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ŒUVRES CO^IPLÈTES

DE

JULES LAFORGUE

OEUVRES COMPLÈTES

DE

JULES LAFORGUE

LETTRES. - II

(1883-1887)

NOTES

de G. JEAN-AUBRY

PARIS MERCVRE DE FRANGE

XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI

BIBLIOTHECA

IL A ETE TIRE :

49 exemplaires sur vergé cTArckes numérotés à la presse de 1 à 19.

250 exemplaires sur vergé pur fil numérotés de 50 à 299.

JVSTIFICATION DU TIRAGE

1m»3 droits réservé».

LETTRES

II

1883-1887)

LX

A M. CHARLES HENRY

Berlin, [février, lundi 1883].

Mon cher Henry,

Vous êtes donc de retour. Écrivez-moi donc, dites, racontez-moi tout ce que vous avez fait, vu, rapporté dans votre salon rouge !

Vous êtes inconcevable.

Merci de la Vie Moderne. Je l'ai reçue hier, dimanche.

Maintenant, un autre service.

J'écris un article sur l'Impressionnisme, article qui sera traduit et paraîtra dans une revue alle- mande, à l'occasion de quoi un ami de Berlin, qui a une dizaine d'impressionnistes, en fera une expo- sition.

C'est très important. Pourriez-vous donc me trouver quelque chose que mon libraire d'ici n'a pu

ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

me trouver ? Une petite brochure de 50 cent, inti- tulée, je crois, « les Impressionnistes », par Théodore Duret, avec un dessin de Renoir (1). Cette brochure a paru il y a quatre ans, je crois. Je ne sais elle a été éditée, peut-être chez Ghio, peut-être chez Marpon. En tout cas, je l'ai vue longtemps jadis chez Marpon, à l'Odéon : de toutes façons vous pourriez la voir à la Bibliothèque. Je vous serais bien obligé si vous mettiez la main dessus et me l'envoyiez.

Je vous écrirai longuement et vous enverrai des vers un de ces jours, sans blague.

Je vous serre la main. Travaillez- vous ?

Votre

Jules Laforgue.

(1) H s'agit de la brochure célèbre publiée en 1878 et dont le titre exact était : Les Peintres Impressionnistes (Claude Monet, Sisleifj C. Pissarro, Renoir, Bertlie Morisot) avec un dessin de Renoir. Paris, Librairie parisienne, Hayman et Pcrois, 38, avenue de l'Opéra. Mai 1878.

LETTRES 1883-1887

LXI

A CHARLES EPHRUSSI

Berlin, 26 février 1883 [lundi].

Cher Monsieur Ephrussi,

L'êtes- vous assez, rancunier? Pourquoi ne m'écri- vez-vous pas le moindre petit mot?

Avant-hier, à la soirée du Kronprinz, j'ai causé avec M. de Seckendorff qui m'a dit avoir reçu nombre de lettres de vous, et m'a appris que vous aviez d'abord le projet de venir à Berlin pour l'Exposition, mais que c'est M. Gonse qui viendra, et que vous prépariez des choses et des choses. A la même soirée, coudoyé plusieurs fois M. Lipp- mann. Un de mes remords. Lorsque j'irai vous voir, je vous remettrai intacte la lettre de recomman- dation que vous m'aviez donnée pour lui, il y a des temps infinis de cela. Il paraît qu'il est très bourru mais que sa femme est charmante, double raison > maison à éviter.

10 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

J'écris de menus vers et une pièce en un acte qui déborde d'optimisme. Outre cela, M. Bernstein m'a persuadé de mettre en vers le Don Juan de Pouchkine, et j'y vais de bon cœur.

Ne prononcez pas mon nom devant l'auteur des Aveux. Vous réveilleriez de pénibles souvenirs.

Au revoir et un petit mot d'amitié, s. v. p.

Votre

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 11

LXII

A M. CHARLES HENRY

Berlin, lundi [26 février 1883].

Mon cher Henry,

Pourquoi n'ai-je plus de vos nouvelles ! Je m'ennuie horriblement. Je n'ai pas reçu un mot de vous depuis votre retour. Kahn m'a écrit, pour me dire que ma dernière lui était arrivée 15 jours en retard, et qu'il était je ne sais où, il ne me donne pas sa nouvelle adresse.

Je voudrais bien savoir pourquoi vous ne m'avez pas envoyé le moir dre petit mot. Le barde de la rue Denfert vous a-t-elle infusé ses sentiments à mon égard ?

Que faites-vous, nom de Dieu ? Que devenez-^ vous ? et vos livres ? et votre peinture à la cire ? et tout enfin ?

Ma vie est toujours la même. J'entends beau-

12 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

coup de musique. Que faire à Berlin, sinon en- tendre beaucoup de musique ?

J'ai un ami, un des grands pianistes de demain (1), qui m'a fait connaître les trois cahiers de musique de Rollinat.

Je viens de lire et de relire les Névroses. Du talent, c'est certain, et au fond une sincère et intense émotion. Mais que de parti pris, sur- tout que de cabotinage. Il est vrai que devant n'importe quel monsieur qui s'est fait un genre, il est bien difficile de dire finit la correction de race et commence le cabotinage. Et puis, à mon avis, il y a beaucoup de grossièretés de métier, des abus d'adjectifs souvent neutres intrinsèque- ment ou neutres à force d'être voulus.

Mon ami le pianiste (Théo Ysaye) et moi sommes fous des Contes de Villiers de l'Isle-Adam et des quelques vers sous le titre Conte d'Amour.

Savez- vous que je fais depuis deux semaines une pièce en prose en un acte se passant à Paris au mois d'avril 1882 ? (2) Aussi quelques vers.

! n'avez-vous pas reçu ma dernière lettre ? Je vous y demandais certaine brochure sur l'Im-

(1) Théophile Ysayc,

(2) « Pierrot fumiste ».

LETTRES 1883-1887 13

pressionnisme par Théodore Duret ? Est-elle introu- vable ?

Écrivez-moi donc un mot, sinon je vous tutoie à ma prochaine lettre; inconvenance qui sera atténuée par les injures dont je vous accablerai. En ce moment, je suis démesurément vanné.

Votre

Jules Laforgue.

14 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXIII

A M. CHARLES HENRY

Samedi [Berlin, mars 1883].

Mon cher Henry,

J'ai reçu votre courte lettre et le manuscrit il y a de cela quelques jours mais de à au- jourd'hui il m'eût été impossible de répondre par le moindre bout de lettre. Vous comprenez que j'ai dévoré votre Lespinasse (1). C'est très nourri et très complet sans doute. Vous êtes un dévot pour elle, mais vous avez gardé trop votre dignité. Vous dites vous-même au commencement : « Il est indécent... » J'aurais hurlé ! Il fallait vous

(1) Il s'agit de la préface datée « août 1882 » des Lettres iné- dites I de Mademoiselle de Lespinasse | a Gondorcet, a d'Alembert, a Guibert I AU comte de Grillon | publiées j avec des lettres de ses amis, des documents nouveaux et une étude I Par M. Gharles Henry ] Paris | E. Dentu, édi- teur i 1887.

à

LETTRES 1883-1887 15

rouler dans les souvenirs de cette amante passée comme dans des linges de femme au fond d'un cabinet de toilette. Les soirées de l'hiver 74 ! le 10 février, à minuit ! Et la monomanie du remords à côté de Sapho et de sainte Thérèse. Mais c'eût été oublier que ce n'était pas un roman à écrire. « Elle aima l'amour avec abnégation par delà son corps et par delà son âme. »

N'était-il pas possible ou ne l'avez- vous pas voulu de parfumer cela de ce quelque chose qui embaume une page, par exemple : le damas rouge de la chambre à coucher. Et avec Guibert cette journée du Moulin- Joli dans le frais encadrement de Montmorency et d' Argenteuil et plus loin cette journée le soleil de février a des douceurs de convalescence. Vous savez mieux que moi que c'eût été l'affaire de deux ou trois après-midi passés au Cabinet des Estampes. C'est tout de même empoignant ce roman furieux au seuil de la ré- volution, on en a le cœur légèrement étranglé, ma parole.

Je vous retourne le manuscrit. Vous n'avez pas peur de confier des manuscrits à la poste.

Ecrivez-moi plus souvent, hein ? J'entends beaucoup de musique ici.

J'espère vous présenter un jour mon jeune

***** 2

16 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Rubinstein de 18 ans à peine (1). Vous l'adorerez comme moi, un brun au visage insensé, peut-être un peu plus haut que vous, et une masse de cheveux crépus. Je l'appelle le Nubien. Un fumeur elïréné. Je fume la pipe. Je les collectionne. Trois scènes et ma prose en un acte est terminée, achevons-la vite et qu'on n'en parle plus. J'ai aussi l'idée d'un Faust en un acte. Je traduisais en vers un Don Juan de Pouchkine, je l'ai lâché. Comment, vous n'avez pas lu les Contes cruels ! Si Kahn le savait ! Lisez, c'est insensé. Et au revoir. Que dit le barde (2) de moi ?

Jules.

(Tiens ! j'ai oublié de vous tutoyer.)

(1) Il s'agit toujours de Théophile Ysaye.

(2) M""" Mullezer, avec qui Jules Laforgue s'était brouillé du- rant l'automne 1882.

LETTRES 1883-1887 17

LXIV

A M. CHARLES HENRY

Bade [20 avril 1883].

Mon cher Henry,

Je vous écris un petit mot qui n'est pas une réponse à votre lettre, mais simplement une excuse et un acompte.

Je commence à respirer. Mes deux derniers jours à Berlin ont été très occupés préparatifs de départ puis été passer deux jours à Dresde chemin de fer, mal de tête, musée inouï ! Des Rembrandt à lécher le parquet qui les reflète, l'Elbe adorable, etc., puis rentré à Berlin, faire malles, éreinté enfin, après un peu de rechemin de fer, arrivé ici, pioncé, et je vous écris, bien que mon intérêt soit de me mettre à dévorer mes 3 journaux quotidiens qui, multiphés par 3 jours de retard, font 9, plus le supplément du Figaro, et le nouveau cahier de la

18 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Revue, qui voulut embulozer Balzac (ici on appelle ça un cahier). Dans vos archives : je ne sais. J'ai un ami à Berlin, professeur à l'université, qui, seul, peut me renseigner; en ce moment il a ses congés et parcourt l'Italie, je crois.

Au revoir.

Mes minutes sont comptées. Avec ça j'ai à faire ma barbe, aller prendre un bain et un shampoing.

Votre

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 19

LXV

A SA SŒUR

Bade, lundi, 83 [mai] (1).

Ma chère Marie,

Reçu ta lettre il y a plusieurs jours. Je l'avoue, mea culpa, mca culpa.

Et ton portrait, qui est toujours devant moi.

Enfin, voilà un vrai portrait. L'^s photographes établis sont des imposteurs fallacieux. Tu es très bien. Je te vois au naturel. Envoie-m'en encore un autre, bientôt. Ça ne coûte rien à Emile.

Pour le mériter, d'ailleurs, je t'envoie une poi- gnée de vers pris dans le tas (si, toutefois, cet envoi ne va pas à l'encontre de mon but). Des tas d'affaires m'ont empêché de te répondre.

(1) Cette lettre porte 84, dans une édition antérieure : mais dès juillet 83 Laforgue écrit à M. Ch. Henry qu'il a 40 complaintes et il dit ici « une vingtaine » : la lettre doit être vraisemblablement de mai 1883.

20 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Il fait une chaleur accablante, à canoniser le pôle arctique. Je lis, je fume, je travaille, je vrgabonde par la Forêt Noire. Mais les paysages d'ici, bien qu'uniques au monde, m'écœurent, ils sont plus beaux que nature, ça a l'air d'après les tableaux de Gustave Doré. Vraiment. Puis, j'ai voulu te recopier quelques vers. Ne les perds pas. Je n'en ai qu'une copie. Ils te paraîtront peut-être bizarres. Mais j'ai abandonné mon idéal de la rue Berthollet, mes poèmes philosophiques.

Je trouve stupide de faire la grosse voix et de jouer de l'éloquence. Aujourd'hui que je suis plus sceptique et que je m'emballe moins aisément et que, d'autre part, je possède ma langue d'une façon plus minutieuse, plus clownesque, j'écris de petits poèmes de fantaisie, n'ayant qu'un but : faire de l'original à tout prix. J'ai la jerme intention de pubher un tout petit volume (johe édition), luxe typographique, écrin digne de mes bijoux litté- raires ! titre : Quelques complaintes de la vie. Avec cette épigraphe tirée des Aveux :

Et devant ta présence épouvantable, ô mort, Je pense qu'aucun but ne vaut aucun effort.

J'ai déjà une vingtaine de ces complaintes.

LETTRES 1883-1887 21

Encore une douzaine et je porte mon manuscrit je ne sais où.

J'y regrette une chose certains vers natura- listes y échappés et nécessaires. J'ai perdu de mon enthousiasme, mes naturahsmes, comme poète seu- lement (pour le roman, c'est autre chose), (le miheu dans lequel je vis n'est d'ailleurs pour rien dans ce retour). La vie est grossière, c'est vrai mais, pour Dieu ! quand il s'agit de poésie, soyons distin- gués comme des œillets; disons tout, tout (ce sont en effet surtout les saletés de la vie qui doivent mettre une mélancolie humoristique dans nos vers), mais disons les choses d'une façon raffinée. Une poésie ne doit pas être une description exacte (comme une page de roman), mais noyée de rêve.

(Je me souviens à ce propos d'une définition que me donnait Bourget : La poésie doit être à la vie ce qu'un concert de parfums est à un parterre de fleurs), voilà mon idéal. Pour le moment du moins. Car la destinée d'un artiste est de s'enthousiasmer et se dégoûter d'idéaux successifs. Cet idéal, mes complaintes n'y répondent pas assez encore à mon gré, et je les retoucherai, je les noierai un peu plus.

En voilà assez. Lis-les, et dis-moi ton avis (tu connais d'ailleurs, déjà, ma complainte des montres). Et envoie-moi une autre photographie.

22 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Qu'Emile photographie aussi un des enfants et me l'envoie. J'en serai aux anges. Je crois de plus en plus que mes congés commenceront un peu plus tôt cette année-ci. irons-nous ?

Dis à Emile s'il se souvient de nos soirs au Fran- çais. Paul Reney est venu jouer à Bade. A-t-il le catalogue du Salon ? Dis-lui qu'on parle beaucoup du tableau de Rochegrosse et de celui d'Aman- Jean.

Tu trouveras peut-être cette lettre un peu sèche. Laisse-moi la compenser par un bon baiser. (Rap- pelle-moi au souvenir des enfants.)

Jules.

Pardon pour les livres non envoyés. Tu les liras plus tard.

LETTRES 1883-1887 23

LXVI

A SA SŒUR

Strasbourg, lundi [21 mai 1883]. (1)

Ma chère Marie,

Je viens de dîner dans un hôtel, quelconque, je n'ai entendu parler que français. Je suis à Stras- bourg (je t'écris dans un café plein de soleil). Je n'avais rien à faire à Bade aujourd'hui.

En trois heures et demie de chemin de fer on est à Strasbourg, et je suis venu.

Je suis extrêmement heureux de passer ma jour- née ici. Que d'observations ! Tu sais que Strasbourg fait partie de l'empire allemand depuis le traité de Francfort qui a terminé la guerre de 1870, donc que d'observations !

(1) Cette date nous est fournie par l'Agenda 1883 publié dans le numéro d'octobre 1920 de la Nouvelle Revue Française et que l'on trouvera au volume des Œuvres posthumes.

24 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

On se croirait en France. Les enseignes sont en français, etc.. On entend partout parler notre douce langue, excepté, hélas ! par les petits enfants qui jouent dans les ruisseaux, chose qui m'a touché au cœur. Au lieu des marchands de cigares que l'on voit partout en Allemagne, c'est encore ici le bureau de tabac avec sa lanterne rouge et la cathédrale (si célèbre, tu le sais); un quidam s'offrait comme guide et comme je déclinais ses services en français, il m'a offert l'image que je t'envoie ici. Il m'a confié, avec des larmes dans la voix, qu'il était un ancien commissionnaire et je me suis fendu d'un franc.

En entrant dans la ville sur le seuil d'une bou- tique un enfant pleurait. Une jeune bonne est venue et lui a dit : « Pourquoi que tu pleures, René ! » Tu ne peux te figurer combien cette simple phrase m'est allée au cœur; le bon moyen de maintenir le patriotisme dans le cœur des Français est de les faire voyager.

On voit partout des gibus et des pieds peu élé- gants, c'est la France. Puis les cigarettes et les cheveux et la barbe noirs ou du moins châtains.

J'ai devant moi deux journaux d'Alsace. La feuille est divisée en deux, la moitié en allemand, la moitié en français. Mais je n'ai qu'à regarder

LETTRES 1883-1887 25

sur la place des troupiers à lourdes bottes et à masques pointus, ils font l'exercice.

Je t'embrasse. Adieu. Écris-moi le 28 de ce mois nous par- tons pour Berlin.

Jules.

26 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXVI[

A M. CHARLES HENRY

Coblentz [6 ou 7 juin 1S8'J\.

Mon cher Henry,

Votre lettre était adressée à Bade que j'avais quitté pour passer une semaine à Berlin (occasion d'un article sur le Salon) et je suis ici.

Que devenez-vous ou plutôt que ne devenez-vous pas? Que publiez-vous ou plutôt que ne publiez- vous pas ? Et la sculpture ?

J'aime V Oiseau crucifié de Marie Krysinska (1). Mais avouez qu'il y a trois ou quatre scories ou bavures rentrées. Pourquoi Bellanger ne devient- il pas quelqu'un? Vous êtes bien heureux d'avoir vu le Salon. Il y a des inconnus qui m'intéres- sent : Aman-Jean, Stott, etc., et Rochegrosse

(1) Un poème publié dans la Vie Moderne avec un dessin de leur ami Bellanger.

LETTRES 1883-1887 27

qui se fourvoie, à moins qu'il n'ait subtilement calculé qu'en exposant une Andromaque, le monde serait d'autant plus épaté l'an prochain en voyant de lui une Scène de coulisses, etc., (1).

Ah! si j'étais à Paris avec une plume!

Tout est à renouveler en peinture. (Quels triom- phes I) Quel langage aussi pour une nature-mort- croque qui fera, au lieu de melons, de chaudrons, de poissons, d'armures, etc., une vitrine de modiste (les chapeaux de femmes ! !), un étal de frompges, une bijouterie du Palais-Royal, un intérieur d'om- nibus roulant. Y a-t-il encore un peintre des indus- tries du métal ? etc.

Je fais le Salon de Berlin qui est d'un lamentable achevé.

Jules Laforgue.

(1) M. William Stott exposait Ronde d'enfants et l'Atelier dit grand-père. De M. Aman- Jean, qui depuis orthographia son pré- nom Aman, se voyaient le Portrait de M""" X... et Saint Julien l'Hospitalier ( « Il s'en alla, mendiant sa vie par le monde. Il connut la faim, la soif et la vermine. » G. Flaubert). Le prix du Salon fut dévolu à M. Georges Rochegrosse, qui déjoua les prévisions de cette lettre, en 1883 par son abstention, et les années suivantes par sa peinture. [Note de M. Félix Fénécn.l

28 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXVIII

A MAX KLINGER

Coblentz, lundi [11 juin 1883]. (1)

Cher jeune Maître,

Je trouve votre complaisante et longue lettre en revenant de Cologne, j'ai visité deux expo- sitions (dont un musée). Je suis content d'avoir vu la Vergiftet de G. Max, que je n'aimais pas jusqu'ici, ne la jugeant que par deux ou trois têtes fades, une entre autres chez Gurlitt. Je voulais citer dans mon Salon Fischer, Oeder, etc., qui m'avaient paru pas sans valeur, mais j'ai vu de leurs toiles à Cologne, c'est toujours la même chose. C'est trop bête, n'est-ce pas ?

J'ai passé une semaine à Berlin. Je croyais que

(1) Cette lettre, ainsi que les trois autres adressées au même Max Klinger, furent publiées peu aprôs la mort de Laforgue dans la Cravache parisienne du 8 septembre 1888, et, en allemand, en tête de la traduction des Moralités légendaires par Paul Wiegler. « Sagenhafle Sinnspiele ». Stuttgart, 1905.

LETTRES 1883-1887 20

vous n'}^ étiez pas, et je regrette bien de n'avoir pas été vous voir, excusez-moi.

Mille merci pour les renseignements qui ont vous distraire de votre travail ou plutôt de vos rêveries. Comment ! vous avez lu V Education sentimentale. Vous êtes vraiment extraordinaire : pessimiste comme vous l'êtes, tout Flaubert vous plaira.

Oui, je fais le Salon de Berlin tant bien que mal. Je parle longuement de vous comme de l'artiste le plus personnel, mais non sans reproche. Vous verrez, (c qui aime bien châtie bien )>...

Je dirai que je préfère le petit Menzel à ses deux Frédéric de la National Galerie. Je dirai du mal de Richter et aussi (??) de Gustrow, non en général, mais pour ses portraits de Salon que je trouve fades et bêtes.

J'ai vu à Cologne un joli J. Brandt, moins banal que tout ce qu'il fabrique en général, etc. Je crois que vous approuverez mes impressions. Tout de Hertel ne me plaît pas également, mais (impres- sionnisme à part) il a un joli tempérament de peintre (son aquarelle).

Quel vilain métier que celui de critique d'art, n'est-ce pas ? Ce métier a été déshonoré par tant d'ignorants et les artistes ont bien souvent raison

30 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

de nous mépriser. Pour ma part, vous ne pourriez croire avec quelle conscience je m'y adonne. Non en lisant des livres et en fouillant les vieux Musées, mais en cherchant à voir clair dans la nature en regardant humainement, comme un homme préhis- torique, l'eau du Rhin, les ciels, les prairies, les foules, et les rues, etc. J'ai plus étudié dans les rues, les appartements, les théâtres, etc., de Paris que dans ses bibliothèques. Si je n'étais pas persuadé que j'ai l'œil artiste et que je suis hostile à tous les préjugés artistiques, sincère et désireux d'instruire le public déhcat, je n'écrirais point cela, croyez-le.

Vous allez à Paris, j'en suis bien heureux pour vous. Quel bien cela vous fera ! Tâchez de connaître Renouard, Lançon, Guérard (veuf de M"^^ Éva Gonzalés) et Ghifïlart aussi. J'ai un frère qui a quitté l'École des Beaux- Arts, il y a quatre ans, mais il n'est pas à Paris en ce moment. Vous arri- verez trop tard pour voir le Salon, et, ce qui est plus irréparable, l'exposition de Sisley.

Vous verrez les beaux paysages de la Seine, Notre-Dame, au soleil couchant, etc.

Si vous arrivez avant la fin de la saison, allez aux cafés-concerts des Champs-Elysées, et du moins aux Folies-Bergère.

Vous verrez comme les habits noirs (les fracs)

LETTRES 1883-1887 31

sont sublimes à Paris. Et les chapeaux de femmes ! Allez passer des après-midi dans la foule aux ma- gasins du Louvre et du Bon Marché.

J'oubliais. Tâchez de connaître le graveur en pointe sèche Desboutin et l'extraordinaire Brac- quemond. Feuilletez les albums de Jacquemart.

Ne vous préoccupez pas de mes photographies (1). Si elles vous servaient à quelque chose, emportez- les à Paris. Si Bernstein vous donne une lettre pour Ch. Ephrussi, celui-ci vous fera connaître qui vous voudrez.

Votre pessimisme deviendra plus noir encore dans les tristesses et les splendeurs de la ville monstre : vous lirez beaucoup. Votre pointe se fera plus libre, plus grasse, votre œil plus envelop- pant et plus aigu et, avec votre imagination alors, vous ferez sensation à Paris.

Vous verrez comme la presse parisienne est admi- rable quand elle a découvert un véritable et origi- nal artiste.

Je serai à Paris dans deux mois. Sans doute j'aurai votre adresse. Au revoir.

