les hom- mes, arrivent en général à une plus grande vieillesse. (Voyez cet article de la vieillesse, page 209.) Mais cette cause seule ne serait pas suffisante pour produire à beaucoup près cette différence d’un neuvième entre le sort final des hommes et des femmes. Une autre considération, c'est qu'il naît à Paris plus de femmes qu'iln’y en meurt, au lieu qu'il y nait moins d'hommes qu'iln’en meurt, puisque le total des naissances pour les femmes, pendant les vingt-deux années, est de 204205, et que le total des morts n’est que de 191753, tandis quele total des morts pour les hommes est de 221698, et que le total des naissances n’est que de 211976 ; ce qui semble prouver qu'il ar- rive à Paris plus d'hommes et moins de femmes qu'il n’en sort. 590 Le nombre des naissances , tant des gar- cons que des filles, pendant les vingt-deux an- nées étant 416181, et celui des mariages de 95366, il s'ensuivrait que chaque mariage don- nerait plus de quatre enfants. Mais il faut dé- duire sur le total des naissances le nombre des enfants’ trouvés , qui ne laisse pas d’être fort considérable et dont voici la liste , prise sur le relevé des mêmes tables , pour les vingt-deux années depuis 1745, jusqu'en 1766. NOMBRE DES ENFANTS TROUVÉS PAR CHAQUE ANNEE. ” fl a lAnnéet745... 5255] Ci-contre..28690| Ci-contie..61560 1746 Anunte1755.., Année1760.., 5051 17 —— 1761... 541$ 2S690 Ce nombre des enfants trouvés monte pour ces mêmes vingt-deux années à 99210, lesquels étant retranchés de 416181, reste 316971; ce qui ne ferait que 3£ enfants environ , ou si l’on veut dix enfants pour trois mariages ; mais il NAISSANCES, MARIAGES, ere. faut considérer que, dans ce grand nombred'en- fants trouvés, il y en a peut-être plus d'une moi- tié de légitimes que les parents ont exposés ; ainsi on peut croire que chaque mariage donne à peu près quatre enfants. Le nombre des enfants trouvés depuis 1745 jusqu'en 1766 a augmenté depuis 3233 jusqu'à 5604, etce nombre va encore en augmentant tous les ans; car, en 1772, il est né à Paris 18713 enfants, dont 9557 garçons et 9150 filles, en y comprenant 7676 enfants trouvés ; ce qui sem- ble démontrer qu'il y a même plus de moitié d'enfants légitimes dans ce nombre. Érar des Baptèmes , Mariages et Sépullures dans la ville de Montbard en Bourgogne, depuis 1765 inclusivement, jusques et com- pris l’année 1774. De cette table, on peut conclure, 1° que les mariages sont plus prolifiques en province qu'à Paris, trois mariages donnant ici plus de dix- huit enfants , au lieu qu’à Paris trois mariages n'en donnent que douze. 20 On voit aussi qu'il naît précisément au- taut de filles que de garçons dans cette petite vi'e : 5 Qu'il naît dans ce même lieu près d’un quart de plus d'enfants qu'il ne meurt de per- sonnes ; 49 Qu'il meurt un peu plus de femmes que d'hommes, au lieu qu'à Paris il en meurt beau- coup moins que d'hommes; ce qui vient de ce qu'à facampagne_elles travaillent tout autant que les hommes, et souvent plus à proportion de 385 tandis que dans toutes les autres années il y en | à eu douze, treize, quatorze et même viugt : cette grande différence provient de la misère du peuple dans cette année 1771 ; le grain était au double et demi de sa valeur , et les pauvres, au lieu de penser à se marier, ne songeaient qu'aux moyens de leur propre subsistance. Ce seul pe- tit exemple suffit pour démontrer combien la cherté du grain nuit à la population : aussi l'an- née suivante, 1772, est-elle la plus faible de toutespour la production, n'étantné quesoixante- dix enfants, tandis que dans les neuf autres an- nées, le nombre moyen des naissances est de quatre-vinet-quatre. 6° On voit que le nombre des morts a été beaucoup plus grand en 1772 que dans toutes les autres années ; il y a eu cent un morts, tan- dis qu'année commune, la mortalité pendant les neufautres années n'a étéqued'environsoixante- et une personnes : la cause de cette plus grande mortalité doit être attribuée aux maladies qui suivirent la misère , et à la petite vérole qui se déclara dès le commencement de l'année 1772, et enleva un assez grand nombre d'enfants. 7° On voit par cette petite table qui a été faite avec exactitude , que rien n’est moins constant que les rapports qu'on a voulu établir entre le nombre des naissances des garcons et des filles. Ona vu, parlerelevédes premières tables, quece rapportétait de 17 à 16; ona vu ensuite qu'à Pa- ris ce rapport n’est que de 27 à 26, et l'on vient de voir qu'ici le nombre des garçons et celui des filles est précisément le mème. Il est donc pro- bable que suivant les différents pays, et peut- être selon les différents temps, le rapport du nombre des naissances des garcons et des filles varie considérablement. 80 Par un dénombrement exact des habitants de cette petite ville de Montbard, on y a trouvé 2337 habitants ; et, commele nombre moyen des morts pour chaque année est de 65 , et qu'en multipliant 65 par 36 on a 2340, ilest évident qu'il ne meurt qu'une personne sur trente-six | dans cette ville. leurs forces, et que d’ailleurs, produisant beau- | coup plus d'enfants, elles sont plus épuisées et courent plus souvent les risques des couches. 5° L'on peut remarquer dans cette table qu'il L’y a eu que quatre mariages en l'année 1771, 586 HISTOIRE NATURELLE. Érar des Naissances, Mariages el Morts dans posée de bourgeois , et que le petit peuple n'y la ville de Semur en Auxois, depuis l'année 1770 jusques el compris l'année 1774. à | | B\PTEMES, MORTUAIRES.| ANNEES. Filles. Garçons —— Par cette table, il parait, 1° que trois ma- riases donnent 16 { enfants à peu près, tandis qu'à Montbard, qui n'en est qu'à trois lieues , trois mariages donnent plus de dix-huit en- fants ; 20 Qu'il nait plus de garçons quede filles, dans la proportion à peu près de 25 à 23, ou de 12 4 à 11 4, tandis qu'à Montbard le nombre des garçons et des filles est égal ; 3° Qu'il nait ici un cinquième à peu près d’'en- fants de plus qu'il ne meurt de personnes ; 4° Qu'il meurt plus de femmes que d'hommes, dans la proportion de 164 à 147 ; ce qui est à peu près la même chose qu'à Montbard. 5° Par un dénombrement exact des habitants de cette ville de Semur , on y a trouvé 4345 | personnes; et, comme le nombre moyen des morts est 622, divisé par 5 ou 124 ?, et qu'en multipliant ce nombre par 35, on a 4354, il en résulte qu'il meurt une personne sur trente- cinq dans cette ville. Érar des Naissances, Mariages et Morts dans la petite ville de Flavigny , depuis 1770 jusques el compris l’année 1174. MORTUAIRES. Hommes|Femmes BAPTÈMES. _—_—_— ANNÉES. 19 Par cette table, trois mariages ne donnent que 13 Ÿ enfants; par celle de Semur, trois ma- riages donnent 16 £ enfants, et par celle de Montbard, trois mariages donnent plus de dix- huit enfants : cette différence vient de ce que Flavigny est une petite ville presque toute com- est pas nombreux , au lieu qu'à Montbard le peuple y est en très-grand nombre en compa- raison des bourgeois, et à Semur la proportion des bourgeois au peuple est plus grande qu'à Montbard. Les familles sont généralement tou- jours plus nombreuses dans le peuple que dans les autres conditions. 2° I nait plus de garçons que de filles , dans une proportion si considérable , qu'elle est de près d’un cinquième de plus; en sorte qu'il pa- rait que les lieux où les mariages produisent le plus d'enfants sont ceux où il y a le plus de petit peuple, et où le nombre des naissances des filles est plus grand ; 39 II nait ici à peu près un neuvième de plus d'enfants qu'il ne meurt de personnes; 4° Il meurt un peu plus d'hommes que de femmes, et c'est le contraire à Semur et à Mont- bard; ce qui vient de ce qu'il nait dans ce lieu de Flavigny beaucoup plus de garcons que de filles. Érar des Naissances, Mariages et Morts dans la petite ville de Vilteaux, depuis 1770 + jusques et compris l’année 1774. BAPTÈMES ANNÉES. 1° Par cette table, trois mariages donnent plus de dix-huit enfants comme à Montbard. Vitteaux est en effet un lieu oùil y a, comme à Montbard , beaucoup plus de peuple que de bourgeois. 20 I] nait plus de filles que e garçons, et c'est ici le premier exemple que nous en ayons : car à Montbard le nombre des naissances des gar- cons et des filles n’est qu'égal, ce qui fait pré- sumer qu'il y a encore plus de peuple à Vit- teaux, proportionnellement aux bourgeois. 30 [1 nait ici environ un quart plus d’enfants qu'il ne meurt de personnes, à peu près comme à Montbard. 40 II meurt plus de femmes que d'hommes , dans la proportion de 83 à 71, c’est-à-dire de NAIS près d'un huitième, parce que les femmes du peuple travaillent presque autant que les hom- mes, et que d'ailleurs il naît dans cette petite ville plus de filles que de garçons. 5° Comme elle est composée presque en en- lier de petit peuple, lacherté des grains, en 1771, a diminué le nombre des mariages, ainsi qu'à Montbard où il n'y en a eu que quatre, et à Vit-; teaux six, au lieu de treize ou quatorze qu'il doit y en avoir, année commune, dans cette dernière ville, Érar des Naissances, Mariages et Mortsdans le bourg d’Époisses, et dans les villages de Genay, Marigny-le-Cahouet et TFoutry, NCES, MARIAGES, 357 Érar des Naissances, Mariages et Morts dans le bailliage entier de Semur en Auxois, contenant quatre-vingt-dix-neuf, tant villes que bourgs et villages, pour les années de- puis 1770 jusques et compris 1774. ETCe BAPTÈMES. Filles. —— Garçons. | 596 555 797 659 655 bailliage de Semur en Auxois, depuis1770 | Jjusques et compris 1774, avec leur popula- tion actuelle. BAPTÈMES. MORTUAIRES. | ANNÉES. — Garçons.| Filles. 1772. ceonee e » LL PETER AT srocuss 1° Par cette table, trois mariages donnent à peu près dix-huit enfants ; ainsi les villages, bourgs et petites villes où il y a beaucoup de peuple et peu de gens aisés produisent beau- coup plus que les villes où il y a beaucoup de | bourgeois ou gens riches. 2° Il naït plus de garcons que de filles, dans | la proportion de 25 à 23 à peu près. 3° 1] nait plus d'un quart de personnes de plus qu'il n'en meurt. 4° Il meurt un peu plus de femmes que d'hommes. 5° Le nombre des mariages a été diminué très-considérablement par la cherté des grains en 1771 et 1772. 6° Enfin, la population d'Époisses s’est trou- | vée, par un dénombrement exact, de 1001 per- sonnes ; celle de Genay, de 599 personnes ; celle de Marigny-le-Cahouet, de 671 personnes; et celle de Toutry, de 390 personnes ; ce qui fait en totalité 2661 personnes. Et comme le nom- bre moyen des morts, pendant ces cinq années, est de 75 5, et qu'en multipliant ce nombre par 354, on retrouve ce même nombre 2661, il est certain qu'il ne meurt dans ces bourgs et villa- ges qu’une pers onne sur trente-cinq au plus. _ + LES a On voit par cette table, 1° qu’en général le nombre des naissances des garcons excède celui des filles de plus d’un dixième; ce qui est bien considérable, et d’autant plus singulier que, dans les quatre-vingt-dix-neuf paroisses contenues dans ce bailliage, il y en a quarante-deux dans | lesquelles il naît plus de filles que de garçons, ou tout au moins un nombre égal des deux | sexes; et dans ces quarante-deux lieux sont comprises les villes de Monthard, Vitteaux, et nombre de gros villages, tels que Braux , Mil- | Jery, Savoisy, Thorrey, Touillon, Villeine-les- | Prévôtes, Villeberny, Grignon, Étivey, ete. En prenant la somme des garcons et des filles nés dans ces quarante-deux paroisses , pendant les dix années pour Montbard , et les cinq années pour les autres lieux depuis 1770 à 1774,ona 1840 filles et 1690 garçons, c'est-à-dire un dixième à très-peu pres de filles plus que de | garçons. D'où il résulte que dans les cin- | quante-sept autres paroisses où se trouvent |les villes de Semur-et de Flavigny, et les bourgs d'Époisses, Moutier-Saint-Jean , etc., il est né 2695 garçons et 2040 filles, c’est-à- _ dire à très-peu près un quart de garçons plus que : de filles; en sorte qu'il parait que dans les lieux où toutes les circonstances s'accordent pour la plus nombreuse production des filles, la nature agit bien plus faiblement que dans ceux où les | circonstances s'accordent pour la production des garcons, et c'est ce qui fait qu'en général le nombre des garcons, dans notre climat, est plus grand que celui des filles : maisilne serait guère possible de déterminer ce rapport au juste, à moins d'avoir le relevé de tous les registres &u royaume. Si l'on s'en rapporte sur cela au tra- | vail de M. l'abbé d’Expilly, il se trouve un 25. 588 treizième plus de garçons que de filles, et je ne serais pas éloigné de croire que ce résultat est assez juste; 20 Que le nombre moyen des mariages pen- dant les années 1770,1772,1773et1774, tant | de 326 #, la misère de l'année 1771 a diminué ce nombre de mariages d’un quart, puisqu'il n'y en a eu que 245 dans cette année ; 3° Que trois mariemes donnent à peu près seize enfants ; 4° Qu'il meurt plus d'hommes que de fem- mes, dans la proportion de 33 à 31, et qu'il nait aussi plus de mâles que de femelles , mais dans une plus grande proportion, puisqu'elle est à peu près de 43 à 39 ; 5° Qu'en général il nait plus d'un quart de monde qu'il n'en meurt dans ce bailliage; 60 Que le nombre des morts s’est trouvé plus grand en 1772, par les suites de la misère de 1771. Voici la liste des lieux dont j'ai parlé, et dans lesquels il naît autant ou plus de filles que de garçons , dans ce même bailliage d’Auxoïis. Garçons. Fliles. Montbard, pour dix ans... . ........ 415 413 Vitteaux , pour cinq £nS. « « «+ «+ « » 205 212 Millery, pour cinq ans, . . « + « + « + « 48 55 Braux , pour Cinq anS.. « « « + + + « » sr 40452 Savoisy, pour cinq ANS. . + « « + « + + + + « 53 95 Thorrey-sous-Charny, pour cinq ans. . .. 40 56 Villaine-lès-Prévôtes , pour cinq ans. . . .. 40 45 Villeberny, pour cinq ans. . . - . . . .« . . 46 50 Grignon, pour cinq ans. « + +... 54 54 Étivey, pour cinq ans. . « « . + + + + + « . 48 48 Corcelle-lès-Grignon, pour cinq ans. . .. 356 37 Grosbois, pour cinq ans. « « « . « + + + - « 53 351 Nesles, pour Cinq a1S.. 4... +++... 38 40 Vizerny, pOur Cinq ans. +. «+ «+ … » . 54 54 Touillou , pour cinq ans. . « « + + + + + + « 58 40 Saint-Thibaut, pour cinq ans. . ...... 55 54 Suint-Beury, pour cinq ans. . . . . Mn Pisy, pour cinq ?n8.. « « «eue 55 41 Toutry, pour cinq ans. . . . ++... 22 51 Athie, pour cinq ans. . . . . . OS CM RE Corcelle-lès-Semur, pour cinq ans . . . .. 25 24 Crépend, pour cinq ans. : « + + « « « ete 20 02e Étais, POUF CINQ ANS. . es +» « 20 28 Flée, pour cinq ans... . ..... 22 26 Magny-la-Ville, pour cinq ans. . . . + « + . 26 26 Nogent-lès-Montbard, pour cinq ans. . . . 20 20 Normier ,pour Cinq ans.. « + + « + «+ + « » » 2 50 Saint-Manin , pour cinq ans. . « + : + + » « 23 24 Vieux-Château , pour cinq ans. . . . + » - « 222,122 Charigny , pour Cinq ans. . . + + + + + + « » 20 25 Luceney-le-Duc, pour cinq ans. . . - .« « - 28 50 Dampierre, pour cinq ans. . . . . . . » 16 18 A reporter, , , , . 4577 1690 HISTOIRE NATURELLE. Garçons. Filles, Ci-contre. ...5..4. 0... 1577 1590 Dracy, Pour CINQ ans... 0.10 10.0 120012 Marsigny-sous-Thil, pour cinq ans. . . . . 417. 2: Montigny-Saint-Barthélemi , LE cinq ans. 13 18 Planay, puur.cinq ans, . « . « ee... + » 135 19 Verré-sous-Drée, pour cinq ans. . . . . . . 11 11 Massigny-lès-Vitteaux, pour cinq ans. . .. 18 25 Cessey, pour cinq ans. . : « . . ‘ 9 2 Corcelotte-en-Montagne, pour cinq ans. . . 6 19 Massilly-lès-Vilteaux, pour cinq ans. . . . . 6 9 Saint-Authot, pour cinq ans. ........ 6 9 Total. . . . 1690 1840 Les causes qui concourent à la plus nom- breuse production des filles sont très-difficiles à deviner. J'ai rapporté dans cette table les lieux où cet effet arrive, et je ne vois rien qui les distingue des autres lieux du même pays, sinon que généralement ils sont situés plus en montagnes qu'en vallées, et qu'en gros ce sont les endroits les moins riches et où le peuple est le plus mal à l'aise; mais cette observation de- manderait à être suivie et fondée sur un beau- coup plus grand nombre que sur celui de ces quarante-deux paroisses , et l'on trouverait peut-être quelque rapport commun , sur lequel on pourrait appuyer des conjectures raisonna- bles, et reconnaitre quels sont les inconvénients qui , dans de certains endroits de notre climat, déterminent la nature à s’écarter de la loi com- mune, laquelle est de produire plus de mâles que de femelles. Érar des Naissances , Mariages et Morts dans le bailliuge de Saulieu en Bourgogne, con- tenant quarunte , tant villes que bourgs et villages, pour les années depuis 1770 jus- ques et compris 1772. On voit par cette table, 1° que le nombre des naissances des garcons excède celui des nais- sances des filles d'environ un quart, quoique dans les trente-neuf paroisses qui composent ce bailliage !, il y en ait dix-huit où il naît plus 1 Ce bailliage de Saulieu est réellement composé de quarante paroisses ; mals l'on n'a pu avoir les registres de celle de Sa- NAISSANCES, MARIAGES, exc. de filles que de garçons, et dont voici la liste. Garçons. Filles Saint-Léger-de-Foucheret, pour trois ans. . 66 76 Saint-Léger-de Fourche, pour trois ans... 52 55 Schissey, pour {rois ans. , . . . . RP SP ASS Rouvray, pour trois ans. . . . . . . .:. . . 58 41 Villargoix, pour trois ans. . . , . . . . . . 37 40 Saint-Agnan, pour trois ans. . . . . . . . . 54 57 Cencerey, pour trois ans. . . . . CB La Marcilly, pour trois ans. . . . . . . . . . . 23 24 Blanot, pour trois ans. . . . . . . . . . . . 22 24 Saint-Didier, pour trois ans. . . . . . . . . 21-025 Minery, pour trois ans. . . . . . . . . « . 19: 29 Pressy, pour trois ans. . . . . . . « « + + « 19-26 Brasey, pour trois ans. . . . . . .« . . . : 18° 21 AÏsy, pour trois ans. « .. . .. ... ... {70 724 Noïdan, pour trois ans.. . . . . . . . . .. 15 29 Molphey, pour trois ans. , . . . . . . . . io it Mile OUNETOIs ans. . . si... - + NN A0 | 14 Charny, pour trois ans ! Le nombre total des filles pour trois ans étant 581 , et celui des garçons 488, il est, par conséquent , né presque un sixième de filles plus que de garcons, ou six filles pour cinq garcons dans ces dix-huit paroisses. D'où il ré- sulte, 2°que dans les vingt-une autresparoisses, où se trouvent la ville de Saulieu , le bourg d’A- ligny et les autres lieux les moins pauvres de ce bailliage, ilest né 1077 garçons et 897 filles, c'est-à-dire un cinquième de garcons plus que de filles; 30 Que le nombre des mariages n'ayant été que de 117 en 1771, au lieu qu'il a été de 181 en 1770', et de 150 en 1772, on retrouve ici, comme dans le bailliage d'Auxois, que cela ne peut être attribué qu'à la cherté des grains en 1771;et, comme ce bailliage de Saulieu esi beaucoup plus pauvre que celui de Semur, le nombre des mariages, qui s'est trouvé diminué d'un quart dans le bailliage de Semur, se trouve ici diminué de moitié par la misère de cette année 1771 ; 49 Que trois mariages donnent dix-huit trois quarts d'enfants dans ce même bailliage, où il n'ya, pour ainsi dire, que du peuple, duquel, comme je l'ai dit, les mariages sont toujours plus prolifiques que dans les conditions plus élevées ; 50 Qu'il meurt plus de femmes que d'hommes, par la raison qu'elles y travaillent plus que dans villy. qui n'est , par conséquent , pas comprise daus l'état ci- dessus. 589 un district moins pauvre, tel que celui de Se- mur, où il meurt au contraire plus d'hommes que de femmes; 69° Qu'il nait plus d'un tiers d'enfants de plus qu'il ne meurt de personnes dans ce bailliage; 79 Que le nombre des morts s'est trouvé beaucoup plus grand dans l'année 1772, comme dans les autres districts, et par les mêmes raisons . Si l'on prend le nombre moyen des morts pour une année, on trouvera que ce nombre dans le bailliage de Saulieu est de 739 5, et que ce nombre, dans le bailliage de Semur, est 12815, dont lasomme est 2020 # :0r, le dernier de ces bailliages contient quatre-vingt-dix-neuf paroisses, et le premier trente-neuf, ce qui fait pour les deux, centtrente-huit lieux ou paroisses. Or, suivant M. l'abbé d'Expilly, toutle royaume de France contient quarante et un mille pa- roisses : la population dans ces deux bailliages de Semur et de Saulieu est donc à la popula- tion de tout le royaume à très-peu près comme 138 sont à 41000. Mais nous avons trouvé, par les observations précédentes, qu'il faut multi- plier par 35 au moins le nombre des morts annuels, pour connaitre le nombre des vivants : multipliant done 2020 #, nombre des morts an- nuels &ans ces deux bailliages, on aura 70732? pour la population de ces deux bailliages, et par conséquent 21 millions 14 mille 777 pour la population totale Œu royaume, sans y com- prendre la ville de Paris, dont nous avons es- timé la population à 658 mille; ce qui ferait en tout 21 millions 672 mille 777 personnes dans tout le royaume, nombre qui ne s'éloigne pas beaucoup de 22 millions 14 mille 357, donné par M. l'abbé d'Expilly, pour cette même popu lation. Mais une chose qui ne me parait pas aussi certaine, c’est ce que ce très-estimable auteur avance au sujet du nombre des femmes, qu'il dit surpasser constamment le nombre des hommes vivants. Ce qui me fait douter de cet allégué, c'est qu'à Paris il est démontré, par les tables précédentes, qu'ilnait annuellement plus de garcons que de filles, et de même qu'il meurt annuellement dans cette ville plus d'hom- mes que de femmes : par conséquent le nombre des hommes vivants doit surpasser celui des femmes vivantes. Et à l'égard de la province, si nous prenons le nombre des naissances an- nuelles des garcons et des filles, et le nombre annuel des morts des hommes et des femmes 590 dans les deux bailliages dont nous venons de donner les tables, nous trouverons 1370 gar- cons et 1265 filles nés annuellement, et nous aurons 1023 hommes et 998 femmes morts an- nuellement. Dès lors il doit y avoir un peu plus d'hommes que de femmes vivantes dans les provinces , quoique en moindre proportion qu'à Paris, et malgré les émigrations auxquelles les hommes sont bien plus sujets que les femmes. Comparaison de la mortalité dans la ville de Paris, et dans les campagnes, à dix, quinze el vingt lieues de distance de cette ville. Par lestables que j'ai données, pages 220 et suivantes, de la mortalité, il parait que sur 13189 personnes il en meurt dans les deux premières À PARIS. A LA CAMPAGNE. années de la vie. . . . 4151 5758 depuis 2 jusqu'à 5 ans, 1410 957 5 10 740 585 10 20 507 576 20 50 695 937 50 40 885 1095 40 50 962 912 50 60 1062 885 60 70 1271 727 70 80 1108 602 s0 90 561 159 90 100et au-dess. 59 16 En comparant la mortalité de Paris avec celle de la campagne aux environs de cette ville, à dix et vingt lieues, on voit done que sur un même nombre de 13189 personnes, il en meurt dans les deux premières années de la vie 5738 à la campagne, tandis qu’il n'en meurt à Paris que 4131. Cette différence vient principalement | de ce qu'on est dans l'usage à Paris d'envoyer | les enfants en nourrice à la campagne ; en sorte qu'il doit nécessairement y mourir beaucoup plus d'enfants qu'à Paris. Par exemple, si l'on fait une somme des 5738 enfants morts à la campagne, et des 4131 morts à Paris, on aura 9869, dont la moitié 4935 est proportionnelle | au nombre des enfants quiseraient morts à Paris s'ils y eussent été nourris. En ôtant donc 4131 de 4935, le nombre S04 qui reste représente celui des enfants qu'on a envoyé noufrir à la campagne; d'où l'on peutconclure que, de tous les enfants qui naissent à Paris, il y en a plus d'un sixième que l'on nourrit à la campagne. Mais ces enfants, dès qu'ils ont atteint l'âge de deux ans , et même auparavant, sont rame- HISTOIRE NATURELLE. nés à Paris, pour la plus grande partie, et ren- dus à leurs parents : c'est par cette raison que sur ce nombre 13189 il paraît qu'il meurt plus d'enfants à Paris, depuis deux jusqu'à cinq ans, qu'il n'en meurt à la campagne; ce qui est tout le contraire de ce qui arrive dans les deux pre- mières années. Il en est de même à la troisième division des âges, c'est-à-dire de cinq à dix ans; il meurt plus d'enfants de cet âge à Paris qu'à la cam- pagne. Mais depuis l’âge de dix ans jusqu'àquarante, on trouve constamment qu'il meurt moins de personnes à Paris qu'à la campagne, malgré le grand nombre de jeunes gens qui arrivent dans cette grande ville de tous côtés; ce qui semble- rait prouver qu’il sort autant de natifs de Paris qu'il en vient du dehors. Il parait aussi qu'on pourrait prouver ce fait par la table précédente, qui contient les extraits de baptèmes , comparés avec les extraits mortuaires , dont la différence, prise sur cinquante-huit années consécutives , n’est pas fort considérable, le total des nais- sances à Paris étant, pendant ces cinquante- huit années, de 1 million 74 mille 367, et ie total des morts, 1 million 87 mille 995; cequi ne fait que 13628, sur 1 million 87 mille 995, ou une soixante-quinzième partie de plus en- viron; en sorte que, tout compensé, il sort de Paris à peu près autant de monde qu'il y en entre : d'où l'on peut conclure que la fécondité de cette grande ville suffit à sa population, à une soixante-quinzième partie près. Ensuite, en comparant, comme ci-dessus , la mortalité de Paris à celle de la campagne, depuis l’âge de quarante ans jusqu'à la fin de la vie, on voit qu'il meurt constamment plus de monde à Paris qu'à la campagne, et cela d’au- | tant plus que l’âge est plus avancé; ce qui parait prouver que les douceurs de la vie font beau- coup à sa durée , et que les gens de la campagne plus fatigués , plus mal nourris, périssent en général beaucoup plus tôt que ceux de la ville. Comparaison des tables de la mortalité en France, avec les tables de la mortalité à Londres. Les meilleures tables qui aient été faites à Londres sont celles que M. Corbyn-Morris a publiées en 1759, pour trente années, depuis 1728 jusqu'à 1757. Ces tables sont partagées , NAISSANCES, MARIAGES, grec. pour le nombre des mourants, en douze par- ties, savoir : depuis la naissance jusqu'à deux ans accomplis, de deux ans jusqu'à cinq ans révolus; de cinq ans jusqu'à dix ans, de dix à vingt ans, de vingt à trente ans, de trente à quarante ans, de quarante à cinquante ans, de cinquante à soixante ans, de soixante à soixante- dix ans, de soixante-dix à quatre-vingts ans, de quatre-vingts à quatre-vingt-dix ans, et de quatre-vingt-dix ans à cent ans et au-dessus. J'ai partagé mes tables de même, et j'ai trouvé, par des règles de proportion, les rap- ports suivants : Sur 23994, il en meurt : dans les deux premières EN FRANCE. A LONDRES. années de la vie.. . . . 8852 8028 de 2 à 5 ans révolss, 2194 1904 5 10 1219 806 10 20 958 722 20 50 1596 2085 50 40 1654 2491 40 50 1707 2622 50 60 1716 2026 60 70 1915 1584 70 80 1742 1156 80 90 578 515 90 100 85 76 Mais, comme le remarque très-bien M. Cor- byn , les nombres qui représentent les gens adultes, depuis vingt ans et au-dessus, sont beaucoup trop forts , en comparaison de ceux qui précèdent et qui représentent les personnes de dix à vingt ans, ou les enfants de cinq à dix ans; parce qu'en effet il vient à Londres, comme dans toutes les autres grandes villes, un très-grand nombre d'étrangers et de gens de la campagne , et beaucoup plus de gens adultes etau-dessus de vingt ans qu'au-dessous. Ainsi, pour faire notre comparaison plus exac- tement, nous avons séparé, dans notre table, les douze paroisses de la campagne, et, ne pre- nant que les trois paroisses de Paris, nous en avons tiré les rapports suivants, pour la mor- talité de Paris, relativement à celle de Londres. Sur 13189, il en meurt : dans les deux premières À PARIS. A LONDRES, années de la vie. . . . 4151 2415 de 2? à 5 ans révolus, 14:10 1046 5 10 740 443 10 20 507 396 20 50 693 1146 50 40 885 1570 40 50 962 1442 391 50 60 1062 1115 60 70 1271 870 70 80 1108 626 80 90 861 282 90 100 59 42 Par la comparaison de ces tables, il parait qu'on envoie plus d'enfants en nourrice à la campagne à Paris qu'à Londres, puisque, sur le même nombre 13189, il n'en meurt à Paris que 4131, tandis qu'il en meurt à Londres 4413, et que, comme par la même raison il en rentre moins à Londres qu'à Paris, ilen meurt moins aussi à proportion depuis l'âge de deux aus jusqu’à cinq, et même de cinq à dix , et de dix à vingt. Mais depuis vingt jusqu'à soixante ans, le nombre des morts de Londres excède de beau- coup celui des morts de Paris, et le plus grand excès est de vingt à quarante ans; ce qui prouve qu'il entre à Londres un très-crand nombre de gens adultes qui viennent des provinces, et que la fécondité de cette ville ne suffit pas pour en entretenir la population, sans de grands sup- pléments tirés d'ailleurs. Cette même vérité se confirme par la comparaison des extraits de baptêmes avec les extraits mortuaires, par la- quelle on voit que pendant les neuf années, depuis 1728 jusqu’à 1736, le nombre des bap- tèmes à Londres ne s'est trouvé que de 154957, tandis que celui des morts est de 239327; en sorte que Londres a besoin de se recruter de plus de muitié du nombre de ses naissances pour s’entretenir, tandis que Paris se suffit à lui-même à un soixante-quinzième près. Mais cette nécessité de supplément pour Londres pa- rait aller en diminuant un peu ; car en prenant le nombre des naissances et des morts pour neuf autres années plus récentes , savoir : depuis 1749 jusqu'à 1757 , celui des naissances se trouve être 133299 , et celui des morts 196830, dont la différence proportionnelle est un peu moindre que celle de 154957 à 239327 qui re- présente jes naissances et les morts des neuf années, depuis 1728 jusqu'à 1736. Le total de ces nombres marque seulement qu'en général la population de Londres a diminué depuis 1736 jusqu'en 1757 d'environ un sixième, et qu'à mesure que la population a diminué, les sup- pléments étrangers se sont trouvés un peu moins nécessaires. Le nombre des morts est done plus grand à Paris qu'à Londres, depuis deux ans jusqu'à 392 vingt ans , ensuite plus petit à Paris qu'à Lon- dres, depuis vingt ans jusqu'à cinquante ans; à peu près égal depuis cinquante à soixante ans, et enfin beaucoup plus grand à Paris qu'à Londres, depuis soixante ans jusqu'à la fin de la vie; ce qui parait prouver qu'en général on vieillit beaucoup moins à Londres qu'à Paris, puisque, sur 13189 personnes, il y en a 2799 qui ne meurent qu'après soixante ans révolus à Paris, tandis que sur ce même nombre 13189, il n'y en à que 1820 qui meurent après soixante ans à Londres; en sorte que la vieil- lesse parait avoir un tiers plus de faveur à Pa- ris qu'à Londres. . , : 0 | Si l'on veut estimer la population de Lon- dres , d’après les tables de mortalité des neuf années, depuis 1749 jusqu'en 1757, on aura pour le nombre annuel des morts 21870, ce qui, étant multiplié par 35, donne 765450 ; en sorte que Londres contiendrait à ce compte 107450 personnes de plus que Paris ; mais cette réele de trente-cinq vivants pour un mort, que je crois bonne pour Paris, et plus juste encore pour les provinces de France, pourrait bien ne pas convenir à l'Angleterre. Le chevalier Pet- ty (1), dans son Arithumélique politique, ne conipte que trente vivants pour un mort, ce qui ne donnerait que 656100 personnes vivan- tes à Londres : mais je crois que cet auteur, très judicieux d'ailleurs, se trompe à cet égard ; quelque différence qu'il y aitentreles influences du climat de Paris et de celui de Londres, elle ne peut aller à un septième pour la mortalité: seulement il me parait que dans le fait, comme l'on vieillit moins à Londres qu'à Paris, il con- viendrait d'estimer 31 le nombre des vivants relativement aux morts; et prenant 31 pour ce nombre réel, on trouvera que Londres contient 677970 personnes, tandis que Paris n’en con- tient que 658000. Ainsi Londres sera plus peu- plé que Paris d'environ un trente-troisième, puisque le nombre des habitants de Londres ne surpasse celui des habitants de Paris que de 19970 personnes sur 658000. Ce qui me fait estimer 31 le nombre des vi- vants, relativement au nombre des morts à Londres, c'est que tous les auteurs qui ont re- cueilli des observations de mortalité s'accor- dent à dire qu'à la campagne, en Angleterre, il mueurt un sur trente-deux, et à Londres un ! Essays in political arithmetick. London , 1785. HISTOIRE NATURELLE. sur trente, et je pense que les deux estimations sont un peu trop faibles : on verra dans la suite qu'en estimant 31 pour Londres, et 33 pour la campagne en Angleterre, on approche plus de la vérité. L'ouvrage du chevalier Petty est déjà an- cien , et les Anglais l'ont assez estimé pour qu'il y en ait eu quatre éditions, dont la dernière est de 1755. Ses premières tables de mortalité . commencent à 1665 et finissent à 1682; mais, en ne prenant que depuis l’année 1667 jusqu'à 1682, parce qu'il y eut une espèce de peste à Londres qui augmenta du triple le nombre des morts, on trouve pour ces seize années 196196- naissances et 308335 morts; ce qui prouve in- vinciblement que dès ce temps Londres, bien loin de suffire à sa population, avait besoin de se recruter tous les ans de plus de la moitié du nombre de ses naissances. Prenant sur ces seize ans la mortalité moyenne annuelle, on trouve 19270 5%, qui, multipliés par 31, donnent 597399 pour le nombre des habitants de Londres dans ce temps. L'auteur dit 669930 en 1682, parce qu'il n'a pris que les deux dernières années de la table; savoir: 23971 morts en 1681, et 20691 en 1682, dont le nombre moyen est 22331, qu'il ne multiplie que par 30 (1 sur 30, dit-il, »#ourant annuel- lement, suivant les observations sur les billets de mortalilé de Londres, imprimés en 1676); et cela pouvait être vrai dans ce temps, car, dans une ville où il ne nait que deux tiers, et où il meurt trois tiers, il est certain que le der- nier tiers, qui vient du dehors, n'arrive qu'a- dulte ou du moins à un certain âge, et doit par conséquent mourir plus tôt que si ce même nombre était né dans la ville. En sorte qu'on doit estimer à trente-cinq vivants contre un mort la population dans tous les lieux dont la fécondité suffit à l'entretien de leur popula- tion, et qu'on doit au contraire estimer au-des- sous, c'est-à-dire à 33, 32, 31, etc., vivants pour un mort, la population des villes qui ont besoin de recrues étrangères pour s'entreteuir au même degré de population. Le même auteur observe que, dans la cam- pagne en Angleterre, il meurt un sur trente- deux , et qu'il naît cinq pour quatre qui meu- rent. Ce dernier fait s'accorde assez avec ce qui arrive en France; mais si le premier fait est vrai, il s'ensuit que la salubrité de l'air en France est plus grande qu'en Angleterre, dans NAISSANCES, MARIAGES, grec. le rapport de 35 à 32; car il est certain que, dans la campagne en France, il n'en meurt qu'un sur trente-cinq. Par d’autres tables de mortalité , tirées des registres de la ville de Dublin, pour les années 1668, 1672, 1674, 1678, 1679 et 1680, on voit que le nombre des naissances dans cette ville, pendant ces six années, a élé de 6157; ce qui fait 1026, année moyenne. On voit de même que, pendant ces six années, le nombre des morts a été de 9865, c'est-à-dire de 1644, an- née moyenne : d'où il résulte, 1° que Dublin a besoin, comme Londres, de secours étrangers pour maintenir sa population dans la propor- tion de 16 à 10; en sorte qu'il est nécessaire qu'il arrive à Dublin tous les ans trois huitiè- mes d'étrangers. 2° La population de cette ville doit s'estimer, comme celle de Londres, en multipliant par 31 le nombre annuel des morts ; ce qui donne 50964 personnes pour Dublin, et 597399 pour Londres ; et, si l’on s’en rapporte aux observa- tions de l’auteur, qui dit qu'il ne faut compter que trente vivants pour un mort, on ne trou- vera pour Londres que 578130 personnes, et pour Dublin 49320 ; ce qui me paraît s'éloigner un peu de la vérité; mais Londres a pris depuis ce temps beaucoup d’accroissement, comme nous le dirons dans la suite. Par une autre table des naissances et des morts pour les mêmes six années à Londres, et dans lesquelles on a distingué les mâles et les femelles , il est né 6332 garcons et 5940 filles, année moyenne, c'est-à-dire un peu plus d’un quinzième de garcons que de filles; et, par ies mêmes tables, il est mort 10424 hommes et 9505 femmes, c'est-à-dire environ un dixième d'hommes plus que de femmes. Et si l'on prend | le total des naissances qui est de 1 ELNIe total des morts qui est de 19929, on voit que, dès ce temps, la ville de Londres tirait de l’é- tranger plus de moitié de ce qu’elle produit elle-même pour l'entretien de sa population. Par d’autres tables, pour les années 1683, 1684 et 1685, le nombre des morts à Londres s’est trouvé de 22337, année moyenne, et l’au- teur dit qu'à Paris le nombre des morts, dans les trois mêmes années, a été de 19887, année moyenne; d'où il conclut, en multipliant par 2972 2212 395 l'avons dit, on doit multiplier à Paris le nom- bre des morts par 35, ce qui donne 696045; et il serait singulier qu'au lieu d'être augmenté, Paris eût diminué d'habitants depuis ce temps: car, à prendre les trois dernières années de notre table de la mortalité de Paris, savoir : les années 17641765 et 1766 , on trouve que le nombre des morts, année moyenne, est de 19205 #; ce qui, multiplié par 35, donne 672167 pour la population actuelle de Paris, c'est-à- dire 23878 de moins qu'en l’année 1685. Prenant ensuite la table des naissances et des morts dans la ville de Londres , depuis l'année 1686 jusques et compris l’année 1758, où fi- nissent les tables de M. Corbyn-Morris, on trouve que dans les dix premières années, c'est-à-dire, depuis 1686 jusques et compris 1695 , il est né 75400 garçons et 71454 filles, et qu'il est mort dans ces mêmes dix années, 112825 hommes et 106798 femmes; ce qui fait, année moyenne , 7540 garcons et 7146 filles, en tout 14686 naissances; et pour l’année moyenne des morts 11282 hommes et 10680 femmes , en tout 21962 morts. Comparant en- suite les naissances et les morts pendant ces dix premières années , avec les naissances et les morts pendant les dix dernières, c'est-à- dire depuis 1749 jusques et compris 1758, on trouve qu'il est né 75594 garçons et 71914 fil- les, etqu'il est mort, dans ces mêmes dix der- nières années , 106519 hommes et 107892 femmes ; ce qui fait, année moyenne, 7559 garcons et 7191 filles , en tout 14750 naissan- ces ; et pour l’année moyenne des morts 10652 hommes et 10789 femmes, en tout 21441 morts : en sorte que le nombre des naissances, à cette dernière époque , n'excède celui des naissances à la première époque , que de 64 sur 14686, et le nombre des morts est moindre de 521 ; d’où il suit qu’en soixante-treize années la popula- tion de Londres n'a point augmenté , et qu’elle était encore en 1758 ce qu'elle était en 1686, c’est-à-dire trente etune fois 21701 5 ou 672746, et cela tout au plus ; car, si l'on ne multipliait le nombre des morts que par 30, on ne trouve- rait que 651045 pour la population réelle de cette ville. Ce nombre de trente vivants pour un mort dans la ville de Londres a été adopté par tous les auteurs anglais qui ont écrit sur 30 , que le nombre des habitants de Londres | cette matière: Graunt, Petty , Corbyn-Morris, était dans ce temps de 700110, et celui des ha- | bitants de Paris, de 596610. Mais comme nous Smart et quelques autres, semblent être d'ac- cord sur ce point. Néanmoins je crois qu'ils ont 504 pu se tromper, attendu qu'il y a plus de diffé- rence entre 30 et 35 qu'on n'en doit présumer dans la salubrité de lair de Paris relativement à celui de Londres. On voit aussi, par cette comparaison, que le nombre des enfants mâles surpasse celui des femelles à peu près en même proportion dans les deux époques; savoir, d’un dix-huitième dans la première époque, et d’un peu plus d’un dix-neuvième dans la seconde. Et enfin cette comparaison démontre que Londres a toujours eu besoin d'un grand sup- plément tiré du dehors pour maintenir sa po- pulation , puisque, dans ces deux époques éloi- gnées de soixante-dix ans, le nombre des naissances à celui des morts n’est que de 7 à 10, ou de 7 à 11, tandis qu'à Paris les naissan- ces égalent les morts à un soixante-quinzieme | près. Mais, dans cette suite d'années, depuis 1686 jusqu'à 1758, il y a eu une période de temps, même assez longue, pendant laquelle la popu- | ce nombre des habitants de Londres était lation de Londres était bien plus considérable ; savoir : depuis l'année 1714 jusqu’à l'année | | sur la première époque, et d’un peu moins 1734; car, pendant cette période qui est de vingt et un ans, le nombre total des naissances a été de 377569, c'est-à-dire de 17979 !, année moyenne, tandis que dans les vingt et une pre- HISTOIRE NATURELLE. Londres est beaucoup moins peuplé qu'il ne l'était dans l’époque intermédiaire de 1714 à 1734, et que même il l’est moins qu'il ne l'était à la première époque de 1686 à 1706. Cette vérité se confirme par l'inspection de la liste des morts dans ces trois époques. Dans la première, de 1686 à 1706, le nom- bre des morts, année moyenne, a été 21159 2. Dans la dernière époque, depuis 1738 jusqu'à 1758, ce nombre des morts, année moyenne, a été 23845 ;; et dans l’époque intermédiaire, depuis 1714 jusqu'en 1734, ce nombre des morts, année moyenne, se trouve être de 26463 ©; en sorte que la population de Lon- dres devant être estimée par la multiplication du nombre annuel des morts par 31 , on trou- vera que ce nombre étant dans la première période, de 1686 à 1706, de 21159 2, le nom- bre des habitants de cette ville était alors de 655949; que dans la dernière période, de 1738 à 1758 , ce nombre était de 739205, mais que dans la période intermédiaire de 1714 à 1734, 820370, c’est-à-dire beaucoup plus d'un quart d'un neuvième sur la dernière. La population de cette ville, prise depuis 1686, a donc d'abord | augmenté de plus d’un quart jusqu'aux années mieres années, depuis 1686 jusqu'à 1706, le | nombre des naissances, année moyenne n'a été que de 15131 !, et dans les vingt et une dernières années , savoir, depuis 1738 jusqu'à 1758, ce même nombre de naissances , année moyenne, n’a aussi été que de 14797 &; en | 24? sorte qu'il parait que la population de Londres a considérablement augmenté depuis 1686 jus- | qu'à 1706, qu'elle était au plus haut point dans la période qui s'est écoulée depuis 1706 jusqu'à 1737, et qu'ensuite elle a toujours été en dimi- nuant jusqu'en 1758; et cette diminution est | fort considérable , puisque le nombre des nais- sances, qui était de 17979 dans la période in- termédiaire , n'est que de 14797 dans la der- niere période; ce qui fait plus d'un cinquième de moins : or la meilleure manière de juger de l'accroissement et du décroissement de la po- pulation d'une ville, c’est par l'augmentation et la diminution du nombre des naissances , et d'ailleurs les suppléments qu’elle est obligée de tirer de l'étranger sont d'autant plus consi- dérables que le nombre des naissances y de- vient plus petit : on peut donc assurer que 1724 et 1725, et depuis ce temps elle a dimi- nué d’un neuvième jusqu'à 1758 : mais c’est seulement en l’estimant par le nombre des morts ; car si l'on veut l’évaluer par le nombre des naissances, cette diminution serait beau- coup plus grande, et je l’arbitrerais au moins à un septième. Nous laissons aux politiques anglais le soin de rechercher quelles peuvent être les causes de cette diminution de la popula- tion dans leur ville capitale. Il résulte un autre fait de cette comparaison, c'est que le nombre des naissances étant moin- dre et le nombre des morts plus grand dans la dernière période que dans la première, les suppléments que cette ville a tirés du dehors ont toujours été en augmentant, et qu'elle n'a par conséquent jamais été en état, à beaucoup près, de suppléer à sa population par sa fé- condité, puisqu'il y a dans la dernière période 23845 morts sur 14797 naissances, Ce qui fait plus d'une moitié en sus dont elle est obligée de se suppléer par les secours du dehors. Dans ce même ouvrage (1), l'auteur donne { Collection of the yearly Bills of mortality. London , 1759, | | | | | NAISSANCES, MARIAGES, erc. d’après les observations de Graunt, le résultat d'une table des naissances, des morts et des mariages, d'un certain nombre de paroisses daos la province de Hampshire en Angleterre, pendant quatre-vingt-dix ans ; et par cette table il parait que chaque mariage a produit quatre enfants ; ce qui est très-différent du produit de chaque mariage en France à la campagne, qui est de cinq enfants au moins , et souvent de six, comme on l’a vu par les tables des bailliages de Semur et Saulieu, que nous avons données ci- devant. Une seconde observation tirée de cette table de mortalité à la campagne en Angleterre, c'est qu'il nait seize mâles pour quinze femelles, tandis qu'à Londres il ne nait que quatorze mâles sur treize femelles; et dans nos campa- gnes, il naît en Bourgogne un sixieme environ de garçons plus que de filles , comme on l'a vu par les tables du bailliage de Semur et de Sau- Tieu ; mais aussi il ne nait à Paris que vingt- sept garçons pour vingt-six filles, tandis qu’à Londres il en nait quatorze pour treize, On voit encore par cette même table pour quatre-vingt-dix ans, que le nombre moyen des naissances est au nombre moyen des morts, comme 5 sont à 4, et que cette diffé- rence, entre le nombre des naissances et des morts à Londres et à la campagne, vient prin- cipalement des suppléments que cette province fournit à Londres pour sa population. En Fran- ce, dans les deux bailliages que nous avons ci- tés, la perte est encore plus grande, car elle est entre un tiers et un quart, c’est-à-dire qu'il nait entre un tiers et un quart plus de monde dans ces districts qu'il n’en meurt : ce qui sem- ble prouver que les Français, du moins ceux de ce canton, sont moins sédentaires que les provinciaux d'Angleterre. L'auteur observe encore que, suivant cette table, les années où il nait le plus de monde sont celles où il en périt le moins, et l'on peut être assuré de cette vérité en France comme en Angleterre : car dans l’année 1770, qu'il est né plus d'enfants que dans les quatre années sui- vantes, il est aussi mort moins de monde , tant dans le bailliage de Semur que dans celui de Saulieu. Dans un appendix, l’auteur ajoute que, par plusieurs autres observations faites dans les provinces du sud de l'Angleterre , il s'est tou- jours trouvé que chaque mariage produisait 395 quatre enfants; que non seulement cette pro- portion est juste pour l'Angleterre, mais même pour Amsterdam, où il a pris les information; nécessaires pour s'en assurer. On trouve ensuite une table, recueillie par Graunt, des naissances, mariages etmorts dans la ville de Paris pendant les années 1670, 1671 et 1672; et voici l'extrait de cette table. ANNÉES. NAISSANCES. MOUTS. ———— 1670 1671 1672 D'où l'on doit conclure, 1° que dans ce temps, c'est-à-dire il y a près de cent ans, cha- que mariage produisait à Paris environ quatre enfants deux tiers, au lieu qu’à présent chaque mariage ne produit tout au plus que quatre en- fants ; 22 Que le nombre moyen des naïssances des trois années 1670, 1671 et 1672, étant 17923, et celui des dernières années de nos tables de Paris, savoir, 1764, 1765 et 1766, étant 19205, la force de cette ville pour le maintien de sa population a augmenté depuis cent ans d'un quart, et même que sa fécondité est plus quesuf- fisante pour sa population, puisque le nombre des naissances, dans ces trois dernières années, est de 57616, et celui des morts de 54927; tandis que dans les trois années 1670, 1671 et 1672, le nombre total des naissances étant de 53769, et celui des morts de 56443, la fécon- dité de Paris ne suffisait pas en entier à sa po- pulation, laquelle, en multipliant par 35 le nom- bre moyen des morts, était dans ce temps de 658501 ,etqu'elle n’est àprésentquede 640815, si l'on veut en juger par le nombre des morts dans ces trois dernières années; mais, comme le nombre des naissances surpasse celui des morts, la force de la population est augmentée, quoiqu’elle paraisse diminuée par le nombre des morts. On serait porté à croire que le nom- bre des morts devrait toujours excéder de beau- coup dans une ville telle que Paris le nombre des naissances, parce qu'il y arrive continuelle- ment un très-zrand nombre de gens adultes, soit des provinces , soit de l'étranger, et que, dans ce nombre, il y a fort peu de gens mariés, en comparaison de ceux qui ne le sont pas; et 596 cette affluence, qui n'augmente pas le nombre des naissances , doit augmenter le nombre des morts. Les domestiques, qui sont en si grand nombre dans cette ville, sont pour la plus grande partie filles et garçons ; cela ne devrait pas augmenter le nombre des naissances , mais bien celui des morts; cependant l'on peut croire que c'est à ce grand nombre de gens non mariés qu'appartiennent les enfants trouvés, au moins par moitié; et, comme actuellement le nombre des enfants trouvés fait à peu près le tiers du total des naissances, ces gens non mariés ne laissent donc pas d'y contribuer du moins pour un sixième, et d’ailleurs la vie d’un garçon où d’une fille qui arrivent adultes à Pa- ris est plus assurée que celle d'un enfant qui pait. ere ce Après avoir fait l’histoire de la vie et de la mort, par rapport à l'individu , Buffon dit que, pour faire une bonne table de mortalité du genre humain, en général, il faut dépouiller non-seulement les regis- tres des paroisses d'une ville comme Londres, Pa- ris, ete., etc., où il entre des étrangers et d’où il sort des natifs, mais encore ceux des campagnes, alin qu'ajoutant ensemble tous les résultats, les uns compensent les autres. Or, c'est ce qu'avait commencé à exécuter sur douze paroisses de la campagne el trois paroisses de Paris, Dupré de Saint-Maur, de l'Académie française, et ce sont les tableaux de ce savant qu'a publiés Buffon, sous le utre de Probabilités de la durée de la vie. Mais de- puis celte époque, les recherches de ce genre se sont multipliées; elles ont acquis une importance qu'il n'est plus permis de contester ; aussi pensons- nous qu'il est de notre devoir de comprendre dans celte édition quelques-uns des résultats qu’a publiés le Bureau des Longitudes , touchant la mortalité et É population, en France, à Northampton et à Car- isle. TABLES De la Mortalité et de la Population en France, par M. Mathieu. La table première , intitulée Loi de la Mortalité en France, indique combien, sur un million d'en- fants qu'on suppose nés au même instant, il en reste de vivants après 4 an, 2 ans, 5 ans, ete., jusqu'à 410 aus où il n'en existe plus; par exemple, à 20 ans il n'en reste que 502216, ou un peu plus de la moilié, et à 45 ans 554072, ou un peu plus du tiers. On voit que presque un quart des enfants meurent gans la première année, et qu'un tiers ne parvien- 4. > HISTOIRE NATURELLE. nent pas à l'âge de 2 ans. La petite vérole a une grande part à cette mortalité effrayante ; mais le bienfait de la vaccine finira par délivrer l'humanité de ce fléau destructeur. Ainsi, d'après cette table, de 26000 enfants qui naissent à peu près chaque année à Paris, il n'y en a que la moitié qui parviennent à l'âge de 20 ans, et seulement un tiers qui atteignent l’âge de 45 ans. Si l'on veut savoir combien parviennent à l’âge de 55 ans, par exemple, on fera la propor- tion ; un million est à 26000 comme 257195 (nom- bre de la table I placé vis-à-vis de 55 ans) est au nombre cherché qui est ici 6687; il en reste donc un peu plus du quart. Si l'on prend la différence entre deux nombres conséculifs de la table, entre ceux qui correspon- dent à 40 et 41 ans, par exemple, on aura 6985 pour le nombre d'individus qui meurent pendant cette année ; ainsi, sur 569404 individus qui ont 40 ans, ilen meurt 6985 dans une année, ou 4 sur 53. On trouvera de même qu’à l’âge de 40 ans il n’en meurt par an qu'un sur 450; mais avant et après cet âge il en meurt un sur un moindre nombre. Le danger de mourir est le plus petit possible à l’âge de 10 ans. Pour savoir le nombre d'années qu’une personne de 40 ans vivra probablement , on cherchera dans la table le nombre 369404 de personnes qui ont 40 ans; on en prendra la moitié qui est 184702 : cette moitié correspond à peu près vis-à-vis de 63 ans; puisqu'à 65 ans une moitié de ceux qui avaient 40 ans est morte et l’autre vivante, ily a également à parier pour ou contre qu'une personne de 40 ans parviendra à cet âge ; c’est donc 63 moins 40, ou 25 ans, qu'une personne de 40 ans vivra probablement. On trouvera de même la durée de la vie probable pour un äâge donné, ou le nombre d'années après lequel le nombre des individus de cel âge sera réduit à la moitié. La vie probable est de 20 ans + pour un enfant qui vient de naître ; elle augmente à 4 an, 2 ans, 5 ans; elle parvient à sa plus grande longueur, qui est de 45 ans=, à l'âge de 4 ans, etelle va toujours en diminuant ensuite. Quant à la durée de la vie moyenne, qui exige un peu plus de calcul que les problèmes précédents, nous nous contenterons de dire que , d’après cette table, elle est de 28 ans + à partir de la nais- sance. En la calculant pour chaque âge, on trouve qu'elle est la plus longue possible et de 45 ans 5 mois à l'âge de à ans. Ainsi, à partir de la nais- sance, la vie probable est de 20 ans + et la vie moyenne de 28 ans +; mais, pour des enfants de 4 et de 5 ans, qui ont échappé à la mortalité des 3 ou 4 premières années, la vie probable sur- passe 45 ans, et la vie moyenne 45 ans. La table IL, intitulée Loi de la Population en NAISSANCES, MARIAGES, erc. France , offre le partage de la population suivant les âges. Elle suppose un million de naissances an- nuelles comme la table de mortalité. Le premier nombre 28765192 exprime la population totale. Le suivant 27879450, qui correspond à un an, marque le nombre d'individus d'un an et au-dessus; ceux qui sont vis-à-vis des années 2, 5,4, etc., repré- sentent les nombres d'individus dont les âges sont compris entre 2 ans, 5 ans, etc., et le terme de l'existence. Supposons qu'on demande le nombre d’'indivi- dus de 20 à 21 ans. On voit par la table qu'il y a 17205690 individus qui ont 20 ans et plus, et 46706425 qui ont 24 ans et plus : la différence 499267 entre ces deux nombres représente donc les individus qui ont 20 ans passés , sans avoir en- core 21 ans. Si l'on veut connaître ce nombre pour 26000 naissances annuelles, on fera la proportion : 4000000 est à 26000 comme 499267 est au nom- bre cherché 12981. Ainsi, d'après cette table, il y a 12981 individus de 20 à 21 ans dans une popula- tion où l’on compte annuellement 26000 nais- sances. La table III donne anssi la Loi de la Population en France, mais pour une population de dix mil- lions. Elle indique combien il y a d'individus parmi ces dix millions qui ont un âge donné ou davan- tage ; parexemple, 5981845 qui ont 20 ans et plus, et 5808267 qui ont 21 ans et plus. La différence 475576 de ces deux nombres représente le nombre des individus de 20 à 24 ans. Si l’on veut trouver ce même nombre pour une population de 50 mil- lions, on fera la proportion, 10 millions est à 30 millions comme 175576 est au nombre cherché 520728 : en en défaiquant la moitié pour les fem- mes, il restera 260564 hommes de l’âge de 20 à 21 ans sur la population de 50 millions, qui est à peu près celle de la France. La table I est exactement conforme à celle que Duvillard a donnée en 1806, à la page 461 de son Analyse de l'influence de la Petite Vérole sur la mor- talité. L'auteur dit que « elle présente tous les ré- sultats de la mortalité générale, d’après nn assez grand nombre de faits recueillis avant la révolu- tion en divers lieux de la France, et qu'elle doit re- présenter assez exactement la loi de mortalité. » Mais depuis cette époque on remarque des change- ments notables dans les divers éléments de la po- pulation , et ilest à désirer que l'on rassemble tous 207 les documents nécessaires pour construire une table qui convienne mieux à l'état actuel de la popula- tion en France. De la table de mortalité donnée par M. Duvil- lard, j'ai directement déduit la loi correspondante de la population supposée stationnaire. Je l'ai cal- culée d'année en année, sous deux formes différen- tes. La table IT suppose un million de naissances annuelles ; on la trouve en partie à la page 125 de l'ouvrage déjà cité de Duvillard. La table IL est construite pour une population de dix millions d'individus. La table de Duvillard, qui donne une mortalité un peu trop rapide même pour la population gé- nérale de la France, ne peut pas suffire à toutes les combinaisons qui reposent sur les probabilités de la durée de la vie humaine. Aussi en Franee il y a des compagnies d'assurance sur la vie qui se servent de la table de Duvillard pour les sommes payables au décès des assurés; mais, pour les assu- rances payables du vivant des assurés, telles que les rentes viagères, elles font usage de la table que Deparcieux a construite pour des têtes choisies , et qui donne une mortalité bien plus lente que celle de Duvillard. Des compagnies anglaises se servent dans les mêmes circonstances des tables qui repré- sentent la loi de la mortalité dans les villes de Nor- thampton et de Carlisle. La mortalité est encore plus rapide dans la table pour la ville de Northam- ton que dans la table de Duvillard, et encore plus lente à Carlisle que dans la table de Deparcieux. Suivant que l’on range les individus assurés dans des classes dont la mortalité est rapide ou lente, on emploie des tables de mortalité rapide comme celle de Duvillard, ou de mortalité lente comme celle de Deparcieux. Les tables IV, V et VI ren- ferment les lois de mortalité dont il vient d'être question, et qu'il était bon de joindre à celle de Duvillard, puisqu'on emploie plusieurs tables dans le calcul des assurances. En Angleterre, on se sert aussi de la table de Deparcieux. On peut voir dans The principles and doctrine of assurances, etc., de Morgan, page 295, une table qu'il donne comme conforme à celle que Deparcieux a publiée. Cependant elle présente quelques petites différences. On y trouve d'ailleurs la loi de la mortalité pour ies premières années, omises par Deparcieux. 398 HISTOIRE NATURELLE, TABLE I. TABLE Il. Loi de la population en France, pour un miltion Loi de la mortalité en France, d'après DUYILLARD. | de naissauces annuciles LL 28. Aves.! Vivants., fixes. Ylvants Jages.| Yivanis, Jages.] Vivants. |BaneR mess | moe mme mom memnse 1000000 451035 | 56 | 248,82 / 5 23765192 13585809 v67525 | : 444952 | 57 | 240214 | 82 ‘8 2 8:9450 1295: 526 | Gi 1854 458185 18 j 224 2:149:50 1255069 451598 | 5 6 jé 26511490 12061178 4 = 57 S09808! 52 [11653183 11242024 62 | 195054 ÿ |2 188 10797709 AUAUI2 À 63 | 185600 f MGI55 À 55 [10590261 597125 | 64 | 176045 | 9 2466 25558515} 56 | 9989694 590219 | 65 6877 | £ 25040450! ? 9390825 555500 | 6 165 l 48.446 9209263 5:6503 | 67 h 8829451 369404 157102 Ù | : 8456554 562419 ! G 12,547 j. « US 2uS: 809 656 335400 17656 42 2i jl 775 2, 512542 108070 C 4 7519857 541253 98657 ) [IS 7055008 3540,2 89404 5 75: 5 69:15 515502 526845 | - 80423 221 198 656957 50,949 519539 | 75 | 71745 170 7 60456 502216 5 | 65424 ÿ 3727022 5352154104 497317 55311 j : 2 5419517 490257 | : 237070 48057 ; 2 É] 5118652 484085 À 51 | 28561 41107 È 259 482556 477717 “281327 ï 505 5215026] 5: 4559992 1595550108 47156 À 5 275560 | S 28886 3 147045: à 4262449 127:58)109 464865 | 5 265450 À 8: 25680 14502540 59929154 82 458282 | 55 | 257193 19106 5 | 5:21622 4151655 218 82 / 13175 555380 SAT8654 TABLE If EE Re ) L - j mdr es Loi de la mortalité en France, pour des têtes choisies | Loi de la population en France pour dix millions suivant Deparcieux ‘. d'habitants, FF | ses, | Vivants. jAges.| Vilyanis, Ans. , Aus. ADS. | 28 0 |10000000 4655798] 56 l1209405 | 84 | 21885 | 29 1 | 9602745) 20 | 4497045] 37 [1124401 | 85 | 17179 | 50 2 | 9442537 4544450! 58 [1012103 | 86 | 15509 5 | 1000 | 1 921 162 H195268Û 5» | 965167 10660 970 | 52 9004407| 52 | 4045490] co | 887646 842$ 5 | 948,055 8799050! 55 | 5828046! 61 | S14995 6528 ; 950 5 S5YS06S 57510051 62 FLE 5148 915 8400096] 5: 57 U5S 5944 902 S204545 5. | 5473 516 2 2978 80105944 5536216 557000 2212 TS1802) 5201753] 66 | 500847 | ! 1615 7625158) 59 | 5069708) 67 | 445085 À 95 1156 2940059) 68 2812844] 69 | 552747 2685065 519157 27049 251986 20229$ 2445858 2528471 225581 2101245 1991407 CDEIE CARD — 5808267 1884185 5636764] 5 1779584 5 5 1677615 1575405 1481911 1588215) 82 1297360! 85 27851 humaine; par Deparcleux, 1209405] 84 2188: NAISSANCES, MARIAGES, erc. 399 TABLE V. Loi de la mortalité dans la ville de Northampton #. TABLE VI, Loi de La mortalité dans la ville de Carlisle !. Yivants, A Yivauts, ] 4760 Ù 26 406 AGS3 5 2 ; 516 4610 EX 239 254 186 LRU Ages. 1000 9167 9515 55 62 6998 6797 6676 6:95 6556 6495 60 6451 6100 656% 0333 6500 5655 5559 5182 5104 5526 5248 5170 50v2 504 2956 2857 276 6155 609) 6047 6005 5965 ul 4 Atreatise on the valuation of anmulies and assurances on dives and survivorships; by 3. Mine; London, 4815, 1011, p.56 + The principles and doctrine of assurances, annuilies on lives, etc. ; by WW. Morgan; London, 1824, p.235. TER EST ETETESTETENEPEPTEGEE EME EG AERINET ESSAI DARITHMÉTIQUE MORALE. I. Je n'entreprends point ici de donner des essais sur la morale en général ; cela demande- rait plus de lumières que je ne m'en suppose, et plus d'art que je ne m'en reconnais. La pre- miere et la plus saine partie de la morale est plutôt une application des maximes de notre divine religion, qu’une science humaine ; et je me garderai bien d'oser tenter des matières où ia loi de Dieu fait nos principes, et la foi notre calcul. La reconnaissance respectueuse ou plu- tôt l'adoration que l'homme doit à son créateur, la charité fraternelle, ou plutôt l'amour qu'il doit à son prochain, sont des sentiments natu- rels et des vertus écrites dans une âme bien faite : tout ce qui émane de cette source pure porte le caractère de la vérité ; la lumiere en est si vive que le prestige de l'erreur ne peut l'ob- seurcir ; l'évidence si grande qu'elle n'admet ni raisonnement, ni délibération, ni doute, et n'a d'autre mesure que la conviction. La mesure des choses incertaines fait ici mon objet; je vais tâcher de donner quelques regles pour estimer les rapports de vraisemblance, les degrés de probabilité , le poids des témoi- gnages, l'influence des hasards, l'inconvénient des risques , et juger en même temps de la va- leur réelle de nos craintes et de nos espérances. IT. Il y a des vérités de différents genres, des certitudes de différents ordres , des proba- bilités de différents degrés. Les vérités qui sont purement intellectuelles, comme celles de la géométrie, se réduisent toutes à des vérités de définition : il ne s’agit pour résoudre le problème le plus difficile que de le bien enten- dre; et il n'y a dans le caleul et les autres sciences purement spéculatives, d'autres dif- ficultés que celles de démêler ce que nous y avons mis, et de délier les nœuds que l'esprit humain s’est fait une étude de nouer et serrer d'après les définitions et les suppositions qui servent de fondement et de trame à ces scien- ces. Toutes les propositions peuvent toujours être démontrées évidemment, parce qu'on peut tuujours remonter de chacune de ces proposi- tions à d'autres propositions antécédentes qui leur sont identiques, et de celles-ci à d’autres jusqu'aux définitions. C'est par cette raison que l'évidence, proprement dite, appartient aux sciences mathématiques et n'appartient qu'à elles; car on doit distinguer l'évidence du rai- sonnement, de l'évidence qui nous vient par les sens , c'est-à-dire l'évidence intellectuelle de l'intuition corporelle : celle-ci n’est qu'une ap- préhension nette d'objets ou d'images; l'autre est une comparaison d'idées semblables ou identiques , ou plutôt c'est la perception immé- diate de leur identité. IT. Dans les sciences physiques, l'évidence est remplacée par la certitude : l'évidence n'est pas susceptible de mesure, parce qu'elle n’a qu'une seule propriété absolue , qui est la né- gation nette ou l'affirmation de la chose qu'elle démontre; mais la certitude n'étant jamais d'un positif absolu , a des rapports que l’on doit comparer et dont on peut estimer la mesure. La certitude physique, c'est-à-dire la certitude de toutes la plus certaine, n’est néanmoins que la probabilité presque infinie qu'un effet, un événement qui n'a jamais manqué d'arriver, arrivera encore une fois: par exemple, puisque ESSAI D'ARITHMÉTIQUE MORALE. le soleil s'est toujours levé, il est dès lors physi- quement certain qu'il se lèvera demain. Une raison pour être, c'est d'avoir été : mais une raison pour cesser d'être, c'est d'avoir com- mencé d'être; et par conséquent l'on ne peut pas dire qu'il soit également certain que le soleil se lèvera toujours, à moins de lui suppo- ser une éternité antécédente, égale à la perpé- tuité subséquente; autrement il finira puisqu'il a commencé. Car nous ne devons juger de l'a- venir que par la vue du passé ; dès qu'une chose a toujours été, ou s'est toujours faite de la même facon, nous devons être assurés qu'elle sera ou se fera toujours de cette même façon : par loujours , j'entends un très-long temps, et non pas une cternité absolue, le toujours de l'a- venir n'étant jamais qu'égal au toujours du passé. L'absolu de quelque genre qu'il soit n’est ni du ressort de la nature ni de celui de l'esprit humain. Les hommes ont regardé comme des effets ordinaires et naturels tous les événe- ments qui ont cette espèce de certitude physi- que ; un effet qui arrive toujours cesse de nous étonner : au contraire , un phénomène qui n'au- rait jamais paru, ou qui étant toujours arrivé de même facon, cesserait d'arriver ou arrive- rait d'une façon différente, nous étonneraitavec raison , et serait un événement qui nous parai- trait si extraordinaire, que nous le regarde- rions comme surnaturel. IV. Ces effets naturels qui ne noussurprennent pas ont néanmoins tout ce qu'il faut pour nous étonner : quel concours de causes, quel assem- blage de principes ne faut-il pas pour produire un seul insecte, une seule plante! quelle pro- digieuse combinaison d'éléments, de mouve- ments et de ressorts dans la machine animale! Les plus petits ouvrages de la nature sont des sujets de la plus grande admiration. Ce qui fait que nous ne sommes point étonnés de toutes ces merveilles, c'est que nous sommes nés dans | ce monde de merveilles, que nous les avons | toujours vues, que notre entendement et nos yeux y sont également accoutumés ; enfin que toutes ont été avant et seront encore après | nous. Si nous étions nés dans un autre monde | avec une autre forme de corps et d'autres sens, nous aurions eu d'autres rapports avec les ob- jets extérieurs, nous aurions vu d'autres mer- veilles et n'en aurions pas été plus surpris; les unes et les autres sont fondées sur l'ignorance des causes, et sur l'impossibilité de connaitre Hi. | 401 la réalité des choses, dont il ne nous est per- mis d'apercevoir que les relations qu'elles ont avec nous-mêmes. Il y a donc deux manieres de considérer les effets naturels : la première est de les voir tels qu'ils se présentent à nous sans faire attention aux causes, ou plutôt sans leur chercher de causes ; la seconde, c'est d'examiner les effets dans la vue de les rapporter à des principes et à des causes. Ces deux points de vue sont fort différents et produisent des raisons différentes d'étonnement : l’un cause la sensation de la surprise , et l’autre fait naître le sentiment de l'admiration. V. Nous ne parlerons ici que de cette pre- mière manière de considérer les effets de la na- ture; quelque incompréhensibles, quelque com- pliqués qu'ils nous paraissent, nous les jugerons comme les plus évidents et les plus simples, et uniquement par leurs résultats : par exemple, nous ne pouvons concevoir ni même imaginer pourquoi la matière s’attire, et nous nous con- tenterons d'êtresürs que réellement elle s'attire; nous juserons dès lors qu'elle s’est toujours at- tirée et qu'elle continuera toujours de s'attirer. Il en est de même des autres phénomènes de toute espèce : quelque incroyables qu'ils puis- sent nous paraitre, nous les croirons si nous sommes sûrs qu'ils sont arrivés très-souvent , nous en douterons s'ils ont manqué aussi sou- vent qu'ils sont arrivés; enfin nous les nierons si nous croyons être sûrs qu'ils ne sont jamais arrivés; en un mot, selon que nous les aurons vus et reconnus, ou que nous aurons vu et re- connu le contraire. Mais si l'expérience est la base de nos con- naissances physiques et morales, l’analogie en est le premier instrument: lorsque nous voyons qu'une chose arrive constamment d'une cer- taine facon , nous sommes assurés par notre ex- périence qu'elle arrivera encore de la même facon; et lorsque l'on nous rapporte qu'une chose est arrivée de telle ou telle maniere, si ces faits ont de l’analogie avec les autres faits que nous connaissons par nous-mêmes. dès lors nous les croyons; au contraire, si le fait n'a aucune analogie avec les effets ordinaires, c'est-à-dire avec les choses qui nous sont con- nues, nous devons en douter ; et s'il est direc- tement opposé à ce que nous connaissons , nous n'hésitons pas à le nier. VI. L'expérience et l'analogie peuvent nous 26 402 donner des certitudes différentes à peu près évales et quelquefois de même genre : par exemple, je suis presque aussi certain de l'exis- tence de la ville de Constantinople, que je n'ai jamais vue, que de l'existence de la lune que j'ai vue si souvent, et cela parce que les témoi- gnages en grand nombre peuvent produire une certitude presque égale à la certitude physi- que, lorsqu'ils portent sur des choses qui ont une pleine analogie avec celles que nous con- paissons. La certitude physique doit se mesu- rer par un nome immense de probabilités, puisque cette certitude est produite par une suite constante d'observations, qui font ce qu'on appelle l'expérience de tous les temps. La cer- titude morale doit se mesurer par un moindre nombre de probabilités , puisqu'elle ne suppose qu'un certain nombre d'analogies avec ce qui nous est connu. En supposant un homme qui n’eût jamais rien vu, rien entendu, cherchons comment la croyance et le doute se produiraient dans son esprit : supposons-le frappé pour la première fois par l'aspect du soleil ; il le voit briller au haut des cieux , ensuite décliner et enfin dispa- raitre; qu'en peut-il conclure ? rien, sinon qu'il a vu le soleil, qu'il l'a vu suivre une certaine route, et qu'il ne le voit plus. Mais cet astre reparait et disparait encore le lendemain; cette seconde vision est une première expérience, qui doit produire en lui l'espérance de revoir le soleil, et il commence à croire qu'il pourrait revenir; cependant il en doute beaucoup. Le soleil reparait de nouveau; cette troisième vi- sion fait une seconde expérience qui diminue le doute autant qu'elle augmente la probabilité d’un troisième retour. Une troisième expérience l'augmente au point qu'il ne doute plus guère que le soleil ne revienne une quatrième fois ; et enfin quand il aura vu cet astre de lumière pa- raitre et disparaitre régulièrement dix, vingt, cent fois de suite, il croira être certain qu'il le verra toujours paraitre, disparaitre et se mou- voir de la même façon. Plus il aura d'observa- tions semblables, plus la certitude de voir le soleil se lever le lendemain sera grande. Cha- que observation, c’est-à-dire chaque jour, produit une probabilité; et la somme de ces probabilités réunies , dès qu’elle est très- grande , donne la certitude physique. L'on pourra done toujours exprimer cette certitude par!esnombres, en datant de l'origine du temps ESSAI de notre expérience , et il en sera de même de tous les autres effets de la nature : par exem- ple, si l'on veut réduire ici l'ancienneté du monde et de notre expérience à six mille ans, le soleil ne s’est levé pour nous ! que 2 miilions 190 mille fois; et comme à dater du second jour qu'il s’est levé, les probabilités de se lever le lendemain augmentent, comme la suité 1,2, 4,8, 16,32, 64... Où 221, On aura | lorsque dans la suite naturelle des nombres, » est évale 2,190000); on aura, dis-je, 2 %— 1— 2218999: ce qui est déjà un nombre si prodigieux que nous ne pouvons nous en formér une idée; et c'est par cette raison qu'on doit regarder la certitude physique comme composée d'une immensité de probabilités; puisqu'en reculant la date de la création seulement de deux milliers d'années, cette immensité de probabilités devient 22900 fois plus que 2215299, VII. Mais il n'est pas aussi aisé de faire l’es- timation de la valeur de l’analogie, ni par con- séquent de trouver la mesure de la certitude morale; c'est, à la vérité, le degré de proba- bilité qui fait la force du raisonnement analo- gique ; et en elle-même l’analogie n’est que la somme des rapports avec les choses connues. Néanmoins, selon que cette Somme ou ce rap- port en général sera plus où moins grand, la conséquence du raisonnement analogique sera plus où moins sûre, sans cependant être jamais absolument certaine : par exemple, qu'un té- moin que je suppose de bon sens me dise qu'il vient de naître un enfarit dans cette ville, je le croirai sans hésiter , le fait dela naissance d’un enfant n'ayant rien que de fortordinaire, mais ayant au contraire une infinité de rapports avec les choses connues, c'est-à-dire avec la nais- sance de tous les autres enfants ; je croirai done ce fait, sans cependant en être absolument cer- tain. Si le même homme me disait que cet en- fantest né avec deux têtes, je le croirais encore, mais plus faiblement, un enfant avec deux têtes ayant moins de rapport avec les choses connues. S'il ajoutait que ce nouveau-né a non seulement deux têtes, mais qu’il a encore six bras et huit jambes, j'aurais avec raison bien de la peine à le croire; et cependant quelque faible que fût ma croyance, je ne pourrais la lui refuser en entier; ce monstre , quoique fort extraordinaire, n'étant néanmoins composé que 1 Je dis pour nous, on plutôt pour notre climat, car cela ne serait pas exactement vrai pour lé climat des pôles. D'ARITHMÉTIQUE MORALE. de parties qui ont toutes quelque rapport avec les choses connues, et n'y ayant que leur as- semblage et leurnombre de fort extraordinaire. La force du raisonnement analogique sera done toujours proportionnelle à l'analogie elle-même, c'est-à-dire au nombre des rapports avec les choses connues; et il ne s'agira, pour faire un bon raisonnement analogique, que de se mettre bien au fait de toutes les circonstances, Îles comparer avec les circonstances analogues, sommer lenombre de celles-ci, prendre ensuite un modèle de comparaison auquel on rappor- tera cette valeur trouvée, et l’on aura au juste la probabilité, c’est-à-dire le degré de force du raisonnement analogique. VEIT. Il ya donc une distance prodisieuse en- tre la certitude physique et l'espèce de certitude qu'on peutdéduire dela plupart des analogies: la première est une somme immense de probabi- lités qui nous force à croire ; l'autre n'est qu'une probabilité plus ou moins grande , et souvent si petite qu'elle nous laisse dans la perplexité. Le doute est toujours en raison inverse de la proba- bilité ; c'est-à-dire qu'il est d'autant plus grand que la probabilité est pis petite. Dans l'ordre des certitudes produites par l’analogie , on doit placer la certitude morale; elle semble même tenir le milieu entre le doute et la certitude phy- sique; et ce milieu n’est pas un point, mais une ligne très-étendue, et de laquelle il est bien dif- ficile de déterminer les limites. On sent bien que c’est un certain nombre de probabilités qui fait la certitude morale; mais quel est ce nom- bre, et pouvons-nous espérer de le déterminer aussi précisément que celui par lequel nous ve- nons de représenter la certitude physique ? Après y avoir réfléchi, j'ai pensé que de toutes les probabilités morales possibles, celle qui affecte le plus l'homme en général, c’est la crainte de la mort, et j'ai senti dès lors que toute crainte ou toute espérance, dont la pro- babilité serait égale à cellequi produit la crainte de la mort, peut dans le moral être prise pour l'unité à laquelle on doit rapporter la mesure des autres craintes ; et j'y rapporte de même celle des espérances, car il n’y a de différence entre l'espérance et la crainte que celle du positif au négatif; et les probabilités de toutes deux doivent se mesurer de la même manière. Je cherche donc quelle est réellement la probabi- lité qu'ug homme qui se porte bien, et qui par conséquent n a nulle crainte de la mort, meure 403 néanmoins dans les vingt-quatre heures. En consultant les Tables de mortalité, je vois qu’on en peut déduire qu'il n’y a que dix mille cent quatre-vingt-neuf à parier contre un, qu’un homme de cinquante-six ans vivra plus d'un jour !. Or, comme tout homme de cet âge, où la raison à acquis toute sa maturité et l'expé- rience toute sa force, n'a néanmoins nulle crainte de la mort dans les vingt-quatre heures; quoi- qu'iln'y ait que dix mille cent quatre-vingt-neuf à parier contre un qu'il ne mourra pas dans ce court intervalle de temps, j'en conclus que | toute probabilité égale ou plus petite doit être resardée comme nulle, et que toute crainte ou toute espérance quise trouve au-dessous de dix mille ne doitni nous affecter, ni même nous occuper un seul instant le cœur ou Ja tête ?. Pour me faire mieux entendre, supposons que dans une loterie où il n’y a qu'un seul lot et dix mille billets, un homme ne prenne qu'un billet, je dis que la probabilité d'obtenir le lot n'étant que d'un contre dix mille, son espé- rance est nulle, puisqu'il r’y a pas plus de pro- babilité, c'est-à-dire de raison d'espérer le lot, qu'il y en a de craindre Ja mort dans les vingt- quatre heures, et que cette crainte ne l’affectant en aucune facon, l'espérance du lot ne doit pas l'affecter davantage, et même encore beaucoup moins, puisque l'intensité de la crainte de la mort est bien plus grande que l'intensité de + Voyez le résultat des Tables de mortalité, ? Ayant communiqué cette idée à M Daniel Bernoulli, l'un des plus grands géomètres de notre siècle, et le plus versé de tous dans la science des probabilités, voici la réponse qu'il m'a faite par sa lettre, datée de Bâle, le 19 mars 1762. « J'approuve fort, monsieur, votre manière d'estimer les « limites des probabiités morales ; vous consultez {a nature « de l'homune par ses actions, et vous suppc:sez en fait, que « personue ne s'inquiète le matin s'il mourra ce jour-là ; cela « étant, comme il meurt, selon vous, un sur dix mille, vous « coucluez qu'un dix-millième de probabilité ne doit faire « aucune impression dans l'esprit de l'homme, etpar con- « séquent que ce dix-millième doit être regardé comme un « rien absolu. C'est sans doute raisonuer en mathématicien « philosophe; mais ce principe ingénieux semble conduire à « une quantité plus petite, car l'exemption de frayeur n'est « assurément pas dans ceux qui sont déjà malades. Je na « combats pas votre principe, mais il paraît plutôt conduire € 60006 IU'à ron00: ” J'avoue à M. Bernoulli que, coinme le dix-millième est pris d'après les Tables de mortalité, qui ne représentent jamais que l'homme moyen, c'est-à-dire les hommes en géuéral, bien portanls où malades, sains a inlirmes , vigoureux ou faibles , il y a peut-être un peu plus de dix mille à parier con- tre un, qu'un homme bien portant, sain et vigoureux, ne mourra pas dans les vingt-quatre heures; maïs il s'en fant bien que cette probabilité doive être augmentée jusqu'à cent mille, Au reste, cette différence, quoique très-grande , ne change rien aux principales conséquences que je tire de mon principe, 26. 404 toute eutre crainte ou de toute autre espé- rance. Si, malgré l'évidence de cette démon- stration, cet homme s'obstinait à vouloir espé- rer, et qu'une semblable loterie se tirant tous ies jours, il prit chaque jour un nouveau billet, comptant toujours obtenir le lot, on pourrait, pour le détromper, parier avec lui but à but, qu'il serait mort avant d'avoir gagné le lot. Ainsi dans tous les jeux , les paris, les ris- ques, les hasards; dans tous les cas, en un mot, où la probabilité est plus petite que 5, elle duit être, et elle est en effet pour nous absolu- meut nulle, et par la même raison dans tous les cas où cette probabilité est plus grande que 10000 , elle fait pour nous la certitude morale la plus complète. IX. De là nous pouvons conclure que la certi- tüude physique est à la certitude morale comme 2°899 : 10000 ; et que toutes les fois qu'un effet, dont nous ignorons absolument la cause, arrive de la même facon, treize ou quatorze fois de suite, nous sommes moralement cer- tas qu'il arrivera encore de même une quin- zième fois, car 2 (5 — 8192, et 2'*— 16384, et par conséquent lorsque cet effet est arrivé treize fois, il y a 8192 à parier contre 1 qu'il arrivera une quatorzième fois; et lorsqu'il est arrivé quatorze fois, il y a 16384 à parier con- tre 1 qu'il arrivera de même une quinzième fois, ce qui est une probabilité plus grande que celle de 10000 contre 1, c'est-à-dire plusgrande que la probabilité qui fait la certitude morale. On pourra peut-être me dire que, quoique nous n’ayons pas la crainte ou la peur de la mort subite, il s’en faut bien que la probabilité de la mort subite soit zéro, et que son influence sur notre conduite soit nulle moralement. Un homme dont l'âme est belle , lorsqu'il aime quelqu'un, ne se reprocherait-il pas de retar- der d'un jour les mesures qui doivent assurer le bonheur de la personne aimée? Si un ami nous confie un dépôt considérable , ne mettons- nous pas le jour même une apostille à ce dépôt? Nous agissons done dans ce cas comme si Ja probabilité de la mortsubite était quelque chose, et nous avons raison d'agir ainsi. Done, l'on ne doit pas regarder la probabiiité de la mort su- bite comme nulle en général. Cette espèce d'objection s'évanouira, si l’on considère que l'on fait souvent plus pour les autres que l'on ne ferait pour soi. Lorsqu'on metune apostille au moment même qu'on reçoit ESSAI un dépôt, c'est uniquement par honnèteté pour le propriétaire du dépôt, pour sa tranquillité, et point du tout par la crainte de notre mort dans les vingt-quatre heures. J] en est de même de l'empressement qu'on met à faire le bon- heur de quelqu'un ou le nôtre : ce n’est pas le sentiment de la crainte d’une mort si prochaine ‘qui nous guide, c’est notre propre satisfaction qui nous anime; nous cherchons à jouir en tout le plus tôt qu'il nous est possible. Un raisonnement qui pourrait paraître plus fondé , c'est que tous les hommes sont portés à se flatter ; que l'espérance semble naïtre d’un moindre degré de probabilitéque la crainte; et que par conséquent on n'est pas en droit de substituer la mesure de l'une à la mesure de l’autre. La crainte et l'espérance sont des sentiments et non des déterminations; il est possible, il est même plus que vraisemblable que ces sentiments ne se mesurent pas sur le degré précis de probabilité ; et dès lors doit-on leur donner une mesure égale, ou même leur assigner aucune mesure ? A cela je réponds que la mesure dont il est question ne porte pas sur les sentiments, mais sur les raisons qui doivent les faire naître, et que tout homme sage ne doit estimer la valeur de ces sentiments de crainte ou d'espérance que par le degré de probabilité; car, quand même la nature, pour le bonheur de l'homme, lui aurait donné plus de pente vers l'espérance que vers la crainte, il n’en est pas moins vrai que la probabilité ne soit la vraie mesure et de l'une et de l’autre. Ce n’est même que par l'ap- plication de cette mesure que l’on peut se dé- tromper sur ses fausses espérances , Ou se ras- surer sur ses craintes mal fondées. Avant de terminer cet article, je dois ob- server qu'il faut prendre garde de se tromper sur ce que j'ai dit des effets dont nous ne con- naissons pas la cause; car j'entends seulement les effets dont les causes, quoique ignorées, doivent être supposées constantes, telles que celles des effets naturels. Toute nouvelle décou- verte en physique, constatée par treize ou qua- torze expériences, qui toutes se confirment, a déjà un degré de certitude égal à celui de la certitude morale, et ce degré de certitude aug- mente du double à chaque nouvelle expérience ; en sorte qu'en les multipliant, l'on approche de plus en plus de la certitude physique. Mais il ne faut pas conclure dece raisonnement, que D'ARITIHMÉTIQUE MORALE. les effets du hasard suivent la mème loi: il est vrai qu'en un sens ces effets sont du nombre de ceux dont nous ignorons les causes immédiates ; mais nous savons qu'en général ces causes, bien loin depouvoir êtresupposées constantes, sontau contraire nécessairement variables et versatiles autant qu'il est possible. Ainsi, par la notion même du hasard, il est évident qu'il n'y a nulle liaison, nulle dépendance entre ses effets; que par conséquent le passé ne peut influer en rien sur l'avenir, et l'on se tromperait beaucoup, et même du tout au tout, si l'on voulait inférer des événements antérieurs quelque raison pour ou contre les événements postérieurs. Qu'une carte, par exemple, ait gagné trois fois de suite, il n'en est pas moins probable qu'elle gagnera une quatrième fois, et l'on peut parier égale- ment qu'elle gagnera ou qu'elle perdra, quel- que nombre de fois qu'elle ait gagné ou perdu, dès que les lois du jeu sont telles queles hasards y sont égaux. Présumer ou croire le contraire, comme le font certains joueurs, c'est aller con- tre le principe même du hasard, ou ne pas se souvenir que par les conventions du jeu, il est toujours également réparti. X. Dans les effets dont nous voyons les cau- ses, une seule épreuve suffit pour opérer la certitude physique : par exemple, je vois que dans une horloge le poids fait tourner les roues, et que les roues font aller le balancier ; je suis certain dès lors, sans avoir besoin d'expérien- ces réiterées, que le balancier ira toujours de même, tant que le poids fera tourner les roues. Ceci est une conséquence nécessaire d’un ar- rangement que nous avons fait nous-mêmes en construisant la machine; mais lorsque nous voyous un phénomène nouveau, un effet dans la nature encore inconnu, comme nous en ignorons les causes , et qu'elles peuvent être constantes ou variables, permanentes ou inter- mittentes, naturelles ou accidentelles , nous n’a- vons d’autres moyens pour acquérir la certi- tude, que l'expérience réitérée aussi souvent qu il est nécessaire. Ici rien ne dépend de nous, et nous ne connaissons qu'autant que nous ex- périmentons ; nous ne sommes assurés que par l'effet même et par la répétition de l’effet. Dès qu'il sera arrivé treize ou quatorze fois de la même facon , nous avons déjà un degré de pro- babilité, égal à la certitude morale qu'il arrive- ra de même une quinzième fois , et de ce point nous pouvons bientôt franchir un intervalle 405 immense , et conclure par analogie que cet ef- fet dépend des lois générales de la nature, qu'il est par conséquent aussi ancien que tousles au- tres effets, et qu'il ya certitude physique qu'il arrivera toujours comme il est toujours arrivé, et qu'il ne lui manquait que d'avoir été observé. Dans les hasards que nous avons arrangés , balancés et calculés nous-mêmes , on ne doit pas dire que nous ignorons les causes des ef- fets : nous ignorons à la vérité la cause immé- diate de chaque effet en particulier ; mais nous voyons clairement la cause première et géné- rale de tous les effets. J'ignore , par exemple, et je ne peux même imaginer en aucune façon, quelle est la différence des mouvements de la main, pour passer ou ne pas passer dix avec trois dés, ce qui néanmoins est la cause immé- diate de l'événement ; mais je vois évidemment par le nombre et la marque des dés qui sont ici les causes premières et générales, que les ha- sards sont absolument égaux, qu'il est indiffé- rent de parier qu’on passera ou qu'on ne passera pas dix ; je vois de plus, que ces mêmes événe- ments, lorsqu'ils sesuccèdent, n’ont aucune liai- son , puisqu'à chaque coup de dés le hasard est toujours le même, et néanmoins toujours nou- veau; que le coup passé ne peut avoir aucune in- fluence sur le coup à venir; quel'on peut toujours parier également pour ou contre, qu'enfin plus long-temps on jouera , plus le nombre des effets pour, et le nombre des effets contre, approche- ront de l'égalité : en sorte que chaque expé- rience donne ici un produit tout opposé à celui des expériences sur les effets naturels, je veux dire , la certitude de l’inconstance au lieu de celle de la constance des causes. Dans ceux-ci chaque épreuve augmente au double la proba- bilité du retour de l'effet, c'est-à-dire la certi- tude de la constance de la cause : dans les effets du hasard, chaque épreuve au contraire aug- mente la certitude de l’inconstance de la cause, en nous démontrant toujours de plus en plus qu'elle est absolument versatile et totalement indifférente à produire l'un ou l'autre de ces effets. Lorsqu'un jeu de hasard est par sa nature parfaitement égal, le joueur n’a nulle raison pour se déterminer à tel ou tel parti ; car enfin, de l'égalité supposée de ce jeu, il résulte né- cessairement qu'il n’y a point de bonnes rai- sons pour préférer l'un ou l’autre parti; et par | conséquent si l'on délibérait, l'on ne pourrait 406 être déterminé que par de mauvaises raisons ; aussi la logique des joueurs m'a paru tout à fait vicieuse, et même les bons esprits qui se per- mettent de jouer tombent, en qualité de joueurs, dans des absurdités dont ils rougissent bientôt en qualité d'hommes raisonnables. XI. Au reste, tout cela suppose qu'après avoir balancé les hasards et les avoir rendus égaux , comme au jeu de passe-diæ avec trois dés, ces mêmes dés qui sont les instruments du hasard soient aussi parfaits qu'il est possible, c'est-à-dire qu'ils soient exactement cubiques , que la matière en soit homogène, que les nom- bres y soient peints et non marqués en creux, pour qu'ils ne pèsent pas plus sur une face que sur l’autre : mais comme il n’est pas donné à l'homme de rien faire de parfait, et qu'il n'y a point de dés travaillés avec cette rigoureuse précision , il est souvent possible de reconnaitre par l'observation de quel côté l'imperfection des instruments du sort fait pencher le hasard. Il ne faut pour cela qu'observer attentivement et longtemps la suite des événements, les compter exactement, en comparer les nom- bres relatifs ; et si de ces deux nombres l'un ex- cède de beaucoup l’autre, on en pourra con- clure , avec grande raison , que l'imperfection des instruments du sort détruit la parfaite éga- lité du hasard, et lui donne réellement une pente plus forte d'un côté que de l'autre. Par exemple, je suppose qu'avant de jouer au passe- diæ, l'un des joueurs fût assez fin, ou pour mieux dire, assez fripon pour avoir jeté d’a- vance mille fois les trois dés dont on doit se servir, et avoir reconnu que dans ces mille épreuves il y en a eu six cents qui ont passé dix, il aura dès lors un très-crand avantage contre son adversaire en pariant de passer, puisque par l'expérience la probabilité de passer dix avec ces mêmes dés sera à la probabilité de ne pas passer dix :: 600 : 400 :: 3 : 2. Cette différence qui provient de l'imperfection des instruments peut donc être reconnue par l'ob- servation , et c'est par cette raison que les joueurs changent souvent de dés et de cartes, lorsque la fortune leur est contraire. Ainsi quelque obscures que soient les desti- nées, quelque impénélrable que nous paraisse l'avenir, nous pourrions néanmoins, par des ex- périences réitérées, devenir, dans quelques cas aussi éclairés sur les événements futurs que le seraient des êtres, ou plutôt des natures supé- ESSAI rieures qui déduiraient immédiatement les ef- fets de leurs causes. Et dans les choses même qui paraissent être de pur hasard, comme les jeux etles loteries , on peut encore connaitre la pente du hasard. Par exemple , dans une loterie qui se tire tous les quinze jours , et dont on pu- blie les numéros gagnants, si l’on observe ceux qui ont le plus souvent gagné pendant un an, deux ans, trois ans de suite, on peut en déduire, avec raison, que ces mêmes numéros gagne- ront encore plus souvent que les autres; car de quelque manière que l’on puisse varier le mou- vement et la position des instruments du sort, il est impossible de les rendre assez parfaits pour maintenir l'égalité absolte du hasard; il y a une certaine routine à faire, à placer, à mê- ler les billets , laquelle dans le sein même de la confusion produit un certain ordre, et fait que certains billets doivent sortir plus souvent que les autres. Il en est de même de l’arrangement des cartes à jouer; elles ont une espèce de suite dont on peut saisir quelques termes à force d'observations ; car en les assemblant chez l’ou- vrier on suit une certaine routine, le joueur lui-même en les mêlant a sa routine ; le tout se fait d'une certaine facon plus souvent que d'une autre, et dès lors l'observateur attentif aux ré- sultats recueillis en grand nombre, pariera tou- jours avec grand avantage qu'une telle carte, par exemple, suivra telle autre carte. Je dis que cet observateur aura un grand avantage, parce que les hasards devant être absolument égaux, la moindre inégalité, c'est-à-dire le moindre degré de probabilité de plus, a de très-crandes influences au jeu, qui n'est en lui- même qu'un pari multiplié et toujours répété. Si cette différence reconnue par l'expérience de la pente du hasard était seulement d'un cen- tième, il est évident qu'en cent coups, l'obser- vateur gagnerait sa mise, c'est-à-dire la somme qu'il hasarde à chaque fois; en sorte qu'un joueur muni de ces observations malhonnètes ne peut manquer de ruiner à la longue tous ses adversaires. Mais nous allons donner un puis- sant antidote contre le mal épidémique de la passion du jeu, et en mème temps quelques préservatifs contre l'illusion de cet art dange- reux. XIT. On sait en général que le jeu est une passion avide, dont l'habitude est ruineuse ; mais cette vérité n'a peut-être jamais été dé- montrée que par une triste expérience , sur la- D'ARITHMÉTIQUE MORALE. quelle on n'a pas assez réfléchi pour se corriger par la conviction. Un joueur, dont la fortune, exposée chaque jour aux coups du hasard, se mine peu à peu et se trouve enfin nécessaire- ment détruite, n'attribue ses pertes qu'à ce même hasard qu'il accuse d’injustice ; il regrette également et ce qu'il a perdu et ce qu'il n'a pas gagné ; l'avidité et la fausse espérance lui fai- saient des droits sur le bien d'autrui; aussi hu- milié de se trouver dans la nécessité qu'affligé de n'avoir plus moyen de satisfaire sa cupidité, dans son désespoir il s'en prend à son étoile malheureuse; il n'imagine pas que cette aveugle puissance, la fortune du jeu , marche à la vérité d'un pas indifYérent et incertain ; mais qu'à cha- que démarche elle tend néanmoins à un but, et tire à un terme certain, qui estla ruine de ceux qui la tentent ; il ne voit pas que l'indifférence apparente qu'elle a pour le bien ou pour le mal produit avec le temps la nécessité du mal; . qu'une longue suite de hasards est une chaine fatale, dont le prolongement amène le malheur : il ne sent pas qu'indépendamment du dur impôt des cartes et du tribut encore plus dur qu'il a payé à la friponnerie de quelques adversaires , il a passé sa vie à faire des conventions ruineu- ses ; qu'enfin le jeu par sa nature même est un contrat vicieux jusque dans son principe, un contrat nuisible à chaque contractant en parti- culier, et contraire au bien de toute société. Ceci n’est point un discours de morale vague, cesont des vérités précises demétaphysique, que je soumets au calcul ou plutôt à la force de la raison ; des vérités que je prétends démontrer mathématiquement à tous ceux qui ont l'esprit assez net et l'imagination assez forte pour combiner sans géométrie et calculer sans al- gèbre. Je ne parlerai point de ces jeux inventés par l'artifice et supputés par l’avarice , où le hasard perd une partie de ses droits, où la fortune ne peut jamais balancer, parce qu'elle est invin- | ciblement entrainée et toujours contrainte à pen- cher d’un côté; je veux dire tous ces jeux où les hasards, également répartis, offrent un gain aussi assuré que malhonnèête à l'un, et ne lais- sent à l'autre qu'une perte sûre et honteuse, comme au pharaon, où le banquier n’est qu'un fripon avoué, et le ponte une dupe, dont on est convenu de ne se pas moquer. C'est au jeu en général, au jeu le plus égal, el par conséquent le plus honnête que je trouve 407 une essence vicieuse : je comprends même sous le nom de jeu toutes les conventions . tous les paris où l’on met au hasard une partie de son bien pour obtenir une pareille partie du bien d'autrui; et je dis qu'en général le jeu est un pacte mal entendu, un contrat désavantageux aux deux parties, dont l'effet est de rendre la perte torjours plus grande que le gain, et d'ô- ter au bien pour ajouter au mal. La démonstra- tion en est aussi aisée qu'évidente. XIIT. Prenons deux hommes de fortuneégale, qui, par exemple , aient chacun cent mille livres de bien , et supposons que ces deux hom- mes jouent en un ouplusieurs coups de dés cin- quante millelivres, c’est-à-dire lamoitié de leur bien : il est certain que celui qui gagne, n'aug- mente son bien que d’un tiers, et que celui qui perd diminue le sien de moitié; car chacun d’eux avait cent mille livres avant le jeu : mais après l'événement du jeu , l'un aura cent cin- quante mille livres , c’est-à-dire un tiers de plus qu'il n'avait , et l’autre n’a plus que cinquante mille livres , c’est-à-dire moitié moins qu'i n'avait; donc la perte est d’une sixième partie plus grande que le gain; car il y a cette diffé- rence entre le tiers et la moitié : done la con- vention est nuisible à tous deux , et par conse- quent essentiellement vicieuse. | Ce raisonnement n’est point captieux, il est vrai et exact, car quoique l’un des joueurs n'ait perdu précisément que ce que l’autre a gagné , cette égalité numérique de la somme n'empêche pas l'inépalité vraie de la perte et du gain ; l'égalité n'est qu'apparente, et l'inégalité très-réelle. Le pacte que ces deux hommes font en jouant la moitié de leur bien, est égal pour l'effet à un autre pacte que jamais personne ne s'est avisé de faire, qui serait de convenir de jeter dans la mer chacun la douzième partie de | son bien. Car on peut leur démontrer, avant | qu'ils hasardent cette moitié de leur bien, que la perte étant nécessairement d’un sixième plus | grande que le gain, ce sixième doit être regardé | comme une perte réelle, qui, pouvant tomber indifféremment ou sur l’un ou sur l’autre, doit par conséquent être également partagée. Si deux hommes s’avisaient de jouer tout leur bien, quel serait l'effet de cette conven- tion ? l'un ne ferait que doubler sa fortune, et l'autre réduirait la sienne à zéro ; or, quelle proportion y a-t-il ici entre la perte et le gain? la même qu'entre tout et rien; le gain de l'un 408 n'est qu'égal à une somme assez modique, et la perte de l'autre est numériquement infinie , et moralement si grande, que le travail de toute sa vie ne suffirait peut-être pas pour regagner son bien La perte est donc infiniment plus grande que le gain lorsqu'on joue tout son bien ; elle est plus grande d’une sixième partie lorsqu'on joue la moitié de son bien; elle est plus grande d'une vingtième partie lorsqu'on joue le quart de son bien; en un mot, quelque petite portion de sa fortune qu'on hasarde au jeu, il y a tou- jours plus de perte que de gain; ainsi le pacte du jeu est un contrat vicieux, et qui tend à la ruine des deux contractants. Vérité nouvelle, mais très-utile , et que je désire qui soit connue de tous ceux qui, par cupidité ou par oisiveté, passent leur vie à tenter le hasard. On a souvent demandé pourquoi l’on est plus sensible à la perte qu'au gain; on ne pouvait faire à cette question une réponse pleinement satisfaisante, tant qu'on ne s’est pas douté de la vérité que je viens de présenter; maintenant la réponse est aisée : on est plus sensible à la perte qu’au gain, parce qu’en effet, en les sup- posant numériquement égaux, la perte est néan- moins toujours et nécessairement plus grande que le gain ; le sentiment n’est en général qu'un raisonnement implicite moins clair, mais sou- vent plus fin, et toujours plus sûr que le pro- duit direct de la raison. On sentait bien que le gain ne nous faisait pas autant de plaisir que la perte nous causait de peine; ce sentiment n'est que le résultat implicite du raisonnement que je viens de présenter. XIV. L'argent ne doit pas être estimé par sa quantité numérique : sile métal, qui n’est que le signe des richesses, était la richesse même, c'est-à-dire, si le bonheur oules avantages qui ré- sultent de la richesse étaient proportionnels à la quantité de l'argent , les hommes auraient raison de l’estimer numériquement et par sa quantité; mais il s'en faut bien que les avanta- zes qu'on tire de l'argent soient en juste pro- portion avec sa quantité . un homme riche à ent mille écus de rente n’est pas dix fois plus heureux que l’homme qui n’a que dix mille écus ; il y a plus, c'est que l'argent, dès qu'on passe de certaines bornes, n'a presque plus de valeur réelle, et ne peut augmenter le bien de celui qui le possède ; un homme qui décou- vrirait une montagne d’or ne serait pas plus ESSAI riche que celui qui n’en trouverait qu'une toise | cube, L'argent a deux valeurs, toutes deux arbi- traires , toutes deux de convention, dont l’une est la mesure des avantages du particulier, et dont l’autre fait le tarif du bien de la société ; la premiere de ces valeurs n’a jamais été estimée que d'une manière fort vague; la seconde est susceptible d'une estimation juste par la com- paraison de la quantité d'argent avec le produit de la terre et du travail des hommes. Pour parvenir à donner quelques règles pré- cises sur la valeur de l'argent, j'examinerai des cas particuliers, dontl'esprit saisit aisément les combinaisons , et qui, comme des exemples, nous conduiront par induction à l'estimation générale de la valeur de l'argent pour le pauvre, pour le riche, et même pour l’homme plus ou moins sage. Pour l'homme qui, dans son état, quel qu'il soit, n’a que le nécessaire, l'argent est d'une valeur infinie ; pour l’homme qui, dans son état, abonde en superflu, l'argent n’a presque plus de valeur. Mais qu'est-ce que le néces- saire, qu'est-ce que le superflu? j'entends par le nécessaire , La dépense qu’on est obligé de Jaire pour vivre comme lon a toujours vécu. avec ce nécessaire on peut avoir ses aises et même des plaisirs; mais bientôt l'habitude en a fait des besoins. Ainsi, dans la définition du superflu , je compterai pour rien les plaisirs auxquels nous sommes accoutumés, et je dis que le superflu est la dépense qui peut nous procurer des plaisirs nouveaux. La perte du nécessaire est une perte qui se fait ressentir in- finiment; et lorsqu'on hasarde une partie con- sidérable de ce nécessaire, le risque ne peut être compensé par aucune espérance, quelque grande qu’on la suppose : au contraire, la perte du superflu a des effets bornés; et si dans le superflu même on est encore plus sensible à la perte qu'au gain, c'est parce qu'en effet la perte étant en général toujours plus grande que le gain , ce sentiment se trouve fondé sur ce prin- cipe, que le raisonnement n'avait pas déve- loppé : car les sentiments ordinaires sont fondés sur des notions communes ou sur des induc- tions faciles; mais les sentiments délicats dé- pendent d'idées exquises et relevées, et ne sont en effet que les résultats de plusieurs combinai- sonssouvent trop fines pourétreapercues nette- ment, etpresque toujours trop compliquées pour D'ARITHMÉTIQUE MORALE. être réduites à un raisonnement qui puisse les démontrer. XV. Les mathématiciens qui ont caleulé les jeux de hasard, et dont les recherches en ce genre méritent des éloges , n'ont considéré l'ar- gent que comme une quantité susceptible d'aug- mentation et de diminution, sans autre valeur que celle du nombre ; ils ont estimé par la quantité numérique de l'argent les rapports du gain et de la perte; ils ont caleulé le risque et l'espérance relativement à cette même quan- tité numérique. Nous considéreronsici la valeur de l'argent dans un point de vue différent; et, par nos principes , nous donnerons la solution de quelques cas embarrassants pour le caleul ordinaire. Cette question, par exemple, du jeu de croix et pile, où l’on suppose que deux hom- mes (Pierre et Paul) jorient l'un contre l'autre, à ces conditions que Pierre jettera en l'air une pièce de monnaie, autant de fois qu'il sera né- cessaire pour qu'elle présente croix, et que si cela arrive du premier coup, Paul lui donnera un écu ; si cela n'arrive qu'au second coup ; Paul lui donnera deux écus ; si cela n'arrive qu'au troisième coup, il lui donnera quatre écus: si cela n'arrive qu'au quatrième coup, Paul donnera huit écus ; si cela n'arrive qu'au cinquième coup, il donnera seize écus, et ainsi de suite en doublant toujours le nombre des éeus : ilest visible que par cette condition Pierre ne peut que gagner, etqueson gain sera au moins un écu, peut-être deux écus, peut-être quatre écus, peut-être huit écus, peut-être seize écus, peut-être trente-deux écus , ete., peut-être cinq cent douze écus, etc., peut-être seize mille trois cent quatre-vinet-quatre écus, ete., peut- étre cing cent vingt-quatre mille quatre cent quarante-huit écus , ete., peut-être même dix millions , cent millions, cent mille millions d'é- eus , peut-être enfin une iniinité d'écus. Car il n'est pas impossible de jeter cinq fois, dix fois, quinze fois, vingt fois, mille fois, cent mille fois la pièce sans qu'elle présente croix. On de- mande donc combien Pierre doit donner à Paul pour l'indemniser , où ce qui revient au même, quelle est la somme équivalente à l'espérance de Pierre, qui ne peut que gagner. Cette question m'a été proposée pour la pre- mière fois par feu M. Cramer , célèbre profes- seur de mathématiques à Genève, dans un voyage que je fis en cette ville, en l’année 1730; 409 ment par M. Nicolas Bernoulli à M. de Mont- mort , comme en effet on la trouve p. 402 et 407 de l'Analyse des jeux de hasard, de cet auteur. Je rèvai quelque temps à cette question sans en trouver le nœud ; je ne voyais pas qu'il fût possible d'accorder le calcul mathématique avec le bon sens, sans y faire entrer quelques considérations morales; et ayant fait part de mes idées à M. Cramer !, il me dit que j'avais 4 Voici ce que j'en laissai alors par écrit à M. Cramer, et dont j'ai conservé la copie originale. « M. de Montmort sC « contente de répondre à M. Nic. Bernoulli, que l'équivalent «est égal à la somme de la suite & & l j ete., écus, con- « tinuée à l'infini, c'est-à-dire — À , et je ne crois pas qu'en « effet on puisse contester son calcul mathématique ; cepen- «< dant, loin de donner un équivalent iufoi, 1 n'y a point « d'homme de bon sens qui voulût donner vingt évus, ni « ième dix. « La raison de cette contrariété, entre le calcul mathéma- « tique et le bon sens, me semble consister dans le peu de « proportion qu'il y a entre l'argent et l'avantage qui en ré- « sulte. Un mathématicien, dans son calcul, n'estime l'argent « que par sa quantité , c'est-à-dire par sa valeur numérique ; « mais l'homme moral doit l'esimer autrement etuniquement « par les avantages ou le plaisir qu'il peut procurer; il est « certain qu'il doit se conduire dans cette vue, et n'estimer « l'argent qu'à proportion des avantages qui en résultent , et « non pas relativement à la quantité qui, passé de certaines « borues , ne pourrait aullement augmenter son bouheur ; il « ne serait, par exemple , guère plus heureux avec mille mil- « lious, qu'il le serait avec cent , ni avec cent mille millions, < plus qu'avec mille millions; ainsi, passé de certaines bornes, «il aurait très-graud tort de hasarder son argent. Si, par «exemple, dix mille écus étaient tout son bien , il aurait un « tort infini de les hasarder, et plus ces dix mille écus seront « uu objet par rapport à lui, plus il aura de tort. Je crois « donc que son tort serait infini , Lant que ces dix mille écus « feront une partie de son nécessaire, c'est-à-dire, tant queces « dix mille écus lui seront absolument nécessaires pour vivre « comme il a été élevé et comme il a toujours vécu. Si ces « dix mille écus sont de son superflu , son tort diminue, et « plus ils seront une petite partie de son superflu, et plus son « tort diminuera ; mais il ne sera jamais nul, à moins qu'il ne « puisse regarder cette partie de son superflu comine indiffé- « rente, ou bien qu'il ne regarde la somme espérée comme « nécessaire pour réussir dans un dessein qui lui doanera à « proportion autant de plaisir que cette même somme est « plus grande que celle qu'il hasarde ; et c'est sur cette facon « d'envisager un bouheur à venir, qu'on ne peut point don- « ner de règles: il y a des gens pour qui l'espérance eile- « mème est un plaisir plus grand que ceux qu'ils pourraient « se procurer par la jouissance de leur mise. Pour raisonner « donc plus certainement sur toutes ces choses, il faudrait « établir quelques principes : je dirais, par exemple, que le « nécessaire est égal à la somme qu'on est obligé de dépenser « pour continuer à vivre comme on a toujours vécu ; le né- « cessaire d'un roi sera, par exemple , dix millions de reute « (car un roi qui aurait moins serait un roi pauvre); le né- « cessaire d'un homme de condition sera de dix mille livres de « rente (car uu bomimne de condition qui aurait moins serait «un pauvreseigueur ; le nécessaire d'un paysan sera cinq cents « livres, parce qu'à moins que d'être dans la misère, il ne « peut moins dépenser pour vivre et nourrir sa famille. Je « supposerais que le nécessaire ne peut nous procurer des « plaisirs nouveaux, Où pour parler plus exacteineut, je « compterais pour rien les plaisirs ou avantages que mons il me dit qu'elle avait été proposée précédem- ! 4 avons toujours eus; et d'après cela, je définivais le supertlu, 410 raison , et qu'il avait aussi résolu cette question par une voie semblable ; il me montra ensuite sa solution à peu près telle qu'on l'a imprimée depuis dans les Mémoires de l'Académie de Pé- tersbourg, en 1738, à la suite d’un Mémoire ex- cellent de M. Daniel Bernoulli, sur {a mesure du sort, où j'ai vu que la plupart des idées de M. Daniel Bernoulli s'accordent avec les mien- nes; ce qui m'a fait grand plaisir, car j'ai tou- jours, indépendamment de ses grands talents en géométrie, regardé et reconnu M. Daniel Bernoulli comme l'un des meilleurs esprits de ce siècle. Je trouvai aussi l'idée de M. Cramer très-juste, etdigne d’un homme quinous adonné des preuves de son habileté dans toutes les sciences mathématiques, et à la mémoire du- quel je rends cette justice, avec d'autant plus de plaisir que c'est au commerce et à l'amitié | de ce savantque j'ai dû une partie des premières connaissances que j'ai acquises en ce genre. M. de Montmort donne la solution de ce pro- blème par les règles ordinaires, et il dit que la | somme équivalente à l'espérance de celui qui ne | peut que gagner est égale à la somme de la suite 4,4, 5, 3,2 3 » écu, ete., continuée à l'in- fini, et que par conséquent cette somme équiva- lente est une somme d'argent infinie. La raison sur laquelle est fondé ce caleul, c’est qu'il y a un demi de probabilité que Pierre, quine peut que gagner, aura un éeu; un quart de probabilité qu'il en aura deux ; un huitième de probabilité qu'ilen aura quatre ; un seizième de probabili- té qu'il en aura huit; un trente-deuxième de probabilité qu'il en aura seize, ete., à l'infini; et que par conséquent son espérance pour le | | time l'argent parsa quantité; mais l’hommemoral | doit l’estimer autrement: par exemple, si l'on pro- premier cas est un demi-écu, car l'espérance se mesure par la probabilité multipliée par la somme qui est à obtenir; or, la probabilité est un demi, et la somme à obtenir pour le premier «ce qui pourrait nous procurer d'autres plaisirs ou des « avantages nouveaux ; je dirais de plus, que la perte du né- « cessaire se fait ressentir infiniment; qu'ainsi elle ne peut être « compensée par aucune espérance, qu'au contraire le sen- « iment de la perte du superflu est borné, et que par consé- « quent il peut être compensé. Je crois qu'on sent soi-même « cette vérité lorsqu'on joue, car la perte , pour peu qu'elle « soit considérable . nous fait toujours plus de peine qu'un « gain égal ne nous fait de plaisir , et cela sans qu'on puisse y « faire entrer l'amour-propre mortifié, puisque je suppose le « jeu d'entier et pur hasard, Je dirais aussi que la quantité « de l'argent, dans le nécessaire, est proportiounelle à ce qu il «nous en revient; mais que dans le superflu cette proportion « commence à diminuer, et diminue d'autant plus que le su- « perflu devient plus grand. « Je vous laisse , monsieur, juge de ces idées, etc. Genève, « ce 5 octobre 1750, Signé : Le Clerc de Buffon. » ESSAI coup est un écu; donc l'espérance est un demi- éeu. De même son espérance pour le second cas est encore un demi-écu, car la probabilité est un quart, et lasomme à obtenir est deux éeus; or, un quart multiplié par deux éeus donne encore un demi-écu. On trouvera de même que son es- pérance pour le troisième cas est encore un demi-écu; pour le quatrième cas un demi- éeu; en un mot, pour tous les cas à l'infini toujours un demi-écu pour chacun, puisque le nombre des écus augmente en même propertion que le nombre des probabilités diminue; done, la somme de toutes ces espérances est une somme d'argent infinie, et par conséquent il faut que Pierre donne à Paul, pour équivalent, la moitié d’une infinité d’écus. Cela est mathématiquement vrai, et on ne peut pas contester ce caleul; aussi M. de Mont- mort et les autres géomètres ont regardé cette question comme bien résolue; cependant cette solution est si éloignée d’être la vraie, qu'au lieu de donner une somme infinie , ou même une très-grande somme , ce qui est déjà fort diffé- rent ,iln'y a point d'homme de bon sens qui voulüt donner vingt écus ni même dix, pour acheter cette espérance en se mettant à la place de celui qui ne peut que gagner. XVI. La raison de cette contrariété extraor dinaire du bon sens et du calcul vient de deux causes : la première est que la probabilité doit être regardée comme nulle, dès qu'elle est très- petite, c’est-à-dire au-dessousde 5; laseconde cause est le peu de proportion qu'il y a entre la quantité de l'argent et les avantages qui en ré- sultent. Le mathématicien, dans son calcul, es- posait à un homme d’une fortune médiocre de mettre cent mille livres à une loterie, parce qu'il n'y à que cent mille à parier contre un qu'il y gagnera cent mille foiscentmillelivres ,ilestcer- tain que la probabilité d'obtenir cent mille fois cent mille livres étant un contre cent mille, il est certain, dis-je, mathématiquement parlant, que son espérance vaudra sa mise de cent mille livres; cependant cet homme aurait très-grand tort de hasarder cette somme , et d'autant plus tort, que la probabilité de gagner serait plus pe- tite, quoique l'argent à gagner augmentât à pro- portion , et cela parce qu'avec cent mille fois cent mille livres, il n'aura pas le double des avantages qu'il aurait avec cinquante mille fois D'ARITHMÉTIQUE MORALE. ait cent mille livres, ni dix fois autant d'avantage qu'il en aurait avec dix mille fois cent mille livres; et comme la valeur de l'argent, par rapport à l'homme moral, n’est pas propor tionnelle à sa quantité , mais plutôt aux avan- tages que l'argent peut procurer, il est visible que cet homme ne doit hasarder qu'à propor- tion de l'espérance de ces avantages, qu'il ne doit pas calculer sur la quantité numérique des sommes qu'il pourrait obtenir, puisque la quantité de l'argent, au-delà de certaines bornes, ne pourrait plus augmenter son bon- heur, et qu'il ne serait pas plus heureux avec cent mille millions de rente, qu'avec mille mil- lions. XVII. Pour faire sentir la liaison et la vérité de tout ce que je viens d'avancer, examinons de plus près que n'ont fait les géomètres la question que l'on vient de proposer. Puisque le calcul ordinaire ne peut la résoudre à cause du moral qui se trouve compliqué avec le mathé- matique, voyons si nous pourrons, par d'autres règles, arriver à une solution qui ne heurte pas le bon sens, etqui soit en même temps conforme à l'expérience. Cette recherche ne sera pas inu- tile, et nous fournira des moyens sûrs pour es- timer au juste le prix de l'argent et la valeur de l'espérance dans tous les cas. La première chose que je remarque, c'est que dans le calcul ma- thématique qui donne pour équivalent de l'es- pérance de Pierre une somme infinie d'argent, cette somme infinie d'argent est la somme d'une suite composée d'un nombre infini de termes qui valent tous un demi-écu; et je vois que cette suite, quimathématiquement doit avoir une in- finité de termes , ne peut pas moralement en avoir plus de trente , puisque si le jeu durait jusqu'à ce trentième terme, c'est-à-dire si croix ne se présentait qu'après vingt-neuf coups, il serait dû à Pierre une somme de 520 millions 870 mille 912 écus, c’est-à-dire autant d'argent qu'il en existe peut-être dans tout le royaume de France. Une somme infinie d'argent est un être de raison qui n'existe pas, et toutes les es- pérances fondées sur les termes à l'infini qui sont au-delà de trente n'existent pas non plus. Il y a ici une impossibilité morale qui détruit la possibilité mathématique; car il est possible, mathématiquement et même physiquement, de jeter trente fois, cinquante, cent fois desuite, ete., la pièce de monnaie, sans qu'elle présente croix; mais il est impossible de satisfaire à la condition du problème, c'està-dire de payer lenombred'é- cus qui serait dù, dans le cas où cela arriverait; car tout l'argent qui est sur la terre ne suffirait pas pour faire la somme qui serait due, seule- ment au quarantième coup, puisque cela suppo- serait mille vingt-quatre fois plus d'argent qu'il n'en existe dans tout le royaume de France, et qu'il s'en faut bien que sur toute la terre il y ait mille vingt-quatreroyaumes aussi riches que la France. Or, le mathématicien n’a trouvé cette somme infinie d'argent, pour l'équivalent à l'espérance de Pierre, que parce que le premier cas lui donne un demi-écu, le second cas un demi-écu, et cha- que cas à l'infini toujours un demi-écu ; done l'homme moral, en comptant d'abord de même, trouvera vingt écus au lieu de la somme infinie, puisque tous les termes qui sont au-delà du qua- rantième donnent des sommes d'argent si grandes qu’elles n'existent pas; en sorte qu'il ne faut compter qu'un demi-éeu pour le premier cas, un demi-écu pour le second , un demi-écu pour le troisième, ete., jusqu'à quarante, ce qui fait en tout vingt écus pour l'équivalent de l’es- pérance de Pierre, somme déjà bien réduite et bien différente dela somme infinie. Cette somme de vinot écus se réduira encore beaucoup en considérant que le trente-unième terme donne- rait plus de mille millions d'écus, c’est-à-dire supposerait que Pierre aurait beaucoup plus d'argentqu'iln'yenadans le plus riche royaume de l'Europe, chose impossible à supposer ; et dès lors, les termes depuis trente jusqu'à qua- rante sont encore imaginaires, et les espérances fondées sur ces termes doivent être regardées comme nulles; ainsi l'équivalent de l'espérance de Pierre est déjà réduit à quinze écus. On la réduira encore en considérant que la valeur de l'argent ne devant pas être estimée par sa quantité, Pierre ne doit pas compter que mille millions d'écus lui serviront au double de cinq cent millions d'écus , m au quadruple de deux cent cinquante millions d’écus, etc.; el que par conséquent l'espérance du trentième terme n'est pas un demi-écu, non plus que l'espérance du vingt-neuvième, du vingt-huitième, etc. La valeur de cette espérance ; qui mathématique- * C'est par cette raison qu'un le nos plus habiles géomètres, feu M. Fontaine, a fait entrer dans la solution quil nons a donnée de ce problème la déclaration du bien de Pierre, parce qu'en effet il ne peut donner pour équivalent que la totalité du bien qu'il possède. Voyez cette solution dans les Mémoires mathématiques de M, Fontaine , in-4° Paris, 1764, 2 ment se trouve être un demi-écu pour chaque terme, doit être diminuée dès le second terme, et toujours diminuée jusqu'au dernier terme de la suite, parce qu'on ne doit pas estimer la valeur de l'argent par sa quantité numérique. XVIII, Mais comment donc l'estimer ? com- ment trouver la proportion de cette valeur sui- vant les différentes quantités? qu'est-ce donc que deux millions d'argent, si ce n'est pas le double d'un million du même métal? pouvons- uous donner desrègles précises et générales pour cette estimation? Il parait que chacun doit ju- ger son état, et ensuite estimer son sort et la quantité de l'argent proportionnellement à cet état et à l'usage qu'il en peut faire; mais cette manière est encore vague et trop particulière pour qu’elle puisse servir de principe, et je crois qu'on peut trouver des moyens plus gé- néraux et plus sûrs de faire cette estimation. Le premier moyen qui se présente est de com- parer le calcul mathématiqueavec l'expérience; car, dans bien des cas, nous pouvons, par des expériences réitérées, arriver, commeje l'ai dit, à connaitre l'effet du hasard, aussi sûrement que si nous le déduisions immédiatement des causes. J'ai donc fait deux mille quarante-huit ex- périences sur cette question , c’est-à-dire, j'ai joué deux mille quarante-huit fois ce jeu en faisant jeter la pièce en l'air par un enfant. Les deux mille quarante-huit parties de jeu ont produit dix mille cinquante-sept écus en tout; ainsi, la somme équivalente à l'espérance de celui qui ne peut que gagner est à peu près cinq écus pour chaque partie. Dans cette ex pé- rience il y a eu mille soixante-une parties qui n'ont produit qu'un écu, quatre cent quatre- viogt-quatorze parties qui ont produit deux écus, deux cent trente-deux parties qui en ont produit quatre, cent trente-sept parties qui ont produit huit écus, cinquante-six parties { ui en ont produit seize, vingt-neuf parties qui ont produit trente-deux écus, vingt-cinq par- ties qui en ont produit soixante-quatre, huit parties qui en ont produit cent vingt-huit, et en- fin six parties qui en ont produit deux cent cin- quante-six. Je tiens ce résultat général pour bon, parce qu'il est fondé sur un grand nombre d'expériences, et que d’ailleurs il s'accorde avec uautreraisonnementmathématiqueetincontes- lable, par lequel on trouve à peu près ce même équivalent de cinq écus. Voici ce raisonne- ESSAI ment. Si l'on joue deux mille quarante-huit parties, il doit y avoir naturellement mille vingt- quatre parties qui ne produiront qu’un écu cha- cune, cinq cent douze parties qui en produiront deux , deux cent cinquante-six parties qui en produiront quatre, cent vingt-huit parties qui en produiront huit, soixante-quatre parties qui en produiront seize , trente-deux parties qui en produiront trente-deux, seize parties qui en produiront soixante-quatre , huit parties qui en produiront cent vingt-huit, quatre parties qui en | produiront deux cent cinquante-six, deux par- ties qui en produiront cinq cent douze, une par- tie qui produira mille vingt-quatre, et enfin une partie qu'on ne peut pas estimer, mais qu'on peut négliger sans erreur sensible, parce que je pouvais supposer , sans blesser que tres- légèrement l'égalité du hasard , qu'il y aurait mille vingt-cinq au lieu de mille vingt-quatre parties quine produiraientqu'un éeu. D'ailleurs, l'équivalent de cette partie, étant mis au plus fort, ne peut être de plus de quinze écus, puis- que l'on a vu que pour une partie de ce jeu, tous les termes au-delà du trentième terme de la suite donnent des sommes d'argent si gran- des qu'elles n'existent pas, et que par consé- quent le plus fort équivalent qu'on puisse sup- poser est quinze écus. Ajoutant ensemble tous ces écus, que je dois naturellement attendre de l'indifférence du hasard , j'ai onze mille deux cent soixante-cinq écus pour deux mille qua- rante-huit parties. Ainsi ce raisonnement donne à très-peu près cinq écus et demi pour l’équiva- lent, ce qui s'accorde avec l'expérience à près. Je sens bien qu'on pourra m'objecter que cette espèce de calcul, qui donne cinq écus et demi d’é- quivalent lorsqu'on joue deux mille quarante- huit parties, donneraitun équivalent plus grand, si on ajoutait un beaucoup plus grand nombre de parties; car, par exemple, il se trouve que si au lieu de jouer deux mille quarante-huit par- ties, on n'en joue que mille vingt-quatre , l’é- quivalent est à très peu près cinq écus; que si l'on ne joue que cinq cent douze parties, l'équi- valent n'est plus que quatre écus et demi à très- peu près; que si l’on n’en joue que deux cent cinquante-six, il n’est plus que quatre écus, et ainsi toujours en diminuant; mais la raison en est que le coup qu’on ne peut pas estimer fait alors une partie considérable du tout , et d'autant plus considérable, qu’on joue moins de parties, et que par conséquentil faut un grand D'ARITHMÊTIQUE MORALE. nombre de parties, comme mille vingt-quatre ou deux mille quarante-huil, pour que ce coup puisse être regardé comme de peu de va'eur, ou même comme nul. En suivant la même marche, on trouvera que si l'on joue un million quarante- huit mille cinq cent soixanteseize parties , l'é- quivalent par ce raisonnement se trouverait être à peu près dix éeus. Mais on doit considérer tout dans la morale, et par là on verra qu'il n'est pas possible de jouer un million qua- rante-huit mille cinq cent soixante-seize parties à ce jeu : car, à ne supposer que deux minutes de temps pour la duréede chaque partie, y com- pris le temps qu'il faut pour payer , ele., on trouverait qu'il faudrait jouer pendant deux millions quatre-vingt-dix-sept-mille cent cin- quante-deux minutes, c'est-à-dire, plus de treize ans de suite, six heures parjour, ce qui est une convention moralement impossible. Et si l'on y fait attention , on trouvera qu'entre ne jouer qu'une partie, et jouer le plus grand nombre de parties moralement possibles, ce raisonnement, qui donne des équivalents différents pour tous les différents nombres de parties, donne pour l'équivalent moyen cinq éeus. Ainsi je persiste à dire que la somme équivalente à l'espérance de celui qui ne peut que gagner est cinq écus , au lieu de la moitié d'une somme infinie d'écus, comme l'ont dit les mathématiciens, et comme leur calcul parait l'exiser. XIX. Voyons maintenant si, d'après cette détermination, il ne serait pas possible de tirer la proportion de la valeur de l'argent par rap- port aux avantages qui en résultent. La progression des 1 1,448 Las 4 { La progression des sommes d'argent à ob- | tenirest1,2, 4, 8216 52,64, 1282562 La somme de toutes ces probabilités, multi- pliée par celle de toutes les sommes d'argent à obtenir, est ?, qui est l'équivalent donne par le calcul mathématique , pour l'espérance de celui qui ne peut que gagner. Mais nous avons vu que cette somme % ne peut, dans le réel, être que cinq éeus : il faut donc chercher une suite telle que la somme multipliée par la suite des probabilités soit évale à cinq écus; et cette suite étant géométrique comme celle des pro- babilités, on trouvera qu'elle est... 1,9,%, FE ES, AU JEU (ess... 11, 2, 4, 8, 16, 32. Or, cette suite 1, 2, 4, 8, 16, A5 32, ete, représente la quantité de l'argent, et par conséquent sa valeur numérique et mathé- maltique. Et l'autre suite 1, 2,51, 743, GA, 00, repré- sente la quantité géométrique de l'argent don- née par l'experience, et par conséquent sa va- leur morale et réelle. Voilà done une estimation générale et assez juste de la valeur de l'argent dans tous les cas possibles, et indépendamment d'aucune sup- position. Par exemple, l'on voit, en comparant les deux suites, que deux mille livres ne produi- sent pas le double d'avantages de mille livres; qu'il s’en faut À, et que deux mille livres ne sont dans le moral et dans la réalité que ? de deux mille livres, c'est-à-dire dix-huit cents livres. Un homme qui a vingt mille livres de bien ne doit pas l’estimer comme le double du bien d'un autre qui a dix mille livres, car il n’a réelle- ment que dix-huit mille livres d'argent de cette même monnaie, dont la valeur se compte par les avantages qui en résultent; et de même un homme qui a quarante mille livres n'est pas quatre fois plus riche que celui qui a dix mille livres, car il n’est en comparaison réellement riche que de 32 mille 400 livres; un homme qui a 80 mille livres n'a, par la même règle, que 58 mille 300 livres; celui qui a 160 mille livres ne doit compter que 104 mille 900 li- vres, c'est-à-dire que quoiqu'il ait seize fois plus de bien que le premier, il n'a guère que dix fois autant de notre vraie monnaie. De même encore un homme qui a trente-deux fois autant d'argent qu'un autre, par exemple 320 mille livres, en comparaison d'un homme qui a 10 mille livres, n’est riche dans la réalité que de 188 mille livres, c'est-à-dire dix-huit ou dix-neuf fois plus riche, au lieu de trente-deux fois , ete. L'avare est comme le mathématicien : tous deux estiment l'argent par sa quantité numé- rique : l'homme sensén’en considère ni la masse ni le nombre, iln’y voit que les avantages qu'il peut en tirer; il raisonne mieux quel'avare, et sent mieux que le mathématicien. L’écu que le pauvre a mis à part pour payer un impôt de nécessité , et l’écu qui complète les sacs d'un financier. n'ont pour l’avare et pour le mathé- maticien que la même valeur; celui-ci les comptera par deux unités égales ; l’autre se les appropriera avee un plaisir égal ; au lieu que l'homme sensé comptera l'éeu du pauvre pour 414 un louis, ve l'éeu du financier pour un liard. XX. Une autre considération qui vient à l'ap- pui de cette estimation de la valeur morale de l'argent, c'est qu'une probabilité doit être re- gardée comme nulle dès qu'elle n'est que 56 c'est-à-dire, dès qu'elle est aussi petite que la crainte non sentie de La mort dans les vingt- quatre heures. On peut même dire qu'attendu l'intensité de cette crainte de la mort qui est bien plus grande que l'intensité. de tous les au- tres sentiments de crainte ou d'espérance. l'on doit regarder comme presque nulle, une crainte ou une espérance qui n'aurait que x de pro- babilité. L'homme le plus faible pourrait tirer au sort sans aucune émotion, si le billet de mort était mêlé avec dix milie billets de vie; el l'homme ferme doit tirer sans crainte, si ce billet est mêlé sur mille : ainsi, dans tous les cas où la probabilité est au-dessous d’un millième, on doit la regarder comme presque nulle. Or, dans notre question, la probabilité se trouvant être ,4,, dès le dixième terme de la suite 5, 4, Lo 25) do à280 286) S19 7075 il S'ensuit que, mo- ralement pensant, nous devons négliger tous les termes suivants, et borncr toutes nos espé- rances à ce dixième terme; ce qui produit en- core cirq écus pour l'équivalent que nous avons cherché, et confirme par conséquent la justesse de notie détermination. En réformant et abrégeant ainsi tous les cal- euls où la probabilité devient plus petite qu'un millième, il re restera plus de contradiction entre le calcul mathématique et le bon sens. Toutes les difficultés de ce genre disparaissent. L'homme pénétré de cette vérité ne se livrera plus à de vaines espérances ou à de fausses craintes ; il ne donnera pas volontiers son écu pour en obtenir mille, à moins qu'il ne vois clairement que la probabilité est plus grande qu'un millième. Enfin il se corrigera du frivole espoir de faire une grande fortune avec de pe- tits moyens. XXI. Jusqu'ici je n'ai raisonné et caleulé que pour l’homme vraiment sage, qui ne se déter- raine que par le poids de la raison; mais ne de- vons-nous pas faire aussi quelque attention à ce grand numbre d'hommes que l'illusion ou la passion déçoivent, et qui souvent sont fort aises d'être déçus? n'y a-t-il pas même à perdre en présentant toujours les choses telles qu'elles sont ? L'espérance, quelque petite qu'en soit la probabilité, n'est-elle pas un bien pour tous les ESSAI hommes, et le seul bien des malheureax ? Après avoir calculé pour le sage, caleulons done aussi pour l'homme, bien moins rare, qui jouit de ses erreurs souvent plus que de sa raison. Indé- pendamment des cas où faute de tous moyens, une lueur d’espoir est un souverain bien; indé pendamment de ces circonstances où le cœur agité ne peut se reposer que sur les objets de son illusion, et ne jouit que de ses désirs, n'y a-t-il pas mille et mille occasions ou la sagesse même doit jeter en avant un volume d’espé- rance au défaut d'une masse de bien réel? Par exemple, la volonté de faire le bien, reconnue dans ceux qui tiennent les rênes du gouverne- ment, füt-elle sans exercice, répand sur tout un peuple une somme de bonheur qu’on ne peut estimer; l'espérance, füt-elle vaine, est done un bien réel, dont la jouissance se prend par anti- cipation sur tous les autres biens. Je suis forcé d’avouer que la pleine sagesse ne fait pas le plein bonheur de l’homme, que malheureuse- ment la raison seule n'eut en tout temps qu'un petit nombre d’auditeurs froids, et ne fit jamais d'enthousiastes ; que l'homme comblé de biens ne se trouverait pas encore heureux s’il n’en espérait de nouveaux; que le superflu devient avec le temps chose très-nécessaire, et que la seule différence qu'il y ait ici entre le sage et le non sase, c'est que ce dernier, au moment même qu'il lui arrive une surabondance de bien, convertit ce beau superflu en triste né- cessaire, et monte son état à l'égal de sa nou- velle fortune; tandis que l’homme sage, n'usant de cette surabondance que pour répandre des bienfaits et pour se procurer quelques plaisirs nouveaux, ménage la consommation de ce su- perflu, en même temps qu'il en multiplie la jouissance. XXII. L'étalage de l'espérance est le leurre de tous les pipeurs d'argent. Le grand art du faiseur de loterie est de présenter de grosses sommes avec de très-petites probabilités, bien- tôt enflées par le ressort de la cupidité. Ces pi- peurs grossissent encore ce produit idéal en le partageant, et donnant pour un très-petit ar- gent, dont tout le monde peut se défaire, une espérance qui, quoique bien plus petite, parait participer de la grandeur de la somme totale. On ne sait pas que quand la probabilité est au-dessous d'un millième , l'espérance de- vient nulle, quelque grande que soit la somme promise, puisque toute chose, quelque grande D'ARITIHMÉTIQUE MORALE. qu'elle puisse être, se réduit à rien dès qu’elle est nécessairement multipliée par rien, comme l'est ici la grosse somme d'argent multipliée par la probabiliténulle, comme l'est en général tout nombre qui, multiplié par zéro, est toujours zéro. On ignore encore qu'indépendamment de cette réduction des probabilités à rien, dès qu'elles sont au-dessous d’un millième , l’espé rance souffre un déchet successif et propor- tiunnel à la valeur morale de l'argent, toujours moindre que sa valeur numérique, en sorte que celui dont l'espérance numérique parait double de celle d’un autre n’a néanmoins que ? d'es- pérance réelle au lieu de 2; et que de même celui dont l'espérance numérique est 4, n’a que 3% de cette espérance morale, dont le pro- duit est le seul réel ; qu'au lieu de 8, ce produit n’estque 5 %; qu'aulieu de 16, iln'est que 10 ÿff; au lieu de 32, 18 #2; au lieu de 64, 34,$L;: au lieu de 128, 61 “j£; au lieu de 256, 110 SU; au lieu de 512, 198 TA; au lieu de 1024, 357 SE, ete.; d'où l'on voit combien l'espérance morale diffère dans tous les cas de l'espérance numérique pour le produit réel qui en résulte. L'homme sage doit donc rejeter comme fausses toutes les propositions, quoique démontrées par le calcul, où la très-grande quantité d'argent semble compenser la très-pe- tite probabilité ; et s'il veut risquer avec moins de désavantage, il ne doit jamais mettre ses fonds à la grosse aventure; il faut les partager. Hasarder cent mille francs sur un seul vaisseau, ou vingt-cinq mille francs sur quatre vaisseaux, n’est pas la même chose ; car on aura cent pour le produit de l'espérance morale dans ce der- nier cas, tandis qu'on n'aura que quatre-vingt- un pour ce même produit dans le premier cas. C'est par cette même raison que les commerces les plus sûrement lucratifs sont ceux où la masse du débit est divisée en un grand nombre de créditeurs. Le propriétaire de la masse ne peut essuyer que de légères banqueroutes; au lieu qu'il n’en faut qu'une pour le ruiner, si cette masse de son commerce ne peut passer que par une seule main, ou même ne se partager qu'en- tre un petit nombre de débiteurs. Jouer gros jeu dans le sens moral est jouer un mauvais jeu; un ponte au pharaon qui se mettrait dans la tête de pousser toutes ses cartes jus- qu'au quinze et le va perdrait près d’un quart sur le produit de son espérance morale ; car, tandis que son espérance numérique est de ti- 415 rer 16, l'espérance mora.e n'est que de 13 {4. Ilen est de même d'une infinité d'autres exem- ples que l'on pourrait domner ; et de tous il ré- sultera toujours que l'homme sage doit mettre au hasard le moins qu'il est possible, et que l'homme prudent, qui par sa position ou son commerce est forcé de risquer de gros fonds, doit les partager, et retrancher de ses spécula- tions toutes les espérances dont la probabilité est très-petite, quoique la somme à obtenir soit proportionnellement aussi grande. XXIIT. L'analyse est le seul instrument dont on se soit servi jusqu’à ce jour dans la science des probabilités, pour déterminer et fixer les rapports du hasard : la géométrie paraissait peu propre à un ouvrage aussi délié, cependant, si l'on y regarde de près, il sera facile de recon- naitre que cet avantage de l'analyse sur la géo- métrie est tout à fait accidentel , et que le ha- sard, selon qu'il est modifiéet conditionné , se trouve du ressort de la géométrie aussi bien que de celui de l'analyse. Pour s’en assurer, il suflira de faire attention que les jeux et les questions de conjecture nc roulent ordinaire- ment que sur des rapports de quantités discrè- tes; l'esprit humain, plus familier avec les nom- bres qu'avec les mesures de l'étendue, les a toujours préférés.: les jeux en sont une preuve, car leurs lois sont une arithmétique continuelle. Pour mettre donc la géométrie en possession de ses droits sur la science du hasard, il ne s’agit qued'inventer des jeux qui roulent sur l'étendue etsur ses rapports , ou calculer le petit nombre de ceux de cette nature qui sont déjà trouvés. Le jeu du franc-carreau peut nous servir d’exem- ple: voici ses conditions qui sont fort simples. Dans une chambre parquetée ou pavée de carreaux égaux, d'une figure quelconque, on jette en l'air un écu; l’un des joueurs parie que cet écu après sa chute se trouvera à franc-car- reau, c’est-à-dire sur un seul carreau; le second parie que cet écu se trouvera sur deux car- reaux , c'est-à-dire qu'il couvrira un des joints qui les séparent; un troisième joueur pariera que l’écu se trouvera sur deux joints; un qua- trième parie que l'écu se trouvera sur trois, quatre ou six joints : on demande le sort de chacun de ces joueurs. Je cherche d’abord le sort du premier joueur et du second : pour le trouver, j'iascris dans l'un des carreaux une figure semblable, éloi- gnée des côtés du carreau, de la longueur du 416 demi-diamètre de l'écu; le sort du premier Joueur sera à celui du second comme la super- ficie de la couronne circonserite est à la super- ficie de la figure inscrite. Cela peut se démon- trer aisément, car tant que le centre de l'écu est dans la figure inscrite, cet écu ne peut être que sur un seul carreau, puisque par construc- tion cette figure inscrite est partout éloignée du contour du carreau, d'une distance égale au rayon de l'éeu : et au contraire, dès que le centre de l'écu tombe au dehors de la figure inscrite , l'écu est nécessairement sur deux ou plusieurs carreaux, puisqu'alors son rayon est plus grand que la distance du contour de cette figure inscrite au contour du carreau : or, tous les points où peut tomber ce centre de l'écu sont représentés dans le premier cas par la su- perficie de la couronne qui fait le reste du car- reau; donc le sort du premier joueur est au sort du second, comme cette première superficie est à la seconde. Ainsi, pour rendre égal le sort de ces deux joueurs , il faut que la superficie de la figure inscrite soit égale à celle de la cou- ronne , ou, ce qui est la même chose, qu'elle soit la moitié de la surface totale du carreau. Je me suis amusé à en faire le caleul, et j'ai trouvé que pour jouer à jeu égal sur deux car- reaux carrés , le côté du carreau devait être au diamètre de l'écu , comme 1 : 1 — y/1; c'est- à-dire à peu prèstroisetdemie fois plusgrand que le diamètre de lapièce avec laquelie on joue. Pour jouer sur des carreaux triangulaires équilatéraux , le côté du carreau doit être au ‘ diamètre de la pièce, comme 1 : Tr: c'est-à-dire presque six fois plus grand que le diamètre de la pièce. Sur des carreaux en losange , le côté du car- reau doit être au diamètre de la pièce, comme "rs ; à dy: 15 V3 c'est-à-dire presque quatre fois plus grand. Enfin sur des carreaux hexagones, le côté du carreau doit être au diamètre de la pièce comme 1 TT, c'est-à-dire presque dou- blé. A Je n'ai pas fait le calcul pour d'autres figu- res, parce que celles-ci sont les seules dont on puisse: remplir un espace sans y laisser des in- ter valles d'autres figures; et je n'ai pas eru qu'il fût nécessaire d'avertir que les joints des car- reaux ayant quelque largeur, ils donnent de ESSAI l'avantage au joueur qui parie pour le joint, et que par conséquent l’on fera bien, pour rendre le jeu encore plus égal, de donner aux carreaux carrés un peu plus de trois et demie fois, aux triangulaires six fois, aux losanges quatre fois, etaux hexagones deux fois la longueur du dia- mètre de la pièce avec laquelle on joue. Je cherche maintenant le sort du troisième joueur qui parie que l'écu se trouvera sur deux joints ; et pour le trouver, j'inscris dans l'un des carreaux une figure semblable, comme j'ai déjà fait; ensuite je prolonge les côtés de cette figure inscrite jusqu'à ce qu'ils rencontrentceux du carreau : le sort du troisième joueur sera à celui de son adversaire comme la somme des espaces compris entre le prolongement de ces lignes et les côtés du carreau et au reste de la surface du carreau. Ceci n'a besoin, pour être pleinement démontré , que d'être bien entendu. J'ai fait aussi le calcul de ce cas, et j'ai trouvé que pour jouer à jeu égal sur des carreaux car- rés, le côté du carreau doit être au diametre de la pièce comme 1 Se c'est-a-dire plus grand d'un peu moins d'un tiers. : Sur des carreaux triangulaires équilatéraux , le côté du carreau doit être au diamètre de la pièce comme 1 : 4, c'est-à-dire double. Sur des carreaux en losange, le côté du ear reau doit être au diamètre de la pièce, comme 1 * 1 : A3, c'est-à-dire plus grand d’erfviron | deux cinquièmes. Sur des carreaux hexagones , le côté du car- reau doit être au diamètre de la pièce comme 1:45, c'est-à-dire plus grand d'un demi- quart. Maintenant, le quatrième joueur parie que sur des carreaux triangulaires équil:téraux, l'écu se trouvera sur six joints; que sur des carreaux carrés ou en losange il se trouvera sur quatre joints, et sur des carreaux hexagones il se trouvera sur trois joints : pour déterminer son sort, je décris de la pointe d'un angle du carreau un cercle égal à l’éeu, et je dis quesur des carreaux triangulaires équilatéraux, son sort sera à celui de son adversaire comme la moitié de la superficie de ce cercle est à celledu reste du carreau; que sur des carreaux carrés ou en losance, son sort sera à celui de l’autre comme la superficie entière du cercle est à celle du reste du carreau; et que sur des carreaux D'ARITHMETIQUE MORALE, hexagones, son sort sera à celui de son adver- saire , comme le double de cette superficie du cercle est au reste du carreau. En supposant donc que la circonférence du cerele est au dia- mètre, comme 22 sont à 7, on trouvera que pour jouer à jeu égal sur des carreaux triangu- laires équilatéraux , le côté du carreau doit être | V1V5 M» 224 au diamètre de la pièce comme 1 c'est-à-dire plus grand d'un peu plus d'un quart. Sur des carreaux en losanges, le sort sera le même que sur des carreaux triangulaires équi- latéraux. Sur des carreaux carrés , le côté du carreau doit être au diamètre de la pièce, comme 1 : VA | cestà-dire plus grand d'environ un cin- quième. Sur des carreaux hexagones , le côté du car- reau doit être au diamètre de la pièce comme Vavs ; , c'est-à-dire plus grand d'environ un treizième. J'omets ici la solution de plusieurs autres cas, comme lorsque l’un des joueurs parie que l'écu ne tombera que sur un joint ou sur deux, sur trois, ete; ils n'ont rien de plus difficile que les précédents ; et d'ailleurs on joue rarement ce jeu avecd'autres conditions que celles dont nous avons fait mention. Mais siau lieu dejeter en l’air une pièce ronde, comme un éeu, on jetait une pièce d'une autre figure, comme une pistole d'Espagne carrée, ou une aiguille, une baguette, ete., le problème de- manderait un peu plus de géométrie, quoique en général il fût toujours possible d'en donner la solution par des comparaisons d'espaces , comme nous allons le démontrer. Je suppose que dans une chambre, dont le parquet est simplement divisé par des joints pa- rallèles, on jette en l’air une baguette, et que l'un des joueurs parie que la baguette ne croi- sera aucune des parallèles du parquet, et que l'autre au contraire parie que la baguette croi- sera quelques-unes de ces parallèles; on de- mande le sort de ces deux joueurs. On peutjouer ce jeu sur un damier avec une aiguille à cou- dre ou une épingle sans tête. tu, Pour le trouver, jetire d'abord, entre les deux joints parallèles À Bet C D du parquet, deux autres lignes parallèles a Det ce d , éloignées des premières de la moitié de la longueur de Ja ba- guette £ F, et je vois évidemment que, tant que le milieu de la baguette sera entre ces deux se- condes parallèles, jamais elle ne pourra croiser les premières dans quelque situation Æ F, e f, qu'elle puisse se trouver ; et comme tout ce qui peut arriver au-dessus de a b arrive de même au-dessous de € d, il ne s'agit que de déterminer l'un ou l'autre; pour cela je remarque que toutes les situations de la baguette peuvent être repré- sentées par le quart de la circonférence du cer- cle dont la longueur de la baguette est le dia- mètre; appelant done 2 & la distance € À des joints du parquet , € le quart de la circonférence du cercle dont la longueur de la baguette est le diamètre; appelant 2 b la longueur de la ba- guette, et f la longueur À B des joints, j'aurai f(a — b) ec pour l'expression qui représente la probabilité de ne pas croiser le joint du parquet, ou, ce qui estla même chose, pour l’expressin de | tous les cas où le milieu de la baguette tombe au- dessous dela ligne ab et au-dessusdela ligne c 4. Mais lorsque le milieu de la baguette tombe hors de l’espace ab cd, compris entre les se- condes parallèles, elle peut, suivant sa situation, croiser ou ne pas croiser le joint ; de sorte que le milieu de la baguette étant, par exemple, ene, l'are » G représentera toutes les situations où elle croiserale joint, etl’are G Æ toutes celles où elle ne le croisera pas, et comme il en sera de même de tous les points de la ligne :>, j'ap- pelle d x les petites parties de cette ligne, ety les arcs de cercle ? G, et j'ai f(s ydæ) pour l'expression de tous les cas où la baguette croi- sera, et f| be—syd zx) pour celle des cas où elle ne croisera pas; j'ajoute cette dernière expression à celle trouvée ci-dessus f { a—b) c; afin d’avoir la totalité des cas où la baguette ne 27 418 croisera pas, et dès lors je vois que le sort du premier joueur est à celui du second, comme ac—sydæ:sydx. Si l'on veut done que le jeu soit égal, l'on sudzx aura a c—2syædoua =, c'est-à- dire à l'aire d'une partie de cycloide, dont le cercle générateur a pour diamètre 2 b, longueur de la baguette; or, on sait que cette aire de cycloide est égale au carré du rayon : done a = Fe c'est-à-dire que la longueur de la baguette doit faire à peu près les trois quarts de la distance des joints du parquet. La solution de ce premier cas nous conduit aisément à celle d'un autre, qui d’abord aurait paru plus difficile, qui est de déterminer le sort de ces deux joueurs dans une chambre pavée de carreaux carrés; car en inscrivant dans l'un des carreaux carrés un carré éloigné partout des côtés du carreau de la longueur 6, l'on aura d’abord c (a—t}? pour l'expression d’une partie des cas où la baguette ne croisera pas le joint; ensuite on trouvera (2 a — b) sy d x pour celle de tous les cas où elle croisera, et enfin cb\2a — D) —(2 a 0) sy d æ pour le reste des cas où elle ne croisera pas. Ainsi le sort du premier joueur est à celui du second, comme c(a —b Eee7| 2 a—b)—(c a —b) sydx :(ca=0d)sydx. Si l'on veut done que le jeu soit égal, l'on aura c(a —b}?+ecb (2a— ) = (2 a—b)? sy dx ou gese —sy dx; mais comme nous l'avons vu ci-dessus, s y d xæ—bb; done Aa Fr — bb; ainsi le côté du carreau doit être à la longueur de la baguette , à peu près comme %# : 1, c'est-à-dire pas tout-à-fait double. Si l'on jouait done sur un damier avec une aiguille dont la longueur serait la moitié de la longueur du côté des carrés du damier, il y aurait de l'avantage à parier que l'aiguille croisera les joints. On trouvera par un calcul semblable que, si l'on joue avec une pièce de monnaie carrée, la somme des sorts sera au sort du Joueur qui pa- rie pour le joint, comme aa c:4 abb pi — b5— } Ab; À marque ici l'excès de la super- ficie du cercle circonscrit au carré, et à la demi- diagonale de ce carré. Ces exemples suffisent pour donner une idée ESS AI des jeux que l'on peut imaginer sur les rap- ports de l'étendue. L'on pourrait se proposer plusieurs autres questions de cette espèce, qui ne laisseraient pas d'être curieuses et même utiles : si l’on demandait, par exemple, com- bien l'on risque à passer une rivière sur une planche plus ou moins étroite; quelle doit être la peur que l'on doit avoir de la foudre ou de la chute d'une bombe, et nombre d'autres pro- blèmes de conjecture, où l’on ne doit considé- rer que le rapport de l'étendue, et qui par con- séquentappartiennent à lagéométrietout autant qu'à l'analyse. XXIV. Dès les premiers pas qu'on fait en géométrie, on trouve Pinfini, et, dès les temps les plus reculés, les géomètres l'ont entrevu; la quadrature de la parabole et le traité de Mu- mero arenæ d’Archimède prouvent que ce grand homme avait des idées de l'infini, et même des idées telles qu'on les doit avoir; on a étendu ces idées, on les a maniées de différentes fa- cons, enfin on à trouvé l'art d'y appliquer le caleul : mais le fond de la métaphysique de l’in- fini n'a point changé, et ce n'est que dans ces derniers temps que quelques géomètres nous ont donné sur l'infini des vues différentes de celles des anciens, et si éloignées de la nature des choses et de la vérité, qu'on l’a méconnue jusque dans les ouvrages de ces grands mathé- maticiens. De là sont venues toutes les opposi- tions, toutes les contradictions qu'on a fait souf- frir au calcul infinitésimal; de là sont venues les disputes entre les geomètres sur la façon de prendre ce caleul, et sur les prineipes dont il dérive. On a été étonné des espèces de prodiges que ce calcul opérait. Cet étonnement a été suivi de confusion; on a cru que l'infini pro- duisait toutes ces merveilles; on s’est imaginé que la connaissance de cet infini avait été refu- sée à tous les siècles et réservée pour le nôtre; enfin on a bâti sur cela des systèmes qui n’ont servi qu'à obscurcir les idées. Disons done ici deux mots de la nature de cet infini, qui, en éclairant les hommes, semble les avoir éblouis. Nous avons des idées nettes de la grandeur ; nous voyons que les choses en général peuvent être augmentées ou diminuées, et l’idée d’une chose, devenue plus grande ou plus petite , est une idée qui nous est aussi présente et aussi fa- miliere que celle de la chose même. Une chose quelconque nous étant donc présentée ou étant seulement imaginée, nous voyons qu'il est pos- D'ARITHMÉTIQUE MORALE. sible de l'augmenter ou de la diminuer; rien | n'arrête, rien ne détruit cette possibilité; on peut toujours concevoir la moitié de la plus pe- tite chose, et le double de la plus grande chose; on peut même concevoir qu'elle peut devenir cent fois, mille fois, cent mille fois plus petite où plus grande ; et c’est cette possibilité d'aug- mentation sans bornes en quoi consiste la vé- ritable idée qu'on doit avoir de l'infini. Cette idée nous vient &e l’idée du fini : une chose finie est une chose qui a des termes, des bornes; une chose infinie n’est que cette même chose finie à laquelle nous Ôôtons ces termes eb ces bornes : ainsi l’idée de l'infini n'est qu'une idée de privation, et n'a point d'objet réel. Ce n’est pas ici le lieu de faire voir que l’espace, le temps, la durée, ne sont pas des infinis réels ; il nous suffira de prouver qu’il n’y a point de nombre actuellement infini ou infiniment petit, ou plus grand où plus petit qu'un infini, ete. Lenombre n'est qu'unassemblage d'unités de même espèce : l’unité n'est point un nombre, l'unité désigne une seule chose en général; mais le premier nombre 2 marque non seulement deux choses, mais encore deux choses sem- blables , deux choses de même espèce; il en est de même de tous les autres nombres. Or ces nombres ne sont que des représentations, et n'existent jamais indépendamment des choses qu'ils représentent ; les caractères qui les dési- gnent ne leur donnent point de réalité; il leur faut un sujet ou plutôt un assemblage de sujets à représenter, pour que leur existence soit possible; j'entends leur existence intelligible, car ils n’en peuvent avoir de réelle; or, un as- semblage d'unités ou de sujets ne peut jamais être que fini, c'est-à-dire qu'on pourra tou- jours assigner les parties dont il est composé ; par conséquent le nombre ne peut être infini, quelque augmentation qu'on lui donne. Mais, dira-t-on, le dernier terme de la suite naturelle 1, 2,3, 4, etc., n'est-il pas infini? n'y a-t-il pas des derniers termes d’autres suites en- core plus infinis que le dernier terme de la suite naturelle? il parait qu'en général les nombres doivent à la fin devenir infinis, puisqu'ils sont toujours susceptibles d'augmentation? A cela je réponds que cette augmentation dont ils sont susceptibles prouve évidemment qu'ils ne peu- vent être infinis; je dis de plus que dans ces suites il n'y a point de dernier terme; que même leur supposer un dernier terme, c’est 19 détruire l'essence de la suite qui consiste dans la succession des termes qui peuvent être suivis d'autres termes , et ces autres termes encore d'autres, mais qui tous sont de même nature que les précédents, c'est-à-dire tous finis, tous composés d'unités : ainsi, lorsqu'on suppose qu'une suite a un dernier terme, et que ce der- nier terme est un nombre infini, on va contre la définition du nombre et contre la loi géné- rale des suites. La plupart de nos erreurs, en métaphysique, viennent de la réalité que nous donnons aux idées de privation : nous connaissons le fini, nous y voyons des propriétés réelles, nous l'en dépouillons, et, en le considérant après ce dé- pouillement , nous ne le reconnaissons plus, et nous croyons avoir créé un être nouveau , tan- dis que nous n'avons fait que détruire quelque partie de celui qui nous était anciennement connu. On ne doit done considérer l'infini, soit en petit, soit en grand, que comme une privation, un retranchement à l'idée du fini, dont on peut se servir comme d'une supposition qui, dans quelque cas, peut aider à simplifier les idées, et doit généraliser leurs résultats dans la pra- tique des sciences ; ainsi tout l’art se réduit à tirer parti de cette supposition, en tâchant de l'appliquer aux sujets que l'on considère. Tout le mérite est done dans l'application, en un mot, dans l'emploi qu'on en fait. XXV. Toutes nos connaissances sont fondées sur des rapports et des comparaisons : tout est donc relation dans l'univers; et dès lors tout est susceptible de mesure; nos idées même, étant toutes relatives, n'ont rien d'absolu. Il ya, comme nous l'avons démontré, des degrés dif- férents de probabilité et de certitude. Et même l'évidence a plus ou moinsdeclarté, plusou moins d'intensité, selon les différents aspects, c'est-à- dire suivant les rapports sous lesquels elle se présente; la vérité, transmise et comparée par différents esprits, paraît sous des rapports plus ou moins srands, puisque le résultat de l’affir- mation , ou de la négation d’une proposition par tous les hommes en général, semble donner en- core du poids aux vérités les mieux démontrées et les plus indépendantes de toute convention. Les propriétés de la matière, qui nous pa- raissent évidemment distinctes les unes des au- tres, n’ont aucune relation entre elles; l’éten- due ne peut se comparer avec la pesanteur, 21. 420 l'impénétrabilité avec le temps, le mouvement avec la surface, ete. Ces propriétés n’ont de commun que le sujet qui les tie, et qui leur donne l'être: chacune de ces propriétés consi- dérée séparément demande done une mesure de son genre, c'est-à-dire une mesure diffé- rente de toutes les autres. Mesures arilhmétiques. Il n'était done pas possible de leur appliquer une mesure commune qui fût réelle, mais la mesure intellectuelle s'est présentée naturelle- ment. Cette mesure est le nombre qui, pris gé- néralement, n’est autre chose que l'ordre des quantités : c'est une mesure universelle et ap- plicable à toutes les propriétés de la matière, mais elle n'existe qu'autant que cette applica- tion lui donne de la réalité, et même elle ne peut être conçue indépendamment de son sujet; cependant on est venu à bout de la traiter comme une chose réelle; on a représenté les nombres par des caractères arbitraires, auxquels on a attaché les idées de relation prises du sujet ; et par ce moyen on s’est trouvé en état de mesurer leurs rapports, sans aucun égard aux relations des quantités qu'ils représentent. Cette mesure est même devenue plus familière | à l'esprit humain que les autres mesures : c’est en effet le produit pur de ses réflexions ; celles qu'il fait sur les mesures d'un autre genre ont toujours pour objet la matière , et tiennent sou- vent des obscurités qui l’environnent. Mais ce nombre, cette mesure qui, dans l'abstrait, nous parait si parfaite, a bien des défauts dans l'ap- plication, et souvent la difficulté des problèmes dans les sciences mathématiques ne vient que de l'emploi forcé et de l'application contrainte qu'on est obligé de faire d’une mesure numé- rique absolument trop longue ou trop courte; les nombres sourds, les quantités qui ne peu- vent s'intégrer, et toutes les approximations prouvent l'imperfection de la mesure, et plus encore la difficulté des applications. Néanmoins il n'était pas permis aux hom- mes de rendre dans l'application cette mesure numérique parfaite à tous égards : il aurait fallu pour cela que nos connaissances sur les diffé- rentes propriétés de la matière se fussent trou- vées être du même ordre , et que ces propriétés elles-mêmes eussent eu des rapports analo- gues; accord impossible et contraire à la nature ESSAI de nos sens, dont chacun produit une idée d'un genre différent et incommensurable. XXVI. Mais on aurait pu manier cette me- sure avec plus d'adresse, en traitant les rapports des nombres d'une manière plus commode et plus heureuse dans l'application. Ce n’est pas que les lois de notre arithmétique ne soient très- bien entendues, mais leurs principes ont été posés d’une manière trop arbitraire, et sans avoir égard à ce qui était nécessaire pour leur donner une juste convenance avec les rapports réels des quantités. L'expression de la marche de cette mesure numérique, autrement l'échelle de notrearithmé- tique , aurait pu être différente : le nombre 10 était peut-être moins propre qu'un autre nom- bre à lui servir de fondement; car, pour peu qu'on y réfléchisse, on aperçoit aisément que toute notre arithmétique roule sur ce nombre 10 et sur ses puissances, c’est-à-dire sur ce même nombre 10 multiplié par lui-même : les autres nombres primitifs ne sont que les signes de la quotité, ou les coëfficients et les indices de ces puissances, en sorte que tout nombre est toujours un multiple, ou une somme de multi- ples des puissances de 10. Pour le voir claire- ment , on doit remarquer que la suite des puis- sances de dix, 109, 10!,10 , 105, 10*, ete, est la suite des nombres 1, 10, 100, 1000, 10000, etc, et qu’ainsi un nombre quelconque, comme Auil mille six cent quarante-deux, n'est autre chose que 8 X 1056 X 10? +4 X 10! 