^
JOHN M. KELLY LIBDADY
Donated by The Redemptorists of the Toronto Province
from the Library Collection of Holy Redeemer Collège, Windsor
University of St. Michael's Collège, Toronto
^.p
^>r^.
\tmlmmk
Y w^m^Ts
1
/ /TÊt
H0LY RFnFPMFD iib«,jS* ..
.#
^///
OEUVRES COMPLÈTES
DE
L'ABBÉ DUBOIS
II
PARIS. — IMPRIMERIE A. DUT&WPLE
7, rue des Cacettes, 7
ŒUVRES COMPLÈTES
DE
L'ABBÉ DUBOIS
Ancien supérieur du grand séminaire de Coutances
NOUVELLE ÉDITION
REVUE ET CORRIGÉE PAR UN DIRECTEUR DU MÊME SÉMINAIRE
II
LE GUIDE DU SÉMINARISTE
LIBRAIRIE JACQUES LECOFFRE
LEGOFFRE FILS ET G'% SUCCESSEURS
PARIS I LYON
90, RUK BONAPARTE I RUE BELLECOD», 2
1874
LE GUIDE
DU
SÉMINARISTE
PREMIÈRE PARTIE
LES SÉMINARISTES CLASSÉS E.\ QUATRE CATÉGORIES :
— LES MAUVAIS, — LES TIÈDES, — LES BONS —
ET LES FERVENTS.
Nous ne combattrons, dans la première partie de cet ouvrage, aucun défaut en particulier ; nous ferons seulement le portrait des divers élèves qui peuplent nos séminaires, et, après avoir montré le fort et le faible de chacun, nous leur ferons voir ]a nécessité de se corriger de leurs imperfections et nous leur en indiquerons les moyens. La classi- fication des séminaristes est, selon nous, d'une haute importance. Elle correspond exactement à celle des prêtres dans l'Église ; ce qui prouve, comme nous aurons souvent occasion de le dire, que la vie sacerdotale est le reflet de celle du sé- minaire.
Les mauvais séunnarisies sont peu nombreux; il en est relativement de même des mauvais prêtres. II. 1
Les séminaristes tièdes sont bien moins rares que les mauvais ; c'est la même chose dans le sa- cerdoce.
Les bons séminaristes sont en très-grand nom- bre dans les séminaires ; les bons prêtres forment aussi dans FÉglise la classe la plus nombreuse.
Les saints, les fervents séminaristes sont en petit nombre dans les séminaires ; les saints prêtres, hélas ! sont moins nombreux encore dans l'Église.
Malheureusement, il faut le reconnaître, les sé- minaristes, devenus prêtres, ne restent pas tous dans la catégorie où ils étaient rangés au sémi- naire. Est-il rare, eti effet, de voir s'opérer alors de tristes déclassements ? Est-il rare de voir de mauvais séminaristes devenir des prêtres plus mauvais encore ; des tièdes devenir mauvais ; des tK/ns devenirs tièdes, et même des fervents descen- dre au degré des bons prêtres ordinaires et quel- quefois plus bas encore ?
Nous ne saurions trop recommander à nos jeunes amis la méditation sérieuse de ces considé- rations. La conséquence qu'ils en tireront sera certainement qu'ils doivent prendre place parmi les plus fervents, puisque, là seulement, ils peuvent trouver une garantie solide pour l'avenir. Puissions- nous, par ce qui va suivre, les déterminer tous à se lancer généreusement dans la voie des parfaits !
m
CHAPITRE PREMIER
Le mauYais séminariste.
Avant d'énumérer les vices et les défauts aux- quels le mauvais séminariste est sujet, nous prions nos jeunes lecteurs de ne pas croire que la réunion de tous ces vices et défauts soit nécessaire pour constituer un mauvais séminariste proprement dit. Il est évident qu'un seul vice, s'il est grave, suffit pour le rendre mauvais, et indigne du sacerdoce.
Entrons maintenant f^ans le détail et considé- rons les signes caractéristiques de l'infortuné jeune homme qui pose devant nous.
Le mauvais séminariste est ordinairement au sé- minaire contre son gré : des circonstances tout humaines l'y ont amené. Ses parents, peu favorisés des dons de la fortune, ont fait des sacrifices con- sidérables pour son éducation, et cent fois ils lui ont laissé voir que c'était vers le séminaire qu'ils désiraient qu'il se dirigeât.
Sans doute il irait bien contre leur volonté s'il pouvait choisir une autre carrière ; mais il n'en voit presque aucune qu'il puisse aborder. Les unes exigent des grades, et il n'a pas assez de talent pour les obtenir ; les autres demandent beaucoup de travail et d'argent : or le travail lui pèse et l'argent lui manque. Reprendre l'agriculture au sein de sa famille ou quelque métier, c'est ce qui ne se voit guère après sept ou huit années passées
— 4 —
dans les collèges ou les petits séminaires. L'état ecclésiastique lui offre seul un débouché convena- ble : en l'embrassant, il fait plaisir à ses parents, il s'assure un avenir honorable, et il espère quel- que assistance de la part de certaines personnes pieuses qui croiront faire une bonne œuvre en se- condant sa vocation. C'est donc vers le sacerdoce qu'il fait voile, mais uniquement par des \Ties hu- maines, comme nous l'avons dit, et disposé au fond à renoncer au séminaire s'il pouvait prendre avec plus d'avantage un autre parti.
11 se dit, il est vrai, vaguement à lui-même qu'il s'utilisera dans le saint minisière, qu'il confessera, qu'il prêchera comme tant d'autres ; mais c'est une vaine pâture qu'il donne à sa conscience pour l'a- paiser : son goût, son attrait, ses inclinations n'ont point ce caractère tranché qui est le trait saillant du séminariste solidement pieux. Il entre au sé- minaire froidement et par calcul ; il n'y entre point par un motif de zèle et avec un élan de ferveur.
Sa vie du monde a été pitoyable ; n'ayant jamais eu un vrai fonds de vertu, plusieurs vices ont pris possession de sonàme ; l'impureté surtout y a fait des ravages. Sujet à des habitudes invétérées, il n'a presque rien fait pour les combattre, et l'on chercherait en vain dans son passé cette transition subite et complète qui caractérise une conversion proprement dite.
Des chutes graves et fréquentes ont précédé im- médiatement son entrée au séminaire, et jamais il n'a eu pour ses péchés ce vif sentiment d'horreur qu'éprouve toujours celui qui revient sincèrement à Dieu.
— 5 —
Quelquefois il a donné des scandales, et ceux qui en ont été les témoins n'ont pas vu qu'il les ait ré- parés d'une manière éclatante par une vie sainte.
Dans le séminaire, si l'hypocrisie ne voile pas ses vices, ce qui a souvent lieu, il se distingue par une conduite qui afflige ses supérieurs et scandalise ses condiFciples.
L'insubordination est son élément ; le règlement lui est à charge et il ne se fait aucun scrupule de l'enfreindre habituellement, et même quelquefois assez grièvement.
S'il ne se porte pas à cet égard aux derniers excès, c'est bien moins parce qu'il respecte la règle comme l'expression de la volonté de Dieu, que parce qu'il redoute une expulsion qui lui interdirait la seule carrière à laquelle il puisse prétendre.
L'étude est pour lui sans attrait ; la paresse est un de ses vices dominants ; il travaille tout juste autant qu'il le faut pour arracher à ses examina- teurs une sentence d'admission. En sondant ses dispositions intimes, il pourrait prévoir à coup sur qu'une fois sorti du séminaire, il rompra définiti- vement avec l'étude et les livres.
Les séminaristes les moins édifiants sont ses amis de prédilection ; c'est dans leur compagnie qu'il aime à passer, malgré les défenses de ses su- périeurs, les heures de récréation et le temps des promenades. Avec eux il est à l'aise ; il s'ouvre, il s'épanche dans des conversations toujours frivoles, quelquefois peu édifiantes et souvent même dan- gereuses.
La piété lui est étrangère : présent de corps aux exercices communs parce que la nécessité l'y obhge,
— 6 —
son cœur s'égare clans une multitude de futilités dont il aime à se repaitre.
Ses communions sont froides comme tous ses exercices, et c'est lui qu'on voit le moins souvent à la table sainte, dont il s'approche avec des dispo- sitions plus qu'équivoques.
De temps en temps, des passions mal éteintes annoncent leur présence par de violents assauts, et des chutes humiliantes en sont le résultat. Les vacances surtout sont l'occasion de ces assauts et de ces chutes.
Il se relève lâchement, il combat mollement, il se coiifesse froidement, cl (oui annonce qu'une nouvelle attaque sera le signal d'une nouvelle défaite.
Mais c'est surtout en ce qui touche la vocation que le mauvais séminariste se distingue des bons. Ceux-ci ne se croient jamais appelés ; ils tremblent sans avoir aucun sujet de trembler, et leurs con- fesseurs se donnent des peines incroyables pour leur inspirer confiance et courage ; quelquefois même toutes les ressources de leur zèle sont vai- nes, et ceux de leurs pénitents sur la vocation des- quels ils n'ont pas la moindre inquiétude, renoncent au sacerdoce par un excès de frayeur. Mais notre jeune téméraire est dans des dispositions toutes dif- férentes. Rien ne le trouble, rien ne l'alarme ; il s'engage dans les ordres sacrés avec un calme parfait, et il est si aveugle qu'il ne lui vient pas même en pensée de douter s'il y est appelé.
Il s'abstient, en fait de vocation, de chercher dans des auteurs graves la lumière qu'il redoute ; il supporte avec peine les instructions qui se font sur
— 7 —
cette matière, et autant il est mécontent de les en- tendre, autant il est prompt à les oublier.
Il ne consulte pas même son confesseur à cet égard, et croit que tout est bien quand il a déclaré ses péchés de la semaine. Il ne peut se résoudre à faire connaître sa vie passée, et emploie divers sub- terfuges pour se soustraire à une confession générale, toujours recommandée et souvent abso- lument nécessaire.
Si son confesseur prend l'initiative et lui mani- feste des craintes sur sa vocation ; au lieu de faire comme le bon séminariste qui, dans ce cas, re- nonce à l'état ecclésiastique ou ajourne du moins la réception des saints ordres, il désoie et embarrasse son confesseur par son entêtement à soutenir que sa vocation est bonne et légitime ; il laisse même voir que son parti est pris et que rien ne le fera reculer.
S'il ne peut ol)tenir de son confesseur une décision favorable, il le traite de petit esprit ou de casuiste trop sévère, et va frapper à une autre porte avec l'espoir de trouver un directeur plus accommodant.
Pauvre jeune liomme ! S'il était sincère et s'il cher- chait la lumière de bonne foi , il verrait immé- diatement qu'il n'a pas peut-être une seule des marques généralement assignées pour une bonne vocation.
Ainsi, par exemple, l'innocence conservée depuis le baptême, il est certain qu'il ne la possède point et qu'il l'a perdue mJlle fois par des péchés peut-être énormes.
L'innoceni'c rt'paréc par une longue et sérieuse pénitence, peut-il dire quelle est en lui ? Cette
— 8 —
convei'sioii douteuse après de grands crimes ; ces rechutes fréquentes très-peu de temps avant son entrée au séminaire et peut-être même depuis qu'il y séjourne ; ce peu d'horreur pour des désordres qui feraient plutôt choisir aux saints des maisons de repentir qu'un séminaire ; cette absence com- plète de pénitence et d'expiation proportionnée au nombre et à la gravité des péchés commis : en vé- rité, est-ce là une innocence réparée comme l'Église l'ordonne ?
^K pu7'eté d'hitention peut-elle du moins le rassu- rer ? Il aime à se le persuader ; mais au fond de son àme, sil veut y pénétrer, il doit voir que les grands ressorts qui le font agir ne sont point un tendre amour pour Notre Seigneur Jésus-Christ, \\i\ zèle ardent pour procurer sa gloire, la sainte passion du salut des âmes et un dévouement com- plet au service de l'Église, mais des motifs terres- tres et tout humains qu'il n'oserait révéler même à ses amis, et qui sont bien plus de nature à lui at- tirer les châtiments de Lieu que ses grâces et ses faveurs.
La grande aptitude pour les fonctiom ecclésiasti- ques est encore un point qui devrait l'inquiéter ; car cette aptitude est extérieure ou intérieure : en supposant qu'il ait la première, c'est-à-dire la bonne grâce, la bienséance, la modestie et les autres dis- positions naturelles, qui souvent lui font défaut, a-t-il l'aptitude intérieure si essentiellement re- quise, savoir : la sainteté, le courage, l'abnégation, la prudence et les autres qualités que les saints exigent ?
Quant kr esprit ecclésiastique, comment pourrait-il
croire qu'il le possède, si sa conduite est telle que nous venons de la dépeindre? x\'est-il pas évident que c'est lesprit du monde et non l'esprit de Jé- sus-Christ qui l'anime ?
• Enfin le choix de révêque ou des supérieurs qui le remplacent peut-il au moins lui procurer quel- que ombre de confiance ? Oui, s'il n'a rien négligé pour mettre son évêque ou ses suppléants en état de faire un choix éclairé et judicieux. Mais s'il a usé de déguisement, d'artifices, de flatteries, de sollicitations importunes ; s'il s'est obstinément re- fusé à consulter ses supérieurs sur des points dé- licats et essentiels ; s'il leur a positivement caché certains détails dont la connaissance leur était né- cessaire pour bien juger de sa vocation ; sur quoi s'appuie-t-il pour croire que parce qu'il figure sur la liste de ceux que l' évêque fait appeler aux saints ordres, il peut légitimement et conscien- cieusement répondre à cet appel ?
Tels sont les traits principaux qui signalent le mauvais séminariste. Nous pourrions en pro- duire bien d'autres ; mais ceux-ci suffiront pour mettre sur la voie les infortunés jeunes gens aux- quels ils conviennent. Voyons maintenant l'ef- froyable avenir qu'ils se préparent.
Le plus horrible spectacle que la terre puisse offrir, est incontestablement un mauvais prêtre. Dieu jette sur lui des regards de colère, l'Église le vomit de son sein, les hommes le méprisent, et lui-même, quand un éclair de réflexion brille à ses yeux, reconnaît lindignité de sa conduite et s'aban- donne quelquefois au désespoir. Mais le comble du II. 1.
— 10 —
mal, c'est que jamais il ne se damne seul : qui pourrait dire, pendant les quarante ou cinquante années de son ministère de mort, les âmes qu'il plonge en enfer en s'y plongeant lui-même ?
Cet état vous fait frémir, jeune et pauvre ami ; tant mieux, ah ! mille fois tant mieux : puisse-t-il vous faire trembler jusqu'à la moelle des os ! Ce frissonnement sera pour vous une précieuse garan- tie contre le plus grand des malheurs.
Mais, pensez-y bien, cet état sera le vôtre si vous êtes un mauvais séminariste, et si vous entrez dans le sacerdoce par une autre porte que celle d'une bonne et légitime vocation. Jésus-Christ vous le déclare : avant même d'être prêtre et par le fait seul de votre intrusion dans les saints ordres, vous serez à ses yeux un usurpateur téméraire, disons le mot, un voleur : Qui non intrat per ostium, sed ascendit aliundè, ille fur est et latro.
Voyons comment les choses se passeront.
La chute d'un prêtre dans le péché mortel est la victoire que le démon ambitionne plus que tout au- tre. Pour la remporter, cette victoire, il n'est pas de moyens qu'il n'emploie, d'efforts qu'il ne fasse, de ruses qu'il ne mette en jeu. Pendant des mois ri des années entières il revient incessamment à la charge et n'abandonne janiais l'espoir du succès. Avouons-le, les plus pieux séminaristes, devenus des prêtres fervents et réguliers, sont quelquefois victi^nes de ces terribles assauts. Le plus grand nombre triomphe, il est vrai ; mais quelques-uns succombent : leur défaite coûte cher à l'enfer, mais elle n'est pas sans exemple.
Que sera-ce donc de vous, jeune homme que rien
— 11 —
n'affermit, que rien ne protège, et qui vous lancez dans le sacerdoce comme un soldat sans armes sur un champ de bataille hérissé d'ennemis î
Ce qui soutient le bon prêtre, ce sont les grâces de l'ordination qu'une vocation sainte lui a pro- curées : aurez-vous ces grâces pour appui, vous qui, contre Tordre de Dieu, aurez escaladé le sanc- tuaire comme un voleur : Ille fur est et latro ?
. Ce qui soutient le bon prêtre, c'est l'horreur du péché et la détermination où il a toujours été de- puis son entrée au séminaire de mourir plutôt que de le commettre : aurez-vous cette horreur étant prêtre si vous ne l'aviez nullement étant sémina- riste ? Vous le croyez peut-être, mais en vérité, nous vous le déclarons, l'espoir qui vous séduit est une illusion qui vous aveugle.
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est une vigilance craintive et assidue : veillerez-vous de la sorte, vous que la dissipation étourdit, que l'amour du plaisir entraine et qui ne croyez jamais au danger? Ce qui soutient le bon prêtre, c'est la fuite des occasions même les moins dangereuses en appa- rence : fuirez-vous comme lui ces occasions, vous qui les recherchez pendant les vacances, quoique vous en ayez été cent fois la victime, et que votre confesseur, d'accord avec votre conscience, vous prescrive rigoureusement de les éviter ?
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est l'éloignement du monde, des jeux, des courses et des festins bruyants : l'imiterez-vous sur ce point, vous que le séminaire fatigue, qui soupirez après une vie commode, et qui n'avez d'attrait que pour ce qui flatte votre chair sensuelle et immortifiée ?
— 12 —
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est la fréquen- tation des fervents confrères qui réchauffent de leur feu et qu'il prend pour modèles : fréquente- rez-vous de tels prêtres, vous qui fuyez la compa- gnie des pieux séminaristes et qui ne vous plaisez qu'avec les moins édifiants et les plus relâchés ?
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est l'esprit d'or- dre et l'amour de la règle : aurez-vous ces heu- reuses dispositions, vous pour qui le règlement du séminaire est un joug accablant et qui le violez en toute rencontre sans le moindre scrupule ?
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est l'amour des âmes et le zèle dont il pratique les œuvres pour pro- curer leur salut : aurez-vous ce zèle ardent pour le salut de l'àme de vos frères, ^ ous qui n'en avez pas pour sauver la votre, et qui cherchez en vain dans votre cœur froid les saintes ardeurs de la charité ?
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est l'amour de l'étude et de la retraite : aurez-vous cet amour, vous qui détestez la solitude, qui ne savez que faire dans votre cellule et qui bâillez en ouvrant un livre ?
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est la haute idée qu il a eue dès le principe et qu'il fortifie tous les jours encore, de l'éminence de sa dignité et de la sublimité de ses fonctions : aurez-vous sans cesse présente à l'esprit cette idée salutaire, vous qui n'avez jamais eu l'intelligence du sacerdoce, que les instructions des retraites du séminaire laissent froid et insensible, qui considérez l'état ecclésias- tique comme une carrière ordinaire, et qui vous faites prêtre comme les jeunes gens du monde se font médecins ou avocats ?
-rr 13 —
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est la réception des sacrements et le soin qu'il prend de s'en ap- procher toujours avec les dispositions qui en as- surent les fruits : les recevrez-vous de cette manière, vous qui les traitez avec tant d'indiffé- rence au séminaire et qui n'en tirez aucun fruit pour votre avancement spirituel ?
Ce qui soutient le bon prêtre, c'est le zèle pour la prière et les exercices de piété, qu'il considère comme sa principale sauvegarde et dont il s'ac- quitte avec une inviolable fidélité : imiterez-vous ce fervent confrère, vous que l'idée de piété re- bute, qui trouvez toujours l'oraison trop longue, qui ne priez que des lèvres et qui affligez vos su- périeurs par votre froide insensibilité pour les cho- ses de Dieu ?
Ce qui soutient le bon prêtre enfin, c'est la re- traite annuelle, ce puissant levier qui le relève de ses langueurs : aimerez- vous comme lui cette précieuse retraite et en tirerez-vous des fruits abon- .dants, vous qui faites celles du séminaire sans aucun profit pour votre âme, et qui les trouvez fa- tigantes parce qu'elles vous obligent de rentrer dans votre intérieur où vous ne trouvez que dé- sordre et que confusion ?
Or si, comme nous l'avons déjà dit, le saint prêtre, malgré tous les moyens de sanctification qu'il emploie, finit par se relâcher et fait oncore quelquefois de tristes naufrages, comment pour- rez-vous les éviter, vous qui n'aurez rien de ce qui fait sa force, et que le démon poursuivra avec d'autant plus de fureur qu'il verra chez vous plus de faiblesse et de lâcheté ?
— 14 ~
Croyez-nous, jeune ami, c'est l'expérience qui s'énonce par notre organe : oui, si vous êtes un mauvais séminariste, vous serez un mauvais prê- tre. Combien, grand Dieu, qui, mille fois mieux affermis que vous ne Tètes, ont déshonoré le sa- cerdoce, désolé rÉglise, scandalisé les peuples et perdu leur àme par des chutes honteuses I « J'ai » vu tomber des cèdres, dit saint Augustin, j'ai vu » tomber des hommes sur la vertu desquels je » comptais autant que sur celle des Jérôme et des >' Ambroise ! »
Oui. jeune homme, oui encore une fois, vous tom- berez ; vous vous relèverez pour tomber encore, puis vous ne vous relèverez plus et vous serez un mauvais prêtre. La première attaque vous ébranlera, la seconde vous inclinera, la troisième vous abattra , vous précipitera dans l'abîme , et l'œuvre infernale sera consommée, et votre ruine sera complète : plus de prière, plus d'oraison, plus de lecture spirituelle ni d'exercices de piété quel- conques : absence totale de travail, de règle, de vi- gilance et de tous les moyens de salut employés par les saints : vie lâche et désœuvrée, impruden- tes démarches, fréquentations suspectes, liaisons criminelles, conduite extérieure pour le moins équivoque, ministère en friche, précautions peut- être encore pour sauver les apparences, mais tôt ou tard, scandale, suspense et tout le hideux cor- tège de l'infamie du mauvais prêtre : voilà ce qui vous attend, jeune et tendre ami, si vous ne recourez pas aux moyens qui vont vous être pro- posés pour vous préserver de ce déluge de maux.
— lo —
— Le mauvais séminariste étant comme le germe d'où sort le mauvais prêtre., il faut donc de toute nécessité cpe vous changiez la nature de ce germe si vous voulez avoir quelque assurance fondée pour l'avenir. En d'autres termes, il faut que votre conduite subisse une réforme totale et que vous vous disiez à vous-même avec énergie : C'en est fait, je m'arrache à ma langueur et, avec la grâce de Dieu, je veux désormais marcher de front dans les voies de la piété avec les sémina- ristes les plus édifiants.
— Pour faire naître en vous ce généreux senti- ment et surtout pour le réduire à l'acte, insistez fortement sur la méditation sérieuse des réflexions suivantes : Rien de plus épouvantable que l'état d'un mauvais prêtre : sa vie est l'abomination de la désolation dans le lieu saint ; sa mort est af- freuse et très-souvent subite ; son enfer se dis- tingue de l'enfer des séculiers par un surcroit d'ignominie et par des supplices beaucoup plus effroyables. Quoi donc I veux-je être un mauvais prêtre ? Non, certes : plutôt mille fois mourir, o mon Dieu, que de le devenir jamais !
— Cependant des hommes graves, désintéressés, éclairés par une longue expérience, m'assurent positivement que la vie du séminariste est l'image anticipée de la vie sacerdotale ; que le séminariste fervent lui-même se relâche souvent quand il est prêtre, mais que jamais le mauvais séminariste ne devient un bon prêtre, qu'il se familiarise an contraire avec ses fonctions les plus saintes, qu'il ne va pas loin sans faire des chutes honteuses qui se tournent bientôt en habitudes, et que ces habi-
~ 16 —
tudes une fois formées sont indestructibles. Que je serais aveugle si ces effrayantes vérités ne faisaient pas luire à mes yeux un seul rayon de lumière ! Seigneur, faites que je les voie comme vous les voyez : Domine, ut mdeam.
— Puisque je devrais encore trembler si j'étais rélève le plus pieux du séminaire, que dois-je penser de mon état en voyant — car j'en ai la conviction — que je suis le plus lâche, le plus froid, le plus pauvre en vertu de tous mes condis- ciples ? Si je ne tremble pas à cette vue, n'est-il pas évident que je suis déjà frappé d'aveuglement spirituel et endurci dans le mal, ce qui est, m'a- t-on dit, le caractère distinctif du mauvais prêtre ?
Quo faire donc ? Persévérer dans ma voie d'in- dolence et de péché ? c'est m'acheminer vers l'en- fer. Me persuader que le sacerdoce me fera rentrer en moi-même et me rendra meilleur? c'est donner un démenti formel à l'expérience. Croire que je m'arrêterai sur le bord de l'abîme et que je me préserverai de ces catastrophes qui font du prêtre un Judas et un démon? c'est une confiance pré- somptueuse qui a fait des milliers de victimes. Espérer, du moins, que je me relèverai courageuse- ment après une première chute et que l'horreur qu'elle m'inspirera m'en fera éviter une seconde? c'est une illusion que l'enfer seul entretient en moi pour me conduire plus sûrement au gouffre qu'il me creuse. Me rassurer en pensant que la vie que je mène au séminaire n'est pas, après tout_, une vie positivement criminelle ? c'est oublier qu'elle doit être sainte et que, toute sainte qu'elle puisse être, elle n'est pas encore une quantité ccr-
— 17 -^
laine. Non, Je le vois, toutes ces combinaisons qu'invente ma lâcheté sont des ruses de mon enne- mi et des pièges qu'il tend à mon inexpérience et à ma faiblesse. Je n'ai qu'une ressource et je veux en profiter : vivre saintement , m'adonner à la piété, passer du noir au blanc sur tous les points où je suis Topposé de ce que je dois être : voilà la seule planche qui me reste pour éviter le naufrage: planche de salut, c'est à toi que je me confie : Dcus, in adjiitorium meum intende.
— Je vais donc d'abord examiner à fond la grande affaire de ma vocation ; je ne l'ai jamais fait, cet examen sérieux, et il est grand temps que je m'en occupe. J'ai eu jusqu'ici un parti pris, celui d'être prêtre ; je me suis dit : Yoilà ce que je veux être, voilà ce que je serai. Or, je le vois maintenant, en cette grave matière, ce n'est pas à moi de prendre un parti, c'est à mon con- fesseur à m'indiquer celui que je dois choisir. Ces réflexions : Que vais-je devenir ? que va dire le monde? que vont dire mes parents ? tout cela n'est rien quand je le mets en regard du malheur d'en- trer dans le sacerdoce sans vocation. S'il faut quitter le séminaire, je le quitterai sans balancer: je le quitterai non-seulement si mon confesseur me l'ordonne, mais encore si, après l'avoir par- faitement éclairé, je le vois incertain sur ma voca- tion; car je veux à cet égard une sentence formelle et non une décision craintive et embarrassée, ai- mant mille fois mieux être un bon chrétien ordi- naire dans le monde, que de m'exposer à être un mauvais prêtre dans l'Église.
— Je veux donc me faire bien connaître. Au
— 18 —
lieu de laisser mon passé dans rombre^, je vais dire à mon confesseur : « Mon père , j'ai mené » dans le monde une vie déplorable qu'il est peut- » être nécessaire de vous manifester. Le voulez- » vous ? je suis prêt : dites un mot et mon cœur » va s'ouvrir pour vous révéler ses misères : Para- » tum cor meum. » Je vais même insister pour lui faire cette révélation, surtout si je vois en lui la moindre hésitation sur ce point.