Votre

Jules Laforgue.

(1) Des reproductions d'œuvres appartenant au musée du Louvre. **♦♦♦ o

32 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXIX

A CHARLES EPHRUSSI

Coblentz, jeudi [14 juin 1883].

Cher Monsieur Ephrussi,

Il est écrit que vous ne m'écrirez plus, sans doute. L'Impératrice m'a dit que vous aviez conduit la princesse royale au Salon et qu'elle vous avait ou que vous lui aviez demandé de mes nouvelles.

En voici. J'ai été passer une semaine à Berlin. Je me suis éreinté au Salon de Charlottenbourg. Et ici j'ai travaillé mes notes. Puis-je vous l'en- voyer comme toujours ?

11 est très attendu à Berlin et fera quelque bruit dans ce grand Landerneau. On m'a aussi trahi près de l'Impératrice qui attend que je le lui lise. Je le lui lirai en le modifiant au vol. Puis-je vous l'envoyer ?

Je ne vous demande pas ce que vous faites.

LETTRES 1883-1887 33

Vous êtes probablement au vert à Versailles ou ailleurs ? Peut-être en Italie ou à Londres.

En attendant de vous revoir et de dissiper le dernier malentendu que vous aviez à mon sujet, s'il en reste, je vous serre la main.

Votre, comme je n'ai jamais cessé de l'être,

Jules Laforgue.

34 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXX

A CHARLES EPHRUSSI

[Coblentz, mardi 3] juillet 1883.

Cher Monsieur Ephrussi,

Merci de votre lettre vraiment. J'ai reçu mon Salon. Alas, poor! Je viens de le refaire d'après vos conseils. Je vois que vous êtes un vétéran et que je ne suis encore qu'un jeune.

Voici : D'abord je vous sacrifie 39 noms, bien comptés ! ! Ce que j'en laisse est absolument néces- saire sous peine de faire écrouler un jour sur ma tête le Vieux musée de Berlin avec les fresques de Schinkel horror ! J'ai rarrangé Boecklin et Her- tel, et condensé Klinger, arrangé Brozik selon votre observation, supprimé Guillemet, le Ruysdaël du vieux Bercy! (celle-ci, vous l'expierez un jour!) Poirson, etc..

Piloty n'est-il pas embeaumé ("sic^ à l'heure qu'il est?

LETTRES 1883-1887 35

Je vais demainàDusseldorf (1). (J'aiétéà Dresde.)

Voir V Innocent VI de Velasquez à Londres et mourir.

J'irai peut-être à Munich. J'espère que vous ne trouverez pas mss conclusions trop exclusives. (D'autre part, vous savez que ma position ici n'a rien à voir là-dedans.)

Connais>ez-vous la p3tite manière de Menzel? En somme, je crois y voir de plus en plus clair.

J'ai passé des midis sur les hauteurs de Bade à m' abrutir de soleil et de verdure verte. Je suis affolé de vastes toiles limpides dans lesquelles on pourra se baigner ! Je n'aime plus les demi-ma- nières. Tout clair. Le noir seulement systéma- tique, comme chez Ribot par exemple.

J'ai envie de donner des coups de canif ou au moins des coups de plum3 (de mon aile d'oie) dans les portraits à fonds muUâtres (sic), fussent-ils du basque Bonnat.

Un jour vous avez conseillé au peintre Blanche (2) devant moi, de ne pas mettre d'eau dans son vin.

Mettez -vous toujours du vin dans l'eau de la rue Favart (8 pour les abonnés)?

(1) Laforgue dut remettre ce voyage à Dusseldorf et ne semble pas y être allé par la suite.

(2) M. Jacques-Emile Blanche.

36 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Camille Lemonnier et Duret sont-ils défunts^ l'un d'une indigestion de kermesse flamande et l'autre d'une ophtalmie?

C'est la seconde de ces fuis que je me souhaite pour plus tard.

Avec quelle œuvre êtes-vous en train de faire gémir les presses octave-uzannesques de Quantin?

Avez-vous le courage de travailler par cette chaleur qui fait éclore des infusoires dans les encriers ?

Au revoir (pour septembre).

Votre

Jules Laforgue.

Merci de faire passer la chose dans la Gazette même. Merci de tout.

LETTRES 1883-1887 37

LXXI

A M. CHARLES HENRY

Coblentz-Schloss, samedi [14 juillet 1883].

Mon cher Henrv,

Pardon pour ce papier de coifïeur.

Êtes- vous rue Berthollet? Que faites- vous? Je vois partout des machines sur votre bouquin. Peut-on en avoir un exemplaire ? En tout cas, f éhci- tations. Mais à quand votre roman ou vos poèmes en prose ? J'ai eu beaucoup de travail. Après dix jours à Berhn, venu à Goblentz, fait le Salon berli- nois en prose sage à idées sages pour le 1^^ août de la Gazette des Beaux- Arts, passé un jour 1 /2 à Co- logne, puis 4 à Munich, vu Bellanger devant les Rubens de la Pinacothèque ! Catalogues et notes. Je ferai également pour la Gazette l'Exposition internationale de Munich. Me revoilà à Coblentz,

38 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

avec le Rhin sous ma fenêtre, une photo de Velas- quez devant moi, fumant les pipes, regardant mes complaintes. J'en ai 30 à 40. Je les mettrai au net pour un imprimeur, que ça paraisse et qu'on n'en parle plus. Comme vous passerez votre 14 juillet enfermé chez vous, vous pouvez m' écrire quelques lignes pour me tenir au courant de vos fermentations littéraires et autres.

Et le barde de la rue d'Enfer?

Et les idiots de l'incident Corot-Trouillebert(l)?

Voyons, que se passe- t-il à Paris, ou du moins dans

le petit Rambouillet faisandé de Marie Krysinska.

Le feu d'artifice RoDinat est-il mort à jamais? Que

fait B***, ce doux?

Et Antoine Gros, ce primitif ? Et Charles Cros ?

Avez-vous fait la connaissance d'un vrai peintre ayant un œil ? D'un musicien ? D'un véreux ? Que savez-vous de Kahn ? est -il au Tonkin ? Non. Mais il doit être sur la fm de sa captivité.

J'ai fait venir la Sagesse de Verlaine. Trois ou quatre pièces de lui, voilà qui enfonce toutes les Chansons des Gueux, toutes les Sully-Prudhom-

(1) Peu après une vente, Alexandre Dumas fils avait découvert qu'un tableau qu'on lui avait vendu pour un Corot n'était qu'un Trouillebert.

LETTRES 1883-1887 39

meries qu'on sait. Il annonce un nouveau volume : Amour.

Soyez sûr que n'en voilà un qui reviendra à Mont- martre qui rime pour lui avec dartre maintenant.

Vous envoyé-je de mes complaintes? Elles vous plairont peut-être ?

Je suis pressé. Je fais de gros dîners indigestes. Et le soir je lis un roman de Guida !

Au revoir !

Jules Laforgue.

40 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXXII

AU. CHARLES HENR Y

Coblentz, vendredi [27 juillet 1883].

Mon cher Henry,

Je vous écris à la hâte.

J'ai reçu votre très intéressante lettre (pourquoi si rare?) hier au soir.

Par suite de complications l'équihbre euro- péen n'entre pour rien, mes congés commencent vers le 10 août et vont à peu près jusqu'au 1^^ nov.

Je serai à Paris dans une douzaine de jours. Y serez- vous ? Probablement pas. J'y resterai trois à quatre jours, de à Tarbes et en revenant je passerai deux semaines à Paris, vraisemblable- ment alors nous nous verrons.

Je tiendrais beaucoup à savoir votre impression de mes Complaintes. Je suis en train de les mettre

LETTRES 1883-1887 41

au net avec une pièce en un acte déjà vieille. Mon brusque départ me noie de besogne.

Merci des 2 Chat noir.

Marie Krysinska a sensibilité artiste à fond origi- nal, mais tout cela est bien noyé dans la rhéto. à la mode, n'est-ce pas ?

Elle écrit les Fenêtres parce que Lorin (1) a mis à la mode les Becs de gaz, les Maisons, les Voitures, etc. Il y a beaucoup de fabrique.

Maizeroy, etc., etc., m'ont dégoûté de tout cela. C'est l'école de Fortuny. J'ai en ce moment un idéal que j'essaie d'insuffler à mes Complaintes, et dont certaines pages de la Sagesse et des Aveux me semblent jusqu'ici les belles choses vraies.

Kahn, dans ses proses, avait de ces pièces-là. Le sonnet d'Icres, dans le même Chat noir, est assommant. Que de tempéraments versant ainsi dans le cabotin du jour. Nous parlerons avec plai- sir de tout ça à Paris, n'est-ce pas ? Je ne m'étonne pas qu'on ne vous ait pas répondu de Berlin. Ce sont tous des ours, des tardigrades.

J'ai passé deux ans à acquérir la conviction que c'est le peuple le plus activement antiartistique des peuples connus. Ah ! si j'avais écrit mon Salon

(1) Georges Lorin.

42 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

berlinois dans une boîte moins timorée que la Gazelle; enfin j'y ai cependant un peu soulagé mes nerfs.

Je ne songe pas à la Vie Moderne pour mes com- plaintes. Je crois avoir avec ces 50 un petit volums un peu propre. Eh bien, mon désir serait de faire en payant même si nécessaire un de ces petits volumes Kistemaeckers, sont publiés Huysmans, Mendès, Maupassant, etc., à peine quelques exemplaires, quelques-uns pour moi, c'est-à-dire les quelques êtres que mes choses peuvent dans ce genre intéresser, et le reste au hasard et au plaisir de l'éditeur. Je ne m'en occuperai pas davantage. Avez-vous des renseigne- ments sur ces petites éditions Kistemaeckers et sur ces sortes d'affaires ? Si l'affaire m'ennuie ou est chère, j'achèterai pour cinquante francs de cuivre, j'y autographierai moi-mêma m3s poésies, peut-être avec quelque machine de mon frère, je ferai mordre et je les ferai tirer sur bon papier rue Saint- Jacques à des exemplaires juste pour les êtres en question.

A la hâte. Je me suis trop attardé. Au revoir pour votre livre des lignes.

Jules Laf[orgue.]

LETTRES 1883-1887 43

LXXIII A M. CHARLES HENRY

Coblentz [début d'août 1883).

Mon cher Henry,

Je viens de recevoir votre lettre. Enchanté que vous so^^ez à Paris. J'irai tout de suite rue Berthollet. Merci du Salon ! ! Un ami qui loge à Montmartre m'a trouvé quelque chose du côté de la rue Drouot.

Je devais partir d'ici le 11, mais sous prétexte que je veux me figurer que l'Exposition des Cent chefs-d'œuvre (1) ferme le 10. Je vais intri-

(1) C'étaient, exposés Galerie Georges Petit, à Paris, et prove- nant des collections parisiennes, plus de cent tableaux de Corot, Courbet, Daubigny, Decamps, Delacroix, Diaz, J. Dupré, Fromen- tin, Fortuny, Carbet, Géricault, Isabey, Leys, Marilhat, Meisso- nier, Millet, Rousseau, Ary Schelïer, Troyon, Antonello de Mes- sine, Boucher, Greuze, Franz Hais, Pîobbema, Lancret, Metzu, Isaac van Ostade, Pater, Pieter de Hoog, Raibolini, Rembrandt, Rubens, Jacob Ruysdael, Teniers le jeune, Terburg, Isaac van de Velde.

44 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

guer pour partir d'ici le 9 et j'espère réussir (1).

Êtes- vous souvent chez vous? Guère, je crois, à part le soir, car ne vous tentent ni le cirque ni le théâtre.

J'ai maintenant fermé mes 40 complaintes (2) (préface en vers) et aussi franchement que j'en trou- vais d'abord quelques-unes très intéressantes, une dizaine au moins, aussi franchement je déclare que maintenant le tout me paraît petit et éphémère. Ce qui n'est pas éternel est court, et ce qui n'en- ferme pas tout est bien étroit, mais c'est ce que j'ai fait de mieux. Quant à ma pièce qai n'est point un drame ni une comédie, mais une pièce, un acte : franchement, elle me paraît maintenant un exercice dans ce genre avec une bonne volonté de faire autre chose que ce qu'on fait ordinairement, pas plus.

Vous savez que j'ai été faire le Salon de Berhn, que j'ai visité Dresde, Munich, Cologne. L'an pro- chain je ferai de semblables visites. Et un jour q.u l'autre j'essaierai un volume sur l'art contempo- rain ou plutôt germanique.

L'illustre Khnger, qui vous plairait beaucoup, est

(1) Laforgue, cette année-là, ne quitta Coblentz que le 10 août, passa une semaine en Belgique avant de se rendre à Paris et à Tarbes. (Cf. Agenda 1883, et lettre à Klinger, 15 septembre 1883.)

(2) Le recueil, définitivement, en contint cinquante.

I

LETTRES 18S3-1887 45

à Paris maintenant. Je vais tâcher à savoir son adresse.

Je crois que la Gazette lui a demandé un cuivre pour mon article.

Avez-vous VArt moderne de Huysmans ?

Bourget commence un roman, V Irréparable, dans la Nouvelle Revue.

Nous aurons beaucoup à bavarder dans votre salon, que vous me permettrez d'inspecter avec ma pipe, n'est-ce-pas ?

Au revoir.

Jules Laforgue.

46 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXXIV

A M. CHARLES HENRY

Coblentz [8 août 1883].

Mon cher ami,

Enchanté de vous être agréable, tout en regret- tant que ce soit à si peu de frais. Je vous envoie le papier en question, j'ai peut-être bien fait de le dater de la capitale, du titre pompeux en question, avec date, j'étais réellement dans ledit endroit?

Je crois qu'on ne me laissera partir d'ici que samedi soir ou matin. Mais c'est le plus tard.

Donc au revoir dans quelques jours.

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 47

LXXV

A M. CHARLES HENRY

Tarbes [22 août 1883] (1).

Mon cher Henry,

Je vous écris dans un lourd lendemain de cha- leur accablante de petite ville. Je ne fais rien. Je ne sais que faire. Le premier jour, repos; le second, visites; le troisième, promenade à Bagnères : toutes les villes d'eaux se ressemblent. Je vais tacher main- tenant de me faire un coin et d'y noircir consciem- ment, et non peu richement, des feuilles blanches.

Je fume des pipes. Je lisotte et je regarde les gens.

Je m'amuse avec des chats aux yeux gris.

(1) Cette lettre avait paru d'abord avec la date [octobre 1882] qui ne peut être qu'erronée, les indications que donne Laforgue dans cette lettre coïncidant exactement avec son emploi du temps pour août 1883, tel que nous le montre l'Agenda déjà cité.

<(c A :|c :(( :1c â

48 a:uvRES de jules Laforgue

J'irai vers le 24, 5, 6, à San Sébastian voir une vraie corrida de toros. Connaissez-vous la chose ?

Que faites-vous ? Tous ces jours passés à Paris, vous m'avez vaguement paru ne rien faire. Atte- lez-vous donc à un roman. Entre nous, je le souhai- terais avec la plus singulière et la plus sincère curio- sité. A votre âge vous avez un énorme passé de science, de bibhothèque et de vie; mettez- vous au roman; donnez-nous des choses riches et absolu- ment tirées de votre fonds et arrière-fonds. Mais vous y avez songé et le tout est de s'y mettre. D'ail- leurs, vous savez qu'il n'y a que ça au monde et vous avez conscience d'être de la race.

Si vous voyez Henry Gros, dites-lui de ma part tout ce que vous trouverez de mieux.

(On m'appelle pour déjeuner.)

Votre

Jules Laforgue.

Tarbes, rue Massey.

LETTRES 1883-1887 49

LXXVI

A MAX KLINGER

Tarbes, 15 septembre [1883].

Cher grand artiste,

Je reçois de Berlin et votre lettre et votre magni- fique cadeau. Que je vous dise d'abord que j'ai quitté Coblentz le 10 août, que j'ai passé une se- maine en Belgique, puis une semaine à Paris (sans avoir votre adresse !) et me voilà depuis quelque temps dans les Pyrénées (Biarritz, courses de tau- reaux à Saint-Sébastien), à Tarbes (Hautes-Pyré- nées).

Maintenant je vous remercie mille fois de vos Dramen (1) et du mot charmant que vous avez écrit à la première page de mon exemplaire. Je suis vraiment touché. Je vous assure que je n'y

(1) Dramen, album d'eaux-fortes de Max Klinger.

50 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

avais pensé. En disant de vous ce que je pensais dans la Gazette des Beaux- Arts (avez- vous vu le num'^ro du l^^" août?) je n'ai fait que mon devoir. Encore je crois que dans ce dernier article du 1^^ août, j'ai été un peu sévère ou du moins froid- J'aurais crier que vous aviez du génie. Enfin je m'acquitterai envers votre amabilité en publiant un jour une dizaine de bonnes pages sur vous uni- quement. A bientôt.

Le Luxembourg a été une déception pour vous ?

Revenez-y. Regardez Ribot, Cazin, Daubigny, Guillemet et d'autres.

Le Salon triennal est ouvert, nous le visiterons sans doute ensemble.

Je serai à Paris vers le 10 octobre prochain.

A propos avez-vous reçu autrefois une longue lettre envoyée de Coblentz dans le mois de juin dernier et adressée Mittelstrasse ?

Je suis très pressé. Je vous quitte. Je vous écri- rai bientôt en attendant d'aller vous serrer la main dans un mois à peine. Aimez Paris et surtout ses paysages de la banlieue, de la Bièvre. Du cou- rage, travaillez et Paris vous fera fête.

A bientôt, votre

Jules Laforgue.

à Tarbcs, rue Masscy (Hautes-Pyrénccs).

LETTRES 1883-1887 51

Je ne vous parle pas aujourd'hui de votre étrange et profond frontispice de vos Drameih étant trop pressé pour en parler sérieusement.

52 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXXVII

A SA SŒUR

Paris [lundi 30 octobre 83J (1).

Ma chère Marie,

J'ai reçu ton autre lettre. Misérable, va ! enfin, je te pardonne.

Il est midi devine ce que je viens de perpé- trer, de commettre ? Je viens de déjeuner sans doute.

Mais avant ça ? Devine ? J'ai été... non, je n'oserai jamais. J'ai été... poser chez un photographe. 0 mânes de Flaubert, veuillez me pardonner ! oui, c'est fait... dans six jours peut-être tu recevras un exemplaire de ma face. T'ai-je dit que j'avais été

(1) Cette lettre, publiée précédemment avec l'indication « sep- tembre », est assurément du 30 octobre à cause de l'allusion qu'elle contient aux congés de la Toussaint. En septembre, Laforgue était à Tarbes auprès de sa sœur.

LETTRES 1883-1887 53

voir Delcassé (1) et que j'avais dîné avec lui, et qu'il a publié une brochure politique intitulée Hervé... allons-nous?

Je n'ai pas revu Bourget. Chariot t'a-t-il encore répondu? Tous ces jours-ci je suis pris par Riemer qui a ses congés de la Toussaint.

Hier encore, nous avons été ensemble à la ^are de Lyon chercher Riefîel qui, après avoir séjourné à Constantinople, a parcouru l'Italie. C'est un sin- gulier individu.

Tu sais comme on s'ennuie les jours de fêtes : tous ces gens endimanchés. Puis, on ne sait aller, et impossible de passer l'après-midi chez soi, seul.

Hier Riemer et moi avons été à vêpres à Notre- Dame. C'était l'archevêque qui officiait.

Riemer a fait des calembours. Il a des habits neufs et comme il était cynique, je lui disais qu'il était un satyre. Oui, a-t-il répondu, un satyre, mais nippé (ménippée). Revu aussi Soula et Pérès (2).

(1) Théophile Delcassé (1855-1923), qui fut l'homme politique que l'on sait, avait été, tout jeune homme, de novembre 1870 à décembre 1872, répétiteur au Ij^cée de Tarbes il avait eu Jules Laforgue et son frère Emile parmi ses élèves. Il avait apprécié la vivacité d'esprit de l'enfant, et leurs relations se poursuivirent quelques années plus tard à Paris, Théophile Delcassé aban- donna l'enseignement pour le journalisme, puis pour la politique. Delcassé donna, en 1885, à la République Française, un compte rendu des Complaintes.

(2) Anciens condisciples du lycée de Tarbes.

54 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Que c'est embêtant de rester à Paris dans le provisoire ! Je n'ai pas encore été voir Ephrussi.

Vous autres, vous venez de dîner. C'est l'heure Mylord monte, puis fuite [?] aux jappements de Sarah. Parle-moi de tes leçons chez Madame La- bastre. Sais-tu la Marche funèbre ">

Les titres [?] Si j'étais près de toi, je te ferais maintenant mourir sous les charmilles. Te sou- viens-tu de nos dernières promenades au Massey ? Était-ce assez navrant !

Naturellement je n'ai pas été chez ma tante; dis à Emile qu'il peut m'envoyer ici le Saint Antoine. J'y tiens beaucoup, et je te demande à toi de faire ton possible pour qu'il l'envoie.

J'ai encore une lettre à écrire en Allemagne

Je t'embrasse. Adieu. Ne t'ennuie pas trop, et joue, en pensant à moi, La Dernière Pensée.

Jules.

LETTRES 1883-1887 55

LXXVIII

A M, CHARLES HENRY

Bade [mardi 6 nov. 1883] (1).

Mon cher Henry,

Je vous écris à la hâte que je suis arrivé samedi soir ici, une température de printemps humide. Nous ne restons ici que jusqu'au 12, de à Goblentz jusqu'au 1^^ décembre, puis Bedin.

Je me suis remis dans mes banaux engrenages. Et ça va. Pour me consoler, sur ma table, ma cire me sourit obliquement.

J'ai écrit à Bourget pour lui donner l'adresse de Gros (2), pour l' affaire (?) en question. Bourget s'attend à un prix d'artiste (et il le mérite), mais

(1) La date de cette lettre nous est fournie par l'Agenda déjà cité.

(2) Il s'agissait de l'achat par M. Paul Bourget d'une cire d'Henry Gros.

56 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

j'ai lâché cette insinuation sans l'avis préalable de Gros, et peut-être ai-je fait une bévue ?

(A ce propos, bonjour à Gros avec tout ce que vous trouverez de plus sincère.)

Tenez-moi au courant, n'est-ce pas, de vos proses slaves et de V Encaustique.

Bonjour à Bellanger avec mes regrets. Je vous écris à la hâte, ayant encore une dizaine de ces papiers à confectionner.

Mettez-moi aux pieds de M^^ Gandiani avec toutes les civilités de son abominable et puissant serviteur

Jules Laforgue.

A bientôt.

LETTRES 1883-1887 57

LXXIX

A M. CHARLES HENRY

Berlin, lundi, [17 décembre 1883].

Mon cher Henry,

Je vous écris à la hâte. Si j'ai tant tardé à vous répondre, c'est que j'espérais vous écrire en vous envoyant cette lettre de d'Alenibert.

J'ai d'abord attendre, pourvoir le directeur, la bonne disposition d'un tiers. La lettre est trouvée.

Je puis aller la copier près d'un certain docteur Glatt, lequel n'est chaque matin précisément qu'à l'heure de ma lecture. Je voulais attendre encore, espérant que cette lettre ne vous tarde pas. Et voilà que la bibliothèque va fermer pour les fêtes de Noël qui sont tout ici.

Êtes- vous pressé ?

58 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Quant au Ileyse et à l'autre, je vous enverrai ça ces jours-ci, devant recevoir des sommes.

J'aime beaucoup le poème de Kahn. Avec son sans-gêne. Il me doit une lettre. La cire de Gros avance-t-elle ? La mienne, hélas ! ne rm sourit plus sur ma table, -^ elle circule.

A la hâte, au revoir et mes bonjours à M"^^ Candiani.

Jules Laforgue.

A propos, on avait reçu ici votre demanda pour d'Alembert, on me l'a avoué cyniquement. Et on ne vous avait pas répondu, je crois?