2 X 101; c'est-à-dire une suite de puissances de 10, multipliée par différents coëffi- cients. Dans la notation ordinaire, la valeur des places de droite à gauche est done toujours proportionnelle à cette suite 10°, 10!, 10?, 105, etc., et l’uniformité de cette suite a per- mis que dans l'usage on püt se contenter des coëfficients, et sous-entendre cette suite de 10 aussi bien que les signes : qui, dans toute col- lection de choses déterminées et homogènes, peuvent être supprimés; en sorte que l’on écrit simplement 8642. Le nombre 10 est donc la racine de tous les autres nombres entiers, c'est-à-dire la racine de notre échelle d'arithmétique ascendante : mais ce n'est que depuis l'invention des frac- tions décimales , que 10 est aussi la racine de notre échelle d'arithmétique descendante; les fractions £ , #,1, ete., ou 5, ?,?, etc., toutes les fractions, en un mot, dont on s’est servi jus- D'ARITHMÉTIQUE MORALE. qu'à l'invention des décimales, et dont on se sert encore tous les jours, n'appartiennent pas à la même échelle d'arithmetique, ou plutôt donnent chacune une nouvelle échelle; et de là sont venus les embarras du caleul, les rédue- tions à moindres termes, le peu de rapidité des convergences dans les suites, et souvent la dif- ficulté de les sommer ; en sorte que les fractions décimales ont donné à notre échelle d'arith- métique une partie qui lui manquait, et à nos calculs l'uniformité nécessaire pour les compa- raisons immédiates : c'est là tout le parti qu'on pouvait tirer de cette idée. Mais ce nombre 10, cette racine de notre échelle d'arithmétique, était-elle ce qu'il y avait de mieux ? pourquoi l'a-t-on préféré aux autres nombres, qui tous pouvaient aussi être la racine d'une échelle d'arithmétique ? On peut imagi- ner que la conformation de la main a déterminé plutôtqu'une connaissance de réflexion. L'hom- me a d'abord compté par ses doigts; le nombre dix à paru lui appartenir plus que les autres nombres, et s’est trouvé le plus près de ses yeux. On peut donc croire que ce nombre dix a eu la préférence, peut-être sans aucune autre raison; il ne faut, pour en être persuadé, qu’exa- miner la nature des autres échelles, et les eom- parer avec notre échelle denaire. Sans employer des caractères , il serait aisé de faire une bonne échelle denaire, bien raison- née, par les inflexions et les différents mouve- ments des doigts et des deux mains; échelle qui suffisait à tous les besoins dans la vie civile, et à toutes les indications nécessaires. Cette arithmétique est même naturelle à l'homme, et il est probable qu'elle a été et qu'elle sera en- core souvent en usage, parce qu'elle est fon- dée sur un rapport physique et invariable, qui durera autant que l'espèce humaine, et qu’elle est indépendante du temps et de la réflexion que les arts présupposent. Mais, en prenant même notre échelle denaire dans la perfection que l'invention des carac- tères lui a procurée , il est évident que comme on compte jusqu'à neuf, après quoi on recom- mence en joignant le deuxième caractère au premier, et ensuite le second au second, puis le deuxième au troisième , ete., on pourrait, au lieu d'aller jusqu'à neuf, n'aller que jusqu'à huit, et de là recommencer, ou jusqu'à sept ou jusqu’à quatre, ou même n'aller qu'à deux : mais, par la même raison, il était libre d’al- 421 ler au-delà de dix avant de recommencer , comme jusqu'à onze, jusqu'à douze, jusqu'à soixante, jusqu'à cent, etc., et de là on voit clairement que plus les échelles sont longues, et moins les calculs tiennent de place : de sorte que dans l'échelle centenaire, où on emploierait cent différents caractères, il n’en faudrait qu'un, comme C, pour exprimer cent; dans l'échelle duodenaire, où l’on se servirait de douze diffé- rents caractères , il en faudrait deux, savoir, 8, 4; dans l'échelle denaire il en faut trois, savoir, 1, 0, 0; dans l'échelle quartenaire, où l'on n'emploierait que les quatre caractères 0, 1, 2et 3, il en faudrait quatre, savoir, 1, 2, 1, 0; dans l'échelle trinaire, cinq, savoir, 1,0, 2,0,1;et enfin dans l'échelle binaire, sept, savoir, 1,1, 0, 0,1, 0, 0, pour exprimer cent. XXVII. Mais, de toutes ces échelles, quelle est la plus commode , quelle est celle qu'on au- rait dû préférer ? D'abord il est certain que la denaire est plus expéditive que toutes celles qui sont au-dessous , c'est-à-dire plus expéditive que les échelles qui ne s’élèveraient que jusqu'à neuf, où jusqu'à huit ou sept, ete., puisque les nombres y occupent moins de place. Toutes ces échelles inférieures tiennent donc plus ou moins du défaut d'une trop longue expression; défaut qui n’est d'ailleurs compensé par aucun avantase que celui de n’employer que deux caractères 1 et 0 dans l’arithmétique binaire ; trois caractères 2, 1 et 0 dans la trinaire ; quatre caractères 3, 2, 1 et 0 dans l'échelle quarte- naire, etc. : ce qui, à le prendre dans le vrai, n’en est pas un, puisque la mémoire de l'homme en retient fort aisément un plus grand nombre, comme dix ou douze, et plus encore s’il le faut. Il est aisé de conclure de là que tous les avantages que Leibnitz a supposés à l'arithmé- tique binaire se réduisent à expliquer son énigme chinoise; car, comment serait-il possible d'ex- primer de grands nombres par cette échelle, comment les manier, et quelle voie d’abréger ou de faciliter des calculs dent les expressions sont trop étendues ? Le nombre dix a donc été préféré avec rai- son à tous ses subalternes : mais nous allons voir qu'on ne devait pas lui accorder cet avan- tage sur tous les autres nombres supérieurs. Une arithmétique, dont l'échelle aurait eu le nom- bre douze pour racine, aurait été bien plus com- mode; les grands nombres auraient occupé 29 ESSAI moins de place, eten même temps les fractions auraient été plus rondes. Les hommes ont si bien senti cette vérité, qu'après avoir adopté l'arithmétique denaire, ils ne laissent pas que de seservir del'échelle duodenaire : on compte sou- vent par douzaines, par douzaines de douzaines ou grosses ; le pied est dans l'échelle duodenaire la troisième puissance de la ligne , le pouce la seconde puissance, On prend le nombre douze pour l'unité; l’année se divise en douze mois ; le jour en douze heures; le zodiaque en douze signes ; le sou en douze deniers. Toutes les plus petites ou dernières mesures affectent le nombre douze, parce qu'on peut le diviser par deux, par trois, par quatre et par six; au lieu que dix ne peut se diviser que par deux et par cinq, ce qui fait une différence essentielle dans la pratique pour la facilité des calculs et des me- sures. Il ne faudrait, dans cette échelle, que deux caractères de plus, l’un pour marquer dix, et l’autre pour marquer onze; au moyen de quoi l’on aurait une arithmétique bien plus aisée à manier que notre arithmétique ordi- paire. On pourrait, au lieu de douze, prendre pour racine de l'échelle quelque nombre, comme vingt-quatre ou trente-six , qui eussent de plus grands avantages encore pour la division , c'est- à-dire un plus grand nombre de parties aliquo- tes que le nombre douze : en ce cas il faudrait quatorze caractères nouveaux pour l'échelle de vingt-quatre, et vingt-six caractères pour celle de trente-six , qu'on serait obligé de retenir par mémoire ; mais cela ne ferait aucune peine, puisqu'on retient si facilement les vingt-quatre lettres de l'alphabet lorsqu'on apprend à lire. J'avoue que l’on pourrait faire une échelle d'arithmétique, dont la racine serait si grande, qu'il faudrait beaucoup de temps pour en ap- prendre tous les caractères. L’alphabet des Chi- nois est si mal entendu ou plutôt si nombreux, qu'on passe sa vie à apprendre à lire. Cet in- convénient est le plus grand de tous. Ainsi, l'on a parfaitement bien fait d'adopter un alphabet de peu de lettres , et une racine d’arithmétique de peu d'unités , et c'est déjà une raison de pré- férer douze à de très-crands nombres dans le choix d'une échelle d'arithmétique : mais ce qui doit décider en sa faveur, c’est que dans l'usage de la vie les hommes n’ont pas besoin d’une si grande mesure, ils ne pourraient même a manier aisément, il en faut une qui soit pro- portionnée à leur propre grandeur, à leurs mou- vements et aux distances qu'ils peuvent parcou- ir, Douze doit déjà être bien grand , puisque dix nous suffit, et vouloir se servir d’un beaucoup plus grand nombre pour racine de notre échelle d'usage, ce serait vouloir mesu- rer à la lieue la longueur d'un appartement. Les astronomes qui ont toujours été occupés de grands objets, et qui ont eu de grandes dis- tances à mesurer , ont pris soixante pour la racine de leur échelle d’arithmétique, et ils ont adopté les caractères de l'échelle ordinaire pour coëfficient ; cette mesure expédie et arrive très- promptement à une grande précision; ils comp- tent par degrés, minutes, secondes, tierces, ete., c'est-à-dire par les puissances successives de soixante; les coëfficients sont tous les nombres plus petits que soixante : mais comme cette échelle n’est en usage que dans certains cas, et qu'on ne s’en sert que pour des calculs sim- ples, on a négligé d'exprimer chaque nombre par un seul caractère; ce qui cependant est es- sentiel pour conserver l’analogie avec les autres échelles et pour fixer la valeur des places. Dans cette arithmétique les grands nombres occupent moins d'espace; mais, outre l’incommodité des cinquante nouveaux caractères, les raisons que j'ai données ci-dessus doivent faire préférer, dans l'usage ordinaire, l’arithmétique de douze. Il serait même fort à souhaiter qu'on voulût substituer cette échelle à l'échelle denaire; mais à moins d'une refonte générale dans les scien- ces. il n’est guère permis d'espérer qu'on change jamais notre arithmétique, parce que toutes les grandes pièces de calcul, les tables des tan- gentes, des sinus, des logarithmes , les éphé- mérides, ete., sont faites sur cette échelle, etque l'habitude d'arithmétique, comme l'habitude de toutes les choses qui sont d'un usageuniversel et nécessaire, ne peut être réformée que par une loi qui abrogerait l'ancienne coutume, et con- traindrait les peuples à se servir de la nouvelle méthode. Après tout ,ilserait fort aisé de ramener tous les calculs à cette échelle, et le changement des tables ne demanderait pas beaucoup de temps; car en général il n’est pas difficile de transporter un nombre d'une échelle d'arithmé- tique dans une autre, et de trouver son expres- sion. Voici la manière de faire cette opération. Tout nombre, dans une échelle donnée, peut être exprimé par une suite, D'ARITHMETIQUE MORALE. an ba" ter" dr" HE ete. æ représente la racine de l'échelle arithméti- que; à la plus haute puissance de cette racine, ou, ce qui est la même chose, le nombre des places moins 1; 4, b, ec, d, sont les corfficiens ou les signes de la quotité. Par exemple, 1738 dans l'échelle denaire donnera æ—10 ,n —4 — 1—3,a—1,0—17,c—3,d—S8; en sorte que a" br" + ex "3 dx "Ts sera 1. 105 — 7. 10? 3. 10! 8. 100 — 1000 - 700 + 30 + 8 — 1735. L'expression de ce même nombre, dans une autre échelle arithmétique, sera 22 (æ + ) - Plat y) Hg (x y) re Ey)S. y représente la différence de la racine de l’é- chelle proposée, et de la racine de l'échelle demandée; y est donc donnée aussi bien que x. On déterminera ?, en faisant le nombre proposé a 2h zh ca"? pd a" ete. égal (&—-y)vou 4 — B"; car, en passant aux loga- rithmes , on aura v — — Pour déterminer les coëfficients », p, q, r, il n'y aura qu'à diviser le nombre proposé À par (z+ y)", et faire »” égal au quotient en nombres entiers; ensuite diviser le reste par (z + y)"-*, et faire p égal au quotient en nombres entiers ; et de même diviser le reste par (x +y)}"-?, et faire g égal au quotient en nombres entiers , et ainsi de suite jusqu'au dernier terme. Par exemple, si l'on demande l'expression dans l'échelle arithmétique quinaire du nombre 1738 de l'échelle denaire, æ—10,y——5, A —17358, B—5;done, » ___ log: 1738, 3. 2400498 = og 5 9. 6989700 Je divise 1738 par 5° où 625, le quotient en nombres entiers est 2 — m; ensuite je divise le reste 488 par 55 ou 125 , le quotient en nom- bres entiers est 3 — p; et de même je divise le reste 113 par 5° ou 25, le quotient en nom- bres entiers est 4 — 4; et, divisant encore le reste 13 par 5‘, le quotient est 2 —r; et enfin, divisant le dernier reste 3 par 5° — 1, le quo- tient est 3 — s : ainsi l'expression du nombre 1738 de l'échelle denaire sera 23423 dans l’é- chelle arithmétique quinaire. Si l'on demande l'expression du même nom- bre 1738 del'échelle denaire dans l’échellearith- métique duodenaire, on aura æ — 10, y —2, ; log. 1738. 3. 2100498 A—1738, B— 12; donc » — SN LR = en ombres entiers, Je divise 1738 par 12° — 4 en nombres entiers. 425 ou 1728, le quotient en nombres entiers est 1 — m; ensuite je divise le reste 10 par 12°, le quotient en nombres entiers est 0 —p, et de même je divise ce reste 10 par 12!, le quotient en nombres entiers est 0 — g; et enfin je divise encore ce reste 10 par 1 20, le quotient est 10 == r ; lenombre1738 de l'échelle denaire seradone 100 K dans l'échelle duodenaire , en supposant que le caractère K exprime le nombre 10. Si l’on veut avoir l'expression de ce nombre 1738 dans l'échelle arithmétique binaire, on log. 1738 3. 2100498 a TE auray——8, B—2,v— 5 —- en nombres entiers ; je divise 1738 par 2'° ou 1024, le quotient en nombres entiers est 1 — m; puis je divise le reste 714 par 2° ou 512, le quotient est 1 —p; de même je divise le reste 202 par 2 ou 256, le quotient est 0 — g, je divise encore ce reste 202 par 2’ ou 128, le quotient est 1 —7. De même le reste 74 divisé par 25 ou 64, donne 1 —s, et le reste 10 divisé par 25 ou 32, donne 0 — {, et ce méme reste 10 divisé par 2 ou 16, donne encore 0 —# ; mais ce même reste 10, divisé par 2 ou 8, donne 1 — w, et le reste 2, divisé par 22 ou 4, donne 0 — æ ; mais ce même reste 2 divisé par 2!, donne 1 — y, et le reste 0 divisé par 2° ou 1, donne 0 — 5. Donc le nombre 1738 de l’é- chelle denaire sera 11,011,001,010 dans l’é- chelle binaire. Il en sera de même de toutes les autres échelles arithmétiques. L'on voit qu'au moyen de cette formule, on peut ramener aisément une échelle d’arithmé- tique quelconque, à telle autre échelle qu'on voudra, et que par conséquent on pourrait ra- mener tous les caleuls et comptes faits à l'échelle duodenaire. Et, puisque cela est si facile, qu’il me soit permis d'ajouter encore un mot des avantages qui résulteraient de ce changement ; le toisé, l'arpentage et tous les arts de mesure, où le pied , le pouce et la ligne sont employés , deviendraient bien plus faciles, parce que ces mesures se trouveraient dans l'ordre des puis- sances de douze, et par conséquent feraient partie nécessaire de l'échelle, et partie qui sau- terait aux yeux ; tous les arts et métiers , où le tiers, le quartet le demi-tiers se présentent sou- vent, trouveraient plus de facilité dans toutes leurs applications ; ce qu'on gagnerait en arith- métique se pourrait compter au centuple de profit pour les autres sciences et pour les arts. XXVILS, Nous avons vu qu'un nombre peut 424 toujours , dans toutes les échelles d’arithméti- que, être exprimé par les puissances succes- sives d'un autre nombre, multipliées par des coëfficients qui suffisent pour nous indiquer le nombre cherché, quand par l'habitude on s'est familiarisé avec les puissances du nombre sous- entendu. Cette manière, toute générale qu'elle est, ne laisse pas d'être arbitraire comme toutes les autres qu'on pourrait et qu'il serait même fa- cile d'imaginer. Les jetons, par exemple, se réduisent à une échelle dont les puissances successives , au lieu de se placer de droite à gauche, comme dans l'arithrgétique ordinaire, se mettent du bas en haut, chacune dans une ligne , où il faut autant de jetons qu'il y a d'unités dans les coëfficients. Cet inconvénient de la quantité de jetons vient de ce qu'on n'emploie qu'une seule figure ou caractere , et c'est pour y remédier en partie qu'on abrége dans la même ligne en marquant les nombres 5 , 50, 500, ete., par un seul jeton séparé des autres. Cette facon de compter est très-ancienne, et elle ne laisse pas d'être utile. Les femmes et tant d'autres gens qui ne savent ou ne veulent pas écrire aiment à manier des jetons ; ils plaisent par l'habitude, on s’en sert au jeu, c'en est assez pour les mettre en faveur. Il serait facile de rendre plus parfaite cette manière d’arithmétique; il faudrait se servir de jetons de différentes figures , de dix, neuf, ou mieux encore de douze figures, toutes de va- leur différente ; on pourrait alors caleuler aussi promptement qu'avec la plume , et les plus grands nombres seraient exprimés comme dans l'arithmétique ordinaire, par un très-petit nom- bre de caractères. Dans l'Inde, les Brachmanes se servent de petites coquilles de différentes couleurs pour faire les calculs, même les plus difficiles , tels que ceux des éclipses. On aura d’autres échelles et d'autres expres- sions par des lois différentes ou par d'autres suppositions : par exemple , on peut exprimer tous les nombres par un seul nombre élevé à une certaine puissance. Cette supposition sert de fondement à l'invention de toutes les échel- les logarithmiques possibles , et donne les lo- garithmes ordinaires, en prenant 10 pour le nombre à élever, et en exprimant les puissan- ces par les fractions décimales , car 2 peut être exprimé par 10 0%. ete., 3 par 10100000 ete. eten général un nombre quelconque » peut être exprimé par un autre nombre quelconque #, ESSAI | élevé à une certaine puissance æ. L'application de cette combinaison, que nous devons à Niéper, est peut-être ce qui s'est fait de plus ingénieux et de plus utile en arithmétique. En effet, ces nombres logarithmiques donnent la mesure im- médiate des rapports de tous les nombres, et sont proprement les exposants de ces rapports, car les puissances d'un nombre quelconque sont en progression géométrique : ainsi le rap- port arithmétique de deux nombres étant don- né, on à toujours leur rapport géométrique par leurs logarithmes , ce qui réduit toutes les multiplications et divisions à de simples addi- tions et soustractions, et les extractions de ra- cines à de simples partitions Mesures géométriques. XXIX. L'étendue, c'est-à-dire l'extension de la matière, étant sujette à la variation de gran- deur, a été le premier objet des mesures géo- métriques. Les trois dimensions de cette exten- sion ont exigé des mesures de trois espèces différentes, qui, sans pouvoir se comparer, ne , «äissent pas dans l'usage de se prêter à des rap- ports d'ordre et de correspondance. La ligne ne peut être mesurée que par la ligne, il en est de même de la surface et du solide , il faut une surface ou un solide pour les mesurer. Cepen- dant avec la ligne on peut souvent les mesu- | rer tous trois par une correspondance sous-en- tendue de l'unité linéaire à l'unité de surface ou à l'unité de solide. Par exemple, pour me- surer la surface d'un carré, il suffit de mesu- rer la longueur d’un des côtés , et de multiplier cette longueur par elle-même; car cette multi- plication produit une autre longueur, que l'on peut représenter par un nombre qui ne man- quera pas de représenter aussi la surface cher- chée, puisqu'il y a le même rapport entre l’u- nité linéaire, le côté du carré et la longueur produite, qu'entre l'unité de surface, la surface qui ne s'étend que sur le côté du carré et la surface totale, et par conséquent on peut pren- dre l’une pour l’autre. Il en est de même des solides ; et en général toutes les fois que les mêmes rapports de nombre pourront s’appli- quer à différentes qualités ou quantités, on pour- ra toujours les mesurer les unes par les autres; et c’est pour cela qu'on a eu raison de repré- senter les vitesses par des lignes, les espaces par des surfaces, etc., et de mesurer plusieurs D'ARITHMÈTIQUE MORALE. propriétés de la matière par les rapports qu’elles ont avec ceux de l'étendue. L'extension en longueur se mesure toujours par une ligne droite prise arbitrairement pour l'unité, avec un pied ou une toise, prise pour l'unité ou mesure juste; une longueur de cent pieds ou de cent toises, avee un demi-pied où une demi-toise prise de même pour l'unité ou mesure juste; cent pieds et demi ou cent toises et demie, et ainsi des autres longueurs : celles qui sont incommensurables, comme la diago- nale et le côté du carré font une exception. Mais elle est bien légitime , car elle dépend de l'incommensurabilité primordiale de la sur- face avec la ligne, et du défaut de correspon- dance en certain cas des échelles de ces mesu- res ; leur marche est differente , et il n’est point étonnant qu'une surface double d'une autre appuie sur une ligne dont on ne peut trouver le rapport en nombres , avec l’autre ligne sur la- quelle appuie la première surface; car, dans l'arithmétique , l'élévation aux puissances en- tières, comme au carré, au cube, ete., n’est qu'une multiplication où même une addition d'unités ; elle appartient par conséquent à l’é- chelle d'arithmétique qui est en usage , et la suite de toutes ces puissances doit s’y trouver et s'y trouve; mais l'extraction des racines, ou , ce qui est la même chose, l'élévation aux puissances rompues n'appartient plus à cette même échelle , et tout de même qu'on ne peut, dans l'échelle denaire, exprimer la fraction { que par une suite infinie 3%, ete., on ne peut aussi exprimer les puissances rompues ou les racines ÿ, !, ?, ete., de plusieurs nombres, que par des suites infinies, et par conséquent ces racines ne peuvent être mesurées par la marche d'aucune échelle commune ; et comme la diagonale d’un carré est toujours la racine carrée du double d’un nombre carré, et que ce nombre double ne peut lui-même être un nombre carré, il s'ensuit que le nombre qui représente cette diagonale ne se trouve pas daus l'échelle d’arithmétique et ne peut s'y trouver, quoique le nombre qui représente la surface s'y trouve, parce que la surface est re- présentée par une puissance entière , et la dia- gonale par la puissance rompue f de 2, laquelle n'existe point dans notre échelle. De la même manière qu'on mesure avec une ligne droite prise arbitrairement pour l'unité une longueur droite , on peut aussi mesurer un 425 assemblage de lignes droites, quelle que puisse être leur position entre elles : aussi la mesure des figures polygones n’a-t-elle d'autre difficulté que celle d'une répétition de mesures en lon- gueur, et d’une addition de leurs résultats : mais les courbes se refusent à cette forme, et notre unité de mesure , quelque petite qu'elle soit, est toujours trop grande pour pouvoir s'appliquer à quelques-unes de leurs parties; la nécessité d'une mesure infiniment petite s'est donc fait sentir, et a fait éclore la métaphysique des nou- veaux calculs , sans lesquels, ou quelque chose d'équivalent , on aurait vainement tenté la me- sure des lignes courbes. On avait déjà trouvé moyen de les contrain- dre , en les asservissant à une loi qui détermi- nait l'un de leurs principaux rapports. Cette équation , l'échelle de leur marche, a fixé leur nature, et nous a permis de la considérer. Cha- que courbe a la sienne toujours indépendante , et souvent incomparable avec celle d’une autre; c'est l'espèce algébrique qui fait ici l'office du nombre ; et l'existence des relations des cour- bes, ou plutôt des rapports de leur marche et de leur forme , ne se voit qu’à la faveur de cette mesure indéfinie, qu'on a su appliquer à tous leurs pas, et par conséquent à tous leurs points. On a donné le nom de courbes géométriques à celles dont on a su mesurer exactement Ja marche ; mais, lorsque l'expression ou l'échelle de cette marche s’est refusée à cette exactitude, les courbes se sont appelées courbes mécani- ques, et on n’a pu leur donner une loi comme aux autres; car les équations aux courbes mé- caniques, dans lesquelles on suppose une quan- tité qui ne peut être exprimée que par une suite infinie, comme un are de cercle, d’ellipse, ete., égale à une quantité finie, ne sont pas des lois de rigueur, et ne contraignent ces courbes qu'autant que la supposition de pouvoir à cha- que pas sommer la suite infinie se trouve près de la vérité. Les géomètres avaient donc trouvé l'art de représenter la forme des allures de la plupart des courbes; mais la difficulté d'exprimer la marche des courbes mécaniques et l'impossi- bilité de les mesurer toutes subsistaient encore en entier : et, en effet, paraissait-il possible de connaitre celte mesure infiniment petite? de- vait-on espérer de pouvoir la manier et l'ap- pliquer ? On a cependant surmonté ces obsta- 426 cles, on a vaineu les impossibilités apparentes, où à reconnu que des parties supposées infini- ment plus petites pouvaient et devaient avoir entre elles des rapports finis; on a banni de la métaphysique les idées d’un infini absolu, pour y substituer celle d'un infini relatif plus traita- ble que l'autre, ou plutôt le seul que les hom- mes puissent apercevoir. Cet infini relatif s'est prêté à toutes les relations d'ordre et de conve- uance, de grandeur et de petitesse ; on a trouvé moyen de tirer de l'équation à la courbe le rapport de ses côtés infiniment petits, avec une droite infiniment petite, prise pour l'unité; et, par une opération inverse, on a su remonter de ces éléments infiniment petits à la longueur réelle et finie de la courbe. Il en est de même des surfaces et des solides; les nouvelles mé- thodes nous ont mis en état de tout mesurer. La géométrie est maintenant une science com- plète, et les travaux de la postérité dans ce genre n'aboutiront guère qu'à des facilités de calcul, et à des constructions de tables d’inté- grales , qu'on ira consulter au besoin. XXX. Dans la pratique, on a proportionné aux différentes étendues en longueur diffé- rentes unités plus ou moins grandes : les petites longueurs se mesurent avec des pieds, des pou- ces, des lignes, des aunes, des toises , ete.; les grandes distances se mesurent avec des lieues, des degrés, des demi-diamètres de la terre, ete. Ces différentes mesures ont été introduites pour une plus grande commodité, mais sans faire assez d'attention aux rapports qu'elles'doivent avoir entre elles ; de sorte que les petites me- sures sont rarement parties aliquotes des gran- des ; combien ne serait-il pas à souhaiter qu'on eût fait ces unités commensurables entre elles ! et quel service ne nous aurait-on pas rendu , si l'on avait fixé la longueur de ces unités par une détermination invariable ! Mais il en est ici comme de toutes les choses arbitraires ; on sai- sit celle qui se présente la première et qui pa- rait convenir, sans avoir egard aux rapports généraux qui ont paru de tout temps aux hom- mes vulgaires des vérités inutiles et de pure spéculation. Chaque peuple a fait et adopté ses mesures; chaque état, chaque province a les siennes ; l'intérêt et la mauvaise foi dans la so- ciété ont dû les multiplier; la valeur plus ou moins grande des choses les a rendues plus ou moins exactes, et une partie de la science du commerce est née de ces obscurités. ESSAI Chez des peuples plus dénués d'arts etmoins éclairés pour leurs intérêts que nous ne le som- mes, la multiplication des mesures n'aurait peut-être pas eu d'aussi mauvais effets. Dans les pays stériles , où les terrains ne rapportent que peu, on voit rarement des procès pour des défauts de contenance, et plus rarement encore des lieues courtes et des chemins trop étroits : mais plus un terrain est précieux, plus une denrée est chère, plus aussi les mesures sont épluchées et contestées, plus on met d'art et de combinaison dans les abus qu'on en fait; la fraude est allée jusqu'à imaginer plusieurs me- sures difficiles à comparer; elle a su se couvrir en mettant en avant ces embarras de conven- tion. Enfin il a fallu les lumières de plusieurs arts qui supposent de l'intelligence et de l'é- tude, et qui, sans les entraves de la comparai- son des différentes mesures, n'auraient deman- dé qu'un coup-d'œil et un peu de mémoire : je veux parler du toisé et de l’arpentage, de l’art de l’essayeur, de celui du changeur, et de quel- ques autres dont le but unique est de découvrir la vérité des mesures. j Rien ne serait plus utile que de rapporter à quelques unités invariables toutes ces unités arbitraires : mais il faut pour cela que ces uni- tés de mesures soient quelque chose de con- stant et de commun à tous les peuples; et ce ne peut être que dans la nature même qu'on peut trouver cette convenance générale. La longueur du pendule qui bat les secondes sous l'équateur a toutes les conditions nécessaires pour être l’étalon universel des mesures géo- métriques ; et ce projet pourrait nous procurer dans l'exécution des avantages dont il est aisé de sentir toute l'étendue. Cette mesure, une fois recue , fixe d’une ma- nière invariable pour le présent, et détermine à jamais pour l'avenir la longueur de toutes les autres mesures: pour peu qu'on se familiarise avec elle, l'incertitude et les embarras du com- merce ne peuvent manquer de disparaître ; on pourra l'appliquer aux surfaces et aux solides, de la même facon qu’on y applique les mesures en usage : elle a toutes leurs commodités, et n’a aucun de leurs défauts ; rien ne peut l’altérer, que des changements qu'il serait ridicule de prévoir : une diminution ou une augmentation dans la vitesse de la terre autour de son axe, une variation dans la figure du globe, son at- traction diminuée par l'approche d'une comète, D'ARITHMETIQUE MORALE. sont des causes trop éloignées pour qu'on doive en rien craindre, et sont cependant les seules qui pourraient altérer cette unité de la mesure universelle. La mesure des liquides n'embarrassera pas plus que celle des surfaces et des solides, la longueur du pendule sera la jauge univer- selle, et l’on viendra par ce moyen aisément à bout d'épurer cette partie du commerce si su- jette à la friponnerie , par la difficulté de con- naître exactement les mesures; difficulté qui en a produit d’autres , et qui a fait mal à propos imaginer, pour cet usage , les mesures mécani- ques, et substituer les poids aux mesures g60- métriques pour les liquides ; ce qui, outre l'in- certitude de la vérité des balances et de lg fidélité des poids, a fait naître l'embarras de la tare et la nécessité des déductions. Nous pré- férons , avec raison, la longueur du pendule - sous l'équateur, à la longueur du pendule en France, ou dans un autre climat. On prévient par ce choix la jalousie des nations , et on met la postérité plus en état de retrouver aisément cette mesure. La minute-seconde est une partie du temps , dont ou reconnaitra toujours la du- rée, puisqu'elle est une partie déterminée du temps qu'emploie la terre à faire sa révolution sur son axe, c’est-à-dire la quatre-vingt-six mille quatre centième partie juste. Ainsi cet élément qui entre dans notre unité de mesure ne peut y faire aucun tort. XXXI. Nous avons dit ci-devant qu'il y a des vérités de différents genres, des certitudes de différents ordres , des probabilités de diffé- rents degrés. Les vérités qui sont purement in- tellectuelles , comme celles de la géométrie, se réduisent toutes à des vérités de définition; il ne s’agit, pour résoudre le problème le plus difficile, que de le bien entendre; et il n'y a dans le calcul et dans les autres sciences pure- ment spéculatives d'autres difficultés que celles de démèéler ce que l'esprit humain y a confondu. Prenons pour exemple la quadrature du cercle, cette question si fameuse, et qu'on a regardée long-temps comme le plus difficile de tous les problèmes , et examinons un peu ce qu'on nous demande, lorsqu'on nous propose de trouver au juste la mesure d’un cercle. Qu'est-ce qu'un cercle en géométrie ? ce n'est point cette figure que vous venez de tracer avec un compas, dont le contour n’est qu'un assemblage de petites li- gnes droites, lesquelles ne sont pas toutes éga- 427 lement et rigoureusement éloignées du centre, mais qui forment différents petits angles, ont une largeur visible , des inégalités, et une infi- nité d'autres propriétés physiques inséparables de l'action des instruments et du mouvement de la main qui les guide. Au contraire, le cercle en géométrie est une figure plane, comprise par une seule ligne courbe, appelée circonférence ; de tous les points de laquelle circonférence tou- tes les lignes droites menées à un seul point, qu'on appelle centre, sont égales entre elles. Toutela difficulté du problème de la quadrature du cercle consiste à bien entendre tous les ter- mes de cette définition; car, quoiqu'elle paraisse très-claireettrès-intelligible,ellerenferme cepen- dant un grand nombre d'idéeset de suppositions, desquelles dépend la solution de toutes les ques- tions qu'on peut faire sur le cercle. Et, pour prouver que toute la difficulté ne vient que de cette définition, supposons pour un instant qu'au lieu de prendre la circonférence du cercle pour une courbe, dont tous les points sont à la ri- gueur également éloignés du centre , nous pre- pions cette circonférence pour un assemblage de lignes droites aussi petites que vous voudrez; alors cette grande difficulté de mesurer un cer- cle s'évanouit, et il devient aussi facile à me- surer qu'un triangle. Mais ce n'est pas là ce qu'on demande , et il faut trouver la mesure du cercle dans l'esprit de la définition. Considérons donc tous les termes de cette définition, et pour cela souvenons-nous que les géomètres appellent un point ce qui n’a aucune partie : première supposition qui influe beaucoup sur toutes les questions mathématiques , et qui étant combi- née avec d’autres suppositions aussi peu fon- dées , ou plutôt de pures abstractions, ne peut manquer de produire des difficultés insurmon- tables à tous ceux qui s’éloigneront de l'esprit de ces premières définitions, ou qui ne sau- ront pas remonter de la question qu'on leur propose à ces premières suppositions d'abstrac- tion ; en un mot, à tous ceux qui n'auront ap- pris de la géométrie que l'usage des signes et des symboles, lesquels sont la langue et non pas l'esprit de la science. Mais suivons. Le point est done ce qui n'a aucune partie; la ligne est une longueur sans largeur. La ligne droite est celle dont tous les points sont posés également; la ligne courbe, celle dont tous les points sont posés inéga- lement. La superficie plane est une quantité 428 qui a de la longueur et de la largeur sans pro- fondeur. Les extrémités d'une line sont des points; les extrémités des superficies sont des lignes. Voilà les définitions ou plutôt les suppo- sitions sur lesquelles roule toute la géométrie, et qu'il ne faut jamais perdre de vue, en tâchant, dans chaque question, de les appliquer dans le sens même qui leur convient; mais en même temps en ne leur donnant réellement que leur vraie valeur, c'est-à-dire en les prenant pour des abstractions et non pour des réalités. Cela posé, je dis qu'en entendant bien la dé- finition que les géomètres donnent du cercle, on doit être en état de résoudre toutes les ques- tions qui ont rapport au cercle , et entre autres la question de la possibilité ou de l'impossibilité de sa quadrature, en supposant qu'on sache mesurer un carré ou un triangle ; or, pour me- surer un carré, on multiplie la longueur d'un des côtés, par la longueur de l’autre côté, et le produit est une longueur qui, par un rapport sous-entendu de l'unité linéaire à l'unité de surface, représente la superficie du carré. De même pour mesurer un triangle, on multiplie sa bauteur par sa base, et on prend la moitié du produit. Ainsi, pour mesurer un cercle, il faut de même multiplier la circonférence par son demi-diamètre et en prendre la moitié. Voyons donc à quoi est égale cette circonférence. La première chose qui se présente, en réflé- chissant sur la définition de la ligne courbe, c'est qu'elle ne peut jamais être mesurée par une ligne droite, puisque, dans toute son éten- due et dans tous les points, elle est ligne courbe, et par conséquent d’un autre genre que la ligne droite ; en sorte que, par la seule définition de la line bien entendue, on voit clairement que la ligne droite ne peut pas plus mesurer la ligne courbe, que celle-ci peut mesurer la ligne droite ; et , la quadrature du cerele dépend, comme nous venons de le faire voir, de la mesure exacte de la circonférence, par quelque partie du diame- tre, prise pour l’unité; mesure impossible, puis- que le diamètre est une droite, et la circonfé- rence une courbe : donc la quadrature du cercle est impossible. XXXIJ. Pour mieux faire sentir la vérité de ce que je viens d'avancer , et pour prouver d'une manière entièrement convaincante que les difficultés des questions de géométrie ne viennent que des définitions, et que ces diffi- cultés ne sont pas réelles, mais dépendent ab- ESSAI solument des suppositions qu'on a faites , chan- geons pour un moment quelques définitions de la géométrie, et faisons d'autres suppositions ; appelons la circonférence d'un cercle une ligne dont tous les points sont également posés , et la ligne droite une ligne dont tous les points sont inégalement posés, alors nous mesurerons exac- tement la circonférence du cercle, sans pouvoir mesurer la ligne droite : or je vais faire voir qu'il m'est loisible de donner à la ligne droite et à cette ligne courbe ces définitions ; car la ligne droite, suivant sa définition ordinaire, est celle dont tous les points sont également posés; et la ligne courbe, celle dont tous les points sont inégalement posés : cela ne peut s'entendre qu'en imaginant que c'est par rapport à une autre ligne droite que cette position est égale ou inévale; et de même que les géomètres, en vertu de leurs définitions, rapportent tout à une ligne droite, je puis rapporter tout à un point en vertu de mes définitions; et au lieu de pren- dre une ligne droite pour l'unité de mesure, je prendrai une ligne cireulaire pour cette unité, et je me trouverai par là en état de mesurer juste la circonférence du cercle, mais je ne pourrai plus mesurer le diamètre ; et, comme pour trouver la mesure exacte de la superficie du cercle, dans le sens des géomètres, il faut nécessairement avoir la mesure juste de la cir- conférence et du diamètre, je vois clairement que dans cette supposition comme dans l'autre la mesure exacte de la surface du cercle n’est pas possible. C'est donc à cette rigueur des définitions de la géométrie qu'on doit attribuer la difficulté des questions de cette science ; et aussi nous avons vu que, dès qu'on s’est départi de cette trop grande rigueur , on est venu à bout de tout mesurer, et de résoudre toutes les ques- tions qui paraissaient insolubles ; car, dès qu'on a cessé de regarder les courbes comme courbes en toute rigueur , et qu'on les a réduites à n'être que ce qu'elles sont en effet dans la nature, des polygones , dont les côtés sont indéfiniment pe- tits , toutes les difficultés ont disparu. On a rec- tifié les courbes, c'est-à-dire mesuré leur lon- gueur, en les supposant enveloppées d'un fil inextensible et parfaitement flexible, qu'on dé- veloppe successivement (voyez Fluxions de Newlon, page 131, etc.), et on a mesuré les surfaces par les mêmes suppositions, c'est- à-dire en changeant les courbes en polygo- D'ARITHMETIQUE MORALE, nes, dont les côtés sont indéfiniment petits. XXXIII. Une autre difficulté qui tient de près à celle de la quadrature du cercle, et de laquelle on peut mème dire que cette quadra- ture dépend , c'est l’incommensurabilité de la diagonale du carré avec le côté; difficulté invin- cible et générale pour toutes les grandeurs , que les géomètres appellent incommensurables. Il est aisé de faire sentir que toutes ces difficultés ne viennent que des définitions et des conven- tions arbitraires qu'on a faites, en posant les principes de l'arithmétique et de la géométrie ; car nous supposons en géométrie que les lignes croissent comme les nombres 1 ,2,3,4,5,etc., c'est-à-dire suivant notre échelle d'arithméti- que; et, par une correspondance sous-entendue de l'unité de surface avec l'unité linéaire, nous voyons que les surfaces des carrés croissent comme 1, 4,9,16, 25, ete. Par ces suppositions, il est clair que , de la même façon que la suite, 1,2,3,4,5,etc., est l'échelle des lignes, la suite 1,4,9, 16, 25, ete., est aussi l'échelle des surfaces, et que si vous interposez dans cette dernière échelle d'autres nombres, comme M5 6 1810.11, 12, 13, 14,15 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24, tous ces nombres n'au- ront pas leurs correspondants dans l'échelle des lignes, et que par conséquent la ligne qui correspond à la surface 2 est une ligne qui n'a point d'expression en nombres, et qui par con- séquent ne peut pas être mesurée par l'unité numérique. Il serait inutile de prendre une par- tie de l'unité pour mesure, cela ne change point l'impossibilité de l'expression en nombres ; car si l’on prend pour l'échelle des lignes £, 1,5, 2,3,3,7, 4, ete., on aura pour l'échelle cor- respondante des surfaces 4, 1, 2, ©, 9, #, 16, ete., ou plutôt on aura pour l'échelle des lignes À, 2, 5,3,2, S 2 > ete., et pour celle des surfaces !, ?, 5,4#,%,5%,4,% etc., ce qui retombe dans le même cas que les échelles 1,2,3,4,5;etc.,.et 1, 4; 9, 16,25, etc., de lignes et de surfaces dont l'unité est entière ; et il en sera toujours de même , quelque partie de l'unité que vous preniez pour mesure, comme 1, ou ?, ou ?, etc. : les nombres incommensu- rables dans l'échelle ordinaire le seront tou- jours, parce que le défaut de correspondance de ces échelles subsistera toujours. Toute la difficulté des incommensurables ne vient donc que de ce qu'on a voulu mesurer les surfaces comme les lignes ; or il est clair qu'une ligne EP 429 étant supposée l'unité, vous ferez avec deux de ces unités une ligne dont la longueur sera double; mais il n'est pas moins clair qu'avec deux carrés, dont chacun est pris de même pour l'unité, vous ne pouvez pas faire un car- ré. Tout cela vient de ce que la matière ayant trois différentes dimensions ou plutôt trois dif- férents aspects sous lesquels nous la considé- rons , il aurait fallu trois échelles différentes d'arithmétique, l’une pour la ligne qui n’a que de la longueur, l’autre pour la superficie qui a de la longueur et de la largeur, et la troi- sième pour le solide qui a de la longueur, de la largeur et de la profondeur. XXXIV. Nous venons de démontrer les dif- ficultés que les abstractions produisent dans les sciences; il nous reste à faire voir l'utilité qu'on en peut tirer, et examiner l'origine et la nature de ces abstractions sur lesquelles por- tent presque toutes nos idées scientifiques. Comme nous avons des relations différentes avec les différents objets qui sont hors de nous, chacune de ces relations produit un genre de sensations et d'idées différentes : lorsque nous voulons connaitre la distance où nous sommes d'un objet, nous n'avons d’autre idée que celle de la longueur du chemin à parcourir, et quoi- que cette idée soit une abstraction, elle nous parait réelle et complète, parce qu'en effet il ne s’agit pour déterminer cette distance que de connaitre la longueur de ce chemin : mais si l'on y fait attention de plus près, on reconnaitra que cette idée de longueur ne nous parait réelle et complète , que parce qu'on est sûr que la lar- geur ne nous manquera pas, non plus que la profondeur. Il en est de même lorsque nous voulons juger de l'étendue superlicielle d’un terrain ; nous n'avons égard qu'à la longueur et à la largeur, sans songer à la profondeur; et, lorsque nous voulons juger de la quantité solide d'un corps, nous avons égard aux trois dimen- sions. Il eût été fort embarrassant d'avoir trois mesures différentes ; il aurait fallu mesurer la ligne par une longueur, la superficie par une autre superficie prise pour l'unité , et le solide par un autre solide. La géométrie, en se ser- vant des abstractions et des correspondances d'unités et d'échelles , nous apprend à tout me- surer avec la ligne seule; et c'est dans cette vue qu'on a considéré la matière sous trois dimen- sions, longueur, largeur, et profondeur , qui toutes trois ne sont que des lignes , dont les dé- 150 nominations sont arbitraires; car si on s'était servi des surfaces pour tout mesurer, ce qui, était possible, quoique moins commode que les livnes , alors , au lieu de dire longueur, largeur et profondeur, on eût dit le dessus, le dessous et les côtés, et ce langage eût été moins abstrait; mais les mesures eussent été moins simples, et la géométrie plus difficile à traiter. Quand on a vu que les abstractions bien en- tendues rendaient faciles des opérations, à la connaissance et à la perfection desquelles les idées complètes n'auraient pas pu nous faire parvenir aussi aisément , on a suivi ces abstrac- tions aussi loin qu'il a été possible ; l'esprit hu- main les a combinées , calculées, transformées de tant de facons, qu'elles ont formé une science d'une vaste étendue, mais de laquelle ni l'évi- dence qui la caractérise partout, ni les difficul- tés qu'on y rencontre souvent , ne doivent nous étonner, paree nous y avons mis les unes et les autre. , et que toutes les fois que nous n’aurons | pas abusé des définitions ou des suppositions, | nous n’aurons que de l'évidence sans difficultés; et toutes les fois que nous en aurons abusé, nous n'aurons que des difficultés sans aucune évi- | dence. Au reste, l'abus consiste autant à pro- poser une mauvaise question qu'à mal résoudre un bon problème ; et celui qui propose une ques- tion comme celle de la quadrature du cercle abuse plus de la géométrie que celui qui entre- prend de la résoudre ; car il a le désavantage de mettre l'esprit des autres à une épreuve que le sien n’a pu supporter, puisqu’en proposant celte question il n'a pas vu que c'était demander une chose impossible. Jusqu'ici nous n'avons parlé que de cette es- | pèce d'abstraction qui est prise du sujet même, c'est-à-dire d'une seule propriété de la matière, c'est-à-dire de son extension; l'idée de la sur- face n'est qu'un retranchement à l’idée com- plète du solide, c'est-à-dire une idée privative, une abstraction; celle de la ligne est une abs- traction d'abstraction; et le point est l'abstrac- tion totale : or toutes ces idées privatives ont rapport au même sujet et dépendent de la même qualité ou propriété de la matière , je veux dire de son étendue ; mais elles tirent leur origine d'une autre espèce d'abstraction, par laquelle on ne retranche rien du sujet, et qui ne vient que de la différence des propriétés que nous apercevons dans la matière. Le mouvement est une propriété de la matiere très-différente de ESSAI l'étendue: cette propriété ne renferme que l'i- dée de la distance parcourue, et c’est cette idée de distance qui a fait naitre celle de la longueur ou de la ligne. L'expression de cette idée du mouvement entre done naturellement dans les considérations géométriques ; et il y a de l’a- vantage à employer ces abstractions naturelles, et qui dépendent des différentes propriétés de la matière, plutôt que les abstractions pure- ment intellectuelles; car tout en devient plus clair et plus complet. XXXV. On serait porté à croire que la pe- santeur est une des propriétés de la matière susceptibles de mesure ; on a vu de tout temps des corps plus et moins pesants que d’autres : il était donc assez naturel d'imaginer que la matière avait, sous des formes différentes, des degrés différents de pesanteur, et ce n’est que depuis l'invention de la machine du vide, et les expériences des pendules , qu'on est assuré que la matière est toute également pesante. On a vu, et peut-être l’a-t-on vu avec surprise, les corps les plus légers tomber aussi vite que les plus pesants dans le vide; et on a démontré, au moyen des pendules, que le poids des corps est proportionnel à la quantité de matière qu'ils contiennent : la pesanteur de la matière ne pa- rait donc pas être une qualité relative qui puisse augmenter et diminuer, en un mot, qui puisse se mesurer. Cependant en y faisant attention de plus près encore, on voit que cette pesanteur est l'effet d'une force répandue dans l'univers, qui agit plus où moins à une distance plus ou moins grande de la surface de la terre; elle réside dans la masse même du globe, et toutes ses parties ont une portion de cette force active, qui est toujours proportionnelle à la quantité de ma- tière qu’elles contiennent : mais elle s'exerce dans l'éloignement avec moins d'énergie, et dans le point de contact, elle agit avec une puis- sance infinie : donc cette qualité de la matière parait augmenter ou diminuer par ses effets; et par conséquent elle devient unobjetde mesures, mais de mesures philosophiques que le commun des hommes, dont le corps et l'esprit sont bor- nés à leur habitation terrestre, ne considérera pas comme utiles, parce qu'il ne pourra jamais en faire un usage immédiat. S'il nous était permis de nous transporter vers la lune ou vers quelque autre planète, ces mesures seraient bientôt en pratique ; car en effet nous aurions besoin, pour D'ARITHMÉÈTIQUE MORALE. ces voyages, d'une mesure de pesanteur qui nous servirait de mesure itinéraire : mais confi- nés comme nous le sommes, on peut se conten- ter de se souvenir que la vitesse inégale de la chute des corps dans differents climats de la terre, et les spéculations de Newton, nous ont appris que, si nous en avons jamais besoin, nous pourrons mesurer cette propriété dela ma- tière avec autant de précision que toutes les autres. Mais autant les mesures de la pesanteur de la matière en général nous paraissent indifférentes, autant les mesures du poids de ses formes doi- vent nous paraitre utiles : chaque forme de la matière a son poids spécifique qui la caracté- rise; c’est le poids de cette matière en particu- lier, ou plutôt c'est le produit de la force de la gravité par la densité de cette matière. Le poids absolu d’un corps est par conséquent le poids spécifique de la matière de ce corps multiplié par la masse; et comme dans les corps d'une matière homogène la masse est proportionnelle au volume, on peut dans l'usage prendre l'un pour l'autre, et de la connaissance du poids spécifique d’une matière tirer celle du poids absolu d'un corps composé de cette matière ; sa- voir , en multipliant le poids spécifique par le volume, etvice versé de la connaissance du poids absolu d'un corps, tirer celle du poids spécifique de la matière dont ce corps est composé en divi- sant le poids par le volume. C’est sur ces prin- cipes qu'est fondée la théorie de la balance hy- drotastique et celle des opérations qui en dé- pendent. Disons un mot sur ce sujet très- important pour les physiciens. Tous les corps seraient également denses si, sous un volume égal, ils contenaient le même uombre de parties , et par conséquent la diffé- rence de leurs poids ne vient que de celle de leur densité : en comprimant l'air et le réduisant dans un espace neuf cents fois plus petit que ce- lui qu'il occupe, on augmenterait en même rai- son sa densité , et cet air comprimé se trouve- rait aussi pesant que l'eau. Il en est de même des poudres, ete. La densité d'une matière est donc toujours réciproquement proportionnelle à l'espace que cette matière oceupe : ainsi l'on peut très-bien juger de la deusité par le volume ; car, plus le volume d'un corps sera grand par rapport au volume d'un autre corps, le poids étant supposé le même , plus la densité du pre- mier sera petite et en même raison; de sorte que 451 si une livre d'eau occupe dix-neuf fois plus d’es- pace qu'une livre d'or, on peut en conclure que l'or est dix-neuf fois plus dense, et par consé- quent dix-neuf fois plus pesant que l'eau. C'est cette pesanteur que nous avons appelée spéci- Jique, et quil est si importaut de connaitre , sur- tout dans les matières préceuses , comme les métaux, afin de s'assurer de leur pureté, et de pouvoir découvrir les fraudes et les mélanges qui peuvent les falsifier. La mesure du volume est la seule qu’on puisse employer pour cet effet: celle de la densité ne tombe pas assez sous nos sens ; car cette mesure de la densité dépend de la position des parties intérieures et de la somme des vides qu'elles laissent entre elles. Nos yeux ne sont pas assez perçants pour démêler et com- parer ces différents rapports de formes : ainsi nous sommes obligés de mesurer cette densité par le résultat qu'elle produit, c’est-à-dire par le volume apparent. La première maniere qui se présente pour mesurer le volume des corps est la géométrie des solides; un volume ne diffère d'un autre que par son extension plus ou moins grande, et dès lors il semble que le poids des corps devient un objet de mesures géométriques : mais l’ex- périence a fait voir combien la pratique de la géométrie était fautive à cet égard. En effet, il s’agit de reconnaitre dans des corps de figure très-irrégulière, et souvent dan: de très-petits corps, des différences encore plus petites, et ce- pendant considérables par la valeur de la ma- tière; il n’était done pas possible d'appliquer aisément ici les mesures de longueur, qui d’ail- leurs auraient demandé de grands calculs, quand même on aurait trouvé le moyen d'en faire usage. On à done imaginé un autre moyen aussi sûr qu'il est aisé, c'est de plonger le vo- lume à mesurer dans une liqueur contenue dans un vase régulier, et dont la capacité est connue et divisée par plusieurs lignes ; l'augmentation du volume de la liqueur se reconnait par ces divisions, et elle est égale au volume du solide qui est plongé dedans : mais cette facon a encore ses inconvénients dans la pratique. On ne peut guere donner au vase la perfection de figure qui serait nécessaire ; on ne peut Ôter aux divi- sions les inégalités qui échappent aux yeux, de sorte qu'on a eurecours à quelque chose de plus simple et de plus certain, on s'est servi de la balance; et je n'ai plus qu'un mot à dire sur. cette facon de mesurer les solides, 45 HISTOIRE NATURELLE On vient de voir que les corps irréguliers et fort petits se refusent aux mesures de la géomé- trie ; quelque exactitude qu'on leur suppose, elles ne nous donnent jamais que des résultats très-imparfaits ; aussi la pratique de la géomé- trie des solides a été obligée de se borner à la mesure des grands corps et des corps réguliers, dont le nombre est bien petit en comparaison de celui des autres corps. On a done cherché à mesurer ces corps par une autre propriété de la matière, par leur pesanteur dans les solides de même matière : cette pesanteur est proportion- nelle à l'étendue, c'est-à-dire le poids est en même rapport que le volume; on a substitué avecraison la balance aux mesures de longueur, et par là on s’est trouvé en état de mesurer exactement tous les petits corps de quelque figure qu'ils soient, parce que la pesanteur n'a aucun égard à la figure, et qu'un corps rond ou carré , ou de telle autre figure qu'on voudra, pèse toujours également. Je neprétends pas dire ici que la balance n'a été imaginée que pour sup- pléer au défaut des mesures géométriques ; il est visible qu'elle a son usage sans cela : mais j'ai voulu faire sentir combien elle était utile à cetégard même qui n'est qu'une partie des avan- tages qu'elle nous procure On a de tout temps senti la nécessité de con- naitre exactement le poids des corps : j'imagi- nerais volontiers que les hommes ont d'abord mesuré ces poids par les forces de leur corps; on a levé, porté, tiré des fardeaux , et l’on a jugé du poids par les résistances qu'on a trou- vées. Cette mesure ne pouvait être que très-im- parfaite, et d’ailleurs n'étant pas du même genre que le poids , elle ne pouvait s'appliquer à tous les cas : on a donc ensuite cherché à mesurerles poids par des poids, et de là l'origine des ba- lances de toutes façons, qui cependant peuvent ‘à la rigueur se réduire à quatre espèces : la pre- Mière, qui, pour peser différentes masses, de- mande différents poids, et qui se rapporte par conséquent à toutes les balances communes à fléau soutenu ou appuyé, à bras égaux ou in- égaux, etc. ; la seconde, qui, pour différentes masses, n'emploie qu'un seul poids, mais des bras de longueur différente , comme toutes les espèces de statères ou balances romaines; la troisième espèce qu'on appelle peson, ou balance à ressort, n'a pas besoin de poids, et donne la pesanteur des masses par un index numéroté ; ploie un seul poids attaché à un fil ou à une chaine qu'on suppose parfaitement flexible, et dont les différents angles indiquent les diffé- rentes pesanteurs des masses. Cette dernière sorte de balance ne peut être d'un usage Com- mun, par la difficulté du caleul et même par celle de la mesure des angles ; mais la troisième sorte, dans laquelle il ne faut point de poids, est la plus commode de toutes pour peser de grosses masses. Le sieur Hanin, habile artiste en ce: genre, m'en à fait une avec laquelle on peut peser trois milliers à la fois, et aussi juste que l'on pèse cinq cents livres avec une autre ba- lance. ADDITION A l'article qui a pour titre, Variétés dans l'espèce humaine. Dans la suite entière de mon ouvrage sur l'histoire naturelle, il n'y a peut-être pas un seul des articles qui soit plus susceptible d'äd- ditions , et même de correctious, que celui des variétés de l'espèce humaine; j'ai néanmoins traité ce sujet avec beaucoup d'étendue , et j'y ai donné toute l'attention qu'il mérite ; mais on sent bien que j'ai été obligé de m'en rapporter, pour la plupart des faits, aux relations des vOya- geurs les plus accrédités ; malheureusement ces relations, fidèles à de certains égards, ne le sont pas à d’autres ; les hommes qui prennent la peine d'aller voir des choses au loin croient se dédommager de leurs travaux pénibles en rendant ces choses plus merveilleuses; à quoi bon sortir de son pays si l’on n’a rien d’extraor- dinaire à présenter ou à dire à son retour? de là les exagérations , les contes et les récits bi- arres dont tant de voyageurs ont souillé leurs écrits en croyant les orner. Un esprit attentif, un philosophe instruit reconnait aisément les faits purement controuvés quichoquent la vrai- semblance ou l'ordre de la nature ; il distingue de même le faux du vrai, le merveilleux du vrai- semblable, et se met surtout en garde contre l'exagération. Mais dans les choses qui ne sont que de simple description , dans celles où l'in- spection et même le coup-d’œil suffirait pour les désigner, comment distinguer les erreurs qui enfin la quatrième espèce est celle où l'on em- | semblent ne porter que sur des faits aussi sim- DE L'HOMME. ples qu'indifférents? comment se refuser à ad- mettre comme vérités tous ceux que le relateur assure , lorsqu'on n’aperçoit pas la source de ses erreurs, et même qu'on ne devine pas les motifs qui ont pu le déterminer à dire faux ? ce n'est qu'avec le temps que ces sortes d’er- reurs peuvent être corrigées , c'est-à-dire, lors- qu'un grand nombre de nouveaux témoignages viennent à détruire les premiers. Il y a trente ans que j'ai écrit cet article des variétés de l'es- pèce humaine; il s’est fait dans cet intervalle de temps plusieurs voyages, dont quelques-uns ont été entrepris et rédigés par des hommes instruits : c’est d’après les nouvelles connais- sances qui nous ont été rapportées , que je vais tâcher de réintégrer les choses dans la plus exacte vérité, soit en supprimant quelques faits que j'ai trop légèrement affirmés sur la foi des premiers voyageurs, soit en confirmant ceux que quelques critiques ont impugnés et niés mal à propos. Pour suivre le même ordre que je me suis tracé dans cet article , je commencerai par les peuples du nord. J'ai dit que les Lapons, les Zembliens , les Borandiens , les Samoïèdes , les Tartares septentrionaux , et peut-être les Ostia- ques, dans l'ancien continent ; les Groënlandais et les Sauvages au nord des Esquimaux, dans l'autre continent, semblent être tous d’une seule et même race qui s’est étendue et multi- pliée le long des côtes des mers septentriona- les, ete. M. Klingstedt, dans un mémoire im- primé en 1762, prétend que je me suis trompé : 1° en ce que les Zembliens n'existent qu'en idée. ZL est certain, dit-il, que le pays qu’on appelle la Nova Zembla, ce qui signifie en lan- que russe , nouvelle terre, n’a guère d’habi- tants. Mais, pour peu qu'il y en ait, ne doit-on pas les appeler Zembliens? D'ailleurs les voya- geurs hollandais les ont décrits et en ont même donné les portraits gravés ; ils ont fait un grand nombre de voyages dans cette nouvelle Zemble, et y ont hiverné dès 1596 , sur la côte orientale, à quinze degrés du pôle; ils font mention des animaux et des hommes qu'ils y ont rencon- trés. Je ne me suis donc pas trompé, et il est plus probable que c'est M. Klingstedt qui se trompe lut-même à cet égard. Néanmoins je vais rapporter les preuves qu'il donne de son opinion. ; « La nouvelle Zemble est une ile séparée du continent par le détroit de Waigats, sous le ni, 459 soixante-onzième degré , et quis'étend en ligne droite vers le nord jusqu'au soixante-quinzième. L'ile est séparée dans son milieu par un canal ou détroit qui la traverse dans toute son éten- due, en tournant vers le nord-ouest, et qui tombe dans la mer du nord , du côté de l'occi- dent , sous le soixante-treizième degré trois mi- nutes de latitude. Ce détroit coupe l'ile en deux portions presque égales : on ignore s’il est quel- quefois navigable; ce qu'il y a de certain c’est qu'on l'a toujours trouvé couvert de glaces. Le pays de la nouvelle Zemble, du moins autant qu'on en connait , est tout-à-fait désert et sté- rile; il ne produit que très-peu d'herbes, et il est entièrement dépourvu de bois, jusque-là même qu'il manque de broussailles. Il est vrai que personne n’a encore pénétré dans l'inté- rieur de l'ile au-delà de cinquante ou soixante verstes , et que par conséquent on ignore si dans cet intérieur il n'y a pas quelque terroir plus fertile, et peut-être des habitants; mais comme les côtes sont fréquentées tour à tour et depuis plusieurs années, par un grand nombre de gens que la pêche y attire, sans qu'on ait jamais découvert la moindre trace d'habitants, et qu'on a remarqué qu'on n'y trouve d’autres animaux que ceux qui se nourrissent des poissons que la mer jette sur le rivage , ou bien de mousse, tels que les ours blancs, lesrenards blanes et les ren- nes, et peu de ces autres animaux qui se nourris- sentde baies, deracines et bourgeons, de plantes etde broussailles ; il esttrès-probable que le pays ne renferme point d'habitants, et qu'il est aussi peu fourni de bois dans l’intérieur que sur les côtes. On doit donc présumer que le petit nom- bre d'hommes que quelques voyageurs disent y avoir vus, n'étaient pas des naturels du pays, mais des étrangers qui, pour éviter la rigueur du climat, s'étaient habillés comme les Sa- moiïèdes , parce que les Russes ont coutume , dans ces voyages , de se couvrir d'habillements à la facon des Samoïèdes… Le froid de la nou- velle Zemble est très-modéré, en comparaison de celui de Spitzherg. Dans cette dernière ile, on ne jouit pendant les mois de l'hiver d'aucune lueur ou crépuscule ; ce n'est qu’à la seule po- sition des étoiles, qui sont continuellement vi- sibles, qu'on peut distinguer le jour de la nuit; au lieu que dans la nouvelle Zemble on les dis- tingue par une faible lumière qui se fait toujours remarquer aux heures du midi, même dans les temps où le soleil n'y parait point. 28 134 « Ceux qui ont le malheur d’être obligés d’hi- yerner dans la nouvelle Zemble , ne périssent pas, comme on le croit, par l'excès du froid , mais par l'effet des brouillards épais et mal- sains, occasionnés souvent par la putréfaction des herbes et des mousses du rivage de la mer, lorsque la gelée tarde trop à venir. « On sait, par une ancienne tradition , qu'il y a eu quelques familles qui se réfugièrent et s’é- tablirent avec leurs femmes et enfants dans la nouvelle Zemble, du temps de la destruction de Nowogorod. Sousle règne du ezar Iwan Wa- silewitz, un paysan serf, échappé, appartenant à la maison des Stroganows, s’y était aussi re- tiré avec sa femme et ses enfants, et les Russes connaissent encore jusqu’à présent les endroits où ces gens-là ont demeuré, et les indiquent par leurs noms : mais les descendants de ces malheureuses familles ont tous péri en même temps , apparemment par l'infection des mêmes brouillards. » On voit, par ce récit de Klingstedt, que les voyageurs ont rencontré des hommes dans la nouvelle Zemble : dès lors n’ont-ils pas dû pren- dre ces hommes pour les naturels du pays, puisqu'ils étaient vêtus à peu près comme les Samoïèdes ? Ils auront donc appelé Zembliens ces hommes qu’ils ont vus dans la Zemble. Cette erreur, si c'en est une, est fort pardon- nable ; car cette île étant d’une grande étendue, et très-voisine du continent, l’on aura bien de la peine à se persuader qu’elle fût entièrement inhabitée avant l’arrivée de ce paysan russe. 20 M. Klingstedt dit, que je ne purais pas mieux fondé à l'égard des Borandiens, dont on ignore jusqu'au nom même dans tout le nord, et que l'on pourrait d'ailleurs recon- naître difficilement à la description que j'en donne. Ce dernier reproche ne doit pas tomber sur moi. Si la description des Borandiens, don- née par les voyageurs hollandais, dans le Re- cueil des voyages du nord , n’est pas assez dé- taillée pour qu'on puisse reconnaitre ce peuple, ce n’est pas ma faute; je n’ai pu rien ajouter à leurs indications. Il en est de même à l'égard du nom, je ne l'ai point imaginé; je l'ai trouvé, non-seulement dans ce Recueil de voyages que M. Klingstedt aurait dû consulter, mais encore sur des cartes et sur les globes anglais de M. Senex , membre de la Société royale de Londres, dont les ouvrages ont la plus grande réputation , tant pour l'exactitude que pour la HISTOIRE NATURELLE précision. Je ne vois done pas jusqu'à présent que le témoignagenégatif de M. Klingstedt seul doive prévaloir contre les témoignages positifs des auteurs que je viens de citer. Mais, pour le mettre plus à portée de reconnaitre les Bora»- diers, je lui dirai que ce peuple, dont il nie l'existence, occupe néanmoins un vaste ter- rain, qui n’est guère qu'à deux cents lieues d’Archangel à l'orient ; que la bourgade de Bo- randa, qui a pris ou donné le nom du pays, est située à vingt-deux degrés du pôle , sur la côte occidentale d’un petit golfe, dans lequel se dé- charge la grande rivière de Petzora ; que ce pays, habité par les Borandiens, est borné au nord par la mer Glaciale , vis-à-vis l'ile de Kolgo, et les petites îles Toxar et Maurice; au couchant, il est séparé des terres de la province de Jugori, par d’assez hautes montagnes; au midi, il confine avec les provinces de Zirania et de Permia ; et au levant, avec les provinces de Condoria et de Montizar , lesquelles confi- nent elles-mêmes avec le pays des Samoïèdes. Je pourrais encore ajouter qu'indépendamment de la bourgade de Boranda , il existe dans ce pays plusieurs autres habitations remarquables, telles que Utzilma, Nicolaï, Issemskaia et Pet- zora; qu’enfin ce même pays est märqué sur plusieurs cartes par le nom de Pefzora, sive Boranda. Je suis étonné que M. Klingstedt et M. de Voltaire, qui l’a copié , aient ignoré tout cela, et m'aient également reproché d’avoir décrit un peuple imaginaire , et dont on igno- rait même le nom. M. Klingstedt a demeuré pendant plusieurs années à Archangel, où les Lapons-Moscovites et les Samoïèdes viennent , dit-il, tous les ans en assez grand nombre avec leurs femmes et enfants, et quelquefois même avec leurs rennes, pour y amener des huiles de poisson ; il semble dès lors qu'on devrait s'en rapporter à ce qu'il dit sur ces peuples, et d'autant plus qu'il commence sa critique par ces mots : M. de Buffon, qui s'est acquis un si grand nom dans la république des lettres, et au mérite distingué duquel je rends toute la justice qui lui est due, se trompe, ete. L'éloge joint à la critique la rend plus plausible , en sorte que M. de Voltaire et quelques autres personnes, qui ont écrit d'après M. Klingstedt, ont eu quel- que raison de croire que je m'étais en effet trompé sur les trois points qu’il me reproche. Néanmoins, je crois avoir démontré que je n’ai | fait aucune erreur au sujet des Zembliens, et M me DE L'HOMME. que je n'ai dit que la vérité au sujet des Bo- randiens. Lorsqu'on veut critiquer quelqu'un dont on estime les ouvrages et dont on fait l'é- loge, il faut au moins s'instruire assez pour être de niveau avec l'auteur que l'on attaque. Si M. Klingstedt eût seulement parcouru tous les Voyages du nord dont j'ai fait l'extrait, s’il eût recherché les journaux des voyageurs hol- landais , et les globes de M. Senex, il aurait reconnu que je n’ai rien avancé qui ne fût bien fondé. S'il eût consulté la géographie du roi Ælfred , ouvrage écrit sur les témoignages des anciens voyageurs Othere et Wulfstant*, il au- rait vu que les peuples que j'ai nommés Boran- diens, d'après les indications modernes, s’ap- pelaient anciennement Beormas où Boranas , dans le temps de ce roi géographe ; que de Boranas on dérive aisément Boranda, el que c'est par conséquent le vrai et ancien nom de ce même pays qu’on appelle à présent Pefsora, lequel est situé entre les Lapons-Moscovites et les Samoïèdes , dans la partie de la terre coupée par le cercle polaire , et traversée dans sa longueur, du midi au nord, par lefleuve Pet- zora. Si l’on ne connaît pas maintenant à Ar- changel le nom des Borandiens, il ne fallait pas en conelure que c'était un peuple imaginaire, mäis seulement un peuple dont le nom avait changé ; ce qui est souvent arrivé, non-seule- ment pour les nations du nord, mais pour plu- sieurs autres, comme nous aurons occasion de le remarquer dans la suite, même pour les peu- ples d'Amérique , quoiqu'il n'y ait pas deux cents ou deux cent cinquante ans qu'on y ait imposé ces noms qui ne subsistent plus au- jourd'hui ?. 30 M. Klingstedt assure que j'ai avancé we chose destituée de tout fondement , lorsque je prends pour une même nation les Lapons, les Samoïièdes et tous les peuples lartares du nord, puisqu'il ne faut que faire attention à la di- versité des physionomies, des mœurs et du langage même deces peuples ,pour se convain- cre qu'ils sont d'une race différente, comme ÿ'aurai, dit-il, occasion de le prouver dans la suile. Ma réponse à cette troisième imputation 4 Voyez la traduction d'Orosius, par le roi Ælfred, Note sur le premier chapitre du premier livre, par M. Forster, de la Société royale de Londres ; 1775, in-8°, pages 244 et suiv. 2 Un exemple remarquable de ces changements de nom, c'estqnel'Ecosse s'appelait Zraland ou Zrland dans ce même temps où les Borandiens ou Borandas élaient nommés Zeor- mas ou Boranas, 455 sera satisfaisante pour tous ceux qui, comme moi, ne cherchent que la vérité. Je n'ai pas pris pour une même nation les Lapons, les Sa- moièdes et les Tartares du nord, puisque je les ai nommés et décrits séparément; que je n’ai pas ignoré que leurs langues étaient différentes, et que j'ai exposé en particulier leurs usages et leurs mœurs ; mais ce que j'ai seulement pré- tendu , et que je soutiens encore, c’est que tous ces hommes du cercle arctique sont à peu près semblables entre eux ; que le froid et les autres influences de ce climat les ont rendus très- différents des peuples de la zone tempérée ; qu'indépendamment de leur courte taille, ils ont tant d'autres rapports de ressemblance entre eux , qu'on peut les considérer comme étant d'une même nature où d’une même race qui s'est élendue et multipliée le long des côtes des mers seplentrionales, dans des déserts et sous un climat inhabitable pour toutes les autres nations. J'ai pris ici, comme l'on voit, le mot de race dans le sens le plus étendu; et M. Klingstedt le prend au contraire dans le sens le plus étroit : ainsi sa critique porte à faux. Les grandes différences qui se trouvent entre les hommes dépendent de la diversité des climats : c’est dans ce point de vue gé- néral qu'il faut saisir ce que j'en ai dit ; et dans ce point de vue il est très- certain que non-seulement les Lapons, les Borandiens, les Samoïèdes et les Tartares du nord de notre continent , mais encore les Groënlandais et les Esquimaux de l'Amérique, sont tous des hom- mes dont le climat a rendu les races sembla- bles , des hommes d'une nature également ra- petissée , dégénérée, et qu'on peut dès lors regarder comme ne faisant qu'une seule et même race dans l'espèce humaine. Maintenant que j'ai répondu à ces critiques, auxquelles je n'aurais fait aucune attention , si des gens célèbres par leurs talents ne les eus- sent pas copiées, je vais rendre compte des connaissances particulières que nous devons à M. Klingstedt au sujet de ces peuples du nord. « Selon lui, le nom de Samoïède n’est connu que depuis environ cent ans: le commencement des habitations des Samoïèdes se trouve au-delà de la rivière de Mezène, à trois ou quatre cents, versies d'Archangel.. Cette nation sauvage , qui n'est pas nombreuse, occupe néanmoins l'é- tendue de plus de trente degrés en longitude le long des côtes de l'océan du nord et de la mer 28. 456 Glaciale , entre les soixante-sixième et soixante- dixième degrés de latitude, à compter depuis la rivière de Mezène jusqu'au fleuve Jeniscé , et peut-être plus loin, » J'observerai qu'il y a trente degrés environ de longitude, pris sur le cercle polaire, depuis le fleuve Jeniscé jusqu'à celui de Petzora: ainsi les Samoiïèdes ne se trouvent en effet qu'après les Borandiens, lesquels occupentou occupaient ci-devant la contrée de Petzora. On voit que le témoignage même de M. Klingstedt confirme ce que j'ai avancé, et prouve qu'il fallait en effet distinguer les Borandiens , autrement les habitants naturels du district de Petzora, des Samoïèdes qui sont au-delà, du côté de l'Orient. « Les Samoïèdes, dit M. Klingstedt, sont communément d'une taille au-dessous de la moyenne ; ils ont le corps dur et nerveux, d'une structure large et carrée, les jambes cour- tes et menues , les pieds petits, le cou court et la tête grosse à proportion du corps, le visage aplati, les yeux noirs, et l'ouverture des yeux petite, mais allongée; le nez tellement écrasé, que le bout en est à peu près au niveau de l'os de la mâchoire supérieure, qu'ils ont très-forte et élevée ; la bouche grande et les lèvres min- ces. Leurs cheveux , noirs comme le jais, sont extrêmement durs, fort lisses et pendants sur leurs épaules ; leur teint est d’un brun fort jau- nâtre , et ils ont les oreilles grandes et rehaus- sées. Les hommes n’ont que très-peu ou point de barbe, ni de poil, qu'ils s'arrachent, ainsi que les femmes, sur toutes les parties du corps. On marie les filles dès l’âge de dtx ans , et sou- vent elles sont mères à onze ou douze ans; mais passé l'âge de trente ans elles cessent d'avoir des enfants. La physionomie des femmes res- semble parfaitement à celle des hormmes, ex- cepté qu'elles ont les traits un peu moins gros- siers, le corps plus mince , les jambes plus courtes et les pieds très-petits ; elles sont su- jettes, comme les autres femmes, aux évacua- tions périodiques , mais faiblement et en très- petite quantité; toutes ont les mamelles plates et petites, molles en tout temps, lors même qu'elles sont encore pucelles , et le bout de ces mamelles est toujours noir comme du char- bon , défaut qui leur est commun avec les La- pones. » Cette description de M. Klingstedt s'accorde avec celle des autres voyageurs qui ont parlé des Samoïèdes , et avec ce que j'en ai dit moi- HISTOIRE NATURELLE même , précédemment ; elle est seulement plus détaillée et parait plus exacte ; c’est ce qui m'a engagé à la rapporter ici. Le seul fait qui me semble douteux, c'est que, dans un climat aussi froid, les femmes soient müres d'aussi bonne heure : si, comme le dit cet auteur, elles produisent communément dès l'âge de onze où douze ans , il ne serait pas étonnant qu'elles cessent de produire à trente ans; mais j'avoue que j'ai peine à me persuader ces faits, qui me paraissent contraires à une vérité gé- nérale et bien constatée, c'est que plus les climats sont chauds, et plus la production des femmes est précoce, comme toutes les autres productions de la nature. M. Klingstedt dit encore dans la suite de son Mémoire, que les Samoièdes ont la vue per- cante, l'ouie fine et la main sûre ; qu'ils tirent de l'arc avec une justesse admirable, qu'ils sont d'une légèreté extraordinaire à la course, et qu'ils ont au contraire le goût grossier, l'odorat faible , le tact rude et émoussé. « La chasse leur fournit leur nourriture or- dinaireen hiver, et la pêche en été. Leurs ren- nes sont leurs seules richesses : ils en mangent la chair toujours crue , et en boivent avez dé- lices le sang tout chaud ; ils ne connaissent point l'usage d'en tirer le lait, ils mangent aussi le poisson cru. Ils se font des tentes couvertes de peaux de rennes, et les transportent souvent d'un lieu à un autre. Ils n'habitent pas sous terre, comme quelques écrivains l'ont assuré ; ils se tiennent toujours éloignés à quelque dis- tance les uns des autres, sans jamais former de société. Ils donnent des rennes pour avoir les filles dont ils font leurs femmes : il leur est permis d'en avoir autant qu'il leur plait; la plu- part se bornent à deux femmes, et il est rare qu'ils en aient plus de cinq. Il y a des filles pour lesquelles ils paient au père cent et jusqu'à cent cinquante rennes : mais ils sont en droit de renvoyer leurs femmes et reprendre leurs rennes, s’ils ont lieu d'en être mécontents ; si la femme confesse qu'elle a eu commerce avec quelque homme de nation étrangère, ils la ren- voient immédiatement à ses parents : ainsi ils n'offrent pas, comme le dit M. de Buffon, leurs femmes et leurs filles aux étrangers. v Je l'ai dit en effet d’après les témoignages d'un si grand nombre de voyageurs, que le fait ne me paraissait pas douteux. Je ne sais même si M. Klingstedt est en droit de nier ces témoi- DE L'HOMME. gnages, n'ayant vu des Samoïèdes que ceux qui viennent à Archangel ou dans les autres lieux de la Russie, et n'ayant pas parcouru leur pays comme les voyageurs dont j'ai tiré les faits que j'ai rapportés fidèlement, Dans un peuple sau- vage, stupide et grossier, tel que M. Klingstedt peint lui-même ces Samoièdes, lesquels ne font jamais de société, qui prennent des femmes en tel nombre qu'il leur plait, qui les renvoient lorsqu'elles déplaisent , serait-il étonnant de les voir offrir au moins celles-ci aux étrangers? Y a-t-il dans un tel peuple des lois communes, des coutumes constantes? Les Samoïèdes voi- sins de Jeniscé se conduisent-ils comme ceux des environs de Petzora, qui sont éloignés de plus de quatre cents lieues? M. Klingstedt n'a vu que ces derniers, il n’a jugé que sur leur rapport; néanmoins ces Samoïèdes occidentaux ne connaissent pas ceux qui sont à l'orient et n'ont pu lui en donner de justes informations , et je persiste à m'en rapporter aux témoignages précis des voyageurs qui ont parcouru tout le pays. Je puis donner un exemple à ce sujet, que M. Klingstedt ne doit pas ignorer, car je le tire des voyageurs russes. Au norû du Kamts- chatka sont les Koriaques sédentaires et fixes, établis sur toute la partie supérieure du Kamt- schatka depuis la rivière Ouka jusqu’à celle d'A- nadir; ces Koriaques sont bien plus semblabies aux Kamtschadales que les Koriaques errants, qui en diffèrent beaucoup par les traits et par les mœurs. Ces Koriaques errants tuent leurs femmes et leurs amants lorsqu'ils les surpren- nent en adultère : au contraire, les Koriaques fixes offrent par politesse leurs femmes aux étrangers, et ce serait une injure de leur refu- ser de prendre leur place dans le lit conjugal!. Ne peut-il pas en être de même chez les Sa- moïèdes dont d'ailleurs les usages et les mœurs sont à peu près les mêmes que celles des Ko- riaques ? Voici maintenant ce que M. Klingstedt dit au sujet des Lapons : « Ils ont la physionomie semblable à celle des Finnois , dont on ne peut guère les distin- guer , excepté qu'ils ont l’os de la mächoire supérieure un peu plus fort el plus élevé ; outre cela ils ont les yeux bleus, gris et noirs, ouverts et formés comme ceux des autres na- tions de l'Europe ; leurs cheveux sont de diffé- 4 Histoire générale des Voyages, vol, XIX , in-4°, pag. 550, 457 rentes couleurs , quoiqu'ils tirent ordinairement sur le brun-foncé et sur le noir; ils ont le corps robuste et bien fait ; les hommes ont la barbe fort épaisse, et du poil, ainsi que les femmes, sur toutes les parties du corps où la nature en produit ordinairement; ils sont pour la plupart d'une faille au-dessous de la médiocre : enfin, comme il y a beaucoup d’affinité entre leur langue et celle des Finnois, au liea qu'à cet égard ils diffèrent entièrement des Samoïèdes, c’est une preuve évidente que ce n'est qu'aux Finnois que les Lapons doivent leur origine. Quant aux Samoièdes, ils descendent sans doute de quelque race tartare des anciens habitants de Sibérie. On a débité beaucoup de fables au sujet des Lapons : par exemple, on a dit qu'ils lancent le javelot avec une adresse extraordi- naire, et il est pourtant certain qu'au moins à présent ils en ignorent entièrement l'usage, de même que celui de l'arc et des flèches; ils ne se servent que de fusils dans leurs chasses. La chair d'ours ne leur sert jamais de nourri- ture : ils ne mangent rien de cru, pas même le poisson, mais c’est ce que font toujours les Sa- moiïèdes; ceux-ci ne font aucun usage de sel, au lieu que les Lapons en mettent dans tous leurs aliments. Il est encore faux qu'ils fassent de la farine avec des os de poissons broyés, c’est ce qui n'est en usage que chez quelques Finnois habitants de la Carélie; au lieu que les Lapons ne se servent que de cette substance douce et tendre, ou de cette pellicule fine et déliée qui se trouve sous l'écorce du sapin , et dont ils fonf provision au mois de mai; après l'avoir bien fait sécher ils la réduisent en poudre , et en mé- lent avecla farine dont ils font leur pain. L'huile de baleine ne leur sert jamais de boisson ; mais il est vrai qu'ils emploient aux apprêts de leurs poissons l'huile fraiche qu'on tire des foies et des entrailles de la morue, huile qui n’est point dégoütante, et n’a aucune mauvaise odeur tant qu'elle est fraiche. Les hommes et les femmes portent des chemises, le reste de leurs habille- ments est semblable à celui des Samoïèdes qui ne connaissent point l'usage du linge... Dans plusieurs relations il est fait mention des La- pons indépendants, quoique je ne sache guère qu'il y en ait, à moins qu'on ne veuille faire passer pour tels un petit nombre de familles établies sur les frontières, qui se trouvent dans l'obligation de payer le tribut à trois souverains. Leurs chasses et leurs pêches, dont ils vivent 458 uniquement, demandent qu’ils changent sou- vent de demeure; ils passent sans facon d’un territoire à l’autre : d'ailleurs c’est la seule race de Lapons entièrement semblables aux autres, qui n'aient pas encoreembrasséle christianisme, et qui tiennent encore beaucoup du sauvage ; ce n’est que chez eux que se trouvent la poly- gamie et les usages superstitieux.. Les Fin- nois ont habité, dans les temps reculés, la plus grande partie des contrées du nord. » En comparant ce récit de M. Klingstedt avec les relations des voyageurs et des témoins qui l'ont précédé , il est aisé de reconnaitre que, depuis environ un stècle, les Lapons se sont en partie civilisés ; ceux que l’on appelle Zapons- Moscoviles, et qui sont les seuls qui fréquen- tent Archangel, les seuls par conséquent que M. Klingstedt ait vus, ont adopté en entier la religion et en partie les mœurs russes ; il y a eu par conséquent des alliances et des mélanges. Il n'est donc pas étonnant qu'ils n'aient plus aujourd'hui les mêmes superstitions , les mêmes usages bizarres qu'ils avaient dans le temps des voyageurs qui ont écrit. On ne doit donc pas les accuser d’avoir débité des fables; ils ont dit, et j'ai dit, d'après eux, ce qui était alors et ce qui est encore chez les Lapons sauvages : on n'a pas trouvé et l'on ne trouvera pas chez eux des yeux bleus et de belles femmes; et si l’au- teur en a vu parmi les Lapons qui viennent à Archangel , rien ne prouve mieux le mélange qui s’est fait avec les autres nations, car les Suédois et les Danois ont aussi policé leurs plus proches voisins lapons ; et dès que la religion s'établit et devient commune à deux peuples, tous les mélanges s’ensuivent, soit au moral pour les opinions , soit au physique pour les actions. Tout ce que nous avons dit d’après les rela- tions faites il y a quatre-vingts ou cent ans, ne doit done s'appliquer qu'aux Lapons qui n'ont pas embrassé le christianisme ; leurs races sont encore pures et leurs figures telles que nous les avons présentées. Les Lapons , dit M. Kling- stedt, ressemblent par la physionomie aux au- tres peuples de l'Europe, et particulièrement aux Finnois, à l'exception que les Lapons ont les os de la mâchoire supérieure plus élevés : ce dernier trait les rejoint aux Samoïèdes; leur taille au-dessous de la médiocre les y réunit en- core, ainsi que leurs cheveux noirs ou d'un brun-foncé. Ils ont du poil et de la barbe parce HISTOIRE NATURELLE qu'ils ont perdu l'usage desse l’arracher comme font les Samoïèdes. Le teint des uns et des au- tres est de la même couleur; les mamelles des femmes également molles et les mamelons éga- lement noirs dans les deux nations. Lesihabille- ments y sont les mêmes; le soin des rennes, la chasse, la pêche, la stupidité et la paresse la même. J'ai donc bien le droit de persister à dire que les Lapons et les Samoïèdes ne sont qu'une seule et même espèce ou race d'hom- mes, très-différente de ceux de la zone tem- pérée. Si l’on prend la peine de comparer la rela- tion récente de M. Hægstræm avec le récit de M. Klingstedt, on sera convaincu que, quoique les usages des Lapons aient un peu varié, ils sont néanmoins les mêmes en général qu'ils étaient jadis, et tels que les premiers relateurs les ont représentés : « Ils sont, dit M. Hægstrœm , d’une petite taille , d’un teint basané.…. Les femmes, dans le temps de leurs maladies périodiques , se tien- nent à la porte des tentes et mangent seules. Les Lapons furent de tout temps des hommes pasteurs : ils ont de grands troupeaux de ren- nes, dont ils font leur nourriture principale; il n’y a guère de familles qui ne consomment au moins un renne par semaine, et ces animaux leur fournissent encore du lait abondamment, dont les pauvres se nourrissent. Ils ne mangent pas par terre comme les Groënlandais et les Kamtschadales, mais dans des plats faits de gros drap, ou dans des corbeilles posées sur une ta- ble. Ils préfèrent pour leur boisson l’eau de neige fondue à celle des rivières. Des cheveux noirs, des joues enfoncées, le visage large, le menton pointu, sont les traits communs aux deux sexes. Les hommes ont peu de barbe et la taille épaisse , cependant ils sont très-légers à la course. Ils habitent sous des tentes faites de peaux de rennes ou de drap ; ils couchent sur des feuilles, sur lesquelles ils étendent une ou plusieurs peaux de rennes... Ce peuple en général est errant plutôt que sédentaire; il est rare que les Lapons restent plus de quinze jours dans le même endroit : aux approches du prin= temps la plupart se transportent avec leurs fa- milles , à vingt ou trente milles de distance dans la montagne, pour tâcher d'éviter de payer le tribut... Il n’y a aucun siége dans leurs ten- tes, chacun s’assied par terre... Ils attèlent les rennes à des traineaux pour transporter leurs | DE L'HOMME, tentes et autres effets : ils ont aussi des bateaux pour voyager sur l’eau et pour pêcher... Leur première arme est l'arc simple sans poignée, sansmire, d'environunetoise delongueur.…… Ils baignent leurs enfants, au sortir du sein de leur mère, dans une décoction d'écorce d’aune..…… Quand les Lapons chantent, on dirait qu'ils hurlent; ils ne font aucun usage de la rime, mais ils ont des refrains très-fréquents..…. Les femmes lapones sont robustes, elles enfantent avec peu de douleur ; elles baignent souvent leurs enfants en les plongeant jusqu’au cou dans l’eau froide. Toutes les mères nourrissent leurs enfants , et dans le besoin elles y suppléent par du lait de renne.…. La superstition de ce peu- ple est idiote , puérile , extravagante , basse et honteuse; chaque personne, chaque année, chaque mois, chaque semaine a son Dieu; tous, même ceux qui sont chrétiens, ont des idoles ; ils ont des formules de divination, des tambours magiques , et certains nœuds avec lesquels ils prétendent lier ou délier les vents '.» On voit par le récit de ce voyageur moderne, qu'il a vu et jugé les Lapons différemment de M. Klingstedt , et plus conformément aux an- ciennes relations. Ainsi la vérité est qu'ils sont encore à très-peu près tels que nous les avons décrits. M. Hægstræm dit, avec tous les voya- | geurs qui l'ont précédé, que les Lapons ont peu de barbe; M. Klingstedt seul assure qu'ils ont la barbe épaisse et bien fournie, et donne ce fait comme preuve qu'ils diffèrent beaucoup des Samoïèdes. Il en est de même de la couleur des cheveux ; tous les relateurs s'accordent à dire que leurs cheveux sont noirs: le seul M. Kling- stedt dit qu'il se trouve parmi les Lapons des cheveux de toutes couleurs et des yeux bleus et gris. Si ces faits sont vrais, ils ne démentent pas pour cela les voyageurs, ils indiquent seu- lement que M. Klingstedt a jugé les Lapons en général par le petit nombre de ceux qu'il a vus, et dont probablement ceux aux yeux bleus et à cheveux blonds proviennent du mélange de quelques Danois , Suédois ou Moscovites blonds avec les Lapons. M. Hægstræm s'accorde avec M. Klingstedt à dire que les Lapons tirent leur origine des Finnois. Cela peut être vrai; néanmoins cette question exige quelque discussion. Les premiers navigateurs qui aient fait le tour entier des cô- Histoire générale des Voyages, vol, XIX pag. 496 et suiv, 459 tes septentrionales de l'Europe, sont Othère et VWaulstant, dans le temps du roi Ælfred, anglo- saxon , auquel ils en firent une relation , que ce roi géographe nous a conservée, et dont il a donné a carte avec les noms propres de cha- que contrée dans ce temps, c’est-à-dire dans le neuvième siècle'. Cette carte, comparée avec les cartes récentes, démontre que la partie occidentale des côtes de Norwége jusqu'au soixante-cinquième degré, s'appelait alors Æal- goland. Le navigateur Othère vécut pendant quelque temps chez ces Norwégiens qu’il appelle Northmen. De là, il continua sa route vers le nord, en côtoyant les terres de la Laponie, dont il nomme la partie méridionale Finna, et la partie boréale Terfenna. 11 parcourut en six jours de navigation trois cents lieues jus- qu'auprès du cap Nord, qu'il ne put doubler d'abord faute d’un vent d'ouest; mais après un court séjour dans les terres voisines de ce cap, il le dépassa et dirigea sa navigation à l’est pendant quatre jours. Ainsi il côtoya le cap Nord jusqu'au-delà de Wardhus; ensuite par un vent du nord il tourna vers le midi, et ne s'arrêta qu'auprès de l'embouchure d'unegrande rivière habitée par des peuples appelés Beor- mas, qui, selon son rapport, furent les premiers habitants sédentaires qu'il eût trouvés dans tout ie cours de cette navigation; n'ayant, dit-il, point vu d'habitants fixes sur les côtes de Finna et de Terfenna {c’est-à-dire sur toutes les côtes de la Laponie), maïs seulement des chasseurs et des pêcheurs , encore en assez petit nombre. Nous devons observer que la Laponie s'appelle encore aujourd'hui Finmark où Finnamark en danois , et que dans l’ancienne langue danoise, mark signifie contrée. Aïnsi, nous ne pouvons douter qu'autrefois la Laponie ne se soit appelée Finna; les Lapons, par conséquent, étaient alors les Finnois, et c'est probablement ce qui a fait croire que les Lapons tiraient leur origine des Finnois. Mais si l’on fait attention que la Fin- lande d'aujourd'hui est située entre l’ancienne terre de Finna (ou Laponie méridionale), le golfe de Bothnie, celui de Finlande et le lac Ladoga, et que cette même contrée, que nous nommons maintenant Finlande, s'appelait alors Cwenland et non pas Finmark ou Finland; on doit croire que les habitants de Cwenland , aujourd'huiles Finlandais ou Finnois, étaientun 1 Voyez cette carte à la fin des notes sur le premier chapitre du premier livre d'Ælfred sur Orosius, Londres, 1775, in-6°, 410 peuple différent des vrais et anciens Finnois qui sont les Lapons ; et de tout temps la Cwen- land ou Finlande d'aujourd'hui n'étant séparée de la Suède et de la Livonie que par des bras de mer assez étroits, les habitants de cette contrée ont dû communiquer avec ces deux nations : aussi les Finlandais actuels sont-ils semblables aux habitants de la Suède ou de la Livonie, et en même temps très-différents des Lapons ou Finnois d'autrefois, qui, de temps immémo- rial, ont formé une espèce ou race particulière d'hommes. À l'égard des Beormas où Bormais, il ya, comme je l'ai dit, toute apparence que ce sont les Borandais ou Borandiens, et que la grande rivière dont parlent Othère et Wulfstant est le fleuve Petzora et non la Dwina; car ces an- ciens voyageurs trouvèrent des vaches marines sur les côtes de ces Beormas, et même ils en rapportèrent des dents au roi Ælfred. Or, il n'y a point de morses ou vaches marines dans la mer Baltique, ni sur les côtes occidentales, sep- tentrionales et orientales de la Laponie; on ne les a trouvées que dans la mer Blanche et au- delà d'Archangel , dans les mers de Ja Sibérie septentrionale, c’est-à-dire sur les côtes des Bo- randiens et des Samoïèdes. Au reste, depuis un siècle, les côtes occiden- tales de la Laponie ont été bien reconnues et mème peuplées par les Danois; les côtes orien- tales l'ontété par les Russes, et celles Zu golfe de Bothnie par les Suédois ; en sorte qu'il ne reste en propre aux Lapons qu'une petite partie de l'intérieur de leur presqu'’ile. « À Egedesminde, dit M. P.,ausoixante-bui- tième degré dix minutes de latitude, il y a un marchand , un assistant et des matelots danois qui y habitent toute l'année. Les loges des Chris- tians-Haab etde Claus-Haven, quoiquesituées à soixante-huit degrés trente-quatre minutes de latitude, sont occupées par deux négociants en chef, deux aides et un train de mousses. Ces loges, dit l’auteur, touchent l'embouchure de l'Eyssiord.…. A Jacob-Haven , au soixante-neu- vième degré , cantonnent en tout temps deux assistants de la Compagnie du Groënland, avec deux matelots et un prédicateur pour le service des sauvages. A Rittenbenk, au soixante-neu- vième degré trente-sept minutes , est l'établis- sement fondé en 1755 par le négociant Dalager:; il y a un commis, des pêcheurs, ete... La mai- son de pêche de Noogsoack , au soixante-on- HISTOIRE NATURELLE zième degré six minutes, est tenue par un mar- chand , avec un train convenable; et les Da- nois, qui y séjournent depuis ce temps, sont sur le point de reculer encore de quinze lieues vers le nord leur habitation. » Les Danoissesont donc établis jusqu'ausoixan- te-onzième ou soixante-douzième degré, c'est- à-dire à peu de distance de la pointe septentrio- nale de la Laponie; et de l'autre côté les Russes ont les établissements de Waranger et de Om- megan, sur la côte orientale, à la même hau- teur à peu près de soixante-onze et soixante- douze degrés; tandis que les Suédois ont péné- tré fort avant dans les terres au-dessus du golfe de Bothnie, en remontant les rivières de Calis, de Tornéo, de Kimi, et jusqu'au soixante-hui- tième degré, où ils ont les établissements de Lapyerf et Piala. Ainsi les Lapons sont resser- rés de toutes parts, et bientôt ce ne sera plus un peuple, si, comme le dit M. Klingstedt, ils sont dès aujourd'hui réduits à douze cents fa- milles. Quoique depuis longtemps les Russes aillent à la pêche des baleines jusqu’au golfe Linchi- dolin , et que dans ces dernières trente ou qua- rante années ils aient entrepris plusieurs grands voyages en Sibérie, jusqu'au Kamtschatka, je ne sache pas qu'ils aient rien publié sur la con- trée de la Sibérie septentrionale au-delà des Sa- moiïèdes , du côté de l'orient , c’est-à-dire au- delà du fleuve Jeniscé. Cependant il y a une vaste terre située sous le cercle polaire, et qui s'étend beaucoup au-delà vers le nord, laquelle est désignée sous le nom de Piasida, et est bornée à l'occident par le fleuve Jeniscé jus- qu'à son embouchure, à l’orient par le golfe Linchidolin, au nord par les terres découvertes en 1664 par Jelmorsem, auxquelles on a donné le nom de Jelmorland, et au midi par les Tar- tares Tonguses. Cette contrée, qui s'étend de- puis le soixante-troisième jusqu'au soixante treizième degré de hauteur, contient des habi- tants, qui sont désignés sous le nom de Patati, lesquels, par le climat et par leur situation le long des côtes de la mer, doivent ressembler beau- coup aux Lapons et aux Samoïèdes. Ils ne sont même séparés de ces derniers que par le fleuve Jeniscé; mais je n'ai pu me procurer aucune relation ni même aucune notice sur ces peuples Patates que les voyageurs ont peut-être réunis avec les Samoïèdes ou avec les Tonguses. En avancant toujours vers l’orient et sous la DE L'HOMME, même latitude, on trouve encore une grande étendue de terre située sous le cercle polaire , et dont la pointe s'étend jusqu'au soixante-trei- zième degré; cette terre forme l'extrémité orien- tale et septentrionale de l'ancien continept. On y a indiqué des habitants, sous le nom de Sche- lati et Tsuktschi, dont nous ne connaissons presque rien que le nom !. Nous pensons néan- moins que comme ces peuples sont au nord de Kamtschatka, les voyageurs russes les ontréunis, dans leurs relations, avec les Kamtschadales et les Koriaques, dont ils nous ont donné de bonnes descriptions qui méritent d'être ici rap- portées. « Les Kamtschadales, dit M. Steller, sont petits et basanés; ils ont les cheveux noirs, peu de barbe, le visage large et plat, le nez écrasé, les traits irréguliers, les yeux enfoncés, la bou- che grande, les lèvres épaisses , les épaules lar- ges, les jambes grêles et le ventre pendant ?, » Cette description, comme l'on voit, rappro— che beaucoup les Kamtschadales des Samoïèdes ou des Lapôns, qui néanmoins en sont si pro- digieusement éloignés qu'on ne peut pas même soupçonner qu'ils viennent les uns des autres; et leur ressemblance ne peut provenir que de l'influence du climat, qui est le même, et qui par conséquent a formé des hommes de même espèce, à mille lieues de distance les uns des autres, Les Koriaques habitent la partie septentrio— pale du Kamtschatka ; ils sont errants comme les Lapons, et ils ont des troupeaux de rennes qui font toutes leurs richesses. Ils prélendent guérir les maladies en frappant sur des espèces de petits tambours. Les plus riches épousent plusieurs fenunes, qu'ils entretiennent dans des endroits séparés, avec des rennes qu'ils leur donnent. Ces horiaques errants diffèrent des Koriaques fixes ou sédenlaires , non-seulement par les mœurs, mais aussi un peu par les traits. 1 «Ontrouvechez ces peuples Tsuklschi, au nord de l'ex- « trémité de l'Asie, les mèmes mœurs et les mêmes usages « que Paul dit avoir observés chez les habitants de Camul. « Lorsqu'unétranger arrive, ces peuples viennentluioffrir « leurs femmesetleurs filles; sile voyageur ne lestrouve pas « assez belles etassez jeunes, ils en vont chercher dans les « villages voisins. Du reste ces peuples onLl'ämeélevée; ils « idolätrent l'indépendance et la liberté , ils préférent tous « la mort à l'esclavage. » Voilà la seule notice sur ces peu- ples Tsukischi que j'aie pu recueillir. Journal étranger ; juillet 1762; Extrait du Voyage d'Asie en Amérique par M. Muller. Londres , 4761. : Histoire générale des Voyages, tome XIX , pages 276 et suiv. 441 Les Koriaquessédentairesressemblentaux Kam- tschadales: mais les Koriaques errants sont en- core plus petits de taille, plus maigres, moins robustes, moins courageux ; ils ent le visage ovale, les yeux ombragés de sourcils épais, le nez court et la bouche grande; les vêtements des uns et des autres sont de peaux de rennes, etles Koriaques errants vivent sous des tentes et habitent partoutoù il y a de la mousse pour leurs rennes !. I] parait done que cette vie errante des Lapons, des Samoiïèdes et des Koriaques, tient au pâturage des rennes : comme ces animaux font non-seulement tout leur bien, mais qu'ils leursont utiles et très-nécessaires, ilss'attachent à les entretenir et à les multiplier; ils sont done forcés de changer de lieu, dès que leurs trou- peaux en ont consommé les mousses. Les Lapons, les Samoièdes et les Koriaques, si semblables par la taille, la coeur, la figure, le naturel et les mœurs, doivent donc être re- gardés comme une mêmeespèce d'hommes, une même race dans l'espèce humaine prise en gé- néral, quoiqu'il soit bien certain qu'ils ne sont pas de la même nation. Les rennes des Koria- ques ne proviennent pas des rennes lapons, etnéanmoins cesont bien des animaux de même espèce. Il en est de même des Koriaques et des Lapons; leur espèce ou race est la même, et sans provenir l’une de l’autre, elles proviennent également de leur climat, dout les influences sont les mêmes. Cette vérité peut se prouver encore par la comparaison des Groënlandais avec les Koria- ques, les Samoïèdes et les Lapons; quoique les Groënlandais paraissent être séparés des uns et des autres pard'assez grandes étendues de mer, ils ne leur ressemblent pas moins, parce que le climat est le même. Il est done très-inutile pour notre objet de rechercher si les Groënlandais tirent leur origine des Islandais ou des Norvé- siens, comme l'ont avancé plusieurs auteurs ; ou si, comme le prétend M. P., ils viennent des Américains ?. Car de quelque part que les hommes d'un pays quelconque tirent leur pre- mière origine, le climat où ils s'habitueront in- fluera si fort, à la longue, sur leur premier état de nature, qu'après un certain nombre de gé- nérations, tous ces hommes se ressemblerent, quand même ils seraient arrivés de différentes vontrées fort éloignées les unes des autres, et ‘Histoire gén. des voyages, tome XJX, pag. 549 ct suiv. = Recherches sur les Américaius, tome 1, page 35. 412 que primitivement ils eussent été très-dissem- blables entre eux. Que les Groënlandais soient venus des Esquimaux d'Amérique ou des Is- landais; que les Lapons tirent leur origine des Finlandais, des Norvégiens ou des Russes ; que les Samoiïèdes viennent ou non des Tarta- res, et les Koriaques des Monguls ou des habi- tants d'Yeço, il n’en sera pas moins vrai que tous ces peuples distribués sous le cerele areti- que ne soient devenus des hommes de même espèce dans toute l'étendue de ces terres sep- tentrionales. Nous ajouterons à la description que nous avons donnée des Groënlandais, quelques traits tirés de la relation récente qu'en a donnée M. Crantz. Ils sont de petitetaille; il y en apeu qui aient cinq pieds de hauteur ; ils ont le visage large et plat, les joues rondes, mais dont les os s'élèvent en avant; les yeux petits et noirs, le nez peu saillant, la lèvre inférieure un peu plus grosse que celle d’en haut, la couleur olivâtre; les cheveux droits, raides et longs; ils ont peu de barbe, parce qu'ils se l’arrachent : ils ont aussi la tête grosse, mais les mains et les pieds petits, ainsi que les jambes et les bras ; la poitrine éle- vée, les épaules larges et le corps bien mus- clé!. Ils sont tous chasseurs où pêcheurs, et ne vivent que des animaux qu'ils tuent : les veaux marins et les rennes font leur principale nourri- ture ; ils en font dessécher la chair avant de la manger, quoiqu'ilsen boiventlesangtoutchaud ; ils mangent aussi du poisson desséché, des sar- celles et d’autres oiseaux qu'ils font bouillir dans de l’eau de mer ; ils font des espèces d’ome- lettes de leurs œufs, qu'ils mêlent avec des baies de buisson et de l’angélique dans de l'huile de veau marin. Ils ne boivent pas de l'huile de ba- leine, ils ne s’en servent qu'à brüler, et entre- tiennent leurs lampes avec cette huile. L'eau pure est leur boisson ordinaire. Les mères et les nourrices ont une sorte d'habillement assez ample par derrière pour y porter leur enfants. Ce vêtement , fait de pelleteries , est chaud et tient lieu de linge et de berceau; on y met l'en- fant nouveau-né tout nu. Ils sont en général si malpropres qu'on ne peut les approcher sans dégoût, ils sentent le poisson pourri : lesfemmes, pour corrompre cette mauvaise odeur, se lavent avec de l'urine, et les hommes ne se lavent ja- mais. Ils ont des tentes pour l'été et des espèces 7 ‘ Crantz, Historie von Groënland, tome 1, page 178. HISTOIRE NATURELLE de maisonnettes pour l'hiver, et la hauteur de ces habitations n’est que de cinq ou six pieds; elles sont construites ou tapissées de peaux de veaux marins et de rennes : ces peaux leur serventaussidelits. Leurs vitres sontdes boyaux transparents de poissons de mer. Ils avaient des arcs, et ils ont maintenant des fusils pour la chasse; et pour la pêche, des harpons, des lances et des javelines armées de fer ou d'os de pois- son; des bateaux , même assez grands, dont quelques-uns portent des voiles faites duchanvre ou du lin qu'ils tirent des Européens, ainsi que le fer et plusieurs autres choses, en échange des pelleteries et des huiles de poisson qu'ils leur donnent. Ils se marient communément à l’âge devingtans, et peuvent, s’ilssont aisés, prendre plusieurs femmes. Le divorce, en cas de mécon- tentement, est non-seulement permis, mais d’un usage commun ; tous les enfants suivent lamère, et après sa mort ne retournent pas auprès de leur père. Au reste, le nombre des enfants n'est jamais grand; il est rare qu’une femme en pro- duise plus de trois ou quatre. Elles accouchent aisément et se relèvent dès le jour même pour travailler. Elles laissent téter leurs enfants jus- qu'à trois ou quatre ans. Les femmes, quoique chargées de l'éducation de leurs enfants, des soins de la préparation des aliments, des vête- mentsetdes meubles detoute la famille ; quoique forcées de conduire les bateaux à la rame, et même de construire les tentes d'été et les huttes d'hiver, ne laissent pas, malgré ces travaux con- tinuels, de vivre beaucoup plus long-temps que les hommes qui ne font que chasser ou pêcher. M. Crantz dit qu'ils ne parviennent guère qu'à l'âge de cinquante ans , tandis que les femmes vivent soixante-dix à quatre-vingts ans. Ce fait, s’il était général dans ce peuple, serait plus singulier que tout ce que nous venons d'en rap- porter. Au reste, ajoute M. Crantz, je suis assuré par les témoins oculaires que les Groënlandais res- semblent plus aux Kamtschadales, aux Tongous et aux Calmoucks de l'Asie, qu'aux Lapons d'Europe. Sur la côte occidentale de l’'Améri- que septentrionale, vis-à-vis de Kamtschatka, on a vu des nations qui, jusqu'aux traits même, ressemblent beaucoup aux Kamtschadales *, Les voyageurs prétendent avoir observé en gé- néral dans tous les sauvages de l'Amérique sep- 1 Crantz, Historie von Groënland, tome}, pag. 332 et suiv. DE L'HOMME. tentrionale, qu’ils ressemblent beaucoup aux Tartares orientaux , surtout par les yeux, le peu de poil sur le corps et la chevelure longue, droite et touffue !. Pour abréger, je passe sous silence les autres usages et les superstitions des Groëniandais que M. Crantz expose fort au long ; il suffira de dire que ces usages, soit superstitieux, soit raison- nables , sont assez semblables à ceux des La- pons, des Samoïèdes et des Koriaques; plus on les comparera et plus on reconnaitra que tous ces peuples voisins de notre pôle ne forment qu'une seule et même espèce d'hommes , c’est- à-dire une seule race difiérente de toutes les autres dans l'espèce humaine , à laquelle on doit encore ajouter celle des Esquimaux du nordde l'Amérique, quiressemblent aux Groën- landais, et plus encore aux Koriaques du Kamt- schatka, selon M. Steller. | Pour peu qu’on descende au-dessous du cerele polaire en Europe, on trouve la plus belle race de l'humanité. Les Danois, les Norvégiens, les Suédois, les Finlandais, les Russes, quoique un peu différents entre eux, seressemblen as- sez pour ne faire avec les Polonais , les Alle- mands, et même tous les autres peuples del'Eu- rope , qu'une seule et même espèce d'hommes diversifiée à l'infini par le mélange des diffé- rentes nations. Mais en Asie on trouve au-des- sous de la zone froide une race aussi laide que celle del' Europe est belle : je veux parler de la race tartare qui s'étendait autrefois depuis la Moscovie jusqu'au nord de la Chine; j'y com- prends les Ostiaques qui occupent de vastes terres au midi des Samoïèdes , les Calmoucks , les Jakutes, les Tongous, et tous les Tartares septentrionaux, dont les mœurs et les usages ne sont pas les mêmes, mais qui se ressemblent tous parla figure du corps et parladifformité des traits. Néanmoins depuis que les Russes se sont établis dans toute l'étendue de la Sibérie et dans kes contrées adjacentes, il y a eu nombre de mélanges entre les Russes et les Tartares , et ces mélanges ont prodigieusement changé la fi- gure et les mœurs de plusieurs peuples de cette vaste contrée. Par exemple, quoique les an- ciens voyageurs nous représententles Ostiaques comme ressemblants aux Samoïèdes; quoiqu'ils soient encore errants et qu’ils changent de de- meure comme eux, suivant le besoin qu'ils ont 1 Histoire des Quadrupèdes , par Schreber, tom. I, pag.27. 445 de pourvoir à leur subsistance par la chasse ou par la pêche ; quoiqu'ils se fassent des tentes et des huttes de la même façon; qu'ils se servent aussi d’arcs, de flèches et de meubles d’écorce de bouleau; qu’ils aient des rennes et des fem- mes autant qu'ils peuvent en entretenir; qu'ils boivent le sang des animaux tout chaud ; qu’en un mot, ils aient presque tous les usages des Samoïèdes ; néanmoins MM. Gmelin et Muller assurent que leurs traits diffèrent peu de ceux des Russes, et que leurs cheveux sont toujours ou blonds ou roux. Si les Ostiaques d'aujour- d'hui ont les cheveux blonds, ils ne sont plus les mêmes qu'ils étaient ci-devant ; car tous avaient les cheveux noirs et les traits du vi- sage à peu près semblables aux Samoïèdes. Au reste ces voyageurs ont pu confondre le blond avec le roux , et néanmoins dans la nature de l'homme ces deux couleurs doiventêtre soigneu- sement distinguées, le roux n'étant que le brun ou le noir trop exalté , au lieu que le blond est le blanc coloré d’un peu de jaune , et l'opposé du noir ou du brun. Cela me parait d'autant plus vraisemblable que les Votjackes ou Tar- lares vagolisses ont tous les cheveux roux, au rapport de ces mêmes voyageurs , et qu’en gé- néral les roux sontaussi communs dans l'Orient que les blonds y sont rares. A l'égard des Tongous , il paraît, par le té- moignage de MM. Gmelin et Muller, qu'ils avaient ci-devant des troupeaux de rennes et plusieurs usages semblables à ceux des Sa- moiïèdes , et qu'aujourd'hui ils n’ont plus de rennes et se servent de chevaux. Ilsont, disent ces voyageurs , assez de ressemblance avec les Calmoucks , quoiqu'ils n'aient pas la face aussi large et qu'ils soient de plus petite taille. Ils ont tous les cheveux noirs et peu de barbe; ils l’ar- rachent aussitôt qu'elle parait; ils sont errants et transportent leurs tentes et leurs meubles avec eux. Ils épousent autant de femmes qu'il leur plait. Ils ont des idoles de bois ou d'argile, auxquelles ils adressent des prières pour obte- nir une bonne pêche ou une chasse heureuse; ce sont les seuls moyens qu'ils aient de se pro- ceurer leur subsistance !. On peut inférer de ce récit, que les Tongous font la nuance entre la race des Samoïèdes et celle des Tartares, dont le prototype, ou si l'on veut la caricature , se trouve chez les Calmoucks, qui sont les plus L 4 Relation de MM. Gmelin et Muller. Histoire générale des Voyages, tome XVIIL, page 245. 144 Iaids de tous les hommes. Au reste, cette vaste partie de notre continent, laquelle comprend la Sibérie, et s'étend de Tobolsk à Kamtschatka, et de la mer Caspienne à la Chine, n’est peuplée que de Tartares, les uns indépendants, les au- tres plus ou moins soumis à l'empire de Russie, ou bien à celui de la Chine; mais tous encore trop peu connus pour que nous puissions rien ajouter à ce que nous en avons dit, p. 270 et suivantes. Nous passerons desTartares aux Arabes, qui ne sont pas aussi différents par les mœurs qu'ils le sont par le climat. M. Nierbubr, de la Société royale de Gottingen , a publié une relation cu- rieuse et savante de l'Arabie, dont nous avons tiré quelques faits que nous allons rapporter. Les Arabes ont tous la même religion sans avoir les mêmes mœurs; les uns habitent dans des villes ou villages , les autres sous des tentes en familles séparées. Ceux qui habitent les villes travaillent rarement en été depuis les onze heures du matin jusqu’à trois heures du soir, à cause de la grande chaleur; pour l'ordinaire ils emploient ce temps à dormir dans un souterrain où le vent vientd'en hautpar une espècede tuyau, pour faire circuler l'air. Les Arabes tolèrenttoutes les religions et en laissent le libre exercice aux Juifs, aux Chrétiens, aux Banians ; ils sont plus affables pour les étrangers, plus hospitaliers, plus généreux que les Turcs. Quand ils sont à table ils invitent ceux qui surviennent à manger avec eux : au contraire, les Turcs se cachent pour manger, crainte d'inviter ceux qui pour- raient les trouver à table. La coiffure des femmes arabes, quoique sim- ple, est galante: elles sont toutes à demi ou au quart voilées. Le vêtement du corps est encore plus piquant; ce n’est qu'une chemise sur un lé- ger caleçon, le tout brodé ou garni d'agréments de différentes couleurs. Elles se peignent les on- gles de rouge , les pieds et les mains de jaune- brun , et les sourcils et le bord des paupières de noir. Celles qui habitent la campagne dans les plaines ont le teint et la peau du corps d'un jaune-foncé ; mais dans les montagnes on trouve de jolis visages, même parmi les paysannes. L'usage de l'inoculation, si nécessaire pour conserver la beauté, est ancien et pratiqué avec succes en Arabie. Les pauvres Arabes-Bé- douins qui manquent de tout, inoculent leurs en- fants avee une épine , faute de meilleurs instru- | ments. HISTOIRE NATURELLE En généralles Arabessontfortsobres, et même ils ne mangent pas de tout à beaucoup près, soit superstition , soit faute d’appétit : ce n’est pas néanmoins délicatesse de goût , car la plu- part mangent des sauterelles. Depuis Babel- Mandel jusqu'à Bara on enfile les sauterelles pour les porter au marché. Ils broient leur blé entre deux pierres, dont la supérieure se tourne avec la main. Les filles se marient de fort bonne heure, à neuf, dix et onze ans dans les plaines; mais dansles montagnes, les parents lesoblisent d'attendre quinze ans. « Les habitants des villes arabes, dit M. Nier- bubr, surtout de celles qui sont situées sur les côtes de la mer, ou sur la frontière. ont, à cause de leur commerce, tellement été mêlés avec les étrangers , qu'ils ont perdu beaucoup de leurs mœurs et coutumes anciennes : mais les Bé- douins , les vrais Arabes, qui ont toujours fait plus de cas de leur liberté que de l’aisance et des richesses, vivent en tribus séparées sous des tentes, et gardent encore la même forme de gouvernement, les mêmes mœurs et les mêmes usages qu'avaient leurs ancêtres dès les temps les plus reculés. Ils appellent en général tous leurs nobles schechs ou schæch. Quand ces schechs sonttrop faibles pour se défendrecontre leurs voisins , ils s'unissent avec d’autres, et choisissent un d’entre eux pour leur grand chef. Plusieurs des grands élisent enfin, de l’aveu des petits schechs, un plus puissant encore, qu'ils nomment sehechelkbir ou scheckes-schiüch, et alors la famille de ce dernier donne son nom à toute la tribu... L'on peut dire qu'ils naissent toussoldats, et qu'ils sont tous pâtres. Les chefs des grandes tribus ont beaucoup de chameaux | qu'ils emploient à la guerre, au commerce, ete.; les petites tribus élèvent destroupeaux de mou- tons... Les schechs vivent sous des tentes , et laissent le soin de l'agriculture et des autrestra- vaux pénibles à leurs sujets qui logent dans de misérables huttes. Ces Bédouins, accoutumés à vivreen plein air, ont l'odorat très-fin : les villes leur plaisent si peu, qu'ils ne comprennent pas comment des gens qui se piquent d’aimer la propreté, peuvent vivre au milieu d’un air si impur… Parmi ces peuples, Pautorité reste dans la famille du grand ou petit schech qui règne, sans qu'ils soient assujettis à en choisir l'aîné; ils élisent le plus capable des fils ou des parents, pour succéder au gouvernement; ils paienttrès- | peu ou rien à leurs supérieurs. Chacun des pe- DE L'HOMME. tits schechs porte la parole pour sa famille, et ilen est le chefetle conducteur : legrandschech est obligé par là de les regarder plus comme ses alliés que comme ses sujets ; car si son gouver- nement leur déplait, et qu'ils ne puissent pas le déposer , ils conduisent leurs bestiaux dans la possession d’une autre tribu, qui d'ordinaire est charmée d'en fortilier son parti. Chaque pe- tit schech est intéressé à bien diriger sa famille, s’il ne veut pas être déposé où abandonné... Jamais ces Bédouins n'ont pu être entièrement subjugués par des étrangers... mais les Arabes d’auprès de Bagdad, Mosul, Orfa, Damask et Haled, sont en apparence soumis au sultan. » Nous pouvons ajouter à cette relation de M. Nierbuhr, que toutes les contrées de l’Ara- bie, quoique fort éloignées les unes des autres, sont également sujettes à de grandes chaleurs, et jouissent constamment du ciel le plus serein; et que tous les monuments historiques attes- tent que l'Arabie était peuplée dès la plus haute antiquité. Les Arabes, avec une assez petite taille, un corps maigre, une voix grèle, ont un tempérament robuste, le poil brun, le visage basané, les yeux noirs et vifs, une physionomie ingénieuse , mais rarement agréable : ils atta- chent de la dignité à leur barbe, parlent peu, sans gestes, sans s'interrompre, sans se choquer dans leurs expressions ; ils sont flegmatiques, mais redoutables dans la colère; ils ont de lin- telligence, et même de l'ouverture pour les sciences, qu'ils cultivent peu : ceux de nos jours n’ont aucun monument de génie. Le nombre des Arabes établis dans le désert peut mon- ter à deux millions : leurs habits, leurs tentes, leurs cordages , leurs tapis, tout se fait avec la laine de leurs brebis, le poil de leurs chameaux et de leurs chèvres". Les Arabes , quoique flegmatiques , le sont moins que leurs voisins les Égyptiens; M. le chevalier Bruce, qui a vécu longtemps chez les uns et chez les autres , m'assure que les Égyp- tiens sont beaucoup plus sombres et plus mé- lancoliques que les Arabes, qu'ils se sont fort peu mélés les uns avec les autres, et que cha- cun de ces deux peuples conserve séparément sa langue et ses usages. Cet illustre voyageur, m'a encore donné les notes suivantes, que je me fais un plaisir de publier. À l'article où j'ai dit qu'en Perse et en Tur- ‘ Histoire philosophique et politique. Amsterdam, 1772, tome ], pages 410 et suiv, 445 quie il y a grande quantité de belles femmes de toutes couleurs, M. Bruce ajoute qu'il se vend tous les ans à Moka plus de trois mille jeunes Abyssines , et plus de mille dans les autres ports de l'Arabie , toutes destinées pour les Turcs. Ces Abyssines ne sont que basanées : les fem- mes noires arrivent des côtes de la mer Rouge, ou bien on les amène de l'intérieur de l'Afrique, etnommémentdu districtde Darfour : car, quoi qu'il y ait des peuples noirs sur les côtes de la mer Rouge, ces peuples sont tous mahométans, et l'on ne vend jamais les mahométans, mais seulement les chrétiens ou paiens, les premiers venant de l’Abyssinie , et les derniers de l'inté rieur de l'Afrique. J'ai dit, d'après quelques relations, que les Arabes sont fort endurcis au travail; M. Bruce remarque , avec raison, que les Arabes étant tous pasteurs, ils n’ont point de travail suivi, et que cela ne doit s'entendre que des longues courses qu'ils entreprennent, paraissant infati- gables, et souffrant la chaleur, la faim et la soif, mieux que tous les autres hommes. J'ai dit que les Arabes , au lieu de pain , se nourrissent de quelques graines sauvages qu'ils détrempent et pétrissent avec le lait de leur bétail. M. Bruce m'a appris que tous les Arabes se nourrissent de couscousoo ; c'est une espèce de farine cuite à l’eau. Ils se nourrissent aussi de lait, et surtout de celui des chameaux : ce n'est que dans les jours de fêtes qu'ils mangent de la viande, et cette bonne chère n'est que du chameau et de la brebis. A l'égard de leurs vête- ments, M. Bruce dit que tous les Arabes riches sont vêtus, qu'il n'y a que les pauvres qui soient presque nus; mais qu'en Nubie la chaleur est si grande en été, qu'on est forcé de quitter ses vêtements, quelque légers qu'ils soient. Au su- jet des empreintes que les Arabes se font sur la peau , il observe qu'ils font ces marques ou em- preintes avec de la poudre à tirer et de la mine de plomb; ils se servent pour cela d’une aiguille et non d’une lancette. IIn'y aque quelques tribus dans l'Arabie déserte et les Arabes de Nubie, qui se peignent les lèvres; mais les nègres de la Nubie ont tous les lèvres peintes ou les joues cicatrisées et empreintes de cette même poudre noire. Au reste, ces différentes impressions que les Arabes se font sur la peau , désignent ordi- nairement leurs différentes tribus. Sur les habitants de Barbarie, M. Bruce as- sure que non-seulement les enfants des Barba- 446 resques sont fort blancs en naissant, mais il ajoute un fait que je n'ai trouvé nulle part; c’est que les femmes qui habitent dans les villes de Barbarie, sont d'une blancheur presque re- butante , d'un blanc de marbre qui tranche trop avec le rouge très-vif de leurs joues, et que ces femmes aiment la musique et la danse, au point d'en être transportées; il leur arrive même de tomber en convulsions et en syncope lors- qu'elles s’y livrent avec excès. Ce blanc matdes femmes de Barbarie , se trouve quelquefois en Languedoc et sur toutes nos côtes de la Médi- terranée. J'ai vu plusieurs femmes de ces pro- vinces avec le teint blanc mat et les cheveux bruns ou noirs. Au sujetdes Cophtes, M. Bruce observe qu’ils sont les ancêtres des Égyptiens actuels, et qu'ils étaient autrefois chrétiens et non mahométans ; que plusieurs de leurs descendants sont encore chrétiens, et qu'ils sont obligés de porter une sorte de turban différent et moins honorable que celui des mahométans. Les autres habitants de l'Égypte sont des Arabes-Sarrasins , qui ont conquis le pays, et se sont mêlés par force avec les naturels. Ce n’est que depuis très-peu d’an- nées (dit M. Bruce) que ces maisons de piété ou plutôt de libertinage, établies pour le service des voyageurs, ont été supprimées; ainsi cet usage a été aboli de nos jours. Au sujet de la taille des Égyptiens, M. Bruce observe que la différence de la taille des hom- mes, qui sont assez grands et menus , et des femmes, qui généralement sont courtes et tra- pues en Égypte, surtout dans les campagnes, ne vient pas de la nature, mais de ce que les garçons ne portent jamais de fardeaux sur la tête, au lieu que les jeunes filles de la campa- gne vont tous les jours plusieurs fois chercher de l’eau du Nil, qu'elles portent toujours dans une jarre sur leur tête, ce qui leur affaisse le cou et la taille , les rend trapues et plus carrées aux épaules : elles ont néanmoins les bras et les jambes bien faits, quoique fort gros; elles vont presque nues, ne portant qu'un petit ju- pon très-court. M. Bruce remarque aussi que, comme je l'ai dit, le nombre des aveugles en Égypte est très-considérable, et qu'il y a vingt- cinq mille personnes aveugles nourries dans les hôpitaux de la seule ville du Caire. Au sujet du courage des Égyptiens ;, M. Bruce observe qu’ils n'ont jamais été vaillants; qu'an- ciennement ils ne faisaient la guerre qu'en nre- HISTOIRE NATURELLE nant à leur solde des troupes étrangères; qu'ils avaient une si grande peur des Arabes, que pour s’en défendre ils avaient bâti une muraille depuis Pelusium jusqu’à Héliopolis; mais que ce grand rempart n’a pas empêché les Arabes deles subjuguer. Au reste, les Égyptiens actuels sont très-paresseux, grands buveurs d’eau-de- vie, si tristes et si mélancoliques qu'ils ont be- soin de plus de fêtes qu'aucun autre peuple. Ceux qui sont chrétiens ont beaucoup plus de haine contre les catholiques romains.que contre les mahométans. Au sujet des nègres, M. Bruce m’a fait une remarque de la dernière importance ; c'est qu'il n'y à de nègres que sur les côtes , c’est-à-dire, sur les terres basses de l'Afrique ; et que dans l'intérieur de cette partie du monde, les hom- mes sont blancs, même sous l'équateur ; ce qui prouve encore plus démonstrativement que je n'avais pu le faire, qu'en général la couleur des hommes dépend entièrement del'influence et de la chaleur du climat, et que la couleur noire est aussi accidentelle dans l'espèce humaine que le basané, le jaune ou le rouge; enfin, que cette couleur noire ne dépend uniquement , comme je l'ai dit, que des circonstances locales et par- ticulières à certaines contrées où la chaleur est excessive. Les nègres de la Nubie (m’a dit M. Bruce) ne s'étendent pas jusqu’à la mer Rouge; toutes les côtes de cette mer sont habitées ou par les Arabes ou par leurs descendants. Dès le hui- tième degré de latitude nord, commence le peuple de Galles, divisé en plusieurs tribus, qui s'étendent peut-être de là jusqu'aux Hot- tentots; et ces peuples de Galles sont pour la plupart blancs. Dans ces vastes contrées com- prises entre le dix-huitième degré de latitude nord et le dix-huitième degré de latitude sud, on ne trouve des nègres que sur les côtes et dans les pays bas voisins de la mer; mais dans l'intérieur, où les terres sont élevées et monta- gneuses, tous les hommes sont blancs. Ils sont même presque aussi blanes que les Européens, parce que toute cette terre de l’intérieur del A- frique est fort élevée sur la surface du globe, et n’est point sujette à d'excessives chaleurs ; d’ail- leurs, il y tombe de grandes pluies continuelles dans certaines saisons, qui rafraichissent encore la terre et l’air, au point de faire de ce climat une région tempérée. Les montagnes qui s'éten- dent depuis le tropique du Cancer jusqu'à la DE L'HOMME. 447 pointe de l'Afrique, partagent cette grande pres- qu'ile dans sa longueur, et sont toutes habitées par des peuples blanes. Ce n’est que dans les contrées où les terres s'abaissent que l’on trouve des nègres; or, elles se dépriment beaucoup du côté de l’occident vers les pays de Congo, d'An- gole , ete., et tout autant du côté de l'orient, vers Mélinde et Zanguebar : c’est dans ces con- trées basses, excessivement chaudes , que se trouvent des hommes noirs, les nègres à l'oc- cident, et les Cafres à l’orient. Tout le centre de l'Afrique est un pays tempéré et assez plu- vieux , une terre très-élevée et presque partout peuplée d'hommes blanes ou seulement basanés et non pas noirs. Sur les Barbarins, M. Bruce fait une obser- vation : il dit que ce nom est équivoque ; les ha- bitants de Barberenna , que les voyageurs ont appelés Barbarins, et qui habitent le haut du fleuve Niger ou Sénégal , sont en effet des hom- . mes noirs, des nègres même plus beaux que ceux du Sénégal. Mais les Barbarins propre- ment dits, sont les habitants du pays de Berber ou Barabra , situé entre le seizième et le vingt- deuxième ou vingt-troisième degré de latitude nord ; ce pays s'étend le long des deux bords du Nil, et comprend la contrée de Dongola. Or les habitants de cette terre, qui sont les vrais Barbarins voisins des Nubiens, ne sont pas noirs comme eux; ils ne sont que basanés : ils ont des cheveux et non pas de la laine, leur nez n’est point écrasé , leurs lèvres sont min- ces; enfin ils ressemblent aux Abyssins mon- tagnards , desquels ils ont tiré leur origine. A l'égard de cé que j'ai dit de la boisson or- dinaire des Éthiopiens ou Abyssins , M. Bruce remarque qu'ils n’ont point l'usage des tama- rins , que cet arbre leur est même inconnu. Ils ont une graine qu’on appelle Teef !, de laquelle 4 Manière de faire le pain avec la graine de la plante ap- pelée Teef, en Abyssinie. Il faut commencer par tamiser la graine de teef eten ôter tous les corps étrangers, après quoi l'on en fait de la farine ; ensuite on prend une cruche dans laquelle on met un mor- ceau de levain de la grosseur d'une noix; ce levain doit être mis dans le milieu de la farine dont la cruche est remplie. Si l'on fait cette opération sur les sept à huit heures du soir, il faudra le lendemain matin, à sept ou huit heures, prendre un morceau de la masse déjà devenue levain, proportionnée à la quantité de pain que l'on veut faire. On étend la pâte en l'a- platissant comme un gâteau fort mince, sur une pierre polie, sous laquelle il y a du feu; cette pâte ne doit être ni trop li- quide ni trop consistante, et il vaut mieux qu'elle soit uu peu trop molle que d'être trop dure, On la couvre ensuite d'un vase ou d'un couvercle élevé de paille, et en huit ou dix mi- ils font du pain : ils en font aussi une espèce de bière, en la laissant fermenter dans l'eau , et cette liqueur a un goût aigrelet qui a pu la faire confondre avec la boisson faite de tamarins. Au sujet de la langue des Abyssins, que j'ai dit n'avoir aucune règle, M. Bruce observe qu'il y a à la vérité plusieurs langues en Abyssi- nie; mais que toutes ces langues sont à peu près assujetties aux mêmes règles que les autres langues orientales : la manière d'écrire des Abyssins est plus lente que celle des Arabes: ils écrivent néanmoins presque aussi vite que nous. Au sujet de leurs habillements et de leur ma- nière de se saluer, M. Bruce assure que les jé- suites ont fait des contes dans leurs Lettres édifiantes, et qu'il n'y a rien de vrai de tout ce qu'ils disent sur cela : les Abyssins se saluent sans cérémonie; ils ne portent point d'écharpes, mais des vêtements fort amples, dont j'ai vu les dessins dans les portefeuilles de M. Bruce. Sur ce que j'ai dit des Acridophages où man- geurs de sauterelles, M. Bruce observe qu’on mange des sauterelles, non-seulement dans les déserts voisins de l'Abyssinie, mais aussi dans la Libyeintérieure près le Palus-Tritonides, et dans quelques endroits du royaume de Maroc. Ces peuples font frire ou rôtir les sauterelles avee du beurre; ils les écrasent ensuite pour les mêler avec du lait et en faire des gâteaux. M. Bruce dit avoir souvent mangé de ces gâ- teaux, sans en avoir été incommodé. J'ai dit que vraisemblablement les Arabes ont autrefois envahi l'Éthiopie ou Abyssinie , et qu'ils en ont chassé les naturels du pays. Sur cela M. Bruce observe que les historiens Abys- sins qu'il a lus, assurent que de tout temps ou du moins très-anciennement , l'Arabie heureuse appartenait au contraire à l'empire d’Abyssinie; et cela s’est en effet trouvé vrai à l’avénement de Mahomet. Les Arabes ont aussi des époques ou dates fort anciennes de l'invasion des Abys- sins en Arabie, et de la conquête de leur propre pays. Mais il est vrai qu'après Mahomet, les Arabes se sont répandus dans les contrées bas- ses de l'Abyssinie, les ont envahies et se sont étendus le long des côtes de la mer jusqu'à Mé- linde, sans avoir jamais pénétré dans les terres nutes, et moins encore selon le feu, le pain est cuit, eton l'expose à l'air. Les Abyssins mettent du levain dans la cru- che pour la première fois seulement, après quoi ils n'en met- tent plus; la seule chaleur de la cruche suffit pour faire lever le pain. Chaque matin ils font leur pain pour le jour entier. Note communiquée var M, le chevalier Bruce à M. de Buffon. 448 élevées de l'Ethiopie ou haute Abyssinie : ces deux noms n'expriment que la même région, connue des anciens sous le nom d'Éthiopie , et des modernes sous celui d’Abyssinie. J'ai fait une erreur en disant que les Abyssins et les peuples de Mélinde ont la mème religion : car les Abyssins sont chrétiens, et les habitants de Mélinde sont mahométans, comme les Ara- bes qui les ont subjugués; cette différence de religion semble indiquer que les Arabes ne se sont jamais établis à demeure dans la haute Abyssinie. Au sujet des Hottentots, et de cette excrois- sance de peau que les voyageurs ont appelée /e tablier des Hottentotes, et que Thévenot dit se trouver aussi chez les Egyptiennes , M. Bruce assure , avec toute raison , que ce fait n’est pas vrai pour les Égyptiennes, ettres-douteux pour les Hottentotes. Voici ce qu'en rapporte M. le vicomte de Querhoënt dans le journal de son voyage, qu'il a eu la bonté de me commu- niquer!. « Ilest faux que.les femmes hottentotes aient un tablier naturel qui recouvre les parties de leur sexe; tous les habitants du cap de Bonne- Espérance assurent le contraire, et je l'ai oui dire au lord Gordon qui était allé passer quel- que temps chez ces peuples pour en être cer- tain : mais il m'a assuré en même temps que toutes les femmes qu'il avait vues avaient deux protubérances charnues qui sortaient d’entre les grandes lèvres au-dessus du clitoris, et tom- baient d'environ deux ou trois travers de doigt; qu'au premier coup d'œil, ces deux excrois- sances ne paraissaient point séparées. II m'a dit aussi que quelquefois ces femmes s’entouraient le ventre de quelque membrane d'animal , et que c’est ce qui aura pu donner lieu à l’histoire du tablier. Il est fort difficile de faire cette vé- rification; elles sont naturellement très - mo- destes : il faut les enivrer pour en venir à bout. Ce peuple n’est pas si excessivement laid que la plupart des voyageurs veulent le faire ac- croire ; j'ai trouvé qu'il avait les traits plus ap- prochants des Européens que les nègres d’Afri- | que. Tous les Hottentots que j'ai vus étaient | d'une taille très-médiocre ; ils sont peu coura- geux , aiment avec excès les liqueurs fortes, et * Remarques d'histoire naturelle, faites à bord du vaisseau du roi, la Victoire, pendant les années 1773 et 4774, par M. le vicomte de Querheënt, enseigne de vaisseau, | HISTOIRE NATURELLE paraissent fort flegmatiques. Un Hottentot e sa femme passaient dans une rue l’un auprès de l'autre, et causaient sans paraitre émus ; tout d'un coup je vis le mari donner à sa femme un soufilet si fort qu'il l'étendit par terre : il parut d'un aussi grand sang-froid après cette action qu'auparavant ; il continua sa route sans faire seulement attention à sa femme qui, revenue un instant après de son étourdissement, hâta le pas pour rejoindre son mari. » Par une lettre que M. de Querhoënt m'a écrite, le 15 février 1775, il ajoute : « J'eusse désiré vérifier par moi-même si le tablier des Hottentotes existe : mais c'est une chose très-difficile, premièrement , par la ré- pugnance qu’elles ont de se laisser voir à des étrangers ; et en second lieu, par la grande distance qu'il y a entre leurs habitations et la ville du Cap, dont Les Hottentots s’éloignent même de plus en plus. Tout ce que je puis vous dire à ce sujet, c’est que les Hollandais du Cap qui m'en ont parlé croient le contraire ; et M. Bergh, homme instruit, m'a assuré qu'il avait eu la curiosité de le vérifier par lui-même. » Ce témoignage de M. Bergh et celui.de M. Gordon me paraissent suffire pour faire tomber ce prétendu tablier, qui m'a toujours paru contre tout ordre de nature. Le fait, quoi- que affirmé par plusieurs voyageurs, n’a peut- être d'autre fondement que le ventre pendant de quelques femmes malades ou mal soignées après leurs couches. Mais à l'égard des protu- bérances entre les lèvres, lesquelles provien- nent du trop grand accroissement des nymphes, c’est un défaut connu et commun au plus grand nombre des femmes africaines. Ainsi l’on doit ajouter foi à ce que M. de Querhoënt en dit ici d'après M. Gordon, d'autant qu'on peut joindre à leurs témoignages celui du capitaine Cook. Les Hottentotes (dit-il) n’ont pas ce tablier de chair dont on a souvent parlé. Un médecin du Cap qui a guéri plusieurs de ces femmes de ma- ladies vénériennes, assure qu'il a seulement vu deux appendices de chair ou plutôt de peau, tenant à la partie supérieure des lèvres, et qui ressemblaient en quelque sorte aux tettes d'une vache, excepté qu'elles étaient plates. II ajoute, qu'elles pendaient devant les parties naturelles, et qu'elles étaient de différentes longueurs dans différentes femmes ; que quelques-unes n’en avaient que d’un demi-pouce, et d'autres de trois à quatre pouces de long. DE L'HOMME. Sur la couleur des nègres. L'out ce que j'ai dit sur la cause de la couleur | des nègres me parait de la plus grande vérité. C’est la chaleur excessive dans quelques con- ! trées du globe, qui donne cette couleur, ou pour mieux dire, cette teinture aux hommes; et cette teinture pénètre à l'intérieur , car le sang des nègres est plus noir que celui des hommes blanes. Or cette chaleur excessive ne se trouve dans aucune contrée montagneuse, ni dans au- cune terre fort élevée sur le globe; et c’est par cette raison que sous l'équateur même les ha- bitants du Pérou et ceux de l'intérieur de l'A- | frique ne sont pas noirs. De même cette chaleur excessive ne se trouve point, sous l'équateur , sur les côtes ou terres basses voisines de la mer du côté de l’orient, parce que ces terres basses sont continuellement rafraichies par le vent d'est qui passe sur de grandes mers avant d'y arri- ver; et c’est par cette raison que les peuples de la Guyane, les Brasiliens, ete., en Amérique, ainsi que les peuples de Mélinde et des autres côtes orientales de l'Afrique, non plus que les habitants des iles méridionales de l'Asie, ne sont pas noirs. Cette chaleur excessive ne se trouve donc que sur les côtes et terres basses occiden- tales de l'Afrique, où le vent d'est qui règne continuellement, ayantà traverser une immense étendue de terre, ne peut que s’échauffer en | passant, et augmenter par conséquent de plu- sieurs degrés la température naturelle de ces contrées occidentales de PAfrique : c’est par cette raison, c’est-à-dire par cet excès de cha- leur provenant des deux circonstances combi- nées de la dépression des terres et de l’action du vent chaud, que sur cette côte occidentale de l'Afrique on trouve les hommes les plus noirs. Les deux mêmes circonstances produisent à peu près le même effet en Nubie et dans les terres de la Nouvelle-Guinée ; parce que dans ces deux contrées basses le vent d'est n'arrive qu'après avoir traversé une vaste étendue de terre. Au contraire , lorsque ce même vent ar- rive après avoir traversé de grandes mers, sur lesquelles 1l prend de la fraicheur, la chaleur seule de la zone torride, non plus que celle qui provient de la dépression du terrain, ne suffi- sent pas pour produire des nègres, et c'est la vraie raison pourquoi il ne s'en trouve que dans ces trois régions sur le globe entier; savoir : 19 le Sénégal, la Guinée et les autres côtes oc- LLLO 449 cidentales de l'Afrique; 2° la Nubie ou Nigritie; | 30 la terre des Papous ou Nouvelle-Guinée. Ainsiledomaine desnègres n'est pas aussi vaste, ni leur nombre à beaucoup près aussi grand qu'on pourrait l'imaginer , et je ne sais sur quel fondement M. P. prétend que le nombre des nègres est à celui des blancs comme un est à vingt-trois ‘. Il ne peut avoir sur cela que des aperçus bien vagues; car, autant que je puis en juger, l'espèce entière des vrais nègres est beaucoup moins nombreuse : je ne crois pas même qu'elle fasse la centième partie du genre | humain, puisque nous sommes maintenant in- formés que l'intérieur de l'Afrique est peuplé d'hommes blancs. M. P. prononce affirmativementsurun grand nombre de choses , sans citer ses garants; cela | serait pourtant à désirer, surtout pour les faits importants. « L faut absolument, dit-il, quatre généra- tions mêlées, pour faire disparaitre entièrement la couleur des nègres , et voici l’ordre que la nature observe daus les quatre générations mé- lées. « 19 D'un nègre et d’une femme blanche nait le mulâtre à demi noir, à demi blanc, à longs cheveux. « 20 Du mulâtre et de la femme blanche | provient le quarteron basané, à cheveux longs. « 3° Du quarteron et d’une femme blanche sort l'octavon , moins basané que le quarteron. « 4° De l’octavon et d'une femme blanche vient un enfant parfaitement blanc. « Il faut quatre filiations en sens inverse pour noircir les blancs. | «1° D'un blanc et d'une négresse sort le mulâtre à longs cheveux. « 2° Du mulâtre et de la négresse vient le quarteron , qui a trois quarts de noir et un quart de blane. « 3° Du quarteron et d’une négresse provient l'octavon , qui a sept huitièmes de noir et un huitième de blane. « 4° De cet octavon et de la négresse vient enfin le vrai nègre à cheveux entortillés ?. » Je ne veux pas contredire ces assertions de M. P.; je voudrais seulement qu'il nous eût ap- pris d'où il a tiré ces observations , d'autant que je n'ai pu m'en procurer d'aussi précises , quel- ques recherches que j'aie faites. On trouve dans { Recherches sur les Américains , tome 1, page 248. 2 Ibid., p. 217. 29 450 l'Histoire de l'Académie des Sciences, année 1724, page 17, l'observation ou plutôt la no- tice suivante : « Tout le monde sait que les enfants d'un klance et d'une noire ou d'un noîr et d'une blan- che , ce qui est égal, sont d'une couleur jaune, et qu'ils ont des cheveux noirs, courts et frisés; on les appelle mulâtres. Les enfants d'un mu- lâtre et d'une noire ou d’un noir et d'une mulâtresse, qu'on appelle griffes, sont d'un jaune plus noir et ont les cheveux noirs ; de sorte qu'il semble qu'une nation originairement formée de noirs et de mulâtres retournerait au noir parfait. Les enfants des mulâtres et des mulâtresses, qu'on nomme casques, sont d'un jaune plus clair que les griffes, et apparemment une nation qui en serait originairement formée reteurperait au bJance. » il parait par cette notice , donnée à l'Acadé- mie par M. de Hauterive, que non-seulement tous les mulâtres ont des cheveux et nou de la laine , mais que les griffes nés d’un père nègre et d'une mulâtresse , ont aussi des cheveux et point de laine, ce dont je doute. Il est fâcheux que l'on n'ait pas sur ce sujet important un cer- tain nombre d'observations bien faites. Sur les nains de Madagascar. Les habitants des côtes orientales de l’Afri- que et de l’ile de Madagascar , quoique plus ou moins noirs, ne sont pas nègres ; et il y a dans les parties montagneuses de cette grande ile, comme dans l'intérieur de l'Afrique, des hom- mes blancs. On a même nouvellement débité qu'il se trouvait dans le centre de l'ile, dont les terres sont les plus élevées, un peuple de nains blancs ; M. Meunier , médecin, qui a fait quel- que séjour dans cette île, m'a rapporté ce fait, et j'ai trouvé dans les papiers de feu M. Com- merson la relation suivante : « Lesamateurs du merveilleux , qui nous au- ront sans doute su mauvais gré d'avoir réduit à six pieds de haut la taille prétendue gigan- tesque des Patagons, accepteront peut-être en dédommagement une race de pygmées qui donne dans l'excès opposé; je veux parler de ces demi-hommes qui habitent les hautes mon- tagnes de l’intérieur , dans la grande île de Ma- dagascar , et qui y forment un corps de nation considérable appelée Quimos ou Kimos en lan- gue madécasse. Otez-leur la parole, ou donnez- la aux singes grands et petits, ce serait le pas- HISTOIRE NATURELLE sage insensible de l'espèce humaine à la gent quadrupède. Le caractère naturel et distinctif de ces petits hommes est d’être blancs ou du moins plus pâles en couleur que tous les noirs connus ; d'avoir les bras très-allongés, de fa- con que la main atteint au-dessous du genou sans plier le corps; et pour les femmes, de mar- quer à peine leur sexe par les mamelles, ex- cepté dans le temps qu'elles nourrissent ; encore veut-on assurer que la plupart sont forcées de recourir au lait de vache pour nourrir leurs nouveau-nés. Quant aux facultés intellectuel- les, ces Quimos le disputent aux autres Mal- gaches {c'est ainsi qu'on appelle en général tous les naturels de Madagascar) , que l'on sait être fort spirituels et fort adroits , quoique livrés à la plus grande paresse. Mais on assure que les Quimos, beaucoup plus actifs , sont aussi plus belliqueux ; de façon que leur courage étant, si je puis m'exprimer ainsi, en raison double de leur taille, ïls n’ont jamais pu être opprimés par leurs voisins, qui ont souvent maille à partir avec eux. Quoique attaqués avec des forces et des armes inégales (car ils n'ont pas l'usage de la poudre et des fusils , comme leurs ennemis), ils se sont toujours battus cou- rageusement et maintenus libres dans leurs ro- chers, leur difficile accès contribuant sans doute beaucoup à leur conservation. Ils y vivent de riz, de différents fruits, légumes et racines, et y élèvent un grand nombre de hestiaux (bœufs à bosse et moutons à grosse queue), dont ils empruntent aussi en partie leur subsistance. Ils ne communiquent avec les différentes castes malgaches dont ils sont environnés, ni par commerce, ni par alliances, ni de quelque autre manière que ce soit, tirant tous leurs besoins du sol qu'ils possèdent. Comme l’objet de toutes les petites guerres qui se font entre eux et les autres habitants de cette ile est de s'enlever réciproquement quelque bétail ou quelques es- claves, la petitesse de nos Quimos les mettant presque à l'abri de cette dernière injure, ils savent, par amour dela paix, se résoudre à souf- frir Ja première jusqu'à un certain point , c’est- à-dire que quand ils voient du haut de leurs montagnes quelque formidable appareil de guerre qui s'avance dans la plaine, ils prennent d'eux-mêmes le parti d’attacher à l'entrée des défilés par où il faudrait passer pour aller à eux, quelque superflu de leurs troupeaux , dont ils font, disent-ils, volontairement le sacrifice DE L'HOMME. di à l'indigence de leurs frères aînés; mais avee | la confiance qui régnait précédemment entre les protestation en même temps de se battre à toute outrance si l'on passe à main armée plus avant sur leur terrain : preuve que ce n'est pas par sentiment de faiblesse, encore moins par là- cheté, qu'ils font précéder les présents. Leurs armes sont la zagaie et le trait, qu'ils lancent on ne peut pas plus juste. On prétend que s'ils pouvaient, comme ils en ont grande envie, s’aboucher avec les Européens et en tirer des fusils et des munitions de guerre , ils passeraient volontiers de la défensive à l'offensive, contre leurs voisins , qui seraient peut-être alors trop heureux de pouvoir entretenir la paix. « À trois ou quatre journées du fort Dauphin (qui est presque dans l'extrémité du sud de Ma- dagascar), les gens du pays montrent avec beau- coup de complaisance une suite de petits mon- drains ou tertres de terre élevés en forme de tombeaux qu'ils assurent devoir leur origine à un grand massacre de Quimos défaits en plem champ par leurs ancêtres; ce qui semblerait prou- ver que nos braves petits guerriers ne se sont pas toujours tenus cois et rencoignés dans leurs hautes montagnes, qu’ils ont peut-être aspiré à la conquête du plat pays, et que ce n’est qu'a- près cette défaite calamiteuse qu'ils ont été obli- gés de regagner leurs âpres demeures. Quoi qu'il en soit, cette tradition constante dans ces cantons , ainsi qu'une notion généralement ré- pandue par tout Madagascar, de l'existence en- core actuelle des Quimos, ne permettent pas de douter qu’une partie au moins de ce qu'on en raconte ne soit véritable. Il est étonnant que tout ce qu'on sait de cette nation ne soit que re- cueilli des témoignages de celles qui les avoi- sinent; qu'on n’ait encore aucunes observations faites sur les lieux; et que, soit les gouver- neurs des îles de France et de Bourbon, soit les commandants particuliers des différents postes quenousavons tenus sur les côtes de Madagascar, n'aient pas entrepris de faire pénétrer à l'inté- rieur des terres dans le dessein de joindre cette découverte à tant d’autres qu’on aurait pu faire en même temps. La chose a été tentée derniè- rement, mais sans succès : l'homme qu'on y envoyait, manquant de résolution, abandonna, à la seconde journée, son monde et ses bagages, et n’a laissé, lorsqu'il a fallu réclamer ces der- niers, que le germe d’une guerre où il a péri quelques blancs et un grand nombre de noirs. La mésintelligence qui, depuis lors, a succédé à ! deux nations, pourrait bien pour la troisième fois devenir funeste à cette poignée de Français qu'on a laissés au fort Dauphin, en retirant ceux qui y étaient anciennement. Je dis pour la troi- sième fois, parce qu'il y a déjà eu deux Saint- Barthélemi complètement exercées sur nos garnisons dans cette ile, sans compter celle des Portugais et des Hollandais qui nous y avaient précédés. « Pour revenir à nos Quimos et en terminer lanote, j'attesterai, commetémoin oculaire, que, dans le voyage que je viens de faire au fort Dau- phin (sur la fin de 1770), M. lecomtede Modave, dernier gouverneur , qui m'avait déjà commu- niqué une partie de ces observations, me pro- cura enfin la satisfaction de me faire voir parmi ses esclaves, une femme quimose, âgée d'envi- ron trente ans, haute de trois pieds sept à huit pouces, dont la couleur était en effet de la nuance la plus éclaireie que j'aie vue parmi les habitants de cette ile : je remarquai qu’elle était très-membrue dans sa petite stature, ne ressem- blant point aux petites personnes fluettes, mais plutôt à une femme de proportions ordinaires dans le détail , mais seulement raccourcie dans sa hauteur. que les bras en étaient effective- ment très-longs et atteignant, sans qu’elle se courbât, à la rotule du genou; que ses cheveux étaient courts et laineux , la physionomie assez bonne, se rapprochant plus de l'européenne que de la malgache; qu'elle ayait habituellement l'air riant , l'humeur: douce et complaisante, et le bon sens commun, à en juger par sa conduite, car elle ne savait pas parler français. Quant au fait des mamelles, il fut aussi vérifié, etilne s'en trouva que le bouton, comme dans une fille de dix ans , sans la moindre flaccidité de la peau qui püt faire croire qu’elles fussent passées. Mais cette observation seule est bien loin de suflire pour établir une exception à la loi commune de la nature : combien de filles et de femmes eu- ropéennes, à la fleur de l’âge, n’offrent que trop souvent cette défectueuse conformation! Enfin peu avant notre départ de Madagascar, l'envie de recouvrer sa liberté, autant que la crainte d'un embarquement prochain , portèrent la pe- tite esclave à s'enfuir dans les bois : on la ra- mena bien quelques jours après, mais tout exténuée et presque morte de faim, parce que, se défiant des noirs comme des blancs, elle n'a- vait-véeu pendant son marrennage que de mau- 45 HISTOIRE NATURELLE vais fruits et de racines crues. C'est vraisembla- blement autant à cette cause qu'au chagrin d’'a- voir perdu de vue les pointes des montagnes où elle était née, qu'il faut attribuer sa mort arri- vée environ un mois après, à Saint-Paul, île de Bourbon, où le navire qui nous ramenait à l'ile de France a relâché pendant quelques jours. M. de Modave avait eu cette Quimose en pré- sent d'un chef malgache; elle avait passé par les mains de plusieurs maitres, ayant été ravie fort jeune sur les confins de son pays. « Tout considéré, je conclus (autant sur cet échantillon que sur les preuves accessoires) par croire assez fermement à cette nouvelle dégra- ation del’espèce humaine, quiasonsignalement caractéristique comme ses mœurs propres. Et siquelqu'untrop difficile à persuader ne veut pas se rendre aux preuves alléguées (qu’on désire- rait vraiment plus multipliées), qu'il fasse du moins attention qu'il existe des Lapons à l’ex- trémité boréale de l'Europe... Que la diminu- tion de notre taille à celle du Lapon est à peu- près graduée comme du Lapon au Quimos… Que l’un et l’autre habitent les zones les plus froides ou les montagnes les plus élevées de la terre. Que celles de Madagascar sont évidem- ment trois ou quatre fois plus exhaussées que celles de l'Ile-de-France , c'est-à-dire d'environ seize à dix-huit cents toises au-dessus du niveau de la mer. Les végétaux qui croissent naturelle- mentsurcesplus grandes hauteurs, ne semblent être que des avortons , comme le pin et le bou- leau nains et tant d'autres, qui de la classe des arbres passent à celle des plus humbles arbustes, par la seule raison qu'ils sont devenus alpicoles, c'est-à-dire habitants des plus hautes monta- gnes. Qu'enfin ceserait le comble de la témérité que de vouloir, avant de connaitre toutes les variétés de la nature, en fixer le terme, comme si elle ne pouvait pas s'être habituée dans quel- ques coins de la terre, à fairesur toute une race ce qu'elle ne nous parait avoir qu'ébauché, comme par écart, sur certains individus qu’on a vus parfois ne s'élever qu'à la taille des pou- pées ou des marionnettes. » Je me suispermis de donner ici cette relation en entier à cause de la nouveauté , quoique je doute encore beaucoup de la vérité des faits allé- gués et de l'existence réelle d’un peuple de trois pieds et demi de taille: cela est au moins exagé- ré. Ilen sera de ces Quimos detroispieds et demi, comme des Patagons de douze pieds; ils se sont réduits à septou huit pieds au plus, et les Quimos s'élèveront au moins à quatre pieds ou quatre pieds trois pouces. Siles montagnes où ils habi-- tent ont seize ou dix-huit cents toises au-dessus du niveau de la mer, il doit y faire assez froid pour les blanchir et rapetisser leur taille à la même mesure que celle des Groënlandais ou des Lapons, et il serait assez singulier que la nature eût placé l'extrême du produit du froid sur l'es- pèce humaine dans des contrées voisines del'é- quateur; car on prétend qu'il existe dans les montagnes du Tueuman une race de pygmées de trente-un pouces de hauteur , au-dessus du pays habité par les Patagons. On assure même que les Espagnols ont transporté en Europe quatre de ces petits hommes sur la fin de l’an- née 1755 !. Quelques voyageurs parlent aussi d'une autre race d'Américains blanes et sans aucun poil sur le corps, qui se trouve également dans les terres voisines du Tucuman, mais tous ces faits ont grand besoin d'être vérifiés. Au reste, l'opinion oule préjugé del’existence des pygmées est extrêmement ancien : Homère, Hésiode et Aristote en font également mention. M. l'abbé Banier a fait une savante dissertation sur ce sujet, qui se trouve dans la collection des Mémoires de l'Académie des Belles-Lettres, tome V, page 101. Après avoir comparé tous les témoignages des anciens sur cette race de petits hommes, ilest d'avis qu'ils formaient en effet un peuple dans les montagnes d° Éthiopie, et que ce peuple était le même que celui que les historiens et les géographes ont désigné de- puis sous le nom de Péchiniens ; mais il pense avec raison que ces hommes, quoique de très- petite taille, avaient bien plus d'une ou deux coudées de hauteur , et qu'ils étaient à peu près de la taille des Lapons. Les Quimos des monta- gnes de Madagascar, et les Péchiniens d” Éthio- pie, pourraient bien n'être que lamêèmerace qui s’est maintenue dans les plus hautes montagnes de cette partie du monde. Sur les Patagons. Nous n'avons rien à ajouter à ce que nous avons écrit sur les autres peuples de l’ancien continent; et comme nous venons de parler des plus petits hommes, il faut aussi faire mention { Voyez les notes sur la dernière édition de Lamotte Le- vayer, tome IX, page 82. DE L'HOMME. des plus grands : ce sont certainement les Pata- gons; mais commeil y a encore beaucoup d'incer- titudes sur leur grandeur et sur le pays qu'ils habitent, je crois faire plaisir au lecteur eu lui mettant sous les yeux un extrait fidèle de tout ce qu'on en sait. « Il est bien singulier, dit M. Commerson, qu'on ne veuille pas revenir de l'erreur que les Patagons soient des géants, et je ne puis assez m'étonner que des gens que j'aurais pris à té- moin du contraire en leur supposant quelque amour pour la vérité, osent, contre leur propre conscience, déposer vis-à-vis du public d’avoir vu au détroit de Magellan ces Titans prodigieux qui n'ont jamais existé que dans l'imagination échauffée des poëtes et des marins... Æd io anche : et moi aussi je les ai vus, ces Patagons! je me suis trouvé au milieu de plus d'une cen- taine d’entre eux (sur la fin de 1769) avec M. de Bougainville et M. le prince de Nassau, que j'accompagnai dans la descente qu'on fit à la baie Boucault. Je puis assurer, et ces messieurs sont trop vrais pour ne le pas certifier de même, que les Patagons ne sont que d'une taille un peu au-dessus de la nôtre ordinaire, c’est-à-dire com- munément de cinq pieds huit pouces à six pieds. J'en ai vu bien peu qui excédassent ce terme, mais aucun qui passät six pieds quatre pouces. Il est vrai que dans cette hauteurils ont presque la corpulence de deux Européens , étant très- larges decarrure et ayant la tête etles membres en proportion. Il y a encore bien loin de là au gigantisme, si je puis meservir de ce terme inu- sité, maisexpressif. Outre ces Patagons avec les- quels nous restâmes environ deux heures à nous accabler mutuellement de marques d'amitié, nous en avons vu un bien plus grand nombre d'autres nous suivre au galop le long de leurs côtes ; ils étaient de même acabit que les pre- miers. Au surplus il ne sera pas hors de propos d'observer, pour porter le dernier coup aux exa- gérations qu'on a débitées sur ces sauvages, qu'ils vont errants comme les Scythes et sont presque sans cesse à cheval. Or, leurs chevaux n'étant que de race espagnole , c'est-à-dire de vrais bidets, comment est-ce qu'on prétendleur affourcher des géants sur le dos? Déjà même nos Patagons, quoique réduits à la simple toise, sont-ils obligés d'étendre les pieds en avant, ce qui ne les empèche pas d'aller toujours au ga- lop , soit à la montée , soit à la descente, leurs chevaux sans doute étant formés à cet exercice 453 de longue main. D'ailleurs l'espèce s'en est si fort multipliée dans les gras pâturages de l'A- mérique méridionale , qu'on ne cherche pas à les ménager. » . M. de Bougainville, dans la curieuse relation de son grand voyage , confirme les faits que je viens de citer d'après M. Commerson. « Il parait attesté, dit ce célèbre voyageur, par le rapport uniforme des Français qui n'eu- rent que trop le temps de faire leurs observa- tions sur ce peuple des Patagons, qu'ils sont en général de la stature la plus haute et de la com- plexion la plus robuste quisoient connues parmi les hommes ; aucun n'avait au-dessous de cinq pieds cinq à six pouces, et plusieurs avaient six pieds. Leurs femmes sont presque blanches et d'une figure assez agréable ; quelques-uns de nos gens qui ont hasardé d'aller jusqu'à leur camp, y virent des vieillards qui portaient en- core sur leur visage l'apparence de la vigueur et de la santé!. Dans un autre endroit de sa re- lation, M. de Bougainville dit que ce qui lui a paru être gigantesque dans la stature des Pata- gons, c’est leur énorme carrure, la grosseur de leur tête et l'épaisseur de leurs membres: ils sont robustes et bien nourris; leurs muscles sont tendus et leur chair ferme et soutenue ; leur figure n'est ni dure ni désagréable, plu- sieurs l'ont jolie; leur visage est long et un peu plat, leurs yeux sont vifs et leurs dents extré- mement blanches, seulement trop larges. Ils portent de longs cheveux noirs attachés sur le sommet de la tête. Il y en a qui ontsous le nez des moustaches qui sont plus longues que bien fournies : leur couleur est bronzée comme l’est, sans exception, celle de tous les Américains , tant de ceux qui habitent la zone torride que de ceux qui naissent sous les zones tempérées et froides de ce même continent ; quelques-uns de ces Patagons avaient les joues peintes en rouge. Leur langue estassez douce, et rien n'an- nonce en eux un caractère féroce. Leur habille- ment est un simple bragué de cuir qui leur cou- vre les parties naturelles, et un grand manteau de peau de guanaque (lama) ou de sourillos (probablement le zorilla, espèce de monfette ) ; ce manteau est attaché autour du corps avec une ceinture , il descend jusqu'aux talons, et ils laissent communément retomber en bas la 1 Voyage autour du monde par M. de Bougainville, tome 1, in-8°, pages 87 et 88. 451 partie faite pour les épaules; de sorte que, malgré la rigueur du climat, ils sont presque touiours nus de la ceinture en haut. L'habitude les a sans doute rendus insensibles au froid; car, quoique nous fussions ici en été, dit M. de Bougainville, le thermomètre de Réaumur n’y avait encore monté qu'un seul jour à dix degrés au-dessus de la congélation... Les seules ar- mes qu'on leur ait vues sont deux cailloux ronds attachés aux deux bouts d'un boyau cor- donné, semblable à ceux dont on se sert dans toute cette partie de l'Amérique. Leurs che- vaux, petits et fort maigres, étaient sellés et bridés à la manière des habitants de la rivière de la Plata. Leur nourriture principale paraît être la chair des lamas et des vigognes; plu- sieurs en avaient des quartiers attachés à leurs chevaux ; nous leur en avons vu manger des morceaux crus. Ils avaient aussi avec eux des chiens petits et vilains , lesquels, ainsi que leurs chevaux , boivent de l'eau de mer, l’eau douce étant fort rare sur cette côte et mème dans les terres. Quelques-uns de ces Patagons nous di- rent quelques mots espagnols. Il semble que, comme les Tartares, ils mènent une vie er- rante dans les plaines immenses de l'Amérique méridionale, sans cesse à cheval, hommes, femmes et enfants, suivant le gibier et les bes- tiaux dont les plaines sont couvertes, se vè- tant et se cabanant avec des peaux. Je termi- nerai cet article, ajoute M. de Bougainville, en disant que nous avons depuis trouvé dans la mer Pacifique, une nation d'une taille plus éle- vée que ne l’est celle des Patagons !. » IL veut parler des habitants de l'ile d'Otahiti, dontnous ferons mention ci-après. Ces récits de MM. Bougainville et Commer- son me paraissent très-fidèles; mais il faut con- sidérer qu'ils ne parlent que des Patagons des environs du détroit, et que peut-être il y en a d'encore plus grands dans l'intérieur des terres. Le commodore Byron assure qu'à quatre ou cinq lieues de l'entrée du détroit de Magellan, on aperçut une troupe d'hommes, les uns à cheval, les autres à pied, qui pouvaient être au nombre de cinq cents ; que ces hommes n'a- vaient point d'armes, et que les ayant invités par signes , l’un d’entre eux vint à sa rencon- tre ; que cet homme était d'une taille giguntes- que : la peau d’un animal sauvage lui couvrait * Voyage autour du monde, par le commodore Byron, Chap. LI, pages 245 jusqu'à 247. HISTOIRE NATURELLE les épaules; il avait le corps peintd'une manière hideuse; l’un de ses yeux était entouré d’un cercle noir et l’autre d'un cercle blanc. Le resté du visage était bizarrement sillonné par des lignes de diverses couleurs : sa hauteur parais- sait avoir sept pieds anglais. Ayant été jusqu'au gros de la troupe, on vit plusieurs femmes proportionnées aux hommes pour la taille ; tous étaient peints et à peu près de la même grandeur. Leurs dents, qui ont la blancheur de l'ivoire, sont uniesetbien rangées. La plupart étaient nus, à l'exception de cette peau d’animal qu'ils portent sur les épaules avec le poil en-dedans ; quelques-uns avaient des bottines, ayant à chaque talon une cheville de bois qui leur sert d'éperon. Ce peuple paraît docile et paisible. Ils avaient avec eux un grand nombre de chiens et de très-petits chevaux, mais très-vites à la course ; les brides sont des cour- roies de cuir avec un bâton pour servir de mors; leurs selles ressemblent aux coussinets dont les paysans se servent en Angleterre. Les femmes montent à cheval comme les hommes et sans étriers !. Je pense qu'il n'y a point d'exagéra- tion dans ce récit, et que ces Patagons ; vus par Byron, peuvent être un peu plus grands que ceux qui ont été vus par MM. de Bougainville et Commerson. Le mème voyageur Byron rapporte que, de- puis ie cap Monday jusqu'à la sortie du dé- troit, on voit le long de la baie Tuesday d’au- tres sauvages très-stupides et nus malgré la ri- gueur du froid, ne portant qu’une peau de loup de mer sur les épaules ; qu'ils sont doux et do- ciles; qu'ils vivent de chair de baleine, ete, ?; mais ilne fait aucune mention de leur grandeur, en sorte qu'il est à présumer que ces sauvages sont différents des Patagons, et seulement de la taille ordinaire des hommes. M. P. observe avec raison le peu de propor- tion qui se trouve entre les mesures de ces hom- mes gigantesques, données par différents voya- geurs : qui croirait, dit-il, que les différents voyageurs qui parlent des Patagons, varient entre eux de quatre-vingt-quatre pouces sur leur taille? cela est néanmoins très-vrai, Selon la Giraudais, ils sont hauts d'environ. 