— Cela ne suffit pas encore : sans ménagement aucun, sans le plus petit déguisement, je vais lui avouer les motifs qui m'ont amené au séminaire et qui m'y font rester, le peu de goût que je sens, au fond, pour létat ecclésiastique, rempressement avec lequel j'en choisirais un autre si j'en avais les moyens, le fonds de péché et de passion que je sens en moi sans en être troublé , le goût du monde et des plaisirs qu'il procure, le peu d'attrait que j'éprouve pour la retraite, la piété et l'étude : je vais tout lui dire et répondre ingénument à toutes ses questions. Si je sens quelque répugnance à faire connaître ceci oh cela, je vais me dire aus- sitôt : « Raison de plus pour que je le déclare ; » et afm de m'encourager à faire cette déclaration, je vais me réprimander moi-même en disant : « Yil « imposteur ! veux-tu donc être un mauvais prêtre? » veux-tu faire violence à Dieu même ? veux-tu » provoquer sa colère ? veux-tu tomber en enfer » avec une multitude d'âmes qui seront éternelle- » ment réprouvées, et qui eussent été sauvées si » tu n'avais jamais été prêtre? Oui donc, encore » une fois, o mon Dieu, je vais tout dire et c'esl » vous-même qui allez ouvrir mes lèvres. »
— 19 —
— Tout cela est fort bien, jeune ami, et vous devez bénir Dieu qu'il vous inspire de tels senti- ments; mais prenez garde, votre réforme doit être plus radicale encore. Tous n'avez pas assez d'hor- reur pour le péché ; vous vous croyez presque u!i saint en voyant que vous offensez Dieu beaucoup moins qu'au passé, et vous vivez tranquille quand vous devriez pleurer et gémir sur vos anciennes misères. Allez à la source des lumières, étudiez au pied de votre crucifix la théorie du péché ; méditez sur sa nature, sur l'injure qu'il fait à Dieu, sur les ravages qu'il opère dans l'âme où il réside, sur les châtiments éternels qui en sont les suites. Nourrissez-vous de ces vérités dans vos oraisons, dans vos visites au saint sacrement et dans tous vos exercices de piété ; demandez à Dieu qu'il vous fasse voir le péché du même œil que le voient les saints, et renouvelez cette demande jusqu'à ce que vous sentiez que la pensée de le commettre vous fait frémir et vous révolte. Vous n'avez peut-être jamais considéré le péché de la sorte, et voilà pourquoi vous avez été et vous êtes encore si misérable.
, — Joignez à cette méditation celle de la subli- mité du sacerdoce. Nous vous l'avons dit, vous n'en avez pas l'intelligence ; vous n'êtes point frappé, saisi, terrifié à la vue de cet emploi tout divin ; vous le confondez presque avec les profes- sions séculières au-dessus desquelles il s'élève autant que le ciel s'élève au-dessus de la terre ; vous n'avez aucune idée vraie de la sainteté qu'il exige de ceux qui y aspirent et de la frayeur dont les anges eux-mêmes sont pénétrés quand ils voient
— 20 —
un prêtre à l'autel tenant entre ses mains le Dieu qu'ils adorent. C'est tout cela qu'il faut comprendre et graver en traits de feu dans le fond de votre âme, si vous voulez sincèrem.ent devenir un saint prêtre. Quel changement s'opérera subitement en vous si vous remplacez par ces saintes réflexions les futilités qui vous absorbent !
— Embrassez la piété comme votre ancre de salut. Pas de bonne vocation sans elle : tous ceux qui la possèdent ne sont pas choisis de Dieu pour le sacerdoce ; mais ceux à qui elle fait défaut, à coup sur n'y sont pas appelés, ou bien ils manquent à leur vocation. Ne vous croyez pas pieux parce que vous assistez de corps aux exercices com- muns du séminaire ; mais voyez si vous aimez les œuvres de la piété, si vous vous y livrez avec joie, si vous êtes heureux à l'oraison, au piôd de l'au- tel, après la communion ou quelque pieuse lecture; voyez si vous préférez les entretiens fervents avec un bon séminariste aux conversations frivoles d'un condisciple qui vous ressemble ; voyez si vous rap- portez toutes vos actions à Dieu, si vous les faites pour lui plaire et si vous aimez à vous entretenir en sa sainte présence. Que de cliQses à acquérir si vous voulez arriver à la sainteté qui vous est pres- crite ! Mais, du courage ; ne tremblez pas. Dieu en fera plus que vous, si vous réclamez son assis- tance.
— Rompez avec les compagnies qui augmentent chaque jour votre froideur pour Dieu et pour son service. Fuyez ceux que vous fréquentez, et fré- quentez ceux que vous fuyez : Qui se ressemble s assemble, dit le proverbe, et vous en avez la
— 21 —
preuve en vous-même ; si vous vous adonnez à la piété, vous ferez tout naturellement votre société des séminaristes les plus fervents.
— Édifiez tout le séminaire par un changement complet. Vous Tavez scandalisé par votre légèreté, votre orgueil et votre insubordination ; faites-lui voir un revirement si parfait dans toute votre con- duite, qu'il dise de vous avec admiration : Ce n'est plus le même ; quelle métamorphose ! quelle fer- vente piété après une vie si lâche ! Sic liiceat lux vcstra coram Jtominibus, ut videant opéra vestra bona, et glorificcnt Patrem vestnmij qui in cœlis est.
— Attaquez vigoureusement vos défauts et n'en épargnez aucun. Chacun d'eux est un reste de vos anciennes passions, et, ces passions, la plus petite racine peut les faire revivre. Rien ne doit être négligé quand on a la crainte de Dieu et qu'on veut gagner son amour : Qui tirnet Deum, nihil negligit.
— Combattez surtout l'oisiveté. En général, le mauvais séminariste n'est pas studieux. Les études saintes du séminaire ne cadrent pas avec ses habi- tudes d'inutilités et de désordre. La paresse l'en- gourdit en attendant qu'elle le corrompe. La piété et l'étude, voilà les deux ailes du séminariste : si Tune ou l'autre, ou toutes les deux lui manquent, il ne vole plus dans les hautes régions comme Toi- seau, il se traîne dans la fange comme le reptile : Aina scientiam Scripturarum, dit saint Jérôme, et vitia Garnis non amabis.
— Veillez pendant vos vacances ; c'est le temps de l'épreuve et du noviciat plus peut-être que le séminaire. La manière dont elles se passent an-
— 22 —
nonce la conduite qu'on tiendra quand on sera prêtre. Le séminariste qui, durant les vacances, s'amuse sans cesse, n'étudie point, prie peu et mal, court de tous côtés, recherche les compagnies, se plait dans les festins et n'évite pas les occa- sions dangereuses, fera tout cela, et plus que cela encore, quand il sera prêtre. En quittant le sémi- naire, il commencera de longues vacances qui ne finiront qu'avec sa vie, et pendant lesquelles on peut prévoir qu'il se perdra, si celles du temps de ses études cléricales n'ont pas été saintement employées. C'est précisément Tinverse de la con- duite du pieux séminariste ; comme il édifie tout le monde pendant ses vacances, on peut prédire qu'il continuera de l'édifier quand il sera prêtre. — En suivant ces règles, jeune et tendre ami, vous serez inondé des grâces et des bénédictions célestes. Aujourd'hui Dieu ne vous dit rien ; vous lui fermez la bouche, si j'ose ainsi parler, par une conduite qui l'offense; il vous laisse agir humaine- ment dans l'affaire toute divine que vous traitez ; aussi vous conduisez-vous en aveugle. Mais si vous faites de ce qui vient de vous être dit, aussitôt la scène changera ; Dieu rompra le silence ; il vous parlera, parce que vous mériterez de l'entendre, et alors de deux choses l'une : ou il vous appelle au sacerdoce, et en vous le faisant savoir, il vous accordera la grâce de devenir un saint prêtre ; ou il ne vous y appelle pas, et en vous manifestant sa volonté par l'organe de vos supérieurs, il vous donnera le courage de quitter le séminaire malgré tous les obstacles, et de rentrer dans le monde où sa providence vous réserve un emploi. Puissiez-
— 23 —
vous écouter sa voix et ]a suivre avec docilité ! Amen.
CHAPITRE II
Le séminariste tiède et relâché.
A ne considérer que la conduite extérieure du séminariste tiède et relâché, on la trouve peu diffé- rente de celle du mauvais séminariste. Celui-ci sans doute est plus coupable aux yeux de Dieu que celui-là ; mais comme il a soin de cacher ce qu'il y a de plus répréhensible en lui, sachant bien qu'il serait exclu des saints ordres, s'il se faisait connaître au dehors tel qu'il est au dedans, on peut dire que, si Ton ne tient compte que de ce qui paraît, la différence entre Fun et l'autre est assez peu sensible. Qu'on en juge, au reste, par le tableau que nous allons faire du séminariste que nous appelons tiède et relâché.
Le trait saillant qui le signale et qui fait comme le fond de son état de tiédeur, c'est la facilité avec laquelle il commet tout ce qui iiest pas évidem- ment péché mortel. Il est si lâche et redoute tant la contrainte que, pour se 1 imposer, il faut qu'il ait l'enfer en face. Quand il voit quil va s'exposer aux flammes éternelles par le péché mortel, il s'en abstient ; mais tant qu'il peut se dire que la faute qu'il est tenté de commettre ne le met pas en état de réprobation, il la commet froidement et sans scrupule : voilà, sur tous les points, la règle ordi- naire de sa conduite.
— 24 —
D'après ce principe, il compte pour rien, ou du moins pour fort peu de chose, la violation même habituelle du règlement. Tous les articles de ce règlement qui ne prononcent pas contrôles infrac- teurs la sentence d'exclusion, il les viole sans diffi- culté. Ses pieux condisciples ont beau lui donner à cet égard l'exemple d'une régularité parfaite, il n'a pas même la pensée de les imiter : bien plus, peut- être leur exactitude ponctuelle le fait-elle sourire.
Si ses défauts ne vont pas jusqu'au vice, il ne s'applique pas le moins du monde à les détruire : il les fomente au contraire, et par l'indulgence avec laquelle il les traite, et par les actes mauvais qu'ils lui font commettre à chaque instant.
Ainsi, par exemple, en fait de charité envers le prochain, il ne reconnaît comme vice que la médi- sance grave, la calomnie, la vengeance et la haine: ces grands excès, il s'en abstient; mais les manières hautaines et dédaigneuses, les froideurs et les ran- cunes, les railleries piquantes, les critiques mali- gnes, les médisances légères ou qu'il croit telles, lui échappent à flots sans que son calme et sa gaieté en souffrent la moindre atteinte.
En fait de douceur, il ne considère comme vice que les colères violentes et emportées qui troublent notablement la raison : ces violences désordonnées, il tache de s'en préserver ; mais ces vivacités à la moindre contrariété, ces discussions animées et opiniâtres, ces sécheresses et ces brusqueries sou- vent blessantes, ce fonds d'aigreur et d'amertume qu'il laisse percer en toute occasion, il ne fait rien pour s'en corriger ; à peine même pense-t-il à s'en confesser.
— 25 —
En fait d'humilité, il ne regarde comme vice cjiie Torgueil poussé jusqu^au mépris formel de la personne, et, ce mépris, il évite de^s'en rendre cou- pable; mais ces pensées de vaine complaisance en lui-même, ces désirs de louange et d'estime, ces paroles artificieuses pour s'attirer des éloges, ces actions, même saintes de leur nature, viciées et gâtées par le poison de la vanité, il se les permet à tout moment sans s'en faire jamais aucun re- proche.
En fait de mortification, rien n'est vice à ses yeux (jue les sensualités grossières et les intempérances^ notables qui scandalisent tous ceux qui en sont les témoins : ces graves désordres, il consent à les éviter ; mais ces sensualités adoucies, ce dégoût (le la pénitence et de tout ce qui incommode, ces satisfactions des sens, cet attrait vif et prononcé pour le jeu, le plaisir et la bonne chère, cette vie, en un mot, que, selon Bourdaloue, les saints au- raient abhorrée, il la regarde, lui, comme une vie qui ne mérite aucune censure tant soit peu fondée.
En fait de chasteté même, il n'attache la note infamante de vice qu'à des pensées, des paroles ou des actions que tous les théologiens déclarent mor- telles, et qu'il a soin de s'interdire ; mais ces ré- flexions dangereuses mollement combattues, ces paroles légères et équivoques, ces regards plus ou moins sensuels, ces assiduités auprès des per- sonnes du sexe, ces premiers germes d'affections désordonnées, ces lectures plus que frivoles, et mille autres choses de cette nature qui atteignent les dernières limites du véniel, si tant est qu'elles ne les dépassent pas quelquefois, voilà ce qu'il se n. 2
-=-26 —
permet fréquemment sans que sa conscience en murmure.
Tout le monde, sans balancer, le place au rang des ordinands les moins édifiants du séminaire. Plusieurs, si la charité ne leur fermait la bouche, diraient, comme ils le pensent réellement, que jamais ils ne voudraient recevoir les saints ordres s'ils menaient une conduite semblable à la sienne : lui seul affiche une assurance que rien n'ébranle, et si quelques élèves reculent à l'aspect du sous- diaconat, assurément ce n'est pas lui qui fait un pas rétrograde.
L'étude n'est pas ordinairement son occupation favorite, et il serait heureux de pouvoir s'en dis- penser. Du reste, il s'y livre lâchement, par manière d'acquit et sans aucune vue de foi et de piété.
Mais que dirons-nous de ses exercices spirituels? C'est là encore, et là surtout, que sa tiédeur se déclare. Vivant dans un état habituel de résistance à la volonté de Dieu, Dieu aussi lui résiste et ré- serve ses faveurs à ceux qu'il en trouve plus dignes que lui. Privé de ces faveurs, tout ce qui s'appelle pratiques pieuses lui est insipide, et au lieu de s'en imposer de surérogatoires, comme le font les bons séminaristes, il s'acquitte avec nonchalance, fatigue et ennui, de celles qui sont commandées par la règle.
L'oraison la plus courte lui paraît toujours lon- gue ; sa posture indolente, ses regards curieux et égarés, ses bâillements luême quelquefois annon- cent qu'il est là dans un état de gène et de con- trainte, et cela malheureusement n'est que trop >Tai : pas une aspiration fervente, pas un soupir
— 27 —
du cœur, pas une résolution ferme, sincère et sur- tout efficace : oraisons nulles, toutes de routine et dont les fruits ne se révèlent jamais par les actes.
Les autres exercices se passent de la même ma- nière : la tiédeur qu'il y apporte les frappe de sté- rilité, et sïl était franc, il avouerait cju'ils lui sont à charge et qu'il serait à peu près tel qu'il est s'il se dispensait de les faire.
Les confessions sont comme tout le reste ; elles le tranquillisent parce qu'il n'y porte pas les grands désordres dont il s'accusait autrefois ; mais n'ayant aucun .repentir des péchés dont il se confesse, il y retombe à' la première occasion, et après une mul- titude de confessions, il ne voit pas dans sa con- duite le plus petit signe d'amendement. Le sacre- ment de pénitence, qui développe si merveilleuse- ment la piété fervente de ses condisciples, le laisse dans sa tiédeur habituelle qui afflige son confes- seur sans l'affliger lui-même.
La communion, dont les fruits sont toujours eu rapport avec ceux de la confession qui en est la préparation, ne dissipe point sa langueur ; il com- munie moins pour profiter des grâces que procure la sainte Eucharistie, que pour suivre l'usage et faire comme les autres ; et si Jésus-Christ l'honore de quelques paroles intérieures, que peuvent-elles être sinon cette foudroyante sentence qu'il ne dai- gne pas même s'appliquer : Utinàm frigidus esses mit calidus ! Sed quia tepidus es, et nec frigidus nec calidus, incipiam te evomere ex ore meo.
Les bons exemples qu'il a sous les yeux, les paternels avis qu'on lui donne, les lectures qui lui sont faites, les instructions qu'il entend, tout vient
— 28 —
échouer contre le fonds de lâcheté qu'il oppose à ces moyens de salut, et ce chapitre même de notre ouvrage, qu'il lira peut-être et dans lequel il se verra dépeint. trou?jlera quelque fervent séminariste qui s'appliquera ce qui ne lui convient point, et le laissera, lui, tranquille et rassuré dans son insou- ciance et sa torpeur.
Voilà comme s'écoulent les jours si précieux du séminaire pour le séminariste tiède et relâché : jours de grâces et de bénédictions qui ne revien- nent point, et qui, quelque saintement passés qu'ils soient, ne le sont presque jamais autant qu'ils devraient l'être pour disposer au redoutable sacerdoce I
Ce qu'il y a d'affligeant encore et d'inquiétant dans la situation du séminariste tiède, c'est que sa tiédeur fait des progrès à mesure qu'il s'avance dans sa sainte carrière. Chaque nouvel ordre qu'il reçoit devrait lélever en vertu comme il l'élève en dignité, et c'est, hélas ! tout le contraire qui a lieu. Que les vénérables directeurs de nos sémi- naires nous disent, le flambeau de l'expérience à la main, si les séminaristes tièdes pendant la pre- mière année de leurs études cléricales, ne sont pas plus tièdes encore, plus lâches, plus indisci- plinés pendant la dernière. Oui. en vérité, cela est désolant pour le présent comme pour l'avenir, et malheureusement, nous le répétons, ceux qui de- vraient trembler sont les seuls qui ne tremblent pas !
Les élèves ecclésiastiques de cette trempe ne se doutent pas de l'embarras qu'ils causent, en fait de vocation, aux confesseurs qui les dirigent. Les
mauvais séminaristes les mettent souvent plus à Taise que les tièdes et les lâches. En effet, quand le confesseur d'un mauvais séminariste le voit incorrigible et indigne du sacerdoce, il le lui dé- clare nettement et lui interdit, sous peine de refus d'absolution, la réception des saints ordres. La plus grande difficulté qu'il rencontre à son égard n'est pas de porter un jugement sur sa vocation, c'est de l'amener à quitter le séminaire et à choisir dans le monde une autre profession. Mais que voulez-vous qu'il pense , que voulez-vous qu'il dise et qu'il fasse de ce séminariste qu'il voit sans cesse, malgré tous ses avis, mou, apathique, indifférent , ennemi du travail , violateur de la règle, sans grands vices, il est vrai, mais sans vertus positives bien déclarées et sujet à mille misères qui font gémir tout le monde excepté lui- même? Que faire, encore une fois, de cette masse indolente qu'on ne sait comment qualifier, parce qu'elle n'a point en quelque sorte d'être propre, et qu'elle est comme un amalgame informe de quel- ques qualités fort douteuses et de défauts réels et indestructibles ? Que faire d'un homme qui flotte perpétuellement entre la vie et la mort, le froid et le chaud, les ténèbres et la lumière, le vice complet et la vertu solide ? Quels conseils lui donner dans le présent, quand il s'obstine à n'en suivre aucun? Quelle garantie lui offrir pour l'avenir, quand on sait par expérience que les plus fervents se relâ- chent ? Comment lui dire formellement que sa vo- cation est bonne quand on a tant de raisons d'en douter et qu'on se seniirail comme déchargé d'un poids énorme s'il voulait se faire justice à lui- II. 2.
— 30 —
mémo et renoncer au saint état dont il est si peu digne? Xon, infortuné jeune homme, vous ne savez pas la peine dont vous abreuvez votre zélé directeur.
^"avious-nous pas raison de dire que la conduite extérieure des séminaristes tièdes était semblable à celle des mauvais séminaristes? Deux traits prin- npaux , mais intérieurs, les distinguent l'un de (autre : le mauvais séminariste n'a pas une vive horreur du péché mortel, qu'il commet quelque- fois encore pendant les vacances et même au séminaire, ce que le séminariste tiède ne fait point : voilà le premier trait. Le mauvais sémina- riste n'est pas communément appelé au sacerdoce et veut être prêtre malgré Dieu : le séminariste tiède, au contraire, est souvent appelé à l'état cclésiastique, mais il ne répond pas à sa vocation a cause de sa tiédeur qu'il refuse de combattre : voilà le second trait. Quoique la différence soit notable, n'a-t-on pas lieu de craindre que tous les deux n'aboutissent au même terme ?
Continuons d'interroger l'expérience et voyons à sa lumière l'avenir qui attend le séminariste tiède et relâché.
Nous l'avons déjà dit. et nuus ne cesserons de le redire, dans les voies de la vertu, on se relâche avec le temps plut(M qu'on ne s'améliore. L'homme moral, bon et même excellent dans le principe, recule beaucoup plus vers le mal qu'il ne pro- gresse vers le bien. Pour un saint qui monte gé- néreusement tous les jours de vertus en vertus, il y a des multitudes de lâches qui rétrogradent et
— 31 —
auxquels convient mot pour mot ce passage de l'Imitation : Si îioiis déracijiions chaque année un seul vice, bientôt nous serions parfaits. Mais nous sentons souvent au contraire que yious étions meil- leurs et que notre vie était plus pure, lorsque nous quittâmes le siècle, quaprèi plusieurs années de profession. Nous devrions croître chaque jour en ferveur et en vertu, et maintenant on compte pour beaucoup d'avoir conservé ^ine partie de sa ferveur.
Si cela est vrai de ceux qui étaient fervents au début, que doit-on penser de vous, jeune et tendre ami, qui n'avez peut-être jamais connu la fers'eur? Si le séminaire, ce vaste foyer de la piété, est té- moin de votre tiédeur et n'a pas le pouvoir de la détruire, comment le monde, abime de toutes les misères au sein duquel vous allez bientôt vous lancer, consolidera-t-il votre vertu chancelante ? Si les fervents reculent, comment les tièdes avan- ceront-ils? Tous reculerez donc, oui, la chose est certaine ; mais si déjà vous êtes sur les bords du goufTre, un seul pas en arrière ne vous jettera-t-il pas dans ses profondeurs?
Ce pas, croyez-le bien, ne se fera guère attendre. Votre pieux condisciple, s'il devient infidèle, lutiera longtemps contre le relâchement avant d'y tom- ber : le goût de la retraite, le zèle pour l'étude, l'amour de la règle, l'habitude de la vertu, l'attrait pour les exercices spirituels, l'horreur du plus petit péché volontaire, le souvenir fréquent des vérités éternelles, les grâces du séminaire et de l'ordination ; tout cela le soi ti(îrdra, le protégera, le fortifiera, et bien des annétf^. |.ftat-être s'écoule- ront avant qu'il n'épuise le grenier d'abondance
— 32 —
qu'il aura eu la sagesse de construire et d'appro- visionner. Mais vous, pauvre ami, qui n'aurez aucun fonds de réserve, vous qui vous présente- rez aux mille ennemis qui déjà vous attendent, sans autre défense que les armes émoussées de la tiédeur, comment résisterez-vous ? comment vaiu- crez-vous ?
Si vous n'aimez pes l'étude au séminaire où l'on vous en démontre si bien la nécessité, l'aimerez- vous dans le monde où nul supérieur ne vous en imposera lobligatiou? Si vous n'étudiez qu'avec répugnance et contrainte au séminaire, étudierez- vous dans le monde où une foule de distractions que vous rechercherez avec ardeur vous en dé- tourneront ? Non , croyez-le , vous n'étudierez point ; vous aurez des Uvres qui seront pour vous des trésors enfouis ; vous vous ferez une habitude de l'oisiveté, et pour calmer votre conscience, vous lui direz que les fonctions du saint ministère sont un travail qui dispense de tout autre.
L'oisiveté vous ayant ouvert la voie du relâche- ment, vous y ferez chaque jour de nouveaux pro- gi'ès, et des péchés de toute nature s'entasseront dans votre àme ;-car l'Esprit saint Fa dit : Mul- tam malitiam docuit otiositas.
L'impression produite par les premiers actes de votre sacerdoce et surtout par le sacrifice de l'autel, ne sera pas de longue durée. Bientôt la familiarité avec les choses saintes, qui est la fille aînée de la tiédeur, touraera en habitude, et vous ne remplirez plus vos fonctions sublimes qu'avec indifférence et froideur.
.N'éprouvant que de l'ennui dans les" pratiques
— 33 —
de la piété , vous les abandonnerez l'une après l'autre, et pour toute œuvre spirituelle vous ne conserverez que la messe, le bréviaire et quelques fragments d'oraison que vous omettrez même sous le moindre prétexte.
Encore si vous faisiez bien le peu que vous ferez; mais non, les exercices de piété se soutiennent mutuellement ; les moins importants servent de préparation à ceux qui le sont davantage, et les prêtres qui en sont venus à ne dire que le bréviaire et la messe, ne disent jamais bien ces deux choses.
Le zèle des âmes, qui a évidemment la piété pour aliment, vous embrasera-t-il de son feu? Si vous le pensiez, quelle illusion serait la vôtre ! Les fervents apôtres sont-ils des prêtres tièdes ? Ah ! si la tiédeur les gagnait, quelle apathie rem- placerait soudain les élans de leur charité ! Non, vous ne serez point un prêtre zélé; le ministère sera pour vous un joug accablant; vous le porierez, ce joug, bien moins pour plaire à Dieu que pour éviter la censure des hommes, et cette censure même vous ne réviserez pas toujours, tant vous serez inexact dans l'accomplissement de vos devoirs.
Sans doute, nous aimons à le croire, vous ne voudrez pas encore donner la mort à votre âme par un péché mortel ; mais déjà ce péché perdra à vos yeux une partie de sa laideur. Yous vous en rap- procherez par des fautes vénielles de plus en plus graves, et vous en viendrez à un état de prévarica- tion tel, que l'œil exercé des plus savants théolo- giens ne pourra pas voir si votre âme est morte ou si elle vit encore. Yous vous croirez toujours debout, mais Dieu vous dira dans le secret de sa
— 34 —
colère : Nomen habes quod vivas, et mortims es. (Apoc.)
Au reste, vous saurez bientôt positivement à quoi vous en tenir. Le démon, qui ne vous perdra pas de vue un seul instant, saura bien vous affai- blir, puisque par vos imprudences et votre lâcheté vous vous ferez vous-même son auxiliaire.
Il agira donc sans relâche sur votre imagination, siu' votre cœur, sur vos sens et enfm sur votre volonté quil ne lui sera pas difficile de pervertir ; et quand il vous aura disposé de la sorte à la ca- tastrophe fmaJe, quelle peine aura-t-il à ménager une de ces occasions périlleuses où les plus saints eux-mêmes ne se sauvent que par miracle ? Votre tiédeur vous méritera-t-elle la grâce d'un tel mi- racle ? Non , assurément non ; nous le disons à regret, mais T expérience nous contraint à parler : vous tomberez, oui, jeune ami^ vous tomberez, et le cœur de .Jésus votre bon Maître sera déchiré....
Il est vrai, comme vous ne serez pas encore gâté, votre lourde chute vous réveillera. Heureux si elle vous fait rentrer en vous-même, ef si, pom' vous préserver d'une seconde, elle vou'à fait prendre la résolution de vous arracher à votre vie tiède pour embrasser une vie plus fervente et plus sainte ! Mais en sera-t-il ainsi? Yotre présomption dit oui; mais l'expérience la dément. Yous vous relèverez sans doute, vous pousserez quelques gémissements, vous vous plongerez dans le bain de la pénitence avant de monter à l'autel ; mais vous vous en tiendrez là ; vous guérirez le mal actuel, mais vous ne vous appliquerez pas à en tarir la source; la confession cicatrisera la plaie du moment; mais
— 35 —
la tiédeur qui l'aura occasionnée continuera de paralyser votre âme, et la même cause produisant le même effet, vous tomberez de nouveau, et votre affaiblissement, augmenté par le découragement et peut-être par un commencement de désespoir, vous mettra dans un état auquel il est impossible de penser sans frémir. Alors s'accomplira ce que dit un pieux et savant auteur qui a traité théolo- giqiiement la matière qui nous occupe : « Si un » prêtre, dit-il, après avow vécu saintement, (cir- » constance qui ne se trouve pas chez le sémina- » riste tiède), est tombé dans un péché mortel » avec pleine connaissance de Ténormité de sa » faute et vient à retomber, de propos délibéré, » après s'être relevé une ou deux fois, il y a tout » lieic de craindre qu'il ne passe le reste de sa vie » dans une vicissitude de péchés mortels et de » confessions infructueuses , et qu'il ne tombe » dans l'endurcissement (1). »
En lisant ce qui précède, vous tremblez peut- être ; mais peut-être aussi vous rassurez-vous en pensant que tous les prêtres tièdes ne tombent pas dans le péché mortel bien déclaré, et de là dans l'endurcissement des mauvais prêtres. Yous êtes heureux de vous dire que si plusieurs aboutissent à ce terme, plusieurs aussi ne l'atteignent jamais et se bornent à rester tièdes toute leur vie. Dans votre lâcheté, vous aimez avons tenir secrètement ce langage : Avec les petits efforts que je vais faire pour profiter des grâces du séminaire, j'ai encore
(1) Daou, Conduite des âmes dans la voie du salut, ouvrage servant de supplément à la Conduite des confesseurs.
— 36 —
quelques chances de devenir fervent ou à peu près; mais, au pis-aller, si je dois prendre place plus tard parmi les prêtres tièdes, je ne dépasserai pas du moins les bornes de la tiédeur.