LETTRES 1883-1887 59

LXXX

A CHARLES EPHRUSSI

Berlin, mercredi, [décembre 1883],

Cher Monsieur Ephrussi,

Vous ai-je écrit depuis que je suis à Berlin? J'ai revu M. et M^^ Bernsteinqui non seulement sont les personnes les plus artistes d'ici mais encore ont la bonté de ne pas remarquer ma sauvagerie. Nous avons vu les impressionnistes de chez Gurlitt (1), très intéressants sinon des plus significatifs. Pissarro est vraiment un monsieur sohde; mais nous n'avions pas de Caillebotte. Les Jockeys de Degas étaient merveilleux avec son culotté de tapisserie, mais pas de Danseuse. Devant les Renoir, toujours la même impression, c'est fin, c'est moelleux et chatoyant comme un pastel, son nu de femme est

(1) Marchand de tableaux à Berlin.

60 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

solide, savant, et curieux, mais je n'aime pas ce porcelaine lisse.

J'ai fait un assez long article de revue, une ex- plication physiologique esthétique (?) de la formule impressionniste que M. Bernstein traduisait pour une revue. Je le lui ai remis hier.

Vous ai-je dit que dans ces vingt jours, enfermé, cloîtré dans ce château de Coblentz, j'avais infi- niment pensé et travaillé? J'ai relu les esthétiques diverses, Hegel, SchelUng, Saisset, Lévêque, Taine dans un état de cerveau inconnu depuis mes dix-huit ans à la bibl. nationale. Je me suis recueilli, et dans une nuit, de 10 du soir à 4 du matin, tel Jésus au Jardin des Oliviers, Saint Jean à Pathmos, Platon au cap Sunium, Bouddha sous le figuier de Gaza, j'ai écrit en dix pages les prin- cipes métaphysiques de l'Esthétique nouvelle, une esthétique qui s'accorde avec l'Inconscient de Hart- mann, le transformisme de Darwin, les travaux de Helmholtz.

Ma méthode, ou plutôt ma divination est-elle en- fantine, ou ai-je enfin la vérité sur cette éternelle question du Beau ? On le verra. En tout cas, c'est très nouveau, ça touche aux problèmes derniers de la pensée humaine et ça n'est en désaccord ni avec la physiologie optique moderne, ni avec les

LETTRES 1883-1887 61

travaux de psycViologie les plus avancés, et ça explique le génie spontané, ce sur quoi Taine se tait, etc.

... Enfin on verra, et vous verrez... J'aurai du moins rêvé que j'étais le John Ruskin définitif.

Je mets la dernière main à mes quelques pages préliminaires sur l'Allemagne pour l'étude sur la National Galerie de Berlin (1).

Je n'ai encore lu de la Gazelle que le numéro de novembre avec la canne de Balzac. Autre chose, aussitôt arrivé ici j'ai pris la préface du Durer et j'ai cherché la faute d'impression. Je ne l'ai pas trouvée. Ai-je été autrefois victime d'une hallucination? Je me souviens pourtant que j'étais furieux de cette faute, qui était très grosse. J'ai ensuite lu et relu mot à mot cette préface avec l'obstination d'un noyé. Je n'ai rien trouvé, mais je ne désespère pas. Il faut que je trouve cette faute sous peine de m' avouer que je suis sujet à des hallucinations. Je suis au pied du mur.

Et maintenant une monstruosité dont seul je suis capable et dont je vais me soulager. Vous vous souvenez m' avoir envoyé dans les premiers jours

(1) Cette étude n'a été publiée qu'en 1895, dans la Revue blanche du 1er octobre (tome IX, n' 56).

62 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

de mon séjour ici une lettre pour une visite à M. Lippmann.

Cette visite, je l'ai différée, différée, tant qu'au bout de deux mois j'eusse été ridicule en y donnant suite. Sans compter que depuis j'ai revu M. Lipp- mann chez le Kronprinz. Cette lettre, je voulais vous la rendre. Je l'avais égarée dans les chaos de paperasses. Je viens de la retrouver. Vous la rece- vrez et voudrez bien excuser cette nouvelle mons- truosité de votre

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 63

LXXXI

A UNE DAME

Dimanche |29 décembre 1883].

Vous,

J'ai reçu vos lignes jésuitiques. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de canapé ? Que ne vous expliquez- vous clairement? Qu'est-ce que c'est que ces réticences ?

Vous parlez de mes tendresses plus que frater- nelles et moins qu'amoureuses avec... Avec qui ?

Qu'entendez-vous par Joseph? Si j'avais su que, selon votre propre expression, vous jouiez le rôle ingrat de Madame Putiphar, il fallait le dire, oh !

Je ne suis pas un Joseph ! Je suis un artiste ! un poète français ! un troubadour ! A votre service comme tel.

Sachez aussi que je ne bois de la bière ni chez Kroll ni ailleurs. Que mes joues ne sont point lui-

64 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

santés ni gonflées, mais pâles et creuses, surtout la gauche (parce qu'on m'a de ce côté-là arraché deux dents). Et que je n'ai pas de gros yeux vi- cieux, — mais des yeux moyens et bleus, doux d'une douceur très douce.

Après ça, vous êtes une drôle de personne.

Pour parler d'autre chose, je ne sais ce qui a été traduit de Heyse dans la Revue des Deux Mondes. Je n'ai pas une collection de cette revue ici, tandis qu'Henry l'a sous la main dans la première bibho- thèque venue, pour le reste je vous répondrai demain, c'est aujourd'hui dimanche et mon h- braire est fermé (geschlossen).

Je ne vous baise rien, ni le bout des doigts^ ni autre chose et ne suis pas votre

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 05

LXXXII

A CHARLES EPHRUSSI

Berlin, 31 décembre 1883.

Cher Monsieur Ephrussi,

Permettez-moi de vous souhaiter à la mode universelle et incorrigible bon an avec l'espoir que vous et les vôtres allez tous bien.

Nous avons ici un froid lupal (lupus, loup, ex- pression de Richepin). Par ce temps, je me suis fait arracher deux dents, plomber une troisième et connu le martyre des nuits blanches.

Je fais toujours couci-couçà de l'esthétique et je serais heureux si vous vouliez bien me donner les renseignements que voici.

Vous qui vivez depuis 10 ou 12 ans dans le monde de l'art et de la critique, pouvez- vous me dire comment est coté dans ce monde « l'Esthétique)) d'Eugène Véron, ce verbiage pédant et enfantin ?

66 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Ça a-t-il jamais été pris au sérieux, ces 500 pages arrivées à leur deuxième édition ? Je me suis toujours demandé qu'est-ce que c'était que cet Eugène Véron qui n'est ni le docteur Véron de l'Opéra, ni Pierre Véron du Chavari, mais Véron de VArt.

Connaissez-vous le comte ou comtesse Paul Vasili (1)?

Le travail de Claudius Popelin sur le Songe de Polyphile a-t-il quelque rapport avec celui que vous préparez ?

Et le nouveau roman de Bourget ? plus impie encore sans doute que le premier ?

L'Impératrice m'a fait cadeau à Noël d'un poisson d'argent presse-papier (du Béloutchistan), d'un plateau imité d'un du xv^ siècle en métal, d'une chancelière pour les pieds.

Avez-vous lu les deux nouveaux album de Caldecott? La dernière « Gazette » lue est celle de la Canne de Balzac par Froment Meurice. Pas lu

(1) Nom d'auteur sous lequel venait de paraître un ouvrage intitulé La Société de Berlin qui fit scandale alors et dont on attri- buait la plus grande part à un ancien lecteur de l'Impératrice, M, Gérard, qui, par la suite, suivit la carrière diplomatique. La publication de cet ouvrage renouvela autour de Laforgue l'atmo- sphère de malaise qu'avait créée la publication des articles d'Amédée Pigeon; mais la correction de Laforgue et son éloignement de toute question politique dissipèrent bientôt ces nuages.

LETTRES 1883-1887 67

encore celui de décembre, vous avez peut- être quelque chose.

Oublié de mettre la lettre à la poste, l^'" janvier 1884 les voitures de gala vont circuler. Bonjour et bon an. Dieu vous préserve de lire les lettres de M. de Rémusat avec sa mère.

Au revoir.

Votre

Jules Laforgue.

68 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXXXIII

A M. CHARLES HENRY

Mardi soir [janvier 1884|.

Mon cher Henry,

J'ai reçu les billets ce matin ? Votre lettre l'autre jour, puis une carte. Et ce soir ]a cire ! !

Des nouvelles de Heyse rien n'a été traduit, sauf, il y a un ou deux ans, quelque chose dans la Revue des Deux Mondes. Je saurai demain si la lettre d'Alembert est publiable. Demain aussi je montrerai la cire à son futur propriétaire. J'arri- verai très tard en soirée et j'entrerai dans le salon la cire sous le bras ! Elle est tout simplement délicieuse. L'expression est d'une finesse et saisie dans un moment irrespirable! Ah! le joli petit sphinx ! la plume, le cordonnet alterné d'or du chapeau, le collet strié d'or, et les dentelles retom- bant flasques sont d'un chiffonné exquis et discret.

LETTRES 1883-1887 . 69

Je ne l'ai encore vue qu'aux lumières, cette enfant. Je viens de la recevoir, il est 8 heures. Le fond en changera-t-il au jour? il est aux lumières très fin, très fin et à souhail. Aussi simplement que je vous dis cela, je dirni aussi que aux lumières seulement peut-être? le châle me paraît du ton de la cire ordinaire brun- rouge ou terre-de- sienne. J'en aurai rêvé un d'un autre ton plus rare. Qu'il prendra peut-être demain au jour? et (qu'en pensez-vous?) un châle écossais à carreaux blancs et noirs n'aurait-il pas été à se pâmer? Enfin c'est une petite merveille et m.... pour ceux qui ne seront pas amoureux de cette petite !

J'ai reçu la Revue libérale, mais un dilettanti me l'a aussitôt empruntée avant que j'eusse eu le temps de la couper. Elle va me revenir.

Et r Encaustique ? Et votre santé ?

Irez-vous voir les Manet (1)?

Avez-vous reçu mes Complaintes ? Voulez- vous, quand vous aurez un instant, vous en occuper, à votre gré ? Je paierai. Mais que ça paraisse vite et qu'on n'en parle plus. Ça peut-il paraître en avril ?

(1) Les cent soixante-dix-neuf toiles, aquarelles, pastels, eaux- fortes, lithographies et dessins de Manet exposés à l'Ecole des Beaux-Arts.

70 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Ma lecture m'attend (un proverbe d'Octave Feuillet dans la Revue). Je vous serre à la hâte la main. Je vous écrirai un de ces jours.

A propos, dites à Gros que nous allons exposer chez Gurhtt à côté, le Goupil de Beriin, ses deux cires.

Au revoir, au revoir.

Votre

Jules Laforgue.

Donnez-moi des nouvelles de V Encaustique. Aussitôt paru, vous verrez comme je vais le faire circuler.

LETTRES 1883-1887 71

LXXXIV

A M. CHARLES HENRY

Dimanche [Berlin, janvier ISSlj.

Mon cher Henry,

Je viens de recevoir vos trois lettres en une.

D'abord la cire. Son châle est pommade carmin, et le fond peluche bronze, tout est pour le mieux dans le plus coquet des mondes possibles. J'ai fait mon entrée dans ce salon comme je vous avais dit, toutes deux ont eu un vrai succès. La dame du monsieur trouve la Parisienne adorable, le monsieur l'aime beaucoup aussi, mais il préfère de beaucoup la mienne et la guigne et la prendrait volontiers à la place de l'autre. Bref, nous en avons causé, ce qu'on en peut causer dans un salon, et ce matin il me les renvoie toutes deux par son domestique sans un mot. Je le verrai mardi et saurai à quoi m'en tenir. De toutes façons,

72 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

s'il ne la veut pas, par dépit de n'avoir pas la mienne, après cependant l'avoir commandée et bien qu'il soit l'homme le plus artiste de Berlin (il a une douzaine d'impressionnistes, un Diaz, etc..) et Un des plus riches, eh bien, si Gros le veut, je la garderai pour ma bonne jouissance et la lui paierai quand je pourrai.

Quant à mon pauvre bouquin, je trouve sa note effrayante (1). Figurez-vous que, par suite d'un tas d'ennuis, je vis en ce moment sur mon trimestre avril-juillet et que par suite d'etc..., etc.. je ne pourrai donner 700 frs à un imprimeur qu'au premier janvier prochain, sans acompte possible que 300 frs en juillet. Mais trouveriez- vous donc bien une machine riche en papier vergé? Ne vaut-il pas mieux s'adresser à cet idéal Léon Vanier sur le quai avant d'arriver à Notre-Dame, Léon Vanier qui imprime sur un divin papier d'épicerie des vers de Verlaine, Valade, etc.. On lui commanderait une édition, le moins d'exemplaires possible, de 3^ classe (comme aux pompes funèbres) et on lui donne- rait 300 frs en juillet. Ce Lemerre me semble

(1) Le recueil des Complaintes, pour lequel, à ses frais, Jules Laforgue s'eflorçait alors, par l'entremise de M. Charles Henry, de trouver un éditeur à Paris.

LETTRES 1883-1887 73

grisé par le succès des illustrations en couleurs de ses livres d'étrennes, pour traiter si « fami- lionnairement » un rimeur considérablement mo- deste !

Merci pour ces tracas.

Je vous récrirai demain au sujet de la lettre di d'Alembert.

Bonjour et poignée de main à Gros. Maintenant je vais répondre à l'autre. Vous êtes tout de même heureux de voir les Manet. Et si j'avais le sou, je demanderais bien quinze jours. Au revoir.

Votre

Jules Laforgue.

74 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXXXV

A M. CHARLES HENRY

Berlin, jeudi [avril 1884).

Mon cher Henry,

Toujours malade donc? N'auriez-vous pas sur la conscience des plaisanteries imprimées sur les marchands de flanelle ? Deux jours de soleil (qui arrive, il arrive !) en auront raison.

Merci pour tous les ennuis du volume (qui commence à me sembler niais et faux à distance, mais je m'en f...) (1). Je viens d'écrire au Vanier qui doit être intelligent ayant publié le Paris moderne avec du Verlaine (d'après la crise). Je lui réponds manuscrit définitif. Je verserai les 200 francs en juillet prochain, etc., et je demande des détails sur le format, exemplaires à part (et qu'on m'en- voie les épreuves à moi, c'est bien assez).

(1) Les Complaintes.

LETTRES 1883-1887 75

J'ai envoyé à la Gazette un article qui me tenait à cœur, mais qu'ils ne voudront peut-être pas publier.

Je traduis pour la Gazette une brochure d'ici sur la polychromie en plastique (1). Je la ferai précéder de quelques Hgnes sur l'état de la question chez nous, avec Gros, entre autres citations.

Celui qui n'a pas voulu de la petite cire n'a fait ainsi que parce qu'il voulait la mienne. C'est un tort, mais il n'a rien de cuistre, au contraire. Il est très artiste, et il aura à tout prix une cire de Gros.

J'attends, n'est-ce pas, les détails sur la tête de cire.

Cros recevra vers mai la visite de deux types qui ont bien admiré ses deux cires, le plus habile peintre de l'Allemagne, Skarbina (2) (croate, hon- grois et non allemand) et son inséparable le

(1) La brochure Sollen ivir unsere Slatuen bemalen ? du docteur Trcu dont il est question clans la lettre LXXXVII à Charles Eplirussi. Rien de tel ne parut dans la Gazette des Beaux-Arts, ni dans la Chronique des Arts et de la Curiosité.

(2) M. Franz Skarbina a fait à Berlin deux portraits de Laforgue, une aquarelle inédite (buste), et, étude pour un de ses tableaux, un crayon, très documentaire sur le port de tête et de parapluie de Jules Laforgue, qui a été inséré, réduit, dans le texte de la bio- graphie de Laforgue par M. Gustave Kahn (Hommes d'aujourd'hui, 298).

76 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

D^ Diimond, dentiste de l'Impératrice, adorable bruxellois, artiste collectionneur, bon comme un belge, qui a des souvenirs (entre autres d' avoir connu Poe à Washington et l'avoir ramassé sur les trottoirs des tavernes) et qui lui achètera quelque chose. Mon cher, prêchez Gros. Gros gagnerait des sommes et des sommes sans déroger s'il se mettait à regarder les rues modernes et à faire des cires, des cires, des cires ! des grues, bustes ou en pied, des garçons de café, des piou- pious, des bébés et des jockeys ! et des -danseuses ! et du paysage bas-relief, des chiffonniers, des tas et des tas de jolies choses que j'entrevois et dont je n'ai jamais compris qu'il ne fût pas tenté. Allez ! qu'il s'y mette à la fin des fins ! je vous assure que je suis très fort en propagande. Je porte même à domicile. Je fais l'article. Et ici fat la foi. Prêchez-le (il faut croire peut-être que son esthétique de primitif répugne à ces sujets?). Non sans doute.

Ecrivez- moi donc un peu.

Votre

Laforgue.

LETTRES 1883-1887 77

LXXXVI

A MAX KLINGER

Baden-Baden, Maison Messner jeudi [juin 1884.]

' Cher Monsieur Klinger,

Gomment allez-vous ? que faites-vous ? Comment se porte monsieur votre génie ? Sans doute toujours très malade, ce qui est au mieux.

Je vous écris non pas pour vous faire des compli- ments, mais pour vous prier de m'envoyer, car j'en aurai besoin pour un travail (mais si vous ne vous en servez pas !). mes photographies de Paris. En attendant, pardon de l'ennui que vous donnera cet envoi.

La Gazette des Beaux- Arts publiera de moi un article (humble) sur V Exposition Menzel (1). Je

(1) Il parut dans le numéro de juillet 1884 de la Gazette des Beaux-Arts, sous ce titre : Correspondance de Berlin. Exposition de M. Ad. Menzel à la National Galerie.

78 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

n'ai pas manqué de citer en note votre eau-forte allégorique.

Je suis ici depuis un mois.

Mais avant de quitter Berlin, par un jour plu- vieux qui donnait toute sa lamentable poésie à cette gare et ces voies ferrées de petits villages autour d'une capitale, j'ai été avec M. Bernstein voir vos peintures à Steglitz.

Bravo ! les changements de décor des portes, trumeaux, linteaux, corniches et cheminées (les gens qui verront ça !) Selig sind die Glaubigen, die nach der Farbe hungert und diirstet, ils seront rassasiés.

Je me suis permis d'en jouir. Le nouveau ? Tout le travail de petits tons minutieux pour nourrir les reflets de l'eau, ou le terrain à herbes au solei].

J'avais peur que, comme il s'agissait de pein- tures murales, vous n'eussiez fait des teintes plates comme les autres. Vous avez fait des tableaux travaillés sans souci de l'architecture. J'aime beaucoup le tout. Quand j'accepte ainsi un tem- pérament d'enthousiasme, c'est que ce tempéra- ment est uniquement original et quand quelqu'un est original (il y en a si peu) il faut l'accepter en bloc, sans réserves. Je préfère même vos nus de femmes à tous les meilleurs nus d'école. Que

LETTRES 1883-1887 79

de détails à vous dire ! mais je serai à Paris dans deux mois.

Je m'arrête, au revoir.

Votre

Laforgue.

*****

80 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

LXXXVII

A CHARLES EPHRUSSl

Bad.-Bad., mardi [juin 1884].

Cher Monsieur Ephrussi,

Etes-vous toujours à Paris? Y étiez-vous quand ont paru vos articles derniers de la Gazette sur TExpos'it. des noces d'argent?

Avez-vous toujours l'héroïque amabilité de dé- chiffrer ma copie d^éternel débutant?

Avez-vous reçu mon cher et [?] paquet de pre- mier article sur l'Art en Allemagne, vous savez, l'indigeste bouillie esthétique ?

En tout cas, c'est envoyé depuis longtemps. J'espère que ça ne s'est pas égaré, je l'espère pour celui à qui la chose serait échue par erreur.

Je vous envoie trois pages qui m'ont coûté un temps, des visites et des recopiages infinis, sur l'Exposition de Menzel. Donnez-lui cinq minutes

LETTRES 1883-1887 81

de lecture, n'est-ce pas, quand vous n'aurez rien à faire, dans votre coupé, par ex.

Mon second article, celui sur Cornélius, est fini et également énorme, mais passablement nourri sans nulle biographie ou compilation, je crois.

Je vous enverrai aussi un de ces jours une page pour la chronique bibhographique sur VEncaus tique d'H. Gros et Ch. Henry qui vient de paraître.

Et le Polyphile ? Entre nous, je crois que vous vous dépensez pas mal en comités et en exposi- tions ?

Je lis beaucoup d'allemands (sic), V Esthétique de Fechner, terrible ! Un de ces jours je vous écrirai au sujet d'une brochure que je finis de traduire et qui pourrait paraître en trois fois, petit texte humble, Sollen wir unsere Statuen bemalen? par M. Treu, directeur du musée de Dresde, avec qui j'ai causé dernièrement, brochure dédiée à M. Bernstein et que vous avez sans doute déjà reçue et lue. L'étrange, c'est qu'elle est citée en note dans V Encaustique qui vient à peine de paraître !

Je suis à Bade depuis une semaine. Les deux santés vont assez bien et ne chancellent que dans les journaux.

Il est 2 h. du matin. Ma lampe est la dernière

82 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

qui brûle à Bade. Tout est éteint les chiens hur- lent à la lune; le jet d'eau de la cour en bas ruis- selle inépuisablement.

Lisez-vous les divins Bourget des Débats ?

Au revoir, à une prochaine lettre.

Votre

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 83

LXXXVIII

A M. CHARLES HENRY

Bade, vendredi [juin 1884].

Mon cher ami,

J'avais réservé ces cinq minutes pour aller rendre visite au Max. Du Camp qu'on a entrevu hier ici. Je vous écris.

L'article sur V Encaustique (1) est déjà à la Gazette, J'ai dit qu'il était pressé. J'espère qu'on le publiera avant ceux que j'y ai encore.

Au nom du ciel, portez vos lignes à la Gazette et, si ce n'est pas encore rédigé, portez-y d'abord vous l'auriez tout de suite prêt, je crois, un Durer ou un Vinci mathématiciens.

Connaissez- vous ce que Georges Guéroult a publié

(1) C'est-à-dire sur le livre que M. Charles Henry venait de pu- blier, en société avec Henry Cros, L'Encaustique et autres procédés de peinture chez les Anciens.

84 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

vers 1880 à la Gazette des Beaux-Arts après la revue de Ribot sur les lignes aussi (1)?

J'attends le Watteau (2).

Avez-vous lu, ce qu'il y avait à peu près à lire cet hiver, la Joie de vivre, Chérie, les Blasphèmes, Sapho même?

Mettez-moi une fois pour toutes au pied de la Regina. Pour me faire pardonner les griefs imagi- naires, je mets à ses pieds l'idée de traduire quel- que chose de Kraszewski (3), que cet énorme procès vient de mettre à la mode moins qu'avec votre habitude de ne jamais lire un journal à la maison vous ne sachiez encore ce que c'est que le procès Kraszewski.)

Vous vous êtes donc constitué l'ange gardien de mes Complaintes. Je recevrai donc les épreuves ici.

(1) Probablement Formes, couleurs et mouvements (1882, t. I, p. 165) ou bien, du même auteur, et publié l'année précédente, Du rôle du mouvement des yeux dans les émotions esthétiques (1881, t. I, p. 536; t. II, p. 82).

(2) M. Charles Henry a publié, mais seulement en 1886, Vie d'Antoine Wateau d'après le manuscrit autographe de Caylus. Ce que Jules Laforgue lui réclamait dès 1884, c'est sans doute cette version de l'essai du comte de Caylus, Elle diffère sensiblement (et pas seulement par l'orthographe du nom) de la version que les Concourt avaient trouvée dans les « Conférences de l'Académie royale de peinture ».

(3) Ignace Kraszewski, le grand écrivain polonais (1812-1887), qui venait d'être, en Allemagne, accusé de haute trahison au profit de la France et emprisonné à Magdebourg.