6 pieds. Selon Pipafetia .- 2: tele PES ! Voyage autour du monde, par le commodore Byron , chap. HF, pages 54 et suiv. 2 Jbidem. chap. VIL, page 107. DE L'HOMME. Selon Byron sw soso sense 9 SO RE du eines > es . 10 Selon Jautzon. . . . . ras se ne 11 Selon Argensola. . ....... cad de 15 Ce dernier serait, suivant M. P., le plus men- teur de tous, et M. de La Giraudais le seul des six qui ft véridique. Mais indépendamment de ce que le pied est fort différent chez les diffé- rentes nations, je dois observer que Byron dit seulement que le premier Patagon qui s'appro- cha de lui était d'une taille gigantesque, et que sa hauteur paraissait être de sept pieds anglais : ainsi la citation de M. P. n’est pas exacte à cet égard. Samuel Wallis, dont on a imprimé la relation à la suite de celle de Byron, s'exprime avec plus de précision. « Les plus grands, dit-il, étant mesurés , ils se trouvèrent avoir six pieds sept pouces , plusieurs autres avaient six pieds cinq pouces, mais le plus grand nombre n'a- vaient que cinq pieds dix pouces. Leur teint est couleur de cuivre foncé; ils ont les cheveux droits et presque aussi durs que des soies de co- chon..…. Ils sont bien faits et robustes: ils ont de gros ôs ; mais leurs pieds et leurs mains sont d'une petitesse remarquable... Chacun avait à sa ceinture une arme de trait d’une espèce sin- gulière: c'étaient deux pierres rondes couvertes de cuir et pesant chacune environ une livre, qui étaientattachées aux deux bouts d’une corde d'environ huit pieds de long; ils s’en servent comme d'une fronde, en tenant une des pierres dans la main et faisant tourner l’autre autour de la tête jusqu'à ce qu'elle ait acquis une force suffisante; alors ils la lancent contre l’objet qu'ils veulent atteindre; ils sont si adroits à manier cette arme, qu'à la distance de quinze verges ils peuvent frapper un but qui n’est pas plus grand qu'un schilling. Quand ils sont à la chasse du guanaque (le lama), ils jettent leur fronde de manière que la corde rencontrant les jambes de l'animal , les enveloppe par la force de la rotation et du mouvement des pierres , et l'arrête !. » Le premier ouvrage où l'on ait fait mention des Patagons, est la relation du voyage de Magellan, en 1519 ; et voici ce qui se trouve sur ce sujet, dans l’abrégé que Harris a fait de cette relation. « Lorsqu'ils eurent passé la ligne et qu'ils virent le pôle austral, ils continuèrent leur route * Voyage de Samuel Wallis, chap. 4, page 13. 455 sud et arrivèrent à la côte du Brésil environ au vingt-deuxième degré ; ils observèrent que tout ce pays était un continent, plus élevé depuis le cap Saint-Augustin. Ayant continué leur na- vigation encore à deux degrés et demi plus loin toujours sud , ils arrivèrent à un pays habité par un peuple fort sauvage, et d'une stature prodigieuse ; ees géants faisaient un bruit ef- froyable , plus ressemblant au mugissement des bœufs qu'à des voix humaines. Nonobstant leur taille gigantesque, ils étaient si agiles qu'aucun Espagnol ni Portugais ne pouvait les atteindre à la course. » J'observerai que, d’après cette relation, il semble que ces grands hommes ont été trouvés à vingt-quatre degrés et demi de latitude sud : cependant à la vue de la carte, il parait qu'il y a ici de l'erreur; car le cap Saint-Augustin, que la relation place à vingt-deux degrés de latitude sud , se trouve sur la carte à dix degrés, de sorte qu'il est douteux si ces premiers géants ont été rencontrés à douze degrés et demi ou à vingt- quatre degrés et demi; car si c'est à deux de- grés et demi au-delà du cap Saint-Augustin , ils ont été trouvés à douze degrés et demi ; mais si c'est à deux degrés et demi au-delà de eette partie à l'endroit de la côte du Brésil que l'au- teur dit être à vingt-deux degrés, ils ont été trouvés à vingt-quatre degrés et demi : telle est l'exactitude d'Harris. Quoi qu'il en soit, la re- lation poursuit ainsi : « IIS poussèrent ensuite jusqu'à quarante- neuf degrés et demi de latitude sud, où la ri- gueur du temps les obligea de prendre des quar- tiers d'hiver et d'y rester einq mois. Ils crurent longtemps le pays inhabité; mais enfin un sau- vage des contrées voisines vint les visiter ; il avait l'air vif, gai, vigoureux, chantont et dan- sant tout le iong du chemin. Étant arrivé au port, il s'arrêta et répandit de la poussière sur sa tête ; sur cela quelques gens du vaisseau des- cendirent, allèrent à lui, et ayant répandu de même de la poussière sur leur tête, il vint avec eux au vaisseau sans crainte ni soupeon : sa taille était si haute que la tète d'un homme de taille moyenne de l'équipage de Magellan ne lui allait qu'à la ceinture, et il était gros à proportion. « Magellan fit boire et manger ce géant, qui fat fort joyeux jusqu'à ce qu'il eût regardé par hasard un miroir qu'on lui avait donné avec d'autres bagatelles; il tressaillit et, reculant d’ef- froi, il renversa deux hommes quise trouvaient 456 près de lui. Il fut longtemps à se remettre de sa frayeur. Nonobstant cela il se trouva si bien avec les Espagnols que ceux-ci eurent bientôt la compagnie de plusieurs de ces géants , dont l'un surtout se familiarisa promptement, et montra tant de gaieté et de bonne humeur, que les Européens se plaisaient beaucoup avec lui. « Magellan eut envie de faire prisonniers quel- ques-uns de ces géants; pour cela, on leur rem- plit les mains de divers colifichets, dont ils pa- raissaient carieux, et pendant qu'ils les exami- naient on leur mit des fers aux pieds : ilserurent d'abord que c'était une autre curiosité et paru- rent s'amuser du cliquetis de ces fers, mais quand ils se trouvèrent serrés et trahis, ils im- plorèrent le secours d’un être invisible et supé- rieur, sous le nom de Sefebos. Dans cette occa- sion leur force parut proportionnée à leur sta- ture ; car l'un deux surmonta tous les efforts de neuf hommes , quoiqu'ils l’eussent terrassé et qu'ils lui eussent fortement lié les mains : il se débarrassa de tous ses liens ets’échappa malgré tout ce qu'ils purent faire : leur appétit était proportionné aussi à leur taille : Magellan les nomma Palagons. » l Tels sont les détails que donne Harris tou- chant les Patagons, après avoir, dit-il, pris les plus grandes peines à comparer les relations des divers écrivains Espagnols et Portugais. Il est ensuite question de ces géants dans la relation d'un voyage autour du Monde, par Thomas Cavendish, dont voici l'abrégé par le même Harris. « En faisant voile du cap Frio dans le Bré- sil, ils arrivèrent sur la côte d'Amérique à qua- rante-septdegrés vingt minutes de latitude sud. Ilsavancèrent jusqu'au port Désiré, à cinquante degrés de latitude. Là, les sauvages leur bles- sèrent deux hommesavec des flèches quiétaient faites deroseau etarmées de caillou.C’étaientdes gens sauvages et grossiers, et, à ce qu'il parut, une race de géants, la mesure d'un de leurs pieds ayant dix-huit pouces de long; ce qui, en suivant la proportion ordinaire, donne environ sept pieds et demi pour leur stature. » Harris ajoute que cela s'accorde parfaitement avec le récit de Magellan : mais dans son Abré- gé de la relation de Magellan, il dit que la tète d'un homme de taille moyenne de l'équipage de Magellan n'atteignait qu'à la ceinture d'un Patagon ; or, en supposant que cet homme eût HISTOIRE NATURELLE seulement cinq pieds ou cinq pieds deux pou- ces, cela fait au moins huit pieds et demi pour la hauteur du Patagon. Il dit, à la vérité, que Magellan les nomma Patagons , parce que leur stature était de cinq coudées ou sept pieds six: pouces. Mais si cela est, il y a contradiction dans son ‘propre récit. Il ne dit pas non plus dans quelle langue le mot patagon exprime cette stature. Sebald de Noort, Hollandais, dans son voyage autour du Monde , aperçut dans une ile voisine du détroit de Magellan sept canots, à bord des- quels étaient des sauvages qui lui parurent avoir dix à onze pieds de hauteur. Dans la relation du voyage de George Spil- berg il est dit que sur la côte de la Terre-de- Feu, qui est au sud du détroit de Magellan, ses gens virent un homme d’une stature gigantes- que, grimpant sur les montagnes pour regarder la flotte : mais quoiqu'ils allassent sur le rivage, ils ne virent point d’autres créatures humaines, seulement ils virent des tombeaux contenant des cadavres de taille ordinaire ou même au- dessous ; et les sauvages qu'ils virent de temps à autre dans des canots leur parurent au-des- sous de six pieds. Frézier parle de géants , au Chili, de neuf ou dix pieds de hauteur. M. Le Cat rapporte qu'au détroit de Magel- lan, le 17 décembre 1615, on vit, au port Dé- siré , des tombeaux couverts par des tas de pierres, et qu'ayant écarté ces pierres et ouvert ces tombeaux, on y trouva des squelettes hu- mains de dix à onze pieds. Le P. d'Acuna parle de géants de seize pal- mes de hauteur, qui habitent vers la source de la rivière de Cuchigan. M. de Brosse, premier président du parle- ment de Bourgogne! , parait être du sentiment de ceux qui croient à l'existence des géants pa- tagons, et il prétend, avec quelque fondement, que ceux qui sont pour la négative n'ont pas vu les mêmes hommes ni dans les mêmes en- droits. « Observons d'abord, dit-il, que la plupart de ceux qui tiennent pour l’affirmative parlent des peuples patagons, habitants des côtes de l'Amérique méridionale à l’est et à l’ouest; et qu'au contraire la plupart de ceux qui soutien- nent la négative parlent des habitants du dé- {Histoire des Navigations aux terres Australes, tome UJ, pages 327 et suivantes. DE L'HOMME. troit à la pointe de l'Amérique sur les côtes du nord et du sud. Les nations de l'un et de l'au- tre cantons ne sont pas les mêmes. Si les pre- miers ont été vus quelquefois dans le détroit, cela n'a rien d'extraordinaire à un si médiocre éloignement du port Saint-Julien, où il parait qu'est leur habitation ordinaire. L'équipage de Magellan les y a vus plusieurs fois , a commer- cé avec eux, tant à bord des navires que dans leurs propres cabanes. » M. de Brosse fait ensuite mention des voya- geurs qui disent avoir vu ces géants patagons : il nomme Loise, Sarmiente, Nodal, parmi les Espagnols ; Cavendish, Hawkins, Knivet, par- ini les Anglais ; Sebald de Noort, Le Maire, Spilberg , parmi les Hollandais ; nos équipages des vaisseaux de Marseille et de Saint-Malo, parmi les Français. Il cite, comme nous ve- nons de le dire, des tombeaux qui renfermaient des squelettes de dix à onze pieds de haut. « Ceci, dit-il avec raison, est un examen fait de sang-froid , où l'épouvante n’a pu gros- sir les objets. Cependant Narbrugh.. nie for- mellement queleur taille soit gigantesque... Son témoignage est précis à cet égard, ainsi que ce- lui de Jacques l'Hermite, sur les naturels de la Terre-de-Feu , qu'il dit être puissants , bien proportionnés , à peu près de la même gran- deur que les Européens. Enfin parmi ceux que M. de Gennes vit au port de Famine, aucun n'avait six pieds de haut. « En voyant tous ces témoignages pour et contre , on ne peut guère se défendre de croire que tous ont dit vrai; c'est-à-dire que chacun a rapporté les choses telles qu'il les a vues; d'où il faut conclure que l'existence de cette espèce d'hommes particulière est un fait réel, et que ce n'est pas assez pour les traiter d’apo- cryphes , qu'une partie des marins n'ait pas apereu,ce que les autres ont fort bien vu. C'est aussi l'opinion de M. Frézier, écrivain judi- cieux , qui a été à portée de rassembler les té- moignages sur les lieux mêmes. « Il parait constant que les habitants des deux rives du détroit sont de taille ordinaire, et que l'espèce particulière (les Patagons gigan- tesques) faisait, il y a deux siècles, sa demeure habituelle sur les côtes de l’est et de l'ouest, plusieurs degrés au-dessus du détroit de Ma- gellan.… Probablement la trop fréquente arri- vée des vaisseaux sur ce rivage les a détermi- nés depuis à l’abandonner tout à fait, ou à n'y 457 venir qu'en certain temps de l’année, et à faire, comme on nous le dit , leur résidence dans l'in- térieur du pays. Anson présume qu'ils habitent dans les Cordilières vers la côte d'occident, d'où ils ne viennent sur le bord criental que par in- tervalles peu fréquents , tellement que, si les vaisseaux qui depuis plus de cent ans ont tou- ché sur la côte des Patagons n’en ont vu que si rarement, la raison, selon les apparences, est que ce peuple farouche et timide s'est éloigné du rivage de la mer depuis qu'il y voit venir si fréquemment des vaisseaux d'Europe, et qu'il s'est, à l'exemple de tant d’autres nations in- diennes , retiré dans les montagnes pour se dé- rober à la vue des étrangers. » On a pu remarquer, dans mon ouvrage, que j'ai toujours paru douter de l'existence réelle de ce prétendu peuple de géants. On ne peut être trop en garde contre les exagérations, sur- tout dans les choses nouvellement découvertes : néanmoins je serais fort porté à croire, avec M. de Brosse, que la différence de grandeur donnée par les voyageurs aux Patagons ne vient que de ce qu'ils n'ont pas vu les mêmes hommes, ni dans les mêmes contrées, et que tout étant bien comparé, il en résulte que de- puis le vingt-deuxième degré de latitude sud jusqu’au quarante ou quarante-cinquième il existe en effet une race d'hommes plus haute et plus puissante qu'aucune autre dans l'univers. Ces hommes ne sont pas tous des géants, mais tous sont plus hauts et beaucoup plus larges et plus carrés que les autres hommes ; et comme il se trouve des géants presque dans tous les climats, de sept pieds ou sept pieds et demi de grandeur, il n'est pas étonnant qu'il s’en trouve de neuf et dix pieds parmi les Patagons. . Des Américains. A l'égard des autres nations qui habitent l'in- térieur du nouveau continent, il me parait que M. P. prétend et affirme sans aucun fondement qu’en général tous les Américains , quoique lé- gers et agiles à la course, étaient destitués de force, qu'ils succombaient sous le moindre far- deau, que l'humidité de leur constitution est cause qu'ils n’ont point de barbe, et qu'ils ne sont chauves que parce qu'ils ont le tempéra- | ment froid (page 42); et plus loin, il dit que c'est parce que les Américains n’ont point de barbe qu'ils ont comme les femmes de longues 458 HISTOIRE NATURELLE chevelures ; qu'on n'a pas vu un seul Améri- cain à cheveux crépus ou bouclés; qu'ils ne grisonnent presque jamais et ne perdent leurs cheveux à aucun âge (page 60), tandis qu’il vient d'avancer (page 42) que l'humidité de leur tempérament les rend chauves; tandis qu'il ne devait pas ignorer que les Caraïbes, les Iroquois , les Hurons, les Floridiens , les Mexi- cains, les Tlascaltèques, les Péruviens, ete., étaient des hommes nerveux, robustes et mème plus courageux que l'infériorité de leurs ar- mes à celles des Européens ne semblait le per- mettre. Le même auteur donne un tableau généalo- gique des générations mêlées des Européens et des Américains, qui, comme celui du mélange des nègres et des blancs, demanderait caution, et suppose au moins des garants, que M. P. ne cite pas. Il dit : ‘ « 19 D'une femme européenne et d’un sau- vage de la Guyane naissent les métis, deux quarts de chaque espèce ; ils sont basanés, et les garcons de cette première combinaison ont de la barbe , quoique le père américain soit im- berbe : l'hybride tient done cette singularité du sang de sa mère seule. « 2° D'une femme européenne et d'un métis provient l'espèce quarteronne; elle est moins ba- sanée, parce qu'il n'y a qu'un quart de l'Amé- ricain dans cette génération. « 39 D'une femme européenne et d'un quar- teron où quart d'homme vient l'espèce octa- vone qui a une huitième partie du sang améri- cain; elle est très-faiblement hâlée , mais assez pour être reconnue d'avec les véritables hom- mes blanes de nos climats , quoiqu’elle jouisse des mêmes priviléges en conséquence de la bulle du pape Clément XI. « 4° D'une fenime européenne et de l'octa- von mâle sort l'espèce que les Espagnols nom- ment puchuella. Elle est totalement blanche, et l'on ne peut pas la discerner d'avec les Eu- ropéens. Cette quatrième race , qui est la race parfaite, a les yeux bleus ou bruns, les che- veux blonds ou noirs, selon qu'ils ont été de l'üne ou de l'autre couleur dans les quatre mè- res qui ont servi dans cette filiation !. » J'avoue que je n'ai pas assez de connaissances pour pouvoir confirmer ou infirmer ces faits, dont je douterais moins si cet auteur n’en eût “Recherches sur les Américains, tome 1, page 241. pas avancé un très-grand nombre d’autres qui se trouvent démentis , ou directement opposés aux choses les plus connues et les mieux con- statées. Je ne prendrai la peine de citer ici que les monuments des Mexicains et des Péruviens, dont il nie l'existence, et dont néanmoins les vestiges existent encore et démontrent la gran- deur etle génie de ces peuples qu'il traite comme des êtres stupides, dégénérés de l'espèce hu- maine , tant pour le corps que pour l’entende- ment. Il parait que M. P. a voulu rapporter à cette opinion tous les faits ; il les choisit dans cette vue. Je suis fâché qu'un homme de mé- rite, et qui d’ailleurs paraît être instruit, se soit livré à cet excès de partialité dans ses juge- ments , et qu'il les appuie sur des faits équivo- ques. N'a-t-il pas le plus grand tort de blâmer aigrement les voyageurs et les naturalistes qui ont pu avancer quelques faits suspects, puis- que lui-même en donne beaucoup qui sont plus que suspects? Il admet et avance ces faits, dès qu'ils peuvent favoriser son opinion; il veut qu’on le croie sur parole et sans citer de garants. Par exemple, sur ces grenouilles qui beuglent, dit-il, comme des veaux; sur la chair de l’iguane qui donne le mal vénérien à ceux qui la man- gent; sur le froid glacial de la terre à un ou deux pieds de profondeur, etc. Il prétend que les Américains en général sont des hommes dé- générés ; qu'il n’est pas aisé de concevoir que des êtres, au sortir de leur création, puissent être dans un état de décrépitude ou de caduci- té! , et que c’est là l'état des Américains; qu'il n'y a point de coquilles ni d’autres débris de la mer sur les hautes montagnes, ni même sur celles de moyenne hauteur ?; qu'il n'y avait point de bœufs en Amérique avant sa décou- verte*; qu'il n'y a que ceux qui n'ont pas as- sez réfléchi sur la constitution du climat de l’A- mérique, qui ont cru qu'on pouvait regarder comme très-nouveaux les peuples de ce conti- nent; qu'au-delà du quatre-vingtième degré de latitude, des êtres constitués comme nous ne sauraient respirer pendant les douze mois de l’année, à cause de la densité de l'atmos- phère®; que les Patagons sont d'une taille pareille à celle des Européens, ete. Mais il 4 Recherches sur les Américains, tome I, page ?A. 2 Idem, ibidem, page 25. 5 Idem, ibidem, page 153, 4 Idem, ibidem, page 258. Idem, ibidem, page 296. ® Idem, ibidem, page 581. | DE L'HOMME. est inutile de faire un plus long dénombre- ment de tous les faits faux ou suspects que cet auteur s'est permis d'avancer avec une con- fiance qui indisposera tout lecteur ami de la vérité. L'imperfection de nature qu'il reproche gra- tuitement à l'Amérique en général ne doit por- ter que sur les animaux de la partie méridionale de ce continent, lesquels se sont trouvés bien plus petits et tout différents de ceux des parties méridionales de l’ancien continent. « Et cette imperfection, comme le dit très- bien le judicieux et éloquent auteur de l'His- toire des deux Indes, ne prouve pas la nou- veauté de cet hémisphère, mais sa renaissance ; il a dù être peuplé dans le même temps que l'ancien, mais il a pu être submergé plus tard. Les ossements d’éléphants, de rhinocéros, que l'on trouve en Amérique, prouvent que ces animaux y ont autrefois habité ! Il est vrai qu'il y a quelques contrées de l'Amérique méridionale, surtout dans les par- ties basses du continent, telles que la Guyane, l'Amazone, les terres basses et l'isthme, etc., où les naturels du pays paraissent être moins robustes que les Européens: mais c'est par des causes locales et particulières. A Carthagène, les habitants, soit indiens, soit étrangers, vivent pour ainsi dire dans un bain chaud pendant six moisdel'été; une transpiration trop forte et con- tinuelle leur donne la couleur pâle et livide des malades. Leurs mouvements se ressentent de la mollesse du climat, qui relàcae les fibres. On s'en aperçoit même par les paroles qui sortent de leur bouche à voix basse et par de longs et fréquents intervalles ?. Dans la partie de l'A- mérique située sur les bords de l'Amazone et du Napo, les femmes ne sont pas fécondes, et leur stérilité augmente lorsqu'on les faitchanger de climat ; elles se font néanmoins avorter assez souvent. Les hommes sont faibles et se bai- gnent trop fréquemment pour pouvoir acquérir des forces; le climat n’est pas sain et les ma- ladies contagieuses y sont fréquentes. Mais on doit regarder ces exemples comme des excep- tions, ou, pour mieux dire,des différences com- munes aux deux continents; car dans l'ancien, les hommes des montagnes et des contrées élevées sont sensiblement plus forts que 4 Histoire philosophique et politique, tome VI, page 292. 2 Histoire philosophique, tome JL, page 292. ° Idem, ibidem, page 515. 459 les habitants des côtes et des autres terres | basses. En général, tous les habitants de l'Amé- rique septentrionale, et ceux des terres éle- vées dans la partie méridionale, telles que le Nouveau-Mexique, le Pérou, le Chili, ete., étaient des hommes peut-être moins agissants, mais aussi robustes que les Européens. Nous savons par un témoignage respectable, par le célèbre Franklin, qu'en vingt-huit ans la popu- lation ; sans secours étrangers, s’est doublée à Philadelphie. J'ai done bien de la peine à me rendre à une espèce d'imputation que M. Kalm fait à cette heureuse contrée. Il dit ! qu'à Phi- ladelphie , on croirait que les hommes n'y sont pas de la même nature que les Européens. « Selon lui, leur corps et leur raison sont bien plus tôt formés; aussi vieillissentils de meilleure heure. Il n'est pas rare d'y voir des en- fants répondre avec tout le bon sens d’un âge mür; mais il ne l'est pas moins d'y trouver des vieillards octogénaires. Cette dernière obser- vation ne porte que sur les colons ; car les an- ciens habitants parviennent à une extrême vieillesse, beaucoup moins pourtant depuis qu'ils boivent des liqueurs fortes. Les Euro- péens y dégénèrent sensiblement. Dans la der- hière guerre, l'on observa que les enfants des Européens, nés en Amérique, n’étaient pas en état de supporter les fatigues de la guerre et le changement de climat comme ceux qui avaient été élevés en Europe. Dès l'âge de trente ans les femmes cessent d'y être fécondes. » Dans un pays où les Européens multiplient si promptement, où la vie des naturels du pays est plus longue qu'ailleurs, il n’est guère pos- sible que les hommes dégénèrent ; et je crains que cette observation de M. Kalm ne soit aussi mal fondée que celle de ces serpents qui, se- lon lui, enehantent les écureuils et les obligent par la force du charme de venir tomber dans leur gueule. On n'a trouvé que des hommes forts et ro- bustes en Canada et dans toutes les autres con- trées de l'Amérique septentrionale; toutes les relations sont d'accord sur cela. Les Califor- niens, qui ont été découverts les derniers, sont bien faits et fort robustes; ils sont plus basanés que les Mexicains , quoique sous un climat plus tempéré ?; mais cette différence provient de ce 1 Voyage en Amérique, par M. Kalm. Journal étranger, juillet 1761. 2 Histoire philosophique et politique, tome VI, page 542. 460 que les côtes de la Californie sont plus basses que les parties montagneuses du Mexique, où les habitants ont d'ailleurs toutes les commodités de la vie qui manquent aux Californiens. Au nord de la presqu'ile de Californie s'e- tendent de vastes terres découvertes par Drake en 1578, auxquelles il a donné le nom de Nou- velle-Albion; et au-delà des terres découvertes par Drake, d'autres terres dans le même con- tinent, dont les côtes ont été vues par Martin d'Aguilar en 1603. Cette région a été reconnue depuis en plusieurs endroits des côtes du qua- | rantième degré de latitude jusqu'au soixante- cinquième, c'est-à-dire à la même hauteur que les terres de Kamtschatka par les capitaines | Tschirikow et Behring. Ces voyageurs russes ont découvert plusieurs terres qui s'avancent au-delà vers la partie de l'Amérique qui nous est encore très-peu connue. M. Krassinikoff, | professeur à Pétersbourg, dans sa description de Kamtschatka, imprimée en 1749, rapporte | les faits suivants : « Les habitants de la partie de l'Amérique la | plus voisine de Kamtschatka sont aussisauvages | queles Koriaques ou les Tsuktschi. Leur stature | est avantageuse ; ils ont les épaules larges et rondes, les cheveux longs et noirs, les yeux aussi noirsque lejais, les)èvres grosses, la barbe faible et le cou court. Leurs culottes et leurs bottes, qu'ils font de peaux de veaux marins, et leurs | chapeaux faits de plantes pliées en forme de para- sols , ressemblent beaucoup à ceux des Kamts- . : | chadales. Ils vivent comme eux de poisson, de veaux marins et d'herbes douces, qu'ils prépa- | rent de même. Ils font sécher l'écorce tendre du peuplier et du pin qui leur sert de nourriture dans les cas de nécessité: ces mêmes usages sont connus, non-seulement à Kamtschatka, mais aussi dans toute la Sibérie et la Russie jusqu'à Viatka. Mais les liqueurs spiritueu- ses et le tabac ne sont point connus dans cette partie nord-ouest de l'Amérique, preuve certaine que les habitants n'ont point eu précé- demment de communication avec les Euro- péens. Voici, ajoute M. Krassinikoff, les res- semblances qu'on aremarquées entre les Kamts- chadales et les Américains. « 1° Les Américains ressemblent aux Kamnts- chadales par la figure. « 2° Ils mangent de l'herbe doucede la même manière que les Kamtschadales : chose qu'on u'a point remarquée ailleurs. HISTOIRE NATURELLE » 3° Ils se servent de la même machine de bois pour allumer le feu. « 4° On à plusieurs motifs pour imaginer | qu'ils se servent de haches faites de pierres ou d'os; et ce n'est pas sans fondement que Steller imagine qu'ils avaient autrefois communication avec le peuple de Kamtschatka. «5° Leurs habits et leurs chapeaux ne dif- - fèrent aucunement de ceux des Kamtscha- dales. « 60 Ils teignent les peaux avec le jus de l’aune, ainsi que cela est d'usage à Kamtschatka. « 79 Ils portent pour armes un arc et des flè- ches : on ne peut pas dire comment l’are est fait, car jamais on n’en a vu; mais les flèches sont longues et bien polies : ce qui fait croire qu'ils se servent d'outils de fer. (Nofa. Ceci parait être en contradiction avec l’article 4.) « 89 Ces Américains se servent de canots faits de peaux, comme les Koriaki et Tsuktschi, qui ont quatorze pieds de long sur deux de haut : les peaux sont de chiens marins, teintes d'une couleur rouge. Ils se servent d’une seule rame, avec laquelle ils vontavee tant de vitesse que les vents contraires ne les arrêtent guère, même quand la mer est agitée. Leurs canots sont si légers qu'ils les portent d’une seule main. « 9° Quand les Américains voient sur leurs côtes des gens qu'ils ne connaissent point , ils rament vers eux et font un grand discours: mais on ignore si c'est quelque charme ou une céré- monie particulière usitée parmi eux à la récep- tion des étrangers; car l’un et l’autre usage se trouvent aussi chez les Kuriles. Avant de s'ap- procher ils se peignent le visage avec du crayon noir, et se bouchent les narines avec quelques herbes. Quand ils ont quelque étranger parmi eux , ils paroissent affables et veulent converser avec lui, sans détourner les yeux de dessus les siens. Ils le traitent avec beaucoup de soumis- sion, et lui présentent du gras de baleine, et du plomb noir, avec lequel ils se barbouillent le visage, sazs doute parce qu'ils croient que ces choses sont aussi agréables aux étrangers qu'à eux-mêmes !. » J'ai cru devoir rapporter ici tout ce qui est parvenu à ma connaissance de ces peuples sep- tentrionaux de la partie occidentale du nord de l'Amérique ; mais j'imagine que les voyageurs ! Journal étranger, mois de novembre 4764. RS DE L'HOMME. russes, qui ont découvert ces terres en arrivant par les mers au-delà desKamtschatka, ont donné des descriptions plus précises de cette contrée, à laquelle il semble qu'on pourrait également arriver par l’autre côté, c'est-à-dire par la baie de Hudson ou par celle de Baffin. Cette voie a cependant été vainement tentée par la plupart des nations commercantes, et surtout par les Anglais et les Danois; et il est à présumer que ce sera par l’orient qu'on achè- vera la découverte de l'occident, soit en par- tant de Kamtschatka , soit en remontant du Japon ou des iles des Larrons, vers le nord et le nord-est. Car l’on peut présumer, par plusieurs raisons que j'ai rapportées ailleurs, que les deux continents sont contigus, ou du moins très-voisins vers le nord à lorient de l'Asie. Je n'ajouterai rien à ce que j'ai dit des Es- quimaux , nom sous lequel on comprend tous les sauvages qui se trouvent depuis la terre de Labrador jusqu'au nord de l'Amérique, et dont les terres se joignent probablement à celles du Groënland. On a reconnu que les Esquimaux ne diffèrent en rien des Groënlandais, et je ne doute pas, dit M. P., que les Danois, en s'ap- prochant davantage du pôle, ne s’apercoivent un jour que les Esquimaux et les Groënlandais communiquent ensemble. Ce même auteur pré- sume que les Américains occupaient le Groën- land avant l'année 700 de notre ère, et il ap- puie sa conjecture sur ce que les Islandais et les Norvégiens trouvèrent , dès le huitième siècle, dans le Groënland , des habitants qu'ils nom- mèrent Skralins. Ceci me parait prouver seu- lement que le Groënland a toujours été peuplé, et qu'il avait, comme toutes les autres contrées de la terre, ses propres habitants, dont l'espèce ou la race se trouve semblable aux Esquimaux, aux Lapons, aux Samoïèdes et aux Koriaques, parce que tous ces peuples sont sous la méme zone, et que tous en ont recu les mêmes im- pressions. La seule chose singulière qu'il y ait par rapport au Groënland , c’est, comme je l'ai déjà observé , que cette partie de la terre ayant été connue il y a bien des siècles, et même habi- tée par des colonies de Norvécse, du côté orien- tal qui est le plus voisin de l'Europe, cette même côte est aujourd'hui perdue pour nous, inabordable par les glaces; et quand le Groën- land a été une seconde fois découvert dans des temps plus modernes, cette seconde découverte 461 s’est faite par la côte d’occident qui fait face à l'Amérique , et qui est la seule que nos vais- seaux fréquentent aujourd'hui. Si nous passons de ces habitants des terres arctiques à ceux qui, dans l’autre hémisphère, sont les moins éloignés du cercle antarctique, nous trouverons que, sous la latitude de cin- quante à cinquante-cinq degrés , les voyageurs disent que le froid est aussi grand et les hom- mes encore plus misérablesqueles Groënlandais ou les Lapons, qui néanmoins sont de vingt degrés, c'est-à-dire de six cents lieues plus près de leur pôle. « Les habitants de la Terre-de-Feu , dit M. Cook, logent dans des cabanes faites gros- sièrement avec des pieux plantés en terre, in- clinés les uns vers les autres par leur sommet, et formant une espèce de cône semblable à nos ruches. Elles sont recouvertes, du côté du vent, par quelques branchages et par une espèce de foin. Du côté sous le vent, il y a une ouverture d'environ la huitième partie du cercle, et qui sert de porte et de cheminée. Un peu de foin répandu à terre, sert tout à la fois de siéges et de lits. Tous leurs meubles consistent en un panier à porter à la main, un sac pendant sur leur dos, et la vessie de quelque animal pour contenir de l'eau. « Ils sont d'une couleur approchant de la rouille de fer mêlée avec de l'huile : ils ont de longs cheveux noirs. Les hommes sont gros et mal faits; leur stature est de cinq pieds huit à dix pouces. Les femmes sont plus petites et ne passent guére cinq pieds : toute leur parure con- siste dans une peau de guanaque (lama) ou de veau marin, jetée sur leurs épaules dans le même état où elle a été tirée de dessus l'animal; un morceau de la même peau qui leur enveloppe les pieds et qui se ferme comme une bourse au- dessus de la cheville , et un petit tablier, qui tient lieu aux femmes de la feuille de fiquier. Les hommes portent leur manteau ouvert; les femmes le lient autour de la ceinture avec une courroie : mais, quoiqu'elles soient à peu près nues , elles ont un grand désir de paraitre belles. Elles peignent leur visage, les parties voisines des yeux communément en blane , et le reste en lignes horizontales rouges et noires ; mais tous les visages sont peints différemment. « Les hommes et les femmes portent des bra- celets de grains , tels qu'ils peuvent les faire avec de petites coquilles et des os : les femmes 462 en ont un au poignet et au bas de la jambe, les hommes au poignet seulement. « I parait qu'ils se nourrissent de coquilla- ges : leurs côtes sont néanmoins abondantes en veaux marins, mais ils n'ont point d'instru- ments pour les prendre. Leurs armes consistent en un arc et des flèches, qui sont d’un bois bien poli, et dont la pointe est de caillou. « Ce peuple parait être errant, car aupara- vant on avait vu des huttes abandonnées; et d'ailleurs les coquillages étant une fois épuisés dans un endroit de la côte, ils sont obligés d'aller s'établir ailleurs : de plus, ils n’ont ni bateaux ni canots, ni rien de semblable. En tout ces hommes sont les plus misérables et les plus stupides des créatures humaines ; leur eli- mat est si froid, que deux Européens y ont péri au milieu de l'été‘. » On voit, par ce récit, qu'il fait bien froid dans cette Terre-de-Feu, qui n’a été ainsi ap- pelée que pour quelques volcans qu'on y a vus de loin. On sait d’ailleurs que l'on trouve des glaces dans ces mers australes dès le quarante- septième degré en quelques endroits, et en gé- néral on ne peut guère douter que l'hémisphère austral ne soit plus froid que le boréal, parce que le soleil y fait un peu moins de séjour, et aussi parce que cet hémisphère austral est com- posé de beaucoup plus d'eau que de terre, tan- dis que notre hémisphère boréal présente plus de terre que d’eau. Quoi qu'il en soit, ces hom- mes de la Terre-de-Feu , où lon prétend que le froid est si grand et où ils vivent plus miséra- blement qu'en aucun lieu du monde, n'ont pas perdu pour cela les dimensions du corps : et comme ils n'ont d'autres voisins que les Pata- gons, lesquels, déduction faite de toutes les exagérations , sont les plus grands de tous les hommes connus, on doit présumer que ce froid du continent austral a été exagéré , puisque ses impressions sur l'espèce humaine ne se sont pas marquées. Nous avons vu par les observations citées précédemment, que dans la Nouvelle- Zemble , qui est de vingt degrés plus voisine du pôle aretique que la Terre-de-Feu ne l'est de l’antarctique ; nous avons vu, dis-je, que ce n'est pas la rigueur du froid, mais l'humidité malsaine des brouillards qui fait périr les hom- mes : il en doit être de même, et à plus forte { Voyage autour du monde, par M. Cook, tome IT, pages 281 et suivantes, HISTOIRE NATURELLE raison, dans les terres environnées des mers australes, où la brume semble voiler l'air dans toutes les saisons , et le rendre encore plus mal- sain que froid; cela me parait prouvé par le seul fait de la différence des vêtements : les Lapons , les Groënlandais , les Samoïèdes, et tous les hommes des contrées vraiment froides à l'excès, se couvrent tout le corps de fourrures, tandis que les habitants de la Terre-de-Feu et de celle du détroit de Magellan vont presque nus et avec une simple couverture sur les épau- les. Le froid n'y est donc pas aussi grand que dans les terres arctiques ; mais l'humidité de l'air doit y être plus grande , etc'est, très-pro- bablement cette humidité qui a fait périr, même en été, les deux Européens dont parle M. Cook, Insulaires de la Mer du Sud. A l'égard des peuplades qui se sont trouvées dans toutes les iles nouvellement découvertes dans la mer du Sud et sur les terres du conti- nent austral, nous rapporterons simplement ce qu'en ont dit les voyageurs, dont le récit sem- ble nous démontrer que les hommes de nos an- tipodes sont, comme les Américains, tout aussi robustes que nous, et qu'on ne doit pas plus les accuser les uns que les autres d’avoir dégénére. Dans les îles de la mer Pacifique, situées à quatorze degrés cinq minutes latitude sud, et à cent quarante-cinq degrés quatre minutes de longitude ouest du méridien de Londres , le commodore Byron dit avoir trouvé des hommes armés de piques de seize pieds au moins de longueur , qu'ils agitaient d'un air menaçant. Ces hommes sont d'une couleur basanée, bien proportionnés dans leur taille, et paraissent joindre à un air de vigueur une grande agilité : je ne sache pas, dit ce voyageur, avoir vu des hommes si légers à la course. Dans plusieurs autres iles de cette même mer, et particulière- ment dans celles qu'il a nommées //es du Prince de Galles , situées à quinze degrés latitude sud, et cent cinquante-un degrés cinquante-trois minutes longitude ouest ; et dans une autre à laquelle son équipage donna le nom d'éle By- ron, Située à dix-huit degrés dix-huit minutes latitude sud , et cent soixante-treize degrés qua- rante-six minutes de longitude, ce voyageur trouva des peuplades nombreuses. « Ces insulai- res, dit-il, sont d'une taille avantageuse, bien DE L'HOMME. pris et bien proportionnés dans tous leurs mem- bres ; leur teint est bronzé , mais clair ; les traits de leur visage n'ont rien de désagréable; on y remarque un mélange d'intrépidité et d'enjoue- ment, dont on est frappé; leurs cheveux, qu'ils laissent croître, sont noirs; on en voit qui por- tent de longues barbes, d'autres qui n'ont que des moustaches , et d'autres un seul petit bou- quet à la pointe du menton". Dans plusieurs autres iles, toutes situées au- delà de l'équateur, dans cette même mer, le capitaine Carteret dit avoir trouvé des hommes en très-grand nombre, les uns dans des espèces de villages fortifiés de parapets de pierre, les autres en pleine campagne, mais tous armés d'ares, de flèches ou de lances et de massues , tous très-vigoureux et fort agiles; ces hommes vont nus ou presque nus, et il assure avoir ob- servé dans plusieurs de ces iles, et notamment dans celles qui se trouvent à onze degrés dix minutes latitude sud , et à cent soixante-quatre degrés quarante-trois minutes de longitude, que les naturels du pays ont la tête laineuse comme celle des nègres , mais qu'ils sont moins noirs que les nègres de Guinée. Il dit qu'il en est de même des habitants de l'ile d'Egmont, qui est à dix degrés quarante minutes latitude sud, et à cent soixante degrés quarante-neuf minutes de longitude : et encore de ceux qui se trouvent dans les iles découvertes par Abel Tas- man , lesquelles sont situées à quatre degrés trente-six minutes latitude sud , et cent cin- quante-quatre degrés dix-sept minutes de lon- gitude. Elles sont , dit Carteret, remplies d'ha- bitants noirs, qui ont la tête laineuse comme les nègres d'Afrique. Dans les terres de la Nouvelle- Bretagne, il trouva de même que les naturels du pays ont de la laine à la tête comme les nè- gres, mais qu'ils n’en ont ni le nez plat ni les grosses lèvres. Ces derniers, qui paraissent être de la même race que ceux des iles précédentes, poudrent leurs cheveux de blanc et même leur barbe. J'ai remarqué que cet usage de la poudre blanche sur les cheveux se trouve chez les Pa- pous , qui sont aussi des nègres assez voisins de ceux de la Nouvelle- Bretagne. Cette espèce d'hommes noirs, à tête laineuse, semble se trou- ver dans toutes les îles et terres basses, entre l'équateur et le tropique, dans la mer du Sud. * Voyage aulour du monde, par le commodore Byron, tome 1, chapitres VIII et X. 463 Néanmoins dans quelques-unes de ces iles on trouve des hommes qui n'ont plus de laine sur la tête et qui sont couleur de cuivre, c’est-à-dire plutôt rouges que noirs, avec peu de barbe et de grands et longs cheveux noirs : ceux-ci ne sont pas entièrement nus comme les autres dont nous avons parlé; ils portent une natte en forme de ceinture, et quoique les iles qu'ils habitent soient plus voisines de l'équateur , il parait que la chaleur n'y est pas aussi grande que dans toutes les terres où les hommes vorit absolument aus, et où ils ont en même temps de Ja laine au lieu de cheveux !. « Les insulaires d'Otahiti (dit Samuel Waltis) sont grands , bien faits, agiles, dispos et d'une figure agréable. La taille des hommes est en général de cinq pieds sept à cinq pieds dix pou- ces; celle des femmes est de cinq pieds six pouces. Le teint des hommes est basané, leurs cheveux sont noirs ordinairement, et quelque- fois bruns, roux ou blonds ; ce qui est digne de remarque , parce que les cheveux de tous les naturels de l'Asie méridionale , de l'Afrique et de l'Amérique sont noirs; les enfants des deux sexes les ont ordinairement blonds. Toutes les femmes sont jolies, et quelques-unes d’une très- grande beauté. Ces insulaires ne paraissent pas regarder la continence comme une vertu, puis- que leurs femmes vendent leurs faveurs libre- ment en public. Leurs pères, leurs frères les amenaient souvent eux-mêmes. Ils connaissent le prix de la beauté ; car la grandeur des clous qu’on demandait pour la jouissance d’une fem- me était toujours proportionnée à ses charmes. L'habillement des hommes et des femmes est fait d’une espèce d’étoffe blanche? qui ressem- ble beaucoup au gros papier de la Chine: elle est fabriquée comme le papier avee le liber, ou écorce intérieure des arbres, qu'on a mise en macération. Les plumes, les fleurs , les coquil- lages et les perles, font partie de leurs orne- ments : ce sont les femmes surtout qui portent les perles. C’est un usage recu pour les hommes et pour les femmes de se peindre les fesses et le derrière des cuisses avec des lignes noires très- serrées , et qui représentent Gifférentes figures. Les garcons et les filles au-dèssous de douze ans ne portent point ces marques. { Voyage autour du monde, par Carteret, chapitres IV, V et VII. ? On peut voir au Cabinet du Roi, une toilette entière d'une | femme d'Otahiti. 464 « Ils se nourrissent de cochons, de volailles, de chiens et de poissons, qu'ils font cuire; de fruits à pain, de bananes, d'ignames, et d’un autre fruit aigre , qui n'est pas bon en lui-même, mais qui donne un goût fort agréable au fruit à pain grillé, avec lequel ils le mangent souvent. Il y a beaucoup de rats dans l'ile; mais on ne leur en a point vu manger. Ils ont des filets pour la pêche. Les coquilles leur servent de couteaux. Is n'ont point de vases ni poteries qui aillent au feu. 11 paraît qu'ils n’ont point d'autre bois- son que de l'eau. » M. de Bougainville nous a donné des con- naissances encore plus exactes sur ces habitants de l'ile d'Otahiti ou Taiti. Il parait, par tout ce qu'en dit ce célèbre”voyageur, que les Taïtiens parviennent à une grande vieillesse sans aucune incommodité et sans perdre la finesse de leurs sens. « Le poisson et les végétaux , dit-il, font leur principale nourriture; ils mangent rarement de la viande ; les enfants et les jeunes filles n’en mangent jamais. Ils ne boivent que de l’eau, l'odeur du vin et de l'eau-de-vie leur donne de la répugnance; ils en témoignent aussi pour le tabac, pour les épiceries et pour toutes les cho- ses fortes. « Le peuple de Taïti est composé de deux races d'hommes très-différentes , qui cependant ont la mème langue, les mêmes mœurs, et qui paraissent se mêler ensemble sans distinction. La première, et c'est la plus nombreuse, pro- duit des hommes de la plus grande taille; il est ordinaire d'en voir de six pieds et plus; ils sont bien faits et bien proportionnés. Rien ne distingue leurs traits de ceux des Européens, et s'ils étaient vêtus, s'ils vivaient moins à l'air et au grand soleil , ils seraient aussi blancs que nous : en général leurs cheveux sont noirs. « La seconde race est d’une taille médiocre, avec les cheveux crépus et durs comme du crin, la couleur et les traits peu différents de ceux des mulâtres. Les uns et les autres se lais- sent croître la partie inférieure de la barbe; mais ils ont tous les moustaches et le haut des joues rasés : ils laissent aussi toute leur lon- gueur aux ongles, excepté à celui du doigt du milieu de la main droite. Ils ont l'habitude de s'oindre les cheveux ainsi que la barbe avec l'huile de coco. La plupart vont nus sans autre vêtement qu'une ceinture qui leur couvre les parties naturelles ; cependant les principaux HISTOIRE NATURELLE s'enveloppent ordinairement dans une grande pièce d'étoffe, qu'ils laissent tomber jusqu'aux genoux : c’est aussi le seul habillement des fem- mes; comme elles ne vont jamais au soleil sans être couvertes, et qu'un petit chapeau de canne garni de fleurs défend leur visage de ses rayons, elles sont beaucoup plus blanches que les hom- mes : elles ont les traits assez délicats; mais ce qui les distingue, c'est la beauté de leur taille et les contours de leur corps, qui ne sont pas déformés, comme en Europe, par quinze ans de la torture du maillot et des corps. « Au reste, tandis qu'en Europe les femmes se peignent en rouge les joues, celles de Taïti se peignent d’un bleu foncé les reins et les fes- ses; c'est une parure et en même temps une marque de distinction. Les hommes ainsi que les femmes ont les oreilles percées pour porter des perles ou des fleurs de toute espèce; ils sont de la plus grande propreté, et se baignent sans cesse. Leur unique passion est l'amour; le grand nombre de femmes est le seul luxe des riches!. » Voici maintenant l'extrait de la description que le capitaine Cook donne de cette même ile d'Otahiti et de ses habitants; j'en tirerai les faits qu'on doit ajouter aux relations du ca- pitaine Wallis et de M. de Bougainville, et qui les confirment au point de n'en pouvoir douter. « L'ile d'Otahiti est environnée par un récif de rochers de corail?. Les maisons n’y forment pas de villages, elles sont rangées à environ cinquante verges les unes des autres. Cette île, au rapport d'un naturel du pays, peut fournir six mille sept cents combattants. « Ces peuples sont d'une taille et d’une sta- ture supérieure à celle des Européens. Les hommes sont grands; forts, bien membrés et bien faits. Les femmes d'un rang distingué sont, en général, au-dessus de la taille moyenne de ri0s Européennes : mais celles d'une classe inférieure sont au-dessous , et quelques-unes même sont très-petites; ce qui vient peut- être de leur commerce prématuré avec les bommes. « Leur teint naturel est un brun-elair ou olive; il est très-foncé dans ceux qui sont ex- 1 Voyage autour du monde, par M. de Bougainville, tome II, in-8°, pages 75 et suiv. 2 Cette expression , rocher de corail, ne signifie autre chose qu'une roche rougeâtre comme le granit. DE L'HOMME, posés à l'air où au soleil. La peau des femmes d'une classe supérieure est délicate, douce et | 465 Selon lemême voyageur, les habitants de l'ile Huaheine, située à seize degrés quarante-trois polie; la forme de leur visage est agréable, les | minutes latitude sud et à cent cinquante degrés os des joues ne sont pas élevés. Ils n’ont point les yeux creux ni le front proéminent, mais en général ils ont le nez un peu aplati; leurs yeux, et surtout ceux des femmes, sont pleins d'expression, quelquefois étincelants de feu , ou remplis d'une douce sensibilité; leurs dents sont blanches et égales, et leur haleine pure. « Ils ont les cheveux ordinairement raides et un peu rudes. Les hommes portent leur barbe de différentes manières, cependant ils en arra- chent toujours une très-grande partie, et tien- nent le reste très-propre. Les deux sexes ont aussi la coutume d'épiler tous les poils qui crois- sent sous les aisselles. Leurs mouvements sont remplis de vigueur et d’aisance, leur démarche agréable, leurs manières nobles et généreuses, et leur conduite entre eux et envers les étran- gers affable et civile. 11 semble qu'ils sont d’un caractère brave , sincère, sans soupcon ni per- fidie, et sans penchant à la vengeance et à la cruauté; mais ils sont adonnés au vol. On a vu dans cette ile des personnes dont la peau était d’un blane mat; ils avaient aussi les cheveux, la barbe, les sourcils et les cils blancs, les yeux rouges et faibles, la vue courte, la peau tei- gneuse et revêtue d'une espèce de duvet blane ; mais il parait que ce sont de malheureux indi- vidus , rendus anomales par maladies. « Les flûtes et les tambours sont leurs seuls instruments. Ils font peu de cas de la chasteté : les hommes offrent aux étrangers leurs sœurs ou leurs filles par civilité ou en forme de récom- pense. Ils portent la licence des mœurs et de la lubricité à un point que les autres nations, dont on à parlé depuis le commencement du monde jusqu'à présent, n'avaient pas encore atteint. « Le mariage chez eux n’est qu'une conven- tion entre l'homme et la femme, dont les pré- tres ne se mêlent point. Ils ont adopté la circon- cision, sans autre motif que celui de la propreté. Cette opération, à proprement parler, ne doit pas étreappeléecirconcision, parce qu'ils ne font pas au prépuce une amputation circulaire : ils le fen- dent seulement à travers la partie supérieure, pour empêcher qu'il neserecouvresurle gland, etlesprétresseuls peuvent fairecetteopération",. » * Yoyage autour du monde, par le capitaine Cook, tome HN, chapitres 17 et 18. [LEP cinquante-deux minutes longitude ouest, res- semblent beaucoup aux Otahitiens pour la fi- gure, l'habillement, le langage et toutes les autres habitudes. Leurs habitations, ainsi qu'à Otahiti, sont composées seulement d'un toit soutenu par des poteaux. Dans cette ile, qui n'est qu'à trente lieues d'Otahiti, les hommes semblent être plus vigoureux et d'une stature encore plus grande; quelques-uns ont jusqu'à six pieds de haut et plus ; les femnses y sont très- jolies. Tous ces insulaires se nourrissent de co- cos, d'ignames, de volailles, de cochons, qui y sont en grand nombre; et ils parlent tous la même langue, et cette langue des iles de la mer du Sud s’est étendue jusqu'à la Nouvelle- Zélande. Habitants des lerres Australes. Pour ne rien omettre de ce que l'on connait sur les terres australes, je crois devoir donner ici par extrait ce qu'il y a de plus avéré dans les découvertes des voyageurs qui ont successive- ment reconnu les côtes de ces vastes contrées , et finir par ce qu'en a dit M. Cook qui, lui seul, a plus fait de découvertes que tous les naviga- teurs qui l'ont précédé. Il parait, par la déclaration que fit Gonne- ville, en 1503, à l'amirauté', que l’Australasie est divisée en petits cantons, gouvernés par des rois absolus qui se font la guerre et qui peuvent mettre jusqu'à cinq ou six cents hommes en campagne : mais Gonneville ne donne ni la la- titude , ni la longitude de cette terre dont il dé- crit les habitants. Par la relation de Fernand de Quiros, on voit que les Indiens de l'ile appelée //e de la belle Nation par les Espagnols , laquelle est située à treize degrés de latitude sud , ont à peu près les mêmes mœurs que les Otahitiens. Ces insulaires sont blancs, beaux ettrès-bien faits :« Onne peut même trop s'étonner, dit-il, de la blancheur extrème de ce peuple dans un climat où l'air et le soleil devraient les hâler et noircir. Les fem- mes effaceraient nos beautés espagnole si elles étaient parées; elles sont vêtues, de la ceinture { Histoire des Navigations aux terres Australes, par M, de Brosse , tome I , pages 108 et suiv. su 466 en bas, de fine natte de palmier, et d’un petit manteau de même étoffe sur les épaules". Sur la côte orientale de la Nouvelle-Hollande, que Fernand de Quiros appelle Terre du Saint- Esprit, il dit avoir aperçu des habitants detrois couleurs : les uns tout noirs, les autres fort blancs, à cheveux etàbarberouges, les autres mu- lâtres ; ce qui l'étonna fort, et lui parut un indice de la grande étendue de cette contrée. Fernand de Quiros avait bien raison; car par lesnouvelles découvertes du grand navigateur M. Cook, l'on est maintenant assuré que cette contrée de la Nouvelle-Hollande est aussi étendue que l’Eu- rope entière. Sur la même côte, à quelque dis- tance, Quiros vit une autre nation de plus haute taille etd'unecouleurplus grisâtre, avec laquelle il ne fut pas possible de conférer; ils venaient | en troupes décocher desflèchessur les Espagnols, et on ne pouvait les faire retirer qu’à coups de mousquet. « Abel Tasman trouva dans les terres voisines d'une baïedans la Nouvelle-Zélande, à quarante degrés cinquante minutes latitude sud , et cent quatre-vingt-onze degrés quarante-une minutes de longitude, des habitants qui avaient la voix rude et la taille grosse. Ils étaient d’une cou- leur entre le brun etle jaune, et avaient les che- veux noirs, à peu près aussi longs et aussiépais que ceux des Japonais, attachés au sommet de la tête avec une plume longue et épaisse au mi- lieu. Ils avaient le milieu du corps couvert, | les uns de nattes, les autres de toile de coton; mais le reste du corps était nu. » J'ai donné, dans ce volume de mon ou- vrage, les découvertes de Dampierre et de quelques autres navigateurs au sujet de la Nou- velle-Hollande et de la Nouvelle-Zélande. La première découverte de cette dernière terre Australe a été faite, en 1642, par Abel Tasman et Diemen, qui ont donné leurs noms à quelques parties des côtes, mais toutes les notions que nous en avions étaient bien incomplètes ayant la belle navigation de M. Cook. « La taille des habitants de la Nouvelle-Zé- lande, dit ce grand voyageur, est en général égale à celle des Européens les plus grands : ils ont les membres charnus, forts et bien pro- portionnés; mais ils ne sont pas aussi gras que les oisifs insulaires de la mer du Sud. Ils sont ! Histoire des navigations aux terres Australes, var M. de Lrosse , tcme L, page 518. HISTOIRE NATURELLE alertes, vigoureux et adroits des mains; leur teint esten général brun ; il y en a peu qui l’aient plus foncé que celui d’un Espagnol qui a été exposé au soleil, et celui du plus grand nombre l'est beaucoup moins. » Je dois observer, en passant , que la compa- raison que fait ici M. Cook des Espagnols aux Zélandais est d'autant plus juste que les uns sont à très-peu près les antipodes des autres. « Les femmes, continue M. Cook , n’ont pas beaucoup de délicatesse dans les traits : niéan- moins leur voix est d’une grande douceur ; c’est par là qu'on les distingue des hommes , leurs habillements étant les mêmes : commeles femmes des autres pays, ellesont plus degaieté, d’enjoue- ment et de vivacité que les hommes. Les Zélan- dais ont les cheveux et la barbe noirs; leurs dents sont blanches et régulières; ils jouissent d'une santé robuste, etil yena de fortägés. Leur principale nourriture est de poisson , qu'ils ne peuvent se procurer que sur les côtes, lesquelles ne leur en fournissenten abondance que pendant un certaintemps. Ilsn’ontnicochons, ni chèvres, ni volailles, etilsnesavent pas prendreles oiseaux en assez grand nombre pour se nourrir ; excepté les chiens qu'ilsmangent, ils n’ont point d’autres subsistances que la racine de fougère, les ignames et les patates. Ils sontaussi décents et modestes que les insulaires de la mer du Sud sont volup- tueux et indécents; mais ils ne sont pas aussi propres. parce quene vivant pas dans un climat aussi chaud ils ne se baïgnent pas si souvent. « Leurhabillementest,au premier coup d'œil, tout à fait bizarre; il est Composé de feuilles d'une espèce de glaïeul qui, étant coupées en trois bandes, sont entrelacées les unes dans les autres et forment une sorte d'étoffe qui tient le milieu entre le réseau et le drap; les bouts des feuilles s'élèvent en saillie, comme dela peluche ou les nattes que l’on étend sur nos escaliers. Deux pièces de cette étoffe font un habillement complet. L'une est attachée sur les épaules avec un cordon, et pend jusqu'aux genoux ; au bout de ce cordon est une aiguille d'os qui joint ensembleles deux parties decevêtement. L'autre pièce est enveloppée autour de la ceinture et pend presque à terre. Les hommes ne portent que dans certaines occasions cet habit de des- sous ; ils ont une ceinture à laquelle pend une petite corde destinée à un usage très-singulier. Les insulaires de la mer du Sud se fendent le prépuce pour l'empêcher de couvrir le gland; —— DE L'HOMME. les Zélandais ramènent au contraire le prépuce sur le gland, et afin de l'empêcher dese retirer, ils en nouent l'extrémité avec le cordon attaché à leur ceinture, et le gland est la seule partie de leur corps qu'ils montrent avec une honte extrême. » ? Cet usage, plus que singulier, semble être fort contraire à la propreté; mais il a un avan- tage, c’est de maintenir cette partie sensible et fraiche plus longtemps; car l'on a observé que tous les circoncis, et même ceux qui sans être circoncis ont le prépuce court, perdent dans la partie qu'il couvre la sensibilité plus tôt que les autres hommes. « Au nord de la Nouvelle-Zélande, continue M. Cook, il y a des plantations d'ignames, de pommes de terre et de cocos: on n’a pas re- marqué de pareilles plantations au sud, ce qui fait croire que les habitants de cette partie du sud ne doivent vivre que deracines de fougère et de poisson. Il parait qu'ils n'ont pas d'autre boisson que de l’eau. Is jouissent sans inlerrup- tiou d’une bonne santé , et on n’en à pas vu un seul qui parüt affecté de quelque maladie. Parmi ceux qui étaient entièrement nus, on ne s'est pas aperçu qu'aucun eût la plus légère érup- ion sur la peau, ni aucune trace de pustules ‘ou de boutons ; ils ont d'ailleurs un grand nom- bre de vieillards parmi eux, dont aucun n'est décrépit… « Ils paraissent faire moins de cas des fem- mes que les insulaires de la mer du Sud; ce- pendant ils mangent avec elles, et les Otahi- liens mangent toujours seuls : mais les ressem- blances qu'on trouve entre ce pays et les iles de Ja mer du Sud, relativement aux autres usages, sont une forte preuve que tous ces insulaires ont la même origine. La conformité du lan- gage paraît établir ce fait d'une manière incon- testable. Tupia. jeune Otahitien que nous avions avec aous se faisait parfaitement entendre des Zélandais !. » M. Cook pense que ces peuples ne viennent pas de l'Amérique, qui estsituée à l’est de ces contrées, et il dit qu'à moins qu'il n'y ait au sud un continent assez étendu, il s'ensuivra qu'ils viennent de l’ouest. Néanmoins la langue est absolument différente dans la Nouvelle-Hol- lande, qui est la terre la plus voisine à l’ouest de la Zélande; et comme cette langue d'Otahiti + Voyage autour Gu monde, pa ‘M. Cook , tome M, chap, 10. Lire (ART! et des iles de la mer Pacifique, ainsi que celle de la Zélande, ont plusieurs rapports avec les langues de l'Inde méridionale, on peut pré- sumer quetoutes ces petites peuplades tirent leur origine de l'Archipel indien. « Aucun des habitants de la Nouvelle-Hol- lande ne porte le moindre vêtement, ajoute M. Cook; ils parlaient dans un langage si rude et si désagréable, que Tupia, jeune Otahitien, n'y entendait pas un seul met. Ces hommes de la Nouvelle-Hollande paraissent hardis ; ils sont armés de lances, et semblent s'occuper de la pêche. Leurs lances sont de la longueur de six à quinze pieds, avec quatre branches dont cha- cune est très-pointue et armée d'un os de pois- son... En général ils paraissent d'un naturel fort sauvage, puisqu'on ne put jamais les en- gager de se laisser approcher. Cependant on parvint, pour la première fois, à voir de près quelques naturels du pays dans les environs de la rivière d'Endeavour. Ceux-ci étaient armés de javelines et de lances, avaient les membres d'une petitesse remarquable; ils étaient cepen- dant d’une taille ordinaire pour la hauteur : leur peau était couleur de suie où de chocolat foncé; leurs cheveux étaient noirs sans être laineux , mais coupés court ; les uns les avaient lisses et les autres bouclés... Les traits de leur visagen’étaient pas désagréables; ils avaient les yeux très-vifs, les dents blanches et unies, la voix douce et harmonieuse, et répétaient quel- ques mots qu'on leur faisait prononcer avec beaucoup de facilité. Tous ont un trou fait à travers le cartilage quisépare les deux narines, dans lequel ils mettent un os d'oiseau de près de la grosseur d'un doigt et de cinq ou six pou- ces de long. Ils ont aussi des trous à leurs oreil- les, quoiqu'ils n’aient point de pendants ; peut- être y en mettent-ils que l’on n'a pas vus... Par après on s’est apercu que leur peau n'était pas aussi brune qu'elle avait paru d’abord ; ce que l'on avait pris pour leur teint de nature n’était que l'effet de la poussière et de la fumée, dans laquelle ils sont peut-être obligés de dor- mir, malgré la chaleur du climat, pour se pré- server des mosquites , insectes très - incommo- des. Ils sont entièrement nus, et paraissent être d'une activité et d'une agilité extrêmes... &« Au reste, la Nouvelle-Hollande..…… est beaucoup plus grande qu'aucune autre contrée du monde connu, qui ne porte pas le nom de continent, La longueur de la côte sur laquelle 46$ on a navigué, réduite en ligne droite, ne com- prend pas moins de vingt-sept degrés ; de sorte que sa surface en carré doit être beaucoup plus grande que celle de toute l’Europe. « Les habitants de cette vaste terre ne pa- raissent pas nombreux ; les hommes et les fem- mes y sont entièrement nus... On n'apercçoit sur leur corps aucune trace de maladie ou de plaie, mais seulement de grandes cicatrices en lignesirrégulières, qui semblaient être les sui- tes de blessures qu'ils s'étaient faites eux-mêmes avec un instrument obtus.… « On n'a rien vu dans tout le pays qui res- semblât à un village. Leurs maisons, si toute- fois on peut leur donner cenom, sont faites avec moins d'industrie que celles de tous les autres peuples que l'on avait vus auparavant, excepté celles des habitants de la Terre-de-Feu. Ces habitations n’ont que la hauteur qu'il faut pour qu'un homme puisse se tenir debout; mais elles ne sont pas assez larges pour qu'il puisse s'y étendre de sa longueur dans aucun sens. Elles sont construites en forme de four avec des baguettes flexibles, à peu près aussi grosses que le pouce; ils enfoncent les deux extrémités de ces baguettes dans la terre, etils les recou- vrent ensuite avec des feuilles de palmier et de grands morceaux d'écorce. La porte n’est qu'une ouverture opposée à l'endroit où l'on fait le feu. Ils se couchent sous ces hangards en se repliant le corps en rond, de manière queles talons de l'un touchent la tête de l'autre : dans cette po- sition forcée une des huttes contient trois ou quatre personnes. En avançant au nord, le cli- mat devient plus chaud et les cabanes encore plus minces. Une horde errante construit ces cabanes dans les endroits qui lui fournissent de la subsistance pour un temps, et elle les aban- donne lorsqu'on ne peut plus y vivre. Dans les endroits où ils ne sont que pour une nuit ou deux , ils couchent sous les buissons ou dans l'herbe qui a près de deux pieds de hauteur. « Ils se nourrissent principalement de pois- son. Istuent quelquefois des Kanguros | grosses gerboises ) etmème des oiseaux.…Ils font griller la chair sur des charbons, ou ils la font cuire dans un trou avec des pierres chaudes, comme les insulaires de la mer du Sud. » À J'ai cru devoir rapporter par extrait cet arti- cle de la relation du capitaine Cook, parce qu'il est le premier qui ait donné une description détaillée de cette partie du monde. HISTOIRE NATURELLE La Nouvelle-Hollande est done une terre peut-être plus étendue que toute notre Europe, et située sous un ciel encore plus heureux ; elle ne parait stérile que par le défaut de population. Elle sera toujours nulle sur le globe tant qu'on se bornera à la visite des côtes, et qu’on ne cherchera pas à pénétrer dans l'intérieur des terres, qui, par leur position, semblent pro- mettre toutes les richesses que la nature à plus accumulées dans les pays chauds que dans les contrées froides ou tempérées. Par la description de tous ces peuples nou- vellement découverts, et dont nous n'avions pu faire l'énumération dans notre article des Va- riétés de l'espèce humaine, il parait que les grandes différences, c'est-à-dire les principales rariétés dépendent entièrement de l'influence du climat : on doit entendre par climat, non- seulement la latitude plus ou moins élevée, mais aussi la hauteur ou la dépression des ter- res, leur voisinage ou leur éloignement des mers, leur situation par rapport aux vents, et surtout au vent d'est, toutes les circonstances en un mot qui concourent à former la tempé- rature de chaque contrée ; car c’est de cette température plus ou moins chaude ou froide, hunide ou sèche, que dépend non-seulement la couleur des hommes, mais l'existence même des espèces d'animaux et de plantes , qui tous affectent de certaines contrées, et ne se trou- vent pas dans d’autres : c’est de cette même température que dépend par conséquent la dif- férence de la nourriture des hommes, seconde cause qui influe beaucoup sur leur tempéra- ment, leur naturel, leur grandeur et leur force. Sur les Blafards et Nègres blancs. Mais indépendamment des grandes variétés produites par ces causes générales , il y en a de particulières, dont quelques-unes me paraissent avoir des caractères fort bizarres, et dont nous n'avons pas encore pu saisir toutes les nuances. Ces hommes blafards dont nous avons parlé, et qui sont différents des blancs, des noirs-nè- cres , des noirs-cafres, des basanés, des rou- ges, ete., se trouvent plus répandus que je ne l'ai dit, On les connait à Ceylan sous le nom de Bedas, à Java sous celui de Chacrelas ou Ka- crelas, à l'isthme d'Amérique sous le nom d'Albinos , dans d’autres endroits sous celui de Dondos ; on les a aussi appelés Nègres- Blancs. DE L'HOMME. Ï s'en trouve aux Indes méridionales en Asie, à Madagascar en Afrique, à Carthagène et dans les Antilles en Amérique. L'on vient de voir qu'on en trouve aussi dans les iles de la mer du Sud, On serait donc porté à croire que les hom- mes de toute race et de toute couleur produi- sent quelquefois des individus blafards , et que dans tous les climats chauds il y a des races su- jettes à cette espèce de dégradation : néanmoins par toutes les connaissances que j'ai pu recueil- lir, il me parait que ces blafards forment plu- tôt des branches stériles de dégénération, qu'une tige ou vraie race dans l'espèce humai- ne; car nous sommes, pour ainsi dire, assurés que les blafards mâles sont inhabiles ou très- peu habiles à la génération, etqu'ilsne produisent pasavecleurs femelles blafardes , ni même avec les négresses. Néanmoins on prétend que les femelles blafardes produisent , avec les nègres , des enfants pies , c'est-à-dire marqués de taches noires et blanches, grandes et très-distinctes, quoique semées irrégulièrement. Cette dégrada- tion de nature parait donc être encore plus grande dans les mâles que dans les femelles, et il y a plusieurs raisons pour croire que c’est une espèce de maladie, ou plutôt une sorte de dé- traction dans l'organisation du corps, qu’une affection de nature qui doive se propager : car il est certain qu'on n’en trouve que des indivi- dus et jamais des familles entières ; et l’on as- sure que quand par hasard ces individus produi- sent des enfants , ils se rapprochent de la cou- leur primitive de laquelle les pères ou mères avaient dégénéré. On prétend aussi que les Don- dos produisentavec les nègres des enfants noirs, et que les Albinos de l'Amérique avec les Eu- 469 « Les blafards du Darien , dit M. P., ont tant de ressemblanceavec les nègres blancs de l'Afri- que et del'Asie, qu'on est obligé deleur assigner une cause commune et constante. Les Dondos de l'Afrique et les Kakerlaks de l'Asie sont re- marquables par leur taille, qui excède rarement quatre pieds cinq pouces. Leur teint est d’un blanc fade, comme celui du papier ou de la moussefine, sans la moindre nuance d’incarnat ou du rouge; mais on y distingue quelquefois de petites taches lenticulaires grises ; leur épi- derme n’est pointoléagineux. Ces blafards n’ont pas le moindre vestige de noir sur toute la sur- face du corps; ils naissent blanes et ne noircis- sent en aucun âge; ils n’ont point de barbe, point de poil sur les parties naturelles: leurs cheveux sont laineux et frisés en Afrique, longs et trainants en Asie, ou d'une blancheur de neige, ou d'un roux tirant sur le jaune; leurs cils et leurs sourcils ressemblent aux plumes de l'édredon, ou au plus fin duvet qui revêt la gorge des cygnes ; leur iris est quelquefois d'un bleu mourant et singulièrement pâle : d’autres fois et dans d’autres individus de la même es- pèce, l'iris est d’un jaune vif, rougeâtre etcomme sanguinolent. « Il n'est pas vrai que les blafards albinos aient une membrane clignotante : la paupière couvre sans cesse une partie de l'iris et on la croit destituée du muscle élévateur; ce qui ne ‘leur laisse apercevoir qu’une petite section de ropéens produisent des mulâtres. M. Schreber, dont j'ai tiré ces deux derniers faits, ajoute qu'on peut encore mettre avec les Dondos, les nègres jaunes ou rouges qui ont des cheveux de cette même couleur, et dont on ne trouve aussi que quelques individus : il dit qu'on en a vu en Afrique et dans l'ile de Madagascar, mais que personne n’a encore observé qu'avec le temps ils changent de couleur et deviennent noirs où bruns ‘; qu'enfin on les a toujours vus constamment conserver leur première cou- leur : mais je doute beaucoup de la réalité de tous ces faits. 4 Histoire naturelle des Quadrnpèdes, par M. Schreber, tome 1, pages {4 et 15 | | l'horizon. « Le maintien des blafards annonce la fai- blesse et le dérangement de leur constitution viciée; leurs mains sont si mal dessinées qu'on devrait les nommer des pattes; le jeu des mus- cles de leur mâchoire inférieure ne s'exécute aussi qu'avec difficulté ; le tissu de leurs oreilles est plus mince et plus membraneux que celui de l'oreille des autres hommes; la conque man- que aussi de capacité, et le lobe est allongé et pendant. « Les blafards du nouveau continent ont la taille plus haute que les blafards de l’ancien; leur tête n’est pas garnie de laine, mais de che- veux longs de sept à huit pouces, blancs et peu frisés ; ils ont l'épiderme chargé de poils follets depuis les pieds jusqu'à la naissance des che- veux ; leur visage est velu ; leurs yeux sont si mauvais qu'ils ne voient presque pas en plein jour, et que la lumière leur occasionne des ver- tiges et des éblouissements : ces blafards n'exis- 470 tent que dans la zone torride jusqu'au dixième degré de chaque côté de l'équateur. « L'air est très-pernicieux dans toute l’éten- due de l'isthme du Nouveau-Monde ; à Cartha- gène et à Panama les négresses y accouchent d'enfants blafards plus souvent qu'ailleurs !. « Ilexiste à Darien (dit l’auteur, vraiment philosophe, de l'Histoire philosophique et po- litique des deux Indes) une race de petits hom- mes blancs dont on retrouve l'espèce en Afrique et dans quelquesiies de l'Asie; ils sont couverts | d'un duvet d'une blancheur de lait éclatante ; ils n'ont point de cheveux, mais de la laine; ils ont la prunelle rouge ; ils ne voient bien que la nuit; ils sont faibles et leur instinct paraît plus borné que celui des autres hommes ?. » Nous allons comparer à ces descriptions celle que j'ai faite moi-même d'une négresse blanche que j'ai eu occasion d'examiner et de faire des- siner d’après nature. Cette fille, nommée Gene- viève, était âgée de près de dix-huit ans, en avril 1777, lorsque je l'ai décrite: elle est née ! de parents nègres dans l'ile de la Dominique, ce qui prouve qu'il nait des Albinos non-seule- ment à dix degrés de l'équateur, mais jusqu’à seize et peut-être vingt degrés, car on assure qu'il s'entrouve à Saint-Domingue et à Cuba. Le père et la mère de cette négresse blanche avaient été amenés de la Côte-d'Or en Afrique, et tous deux étaient parfaitement noirs. Gene- viève était blanche sur tout le corps ; elle avait quatre pieds onze pouces six lignes de hauteur, et son corps était assez bien proportionné ?; ceci s'accorde avec ce que dit M. P., que les Albinos d'Amérique sont plus grands que les blaïards de l’ancien continent. Mais la tête de cette né- gresse blanche n'était pas aussi bien propor- tionnée que le corps; en la mesurant, nous l'a- vons trouvée trop forte, et surtout trop longue: elle avait neuf pouces neuf lignes de hauteur, ce qui fait près d'un sixième de la hauteur en- tière du corps; au lieu que dans un homme ou une femme bien proportionnés , la tête ne doit avoir qu'un septième et demi de la hauteur to- 1 Recherches sur les Américains, tome 1, pages A0 et VS état philosophique et politique des deux fndes, tome HE, page 451. 5 Circonférence du corps au-dessus des hanches, 2 pieds 2 pouces 6 lignes ; circonférence des hanches à la partie ia plus charnue, 2 pieds 11 pouces: hauteur depuis le talon au-dessus des hanches, 3 pieds; depuis la hanche au genou, { pied 9 pouces 6 lignes; du genou au talon, 4 pied 5 pouces 9 lignes ; longueur du pied, 9 pouces 5 lignes, ce qui est une grandeur démesurée en comparaison des mains. HISTOIRE NATURELLE tale. Le cou, au contraire, est trop court et trop gros, n'ayant que dix-sept lignes de hauteur, et douze pouces trois lignes de circonférence. La longueur des bras est de deux pieds deux pou- ces trois lignes; de l'épaule au coude, onze pouces dix lignes; du coude au poignet, neuf pouces dix lignes; du poignet à l'extrémité du doigt du milieu , six pouces six lignes, et en to- talité Les bras sont trop longs. Tous les traits de la face sont absolument semblables à ceux des négresses noires; seulement, les oreilles sont placées trop haut, le haut du cartilage de l'o- reille s'élevant au-dessus de la hauteur dé l'œil, tandis que le bas du lobe ne descend qu'à la hauteur de la moitié du nez : or, le bas de l'oreille doit être au niveau du bas du nez, et le haut de l'oreille au niveau du dessus des yeux; cependant ces oreilles élevées ne paraissaient pas faireune grande-difformité, et elles étaient semblables , pour la forme et pour Pépaisseur , aux oreilles ordinaires : ceci ne s'accorde donc pas avec ce que dit M. P., que le tissu de l'o- reille de ces blafards est plus mince et plus membraneux que celui de l'oreille des autres hommes. Il en est de même de la conque,; elle ne manquait pas de capacité, et le lobe n'était pas allongé ni pendant, comme il le dit. Les lè- vres et la bouche, quoique conformées comme dans les négresses noires , paraissentsingulières par le défaut de couleur ; elles sont aussi blanches que le reste de la peau et sans aucune apparence de rouge. En général la couleur de la peau, tant du visage que du corps, de cette négresse blanche est d’un blanc de suif qu'on n'aurait pas encore épuré, ou si l'on veut, d'un blanc mat blafard et inanimé; cependant on voyait une teinte légère d’incarnat sur les joues, lorsqu'elle s'approchait du feu , ou qu'elle était remuée par la honte qu'elle avait de se faire voir nue. Jai aussi remarqué sur son visage quelques petites taches à peine lenticulaires de couleur roussâtre. Les mamelles étaient grosses, rondes , très-fer- mes et bien placées; les mamelons d’un rouge assez vermeil ; l'aréole qui environne les mame- lons a seize lignes de diamètre, et parait se- mée de petits tubercules couleur de chair : cette jeune fille n'avait point fait d'enfant, et sa maitresse assurait qu'elle était pucelle. Elle avait très-peu de laine aux environs des par- ties naturelles, et point du tout sous les ais- selles, mais sa tête en était bien garnie: cette laine n'avait guère qu'un rouce et demi de lon- DE L'HOMME. gueur; elle est rude, touffue et frisée naturel- |; lement, blanche à la racine et roussâtre à l'ex- trémité; il n'y avait pas d'autre laine, poil ou duvet sur aucune partie de son corps. Les sour- cils sont à peine marqués par un petit duvet blane, et les cils sont un peu plus apparents : les yeux ont un pouce d’un angle à l’autre, et la distance entre les deux yeux est de quinze li- gnes , tandis que cet intervalle entre les yeux doit être égal à la grandeur de l'œil. Les yeux sont remarquables par un mouve- ment très-singulier : les orbites paraissent in- clinées du côté du nez, au lieu que dans la conformation ordinaire, les orbites sont plus élevées vers le nez que vers les tempes ; dans cette négresse, au contraire, elles étaient plus élevées du côté des tempes que du côté du nez, et le mouvement de ses yeux, que nous allons décrire, suivait cette direction inclinée. Ses paupières n'étaient pas plus amples qu'elles le sont ordinairement; elle pouvait les fermer, mais non pas les ouvrir au point de découvrir le dessus de la prunelle, en sorte que le muscie élévateur paraît avoir moins de force dans ces nègres blanes que dans les autres hommes: ainsi les paupières ne sont pas clignotantes, mais toujours à demi fermées. Le blanc de l'œil est assez pur, la pupille et la prunelle assez larges; l'iris est composé à l'intérieur, autour de la pu- pille, d'un cercle jaune indéterminé, et ensuite d'un cerele mêlé de jaune et de bleu, et enfin d'un cerele d'un bleu foncé qui forme la circon- férence de la prunelle: en sorte que, vus d'un peu loin , les yeux paraissent d'un bleu-sombre. Exposée vis-à-vis du grand jour, cette né- gresse blanche en soutenait la lumière sans cli- gnotement et sans en êtreoffensée ; elleresserrait seulement l'ouverture de ses paupières en abais- sant un peu plus celle du dessus. La portée de sa vue était fort courte , je m'en suis assuré par des monocles et des lorgnettes; cependant elle voyait distinctement les plus petits objets en les approchant près de ses yeux à trois ou quatre pouces de distance: comme elle ne sait pas lire, on n’a pas pu en juger plus exactement. Cette vue courte est néanmoins percante dans l'ob- securité, au point de voir presque aussi bien la nuit que le jour. Mais le trait le plus remar- quable dans les veux de cette négresse blanche est un mouvement d'oscillation ou de balance- ment prompt et continuel, par lequel les deux veux s'approchent ou s'éloignent régulièrement 471 tous deux ensemble alternativement du côté du nez et du côté des tempes; on peut estimer à deux ou deux lignes et demie la différence des espaces que les yeux parcourent dans ce mou- vement dont la direction est un peu inelinée en descendant des tempes vers le nez. Cette fille n'est point maitresse d'arrêter le mouvement de ses yeux, même pour un moment; il est aussi prompt que celui du balancier d'une montre , en sorte qu'elle doit perdre et retrou- ver, pour ainsi dire , à chaque instant les objets qu'elle regarde. J'ai couvert successivement lunet l'autre de ses yeux avec mes doigts pour reconnaitre s'ils étaient d'inégale force; elle en avait un plus faible ; mais l'inégalité n'était pas assez grande pour produire le regard louche , et j'ai senti sous mes doigts que l'œil fermé et couvert continuait de balancer comme celui qui était découvert. Elie a les dents bien rangées et du plus bel émail, lhaleine pure, point de mauvaise odeur de transpiration ni d'huileux sur la peau comme les négresses noires; sa peau est au contraire trop sèche, épaisse et dure. Les mains ne sont pas mal conformées, et seu- lement un peu grosses; mais elles sont cou- vertes, ainsi que le poignet et une partie du bras, d’un si grand nombre de rides, qu'en ne voyant que ses mains, on les aurait jugées ap- partenir à une vieille décrépite de plus de qua- tre-vingts ans; les doigts sont gros etassez longs; les ongles, quoique un peu grands, ne sont pas difformes. Les pieds et la partie basse des jam- bes sont aussi couvertes de rides, tandis que les cuisses et les fesses présentent une peau ferme et assez bien tendue. La taille est même ronde et bien prise; et si l’on en peut juger par l'habitude entière du corps, cette fille est très- en état de produire. L'écoulement périodique n'a paru qu'à seize ans, tandis que dans les né- gresses noires c'est ordinairement à neuf, dix et onze ans. On assure qu'avec un nègre noir elle produirait un nègre pie , tel que celui dont nous donnerons bientôt la description; mais on prétend en même temps qu'avec un nègre blane qui lui ressemblerait elle ne produirait rien, parce qu'en général les mâles nègres blanes ne sont pas prolifiques. Au reste, les personnes auxquelles cette né- gresse blanche appartient m'ont assuré que presque tous les nègres mâles et femelles qu'on a tirés de la Côte-d'Or en Afrique, pour les iles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Do- 472 minique, ont produit dans ces iles des nègres blancs, non pas en grand nombre, mais un sur six ou sept enfants : le père et la mère de celle- ci n'ont eu qu'elle de blanche , et tous leurs au- tres enfants étaient noirs. Ces nègres blancs, surtout les mâles ne vivent pas bien long- temps; et la différence la plus ordinaire entre les femelles et les mâles est que ceux-ci ont les yeux rouges et la peau encore plus blafarde et plus inanimée que les femelles. Nous croyons devoir inférer de cet examen et des faits ci-dessus exposés , que ces blafards ne forment point une race réelle, qui, comme celle des nègres et des blancs, puisse également se propager, se multiplier et conserver à per- pétuité, par la génération, tous les caractères qui pourraient la distinguer des autres races ; on doit croire au contraire, avec assez de fon- dement, que cette variété n’est pas spécifique, mais individuelle, et qu'elle subit peut-être au- tant de changements qu'elle contient d'indivi- dus différents, ou tout au moins autant que les divers climats : mais ce ne sera qu'en multi- pliant les observations qu'on pourra reconnai- tre les nuances et les limites de ces différentes variétés. Au surplus , il parait assez certain que les négresses blanches produisent avec les nègres noirs des nègres pies, c'est-à-dire marqués de blanc et de noir par grandes taches. Je donne ici la figure d'un de ces nègres pies né à Cartha- gene en Amérique, et dont le portrait colorié m'a été envoyé par M. Taverne, ancien bour- gmestre et subdélégué de Dunkerque, avec les renseignements suivants, contenus dans une lettre dont voici l'extrait : « Je vous envoie, monsieur, un portrait qui s’est trouvé dans une prise anglaise, faite dans la dernière guerre, par le corsaire /a Royale, dans lequel j'étais intéressé. C'est celui d'une petite fille dont la couleur est mi-partie de noir et de blanc; les mains et les pieds sont entière- ment noirs; la tête l'est également, à l'excep- tion du menton, jusques et compris la lèvre inférieure ; partie du front, y compris la nais- sance des cheveux ou laine au-dessus sont éga- lement blancs, avec une tache noire au milieu de la tache blanche : tout le reste du corps, bras, jambes et cuisses sont marqués de taches noires plus ou moins grandes, et sur les grandes taches noires il s'en trouve de plus petites en- core plus noires. On ne peut comparer cet en- ———————.————…—…—… _" —] — —— —" — ——]_]— ————"_—] —————"—"—"——————— HISTOIRE NATURELLE fant, pour la forme des taches, qu'aux chevaux gris ou tigrés; le noir et le blanc se joignent par des teintes imperceptibles de la couleur des mulâtres. « Je pense, dit M. Taverne , malgré ce que porte la légende anglaise ! qui est au bas du portrait de cet enfant , qu'il est provenu de l’u- nion d’un blanc et d’une négresse, et que ce n'est que pour sauver l'honneur de la mère et de la Société dont elle était esclave, qu'on a dit cet enfant né de parents nègres ?. » Réponse de M. de Buffon. Montbard, le 43 octobre 1772, J'ai reçu, monsieur, le portrait de l'enfant noir et blanc que vous avez eu la bonté de m’en- voyer; et j'en ai été assez émerveillé, car je n'en connaissais pas d'exemple dans la nature. On serait d’abord porté à croire avec vous, mon- sieur, que cet enfant, né d’une négresse , a eu pour père un blane , et que de là vient la va- riété de ses couleurs : mais lorsqu'on fait ré- flexion qu'on a mille et millions d'exemples que le mélange du sang nègre avec le blane n’a ja- mais produit que du brun , toujours uniformé- ment répandu , on vient à douter de cette sup- position ; et je crois qu'en effet on serait moins mal fondé à rapporter l'origine de cet enfant à des nègres, dans lesquels il y a des individus blancs ou blafards , c’est-à-dire d'un blanc tout différent de celui des autres hommes blanes ; car ces nègres blancs dont vous avez peut-être entendu parler, monsieur, et dont j'ai fait quel- que mention dans mon livre, ont de la laine au lieu de cheveux , et tous les autres attributs des véritables nègres, à l'exception de la couleur de la peau , et de la structure des yeux, que ces nègres blancs ont très-faibles. Je penserais done que si quelqu'un des ascendants de cet enfantpie était un nègre blanc, la couleur a pu reparaïitre en partie, et se distribuer comme nous le voyons sur ce portrait. Réponse de M. Taverne, Dunkerque, Le 29 octobre 1772. « Monsieur, l'original du portrait de l'enfant noir et blanc a été trouvé à bord du navire /e {au-dessous du portrait de cette négresse-pie, on lit l'in- seription suivante : Marie Sabina, née le 12 octobre 17536, à Ma- tuna, plantation appartenante aux jésuites de Carthagène en Amérique, de deux nègres esclaves, nommés Martiniano el Padrona. ? Extrait d'une Lettre de M, Taverne, Dunkerque, le 10 sep- tembre 1772. DE L'HOMMY/. 473 Chrétien, de Londres, venant de la Nouvelle- ] Angleterre pour aller à Londres. Ce navire fut pris, en 1746, par le vaisseau nommé le comte de Maurepas , de Dunkerque, commandé par le capitaine François Meyne. « L'origine et la cause de la bigarrure de la peau de cet enfant, que vous avez la bonté de m'annoncer par ka lettre dont vous m'avez ho- noré, paraissent très-probables ; un pareil phé- nomène est très-rare ct peut-être unique. Il se peut cependant que, dans l'intérieur de l'Afri- que, où il se trouve des nègres noirs et d’autres blanes, le cas y soit plus fréquent. II me reste néanmoins encore un doute sur ce que vous me faites l'honneur de me marquer à cet égard , et malgré mille et millions d'exemples que vous citez, que le mélange du sang nègre avec le blane n'a jamais produit que du brun toujours uniformément répandu , je crois qu'à l'exemple des quadrupèdes, les hommes peuvent naître, par le mélange des individus noirs et blancs, tantôt bruns, comme sont les mulâtres, tantôt tigrés à petites taches noires ou blanchätres, et tantôt pies à grandes taches ou bandes, comme il est arrivé à l'enfant ci-dessus. Ce que nous voyons arriver par le mélange des races noires et blanches parmi les chevaux, les vaches, bre- bis, pores, chiens, chats, lapins, ete., pourrait également arriver parmi les hommes : il est même surprenant que cela n'arrive pas plus souvent. La laine noire dont la tête de cet en- fant est garnie sur la peau noire, et les cheveux blancs qui naissent sur les parties blanches de son front, font présumer que les parties noires proviennent d’un sang nègre et les parties blan- ches d’un sang blanc , etc. » S'il était toujours vrai que la peau blanche fit naitre des cheveux, et que la peau noire pro- duisit de la laine , on pourrait croire en effet que cesnègres pies proviendraient du mélange d'une négresse et d'un blanc : mais nous ne pouvons savoir, par l'inspection du portrait, s'ily a en effet des cheveux sur les parties blanches et de. la laine sur les parties noires ; il y a au contraire toute apparence que les unes et ies autres de ces parties sont couvertes delaine. Ainsi je suis per- suadé que cet enfant pie doit sa naissance à un père nègre noir et à une mère négresse blanche. Je le soupconnais en 1772, lorsque j'ai écrit à M. Taverne, ct j'en suis maintenant presque as- suré par les nouvelles informations que j'ai faites à ce sujet, Dans les animaux, la chaleur du climat change la laine en poil. On peut citer pour exemple les brebis du Sénégal , les bisons ou bœufs à bosse qui sont couverts de laine dans les coutrées froides , et qui prennent du poil rude , comme celui de nos bœufs , dans les climats chauds, etc. Mais il arrive tout le contraire dans l'espèce hu- maine : les cheveux ne deviennent laineux que sur les Nègres, c'est-à-dire dans les contrées les plus chaudes de la terre, où tous les animaux perdent leur laine. On prétend que, parmi les blafards des diffé- rents climats , les uns ont de la laine, les autres des cheveux , et que d’autres n'ont ni laine ni cheveux, mais un simple duvet ; que les uns ont l'iris des yeux rouge , et d'autres d'un bleu fai- ble ; que tous en général sont moins vifs, moins forts et plus petits que les autres hommes, de quelque couleur qu'ils soient ; que quelques-uns de ces blafards ont le corps et les membres assez bien proportionnés ; que d’autres paraissent dif- formes par la longueur des bras , et surtout par les pieds et par les mains dont les doigts sont trop gros ou trop courts. Toutes ces différences rapportées par les voyageurs paraissent indi- quer qu'il y a des blafards de bien des espèces, et qu’en général cette dégénération ne vient pas d'un type de nature, d'une empreinte particu- lière qui doive se propager sans altération et former une race constante, mais plutôt d'une désorganisation de la peau plus commune daris les pays chauds qu'elle ne l'est ailleurs; car les nuances du blanc au blafard se reconnaissent dans les pays tempérés et méme froids. Le blanc mat et fade des blafards se trouve dans plu- sieurs individus de tous les climats ; il y a même en France plusieurs personnes des deux sexes dont la peau est de ce blanc inanimé ; cette sorte de peau ne produit jamais que des cheveux et des poils blancs ou jaunes. Ces blafards de notre Europe ont ordinairement la vue faible, le tour des yeux rouge, l'iris bleu, la peau parsemée de taches grandes comme des lentilles, non- seulement sur le visage, mais même sur le corps; et cela me confirme encore dans l'idée que les blafards en général ne doivent être regardés que comme des individus plus ou moins disgra- ciés de la nature, dont le vice principal réside dans la texture de la peau. Nous allons donner des exemples de ce que peut produire cette désorganisation de la peau. On a vu en Angleterre un homme auquel on 474 avait donné le sünom de pore-épie ; il est né en 1710, dans la province de Suffolk. Toute la peau de son corps était chargée de petites ex- croissances ou verrues en forme de piquants gros comme une ficelle. Le visage , la paume des mains, la plante des pieds étaient les seules parties qui n'eussent pas de piquants; ils étaient d'un brun-rougeâtre et en même temps durs et élastiques , au point de faire du bruit lorsqu'on passait la main dessus; ils avaient un demi- pouce de longueur dans de certains endroits et moins dans d'autres. Ces excroissances ou pi- quants n'ont paru que deux mois après sa nais- sance. Ce qu'il y avait encore de singulier, c'est que ces verrues tombaient chaque hiver pour renaître au printemps. Cet homme, au reste, se portait très-bien; il a eu six enfants qui tous six ont été, comme leur père, couverts de ces mêmes excroissances. On peut voir la main d’un de ces enfants gravée dans les Glanures de M. Edwards, planche 212; et la main du père dans les Transactions philosophiques, volume X LIX, page 21. Nous donnons ici la figure d’un enfant que j'ai fait dessiner sous mes yeux , et qui a été vu de tout Paris dans l’année 1774. C'était une petite fille, nommée Anne-Marie Hérig, née le 11 novembre 1770 à Dackstul, comté de ce nom, dans la Lorraine allemande, à sept lieues de Trèves : son père , sa mère, ni aucun de ses parents n'avaient de taches sur la peau, au rap- port d'un oncle et d'une tante qui la condui- saient; cette petite fille avait néanmoins tout le corps, le visage et les membres parsemés et couverts en beaucoup d'endroits de taches plus ou moins grandes, dont la plupart étaient sur- montées d’un poil semblable à du poil de veau ; quelques autres endroits étaient couverts d'un poil plus court et semblable à du poil de che- vreuil. Ces taches étaient toutes de couleur fauve , chair et poil. 11 y avait aussi des taches sans poil, et la peau, dans ces endroits nus, ressemblait à du cuir tanné : telles étaient les petites taches rondes et autres, grosses comme desmouches, que cet enfant avait aux bras, aux jambes, sur le visage et sur quelques endroits du corps. Les taches velues étaient bien plus grandes ; il y en avait sur les jambes, les cuisses, les bras, et sur le front. Ces taches, couvertes de beaucoupde poil, étaient proéminentes, c'est- à-dire un peu élevées au-dessus de la peau nue. Au reste, cette petite fille était d’une figure HISTOIRE NATURELLE très-agréable ; elle avait de fort beaux yeux, quoique surmontés de sourcils très-extraordi- naires ; car ils étaient mêlés de poils humains et de poils de chevreuil; la bouche petite, la physionomie gaie, les cheveux bruns. Elle u’é- tait âgée que de trois ans et demi lorsque je l'observai, au mois de juin 1774, et elle avait deux pieds sept pouces de hauteur , ce qui est la taille ordinaire des filles de cet âge; seule- ment elle avait le ventre un peu plus gros que les autres enfants. Elle était très-vive et se portait à merveille, mais mieux en hiver qu’en été ; car la chaleur l'incommodait beaucoup , parce que , indépendamment des taches que nous ve- nons de décrire, et dont le poil lui échauffait la peau , elle avait encore l'estomac et le ventre couverts d'un poil clair assez long , d’une cou- leur fauve du côté droit, et un peu moins foncé du côté gauche ; et son dos semblait être couvert d’une tunique de peau velue, qui n’était adhé- rente au corps que dans quelques endroits, et qui était formée par un grand nombre de peti- tes loupes ou tubercules très-voisins les uns des autres , lesquels prenaient sous les aisselles et lui couvraient toute la partie du dos jusque sur les reins. Ces espèces de loupes ou excroïissances d'une peau qui était pour ainsi dire étrangère au corps de cet enfant, ne lui faisaient aueune douleur lors même qu’on les pinçait; elles étaient de formes différentes, toutes couvertes de poil, sur un cuir grenu etridé dans quelques endroits. Il partait de ces rides des poils bruns assez clair- semés, et les intervalles entre chaeune des ex- croissances étaient garnis d’un poil brun plus long que l'autre : enfin, le bas des reins et le haut des épaules étaient surmontés d’un poil de plus de deux pouces de longueur. Ces deux en- droits du corps étaient les plus remarquables par la couleur et la quantité du poil ; car celui du haut des fesses, des épaules et de l'estomac était plus court et ressemblait à du poil de veau fin et soyeux ; tandis que les longs poils du bas des reins et du dessus des épaules étaient rudes et fort bruns. L'intérieur des cuisses, le dessous des fesses et les parties naturelles, étaient ab- solument sans poil et d'une chair très-blanche, très-délicate et très-fraiche. Toutes les parties du corps qui n'étaient pas tachées présentaient de même une peau très-fine et même plus belle que celle des autres enfants. Les cheveux étaient châtains-bruns et fins. Le visage , quoique fort taché , ne laissait pas de paraitre agréable par LL. DE L'HOMME. ATS la régularité des traits et par la blancheur de la peau. Ce n'était qu'avec répugnance que cet enfant se laissait habiller, tous les vêtements lui étant incommodes, par la grande chaleur qu'ils donnaient à son petit corps-déjà vêtu par la mature : aussi n'était-il nullement sensible au froid. A l'occasion du portrait et de la description de cette petite fille , des personnes dignes de foi m'ont assuré avoir vu à Bar une femme qui, depuis les clavicules jusqu'aux genoux , est en- tièrement couverte d'un poil de veau fauve et touffu. Cette femme a aussi plusieurs poils se- més sur le visage , mais on n’a pu m'en donner une meilleure description. Nous avons vu à Paris, dans l'année 1774, un Russe dont le front et tout le visage étaient tout couverts d'un poil noir comme sa barbe et ses cheveux. J'ai dit qu'on trouve de ces hommes à face velue à Yeço et dans quelques autres endroits : mais comme ils sont en petit nombre, on doit présu- mer que ce n’est point une race particulière ou variété constante , et que ces hommes à face velue ne sont, comme les blafards , que des in- dividus dont la peau est organisée différemment de celle des autres hommes; car le poil et la couleur peuvent être regardés comme des qua- lités accidentelles produites par des circonstan- ces particulières, que d’autres circonstances particulières, et souvent si légères qu’on ne les devine pas, peuvent néanmoins faire varier et même changer du tout au tout. Mais, pour en revenir aux nègres , l’on sait que certaines maladies leur donnent communé- ment une couleur jaune ou pâle, et quelquefois presque blanche : leurs brûlures et leurs cica- trices restent même assez long-temps blanches ; les marques de leur petite-vérole sont d'abord jaunâtres , et elles ne deviennent noires comme le reste de la peau, que beaucoup de temps après. Les nègres en vieillissant perdent une partie de leur couleur noire, ils pâlissent ou jaunissent ; leur tête et leur barbe grisonnent. M. Schreber‘ prétend qu'on a trouvé parmi eux plusieurs hommes tachetés, et que même en Afrique les mulâtres sont quelquefois marqués de blanc, de brun et de jaune; enfin que, parmi ceux qui sont bruns , on en voit quelques- uns qui, sur un fond de cette couleur, sont ‘ Histoire naturelle des Quadrupèdes, par M. Schreber. Er- ling, 1775. tome f, in-4° marqués de taches blanches : ce sont là , dit-il, les véritables Chacrelas auxquels la couleur a fait donner ce nom par la ressemblance qu'ils ontavec l’insecte du même nom. Il ajoute qu'on a vu aussi à Tobolsk et dans d'autres contrées de la Sibérie des hommes marquetés de brun et dont les taches étaient d'une peau rude, tandis que le reste de la peau, qui était blanche, était fine et très-douce. Un de ces hommes de Sibé- rie avait même les cheveux blancs d'un côté de la tête et de l’autre côté ils étaient noirs; et on prétend qu'ils sont les restes d'une nation qui portait le nom de Piegaga ou Piestra Horda , la horde bariolée ou tigrée. Nous croyons qu'on peut rapporter ces hom- mes tachés de Sibérie à l'exemple que nous venons de donner de la petite fille à poil de chevreuil ; et nous ajouterons à celui des nègres qui perdent leur couleur un fait bien certain, et qui prouve que dans de certaines circonstan- ces la couleur des nègres peut changer du noir au blanc. « La nommée Françoise (négresse), cuisinière du colonel Barnet , née en Virginie, âgée d’en- viron quarante ans, d'une très-bonne santé, d'une constitution forte et robuste, a eu origi- nairement la peau tout aussi noire que l'Afri- cain le plus brûlé ; mais dès l'âge de quinze ans environ, elle s’est aperçue que les parties de sa peau qui avoisinent les ongles et les doigts, de- venaient blanches. Peu de temps après, le tour de sa bouche subit le même changement, et le blanc a depuis continué à s'étendre peu à peu sur le corps , en sorte que toutes les parties de sa surface se sont ressenties plus où moins de cette altération surprenante. « Dans l’état présent, sur les quatre cinquiè- mes environ de la surface de son corps , la peau est blanche, douce et transparente comme celle d’une belle Européenne , et laisse voir agréa- blementlesramifications des vaisseaux sanguins qui sont dessous. Les parties qui sont restées noires perdent journellement leur noirceur ; en sorte qu'il est vraisemblable qu'un petit nom- bre d'années amènera un changement total. « Le cou et le dos, le long des vertèbres, ont plus conservé de leur ancienne couleur que tout le reste, et semblent encore, par quelques ta- ches, rendre témoignage de leur état primitif. La tête, la face, la poitrine , le ventre, les cuis- ses, les jambes et ies bras, ont presque entie- rement acquis la couleur blanche: les parties 476 naturelles et les afsselles ne sont pas d’une cou- leur uniforme, et la peau de ces parties est couverte de poil blanc (laine) où elle est blan- che, et de poil noir où elle est noire. « Toutes les fois qu'on a excité en elle des passions , telle que la colère, la honte, ete., on a vu sur-le-champ son visage et sa poitrine s'en- flammer de rougeur. Pareillement , lorsque ces endroits du corps ont été exposés à l'action du feu, on y a vu paraître quelques marques de rousseur. « Cette femme n’a jamais été dans le cas de se plaindre d'une douleur qui ait duré vingt- quatre heures de suite : seulement elle a eu une couche il y a environ dix-sept ans. Elle ne se souvient pas que ses règles aient jamais été supprimées , hors le temps de sa grossesse. Ja- mais elle n'a été sujette à aucune maladie de la peau, et n'a usé d'aucun médicament appliqué à l'extérieur, auquel on puisse attribuer ce chan- gement de couleur. Comme on sait que par la brûlure la peau des nègres devient blanche , et que cette femme est tous les jours occupée aux travaux de la cuisine, on pourrait peut-être sup- poser que ce changement de couleur aurait été l'effet de la chaleur : mais il n'y a pas moyen de se prêter à cette supposition dans ce Cas-ci, puisque cette femme a toujours été bien habil- lée, et que le changement est aussi remarqua- ble dans les parties qui sont à l'abri de l'action du feu, que dans celles qui y sont les plus ex- posées. + « La peau, considérée comme émonctoire, parait remplir toutes ses fonctions aussi par- faitement qu'il est possible, puisque la sueur traverse indifféremment avec la plus grande liberté les parties noires et les parties blan- ches !. » Mais s'il y a des exemples de femmes ou d'hommes noirs devenus blancs, je ne sache pas qu'il y en ait d'hommes blancs devenus noirs. La couleur la plus constante dans l'espèce humaine est done le blanc, que le froid exces- sif des climats du pôle change en gris obseur, et que la chaleur trop forte de quelques endroits de la zone torride change en noir : les nuances intermédiaires, c'est-à-dire les teintes de ba- sané , de jaune, de rouge, d'olive et de brun, dépendent des différentes températures et des 1 Extrait d'une lettre de M° Jacques Bate, à M. Alexandre Williamson , en date du 26 juin 1760, Journal étranger, mois d'août 1760, HISTOIRE NATURELLE autres circonstances locales de chaque contrée; l'on ne peut donc attribuer qu'à ces mèmes cau- ses la différence dans la couleur des yeux et des cheveux, sur laquelle néanmoins il y a beau- coup plus d'uniformité que dans la couleur de la peau : car presque tous les hommes de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique , ont les cheveux noirs où bruns ; et parmi les Européens, il y a peut-être encore beaucoup plus de bruns que de blonds, lesquels sont aussi presque les seuls qui aient les yeux bleus ‘. 4 G. Cuvier partage l'espèce humaine en trois races, savoir: la blanche, ou Caucasique; la jaune , on congolique; la nè- gre, onu Ethiopique. La race cancasique se distingue par la beauté de l'ovale que forme sa tête, parle teint et par la couleur des cheveux, qui tous deux offrent beaucoup de variétés. La race mongolique a ls pommettes saillantes , le visage plat , les yeux étroits et obliques, les cheveux droits et noirs, la barbe grêle, le teint olivâtre. La race nègre a Le crâne comprimé, le nez écrasé, le teint noir et les cheveux crépus : la saillie du museau et l'épaisseur des lèvres semblent la rapprocher des singes: les peuplades dont elle se compose sont demeurées jusqu'ici barbares, La race caucasique remonte à ce groupe de montagnessitué entre la mer Caspienne et la mer Noire. On a distingué les branches principales de cette race par l'analogie des langries, Le ramean araméen, ou de Syrie, s'est dirigé au Midi; il a pro- duit les Assyriens, les Chaldéens et les Arabes, les Phéni- ciens, les Juifs, les Abyssins et les Égyptiens. Dans ce ra- meau sont nées les religions les plus répandues : les sciences et les lettres y ont fleuri. Le rameau indien, germain et pélasgique est beaucoup plusétendu et s'est divisé bien plus anciennement ; cependant les quatre langues principales de ce ramean ont beaucoup d'affinité entre elles. Le sanscrit. langue sacrée des Indous, d'où sont sorties la plupart des langues de l'Indostan ; l’an- cienne langue des Pélages, d'où dérivent le grec, le latin, beaucoup de langnes mortes, et toutes nos langues du midi de l'Europe; le gothique ou tudesque, d'où sont nées les lan- gues du Nord et du Nord-Ouest, telles que l'allemand, le hollandais, l'anglais, le danois, le suédois et leurs dialectes; enfin la langue esclavone, d'où descendent celles du Nord- Est, le russe, le polonais, le bohémien et le vende. Ce ramrau avait été précédé en Europe par les Celtes, dont les peuplades, venues par le Nord. sont aujourd'hui confinées vers les pointes les plus occidentales ; et par les Cantabres, passés d'Afrique en Espagne , et avjourd'hui presque fondus parmi les nombreuses nations dont la postérité s'est mélée dans cette presqu'ile. Les anciens Perses ont la même origine que les Indiens. Leurs descendantsoffrent encore à présent de nombreux rap- ports avec ns peuples d'Europe. Le rameau scythe et tartare, dirigé d'abord vers le Nord et le Nord-Est, toujours errant dans les plaines immenses de ces contrées, n'en est revenu que pour dévaster les établissements plus heureux de ses frères ; les Scythes, les Parthes, les Turcs étaients des essaims de ce rameau : les Finlandais, les Hon- grois en sont pour ainsi dire des peuplades égarées parmi les nations esclavonnes et tudesques. On trouve encore dans le nord et à l'est de la mer Caspienne des peuples dont l'origine est la même et qui parlent des langues semblables, ou à pen près. Les peuples tartares sont res'és plus intacts dans tout cet espace; cependant les Mongols, dans leurs conquêtes, y ont mêlé leur sang, et l'on en voit des traces surtout chez les Petits Tartares. Monstre à un æ1 Jumelles attachées par les rems Di L'HOMME. Sur les monstres. A ces variétés, tant spécifiques qu'indivi- duelles, dans l'espèce humaine, on pourrait ajouter les monstruosités; mais nous ne trai- tons que des faits ordinaires de la nature et non des accidents : néanmoins nous devons dire qu'on peutréduire en trois classes tousles mons- tres possibles; la première est celle des monstres par excès; la seconde des monstres par défaut, et la troisième de ceux qui le sont par le ren- versement ou la fausse position des parties. Dans le grand nombre d'exemples qu'on a re- cueillis des différents monstres de l'espèce hu- A l'orient de ce rameau tartare de la race caucasique commence la race mongolique, qui domine ensuite jusqu'à l'océan Oriental. Ses branches encore nomades , les Calmou- ques , les Kalkas, parcourent le grand désert. Les Chinois en sout une branche ; une troisième branche , les Mantchoux, a conquis la Chine, et la gouverne encore, Les Japonais et les Coréens. etles hordes qui s'étendent au nord-est de la Sibérie, Y appartiennent aussi en partie; on y rapporte mènie aujour- . d'huiles habitants originaires des Mariannes , des Carolines et des iles voisines de cet archipel. Cette grande race parait provenir des monts Altaï. L'histoire de tous ces peuples nomades est aussi fugitive que leurs éta- blissements; et celle des Chinois ne doune que des notions furt imparfaites des peuples qui les avoisinent. Les aflinités de leurs langues sont aussi trop peu connues pour guider avec quelqueombre de sûreté dans ce dédale. Les laugues du nord de la péninsule au-delà du Gange ont quelques rapports avec la langue chinoise, du moins par leur nature, et les peuples qui les parlent ne sont pas sans ressem- blance avec les autres Mongols pour les traits ; mais le midi de celte péninsule est occupé par les Malais, peuple beau- coup plus rapproché des Indiens par les formes, et dont la race el la langue se sont répandues sur les côtes de toutes les iles de l'archipel Indien. Les petites iles de la mer du Sud sont peuplées par une belle race, qui paraît tenir de près aux Indiens , et dont la langue a beaucoup de rapports avec le malais; mais dans l'intérieur dès grandes iles habitent des nègres, tous barbares, que l'on a nommés Alfourous; et sur les côtes de la Nouvelle-Guinée etdesiles voisines, sontd'autres nègres presque semblables à ceux de la côte orientale de l'A- frique, que l'on a appelés Papous; on rapporte les habitants de la Nouvelle-Hollande aux Alfourous, et ceux de Diémen aux Papous. 1! serait difficile, vu l'insuffisance de descriptions nettes et précises, de rapporter à l'une des trois grandes races ces Malais et ces Papous. La race mongole est, dit-on, la souche des Samoïèdes , des Lapons, des Esquimaux; d'autre part on assure que ces peuples ne sont que des rejetons dégénérés du rameau scythe et tartare de ln race caucasique. Quant aux Américains, on ne saurait jusqu ici les rapporter à aucune de nos racss de l'ancien continent. Leur teint rouge de cuivre ne suffit pas pour en faire une race particulière, leurs cheveux généralement noirs et leur barbe rare les rap- procheraient des Mongo!s, si leurs traits aussi prononcés, leur nez aussi saillant que chez nous, leurs yeux grands et ouverts, ne sy opposaient, Leurs langues sont aussi nom- ! breuses que leurs peuplades, et jusqu'ici on n'a pu y saisir d'analogies démoustratives, ni entre elles ni avec celles de l'an- cicu monde. 477 maine, nous n'en citerons ici qu'un seul de chacune de ces trois classes. Dansla première, qui comprend tous lesmons- tres par excès, il n'y en a pas de plus frappants que ceux qui ont un double corps et forment deux personnes. Le 26 octobre 1701, il est né à Tzoni en Hongrie deux filles qui tenaient ensemble par les reins ; elles ont vécu vingt- un ans. À l’âge de sept ans, on les amena en Hollande , en Angleterre, en France, en Italie, en Russie et presque dans toute l'Europe: âgées de neuf ans, un bon prêtre les acheta pour les mettre au couvent à Pétersbourg, où elles sont restées jusqu'à l’âge de vingt-un ans, c'est-à- dire jusqu'à leur mort, qui arriva le 23 février 1723. M. Justus-Joannes Tortos, docteur en médecine, a donné à la Société royale de Lon- dres, le 3 juillet 1757, une histoire détaillée de ces jumelles, qu'il avait trouvée dans les papiers de son beau-père, Carl. Rayger, qui était le chirurgien ordinaire du couvent où elles étaient. L'une de ces jumelles se nommait Hélène, et l'autre Judith. Dans l'accouchement Hélène parut d’abord jusqu'au nombril, et trois heures après on tira les jambes, et avec elle parut Ju- dith. Hélène devint grande et était fort droite ; Judith fut plus petite et un peu bossue; elles étaient attachées par les reins, et pour se voir elles ne pouvaient tourner que la tête. Il n'y avait qu'un anus commun. À les vpir chacune par devant lorsqu'elles étaient arrêtées , on ne voyait rien de différent des autres femmes. Comme l'anus était commun , il n'y avaitqu'un même besoin pour aller à la selle; mais pour le passage des urines, cela était différent; cha- cune avait ses besoins, ce qui leur occasionnaït de fréquentes querelles, parce que quand le besoin prenait à la plus faible, et que l'autre ne voulait pas s'arrêter, celle-ci l'emportait mal- gré elle : pour tout le reste elles s'accordaient, car elles paraissaient s'aimer tendrement. A six ans , Judith devint percluse du côté gauche, et quoique par la suite elle parût guérie, il lui resta toujours une impression de ce mal, et l'esprit lourd et faible. Au contraire, Hélène était belle et gaie; elle avait de l'intelligence et même de l'esprit. Elles ont eu en même temps la petite vérole et la rougeole : mais toutes leurs autres maladies ou indispositions leur arrivaient séparément ; car Judith était sujette à une toux et à la fièvre, au lieu qu'Hélène était d'une 478 bonue santé. À seize ans leurs règles parurent presque en même temps, et ont toujours con- tinué de paraitre séparément à chacune, Comme elles approchaient de vingt-deux ans, Judith prit la fièvre, tomba en léthargie et mourut le 23 février : la pauvre Hélène fut obligée de suivre son sort; trois minutes avant la mort de Judith elle tomba en agonie et mourut presque en même temps. En les disséquant on a trouvé qu'elles avaient chacune leurs entrailles bien entières, et même que chacune avait un con- duit séparé pour les excréments, lequel néan- moins aboutissait au même anus !, Les monstres par défaut sont moins communs que les monstres par excès : nous ne pouvons guère en donner un exemple plus remarquable que celui de l'enfant que nous avons fait repré- senter d’après une tête en cire qui a été faite par mademoiselle Biheron , dont on connait le grand talent pour le dessin et la représentation des sujets anatomiques. Cette tête appartient à M. Dubourg , habile naturaliste et médecin de la Faculté de Paris; elle a été modelée d’après un enfant femelle qui est venu au monde vivant au mois d'octobre 1766, mais qui n'a vécu que quelques heures. Je n’en donnerai pas la des- cription détaillée, parce qu'elle a été insérée dans les journaux de ce temps, et particulière- ment dans le Mercure de France. Enfin dans la troisième classe, qui contient les monstres par renversement ou fausse posi- tion des parties ; les exemples sont encore plus rares , parce que cette espèce de monstruosité étant intérieure ne se découvre que dans les ca- davres qu'on ouvre. « M. Méry fit, en 1688, dans l'Hôtel royal des Invalides, l'ouverture du cadavre d’un soldat qui était âgé de soixante-douze ans, et il y trou- va généralement toutes les parties internes de la poitrine et du bas-ventre situées à contre- sens; celles qui, dans l'ordre commun de lana- ture , occupent le côté droit , étant situées au côté gauche, et celles du côté gauche l'étant au droit : le cœur était t'ansversalement dans la poitrine ; sa base tournée du côté gauche oceu- pait justement le milieu , tout son corps et sa * Linn. Syst, Nat. édition allemande, tome 1. HISTOIRE NATURELLE DE L'HOMME. pointe s’avançant dans le côté droit... La grande oreillette et la veine-cave étaient placées à la gauche et occupaient aussi le même côté dans le bas-ventre jusqu'à los sacrum..…. Le poumon droit n'était divisé qu'en deux lobes, et le gauche en trois. « Le foie était placé au côté gauche de l’esto- mac, son grand lobe occupant entièrement l'hy- pocondre de ce côté-là... La rate était placée dans l'hypocondre droit, et le pancréas se por- tait transversalement de droite à gauche au duo- denum !.» M. Winslow cite deux autres exemples d’une pareille transposition de viscères ; la première, observée en 1650, et rapportée par Riolan ?; la seconde , observée en 1657, sur le cadavre du sieur Audran, commissaire du régiment des Gar- des à Paris .Cesrenversementsoutranspositions sont peut-être plus fréquents qu’on ne l'imagine ; mais comme ils sont intérieurs, on ne peut les remarquer que par hasard. Je pense néanmoins qu'il en existe quelque indication au-dehors : par exemple, les hommes qui naturellement se servent de la main gauche de préférence à la main droite, pourraient bien avoir les viscères renversés, où du moins le poumon gauche plus grand et composé de plus de lobes que le pou- mon droit; car c'est l'étendue plus grande et la supériorité de force dans le poumon droit qui est la cause de ce que nous nous servons de la main, du bras et de la jambe droites, de préfé- rence à la main ou à la jambe gauche. Nous finirons par observer que quelques ana- tomistes | préoccupés du système des germes préexistants, ont cru, de bonne foi qu'il y avait aussi des germes monstrueux préexistants comme les autres germes, et que Dieu avait eréé ces germes monstrueux dès le commencement : mais n'est-ce pas ajouter une absurdité ridieule et indigne du Créateur, à un système mal con- çu que nous avons assez réfutéprécédemment, et qui ne peut être adopté ni soutenu dès qu'on prend la peine de l’examiner ? ! Mémoires de l'Académie des Sciences, année 4735, page: 374 el 575. t ?Disquisitio de transpositione partium naturalium et vita- lium in corpore humano, 5 Journal de dom Pierre de Sair.t Romual, Paris, 1661. SPEED PEPHPOPET ETS SES DE TE TETE PESTE TES HISTOIRE NATURELLE. élire © nette — DISCOURS SUR LA NATURE DES ANIMAUX. Comme ce n'est qu'en comparant que nous . pouvons juger, que nos connaissances roulent mème entièrement sur les rapports que les cho- ses ont avec celles qui leur ressemblent ou qui en diffèrent, et que, s’il n'existait point d'ani- maux, la nature de l'homme serait encore plus incompréhensible; après avoir considéré l'hom- me en lui-même, ne devons-nous pas nous servir de cette voie de comparaison? ne faut-il pas examiner la nature des animaux, comparer leur organisation, étudier l'économie animale en gé- néral, afin d’en faire des applications partieu- lières, d'en saisir les ressemblances, rapprocher les différences , et de la réunion de ces combi- maisons tirer assez de lumières pour distinguer nettement les principaux effets de la mécanique vivante, et nous conduire à la science impor- tante dont l'homme même est l’objet? Commençons par simplifier les choses; resser- rons l'étendue de notre sujet, qui d'abord pa- raît immense , et tâchons de le réduire à ses justes limites. Les propriétés qui appartiennent à l'animal, parce qu’elles appartiennent à toute matière, ne doivent point être ici considérées , du moins d'une manière absolue. Le corps de l'animal est étendu , pesant , impénétrable, fi- guré, capable d'être mis en mouvement, ou contraint de demeurer en repos par l’action ou par la résistance des corps étrangers. Toutes ces propriétés , qui lui sont communes avee le reste de la matière , ne sont pas celles qui caracté- risent la nature des animaux, et ne doivent être employées que d’une manière relative, en com- parant, par exemple, la grandeur, le poids, la figure, ete., d'un animal, avec la grandeur, le poids, la figure, ete., d'un autre animal. De même nous devons séparer de la nature particulière des animaux les facultés qui sont communes à l'animal et au végétal; tous deux se nourrissent, se développent et se reprodui- sent : nous ne devons donc pas comprendre dans l’économie animale, proprement dite, ces facultés qui appartiennent aussi au végétal; et c'est par cette raison que nous avons traité de la nutrition, du développement, de la reproduc- tion, et mème de la génération des animaux, avant que d’avoir traité de ce qui appartienten propre à l'animal ou plutôt de ce qui n’appar- tient qu'à lui. Ensuite, comme on comprend dans la elasse des animaux plusieurs êtres animés dont l'or- ganisation est très-différente de la nôtre et de celle des animaux dont le corps est à peu près composé comme le nôtre, nous devons éloigner de nos considérations cette espèce de nature animale particulière, et ne nous attacher qu'à celle des animaux qui nous ressemblent le plus : l'économie animale d'une huitre, par exemple, ne doit pas faire partie de celle dont nousavons à traiter. Mais comme l'homme n’est pas un simple ani- mal, comme sa nature est supérieure à celle des animaux, nous devons nous attacher à démon- trer la cause de cette supériorité, et établir, par des preuves claires et solides, le degré précis de cette infériorité de la nature des animaux, afin de distinguer ce qui n'appartient qu'à l'homme de ce qui lui appartient en commun avec l'a- nimal. Pour mieux voir notre objet, nous venons de le circonserire, nous en avons retranché toutes les extrémités excédantes, etnbus n’avonscon- servé que les parties nécessaires. Divisons-le 480 SUR LA mainterant pour le considérer avee toute l’at- tention qu'il exige, mais divisons-le par gran- des masses; avant d'examiner en détail les par- ties de la machine animale et les fonctions de chacune de ces parties, voyons en général le résultat de cette mécanique, et sans vouloir d’a- bord raisonner sur les causes, bornons-nous à constater les effets. L'animal a deux manières d'être, l'état demou- vement et l'état de repos, la veille et le som- meil , qui se succèdent alternativement pendant toute la vie : dans le premier état, tous les res- sorts de la machine animale sont en action ; dans le second, iln’y en a qu'une partie, et cette partie qui est en action dans le sommeil, est aussi en action pendant la veille. Cette partie est done d'une nécessité absolue, puisque l’ani- mal ne peut exister d'aucune façon sans elle; cette partie est indépendante de l'autre, puis- qu'elle agit seule : l’aütre au contraire dépend de celle-ci, puisqu'elle ne peut seule exercer son action. L'une estla partie fondamentale de l’éco- nemie animale, puisqu'elle agit continuellement et sans interruption; l’autre est une partie moins essentielle, puisqu'elle n’a d'exercice que par intervalles et d’une manière alternative. Cette première division de l'économie ani male me parait naturelle, générale et bien fon- dée. L'animal qui dort ou quiest en repos est une machine moins compliquée et plus aisée à con- sidérer que l'animal qui veille ou qui est en mou- vement. Cette différence est essentielle et n’est pas un simple changement d'état, comme dans un corps inanimé qui peut également et indif- féremment être en repos ou en mouvement ; car un corps inanimé, qui est dans l’un ou l’au- tre de ces états, restera perpétuellement dans N cet état, à moins que des forces ou des résis- | tances étrangères ne le contraignent à en chan- ger; mais c'est par ses propres forces que l’ani- mal change d'état; il passe du repos à l'action, et de l'action au repos, naturellement et sans contrainte; le moment de l'éveil revient aussi nécessairement que celui du sommeil, et tous deux arriveraient indépendamment des causes étrangères, puisque l'animal ne peut exister que pendant un certain temps dans l’un ou dans l'autre état, et que la continuité non interrom- pue de la veille ou du sommeil, de l’action ou du repos, amènerait également la cessation de la continuité du mouvement vital. Nous pouvons done distinguer dans l'écono- ATURE mie animale deux parties, dont la première agit perpétuellement sans aucune interruption, et la seconde n’agit que par intervalles. L'action du cœur et des poumons dans l'animal qui respire, l’action du cœur dans le fœtus, paraissent être cette première partie de l'économie animale ; l'action des sens, et le mouvement du corps et des membres , semblent constituer la seconde. Si nous imaginions donc des êtres auxquels la nature n’eût accordé que cette première partie de l'économie animale, ces êtres, qui seraient nécessairement privés de sens et de mouvement progressif, ne laisseraient pas d’être des êtres animés, qui ne différeraient en rien des ani- maux qui dorment. Une huitre, un zoophyte, qui ne parait avoir ni mouvement extérieur sen- sible, ni sens externe, est un être formé pour dormir toujours ; un végétal n’est dans ce sens qu'un animal qui dort; et en général les fonc- tions de tout être organisé qui n’aurait ni mou- vement, pisens, pourraient être comparées aux fonctions d’un animal qui serait par sa nature contraint à dormir perpétuellement. Dans l'animal , l’état de sommeil n’est donc pas un état accidentel occasionné par le plus ou moins grand exercice de ses fonctions pen- dant la veille : cet état est au contraireune ma- nière d'être essentielle, et qui sert de base à l'économie animale. C'est par le sommeil que commence notre existence; le fœtus dort pres- que continuellement, et l'enfant dort beaucoup plus qu'il ne veille. Le sommeil , qui parait être un état pure- ment passif, une espèce de mort, est done au contraire le premier état de l'animal vivant et le fondement de la vie : ce n’est point une*pri- vation, un anéantissement ; c'est une manière d'être, une facon d'exister tout aussi réelle et plus générale qu'aucune autre ; nous existons de cette facon avant d'exister autrement. Tous les êtres organisés qui n'ont point de sens n’exis- tent que de cette facon; aucun n'existe dans un état de mouvement continuel, et l'existence de tous participe plus ou moins à cet état de repos. Si nous réduisons l'animal, même le plus par- fait, à cette partie qui agit seule et continuelle- ment, il ne nous paraitra pas différent de ces êtres auxquels nous avons peine à accorder je nom d'animal : il nous paraitra, quant aux fonctions extérieures, presque semblable au vé- gétal; car, quoique l'organisation intérieure soit différente dans l'animal et dans le végétal, l'un DES ANIMAUX. 48 et l'autre ne nous offriront plus que les mêmes résultats ; ils se nourriront, ils croitront , ils se développeront , ils auront les principes d'un mouvement interne, ils possèderont une vie vé- gétale ; mais ils seront également privés de mou- vement progressif, d'action, de Sentiment, et ils n'auront aucun signe extérieur, aucun ca- ractère apparent de vie animale. Mais revêtons cette partie inférieure d'une enveloppe conve- nable, c’est-à-dire donnons-lui des sens et des membres, bientôt la vie animale se manifestera; et plus l’enveloppecontiendra de sens, de mem- bres et d'autres parties extérieures, plus la vie animale nous paraïtra complète, et plus l'ani- mal sera parfait. C’est donc par cette enveloppe que les animaux diffèrent entre eux : la partie intérieure qui fait le fondement de l’économie animale appartient à tousles animaux sans au- eune exception, et elle est à peu près la même, pour la forme, dans l'homme et dans les ani- maux qui ont de la chair et du sang; mais l’en- veloppe extérieure est très différente; et c'est aux extrémités de cette enveloppe que sont les plus grandes différences. Comparons, pour nous faire mieux entendre, le corps de l’homme avec celui d'un animal, par exemple, avec le corps du cheval, du bœuf, du cochon, etc. : la partie intérieure qui agit con- tinuellement, c’est-à-dire le cœur et les pou- mons, ou plus généralement les organes de la circulation et de la respiration, sont à peu près les mêmes dans l'homme et dans l'animal; mais la partie extérieure, l'enveloppe, est fort diffé- rente. La charpente du corps de l’animal, quoi- que composée de parties similaires à celles du corps humain, varie prodigieusement pour le nombre, la grandeur et la position : les os y sont plus ou moins allongés, plus ou moins ac- courcis, plus ou moins arrondis, plus ou moins aplatis, etce.; leurs extrémités sont plus ou moins élevées, plus ou moins eavées : plusieurs sont soudés ensemble; il y en a même quel- ques-uns qui manquent absolument, comme les clavicules ; il y en a d'autres qui sont en plus grand nombre, comme les cornets du nez, les vertèbres, les côtes, etc. ; d'autres qui sont en plus petit nombre, comme les os du carpe, du métacarpe, du tarse, du métatarse, les phalan- ges, ete. : cequi produitdes différences très-con- sidérablesdans la forme du corpsde cesanimaux, relativement à la forme du corps de l’homme. - De plus, si nous y faisons attention, nous IT. verrons que les plus grandes différences sont aux extrémités, et que c'est par ces extrémités que le corps de l'homme diffère le plus du corps de l'animal : car divisons le corps en trois par- ties principales, le trone, la tête etles membres; la tête et les membres, qui sont les extrémités du corps, sont ce qu'il y a de plus différent dans l’homme et dans l'animal. Ensuite en con sidérant les extrémités de chacune de ces trois parties principales, nous reconnaitrons que la plus grande différence dans la partie du tronc se trouve à l'extrémité supérieure et inférieure decette partie, puisquedans le corps del’homme il y a des clavicules en haut, au lieu que ces parties manquent dans la plupart des animaux. Nous trouverons pareillement à l'extrémité in- férieure du tronc un certain nombre de vertè- bres extérieures qui forment une queue à l'ani- mal, et ces vertèbres extérieures manquent à cette extrémité inférieure du corps de l'homme. De même l'extrémité inférieure de la tête, les mâchoires, et l'extrémité supérieure de la tête, les os du front, diffèrent prodigieusement dans l'homme et dans l'animal : les mâchoires dans la plupart des animaux sont fort allongées , etles os frontaux sont au contraire fort raccourcis. Enfin, en comparant les membres de l'animal avec ceux de l'homme, nous reconnaitrons en- core aisément que c'est par leurs extrémités qu'ils diffèrent le plus, rien ne se ressemblant moins, au premier coup d'œil, que la main hu- maine et le pied d'un cheval ou d'un bœuf. En prenant donc le cœur pour centre dans la machine animale, je vois que l’homme ressem- ble parfaitement aux animaux par l’économie de cette partie et des autres qui en sont voi- sines : mais plus on s'éloigne de ce centre, plus les différences deviennent considérables, et c'est aux extrémités qu'elles sont les plus grandes; et lorsque dans ce centre même il se trouve quel- que différence, l'animal est alors infiniment plus différent de l'homme; il est, pourainsi dire, d'une autre nature, et n'a rien de commun avec les espèces d'animaux que nous considérons. Dans la plupart des insectes, par exemple, l'or ganisation de celte principale partie de l'éco- nomie animale est singulière : au lieu de cœur et de poumons, on y trouve des parties qui ser- vent de même aux fonctions vitales, et que par cette raison l'on à regardées comme analogues à ces viscères , mais qui réellement en sont très- différentes, tant par la structure que par le ré- 51 482 SUR LA sultat de leur action : aussi les insectes diffèrent- ils . autant qu'il est possible, de l'homme et des autres animaux. Une légère différence dans ce centre de l'économie animale est toujours ac- compagnée d'une différence infiniment plus grande dans les parties extérieures. La tortue, dont le cœur est singulièrement conformé, est aussi un animal extraordinaire , qui ne ressem- ble à aucun autre animal. Que l'on considère l'homme, les animaux quadrupèdes , les oiseaux, les cétacées, les pois- sons, les amphibies, les reptiles; quelle prodi- gieuse variété dans la figure , dans la propor- tion de leur corps, dans le nombre et la position de leurs membres , dans la substance de leur chair, de leurs os, de leurs téguments! Les quadrupèdes ont assez généralement des queues, des cornes , et toutes les extrémités du corps différentes de celles de l’homme. Les cétacés vivent dans un autre élément; et, quoiqu’ils se multiplient par une voie de génération sembla- ble à celle des quadrupèdes, ils en sont très-dif- férents par la forme, n'ayant point d’extrémi- tés inférieures Lesoiseaux semblent en différer encore plus par leur bec, leurs plumes, leur vol, et leur génération par des œufs. Les poissons et les amphibies sont encore plus éloignés de la | forme humaine. Lesreptiles n’ont point de mem- bres. On trouve donc la plus grande diversité dans toute l'enveloppe extérieure : tous ont au contraire à peu près la mème conformation in- térieure : ils ont tous un cœur , un foie , un es- tomac, des intestins, des organes pour la géné- ration. Ces parties doivent donc être regardées comme les plus essentielles à l'économie ani- male, puisqu'elles sont de toutes les plus con- stantes et les moins sujettes à la variété. Mais on doit observer que dans l'enveloppe même il y a aussi des parties plus constantes les unes que les autres ; les sens , surtout cer- tains sens, ne manquent à aucun de ces ani- maux. Nous avons expliqué dans l’article des sens (Histoire naturelle de l'Homme), quelle peut être leur espèce de toucher : nous ne sa- vons pas de quelle nature est leur odorat et leur goût, mais nous sommes assurés qu'ils ont tous le sens de la vue, et peut-être aussi celui de l'ouie. Les sens peuvent donc être regardés comme une autre partie essentielle de l'écono- mie animale, aussi bien que le cerveau et ses enveloppes, quise trouve dans tous les animaux qui ont des sens, et qui en effet est la partie NATURE dont les sens tirent leur origine, et sur laquelle ils exercent leur première action. Les insectes même, qui différent si fort des autres animaux par le centre de Féconomie animale, ont une partie dans la tête analogue au cerveau, et des sens dont les fonctions sont semblables à celles des autres animaux ; et ceux qui, comme les huîtres , paraissent en être privés, doivent être regardés comme des demi-animaux, comme des êtres qui font la nuance entre les animaux | etles végétaux. Le cerveau et les sens forment doncune se- conde partie essentielle à l’économie animale; le cerveau est le centre de l'enveloppe, comme le cœur est le centre de la partie intérieure de l’a- nimal. C’est cette partie qui donne à toutes les autres parties extérieures le mouvement et l’ac- tion, par le moyen de la moelle, de l’épine et des nerfs, qui n’en sont que le prolongement : | et de la même façon que le cœur ettoute la par- tie intérieure communiquent avec le cerveau | et avec toute l'enveloppe extérieure par les vaisseaux sanguins qui s'y distribuent, le cer- veau communique aussi avec le cœur et toute | la partie intérieure par les nerfs qui s'y rami- fient. L'union parait intime et réciproque ; et, quoique ces deux organes aient des fonctions absolument différentes les unes des autres lors- qu’on les considère à part, ils ne peuvent ce- pendant être séparés sans que l'animal périsse à l'instant. ; Le cœur et toute la partie intérieure agissent continuellement, sans interruption, et, pour ainsi dire, mécaniquement et indépendamment d'au- cune cause extérieure; les sens au contraire et toute l'enveloppe n’agissent que par intervalles alternatifs , et par des ébranlements successifs -causés par les objets extérieurs. Les objets exercent leur action sur les sens ; les sens modi- fient cette action des objets, et en portent l'im- pression modifiée dans le cerveau, où cette im- pression devient ce que l’on appelle sensation; le cerveau, en conséquence de cette impression, agit sur les nerfs et leur communique l'ébran- lement qu'il vientde recevoir, et c'est cetébran- lement qui produit le mouvement progressif et toutes les autres actions extérieures du corps et des membres de l'animal. Toutes les fois qu'une cause agit sur un Corps, On sait que ce corps agit lui-même par sa réaction sur cette cause : ici les objets agissent sur l'animal par le moyen des sens, et l'animal réagit sur les objets par ses = DES ANIMAUX mouvements extérieurs; en général l'action est la cause, et la réaction l'effet. On me dira peut-être qu'ici l'effet n’est point proportionnel à la cause; que dans les corps so- lides qui suivent les lois de la mécanique la réac- tion est toujours égale à l’action ; mais que dans le corps animal il parait que le mouvement ex- térieur ou la réaction est incomparablement plus grande que l'action, et que par conséquent le mouvement progressif et les autres mouve- ments extérieurs ne doivent pas être regardés comme desimples effets de l'impression des ob- jets sur les sens. Mais il est aisé de répondre que si les effets nous paraissent proportionnels à leurs causes dans certains cas et dans certai- nes circonstances, il y a dans la nature un bien plus grand nombre de cas et de circonstances où les effets ne sont en aucune façon propor- tionnels à leurs causes apparentes. Avec une étincelle on enflamme un magasin à poudre, et l'on fait sauter une citadelle; avee un léger frottement on produit par l'électricité un coup violent, une secousse vive, quise fait sentir dans l'instant même à de très-grandes distan- ces, et qu'on n'affaiblit point en la partageant, en sorte que mille personnes qui se touchent ou se tiennent par la main en sont également af- fectées , et presque aussi violemment que si le coup n'avait porté que sur une seule : par con- séquent il ne doit pas paraitre extraordinaire qu'une légère impression sur les sens puisse produire dans le corps animal une violente réac- tion qui se manifeste par les mouvements ex- térieurs. Les causes que nous pouvons mesurer, et dont nous pouvons en conséquence estimer au juste la quantité des effets, ne sont pas en aussi grand nombre que celles dont les qualités nous échappent, dont la manière d’agir nous est in- connue, et dont nous ignorons par conséquent la relation proportionnelle qu'elles peuvent avoir avec leurs effets. Il faut, pour que nous puis- sions mesurer une cause, qu'elle soit simple, qu’elle soit toujours la même, que son action soit constante , ou, ce qui revient au même, qu'elle ne soit variable que suivant une loi qui noussoitexactement connue. Or, dans la nature, la plupart des effets dépendent de plusieurs cau- ses différemment combinées , de causes dont l'action varie, de causes dont les degrés d’ac- tivité ne semblent suivre aueune règle, aucune loi constante, et que nous ne pouyons par Con- 485 séquent ni mesurer , ni même estimer, que comme op estime des probabilités , en tâchant d'approcher de la vérité par le moyen des vrai- semblances. Je ne prétends donc pas assurer comme une vérité démontrée que le mouvement progressif et les autres mouvements extérieurs de l'animal aient pour cause , et pour cause unique, l'im- pression des objets sur les sens : je le dis seu- lement comme une chose vraisemblable, et qui me parait fondée sur de bonnes analogies ; car je vois que dans la nature tous les êtres orga- nisés qui sont dénués de sens sont aussi privés du mouvement progressif, et que tous ceux qui en sont pourvus ont tous aussi cette qualité ac- tive de mouvoir leurs membres et de changer de lieu. Je vois de plus qu'il arrive souvent que cette action des objets sur les sens met à l'in- stant l'animal en mouvement, sans même que la volonté paraisse y avoir part; et qu'il arrive toujours, lorsque c’est la volonté qui détermine le mouvement , qu'elle a été elle-même excitée par la sensation qui résulte de l'impression ac- tuelle des objets sur les sens, ou de la réminis- cence d’une impression antérieure. Pour le faire mieux sentir, considérons-nous nous-mêmes, et analysons un peu le physique de nos actions. Lorsqu'un objet nous frappe par quelque sens que ce soit, que la sensation qu'il produit est agréable, et qu'il fait naître un dé- sir, ce désir ne peut être que relatif à quelques- unes de nos qualités et à quelques-unes de nos manières de jouir ; nous ne pouvons désirer cet objet que pour le voir, pour le goûter, pour l'entendre, pour le sentir, pour le toucher; nous ne le désirons que pour satisfaire plus pleine- ment le sens avec lequel nous l'avons aperçu, ou pour satisfaire quelques-uns de nos autres sens en même temps, c'est-à-dire pour rendre la pre- mière sensation encore plus agréable, ou pour en exciter une autre, qui est une nouvelle ma- nière de jouir de cet objet : car si, dans le mo- ment mème que nous l'apercevons, nous pou- vions en jouir pleinement et par tous les sens à la fois, nous ne pourrions rien désirer. Le désir ne vient donc que de ce que nous sommes mal situés par rapport à l'objet que nous venons d’a- percevoir ; nous en sommes trop loin ou trop près : nous changeons done naturellement de si- tuation, parce qu'en même temps quenous ayons aperçu l'objet nous avons aussi apercu la dis- tance ou la proximité qui fait l'incommodité de 51. 184 SUR LA NATURE notre situation, et qui nous empêche d’en jouir pleinement. Le mouvement que nous faisons en conséquence du désir, et le désir lui-même, ne viennent done que del'impression qu'a faite cet objet sur nos sens. Que ce soit un objet que nous ayons aperçu par les yeux et que nous désirions de toucher, s’il est à notre portée nous étendons le bras pour l'atteindre, et s’il est éloigné nous nous mettons en mouvement pour nous en approcher. Un homme profondément occupé d’une spécula- tion ne saisira-t-il pas, s'il a grand'faim, le pain qu'il trouvera sous sa main ? il pourra même le porter à sa bouche et le manger sans s'en apercevoir. Ces mouvements sont une suite nécessaire de la première impression des objets; ces mouvements ne manqueraient jamais de succéder à cette impression , si d’autres im- pressions qui se réveillent en même temps ne s'opposaient souvent à cet effet naturel, soit en affaiblissant , soit en détruisant l’action de cette première impression. Un être organisé qui n’a point de sens , une huitre par exemple, qui probablement n’a qu'un toucher fort imparfait , est donc un être prive, non-seulement de mouvement progressif, mais même de sentiment et de toute intelligence, puisque l’un ou l’autre produiraient également le désir, et se manifesteraient par le mouve- ment extérieur. Je n'assurerai pas que ces êtres privés de sens soient aussi privés du sentiment même de leur existence; mais au moins peut- on dire qu'ils ne la sentent que très-imparfai- tement, puisqu'ils ne peuvent apercevoir ni sentir l'existence des autres êtres. C'est donc l’action des objets sur les sens qui fait naître le désir, et c’est le désir qui produit le mouvement progressif. Pour le faire encore mieux sentir, supposons un homme qui, dans l'instant où il voudrait s'approcher d’un objet, se trouverait tout à coup privé des membres nécessaires à cette action : cet homme, auquel nous retranchons les jambes, tâcherait de mar- cher sur ses genoux. Otons-lui encore les ge- noux et les cuisses, en lui conservant toujours le désir de s'approcher de l'objet, il s’efforcera alors de marcher sur ses mains. Privons-le en- core des bras et des mains, il rampera, il se trainera , il emploiera toutes les forces de son corps et s’aidera de toute la flexibilité des ver- tèbres pour se mettre en mouvement; il s’ac- crochera par le menton ou avec les dents à quel- que point d'appui pour tàcher de changer de lieu : et quand même nous réduirions son corps à un point physique, à un atome globuleux, si le désir subsiste, il emploiera toujours toutes ses forces pour changer de situation ; mais comme il n'aurait alors d'autre moyen pour se mouvoir que d'agir contre le plan sur le- quel il porte, il ne manquerait pas de s'élever plus ou moins haut pour atteindre à l’objet. Le mouvement extérieur et progressif ne dépend done point de l’organisation et de la figure du corps et des membres, puisque, de quelque ma- nière qu’un être fût extérieurement conformé, il ne pourrait manquer de se mouvoir, pourvu qu'il eùt des sens et le désir de les satisfaire. C'est, à la vérité, de cette organisation ex- térieure que dépend la facilité, la vites$e, la direction, la continuité, etc., du mouvement : mais la cause, le principe , l’action, la déter- mination , viennent uniquement du désir occa- sionné par l'impression des objets sur les sens : car supposons maintenant que, la conformation extérieure étant toujours la même, un homme se trouvât privé successivement de ses sens ,-il ne changera pas de lieu pour satisfaire ses yeux, s’il est privé de la vue ; il ne s’approchera pas pour entendre, si le son ne fait aucune impres- sion sur son organe; il ne fera jamais aucun mouvement pour respirer une bonne odeur ou pour en éviter une mauvaise, si son odorat est détruit; il en est de même du toucher et du goût: si ces deux sens ne sont plus susceptibles d'impression , il n’agira pas pour les satisfaire ; cet homme demeurera done en repos, et per- pétuellement en repos; rien ne pourra le faire changer de situation et lui imprimer le mouve- ment progressif, quoique par sa conformation extérieure il fût parfaitement capable de se mouvoir et d'agir. Les besoins naturels, celui, par exemple, de prendre de la nourriture , sont des mouvements intérieurs dont les impressions font naître le désir, l'appétit, et même la nécessité; ces mouvements intérieurs pourront done produire] des mouvements extérieurs dans l’animal: et, pourvu qu’il ne soit pas privé de tous les sens extérieurs , pourvu qu'il ait un sens relatif à ses besoins, il agira pour les satisfaire. Le be- soin n’est pas le désir, il en diffère comme la cause diffère de l'effet , et il ne peut le produire sans le concours des sens. Toutes les fois que l'animal aperçoit quelque objet relatif à ses DES ANIMAUX. besoins, le désir ou l'appétit naît, et l’action suit. Les objets extérieurs exerçant leur action sur les sens , il est donc nécessaire que cette action produise quelque effet : et on concevrait aisé- ment que l'effet de cette action serait le mou- vement de l'animal , si, toutes les fois que ses sens sont frappés de la même façon, le même effet, le même mouvement succédait toujours à cette impression. Mais comment entendre cette modification de l’action des objets sur l'animal, qui fait naître l'appétit ou la répugnance ? com- ment concevoir ce qui s'opère au-delà des sens à ce terme moyen entre l'action des objets et l'action de l'animal ? opération dans laquelle cependant consiste le principe de la détermi- nation du mouvement, puisqu'elle change et modifie l’action de l'animal, et qu'elle la rend quelquefois nulle malgré l'impression des objets. Cette question est d'autant plus difficile à ré- soudre, qu'étant par notre nature différents des animaux , l'âme a part à presque tous nos mou- vements, et peut-être à tous, et qu'il nous est très-difficile de distinguer les effets de l'action de cette substance spirituelle , de ceux qui sont produits par les seules forces de notre être ma- tériel : nous ne pouvons en juger que par ana- logie et en comparant à nos actions les opéra- tions naturelles des animaux ; mais comme cette substance spirituelle n’a été accordée qu'à l'homme, et que ce n'est que par elle qu'il pense et qu'il réfléchit, que l’animal est au con- traire un être purement matériel, qui ne pense ni ne réfléchit , et qui cependant agit et semble se déterminer, nous ne pouvons pas douter que le principe de la détermination du mouvement ne soit dans l’animal un effet purement méca- nique, et absolument dépendant de son orga- nisation. Je conçois donc que dans l'animal l’action des objets sur les sens en produit une autre sur le cerveau, que je regarde comme un sens in- térieur et général qui recoit toutes les impres- sions que les sens extérieurs lui transmettent. Ce sens interne est non-seulement susceptible d'être ébranlé par l’action des sens et des orga- nes éxtérieurs ; mais il est encore, par sa na- ture , capable de conserver longtemps l’ébran- lement que produit cette action; et c'est dans la continuité de cet ébranlement que consiste l'impression, qui est plus ou moins profonde à proportion que cet ébranlement dure plus ou moins de temps. 485 Le sens intérieur diffère donc des sens exté- rieurs, d'abord par la propriété qu'il a de re- cevoir généralement toutes les impressions, de quelque nature qu'elles soient; au lieu que les sens extérieurs ne les reçoivent que d'une ma- nière particulière et relative à leur conforma- tion, puisque l'œil n’est pas plus ébranlé par le son que l'oreille par la lumière, Seconde- ment, ce sens intérieur diffère des sens exté- rieurs par la durée de l'ébranlement que pro- duit l'action des causes extérieures ; mais, pour tout le reste , il est de la même nature que les sens extérieurs. Le sens intérieur de l'animal est, aussi bien que ses sens extérieurs, un or- gane , un résultat de mécanique, un sens pu- rement matériel. Nous avons, comme l'animal, ce sens intérieur matériel, et nous possédons de plus un sens d’une nature supérieure et bien différente, qui réside dans la substance spiri- tuelle qui nous anime et nous conduit. Le cerveau de l'animal est done un sens in- terne général et commun, qui recoit également toutes les impressions que lui transmettent les sens externes, c'est-à-dire tous les ébranlements que produit l'action des objets, et ces ébranle- ments durent et subsistent bien plus longtemps dans ce sens interne que dans les sens exter- nes : on le concevra facilement, si l’on fait at- tention que même dans les sens externes il y a une différence très-sensible dans la durée de leurs ébranlements. L'ébranlement que la lu- mière produit dans l'œil subsiste plus long- temps que l'ébranlement de l'oreille par le son ; il ne faut pour s’en assurer que réfléchir sur des phénomènes fort connus. Lorsqu'on tourne avec quelque vitesse un charbon allumé , ou que l’on met le feu à une fusée volante, ce char- bon allumé forme à nos yeux un cercle de feu, et la fusée volante une longue trace de flam- me : on sait que ces apparences viennent de la durée de l’ébranlement que la lumière produit surl’organe, et decequel’on voiten même temps la première et la dernière image du charbon ou de la fusée volante : or le temps entre la pre- mière et la dernière impression ne laisse pas d'être sensible. Mesurons cet intervalle, et di- sons qu'il faut une demi-seconde, ou, si l'on veut, un quart de seconde pour que le charbon allumé décrive son cercle et se retrouve au même point de la circonférence : cela étant, l'ébranlement causé par la lumière dure une demi-seconde ou un quart de seconde au moins. 486 SUR LA Mais l'ébrantement que produit le son n’est pas à beaucoup près d'une aussi longue durée, car l'oreille saisit de bien plus petits intervalles de temps : on peut entendre distinctement trois ou quatre fois le même son, ou trois ou quatre sons successifs dans l’espace d’un quart de seconde, et sept ou huit dans une demi-seconde; la der- nière impression ne se confond point avec la première, elle en ést distincte et séparée ; au lieu que dans l'œil la première et la dernière impression semblent être continues ; et c’est par cette raison qu'une suite de couleurs, qui se succéderaient aussi vite que des sons, doit se brouiller nécessairement, et ne peut pas nous affecter d'une manière distincte comme le fait une suite de sons. Nous pouvons done présumer, avec assez de fondement, que les ébranlements peuvent du- rer beaucoup plus longtemps dans le sens in- térieur qu'ils ne durent dans les sens extérieurs, puisque dans quelques-uns de ces sens même l'ébranlement dure plus longtemps que dans d’autres, comme nous venons de le faire voir de l'œil, dont les ébranlements sont plus dura- bles que ceux de l'oreille : c’est par cette rai- son que les impressions que ce sens transmet au sens intérieur sont plus fortes que les im- pressions transmises par l'oreille, et que nous nous représentons les choses que nous avons vues beaucoup plus vivement que celles que nous avons entendues. Il parait même que de tous les sens l'œil est celui dont les ébranle- ments ont le plus de durée, et qui doit par Con- séquent former les impressions les plus fortes, quoique en apparence elles soient les plus légè- res; car cet organe paraît par sa nature parti- ciper plus qu'aucun autre à la nature de l'or- gane intérieur. On pourrait le prouver par la quantité de nerfs qui arrivent à l'œil; il en re- coit presque autant lui seul que l’ouie, l'odorat et le goût pris ensemble. L'œil peut donc être regardé comme une continuation du sens intérieur : ce n’est, comme nous l'avons dit à l’article des sens, qu'un gros nerf épanoui, un prolongement de l'organe dans lequel réside le sens intérieur de l'animal; il n'est donc pas étonnant qu'il approche plus qu'aucun autre sens de la nature de ce sens in- térieur : en effet, non-seulement ses ébranle- ments sont plus durables , comme dans le sens intérieur, mais il a encore des propriétés émi- uentes au-dessus des autres sens, et ces pro- NATURE priétés sont semblables à celles du sens inté- rieur. L'œil rend au-dehors les impressions inté- rieures ; il exprime le désir que l'objet agréable qui vient de le frapper a fait naître ; c'est, comme le sens intérieur, un sens actif : tous les autres sens au contraire sont presque purement pas- sifs, ce sont de simples organes faits pour re- cevoir les impressions extérieures, mais inca- pables de les conserver, et plus encore de les réfléchir au-dehors. L’œil les réfléchit, parce qu'il les conserve ; et il les conserve, parce que les ébranlements dont il est affecté sont dura- bles, au lieu que ceux des autres sens naissent et finissent presque dans le même instant. Cependant, lorsqu'on ébranle très-fortement et très-longtemps quelque sens que ce soit, l'ébranlement subsiste et continue longtemps après l'action de l’objet extérieur. Lorsque l'œil est frappé par une lumière trop vive, ou lors- qu'il se fixe trop longtemps sur un objet, si la couleur de cet objet est éclatante , il reçoit une impression si profonde et si durable, qu’il porte ensuite l’image de cet objet sur tous les autres objets. Si l'on regarde le soleil un instant , on verra pendant plusieurs minutes, et quelquefois pendant plusieurs heures, et même plusieurs jours, l'image du disque du soleil sur tous les autres objets. Lorsque l'oreille a été ébranlée pendant quelques heures de suite par le même air de musique, par des sons forts auxquels on aura fait attention, comme par des hautbois ou par des cloches, l’ébranlement subsiste , on continue d'entendre les cloches et les hautbois ; l'impression dure quelquefois plusieurs jours , et ne s’efface que peu à peu. De même, lors- que l'odorat et le goût ont été affectés par une odeur très-forte et par une saveur très-dés- agréable, on sent encore longtemps après cette mauvaise odeur ou ce mauvais goût : et enfin lorsqu'on exerce trop le sens du toucher sur le même objet, lorsqu'on applique fortement un corps étranger sur quelque partie de notre corps, l'impression subsiste aussi pendant quel- que temps, et il nous semble encore toucher et être touché. Tous les sens ont donc la faculté de conser- ver plus où moins les impressions des causes extérieures, mais l'œil l’a plus que les autres sens; et le cerveau, où réside le sens intérieur de l'animal, a éminemment cette propriété; non-seulement il conserve les impressions qu’il DES ANIMAUX. a reçues, mais il en propage l'action en com- muniquant aux nerfs les ébranlements. Les or- ganes des sens extérieurs , le cerveau, qui est l'organe du sens intérieur, la moelle épinière, et les nerfs qui se répandent dans toutes les parties du corps animal, doivent être regardés comme faisant un corps continu , comme une machine organique dans laquelle les sens sont les parties sur lesquelles s'appliquent les forces ou les puissances extérieures; le cerveau est l'hypomochlion ou la masse d'appui, et les nerfs sont les parties que l’action des puissan- ces met en mouvement. Mais ce qui rend cette machine si différente des autres machines, c'est que l'hypomochlion est non-seulement capable de résistance et de réaction, mais qu'il est lui- mème actif, parce qu'il conserve longtemps l'ébranlement qu'il a reçu; et comme cet or- gane intérieur, le cerveau et les membranes qui l’environnent est d'une très-grande capa- cité et d’une très-grande sensibilité , il peut re- cevoir un très-grand nombre d'ébranlements successifs et contemporains, et les conserver dans l'ordre où il les a reçus, parce que cha- que impression n’ébranle qu'une partie du cer- veau, et que les impressions successives ébran- lent différemment la même partie, et peuvent ébranler aussi des parties voisines et contigués. Si nous supposions un animal qui n’eût point de cerveau, mais qui eùt un sens extérieur fort ensible et fort étendu, un œil, par exemple, dont la rétine eût une aussi grande étendue que celle du cerveau , et eût en même temps cette propriété du cerveau de conserver longtemps les impressions qu'elle aurait reçues, il est cer- tain qu'avec un tel sens l'animal verrait en même temps, non-seulement les objets qui le frapperaient actuellement, mais encore tous ceux qui l’auraient frappé auparavant , parce que dans cette supposition les ébranlements subsistant toujours , et la capacité de la rétine étant assez grande pour les recevoir dans des parties différentes , il apercevrait également et en même temps les premieres et les dernières images, et voyant ainsi le passé et le présent du même coup d'œil , il serait déterminé méca- niquement à faire telle ou telle action en consé- quence du degré de force et du nombre plus ou moins grand des ébranlements produits par les images relatives où contraires à cette détermi- nation. Si le nombre des images propres à faire baitre l'appétit surpasse celui des images propres 487 à faire naitre la répugnance, l'animal sera né- cessairement déterminé à faire un mouvement pour salisfaire cet appétit; et, si le nombre ou la force des images d'appétit sont égaux au nombre ou à la force des images de répugnance, l'animal ne sera pas déterminé , il demeurera en équilibre entre ces deux puissances égales , et il ne fera aucun mouvement, ni pour attein- dre, ni pour éviter. Je dis que ceci se fera mé- caniquement et sans que la mémoire y ait au- cune part ; car l'animal voyant en mème temps toutes les images, elles agissent par conséquent toutes en même temps: celles qui sont relatives à l'appétit se réunissent et s'opposent à celles qui sont relatives à la répugnance, et c’est par la prépondérance , ou plutôt par l'excès de la force et du nombre des unes ou des autres, que l'animal serait dans cette supposition né- cessairement déterminé à agir de telle ou telle façon. Ceci nous fait voir que dans l'animal le sens intérieur ne diffère des sens extérieurs que par cette propriété qu'a le sens intérieur de conser- ver les ébranlements, les impressions qu'il a reçues : cette propriété seule est suffisante pour expliquer toutes les actions des animaux et nous donner quelque idée de ce qui se passe dans leur intérieur ; elle peut aussi servir à dé- montrer la différence essentielle et infinie qui doit se trouver entre eux et nous , et en même temps à nous faire reconnaitre ce que nous avons de commun avec eux. Les animaux ont les sens excellents ; cepen- dant ils ne les ont pas généralement tous aussi bons que l'homme, et il faut observer que les degrés d'excellence des sens suivent dans l’a- nimal un autre ordre que dans l'homme. Le sens le plus relatif à la pensée et à la connaissance est le toucher : l'homme, comme nous l'avons prouvé, a ce sens plus parfait que les animaux. L'odorat est le sens le plus relatif à l'instinct, à l'appétit : l'animal a ce sens infiniment meilleur que l’homme ; aussi l'homme doit plus connai- tre qu'appéter , et l'animal doit plus appéter que connaitre. Dans l’homme, le premier des sens pour l'excellence est le toucher, et l’odo- rat est le dernier; dans l'animal, l'odorat est le premier des sens, et le toucher est le der- nier : cette différence est relative à la nature de l'un et de l’autre. Le sens de la vue ne peut avoir de sûreté, et ne peut servir à la connais- sance que par le secours du sens du toucher ; 488 SUR LA aussi le sens de la vue est-il plus imparfait, ou plutôt acquiert moins de perfection dans l'ani- mal que dans l'homme. L'oreille, quoique peut- être aussi bien conformée dans l'animal que dans l'homme, lui est cependant beaucoup moins utile par le défaut de la parole, qui dans l'homme est une dépendance du sens de loue, un organe de communication , organe qui rend ce sens actif, au lieu que dans l'animal l’ouie estun sens presque entièrement passif. L'homme a done le toucher, l'œil et l'oreille plus parfaits, et l'odorat plus imparfait que l'animal : et comme le goût est un odorat intérieur, et qu'il est encore plus relatif à l'appétit qu'aucun des autres sens, on peut croire que l'animal a aussi ce sens plus sûr et peut-être plus exquis que l'homme. On pourrait le prouver par la répu- gnance invincible que les animaux ont pour certains aliments, et par l'appétit naturel qui les porte à choisir, sans se tromper , ceux qui leur conviennent; au lieu que l’homme, s’il n'était averti, mangeraitle fruit du mancenillier comme la pomme , et la ciguë comme le persil. L'excellence dessens vient de la nature : mais l'art et l'habitude peuvent leur donner aussi un plus grand degré de perfection ; il ne faut pour cela que les exercer souvent et longtemps sur les mêmes objets. Un peintre, accoutumé à con- sidérer attentivement les formes, verra du pre- mier coup d'œil une infinité de nuances et de différences qu'un autre homme ne pourra saisir qu'avec beaucoup de temps, et que même il ne pourra peut-être saisir. Un musicien, dont l’o- reille est continuellement exercée à l'harmonie, sera vivement choqué d'une dissonance; une voix fausse, un son aigre l’offensera, le bles- sera; son oreille est un instrument qu'un son discordant demonte et désaccorde. L'œil du peintre est un tableau où les nuances les plus légères sont senties, où les traits les plus déli- cats sont tracés. On perfectionne aussi les sens et même l'appétit des animaux; on apprend aux oiseaux à répéter des paroles et des chants ; on augmente l’ardeur d’un chien pour la chasse en lui faisant curée. Mais cette excellence des sens et la perfec- tion même qu'on peut leur donner n'ont des effets bien sensibles que dans l'animal ; il nous paraitra d'autant plus actif et plus intelligent, que ses sens seront meilleurs ou plus perfection- nés. L'homme au contraire n’en est pas plus raisonnable, pas plus spirituel, pour avoir beau- NATURE coup exercé son oreille et ses yeux. On ne voit pas que les personnes qui oni les sens obtus, la vue courte, l'oreille dure, l’odorat détruit ou insensible, aient moins d'esprit que les autres, preuve évidente qu’il y a dans l'homme quel- que chose de plus qu’un sens intérieur animal: celui-ci n’est qu'un organe matériel , semblable à l'organe des sens extérieurs, et qui n’en dif- fère que parce qu'il a la propriété de conserver les ébranlements qu'il a reçus; l'âme de l’homme au contraire est un sens supérieur, une sub- stance spirituelle, entièrement différente , par son essence et par son action, de la nature des sens extérieurs. Ce n'est pas qu'on puisse nier pour cela qu'il y ait dans l'homme un sens intérieur matériel, relatif, comme dans l'animal, aux sens exté- rieurs ; l'inspection seule le démontre. La con- formité des organes dans l'un et dans l’autre, le cerveau qui est dans l’homme comme dans l'animal , et qui même est d’une plus grande étendue, relativement au volume du corps, suf- fisent pour assurer dans l'homme l'existence de ce sens intérieur matériel. Mais ce que je pré- tends , c'est que ce sens est infiniment subor- donné à l'autre. La substance spirituelle le com- mande; elle en détruit ou en fait naître l’action : ce sens, en un mot, qui fait tout dans l'animal, ne fait dans l’homme que ce quele sens supé- rieur n'empêche pas ; il fait aussi ce que le sens supérieur ordonne. Dans l'animal ce sens est le principe de la détermination du mouvement et de toutes les actions ; dans l’homme ce n’enest que le moyen ou la cause secondaire. Développons autant qu'il nous sera possible ce point important; voyons ce que ce sens in- térieur matériel peut produire : lorsque nous aurons fixé l'étendue de la sphère de son ac- tivité, tout ce qui n'y sera pas compris dépen- dra nécessairement du sens spirituel : l’âme fera tout ce que ce sens matériel ne peut faire. Si nous établissons des limites certaines entre ces deux puissances, nous reconnaitrons claire- ment ce qui appartient à chacune ; nousdistin- guerons aisément ce que les animaux ont de commun avec nous, et CG que nous avons au- dessus d'eux. Le sens intérieur matériel reçoit également toutes les impressions que chacun des sens exté- rieurs lui transmet . ces impressions viennent de l’action des objets, elles ne font que passer par les sens extérieurs, et ne produisent dans DES ANIMAUX. 