En réponse à cette objection, que tout sémina- riste serait honteux de formuler expressément, nous citerons le passage suivant de l'ouvrage in- titulé : la Science du confesseur, passage sur lequel nous appelons toute rattention de nos jeunes lec- teurs : « 11 faudrait s'aveugler pour ne pas voir » qu'en général la tiédeur, telle que M. Daon Ta n dépeinte, est inconciliable avec l'esprit ecclé- » siastique, et que des prêtres qui vivent dans » une pareille tiédeur ne sont point en état de » grâce. Que trouve-t-on en effet dans cette pein- » ture? xVucune pratique de ce qui peut soutenir » la vertu et nourrir la piété ; des confessions do » routine après un examen superficiel ; point de » délicatesse sur tout ce qu'on ne croit pas mor- » tel ; aucun soin de se corriger de ses défauts, » aucune idée de s'avancer dans la vertu ; le bré- » viaire et la messe dits d'une manière toute na- » turelle , sans aucune vue et machinalement , » une charge quelconque remplie de même ; et du » reste une vie de dissipation ; ne rien faire, par- » 1er de nouvelles, se promener, faire et recevoir » des visites ; un cœur qui n'a de goût que pour » le monde : qu'est-ce qu'une pareille vie, que » sont de pareilles dispositions pour un prêtre? » Je suppose même qu'il n'y ait aucun acte isolé » dont je puisse dire dune manière précise : Voilà » lin péché mortel ; mais quel rapport'cette vie a- » t-elle avec la vocation d'un prêtre, avec l'état
— 37 —
» d'un homme particulièrement consacré au ser- » vice de Dieu, obligé de mener une vie plus ré- » gulière, plus sainte que le simple fidèle, devenu, » par le caractère même du sacerdoce, médiateur » entre Dieu et les hommes? »
Malheur à vous, jeune ami, si ces réflexions ou plutôt ces vérités vous laissent insensible I Mal- heur à vous si, après les avoir méditées, vous ne vous sentez pas capable de vous arracher à la tié- deur par un effort violent 1 Le mal serait déjà bien grand, pour ne pas dire incurable. Entrez donc généreusement dans la voie des réformes.
— La première chose à faire pour sortir de votre état de tiédeur, c'est d'en bien connaître le danger. Vous devez donc, outre la méditation fré- quente de tout ce qui précède, vous dire à vous- même : Ma tiédeur inspire à Dieu du dégoût , selon ce que dit saint Bernard : Deo vomitam pro- vocat ; je me remplis de mille misères et je me mets à deux doigts de l'enfer, selon le même doc- teur : Res plena miser ise, et iiiferno proxima ; ]q m'expose à perdre ma vocation que mon confes- seur trouve peut-être déjà fort douteuse ; j'abuse des grâces du séminaire, qui sont si précieuses et si abondantes et que je ne retrouverai jamais ; je contracte l'habitude de la lâcheté qui déjà paralyse les forces de mon âme ; je scandalise quelques- uns de mes condisciples qui s'engagent à ma suite dans les mauvaises voies où je suis moi-même ; j'endurcis mon âme qui déjà n'a plus de goût pour la prière et le service de Dieu ; j'augmente chaque jour la difficulté de changer de conduite II. 3
— 38 —
et je me mets dans une sorte d'impossibilité mo- rale de devenir meilleur, puisque les saints m'as- surent qu'on voit Ijien plus souvent les grands pécheurs se convenir, que les tièdes reprendre leur ancienne ferveur ; je m'expose enfin très- prochainement à l'affreux malheur d'être un jour un mauvais prêtre, puisqu'il est certain que tous ceux qui le sont ont été tièdes comme moi avant de tomber dans leur abime.
Il est impossible que ces considérations bien méditées ne vous fassent pas prendre la détermi- nation de vous réformer.
— Si vous en sentez la nécessité, vous devez, sans balancer, mettre immédiatement la mahi à l'œuvre, en dépit des difficultés de votre entre- prise, puisque toute difficulté doit être surmontée quand la nécessité le commande, vous devez même penser que, plus vous sentez de -difficulté à vous réformer, plus cette réforme est urgente et néces- saire, puisque c'est l'habitude déjà formée de la tiédeur qui donne à l'obstacle toute sa puissance : Vaincre ou mourir , telle est votre alternative.
— Vous devez être particulièremeni en garde contre la dangereuse illusion des âmes tièdes qui leur persuade que leur état n'est pas un état de damnation, qu'elles sont, rigoureusement parlant, dans la grâce de Dieu, et que si elles ne sont pas saintes, elles ne sont pas non plus criminelles. Pour détruire cette illusion qui a fait tant de vic- times, vous devez vous rappeler sans cesse que la sainteté est impérieusement prescrite à celui qui aspire au sacerdoce, et que jamais un prêtre n'est trop saint ni même assez saint pour remplir di-
— 39 —
gnement ses sublimes fonctions. Vous devez pen- ser, en outre, que lors même que la tiédeur ne serait pas positivement un état de damnation, elle y aboutit presque toujours : la pente qui mène à un abîme n'est pas l'abîme, mais elle y conduit irrésistiblement quand elle est rapide et qu'on s'y laisse entraîner.
— Tout cela étant mûrement considéré devant Dieu, il faut passer des réflexions aux actes. La principale cause de la tiédeur étant le peu de piété et le relâchement sur ce point, vous devez vous appliquer sans cesse à en bien pratiquer les exer- cices, nonobstant la répugnance qu'ils vous in- spirent. Jamais vous ne cesserez d'être tiède si vous n'en venez pas là, et au contraire vous ces- serez de rètre à l'instant même, si vous vous acquittez aussi bien que possible de vos pieuses pratiques.
— L'oraison vous fatigue ; vous la trouvez lon- gue et pénible ; vous n'y éprouvez pas un seul mouvement de ferveur ; vous n'en lirez aucun fruit et vous en sortez toujours tel que vous y êtes entré : c'est la tiédeur qui vous met dans ce triste état. Pour en sortir, ranimez votre cœur en- gourdi; allez au pied de Tautel et dites à Jésus avec énergie : Sana animam meam, Domine ; dites- lui du fond de l'âme : Je veux être à vous, Sei- gneur : Tuus sum ego ; je veux sincèrement m'ar- racher de ma tiédeur, aidez-moi. Dieu d'amour, à remporter cette victoire ; donnez-moi la grâce de bien prier désormais : Do7nine, doce me or are. Renouvelez cette prière au commencement de toutes vos oraisons ; repoussez les distractions à
— 40 —
mesure qu'elles se présenteront à votre esprit, et si vous continuez de vous sentir misérable, gémis- sez du moins sur votre misère, et déjà, soyez- en sur, vous aurez porté un coup mortel à votre tié- deur.
— Agissez de même dans tous vos exercices spirituels. Ayez toujours le vif désir de les bien faire ; ranimez ce désir au commencement de cha- cun ; insistez sur la préparation à ces exercices, et soyez persuadé que vous n'en ferez pas un seul qui n'apporte à votre àme un profit considérable.
— Ne vous bornez pas aux exercices communs; imitez vos pieux condisciples qui s'en imposent par surérogation pour entretenir leur ferveur. Adoptez quelques pratiques que vous pourrez faire sans préjudice de votre règle ; fréquentez surtout le pied de l'autel ; c'est là que la piété s'alimente et que la tiédeur s" évanouit.
— Transformez vos œuvres les plus communes en œuvres pieuses par la pureté de voire inten- tion. Au lieu de les faire machinalement et hu- mainement comme au passé , offrez-les à Dieu avant de les commencer ; élevez-vous vers lui pendant que vous y êtes appliqué, et faites-lui en hommage en les terminant. De cette manière elles vaudront des prières, et la tiédeur ne viendra plus vous en ravir le fruit. Le travail, les repas, les récréations, le sommeil lui-même, tout, si vous le voulez, peut être abondamment sanctifié.
— Renoncez à ces confessions de routine qui ne vous procurent ni grâces ni consolation. Traitez les sacrements avec le respect qu'ils méritent ; mettez la joie au cœur de votre confesseur en lui
— 41 —
disant : Mon père, Dieu m'a éclairé, j'ai fait des réflexions sérieuses ; vous avez gémi plus que moi-même sur ma tiédeur, aidez-moi à la vaincre ; je connais maintenant ses dangers et je veux m'y soustraire. Signalez-lui les points sur lesquels vous vous sentez plus faible, et priez-le de vous cultiver avec soin, ce qu'il ne manquera pas de faire s'il peut voir en vous quelque germe de bonne volonté.
— Embrassez avec ardeur l'exercice si salutaire de la direction ; ouvrez-vous largement dans ces saintes communications ; sondez les plis et les re- plis de votre âme ; provoquez l'examen de vos in- fidélités, et suppliez votre directeur de vous tracer des règles de conduite appropriées à vos besoins.
— Fréquentez des séminaristes remarquables par leur piété et leur bon esprit. Ce point est plus important qu'on ne s'imagine. On voit souvent dans les séminaires les élèves classés par catégo- ries pendant les récréations et les promenades : les fervents sont avec les fervents, les tièdes avec les tièdes, et les mauvais, s'il s'en trouve, avec les mauvais. Or ces alliances homogènes entretiennent tout naturellement les habitudes qui caractérisent chaque bande. Les fervents s'entr'édifient, mais les autres s'affermissent mutuellement dans leurs dis- positions imparfaites ou plus qu'imparfaites. Vous ne serez pas changé tant que vous ne goûterez que la société des séminaristes relâchés ; vous en- trerez au contraire dans la bonne voie quand vous vous sentirez attiré vers les plus édifiants avec le désir de profiter de leurs pieux entretiens pour développer votre ferveur.
— Allez voir aussi de temps en temps quelques-
— 42 —
uns de vos dignes supérieurs. Il se trouve dans tous les séminaires des directeurs d'une sainteté suréminente avec lesquels ou n'est jamais en con- tact sans ressentir comme le contre-coup de leur ferveur. Quelques mots de ces hommes de Dieu, dits comme les saints les disent, ont souvent pour effet de fondre bien des glaces.
— Attachez-vous à l'étude ; elle sera toute votre vie lune de vos plus sûres sauvegardes. Si vous vous y livrez avec zèle, vous contracterez par là même l'habitude d'un genre de vie grave, sérieux, modeste et recueilli, qui est le cachet de l'esprit ecclésiastique et qui sera le Lonibeau de votre tié- deur.
— Adoptez pour devise : Jamais de péché véniel DÉLIBÉRÉ. Yoilà'la marque infaillible à laquelle vous reconnaîtrez si vous êtes réellement en voie de réforme. Pesez bien ces paroles si graves et si judicieuses du P. Lallemant, dans sa Doctrine spi-* rituelle : « La ruine des âmes vient de la multi- » plicité des péchés véniels, qui cause la diminu- » tion des lumières et des inspirations divines, » des grâces et des consolations intérieures, de la » ferveur et du courage pour résister aux attaques » de l'ennemi. De là s'ensuit l'aveuglement, la » faiblesse, les chutes fréquentes, l'habitude, l'in- » sensibilité, parce que raîTection étant gagnée, » on pèche sans sentiment de son péché.
» Quiconque (notez bien ceci) n'a pas soin d'é- » viter les péchés véniels, quand il aurait les suc- » ces du monde les plus éclatants, dans les emplois » de zèle à l'égard du prochain, est en grand dan- » ger de se perdre lui-même. Car il est impos-
— 43 —
» siblc que, vivant de la sorte, il ne tombe quel- » quefois dans le péché mortel, même sans le bien » connaitre. Il ne laisse pas d'être coupable dans » cette ignorance, parce qu'elle est comme affec- » tée. »
Si vous vous abstenez d'une multitude de péchés véniels que vous commettiez auparavant sans scru- pule, bénissez Dieu : la tiédeur est vaincue, ou du moins elle est bien près de F être.
— Cependant si vous faites quelques chutes, ne vous découragez point. Les infidélités ne nuisent pas à la perfection quand on se repent de les avoir commises et qu'on veille assidûment pour ne les plus commettre.
— Respectez le règlenienr du séminaire dans les plus petits détails. Voilà encore un des carac- tères distinctifs du bon séminariste. C'est une chose déplorable que la facilité avec laquelle certains élèves violent le règlement. Jamais ils ne pren- dront place parmi les fervents pendant qu'ils se rendront iiaJntuellement coupables de cette vio- lation.
— Usez enfin d'une vigilance extrême pendant les vacances : récréations modérées et toujours dignes ; fuite des compagnies dissipantes; longues visites au saint sacrement ; règlement fidèlement observé ; fréquentation de quelques saints prêtres ; modestie en tout, partout et ioujours : Et qui has rerjulas secuti fuerint , pax super illos et miser ico relia.
44
CHAPITRE Ili
Le bon séminariste.
Que Dieu soit béni! nous allons respirer une atmosphère plus pure. Le mauvais séminariste, c'est la nuit ténébreuse ; le séminariste tiède ^ c'est la brume épaisse ; le bon séminariste , c'est un beau ciel avec quelques nuages ; le fervent sémi- nariste, c'est la voûte azurée dans toute sa splen- deur.
Parlons donc du bon séminariste, et commen- çons par lui dire avec l'épanchem^ent du zèle et de l'amitié qu'il fait la joie de ses supérieurs et la consolation de l'Église. Croissez à l'ombre du sanctuaire, jeune et pieux lévite ; les grâces du* sacerdoce vous environnent ; bien plus, elles vous pénètrent et disposent votre âme aux ineffables merveilles qui vont bientôt s'accomplir en elle. Si quelques taches légères l'obscurcissent encore, vous désirez qu'on vous les montre, résolu que vous êtes à les faire disparaître.
Le bon séminariste ne vient au séminah'e que parce qu'il est convaincu que Dieu l'y appelle. Pour acquérir cette conviction, il a depuis long- temps purifié son cœur et contracté l'habitude de la vertu.
Il a prié beaucoup, il a communié fréquem- ment, il s'est imposé journellement un certain nombre de pieuses pratiques, et son humilité hii
— 45 —
inspirant peu de confiance en ses propres prières, il a quêté celles des âmes ferventes qui lui ont fait à cet égard d'abondantes aumônes.
Il s'est placé dans un état parfait d'indifférence au sujet de sa vocation, ne prenant par lui-même aucun parti sur un point si capital, et attendant la lumière de Dieu seul et du confesseur qui le rem- place.
Il l'a consulté, ce confesseur, et il a tout fait pour le mettre en état de se prononcer avec con- naissance de cause : confession générale, ouver- ture complète, détails presque minutieux, révéla- tion de ses goûts, de son attrait, de ses disposi- tions les plus intimes, il n'a rien négligé pour se faire connaître.
Le monde a observé sa conduite et il en a été édifié. Sans lui demander son secret, on devinait sa vocation ; l'annonce de son entrée au séminaire n'a surpris personne, et elle a été généralement applaudie.
C'est après de tels préliminaires qu'il s'est intro- duit dans la sainte demeure où se recrute le sacer- doce. Plein de respect pour ce pieux asile, il s'en est approché tremblant comme Moïse auprès du buisson de la montagne d'IIoreb.
Déjà bien connu de quelques-uns de ses condis- ciples, peut-être même de ses supérieurs, sa pré- sence au séminaire a été un sujet d'édification pour des bons, et l'occasion de remords secrets pour ceux qui ne l'étaient pas. C'est en ce saint lieu que nous allons observer sa conduite.
Le bon séminariste aime le séminaire ; il est là dans son centre : éloigné du monde avec lequel il II. 3.
— 46 —
est heureux de rompre, son àme se dilate et Dieu la remplit.
L'odeur de vertu quil respire, les exemples de ferveur qu'il a sous les yeux, les salutaires con- seils qu'il reçoit, le calme de la solitude qui lui permet de méditer à l'aise sur sa grande affaire ; tels sont^les éléments dont sa piété se nourrit.
La règle du séminaire n'est pas un fardeau qui l'accable ; elle est plutôt une douce chaîne qui l'en- lace à Dieu : expression visible de la volonté divine, il se l'imposerait si elle n'existait pas. Le travail lui plaît, car il aime le devoir, et il sait qu'un sé- minariste ne mérite pas de l'être s'il ne fait mar- cher de front la science et la vertu.
'^- 1 vocation l'occupe plus que jamais : ne vou- lant pas avoir l'ombre d'un doute à cet égard, il interroge son confesseur du séminaire comme il a interrogé celui du monde ; même ouverture, même sincérité, mêmes détails, et même réponse de la part de son guide.
L'approche des ordinations le saisit ; quelque peu élevés que soient les ordres qu'il doit recevoir, il en apprécie l'importance et s'y prépare par un surcroit de ferveur et de régularité.
Bref, il remplit avec exactitude les grands de- voirs de sa profession, et quand ses supérieurs parlent de lui dans le secret de leur conseil, tous disent avec joie : « C'est un bon élève. »
Et nous aussi, jeune et tendre ami, nous ^mions à dire que vous êtes un bon élève ; mais ce n'est pas assez d'être bon, il faut monter plus haut et répondre à l'appel du divin Sauveur qui dit à tout le monde, mais bien plus aux séminaristes qu'aux
4/ —
simples fidèles : Estote crcjù vos perfecti, àcut et Pater vester cœlestis perfectus est.
Vous avez des qualités sans doute, et des qua- lités précieuses ; mais vous avez aussi quelques légers défauts qui les déparent et qu'il est impor- tant de vous faire connaître.
Le bo7i séminariste se rassure aisément sur la pureté de ses intentions, sur l'horreur qu'il sent en lui-même pour le péché morîel et même pour le péché véniel un peu notable, sur la régularité de sa conduite en tout ce qui est essentiel, et sur l'en- semble de bonnes dispositions dans lesquelles il se trouve. Il ne croit guère à la possibilité d'un relâ- chement considérable, et, sans se croireprécisément un saint, il fait des vœux pour rester ce qu'il est.
Cependant s'il voulait se considérer de près et surtout en face d'un avenir plein de dangers pour tout prêtre, il sentirait le besoin d'arracher de son âme. quelques mauvais germes qui y sont encore déposés.
L'orgueil, qui ne meurt jamais tout à fait chez personne, tient encore chez lui la place de l'humilité sur certains points, et il prend peu de précautions pour s'en préserver. Que de pensées, que de pa- roles et même d'actions ne fait-il pas par ce mau- vais principe !
Il estime le règlement en général et il l'observe habituellement avec régularité ; mais la faiblesse, l'entraînement, l'immortification et le respect hu- main le rendent encore coupable de quelques in- fractions qu'il se reproche, il est vrai, mais qu'il commet de nouveau quand les mêmes occasions se reproduisent.
— 48 —
11 aime le travail, comme nous Favons dit ; il est rigoureusement en règle sur les divers points de renseignement, et ses professeurs ne lui font à ce sujet aucun reproche ; mais Dieu qui le voit dans le secret de sa cellule lui dit au fond de l'àme qu'il pourrait s'appliquer davantage, qu'il cède quelquefois à un vieux fonds de nonchalance, et qu'il se permet encore de temps en temps certai- nes compositions ou lectures frivoles.
Il est-pieux assurément et il se promet bien de l'être toujours ; mais il est stationnaire dans les voies de la piété ; il recule même quelquefois, il combat mollement les distractions qui se présen- tent, il repousse l'inspiration que Dieu lui envoie d'accroître sa ferveur par quelques saintes prati- ques et refuse d'entendre la voix si bonne de Jésus qui lui dit : Aiince, ascende siiperiùs.
Il est doux, j'en conviens, et sa douceur lui ga- gne l'affection de ses condisciples ; mais la vivacité dltère parfois son fonds de mansuétude, et quand la tempête d'une discussion est passée, il s'échappe de sa conscience im sourd gémissement qui veut dire : Peccavi.
II est charitable envers le prochain, et ce n'est pas lui qui voudrait se permettre de graves médi- sances ; mais le défaut de complaisance, les petites railleries, les rancunes d'un jour, les susceptibi- lités ombrageuses couvrent encore assez souvent sa charité de quelques légers nuages.
Il est, en général, soumis et résigné à la volonté de Dieu dans les affliclions qui lui arrivent ; mais quand sa résignation est mise à une trop dure épreuve, il se laisse a])baltro : s'appuyant sur lui-
— 49 —
même et non sur Dieu, le mérite lui échappe, le courage l'abandonne, la tristesse le gagne, et il est quelque temps à se remettre de la rudesse du choc.
La mortification ne lui fait pas peur ; il sait qu'elle est la gardienne des vertus et le nerf de la piété ; mais il faut pourtant qu'elle soit à peu près de son goût ; en sorie que, s'il veut y faire attention, il verra qu'il n'est guère mortifié que quand il peut l'être sans qu'il lui en coûte beau- coup.
Les désordres de l'intempérance le révoltent, cela est bien vrai ; mais les sensualités mitigées, la critique modérée du régime du séminaire, le sou- rire avec lequel il accueille des critiques plus mor- dantes que les siennes sur la même matière, le défaut d'intention pure en prenant ses repas, la satisfaction qu'ils lui procurent et dans laquelle il se complaît, et même quelquefois les légers excès qu'il se permet contre l'avertissement de sa con- science : tout cela révèle encore la présence d'un mauvais germe.
La dissipation poussée à ses dernières limites effaroucherait sa piété et sa modestie ; mais il n'ob- serve pas toujours le recueillement que Dieu lui demande, et quand il s'est trop épanclié, il s'en aperçoit à la froideur qu'il sent dans la prière et à ses distractions plus nombreuses et plus persistan- tes.
Il tient ses sens en bride et abhorre tout ce qui pourrait ternir la sainte chasteté ; m;iis la légèreté et le défaut de vigilance lui font jeter çà et là cer- tains regards que ne se permettraient pas un Louis de Gonzague et un Kostka sïls étaient à sa place.
— 50 —
Son caractère irest pas précisément mauvais» mais il appelle encore bien des réformes : quand il n'est pas opiniâtre, il est mou ; quand il n'est pas facétieux et léger, il est sombre et morose ; quand il n'est pas trop empressé, il est lent : ce beau milieu où la vertu se trouve n'est pas tou- jours, du moins sur quelques points, le trait qui .le distingue.
Généralement parlant, c'est pour Dieu qu'il agit, c'est à Dieu qu'il veut plaire dans l'ensemble de ses œuvres ; mais bien souvent, dans le détail de ses actions, la routine l'entraîne ; il les commence, les poursuit et les achève machinalement et sans but précis, perdant ainsi le fruit qu'il en pourrait tirer s'il était plus attentif et plus uni à son divin Maître.
Ses confessions sont bonnes, cela n'est pas dou- teux ; cependant, si elles le maintiennent dans sa voie, elles ne l'y font pas progresser, ce qui prouve qu'il leur manque quelque chose pour qu'elles soient ce qu'elles devraient être.
Ses communions sont agréables à Jésus et il aime à les faire ; mais la froideur de ses actions de grâces lui dit que son divin hôte n'est pas en- core pleinement satisfait.
Ses vacances enfm se passent sans de grands désordres ; mais le règlement qu'il se proposait de suivre n'est pas toujours fidèlement observé ; l'oraison est abrégée, la visite au saint sacrement, la lecture spirituelle, les examens de conscience sont parfois supprimés ; le travail se réduit à peu de chose ; les visites frivoles absorbent des heu- res dont l'étude et la piélé sonî jalouses, et au
— 51 —
retour des vacances, il y a bien des ijrèches à ré- parer, bien des vides à remplir.
Vous le voyez, jeune ami, vous avez encore du chemin à faire pour arriver où Dieu vous appelle : Grandis tibi restât via. Si vous êtes bo7i, vous n'ê- tes pas parfait, et cependant, puisque vous voulez être le digne ministre de Jésus-Christ, c'est à la perfection que vous devez tendre.
Pour vous exciter à l'acquérir, voyez où peuvent vous conduire les infidélités qui viennent de vous être signalées.
Comme le bon séminariste a beaucoup de qua- lités, l'orgueil les lui rappelle sans cesse ; il lui en exagère même le mérite, et tout ébloui par ce beau spectacle, il n'a pas seulement la pensée de la crainte.
Parmi les séminaristes, les mauvais et les tièdes ne sont pas toujours à Fabri de quelques appré- hensions et de quelques remords : les fervents frémissent à l'idée du sacerdoce et des obligations qu'il impose : c'est dans la classe des bons sémi- naristes que se trouve, en général, le plus de calme et d'assurance. Us ne sont pas assez mal pour craindre beaucoup ; ils ne sont pas assez bien pour se réfugier comme les saints dans une crainte salutaire.
Avec de telles dispositions, voici, suivant toute apparence, l'avenir qui vous attend.
Votre début dans l'emploi que vous confieront vos supérieurs sera fort convenable ; vos intentions seront bonnes, vous serez encore sous le coup de l'impression que le sacerdoce aura produite en
— 62 —
vous, et vous entrerez en fonctions avec le vif dé- sir d'honorer et de féconder votre ministère. Tout cela est incontestable.
Pour réaliser vos pieux projets, vous mettrez de l'ordre dans vos travaux ; vous vous imposerez un règlement qui embrassera toutes vos actions de chaque jour, et vous l'observerez d'abord avec une édifiante exactitude.
Vous n'encourrez aucun reproche, du moins tant soit peu grave, ni de la part de votre curé, ni de la part des paroissiens qui se réjouiront de vous posséder, et tous diront de vous : Bénissons Dieu, nous avons un bon prêtre pour vicaire.
Le début, nous le répétons, sera donc très-satis- faisnn' : mais se soutiendra-t-il, et ne ferez- vous point comme tant d'autres qui, après avoir com- mencé de la même manière, sont tombés peu à peu dans le relâchement et peut-être, hélas ! dans un état plus triste encore ? Nous nous gardons bien d'affirmer qu'il en sera ainsi, mais nous di- sons que cela pourrait arriver, et si en effet cela arrive, voici, ce semble, par quels degrés insensi- bles on vous verra déchoir.
Le mal commencera, soyez- en persuadé, par la négligence dans les exercices spirituels. On ne voit jamais un prêtre se relâcher tant qu'il tient ferme à toutes ses pratiques de piété. Mais du moment qu'il y fait quelque brèche par indifférence on par lâcheté, le germe du relâchement commence à se produire.
Cette brèche, vous ne la ferez pas dans les pre- miers jours ; l'autel et le saint tribunal vous im- pressionneront tellement que vous augmenterez le
— o3 —
nombre de vos pieuses pratiques plutôt que d'en retrancher. Mais l'autel où vous monterez chaque matin ne vous frappera pas longtemps d'une sainte terreur ; le tribunal de la pénitence, où vous ferez peut-être deux séances par jour, deviendra bientôt pour vous un lieu presque ordinaire, et les autres actes de votre ministère étant moins imposants encore que ceux-ci, vous ne serez déjà plus sti- mulé dans l'exercice de vos sublimes fonctions comme vous l'étiez dans le principe.
Vous continuerez sans doute de faire régulière- ment votre oraison ; mais de temps en temps vous ne vous ferez pas grand scrupule d'en abréger un peu la durée ; le moindre prétexte aura pour vous la puissance d'une raison solide, et déjà vous serez infidèle.
La sainte Messe n'ayant plus à vos yeux le même prestige que dans les premiers jours de votre sa- cerdoce, vous soignerez moins bien votre prépa- ration et votre action de grâce : nouvelle infidélité.
L'examen particulier que vous faisiez si exacte- ment au milieu ou à la fin de la journée, vous offrira bientôt de la sécheresse en retour de ses immenses avantages, et vous ne le ferez plus que quand un accès de ferveur vous en fera sentir la haute importance : nouvelle infidélité.
La lecture spirituelle sera plus longtemps prati- quée ; mais elle sera moins longue, moins pieuse, moins féconde en fruits de sanctification, et peut- être même l'omettrez-vous quelquefois sans raison suffisante : nouvelle infidélité.
La visite au saint sacrement, après avoir fait vos délices, ne procurera plus à votre cœur cette
— 54 —
ardeur pénétrante dont il se sentait embrasé quand il s'approchait de son divin Maître, et si vous la faites encore chaque jour, vous la ferez sans beau- coup d'attrait et souvent sans fruit : nouvelle infi- délité.
Le chapelet, qui vous attachait si tendrement à Marie dans vos bons jours, et que vous ne récitiez jamais sans éprouver les heureux effets de la pro- tection de cette divine Mère, sera bientôt pour vous une pratique sèche, monotone et peu attrayante, que vous omettrez de fois à autres sans beaucoup de scrupule : nouvelle infidélité.