LETTRES 1883-1887 85

Pourvu que le Vanier ne l'oublie pas dans les délices de la campagne.

Ce serait une bonne action que donner une édition des Verlaine.

J'ai vu des pièces de son prochain volume Amour, C'est au-dessus de tout.

Villiers et Mallarmé devraient bien publier ce qu'assurément ils ont de vers dans leurs papiers.

Il fait très chaud ici on fait quatre repas par jour, ce qui nous force à fumer quatre pipes et huit cigarettes et alors on est gâteux et l'on souffle comme un phoque.

Dans deux mois mes vacances.

Je recommence mon manège, fermer les yeux pour revoir des endroits de Paris, les magasins du Panthéon, la station d'omnibus à l'Odéon, etc. Je vais me mettre à faire de sérieuses économies pour pouvoir toutes dettes payées (entre autres l'excel- lent Cros à qui je dois 250 francs) aller à Paris, sans fugue économique à Tarbes, et n'y ravoir pas les ennuis de la fois passée.

Si je peux prolonger jusqu'en novembre moins que je ne sois hors de l'Allemagne défmitivement), nous serons avec Kahn de Chanaan, ça sera corsé. Mais, le pauvre, il va retomber dans les femmes à passions et à noces noctambules.

86 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Il faudrait lui faire attraper une c , ça le tien- drait deux mois en repos, ci un Volume. Portez-vous bien.

Votre

Laforgue.

LETTRES 1883-1887 87

LXXXIX

A MAX KLINGER

Baden-Baden, dimanche (ever spleen day) [fin juin 1884] (1).

Cher Monsieur Klinger,

J'ai reçu les photographies en question ! merci. Vous êtes bien heureux d'être à Paris, à Paris je vous retrouverai sans doute dans un mois et demi.

Comment ! Vous avez été refusé au Salon ? N'aviez-vous envoyé que ce Burg de Boecklin ? (Vous savez que je vous dis toujours ce que je

(1) Cette lettre, qui a paru datée 1886, ne peut pas être de cette année-là, il y fait allusion aux mêmes photographies prêtées par lui à Klinger (cf. précédente lettre, p. 77) et que celui-ci n'aurait pas mis deux ans à lui renvoyer : ce n'est pas au bout de deux ans non plus que Laforgue aurait demandé à Klinger : « Commencez- vous à connaître Paris? » Klinger était à Paris depuis juillet ou août 1883. Cette lettre fait en outre allusion à l'article sur Men- zel qui parut dans la Gazette en juillet 1884.

^8 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

pense.) J'aimais votre Burg parce qu'il était de vous et que tout de vous est intéressant si mal que ce puisse être; ce Burg faisait de l'effet, la mer surtout était large; mais pour mon humble goût je trouvais le tout trop sommairement plat, sans aucun travail de pointe, soit, mais aussi sans recherche de nuance et d'effets profonds dans ces teintes noires, plates. (Je vous expliquerai mieux la chose dans un mois à Paris, d'ailleurs en toute humilité.) Mais j'espérais que vous aviez aussi envoyé autre chose au Salon, non ?

Je comprends que Meissonier vous laisse froid, {ni âme, ni tempérament : un greffier puant le récépissé et le bois sec) et que Munkaczy vous hor- ripile, un balayeur sans âme ni nerfs.

J'ai le catalogue de Rafaëlh : les titres des tableaux sont fort intéressants, les dessins aussi, mais le texte n'atteint malheureusement pas encore son but. Mais c'est un bon signal : l'annonce d'un temps enfin les artistes se décideront à se ra- conter eux-mêmes, à s'expHquer la plume à la main et à chasser des journaux la chque des faux critiques d'art.

Avez-vous vu dans la Gazette d'avril un petit dessin de Rafaëlh, un «Marché aux bœufs»? C'est une merveille.

LETTRES 1883-1887 89

Maintenant laissez-moi vous conseiller de lire les livres suivants que Riefïel vous fera facilement procurer dans un cabinet de lecture : U Irrépa- rable par Bourget (le premier écrivain de la géné- ration nouvelle) et A Rebours par Huysmans.

Quand ferez-vous quelques planches pour les Taies oj Edgar Poe ?

Commencez-vous à connaître Paris et l'âme française, cette âme que personne ne connaît en Allemagne ni ne veut connaître ?

Pour cela il faut habiter les templa serena et savoir le français à fond, la langue (pas celle de Voltaire ou de Béranger !) et avoir le courage de lire beaucoup.

Au revoir, poignée de main.

(Mon article paraîtra peut-être le h'^ juillet, ne sais.)

Bonjour à Riefïel qui ne m'écrit pas.

Jules Laforgue. Je quitte Bade jeudi pour Goblentz.

90 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

XG

A M. CHARLES HENRY

Coblentz, samedi [juin 1884].

Mon cher Henry,

Les deux cires sont toujours exposées au musée de Dresde, le directeur m'a écrit qu'elles faisaient furorCf et m'enverra des journaux.

En outre, d'après des arrangements, j'ai cru agir le plus rapacement possible pour notre ami, dès que le directeur pourra disposer de 500 francs (pas plus, hélas !) sur son budget qui est ridicule, m'écrit-il, il les mettra à une cire de Gros.

J'avais envoyé à la Gazette un gros article sur Menzel. Je reçois un mot du directeur, le nommé Gonse, qui, le trouvant a trop raffiné » pour ses abonnés, me demande l'autorisation de l'arranger un peu. J'ai répondu : soit, mais envoi] ez-moi les

LETTRES 1883-1887 01

épreuves (1). C'était sec. J'aurais refuser; mais je voulais voir.

Votre

Jules Laforgue.

(1) L'article parut dans le n" de juillet 1884.

92 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

XGI

A M. CHARLES HENRY

Coblentz, vendredi [juillet 1884J.

Mon cher Henry,

J'ai reçu votre lettre (d'aîné).

Mais, vraiment, vous me ferez plaisir en ne lisant pas le Menzel.

Il n'est pas de moi. Vous n'imaginez pas le français, la psychologie, l'esprit et même les affir- mations de faits que me prête ce monsieur.

Tout cela est d'ailleurs passé et l'incident est des plus clos.

J'ai été passer trois jours à Cassel. J'ai vu 20 Rembrandt, des Hais, des Rubens, des Van Dyck. Tout un trésor. Je rapporte quelques photos.

Le Vanier a raison d'attendre, et puis je pourrai revoir la chose et supprimer des grossièretés qu'une vulgaire conception de la force en httérature

LETTRES 1883-1887 9,'^

(l'éloquence ! tords-lui le cou (1), comme dit Ver- laine) m'avait induit à y laisser.

Je serai à Paris le 10 août, comme l'an dernier.

J'ai écrit, pour Heyse (qui vit encore) et Spiel- hagen. A bientôt réponse.

Poignée de main et au revoir à Gros.

Votre

Laforgue.

(1) Prends l'éloquence et tords- lui son cou.

(Jadis f'I Naguère.}

94 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

XGII

A M. CHARLES HENRY

Ile de la Mainau (1), [juillet 1884].

Mon cher Henry,

Je suis dans une île; je mange dans de la vais- selle royale les élucubrations de deux cuisiniers .français, je n'ai rien à faire, je reçois mes trois journaux par jour et je passe tdglich quatre heures sur le lac, seul, en canot (il y a même deux gondoles ici). Je rame, je rame, je vais fumer des pipes en regardant les pêcheurs jeter leurs filets, je m'amuse à poursuivre des branches qui flottent. Je me couche tôt, éreintè. Je vais parfois à la ville (Constance).

(1) Sur le conseil de ses médecins, l'Impératrice avait accepté cette année-là d'aller faire un séjour au château de Mainau dans l'île de Mainau, sur le lac de Constance, château qui appartenait au grand-duc de Bade.

LETTRES 1883-1887 95

Je crois que nous serons vendredi ou samedi à Hombourg (près Francfort). Nous quittons Hom- bourg le 10 août et, voilà le hic, j'ai peur d'avoir à passer encore, avant mon congé, une ou deux semaines au Babelsberg ou Potsdam, c'est-à-dire Berlin.

Avez-vous déjà quitté Paris? (J'attends un petit mot de, ou de la part de Gros, pour répondre à M. Treu) (1).

Vous me dites : si je vais à Spa. Pourquoi irais-je à Spa? J'irai directement à Paris. J'ai les Rimes de joie (2) parmi mes bouquins. Je m'étais long- temps proposé d'aller cette fois-ci à Londres. Mais « faulte de monnaie ! »

Nous y irons un jour ensemble plutôt.

Il est une heure, je ne suis encore ni lavé, ni habillé. J'irai à Constance dans une demi-heure. Au fond, je continue à mener la même vie vide. Il serait temps que je fisse autre chose. Je vous trouve heureux et complet, vous, d'être installé dans une existence. Je vais encore à l'état de cohs. J'aurais pu et j'aurais faire en ces trois ans des économies qui me permissent de quitter cet ici, de

(1) Voir la note de la lettre d* avril 1884.

(2) De Théodore Hannon.

f)6 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

rentrer à Paris et d'y flâner un an en attendant quelque chose. Voilà, je vis au sein de l'Inconscient; il aura soin de moi.

Je me bats les flancs pour mettre des lignes sur ce papier, sous le préjugé que c'est du papier à lettre et qu'il faut que sa destinée s'accomplisse.

Au revoir.

J'espère encore n'aller pas au Babelsberg et palper les mains de votre silhouette dès le 10 août.

Votre

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 97

XCIII

A M. CHARLES HENRY

[Novembre 1884].

Mon cher Henry,

Je ne comprends pas que tu n'aies pas reçu cet argent de la Gazette. Je vais écrire tout de suite à Ephrussi. Je te renvoie le numéro de l'Encaus- tique. — C'est tout simplement navrant.

Le passage en question n'est pas de moi et sert à remplacer toute une demi-colonne qui, enlevée, fait que le reste n'a plus ni queue ni tête.

Puis encore quelques lignes enlevées avant le dernier paragraphe. Ah ! ils sont intelligents dan^ cette boîte !

Tu n'as pas idée de ce que je m'embête ici. C'est à crever. Je fais mauvaise mine. Je ne travaille pas. Je passe mon temps à lire la Guerre

98 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

et la Paix, de Tolstoï, en fumant des pipes bonnes.

J'attends quelque chose d'extraordinaire tou- jours.

En attendant ce beau jour du retour.

Ton Laforgue. Bonjour à Madame, si elle est de bonne humeur.

LETTRES 1883-1887 99

XCIV

A CHARLES EPHRUSSI

Coblentz, jeudi, 20 novembre 1884.

Cher Monsieur Ephrussi,

J'espère que le nommé choléra ne vous a pas chassé vers Versailles l'Invulnérable et que du moins vous et les vôtres êtes en parfaite santé.

Voilà deux semaines que je suis ici et je me remets seulement. L'Impératrice m'a demandé de vos nouvelles comme toujours. Elle est toujours la même, sauf à certains moments une certaine immo- bilité morne que je ne lui connaissais pas : la tête toujours absolument libre d'ailleurs. Nous arri- verons à Berlin le 1^^ décembre avec de la neige probablement.

Avez-vous vu dans la Revue Universelle (cette

VJniversTJiaJ' BIBLIOTHECA

100 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

revue bleue de Genève) (1) quelque chose sur votre Durer (numéro d'août).

Je ne perds pas de vue ma chronique. Puis-je vous envoyer comme première chronique (vous la recevriez avant le 15 décembre) un article avec extraits (six à huit pages, petit texte) sur la fa- meuse brochure de M. Treu : Sollen wir, etc..

Je l'ai entièrement traduite depuis des mois. Comme vous le pensiez, une traduction in extenso déborderait la Gazette. Un article ira donc? Les abonnés seront ainsi mis à peu de frais au courant de la question de la polychromie en sculpture.

J'ai retrouvé ici un lieutenant de hussards (comte Hohenthal) parent du peintre Hébert, celui des mosaïques du Panthéon.

Avez-vous lu l'article sur le Rouge et le Noir de Bourget dans les Débats ? Je viens de finir la Guerre et la Paix de Tolstoï (3 volumes). C'est une des choses les plus étonnantes que j'aie lues. C'est autrement « surprenant » que les eaux-fortes sur la guerre de Lançon, si inexplicablement vénérées par ce bavard de Fourcaud.

Et je me suis mis à un roman américain : A gentleman of leisure.

(1) Plus exactement Bibliothèque Universelle.

LETTRES 1883-1887 lOi

Il fait triste ici, il neigeotte et le Rhin est toujours plat comme une sole et par conséquent peu en- combré de bateaux.

J'espère pour vous (êtes-vous mélomane?) qu'on va réformer ce pauvre Opéra. Ah î si on faisait un pont d'or, sans cahier des charges, à Lamou- reux ! Vous souvenez- vous des articles de Weiss sur l'Opéra de Francf ort-sur-le-Mein ?

Mais non, vous serez encore longtemps abandonné, à Guillaume Tell, au Prophète, à Robert le Diable. Et moi j'entendrai bientôt encore la Walkiire.

Je verrai aussi en arrivant le numéro de décembre de la Gazette. Y avez-vous quelque chose ?

L'auteur de l'article sur les Affiches (V) est-il aussi l'auteur de la Velléda qui est au Luxembourg?

A bientôt, c'est-à-dire à une prochaine lettre, car en voici encore pour dix mois loin de Paris. Mais qui sait ce qui adviendra ?

Une poignée de main à M. votre frère. Mes bien

respectueuses salutations à Madame votre Mère.

Votre dévoué

Jules Laforgue.

P.-S. Que je vous dise, seulement pour me-

(1) Ernest Maindron, Les Affiches illustrées, Paris, Launette, 1886, in-4.Get écrivain n'avait rien de commun avec le sculpteur Hippolyte Maindron, auteur de la Velléda.

102 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

moire, que la lettre en question n'est pas arrivée pour moi 22, rue Berthollet, de la part de la Gazette. C'est sans doute qu'elle ne doit pas arriver? Ceci simplement pour acquit et en m' excusant à ce pro- pos, comme je n'ai pu vous l'expliquer, du retard que j'apporte à m' acquitter encore complètement. Je suppose que vous me connaissez et que vous n'attribuerez pas à de l'indélicatesse ce qui n'est que de la nécessité la plus ennuyeuse.

LETTRES 1883-1887 103

xcv

A M. CHARLES HENRY

Coblentz, dimanche [30 novembre 18841.

Mon cher Henry,

Nous partons demain matin pour Berlin (tou- jours la même adresse, Prinzessinen Palais). Figure- toi que j'ai été malade tout ce temps-ci : palpi- tations, point de côté, etc., et absolument veule. Je me remets et commence à dormir.

J'espère que tu n'as pas été dans le même cas, de quelque côté que ce soit?

Madame*** comprendra pourquoi j'ai fait traîner en longueur l'adaptation de la Fille des neiges (1) que voici enfin.

C'est ce soir que je lis à l'Impératrice les lettres de d'Alembert.

(1) D'Andersen.

104 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Nous partons demain matin à 9 heures, et ar- rivons à 11 % heures du soir. De la neige partout.

Heureux homme, à Paris, un Ghoubersky chez soi, et des besognes. Je crois que tu ne me tiendras au courant de rien. Il faut tant de courage pour écrire un bout de lettre.

Et Kahn? Il m'écrivait de Tunisie. Et de Paris maintenant point. Je vais lui écrire un de ces jours en adressant chez toi.

Au revoir. Aux pieds de Madame***. Bonjour à Kahn et à Gros.

T'ai-je dit que j'avais reçu la pipe? Merci. Reçu aussi l'article dans le XI X^ Siècle la phrase de conclusion est une trouvaille solide comme le XI X^ Siècle n'en imprime pas souvent, même quand il fait de la philosophie de l'histoire.

Ai-je laissé un dict[ionnaire] anglais chez toi ? Dis-le-moi pour me rassurer seulement quand tu m'enverras un mot, mais ne l'envoie pas en tout cas.

Je te serre la main.

Laforgue.

I

LETTRES 1883-1887 105

XCVI

A M. CHARLES HENRY

[Berlin, décembre 1884]

Mon cher Henry,

Sur le point de t' écrire une longue lettre (style filial et carotteur), je ne t'écris qu'un billet...

Son secrétaire [de l'impératrice] avait déjà lu cette plaquette sur Frédéric II que tu m'avais donnée il y a trois ans (1).

A la hâte, santé, salutations, et à bientôt une lettre.

Ton

Laforgue.

(1) Deux pages inédites \ de \ la vie \ de \ Frédéric le Grand. Extrait de Ja Nouvelle Revue du 15 avril 1881. Paris, 1881, librairie de J. Baur, éditeur.

106 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

XGVII

A M. CHARLES HENRY

[Berlin] 1" janvier [1885].

Mon cher Henry,

J'ai reçu par mon libraire le livre de Verlaine (1). Je trouve absolument nulles toutes les pièces longues, sans musique ni art, de Naguère. Mais j'adore Kaléidoscope, Vers pour être calomnié, Pantoum négligé, et Madrigal. Mais que de came- lote à part ça du Goppée de vieux vers ou- bliés des Poèmes Saturniens (descriptifs).

As-tu tenu le volume? A propos, je serais bien heureux si Gauthier- Villars qui bonjour) te rendant mes poèmes maudits (2), tu me les en- voyais pour que j'en féconde ici mon pianiste (3).

(1) Jadis et Naguère.

(2) Laforgue veut parler du livre de P. Verlaine ; Les Poètes maudits. Vanier, 1884.

(3) Théo Ysaye.

LETTRES 1883-1887 107

Parole d'honneur, je t'enverrai bientôt une bonne longue causette ainsi qu'à Kahn.

En attendant, bonjour à tous, surveille les alen- tours de tes pectoraux et émarge au budget.

Ton

Jules Laforgue.

108 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

XGVIII

A M. CHARLES HENRY

Jeudi [janvier 1885],

Mon cher ami,

Merci pour les Poètes maudits.

Fait-il beau à Paris? Ici j'ai dans les yeux en ce moment les Linden dans un joli brin de soleil d'hiver. Je songe à la place deMédicis parce temps- et je me sens rudement exilé.

Je ne fais rien depuis le 1^^* décembre, c'est-à-dire mon arrivée ici. J'ai le cœur vide de tout le vide de la province, et alors, comme tu sais, c'est la question féminine qui s'installe, plus insoluble que la question d'Orient. Je ne puis la résoudre ici et en à compte sur l'infmi que par deux ou trois contemplations platoniques, et de hasardeux dériva- tifs physiologiques. Tout cela pour dire que je m'embête inexprimablement. Je ne lis rien, je

LETTRES 1883-1887 109

fume des pipes. J'entends du piano. (Kahn connaît-il les sonates du vieux, c'est-à-dire de Beethoven?) Je me couche à 3 heures.

Mais je ne te dis pas tout cela d'une façon assez intéressante.

Et toi? Quels papiers? Quels rêves? Quels Vincis préhistoriques? A quand les lignes et le roman?

Gros, à qui j'ai écrit pour l'Exposition d'ici, ne me donne pas signe de vie. Dis-lui, si tu le vois, qu'il s'agit presque de faire honneur à des engage- ments et qu'il a tout avantage de donner un coup de collier à cette occasion.

Dis-moi aussi, entre nom, ce que fait Kahn, en sont ses vers, sa prose et son indépendance-

Après le Maître de forges d'Ohnet Hoél Après Théodora Holàl

Et le jeune Eliacin Marsolleau? Au revoir. A quand?

Jules Laforgue.

110 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

XGIX

A M. CHARLES HENRY

Mercredi [mars 1885].

Mon cher ami,

Je ne te réponds qu'après avoir envoyé à Vanier ta figure que je lui conseille et qui ira bien; d'au- tant plus que s'il remet la publication de mon malheureux volume au jour je lui aurai livré ses armes parlantes par un artiste d'ici, ce n'est plus la peine d'en parler. Je quitte BerUn dès le 15 avril, et de plus les personnes qui auraient acheté mon volume ne seront plus dès le 1^^ mai.

Enfin toutes les plaintes sont superflues. Que sa volonté soit faite et non la mienne.

Que penses-tu de Lindenlaub ?

Il n'est pas riche au premier abord. Mais peu à peu on voit qu'il sait pas mal de choses, d'expé-

LETTRES 1883-1887 111

rience, et d'intéressantes. Il meuble bien, comme verve, dans un cercle de camarades, en fumant.

Kahn me doit une lettre.

Je m'intéresse pour le moment à un volume de nouvelles.

Et toi ?

Rien ne me serait plus facile que de revenir un peu le l^r mai pour le Salon mais denaro.

Au revoir, en août seulement.

Je te serre la main.

Jules Laforgue. Merci toujours pour tes corvées chez Vanier.

112 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

A LÉON VAN 1ER (1)

Berlin, dimanche [mars 1885 j.

Cher monsieur Vanier,

M. Kahn insistant pour un ex-libris quel- conque, je vous envoie, puisqu'il faut en passer par là, vos initiales gothiques sur enseigne ter- minée en gousses de pavot. (Pavot ne fait pas allusion à vos livres en général, mais simplement au mien.)

A la hâte, poignée de main empressée.

Jules Laforgue.

(1) Toutes les lettres à Léon Vanier, l'éditeur, ont trait aux Complaintes, qui parurent chez lui.

LETTRES 1883-1887 113

CI

A M. CHARLES HENRY

Mardi [mars 1885].

Mon cher ami,

Je t'envoie à la hâte les 100 francs pour le billet souscrit. Crois qu'il faut que je sois réduit au juste jusqu'à juillet pour que je ne m'acquitte envers toi ni envers Cros. Ça viendra en juillet. Ton ménage va-t-il bien ?

J'oublie toujours de te demander si c'est chez toi que j'ai laissé mon dictionnaire anglais-français de Spier. Je ne sais il est passé, et comme je lis les revues d'art, je suis obligé d'en acheter un.

N'oublie pas que tu me dois une lettre.

Grande fête. 70^ année de Bismarck. Ma chambre pleine, pour mes trois fenêtres donnant sous les tilleuls passeront les cortèges.

114 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Je me remets à faire des vers (1). Poignée de main et des nouvelles de toi.

Ton

Laforgue.

(1) Probablement des poèmes de Vlmitalion de Nolre-Damt la Lune que peu après il dit avoir fini.

LETTRES 1883-1887 115

cil

A M. CHARLES HENRY

Mercredi [mars 1885].

Mon cher ami,

Merci pour tes bonnes et intéressantes quatre pages. Tu ne me gâtes pas. C'est la lettre d'un homme qui se porte bien. Je te félicite.

Je crois que nous passerons avec Kahn un été à s'en lécher les doigts. Je vais m'y préparer di- gnement. A nous l'esthétique !

Je commence sincèrement à m'efïrayer de tes vues sur moi.

Je t'enverrai des pages de poétique, je serai comblé d'être ton sujet dans la Revue indépendante^ après nous le déluge. Je fmirai par y croire. Je vais m'y mettre.

Je n'ai rien reçu à propos d'Haraucourt et c'est toi qui m'apprends je croyais, par Kahn, que ce n'était que quelques mots dits en l'air chez Moréas ou dans la boutique de Vanier c'est toi qui

116 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

m'apprends que c'est plus grave et que la stigma- tisation dans le Lutèce a été jugée nécessaire (1). Pour un pauvre livre qui n'a pas encore paru, c'est rai de ! Mais il n'y a nulle illusion d'impor- tance publique ces attaques perdent leurs droits. Vanier ne m'a pas envoyé le journal. J'espère que tu seras assez gentil pour me l'envoyer. Je meurs d'envie de voir ça. Ne me fais pas languir; j'en perds l'appétit.

Je ne voudrais pas t' embêter avec le diction- naire anglais. J'en ai bien un ici pour lire à la biblio- thèque, mais c'est que le 25 avril nous partons pour Bade, j'aurai les revues anglaises, mais point de dictionnaire.

Je te demande en grâce de t'opposer absolument à la petite figure de Vanier, plutôt rien (2).