489 ces sens qu'un ébranlement très-peu durable, et, pourainsidire, instantané : mais elles s'arrêtent sur le sens intérieur, et produisent dans le cer- veau, qui en est l'organe, des ébranlements du- rables et distincts. Ces ébranlements sont agréables ou désagréables, c'est-à dire sont re- latifs ou contraires à la nature de l'animal , et font naitre l'appétit ou la répugnance, selon l’é- tat et la disposition présente de l'animal. Pre- nons un animal au moment de sa naissance : dès que par les soins de la mère il se trouve débarrasséde sesenveloppes, qu'il a commencé à respirer et que le besoin de prendre de la nourriture se fait sentir, l'odorat, qui est le sens ce l'appétit, recoit les émanations de l'odeur da lait qui est contenu dans les mamelles de la ère : ce sens ébranlé par les particules odo- rantes communique cet ébranlement au cer- veau, et le cerveau agissant à son tour sur les nerfs, l'animal fait des mouvements et ouvre la bouche pour se procurer cette nourriture dont il a besoin. Le sens de l'appétit étant bien plus obtus dans l'homme que dans l'animal, l'en- fant nouveau-né ne sentquele besoin de prendre de la nourriture, il l'annonce par des cris; mais il ne peut se la procurer seul; iln’est point averti par l’odorat ; rien ne peut déterminer ses mou- vements pour trouver cette nourriture ; il faut l'approcher de la mamelle , et la lui faire sentir et toucher avec la bouche : alors ses sens ébran- lés communiqueront leur ébranlement à son cerveau, et, le cerveau agissant sur les nerfs, l'enfant fera les mouvements nécessaires pour recevoir et sucer cette nourriture. Ce ne peut être que par l’odorat et par le goût, c'est-à-dire par les sens de l'appétit, que l'animal est averti de la présence de la nourriture et du lieu où il faut la chercher : ses yeux ne sont point encore ouverts, et, le fussent-ils , ils seraient, dans ces premiers instants, inutiles à la détermination du mouvement. L'œil, qui est un sens plus relatif à la connaissance qu'à l'appétit, estouvertdans l'hommeau moment de sa naissance, et demeure dans la plupart des animaux fermé pour plu- sieurs jours. Les sens de l'appétit, au contraire, sont bien plus parfaits et bien plus développés dans l'animal que dans l'enfant : autre preuve que dans l'homme les organes de l'appétit sont moins parfaits que ceux de la connaissance, et que dans l’animal ceux de la connaissance le sont moins que ceux de l'appétit. Les sens relatifs à l'appétit sont donc plus dé- veloppés dans l'animal qui vient de naitre, que dans l'enfant nouveau-né. Il en est de même du mouvement progressifet de tous les autres mou- vements extérieurs : l'enfant peut à peine mou- voir ses membres , il se passera beaucoup de temps avant qu'ilait la force de changer de lieu; le jeune animal au contraire acquiert en très- peu de temps toutes ces facultés. Comme elles ne sont dans l'animal que relatives à l'appétit, que cet appétit est véhément et promptement développé, et qu'il est le principe unique de la détermination de tous les mouvements; que dans l'homme au contraire l'appétit est faible, ne se développe que plus tard, et ne doit pas influer autant que la connaissance sur la déter- mination des mouvements , l'homme est à cet égard plus tardif que l'animal. Tout concourt donc à prouver, même dans le physique, que l'animal n’est remué que par l'ap- pétit, et que l'homme est conduit par un prin- cipe supérieur : s'il y a toujours eu du doute sur ce sujet, c’est que nous ne Concevons pas bien comment l'appétit seul peut produire dans l'animal des effets si semblables à ceux que pro- duit chez nous la connaissance ; etque d’ailleurs nous ne distinguons pas aisément ce que nous faisons en vertu de laconnaissance de ce que nous ne faisons que par la force de l'appétit. Cepen- dant il me semble qu'il n’est pas impossible de faire disparaitre cette incertitude, etmême d’ar- river à la conviction, en employant le principe que nous avons établi. Le sens intérieur maté- riel , avons-nous dit, conserve longtemps les ébranlements qu'il a reçus ; ce sens existe dans l'animal, le cerveau en est l'organe ; ce sens re- coit toutes les impressions que chacun des sens extérieurs luitransmet. Lorsqu'une cause exté- rieure , un objet de quelque nature qu'il soit, exerce donc son action sur les sens extérieurs, cette action produit un ébranlement durable dans le sens intérieur; cet ébranlement commu- nique du mouvement à l'animal. Ce mouvement sera déterminé, si l'impression vient des sens de l'appétit, car l’animalavancera pour atteindre ou se détournera pour éviter l’objet de cette im- pression, selon qu'il en aura été flatté ou blessé. Ce mouvement peut aussi être incertain, lors- qu'il sera produit par les sens qui ne sont pas relatifs à l'appétit, comme l'œil et l'oreille. L'a- nimal qui voit ou qui entend pour la première fois est à la vérité ébranlé par la lumière ou par le son; mais l'ébranlement ne produira d'a- 420 bord qu'un mouvement incertain, parce que l'impression de la lumière ou du son n’est nulle- ment relative à l'appétit; ce n'est que par des actes répétés, et lorsque l'animal aura joint aux impressions du sens de la vue ou de l’ouie celles de l'odorat, du goût ou du toucher, que lemouve- ment deviendra déterminé, et qu’en voyant un objet ou en entendant un son, il avancera pour allteindie, où reculera pour éviter la chose qui produit ces impressions devenues par l'expé- rience relatives à ses appétits. Pour nous faire mieux entendre, considérons un animal instruit, un chien par exemple, qui, quoique pressé d’un violentappétit, semble n’0- ser toucher et ne touche point en effet à ce qui pourrait le satisfaire, mais en même temps fait beaucoup de mouvements pour l'obtenir de la main de son maitre ; cet animal ne parait-il pas combiner des idées? ne parait-il pas désirer et craindre, en un mot raisonner à peu près comme un homme qui voudrait s'emparer du bien d’au- trui, et qui, quoique violemment tenté, est re- tenu par la crainte du châtiment ? voilà l'inter- prétation vulgaire de la conduite de l'animal. Comme c'est de cette façon que la chose se passe chez nous, il est naturel d'imaginer, et on ima- gine en effet, qu'elle se passe de même dans l’a- nimal. L’analogie, dit-on, est bien fondée, puisque l'organisation et la conformation des sens , tant à l'extérieur qu'à l'intérieur sont semblables dans l'animal et dans l’homme. Ce- pendant ne devrions-nous pas voir que pour que cetteanalogie fût en effet bien fondée, il faudrait quelque chose de plus, qu'il faudrait du moins que rien ne püt la démentir; qu'il serait néces- saire que les animaux pussent faire, et fissent dans quelques occasions, tout ce que nous fai- sons? Or, lecontraire estévidemment démontré; ils n’inventent , ils ne perfectionnent rien ; ils ne réfléchissent par conséquent sur rien; ils ne font jamais que les mêmes choses, de la même façon : nous pouvons done déjà rabattre beau- coup de la force de cette analogie ; nous pouvons même douter de sa réalité, et nous devons cher- cher si ce n’est pas par un autre principe diffé- rent du nôtre qu'ils sont conduits, et si leurs sensne suffisent pas pour produire leurs actions, sans qu'il soit nécessaire de leur accorder une connaissance de réflexion. Tout ce qui est relatif à leur appétit ébranle très-vivement leur sens intérieur ; et le chien se jetterait à l'instant sur l'objet de cet appétit, SUR LA NATURE si ce même sens intérieur ne conservait pas les impressions antérieures de douleur dont cette action a été précédemment accompagnée : les impressions extérieures ont modifié l'animal ; cette proie qu'on lui présente n'est pas offerte à un chien simplement, mais à un chien battu; et comme il a été frappé toutes les fois qu'il s’est livré à ce mouvement d’appétit, les ébran- lements de douleur se renouvellent en même temps que ceux de l'appétit se font sentir, parce que ces deux ébranlements se sont toujours faits ensemble. L'animal étant donc poussétout à la fois par deux impulsions contraires qui se détruisent mutuellement , il demeure en équi- libre entre ces deux puissances égales ; la cause déterminante de son mouvement étant contre- balancée, il ne se mouvra pas pour atteindre à l'objetde son appétit. Mais les ébranlements de l'appétit et de la répugnance, ou, si l’on veut, du plaisir et de la douleur, subsistant tou- jours ensemble dans une opposition qui en dé- truit les effets, il se renouvelle en même temps dans le cerveau de l’animal un troisième ébranlement, quiasouvent accompagné les deux premiers : c’est l’ébranlement causé par l’action de son maitre , de la main duquel il a souvent reçu ce morceau qui est l’objet de son appétit; etcomme ce troisième ébranlement n’est contre- balancé par rien de contraire, il devient la cause déterminante du mouvement. Le chien sera donc déterminé à se mouvoir vers son maître et à s'agiter jusqu’à ce que son appétit soit sa- üsfait en entier. On peut expliquer de la:même façon, et par les mêmes principes, toutes les actions des ani- maux, quelquecompliquées qu'elles puissent pa- raitre, sans qu'il soit besoin de leur accorder, ni la pensée , ni la réflexion ; leur sens intérieur suffit pour produire tous leurs mouvements. Il ne reste plus qu'une chose à éclaircir, c’est ja nature de leurs sensations , qui doivent être, suivant ce que nous venons d'établir, bien dif- férentesdes nôtres. Les animaux, nousdira-t-on, n’ont-ils donc aucune connaissance? leur ôtez- vous la conscience de leur existence , le senti- ment? puisque vous prétendez expliquer méca- niquement toutes leurs actions, ne les réduisez- vous pas à n'être que de simples machines, que d'insensibles automates ? Sije me suis bien expliqué, on doit avoir déjà vu que, bien loin de tout ôter aux animaux, je leur accorde tout, à l'exception de la pensée et DES ANIMAUX. de la réflexion; ils ont le sentiment , ils l'ont même à un plus haut degré que nous ne l’a- vons; ils ont aussi la conscience de leur exis-, tence passée ; ils ont des sensations, mais il leur manque la faculté de les comparer, c'est-à-dire la puissance qui produit les idées; car les idées ne sont que des sensations comparées, ou, pour mieux dire, des associations de sensations. Considérons en particulier chacun de ces ob- jets. Les animaux ont le sentiment, mème plus exquis que nous ne l'avons. de crois ceci déjà prouve par ce que nous avons dit de l'excellence de ceux de leurs sens qui sont relatifs à l'appé- tit, par la répugnance naturelle et invincible qu'ils ont pour de certaines choses, et l'appétit constant etdécidé qu'ils ont pour d'autreschoses ; par cette faculté qu'ils ont bien supérieurement à nous, de distinguer sur-le-champ et sans aucune incertitude ce qui leur convient de ce qui leur est nuisible. Les animaux ont donc - comme nous de la douleur et du plaisir; ils ne connaissent pas le bien et ke mal, mais ils le sentent. Ce qui leur est agréable est bon, ce qui leur est désagréable est mauvais: l’un et l’autre ne sont que des rapports convenables ou con- traires à leur nature, à leur organisation. Le plaisir que le chatouillement nous donne, la douleur que nous cause une blessure, sont des douleurs et des plaisirs qui nous sont communs avec les animaux, puisqu'ils dépendent abso- lument d'une cause extérieure matérielle, c'est- à-dire d’une action plus ou moins forte sur les nerfs qui sont les organes du sentiment. Tout ce qui agit moliement sur ces organes, tout ce qui lesremuedélicatement, est une cause de plaisir; tout ce qui les ébranle violemment, tout ce qui les agite fortement, est une cause de douleur. Toutes les sensations sont donc des sources de plaisir tant qu'elles sont douces , tempérées et naturelles ; mais dès qu'elles deviennent trop fortes, elles produisent la douleur, qui, dans le physique, est l'extrême plutôt que le contraire du plaisir. En effet, une lumière trop vive, un feu trop ardent , up grand bruit, une odeur trop forte, un metsinsipide ou grossier, un frottement dur , nous blessent ou nous affectent désagréa blement ; au lieu qu'une couleur tendre, une chaleur tempérée, un son doux, un parfum déli- cat, une saveur fine, un attouchement légernous flattent et souvent nous remuent délicieuse- 491 plaisir, et toute secousse forte, tout ébranlement violent, est une douleur; et comme les causes qui peuvent occasionner des commotions et des ébranlements violents se trouventplus rarement dans la nature que celles qui produisent des mouvements doux et des effets modérés; que d’ailleurs les animaux , par l'exercice de leurs sens, acquièrent en peu de temps les habitudes nonseulementd'éviter lesrencontresoffensantes et de s'éloigner des chosesnuisibles, mais même de distinguer les objets qui leur conviennent et de s'en approcher, il n’est pas douteux qu'ils n'aient beaucoup plus de sensations agréables que desensations désagréables, etque la somme du plaisir ne soit plus grande que celle de la douleur. . Si dans l'animal le plaisir n’est autre chose quece qui flatteles sens, et que dans le physique ce qui [latte les sens ne soit que ce qui convient à la nature ; sila douleur au contraire n’est que ce qui blesse les organes et ce qui répugne à la nature; si, en un mot, le plaisir est le bien, et la douleur le mal physique, on ne peut guère douter que tout être sentant n'ait en général plus de plaisir que de douleur : car tout ce qui est convenable à sa nature, tout ce qui peut contribuer à sa conservation, tout ce qui sou- tient son existence est plaisir ; tout ce qui tend au contraire à sa destruction, tout ce qui peut déranger son organisation , tout ce qui change son état naturel, est douleur. Ce n’est done que par le plaisir qu'un être sentant peut con- tinuer d'exister; et si la somme des sensations flatieuses, c'est-à-dire des effets convenables à sa nature, ne surpassait pas celle des sensations douloureuses ou des effets qui lui sont contraires, privé de plaisir, il languirait d'abord faute de bien ; chargé de douleur, il périrait ensuite par l'abondance du mal. Dans l'homme, le plaisir et la douleur physi- ques ne font que la moindre partie de ses peines et deses plaisirs : son imagination, qui travaille continuellement, fait tout, ou plutôt ne fait rien que pour son malheur; car elle ne présente à l'âme que des fantômes vains ou des images exagérées, et la force à s’en occuper. Plus agi- tée par ces illusions qu'elle ne le peut être par les objets réels, l'âme perd sa faculté de juger, et même son empire ; elle ne compare que des chimères: elle ne veut plus qu'en second, et souvent elle veut l'impossible; sa volonté qu'elle ment. Tout effleurement des sens est done un | ne détermine plus lui devient donc à charge ; 492 SUR LA ses désirs outrés sont des peines, et ses vaines espérances sont tout au plus de faux plaisirs qui disparaissent et s’'évanouissent dès que le calme succède, et que l'âme reprenant sa place vient à les juger. Nous nous préparons donc des peines toutes | les fois que nous cherchons des plaisirs; nous sommes malheureux dès que nous désirons d'être plus heureux. Le bonheur est au-dedans de nous-mêmes, il nous a été donné; le malheur estau-de horsetnous l’allonschercher. Pourquoi ne sommes-nous pas convaincus que la jouis- sance paisible de notre âme est notre seul et vrai bien, que nous ne pouvons l’augmenter sans risquer de le perdre, que moins nous dési- rons et plus nous possédons; qu'enfin tout ce que nous voulons au-delà de ce que la nature peut nous donner est peine, et que rien n'est plaisir que ce qu’elle nous offre? Or, la nature nous a donné etnousoffre encore à tout instant des plaisirs sans nombre; elle à pourvu à nos besoins, elle nous a munis contre la douleur. Il y a dans le physique infiniment plus de bien que de mal: ce n’est done pas la réalité, c'est la chimère qu’il faut craindre; ce n’est, ni la douleur du corps, ni les maladies, ni la mort, mais l'agitation de l'âme, les passions et l'ennui, qui sont à redouter. Les animaux n’ont qu'un moven d’avoir du plaisir, c’est d'exercer leur sentiment pour sa- tisfaire leur appétit: nous avons cette même fa- culté, et nous avons de plus un autre moyen de plaisir, c'est d'exercer notre esprit, dont l'appé- tit est de savoir. Cette source de plaisirs serait la plus abondante etla plus pure, si nos passions, en s'opposant à son cours, ne venaient à la troubler : elles détournent l'âme de toute con- templation; dès qu'elles ont pris le dessus, la raison est dans le silence, ou du moins elle n'é- lève plus qu'une voix faible et souvent impor- tune ; le dégoût de la vérité suit; le charme de l'illusion augmente, l'erreur se fortifie, nous entraine et nous conduit au malheur: car quel malheur plus grand que de ne plus rien voir tel qu'il est, de ne plus rien juger que relativement à sa passion , de n’agir que par son ordre , de paraitre en conséquence injuste ou ridicule aux autres, et d'être forcé de se mépriser soi-même lorsqu'on vient à s’examiner ? Dans cet état d'illusion et de ténèbres, nous voudrions changer la nature même de notre âme ; elle ne nous a été donnée que pour cou- NATURE | vaître , nous ne voudrions l’'employer qu'à sen tir; si nous pouvions étouffer en entier sa lu mière , nous n'en regretterions pas la perte, nous envierions volontiers le sort des insensés. Comme ce n'est plus que par intervalles que nous sommes raisonnables , etque cesintervalles de raison nous sont à charge et se passent en reproches secrets , nous voudrions les suppri- mer. Ainsi, marchant toujours d'illusions en illu- sions, nous cherchons volontairement à nous perdre de vue, pour arriver bientôt à ne nous plus connaître, et finir par nous oublier. Une passion sans intervalles est démence, et l'état de démence est pour l’âme un état de mort. De violentes passions avec des intervalles sont des accès de folie, des maladies de l'âme d'autant plus dangereuses qu'elles sont plus longues et plus fréquentes. La sagesse n'est que la somme des intervalles de santé que ces accès nous laissent : cette somme n'est point celle de notre bonheur; car nous sentons alors que notre âme a été malade ; nous blâmons nos passions, nous condamnons nos actions. La folie est le germe du malheur , et c'est la sagesse qui le développe. La plupart de ceux qui se disent malheureux sont des hommes passionnés, c'est- à-dire des fous, auxquels il reste quelques in- tervalles de raison , pendant lesquels ils con- naissent leur folie, et sentent par conséquent leur malheur : et comme il y a dans les condi- tions élevées plus de faux désirs, plus de vaines prétentions, plus de passions désordonnées, plus d'abus de son âme, que dans les états infé- rieurs, les grands sont sans doute de tous les hommes les moins heureux. Mais détournons les yeux de ces tristes ob- jets et de ces vérités humiliantes : considérons l’homme sage, le seul qui soit digne d’être con- sidéré : maître de lui-même, il l'est des événe- ments ; content de son état, il ne veut être que comme il a toujours été, ne vivre que comme il a toujours véeu; se suffisant à lui-même, il n’a qu'un faible besoin des autres , il ne peut leur être à charge; occupé continuellement à exer- cer les facultés de son âme, il perfectionne son entendement, il cultive son esprit, il acquiert de nouvelles connaissances, et se satisfait àtout instant sans remords , sans dégoût; il jouit de tout l'univers en jouissant de lui-même. Un tel homme est sans doute l'être le plus heureux de la nature : il joint aux plaisirs du corps, qui lui sont communs avec les animaux, DES ANIMAUX. les joies de l'esprit, qui n’appartiennent qu'à lui : iladeuxmoyensd'être heureux, quis’aident et se fortifient mutuellement; et si par un dé- rangement de santé, ou par quelque autre acci- dent, ilvientà ressentir de la douleur, ilsouffre moins qu'un autre; la force de son âme le sou- tient, la raison le console ; il a même de la satis- faction en souffrant, c'est de se sentir assez fort pour souffrir. La santé de l'homme est moins ferme etplus chancelante que celle d'aucun des animaux, il est malade plus souvent et plus longtemps: il péritàtoutâge, au lieu que les animaux semblent parcourir d’un pas égal et ferme l'espace de la vie. Cela me parait venir de deux causes, qui, quoique bien différentes , doivent toutes deux contribuer àcet effet. La premièreest l'agitation de notre âme; elle est occasionnée par le déré- glement de notre sens intérieur matériel : les passions et les malheurs qu’elles entrainent in- fluent sur la santé, et dérangent les principes qui nous animent. Si l’on observaitles hommes, on verrait que presque tous mènent une vie ou timide ou contentieuse, et que la plupart meurent de chagrin. La seconde est l'imperfection de ceux de nos sens qui sont relatifs à l'appétit. Les animaux sentent bien mieux que nous ce qui convient à leur nature, ils ne se trompent pas dans le choix de leurs aliments, ils ne s’ex- cèdent pas dans leurs plaisirs ; guidés par le seul sentiment de leurs besoins actuels, ils se satis- font sans chercher à en faire naitre de nou- veaux. Nous, indépendamment de ce que nous voulons tout à l'excès, indépendamment de cette espèce de fureur avec laquelle nous cher- chons à nous détruire en cherchant à forcer la nature , nous ne savons pas trop ce qui nous convient ou ce qui nous est nuisible; nous ne distinguons pas bien les effets de telle ou telle nourriture;nousdédaignonsles aliments simples, et nous leur préférons des mets composés, parce quenous avons corrompu notre goût et que d'un sens de plaisir nous en avons fait un organe de débauche, quin'est flatté que de ce qui l'irrite. Il n'est donc pas étonnant que nous soyons, plus que les animaux, sujets à des infirmités, puisque nous ne sentons pas aussi bien qu'eux ce qui nous est bon ou mauvais , ce qui peut con- tribuer à conserver ou à détruire notre santé; que notre expérience est à cet égard bien moins sûre que leur sentiment; que d’ailleurs nous abusons infiniment plus qu'eux de ces mêmes 493 sens de l’appétitqu'ils ont meilleurs et plus par- faits que nous, puisque ces sens ne sont pour eux que des moyens de conservation et de santé, et qu'ils deviennent pour nous des causes de des- tuction et de maladies. L'intempérance détruit etfaitlanguir plus d'hommes, elle seule, que tous les autres fléaux de la nature humaine réunis, Toutes ces réflexions nous portent à croire que les animaux ont le sentiment plus sûr et plus exquis que nous ne l'avons ; car, quand même on voudrait m'opposer qu'il y a des ani- maux qu'on empoisonne aisément, que d'autres s'empoisonnent eux-mêmes, et que par consé- quentces animaux ne distinguent pas mieux que nous ce qui peutleur être contraire, je répondrai toujours qu'ils ne prennent le poison qu'avec l'appât dont il est enveloppé ou avec la nourri- ture dont il se trouve environné; que d'ailleurs ce n’est que quand ils n’ont point à choisir, quand la faim les presse, et quand le besoin devient nécessité, qu'ils dévorent en effet tout ce qu'ils trouvent ou tout ce qui leur est pré- senté, et encore arrive-t-il que la plupart se laissent consumer d’inanition et périr de faim, plutôt que de prendre des nourritures qui leur répugnent. Les animaux ont donc le sentiment, même à un plus haut degré que nous ne l'avons; je pour- rais le prouver encore par l'usage qu’ils font de ce sens admirable , qui seul pourrait leur tenir lieu de tous les autres sens La plupart des ani- maux ont l’odorat si parfait, qu'ils sentent de plus loin qu'ils ne voient; non seulementils sen- tent de très-loin les corps présents et actuels, mais ils en sentent les émanations et les traces longtemps après qu'ils sont absents et passés. Un tel sens est un organe universel de senti- ment; c’est un œil qui voitles objets, non seu- lement où ils sont, mais même partout où ils ont été; c'est un organe de goût par lequel l'a- nimalsavoure, non seulement ce qu'il peut tou- cher et saisir, mais même ce qui est éloigné et qu'il ne peut atteindre; c’est le sens par lequel il est le plus tôt, le plus souvent et le plus sûre- ment averti, par lequel il agit, il se détermine, par lequel il reconnait ce qui est convenable ou contraire à sa nature, par lequel enfin il aper- çoit, sent et choisit ce qui peut satisfaire son ap- pétit. Les animaux ont done les sens relatifs à l’ap- pétit plus parfaits que nous ne les avons, et par conséquent ils ont le sentiment plus exquis et 494 à un plus haut degré que nous ne l'avons; ils ont aussi la conscience de leur existence ac- tuelle, mais ils n’ont pas celle de leur existence passée. Cette seconde proposition mérite, comme la première, d'être considérée; je vais tâcher d'en prouver la vérité. La conscience de son existence, ce sentiment intérieur qui constitue le #0, est composé chez nous de la sensation de notre existence actuelle, et du souvenir de notre existence passée. Ce souvenir est une sensation tout aussi présente que la première; elle nous occupe même quel- quefois plus fortement , et nous affecte plus puissamment que les sensations actuelles; et comme ces deux espèces de sensations sont différentes, et que notre âme a la faculté de les comparer et d'en former des idées, notre con- science d'existence est d'autant plus certaine et d'autant plus étendue, que nous nous représen- tons plus souvent et en plus grand nombre les choses passées, et que par nos réflexions nous les comparons et les combinons davantage en- tre elles et avec les choses présentes. Chacun conserve dans soi-même un certain nombre de sensations relatives aux différentes existences, c'est-à-dire aux différents états où l’on s’est trouvé ; ce nombre de sensations est devenu une succession et a formé une suite d'idées par la comparaison que notre âme a faite de ces sen- sations entre elles. C'est dans cette comparai- son de sensations que consiste l’idée du temps; et même toutes les autres idéesne sont, comme nous l’avonsdéjà dit , que dessensationscompa- rées. Mais cette suite de nos idées, cette chaîne de nos existences, se présente à nous souvent dans un ordre fort différent de celui dans lequel nos sensations nous sont arrivées : c’est l’ordre de nos idées, c’est-à-dire des comparaisons que notre âme a faites de nos sensations, que nous voyons, et point du tout l'ordre de ces sensa- tions , et c’est en cela principalement que con- siste la différence des caractères et des esprits; car de deux hommes que nous supposerons semblablement organisés, et qui auront été éle- vés ensemble et de la même facon, l'un pourra penser bien différemment de l’autre, quoique tous deux aient reçu leurs sensations dans le même ordre; mais comme la trempe de leurs âmes est différente, et que chacune de ces âmes a comparé et combiné ces sensations sembla- bles d’une manière qui lui est propre et par- ticulière , le résultat général de ces comparai- SUR LA NATULE sons, c'est-à-dire les idées, l'esprit et le carac- tère acquis, seront aussi différents. Il ya quelques hommes dont l’activité de l'âme est telle, qu’ils ne recoivent jamais deux sensa- tions sans les comparer et sans en former par conséquent une idée : ceux-ci sont les plus spi- rituels, et peuvent, suivant les circonstances, devenir les premiers des hommes en tout genre. Il y en a d’autres en assez grand nombre dont l'âme moins active laisse échapper toutes les sen- sations qui n’ont pas un certain degré de force, et ne compare que celles qui l’ébranlent for- tement; ceux-ci ont moins d'esprit que les pre- miers, et d'autant moins que leur âmese porte moins fréquemment à comparer leurs sensations et à en former des idées. D'autres enfin, et c’est la multitude, ont si peu de vie dans l’âme, et une si grande indolence à penser, qu'ils ne com- parent et ne combinent rien , rien au moins du premier coup d'œil; il leur faut des sensations fortes et répétées mille et mille fois, pour que leurâme vienne enfin à en comparer quelqu'une et à former une idée : ces hommes sont plus ou moins stupides, et semblent ne différer des ani- maux que par ce petit nombre d'idées que leur âne a tant de peine à produire. La conscience de notre existence étant done composée, non seulement de nos sensations ac- tuelles, mais même de la suite d'idées qu'a fait naître la comparaison de nos sensations et de nos existences passées, il est évident que plus on a d'idées, et plus on est sûr de son exis- tence ; que plus on a d'esprit, plus on existe; qu'enfin c’est par la puissance de réfléchir qu'a notre âme, et par cette seule puissance, que nous sommes certains de nos existences passées et que nous voyons nos existentes futures, l'i- dée de l'avenir n’étant que la comparaison in- verse du présent au passé, puisque dans cette vue de l'esprit le présent est passé, et l'avenir est présent. Cette puissance de réfléchir ayant été refusée aux animaux, il est donc certain qu’ils ne peu- vént former d'idées, et que par consequent leur conscience d'existence est moins sûre et moins étendue que la nôtre; car ils ne peuvent avoir aucune idée du temps, aucune connaissance du passé, aueune notion de l'avenir : leur con- science d'existence est simple, elle dépend uni- quement des sensations qui les affectent actuel- lement, et consiste dans le sentiment intérieur que ces sensations produisent "4h DES ANIMAUX. 195 Ne pouvons-nous pas concevoir ce que c'est que cette conscience d'existence dans les ani- maux, en faisant réflexion sur l’état où nous nous trouvons lorsque nous sommes fortement occupés d'un objet, ou violemment agités par une passion qui ne nous permet de faire aucune réflexion sur nous-mêmes? On exprime l'idée de cet état en disant qu'on est hors de soi, et l'on est en effet hors de soi dès que l'on n’est occupé que des sensations actuelles, et l'on est d'autant plus hors de soi, que ces sensations sont plus vives, plus rapides, et qu’elles don- nent moins de temps à l'âme pour les considé- rer : dans cet état, nous nous sentons, nous sen- tons même le plaisir et la douleur dans toutes leurs nuances; nous avons donc alors le senti- ment, la conscience de notre existence, sans que notre âme semble y participer. Cet état, où nous ne nous trouvons que par instants, est l’é- tathabituel des animaux; privés d'idées et pour- vus de sensations , ils ne savent point qu'ils existent, mais ils le sentent. Pour rendre plus sensible la différence que j'établis ici entre les sensations et les idées et pour démontrer en même t-mps que les ani- maux ont des sensations et qu'ils n’ont point d'idées, considérons en détail leurs facultes et les nôtres, et comparons leurs opérations à nos actions. Ils ont comme nous des sens, et par conséquent ils reçoivent les impressions des ob- jets extérieurs: ils ont comme nous un sens in- térieur , un organe qui conserve les ébranle- ments causés par ces impressions, et par Con- séquent ils ont des sensations qui, comme les nôtres, peuvent se renouveler , et sont plus ou moins fortes et plus ou moins durables : cepen- dant ils n’ont ni l'esprit, ni l’entendement , ni la mémoire comme nous l’avons, parce qu'ils n'ont pas la puissance de comparer leurs sensa- tions, et que ces trois facultés de notre âme dé- pendent de cette puissance. Les animaux n'ont pas la mémoire ? le con- traire paraît démontré, me dira-t-on; ne recon- naissent-ils pas après une absence les personnes auprès desquelles ils ont vécu, les lieux qu'ils ont habités, les chemins qu'ils ont parcourus ? ne se souviennent-ils pas des châtiments qu'ils ontessuyés, des caresses qu’on leur a faites, des lecons qu'on leur a données? Tout semble prou- ver qu'en leur ôtant l'entendement et l'esprit, on ne peut leur refuser la mémoire, et une mé- moire active , étendue, et peut-être plus fidèle que la nôtre. Cependant , quelque grandes que soient ces apparences, et quelque fort que soit le préjugé qu'elles ont fait naître, je crois qu'on peut démontrer qu'elles nous trompent ; que les animaux n'ont aucune connaissance du passé, aucune idée du temps, et que par con- séquent ils n’ont pas la mémoire. Chez nous, la mémoire émane de la puis- sance de réfléchir ; car le souvenir que nous avons des choses passées suppose , non seule- ment la durée des ébranlements de notre sens intérieur matériel, c'est-à-dire le renouvelle- ment de nos sensations antérieures, mäis en- core les comparaisons que notre âme a faites de ces sensations, c'est-à-dire les idées qu’elle en a formées. Si la mémoire ne consistait que dans le renouvellement des sensations passées, ces sensations se représenteraient à notre sens intérieur sans y laisser une impression déter- minée; elles se présenteraient sans aucun or- dre, sans liaison entre elles, à peu près comme elles se présentent dans l'ivresse ou dans cer- tains rêves, où tout est si décousu, si peu suivi, , Si peu ordonné, que nous ne pouvons en con- server le souvenir; car nous ne nous souve- nons que des choses qui ont des rapports avec celles qui les ont précédées ou suivies: et toute sensation isolée, qui n'aurait aucune liaison avec les autres sensations, quelque forte qu’elle püt être, ne laisserait aucune trace dans notre esprit : or c’est notre âme qui établit ces rap- portsentre les choses, par la comparaison qu'elle fait desunesaveclesautres ; c'est elle qui forme la liaison de nos sensations etqui ourdit la trame de nos existences par un fil continu d'idées. La mémoire consiste donc dans une succession d'idées, ét suppose nécessairement la puissance qui les produit. Mais pour ne laisser, s’il est possible, aucun doute sur ce point impor/ant, voyons quelle est l'espèce de souvenir que nous laissent nos sen- sations , lorsqu'elles n'ont point été accompa- gnées d'idées. La douleur et le plaisir sont de pures sensations , et les plus fortes de toutes: cependant lorsque nous voulons nous rappeler ce que nous avons senti dans les instants les plus vifs de plaisir ou de douleur, nous ne pou- vons le faire que fäiblement, confusément; nous nous souvenons seulement que nous avons été flattés ou blessés, mais notre souvenir n’est pas distinct; nous ne pouvons nous représenter ni l'espèce , ni le degré, ni I: durée de ces sensa- 496 SUR LA tions qui nousont cependant si fortement ébran- lés, et nous sommes d'autant moins capables de nous les représenter , qu'elles ont été moins ré- pétées et plus rares. Une douleur, par exem- ple, que nous n’aurons éprouvée qu'une fois, qui n'aura duré que quelques instants, et qui sera différente des douleurs que nous éprou- vons habituellement, sera nécessairement bien- tôt oubliée, quelque vive qu'elle ait été; et, quoique nous nous souvenions que dans cette circonstance nous avons ressenti une grande douleur, nous n'avons qu'une faible réminis- cence de la sensation même, tandis que nous avons une mémoire nette des circonstances qui l’'accompagnaient et du temps où elle nous est arrivée. Pourquoi tout ce qui s'est passé dans notre enfance est-il presque entièrement oublié? et pourquoi les vieillards ont-ils un souvenir plus présent de ce qui leur est arrivé dans le moyen âge, que de ce qui leur arrive dans leur vieil- lesse? Y a-t-il une meilleure preuve que les sen- sations toutes seules ne suffisent pas pour pro- duire la mémoire, et qu’elle n'existe en effet que dans la suite des idées que notre âme peut tirer de ces sensations ? car dans l'enfance les sensations sont aussi et peut-être plus vives et plus rapides que dans le moyen âge, et cepen- dant elles ne laissent que peu ou point de traces, parce qu'à cet âge la puissance de réfléchir, qu seule peut former des idées, est dans une inaction presque totale, et que dans les moments où elle agit, elle ne compare que des superfi- cies, elle ne combine que de petites choses pen- dant un petit temps, elle ne met rien en ordre, elle ne réduit rien en suite. Dans l’âge mür, où la raison est entièrement développée, parce que la puissance deréfléchir est en entier exer- cice, nous tirons de nos sensations tout le fruit qu’elles peuvent produire, et nous nous for- mons plusieurs ordres d'idées et plusieurs chai- nes de pensées dont chacune fait une trace du- rable, sur laquelle nous repassons si souvent, qu’elle devient profonde, ineffaçable, et que, plusieurs années après, dans le temps de notre vieillesse, ces mêmes idées se présentent avec plus de force que celles que nous pouvons tirer immédiatement des sensations actuelles, parce qu’alors ces sensations sont faibles , lentes, émoussées, et qu'à cet âge l'âme même parti- cipe à la langueur du corps. Dans l'enfance, le temps présent est tout; dans l’âge mür on jouit NATURE également du passé, du présent et de l'avenir ; et dans la vieillesse on sent peu le présent, on détourne les yeux de l'avenir , et on ne vit que dans le passé. Ces différences ne dépendent- elles pas entièrement del’ordonnance que notre âme a faite de nos sensations, et ne sont-elles pas relatives au plus ou moins de facilité que nous avons dans ces différents âges à former, à acquérir et à conserver des idées? L'enfant qui jase et le vieillard qui radote n'ont ni l'un ni l’autre le ton de la raison , parce qu'ils man- quent également d'idées : le premier ne peut encore en former, et le second n'en forme plus. Un imbécile, dont les sens et les organes cor- porels nous paraissent sains et bien disposés, a comme nous des sensations de toute espèce; il les aura aussi dans le même ordre s'il vit en société, et qu'on l’oblige à faire ce que font les autres hommes : cependant , comme ces sensa- tions ne lui font point naître d'idées, qu'il n'y a point de correspondance entre son âme et son corps, et qu'il ne peut réfléchir sur rien, il est en conséquence privé de la mémoire et de la connaissance de soi-même. Cet homme ne dif- fère en rien de l'animal, quant aux facultés ex- térieures; car quoiqu'il ait une âme, et que par conséquent il possède en lui le principe de la raison , comme ce principe demeure dans l’in- action et qu'il ne recoit rien des organes cor- porels avec lesquels il n’a aucune correspon- dance, il ne peut influer sur les actions de cet homme, qui dès lors ne peut agir que comme un animal uniquement déterminé par ses sen- sations et par le sentiment de son existence ac- tuelle et de ses besoins présents. Ainsi l'homme imbécile et l'animal sont des êtres dont les ré- sultats et les opérations sont les mêmes à tous égards , parce que l’un n’a point d'âme, et que l'autre ne s’en sert point ; tous deux manquent de la puissance de réfléchir, et n'ont par con- séquent ni entendement, ni esprit , ni mémoire, mais tous deux ont des sensations, du sentiment et du mouvement. Cependant, me répétera-t-on toujours, l'homme imbécile et l'animal n'agissent-ils pas souvent comme s'ils étaient déterminés par la connaissance des choses passées? ne reconnais- sent-ils pas les personnes avec lesquelles ils ont vécu , les lieux qu'ils ont habités , ete.? ces ac- tions ne supposent-elles pas nécessairement la mémoire? et cela ne prouverait-il pas au con- DES ANIMAUX. traire qu'elle n'émane point de la puissance de réfléchir ? Si l'on a donné quelque attention à ce que je viens de dire, on aura déjà senti que je dis- tingue deux espèces de mémoire infiniment dif- férentes l’une de l’autre par leur cause, et qui peuvent cependant se ressembler en quelque sorte par leurs effets; la première est la trace de nos idées, et la seconde, que j'appellerais volontiers réminiscence plutôt que mémoire, n’est que le renouvellement de nos sensations , ou plutôt des ébranlements qui les ont causées. La première émane de l'âme ; et, comme je l'ai prouvé , elle est pour nous bien plus parfaite que la seconde : cette dernière au contraire n’est produite que par le renouvellement des ébranlements du sens intérieur matériel, et elle est la seule qu'on puisse accorder à l'animal ou à l'homme imbécile. Leurs sensations anté- rieures sont renouvelées par les sensations ac- tuelles ; elles se réveillent avec toutes les cir- constances qui les accompagnaient ; l'image principale et présente appelle les images an- ciennes et accessoires : ils sentent comme ils ont senti; ils agissent done comme ils ont agi; ils voient ensemble le présent et le passé, mais sans les distinguer, sans les comparer, et par conséquent sans les connaitre. Une seconde objection qu'on me fera sans doute, et qui n’est cependant qu'une consé- quence de la première , mais qu’on ne manque- ra pas de donner comme une autre preuve de l'existence de la mémoire dans les animaux , ce sont leurs rêves. Il est certain que les animaux se représentent dans le sommeil les choses dont ils ont été occupés pendant la veille : les chiens jappent souvent en dormant, et quoique cet aboiement soit sourd et faible , on y reconnait cependant la voix de la chasse, les accents de la colère , les sons du désir ou du murmu- re, ete. On ne peut donc pas douter qu'ils n'aient des choses passées un souvenir très-vif, très- actif et différent de celui dont nous venons de parler, puisqu'il se renouvelle indépendamment d'aucune cause extérieure qui pourrait v être relative. Pour éclaircir cette difficulté et y répondre d'une manière satisfaisante, il faut examiner la nature de nos rêves, et chercher s’ils vien- nent de notre âme ou s'ils dépendent seule- ment de notre sens intérieur matériel. Si nous pouvions prouver qu'ils y résident en entier, 497 ce serait non-seulement une réponse a l'objec- tion , mais une nouvelle démonstration contre l’entendement et la mémoire des animaux. Les imbéciles, dont l'âme est sans action, rêvent comme les autres hommes ; ilse produit done des rêves indépendamment de l'âme, puisque dans les imbéciles l'âme ne produit rien. Les animaux, qui n'ont point d'âme, peuvent donc rêver aussi ; et non-seulement il se produit des rêves indépendamment de l'âme, mais je serais fort porté à croire que tous les rêves en sont indépendants. Je demande seu- lement que chacun réfléchisse sur ses rêves, et tâche à reconnaitre pourquoi les parties en sont si mal liées et les événements si bizarres ; il m'a paru que c'était principalement parce qu'ils ne roulent que sur des sensations et point du tout sur des idées. L'idée du temps, par exem- ple, n'y entre jamais. On se représente bien les personnes que l’on n'a pas vues, et mème celles qui sont mortes depuis plusieurs années; on les voit vivantes et telles qu'elles étaient, mais on les joint aux choses actuelles et aux personnes présentes, ou à des choses et à des personnes d'un autre temps. Il en est de même de l’idée du lieu ; on ne voit pas où elles étaient les choses qu'on se représente, on les voit ail- leurs, où elles ne pouvaient être. Si l'âme agissait , il ne lui faudrait qu'un instant pour mettre de l’ordre dans cette suite décousue, dans ce chaos de sensations : mais ordinaire- ment elle n'agit point, elle laisse les représen- tations se succéder en désordre ; et quoique cha- que objet se présente vivement, la succession en est souvent confuse et toujours chimérique ; et s’il arrive que l'âme soit à demi réveillée par l'énormité de ces disparates, ou seulement par la force de ces sensations, elle jettera sur-le- champ une étincelle de lumière au milieu des ténèbres , elle produira une idée réelle dans le sein même des chimères; on rêvera que tout cela pourrait bien n'être qu’un rêve: je devrais dire on pensera; car quoique cette action ne soit qu'un petit signe de l'âme, ce n'est point une sensation ni un rêve, c'est une pensée, une ré- flexion , mais qui n'étant pas assez forte pour, dissiper l'illusion, s'y mêle, en devient partie, et n'empêche pas les représentations de se suc- céder; en sorte qu'au réveil on imagine avoir rèvé cela même qu'on avait pensé. Dans les rèves on voit beaucoup, on entend rarement , On ne raisonne point, on sent vive- 32 438 ment; les images se suivent, les sensations se succèdent sans que l’âmeé les compare ni les réu- nisse : on n’a donc que des sensations et point d'idées , puisque les idées ne sont que les com- paraisons des sensations. Ainsi les rêves ne ré- sident que dans le sens intérieur matériel; l'âme ne les produit point : ils feront donc par- tie de ce souvenir animal, de cette espèce de réminiscence matérielle dont nous avons parlé. La mémoire au contraire ne peut exister sans l’idée du temps, sans la comparaison des idées antérieures et des idées actuelles ; et, puisque ces idées n’entrent point dans les rêves , il pa- rait démontré qu'ils ne peuvent être ni une conséquence, ni un effet, ni une preuve de la mémoire. Mais quand même on voudrait sou- tenir qu'il y à quelquelois des rêves d'idées, quand on citerait pour le prouver les somnam- bules, les gens qui parlent en dormant et disent des choses suivies , qui répondent à des ques- tions , ete., et que l’on en inférerait que les idées ne sont pas exclues des rêves, du moins aussi absolument que je le prétends , il me suf- firait , pour ce que j'avais à prouver, que le re- nouvellement des sensations puisse les produi- re; car dès-lors les animaux n'auront que des rèves de cette espèce, et ces rêves , bien loin de supposer la mémoire, n’indiquent au con- traire que la réminiscence matérielle. Cependant je suis bien éloigné de croire que les somnambules , les gens qui parlent en dor- mant, qui répondent à des questions, ele., soient en effet occupés d'idées ; l'âme ne me pa- rait avoir aucune part à toutes ces actions : car les somnambules vont, viennent, agissent sans réflexion , Sans connaissance de leur situation, ni du péril, ni des inconvénients qui accompa- gnent leurs démarches ; les seules facultés ani- males Sont en exercice, et même elles n’y sont pas toutes. Un somnambule est dans cet état plus stupide qu’un imbécile, parce qu'il n’y a qu'une partie de ses sens et de son sentiment qui soit alors en exercice, au lieu que l’imbécile dispose de tous ses sens, et jouit du sentiment dans toute son étendue. Et, à l'égard des gens qui parlent en dormant, je ne crois pas qu'ils disent rien de nouveau. La réponse à certaines questions triviales et usitées, la répétition de quelques phrases communes , ne prouvent pas l'action de l'âme ; tout cela peut s'opérer indé- peudamment du principe de la connaissance et de la pensée. Pourquoi dans le sommeil ne SUR LA NATURE parlerait-on pas sans penser, puisque, en s'exa- minant soi-même lorsqu'on est le mieux éveillé, on s'aperçoit, surtout dans les passions, qu’on dit tant de choses sans réflexion? A l'égard de la cause occasionnelle des rêves, qui fait que les sensations antérieures se re- nouvellent sans être excitées par les objets pre- sents ou par des sensations actuelles , on obser- vera que l’on ne rêve point lorsque le sommeil est profond ; tout est alors assoupi, on dort en dehors et en dedans. Mais le sens intérieur s’en- dort le dernier et se réveille le premier, parce qu'il est plus vif, plus actif, plus aisé à ébran- ler que les sens extérieurs : le sommeil est dès- lors moins complet et moins profond; e*est là le temps des songes illusoires; les sensations antérieures , surtout celles sur lesquelles nous n'avons pas réfléchi, se renouvellent ; le sens intérieur , ne pouvant être occupé par des sen- sations actuelles à cause de l’inaction des sens externes , agit et s'exerce sur ces sensations pas- sées; les plus fortes sont celles qu'il saïsit le plus souvent ; plus elles sont fortes , plus les si- tuations sont excessives , et c’est par cette rai- son que presque tous les rêves sont effroyables ou charmants. Il n’est pas même nécessaire que les sens ex- térieurs soient absolument assoupis pour que le sens intérieur matériel puisse agir de son propre mouvement ; il suffit qu’ils soient sans exer- cice. Dans l'habitude où nous sommes de nous livrer régulièrement à un repos anticipé , on ne s'endort pas toujours aisément; le corps et les membres mollement étendus sont sans mouve- ment ; les yeux doublement voilés par la pau- pière et les ténèbres, ne peuvent s'exercer ; la tranquillité du lieu et le silence de la nuit ren- dent l'oreille inutile; les autres sens sont éga- lement inactifs ; tout est en repos, et rien n'est encore assoupi. Dans cet état, lorsqu'on ne s'occupe pas d'idées, et que l'âme est aussi dans l'inaction , l'empire appartient au sens intérieur matériel : il est alors la seule puissance qui agisse, c'est là le temps des images chiméri- ques, des ombres voltigeantes : on veille, et cependant on éprouve les effets du sommeil. Si l’on est en pleine santé, c'est une suite d'i- mages agréables, d'illusions charmantes : mais, pour peu que le corps soit souffrant ou affaissé, les tableaux sont bien différents ; on voit des fi- gures grimacantes, des visages de vieilles, des fantômes hideux qui semblent s'adresser änous, | ES ANIMAUX et qui se succèdent avec autant de bizarrerie que de rapidité; c'est la lanterne magique; c'est une scène de chimères qui remplissent le cer- veau vide alors de toute autre sensation ; et les objets de cette scène sont d'autant plus vifs, d'autant plus nombreux, d'autant plus dés- agréables, que les autres facultés animales sont plus lésées , que les nerfs sont plus délicats, et que l'on est plus faible, parce que les ébranle- ments causés par les sensations réelles étant, dans cet état de faiblesse ou de maladie, beau- coup plus forts et plus désagréables que dans l'état de santé, les représentations de ces sen- sations, que produit le renouvellement de ces ébranlements, doivent aussi être plus vives et plus désagréables. Au reste nous nous souvenons de: nos rêves, par la même raison que nous nous souvenons des sensations que nous venons d’éprouver; et la seule différence qu'il y ait ici entre les ani- maux et nous, c’est que nous distinguons par- faitement ce qui appartient à nos rêves de ce qui appartient à nos idées ou à nos sensations réelles ; et ceci est une comparaison , une opé- ration de la mémoire, dans laquelle entre l’i- dée du temps : les animaux , au contraire, qui sont privés de la mémoire et de cette puissance de comparer les temps , ne peuvent distinguer leurs rêves de leurs sensations réelles, et l’on peut dire que ce qu'ils ont rêvé leur est effecti- vement arrivé. Jde crois avoir déjà prouvé d'une manière dé- monstrative, dans ee que j'ai écrit sur la nature de l'homme, que les animaux n'ont pas la puis- sance de réfléchir : or, l'entendement est non- seulement une faculté de cette puissance de ré- fléchir, mais c’est l'exercice Re de cette puissance, c'en est le résultat, c’est ce qui la manifeste ; seulement nous nos distinguer dans l'entendement deux opérations différentes, dont la première sert de base à la seconde et la précède nécessairement : cette première action de la puissance de réfléchir est de comparer les sensations et d'en former des idées, et la se- conde est de comparer les idées mêmes et d’en former des raisonnements. Par la première de ces opérations, nous acquérons des idées par- ticulières et qui suffisent à la connaissance de toutes les choses sensibles ; par la seconde, nous nous élevons à des idées générales, nécessai- res pour arriver à l'intelligence des choses abs- traites. Les animaux n'ont ni l'une ni l'autre 499 de ces facultés, paree qu'ils n’ont point d’en- tendement; et l’entendement de la plupart des hommes parait être borné à la première de ces opérations. Car si tous les hommes étaient également ca- pables de comparer des idées, de les générali- ser et d'en former de nouvelles combinaisons , tous manifesteraient leur génie par des produc- tions nouvelles, toujours différentes de celles des autres, et souvent plus parfaites ; tous au- raient le don d'inventer, ou du moins les ta- lents de perfectionner. Mais non : réduits à une imitation servile, la plupart des hommes ne font que ce qu'ils voient faire, ne pensent que de mémoire et dans le mème ordre que les autres ont pensé ; les formules, les méthodes, les mé- tiers remplissent toute la capacité de leur en- tendement , et les dispensent de réfléchir assez pour créer. L'imagination est aussi une faculté de l'âme. Si nous entendons par ce mot imagination la puissance que nous avons de comparer des ima- ges avec des idées, de donner des couleurs à nos pensées, de représenter et d'agrandir nos sensations , de peindre le sentiment, en un mot, de saisir vivement les circonstances et de voir nettement les rapports éloignés des objets que nous considérons ; cette puissance de notre âme en est même la qualité la plus brillante et la plus active, c’est l'esprit supérieur, c’est le génie ; les animaux en sont encore plus dépourvus que d'entendement et de mémoire. Mais il y a une autre imagination , un autre principe qui dé- pend uniquement des organes corporels, et qui nous est commun avec les animaux : c’est cette action tumultueuse et forcée qui s’excite au de- dans de nous-mêmes par les objets analogues ou contraires à nos appétits ; c'est cette impres- sion vive et profonde des images de ces objets qui, malgré nous, se renouvelle à tout instant, et nous contraint d'agir comme les animaux, sans réflexion, sans délibération ; cette repré- sentation des objets, plus active encore que leur présence , exagère tout, falsifie tout. Cette imagination est l'ennemie de notre âme ; c’est la source de l'illusion, la mère des passions qui nous maitrisent, nous emportent malgré les ef- forts Ge la raison, et nous rendent le malhew- reux théâtre d'un combat continuel, où nous sommes presque toujours vaincus. 32, SU 500 Homo duplex. L'homme intérieur est double: il est compo- sé de deux principes différents par leur nature, et contraires par leur action. L'âme, ce principe spirituel, ce principe de toute connaissance , est toujours en opposition avec cet autre prin- cipe animal et purement matériel : le premier est une lumière pure qu'accompagnent le calme et la sérénité, une source salutaire dont éma- nent la science, la raison, la sagesse; l’autre est une fausse lueur qui ne brille que par la tempête et dans l'obscurité , un torrent impé- tueux qui roule et entraine à sa suite les pas- sions et les erreurs. Le principe animal se développe le premier : comme il est purement matériel et qu'il con- siste dans la durée des ébranlements et le re- nouvellement des impressions formées dans notre sens intérieur matériel par les objets ana- logues ou contraires à nos appétits, il com- mence à agir dès que le corps peut sentir de la douleur ou du plaisir; il nous détermine le pre- mier et aussitôt que nous pouvons faire usage de nos sens. Le principe spirituel se manifeste plus tard; il se développe, il se perfectionne au moyen de l'éducation : c'est par la communica- tion des pensées d'autrui que l'enfant en ac- quiert et devient lui-même pensant et raisonna- ble ; etsans cette communication il neserait que stupide ou fantasque , selon le degré d'inac- tion ou d'activité de son sens intérieur matériel. Considérons un enfant lorsqu'il est en liberté et loin de l'œil de ses maitres; nous pouvons ju- ger de ce qui se passe au dedans de lui par le résultat de ses actions extérieures : il ne pense ni ne réfléchit à rien ; il suit indifféremment toutes les routes du plaisir; il obéit à toutes les impressions des objets extérieurs, il s’agite sans raison ; il s'amuse, comme les jeunes animaux, à courir, à exercer son Corps; il va, vient et revient sans dessein, sans projet; il agit sans ordre et sans suite : mais bientôt, rappelé par la voix de ceux qui lui ont appris à penser, il se compose, il dirige ses actions, et donne des preuves qu'il a conservé les pensées qu'on lui a communiquées. Le principe matériel domine donc dans l'enfance, et il continuerait de do- miner et d'agir presque seul pendant toute la vie, si l'éducation ne venait à développer le principe spirituel, et à mettre l'âme en exercice. Il est aisé, en rentrant en soi-même, de re- R LA NATURE connaître l'existence de ces deux principes : il y a des instants dans la vie, il y a même des heures, des jours , des saisons, où nous pou- vons juger, non-seulemnent de la certitude de leur existence, mais aussi de leur contrariété d'action. Je veux parler de ces temps d’ennui, d'indolence, de dégoût, où nous ne pouvons nous déterminer à rien, où nous voulons ce que nous ne faisons pas , et faisons ce que nous ne voulons pas ; de cet état ou de cette maladie à laquelle on a donné le nom de vapeurs, état où se trouvent si souvent les hommes oisifs, et même les hommes qu'aucun travail ne com- mande. Si nous nous observons dans cet état, notre »0i nous paraîtra divisé en deux per- sonnes , dont la première, qui représente la fa- culté raisonnable , blâme ce que fait la seconde, mais n’est pas assez forte pour s’y opposer ef- ficacement et la vaincre : au contraire cette der- nière étant formée de toutes les illusions de nos sens et de notre imagination, elle contraint, elle enchaine, et souvent elle accable la pre- mière, et nous fait agir contre ce que nous pen- sons, où nous force à l’inaction , quoique nous ayons la volonté d'agir. Dans le temps où la faculté raisonnable do- mine, on s'occupe tranquillement de soi-même, de ses amis, de ses affaires ; mais on s'aperçoit encore , ne füt-ce que par des distractions in- volontaires , de la présence de l’autre principe. Lorsque celui-ci vient à dominer à son tour, on - se livre ardemment à la dissipation , à ses goûts, à ses passions, et à peine réfléchit-on par in- stants sur les objets même qui nous occupent et qui nous remplissent tout entiers. Dans ces deux états nous sommes heureux: dans le premier nous commandons avec satisfaction, et dans le second nous obéissons encore avec plus de plai- sir. Comme il n’y a que l’un des deux principes qui soit alors en action, et qu'il agit sans oppo- sition de la part de l’autre, nous ne sentons aucune contrariété intérieure; notre "202 nous parait simple, parce que nous n’éprouvons qu'une impulsion simple , et c’est dans cette unité d'action que consiste notre bonheur ; car pour peu que par des réflexions nous venions à blâmer nos plaisirs, ou que par la violence de nos passions nous cherchions à haïr la rai- son , nous cessons dès-lors d’être heureux, nous perdons l'unité de notre existence en quoi con- siste notre tranquillité ; la contrariété intérieure se renouvelle , les deux personnes se représen- DES ANIMAUX. tent en opposition, et les deux principes se font sentir et se manifestent par les doutes, les in- quiétudes et les remords. De là on peut conclure que le plus malheu- reux de tous les états est celui où ces deux puis- sances souveraines de la nature de l'homme sont toutes deux en grand mouvement, mais en mou- vement égal et qui fait équilibre; c'est là le point de l'ennui le plus profond et de cet horri- ble dégoût de soi-même, qui ne nous laisse d'autre désir que celui de cesser d'être, et ne nous permet qu'autant d'action qu'il en faut pour nous détruire, en tournant froidement contre nous des armes de fureur. Quel état affreux! je viens d’en peindre la nuance la plus noire; mais combien n’y a-t-il pas d’autres sombres nuances qui doivent la précéder ! Toutes les situations voisines de cette situation , tous les états qui approchent de cet état d'équilibre , et dans lesquels les deux prin- cipes opposés ont peine à se surmonter, et agis- sent en même temps et avec des forces presque égales, sont des temps de trouble, d'irrésolution et de malheur; le corps même vient à souffrir de ce désordre et de ces combats intérieurs ; il languit dans l'accablement, ou se consume par l'agitation que cet état produit. Le bonheur de l'homme consistant dans l’u- nité de son intérieur, il est heureux dans le temps de l'enfance , parce que le principe ma- tériel domine seul et agit presque continuelle- ment. La contrainte, les remontrances, et même les châtiments, ne sont que de petits chagrins ; l’enfant ne les ressent que comme on sent les douleurs corporelles ; le fond de son existence n'en est point affecté ; il reprend , dès qu'il est en liberté , toute l’action, toute la gaité que lui donnent la vivacité et la nouveauté de ses sen- sations : s’il était entièrement livré à lui-même, il serait parfaitement heureux ; mais ce bonheur cesserait , il produirait même le malheur pour les âges suivants. On est donc obligé de con- traindre l'enfant ; il est triste, mais nécessaire, de le rendre malheureux par instants, puisque ces instants même de malheur sont les germes de tout son bonheur à venir. Dans la jeunesse, lorsque le principe spiri- tuel commence à entrer en exercice et qu'il pourrait déjà nous conduire, il nait un nou- veau sens matériel qui prend un empire absolu, et commande si impérieusement à toutes nos faeultés , que l’âme elle-même semble se prêter ————————©" 501 avec plaisir aux passions impétueuses qu'il pro- duit : le principe matériel domine donc encore, et peut-être avec plus d'avantage que jamais : car, non-seulement il efface et soumet la raison, mais il la pervertit et s'en sert comme d’un moyen de plus; on ne pense et on n’agit que pour approuver et pour satisfaire sa passion. Tant que cette ivresse dure , on est heureux ; les contradictions et les peines extérieures sem- blent resserrer encore l'unité de l'intérieur ; elles fortifient la passion, elles en remplissent les intervalles languissants ; elles réveillent l'or- gueil, et achèvent de tourner toutes nos vues vers le mème objet ettoutes nos puissances vers le mème but, Mais ce bonheur va passer comme un songe, le charme disparait , le dégoût suit, un vide af- freux succède à la plénitude des sentiments dont on était occupé. L'âme, au sortir de ce som- meil léthargique , a peine à se reconnaitre ; elle a perdu par l'esclavage l'habitude de comman- mander, elle n'en a plus la force; elle regrette même la servilude, et cherche un nouveau maitre , un nouvel objet de passion , qui dispa- rait bientôt à son tour, pour être suivi d'un au- tre qui dure encore moins : ainsi les excès et les dégoûts se multiplient, les plaisirs fuient, les organes s’usent; le sens matériel, loin de pouvoir commander, n’a plus la force d'obéir. Que reste-t-il à l'homme après une telle jeu- nesse ? un corps énervé, une âme amollie, et l'impuissance de se servir de tous deux. Aussi a-t-on remarqué que c'est dans lemoyen âge que les hommes sont le plus sujets à ces langueurs de l'âme, à cette maladie intérieure, à cet état de vapeurs dont j'ai parlé. On court encore, à cet âge, apres les plaisirs de la jeu- nesse, on les cherche par habitude et non par besoin ; et comme , à mesure qu'on avance, il arrive toujours plus fréquemment qu'on sent moins le plaisir que l'impuissance d’en jouir, on se trouve contredit par soi-même, humilié par sa propre faiblesse, si nettement et si sou- vent, qu'on ne peut s'empêcher de se blâmer, de condamner ses actions , et de se reprocher même ses désirs. D'ailleurs , c'est à cet âge que naissent les soucis et que la vie est le plus contentieuse; car on a pris un état, c'est-à-dire qu'on est en- tré par hasard ou par choix dans une carrière qu'il est toujours honteux de ne pas fournir, et souvent très-dangereux de remplir avec éclat, 502 On marche done péniblement entre deux écueils également formidables, le mépris et la haine ; on s’affaiblit par les efforts qu'on fait pour les éviter, et l’on tombe dans le découragement : car, lorsqu'à force d'avoir vécu et d'avoir re- connu , éprouvé les injustices des hommes, on a pris l'habitude d'y compter comme sur un mal nécessaire ; lorsqu'on s’est enfin accoutumé à faire moins de cas de leurs jugements que de son repos, et que le cœur, endurci par les ci- catrices mêmes des coups qu’on lui a portés, est devenu plus insensible, on arrive aisément à cet état d'indifférence, à cette quiétude in- dolente , dont on aurait rougi quelques années auparavant. La gloire , ce puissant mobile de toutes les grandes âmes , et qu'on voyait de loin comme un but éclatant qu'on s’efforcait d'atteindre par des actions brillantes et des tra- vaux utiles, n’est plus qu’un objet sans attraits pour ceux qui en ont approché, et un fantôme vain et trompeur pour les autres qui sont res- tés dans l'éloignement. La paresse prend sa place, et semble offrir à tous des routes plus aisées et des biens plus solides ; mais le dégoût la précède et l'ennui la suit, l'ennui, ce triste tyran de toutes les âmes qui pensent, contre lequel la sagesse peut moins que la folie. C'est donc parce que la nature de l'homme est composée de deux principes opposés, qu’il a tant de peine à se concilier avec lui-même ; c'est de là que viennent son inconstance , son irrésolution , ses ennuis. Les animaux au contraire, dont la nature est simple et purement matérielle, ne ressentent ni combats intérieurs , ni opposition, ni trouble; ils n’ont ni nos regrets, ni nos remords, ni nos espérances, ni nos craintes. Séparons de nous tout ce qui appartient à l'âme; ôtons-nous l’entendement , l'esprit et la mémoire, ce qui nous restera sera la partie ma- térielle par laquelle nous sommes animaux : nous aurons encore des besoins, des sensations, des appétits; nous aurons de la douleur et du plaisir, nous aurons même des passions; car une passion est-elle autre chose qu'une sensation plus forte que les autres, et qui se renouvelle à tout instant ? or nos sensations pourront se re- nouveler dans notre sens intérieur matériel ; nous aurons donc toutes les passions , du moins toutes les passions aveugles que l'âme, ce prin- cipe de la connaissance , ne peut ni produire, ni fomenter. SUR LA NATURE C’est ici le point le plus difficile : comment pourrons-nous , surtout avec l'abus que l'on a fait des termes , nous faire entendre et distin- guer nettement les passions qui n’appartiennent qu'à l'homme, de celles qui lui sont communes avec les animaux ? est-il certain, est-il croyable que les animaux puissent avoir des passions ? n'est-il pas au contraire convenu que toute passion est une émotion de l'âme ? doit-on par conséquent chercher ailleurs que dans ce prin- Cipe spirituel les germes de l’orgueil, de l'envie, de l'ambition, de l'avarice et de toutes les pas- sions qui nous commandent ? Je ne sais, mais il me semble que tout ce qui commande à l'âme est hors d'elle ; il me semble que le principe de la connaissance n'est point celui du sentiment; il me semble que le germe de nos passions est dans nos appétits, que les illusions viennent de nos sens et résident dans notre sens intérieur matériel ; que d’abord l’4- me n’y à de part que par son silence ; que, quand elle s’y prête, elle est subjuguée, et per- vertie lorsqu'elle s'y complait. Distinguons donc dansles passions de l'homme, le physique et le moral : l'un est la cause, l’autre l'effet. La première émotion est dans le sens in- térieur matériel ; l'âme peut la recevoir, mais elle ne la produit pas. Distinguons aussi les mouvements instantanés des mouvements du- rables , et nous verrons d’abord que la peur, l'horreur, la colère , l'amour, ou plutôt le désir de jouir, sont des sentiments qui, quoique du- rables, ne dépendent que de l'impression des objets sur nos sens, combinée avec les impres- sions subsistantes de nos sensations antérieures, et que par conséquent ces passions doivent nous être communes avec les animaux. Je dis que les impressions actuelles des objets sont com- binées avec les impressions subsistantes de nos sensations antérieures, parce rien n’est horri- rible, rien n’est effrayant , rien n’est attrayant, pour un homme ou pour un animal qui voit pour la première fois. On peut en faire l'épreuve sur de jeunes animaux; j’en ai vu se jeter au feu, la première fois qu'on les y présentait : ils n’acquièrent de l'expérience que par des actes rcitérés, dont les impressions subsistent dans leur sens intérieur ; et quoique leur expérience ne soit point raisonnée, elle n’en est pas moins sûre, elle n’en est mêm£ que plus cireonspecte : car un grand bruit, un mouvement violent, une figure extraordinaire, qui se présente ou DES ANIMAUX. se fait entendre subitement et pour la première fois, produit dans l'animal une secousse dont l'effet est semblable aux premiers mouvements de la peur. Mais ce sentiment n’est qu'instan- tané; comme il ne peut se combiner avec au- cune sensation précédente , il ne peut donner à l'animal qu'un ébranlement momentané , et non pas une émotion durable , telle que la sup- pose la passion de la peur. Un jeune animal, tranquille habitant des fo- rêts , qui tout à coup entend le son éclatant d'un cor ou le bruit subit et nouveau d’une arme à feu, tressaillit, bondit, et fuit, par la seule vio- lence de la-secousse qu'il vient d'éprouver. Ce- pendant si ce bruit est sans effet, s’il cesse, l'a- nimal reconnaît d’abord le silence ordinaire de la nature, il se calme , s’arrête, et regagne à pas égaux sa paisible retraite. Mais l’âge et l'expérience le rendront bientôt circonspect et timide, dès qu’à l'occasion d'un bruit pareil il se sera senti blessé , atteint ou poursuivi. Ce sentiment de peine ou cette sensation de dou- leur se conserve dans son sens intérieur; et lorsque le même bruit se fait encore entendre, elle se renouvelle, et se combinant avec l'é- branlement actuel , elle produit un sentiment durable, une passion subsistante, une vraie peur : l'animal fuit et fuit de toutes ses forces, il fuit très-loin, il fuit longtemps, il fuit tou- jours, puisque souvent il abandonne à jamais son séjour ordinaire. La peur est donc une passion dont l'animal est susceptible , quoiqu'il n'ait pas nos craintes raisonnées ou prévues ; il en est de même de l'horrear, de la colère, de l'amour, quoiqu'il p’ait ni nos aversions réfléchies, ni nos haines durables, ni nos amitiés constantes. L'animal a toutes ces passions premières; elles ne suppo- sent aucune connaissance, aucune idée, et ne sont fondées que sur l'expérience du sentiment, c'est-à-dire sur la répétition des actes de dou- leur ou de plaisir, et le renouvellement des sen- sations antérieures du même genre. La colère, ou, si l’on veut , le courage naturel, se remar- que dans les animaux qui sentent leurs forces, c'est-à-dire qui les ont éprouvées, mesurées, et trouveessupérieures à celles des autres. La peur est le partage des faibles; mais le sentiment d’a- mour teur appartient à tous. Amour ! désir inné ! âme de la nature! prin- cipe inépuisable d’existence ! puissance souve- raine qui peut tout, et contre laquelle rien ne 005 peut; par qui tout agit, tout respire et tout se renouvelle ! divine flamme ! germe de perpétuité que l'Eternel a répandu dans toutavec le souffle de vie ! précieux sentiment qui peux seulamollir les cœurs féroces et glacés, en les pénétrant d'une douce chaleur! cause première de tout bien, de toute société, qui réunis sans contrainte et par tes seuls attraits les natures sauvages et dispersées ! source unique et féconde de tout plaisir, de toute volupté! amour! pourquoi fais-tu l’état heureux de tous les êtres et le mal- heur de l'homme? C'est qu'il n'y a que le physique de cette passion qui soit bon ; c’est que, malgré ce que peuvent dire les gens épris, le moral n’en vaut rien. Qu'est-ce en effet que le moral de l'amour ? la vanité : vanité dans le plaisir de la conquête, erreur qui vient de ce qu'on en fait trop de cas: vanité dans le désir de la conserver exclusive- ment, état malheureux qu'accompagne toujours la jalousie, petite passion , si basse qu'on vou- drait la cacher: vanité dans la manière d'en jouir, qui fait qu'on ne multiplie que ses gestes et ses efforts sans multiplier ses plaisirs; vanité dans la facon même de la perdre, on veut rom- pre le premier; car, si l'on est quitté, quelle humiliation ! et cette humiliation se tourne er désespoir, lorsqu'on vient à reconnaître qu'on a été longtemps dupe et trompé. Les animaux ne sont point sujets à toutes ces misères; ils ne cherchent pas des plaisirs où il ne peut y en avoir : guidés par le sentiment seul, ils ne se trompent jamais dans leur choix ; leurs désirs sont toujours proportionnés à la puis- sance de jouir ; ils sentent autant qu'ils jouis- sent, et ne jouissent qu'autant qu'ils sentent. L'homme, au contraire, en voulant inventer des plaisirs n’a fait que sâter la nature; en voulant se forcer sur le sentiment, il ne fait qu'abuser de son être, et creuser dans son cœur un vide que rien ensuite n’est capable de remplir. Tout ce qu'il y a de bon dans l'amour appar- tient done aux animaux tout aussi bien qu'à nous; et même, comme si ce sentiment ne pou- vait jamais être pur. ils paraissent avoir une petite portion de ce qu'il y a de moins bon, je veux parler de la jalousie. Chez nous cette pas- sion suppose toujours quelque défiance de soi- même , quelque connaissance sourde de sa pro- pre faiblesse : les animaux au contraire sem- blent être d'autant plus jaloux qu'ils ont plus de force, plus d'ardeur et plus d'aptitude au 504 SUR LA plaisir : c’est que notre jalousie dépend de nos idées, et la leur du sentiment ; ils ont joui, ils désirent de jouir encore; ils s'en sentent la force, ils écartent donc tous ceux qui veulent occuper leur place; leur jalousie n’est point réfléchie, ils ne la tournent pas contre l'objet de leur amour, ils ne sont jaloux que de leurs plaisirs, Mais les animaux sont-ils bornés aux seules passions que nous venons de décrire ? la peur, la colère, l'horreur, l'amour et la jalousie sont- elles les seules affections durables qu'ils puis- sent éprouver ? Il me semble qu'indépendam- ment de ces passions, dont le sentiment naturel ou plutôt l'expérience du sentiment rend les animaux susceptibles, ils ont encore des pas- sions qui leur sont communiquées, et qui vien- vent de l'éducation, de l'exemple, de limitation et de l'habitude : ils ont leur espèce d'amitié, leur espèce d'orgueil, leur espèce d’ambition : et quoiqu'on puisse déjà s'être assuré, par ce que nous avons dit, que dans toutes leurs opé- rations et dans tous les actes qui émanent de leurs passions il n'entre ni réflexion, ni pen- sée, ni même aucune idée, cependant, comme les habitudes dont nous parlons sont celles qui semblent le plus supposer quelque degré d'in- telligence, et que c'est ici où la nuance entre eux et nous est le plus délicate et le plus diffi- cile à saisir , ce doit être aussi celle que nous devons examiner avec le plus de soin. Y a-t-il rien decomparable à l'attachement du chien pour la personne de son maitre? On en a vu mourir sur le tombeau qui la renfermait. Mais (sans vouloir citer les prodiges ni les hé- ros d'aucun genre) quelle fidélité à accompa- gner, quelle constance à suivre, quelle atten- tion à défendre son maître! quel empressement à rechercher ses caresses! quelle docilité à lui obéir! quelle patience à souffrir sa mauvaise humeur et des châtiments souvent injustes! quelle douceur et quelle humilité pour tâcher de rentrer en grâce! que de mouvements, que d'inquiétudes, que de chagrin, s’ilest ab- sent ! que de joie lorsqu'il se retrouve ! à tous ces traits peut-on méconnaitre l'amitié? se mar- que-t-elle, même parmi nous, par des caractères aussi énergiques ? Ii en est de cette amitié comme de celle d'une femme pour son serin, d'un enfant pour son jouet, etc. : toutes deux sont aussi peu réflé- chies ; toutes deux ne sont qu'un sentiment aveugle, celui de l'animal est seulement plus NATURE naturel, puisqu'il est fondé sur le besoin , tan- dis que l’autre n’a pour objet qu'un insipide amusement auquel l'âme n’a point de part. Ces habitudes puériles ne durent que par le désœu- vrement, et n'ont de force que par le vide de la tête; et le goût pour les magots et le culte des idoles, l'attachement en un motaux choses ina- nimées, n'est-il pas le dernier degré de la stu- pidité ? Cependant que de créateurs d'idoles et de magots dans ce monde! que de gens adorent l'argile qu'ils ont pétrie ! combien d’autres sont amoureux de la glèbe qu'ils ont remuée! Ils’en faut donc bien quetousles attachements viennent de l’âme, et que la faculté de pouvoir s'attacher suppose nécessairement la puissance de penser et de réfléchir , puisque c’est lors- qu'on pense et qu'on réfléchit le moins que naïis- sent la plupart de nos attachements; que c’est encore faute de penser et de réfléchir qu'ils se confirment et se tournent en habitude; qu'il suffit que quelque chose flatte nossens pour que nous l’aimions, et qu'enfin il ne faut que s'oc- cuper souvent et longtemps d’un objet pour en faire une idole. Mais l’amitié suppose cette puissance de réfk- chir; c'est de tous les attachements le plus di- gne de l'homme et le seul qui ne le dégrade point. L'amitié n’émane que de la raison, l'im- pression des sens n'y fait rien; c’est l'âme de son ami qu’on aime, et pour aimer une âme il faut en avoir une, il faut en avoir fait usage, l'avoir connue, l'avoir comparée et trouvée de niveau à ce que l’on peut connaître de celle d'un autre : l’amitié suppose done , non-seule- ment le principe de la connaissance, maïisl'exer- cice actuel et réfléchi de ce principe. Ainsi l’amitié n'appartient qu'à l’homme, et l'attachement peut appartenir aux animaux : le sentiment seul suffit pour qu'ils s’attachent aux gens qu'ils voient souvent, à ceux qui les soignent , qui les nourrissent, ete. Le seul sen- timent suffit encore pour qu'ils s’attachent aux objets dont ils sont forcés de s'occuper. L'attachement des mères pour leurs petits ne vient que de ce qu’elles ont été fort occupées à les porter, à les produire, à les débarrasser de leurs enveloppes, et qu'elles le sont encore à les allaiter; et si dans les oiseaux les pères sem- blent avoir quelque attachement pour leurs pe- tits, et paraissent en prendre soin comme les mères, c'est qu'ils se sont occupés comme elles dela construction du nid , c’est qu'ils l’ont ha- DES ANIMAUX. bité, c'est qu'ils y ont eu du plaisir avec leurs femelles, dont la chaleur dure encore longtemps après avoir été fécondées; au lieu que dans les autres espèces d'animaux où lasaison des amours est fort courte, où, passé cette saison, rien n'at- tache plus les mâles à leurs femelles, où il n'y a point de nid, point d'ouvrage à faire en com- mun, les pères ne sont pères que comme on l'était à Sparte , ils n'ont aucun souci de leur postérité. L'orgueil et l'ambition des animaux tienvent à leur courage naturel, c'est-à-dire au senti- ment qu'ils ont de leur force, de leur agilité, etc. Les grands dédaignent les petits etsemblent mépriser leur audace insultante. On augmente même par l'éducation ce sang-froid , cet 4-pro- ps de courage; on augmente aussi leur ardeur; on leur donne de l'éducation par l'exemple: car ils sont susceptibles et capables de tout, excepté de raison. En général les animaux peuvent ap- prendre à faire mille fois tout ce qu'ils ont fait une fois, à faire de suite ce qu'ils ne faisaient que par intervalles, à faire pendant longtemps ce qu’ils ne faisaient que pendant un instant, à faire volontiers ce qu'ils ne faisaient d’abord que par force, à faire par habitude ce qu'ils ont fait une fois par hasard, à faire d'eux- mêmes ce qu’ils voient faire aux autres. L'imi- tation est de tous les résultats de la machine animale le plus admirable; c’en est le mobile le plus délicat et le plus étendu, c'est ce qui copie de plus près la pensée; et, quoique la cause en soit dans les animaux purement matérielle et mécanique, c’est par ses effets qu'ils nous éton- nent davantage. Les hommes n’ont jamais plus admiré les singes que quand ils les ont vus imiter les actions humaines. En effet, il n’est point trop aisé de distinguer certaines copies de certains originaux : il y a si peu de gens d’ail- leurs qui voient nettement combien il y a de di- stance entre faire et contrefaire , que les singes doivent être pour le gros du genre humain des êtres étonnants, humiliants au point qu'on ne peut guère trouver mauvais qu'on ait donné sans hésiter plus d'esprit au singe, qui contre- fait et copie l'homme, qu’à l'homme { si peu rare parmi nous) qui ne fait ni ne copie rien. Cependant les singes sont tout au plus des gens à talents que nous prenons pour des gens d'esprit : quoiqu'ils aient l'art de nous imiter, ils n’en sont pas moins de la nature des bêtes, qui toutes ont plus ou moins le talent de l’imi- 00 tation. A la vérité, dans presque tous les ani- maux ce talent est borné à l'espèce même , et ne s'étend point au-delà de l'imitation de leurs semblables; au lieu que le singe, qui n'est pas plus de notre espèce que nous ne sommes de la sienne, ne laisse pas de copier quelques-unes de nos actions : mais c'est parce qu'il nous ressem- ble à quelques égards, c'est parce qu'il est ex- térieurement à peu près conformé comme nous; et cette ressemblance grossière suffit pour qu'il puisse se donner des mouvements, et même des suites de mouvements semblables aux nôtres, pour qu'il puisse en un mot nous imiter grossiè- rement, en sorte que tous ceux qui ne jugent des choses que par l'extérieur trouvent, ici comme ailleurs, du dessein, de l'intelligence et de l'es- prit, tandis qu'en effet il n'y a que des rapports de figure, de mouvement et d'organisation. C’est par les rapports de mouvement que le chien prend les habitudes de son maitre; c'est par les rapports de figure que le singe contre- fait les gestes humains; c’est par les rapports d'organisation que le serin répète des airs de musique , et que le perroquet imite le signe le moins équivoque de la pensée, la parole, qui met à l'extérieur autant de différence entre l'homme et l'homme qu'entre l'homme et la bête, puisqu'elle exprime dans les uns la lu- mière et la supériorité de l'esprit, qu'elle ne laisse apercevoir dans les autres qu'une confu- sion d'idées obscures ou empruntées, et que dans l’imbécile ou le perroquet elle marque le dernier degré de la stupidité, c’est-à-dire l'im- possibilité où ils sont tous deux de produire in- térieurementla pensée, quoiqu'ilneleur manque aucun des organes nécessaires pour la rendre au dehors. Il est aisé de prouver encore mieux que l'imi- tation n’est qu'un effet mécanique, un résultat purement machinal, dont la perfection dépend de la vivacité avec laquelle le sens intérieur ma- tériel recoit les impressions des objets, et de la facilité de les rendre au dehors par la similitude et lasouplesse des organes extérieurs. Les gens qui ont les sens exquis, délicats, faciles à ébran- ler, et les membres obéissants , agiles et flexi- bles , sont, toutes choses égales d’ailleurs, les meilleurs acteurs, les meilleurs pantomimes, les meilleurs singes.Lés enfants sans y songer pren- nent les habitudes du corps, empruntent les gestes, imitent les manières de ceux avec qui ils vivent; ils sont aussi très-portés à répéter et 506 a contrefaire. La plupart des jeunes gens les plus vifs et les moins pensants, qui ne voient que par les yeux du corps, saisissent cependant merveilleusement le ridicule des figures; toute forme bizarre les affecte, toute représentation les frappe, toute nouveauté les émeut; l'impres- sion en est si forte qu'ils représentent eux- mêmes, ils racontent avec enthousiasme , ils copient facilement et avec grâce : ils ont donc superieurement le talent de l'imitation qui sup- pose l'organisation la plus parfaite, les disposi- tions du corps les plus heureuses, et auquel rien n'est plus opposé qu'une forte dose de bon sens. Ainsi, parmi les hommes, ce sont ordinaire- ment ceux qui réfléchissent le moins qui ont le plus ce talent de l'imitation : il n’est donc pas surprenant qu'on le trouve dans les animaux, qui ne réfléchissent point du tout; ils doivent même l'avoir à un plus haut degré de perfection, parce qu'ilsn'ontrien qui s'y oppose, parcequ'ils n'ont aucun principe par lequel ils puissent avoir la volonté d'être différents les uns des autres. | C'est par notre âme que nous différons eatre | nous; c'est par notre âme que nous sommes nous; c'est d'elle que vient la diversité de nos caracteres et la variété de nos actions. Les ani- maux, au contraire, qui n’ont point d'âme, n'ont point le 2204, qui est le principe de la dif, férence , la cause qui constitue la personne: ils doiventdone, lorsqu'ils se ressemblent par l'or- ganisation ou qu'ils sont de la même espèce, se copier tous, faire tous les mêmes choses et de la méme facon, s'imiter en un mot beaucoup plus parfaitement que les hommes ne peuvent s'i- miter les uns les autres; et par conséquent ce talent d'imitation, bien loin de supposer de l’es- prit et de la pensée dans les animaux, prouve au contraire qu'ils en sont absolument privés. C'est par la mème raison que l'éducation des animaux, quoique fort courte, est toujours heu- reuse: ils apprennent en très-peu de tempspres- | que tout ce que savent leurs père et mere, ct c'est par l'imitation qu'ils l’apprennent; ils ont done, aon-seulement l'expérience qu'ils peuvent acquérir par le sentiment, mais ils profitent en- core, par le moyen de l'imitation, de l'expé- rience que les autres ont acquise. Les jeunes animaux se modèlent sur les vieux: ils voient que ceux-ci s'approchent où fuient lorsqu'ils entendent certains bruits, lorsqu'ils apercoivent cærtains objets, lorsqu'ils sentent certaines | f | | SUR LA NATURE odeurs : ils s’approchent aussi ou fuient d'abord ayec eux sans autre cause déterminante que limitation, et ensuite ils s’approchent ou fuient d'eux-mêmes et tout seuls, parce qu'ils ont pris l'habitude de s'approcher ou de fuir toutes les fois qu'ils ont éprouvé les mêmes sensations. Après avoir comparé l'homme à l'animal, pris chacun individuellement, je vais comparer l'homme en société avec l'animal en troupe, et rechercher en même temps quelle peut être la cause de cette espèce d'industrie qu’on re- marque dans certains animaux, même dans les espèces les plus viles et les plus nombreuses. Que de choses ne dit-on pas de certains insec- tes ! Nos observateurs admirent à l’envi l’intel- ligence et les talents des abeilles: elles ont, di- sent-ils, un génie particulier, un art qui n’ap- partient qu'à elles, l’art de se bien gouverner. Il faut savoir observer pour s'en apercevoir ; mais une ruche est une république où chaque individu ne travaille que pour la société, où tout est ordonné, distribué, réparti avec une pré- voyance, une équité, une prudence admirables; Athènes u'était pas mieux Conduite ni mieux policée. Plus on observe ce panier de mouches, et plus on découvre de merveilles, un fond de gouvernement inaltérable et toujours le même, un respect profond pour la personne en place, une vigilance singulière pour son service, la plus soigneuse attention pour ses plaisirs, un amour constant pour la patrie , une ardeur in- concevable pour le travail, une assiduité à lou- vrage que rien n’égale, le plus grand désinté- ressement joint à la plus grande économie, la plus fine géométrie employée à la plus élégante architecture, ete. Je ne finirais point si je voulais seulement parcourir les annales de cette répu- blique, et tirer de l'histoire de ces insectes tous les traits qui ont excité l’admiration de leurs historiens. C'est qu'indépendamment de l’enthousiasme qu'on prend pour son sujet, on admiretoujours d'autant plus qu’on observe davantage et qu’on raisonne moins. Y a-t-il en effet rien de plus gratuit que cette admiration pour les mouches, et que ces vues morales qu’on voudrait leur prêter, que cet amour du bien commun qu'on leur suppose, que cet instinct singulier qui équi- vaut à la géométrie la plus sublime, instinct qu'on leur a nouvellement accordé, par lequel les abeilles résolvent sans hésiter le problème de bâtir Le plus solidement qu'il soit possible. DES ANIMAUX. dans le moindre espace possible, avec la plus grande économie possible ? Que penser de l’ex- cès auquel on a porté le détail de ces éloges? car enfin une mouche ne doit pas tenir dans la tête d'un naturaliste plus de place qu’elle n’en tient dans la nature; et cette république mer- veilleuse ne sera jamais, aux yeux de la rai- son, qu'une foule de petites bêtes qui n'ont d’au- tre rapport avec nous que celui de nous fournir de la cire et du miel. Ce n’est point la curiosité que je blâme ici, ce sont les raisonnements et les exclamations. Qu'on ait observé avec attention leurs manœu- vres , qu'on ait suivi avec soin leurs procédés et leur travail, qu'on ait décrit exactement leur génération, leur multiplication, leurs métamor- phoses, ete., tous ces objets peuvent occuper le loisir d’un naturaliste : mais c’est la morale, c’est la théologie des insectes que je ne puis en- tendre prêcher ; ee sont les merveilles que les observateurs y mettent et sur lesquelles ensuite ils se récrient comme si elles y étaient en effet, qu'il faut examiner; c’est cette intelligence, cette prévoyance, cette connaissance même de l’ave- nir qu'on leur accorde avec tant de complai- sance, et que cependant on doit leur refuser rigoureusement, que je vais tâcher de réduire à sa juste valeur. Les mouches solitaires n’ont, de l’aveu de ces observateurs, aucun esprit en comparaison des mouches qui vivent ensemble; celles qui ne forment que de petites troupes en ont moins que celles qui sont en grand nombre; et les abeïlles, qui de toutes sont peut-être celles qui forment la société la plus nombreuse, sont aussi celles qui ont le plus de génie. Cela seul ne suf- fit-il pas pour faire penser que cette apparence d’espritou de génien’est qu'un résultat purement mécanique, une combinaison de mouvements proportionnelle au nombre, un rapport qui n’est compliqué que parce qu’il dépend de plu- sieurs milliers d'individus? Ne sait-on pas que tout rapport, tout désordre même, pourvu qu'il soit constant, nous parait une harmonie dès que nous en ignorons les causes, et que de la suppo- sition de cette apparence d'ordre à celle de l'in- telligence il n’y a qu’un pas, les hommes ai- mant mieux admirer qu’approfondir ? On conviendra donc, d’abord, qu’à prendre les mouches une à une elles ont moins de gé- nie que le chien, le singe et la plupart des animaux; on conviendra qu’elles ont moins de 507 docilité, moins d’attachement, moins de senti- ment, moins en un mot de qualités relatives aux nôtres : dès lors on doit convenir que leur in- telligence apparente ne vient que de leur mul- titude réunie. Cependant cetteréunion même ne suppose aucune intelligence; car ce n’est point par des vues morales qu’elles se réunissent, c’est sans leur consentement qu’elles se trouvent en- semble. Cette société n’est done qu’un assem- blage physique ordonné par la nature, et indé- pendant de toute vue, de toute connaissance, de tout raisonnement. La mère abeille produit dix mille individus tout à la fois et dans un même lieu ; ces dix mille individus, fussent-ils encore mille fois plus stupides que je ne le sup- pose, seront obligés, pour continuer seulement d'exister, de s'arranger de quelque facon : comme ils agissent tous les uns contreles autres avec des forces égales, eussent-ils commencé par se nuire, à force de se nuire ils arriveront bientôt à se nuire le moins qu'il sera possible, c'est-à-dire à s’aider; ils auront done l'air de s'entendre et de concourir au même but. L'ob- servateur leur prêtera bientôt des vues et tout l'esprit qui leur manque; il voudra rendre rai- son de chaque action; chaque mouvement aura bientôt son motif, et de là sortiront des mer- veilles ou des monstres de raisonnement sans nombre; car ces dix mille individus , qui ont été tous produits à la fois, qui ont habité en- semble, qui se sont tous métamorphosés à peu près en même temps, ne peuvent manquer de faire tous la même chose, et, pour peu qu’ils aient de sentiment , de prendre des habitudes communes, de s'arranger, de se trouver bien ensemble, de s'occuper de leur demeure, d'y ‘revenir après s’en être éloignés, etc., et de là l'architecture, la géométrie, l'ordre, la pré- voyance, l'amour de la patrie, la république en un mot, le tout fondé, comme l’on voit, sur l'admiration de l'observateur. La nature n'est-elle pas assez étonnante par elle-même, sans chercher encore à nous sur- prendre en nous étourdissant de merveilles qui n'y sont pas et que nous y mettons? Le Créa- teur n'est-il pas assez grand par ses ouvrages, et croyons-nous le faire plus grand par notre imbécillité? ce serait, s’il pouvait l'être, la fa- çon de le rabaisser. Lequel en effet a de l'Etre suprême ja plus grande idée, celui qui le voit créer l'univers, ordonner les existences, fonder la nature sur des lois invariables et perpétuel- 508 SUR LA les, ou celui qui le cherche et veut le trouver attentif à conduire une république de mouches, et fort occupé de la manière dont se doit plier l'aile d'un scarabée ? Il y a parmi certains animaux une espèce de société qui semble dépendre du choix de ceux qui la composent, et qui par conséquent ap- proche bien plus de l'intelligence et du des- sein, que la société des abeilles, qui n’a d'au- tre principe qu'une nécessité physique : les éléphants, les castors, les singes et plusieurs autres espèces d'animaux se cherchent, se ras- semblent, vont par troupes, se secourent, se défendent, s'avertissent et se soumettent à des allures communes : si nous ne troublions pas si souvent ces sociétés, et que nous pussions les observer aussi facilement que celles des mou- ches , nous y verrions sans doute bien d’autres merveilles, qui cependant ne seraient que des rapports et des convenances physiques. Qu'on mette ensemble et dans un même lieu un grand nombre d'animaux de même espèce, il en ré- sultera nécessairement un certain arrangement, un certain ordre, de certaines habitudes com- munes, comme nous le dirons dans l’histoire du daim, du lapin, ete. Or toute habitude com- mune, bien loin d’avoir pour cause le principe d'une intelligence éclairée , ne suppose au con- traire que celui d'une aveugle imitation. Parmi les hommes , la société dépend moins des convenances physiques que des relations morales. L'homme a d'abord mesuré sa force et sa faiblesse ; il a comparé son ignorance et sa curiosité ; il a senti que seul il ne pouvait suffire ni satisfaire par lui-même à la multipli- cité de ses besoins; il a reconnu l'avantage qu'il aurait à renoncer à l'usage illimité de sa vo- lonté pour acquérir un droit sur la volonté des autres; il a réfléchi sur l’idée du bien et du mal, il l'a gravée au fond de son cœur à la faveur de la lumière naturelle qui lui a été départie par la bonté du Créateur ; il a vu que la soli- tude n’était pour lui qu'un état de danger et de guerre ; il a cherché la sûreté et la paix dans la société ; il y a porté ses forces et ses lumières pour les augmenter en les réunissant à celles des autres : cette réunion est de l'homme l’ou- vrage le meilleur, c'est de sa raison l'usage le plus sage. En effet, il n’est tranquille, il n’est fort, il n'est grand , il ne commande à l'univers que parce qu'il a su se commander à lui-même, se dompter, se soumettre et s'imposer des lois ; NATURE l’homme, en un mot, n’est homme que parce qu'il a su se réunir à l'homme. Il est vrai que tout a concouru à rendre l’homme sociable; car , quoique les grandes s0- ciétés , les sociétés policées , dépendent certai- nement de l'usage et quelquefois de l'abus qu'il a fait de sa raison, elles ont sans doute été précédées par de petites sociétés, qui ne dépen- daient , pour ainsi dire , que de la nature. Une famille est une société naturelle, d'autant plus stable , d'autant mieux fondée, qu'il y a plus de besoins, plus de causes d'attachement. Bien différent des animaux, l'homme n'existe pres- que pas encore lorsqu'il vient de naître ; il est nu, faible, incapable d'aucun mouvement, pri- vé de toute action, réduit à tout souffrir, sa vie dépend des secours qu'on lui donne. Cet état de l'enfance imbécile, impuissante, dure longtemps; la nécessité du secours devient donc une habitude, qui seule serait capable de pro- duire l'attachement mutuel de l'enfant et des père et mère : mais comme, à mesure qu’il avance, l'enfant acquiert de quoi se passer plus aisément de secours, comme il a physiquement moins besoin d'aide; que les parents au con- traire continuent à s'occuper de lui beaucoup plus qu'il ne s'occupe d'eux, il arrive toujours que l'amour descend beaucoup plus qu'il ne re- monte ; l'attachement des père et mère devient excessif, aveugle, idolâtre, et celui de l'enfant reste tiède, et ne reprend des forces que lors- que la raison vient à développer le germe de la reconnaissance. Ainsi la société, considérée même dans une seule famille, suppose dans l’homme la faculté raisonnable; la société , dans les animaux qui semblent se réunir librement et par conve- nance, suppose l'expérience du sentiment; et la société des bêtes qui, comme les abeilles, se trouvent ensemble sans s'être cherchées, ne suppose rien : quels qu'en puissent être les ré- sultats, il est clair qu'ils n'ont été ni prévus, ni ordonnés , ni conçus par ceux qui les exé- cutent , et qu'ils ne dépendent que du méca- nisme universel et des lois du mouvement éta- blies par le Créateur. Qu'on mette ensemble dans le même lieu dix mille automates animés d’une force vive et tous déterminés , par la res- semblance parfaite de leur forme extérieure et intérieure , et par la conformité de leurs mou- vements, à faire chacun la même chose dans ce même lieu, il en résultera nécessairement DES ANIMAUX. un ouvrage régulier : les rapports d'égalité, de similitude , de situation, s’y trouveront, puis- qu'ils dépendent de ceux de mouvement, que nous supposons égaux et conformes ; les rap- ports de juxta-position , d'étendue, de figure, s’y trouveront aussi, puisque nous supposons l'espace donné et circonscrit; et si nous accor- dons à ces automates le plus petit degré de sen- timent, celui seulement qui est nécessaire pour sentir son existence, tendre à sa propre con- servation , éviter les choses nuisibles , appéter les choses convenables, ete., l'ouvrage sera, non-seulement régulier, proportionné, situé, semblable , égal, mais il aura encore l'air de la symétrie, de la solidité, de la commodité , ete, au plus haut point de perfection, parce qu’en le formant chacun de ces dix mille individus a cherché à s'arranger de la manière la plus com- mode pour lui, et qu'il a en même temps été forcé d'agir et de se placer de la manière la moins incommode aux autres. Dirai-je encore un mot ? ces cellules des abeil- les , ces hexagones , tant vantés, tant admirés, me fournissent une preuve de plus contre l’en- thousiasme et l'admiration. Cette figure , toute géométrique et toute régulière qu'elle nous pa- raît, et qu'elle est en effet dans la spéculation, n’est ici qu'un résultat mécanique et assez im- parfait qui se trouve souvent dans la nature, et que l’on remarque même dans ses productions les plus brutes. Les cristaux et plusieurs autres pierres , quelques sels , ete., prennent constam- ment cette figure dans leur formation. Qu'on observeles petites écailles de la peau d’une rous- sette, on verra qu'elles sont hexagones, parce que chaque écaille croissant en même temps, se fait obstacle, et tend à occuper le plus d'espace qu'il est possible dans un espace donné. On voit ces mêmes hexagones dans le second esto- mac des animaux ruminants; on les trouve dans les graines, dans leurs capsules, dans cer- taines fleurs, etc. Qu'on remplisse un vaisseau de pois, ou plutôt de quelque autre graine cy- lindrique, et qu'en le ferme exactement après y avoir versé autant d’eau que les intervalles qui restent entre ces graines peuvent en rece- voir ; qu'on fasse bouillir cette eau, tous ces cy- lindres deviendront des colonnes à six pans. On en voit clairement la raison, qui est purement mécanique : chaque graine, dont la figure est cylindrique, tend par son renflement à occuper le plus d’espace possible dans un espace donné; 509 elles deviennent donc toutes nécessairement hexagones par la compression réciproque. Cha- que abeille cherche à occuper de même le plus d'espace possible dans un espace donné ; il est done nécessaire aussi, puisque le corps des abeilles est cylindrique , que leurs cellules soient hexagones , par la même raison des obstacles réciproques. On donne plus d'esprit aux mouches dont les ouvrages sont le plus réguliers ; les abeilles sont, dit-on, plus ingénieuses que les guépes, que les frelons , ete., qui savent aussi l'archi- tecture , mais dont les constructions sont plus grossières et plus irrégulières que celles des abeilles. On ne veut pas voir, ou l'on ne se doute pas que cette régularité, plus ou moins grande , dépend uniquement du nombre et de la figure, et nullement de l'intelligence de ces petites bêtes : plus elles sont nombreuses , plus il y a de forces qui agissent également et qui s'opposent de mème, plus il y a par consé- quent de contrainte mécanique , de régularité forcée et de perfection apparente dans leurs productions. Lesanimaux quiressemblentle plus à l'homme par leur figure et par leur organisation seront done, malgré les apologistes des insectes, main- tenus dans la possession où ils étaient d'être su- périeurs à tous les autres pour les qualités in- térieures ; et quoiqu'elles soient infiniment différentes de celles de l'homme, qu'elles ne soient , comme nous l’avons prouvé, que des résultats de l'exercice et de l'expérience du sentiment, ces animaux sont, par ces facultés mêmes, fortsupérieurs aux insectes ; et comme tout se fait et que tout est par nuance dans la nature, on peut établir une échelle pour juger des degrés des qualités intrinsèques de chaque animal, en prenant pour premier terme la par- tie matérielle de l'homme, et plaçant successi- vement les animaux à différentes distances, selon qu’en effet ils en approchent ou s’en éloi- gnent davantage , tant par la forme extérieure que par l'organisation intérieure; en sorte que le singe, le chien , l'éléphant et les autres qua- drupèdes seront au premier rang ; les cétacés qui, comme les quadrupèdes et l’homme, ont de la chair et du sang, qui sont comme eux vi- vipares, seront au second ; les oiseaux au troi- sième , parce qu'à tout prendre, ils diffèrent de l'homme plus que les cétacés et que les qua- drupèdes; et s’il n'y avait pas des êtres qui, 510 comme les huîtres ou les polypes , semblent en différer autant qu’il est possible, les in- sectes seraient avec raison les bêtes du dernier rang. Mais si les animaux sont dépourvus d’enten- dement, d'esprit et de mémoire, s’ils sont pri- vés de toute intelligence, si toutes leurs facul- tés dépendent de leurs sens, s'ils sont bornés à l'exercice et à l'expérience du sentiment seul, d'où peut venir cette espèce de prévoyance qu'on remarque dans quelques-uns d’entre eux? le seul sentiment peut-il faire qu'ils ramassent des vivres pendant l'été pour subsister pendant l'hiver? ceci ne suppose-t-il pas une comparai- son des temps, une notion de l'avenir, une in- quiétude raisonnée ? pourquoi trouve-t-on à la fin de l'automne dans le trou d’un mulot assez de gland pour le nourrir jusqu'à l'été suivant? pourquoi cette abondante récolte de cire et de miel dans les ruches ? pourquoi les fourmis font- elles des provisions? pourquoi les oiseaux fe- raient-ils des nids, s'ils ne savaient pas qu'ils en auront besoin pour y déposer leurs œufs et y élever leurs petits, ete., et tant d’autres faits particuliers que l’on raconte de la prévoyance des renards, qui cachent leur gibier en diffé- rents endroits pour le retrouver au besoin et s'en nourrir pendant plusieurs jours ; de la sub- tilité raisonnée des hiboux , qui savent ména- ger leur provision de souris en leur coupant les pattes pour les empêcher de fuir; de la péné- tration merveilleuse des abeilles, qui savent d'avance que leur reine doit pondre dans un tel temps tel nombre d'œufs d’une certaine espèce, dont il doit sortir des vers de mouches mâles, et tel autre nombre d'œufs d’une autre espèce qui doivent produire les mouches neutres, et qui, en conséquence de cette connaissance de l'avenir, construisent tel nombre d'alvéoles plus grandes pour les premières , et tel autre nombre d’al- véoles plus petites pour les secondes ? ete., ete. : Avant que de répondre à ces questions, et même de raisonner sur ces faits, il faudraitêtre assuré qu'ils sont réels et avérés ; il faudrait qu'au lieu d'avoir été racontés par le peuple ou publiés par des observateurs amoureux du mer- veilicux, ils eussent été vus par des gens sen- sés, et recueillis par des philosophes : je suis persuadé que toutes les prétendues merveilles disparaitraient, et qu'en réfléchissant on trou- verait la cause de chacun de ces effets en par- ticulier, Mais admettons pour un instant la vé- SUR LA NATURE rité de tous ces faits ; atcordons, avec ceux qui les racontent , le pressentiment, la prévision, laconnaissance même de l'avenir aux animaux: en résultera-t-il que ce soit un effet de leur in- telligence ? Si cela était, elle serait bien supé- rieure à la nôtre : car notre prévoyance est toujours conjecturale , nos notions sur l'avenir ne sont que douteuses; toute la lumière denotre âme suffit à peine pour nous faire entrevoir les probabilités des choses futures; dès lors les animaux, qui en voient la certitude, puisqu'ils se déterminent d'avance et sans jamais se trom- per, auraient en eux quelque chose de bien su- périeur au principe de notre connaissance , ils auraient une âme bien plus pénétrante et bien plus clairvoyante que la nôtre. Je demande si cette conséquence ne répugne pas autant à la religion qu'à la raison. Ce ne peut donc être par une intelligence semblable à la nôtre que les animaux aient une connaissance certaine de l'avenir, puisque nous n’en avons que des notions très-douteuses et très-imparfaites : pourquoi done leur accorder si légèrement une qualité si sublime ? pourquoi nous dégrader mal à propos? Ne serait-il pas moins déraisonnable, supposé qu’on ne püt pas douter des faits, d'en rapporter la cause à des lois mécaniques , établies ; comme toutes les autres lois de la nature, par la volonté du Créa- teur? La sûreté avec laquelle on suppose que les animaux agissent, la certitude de leur dé- termination , suffirait seule pour qu'on dût en conclure que ce sont les effets d’un pur méca- nisme. Le caractère de la raison le plus mar- qué, c’est le doute, c'est la délibération, c’est la comparaison; mais des mouvements et des ac- tions qui n’annoncent que la décision et la cer- titude, prouvent en même temps le mécanisme et la stupidité. Cependant, comme les lois de la nature, telles quenousles connaissons, n'en sont que les effets généraux, et que les faits dont il s’agitne sont au contraire que des effets très-particuliers , il serait peu philosophique et peu digne de l’idée que nous devons avoir du Créateur, de charger mal à propos sa volonté de tant de petites lois; ce serait déroger à sa toute-puissance et à la noble simplicité de la nature que de l’embarrasser gratuitement de cette quantité destatutsparticu- liers, dont l'un ne serait fait que pour les mou- ches , l'autre pour les hiboux , l’autre pour les mulots, ete. Ne doit-on pas au contraire faire en. DES ANIMAUX. 511 tous ses efforts pour ramener ces effets particu- liers aux effets généraux, et, si cela n'était pas possible, mettre ces faits en réserve et s’abste- nir de vouloir les expliquer jusqu'à ce que, par de nouveaux faits et par de nouvelles analogies, nous puissions en connaitre les causes ? Voyons donc en effet s’ils sont inexplicables, s'ils sontsi merveilleux, s'ils sontmêème avérés. Laprévoyancedes fourmisn'étaitqu'un préjugé: on la leur avait accordée en les observant; on là leur a ôtée en observant mieux. Elles sont en- gourdies tout l'hiver; leurs provisions ne sont donc que des amas superflus, amas accumulés sans vues, sans connaissance del’avenir, puisque par cette connaissance même elles en auraient prévu toute l'inutilité. N’est-il pas très-naturel que des animaux qui ont une demeure fixe où ils sont accoutumés à transporter les nourri- tures dont ils ont actuellement besoin , et qui flattent leur appétit, en transportent beaucoup plus qu'il ne leur en faut, déterminés par le sen- timent seul et par le plaisir de l'odorat où de quelques autres de leurs sens, ét guidés par l'habitude qu'ils ont prise d’emporter leurs vivres pour les manger en repos? Cela même ne démontre-t-il pas qu’ils n’ont que du senti- ment et point de raisonnement? C'est par la même raison que les abeilles ramassent beau- coup plus de cire et de miel qu’il ne leur en faut: ce n’est donc point du produit de leur in- telligence, c’est des effets de leur stupidité que nous profitons ; car l'intelligence les porterait nécessairement à ne ramasser qu’à peu près au- tant qu’elles ont besoin, et à s’épargner la peine de tout le reste, surtout après la triste expé- rience que ce travail est en pure perte, qu'on leur enlève tout ce qu’elles ont de trop, qu'en- fin cette abondance est la seule cause de la guerre qu'on leur fait, et la source de la déso- lation et du trouble de leur société. Il est sivrai que ce n’est que par sentiment aveugle qu'elles travaillent, qu’on peut les obliger à travailler, pour ainsi dire, autant que l’on veut. Tant qu’il y à des fleurs qui leur conviennent dans le pays qu’elies habitent , elles ne cessent d'en tirer le miel et la cire; elles ne discontinuent leur tra- vail et ne finissent leur récolte que parce qu'elles ne trouvent plus rien à ramasser. On aimaginé de les transporter et de les faire voyager dans d’autres pays où il y a encore des fleurs: alors elles reprennent le travail ; elles continuent à ramasser, à entasser jusqu’à ce que les fleurs de ce nouveau canton soient épuisées ou flétries ; et si on les porte dans un autre qui soit encore fleuri, elles continueront de même à recueillir, à amasser. Leur travail n'est done point une prévoyance ni une peine qu’elles se donnent dans la vue de faire des provisions pour elles : c'est au contraire un mouvement dicté par le sentiment , et ce mouvement dure et se renou- velle autant et aussi longtemps qu'il existe des objets qui y sont relatifs. Je me suis particulièrement informé des mu- lots, et j'ai vu quelques-uns de leurs trous : ils sont ordinairement divisés en deux ; dans l’un ils font leurs petits, dans l’autre ils entassent tout ce qui flatte leur appétit. Lorsqu'ils font eux-mêmes leurstrous, ils neles font pas grands, et alors ils ne peuvent y placer qu'une assez petite quantité de graines; mais lorsqu'ils trouvent sous le tronc d’un arbre un grand es- pace, ils s’y logent, et ils le remplissent, autant qu'ils peuvent, de blé, de noix , de noisettes, dé glands, selon le pays qu'ils habitent; en sorte que la provision , au lieu d’être propor- tionnée au besoin de l'animal, ne l’est au con- traire qu'à la capacité du lieu. Voilà donedéjàles provisionsdes fourmis, des mulots, des abeilles, réduites à des tas inutiles, disproportionnés, et ramassés sans vues; voilà les petites lois particulières de leur prévoyance supposée, ramenées à la loi réelle et généraic du sentiment; il en sera de mème de la pré- voyance des oiseaux. Il n’est pas nécessaire de leur accorder la connaissance de l’avenir , ou de recourir à la supposition d'une loi partieu- lière que le Créateur aurait établie en leur fa- veur, pour rendre raison de la construction de leurs nids ; ils sont conduits par degrés à les faire ; ils trouvent d’abord un lieu qui convient, ils s’y arrangent, ils y portent ce qui le rendra plus commode; ce nid n’est qu'un liea qu'ils reconnaitront , qu'ils habiteront sans inconvé- nient, et où ils séjourneront t'anquillement. L'amour est le sentiment qui les guide et lesex-. cite à cet ouvrage ; ils ont besoin mutuellement l'un de l’autre; ils se trouvent bien ensemble ; ils Cherchent à se cacher, à se dérober au reste de l'univers devenu pour eux plus incor:mode etplus dangereux que jamais ;ilss’arrêtent donc dans les endroits les plus touffus des arbres , dans les lieux les plus inaccessibles ou les plus obseurs; et, pour s’y soutenir, pour y demeurer d'une manière moins incommode, ils entassent 512 EXPOSITION des feuilles , ils rangent de pelits matériaux, et iravaillent à l'envi à leur habitation commune. Lesuns, moins adroitsou moins sensuels, ne font que des ouvrages grossièrement ébauchés; d'au- tres se contentent de ce qu'ilstrouvent tout fait, et n'ont pas d'autre domicile que les trous qui se présententou les potsqu'on leur offre. Toutes ces manœuvressontrelatives à leur organisation et dépendantes du sentiment qui ne peut, à quelque degré qu'il soit, produire le raisonne- ment, et encore moins donner cette prévision intuitive, cette connaissance certaine de l'a- venir, qu'on leur suppose. On peut le prouver par des exemples fami- liers. Non-seulement ces animaux ne savent pas ce qui doit arriver, mais ils ignorent même ce qui est arrivé. Une poule ne distingue pas ses œufs de ceux d’un autre oiseau; elle ne voit point que les petits canards qu'elle vient defaire éclore ne lui appartiennent point; elle couve des œufs de craie, dont il ne doit rien résulter, avec autant d'attention que ses propres œufs ; elle ne connait done ni le passé, ni l'avenir, et se trompe encore sur le présent. Pourquoi les oiseaux de basse-cour ne font-ils pas des nids comme les autres ? serait-ce parce que le mâle appartient à plusieurs femelles? ou plutôt n'est- ce pas qu'étant domestiques, familiers et accou- tumés à être à l'abri des inconvénients et des dangers, ils n'ont aucun besoin de se soustraire aux yeux, aucune habitude de chercher leur sûreté dans la retraite et dans la solitude? Cela même pourrait encore se prouver par le fait; car dans la même espèce l'oiseau sauvage fait souvent ce que l'oiseau domestique ne fait point. Le gelinotte et la cane sauvage font des nids, Ja poule et la cane domestique n'en font point. Les nids des oiseaux, les cellules des mouches, les provisions des abeilles, des fourmis , des mulots, ne supposent done aucune intelligence dans l'animal , et n'émanent pas de quelques lois particulièrement établies pour chaque es- pèce, mais dépendent, comme toutes les autres opérations des animaux, du nombre, de la fi- gure, du mouvement, de l'organisation et du sentiment, qui sont les lois de la nature , géné- rales et communes à tous les êtres animés. Iln’estpas étonnant que l'homme, quise con- nait si peu lui-même, qui confond si souvent ses sensations et ses idées , qui distingue si peu le produit de son âme de celui de son cerveau, se compare aux animaux, et n’admette entre eux et lui qu'une nuance, dépendante d’un peuplus ou d’un peu moinsde perfection dansles organes; il n'estpas étonnant qu'illes fasseraisonner, s'en- tendre et se déterminer comme lui, et qu'il leur attribue, non-seulement les qualités qu'ila, mais encore celles qui luimanquent.Mais que l'homme s'examine, s'analyse et s’approfondisse, il re- connaîtra bientôt la noblesse de son être, il sen- tira l'existence de son âme, il cessera de s’avi- lir, et verra d’un coup d'œil la distance infinie que l’Être suprême a mise entre les bêtes et lui. Dieu seul connait le passé, le présent et l’a- venir; il est de tous les temps, et voit danstous les temps. L'homme, dontla durée est de si peu d'instants, ne voit que ces instants : mais une puissance vive , immortelle , compare ces ins- tants, les distingue, les ordonne; c'est par elle qu'il connait le présent, qu'il juge du passé, et qu'il prévoit l'avenir. Otez à l'homme cette lu- miere divine, vous effacez, vous obscurcissez son être, ilne restera que l’animal; il ignorera le passé, ne soupconnera pas l'avenir, et ne saura même ce que c'est que le présent. EXPOSITION DES DISTRIBUTIONS MÉTHODIQUES DES ANIMAUX QUADRUPÈDES, PAR DAUBENTON,. 1 faut remonter jusqu'à Aristote pour trouver les principes les plus généraux de la division des animaux. Cet auteur était aussi grand philosophe que grand naturaliste : aussi ne doutait-il pas qu'on ne pût employer plusieurs caractères qui, quoique différents, fussent également bons pour distinguer les animaux les uns des autres, soit par leur manière de se nourrir, soit par leurs actions, soit par leurs mœurs, soit par les parties de leur corps; il observe une différence principale entre les animaux terrestres , en ce que les uns respi- rent, tel est l’homme, tels sont tous les animaux qui ont des poumons, et que les autres ne respi- rent pas, quoiqu'ils restent sur la terre et qu'ils y vivent, ce sont les guêpes, les abeilles et tous les insectes. Il y a des animaux qui ont des ailes, il y en a qui n'en ont point; ceux-ci rampent, mar- chent ou se traînent : la plupart des animaux ont du sang, mais il s’en trouve qui n’en ont point; les uns ne rendent qu'un œuf dont l'animal doit DES sortir, notre auteur les nomme, pour celte raison, ovipares ; les autres produisent un fœtus, e’est-à- dire un petit animal, et il les appelle vivipares. Les quadrupèdes ont les pieds faits de trois façons dif- férentes ; il donne le nom de solipèdes à ceux qui les ont terminés par une corne d’une seule pièce , les pieds fourchus ont deux côrnes à chaque pied , enfin les fissipédes ont les pieds divisés en plusieurs doigts. Aristote ne donne ces divisions générales que comme une formule qui indique les principales choses dont il doit traiter plus au long; mais il connaissait trop bien les animaux, pour admettre des distributions méthodiques , des divisions sui- vies et détaillées, en classes, genres, espèces, etc. S'il reconnaît des genres, ce n’est qu'à la façon du vulgaire, qui donne le mème nom à toutes les choses qui paraissent de même nature, comme les oiseaux, les poissons , ete., et il ne prétend tirer aucun autre avantage des dénominations généri- ques, que la facilité de retracer en un mot des qua- lités générales que l'on serait obligé de détailler trop souvent , si l’on n’était convenu de les expri- mer en un seul terme; mais il proscrit formelle- ment toutes sous-divisions de genre, et surtout celles qui seraient déterminées par des différences ; et il soutient que de telles divisions sont en partie forcées, et en partie absolument impossibles; et qu’en formant les différentes branches de la divi- sion , on sépare, on écarte, on éloigne les unes des autres des choses qui cependant doivent tou- jours se trouver sous le même point de vue; par exemple , les oiseaux sont dispersés dans des gen- res opposés ; il se rencontre des animaux à plu- sieurs pieds dans le genre des animaux terrestres, comme dans celui des aquatiques; d'ailleurs, pour faire ces sous-divisions de genre, on est obligé d'employer des caractères négatifs ; par exemple, il y a des animaux qui ont des pieds, d’autres n’en ont point ; il y en a qui ont des plumes , d'autres en sont privés. Aristote rejette ces caractères de pri- vation , parce qu'on ne pent pas établir une diffé- rence sur une idée de privation, et que ce qui n'est pas, ne peut pas avoir des espèces ; leur rapport à ce genre serait chimérique , puisque le fondement de la relationsserait purement négatif. Ces principes sont bien dignes du philosophe qui les a donnés, et prouvent assez que ce grand homme avait autant d'élévation de génie que d'étendue de connaissances; mais pour bien comprendre la vé- rité de ces principes, il faut réfléchir sur l'idée que nous présente une division d'animaux établie sur deux caractères , dont l'un est positif et l'autre né- gatif. Pour faire cet examen , reprenons l'exemple que nous donne Aristote , et supposons que l'on di- vise les animaux en deux classes, dont l'une com- prenne ceux qui ont des pieds ou des plumes, et LA S MÉTHODES. 15 l'autre ceux qui no point de pieds ou point de plumes. La, première classe étant déterminée par un caractère positif, nous donne une idée claire et distincte en nous représentant les animaux qui ont des pieds ou des plumes ; mais la seconde n'étant fondée que sur un caractère négatif , nous n’en ti- rons qu'une idée vagueret indéterminée , nous n'i- maginons qu'une privation de pieds ou de plumes, et nous n’apercevons d'abord aucun être réel qui fixe notre attention; car on ne peut pas conclure que, parce qu'un animal n'aura ni pieds ni plu- mes , il doive être tel on tel animal. Pour porter ce jugement, il faudrait nécessairement multiplier les caractères négatifs jusqu'au point de déterminer l'objet par voie d'exclusion, ce qui serait le plus souvent fort long et fort difficile : il vaut bien mieux admettre un caractère positif; par exemple, un animal qui rampe n'a point de pieds, un animal qui est couvert d'écailles n’a point de plumes. Voilà des caractères positifs , par conséquent l'équivo- que cesse, et il n'y a plus d'incertitude sur l'objet dont il s’agit : c’est pourquoi Ar istote conclut qu’ on ne doit établir les divisions que sur des caractères positifs et opposés, et non pas sur des caractères en partie positifs et en partie négatifs, parce que les caractères opposés sont toujours bien distingués les uns des autres et bien tranchés. Il donne pour exemple une division dont l’une des branches est déterminée par le caractère de la couleur blanche, et l’autre par celui de la couleur noire, ou par l'op- position d'une ligne droite à une ligne courbe : cette division serait bien moins équivoque et bien plus certaine que telle autre division d'animaux, dont les uns auraient pour caractère la propriété de na- ger, tandis que les marques distinctives des autres seraient dans leurs couleurs. Cependant Aristote n'a exécuté aucun plan de distribution méthodique des animaux; ce sublime métaphysicien, qui avait su réduire l'art de penser en système, et le raisonnement en formule, ne nous a tracé aucune suite de classes, de genres, d’espèces pour la division des.animaux ; il s'en est tenu aux définitions générales le plus communé- ment reçues, et ne s’est pas soucié de combiner des méthodes de nomenclature, parce qu'il était bien persuadé que ces combinaisons seraient trop compliquées pour qu'il fût possible d'éviter les ré- sultats équivoques ou faux qui rendraient infruc- tueux tous les travaux de ce genre. Il en avertissaits certains auteurs de ses contemporains , ét son opi- nion a été confirmée par la destruction successive du grand nombre de systèmes méthodiques qui ont été faits dans ces derniers siècles sur différentes parties de l'histoire naturelle. Les maximes d’A- ristote sur ce sujet peuvent éclairer les plus grands naturalistes, et leur prouver qu'en histoire natu- relle, comme en toute autre science; on s’égare 33 514 dès le premier pas, si on n'a de bons principes de métaphysique Nous voyons l'application de cês principes dans les ouvrages qu'Aristote nous a laissés sur les animaux : ce naturaliste , si fameux depuis tant de siècles et en tant de genres de scien- ces, sera encore d'autant plus célèbre en histoire naturelle , que cette science fera plus de progrès, et que l'on sera plus en état de comprendre et de vérifier ce qu'a écrit ce grand homme. On sait qu'Alexandre lui avait donné des facilités pour ob- server des animaux de toute espèce ; on sait aussi que le génie de l'observateur était bien capable de le guider et d'échirer ses recherches : c'est dans de si heureuses circonstances qu'Aristote a posé lespremiers fondements de l'histoire naturelle, en | nous donnant de bons principes sur la façon de distinguer et de diviser les animaux ; il a élevé en- suite l'édifice à un haut point, par la comparaison quil a faite des différentes parties des animaux, pour tirer des résultats de leurs ressemblances ou de leurs différences , soit pour la conformation de leur corps, soit pour les différentes façons dont ils perpétuent leur espèce, soit pour leurs sens , soit pour leurs fonctions , ete. Ce plan ne pouvait venir que d’un grand maître, qui savait distinguer les connaissances réelles des conventions arbitraires, et qui cherchait à reconnaitre dans le mécanisme des animaux le vrai système de leurs opérations, au lieu de faire devaines tentatives pour deviner | leur nature avant que de l'avoir bien observée, et pour faire des échelles de classes, de genres et d'espèces ; comme on l’a fait tant de fois, avant que d’avoir bien connu les individus : ses profon- des connaissances sur ce sujet lui avaient appris | au contraire que cette division n’est point dans la nature, et que de pareils systèmes ne peuvent pas | être d'accord avec l'histoire de ses productions. Je ne ferai pas mention des distributions mé- thodiques des animaux que Gesner , Aldrovande, Johnston, etc., ont suivies, parce qu'elles sont trop incomplètes; je viens à celle que M. Raï donna sur la fin dudernier siècle. La première division de cette méthode est tirée d’Aristote; les animaux en généralSont divisés en deuxtclasses, dont la pre- mière comprend ceux qui ont du sang, et l'autre ceux qui n'ont point de sang : mais l'emploi que M. Rai fait de cette différence générale qui se tronve entre les animauxest contraire aux principes d'A- ristote , qui soutient qu’on ne doit pas diviser les | genres; aussi la methode est-elle en défaut dès la première division, de l'aveu même de l'auteur, qui convient que le ver de terre a du sang, quoiqu'il se trouve dans la classe des animaux qui n'en ont point. Ge caractère négatif dans les animaux qui n'ont point de sang , étant donné comme caractère générique, est encore contraire aux maximes d'A- ristote, qui n’admet, en pareil cas, que des ca- EXPOSITION ractères positifs et opposés. [1 me semble qu'il était aisé de le rendre tel, en déterminant cette pre- mière division par les couleurs de la liqueur qui circule dans le corps des animaux ; on aurait prés venu l'objection par laquelle on prétend que la cou- leur rouge n’est pas essentielleau sang, mais le ver de terre se serait toujours trouvé placé parmi les animaux qui ont le sang rouge, et l'auteur aurait toujours été obligé de dire, comme il l'a dit, qu'il n'y a point de règles générales sans exception, c'est-à-dire qu'il ne donne pas sa méthode comme complète. - Reprenons la classe des animaux qui ont du sang, c'est celle qui comprend les quadrupèdes ; pour y arriver, il faut la sous-diviser en deux parties dont la première renferme les animaux qui respirent par le moyen d’un poumon , et la seconde ceux qui ont des ouïes pour organes de la respiration. Parmi les premiers, les uns ont le cœur composé de deux ventricules , et les autres d’un seul : les animaux dont le cœur a deux ventricules sont vivipares ou ovipares; les premiers sont les quadrupèdes vivi- pares et les poissons cétacées ; les seconds sont les oiseaux : les animaux qui n’ont qu’un ventricule dans le cœur sont les quadrupèdes ovipares et les serpents. Après cet exposé, l’auteur consent à laisser les- cétacées avec les poissons, pour se conformer, dit- il, au préjugé du vulgaire , qui répugnerait peut- être à réunir les cétacées avec les quadrupèdes vivipares, quoiqu'ils n’en diffèrent qu’en ce qu'ils n'ont ni poil ni pieds, et qu'ils vivent dans l’eau. Ce qu'il y a de vrai dans tous ces rapports, c'est que les cétacées ont beaucoup de ressemblance avec les quadrupèdes dans la conformation inté- rieure, et mème en quelques parties de l’exté- rieure, et qu'ils ressemblent aux autres poissons par leurs nageoires, par l'élément dans lequel ils vivent, etc. ; ce sont des animaux qui tiennent des quadrupèdes et des poissons. Les méthodistes les placeront à leur gré dans la branche de leurs mé- thodes qu'ils eroiront la plus convenable ; mais les cétacées n'en seront pour cela ni plus ni moins res- semblants aux quadrupèdes et aux poissons. M. Rai, en donnant sa méthode, ne prétend pas rejeter absolument la division générale des animaux en quadrupèdes, oiseaux, sons et in- sectes; il voudrait seulement que l’on comprit'sous le nom de quadrupèdes toutes les bêtes terrestres, et mème les serpents, parce qu'ils ne diffèrent des lézards et de plusieurs autres, qu’en ce qu'ils n'ont point de pieds. Cette division générale est aussi bonne qu'une autre, quoique les serpents n'aient point de pieds ; ils n'en ont point nonplus dans la méthode de M. Raï ; qui les met avec les quadru- pèdes ovipares. L'inconvénient qu'il aurait à mê- ler les vivipares avec les ovipares, en divisant les DES MÉTHODES. animaux en quadrupèdes , oiseaux, poissons et in- sectes, ne me parait pas plus grand que celui que l'on pourrait trouver à laisser, comme fait M. Rai, la vipère, qui, selon lui, est vivipare, avec les au- tres serpents, qui sont ovipares : toute distribu- tion méthodique en histoire naturelle a ses défauts, il ne s’agit que du plus ou du moins. La division des animaux en animaux terrestres, aquatiques et amphibies, parait à notre auteur être peu confor- me à la nature et à la raison : cela peut être, et personne ne doit en être surpris, puisque toutes les méthodes en ce genre sont des conventions ar- bitraires , qui ne dépendent ni de la nature ni de la raison , mais de la commodité et de la volonté des méthodistes. Cette division en trois classes est ré- gulière par rapport à son objet, qui est de rassem- bler dans l’une de ces classes les animaux qui vi- vent sur la terre, dans l’autre ceux qui restent dans l’eau, et dans la troisième ceux qui vivent sur la terre et dans l’eau. La même division sera irrégulière par rapport aux autres méthodes qui ont été faites sur d’autres conventions , leurs gen- res y seront confondus ou divisés ; on séparera les cétacées les uns des autres, les quadrupèdes vivi- pares et ovipares amphibies seront dans une classe, etles autres quadrupèdes vivipares et ovipares dans une autre ; les insectes aquatiques seront d'un côté, et les terrestres d’un autre, ete., qu'importe ? ce sera une méthode : autant vaut distinguer les céta- cées en aquatiques et en amphibies , que de les ba- lancer et de les:ballotter pour les faire tomber avec les quadrupèdes ou avec les poissons : on peut bien mêler les vivipares avec les ovipares , puisque, de l’'aveu de M. Rai, cette distinction n’est pas assez sûre pour déterminer les différents genres d’ani- maux ; pourquoi enfin ne renfermerait-on pas les insectes terrestres dans une classe, tandis que les insectes aquatiques seraient dans une autre ? Dès que l’on voudra diviser le genre des insectes et tout autre genre , on fera de mauvaises divisions ; mais à cette condition , on les pourra faire de quel- que façon que l’on voudra. Revenons à la méthode de M. Raï; les quadru- pèdes vivipares, c'est-à-dire les animaux que l'on entend communément par le nom de quadrupèdes, snt du sang; ils respirent par l'organe d'un pou- mon, et leur cœur est composé de deux ventricu- les : mais n'allons pas plus loin avant de changer la dénomination générale de quadrupèdes , parce que l’auteur s'avise ici de comprendre dans cette classe un animal qui n'a que deux pieds, c'est la vache marine, manuti; elle a des poumons, son cœur est composé de deux ventricules, par conséquent elle doit être mise avec les quadrupèdes , quoi- qu'elle n'ait que deux pieds ; cependant on ne peut pas la ranger sous la dénomination de quadrupè- des sans lui faire quatre pieds ; mais l'auteur aime HE mieux changer la dénomination de quadrupèdes vivipares en celle d'animaux vivipares couverts de poil, parce que la vache maritie a du poil. M. Rai change la division des ini quadru- pèdes en solipèdes, pieds fourchus, et fissipédes , et n'en fait que deux classes générales, dont la première comprend les animaux qui ont l'extré- mité des doigts enveloppée dans une manière de corne sur laquelle ils marchent, animaliarunqu- lata; la seconde classe renferme ceux qui ont un ongle qui tient à l'extrémité de chaque doigt, et qui laisse à nu la partie qui porte sur la terre, animalia unguiculata. L'auteur sous-divise les animaux qui ont de la corne aux pieds, en solipèdes , qui sont le cheval, l'âne et le zèbre, en pieds fourchus, tels que le taureau , le bélier, le bouc, etc., et en animaux qui ont les pieds divisés en‘ quatre parties, comme sont le rhinocéros et l'hippopotame. Il rapporte à cette classe quelques animaux étrangers qu'ildonne corime anomaux, parce qu'ils diffèrent un des deux précédents. Il y a deux sortes d’ IX à pieds fourchus : les uns ne ruminent pas, tels sont le cochon, le sanglier, le cochon de Guinée, le babyroussa , le tajacu , etc. ; les autres ruminent, ce sont le taureau, le bélier, le bouc, etc., et ils ont des cornes sur la tête. On pourrait, dit M. Rai, établir des différences entre ces animaux, en ce que les uns quittent leurs cornes dans certains temps pour en produire de nouvelles, ét que les autres gardent toujours les mêmes ; en ce qu'il y a des femelles et même des mäles qui n’en ont jamais, et en ce que les cornes sont solides ou creuses. Il y a trois genres de ruminants à pieds fourchus qui ont des cornes creuses et qui ne les quittent jamais; le premier porte le nom du bœuf, bovinum genus, et comprend le taureau, l’aurochs, le bison, le buf- fle, ete. ; le nom du second est dérivé de celui des brebis, ovinum genus, et renferme le bélier, les brebis d'Arabie, de Crète, d'Afrique, de Guinée ou d’Angole, etc.; et la dénomination du troisième genre vient du nom de la chèvre, caprinum genus ; ses espèces sont le bouc, le bouquetin,, le chamois, les gazelles, etc.; on a fait un quatrième genre des animaux ruminants à pieds fourchus,, dont les cornes sont solides et branchues, et tombent cha- que année ; le nom de ce genre est tiré de celui de cerf, cervinum genus; on y rapporte le cerf, le daim, l'élan, le renne, le chevreuil , la giraffe, ete. Parmi les animaux qui sont armés d'ongles ;-il s’en trouve qui les ont larges ; et qui ressemblent plus à l'homme que les autres bêtes, ce sont les singes. Les animaux qui ont les ongles étroits et pointus pour la plupart sont distingués par leurs pieds; les uns ont le pied fourchu et n'ont que deux ongles, comme le chamean qui el OP Eine nant ; les animaux de ce même genre sont le dro- 516 madaire, le mouton du Pérou et le paco ; les autres animaux qui ont des ongles sont fissipèdes. M. Raï donne l'éléphant comme anomal en ce genre, parce que SES doigts sont réunis et recouverts par la peau, etc. Les animaux fissipèdes sont divisés en deux class ses; la première comprend ceux que l'auteur ap- pelle analoques, c'est-à-dire ceux qui se ressem- blent surtout par rapportaux dents, soit pour leur forme, soit pour leur situation. Les animaux fissi- pèdes de la seconde classe sont désignés par le nom d'aiomaux, parce qu'ils diffèrent des autres; ou ils n'ont point de denis, ou celles qu'ils ont sont differentes des dents des autres animaux, soit pour ja forme , soit pour l'arrangement. Les animaux fissipèdes analogues ont plus de deux dents incisives dans chaque mâchoire, comme le lion, le chien, ete., ou n'en ont seulement que deux, comme le castor, le lièvre, le lapin, etc, et tous ceux qui se nourrissent de plantes. L'auteur propose d'abord de diviser en deux classes les animaux fissipèdes analogues qui ont plus de deux dents incisives dans chaquemächoire, et de déterminer ces classes par les différents ali- ments qu'ils prennent , parce que les uns mangent la chair des animaux, lesautres ne vivent que d’in- sectes, où prennent une nourriture mêlée d'insec- tes et de plantes; mais ayant reconnu qu'on ne savait pas encore assez bien quelle était la nourri- ture de ces animaux, il renonce à cette division , et les met tous au rang des animaux carnassiers : je crois que c'est avec raison, au moins pour la plu- part, car j'ai vu un blaireau et un hérisson manger de la chair. Les animaux carnassiers sont distingués par leur grandeur; il y en a de grands et de petits : les grands sont de deux sortes; les uns ont la tête ar- rondie et le museau court, comme le chat; c’est pourquoi on appelle le genre sous lequel ils sont rassemblés, genre des chats, felinum genus; il comprend le lion, le tigre, le léopard, le loup-cer- vier, le chat, l'ours, ete.; les autres ont la tête et le museau allongés, comme le chien, d'où vient le nom de canin que l'on a donné à ce genre, genus canin ; ses espèces sont le loup, le chien, le re- nard, la civette, le coati-mondi, le blaireau ou taisson, la loutre, le veau de mer, l'hippopotame ou cheval marin, la vache marine, etc. Les petits animaux carnassiers ne diffèrent pas seulement des grands par leur volume, mais encore parce qu'ilsont la tête plus petite, les pattes plus courtes et le corps plus effilé, ce qui leur donne de la fa- cilité pour se glisser, comme des vers, dans des endroits fort étroits; aussi le nom géncrique de ces animaux a-t-il été dérivé de celui de ver ou ver- mine, genus vermineum ; on l'appelle aussi genus mustellinum , parce que la belette, mustela, est EXPOSITION l'animal le plus connu de ce genre , qui renferme aussi l'hermine, îe furet, le putois, la martre, la fouine et la martre zibeline , ete. Les animaux fissipèdes analogues, qui n'ont que deux dents incisives à chaque mâchoire, sont le lièvre, le lapin, le cochon d'Inde, le porc-épie, le castor , les écureuils, le rat , le rat musqué, le rat d'eau, la souris, le mulot, le loir, le lérot, la mar- motte, ele. . Les animaux fissipèdes anomaux sont le héris- son, le tatou, la taupe, la musaraigne, le taman- dua , la chauve-souris et le paresseux : les cinq pre- miers ont le museau allongé comme les chiens ou les belettes, mais ils en diffèrent par la forme et l'arrangement des dents; le tamandua n’en a point, la chauve-souris et le paresseux ont le museau court. Le projet de distribution méthodique des ani- maux, que M. Klein a publié en 1750, a assez de rapport à la méthode de M. Rai, pour que l’on rende compte de ce projet immédiatement après ; quoique l'exposition dela division des quadrupèdes, que Linnæus a donnée dès l'année 4755, dût pré- céder selon l'ordre des dates. M. Klein distingue les animaux de tous les autres êtres de la nature par la faculté qu'ils ont de se mouvoir et de changer de lieu: il les divise et dé termine leurs classes par les différences quisetrou- vent entre les parties du corps qui opèrent ce mou- vement et ce déplacement : les uns y parviennent à l'aide de leurs pieds où de certaines parties qui leur tiennent lieu de pieds: d'autres ont des pieds qui leur servent dans l’eau comme sur la terre, et des ailes qui les transportent en l'air. Il y a des animaux qui, par le moyen de plusieurs pieds fort courts, ou sans avoir de pieds, rampent sur la terre ou dans l'eau , et même dans l’eau comme sur la terre; il en est qui ne changent de lieu que dans l'eau, et qui n'ont que des nageoires; d'autres ne se déplacent qu'en ébranlant leur coquille; on en trouve enfin qui ne se meuvent qu'en un certain temps de l'année, dit notre au- teur, comme les orties de mer, les holothuries, etc. Mais n'y en a-t-il pas aussi qui ne changent jamais de lieu et qui vivent toujours fixés dans le même endroit? ceux-là ne trouveront point de place dans la méthode de M. Klein; cependant ils n'en ap- partiennent pas moins au règne animal, parce que le mouvement des animaux ne suppose pas loujours un déplacement. Parmi les animaux qui ne se meuvent que sur la terre et dans l’eau, les uns n'ont que deux pieds, les autres en ont quatre où un plus grand nombre ; et d'autres n'en ont point du tout, où au moins n'ont aucunes parties de leur corps auxquelles on puisse donner proprement le nom de pieds. Les quadrupèdes, c'est-à-dire les animaux à qua- DES MÉTHODES. 517 tre pieds, qui pour l'ordinaire ne se meuvent et ne se déplacent que sur la terre, sont divisés en deux ordres‘; le premier renferme ceux qui ont de la corne à l'extrémité des pieds, et le second ceux qui ont des doigts. Chacun de ces ordres est sous- divisé en quatre familles ; la première famille des quadrupèdes qui ont de la corne à l'extrémité des pieds, comprend ceux qui n'ont la corne que d'une seule pièce à chaque pied, ce sont les soli- pèdes : la seconde ceux qui ont la corne divisée en deux pièces, ce sontles pieds fourchus; lerhinocéros est dans la troisième famille, parce que la corne de chacun de ses pieds est divisée en trois pièces; l’é- léphant est dansla quatrième, il a la corne du pied partagée en cinq pièces. La première famille du second ordre, c’est-à- dire des quadrupèdes qui ont des doigts, comprend ceux qui en ont deux à chaque pied, comme le chameau, ete.; les animaux de la seconde famille ont trois doigts; ceux de la troisième en ont qua- tre, et enfin ceux de la quatrième en ont cinq. M. Klein a fait la division générale des animaux d'une manière ingénieuse, en établissant un carac- tère essentiel à tous les animaux, qui est la faculté de changer de lieu, et en le déterminant par les parties du corps qui servent à ce mouvement, d’au- tant plus que le même caractère s'étend jusqu’à la division des quadrupèdes : cependant on peut ob- jecter à M. Klein, comme à M. Raï, le caractère négatif qui entre dans la première division des ani- maux; car avoir deux pieds, en avoir quatre ou plus de quatre, sont des marques positives et dis- tinetives ; mais n'avoir point de pieds n’est qu’une privation dont nous ne tirons aucune idée distincte : sur cet exposé nous restons en suspens, et nous at- tendons qu’on nous apprenne qu'est-ce qu'ont donc ces animaux qui n'ont point de pieds : si on nous dit qu'ils ont la faculté de se trainer, de ramper au lieu de marcher, on nous donne, par ce caractère positif, l'idée d’un reptile; nous nous figurons à l'in- stant un serpent qui se déplace sans avoir de pieds. Je me permettrai encore de faire une réflexion sur le projet de méthode de M. Klein, et sur toutes les méthodes dont les branches des divisions prin- 4 Les dénominations de classe , de genre et d'espèce , n'é- tant pas en nombre suffisant pour exprimer toutes les divi- sions que les méthodistes ont été obligés de faire pour des- cendre depuis la division la plus générale des classes jusqu'aux caracières spécifiques , ils ont imaginé une suite plus nom- breuse de dénouninations, qui correspondit à la suite détaillée de leurs divisions : c'est pourquoi nous trouvons dans Îes méthodes, des classes , des ordres , des tribus, des légions, des cohortes, des familles, des genres et des espèces. Les nomenclateurs ont abusé de la plupart de ces noms, dont l'ac- ception n'a jamais eu de rapport qu'aux hommes; ainsi on ne peut guère les appliquer à des êtres différents, comme des plantes, et surtout des minéraux, sans tomber dans un dé- faut de goût et de précision, qui n'est point pardonnable dans le siècle ou nous vivons. cipales sont si peu en équilibre, qu'on ne voit qu'un animal d'un côté, tandis qu'il y en a une multi- tude de l’autre. Ces divisions représententla nature comme si on la dépeignait sous la figure d’une déesse manchotte, qui aurait un bras fort long d’un côté, et seulement un moignon de l’autre. Lorsque M. Raï divise en deux classes les animaux qui ont des ongles , il ne met dans l’une que le genre des chameaux, tandis que tous les autres animaux à on- gles restent dans l’autre classe : de même M. Klein fait de sa quatrième famille du second genre une nation entière, en y comprenant tous les animaux qui ont cinq doigts, et il en laisse si peu dans les trois autres familles, qu’on croirait qu'elles seraient près de s’éteindre. Je ne prétends pas qu'on doive mettre en équilibre parfait les branches d’une di- vision, en distribuant autant d'espèces dans l’une que dans l’autre; cependant je ne voudrais pas qu'une espèce figurât seule dans une méthode vis- à-vis un très-grand nombre d'espèces. Cette iné- galité semble être contraire à l’ordre de la nature : au reste, cela est peut-être inévitable dans les dis- tributions méthodiques ; mais cela prouve que ces méthodes ne sont que des conventions arbitraires que l’on modifie selon le besoin, en multipliant les conditions autant de fois qu’il se trouve des singu- larités dans la nature, par rapport au caractère qui détermine la méthode : car si on observait les ani- maux en entier, tant à l'intérieur, qu'à l'extérieur, on trouverait souvent des rapports essentiels qui effaceraient les petites différences sur lesquelles les méthodes sont établies. On en verra desexem- ples dans la description des animaux, où je me réserve de discuter les caractères particuliers qui ont été employés dans les méthodes. Venons maintenant à la distribution méthodi- que des quadrupèdes, faite par Linnæus, telle qu'il l'a donnée dans la dernière édition que nous avons du Système de la Mature. Par le titre du livre, l'auteur ne laisse aucun doute sur ses prétentions ; on croirait qu'il ne s’agirait pas de moins que de développer et d'exposer le système de la nature; cependant ce n’est qu'une distribution métho- dique établie, comme les autres méthodes en ce genre, sur des conditions arbitraires, qui sont, pour la plupart, indépendantes des lois natu- relles. Buffon, dans son discours sur la manière d'étudier et de traiter l'histoire naturelle, a rap- porté la division générale des animaux en six clas- ses donnée par Linnæus, et l’a discutée de façon à ne rien laisser à désirer sur ce sujet, de même que sur la juste valeur de toutes les méthodes que l’on a faites en histoire naturelle. Buffon a aussi fait mention de la division des quadrupèdes, d'a- près la quatrième édition du système de Linnæus; mais, comme il n’était pas de son objet de suivre les détails de la distribution des quadrupèdes , et d18 comme Linnæus a fait depuis des changements que nousavons reconnus dans la sixième édition de son ouvrage qui nous est parvenue, il est à propos de détailler cette nouvelle méthode sur les quadru- pèdes. Linnæus distingue ces animaux de tous les au- tres en ce qu'ils ont du poil sur le corps, et quatre pieds, et en ce que les femelles sont vivipares et ont du lait. Il divise les quadrupèdes en six ordres; le troisième, qui est sous le nom d’Agriæ, a été ajouté et démembré du premier ordre. Get ordre ne contient plus que trois genres d'a- nimaux, qui portent pour caractères communs quatre dents incisives dans chaque mâchoire, et les mamelles sur la poitrine. Je suis toujours sur- pris de trouver l'homme dans le premier genre, immédiatement au-dessous de la dénomination générale de quadrupèdes, qui fait le titre de la classe : l'étrange place pour l'homme! quelle in- juste distribution , quelle fausse méthode met l'homme au rang des bêtes à quatre pieds! Voici le raisonnement sur lequel elle est fondée. L'homme a du poil sur le corps et quatre pieds, la femme met au monde des enfants vivants et non pas des œufs , et porte du lait dans ses mamelles; donc l'homme et là femme sont des animaux quadru- pèdes. Les hommes et les femmes ont quatre dents incisives dans chaque mâchoire et les mamelles sur la poitrine; done les hommes et les femmes doi- vent être mis dans le même ordre, c'est-à-dire au mème rang, avec les singes et les guenons, et avec les mâles et les femelles des animaux appelés pa- resseux. Voilà des rapports que l'auteur a sin- gulièrement combinés pour acquérir le droit de se confondre avec tout le genre humain dans la classe des quadrupèdes, et de s'associer les singes et les paresseux pour faire plusieurs genres du même ordre. C’est ici que l'on voit bien clairement que le méthodiste oublie les caractères essentiels, pour suivre aveuglément les conditions arbitraires de sa méthode; car quoi qu'il en soit des dents, du poil, des mamelles, du laitet du fœtus, ilest cer- tain que l’homme, par sa nature, ne doit être con- fondu avec aucune espèce d'animal, et que par conséquent il ne faut pas le renfermer dans une classe de quadrupèdes , ni le comprendre dans le même ordre ayec les singes et les paresseux, qui composent le Second et le troisième genre du pre- mier ordre de la classe des quadrupèdes dans la méthode dont il s’agit. Les animaux du second ordre! ont pour carac- tères distinetifs six dents de devant dans chaque mâchoire, et les dents canines allongées : ces ani- maux sont l'ours, le chat, la belette, la loutre, le chien, le veau marin, le blaireau , le hérisson, le tatou, la taupe et la chauve-souris. Mais il ne faut ‘ Feræ, EXPOSITION DES MÉTHODES. pas prendre ici ces dénominations au pied de la lettre; car dans l'ouvrage de Linnæus, un ours n'est pas toujours un ours, ni un chat n'est pas toujours un chat; il change les noms des animaux, et il les distribue à son gré; il donne au coati-mondi le nom d'ours à queue allongée; le lion, le tigre, le léopard, le chat-pard, le loup-cervier, etc., sont différentes espèces de chats. La martre, le putois, le furet, l'hermine, la martre-zibeline, etc., por- tent chacun le nom de belette, mustela; le loup, le renard, ete., sont des chiens; la civette est un taisson, etc. Le troisième ordre" ne renferme que deux gen- res d'animaux , dont les caractères sont la priva- tion des dents, et la langue très-longue et cylin- drique; le premier genre est sous le nom de man- geurs de fourmis, il a pour espèces le tamandua- guacu, le tamandua , etc.; le second genre est appelé manis, il n’a qu’une seule espèce, quiest le lézard écailleux. Le caractère des animaux de quatrième ordre ? est d'avoir deux dents de devant fort saillantes ; les genres compris dans cet ordre sont le porc- épic, l’écureuil, le lièvre, le castor, le rat, la musa- raigne et l'opossum; mais le nom delièvre s'étend au lapin et au cochon d'Inde; le rat d’eau est une espèce de castor, etc. Les animaux du cinquième ordre * ont des dents irrégulières, et différentes de celles de tous les ani- maux qui composent les cinq autres ordres de la classe des quadrupèdes : tel est le caractère du cinquième ordre. Il nous indique cinq privations, c'est-à-dire cinq caractères négatifs, et pas un seul qui soit positif, ces animaux si mystérieux pour les dents sont l'éléphant,le rhinocéros, l’hippopotame, le cheval et le cochon ; mais il faut remarquer que l'âne et le zèbre sont des chevaux. Enfin les animaux du sixième ordre 4 sont dis- tingués par les caractères suivants; ils n’ont point de dents de devant dans la mâchoire de dessus, mais ils en ont six ou huit dans celle de dessous; leurs pieds sont terminés par une matière de corne : les genres compris dans cet ordre sont le chameau, l'animal qui porte le muse, le cerf, la chèvre, la brebis et le bœuf. Le dromadaire, le mouton du Pérou et le paco sont compris sous la dénominæ tion de chameau; celle de cerf s'étend beaucoup plus loin qu'on ne le croirait, car elle se rapporte à la girafe, à l'élan, au cerf, au renne, au daim et au chevreuil; sous le nom de chèvre, on trouve le bouc, le cerf de Guinée, le chamoïs, le bouque- tin, les gazelles, ete. Pour ne pas rendre l'exposition de cette méthode trop longue et trop compliquée, je renvoie à la des- ! Agrie, 2 Giires 5 Jumenta. 