Le saint office lui-même se ressentira sans au- cun doute de votre négligence sur les divers points que nous venons de signaler. La récitation sera plus rapide, l'attenfion moins soutenue, la ferveur moins vive, et, peut-être, sans motif plau- sible, renverrez-vous jusqu'à latin du jour les par- ties du bréviaire qui auraient dû être dites dans la matinée : nouvelle infidélité.
Vos confessions, faites d'abord chaque semaine avec tant de soin et d'exactitude, seront renvoyées à la quinzaine, et à coup sur cet ajournement n'en multipliera pas les fruits : nouvelle infidélité.
Yos actions, vos travaux, les actes de votre mi- nistère que votre état habituel de ferveur rendait si méritoires et que vous offriez à Dieu par un prin- cipe d'amour, commenceront à se faire par routine et sans intentions bien arrêtées : nouvelle infidélité.
De tout cela, comme il est aisé de le voir, résul- tera non pas assurément une vie criminelle, mais une vie que vous ne pourrez déjà plus appeler fervente. La fine fleur de la dévotion aura disparu,
JDt)
et vous pouvez être assuré que, sans aller plus loin, vous ne produirez point ces œuvres admirables et ces fruits abondants par lesquels se distinguent les travaux du saint prêtre. Ajoutons que, si vous ne vous hâtez de revenir à vote fidélité primitive, vous contracterez l'habitude de l'irrégularité dont vous ne sortirez peut-être jamais. Achevons au reste le tableau de votre avenir.
Quand la piété s'afTaiblit, les défauts s'enracinent, et c'est très-certainement ce qui vous arrivera. La ferveur vous tenait éveillé : dès qu'un défaut vou- lait se faire jour, vous aviez l'œil ouvert sur ses premiers développements et vous l'étouftiez dans son germe. Mais la ferveur s'étant refroidie, la dissi- pation prendra sa place, les ténèbres se feront dans votre âme, et, à leur ombre, l'homme ennemi sèmera r ivraie parmi le bon grain : C ion dormirent Itomhics, venu inmiicus . . . . et siiperscniinavit zizania. A'ous ferez le mal avec une demi-volonté, et la ferveur n'étant pas là pour le détruire , il continuera de progresser, parce que vous continuerez de le com- mettre. Tl ne sera pas considérable d'abord, nous en convenons ; mais il le sera assez pour vous priver de bien des grâces et pour fortifier vos défauts.
Yous n'aurez plus pour vous soutenir les secours puissants que vous trouviez au séminaire. La règle, la solitude, les bons exemples, les paternelles exhortations, tout vous fera défaut. Votre curé craindra de vous blesser par un avertissement, vos amis vous flatteront, les paroissiens se contente- ront de vous critiquer en secret, et vous agirez de concert avec tout le monde pour vous tromper vous-même.
— 56 —
Alors reparaîtront ces petites misères que vous traitiez de bagatelles quand vous étiez séminariste, et sur lesquelles nous avons appelé plus haut votre attention.
L'orgueil, par exemple, s'insinuera dans votre âme ; vous penserez à vous-même avec complai- sance ; vous vous laisserez éblouir par de vains succès ; vous vous croii^ez un prédicateur remar- quable, un confesseur excellent, un homme de ministère accompli ; vous vous jugerez digne d'un poste supérieur et vous convoiterez ceux qui devien- dront vacants ; vous ouvrirez la bouche pour donner passage à la vanité, et vos acLlouô, même les plus saintes, seront gâtées par le poison de l'amour- propre. Que de bons séminaristes, en suivant la route que nous venons de tracer, sont devenus, hélas ! des prêtres orgueilleux !
L'oisiveté qui, au séminaire, se contentait de vous dérober quelques courts instants, vous déro- bera, quand vous serez prêtre, des demi-journées, peut-être même des journées entières. Vous ne négligerez pas sans doute le travail du ministère ; mais l'étude proprement dite sera mise de côté, et les heures qu'elle réclamera, vous les passerez en visites et en courses que vous vous permettrez sans difficulté comme des délassements légitimes. Que de ôo;^5 séminaristes sont devenus, des prêtres oisifs!
La charité envers le prochain ne sera pas plus respectée que l'étude. Au séminaire, les occasions de la violer étaient rares ; quelques légères raille- ries à l'égard de vos condisciples étaient à peu près vos seuls manquements en ce point. Mais dans le monde, vous entendrez chaque jour le récit de
— 57 —
quelques fautes nouvelles , et vous céderez à la tentation de vous en faire l'écho. Yous apprendrez surtout qu'on ose vous attaquer , et vous n'épar- gnerez pas ceux dont vous aurez à vous plaindre. Des rancunes prolongées s'enracineront dans votre âme, et vous passerez des années entières sans y mettre un terme. Que de bo7is séminaristes sont devenus des prêtres sans charité ! que de prêtres qui se croient bons prêtres et qu'on proclame tels, blessent sans se le reprocher la reine des vertus !
L'âpreté des formes, les impatiences, les viva- cités, les colères même quelquefois vous échappe- ront encore. Rien de tout cela ne vous inquiétait beaucoup au séminaire, quoique pourtant on put en entrevoir la racine. Mais dans le cours du saint minis- tère, dans les rapports avec les pénitents au saint tribunal, avec les enfants au catéchisme, avec les fidèles dans la paroisse, avec le curé au presbytère, avec les domestiques, ouvriers ou autres gens de cette classe, combien de discussions animées au sein desquelles la vertu de douceur sera sacrifiée î Que de bons séminaristes sont devenus ainsi des prêtres vifs, irascibles etméme violents etemportés !
La mortification sera-t-elle votre vertu favorite, si déjà au séminaire vous ne la pratiquez que quand elle est à peu près de votre goût? Disons-le hardi- ment , les saints prêtres seuls sont des prêtres mortifiés ; vous ne le serez donc point, du moins autant qu'il faudrait l'être, si vous n'êtes qu'un bon prêtre ordinaire. Rien ne facilite l'exercice de la mortification comme la pratique assidue et bien réglée des exercices spirituels. En les faisant avec exactitude et ferveur, on est constamment uni à
— 58 —
Dieu, et quand on est uni à Dieu, il porte directe- ment et fortement à la mortification ; il en inspire le goût et y fait trouver mille fois plus de douceurs que les mondains n'en trouvent au milieu de leurs plaisirs ; mais quand on se relâche dans la pratique des exercices de piété, le goût de la mortification s'affaiblit et la vie des sens commence à prévaloir. Quand donc vous aurez cessé d'être fidèle à vos exercices spirituels, vous ne connaîtrez plus la mortification que de nom. Bien de bons séminaristes sont devenus de la sorte des prêtres sensuels et immortifiés î
La dissipation ne manquera pas non plus de vous porter au relâchement. Elle était à peine sensible au séminaire : tout vous }' prêchait le saint recueille- ment : réloignement du monde, la solitude, la vie réglée, fetude et les devoirs de piété vous empé- fhaient île chercher au dehors des occupations fri- voles. Cet heureux état eut certainement continué dans le monde .si votre fidélité aux pratiques pieu- ses ne se fût pas démentie ; mais quand vous les ferez lâchement , froidement , ou que vous les omettrez sans scrupule, vous n'aurez plus d'attrait pour le recueillement et la retraite; vous cherche- rez au dehors ce que vous ne trouverez plus au dedans ; le faux bonheur -des âmes dissipées rem- placera dans votre âme le bonheur pur et vrai des âmes recueillies ; vous n'aimerez plus la solitude de votre chambre et de 1" église ; le goût du jeu, des compagnies, des voyages, vous ravira le goût de la retraite, de la piété et de l'étude, et vous serez un prêtre évaporé, c'est-à-dire prédisposé à une multitude d'égarements.
— 50 —
De la dissipation naîtra tout naturellement la liberté des sens. Quand Dieu vous suffisait, vous trouviez en vous-même un fonds inépuisable de con- solations ; vous aviez rintelligence de ces mots de Notre-Seigneur : Regnum Dei intrà vos est, et vos sens, qui ne pouvaient que troubler la paix de ce divin royaume , étaient habituellement réglés et soumis. Mais quand vous serez affranchi des prati- ques pieuses, les sens que vous teniez captifs rede- viendront maîtres ; vous voudrez tout voir, vous voudrez tout entendre, et vous courrez à chaque instant des dangers de plus d'un genre.
Disposé de la sorte, les compagnies que vous rechercherez seront celles des prêtres qui vous ressembleront. Vous n'aimerez pas la société des prêtres fervents quand vous aurez cessé d'être fervent vous-même : cela ne se voit jamais. Un prêtre dissispé ne se trouve avec un saint prêtre que par hasard et par circonstance, il n'en fait point sa société habituelle; les goûts, les usages, les entre- tiens ordinaires de ces deux prêtres sont si diffé- rents les uns des autres, qu'ils se repoussent mutuel- lement au lieu de s'unir par une étroile alliance. Vos amis de prédilection seront donc des prêtres taillés à votre image, que vous maintiendrez dans leur voie comme ils vous maintiendront dans la vôtre. Croyez-en notre expérience, bien tendre ami, c'est de la sorte que, de bon séminariste, l'on devient prêtre tiède, prêtre dissipé et mondain.
Dans cet état de délabrement spirituel vos défauts de caractère se trouveront à l'aise. N'étant plus coml^attus ni par la vigilance, ni par des examens journaliers, ni par les reproches d'une conscience
— 60 — ,
délicate, ni par les inspirations d'une tendre piété, à chaque instant ils se feront jour, et leurs saillies plus ou moins fréquentes, plus ou moins impé- tueuses, vous feront commettre une multitude de péchés qui m.ettront de grands obstacles aux fruits de votre ministère.
Les choses étant ainsi, serez-vous non pas un saint prêtre, il est bien clair que vous ne mériterez pas ce beau titre ; mais serez-vous seulement ce que l'on appelle un bo7i prêtre de l'ordre commun? Yous le croirez sans doute et plusieurs le pense- ront comme vous ; mais, devant Dieu et au juge- ment des saints , ne serez-vous pas plutôt im prêtre tiède ? Nous ne voulons pas décider la chose ; mais ce que nous osons aftirmer, c'est que, si alors vous n'êtes pas encore dans la tiédein% assurément vous y serez bientôt , puisque vous serez sur la pente qui y conduira, et que chaque jour, par voira conduite, vous rendrez cette pente de plus en plus rapide. Ce que nous affirmons encore c'est que, dans cet état mitoyen, vous ne ferez pas la centième partie du bien que vous feriez si vous étiez fervent. Ce que nous affirmons enfin, c'est que vous aurez une peine incroyable à redevenir ce que vous étiez au début de votre sacerdoce. Qui sait même, grand Dieu ! si, faible et désarmé comme vous le serez alors, vous ne rencontrerez pas quelques-unes de ces occasions périlleuses où de plus forts que vous ont fait des chutes lamenta- bles 1
Voilà, jeune et tendre ami, ce que le démon vous cache quand il vous rassure au sein de vos infidé- lités journalières. Il vous fait croire qu'elles sont
— 61 —
l'\?èrese!iasi8:ninantes, que la masse du bien rem- portant chez vous sur la masse du mal, vous devez etie tranquille, que Dieu ne demande pas à tous une perfection pareille, que vous avez d'excellentes mtenl,ons, que létat d'un mauvais prêtre ou nS e d un prêtre tiède vous fait horrei'r, et qxze ivZ oertamement ^ous gloriflerez par votre ministère
nv H Ff ''''"■'''"'^' ''°»t vous serez bientôt nnesfi. Et nous, nous vous disons que toutes ce suggestions sont des pièges perfides, et que vou^ ne les éviterez que par une piété fervente et soute- nue. Hatez-vous donc de vous placer sur uu terrain plus ferme en suivant fidèlement les conseils que nous allons vous donner. ^
- JeiMi^êtreplmmintqnejenesuis : première reflexion dont il importe de vous bien pènS ei \ ous considérez trop le peu de bien qui est en vou ' et vous ne voulez pas voir les mauvais germes ™i
pa des infidélités fréquentes. Si vous étiez tout à fait mauvais, votre état vous ferait trembler et "ous prendriez les moyens d'en sortir; mais comme ou ne remarquez pas en vous de grands désordres vous tachez de vous maintenir dans les dispos «onl ou vous «es, sans penser sérieusement à les Z fectionner. Aussi, après une ou deux années de séminaire, ne pourriez-vous montrer dans votîe conduite une amélioration sensible. A voir le pu de soin que vous prenez de progresser dans la V rtu, on dirait que vous vous cf oyez arS au degré de sainteté que Dieu demande le vous C s" cette Illusion que vous devez détruire; et comment?
4
— 62 -
En vous disaiil fortement à vous-même : Je puis être plus saint que je ne suis ; je puis être plus humble, plus mortifié, plus charitable, plus stu- dieux, plus recueilli, plus obéissant, plus pieux enfm et plus fervent : sur tous ces points il m'ar- rive souvent de faillir, et je puis, si je veux, dimi- nuer chaque jour le nombre de mes fautes.
— Je dois être plus saint que je ne suis : deuxième réflexion qui fortifie puissamment la première. Oui, convainquez-vous bien que non - seulement \oiis pouvez^m^ïs que vous devez être plus saint que vous ne Fêtes, et pour affermir cette conviction, méditez attentivement les considérations suivantes : Je suis appelé à fétat le plus saint qui soit sur la terre ; je dois donc être saint, puisque la sainteté du sujet doit être en rapport avec la sainteté de la profession qu'il embrasse. — Dieu veut que tous les hommes soient saints, car c'est à tous qu'il a dit: Sancti estote... Estote perfecti. Or s'il appelle tout le monde à la sainteté, à combien plus forte raison y appelle-t-il ceux à qui il veut confier les éminentes fonctions du sacerdoce ! — Les fruits du saint ministère sont plus ou moins abondants selon le degré de perfection du prêtre qui l'exerce. Un saint prêtre fait, à lui seul, plus de bien que vingt prêtres ordinaires : les Xavier, les Régis, les Domi- nique, les Yincent Ferrier ont entraîné dans les voies du salut et conduit au ciel des multitudes de pécheurs que des prêtres moins saints qu'eux n'eus- sent jamais convertis. — La nature humaine, par son propre poids, tend nécessairement au relâche- ment; il faut viser au-dessus du but pour l'atteindre ;
— 63 —
une infidélité légère, quand on ne fait rien pour en prévenir le retour, conduit infailliblement à une infidélité plus grave, et les plus grands crimes ont toujours été précédés de fautes qui en méritaient à peine le nom; je dois donc éviter ces fautes pour me préserver de ces crimes. — Si j'étais sur qu'il n'y a de mauvais prêtres cjue ceux qui ont été de mauvais séminaristes , je fpourrais me rassurer puisque, grâce à Dieu, je ne suis pas du nombre de ces derniers. Mais comme on m'assure et que Texpérience atteste que plusieurs mauvais prêtres ont été d'aussi bons et peut-être mAme de meilleurs séminaristes que moi, je dois donc me corriger des moindres fautes et tendre chaque jour à une perfec- tion plus élevée, puisque par là je m'éloigne de plus en plus de l'affreux abîme dont la seule pensée me fait frémir. — Si je mène désormais une vie plus fervente et que j'en vienne à ne pas commettre une seule imperfection volontaire?, mon exemple produira d'heureux fruits; plusieurs de mes condis- ciples, qui règlent leur conduite sur la mienne, pratiqueront la perfection quand iis verront que je la pratiquerai moi-même, et je contribuerai peut- être beaucoup à Implanter la ferveur dans le sémi- naire, ce qui est le pins grand bien que je puisse opérer comme séminariste. — Enfin il est certain que je suis dans les meilleures conditions aujour- d'hui pour me corriger de mes petits défauts ; ils ne sont pas encore profondément enracinés dans mon âme ; j'ai sous les yeux des modèles parfaits de toutes les vertus ; des supérieurs z/îlés me cultivent avec des soins tout particuliers comme une plante précieuse, et des grâces ahondantes qui ne se trou-
— 64 —
vent qu'au séminaire , facilitent singulièrement l'œuvre de ma sanctification. Comment méditer pieusement ces réflexions sans y puiser un supplé- ment de ferveur et de sainteté ?
— Je veux être plus saint que je ne suis : {qWq doit être votre troisième réflexion. Vouloir sincère- ment la perfection, c'est, selon saint Thomas, le ATai moyen de l'acquérir. « Que dois-je faire, lui )> lui demandait un jour une de ses sœurs, pour » devenir sainte? — Le vouloir, répondit-il, tout » est là. » Selon sainte Thérèse, a Dieu ne veut de » nous qu'une bonne résolution, il se charge de » faire le reste. » D'après ces autorités, sïl y en a fort peu, même dans les séminaires, qui arrivent à la perfection, il faut donc en conclure qu'il y en a fort peu qui aient le désir sincère de la pratiquer. Nul ne voudrait l'avouer expressément ; mais ce que la langue n'ose dire, les œuvres le proclament. Quelquefois pourtant on a un certain désir vague de la perfection, mais on s'en tient là. Ùr, dit ;^aint Liguori, « il ne suffit pas d'avoir le désir de la per- » fection, il faut avoir une ferme résolution de » l'obtenir... Des désirs faibles sont plus nuisibles » qu'utiles ; car on s'en repaît, et on s'endort dans » ses imperfections. »
— Quand vous aurez excité votre volonté par ces considérations, hàtez-vous d'en venir aux actes et, pour assurer le succès de voire entreprise, com- mencez par réformer ce qu'il y a de défectueux dans la manière dont vous vous acquittez de vos exerci- ces spirituels.
Vos oraisons, par exemple, produisent peu de
— 65 —
fruit : voyez comment vous les faites. Vous y pré- parez-vous avec soin? Vous tenoz-vous en les faisant dans une posture respectueuse ? Renvoyez- vous les distraci.ions dès qu'elles se présentent ? Avez-vous le désir vif et sincère d'en bien profiter? Vous y proposez-vous toujours la destruction de votre défaut capital et Tacquisition de la vertu qui lui est opposée ? Ne vous bornez-vous pas , au contraire, à des réflexions vagues et générales qui n'opèrent aucun changement dans votre conduite, croyant que tout est bien parce que vous pouvez dire: J'ai fait mon oraison? Insistez-vous enfm sur vos résolntions, les déterminant spécialement à quelque point pratique dont vous savez que vous allez avoir l'occasion de faire l'application pendant la journée, et, ces résolutions, les rappelez-vous souvent à votre esprit jusqu'à l'oraison suivante pour les exécuter avec fidélité (juand vous êtes tenté de vous relâcher ?
Considérez de la même manière tous vos exer- cices de piété l'un après l'autre ; voyez la manière dont vous les faites,^ le peu de fruit que vous en tirez et les moyens à prendre pour qu'ils produi- sent tout leur effet.
Les séminaristes qui ne sont que bons ne sont pas, en général, vivement frappés de l'inutilité de leurs exercices spirituels pour le perfectionnement de leur conduite. Ils les font régulièrement pendant des temps considérables sans qu'on découvre en eux un amendement bien prononcé ; souvent même, et presque toujours, ils vont en déclinant dans les voies de la perfection; la seconde année de leur séminaire ne vaut pas la première, et la troi- II. 4.
— 66 —
sième est moins bonne encore que les deux autres, ce qui est précisément tout le contraire de ce qui devrait avoir lieu. Ce point est un de ceux où se fait le mieux sentir la ditférence qu'il y a entre les bons et les fervents séminaristes : les premiers s'arrêtent ou reculent ; les seconds ne s'arrêtent jamais et s'élèvent chaque jour davantage dans r échelle de la sainteté.
— Quoique tous les exercices de piété, quand ils sont bien faits, conduisent merveilleusement k la perfection, il en est un cependant qui y fait faire des progrès plus rapides encore que tous les autres ; c'est l'examen particulier. Saint Ignace, ce grand maître en fait de perfection, y attachait une impor- tance extrême. Il regardait comme certain qu'une âme bien fidèle à cette sainte pratique, arriverait infailliblement à une haute sainteté. Appuyé sur son autorité et sur celle dune expérience constante, nous n'avons pas craint de formuler dans le Saint Prêtre cette double sentence : Nous ne nous corri- gerons jamais de nos défauts saiis rexamen parti- culier. — Nous nous corrigerons certainement de nos défauts, ou du moins nous les affaiblirons nota- blement par l'examen particulier.
Il ne faut pas confondre cet exercice avec celui qui se pratique communément dans les séminaires, et qui consiste dans la lecture qu'on fait chaque jour avant le dîner de l'excellent livre de Tronson, intitulé : Examens particuliers sur divers sujets. Cet ouvrage est un ensemble parfait des règles de conduite qu'on ne saurait trop rappeler aux sémi- naristes ; mais cette lecture quotidienne ne tient pas lieu de l'examen particulier proprement dit que
— b7 —
nous recommandons ici. Choisir le délaiil domi- nant auquel on est sujet ou la vertu qu'on pratique le moins fidèlement ; considérer attentivement le besoin qu'on a de se corriger de ce défaut ou d'ac- quérir cette vertu ; rechercher les fautes qu'on a commises sur l'un ou sur l'autre depuis le dernier examen ; s'en humilier devant Dieu, s'en punir, et prendre la ferme résolution de les éviter ; voilà l'exercice qui, répété tous les jours, .est, après les sacrements, l'instrument de perfection le plus effi- cace que nous connaissions. Faites-en l'expérience, hien-aimé lecteur; tenez ferme à l'usage de cette sainte pratique en dépit de la tentation que vous aurez de l'abandonner, et vous verrez si des fruits de sainteté abondants ne sont pas la récompense de votre fidélité fl).
— Si vous voulez sincèrement devenir plus saint que vous ne l'êtes, proposez-vous continuellement pour modèle l'élève le plus accompli du séminaire. Il s'en trouve toujours qui se distinguent des autres par une piété plus fervente. En parlant d'un de ces élèves, a'Ous vous écriez souvent : Pour celui- là, ccst un saint. Puisque vous l'admirez, passez donc de l'admiration à l'imitation, et donnez à votre conduiie la perfection de la sienne. Voyez le bien qu'il fait et que vous ne faites point, le mal qu'il évite et que vous n'évitez point. Etudiez-le trait pour trait; observez-le dans ses conversations, dans SCS exercices de piété, dans ses études, dans ses actions communes, dans sa tenue et ses maniè-
(!) Voir, pour plus de détails, k S'dnt l'/c^r^, •troisième partie, chap. V.
— 68 —
res ; ne le perciez jamais de vue ni à l'église, ni en récréation, ni au réfectoire, ni en classe, ni dans ses promenades. Il porte partout son cachet de piété et de régularité, et c'est ce cachet qu'il faut imprimer profondément dans votre àme. Quel beau spectacle que celui d'un séminaire où tous les élèves rivaliseraient de ferveur et de sainteté !
— Ne regardez rien comme peu important ni en bien, ni en mal : le plus petit bien, si on l'opère en tout et toujours, conduit rapidement à la plus haute perfection ; le plus petit mal, si on le com- met habituellement et sans scrupule, conduit à la longue et souvent très-promptement à des désor- dres épouvantables. Yoilà l'écueil des bons sémina- ristes ; ils comptent pour rien ce qui, en soi, n'est pas considérable, et ils ne voient pas que ce qu'ils traitent de bagatelle est excessivement important par ses conséquences.
— Faites votre société habituelle des sémina- ristes les plus fervents. Sachant qu'ils ne goûtent et n'estiment que la piété, vous serez comme forcé de vous entretenir avec eux de choses édifiantes, et leur simple contact contribuera très-efficacement à votre réforme.
— Au début de chaque jour, dites-vous à vous- même : Je veux être un saint aujourd'hui ; puis, en commençant chaque action, rappelez-vous votre détermination du matin et adressez-vous cette question : Si un saint était à ma place, comment agirait-il? Lieu répondra lui-même à cette ques- tion dans le fond de votre àme ; écoutez sa ré- ponse, conformez-y votre conduite et vous forez des progrès ^'-hjunants.
— 69 —
— Habituez-vous à faire très-fréquemment de petits sacrifices ; cela vous donnera une force in- croyable. C'est la làcbeté seule qui vous retient dans le bas étage de la perfection, et rien ne dé- truit cette lâcheté comme Thabitude des sacrifices : Tcmtiim proficÀes, dit l'Imitation, quantum tibiipsi vim intuleris. Un mot inutile supprimé, une bonne inspiration accueillie, une direction d'intention bien faite, une élévation de cœur pendant son travail, un acte de mortification dans ses repas et mille autres choses de cette nature, qui sont fort peu pénibles, développent singulièrement la piété et font passer en peu de temps d'une vie commame à une vie fervente,
— Ayez toujours devant les yeux les fruits abondants que vous produirez dans le saint minis- tère si vous êtes un saint prêtre. Cela vous por- tera tout naturellement à devenir un fervent sémi- nariste, puisque celui qui n'a au séminaire qu'une vertu médiocre ne sera jamais un saint prêtre. Quelle pensée plus électrisante que celle-ci : Je sauverai, si je suis un saint prêtre, des âmes qui se damneront si je ne suis qu'un prêtre ordinaire !
— Pour exécuter plus sûrement vos pieux des- seins, révélez-les en confession et en direction. N'imitez pas ceux qui, en ces circonstances, croient que tout est bien quand ils ont déclaré leurs fautes. Allez plus loin, vous ; dites positivement à votre directeur que vous voulez être un saint et que vous désirez vivement qu'il vous aide à le devenir. Que les directeurs des séminaires seraient heu- reux si tous leurs pénitents leur tenaient ce lan- gage, et quel zèle ils auraient pour leur sanctifi-
— 70 —
cation ! Mais parmi ceux qiie nous appelons bo7is séminaristes il y en a peu qui agissent ainsi-; c'est que malheureusement il y en a peu qui veuillent sincèrement prendre place dans la classe des fer- vents ; presque tous se trouvent bien au degré où ils sont et ne visent qu'à s'y maintenir. Ne gros- sissez pas le nombre de ces lâches, jeune et ten- dre ami : Dieu vous convie certainement à ime sainteté suréminente ; répondez à son appel et soyez un séminariste parfait pour être plus tard un saint prêtre.
CHAPITRE lY
Le fervent séminariste.
Ordinairement, avant d'entrer au séminaire, le séminariste fervent était déjà fervent. Dans le monde,, dans sa famille, dans Jc petit séminaire, il édifiait par sa haute piété qui ne frC démentait jamais, et qui chaque jour, au contraire, se forti- fiait au lieu de s'affaiblir : le titre de saint lui était généralement décerné.
L'origine de sa piété remonte souvent jusqu'à sa première enfance. Une mère solidement chré- tienne cultiva soigneusement son âme, et d'heu- reuses dispositions à la piété favorisèrent cette culture .
Imitateur des saints, les frivolités du jeune âge eurent pour lui peu d'attrait ; il se prétait au jeu plutôt par complaisance que par inclination, et
— 71 —
quand il pouvait suivre son goût, il se plongeait dans les livres ou allait au pied de l'autel épancher son cœur dans le cœur de Jésus, et édifier les âmes saintes qui ne se lassaient point d'admirer sa fer- veur. C'était un autre Jean, l'apôtre vierge et le disciple bien-aimé du Sauveur.
Quelquefois cependant la haute piété du fervent séminariste ne date pas de si loin. Des orages ont précédé la sérénité de sa vertu. Yictime des mau- vaises compagnies, triste jouet d'une imagination bouillante, il a fait des écarts, et de fougueuses passions l'ont entraîné dans plus d'un précipice. Ces précipices, il s'en est arraché. Depuis long- temps il a reconnu sa misère ; il l'a déplorée dans l'amertume de son cœur, et une éclatante conver- sion qui a frappé tout le monde, l'a rattaché à Dieu par des liens indissolubles. C'est Pierre après sa chute regagnant par la ferveur de son repentir les bonnes grâces de son divin Maître.