Au revoir. Quand changes-tu d'adresse ?

Ton

Laforgue.

(1) Le n" 163 (8-15 mars 1885) de Lutèce avait publié de Lafor- gue la Complainte propitiatoire à l'Inconscient et la Complainte- placet de Faust fils. Au numéro suivant, deux poètes exprimèrent leur indignation : M. Georges Trouillot, avocat, par une lettre datée de Lons-le-Saunier, 9 mars, et M. Edmond Haraucourt, par un fragment de lettre enclavé dans un article anonyme, intitulé : ils vont.

(2) Aucune vignette éditoriale ne s'imprima sur la couverture des Complaintes, Laforgue réprouvait la marque habituelle de la maison Vanier : une Folie s'écartelant sur un livre ouvert.

LETTRES 1883-1887 117

cm

A LÉON VANIER

Mardi [avril 1885].

La « petite baladeuse » (ce nom n'est pas de moi) est fort gentille, mais serait déplacée dans le cas présent.

Je connais des peintres ici, mais aucun du nom de Wagner ! Je tâcherai de vous faire dessiner les armes parlantes en question par un vignettiste qui n'est pas à Berlin en ce moment. Il faudrait attendre peut-être deux mois. En attendant, le mieux ou du moins le plus expéditif, est, je crois, de mettre mes pavots pour mes Complaintes. C'est à peu près propre et tout en traits simples. Ça ne tire pas l'œil. Il me tarde bien que tout cela soit arrangé. Mettez-moi donc mes pavots pour moi, je vous aurai votre vannier poétique pour vos autres titres. C'est dit.

118 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CIV

A LÉON VANIER

[Avril 1885].

Maintenant pour votre ex-libris, enlevez la petite baladeuse, certes. Par quoi la remplacer ? Vous dessiner des armes parlantes, j'en serais fort incapable. Si c'est un ex-libris pour vos Complaintes particulières et non pour vos éditions en général, j'aimerais qu'... vous mît dans votre « livre ouvert » une figure géométrique (symbole de fatalisme), par exemple celle du théorème : la somme des angles (Vun triangle est égale à deux droits (formule qui se trouve dans une de ces complaintes d'ailleurs), tout en conservant vos L. V. ou bien un alpha et un oméga : a ^o (symbole également), ou bien ne laissez que le livre ouvert avec vos initiales tout simple- ment.

LETTRES 1883-1887 119

cv

A M. CHARLES HENRY

Berlin, vendredi [avril 1885].

Mon cher (scientifiquissime),

Merci du D^ (1) anglais. J'ai eu, en efîet, la Liitèce par Vanier. Félicite pour le quai d'Anjou.

Je vois ça d'ici. Tu ne pouvais mieux choisir, des murs vieux, de l'eau l'on vit, toujours aristo avec ça.

J'ai commencé à noter la poétique, mais tu sais que je n'ai pas de brouillon de mes Complaintes et que je ne les sais pas non plus par cœur. Com- ment citer? Attends encore un peu. Ce sera plus franc et plus sérieux. Tu me combles pour la Revue*

Peste, oui, je voudrais bien y paraître ! si on prenait dans les Complaintes, ce serait absolu-

(1) Dictionnaire.

120 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

ment dans les choses déjà corrigées (celles-là ont été revues et parfois modifiées). Les épreuves que tu vois ne sont rien à côté de celles que je renvoie à Vanier et j'en suis bien soulagé. Par exemple, celles des Formalités nuptiales, dont tu me parles; j'ai mis angle comme on dit dans le rayon (pas géométriquement ni topographiquement), mais jet comme d'une lanterne "sourde de voleur. Je crois qu'on peut garder angle : cercle ferait les vers impos- siblement faux d'ailleurs.

Kahn m'a écrit une lettre très drôle, un peu pompette. Ça sentait vraiment l'escapade. Kahn et le mois de mai, quel couple !

Je crois que nous serons lundi soir à Bade (toujours Villa Mesmer). Il faut que j'y vienne à bout de mon premier roman : Saison (ça s'appelle ainsi jusqu'à présent). J'ai aussi un g'^ article pour la Gazette, Et le reste !

Je viens de voir l'article du Journal des Savants , l'on parle du « jeune savant ».

Sais-tu du nouveau? As-tu des conjectures sur ce qui se passe dans les hautes sphères de l'admi- nistration éditoriale sise en l'encéphale de Vanier ? T'a-t-il jamais dit une date pour la livraison du volume ? As-tu vu les épreuves telles que je les ai renvoyées ? Elles sont un peu délicates, surtout

LETTRES 1883-1887 121

dans les additions (1). Crois-tu qu'on s'en tirera et que du moins Vanier y met de la bonne volonté et un brin d'amour-propre ? Si tu as un mot pour me rassurer, tu seras bien gentil, bien marquis de Marigny (dont nous ferons les Folies-Marigny) en me le mandant.

Au revoir. Au 10 août. Le pianiste (2) sera à Paris l

Ton

Jules Laforgue.

(1) Quelques coquilles échappèrent aux corrections.

(2) Il s'agit toujours de Théo Ysaye.

122 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CVI

A THÉOPHILE YSAYE

Baden-Baden, [mai 1885 (?)]

Mon cher Théo,

Comment donc! Pourquoi ne reçois-je plus de lettres? Un malheur t'est-il arrivé? Ton silence m'est inexphcable. Si le destin le veut, je pense que nous serons le 15 de ce mois à Babelsberg. Je ren- trerai avec plaisir à Berlin. Mais au nom de tout ce qui nous reste de foi, donne-moi de tes nouvelles, dix lignes suffisent. Ma vie est toujours affreuse- ment la même. J'entre dans une période d'apa- thie, c'est pourquoi je me suis payé un néologisme : je me « madréporise ». Mon Dieu ! J'aimerais vous voir vous « madréporiser », comme je me « madré- porise », moi : vous vous en étonneriez.

J'ai reçu un cadeau de l'Impératrice, un ther- momètre enchâssé dans une clef. J'en suis flatté.

LETTRES 1883-1887 123

Mon cher, mon vieux camarade, donne-moi de tes nouvelles ou tu me feras de la peine. Entendu. Je t'embrasse.

Jules.

124 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

GVIl A M. CHARLES HENRY

[Mai 1885].

Mon cher ami,

Je serai probablement, très probablement, dans deux mois à Paris.

Il est à peu près certain aussi que j'irai à Tarbes.

En attendant, je m'embête, je vis comme un repu, sous toutes les faces, et travaille un peu, la nuit quand il fait frais et que la journée a été lourde.

Je fais une Salomé (1) ! !

Et en définitive je ne sais que faire.

Kahn ne m'envoie jamais de vers. Il se recueille, comme la Russie de Gortschakofï. Les mésaven- tures de M. Du Camp trouvent ici un écho sympa-

(1) Première esquisse de la Salomé des Moralités légendaires.

LETTRES 1883-1887 12Ô

thique et dolent. J'oubliais de te dire que, aussi- tôt lus, j'ai mis tes articles à la poste pour Berlin à un professeur très bibliophile et qui est l'initia- teur d'une société de bibliophiles allemands.

Je ne te parle pas de mes Complaintes; tu es autant que moi au courant de cette histoire lamen- table. — On décernera à Vanier le titre de Fabius Cunctator parce que, à supposer qu'un poète lui confie un manuscrit payé, que ce poète s'appelle Cund et qu'il compte avoir son livre au j our convenu, on pourra dire de lui : Gunct a tort de compter, etc. J'en resterai sur ce mot, qui te donne la mesure de mon régime ici. Je n'en suis pas moins toujours digne de te lire et suis ton serviteur.

Jules Laforgue.

126 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CVIII

A LÉON VANIER

Berlin, lundi [mai ou juin 1885].

Je vous renvoie ces épreuves. Vous verrez que j'ai beaucoup ajouté à la pièce les Voix, etc.. pour moi la plus importante (significative) en ce sens du volume. J'ai numéroté la série des distiques pour l'ordre dans lequel ils seront placés. Une erreur dans cette pièce me désolerait.

LETTRES 1883-1887 127

CIX A M. CHARLES HENRY

Bade, samedi [1885].

Mon cher ami,

J'ai reçu la charmante et déhrante lettre de Cernay.

Le blason des barons est trouvé 1

Est-ce que Kahn a des ramifications dans ce monde-là?

Je ne sais trop si nous irons à Coblentz. Peut- être à Berlin.

Tu dois voir de ci de dans les feuilles de Paris des bulletins de santé qui en disent long.

Je n'irai guère à Paris qu'au 10 août, comme tou- jours. Et cette fois probablement pour y rester. C'est très compliqué à raconter, ça dépend de mille riens (en dehors d'un gros fait qui bâclerait vite la chose).

***** Q

128 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Kahn t'a peut-être parlé d'une Imitation de Notre-Dame la Lune, une trentaine de pièces. C'est fini, archi-copié. Je n'y ajoute plus une virgule et je m'en débarrasserai à Paris le mieux possible, en payant naturellement.

Tu connais VHérodias de Flaubert. Je viens de finir une petite Saiomé de moi.

Ah ! mon cher, qu'il est plus facile de tailler des strophes que d'établir de la prose 1 Je ne m'en étais jamais douté.

J'ai tout un roman en scène et notes dûment classées. L'idée d'arranger et polir ça d'ensemble me fait froid dans la nuque.

Je trouve que l'étude de Charles Morice donne une idée très intime de Bourget. L'as- tu lue ?

Au revoir. Nous causerons. En ménage d'Huys- mans, c'est amusant quoique de surface, mais au fond c'est bien une plaie capitale.

Et nous ferons nos poèmes en prose projetés d'antan.

Je te la serre.

Jules Laforgue

LETTRES 1883-1887 129

ex

A LÉON VAN 1ER

Coblentz, jeudi [juillet 1885],

Enfin !

Mais hélas, page 118 (1) que vous m'avez esca- motée, — au 5^ vers manquent 3 syllabes : ainsi.

Quand Vai-je fécondée à jamais! Oh! ce dut...

Au 7^ lire :

Je fai, tu m'as, et non : tu nias, et au même vers : Partout au lieu de Partant. Enfm, c'est fini. Et le reste a bonne mine.

(1) Complainte du Temps et de sa commère l'Espace.

130 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXI

A M. CHARLES HENRY

[Juillet 1885].

Mon cher ami,

Je quitte Goblentz demain lundi pour Hombourg (près Francfort-sur-le-Main) (au château) je reste jusqu'au 17, de à Potsdam. Tu dois avoir reçu un exemplaire des Complaintes. Imyoïs qu'il y est resté des fautes d'impression et autres.

Je t'enverrai demain sans faute les notes intimes en question.

Donne-moi l'adresse de Kahn dès que tu auras un moment.

Je suis très pressé, malle à faire, etc..

Je t'écrirai longuement demain.

Je travaillotte, et toi ?

Je te serre la main.

Je t'écris et t'envoie ça demain.

Ton

Laforgue.

LETTRES 1883-1887 131

GXII

A M. CHARLES HENRY

Hombourg, mercredi [juillet 1885],

Très précieux jeune homme et même ami,

Reçu ici ton article qui te sera payé au centuple dans un monde meilleur, Dieu dût-il hypothéquer ses étoiles de première grandeur. (Maximus in mi- nimis !)

Je me suis permis de... le mettre au net. J'ai laissé tes sévérités même sur ma métaphysique. (Quant aux néologismes, je suis furieux contre le sexciproque, que j'avais corrigé sur les épreuves, et dont je ne me suis pas aperçu sur les bonnes feuilles pour en faire un erratum.)

J'ai insisté sur l'esthétique empirique de la complainte. Je te dirai à toi que ça m'est

132 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

venu, la première idée, à la fête de l'inaugura- tion du lion de Belfort, carrefour de l'Observa- toire (1).

J'ai mis besoin de vivre au lieu de besoin d'aimer ça dit aussi savoir, etc.

Et puis tu me laisses insister sur mon cher humour de pierrot, mes formules sur la femme (dans les Voix sous le figuier boudhique, etc.), et mes rythmes et rimes absolument inédits, ce qu'il n'y a pas eu depuis quinze ans, nulle part, sauf en Verlaine un peu.

Puis j'ai enlevé la citation que tu faisais, elle est trop lâchée et sans autre curiosité que comme cul-de-lampe à toute la pièce même. J'ai cité des choses typiques :

0 Robe, etc.. comme tenue boudhiste et curiosité de façon de dire ;

2^ Nature, comme refrain, comble du mal rimé sans façon, mais trouvé;

3^ Ah ! ah ! comme petits vers drôles et typiques de nombre en ce sens dans le volume;

4^ Vous verrez, type sentimental, et panaché d'images, violet, deuil, couleur locale (rime étale !) yeux, vases d'Election, et vase des Danaïdes;

(1) Le 20 septembre 1880.

LETTRES 1883-1887 133

5^ Puis frêle..., strophe absolument inédite à vers de 14 pieds;

6^' Et les Vents, refrain rossard et complainteux pour finir.

Ces 6 citations défaut de plus) sont les mieux faites pour allécher les lettrés le lecteur sera absolument renversé, et le coup d'œil qui suit sur la Table des matières le tuera et toi, je te bénirai dans les sjècles des siècles en te persuadant que cet article n'est cependant pas ton plus beau titre littéraire.

Et à charge de revanche, comme disent les commis en se payant des grenadines.

Ecris-moi, n'est-ce pas, un de ces jours une bonne lettre sur notre chien et sur ta vie et ton travail à €hevreuse tu dois avoir de jolies choses à me raconter.

Nous restons ici jusqu'au 17 de ce mois, puis Potsdam. Au revoir.

Ton

J. Laforgue.

134 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXIII

A EMILE LAFORGUE (1) (Fragment. )

Chez Bingham une Parisienne de Stevens, un chef-d'œuvre. Chez Goupil probablement quelque Schreyer, probablement des rosses de quarante-cinq sous cachées par des rafales de neige. A Y Art, une petite femme de Duez, regardant avec ses prunelles une voile à l'horizon, au bord de la mer. C'est tout, je crois On n'en- tend plus parler de Rochegrosse, on ne voit plus rien de lui. Quant à l'autre. Bigot, il collabore à une édition illustrée qu'on publie de Nana.

Tu sais peut-être que dernièrement il y a eu dans tout Paris des élections municipales.

Or voici une petite épopée.

(1) Fragment de lettre de Jules Laforgue à son frère Emile, communiqué en manuscrit par M^^ Labat-Laforgue.

LETTRES 1883-1887 135

La scène est à Passy. Quatre jours avant l'élec- tion — le candidat sortant, un radical, harangue ses électeurs dans une réunion. Quand il descend de la tribune, on entend une voix qui demande la parole ! la parole ! Accordée un petit monsieur monte à la tribune. C'est Delcassé (Théophile). Pendant une heure et demie il improvise, on applau- dit, on braille, on l'acclame, on le porte candidat. Il ne lui reste plus que quatre jours, il fait une confé- rence, dépense huit cents francs à couvrir son ar- rondissement de ses professions de foi (Il m'en a donné). Arrive le jour du scrutin et Delcassé a... 103 voix. Des félicitations lui arrivent d'Ariège, on lui propose la candidature à la députation pour l'an prochain. Ce type-là est capable d'aller siéger à la Chambre un de ces quatre matins.

136 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXIV

A LÉO TRÉZENIK (1)

[Août 1885.]

Cher Monsieur Mostrailles,

Permettez-moi de vous remercier de votre article de Lutèce sur les Complaintes. Je ne l'ai lu qu'un peu tard, étant à ce moment hors de France.

Mon merci vous sera sans doute plus sérieux si j'y ajoute les légitimes réflexions qu'il m'a suggérées (votre article).

Tout le monde me jette Corbière à la tête. Lais- sez-moi vous confier pour la forme que mes Com- plaintes étaient chez M. Vanier six mois avant la publication des Poètes maudits et que je n'ai tenu

(1) Cette lettre, adressée à Léo Trézenik (dont Mostrailles était le pseudonyme), directeur de la revue Lutèce, parut dans cette revue, le 4 octobre 1885.

LETTRES 1883-1887 137

le volume des Amours jaunes qu'en juin dernier (un rare exemplaire acheté chez M. Vanier).

Ceci confié, je me reconnais un grain de cousi- nage d'humeur avec l'adorable et irréparable fou Corbière. Je vais publier une étude dévouée sur son œuvre, et me reportant à mes Complaintes, je crois pouvoir démontrer ceci : si j'ai l'âme de Corbière un peu, c'est dans sa nuance bretonne, et c'est naturel; quant à ses procédés, point n'en suis : ce sont triplés et plus spontanés ceux d'Anatole de Manette Salomon, de Banville, de Charles De- mailly, des' Frères Zemganno et les pitres déchirants de la Faustin.

Corbière a du chic et j'ai de l'humour; Corbière papillotte et je ronronne; je vis d'une philosophie absolue et non de tics ; je suis bon à tous et non insai- sissable de fringance ; je n'ai pas l'amour jaune ; mais blanc et violet gros deuil. Enfin, Corbière ne s'occupe ni de la strophe ni des rimes (sauf comme un trem- phn à concetti) et jamais de rythmes, et je m'en suis préoccupé au point d'en apporter de nouvelles et de nouveaux; j'ai voulu faire de la symphonie et de la mélodie, et Corbière joue de l'éternel crincrin que vous savez.

Ne parlons pas de mes procédés : je ne crois pas à mon obscurité, à mes rébus (comme dit

138 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

M. Robert Gaze) et je ne suis pas un faiseur : cela en conscience et en inconscience. Pour le reste, voyez P. Bourget, Edouard de Hartmann, Tolstoï, etc..

En somme, une bonne âme qui s'amuse selon ses moyens, qui a la foi et croit à sa mission, comme vous l'avez deviné, mais qui, hélas, est sujette à se dire, d'après le « Quand Auguste avait bu, la Po- logne était ivre » : Quand j'ai fait une complainte bien pure, la conscience humaine est plus légère.

Recevez mes remerciements, je vous prie.

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 139

cxv

A M. CHARLES HENRY

Tarbes [octobre 1885],

Mon cher ami,

Je partirai d'ici lundi. J'ai retardé pour maintes choses, voir des élections en province et surtout dans des villages de 60 feux. Puis encore quelques jours attendant un mot de Lindenlaub à qui j'avais demandé une passe pour chemin de fer. Mais tu as peut-être su qu'il avait été lui-même ces temps- ci en Espagne. Enchanté que la petite annonce, en attendant mieux, ait paru dans la Chronique. Nous causerons du cercle universel, ou du moins je t' écouterai là-dessus avec transports.

Je n'ai pas d'exemplaires ici.

Aussitôt arrivé à Paris, j'en enverrai comme tu me le dis. Si c'est pressé, pour la Belgique, en pas-

140 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

sant chez Vanier, tu pourrais expédier ça, si tu as un instant ?

Je commence à croire que c'est toute ma per- sonne qui a déplu à l'illustre R... On n'est pas parfait. Si j'avais su, je ne t'aurais pas laissé cette inutile corvée de leur remettre mes nouvelles.

J'ai reçu une jolie lettre d'Huysmans.

Toi, tu spécules, et Kahn, que fait-il ?

J'arrive mardi matin.

Je n'ai rien fait ici. J'ai erré dans des paysages de mes 14 ans, etc. (Vu T...)

Au revoir donc.

A mardi donc.

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 141

CXVI

A THÉOPHILE YSAYE

Coblence [1885, novembre].

Mon cher Théo,

C'est que je voudrais vivre (mélodie connue). Ma fenêtre m'offre toujours, et dans le même cadre, le même panorama - le Rhin flasque, agité parfois par de lourds bateaux à vapeur ou caressé de flots lisses et dans le lointain la chaîne des collines avec leurs jolies maisonnettes, avec les che- mins de ronde des fortifications.

Une note charmante : l'aboi clair des chiens qui me parvient de l'autre rive, aussi clair que de l'aquarelle (ne regarde pas cela seulement comme de la Littérature, mais bien comme une impression réelle).

Voudrais-je te dire que je ne m'ennuie pas ce serait comme si je voulais t' assurer que j'ai ressenti

142 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

de vives joies depuis mon départ de Paris. Ah !

comme je m'ennuie ! Je n'en ai plus faim Et

je comprends que l'on ait écrit d'émouvants sonnets sur r Insaisissable Aimée que l'on appelle ici la liberté. Ga Ga Ga. Le sifflet des intermi- nables trains de marchandises qui fdent le long du Rhin me transperce de désespoir de la tête aux pieds. Ga Ga Ga. Quand je pense à ce bien- heureux soir nous nous payâmes les Maîtres chanteurs, et dans quel décor de la vie et du temps cela se passa ! Je voudrais, là, dans le château, faire du scandale, et accuser, reprocher à l'Huma- nité de ne pas comprendre mon sacré-cœur, mon divin cœur !

A quoi bon, je veux travailler, faire de mon vo- lume de nouvelles quelque chose de plus qu'un médiocre bouquet de fleurs disparates. Ce sera de l'Art.

D'ailleurs hélas ! je sais qu'en quatre ans je pourrais faire fortune si je voulais écrire des romans à la Guy de Maupassant. « Bel-Ami » est d'un maître, mais ce n'est pas de l'art pur. Peut- être ce désir de créer de l'art pur est- il un louable mais pauvre désir de nos vingt-cinq ans ? Et tout n'est-il pas égal devant la face de la Mort?

Mon vieux Théo, j'ai traversé la Belgique. J'ai vu

LETTRES 1883-1887 143

des quantités de tas de poussière de charbon avec des brouettes, les quatre fers en l'air, abandonnées au sommet. Et les filles ont des manières aussi mas- culines que de petits galopins mal dégrossis, et les villes sous des toits de tuiles noires... etc..

Et je pensais que tu étais dans le bonheur, à Paris... Travaille, fume, aime-moi, écris-moi et garde pour Paris un amour infini.

Je t'embrasse.

Jules.

«^c^t*

10

144 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXVII

A M. CHARLES HENRY

Berlin [janvier 1886].

Mon cher ami,

A la hâte (je reviens d'une semaine tout au nord, Copenhague). Mon premier soin est de t'envoyer les 300 frs que tu conquis si généreusement pour moi dans une heure de détresse.

Encore merci et ton

Laforgue.

Il faudra que je t'écrive un de ces matins.

Tu dois avoir reçu 2 enveloppes pour M. et ]\^me Brisbane. J'ignorais le numéro de l'adresse. Et je m'en tiens d'ailleurs à ton expérience pour qu'elles soient déposées, ou non s'il ne faut pas.

LETTRES 1883-1887 145

GXVIII

A M. CHARLES HENRY

Dimanche [février 1886].

Mon cher ami,

Kahn me donne de tes nouvelles, illustre dé- bordé de travaux et de projets ! Malgré cet état de débordé, tu me rappelles, à moi oublieux, j'avoue, le projet de Eléments of paintures, dont je n'ai même pas encore vu un exemplaire. Pas plus tard que demain je vais le faire venir par le libraire et m'y mettrai. Je me sens en état de traduire (1) mais à en juger par des pages de 3 autres volumes de Ruskin que j'ai, et ai lus, il y aura des pages assez décourageantes. Il divague souvent et pour lui seul. Mais on verra bien !

Et suis ton, ô Bon Chevalier Errant de la Rose,

Jules Laforgue.

(1) En marge d'un exemplaire de la traduction des Histoires grotesques et sérieuses de Poe, Laforgue rectifia de nombreux passages du texte de Baudelaire, notamment dans l'Ange du Bizarre et Eléonora. [Note de M. Ch. Henry.]

146 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXIX

A EMILE LAFORGUE

[Juillet 1886] (1).

Mon cher Emile,

Reçu ta lettre. Une chose m'enchante, c'est quand tu dis : « Je ne me dissimule pas que tout est à re- commencer, mais je suis persuadé aussi, même après avoir vu les autres, que j'y arriverai ». A la bonne heure.