4Pecora, ANIMAUX DOMESTIQUES. cription particulière de chaque animal pour l'exa- men des caractères génériques et spécifiques. On peut voir, par ce qui a été rapporté des principales méthodes de distribution des quadrupèdes, en quoi consiste l’art des méthodes, et à quoi peuvent servir ces systèmes pour la vraie connaissance des animaux. On a vu que chaque méthodiste ne nous présente que quelques parties de leur corps, et qu'en vertu de la comparaison et de la combinaison qu'il fait de ces mêmes parties dans chaque espèce d'animal, il les approche ou il les éloigne , il les place, illes range, il en dispose à son gré; l'ordre auquelil lessoumet n’est déterminé que par des con- ventions arbitraires, si peu essentielles pour la plu- part, qu'elles varient , qu’elles diffèrent et qu’elles changent dans chaque méthode, de façon que les méthodistes semblent se jouer des animaux et de la nature, au lieu d’en faire des observations sui- vies et une étude sérieuse : cependant il y a un pré- jugé qui n’est que trop répandu dans ce siècle, et qui donne aux méthodes beaucoup plus de consi- dération qu’elles n'en méritent; on croit qu'elles sont de vrais tableaux de la nature, et qu'on y voit le dénouement de son système. Ceux qui sont do- minés par ce préjugé le respectent d'autant plus, qu'ils ont employé plus de temps dans ce genre d'étude, et tombent dans l'illusion en se persua- dant qu'ils connaissent parfaitement les animaux , parce qu’ils savent quele est la forme, le nombre et la situation de leurs dents, de leurs mamelles, de leurs pieds, de leurs doigts, etc. On se contente de cette connaissance superficielle, sans s'inquiéter du reste de l'animal que l'on ne peut bien con- naître que par des descriptions complètes. Il faut que les hommes se succèdent par plus d’une géné- ration, avant que de parvenir à l'extinction totale d’un faux préjugé ; mais ceux qui sont les premiers à reconnaitre l'erreur doivent travailler à la dé- truire sans aucune dissimulalion : c’est pourquoi nous ne suivrons dans l'histoire naturelle et dansla description des animaux quadrupèdes, que l'ordre le plus simple et le plus éloigné de ioute distribu- tion méthodique ; nous commençons par les ani- maux domestiques, ensuite viendront les animaux, sauvages et enfin les animaux étrangers.Les motifs de cette succession ont été si bien expliqués par Buffon, qu'il suffit de renvoyer à son discourseur la manière d'étudier et de traiter l’histoire naturelle. LES ANIMAUX DOMESTIQUES. L'homme change l’état naturel des animaux en les forçant à lui obéir , et les faisant servir à son usage. Un animal domestique est un es- 519 abuse, qu'on altère, qu'on dépayse et que l'on dénature; tandis que l'animal sauvage, n'obéis- sant qu'à la nature, ne connait d'autres lois que celles du besoin et de la liberté. L'histoire d'un animal sauvage est donc bornée à un petit nombre de faits émanés de la simple nature, au lieu que l'histoire d'un animal domestique est compliquée de tout ce qui a rapport à l'art que l'on emploie pour l'apprivoiser ou pour le subjuguer; et comme on ne sait pas assez combien l'exemple, la contrainte, la force de l'habitude peuvent influer sur les ani- maux et changer leurs mouvements , leurs déterminations , leurs penchants, le but d'un naturaliste doit être de les observer assez pour pouvoir distinguer les faits qui dépendent de l'instinct, de ceux qui ne viennent que de l'éducation ; reconnaitre ce qui leur appartient et ce qu'ils ontemprunté, séparer ce qu'ils font. de ce qu'on leur fait faire, et ne jamais con- fondre l'animal avec l'esclave, la bête de somme avec la créature de Dieu. L'empire de l'homme sur les animaux est un empire légitime qu'aucune révolution ne peut détruire ; c’est l'empire de l'esprit sur la ma- tière , c'est non-seulement un droit de nature, un pouvoir fondé sur des lois inaltérables, mais c'est encore un don de Dieu, par lequel l'homme peut reconnaître à tout instant l'excellence de son être : car ce n’est pas parce qu’il est le plus parfait, le plus fort ou le plus adroit des ani- maux, qu'il leur commande : s’il n’était que le premier du même ordre, les seconds se réuni- raient pour lui disputer l'empire; mais c’est par la supériorité de nature que l'homme règne et commande; il pense, et dès lors il est maitre des êtres qui ne pensent point. ' Il est maître des corps bruts, qui ne peuvent opposer à sa volonté qu'une lourde résistance ou qu'une inflexible dureté, que sa main sait toujours surmonter et vaincre en les faisant agir les uns contre les autres ; il est maître des vé- gétaux , que par son industrie il peut augmen- ter, diminuer, renouveler, dénaturer, détruire ou multiplier à l'infini; il est maitre des ani- maux, parce que, non seulement il a comme eux du mouvement et du sentiment, mais w'il a de plus la lumière de la pensée , qu'il connait les fins et les moyens, qu'il sait diriger ses ac- tions, concerter ses opérations, mesurer ses mouvements, vaincre la force par l'esprit, et la clave dont on s'amuse, dont on se sert, dont on | vitesse par l'emploi du temps. Cependant parmi les animaux, les uns pa- raissent être plus ou moins familiers, plus ou moins sauvages, plus ou moins doux, plus ou moins féroces. Que l’on compare la docilité et la soumission du ckien avec la fierté et la féro- cité du tigre, l’un parait être l'ami de l'homme, et l'autre son ennemi , son empire sur les ani- maux n’est donc pas absolu : combien d'espèces savent se soustraire à sa puissance par la rapi- dité de leur vol. par la légèreté de leur course, par l'obscurité de leur retraite, par la distance que met entre eux et l'homme l'élément qu'ils habitent! combien d'autres espèces lui échap- pent par leur seule petitesse ! et enfin combien y en a-t-il qui, bien loin de reconnaitre leur souverain, l'attaquent à force ouverte! sans parler de ces insectes qui semblent l'insulter par leurs piqüres, de ces serpents dont la mor- sure porte le poison et la mort , et de tant d'au- tres bêtes immondes, incommodes, inutiles, qui semblent n’exister que pour former la nuance entre le mal etle bien, et faire sentir à l'homme combien, depuis sa chute, il est peu respecté. C'est qu'il faut distinguer l'empire de Dieu du domaine de l’homme : Dieu créateur des êtres est seul maitre de la nature ; l'homme ne peut rien sur le produit de la création, il ne peut rien sur les mouvements des corps célestes, sur les révolutions de ce globe qu'il habite; il ne peut rien sur les animaux, les végétaux , les miné- raux en général; il ne peut rien sur les espèces, il ne peut que sur les individus; car les espè- ces en général et la matière en bloc appartien- nent à la nature, ou plutôt la constituent ; tout se passe, se suit, se succède, se renouvelle et se meut par une puissance irrésistible. L'homme, entrainé lui-même par le torrent des temps, ne peut rien pour sa propre durée; lié par son corps à la matière, enveloppé dans le tourbillon des êtres, il est forcé de subir la loi commune, il obéit à la même puissance, et, comme tout le reste, il nait, croit et périt. Mais le rayon divin dont l'homme est animé l'ennoblit et l'élève au-dessus de tous les êtres matériels. Cette substance spirituelle, loin d'être sujette à la matière, a le droit de la faire obéir, et quoiqu'elle ne puisse pas commander à la nature entière, elle domine sur les êtres parti- culiers. Dieu, source unique de toute lumière et de toute intelligence, régit l'universret les es- pèces entières avec une puissance infinie : l’homme, qui n'a qu'un rayon de cette intelli- ANIMAUX DOMESTIQUES. gence, n’a de même qu'une puissance limitée à de petites portions de matière, et n'est maître que des individus. C'est donc par les talents de l'esprit et non par la force et par les autre: qualités de la ma- tière, que l’homme a su subjuguer les animaux. Dans les premiers temps ils devaient être tous également indépendants; l’homme, devenu criminel et féroce, était peu propre à les ap- privoiser ; il a fallu du temps pour les appro- cher , pour les reconnaitre, pour les choisir, pour les dompter ; il a fallu qu'il fût civilisé lui- même pour savoir instruire et commander, et l'empire sur les animaux , comme tous les au- tres empires, n'a été fondé qu'après la société. C'est d'elle que l'homme tient sa puissance, c'est par elle qu'il a perfectionné sa raison, exercé son esprit et réuni ses forces. Aupara- vant l’homme était peut-être l'animal le plus sauvage et lemoins redoutable detous; nu, sans armes et sans abri, la terre n’était pour lui qu'un vaste désert peuplé de monstres , dont souventil devenait la proie; et même longtemps après, l'histoire nous dit que les premiers hé- ros n’ont été que des destructeurs de bêtes. Mais lorsqu'avec le temps l'espèce humaine s'est étendue, multipliée , répandue, et qu'à la faveur des arts et de la société, l'homme a pu marcher en force pour conquérir l'univers, il a fait reculer peu à peu les bêtes féroces, il a purgé la terre de ces animaux gigantesques dont nous trouvons encore les ossernents énormes, il a détruit ou réduit à un petit nombre d'individus les espèces voraces et nuisibles, il a opposé les animaux aux animaux, et, subjuguant les uns par adresse, domptant les autres par la force, ou les écartant par le nombre, et les attaquant tous par des moyens raisonnés, il est parvenu à se mettre en süreté, et à établir un empire qui n’est borné que par les lieux inaccessibles, les solitudes reculées, les sables brülants , les montagnes glacées, les cavernes obseures, qui servent de retraites au petit nombre d’espèces d'animaux indomptables, L re MES “ L. L if NU. DTTEN \ CHE VAI JUMENT AVEC ENTIER SON POULAIN. LE CHEVAL. LE CHEVAL. Ordre des pachydermes , famille des solipèdes, genre Cheval, ( Guvres. ) La plus noble conquête que l'homme ait ja- mais faite est celle de ce fier et fougueux ani- mal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats ; aussi intrépide que son maitre, le cheval voit le péril et l’af- fronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche et s'anime de la même ardeur; il partage aussi ses plaisirs; à la chasse, aux tour- | nois, à la course, il brille, il étincelle; mais | docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvements ; non-seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble con- sulter ses désirs, et obéissant toujours aux im- pressions qu'il en recoit, il se précipite, se mo- dère ou s’arrète, et n’agit que pour y satisfaire; c’est une créature qui renonce à son être pour n’exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l’exprime et l'exéeute; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut ; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces , s'excède et même meurt pour mieux obéir. Voilà le cheval dont les talents sont déve- loppés, dont l’art a perfectionné les qualités naturelles , qui dès le premier âge a été soigné et ensuite exercé, dressé au service de l'hom- me. C'est par la perte de sa liberté que com- mence son éducation, et c’est par la contrainte qu’elle s'achève : l'esclavage ou la domesticité de ces animaux est même si universelle, si an- cienne, que nous ne les voyons que rarement dans leur état naturel ; ils sont toujours cou- verts de harnais dans leurs travaux; on ne les délivre jamais de tous leurs liens, même dans les temps du repos ; et si on les laisse quelque- fois errer en liberté dans les pâturages, ils y portent toujours les marques de la servitude, et souvent les empreintes cruelles du travail et de la douleur. La bouche est déformée par les plis que le mors a produits; les flancs sont en- tamés par des plaies, ou sillonnés de cicatrices faites par l’éperon : la corne des pieds est tra- versée par des clous; l'attitude du corps est encore géuée par l'impression subsistante des | 021 entraves habituelles. On les en délivrerait en vain, ils n'en seraient pas plus libres; ceux même dont l'esclavage est le plus doux, qu'on ne nourrit, qu'on n'entretient que pour le luxe etla magnificence, et dont les chaines dorées servent moins à leur parure qu'à la vanité de leur maitre, sont encore plus déshonorés par l'élégance de leur toupet, par les tresses de leurs crins, par l'or et la soie dont on les cou- vre, que par les fers qui sont sous leurs pieds. La nature est plus belle que l’art; et dans un être animé, la liberté des mouvements fait la belle nature. Voyez ces chevaux qui se sont multipliés dans les contrées de l'Amérique es- pagnole, et qui y vivent en chevaux libres : leur démarche, leur course, leurs sauts, ne sont ni gênés ni mesurés; fiers de leur indépendance, | ils fuientla présence de l'homme, ils dédaignent ses soins, ils cherchent et trouvent eux-mêmes la nourriture qui leur convient, ils errent, ils bondissent en liberté dans des prairies immen- ses où ils cueillent les productions nouvelles d'un printemps toujours nouveau; sans habita- tion fixe, sans autre abri que celui d'un ciel serein, ils respirent un air plus pur que celui de ces palais voütés où nous le renfermons en pressant les espaces qu'ils doivent occuper; aussi ces chevaux sauvages sont-ils beaucoup plus forts, plus légers, plus nerveux, que la plu- part des chevaux domestiques; ils ont ce que donne la nature, la force et la noblesse; les autres n’ont que ce que l’art peut donner, l’a- dresse et l'agrément. Le naturel de ces animaux n’est point fé- roce; ils sont seulement fiers et sauvages : quoi- que supérieurs par la force à la plupart des au- tres animaux, jamais ils ne les attaquent; et s'ils en sont attaqués, ils les dédaignent, les écartent ou les écrasent,; ils vont aussi par trou- pes et se réunissent pour le seul plaisir d'être ensemble, car ils n’ont aucune crainte, mais ils prennent de l'attachement les uns pour les autres : comme l'herbe et les végétaux suffi- sent à leur nourriture, qu'ils ont abondamment de quoi satisfaire leur appétit, et qu'ils n'ont aucun goût pour la chair des animaux, ils neleur font point la guerre, ils nese la font point entre eux, ils ne se disputent pas leur subsistance, ils n'ont jamais occasion de ravir une proie ou de s'arracher un bien, sources ordinaires de que- relles et de combats parmi les autres animaux carnassiers; ils vivent donc en paix, parce que 522 leurs appétits sont simples et modérés, et qu'ils | ont assez pour ne se rien envier. Tout cela peut se remarquer dans les jeunes chevaux qu'on élève ensemble et qu'on mène en troupeaux ; ils ont les mœurs douces et les qualités sociales. Leur force etleur ardeur ne se marquent ordinairement que par des signes d'émulation; ils cherchent à se devancer à la course, à se faire et même s'animer au péril en se défiant à traverser une rivière, sauter un fossé ; et ceux qui dans ces exercices na- turels donnent l'exemple, ceux qui d’eux- mêmes vont les premiers, sont les plus gé- néreux, les meilleurs, et souvent les plus do- ciles et les plus souples lorsqu'ils sont une fois domptés. Quelques anciens auteurs parlent des che- vaux sauvages, et citent même les lieux où ils se trouvaient. Hérodote dit que sur les bords &e l'Hypanis en Scythie, il y avait des chevaux sauvages qui étaient blancs, et que dans la par- tie septentrionale de la Thrace, au-delà du Da- nube, il y a en avait d’autres qui avaient le poil long de cinq doigts par tout le corps. Aristote cite la Syrie, Pline les pays du nord, Strabon les Alpes et l'Espagne, comme des lieux où l’on trouvait des chevaux sauvages. Parmi les mo- dernes , Cardan dit la même chose de l'Écosse et des Oreades ‘, Olaus de la Moscovie, Dapper de l'ile de Chypre, où il y avait, dit-il ?, des chevaux sauvages qui étaient beaux et qui avaient de la force et de la vitesse; Struys * de l'ile de May au cap Vert, où il y avait des chevaux sauvages fort petits. Léon-l'Africain rapporte * aussi qu'il y avait des chevaux sau- vages dans les déserts de l'Afrique et de l'Ara- bie , et il assure qu'il a vu lui-même dans les solitudes de Numidie un poulain dont le poil était blanc et la crinière crépue. Marmol * con- firme ce fait, en disant qu'il y en a quelques- uns dans les déserts de l'Arabie et de la Libye, qu'ils sont petits et de couleur cendrée, qu'il y en a ausside blancs, qu'ils ont la crinière et les crins fort courts et hérissés , et que les chiens niles chevaux domestiques ne peuvent les at- teindre à la course. On trouve aussi dans les 4 vid. Aldervand. de Quadrupedib soliped. lib. 4, pag. 19. 3 Voyez la Description des iles de l'Archipel, page 50. # Voyez les Voyages de Jean Struys. Rouen, 1719, tome, page 11. + De Africæ Descriptione, part, 11, vol. 11, p. 750 et 751. » Voyez l'Afrique de Marmol. Paris, 1967, tom. {, pag. 50. HISTOIRE NATURELLE Lettres édifiantes ! qu'à la Chine il y a des che- vaux sauvages fort petits. Comme toutes les parties de l'Europe sont aujourd'hui peuplées et presque également ha- bitées , on n'y trouve plus de chevaux sauva- ges; et ceux que l'on voit en Amérique sont des chevaux domestiques et européens d'ori- gine, que les Espagnols y ont transportés, et qui se sont multipliés dans les vastes déserts de ces contrées inhabitées ou dépeuplées; car cette espèce d'animaux manquait au Nouveau-Monde. L'étonnement et la frayeur que marquèrentles habitants du Mexique et du Pérou à l’aspect des chevaux et des cavaliers firent assez voir aux Espagnols que ces animaux étaient absolument inconnus dans ces climats; ils en transportèrent done un grand nombre, tant pour leur service et leur utilité particulière , que pour en propa- ger l'espèce; ils en lâchèrent dans plusieurs iles, et même dans le continent, où ils se sont multipliés comme les autres animaux sauva- ges. M. de la Salle ? en a vu en 1685 dans l'Amérique septentrionale, près de la baie de Saint-Louis; ces chevaux paissaient dans les prairies , et ils étaient si farouches, qu'on ne pouvait les approcher. L'auteur * de l’histoire des aventuriers flibustiers dit : « qu'on voit « quelquefois dans l'île Saint-Domingue des « troupes de plus de cinq cents chevaux qui « courent tous ensemble, et que, lorsqu'ils aper- « coivent un homme, ils s'arrêtent tous; que « l'un d'eux s'approche à une certaine distance, « souffle des naseaux, prend la fuite, et que « tous les autres le suivent; » il ajoute qu’il ne sait si ces chevaux ont dégénéré en devenant sauvages, mais qu'il ne les a pas trouvés aussi beaux que ceux d'Espagne, quoiqu'ils soient de cette race; «ils ont, dit-il, la tête fort grosse « aussi bien que les jambes, qui de plus sont « raboteuses: ils ont aussi les oreilles et le cou « longs ; les habitants du pays les apprivoisent « aisément et les font ensuite travailler; les « chasseurs leur font porter leurs cuirs; on se « sert pour les prendre de lacs de corde, qu'on « tend dans les endroits où ils fréquentent ; ils «s'y engagent aisément; et s’ils se prennent 1 Voyez les Lettres édifian(es, recueil xxv1, pag. 571. 2 Voyez les dernières découvertes dans l'Amérique septen- trionale de M. De la Salle, mises au jour par M. le chevalier Tonti, Paris, 1697, page 250. . : Voyez l'Histoire des aventuriers flibustiers, par Oexmelin. Paris, 1686, tom. 4, pag. 410 et 444, DU CHEVAL. « par le cou, ils s'étranglent eux-mêmes à moins « qu'on n'arrive assez tôt pour les secourir; on « les arrête par le corps et les jambes, et on « les attache à des arbres, où on les laisse pen- « dant deux jours sans boire ni manger : cette « épreuve suffit pour commencer .à les rendre « dociles, et avec le temps ils le deviennent au- « tant que s'ils n'eussent jamais été farouches; « et même si par quelque hasard ils se retrou- « vent en liberté, ils ne deviennent passauvages « uneseconde fois, ils reconnaissent leurs mai- « tres, et se laissent approcher et reprendre ai- « sément". » Cela prouve que ces animaux sont naturelle- ment doux et très-disposés à se familiariser avec l'homme et à s'attacher à lui : aussi n’arrive-t-il jamais qu'aucun d'eux quitte nos maisons pour se retirer dans les forêts ou dans les déserts; ils marquent au contraire beaucoup d'empres- sement pour revenir au gite, où cependant ils ne trouvent qu'une nourriture grossière, tou- jours la même, et ordinairement mesurée sur l'économie beaucoup plus que sur leur appétit; mais la douceur de l'habitude leur tient lieu de ce qu'ils perdent d’ailleurs ; après avoir été ex- cédés de fatigue, le lieu du repos est un lieu de délices; ils le sentent de loin, ils savent le reconnaitre au milieu des plus grandes villes, et semblent préférer en tout l'esclavage à la li- berté; ils se font même une seconde nature des habitudes auxquelles on les a forcés ou soumis, puisqu'on a vu des chevaux, abandonnés dans les bois, hennir continuellement pour se faire entendre, accourir à la voix des hommes, et en même temps maigrir et dépérir en peu de temps, quoiqu'ils eussent abondamment de quoi varier leur nourriture et satisfaire leur appétit. 1 M. de Garsault donne un autre moyen d'apprivoiser les chevaux farouches : « Quand on n'a point apprivoisé, dit-il, « les poulains dès leur tendre jeunesse, il arrive souvent que « l'approche et l'attouchement de l'homme leur causent tant « de frayeur, qu'ils s'en défendent à coups de deuts et de pied, « de facon qu'il est presque impossible de les panser et deles « ferrer; si la patience et la douceur ne suffisent pas , il faut, « pour les apprivoiser , se servir du moyen qu'ou emploie en « fauconnerie pour priver un oiseau qu'on vient de prendre « et qu'on veut dresser au vol, c'est de l'empêcher de dormir s jusqu'à ce qu'il tombe de faiblesse. Il faut en nser de même « à l'égard d'un cheval farouche, et pour cela il faut le tourner « à sa place le derrière à la mangeoire , et avoir un homme « toute la nuit et tout le jour à sa tête, qui lui donne de temps « en temps une poignée de foin et l'empêche de se coucher, “on verra avec étonnement comme il sera subitement « adouci ; il y a cependant des chevaux qu'il faut veiller ainsi « pendant huit jours, » Voyez le nouveau Parfait Maréchal, page 9. 023 Leurs mœurs viennent donc presque en en- tier de leur éducation, et cette éducation sup- pose des soins et des peines que l'homme ne prend pour aucun autre animal, mais dont il est dédommagé par les services continuels que lui rend celui-ci. Dès le temps du premier âge on a soin de séparer les poulains de leur mère; on les laisse teter pendant cinq, six ou tout au plus sept mois: car l'expérience a fait voir que ceux qu'on laisse teter dix ou onze mois ne valent pas ceux qu'on sèvre plus tôt, quoiqu'ils prennent ordinairement plus de chair et de corps. Après ces six ou sept mois de lait on les sèvre; pour leur faire prendre une nourriture plus solide que le lait, on leur donne du son deux fois par jour et un peu de foin, dont on augmente la quantité à mesure qu'ils avancent en âge, et on les garde dans l'écurie tant qu'ils marquent de l'inquiétude pour retourner à leur mère : mais lorsque cette inquiétude est passée, on les laisse sortir par le beau temps, et on les conduit aux pâturages, seulement il faut prendre garde de les laisser paitre à jeun. Il faut leur donner le son etles faire boire une heure avant de les mettre à l'herbe, et ne jamais les expo- ser au grand froid ou à la pluie ; ils passent de cette facon le premier hiver, Au mois de mai suivant, non-seulement on leur permettra de pâturer tous les jours, mais on les laissera cou- cher à l'air dans les pâturages pendant tout l'été et jusqu'à la fin d'octobre, en observant seulement de ne leur pas laisser paitre les re- gains; s'ils s'accoutumaient à cette herbe trop fine , ils se dégoüteraient du foin, qui doit ce- pendant faire leur principale nourriture pen- dant le second hiver, avec du son mêlé d'orge ou d'avoine moulus; on les conduit de cette fa- con en les laissant pâturer le jour pendant l'hi- ver, et la nuit pendant l'été jusqu’à l’âge de quatre ans, qu'on les retire du pâturage pour les nourrir à l'herbe sèche. Ce changement de nourriture demande quelques précautions ; on neleur donnera pendant les premiers huit jours que de la paille, et on fera bien de leur faire prendre quelques breuvages contre les vers, que les mauvaises digestions d'une herbe trop crue peuvent avoir produits. M. de Garsault ?, qui recommande cette pratique, est sans doute fondésur l'expérience ; cependant on verra qu'à 1 Voyez le nouveau Parfait Maréchal, par M. de Garsault. Paris, 1746, page 84 ct 85, 524 tout âge et dans tous les temps l'estomac de tous les chevaux est farci d’une si prodigieuse quantité de vers, qu'ils semblent faire partie de leur constitution. Nous les avons ! trouvés dans les chevaux sains comme dans les che- vaux malades, dans ceux qui paissaient l'herbe comme dans ceux qui ne man- geaient que de l’avoine et du foin; et les ânes, qui de tous les animaux sont ceux qui appro- chent le plus de la nature du cheval, ont aussi cette prodigieuse quantité de vers dans l’esto- mac, et n'en sont pas plus incommodés: ainsi l'on ne doit pas regarder les vers, du moins ceux dont nous parlons , comme une maladie accidentelle, causée par les mauvaises diges- tions d'une herbe crue, mais plutôt comme un effet dépendant de la nourriture et de la diges- tion ordinaire de ces animaux. 11 faut avoir attention, lorsqu'on sèvre les jeunes poulains, de les mettre dans une écurie propre, qui ne soit pas trop chaude, crainte de les rendre trop délicats et trop sensibles aux im- pressions de l'air; on leur donnera souvent de la litière fraiche, on les tiendra propres en les bouchonnant de temps en temps: mais il ne faudra ni les attacher ni les panser à la main, qu'à l’âge de deux ans et demi ou trois ans. Ce frottement trop rude leur causerait de la dou- leur; leur peau est encore trop délicate pour le souffrir, et ils dépériraient au lieu de profiter ; il faut aussi avoir soin que le râtelier et la man- geoire ne soient pas trop élevés; la nécessité de lever la tête trop haut pour prendre leur nour- riture pourrait leur donner l'habitude de la porter de cette facon, ce qui leur gâterait l’en- volure. Lorsqu'ils auront un an ou dix-huit mois, on leur tondra la queue, les crins repous- seront et deviendront plus forts et plus touffus. Dès l’âge de deux ans, il faut séparer les pou- lains, mettre les mâles avec les chevaux, et les femelles avecles juments; sans cette précau- tion les jeunes poulains se fatigueraient autour des poulines , et s’énerveraient sans aucun fruit. A l'âge de trois ans ou de trois ans et demi, on doit commencer à les dresser et à les rendre dociles. On leur mettra d'abord une selle légère et aisée, et on les laissera sellés pendant deux ou trois heures chaque jour; on les accoutu- mera de même à recevoir un bridon dans la | ‘Voyez ci-après , dans ce volume, la description de l'esto- mac du cheval, et la planche qui y a rapport, HISTOIRE NATURELLE bouche et à 5e laisser lever les pieds, sur les- quels on frappera quelques coups comme pour les ferrer; et si ce sont des chevaux destinés au carrosse ou au trait, on leur mettra un har- nais sur le corps et un bridon. Dans les com- mencements il ne faut point de bride, ni pour les uns ni pour les autres; on les fera trotter ensuite à la longe avec un cavecon sur le nez, sur un terrain uni, sans être montés , et seule- ment avec la selle ou le harnais sur le corps; et lorsque le cheval de selle tournera facilement et viendra volontiers auprès de celui qui tient la longe, on le montera et descendra dans la même place et sans le faire marcher, jusqu'à ce qu'il ait quatre ans, parce qu'avant cet âge il n’est pas encore assez fort pour n'être pas, en mar- chant, surchargé du poids du cavalier; mais à quatre ans on le montera pour le faire marcher au pas ou au trot, et toujours à petites repri- ses !. Quand le cheval de carrosse sera accou- tumé au harnais, on l’attellera avec un autre cheval fait, en lui mettant une bride, et on le conduira avec une longe passée dans la bride, jusqu’à ce qu'il commence à être sage au trait; alors le cocher essaierade le faire reculer, ayant pour aide un homme devant, qui le poussera en arrière avec douceur, et même lui donnera de petits coups pour l'obliger à reculer : tout cela doit se faire avant que les jeunes chevaux aient changé de nourriture ; car quand une fois ils sont ce qu’on appelle engrainés, c'est-à-dire lorsqu'ils sont au grain et à la paille, comme ils sont plus vigoureux, onaremarqué qu'ils étaient aussi moins dociles, et plus difficiles à dres- ser ?. Le mors et l'éperon sont deux moyens qu'on a imaginés pour les obliger à recevoir lecom- mandement, le mors pour la précision, et l'é- peron pour la promptitude des mouvements. La bouche ne paraissait pas destinée par la nature à recevoir d'autres impressions que celles du goût et de l'appétit; cependant elle est d’une si grande sensibilité dans le cheval, que c’est à la bouche, par préférence à l'œil et à l'oreille, qu'on s'adresse pour transmettre au cheval les signes de la volonté. Le moindre mouvement ou la plus petite pression du mors suffit pour avertir et déterminer l'animal, et cet organe de 4 Voyez les Éléments de cavalerie de M. de fa Guérinière. Paris, 4744, tome 4, page 142 et suivantes, 2 Voyez le nouveau Parfait Maréchal, par M. de Garsault, |! page 86. DU CHE VAL. sentiment n'a d'autre défaut que celui de sa perfection même; sa trop grande sensibilité veut être ménagée, car, si on en abuse, on gâte la bouche du cheval en la rendant insen- sible à l'impression du mors : les sens de la vue et de l’ouie ne seraient pas sujets à une telle altération et ne pourraient être émoussés de cette façon; mais apparemment on a trouvé des inconvénients à commander aux chevaux par ces organes, et il est vrai que les signes transmis par le toucher font beaucoup plus d'ef- fet sur les animaux en général, que ceux qui leur sont transmis par l'œil ou par l'oreille. D'ailleurs, la situation des chevaux, par rap- port à celui qui les monte ou qui les conduit, rend les yeux presque inutiles à cet effet, puis- qu'ils ne voient que devant eux, et que ce n'est qu'en tournant la tête qu'ils pourraient aper- cevoir les signes qu'on leur ferait ; et quoique l'oreille soit un sens par lequel on les anime et on les conduit souvent, il parait qu'on a res- treint et laissé aux chevaux grossiers l'usage de cet organe, puisqu'au manége, qui est le lieu de la plus parfaite éducation, l'on ne parle presque point aux chevaux, et qu'il ne faut pas même qu'il paraisse qu'on les conduise : en effet, lorsqu'ils sont bien dressés, la moindre pression des cuisses, le plus léger mouvement du mors suffit pour les diriger ; l’éperon est même inutile, ou du moins on ne s’en sert que pour les forcer à faire des mouvements violents; et lorsque, par l'ineptie du cavalier , il arrive qu'en donnant de l'éperon il retient ;a bride, le cheval se trouvant excité d'un côté et retenu de l’autre, ne peut que se cabrer en faisant un bond-sans sortir de sa place. On donne à la tête du cheval , par le moyen de la bride, un air avantageux et relevé ; on la place comme elle doitêtre , et le plus petit signe ou le plus petit mouvement du cavalier suffit pour faire prendre au cheval ses différentes al- lures; la plus naturelle est peut-être le trot ; mais le pas et même le galop sont plus doux pour le cavalier, et ce sont aussi les deux al- lures qu'on s'applique le plus à perfectionner. Lorsque le cheval lève la jambe de devant pour marcher, il faut que ce mouvement soit fait avec hardiesse et facilité , et que le genou soit assez plié; la jambe levée doit paraitre soute- nue un instant, et lorsqu'elle retombe, le pied doit être ferme et appuyer également sur la terre, sans que la tête du cheval reçoive aucune 025 impression de ce mouvement : car lorsque la jambe retombe subitement , et que la tête baisse en même temps, c'est ordinairement pour sou- lager promptement l'autre jambe qui n'est pas assez forte pour supporter seule tout le poids du corps. Ce défaut est très-grand, aussi bien que celui de porter le pied en dehors ou en de- dans, car ilretombe dans cette même direction : l’on doit observer aussi que lorsqu'il appuie sur le talon, c'est une marque de faiblesse; et que, quand il pose sur la pince, c'est une attitude fatigante et forcée que le cheval ne peut soute- nir longtemps. Le pas , qui est la plus lente de toutes les al- lures , doit cependant être prompt; il faut qu'il ne soit ni trop allongé ni trop accourei et que la démarche du cheval soit légère. Cette légè- reté dépend beaucoup de la liberté des épaules, et se reconnait à la manière dont il porte la tête en marchant; s’il la tient haute et ferme, il est ordinairement vigoureux et léger : lorsque le mouvement des épaules n’est pas assez libre, la jambe ne selève point assez, et le cheval est sujet à faire des faux paset à heurter du pied contre les inégalités du terrain ; et lorsque les épaules sont encore plus serrées, et que lemouvement des jambes en paraît indépendant, le cheval se fatioue, fait des chutes, et n’est capable d’au- eun service : le cheval doit être sur la hanche, c'est-à-dire hausser les épaules et baisser la hanche en marchant; il doit aussi soutenir sa jambe et la lever assez haut; mais s’il la sou- tient trop longtemps, s’il la laisse retomber trop lentement, il perd tout l'avantage de la légère- té , il devient dur, et n’est bon que pour l'ap- pareil et pour piaffer. Il ne suffit pas que les mouvements du cheval soient légers, il faut encore qu'ils soient égaux etuniformes dans le train du devant et dans ce- lui du derrière : car si la croupe balance tandis que les épaules se soutiennent , le mouvement se fait sentir au cavalier par secousses et lui de- vient incommode ; la même chose arrive lors- que le cheval allonge trop de la jambe de der- rière et qu'il la pose au-delà de l'endroit où ie pied de devant a porté. Les chevaux dont le corps est court sont sujets à ce défaut; ceux dont les jambes se croisent ou s’atteignent n’ont pas la démarche sûre ; et en général ceux dont le corps est long sont les plus commodes pour le cavalier, parce qu'il se trouve plus éloigné des deux centres de mouvement, les épaules et 526 les hanches, et qu'il en ressent moins les im- pressions et les secousses. Les quadrupèdes marchent ordinairement en | portant à la fois en avant une jambe de devant et une jambe de derrière; lorsque la jambe | droite de devant part, la jambe gauche @e der- rière suit et avance en même temps, et ce pas étant fait, la jambe gauche de devant part à son tour conjointement avec la jambe droite de derrière , et ainsi de suite. Comme leur corps porte sur quatre points d'appui qui forment un carré long, la manière la plus commode de se mouvoir est d'en changer deux à la fois en dia- gonale, de façon que le centre de gravité du corps de l'animal ne fasse qu'un petit mouvement et reste toujours à peu près dans la direction des deux points d'appui qui ne sont pas en mouve- ment; dans les trois allures naturelles du che- val, le pas, le trot et le galop, cette règle de mouvement s’observe toujours, mais avec des différences. Dansle pas, il y a quatre temps dans le mouvement : si la jambe droite de devant part la première , la jambe gauche de derrière suit un instant après ; ensuite la jambe gauche de devant part à son tour pour être suivie un instant après de la jambe droite de derrière; ainsi le pied droit de devant pose à terre le pre- mier , le pied gauche de derrière pose à terre le second , le pied gauche de devant pose à terre le troisième, et le pied droit de derrière pose à terre le dernier; ce qui fait un mouvement à quatre temps et à trois intervalles , dont le pre- mier et le dernier sont plus courts que celui du milieu. Dans le trot, il n'y a que deux temps dans le mouvement : si la jambe droite de de- vant part, la jambe gauche de derrière part aussi en même temps, et sans qu'il y ait aucun intervalle entre le mouvement de l'une et le mouvement de l’autre; ensuite la jambe gauche de devant part avec la droite de derrière aussi en même temps, de sorte qu'il n'y a dans ce mouvement du trot que deux temps et un in- tervalle ; le pied droitde devant et le pied gauche de derrière posent à terre en même temps, et ensuite le pied gauche de devant et le droit de derrière posent aussi à terre en même temps. Dans le galop il y a ordinairement trois temps : mais comme dans ce mouvement, qui est une espèce de saut, les parties antérieures du che- val ne se meuvent pas d'abord d'elles-mêmes, et qu'elles sont chassées par la force des han- ches et des parties postérieures, si des deux HISTOIRE NATURELLE jambes de devant la droite doit avancer plus que la gauche, il faut auparavant que le pied gauche de derrière pose à terre pour servir de point d'appui à ce mouvement d'élancement : ainsi c’est le pied gauche de derrière qui fait le premier temps du mouvement et qui pose à terre le premier, ensuite la jambe droite de derrière se lève conjointement avec la gauche de devant et elles retombent à terre en même temps; et enfin la jambe droite de devant, qui s’est le- vée un instant après la gauche de devant et la droite de derrière, se pose à terre la dernière, ce qui fait le troisième temps: ainsi dans ce mou- vement du galop, il y a trois temps et deux in- tervalles, et dans le premier de ces intervalles, lorsque le mouvement se fait avec vitesse, il y a un instant où les quatre jambes sont en l'air en même temps, et où l’on voit les quatre fers du cheval à la fois. Lorsque le cheval a les han- ches et les jarrets souples, et qu'il les remue avec vitesse et agilité, ce mouvement du galop est plus parfait , et la cadence s’en fait à quatre temps; il pose d’abord le pied gauche de der- rière qui marque le premier temps; ensuite le pied droit de derrière retombe le premier et marque le seconä temps; le pied gauche de de- vant tombant un instant après , marque le troi- sième temps, etenfin le pied droit de devant qui retombe le dernier marque le quatrième temps. Les chevaux galopent ordinairement sur le pied droit; de la même manière qu'ils partent de la jambe droite de devant pour marcher et pour trotter, ils entament aussi le chemin en galopant par la jambe droite de devant, qui est plus avancée que la gauche; et de même la jambe-droite de derrière, qui suit immédiate- ment la droite de devant, est aussi plus avancée que la gauche de derrière, et cela constamment tant que le galop dure. De là il résulte que la jambe gauche, qui porte tout le poids et qui pousse les autres en avant, est la plus fatiguée ; en sorte qu'il serait bon d'exercer les chevaux à galoper alternativement sur le pied gauche aussi bien que sur le droit ; ils suftiraient plus longtemps à ce mouvement violent, et c'est aussi ce que l'on fait au manége; mais peut- être par une autre raison , qui est que, comme on les fait souvent changer de main, c'est-à- dire décrire un cercle dont le centre est tantôt à droite, tantôt à gauche, on les oblige aussi à galoper tantôt sur le pied droit, tantôt sur le gauche. DU CHEVAL. Dans le pas, les jambes du cheval ne se lèvent qu'à une petite hauteur, et les pieds rasent la terre d'assez près; au trot elles s'élèvent davan- tage, et les pieds sont entièrement détachés de terre. Dans le galop les jambes s'élèvent encore plus haut, et les pieds semblent bondir sur la terre. Le pas, pour être bon, doit être prompt, léger, doux et sûr; le trot doit être ferme, prompt et également soutenu ; il faut que le derrière chasse bien le devant; le cheval, dans cette allure, doit porter la tête haute et avoir les reins droits : car si les hanches haussent et baissent alternativement à chaque temps du trot; si la croupe balance et si le cheval se berce, il trotte mal par faiblesse ; s'il jette en dehors les jambes de devant, c'est un autre dé- faut; les jambes de devant doivent être sur la mème ligne que celles de derrière, et toujours les effacer. Lorsqu'une des jambes de derrière se lance, si la jambe de devant du même côté reste en place un peu trop longtemps , le mou- vement devient plus dur par cette résistance ; et c’est pour cela que l'intervalle entre les deux temps du trot doit être court : mais, quelque court qu'il puisse être, cette résistance suffit pour rendre cette allure plus dure que le pas et le galop; parce que dans le pas le mouvement est plus liant, plus doux , et la résistance moins forte , et que dans le galop il n'y a presque point de résistance horizontale , qui est la seule in- commode pour le cavalier, la réaction du mou- vement des jambes de devant se faisant presque toute de bas en haut dans la direction perpen- diculaire. Le ressort des jarrets contribue autant au mouvement du galop que celui des reins. Tan- dis que les reins font effort pour élever et pous- ser en avant les parties antérieures, le pli du jarret fait ressort, rompt le coup et adoucit la secousse: aussi plus ce ressort du jarret est liant et souple, plus le mouvement du galop est doux; il est aussi d'autant plus prompt et plus rapide, que les jarrets sont plus forts ; et d'autant plus soutenu , que le cheval porte plus sur les han- ches, et que les épaules sont plus soutenues par la force des reins. Au reste, les chevaux qui dans le galop lèvent bien haut les jambes de devant, ne sont pas ceux qui galopent le mieux; ils avancent moins que les autres et se fatiguent davantage , et cela vient ordinairement de ce qu'ils n’ont pas les épaules assez libres. Le pas, le trot et le galop sont done les allu- 527 res naturelles les plus ordinaires : mais il y a quelques chevaux qui ont naturellement une autre allure qu'on appelle l'amble , qui est très- différente des trois autres , et qui du premier coup d'œil parait contraire aux lois de la mé- canique et très-fatigante pour l'animal, quoi- que dans cette allure la vitesse du mouvement ne soit pas si grande que dans le galop ou dans le grand trot. Dans cette allure le pied du che- val rase la terre encore de plus près que dans le pas, et chaque démarche est beaucoup plus allongée; mais ce qu'il y a de singulier, c'est que les deux jambes du même côté, par exem- ple celles de devant et de derrière du côté droit, partent en même temps pour faire un pas, et qu'ensuite les deux jambes du côté gauche par- tent aussi en mème temps pour en faire un au- tre, et ainsi de suite ; en sorte que les deux côtés da corps manquent alternativement d'appui, et qu'il n'y a point d'équilibre de l'un à l’autre; ce qui ne peut manquer de fatiguer beaucoup le cheval , qui est obligé de se soutenir dans un balancement forcé, par la rapidité d'un mou- vement qui n’est presque pas détaché de terre; car s’il levait les pieds dans cette allure autant qu'il les lève dans le trot ou même dans le bon pas, le balancement serait si grand , qu'il re pourrait manquer de tomber sur le côté ; et ce n’est que parce qu'il rase la terre de très-près, etpar des alternatives promptes de mouvement, qu'il se soutient dans cette allure, où la jambe de derrière doit, non-seulement partir en même ; temps que la jambe de devant du même côté, mais encore avancer sur elle et poser un pied ou un pied et demi au-delà de l'endroit où celle- ci a posé : plus cet espace dont la jambe de der- rière avance de plus que la jambe de devant est grand , mieux le cheval marche l’amble , et plus le mouvement total est rapide. Il n'y a done dans l’amble, comme dans le trot, que deux temps dans le mouvement, et toute la diffé- rence est que dans le trot les deux jambes qui vont ensemble sont opposées en diagonale; au lieu que dans l’amble ce sont les deux jam- bes du même côté qui vont ensemble. Cette allure , qui est très-fatigante pour le cheval, et qu'on ne doit lui laisser prendre que dans les terrains unis, est fort douce pour le cavalier. Elle n'a pas la dureté du trot, qui vient de la résistance que fait la jambe de devant lorsque celle de derrière se lève, parce que dans l'am- ble cette jambe de devantselèveen même temps 528 que celle de derrière du même côté ; au lieu que dans le trot cette jambe de devant du même côté demeure en repos, et résiste à l'impulsion pendant tout le temps que se meut celle de der- rière. Lesconnaisseurs assurentque les chevaux qui naturellement vont l'amble ne trottent ja- mais et qu'ils sont beaucoup plus faibles que les autres : en effet, les poulains prennent assez souvent cette allure, surtout lorsqu'on les force à aller vite, et qu'ils ne sont pas encore assez forts pour trotter ou pour galoper; et l'on ob- serve aussi que la plupart des bons chevaux, qui ont été trop fatigués et qui commencent à s’u- ser, prennent eux-mêmes cette allure lorsqu'on les force à un mouvement plus rapide que celui du pas". L'amble peut donc être regardé comme une allure défectueuse, puisqu'elle n’est pas ordi- naire et qu'elle n'est naturelle qu'à un petit nombre de chevaux, que ces chevaux sont pres- que toujours plus faibles que les autres, et que ceux qui paraissent les plus forts sont ruinés en moins de temps que ceux qui trottent et galo- pent : mais il y a encore deux autres allures, l'entrepas et l’aubin , que les chevaux faibles ou excédés prennent d'eux-mêmes, qui sont | beaucoup plus défectueuses que l’'amble. On a appelé ces mauvaises allures des trains rompus, désunis ou composés. L'entrepas tient du pas et de l'amble, et l’aubin tient du trot et du galop; l’un et l’autre viennent des excès d’une longue fatigue ou d’une grande faiblesse de reins; les chevaux de messagerie, qu'on surcharge, commencent à aller l’entrepas au lieu du trot à mesure qu'ils se ruinent; et les chevaux de poste ruinés , qu'on presse de galoper, vont l'aubin au lieu du galop. Le cheval est de tous les animaux celui qui, avec une grande taille, a le plus de proportion et d'élégance dans les parties de son corps; car en lui comparant les animaux qui sont immédia- tement au-dessus et au-dessous, on verra que l'âne est mal fait, que le lion a la tête trop grosse, que le bœuf a les jambes trop minces et trop courtes pour la grosseur de son corps, que le chameau est difforme , et que les plus gros ani- maux, lerhinocéros et l'éléphant, ne sont, pour ainsi dire , que des masses informes. Le grand allongemeut des mâchoires est la principale cause de la différence entre la tête des quadru- 4 Voy. l'École de cavalerie de M. de la Guériniére. Paris , 1751, in-folio, page 77. | HISTOIRE NATURELLE pèdes et celle de l'homme , c’est aussi le carac- tère leplus ignoble detous. Cependant, quoique les mâchoires du cheval soient fort allongées . il n'a pas , comme l'âne, un air d'imbécillité, ou de stupidité comme le bœuf; la régularité des proportions de sa tête lui donne au contraire un air de légèreté qui est bien soutenu par la beau- té de son encolure. Le cheval semble vouloir se mettre au-dessus de son état de quadrupède en élevant sa tête; dans cette noble attitude il re- garde l'homme face à face; ses yeux sont vifs et bien ouverts , ses oreilles sont bien faites et d'une juste grandeur, sans être courtes comme celles du taureau, ou trop longues comme celles de l'âne; sa crinière accompagne bien sa tête, orne son cou, et lui donne un air de force et de fierté; sa queue trainante et touffue cou- vre ettermine avantageusement l'extrémité de son corps : bien différente de la courte queue du cerf, de l'éléphant , ete., et de la queue nue de l'âne, du chameau , du rhinocéros, etc., la queue du cheval est formée par des erins épais et longs qui semblent sortir de la croupe, parce que le tronçon dont ils sortent est fort court. I] ne peut relever sa queue comme le lion, mais elle lui sied mieux quoique abaissée ; et comme il peut la mouvoir de côté, il s’en sert utile- ment pour chasser les mouches qui l'incommo- dent; car quoique sa peau soit très-ferme, et qu'elle soit garnie partout d’un poil épais et ser- ré , elle est cependant très-sensible. L'attitude de la tête et du cou contribue plus que celle de toutes les autres parties du corps à donner au cheval un noble maintien. La partie supérieure de l’encolure, dont sort la crinière , doit s'élever d’abord en ligne droite en sortant du garrot, et former ensuite, en approchant de la tête, une courbe à peu près semblable à celle du cou d'un cygne ; la partie inférieure de l'encolure ne doit former aucune courbure ; il faut que sa direction soit en ligne droite depuis le poitrail jusqu'à la ganache, et un peu pen- chée en avant ; si elle était perpendiculaire l’en- colure serait fausse. 11 faut aussi que la partie supérieure du cou soit mince , et qu'il y ait peu | de chair auprès de la crinière, qui doit être médiocrement garnie de crins longs et déliés : une belle encolure doit être longue et relevée, et cependant proportionnée à la taille du cheval; lorsqu'elle est trop longue et trop menue, les chevaux donnent ordinairement des coups de tête ; et quand elle est trop courte et trop char- DU CHEVALA aué, ils sont pesants à la main ; et pour que la tête soit le plus avantageusement placée, il faut que le front soit perpendiculaire à l'horizon. La tête doit être sèche et menue sans être trop longue ; les oreilles peu distantes , petites, droites, immobiles, étroites, déliées et bien plantées sur le haut de la tête; le front étroit et un peu convexe, les salières remplies , les paupières minces , les yeux clairs, vifs, pleins de feu , assez gros et avancés à fleur de tête, la prunelle grande , la ganache décharnée et peu épaisse ; le nez un peu arqué , les naseaux bien ouverts et bien fendus, la cloison du nez mince ; les lèvres déliées , la bouche médiocrement fen- due; le garrot élevé et tranchant, les épaules sèches, plates et peu serrées ; le dos égal, uni, insensiblement arqué sur la longueur , et relevé des deux côtés de l’épine, qui doit pa- raitre enfoncée; les flancs pleins et courts, la crouperonde et bien fournie, la hanche bien garnie , le tronçon de la queue épais et ferme, les bras et les cuisses gros et charnus, le genou rond en devant, le jarret ample et évidé, les canons minces sur le devant et larges sur les côtés, le nerf bien détaché , le boulet menu, le fanon peu garni , le paturon gros et d’une mé- diocre longueur, la couronne peu élevée, la corne noire, unie et luisante , le sabot haut , les quartiers ronds , les talons larges et médiocre- ment élevés , la fourchette menue et maigre, et la sole épaisse et concave. Mais il y a peu de chevaux dans lesquels on trouve toutes ces perfections rassemblées. Les yeux sont sujets à plusieurs défauts, qu'il est. quelquefois difficile de reconnaitre. Dans un œil sain on doit voir à travers la cornée deux ou trois taches couleur de suie au-dessus de la pru- nelle : car pour voir ces taches, il faut que la cornée soit claire, nette et transparente : si elle parait double ou de mauvaise couleur, l'œil n'est. pas bon ; la prunelle petite, longue et étroite ou environnée d'un cercle blanc , désigne aussi un mauvais œil; et lorsqu’ elle a ne couleur de bleu verdâtre, l'œil est certainement mauvais et la vue trouble. - Je renvoie à l’article des descriptions l’énu- mération détaillée des défauts du cheval, et je me contenterai d'ajouter encore quelques re- marques par lesquelles, comme par les précé- dentes, on pourra juger de la plupart des per- fections ou des imperfections d'un cheval. On juge assez bien du naturel et de l’état actuel LP 229 de l'animal par le mouvement des oreilles ; il doit, lorsqu'il marche, avoir la pointe des oreil- les en avant; un cheval fatigue a les oreilles basses ; ceux qui sont colères et malins portent alternativement l'une des oreilles en avant et l'autre en arrière; tous portent les oreilles du côté où ils entendent quelque bruit; et lors- qu'on les frappe sur le dos ou sur la croupe, ils tournent les oreilles en arrière. Les chevaux qui ont les yeux enfoncés où un œil plus petit que l’autre , ont ordinairement la vue mau- vaise; ceux dont la bouche est sèche ne sont pas d’un aussi bon tempérament que ceux dont la bouche est fraiche et devient écumeuse sous la bride. Le cheval de selle doit avoir les épau- les plates, mobiles et peu chargées ; le cheval de trait au contraire doit les avoir grosses, rondes et charnues : si cependant les épaules d'un che- val de selle sont trop sèches, et que les’ os pa- raissent trop avancer sous la peau, c’est un défaut qui désigne que les épaules ne sont pas libres, et que par conséquent le cheval ne pour- ra supporter la fatigue. Un autre défaut pour le cheval de selle est d’avoir le poitrail trop avancé et les jambes de devant retirées en ar- rière, parce qu'alors il est sujet à s'appuyer sur la main en galopant, et même à broncher et à tomber. La longueur des jambes doit être proportionnée à la taille du cheval ; lorsque celles de devant sont trop longues, il n’est pas assuré sur ses pieds; si elles sont trop courtes, il est pesant à la main. On a remarqué que les juments sont plus sujettes que les chevaux à être basses du devant, et que les chevaux en- tiers ont le cou plus gros que les juments et les hongres. Une des choses les plus importantes à con- naitre, c’est l’âge du cheval. Les vieux chevaux ont ordinairement les salières creuses: mais cet indice est équivoque, puisque de jeunes che- vaux, engendrés de vieux étalons, ont aussi les salières creuses : c’est par les dents qu'on peut avoir une connaissance plus certaine de l'âge. Le cheval en a quarante, vingt-quatre mâchelières, quatre canines et douze incisives ; les juments n'ont pas de dents canines , ou les ont fort courtes : les mâchelières ne servent point à la connaissance de l'âge, c'est par les dents de devant et ensuite par les canines qu’on en juge. Les douze dents de devant commen- cent à pousser quinze jours après la naissance du poulain; ces premières dents sout rondes, 54 550 courtes, peu solides , et tombent.en différents temps pour être remplacées pard'autres. A deux ans et demi, les quatre de devantdu milieu tom- bent les premières, deux en haut , deux en bas ; un an après , il en tombe quatre autres, une de chaque côté des premières qui sont déjà rem- placées ; à quatre ans et demi environ il en tombe quatre autres, toujours à côté de celles qui sont tombées et remplacées. Ces quatre der- nières dents de lait sont remplacées par quatre autres, qui ne croissent pas à beaucoup près aussi vite que celles qui ont remplacé les huit premières ; et ce sont ces quatre dernières dents, qu'on appelle les coins, et qui remplacent les quatre dernières dents de lait, qui marquent l’âge du cheval. Elles sont aisées à reconnaitre, puisqu'elles sont les troisièmes tant en haut qu'en bas, à les compter depuis le milieu de l'extrémité de la mâchoire. Ces dents sont creu- ses et ont une marque noire dans leur conca- vité; à quatre aus et demi ou cinq ans elles ne . débordent presque pas au-dessus de la gencive, et le creux est fort sensible ; à six ans et demi il commence à se remplir, la marque commence aussi à diminuer et à se rétrécir, et toujours de plus en plus jusqu'à sept ans et demi ou huit ans, que le creux est tout à fait rempli et la marque noire effacée. Après huit ans, comme ces dents ne donnent plus connaissance de l'âge, on cherche à en juger par les dents canines ou crochets; ces quatre dents sont à côté de celles dont nous venons de parler : ces dents canines, non plus que les mâchelières , ne sont pas pré- cédées par d’autres dents qui tombent ; les deux de la mâchoire inférieure poussent ordi- nairement les premières à trois aus et demi; et les deux de la mâchoire supérieure à quatre ans ; et jusqu’à l’âge de six ans, ces dents sont fort pointues. A dix ans celles d'en haut paraissent déjà émoussées, usées et longues, parce qu'elles sont déchaussées, la gencive se retirant avec l’âge; et plus elles le sont, plus le cheval est âgé : de dix jusqu’à treize ou quatorze ans, il y a peu d'indice de l’âge, mais alors quelques poils des soureils commencent à devenir blancs ; cet indice est cependant aussi équivoque que celui qu'on tire des salières creuses, puisqu'on a remarqué que les chevaux engendrés de vieux étalons et de vieilles juments ont des poils blanes aux sourcils dès l’âge de neuf ou dix ans. Il y a des chevaux dont les dents sont si dures qu'elles ne s’usent point, et sur lesquelles la HISTOIRE NATURELLE marque noire subsiste et ne s’efface jamais ; mais ces chevaux, qu'on appelle béquts, sont aisés à reconnaitre par le creux de la dent qui est absolument rempli, et aussi par la longueur des dents canines ‘ : au reste, on a remarqué qu'il y a plus de juments que de chevaux béguts. Onpeut aussi connaitre, quoique moins précisé- ment, l'âge d’un cheval, par les sillonsdu palais, qui s'effacent à mesure que le cheval vieillit. Dès l’âge de deux ans ou deux ans et demi le chevalesten étatd’engendrer; et les juments, comme toutes les autres femelles , sont encore plus précoces que les mâles; mais ces jeunes chevaux ne produisent que des poulains mal conformés ou mal constitués. Il faut que le cheval ait au moins quatre ans ou quatre ans et demi avant que de lui permettre l’usage de la jument , et encore ne le permettra-t-on de si bonne heure qu'aux chevaux de trait, et aux gros chevaux , qui sont ordinairement formés plus tôt que les chevaux fins : car pour ceux-ci il faut attendre jusqu’à six ans, et même jus- qu’à sept pour les beaux étalons d'Espagne; les juments peuvent avoir un an de moins. Elles sont ordinairement en chaleur au printemps depuis la fin de mars jusqu’à la fin de juin; mais le temps de la plus forte chaleur ne dure - guère que quinze jours ou trois semaines, et il faut être attentif à profiter de ce temps pour leur donner l'étalon : il doit être bien choisi, beau, bien fait, relevé du devant, vigoureux, sain par tout le corps, et surtout de bonne race et de bon pays. Pour avoir de beaux chevaux de selle fins et bien faits, il faut prendre des éta- lons étrangers ; les arabes, les turcs, les barbes et les chevaux d’Andalousie sont ceux qu'on doit préférer à tous les autres ; et à leur défaut on se servira de beaux chevaux anglais, parce que ces chevaux viennent des premiers, et qu'ils n’ontpas beaucoup dégénéré, la nourriture étant excellente en Angleterre , où l'on a aussi très- grand soin de renouveler les races. Les étalons d'Italie, surtout lesmapolitains, sont aussi fort bons, et ils ont le double avantage de produire des chevaux fins de monture , lorsqu'on leur donne des juments fines, et de beaux chevaux de carrosse avecdes juments étoffées et debonne taille. On prétend qu’en France, en Angleterre, ete., les chevaux arabes et barbes engendrent ! Voyez l'École de cavalerie, de M. de la Guérinière pag. 35 et suivantes. DU.CHE VAL: ordinairement des chevaux plus grands qu'eux, et qu'au contraire les chevaux d'Espagne n’en produisent que de plus petits qu'eux. Pour avoir de beaux chevaux de carrosse il faut se servir d'étalons napolitains, danois, ou dechevaux de quelques endroits d'Allemagne et de Hollande, comme du Holstein et de la Frise. Les étalons doivent être de belle taille, c'est-à-dire de quatre pieds huit, neuf et dix pouces pour les chevaux deselle, et de cinq pieds au moins pour les chevaux de carrosse : il faut aussi qu'un étalon soit d'un bon poil, comme noir de jais, beau gris, bai, alezan, isabelle doré avec la raie de mulet, les erins et les extrémités noires; tous les poils qui sont d'une couleur lavée et qui paraissent mal teints doivent être bannis des haras , aussi bien que les chevaux qui ont les extrémités blanches. Avec un très-bel exté- rieur, l'étalon doitavoir encore toutes les bonnes qualités intérieures , du courage, de la docilité, de l'ardeur, de l’agilité, de la sensibilité dans la bouche , de la liberté dans les épaules, de la sûreté dans les jambes, de la souplesse dans les hanches, du ressort par tout le corps, et surtout das les jarrets; et même il doit avoir été un peu dressé et exercé au manége. Le cheval est, de tous les animaux, celuiqu'on a le plusobservé, et on a remarqué qu’il communique, par la séné- ration, presque toutes ses bonnes et mauvaises qualités naturelles et acquises : un cheval natu- reliement hargneux , ombrageux , rétif, ete., produit des poulains qui ont le même naturel; et comme les défauts de conformation et les vices des humeurs se perpétuent encore plus sûrement que les qualités du naturel, il faut avoir grand soin d'exelure du haras tout che- val difforme, morveux, poussif, lunatique, etc. Dans ces climats la jument contribue moins que l’étalon à la beauté du poulain ; mais elle contribue peut-être plus à son tempérament et à sa taille : ainsi il faut que les juments aient du corps, du ventre , et qu’elles soient bonnes nourrices. Pour avoir de beaux chevaux fins, on préfère les juments espagnoles et italiennes, et pour des chevaux de carrosse les juments anglaises et normandes; cependant avec de beaux etalons, des juments de tout pays pour- ront donner de beaux chevaux, pourvu qu'elles soient elles-mêmes bien faites et de bonnerace : car si elles ont été engendrées d’un mauvais cheval , les poulains qu’elles pr'oduiront seront souvent eux-mêmes de mauvais chevaux. Dans d31 cette espèce d'animaux, comine dans l'espèce humaine, la progéniture ressemble assez sou- vent aux ascendants paternels ou maternels; seulement il semble que dans les chevaux la fe- melle ne contribue pas à la génération tout à fait autant que dans l'espèce humaine : le fils res- semble plus souvent à sa mère que le poulain ne ressemble à la sienne; et lorsque le poulain ressemble à la jument qui l'a produit, c’est or- dinairement par les parties antérieures du corps, par la tête et l'encolure. Au reste, pour bien juger de la ressemblance des enfants à leurs parents, il ne faudrait pas les comparer dans les premières années , mais attendre l’âge où, tout étant développé, la com- paraison en serait plus certaine et plus sensible. Indépendamment du développement dans l'ac- croissement, qui souvent altère ou change en bien les formes , les proportions et la couleur des cheveux, il se fait, dans ie temps de la pu- berté, un développement prompt et subit, qui change ordinairement les traits, la taille, l'atti- tude des jambes, ete. ; le visage s’allonge, le nez grossit et grandit, la mâchoire s'avance ou se charge, la tailles’élève ou se courbe, les jambes s’allongent et souvent deviennent eagneuses ou efflées ; en sorte que la physionomie et le main- tien du corps changent quelquefois si fort, qu'il serait très-possible de méconnaïtre , au moins du premier coup dlæil, après la puberté, une personne qu'on aurait bien connue avant ce temps, et qu'on n'aurait pas vue depuis. Ce n’est donc qu'après cet âge qu'on doit compa- rer l’enfant à ses parents, si l’on veut juger exactement de la ressemblance; et alors on trouve dans l'espèce humaine quesouvent lefils ressemble à son père , et la fille à sa mère; que plus souvent ils ressemblent à l’un et à l'autre la fois, et qu'ils tiennent quelque chose de tous deux ; qu’assez souvent ils ressemblent aux _grands-pères ou aux grand’mères ; quequelque- fois ils ressemblent aux oncles ou aux tantes ; que presque toujours les enfants du même père et de la même mère se ressemblent plus entre eux qu'ils ne ressemblent à leurs ascendants, et que tous ont quelque chose de commun et un air de famille. Dans les chevaux, comme le mäle contribue plus à la génération que la fe- melle, les juments produisent des poulains qui sont assez souvent semblables en tout à l'éta- lon, où qui toujours lui ressemblent plus qu’à la mere ; elles en produisent aussi qui ressemblent 352 aux grands-pères ; et lorsque la jument mère a été elle-même engendrée d'un mauvais cheval, il arrive assez souvent que, quoiqu'elle ait eu un bel étalon, et qu'elle soit belle elle-même, elle ne produit qu'un poulain qui, quoique en apparence beau et bien fait dans sa première jeunesse , décline toujours en croissant; tandis qu'une jument qui sort d'une bonne race donne des poulains qui, quoique de mauvaise appa- rence d'abord, embellissent avec l’âge. Au reste , ces observations que l'on a faites sur le produit des juments, et qui semblenteon- courir toutes à prouver que dans les chevaux le mâle influe beaucoup plus que la femelle sur la progéniture, ne me paraissent pas encore suffi- santes pour établir ce fait d’une manière indu- bitable et irrévocable. I1ne serait pas impossible que ces observations subsistassent, et qu’en même temps et en général les juments contri- buassent autant que les chevaux au produit de la génération : il ne me paraît pas étonnant que des étalonstoujours choisis dans un grand nom- bre de chevaux, tirés ordinairement de pays chauds , nourris dans l'abondance, entretenus et ménagés avec grand soin, dominent dans la génération sur des juments communes , nées dans un climat froid, et souvent réduites à tra- vailler; et comme dans les observations tirées des haras, il y a toujours plus ou moins de cette supériorité de l’étalon sur la jument, on peut très-bien imaginer que ce n'est que par cette raison qu'elles sont vraies et constantes : mais en même temps il pourrait être tout aussi vrai que de très-belles juments des pays chauds, auxquelles on donneraitdes chevaux communs, influeraient peut-être beaucoup plus qu'eux sur leur progéniture ; et qu'en général, dans l’es- pèce des chevaux comme dans l'espèce hu- maine, il y eût égalité dans l'influence du mâle et de la femelle sur leur progéniture. Cela me parait naturel et d'autant plus probable, qu'on a remarqué, même dans les haras, qu'il naissait à peu près un nombre égal de poulains et de poulines : ce qui prouve qu'au moins pour le sexe la femelle influe pour sa moitié. Mais ne suivons pas plus loin ces considéra- tions, qui nous éloigneraient de notre sujet. Lorsque l'étalon est choisi et que les juments qu'on veut lui donner sont rassemblées, il faut avoir un autre cheval entier qui neserviraqu'à faire connaitre les juments qui seront en cha- leur, et qui même contribuera par ses attaques HISTOIRE NATURELLE à les y faire entrer, On fait passer toutes les ju- ments l'une après l’autre devant ce cheval en- tier, qui doit être ardent et hennir fréquem- ment; il veut les attaquer toutes; celles qui ne sont point en chaleur se défendent, et il n’y a que celles qui y sont qui se laissent appro- cher; mais au lieu de le laisser approcher tout à fait, on le retire et on lui substitue le véritable étalon. Cette épreuve est utile pour reconnaitre le vrai temps dela chaleur des juments, et sur- tout de celles qui n'ont pas encore produit; car celles qui viennent de pouliner entrent ordinai- rement en chaleur neuf jours après leur accou- chement, ainsi on peut les mener à l’étalon dès ce jour mêmeetles faire couvrir; ensuite essayer neuf jours après, au moyen de l'épreuve ci- dessus, si ellessont encore en chaleur ; et si elles y sont en effet, les faire couvrir une seconde fois, et ainsi de suite une troisième fois tous les neuf jours, tant que leur chaleur dure: car lors- qu'elles sont pleines la chaleur diminue et cesse peu de jours après. Mais pour que tout cela puisse se faire aisé- ment, commodément, avec succès et fruit, il faut beaucoup d’attention, de dépense «et de précautions; il faut établir le haras dans un bon terrain et dans un lieu convenable et propor- tionné à la quantité de juments et d'étalons qu'on veut employer; il faut partager ce ter- rain en plusieurs parties, fermées de palis ou de fossés avec de bonnes haies, mettre les ju- ments pleines et celles qui allaitent leurs pou- lains dans la partie où le pâturage est le plus gras, séparer celles qui n’ont pas conçu ou qui n’ont pas encore été couvertes, et les mettreavec les jeunes poulines dans un autre parquet où le pâturage soit moins gras , afin qu'elles n’en- graissent pas trop, ce qui s'opposerait à la gé- nération; et enfin il faut mettre les jeunes pou- lains entiers ou hongres dans la partie du ter- rain la plus sèche et la plus inégale, pour qu'en montant et en descendant les collines ils ac- quièrent de la liberté dans les jambes et les épaules : ce dernier parquet, où l’on met les poulains mâles, doit être séparé de ceux des ju- ments avec grand soin, de peur que ces jeunes chevaux ne s'échappent et ne s'énervent avec les juments. Si le terrain est assez grand pour qu'on puisse partager en deux parties chacun de ces parquets , pour y mettre alternativement des chevaux et des bœufs l'année suivante, le fonds du pâturage durera bien plus long-temps DU CHEVAL. que s’il était continuellement mangé par les chevaux : le bœuf répare le pâturage, et le che- val l'amaigrit. Il faut aussi qu'il yait des mares dans chacun de ces parquets ; leseaux dormantes sont meilleures pour les chevaux que les eaux vives, qui leur donnent souvent des tranchées ; et s'il y a quelques arbres dans ce terrain il ne faut pas les détruire, les chevaux sont bien aises de trouver cette ombre dans les grandes cha- leurs; mais s’il y a des troncs, des chicots ou des trous , il faut arracher , éombler , aplanir , pour prévenir tout accident. Ces pâturages ser- viront à la nourriture de votre haras pendant l'été; et il faudra pendant l'hiver mettre les ju- ments à l'écurie et les nourrir avec du foin, aussi bien que les poulains, qu'on ne mènera päturer que dans les beaux jours d'hiver. Les étalons doivent être toujours nourris à l'écurie avec plus de paille que de foin, et entretenus dans un exercice modéré jusqu'au temps de la monte, qui dure ordinairement depuis le com- mencement d'avril jusqu’à la fin de juin : on ne leur fera faire aucun autre exercice pendant ce temps, et on les nourrira largement, mais avec les mêmes nourritures qu'à l'ordinaire. Lorsqu'on mènera l'étalon à la jument, il fau- dra le panser auparavant, cela ne fera qu'aug- menter son ardeur : il faut aussi que la jument soit propre et déferrée des pieds de derrière, car il y en a qui sont chatouilleuses et qui ruent à l'approche de l’étalon; un homme tient la ju- ment par le licou, et deux autres conduisent l’é- talon par des longes: lorsqu'il est en situation, on aide à l'accouplement en le dirigeant et en détournant la queue de la jument: car un seul crin qui s'opposerait pourrait le blesser, même dangereusement. Il arrive quelquefois que dans l'accouplement l'étalon ne consomme pas l'acte de la génération, et qu'il sort de dessus la ju- ment sans lui avoir rien laissé : il faut donc être attentif à observer si dansles derniers moments de la copulation le tronçon de la queue de l'é- talon n’a pas un mouvement de balancier près de la croupe; car ce mouvement accompagne toujours l'émission de la liqueur séminale : s’il à consommé , il ne faut pas lui laisser réitérer l'accouplement, il faut au contraire le ramener tout de suite à l'écurie et le laisser jusqu'au sur- lendemain; car, quoiqu'un bon étalon puisse suffire à couvrir tous les jours une fois, pendant les trois mois que dure le temps de la monte, il vaut mieux le ménager davantage et ne Jui don- 093 ner une jument que tous les deux jours, il de- pensera moins et produira davantage. Dans les premiers sept jours on lui donnera done succes- sivement quatre juments différentes , et le ncu- vième jour on lui ramènera la première, et ainsi des autres, tant qu'elles seront en chaleur : mais dès qu'il y en aura queïqu'une dont la chaleur sera passée, on lui en substituera une nouvelle, pour la faire couvrir à son tour aussi tous les neuf jours; et comme il y en a plusieurs qui re- tiennent dès la première, seconde ou troisième fois, on compte qu'un étalon ainsi conduit peut couvrir quinze ou dix-huitjuments, et produire dix ou douze poulains dans les trois mois que dure cet exercice. Dans ces animaux la quan- tité de la liqueur séminale est très-grande ;: et dans l'émission ils en répandent fort abondam- ment. On verra dans les descriptions la grande capacité des réservoirs qui la contiennent , et les inductions qu'on peut tirer de l'étendue et de la forme de ces réservoirs. Dans les juments il se fait aussi une émission, ou plutôt une stil- lation de la liqueur séminale pendant tout le temps qu'elles sont en amour ; car elles jettent au dehors une liqueur gluante et blanchâtre qu'on appelle des chaleurs, et dès qu'elles sont pleines ces émissions cessent. C'est cette liqueur que les Grecs ont appelée l’Aippomanès de la jument, et dont ils prétendent qu’on peut faire des filtres, surtout pour rendre un cheval fré- nétique d'amour. Cet hippomanès est bien dif- férent de celui qui se trouve dans les enveloppes du poulain, dont M. Daubenton* a le premier connu et si bien décrit la nature, l’origine et la situation : cette liqueur que la jument jette au dehors est le signe le plus certain de sachaleur; mais on la reconnait encore au gonflement dela partie inférieure de la vulve et aux fréquents hennissements de la jument, qui dans ce temps cherche à s'approcher des chevaux : lorsqu'elle a été couverte par l'étalon , il faut simplement la mener au pâturage sans aucune autre pré- caution. Le premier poulain d’une jument n’est jamais si étoffé que ceux qu'elle produit par la suite : ainsi on observera de lui donner la pre- mière fois un étalon plus gros, afin de compen- ser le défaut de l'accroissement par la grandeur même de la taille. 11 faut aussi avoir grande attention à la différence ou à la réciprocité des 1 Voyez les Mémoires de l'Académie royale des Sciences, an- née 1751 figures du cheval et de la jument, afin de corri- ger les défauts de l'un par les perfections de l'autre, et surtout ne jamais faire d'accouple- ments disproportionnés, comme d’un petitche- val avec une grosse jument, ou d’un grandche- val avec une petite jument, parce que le pro- duit de cet accouplement serait petit ou mal pro- portionné. Pour tâcher d'approcher de la belle nature, il faut aller par nuances; donner, par exemple, à une jument un peu trop épaisse un cheval étoffé, mais fin; à une petite jument un cheval un peu pius haut qu'elle ; à une ju- ment qui pèche par l'avant-main un cheval qui ait la tête belle et l'encolure noble, ete. On a remarqué que les haras établis dans des terrainssecset légers produisaient des chevaux sobres, légers et vigoureux, avec la jambe ner- veuse et la corne dure; tandis que dans les lieux humides et dans les pâturages les plus gras ils ont presque tous la tête grosse et pesante, le corps épais , les jambes chargées, la corne mauvaise et les pieds plats. Ces différences viennent de celles duclimat et de la nourriture, ce qui peut s'entendre aisément; mais, ce qui est plus difficile à comprendre, et qui est encore plus essentiel que tout ce que nous venons de dire , c'est la nécessité où l'on est de toujours croiser les rates , si l'on veut les empêcher de dégénérer. Il ya dans la nature un prototype général dans chaque espèce, sur lequel chaque individu est modelé , mais qui Semble, en se réalisant , s'altérer ou se perfectionner par les circons- tances ; en sorte que, relativement à de certaines qualités, il yaune variation bizarre en apparence dans la succession des individus, et en même temps une constance qui parait admirable dans l'espèce entière. Le premier animal, le premier cheval, par exemple, a été le modèle extérieur et le moule intérieur sur lequel tous leschevaux qui sont nés, tous ceux qui existent et tous ceux qui naîtront ont été formés; mais ce modèle, dont nous ne connaissons que les copies, a pu s'altérer ou se perfectionner en communiquant sa forme et se multipliant : l'empreinte origi- naire subsiste en son entier dans chaque indivi- du ; mais, quoiqu'il y en ait des millions, au- cun de ces individus n’est cependant semblable en tout à un autre individu, ni par conséquent au modèle dont il porte l'empreinte. Cette dif- férence, qui prouve combien la nature est éloi gnée de rien faire d'absolu, et combien elle sait HISTOIRE NATURELLE nuancer ses ouvrages , se trouve dans l'espèce humaine , dans celles de tous les animaux, de tous les végétaux, de tousles êtres, en un mot, qui se reproduisent; et ce qu'il y a de singulier, c'est qu’il semble que le modèle du beau et du bon soit dispersé par toute la terre, et que dans chaque climat il n’en réside qu'une portion qui dégénère toujours, à moins qu’on ne la réunisse avec une autre portion prise au loin : en Sorte quepouravoir de bon grain, debellesfleurs, ete., il faut en échanger les graines, et ne jamais les semer dans l8 même terrain qui les a produits ; et de mème, pour avoir de beaux chevaux, de bous chiens, ete., il faut donner aux femelles du pays des mâles étrangers, et réciproque- ment aux mâles du pays des femelles étran- gères. Sans cela les grains, les fleurs , les ani- maux dégénèrent, ou plutôt prennent une si forte teinture du climat, que la matière do- mine sur la forme et semble l’abâtardir : l’em- preinte reste, mais défigurée par tous les traits qui ne lui sont pas essentiels; en mêlant au contraire les races , et surtout en les renouve- lant toujours par des races étrangères, la forme semblese perfectionner, etlanature se relever et donner tout ce qu'elle peut produire de meilleur. Ce n’est point ici le lieu de donner les raisons générales de ces effets :, mais nous pouvons in- diquer les conjectures qui se présentent au pre- mier coup d'œil. On sait par expérience que des animaux où des végétaux, transplantés d’un climat lointain, souvent dégénèrent, et quelquefois se perfectionnent en peu de temps, c'est-à-dire en un très-petit nombre de géné- rations : il est aisé de concevoir que ce qui produit cet effet est la différence du climat et dela nourriture. L'influence de ces deux causes doit à la longue rendre Ces animaux exémpts où susceptibles de certaines affections, de cer- taines maladies ; leur tempérament doit chan- ger peu à peu; le développement de la forme , qui dépend en partie de la nourriture et de la qualité des humeurs , doit done changer aussi dans les générations : ce changement est, à la vé- rité, presque insensible à la première génération, parce que les deux animaux , mâle et femelle, que nous supposons être les souches de cette race, ont pris leur consistance et leur forme avant d'avoir été dépaysés, et quele nouveau climat et la nourriture nouvelle peuvent à la vérité changer leur tempérament, mais ne peu- | vent pas influer assez sur les parties Solides DU CHEVAL. et organiques pour en altérer la forme, sur- tout si l'accroissement de leur corps était pris en entier: par conséquent la première gé- nération ne sera point altérée , la première progéniture de ces animaux ne dégénérera pas, l'empreinte de la forme sera pure , il n'y aura aucun vice de souche au moment de la nais- sance. Mais le jeune animal essuiera , dans un âve tendre et faible, les influences du climat ; elles lui feront plus d'impression qu'elles n’en ont pu faire sur le père et la mère. Celles de la nourriture seront aussi bien plus grandes et pourront agir sur les parties organiques dans le temps de l’accroissement , en altérer un peu la forme originaire, et y produire des germes de défectuosités qui se manifesteront ensuite d'une manière très-sensible dans la seconde gé- nération, où la progéniture a, non-seulement ses propres défauts, c'est-à-dire ceux qui lui vien- nent de son accroissement, mais encore les vices de la seconde souche, qui ne s’en développe- ront qu'avec plus d'avantage ; et enfin à la troi- sième génération , les vices de la seconde et de la troisième souche, qui proviennent de cette influence du climat et de la nourriture, se trou- vant encore combinés avec ceux de l’influence actuelle dans l'accroissement , deviendront si sensibles , que les caractères de la première souche en seront effacés. Ces animaux de race étrangère n'auront plus rien d'étranger , ils res- sembleront en tout à ceux du pays : des che- vaux d'Espagne ou de Barbarie, dont on con- duit ainsi les générations , deviennent en France des chevaux francais, souvent dès la seconde génération , et toujours à la troisième : on est donc obligé de croiser les races au lieu de les conserver. On renouvelle la race à chaque gé- nération, en faisant venir des chevaux barbes ou d'Espagne pour les donner aux juments du pays ; et ce qu'il y a de singulier, c'est que ce renouvellement de race, qui ne se fait qu'en partie, et, pour ainsi dire, à moitié, produit cependant de bien meilleurs effets que si le re- nouvellement était entier. Un cheval et une jument d'Espagne ne produiront pas ensemble d'aussi beaux chevaux en France que ceux qui viendront de ce même cheval d'Espagne, avec une jument du pays ; ce qui se concevra encore aisément, si l’on fait attention à la compensation nécessaire des défauts, qui doitse faire lorsqu'on met ensemble un mâle et une femelle de diffé- rents pays. Chaque climat, par ses influences D35 et par celles de la nourriture, donne une cer- taine conformation qui pèche par quelque excès ou par quelque défaut : mais dans un climat chaud , il y aura en excès ce qui sera en défaut dans un climat froid , et réciproquement; de maniere qu'il doit se faire une compensation du tout lorsqu'on joint ensemble des animaux de ces climats opposés. Et comme ce qui a le plus de perfection dans la nature est ce qui a le moins dedéfauts, etque les formes les plus parfaites sont seulement celles qui ont le moins de difformités, le produit de deux animaux, dont les défauts se compenseraient exactement, serait la produc- tion la plus parfaite de cette espèce : or, ils se compensent d'autant mieux, qu'on met ensem- bledes animaux de pays plus éloignés, ou plutôt de climats plus opposés. Le composé qui en ré- sulte est d'autant plus parfait, que les excès ou les défauts de lhabitude du père sont plus opposés aux défauts ou aux excès de l'habitude de la mère. ë Dans le climat tempéré de la France, il faut donc, pour avoir de beaux chevaux, faire ve- nir des étalons de climats plus chauds où plus froids. Les chevaux arabes, si l’on en peut avoir, et les barbes, doivent être préférés, et ensuite les chevaux d'Espagne et du royaume de Na- ples ; et pour les climats froids, ceux de Dane- marck, etensuite ceux du Holstein et dela Frise: tous ces chevaux produiront en France, avec les juments du pays, de très-bons chevaux, qui seront d'autant meilleurs et d'autant plus beaux que la température du climat sera plus éloignée de celle du climat de la France; en sorte que les arabes seront mieux que les bar- bes , les barbes mieux que ceux d’Espagne, et de même les chevaux tirés de Danemarck pro- duiront de plus beaux chevaux que ceux de la Frise. Au défaut de ces chevaux de climats beaucoup plus froids ou plus chauds, il faudra faire venir des étalons anglais ou allemands, ou même des provinces méridionales de la France dans les provinces septentrionales : on gagnera toujours à donner aux juments des chevaux étrangers ; et au contraire, on perdra beaucoup à laisser multiplier ensemble dans un haras des chevaux de même race, car ils dégénèrent in- failliblement et en très-peu de temps. Dans l'espèce humaine, le climat et la nour- riture n’ont pas d'aussi grandes influences que dans les animaux ; et la raison en est assez sim- ple. L'homme se défend, mieux que l'animal , 536 HISTOIRE de l'intempérie du climat, il se loge, il se vêt convenablement aux saisons ; sa nourriture est aussi beaucoup plus variée, et par conséquent elle n'influe pas de la même façon sur tous les individus. Les défauts ou les excès qui viennent de ces deux causes, et qui sont si constants et si sensibles dans les animaux, le sont beaucoup moins dans les hommes: d’ailleurs, comme il y a eu de fréquentes migrations de peuples , que les nations se sont mêlées, et que beaucoup d'hommes voyagent et se répandent de tous côtés , il n’est pas étonnant que les races hu- maines paraissent être moins sujettes au climat, et qu'il se trouve des hommes forts, bien faits, et même spirituels dans tous les pays. Cepen- dant on peut croire que par une experience dont on a perdu toute mémoire, les hommes ont au- trefois connu le mal qui résultait des alliances du même sang, puisque, chez les nations les moins policées , il a rarement été permis au frère d'épouser sa sœur. Cet usage, qui est pour nous de droit divin, et qu'on ne rapporte chez les autres peuples qu'à des vues politiques, a peut-être été fondé sur l'observation. La politi- que ne s'étend pas d’une manière si générale et si absolue , à moins qu’elle ne tienne au physique ; mais si les hommes ont une fois connu par ex- périence que leur race dégénérait toutes les fois qu'ils ont voulu la conserver sans mélange dans une même famille , ils auront regardé comme une loi de la nature celle de l'alliance avec des familles étrangères, et se seront tous accordés à ne pas souffrir de mélange entre leurs enfants. Et en effet, l'analogie peut faire présumer que dans la plupart des climats les hommes dégéné- reraient, comme les animaux , après un cer- tain nombre de générations. Une autre influence du climat et de la nour- riture est la variété des couleurs dans la robe des animaux. Ceux qui sont sauvages, et qui vivent dans le même climat, sont d'une même couleur, qui devient seulement un peu plus claire ou plus foncée, dans les différentes sai- sons de l’année : ceux, au contraire , qui vivent sous des climats différents sont de couleurs différentes , et les animaux domestiques varient prodigieusement par les couleurs ; en sorte qu'il y à des chevaux, des chiens, etc., de toute sorte de poils ; au lieu que les cerfs, les lie- vres, ete., sont tous de la même couleur. Les injures du climat toujours les mêmes, la nour- riture toujours la même, produisent dans les NATURELLE animaux sauvages cette uniformité. Le soin de l'homme, la douceur de l'abri, la variété dans la nourriture, effacent et font varier cette cou- leur dans les animaux domestiques, aussi bien que le mélange des races étrangères, lorsqu'on n'a pas soin d'assortir la couleur du mâle avec celle de la femelle, ce qui produit quelquefois de belles singularités , comme on le voit sur les chevaux pies , où le blanc et le noir sont appli- qués d'une manière si bizarre, et tranchent l'un sur l’autre si singulièrement, qu'il semble que ce ne soit pas l'ouvrage de la nature, mais l'effet du caprice d’un peintre. Dans l'accouplement des chevaux on assor- tira done le poil et la taille, on contrastera les figures , on croisera les races en opposant les climats, et on ne joindra jamais ensemble les chevaux et les juments nés dans le même haras. Toutes ces conditions sont essentielles; et il y a encore quelques autres attentions qu'il ne faut pas négliser. Par exemple, il ne faut point dans un haras de juments à queue courte, parce que ne pouvant se défendre des mouches, elles en sont beaucoup plus tourmentées que celles qui ont tous leurs crius; et l’agitation continuelle que leur cause la piqûre de ces insectes fait diminuer la quantité de leur lait, ce qui influe beaucoup sur le tempérament et la taille du pou- lain, qui, toutes choses égales d'ailleurs, sera d'autant plus vigoureux que sa mère Sera meil- leure nourrice. Il faut tâcher de n'avoir pour son haras que des juments qui aient toujours pâ- turé, et qui n'aient point fatigué: les juments qui ont toujours été, à l'écurie, nourries au sec, et qu'on met ensuite au pâturage, ne produi- sent pas d’abord; il leur faut du temps pour s’accoutumer à cette nouvelle nourriture. Quoique la saison ordinaire de la chaleur des juments soit depuis le commencement d'avril jusqu'à la fin de juin, il arrive assez souvent que , dans un grand nombre, il y en a quelques- unes qui sont en chaleur avant ce temps. On fera bien de laisser passer cette chaleur sans les faire couvrir, parce que le poulain naïitrait en hiver, souffrirait de l'intempérie de la saison, et ne pourrait sucer qu'un mauvais lait; et de même , lorsqu'une jument ne vient en chaleur qu'après le mois de juin, on ne devrait pas la laisser couvrir, parce que le poulain, naissant alors en été, n’a pas le temps d'acquérir assez de force pour résister aux injures de l'hiver suivant. DU CHEVAL. Beaucoup de gens , au lieu de conduire l'éta- lon à la jument pour la faire couvrir, le lâchent dans le parquet où les juments sont rassem- blées, et l'y laissent en liberté choisir lui-même celles qui ont besoin de lui, et les satisfaire à son gré. Cette manière est bonne pour les ju- ments ; elles produiront même plus sûrement que de l'autre façon : mais l'étalon se ruine plus en six semaines qu'il ne ferait en plusieurs an- nées par un exercice modéré et conduit comme nous l'avons dit. Lorsque les juments sont pleines et que leur ventre commence à s'appesantir , il faut les sé- parer des autres qui ne le sont point, et qui pourraient les blesser. Elles portent ordinaire- ment onze mois et quelques jours; elles accou- chent debout, au lieu que presque tous les au- tres quadrupèdes se couchent : on aide celles dont l'accouchement est difficile, on y met la main , on remet le poulain en situation, et quel- quefois mème, lorsqu'il est mort, on le tire avec des cordes. Le poulain se présente ordi- nairement la tête la première , comme dans toutes les autres espèces d'animaux ; il rompt ses enveloppes en sortant de la matrice, et les eaux abondantes qu’elles contiennent s’'écou- lent. Il tombe en mème temps un ou plusieurs morceaux solides, formés par le sédiment de la liqueur épaissie de l’allantoiïde ; ce morceau, que les anciens ontappelé l'hippomanès du pou- lain, n'est pas , comme ils le disent , un mor- ceau de chair attaché à la tête du poulain, il en est au contraire séparé par la membrane amnios ; la jument lèche le poulain après sa naissance, mais elle ne touche pas à l'hippo- manès ; et les anciens se sont encore trompés lorsqu'ils ont assuré qu'elle le dévorait à l'in- stant. L'usage ordinaire est de faire couvrir une jument neuf jours après qu'elle a pouliné. C'est pour ne point perdre de temps, et pour tirer de son haras tout le produit que l'on peut en attendre ; cependant il est sûr que la jument, ayant ensemble à nourrir son poulain né et son poulain à naitre, ses forces sont partagées , et qu'elle ne peut leur donner autant que si elle n'avait que l’un ou l’autre à nourrir : il serait donc mieux, pour avoir d'excellents chevaux, de ne laisser couvrir les juments que de deux années l'une; elles dureraient plus longtemps et retiendraient plus sûrement: car, dans les haras ordinaires , il s'en faut bien que toutes les 997 juments qui ont été couvertes produisent tous les ans; c'est beaucoup lorsque, dans la même année, il s'en trouve la moitié ou les deux tiers qui donnent des poulains. Les juments , quoique pleines, peuvent souf- frir l'accouplement , et cependant il n'y a ja- mais de superfétation. Elles produisent ordinai- rement jusqu'à l’âge de quatorze ou quinze ans; et les plus vigoureuses ne produisent guère au-delà de dix-huit ans : les chevaux, lorsqu'ils ont été ménagés, peuvent engendrer jusqu'à l’âge de vingt et même au-delà; et l'on a fait sur ces animaux la même remarque que sur les hommes , c'est que ceux qui ont commencé de bonne heure finissent aussi plus tôt: car les gros chevaux , qui sont plus tôt formés que les chevaux fins, et dont on fait des étalons des l'âge de quatre ans, ne durent pas si longtemps, et sont communément hors d'état d'engendrer avant l'âge de quinze ans". La durée de la vie des chevaux est, comme dans toutes les autres espèces d'animaux , pro- portionnée à la durée du temps de leur accrois- sement. L'homme, qui est quatorze ans à croi- tre , peut vivre six ou sept fois autant de temps, c'est-à-dire quatre-vingt-dix, ou cent ans; le cheval, dont l'accroissement se fait en quatre ans, peut vivre six ou sept fois autant, c'est- a-dire, vingt-cinq ou trente ans : les exemples qui pourraient être contraires à cette règle sont si rares, qu'on ne doit pas même les regarder comme une exception dont on puisse tirer des conséquences ; et comme les gros chevaux pren- nent leur entier aceroissement en moins detemps que les chevaux fins, ils viventaussi moins de temps, et sont vieux dès l'âge de quinze ans. Il paraïtrait au premier coup d'œil que dans les chevaux et la plupart des autres animaux quadrupèdes l'accroissement des parties pos- térieures est d'abord plus grand que celui des parties antérieures ; tandis que dans l'homme les parties inférieures eroissent moins d'abord que les parties supérieures: car dans l'enfant, les cuisses et les jambes sont, à proportion du corps , beaucoup moins grandes que dans l’a- dulte. Dans le poulain, au contraire, les jambes de derrière sont assez longues pour qu'il puisse atteindre à sa tète avec le pied de derriere ; au lieu que le cheval adulte ne peut plus y attein- { Voyez le nouveau Parfait Maréchal, de M. de Garsault, pages 68 et suivantes. 538 dre; mais cette différence vient moins de l'iné- galité de l'accroissement total des parties anté- rieures et postérieures, que de l'inégalité des piedsde devantetde ceux dederrière, quiestcon- stante dans toute la nature, et plus sensible dans les animaux quadrupèdes : car dans l’homme les pieds sont plus gros que les mains, et sont aussi plus tôt formés ; et dans le cheval, dont une grande partie de la jambe de derrière n'est qu'un pied, puisqu'elle n'est composée que des os relatifs au tarse, au métatarse, ete., il n’est pas étonnant que ce pied soit plus étendu et plus tôt développé que la jambe de devant, dont toute la partie inférieure représente la main, puisqu'elle n'est composée que des os du carpe, du métacarpe, ete. Lorsqu'un poulain vient de naitre, on remarque aisément cette différence ; les jambes de devant, comparées à celles de derrière, paraissent, et sont en effet beaucoup plus courtes alors qu’elles ne le seront dans la suite; et d'ailleurs, l'épaisseur que le corps ac- quiert, quoique indépendante des proportions de l'accroissement en longueur, met cependant plus de distance entre les pieds de derrière et la tête, et contribue par conséquent à empêcher le cheval d'y atteindre lorsqu'il a pris son ac- croissement. Dans tous les animaux chaque espèce est va- riée suivant les différents climats, et les résul- tats généraux de ces variétés forment et con- stituent les différentes races, dont nous ne pouvons saisir que celles qui sont le plus mar- quées, c’est-à-dire celles qui diffèrent sensible- ment les unes des autres, en négligeant toutes les nuances intermédiaires qui sont ici, comme en tout, infinies. Nous en avons même encore augmenté le nombre et la confusion en favori- sant le mélange de ces races; et nous avons, pour ainsi dire, brusqué la nature en amenant en ces climats des chevaux d’Afrique où d'Asie; nous avons rendu méconnaissables les races primitives de France en y introduisant des che- vaux de tout pays; et il ne nous reste, pour distinguer les chevaux , que quelques légers ca- ractères, produits par l'influence actuelle du climat. Ces caractères seraient bien plus mar- qués et les différences seraient bien plus sensi- bles si les races de chaque climat s’y fussent conservées sans mélange; les petites variétés auraient été moins nuancées , moins nombreu- ses: mais il y aurait eu un certain nombre de grandes variétés bien caractérisées , que tout le HISTOIRE NATURELLE monde aurait aisément distinguées ; au lieu qu'il faut de l'habitude, et même une assez | longue expérience, pour connaitre les chevaux des différents pays. Nous n'avons sur cela que les lumières que nous avons pu tirer des livres des voyageurs , des ouvrages des plus habiles écuyers , tels que MM. de Newcastle, de Gar- sault, de la Guérinière, ete., et de quelques remarques que M. de Pignerolles, écuyer du roi, et chef de l'académie d'Angers, à eu la bonté de nous communiquer. Les chevaux arabes sont les plus beaux que l'on connaisse en Europe. Ils sont plus grands et plus étoffés que les barbes, et tout aussi bien faits: mais comme il en vient rarément en France, les écuyers n’ont pas d'observations détaillées de leurs perfections et de leurs dé- fauts. Les chevaux barbes sont plus communs. Ils ont l’encolure longue, fine, peu chargée de crins et bien sortie du garrot; la tête belle, pe- tite et assez ordinairement moutonnée ; l'oreille belle et bien placée, les épaules légères et pla- tes, le garrot mince et bien relevé, les reins courts et droits, le flanc et les côtes ronds sans trop de ventre, les hanches bien effacées, la croupe le plus souvent un peu longue et la queue placée un peu haut, la cuisse bien formée et rarement plate, les jambes belles, bien faites et sans poil , le nerf bien détaché, le pied bien fait, mais souvent le paturon long; on en voit de tous poils, mais plus communément de gris : les barbes ont un peu de négligence dans leur allure; ils ont besoin d'être recherchés , et on leur trouve beaucoup de vitesse et de nerf; ils sont fort légers et très-propres à la course. Ces chevaux paraissent être les plus propres pour en tirer race; il serait seulement à souhaiter qu'ils fussent de plus grande taille ; les plus grands sont de quatre pieds huit pouces, et il est rare d'en trouver qui aient quatre pieds neuf pouces. Il est confirmé par expérience qu’en France, en Angleterre, ete., ils engendrent des poulains qui sont plus grands qu'eux : on pré- tend que, parmi les barbes, ceux du royaume de Maroc sont les meilleurs, ensuite les barbes de montagne; ceux du reste de la Mauritanie sont au-dessous, aussi bien que ceux de Tur- quie, de Perse et d'Arménie : tous ces che- vaux des pays chauds ont le poil plus ras que les autres. Les chevaux turcs né sont pas si bien proportionnés que les barbes ; ils ont pour DU CHEVAL; l'ordinaire l’encolure effilée, le corps long, les jambes trop menues ; cependant ils sont grands travailleurs et de longue haleine : on n'en sera pas étonné , si l'on fait attention que dans les pays chauds les os des animaux sont plus durs que dans les climats froids; et c'est par cette raison que , quoiqu'ils aient le canon plus menu que ceux de ce pays-ci , ils ont cependant plus de force dans les jambes. Les chevaux d'Espagne , qui tiennent le se- cond rang après les barbes, ont l'encolure lon- gue , épaisse ; et beaucoup de crins; la tête un peu grosse, et quelquefois moutonnée; les oreil- les longues , mais bien placées ; les yeux pleins de feu , l'air noble et fier, les épaules épaisses et le poitrail large , les reins assez souvent un peu bas, la côte ronde, et souvent un peu trop de ventre, la croupe ordinairement ronde et large, quoique quelques-uns l’aient un peu lon- gue; les jambes belles et sans poil, le nerf bien détaché ; le paturon quelquefois un peu long , comme les barbes ; le pied un peu allongé, comme celui d’un mulet, et souvent le talon trop hant. Les chevanx d'Espagne de belle race sont épais, bien étoffés, bas de terre ; ils ont aussi beaucoup de mouvement dans leur dé- marche, beaucoup de souplesse, de feu et de fierté ; leur poil le plus ordinaire est noir ou bai-marron , quoiqu'il y en ait quelques-uns de toutes sortes de poil. Ils ont très-rarement des jambes blanches et des nez blancs; les Espa- gnols , qui ont de l’aversion pour ces marques, ne tirent point race des chevaux qui les ont; ils ne veulent qu'une étoile au front; ils esti- ment même les chevaux zains autant que nous les méprisons. L'un et l’autre de ces préjugés , quoïque contraires ; sont peut-être tout aussi mal fondés, puisqu'il se trouve de très-bons che- vaux avec toutes sortes de marques, et de même d'excellents chevaux qui sont zains : cette pe- tite différence dans la robe d’un cheval ne sem- ble en aucune facon dépendre de son naturel ou de sa constitution intérieure, puisqu'elle dé- pend en effet d’une qualité extérieure, et si su- perficielle que par une légère blessure dans la peau on produit une tache blanche. Au reste, les chevaux d'Espagne, zains ou autres, sont tous marqués à la cuisse hors le montoir, de la marque du haras dont ils sont sortis; ils ne sont pas communément de grande taille : ce- pendant on en trouve quelques-uns de quatre | pieds neuf ou dix pouces; ceux de la haute | Da Andalousie passent pour être les meilleurs de tous , quoiqu'ils soient assez sujets à avoir la tête trop longue ; mais on leur fait grâce de ce défaut en faveur de leurs rares qualités. Ils ont du courage , de l'obéissance , de la grâce, de la fierté , et plus de souplesse que les barbes ; c'est par tous ces avantages qu'on les préfère à tous les autres chevaux du monde, pour la guerre, pour la pompe et pour le manége. Les plus beaux chevaux anglais sont, pour la conformation , assez semblables aux arabes et aux barbes, dont ils sortent en effet. Ils ont cependant la tête plus grande, mais bien faite et moutonnée, et les oreilles plus longues, mais bien placées : par les oreilles seules on pourrait distinguer un cheval anglais d'un cheval barbe ; mais la grande différence est dans la taille : les anglais sont bien étoffés et beaucoup plus grands ; on en trouve communément de quatre pieds dix pouces et même de cinq pieds de hauteur, il y en a de tous poils et de toutes marques ; ils sont généralement forts, vigou- reux, hardis, capables d’une grande fatigue , excellents pour la chasse et la course; mais il leur manque la grâce et la souplesse, ils sont durs et ont peu de liberté dans les épaules. On parle souvent de courses de chevaux en Angleterre, et il y a des gens extrêmement habi- les dans cette espèce d'art gymnastique. Pour en donner une idée, je ne puis mieux faire que de rapporter ce qu'un homme respectable!, que j'ai déjà eu occasion de citer dans le commen- cement de cet ouvrage, m'a écrit de Londres le 18 février 1748. M. Thornhill, maitre de poste à Stilton, fit gageure de courir à cheval trois fois de suite le chemin deStilton à Londres, c'est-à-dire de faire deux cent quinze milles d'Angleterre (environ soixante-douze lieues de France) en quinze heures. Le 29 avril 1745, vieux style, il se mit en course, partit de Stil- ton, fit la première course jusqu'à Londres en trois heures cinquante-une minutes, et monta huit différents chevaux dans cette course, II repartit sur-le-champ et fit la seconde course, de Londres à Stilton , en trois heures cinquan- te-deux minutes, et ne monta que Six chevaux. Il se servit pour la troisième course des mêmes chevaux qui lui avaient déjà servi: dans les quatorze il en monta sept, et il acheva cette | dernière course en trois heures quarante-neuf { Mylord comte de Morton. 540 HISTOIRE NATURELLE minutes : en sorte que non-seulement il rem- plit la gageure, qui était de faire ce chemin en quinze heures, mais il le fit en onze heures trente-deux minutes : je doute que dans les jeux olympiques il se soit jamais fait une course aussi rapide que cette course de M. Thornhill. Les chevaux d'Italie étaient autrefois plus beaux qu'ils ne le sont aujourd'hui, parce que depuis un certain temps on y a négligé les ha- ras. Cependant il se trouve encore de beaux chevaux napolitains, surtout pour les attela- ges; mais en général ils ont la tête grosse et l'encolure épaisse ; ils sont indociles, et par conséquent difficiles à dresser : ces défauts sont compensés par la richesse de leur taille, par leur fierté et par la beauté de leurs mouve- ments ; ils sont excellents pour l'appareil, et ont beaucoup de disposition à piaffer. Les chevaux danois sont de si belle taille et si étoffés, qu'on les préfère à tous les autres pour en faire des attelages. Il y en a de parfai- tement bien moulés, mais en petit nombre, car le plus souvent ces chevaux n'ont pas une con- formation fort régulière; la plupart ont l’enco- lure épaisse , les épaules grosses , les reins un peu longs et bas, la croupe trop étroite pour l'épaisseur du devant : mais ils ont tous de beaux mouvements, et en général ils sont très-bons pour la guerre et pour l'appareil ; ils sont de tous poils , et même les poils singuliers, comme pieet tigre, ne se trouvent guére que dans les chevaux danois. Il y a en Allemagne de fort beaux chevaux : mais en général ils sont pesants et ont peu d'ha- leine, quoiqu'ils viennent pour la plupart de chevaux turcs et barbes dont on entretient les haras , aussi bien que de chevaux d'Espagne et d'Italie : ils sont done peu propres à la chasse et à la course de vitesse ; au lieu que les chevaux hongrois, transylvains, ete., sont au contraire légers et bons coureurs. Les Housards et les Hongrois leur fendent les naseaux, dans la vue, dit-on, de leur donner plus d'haleine, et aussi pour les empêcher de hennir à la guerre. On prétend que les chevaux auxquels on a fen- du les naseaux ne peuvent plus hennir : je n’ai pas été à portée de vérifier ce fait; mais il me semble qu'ils doivent seulement hennir plus faiblement : on a remarqué que les chevaux hongrois, cravates et polonais sont fort sujets à être béguts. Les chevaux de Hollande sont fort bons pour le carrosse , et ce sont ceux dont on se sert le plus communément en France; les meilleurs viennent de la province de Frise ; il y en a aussi de fort bons dans le pays de Bergues et de Ju- liers. Les chevaux flamands sont fort au-des- sous des chevaux de Hollande: ils ont presque tous la tête grosse, les pieds plats, les jambes sujettes aux eaux; et ces deux derniers défauts sont essentiels dans des chevaux de carrosse. Il y a en France des chevaux de toute es- pèce; mais les beaux sont en petit nombre. Les meilleurs chevaux de selle viennent du Li- mousin, ils ressemblent assez aux barbes, et sont comme eux excellents pour la chasse; mais ils sont tardifs dans leur accroissement. IL faut les ménager dans leur jeunesse, et même ne s’en servir qu'à l’âge de huit ans . il y a aussi de très-bons bidets en Auvergne, en Poitou, dans le Morvan, en Bourgogne ; mais après le Limousin, c'est la Normandie qui fournit les plus beaux chevaux ; ils ne sont pas si bons pour la chasse, mais ils sont meilleurs pour la guerre; ils sont plus étoffés et plus tôt for- més. On tire de la Basse-Normandie et du Co- tentin de très-beaux chevaux de carrosse, qui ont plus de légèreté et de ressource que les chevaux de Hollande; la Franche-Comté et le Boulonnais fournissent de très-bons chevaux de tirage. En général les chevaux français pèchent par avoir de trop grosses épaules ; au lieu que les barbes pèchent par les avoir trop serrées, Après l’'énumération de ces chevaux qui nous sont le mieux connus, nous rapporterons ce que les voyageurs disent des chevaux étrangers que nous connaissons peu. Il y a de fort bons che- vaux dans toutes les iles de l’Archipel ; ceux de l'ile de Crète! étaient en grande réputation chez les anciens pour l’agilité et la vitesse; cependant aujourd'hui on s'en sert peu dans le pays même, à cause de la trop grande aspérité du terrain, qui est presque partout fort inégal et fort mon- tueux : les beaux chevaux de ces iles, et même ceux de Barbarie, sont de race arabe. Les che- vaux naturels du royaume de Maroc sont beau- coup plus petits que les arabes, mais très-légers et très-vigoureux?. M. Shaw prétend ? que les haras d'Egypte et de Tingitanie l'emportent au- 4 voyez la Description des îles de l'Archipel, par Dapper, page 462, 2 Voyez l'Afrique de Marmol. Paris, 1667, tome IL, pag. 124. 5 Voyez les Voyages de M. Shaw, traduits en français. La Haye, 1748, tome 1, page 508. CHEVAL DE TRAIT DU CHEVAL. jourd'hui sur tous ceux des pays voisins ; au lieu qu'on trouvait, il y a environ un siècle, d'aussi bons chevaux dans tout le reste de la Barbarie. L'excellence de ces chevaux barbes consiste, dit-il, à ne s’abattre jamais, et à se tenir tranquilles lorsque le cavalier descend ou laisse tomber la bride ; ils ont un grand pas et un gaiop rapide, mais on ne les laisse point trotter ni marcher l'amble : les habitants du pays re- gardent ces allures du cheval comme des mou- vements grossiers et ignobles. Il ajoute que les chevaux d'Égypte sont supérieurs à tous les autres pour la taille et pour la beauté; mais ces chevaux d'Égypte, aussi bien que la plu- part des chevaux de Barbarie, viennent des chevaux arabes, qui sont, sans contredit, les premiers et les plus beaux chevaux du monde. Selon Marmol!, ou plutôt selon Léon-l'Afri- cain?, car Marmol l'a ici copié presque mot à mot, les chevaux arabes viennent des chevaux sauvages des déserts d'Arabie, dont on a fait très-anciennement des haras , qui les ont tant multipliés , que toute l'Asie et l'Afrique en sont pleines; ils sont si légers, que quelques-uns d'en- tre eux devancent les autruchies à la course. Les Arabes du désert et les peuples de Libye élèvent une grande quantité de ces chevaux pour la chasse; ils ne s’en servent ni pour voya- ger ni pour combattre ; ils les font pâturer lors- qu'il y a de l'herbe: et lorsque l'herbe manque, ils ne les nourrissent que de dattes et de lait de chameau, ce qui les rend nerveux, légers et maigres. Ils tendent des piéges aux chevaux sauvages , ils en mangent la chair, et disent que celle des jeunes est fort délicate : ces che- vaux sauvages sont plus petits que les autres ; ils sont communément de couleur cendrée , quoiqu'il y en ait aussi de blanes, et ils ont le crin et le poil de la queue fort court et hérissé. D'autres voyageurs * nous ont donné sur les chevaux arabes des relations curieuses , dont nous ne rapportons ici que les principaux faits. Il n'y a point d'Arabe, quelque misérable qu'il soit, qui n'ait des chevaux. Ils montent ordinairement les juments, l'expérience leur ayant appris qu'elles résistent mieux que les chevaux à la fatigue, à la faim et à la soif : elles sont aussi moins vicieuses , plus douces, 1 Voyez l'Afrique, de Marmol, tome LE. page 50. 3 Vide Leonis Afric. de Africæ descript. t, Il, 750 et 751. 3 Voyez le Voyage de M. de la Roque, fait par ordre de Louis XIV ; Paris, 1714, page 194 et suiv. ; et aussi l'Histoire générale des voyages ; Paris, 4746, tome II, page 626. 1 et hennissent moins fréquemment que les che- vaux : ils les accoutument si bien à être en- semble, qu'elles demeurent en grand nombre, quelquefois des jours entiers, abandonnées à elles-mêmes, sans se frapper les unes les au- tres, et sans se faire aucun mal. Les Tures, au contraire, n'aiment point les juments, et les Arabes leur vendent les chevaux qu'ils ne veu- lent pas garder pour étalons. Ils conservent avec grand soin, et depuis très-longtemps, les races de leurs chevaux; ils en connaissent les générations , les alliances et toute la généalo- gie ; ils distinguent les races par des noms dif- férents , et ils en font trois classes. La première est celle des chevaux nobles, de race pure et ancienne des deux côtés; la seconde est celle des chevaux de race ancienne ; mais qui se sont mésalliés; et la troisième est celle des chevaux communs. Ceux-ci se vendent à bas prix : mais ceux de la première classe , et même ceux de la seconde , parmi lesquels ils’en trouve d'aussi bons que ceux de la première , sont excessive- ment chers ; ils ne font jamais couvrir les ju- ments de cette première classe noble que par des étalons de la même qualité; ils connaissent par une longue expérience toutes les races de leurs chevaux et de ceux de leurs voisins ; ils en connaissent en particulier le nom, le sur- nom , le poil, les marques, ete. Quand ils n'ont pas des étalons nobles , ils en empruntent chez leurs voisins, moyennant quelque argent, pour faire couvrir leurs juments, ce qui se fait en présence de témoins qui en donnent une attes- tation signée et scellée par-devant le secrétaire del’émir, ou quelque autre personne publique ; et dans cette attestation , le nom du cheval et de la jument est cité, et toute leur génération exposée. Lorsque la jument a pouliné, on ap- pelle encore des témoins, et l'on fait une autre attestation dans laquelle on fait la description du poulain qui vient de naïtre, et on marque le jour de sa naissance. Ces billets donnent le prix aux chevaux, et on les remet à ceux qui les achètent. Les moindres juments de cette première classe sont de cinq cents éeus, et il y en a beaucoup qui se vendent mille écus, et même quatre, cinq et six mille livres. Comme les Arabes n'ont qu'une tente pour maison, cette tente leur sert aussi d'écurie. La jument, le pou- lain , le mari, la femme, etles enfants couchent tous pêle-mêle les uns avec les autres : on y voit les petits enfants sur le corps, sur le cou 542 de la jument et du poulain, sans que ces ani- maux les blessent ni les incommodent. On di- rait qu'ils n'osent se remuer, de peur de leur faire du mal : ces juments sont si accoutumées à vivre dans cette familiarité, qu'elles souffrent toute sorte de badinage. Les Arabes ne les bat- tent point, ils les traitent doucement, ils par- lent et raisonnent avec elles; ils en prennent un très-grand soin , ils les laissent toujours aller au pas , et ne les piquent jamais sans nécessité ; mais aussi dès qu'elles se sentent chatouiller le flanc avec le coin de l’étrier , elles partent su- bitement et vont d'une vitesse incroyable; elles sautent les haies et les fossés aussi légèrement que des biches ; et si leur cavalier vient à tom- ber, elles sont si bien dressées, qu'elles s’arrê- tent tout court, même dans le galop le plus ra- pide. Tous les chevaux des Arabes sont d'une taille médiocre , fort dégagés , et plutôt maigres que gras; ils les pansent soir et matin fort ré- gulièrement et avec tant de soin, qu'ils ne leur laissent pas la moindre crasse sur la peau; ils leur lavent les jambes, le crin et la queue qu'ils laissent toute longue et qu'ils peignent rarement pour ne pas rompre le poil ; ils ne leur donnent rien à manger de tout le jour, ils lenr donnent seulement à boire deux ou trois fois ; et au cou- cher du soleil, ils leur passent un sac à la tête, dans lequel il y a environ un demi-boisseau d'orge biennette: ces chevaux ne mangent done que pendant la nuit, et on ne leur te le sac que le lendemain matin lorsqu'ils ont tout man- gé. On les met au vert au mois de mars, quand l'herbe est assez grande ; c'est dans cette même saison que l'on fait couvrir les juments , et on a grand soin de leur jeter de l’eau froide sur la croupe immédiatement après qu'elles ont été couvertes. Lorsque la saison du printemps est passée , on retire les chevaux du pâturage, et on ne leur donne ni herbe ni foin de tout le reste de l'année, ni même de paille que très- rarement; l'orge est leur unique nourriture. On ne manque pas de couper aussi les crins aux poulains dès qu'ils ont un an ou dix-huit mois, afin qu'ils deviennent plus touffus et plus longs ; on les monte dès l’âge de deux ans ou deux ans et demi tout au plus tard; on ne leur met la selle et la bride qu'à cet âge ; et tous les jours, du matin jusqu'au soir, tous les chevaux des Arabes demeurent sellés et bridés à la porte de la tente. La race de ces chevaux s'est étendue en Bar- HISTOIRE NATURELLE barie, chez les Maures, et même chez les Nè- gres de la rivière de Gambie et du Sénegal, Les seigneurs du pays en ont quelques-uns qui sont d'une grande beauté; au lieu d'orge ou d'a- voine on leur donne du maïs concassé ou réduit en farine, qu'on mêle avec du lait lorsqu'on veut les engraisser, et dans ce elimat si chaud on ne les laisse boire que rarement‘. D'un autre côté les chevaux arabes ont peuplé l'Égypte, la Turquie , et peut-être la Perse, où il y avait autrefois des haras très-considérables. Mare Paul * cite un haras de dix mille juments blan- ches, et il dit que dans la province de Balascie il y avait une grande quantité de chevaux grands et légers , avec la corne du pied si dure , qu’il était inutile de les ferrer. Tous les chevaux du Levant ont, comme ceux de Perse et d'Arabie, la corne fort dure; on les ferre cependant, mais avec des fers min- ces , légers, et qu'on peut clouer partout : en Turquie, en Perse et en Arabie, on a aussi les mêmes usages pour les soigner, les nourrir, et leur faire de la litière de leur fumier, qu'on fait auparavant sécher au soleil pour en ôter l'odeur , et ensuite on le réduit en poudre et'on en fait une couche, dans l'écurie ou dans la tente, d'environ quatre ou cinq pouces d'épais- seur. Cettelitière sert fortlongtemps: car quand elle est infectée de nouveau, on la relève pour la faire sécher au soleil une seconde fois, et cela lui fait perdre entièrement sa mauvaise odeur. J1 y a en Turquie des chevaux arabes, des chevaux tartares, des chevaux hongrois et des chevaux de race du pays. Ceux-ci sont beaux et très-fins Ÿ; ils ont beaucoup de feu, de vitesse, et même d'agrément ; mais ils sont trop délicats, ils ne peuvent supporter la fatigue, ils mangent peu, ils s'échauffent aisément, et ont la peau si sensible qu'ils ne peuvent supporter le frot- tement de l'étrille : on se contente de les frotter avec l'époussette et de les laver. Ces chevaux , quoique beaux, sont, comme l’on voit, fort au- dessous des arabes; ils sont même au-dessous des chevaux de Perse, qui sont, après les ara- bes *, les plus beaux et les meilleurs chevaux 1 Voyez l'HisL. génér. des voyages, tome III, page 297. 2 Voyez la Description géograp. de l'Inde , par Mare Paul, vénitien, Paris, 1566, tome I, page A4, et liv. 4, page 21. 3 Voyez le Voyage de Dumont. La Haye, 4699, Loue HEX, p. 255 et suivantes. 4 Voyez les Voyages de Thévenot; Paris, 4664, t. H1, p. 220; de Chardin; Amst , 1741, t. IL, p.24 et suiv.; d'Adam Olea- rius; Paris, 4656, t. J, p. 860 et suiv. ni DU CHEVAL. " de l'Orient. Les pâturages des plaines de Médie, de Persépolis , d'Ardebil, de Derbent , sont ad- mirables ; et on y élève, par les ordres du gou- vernement, une prodigieuse quantité de che- vaux , dont la plupart sont très-beaux , et presque tous excellents. Pietro della Valle! préfère les chevaux communs de Perse aux chevaux d'Italie, et même, dit-il, aux plus ex- cellents chevaux du royaume de Naples. Com- munément ils sont de taille médiocre ?; il y en a même de fort petits Ÿ, qui n'en sont pas moins bons ni moins forts : mais il s'en trouve aussi beaucoup de bonne taille , et plus grands que les chevaux de selle anglais‘. Ils ont tous la tête légère , l'encolure fine, le poitrail étroit, les oreilles bien faites et bien placées, les jam- bes menues , la croupe belle et la corne dure ; ils sont dociles , vifs, légers , hardis, courageux et capables de supporter une grande fatigue ; ils courent d'une très-grande vitesse , sans ja- mais s'abattre ni s’affaisser ; ils sont robus- tes et très-aisés à nourrir. On ne leur donne que de l'orge mêlée avec de la paille hachée menu, dans un sac qu'on leur passe à la tête, et on ne les met au vert que pendant six se- maines, au printemps. On leur laisse la queue longue ; on ne sait ce que c’est que de les faire hongres ; on leur donne des couvertures pour les défendre des injures de l'air; on les soigne avec une attention particulière ; on les conduit avec un simple bridon et sans éperon, et on en transporte une très-grande quantité en Tur- quie , et surtout aux Indes. Ces voyageurs, qui font tous l'éloge des chevaux de Perse, s'accordent cependant à dire que les chevaux arabes sont encore supérieurs pour l’agilité, le courage et la force, et même la beauté; et qu'ils sont beaucoup plus recherchés , en Perse même, que les plus beaux chevaux du pays. Les chevaux qui naissent aux Indes ne sont pas bons*. Ceux dont se servent les grands du pays y sont transportés de Perse et d'Arabie ; on leur donne un peu de foin le jour , et le soir 4 Voyez les Voyages de Pietro della Valle. Rouen , 1743, in- 12, tome V, pag. 284 et suivantes. ? Voyez les Voyages de Tayeruier. Rouen, 4743, tome I, p.19 et 20. 5 Voyez les Voyages de Thévenot, tome IT, p. 220. 4 Vayez les Voyages de Chardin , tome 11, page 25 et sui. yantes. 5 Voyez le Voyage de la Boullaye-le-Gouz, Paris, 1657, page 256; et le recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la Compagnie des Indes, Amst., 1702, tome IV, page 424. 543 on leur fait cuire des pois avec du sucre et du beurre, au lieu d'avoine ou d'orge, Cette nour- riture les soutient et leur donne un peu de force; sans cela ils dépériraient en très-peu de temps, le climat leur étant contraire. Les chevaux na- turels du pays sont en général fort petits; il y en a même de si petits que Tavernier rapporte que le jeune prince du Mogol, âgé de sept ou huit ans , montait ordinairement un petit cheval très-bien fait, dont la taille n'excédait pas celle d’un grand lévrier !. Il semble que les climats excessivement chauds soient contraires aux che- vaux. Ceux de la Côte-d'Or, de celle de Juida, de Guinée, ete., sont, comme ceux des Indes, fort mauvais ; ils portent la tête et le cou fort bas; leur marche est si chancelante, qu'on les croit toujours prêts à tomber ; ils ne se remue- raient pas si on ne les frappait continuellement; et la plupart sont si bas, que les pieds de ceux qui les montent touchent presque à terre ?; ils sont de plus fort indociles, et propres seulement à servir de nourriture aux Nègres, qui en ai- ment la chair autant que celle des chiens * : ce goût pour la chair du cheval est donc commun aux Nègres et aux Arabes; il se trouve en Tar- tarie, et même à la Chine*. Les chevaux chi- nois ne valent pas mieux que ceux des Indes ?; ils sont faibles , lâches, mal faits , et fort petits ; ceux de la Corée n’ont que trois pieds de hau teur. A la Chine, presque tous les chevaux sont hongres, et ils sont si timides qu'on ne peut s’en servir à la guerre : aussi peut-on dire que ce sont les chevaux tartares qui ont fait la conquête de la Chine : ces chevaux sont très- propres pour la guerre, quoique communément ils ne soient que de taille médiocre; ils sont forts, vigoureux, fiers, ardents , légers et grands coureurs ; ils ont la corne du pied fort dure, mais trop étroite; la tête fort légère, mais trop petite ; l'encolure longue et raide, les jambes trop hautes. Avec tous ces défauts, ils peuvent passer pour de très-bons chevaux ; ils sont in- fatigables et courent d’une vitesse extrême. Les Tartares vivent avec leurs chevaux à peu près ! Voyez les Voyages de Tavernier, tome IIE, page 554. 2 Voyez Histoire générale des voyages, tome IV, page 228. 5 Idem, tome IV, page 555. 4 Voyez le Voyage de M. Le Genty. Paris , 1725, tome, page 24. 5 Voyez les anciennes relations des Indes et de la Chine, traduites de l'arabe, Paris, 1718, page 204; l'Histoire générale des Voyages, tome VI, pages 492 et 535; l'Histoire de la con- 1 quête de la Chine, par Palafox, Paris, 4670, page 426, 514 comme les Arabes. Ils les font monter dès l’âge de sept ou huit mois par de jeunes enfants, qui les promènent et les font courir à petites re- prises : ils les dressent ainsi peu à peu, et leur font souffrir de grandes diètes ; mais ils ne les montent pour aller en course que quand ils ont six ou sept ans, et ils leur font supporter alors des fatigues incroyables ! , comme de marcher deux ou trois jours sans s'arrêter , d'en passer quatre ou cinq sans autre nourriture qu'une poignée d'herbe de huit heures en huit heures, et d'être en même temps vingt-quatre heures sans boire, ete. Ces chevaux, qui paraissent , et qui sont en effet si robustes dans leur pays, dépérissent dès qu'on les transporte à la Chine et aux Indes ; mais ils réussissent assez en Perse eten Turquie. Les Petits-Tartares ont aussi une race de petits chevaux dont ils font tant de cas, qu'ils ne se permettent jamais de les vendre à des étrangers. Ces chevaux ont toutes les bon- nes etmauvaises qualités de ceux dela Grande- Tartarie, ce qui prouve combien les mêmes mœurs et la même éducation donnent le même naturel et la même habitude à ces animaux, II y à aussi en Circassie et en Mingrélie beaucoup de chevaux qui sont même plus beaux que les chevaux tartares : on trouve encore d'assez beaux chevaux en Ukraine, en Valachie, en Pologne et en Suède ; mais nous n'avons pas d'observations particulières de leurs qualités et de leurs défauts. Maintenant, si l'on consulte les anciens sur la nature et les qualités des chevaux des diffé- rents pays, on trouvera * que les chevaux de Grèce, et surtout ceux de la Thessalie et de l'Épire, avaient de la réputation, et étaient très-bons pour la guerre; que ceux de l'Achaïe étaient les plus grands que l'on connût ; que les plus beaux de tous étaient ceux d'Égypte, où il y en avait une très-srande quantité , et où Salomon envoyait en acheter à un très-grand prix ; qu’en Éthiopie les chevaux réussissaient mai à cause de la trop grande chaleur du cli- mat ; que l'Arabie et l'Afrique fournissaient les chevaux les mieux faits, et surtout les plus lé- gers et les plus propres à la monture et à la course; que ceux de l'Italie, et surtout de la Voyez Palafox, page 427; le recueil des voyages du Nord, Rouen, 1716, tome LI, page 156; Tavernier, tome 1, page 472 et suiv.; Histoire générale des Voyages, tome VI, page 605, et lome VII, page 244. ? Voyez Aldrovand, Histoire naturelle des Solipèdes, pag. 13—65. HISTOIRE NATURELLE Pouille, étaient aussi très-bons ; qu'en Sicile, Cappadoce, Syrie, Arménie, Médie et Perse, il y avait d'excellents chevaux , et recomman- dables par leur vitesse et leur légèreté ; que ceux de Sardaigne et de Corse étaient petits, mais vifs et courageux ; que ceux d'Espagne ressemblaient à ceux des Parthes et étaient ex- cellents pour la guerre; qu'il y avait aussi en Transylvanie et en Valachie des chevaux à tête légère, à grands crins pendants jusqu'à terre et à queue touffue, qui étaient très-prompts à la course ; que les chevaux danois étaient bien faits et bons sauteurs ; que ceux de Scandinavie étaient petits, mais bien moulés et fort agiles ; que les chevaux de Flandre étaient forts ; que les Gaulois fournissaient aux Romains de bons chevaux pour la monture et pour porter des fardeaux ; que les chevaux des Germains étaient mal faits et si mauvais, qu'ils ne s'en servaient pas ; que les Suisses en avaient beau- coup et de très-bons pour la guerre; que les chevaux de Hongrie étaient aussi fort bons; et enfin, que les chevaux des Indes étaient fort petits et très-faibles. Il résulte de tous ces faits, que les chevaux arabes ont été de tous temps et sont encore les premiers chevaux du monde, tant pour la beauté que pour la bonté; que c’est d'eux que l'on tire, soit immédiatement, soit médiatement par le moyen des barbes , les plus beaux che- vaux qui soient en Europe, en Afrique et en Asie ; que le climat de l'Arabie est peut-être le vrai climat des chevaux, et le meilleur de tous les climats, puisqu'au lieu d’y croiser les races par des races étrangères, on a grand soin de les conserver dans toute leur pureté; quesi ce climat n'est pas par lui-même le meilleur climat pour les chevaux, les Arabes l'ont rendu tel par les soins particuliers qu'ils ont pris, de tous temps, d'anoblir les races , en ne mettant ensemble que les individus les mieux faits et de la première qualité; que par cette attention suivie pendant des siècles ils ont pu perfectionner l'espèce au- delà de ce que la nature aurait fait dans le meilleur climat. On peut encore en conclure que les climats plus chauds que froids , et sur- tout les pays secs , sont ceux qui conviennent le mieux à la nature de ces animaux; qu’en gé- néral les petits chevaux sont meilleurs que les grands ; que le soin leur est aussi nécessaire à tous que la nourriture ; qu'avec de la familiarité et des caresses on en tire beaucoup plus que DU CHEVAL. par la force et les châtiments ; que les chevaux des pays chauds ont les os, la corne, les mus- cles , plus durs que ceux de nos climats , que, quoique la chaleur convienne mieux que le froid à ces animaux, cependant le chaud excessif ne leur convient pas; que le grand froid leur est contraire ; qu'enfin leur habitude et leur natu- rel dépendent presqu’en entier du climat, de la nourriture , des soins et de l'éducation. En Perse, en Arabie et dans plusieurs autres lieux de l’orient, on n’est pas dans l’usage de hongrer les chevaux, comme on le fait si géné- ralement en Europe et à la Chine. Cette opéra- tion leur Ôte beaucoup de force, de courage, de fierté, ete. ; mais leur donne de ÿa douceur, de la tranquillité, de la docilité. Pour la faire, on leur attache les jambes avec des cordes, on les renverse sur le dos , on ouvre les bourses avec un bistouri, on en tire les testicules , on coupe les vaisseaux qui y aboutissent et les ligaments qui les soutiennent, et après les avoir enlevés on referme la plaie, eton a soin de faire baigner le cheval deux fois par jour, pendant quinze jours, ou de l’étuver souvent avec de l’eau frai- che, et de le nourrir pendant ce temps avec du son détrempé dans beaucoup d’eau, afin de le rafraichir. Cette opération se doit faire au prin- temps ou en automne; le grand chaud et le grand froid y étant également contraires. A l’é- gard de l’âge auquel on doit la faire, il y a des usages différents : dans certaines provinces on hongre les chevaux dès l’âge d’un an ou dix-huit mois, aussitôt que les testicules sont bien ap- parents au-dehors ; mais l’usage le plus général et le mieux fondé est de ne les hongrer qu’à deux et même trois ans , parce qu’en les hon- grant tard ils conservent un peu plus des qua- lités attachées au sexe masculin. Pline! dit que les dents de lait ne tombent point à un cheval qu’on fait hongrer avant qu’elles soient tom- bées : j'ai été à portée de vérifier ce fait, et il ne s’est pas trouvé vrai. Les dents de lait tom- bent également aux jeunes chevaux hongres et aux jeunes chevaux entiers, et il est probable que les anciens n'ont hasardé ce fait que parce qu'ils l’ont cru fondé sur l’analogie de la chute des cornes du cerf, du chevreuil, ete., qui, en effet, ne tombent point lorsque l'animal a été coupé. Au reste, un cheval hongre n’a plus la 4 Voy. Pline, Histoire naturelle, in-8o, Paris, 4685, tome II, liv. 11, parag. Lxx1Y, page 558. 111. . 545 puissance d'engendrer, mais il peut encore s’ac- coupler, et l’on en a vu des exemples. Les chevaux , de quelque poil qu'ils soient, muent comme presque tous les autres animaux couverts de poil, et cette mue se fait une fois l'an, ordinairement au printemps, etquelquefois enautomne. Ils sont alors plus faibles que dans les autres temps; il faut les ménager, les soi- guer davantage, et les nourrir un peu plus lar- gement. Il y a aussi des chevaux qui muentde corne; cela arrive surtout à ceux qui ont été élevés dans des pays humides et marécageux, comme en Hollande. Les chevaux hongres et les juments hennis- sent moins fréquemment que les chevaux en- tiers: ils ont aussi la voix moins pleine etmoins grave. On peut distinguer dans tous cinq! sortes de hennissements différents , relatifs à différentes passions : le hennissement d’allé- gresse, dans lequel la voix se fait entendre assez longuement, monte et finit à des sons plus ai- gus ; le cheval rue en même temps, mais lége- rement , et ne cherche point à frapper; le hen- nissement du désir, soit d'amour, soit d’atta- chement, dans lequel le cheval ne rue point, et la voix se fait entendre longuementet finit par des sons plus graves : le hennissement de la co- lère , pendant lequel le cheval rue et frappe dangereusement , est très-court et aigu. Celui de la crainte, pendant lequel il rue aussi, n’est guère plus long que celui de la colère ; la voix est grave, rauque, et semble sortir en entier des naseaux : ce hennissement est assez semblable au rugissemgnt d'un lion ; celui de la douleur est moins un bennissement qu’un gémissement ou ronflement d’oppression qui se fait à voix grave, et suit les alternatives de la respiration. Au reste, on a remarqué que les chevaux qui hennissent le plus souvent, surtout d'allégresse et de désir, sont les meilleurs et les plus géné- reux : les chevaux entiers ont aussi la voix plus forte que les hongres et les juments. Dès Ja naïs- sance le mâle a la voix plus forte que la femelle; à deux ans ou deux ans et demi , c’est-à-dire à l’âge de puberté, la voix des mâles et des fe- melles devient plus forte et plus grave , comme dans l'homme et dans la plupart des autres ani- maux. Lorsque le cheval est passionné d'amour, de désir, d’appétit, il montreles dents et semble rire ; il les montre aussi dans la colère et lors- 1 Vide Cardan, de Rerum Varietate, lib, XIF, cap. 32. 55 qu'il veut mordre; il tire quelquefois la langue pour lécher, mais moins frequemment que le bœuf, qui lèche beaucoup plus que le cheval, et qui cependant est moins sensible aux caresses : le cheval se souvient aussi beaucoup plus long- temps des mauvais traitements, et il se rebute bien plus aisément que le bœuf. Son naturel ardent et courageux lui fait donner d'abord tout ce qu'il possède de forces ; et lorsqu'il sent qu'on exige encore davantage, il s'indigne et refuse, au lieu que le bœuf, qui de sa nature estlentet paresseux, s'excède et se rebute moins aisément. Le cheval dortheaucoup moins que l'homme. Lorsqu'il se porte bien il ne demeure guère que deux ou trois heures de suite couché ; il se re- lève ensuite pour manger, et lorsqu'il a été trop fatigué ilse couche une seconde fois, après avoir mangé ; mais en tout il ne dort guère que trois ou quatre heures en vingt-quatre. Il y a même des chevaux qui ne se couchent jamais et qui dorment toujours debout; ceux qui se couchent dorment aussi quelquefois sur leurs pieds : on a remarqué que les hongres dorment plus sou- vent et plus longtemps que les chevaux entiers. Les quadrupèdes ne boivent pas tous de la même manière , quoique tous soient également obligés d'aller chercher avec la tête la liqueur qu'ils ne peuvent saisir autrement, à l'exception du singe, du maki et de quelques autres , qui ont des mains , et qui par conséquent peuvent boire comme l'homme, lorsqu'on leur donne un vase qu'ils peuvent tenir ; car ils le portent à la bouche, l'inclinent, versent la liqueur , et l'ava- lent par le simple mouvement de la dégluti- tion : l’homme boit ordinairement de cette ma- nière, parce que c’est en effet la plus commode; mais il peut encore boire de plusieurs autres fa- çons, en approchant les lèvres et les contrac- tant pour aspirer la liqueur, ou bien en y en- foncant lenez et la bouche assez profondément pour que la langue en soit environnée et n'ait d'autre mouvement à faire que celui qui est nécessaire pour la déglutition; ou encore en mordant, pour ainsi dire, la liqueur avec les lè- vres, owenfin, quoique plus difficilement, en tirant la langue, l'élargissant , et formant une espèce de petit godet quirapporte un peu d'eau dans la bouche : la plupart des quadrupèdes pourraient aussi chacun boire de plusieurs ma- nières, mais ils font comme nous, ils choisis- sent celle qui leur est la plus commode et la “ HISTOIRE NATURELLE suivent constamment. Le chien, dont la gueule est fort ouverte et la langue longue et mince, boit en lapant, c'est-à-direen léchant laliqueur, et formant avec la langue un godet qui se rem- plit à chaque fois et rapporte une assez grande quantité de liqueur ; il préfère cette façon à celle de se mouiller le nez : le cheval au con- traire, qui a la bouche plus petite et la langue trop épaisse et trop courte pour former un grand godet, et qui d'ailleurs boit encore plus avidement qu'il ne mange, enfonce la bouche et le nez brusquement et profondément dans l'eau, qu'il avale abondamment par le simple mouvement de la déglutition ; mais cela même le force à boire tout d'une haleine, au lieu que le chien respire à son aise pendant qu'il boit: aussi doit-on laisser aux chevaux la liberté de boire à plusieurs reprises, surtout après une course, lorsque le mouvement de la respiration est court et pressé. On ne doit pas non plus leur laisser boire de l'eau trop froide, parce qu'indépendammentdes coliques que l’eau froïde cause souvent, il leur arrive aussi , par la né- cessité où ils sont d'y tremper les naseaux, qu'ils se refroidissent le nez, s’enrhument, et prennent peut-être les germes de cette maladie à laquelle on a donné le nom de morve, la plus formidable de toutes pour cette espèce d’ani- maux : car on sait depuis peu que le siége dela morve est dans la membrane pituitaire!; que c'est par conséquent un vrai rhume, qui à la longue cause une inflammation dans cette mem- brane. Et d'autre côté, les voyageurs, qui rap- portent dans un assez grand détail les maladies des chevaux dans les pays chauds, comme l'A- rabie, la Perse, la Barbarie, ne disent pas que la morve y soit aussi fréquente que dans les climats froids : ainsi je crois être fondé à con- jecturer que l’une des causes de cette maladie est la froideumde l’eau, parce que ces animaux sont obligés d'y enfoncer et d'y tenir le nez et les naseaux pendant un temps considérable, ce que l'on préviendrait en ne leur donnant ja- mais d’eau froide , et en leur essuyant toujours les naseaux après qu'ils ont bu. Les ânes, qui craignent le froid beaucoup plus que les che- vaux, et qui leur ressemblent si fort par la structure intérieure, ne sont cependant pas si sujets à la morve, ce qui ne vient peut-être que ‘M. dela Fosse, maréchal du roi, a le premier démontré que le premier siége de la morve est dans la membrane pitui- taire ; ét il a essayé de guérir des chevaux en les trépanant, DU de ce qu'ils boivent différemment des chevaux : car au lieu d’enfoncer profondément la bouche et le nez dans l’eau, ils ne font presque que l’atteindre des lèvres. Je ne parlerai pas des autres maladies des chevaux. Ce serait trop étendre l'histoire na- furelle que de joindre à l'histoire d’un animal celle de ses maladies ; cependant je ne puis ter- miner l’histoire du cheval sans marquer quel- ques regrets de ce que la santé de cet animal utile et précieux a été jusqu'à présent aban- donnée aux soins et à la pratique, souvent aveugles, de gens sans connaissance et sans let- tres. La médecine que les anciens ont appelée médecine. vétérinaire n'est presque connue que de nom : je suis persuadé que si quelque médecin tournait ses vues de ce côté-là, et fai- sait de cette étude son principal objet, il en se- rait bientôt dédommagé par d’amples succès ; que non-seulement il s'enrichirait, mais même qu'au lieu de se dégrader il s’illustrerait beau- coup, et cette médecine ne serait pas si conjec- turale et si difficile que l’autre : la nourriture, les mœurs , l'influence du sentiment , toutes les causes en un mot étant plus simples dans l’a- nimal que dans l’homme, les maladies doivent aussi être moins compliquées, et par consé- quent plus faciles à juger et à traiter avec suc- ces; sans compter la liberté qu’on aurait tout entière de faire des expériences, de tenter de nouveaux remèdes , et de pouvoir arriver sans crainte et sans reproches à une grande étendue de connaissances en ce genre, dont on pourrait même , par analogie, tirer des inductions utiles à l’art de guérir les hommes. PREMIÈRE ADDITION. Nous avons donné la manière dont on traite les chevaux en Arabie, ct le détail des soins particuliers que l’on prend pour leur éducation. Ce pays sec et chaud, qui parait être la pre- mière patrie et le climat le plus convenable à l'espèce de ce bel animal , permet ou exige un grand nombre d'usages qu'on ne pourrait éta- blir ailleurs avec le même succès. Il ne serait pas possible d'élever et de nourrir les chevaux en France et dans les contrées septentrionales, comme on le fait dans les climats chauds ; mais les gens qui s'intéressent à ces animaux utiles seront bien aises de savoir comment on les traite dans les climats moins heureux que celui de CHE VAL. 547 l'Arabie, et comment ils se conduisent et savent se gouverner eux-mêmes lorsqu'ils se trouvent indépendants de l'homme. Suivant les différents pays et selon les diffé- rents usages auxquels on destine les chevaux, on les nourritdifféremment, Ceux dé racearabe, dont on veut faire des coureurs pour la chasse, en Arabie et en Barbarie , ne mangent que ra- rement de l'herbe et du grain, On ne les nour- rit ordinairement que de dattes et de lait de chameau qu'on leur donne le soir et le matin ; ces aliments , qui les rendent plutôt maigres que gras , les rendent en même temps très-ner- veux et fort légers à lacourse. Ils tettent même les femelles des chameaux , qu'ils suivent, quelque grands qu'ils soient !, et ce n'est qu'à l'âge de six ou sept ans qu'on commence à les monter. En Perse on tient les chevaux à l'air dans la campagne le jour et la nuit, bien couverts néan- moins contre les injures du temps, surtout l'hi- ver, non-seulement d'une couverture de toile mais d’une autre par-dessus qui est épaisse et tissue de poil , et qui les tient chauds et les dé- fend du serein et de la pluie. On prépare une place assez grande et spacieuse, selon le nombre des chevaux , sur un terrain sec et uni, qu'on balaie et qu'on accommode fort proprement ; on les y attache a côté l'un de l’autre à une corde assez longue pour les contenir tous, bien tendue et liée fortement par les deux bouts à deux chevilles de fer enfoncées dans la terre; on leur lâche néanmoins le licou auquel ils sont liés, autant qu'il le faut pour qu'ils aient la li- berté de se remuer à leur aise. Mais pour les empècher de faire aucune violence, on leur at- tache les deux pieds de derrière à une corde as- sez longue qui se partage en deux branches , avec des boucles de fer aux extrémités , où l’on place une cheville enfoncée en terre au-devant des chevaux , sans qu'ils soient néanmoins ser- rés si étroitement qu'ils ne puissent se coucher, se lever et se tenir à leur aise, mais seulement pour les empêcher de faire aucun désordre; et quand on les met dans des écuries, on les at- tache et on les tient de la même façon. Cette pratique est si ancienne chez les Persans, qu'ils l'observaient dès le temps de Cyrus, au rapport de Xénophon. Ils prétendent , avec as- sez de fondement, que ces animaux en devien- 4 Voyage de Marmol, tome 1, page 50. 548 HISTOIRE NATURELLE nent plus doux, plus traitables, moins hargneux entre eux ; ce qui est utile à la guerre, où les chevaux inquiets incommodent souvent leurs voisins lorsqu'ils sont serrés par escadrons. Pour litière on ne leur donne en Perse que du sable et de la terre en poussière bien sèche, sur la- quelle ils reposent et dorment aussi bien que sur la paille‘. Dans d’autres pays, comme en Arabie et au Mogol, on fait sécher leur fiente que l’on réduit en poudre , et dont on leur fait un lit très-doux ?. Dans toutes ces contrées, on ne les fait jamais manger à terre ni même à un râtelier; mais on leur met de l'orge et de la paille hachée dans un sac qu'on attache à leur tête , car il n'y a point d'avoine, et l’on ne fait guère de foin dans ce climat. On leur donne seulement de l’herbe ou de l'orge en vert au printemps, et en général on a grand soin de ne leur fournir que la quantité de nourriture nécessaire ; car lersqu'on les nourrit trop lar- gement, leurs jambes se gonflent, et bientôt ils ne sont plus de service. Ces chevaux aux- quels on ne met point de bride et que l’on monte sans étriers se laissent conduire fort aisément; ils portent la tête très-haute au moyen d'un simple petit bridon , et courent très-rapidement et d’un pas très-sûr dans les plus mauvais ter- rains. Pour les faire marcher, on n’emploie point la houssine et fort rarement l’éperon ; si quelqu'un en veut user, il n’a qu’une petite pointe cousue au talon de sa botte. Les fouets dont on se sert ordinairement ne sont faits que de petites bandes de parchemin nouées et cor- delées ; quelques petits coups de ce fouet suffi- sent pour les faire partir et les entretenir dans le plus grand mouvement. Les chevaux sont en si grand nombre en Perse, que quoiqu'ils soient très-bons, ils ne sont pas fort chers. Il y en a peu de grosse et grande taille, mais ils ont tous plus de force et de courage que de mine et de beauté. Pour voyager avec moins de fatigue, on se sert de chevaux qui vont l’'amble, et qu'on a précé- demment accoutumés à cette allure, en leur attachant par une corde le pied de devant à celui de derrière, du même côté; et dans la jeunesse on leur fend les naseaux, dans l'i- dée qu'ils en respirent plus aisément; ils sont si bons marcheurs, qu'ils font très-aisément * Voyage della Valle, Rouen, 4745, in-12, tome V, page 284 jusqu'à 302. ? Voyage de Thévenot, tome III, pag. 129 et suivantes. sept à huit lieues de chemin sans s'arrêter. Mais l'Arabie, la Barbarie et la Perse ne sont pas les seules contrées où l’on trouve de beaux et bons chevaux ; dans les pays même les plus froids , s'il ne sont point humides, ces animaux se maintiennent mieux que dans les climats très-chauds. Tout le monde connaît la beauté des chevaux danois, et la bonté de ceux de Suède, de Pologne, etc. En Islande, où le froid est excessif, et où souvent on ne les nourrit que de poisson desséché , ils sont très-vigou- reux, quoique petits?; il y en a même de si petits, qu'ils ne peuvent servir de monture qu'à des enfants *. Au reste ils sont si communs dans cette ile, que les bergers gardent leurs trou- peaux à cheval; leur nombre n’est point à charge, car ils ne coûtent rien à nourrir. On mène ceux dont on n'a pas besoin dans les montagnes, où on les laisse plus ou moins de temps après les avoir marqués ; et lorsqu'on veut les reprendre, on les fait chasser pour les ras- sembler en troupe, et on leur tend des cordes pour les saisir, parce qu'ils sont devenus sau- vages. Si quelques juments donnent des pou- lains dans ces montagnes, les propriétaires les marquent comme les autres et les laissent là trois ans. Ces chevaux de montagne deviennent communément plus beaux , plus fiers etplus gras que tous ceux qui sont élevés dans les écuries#. Ceux de Norwége ne sont guère plus grands, mais bien proportionnés dans leur petite taille ; ils sont jaunes pour la plupart, et ont une raie noire qui leur règne tout le long du dos; quel- ques-uns sont châtains, et il y en a aussi d'une couleur de gris-de-fer. Ces chevaux ont le pied extrêmement sür; ils marchent ayec précau- tion dans les sentiers des montagnes escarpées, et se laissent glisser en mettant sous le ventre les pieds de derrière lorsqu'ils descendent un terrain raide et uni. Ils se défendent contre l'ours; et lorsqu'un étalon aperçoit cet animal vorace , et qu'il se trouve avec des poulains ou des juments, il les fait rester derrière Jui, va ensuite attaquer l'ennemi, qu'il frappe avec ses pieds de devant, et ordinairement il le fait pé- rir sous ses coups. Mais si le cheval veut se défendre par des ruades, c’est-à-dire ayec les 1 Voyage della Valle, Rouen, 4745, in-12, tome V, page 284 jusqu'à 502, 2 Recueil des voyages du Nord. Rouen, 1716 tome L page 18. # Description de l'Islande, ete., par Jean Anderson, p.79. 4 Histoire générale des Voyages, tome XVIII, page 19, DU CHEVAL. 549 pieds de derrière, il est perdu sans ressource; car l'ours lui saute d’abord sur le dos et le serre si fortement, qu'il vient à bout de l’étouffer et | de le dévorer ‘. Les chevaux de Nordland ont tout au plus quatre pieds et demi de hauteur. À mesure qu'on avance vers le nord les chevaux deviennent | petits et faibles. Ceux de la Nordland occiden- tale sont d’une forme singulière ; ils ont la tête grosse, de gros yeux , de petites oreilles, le cou fort court, le poitrail large, le jarret étroit , le corps un peu long, mais gros , les reins courts entre queue et ventre, la partie supérieure de la jambe longue, l'inférieure courte, le bas de la jambe sans poil , la corne petite et dure, la queuë grosse, les crins fournis, les pieds petits, sûrs et jamais serrés ; ils sont bons, rarement rétifs et fantasques, grimpant sur toutes les montagnes. Les pâturages sont si bons en Nord- land, que lorsqu'on amène de ces chevaux à Stockholm, ils y passent rarement une année sans dépérir ou maigrir et perdre leur vigueur. Au contraire, les chevaux qu'on amène en Nordland , des pays plus septentrionaux, quoi- que malades dans la première année, y repren- nent leurs forces ?. L'excès du chaud et du froid semble être éga- lement contraire à la grandeur de ces animaux: au Japon, les chevaux sont généralement petits, cependant il s’en trouve d'assez bonne taille, et ce sont probablement ceux qui viennent des pays de montagnes, et il en est à peu près de même à la Chine. Cependant on assure que ceux du Tonquin sont d'une taille belle et nerveuse, qu'ils sont bons à la main, et de si bonne na- | ture, qu'on peut les dresser aisément, et les | rendre propres à toutes sortes de marches*. Ce qu'il y a de certain , c'est que les chevaux | qui sont originaires des pays secs et chauds dé- génèrent , et même ne peuvent vivre dans les climats et les terrains trop humides , quelque chauds qu'ils soient ; au lieu qu’ils sont très- bons dans tous les pays de montagnes, depuis le climat de l'Arabie jusqu'en Danemarck et en Tartarie, dans notre continent, et depuis la Nouvelle-Espagne jusqu'aux terres Magellani- ques dans le nouveau continent: ce n’est done * Essai d'une histoire naturelle de la Norwége, par Pontop- pidam , Journal étranger, mois de juin 1756. 3 Histoire générale des Voyages, tome XIX, page 561. 5 Histoire du Touquin , par le P. de Rhodes, jésuite, p. 51 et suivantes. ni le chaud ni le froid, mais l'humidité seule qui leur est contraire. On sait que l'espèce du cheval n'existait pas dans ce nouveau continent, lorsqu'on en a fait la découverte ; et l’on peut s'étonner avec rai- son de leur prompte et prodigieuse multiplica- tion : care n moins de deux cents ans, le petit nombre de chevaux qu'on y a transportés d'Eu- rope s’est si fort multiplié, et particulièrement au Chili, qu'ils y sont à très-bas prix. Frezier dit que cette prodigieuse multiplication est d'autant plus étonnante, que les Indiens man- gent beaucoup de chevaux , et qu'ils les ména- gent si peu pour le service et le travail, qu'il en meurt un très-grand nombre par excès de fatigue". Les chevaux que les Européens ont transportés dans les parties les plus orientales de notre continent, comme aux îles Philippines, y'ont aussi prodigieusement multiplié ?. En Ukraine Ÿ, et chez les Cosaques du Don, les chevaux vivent errants dans les campagnes. Dans le grand espace de terre compris entre le | Don et le Niepper , espace très-mal peuplé , les chevaux sont en troupes de trois, quatre ou cinq cents, toujours sans abri, même dans la saison où la terre est couverte de neige ; ils dé- tournent cette neige avec le pied de devant pour chercher et manger l'herbe qu’elle recouvre. Deux ou trois hommes à cheval ont le soin de conduire ces troupes de chevaux ou plutôt de les garder, car on les laisse errer dans la campa- gne, et ce n’est que dans les temps des hivers les plus rudes qu’on cherche à les loger pour quel- ques jours dans les villages, qui sont fort éloignés les uns des autres dans ce pays. On a fait sur ces troupes de chevaux, abandonnés pour ainsi dire à eux-mêmes, quelques observations qui semblent prouver que les hommes ne sont pas les seuls qui vivent en société, et qui obéissent de concert, au commandement de quelqu'un d’entre eux. Chacune de ces troupes de chevaux a un cheval-chef qui la commande, qui la guide, qui la tourne et range quand il faut marcher ou 4 Voyage de Frezier dans la mer du Sud, etc., p. 67, in-4°, Paris, 1732. 2 Voyage de Gemelli Careri, tome V, page 162. 5 Dans l'Ukraine il ya des chevaux qui vont par troupes de cinquante ou soixante; ils ne sont pas capables de service, mais ils sont bons à manger , leur chair est agréable à voir et plus tendre que celle du veau, et le peuple la mange avec du poivre. Les vieux chevaux , n'étant point faits pour être dressés, sont engraissés pour la boucherie, où on les vend chez les Tartares au prix du bœuf et du mouton. Description de l'Ukraine, par Beauplan, BRU s'arrêter; ce chef commande aussi l'ordre et les mouvements nécessaires , lorsque la troupe est attaquée par des voleurs où par les loups. Cechef est tres-vigilant et toujours alerte; il fait sou- vent le tour de sa troupe; et si quelqu'un de ses chevaux sort du rang ou reste en arrière, il court à lui, le frappe d'un coup d'épaule et lui fait prendre sa place. Ces animaux, sans être montés ni conduits par les hommes , marchent en ordre à peu près comme notre cavalerie. Quoiqu'ils soient en pleine liberté, ils paissent en files et par brigades, et forment différentes compagnies, Sans se séparer ni se mêler. Au reste, le cheval-chef occupe ce poste , encore plus fatigant qu'important , pendant quatre ou cinq ans; et lorsqu'il commence à deve- nir moins fort et moins actif, un autre cheval, ambitieux de commander, et qui s'en sent la force, sort de la troupe, attaque le vieux chef, qui garde son commandement s'il n’est pas vaineu , mais qui rentre avec honte dans le gros de la troupe s’il a été battu , et le cheval victo- rieux se met à la tête de tous les autres et s’en fait obéir!. _ En Finlande, au mois de mai, lorsque les neiges sont fondues , les chevaux partent de chez leurs maîtres et s'en vont dans de certains cahtons des forêts, où il semble qu'ils se soient donné rendez-vous. Là ils forment des trou- pes différentes, qui ne se mêlent ni ne se sépa- rent jamais ; chaque troupe prend un canton différent de la forêt pour sa pâture; ils s'en tiennent à un certain territoire et n'entrepren- nent point sur celui des autres. Quand la pâture- leur manque, ils décampent et vont s'établir dans d'autres pâturages avec le même ordre. La police de leur société est si bien réglée, et leurs marches sont si uniformes , que leurs mai- tres savent toujours où les trouver lorsqu'ils ont besoin d'eux; et ces animaux, après avoir fait leur service , retournent d'eux-mêmes vers leurs compagnons , dans les bois. Au mois de septembre, lorsque la saison devient mauvaise, ils quittent les forêts, s'en reviennent par trou- pes, et se rendent chacun à leur écurie. Ces chevaux sont petits, mais bons et vifs, sans être vicieux. Quoiqu'ils soient générale- ment assez dociles , il y en a cependant quel- ques-uns qui sé défendent lorsqu'on les prend, ou qu'on veut les attacher aux voitures ; ils se 4 Extrait d'un Mémoire fourni à M. de Buffon, par M. San- chez, ancien premier médecin des armées de Russie HISTOIRE NATURELLE portent à merveille, et sont gras quand ils re- viennent de la forêt; mais l'exercice presque continuel qu'on leur fait faire l'hiver, et le peu de nourriture qu'on leur donne, leur fait bien- tôt perdre cet embonpoint. Ils se roulent sur la neige comme les autres chevaux se roulent sur l'herbe. Ils passent indifféremment les nuits dans la cour comme dans l'écurie , lors même qu'il fait un froid très-violent ‘. Ces chevaux qui vivent en troupes et souvent éloignés de l'empire de l'homme font la nuance entre les chevaux domestiques et les chevaux sauvages. Il s'en trouve de ces derniers à l’ile de Sainte-Hélène , qui, après y avoir été trans- portés, sont devenus si sauvages et si farouches, qu'ils se jetteraient du haut des rochers dans la mer plutôt que de se laisser prendre ?. Aux en- virons de Nippes , il s’en trouve qui ne sont pas plus grands que des ânes, mais plus ronds, plus ramassés et bien proportionnés ; ils sont vifs et infatigables, d’une force et d’une res- source fort au-dessus de ce qu'on en devrait attendre. A Saint-Domingue, on n’en voit point de la grandeur des chevaux de carrosse, mais ils sont d’une taille moyenne et bien prise. On en prend quantité avee des piéges et des nœuds coulants. La plupart de ces chevaux ainsi pris sont ombrageux *. On en trouve aussi dans la Viroinie, qui, quoique sortis de cavales privées, sont devenus si farouches dans les bois, qu'il est difficile de les aborder, et ils appartiennent à celui qui peut les prendre ; ils sont ordinaire- ment si revêches, qu'il est très-difficile de les dompter *. Dans la Tartarie, surtout dans le pays entre Urgentz et la mer Caspienne, on se sert, pour chasser les chevaux sauvages, qui y sont communs , d'oiseaux de proie dressés pour cette chasse: on les accoutume à prendre l'animal par la tête et par le cou, tandis qu'il se fatigue sans pouvoir faire lâcher prise à l'oi- seau”. Les chevaux sauvages du pays des Tar- tares Mongoux et Kakas ne sont pas différents de ceux qui sont privés ; on les trouve en plus grand nombre du côté de l'ouest, quoiqu'il en 4 Journal d'un voyage au Nord, par M. Outhier, en 1756 et 1737. Amsterdam, 1746. 2 Voyez Mémoires pour servir à l'histoire des Indes orien- tales, page 199. : Nouveau Voyage aux Îles de l'Amérique, tome V, pages 192 et suivantes. Paris, 1722. 4 Histoire de la Virginie. Orléans, page 406. : Histoire générale des Voyages, tome VII, page 156. DU CHEVAL. paraisse aussi quelquefois dans le pays des Ka- ‘kas qui borde le Harni. Ces chevaux sauvages sont si légers, qu’ils se dérobent aux flèches même des plus habiles chasseurs. Ils marchent en troupes nombreuses ; et lorsqu'ils rencon- trent des chevaux privés, ils les environnent et les forcent à prendre la fuite. On trouve encore au Congo des chevaux sauvages en assez bon nombre ‘. On en voit quelquefois aussi aux environs du cap de Bonne-Espérance; mais on ne les prend pas , parce qu’on préfère les che- vaux qu'on y amène de Perse ?. J'ai dit à l’article du cheval, que par toutes les observations tirées des haras, le mâle parait influer beaucoup plus que la femelle sur la pro- géniture , et ensuite je donne quelques raisons qui pourraient faire douter de la vérité générale de ce fait, et qui pourraient en même temps laisser croire que le mâle et la femelle influent . également sur leur production. Maintenant je me suis assuré depuis, par un très-grand nombre d'observations , que non-seulement dans les chevaux, mais même dans l’homme et dans toutes les autres espèces d’animaux , le mâle influe beaucoup plus que la femelle sur la forme extérieure du produit , et que le mâle est le prineipal type des races dans chaque espèce. J'ai dit que, dans l'ordonnance commune de la nature, ce ne sont pas les mâles, mais les femelles, qui constituent l’unité de l’espèce : mais cela n'empêche pas que le mâle ne soit le vrai type de chaque espèce; et ce que j'ai dit de l’unité doit s entendre seulement de la plus grande facilité qu’a la femelle de représenter toujours son espèce , quoiqu’elle se prête à dif- férents mâles. Nous avons discuté ce point avec grande attention dans l’article du serin, et dans l’article mulet: en surte que, quoique la femelle paraisse influer plus que le mâle sur le spéei- fique de l’espèce, ce n’est jamais pour la per- fectionner, le mâle seul étant capable de la maintenir pure et de la rendre plus parfaite. DEUXIÈME ADDITION. Sur ce que j'ai dit, d’après quelques voya- geurs *, qu'il y avait des chevaux sauvages à 1 11 Genio vagante del conte Aurelio degli Auzi. In Parma, tom. II, page 475. 3 Description du Cap, par Kolbe, tome III, page 20. 5 Voyez les Mémoires pour servir à l'Histoire des Indes orientales, page 199. 551 l'ile de Sainte-Hélène, M. Forster m'a écrit qu'il y avait tout lieu de douter de ce fait. J'ai, dit-11, parcouru cette ile d'un bout à l'autre, sans y avoir rencontré de chevaux sauvages, et l'on m'a même assuré qu'on n'en avait jamais entendu parler et à l'égard des chevaux domestiques et nés dans l'ile, je fus informé qu'on n’en élevait qu'un petit nombre pour la monture des personnes d'un certain rang ; eb ri plutôt que deles propager dans l'ile même, on fait venir la plupart des chevaux dont on a besoin des terres du cap de Bonne-Espérance, où ils sont en grand ombre, et où on les achète à un prix modéré Les habitants, de l'ile prétendent que si l'on en nourrissait uo plus grand nombre, cela serait préjudiciable à la pâture des bœufs et des vaches, dont la compagnie des Indes tâche d'en- courager la propagation; et comme il y en a dejà deux mille six cents, et qu'on veut en augmenter le nombre jusqu'à trois mille, il n’est pas probable qu'on y laïssät vivre des chevaux sauvages, d'autant que l'ile n’a que trois lieues de diamètre, et qu'on les aurait au moins re- connus s'ils y eussent existé. Il y a encore un petit nom- bre de chèvres sauvages, qui diminue tous les jours, car les soldats de la garnison les tuent dès qu’elles se présen- tent sur les rebords ou bancs des montagnes qui entou- rent la vallée où se trouve le fort de James ; à plus forte raison tueraient-ils de même les chevaux sauvages s’il y en avait. : A l'égard des chevaux sauvages qui se trouvent dans toute l'étendue du milieu de l'Asie, depuis le Volga jus- qu'à la mer du Japon, ils paraissent être, dit M. Forster, les rejetons des chevaux communs qui sont devenus sau- yages. Les Tartares, habitants de tous ces pays, sont des pätres qui vivent du produit de leurs troupeaux , lesquels consistent principalement en chevaux quoiqu'ils possèdent aussides bæufs, des dromadaires et des brebis. Il y a des Kalmouks ou des Kirghizes qui ont des troupes de mille cheyaux qui sont toujours au désert pour } cher- cher leur nourriture. 