Mais n'y a-t-il de séminaristes fervents que ceux dont nous venons de parler? Une vertu, incom- plète dans le monde, ne devient-elle pas quelque- fois une vertu fervente au séminaire? Communé- ment, ce n'est pas peut-être ce qui a lieu ; mais pourtant cela n'est pas assurément sans exemple. Oui, l'on en voit qui n'étaient que bons dans le monde, et qui, dans le séminaire, deviennent ex- cellents. Quand cela arrive, hàtons-nous de le dire, c'est presque toujours dès le début qu'on s'en aperçoit. jXous doutons fort que les plus anciens directeurs aient vu souvent cette heureuse trans- formation s'opérer dans la seconde ou la troisième année du séminaire. Nous le répétons, c'est au
dpl)iit que oela se remarque. Déjà i3ien disposé, quoique n'ayant qu'une vertu ordinaire, un nou- veau séminariste se sent parfois subitement frappé de la grâce et se livre à des réflexions sérieuses qu'il n'avait jamais faites. Le monde qui l'étour- dissait, des amis folâtres qui le dissipaient, de vains plaisirs qui attiédissaient son àme ; tout cela le retenait dans l'étage inférieur d'une vertu mé- diocre. Mais quand la majesté imposante du sémi- naire Ta saisi; quand la solitude, faisant le vide dans son àme, la placé sous le regard de Dieu ; quand il a entendu la parole grave et pénétrante de ses vénérables supérieurs ; quand il a fait con- naissance avec de pieux condisciples , modèles achevés de vertus sans tache ; quand il a subi l'heureux joug d'un règlement salutaire, et que la chaîne des exercices spirituels l'a enlacé ; alors une vive lumière s'est faite autour de lui. il a vu les vérités éternelles sous un jour tout nouveau, et le sacerdoce lui apparaissant dans un avenir prochain avec son effrayante sublimité, il s'est dit à lui- même : Lucas m quo stas, terra sancta est : puis-je être trop parfait pour devenir le ministre de Dieu et le dispensateur des mystères de Jésus-Christ ? Xon certes ; jamais au contraire je ne serai aussi saint que je le. dois être ; voguons donc à pleines
voiles vers la perfection Et il a quitté la nacelle
des bons pour prendre place dans celle des parfaits.
Telles sont les dispositions préliminaires de ceux que nous appelons fervents sémmaristes. Voyons maintenant le détail de leur conduite.
Nous ne parlerons point de la vocation de ces pieux élèves ni des mille moyens qu'ils emploient
— 73 —
pour s'assurer qu'elle est ce qu'elle doit être. Si, comme nous l'avons vu, le bon séminariste se met en règle sur ce point si important, que ne doit pas faire celui qui puise ses lumières et ses inspira- tions dans une pieté beaucoup plus avancée ? SU aborde le séminaire, c'est parce qu'il a la certi- tude morale que Dieu l'y appelle.
Le fervent séminariste aime le séminaire avec une sainte passion. Rien ne lui manque dans ce lieu de délices : de bons supérieurs, de pieux condis- ciples, l'éloignement du monde, la vie de retraite, la règle, le genre d'occupation, le mélange si bien combiné de l'étude et des exercices spirituels : tout est selon ses goûts, et jamais il n'a joui sur la terre d'une paix semblable à celle que Dieu lui procure.
Souvent son cœur déborde, et de douces larmes, furtivement répandues, trahissent l'inefTable bon- heur dont son àme est inondée. C'est à lui que s'ap- pliquent ces belles paroles de l'Imitation : Ibi (in silentio et quiète) hwenit ftuenta lacrymarum qui- bus singulis iioctibus se lavet et mundet, ut Condi- tori suo tanto familiarior fuit, quanto longiùs ab omni seculari tumultu degit.
Nous avons connu un jeune homme qui entra au séminaire sans se laisser arrêter par la considéra- tion du brillant avenir que le monde lui promettait. Le jour de son entrée il était très-soufTrant, et cependant dès qu'il eut mis le pied dans son hum- ble cellule, si dilTérente de sa chambre du monde, il ouvre sa fenêtre, tombe à genoux, regarde le ciel avec transport et s'écrie dans la ferveur de son enthousiasme : « 0 mon Dieu ! me voici donc enfin II. 5
— 74 —
» dans le séminaire!... Que je suis heureux, Sei- » gneur, que je suis heureux ! Soyez béni, mon » Dieu, soyez éternellement béni !... » Et des ruis- seaux de larmes s'échappaient de ses yeux.
A la différence des mauvais, des tièdes et même des bons séminaristes, celui qui est fervent re- grette chaque jour qu'il voit s'écouler, parce qu'il voudrait que l'heureux temps de son séminaire ne s'abrégeât jamais. Ce n'est pas lui qui, comme quelques-uns de ses condisciples, semblables en cela aux écoliers paresseux des collèges, compte avec impatience les jours de saint esclavage qui le séparent des joui^s de liberté.
A la différence encore de ceux qui ne sont pas fervents comme lui, chaque nouvelle année de sé- minaire, au lieu de l'incliner vers le relâchement, r enrichit au contraire d'un accroissement de fer- veur et de sainteté.
L'esprit de Dieu le dirige dans toutes ses voies : Spiritu Dei agitur. On a beau l'observer de près, toujours on le voit en règle^ toujours il se conduit de manière à faire dire à chacun de ses condis- ciples : Voilà mon type, voilà mon modèle I
Les plus petits points de la règle ont à ses yeux une autorité souveraine à laquelle il se soumet avec la plus inviolable fidélité. Jamais un mot ne lui échappe quand le silence est prescrit, et nous ne craignons pas d'exagérer en disant qu'il mour- rait martyr de F obéissance, s'il était forcé de choi- sir entre la mort et la violation pleinement volon- taire de son règlement.
C'est lui qui, pour obéir à ce règlement, laisse une lettre à moitié formée et se met en marche au
— 75 —
premier coup de cloche. Les anges ne sont pas plus prompts qu'il ne l'est lui-même pour exécuter la volonté de Dieu dès qu'elle lui est connue.
Il prie quand il doit prier, il travaille quand il doit travailler, il se récrée quand il doit se récréer, et comme Samuel à Héli, à chaque instant il peut dire à Dieu : Ecce ego^ quia vocasti me.
Si dans les plus petites choses il est si fidèle, faut-il s'étonner qu'il le soit en des points d'une plus haute importance? Sa conscience est d'une délicatesse quelquefois excessive ; l'ombre d'une faute lui semble une faute réelle dont il ne manque jamais de se punir. L'apparence d'un défaut prend à ses yeux les proportions d'un vice, et pour s'en corriger il met incessamment en œuvre la morti- fication, la vigilance et la prière.
La parole de ses supérieurs a pour lui quelque chose de sacré. Il n'est aucune de leurs prescrip- tions qu'il n'observe, aucun de leurs conseils qu'il ne suive. Dieu lui-même, se rendant visible et dic- tant ses volontés à ce pieux élève, ne serait pas plus ponctuellement obéi que ne l'est le supérieur qui le remplace.
A l'église, chacun se sent frappé de sa bonne tenue : pas un mot inutile, pas un léger sourire, pas un regard indiscret, pas un geste qui blesse la plus exacte réserve ; droit sans roideur, recueilli sans affectation, sérieux et grave sans austérité ni contrainte, pieux enfin de cette piété de bon aloi qui ne rebute personne et édifie tout le monde, il prêche éloquemment par sa simple attitude sans avoir seulement la pensée du bon exemple qu'il donne. Nous nous sommes souvent demandé com-
— 76 —
ment plusieurs séminaristes moins parfaits que celui-ci, et auxquels on ne pouvait faire aucun reproche sur les points que nous venons de tou- cher, ne produisaient pas cependant cette impres- sion de sainteté qu'on éprouve à Faspect du sémi- nariste fervent, (l'est un des secrets de la haute piété ; elle a son mystérieux cachet, son influence sympathique qui saisit sans qu'on puisse expliquer comment elle saisit. Et puis tout se soutient, tout se coordonne dans la conduite du séminariste qui vit saintement ; quand on le voit en tout, partout et toujours dans la ligne du devoir, dans l'habitude du recueillement, de la modestie et de la piété, il n'a qu'à se montrer pour qu'on dise aussitôt : Yoilà notre ange visible, voilà le saint du séminaire !
Bans sa cellule, s'il nous était donné d'y pénétrer ou seulement de l'observer sans qu'il s'en aperçût, nous le verrions pénétré du sentiment de la pré- sence de Dieu, recueilli comme à l'église, sancti- fiant son travail par une fervente prière, baisant amoureusement son crucifix, s'unissant à Jésus et à Marie par de fréquentes aspirations, et de temps en temps la discipline à la main, châtiant sévère- ment une chair innocente. Qui saura jamais les actes de vertu qui se pratiquent journellement dans la cellule du fervent séminariste !
Au réfectoire, on le voit encore tel qu'il est tou- jours, modeste, recueilli, pieux et mortifié. L'at- tention soutenue qu'il prête à la lecture émousse ses appétits sensuels, et s'il pense à la nourriture qu'il prend, c'est pour observer le saint usage qu'il a adopté de s'imposer à chaque repas, sans que personne le sache, quelque légère privation.
— 77 —
Pendant les récréations et les promenades, on admire peut-être plus encore que partout ailleurs l'ensemble de vertus dont la pratique lui est fami- lière : douceur, complaisance, charité, simplicité, humilité, aménité dans le ton et les manières, piété dans les entretiens, enjouement candide et toujours contenu par une gravité sans sécheresse : tels sont les beaux traits qui le distinguent.
Que dirons-nous de ses vacances? Ce serait au monde à nous raconter les sujets d'édification qu'il lui donne. Quand il a fait dans sa famille et chez les personnes de sa connaissance les visites que la nécessité ou les convenances lui prescrivent, il se crée une espèce de solitude au fond de laquelle il se plonge avec délices, pour se livrer modéré- ment aux exercices do l'étude et de la piété. Quel- ques saints prêtres qu'il prend pour mentors for- ment sa compagnie, et, sans le savoir, il excite leur envie par son angélique ferveur. Qui nous dira les heureuses impressions que produit sur les séculiers mêmes le spectacle de ses vertus î Un jour, une grande pécheresse, plongée depuis plu- sieurs années dans un abhne d'iniquités, se con- vertit en voyant tous les jours à la même heure un séminariste au pied du tabernacle, dans l'atti- tude d'un saint : c'est lui, dit-elle, c'est lui, ô mon Dieu, qui sera le confident de mes misères. Et, en effet, dès qu'il fut prêtre, elle l'alla trouver et il eut le bonheur de la purifier de ses souillures. C'est elle-même qui raconta ce fait si édifiant aune personne qui avait sa confiance.
Yous nous faites-là, dira-t-on peut-être, un ta- bleau imaginaire et chimérique : c'est de l'idéal et
— 78 —
non du réel que vous nous proposez. Regardez autour de vous, élèves bien-aimés qui nous faites ce reproche , et très-certainement vous verrez quelques fervents condisciples semblables à celui dont nous venons d'esquisser le portrait. Ils sont rares sans doute, mais à coup sûr ils existent. Oui, nous sommes certain qu'il n'y a pas un seul sé- minaire en France et hors de France où il ne se trouve des séminaristes de cette trempe. Dieu veut qu'il en soit ainsi ; ce sont de parfaits modèles qu'il propose aux lâches pour rn'ils les imitent. Ah ! jeune et tendre ami, si vous l'écoutiez, ce Dieu d'amour, il vous dirait assurément ce qu'il disait autrefois à Satan de son serviteur Job :
Niunquid consiclerasti ssrmim mswn Job vir
simplex, et rectus, ac timens Deum et recedens à malo, et adhuc retinens iimocentiam?
Mais enfm, répliquez-vous, chez ce pieux sémi- nariste l'humanité a-t-elie donc disparu? Dieu, qui voit des taches jusque dans ses anges, n'en voit-il aucune chez le saint élève dont vous venez de tracer le tableau? Loin de nous de le dire ni même de le penser. La perfection ne se trouve qu'en Dieu seul, partout ailleurs il y a des ombres ; et celles qui recouvrent la vertu du fervent séminariste nous ne craindrons pas de les produire. Elles sont légères, il est vrai, mais elles sont réelles, et les signaler est pour nous un devoir ; ce sera d'ail- leurs pour lui-même une leçon salutaire dont il s'empressera de profiter.
Le fervent séminariste accorde quelquefois un peu trop à l'imagination. 11 a des qualités excel- lentes, cela est incontestable ; mais quelquefois le
— 79 —
bien qu'il fait, il le fait par enthousiasme et par élan plutôt qu'avec le calme de la raison et la sa- gesse du discernement. Quand son ardeur se ralen- tit, il croit tout perdu, et tombe de-> hiutours de la perfection dans les langueurs du découragement.
Tant que durent ses fervents accès, rien ne lui coûte : encombrement de pratiques pieuses, ap- plication forcée à se maintenir en la présence de Dieu, privation immodérée de la nourriture et du sommeil, taciturnité exagérée, vœux imprudents, pénitences corporelles sans l'agrément du direc- teur : voilà des taches que son fonds de bonne intention lui dérobe. C'est l'excès du bien, nous en convenons ; mais l'excès du bien est un défaut que la vraie vertu ne saurait approuver : Oportet saper c, dit saint Paul, sed saper e ad sobrictatem.
La singularité est encore assez souvent la ma- tière d'un reproche qu'on peut lui faire. Chez lui, cette singularité n'est pas orgueil, mais elle est bizarrerie, originalité, petitesse d'esprit et quel- quefois défaut d'éducation. Or si tout cela n'est pas vice, ce n'est pas vertu ; ce n'est pas surtout cette vertu franche, polie, gracieuse et attrayante qui plaît toujours et ne choque jamais.
Trop souvent aussi il affiche uiie austérité de mœurs et de manières qui rebute au lieu d'attirer. Uni à Dieu par une piété sincère, il croit rompre cette union s'il se déride. Au lieu de se faire tout à tous comme saint Paul ou comme saint François- Xavier qui, pour convertir de vieux matelots en- durcis, prenait leur jeu quand ils étaient appelés pour la manœuvre, il se tient, lui, toujours retran- ché dans la sphère d'une perfection mal comprise,
— 80 —
et ne sait point abaisser son vol pour gagner les cœurs par une aimable condescendance.
Sons l'influence du même principe, il commet encore des imprudences dans la société des laï- ques. La moindre tolérance lui semble un crime. Dès qu'un mal quelconque se produit, il croit avoir mission pour le détruire ; il l'attaque donc avec vigueur, et, au lieu de laisser passer ce qu il va censurer en vain, il excite par son ardeur pour le bien l'ardeur que les autres ont pour le mal, et s'attire en outre des railleries piquantes qui rejail- lissent sur la vertu dont il se fait l'apôtre.
L'entêtement est encore quelquefois une de ses petites misères. 11 soutient une bonne cause ou du moins qu'il croit telle, cela est vrai ; mais précisé- ment parce qu'elle lui semble bonne, il la défend à outrance, et la chaleur de son soutien endurcit les esprits au lieu de les convaincre.
C'est encore lui qui se montre trop exclusif dans le choix de ses compagnies. Des condisciples qui auraient besoin de se réchauffer au foyer de sa piété dans les récréations et les promenades, crai- gnent de l'aborder parce qu'il laisse trop voir que la société des fervents est la seule qui lui plaise.
Son caractère n'est pas toujours non plus abso- lument irréprochable. La prévention, ce vice de r homme de bien, comme l'appelle Montesquieu, l'aveugle quelquefois à son insu ; la vivacité, quand il subit un choc, agite un peu son àme et se produit même par de légères saillies ; une certaine lenteur dans r exécution des choses qui ne lui sourient pas, contraste avec l'activité qu'il déploie quand il fait ce qui est de son goût ; une ombre de sus-
— 81 —
ccpiibilité lui rappelle en quelques circonstances que le germe de l'orgueil n'est pas encore détruit ; un air de tristesse et de mélancolie altère de temps en temps son aimable sérénité, et ainsi du reste. C'est peu de chose, mais c'est pourtant quelque chose ; le vieil homme n'a pas tout à fait cessé de vivre, et de nouvelles victoires sont réservées à de nouveaux combats.
Son zèle se ressent parfois aussi des imperfec- tions de son caractère. L'indignation contre le péché absorbe chez lui l'indulgence et la compas- sion pour les pécheurs; des entreprises aventu- reuses et au delà de ses forces révèlent son peu de prudence et de maturité ; certaines démarches sca- breuses et peu mesurées, qui lui attirent des cri- tiques et des blâmes, lui font sentir qu'il dépasse les bornes de la discrétion ; le défaut de persévé- rance enfin, à la rencontre des obstacles, atteste son peu de fermeté et de confiance en Dieu.
C'est encore dans les peines, dans les tentations, dans les maladies que le fervent séminariste s'a- perçoit qu'il est homme. La faiblesse le gagne dans ces rudes épreuves ; l'abattement prend la place de la sainte espérance, et si la résignation finit par prévaloir, elle ne vient qu'après l'expres- sion de la plainte et de l'anxiété.
Une chute aussi, souvent fort peu grave, ébranle son courage et trouble la paix de son intérieur. Profondément affligé de ne pas se voir encore im- peccable, au lieu de dire comme David : Bonum mihi, Domine, quia humiliasti me, il s'empare des paroles de Caïn qui ne lui conviennent en aucune façon et s'écrie comme lui : Major est iiiiquitas n. 5.
— 82 —
mea, quam ut veniam merear ; il devrait profiter de sa faute pour s"humilier, veiller et prier, et le découragement est le mauvais fruit qu'il en tire.
Le scrupule enfin, cette infirmité des bonnes âmes, qui bouleverse la conscience, refroidit la ferveur, rend impropre au travail, altère la santé, attaque la raison même en faussant le jugement, et met au supplice les pénitents et les confesseurs, le scrupule est souvent la grande faiblesse du fer- vent séminariste. Attaché servilement à sa volonté propre par un orgueil secret qu'il ne veut pas re- connaître, il érige en vertu son opiniâtreté, per- suadé qu'elle part d'un fonds de crainte de Dieu, et ref r.-j d'obéir, quoique F obéissance soit le seul remède à la maladie spirituelle dont il est atteint.
On doit voir maintenant si nous avons flatté le séminariste fervent dans le tableau que nous en avons fait ; mais on doit voir aussi combien sont légères les ombres qui le rembrunissent. Donnons cependant quelques avis à cet élève si intéressant et initions-le aux secrets de son avenir.
Quand yous serez prêtre et que vous quitterez le séminaire, il arrivera de deux choses l'une : ou vous continuerez de marcher dans les voies de la ferveur et de la perfection, ou vous sortirez de ces voies pour entrer dans celle du relâchement. Dé- roulons votre avenir dans ces deux hypothèses.
Si votre ferveur se soutient, si même elle prend encore de nouveaux accroissements , bénissez Dieu d'avance des fruits étonnants dont il couron- nera votre divin ministère. Yoiis serez un saint prêtre, et qui dit saint prêtre, dit Thomme de Dieu,
— 83 —
l'homme de sa droite, l'homme selon son cœur, le sel de la terre, la lumière du monde, le miroir de toutes les vertus, la gloire de lEglise, le père des pauvres, le consolateur des affligés, le fervent apôtre en un mot, donné en spectacle au ciel et à la terre. Tout s'incline devant un saint prêtre; il réduit au silence Fimpiété elle-même, et fait jaillir jusque de la fange du libertin l'admiration et réloge.
Oui, vous serez tout cela si votre ferveur se sou- tient et se développe, et voici quels seront les heureux effets de cette ferveur.
Vous entrerez dans le monde av(*c un saint trem- blement à la vue de votre faiblesse, mais avec une pleine confiance en Dieu, qui est tout spécialement le protecteur du saint prêtre.
Yous serez muni d'un règlement de vie comme d'une cuirasse impénétrable. Ce règlement, vous l'aurez élaboré devant Dieu dans votre solitude de concert avec votre directeur, qui vous aura fait promettre de l'exécuter avec fidélité en dépit de tous les obstacles.
Habitué à respecter, à pratiquer et à chérir la règle du séminaire, vous vous attacherez plus for- tement encore à votre règlement de prêtre, con- vaincu qu'il vous sera incomparablement plus nécessaire dans le monde que celui du séminaire ne l'était dans la retraite.
La tentation d'y faire la moindre brèche sans une raison vraiment légitime, sera repoussée avec vigueur comme une suggestion infernale qui, si elle était accueillie, serait le premier principi*, de votre décadence : jamais , sans motif grave, je nen-
— 84 —
freindrai mon règlement ; telle sera votre invaria- ble devise.
Vous attendrez paisiblement le signal de la vo- lonté de Dieu par l'organe de vos supérieurs, et quel que soit le poste qu'ils vous confient, vous l'accepterez sans mot dire avec une humble sou- mission. Cette disposition d'obéissance aveugle ne se démentira jamais: ce ne sera pas vous qu'on verra déranger les desseins de la Providence par les subterfuges et les pitoyables combinaisons de votre volonté propre.
Installé dans votre emploi, vous exécuterez dès le premier jour le plan de perfection que vous vous serez tracé. Vicaire d'abord, selon la voie com- mune, vous vous direz énergiquement à vous- même : Je ne ferai un bien complet dans mon mi- nistère que si je suis en parfaite harmonie avec mon curé. De ce principe fondamental résultera l'accomplissement de vos principaux devoirs.
Loin de considérer votre curé comme un maître incommode, vou3 îie verrez en lui qu'un bon père et un conseiller fidèle. Soyez sur qu'il sera l'un et l'autre si vous êtes vous-même un excellent vi- caire. Vous étudierez avec soin son caractère, ses goûts, ses usages, ses doctrines, avant de vous produire sous tous ces rapports, dissimulant vos inclinations propres si elles étaient opposées aux siennes afin d'éviter les moindres froissements.
Le vicariat ne sera pas à vos yeux un pénible esclavage, vous l'envisagerez plutôt comme un noviciat très-utile pendant lequel vous puiserez dans l'expérience de votre bon curé les moyens d'être plus tard un bon curé vous-même.
— 8o —
Jamais vous ne direz un mot ni ne ferez une
démarche qui puisse déplaire au premier pasteur
de la paroisse, prenant toujours sa défense avec
un saint zèle, et désarmant ses ennemis, s'il en a,
par toutes les industries de votre charité.
Respect, confiance, attachement, douceur et com- plaisance : telles seront les vertus par lesquelles vous vous appliquerez à gagner son estime et son affection.
Le monde, ses compagnies et ses jeux vous in- spireront de la répugnance. Vous les fuirez au lieu de courir après eux ; vous vous ferez désirer au lieu de vous imposer, et vous ne sortirez de votre retraite habituelle que quand vous pourrez vous dire devant Dieu que sa plus grande gloire et le salut des âmes vous en font un devoir.
Les festins, du moins habituellement parlant, vous seront à charge ; votre ferveur y sera mal à Taise, et comme, après ces festins, vous la sen- tirez toujours plus ou moins refroidie, vous les éviterez autant que vous le pourrez, et quand vous serez forcé d'y paraître, vous ferez voir que si vous vous y prêtez par convenance, vous ne les recher- chez pas avec empressement et bonheur.
Tous les paroissiens, sans distinction, seront pour vous des brebis chéries que vous essayerez de gagner à Dieu par votre inaltérable douceur et votre angéliquepiéîé. Tous les aimerez pour qu'ils vous aiment, vous les édifierez pour qu'ils vous imitent.
Les affligés von s verront accourir au fort de leurs disgrâces ; vous leur porterez de saintes paroles pour les fortifier, des témoignages de com-
— 86 —
passion pour les soulager, de manière à les forcer de voir en vous un ange consolateur, charitable et dévoué.
Les pauvres seront vos enfants d'adoption ; ils souriront de bonheur en vous voyant entrer dans leur sombre asile ; vous vous imposerez des pri- vations pour les assister dans leur détresse ; leur pauvreté corporelle ne vous fera pas oublier le trisie état de leur <*onscieuce_, et ils devront à votre charité le soulagement de leur misère et le salut éternel de leurs âmes.
Les malades, vos malades surtout, seront l'objet des soins les plus actifs de votre zèle. Jamvais une plainte, jamais un murmure à l'occasion des vi- sites que vous devrez leur faire ; toujours au con- traire, toujours des témoignages d'empressement à vous rendre auprès d'eux au premier signal, pour les consoler dans leurs souffrances et les dis- poser au terrible passage du temps à l'éternité.
Quant à vos pénitents, que seront-ils pour vous autre chose qu'une famille de pauvres prodigues qui ne vous décerneront pas sans raison le doux titre de père? Sans briguer jamais leur confiance par d'indi- gnes manœuvres, vous recevrez ceux que la Provi- dence vous enverra, et, sans préférence pour un seul, vous les accueillerez tous avec un zèle égal, vous appliquant sans relâche à les porter à Dieu par vos paternels avis et votre charité compatissante.
Pour accomplir ces œuvres excellentes, vous vous convaincrez chaque jour davantage de la né- cessité d'être un saint, et pour être un saint, vous vous maintiendrez, comme au séminaire, homme de retraite, de prière et d'étude.
L'oraison sera plutôt prolongée qu'abrégée ; la sainte messe, célébrée comme les saints la célè- brent, sera toujours précédée d'une préparation spéciale et d'une longue action de grâce ; Foffice divin sera dit en son temps et avec les dispositions qu'il exige ; l'examen particulier sera inviolable- ment pratiqué tous les jours, le chapelet récité, la lecture spirituelle régulièrement faite, et la vi- site au saint sacrement, initiation délicieuse aux voluptés célestes, sera la fournaise d'amour où viendra chaque soir se retremper votre ferveur.
Enfin le jour de retraite mensuelle et la grande retraite annuelle renouvelleront et consolideront votre piété. C'est là que vous vous rappellerez les jours heureux de votre séminaire, et que vous bénirez Dieu dans la douce effusion de votre àme de vous être maintenu dans la fidélité que vous lui aviez jurée.
Devenu curé, rien n'interrompra vos pieux usa- ges et vos saints exercices ; vous les pratiquerez même avec un redoublement d'ardeur, par cette pensée que, croissant en dignité, vous devez croître aussi en ferveur et en perfection.
Oui, jeune ami, telle sera votre vie sacerdotale si vous continuez de marcher dans les saintes voies que vous parcouriez avec tant de bonheur au séminaire. Ah ! qu'elle sera sainte cette vie, qu'elle sera sanctifiante pour les peuples, qu'elle sera digne d'être couronnée, comme elle le sera en effet, par une mort précieuse aux yeux du Sei- gneur î Pretiosa in conspectu Domini, mors sanc- toriun cjus.
Mais si malheureusement vous venez à déchoir,
— 88 —
que verrons-nous , et comment arrivera ce que nous verrons ?
Si votre piété était solide au séminaire, si votre ferveur était vive et bien réglée, on peut dire, en général, que si vous finissez par vous relâcher quand vous serez prêtre, votre relâchement ne se déclarera point avant un temps notable. Nous di- sons en général; car, il faut bien l'avouer, quelque- fois un excellent séminariste ne tarde pas à tomber au degré des bons prêtres ordinaires et même plus bas encore. Quoi qu'il en soit, voici, selon l'ex- périence, comment votre ferveur âe ralentira.
La vigilance exacte que vous exerciez dans la dihide sur vous-même, sur vos sens et sur toutes vos actions était assurément la gardienne de votre piété. Sa pratique n'était pas difficile, car tout vous rappelait k Dieu au séminaire, et le monde ne venait point vous troubler dans votre aimable retraite. Mais quand vous la quitterez, cette re- traite, vous vous trouverez jeté dans un certain extérieur qui vous dérobera plus ou moins la pré- sence de Dieu et vous empêchera de veiller aussi exactement sur vous-même que vous le faisiez au passé.
Le saint ministère, si excellent qu'il soit, vous absorbera tellement que, tout occupé des autres, vous vous oublierez un peu vous-même.
Sans doute les exercices de piété, que vous pra- tiquerez avec fidélité, vous replaceront sous l'œil de Dieu et vous préserveront de chutes tant soit peu graves; mais ces exercices spirituels eux-mêmes laisseront bientôt quelque chose à désirer.
La méditatioii, par exemple, sera quelquefois
— 89 —
abrégée par im motif que vous croirez légitime, mais qui ne semblerait pas tel à celui qui aurait conservé toute sa première ferveur.
L'examen particulier, qui est toujours la pre- mière pratique que le démon s'efforce de faire abandonner, se réduira, quelquefois du moins, à un simple coup d'œil vague et superficiel dont on ne verra pas de fruits bien marqués.
Il en sera ainsi de tous les autres exercices ; vous les ferez encore, généralement parlant, mais vous les ferez, moins bien, et même, de temps en temps, vous en omettrez quelques-uns sans raison suffisante.