Je me souviens du temps je portais à Bourget des pièces de théâtre, des chapitres de roman, et des masses de vers, en songeant : de ce coup-ci, il va être épaté ! Et il me répondait le dimanche sui- vant: «Vous ne savez pas encore le français, ni le métier du vers, et vous n'en êtes pas encore à penser par vous-même. »

Quand je relis ce qui me reste des vieilles choses, je sens combien il avait raison et je me féhcite de

(1) Date Indiquée par M^^ Labat.

LETTRES 1883-1887 147

mon séjour ici en ce que cet éloignement de Paris m'a empêché de publier des sottises qui m'auraient ensuite fait faire du mauvais sang toute ma vie. Maintenant je puis publier hardiment. Je sais quand j'ouvre un journal il y a un article sur moi que je serai pris au moins au sérieux.

As-tu été à l'Exposition de Blanc et de Noir. Regarde les aquarelles de mon ami Skarbina (un Croate à Berlin et installé à Paris). ,

J'ai ici deux aquarelles de lui, mon portrait. Je te mènerai chez lui aux vacances. Il demeure boulevard de CUchy, dans ton quartier.

As-tu été voir l'Exp. des aquarelles de Gustave Moreau ?

Je t'envoie tous les numéros jusqu'ici de la Revue Illustrée. Je t'envoie aussi le roman de Zola, r Œuvre. Claude est un peu Manet; Sandoz, c'est Zola, et Vagnerolles, Gervex, dit-on.

TAche de voir des Rafaëlli, et des Monet. Passe le plus souvent à la vitrine de la place Vendôme, il y a souvent des Impressionnistes.

Est-ce qu'il y a toujours au Luxembourg ces ileurs de Quost et une chose en gris de Barreau (ou Berbeaux) (1) et les 2 marines merveilleuses de

(1) Le peintre Emile Barau, auteur du tableau : Sur la Suippes.

148 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Flameng (je me trompe, l'autre n'est que de Mon- tenard). Ne trouves-tu pas Lhermitte trop sculp- tural, trop ronde-bosse, trop découpé ? Et comme le Nittis est intéressant (pas la place des Pyramides, l'autre, le Carrousel).

Je ne t'ai pas encore dit que cette fois-ci, une fois à Paris, je m'y installe et n'en sors pas pour revenir ici. Je commence déjà à envoyer mes affaires. Je logerai rue Laugier, 4. J'y publierai au plus tôt un livre «Berlin dans la ruo), ce que je n'aurais jamais pu faire après avoir accepté une pension d'ici. Il est inutile que je reste ici plus longtemps. J'y ai exploité tout ce que j'avais à y exploiter, maintenant j'y perds mon temps. J'y fais plus de dettes que d'économies. Je perds en restant et n'ai nul intérêt à ne m'en aller qu'après décès, si proche que ce décès puisse être.

Je suis en ce moment comme toujours sans le sou ou du moins réduit au strict nécessaire. Mais tout compte fait j'arriverai à Paris avec 2.000 fr. De quoi vivre dix mois modestement, en attendant de trouver quelque chose, ce qui ne sera pas abso- lument facile. Je puis croire en tout cas que le livre sur BerUn me rapportera quelque chose.

Mais tout plutôt qu'un second hiver à Bedin. J'y perds mon temps sans intérêt et j'ai par lassi-

LETTRES 1883-1887 149

tude failli m'y marier. Ce que je n'ai pas encore le droit de faire.

J'espère que tu travailles toujours et chaque jour. Dis-toi que la patience est tout : une patience de bœuf au labour.

J'ai reçu des nouvelles de Tarbes. Marie a été très malade, à deux doigts de la mort, une de ces terribles maladies qui précèdent souvent les pre- mières couches. Elle est maintenant au mieux.

Nulles nouvelles de Charles. Je ne sais rien de rien sur lui.

Au revoir.

Jules.

150 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

cxx

A SA SŒUR Berlin, mercredi [8 septembre 1886],

Ma chère Marie,

Je t'écris en trempant ma plume dans une encre desséchée, car voilà trois jours que je n'y ai pas touché, car voilà trois jours que je ne passe guère à la maison. Je ne sais comment commencer, il faut que je te dise tout cela pêle-mêle.

T'ai-je parlé cet hiver, dans mes lettres, d'une jeune Anglaise avec qui j'avais pris quelques leçons de prononciation ? Eh bien, en bloc, c'est avant- hier au soir que je me suis déclaré, et qu'elle a dit oui, et que nous sommes fiancés.

Depuis avant-hier ma vie ne m'appartient plus seul, et je sens toute la grandeur de cette idée. Mais aussi depuis avant-hier je suis, et près d'elle et quand je suis seul, dans un état d'énervement

LETTRES 1883-1887 151

heureux que je n'aurais jamais imaginé. (Je ne l'ai pas encore embrassée, hier, j'étais assis près d'elle en voiture, dans la soirée, et en la regardant l'idée m'est venue que je pourrai cares- ser ses cheveux, et j'en ai eu le vertige, et je n'en suis pas encore loin de là.)

Mais il faut que je te raconte tout, car je n'ai que toi, et un de ses premiers mots après que je me suis déclaré a été pour que je t'écrive tout de suite. Elle, de son côté, elle écrit à son frère favori.

Je t'ai dit qu'elle est anglaise. Elle a beaucoup de sœurs mariées ou non, et des frères (un avocat à Folkestone, un autre pasteur dans la Nouvelle- Zélande, un autre officier dans le Zoulouland, etc.). Sa mère est morte, il y a quatre ans. Son père se remaria contre le gré de ses enfants, qui tous le quittèrent.

Elle, elle vint en Suisse dans un pensionnat (elle y a appris très bien le français), puis elle est venue ici à Berlin elle est depuis deux ans, vivant moitié de ce qu'elle reçoit de son père, moitié de ce que lui rapportent ses leçons. C'est dans la seconde semaine de janvier que je suis venu chez elle prendre des leçons. Je suis le seul homme à qui elle en ait donné (je lui étais recommandé par une amie) et le seul par conséquent qui venait chez

152

ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

elle. Dès les premières fois sans connaître son caractère j'ai senti que ou bien je lui demanderais de passer sa vie avec moi, ou bien je n'avais qu'à m'en aller et sûr d'être pour longtemps tourmenté et incapable de travailler.

Tu me comprends, nos leçons se bornaient à des lectures anglaises, et bonjour et au revoir. Elle étudiait la peinture et peu à peu je lui ai apporté des gravures et puis des livres, et puis mes billets d'opéra.

Tout cela très simplement, sans même la poignée de main si naturelle pourtant chez les Anglais. Nos premières conversations en dehors de la leçon furent la peinture, à propos d'une exposition d'ici sur laquelle je lui apportais un article de moi et restais chez moi, malheureux comme tout et plus malheureux chaque fois. Je sais que beaucoup de femmes ne dédaignent pas les déclarations soudai- nes. Mais pour rien au monde je n'aurais dit un mot, et ne l'aurais jamais regardée en face avant de me connaître patiemment des mois et des mois comme un garçon bon, déhcat, et loyal. Un jour, au mois d'avril, je ne sais comment, en causant peinture, je lui ai proposé de visiter ensemble le Musée. Elle a rougi, baissé la tête, et n'a pas répondu.

LETTRES 1883-1887 153

Rentré à la maison, comme un fou, je lui écrivis une lettre d'excuses, lui jurant que j'avais cru faire une chose très simple et à la leçon suivante très simplement elle me proposa elle-même cette visite. Ce fut naturellement une occasion de causer, et je la raccompagnai chez elle. Et, tu t'en doutes, après ce musée ce fut un autre musée. Puis souvent, quand je lui donnais mon billet d'opéra, je réservais ma place à côté et nous causions, et je la raccompa- gnais et je me faisais connaître. Gela alla ainsi sans un mot de plus jusqu'au quinze mai.

Je partis pour Bade, puis Paris, Coblentz, Ba- belsberg. Je suis à Berlin depuis le premier sep- tembre et nous sommes aujourd'hui le huit. Nos courses aux musées et à l'opéra, et la raccompagner ensuite, recommencèrent. Je devais partir incessam- ment. Nous nous étions promis de nous écrire en bons amis. Et chaque fois, sous divers prétextes, je retardais mon départ. Et avatit-hier, en la raccom- pagnant, je lui ai tout dit je ne lui ai pas dit: « Je vous aime ». Je lui ai balbutié des tas de choses que je ne me rappelle plus. (C'était le long du bois, figure-toi par exemple comme à Passy ou à Neuilly.) Je lui ai demandé si elle me connaissait, elle m'a dit que oui.

Je lui ai demandé, avec des tas de circonlocutions,

iZ-i , ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

si elle voudrait passer sa vie avec moi (je me rappelle ma voix étranglée et mes larmes dans les yeux) et ne lui ai pas donné le temps de me répondre, je me suis lancé dans des protestations. Elle a dit oui avec un regard extraordinaire.

Je ne lui ai pas laissé dire qu'elle m'aimait mais qu'elle eût confiance en mon dévouement..., etc., etc.. Je ne me rappelle plus. Je la raccompagnai et nous nous donnâmes une solide poignée de main sans trop nous regarder en face.

Je t'ai annoncé que je quittais l'Impératrice.

De toutes façons il le fallait. Ou bien miss Leah Lee (prononce Lia Li toujours les initiales de maman, de notre nom et celui de ton mari, comme tu vois) me disait non et je ne pouvais plus rester ici, ou bien elle me disait oui et alors il fallait de même rentrer à Paris et conquérir vite ma place pour nous marier au plus tôt.

Or, je ne puis la laisser à Berlin. Elle tousse un peu et ne doit pas passer un autre hiver ici.

Et puis je serais trop jaloux, et puis cela est im- possible.

Voici ce qui a été arrangé. Je pars demain soir pour la Belgique, je vais chez les Ysaye, comme je te l'ai dit, et, ce que je ne puis plus faire ici, je vais travailler mon livre sur Berlin, dont Villas-

LETTRES 1883-1887 155

tration m'a déjà demandé des chapitres (si ce livre est bien lancé, quel rêve ! nous nous marierons tout de suite et nous irons vous voir, serait-ce en plein mois de janvier, pourvu que je ne meure pas de bonheur). Je vais donc en Belgique; elle, reste ici et met ordre à ses dernières leçons. Cela jus- qu'au premier octobre.

Le premier octobre je reviens à Cologne je l'attends à la gare; elle arrivera vers huit heures du matin. Nous passons la journée à Cologne, et le même soir, par l'express de dix heures, nous partons pour Paris. Aussitôt arrivés (dix heures du matin), je l'accompagne dans une pension tenue par une vieille dame anglaise elle sera avec d'autres jeunes fdles, rue Denfert-Rochereau (pas loin de la rue Berthollet, comme tu vois). Elle demeurera et y prendra ses repas. Elle donnera peut-être une leçon par jour et dans la maison même, elle peut occuper un peu ses journées. De mon côté, je me mettrai à l'œuvre. Le soir, j'irai la chercher et nous sortirons un peu ensemble. Dans la journée, quand j'aurai un moment, je lui ferai visiter les musées, etc.. (elle a déjà passé, en 1878, deux semaines à Paris avec deux de ses frères qui de- meuraient à Asnières pour étudier le français) et alors nous nous marierons au plus tôt.

156 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Que te dire de plus ? J'emporte en Belgique sa photographie. Je ne puis te l'envoyer encore. C'est un petit personnage impossible à décrire. Elle est grande comme toi et comme moi, mais très maigre et très anglaise, très anglaise surtout, avec ses cheveux châtains à reflets roux, d'un roux dont tu ne peux te douter et que je n'aurais jamais soup- çonné avant de la voir, un teint mat, un cou déli- cat, et des yeux... oh ! ses yeux, tu les verras ! J'ai été longtemps sans pouvoir les fixer un peu. Mais tu verras, figure-toi seulement une figure de bébé avec un sourire malicieux et de grands yeux (cou- leur goudron) toujours étonnés, et une petite voix et un drôle de petit accent en parlant français avec des manières si distinguées et si délicates, mélange de timidité naturelle et de jolie franchise (songe qu'elle vit seule et libre depuis deux ans et qu'elle a voyagé seule chose naturelle aux Anglaises et qui ne tire pas plus à conséquence). Elle sait sa langue et l'allemand et le français. Elle est in- struite comme toutes les jeunes filles, avec, en plus, ce qu'on peut acquérir en voyage et en appre- nant deux langues étrangères, et ce qu'elle a retenu de nos interminables conversations depuis avril.

Je lui ai raconté de notre famille. Je lui ai sur-

LETTRES 1883-1887 157

tout parlé de toi. Elle adore la carrière que j'ai choisie et en a confiance en moi.

Je t'écris de cette éternelle chambre de Prinzes- sinen Palais je ne reviendrai plus. J'ai sa photo- graphie sous mes yeux en t' écrivant. Je la regarde, nous sommes restés ensemble hier au soir jusqu'à onze heures; je lui ai tenu la main, je regarde son portrait et ne puis me figurer que c'est une réalité. J'irai la chercher ce soir, à cinq heures et demie, au sortir d'une de ses leçons. Et demain elle m'ac- compagnera à la gare.

Et le premier octobre je la retrouverai à Cologne, oh ! si nous pouvions nous marier en janvier, et aller vous surprendre ! J'oubhe, par acquit de conscience, de te dire qu'elle n'a aucune espèce de dot, et que tout ce qu'elle aura désormais, elle le tiendra de moi seul. Elle est protestante, mais ne pratique pas. Il lui est indifférent d'aller à l'église ou de ne pas y aller. Tu sais comment se font beaucoup de mariages anglais : on se prend par la main, on va avec quatre témoins chez le pasteur d'en face, on signe, et cela dispense même du mariage civil. Nous nous marierons simple- ment, elle en simple toilette; nous donnerons ren- dez-vous à quatre témoins un beau matin à la mai- rie. On signera. Nous remercierons les témoins.

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158 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Ce sera un samedi, je la raccompagnerai chez elle; le lendemain dimanche, nous irons nous perdre dans un coin pendant une grande messe avec orgue à la Madeleine ou à Notre-Dame, nous nous figu- rerons que tout cet orgue sera pour nous. Cette émotion nécessaire adoucira ce qu'a de sec la simple formalité d'union devant le code, et nous nous sentirons bel et bien mariés pour la vie. Et alors nous partirons et elle sera ma petite Leah à moi pour la vie.

Je ne sais au juste l'âge qu'elle a, le même que toi, je pense. Comme il me tarde que tu la voies !

Je ne l'appelle pas par son prénom encore, je l'appelle toujours « petit personnage ». Elle ne s'ennuiera jamais avec moi, je me le promets bien.

Pour parler encore mariage, je vais assister en Belgique à celui d'Eugène Ysaye, ce violoniste dont je t'ai souvent parlé (ne pas confondre avec mon ami très intime son frère cadet, le pianiste Théo- phile Ysaye).

Ma chère Marie, écris-moi une bonne lettre de sœur, et dis-moi que tu es contente de moi.

Je reste toujours ton bon frère et le parrain de la demoiselle.

Écris-moi. Je t'ai donné mon adresse chez Ysaye, à Arlon, Belgique.

LETTRES 1883-1887 159

Emile, t'ai-je dit, fait ses vingt-huit jours. Je lui ai envoyé quelque chose. Au revoir, raconte tout à ton mari. Au revoir.

Jules.

Écris-moi que tu es contente. J'enveloppe ma lettre de papier, parce que l'en- veloppe est transparente.

Monsieur Jules Laforgue a l'honneur de vous faire part de son mariage avec Miss Leah Lee.

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160 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

cxxi

A M. FÉLIX FÉNÉON

Arlon, mardi |21 septembre 1886].

Mon cher Fénéon,

Est-ce que l'on parle toujours delà crise à Paris ? j'espère bien passer au travers. En attendant, je vais être obligé d'emprunter le logement de Kahn pour ma première semaine, lui étant recueilli par l'armée. Je suis content que ma petite amie « Andro- mède )) vous ait charmé : elle est plus moderne que l'antique, et je me félicite de lui avoir fait un sort.

Le pianiste Ysaye a fait votre connaissance à la même occasion que moi chez Henry. Il vous envoie ses salutations et l'on se reverra sans doute à Paris il rentre avec moi. C'est l'aîné qui se marie et va habiter Bruxelles.

Je suppose que vous ne connaissez pas Arlon.

LETTRES 1883-1887 161

Nous demeurons hors de la ville, à deux pas de la frontière du Luxembourg. Nous rentrions la se- maine dernière par des clairs de lune magnifiques, nous avons vu faucher à 1 h. du matin sur fond de ciel vaguement étoile.

On voit ici, le dimanche, des pantalons rouges de Longwy qui ont passé la frontière. Je suis monté pour la première fois dans ma triste existence sur les petits chevaux de bois, et j'ai fait des prouesses à un tir.

A part cela, je fais des besognes concernant Berhn, et je songe aux tuiles qui vont bien pouvoir tomber sur ma tête à Paris.

Au revoir, mon cher Fénéon, au masque connu, et poignée de main.

Votre

Jules Laforgue.

162 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXXII

A M. THÉOPHILE YSA YE

Verviers [30 septembre 1886].

Mon cher Théo,

Je t'écris, mais c'est de l'hôtel de Londres, et non pas de celui d'Angleterre.

0 mon cher, jamais je n'ai vécu une semaine ou n'ai pensé qu'on pût en vivre une comme celle que je viens de passer à Arlon, dans l'atmo- sphère du mariage d'Eugène. En quittant Arlon et en respirant l'air de l'Europe il me semblait que je m'éveillais comme au sortir d'une maison enchantée, presque d'une maison de fous.

Ah! Je suis plus que jamais l'esclave du sort. Ce que l'on nomme notre état normal est la grâce d'une totale Ivresse qui se déchaîne, déhvrée. C'est effrayant et divin. Je me suis dit : à quoi tient notre sort! d'émouvants (ou d'efTrayants) hasards, un

LETTRES 1883-1887 163

sourire fortuit dans un village et nous devenons shakespeariens, notre destinée se fixe. Je soupirais en pensant à la plainte de nos cerveaux qui aspirent follement à l'Unique, à la plénitude du sort; iro- niquement et à pleins poumons, je respire l'air fier des longs voyages. Puis, vint le crépuscule et une heure d'attente en une petite station; je déam- bulais de-ci de-là, contemplant les profondeurs du ciel prodigieusement constellées, je regardais une lampe à la fenêtre d'une lourde maison bour- geoise (c'était une lampe à abat-jour rose), et je me mis à rêver. Les Corinne, les Ophélie, etc., tout cela, dans notre vie, est mensonge : dans le fond, il n'y a pour nous que les petites Adrienne au bon cœur, aux longs cils, au juvénile et éphémère sourire, les petites Adrienne à la peau enchanteresse, que le hasard (et tout n'est-il pas hasard?) a conduites sur notre chemin. Oui, tout est hasard, car n'y eût-il pas existé d' Adrienne, il y aurait eu une Leah; n'y eût-il pas eu de Leah, il y aurait eu une Nini, et ainsi de suite. C'est pourquoi il nous est enjoint de nous at- tacher à la première que le hasard nous présente, et nous l'aimerons seule, car c'est la première et nous ne rêverons pas à une autre. La vieille maxime du sage est : « Aimes-tu deux femmes en même temps, n'en choisis aucune, car tu regretterais toujours

164 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

l'autre ». Cependant, c'est l'ivresse de la vie créée, continuée, l'ivresse de l'action et de la joie, l'ivresse d'avoir obéi à l'Inconscient, à la volonté du destin.

Voici que je me suis doucement assoupi.

Je vais confier ces lignes à la poste (elles sont pleines de littérature, mais n'est-ce pas ce que l'humanité a de plus vrai, de moins décevant?) et aller à la gare.

Je la verrai dans une demi-heure. Cette minute me fait palpiter le cœur, et dans quarante ans je penserai combien longue à venir fut cette minute.

Jules.

LETTRES 1883-1887 165

CXXIII

A M. CHARLES HENRY

Paris, lundi [4 octobre 1886]-

Mon cher ami,

J'ai quitté Arlon le 30, j'ai passé la nuit à Ver- viers, de Verviers à Bruxelles passé un jour, puis à Calais et de Calais rentré à Paris dans la nuit de samedi. Passé le dimanche seul (je loge chez Kahn).

Je n'ai vu Kahn que dans la nuit.

Il n'a pu me dire que des choses vagues, autant dire rien, sur cette vacance au Musée de Versailles. C'est toi, paraît-il, qui lui en as parlé, et tu as vu cela dans le Temps.

J'allais t' écrire à Colmar, mais j'ai eu le bon esprit d'aller quai d'Anjou, l'on m'a donné ta véritable adresse je t'écris.

Peux-tu m' envoyer un mot, me dire tu as

166 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

VU quelque chose sur cette place (si tu peux m' in- diquer le numéro du Temps), sur quel papier timbré écrire, à qui adresser, que dire, et jusqu'à quand on a pour cette demande.

Je crois pouvoir me faire fort du reste. Mon principal titre, depuis cinq ans à la Gazette, ira bien; j'ai, dans le numéro du 1^^ octobre, un ar- ticle (1) pour lequel le Gonse m'a écrit des remer- cléments.

Mais, tu comprends, au lieu d'aller dire à Ephrus- si, etc. : il y a une place vacante à Versailles, pro- posez-moi, j'aime mieux poser, comme sans doute beaucoup d'autres, simplement ma candidature, et puis mettre en œuvre les influences nécessaires quand on me demandera mes titres et qu'on ira aux renseignements.^

J'ai donné ma démission à l'Imp., il y a deux semaines. De ce côté-là, c'est fini.

Paris et l'avenir à Paris (comme toute la vie d'ailleurs) m'ont apparu bien changés. J'ai, depuis le 10 septembre, une énorme et fatale influence dans ma vie. Ça devait arriver, étant donné Moi et mes droits à l'existence selon Moi. Je me sens non seulement fécondé, mais comblé, vraiment,

(1) Exposition du centenaire de l'Académie royale des Beaux- Arts de Berlin (Gazette des Beaux- Arts, l^r octobre 1886>.

LETTRES 1883-1887 167

entre nous. Je ne suis plus une ganache pusilla-» nime. Je me sens heureux et pour longtemps (pour ne pas dire à jamais). Mais assez parlé de moi, en attendant, ô homme savant et très distingué, que je t'en parle de vive voix.

Et toi ? ta vie, c'est-à-dire tes travaux ? Nous avons eu si peu l'occasion de causer de vie en juin et juillet derniers.

Ta concierge m'a dit que tu revenais le 8. J'irai te voir au plus tôt.

J'ai des affaires avec V Illustration (1). Mon Hvre sur Berlin avance et me promet.

Ton vieil ami distingué.

Laforgue.

(1) La mort de l'empereur d'Allemagne était alors tenue pour imminente. L' Illustration eût incontinent publié sur la Cour de Berlin un numéro rédigé par Laforgue. Ce sont les éléments de ce numéro qui forment une partie du livre Berlin, la cour et la ville, et qui parurent dans le supplément littéraire du Figaro (29 jan- vier, 12 février, 12 mars et 17 septembre 1887).

168 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXXIV

A M. EDOUARD DU JARDIN

Samedi [4 décembre 1886],

Mon cher Dujardin (1),

Je reçois votre mot.

Pour ce qui est de la visite à J. E. Blanche, que ]e vous dise seulement que j'ai passé avec lui la journée d' avant-hier et celle d'hier. Je ne saurais donc décemment et autrement y revenir demain.

Quant à Bullier demain soir, volontiers (!); c'est-à-dire que je dois absolument être vers

(1) M. Edouard Dujardin, alors qu'il dirigeait avec Teodor de Wyzewa la Revue wagnérienne, avait, au cours d'un voyage en Allemagne, fait la connaissance de Jules Laforgue par l'entremise du correspondant de cette Revue wagnérienne, à Berlin, un Hollandais nommé Van Santen Kolf. Lorsque Laforgue vint s'éta- blir à Pâns,la Revue Indépendante était en gestation par les soins des mêmes Edouard Dujardin et Teodor de Wyzewa qui s'assurè- rent sa collaboration et se réunissaient avec lui fréquemment, dans l'hiver 1886-1887.