11 est impossible de garder ces nombreux troupeaux assez soigneusement, pour que de temps en temps il ne se perde pas quelques chevaux qui deviennent sauvages, et qui, dans cel état même de liberté, ne laissent pas de s’attrouper ; on peut en donner un exemple récent. Dans l'expédition du czar Pierre Ier contre la ville d’Azoph, on avait envoyé les chevaux de l’armée au päturage ; mais on ne put jamais venir à bout de les rattraper tous; ces, chevaux devinrent sauyages avec le temps, et ils occupent actuellement le step ( dé- sert) qui est entre le Don, l'Ukraine et la Crimée : le nom tartare que l'on donne à ces chevaux en Russie et en Sibérie est tarpan. Il y a de ces tarpans dans les terres de l'Asie qui s'étendent depuis le 50° degré jusqu’au 30e de latitude. Les nations fartares, les Mongoux et les Mantchoux, aussi bien que les Cosaques du Jaïk, les tuent à la chasse pour en manger la chair. On a observé que ces chevaux sauyages marchent Loujours en Compa- gnie de quinze ou vingt, et rarement ea troupes plus nombreuses ; on rencontre seulement quelquefois un cheyal tout seul , mais ce sont ordinairt meut de jeunes cheyaux mâles, que le chef de la troupe force d'aban- donner sa compagnie lorsqu'ils sont parvenus à l'âge où ils peuvent lui donuer ombrage : le jeune cheval relégué tiche de trouver et de séparer quelques jeunes jumen(s des troupeaux voisins, sauyages ou domestiques, et de 552 les emmener avec lui, et il devient ainsi le chef d'une nouxelle troupe sauvage. Toutes ces troupes de tarpans vivent communément dans les déserts arrosés de ruis- seaux el fertiles en herbages ; pendant l'hiver ils cher- cheat et prennent leur päture sur les sommets des mon- lagnes, dont les vents ont emporté la neige : ils ont l'odorat très-fin, et sentent un homme de plus d'une demi-lieue: on les chasse et on les prend en les entourant et les enyeloppant avec des cordes enlacées. Ils ont une force surprenante, el ne peuvent être domptés lorsqu'ils ont ua certain âge, et mème les poulains ne s'apprivoi- sent que jusqu'à un certain point, car ils ne perdent pas entièrement leur férocité, et retiennent toujcurs une nature revêche. - ox sauvages sont, comme les chevaux do- pus de couleurs très-différentes ; on a seulement obserré que le brun, l'isabelle, et le gris de souris, sont les poils les plus communs : il n'y a parmi eux aucun cheval pie, et les noirs sont aussi extrêmement rares. Tous sont de petite taille, mais la tête est à proportion plus grande que dans les chevaux domestiques ; leur poil est bien fourni, jamais ras, et quelquefois même il est long et a © ils ont aussi les oreilles plus longues» plus pointues, et quelquefois rabattues de côté. Le front est arqué, elle museau garni de longs poils, la crinière est aussi très-touffue, et descend au delà du garrot : ils ont les jambes très-hautes, et leur queue ne descend ja- mais au delà de l’inflexion des jambes de derrière ; leurs yeux sont vifs et pleins de feu. DESCRIPTION DU CHEVAL. (EXTRAIT DE DAUBENTON.) De tous les animaux que nous avons à décrire, le cheval est le mieux connu , soit pour les parties extérieures de son corps, soit pour celles de l'inté- rieur ; il reçoit aussi de l'homme la plus belle édu- cation; tous ses mouvements , toutes ses allures, sont dirigés par un art qui a ses principes. C'est au manége qu'il faut voir tout ce que l'on fait appren- dre aux chevaux à force d'habitude, tout ce qu'on leur fait faire à l'aide du mors et de l’éperon, etc. ; cet art, qui n'est pas dédaigné par les princes et par les rois , met le cheval dans une carrière glo- rieuse : c'est là que l'on donne de la noblesse à son port, et de l'agrément à son maintien ; on met à l'épreuve toutes ses forces et toute sa légèreté, on le livre à sa plus grande vitesse, on augmente son ardeur, on anime son courage; enfin on éprouve sa constance, on cultive sa docilité, et on emploie toutes les ressources de son instinct. La science dont l'objet est d'affermir ou de rétablir la santé, d'éloigner la mortetde conserver la vie de l'homme, la médecine , n'exclut point le chevat dans la re- cherche de ses connaissances et dans l’administra- tion de ses remèdes; aussi s'est-il formé un art “ Nous ne donnerons qu'en extrait les articles addition- nels de Daubenton sur les animaux: il n'entre pas dans notre plan de reproduire les Descriplions anatomiques. DESCRIPTION. dans lequel on se propose de prévenir les maladies des chévaux, de les reconnaitre, de les juger et de les guérir, et de déterminer les opérations que l'on doit faire sur les différentes parties du cheval lors- qu'elles sont affligées. Ce même art s'étend à tous les besoins des chevaux; ceux qui l'exercent se dévouent à leur service; enfin ces animaux trou- vent dans les haras des soins particuliers et conti nuels pour la conservation et la propagation de leur espèce; et même ces soins influent sur eux avant qu'ils existent, car on contribue à la perfec- tion de leur être par le choix du mâle et de la fe- melle qui doivent les engendrer ; en combinant les qualités de l’étalon et de la jument , on a su pré- voir le résultat de leur mélange, et perpétuer la force et la beauté des chevaux, et la finesse de leur instinct. En faisant tant de recherches et d'observations sur les chevaux, on a formé, pour ainsi dire, un langage particulier , dont les termes sont affectés aux arts qui concernent ces animaux : ainsi on ne pourrait pas décrire le cheval d'une manière satis- faisante, si on ne commençait par donner l'intelli- gence de ces termes, en expliquant les dénomi- nations des différentes parties de son corps, et en énonçant leurs perfections ou leurs défauts, avant que de faire la description de cet animal, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Cette explication pré- liminaire est d'autant plus nécessaire, que la plu- part de ces termes serviront à la description de plusieurs autres animaux , car on verra dans la suite, qu'en les considérant tous par rapport à leurs différences ou à leurs ressemblances avec le corps humain, il se trouve que le cheval et les au- tres solipèdes sont ceux qui en diffèrent le plus, comme le singe et les autres animaux à cinq doigts sont ceux qui y ressemblent le plus. Le cheval et le singe seront donc les deux extrêmes dans la com- paraison que nous ferons des animaux : aussi nous commençons par l'histoire naturelle du cheval, et nous finirons par celle du singe, nous comparerons chaque animal au cheval ou au singe, selon qu'ils ressembleront plus à l'un ou à l’autre, et nous em- ploierons dans le premier cas les termes usités pour le cheval, et dans le second ceux qui sont en usage pour le corps humain, puisque le singe est de tous les animaux celui dont le corps diffère le moins da corps de l'homme. En expliquant les termes d'art qui ont rapport aux différentes parties extérieures du cheval, nous commencerons par celles de la tête, et nous sui- vrons l'ordre le plus naturel, qui est de rapporter les parties du corps avant de passer à celles des ex- tremités, quoique la plupart des auteurs qui ont écrit sur cette matière aient fait mention des ex- trémités antérieures avant qu'il fût question du corps. r DU CHEVAL. On appelle larmiers les deux parties de la tête du cheval qui correspondent aux tempes de la tête de l'homme. Les salières se trouvent entre l'œil et l'oreille, au-dessus des sourcils, une de chaque côté. . On ne distingue dans certains cas que deux par- ties dans l'œil, qui sont la vitre et le fond de l'œil; la vitre est la partie extérieure de l'œil, c'est-à-dire la cornée; le fond de l'œil signilie les parties inté- rieures, c'est-à-dire les parties que l'on aperçoit en regardant à travers la vitre par l'ouverture de la prunelle. On a aussi désigné le fond de l'œil par le mot de prunelle ; mais comment ce mot peut-il si- gnifier le fond de l'œil, puisque la prunelle ou la pupille n’est qu'une ouverture de l’uvée , qui com- munique dans l'intérieur de l'œil ? On donne le nom d’avives aux glandes parotides qui sont situées entre l'oreille et le coin de la ga- nache. Le chanfrein est le devant de la tête , depuis les yeux jusqu'aux naseaux ; cette partie correspond à la partie supérieure du nez de l'homme : mais le mot de chanfrein ne signifie, le plus souvent, qu'une bande de couleur blanche quis’'étend sur cette même partie, et occupe plus ou moins d'espace entre les yeux et les naseaux , comme nous le dirons dans la suite. Le cartilage qui forme le tour des naseaux, et qui les borde en haut et en devant, est appelé la Souris. Le bout du nez du cheval est la cloison qui sé- pare les deux naseaux ; cette partie est formée par le bas du chanfrein ; elle se termine à la lèvre su- périeure ; cependant Solleysel donne le nom de nez à la partie de cette lèvre qui est au-dessous des naseaux. La mâchoire inférieure des chevaux est appelée ganache ou ganasse ; les deux os de la ganache s'é- tendent des deux côtés de la tête, depuis l’œil jus- qu'à l'endroit près du gosier, et depuis le gosier jusqu'au menton. La barbe ou le barbouchet est l'endroit où les deux os de la ganache se réunissent au-dessus du menton et au-dehors de la mâchoire inférieure. On appelle canal, braie ou auget , la cavité qui est formée par les deux os de la ganache, et qui s'étend en forme de gouttière depuis le gosier jus- qu’à la barbe ; on nomme aussi du même nom de canal, la cavité dans laquelle la langue est logée. On a donné différents noms aux six dents inci- sives que le cheval a dans chaque mâchoire; on nomme pinces les deux dents du devant, celles qui touchent aux pinces sont appelées mitoyeñnes, et les dernières de chaque côté sont nommées les coins. Les deux dents canines qui sont dans chaque mä- choire , une de chaque côté , à quelque distance des BbE] incisives, portent le nom de erocs, crochets ou écail- lons. On nomme barres les espaces des deux mächoires qui sont vides entre les dents incisives et les mâ- chelières. Les inégalités ou les rides qui traversent le palais du cheval sont appelées erans ou sullons. Le cou du cheval est désigné par le mot d’enco- lure : ainsi l’encolure est bordée d'un bout à l'au- tre , en dessus par la crinière, et en dessous par le gosier. La partie de la crinière qui se trouve au-dessus de la tête entre les deux oreilles, et qui tombe sur le front , est nommée le toupet. Le gosier s'étend d’un bout à l’autre de l'enco- lure en dessous, depuis les os de la ganache jus- qu'au poitrail. L'endroit où les deux épaules s’approchent par le haut entre l’encolure et le dos est nommé garrot; c'est à cet endroit que finissent la crinière et l’en- colure Les épaules s'étendent depuis le garrot jusqu’au haut du bras, c'est-à-dire jusqu’à la partie supé- rieure de la jambe de devant, comme on le verra dans la suite. Il y a des chevaux turcs, barbes et espagnols, qui ont au cou ou à l'épaule , ou à la jonction du cou et de l'épaule, tantôt plus haut, tantôt plus bas, un creux assez profond que l’on appelle le coup de lance, parce qu'on a prétendu que cette marque venait originairement d’un étalon ture ou barbe, qui avait reçu un coup de lance dans l’endroit où elle se trouve, et que cette même marque avait passé à tous les chevaux qui étaient venus de cet étalon, par une suite de générations qui dure en- core. On dit aussi que le coup de lance traversa de devant en arrière, parce que la marque dont il est question se trouve devant l'épaule au défaut de l’encolure, et par derrière au défaut de l'épaule, comme une cavité qu'une grande plaie aurait for- mée ; mais il n’y a aucune apparence de cicatrice. L'histoire du coup de lance passe pour une fable, et je crois que c’est avec raison, quoiqu’au fond il ne soit peut-être pas impossible qu'un étalon trans- mette aux chevaux qu'il engendre les marques qu'il aurait, de quelque espèce qu’elles fussent : mais il n’est pas probable que ces marques se perpétuas- sent dans plusieurs générations. Il est plus vrai- semblable que le prétendu coup de lance soit l’effet d’une conformation particulière à certains chevaux, qui forme une cavité à peu près pareille à celle des salières, qui sont fort creuses dans un très-grand nombre de chevaux : au reste, je n’en ai jamais vu qui eussent le coup de lance; et pour savoir ce que c’est, il faudrait au moins en avoir disséqué. On donne le nom de poitrail à la partie qui est au-devant de la poitrine et au-dessous du gosier, 554 DESCRIPTION à l'endroit où les épaules se terminent par de- vant. Le dos du cheval est désigné communément par le nom de reins : il commence au garrot, et s'é- tend le long de l'épine jusqu'à la croupe et jus- qu'aux reins proprement dits, que l'on désigne aussi par le nom de rognons. Lorsque les chevaux sont en embonpoint, et qu'ils ont l'épine du dos large , elle est enfoncée, et les muscles qui s'élè- vent de chaque côté forment une sorte de canal tout le long du dos, c'est ce qu'on appelle avoir les reins doubles : ce canal s'étend sur la croupe jus- qu'à la queue. On a donné le nom de nombril à l'endroit qui est entre le dos et les reins. Les vrais reins ou rognons , à prendre cette dé- nomination dans la signification qu’elle a pour le corps de l'homme, commencent à l'endroit où fi- nissent les côtes, et sont terminés par la croupe; mais dans l'usage ordinaire on donne le nom de reins à la colonne vertébrale du cheval dans toute son étendue. Les côtés sont formés par les côtes, etse trouvent à droite et à gauche au-dessous du dos. La capacité qui est formée par le contour des côtes est appelée particulièrement le coffre. On donne aussi le nom de ventre à la partie inférieure du corps qui est à l'endroit du sternum, et des parties inférieures des côtes ; dans ce sens le ven- tre du cheval correspond à la partie antérieure de la poitrine de l'homme. Les flancs sont à l'extrémité du ventre, au dé- faut des côtes et au-dessous des rognons ; ils s’é- tendent jusqu'aux os des hanches. La hanche est formée, comme dans l'homme, par l'os de la hanche; cet os termine le haut du flanc dans le cheval, et se trouve à côté de la croupe. La croupe est ronde, et s'étend depuis les ro- gnons jusqu'à la queue. On distingue deux parties dans la queue; ce sont les crins et le trone, c’est-à-dire la queue dépouillée de ses crins. Les fesses du cheval sont placées au-dessous de la croupe et de l'origine de la queue, et elles s'éten- dent jusqu’à l'endroit où les jambes de derrière joi- gnent le corps. Pour expliquer les noms que l’on a donnés aux différentes parties des jambes de devant , il faut re- venir à l'épaule. Elle comprend dans les chevaux l'omoplate et l'hamérus, et par conséquent les parties qui correspondent à l'épaule et au bras de l'homme : ainsi le vrai bras du cheval paraît être confondu avec l'épaule , parce qu'il est réuni avec le corps sous la mème peau. Le coude est donc placé en arrière, comme dans l'homme ; mais dans le cheval il se trouve contre les côtes en haut de la jambe de devant , à l'endroit où elle commence à être séparée du corps; c'est la première jointure qui paraisse au dehors, car celle du bras avec l'é- paule est cachée sous la peau de l'animal. La première partie de la jambe de devant du cheval qui est séparée du corps est appelée le bras, quoiqu’elle corresponde à l'avant-bras de l'homme; la partie extérieure du bras du cheval est nommée le gros du bras; il passe sur la face intérieure une veine appelée ars. On a donné le nom de genou à la jointure qui est au-dessous du bras ; elle se trouve à l'endroit du poignet de l'homme , et en effet elle forme un an- gle en devant lorsque la jambe est pliée. Le canon est la seconde partie de la jambe de devant; il commence à l'articulation du genou, et correspond au métacarpe de l'homme. Il y a derrière le canon un tendon qui s'étend d'un bout à l’autre, et que l'on appelle communé- ment et fort improprement le nerf de la jambe. Le boulet est l'articulation qui se trouve au-des- sous du canon. Le fanon est un bouquet de poil qui couvre une espèce de corne molle située derrière le boulet, et que l'on appelle l’ergot. Le paturon est la partie de la jambe qui s'étend depuis le boulet jusqu’au pied : on donne quelque- fois au paturon le nom de jointure , maïs ce terme est équivoque ; car, à proprement parler, il doit signifier ici une articulation. La couronne est une élévation qui se trouve au bas du paturon, et qui est garnie de poils longs qui tombent sur la corne tout autour du pied. Le sabot est, pour ainsi dire, l’ongle du cheval; il est formé par la corne; la partie antérieure du sabot est appelée la pince, les côtés portent le nom de quartiers ; on nomme le quartier extérieur de chaque pied quartier de dehors, et l'intérieur quar- lier de dedans : la partie postérieure du sabot est un peu élevée et séparée en deux pièces, aux- quelles on a donné le nom de talon: elles s'éten- dent jusqu'au milieu du dessous du pied , et for- ment la fourchette par leur réunion sous la soie qui est, pour ainsi dire , la plante du pied ; sa sub- stance est de corne comme le reste du sabot dont elle fait partie; mais la corne de la sole est plus dure que celle de la fourchette, et plus tendre que celle du sabot. Pour déterminer les noms des parties qui com- posent les jambes de derrière, il faut remonter jus- qu'aux fessesdu cheval. Chacunerenfermele fémur; ainsi elle correspond à la cuisse de l'homme : c'est proprement la cuisse du cheval qui est réunie avec le corps et qui porte le nom de fesse : elle est ter- minée en bas et en devant par le grasset , qui est proprement l'articulation du genou où se trouve la rotule. Le grasset est done placé au bas de la han- DU CHEVAL. che à la hauteur du flanc; il change de place lors- que le cheval marche, La première partie de la jambe de derrièré du cheval qui soit détachée du corps est celle que l'on appelle la cuisse , elle s'étend depuis le grasset et le bas des fesses jusqu'au jarret, et elle corres- pond à la jambe de l’homme : aussi y a-t-il dans la cuisse du cheval une partie charnue qui a rapport au gras de notre jambe, et que l'on nomme le gros de la cuisse ou le grasset, quoiqu'on ait aussi donné une autre signification à ce dernier nom , comme nous venons de le dire. Il y a sur la face intérieure de la cuisse une veine que l’on nomme la veine du plat de la cuisse. Le jarret est la jointure qui est au bas de la cuisse et qui se plie en avant. Cette articulation a rapport au coude-pied de l'homme, c’est-à-dire au tarse; la partie du jarret qui est en arrière , et qui s’ap- pelle la pointe du jarret, est proprement le talon. Ce que l'on appelle vulgairement le gros nerf du jarret, qui se termine à la pointe du jarret , est un tendon qui correspond au tendon d'Achille, qui est attaché au talon de l’homme. « C’est ici le lieu de nommer une partie qui se trouve dans chacune des quatre jambes du cheval; elle est placée dans les jambes de devant en-dedans du bras, et un peu au-dessus et à côté du genou, et dans les jambes de derrière un peu au-dessous et à côté du jarret, aussi en-dedans. C’est une pe- tite tumeur sans poil, de la grosseur d'une châtai- gne et de la consistance d'une corne molle ; on lui a donné les noms de châtaigne , de lichéne ou d’er- got, mais il ne faudrait pas se servir du dernier, parce qu’il pourrait faire confondre la partie dont il s’agitici avec une autre dontil a déjà été fait men- tion sous le nom d’ergot. La châtaigne croit dans certains chevaux, et s'allonge de la longueur d'un pouce et d’un pouce et demi ; elle tombe alors et repousse ensuite. Au-dessous de la partie des jambes de derrière, qui porte le nom de jarret, sont le canon, le boulet, le paturon et le pied , comme dans les jambes de devant. Ce qui en a été dit suffit pour les jambes de derrière; on fera seulement remarquer que le canon de celles-ci est appelé la jambe par quelques auteurs. Aprèsavoir donné l'explication des dénomina- tions particulières, celle des dénominations géné rales devient plus facile et plus simple. On divise le cheval en trois parties principales, qui sont, l’avant-main , le corps et l’arrière-main : l’avant- main comprend la tête, l’encolure, le garrot, les épaules, le poitrail et les jambes de devant; le corps est composé des reins , des rognons , des côtés, du ventre et des flancs; l’arrière-main renferme la croupe, les hanches, la queue, les fesses, le grasset, les euisses, lejarret et le reste des jambes de derrière, 20 On a fait encore une autre division générale du cheval en quatre parties, savoir : la tête, le corps, le train de devant et le train de derrière ; le dos, les rognons, le ventre, les côtés et les flancs compo- sent le corps; le train de devant est formé par l’en- colure, les épaules, le poitrail et les jambes de de- vant; et le train de derrière par la croupe, laqueue, les hanches et les jambes de derrière, On doit toujours regretter le temps qui est em- ployé à expliquer et définir des termes d'art qui pourraient être changés en d’autres termes géné- ralement connus. Par exemple, pourquoi dans le cheval le nez est-il appelé chanfrein ? pourquoi les narines ont-elles le nom de naseaux, et la mächoire inférieure celui de ganache , tandis qu'on a con- servé les vrais noms du front, des lèvres, de la bouche et du menton, etc.? Il est certain que les naseaux du cheval ne ressemblent pas moins à des narines que son menton où sa ganache ne ressem- ble à un menton ou à une mâchoire inférieure ; ainsi les naseaux devraient porter le nom de na- rines, comme le menton porte le nom de menton. Il y a d'autres parties, comme les salières du che- val, pour lesquelles il faut des noms particuliers, parce qu'elles ne se trouvent que dans certains ani- maux; mais à quoi bon s'imposer la nécessité d'ap- prendre de nouveau des choses que l’on sait déja, en les tenant déguisées par des noms peu usités, au lieu de les présenter sous le nom le plus uni- versellement reçu? C'est un reste de barbarie gros- sière , ou peut-être de pédanterie mystérieuse ; car ces différents noms pour la même chose ne vien- nent que d’un mélange de langues ou de jargons, Les charlatans, qui ne peuvent étaler qu’une vaine science de noms, en conservent l'usage, et obli- gent les autres à les apprendre; les artisans res- pectent cet usage, et ne sont pas même en état de s’y soustraire; ceux qui peuvent le faire doivent donc proscrire peu à peu toutes les dénominations superflues. Nous ne les emploierons que le moins que nous pourrons dans la suite de cet ouvrage; et une des principales raisons qui nous à oblisés à en rapporter les définitions, a été pour faire voir que l’on peut se passer de ces noms, parce qu'il y en a de meilleurs et de plus faciles, puisqu'on les sait d'avance. ; On emploie des termes d'art pour dénommer les différentes couleurs du poil des chevaux, comme pour désigner les parties de leur corps, parce que la grande variété qui se trouve dans les couleurs et dans leurs nuances a fait multiplier les noms. Comme la plupart ne sont connus que des gens qui se sont appliqués à la connaissance des chevaux, il est à propos, pour faire entendre le langage des connaisseurs en ce genre, d'expliquer ces noms en même temps que nous détaillerons les différentes couleurs que l'on a remarquées dans ces animaux. d96 DESCRIPTION On aurait déjà pu faire observer que nous nous servons de termes impropres, en disant que les che- vaux sont de différentes couleurs; l'usage est de dire qu'un cheval est de tel poil ou de telle robe, et non pas de telle couleur : cependant il est cer- tain que ces deux expressions, poil et couleur , ne sont pas équivalentes, c'est pourquoi nous les em- ploierons chacune dans leur propre signification. Quoiqu'il y ait beaucoup de diversité dans les couleurs des chevaux , cependant elles ne sont pas assez variées pour que l'on soit obligé, dans le dé- tail que l’on fera, de suivre un ordre méthodique afin de les faire retenir de mémoire plus aisément: ainsi nous ne les distribuerons pas, comme on l’a déjà fait : en couleurs simples qui s'étendent sur tout le corps du cheval sans aucun mélange d'au- tres couleurs; en couleurs composées, c’est-à-dire celles qui sont mèlées d’autres couleurs; et en couleurs bizarres et extraordinaires. Selon cette méthode, les couleurs simples sont, le blanc, l’isa- belle, l'alezan, le baï et le noir : les couleurs com- posées sont, le gris, le louvet, le rouan et le rubi- can; enfin les couleurs extraordinaires sont, le ti- gre, la pie, la porcelaine et l'aubère ou fleur de pê- cher. Au lieu de suivre ces divisions, il vaut mieux commencer tout simplement, comme plusieurs au- teurs , par les couleurs les plus communes et qui paraissent les plus naturelles au cheval, tandis que les autres ne semblent lui appartenir qu’en tant qu'il se trouve au rang des animaux domestiques. En effet, si l’on observe que le jaune, le roux ou le brun, ou, pour tout dire en un mot, le fauve, est la couleur la plus ordinaire et, pour ainsi dire , la plus naturelle aux animaux sauvages, et que le bai, c'est-à-dire le mélange et les différentes teintes des mêmes couleurs que nous venons de nommer, est la couleur la plus commune aux chevaux, on ne sera pas éloigné de croire que si cesanimaux étaient sauvages, ils seraient tous de couleur baie, au moins dans notre climat, et que l'explication de cette cou- ieur doit précéder toutes les autres. Le bai est la couleur de châtaignerougeâtre; elle a plusieurs nuances que l’on distingue par les dé- nominations suivantes; bai clair ou lavé, bai chà- tain, bai marron, bai brun, bai doré, baï sanguin ou d'écarlate, et bai à miroir. Les chevaux bais- bruns sont d'une couleur brune très-obseure et presque noire, excepte aux flancs et au bout du nez où ils ont une couleur rousse, c’est ce qu'on ap- pelle avoir du feu. On conçoit aisément que le bai doré n’est qu'une couleur jaune. Les chevaux bais à nuroir ou bais miroités sont ceux qui ont sur la croupe des marques d’un bai plus obscur que le reste du corps: cependant on donne aussi le même nom de bai à miroir ou de bai miroité aux chevaux bais châtains qui ont beaucoup de taches rondes d'un bai plus clair, ou plutôt à ceux qui ont sur la croupe des marques d'un bai plus obseur; de sorte qu'on pourrait dire qu'ils sont pommelés, s'il était d'usage d'employer ce mot pour d'autres que pour des chevaux gris. En général tous les chevaux bais ont les extrémités, les crins et la queue noirs. Il y a trois sortes de couleurs noires, qui sont : le noir mal teint, le noir ordinaire et le noir gai ou jais. Le premier a une teinte de brun ou de rous- sâtre; on pourrait peut-être en faire une sorte de bai brun : aussi le noir n'est-il guère moins com- run que le bai. Les chevaux noirs mal teints ont les flancs et les extrémités d'une couleur lavée et moins foncée que celle du reste du corps. Le noir gai est clair, lisse et très-noir. On a aussi donné au noir fort vif le nom de noir more ou moreau. Le poil isabelle est jaune ; les crins et la queue sont blancs dans certains chevaux de couleur isa- belle, et noirs dans d'autres. Ceux-ci ont une raie noire qui s'étend le long de l’épine du dos jusqu’à la queue ; c’est ce qu'on appelle la raie de mulet. L'isabelle a plusieurs nuances. Celle où il y a le moins de jaune est nommée soupe de lait, c'est un blanc sale ou mêlé d’une teinte de jaune très lé- gère ; on l’a comparée à la couleur d’une soupe au lait dans laquelle on a mêlé des jaunes d'œufs. L'i- sabelle clair a un peu plus de jaune, l’isabelle com- mun encore davantage; l’isabelle doré est d'un jaune plus vif, et enfin l’isabelle foncé est d’un jaune plus saturé. Le louvet ou poil de loup approche de la couleur de cet animal. 1] y a des louvets clairs et d'autres obscurs; ils ont tous des teintes d’isabelle, et quel- quefois on y voit la raie de mulet. L'alezan est une sorte de bai roux ou cannelle. Il y en a plusieurs nuances qui sont l’alezan clair, comme la couleur du poil de vache, l’alezan com- mun, qui n'est ni brun ni clair, l’alezan bai qui tire sur le roux, l’alezan obscur et l'alezan brûlé qui est foncé et fort brun. Il se trouve des chevaux alezans qui ont les crins et la queue blancs, et d’autres qui les ont noirs. Lorsqu'un cheval bai, noir ou alezan, a des poils blancs parsemés sur le corps, principalement sur les flancs, on dit qu'il a du rubican. Le rouan est mêlé de rouge et de blanc; on l’a aussi défini comme un mélange de blanc, de gris sale et de bai. On distingue deux ou trois sortes de rouan qui sont : le rouan ordinaire, le rouan vineux qui tire plus sur le rouge et qui approche de la cou- leur du vin, et le rouan cap-de-maure ou cavesse-de- maure. Les chevaux de cette couleur ont la tête et les extrémités blanches, et le reste du corps est rouan, ou, selon quelques auteurs, gris sale. Les chevaux gris ont le poil mêlé de blanc et de noir ou de bai. On distingue plusieurs sortes de chevaux gris, savoir, les gris pommelés , les gris argentés, gris sales, etc. Les gris pommelés ont sur DU CHEVAL. la croupe et sur le corps plusieurs taches rondes, les unes plus noires, les autres plus blanches, as- sez également distribuées; les chevaux gris argen- tés n'ont que très-peu de poils noirs qui sont parse- més sur un fond blanc, lisse et luisant en quelque façon comme de l'argent; le poil des chevaux que l'on appelle gris sale a beaucoup de brun et de noir avec le blanc. On a vanté les crins blanes dans les chevaux de couleur ; les gris bruns ont beau- coup de noir et peu de blanc; les gris rouges sont mélés de bai, de noir etde blanc; les gris vineux sont mêèlés de bai partout ; le gristruité est un fond blanc parsemé de roux par petites taches oblongues ré- pandues assez également sur la tête et sur le corps; le gris tourdille est un gris sale qui approche de la couleur des grosses grives, comme le désigne le mot tourdille, qui vient de turdus, grive : les che- vaux de ceite couleur ont des poils rougeätres et beaucoup de noir dans le blane ; le gris étourneau a aussi été dénommé de la sorte, parce qu'il res- semble en quelque façon à la couleur des étour- neaux ou sansonnets ; il est encore plus brun que le gris sale, et conserve le même nom quoiqu'il y ait beaucoup de noir. Les chevaux gris tisonnés ou charbonnés ont sur un fond blane ou gris des taches noires, larges à peu près comme la main, et dispo- sées irrégulièrement comme si on les avait formées avec un tison : lorsque ces taches sont larges, on donne aussi à ces chevaux le non de tigres. Les che- vaux gris de souris ont pour l'ordinaire les extré- mites noires et la raie de mulet : tous les chevaux gris deviennent blanes en vieillissant, parce que leurs poils bais ou noirs blanchissent avec l’âge; mais il est très-rare de voir des poulains entière- ment blanes, et on peut reconnaître si un vieux cheval a été de poil gris, par les restes de cette même couleur qui paraissent aux genoux et aux jarrets. La couleur appelée porcelaine est un gris mêlé de taches de couleur bleuâtre d'ardoise, à peu près comme la porcelaine blanche et bleue. On nomme aubére, mille-fleur ou fleur de pêcher un mélange assez confus de bai, de blanc et d'a- lezan , dont le composé approche de la couleur des fleurs de pêcher. Les chevaux pies ont du blanc et d'autres cou- leurs qui forment de grandes taches comme de grands placards disposés irrégulièrement. On dis- tingue plusieurs sortes de chevaux pies, par les dif- férentes couleurs qui se trouvent avec le blanc, savoir, les pies noirs qui sont blancs et noirs, les pies bais qui sont blancs et bais, et les pies alezans qui sont blancs et alezans. De quelque couleur que soient les chevaux, ceux qui ont les extrémités , les crins et la queue noirs, D07 tés de couleur moins foncée que celle du reste da corps, et, pour ainsi dire lavée, sont les moins es- unies. On donne le nom de zain aux chevaux qui n'ont point de poils blanes : ainsi les chevaux blancs, et tous ceux dont les couleurs sont mélangées de blanc, ne peuvent pas être appelés zains. Lorsqu'il y a au front une marque blanche, on la nomme la pelote ou l'étoile. Cette marque est plus ou moins grande; mais si elle descend depuis le front jusqu'au bas de la tête, on lui donne le nom de chanfrein blane ou de belle face : c'est une bande blanche qui s'étend depuis le front jusqu'aux na- seaux le long des os du nez, c'est-à-dire de cette partie que l’on appelle aussi le chanfrein, comme nous l’avons dit. On n'aime pas que la marque blanche anticipe sur les sourcils, ni qu’elle soit prolongée jusqu'au bout du nez; s’il y a une tache blanche sur cette partie, et qu’elle occupe toute la lèvre supérieure, on dit que le cheval boit dans son blanc : le même individu peut avoir tout à la fois la pelote, le chanfrein et le bout du nez blanc. Il y a plusieurs moyens de faire des pelotes artifi- cielles, c’est-à dire de changer en blanc la cou- leur du poil ; pour cela on le détruit en entamant la peau ou en la brütant, ete.; le poil qui revient après que la plaie est guérie se trouve blanc. On a aussi divers procédés pour teindre les sourcils blancs et le poil gris ou blanc, en bai ou en noir; mais la couleur ne dure que jusqu’au temps de la mue, car le nouveau poil reparaît avec sa couleur natu- relle. Si un cheval a le bas de la jambe blanc, cette marque est nommée balzane; lorsqu'elle est fran- gée par le haut, ou terminée irrégulièrement par des pointes en forme de dents de scie, on lui donne le nom de balzane dentelée; si elle est marquée de noir, c'est une balzane herminée ou mouchetée, ou une jambe herminée; si elle s'étend jusqu'auprès du genou ou du jarret, on dit que le cheval est chaussé trop haut; s'il y en a une à la jambe de derrière et à la jambe de devant du même côté, on désigne le cheval par le nom de travat; mais si les balzanes sont à la jambe droite de devant et à la | jambe gauche de derrière, ou lorsque c’est au con- traire à la jambe gauche de devant et à la jambe droite de derrière , le cheval est appelé trastavat on transtravat; enfin s'il y a du blanc au bas des jambes, on dit que c’est un cheval balzan des qua- tre pieds. L On ne peut exprimer toutes les teintes et toutes les nuances des couleurs des chevaux, ni détermi- ner la grandeur et la figure des marques et des taches que l'on observe sur ces animaux. Ce n’est pas qu'il y ait dans les chevaux beaucoup de cou- sont les plus recherchés et passent pour être les | leurs essentiellement différentes; car je crois qu’on plus beaux ; ceux qui ont les flancs et les extrémi- | pourrait les imiter presque toutes avec du blanc, DS du noir et de l’orangé; mais il y a tant de variétés dans ce mélange, qu'il n’est pas possible d’avoir autant de noms qu'il y a de différences sensibles daus les teintes. On trouvera donc souvent des che- vaux dont les couleurs ne seront d'accord avec au- cune des définitions de couleurs que nous venons de rapporter : mais il suffira qu'elles en approchent pour que l’on puisse les exprimer, en modifiant les dénominations reçues, el dans certains cas il faut en employer d’autres. La position, la figure et l'étendue des taches va- rient plus ou moins, de même que les couleurs, dans chaque individu des animaux domestiques. On a prétendu que ces différences , sensibles à l'exté- rieur, pouvaient nous faire juger de l'intérieur des chevaux, et on a pris les teintes des couleurs et leur arrangement pour des signes réels, qui déno- taient les bonnes ou mauvaises qualités de ces ani- maux, non-seulement par rapport à la constitu- tion du tempérament, mais encore par rapport à l'instinetetaux mœurs de chaque cheval. Sion avait pu se fier à de tels indices, il aurait fallu, avant que d'en tirer des conséquences, faire des recher- ches sur les animaux sauvages; leurs couleurs sont beaucoup plus constantes et ne varient guère que par l'âge, le climat et les saisons : aussi chaque es- pèce a ses couleurs distinctes, chaque espèce a aussi des qualités relatives au tempérament et à l'instinct, qui sont plus évidentes qu’elles ne peu- vent l'être dans les individus de la même espèce: ainsi en opposant une espèce à une autre pour les couleurs du poil et pour les bonnes et les mauvai- ses qualités des individus en général, on a l’avan- tage de comparer des extrêmes, tandis qu'en n'ob- servant que les individus d'une seule espèce, on ne découvre que les mêmes qualités individuelles, plus ou moins marquées, mais toujours ressem- blantes par rapport aux caractères spécifiques. Si on avait fait de bonnes recherches sur ce su- jet, le faux préjugé n'aurait pas duré si longtemps, et aujourd'hui tous les connaisseurs en chevaux seraient d'accord avec les meilleurs observateurs en ce genre, qui ne font aucun cas des prétendus signes que l’on a tirés de la couleur du poil. L'ex- périence a détruit cette erreur, et on a mis en axiomequ'il y a de bons chevaux de tout poil. Tout ce qu'on peut dire en faveur de l'ancien préjugé, c'est que l’on soupçonne que les chevaux de poil gris, et principalement de gris-sale , sont sujets à avoir mauvaise vue, et qu'il ÿ a moins de force et de vigueur dans ceux dont le poil est de couleur claire, surtout s'il est de couleur encore moins foncée sur les flancs et au bout du nez que sur le reste du corps : on suppose au contraire qu'ils sont vigoureux. s'il y a du feu, c’est-à dire du bai vif dans ces mêmes endroits; mais on a vu par l'ex- périence, que ces marques sont très-fautives : on DESCRIPTION ne doit done avoir égard aux couleurs, qu'autant qu'elles influent sur la beauté et sur le prix des chevaux. La rareté de certaines couleurs les fait aussi beaucoup valoir ; car le bon goût n’a jamais pu empêcher que les choses les plus rares ne soient souvent préférées aux plus belles. Je crois que certaines couleurs, et surtout les marques ou les taches qui se trouvent sur la face de plusieurs chevaux, nous en imposent et nous trompent par une fausse apparence; car elles chan- gent la physionomie de l’animal et le masquent, pour ainsi dire. Par exemple, on a cru que les chevaux qui avaient la bande du chanfrein blane, discontinuée et interrompue dans le milieu de la face, étaient bizarres et fantasques; n'est-ce pas parce que cette interruption leur donne un air ex- traordinaire, comme des cicatrices sur le visage d’un homme rendent sa physionomie plus dure? L'étoile au front des chevaux n’a peut-être passé pour un augure, que parce qu’elle est placée dans le milieu du front, et qu'il n'y a pas dans toute la face un endroit plus favorable pour qu'elle rende la physionomie ouverte, et pour qu’elle ne choque pas la vue : je croirais aussi que les balzanes n'ont été si bien observées, que parce qu'étant sur une partie qui est souvent en mouvement, ellesont plus frappé la vue que les autres taches, et qu’on neles a prises le plus souvent pour de mauvais signes, que parce qu’en rendant les pieds sur lesquels elles se trouvent plus apparents par leur blancheur, on s'est imaginé en voyant le cheval en marche, que les pieds balzans s’approchaient de plus près que les autres, et qu'il était sujet à se laisser tomber. Ceux qui ont les quatre pieds balzans n'en ont pas été soupçonnés, parce qu'il n’y a pas la même ap- parence d’inégalité dans leur démarche; mais ii est inutile de discuter plus longtemps cette matière et de combattre des préjugés que les meilleurs con- naisseurs en chevaux ont abandonnés. Leur exem- ple détrompera mieux les autres que des raisons : quand la vérité est connue , il ne faut plus que du temps pour détruire l'erreur. Je reviens aux observations que l'on a faites sur le poil des chevaux, et principalement par rapport à son arrangement sur certaines parties. Tous les chevaux des pays orientaux et méridio- naux, c'est-à-dire des pays les plus chauds, comme les chevaux turcs, les persans, les arabes et les barbes, ont le poil beaucoup plus ras que les au- tres : on voit bien que la température du climat en est la cause, mais il serait difficile d’en donner la raison. ” L'épi ou la molette est un arrangement de poils disposés à peu près comme les pétales d'une fleur simple; c'est pourquoi on à comparé l'épi à un petit œillet. C’est un point d’où les poils partent comme d'un centre, et se renversent de façon DU CHEVAL. qu'ils forment une cavité conique comme un petit entonnoir. Il y a ordinairement de ces épis, au poitrail et sur le ventre près des cuisses; il se trouve des chevaux qui en ont en d’autres endroits : on en voit quelquefois deux ou trois séparés ou réunis sur le front ou sur le pli de la cuisse par-derrière. L'épée romaine est une sorte de sillon formé par le poil qui est renversé ; c'est un épi allongé, dont on a comparé la figure à celle des épées qui étaient en usage chez les Romains : cette épée romaine s'étend le long du haut de l’encolure près de la crinière. Il n'y a que peu de chevaux qui l’aient, et ils sont fort recherchés par les gens qui sont le plus difficiles à satisfaire sur le poil des chevaux ; quelquefois il se trouve une épée romaine de cha- que côté de la crinière, le cheval en est encore plus estimé. On pourrait juger au simple énoncé des termes dont nous avons fait mention, quele cheval est un des animaux qui nous sont le plus utiles , puisque la plupart des parties de son corps et des variétés de ses couleurs ont des noms particuliers qui ne sont usités que pour lui. Une pareille attention pour le cheval n’a pu avoir d'autre motif que no- tre propre intérêt, mais la perfection que nous exigeons dans toutes les parties de cet animal pour le rendre beau est autant une preuve du plaisir qu'il nous fait, que de l'utilité que nous en tirons. Le bœuf nous est bien aussi utile que le cheval, puis- qu'il nous sert d’aliment ; cependant un beau bœuf n’est qu'un bœuf gros et gras : on a vu au con- traire dans l'histoire naturelle du cheval, de com- bien de conditions dépend la beauté de cet animal, que Buffon a représenté dans l'état de la belle na- ture. On a fait des règles pour juger de la beauté des chevaux; mais en déterminant toutes les pro- portions de leur corps, on n’a pas eu seulement en vue l'élégance de leur taille, on a aussi considéré les différents usages auxquels nous employons ces animaux : ainsi, toute proportion par laquelle leur corps est affaibli ou appesanti, toute proportion qui le rend moins propre au service ou malsain, n’est pas un moindre défaut que celle qui y causerait une difformité. Je vais exposer les moyens de con- naître quelques-uns de ces défauts, selon les obser- vations des meilleurs écuyers, et de juger des im- perfections qui défigurent la plupart des chevaux ; car la perfection et la beauté sont très-rares en tout genre. Lorsque le cheval a la tête grosse et carrée au lieu de l'avoir petite, elle est difforme, et elle pèse ordinairement à la main; si elle est chargée de chair de façon qu'on puisse la mettre au rang de celles que l'on appelle tétes grasses, le cheval est sujet au mal des yeux ; cependant si elle était sèche au point d'être décharnée, les yeux n’en seraient pas plus sains, car les extrêmes sont toujours dan- DH] gereux ; mais si elle était grosse sans être grasse, cette difformité n'influerait pas sur les yeux; ce- pendant elle ne défigurerait pas moins le cheval, car cet animal ne peut avoir aucun air de noblesse ou d'agrément avec une grosse tête. C'est un dé- faut pour les chevaux d’avoir la tête trop allongée, on l'appelle tête de vieille. Le cheval porte mal sa tête lorsque le bout du nez ne se trouve pas dans la direction d'une ligne perpendiculaire avec le front, si le bout du nez est en ayant, c'est ce qu'on appelle tendre le nez, porter au vent, tirer à la main; s'il se trouve en arrière, la tête est pesante; mais si ce défaut va à l'excès, et que le bout du nez ap- proche du gosier, on dit que le cheval est enca- puchonné; enfin, la tête est mal attachée lorsque sa partie supérieure est plus élevée que l’encolure. On appelle oreillards les chevaux qui ont les oreilles trop épaisses et pendantes, au lieu de les avoir petites et déliées. Lorsqu'il y a trop de dis- tance entre les oreilles, surtout dans le bas, elles sont mal placées; et lorsqu'elles ne s'approchent pas encore de plus près au-dessus qu’au-dessous, le cheval n’a pas l'oreille hardie; c'est un défaut, de même que de baisser les oreilles à chaque pas comme les cochons. Si le front est bas et enfoncé, c’est une diffor- mité que l'on désigne en disant que le cheval est camus, au lieu d’avoir le front avancé comme les béliers. Lorsque les yeux sont gros, proéminents , et qu'ils sortent, pour ainsi dire, hors de la tête, le cheval paraît morne et stupide ; si au contraire les yeux sont petits et enfoncés, on les appelle yeux de cochon, et le cheval a le regard triste et souvent la vue mauvaise, Il faut examiner avec grande attention les yeux d'un cheval pour pouvoir être assuré qu’il a la vue bonne. On doit se mettre à portée de la lumière, et prendre garde d’en être offusqué : c’est une épreuve équivoque que d'approcher la main contre l'œil pour savoir s’il le fermera, car l'impression de l'air qui est agité par ce mouvement, peut faire fermer l'œil sans que le cheval ait aperçu ce qu'on lui a présenté. On est aussi dans l'usage de s'approcher de l'œil pour voir si la cornée représente le; objets comme un miroir ; c’est une épreuve fautive, car il suffit pour cet effet que la cornée soit polie ; elle peut l'être dansle plus mauvais œil, même sans être transparente : il faut donc que l'on puisse voir à travers pour s'assurer de cette transparence, ou pour reconnaître si la vitre est trouble ou double, ou de mauvaise couleur, au lieu d'être assez claire et assez transparente pour qu’on puisse voir dis= tinctement la prunelle. Lorsque la vitre est trouble et couverte, c’est une marque que le cheval est sujet à avoir des fluxions; si cette maladie a altéré l'œil à un certain point, il est plus petit que l’autre, 9060 ce qui prouve qu'il se dessèche : par conséquent il est entièrement gâté Un oil peut ètre bon quoi- qu'il paraisse plus petit que l'autre, parce que la paupière aura éte rétrécie par quelque accident ; mais dans ce cas 1l n'est mi trouble pi brun. 1 ya aussi des maladies passagères qui rendent la vue trouble pour un temps, c'est la gourme, l'éruption des dents de lait et des crochets de la mächoire su- pénieure. Si on voit au fond de l'œil une petite ta- che blanche, c'est ce qu'on appelle le dragon , elle s'étend avec le temps et occupe la prunelle; de sorte que le cheval devient borgne sans qu'il y ait remède ; cette tache peut aussi être rousse ou | noire; elle a quelquefois la figure d'un petit ver ou d'un petit serpent tortueux , d'où vient le nom de dragon. Lorsque la prunelle parait d'un blanc-ver- dâtre, c'est un œil cul-de-verre : ce défaut ne rend pas toujours lecheval borgne, mais il y a beaucoup | à craindre qu'il ne le devienne; si on voit dans la prunelle plus de blanc que de verdätre, on dit alors que ie cheval a l'œil vairon. Lorsque les deux os de la mächoire inférieure sont trop gros, trop ronds ou trop chargés de chair, on dit que la ganache est carrée, c'est une diffor- mité; mais si ces deux os sont trop près l'un de l'autre, et si le canal qu'ils forment n'est pas assez large et assez évidé, c’est un défaut, parce que le | cheval ne pouvant pas faire toucher les parois de ce canal contre son gosier, ce que l'on appelle se ramener, cet obstacle empèche qu'il ne porte bien sa tête, à moins que l'encolure ne soit mince à pro- portion du resserrement du canal : si on y sent quelque tumeur, c'est un signe de maladie. Quand la bouche du cheval est trop grande ou trop petite, c'est un inconvénient pour la position du mors. Dans le premier cas, il approche des dents mächelières : on ditalors que lecheval boit la bride; dans l’autre cas le mors fait froncer les lèvres ou porte sur les crochets. Si les lèvres sont trop gros- ses et trop charnues, elles couvrent les barres et empêchent l'effet du mors, c'est ce qu'on appelle s'armer des lèvres. Le palais est trop sensible au mors lorsque les sillons sont trop gras et trop épais; mais il faut remarquer qu'en général les vieux chevaux ont le palais etles gencives moins charnus que les jeunes. Les barres doivent être élevées et former un canal qui soit suffisant pour loger la lan- gue sans qu'elle déborde, et décharnées au point d'être sensibles au mors; lorsqu'elles sont trop tranchantes, c'est un défaut parce que le cheval a trop de sensibilité, et il en a trop peu si les barres sont basses, rondes et charnues. La langue doit être proportionnée à la capacité du canal dans le- quel elle est placée; si elle en sort, ou si elle est épaisse au point de s'élever au-dessus des barres, c'est un défaut qui s'oppose à l'impression du mors. La barbe est une partie qui contribue aussi beau- DESCRIPTION coup à la bonté de la bouche. Si les deux os qui la composent sont tropéloignés l'un de l’autre et trop peu saillants, elle est trop plate et trop sensible, parce que la gourmette n'appuie que sur les côtés ; lorsque les deux os sont trop près l'un de l’autre et trop saillants, la barbe est au contraire trop relevée et trop sensible, parce que la gourmette n'appuie que dans le milieu; enfin si la barbe a trop de poil, on si elle est trop charmue, s'il ya des duretés où des calus, ce sont des défauts qui marquent que le cheval n'est pas assez sensible, ou qu'il a été mal soigné ou mal conduit. On distingue trois principales sortes d'encolures mal faites, savoir, l'encolure renversée, l’encolure fausse, et l'encolure penchante ; la première est aussi appelée encolure de cerf, parce qu’elle est dis: posée comme le cou de cet animal; elle forme une convexité par-devant depuis la tête jusqu'au poi- trail ; la fausse encolure est perpendiculaire le long du gosier (comme on l'a déjà dit dans l'histoire du cheval), et par-derrière au-dessus du garrot il y a un enfoncement que l'on appelle le cou de hache; enfin les encolures penchantes sont celles qui sem- blent incliner en effet d'un côté ou d'un autre, parce qu'il y a près de la crinière trop de chair qui tombe d'un côté. Les grosses et larges crinières, qui chargent l’en- colure et la font quelquefois pencher, sont diffor- mes et malpropres, Lorsque le garrot est rond et trop charnu, les épaules ne sont pas libres, la selle peut tomber dessus et y causer des plaies difficiles à guérir ; ce- pendant le garrot ne doit pas être trop élevé dans les chevaux de bât ou dans ceux qui portent des trousses de fourrage. Les chevaux qui ont la pointe des épaules grosse et ronde , et en général les épaules trop grosses, trop charnues, et qui sont, comme on dit en un mot, chargés d'épaules, sont pesants, sujets à broncher, et ils ne peuvent servir que pour le ti- rage, à moins qu'ils n'aient les épaules mouvantes. Ceux qui ont de plus les jointures de chaque côté du poitrail grosses et avancées, ne peuvent servir qu'aux voitures ; la pesanteur de leurs épaules les rend plus forts à tirer : on dit de ces chevaux qu'ils sont larges du devant, ce quiest fort différent d'être ouverts du devant , c'est-à-dire d'avoir le poitrail large ; lorsqu'il est étroit et serré par les épaules, au point que les jambes de devant sont si près l’une de l’autre par le haut, que peu s’en faut qu’elles ne se touchent , le cheval est faible sur le devant et sujet à se mêler les jambes en marchant et à tomber. On appelle épaules chevillées celles qui paraissent engourdies , liées et sans mouvement ; ce défaut rend la démarche des chevaux rude et pesante , les expose à broncher, et leur ruine bien- tôt les jambes ; la plupart des chevaux de selle qui DU CHEVAL. ont les épaules trop décharnées , les ont ainsi che- villées ; enfin certains chevaux lèvent bien les jam- bes quoiqu'ils aient les épaules chevillées, parce que le mouvement ne vient que du bras. La poitrine large et ouverte rend pesants les gros chevaux; mais ce ne serait pas un défaut pour les chevaux fins, qui pour la plupart l'ont trop étroite. Plus un cheval a les reins courts, c'est-à-dire le dos , mieux il galope sur les hanches : mais il ne va pas si bien au pas , et le centre du mouvement se trouvant trop près de la selle, le cavalier en est incommodé. Si le dos est long, le cheval marche plus aisément , parce qu'il a plus de liberté pour étendre les jambes ; mais aussi il a de la difliculté à galoper : lorsque le dos est bas et enfoncé, on dit que le cheval est ensellé; cette conformation lui donne de la légèreté et de l'avantage pour avoir un bel avant-main, son encolure est relevée et sa tête placée haut ; mais il se lasse bientôt, et il ne peut pas porter de gros fardeaux. On appelle chevaux plats ceux dont les côtes n'ont pas assez de convexité et sont serrées et ava- lées. Ce defaut empêche qu'ils ne prennent du corps, leur ventre descend et s'avale, ils sont lourds , ils ont peu d’haleine , et leur croupe n'est jamais belle ; mais ils peuvent avoir les reins bons. Lorsque le ventre s'élève vers le train de der- rière, comme celui d’un lévrier, on dit que le che- val n’a pas de corps, ou qu'il est étroit de boyau ; ceux qui sont ainsi conformés mangent peu pour la plupart, cependant ils ont presque tous de l’ar- deur. Si le ventre descend plus bas que les côtes, et si cette partie est trop pleine , on dit que le ventre est avalé, et que c'est un ventre de vache ; si avec cela le cheval est jeune, s’il mange beaucoup et s'il tousse souvent , on doit craindre qu'il ne devienne poussif. Les flancs qui ne sont pas assez remplis sont ap- pelés flanes retroussés ; lorsqu'ils sont creux , c’est une autre difformité ; et si la dernière des fausses côtes est trop éloignée de l'os de la hanche, ou si elle ne descend pas assez bas, le cheval ne prend point de corps ou le perd aisément ; pour le distinguer, on dit qu'il a la côte trop courte. En général, les chevaux sont efflanqués, c’est-à- dire manquent de flanc dès qu'ils ressentent de la douleur dans quelque partie du train de derrière. Lorsque les flancs battent plus qu’àl’ordinaire, sans qu'il y ait d’excès de fatigue, le flanc est altéré ; mais si c'est seulement parce que le cheval respire difficilement lorsqu'il s'exerce , on l'appelle souf- fleur, ou gros d'haleine si ce défaut est moins sen- sible; et on le distingue aisément de ceux qui ont le flanc altéré , parce que les battements du souf- fleur s'arrêtent dès qu'il est en repos. Les croupes qui ne sont pas assez arrondies de- nr, 561 puis les reins jusqu'à la queue, et qui paraissent courtes parce qu'elles tombent trop tôt, passent pour être difformes ; on les appelle des croupes avu- lées ou des culs de prune; les croupes coupées sont celles qui n'ont pas assez de saillie et d'étendue en arrière ; et enfin on donne le nom de croupe de mulet à celles qui sont tranchantes, parce quelles fesses sont aplaties : ces défauts ne sont d’aucune conséquence pour la bonté du cheval. + Lorsque les os du haut des hanches sont trop élevés dans un cheval qui n’est pas fort mai- gre, il passe pour avoir les hanches hautes ; mais s'il est fort gras, on dit que le cheval est cornu. Ordinairement la côte plate et le ventre avalé le rendent tel ; cette difformité donne toujours l'ap- parence de la maigreur. Sil’une des hanches est plus basse que l’autre, on dit que le cheval est épointé ou éhanché : on peut juger de la conformation des hanches par la situation du jarret; s’il est trop en arrière , les hanches sont trop longues et le cheval n’est jamais bien fort ; si les hanchés s'étendent à plomb sur le boulet , elles sont trop courtes, alors le jarret ne plie que difficilement. La queue platée trop haut rend la croupe poin- tue , celle qui est trop basse dénote que les reins sont trop faibles. On peut juger qu'un cheval est vigoureux , s’il serre la queue lorsqu'on veut la re- lever : onappelle queues de rat celles qui n’ont que peu de poil; elles sont défectueuses; de même que les queues courtes et celles qui tombent à plomb au lieu de former une convexité en sortant de la croupe, ce qu’on appelle porter la queue en trompe. Les chevaux qui ont le coude trop serré entre les côtes portent la jambe et le pied en dehors; ceux qui l'ont trop ouvert, c'est-à-dire trop éloigné des côtes, portent le pied en dedans ; l’une et l’au- tre position dénotent de la faiblesse. Les bras longs sont les plus forts, les bras courts sont plus favorables pour le mouvement et le pli de la jambe ; le bras menu est difforme, et de plus on en peut conclure que la jambe n'a pas de force. Les genoux gros et enflés font soupçonner que la jambe est travaillée; mais c'en est une preuve certaine lorsqu'ils sont couronnés, c'est-à dire pe- lés dans le milieu , et lorsqu'on est sûr que le poil n'a été détruit que par les chutes fréquentes que le cheval a faites sur ses genoux, et non par d’au- tres causes. Le genou gros marque que le cheval est pesant ; lorsque le genou est naturellement un peu plié en avant, de sorte que le canon n'est pas à plomb, le cheval est appelé brassicourt. Ce dé- faut de conformation ne préjudicie pas à la bonté du cheval; maïs s'il n’a pas été ainsi conformé de naissance , et si c'est l'effet de la fatigue et dutra- vail, ou des entraves qu'on lui aurait mises pendant un long temps , on dit que le cheval est arqué : les jambes usées ne deviennent pas d'abord arquées, 56 562 elles commencent par être droites par-devant de- puis le genou jusqu'à la couronne, comme celles deschèvres. On exprime ce défaut en disant que le cheval est droit sur ses jambes; dans cet état il est sujet à se laisser tomber ; si on continue à l'ex- céder de travail , les jambes ne peuvent plus s'é- tendre , elles restent courbées, et elles tremblent lorsqu'il s'arrête après avoir marché ; dans cet état d'épuisement on le croirait incapable de fournir au travail, cependant il peut encore servir, surtout s'il a de grands reins. On appelle jambes de veau celles qui sont un peu pliées en arrière à l'endroit du genou ; ce défaut est tout contraire à celui des chevaux brassicourts et arqués, dont les jambes sont pliées en devant. Si le canon est trop menu, c'est une marque de faiblesse pour la jambe dans les chevaux des pays froids et humides ; il faut examiner s’il n'y a point de tumeurs sur le canon , parce qu'elles dénotent des maladies de l'os, qui sont plus ou moins dan- gereuses. Lorsque le nerf est menu, les chevaux ne résis- tent pas longtemps à la fatigue ; ils bronchent, et leurs jambes s’arrondissent, c'est-à-dire que le nerf ne paraît plus détaché; c’est un indice de maladie : aussi est-il nécessaire de passer la main sur le nerf pour sentir s'il est dans l'état naturel, sans tumeur et sans engorgement,; lorsqu'il se trouve peu éloi- gné de l'os, ce défaut fait donner à la jambe le nom de jambe de bœuf ou de veau; dans ce cas le nerf est menu et la jambe n’est pas longtemps saine : sile nerf devient trop petit près du genou, c'est ce qu'on appelle nerf failli; c’est une marque de faiblesse dans cette articulation, mais elle est rare. Les boulets menus sont trop flexibles et sujets par ce défaut aux tumeurs que l’on appelle des molettes ; cependant les chevaux qui ont la join- ture du boulet un peu pliante, ont les ressorts plus doux et plus liants, par conséquent ils valent mieux pour le manége et pour la parade; mais, ils sont mauvais pour le tirage , et peu propres à reculer et à retenir dans les descentes. Lorsque le boulet est couronné, c’est-à-dire lorsqu'il déborde tout au- tour plus que le sabot, sans qu'il y ait de blessure ou d’autre accident qui ait causé ce défaut , c’est une preuve que la jambe est usée , et on l'appelle jambe boutée ou bouletée. Les paturons qui sont trop menus, où qui sont longs et qui se soutiennent si mal que l’ergot tou- che presque toujours la terre , n'ont jamais assez de force. Lorsque cette partie , quoique longue , se maintient dans une bonne situation, c'est une marque qu'il y a de la force , surtout dans le nerf, qui empêche le boulet de trop plier, alors le cheval n’est bon que pour la parade , et il ne résiste pas à la fatigue ; dans l’un et dans l’autre cas on dit que DESCRIPTION les chevaux sont long-jointés, parce que les patu- rons portent aussi le nom de jointure , comme nous l'avons déja fait observer; ceux qui ont au con- traire le paturon trop court, sont appelés court- jointés. Si le genou , le canon et la couronne de ces chevaux se trouvent sur une même ligne per- pendiculaire, on dit qu'ils sont droits sur leurs jambes , et les maquignons les appellent chevaux huchés ; ils sont sujets à broncher, à tomber et à devenir bouletés , surtout si on laisse le talon trop haut ; ils sont aussi plus incommodes pour le ca- valier, que ceux qui sont long-jointés. Il y a des chevaux qui ont l’un des côtés du paturon plus élevé que l'autre, c’est un défaut léger, que l’on peut corriger par la ferrure , de même que celui qui rend le cheval droit sur ses jambes. Il ne faut pas que le poil du paturon soit hérissé, surtout près de la couronne, on serait en droit de soupçonner que la gratelle farineuse , que l’on appelle peignes, en serait la cause. Lorsque la couronne est plus élevée que le pied, c’estune marque que le pied est desséché, ou qu’elle est enflée. Cette partie est fort exposée aux coups que l’on appelle des atteintes , que le cheval reçoit d’un autre qui le suit, ou qu'il se donne en heur- tant les pieds de derrière contre ceux de devant, ou en se blessant avec les crampons ou les clous-à glace que l’on met aux fers. Le pied trop petit à proportion du corps est fai- ble et souvent douloureux , et a les talons serrés; celui qui a médiocrement de talon et peu d’épais- seur de pied , s’'échauffe sur un chemin dur , et le cheval boite. Un pied qui est trop gros et dont la corne du sabot et la sole ont peu d'épaisseur, est appelé pied gras, c'est aussi un pied faible; les chevaux qui ont les pieds trop grands sont lourds et pesants. La corne blanche est plus cassante que la corne d'une autre couleur, c’est un défaut fort incom- mode ; on le reconnait aisément , il suffit de voir si elle a été cassée par les clous des fers. Les pieds cerclés sont ceux dont le sabot est creusé tout au- tour par des sortes de gouttières transversales : cette irrégularité dans l'accroissement de la corne vient de chaleur et de sécheresse dans le pied; ce défaut rend souvent le cheval boiteux : si quelque partie de la corne est entamée et emportée, il s’en forme une nouvelle; on appelle ce remplacement un quartier neuf où une avalure, parce que la nou- velle corne pousse l’ancienne en bas; c’est une dif- formité, en ce que la nouvelle corne est plus rabo- teuse, plus grosse et plus molle que l'ancienne. Lorsque les quartiers sont trop serrés, que le sabot est trop étroit auprès de la fente de la four- chette, que les talons sont terminés en pointe et collés l'un contre l’autre, on dit que les pieds sont encastelés. Les talons et les quartiers ainsi confor-- DU CHEVAL. més pressent le petit pied, c'est-à-dire un des os contenus dans l'intérieur du pied, dont nous ferons mention dans la suite, et font boiter le cheval, ou au moins ils l’empêchent de marcher à son aise. Si les talons sont allongés en arrière , le pied est trop long et sujet à l’encastelure, qui peut aussi produire des seimes, c’est-à-dire des fentes qui sont dans l'un des quartiers, et qui s'étendent quelquefois depuis la couronne jusqu'au bas du sabot. Les ta- lons faibles obéissent sous la main, les talons bas ne sont pas assez épais, ces deux défauts peuvent faire boiter le cheval, parce que les talons n'ont pas as- sez de résistance. Lorsque le sabot est trop large par le bas, et que les quartiers se jettent en dehors, on dit que le pied est plat: dans ce cas la fourchette porte sur la terre, ce qui fait que le cheval boite souvent. Il est sujet à la même incommodité, et par la même cause, lorsque la corne de la fourchette est trop large , ce qu'on appelle fourchette grasse, et ce qui arrive ordinairement lorsque les talons sont bas; la fourchette maigre, serrée, petite et dessé- chée , doit faire soupçonner une encastelure. Lorsque la sole est trop mince, elle est aisément foulée ; lorsqu'elle est trop haute et qu'elle déborde sur la corne, c’est-à-dire lorsque le dessous du pied m'est pas creux, on dit que le cheval à le vied comble, il marche sur la sole, ainsi il doit se blesser et boiter ; les chevaux qui ont les pieds ainsi conformés ne peuvent servir que pour la charrue. Ce qui a été dit par-rapport au canon, au boulet, au paturon , à la couronne et au pied des jambes de devant , servira pour les mêmes parties des jam- bes de derrière ; il ne reste donc qu'à parler de la cuisse et du jarret. Les cuisses maigres, qui n’ont pas le gros de la cuisse bien exprimé , dénotent de la faiblesse dans le train de derrière ; lorsque les cuisses ne sont pas ouvertes en dedans, c'est-à-dire lorsqu'elles sont trop près l’une de l’autre, on dit que le cheval est mal gigoté; c’est un signe de faiblesse. Les petits jarrets sont faibles ; on appelle jarrets gras ceux qui ne sont pas assez décharnés ; ce dé- faut les rend sujets à plusieurs maladies, qui sont la causé dés maux de jambes ; lorsque les jarrets sont trop près l'un de l’autre , on dit que le cheval est crochu où jarreté, ou qu'il est clos du derrière ; dans ce cas il est faible du train de derrière, ce- pendant il peut avoir assez de reins; si le boulet, au lieu d’être à plomb sous le jarret, comme il doit être naturellement , se trouve posé en avant, c'est-à-dire si le bas des jambes de derrière est trop en devant , le cheval passe aussi pour être crochu. Lorsque les jarrets sont trop tournés en dehors, ils empèchent le cheval de s'asseoir sur les hanches , c'est-à-dire d’avoir la croupe plus basse que les 505 épaules ; les jarrets qui se jettent en dehors lorsque le cheval marche , et que l'on appelle pour cette raison jarrets mous, affaiblissent toujours | de derrière ; lorsque le boulet avance de façoni que le cheval n'appuie que sur la pince, on Vappelle rampin ou juché ; ce défaut augmente avec l'âge, et n'est indifférent que lorsqu'il | diént de riaissance, et qu'il est pour ainsi dire naturel. Il faut considérer les jambes les unes par fapport aux autres, lorsque le cheval est arrêté et en repos, pour savoir si leur position n’est pas défectueuse, ” car celles de devant peuvent être trop serrées par le haut, ce qui rend la démarehe difficile ; les jam- bes se todéHAHt souvent lorsqu'elles sont en mou- vement, le cheval peut culbuter. Si les pieds de derrière sont posés trop en avant sous le ventre, cette attitude prouve que le cheval est bien fatigué, il tâche de diminuer le poids qui porte sur ses jam- bes de devant en avançant celles de derrière sous le corps autant qu’il est possible ; lorsque les pieds de derrière sont au contraire posés en arrière , de sorte que l'origine de la queue ne se trouvé pas perpendiculairement au-dessus des jarrets, mais plus en avant, quoique cette situation soit mau- vaise à Fœil, elle n'est pas furt nuisible aux che- vaux, ils peuvent seulement avoir les hanches trop longues. Ce defaut ne les empêche pas de bien al- ler au pas; mais le train de derrière est plus tôt ruiné que dans un cheval différemment conformé : ceux qui n’ont pas le jarret reculé en arrière, comme il doit l'être naturellement, et dont les hanches, les jarrets et les jambes suivent une même direction en ligne droite, ne marchent que difficilement au pas; si le boulet est saillant en avant comme s’il était déboîté, C'est encore une mauvaise position; les chevaux qui posent leurs pieds sur la pince, au lieu d’être posés plats, sont mal situés ; et s'ils tournent en dehors les pieds de derrière , ils n’ont point de force dans les han-. ches en descendant, et ne peuvent reculer qu'à peine. Les chevaux qui, étant arrêtés, meuvent alter- nativement leurs jambes au lieu de rester tran- quilles, sont soupçonnés d'être excédés ou usés par le travail, comme ceux qui posent une des jam- bes de derrière sur la pince , ou ceux qui avañcén U une des jambes de devant et qui demeurent dans celte attitude, ce que l'on appelle vulgairement montrer le chemin de Saint-Jacques. Cependant ces . signes peuvent être équivoques, parce qu’ils sont familiers à certains chevaux qui sont inquiets et pleins d’ardeur ; il y en a d’autres à qui ces mou- .vements et ces mauvaises attitudes sont naturelles ; d’ailleurs une lassitude momentanée peut en être , la cause, et même faire tenir en l'air une jambe de dev ant, car ilarrive assez souvent à ces ani- maux de se reposer sur trois jambes; mais S'ils ap- 564 puient une jambe de derrière sur la pince, tandis qu'une des jambes de devant est en l'air, c'est une marque certaine qu'ils ressentent de ladouleur dans les jambes. Voilà la plupart des signes par lesquels on peut reconnaitre les difformites et les défauts des che- vaux. J'aurais pu en rapporter un plus grand nom- bre, mais j'ai été arrêté par la crainte de rendre ce détail trop long ; je ne me le serais pas même per- mis, s’il n’était ici question d'un animal qu'il im- porte de connaître, parce qu'on ne trouve que très-rarement des chevaux qui n'aient point de mauvaises qualités, et qu'il est très-diflicile de ne se pas laisser tromper sur les défauts des autres. Le choix de ces animaux demande beaucoup d'at- tention; aussi les a-t-on examinés très-scrupuleu- sement , car je ne crois pas qu'il y ait aucun autre animal sur lequel on ait fait autant d'observations que sur le cheval : tout ce que je viens de dire des différentes parties de son corps n’est que pour faire connaître par leur extérieur ce que l’on doit en at- tendre lorsqu’elles sont en mouvement ; c'est dans cet état que le cheval tourne toutes ses forces à notre avantage, qu'il nous obéit avec autant de do- cilité que de constance , et qu’il nous sert avec au- tant de finesse d'instinct que de courage : c'est alors que l'on peut le juger avec le plus de certi- tude, puisqu'il est dans l'exercice actuel de ses bonnes ou de ses mauvaises qualités. M. de Buffon, dans son histoire du cheval, a décrit ce bel animal dans l'état de repos et dans l'état de mouvement ; et en exposant ses diffé- rentes allures , il a fait mention des défauts qui” peuvent les vicier. M. de Buffon a considéré tous les chevaux en général , et a distingué les princi- pales races de ces animaux ; il ne reste donc plus qu’à détailler les différentes sortes de chevaux que nous employons à divers usages, et qu’à décrire le cheval comme individu , pour le comparer aux autres animaux, et distinguer son espèce relative- ment à toute autre. Le mélange des différentes races de chevaux produit dans nos haras des poulains qui diffèrent, pour ainsi dire, tous pour la taille , les proportions du corps et les qualités du tempérament et de l’in- stinct, etc. C’est dans cette grande variété que l'on choisit pour chaque usage les chevaux qui pa- raissent y être le plus convenables ; ainsi on em- ploie différents chevaux pour les voyages, pour la guerre, pour le tirage, pour le bât, etc. Les chevaux que l’on destine à servir de monture dans les voyages , et que l’on appelle chevaux de maître, doivent être dans la force de leur âge et de bonne taille pour résister à la fatigue ; il faut qu'ils aient la jambe sûre, le pied bien fait, la corne bonne, la bouche légère et les mouvements doux : on recherche ceux qui n'ont pas trop d'ardeur, DESCRIPTION mais qui sont tranquilles sans être paresseux. Pour vu qu'ils aient un grand pas, on n’exige pas d'au- tres allures pour les voyages : on rejette les chevaux peureux et ceux qui sont si délicats pour le manger qu'on n’est pas assuré de trouver partout de quoi les nourrir : ces conditions sont nécessaires pour un cheval de maître ; mais on n'en demande pas tant pour un cheval de suite, il suffit qu'il soit de taille étoffée et assez fort pour porter les fardeaux dont il est chargé. La bouche de ces sortes de che- vaux doit être aussi ferme que la main qui les con- duit peut être grossière; certaines gens montent aussi en voyage des bidets qui vont l'amble ou qui aubinent. On prend ordinairement des chevaux entiers pour servir de bidets de poste, afin qu'ils résistent mieux à leur pénible emploi ; il faut de plus qu'ils soient étoffés, courts et ramassés, qu'ils aient la jambe et le pied bons, et qu'ils galopent aisément sans faire sentir leurs reins ; on doit craindre qu'ils ne soient rétifs ou qu'ils n'aient des fantaisies ; au reste, on ne s'inquiète pas des qualités de leur bou- che ni de l'élégance de leur taille. On ne choisit pour le manége, c'est-à-dire on ne dresse pour la guerre que des chevaux qui soient beaux, légers, vigoureux, briilants et vifs ; ils ne peuvent pas avoir la bouche trop bonne ni les mouvements trop doux ; il faut que leur pas et leur galop soient vifs et raccourcis, les jarrets et les reins bons, etc. Les chevaux de guerre que montent les officiers doivent être fins, sensibles, souples , adroïts, cou- rageux et légers ; ceux qui sont peureux , où trop délicats, ou trop ardents, ne conviennent pas à ce genre de service; mais il suffit, pour les chevaux de troupes, qu'ils soient étoffés, robustes et bons trotteurs ; qu'ils aient bien de la jambe et la bouche ferme. On ne recherche que de beaux dehors dans les chevaux d'appareil: ainsi leurs principales qualités sont la beauté du poil, de la figure et des crins; mais il n’est pas moins nécessaire qu'ils soient in- quiets et relevés, qu'ils aient la bouche bonne et écumante, et qu'ils mâchent continuellement leur mors : les piaffeurs font un très-hon effet dans ce genre d'étalage, oùil suffit d'avoir du faux brillant. Lorsqu'on veut avoir un cheval sur lequel on puisse prendre le plaisir de la promenade, on le choisit de taille médiocre, et plutôt petit que grand, parce que les mouvements d'un double bidet sont moins fatigants que ceux d'un grand cheval. Il faut qu'il soit paisible et qu'il marche très-bien le pas; on n'en exige pas trop de vigueur, il suffit qu'il ait la jambe sûre et la bouche bonne; les plus doux et les plus tranquilles des chevaux de ce genre sont ceux que l'on appelle des chevaux de | femme. DU CHEVAL. Les chevaux de maître que l’on destine pour la chasse des chiens courants doivent avoir de la vi- | tesse, de la légéreté, du fond et de l'haleine; il faut qu'ils aient la bouche bonne ; cependant s'ils l'avaient trop sensible , ce serait un inconvénient à cause des branches qui touchent à la bride : on demande aussi qu'ils soient froids , car s’ils se lais- saient emporter au bruit du cor et des chiens, la tête pourrait leur tourner ; on donne aux piqueurs des chevaux plus étoffés et plas communs, mais cependant prompts et vigoureux. Pour chasser au chien couchant , on accoutume les chevaux à entendre un coup de fusii sans s’ef- frayer, et on les appelle chevaux d’arquebuse ; on les prend de la taille de double bidet, c'est-à-dire médiocre , afin qu'il soit plus facile de les monter; | il faut qu'ils soient tranquilles et sans aucune es- pèce de volonté; il suffit qu'ils marchent bien le pas. En général, les chevaux de carrosse doivent avoir un bon trot, les hanches basses, les reins droits et la tête haute , la bouche bonne , les jambes nerveu- ses et les pieds bien conditionnés. Pour les chaises de poste , il faut que le cheval de brancard soit de bonne taille , étoffé et allongé, et qu'il trotte vite et facilement ; il n’est pas néces- saire que le bricolier, c’est-à-dire celui qui porte le postillon , soit si étoffé, mais il doit avoir un galop raccourci et aisé. Or prend ordinairement pour mettre aux char- reltes , à la charrue, ete., des chevaux entiers, de race commune , et épais, que l’on appelle des rous- Sins ; comme ils tirent avec un collier, il est néces- saire qu'ils soient bien étoffés, qu'ils aient le poitrail large et les épaules nourries. Les chevaux de bât , qui servent à porter des far- deaux , doivent être étuffés et avoir les côtes larges et de bons reins ; mais il faut que les chevaux de messager soient plus minces et plus légers , parce qu'ils vont souvent au trot". Voilà les principaux usages auxquels les che- vaux servent, et les principales qualités qui les y rendent propres : ceux qui viennent de race com- mune et grossière ne sont pas moins nécessaires que les plus fins et les plus beaux , qui ne résisteraient pas si bien au travail pénible de la culture des ter- res et du tirage des voitures. Quand nous n’aurions donc que des chevaux de cette sorte, ils ne seraient pas indignes de notre attention et de nos soins, par les services qu'ils nous rendent pour les choses les plus nécessaires ; si nous les méprisons à d’autres égards , ce n'est que par la comparaison que nous en faisons avec des chevaux nés dans un climat dif- férent, et doués de qualités plus brillantes , mais souvent opposées à celles qui sont les plus utiles à l'homme. Un naturaliste s'élève au-dessus de toutes 4 Voyez le nouveau Parfait Maréchal , par M. Garsault, se- conde édition, pages 44 et suivantes. D) ces vues particulières , pour ne considérer tous les chevaux ensemble que comme des individus appar- tenant à la même espèce : toutes les races qui | proviennent de divers climats ne peuvent être regardées que comme des variétés, puisque les différences que l’on y remarque ne sont constantes, pour ainsi dire, en aucun pays, et que la migration de ces races et leur mélange dans l’accouplement les changent et les combinent presque à l'infini dans la suite des générations ; mais les parties essentiel- lesà l'espèce ne peuvent être dénaturées par aucune de ces variations. Tous les chevaux se ressemblent dans toutes les parties qui les constituent, relative- ment à l'espèce ; par conséquent, de quelque race qu'ils puissent être, ils sont également propres à servir de sujets dans les observations qui ont rap- port à l'espèce des chevaux; aussi n’ai-je pas fait grand choix pour ceux que j'ai observés; je les ai pris à peu près tels que j'ai pu les trouver. L’ANE. Ordre des pachydermes, famille des solipèdes, genre cheval. (Cuvier. ) A considérer cet animal, même avec des yeux attentifs et dans un assez grand détail, il parait n'être qu'un cheval dégénéré: la parfaite simili- tude de conformation dans le cerveau, les pou- mons, l'estomac, le conduit intestinal, le cœur, le foie, les autres viscères, et la grande ressem- blance du corps, des jambes , des pieds et du squelette en entier, semblent fonder cette opi- nion. L'on pourrait attribuer les légères diffé- rences qui se trouvent entre ces deux animaux, à l'influence très-ancienne du climat, de la nour- riture , et à la succession fortuite de plusieurs générations de petits chevaux sauvages à demi dégénérés, qui peu à peu auraient encore dégé- néré davantage, se seraient ensuite dégradés au- tant qu'il est possible, et auraient à la fin pro- duit à nos yeux une espèce nouvelle et constante, ou plutôt une succession d'individus semblables, tous constamment viciés de la même façon , et assez différents des chevaux pour pouvoir être regardés comme formant une autre espèce. Ce. qui parait favoriser cette idée, c'est que les che- vaux varient beaucoup plus que les ânes par la couleur de leur poil, qu'ils sont par conséquent plus anciennement domestiques , puisque tous les animaux domestiques varient par la couleur beaucoup plus que les animaux sauvages de la 5066 même espèce; que la plupart des chevaux sau- vages dont parlent les voyageurs sont de petite taille , et ont; comme les ânes , le poil gris, la queue nue, hérissée à l'extrémité, etqu'il yades chevaux sauvages, etmêmedes chevaux domes- tiques qui ont la raie noire sur le dos, etd’autres caractères qui les rapprochent encore des ânes sauvages ou domestiques. D'autre côté, si l'on considère les différences du tempérament, du na- turel, des mœurs, du résultat, en un mot, de l'organisation de ces deux animaux, et surtout l'impossibilité de les mêler pour en faire une es- pèce commune, ou même une espèce intermé- diaire qui puisse se renouveler, on paraitencore mieux fondé à croire que ces deux animaux sont chacun d’une espèce aussi ancienne l’une que l'autre, et originairement aussi essentiellement différentes qu'elles le sontaujourd'hui; d'autant plus que l'âne ne laisse pas de différer matériel- lement du cheval par la petitesse de la taille, la grosseur de la tête, la longueur des oreilles, la duretéde la peau, la nudité de la queue, la forme | de la croupe, et aussi par les dimensions des parties qui en sont voisines, par la voix, l'appé- tit, la manière de boire, etc. L'âne et le cheval viennent-ils donc originairement de la même souche ? sont-ils, comme le disent les nomen- clateurs !, de la même famille ? ou ne sont-ils pas, et n'ont-ils pas toujours été des animaux différents ? Cette question , dont les physiciens sentiront bien la généralité, la difficulté, les conséquences, et que nous avons cru devoir traiter dans cet ar- ticle, parce qu'elle se présente pour la première fois, tient à la production des êtres de plus près qu'aucune autre, et demande, pour être éclair- cie , que nous considérions la nature sous un nouveau point de vue. Si, dans l'immense va- riété que nous présentent tous les êtres animés qui peuplent l'univers, nous choisissons un ani- mal, ou mème le corps de l'homme pour servir de base à nos connaissances, et y rapporter, par la voie de la comparaison, les autres êtres orga- nisés, nous trouverons que, quoique tous ces êtres existent solitairement, et que tous varient par des différences graduées à l'infini, il existe en même temps un dessein primitif et général | qu'on peut suivre très-loin, et dont les dégrada- tions sont bien pluslentes que celles des figures Equus caudà undique setosa, le cheval. Equus caudà ex- tremosetosä, l'âne, Linnæi systema Naturæ, Class. 4, ord, 4, HISTOIRE NATURELLE et des autres rapports apparents; Car, sans par- ler des organes de la digestion, de la cireulation, et de la génération, qui appartiennent à tous les animaux, etsans lesquels l'animal cesseraitd'être animal et ne pourrait ni subsister ni se repro- duire, il y a, dans les parties mêmes qui contri- buent le plus à la variété de la forme extérieure, une prodigieuse ressemblance qui nous rappelle nécessairement l'idée d’un premier dessein, sur lequel tout semble avoir été conçu. Le corps du cheval, par exemple, qui du premier coup d'œil parait si différent du corps de l’homme, lors- qu'on vient à le comparer en détail et partie par partie , au lieu de surprendre par la différence, n'étonne plus que par la ressemblance singulière et presque complète qu'on y trouve. En effet, prenez le squelette de l'homme, inclinez les os du bassin , accourcissez les os des cuisses, des jambes et des bras , allongez ceux des pieds et des mains, soudez ensemble les phalanges , al- longezles mâchoires en raccourcissant l’os fron- tal, et enfin allongez aussi l’épine du dos, ce squelette cessera de représenter la dépauille d'un homme, et sera le squelette d’un cheval: car on peut aisément supposer qu’en allongeänt l'épine du dos et les mâchoires, on augmente en même temps le nombre des vertèbres, des côtes et des dents, et ce n’est en effet que par le nombre de cesos, qu'on peut regardercomme accessoires, et par l'allongement, le raccourcis- sement ou la jonction des autres , que la char- pente du corps de cet animal diffère de la char- pente du corps humain. On vient de voir, dans | la description du cheval, ces faits trop bien éta- blis pour pouvoir en douter. Mais, pour suivre ces rapports encore plus loin, que l'on consi- dère séparément quelques parties essentielles à la forme, les côtes, par exemple, on les trouvera dans l'homme, dans tous les quadrupèdes, dans les oiseaux, dans les poissons , et on en suivra les vestiges jusque dans la tortue, où elles pa- raissent encore dessinées par les sillons quisont sous son écaille ; que l’on considère, comme l’a remarqué M. Daubenton, que le pied d'un che- val, en apparence si différent de la main de l'homme, est cependant composé des mêmes os, et que nous avons à l'extrémité de chacun de nos doigts le même osselet en fer à cheval qui termine le pied de cet animal; et l'on jugera si cette ressemblance cachée n'est pas plus mer- veilleuse que les différences apparentes; sicette |! conformité constante et ce dessein suivi de DE L'ANE. l'hommeaux quadrupèdes, des quadrupèdes aux cétacés, des cétacés aux oiseaux, des oiseaux aux reptiles, des reptiles aux poissons , ete., dans lesquels les parties essentielles , comme le cœur, les intestins, l'épine dudos, lessens, ete., se trouvent toujours, ne semblent pas indiquer qu'en créant les animaux l'Être suprême n’a voulu employer qu'une idée, et la varier en même temps de toutes les manières possibles, afin que l’homme püt admirer également et la magnificence de l'exécution, et la simplicité du dessein. Dans ce point de vue, non-seulement l'âne et le cheval, mais même l’homme, le singe, les qua- drupèdes et tous les animaux, pourraient être regardés comme ne faisant que la même famille : mais en doit-on conclure que dans cette grande et nombreuse famille, que Dieu seul a conçue et tirée du néant, il y ait d’autres petites farnilles projetées par lanature et produites parletemps, dont les unes neseraient composées que de deux individus, comme le cheval et l'âne, d’autres de plusieurs individus, comme celle de la belette, de la martre, du furet, de la fouine, etc., et de même, que dans les végétauxily ait des familles de dix, vingt, trente, etc., plantes ? Si ces fu- milles existaient en effet , elles n'auraient pu se former que par le mélange, la variation succes- sive, et la dégénération des espèces originaires ; et si l'on admet une fois qu’il y ait des familles dans les plantes et dans les animaux, que l'âne soit de la famille du cheval, et qu’il n’en diffère que parce qu'il a dégénéré, on pourra dire éga- lementque le singe est de la famille del'homme, que c’est un homme dégénéré, que l'homme et le singe ont eu une origine commune comme le cheval et l'âne, que chaque famille, tantdans les animaux que dans les végétaux , n’a eu qu'une seulesouche, et même que tous les animaux sont venus d’un seul animal, qui, dans la succession des temps, a produit, en se perfectionnant et en dégénérant, toutes les races des autres ani- maux. Les naturalistes qui établissent si légèrement des familles dans les animaux et dans les végé- taux ne paraissent pas avoir assez senti toute l'étendue de ces conséquences , qui réduiraient le produit immédiat de la création à un nombre d'individus aussi petit que l'on voudrait : car s’il était une fois prouvé qu'on püt établir ces familles avec raison , s’il était acquis que dans les animaux , et même dans les végétaux, il y 567 eût, je he dis pas plusieurs espèces , mais une seule qui eût été produite par la dégénération d'une autre espèce ; s’il était vrai que l'âne ne fût qu'un cheval dégénéré, il n'y aurait plus de bornes àla puissance de la nature, et lon n'au- rait pas tort de supposer que d'un seul être elle a su tirer avec le temps tous les autres êtres or- ganisés. Mais non : il est certain, par la révélation, que tous les animaux ont égaiement participé à la grâce de la création; que les deux premiers de chaque espèce et de toutes les espèces sont sortis tout formés des mains du Créateur, et l'on doit croire qu'ils étaient tels alors, à peu près, qu'ils nous sont aujourd'hui représentés par leurs descendants. D'ailleurs, depuis qu'on ob- serve la nature, depuis le temps d'Aristote jus- qu'au nôtre, l’on n'a pas vu paraître d'espèces nouvelles, malgré le mouvement rapide qui en- traine , amoncelle ou dissipe les parties de la matière; malgré le nombre infini des combinai- sons qui ont dû se faire pendant ces vingt siècles; malgré les accouplements fortuits ou forcés des animaux d'espèces éloignées ou voisines , dont il n’a jamais résulté que des individus viciés et stériles , et qui n’ont pu faire souche pour de nouvelles générations. La ressemblance , tant extérieure qu'intérieure, füt-elle dans quelques animaux encore plus grande qu'elle ne l’est dans le cheval et dans l’âne , ne doit done pas nous porter à confondre ces animaux dans la même famille, non plus qu’à leur donner unecommune origine; car s'ils venaient de la même souche, s'ils étaient en effet de la même famille, on pourrait les rapprocher, les allier de nou- veau, et défaire avec le temps ce que le temps aurait fait. Il faut de plus considérer que, quoique la marche de la nature se fasse par nuances et par degrés souvent imperceptibles, les intervalles de ces degrés ou de ces nuances ne sont pas tous égaux à beaucoup près ; que plus les es- pèces sont élevées, moins elles sont nombreuses, et plus les intervalles des nuances qui les sépa- rent y sont grands ; que les petites espèces au contraire sont très-nombreuses, et en même temps plus voisines les unes des autres, en sorte qu'on est d'autant plus tenté de les con- fondre ensemble dans une même famille, qu'el- les nous embarrassent et nous fatiguent davan- tage par leur multitude et par leurs petites dif- férences, dont nous sommes obligés de nous 568 0 æ charger la mémoire. Mais il ne faut pas oublier que ces familles sont notre ouvrage ; que nous ne les avons faites que pour le soulagement de notre esprit, que s’il ne peut comprendre la suite réelle de tous les êtres, c'est notre faute et non pas celle de la nature, qui ne connait point ces prétendues familles , etne contient en effet que des individus. Un individu est un être à part , isolé , déta- ché, et qui n'a rien de commun avec les autres êtres, sinon qu'il leur ressemble ou bien qu'il en diffère. Tous les individus semblables qui existent sur la surface de la terre sont regardés comme composant l'espèce de ces individus. Cependant ce n’est ni le nombre ni la collection des individus semblables qui fait l'espèce, c'est la succession constante et le renouvellement non interrompu de ces individus qui la consti- tuent : car un être qui durerait toujours ne fe- rait pas une espèce , non plus qu'un million d'êtres semblables qui dureraient aussi toujours. L'espèce est donc un mot abstrait et général , dont la chose n'existe qu'en considérant la na- ture dans la succession des temps, et dans la destruction constante et le renouvellement tout aussi constant des êtres. C’est en comparant la nature d'aujourd'hui à celle des autres temps , et les individus actuels aux individus passés , que nous avons pris une idée nette de ce que l'on appelle espèce ; et la comparaison du nom- bre ou de la ressemblance des individus n’est qu'une idée accessoire, et souvent indépendante de la première; car l'âne ressemble au cheval plus que le barbet au lévrier, et cependant le barbet et le lévrier ne font qu'une même espèce, puisqu'ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d'autres ; au lieu que le cheval et l'âne sont certainement de différentes espèces , puisqu'ils ne produisent ensemble que des individus viciés et inféconds. C’est done dans la diversité caractéristique des espèces que les intervalles des nuances de la nature sont le plus sensibles et le mieux mar- qués : on pourrait même dire que ces intervalles entre les espèces sont les plus égaux etles moins variables de tous, puisqu'on peut toujours tirer | une ligne de séparation entre deux espèces, c'est-à-dire entre deux successions d'individus qui se reproduisent et ne peuvent se mêler, comme l'on peut aussi réunir en une seule es- pece deux successions d'individus qui se repro- duisent en se mêlant. Ce point est le plus fixe ! HISTOIRE NATURELLE que nous ayons en histoire naturelle; toutes les autres ressemblances et toutes les autres dif- férences que l'on pourrait saisir dans la compa- raison des êtres ne seraient ni si constantes , ni si réelles, ni si certaines. Ces intervalles se- ront aussi les seules lignes de séparation que l'on trouvera dans notre ouvrage : nousne diviserons pas les êtres autrement qu'ils le sont en effet; chaque espèce, chaque succession d'individus qui se reproduisent et ne peuvent se mêler, sera considérée à part, et traitée séparément ; et nous ne nous servirons des familles, des genres , des ordres et des classes, pas plus que ne s’en sert la nature. L'espèce n'étant donc autre chose qu'une succession constante d'individus semblables et qui se reproduisent, il est clair que cette déno- mination ne doit s'étendre qu'aux animaux et aux végétaux , et que c'est par un abus des ter- mes ou des idées, que les nomenclateurs l'ont employée pour désigner les différentes sortes de minéraux. On ne doit donc pas regarder le fer comme une espèce, et le plomb comme une autre espèce , mais seulement comme deux mé- taux différents ; et l'on verra dans notre dis- cours sur les minéraux , que les lignes de sépa- ration que nous emploierons dans la division des matieres minérales seront bien différentes de celles que nous employons pour les animaux et pour les végétaux. Mais, pour en revenir à la dégénération des êtres , et particulièrement à celle des animaux, observons et examinons encore de plus près les mouvements de la nature dans les variétés qu'elie nous offre ; et comme l'espèce humaine nous est la mieux connue , voyons jusqu'où s'é- tendent ces mouvements de variation. Les hom- mes diffèrent du blanc au noir par la couleur , du double au simple par la hauteur de la taille, la gresseur, la légèreté, la force, etc.; et du | tout au rien pour l'esprit; mais cette dernière qualité n'appartenant point à la matière, ne doit point être ici considérée: les autres sont les variations ordinaires de la nature qui viennent de l'influence du climat et de la nourriture. Mais ces différences de couleur et de dimension dans la taille n'empêchent pas que le nègre et le blanc, le Lapon et le Patagon, le géant et le nain, ne produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes se reproduire , et que par conséquent ces hommes , si différents en apparence, ne soient tous d'une seule et même DE L'ANE. espèce, puisque cette reproduction constante est ce qui constitue l'espèce. Après ces varia- tions générales , il y en a d'autres qui sont plus particulières, et qui ne laissent pas de se per- pétuer, comme les énormes jambes des hom- mes qu’on appelle de ia race de saint Thomas dans l'ile de Ceylan, les yeux rouges et les cheveux blancs des Dariens et des Chacrelas , les six ! doigts aux mains et aux pieds dans cer- taines familles, etc. Ces variétés singulières sont des défauts ou des excès accidentels qui, s'étant d'abord trouvés dans quelques indivi- dus , se sont ensuite propagés de race en race, comme les autres vices et maladies héréditaires. Mais ces différences, quoique constantes, ne doivent êtres regardées que comme des varié- tés individuelles qui ne séparent pas ces indi- vidus de leur espèce, puisque les races extraor- dinaires de ces hommes à grosses jambes ou à | six doigts peuvent se mêler avec la race ordi- paire, et produire des individus qui se repro- duisent eux-mêmes. On doit dire la même chose de toutes les autres difformités ou mon- struosités qui se communiquent des pères et mères aux enfants. Voilà jusqu'où s'étendent les erreurs de la nature, voila les plus grandes limites de ses variétés dans l'homme ; et s’il y a des individus qui dégénèrent encore davan- tage, ces individus ne reproduisant rien, n'al- tèrent ni la constance ni l'unité de l'espèce. Ainsi il n'y a dans l'homme qu'une seule et même espèce , et quoique cette espèce soit peut- être la plus nombreuse et la plus abondante en individus , et en même temps la plus inconsé- quente et la plus irrégulière dans toutes ses ac- tions, on ne voit pas que cette prodigieuse diversité de mouvements , de nourriture, de climat , et de tant d’autres combinaisons que l'on peut supposer , ait produit des êtres assez différents des autres pour faire de nouvelles souches , et en même temps assez semblables à nous pour ne pouvoir nier de leur avoir ap- partenu. Si le nègre et le blanc ne pouvaient produire ensemble, si même leur production demeurait inféconde , si le mulâtre était un vrai mulet, il y aurait alors deux espèces bien distinctes ; le vègre serait à l'homme ce que l'âne est au che- | * Voyez celte observation curieuse dans les lettres de M. de Maupertuis, où vous trouverez aussi plusieurs idées philoso- phiques très-élevées sur la génération et sur différents autres sujets. | 569 val : ou plutôt, si le blanc était homme, le nègre ne serait plus un homme, ce serait un animal à part comme le singe, et nous serions en droit de penser que le blanc et le nègre n'au- raient point eu uae origine commune. Mais cette supposition même est démentie par le fait, et puisque tous les hommes peuvent communi- quer et produire ensemble , tous les hommes viennent de la même souche et sont de la même famille. Que deux individus ne puissent produire en- semble , il ne faut pour cela que quelques lé- gères disconvenances dans le tempérament, ou quelque défaut accidentel dans les organes de la génération de l’un ou de l'autre de ces deux individus. Que deux individus de différentes espèces , et que l'on joint ensemble , produisent d'autres individus qui, ne ressemblant ni à l’un ni à l'autre , ne ressemblent à rien de fixe, et ne peuvent par conséquent rien produire de semblable à eux, il ne faut pour cela qu'un certain degré de convenance entre la forme du corps et les organes de la génération de ces ani- maux différents. Mais quel nombre immense et peut-être infini de combinaisons ne faudrait-il pas pour pouvoir seulement supposer que deux animaux, mâle et femelle, d'une certaine es- pèce , ont non-seulement assez dégénéré pour n'être plus de cette espece, c’est-à-dire pour ne pouvoir plus produire avec ceux auxquels ils étaient semblables ; mais encore dégénéré tous deux précisément au même point, et à ce point nécessaire pour ne pouvoir produire qu'en- semble! Et ensuite quelle autre prodigieuse im- mensité de combinaisons ne faudrait-il pas en- core pour que cette nouvélle production de ces deux animaux dégénérés suivit exactement les mêmes lois qui s'observent dans la production des animaux parfaits ! car un animal dégénéré est lui-même une production viciée; et com- mentsepourrait-il qu'une origine viciée, qu'une dépravation, une négation, püt faire souche, et non-seulement produire une succession d'é- tres constants, mais même les produire de la même façon et suivant les mêmes lois que se reproduisent en effet les animaux dont l'origine est pure ? Quoiïiqu'on ne puisse done pas démontrer que la production d'une espèce par la dégénération soit une chose impossible à la nature, le nom- | bre des probabilités contraires est si énorme, que, philosophiquement même, on n'en peut 570 guère douter : car si quelque espèce a été pro- duite par la dégénération d'une autre, si l'es- pèce de l'âne vient de l'espèce du cheval, cela n'a pu se faire que successivement et par nuan- ces ; il y aurait eu entre le cheval et l’âne un grand nombre d'animaux intermédiaires, dont les premiers se seraient peu à peu éloignés de la nature du cheval, et les derniers se seraient approchés peu à peu de celle de l’âne. Et pour- quoi ne verrions-nous pas aujourd'hui les re- présentants , les descendants de ces espèces in- termédiaires ? pourquoi n’en est-il demeuré que les deux extrèmes ? L'âne est done un âne, et n'est point un cheval dégénéré , un cheval à queue nue; il n'est ni étranger, ni intrus, ni bâtard; il a, comme tous les autres animaux , sa famille , son espèce et son rang; son sang est pur; et quoi- que sa noblesse soit moins illustre , elle est tout aussi bonne , tout aussi ancienne que celle du cheval. Pourquoi donc tant de mépris pour cet animal , si bon, si patient, si sobre, si utile ? Les hommes mépriseraient-ils jusque dans les animaux ceux qui les servent trop bien et à trop peu de frais? On donne au cheval de l'éducation, on le soigne, on l’instruit, on l'exerce; tandis que l'âne , abandonné à la grossièreté du dernier des valets, ou à la malice des enfants, bien loin d'acquérir, ne peut que perdre par son éducation ; et s’il n'avait pas un grand fonds de bonnes qualités , il les perdrait en effet par la manière dont on le traite : il est le jouet, le plas- tron , le bardeau des rustres qui le conduisent le bâton à la main, qui le frappent, le surchar- gent, l'excèdent sans précautions, sans ména- gement. On ne fait pas attention que l'âne serait par lui-même, et pour nous, le premier , le plus beau, le mieux fait, le plus distingué des ani- maux , si dans le monde il n’y avait point de cheval. Il est le second au lieu d’être le pre- mier , et par cela seul il semble n'être plus rien. C’est la comparaison qui le dégrade; on le re- garde , on le juge , non pas en lui-même, mais relativement au cheval : on oublie qu'il est âne, qu'il a toutes les qualités de sa nature, tous les dons attachés à son espèce ; et on ne pense qu'à la figure et aux qualités du cheval, qui lui man- quent , et qu'il ne doit pas avoir. Il est de son naturel aussi humble, aussi pa- tient , aussi tranquille, que le cheval est fier, ardent , impétueux ; il souffre avec constance, et peut-être avec courage , les châtiments et les HISTOIRE NATURELLE coups. Il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture: il se contente des her- bes les plus dures, les plus désagréables, que le cheval et les autres animaux lui laissent et dé- daignent. Il est fort délicat sur l’eau, il ne veut boire que de la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus. Il boit aussi sobrement qu'il mange, et n’enfonce point du tout son nez dans l'eau par la peur que lui fait, dit-on, l'ombre de ses oreilles '. Comme l'on ne prend pas la peine de l'étriller, il se roule souvent sur le gazon , sur les chardons, sur la fougère; et, sans se soucier beaucoup de ce qu'on Jui fait porter , il se couche pour se rouler toutes les fois qu'il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu’on prend de lui; car il ne se vautre pas, comme le cheval, dans la fange et dans l’eau; il craint même de se mouiller les pieds, et se détourne pour éviter la boue ; aussi a-t-il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval. Il est susceptible d’édu- cation, et l'on en a vu d'assez bien dressés ? pour faire curiosité de spectacle. e Dans la première jeunesse , il est gai, et même assez joli : il a de la légèreté et de la gen- tillesse ; mais il la perd bientôt, soit par l'âge, soit par les mauvais traitements , et il devient lent , indocile et têtu : il n’est ardent que pour le plaisir , ou plutôt il en est furieux, au point que rien ne peut le retenir , et que l'on en a vu s'excéder et mourir quelques instants après; et comme il aime avec une espèce de fureur, il a aussi pour sa progéniture le plus fort attache- ment. Pline nous assure que lorsqu'on sépare la mère de son petit, elle passe à travers les flammes pour aller le rejoindre. Il s'attache aussi à son maître, quoiqu'il en soit ordinaire- ment maltraité : il le sent de loin , et le distingue de tous les autres hommes. Il reconnait aussi les lieux qu'il a coutume d'habiter, les chemins qu'il a fréquentés. Il a les yeux bons, l'odorat admirable, surtout pour les corpuscules de l'â- , nesse ; l'oreille excellente , ce qui a encore con- tribué à le faire mettre au nombre des animaux timides, qui ont tous, à ce qu'on prétend, l'ouié très-fine et les oreilles longues. Lorsqu'on le surcharge, il le marque en inelinant la tête et baissant les oreilles. Lorsqu'on le tourmente trop, il ouvre la bouche et retire les lèvres d'une manière très-désagréable, ce qui lui donne l'air { Voyez Cardan, de Subtilitate , lib. x. 2 Vide Aldrovand., de Quadrup. Solidiped., lib. 4. p. 508. DE L'ANE, moqueur et dérisoire. Si on lui couvre les yeux, il reste immobile ; et lorsqu'il est couché sur le côté , si on Jui place la tête de manière que l'œil soit appuyé sur la terre, et qu'on couvre l'autre œil avec une pierre ou un morceau de bois, il restera dans cette situation sans faire aucun mouvement et sans se secouer pour se relever. 11 marche, il trotte et il galope comme le che- val; mais tous ces mouvements sont petits et beaucoup plus lents. Quoiqu'il puisse d'abord courir avec assez de vitesse , il ne peut fournir qu'une petite carrière pendant un petit espace de temps ; et quelque allure qu'il prenne, si on le presse, il est bientôt rendu. Le cheval hennit et l'âne brait ; ce qui se fait par un grand cri très-long, tres-désagréable , et discordant par dissonances alternatives de l'aigu au grave et du grave à l’aigu. Ordinaire- ment il ne crie que lorsqu'il est pressé d'amour ou d’appétit. L'ânesse a la voix pluselaire et plus perçante. L'ânequ'on a fait hongrene brait qu'à basse voix ; et quoiqu'il paraisse faire autant d'effort et les mêmes mouvements de la gorge, son cri ne se fait pas entendre de loin. De tous les animaux couverts de poil l'âne est celui qui est le moins sujet à la vermine : jamais il n'a de poux, ce qui vient apparemment de la dureté et de la sécheresse de sa peau, qui est en effet plus dure que celle de la plupart des autres quadrupèdes; et c’est par la même rai- son qu'il est bien moins sensible que le cheval au fouet et à la piqüre des mouches. A deux ans et demi les premières dents inci- ives du milieu tombent, et ensuite les autres incisives à côté des premières tombent aussi et se renouvellent dans le même temps et dans le même ordre que celles du cheval. L'on connait aussi l'âge de l'âne par les dents ; les troisièmes incisives de chaque côté le marquent comme dans le cheval. Dès l’âge de deux ans l'âne est en état d’en- gendrer. La femelle est encore plus précoce que le mâle, et elle est tout aussi lascive; c'est par cette raison qu'elle est très-peu féconde; elle rejette au dehors la liqueur qu’elle vient de re- cevoir dans l'accouplement, à moins qu'on n'ait soin de lui ôter promptement la sensation du plaisir, en lui donnant des coups pour calmer la suite des convulsions et des mouvements amou- reux ; sans cette précaution elle ne retiendrait que très-rarement. Le temps le plusordinaire de la chaleur est le mois de mai et celui de Juin. 971 Lorsqu'elle est pleine, la chaleur cesse bientôt, et dans le dixième mois le lait parait dans les mamelles : elle met bas dans ledouzième mois, et souvent il se trouve des morceaux solides dans la liqueur de l'amnios, semblables à l'hip- pomanès du poulain. Sept jours après l'accou- chement la chaleur se renouvelle, et l'Anesse est en état de recevoir le mâle; en sorte qu'elle peut, pour ainsidire, continuellement engendrer et nourrir. Ellene produit qu'un petit, etsirare- ment deux, qu'à peine en a-t-on des exemples. Au bout de einq ou six mois on peut sevrer l'â- non, et cela est même nécessaire si la mère est pleine , pour qu'elle puisse mieux nourrir son fœtus. L'âne étalon doit être choisi parmi les les plus grands et les plus forts de son es- pèce; il faut qu'il ait au moins trois ans, et qu'il n'en passe pas dix; qu'il ait les jambes hautes, le corps étoffé, la tête élevée et légère, les yeux vifs, les naseaux gros , l'encolure un peu longue, le poitrail large, les reins charnus, la côte large, la croupe plate, la queue courte, le poil luisant, doux au toucher et d'un gris foncé. L'âne, qui comme le cheval est trois ou quatre ans à croitre, vit aussi comme lui vingt-cinq ou trente ans : on prétend seulement queles femelles vivent ordinairement plus longtemps que les mâles, mais cela ne vient peut-être que de ce qu'étant souvent pleines, elles sont un peu plus ménagées, au lieu qu'on excède continuellement les mâles de fatigues et de coups. Ils dorment moins que les chevaux, et ne se couchent pour dormir que quand ils sont excédés. L'âne éta- lon dure aussi plus longtemps que le cheval étalon ; plus il est vieux, plus il parait ardent, et en général la santé de cet animal est bien plus ferme que celle du cheval: il est moins dé- licat, et il n’est pas sujet, à beaucoup près, à un aussi grand nombre de maladies; les anciens même ne lui en connaissaient guère d'autres que celle de la morve, à laquelle il est, comme nous l'avons dit, encore bien moins sujet que le cheval. Il y a parmi les ànes différentes races comme parmi les cheyaux, mais quel'on connaitmoins, parce qu'on ne les a ni soignés ni suivis avec la même attention; seulement on ne peut guère douter que tous ne soient originaires des cli- mats chauds. Aristote ! assure qu'il n’y en avait point de son temps en Scythie, ni dans les autres 1 Vide Aristot., de Generat. Animal., lib. 44. 572 HISTOIRE NATURELLE pays septentrionaux qui avoisinent la Scythie, ni même dans les Gaules, dont le climat , dit-il, ne laisse pas d'être froid ; et il ajoute que le cli- mat froid, ou les empèche de produire, oules fait dégénérer , et que c'est par cette dernière rai- son que dans l'Illyrie, la Thrace et l'Épire , ils sont petits et faibles : ils sont encore tels en France, quoiqu'ils y soient déjà assez ancienne- ment naturalisés, et que le froid du climat soit bien diminué depuis deux mille ans par la quan- tité de forêts abattues et de marais désséchés. Mais, ce qui parait encore plus certain, c'est qu'ils sont nouveaux! pour la Suède et pour les autres pays du nord. Ils paraissent ètre venus originairement d'Arabie, et avoir passé d'Ara- bie en Égypte, d'Égypte en Grèce, de Grèce en Italie, d'Italie en France, et ensuite en Alle- magne, en Angleterre, et enfin en Suède, ete.; car ils sont en effet d'autant moins forts et d’au- tant plus petits, que les climats sont plus froids. Cette migration parait assez bien prouvée par le rapport des voyageurs. Chardin ? dit « qu'il y a deux sortes d’ânes en Perse : les « ânes du pays, qui sont lents et pesants, dont « on ne se sert que pour porter des fardeaux ; « et une race d ânes d'Arabie, qui sont de fort « jolies bêtes et les premiers ânes du monde: « ils ont le poil poli, la tête haute, les pieds 1é- « gers; ils les lèvent avec action, marchant bien, « et l’on ne s'en sert que pour montures. Les « selles qu'on leur met sont comme des bâts « ronds et plats par-dessus ; elles sont de drap « ou detapisserieavec les harnais et les étriers ; « on s’assied dessus plus vers la croupe que vers « le cou. Il y a de ces ânes qu’on achète jus- « qu'à quatre cents livres, et l’on n’en saurait « avoir à moins de vingt-cinq pistoles. On les « panse comme les chevaux , mais on ne leur « apprend autre chose qu'à aller l'amble; et « l’art de les y dresser est de leur attacher les « jambes, celles de devant et celles de derrière « du même côté, par deux cordes de coton, « qu'on fait de la mesure du pas de l'âne qui va « l'amble, et qu'on suspend par une autre corde « passée dans la sangle à l'endroit de l'étrier. « Des espèces d'écuyers les montent soir et ma- « tin et les exercent à cette allure. Onleur fend « lesnaseaux afin de leur donner plus d'haleine, et ils vont si vite qu'il faut galoper pour les suivre. » 1 Vide Linnæi Faunam Suecicam. 3 Voyez le Voyage de Chardin, tome LI, pages 26 et 27. Les Arabes, qui sont dans l'habitude de con- server avec tant de soin et depuis si longtemps les races de leurs chevaux, prendraient-ils la même peine pour les ânes? ou plutôt ceci ne semble-t-il pas prouver que le climat d'Arabie est le premier et le meilleur climat pour les uns et pour les autres? De jà ils ont passé en Barbarie !, en Égypte, où ils sont beaux et de grande taille, aussi bien que dans les climats ex- cessivement chauds , comme aux Indes et en Guinée ?, où ils sont plus grands, plus forts et meilleurs que les chevaux du pays; ils sont même en grand honneur à Maduré ?, où l'une des plus considérables et des plus nobles tribus des Indes les révère particulièrement, parce qu'ils croient que les âmes de toute la noblesse passent dans le corps des ânes. Enfin l’on trouve les ânes en plus grande quantité que les chevaux danstousles pays méridionaux, depuis le Sénégal jusqu'à la Chine ; on y trouve aussi les ânes sau- vages plus communément que des chevaux sau- vages. Les Latins, d’après les Grecs, ont appelé l'âne sauvage onager, onagre, qu'il ne faut pas confondre , comme l'ont fait quelques natura- listes et plusieurs voyageurs, avec le zèbre, dont nous donnerons l'histoire à part, parce que le zèbre est un animal d’une espèce différente de celle de l'âne. L'onagre ou l’âne sauvage n’est point rayé comme le zèbre, et il n’est pas, à beaucoup pres , d'une figure aussi élégante. On trouve des ânes sauvages dans quelques iles de l'Archipel, et particulièrement dans celle “ de Cérigo. Il y en a beaucoup dans les déserts de Libye et de * Numidie : ils sont gris et courent si vite qu'il n'y a que les chevaux barbes qui puissent les atteindre à la course. Lorsqu'ils voient un homme, ils jettent un cri, font une ruade, s'arrêtent, et ne fuient que lorsqu'on les approche : on les prend dans des piéges et dans des lacs de corde ; ils vont par troupes pà- turer et boire; on en mange la chair. Il y avait aussi, du temps de Marmol, que je viens de citer, des ânes sauvages dans l'ile de Sar- daigne, mais plus petits que ceux d'Afrique : et Pietro della Valle © dit avoir vu un âne sau- * Voyez le voyage de Shaw, t. 1, page 508. 2Voyez le Voyage de Guinée de Bosmau, Utrecht, 1705, pages 259 et 240. 5 Voyez les Lettres édifiantes, douzième recueil page 96. 4 Voyez le recueil de Dapper, pages 185 et 578. 5 Vide Leonis afric. de Afric. descript., tome II, page 52, et l'Afrique de Marmol, tome 1, page 53. 5 Voyez les Voyages de Pietro della Valle, tome VIII, p.49 DE L'ANE. 975 vage à Bassora : sa figure n'était point diffé- rente de celle des ânes domestiques; il était seulement d'une couleur plus claire, et il avait depuis la tête jusqu'à la queue une raie de poil blond : il était aussi beaucoup plus vif et plus léger à la course que les ânes ordinaires. Olea- rius ! rapporte qu'un jour le roi de Perse le fit monter avec lui dans un petit bâtiment en forme de théâtre, pour faire collation de fruits et de confitures ; qu'après le repas on fit entrer trente- deux ânes sauvages sur lesquelsle roi tira quel- ques coups de fusil et de flèche , et qu'il permit ensuite aux ambassadeurs et autres seigneurs de tirer; que ce n'était pas un divertissement de voir ces ânes, chargés qu'ils étaient quelque- fois de plus.de dix flèches, dont ils incommo- daient et blessaient les autres quand ils se mê- aient avec eux ; de sorte qu'il se mettaient à se mordre et à ruer les uns contre les autres d’une étrange façon; et que quand on les eut tous abattus et couchés de rang devant le roi, on les envoya à Ispahan à la cuisine de la cour; les Persans faisant un si grand état de lachair de ces ânes sauvages, qu'ils en ont fait un proverbe, ete. Mais iln'y a pas apparence que ces trente-deux ânes sauvages fussent tous pris dans les fo- rêts, et c'étaient probablement des ânes qu'on élevait dans de grands parcs, pour avoir le plai- sir de les chasser et de les manger. On n'a point trouvé d'ânes en Amérique, non plus que de chevaux, quoique le climat, surtout celui de l'Amérique méridionale, leur convienne autant qu'aucun autre. Ceux que les Espagnols y ont transportés d'Europe, et qu'ils ont aban- donnés dans les grandes iles et dans le conti- nent, y ont beaucoup multiplié; et l'on y trouve ? en plusieurs endroits des ànes sauva- ges qui vont par troupes, et que l’on prend dans des piéges comme des chevaux sau- vages. L'âne avec la jument produit les grands mu- lets; le cheval avec l'’âänesse produit les petits mulets, différents des premiers à plusieurs égards : mais nous nous réservons de traiter en particulier de la génération des mulets, des ju- marts , ete., et nous terminerons l'histoire de l'âne par celle de ses propriétés et des usages auxquels nous pouvons l'employer. ! Voyez le Voyage d'Adam Olearius , Paris, 4656, tome I, page 511. £ 2 Voyez le Nouveau Voyage aux îles de l'Amérique, Paris, 1722, tome Ii, page 295. Comme les ânes sauvages sont inconnus dans ces climats, nous ne pouvons pas dire si leur chair est en effet bonne à manger : mais ce qu'il y a de sûr, c'est que celle des ânes domes- tiques est très-mauvaise, et plus mauvaise, plus dure, plus désagréablement insipide que celle du cheval : Galien! dit même que c’est un ali- ment pernicieux et qui donne des maladies. Le lait d'ânesse, au contraire, est un remède éprouvé et spécifique pour certains maux, et l'usage de ce remède s’est conservé depuis les Grecs jusqu'à nous. Pour l'avoir de bonne qua- lité, il faut choisir une ânesse jeune, saine, bien en chair, qui ait mis bas depuis peu de temps, et qui n'ait pas été couverte depuis : il faut lui ôter l’ânon qu'elle allaite, la tenir propre, la bien nourrir de foin, d'avoine, d'or- ge, et d'herbes dont les qualités salutaires puis- sent influer sur la maladie; avoir attention de ne pas laisser refroidir le lait, et même ne le pas exposer a l'air, ce qui le gâterait en peu de temps. Les anciens attribuaient aussi beaucoup de vertus médicinales au sang , à l'urine , ete., de l'âne, et beaucoup d’autres qualités spécifiques à la cervelle, au cœur, au foie, ete., de cet animal : mais l'expérience a détruit, ou du moins n’a pas confirmé ce qu'ils nous en di- sent. Comme la peau de l’âne est très-dure, et très- élastique, on l’emploie utilement à différents usages : on en fait des cribles , des tambours et de très-bons souliers; on en fait du gros par- chemin, pour les tablettes de poche, que l’on enduit d’une couche légère de plâtre. C'est aussi avec le euir de l'âne que les Orientaux font le sagri?, que nous appelons chagrin. Il y a apparence que les os, comme la peau de cet animal , sont aussi plus durs que les os des au- tres animaux, puisque les anciens en faisaient des flûtes, et qu'ils les trouvaient plus son- nants que tous les autres os. L'âne est peut-être de tous les animaux ce- lui qui, relativement à son volume, peut porter les plus grands poids; et comme il ne coûte presque rien à nourrir, et qu’il ne demande, pour ainsi dire , aueun soin, il est d’une grande utilité à la campagne, au moulin, ete. Il peut aussi servir de monture ; toutes ses allures sont 4 Vide Galen. de alim. Facuit., lib, 144. 2 Voyez le Voyage de Thévenot, tome IH, page 64. 574 douces, et il bronche moins que le cheval. On le met souvent à la charrue dans les pays où le terrain est léger, et son fumier est un excellent engrais pour les terres fortes et hu- mides. DESCRIPTION DE L'ANE, EXTRAIT DE DAUBENTON, On distingue aisément au premier coup d'œil l'âne du cheval; on ne confond jamais ces ani- maux, quand même on en verrait deux qui se- raient précisément de la même taille et de la même couleur. Cependant , lorsque l’on considère en dé- tail les différentes parties extérieures du corps de l'âne, et qu'on les compare à celles du cheval, on trouve, dans la plupart de ces parties ; tant de rap- ports et une ressemblance si parfaite, qu'on est suroris que leur ensemble paraisse sensiblement différent de l’ensemble des parties du cheval : et de même, si on vient à ouvrir le corps de l'âne, à développer ses entrailles, à dépouiller son squelette, on croît reconnaître toutes les parties intérieures du cheval. Si on ne regarde qu'au dedans de ces animaux ; plus on les observe ; plus on les compare l'an à l'autre, plus on est tenté de les prendre pour des individus de la même espèce : et même les différences que l’on trouve en quelques-unes des parties de l'extérieur ne prouveraient rien de con- taire, car les caractères spécifiques que l'on attribue communément à l'âne , et qui consistent en ce qu'il est plus petit, qu'il a les oreilles et la queue plus longues , et la crinière plus courte que le cheval, et en ce que sa queue n’est garnie de crins qu’à l'extrémité, ne sont pas des caractères essentiels , puisque nous trouvons toutes ces différences por- tes à un plus haut point dans différentes races d'autres animaux. Il n'y a pas tant d'inégalité entre la taille des plus grands chevaux et celle des plus petits ânes, qu'en- tre la taille d'un dogue et celle d’un petit danois. Lesoreilles du chien-loup sont plus courtes, en com- paraison de celles du chien-basset , que les oreilles du cheval ne le sont en comparaison de celles de l'âne : de plus, les oreilles du chien-loup sont droi- tes, et celles du basset sont pendantes, différence qui ne se trouve pas entre le cheval et l'âne. Le chien-lion et l'épagneal ont les poils du cou si longs, et le lévrier et le danoïs les ont si courts, que cette inégalité surpasse de beaucoup celle qui se trouve entre la crinière de l'âne et celle du cheval; n'y a- Lil pas aussi plus de différence dans la queue des chiens , qu'il ne s’en trouve entre celle du cheval et celle de l'âne, en considérant cette partie dans DESCRIPTION les chiens relativement à sa direction et à sa cour- bure, et par rapport aux poils dont elle est garnie ? enfin l’âne ne ressemble-t-il pas plus au cheval, pour l'extérieur, qne le chien-ture ne ressemble au barbet, où le basset au lévrier ? L'äne s'accouple avec la jument, et le cheval avec l’änesse. El y a tant de rapports entre les par- ties de la génération de ces animaux , qu'il n'est pas étonnant que leurs accouplements soient proli. fiques ; mais c’est dans le produit que se trouve une différence essentielle. Les mulets ne ressem- blent parfaitement ni aux chevaux ni aux ânes, puisqu'ils ne peuvent pas se reproduire comme lés chiens qui viennent du mélange de différentes ra- ces ; de quelque façon qu'on les combine, et lors même qu'on rapproche les extrèmes en faisant ac- coupler les plus grands avec les plus-petits : il y a par conséquent une analogie plus parfaite entre les chiens les plus différents en apparence, qu'entre l'âne et le cheval, même les mieux assortis ponr la taille et pour toutes les parties du corps, quand même on trouverait un cheval qui aurait, comme l'âne, les oreilles fort longues, la crinière fort courte, et une partie du tronçon de la queue na- turellement dégarnie de crins. Les rapports que l’on a observés entre l'âne et le cheval , tant à l'intérieur qu’à l'extérieur, doivent nous engager à rechercher les différences qui peu- vent se trouver entre ces deux animaux. Il ne suf- firait donc pas de dire, en un mot, comme plusieurs anteurs, que l’âne ressemble au cheval ; ce sujet mérite d'être discuté; il faut nécessairement rap= porter des observations détaillées , qui donneront une idée juste et précise des ressemblances , et qui pourront faire reconnaître des différences que l'on ne peut apercevoir et reconnaitre que par la com- paraison suivie et crconstanciée des principales parties extérieures et intérieures du corps de l'âne avec celles du corps du cheval. Cependant jé ne fe- rai pas une nouvelle exposition de la figure et de la situation des parties qui sont semblables dans l'âne et dans le cheval ; il suffira de donner leurs dimen- sions prises d'après les sujets qui ont servi à cette description. Les dénominations des parties exté- rieures du corps du cheval appartiennent de droit à celles de l'âne et des autres solipèdes ; ainsi je les emploierai conformément à l'explication qui a été donnée dans la description du cheval. Tous ces ter- mes sont applicables à l'âne , puisqu'il est composé des mêmes parties que le cheval; cependant il faut remarquer que l’âne n'a point de châtaignes dans les jambes de derrière, maïs il y en a des vestiges sur les jambes de devant, qui sont placés à peu près dans lé même endroit que les châtaignes dn cheval. Ces vestiges sont marqués par une peau noire et dégarnie de poil, sans qu'il paraïsse aucune matière de corne; on voit aussi sur la partie DE L'ANE. inférieure et postérieure des boulets de chaque jambe un petit disque de peau noire et sans corne, qui semble représenter la trace des ergots du cheval. On ne peut faire aucun usage des termes dont les écuyers se servent pour exprimer les couleurs des poils. Elles ne sont pas , à beauéoup près, aussi variées dans l'âne ; par conséquent les dénomina- ons ordinaires des couleurs sont plus que suffisantes pour les désigner. La couleur la plus commune, dans les ânes , est le gris de souris; il y en a aussi de gris luisants et de gris mêlés de taches obscures ; on en voit de blancs , de roux, de bruns et de noirs. Les ânes gris ont le museau blanc jasqu'à quatre doigts au-dessus des naseaux , et cette tache blan- che est le plus souvent terminée en haut par une bande teinte de roux ; le bout des lèvres est noir ; la même couleur s'étend jusqu'aux naseaux , mais on ne voit dans quelques individus que deux ban- des noires qui se prolongent de chaque côté jus- qu'à la narine ; les oreilles sont bordées de noir, et, pour ainsi dire, tachées de cette couleur sur la base au dehors et à la pointe ; le reste est d'un gris mêle de roux. Il y a une longue raie noire qui s'étend de- puis le toupet, tout le long de la crinière , qui passe sur le garrot, et qui suit la colonne vertébrale dans toute sa longueur et le tronçon de la queue jusqu'à l'extrémité ; une autre bande de la même couleur traverse la raie sur le garrot, et descend de chaque côté à peu près jusqu'au milieu des épaules; la par- lie antérieure de la raie est sur les crins du milieu du toupet et de la crmière qui sont noirs, la face inté- rieure de la queue est de cette même couleur. Dans la plupart des äânes gris , le genou , le boulet, le pa- turon et la couronne sont bruns ou noirs, dans les jambes de devant et dans celles de derrière ; il s'en trouve quelques-uns qui ont un deuni-cercle noirâtre dans le milieu du bras en devant et sur le dessus du canon des jambes de derrière. D'autres ont deux denu-cercles de cette même couleur à un pouce de distance l’un de l'autre sur le devant du bras; mais cela ne se trouve que très-rarement, et il est plus ordinaire de voir le bas des quatre jambes marqué de brun ou de noir en forme d'anneaux dans quel- ques endroits. Le dedans des oreilles, le canal, le gosier, le poitrail, le ventre, les flancs et la face intérieure des bras et des cuisses sont blancs dans presque tous les ânes, de quelque couleur qu'ils soient ; ou si ces parties ne sont pas blanches , elles ont au moins une teinte de blanc sale ou de couleur moins foncée que le reste du corps. La plupart des ânes ont aussi un cercle blanc ou blanchätre autour des yeux, et le bord extérieur de ce cercle est le plus souvent d'une couleur roussâtre, qui se délaie et s'éteint peu à peu à mesure qu'elle s'éloigne du cercle blane. Les ânes bruns et ceux qui sont roux ont du uvir sur les oreilles comme les gris, mais le milieu 578 de la face extérieure est de couleur moins foncée que le reste du corps. Il y alieu de croire que la couleur la plus natu- relle aux ânes est le gris ou le gris mêlé de quelques teintes de fauve, et que si nous avions des ânes sauvages , ils seraient tels que les ânes gris que je viens de décrire. Ils auraient des taches ou des ban- des noires sur un fond gris, et quelques teintes d'o rangé : avec ces trois couleurs on pourrait faire, comme pour le cheval , toutes les nuances et toutes les teintes du poil de tous les ânes, mème de ceux qui varient le plus pour la couleur. Cette variété serait sans doute plus grande si on prenait plus de soin pour le choix des étalons et pour le mélange des individus ; mais ces animaux sont fort négligés, surtout dans ces pays-ci. Pourvu qu'ils marchent bien, qu'ils aient les jambes fermes et assurées , et qu'ils soient assez forts pour porter des fardeaux, on ne recherche en aucune façon la couleur de leur poil, m les taches qui sont sur la couleur domi- nante , ni les épis qui se trouvent formés par un certain arrangement du poil comme sur les che- vaux. Cependant il y a des ânes qui ont des balzanes aussi bien que la pelote ou le chanfrein blanc, mais la bande blanche du chanfrein se confond avec le blanc du bout du museau. Ils ont tous, au moins tous ceux que j'ai vus, un épi au milieu du Chan- frein, et j'ai trouvé aussi, dans la plupart, deux épis auprès de la crinière, derrière les oreilles , un de chaque côté ; en général le poil de l’äne est plus dur, plus ferme et plus long que celui du cheval. On fait peu d'attention aux proportions du corps des ânes, on ne rejette que ceux qui ont des défauts opposés à l'usage auquel ils sont destinés, encore faut-il que ces défauts soient très-apparents , tels que sont ceux des jambes malsaines ou arquées, qui rendent l'animal faible ou sujet à trébucher; et du dos concave sur sa longueur, qui par cette con- formation de Fépine est moins propre à supporter des charges que le dos convexe , que l'on appelle dos de carpe. Comme ces animaux ne servent pas pour l'appareil, et qu'ils ne sont employés pour l'ordi- naire qu'aux travaux les plus durs, on ne s’est pas appliqué à perpétuer ceux qui sont le mieux faits, on n'est convenu presque d'aucune règle pour re- connaître ceux qui sontle mieux proportionnés dans toutes les parties de leurs corps. Je ne doute pas que les chevaux ne soient la cause de cet oubli, et que s'il n'y en avait point, on n'eût fait autant de re- cherches pour trouver quelles peuvent être la beauté et l'élégance de la taille de l'âne, qu'il y en a de faites sur le cheval; car nous aurions été obligés d'employer les ânes à presque tous les usages aux- quels nous faisons servir les chevaux. Les règles qui ont été donnés pour constater les belles pro- portions , ou les difformités et les défauts de dif- férentes parties du corps de ces animaux , ne con- 576 viennent pas toutes à l'âne, surtout lorsqu'il est question de la tête, du cou , du dos, des hanches, de la croupe, ete., parce qu'il y a trop de différen- ces entreces mêmes parties considérées dans l'âne et dans le cheval; ilse trouve plus de rapportsentre les autres parties du corps de ces deux animaux, principalement pour les jambes de l'un et de l'autre; cependant il ne faudrait pas attribuer strictement à l'âne tout ce qui a été dit des jambes du cheval. . . ce sitele A a eee Matures a jn/fefieile) ie si sn En comparant l'âne au cheval pour la figure et pour le port, on reconnait au premier coup d'œil que l'âne a la tête plus grosse à proportion du corps que le cheval ; les oreilles beaucoup plus allongées , le front et les tempes garnis d’un poil plus long , les yeux moins saillants et la paupière inférieure plus aplatie , la lèvre supérieure plus pointue , et, pour ainsi dire, pendante; l'encolure plus épaisse, le garrot moins élevé, et le poitrail plus étroit et pres- que confondu avec le gosier. Le dosest convexe; en général l'épine est saillante dans toute son étendue jusqu'à la queue; les hanches sont plus hautes que le garrot; la croupe est plate et avalée; enfin la queue est dégarnie de crins depuis son origine en- viron jusqu'aux trois quarts de sa longueur. Au reste l'âne est très-ressemblant au cheval, surtout pour les jambes de devant ; car pour celles de der- rière , la plupart des ânes que j'ai vus n’ont paru crochus , ou jarretés et clos du derriére. Une grosse tête, un front et des tempes chargées | de poils longs et touffus , des yeux éloignés l’un de l'autre et enfoncés, et un museau renflé vers son extrémité, donnent à l'âne un air de stupidité et d'imbécillité , au lieu de l'air de douceur et de doci- lité quiparaît dans le cheval. La partie inférieure de la tête de l'âne, qni s'étend depuis les yeux jusqu'au bout des lèvres, est moins allongée que dans le che- val, en comparaison de l’espace qui est entre les yeux et les oreilles : non-seulement elle est moins allongée, mais elle est plus large, plus épaisse et plus plate ; d’ailleurs les oreilles étant plus longues, plus vacillantes et plus abaissées, cetensemble rend la physionomie de l'âne grossière, tandis que les differences que nous avons observées dans ces mêmes parties, sur le cheval, lui donnent un air de finesse. La tête de l'âne grosse et pesante, ses oreil- les longues et vacillantes, son encolure large et épaisse, son poitrail effacé, son dos arqué et, pour ainsi dire, tranchant, ses hanches plus élevées que le garrot, sa croupe aplatie, sa queue nue et les jambes de derrière crochues, rendent son port ignoble. Ces défauts influent sur sa démarche et sur tou- tes ses allures, principalement lorsqu'on les com- pare à celles du cheval. Cependant, sans cet objet de comparaison qui avilit si fort l'âne , il serait pré- féré à tous nos animaux domestiques pour servir de HISTOIRE NATURELLE monture et pour bien d'autres usages, et peut-être qu'après l'avoir perfectionné autant qu'il peut l’é- tre, par le choix des étalons, dans une longue suite de générations, et par les soins de l'éducation , il pourrait servir aux mêmes usages que le cheval : on découvrirait de belles proportions dans la taille de l'âne, on vanterait sa légèreté et la diversité de ses allures; on admirerait les bonnes qualités de son instinet en comraraison de la pesanteur et de la férocité du taureau , de la lenteur et de la stupidité du bœuf, qui seraient avec l'âne les seuls de nos animaux domestiques qui pussent servir de mon- ture, s'il n'y avait point de chevaux. Mais en vertu de cette supposition, je ne prétends pas entrepren- dre de tirer l'âne du mépris où il est, ni le mettre en rivalité avec le cheval ; 11 me suffit de faire ob- server qu'aux yeux d'un naturaliste l'âne est un animal aussi considérable et aussi digne de recher- ches que le cheval; les parties extérieures de son corps, prises séparément ou considérées relative- ment à l’ensemble qu'elles forment, sont aussi ad- mirables, quoique moins élégantes. LE BOEUF. Ordre des Ruminants à cornes, genre bœuf. (Cuwicr. ) La surface de la terre, parée de sa verdure, est le fonds inépuisable et commun duquel l'homme et les animaux tirent leur subsistance, Tout ce qui a vie dans la nature vit sur ce qui végète, et les végétaux vivent à leur tour des débris de tout ce qui a vécu et végété. Pour vi- vre il faut détruire; et ce n’est en effet qu’en détruisant des êtres que les animaux peuvent se nourrir et se multiplier. Dieu, en créant les premiers individus de chaque espèce d'animal et de végétal , a non-seulement donné la forme à la poussière de la terre, mais il l’a rendue vi- vante et animée, en renfermant dans chaque individu une quantité plus ou moins grandede principes actifs, de molécules organiques vi- vantes, indestructibles et communes à tous les êtres organisés. Ces molécules passent de corps en corps, et servent également à la vie actuelle et à la continuation de la vie, à la nutrition , à l'accroissement de chaque individu; et après la dissolution du corps, apres sa destruction, sa réduction en cendres, ces molécules organi- ques, sur lesquelles la mort ne peut rien, sur- vivent, circulent dans l'univers, passent dans d'autres êtres, et y portent la nourriture et la vie. Toute production, tout renouvellement, tout accroissement par la génération, par la INVATENVT NI 28 DU BOŒUF. nutrition, par le développement, supposent done une destruction précédente, une conver- sion de substance, un transport de ces molé- cules organiques qui ne se multiplient pas, mais qui, subsistant toujours en nombre égal, rendent la nature toujours également vivante, la terre également peuplée, et toujours égale- ment resplendissante de la première gloire de celui qui l'a créée. A prendre les êtres en général, le total de la quantité de vie est donc toujours le même; et la mort, qui semble tout détruire, ne détruit rien de cette vie primitiveet commune à toutes les espèces d'êtres organisés. Comme toutes les autres puissances subordonnées et subalternes, la mort n’attaque que les individus, ne frappe que la surface, ne détruit que la forme , ne peut rien sur la matière, et ne fait aucun tort à la nature qui n’en brille que davantage, qui ne lui permet pas d'anéantir les espèces, mais la laisse moissonner les individus et les détruire avec le temps , pour se montrer elle-même in- dépendante de la mort et du temps, pour exer- cer à chaque instant sa puissance toujours ac- tive , manifester sa plénitude par sa fécondité, et faire de l'univers, en reproduisant, en re- nouvelant les êtres. un théâtre toujours rempli, un spectacle toujours nouveau. Pour que les êtres se succèdent, il est done nécessaire qu'ils se détruisent entre eux; pour que les animaux se nourrissent et subsistent, il faut qu'ils détruisent des végétaux ou d’autres animaux ; et comme avant et après la destruc- tion, la quantité de vie reste toujours la même, il semble qu'il devrait être indifférent à la na- ture que telle ou telle espèce détruisit plus ou moins : cependant, comme une mère économe, au sein même de l'abondance, elle a fixé des bornes à la dépense et prévenu le dégât appa- rent, en ne donnant qu'à peu d'espèces d'ani- maux l'instinct de se nourrir de chair; elle a même réduit à un assez petitnombre d'individus ces espèces voraces et carnassières, tandis qu'elle a multiplié bien plus abondamment et les espèces et les individus de ceux qui se nourrissent de plantes, et que dans les végé- taux elle semble avoir prodigué les espèces, et répandu dans chacune avec profusion le nom- bre et la fécondité. L'homme a peut-être beau- coup contribué à seconder ses vues, à mainte- nir et même à établir cet ordre sur la terre ; car dans la mer on retrouve cette indifférence que Le 577 nous supposions : toutes les espèces sont pres- que également voraces ; elles vivent sur elles- mêmes ou sur les autres, et s'entre-dévorent perpétuellement sans jamais se détruire, parce que la fécondité y est aussi grande que la dé- prédation , et que presque toute la nourriture , toute la consommation, tourne au profit de la reproduction. L'homme sait user en maitre de sa puissance sur les animaux; il a choisi ceux dont la chair flatte son goût, il en a fait des esclaves domes- tiques, il les a multipliés plus que la nature ne l'aurait fait, il en a formé des troupeaux nom- breux , et, par les soins qu'il prend de les faire naitre , il semble avoir acquis le droit de se les immoler : mais il étend ce droit bien au-delà de ses besoins; car, indépendamment de ces espèces qu'il s'est assujetties, et dont il dispose à son gré, il fait aussi la guerre aux animaux sauvages, aux oiseaux , aux poissons : il ne se borne pas même à ceux du climat qu'il habite, il va chercher au loin, et jusqu’au milieu des mers, de nouveaux mets, et la nature entière semble suffire à peine à son intempérance et à l'inconstante variété de ses appétits. L'homme consomme , engloutit lui seul plus de chair que tous les animaux ensemble n’en dévorent : il est done ie plus grand destructeur, et c’est plus par abus que par nécessité. Au lieu de jouir modérément des biens qui lui sont offerts, au lieu de les dispenser avec équité, au lieu de ré- parer à mesure qu'il détruit, de renouveler lorsqu'il anéantit, l'homme riche met toute sa gloire à consommer, toute sa grandeur à per- dre en un jour à sa table plus de biens qu'il n'en faudrait pour faire subsister plusieurs fa- milles ; il abuse également et des animaux et des hommes, dont le reste demeure affamé, languit dans la misère, et ne travaille que pour satisfaire à l'appétit immodéré et à la va- nité encore plus insatiable de cet homme, qui, détruisant les autres par la disette, se détruit lui-même par les excès. Cependant l’homme pourrait, comme l'ani- mal, vivre de végétaux : la chair, qui parait être si analogue à la chair, n’est pas une nour- riture meilleure que les graines ou le pain. Ce qui fait la vraie nourriture , celle qui contribue à la nutrition, au développement, à l’accrois- sement et à l'entretien du corps, n’est pas cette matière brute qui compose à nos yeux la tex- ture de Ja chair ou de l’herbe ; mais ce sont les 57 578 molécules organiques que l'une et l’autre con- tiennent, puisque le bœuf, eu paissant l'herbe, acquiert autant de chair que l'homme ou que les animaux qui ne vivent que de chair et de sang. La seule différence réelle qu'il y ait entre ‘ces aliments, c'est qu'à volume égal , la chair, le blé, les graines, contiennent beaucoup plus de molécules organiques que l'herbe , les feuil- les, les racines, et les autres parties des plan- tes, comme nous nous en sommes assurés en observant les infusions de ces différentes ma- tières ; en sorte que l'homme et les animaux dont l'estomac et les intestins n’ontpasassez de capacité pour admettre un très-grand volume d'aliments, ne pourraient pas prendre assez d'herbe pour en tirer la quantité de molécules organiques nécessaire à leur nutrition; et c'est par cette raison que l'homme et les autres ani- maux qui n'ont qu'un estomac ne peuvent vi- vre que de chair ou de graines, qui dans un petit volume contiennent une très-grande quantité de ces molécules orgamques nutritives, tandis que le bœuf et les autres animaux rumi- nants qui ont plusieurs estomacs , dont l'un est d'une très-grande capacité, et qui par consé- quent peuvent se remplir d'un grand volume d'herbe, en tirent assez de molécules organi- ques pour se nourrir, eroitre et multiplier, La quantité compense ici la qualité de la nourri- ture: mais le fonden est le même ; c’est la mème matière, ce sont les mêmes molécules organi- ques qui nourrissent le bœuf, l'homme et tous les animaux. On ne manquera pas de m'opposer que le cheval n’a qu'un estomac, et même assez petit; que l'âne, le lièvre et d'autres animaux qui vi- vent d'herbe n’ont aussi qu'un estomac, et que par conséquent cette explication, quoique vraisemblable, n’en est peut-être ni plus vraie, ni mieux fondée. Cependant, bien loin que ces exceptions apparentes la détruisent, elles me paraissent au contraire la confirmer ; car quoique le cheval et l'âne n'aient qu'un esto- mac, ils ont des poches daus les intestins, d'une si grande capacité, qu'on peut les comparer à la panse des animaux ruminants ; et les lièvres ont l'intestin eœcum d'une si grande longueur et d'un tel diamètre, qu'il équivaut au moins à un second estomac. Ainsi il n’est pas étonnant que ces animaux puissent se nourrir d'herbes; et en général on trouvera toujours que c’est de la capacité totale de l'estomac et des intestins que HISTOIRE NATURELLE dépend dans les animaux la diversité de leur manière de se nourrir; car les ruminants, comme le bœuf, le bélier, le chameau, ete., ont quatre estomacs, et des intestins d'une lon- gueur prodigieuse; aussi vivent-ils d'herbe, et l'herbe seule leur suffit. Les chevaux, les ânes, les lièvres, les lapins, les cochons d'Inde, ete., n'ont qu'un estomac ; mais ils ontun cœeum qui équivaut à un second estomac, et ils vivent d'herbe et de graines. Les sangliers, les héris- sons , les écureuils, etc., dont l'estomac et les boyaux sont d'une moindre capacité, ne man- gent que peu d'herbe, et vivent de graines, de fruits et de racines; et ceux qui, comme les loups, les renards, les tigres , ete., ont l’esto- mac et les intestins d'une plus petite capacité que tous les autres, relativement au volume de leur corps, sont obligés , pour vivre, de choi- sir les nourritures les plus suceulentes, les plus abondantes en molécules organiques, et de manger de la chair et du sang, des graines et des fruits. C’est done sur ce rapport physique et néces- saire , beaucoup plus que sur la convenance du goût, qu'est fondée la diversité que nous voyons dans les appétits des animaux : Car si la nécessité ne les déterminait pas plus souvent que le goût, comment pourraient-ils dévorer la chair infecte et corrompue avec autant d’avi- dité que la chair succulente et fraîche? Pour- quoi mangeraient-ils également de toutes sortes de chair? Nous voyons que les chiens domesti- ques, qui ont de quoi choisir, refusent assez con- stamment certaines viandes, comme la bécasse, la grive, le cochon, ete.; tandis que les chiens sauvages , les loups, les renards , etc., mangent également et la chair du cochon, et la bécasse, et les oiseaux de toute espèce, et même les grenouilles, car nous en avons trouvé deux dans l'estomac d’un loup; et lorsque la chair ou le poisson leur manque, ils mangent des fruits, des graines, des raisins, ete., et ils pré- fèrent toujours tout ce qui, dans un petit vo- lume, contient une grande quantité de parties nutritives, c'est-à-dire de molécules organiques propres à la nutrition et à l'entretien du corps. Si ces preuves ne paraissent pas suffisantes, que l'on considère encore la manière dont on nourrit le bétail que l’on veut engraisser, On commence par la castration, ce qui supprime la voie par laquelle les molécules organiques s'é- chappent en plus grande abondance; ensuite, DU BOŒUF. au lieu de laisser le bœuf à sa pâture ordinaire et à l'herbe pour toute nourriture, on lui donne du son, du grain, des navets, des ali- ments en un mot plus substantiels que l'herbe; et en très-peu de temps la quantité de la chair de l'animal augmente, les sues et la graisse abondent, et font d'une chair assez dureetassez sèche par elle-même une viande suceulenteet si bonne , qu'elle fait ia base de nos meilleurs repas. Il résulte aussi de ce que nous venons de dire que l'homme, dont l'estomac et les in- testins ne sont pas d’une très-grande capacité relativement au volume de son corps, ne pour- rait pas vivre d'herbe seule : cependant il est prouvé par les faits qu'il pourrait bien vivre de paiu , de légumes et d'autres graines de plan- tes, puisqu'on connait des nations entières et des ordres d'hommes auxqueis la religion dé- fend de manger de rien qui ait eu vie, Mais ces exemples, appuyés mème de l'autorité de Py- thagore, et recommandés par quelques méde- cins trop amis de la diète , ne me paraissent pas suffisants pour nous convaincre qu'il y eùt à gagner pour la santé des hommes et pour la multiplication du genre humain à ne vivre que de iégumes et de pain, d'autant plus que les gens de la campagne, que le luxe des villes et la somptuosité de nos tables réduisent à cette facon de vivre , languissent et Gépérissent plus tôt que les hommes de l’état mitoyen, auxquels l'inanition et les excès sont également in- connus. Après l'homme, les animaux qui ne vivent que de chair sont les plus grands destructeurs ; ils sont en même temps et les ennemis de la na- ture et les rivaux de l’homme : ce n'est que par une attention toujours nouvelle et par des soins prémédités et suivis qu'il peut conserver ses troupeaux , ses volailles, ete., en les mettant à l'abri de la serre de l'oiseau de proie, et de la dent carnassière du loup, du renard, de la fouine, de la belette , etc. ; ce n’est que par une guerre continuelle qu'il peut défendre son grain , ses fruits, toute sa subsistance, et même ses vêtements , contre la voracité des rats, des chenilles , des scarabées, des mites, etc. : car les insectes sont aussi de ces bêtes qui, dans le monde, font plus de mal que de bien; au lieu que le bœuf, le mouton et les autres animaux qui paissent l'herbe, non-seulement sont les meilleurs, les plus utiles, les plus précieux pour l'homme, puisqu'ils le nourrissent, mais sont QE EE 579 encore ceux qui consomment et dépensent le moins : le bœuf surtout est à cet égard l'animal par excellence; car il rend à la terre tout au- tant qu'il en tire, et même il améliore le fonds sur lequel il vit, il engraisse son pâturage : au lieu que le cheval et la plupart des autres ani- maux amaigrissent en peu d'années les meilleu- res prairies. Mais ce ne sont pas là les seuls avantages que le bétail procure à l'homme : sans le bœuf, les pauvres et les riches auraient beaucoup de peine à vivre; la terre demeurerait incalte; les champs et même les jardins seraient secs et stériles : c'est sur lui que roulent tous les tra- vaux de la campagne ; il est le domestique le plus utile de la ferme, le soutien du ménage champêtre ; il fait toute la force de l’agricul- ture : autrefois il faisait toute la richesse des hommes, et aujourd’hui il est encore la base de l'opulence des états, qui ne peuvent se soute- nir et fleurir que par la culture des terres et par l’abondance du bétail, puis que ce sont les seuls biens réels, tous les autres, et même l'or et l'argent, n'étant que des biens arbitraires, des représentations, des monnaies de crédit, qui n'ont de valeur qu'autant que le produit de la terre leur en donne. Le bœuf ne convient pas autant que le che- val, l'âne, le chameau, ete., pour porter des fardeaux ; la forme de son dos et de ses reins le démontre : mais la grosseur de son cou et la largeur de ses épaules indiquent assez qu'il est propre à tirer et à porter le joug : c’est aussi de cette manière qu'il tire le plus avantageu- sement ; et il est singulier que cet usage ne soit pas général , et que dans des provinces entières on l'oblige à tirer par les cornes : la seule rai- son qu'on ait pu m'en donner, c’est que. quand il est attelé par les cornes, on le conduit plus aisément ; il a la tête très-forte, et il ne laisse pas de tirer assez bien de cette facon, mais avec beaucoup moins d'avantage que quand il tire par les épaules. Il semble avoir été fait ex- près pour la charrue ; Ia masse de son corps, la lenteur de ses mouvements, le peu de hauteur de ses jambes, tout, jusqu’à sa tranquillité et à sa patience dans le travail, semble concourir à le rendre propre à la culture des champs , et plus capable" qu'aucun autre de vaincre la ré- sistance constante et toujours nouvelle que la terre oppose à ses efforts. Le cheval, quoique peut-être aussi fort que Le bœuf, est moins 580 propre à cet ouvrage : il est trop élevé sur ses jambes; ses mouvements sont trop grands, trop brusques ; et d’ailleurs il s'impatiente et se re- bute trop aisément : on lui ôte même toute la légereté, toute la souplesse de ses mouvements, toute la grâce de son attitude et de sa démar- che, lorsqu'on le réduit à ce travail pesant, pour lequel il faut plus de constance que d'ar- deur, plus de masse que de vitesse, et plus de poids que de ressort. Dans les espèces d'animaux dont l'homme a fait des troupeaux, et où la multiplication est l'objet principal, la femelle est plus nécessaire, plus utile, que le mâle. Le produit de la vache est un bien qui croit et qui se renouvelle à cha- que instant: la chair du veau est une nourri- ture aussi abondante que saine et délicate ; le lait est l'aliment des enfants; le beurre , l’assai- sonnement de la plupart de nos mets; le fro- mage, la nourriture la plus ordinaire des habitants de la campagne. Que de pauvres familles sont aujourd’hui réduites à vivre de leur vache! Ces mêmes hommes qui tous les jours, et du matin au soir, gémissent dans le travail et sont courbés sur la charrue , ne tirent | | fait cet animal indocile et fier; dans le temps du de la terre que du pain noir, et sont obligés de céder à d'autres la fleur, la substance de leur grain ; c'est par eux et ce n'est pas pour eux que les moissons sont abondantes. Ces mêmes hommesquiélèvent, qui multiplient le bétail, qui le soignent et s'en occupent perpétuellement, | n'osent jouir du fruit de leurs travaux; la chair de ce bétail est une nourriture dont ils sont for- cés de s'interdire l'usage, réduits par la né- cessité de leur condition, c'est-à-dire par la du- reté des autres hommes, à vivre, comme les chevaux, d'orge et d'avoine, ou de jégumes grossiers , et de lait aigre. On peut aussi faire servir la vache à la char- rue; et quoiqu’elle ne soit pas aussi forte que le bœuf, elle ne laisse pas de le remplacer sou- vent. Mais lorsqu'on veut l'employer à cet usage, il faut avoir attention de l'assortir, autant qu'on le peut, avec un bœuf de sa taille et de sa force, ou avec une autre vache, afin de conserver l'égalité du trait et de main- tenir le soc en équilibre entre ces deux puis- sances : moins elles sont inégales, et plus le labour de la terre est facile et régulier. Au reste, on emploie souvent six et jusqu'à huit bœufs dans les terrains fermes, et surtout dans les friches , qui se lèvent par grosses mottes et par HISTOIRE NATURELLE quartiers; au lieu que deux vachessuffisent pour labourer les terrains meubles et sablonneux. On peut aussi, dans ces terrains légers, pousser à chaque fois le sillon beaucoup plus loin que dansles terrains forts. Les anciens avaient borné à une longueur de cent vingt pas la plus grande étendue du sillon que le bœuf devait tracer par une continuité non interrompue d'efforts et de mouvements; après quoi, disaient-ils, il faut cesser de l’exciter, et le laisser reprendre ha- leine pendant quelques moments avant de pour- suivre le même sillon ou d'en commencer un autre. Mais les anciens faisaient leurs délices de l'étude de l’agriculture, et mettaient leur gloire à labourer eux-mêmes, ou du moins à favoriser le laboureur, à épargner la peine du | cultivateur et du bœuf ; et parmi nous ceux qui jouissent le plus des biens de cette terre sont ceux qui savent le moins estimer, encourager, soutenir l’art de la cultiver. Le taureau sert principalement à la propa- gation de l'espèce; et quoiqu'on puisse aussi le soumettre au travail, on est moins sûr de son obéissance, et il faut être en garde contre l'usage qu’il peut faire de sa force. La nature a rut il devient indomptable, et souvent furieux; mais par la castration l'on détruit la source de ces mouvements impétueux, et l’on ne re- tranche rien à sa force : il n’en est que plus gros, plus massif, plus pesant et plus propre à l’ou- vrage auquel on le destine , il devient aussi plus traitable , plus patient, plus docile et moins in- commode aux autres. Un troupeau de taureaux ne serait qu'une troupe effrénée que l’homme ne pourrait ni dompter, ni conduire. La manière dont se fait cette opération est assez connue des gens de la campagne : cepen- dant il y a sur cela des usages très-différents , dont on n’a peut-être pas assez observé les dif- férents effets. En général, l’âge le plus conve- nable à la castration est l'âge qui précède im- médiatement la puberté. Pour le bœuf, c’est dix-huit mois ou deux ans ; ceux qu’on y sou- met plus tôt périssent presque tous. Cependant les jeunes veaux auxquels on ôte les testicules quelque temps après leur naissance, et qui survivent à cette opération si dangereuse à cet âge, deviennent des bœufs plus grands, plus gros , plus gras que ceux auxquels on ne fait la castration qu'à deux, trois ou quatre ans ; mais ceux-ci paraissent conserver plus de courage et DU BOŒUF. 581 d'activité, et ceux qui ne la subissent qu'à l'âge , seconde ou troisième fois , et sitôt qu’elles sont de six, sept ou huit ans, ne perdent presque rien des autres qualités du sexe masculin: ils sont plus impétueux, plus indociles que les autres bœufs; et dans le temps de la chaleur des femelles ils cherchent encore à s’en appro- cher ; mais il faut avoir soin de les en écarter: l'accouplement, et même le seul attouchement du bœuf fait naître à la vulve de la vache des espèces de carnosités ou de verrues, qu'il faut détruire et guérir en y appliquant un fer rouge. Ce mal peut provenir de ce que ces bœufs, qu'on n'a que bistournés, c'est-à-dire auxquels on a seulement comprimé les testicules, et serré et tordu les vaisseaux qui y aboutissent, ne lais- sent pas de répandre une liqueur apparemment à demi purulente, et qui peut causer des ulcères à la vulve de la vache, lesquels dégénèrent en- suite en carnosités. Le printemps est la saison où les vaches sont le plus communément en chaleur : la plupart dans ce pays-ci reçoivent le taureau et devien- nent pleines depuis le 15 avril jusqu’au 15 juil- let; mais il ne laisse pas d'y en avoir beaucoup dont la chaleur est plus tardive, et d’autres dont la chaleur est plus précoce. Elles portent neuf mois, et mettent bas au commencement du dixième. On a donc des veaux en quantité depuis le 15 janvier jusqu'au 15 avril; on en a aussi pendant tout l'été assez abondamment ; et l'automne est le temps où ils sont le plus ra- res. Les signes de la chaleur de la vache ne sont point équivoques : elle mugit alors très- fréquemment et plus violemment que dans les autres temps ; elle saute sur les vaches, sur les bœufs, et même sur les taureaux : la vulve est gonflée et proéminente au-dehors. Il faut profi- ter du temps de cette forte chaleur pour lui don- ner le taureau ; si on laissait diminuer cette ar- deur, lavacheneretiendrait pas aussisürement. Le taureau doit être choisi, comme le cheval étalon, parmi les plus beaux de son espèce : il doit être gros, bien fait et en bonne chair; il doit avoir l’œil noir, le regard fier , le front ouvert, la tête courte, les cornes grosses, cour- tes et noires, les oreilles longues et velues, le mufle grand, le nez court et droit, le cou charnu et gros, les épaules et fa poitrine larges, les reins fermes , le dos droit, les jambes grosses et charnues, la queue longue et bien couverte de poil , l'allure ferme et sûre, et le poil rouge, Les vaches retiennent souvent dès la première, pleines, le taureau refuse de les couvrir , quoi- qu'il y ait encore apparence de chaleur; mais ordinairement la chaleur cesse presque aussitôt | qu'elles ont conçu, et elles refusent aussi elles- mêmes les approches du taureau. Les vaches sont assez sujettes à avorter lors- | qu'on ne les ménage pas et qu’on les met à la charrue, au charroi, ete. Il faut même les soi- | gner davantage et les suivre de plus près, lors- qu'elles sont pleines, que dans les autres temps, afin de les empêcher de sauter des haies, des fossés, ete. Il faut aussi les mettre dans les pà- turages les plus gras, et dans un terrain qui, sans être trop humide et marécageux, soit ce- pendant très-abondant en herbe. Six semaines ou deux mois avant qu'elles mettent bas, on les nourrira plus largement qu’à l'ordinaire, en leur donnant à l’étable de l'herbe pendant l'été, et pendant l'hiver du son le matin, ou de la lu- zerne , du sainfoin , etc. On cessera aussi de les traire dans ce même temps, le lait leur est alors plus nécessaire que jamais pour la nour- riture de leur fœtus : aussi y a-t-il des vaches dont le lait tarit absolument un mois ou six se- maines avant qu’elles mettent bas. Celles qui ont du lait jusqu'aux derniers jours sont les meilleures mères et les meilleures nourrices ; mais cé lait des derniers tempsest généralement mauvais et peu abondant. Il faut les mêmes at- tentions pour l'accouchement de la vache que pour celui de la jument; et même il parait qu'il en faut davantage, car la vache qui met bas paraît être plus épuisée, plus fatiguée que la jument. On ne peut se dispenser de la mettre dans une étable séparée, où il faut qu’elle soit chaudement et commodément sur de la bonne litière, et de la bien nourrir, en lui donnant pendant dix ou douze jours de la farine de fè- ves, de blé ou d'avoine, ete., délayée avec de l'eau salée, et abondamment de la luzerne, du sainfoin ou de bonne herbe bien mûre; ce temps suffit ordinairement pour la rétablir , après quoi on la remet par degrés à la vie commune et au pâturage : seulement il faut encore avoir l’at- tention de lui laisser tout son lait pendant les deux premiers mois, le veau profitera davan- tage , et d'ailleurs le lait de ces premiers temps n'est pas de bonne qualité. On laisse le jeune veau auprès de sa mère pendant les cinq ou six premiers jours , afin qu'il soit toujours chaudement , et qu’il puisse 582 HISTOIRE NATURELLE teler aussi souvent qu'il en à besoin; mais il croit et se fortilie assez dans ces cinq ou six jours, pour qu'on soit dès lors obligé de l'en séparer si l'on veut la ménager, car il l’épui- serait s'il était toujours auprès d'elle. Il suffira de le laisser teter deux ou trois fois par jour ; et si l'on veut lui faire une bonne chair et l'en- graisser promptement, on lui donnera tous les jours des œufs crus, du lait bouilli, de la mie de pain : au bout de quatre ou cinq semaines ce veau sera excellent à manger. On pourra donc ne laisser teter que trente ou quarante jours les veaux qu’on voudra livrer au boucher; mais il faudra laisser au lait pendant deux mois au moins ceux qu'on voudra nourrir: plus on les laissera teter , plus ils deviendront gros et forts. On préférera pour les élever ceux qui se- ront nés aux mois d'avril, mai et juin, les veaux qui naissent plus tard ne peuvent acquérir assez de force pour résister aux injures de l'hiver suivant ; ils languissent par le froid et périssent presque tous. À deux, trois ou quatre mois on sèvrera donc les veaux qu'on veut nourrir, et avant de leur ôter le lait absolument on leur donnera un peu de bonne herbe ou de foin fin, pour qu'ils commencent à s’accoutumer à cette nouvelle nourriture; après quoi on les séparera tout à fait de leur mère, et on ne les en laissera point approcher ni à l'étable ni au pâturage, où cependant on les mènera tous les jours, et où on les laissera du matin au soir pendant l'été : mais dès que le froid commencera à se faire sentir en automne , il ne faudra les laisser sortir que tard dans la matinée et les ramener de bonne heure le soir; et pendant l'hiver, comme le grand froid leur est extrèmement contraire, on les tiendra chaudement dans une étable bien fermée et bien garnie delitière; on leur donnera, avec l'herbe ordinaire, du sainfoin, de la lu- zerne, etc., et on ne les laissera sortir que par les temps doux. Il leur faut beaucoup de soins pour passer ce premier hiver : c’est le temps le plus dangereux de leur vie; car ils se fortifieront assez pendant l'été suivant pour ne plus crain- dre le froid du second hiver. La vache est à dix-huit mois en pleine pu- berté , et le taureau à deux ans ; mais quoiqu'ils puissent déjà engendrer à cet âge, on fera bien d'attendre jusqu'à trois ans avant de leur per- mettre de s'accoupler. Ces animaux sont dans leur grande force depuis trois ans jusqu'à neuf; après cela les vaches et les taureaux ne sont plus propres qu'à être engraissés et livrés au bou- cher. Comme ils prennent en deux ans la plus grande partie de leur accroissement , la durée de leur vie est aussi, comme dans la plupart des autres espèces d'animaux, à peu près de sept fois deux ans; et communément ils ne vivent guère que quatorze où quinze ans, ” | Dans tous les animaux quadrupèdes, la voix du mâle est plus forte et plus grave que celle de la femelle , et je ne crois pas qu'il y ait d'excep- tion à cette règle. Quoique les anciens aient écrit que la vache, le bœuf, et même le veau, avaient la voix plus grave que le taureau, il est très-certainquele taureau a la voix beaucoup plus forte, puisqu'il se fait entendre de bien plus loin que la vache, le bœuf ou le veau. Ce qui a fait croire qu'il avait la voix moins grave, c'est que son mugissement n'est pas un son simple, mais un son composé de deux ou trois octaves, dont la plus élevée frappe le plus l'oreille; et en y faisant attention , l'on entend en même temps un son grave, et plus grave que celui de la voix de la vache, du bœuf et du veau, dont les mugissements sont aussi bien plus courts. Le taureau ne mugit que d'amour; la vache mugit plus souvent de peur et d'horreur que d'amour ; et le veau mugit de douleur, de besoin de nour- riture et de désir de sa mère. Les animaux les plus pesants et les plus pa- resseux ne sont pas ceux qui dorment le plus profondément ni le plus longtemps. Le bœuf dort, mais d'un sommeil court et léger; il se réveille au moindre bruit. Il se couche ordinai- rement sur le côté gauche, et le rein ou rognon de ce côté gauche est toujours plus gros et plus chargé de graisse que le rognon du côté droit. Les bœufs, comme les autres animaux do- mestiques, varient pour la couleur : cependant le poil roux parait être le plus commun, et plus il est rouge, plus il est estimé. On fait cas aussi du poil noir, et l’on prétend que les bœufs sous poil bai durent longtemps; que les bruns durent moios et se rebutent de bonne heure; que les gris, les pommelés et les blanes ne valent rien pour le travail, et ne sont propres qu'à être en- graissés.. Mais de quelque couleur que soit le poil du bœuf, il doit être luisant, épais et doux au toucher; car s'il est rude, mal uni ou dé- garni, on a raison de supposer que l'animal souffre, où du moins qu'il n’est pas d'un fort tempérament. Un bon bœuf pour la charrue ne doit être ni trop gras, ni trop maïgre; il doit DU BOŒUF. avoir la tête courte et ramassée, les oreilles grandes, bien velues et bien unies, les cornes fortes, luisantes et de moyenne grandeur, le front large, les yeux gros et noirs, le mufle gros et camus, les naseaux bien ouverts, les dents blanches et égales , les lèvres noires , le cou charnu, les épaules grosses et pesantes , la poi- trine large, le fanon, c'est-à-dire la peau du devant pendante jusque sur les genoux, les reins fort larges, le ventre spacieux et tombant, les flancs grands, les hanches longues, la croupe épaisse, les jambes et les cuisses grosses et ner- veuses, le dos droit et plein, la queue pendante jusqu’à terre, et garnie de poils touffus et fins ; les pieds fermes, le cuir grossier et maniable, les muscles élevés et l’ongle court et large. Il faut qu'il soit sensible à l’aiguillon , obéissant à la voix et bien dressé. Mais ce n’est que peu à peu, et en s’y prenant de bonne heure, qu’on peut accoutumer le bœuf à porter le joug volon- tiers, et à se laisser conduire aisément. Dès l’âge de deux ans et demi ou trois ans au plus tard il faut commencer à l’apprivoiser et à le subjuguer ; si l’on attend plus tard il devient in- docile, et souvent indomptable : la patience, la douceur, et même les caresses, sont les seuls moyens qu'il faut employer; la force et les mau- vais traitements ne serviraient qu'à le rebuter pour toujours. Il faut done lui frotter lecorps , le earesser , lui donner de temps en temps de l'orge bouillie , des fèves concassées, et d’autres nourritures de cette espèce, dont il est Le plus friand, et toutes mélées de sel qu'il aime beau- coup. En même temps on lui liera souvent les cornes; quelques jours après on le mettra au joug, et on lui fera trainer la charrue avec un autre bœuf de même taille, et qui sera tout dressé; on aura soin de les attacher ensemble à la mangeoïire ; de les mener de même au pâ- turage , afin qu'ils se connaissent et s’habituent àn'avoir que des mouvements communs ; etl’on n'emploiera jamais l’aiguillon dans les commen- cements , il ne servirait qu'à le rendre plus in- traitable. Il faudra aussi le ménager et ne le faire travailler qu'à petites reprises, car il se fatigue beaucoup tant qu'il n’est pas tout à fait dressé; et par la même raison, on le nourrira plus largement alors que dans les autres temps. Le bœuf ne doit servir que depuis trois ans jusqu’à dix : on fera bien de le tirer alors de la charrue pour l'engraisser et le vendre ; la chair en sera meilleure que si l'on attendait plus longtemps. On connait l’âge de cet animal par les dents et par les cornes : les premières dents du devant tombent à dix mois, et sont rem- placées par d'autres qui ne sont pas si blan- ches et qui sont plus larges ; à seize mois les dents voisines de celles du milieu tombent et sont aussi remplacées par d’autres, et à trois ans toutes les dents incisives sont renouvelées ; elles sont alors égales, longues et assez blan- ches. À mesure quele bœuf avance en âge, elles s’usent et deviennent inégales et noires : c’est la même chose pour le taureau et pour la vache. Ainsi la castration ni le sexe ne changent rien à la crue et à la chute des dents. Cela ne change rien non plus à la chute des cornes ; car elles tombent également à trois ans au taureau , au bœuf et à la vache, et elles sont remplacées par d’autres cornes qui, comme les secondes dents, ne tombent plus ; celles du bœuf et de la vache deviennent seulement plus grosses et plus lon- gues que celles du taureau. L’accroissement de ces secondes cornes ne se fait pas d'une ma- nière uniforme et par un développement égal: la première année, c’est-à-dire la quatrième année de l’âge du bœuf, il lui pousse deux pe- tites cornes pointues, nettes, unies et termi- nées vers la tête par une espèce de bourrelet ; l'année suivante ce bourrelet s'éloigne de la tête, poussé par un cylindre de corne qui se forme et qui se termine aussi par un autre bourrelet, et ainsi de suite; car tant que l'ani- mal vit, les cornes croissent : ces bourrelets deviennent des nœuds annulaires , qu'il est aisé de distinguer dans la corne , et par lesquels l’âge se peut aisément compter, en prenant pour trois ans la pointe de la corne jusqu'au premier nœud, et pour un an de plus chacun des intervalles entre les autres nœuds. Le cheval mange nuit et jour, lentement, mais presque continuellement; le bœuf au con- traire mange vite et prend en assez peu de temps toute la nourriture qu'il lui faut, après quoi il cesse de manger et se couche pour ru- miner : cette différence vient de la différente conformation de l'estomac de ces animaux, Le bœuf, dont les deux premiers estomacs ne for- ment qu'un même sac d’une très-grande capa- cité , peut, sans inconvénient, prendre à la fois beaucoup d'herbe et le remplir en peu de temps, pour ruminer ensuite et digérer à loisir. Le che- val, qui n'a qu'un petit estomac, ne peut y recevoir qu'une petite quantité d’herbe, et le 584 HISTOIRE NATURELLE remplir successivement à mesure qu'elle s’af- faisse et qu'elle passe dans les intestins , où se fait principalement la décomposition de la nour- riture : car ayant observé dans le bœuf et dans le cheval le produit suecessif de la digestion et surtout la décomposition du foin, nous avons vu dans le bœuf qu'au sortir de la partie de la panse qui forme le second estomac et qu'on appelle le bonnet, il est réduit en une espèce de pâte verte , semblable à des épinards hachés et bouillis ; que c’est sous cette forme qu'il est retenu et contenu dans les plis ou livrets du troi- sième estomac, qu'on appelle le feuillet; que la décomposition en est entière dans le qua- trieme estomac, qu'on appelle la cailletle ; et que ce n'est, pour ainsi dire, que le marc qui passe dans les intestins : au lieu que dans le cheval le foin ne se décompose guère, ni dans l'estomac, ni dans les premiers boyaux , où il devient seulement plus souple et plus flexible, comme ayant été macéré et pénétré de la li- queur active dont il est environné; qu'il arrive au cœcum et au colon sans grande altération ; que c'est principalement dans ces deux intes- tins, dont l'énorme capacité répond à celle de la panse des ruminants , que se fait dans le che- val la décomposition de la nourriture ; et que cette décomposition n’est jamais aussi entière que celle qui se fait dans le quatrième estomac du bœuf. Par ces mêmes considérations et par la seule inspection des parties, il me semble qu'il est aisé de concevoir commentse fait la rumination, et pourquoi le cheval ne rumine ni ne vomit, au lieu que le bœuf et les autres animaux, qui ont plusieurs estomacs, semblent ne digérer l'herbe qu'à mesure qu'ils ruminent. La rumi- nation n’est qu'un vomissement sans effort, oc- casionné par la réaction du premier estomac sur les aliments qu’il contient. Le bœuf remplit ses deux premiers estomacs, c'est-à-dire la panse ef le bonnet, qui n'est qu'une portion de la panse , tout autant qu'ils peuvent l'être : cette membrane tendue réagit donc alors avec force sur l'herbe qu'elle contient, qui n’est que très- peu mâchée , à peine hachée, et dont le volume augmente beaucoup par la fermentation. Si l’a- liment était liquide , cette force de contraction le ferait passer dans le troisième estomac, qui ne communique à l’autre que par un conduit étroit, dont même l'orifice est situé à la partie postérieure du premier, et presque aussi haut que celui de l'œsophage. Ainsi ce conduit ne peut pas admettre cet aliment sec, ou du moins il n’en admet que la partie la plus coulante ; il est done nécessaire que les parties les plus sèches remontent dans l'œsophage, dont l'ori- fice est plus large que celui du conduit : elles y remontent en effet; l'animal les remâche, les macère , les imbibe de nouveau de sa salive, et rend ainsi peu à peu l'aliment plus coulant; il le réduit en pâte assez liquide pour qu’elle puisse couler dans ce conduit qui communique au troi- sième estomac, où elle se macère encore avant de passer dans le quatrième ; et c’est dans ce dernier estomac que s'achève la décomposi- tion du foin, qui y est réduit en parfait muci- lage. Ce qui confirme la vérité de cette expli- cation , c’est que tant que ces animaux tettent ou sont nourris de lait et d’autres aliments li- quides et coulants , ils ne ruminent pas, et qu'ils ruminent beaucoup plus en hiver et lorsqu'on les nourrit d'aliments secs, qu’en été, pendant lequel ils paissent l'herbe tendre. Dans le cheval au contraire, l'estomac est très-petit, l’orifice de l'œsophage est fort étroit , et celui du pylore est fort large : cela seul suffirait pour rendre impossible la rumination ; car l'aliment contenu dans ce petit estomac, quoique peut-être plus fortement comprimé que dans le grand estomac du bœuf, ne doit pas remonter, puisqu'il peut aisément descendre par le pylore qui est fort large. Il n’est pas même nécessaire que le foin soit réduit en pâte molle et coulante pour y en- trer ; la force de contraction de l'estomac y pousse l'aliment encore presque sec, et il ne peut remonter par l'œsophage, parce que ce conduit est fort petit en comparaison de celui du pylore. C’est donc par cette différence gé- nérale de conformation que le bœuf rumine , et que le cheval ne peut ruminer; mais il y a en- core une différence particulière dans le cheval, qui fait que non-seulement il ne peut ruminer, c'est-à-dire vomir sans effort, mais même qu'il ne peut absolument vomir, quelque effort qu’il puisse faire : c’est que le conduit de l'œsophage arrivant très-obliquement dans l'estomac du cheval, dont les membranes forment une épais- seur considérable , ce conduit fait dans cette épaisseur une espèce de gouttière si oblique, qu'il ne peut que se serrer davantage, au lieu de s'ouvrir par les convulsions de l’estomac. Quoique cette différence, aussi bien que les au- tres différences de conformation qu'on peut DU BOEUF. remarquer dans le corps des animaux , dépen- dent toutes de la nature lorsqu'elles sont con- stantes, cependant il y a dans le développe- ment, et surtout dans celui des parties molles, des différences constantes en apparence , qui néanmoins pourraient varier, et qui même va- rient par les circonstances. La grande capacité de la panse du bœuf, par exemple, n'est pas due en entier à la nature; la panse n'est pas telle par sa conformation primitive, elle ne le devient que successivement et par le grand vo- lume des aliments : car dans le veau qui vient de naître, et même dans le veau qui est encore au lait et qui n’a pas mangé d'herbe, la panse, comparée à la caillette, est beaucoup plus pe- | | tite que dans le bœuf. Cette grande capacité | de la panse ne vient done que de l'extension qu'occasionne le grand volume des aliments: j'en ai été convaincu par une expérience qui me parait décisive. J'ai fait nourrir deux | agneaux de même âge et sevrés en même temps , l’un de pain, et l’autre d'herbe : les ayant ouverts au bout d’un an, j'ai vu que la panse de l'agneau qui avait vécu d'herbe était devenue plus grande de beaucoup que la panse de celui qui avait été nourri de pain. On prétend que les bœufs qui mangent len- tement résistent plus longtemps au travail que ceux qui mangent vite ; que les bœufs des pays élevés et secs sont plus vifs, plus vigoureux et plus sains que ceux des pays bas et humides : que tous deviennent plus forts lorsqu'on les nourrit de foin sec que quand on ne leur donne que de l’herbe molle, qu'ils s'accoutument plus difficilement que les chevaux au changement de climat, et que par cette raison l’on ne doit | jamais acheter que dans son voisinage des bœufs pour le travail. En hiver, comme les bœufs ne font rien, il suffira de les nourrir de paille et d’un peu de foin ; mais dans le temps des ouvrages on leur donnera beaucoup plus de foin que de paille, et même un peu de son ou d'avoine avant de les faire travailler : l'été, si le foin mauque , on leur donnera de l'herbe fraichement coupée, ou bien de jeunes pousses et des feuilles de frêne, d'orme, de chêne, etc., mais en petite quantité, l'excès de cette nourriture, qu'ils aiment beau- coup, leur causant quelquefois un pissement de sang. La luzerne, le sainfoin , la vesce, soit en vert ou en sec, les lupins, les navets, l'orge bouillie, ete., sont aussi de très-bons aliments 585 pour les bœufs. 