Prenez bien garde, jeune ami ; sans vous en douter peut-être, nous voici arrivés au commen- cement de la mauvaise pente. Oui, quand vous verrez que vos exercices de piété se feront un peu froidement, négligemment et sans beaucoup d'at- trait ; quand leur omission, faiblement motivée, ne vous affectera plus comme elle Feùt fait dans vos bons jours, vous pourrez dire à coup sur qu'il y aura chez vous diminution de ferveur et prin- cipe de relâchement.
Laissez-nous vous signaler surtout un exercice que vous pourrez regarder comme le thermomètre de votre ferveur : c'est la visite du très-saint sa- crement. Un bon prêtre ordinaire peut, sans sortir de sa classe de bon prêtre, n'être pas parfaitement exact dans raccomplissement de cette sainte pra- tique ; mais un saint prêtre, un prêtre fervent ne s'en dispense jamais sans une raison grave, et ce lui serait une grande peine de l'omettre, comme ce lui est une grande consolation de s'en acquitter.
— 90 —
Quand donc vous remarquerez que vous n'êtes plus attiré comme autrefois au pied du tabernacle, que vous sentez même une sorte de répugnance à vous y rendre, et que vous vous en dispensez sans motif légitime, tenez pour certain que le re- lâchement commence à gagner votre âme et que cette infidélité sera suivie de bien d'autres.
Oui, si, relativement aux pratiques de piété, vous en venez aux points que nous avons signalés, vous verrez certainement dans le reste de votre conduite un germe de tiédeur, qui sera comme le pendant de celui qu'offriront vos exercices spiri- tuels. Jamais, jamais les choses ne se passent au- trement. — Fidélité constante à faire et à bien faire les exercices de piété : fidélité pareille dans le reste de la conduite. — Négligence plus ou moins pro- noncée dans la pratique des exercices spirituels : négligence pareille dans le reste de la conduite. — Désordre complet àFégard des exercices spirituels : désordre pareil dans le reste do la conduite. Si l'on conteste ces observations de mœurs, il ne faut tenir aucun compte des attestations do l'expé- rience. Le mauvais prêtre renonce absolument à tout ce qui s ci\)]}ç\\Q pratiques pieuses. — Le prêtre tiède et relâché en fait encore de temps en temps quelques-unes, mais il les fait très-mal. — Le bon prêtre en fait un plus grand nombre et s'en ac- quitte assez bien. — Le sahit prêtre seul fait con- stamment toutes celles qu'il s'est imposées au début de son sacerdoce, et les fait avec une fer- veur toujours croissante. Yoilà- ce que sont ces divers prêtres relativement aux exercices spiri- tuels : qu'on examine le reste de leur conduite, et
__ 1 ^
l'on verra s'ils ne sont pas plus ou moins réguliers selon qu'ils sont plus ou moins fidèles à s'acquitter de leurs pratiques pieuses.
Oui donc, jeune ami, vous vous relâcherez in- failliblement sur bien des points si vous vous relâ- chez sur celui des exercices de piété ; vous ne sau- riez trop "insister sur la méditation de cette vérité capitale.
Ainsi, par exemple, vous commettrez des fautes, légères d'abord, un peu plus graves ensuite, que jamais vous n'eussiez voulu vous permettre aux jours où votre ferveur était en plein règne.
Vous n'aurez plus pour votre curé le même atta- chement, la même complaisance, le même fonds d'estime, de respect et de dévouement. La ferveur vous donnait tout cela quand elle était vive ; en se refroidissant, elle vous retirera une partie de ses faveurs.
La solitude, qui faisait vos délices, commencera à vous assombrir, et au lieu de vous y plonger avec bonheur comme au passé, vous sentirez presque le besoin d'en sortir pour vous répandre. C'est une chose bien remarquable que le goût qu'on a pour la retraite quand on est parfaitement fidèle à ses exercices de piété, et l'altération de ce goût quand cette fidélité vient à se ralentir.
Vous plaisant moins dans votre chambre et un peu plus dans le monde, il va sans dire que votre attrait pour l'étude perdra quelque chose de son intensité. Quand les pratiques pieuses se font avec une régu- larité parfaite, on aime l'étude autant que la prière, et ces deux choses entretiennent la piété et lui don- nent même chaque jour une nouvelle ardeur.
— 92 —
Vous aimerez encore la société des saints prê- tres; mais comme il est dans la nature de fré- quenter ses semblables, vous chercherez peut-être la compagnie de quelque confrère qui inclinera comme vous vers la vie commune.
Vous remplirez sans doute les grands devoirs de votre emploi ; mais la ferveur cessant de vous sou- tenir, ils commenceront à vous peser. Vous ne vole- rez plus avec un saint empressement au tribunal de la pénitence, au lit des malades, dans la maison des pauvres, comme quand une tendre piété vous y portait sur ses ailes ; tout cela se fera, il est vrai, mais tout cela se fera avec un peu de contrainte et même avec un certain fonds de répugnance.
Yos confessions personnelles deviendront plus rares ; signe certain de refroidissement : elles ne vous ramèneront point à votre primitive ferveur ; signe infaillible d'un commencement de routine.
Arrivé à ce point, y fixerez-vous du moins votre tente ? Non : si vous ne retournez pas à votre première régularité, vous ferez des progrès dans la voie du relâchement. N'ayez pas à cet égard le plus léger doute. Or, faite s -y attention, pour re- tourner à votre ancien état, vous aurez déjà des efforts à faire ; pour progresser, au contraire, dans la voie du relâchement, vous n'aurez qu'à glisser sur la pente rapide où vous aurez mis le pied ; il est donc bien probable que vous prendrez ce dernier parti, et si vous le prenez, bientôt, croyez-nous, bientôt vous vous trouverez dans la voie des bons prêtres de l'ordre commun, dans laquelle vous vous étiez mille fois promis de ne iamais descendre.
— 93 —
Sans doute, nous aimons à le penser, vous vous arrêterez là ; mais pourtant la chose n'est pas absolument certaine. Quand on a abusé des grâces attachées à une haute sainteté, et qu'au lieu de s'élever ou de se soutenir, on s'est abaissé. Dieu seul peut savoir jusqu'où va ce triste abaissement.
Au reste, fussiez-vous préservé du malheur de devenir jamais un prêtre tiède ou un mauvais prêtre, vous serez, tout au plus, simplement un bon prêtre : or, aux yeux de Dieu, entre le bon et le saint prêtre la distance est immense. S'il était possible de peser la somme de bien produite par ces deux prêtres dans des circonstances identiques, on serait étonné de la différence.
N'étant donc plus qu'un bon prêtre, vous aurez des vertus sans doute, mais elles seront ternies par une multitude de défauts qui vous étaient in- connus autrefois ; vous exercerez un ministère qui ne sera pas sans fruit ; mais jamais il ne sera béni de Dieu comme celui du saint prêtre ; vous serez un de ces hommes dont Mgr de la Motte, évêque d'Amiens, disait : Beaucoup de prêtres honnêtes gens, peu â! esprit vraiment apostolique et sacer- dotal.
Alors reparaîtront, en s'aggravant notablement, ces infidélités à peine perceptibles qui vous échap- paient au séminaire. Elles n'étaient que des om- bres ; mais ces ombres prendront un corps, et vos condisciples, qui vous avaient connu si fervent, vous retrouvant un prêtre ordinaire et vous voyant faire mille choses que vous n'eussiez jamais voulu vous permettre autrefois, s'entre-diront avec éton- nement : « Comment donc l'or pur de ses vertus
— 94 —
s'est-il obscurci : » Quomodo obscuratiim est au- rum, mutatus est color optimus...?
Pour éviter ce malheur, profitez, pendant que vous êtes l'enfant chéri de JJieu, des avis cfui vont vous être donnés pour vous maintenir dans son saint amour.
— Commencez par vous convaincre profondé- ment que vous devez être un saint prêtre, que Dieu, en vous appelant au sacerdoce, vous appelle indubitablement à une éminente sainteté, et que tout prêtre qui n'est pas un saint, manque de fidé- lité aux grâces de sa vocation. Gravez cette vérité en caractères ineffaçables dans votre âme et faites- en la matière de votre méditation quotidienne. Revenez sans cesse à ce point important et tendez à la sainteté de toutes vos forces, disant et répé- tant sans cesse : Aidé de votre grâce, ô mon Dieu, je veux être un saint prêtre et l'être toute ma vie.
— Pour fortifier et réaliser ce pieux désir, con- sidérez souvent les fruits abondants que vous pro- duirez dans lEgiise si vous êtes un saint, et, au contraire, le peu de bien que vous ferez si vous n'avez qu'une vertu commune. Rappelez-vous ce mot de saint Philippe de Néri : « Donnez-moi dix » prêtres zélés et le monde est converti. » Il vou- lait parler du zèle d'un Paul, d'un Xavier et de tant d"autres. Rappelez-vous aussi et méditez fréquem- ment ces paroles si frappantes d'un digne évêque, prêchant une retraite ecclésiastique : « La foi, » dites-vous, va s'éteignant de jour en jour; ce- » pendant : Vos estis lux mundi. La corruption, » dites-vous encore, gagne tous les âges, toutes
— 95 —
» les conditions; cependant : Vos cstis sol terrœ. » La lumière se serait-elle éteinte? Le sel se serait- )) il affadi? La parole de Dieu n'est-elle plus sur » vos lèvres ? Le sang de Jésus-Christ n'est-il plus » dans vos mains ? Quarante mille prêtres en » France, et le christianisme s'affaiblit en France ! » Il y a là un mystère ! ! ! (1) »
— Ne vous reposez pas doucement au sein de votre ferveur dans le séminaire, comme si jamais elle ne devait s'amortir ; entretenez-en le feu sans doute, mais travaillez chaque jour à continuer son règne dans votre âme. Voyez si elle n'est pas plutôt un accès ou un élan qu'un état de vertu fixe et bien cimenté. Voyez si l'imagination n'est pas plutôt sa base que le jugement et la fermeté d'esprit. Quand on n'a qu'une ferveur de sentiment, on fait des merveilles dans le séminaire ; mais dès que l'air empesté du monde vient à souffler, l'é- difice s'ébranle et menace de s'abattre.
— Considérez vos vacances et voyez non pas vos chutes, vous n'en faites point ou vous en faites bien peu, mais votre côté faible ; c'est par là certai- nement que vous attaquera votre ennemi quand vous serez prêtre : fortifiez-vous donc sur ce point et prenez vos mesures d'avance, pour être en état de résister quand vous serez sur le champ de bataille. On croit que tout est bien parce qu'on goiii-G au séminaire des douceurs exquises dans ses exercices spirituels, et, tout occupé de jouir, on ne pense pas ou l'on pense peu à perfectionner ses vertus.
(I) Paroles citées par le P. Yaliiy, dans le Directoire du Prêtre.
— 96 —
— Contractez tellement riiabitude de la prière et de rétude, que votre àme sente le besoin de s'y livrer , comme votre corps sent le besoin de se nourrir. Nous ne dirons jamais assez combien ces deux exercices sont nécessaires pour alimenter la ferveur et accroître incessamment l'ardeur de sa flamme.
— Transportez -vous souvent par la pensée sur le théâtre où vous exercerez le saint ministère. Prévoyez les obstacles que vous rencontrerez : le contact des prêtres peu fervents, les séductions du monde, le danger des festins et du jeu, la fam.iîia- rité avec les choses saintes, l'oubli de soi-même en travaillant pour les autres, la négligence dans les exercices de piété, et mille choses de cette nature qui sont toujours les premiers principes du relâ- chement. Interrogez-vous vous-même sur ces divers points , et voyez si vous avez sur tout cela des règles de conduite bien arrêtées.
— Parlez souvent avec vos condisciples de la nécessité d'être de saints prêtres. Échangez yos sentiments à cet égard pour enflammer mutuelle- ment votre ferveur. Racontez les succès qu'obtien- nent dans leurs paroisses les prêtres fervents de votre connaissance. Entretenez-vous des œuvres de zèle dont vous avez appris les heureux fruits. Rien n'est plus propre à affermir dans le bien que des conversations de cette nature.
— Lisez la vie des saints et surtout celle des saints prêtres. Yous trouverez dans celle de saint François Xavier, de saint François Régis, de saint Vincent de Paul et de saint François de Sales des traits enflammés qui pénétreront votre âme et vous
— 97 —
feront dire avec un g'énéreux transport: Oui, je veux être un saint moi-même : Quarè non potero quod isti ?
— Allez voir très-souvent vos pieux directeurs ; priez-les de vous échauffer de leur feu et de vous éclairer de leur expérience. Dites-leur ce que vous êtes et ce que vous voulez être. Demandez-leur comme une grâce de vous signaler les dangers qui vous attendent et de vous indiquer les plus sûrs moyens de les éviter. Jamais ces pieuses com- munications ne sont sans fruit.
— Quand approchera la fm de votre temps de séminaire, priez Dieu de vous aider à faire un bon règlement ; précisez bien chacun de ses points ; évitez un encombrement de pratiques que vous ne pourriez peut-être pas accomplir, mais proposez- vous de tenir ferme à celles que vous aurez adop- tées, et remettez ce règlement à votre directeur pour qu'il y fasse les modifications qu'il jugera convenables.
— Enfm, avant de quitter le séminaire, faites une neuvaine en l'honneur des saints Cœurs de Jésus et de Marie pour attirer sur vous et sur votre ministère les bénédictions célestes et pour obtenir la grâce de vivre et de mourir en saint prêtre.
Telles sont, jeune et tendre ami, les règles de conduite qui vous maintiendront dans votre état de ferveur. Puissiez-vous les suivre avec docilité et, en les suivant, glorifier Dieu, sauver les âmes et vous sauver vous-même !
(Voy. Pratique du zèle ecclésiastique, première partie, cli. X, De la sainteté nécessaire à un prêtre, au point de vue du zèle. )
II. 6
— 98 —
CHAPITRE Y.
Fragments remarquables du règlement d'un fervent élève du séminaire de Coutanees.
Comme un appendice du chapitre précédent , nous sommes heureux de citer ici quelques passa- ges d'un morceau que nous voudrions reproduire intégralement. C'est le règlement particulier que s'était imposé un pieux élève du séminaire de Cou- tanees que nous avons connu, et dont nous avons maintes fois admiré les qualités hrillantes et les vertus solides.
M. Fabbé R***, auteur de cette pièce si édifiante, après avoir fait avec une rare distinction un cours presque complet d'études médicales, crut, en s'in- spirant de la tendre piété qu'il avait toujours pro- fessée, que Dieu l'appelait phitôt à guérir les âmes comme prêtre, qu'à guérir les corps comme méde- cin. Après avoir employé tous les moyens humai- nement possibles pour connaître à cet égard la volonté de Dieu, ne doutant plus de sa vocation à l'état ecclésiastique, il entra au grand séminaire de Coutanees, où il se concilia au plus haut degré l'estime et l'affection de ses supérieurs et de ses condisciples, par l'aménité de son caractère, la bonté de son cœur, la délicatesse de ses sentiments, l'éclat de son talent et la solidité de sa vertu. Chacun le considérait comme un élève modèle, et Ion pressentait le bien considérable qu*il ferait
— 99 —
dans l'Eglise quand il en serait le ministre. Ce pres- sentiment ne fut pas déçu : dès qu'il fut élevé au sacerdoce, ses supérieurs le nommèrent vicaire d'une paroisse de ville, où il réalisa pleinement les espérances qu'il avait fait concevoir. Sous la direction de son respectable curé, il s'adonna avec un zèle infaiigable à l'exercice du saint ministère et, chaque jour, des fruits de plus en plus abon- dants couronnaient ses travaux et encourageaient ses efforts. Son extérieur plein de grâce, sa piété aimable, son talent hors ligne, son édifiante régu- larité et son zèle à toute épreuve, ravissaient les habitants de la ville au sein de laquelle il se multi- pliait pour procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Malheureusement l'ardeur de son zèle et l'excès de son travail altérèrent bientôt sa santé naturelle- ment délicate, et Dieu, dont les desseins sont impé- nétrables, le trouvant déjà mùr pour le ciel, lui en ouvrit la porte par une mort qui plongea dans le deuil tous ceux qui le connaissaient et qui s'étaient tant réjouis de son avènement au sacer- doce.
Le règlement de ce digîie prêtre, dont nous extrayons quelques passages, se compose de deux parties. La première est intitulée : Règles générales; la seconde : Règles particulières.
RÈGLES GÉNÉRALES
u Permettez-moi, ô mon Dieu, de recourir à vous au commencement de mon travail; daignez, je vous en conjure, parler à mon cœur. Je suis un pauvre
— 100 —
enfant qui sait à peine balbutier votre nom ; c'est donc à vous de me guider et de faire connaître ce que vous voulez de moi. Parlez, Seigneur, votre serviteur vous écoute : envoyez-lui votre Esprit saint qui lui fasse connaître la voie par laquelle il doit marcher, afm que désormais sa vie soit un cantique de louanges en votre bonheur.
» Je dois, avant tout, m'efforcer d'entretenir au dedans de moi une foi vive et pénétrante. Seule elle sera capable de me faire triompher des obsta- cles à mon salut et à ma sanctification. C/est Jésus- Christ lui-même qui me l'enseigne : sans elle il est impossible de faire une action qui soit agréable à son Père ; et c'est elle seule qui nous fait vaincre le monde.... Yoilà donc la source où j'irai puiser la force dont j"ai besoin pour accomplir la mission que Dieu va me confier. Quand la tentation m'é- branlera, je me conserverai dans un calme par- fait, profondément convaincu qu'avec la protection de celui auquel obéissent les vents et les flots, je n'ai rien à craindre.
» Si pour correspondre aux desseins que la Pro- vidence a sur moi, il me fallait faire de pénibles et douloureux sacrifices (on dirait qu'il pressentait déjà le sacrifice de sa vie qui devait lui être de- mandé de si bonne heure); si Dieu, comme à Abra- ham, me demandait l'immolation de tout ce que je puis avoir de plus cher au monde, alors je me rappellerai les actes de sublime dévouement qu'à toutes les époques cette foi produisit dans les saints, et comme eux, dussent les persécutions de toute espèce m'accabler à la fois, sachant que c'est par les souffrances que Jésus-Christ est entré dans
— 101 —
sa gloire, j'accepterai volontiers de sa main 1 calice qu'il me présentera, quelle qu'en soit l'a mertume. Sachant encore par la foi que ceux-1 seuls seront récompensés de leurs travaux qui au ront accompli dans son entier la tâche qui leur étai imposée, je veillerai sans cesse à l'accomplisse ment de tous mes devoirs. Quand je serai seu sans qu'aucun regard humain veille sur moi, la f( me dira que Dieu me voit et qu'il me demander compte de toutes mes actions. C'est elle encore qi me fera comprendre sa grandeur et sa bonté ; cet elle qui, pénétrant mon esprit de sa présence, m fera conserver, surtout dans les temples sacre où il réside, un recueillement mêlé d'un trembh ment respectueux; c'est elle qui, dans tous le hommes, me montrera des frères au salut desquel ma vie devra être consacrée, que je devrai plaindr du fond de l'âme quand ils seront dans l'égaré ment, ne répondant au mal qu'ils pourront m faire que par des prières plus ardentes et un amou plus dévoué. C'est elle enfin qui me rendra capab] d'imiter Jésus, en offrant sans cesse à mes regard ce divin modèle et m'assurant de la participatio de son triomphe si je suis fidèle continuateur d sa mission sur la terre.
» Un des premiers effets de cette foi sera d'entn tenir dans mon cœur une vive et continuelle recor naissance pour tous les bienfaits dont Dieu a et prodigue à mon égard.... Que sa main me frapp ou qu'elle me console , toujours je dirai avec Job « Dieu l'a voulu ; que son saint nom soit béni Sit nomen Domini bcncdictum, » et je méditerai ] conseil de saint Paul aux Colossiens : Graèi estoU H. 6.
— 102 —
» La foi me conduira tout naturellement à dé- sirer avec ardeur l'accomplissement de la volonté de Dieu soit par rapport à moi, soit par rapport au reste des hommes. Je me rappellerai que je ne puis contribuer à cet accomplissement qu'en me dis- posant à remplir dans tous ses points la tâche qui me sera imposée, et pour cela je travaillerai chaque jour avec courage à consommer ma séparation défmitive avec le monde, en oubliant à jamais et les souvenirs qui m'y rattachent et les vaines ap- parences de félicité dont il cherchera encore quel- quefois peut-être à me bercer. Je me dirai que je ne m'appartiens plus, que je ne dois plus avoir de mouvements, de pensées qu'en Dieu et par Dieu ; je me regarderai comme un frère de Jésus-Christ dont Tunique nourriture doit être de faire la volonté de son Père.... Continuateur de son sacerdoce, je penserai que sa vie tout entière fut consacrée à la recherche des brebis égarées de la maison d'Israël, qu'il était embrasé d'un zèle ardent pour la gloire du Seigneur et que c'était dans ces sentiments qu'il puisait ce courage qui ne lui permettait pas de prendre un instant de repos, pour mieux remplir les desseins de son Père. »
Ces considérations conduisent notre fervent séminariste à ce qui faisait particulièrement ses délices, je veux dire à la vie intérieure. C'est là que nous allons voir sa belle âme s'épancher et se produire.
(( Je dois, avant tout, mener la vie intérieure et cachée de Jésus. Pendant trente ans il reste ignoré des hommes, et dans sa vie publique même, dès que les intérêts de son Père ne l'exigeaient plus.
— 103 —
il S8 retirait avec ses disciples dans quelque lieu désert pour s'y recueillir et se soustraire aux agi- tations du monde auxquelles il est si difficile de ne prendre aucune part, lors même qu'on se trouve au milieu d'elles pour accomplir la volonté du ciel. A combien plus forte raison, moi si faible, si ex- posé par mes propres penchants à perdre cette paix de l'âme hors de laquelle Dieu cesse de se faire entendre, devrai-je avoir soin de me réfugier au dedans de moi-même le plus qu'il me sera possible. Je me rappellerai souvent que c'est surtout au désert qu'on rencontre Jésus, que sa voix ne retentit point dans les lieux publics et que, quand il veut enrichir une âme de ses dons, c'est dans la soli- tude qu'il la conduit pour lui parler au cœur. Il me faudra donc apprendre à mépriser les choses exté- rieures si je veux que le règne de Jésus-Christ s'éta- blisse en moi ; car, comme le dit le Roi-Prophète : (( Toute sa gloire, toute sa beauté est intérieure. » Il visite souvent l'homme intérieur, et ses entre- tiens sont doux, ses consolations sont ravissantes, sa paix inépuisable et sa familiarité incompréhen- sible.
» J'aurai donc soin de ne jamais trop me ré- pandre au dehors. Au milieu de mes occupations, je me ferai une vie à part, ne perdant jamais Dieu de vue, savourant quelque pieuse pensée, en- voyant vers le ciel un souvenir d'amour. J'éviterai dans les conversations de me laisser aller à des discussions trop vives qui m'empêcheraient de me recueillir et me feraient perdre ce calme intérieur absolument nécessaire pour que l'esprit, quoique occupé de choses extérieures, s'élève néanmoins
— 104 —
uaturellement vers Dieu. Je devrai surtout m'intt dire avec le plus grand soin les conversations in tiles, parce que ce sont elles qui jettent l'âme da la dissipation au sein de laquelle on ne peut fai aucun bien. Ainsi j'écarterai les nouvelles < monde, les entretiens de littérature, etc., auta toutefois que la prudence me le permettra. » (Noto qu'il avait pour la littérature une aptitude exti ordinaire et un attrait tout particulier ; ce cj montre jusqu où il poussait l'esprit de sacrifici « Ce sera ma fidélité à observer ce point de r règle qui seule pourra me donner des moyens su d'avancer dans la perfection en m 3 soustraya peu à peu à l'action des objets extérieurs pour i laisser seul avec Dieu et n'avoir plus de jconven tion que dans le ciel.
» L'Évangile garde un silence absolu sur ton la vie cachée de Jésus-Christ, et il n'interrompt silence que pour nous apprendre quïl était en to soumis à ses parents : Et crat subditus illis ; comi pour nous dire que le fondement de toute vei est la soumission aux ordres de Dieu, qui no sont ordinairement transmis par la voix de n supérieurs. Je dois donc faire une abstraction co plète de ma propre volonté, bien convaincu que sera pour moi la source des plus grandes gràceii
» Sans l'obéissance, c'en est fait de l'harmo] universelle, et par là même que je ne consentir pas à être dans l'Église un membre disposé à ob en tout à la voix de mes supérieurs, je troubler essentiellement l'ordre et m'attirerais Findignati de Dieu... C'est l'esprit de rébellion qui cîL le ii le plus distinctif du pécheur ; c'est lui qui, port;
— 105 —
les anges prévaricateurs à secouer le joug de Dieu, leur mérita d'être chassés du ciel et livrés à des supplices éternels. Aussi, se soustraire à Tobéis- sance, c'est se soustraire à la grâce de Dieu, et pour être libre il faut obéir...
» Je me soumettrai donc à la volonté de mes supérieurs, quelle qu'elle soit. J'aurai peut-être besoin pour cela de faire des efforts nombreux et violents, mais avec la grâce de Dieu je m'y résigne et je les ferai. Pendant le reste de mon séminaire, j'observerai la règle avec une inviolable fidélité et je suivrai les plus petits conseils qui me seront donnés. Je me soumettrai sans murmure et sans hésitation aucune à tous les petits inconvénients qui résultent de la vie de communauté, unissant le sacrifice de ma volonté à celui de Jésus sur la croix.
» Mon séminaire achevé , j'accepterai comme venant de Dieu l'emploi qui me sera confié, quand bien môme mes goûts et mes inclinations seraient vivement contrariés. Et comme dans tout gouver- nement dirigé par des hommes il y a nécessaire- ment des membres sacrifiés, par suite de la fai- blesse du jugement humain, le fussé-je, je me soumettrai sans me plaindre, voyant encore en cela une voie cachée de la Providence dont les desseins sont servis quelquefois par les erreurs des hom- mes. En un mot, dès aujourd'hui et à toujours, je n'aurai de volonté que celle de mes supérieurs.»
Quelle hauteur de vues et quelle maturité chez un jeune homme !
« Un autre point essentiel que je dois prendre
— 106 —
en grande considération, c'est Tesprit d'humilité et de douceur que Jésus recommandait avec tant de soin à ses disciples, en leur disant : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Toute sa \Aq il consentit à être regardé comme le dernier des hommes, lui qui était l'égal de son Père.
» Pour imiter ce divin Sauveur , je rejetterai toute pensée d'orgueil ou de vanité ; j'estimerai peu ce qu'on pourra regarder en moi comme quel- que chose de bien et, selon la règle de l'Evangile, après avoir accompli tous mes devoirs, je me re- garderai encore comme un serviteur inutile. Jésus, le plus saint des hommes, en fut aussi le plus humble : quels sentiments doivent donc m' animer, moi couvert de péchés depuis la plante des pieds jusqu'à la tète !.... Dans quelle humiliation ne dois-je pas me plonger, moi qui ne rachète par aucune bonne œuvre les fautes de ma vie passée ! Ne sais-je pas que de moi-même je ne puis rien, pas même prononcer méritoirement le saint nom de Jésus, et que si j'ai le bonheur de faire une bonne action, c'est à Dieu seul que je le dois. Enfin, j'aurai toujours devant les yeux les exem- ples des saints dont rhuiiiilité croissait à mesure qu'ils croissaient en vertu, suriout celui de Marie en qui furent opérées de grandes choses parce qu'elle s'était humiliée profondément, et je médi- terai souvent ce précepte de saint Paul : Nihil per inanem gloriam sed in humilitate super iores siln in vicem arbritrantes .