LETTRES 1883-1887 169

9 h. chez E. Hennequin (1) (rue Bara). Nous pour- rions donc aller au quartier ou en revenir ensemble. se trouverait-on pour cela ? Si l'on doit se trouver à Bullier, ne pourriez-vous (car autre- ment?...) m'envoyer une entrée je suppose que vous avez des entrées.

(Vous vous faites de jolis dimanches, vous !)

Au revoir.

Votre

Jules Laforgue.

<t) Emile Hennequin, le critique littéraire.

170 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

cxxv

A SA SŒUR

Londres, 31 décembre 1886. [Paris] 26 janvier 1887.

Ma chère Marie,

Excuse-moi si j'ai tant tardé à t'écrire.

Il y a eu tant de choses ! Après trois jours passés à l'installation ici (8, rue de Commaille) le 30 au soir, je suis parti pour Londres. J'y suis arrivé le matin à six heures et demie. A dix heures, je me suis trouvé avec Leah, nous avons été à une heure seuls dans une petite église protestante un pasteur nous a mariés en un quart d'heure, sans messe et pour 25 francs. Sans papiers (c'est en ren- trant à Paris que j'ai trouvé l'extrait mortuaire que tu m'envoyais et qui m'était inutile, comme nous étions parvenus à nous en passer). Nous avons passé trois jours à Londres et une heure à Douvres.

LETTRES 1883-1887 171

J'avais toujours mon rhume, vieux de trois mois. En rentrant à Paris, j'ai voir un médecin qui m'a embêté et dont je ne suis parvenu à me débar- rasser qu'au bout d'une semaine et je tousse encore tristement. Voilà pour mes doléances (qui sont en même temps l'excuse au retard de cette lettre). Quant à mes non-doléances, elles, elles sont absolues.

Nous avons une installation incomplète mais très amusante, des chambres avec du soleil, etc., de l'argent tout juste. Je porte des articles çà et là. (11 faut bien mille francs par mois pour être heu- reux modestement en ménage à Paris.) Nous en dépensons quinze par jour. Heureusement, le petit personnage que j'ai épousé est d'une vraie santé de maigre, toujours gaie et fantaisiste. Il est neuf heures. C'est l'heure les amis qui veulent me voir et ont égard à ma difficulté de me déplacer moi-même en ces commencements viennent sonner. Il ne viendra probablement personne.

Nous avons un bon feu, une belle lampe, du bon thé dans le service que l'Impératrice m'avait don- né.

Et toi, comment vas-tu ? et la petite fille ?

Et les affaires de ton mari ? J'espère que tout va à peu près bien.

172 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Je vois à peine Emile, qui, par une sotte timidité,, ne vient pas à la maison. Les affaires de la tante sont bien mal. Ils ont mettre leurs bijoux au. Mont-de-Piété.

Je suis encore trop malade et épuisé par la fièvre des trois derniers mois pour pouvoir bien travailler et surtout faire toutes les courses que je devrais faire. Mais bientôt je serai en voie, et en bonne voie.

Donne-moi de tes nouvelles. Tu sais bien que toi, ton ménage et tes affaires sont ceux au monde auxquels je m'intéresse le plus. Donne-moi de vos nouvelles, je t'en prie. Mes bonnes amitiés dévouées à ton mari. Je t'envoie, tard, un faire- part inutile pour toi. Eût-il fallu en envoyer à. Tarbes ?

Ton Jules.

8, rue de Commaille.

LETTRES 1883-1887 lis

CXXVI

A M. EDOUARD DU JARDIN

Vendredi [21 janvier 1887].

Mon cher Dujardin,

J'ai voulu vous dire bonjour hier au soir. J'ai vu Wyzewa qui m'a parlé d'une chronique (1). Je me suis hâté, elle est sans doute très lourde,, sèche et peu 30 jours. Je vous l'envoie. Une autre fois, si une autre fois il y a, ce sera mieux.

Mais que ma chronique vous plaise ou que vous n'en usiez, j'ai un petit service à vous demander. J'ai dans le supplément de samedi prochain un article de 300 lignes. C'est sans doute lundi que je le toucherai, je vous demande en toute simplicité.

(1) Teodor de Wyzewa avait demandé à Jules Laforgue de col- laborer régulièrement à la Revue Indépendante en y publiant cha- que mois une chronique. Ces chroniques parisiennes parurent dans, les numéros de février à août 1887 de la Revue. La mort de l'écri- vain en interdit la suite.

174 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

et je n'ai songé qu'à vous, si vous pouvez me prêter jusqu'à ce lundi un ou deux louis. Si je vous avais vu hier je ne vous aurais pas parlé de cela, une surprise m'y oblige soudainement aujourd'hui.

Si vous pouvez, le plus tôt envoyé sera le mieux, demain dans la journée si possible, je vous prie.

Ne voyez dans tout cela qu'un accident. Si un soir vous êtes dans ce quartier vers huit I/2, neuf h., montez, nous prendrons le thé en famille. Vous comprenez que je me déplace difficilement

en tout cas j'irai à votre prochain lundi, qui est encore loin.

Votre dévoué, je vous prie,

J. Laforgue. 8, rue de Commaille.

LETTRES 1883-1887 175

CXXVII

A M. EDOUARD DU JARDIN

[23 janvier 1887] (1).

Mon cher Dujardin, Reçu hier au soir et merci bien. Votre

JULES LAFORGUE.

M'avertirez- vous d'un mot quand vous viendrez ?

(1) Carte postale.

***** . J2

176

ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXXVIII

A M. EDOUARD DU JARDIN

[24 janvier 1887] (1).

Voilà tout ce dont j'ai pu le débarbouiller dans la nervosité me tenait votre groom (sans livrée) attendant dans l'autre pièce.

Votre

J. L.

(1) Carte de visite.

LETTRES 1883-1887 177

CXXIX

A M, EDOUARD DU JARDIN

Mercredi 19 février ISS?].

Mon cher Dujardîn,

Excusez mon importunité : une déception de ce matin me pousse à l'expédient suivant : vous demander si ma première chronique doit m' être payée (1)...

Sinon, entre amis, pouvez- vous m' avancer la prochaine (dans laquelle je dois me surpasser)?

J'espère que vous ne me ferez jamais rougir de tout ceci et continuerez à voir en moi un honnête artiste.

Votre

Laforgue.

(8, rue de Commaille.)

(1) La Revue Indépendante, malgré son extrême pauvreté, s'efforça de payer et le plus généralement payait ses collaborateurs, mais leur demandait toujours le sacrifice de leur premier article. (Note de M. Edouard Dujardin.]

178 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

cxxx

A M. EDOUARD DU JARDIN

Samedi [5 mars 1887].

Mon cher Dujardin,

Je vous ai envoyé les Deux Pigeons hier (1).

E. Ysaye repart demain pour Bruxelles (34, rue de la Prévoyance); quand il vient à Paris, il des- cend chez son frère Théophile Y., 142, boule- vard d'Enfer.

Au revoir. Vous aurez la chronique le 20.

J. Laforgue.

P.-S. Pouvez-vous m'envoyer mon salaire demain, après-demain?

(1) Un conte que l'on trouve aux Œuvres Posthumes de Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 179

CXXXI

A M. EDOUARD DU JARDIN

Vendredi [25 mars 1887] (1).

A tout hasard, pouvez-vous me rendre le ser- vice pressant, pressant, de m' avancer ma chro- nique ?

Votre

J. L. 8, rue de Gommaille.

(1) Carte postale.

180 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXXXII

A M. EDOUARD DU JARDIN

[27 mars 1887.]

Mon cher Directeur,

Merci de la publication du Pan (1). Vous me parlez de suppressions possibles dans la Chro- nique. Pourquoi ne me les avoir pas indiquées en douceur? Je n'ai su qu'en penser, surtout à ce point de vue de coïncidence avec le « Pan ». Mais si cela vaut la peine ne pouvez-vous me ren- voyer ces épreuves avec quelques indications en même temps que celles de ce « Pan » ?

Quand vous passerez par ce quartier, ne manquez pas de monter, et soyez moins fugitif, on vous fera du thé ou du café.

(1) Pan et la Syrinx, la dernière des Moralités Légendaires, pu- bliée dans la Revue Indépendante, t. 3, 6, avril 1887.

LETTRES 1883-1887^ 181

Dites à Wyzewa que je l'attends tous les soirs avec du lait de la ferme d'Armenont.

Votre

Jules Laforgue.

182 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

GXXXIII

A M. EDOUARD DU JARDIN .

[30 mars 1887] (1).

(Histoires de l'an 87 de la Littérature française ! !)

Quand saurai-je si votre évangélique proposition de m' aboucher par le bon Samaritain Wyzewa avec l'éditeur Quantin est réalisable en ce monde ? C'est- à-dire jusqu'à quand ai-je pour ne pas écrire à Stock?

Votre

J. Laforgue.

(1) Carte postale.

LETTRES 1883-1887 183

CXXXIV

A M. EDOUARD DU JARDIN

[6 avril 1887] (1).

Mon cher ami,

Contre mon attente, je n'ai reçu mon lot de billets (concert Bach) qu'hier (5 avril) deux heures avant le concert. J'en avais pour M. Mourey, mais à cette heure pressée un envoi par la poste était impossible et je n'ai pu moi-même obUquer jusqu'à la place Pigalle. (Aurais-je même à cette heure trouvé ce Monsieur, qui d'autre part attendait le concert le 4 et non le 5 ?) Regrets, et votre

Jules Laforgue.

(1) Carte postale.

184 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

GXXXV

A CHARLES EPHRUSSl

8, rue de Commaille Samedi 9 avril 1887.

Cher Monsieur Ephrussi,

Je viens vous demander un service, et un service d'argent.

N'ayant pu rien faire, paralysé encore par la fièvre avec d'autre part un éditeur qui me traîne en longueur et mon grand article du Figaro qui a être renvoyé à samedi prochain (1), je me trouve stupidement pris au dépourvu devant le 15 avril (terme, etc.) et sans issue.

Voulez-vous avoir la bonté de me sauver? J'aurais besoin de 300 frs. Vous savez que je ne

(1) Cet article, intitulé L' Impératrice (chapitre de Berlin, la cour et la ville), ne parut en fin de compte au Figaro que le 17 septembre 1887, un mois après la mort de Laforgue.

LETTRES 1883-1887 185

suis pas un vulgaire emprunteur? Je ne suis pas même un emprunteur du tout. Croyez que si je me suis si aisément décidé à cette démarche d'ailleurs, c'est que je suis sûr de vous rendre et vous rendrai d'une part dans le courant d'avril, de l'autre dans le courant de mai.

Je vous dois déjà trop depuis que je vous connais pour essayer de vous faire des protestations de reconnaissance, vous savez que je n'oublie rien et que je suis votre profondément dévoué

Jules Laforgue.

186 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXXXVI

A CHARLES EPHRUSSI

Paris, 11 avril 1887, lundi.

Cher Monsieur Ephrussi,

J'ai reçu hier au soir les trois cents francs.

Vraiment vous êtes d'une bonté et d'une sim- plicité charmantes.

Vous savez, n'est-ce pas, comme je vous remercie.

Je vous avais écrit dans un triste moment, étant au lit, me voyant aux abois, etc..

Vous m'avez délivré d'un gros souci. Je me sens maintenant tous les courages.

Encore merci, je vous prie. Tout ce que j'ai de sincèrement reconnaissant en moi est bien à vous.

Votre

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 187

CXXXVII

A CHARLES EPHRUSSl

Lundi 2 mai 1887.

Cher Monsieur Ephrussi,

Il y a longtemps que je voulais aller vous remer- cier de vive voix. Lundi, quoique dans un état d'extrême faiblesse, je suis allé jusqu'à chez vous, vous n'y étiez pas. Je voulais venir ce matin; hélas, pas le courage de sortir. J'aurais tenu à m'excuser des conséquences du retard dans la pubhcation de mon article du Figaro. Mais ce n'est qu'un retard.

Avant de partir, Bourget m'a donné une lettre pour le docteur Robin, son médecin. Il me soigne très bien. Et, à part mon état de faiblesse, je vais bien mieux.

Au premier jour de force, j'irai vous voir et vous

remercier.

Votre dévoué

Jules Laforgue.

188 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXXXVIII ^

A M, EDOUARD DU JARDIN

[26 mai 1887] (1).

Mon cher ami,

Pas de nouvelles de votre mission à V Illustration^ N'avez-vous rien pu?

Pourriez-vous m' envoyer les trente de la Chro- nique ? Je suis à court dès demain jusqu'au premier.

Votre

Jules Laforgue.

(1) Carte postale.

LETTRES 1883-1887 189

GXXXIX

A M. EDOUARD DU JARDIN

Jeudi [2 juin 1887].

Mon cher ami,

A la hâte, mon «salaire » au plus tôt, je vous prie ! Pourvu que vous ne soyez pas absent de Paris !

Votre

Jules Laforgue.

190

ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXL

A TEODOR DE WYZEWA

Mercredi [juin 1887].

Mon bien cher ami,

J'ai été ce matin chez Quantin. De Malherbe m'a reçu on ne peut plus aimablement (Je vous dois encore cela). Il me donnera une réponse lundi.

Figurez- vous que je n'ai rien reçu de Du jar- din. Je n'y comprends rien. Il n'imagine pas les at- tentes, etc..

Votre ami,

Jules Laforgue.

LETTRES 1883-1887 191

CXLI

A CHARLES EPHRUSSI

8, rue de Commaille. Lundi juin 1887.

Cher Monsieur Ephrussi,

J'espère que vous n'aurez pas mal interprété le manque absolu de mes visites. D'abord l'heure l'on peut vous trouver est si vague. Et puis, je ne sais pas si vous le savez, je suis entre les mains du docteur Robin et toute sortie m'est interdite tant que le temps n'aura pas radicalement changé. Depuis le 1^^" mai je n'ai pas mis les pieds dehors, sauf pour aller chez le médecin. Tout le reste du temps je reste calfeutré dans ma chambre, heureux quand l'opium que contiennent mes pilules ne m'engourdit pas assez pour m'empêcher de tra- vailler.

J'attends toujours (et je vous fais attendre avec

***** 13

192 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

mon article du Figaro). Marcade (1), Interpellé depuis des semaines, m'a répondu : i< Attendez donc. Nous ne pouvons pas publier tous nos articles à sen- sation coup sur coup. ))

Quant à mon livre sur Berlin, j'ai un éditeur. On me i'a trouvé. Je ne l'ai jamais vu. La chose est conclue, seulement mon manuscrit est encore assez loin d'être prêt à être remis.

J'attends chaque jour un lendemain tolérable je puisse arriver chez vous assez calme et non pas capable uniquement de répondre à votre conver- sation par des quintes de toux inextinguibles, ce qui est triste et parfois même pas beau.

Inutile de dire que je n'ai été ni au Salon, ni à Millet, ni à l'Exposition Internationale. C'est un peu avant midi, n'est-ce pas et non plus à 11 h., qu'on a chance de vous trouver ?

Souhaitez-moi un jour un peu tiède et même une série indéfinie.

Au revoir.

Votre tant reconnaissant,

Jules Laforgue.

(1) Qui s'occupait du supplément littéraire du Figaro.

LETTRES 1883-1S87 193

CXLII

A CHARLES EPHRUSSI

Jeudi 16 juin 1887.

Voici un petit mot que je voulais vous envoyer aussitôt rentré, le jour j'étais chez vous.

J'étais ce jour-là venu pour vous remercier et franchement pour m'excuser d'un involontaire manque de promesse, et voilà que je sors de chez vous confus avec un nouveau prêt dans ma poche.

Vous avez fait cela si vite et si franchement que je n'ai su que dire sur le moment. Et j'ai accepté (je dois avouer que j'étais alors aux abois, premier rement, et j'avais l'intention de vous parler de l'éditeur Rothschild). Vous expédiez aimablement les choses. Qu'ajouterai-je ? Je n'ai plus de remer- ciements. Mais je n'oublierai jamais rien de tout ce que vous avez fait si délicatement pour moi et je resterai toujours votre sincèrement dévoué.

194 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Merci encore, vous m'évitez des courses, des expédients et m'assurez des semaines de repos pour mon travail et ma guérison.

Votre

Jules Laforgue.

N. B. J'ai vu P. Bourget ce matin, son roman n'est pas fini (1).

(1) Vraiscmblablemont Mensonges.

LETTRES 1883-1887 195

GXLIII

A SA SŒUR

Dimanche, juillet 1887.

Ma chère Marie,

Triste dimanche, sans forces, au coin du feu.

Il y a deux semaines j'ai eu un redoublement de maladie. Mes amis se sont émus. Bourget m'a adressé avec les recommandations les plus parti- cuUères à une sommité médicale, le D^ Robin. J'ai été ausculté, percuté aussi soigneusement qu'on peut l'être. Ce serait trop long à raconter.

Le résultat de tout cela est qu'il ne m'est permis de rester à Paris que jusqu'au commen- cement d'octobre. J'ai un poumon menacé. De toutes façons je ne puis songer de quatre ou cinq ans à passer V hiver à Paris. Donc à tout prix, dès la fm de septembre, je quitterai Paris. Mes amis vont tout faire pour moi. Trouver une

196 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

place suffisante à Pau est assez improbable mais à Alger ce sera beaucoup plus facile.

Il est donc assez probable que dès octobre nous serons à Alger.

Ma bonne Marie, je n'ai guère de force dans la main pour t' écrire. J'avais abusé de pilules d'opium qui me coupaient la toux.

Mon estomac en a été très malade, j'ai passé une bonne semaine sans dormir ni manger. De ma faiblesse. Je commence à me remettre, c'est-à- dire à dormir et manger un peu.

Ces trois mois de fièvre, ces journées au lit, ces quintes de toux, tout cela m'a assommé comme une pauvre bête, il me semble que depuis quatre mois je ne me suis pas réveillé.

Je n'ai pas pour deux sous d'idées, et cependant je publie des articles et c'est pour mon talent que mes amis s'intéressent à moi. Il y a longtemps que tu ne sais plus rien de mes affaires littéraires. Ce serait trop long à détailler, mais sache d'un mot que j'ai le droit d'être fier; il n'y a pas un littéra- teur de ma génération à qui on promette un pareil avenir. Tu dois penser qu'il n'y a pas beaucoup de littérateurs qui s'entendent dire : « Vous avez du génie ». Hélas ! qu'il me tarde d'être guéri et d'être installé dans un endroit je puisse respirer sans

LETTRES 1883-1887 197

souffrance ! Tu ne m'écris pas. Fait-il doux à Tarbes ? Comment vas-tu et as-tu été cet hiver ? Et ton mari et ton enfant ?

Tu serais bien bonne de m' écrire quelques lignes.

Je t'embrasse.

Bien des choses et une poignée de main à ton mari. Vous recevrez l'argent dès que je pourrai sortir et attraper quelque supplément d'argent.

Ton Jules. 8, rue de Gommaille.

198 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXLIV

A TEODOR DE WYZEWA

Mercredi [13 juillet 1887] (1).

Mon cher Ami,

Merci d'avoir pris à cœur ma situation. Elle ne fut heureusement que d'un jour et une nuit.

Fénéon vint et surgit, toujours froid comme la statue du Commandeur (que le nom lui en reste !)• Un usurier (un débutant) a fait l'affaire.

Je vous en souhaite autant toutes les courses hier (et aujourd'hui veille de départ : mon frère, etc..) m'ont empêché d'aller vous voir au Vinti- mille ou au Café mais nous n'en sommes pas là?

Au revoir et mes amitiés à Dujardin.

Poignée de main dévouée, je vous prie.

Votre

Jules Laforgue.

(1) Par une erreur d'impression ce billet avait été daté 1886 dans Je numéro de mai des Entreliens Idéalistes il fut d'abord publié.

LETTRES 1883-1887 199

CXLV

A TEODOR DE WYZEWA

Vendredi [15 juillet 1887].

Mon cher ami,

Vraiment, vous m'avez donné le droit de vous adresser de pareilles lettres. C'est sur votre recom- mandation que de Malherbe m'a dit à la remise de mon manuscrit : « Le livre ne paraîtra qu'en octobre, mais matériellement pour vous ce sera comme s'il paraissait aujourd'hui. Là-dessus il m'a renvoyé à lundi; le lundi, il était content, mais il fallait voir M. May et il m'a renvoyé à mercredi : mer- credi, je reçois une lettre me renvoyant à aujour- d'hui (une lettre) et aujourd'hui je n'ai rien reçu. Et aujourd'hui me tombe sur la tête tout ce qui vous tombe sur la tête un quinze de trimestre.

Voici ce que je voulais vous dire. Il est impossible

200 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

de désespéier de mon livre chez Quantin après les promesses de Malherbe, j'aurai de l'argent de ce côté-là. Or vous avez en Rzewuski une relation facile à la détente; eh bien ! ce n'est pas un emprunt falot que je voudrais faire auprès de lui, mais un emprunt qui serait effacé dès que j'aurais touché chez de Malherbe, ou, en cas de malheur, j'essaierai chez Lemerre. Ce serait 350 à peu près dont j'aurais besoin.

J'ai attendu jusqu'à aujourd'hui pour vous remercier (répondre à) votre longue lettre de l'autre soir, longue, et comme toutes nos rencontres ser- viable.

Comment est-il possible que vous donniez huit heures de leçons par jour? Je me rappelle encore ce soir d'automne nous vous avons ac- compagné jusqu'à Passy, avec Kahn. J'espère que si une de vos leçons vous amenait par ici vous monteriez chaque fois vous reposer (nous n'avons plus de lait l'après-midi, mais toujours du fruit).

Avouez un peu que l'article pour Rzewuski est une petite comédie arrangée; si vraiment c'est vrai je m'en acquitterai, comme de toute autre besogne, consciencieusement.

Quant à la campagne... Perreau est venu et nous a ébloui; mais, hélas, il faut compter sur si peu.

LETTRES 1883-1887 201

Moi qui espérais toucher aujourd'hui chez de Malherbe deux éditions.

Vous viendrez naturellement avant de partir pour la Hongrie. Bourget aussi part pour la cam- pagne dans quelques jours.

Avez-vous vu que le tout jeune homme de la République française que je connais (1) a été dé- coré ? Il a de la santé, il a guéri son estomac avec six cures de Vichy.

Au revoir, mon véritable et rare ami. Il y a des mois que songeant, impotent, ce que je pouvais faire pour vous et je n'ai encore trouvé que cette chose falote que je n'ai jamais depuis le temps pensé à vous dire : vous dédier mes « nouvelles » que Dujardin éditerait.

Au revoir.

Votre

Jules Laforgue.

1) Théophile Delcassé.

202 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXLVI A CHARLES EPHRUSSI

22 juillet 87, Paris.

Cher Monsieur Ephrussi,

Vous pensez que si je n'ai pas été vous voir, c'est que les visites me sont difficiles.

Je voudrais bien vous demander si l'article Gail- lard a paru et dans ce cas si on ne pourrait pas presser ces messieurs pour l'autre côté de la ques- tion ?

C'est une de ces choses sur lesquelles j'ai compté un peu tous les jours, surtout cette semaine la somme que vous m'avez dit parferait justement mon terme dont chaque jour de retard m'humilie devant un propriétaire fâché que j'aie donné congé.

D'autre part, j'attends toujours un mot de mon

LETTRES 1883-1887 203

éditeur. Mon livre sur Berlin est au complet depuis trois semaines chez lui.

Il m'est arrivé une bonne affaire, des articles dans une revue russe : 100 frs par article (c'est du moins le prix de mon premier), un jour ce sera peut-être 200 francs. Besogne facile.

J'irai sans doute bientôt vous voir : homme plein de santé, que je vous féhcite.

Votre bien dévoué,

Jules Laforgue. 8, rue de Gommaille.

204 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXLVII

A TEODOR DE WYZEWA (1)

22 juillet 1887.