11 n’est pas nécessaire de régler la quantité de leur nourriture ; ils n'en pren- nent jamais plus qu'il ne leur en faut, et l'on fera bien de leur en donner toujours assez pour qu'ils en laissent. On ne les mettra au pâturage que vers le 15 de mai : les premières herbes sont trop crues, et quoiqu'ils les mangent avec avidité , elles ne laissent pas de les incommo- der. On les fera pâturer pendant tout l'été , et vers le 15 octobre on les remettra au fourrage, en observant de ne les pas faire passer brus- quement du vert au sec et du sec au vert, mais de les amener par degrés à ce changement de nourriture. La grande chaleur incommode ces animaux peut-être plus encore que le grand froid. II faut pendant l'été les mener au travail dès la pointe du jour, les ramener à l'étable ou les laisser dans les bois pâturer à l'ombre pendant la grande chaleur, et ne les remettre à l'ou- vrage qu'à trois ou quatre heures du soir. Au printemps, en hiver et en automne on pourra les faire travailler depuis huit ou neuf heures du matin jusqu’à cinq ou six heures du soir. Ils ne demandent pas autant de soin que les che- vaux; cependant, si l’on veut les entretenir sains et vigoureux, on ne peut guère se dispen- ser de les étriller tous les jours , de les laver, de leur graisser la corne des pieds, etc. fl faut aussi les faire boire au moins deux fois par jour : ils aiment l'eau nette et fraiche, au lieu que le cheval l'aime trouble et tiède. La nourriture et le soin sont à peu près les mêmes et pour la vache et pour le bœuf ; ce- pendant la vache à lait exige des attentions particulières, tant pour la bien choisir que pour la bien conduire. On dit que les vaches noires sont celles qui donnent le meilleur lait, et que les blanches sont celles qui en donnent le plus ; mais de quelque poil que soit la vache à lait, il faut qu'elle soit en bonne chair, qu'elle ait l'œil vif, la démarche légère, qu’elle soit jeune, et que son lait soit, s’il se peut, abondant et de bonne qualité : on la traira deux fois par jour en été, et une fois seulement en hiver ; et si l’on veut augmenter la quantité du lait, il n'y aura qu'à la nourrir avec des aliments plus suceu- lents que l'herbe. Le bon lait n’est ni trop épais ni trop clair; sa consistance doit être telle que, lorsqu'on en prend une petite goutte, elle conserve sa ron- deur sans couler. Il doit aussi être d’un beau 586 HISTOIRE NATURELLE blanc ; celui qui tire sur le jaune ou sur le bleu ne vaut rien. Sa saveur doit être douce, sans aucune amertume et sans âcreté; il faut aussi qu'il soit de bonne odeur ou sans odeur. Il est meilleur au mois de mai et pendant l'été que pendant l'hiver, et il n’est parfaitement bon que quand la vache est en bon âge et en bonne santé : le lait des jeunes génisses est trop clair, celui des vieilles vaches est trop sec, et pendant l'hiver il est trop épais. Ces différentes quali- tés du lait sont relatives à la quantité plus ou moins grande de parties butyreuses , caséeuses et séreuses, qui le composent, Le lait trop clair est celui qui abonde trop en parties séreuses ; le lait trop épais est celui qui en manque; et le lait trop sec n'a pas assez de parties butyreuses et séreuses. Le lait d'une vache en chaleur n'est pas bon , non plus que celui d’une vache qui approche de son terme ou qui a mis bas depuis peu de temps. On trouve dans le troisième et dans le quatrième estomac du veau qui tette des grumeaux delait caillé ; ces grumeaux de lait sé- chés à l’air sont la présure dont on se sert pour faire cailler le lait. Plus on garde cette présure, meilleure elle est, et il n'en faut qu'une très- petite quantité pour faire un grand volume de fromage. Les vaches et les bœufs aiment beaucoup le vin, le vinaigre, le sel ; ils dévorent avec awvi- dité une salade assaisonnée. En Espagne et dans quelques autres pays, on met auprès du jeune veau à l’étable une de ces pierres qu'on appelle salègres, et qu'on trouve dans les mi- nes de sel gemme : il lèche cette pierre salée pendant tout le temps que sa mère est au pâtu- rage; ce qui excite si fort l'appétit ou la soif, qu'au moment que la vache arrive, le jeune veau se jette à la mamelle, entire avec avidité beaucoup de lait, s’engraisse et croit bien plus vite que ceux auxquels on ne donne point de sel. C'est par la même raison que quand les bœufs ou les vaches sont dégoütés, on leur donne de l'herbe trempée dans du vinaigre ou saupoudrée d'un peu de sel : on peut leur en donner aussi lorsqu'ils se portent bien et que l'on veut exciter leur appétit pour les engrais- ser en peu de temps. C’est ordinairement à l'âge de dix ans qu'on les met à l’engrais: si l'on attend plus tard, on est moins sûr de réus- sir, et leur chair n’est pas si bonne. On peut les engraisser en toutes saisons; mais l'été est celle qu'on préfère, parce que l’engrais se fait à moins de frais, et qu'en commençant au mois de mai ou de juin, on est presque sûr de les voir gras avant la fin d'octobre. Dès qu'on voudra les engraisser on cessera de les faire travailler; on les fera boire beaucoup plus sou- vent; on leur donnera des nourritures suceu- lentes en abondance , quelquefois mêlées d'un peu de sel, et on les laissera ruminer à loisir et dormir à l’étable pendant les grandes chaleurs : en moins de quatre ou cinq mois ils devien- dront si gras, qu'ils auront de la peine à mar- cher, et qu'on ne pourra les conduire au loin qu'à très-petites journées, Les vaches, et mème les taureaux bistournés, peuvent s'engraisser aussi; mais la chair de la vache est plus sèche, et celle du taureau bistourné est plus rouge et plus dure que la chair du bœuf, et elle a tou- jours un goût désagréable et fort. Les taureaux, les vaches et les bœufs sont fort sujets à se lécher, surtout dans le temps qu'ils sont en plein repos; et comme l’on croit que cela les empêche d’engraisser, on a soin de frotter de leur fiente tous les endroits de leur corps auxquels ils peuvent atteindre : lorsqu'on ne prend pas cette précaution, ils s’enlèvent le poil avec la langue, qu'ils ont fortrude, et ils avalent ce poil en grande quantité. Comme cette substance ne peut se digérer, elle reste dans leur estomac et y forme des pelotes rondes qu'on a appelées égagropiles, et qui sont quelquefois d'une grosseur si considérable, qu’elles doivent les incommoder par leur volume, et les empé- cher de digérer par leur séjour dans l'estomac. Ces pelotes se revêtent avec le temps d’une croûte brune assez solide, qui n’est cependant qu'un mucilage épaissi, mais qui, par le frotte- ment et la coction, devient dur et luisant. Elles pe se trouvent jamais que dans la panse, et s'il entre du poil dans les autres estomaes, il n’y sé- journe pas, non plus que dans les boyaux : il passe apparemment avec le mare des aliments. Les animaux qui ont des dents incisives, comme le cheval et l'âne, aux deux mâchoires, broutent plus aisément l'herbe courte que ceux qui manquent de dents incisives à la mâchoire supérieure ; et si le mouton et la chèvre la cou- pent de très-près, c’est parce qu’ils sont petits et que leurs lèvres sont minces : mais le bœuf, dont les lèvres sont épaisses, ne peut brouter que l'herbe longue, et c'est par cette raison qu'il ne fait aucun tort au pâturage sur lequel il vit : comme il ne peut pincer que l'extrémité DU BOŒUF. des jeunes herbes, il n’en ébranle point la ra- cine, et n’en retarde que très-peu l'accroisse- ment : au lieu que le mouton et la chèvre les coupent de si près, qu'ils détruisent la tige et gâtent la racine. D'ailleurs le cheval choisit l'herbe la plus fine, et laisse grenér et se mul- tiplier la grande herbe, dont les tiges sont du- res ; au lieu que le bœuf coupe ces grosses tiges et détruit peu à peu l'herbe la plus grossière : ce qui fait qu'au bout de quelques années la prairie sur laquelle le cheval a vécu n'est plus qu'un mauvais pré, au lieu que celle que le bœuf a broutée devient un pâturage fin. L'espèce de nos bœufs , qu'il ne faut pas con- fondre avec celles de l’aurochs, du buffle et du bison , parait être originaire de nos climats tem- pérés , la grande chaleur les incommodant au- tant que le froid excessif. D'ailleurs cette es- pèce, siabondante en Europe, ne se trouve point dans les pays méridionaux, et ne s’est pas éten- due au-delà de l'Arménie et de la Perse ‘ en Asie, et au-delà de l'Égypte et de la Barbarie en Afrique ; car aux Indes, aussibien que dans le reste de l'Afrique, et même en Amérique, ce sont des bisons qui ontune bosse sur le dos, ou d’autres animaux auxquels les voyageurs ont donné le nom de bœuf, mais qui sont d’une es- pèce différente de celle de nos bœufs. Ceux qu’on trouve au cap de Bonne-Espérance et en plusieurs contrées de l'Amérique, y ont été transportés d'Europe par les Hollandais et par les Espagnols. En général il paraît que les pays un peu froids conviennent mieux à nos bœufs que les pays chauds, et qu'ils sont d’autant pius gros et plus grands que le climat est plus hu- mide et plus abondant en pâturages. Les bœufs de Danemarck, de la Podolie, de l'Ukraine et de la Tartarie qu'habitent les Calmouques, sont les plus grands de tous ; ceux d'Irlande, d’An- gleterre, de Hollande et de Hongrie, sont aussi plus grands que ceux de Perse, de Turquie, de Grèce, d'Italie, de France et d'Espagne; et ceux de Barbarie sont les plus petits de tous. On assure même que les Hollandais tirent tous les ans du Danemarck un grand nombre de vaches grandes et maigres, et que ces vaches donnent en Hollande beaucoup plus de lait que les vaches de France. C’est apparemment cette même race de vaches à lait qu'on a transportée et multipliée en Poitou, en Aunis et dans les “Voyez le Voyage de Chardin, tome If, page 28. 387 marais de Charente, où on les appelle vaches flandrines. Ces vaches sont en effet beaucoup plus grandes et plus maigres que les vaches com- munes, et elles donnent une fois autant de lait et de beurre; elles donnent aussi des veaux beaucoup plus grands et plus forts. Elles ont du lait en tout temps, et on peut les traire toute l'année, à l'exception de quatre ou cinq jours avant qu'elles mettent bas. Mais il faut pour ces vaches des pâturages excellents : quoiqu’elles ne mangent guère plus que les vaches commu nes, comme elles sont toujours maigres, toute la surabondance de la nourriture se tourne en lait; au lieu queles vaches ordinaires devien- nent grasses et cessent de donner du lait dès qu'elles ont vécu pendant quelque temps dans des pâturages trop gras. Avec un taureau de cette race et des vaches communes , on fait une race qu'on appelle bâtarde, et qui est plus fé- conde et plus abondante en lait que la race com- mune. Ces vaches bâtardes donnent souvent deux veaux à la fois, et fournissent aussi du lait pendant toute l’année. Ce sont ces bonnes vaches à lait qui font une partie des richesses de la Hollande, d'où il sort tous les ans pour des sommes considérables de beurre et de fro- inage. Ces vaches, qui fournissent une où deux fois autant de lait que les vaches de France, en donnent six fois autant que celles de Bar- barie !. En Irlande, en Angleterre, en Hollande, en Suisse et dans le nord, on sale et on fume la chair du bœuf en grande quantité, soit pour l'usage de la marine, soit pour l'avantage du commerce. Il sort aussi de ces pays une grande quantité de cuirs : la peau du bœuf, et même celle du veau, servent, comme l’on sait, à une infinité d'usages. La graisse est aussi une ma- tière utile ; on la mêle avec le suif du mouton. Le fumier du bœuf est le meilleur engrais pour les terres sèches et légères. La corne de cet ani- mal est le premier vaisseau dans lequel on ait bu, le premier instrument daus lequel on ait soufilé pour augmenter le son, la première ma- tière transparente que l'on ait employée pour faire des vitres, des lanternes, et que l’on aït ramollie, travaillée, moulée, pour faire des boi- tes, des peignes, et mille autres ouvrages. Mais finissons; car l'histoire naturelle doit finir où commence l'histoire des arts. 1 Voyez le Voyage de M. Shaw, tome 1, page 514. 588 ADDITION À L'ARTICLE DU BŒUF. Je dois ici rectifier une erreur que j'ai faite ausujetde l'accroissement des cornes des bœufs, vaches et taureaux. On m'avait assuré, et j'ai dit précédemment qu'elles tombent à l'âge de trois ans, et qu’elles sont remplacées par d’au- tres cornes qui, comme les secondes dents, ne tombent plus. Ce fait n’est vrai qu'en partie ; il est fondé sur une méprise dont M. Forster a recherché l’origine. Voici ce qu'il a bien voulu m'en écrire. À l’âge de trois ans, dit-il, une lame très-mince se sépare de la corne ; cette lame qui n’a pas plus d'épaisseur qu'une feuille de bon papier commun, se gerce dans toute sa longueur, et au moindre frot- tement elle tombe; mais la corne subsiste, ne tombe pas en entier, et n’est pas remplacée par une autre : c'est une simple exfoliation, d’où se forme cette espèce de bourrelet qui se trouve depuis l’âge de trois ans au bas des cornes des taureaux, des bœufs et des vaches ; et chaque année suivante, un nou- veau bourrelet est formé par l'accroissement et l'addition d’une nouvelle lame conique de corne, formée dans l'intérieur de la corne immédiatement sur l'os qu'elle enveloppe, et qui pousse le cône corné de trois ans un peu plus avant. Il semble donc que la lame mince , exfoliée au bout de trois ans, formait l’attache de la corne à l'os frontal , et que la production d’une nouvelle lame interieure force la lame extérieure, qui s'ouvre par une fis- sure longitudinale, et tombe au premier frotte- ment. Le premier bourrelet formé, les lames in- térieures suivent d’année en année , et poussent la corne triennale plus avant , et le bourrelet se déta- che de même par le frottement; car on observe que ces animaux aiment à frotter leurs cornes contre les arbres ou contre les bois dans l’étable. Il y a même des gens assez soigneux de leur bétail pour planter quelques poteaux dans leur pâturage, afin que les bœufs et les vaches puissent y frotter leurs cornes : sans cette précaution ils prétendent avoir remarqué que ces animaux se battent entre eux par les cornes , et cela parce que la démangeaison qu’ils y éprouvent les force à chercher les moyens de la faire cesser. Ce poteau sert aussi à ôter les vieux poils qui, poussés par les nouveaux, causent des démangeaisons à la peau de ces animaux. Ainsi les cornes du bœuf sont permanentes et ne tombent jamais en entier que par un ac- cident , et quand le bœuf se heurte avec vio- lence contre quelque corps dur; et lorsque cela arrive, il ne reste qu'un petit moignon qui est DESCRIPTION fort sensible pendant plusieurs jours : et quoi- qu'il se durcisse, il ne prend jamais d’accrois- sement, et l'animal est écorné pour toute la vie. DESCRIPTION DU TAUREAU, EXTRAIT DE DAUBENTON, Nous avons observé tant de rapports entre le che- val et l'âne, ils se ressemblent à tant d'égards, que la plupart des différences qui se trouvent dans l’un relativement à l’autre, ne pouvaient être décou- vertes que par une comparaison suivie de toutes les parties de leur corps. Ainsi, en décrivant le che- val, nous avions, pour ainsi dire, décrit l’âne en grande partie; il ne s'agissait donc plus que de faire l'exposition des ressemlances, et de donner les preuves des différences que nous avons remar- quées entre ces deux animaux. Mais autant la des- cription de l'âne a de relation avec celle du cheval, autant celle du taureau en est indépendante, car le taureau ne ressemble au cheval que par sa nature de quadrupède. s Tous les animaux de cette classe ont des carac- tères communs ; ces caractères sont tous constants, et la plupart si évidents, qu'on les aperçoit sans peine, et qu’on les reconnait sans équivoque. S'il est donc facile de distinguer un quadrupède d’un oiseau , d’un poisson , d'un insecte ; lorsqu'on aper- çoit des quadrupèdes de plusieurs espèces, il est aussi fort aisé de voir qu'ils se ressemblent par des rapports généraux. Mais il y a souvent beaucoup de difficulté à saisir les différences particulières qui déterminent les espèces : ces différences influent plus ou moins sur la conformation de l’animal. Les nomenclateurs ont employé celles qui leur ont paru les plus considérables pour établir les caractères génériques de leurs méthodes, mais ils n’ont pas toujours choisi les plus essentielles. Aristote est de tous les naturalistes celui qui nous a donné le meilleur plan de division pour les quadupèdes, en les distinguant en solipèdes, pieds fourchus et fissi- pèdes, comme nous l'avons déjà fait observer. Il parait que cette différence , tirée du nombre des doigts, n'a lieu que dans les animaux qui ont en- core d’autres différences plus intimes pour leur conformation et leur constitution , tant à l’intérieur qu'à l'extérieur : voilà pourquoi le taureau , qui est un animal à pied fourchu, a plusieurs caractères de conformation différents de ceux du cheval, quiest un animal solipède ; tandis qu’il n’y 4 au contraire que de légères différences entre l'âne et le cheval, qui n'ont tous les deux qu'un seul doigt à chaque DU TAUREAU. pied. Mais le taureau est à peu près dans le même cas lorsqu'on le compare avec d'autres animaux qui ont deux doigts au lieu d'un ; en les décrivant, nous chercherons successivement les différences, même les plus légères, que nous pourrons trouver entre ces animaux , comme nous avons fait pour le cheval et l'âne. A présent il est question d'exposer la conforma- tion principale de tous les quadrupèdes à pied four- chu, en décrivant le taureau, qui se présente le premier ; eette description servira en grande partie pour le bélier, le boue, comme la description du | cheval a servi pour celle de l'âne. Nous décrirons donc le taureau dans un aussi grand détail que le cheval , tant pour les parties molles que pour le squelette ; mais cet animal nous servira d'objet de comparaison, et la description que nous en avons faite suppléera à celle du taureau dans tous les cas où il y aura de la ressemblance entre ces deux ani- maux. Les dénominations des parties extérieures du che- val, dont nous avons donné l'explication dans la description de cet animal , doivent être appliquées pour la plupart aux parties du taureau qui corres- pondent à celles du cheval, et qui leur ressemblent assez pour être susceptibles de comparaison et por- ter les mêmes noms : ainsi nous emploierons ceux qui sont en usage, sans les expliquer de nouveau. Mais il est nécessaire, pour l'intelligence de la des- cription du taureau , de faire ici mention de cer- taines parties que cet animal a de plus que le che- val, et de celles qui diffèrent assez des mêmes par- ties considérées dans le cheval , pour qu'on leur ait dônné des noms différents, universellement reçus; et enfin de rappeler les noms propres de celles qui ne sont pas déguisées par des termes d’art, comme dans le cheval. On appelle mufle la partie inférieure de la tête du taureau, qui est plus courte et plus large que la même partie de la tête du cheval ou de l'âne qui a été désignée dans la description de ces deux ani- maux par le nom de museau; on dit aussi le inu- seau d’un chien, d'un blaireau, ete., le mufle d'un lion , d’un ours. Lorsqu'il est question du taureau, le cou ne porte pas le nom d'encolure , le dos celui de reins, et les reins celui de rognons , comme dans le che- val; le cou, le dos et les reins, c'est-à-dire les lom- bes, sont appelés de leurs vrais noms, comme il faudrait en histoire naturelle que chaque chose por- tât le sien propre et unique, sans aucun déguise- ment de nomenclature. On a donné le nom de chignon à la partie anté- rieure et supérieure du cou du taureau. Le fanon est la peau qui pend sous la mâchoire inférieure et le long du gosier, et qui descend au- dessous du poitrail entre les jambes de devant jus- 589 qu'aux genoux. Cette signification du mot fanon appliqué au taureau est bien différente de celle qu'on lui donne par rapport au cheval, sur lequel ce même mot désigne un bouquet de poil qui se trouve derrière le boulet. La même partie qui porte le nom d'ergot dans le cheval doit le conserver dans le taureau; il faut seulement faire attention que cet animal a deux er- gots au lieu d'un dans chaque jambe, comme nous le dirons dans la suite. La couronne de poil qui est au bas du paturon du cheval se trouve aussi dans le même endroit du pied du taureau : ainsi cette dénomination ne doit pas ètre changée, quoique l’on ne puisse pas donner dans la description du squelette du taureau le nom d'os coronaire, ni d'os du paturon, aux os qui se trouvent sous la couronne etdans le paturon, comme nous l'expliquerons à l’article du squelette. Le taureau a la troisième phalange de chaque doigt enveloppée d’une matière de corne, comme le cheval : ainsi il n’est pas douteux que cette corne ne doive porter le nom de sabot dans l'un comme dans l’autre de ces animaux. Cependant on a donné le nom d'ongles aux sabots du taureau ; ce nom est fort impropre, puisqu'il ne doit signifier que la corne qui se trouve sur la partie supérieure des doigts, et non pas celle qui l'enveloppe en entier. Les animaux fissipèdes ont des ongles ou des grif- fes ; le chameau a aussi des ongles, puisque la corne ne couvre que la face supérieure de la troisième phalange de ses doigts ; mais le taureau , le bélier, le bouc, etc., ont de vrais sabots, qui ne diffèrent de ceux des solipèdes que parce qu’il s'en trouve deux dans chaque pied. Quoiqu'il y ait bien moins de variété dans les couleurs du taureau que dans celles du cheval , on emploie, pour les désigner, à peu près les mêmes termes d'art , toutes les fois qu'ils sont applicables. Ainsi nous ne rappellerons point les définitions de ces termes ; il suffira d'ajouter, par rapport au tau- reau, que l'on dit communément qu'il est sous tel poil, tandis que les écuyers disent qu'un cheval est de tel poil; mais quoi qu'il en soit de cette diffé- rence d'expression , nous substituerons ici, comme à l’article du cheval, le mot de couleur à celui de poil, par la raison que nous en avons rapportée dans la description du cheval. La couleur la plus ordinaire, et par conséquent la plus naturelle au taureau , est le fauve. Il y a lieu de croire que si nous avions des taureaux sauvages, ils seraient de cette même couleur ; mais dans nos taureaux domestiques elle se trouve souvent mêlée avec le noir et le blanc, et on en voit de noirs et de blancs. Il y a donc des taureaux bais ; il y en a de rouges ou roux, de bruns, de gris et de mouchetés, c’est à-dire pommelés, ete. On peut dire en général 590 qu'ils ont toutes les teintes de fauve, et que cette couleur se trouve avec le blanc, le brun et le noir par taches variées , sans aucune règle constante. Le taureau a un épi au milieu du front ; et j'ai observé sur des bœufs que les poils qui couvrent la partie supérieure du cou , à l’endroit qui est à peu près également éloigné du garrot et de la tête, sont hérissés sur une ligne transversale, parce que les poils qui sortent de la peau au côté antérieur de cette ligne s'étendent en avant , et que ceux qui se trouvent au côté postérieur sont dirigés en arrière. On a cru pouvoir juger des bonnes ou des mau- vaises qualités des taureaux , des bœufs et des va- ches comme de celles des chevaux , par les couleurs du poil. On a fait des règles pour reconnaître ces in- dices, que l'on prétend être fondées sur les humeurs pituiteuses , flegmatiques , bilieuses ou mélancoli- ques, que l’on croit dominer dans le tempérament de ces animaux , et se manifester au dehors par les couleurs de leur poil; mais en pareil cas , des obser- vations suivies sur les bonnes ou mauvaises qualités des animaux , seraient préférables à tous les rai- sonnements des humoristes ; et je ne doute pas qu'on ne parvint bientôt par ce moyen à prouver que les couleurs du poil n’indiquent rien de plus pour les qualités des taureaux , des bœufs et des vaches, que pour celles des chevaux; on peut voir à ce sujet ce qui a été rapporté dans la description du cheval. Il est plus probable que le poil épais, luisant, uni et doux désigne un bon tempérament, ou au moins la bonne santé de l'animal, parce qu’il y a lieu de croire que les sucs qui ont formé ce poil et quile nourrissent sont de bonne qualité, et sortent de viscères sains et bien organisés : en général le poil des taureaux est plus doux et plus souple que CARE COENAR PP. de Le taureau n’a presque aucune expression dans la physionomie : lorsqu'on le regarde en face il ne présente qu'un front vaste et concave , et un mufle large et épais ; les yeux sont couverts par de grosses éminences. Cet animal n’a aucun trait décidé dans la physionomie , et par conséquent on n’y distingue aucune finesse d'instinct;, on n'aperçoit qu'une masse presqueinforme , qui ne peut annoncer que la stupidité. Les oreilles appesantissent encore la tête du taureau par leur position basse et leur di- rection horizontale ; mais le front est relevé par deux cornes , dont les courbures sont symétriques et régulières. Chaque corne, au sortir de la tête, s’étend à côté, se recourbe en haut et en dedans, et enfin se prolonge encore en haut et un peu en ar- rière à son extrémité, qui est terminée en pointe; l'intervalle qui se trouve entre les deux cornes est proportionné à la largeur du front, et quoiqu'elles semblent être courtes par rapport à la longueur de | la tête, elles n’en paraissent que plus fermes et plus HISTOIRE NATURELLE assurées ; le bout du mufle est aussi un peu animé par les traits des naseaux et de la bouche. Lorsque la tête est vue de profil , on ne latrouve pas silourde qu'en face, les yeux qui sont grands et apparents en ornent le milieu et font disparaître en partie le grand espace qui est entre les cornes et le bout du muüfle ; mais lorsque les yeux s’animent, et surtout lorsque la tête se meut, tous les traits semblent se rapprocher par des mouvements qui ne laissent voir qu’en raccourci les parties les plus brutes de la face. C'est ainsi que l'expression de la férocité succède dans le taureau à celle de la stupidité ; mais, quelque attitude qu’il prenne, son port est toujours grossier et pesant. Voyez cet animal en repos, il paraît appesanti par le grand volume de la partie antérieure du corps; il porte la tête basse, et son cou est si gros, qu’on le distingue à peine des épaules; le fanon descend jusqu'au genou comme une entrave, et ne laisse voir distinctement que la partie inférieure des jambes de devant, qui paraissent surchargées par le poids qu’elles sup- portent; la partie postérieure du corps, quoique moins grosse que l’antérieure, n’en est pas plus élégante; les hanches sont trop plates, trop lar- ges, et terminées de tous côtés par des éminences trop grosses, de sorte qu'il n’y a aucun arrondisse- ment dans la croupe, et pour peu que l'animal soit amaigri, il semble que les os.vont se faire jour à travers la peau, et s'il marche, l'on croit voir son squelette en mouvement. Cependant un taureau doit passer pour un bel animal ; ce n’est que par comparaison avec d’autres animaux, et peut-être avec notre propre Corps, que nous y trouvons des défauts ; mais ces préten- dus défauts doivent disparaître aux yeux du natu- raliste. Il compare le corps massif du taureau à ce- lui de l'éléphant et du rhinocéros, que la nature refuse à nos climats; il admire dans ces grandes masses vivantes la toute-puissance du Créateur qui les fait mouvoir; et en les observant à l’inté- rieur, il reconnaît l'intelligence suprême qui a su former des organes différents dans diverses espèces d'animaux. LA BREBIS. Ordre des Ruminants à cornes, genre Mouton. ( Cuvier. ) L'on ne peut guère douter que les animaux actuellement domestiques n'aient été sauvages auparavant : ceux dont nous avons donné l'his- toire en ont fourni la preuve, et l'on trouve encore aujourd'hui des chevaux, des ànes et des taureaux sauvages. Mais l'homme, qui s’est sou- NO lOIN "y! "1 DE LA BREBIS. mis tant de millions d'individus, peut-ilse glori- fier d’avoir conquis une seule espèce entière ? Comme toutes ont été créées sans sa participa- tion , ne peut-on pas croire que toutes ont eu or- dre de croître et de multiplier sans son secours ? Cependant, si l'on fait attention à la faiblesse et à la stupidité de la brebis; si l'on considère en mêmetemps que cet animalsans défense ne peut même trouver son salut dans la fuite; qu'il a pour ennemis tous les animaux carnassiers, qui semblentle chercher de préférence et le dévorer par goût, que d’ailleurs cette espèce produit peu , que chaque individu ne vit que peu de temps, ete. ; on serait tenté d'imaginer que dès les commencements la brebis a été confiée à la garde del’homme, qu'elle a eu besoin desa pro- tection pour subsister , et de ses soins pour se multiplier, puisqu'en effet on ne trouve point de brebis sauvages dans les déserts; que dans tous les lieux où l'homme ne commande pas, le lion, le tigre, le loup , règnent par la force et par la cruauté ; que ces animaux de sang et de carnage vivent plus longtemps et multiplient tous beau- coup plus que la brebis; et qu'enfin, si l'on aban- donnait encore aujourd'hui dans nos campa- gnes les troupeaux nombreux de cette espèce que nous avons tant multipliée, ils seraient bien- tôt détruits sous nos yeux, et l'espèce entière anéantie par le nombre et la voracité des es- pèces ennemies. Il paraît donc que ce n’est que par notre se- cours et par nos soins que cette espèce a duré, dure, et pourra durer encore : il paraît qu'elle ne subsisterait pas par elle-même. La brebis est absolument sans ressource et sans défense: le bélier n’a que de faibles armes, son courage n’est qu'une pétulance inutile pour lui-même, incommode pour les autres, et qu'on détruit par la castration. Les moutons sont encore plus timides que les brebis; c'est par crainte qu'ils se rassemblent si souvent en troupeaux; le moindre bruit extraordinaire suffit pour qu'ils se précipitent et se serrent les uns contre les autres , et cette crainte est accompagnée de la plus grande stupidité ; car ilsne savent pas fuir le danger , ils semblent même ne pas sentir l'in- commodité de leur situation; ils restent où ils se trouvent , à la pluie, à la neige; ils y de- meurent opiniâtrément , et pour les obliger à changer de lieu et à prendre une route, il leur faut un chef, qu'on instruit à marcher le pre- mier, et dont ils suivent tous les mouvements sy pas à pas. Ce chef demeurerait lui-même avec le reste du troupeau , sans mouvement, dans la même place , s'il n'était chassé parle berger ou excité par le chien commis à leur garde , lequel saiten effet veiller à leursüreté, les défendre , les diriger , les séparer , les rassembler et leurcom- muniquer les mouvements qui leur manquent. Ce sont donc de tous les animaux quadru- pèdes les plus stupides; ce sont eeux qui ont le moins de ressource et d’'instinct. Les chèvres, qui leur ressemblent à tant d'autres égards, ont beaucoup plus de sentiment; elles savent se conduire , elles évitent les dangers, elles se fa- miliarisent aisément avec les nouveaux objets , au lieu que la brebis ne sait ni fuir, ni s'appro- cher : quelque besoin qu’elle ait de secours, elle ne vient point à l'homme aussi volontiers que la chèvre, et, ce qui dans les animaux paraît être le dernier degré de la timidité ou de l’'insensi- bilité , elle se laisse enlever son agneau sans le défendre, sans s’irriter, sans résister et sans marquer sa douleur par un cri différent du bé- lement ordinaire. Mais cet animal si chétif en lui-même , si dé- pourvu de sentiment , si dénué de qualités in- térieures, est pour l'homme l'animal le plus précieux, eelui dont l'utilité est la plus immé- diate et la plus étendue : seul il peut suffire aux besoins de première nécessité ; il fournit tout à la fois de quoi se nourrir etse vêtir, sans comp- ter les avantages particuliers que l’on sait tirer du suif, du lait, de la peau, et même des boyaux , des os.et du fumier de cet animal, au- quel il semble que la nature n'ait, pour ainsi dire, rien accordé en propre, rien donné que pour le rendre à l'homme. L'amour, qui dans les animaux est le senti- ment le plus vif et le plus général , est aussi le seul qui semble donner quelque vivacité , quel- que mouvement au bélier : il devient pétulant, ilse bat, il s’élance contre les autres béliers, quelquefois même il attaque son berger; mais la brebis, quoiqu'en chaleur, n’en paraît pas plus animée, pas plus émue; elle n’a qu'autant d'instinct qu'il en faut pour ne pas refuser les approches du mâle, pour choisir sa nourriture et pour reconnaitre son agneau. L'instinct est d'autant plus sûr qu'il est machinal, et, pour aivsi dire, plus inné; le jeune agneau cherche lui-même, dans un nombreux troupeau, trouve et saisit la mamelle de sa mère, sans jamais se méprendre, L'on dit aussi que les moutons sont sensibles aux douceurs du chant, qu'ils pais- 592 sent avec plus d’'assiduité, qu'ils se portent mieux , qu'ils engraissent au son duchalumeau, que la musique a pour eux des attraits ; mais l'on dit encore plus souvent, et avec plus de fondement, qu'elle sert au moins à charmer l'ennui du berger, et que c’est à ce genre de vie oisive et solitaire que l'on doit rapporter l'o- rigine de cet art. Ces animaux , dont le naturel est si simple, sont aussi d'un tempérament très-faible; ils ne peuvent marcher longtemps, les voyages les affaiblissent et les exténuent; dès qu'ils courent, ils palpitent et sont bientôt essoufflés; la grande chaleur, l'ardeur du soleil, les incommodent autant que l'humidité, le froid et la neige; ils sont sujets à grand nombre de maladies dont la plupart sont contagieuses ; la surabondance de la graisse les fait quelquefois mourir, et toujours elle empêche les brebis de produire; elles mettent bas difficilement, elles avortent fréquemment et demandent plus de soin qu'au- cun des autres animaux domestiques. Lorsque la brebis est prête à mettre bas, il faut la séparer du reste du troupeau et la veiller afin d'être à portée d'aider à l'accouchement. L’'agneau se présente souvent de travers ou par les pieds, et dans ces cas la mère court risque de la vie si elle n’est aidée. Lorsqu'elle est dé- livrée, on lève l'agneau et on le met droit sur ses pieds; on tire en même temps le lait qui est contenu dans les mamelles de la mère: ce pre- mier lait est gâté et ferait beaucoup de mal à l'agneau; on attend done qu'elles se remplis- sent d'un nouveau lait avant que de lui per- mettre de teter ; on le tient chaudement, et on l'enferme pendant trois ou quatre jours avec sa mère pour qu'il apprenne à la connaître. Dans ces premiers temps, pour rétablir la brebis, on la nourrit de bon foin et d'orge moulue ou de son mêlé d’un peu de sel; on lui fait boire de l'eau un peu tiède et blanchie avec de la farine de blé, de fèves ou de millet : au bout de quatre ou cinq jours, on pourra la remettre par degrés à la vie commune et la faire sortir avec les au- tres; on obsævera seulement de ne la pas me- ner trop loin pour ne pas échauffer son lait : quelque temps après, lorsque l'agneau qui la tetteaura pris de la force et qu'il commencera à bondir, on pourra le laisser suivre sa mère aux champs. On livre ordinairement au boucher tous les agneaux qui paraissent faibles, et l'on ne garde, HISTOIRE NATURELLE, pour les élever, que ceux qui sont les plus vi- goureux, les plus gros et les plus chargés de laine: les agneaux de la première portée ne sont jamais si bons que ceux des portées suivantes. Si l'on veut élever ceux qui naissent aux mois d'octobre, novembre, décembre, janvier, fé- vrier, on les garde à l'étable pendant l'hiver; on ne les en fait sortir que le soir et le matin pour teter, et on ne les laisse point aller aux champs avant le commencement d'avril : quel- que temps auparavant, on leur donne tous les jours un peu d'herbe, afin de les accoutumer peu à peu à cette nouvelle nourriture. On peut les sevrer à un mois; mais il vaut mieux ne le faire qu'à six semaines ou deux mois. On pré- fère toujours les agneaux blancs et sans taches aux agneaux noirs ou tachés, la laine blanche se vendant mieux que la laine noire ou mêlée. La castration doit se faire à l'âge de cinq ou six mois, ou même un peu plus tard, au prin- temps ou en automne, dans un temps doux. Cette opération se fait de deux manières : la plus ordinaire est l'incision; on tire les testicules par l'ouverture qu'on vient de faire, et on les en- lèveaisément : l'autrese fait sans incision; on lie seulement, en serrant fortementavecune corde, les bourses au-dessus des testicules, et l’on dé- truit par cette compression les vaisseaux qui y aboutissent. La castration rend l'agneau malade et triste, et l’on fera bien de lui donner du son mêlé d'un peu de sel pendant deux ou trois jours, pour prévenir le dégoût qui souvent suc- cède à cet état. A un an, les béliers , les brebis et les mou- tons perdent les deux dents du devant de la mâchoireinférieure : ils manquent, comme l’on sait, de dents incisives à la mâchoire supé- rieure. À dix-huit mois, les deux dents voisines des deux premières tombent aussi, et à trois ans, elles sont toutes remplacées : elles sont alors égales et assez blanches; mais à mesure que l'animal vieillit, elles se déchaussent, s'é- moussent, et deviennent inégales et noires. On connait aussi l'âge du bélier par les cornes; elles paraissent dès la première année , souvent dès la naissance , et croissent tous les ans d’un an- neau jusqu'à l'extrémité de la vie. Commuré- ment les brebis n’ont pas de cornes; mais elles ont sur la tête des proéminences osseuses aux mêmes endroits où naissent les cornes des bé- liers. 11 y a cependant quelques brebis qui ont deux et même quatre cornes : ces brebis sont DE LA BREBIS. semblables aux autres; leurs cornes sont lon- gues de cinq ou six pouces, moins contournées que celles des béliers; et lorsqu'il y a quatre cornes, les deux cornes extérieures sont plus courtes que les deux autres. Le bélier est en état d'engendrer dès l'âge de dix-huit mois, et à un an la brebis peut pro- duire; mais on fera bien d'attendre que la bre- bis ait deux ans, et que le bélier en ait trois, avant de leur permettre de s'accoupler : le pro- duit trop précoce, et même le premier produit de ces animaux, est toujours faible et mal con- ditionné. Un bélier peut aisément suffire à vingt- cinq ou trente brebis. On le choisit parmi les pius forts et les plus beaux de son espèce : il faut qu'il ait des cornes, car il y a des béliers qui n’en ont pas; et ces béliers sans cornes sont, dans ces climats, moins vigoureux et moins propres à la propagation. Un beau et bon bélier doit avoir la tête forte et grosse, le front large, les yeux groset noirs, le nez camus, les oreilles grandes, le cou épais, le corps long et élevé, les reins et la croupe larges, les testicules gros, et la queue longue : les meilleurs de tous sont les blancs, bien chargés de laine sur le ventre, sur la queue, sur la tête, sur les oreilles et jus- que sur les yeux. Les brebis dont la laine est la plus abondante , la plus touffue, la plus lon- gue, la plus soyeuse et la plus blanche, sont aussi les meilleures pour la propagation, sur- tout si elles ont en même temps le corps grand, le cou épais et la démarche légère. On observe aussi que celles qui sont plutôt maigres que grasses produisent plus sürement que les autres. La saison de la chaleur des brebis est depuis le commencement de novembre jusqu’à la fin d'avril : cependant elles ne laissent pas de con- cevoir en tout temps, si on leur donne, aussi bien qu'au bélier, des nourritures qui les échauf- fent, comme del'eausaléeet du pain dechènevis. On les laisse couvrir trois ou quatre fois cha- cune , après quoi on les sépare du bélier, qui s'attache de préférence aux brebis âgées et dé- daigne les plus jeunes. L'on a soin de ne les pas exposer à la pluie ou aux orages dans le temps de l'accouplement : l'humidité les empêche de retenir, et un coup de tonnerre suffit pour les faire avorter. Un jour ou deux après qu'elles ontété couvertes, on les remet à laviecommune, et l'on cesse de leur donner de l'eau salée, dont l'usage continuel, aussi bien que celui du pain 093 de chènevis et des autres nourritures chaudes, ue manquerait pas de les faire avorter. Elles portent cinq mois, et mettent bas au commen- cement du sixième. Elles ne produisent ordinai- rement qu'un agneau, et quelquefois deux. Dans les climats chauds, elles peuvent produire deux fois par an; mais en France, et dans les pays plus froids, elles ne produisent qu'une fois l'année. On donne le bélier à quelques-unes vers la fin de juillet etau commencement d'août, afin d’avoir des agneaux dans le mois de jan- vier; on le donne ensuite à un plus grand nom- bre dans les mois de septembre, d'octobre et de novembre, et l'on a des agneaux abondamment aux mois de février, de mars et d'avril : on peut aussi en avoir en quantité aux mois de mai, juin, juillet, août et septembre, et ils ne sont rares qu'aux mois d'octobre, novembre et décembre. La brebis a du lait pendant sept ou huit mois, et en grande abondance : ce lait est une assez bonne nourriture pour les enfants et pour les gens de la campagne ; on en fait aussi de fort bons fromages, surtout en le mêlant avec celui de vache. L'heure de traire les brebis est immé- diatement avant qu'elles aillent aux champs, ou aussitôt après qu'elles en sont revenues : on peut les traire deux fois par jour en été, et une fois en hiver. Les brebis engraissent dans le temps qu’elles sont pleines, parce qu’elles mangent plus alors que dans les autres temps. Comme elles se blessent souvent et qu'elles avortent fréquem- ment, elles deviennent quelquefois stériles, et font assez souvent des monstres : cependant , lorsqu'elles. sont bien soignées, elles peuvent produire pendant toute leur vie, c'està-dire jusqu'à l'âge de dix ou douze ans; mais ordi- nairement elles sont vieilles et maléficiées dès l'âge de septou huitans. Le bélier, qui vit douze ou quatorze ans, n’est bon que jusqu'à huit pour la propagation : il faut le bistourner à cet âge et l’engraisser avec les vieilles brebis. La chair du bélier, quoique bistourné et engraissé, a toujours un mauvais goût; celle de la brebis est mollasse et insipide, au lieu que celle du mouton est la plus succulente et la meilleure de toutes les viandes communes. Les gens qui veulent former un troupeau et en tirer du profit achètent des brebis et des moutons de l’âge de dix-huit mois ou deux ans. On eù peut mettre cent sous la conduite d'un seul berger ; s’il est vigilant et aidé d'un d 58 594 bon chien, il en perdra peu. Il doit les précé- HISTOIRE NATURELLE l'ombre de leur corps; enfin il faut éviter de les der lorsqu'il les conduit aux champs, et les ac- | faire passer par des endroits couverts d'épi- coutumer à entendre sa voix, à le suivre sans s'arrêter et sans s'écarter dans les blés, dans les vignes, dans les bois et dans les terres cul- tivées, où ils ne manqueraient pas de causer du dégât. Les coteaux et les plaines élevées au-dessus des collines sont les lieux qui leur conviennent le mieux : on évite de les mener paitre dans les endroits bas, humides et maré- cageux. On les nourrit pendant l'hiver à l’éta- ble, de son, de navets, de foin, de paille, de luzerne, de sainfoin, de feuilles d'orme, de frène, ete. On ne laisse pas de les faire sortir tous les jours, à moins que le temps ne soit fort mauvais; mais c'est plutôt pour les pro- mener que pour les nourrir ; et dans cette mau- vaise saison, on ne les conduit aux champs que sur les dix heures du matin : on les y laisse pendant quatre ou cinq heures, après quoi on les fait boire et on les ramène vers les trois heures apres midi. Au printemps et en automne au contraire, on les fait sortir aussitôt que le soleil a dissipé la gelée ou l'humidité, et on ne les ramène qu'au soleil couchant : il suffit aussi dans ces deux saisons de les faire boire une seule fois par jour avant de les ramener à l’é- table, où il faut qu'ils trouvent toujours du fourrage, mais en plus petite quantité qu’en hiver. Ce n’est que pendant l'été qu'ils doivent prendre aux champs toute leur nourriture; on les y mène deux fois par jour, et on les fait boire aussi deux fois : on les fait sortir de grand _matin, on attend que la rosée soit tombée pour les laisser paître pendant quatre ou cinq heu- res, eusuite on les fait boire et on les ramène à la bergerie ou dans quelqu'autre endroit à ombre : sur les trois ou quatre heures du soir, lorsque la grande chaleur commence à dimi- nuer, on les mène paitre une seconde fois jus- qu'à la fin du jour : il faudrait même les laisser passer toute la nuit aux champs, comme on le fait en Angleterre, si l'on n'avait rien à craindre du loup; ils n’en seraient que plus vigoureux , plus propres et plus sains. Comme la chaleur trop vive les incommode beaucoup, et que les rayons du soleil leur étourdissent la tête et leur donnent des vertiges, on fera bien de choisir les lieux opposés au soleil, et de les mener le matin sur des coteaux exposés au levant, et l'après-midi sur des coteaux exposés au cou- chant, afin qu'ils aient en paissant la tête à nes, de ronces, d'ajones , de chardons, si l'on veut qu'ils conservent leur laine. Dans les terrains secs, dans les lieux élevés, où le serpolet et les autres herbes odoriférantes abondent , la chair du mouton est de bien meil- leure qualité que dans les plaines basses et dans les vallées humides , à moins que ces plaines ne soient sablonneuses et voisines de la mer; parce qu'alors toutes les herbes sont salées, et la chair du mouton n'est nulle part aussi bonne que. dans ces pacages ou prés salés ; le lait des bre- bis y est aussi plus abondant et de meilleur goût. Rien ne flatte plus l'appétit de ces ani- maux que le sel; rien aussi ne leur est plus sa- lutaire, lorsqu'il leur est donné modérément ; et dans quelques endroits on met dans la ber- gerie un sac de sel ou une pierre salée qu'ils vont tous lécher tour à tour. Tous les ans il faut trier dans le troupeau les bêtes qui commencent à vieillir, et qu'on veut engraisser : comme elles demandent un traite- ment différent de celui des autres, on doit em faire un troupeau séparé; et si c’est en été, on les mènera aux champs avant le lever du so- leil, afin de leur faire paitre l'herbe humide et chargée de rosée. Rien ne contribue plus à l'engrais des moutons que l’eau prise en grande quantité, et rien ne s’y oppose davantage que l'ardeur du soleil; ainsi on les ramènera à la bergerie sur les huit ou neuf heures du matin avant le grande chaleur, et on leur donnera du sel pour les exciter à boire : on les mènera une seconde fois sur les quatre heures du soir dans les pacages les plus frais et les plus humides. Ces petits soins continués pendant deux ou trois mois suffisent pour leur donner toutes les ap- parences de l'embonpoint, et même pour les engraisser autant qu'ils peuvent l'être; mais cette graisse, qui ne vient que de la grande quantité d'eau qu'ils ont bue, n’est, pour ainsi dire, qu'une bouffissure, un œdème qui les fe- rait périr de pourriture en peu de temps, et qu'on ne prévient qu'en les tuant immédiate- ment après qu'ils sesont chargés dé cette fausse graisse; leur chair mème, loin d’avoir acquis des sues et pris de la fermeté, n’en est souvent que plusinsipide et plus fade : il faut, lorsqu'on veut leur faire une bonne chair, ne se pas bor- ner à leur laisser paitre la rosée et boire beau- coup d'eau, mais leur donner en même temps DE LA BREBIS. des nourritures plus suceulentes que l'herbe. On peut les engraisser en hiver et dans toutes les saisons, en les mettant dans une étable à part, et en les nourrissant de farines d'orge , d'avoine, de froment, de fèves, ete., mêlées de sel, afin de les exciter à boire plus souvent et plus abon- damment : mais de quelque manière et dans quelque saison qu'on les ait engraissés, il faut s'en défaire aussitôt; car on ne peut jamais les encraisser deux fois, et ils périssent presque tous par des maladies du foie. On trouve souvent des vers dans le foie des animaux. On peut voir la description des vers du foie des moutons et des bœufs dans le Jour- ral des Savants ‘, et dans les Éphémérides d'Allemagne ?. On croyait que ces vers singu- liers ne se trouvaient que dans le foie des ani- maux ruminants; mais M. Daubenton en a trouvé de tout semblables dans le foie de l'âne , et il est probable qu'on en trouvera de sembla- bles aussi dans le foie de plusieurs autres ani- maux. Mais on prétend encore avoir trouvé des papillons dans le foie des moutons. M. Rouil- lé, ministre et secrétaire d'état des affaires étrangères , a eu la bonté de me communiquer une lettre qui lui a été écrite en 1749 par M. Gachet de Beaufort, docteur en médecine à Moutier en Tarentaise, dont voici l'extrait : « L'on a remarqué depuis longtemps que les « moutons (qui, dans nos Alpes, sont les meil- « leurs de l'Europe } maigrissent quelquefois « à vue d'œil, ayant les yeux blancs, chas- « sieux et concentrés, le sang séreux, sans « presque aucune partie rouge sensible, la lan- « gue aride et resserrée, le nez rempli d'un «© mucus jaunâtre, glaireux et purulent, avec « unedébilité extrème, quoique mangeant beau- « coup, et qu'enfin toute l’économie animale « tombait en décadence. Plusieurs recherches « exactes ont appris que ces animaux avaient « dans le foie des papillons blancs ayant des « ailes assorties, la tête semi-ovale, velue et « de la grosseur de ceux des vers à soie : plus « desoixante-dix, que j'ai fait sortir en compri- « mant les deux lobes, m'ont convaineu de la « réalité du fait. Le foie se dilaniait en même « temps sur toute la partie convexe. L'on n'en « a remarqué que dans les veines, et jamais « dans les artères; on en a trouvé de petits, « avec de petits vers , dans le conduit cystique. 4 Année 1668. 3 Tome V, années 1675 et 1676. 595 « La veine-porte etlacapsuledeGlisson, qui pa- « raissent s'y manifester comme dans l'homme, « cédaient au toucher le plus doux. Le poumon « etles autres viscères étaient sains, ete. » Il serait à désirer que monsieur le docteur Gachet de Beaufort nous eût donné une description plus détaillée de ces papillons, afin d’ôter le soupçon qu'on doit avoir que ces animaux qu'il a vus ne sont que les vers ordinaires du foie du mouton, qui sont fort plats, fort larges, et d'une figure si singulière, que du premier coup d'œil on les prendrait plutôt pour des feuilles que pour des vers. Tous les ans on fait la tonte de la laine des moutons, des brebis et des agneaux : dans les pays chauds, où l'on ne craint pas de mettre l'animal tout à fait nu, l'on ne coupe pas la laine, mais on l’arrache, et on en fait souvent deux récoltes par an; en France, et dans les climats plus froids, on se contente de la couper une fois par an, avec de grands ciseaux , et on laisse aux moutons une partie de leur toison, afin de les garantir de l'intempérie du climat. C'est au mois de mai que se fait cette opération, après les avoir bien lavés, afin de rendre la laine aussi nette qu'elle peut l'être : au mois d'avril, il fait encore trop froid ; et si l’on at- tendait les mois de juin et de juillet, la laine ne croitrait pas assez pendant le reste de l'été, pour les garantir du froid pendant l'hiver. La laine des moutons est ordinairement plus abon- dante et meilleure que celle des brebis. Celle. du cou et du dessus du dos est la laine de la première qualité ; celle des cuisses, de la queue, du ventre, de la gorge, etc., n'est pas si bonne, et celle que l'on prend sur des bêtes mortes ou malades est la plus mauvaise. On préfère aussi la laine blanche à la grise, à la brune et à la noire, parce qu à la teinture elle peut prendre toutes sortes de couleurs. Pour la qualite, la laine lisse vaut mieux que la laine crépue ; on prétend même que les moutons dont la laine est trop frisée ne se portent pas aussi bien que les autres. On peut encore tirer des moutons un avantage considérable, en les faisant par- quer, c’est-à-dire en les laissant séjourner sur les terres qu'on veut améliorer : il faut pour cela enclore le terrain, et y renfermer le trou- peau toutes les nuits pendant l'été; le fumier, l'urine et la chaleur du corps de ces animaux ranimeront en peu de temps les terres épuisées, ou froides et infertiles. Cent moutons amélio- 596 reront, en un été, huit arpents de terre pour six ans. Les anciens ont dit que tous les animaux ru- minants avaient du suif : cependant cela n’est exactement vrai que de la chèvre et du mou- ton, et celui du mouton est plus abondant, plus blanc, plus sec, plus ferme et de meilleure qua- lité qu'aucun autre. La graisse diffère du suif en ce qu’elle reste toujours molle, au lieu que le suif durcit en se refroidissant. C’est surtout autour des reins que le suif s’amasse en grande quantité, etle rein gauche en est toujours plus chargé quele droit ; il y en a aussi beaucoup dans l'épiploon et autour des intestins ; mais ce suif n’est pas à beaucoup près aussi ferme ni aussi bon que celui des reins, de la queue et des au- tres parties du corps. Les moutons n'ont pas d'autre graisse que le suif, et cette matière do- mine si fort dans l'habitude de leur corps, que toutes les extrémités de la chair en sont garnies; le sang même en contient une assez grande quantité; et la liqueur séminale en est si fort chargée, qu'elle parait être d’une consistance différente de celle de la liqueur séminale des autres animaux. La liqueur de l'homme , celle du chien, du cheval, de l'âne, et probable- ment celle de tous les animaux qui n'ont pas de suif, seliquéfie par le froid, se délaie à l'air, et devient d'autant plus fluide qu'il y a plus de temps qu'elle est sortie du corps de l'animal; la liqueur séminale du bélier, et probablement celle du bouc et des autres animaux qui ont du suif, au lieu de se délayer à l'air, se durcit comme le suif,et perd toute sa liquiditéavec sa chaleur. J'ai reconnu cette différence en obser- vant au microscope ces liqueurs séminales : celle du bélier se fige quelques secondes après qu'elle est sortie du corps, et pour y voir les molécules organiques vivantes qu’elle contient en prodigieuse quantité, il faut chauffer le porte- objet du microscope, afin de la conserver dans son état de fluidité. Le goût de la chair du mouton, la finesse de la laine , la quantité du suif, et même la gran- deur et la grosseur du corps de ces animaux, varient beaucoup suivant les différents pays. En France, le Berri est la province où ils sont plus abondants; ceux des environs de Beau- vais sont les plus gras et les plus chargés de suif, aussi bien que ceux de quelques autres endroits de la Normandie ; ils sont très-bons en Bourgogne ; mais les meilleurs de tous sont ceux DESCRIPTION DU BÉLIER. des côtes sablonneuses de nos provinces mari- times. Les laines d'Italie, d'Espagne , et même d'Angleterre, sont plus fines que les laines de France. Il y a en Poitou, en Provence, aux environs de Bayonne, et dans quelques autres endroits de la France, des brebis qui paraissent être de races étrangères , et qui sont plus gran- des, plus fortes et plus chargées de laine que celles de la race commune : ces brebis produi- sent aussi beaucoup plus que les autres, et don- nent souvent deux agneaux à la fois ou deux agneaux par an. Les béliers de cette race en- gendrent avec les brebis ordinaires , ce qui pro- duit une race intermédiaire qui participe des deux dont elle sort. En Italie et en Espagne, il y a encore un plus grand nombre de variétés dans les races des brebis; mais toutes doivent être regardées comme ne formant qu'une seule et même espèce avec nos brebis, et cette es- pèce si abondante et si variée ne s’étend guère au-delà de l'Europe. Les animaux à longue et large queue qui sont communs en Afrique et en Asie, et auxquels les voyageurs ont donné le nom de moutons de Barbarie, paraissent être : d'une espèce différente de nos moutons, aussi bien que la vigogne et le lama d'Amérique. Comme la laine blanche est plus estimée que la noire, on détruit presque partout avec soin les agneaux noirs, ou tachés ; cependant il y a des endroits où presque toutes les brebis sont noires , et partout on voit souvent naître d'un bélier blane et d'une brebis blanche des agneaux noirs. En France, il n'y a que des moutons blancs, bruns , noirs et tachés ; en Espagne, il y a des moutons roux ; en Écosse, il y en a de jaunes; mais ces différences et ces variétés dans la couleur sont encore plus accidentelles que les différences et les variétés des races , qui ne viennent cependant que de la différence de la nourriture et de l'influence du climat. DESCRIPTION DU BÉLIER. EXTRAIT DE DAUBENTON.) Les dénominations des parties du corps du bélier sont les mêmes que pour le taureau, excepté que le bélier n'a point de fanon, et que la partie anté rieure de la face porte le nom de museau, et non pas de mufle comme dans le taureau. La couleur la plus ordinaire aux béliers, aux moutons et aux brebis, est le blanc sale ou le jaune HISTOIRE NATURELLE DE LA CHEVREF. 597 päle; il y en aussi beaucoup de bruns noirâtres, et on en voit quantité qui sont tachetés de blane jau- nätre et de noir. Tous ces animaux sont couverts de laine, qui est une sorte de poil bien différent de celui du cheval, de l'âne, et même du bœuf : la laine est composée de filaments forts, minces et très-flexibles, doux et gras au toucher, et contour- nés de façon qu'un flocon d'une laine frisée, qui n'a que quinze lignes de longueur, peut s’allonger jusqu'à trois pouces trois lignes, et même plus, lorsqu'on l'étend en ligne droite. Cette laine est sur le dos, sur les côtés du cou ; celle du reste du cou, des côtés du corps, du ventre, des épaules, est moins frisée et plus longue : mais la laine qui se trouve sur la face extérieure des cuisses et de la queue est plus dure , plus grosse et presque lisse; elle avait jusqu'à cinq pouces de longueur dans les béliers que j'ai observés : enfin la tête, la face in- térieure des bras et des cuisses, et la partie infé- rieure des jambes n'est revêtue que d'une laine dure et courte qui ressemble plutôt à du poil qu'à de la laine ; elle n'avait qu'environ neuf lignes de longueur. F La physionomie de ces animaux est décidée au premier coup d'œil, et on peut Fexprimer en deux mots : les yeux gros et fort éloignés l'un de l'autre, les cornes abaissées, les oreilles dirigées horizon- talement de chaque côté de la tête, le museau long eteffilé, le chanfrein arqué, sont des traits bien d'accord avec la douceur et l'imbécillité de cet ani- mal. Les cornes sont de couleur jaunâtre ; chacune s'élève un peu en haut à son origine , et ensuite se replie en arrière et à côté, se prolonge en bas et en avant, etenfin se recourbe en haut et un peu de côté. Les cornes que j'ai vues à quelques brebis avaient à peu près la même direction que celles des béliers. Quoique les cornes de ces animaux soient placées de la façon la plus désavantageuse pour leur défense, et la plus ignoble pour leur physio- nomie, cependant les brebis qui n'ont point de cor- nes, les moutons et les agneaux, paraissent encore plus faibles et plus stupides que les beliers et les brebis auxquelles les cornes ne manquent pas. En généralle portetles attitudes des animaux de cette espèce ne marquent ni agilité, ni force, ni cou- rage ; leur corps ne présente qu'une masse informe, posée sur quatre jambes sèches et raides : celles de devant sont droites comme des bâtons, et celles de derrière ont une courbure uniforme dont la con- cavité est en avant; la queue descend jusqu'au jar- ret, et reste collée contre le corps sans mouve- ment, comme une touffe de laine qu'on y aurait attachée. Lorsqu'il arrive que des béliers s'irritent et se disposent au combat, leur premier mouve- ment marque plutôt la crainte et la puSillanimité que l'ardeur et le courage; ils baissent la tête, et se tiennent immobiles en présence l'un de l'autre; enfin ils s'approchent, et se choquent rudement ct à coups réitérés avec le front et la base des cornes, car la pointe est posée de façon qu'ils ne peuvent s'en servir : ils n'ont pas d'autre art pour se dé- fendre ou pour attaquer, que d'opposer le front aux coups, ou de frapper avec le front; et dans les combats les plus opiniätres, l'œil est sans feu, et la bouche et les oreilles presque sans aucun mou- vement. LA CHÈVRE. Ordre des ruminants à cornes, genre Chèvre. (Cuvier.) Quoique les espèces dans les animaux soient toutes séparées par un intervalle que la nature ne peut franchir, quelques-unes semblent se rapprocher par un si grand nombre de rapports, qu'il ne reste, pour ainsi dire, entre elles que l'espace nécessaire pour tirer la ligne de sépa- ration ; et, lorsque nous comparons ces espèces voisines , et que nous les considérons relative- ment à nous, les unes se présentent comme des espèces de premiere utilité, et les autres sem- blent n'être que des espèces auxiliaires, qui pourraient , à bien des égards, remplacer les premières, et nous servir aux mêmes usages. L'âne pourrait presque remplacer le cheval; et de même, si l’espèce de la brebis venait à nous manquer, celledelachèvre pourrait y suppléer. La chèvre fournit du lait comme la brebis, et même en plus grande abondance; elle donne aussi du suif en quantité : son poil, quoique plus rude que la laine, sert à faire de très- bonnes étoffes ; sa peau vaut mieux que celle du mouton; la chair du chevreau approche assez de celle de l'agneau, ete. Ces espèces auxi- liaires sont plus agrestes, plus robustes que les espèces principales : l’âne et la chèvre ne de mandent pas autant de soin que le cheval et la brebis; partout ils trouvent à vivre, et broutent également les plantes de toute espèce, les her- bes grossières , les arbrisseaux chargés d’'épi- nes : ils sont moins affectés de l’intempérie du climat, ils peuvent mieux se passer du secours de l’homme : moins ils nous appartiennent , plus ils semblent appartenir à la nature ; et au lieu d'imaginer que ces espèces subalternes n'ont été produites que par la dégénération des espèces premières, au lieu de regarder l'âne comme un cheval dégénéré, il v aurait plus de 508 HISTOIRE NATURELLE raison de dire que le cheval est un âne perfec- tionné; que la brebis n'est qu'une espèce de chèvre plus délicate que nous avons soignée, perfectionnée , propagée pour notre utilité, et qu'en général les espèces les plus parfaites, sur- tout dans les animaux domestiques, tirent leur origine de l'espèce moins parfaite des animaux sauvages qui en approchent le plus, la nature seule ne pouvant faire autant que la nature et l'homme réunis. Quoi qu'il en soit, la chèvre est une espèce distincte, et peut-être encore plus éloignée de celle de la brebis que l'espèce de l’âne ne l’est de celle du cheval. Le boue s’accouple volon- tiers avec la brebis, comme l’âAneaveec la jument; et le bélier se joint avec la chèvre, comme le cheval avec l’ânesse ; mais, quoique ces accou- plements soient assez fréquents, et quelquefois prolifiques, il ne s’est point formé d'espèce in- termédiaire entre la chèvre et la brebis : ces deux espèces sont distinctes, demeurent con- stamment séparées et toujours à la même di- stance l'une de l'autre; elles n’ont done point été altérées par ces mélanges ; elles n'ont point fait de nouvelles souches , de nouvelles races d'animaux mitoyens ; elles n’ont produit que des différences individuelles, qui n’influent pas sur l'unité de chacune des espèces primitives, et qui confirment au contraire la réalité de leur différence caractéristique. Mais il y a bien des cas où nous ne pouvons ni distinguer ces caracteres , ni prononcer sur leurs différences avec autant de certitude; il y en a beaucoup d’autres où nous sommes obli- gés de suspendre notre jugement, et encore une infinité d'autres sur lesquels nous n'avons au- cune lumière : car, indépendamment de l'in- certitude où nous jette la contrariété des té- moignages sur les faits qui nous ont été transmis, indépendamment du doute qui résulte du peu d’exactitude de ceux qui ont observé la nature, le plus grand obstacle qu'il y ait à l’avance- ment de nos connaissances est l'ignorance presque forcée dans laquelle nous sommes d’un très-grand nombre d'effets que le temps seul n'a pu présenter à nos yeux , et qui ne se dé- voileront même à ceux de la postérité que par des expériences et des observations combinées : en attendant, nous errons dans les ténèbres, ou nous marchons avec perplexité entre des préjugés et des probabilités , ignorant même jusqu'à la possibilité des choses, et confondant à tout moment les opinions des hommes avec les actes de la nature. Les exemples se présen- tent en foule; mais sans en prendre ailleurs que dans uotre sujet , nous savons que le boue et la brebis s'accouplent et produisent ensem- ble : mais personne ne nous a dit encore s’il en résulte un mulet stérile, ou un animal fécond qui puisse faire souche pour des générations nouvelles ou semblables aux premières. De même , quoique nous sachions que le bélier s'accouple avec la chèvre, nous ignorons s'ils produisent ensemble et quel est ce produit ; nous croyons que les mulets en général, c’est- à-dire les animaux qui viennent du mélange de deux espèces différentes, sont stériles, parce qu’il ne parait pas que les mulets qui viennent de l'âne et de la jument, non pius que ceux qui viennent du cheval et de J'ânesse, pro- duisent rien entre eux ou avec ceux dont ils viennent : cependant cette opinion est mal fon- dég peut-être; les anciens disent positivement que le mulet peut produire à l’âge de sept ans, et qu'il produit avec la jument ! : ils nous di- sent que la mule peut concevoir, quoique elle: ne puisse perfectionner son fruit?. Il serait done nécessaire de détruire ou de confirmer ces faits, qui répandent de l'obscurité sur la distinction réelle des animaux et sur la théorie de la géné- ration. D'ailleurs, quoique nous connaissions assez distinetement les espèces de tous les ani- maux qui nous avoisinent, nous ne SavOns pas ce que produirait leur mélange entre eux ou avec des animaux étrangers : nous ne sommes que très-mal informés des jumarts, c’est-à-dire du produit de la vache et de l’âne , ou de la ju- ment et du taureau : nous ignorons si le zèbre ne produirait pas avec le cheval ou l'âne; si l'animal à large queue auquel on a donné le nom de mouton de Barbarie ne produirait pas avec notre brebis; si le chamois n’est pas une chèvre sauvage; s’il ne formerait pas avec nos chèvres quelque race intermédiaire ; si les sin- ges diffèrent réellement par les espèces, ou s'ils ne font, comme les chiens, qu'une seule et même espèce, mais variée parun grand nombre de races différentes ; si le chien peut produire { Mulus septennis implere potest, etjam cum equà conjunc - tus hinnum procreavit. Arist., Hist, Anim, lib. VI, Cap. XXIV 2 Itaque concipere quidem aliquando mula potest, quod jam factum est ; sed enutrire atque in finem perducere non potest. Mas generare interdüm potest. Arist., de Generat. Animal., lib. 11, cap. vi. DE LA CHÈVRE. avec le renard et le loup, si le cerf produit avec la vache, la biche avec le daim, ete. Notre ignorance sur tous ces faits est, comme je l'ai dit, presque forcée , les expériences qui pour- raient les décider demandant plus de temps, de soins et de dépense que la vie et la fortune d'un homme ordinaire ne peuvent le permettre. J'ai | employé quelques années à faire des tentatives de cette espèce : j'en rendrai compte lorsque je parlerai des mulets; mais je conviendrai d’a- vance qu'elles ne m'ont fourni que peu de iu- mières, et que la plupart de ces épreuves ont été sans succès. De là dépendent cependant la connaissance entière des animaux , la division exacte de leurs espèces, et l'intelligence parfaite de leur histoire ; de là dépendent aussi la manière de l'écrire et l’art de la traiter : mais puisque nous sommes privés de ces connaissances si néces- saires à notre objet; puisqu'il ne nous est pas possible , faute de faits, d'établir des rapports et de fonder nos raisonnements, nous ne pou- vons pas mieux faire que d'aller pas à pas, de considérer chaque animal individuellement, de regarder comme des espèces différentes toutes celles qui ne se mêlent pas sous nos yeux, et d'écrire leur histoire par articles séparés , en nous réservant de les joindre ou de les fondre ensemble, dès que, par notre propre expé- rience, ou par celle des autres, nous serons plus instruits. C'est par cette raison que, quoiqu'il y ait plu- sieurs animaux qui ressemblent à la brebis et à la chèvre, nous ne parlons ici que de la chèvre et de la brebis domestiques. Nous ignorons si les espèces étrangères pourraient produire et former de nouvelles races avec ces espèces com- munes. Nous sommes done fondés à les regar- der comme des espèces différentes , jusqu'à ce qu'il soit prouvé par le fait que les individus de chacune de ces espèces étrangères peuvent se mêler avec l'espèce commune, et produire d'au- - tres individus qui produiraient entre eux, ce caractère seul constituant la réalité et l'unité de ce que l’on doit appeler espèce, tant dans les animaux que dans les végétaux. La chèvre a de sa nature plus de sentiment et de ressource que la brebis: elle vient à l’homme volontiers, elle se familiarise aisément, elle est sensible aux caresses et capable d'atta- | chement ; elle est aussi plus forte, plus légère, | plus agile et moins timide que la brebis; elle emporter. A l'étonnement que le capitaine mar- 599 est vive, capricieuse, lascive et vagabonde. Ce n'est qu'avec peine qu'on la conduit , et qu'on peut la réduire en troupeau ; elle aïme à s'écar- ter dans les solitudes, à grimper sur les lieux escarpés, à se placer, et même à dormir, sur la pointe des rochers et sur le bord des précipi- ces : elle cherche le mâle avec empressement ; elle s'accouple avec ardeur , et produit dé très- bonne heure ; elle est robuste, aisée à nourrir ; presque toutes les herbes lui sont bonnes, et il y en a peu qui l'incommodent. Letempérament, qui dans tous les animaux influe beaucoup sur le naturel, ne parait cependant pas dans la chè- vre différer essentiellement de celui de la bre- bis. Ces deux espèces d'animaux , dont l’orga- nisation intérieure estpresqueentièrement sem- blable , se nourrissent, croïssent et multiplient de la même manière, et se ressemblent encore par le caractère des maladies, qui sont les mêmes , à l'exception de quelques-unes aux- quelles la chèvre n’est pas sujette : elle ne craïnt pas, comme la brebis, la trop grande chaleur, elle dort au soleil, et s'expose volontiers à ses rayons les plus vifs, sans en être incommodée, et sans que cette ardeur lui cause ni étourdis- sements, ni vertises : elle ne s’effraie point des orages, ne s’impatiente pas à la pluie, mais elle parait être sensible à la rigueur du froid. Les mouvements extérieurs , lesquels, comme nous l'avons dit, dépendent beaucoup moins de la conformation du corps que de la force et de la variété des sensafions relatives à l'appétit et au désir, sont par celte raison beaucoup moins me- surés, beaucoup plus vifs dans la chèvre que dans la brebis. L'inconstance de son naturel se marque par l'irrégularité de ses actions; elle marche , elle s'arrête , elle court, elle bondit, elle saute, s'approche, s'éloigne, se montre, se cache, ou fuit, comme par caprice, et sans au- tre cause déterminante que celle de la viva- cité bizarre de son sentiment intérieur ; et toute la souplesse des organes, tout le nerf du corps, suffisent à peine à la pétulance et à la rapidité de ces mouvements, qui lui sont naturels. On a des preuves que ces animaux sont patu- rellement amis de l'homme, et que , dans les lieux inhabités, ils ne deviennent point sauva- ces. En 1698, un vaisseau anglais ayant relà- ché à l'ile de Bonavista, deux nègres se pré- sentèrent à bord, et offrirent gratis aux An- glais autant de boucs qu'ils en voudraient 400 HISTOIRE NATURELLE qua de cette offre, les nègres répondirent qu'il n'y avoit que douze personnes dans l'ile , que les boues et les chèvres s'y étaient multipliés jusqu'à devenir incommodes, et que, loin de donner beaucoup de peine à les prendre, ils suivaient les hommes avec une sorte d'obstina- tion, comme les animaux domestiques !. Le bouc peut engendrer à un an, et la chè- vre dès l’âge de sept mois; mais les fruits de cette génération précoce sont faibles et défec- tueux, et l'on attend ordinairement que l’un et l'autre aient dix-huit mois ou deux ans avant de leur permettre de se joindre. Le bouc est un assez bel animal, très-vigoureux et très-chaud : un seul peut suflire à plus de cent cinquante chèvres pendant deux ou trois mois ; mais cette ardeur qui le consume ne dure que trois ou quatre ans, et ces animaux sont énervés et même vieux dès l’âge de cinq ou six ans. Lors- que l'on veut donc faire choix d’un boue pour la propagation, il faut qu'il soit jeune et de bonne figure, c’est-à-dire âgé de deux ans, la taille grande, le cou court et charnu, la tête lé- gère, les oreilles pendantes, les cuisses grosses, les jambes fermes , le poil noir, épais et doux, la barbe longue et bien garnie. I1 y a moins de choix à faire pour les chèvres ; seulement on peut observer que celles dont le corps est grand , la croupe large, les cuisses fournies, la démarche légère, les mamelles grosses , les pis longs, le poil doux et touffu , sont les meilleu- res. Elles sont ordinairement en chaleur aux mois de septembre, octobre et novembre, et même, pour peu qu'elles approchent du mâle en tout autre temps, elles sont bientôt disposées à le recevoir, et elles peuvent s'accoupler et produire dans toutes les saisons; cependant elles retiennent plus sûrement en automne, et l'on préfère encore les mois d'octobre et de no- vembre par une autre raison, c’est qu'il est bon que les jeunes chevreaux trouvent de l'herbe tendre lorsqu'ils commencent à paitre pour la première fois. Les chèvres portent cinq mois, et mettent bas au commencement du sixième ; elles allaitent leur petit pendant un mois ou cinq semaines; ainsi l'on doit compter environ six mois et demi entre le temps auquel on les aura fait couvrir, et celui où le chevreau pourra commencer à paître. Lorsqu'on les conduit avec les moutons, elles { Voyez l'Histoire générale des Voyages, Tome I, pag. 518. | ne restent pas à leur suite, elles précèdent tou- , jours le troupeau. Il vaut mieux les mener sé- parément paitre sur les collines ; elles aiment les lieux élevés et les montagnes, même les plus escarpées; elles trouvent autant de nour- riture qu'il leur en faut dans les bruyères, dans les friches, dans les terrains incultes et dans les terres stériles. Il faut les éloigner des en- droits cultivés, les empêcher d'entrer dans les blés, dans les vignes , dans les bois : elles font un grand dégât dans les taillis ; les arbres dont elles broutent avec avidité les jeunes pousses et les écorces tendres, périssent pres- que tous. Elles craignent les lieux humides , les prairies marécageuses, les pâturages gras. On en élève rarement dans les pays de plaines ; elles s'y portent mal et leur chair est de mau- vaise qualité. Dans la plupart des climats chauds, l’on nourrit des chèvres en grande quantité, et on ne leur donne point d'étable : en France, elles périraient si on ne les mettait pas à l'abri pendant l'hiver. On peut se dispen- ser de leur donner de la litière en été, mais il leur en faut pendant l'hiver; èt comme toute laisse pas coucher sur leur fumier, et on leur donne souvent de la litière fraiche. On les fait sortir de grand matin pour les mener aux champs; l'herbe chargée de rosée, quin'est pas bonne pour les moutons, fait grand bien aux chèvres. Comme elles sont indociles et vaga- bondes, un homme, quelque robuste et quelque agile qu'il soit, n’en peut guère conduire que cinquaute. On ne les laisse pas sortir pendant les neiges et les frimas; on les nourrit à l’éta- ble d'herbes et de petites branches d'arbres cueillies en automne, ou de choux, de navets et d'autres légumes. Plus elles mangent, plus la quantité de leur lait augmente; et pour entre- tenir ou augmenter encore cette abondance de lait, on les fait beaucoup boire, et on leur donne quelquefois du salpêtre ou de l’eau salée. On peut commencer à les traire quinze jours après qu’elles ont mis bas : elles donnent du lait en quantité pendant quatre à cinq mois, etelles en donnent soir et matin. | La chèvre ne produit ordinairement qu'un | chevreau, quelquefois deux, très-rarement trois, et jamais plus de quatre : elle ne produit que depuis l’âge d’un an ou dix-huit mois, jus- qu'à sept ans. Le bouc pourrait engendrer jus- | qu'à cet âge, et peut-être au-delà, si on le mé- humidité les incommode beaucoup, on ne les D DE LA CHÈVRE. nageait davantage; mais communément il ne sert que jusqu'à l'âge de cinq ans. On le réforme alors pour l'engraisser avec les vieilles chèvres et les jeunes chevreaux mâles que l'on coupe à l'âge de six mois, afin de rendre leur chair plus suceulente et plus tendre. On les engraisse de la même manière que l'on engraisse les mou- tons; mais, quelque soin qu'on prenne , et quel- que nourriture qu'on leur donne, leur chair n'est jamais aussi bonne que celle du mouton, si ce n’est dans les climats très-chauds, où la chair du mouton est fade et de mauvais goût. L'odeur forte du boue ne vient pas de sa chair, mais de sa peau. On ne laisse pas vieillir ces animaux, qui pourraient peut-être vivre dix ou douze ans : on s'en défait dès qu'ils cessent de produire; et plus ils sont vieux, plus jeur chair est mauvaise. Communément les boues et les chèvres ont des cornes; cependant il y a, quoique en moindre nombre, des chèvres et des boucs sans cornes. Ils varient aussi beaucoup par la couleur du poil. On dit que les blanches, et celles qui n'ont point de cornes sont celles qui donnent le plus de lait, et que les noires sont les plus fortes et les plus robustes de toutes. Ces animaux, qui ne coûtent presque rien à nourrir, ne laissent pas de faire un produit as- sez considérable; on en vend la chair, le suif, le poil et la peau. Leur lait est plus sain et meilleur que celui de la brebis : il est d'usage dans la médecine ; il se caille aisément, et l'on en fait de très-bons fromages : comme il ne contient que peu de parties butireuses, l'on ne doit pas en séparer la crème. Les chèvres se laissent teter aisément, même par les enfants, pour lesquels leur lait est une très-bonne nour- riture ; e.les sont, comme les vaches et les bre- bis, sujettes à être tetées par la couleuvre, et encore par un oiseau connu sous lenom de fefte- chèvre ou crapaud volant, qui s'attache à leur mamelle pendant la nuit, et leur fair, dit-on, perdre leur lait. Les chèvres n'ont point de äents incisives à la mâchoire supérieure; celles de la mâchoire inférieure tombent et se rencuvellent dans le mème temps et dans le même crdre que celles des brebis : les nœuds des cornes et les dents peuvent indiquer l'âge. Le nombre des dents n'est pas constant dansies chèvres: elles en ont ordinairement moins que les boues, qui ont aussi le poi! plus rude, la barbe et les cornes plus longues que les chèvres. Ces animaux, 601 comme les bœufs et les moutons, ont quatre es- tomacs et ruminent : l'espèce en est plus répan- due que celle de la brebis; on trouve des chèvres semblables aux nôtres dans plusieurs parties du monde : elles sont seulement plus pe- tites en Guinée et dans les autres pays chauds; elles sont plus grandes en Moscovie et dans les autres climats froids. Les chèvres d'Angora ou de Syrie, à oreilles pendantes , sont de la même espèce que les nôtres; elles se mêlent et pro- duisent ensemble, même dans nos climats. Le mâle a les cornes à peu près aussi iongues que le bouc ordinaire , mais dirigées et contournées d'une manière différente; elles s'étendent ho- rizontalement de chaque côté de la tête, et for- ment des spirales à peu près comme un tire- bourre. Les cornes de la femeile sont courtes, et se recourbent en arrière, en bas et en avant; de sorte qu’elles aboutissent auprès de l'œil, et i! paraît que leur contour et leur direction va- rient. Le bouc et la chèvre d'Angora que nous avons vus à la ménagerie du roi, les avaient telles que nous venons de les décrire: et ces chèvresont, comme presque tous lesautres ani- maux de Syrie, le poil tres-long, très-fourni, et si fin qu'on en fait des étoffes aussi belles et aussi lustrées que nos étoffes de soie. DESCRIPTION DU BOUC. {EXTRAIT DE PAUBENTON.) Quoique le boue soit à peu près de la même gros- seur que le bélier, et qu'il lui ressemble presque dans tous les détails des parties intérieures, cepen- dant il en diffère beaucoup à l'extérieur; etil n'y a peut-être, exception faite de la grandeur, guère plus de ressemblance pour la figure, entre le bone et le bélier, qu'entre le bélier et le taureau. Ces trois animaux ont pour caractères communs les 0r- ganes de la rumination , les cornes, le pied four- chu, etc. Il y a autant de rapports entre eux, dans les parties molles de l'intérieur, qu'entre le cheval et l'âne; mais il y a bien plus de différence dans la figure extérieure du corps et dans celle des os. Le bouc differe du bélier par la forme de la tête, la longueur et la direction des cornes , la grosseur des jambes , la qualité du poil et la variété de sa longueur ; car le bouc a une sorte de barbe sous la mâchoire inférieure , et une crinière le long du cou et du dos jusqu'à la queue. Les couieurs les plus ordinaires du houc et de la 602 DESCRIPTION DU BOUC. É chèvre sont le blanc et le noir; il y en a de blancs | supérieur de derrière à la hanteur de l'angle pos- et de noirs en entier ; d'autres, en plus grand nom- bre, sont en partie blancs et en partie noirs; il s'en trouve aussi beaucoup qui ont du brun et du fauve. Le poil est de longueur inégale sur differen- tes parties du corps; partout il est plus ferme que le poil du cheval, mais moins dur que son crin. J'ai vu un bouc qui était en partie noir et en partie blanc, et qui avait de la laine de couleur blanchà- tre, mélée avec le poil, sur le dos et sur le haut des côtés du corps, et disposée par flocons qui descendaient aussi bas que le poil, et même plus bas. Il y a différentes races dans l'espèce du boue, comme dans celle du cheval, mais elles ne sont | pas si nombreuses ; nous ne connaissons guère en France que celle des boues et des chèvres que l'on a apportes d'Angora , et dont la race se croise avec celle qui est naturelle à notre climat. Elle paraît en différer à l'extérieur en ce que le boue d’Angora et la chèvre ont le poil ondoyant, très-long, très- fin, et luisant comme la soie, les oreilles pendantes, et les cornes contournées en spirale, comme il a été dit dans l'histoire de la chèvre. Les srandes cornes qui surmontent la tête du bouc , et la longue barbe qui est suspendue à son menton , lui donnent un air bizarre et equivoque : mais, pour reconnaitre les caractères de sa phy- sionomie, il faudrait ne considérer que sa face, sans faire attention aux cornes ni à la barbe. On verrait alors qu'il aurait une apparence de finesse, parce que la partie de la face qui s'étend depuis les yeuxjusqu'au bout des lèvres est allongée et effilée; le bout du museau bien arrondi, le menton bien formé , les deux lèvres bien séparées par la fente de la bouche, la lèvre supérieure bien terminée par les ouvertures des narines, qui s'approchent de très-près par leur extrémité intérieure, et qui for- ment une fente parallèle à celle de la bouche; tous ces traits sont expressifs, animent la physionomie du bouc, et lui donnent un air de vivacité et de douceur. L'éloignement des yeux, quoique grand dans cet animal , ne rend point sa physionomie stu- pide, parce que le front est fort étroit, et presque entièrement occupé par le toupet. D'ailleurs, les yeux sont très-vifs, très-grands et très-apparents, quoique posés an peu sur les côtés de la tête; ils donnent encore plus de vivacité au bouc que la forme du bout de son museau et que les oreilles, qui sont bien proportionnées , bien posées et bien soutenues. Les yeux sont le trait le plus animé par la belle couleur jaune de l'iris, et surtout par la fi- gure singulière de la prunelle; c'est un carré long, dont les côtés sont irrégulièrement terminés, et, pour ainsi dire, frangés, et dont les angles sont arrondis. Ce carré est le plus souvent situé de fa- con que l'angle inférieur de devant est à peu près à la hauteur de l'angle antérieur de l'œil , et l'angle térieur de l'œil. Considérons à présent le bouc avec ses cornes et sa barbe ; à l'instant la face va paraitre partagée | transversalement par le milieu, et, pour ainsi dire, double : la physionomie aura l'air équivoque, parce que les apparences de finesse et de vivacité vont se changer en un air pesant et stupide, comme nous allons l'expliquer. L'étendue du chanfrein, depuis traits, les yeux semblent appartenir à la partie su- former avec le front , les oreilles et les cornes , un groupe éloigné, et, pour ainsi dire, séparé de la parüe inférieure de la face, qui, réunie avec la barbe, fait un autre groupe composé des narines, deslèvres , de la bouche , du menton et de la barbe. Supposons que l'on couvre cette partie de la face, et Qu'on ne voie que la partie superieure, les cor- nes sont si grosses et si grandes qu'elles font dis- paraitre, pour ainsi dire , les proportions des oreil- les, la vivacité des yeux et la petitesse du front : | ces trois parties, qui prises séparément des Cor- nes présentaient l'apparence de la légèreté et de | la vivacité, ne font plus aucun effet lorsqu'elles sont surmontées par les cornes, ne donnent plus aucune idée de légèrete ni de finesse , et l'ensemble formé par cette réunion n'est que lourd et pesant. Voyons à présent quel changement il arrive dans la partie inférieure de la face du bouc, lorsqu'on la considère séparément de la partie supérieure et des cornes ; alors les traits des narines et de la bou- che, qui sont fortement exprimes, formant seuls un ensemble avec la barbe, et n'étant plus adoucis et animés par les yeux et par les autres traits de la partie supérieure de la face, ne présentent plus que l'apparence de la rudesse et de la stupidité, au lieu de l'air de docilité et de finesse qu'a le museau du bouc étant réuni avec le reste de la face , et pris sé- parément de la barbe. Voilà pourquoi, en réunis- sant la face entière avec les cornes et la barbe, comme dans son état naturel, on ne voit dans le bouc qu'une physionomie équivoque et bizarre, qui parait morne lorsque la tète est vue de profil, et que l'on voit le museau avancé au-dessus et au-de- vant de la barbe. En général, le corps du bouc paraît où trop petit par rapport à ses cornes , Ou trop gros par rapport à la hauteur des jambes, qui sont fort courtes, principalement celles de devant, de sorte que le garrot est plus bas que les hanches. L'encolure fai- ble, la tête petite et basse paraissent surchargées par les cornes, dont l'étendue est trop grande à proportion du corps. Le bouc est encore difforme par une autre disproportion; c'est que les reius , les hanches, la croupe, les fesses et les cuisses , en un mot toute la partie postérieure du corps, paraïs- les yeux jusqu'aux narines, étant nue ei dénuée de | périeure de la face qui sert de base aux cornes, et ! HISTOIRE NATURELLE DU COCHON. * sent trop gros, et les jambes de derrière trop lon- gues en comparaison du reste du corps. D'ailleurs, les genoux sont tournés en dedans, et les jarubes si cou tes qu'elles paraissent nouées, et les pieds de devant sont plus gros que ceux de derrière. Cependant le bouc présente ses cornes avec grce, et il les tourne de côté et d'autre avec beaucoup de facilité ; l'attitude qu'il prend pour les présenter en, baissant la tête lui sied bien : il lève les jam- bes de devant avec aisance, et fait paraître dans tous ses mouvements beancoup de souplesse et d'agilité. LE COCHON, LE COCHON DE SIAM, ET LE SANGLIER. Ordre des pachydermes, famille des pachydermes ordinaires, genre Cochon. (Guvier.) Nous mettons ensemble le cochon, le cochon de Siam et le sanglier, parce que tous trois ne font qu'une seule et même espèce : l'un est l'a- nimal sauvage, les deux autres sont l'animal domestique; et quoiqu'ils diffèrent par quel- ques marques extérieures , peut-être aussi par quelques habitudes, comme ces différences ne sont pas essentielles, qu'elles sont seulement relatives à leur condition ; que leur naturel n’est pas même fort altéré par l'état de domesticité; qu'enfin ils produisent ensemble des individus qui peuvent en produire d’autres, caractère qui constitue l'unité etla constance de l'espèce, nous n'avons pas dù les séparer. Ces animaux sont singuliers; l'espèce en est, pour ainsi dire, unique; ele est isoiée; elle semble exister plus solitairement qu'aucune autre; elle n'est voisine d'aucune espèce qu'on puisse regarder comme principale ni comme accessoire, telle que l'espèce du cheval relati- vement à celle de l'âne, ou l'espèce de la chè- vre relativement à la brebis : elle n’est pas su- jette à une grande variété de race comme celle du chien; elle participe de plusieurs especes , et cependantelle diffère essentiellement de toutes. Que ceux qui veulent réduire la nature à de petits systèmes, qui veulent renfermer son im- mensité dans les bornes d'une formule, consi- dèrent avec nous cet animal, et voient s'il n'é- chappe pas à toutes leurs méthodes. Par jes extrémités , il ne ressemble point à ceux qu'ils 605 ont appelés solipèdes, puisqu'il a le pied divisé ; il ne ressemble point à ceux qu'ils ont appelés pieds fourchus, puisqu'il a réellement quatre doigts au dedans , quoiqu'il n'en paraisse que deux à l'extérieur; ilne ressemble point à ceux qu'ils ont appelés Jissipèdes, puisqu'il ne mar- che que sur deux doigts, et que les deux au- tres ne sont ni développés, ni posés comme ceux des fissipèdes, ni même assez allongés pour qu'il puisse s’en servir. Il a donc des ca- ractères équivoques , des caractères ambigus, dont les uns sont apparents et les autresobseurs. Dira-t-on que c'est une erreur de la nature; que ces phalanges, ces doigts, qui ne sont pas assez développés à l'extérieur, ne doivent point être comptés? Mais cette erreur est constante. D'ailleurs cet animel ne ressemble point aux pieds fourchus par les autres os du pied , et il en diffère encore par les caractères les plus frap- pants : car ceux-ci ont des cornes et manquent de dents incisives à la mâchoiresupérieure; ils ont quatre estomaes, ils ruminent, ete. Le co- chon n’a point de cornes; il a des dents en haut comme en bas ; il n'a qu'un estomac; il ne ru- mine point; il est done évident qu'il n’est ni du genre des solipèdes, ni de celui des pieds four- chus ; il n’est pas non plus de celui des issipè- des , puisqu'il diffère de ces animaux non-seu- lement par l'extrémité du pied, mais encore par les dents, par l'estomac, par les intestins, par les parties intérieures de la génération, ete. Tout ce qu'on pourrait dire, c'est qu'il fait la nuance, à certains égards, entre les solipèdes et les pieds fourchus, et à d'autres égards en- tre les pieds fourchus et les fissipèdes ; car il diffère moins des so/ipèdes que des autres, par l'ordre et le nombre des dents. Il leur ressem- ble encore par l'allongement des mâchoires : il n'a, comme eux, qu'un estomac, qui seule- ment est beaucoup plus grand; mais, par un appendice qui y tient, aussi bien que par la position des intestins, il semble se rapprocher des pieds fourchus où ruminants. N leur res- semble encore par les parties extérieures de la génération , £t en même temps il ressemble aux Jissipèdes par la forme des jambes, par l'habi- tude du corps, par le produit nombreux &e la génération. Aristote est le premier ‘ qui ait di- 4 Quadrupedum autem, quæ sanguine constant, eadem quæ animal generant, alia multifida sunt; quales hontinis manus pedesque habentur. Suut euim quæ multiplici pedum lissurà digitentur, ut canis , leo, panthera. Alia Lisulca sunt, 604 . visé les animaux quadrupèdes en solipèdes, pieds fourchus et fissipèdes, et il convient que le cochon est d'un genre ambigu ; mas la seule raison qu'il en donne, c'est que, dans l'Illyrie, la Péonie et dans quelques autres lieux, il se trouve des cochons solipèdes. Cet animal est en- core une espèce d'exception à deux règles géné- rales de la nature , c’est que plus les animaux sont gros, moins ils produisent, et que les fis- sipèdes sont de tous les animaux ceux qui pro- duisent le plus. Lecochon , quoique d'une taille fort au-dessus de la médiocre, produit plus qu'aucun des animaux fissipèdes ou autres. Par cette fécondité aussi bien que par la conforma- tion des testicules ou ovaires de la truie, il semble même faire l'extrémité des espèces vi- vipares, et s'approcher des espèces ovipares. Enfin il est en tout d'une nature équivoque, ambiguë , ou, pour mieux dire, il paraîtra tel à ceux qui croient que l’ordre hypothétique de leurs idées fait l'ordre réel des choses, et qui ne voient, dans la chaine infinie des êtres, que quelques points apparents auxquels ils veulent tout rapporter. Ce n’est point en resserrant la sphère de la na- ture et en la renfermant dans un cerele étroit, qu'on pourra la connaitre: ce n’est point en la faisant agir par des vues particulières qu'on sau- ra la juger, ni qu'on pourra la deviner; ce n'est point en lui prêtant nos idées qu'on approfon- dira les desseins de son auteur. Au lieu de res- serrer les limites de sa puissance, il faut les re- euler , les étendre jusque dans l'immensité; il faut ne rien voir d'impossible, s'attendreatout, et supposer que tout ce qui peut être , est. Les espèces ambiguës, les productions irrégulières, les êtres anomaux cesseront dès lors de nous étonner, et se trouveront aussi nécessairement que les autres dans l'ordre infini des choses ; ils remplissent les intervalles de la chaine , ils en forment les nœuds, les points intermédiaires , ils en marquent aussi les extrémités. Ces êtres sont pour l'esprit humain des exemplaires pré- cieux , uniques, où la nature paraissant moins conforme à elle-même, se montre plus à décou- vert; où nous pouvons reconnaitre des carac- tères singuliers et des traits fugitifs, qui nous quæ forcipem pro ungulà habeant , ut oves, capræ. cervi, equi fluviatiles. Alia infisso sunt pede, ut quæ solipedes no- minantur, ut equus, mulus, Geous sanè suillum ambigoum est ; nam et in terra Hlyriorum, etin Pœonia, et nonnullis aliis locis, sues solipedes gignuntur, Aristot., de Hist, Animal. lib. 11, cap. 1. HISTOIRE NATURELLE indiquent que ses fins sont bien plus générales que nos vues, et que si elle ne fait rien en vain, elle ne fait rien non plus dans les desseins que nous lui supposons. En effet, ne doit-on pas faire des réflexions sur ce que nous venons d'exposer? Ne doit-on pas tirer des inductions de cette singulière con- formation du cochon? Il ne parait pas avoir été formé sur un plan original, particulier et par- fait, puisqu'il est un composé des autres ani- maux : il a évidemment des parties inutiles, ou plutôt des parties dont il ne peut faire usage, des doigts dont tous les os sont parfaitement formés , et qui cependant ne lui servent à rien. La nature est donc bien éloignée de s’assujettir à des causes finales dans lacomposition des êtres : pourquoi n’y mettrait-elle pas quelquefois des parties surabondantes , puisqu'elle manque si souventd'y mettredes parties essentielles ? Com- bien n'y a-t-il pas d'animaux privés de sens et de membres! Pourquoi veut-on que, dans cha- que individu, toute partie soit utile aux autres et nécessaire au tout? Ne suflit-il pas, pour qu'elles se trouvent ensemble, qu'elles ne: se nuisent pas, qu'elles puissent croitre sans obs- tacle et se développer sans s'oblitérer mutuelle- ment? Tout ce qui ne se nuit point assez pour se détruire, tout ce qui peut subsister ensemble, subsiste; et peut-être y a-t-il, dans la plupart des êtres, moins de parties relatives, utiles ou nécessaires, que de partiesindifférentes, inutiles ou surabondantes. Mais comme nous voulons toujours tout rapporter à un certain but, lors- que les parties n'ont pas des usages apparents, nous leur supposons des usages cachés; nous imaginons des rapports qui n’ont aucun fonde- ment , qui n'existent point dans la nature des choses, et qui ne servent qu'à l'obscureir : nous ne faisons pas attention que nous altérons la philosophie, que nous en dénaturons l'objet, qui est de connaitre le comment des choses, la ma- nière dont la nature agit; et que nous substi- tuons à cet objet réel une idée vaine, en cher- chant à deviner le pourquoi des faits, la fin qu'elle se propose en agissant. C'est pour cela qu'il faut recueillir avec soin les exemples qui s'opposent à cette prétention, qu'il faut insister sur les faits capables de dé- truire un préjugé général auquel nous nous li- vrons par goût, une erreur de méthode que nous adoptons par choix, quoiqu'elle ne tende qu'à voiler notre ignorance, qu'elle soit inutile, et DU COCHON. même opposée à la recherche et à la découverte | des effets de la nature. Nous pouvons , sans sortir de notre sujet, donner d'autres exemples par lesquels ces fins, que nous supposons si vainement à la nature, sont évidemment dé- menties. : Les phalanges ne sont faites, dit-on, que pour former des doigts : cependant il y a dans le co- chon des phalanges inutiles, puisqu'elles ne for- ment pas des doigts dont il puisse se servir; et dans les animaux à pieds fourchus, il y a de pe- tits os! qui ne forihent pas même des phalanges. Si c'est là le but de la nature, n'est-il pas évident que dans le cochon elle n’a exécuté que la moi- tié de son projet, et que dans les autres à peiñe l'a-t-elle commencé ? L'allantoide est une membrane qui se trouve dans le produit de la génération de la truie , de la jument, de la vache et de plusieurs autres ani- maux : cette membrane tient au fond de la ves- sie du fœtus ; elle est faite, dit-on, pour rece- voir l'urine qu'il rend pendant son séjour dans le ventre de la mère : et en effet.on trouve, à l'instant de la naissance de l'animal, une certaine quantité de liqueur dans cette membrane ; mais cette quantité n’est pas considérable : dans la vache, où elle est peut-être plus abondante que dans tout autre animal, elle se réduit à quelques pintes, et la capacité de l’allantoïde estsi grande, qu'il n'y a aucune proportion entre ces deux ob- jets. Cette membrane, lorsqu'on la remplit d'air, forme une espèce de double poche en forme de croissant , longue de treize à quatorze pieds sur neuf, dix, onze, et même douze pouces de dia- mètre. Faut-il, pour ne recevoir que trois ou | quatre pintes de liqueur, un vaisseau dont la ca- pacité contient plusieurs pieds cubes? La vessie seule du fœtus , si elle n’eüt pas été percée par | le fond, suffisait pour contenir cette petite quan- tité de liqueur , comme elle suffit eu effet dans l'homme, et dans les espèces d'animaux où l’on n'a pas encoredécouvertl'allantoide. Cettemem- brane n’est donc pas faite dans la vue de rece- | voir l'urine du fœtus, nimême dans aucune autre | de nos vues : car cette grande capacité est non | seulement inutile pour cetobjet, mais aussipour tout autre, puisqu'on ne peut pas même suppo- ser qu'il soit possible qu'elle se remplisse, et que si cette membrane etait pleine, elle formerait un volume presque aussi gros que le corps de l'ani- . 1 Daubenton estle premier qui ait fait cette découverte, 605 mal qui la contient , et ne pourrait par consé- quent y être contenue; et comme elle se dé- chire au moment de la naissance, et qu'on la jette avecles autres membranes qui servaient d'enve- loppe au fœtus, il est évident qu'elle estencore plus inutile alors qu'elle ne l'était auparavant. Le nombre des mamelles est, dit-on, relatif, dans chaque espèce d'animal, au nombre de pe- tits que la femelle doit produire et allaiter. Mais pourquoi le mâle, qui ne doit rien produire, a- t-il ordinairement le même nombre de mamel- les? Et pourquoi dans la truie, qui souvent pro- duit dix-huit et même vingt petits, ny a-til que douze mamelles, souvent moins, et jamais plus? Ceci ne prouve-t-il pas que ce n’est point par des causes finales que nous pouvons juger des ouvrages de la nature ; que nous ne devons pas lui prêter d'aussi petites vues, la faire agir par des convenances morales; mais examiner comment elle agit en effet, et employer , pour la connaitre , tous les rapports physiques que nous présente l'immense variété de ses produc- tions ? J'avoue que cette méthode, la seule qui puisse nous conduire à quelques connaissances réelles, est incomparablement plus difficile que l'autre, et qu'il y a une infinité de faits dans la nature auxquels, comme aux exemples précé- dents, il ne parait guère possible de l'appliquer avec succès. Cependant, au lieu de chercher à quoi sert la grande capacité de l’allantoïde , et de trouver qu'elle ne sert et ne peut servir à rien, il est clair qu'on ne doit s'appliquer qu'à rechercher les rapports physiques qui peuvent nous indiquer quelle en peut être l'origine. En observant, par exemple, que dans le produit de la génération des animaux qui n'ont pas une grande capacité d'estomac etd'intestins, l'allan- . toide est ou très-petite, ou nulle; que par con- séquent la production de cette menbranea quel- que rapport avec celte grande capacité d'intes- tins, elec. ; de même, en cousidérant que lenom- bre des mamelles n’est point égal au nombre des petits, en convenant seulement que les ani- maux qui produisent le plus sont aussi ceux qui ont des mamelles en plus grand nombre, on pourra penser que cette production nombreuse dépend dela conformation des parties intérieures de la génération, etque, les mamelles étant aussi des dépendances extérieures de ces mêmes par- ties de la génération, il y a, entre le nombre ou l'ordre de ces parties et celui des mamelles, un rapport physique qu'il faut tâcher de découvrir, 606 Mais je ne fais iei qu'indiquer la vraie route, et ce n’est pas le lieu de la suivre plus loin. Ce- pendant, je ne puis m'empêcher d'observer en passant que j'ai quelque raison de supposer que la production nombreuse dépend plutôt de la conformation des parties intérieures de la géné- ration que d'aucune autre cause : car ce n’est point de la quantité plus abondante des liqueurs | séminales que dépend le grand nombre dans la production, puisque le cheval, le cerf, le bélier, le bouc et les autres animaux qui ont une très- grande abondance de liqueur séminale, ne pro- duisent qu'en petit nombre; tandis que le chien, le chat et d’autres animaux , qui n’ont qu'une moindre quantité de liqueur séminale, relative- ment à leur volume , produisent en grand nombre. Ce n’est pas non plus de la fréquence des accouplements que ce nombre dépend : car l'on est assuré que le cochon et le chien n'ont besoin que d'un seul accouplement pour pro- duire, et produire en grand nombre. La longue durée de l'accouplement, ou, pour mieux dire, du temps de l'émission de la liqueur sémi- nale, ne parait pas non plus être la cause à la- quelle on doive rapporter cet effet : car le chien ne demeure accouplé longtemps que parce qu'il est retenu par un obstacle qui nait de la conformation même des parties (voyez ci-après la description du chien); et, quoiquele cochon n'ait point cet obstacle, et qu'il demeure ac- couplé plus longtemps que la plupart des autres animaux, on ne peut rien conclure pour la nom- breuse production , puisqu'on voit qu'il ne faut au coq qu’un instant pour féconder tous les œufs qu'une poule peut produire en un mois. J'aurai occasion de développer davantage les idées que j'accumule ici, dans la seule vue de faire sentir qu'une simple probabilité, un soupcon, pourvu qu'il soit fondé sur des rap- ports physiques, répand plus de lumière et pro- duit plus de fruit que toutes les causes finales réunies. Aux singularités que nous avons déjà rap- portées, nous devons en ajouter uneautre : c’est que la graisse du cochon est différente de celle de presque tous les autres animaux quadru- pèdes , non-seulement par sa consistance et sa qualité, mais aussi par sa position dans le corps de l'animal. La graisse de l'homme et des ani- maux qui n’ont point de suif, comme le chien, le cheval , ete., est mêlée avec la chair assez également : le suif dans le bélier, le boue, le HISTOIRE NATURELLE cerf, ete., ne se trouve qu'aux extrémités de la chair: mais le lard du cochon n’est ni mêlé avec la chair, ni ramassé aux extrémités de la chair; il la recouvre partout, et forme une couche épaisse, distincte et continue entre la chair et la peau. Le cochon a cela de commun avec la ba- leine et les autres animaux cétacés, dont la graisse n’est qu'une espèce de lard à peu près de la même consistance , mais plus huileux que celui du cochon. Ce lard, dans les animaux cé- tacés, forme aussi sous la peau une couche de plusieurs pouces d'épaisseür, qui enveloppe la chair. Encore une singularité, même plus grande que les autres : c’est que le cochon ne perd au- cune de ses premières dents. Les autres ani- maux, comme le cheval, l'âne, le bœuf, la brebis , la chèvre, le chien, et même homme, perdent tous leurs premières dents incisives: ces dents de lait tombent avant la puberté, et sont bientôt remplacées par d’autres. Dans le cochon , au contraire, les dents de lait ne tom- bent jamais, elles croissent même pendant toute la vie. Il a six dents au-devant de la mâchoire inférieure, qui sont incisives et tranchantes; il a aussi à la mâchoire supérieure six dents cor- respondantes : mais, par une imperfection qui n'a pes d'exemple dans la nature, ces six dents de la mächoire supérieure sont d’une forme très-différente de celle des dents de la mâchoire inférieure : au lieu d'être incisives et tranchan- tes , elles sont longues, cylindriques et émous- sées à la pointe, en sorte qu’elles forment un angle presque droit avec celles de la mâchoire supérieure , et qu’elles ne s'appliquent que très- obliquement les unes contre les autres par leurs extrémités. Il n'y a que le cochon et deux ou trois au- tres espèces d'animaux qui aient des défenses ou des dents canines très-allongées : elles diffe- rent des autres dents en ce qu'elles sortent au- dehors et qu'elles croissent pendant toutela vie. Dans l'éléphant et la vache marine, elles sont cylindriques et longues de quelques pieds ; dans le sanglier et le cochon mâle, elles se cour- bent en portion de cercle, elles sont plates et tranchantes, et j'en ai vu de neuf à dix pouces de longueur. Elles sont enfoncées très-profon. * dément dans l’alvéole, et elles ont aussi, comme celles de l'éléphant, une cavité à leur extrémité supérieure. Mais l'éléphant et la vache marine n'ont de défenses qu'à la mâchoire supérieure, DU COCHON. 607 ils manquent même de dents canines à la mâ- | dans la texture de la chair ou de la peau de cet choire inférieure; au lieu que le cochon mâle et | le sanglier en ont aux deux mâchoires, et celles de la mächoire inférieure sont plus utiles à l'a- nimal; elles sont aussi plus dangereuses, car | | res à dévorer, et qui vit ordinairement de grains, c'est avec les défenses d'en bas que le sanglier blesse. La truie, la laie et le cochon coupé ont aussi ces quatre dents canines à la mâchoire infé- rieure; mais elles croissent beaucoup moins que celles du mâle, et ne sortent presque point au-dehors. Outre ces seize dents, savoir, douze incisives et quatre canines, ils ont encore vingt- huit dents mächelières , ce qui fait en tout qua- rante-quatre dents. Le sanglier a les défenses | plus grandes, le boutoir plus fort et la hure plus longue que le cochon domestique ; il a aussi les pieds plus gros, les pinces plus séparées et le poil toujours noir. De tous les quadrupèdes le cochon paraît être l'animal le plus brut; les imperfections de la | forme semblent influer sur le naturel : toutes ses habitudes sont grossières, tous ses goûts sont immondes; toutes ses sensations se rédui- sent à une laxure furieuse et à une sourman- dise brutale, qui lui fait dévorer indistincte- ment tout ce qui se présente, et même sa pro- géniture au moment qu'elle vient de naïitre. Sa voracité dépend apparemment du besoin con- tinuel qu'il a de remplir la grande capacité de son estomac; et la grossièreté de ses appétits, de l'hébétation du sens du goût et du toucher. La rudesse du poil, la dureté de la peau, lé- paisseur de la graisse, rendent ces animaux peu sensibles aux coups : l’on a vu des souris se lo- ger sur leur dos, et leur manger le lard et la peau, sans qu'ils parussent le sentir. Ils ont done le toucher fort obtus, et le goût aussi grossier que le toucher : leurs autres sens sont bons: les chasseurs n'ignorent pas que les sangliers voient , entendent et sentent de fort loin, puis- qu’ils sont obligés, pour les surprendre, de les attendre en silence pendant la nuit, et dese pla- cer au-dessous du vent, pour dérober à leur odorat les émanations qui les frappent de loin, et toujours assez vivement pour leur faire sur- le-champ rebrousser chemin. Cette imperfection dans les sens du goût et du toucher est encore augmentée par une ma- ladie qui les rend ladres, c'est-à-dire , presque absolument insensibles, et de laquelle il faut peut-être moins chercher la première origine animal , que dans sa malpropreté “ae et dans la corruption qui doit résulter nour- | ritures infectes dont il se remplit quelquefois; car le sanglier, qui n'a point de pareilies ordu- de fruits, de glands et de racines, n'est point | sujet à cette maladie, non plus que le jeune co- chon pendant qu'il tette : on ne la prévient même qu'en tenant le cochon domestique dans une étable propre , et en lui donnant abondam- ment des nourritures saines. Sa chair deviendra même excellente au goût, et le lard ferme et cassant, si, comme je l'ai vu pratiquer, on le tient, pendant quinze jours ou trois semaines avant de le tuer, dans une étable pavée et tou- | jours propre, sans litière, en ne lui donnant alors pour toute nourriture que du grain de froment pur et sec, et ne le laissant boire que très-peu. On choisit pour cela un jeune cochon d'un an, en bonne chair et à moitié gras. La manière ordinaire de les engraisser est de leur donner abondamment de l'orge, du gland, | des choux, des légumes cuits et beaucoup d'eau mêlée de son : en deux mois ils sont gras ; le lard est abondant et épais, mais sans être bien ferme ni bien blane ; et la chair, quoique bonne, est toujours un peu fade. On peut encore les engraisser avee moins de dépense dans les cam- pagnes où il y a beaucoup de glands, en les me- nant dans les forêts pendant l'automne, lorsque les glands tombent, et que la châtaigne et la faine quittent leurs enveloppes. Ils mangent également de tous les fruits sauvages , et ils en- graissent en peu de temps, surtout si le soir, à leur retour, on leur donne de l’eau tiède mé- lée d’un peu de son et de farine d'ivraie; cette boisson les fait dormir et augmente tellement leur embonpoint, qu'on en a vu ne pouvoir plus marcher, ni presque se remuer. Ils en- graissent aussi beaucoup plus promptement en automne dans le temps des premiers froids, tant à cause de l'abondance des nourritures que parce qu'alors la transpiration est moindre qu’en été. On n'attend pas, comme pour le reste du bé- tail, que le cochon soit âgé pour l’engraisser : plus il vieillit, plus cela est difficile, et moins sa chair est bonne. La castration, qui doit tou- tours précéder l’engrais, se fait ordinairement à l’âge de six mois, au printemps ou en au- tomne, et jamais dans le temps des grandes 608 chaleurs ou des grands froids, qui rendraient également la plaie dangereuse ou difficile à guérir : car c'est ordinairement par incision que se fait cette opération, quoiqu'on la fasse aussi quelquefois par une simple ligature, comme nous l'avons dit au sujet des moutons. Si la castration a été faite au printemps, on les met à l'engrais dès l'automne suivant, et il est as- sez rare qu'on les laisse vivre deux ans; cepen- dant ils croissent encore beaucoup pendant la seconde, et ils continueraient de croitre pen- dant la troisième , la quatrième, la cinquiè- me ,etc., année. Ceux que l'on remarque parmi les autres par la grandeur et la grosseur de leur corpulence ne sont que des cochons plus âgés, que l'on a mis plusieurs fois à la glandée. 1] parait que la durée de leur accroissement ne se borne pas à quatre ou cinq ans : les verrals ou cochons mâles , que l'on garde pour la propaga- tion de l'espèce, grossissent encore à cinq ou six ans; et plus un sanglier est vieux, plus il est gros, dur et pesant. La durée de la vie du sanglier peut s’éten dre jusqu'à vingt-cinq ou trente ans ‘. Aristote dit vingt ans pour les cochons en général, et il ajoute que les mâles engendrent et que les fe- melles produisent jusqu'à quinze. Ils peuvent s'accoupler dès l’âge de neuf mois ou d'un an, mais il vaut mieux attendre qu'ils aient dix-huit mois où deux ans. La première portée de la truie n’est pas nombreuse ; les petits sont fai- bles, et mème imparfaits, quand elle n'a pas un an. Elle est en chaleur, pour ainsi dire, en tout temps : elle recherche les approches du mäle, quoiqu'elle soit pleine, ce qui peut pas- ser pour un excès parmi les animaux, dont la femelle, dans presque toutes les espèces, refuse ie mäle aussitôt qu'elle a concu. Cette chaleur de la truie , qui est presque continuelle, se mar- que cependant par des accès et aussi par des mouvements immodérés , qui finissent toujours par porter l'animal à se vautrer dans la boue ; elle répand dans ce temps une liqueur blan- châtre assez épaisse et assez abondante. Elle porte quatre mois, met bas au commencement du cinquième , et bientôtelle recherche le mâle, devient pleine une seconde fois, et produit par conséquent deux fois l'année. La laie, qui res- semble à tous autres égards à la truie, ne porte qu'une fois l'an, apparemment par la disette de 4 Voyez la Véncrie de du Fouilloux. Paris, 1614, page 57. HISTOIRE N ATURELLE nourriture , et par la nécessité où elle se trouve d'allaiter et de nourrir pendant longtemps tous les petits qu’elle a produits; au lieu qu'on ne souffre pas que la truie domestique nourrisse tous ses petits pendant plus de quinze jours ou trois semaines : on ne lui en laisse alors que huit ou neuf à nourrir, on vend les autres; à quinze jours ils sont bons à manger : et comme l'on n’a pas besoin de beaucoup de femelles, et que ce sont les cochons coupés qui rapportent le plus de profit, et dont la chair est la meil- leure, on se défait des cochons de lait femelles, eton ne laisse à la mère que deux femelles avec sept ou huit mâles. Le mâle qu'on choisit pour propager l'espèce doit avoir le corps court, ramassé, et plutôt carré que long , la tête grosse, le groin court et camus, les oreilles grandes et pendantes, les yeux petits et ardents, le cou grand et épais, le ventre avalé, les fesses larges, les jambes courtes et grosses, les soies épaisses et noires : les cochons blancs ne sont jamais aussi forts que les noirs. La truie doit avoir le corps long, le ventre ample et large, les mamelles longues ;'il faut qu'elle soit aussi d'un naturel tranquille et d'une race féconde. Dès qu'elle est pleine, on la sépare du mâle, qui pourrait la blesser ; et lorsqu'elle met bas, on la nourrit largement, on la veille pour l'empêcher de dévorer quel- ques-uns de ses petits, et l’on a grand soin d’en éloigner le père, qui les ménagerait encore moins. On la fait couvrir au commencement du printemps, afin que les petits, naissant en été, aient le temps de grandir, de se fortifier, et d'engraisser avant l'hiver; mais lorsque l’on veut la faire porter deux fois par an, on lui donnele mâle au mois de novembre, afin qu'elle mette bas au mois de mars, et on la fait couvrir une seconde fois au commencement de mai. Il y a même des truies qui produisent régulière- ment tous les cinq mois. La laie, qui, comme nous l'avons dit, ne produit qu'une fois par an, recoit le mâle aux mois de janvier ou de fé- vrier, et met bas en mai ou juin; elle allaite ses petits pendant trois ouquatre mois , elleles con- duit,ellelessuit, etles empêchedeseséparer ou de s'écarter , jusqu'à ce qu'ils aient deux ou trois ans; et il n'est pas rare de voir des laies ac- compagnées en même temps de leurs petits de l'année et de ceux de l’année précédente. On ne souffre pas que la truie domestique allaite ses petits pendant plus de deux mois ; on commence DU COCHON. même, au bout de trois semaines , à les mener aux champs avec la mère, pour les accoutumer peu à peu à se nourrir comme elle : on les sè- vre cinq semaines après, et on leur donne soir et matin du petit-lait mêléde son, ou seulement de l’eau tiède avec des légumes bouillis. Ces animaux aiment beaucoup les vers de terre et certaines racines, comme celles de la carotte sauvage : c'est pour trouver ces vers et pour couper ces racines qu'ils fouillent la terre avec leur boutoir. Le sanglier, dont la hure est plus longue et plus forte que celle du co- chon, fouille plus profondément ; il fouille aussi presque toujours en ligne droite dans le même sillon , au lieu que le cochon fouille çà et là, et plus légèrement. Comme il fait beaucoup de dégât, il faut l'éloigner des terrains cultivés, et ne le mener que dans les bois et sur les terres qu'on laisse reposer, On appelle, en termes de chasse, béles de com- pagnie, les sangliers qui n'ont pas passé trois ans, parce que, jusqu'à cet âge, ils ne se sépa- rent pas les uns des autres, et qu'ils suivent tous leur mère commune : ils ne vont seuls que quand ils sont assez forts pour ne plus craindre les loups. Ces animaux forment donc d'eux- mêmes des espèces de troupes, et c'est de là que dépend leur sûreté : lorsqu'ils sont attaqués, ils résistent par le nombre, ils se secourent, se défendent ; les plus gros font face en se pressant en rond les uns contre les autres, et en met- tant les plus petits au centre. Les cochons do- mestiques se défendent aussi de la même ma- nière , et l’on n’a pas besoin de chiens pour les garder : mais comme ils sont indociles et durs, un homme agile et robuste n'en peut guère con- duire que cinquante. En automne et en hiver, on les mène dans les forêts où les fruits sauva- ges sont abondants ; l'été, on les conduit dans les lieux humides et marécageux, où ils trou- vent des vers et des racines en quantité ; et au printemps , on les laisse aller dans les champs etsur les terres en friche. On les fait sortir deux fois par jour, depuis le mois de mars jusqu'au mois d'octobre; on les laisse paitre depuis je matin, après que la rosée est dissipée, jusqu'à dix heures, et depuis deux heures après midi jusqu'au soir. En hiver, on ne les mène qu'une fois par jour dans les beaux temps : la rosée, la neige et la pluie leur sont contraires. Lorsqu'il survient un orage ou seulement une pluie fort abondante, il est assez ordinaire de les voir dé- lle 609 serter le troupeau les uns après les autres , et s'enfuir en courant et toujours criant jusqu'a la porte de leur étable : les plus jeunes sont ceux qui crient le plus, et le plus haut; ce cri est différent de leur grognement ordinaire , c’est un cri de douleur semblable aux premiers cris qu'ils jettent lorsqu'on les garrotte pour les égorger. Le mâle crie moins que la femelle. Il est rare d'entendre le sanglier jeter un cri, si ce n'est lorsqu'il se bat et qu'un autre le blesse, la laie crie plus souvent ; et quand ils sont sur- pris et effrayés subitement, ils soufflent avec tant de violence, qu'on les entend à une grande distance. Quoique ces animaux soient fort gourmands, ils n’attaquent ni ne dévorent pas, comme les loups, les autres animaux ; cependant ils man- gent quelquefois de la chair corrompue : on a vu des sangliers manger de la chair de cheval, et nous avons trouvé dans leur estomac de la peau de chevreuil et des pattes d'oiseau; mais c’est peut-être plutôt nécessité qu'instinct. Ce- pendant on ne peut nier qu'ils ne soient avides de sang et de chair sanguinolente et fraiche, puisque les cochons mangent leurs petits, et même des enfants au berceau : dès qu'ils trou- vent quelque chose de suceulent, d'humide, de gras et d’onctueux, ils le lèchent et finissent bientôt par l'avaler. J'ai vu plusieurs fois un troupeau entier de ces animaux s'arrêter, à leur retour des champs, autour d'un monceau de terre glaise nouvellement tirée; tous léchaient cette terre, qui n’était que très-légerement onc- tueuse , et quelques-uns en avalaient une assez grande quantité. Leur gourmandise est, comme l’on voit, aussi grossière que leur naturel est brutal: ils n'ont aucun sentiment bien distinct; les petits reconnaissent à peine leur mère, ou du moins sont fort sujets à se méprendre, et à teter la première truie qui leur laisse saisir ses mamelles. La crainte et la nécessité donnent apparemment un peu plus de sentiment et d'in- stinct aux cochons sauvages ; il semble que les petits soient fidèlement attachés à leur mère, qui parait être aussi plus attentive à leurs be- soins que ne l’est la truie domestique. Dans le temps du rut , le mâle cherche, suit la femelle, ei demeure ordinairement trente jours avec elle dans les bois les plus épais, les plus soli- taires et les plus reculés. Il est alors plus farou- che que jamais, et il devient même furieux lorsqu'un autre mâle veut occuper sa place; ils 59 610 HISTOIRE NATURELLE se battent , se blessent, et se tuent quelquefois. | triple; le sang, les boyaux, les viseères, lespieds, Pour la laie, elle ne devient furieuse que quand on attaque ses petits; et en général, dans pres- que tous les animaux sauvages, le mâle de- vient plus ou moins féroce lorsqu'il cherche à s'accoupler, et la femelle lorsqu'elle a mis bas. On chasse le sanglier à force ouverte, avec des chiens, ou bien on le tue par surprise pen- dant la nuit au clair de la lune : comme il ne fuit que lentement , qu'il laisse une odeur très- forte, qu'il se défend contre les chiens et les blesse toujours dangereusement, il ne faut pas le chasser avec les bons chiens courants desti- nés pour le cerf et le chevreuil; cette chasse leur gâterait le nez, et les accoutumerait à aller lentement : des mâtins un peu dressés suffisent pour la chasse du sanglier. Il ne faut attaquer que les plus vieux, on les connaît aisément aux traces : un jeune sanglier de trois ans est diffi- cile à forcer, parce qu'il court très-loin sans s'arrêter, au lieu qu'un sanglier plus âgé ne fuit pas loin, se laisse chasser de près, n’a pas grand'peur des chiens, et s'arrête souvent pour leur faire tête. Le jour, il reste ordinairement danssa bauge , au plus épais et dans le plus fort du bois; le soir, à la nuit, il en sort pour cher- cher sa nourriture : en été, lorsque les grains sont mürs, il est assez facile de le surprendre dans les blés et dans les avoines où il fréquente toutes les nuits. Dès qu'il est tué, les chasseurs ont grand soin de lui couper les suites, c'est-à- dire les testicules, dont l’odeur est si forte que, si l'on passe seulement cinq ou six heures saus les ôter, toute la chair en est infectée. Au reste, il n’y a que la hure qui soit bonne dans un vieux sanglier ; au lieu que toute la chair du marcassin , et celle du jeune sanglier qui n’a pas encore un an, est délicate , et même assez fine. Celle du verrat, ou cochon domestique mâle, est encore plus mauvaise que celle du sanglier ; ce n’est que par la castration et l’engrais qu'on la rend bonne à manger. Les anciens étaient dans l'usage de faire la castration aux jeunes marcassins qu'on pouvait enlever à leur mère, après quoi on les reportait dans les bois : ces sangliers coupés grossissent beaucoup plus que les autres, et leur chair est meilleure que celle des cochons domestiques. Pour peu qu'on ait habité la campagne, on n'ignore pasles profits qu'on tire du cochon : sa chair se vend à peu près autant que celle du bœuf ; le lard se vend au double, et même au la langue, se préparent etse mangent. Le fumier du cochon est plus froid que celui des autres animaux , et l’on ne doit s'en servir que pour les terres trop chaudes et trop sèches. La graisse des intestins et de l'épiploon, qui est différente du lard , fait le sain-doux et le vieux-oing. La peau a ses usages, on en fait des cribles, comme l'on fait aussi des vergettes, des brosses, des pinceaux avec les soies. La chair de cet animal prend mieux le sel, le salpètre, et se conserve salée plus longtemps qu'aucune autre. Cette espèce, quoiqu'abondante et fort ré- pandue en Europe, en Afrique et en Asie, ne s'est point trouvée dans le continent du Nou- veau-Monde; elle y a été transportée par les Es- pagnols, qui ont jeté des cochons noirs dans le continent, et dans presque toutes les grandes iles de l'Amérique ; ils se sont multipliés, et sont devenus sauvages en beaucoup d’endroits: ils ressemblent à nos sangliers ; ils ont le corps plus court, la hure plus grosse, et la peau plus épaisse ‘ que les cochons domestiques, qui, dans les climats chauds, sont tous noirs comme les sangliers. Par un de ces préjugés ridicules que la seule superstition peut faire subsister, les mahomé- tans sont privés de cet animal utile : on leur a dit qu'il était immonde; ils n’osent done ni le toucher, ni s’en nourrir. Les Chinois, au con- traire, ont beaucoup de goût pour la chair du cochon ; ils en élèvent de nombreux troupeaux; c’est leur nourriture la plus ordinaire, et c’est ce qui les a empéchés, dit-on, de recevoir la loi de Mahomet. Ces cochons de la Chine, qui sont aussi ceux de Siam et de l'Inde, sont un peu différents de ceux de l'Europe; ils sont plus petits , etils ont les jambes beaucoup plus cour- tes : leur chair est plus blanche et plus délicate : -on les connait en France, et quelques person- nes en élèvent ; ils se mêlent et produisent avec les cochons de la race commune. Les Nègres élèvent aussi une grande quantité de cochons; et quoiqu'il y en ait peu chez les Maures, et dans tous les pays habités parles mahométans, on trouve en Afrique et en Asie des sangliers “aussi abondamment qu'en Europe. Ces animaux n'affectent donc point de climat particulier; seulement il parait que dans les pays froids le sanglier, en devenant animal do- * Voyez l'Histoire générale des Antilles, par le P. du Tertre Paris, 1667, toine 1], page 293. DU COCHON. mestique, a plus dégénéré que dans les pays chauds. Un degré de température de plus suf- fit pour changer leur couleur: les cochons sont communément blancs dans nos provinces sep- tentrionales de France, et même en Vivarais, tandis que dans la province du Dauphiné, qui en est très-voisine, ils sont tous noirs ; ceux de Languedoc, de Provence , d'Espagne, d'Italie, des Indes , de la Chine et de l'Amérique, sont aussi de la même couleur. Le cochon de Siam ressemble plus quele cochon de France au san- glier. Un des signes les plus évidents de la dé- génération sont les oreilles; elles deviennent d'autant plus souples, d'autant plus molles, plus inclinées et plus pendantes, que l'animal est plus altéré, ou, si l'on veut, plus adouci par l'éducation et par l'état de domesticité : et en effet, le cochon domestique a les oreilles beaucoup moins raides, beaucoup plus longues et plus inelinées que le sanglier, qu’on doit re- garder comme le modèle de l'espèce. Je n'ai rien à ajouter aux faits historiques que j'ai donnés sur la race de nos cochons d’Eu- rope, et sur celle des cochons de Siam ou de la Chine, qui toutes trois se mêlent ensemble, et ne font par conséquent qu'une seule et même espèce, quoique la race des cochons d'Europe soit considérablement plus grande que l’autre par la grosseur et la grandeur du corps; elle pourrait même le devenir encore plus, si on laissait vivre ces animaux pendant un plus grand nombre d'années dans leur état de do- mesticité. M. Collinson, de la Société royale de Londres , m'a écrit qu'un cochon engraissé par les ordres de M. Joseph Leastarm, et tué par le sieur Meck, boucher à Cougleton en Ches- tershire, pesait huit cent cinquante livres , sa- voir : l'un des côtés, trois cent treize livres; l’autre côté, trois cent quatorze livres ; et la tête, l'épine du dos, la graisse intérieure, les intes- tins, etc., deux cent vingt-trois livres !. LE COCHON DE SIAM OU DE LA CHINE. . L'espèce du cochon est, comme nous l'avons dit , l'une des plus universellement répandues. MM. Cook et Forster l'ont trouvée aux iles de la Société, aux Marquises, aux iles des Amis, aux nouvelles Hébrides. « Il n'y a, disent-ils, « dans toutes ces iles de la mer du Sud, que * Lettre de M. Collinson à M. de Buffon. Londres, 50 jan- vier 1767. 611 « deux espèces d'animaux domestiques, le co- « chon et le chien. La race des cochons est celle « de la Chine (ou de Siam) ; ils ont le corps et les « jambes courtes, le ventre pendant jusqu'a « terre, les oreilles droites, et très-peu de soies. « Je n’en ai jamais mangé, dit M. Forster, qui « fût aussi succulente et qui eùt la graisse d’un « goût aussi agréable. Cette qualité ne peut « être attribuée qu'à l'excellente nourriture « qu'ils prennent : ils se nourrissent surtout de « fruits à pain, frais, ou de la pâte aisrie de « ces fruits, d'ignames, etc. fl y en a une « grande quantité aux îles de la Société : on en « voit autour de presque toutes les cabanes. « Ils sont abondants aussi aux Marquises et à « Amsterdam , l'une des iles des Amis; mais ils « sont plus rares aux iles occidentales des nou- « velles Hébrides!. » LE COCHON DE GUINÉE, Quoique cet animal diffère du cochon ordi- naire par quelques caractères assez marqués, je présume néanmoins qu'il est de la même espece, et que ces différences ne sont que des variétés produites par l'influence du climat ; nousenavons l'exemple dans le cochon de Siam, qui diffère aussi du cochon d'Europe, et qui cependant est certainement de la même espèce, puisqu'ils se mêlent et produisent ensemble. Le cochon de Guinée est à peu près de la même figure que notre cochon, et de la même grosseur que le co- chon de Siam, c'est-à-dire plus petit que notre sanglier ou que notre cochon. Il est originaire de Guinée , et a été transporté au Brésil , où il s'est multiplié comme dans son pays natal ; il y est domestique et tout à fait privé; il a le poil court, roux et brillant; il n’a point de soies, pas même sur le dos ; le cou seulement et la croupe près de l'origine de la queue sont couverts de poilsun peu pluslongs que ceux dureste du corps; iln'a pasla tête si grosse que le cochon d'Europe, et il en diffère encore par la forme des oreilles, qu'il a très-longues , très-pointues et couchées en arrière le long du cou; sa queue est aussi beaucoup plus longue, elle touche presque à terre, et elle est sans poil jusqu'à son extrémité?. Au reste, cette race de cochon, qui, selon Marc- grave, est originaire de Guinée, se trouve aussi ‘ Forster , Observations à la suite de deuxième Voyage de Cook, page 172. ? Marcgrave, Hist. nat., Brésil, page 250, fig. 46. 612 en Asie, et particulièrement dans l'ile de Java", d'où il parait qu'elle a été transportée au cap de Bonne-Espérance par les Hollandais ?. DU SANGLIER DU CAP VERT, Il y a dans les terres voisines du cap Vert un autre cochon ou sanglier, qui, par le nombre des dents et par l'énormité des deux défenses de la mächoire supérieure, nous parait être d'une race etpeut-être même d'une espèce différentedetous les autres cochons, et s'approcher un peu du babiroussa. Les défenses du dessus ressemblent plus à des cornes d'ivoire qu'à des dents; elles ont un demi-pied de longueur, et cinq pouces de circonférence à la base, et elles sont courbées et recourbées à peu près comme les cornes d’un taureau. Ce caractère seul ne suffirait pas pour qu'on dût regarder ce sanglier comme une es- pèce particulière; mais ce qui semble fonder cette présomption, c’est qu'il diffère encore de tous les autres cochons par la longue ouverture de ses narines, par la grande largeur et la forme de ses mâchoires, et par le nombre et la figure des dents mâchelières. Cependant nous avons vu les défenses d'un sanglier tué dans nos bois de Bourgogne, qui approchaient un peu de celles de ce sanglier du cap Vert : ces défenses avaient environ trois pouces et demi de long sur quatre pouces de circonférence à la base ; elles étaient contournées comme les cornes d'un taureau, c'est-à-dire qu'elles avaient une double courbure , au lieu que les défenses ordinaires n'ont qu'une simple courbure en porticn de cercle; elles paraissent être d’un ivoire solide, et il est certain que ce sanglier devait avoir la mâchoire plus large que les autres : ainsi nous pouvons présumer , avec quelque fondement, que ce sanglier du cap Vert est une simple va- riété, une race particulière dans l'espèce du san- glier ordinaire. (Nous avons donné une notice au sujet d'un animal qui se trouve en Afrique , et que nous avons appelé sanglier du cap Vert. Nous avons 4 Leurs pores (à l'fle de Java) n'ont point de poil, et ils sont si gras, que leur ventre traine à terre. Voyage de Mandalflo, t. 11, p. 349. ? Les cochons qui ont été apportés de Java au cap de Bonne- Espérance ont les jambes fort courtes, et sont noirs et sans soies; leur ventre, qui est fort gros, pend presque jusqu'à terre. 11 s'en fant de beancoup que leur graisse ait la consis- tance qu'a celle des cochons d'Europe. La chair en est bonne à manger. Description du cap de Bonne-Espérance, par Kolbe, tome III, page 48, HISTOIRE NATURELLE dit que, par l’énormité des deux défenses de la mâchoiresupérieure, ilnous paraissait être d’une race et peut-être même d’une espèce différente de tous les autres cochons, desquels il diffère encore par la longue ouverture de ses narines, et par la grande largeur et la forme de ses mâ- choires ; que néanmoins nous avions vu les dé- fenses d'un sanglier tué dans nos bois de Bour- gogne, qui approchaient un peu de celles de ce sanglier du cap Vert, puisque ces défenses avaient environ trois pouces et demi de leng, sur quatre pouces de circonférence à la base, ete. ; ce qui nous faisait présumer, avec quelque fondement, que ce sanglier du cap Vert pouvait être une simple variété et non pas une espèce particulière dans le genre des cochons. M. Alla- mand, très-célèbre professeur en histoire natu- relle à Leyde, eut la bonté de nous envoyer la gravure de cet animal, et ensuite il écrivit à M. Daubenton dans les termes suivants : « Je crois avec vous, monsieur, que le san- glier représenté dans la planche que je vous ai envoyée est le mème que celui que vous « avez désigné par le nom de sanglier du cap. Vert. Cet animal est encore vivant (5 mai 1767) dans la ménagerie de M. le prince d'O- « range. Je vais de temps en temps lui rendre visite, et cela toujours avec un nouveau plaisir. « Je ne puis me lasser d'admirer la forme sin- gulière de sa tête. J'ai écrit au gouverneur du cap de Bonne-Espérance, pour le prier dem’en envoyer un autre, s'il est possible; ce que je n'ose pas espérer, parce qu'au Cap même il a passé pour un monstre tel, que personne n’en a jamais vu de semblable. Si, contre toute es- « pérance , il m'en vient un, je l’enverrai en France, afin que M. de Buffon et vous le voyiez. On a cherché à accoupler celui que nousavonsiciavec une truie ; mais , dès qu’elle s’estprésentée, ils’est jeté sur elle avec fureur, et l'aéventrée. » C'est d'apres cette planche gravée, qui nous a été envoyée par M. Allamand, qu'on a fait des- siner et graver ce même animal. Nous avons retrouvé dans les Miscellanea et les Spicilegia zoologica de M. Pallas , et aussi dans les des- criptions de M. Vosmaër , la même planche | gravée; et ces deux derniers auteurs ont cha- cun donné une description de cet animal : aussi M. Allamand, par une lettre datée de Leyde, le 31 octobre 1766, écrivait à M. Daubenton qu'un jeunemédecin, établi à La Haye, enavait donné DU SANGLIER la description dans un ouvrage qui probable- ment ne nous était pas encore parvenu, et qu'il en avait fait faire la planche. Ce jeune médecin est probablement M. Pallas, et c'est à lui par conséquent que le public a la première obliga- tion de la connaissance de cet animal. M. Alla- mand dit, dans la même lettre , que ce qu'il y a de plus singulier dans ce cochon , c’est la tête; qu'elle différe beaucoup de celle de nos cochons, surtout par deux appendices extraordinaires en forme d'oreilles qu'il a à côté des yeux. Nous observerons ici que le premier fait rap- porté par M. Allamand, du dédain et de la cruauté de cesanglier envers la truie en chaleur, semble prouver qu'il est d'une espèce diffé- rente de nos cochons. La disconvenance de la forme de tête, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, parait le prouver aussi. Cependant, comme il est beaucoup plus voisin du cochon que d'aucun autre animal, et qu'il se trouve non-seulement dans les terres voisines du cap Vert, mais en- core dans celles du cap de Bonne-Espérance, nous l’appelleronslesanglier d Afrique ; etnous allons en donner l'histoire et la description par extrait, d'après MM. Pallas et Vosmaër. Celui-ci l'appelle pore à large groin ou san- glier d'Afrique ; il le distingue, avec raison, du porc de Guinée à longues oreilles pointues, et du pecari ou tajacu d'Amérique, et aussi du babi- roussa des Indes. « M. de Buffon, dit-il, parlant d’une partie « des mâchoires , de la queue et des pieds du « sanglier extraordinaire du cap Vert, qu'on « conserve dans le cabinet du roi, ditqu'ily a « des dents de devant à ces mâchoires ; or elles « manquent à notre sujet. » Et de là, M. Vosmaër insinue que ce n'est pas le même animal; cependant on vient de voir que M. Allamand pense , comme moi , que ce sanglier du cap Vert, dont je n'avais vu qu'une partie de la tête , se trouve néanmoins être le même pore à large groin que M. Vos- maër dit être inconnu à tous les naturalistes, M. Tulbagh , gouverneur du cap de Bonne- Espérance , qui a envoyé ce sanglier , a écrit qu'il avait été pris entre la Cafrerie et le pays des grands Namaquas, à environ deux cents lieues du Cap, ajoutant que c'était le premier de cette espèce qu'on eût vu en vie. M. Vos- maër recut aussi la peau d'un animal de même espèce, qui paraissait différer, à plusieurs égards , de celle de l'animal vivant. DU CAP VERT. 615 « On avait mis cet animal dans une cage de « bois; et comme j'étais prévenu, dit M. Vos- « maër , qu'il n’était pas méchant, je fis ouvrir « la porte de sa cage. Il sortit sans donner au- « cune marque de colère ; il courait , bondissant « gaiment, ou furetant pour trouver quelque «nourriture, et prenait avidement ce que nous « lui présentions; ensuite, l'ayant laissé seul « pendant quelques moments, je le trouvai, à « mon retour, fort occupé à fouiller en terre, «où, nonobstant le pavé fait de petites briques «bien liées, il avait déjà fait un trou d'une « grandeur incroyable pour se rendre maitre, « comme nous le découvrimes ensuite, d'une «rigole très-profonde qui passait au-dessous. « Je le fis interrompre dans son travail, et ce «ne fut qu'avec beaucoup de peine, et avec « l’aide de plusieurs hommes , qu'on vint à bout « de vaincre sa résistance , et de le faire rentrer « dans sa cage, qui était à claire-voie. Il marqua «son chagrin par des cris aigus et lamentables. « On peut croire qu'il a été pris jeune daus les « bois de l'Afrique , car il parait avoir grandi « considérablement ici ; il estencore vivant (dit « l'auteur, dont l'ouvrage a été imprimé en « 1767). Il a très-bien passé l'hiver dernier, « quoique le froid ait été fort rude, et qu'on « l'ait tenu enfermé la plus grande partie du «temps. « Il semble l'emporter en agilité sur les porcs « de notre pays; il se laisse frotter volontiers « de la main et même avec un bâton : il semble « qu'on lui fait encore plus de plaisir en le frot- « tant rudement: c'est de cette manière qu’on «est venu à bout de le faire demeurer tranquille « pour le dessiner. Quand on l’agace ou qu'on « le pousse, il se recule en arrière, faisant tou- « jours face du côté qu'il se trouve assailli, et « secouant ou heurtant vivement la tête. Après « avoir été longtemps enfermé, si on le lâche, « il paraît fort gai ; il saute et donne la chasse « aux daims et aux autres animaux , en redres- « sant la queue, qu'autrementil porte pendante. « Ilexbale une forte odeur, que je ne puis trop « comparer, et que je ne trouve pas désagréa- «ble. Quand on le frotte de la main, cette «odeur approche beaucoup de celle du fromage «vert. Il mange de toute sorte de graines; sa nourriture à bord du vaisseau était le maïs et « de la verdure autant qu'on en avait; mais « depuis qu'il a goûté ici de l'orge et du blé «sarrasin, avec lesquels on nourrit plusieurs 614 « autres animaux de la ménagerie, il s'est dé- « cidé préférablement pour cette mangeaille , « et pour les racines d'herbes et de plantes qu'il « fouille dans la terre. Le pain de seigle est ce « qu'il aime le mieux ; il suit les personnes qui .« en ont. Lorsqu'il mange, il s'appuie fort en «avant sur ses genoux courbés; ce qu'il fait « aussi en buvant, en humant l’eau de la sur- « face, et il se tient souvent dans cette position « sur les genoux des pieds de devant. Il a l'ouie « et l'odorat très-bons ; mais il a la vue bornée, « tant par la petitesse que par la situation de ses « yeux, qui l'empêchent de bien apercevoir les « objets qui sont autour de lui, les yeux se « trouvant non-seulement placés beaucoup plus « baut et plus près l’un de l’autre, que dans « les autres pores ; mais étant encore à côté et «en dessous plus ou moins offusqués par deux « lambeaux que bien des gens prennent pour « de doubles oreilles ; il a plus d'intelligence que « le porc ordinaire. « La tête est d’une figure affreuse ; la forme « aplatie et large du nez, jointe à la longueur « extraordinaire de la tête, à son large groin, « aux lambeaux singuliers, aux protubérances « pointues , saillantes des deux côtés de ses « yeux, et à ses fortes défenses , tout cela lui « donne un aspect des plus monstrueux. Dimensions (prises avec le pied du Rhin). pi po. Longueur du corps entier. . . . . . .., Dilé ) Hauteur du train de devant. , . ...... +. 2 5 Hauteur du train de derrière . . ....... 4 414 La plus grande épaisseur du corps. . . . . ue La moindre épaisseur du corps, près des cuis- ses. ee orne So rte 2 10: Longueur de la tête jusque entre les oreilles . 4 5 Largeur de la tête entre les lambeaux. , ... » 9% Largeur du groin entre les défenses, . ..,. » 64 Lonpueur.de.la queue... 7. 0. to een 42 « La forme du corps approche assez de celle «de notre cochon domestique. Il me parait plus « petit, ayant le dos plus aplati en dessus, et «les pieds plus courts. « La tête, en comparaison de celle des autres « pores, est difforme , tant par la structure que « par sa grandeur. Le museau est fort large , « aplati et très-dur. Le nez est mobile, à côté « un peu recourbé vers le bas et coupé oblique- « ment. Lesnarinessontgrandes, éloignéesl'une « de l'autre ; elles ne se voient que quand on « soulève Ja tête. La lèvre supérieure est dure «etépaisse à côté, près des défenses, par-dessus HISTOIRE NATURELLE «et autour desquelles elle est fort avancée et «pendante, formant, surtout derrière les dé- « fenses, une fraise demi-ovale, pendante et « cartilagineuse , qui couvre les coins du mu- « seau. « Cet animal n'a point de dents de devant, ni « en dessus ni en dessous ; mais les gencives an- « térieures sont lisses, arrondies et dures. «Les défenses , à la machoire supérieure, « sont à leur base d’un pouce d'épaisseur, re- « courbées et saillantes de cinq pouces et demi « dans leur ligne courbe, fort écartées en de- «hors et se terminant en une pointe obtuse; «elles sont aussi, à côté de chacune, pourvnes « d'une espèce de raie ou cannelure : celles de «la mâchoire inférieure sont beaucoup plus pe- «tites , moins recourbées, presque triangulaires «et usées par leur frottement continuel contre «les défenses supérieures ; elles paraissent « comme obliquement coupées. Il y a des dents «molaires ; mais elles sont fort en arrière dans «le museau, et la résistance de l'animal nous «a smphehé de les voir. « Les yeux, à proportion de la tête, sont. «petits, placés plus haut dans la tête et plus « près l'un de l’autre et des oreilles, que dans le « pore commun. L'iris est d’un brun foncé , sur «une cornée blanche. Les paupières supérieures «sont garnies de cils bruns, raides , droits et « fort serrés, plus longs au milieu que des deux «côtés ; les paupières inférieures en sont dé- « pourvues. « Les oreille$ sont assez grandes, plus rondes «que pointues, en dedans fort velues de poil «jaune ; elles se renversent en arrière contre le « corps. Sous les yeux, on aperçoit une espèce «de petitsac bulbeux ou glanduleux , et immé- « diatement au-dessous se font voir deux pelli- «eules rondes, plates, épaisses , droites et ho- «rizontales , que j'appelle lambeaux des yeux: « leur longueur et largeur est d'environ deux « pouces un quart. Sur une ligne droite entre «ces pellicules et le museau , parait de cha- «que côté de la tête une protubérance dure , «ronde et pointue, saillante en dehors. « La peau semble fort épaisse et remplie de « lard aux endroits ordinaires, mais détendue «au cou, aux aines et au fanon, en quelques «endroits, elle parait légèrement cannelée, «inégale et comme si la peau supérieure muait « par intervalles. Sur tout le corps se montrent « quelques poils elair-semés , comme en petites DU SANGLIER DU CAP VERT. « brosses de trois, quatre et cinq poils, qui « sont plus ou moins longs et posés en ligne « droite, les uns près des autres. Le front , entre « les oreilles, parait ridé , et il est garni de poils « blanes et bruns fort serrés, qui, partant du «centre , s'aplatissent ou s'abaissent de plus «en plus. De là, vers le bas du museau , des- « cend au milieu de la tête une bande étroite « de poils noirs et gris, qui, partant du milieu, « s'abattent de chaque côté de la tête ; du reste, «ils sont clair-semés. C'est principalement sur « la nuque du cou et sur la partie antérieure du « dos qu'il y a le plus de soies , qui sont aussi « les plus serrées et les plus longues : leur cou- « leur est le brun obseur et le gris ; quelques- «unes ont jusqu'à sept ou huit pouces de lon- « gueur avec l'épaisseur de celles des porcs « communs, et se fendent de même. Toutes ces « soies ne sont pas droites, mais légèrement in- « clinées. Plus loin, sur le dos , elles s'éclair- « cissent et diminuent tellement en nombre, « qu'elles laissent voir partout la peau nue. Du «reste, les flancs, le poitrail et le ventre, les « côtés de la tête et le cou , sont garnis de pe- « tites soies blanches. « Les pieds sont conformes à ceux de nos « pores, divisés en deux ongles pointus et noirs. « Les faux onglets posent aussi à terre, mais « sont pendants la plupart du temps. La queue «est nue, perpendiculairement pendante, rase, « et se termine presque en pointe. Les testicules 4 sont adhérents à la peau du ventre entre les « cuisses ; le prépuce est fort vaste au bout. « La couleur de l'animal est noirâtre à la tête, « mais d’un gris roux-clair sur le reste du dos « et du ventre. Comparé avec la peau d’un autre sujet de même espèce, et venu de même du cap de Bonne-Espérance, M. Vosmaër a remarqué que la tête de ce dernier était plus petite et le museau moins large. « Il lui manquait les deux « lambeaux sous les yeux; cependant on y « voyait de petites éminences, qui en paraissent « être les bases ou principes : mais il n'y avait «point ces protubérances rondes et pointues « qui sont placées en ligne droite entre ces lam- « beaux des yeux et le museau ; en revanche, « les défenses sont beaucoup plus grandes ; les « supérieures , qui ont des deux côtés une pro- « fonde fossette ou cannelure, et qui se termi- «nent en pointes aiguës, sortent de plus de six « pouces et demi des côtés du museau, et les G15 « inférieures de deux pouces et demi ; celles-ci , « par leur frottement contre les premières , sont « obliquement usées , et par là fort aiguës. La « grandeur des défenses du dernier sujet montre « assez que cette peau ne peut être d'un jeune « animal. Au reste, je n'ai trouvé aucune dif- « férence aux pieds. » M. Vosmaër termine ainsi cette description, et soupeonne que ces différences qu'il vient d'in- diquer peuvent provenir de la différence du sexe. Pour moi, je ne suis pas encore convaincu que ce sanglier d'Afrique, malgré la première répugnance qu'il a marquée pour la truie qui lui a été présentée , ne soit une simple variété de notre cochon d'Europe. Nous voyons, sous nos yeux, cette même espèce varier beaucoup en Asie, à Siam et à la Chine ; et les grosses dé- fenses que j'ai trouvées sur une tête énorme d’un sanglier tué dans mes propres bois, il y a environ trente ans, défenses qui étaient pres- que aussi grosses que celles du sanglier du Cap, me laissent toujours dans l'incertitude si ce sont en effet deux espèces différentes , ou deux variétés de la même espèce, produites par la seule influence du climat et de la nourriture. Au reste, je trouve une note de M. Commer- son, dans laquelle il est dit qu'on voit à Mada- gascar des cochons sauvages dont la tête, de- puis les oreilles jusqu'aux yeux, est de la figure ordinaire ; mais qu'au-dessous des yeux est un renfort qui va en diminuant jusqu'au bout du groin, de manière qu'il semble que ce soient deux têtes, dont la moitié de l’une est enchâssée dans l’autre; qu'aureste, la chair dece cochon est glaireuse et a peu de goût. Cette notice me fait croire quel’animal que j'ai d'abord indiqué sous le nom de sanglier du cap Vert, parce que la tête nous avait été envoyée des terres voisines de ce cap , qu’ensuite je nomme sanglier d’A- frique, parce qu'il existe dans les terres du cap de Bonne-Espérante, se trouve aussi dans l'ile de Madagascar. Dans le temps même queje revoyais la feuille précédente, et que j'en corrigeais l'épreuve pour l'impression , il m'est arrivé de Hollande une nouvelle édition de mon ouvrage sur l’histoire naturelle, et j'ai trouvé, dans le quinzième vo- lume de cette édition, des additions très-impor- tantes , faites par M. Allamand , dont je viens de parler. Quoique ce quinzième volume soit imprimé à Amsterdam en 1771 , je n'en ai eu connaissance qu'aujourd'hui 23 juillet 1775, et 616 HISTOIRE NATURELLE j'avoue que c'est avec la plus grande satisfac- tion que j'ai parcouru l'édition entière, qui est bien soignée à tous égards. J'ai trouvé les notes et les additions de M. Allamand si judicieuses et si bien écrites, que je me fais un grand plai- sir de les adopter ; je les insérerai donc dans ce volume, à la suite des articles auxquels ces ob- servations ont rapport. Je me serais dispensé de copier ce que l'on vient delire, j'aurais même évité quelques recherches pénibles et plusieurs discussions que j'ai été contraint de faire, si j'a- vais eu plus tôt connaissance de ce travail de M. Allamand. Je crois que l’on en sera aussi satisfait que moi; et je vais commencer par donner ici ce que ce savant homme a dit au sujet du sanglier d'Afrique. Addition de l’édileur hollandais, M. le pro- Jesseur Allamand. DU SANGLIER D'AFRIQUE!. « Dans l'histoire que M. de Buffon nous a « donnée du cochon, il a démontré que cet ani- a mal échappe à toutes les méthodes de ceux « qui veulent réduire les productions de la na- « ture en classes et en genres, qu'ils distinguent « par des caractères tirés de quelques-unes de « leurs parties. Quoique les raisons par les- quelles il appuie ce qu'il avance soient sans réplique, elles auraient acquis un nouveau « degré de force s'il avait connu l'animal re- « présenté dans notre ouvrage. « C'est unsanglier qui a étéenvoyé, en 1765, « du cap de Bonne-Espérance à la ménagerie « du prince d'Orange, et qui jusqu'alors a été « inconnu de tous les naturalistes. Outre toutes « les singularités qui fontde notre cochon d'Eu- « rope un animal d'une espèce isolée, celui-ci « nous offre de nouvelles anomalies qui le dis- « tinguent de tous les autres du même genre ; « car non-seulement il a la tête différemment « figurée, mais encore il n’a point de dents in- « cisives, d’où la plupart des nomenclateurs ont « tiré les caractères distinctifs de cette sorte « d'animaux, quoique leur nombre ne soit point « constant dans nos cochons domestiques. a M. Tulbagh, gouverneur du cap de Bonne- Espérance, qui ne perd aucune occasion de rassembler et d'envoyer en Europe tout ce se « e “ Hist nat., etc., édit, de Hollande ; Amsterdam 4774, ine fo, tome XV, p. 45 ct suiv, « que la contrée où il habite fournit de curieux, «est celui à qui l'on est redevable de ce san- « glier. Dans la lettre dont il l'accompagna , il « marquait qu'il avait été pris fort avant dans « les terres, à environ deux cents lieues du Cap, «et que c'était le premier qu'on y eût vu vi- « vant. Cependant il en a envoyé un autre « l'année passée , qui vit encore, et en 1757 il «en avait envoyé une peau, dont on n'a pu « conserver que la tête, ce qui semble indiquer « que ces animaux ne sont pas rares dans leur « pays natal. Je ne sais si c'est d'eux que Kolbe « a voulu parler, quand il dit : On ne voit que « rarement des cochons sauvages dans les con- « trées qu’occupent les Hollandais ; comme il «x’y a que peu de bois, qui sont leurs retrai- «Les ordinaires, ils ne sont pas tentés d'y ve- « nir : d'ailleurs, les lions, les tigreset autres « animaux de proie , les détruisent si bien, « qu'ils ne sauraient beaucoup multiplier *. « Comme il n'ajoute à cela aucune descrip- «tion, on n’en peut rien conclure ; et ensuite il « range au nombre des cochons du Cap le grand « fourmilier ou le tamandua, qui est un animal « d'Amérique qui ne ressemble en rien au co- « chon. Quel cas peut-on faire de ce que dit un « auteur aussi mal instruit? : « Notre sanglier africain ressemble à celui « d'Europe par le corps ; mais il en diffère par « la tête, qui est d’une grosseur monstrueuse. « Ce qui frappe d'abord les yeux , ce sont deux « énormes défenses qui sortent de chaque côté « de la mâchoire supérieure, et quisont dirigées « presque perpendiculairement en haut. Elles « ont près de sept pouces de longueur, et se ter- « minent en une pointe émoussée. Deux sem- « blables dents, mais plus petites, et surtout « plus minces dans leur côté intérieur, sortent « de la mâchoire inférieure, et s'appliquent « exactement au côté extérieur des défenses « supérieures , quand la gueule est fermée; ce « sont là de puissantes armes dont il peut se « servir utilement dans le pays qu'il habite, où «il est vraisemblablement exposé aux attaques « des bêtes carnassières. « Sa tête est fort large, et plate par-devant:; elle « setermineen un ample boutoir, d'un diamètre « presque égal à la largeur de la tête , et d'une « dureté qui approche de celle de la corne : il « s'en sert, comme nos cochons, pour creuser la 4 Voyez la Description du Cap de Bonue - Espérance, par Kolbe, Lome, JAI, page 43. DU SANGLIER D'AFRIQUE, « terre. Ses yeux sont petits et placés sur le de- « vant de la tête, de façon qu'il ne peut guère « voir de côté, mais seulement devant soi; ils « sont moins distants l'un de l’autre et des « oreilles que dans le sanglier européen : au- « dessous est un enfoncement de la peau qui « forme une espèce de sac très-ridé. Ses oreilles « sont fort garnies de poil en dedans. Un peu « plus bas, presque à côté des yeux, la peau « s'élève et forme deux excroissances qui, vues « d’une certaine distance, ressemblent tout à fait à deux oreilles : elles en ont la figure et la grandeur ; et, sans être fort mobiles, elles forment presque un même plan avec le de- vant de la tête : au-dessous, entre ces excrois- sances et les défenses, il y a une grosse ver- rue à chaque côté de la tête. On comprend aisément qu'une telle configuration doit don- ner à cet animal une physionomie très-singu- lière. Quand on le regarde de front, on croit voir quatre oreilles sur une tête, qui ne res- semble à celle d'aucun autre animal connu, et qui inspire de la crainte par la grandeur de ses défenses. MM. Pallas ! et Vosmaër ?, qui nous en ont donné une bonne description, di- sent qu'il était fort doux et très-apprivoisé quand il arriva en Hollande; comme il avait été plusieurs mois sur un vaisseau, et qu'il avait été pris assez jeune, il était presque de- venu domestique : cependant, si on le pour- suivait, et s’il ne connaissait pas les gens, il se retirait lentementen arrière, en présentant le front d’un air menaçant, et ceux-là même qu'il voyait tous les jours devaient s'en défier. L'homme à qui la garde en était confiée en a fait une triste expérience : cet animal se mit un jour de mauvaise humeur contre lui, et d'un coup de ses défenses, il lui fit une large blessure à la cuisse , dont il mourut le lende- main. Pour prévenir de pareils accidents dans la suite, on fut obligé de l'ôter de la ménage- rie, et de le tenir dans un endroit renfermé, où personne ne pouvait en approcher. Il est mort au bout d'une année, et sa dépouille se voit dans le cabinet d'histoire naturelle du prince d'Orange. Celui qui l'a remplacé , et qui est actuellement dans la même ménage- rie, est encore fort jeune ; ses défenses n'ont 2222222 = AS AR RES A a 2 A = = »2 AAA RU A2 A RUR ne © nn + Voyez P. S. Miscellanea zooloyica ; et ejusdem Spici- tegia zoulogica, fasciculus secundus. 