» Je m'efforcerai aussi d'acquérir une grande douceur, une parfaite mansuétude de cœur, une patience inaltérable ; et pour cela je n'aurai qu'à
— 107 —
fixer les yeux sur celui qui fut doux comme l'a- gneau, qui se tait même devant celui qui r*^gorge. Lâchement insulté par ses ennemis, accablé d'in- jures et de mépris dans tout le cours de sa passion, il n'eut pas une parole amère pour ses bourreaux, mais plutôt, plaignant leur erreur, il demandait pardon pour eux à son Père jusque dans les bras de la mort. Pom- imiter un si beau modèle, j'aurai soin de comprimer sur-le-champ tout mouvement d'impatience et d'emportement qui pourrait s'élever en moi dans mes rapports avec le prochain. J'évi- terai toute répartie piquante, j'exposerai dans mes discussions mon sentiment avec calme et ne m'é- lèverai jamais avec aigreur contre celui des autres. » Non-seulement je pardonnerai volontiers à celui qui aura pu me faire de la peine, le sachant ou sans le vouloir, mais encore ce sera pour moi un motif de lui témoigner plus d'égards quand l'occasion s'en présentera. Je supporterai patiem- ment les défauts de caractère de ceux avec qui je me trouverai, me rappelant que, pour accomplir la loi de Jésus-Christ, il faut porter les fardeaux les uns des autres, et sachant que l'héritage céleste et les jouissances d'une paix inénarrable ont été promises à ceux dont le cœur est rempli de man- suétude.
') Mais ce sera surtout lorsque je serai chargé de ramener les pécheurs à Dieu, que je m'efforcerai de dilater en moi les entrailles de la miséricorde. Ce sera alors que j'aurai sans cesse devant les yeux l'exemple de Jésus plein de tendresse et de compassion pour les brebis égarées de la maison d'Israël, pardonnant à la femme adultère, man-
— 108 —
géant avec les publicains et les pécheurs pour les gagner à son Père, et d'autant plus attentif à les guérir de leurs plaies spirituelles qu'elles étaient plus profondes. C'était la miséricorde qu'il voulait et non le châtiment, et ce qu'il recommandait sur- tout à ses apôtres, c'était d'être miséricordieux à l'exemple de leur Père céleste.
» Je devrai donc, dans tous mes rapports avec le prochain, montrer une douceur qui ne se dé- mente jamais, que n'altèrent ni les contradictions, ni les mépris, ni les outrages même ; et par là j'au- rai le double avantage de pratiquer une mortifica- tion agréable à Dieu, en réprimant tout mouve- ment d'impatience, et de gagner k Jésus-Christ le cœur des autres par Tetfet de cette bonté qui ne manque jamais de triompher. Je mériterai enfin par là d'imiter celui qui se glorifie d'être doux et miséricordieux, patient et plein de compassion.
» A cette mansuétude de cœur est nécessairement lié l'amour du prochain, sans lequel on est viola- teur de la loi qui nous ordonne de l'aimer comme nous-même. Membres d'un même corps, qui est Jésus-Christ, nous devons nous chérir réciproque- ment, travailler sans cesse à noire sanctification mutuelle et à la réalisation de cet accord admirable qui excitait autrefois les transports du prophète, accord auquel sont attachées les plus abondantes bénédictions du Seigneur et les promesses de la vie éternelle. Avant de quitter ses disciples bien- aimés pour remonter à son Père, Jésus voulant leur montrer toute l'importance du précepte de la charité, leur lava les pieds après le dernier repas qu'il prenait avec eux, afin, leur disait-il, que vous
— 109 ~
appreniez à rendre à vos frères tous les services d'une charité sans bornes ; car si je vous ai lavé les pieds, moi qui suis votre maître et votre Sei- gneur, c'était pour vous donner Fexemplc et vous disposer à faire de même. Mes petits enfants, leur disait-il ensuite avec toute la bonté d'une mère pour des enfants tendrement aimés, aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés : ce sera à cette marque que le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples. Et, sur le point de souffrir, ce qu'il demandait pour eux à son Père, c'était cette parfaite union qui devait les consommer dans l'u- nité.
)) Si donc je veux être un fidèle imitateur de Jé- sus-Christ, je dois aimer mes frères de toute la puissance de mes affections. Pour cela, je devrai sans cesse être disposé à leur rendre service ; j'au- rai pour eux toute espèce de prévenance ; j'éviterai avec une attention minutieuse tout ce qui pourrait les froisser, et je les consolerai dans les chagrins qu'ils auront. Au séminaire, j'aurai pour tous mes frères une grande bienveillance ; je donnerai des marques d'amitié plus grandes à ceux vers lesquels je me S3:itirai naturellement moins porté ; je m'ef- forcerai de leur être agréable en ce qui pourra leur être utile, et, comme saint Paul, j'effacerai mon caractère pour me faire tout entier au leur. Quand, pour m'acquitter envers eux des devoirs de la charité, il m'en coûtera quelque peu, j'en re- mercierai Dieu qui me procurera ainsi le moyen de rendre mon action plus méritoire à ses yeux.
» Mais j'irai, je l'espère, plus loin encore : je contribuerai par tous les moyens possibles à en-
II. 7
— no —
tretenir entre eux la paix et Funion. Je ne néglige- rai rien pour maintenir la bonne harmonie qui ne doit jamais cesser de régner parmi les élèves d'un séminaire. Par conséquent, je me garderai spéciale- ment de toute parole légère ou imprudente; j'excu- serai auiant que possible ceux contre qui on portera devant moi des accusations. En un mot, je me met- trai dans la disposition de sacrifier ma vie pour le prochain, s'il le fallait, afm de témoigner ainsi ma charité pour lui, comme Jésus-Christ nous témoigna son amour en se livrant à la mort avec joie pour le salut de nos âmes, et je méditerai souvent les carac- tères de la charité tracés parle grand apôtre : Cha- ritaspatiensestj beniynaest.., omniasustinet,.., etc. » Ce n'est pas encore assez pour le chi'étien, pour le prêtre surtout, que cet amour du prochain en général : pour accomplir ce précepte en son entier, il faut que nous sachions non-seulement pardonner à nos ennemis, mais encore les aimer assez pour être prêts à leur rendre toute espèce de services. Lorsque je serai chargé de défendre les intérêts de Dieu devant les peuples , je dois m' attendre à rencontrer des contradictions. Je trou- verai sans nul doute dans les ennemis de Dieu des ennemis de son ministre qui calomnieront mes in- tentions, qui chercheront à attirer sur moi la haine et le mépris. Un pardon généreux et complet sera ma réponse à leur malice ; j'aimerai à me dire comme Jésus en croix, quïls ne savent ce qu'ils font en persécutant celui qui n'a rien tant à cœur que de les rendre heureux, et j'offrirai, pour leur retour à la charité, l'amertume et les chagrins que leur conduite déversera dans mon âme...
— m —
)) Ce serait peu , ou plutôt ce ne serait rien d'être l'imitateur de Jésus sur quelques points seulement ; il me faut l'être en tout, mais particu- lièrement dans l'amour de la plus belle comme de la plus fragile de toutes les vertus. Bientôt Jésus- Christ s'immolera entre mes mains ; chaque jour il descendra dans mon cœur ; quelle pureté sans tache ne devra-t-il donc pas y trouver ! Avec quel soin minutieux ne devrai-je pas me garantir de la plus légère souillure, si je veux qu'il trouve ses dé- lices à habiter en moi, pauvre et inûrme que je suis, lui qui ne souffre autour de son trône que des âmes toutes blanches de pureté. Je me rappellerai souvent que c'est aux cœurs chastes que la vision de Dieu a été promise, que les affections de Jésus les plus vives et les plus tendres s'épanchèrent sur le disciple dont l'âme angélique plus pure que la goutte de rosée qui repose au matin sur le calice des fleurs, n'avait jamais été même ridée par un souffle impur. C'est en raison de cette pureté qu'il lui fut donné, entre tous les apôtres, de reposer sa tête sur le cœur de Jésus , comme pour y puiser au foyer divin non-seulement l'amour de la chas- teté, mais encore les saintes ardeurs qui depuis ne cessèrent de l'embraser pendant son long apo- stolat.
» Plus un trésor est précieux, plus nous devons employer de soins pour le conserver, surtout si à chaque moment des ennemis perfides et infatiga- bles s'efforcent de nous le dérober. Afm donc d'o- béir à l'Apôtre, qui nous dit en la personne de Timothée : Teipsum castiim custodi, je dois penser sans cesse à ce mot de Jésus-Christ : Vigilate.
— 412 —
Ainsi je tiendrai continuellement mes sens enchaî- nés ; comme Job, je ferai un pacte avec mes yeux pour qu'ils ne s'arrêtent jamais sur un objet dan- gereux/ Sachant quelles suites funestes la plus légère imprudence peut avoir en cette matière, j'éviterai les occasions même les plus éloignées, et puisque c'est dans un vase fragile que je porte le trésor de la pureté, j'éviterai constamment ce qui pourrait m' exposer aie perdre, et j'éloignerai sur-le-champ de mon imagination toute pensée qui ne serait pas entièrement chaste.
» Me rappelant que, d'après les saints Pères, l'humilité est la gardienne de la chasteté, et que, selon l'Apôtre, l'impureté est le châtiment de l'or- gueil, je m'étudierai à avoir de bas sentiments de moi-même et à conserver dans toute sa force le sentiment de ma faiblesse.
» Mais, convaincu que je m'efforcerais vaine- ment d'être chaste si Dieu ne me donnait de l'être, puisque la continence est un de ses plus précieux dons, j'aurai recours à une prière incessante qui, selon saint Grégoire de Nysse, est le soutien et l'ap- pui de la chasteté. Je la demanderai à Jésus qui l'aima entre toutes les vertus. Je la demanderai par la Vierge chaste et bénie, qui dut à son exemp- tion de toute souillure la grâce inefîable de porter dans son sein celui qui est la source même de la pureté. Pour me fortifier dans les combats que tout homme a à soutenir sur ce point, je me plai- rai à méditer souvent sur la beauté , la grandeur de ces âmes pures qui ont traversé les souillures de la terre comme le rayon de soleil qui pénètre dans les lieux infects sans y rien contracter d'im-
— 113 —
pur, et qui, dans le ciel, ont reçu de l'Agneau la robe blanche qu'elles porteront dans les siècles des siècles. »
C'est avec le plus vif regret que nous nous voyons forcé de supprimer de longs détails que nous Rimerions tant à reproduire. Citons cependant en- core , pour en finir avec les Règles générales^ les expressions enflammées que le divin amour inspi- rait à notre fervent séminariste.
« ... Ce sera ainsi, ô mon Dieu, que je pourrai es- pérer de vous aimer, et c'est là, en dernier résultat, le but suprême auquel je dois tendre, le point vers lequel doivent converger tous mes efforts, tous mes actes et tout mon être. Aimer Dieu, me perdre, me confondre en lui , que pourrais-je vouloir autre chose? et que ne m'est il donné de chanter déjà avec les anges du ciel le cantique de l'amour I Mais en at- tendant que je fasse mon entrée dans ce lieu de délices, il faut que j'entretienne dans mon cœur les flammes de la charité. Dieu est amour, et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu est en lui. Qui me séparera donc de l'amour de mon Dieu ? Les peines, les tribulations ? Mais n'est-ce pas par la souffrance que se prouve l'amour? Aussi ce sera dans mes délaissements, dans mes tristes- ses et mes aridités que j'enverrai vers mon Dieu des soupirs d'amour...
» Ce sera surtout par mes actions qu'il me fau- dra témoigner à Dieu mon amour , en les faisant toutes selon sa sainte volonté et toujours en sa sainte présence; A tous les instants, s'il est possible,
— 114 —
j'élèverai mon cœur vers lui, et quelquefois je lui dirai : 0 mon Dieu ! je veux désormais n'avoir de pensée que la vôtre. Vous êtes la portion de mon héritage, c'est donc à v^ous seul que je veux m'at* tacher pour jamai 3. Oh! non, je n'irai plus m'épuiser dans des courses insensées ; je ne m'éloignerai plus de l'ombre de vos ailes, afm de n'avoir rien à craindre de la fureur de mes ennemis. Je me repoH serai en vous seul comme l'enfant qui s'endort dans le sein de sa mère. Que pourrais-je chercher dans le ciel m hue, si ce n'est vous, ô mon Dieu ? Et sur la terre, que puis-je désirer, sinon votre possession? Aussi mon coeur baltra-t-il toujours d'amour à votre nom, et languira-t-il de désir tant qu'il sera condamné cà soupirer après vous sur la terre de l'exil. Je vous aime, ô mon Dieu ! oui, mon àme défaillit dans l'attente des embrassements de son bien-aimé !....
» Ouelle que soit la manière dont il vous plaira de me visiter, je resterai attaché à la vigne féconde qui verse la vie dans les rameaux qui ne se sépa- rent point d'elle. Vous êtes cette vigne, ô mon Dieu ! vous me l'apprenez vous-même, et moi je suis le sarment qui, séparé de vous, ne peut ni vivre ni porter aucun fruit pour le ciel. Que je reste donc inébranlablement uni à vous, afm de n'être pas jeté aux pieds des passants, puis dans les feux de l'enfer. Mais que plutôt je reste en vous et vous en moi ; que je puisse porter des fruits de vie et trouver grâce aux yeux du père de famille, quand il vien- dra condamner les arbres stériles aux flammes éternelles. »
— 115 —
L'espace nous manque pour insérer ici les Règles particulières, et cette omission est encore pour nous la matière d'un amer regret. Rien de plus édifiant que la manière dont notre fervent séminariste se servait pour sanctifier tous les exercices de la journée. On voit qu'il était perpétuellement dans la présence de Dieu, et que sa belle âme ne cessait jamais d'être embrasée des flammes du céleste amour.
Sans doute c'est l'exécution d'un règlement et non la rédaction du règlement lui-même qui fait l'éloge de celui qui en est l'auteur. On peut faire à Dieu sur le papier les plus belles promesses et n'être pas fidèle à les accomplir. Mais nous ne serons pas démenti par les nombreux condisciples de notre pieux élève, en affirmant que la sainteté de sa vie était plus remarquable encore que les règles qu'il s'était tracées pour y parvenir. Quant à nous qui l'avons vu à l'œuvre dans l'exercice du saint ministère, nous sommes heureux de procla- mer qu'il a réalisé, et au delà, tout ce qu'il avait promis. Prêtre modèle, il charmait et entraînait ceux-là même qui n'avaient pas le courage de le suivre jusqu'au sommet de la perfection où il s'était élevé, et nous éprouvons une vive jouissance en le faisant revivre dans ces pages qui surexcitent notre admiration, réchauffent notre piété et ravi- vent nos regrets.
Puissent nos séminaires se remplir d'élèves qui, comme celui-ci, soient l'espoir de l'Église, en atten- dant qu'ils deviennent ses fervents ministres et les zélés promoteurs de sa gloire !
116
DEUXIEME PARTIE
DEFAUTS PRINCIPAUX AUXQUELS LES SEMINARISTES PEUVENT ÊTRE SUJETS. — CARACTÈRES DE CES DÉFAUTS, — EFFETS qu'ils PRODUISENT, — MOYENS DE s'en CORRIGER.
Dans cette seconde partie, nous allons traiter en détail les divers défauts auxquels un séminariste peut être sujet, nous appliquant toujours dans chaque chapitre à faire ressortir ces trois points : caractères du défaut, — effets qu'il produit et moyens de s'en corriger.
Mais pour que la lecture de ces chapitres soit utile à nos jeunes lecteurs, nous devons leur dire que s'ils les lisent avec rapidité et comme par délas- sement, ils n'en tireront presque aucun fruit.
Nous sommes sobres de paroles : chaque petite phrase veut être méditée.
Si l'on a réellement le désir de se corriger de ses défauts, il n'y a pas un seul chapitre qui ne puisse fournir matière à plusieurs méditations utiles.
Un autre avis essentiel pour bien profiter de cette lecture, c'est de penser à soi-même beaucoup plus qu'aux autres en considérant les portraits de notre galerie.
L'amour propre nous aveugle à tel point que nous sommes souvent les seuls à ne pas voir en nous ce qui choque tout le monde. Il en est en ceci comme de la physionomie : nous savons fort bien si celle des autres est ou n'est pas agréable;
.— 117 —
mais quant à nous-mêmes, nous ne savons pas trop quelle sorte de figure nous avons.
Si cela est vrai d'une chose saillante comme le visage, que doit-ce donc être de nos défauts, surtout de quelques-uns dont la racine est cachée et qui sont loin de nous frapper aussi vivement que des objets physiques. Picdoutons cet aveuglement pour nos jeunes amis. Nous nous sommes efforcé de mettre en relief les traits les plus prononcés de chaque défaut et de passer, comme on dit, le doigt sur la plaie.
CHAPITRE PREMIER
Le séminariste orgueilleux, vaniteux et plein de lui-même.
Un vénérable pontife, éminemment remarquable au double point de vue de la piété et de la science, ayant appris que nous composions un ouvrage à Fusage des séminaristes, nous a adressé les lignes suivantes, que nous sommes heureux de repro- duire pour attirer plus vivement l'attention de nos jeunes lecteurs sur la matière que nous allons proposer à leurs méditations.
« Monsieur l'abbé,
» Je lirai avec bonheur votre ouvrage pour les » séminaristes. Permettez-moi de vous recomman- » der d'insister fortement sur la nécessité de la » modestie et de l'humilité. Il y a, malheureuse- » ment, chez un certain nombre de jeunes prêtres. II. 7.
— H8 —
» un orgueil et une présomption qui font beaucoup » de mal et qui m'effrayent... »
Nous nous sommes efforcé d'entrer dans les vues du digne prélat non-seulement dans le présent chapitre, mais encore dans les deux suivants et dans quelques autres encore où les points qu'il re- commande se trouvent occasionnellement traités.
1
Le séminariste orgueilleux se produit de tant de manières que, dès les premiers jours qu'il passe au s-'uiinaire , son orgueil y est généralement
CGIHaXL.
Ce saint lieu a quelque chose de grave et d'im- posant qui saisit les élèves quand ils y font leur première entrée. On les voit alors modestes, re- cueillis , dociles, respectueux et même un peu timides et embarrassés. Celui qui s'affranchit le plus vite de cet embarras, c'est l'orgueilleux. Après le saisissement du premier jour, il reprend son aplomb dès le second, et relevant la tête, il semble regarder en pitié ceux qui la tiennent encore in- clinée.
Son attitude a quelque chose de ferme et d'as- suré qui annonce la confiance sans bornes qu'il a en lui-même : on dirait qu'il regarde la modestie comme la vertu des âmes faibles et pusillanimes.
L'esprit d'indépendance dont il est animé se re- flète dans la liberté de ses allures et l'immortifica- tion de tout son extérieur. Rien dans sa contenance n'indique la piété ; divers symptômes, au contraire,
— 119 —
révèlent l'orgueil auquel il est asservi. Personne ne dit qu'il a l'air pieux ; plusieurs disent plutôt qu'il a l'air vaniteux et enflé de son mérite.
Il tient la tète haute, en signe de domination, et laisse tomber souvent des regards dédaigneux sur quelques-uns de ces condisciples, avec accompa- gnement de sourires sardoniques plus sanglants quelquefois que des épigrammes.
Son visage est tantôt sombre, tantôt épanoui, selon qu'il a rencontré sur son chemin l'humilia- tion ou la louange ; car si riiumiliation l'aplatit, la louange le ballonne.
Toujours influencé par le désir de moissonner une vaine gloire, il fait passer l'affectation de ses manières dans l'élégance apprêtée de son costume. Si, sous ce rapport, quelque mode nouvelle et qui lui semble de bon goût tend à s'introduire dans le séminaire, il l'adopte avec empressement : sou- vent même c'est lui qui a le triste honneur de la mettre en vogue.
Rien n'égale l'arrangement symétrique de sa chevelure, la recherche excessive de ses vêtements, et les mouvements maniérés qu'il se donne sous cet accoutrement de la vanité.
On voit qu'il est exclusivement occupé de sa per- sonne extérieure , et qu'il veut qu'on l'apprécie comme il l'apprécie lui-même.
Bien plus, il neprétendpas seulement qu'on lad- mire, il souffre si l'on admire les autres ; oui, s'il était sincère, il avouerait qu'il vise au monopole de l'admiration. Il regarde comme un abaissement per- sonnel l'élévation d' autrui; aussi croit-il facilement et avec complaisance le mal qu'il en entend dire.
— 120 —
Il sonde jusqu'aux intentions de ceux qu'on élève, et quand on les loue, il les condamne, se faisant de cette condamnation maligne comme un marchepied pour s'élever lui-même.
La raillerie lui est familière : elle humilie ceux qu'elle attaque — et il pense qu'elle lui donne la réputation d'homme d'esprit : deux brillantes vic- toires au profit de son orgueil !
Il est d'une verbosité intarissable : bien différent du séminariste humble et modeste qui ne songe qu'à s'éteindre, il croit par sa loquacité perpétuelle mettre son mérite en relief. Quoique fort peu sa- vant, pour l'ordinaire, il décide, il tranche, il cen- sure, il chicane sur tout ; c'est lui que saint Paul appelle « esprit superbe et ignorant : » Superius est, nihil sciens.
Il parle constamment à son avantage. Quelque- fois, comme les insensés, il se vante directement et sans voile : il raconte ses belles actions, ses bonnes œuvres, ses succès et ses traits d'esprit. Il se vante de son crédit, de sa parenté, de ses amis, et même de quelques fautes de sa jeunesse quil trouve intéressantes à certains égards. D'au- tres fois, il se vante indirectement et avec une teinte d'hypocrisie. Il use d'artifice pour mendier des applaudissements ; il donne des louanges afin d'en recevoir; il blâme les manières, les talents, les ouvrages d'autrui quand il se croit remarquable sur ces divers points, pensant qu'il se distingue en effaçant les autres. Par un raffinement d'orgueil, il se blâme quelquefois lui-même, mais c'est toujours quand il sait bien qu'on ne le croira pas ; et ainsi son blâme est un leurre pour s'attirer un éloge,
— 121 —
Bref, il est en tout sa propre idole, et chacune de ses paroies est comme une bouffée d'encens qu'il dirige vers l'objet de son culte.
La belle pensée de saint Grégoire : J'aime beau- coup mieux entendre celui qui me reprend que celui c/ui me flatte, ne peut pas entrer dans son esprit ; elle est exactement Topposé de ses sentiments in- times. Tout flatteur est son ami ; tout donneur d'avis est un censeur insupportable dont il s'isole.
La singularité, est fort de son goût, non pas tant à cause de ce qu'elle est en elle-même, que parce qu'elle l'introduit dans une voie où il mar- che seul et qu'il se trouve, par conséquent, plus en vue. De là vient qu'il ne suit presque jamais les sentiments communs, qu'il est rarement de l'avis de ses condisciples et qu'il se fait un sujet de com- plaisance et de mérite de se comporter dans ses manières et dans sa conduite différemment des au- tres.
Comme il parle souvent avec légèreté, il avance bien des choses qui, n'étant pas fondées, lui atti- rent des contradictions ; mais son opinion une fois émise, il regarde comme une faiblesse humi- liante de la rétracter ; il la soutient avec une obstination passionnée, sans daigner seulement écouter les raisons qu'on lui oppose : de là des discussions âpres et irritantes , des paroles enve- nimées et quelquefois des froideurs et des divisions dont le séminaire ne devrait jamais être le théâtre.
La présomption l'aveugle et l'égaré à chaque instant : plein de confiance en lui-même et en lui S(3ul, il se croit capable de tout entreprendre ; sans consulte;' Dieu, il aspire au sacerdoce dont son
— 122 —
orgueil le rend indigne ; il se figure que le talent dont il se croit pourvu lui tient lieu de vertu et de piété ; il est sans inquiétude à l'égard de sa voca- tion, peut-être fort douteuse, et tandis que ses condisciples, beaucoup plus dignes que lui, frémis- sent et reculent d'épouvante, il s'avance, lui, d'un pas ferme et assuré comme s'il n'avait absolument rien à craindre. Il s'engage, toujours sous l'in- fluence de sa présomption, dans des voies péril- leuses où les plus humbles font quelquefois des chutes, et ne tient aucun compte de la menace que Dieu lui fait : Qui aiaat periculum, in illo perihit.
L'orgueil le suit parfois jusqu'au saint tribunal où l'on ne doit aller que pour s'humilier et se con- fondre. Là encore il redoute l'abaissement. Le choix du confesseur, l'omission de certaines circonstances qui manifesteraient trop clairement sa vanité, les expressions adoucies qu'il emploie pour formuler son accusation, les excuses qui accompagnent la déclaration de ses fautes, et même la résistance, du moins secrète, aux conseils qui lui sont donnés, tout est entaché d'orgueil, et d'un orgueil qu'il rend incurable, puisqu'il transforme en poison le plus puissant des remèdes.
Quant à l'ensemble de ses actions, s'il veut exa- miner la racine de chacune, il verra qu'elles sont toutes gâtées par l'orgueil dont il est animé. Comme il ne pense qu'à lui-même, ne considère que lui- même, ne consulte que lui-même et rapporte tout à lui-même. Dieu n'est pour rien dans ses actes. Jusque dans ses œuvres les plus saintes, il obéit encore à quelques inspirations orgueilleuses. Aussi est-il san-5 piété, sans ferveur, sans attrait pour
— 123 —
les exercices spirituels, et sans la moindre conso- lation clans le service de Dieu.
Au lieu d'édifier le monde pendant les vacances par une humble modestie , il le scandalise par les moyens dont il use pour lui plaire. Sa vanité se fait jour dans ses conversations, dans son habille- ment, dans ses manières et dans toute sa personne, et chacun dit : C'est un suffisant et un orgueilleux.
Ses condisciples, qui le connaissent mieux encore, tiennent à son égard le même langage ; ils blâment sa conduite, ils évitent sa compagnie, et, par un juste châtiment de son orgueil, précisément parce qu'il court après l'estime universelle, il déplaît à tout le monde.
Voyez, jeune ami, combien un tel état est pi- toyable; mais voyez surtout si l'avenir qu'il pré- pare n'est pas plus triste encore.
II
Si vous sortez du séminaire aver une forte dose d'orgueil et de suffisance, personne au monde ne peut vous dire tous les péchés que cette mauvaise disposition vous fera commettre. On doit tout espé- rer du séminariste profondément humble qui déteste r orgueil et le combat à outrance ; mais on doit tout craindre, même les chutes les plus honteuses, pour le séminariste orgueilleux qui n'a de confiance qu'en lui-même et ne recherche que sa propre gloire.
Pour exercer un ministère fructueux, vous aurez besoin du secours de Dieu ; car, hélas ! qu'est-ce qu'un prêtre peut faire dans le plus saint des états
— 124 —
sans l'appui de Dieu? Or que pourrez-vous attendre de Dieu si vous êtes orgueilleux, lui qui déteste l'orgueil par-dessus tous les vices, et qui n'a pas pu soufmr un seul moment dans son paradis l'ange audacieux qui s'en rendit coupable ?
Mais entrons dans le détail de vos misères fu- tures et signalons-en du moins quelques-unes.
Yous serez à peine installé au poste que vos su- périeurs vous auront confié, que déjà votre orgueil se fera connaître. Votre curé en sera le premier témoin; vos airs prétentieux, vos manières hau- taines, vos exigences ridicules, vos mécontente- ments sans motifs, vos réponses sèches et incon- venan-es ; tout lui dira qu'il a un orgueilleux pour vicaire.
Dès qu'il aura acquis cette conviction, n'attendez plus de lui ces paroles gracieuses, ces prévenances aimables, ces démonstrations d'estime et d'affec- tion qui encouragent un jeune prêtre et répandent des charmes sur son saint ministère. Votre orgueil tarira ces sources précieuses et vous laissera dans un isolement qui fera votre supplice.
A tort ou à raison, les curés sont unanimes à dire que le jeune clergé est plein de suffisance et de vanité ; ils lui reprochent l'esprit d'indépen- dance et d'autorité qui est malheureusement un peu l'esprit du siècle. Quand donc votre curé verra que vous justifierez par votre conduite les préven- tions qu'il aura conçues, à l'instant même la désaf- fection gagnera son cœur, et vous lui serez plutôt un fardeau qu'un appui.
Le sentiment de répulsion que vous lui inspire- rez le portera tout naturellement à refuser d'accor-
— 125 —
der à votre orgueil une foule de petites satisfactions dont il eut été heureux de gratifier votre humi- lité. Yous aurez de sa part F indispensable et le nécessaire ; mais tout ce qui s'appellera complai- sance, faveurs et bons offices, vous n'y pourrez prétendre.
Votre orgueil froissé par une telle conduite vous suggérera des représentations de mauvais goût qui, étant mal accueillies, vous attireront de pé- nibles réponses ; et de là des discussions vives, des luttes animées, des froideurs mutuelles et, bientôt après, des divisions et peut-être des scan- dales.
Pour faire contre-poids à vos peines, vous de- manderez à votre ministère les consolations que vous ne trouverez point ailleurs ; mais Dieu qui les accorde à profusion aux prêtres vraiment humbles, vous les refusera sans pitié, à vous qui l'irriterez par votre orgueil.