Je ne vous envoie cette carte que maintenant, les 100 anonymes étant arrivés hier au soir. Et je viens de recevoir par simple mandat 100 (cent) de Jevousky d'Aix-les-Bains, avec longue lettre sur l'article à. faire.

Je vous attends samedi. Rien de Malherbe.

Votre

Jules Laforgue.

Le propriétaire ne s'est pas encore montré.

(1) Cette carte postale est adressée à :

M. de Wyzewa

11, avenue de Clichy

E. V. Le timbre de la poste, très net, est « 22 juillet 87 ».

LETTRES 1883-1887 205

CXLVIII

A SA SŒUR

Juillet 2, août, 87 Paris, Mardi.

Ma chère Marie,

Une lettre de toi, et une bonne lettre, tu ne sau- rais croire le plaisir que tu m'as fait.

Mais, en vérité, et tout d'abord, tu es effrayante avec ces maternités successives ! Il me semble que si Leah était dans cet état, je vivrais dans des angoisses continuelles.

Et que de soucis ! une semaine a passé depuis ta lettre, j'espère qu'elle aura été décisive en bien pour Juliette.

Ma chère Marie, t'ai-je bien expliqué comme je suis malade ? Te souviens-tu des quintes de toux et des oppressions de papa? Eh bien, j'en suis là, avec ces quintes, une moitié invariablement de la nuit. Mais, comme je te l'ai dit, je suis, soins et remèdes gratis, entre les mains d'un des grands

206 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

médecins de Paris; et depuis un mois qu'il me soigne, je guéris rapidement, j'ai encore jusqu'à septembre. Pendant tout ce mois je n'ai mis les pieds dehors que pour ma consultation.

Ah ! si papa, deux mois avant d'aller à Tarbes, s'était mis entre les mains d'un pareil médecin, au lieu de se soigner d'après des livres de hasard, cela lui aurait coûté deux cents francs et il vivrait encore, j'en suis sûr.

Tu me dis que tu attendais notre visite : tu es bien bonne. Mais ne t'ai-je pas dit que je devais rester en traitement jusqu'en fm septembre chez le D^ et puis quitter Paris ? Ne t'ai-je pas dit que je quittais absolument Paris en septembre et que de trois, quatre ans je n'y pouvais passer l'hiver? Ce déplacement, comme tu penses, est une grosse question, il faut qu'en arrivant à l'endroit dit, une place m'y attende.

Je ne puis sortir, faire les démarches, naturel- lement. Mais tu n'as pas idée des amitiés, des dé- vouements que m'amènent les petites choses que je pubUe. La moindre page a du succès, et je n'ai pas un ennemi, chose rare si tu savais ? Donc, un ami, journaliste, qui a pour moi une admiration exagérée, colporte cela, s'occupe de me trouver quelque chose à Alger. Mais le plus probable est

LETTRES 1883-1887 207

que nous irons en Egypte, au Caire, par Bourget qui pourrait me placer au consulat comme tra- ducteur. Tu ne sais pas tout ce que Bourget a fait pour moi, c'est par lui que le D^" Robin me soigne et si particulièrement et gratis et me four- nit de la pharmacie de son hôpital. C'est aussi par lui mais il est si simple que j'ai vécu à moitié tout ce mois, le reste me venant d'articles arriérés.

J'ai un livre qui, si je puis le pubher assez tôt, nous permettra, en quittant Paris, d'aller vous voir. Leah aimerait bien te voir. Elle te plaira, moi elle m'étonne toujours. C'est un si drôle de person- nage î Inutile de te dire que j'ai tous les caprices on me soigne toujours avec un bon sourire et de grands yeux.

Je ne t'ai parlé que de moi, et pourtant ta vie, ton ménage doit être seul un monde de préoccupations.

Remercie ton mari de sa bonne confiance. Pou- vais-je prévoir les choses ? Ah ! si je pouvais tra- vailler comme tout le monde ! mais l'opium de mes pilules me tient engourdi deux après-midi sur trois. Je voudrais bien savoir ce qu'est devenu Charles. Ma chère Marie, je t'embrasse et te souhaite une douce délivrance et un garçon.

Jules.

***** 14

108

ŒUVRES DE JUI.ËS LAFORGUE

CXLIX

A TEODOR DE WYZEWA

Mardi [fin juillet 1887]

Je reviens de chez Robin, mon cher ami. Et je vous écris avec une demi-respiration, qui ne se trouve pas dans le Dante.

D'abord les grosses choses.

J'ai reçu 100 d'Aix-les-Bains, et ce matin 100 autres. J'ai payé un demi-terme. J'ai reçu 100 de Vienne et payé les fournisseurs alimentaires qui s'intéressent singulièrement à ma santé.

Reçu une lettre de Malherbe au nom de M. May, lequel ne veut le livre que sous certaines conditions grotesques.

La seconde partie lui paraît avoir été dite par de précédents ouvrages, ce qui est une erreur (il s'agit des mœurs berlinoises). Je n'ai au contraire donné que du nouveau, ayant séjourné placidement

LETTRES 1883-1887 209

5 ans à Berlin et non passé une quinzaine dans un hôtel. J'ai même évité ce qui est trop connu, comme les mœurs des étudiants si ressassées. (Mais il n'a pas lu cette partie.) D'autre part, il voudrait que, cela supprimé, j'allonge le chapitre cour. Ce qui est impossible. Je sais tout et il n'y a pas davantage. (Il fallait voir la joie de Marcade devant mon Emp. et mon Imp. qui m'avait demandé de l'inédit.) Enfin, tout cela confectionné, il faudrait que je mette sur la couverture mon nom avec : Ancien lecteur de Vlmp. Augusta. J'irai reprendre mon manuscrit, comme vous pensez (Dujardin veut en parler à Lévy).

Je transpire de ces 4 pages, dites-moi votre vie, je puis vous écrire tous les deux jours.

Votre

Jules Laforgue

210 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CL

A M, EDOUARD DU JARDIN

Imprimerie Louis Boyer et C'« Asnièrcs, le 29 juillet 1887.

(Edouard Btijardiii à Jules Laforgue, qui lui renvoya sa lettre avec ses réponses.)

Mon cher Laforgue,

J'ai donné à la composition vos Moralités légen- daires, elles paraîtront donc, si cela vous va, cet automne.

(De la main de Laforgue) : Oui.

Or :

P N'aimeriez-vous pas mieux le titre : « Mora- lités légendaires » au lieu de « petites moralités légendaires»; comme éditeur, je le préfère beaucoup; aussi, d'ailleurs, comme confraternel ami.

(De la main de Laforgue) : Oui.

LETTRES 1883-1887 211

Je vous envoie le « Pan »; y avez-vous des corrections à faire; alors, tout de suite, n'est-ce pas?

(De la main de Laforgue) : Bon.

2^^ bis. Le titre est-il « Moralités légendaires », ou « Les moralités légendaires »? (Laforgue a de deux traits de plume barré « les », et répondu) : supprimer les.

Vous renoncez aux (( Deux Pigeons )? ils ne sont pas dans le manuscrit. Tant mieux !

(De la main de Laforgue) : oui, renonce.

4*^ Aurez-vous des corrections importantes à faire, dans le volume ? Parce que, voici : si le texte que vous m'avez donné est définitif, alors vous ne recevrez des épreuves qu'après la mise en pages, et moi j'y aurai une très grande économie; mais si vous voulez faire de nouveaux changements dites-le-moi d'avance.

(De la main de Laforgue) : texte tel quel définitif.

A tout cela répondez- moi vite. A ma prochaine visite, je vous expUquerai mes plans pour cette édition, fort simples d'ailleurs; le point spécial

212 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

1

est ceci : petit tirage (200 ou 300 exemplaires). Mon commis ira chercher le Pan chez vous dès que vous me direz de le faire; en même temps il vous portera le découpage de tous vos .vers de la Vogue, Saluez de ma part respectueusement madame La- forgue, et bien vôtre sachez-moi.

Edouard Dujardin.

Répondez-moi vite, n'est-ce pas.

(De la main de Laforgue) : Au revoir.

Votre

J. L

LETTRES 1883-1887 213

CLI

A TEODOR DE WYZEWA

[Début d'août 1887.]

Mon cher ami,

Quel efïort de prendre la plume quand on passe ses journées à sommeiller dans un fauteuil !

Et il fait si chaud.

Mais quelque éveil me vient. Je passe de bonnes nuits ayant imaginé de ne plus dormir dans un lit, mais dans mon fauteuil arrangé; la position un peu assise me supprimant la toux. Et puis nous rece- vons de la glace chaque jour.

A quoi pouvez-vous bien passer vos journées à Cracovie ? Avez-vous emporté de la besogne ? Entreprenez-vous quelque chose ? Ceci serait inté- ressant. Quand le feriez- vous en effet? Mais, d'autre part, le rêve et rien que le rêve, n'est-ce pas ?

214 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Racontez-moi donc une journée de Cracovie; je regarderai sur la carte.

Je suppose que vous n'avez pas un besoin immé- diat de la petite somme que je vous dois? cent francs me sont tombés du ciel il y a une semaine, dette à laquelle je n'eusse jamais plus pensé, et d'un homme de lettres.

A part cela, je ne fais rien. Vous ne me parlez pas de la solution de M. May. Cela ne vous a-t-il pas semblé risible?

Je ne coupe si brusquement ma lettre je souffre un peu qu'avec la résolution de vous écrire un de ces jours vraiment et autrement. En vérité, vous êtes le seul pour qui je pouvais prendre la plume par cette torpeur.

Votre dévoué pour toujours,

Jules Laforgue. Ma femme vous serre cordialement la main.

LETTRES 1883-1887 215

CLII A M. EDOUARD DU JARDIN

[7 août 1887.]

Quelle est l'adresse immédiate de Perreau? Avez-vous dit un mot à Lévy de mon livre ainsi que promis ? « Pan >) est prêt et correct. A la hâte.

Votre

J. Laforgue.

216 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

1

CLIII

A XAVIER PERREAU (1)

[10 août 1887.]

Cher monsieur Perreau,

Sans aller à Versailles et en écrivant au besoin un petit mot, pourriez- vous savoir si dans la maison en question (Versailles) on nous prendrait pour 15 jours à quel prix si l'on pourrait avoir la pension et à quel prix (deux personnes)? Je vous serais bien obligé.

Votre, je vous prie,

Jules Laforgue. 8, rue de Gommaille.

(1) Carte postale. Edouard Dujardin avait demandé au musi- cien Xavier Perreau, avec qui il était très lié et qui venait de faire un séjour à Versailles et y retournait fréquemment, s'il pourrait y trouver pour Laforgue un appartement celui-ci respirerait un air pur. (Note de M. Edouard Dujardin.)

Le samedi 20 août 1887, Jules Laforgue s'éteignait à Paris» 8, rue de Gommaille, quatre jours après le vingt-septième anniver- saire de sa naissance.

NOTES

Les cent cinquante-trois lettres de Jules Laforgue qui figurent dans ce recueil ont été soit empruntées à des recueils précédents ou à des revues disparues, soit copiées sur les manuscrits qui nous ont été remis.

On trouvera ici le détail de ces diverses sources.

U lettres à Charles Ephriissi (\8S1-1SH7). Vingt-deux d'entre elles ont paru dans la Revue Blanche (1^^, 15 septembre et l^r octobre 1896):

9 lettres, numérotées I à IX, sous le titre Lettres de Jules Laforgue à M*** (1881-1882) (Revue Blanche, t. XI, no 78, p. 219 à 228).

5 lettres, numérotées X à XIV, sous le titre Lettres de Jules Laforgue à M*** (Allemagne 1882) (Revue Blanche, t. XI, no 79, p. 271 à 276).

8 lettres, numérotées XV à XXII, sous le même titre (Revue Blanche, t XI, n^ 80, p. 313 à 320).

Ces lettres furent publiées ensuite dans le volume Mélanges Posthumes (Mercure de France, 1903) sous le titre Lettres à M. Ephrussi (1881-1882)

2l3 ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

l'exception des lettres I, II et XIV de la Revue Blanche, sans qu'on puisse s'en expliquer la raison). Ces trois lettres figurent ici sous les numéros III, V, et XXVII, avec, en outre :

12 lettres inédites (du 26 février 1883 au 22 juillet 1887) dont les copies nous ont été remises par M. Félix Fénéon.

58 lettres à M. Charles Henry (1881-1886).

51 lettres (du 30 novembre 1881 au 4 octobre 1886) parurent sous le titre « Lettres inédites de Jules Laforgue à un de ses amis (1881-1886) » dans VArt Moderne de Bruxelles, hebdomadairement à partir du 4 décembre 1887, par les soins de M. Félix Fénéon, qui y ajouta quelques notes et projetait d'en faire un tirage à part, dont il nous a transmis les épreuves : elles se composaient de 48 pages mises en page (lettres I à XXV de VArt Moderne), de 2 placards (lettres XXVI à XXX incluses), le reste en copie. La page de titre se lisait ainsi : Lettres inédites de Jules Laforgue à un de ses amis (1881-1886) L'Art Moderne ^Bruxelles 1889. Une réim- pression de ces 51 lettres fut faite dans un volume intitulé Exil, Poésie, Spleen (p. 55 à 160) édité par la Connaissance, Paris, 1921. Le texte de cette impression fourmille d'erreurs : dates erronées (14 janvier 1882 au lieu de 4 janvier,

Notes 21Ô

par exemple), mots estropiés : L'Art en question pour UArt de la Mode (p. 86); Hermeling pour Memling (p. 86); Thiergaten pour Thiergarten, (p. 91); J'avais au lieu de J'apaise (p. 95); Babelsperg et Hambourg au lieu de Babelsberg et Hombourg (passim); le sans-gêne de ses ruines au lieu de le sans-gêne de ses rimes (p. 104): Arnaud Jean pour Aman-Jean (p. 117): style familial au lieu de style fdial (p. 131); sous un monde au lieu de dans un monde (p. 155) : notes démarquées quelques exceptions près, les notes sont celles de M. Fénéon dans VArt Moderne^ auxquelles on a ajouté des incorrections et des bévues); rectifications fâcheuses (p. 86, on attri- bue à Lacaussade, en les estropiant, des vers qui sont de Louis Bouilhet, comme le dit avec raison Laforgue lui-même); aucune date douteuse n'a été précisée ou corrigée; des citations tronquées de lettres à Vanier et à Max Klinger, aucune ind-

cation de références, etc

7 lettres inédites dont les copies nous ont été com- muniquées par M. Félix Fénéon (lettres des 8 août 1883, 6 novembre 1883, 17 décembre 1883, no- vembre 1884, avril 1885, juillet 1885, janvier 1886).

12 lettres à Marie Laforgue [Madame Labat] (1881-1887). Ces 12 lettres furent publiées par les soins de M. Francis Vielle- Griffin dans V Occident (janvier-

220

ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

février et mars 1901), puis rééditées dans Mélanges Posthumes (Mercure de France, 1903) sous le titre Lettres à sa sœur (p. 288 à 332).

11 lettres à M"^' MuUezer (1882).

6 de ces lettres parurent sous le titre Lettres et Vers dans la Revue Blanche, t. IX, n^ 52: p. 110 à 118, 1®^ août 1895, numérotées de I à VI suivies de deux poèmes La Complainte du petit hyper- trophique et Spleen des nuits de juillet. Les lettres III, IV, V, VI figurent sous le titre Lettres à M"ie *** (j^j^s Mélanges Posthumes (Mercure de France, p. 273 à 285) : mais les lettres I et II de la Revue Blanche n'y figurent pas. Ces deux lettres ont été reproduites dans Exil, Poésie, Spleen, p. 23 et 25, (La Connaissance, 1921) avec

5 lettres inédites (du 23 janvier, du 6 avril, de Coblentz, lundi, juin, du 18/uî7/e/etdu 19 août 1882), sous le titre Lettres à un poète. Les mêmes re- marques s'appliquent à cette édition des lettres à Mme Mullezer aussi bien qu'à celles du même vo- lume adressées à M. Charles Henry (Rentzon et Ainda, pour Bentzon et Ouida, p. 22; Hambourg pour Hambourg, p. 26. « La vie m'a appris à être/rès peu fort, au lieu de très peu fat (p. 21) \ (Augustin au lieu d'Augustus (p. 30), etc.).

1 lettre à une dame (1883). Inédite : copie communi- quée par M. F. Fénéon.

NOTES 221

2 lettres à Emile Laforgue (1885-1886). Ces deux

lettres, inédites, nous ont été communiquées en manuscrit par M"^^ q Labat, née Marie Laforgue.

4 lettres à Max Klinger (1883-1884). Ces quatre lettres

furent d'abord publiées dans la Cravache pari- sienne, du samedi 8 septembre 1882.

3 lettres à Théophile Ysa^/e (1885-1886). Les manuscrits

de ces trois lettres ne nous sont pas parvenus : nous en avons trouvé le texte traduit en allemand en tête de Sagenhafte Sinnspicle, traduction allemande des Moralités Légendaires par M. Paul Wiegler, Axel Junker Verlag, Stuttgart, 1905. Force a été de les retraduire en français. La tra- duction en est due à M. François Ruchon de Genève. Les deux dernières de ces lettres figu- raient déjà p. Lxxxiii et lxxxvi de l'Introduction à Berlin, la Cour et la Ville.

5 lettres à Léon Vanier (1885). De ces cinq lettres,

trois ont été publiées fragmentairement dans VArt Moderne de Bruxelles, les deux dernières nous furent communiquées en copie par M. Félix Fénéon.

1 lettre à Léo Trézenik [Mostrailles] (1885). Elle parut dans le numéro du 4 octobre 1885 de la revue Lutèce.

1 lettre à M. Félix Fénéon (1886). Comnumiquée par le destinataire.

222 (ÈUVRÊS JULES LAFORGUE

5 lettres à Teodor de Wyzewa (1887). Ces cinq lettres ou cartes postales inédites nous ont été remises en manuscrit par le destinataire lui-même, peu avant sa mort.

Avec les lettres de Jules Laforgue Teodor de Wyzewa nous remit ce billet de W^^ Jules Laforgue, par télé- gramme daté du 5 décembre 1887 (trois mois et demi après la mort de son mari) et adressé à : M. de Wyzewa, aux soins de M. Dujardin, 1 1 , rue de la Chaussée-d'Antin.

Dear Sir,

Should I be troubling you much if I were to ask you to call on me sometime to-morrow. I am leaving for Mentone, on tlie evening of Tuesday and hâve before I go a kindness to beg you relative to my husband's papers. If you send a Une to my hôtel I will be in at any time you mention.

Believe me truly yours Leah Laforgue. Hôtel de Londres et Milan 8, rue Saint-HyacinLhe-Saint-Honoré.

Monday.

NOTES 223

Quelques mois après ce rendez-vous qu'elle deman- dait à Teodor de Wyzewa pour l'entretenir du sort des œuvres posthumes de son mari, M^^ Jules Laforgue mourait elle-même à Menton, au cours de l'année 1888.

15 lettres à M. Edouard Dujardin (1886-1887). Les quinze lettres et cartes postales adressées par Jules Laforgue à M. Edouard Dujardin ont été publiées par celui-ci dans le numéro de mai 1923 des Cahiers Idéalistes, p. 67-72.

1 lettre à M. Xavier Perreau (1887). - Ce dernier billet de Jules Laforgue a été publié dans le même numéro des Cahiers Idéalistes, p. 76.

G. J. A.

***** - 15

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TABLE DES MATIÈRES

1883

LX. A M. CHARLES HENRY 7

LXI. A CHARLES EPHRussi (inédit) 9

LXII. A M. CHARLES HENRY 11

LXIII. ID. 14

LXIV. ID. 17

LXV. A SA SŒUR 19

LXVI. ID 23

LXVII. A M. CHARLES HENRY 26

LXVIII. A MAX KLINGER 28

LXIX. A CHARLES EPHRUSSI (inédite) 32

LXX. ID. (inédite) 34

LXXI. A M. CHARLES HENRY 37

LXXII. ID. 40

LXXIII. ID. 43

LXXIV. ID. (inédite) 46

LXXV. ID. 47

LXXVI. A MAX KLINGER 49

LXXVII. A SA SŒUR. 52

LXXVIII. A M. CHARLES HENRY (inédite) 55

LXXIX. ID. (inédite) 57

LXXX. A CHARLES EPHRUSSI 59

LXXXI. A UNE DAME (inédite) 63

LXXXII. A CHARLES EPHRUSSI (inédite) 65

228

ŒUVKES DE JULES LAFORGUE

1884

LXXXIII. A M. CHARLES HENRY 68

LXXXIV. ID. 71

LXXXV. ID. 74

LXXXVI. A MAX KLINGER 77

LXXXVII. A CHARLES EPHRUSsi (inédite) 80

LXXXVIII. A M. CHARLES HENRY 83

LXXXIX. A MAX KLINGER 87

XC. A M. CHARLES HENRY 90

XGI. ID. 92

XCII. ID. 94

XCIII. ID. (inédite) 97

XCIV. A CHARLES EPHRUSSI (inédite) 99

XGV. A M. CHARLES HENRY 103

XCVI. ID. 105

1885

XCVII. A M. CHARLES HENRY 106

XCVIII. ID. 108

XCIX. ID. 110

G. A LÉON VANIER 112

CI. A M. CHARLES HENRY (inédite) 113

CIL ID. 115

cm. A LÉON VANIER 117

GIV. ID. 118

GV. A M. CHARLES HENRY 119

GVI. A THÉOPHILE YSAYE (inédite) 122

TABLE DES MATIERES

229

GVII. A M. CHARLES HENRY 124

CVIII. A LÉON VANIER 126

CIX. A M. CHARLES HENRY 127

ex. A LÉON VANIER 129

CXI. A M. CHARLES HENRY (inédite) 130

CXII. m. 131

CXIII. A EMILE LAFORGUE (iragment ) ('z7?érfz7e^ 134

CXIV. A LÉO TRÉZENIK 136

GXV. A M. CHARLES HENRY 139

GXVI. A THÉOPHILE YSAYE (inédite) 141

1886

CXVII. A M. CHARLES HENRY (inédite) 144

GXVIII. iD. 145

GXIX. A EMILE LAFORGUE (inédite) 146

GXX. A SA SŒUR 150

GXXI. A M. FÉLIX FÉNÉON 160

GXXII. A THÉOPHILE YSAYE (inédite) 162

GXXIII. A M, CHARLES HENRY 165

GXXIV. A M. EDOUARD DUJARDIN 168

1887

GXXV. A SA SŒUR 170

GXXVI A 1\I. EDOUARD DUJARDIN 173

GXXVII. ID. 175

GXXVIII. ID. 176

GXXIX. ID. 177

230

ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

GXXX. A M. EDOUARD DUJARDIN 178

GXXXI. iD. 179

GXXXII. iD. 180

CXXXIII. iD. 182

GXXXIV. iD. 183

GXXXV. A CHARLES EPHRUSSI 184

GXXXVL iD. 186

GXXXVII. ID. 187

GXXXVIII. A M. EDOUARD DUJARDIN. . 188

GXXXIX. ID. 189

GXL. A TEODOR DE WYZEWA (inédite) ... . 190

GXLI. A CHARLES EPHRUSSI (inédite) 191

GXLII. ID. (inédite) 193

GXLIII. A SA SŒUR 195

GXLIV. A TEODOR DE WYZEWA (inédite) ... . 198

GXLV. ID. (inédite) 199

GXLVI. A CHARLES EPHRUSSI (inédite) 202

GXLVII. A TEODOR DE WYZEWA (inédite) .... 204

GXLVIII. A SA SŒUR 205

GXL IX. A TEODOR DE WYZEWA (inédite) 208

GL. A M. EDOUARD DUJARDIN 210

GLI. A TEODOR DE WYZEWA (inédite) 213

GLII. A M. EDOUARD DUJARDIN 215

GLIII. A XAVIER PERREAU 216

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215

(Chartres. Imprimerie Félix Lai.nj';. ll)p.6.25.

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