2 Beschryvingy van een Africaausch Breedsnentiz Var- ken, door A. Vosmaër. 617 « guère plus de deux pouces de longueur. « Quand on le laisse sortir du lieu où on le ren- « ferme , il témoigne sa joie par des bonds et « des sauts, et en courant avec beaucoup plus « d'agilité que nos cochons; il tient alors sa « queue élevée et fort droite. C'est pour cela « sans doute que les habitants du Cap lui ont « donné le nom de Æartlooper, ou de coureur. « On ne peut pas douter que cet animal ne « fasse un genre très-distinct de ceux qui ont «été connus jusqu'à présent dans la race des « cochons : quoiqu'il leur ressemble par le « corps , le défaut de dents incisives, et la sin- « gulière configuration de sa tête , sont des ca- « ractères distinctifs trop marqués pour qu'on « puisse les attribuer aux changements opérés « par le climat, et cela d'autant plus qu'il y a « en Afrique des cochons qui ne different en «rien des nôtres, que par la taille qui est plus « petite. Ce qui confirme ce que je dis ici, c'est « qu'il ne parait pas qu'il puisse multiplier avec « nos cochons ; du moins a-t-on lieu de le pré- « sumer par l'expérience qu'on en a faite. On « lui donna une truie de Guinée; après qu'il « l'eut flairée pendant quelque temps, il la pour- « suivit jusqu'à ce qu'il la tint dans un endroit « d’où elle ne pouvait pas s'échapper, et là il l'é- « ventra d’un coup de dents. Il ne fit pas meil- « leur accueil à une truie ordinaire qu'on lui « présenta quelque temps après; il la maltraita « si fort, qu'il fallut bientôt la retirer pour lui « sauver la vie. « Il est étonnant que cet animal, qui, comme « je l'ai remarqué, parait n'être pas rare dans « les lieux dont il est originaire, n'ait été décrit « par aucun voyageur, ou que, s'ils en ont parlé, « ce soit en termes si vagues, qu'on ne peut « s'en former aucune idée. Flacourt dit qu'il y «a à Madagascar des sangliers qui ont deux « cornes à côté du nez, qui sont comme deux « callosités, et que ces animaux sont presque « aussi dangereux qu'en France ‘. M. de Buf- « fon croit qu'il s'agit dans ce passage du babi- « roussa , et peut-être a-t-il raison; peut-être « aussi y est-il question de notre sanglier : ces « cornes, qui ressemblent à deux callosités, « peuvent aussi bien être les défenses de ce san- « glier que celles du babiroussa, mais très-mal « décrites; et ce que Flacourt ajoute, que ces «“ animaux sont dangereux, semble mieux con- { Histoire de la grande île de Madagascar, page 152, GIS venir à notre sanglier africain. M. Adanson, en parlant d'un sanglier qu'il a vu au Séné- gal, s'exprime en ces termes : J'aperçus, dit- il, un de ces énormes sangliers particuliers à l'Afrique, et dont je ne sache pas qu'au- « cun naturaliste ait encore parlé. Il élait « noir comme le sanglier d'Europe , mais « d'une taille infiniment plus haute. Il avait « quatre grandes défenses, dont les deux su- «< périeures élaient recourbées en demi-cercle « vers le front, où elles imilaient les cornes que « portent d'autres animaux ‘. M. de Buffon « suppose encore que M. Adanson a voulu par- « ler du babiroussa ; et, sans son autorité, je « serais porté à croire que cet auteur a indiqué « notre sanglier : car je ne comprends pas « comment il a pu dire qu'aucun naturaliste « n'en a parlé, s’il a eu le babiroussa en vue; il « est trop versé dans l'histoire naturelle pour « ignorer que cet animal a été souvent décrit, « et qu'on trouve la tête de son squelette dans « presque tous les cabinets de l'Europe. « Mais peut-être y a-t-il aussi en Afrique une « autre espèce de sanglier qui ne nous est pas « encore eonnue, et qui est celle qui a été aper- « çue par M. Adanson. Ce qui me le fait soup- « conner est la description que M. Daubenton « a donnée d'une partie des mâchoires d'un « « « « 2222. sanglier du cap Vert : ce qu'il en dit prouve clairement qu'il diffère de nos sangliers, et se- rait tout à fait applicable à celui dont il est ici question, s'il n'y avait pas des dents incisives « dans chacune de ses mâchoires. » Je souscris bien volontiers à la plupart des ré- flexions que fait ici M. Allamand : seulement je persiste à croire, comme il l'a cru lui-même, que le sanglier du Cap dont nous avons parlé, et des mächoires duquel M. Daubenton a donné la description, est le même animal que celui-ci, quoiqu'il n'eût point de dents incisives ; il n'y a aueuo genre d'animaux où l'ordre et le nombre de dents varient plus que dans le cochon. Cette différence seule ne me paraît done pas suffisante powr faire deux espèces distinctes du sanglier d'Afrique et de celui du cap Vert, d'autant que tous les autres caractères de la tête paraissent être les mêmes. (Nous avons dit ci-dessus que le sanglier du cap Vert, dont M. Daubenton a donné la des- ! Histoire naturelle du Sénégal, par Adanson, page 76 du Voyage, | HISTOIRE NATURELLE. cription des mâchoires, nous paraissait être le même animal que celui dont nous avons donné la figure sous le nom de sanglier d'Afrique. Nous sommes maintenant bien assurés que ces deux animaux forment deux espèces très-dis- tinctes. Elles diffèrent en effet l'une de l'autre par plusieurs caractères remarquables, surtout par la conformation tant intérieure qu'exté- rieure de la tête, et particulièrement par le dé- faut de dents incisives qui manquent constam- ment aux sangliers d'Afrique, tandis qu'on en trouve six dans la mâchoire inférieure du san- glier du cap Vert, et deux dans la mâchoire su- périeure. Le sanglier du cap Vert a la tête longue et le museau délié, au lieu que celui d'Afrique et d'Éthiopie a le museau très-large et aplati. Les oreilles sont droites, relevées et pointues; les soies qui les garnissent sont très-longues', ainsi que celles qui couvrent le corps, particulière- ment sur les épaules, le ventre et les cuisses, où elles sont plus longues que partout ailleurs. La queue est menue, terminée par une grosse touffe de soies, et ne descend que jusqu'à la longueur des cuisses. On le rencontre non-seu- lement au cap Vert, mais sur toute la côte oc- cidentale de l'Afrique, jusqu’au cap de Bonne- Espérance. Il parait que c'est cette espèce de sanglier que M. Adanson a vue au Sénégal , et qu'il a désignée sous le nom de freès-grand san- glier d'Afrique.) DESCRIPTION DU COCHON. (EXTRAIT DE DAUBENTON.) 4 Le sanglier, le cochon de Siam et le cochon ordi- naire sout trois races de la même espèce; car tous ces animaux se mêlent dans l'accouplement, et leur produit est fécond. Plus on les observe, tant à l'intérieur qu'à l'extésieur , plus on est convaincu qu'ils se ressemblent par tous les caractères de leur espèce commune ; on n'y trouve que des différen- ces légères qui distinguent ces trois races. Les san- gliers sont de la race originaire qui a produit les autres : quoique ces animaux soient sauvages, leur histoire et leur description ne doivent pas être sé- parées de l'histoire et de la description des cochons ordinaires et des cochons de Siam, qui sont des animaux domestiques. C’est pourquoi nous som- mes obligés, dans cet article, de nous écarter du plan de division des quadrupèdes en animaux do- ne EN 2 - DESCRIPTION DU COCHON. mestiques, animaux sauvages, etc., puisqu'il est nécessaire de traiter d'un animal sauvage en trai- tant des animaux domestiques. Tant il est vrai que toute division arbitraire, quelque simple qu elle soit, ne peut être parfaitement d'accord avec la nature, : Le sanglier, qui est de la race originaire dont les autres races sont dérivées , porte les caractères de l'espèce sans aucune altération ; et au contraire le cochon de Siam et le cochon ordinaire ayant éprou- ve quelques changements dans l'état de domesti- cité, il semble que la description de ces trois races d'animaux devrait se trouver dans notre ouvrage parmilesanimauxsauvages, sous le nom dusanglier. Mais comme nous nous sommes proposé de com- mencer par les animaux qu'il nous importe le plus de connaitre, parce qu'ils nous sont les plus utiles, et comme c'est par cette raison que nous avons di- visé les quadrupèdes en animaux domestiques, ani- maux sauvages el animaux étrangers, nous devons rapporter les sangliers aux cochons domestiques, parce que nous lirons plus d'utilité de ceux-ci que des autres. Par la même considération, il paraît convenable de désigner l'espèce commune des san- gliers , des cochons ordinaires et des cochons de Siam , par la dénomination de cochon, et non par celle de sanglier. Ce ne sera pas même une nou- veauté dans la langue ; car en Bourgogne les gens de la campagne donnent souvent au sanglier le nom de cochon-sanglier, ce qui signifie cochon sau- vage, selon l'étymologie italienne du mot sanglier! : ainsi, dans la suite de cet ouvrage, nous compren- drons sous le nom de cochon toutes les races de son espèce ; et cette dénomination nous donnera la facilité de les indiquer toutes en un seul mot, lors- que nous comparerons l'espèce des cochons avec d'autres espèces d'animaux. Le cochon a été mis au rang des animaux à pieds fourchus, parce quil n’a que deux doigts à chaque pied qui touchent la terre, que la dernière pha- lange de chacun des doigts est enveloppée dans une substance de corne, et que si l'on n'obstrve les pieds du cochon qu'à l'extérieur, ils paraissent très- ressemblants à ceux du taureau, du bélier, du boue, etc. Mais dès qu on a enlevé la peau, on les trouve très-différents ; car il y a quatre os dans le métacarpe et dans le métatarse, et quatre doigts dont chacun est composé de trois phalanges bien formées. Les deux doigts du milieu sont plus longs que les autres , et ont chacun un sabot qui porte sur la terre : les deux autres sont beaucoup plus courts, et leur dernière phalange est revêtue d'une corne pareille à celle des sabots. mais elle se trouve placée plus haut, à l'endroit où sont les ergots des * En latin le nom de sus agrestis est synonyme de celui d'aper. 619 animaux de l'espèce du taureau, et de celle du bé- lier, du bouc, ete. J'ai fait mention dans la deserip- tion du taureau de deux osselets qui sont sous les ergots, mais j'en ai trouvé trois sous les ergots du cerf, et il parait qu'ils avaient rapport aux trois phalanges des doigis. Ainsi on peut dire que plu- sieurs animaux ruminants, à pieds fourchus, ont quatre doigts comme le cochon, quoiqu'il y en ait deux qui soieut plus imparfaits que les autres; mais le cochon a de plus que ces animaux deux os dans le carpe, un dans le tarse, trois os dans le métacarpe et dans le métatarse ; il a aussi de plus le péroné ; l'os du coude est mieux formé ue dans le taureau, le bélier, le bouc, le cerf, etc. Aussi les jambes du cochon diffèrent-elles autant de celles de ces animaux par la figure extérieure, que par la conformation intérieure. Le talon, que l'on ap- pelle vulgairement le jarret, est placé beaucoup plus bas dans ie cochon, parce qu'il a les os du métacarpe et du métatarse beaucoup plus courts, à proportion, que les canons du taureau, du bélier, du boue, etc. Le cochon diffère aussi de ces animaux en ce qu'il n’a point de cornes; qu'il ne manque ni de dents incisives dans la mâchoire du dessus, ni de dents canines dans les deux mächoires; qu'il n’a qu’un estomac, car le prolongement en forme de capuchon qui se trouve au fond du grand cul-de- sac ne peut pas être regardé comme un second estomac ; que le canal intestinal est beaucoup plus court, et qu'il a deux côtes et au moins six mamel- les de plus. Les cochons sont couverts de grosses soies, droi- tes et pliantes ; leur consistance est plus dure que celle du poil ou de la laine ; leur substance parait cartilagineuse , et même analogue à celle de la corne. Elles se divisent à l'extrémité en plusieurs filets, qui sont quelquefois au nombre de sept ou huit, et peut-être plus, et qui ont jusqu'à six ou huit lignes de longueur ; en écartant ces filets, on peut diviser chaque soie d'un bout à l'autre. Les soies les plus grosses et les plus longues forment une sorte de crinière sur le sommet de la tête, le long du cou , sur le garrot et le corps jusqu'à la croupe. Les sangliers ont entre les soies un poil plus court , très-souple, et de couleur jaunätre, cendrée ou noirâtre, sur différentes parties du corps de l'animal , ou dans ses différents âges, ce poil est doux, et frisé à peu près comme de la laine ; il manque entièrement aux cochons ordinaires et aux cochons de Siam. Les couleurs des soies sont le blanc, le blanc sale, le jaunâtre , le fauve, le brun et le noir. Le marcassin, c'est-à-dire le sanglier qui est dans le plus bas âge , a des couleurs qu'il perd dans la suite ; c'est ce que l'on appelle la livrée. Elle est marquée sur le fœtus dès qu'il commence à avoir du 620 poil : cette livrée forme des bandes qui s'étendent tout le long du corps, depuis la tète jusqu'à la queue. Ces bandes sont alternativement de couleur fauve claire , et de couleur mêlée de fauve et de brun ; celle qui passe sur le garrot, et qui se pro- longe le long du dos, est noirätre : le reste de l'a- nimal est de couleur mêlée de blanc, de fauve et de brun. Lorsque les jeunes sangliers ont quitté la livrée, la tête est ordinairement de couleur mêlée de gris, de roux et de noir : les plus longues soies sont sur le cou , et ont environ quatre pouces de longueur. La plus grande partie de chaque soie est noire ; au- dessus du noir il y a du gris, et plus haut du roux, qui s'étend jusqu'à l'extrémité de la soie ; ces trois couleurs paraissent mèlées lorsque les soies sont placées les unes contre les autres. Le corps’ est de couleur fauve avec des taches brunes ou noirä- tres, parce que chaque soie est en partie fauve et en partie noire ; la queue a une couleur fauve , ex- cepté l'extrémité qui est noire, et le bas des jambes | a cette même couleur, Un sanglier qui pesait deux cent cinquante-sept livres, et dont la longueur, mesurée en ligne droite depuis le boutoir jusqu'à l’origine de la queue, était de cinq pieds huit pouces, et la circonférence, prise sur le milieu du corps à l'endroit le plus gros, de quatre pieds deux pouces, avait le groin et les oreil- les noirs, et le reste de la tête de couleur mêlée de blanc, de jaune et de noir dans quelques endroits. La gorge était roussâtre ; il y avait sur le dos des | soies longues de trois pouces et demi, et leur cou- leur était noire sur la longueur de deux pouces de- puis la racine; plus haut elles avaient du blanc sale, et au bout une couleur brune-roussâtre sur la lon- gueur d'environ ua demi-pouce. Ces soïes étaient couchees en arrière et se couvraient les unes jes autres, de façon qu'on ne voyait que la couleur brune de leur extrémité. Les soies des côtés du corps et du ventre n'avaient qu'environ trois pouces de longueur; leurscouleurs étaientles mêmes quecelles des soies du dos; mais quoiqu'elles fussent aussi couchées en arrière , leur couleur blanche paraïis- sait aussi bien que le brun, parce qu'elles étaient plus rares et môins serrées les unes contre les au- tres que celles du dos. Les soies des aisselles et des aines avaient une couleur roussâtre , celles du ven- tre, de Ja face intérieure des cuisses et du scro- tum, étaient peu touffues , elles paraissaient aussi de couleur roussâtre ; cependant la plupart étaient blanches, et n'avaient que la pointe rousse; les au- tres élaient en partie noires, blanches et rousses. La tête, le bout de la queue et le bas des jambes avaient une couleur noire. Les soies du bout de la queue d'une laie avaient jusqu'à sept pouces de longueur. Un cochon de Siam dont la longueur, mesurée DESCRIPTION DU COCHON. La en ligne droite depuis le boutoir jusqu'à l'origine de la queue, était de trois pieds huit pouces et de- mi, avait le long du cou et du dos des soies lon- gues de six pouces ; la longueur de celles du som- met de la tète et des fesses n'était que de deux on trois pouces, et les autres n'avaient qu'un ou deux pouces. Les lèvres, les côtés de la tête, le dessous du cou, la poitrine, le ventre, la face intérieure des jambes, etc. étaient peu garnis de soies, et entié- rement nus dans quelques endroits. Toutes les soies avaient une couleur noire, mais il s'en trouvait de blanches entre les yeux , et de jaunâtres, comme celles de la plupart des cochons domestiques, sur les lèvres, à l'extrémité de la queue et sur les pieds. 1! y a lieu de croire que cette couleur jaunâtre venait du mélange du cochon domestique dans l’accou- plement qui avait produit cet individu ; car j'en a disséqué un autre qui n'avait ni jaune , ni blanc. Le cochon de Siam n'a point de livrée; il nait avec | sa couleur noire, qui reste toujours la même. | La plupart des cochons domestiques ont en nais- | sant une couleur blanche, qui ne change dans la suite qu'en ce que les soies prennent à leur extré- mité une teinte jaunâtre, qui paraît plus foncée qu'elle ne l'est naturellement, parce que l'animal se vautre souvent dans la poussière et dans l’or- dure. Comme les soies sont couchées les unes sur les autres, il ne reste à découvert que leur extré- mité jaunâtre ; c'est pourquoi ces cochons semblent avoir plus de couleur jaunâtre que de blane : il y en à beaucoup qui sont bruns, ou noirs, ou tachés de ces couleurs, qu'ils apportent en naissant. Les plus longues soies des cochons domestiques ont quatre à cinq pouces; le bout du groin, les côtés de la tête, les environs des oreilles, la gorge, le ven- tre, le tronçon de la queue, etc., ont très-peu de soies, etsont presque nus. La partie du groin du cochon, à laquelle on donne communément le nom de boutoir, est for- mée par un cartilage plat et rond, qui renferme dans le milieu un petit os dont il sera fait mention dans la suite. Cè cartilage est percé par les deux ouvertures des narines; il est placé au-devant de l'extrémité de la mâchoire supérieure, et il déborde par les côtés, et surtout par le haut, sur la peau qui recouvre le bout de cette michoire ; de sorte que la circonférence du boutoir, prise sur un gros sanglier, était de neuf pouces sept lignes ; le carti- lage s'élevait de dix lignes au-dessus de la peau du chanfrein, et le bout du groin n'avait que huit pou- ces neuf lignes de circonférence prise auprès du boutoir. L'extrémité de la mächoire inférieure se trouve au-dessous de celle de la mâchoire du des- sus, derrière la partie inférienre du boutoir. Le cochon a la tête longue, le bout du grein | minee à proportion de la grosseur de la tête, et la | partie postérieure du crâne fort élevée, les yeux a — —— — HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. petits, les oreilles larges, le cou gros et court, le corps épais, la croupe avalée, la queue mince et de longueur moyenne, et les jambes courtes et droites, principalement celles de devant. Le sanglier a la tête plus longue , la partie infé- rieure du chanfrein plus arquée, et les défenses plus grandes et plus tranchantes que les autres co- chons ; la queue est courte et droite. Le cochon de Siam a la tête plus longue, le museau plus gros, les yeux moins petits, les oreilles moins grandes, le cou etles jambes de devant plus courts, les pieds plus gros et la queue plus longue que le cochon do- mestique, et sans aucune courbure ; le frontest re- levé et le dos ensellé à peu près comme dans le sanglier. Le cochon domestique a les oreilles diri- gées en avant, et non pas en haut comme celles du cochon de Siam et du sanglier ; cette différence est déjà bien apparente entre le marcassin et le jeune cochon que la mère allaite, etque l'on appelle com- munément cochon de lait. A cet âge, la tête parait dé à moins grosse, le corps moins épais, et la queue a plus de longueur dans le cochon domestique que dans le cochon de Siam et le sanglier; mais elle n'est pas encore recoquillée à l'origine dans le co- chon de lait, avant qu'il ait environ six semaines. A peu près dans ce temps, elle se contourne en haut et au sortir du corps ; elle forme ordinairement un petit are dirigé à droite ou à gauche ; elle se pro- longe en bas, et elle a quelques petites sinnosités dans le reste de sa longueur. Le cochon domesti- que a le corps plus long que le sanglier et le cochon de Siam. Parmi les cochons domestiques, ceux qui sont entiers, et que l'on appelle verrats, ont la tête plus longue et le bas du front moins enfoncé que ceux qui ont été coupés. Telles sont les diffé- rences les plus sensibles qui se trouvent dans les trois races de cochons dont il s'agit ici. La tête grosse et le groin long et épais du co- chon lui donnent un air d'imbécillité que la direc- tion des oreilles rend encore plus apparent dans le cochon domestique, qui les laisse tomber en avant, que dans le cochon de Siam et le sanglier, qui les tiennent droites. Les yeux sont si petits et la face si dénuée de traits, que la physionomie n'aurait au- eune expression, s'il ne sortait de longues défenses à côté de la bouche ; elles font remonter la lèvre supérieure en se recourbant en haut, et semblent être un indice de la férocité du cochon, comme elles sont les armes les plus redoutables qu'il puisse em- ployer dans sa fureur. Le corps est aussi informe que la physionomie paraît stupide; le cou est si gros et si court, que la tête louche presque les épaules; cet animal la porte toujours très basse, et de façon qu'il ne montre poiut de poitrail. Les jambes de devant ont si peu de hauteur, qu'il sem- ble que le cochon soit forcé de baisser la tète pour s'appuyer sur ses pieds, et que tout son corps aille 621 tomber en avant. Aussi cet animal ne fait paraitre aucune aisance dans ses mouvements; il n'y a point de souplesse dans ses jambes; à peine les plie- til pour les porter en avant, et son allure n'est ja- mais prompte sans être contrainte. Le cochon, dans sa grande fureur, a toujours l'air morne et l'attitude gènée _ il frappe, il perce, il déchire avec ses défenses ; mais toujours sans adresse et sans agilité, sans pouvoir élever la tête, et sans avoir la facilité de se replier sur lui-même comme la plu- part des autres animaux. LE CHIEN. Ordre des carnassiers, famille des carnivores, tribu des digitigrades, genre chien. (Cuvier.) La grandeur de la taille, l'élégance de la for- me, la force du corps, la liberté des mouve- ments , toutes les qualités extérieures, ne sont pas ce qu'il y a de plus noble dans un être ani- mé : et comme nous préférons dans l'homme l'esprit à la figure , le courage à la force, les sentiments à la beauté, nous jugeons aussi que les qualités intérieures sont ce qu'il y a de plus relevé dans l'animal; c'est par elles qu'il diffère de l'automate , qu'il s'élève au-dessus du végé- tal et s'approche de nous ; c’est le sentiment qui ennoblit son être, qui le régit, qui le vivi- fie, qui commande aux organes, rend les mem- bres actifs, fait naitre le désir, et donne à la matière le mouvement progressif, la volonté, la vie. La perfection de l'animal dépend donc de la perfection du sentiment ; plusil est étendu, plus l'animal a de facultés et de ressources, plus il existe, plus il a de rapports avec le reste de l'univers : et, lorsque le sentiment est délicat, exquis, lorsqu'il peut encore être perfectionné par l'éducation , l'animal devient digne d'entrer en société avec l'homme; il sait concourir à ses desseins , veiller à sa sûreté, l'aider, le défen- dre, le flatter ; il sait, par des services assidus, par des caresses réitérées. se concilier son mai- tre, le captiver, et de son tyran se faire un protecteur. Le chien, indépendamment de la beauté de sa forme , de la vivacité, de la force, de la lé- gereté, a par excellence toutes les qualités in- térieures qui peuvent iui attirer les regards de l'homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage 622 redoutable à tous les animaux , et cède dans le chien domestique aux sentiments les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire : il vient en rampant mettre aux pieds de son mai- tre son courage , sa force, ses talents ; ilattend ses ordres pour en faire usage ; il le consulte, il l'interroge , il le supplie; un coup d'œil suffit, il entend les signes de sa volonté. Sans avoir, comme l'homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment; il a de plus que lui la fidélité , la constance dans ses affections : nulle ambition, nul intérêt, nul désir de ven- geance : nulle crainte que celle de déplaire; il est tout zèle, tout ardeur et tout obéissance. Plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à ce- lui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitements ; il les subit, les oublie ou ne s’en souvient que pour s'attacher davantage : loir de s'irritef ou de fuir, il s'expose de lui- même à de nouvelles épreuves : il lèche cette main, instrument de douleur, qui vient de le frapper; il ne lui oppose que la plainte, et la €ésarme enfin par la patience et la soumission. Plus docile que l'homme , plus souple qu'au- cun des animaux , non-seulement le chien s’In- struit en peu de temps, mais mêmeil se con- forme aux mouvements, aux manières , à tou- tes les habitudes de ceux qui lui commandent; il prend le ton dela maison qu'il habite; comme les autres domestiques , il est dédaigneux chez les grands et rustre à la campagne. Toujours empressé pour son maitre et prévenant pour ses seuls amis, il ne fait aucune attention aux gens indifférents, et se déclare contre ceux qui, par état, ne sont faits que pour importuner; il les connait aux vêtements, à la voix, à leurs ges- tes, et les empêche d'approcher. Lorsqu'on lui a confié pendant la nuit la garde de la maison, il devient plus fier, etquelquefois féroce; il veille, il fait la ronde: il sent de loin les étrangers, et pour peu qu'ils s'arrêtent ou tentent de franchir les barrières, il s’élance , s'oppose, et, par des aboïiements réitérés, des efforts et des cris de colère, il donne l'alarme, avertit et combat : aussi furieux contre les hommes de proie que contre les animaux carnassiers , il se précipite sur eux, les blesse, les déchire, leur ôte ce qu'ils s'efforcaient d'enlever ; mais, content d'avoir vaincu , il se repose sur les dépouilles , n'y tou- che pas, même pour satisfaire son appétit, et donne en mêmetemps desexemples de courage, de tempérance et de fidélité. HISTOIRE NATURELLE On sentira de quelle importance cette espèce est dans l’ordre de la nature, en supposant un instant qu'elle n’eût jamais existé. Comment l'homme aurait-il pu, sans le secours du chien, conquérir, dompter, réduire en esclavage les autres animaux? comment pourrait-il encore aujourd'hui découvrir, chasser, détruire les bêtes sauvages et nuisibles? Pour se mettre en sûreté, et pour se rendre maitre de l’univers vivant, il a fallu commencer par se faire un parti parmi les animaux, se concilier avec dou- ceur et par caresses ceux qui se sont trouvés capables de s'attacher et d'obéir, afin de les opposer aux autres. Le premier art de l'homme a donc été l'éducation du chien, et le fruit de cet art la conquête et la possession paisible de la terre. La plupart des animaux ont plus d’agilité, plus de vitesse, plus de force, et même plus de courage que l'homme ; la nature les a mieux munis, mieux armés. Ils ont aussi les sens, et surtout l’odorat, plus parfaits. Avoir gagné une espèce courageuse et docile comme celle du chien, c'est avoir acquis de nouveaux sens et les facultés qui nous manquent. Les machines, les instruments que nous avons imaginés pour perfectionner nos autres sens, pour en aug- menter l'étendue, n’approchent pas, même pour l'utilité, de ces machines toutes faites que la nature nous présente , et qui, en suppléant à l'imperfection de notre odorat, nous ont fourni de grands et d’éternels moyens de vaincre et de régner : et le chien, fidèle à l'homme, conser- vera toujours une portion de l'empire. un degré de supériorité sur les autres animaux; il leur commande, il règne lui-même à la tête d'un troupeau ; il s'y fait mieux entendre que la voix du berger; la sûreté, l'ordre et la discipline sont les fruits de sa vigilance et de son activité; c’est un peuple qui lui est soumis, qu'il conduit, qu'il protéve, et contre lequel il n'emploie ja- mais la force que pour y maintenir la paix. Mais c'est surtout à la guerre, c'est contre les animaux ennemis ou indépendants, qu'éclate son courage , et que son intelligence se déploie fout entière : les talents naturels se réunissent ici aux qualités acquises. Dès que le bruit des armes se fait entendre, dès que le son du cor où la voix du chasseur a donné le signal d'une guerre prochaine, brillant d'une ardeur mou- velle, le chien marque sa joie par les plus vifs | transports ; il annonce par ses mouvements et DU CHIEN. par ses cris l'impatience de combattre et le dé- sir de vaincre; marchant ensuite en silence, il cherche à reconnaitre le pays, à découvrir, à surprendre l'ennemi dans son fort; il recherche ses traces, il les suit pas à pas, et par des ac- cents différents, indique le temps, la distance, l'espèce, et même l'âge de celui qu'il poursuit. Intimidé, pressé, désespérant de trouver son salut dans la fuite, l'animal se sert aussi de tou- tes ses facultés, il oppose la ruse à la sagacité. Jamais les ressources de l'instinct ne furent plus admirables : pour faire perdre sa trace, il va, ” vient et revient sur ses pas; il fait des bonds, il voudrait se détacher de la terre et supprimer les espaces ; il franchit d'un saut les routes, les haies, passe à la nage les ruisseaux, les rivières; mais, toujours poursuivi, et ne pouvant anéan- tir son corps , il cherche à en mettre un autre à sa place ; il va lui-même troubler le repos d'un voisin plus jeune et moins expérimenté, le fait lever , marcher, fuir avec lui; et lorsqu'ils ont confondu leurs traces, lorsqu'il croit l'avoir sub- stitué à sa mauvaise fortune, il le quitte plus brusquement encore qu'il ne l’a joint, afin de le rendre seul l'objet et la victime de l’ennemi trompé. Mais le chien, par cette supériorité que don- nent l'exercice et l'éducation , par cette finesse de sentiment qui n'appartient qu'à lui, ne perd pas l’objet de sa poursuite ; il démêle les points communs, délie les nœuds du fil tortueux qui seul peut y conduire; il voit de l'odorat tous les détours du labyrinthe, toutes les fausses routes où l’on a voulu l'égarer, et, loin d'aban- donner l'ennemi pour un indifférent, après avoir triomphé de sa ruse, il s'indigne, ilredou- ble d’ardeur, arrive enfin, l'attaque, et, le met- tant à mort, étanche dans le sang sa soif et sa haine. c Le penchant pour la chasse ou la guerre nous est commun avec les animaux : l'homme sau- vage ne sait que combattre et chasser. Tous les animaux qui aiment la chair, et qui ont de la force et des armes , chassent naturellement. Le lion, le tigre, dont la force est si grande qu'ils sont sûrs de vaincre, chassent seuls et sans art; les loups, les renards, les chiens sauvages se réunissent, s'entendent, s’aident, se relaient et partagent la proie; et lorsque l'éducation a per- fectionné ce talent naturel dans le chien domes- tique , lorsqu'on lui a appris à réprimer son ar- deur, à mesurer ses mouvements, qu'on l'a 623 accoutumé à une marche régulière et à l'espèce de discipline nécessaire à cet art, il chasse avec méthode, et toujours avec succès. Dans les pays déserts, dans les contrées dé- peuplées, il y a des chiens sauvages qui, pour les mœurs, ne diffèrent des loups que par la facilité qu'on trouve à les apprivoiser ; ils se réu- nissent aussi en plus grandes troupes pour chas- ser et attaquer en force les sangliers, les tau- reaux sauvages, et même les lions et les tigres. En Amérique, ces chiens sauvages sont de race anciennement domestique ; ils y ont été trans- portés d'Europe; et quelques-uns ayant été ou- bliés où abandonnés dans ces déserts, s’y sont multipliés au point qu'ils se répandent par trou- pes dans les contréss habitées, où ils attaquent le bétail et insultent même les hommes. On est donc obligé de les écarter par la force, et de les tuer comme les autres bêtes féroces; et les chiens sont tels en effet, tant qu'ils ne connais- sent pas les hommes : mais lorsqu'on les ap- proche avec douceur, ils s’adoucissent, devien- nent bientôt familiers, et demeurent fidèlement attachés à leurs maitres; au lieu que le loup, quoique pris jeune et élevé dansles maisons, n’est doux que dans le premier âge, ne perd jamais son goût pour la proie, et se livre tôt ou tard à son penchant pour la rapine et la destruction, L'on peut dire que le chien est le seul animal dont la fidélité soit à l'épreuve; le seul qui con- naisse toujours son maitre et les amis de la mai- son; le seul qui, lorsqu'il arrive un inconnu, s'en apercoive; le seul qui entende son nom, et qui reconnaisse la voix domestique; le seul qui ne se confie point à lui-même ; le seul qui, lors- qu'il a perdu son maitre et qu'il ne peut le re- trouver , l'appelle par ses gémissements ; le seul qui, dans un voyage long qu'il n'aura fait qu'une fois, se souvienne du chemin et retrouve la route; le seul enfin dont les talents naturels soient évidents et l'éducation toujours heureuse. Et de même que de tous les animaux le chien est celui dont le naturel est le plus susceptible d'impression, et se modifie le plus aisément par les causes morales, il est aussi de tous celui dont la nature est le plus sujette aux variétés et aux altérations causées par les influences phy- siques : le tempérament, les facultés, les habi- tudes du corps varient prodisieusement, la for- me même n'est pas constante : dans Je même pays un chien esttrès-différent d'unautrechien, et l'espèce est, pour ainsi dire, toute différente 624 d'elle-même dans les différents climats. De là cette confusion, ce mélange et cette variété de races si nombreuses, qu'on ne peut en faire l'é- numération : de là ces différences si marquées pour la grandeur de la taille, la figure du corps, l'allongement du museau, la forme de la tête, la longueur et la direct on des oreilles et de la queue, la couleur, la qualité, la quantité du poil.ete.;ensortequ'il ne reste riende constant, rien de commun à ces animaux que la confor- mité de l'organisation intérieure, et la faculté de pouvoir tous produire ensemble. Et comme ceux qui diffèrent le plus les uns des autres à tous égards ne laissent pas de produire des in- dividus qui peuvent se perpétuer en produisant eux-mêmes d'autres individus, il est évident que tous les chiens, quelque différents, quel- que variés qu'ils soient, ne font qu'une seule et mème espèce. Mais ce qui est difficile à saisir dans cette nombreuse variété de races différentes , c’est le caractère de la race primitive, de la race origi- naire, de la race mère de toutes les autres ra- ces : comment reconnaitre les effets produits par l'influence du climat, de la nourriture, ete.? comment les distinguer encore des autres effets, ou plutôt des résultats qui proviennent du mé- lange de ces différentes races entre elles, dans l'état de liberté ou de domesticité? En effet, toutes ces causes altèrent, avec le temps, les formes les plus constantes, et l'empreinte de la nature ne conserve pas toute sa pureté dans les objets que l'homme a beaucoup maniés. Les animaux assez indépendants pour choisir eux- mêmes leur climat et leur nourriture sont ceux qui conservent le mieux cette empreinte ori- ginaire ; et l'on peut croire que, dans ces espè- ces, le premier, le plus ancien de tous, nous est encore aujourd hui assez fidèlement repré- senté par ses descendants ? mais ceux que l'hom- me s'est souris, ceux qu'il a transportés de climats en climats, ceux dont il a changé la nourriture, les habitudes et la manière de vi- vre, ont aussi dû changer pour la forme plus que tous les autres; et l'on trouve en effet bien plus de variété dans les espèces d'animaux do- mestiques que dans celles des animaux sauvages. Et comme, parmi les animaux domestiques, æ chien est de tous celui qui s'est attaché à l'homme de plus près ; celui qui, vivant comme l'homme, vit aussi le plus irrégulièrement ; ce- sui dans lequel le sentiment domine assez pour HISTOIRE NATURELLE le rendre docile, obéissant et susceptible de toute impression, et même de toute contrainte, il n’est pas étonnant que de tous les animaux ce soit aussi celui dans lequel on trouve les plus grandes variétés pour la figure , pour la taille, pour la couleur et pour les autres qua lités. Quelques circonstances concourent encore à cettealtération. Le chien vit assez peu de temps ; il produit souvent et en assez grand nombre; et comme il est perpétuellement sous les yeux de l'homme, dès que, par un hasard assez or- dinaire à la nature, il se sera trouvé dans quel- ques individus des singularités ou &es variétés apparentes, on aura tâché de les perpétuer en unissant ensemble ces individus singuliers, comme on le fait encore aujourd'hui lorsqu'on veut se procurer de nouvelles races de chiens et d'autres animaux. D'ailleurs, quoique toutes les espèces soient également anciennes, le nom- bre des générations, depuis la création, étant beaucoup plus grand dans les espèces dont les individus ne vivent que peu de temps, les va- riétés, les variations, ia dégénération même doivent en étre devenues plus sensibles, puisque ces animaux sont plus loin de leur souche que ceux qui vivent plus longtemps. L'homme est aujourd’hui huit fois plus près d'Adam que le chien ne l'est du premier chien, puisque l'homme vit quatre-vingts ans, et que le chien nen vit que dix. Si done, par quelque cause que ce puisse être, ces deux espèces tendaient également à dégénérer , cette altération serait aujourd'hui huit fois plus marquée dans le chien que dans l'homme. Les petits animaux éphémères, ceux dont la vie est si courte qu'ils se renouvellent tous les ans par la génération, sont infiniment plus sujets que les autres animaux aux variétés et aux altérations de tout genre. Ii en est de même des plantes annuelles en comparaison des autres végetaux ; il y en a même dont la na- ture est, pour ainsi dire, artificielle et factice. Le blé, par exemple, est une plante que l'hom- me a changée au point qu'elle n'existe nulle part dans l'état de nature : on voit bien qu'il a quelque rapport avec l'ivraie, avec les gra- mens, les chiendents et quelques autres herbes des prairies ; mais on ignore à laquelle de ce herbes on doit le rapporter : et comme il se re- nouvelle tous les ans, et que, servant de nour riture à l'homme, il est de toutes les plantes il DU CHIEN. celle qu'il a le plus travaillée, il est aussi de toutes celle dont la nature est le plus altérée. L'homme peut done non-seulement faire servir a ses besoins, à son usage, tous les individus de l'univers ; mais il peut encore, avec le temps, changer, modifier et perfectionner les espèces : c'est même le plus beau droit qu'il ait sur la na- ture. Avoir transformé une herbe stérile en blé , est une espèce de création dont cependant il ne doit pas s'enorgueillir, puisque ce n'est qu'à la sueur de son front et par des cultures réitérées qu'il peut tirer du sein de la terre ce pain souvent amer, qui fait sa subsistance. Les espèces que l’homme a beaucoup tra- vaillées, tant dans les végétaux que dans les animaux , sont donc celles qui de toutes sont le plus altérées ; et comme quelquefois elles le sont au point qu'on ne peut reconnaitre leur forme primitive, comme dans le blé, qui ne ressemble plus à la plante dont il a tiré son ori- gine, il ne serait pas impossible que dans la nombreuse variété des chiens que nous voyons aujourd'hui il n’y en eût pas un seul de sem- blable au premier chien, ou plutôt au premier animal de cette espèce, qui s’est peut-être beau- coup altérée depuis la création , et dont la sou- che a pu par conséquent être très-différente des races qui subsistent actuellement, quoique ces races en soient originairement toutes éga- lement provenues. La nature cependant ne manque jamais de reprendre ses droits dès qu’on la laisse agir en liberté. Le froment jeté sur une terre inculte dégénère à la première année: si l’onrecueillait ce grain dégénéré pour le jeter de même, le produit de cette seconde génération serait en- core plus altéré; et au bout d’un certain nombre d'années et de reproductions l’homme verrait reparaitre la plante originaire du froment, et saurait combien il faut de temps à la nature pour détruire le produit d'un art qui la con- traint, et pour se réhabiliter. Cette expérience serait assez facile à faire sur le blé et sur les autres plantes qui tous les ans se reproduisent, pour ainsi dire, d’elles-mèmes, dans le même lieu ; mais il ne serait guère possible de la ten- ter avec quelque espérance de succès, sur les animaux qu'il faut rechercher, appareiller, anir, et qui sont difficiles àmanier, parce qu'ils nous échappent tous plus ou moins par leur mouvement, et par la répugnance souvent in- vincible qu’ils ont pour les choses qui sont con- LEE 625 traires à leurs habitudes ou à leur naturel. On ne peut donc pas espérer de savoir jamais par cette voie quelle est la race primitive des chiens, non plus que celle des autres animaux qui, comme le chien, sont sujets à des variétés permanentes; mais au défaut de ces connais- sances de faits qu'on ne peut acquérir, et qui cependant seraient nécessaires pour arriver à la vérité, on peut rassembler des indices, eten tirer des conséquences vraisemblables. Les chiens qui ont été abandonnés dans les solitudes de l'Amérique, et qui vivent en chiens sauvages depuis cent cinquante ou deux cents ans , quoique originaires de races altérées, puisqu'ils sont provenus des chiens domesti- ques, ont dû , pendant ce long espace de temps, se rapprocher au moins en partie de leur forme primitive. Cependant les voyageurs nous disent qu'ils ressemblent à nos lévriers ‘; ils disent la même chose des chiens sauvages ou devenus sauvages au Congo ?, qui, comme ceux d'Amé- rique, se rassemblent par troupes pour faire la guerre aux tigres, aux lions, ete. Mais d'au- tres, sans comparer les chiens sauvages de Saint-Domingue aux lévriers, disentseu!ement*, qu'ils ont pour l'ordinaire la tête plate et lon- gue, le museau effilé, l'air sauvage, le corps mince et décharné; qu'ils sont très-légers à la course; qu'ils chassent en perfection; qu'ils s'apprivoisent aisément en les prenant tout pe- tits. Ainsi ces chiens sauvages sont extrême- ment maigres et légers; et, comme le lévrier ne diffère d’ailleurs qu’assez peu du mâtin, ou du chien que nous appelons chien de berger, on peut croire que ces chiens sauvages sont plutôt de cette espèce que de vrais lévriers ; parce que d'autre côté les anciens voyageurs ont dit que les chiens naturels du Canada avaient les oreilles droites comme les renards, et ressemblaient aux mâtins de médiocre grandeur “ de nos vil- lageois , c’est-à-dire à nos chiens de berger; que ceux des sauvages des Antilles avaient aussi la tête et les oreilles fort longues , et approchaient de la forme des renards ; que les Indiens du 1 Histoire des Aventuriers flibustiers, par Oexmelin; Paris, 1686, in-12, tome I, page 112. 2 Histoire générale des Voyages, par M. l'abbé Prévost; in-4°, tome 1, pages6. 5 Nouveaux voyages aux iles de l'Amérique, Paris, 4722, tome V, page 195. 4 Voyage au pays des Hurons, par Sabard Théodat , récol- let; Paris, 1672, pages 510et 511. 5 Histoire géuérale des Antilles, par le P. du Tertre; Paris, 1667, tome LJ, page 506. #0 626 Pérou n'avaient pas toutes les espèces de chiens que nous ayons en Europe, qu'ils en avaient seulement de grands et de petits qu'ils nom- maient Alco'; que ceux de l'isthme de l'Amé- rique étaient laids, qu'ils avaient le poil rude et long, ce qui suppose aussi les oreilles droi- tes ?. Ainsi on ne peut guère douter que les chiens originaires d'Amérique et qui, avant la découverte de ce nouveau monde, n'avaient eu aucune communication avec ceux de nos cli- mats, ne fussent tous, pour ainsi dire, d'une seule et même race, et que de toutes les races de nos chiens celle qui en approche le plus ne soit celle des chiens à museau effilé, à oreilles droites et à long poil rude, comme les chiens de berger : et ce qui me fait croire encore que les chiens devenus sauvages à Saint-Domingue ne sont pas de vrais lévriers, c'est que comme les lévriers sont assez rares en France, on en tire, pour le roi, de Constantinople et des autres en- droits du Levant, et que je ne sache pas qu'on en ait jamais fait venir de Saint-Domingue ou de nos autres colonies d'Amérique. D'ailleurs , en recherchant dans la même vue ce que les voyageurs ont ditde la forme des chiens des dif- férents pays, on trouve que les chiens des pays froids ont tous le museau long et les oreilles droites; que ceux de la Laponie sont petits , qu'ils ont le poil long, les oreilles droites et le museau pointu ; que ceux de Sibérie et ceux que l'on appelle chiens-loups sont plus gros que ceux de Laponie, mais qu'ils ont de même les oreilles droites, le poil rude et le museau poin- tu ; que ceux d'Islande sont aussi, à très-peu près, semblables à ceux de Sibérie, et que de même, dans les climats chauds, comme au cap de Bonne-Espérance, les chiens naturels ont le museau pointu, les oreilles droites, la queue longue et trainante à terre, le poil clair, mais long et toujours hérissé; que ces chiens sont excellents pour garder les troupeaux, et que, par conséquent, ils ressemblent non-seulement par la figure, mais encore par l'instinct, à nos chiens de berger ; que dans d’autres climats en- core plus chauds, comme à Madagascar, à Ma- duré , à Calicut, à Malabar, les chiens originai- {Histoire des Incas, Paris, 1744, tome 1, page 265. Voyage de Wafer imprimé à la suite de ceux de Dampier, tome IV, page 225. ? Nouveanx voyages aux Îles de l'Amérique; Paris, 4722, tome V, page 195. * Voyage de La Martinière; Paris, 4674, page 75. J1 genio Yagaate : Parma , 1691 vol. I], page 45. HISTOIRE NATURELLE res de ces pays ont tous le museau long, les oreilles droites, et ressemblent encore à nos chiens de berger ; que quand même on y trans- porte des mâtins, des épagneuls, des barbets, des dogues, des chiens courants, des lévriers, etc., ils dégénèrent à la seconde ou à la troisième gé- nération ; qu'enfin dans les pays excessivement chauds , comme en Guinée! , cette dégénération est encore plus prompte, puisqu'au bout de trois où quatre aus ils perdent leur voix, qu'ils na- boient plus, mais hurlent tristement ; qu'ils ne produisent plus que des chiens à oreilles droites comme celles des renards ; que les chiens du pays sont fort laids, qu'ils ont le museau pointu, les oreilles longues et droites , la queue longue et pointue, sans aucun poil, la peau du corps nue, ordinairement tachetée et quelquefois d'une seule couleur; qu’enfin ils sont désagréa- bles à la vue et plus encore au toucher. On peut done déjà présumer, avec quelque vraisemblance, que le chien de berger est de tous les chiens celui qui approche le plus de la race primitive de cette espèce, puisque dans tous les pays habités par des hommes sauvages, oumême à demi civilisés, les chiens ressemblent à cette sorte de chiens plus qu'à aucune autre ; que dans le continent entier du Nouveau Monde il n’y en avait pas d’autres; qu'on les retrouve seuls de même au nord et au midi de notre continent, et qu’en France, où on les appelle communément chiens de Brie, et dans les au- tres climats tempérés , ils sont encore en grand nombre, quoiqu'on se soit beaucoup plus oc- cupé à faire naitre où à multiplier les autres races qui avaient plus d'agrément, qu'à con- server celle-ci qui n’a que de l'utilité, et qu'on a par cette raison dédaignée etabandonnée aux paysans chargés du soin des troupeaux. Si l'on considère aussi que ce chien, malgré sa laideur et son air triste et sauvage , est cependant su- périeur par l'instinct à tous les autres chiens ; qu'il a un caractère décidé auquel l'éducation n'a point de part; qu'il est le seul qui naisse, pour ainsi dire, tout élevé, et que, guidé par le seul naturel, il s'attache de lui-même à la garde des troupeaux avec une assiduité, une vigilance, une fidélité singulières; qu'il les con- duit avec une intelligence admirable et non communiquée; que ses talents font l'étonne- 1 Histoire générale des Voyages, par l'abbé prévost, t. AV, p.229. DU CHIEN. ment et le repos de son maitre, tandis qu'il faut au contraire beaucoup de temps et de pei- nes pour instruire les autres chiens, et les dres- ser aux usages auxquels on les destine; onse confirmera dans l'opinion quece chien est le vrai chien de la nature , celui qu'elle nous a donné pour la plus grande utilité, celui qui a le plus de rapport avee l'ordre général des êtres vi- vants , qui ont mutuellement besoin les uns des autres, celui enfin qu'on doit regarder comme la souche et le modèle de l'espèce entière. Et de même que l'espèce humaine paraît agreste, contrefaite et rapetissée dans les cli- mats glacés du nord ; qu'on ne trouve d'abord que de petits hommes fort laids en Laponie, en Groënland, et dans tous les pays où le froid est excessif; mais qu'ensuite dans le elimat voi- sin et moins rigoureux on voit tout à coup pa- raître la belle race des Finlandais, des Da- nois, ete., qui par leur figure , leur couleur et leur grande taille, sont peut-être les plus beaux de tous les hommes; on trouve aussi dans l'es- pèce des chiens le même ordre et les mêmes rapports. Les chiens de Laponie sont très-laids, très-petits, et n'ont pas plus d’un pied de lon- gueur {. Ceux de Sibérie, quoique moins laids, ont encore les oreilles droites et l’air agreste et sauvage, tandis que dans le climat voisin, où l'on trouve les beaux hommes dont nous ve- nons de parler, on trouve aussi les chiens de la plus belle et de la plus grande taille. Les chiens de Tartarie, d’Albanie, du nord de la Grèce, du Danemarck, de l'Irlande, sont les plus grands, les plus forts et les plus puissants de tous les chiens : on s’en sert pour tirer des voi- tures. Ceschiens, que nous appelons chiens d’Ir- lande, ont une origine très-ancienne, et se sont maintenus, quoiqu'en petit nombre, dans le climat dont ils sont originaires. Les anciens les appelaient chiens d'Épire, chiens d’Albanie; et Pline rapporte, en termes aussi élégants qu'é- nergiques, le combat d’un de ces chiens contre un lion, et ensuite contre un éiéphant ?. Ces chiens sont beaucoup plus grands que nos plus . grands mâtins. Comme ils sont fort rares en France, je n’en ai jamais vu qu'un, qui me pa- rut avoir, tout assis, près de cinq pieds de hau- teur, et ressembler par la forme au chien que 4111 Genio vagante ; vol. IE, p. 45. 3? Andiam petenti Alexandro magno, rex Albaniæ donodede- | rat iousitatæ magnitudinis unum, cu,us specie delectatus, jus- sit ursos, mox apros et deinde damas emitli, contemptu im- ! 627 nous appelons grand danois; mais il en diffé- rait beaucoup par l’énormité de sa taille : il était tout blanc et d'un naturel doux et tranquille. On trouve ensuite dans les endroits plus tempérés, comme en Angleterre, en France, en Allema- gne, en Espagne , en Italie, des hommes et des chiens de toutes sortes de races. Cette variété provient en partie de l'influence du climat, et en partie du concours et du mélange des races étrangères ou différentes entre elles, qui ont produit en très-grand nombre des races métives ou mélangées dont nous ne parlerons point ici, parce que M. Daubenton les a décrites et rap- portées chacune aux races pures dont elles pro- viennent; mais nous observerons , autant qu'il nous sera possible , les ressemblances et les dif- férences que l'abri, le soin, la nourriture et le climat ont produites parmi ces animaux. Le grand danois, le mâtin et le lévrier, quoi- que différents au premier coup d'œil, ne font cependant que le même chien : le grand danois n'est qu'un mâtin plus fourni, plus étoffé ; le lévrier, un mâtin plus délié, plus effilé , et tous deux plus soignés ; et il n’y a pas plus de dif- férence entre un chien grand danois, un mâtin et un lévrier, qu'entre un Hollandais , un Fran- çais et un Italien. En supposant done le mâtin originaire ou plutôt naturel de France, il aura produit le grand danois dans un elimat plus froid, et le lévrier dans un climat plus chaud : et c’est ce qui se trouve aussi vérifié par le fait; car les grands danois nous viennent du nord, et les lévriers nous viennent de Constantinople et du Levant. Le chien de berger, le chien-loup, et l'autre espèce de chien-loup que nous appel- lerons chien de Sibérie , ne font aussi tous trois qu’un même chien : on pourrait même y join- dre le chien de Laponie, celui de Canada, celui des Hottentots et tous les autres chiens qui ont les oreilles droites: ils ne diffèrent en effet du chien de berger que par la taille, et parce qu'ils sont plus ou moins étoffés, et que leur poil est mobili jacente eo ; quâ segnitie tanti corporis offensus impera- tor generosi spiritûs, eum interimi jussil. Nunciavit hoc fuma regi; itaque alterum mittens, addidit mandata ne in parvis ex- periri vellet, sed in leone, elephantove; duos sibi fuisse hoc interempto, prælereà nullum fore. Nec distulit Alexander, leonemque fractum protinüs vidit. Posteà elephantum jussit induci, haudalio magisspectaculolætatus. Horrentibusquippe per totum corpus villis, ingenti primüm latratu intonuit, mox- que increvit assultans, contraque belluam exsurgens hincet illinc artifici dimicatione, quâ maximè opus esset, infestans atque evitans, donec assidu rolatam vertigine afilixit, ad ca- sum ejus tellure concussä. Plin., Hist. nal., lib, VIIL 628 HISTOIRE NATURELLE plus ou moins rude , plus ou moins long et plus ou moins fourni. Le chien courant, le braque , le basset, le.barbet, et même l'épagneul , peu- vent encore être regardés comme ne faisant tous qu'un même chien : leur forme et leur instinct sont à peu près les mêmes , et ils ne diffèrent entre eux que par la hauteur des jambes, et par l'ampleur des vreilles, qui dans tous sont cependant longues , molles et pendantes. Ces chiens sont naturels à ce climat, et je ne crois pas qu'on doive en séparer le braque qu'on ap- pelle chien du Bengal, qui ne diffère de notre braque que par la robe. Ce qui me fait penser que ce chien n’est pas originaire du Bengale ou de quelque autre endroit des Indes , et que ce n’est pas, comme quelques-uns le prétendent , le chien indien dont les anciens ont parlé, et qu'ils disaient être engendré d’un tigre et d’une chienne., c’est que ce même chien était connu en Italie il y a plus de cent cinquante ans, et qu'on ne le regardait pas comme un chien venu des Indes, mais comme un braque ordinaire : Canis sagax , (vulgd brachus) , dit Aldrovande, an unius vel varii coloris sit parüm refert ; in Ltalià eligitur varius et maculosæ lynci persi- milis, cùm tamen niger color vel albus aut fulvus non sit spernendus1. L'Angleterre, la France , l'Allemagne ; ete., paraissent avoir produit le chien courant, le braque et le basset; ces chiens même dégénè- vent dès qu'ils sont portés dans des climats plus chauds, comme en Turquie, en Perse ; mais les épagneuls et les barbets sont originaires d'Es- pagne et de Barbarie, où la température du climat fait que le poil de tous les animaux est plus long, plus soyeux et plus fin que dans tous les autres pays. Le dogue, le chien que l'on appelle petit danois (mais fort impropre- ment, puisqu'il n'a d'autre rapport avec le grand danois que d’avoir le poil court), le chien-ture, et, si l'on veut encore, le chien d'Islande, ne font aussi qu'un mème chien qui, transporté dans un climat très-froid comme l'Is- lande, aura pris une forte fourrure de poil , et dans les climats très-chauds de l'Afrique et des Indes aura quitté sa robe : car le chien sans poil:, appeléchien-ture ; est encore mal nommé : ce n’est point dans le climat tempéré de la Tur- quie que les chiens perdent leur poil, c'est en Guinée et dans les climats les plus chauds des 4 Ulyssis Aldrovandi , de Quadruped. digitat. vivip., lib. 5, pago 552. Indes que ce changement arrive; et le chien- ture n’est autre chose qu'un petit danois qui, transporté dans les pays excessivement chauds, aura perdu son poil , et dont la race aura ensuite été transportée en Turquie, où l’on aura eu soin de les multiplier. Les premiers que l'on ait vus en Europe, au rapport d'Aldrovande, furent apportés de son temps en Italie, où ce- pendant ils ne purent, dit-il, ni durer, ni mul- tiplier , parce que le climat était beaucoup trop froid pour eux : mais comme il ne donne pas la description de ces chiens nus, nous ne savons pas s’ils étaient semblables à ceux que nous ap- pelons aujourd'hui chiens-tures, et si l’on peut par conséquent les rapporter au petit danois, parce que tous les chiens , de quelque race et de quelque pays qu'ils soient, perdent leur poil dans les climats excessivement chauds; et, comme nous l'avons dit, ils perdent aussi leur voix. Dans de certains pays ils sont tout à fait muets, dans d’autres ils ne perdent que la faculté d'aboyer ; ils hurlent comme les loups, ou glapissent comme les renards. Ils semblent par cette altéralion se rapprocher de leur état. de nature : car ils changent aussi pour la forme et pour l'instinct : ils deviennent laïds?, et prennent tous des oreilles droites et pointues. Ce n'est aussi que dans les climats tempérés que les chiens conservent leur ardeur, leur courage, leur sagacité , et les autres talents qui leur sont naturels. Ils perdent donc tout lorsqu'on les transporte dans des climats trop chauds : mais, comme si la nature ne voulait jamais rien faire d'absolument inutile, il se trouve que, dans ces mêmes pays où les chiens ne peuvent plus ser- vir à aucun des usages auxquels nous les em- ployons , on les recherche pour la table , et que les Nègres en préfèrent la chair à celle de tous les autres animaux. On conduit les chiens au mar- ché pour les vendre; on les achète plus cher que le mouton, le chevreau , plus cher même que tout autre gibier ; enfin, le mets le plus dé- licieux d’un festin chez les Nègres , est un chien rôti. On pourrait croire que le goût si décidé qu'ont ces peuples pour la chair de cet animal 1 Histoire générale des Voyages, par l'abbé Prévost, tome IV, 220 D en de La Boullaye-le-Gouz ; Paris, 1657, page 157. Voyages de Jean Ovington; Paris, 1723, tome I, page 276. Histoireuniverselle des voyages, par du Perrier de Montfrasier Paris, 4707, pages 544 et suivantes. Viede Christophe Colomb; Paris, 1681, première parie, page 106. Voyage de Bosman en Guinée, etc. Utrecht, 1703, p. 240. Histoire générale des Voyages, par l'abbé Prévost, tome LV, p. 229. DU CHIEN. vient du changement de qualité de cette même chair qui, quoique très-mauvaise à manger dans nos climats tempéres, acquiert peut-être un autre goût dans ces climats brûlants : mais ce qui me fait penser que cela dépend plutôt de la nature de l'homme que de celle du chien, c'est que les sauvages du Canada, qui habitent un pays froid , ont le même goût que les Nègres pour la chair du chien , et que nos missionnaires en ont quelquefois mangé sans dégoût. « Les « chiens servent en guise de mouton pour être « mangés en festin (dit le P. Sabard Théodat). « Je me suis trouvé diverses fois à des festins de « chien : j'avoue véritablement que du commen- « cement cela me faisait horreur ; mais je n’en «eus pas mangé deux fois, que j'en trouvai la « chair bonne, et de goût un peu approchant de « celle du porc". » Dans nos climats, les animaux sauvages qui approchent le plus du chien, etsurtout du chien à oreilles droites, du chien de berger, que je regarde comme la souche et le type de l'espèce entière , sont le renard et le loup; et comme la conformation intérieure est presque entièrement la même , et que les différences extérieures sont assez légères , j'ai voulu essayer s'ils pourraient produire ensemble : j'espérais qu’au moins on parviendrait à les faire acccupler, et que s'ils ne produisaient pas des individus féconds, ils engendreraient des espèces de mulets qui au- raient participé de la nature des deux. Pour cela, j'ai fait élever une louve prise dans les bois à l’âge de deux ou trois mois, avec un mâtin de même âge. Ils étaient enfermés en- semble et seuls dans une assez grande cour où aucune autre bête ne pouvait entrer , et où ils avaient un abri pour se retirer. Ils ne connais- saient, ni l'un ni l’autre, aucun individu de leur espèce , ni même aucun homme que celui qui était chargé du soin de leur porter tous les jours à manger. On les a gardés trois ans, toujours avec la même attention , et sans les contraindre ni les enchainer. Pendant la première année, ces jeunes animaux jouaient perpétuellement ensemble et paraissaient s'aimer beaucoup. A la seconde année ils commencèrent par se disputer la nourriture, quoiqu'on leur en donnât plus qu'il ne leur en fallait. La querelle venait tou- jours de la louve. On leur portait de la viande et des os sur un grand plat de bois que l’on po- 4 Vovage au pays des Hurons, par le P. Sabard Théodat, ré- coilet ; Paris, 1632, page 514. 62 sait à terre : dans l'instant même la louve, au lieu de se jeter sur la viande, commençait par écarter le chien, et prenait ensuite le plat par la tranche si adroitement, qu’elle ne laissait rien tomber de ce qui était dessus, etemportait le tout en fuyant ; et comme elle ne pouvait sortir , je l'ai vue souvent faire cinq ou six fois de suite le tour de la cour tout le long des mu- railles, toujours tenant le plat de niveau entre ses dents, et ne le reposer à terre que pour re- prendre haleine et pour se jeter sur la viande avec voracité , et sur le chien avec fureur lors- qu'il voulait approcher. Le chien était plus fort que la louve ; mais comme il était plus doux, ou plutôt moins féroce, on craignit pour sa vie, et on lui mit un collier. Après la deuxième an- née, les querelles étaient encore plus vives et les combats plus fréquents, et on mit aussi un collier à la louve, que le chien commençait à ménager beaucoup moins que dans les premiers temps. Pendant ces deux ans, il n’y eut pas le moindre signe de chaleur ou de désir, ni dans l'un, ni dans l’autre : ce ne fut qu'à la fin de la troisième année, que ces animaux commencè- rent à ressentir les impressions de l’ardeur du rut, mais sans amour; ear loin que cet état les adoucit , ou les rapprochàt l’un de l’autre, ils n'en devinrent que plus intraitables et plus fé- roces : ce n'étaient plus que des hurlements de douleur mêlés à des cris de colère ; ils maigri- rent tous deux en moins de trois semaines , sans jamais s'approcher autrement que pour se dé- chirer : enfin ils s'acharnèrent si fort l’un contre l'autre , que le chien tua la louve, qui était de. venue la plus maigre et la plus faible ; et l’on fut obligé de tuer le chien quelques jours après, parce qu'au moment qu'on voulut le mettre en liberté , il fit un grand dégêt en se lançant avec fureur sur les volailles, sur les chiens , et même sur les hommes. J'avais, dans le même temps , des renards, deux mâles et une femelle, que l'on avait pris dans des piéges, et que je faisais garder loin les uns des autres dans des lieux séparés. J'avais fail attacher l'un de cesrenards avec une chaine légère, mais assez longue, et on lui avait bâti une petite hutte où il se mettait à l'abri. Je le gardai pendant plusieurs mois; il se portait bien, et quoiqu'il eût l'air ennuyé et les yeux toujours fixés sur la campagne, qu'il voyait de sa hutte, il ne laissait pas de manger de très- grand appétit. On lui présenta une chienne en 650 HISTOIRE NATURELLE chaleur que l'on avait gardée, et qui n'avait pas été couverte; et comme elle ne voulait pas res- ter auprès du renard, on prit le parti de l'en- chainer dans le même lieu , et de leur donner largement à manger. Le renard ne la mordit ni ne la maltraita point : pendant dix jours qu'ils demeurèrentensemble, iln'y eut pas la moindre querelle, ni le jour, ni la nuit, ni aux heures du repas; le renard s'approchait même assez fami- lièrement; mais dès qu'ilavaitflairé detrop près sa compagne, le signe du desir disparaissait, et il s'en retournait tristement dans sa hutte. Il n'y eut done point d'accouplement. Lorsque la chaleur de cette chienne fut passée, on lui en substitua une autre qui venait d'entrer en cha- leur, et ensuite une troisième et une quatrième ; le renard les traita toutes avee la mème dou- ceur, mais avec la mème indifférence : et afin de m'assurer si e’était la répugnance naturelle ou l'état de contrainte où il était qui l'empêchait de s’accoupler, je lui fis amener une femelle de son espèce. Il la couvrit dès le même jour plus d'une fois, et nous trouvâmes, en la disséquant quelques semaines après, qu'elle était pleine, et qu'elle aurait produit quatre petits renards. On présenta de même successivement à l’autre re- nard plusieurs chiennes en chaleur; on les enfer- mait avec lui dans une cour où ils n'étaient point enchainés; il n'y eut ni haine, niamour, ni combat, ni caresses , et ce renard mourut au bout de quelques mois, de dégoût ou d'ennui. Ces épreuves nous apprennent au moins que le renard et le loup ne sont pas tout à fait de la même nature que le chien ; que ces espèces non- seulement sont différentes, mais séparées et as- sez éloignées pour ne pouvoir les rapprocher, du moins dans ces climats ; que, par couséquent, le chien ne tire pas son origine du renard ou du loup , et que les nomenclateurs ‘, qui ne regar- dent ces deux animaux que comme des chiens sauvages, ou qui ne prennent le chien que pour un loup ou un renard devenu domestique, et qui leur donnent à tous trois le nom commun de chien, se trompent, pour n'avoir pas assez con- sulté la nature. Il y a dans les climats plus chauds quelenôtre une espèce d'animal féroce et cruel , moins dif- férent du chien que ne le sont le renard ou le loup : cet animal, qui s'appelle adive ou chacal, a été remarqué et assez bien décrit par quelques voyageurs. On en trouve en grand nombre en Asieeten Afrique, aux environs de Trébisonde*?, autour du mont Caucase, en Mingrélie?, en Na- tolie*, en Hyrcanie *, en Perse, aux Indes , à Surate 5, à Goa, à Guzarat, à Bengale, au Con- go®, en Guinée, et en plusieurs autres endroits : et quoique cet animal soit regardé par les natu- rels des pays qu'il habite, comme un chien sau- vage, et que son nom même le désigne, comme il est très-douteux qu'il se mêle avec les chiens et qu'il puisse engendrer ou produire avec eux, nous en ferons l'histoire à part , comme nous ferons aussi celle du loup, celle du renard, et celle de tous les autres animaux qui, ne se mêlant point ensemble, font autant d'espèces distinctes et séparées. Ce n’est pas que je prétende d’une manière décisive et absolue que l'adive, et même que le renard etle loup, ne sesoient jamais, dans aucun temps ni dans ‘aucun climat, mêlés avec les chiens. Lesanciens l’assurent assez positivement pour qu'on puisse encore avoirsur cela quelques doutes, malgré les épreuves que je viens derap- : porter; et j'avoue qu'il faudrait un plus grand nombre de pareilles épreuves pour acquérir sur ce fait une certitude entière. Aristote , dont je suis très-porté à respecter le témoignage, dit précisément ? qu'il est rare que les animaux qui sont d'espèces différentes se mêlent ensemble; que cependant il est certain que cela arrive dans les chiens, les renards etles loups; queleschiens indiens proviennent d'une autre bête sauvage semblable et d'un chien. On pourrait croire que cette bête sauvage, à laquelle il ne donne point denom, est l’adive: mais il dit dans un autre en- droit que ces chiens indiens viennent du tigre et d'un chien, ce qui me parait encore plus dif- ficile à croire , parce que le tigre est d’une na- ture et d’une forme bien plus différentes de celles du chien, que le loup, le renard ou l’adive. II faut convenir qu'Aristote semble lui-même in- firmer son témoignage à cet égard : car, après 1 Voyages de Gemelli Carreri; Paris, 1719, tome E, page 419. 2 Voyage de Chardin ; Londres, 1685, page 76. 3 Voyage de Dumont ; La Haye, 1699, tome IV, page 28 ct suiv. 4 Voyage de Chardin ; Amsterdam, 4741, tome JE, p. 29. 5 Voyage d'Inigo de Biervillas ; Paris, 4756, première partie, p: 178. 8 Voyage de Bosman, pages 241, 551 et 552. Voyage du P. * Canis caudä (sinistrorsum) recurvä, le chien. Canis caudà | Zuchel, capucin, page 295. incurva, le loup. Canis caudà rectä, le renard. Linnæi syst. Nat. 7 Arist., de Generat. Animal., lib. IE, cap. 3, ‘ Jdem, Hist. Anim, lib, VII, cap. 28. DU CHIEN. avoir dit que les chiens indiens viennent d'une bête sauvage semblable au loup ou au renard, il dit ailleurs qu'ils viennent du tigre; etsans énon- cer si c’est du tigre et de la chienne , ou du chien et de la tigresse, il ajoute seulement que la chose ne réussit pas d’abord, mais seulement à la troisième portée; que de la première fois il ne résulte encore que des tigres; qu'on attache les chiens dans les déserts, et qu'à moins que le tigre ne soit en chaleur, ils sont souvent dé- vorés ; que ce qui fait que l'Afrique produitsou- vent des prodiges et des monstres , c'est que Veau y étant très-rare, et la chaleur fort grande, lesanimaux de différentes espèces serencontrent assemblés en grand nombre dans le même lieu pour boire; que c’est là qu'ils se familiarisent , s’accouplent et produisent. Tout cela me parait conjectural, incertain , et même assez suspect pour n'y pas ajouter foi; car, plus on observe la nature des animaux, plus on voit que l'indice le plus sûr pour en juger, c’est l'instinct. L'exa- men le plus attentif des parties intérieures ne nous découvre que les grosses différences : le cheval et l'âne, qui se ressemblent parfaitement par la conformation des partiesintérieures, sont cependant des animaux d’une naturedifférente; le taureau, le bélier et le bouc, qui ne diffèrent en rien les uns des autres pour la conformation intérieure de tous les viscères, sont d'espèces encore plus éloignées que l'âne et le cheval, et il en est de même du chien, du renard et du loup. L'inspection de la forme extérieure nous éclaire davantage ; mais, comme dans plusieurs espèces, et surtout dans celles qui ne sont pas éloignées, il y a, même à l'extérieur, beaucoup plus de ressemblance que de différence , cette inspection ne suffit pas encore pour décider si ces espèces sont différentes ou les mêmes; en- fin, lorsque les nuances sontencore plus légères, nous ne pouvons les saisir qu’en combinant les rapports de l'instinct. C'est en effet par le na- turel des animaux qu’on doit juger deleurnature; etsil’on supposait deux animaux toutsemblables pour la forme, mais tout différents pour le naturel, ces deux animaux qui ne voudraient pas se joindre, et qui ne pourraient produire en- semble, seraient, quoique semblables, de deux espèces différentes. Ce même moyen auquel on est obligé d’avoir recours pour juger de la différence des animaux dans les espèces voisines, est, à plus forte rai- son, celui qu'on doit employer de préférence à 651 tous autres , lorsqu'on veut ramener à des points fixes les nombreuses variétés que l'on trouve dans la même espèce. Nous en connaissons trente dans celle du chien , et assurément nous ne les connaissons pas toutes. De ces trente va- riétés, il y en a dix-sept que l'on doit rapporter à l’influence du climat, savoir: le chien de ber- ger, le chien-loup, le chien de Sibérie, le chien d'Islande et le chien de Laponie, le mâtin , les lévriers, le grand danois et le chien d’Irlande, le chien courant, les braques, les bassets, les épagneuls etle barbet, lepetit danois, le chien- ture et le dogue: les treize autres, qui sont le chien-ture métis, le lévrier à poil de loup, le chien-bouffe , le chien de Malte ou bichon, le roquet, le dogue de forte race, le doguin ou mopse, le chien de Calabre, le burgos, le chien d’Alicante , le chien-lion , le petit barbet et le chien qu’on appelle artois , issois où quatre- vingts, ne sont que des métis qui proviennent du mélange des premiers; et, en rapportant chacun de ces chiens métis aux deux races dont ils sont issus , leur nature est dès lors assez connue. Mais, à l'égard des dix-sept premières races, si l'on veut counaitre les rapports qu'elles peuvent avoirentre elles, il faut avoir égard à l'instinct, à la forme et à plusieurs autres circonstances. J'ai mis ensemble le chien de berger, le chien- loup, le chien de Sibérie, le chien de Laponie et le chien d'Islande, parce qu'ilsse ressemblent plus qu'ils ne ressemblent aux autres par la fi- gure et par le poil; qu’ilsont tous cinq le museau pointu à peu près comme le renard ; qu’ils sont les seuls qui aient les oreilles droites, et que leur instinct les porte à suivre et garder les troupeaux. Le mâtin , le lévrier, le grand da- nois et le chien d'Irlande ont, outre la ressem- blance dela forme et du long museau, le même naturel; ils aiment à courir , à suivre les che- vaux, les équipages; ilsont peu denez, etchassent plutôt à vue qu'à l’odorat. Les vrais chiens de chasse sont les chiens courants, les braques, les bassets, les épagneuls et les barbets : quoiqu'ils différent un peu par la forme du corps, ils ont ce- pendant tous le museau gros; et comme leur instinct est le même, on ne peut guère se trom- per en les mettant ensemble. L'épagneul, par exemple, a été appelé par quelques naturalistes, canis aviarius terrestris , et le barbet, canis aviarius aquaticus; et en effet , la seule diffé- rence qu'il y ait dans le naturel de ces deux chiens, c'estque le barbet avec son poil touffu, 652 long et frisé, vaplus volontiers à l'eau que l’épa- gneul, qui a le poil lisse et moins fourni, ou que les trois autres, qui l'ont trop courtettrop clair pour ne pas craindre de se mouiller la peau. Enfin le petit danois et le chien-turenepeuvent manquer d'aller ensemble , puisqu'il est avéré que le chien-ture n’est qu'un petit danois qui a perdu son poil. Il ne reste que le dogue, qui, par son museau court, semble se rapprocher du petit danois plus que d’aueun autre chien, mais qui en diffère à tant d'autres égards, qu'il pa- rait seul former une variété différente de toutes les autres , tant pour la forme que pour l’ins- tinet. Il semble aussi affecter un climat parti- culier, il vient d'Angleterre, et l’on a peine à en maintenir la race en France; les métis qui en proviennent, et qui sont le dogue de forte race et le doguin, y réussissent mieux. Tous ces chiens ont le nez si court qu'ils ont peu d'odo- rat, et souvent beaucoup d'odeur. IL parait aussi que la finesse de l'odorat, danses chiens, dépend de Ja grosseur plus que de la longueur du museau, parce que le lévrier, le mâtin et le grand danois, qui ont le museau fort allongé, ont beaucoup moins denezque le chien courant, le braque et le basset et même que l'épagneul et le barbet, qui ont tous, à proportion de leur taille, le museau moins long, mais plus gros que les premiers. La plus ou moins grande perfection des sens, qui ne fait pas dans l’homme une qualité émi- pente, ni même remarquable, fait dans les ani- maux tout leur mérite, et produit, commecause, tous les talents dont leur nature peut être sus- ceptible. Je n'entreprendrai pas de faire ici l’é- numération de toutes les qualités d’un chien de chasse; on sait assez combien l'excellence de l'odorat, jointe à l'éducation, lui donne d’avan- tage et de supériorité sur les autres animaux; mais ces détails n’appartiennent que de loin à l'histoire naturelle; et d'ailleurs les ruses et les moyens, quoique émanés de la simple nature, que les animaux sauvages mettent en œuvre pour se dérober à la recherche, ou pour éviter la poursuite et les atteintes des chiens , sont peut-être plus merveilleux que les méthodes les plus fines de l’art de la chasse. Le chien, lorsqu'il vient de naître , n’est pas encore entièrement achevé. Dans cette espèce, comme dans celles de tous les animaux qui pro- duisent en grand nombre, les petits, au mornent HISTOIRE NATURELLE dans les animaux qui n'en produisent qu’un ou deux. Les chiens naissent communément avec les yeux fermés : les deux paupières ne sont pas simplement collées, mais adhérentes par une membrane qui se déchire lorsque le musele de la paupière supérieure est devenu assez fort pour la relever et vaincre cet obstacle, et la plu- part des chiens n'ont les yeux ouverts qu'au dixième ou douzième jour. Dans ce même temps, les os du cräne ne sont pas achevés, le corps est bouffi, le museau gonflé, et leur forme n'est pas encore bien dessinée; mais en moins d'un mois ils apprennent à faire usage de tous leurs sens, et prennent ensuite de la force et un prompt accroissement. Au quatrième mois, ils perdent quelques-unes de leurs dents, qui, comme dans les autres animaux , sont bientôt remplacées par d'autres qui ne tombent plus. Ils ont en tout quarante-deux dents, savoir : six incisives en haut et six en bas, deux canines en haut et deux en bas, quatorze mâchelières en haut et douze en bas : mais cela n’est pas constant ; et il se trouve des chiens qui ont plus où moins de dents mächelières. Dans ce pre- mier âge, les mâles comme les femelles s’'ac- croupissent un peu pour pisser : ce n’est qu'à neuf ou dix mois que les mâles, et même quel- quefois les femelles, commencent à lever la cuisse, et c’est dans ce même temps qu'ils com- mencent à être en état d'engendrer. Le mâle peut s'accoupler en tout temps, mais la femelle ne le recoit que dans des temps marqués : c’est ordinairement deux fois par an, et plus fréquem- ment en hiver qu'en été. Sa chaleur dure dix, douze et quelquefois quinze jours; elle se mar- que par des signes exterieurs ; les parties de la génération sont humides, gonflées et proémi- nentes au dehors ; il y a un petit écoulement de sang tant que cette ardeur dure , et cet écoule- ment, aussi bien que le gonflement de la vulve, commence quelques jours avant l'accouple- ment. Le mâle sent de loin la femelle dans cet état et la recherche; mais ordinairement elle ne se livre que six ou sept jours après qu'elle a commencé à entrer en chaleur. On a reconnu qu'un seul accouplement suffit pour qu'elle concoive, même en grand nombre : cependant, lorsqu'on la laisse en liberté, elle s'accouple plu- sieurs fois par jour avec tous les chiens qui se présentent; on observe seulement que lors- qu'elle peut #hoisir, elle préfère toujours ceux de leur naissance, ne sont pas aussi parfaits que ! de la plus grosse et de la plus grande taille, d LO D LE Sa ei ñ 4 k " * Le 7 . . , + « . à. + : __ TABLE DE L'ORDRE DES CHIENS. DU CHIEN. . qui dans la jeunesse sont blanches, tranchantes quelque laids et quelque disproportionnés qu'ils puissent être : aussi arrive-t-il assez souvent que de petites chiennes qui ont reçu des mâ- tius, périssent en faisant leurs petits. Une chose que tout le monde sait, et qui ce- pendant n'en est pas moins une singularité de la nature , c'est que, dans l’accouplement , ces animaux ne peuvent se séparer, même après la consommation de l'acte de la génération : tant que l'état d'érection et de gonflement subsiste , ils sont forcés de demeurer unis, et cela dépend sans doute de leur conformation. Le chien a non-seulement , comme plusieurs autres ani- maux, un os dans la verge, mais les corps ca- verneux forment dans le milieu une espèce de bourrelet fort apparent, et qui se gonfle beau- coup dans l'érection. La chienne, qui de toutes les femelles est peut-être celle dont le clitoris est le plus considérable et le plus gros dans le temps de la chaleur, présente de son côté un bourrelet, ou plutôt une tumeur ferme et sail- lante, dont le gonflement, aussi bien que celui des parties voisines, dure peut-être bien plus longtemps que celui du mâle, et suffit peut- être aussi pour le retenir malgré lui: car, au moment que l'acte est consommé, il change de position ; il se remet à pied pour se reposer sur ses quatre jambes ; il a même l'air triste, et les efforts pour se séparer ne viennent jamais de la femelle. Les chiennes portent neuf semaines, c'est-à- dire soixante-trois jours, quelquefois soixante- deux ou soixante-un , et jamais moins de soixante : elles produisent six, sept, et quelque- fois jusqu'à douze petits ; celles qui sont de la plus grande et de la plus forte taille produisent en plus grand nombre que les petites, qui souvent ne font que quatre ou cinq, et quelquefois qu'un ou deux petits, surtout dans les premières por- tées, qui sont toujours moins nombreuses que les autres dans tous ies animaux. Les chiens , quoique très-ardents en amour, ne laissent pas de durer; il ne parait pas même que l’âge diminue leur ardeur : ils s’accouplent et produisent pendant toute la vie, qui est ordi- nairement bornée à quatorze ou quinze ans, quoiqu'on en ait gardé quelques-uns jusqu'à vingt. La durée de la vie est dans le chien, comme dans les autres animaux , proportion- nelle au temps de l'accroissement : il est envi- | ron deux ans à croître, il vit aussi sept fois deux | ans. L'on peut connaître son âge par les dents, | 633 199 et pointues, et qui, à mesure qu'il vieillit, de- viennent noires, mousses et inégales. On le connait aussi par le poil; car il blanchit sur le museau, sur le front et autour des yeux. Ces animaux , qui de leur naturel sont très- vigilants, très-actifs, et qui sont faits pour le plus grand mouvement , deviennent dans nos maisons, par la surcharge de la nourriture , si pesants et si paresseux.qu'ils passent toute leur vie à ronfler, dormir et manger. Ce sommeil, presque continuel , est accompagné de rèves, et c'est peut-être une douce manière d'exister. Ils sont naturellement voraces ou gourmands, et cependant ils peuvent se passer de nourriture pendant longtemps. Il y a dans les mémoires de l'Académie des Sciences ! l'histoire d'une chienne qui, ayant été oubliée dans une mai- son de campagne, a vécu quarante jours sans autre nourriture que l'étoffe ou la laine d'un matelas qu'elle avait déchiré. Il paraît que l'eau leur est encore plus nécessaire que la nourri- ture. Ils boivent souvent et abondamment: on croit même vulgairement que quand ils man- quent d'eau pendant longtemps ils deviennent enragés. Une chose qui leur est particulière, c'est qu'ils paraissent faire des efforts et souf- frir toutes les fois qu'ils rendent leurs excré- ments : ce n'est pas, comme le dit Aristote, parce que les intestins deviennent plus étroits en approchant de l'avus; il est certain, au con- traire, que dans le chien, comme dans ies au- tres animaux, les gros boyaux s’élargissent tou- jours de plus en plus , et que le rectum est plus large que le colon. La sécheresse du tempéra- ment de cet animal suffit pour produire cet effet; et les étranglements qui se trouvent dans le colon sont trop loin pour qu'on puisse l'at- tribuer à la conformation des intestins. Pour donner une idée plus nette de l’ordre des chiens, de leur génération dans les diffe- rents climats, et du mélange de leurs races, je joins ici une table, ou, si l'on veut , une espèce d'arbre généalogique, où l’on pourra voir d'un coup d'œil toutes ces variétés. Cette table est orientéecomme les cartes géographiques, et l’on a suivi, autant qu'il était possible, la position respective des climats. Le chien de berger est la souche de l'arbre. Ce chien, transporté dans les climats rigoureux ‘Histoire de 1’ Académie des Sciences, année 1706, page 5, 654 du Nord, s'est enlaïdi et rapetissé chez les La- pons, et parait s'être maintenu, et même perfec- tionné en Islande, en Russie, en Sibérie, dont le climat est un peu moins rigoureux, et où les peuples sont un peu plus civilisés. Ces change- ments sont arrivés par la seule influence de ces climats, qui n'a pas produitunegrandealtération dans la forme; car tous ces chiens ont les oreil- les droites, le poil épais et long, l'air sauvage, et ils n'aboïent pas aussi fréquemment ni de la même manière que ceux qui, dans des climats plus favorables, sesont perfectionnés davantage. Le chien d’Islandeestle seul qui n'ait pasles oreil- les entièrement droites; elles sont un peu pliées par leur extrémité : aussi l'Islande est de tous ces pays du Nord l'un des plusanciennement ha- bités par des hommes à demi civilisés. Le même chien de berger, transporté dans des climats tempérés, et chez des peuples en- tièrement policés, comme en Angleterre, en France, en Allemagne, aura perdu son air sau- vage , ses oreilles droites, son poil rude, épais et long, et sera devenu dogue, chien courant et mâtin, par la seule influence de ces climats. Le mâtin et le dogue ont encoreles oreilles en par- tie droites; elles ne sont qu'à demi pendantes, et ilsressemblent assez par leursmœæurs et par leur naturelsanguinaire, au chien duquelils tirent leur origine. Le chien courant est celui des trois qui s’en éloigne le plus ; les oreilles longues, entiè- rement pendantes , la douceur , la docilité, et, si on peut le dire, la timidité de ce chien, sont autant de preuves de la grande dégénération, où , si l'on veut, de la grande perfection qu'a produite une longue domesticité , jointe à une éducation soignée et suivie. Le chien courant, le braque et le basset ne font qu'une seule et même race de chiens; car l'on a remarqué que dans la même portée il se trouvé assez souvent des chiens courants, des braques et des bassets , quoique la lice n’ait été couverte que par l'un de ces trois chiens. J'ai accolé le braque du Bengale au braque commun, parce qu'il n’en diffère en effet que par la robe, qui est mouchetée ; et j'ai joint de même le bas- set à jambes torses au basset ordinaire, parce que le défaut dans les jambes de ce chien ne vient originairement que d’une maladie sem- blable au rachitis, dont quelques individus ont été attaqués, et dont ils ont transmis le résul- tat , qui est la déformation des os, à leurs des- cendants. HISTOIRE NATURELLE Le chien courant transporté en Espagne et en Barbarie, où presque tous les animaux ont le poil fin, long et fourni, sera devenu épagneul et barbet : le grand et le petit épagneul, qui ne diffèrent que par la taille, transportés en Angle- terre, ont changé de couleur du blanc au noir, et sont devenus , par l'influence du climat, grand et petit gredin, auxquels on doit joindre le pyrame , qui n’est qu'un gredin noir comme les autres, mais marqué de feu aux quatre pat- tes, aux yeux et au museau. Le mâtin, transporté au nord, est devenu grand danois, et, transporté au midi, estdevenu lévrier. Les grands lévriers viennent du Levant; ceux de taille médiocre, d'Italie; et ces lévriers d'Italie, transportés en Angleterre, sont devenus levrons, c’est-à-dire lévriers encore plus petits. Le grand danois transporté en Irlande, en Ukraine, en Tartarie, en Épire, en Albanie, est devenu chien d'Irlande, et c’est le plus grand de tous les chiens. Le dogue transporté d'Angleterre en Dane- marck est devenu petit danois ; et ce même pe- tit danois , transporté dans les climats chauds, est devenu chien-turc. Toutes ces races, avec leurs variétés, n’ont été produites que par l’in- fluenée du climat, jointe à la douceur de l'abri, à l'effet de la nourriture, et au résultat d'une éducation soignée. Les autres chiens ne sont pas de races pures, et proviennent du mélange de ces premières races. J'ai marqué par des lignes ponctuées la double origine de ces races mé- tives. Le lévrier et le mâtin ont produit le lévrier métis, que l’on appelle aussi lévrier à poil de loup. Ce métis a le museau moins effilé que le franc lévrier, qui est tres-rare en France. Le grand danois et le grand épagneul ont produit ensemble le chien de Calabre, qui est un beau chien à longs poils touffus, et plus grand par la taille que les plus gros mâtins. L'épagneul et le basset produisent un autre chien que l’on appelle burgos. L'épagneul et le petit danois produisent le chien-lion , qui est maintenant fort rare. Les chiens à longs poils, fins et frisés, que l'on appelle bouffes, et qui sont de la taille des plus grands barbets, viennent du grand épa- gneul et du barbet. Le petit barbet vient du petit épagneul et du barbet. h Le dogue produit avec le mâtin un chien mé- DU CHIEN. tis que l’on appelle dogue de forte race, qui est | beaucoup plus gros que le vrai dogue, ou dogue d'Angleterre, et qui tient plus du dogue que du mâtin. Le doguin vient du dogue d'Angleterre et du petit danois. Tous ces chiens sont des métis simples, et viennent du mélange de deux races pures; mais il y a encore d'autres chiens qu'on pourrait ap- peler doubles métis, parce qu'ils viennent du mélange d’une race pure et d’une race déjà mêlée. Le roquet est un double métis qui vient du doguin et du petit danois. Le chien d’Alicante est aussi un double mé- tis, qui vient du doguin et du petit épagneul. Le chien de Malte, ou bichon , est encoreun double métis, qui vient du petit épagneul et du petit barbet. Enfin, il y a des chiens qu'on pourrait appe- ler triples métis, parce qu'ils viennent du mé- lange de deux races déjà mêlées toutes deux ; tel est le chien d'Artois, issois ou quatre-vingts, qui vient du doguin et du roquet; tels sont en- core les chiens que l'on appelle vulgairement chiens des rues, qui ressemblent à tous les chiens en général sans ressembler à aucun en particulier, parce qu'ils proviennent du mélange de races déjà plusieurs fois mêlées. PREMIÈRE ADDITION À L'ARTICLE DU CHIEN. M. de Mailly, de l'Académie de Dijon, connu par plusieurs bons ouvrages de littérature, m'a communiqué un fait qui mérite de trouver place dans l'histoire naturelle du chien. Voiei l'extrait de la lettre qu'il m'a écrite à ce sujet, le 6 oc- tobre 1772. « Le curé de Norges, près de Dijon, possède « une chienne qui, sans avoir porté jamais ni « mis bas, a cependant tous les symptômes qui « caractérisent ces deux manières d'être. Elle «entre en chaleur à peu près dans le même « temps que tous les autres animaux de son es- « pèce, avec cette différence qu'elle ne souffre « aucun mâle: elle n'en à jamais recu. Au bout « du temps ordinaire de sa portée, ses ma- « melles se remplissent comme si elle était en « gésine , sans que son lait soit provoqué par « aucune traite particulière, comme il arrive 65 « quelquefois à d'autres animaux auxquels on « en tire, ou quelque substance fort semblable, «en fatiguant leurs mamelles. Il n'y a rien ici « de pareil; tout se fait selon l’ordre de la na- « ture, et le lait parait être si bien dans son ca- « ractère, que cette chienne a déjà allaité des « petits qu'on lui a donnés, et pour lesquels « elle a autant de tendresse , de soins et d’at- « tention , que si elle était leur véritable mère. « Elle est actuellement dans ce cas, et je n'ai « l'honneur de vous assurer que ce que je vois. « Unechose plus singulière peut être, est que la « même chienne, il y a deux ou trois ans, al- « laita deux chats, dont l’un contracta si bien « les inelinations de sa nourrice, que son cri «s’en ressentit ; au bout de quelque temps, on « s'aperçeut qu'il ressemblait beaucoup plus à « l'aboiement du chien qu'au miaulement du « chat. » Si ce fait de la production du lait, sans ac- couplement et sans prégnation, était plus fré- quent dans les animaux quadrupèdes femelles , ce rapport les rapprocherait des oiseaux fe- melles, qui produisent des œufs sans le con- cours du mâle. . VARIÉTÉS DANS LES CHIENS. Il y avait, ces années dernières, à la foire Saint-Germain, un chien de Sibérie, qui nous a paru assez différent de ceux connus jusqu'ici, pour que nous en ayons retenu une courte des- cription. Il était couvert d’un poil beaucoup plus long, et qui tombait presque à terre. Au premier coup d'œil, il ressemblait à un gros bi- chon; mais ses oreilles étaient droites et en même temps beaucoup plus grandes. IL était tout blane, et avait vingt pouces et demi de lon- gueur depuis le bout du nez jusqu’à l'extrémité du corps; onze poucesneuflignes de hauteur, me- surée aux jambes de derrière, et onze pouces trois lignes à celles de devant : l'œil d'un brun châtain, le bout du nez noirâtre, ainsi que le tour des narines et le bord de l'ouverture de la gueule. Les oreilles, qu'il porte toujours droites, sont très-garnies de poil d'un blanc jaune en dedans , et fauve sur les bords et aux extrémi- tés. Les longs poils qui lui couvrent la tête lui cachent en partie les yeux, et tombent jusque sur le nez ; les doigts et les ongles des pieds sont aussi cachés par les longs poils des jambes , qui 656 sont de la même grandeur que ceux du corps; la queue, quise recourbe comme celle du chien- loup, est aussi couverte de très-grands poils pendants, longs en général de sept à huit pou- ces. C’est le chien le plus vêtu et le mieux fourré de tous les chiens. D'autres chiens amenés à Paris par des Rus- ses, en 1759, et auxquels ils donnaient le nom de chiens de Sibérie, étaient d'une race très- différente du précédent. Ils étaient de grosseur égale, le mâle et la femelle, à peu près de la grandeur des lévriers de moyenne taille, le nez pointu , les oreilles demi-droites , un peu pliées par le milieu. Ils n'étaient point effilés comme les lièvres, mais bien ronds sous le ventre. Leur queue avait environ huit à neuf pouces de long, assez grosse et obtuse à son extrémité. Ils étaient de couleur noire et sans poils blancs; la femelle en avait seulement une touffe grise au milieu de la tête, et le mâle une touffe de même cou- leur au bout de la queue. Ils étaient si cares- sants, qu'ils en étaient incommodes, et d’une gourmandise ou plutôt d’une voracité si grande, qu'on ne pouvait jamais les rassasier : ils étaient en même temps d'une malpropreté insuppor- table , et perpétuellement en quête pour assouvir leur faim. Leurs jambes n'étaient ni trop gros- ses ni trop menues; mais leurs pattes étaient larges, plates et même fort épatées ; enfin leurs doigts étaient unis par une petite membrane. Leur voix était très-forte. Ils n'avaient nulle inclination à mordre, et caressaient indistine- tement tout le monde: mais leur vivacité était au-dessus de toute expression ‘. D'après cette notice il parait que ces chiens prétendus de Si- bérie sont plutôt de la race de ceux que j’ai ap- pelés chiens d'Islande , qui présentent un grand nombre de caractères semblables à ceux qui sont indiqués dans la description ci-dessus. « Je me suis informé, m'écrit M. Collinson, « des chiens de Sibérie. Ceux qui tirent des trai- « neaux et des charrettes sont de médiocre « grandeur ; ils ont le nez pointu les oreilles « droites et longues: ils portent leur queue re- « courbée ; quelques-uns sont comme des loups, « et d’autres comme des renards; et il est cer- « tain que ces chiens de Sibérie s'accouplent « avec des loups et des renards. Je vois, con- « tinue M. Collinson, par vos expériences, que « quand ces animaux sont contraints, ils ne 4 Extrait d'une lettre de M. Pasumot, de l'Académie de Di- j0n, à M. de Buffon, en date du 2 mars 1775. HISTOIRE NATURELLE « veulent pas s'accoupler; mais en liberté ils y consentent : je l'ai vu moi-même en Angle- « terre pour le chien et la louve; mais je n'ai « trouvé personne qui m'ait dit avoir vu l’ac- « couplement des chiens et des renards : ce- « pendant, par l'espèce que j'ai vue venir d'une « chienne qui vivait en liberté dans les bois, « je ne peux pas douter de l'accouplement « d’un renard avec cette chienne. Il y a des « gens à la campagne qui connaissent cette « espèce de mulet, qu'ils appellent chien-re- «nard", » La plupart des chiens du Groënland sont blancs, mais il s'en trouve aussi de noirs et d'un poil très-épais. Ils hurlent et grognent plutôt qu'ils n'aboient : ils sont stupides, et ne sont propres à aucune sorte de chasse ; on s’en sert néanmoins pour tirer des traineaux , aux- | quels on les attelle au nombre de quatre ou six. | Les Groënlandais en mangent la chair, etse font des habits de leurs peaux. Les chiens du Kamtschatka sont grossiers, rudes et demi-sauvages comme leurs maitres. Ils sont communément blanes ou noirs, plus agiles et plus vifs que nos chiens. Ils mangent beaucoup de poisson : on les fait servir à tirer des traineaux. On leur donne toute liberté pen- dant l'été : on ne les rassemble qu'au mois d'oc- | tobre pour les atteler aux traineaux ; et pendant l'hiver on les nourrit avec une espèce de pâte faite de poisson qu'on laisse fermenter dans une fosse. On fait chauffer et presque cuire ce mé- lange avant de le leur donner. Il parait, par ces deux derniers passages ti- rés des voyageurs, que la race des chiens de Groënland et de Kamtschatka , et peut-être des autres climats septentrionaux , ressemble plus aux chiens d'Islande qu'à toutes autres races de chiens; car la description que nous avons donnée ci-dessus des deux chiens amenés de Russie à Paris , aussi bien que les notices qu'on vient de lire sur les chiens du Groënland et sur ceux du Kamtschatka, conviennent assez entre elles , et peuvent se rapporter également à notre chien d'Islande. Quoique nous ayons donné toutes les varié- tés constantes que nous avons pu rassembler dans l'espèce du chien, il en reste néanmoins quelques-unes que nous n'avons pu nous pro- eurer. Par exemple, il y a une race de chiens * Lettre de feu M. Collinson à M. de Buffon, datée de Lon- dres, 9 février 4764. DU CHIEN. 057 sauvages dont j'ai vu deux individus, et que je n'ai pas été à portée de décrire ni de faire des- siner. M. Aubry, curé de Saint-Louis , dont tous | les savants connaissent le beau cabinet, et qui joint à beaucoup de connaissances en histoire naturelle le goût de les rendre utiles par la com- munication franche et honnête de ce qu'il pos- sède en ce genre, nous à souvent fourni des animaux nouveaux qui nous étaient inconnus ; et, au sujet des chiens, il nous a dit avoir vu, il y a plusieurs années, un chien de la grandeur à peu près d'un épagneul de la moyenne espèce, qui avait de longs poils et une grande barbe au menton. Ce chien provenait de parents de même race, quiavaient autrefois été donnés à LouisX IV par M. le comte de Toulouse. M. le comte de Lassai eut aussi de ces mêmes chiens; mais on ignore ce que cette race singulière est devenue. A l'égard des chiens sauvages , dans lesquels il se trouve, comme dans les chiens domesti- ques, des races diverses, je n'ai pas eu d’au- tres informations que celles dont j'ai fait men- tion dans monouvrage : seulement M. le vicomte de Querhoent a eu la bonté de me communiquer une note au sujet des chiens sauvages qui se trouvent dans les terres voisines du cap de Bonnc-Espérance. Il dit « qu'il y a au cap des compagnies très-nombreuses de chiens sau- vages, qui sontdela taille denosgrands chiens, et qui ontle poil marqué de diverses couleurs. Ils ont les oreilles droites, courent d'une grande vitesse, et ne s'établissent nulle part fixement. Ils détruisent une quantité éton- nante de bêtes fauves. On en tue rarement, et ils se prennent difiicilement aux piéges; car ils n'approchent pas aisément des choses que l'homme a touchées. Comme on rencontre quelquefois de leurs petits dans les bois, on a tenté de les rendre domestiques; mais ils sont si méchants étant grands, qu’on y are- noncé. » D'ART RT EL AU RER ATAUs Alatea =à DEUXIÈME ADDITION À L'ARTICLE DU CHIEN. On a vu dans l'histoire et la description que j'ai données des différentes races de chiens, que celie du chien de berger parait être la souche ou tige commune de toutes les autres races, et j'ai rendu cette conjecture probable par quelques faits et par plusieurs comparaisons. Ce chien de berger, que je regarde comme le vrai chien de nature, se trouve dans presque tous les pays du monde. MM. Cook et Forster nous disent « qu'ils « remarquérent à la Nouvelle-Zélande un grand «nombre de chiens que les habitants du pays « paraissent aimer beaucoup, et qu'ils tenaient «attachés dans leurs pirogues par le milieu du « ventre. Ces chiens étaient de l'espèce à longs « poils , et ils ressemblaient beaucoup au chien « de berger de M. de Buffon. Ils étaient de di- « verses couleurs , les uns tachés, ceux-ci entié- « rement noirs, et d'autres parfaitement blancs. « Ces chiens se nourrissent de poisson ou des « mêmes aliments que leurs maitres, qui ensuite « les tuent pour manger leur chair et se vêtir « de leurs peaux. De plusieurs de ces animaux « qu'ils nous vendirent, les vieux ne voulurent « rien manger, mais les jeunes s’accoutumèrent « à nos provisions. » «A la Nouvelle-Zélande, disent les mêmes « voyageurs, et suivant les relations des pre- « miers voyages aux iles tropiques de la mer du « Sud, les chiens sont les animaux les plus stu- « pides et les plus tristes du monde: ils ne pa- « raissent pas avoir plus de sagacité que nos « moutons ; et comme à la Nouvelle-Zélande on « ne les nourrit que de poisson, et seulement « de végétaux dans les iles de la mer du Sud, « ces aliments peuvent avoir contribué à chan- « ger leur instinct. » M. Forster ajoute que « la race des chiens « des îles de la mer du Sud ressemble beaucoup « aux chiens de berger; mais leur tête est, dit- (il, prodigieusement grosse. Ils ont les yeux « d’une petitesse remarquable, desoreilles poin- « tues, le poil long, et une queue courte et touf- « fue. Ils se nourrissent surtout de fruits aux «iles de la Société ; mais sur les iles basses et à « la Nouvelle-Zélande, ils ne mangent que du « poisson. Leurstupiditéestextrème. Ilsaboient « rarement où presque jamais , mais ils hurlent « de temps en temps. Ils ont l’odorat très-fai- « ble, etils sont excessivement paresseux. Les «naturels les engraissent pour leur chair qu'ils «aiment passionnément, et qu'ils préfèrent à « celle du cochon :ils fabriquent d’ailleurs avec « leurs poils des ornements ; ils en font des fran- « ges, des cuirasses aux îles de la Société, et « ils en garnissentleurs vêtements à la Nouvelle- « Zélande. » On trouve également les chiens comme indi- genes dans l'Amérique méridionale, ou on les 6358 a nommés chiens des bois, parce qu'on ne les a pas encore réduits, comme nos chiens, en domesticité constante. D'UN CHIEN TURC ET GREDIN. J'ai vu une très-petite chienne , qui était âgée de treize ans, et avait eu pour mère une gredine toute noire, plus grosse qu'elle, qui n'avait qu'un pied de longueur depuis le bout du nez jusqu’à l’origine de la queue, sept pouces de hauteur aux jambes de devant, et sept pouces neuf lignes au train de derrière. La tête est très-grosse à l’occiput, et forme un enfoncement à la hauteur des yeux ; le museau est court et menu, le dessus du nez noir, ainsi que l’extré- mité et les naseaux ; les mâchoires d'un brun- noirâtre ; le globe des yeux fort gros; l'œil noir, et les paupières bien marquées; la tête et le corps d’un gris d'ardoise clair , mêlé de couleur de chair à quelques endroits; les oreilles droites et longues de deux pouces dix lignes sur quinze lignes de diamètre à la base : elles sont lisses et sans poil en dedans, et de couleur de chair, surtout à leur base ; elles finissent en une pointe arrondie, et sont couvertes à l'extérieur de poils blanchâtres assez clair-semés. Ces poils sont longs, surtout à la base de l'oreille , où ils ont seize lignes de longueur ; et comme tout le tour de l'oreille est garni de longs poils blancs , il sem- ble qu’elle soit bordée d'hermine. Le corps, au contraire , est antérieurement nu, sans aucun poil ni duvet. La peau forme des rides sur le cou, le dos et le ventre, où l’on voit six petites mamelles. Il y a de longs poils, en forme de soies blanches, autour du cou et de la poitrine, ainsi qu'autour de la tête. Ces poils sont clair- semés sur le cou jusqu'aux épaules; mais ils sont comme collés sur le front et les joues, ce qui rend le tour de la face blanchâtre. La queue, qui a trois pouces onze lignes de longueur, est plus grosse à son origine qu'à son extrémité , et sans poils comme le reste du corps. Les jambes sont de la couleur du corps, nues et sans poil ; les ongles sont fort longs, crochus et d’un noir grisâtre en dessus. On voit, par cette description, que cette pe- tite chienne, née d’une gredine noire et d'un père inconnu , ressemble au chien-ture par la nudité et la couleur de son corps. Elle est, à la vérité, un peu plus basse que le chien-turc : HISTOIRE NATURELLE elle a aussi la tête plus grosse, surtout à l'occi- put, ce qui lui donne, par cette partie, plus de rapport avec le petit danois. Mais , ce qui sem- ble former un caractère particulier dans cette petite chienne, ce sont ces grandes oreilles tou- jours droites, qui ont quelques rapports avec les oreilles du rat, ainsi que la queue, qui ne se relève pas, et qui est horizontalement droite ou pendante entre les jambes. Cependant cette queue n’est point écailleuse comme celle du rat; elle est seulement nue et comme noueuse en quelques endroits. Cette petite chienne ne te- nait donc rien de sa mère, excepté le peu de poil aux endroits que nous avons indiqués, et il y à apparence que le père était un chien-ture de petite taille. Elle avait l'habitude de tirer la langue et de la laisser pendante hors de sa gueule souvent de plus d'un pouce et demi de longueur , et l'on nous assura que cette habitude lui était naturelle , et qu'elle tirait ainsi la langue dès le temps de sa naissance. Au reste, sa mère n'avait produit de cette portée qu'un chien mort assez gros, et ensuite cette petite chienne, si singulière , qu'on ne peut la rapporter à aucune des races connues dans l'espèce du chien. DU GRAND CHIEN LOUP. M. le marquis d'Amezaga, par sa lettre datée de Paris, le 3 décembre 1782, m'a donné con- naissance de ce chien. M. le duc de Bourbon avait ramené ce chien de Cadix. Ila, à très-peu près, quoique très- jeune, la forme et la grandeur d’un gros loup, bien fait et de grande taille; mais ce chien n’est pas, comme le loup, d’une couleur uni- forme : il présente au contraire deux couleurs, le brun et le blanc, bien distinctes et assez irré- gulièrement réparties ; on voit du brun-noirâtre sur la tête, les oreilles , autour des yeux, sur le cou , la poitrine, le dessus et les côtés du corps, et sur le dessus de la queue : le blanc se trouve sur les mâchoires, sur les côtés des joues , sur une partie du museau , dans l'intérieur des oreilles , sous la queue, sur les jambes, les faces internes des cuisses , le dessous du ventre et la poitrine. Sa tête est étroite, son museau allongé; et cette conformation lui donne une physionomie fine. Le poil des moustaches est court; les yeux sont petits et l'iris en est verdätre. On remarque une assez grande tache blanche au-dessus des DU CHIEN. yeux, et une petite en pointe au milieu du front. Les oreilles sont droites et larges à la base. La queue a seize pouces de longueur jus- qu'à l'extrémité des poils, qui sont longs de six pouces neuf lignes : il la porte haute ; elle représente une sorte de panache, et elle est recourbée en avant comme celle du chien- loup. Les poils qui sont sur le corps sont longs d'un pouce; ils sont blanes à la racine , et bruns dans leur longueur jusqu'à leur extrémité. Les poils de dessous le ventre sont blancs, et ont trois pouces deux lignes ; ceux des cuisses ont cinq pouces . ils sont bruns dans leur longueur, et blancs à leur extrémité ; et en général , au- dessous du long poil il y en a de plus court, qui est laineux et de couleur fauve. La tête est pointue comme celle des loups-lévriers : « Car « les chasseurs distinguent, dit M. d'Amezaga, «les loups-mâtins et les loups-lévriers , dont « l'espèce est beaucoup plus rare que l’autre. « Ainsi, la tête de ce chien ressemble à celle « d'un lévrier ; le museau est pointu. Il n'est « âgé que d'environ huit mois: il paraît assez « doux , et est fort caressant. Les oreilles sont « très-courtes , etressemblent à celles des chiens « de berger , le poil en est épais , mais fort court; : « en dedans, il est de couleur fauve, et châtain « en dehors. Les pattes , depuis l'épaule et de- « puis la cuisse , sont aussi de couleur fauve; « elles sont larges et fortes, et le pied est exac- « tement celui du loup. Il marque beaucoup de « désir de courir après les poules. D'après cela, « j'ai pensé qu'il tirait son origine de la race « primitive; j'opine pour qu'on le marie avec « une belle chienne de berger. Il parait avoir « l'odorat très-fin, et ne semble pas être sensi- « ble à l'amitié. » Voilà tout ce que nous avons pu savoir des habitudes de ce chien, dont nous ignorons le pays natal. Longueur du bout du museau à l'anus, en li- NE GROVE TS De OEM RE 5 5 0 Mème longueur, mesurée en suivant la cour- bure du corps. . . . . . Hauteur du train de devant. . . . .. Stoner 110019 Longueur de la tête, depuis le bout du museau pasqualoeciput: 7. CPMMEN D ETIIES 0N 0 +9 Circonférence du bout du museau. . . . ... OS 2 Circonférence du museau, prise au-dessous des'yeux. . . . . socsinie CR Pl ne DR OS Contour de l'ouverture de la bouche . .... 0 & © Distance entre les deux naseaux. . . ..... 0 © 4 Distance entre le bout du museau et l'angle antérieur de l'œil ......... tete «1 0 Distance entre l'angle postérieur el l'oreille. . 0 Ouverture de l'œil. . . . . . + + « + + » 1e 210 10) Q 8 Circonférence de la tèle, prise entre les yeux etles oreilles... s - se ee. Lt) Longueur des oreilles. . . . . . . .. .... 0 5 6 Largeur de leur base, mesurée sur la cour- bure extérieure. . . . .-..... 4 0 29 Distance entre les deux oreilles, prise dans le Dante nus uvre ss.ie Soie “ln run Ce 01476 Longueur du cou. . . . . . . . . IS ele ete 0 7 0 Circonférence du eou. . . . . . - + + . « . . { 2-6 Circonférence du corps, prise derrière les jambes de devant. . .. ........ ; shade Circonférence prise à l'endroit le plus gros. . 2 0 8 Circonférence prise devant les jambes de der- HIBDB = she ete elale ne lo ete aie sie Ne Pa e 1190 10 Hauteur du bas du ventre au-dessus de la terre sous les flancs. . . . . . . CCALCLCENE | "NT Longueur du tronçon de la queue.. . . . . . 1 8 0 Circonférence de la queue à l'origine du tron- CON S- -es olo- ces dE 0 5 1 Longueur de l’avant-bras, depuis le coude jusqu'au poignet. . . . . .......... 011 0 Circonférence du poignet. . ......... 0 0 Circonférence du métacarpe. . . . . . . . . 5 04,28 Longueur depuis le poignet jusqu'au bout des ongles... eee +... - ee AN AE Je 1: Longueur de la jambe depuis le genou jus- qu'autalon 26. 2e. AS SE 21 Largeur du haut de la jambe. . ....... 0 Largeur à l’endreit du talon. ....,..... 0 Circonférence du métatarse. . . .. . . . .. 0 Longueur depuis le talon jusqu'au bout des onples- 1512 0 HOIOLC 0 outil Largeur du pied de devant .. ........ 0 0 0 Do So Largeur du pied de derrière. . . . . . . . . . Longueur du plus graud ongle. . . . . . Sd LE LÉVRIER DE RUSSIE. En 1783, mon fils amena de Pétersbourg à Paris un chien etune chienne d'une race diffé- rente de toutes celles dont j'ai donné la des- cription. Le chien , quoique encore fort jeune, était déjà plus grand que le plus grand danois; son corps était plus allongé et plus étroit à la partie des reins , la tête un peu plus petite, la physionomie fine et le museau fort allongé; les oreilles étaient pendantes, comme dans le da- nois et le lévrier , les jambes fines et les pieds petits. Ce chien avait la queue pendante et tou- chant à terre dans ses moments de repos; mais, dans les mouvements de liberté, il la portait élevée, et les grands poils dont elle était garnie formaient un panache replié en avant. Il diffère des grands iéyriers non-seulement par la grande longueur de corps , mais encore par les grands 640 poils qui sont autour des oreilles, sur le cou, sous le ventre, sur le derrière des jambes de devant, sur les cuisses et sur la queue, où ils sont le plus longs. Il est presque entièrement couvert de poil blanc, à l'exception de quelques taches grisà- tres, qui sont sur le dos et entre les yeux et les oreilles. Le tour des yeux et le bout du nez sont noirs ; l'iris de l'œil est d'un jaune rougeâtre as- sez clair. Les oreilles , qui finissent en pointe, sont jaunes et bordées de noir; le poil est brun autour du conduit auditif et sur une partie du dessus de l'oreille. La queue, longue d'un pied neuf pouces, est très-carnie de poils blancs, longs de cinq pouces ; ils n’ont sur le corps que treize lignes , sous le ventre deux pouces deux lignes, et sur les cuisses trois pouces. La femelle était un peu plus petite que le mâle , dont nous venons de donner la descrip- tion ; sa tête était plus étroite, et le museau plus effilé. En général, cette chienne était de forme plus légère que le chien, et en proportion plus garnie de longs poils. Ceux du mâle étaient blancs presque sur tout le corps, au lieu que la femelle avait de très-grandes taches d'un brun- marron sur les épaules, sur le dos, sur le train de derrière et sur la queue, qu'elle relevait moins souvent ; mais, par tous les autres ca- ractères, elle ressemblait au mâle. Taee des dimensions du chien et de la chienne de Russie. MALE. FEMELLE. EE — Pep. Lep. p. L Longueur du corps, mesurée en ligne droite depuis le bout du museau squat anus Eee -e-e 5 1 5 5 4 5 Longueur mesurée suivant la cour- bureïduiconps,- NIET UMAMG MS I0S Hauteur du train de devant. ...2 1 6 2 1 4 Hauteur du train de derrière. . . . 2 3 6 2 2 2 Longueur de la tête depuis le bout du museau jusqu'à l'occiput. . . 010 0 0 9 6 Circonférence du bout du museau. 0 6 0 0 5 6 Circonférence du museau, prise au- dessous des yeux . . . ......0 9 53 1 Contour de l'ouverture de la bouche. 0 7 6 0 7 5 Distance entre les deux naseaux. . . 0 0 4 0 O0 4 Distance entre le bout du museau et l'angle antérieur de l'œil. . . . . 0479200407 Distance entre l'angle postérieur et Voretle ne Eee - er 0 Longueur de l'œil d'un angle à l'au- tre . eee. 01 47 000 Ouverture de l'œil. ........0 Distance entre les angles antérieurs LL _ =] 19 1 =] 1 =] Lo] HISTOIRE NATURELLE MALE. FEMELLE. P. "D: pp L des yeux . . sen OLA 11MOPTLS Circonférence de la tête, prise entre les yeux et les oreilles . .. . . : 4 4 O0 1 1 Longueur des oreilles. , . .....0 4 5 0 5 Largeur de leur base, mesurée sur la courbure extérieure . .....0 2 4 0 Distance entre les deux oreilles, prise dans le Das). 4... 1-10 Longueur da/cou. 27 0 A NONU Circonférence du cou. . ......1 1 Circonférence du corps, prise der- rière les jambes de devant. . . ..2 3 0 2 2 2 Circonférence prise à l'endroit le plus gros. Circonférence prise devant les jam- besïde derrière: =. .0.1. 120. AGE AR G Hauteur du bas du ventre au-dessus clito alstu _ où +2 5 "EN2NE 02 tuorete afple rs = ei de la terre sous les flancs. . . . . 1 AMIS La même hauteur sous la poitrine, 4 3 0 1 2 0 Longueur du tronçon de la queue. . 1 6 2 p7 Circonférence de la queue à l'origine du tronçon. TI OT NOT IL) «55 |] Longueur de l'avant-bras depuis le coude jusqu'au poignet . .....0 9 9 0 9 4 Largeur de l'avant-bras près du cotide "1 à SC RL ITRONOENANNNRARI Évaisseur de l'ayant-bras au même eDdrOIÉ, rs Le fouet et eue este 0 RSR ONE Circonférence du poignet. . . ... 0 4 6 0 4% 5 Circonférence du métacarpe. . . . 0 3 7 0 5 6 Longueur depuis le poignet jus- qu'au bout des ongles . . . . . . 5 6 0 6 5 Longueur de la jambe depuis le ge- nou jusqu'au talon. . . . . . « s 010 700 MRS Largeur du haut de la jambe. . .. 0 4 8 0 4 9 Epaisseur." A SOINS URI Largeur à l'endroit du talon. . ..0 2 5 0 2 5 Circonférence du métatarse . . . . 0 5 53 0 3 1 Longueur depuis le talon jusqu'au bout des ongles. . . . .. . . . . 0 8 7 0 4 4 Largeur du pied de devant. . . ..0 1 10 O0 2 0 Largeur du pied de derrière. ...0 1 8 © 111 Longueur des plus grands ongles . 0 0 7 0 0 9 Largeur à leur base. . . . . .0 0 5 0 0 5 CHIENS-MULETS, PROVENANT D'UNE LOUVE ET D'UN CHIEN BRAQUE. M. Surirey de Boissy, que j'ai déjà cité, m'a fait l'honneur de m'écrire, au mois de mars 1776, une lettre par laquelle il m'informe que, de quatre jeunes animaux produits le 6 juin 1773 par le chien braque et la louve, deux femelles avaient été données à des amis, et n’a- vaient pas vécu ; que la dernière femelle et le seul mâle produit de cette portée ont été con- duits alors à une des terres de M. le marquis DU CHIEN. de Spontin , où ils ont passé l'automne , et qu'a- près le cruel accident arrivé au cocher de sa maison, par la morsure de la mère louve, on l'avait tuée sur-le-champ. M. de Boissy ajoute que , de ces deux métis, la femelle , dès sa jeu- nesse, était moins sauvage que le mâle, qui semblait tenir plus qu'elle des caractères du loup ; qu'ensuite on les a transférés en hiver, au château de Florennes, qui appartient aussi à M. le marquis de Spontin ; qu'ils y ont été bien soignés et sont devenus très-familiers; qu'en- fin, le 30 décembre 1775, ces deux animaux se sont accouplés, et que, la nuit du 2 au 3 mars , la femelle a mis bas quatre jeunes, etc. Ensuite M. le marquis de Spontin a eu la bonté de m'écrire de Namur, le 21 avril 1776, que, dans le désir de me satisfaire pleinement sur les nouveaux procréés de ces animaux mé- tis, il s'est transporté à sa campagne pour ob- server attentivement les différences qu'ils pou- vaient avoir avec leurs père et mère. Ces jeunes sont au nombre de quatre, deux mâles et deux femelles. Ces dernières ont les pattes de devant blanches, ainsi que le devant de la gorge, et la queue très-courte, comme leur père : cela vient de ce que le mâtin qui a couvert la louve n'avait pas plus de queue qu'un chien d'arrêt. L'un des mâles est d'un brun presque noir ; il ressemble beaucoup plus à un chien qu’à un loup, quoiqu'il soit le plus sauvage de tous. L'autre mâle n’a rien qui le distingue, et parait ressembler également au père et à la mère. Les deux mâles ont la queue comme le père. M. le marquis de Spontin ajoute obligeamment : « Si « vous vouliez, monsieur, accepter l'offre que & j'ai l'honneur de vous faire, de vous envoyer « et faire conduire chez vous, à mes frais, le « pére, la mère et les deux jeunes, vous m'o- « bligeriez sensiblement ; pour moi, je garderai « les deux autres jeunes, pour voir si l'espèce « ne dégénèrera pas, et s'ils ne redeviendront « pas de vrais loups ou de vrais chiens. » Par une seconde lettre , datée de Namur, le 2 juin 1776, M. le marquis de Spontin me fait l'honneur de me remercier de ce que j'ai cité son heureuse expérience dans mon volume de supplément à l'histoire naturelle des animaux quadrupèdes , et il me mande qu'il se propose de faire la tentative de l'accouplement deschiens et des renards; mais que, pour celle du loup et de la chienne, il en redouterait l'entreprise, imaginant que le caractère cruel et féroce du [AL 641 loup le rendrait encore plus dangereux que ne l'avait été la louve. « Le porteur de cette let- «tre, ajoute M. de Spontin, est chargé de la « conduite des deux chiens de la première gé- «nération, et de deux de leurs jeunes, entre ‘« lesquels j'ai choisi les plus forts et les plus «ressemblants tant au père qu'à la mère, que « je vous envoie avec eux. Il m'en reste done « deux aussi, dont l’un a la queue toute courte, « comme le chien l'avait, et sera d'un noir « foncé. Il parait être aussi plus docile et plus « familier que les autres : cependant il conserve «encore l'odeur de loup, puisqu'il n'y à aucun « chien qui ne se sauve-dès qu'il le sent ; ce que «vous pourriez éprouver aussi avec ceux que «je vous envoie. Le père et la mère n'ont ja- «mais mordu personne , et sont même très- « caressants; vous pourrez les faire venir dans «votre chambre , comme je faisais venir la « louve dans la mienne, sans courir le moindre « risque. Le voyage pourra les familiariser en- «core davantage. J'ai préféré de vous les en- «voyer ainsi, ne croyant pas qu'ils puissent « s'habituer dans un panier , n'ayant jamais été «enfermés ni attachés, ete. » Ces quatre animaux me sont en effet arrivés au commencement de juin 1776 , et je fus obligé d’abord de les faire garder pendant six semaines dans un lieu fermé; mais, m'apercevant qu’ils devenaient plus farouches, je les mis en liberté vers Ja fin de juillet, et je les fis tenir dans mes jardins pendant le jour, et dans une petite écu- rie pendant la nuit. Ils se sont toujours bien portés, au moyen de la liberté qu'on leur don- nait pendant le jour; et, après avoir observé pendant tout ce temps leurs habitudes natu- elles, j'ai donné à la ménagerie du roi les deux vieux, c’est-à-dire le mâle et la femelle, qui proviennent immédiatement du chien et de la louve, et j'ai gardé les deux jeunes, l’un mâle et l'autre femelle , provenant de ceux que j'ai envoyés à la ménagerie. Voici l'histoire et la description particulière de chacun de ces quatre animaux. DU MALE, PREMIÈRE GÉNÉRATION. Il avait plus de rapport avec le loup qu'avec le chien par le naturel ; car il conservait un peu de férocite : il avait l'œil étincelant, le regard farouche etle caractère sauvage. Il aboyait au 4! 642 premier abord contre tous ceux qui le regar- daïent ou qui s'en approchaient; ce n'était pas un aboiement bien distinct, mais plutôt un hur- lement, qu'il faisait entendre fort souvent dans les moments de besoin et d'ennui : il avait même peu de douceur et de docilité avec les personnes qu'il connaissait le mieux; et peut- être que s’il eût véeu en pleine liberté, il fût devenu un vrai loup par les mœurs. Il n'était familier qu'avec ceux qui lui fournissaient de la nourriture. Lorsque la faim le pressait, et que l’homme qui en avait soin lui donnait de quoi la satisfaire, il semblait lui témoigner de la reconnaissance en se dressant contre lui et lui léchant le visage et les mains. Ce qui prouve que c’est le besoin qui le rendait souple et ca- ressant, c’est que, dans d’autres occasions, il cherchait souvent à mordre la main qui le flat- tait. Il n'était donc sensible aux caresses que par un grossier intérêt , et il était fort jaloux de celles que l'on faisait à sa femelle et à ses petits, pour lesquels il n'avait nul attachement : il les traitait même plus souvent en ennemi qu'en ami, et ne les ménageait guère plus que des animaux qui lui auraient été étrangers , surtout lorsqu'il s'agissait de partager la nourriture. On fut obligé de la lui donner séparément, et de l'attacher pendant le repas des autres; car il était si vorace, qu'il ne se contentait pas de sa portion, maïs se jetait sur les autres pour les priver de la leur. Lorsqu'il voyait approcher un inconnu, il s'irritait et se mettait en furie, surtouts’il était mal vêtu; il aboyait, il hurlait, grattait la terre, et s'élançait enfin sans qu'on püt l'apaiser , et sa colère durait jusqu'à ce que l’objet qui l'excitait se retirât et disparüt. Tel a été son naturel pendant les six pre- miéres semaines qu'il fut, pour ainsi dire, en prison ; mais , après qu’on l'eut mis en liberté, il parut moins farouche et moins méchant. II jouait avec sa femelle, et semblait craindre, le premier jour, de ne pouyoir assez profiter de sa liberté; car il ne cessait de courir, de sauter et d’exciter sa femelle à en faire autant. Il de- vint aussi plus doux à l'égard des étrangers; il ne s’élançait pas contre eux avec autant de fu- reur, et se çontentait de gronder; son poil'se hérissait à leur aspect, comme il arrive à pres- que tous les chiens domestiques lorsqu'ils voient des gens qu'ils ne connaissent pas approcher de leur maître, ou même de son habitation. Il trouvait tant de plaisir à être libre, qu'on avait HISTOIRE NATURELLE : de la peine à le reprendre le soir pour l'emme- ner coucher. Lorsqu'il voyait venir son gouver- neur avec sa chaine, il se défait, s'enfuyait, et on ne parvenait à le joindre qu'après l'avoir trompé par quelque ruse; et aussitôt qu'il était rentré dans son écurie, il faisait retentir ses ennuis par un hurlement presque continuel, qui ne finissait qu'au bout de quelques heures. Ce mâle et sa femelle étaient âgés de trois ans et deux mois en août 1776 , temps auquel je les ai décrits : ainsi, ils étaient parfaitement adultes. Le mâle était à peu près de la taille d'un fort mâtin, et il avait même le corps plus épais en tout sens ; cependant il n'était pas, à beaucoup près, aussi grand qu'un vieux loup : il n'avait que trois pieds de longueur depuis le bout du museau jusqu’à l'origine de la queue , etenviron vingt-deux pouces de hauteur depuis l'épaule jusqu'à l'extrémité des pieds, tandis que le loup a trois pieds sept pouces de longueur, et deux pieds cinq pouces de hauteur. Il tenait beaucoup plus du chien que du loup, par la forme de la tête, qui était plutôt ronde qu’al- longée. Il avait, comme le mâtin , le front proé- minent, le museau assez gros , etle bout du nez peu relevé. Ainsi, l’on peut dire qu'il avait exactement la tête de son père chien , mais la queue de sa mère louve; car cette queue n’était pas courte comme celle de son père, maisrpres- que aussi longue que celle du loup. Ses oreilles étaient recourbées vers l'extrémité , et tenaient un peu de celles du loup , se tenant toujours droites , à l’exception de l’extrémité, qui retom- baït sur elle-même en tout temps, même dans les moments où il fixait les objets qui lui déplai- saient; et, ce qu'il y a de singulier , c'est que les oreilles , au lieu d'être recourbées eonstam- ment de chaque côté de la tête , étaient souvent courbées du côté des yeux, et il paraît que cette différence de mouvement dépendait de la vo- lonté de l'animal. Elles étaient larges à la base, et finissaient en pointe à l'extrémité. rizontalement, et les angles intérieurs des yeux assez près l’un de l’autre à proportion de la lar- geur de la tête. Le bord des paupières était noir, ainsi que les moustaches, le bout du nez et le bord des lèvres. Les yeux étaient placés comme ceux du chien, et les orbites n'étaient pas inclinées comme dans le loup. L'iris était \ d'un jaune fauve tirant sur le grisâtre : au-des- sus des angles intérieurs des yeux, il y avait Les paupières étaient ouvertes presque ho … DU deux taches blanchâtres posées vis-à-vis l’une de l'autre; ce qui paraissait augmenter l'air fé- roce de cet animal. Il était moins haut sur ses jambes que son père chien , et paraissait tenir beaucoup du loup par les proportions du corps et par les couleurs du poil : cependant le train de derrière semblait être un peu plus élevé que dans le loup, quoiqu'il fût plus bas que dans le chien; ce qui provemait de ce que les jambes de derrière, dans le loup, sont beaucoup plus coudées que dans le chien, et c’est ce qui donne au loup l'air de marcher sur ses talons. Cet ani- mal avait aussi plus de ventre que les chiens ordinaires, et tenait encore ce caractère de sa mère louve. Au reste, les jambes étaient fortes et nerveuses, ainsi que les pieds, dont les on- gles étaient noirs en plus grande partie et plus allongés que dans le chien : l'animal les écartait en marchant, en sorte que la trace qu'il impri- mait sur la terre était plus grande que celle des pieds du chien. Dans les pieds de devant, l’on- gle externe et l’ongle qui suit l’interne étaient blancs ou de couleur de chair; dans le pied gauche de derrière, les deux ongles qui suivent l'interne étaient de cette même couleur de Chair ; et dans le pied droit de derrière, il n’y avait que l’ongle externe qui fût de cette même couleur. La queue était longue, fort semblable a celle du loup, et presque toujours trainante ; ce n'est que dans les moments de la plus grande joie que l'animal la relevait : mais, dans la co- lère, il la tenait serrée entre ses jambes , après lavoir tenue d’abord horizontalement tendue et l'avoir fait mouvoir sur toute sa longueur; ce qui est une habitude commune aux chiens et aux loups. Le poil de cet animal ressemblait en tout à ce- lui du loup; le tour des yeux était mêlé de fauve et de gris, et cette couleur venait se réunir avec le brun roux qui couvrait le dessus du nez :-ce brun roux étaitmèêlé d'unelégèrenuancede fauve pâle. Le bas des joues , les côtés du nez, toute la mâchoire inférieure , le dedans des oreilles et le dessus du cou, étaient d’un blanc plus où moins sale; la face extérieure des oreilles était d'un brun mèélé de fauve; le dessus de la tête et du cou, d'un jaune mélé de gris cendré; les épaules , la face antérieure de la jambe , le dos, les hanches et la face extérieure des cuisses . étaient de couleur noire mêlée de fauve pâle et de gris. Le moir dominait sur le dos et le crou- pion, ainsi que sur le dessus des épaules, où CHIEN 645 néanmoins il était co rayé par le mélange du gris. Sur les autres parties des épaules, sur les flancs et les cuisses, le poilrétait d’une lé- gère teinte de jaune pâle jaspé de noir par en- droits; le dessous du ventre était d’un jaune pâle etclair, un peu mêlé de gris : maisil étaitblane sur la poitrine et autour de l'anus. Les jambes étaient d’un fauve foncé en dehors, et en de- dans d’un blancgrisâtre; les pieds étaient blancs, avec une légère teinte de fauve. Sur l'extrémité du corps, on remarquaît de grands poils fauves mêlés de poils blancs, qui venaient se réunir avec ceux qui environnaient l'anus. La queue était bien garnie de poils , elle était même touf- fue ; la disposition de ces poils là faisait paraitre étroite à sa naissance, fort grosse dans sa'lon- gueur, courbe dans sa forme, et finissant par une petite huppe de poils noirs : ces poils étaient blancs par-dessous et noirs en-dessus ; mais ce noir était mêlé de gris et de fauve pâle. DE LA FEMELLE, PREMIÈRE GÉNÉRATION. Le naïurel de cette femelle nous à paru tout différent de celui du mâle : non-seulement elle n'était pas féroce, mais elle était douce et ca- ressante; elle semblait même agacer les person- nes qu’elle aimait, et elle exprimait sa joie par. un petit cri de satisfaction. Il était rare qu’elle fût de mauvaise humeur ; elle aboyaït quelque- fois à l'aspect d’un objet inconnu, maïs sans donner d’autres signes de colère : son aboie- ment était encore moins décidé que celui du mâle ; le son ressemblait à celui de ta voix.d'un éhien fort enroué. Souvent elle importunait à, force d'être caressante : elle était si douce, | qu’elle ne se défendait même pas des mauvais traitements de son mâle; elle se roulait et se couchait à ses pieds, comme pour demander grâce. Sa physionomie, quoique fort ressem- | blante à celle de la louve, ne démentait pas ce |bonnaturel ; élleavaitle regard doux , la démar- | che libre, lataillebien prise, quoique beaucoup | au-dessous de celle du mâle , n'ayant que deux | pieds neuf pouces depuis le bout du museau jus- | qu’à l'origine de laïqueue : sa hauteur était dans | la même proportion, n'étant que de vingt et un | pouces trois lignes depuis l'épaule jure trémité du pied. Elle avait beaucoup de rapport avec sa mère 614 HISTOIRE NATURELLE louve, par la forme de la tête et la couleur du poil de cette partie; elle avait, commelalouve, le museau épais auprès des yeux, de manière que les angles en étaient beaucoup plus éloignés l'un de l’autre que dans le chien, et même que dans le mâle que nous venons de décrire; elle avait aussi, comme la louve, le front plat, le bout du nez un peu relevé, les orbites des yeux un peu inelinées, les oreilles courtes et toujours droites ; mais elle tenait du chien par sa queue, qui était courte et émoussée, au lieu que le mâle tenaitsa queue de la louve. Elle avait les oreil- les droites, larges à la base, et finissant en pointesanssereplier comme celles du mâle: ainsi elle ressemblaitencore parfaitement à sa mère par. ce caractère. Elle était d’une grande légè- reté , étant plus hautesur ses jambes à propor- tion que le mâle. Elle avait aussi les cuisses et les jambes plus fines ; elle sautait à une hauteur très-considérable, et aurait aisément franchi un mur de six ou sept pieds : elle avait six mame- lons sous le ventre. Au reste, elle avait, comme le mâle. le bord des paupières, les lèvres et le bout du nez noirs ; l'iris était jaunâtre; le tour des yeux fauve foncé, plus cläir au-dessus des paupières supérieures; les joues et les mâchoires blanches : entre les deux yeux étaient des poils bruns , qui formaient une pointe sur le sommet de la tête. Le poil du corps était noir, jaspé de gris par le mélange des poils blanes : le noir était plus marqué depuis les épaules jusqu’au croupion ; en sorte que, dans cet endroit, cette femelle était plus noire que le mâle. Les côtés du corps et le cou jusqu'aux oreilles étaient de couleur grisâtre; les poils étaient blanes à la racine et noirs à jeur pointe ; le derrière des épaules etles faces du cou étaient fauves. Le dedans des oreilles, le tour de la lèvre supé- rieure, toute la mâchoire inférieure, la poi- trine, le ventre, le dessous de la queue et le tour del’anus étaient plus ou moins blancs; mais ce blanc était moins net et moins apparent que dansle mâle, et il était, dans quelques endroits, mélé-de jaune pâle ou de gris cendré. Le som- met et les côtés de latête, le dessus du museau, le dehors des oreilles, la face extérieure des jambes, et le bas des côtés du corps, étaient roussâtres ou jaunâtres ; le-dedans des jambes était, comme le ventre, presque blanchätre : elle n'avait pas, comme le mâle, des taches blanches sur les yeux ni sur le cou. Le tour des lèvres, les sourcils, les paupières, les mous- taches, le bout du nez et tous les ongles étaient noirs. La queue ressemblait à celle du père chien; elle était toute différente de celle du mâle, qui, comme nous l'avons dit, ressemblait à la queue de la mère louve. Celle de cette fe- melle était courte, plate et blanche en-dessous, couverte en-dessus de poils noirs légèrement nuancés d'un peu de fauve , et terminée par des poils noirs. En comparant la couleur du poil des pieds à : celle des ongles dans ces deux individus mâle et femelle, il paraît que la couleur des ongles dépendait beaucoup de la couleur du poil qui les surmontait; je crois même que ce rapport est général et se reconnaitaisément dans la plu- part des animaux. Les bœufs, les chevaux , les chiens, ete., qui ont du blane immédiatement au-dessus de leurs cornes, sabots, ergots, ete., ont aussi du blanc sur ces dernières parties ; quelquefois même ce blanc se manifeste par bandes, lorsque les jambes et les pieds sont de différentes couleurs. La peau a de même beau- coup de rapport à la couleur du poil, presque toujours blanche où le poil est blanc, pourvu. qu'il le soit dans toute son étendue; car si le poil n’est blanc qu'à la pointe, et qu'il soit rouge ou noir à la racine, la peau estalors plutôt noire ou rousse que blanche. DU MALE, SECONDE GÉNÉRATION. Le mâle et la femelle de la première géné- ration , nés le 6 juin 1773, se sont accouplés le 30 décembre 1775, etla femelle a mis bas qua- tre petits le 3 mars 1776 : elle était donc âgée de deux ans et environ sept mois lorsqu'elle est entrée en chaleur , et la durée de la gestation aétédesoixante-trois jours, c'est-à-dire égaleau temps de la gestation des chiennes. Dans cette portée de quatre petits, il n'y avait qu'un mâle et trois femelles, dont deux sont mortes peu de temps après leur naissance, et il n'a survécu que le mâleet la femelle , dont nous allons @on- ner la description prise en deux temps différents de leur âge, Au 3 de septembre 1776, c'est-à-dire à l’âge de six mois , cejeune mâle avait les dimensions suivantes. p. p. |. Longueur du corps entier mesuré en ligne droite, depuis le bout du nez jusqu'à l'ori- gine de la queue. PO nu (ll DU CHIEN. tr p: 1. Hauteur du train de devant, . . ....... 1 6 0 Hauteur du train de derrière. . . . . . . .. À LA Longueur du museau jusqu'à l'occiput . . .. 0 7 0 Distance du bout du museau jusqu'à l'œil . . Q 210 Distance de l'œil à l'oreille. - . . ....... 0 1 9 Longueur de l'oreille. . .. .......... 0 4 0 Largeur de l'oreille à sa base . . . . . . . .. 0 2 4 Longueur de la queue. . . .« . . . . . . . 0.970 Depuis le ventre jusqu'à terre. . . . . . . . . 0 9 6 Il n’a pas été possible de prendre ces mêmes dimensions sur le père mâle, à cause de sa fé- rocité. Ce même naturel parait s'être communi- qué, du moins en partie, au jeune mâle, qui, dès l’âge de six mois, était farouche et sauvage; son regard et son maintien indiquaient ce ca- ractère. S'il voyait un étranger, il fuyait et allait se cacher; les caresses ne le rassuraient pas, et il continuait à regarder de travers l'ob- jet qui l'offusquait; ilfroncait les sourcils, tenait sa tête baissée et sa queue serrée entre ses jam- bes; il frémissait et tremblait de colère ou de crainte, et paraissaitse défier alors de ceux qu'il connaissait le mieux; et, s’il ne mordait pas, c'était plutôt faute de hardiesse que de méchan- ceté. L'homme qui en avait soin avait beau- coup de peine à le reprendre le soir dans les jardins où il était avec ses père et mère pendant le jour. Il avait , comme son père et sa grand”- mère louve, la queue longue et trainante, et | tenait de son père et de son grand-père chien par la tête qui était assez ramassée, par les or- bites des yeux qui étaient à peu près horizon- tales, et par l'intervalle entre les yeux qui était assez petit. Par tous ces caractères il ressemblait exactement à son père, mais il avait les oreilles plus grandes à proportion dela tête; elles étaient pendantes sur presque toute leur longueur, au lieu que celles du père n'étaient courbées qu'à leur extrémité, sur environ un tiers de leur longueur. Il différait encore de son père par la couleur du poil, qui était noir sur le dos, sur les côtés du corps, le dessous du cou et de la queue , et par une bande de même couleur noire qui passait sur le front , et qui aboutissait entre les oreilles et les yeux. Le poil était mélangé de fauve, de gris et de noir sur le haut des cuisses , le derrière des épaules, le dessus et les côtés du cou, et un peu de roussâtre tirant sur le brun dans la bande qui passait sur le front. Le poil du ventre était fort court, aussi rude au toucher et aussi grisätre que celui d’un vrai loup. 645 Le sommet de la tête, le tour des yeux, les côtés et le dessus du nez, le dehors des oreilles et le dessus des jambes, étaient couverts d'un poil de couleur roussâtre ou jaunâtre, mêlé de brun seulement sur le bord extérieur des oreilles jusqu'à leurs extrémités et sur le sommet de la tête. Cette couleur jaunâtre était plus pâle sur la face intérieure des jambes de devant. La par- tie supérieure de la face intérieure des cuisses, ainsi que celle des jambes, le devant de la poi- trine, le dessous de la queue, le tour de l'anus, le dedans des oreilles, le bas des joues et toute la mâchoire inférieure étaient d'un blanc sale mêlé d'un jaune pâle en quelques endroits; les oreilles étaient bordées à l’intérieur de cette même couleur jaunâtre, et l'on en voyait des traces au-devant de la poitrine et sous la queue. Les jambes de devant étaient comme celles des chiens ; mais celles de derrière étaient coudées, et même plus que celles du père; elles étaient un peu torses en-dedans. Il avait aussi les pieds à proportion plus forts que ceux de son père et de sa mère. Il avait les ongles noirs , ainsi que le dessous des pieds, aux endroits qui étaient sans poils , etce dernier caractère lui était com- mun avec son père et sa mère. DE LA FEMELLE, SECONDE GÉNÉRATION. Cette jeune femelle, âgée de six mois, le 3 septembre 1776, avait les dimensions sui- éantes : p. p. L. Longueur de la tête et du corps, mesurés en ligne droite, depuis le bout du nez jusqu'à l'origine de la queue. . . . . . Ba oies 2-2. 0 Hauteur du train de devant. . . . . . . . . . 1206 Hauteur du train de derrière . . . . . #... 1 2 0 Depuis le bout du nez jusqu’à l'occiput. . . . 0 7 6 Du bout du nez à l'œil. . .. . . . . . . . 1011982 Distance de l'œil à l'oreille . . . . . . . . . 10N 28 4 Longueur de l'oreille ... . . . . . . . . . - . 0 5 10 Largeur de l'oreille à sa base. . . . . . . . . 0 2 5 Longueur de la queue. . . . . . . . . . . . . 0 510 Depuis le ventre jusqu’à terre . . . . . . . 1089 0 On voit par ces dimensions, que cette fe- melle avait le corps un peu moins haut que le mäle du même âge : elle était aussi plus four- nie de chair. Ces deux jeunes animaux ne se res- semblaient pas plus que leurs père et mère par leur naturel; car cette jeune femelle était douce comme sa mere, et le jeune mâle avait le carac- tère sauvage et le regard farouche de son père. 646 La présence des étrangers n'irritait ni ne cho- quait cette jeune femelle; ellese familiarisait tout de suite avec eux, pour peu qu'ils la flattassent; elle les prévenait même lorsqu'ils étaient indif- férents, quoiqu'elle sût les distinguer de ses amis, qu’elle accueillait toujours de préférence, et avec lesquels elle était si caressante , qu'elle en devenait importune. Elle avait, comme sa mère et son grand-père chien, la queue courte et émousséex elle était couverte d'un poil blanc en-dessous jusqu'à la moitié de sa longueur, et sur le reste, de fauve pâle nuancé de cendré; mais le dessus de la queue était noir mélangé de fauve pâle et de cendré, et presque tout noir à son extrémité. Elle avait la tête un peu allongée, et sensible- ment plus que celle du jeune mâle, les orbites des yeux inclinées, etles yeux éloignés l’un de l'autre, mais cependant un peu moins que ceux de sa mère, de laquelle elle tenait encore par la couleur jaunâtre du sommet de la tête, du front, du contour des yeux, du dessus et des côtés du nez jusqu'à environ un pouce de la lè- vre supérieure, du dehors des oreilles et des jambes, et des côtés du ventre; enfin, elle lui ressemblait encore par les poils grisâtres qu’elle avait sur le front, et depuis les yeux jusqu’au bout du nez. Cependant la couleur jaune ou roussâtre était beaucoup moins foncée que sur sa mère ; elle tirait même un peu sur le blanc; ce qui semblait provenir du père, dont le poil était d'un jaune presque blanc sur les mêmes endroits. Elle tenait de son père par les pieds et les ongles , qui étaient blanchâtres, et par les oreil- les , quiétaient pendantes. A la vérité, il n'y avait que sept ongles blanchâtres dans le père, au lieu qu'ils. étaient tous de cette couleur, à peu près, dans cette jeune femelle. Elle avait aussi les oreilles entièrement pendantes, au lieu que celles du père'ne l’étaient qu'au tiers. Elle avaitde plus, comme son père, une grande ta- che longitudinale sous le cou, qui commençait à la gorge, s’étendait en s’élargissant sur la poitrine, et finissait en pointe vers le milieu de la partie inférieure du corps. Elle jui ressem- blait encore par la couleur blanchâtre du poil sur les joues, sur le bord de la lèvre su périeu- re, sur toute la mâchoire inférieure, sur la face intérieure des jambes, le contour de l'anus et des pieds, et enfin par la couleur du ventre, qui était blanchâtre, mélée d'un gris cendré. HISTOIRE NATURELLE Elle avait de commun avec son père et sa mère la couleur grisâtre du dos et des côtés da corps, le mélange de fauve et de blanchâtre sur le cou, le derrière des épaules et le dessus de la face extérieure des cuisses. D'après l'examen etles descriptions que nous venons de faire de ces quatre animaux, äl pa- rait qu'ils avaient plus de rapport avee la louve qu'avec le chien, par les couleurs du poil ; car ils avaient, comme la louve, toute la partie su- périeure et les côtés du corps de couleur grisÂ- tre , mêlée de fauve en quelques endroits. Ils avaient aussi, comme la louve, du roussâtre et du blanchätre sur la tête, sur les jambes et sous le ventre: seulement, le mâle de la pre- mière génération avait plus de blane et moius de jaune que sa femelle; ce qui semblait venir du père chien, qui était plus blane que noir. Cependant la qualité du poil n'était pas abso- lument semblable à celle du poil de la louve; car , dans ces quatre animaux, il était moins rude, moins long et plus couché que dans la louve, qui d'ailleurs, comme tous les autres animaux carnassiers et sauvages, portait un se- cond poil court et crêpé immédiatement sur la peau , lequel couvrait la racine des lopgs poils. Dans nos quatre animaux , nous avons remar- qué ce petit poil; mais il n'était ni si crépé ni si touffu que dans la louve, auquel néanmoins il ressemblait par ce caractère, puisque ce se- cond poil ne se trouve pas communément dans nos chiens domestiques. D'ailleurs le poil de ces quatre animaux , quoique différent , par la qualité, de celui de la louve, était en même temps plus rude et plus épais que celui du chien; en sorte qu’il semblait que la mère avait influé sur la couleur: et le père sur la nature de leur poil. # A l'égard de la forme du corps, on peut dire que , dans le mâle et la femelle de la première génération, elle provenait plus de la mère louve que du père chien; car ces deux animaux avaient , comme la louve, le corps fort épais de bas en haut et beaucoup de ventre. Ils avaient le train de derrière fort affaissé, ce qui était produit par la forme de leurs jambes” de derrière, qui étaient'plus coudées que elles des chiens ordinaires, quoiqu'elles ie soient moins que celles des A Cela s'accorde parfaite- ment avec ce que j'ai dit des mulets , et sem- ble prouver que la mère éonne la grandeur et la forme du corps, tandis que le père donne DU C celle des parties extérieures et des membres. On voit aussi, par les rapports de ces quatre animaux avec lechien et la louve dontils étaient | issus, que le père influe plus que la mère sur les mâles, et la mère plus que le père sur les femelles ; car le mâle de la première génération avait, comme son père chien, la tête courte, les oreilles demi-pendantes , les yeux ouverts | presque horizontalement et assez voisins l'un de l’autre , les ongles et les pieds blancs; et le jeune mâle de la seconde génération avait de même la tête courte, les yeux ouverts horizon- talement et assez voisins l’un de l’autre, et les oreilles encore plus pendantes que celles du père. Il parait en même temps que la mère louve avait autant influé sur la forme de la queue des mâles que sur celle de leur corps ; car ces mà- les , soit de la première , soît de la seconde gé- | nération, avaient également la queue longue et trainante, comme leur grand'mère louve. Il parait aussi que la mère louve a eu plus d'in- | fluence que le père chien sur la forme de la tête des femelles, puisque toutes deux, celle de la | première et celle de la seconde génération , avaient la tête plus allongée, les yeux plus in- clinés et plus éloignés , le bout du nez plus re- levé et les oreilles plus droites; caractères qui ne peuvent provenir que de la louve, tandis qu'au contraire ces mêmes deux femelles avaient la queue courte du grand-père chien, et la cou- leur blanche du dessous du cou, des pieds et des ongles ; ce qui prouve encore que les par- ties les plus extérieures sont données par le | père et non par la mère. En résumant les faits que nous venons d’ex- peser, il en résulte : 1° Que le grand-père chien paraît avoir eu plus de part que la grand’mère louve à la for- mation de la tête du mâle et de la queue de la femelle de la première génération, et que réci- | proquement la louve a eu plus de part que le chien à la formation de la tête de la femelle et | de la queue du mâle de cette même premiere | génération. 20 Il semble que le mâle de cette première génération ait transmis les caractères qu'il a reeus du chien et de la louve, au jeune mâle de la seconde génération, et que réciproque- ment sa femelle ait aussi transmis à la jeune fe- melle de la seconde génération les caractères qu'elle avait reçus de la louve et du chien , ex- cepté les creilles et le blanc des pieds et des HIEN. 647 ongles, qui, dans cette jeune femelle, parais- | Saient provenir de son père; ce qui semble prou- ver que le père influe non-seulement sur les extrémités des mâles, mais ainsi sur les extré- mités des femelles. En effet, ces quatre ani- maux, mâles et femelles, tenaient beaucoup | plus du chien que du loup par la forme des pieds, quoiqu'ils eussent les jambes de derrière un peu coudées : ils avaient, comme le chien; le pied large à proportion de la jambe; et d’ail- leurs, au lieu de marcher, comme le loup, sur la partie inférieure du poignet, ils avaient, | au contraire , comme le chien, cette partie as- sez droite en marchant, de sortequ'iln’y avait que le dessous de leurs pieds qui posât à terre. | Autant le mélange physique des parties du corps du chien et de la louve se: recoïnaissait vite dans ces quatre animaux, autant le mé- lange, qu'on pourrait appeler moral, paraissait | sensible dans leur naturel et leurs habitudes. 1° Tout le monde sait que les chiens lèvent une jambe pour uriner lorsqu'ils, sont adultes ; car, quand ils sont trop jeunes, ils s'accroupis- sent comme les femelles: notre mâle adulte, | c’est-à-dire celui de la première génération , levait la jambe de même; et le jeune mâle, âgé | de six mois, s’accroupissait. | 20 Les loups hurlent et n’aboïent pas ; nos quatre animaux aboyaient, à la vérité d'un ton enroué , et en même temps ils hurlaient encore comme les loups, et ils avaient de plus un petit cri, murmure de plaisir ou de désir, comme celui d’un chien qui approche son maitre. Quoi- | qu'ils parussent aboyer avec difficulté , cepen- pendant ils n'y manquaient jamais lorsqu'ils voyaient des étrangers ou d'autres objets qui les inquiétaient. Is faisaient entendre leur petit | eri ou murmure dans le désir et la joie , et ils hurlaient toujours lorsqu'ils s’ennuyaient ou qu'ils avaient faim ; maïs en ceci ils ne faisaient | que comme les chiens que l’on tient trop long- temps renfermés. Ils semblaient sentir d'avance les changements de l'air ; car ils hurlaient-plus fort et plus souvent aux approches de la pluie et dans les temps humides que dans les beaux temps. Les loups, dans les bois, ont ce même instinct, et on les entend hurler. dans les mau- vais temps et avant les orages. Au reste, les deux jeunes animaux de la seconde génération aboyaient aveemoins de difficulté qué ceux de la première ; ils ne hurlaient pas aussi souvent, et ce n'était jamais qu'après avoir aboyé qu'ils pee 648 HISTOIRE NATURELLE faisaient entendre leur hurlement. Ils parais- saient donc se rapprocher par la voix beaucoup plus de l'espèce du chien que de celle du loup. 30 Ils avaient une habitude assez singulière, et qui n'est pas ordinaire à nos chiens ; c'est de fouiller la terre avec leur museau, pour ca- cher leur ordure ou pour serrer le reste de leur manger , tandis que les chiens se servent pour cela de leurs ongles. Non-seulement ils fai- saient de petits trous en terre avec leur mu- seau , mais ils se creusaient même une fosse assez grande pour s’y coucher; ce que nous n'a- Yons jamais vu dans nos chiens domestiques. 4° L'on a vu que, de nos quatre animaux, les deux mâles étaient farouches et méchants, et qu'au contraire, les deux femelles étaient fa- milières et douces; levieux mâle exerçait même sa méchanceté sur toute sa famille, comme s’il ne l’eût pas connue : s'il caressait quelquefois sa femelle, bientôt i! la maltraitait, ainsi que ses petits; il les terrassait, les mordait rude- ment, et ne leur permettait de se relever que quand sa colère était passée. Les femelles, au contraire , ne s'irritaient contre personne, à moins qu'on ne les provoquât : elles aboyaient seulement contre les gens qu'elles ne connais- saient pas; mais elles ne se sont jamais élancées contre eux. 5° Le mâle et la femelle de la première géné- ration avaient l'odorat très-bon; ils sentaient de très-loin, et, sans le secours de leurs yeux, ils distinguaient de loin les étrangers et ceux qu'ils connaissaient : ils sentaient même à tra- vers les murs et les clôtures qui les renfer- maient; car ils hurlaient lorsque quelque étran- ger marchait autour de leur écurie, et témoi- gnaient, au contraire, dela joie lorsque c’étaient des gens de connaissance. Mais on a remarqué que c’étaient les mâles qui semblaient être aver- tis les premiers par l'odorat; car les femelles n'aboyaient ou ne hurlaient dans ce cas qu’a- près les mâles. 6° Ils exhalaient une odeur forte qui tenait beaucoup de l'odeur du loup; car les chiens domestiques ne s'y méprenaient pas, et les fuyaient comme s'ils eussent été de vrais loups. Dans le voyage de nos quatre animaux de Na- mur à Paris, les chiens des campagnes, loin de s'en approcher, les fuyaient, au contraire , dès qu'ils venaient de les apercevoir ou de les sentir. 7° Lorsque ces quatre animaux jouaient en- semble, si l’un d'eux était mécontent, et s’il criait parce qu'il se sentait froissé ou blessé, les trois autres se jetaient aussitôt sur lui, le roulaient , le tiraient par la queue, par les pieds, etc., jusqu'à ce qu'il eùt cessé de se plaindre; et ensuite ils continuaient de jouer avec lui comme auparavant. J'ai vu la même chose dans plusieurs autres espèces d’ani- maux, et même dans celle des souris. En gé- néral, les animaux ne peuvent souffrir le cri de douieur dans un de leurs semblables, et ils le punissent s’il rend ce cri mal à propos. 8° Je voulus savoir quel serait l'instinct de nos quatre animaux, soit en aversion, soit en courage; et, comme les chats sont ceux que les chiens haïssent de préférence, on fit entrer un chat dans le jardin fermé où on les tenait pendant le jour. Dès qu'ils l'apercurent, ils s'empressèrent tous de le poursuivre; le chat grimpa sur un arbre, et nos quatre animaux s’arrangèrentcomme pour le garder, et n'ôtaient pas la vue de dessus la proie qu'ils attendaient. En effet, dès qu’on fittomber le chat en cassant la branche sur laquelle il se tenait, le vieux: mâle le saisit dans sa gueule avant qu'il n’eüt touché terre. Il acheva de le tuer à l’aide de sa famille, qui se réunit à lui pour cette expédi- tion ; et néanmoins ni les uns ni les autres ne mangérent de sa chair, pour laquelle ils marquèrent autant de répugnance que les chiens ordinaires en ont pour cette sorte de viande. Le lendemain, on fit entrer dans le mème jardin une grosse chienne de la race des dogues, contre laquelle on lâcha le vieux mâle, qui s’é- lanca tout aussitôt vers elle, et la chienne, au lieu de se défendre, se coucha ventre à terre. Ii la flaira dans cette situation ; et dès qu'il eut reconnu son sexe, il la laissa tranquille. On fit ensuite entrer la vieille femelle , qui, comme le mäle , s'élança d'abord vers la chienne, puis se jeta dessus, et celle-ci s'enfuit et se rangea contre un mur, où elle fit si bonne contenance, que ia femelle se contenta d’une seconde atta- que, dans laquelle le mâle se rendit médiateur entre sa femelle et la chienne ; il donna même un coup de dent à sa femelle pour la forcer à cesser le combat. Cependant, ayant mis le mé- diateur à la chaine pour laisser toute liberté à sa femelle, elle ne fit que voltiger autour de la chienne, en cherchant à la prendre par der rière ; et c'est là la vraie allure du loup, qui DU CHIEN. met toujours plus de ruse que de courage dans ses attaques. Néanmoins le vieux mâle parais- sait avoir de la hardiesse et du courage; car il ne balanÇait pas à se jeter sur les chiens : il les attaquait en brave , et sans chercher à les sur- prendre par derrière. Au reste, ni le mâle ni la femelle de nos animaux métis n'aboyaient comme font les chiens lorsqu'ils se battent ; leur poil se hérissait, et ils grondaient seule- ment un peu avant d'attaquer leur ennemi. Quelques jours après, on fit entrer un mâtin à peu près aussi grand et aussi fort que notre vieux mâle, qui n'hésita pas à l'attaquer. Le mâtin se défendit d'abord assez bien, parce qu'il était excité par son maitre; mais cet homme ayant été forcé de se retirer, parce que notre vieux mâle voulait se jeter sur lui, et l’a- vait déjà saisi par ses habits, son chien se re- trancha aussitôt contre la porte par laquelle son maitre était sorti, et il n'osa plus reparaitre dans le jardin. Pendant tout ce temps, la vieille femelle marquait beaucoup d'impatience pour combattre ; mais, avant de lui en donner la liberté, on crut devoir attacher son mâle, afin de rendre le combat égal. Ayant donc mis cette femelle en liberté , elle s’élança tout de suite sur le chien, qui, n'ayant pas quitté son poste, ne pouvait être attaqué que par devant : aussi dès la première attaque, elle prit le parti de ne point hasarder un combat en règle ; elle se con- tenta de courir lestement autour du chien pour tâcher de ie surprendre par derrière , comme elle avait fait quelques jours auparavant avec la chienne, et, voyant que cela ne lui réussissait pas, elle resta tranquille. Comme l'on présumait que le peu de rési- stance et de courage qu'avait montré ce mâtin, qui d’ailleurs passait pour être très-fort et très- méchant, que ce peu de courage, dis-je, venait peut-être de ce qu'il était dépaysé, et qu'il pourrait être plus hardi dans la maison de son maitre, on y conduisit le vieux mâle par la chaine. Il y trouva le mâtin dans une petite cour ; notre vieux mâle n’en fut point intimidé, et se promena fièrement dans cette cour : mais le mâtin , quoique sur son pailler, parut tres- effrayé, et n'osa point quitter le coin où il s’é- tait rencogné, en sorte que sans combattre il fut vaincu ; car, étant chez son maitre, il n’au- rait pas manqué d'attaquer notre mâle, s’il n'eût pas reconnu dès la première fois la supé- riorité de sa force. 619 On voit, par ces deux épreuves et par d'au- tres faits semblables, que les conducteurs ou gouverneurs de ces animaux nous ont rapportés, que jamais aucun chien n'a osé les attaquer; en sorte qu'ils semblent reconnaitre encore dans leurs individus leur ennemi naturel, c'est-à-dire le loup. DE LA FEMELLE, TROISIÈME GÉNÉRATION. Dans le mois de novembre de l’année 1776, je fis conduire dans ma terre de Buffon le mâle et la femelle de la seconde génération, qui étaient nés le 3 mars précédent. On les mit en arrivant dans une grande cour, où ils ont resté environ deux ans, et où je leur fis faire une pe- tite cabane pour les mettre à couvert dans le mauvais temps et pendant la nuit. Ils y ont tou- jours vécu dans une assez bonne union, et on ne s’est pas aperçu qu'ils aient eu de l’aversion l'un pour l'autre; seulement le mâle parut, dès la fin de sa première année, avoir pris de l’au- torité sur sa femelle; car souvent il ne lui per- mettait pas de toucher la première à la nourri- ture, surtout lorsque c'était de la viande. J'ordonnai qü’on ne les laissät pas aller avec les chiens du village, surtout dès qu'ils eurent atteint l’âge de dix-huit ou vingt mois, afin de les empêcher de s'allier avec eux. Cette précau- tion me parut nécessaire; car mon objet étant de voir si au bout d’un certain nombre de géné- rations, ces métis ne retourneraient pas à l’es- pèce du loup ou bien à celle du chien , il était essentiel de conserver la race toujours pure, en ne faisant allier ensemble que les individus qui en proviendraient. On sent bien que si , au lieu de faire unir ensemble ces animaux métis, on les avait fait constamment et successivement allier avec le chien, la race n'aurait pas man- qué de reprendre petit à petit le type de cette dernière espèce, et aurait à la fin perdu tous les caractères qui la faisaient participer du loup. Il en eût été de même, quoique avec un résultat différent , si on les eùût alliés au contraire con- stamment et successivement avec le loup; au bout d’un certain nombre de générations, les individus n'auraient plus été des métis, mais des animaux qui auraient ressemblé en tout à l'espèce du loup. A la fin de l'année 1777, ce mâle et cette fe- melle de seconde génération parurent avoir ac- | quis tout leur accroissement, cependant ils ne 650 HISTOIRE NATURELLE s'accouplèrent quele 30 oule 31 décembre 1778, | portée de jeunes louveteaux avec leur mère , il c'est-à-dire à l'âge d'environ deux ans et dix mois. C'est aussi à peu près à cet àäge que l’es- pèce du loup est en état de produire ; et dès lors il parait que nos animaux métis avaient plus de rapport avec le loup, par le temps auquel ils peuvent engendrer, qu'ils n’en avaient avec le chien , qui produit ordinairement à l'âge d'un an et quelques mois. A ce premier rapport en- tre le loup et nos animaux métis, on doit en ajouter un second, qui est celui de la fécondité, laquelle paraissait être à peu près laméême. Nos métis, tant de la première que de la seconde génération , n'ont produit qu'une seule fois en deux ans ; car le mâle et la femelle de la pre- mière génération, qui ont produit pour la première fois le 3 mars 1776, et que j'ai en- voyés à la ménagerie de Versailles au mois de novembre de la mème année , n'ont produit pour la seconde fois qu’au printemps de 1778 ; et de même le mâle et la femelle de la seconde génération, qui ont produit pour la première fois dans ma terre de Buffon, n'avaient pas donné le moindre signe de chaleur ou d'amour vingt et un mais après leur première produe- tion. Et à l'égard de la fécondité dans l'espèce du loup vivant dans l’état de nature, nous avons plusieurs raisons de croire qu'elle n’est pas aussi grande qu'on a voulu le dire, et qu'au lieu de produire une fois chaque année, le loup ne pro- duit en effet qu’une seule fois en deux, et peut- être même en trois ans; Car, 1° il parait certain que, si la louve mettait bas tous les ans six ou sept petits, comme plusieurs auteurs l'assurent, l'espèce du loup serait beaucoup plus nom- breuse , malgré la guerre que l'on ne cesse de faire à cet ennemi de nos troupeaux ; d’ailleurs, l'analogie semble ici une preuve que l'on ne peut récuser. Nos animaux métis, par leurs fa- cultés intérieures, ainsi que par l'odeur et par plusieurs autres caractères extérieurs, avaient tant de rapport avec le loup, qu'il n’est guère possible de croire qu’ils en différaient dans un des points les plus essentiels , qui est la fécon- dité. 2° Pour un loup que l'on tue, il y a peut- être cent chiens qui subissent le même sort, et néanmoins cette dernière espèce est encore in- finiment plus nombreuse que celle du loup, quoique, selon toute apparence, elle ne soit que quatre fois plus féconde. 3° On peut encore re- marquer que, lorsqu'on a yu dans une forêt une n'est pas ordinaire d'y en voir l'année suivante, quoique cette mère n'ait pas changé de lieu, à moins qu'il n'y ait encore d'autres louves avec elle; et, si la louve mettait bas tous les ans, on verrait chaque année, au contraire, les petits conduits par leur mère , se répandre au prin- temps dans les campagnes, pour y chercher leur nourriture ou leur proie : mais comme nous n'avons pas d'exemple de ce fait, et que d'ailleurs toutes les raisons que nous venons s LE 7 c:] (L SF 1€ ô a TT y er à : ATÉ . me f A 4 À 25 2, 4 ds a 7 # s VO : S LÉ ART Er, P- Lx ‘ie À re TE (où ms AZ PR PET RS CRE es < DRE 7.2 M QU ? #. s. > Æ ne. e Le FF \ x / = €: ( FE ’ Dr + = D), EP ] F # 3 “ À F9 Fan à 2 r -Q n m APT, / t ” d / { | ” = Y'A) L 4) 2 4 AL { \ |