Yous prêcherez ; mais, dans ce ministère éclatant, vous rechercherez beaucoup plus les palmes flé- tries de la vanité que le salut des âmes ; vous ne serez en chaire qu'un airain sonnant et une cym- bale retentissante ; vous sacrifierez l'utile au brillant ; vous choisirez des sujets élevés et propres à faire ressortir les lumières de votre esprit ; vous polirez vos phrases, vous arrondirez vos périodes, vous vous jetterez ou dans les futilités d'une dic- tion fleurie, ou dans les profondeurs d'une méta- physique nébuleuse, et, selon les expressions simples, mais énergiques et vraies du P. Lejeune, pour plaire à quelques personnes doctes, vous ren- verrez à jeun tout un (jr and peuple .
— 126 —
Vous confesserez ; mais là encore vous vous préoccuperez plus de votre propre gloire que de celle de Dieu et de la conversion des pécheurs. Vous convoiterez une nombreuse et brillante clientèle ; vous emploierez de pitoyables manœu- vres pour la grossir ; vous aurez deux poids et deux mesures, usant tantôt des uns , tantôt des autres, selon les intérêts et les calculs de votre vanité.
Jusque dans les cérémonies les plus augustes et même au saint autel, vous penserez à vous-même beaucoup plus qu'à Dieu.
Vous afficherez plus ou moins de pompe et d'é- clat selon la dignité des assistants dont vous serez environné. Insouciant, rapide et négligé quand l'assistance sera Milgairo, vous serez guindé, ma- niéré , compassé quand elle sera distinguée : la pose de votre corps, votre chant, votre démarche, tout annoncera remphase et l'effectation qui seront les fruits de votre orgueil.
Au premier signal vous serez aussi empressé à visiter les riches dans leurs maladies, que vous le serez peu à ^^siter les pauvres, qui peut-être ren- dront le dernier soupir avant votre arrivée.
Le monde brillant vous verra dans ses cercles quand nul motif ne vous y appellera ; tandis qu'on ne vous trouvera presque jamais dans le triste asile de l'indigence et des larmes, où votre pré- sence serait plus utile et plus édifiante que partout ailleurs.
Votre vanité se produira sous toutes les formes : vos gestes, votre tournure, votre costume, les cho- ses que vous direz et la manière dont vous les direz,
— 127 —
feront un choquant contraste avec la simplicité modeste de quelque bon prêtre, que le monde met- tra en parallèle avec vous, pour le combler d'éloges et vous accabler sous les traits de la critique.
L'orgueil, qui est le père de tous les vices, vous ferajouer tous les rôles. Vous sereztouràtour jaloux, ambitieux, hypocrite, flatteur, médisant, opiniâtre et emporté, selon les circonstances de lieux et de per- sonnes et les inspirations de votre amour-propre.
Cet amour-propre sera votre étoile fixe ; vous en subirez les malignes influences ; la gloire de Dieu viendra toujours après la vôtre, et, dans toute une année, peut-être ne trouverez-vous pas une seule action faite purement dans la vue de lui plaire.
Aussi votre piété sera-t-elle languissante ; car la piété d'un orgueilleux n'en mérite pas le nom. N'ayant rien à moissonner au bénéfice de votre orgueil dans vos exercices spirituels, vous aban- donnerez ceux qui ne seront pas d'une absolue nécessité, et vous vous acquitterez fort mal de ceux que vous ferez encore.
Les charitables avis qui vous seront donnés par votre curé ou par quelques confrères seront d'une stérilité complète : vous les recevrez avec dédain et vous n'en tiendrez aucun compte, ce qui vous privera de cette salutaire ressource.
Devenu curé, car peut-être, hélas ! le deviendrez- vous, vous serez plus orgueilleux que jamais; vous voudrez dominer, régenter, abaisser tout ce qui vous fera résistance. Quand vous aurez pris un parti, vous le soutiendrez jusqu'à l'absurde, et vos prétendus triomphes seront pour votre ministère de véritables échecs.
— 128 —
Vous braverez T opinion publique ; et la censure qu'on fera de votre conduite vous aigrira au lieu de vous faire rentrer en vous-même.
L'humiliation, qui n'épargne pas les plus saints prêtres, vous atteindra comme les autres; mais bien loin d'en faire votre profit et de dire comme David : Bonum est, Domine, quia humiliasti me, vous re- gimberez contre elle avec arrogance ou vous tom- berez dans un découragement profond qui éteindra votre reste de zèle.
Yous serez présomptueux jusqu'à l'imprudence et au delà. Avec votre faible ver lu vous vous ex- poserez à dos dangers qui effaroucheraient la sainteté la mieux affermie, et vous ferez une de ces chutes affreuses que Dieu permettra pour vous éclairer, mais qui ne servira peut-être qu'à vous en- durcir ; vérifiant ainsi en votre personne la sentence de saint Augustin, qaihi'est rien de plus ordinaira que de voir celui qui s'élève par V esprit, humilié par la chair.
Malheur à vous, jeune et tendre ami, si la vue de tant de maux ne vous fait pas recourir aux re- mèdes qui vont vous être offerts pour dompter votre orgueil !
m
— Le premier moyen de se corriger d'un défaut quelconque, c'est de se bien convaincre qu'on y est sujet. Si l'orgueil est chez vous un vice domi- nant, vous devez le savoir. Plusieurs actes isolés ont, il est vrai, l'orgueil pour principe, sans que celui qui les commet s'en aperçoive ; mais l'en-
— 129 —
semble de la conduite d'un orgueilleux déclaré lui révèle à chaque instant sa misère : il la cache soi - gneusement aux autres , mais les précautions mêmes qu'il prend pour la leur cacher, Tempéchent de se la dissimuler à lui-même.
— Si vous reconnaissez que l'orgueil domine en vous, voyez si vous voulez sérieusement le combattre. Si vous ne le voulez pas, tous les moyens les plus propres aie détruire vous seraient inutilement proposés. Mais en vérité, cher ami, pouvez-vous vous voir orgueilleux et ne pas dési- rer de ne plus l'être? Pouvez-vous aimer un vice qui vous rend odieux aux yeux de Dieu, ridi- cule aux yeux des hommes et méprisable à vos propres yeux : Odibilis coram Deo est et hominibus superbia ? Pouvez-vous aimer un vice qui corrompt le peu de bien que vous faites, qui est la source de tous vos péchés , qui vous rend l'esclave du démon, qui vous dispose à des chutes honteuses, qui ravit à Dieu sa gloire , qui vous prive d'un bonheur éternel pour une vaine fumée, et qui ne vous procure aucune jouissance réelle en retour des châtiments qu'il vous prépare ?
— Méditez sérieusement et très-fréquemment ces considérations pour vous exciter violemment au combat. Mais dites-vous surtout à vous-même que plus les fonctions auxquelles vous aspirez sont saintes et sublimes, plus vous devez vous abaisser si vous voulez vous en rendre digne, puisqu'elles ne sont saintes que par les rapports étonnants qu'elles ont avec Dieu, et que rien n'est plus opposé à leur sainteté que l'orgueil de celui qui les exerce, orgueil que Dieu déteste par-dessus tout.
— 430 —
— Pensez encore à la confusion dont vous seriez couvert, si les hommes dont vous recherchez pas- sionnément l'estime voyaient au grand jour ce que vous êtes au fond. Représentez-vous ce qu'ils diraient s'ils connaissaient vos intentions, vos désirs, vos détours, vos artifices et les mille moyens que vous employez à chaque instant pour rechercher leurs éloges et gagner leur estime. Vous ne sauriez où cacher votre honte, et la pensée qu'ils connaî- traient les misérables straiagèmes de votre vanité, vous ferait redouter leur rencontre. Ils ignorent, il est vrai, plusieurs de vos manœuvres, mais Dieu les connaît toutes, pas une n'échappe à sa vue : Omnia nuda et aperta oculis ejus ; et vous ne frémi- riez pas ! et l'œil des hommes ferait plus d'impres- sion sur vous que l'œil de Dieu même ! Quel aveuglement ! quelle folie !
— Mais pensez encore au terrible avenir qui s'ouvre devant vous. Quelle vie, grand Dieu, que la vie d'un prêtre orgueilleux ! Quelle mort à la fm d'une telle vie I Quelle désolation de se dire à ses derniers moments : J'ai beaucoup travaillé, et la vanité m'a dérobé le fruit de tous mes travaux : In vanum laboraverunt ; j'ai semé du vent et je vais moissonner des tempêtes : Ventum scminabunt et turbinem 7netent ; ']' oS. eu tous les trésors du ciel en maniement ; mais assoupi dans mon orgueil, je me réveille les mains vides : Dormierimt somniim suum, et nihil invenerunt in manihus suis.
— Nourri de ces solides réflexions, armez-vous de courage et dites résolument : C'en est fait, je veux à tout prix remplacer mon sot orgueil par l'humilité ; puis, après cette exclamation, implorez
— 131 —
le secours de Dieu et demandez-lui du fond du cœur la grâce de remporter une victoire complète. Ce n'est pas seulement aux humbles qu'il donne sa grâce : Ilumilibus dat cjratiam ; mais c'est aussi à ceux qui veulent sincèrement le devenir : Desi- derium jjaupenim cxaudimt Bominus.
— Commencez le combat par vous considérer vous-même tel que vous êtes ; car puisque c'est dans le cœur que règne Torgueil, c'est là aussi qu'il faut descendre pour l'attaquer. Pénétrez-vous donc bien de cette pensée que de vous-même vous n'êtes rien, — que tout ce que vous avez est un don de Dieu, — que vous pouviez naître imbécile ou idiot si votre Créateur Teùt voulu, — que votre talent n'est nullement votre ouvrage et qu'il n'est d'ailleurs qu'une bluette comparé à celui de tant d'hommes instruits qui seraient honteux de ne sa- voir que ce que vous savez, — que vous ne pou- vez rien faire pour gagner le ciel , pas même prononcer avec mérite le nom de Jésus sans sa grâce, — que vous n'avez en propre que le péché, c'est-à-dire ce qu'il y a en vous de plus détestable, — que vous en êtes souillé au delà de ce qui peut se dire et bien plus que vous ne l'imaginez, — que Dieu connaît cette souillure et qu'il a horreur de voir que vous cherchez l'élévation et la louange quand vous ne méritez que le mépris, — que vous lui ravissez sa gloire en abusant de ses dons pour procurer la vôtre, — que vous êtes enfin un as- semblage de misères : aveuglement , surdité spi- rituelle , nconstance , incertitude , ignorance , témérité, stupidité, joie folle au milieu de la plus complète indigence. Il est impossible qu'en voyant
- 132 —
en vous tant de sujets d'humiliation, vous ne vous mettiez pas à votre vraie place, c'est-à-dire au-des- sous de tout le monde et des démons eux-mêmes, qui n'ont commis qu un seul péché d'orgueil, tan- dis que vous en commettez des multitudes innom- brables.
— Cela fait, soyez attentif : pas une pensée, pas une parole , pas une action volontaire dont l'or- gueil soit le principe. Vous vous surprenez dans la contemplation de vous-même et de votre mérite ; chassez cette pensée et remplacez-la sur-le-champ par un acte d'humilité. Vous êtes tenté de dire un mot qui va vous attirer quelque louange ; résistez à la tentation et reportez le discours sur un autre terrain. Tous allez commencer une action avec des vues orgueilleuses ; renoncez à cette action si elle n'est pas dans l'ordre de vos devoirs, ou si elle est bonne, purifiez votre intention pour n'en pas per- dre le mérite, et ainsi du reste.
— Adoptez pour règle de ne jamais parler de vous-même ni en bien ni en mal, quand vous pour- rez absolument vous en dispenser : l'orgueil quivous domine y trouverait infailliblement son compte. Détournez même adroitement la matière de l'en- tretien quand il roulera sur des choses qui vous concernent.
— Craignez beaucoup vos conversations ; avant de les commencer, offrez-les intérieurement à Dieu et priez-le qu'il les bénisse. Il est rare que dans les entretiens, même les plus saints, l'orgueil ne trouve pas quelque chose à glaner.
— Ne soutenez jamais de discussions opiniâtres pour le vain plaisir de faire prévaloir votre opinion,
— 133 —
et soyez assez humble pour reconnaître que les autres peuvent quelquefois avoir raison et que vous n'êtes pas toujours infaillible.
— N'étalez pas les enseignes de la vanité dans votre costume, et ne transformez pas le vêtement de la mortification en vêtement de luxe et de pa- rade. L'orgueil seul vous inspirerait une ostenta- tion de cettî3 nature. « N'appelez pas sur vous le » ridicule, dit le P. Valuy, par la culture affecté e » de vos cheveux ; bientôt on se demanderait ma- » lignement à qui vous voulez plaire. » (Direc- toire dit prêtre.)
— N'imitez pas les petits esprits qui croient se faire admirer par une démarche, une tenue et des manières apprêtées, et n'oubliez pas que le monde lui-même n'estime dans un ecclésiastique qu'une bonne rondeur et une simplicité modeste.
— Exprimez-vous sans affectation et sans em- phase, commeunhommequinepensenullement àlui lors même qu'il en parle. Rien n'est plus rebutant que la vanité puérile de celui qui s'écoute parler.
— Sachez supporter une contradiction et même une humiliation sans froncer le sourcil. Le vrai poison de l'orgueil c'est l'humiliation : avoir hor- reur de l'humiliation et se croire humble, c'est le comble de l'illusion : Ama nesciri et pro yiihilo reputari. « Une grande humilité, dit le P. Huby, » souffre volontiers un grand mépris ; une petite » humilité souffre volontiers un petit mépris. Si » donc je ne puis souffrir le moindre mépris, je » n'ai pas seulement le premier degré d'humilité ; » et autant je suis vide d'humilité, autant je suis » plein d'orgueil. »
II. 8
— 134 —
— Si Ton parle à la louange des autres en votre présence, louez-les vous-même : si Ton semble ne faire aucun état de vous, réjouissez-vous inté- rieurement qu'on vous oublie ou même qu'on vous méprise : Hxc altissima et iit'dissima lectio, ditrimitation, sui ipsius vera cognitio et despectio. Regardez Ibumiliation bien supportée comme une victoire, et la louange joyeusement accueillie comme une défaite. Vous ne serez vraiment humble que quand vous porterez cette conviction profondément gravée dans votre âme.
— Choisissez pendant longtemps l'humilité et l'orgueil pour matière de votre examen particulier. Ne faites jamais une méditation, une visite au saint sacrement, une communion ou un exercice spiri- tuel quelconque, sans demander instamment à Dieu, par l'intercession de Marie, la destruction de votre orgueil et l'acquisition de l'humilité. Ne l'oubliez pas, jeune et tendre ami, vous serez sans aucun suc de piété, sec, froid, lâche, prompt à vous dé- courager, présomptueux, téméraire, ridiculement vaniteux, irascible, entêté, arrogant, ambitieux, jaloux, tenace dans vos ressentiments et prédis- posé à tous les vices, si vous continuez d'être orgueilleux ; tandis que vous serez inondé de con- solations et comblé de tous les dons célestes si vous êtes vraiment humble. Que Dieu vous fasse la grâce de le devenir !
(Voyez le Saint Prêtre, chapitre de l'Humilité, page 258.)
135 —
CHAPITRE II
Le séminariste désobéissant. I
Le nouvel ennemi que nous allons coinbattre ne dissimule guère son attrait pour la liberté ; il se produit et s'avance, enseignes déployées, comme un sujet qui proclame son indépendance.
On connaît bientôt dans un séminaire celui qui se soustrait à l'obéissance. Il n'est point néces- saire pour découvrir son faible de sonder son cœur; d'interpréter ses sentiments, de lui arra- cher des aveux : ses actes de rébellion étant très- fréquents, quelque soin qu'il prenne de les cacher, ils ne tardent pas à le trahir.
Ce n'est pas au séminaire que ce défaut se fait jour pour la première fois. Il avaitpris naissance au sein de la famille, et, en se repliant sur sonpassé, le séminariste désobéissant est forcé de convenir qu'il irrita bien des fois ses parents, ses premiers maî- tres et tous ses supérieurs en général par des actes habituels de désobéissance.
Plus tard, quand il entra dans un petit sémi- naire avec le désir de tendre au sacerdoce, il se corrigea, ou à peu près, de certains vices gros- siers qui lui semblaient incompatibles avec sa sainte vocation ; mais, en comparaison de ces vices^ la désobéissance étant fort peu grave à ses
— 136 —
yeux, il ne s'appliqua guère à la combattre. Fier des victoires qu'il avait remportées sur des colosses, il regarda ce dernier ennemi comme un pygmée avec lequel il pouvait vivre en paix sans le moin- dre danger. De là une habitude d'insubordination plus ou moins grave, et peut-être, par son exemple, r entraînement de quelques condisciples dans la mauvaise voie qu'il parcourait.
C'est dans ces dispositions qu'il s'installa dans le grand séminaire ; et c'est là aussi que nous allons spécialement observer sa conduite, pour en faire ressortir les points les plus saillants.
Le séminariste désobéissant est assez régulier pendant les quelques jours qui suivent son entrée. La timidité, la contrainte, le saisissement que pro- duit l'aspect imposant du séminaire ; tout cela comprime son indépendance. Mais, hélas ! cette compression n'est pas de longue durée ; elle lui pèse beaucoup, et il lui tarde de s'en affranchir. Peu à peu donc il s'émancipe, et bientôt il remplace la timidité par la hardiesse, la contrainte par l'aisance, et le saisissement par un air plus décidé et des manières plus libres.
Le règlement a été proclamé ; il eu a entendu la lecture, et ce qui lui plait le mieux dans celte loi gênante, c'est la déclaration formelle qu'elle
n'oblige pas sous peine de péché.
Protégée par cette clause, son indépendance
éclate. 11 parle quand il devrait observer le silence;
il est en un lieu quand il devrait être en un autre ;
il va au parloir ou à la porte de la cellule de ses
condisciples sans en avoir obtenu la permission ;
il obtient des faveurs sur des faux exposés ; il
— 437 —
arrive le dernier à tous les exercices ; il trouve même quelquefois que l'heure de la méditation vient trop vite, et il la fait dans son lit.
Sa conscience, il est vrai, fait entendre quelques murmures ; elle lui dit tout bas que sa volonté et celle de Dieu sont perpétuellement en guerre ; elle met en regard de sa conduite désordonnée celle des pieux séminaristes si édifiante et si régulière ; elle ajoute que si tous les élèves se permettaient ce qu'il se permet, le désordre et la confusion rem- placeraient la régularité qui fait le charme d'un séminaire : mais il glisse à côté de ces représenta- tions importunes, et, pour s'y soustraire, il rap- pelle la clause qui lui est si chère : Le règlement n oblige pas sous peine de péché.
Est-ce tout ? Non vraiment. Quand on n'aime pas le commandement, on n'aime guère ceux qpii l'imposent : aussi n'a-t-il point pour ses supérieurs cette déférence empressée, ce tendre attachement et ce respect filial que professe le séminariste ré- gulier. Il les regarde moins comme des pères dé- voués que comme des maîtres exigeants ; il trouve leur autorité lourde et accablante : comme il est souvent en faute et qu'ils lui reprochent ses in- fractions continuelles, au lieu de profiter de leurs avertissements, il les taxe de sévérité excessive, il qualifie leur vigilance d'espionnage, et il sou- pire après le jour où il sera débarrassé de leur joug incommode.
Il va même plus loin : dans le secret intime de l'amitié, il fait part à ses familiers des peines que lui cause l'obéissance ; il parle contre ses supé- rieurs et les appelle sévères quand ils ne sont que n. 8
— 138 —
justes et même charitables. Il étend sa critique sur d'autres points encore, et au lieu de fortifier l'au- torité, qui est le principe de l'ordre et de la règle, il l'affaiblit dans l'esprit de ses condisciples par la censure qu'il en fait.
Les élèves indisciplinés sont ceux dont il fait sa compagnie favorite. Trouvant chez eux un écho fidèle, il leur parle librement comme à d'autres lui-même, et s'affermit ainsi dans sa mauvaise voie comme il les affermit dans la leur.
Quant aux séminaristes exacts et réguliers, au lieu de les admirer et de les imiter, il regarde leur conduite comme la condamnation de la sienne, ce qui n'est que trop vrai; puis, ouvrant son cœur à la jalousie, il fait de leurs petits travers, sur certains points insignifiants, la matière de ses railleries, et peut-être va-t-il jusqu'à les accuser sans motif de cajoler l'autorité.
Est-il en vacances? Il parle contre le séminaire et contre ceux qui le gouvernent ; il se plaint de leur rigueur, et bien loin de reconnaître qu'il la mérite, il en rejette tout l'odieux sur eux seuls.
C'est pendant ce temps encore qu'il se dédom- mage de la contrainte que la règle du séminaire lui imposait. Affranchi de cette règle, il vit à Taban- don, dédaignant d'imiter ses pieux collègues qui s'imposent la douce loi d'un règlement particulier, pour se maintenir dans la ferveur et mériter en- core les grâces de l'obéissance.
Ainsi s'écoule le temps le plus précieux de sa vie sans aucune comparaison ; et, chose triste- ment remarquable 1 la dernière année qu'il passe au séminaire est ordinairement la pire, quoiqu'elle
— 139 —
touche au sacerdoce. Quand il a pris son aplomb dans ce saint asile, il affecte des allures dégagées ; il se pose comme un vieil habitué qui a droit à des licences, et il viole à chaque instant la règle sans le moindre scrupule. Or, comme les nouveaux séminaristes se moulent sur les anciens, bientôt ils deviennent eux-mêmes désobéissants à leur exemple, et ainsi se perpétue l'habitude de Tinsu- bordination dans le lieu où l'obéissance la plus ponctuelle devrait seule être en règne.
Toute autorité étant insupportable à cet élève désobéissant, respectera-t-il au mxoins celle de Dieu même ? Cela nous répugne à dire, mais l'expérience nous démentirait si nous disions qu'il est fidèle en ce point. Qui ne sait, en effet, que le séminariste qui s'est fait une hal^dtude de l'insubordination, a presque toujours une conscience dure et émoussée qui transige sans façon avec tout péché dès là qu'il n'a pas un caractère marqué de difformité ; tandis que le séminariste, observateur fidèle de la règle du séminaire, a une conscience tendre et délicate qui s'alarme à l'idée non-seulement du péché, mais même de l'imperfection la plus légère?
Tels sont les traits auxquels le séminariste dés- obéissant pourra se reconnaître. Montrons-lui main- tenant où le conduira son esprit d'indépendance quand il sera prêtre.
II
Quelque répréhensible que soit la désobéissance dans le séminaire, il semble, pour ainsi dire, qu'elle n'y est qu'en germe, si Ton considère les
— 140 —
vastes proportions qu'elle prend quand on l'em- porte avec soi dans l'exercice du saint ministère. Peut-être , jeune ami , avez-vous peine à nous croire. Habitué à regarder comme des peccadilles vos désobéissances du séminaire, vous ne pouvez sans doute vous persuader que leurs funestes efTets se feront sentir dans le cours de votre vie sacer- dotale. Voyez au flambeau de Fexpérience quelle est votre erreur !
En quittant le séminaire, vous chanterez l'hymne de votre délivrance et vous direz dans l'épanouis- sement de la joie : Je suis libre ; le temps de l'es- clavage est passé : Laquetis contritus est! Illusion.
Vicaire d'abord, suivant l'usage, vous appor- terez au presbytère votre fondg d'indépendance. N'ayant pas cherché le bonheur dans la pratique de l'obéissance ; n'ayant pas appris à plier et à briser même votre volonté, vous souffrirez beau- coup et vous ferez souffrir plus encore le véné- rable curé dont vous partagerez les travaux.
Comptant sur une complète liberté, vous serez désappointé dès les premiers jours quand l'auto- rité pastorale se fera sentir. Les attributions qui vous seront dévolues n'étant pas tout à fait au gré de vos désirs, vous murmurerez déjà contre le curé qui vous les imposera.
S'il vous donne trop de travail, vous serez mé- content, et vous le serez plus encore s'il vous en donne peu. Dans le premier cas, vous direz qu'il vous écrase ; dans le second, vous direz qu'il vous jalouse.
Vous verrez des réformes à opérer, des abus à détruire, el si, choqué de ces abus, vous essayez,
— 141 —
woprio motiij d'y apporter remède, une autorité îupérieure à la vôtre comprimera les élans de ^otre zèle, et votre volonté propre sera pénible- nent mortifiée.
Les habitudes de votre curé n'étant pas les nôtres, et vous voyant forcé, en mainte circon- stance, de subir les siennes, vous gémirez amère- ment et vous ne murmurez pas ouvertement.
Son caractère, difficile peut-être , exigeant de v^otre part des précautions et des ménagements, vous ferez vos sacrifices de mauvaise grâce ; et ce qui ne serait rien pour un vicaire maniable et flexible, sera comme une montagne à soulever pour votre esprit indépendant et rebelle.
Yous croirez pouvoir entreprendre une bonne oeuvre^ une œuvre de zèle dans la paroisse, et, Qe pensant pas même que votre curé puisse dés- approuver cette pieuse entreprise, vous vous met- trez en voie d'exécution sans l'avoir consulté. Mé- content de votre liberté d'action, et ayant peut-être d'ailleurs quelques raisons pour ajourner l'œuvre que vous aurez en vue, il vous ordonnera d'y renon- cer, ce qui vous blessera certainement au vif.
Yous aimerez le jeu peut-être, et votre curé qui ne l'aimera point, vous verra de mauvais œil et vous fera même de vertes réprimandes qui ne se- ront probablement que trop méritées, mais contre lesquelles votre esprit indépendant ne manquera point de regimber.
Yous aurez un goût prononcé pour les courses, les voyages, les repas de confrères ; et votre curé qui ven'a les graves inconvénients de ces fré- quentes absences, après les avoir tolérées quelque
— 142 —
temps, apposera son veto, au risque de provoquer de nouveau vos murmures, peut-être même votre ressentiment.
Yous aurez peu de goût pour le travail, et votre négligence à cet égard se tmhissant dans vos catéchismes, vos prônes, votre éloignement du confessionnal, votre curé vous en fera de vifs reproches, et vous menacera même d'en référer, si cela continue, à l'autorité épiscopale : de là de nouveaux tiraillements, des scènes peut-être, où votre indépendance entravée se fera jour avec éclat et même parfois avec quelque scandale.
Les détails dans lesquels nous pourrions entrer seraient infinis : car que n'aurions-nous pas à dire de vos rapports avec le curé que Dieu vous ré- serve peut-être en punition do vos désobéissances passées ! curé vif et irascible, curé défiant et soup- çonneux , curé pointilleux et susceptible , curé jaloux de vos succès, curé sombre, mélancolique ou d'une humeur acariâtre et contredisante. Que d'occasions dans lesquelles le respect de l'autorité et l'humble obéissance vous viendraient en aide, et dans lesquelles, au contraire, votre habitude d'insoumission et votre manque de respect habi- tuel envers vos supérieurs, vous feront commettre des faates graves et vous rendront la vie amère et presque insupportable !
Encore si vous concentriez en vous-même vos plaintes et vos murmures : mais en sera-t-il ainsi ? Oui peut-être dans les premiers temps ; mais en- nemi, comme vous le serez de vieille date, de tout assujettissement et de toute contrainte, bientôt vous chercherez dans la paroisse le contrepoids
1
— 143 —
les peines du presbytère, et n'ayant jamais eu )our l'autorité le respect et les égards qui lui sont lus, vous colporterez de tous côtés vos chagrins lomestiques ; puis vos plaintes amères trouvant le l'écho chez vos partisans, vous organiserez ces coteries et ces divisions qui ruinent le ministère )i scandalisent les peuples.
Tôt ou tard sans doute le bruit de ces désordres )arviendra jusqu'à votre vénérable pontife, et il ^ous arrivera une de ces lettres fermes, et même )lus que fermes, où votre conduite sera vivement lensurée comme elle méritera de l'être.
Au lieu de vous incliner devant l'autorité de votre )remier supérieur, votre esprit d'insubordination 'ousferaleverlatête, et englobant dans votre ressen- iment évêque, grands vicaires et curé, vous récri- ninerez amèrement contre les uns et les autres, ma- édifiant par des critiques acerbes ceux que vous ievriez édifier par une humble et respectueuse ibéissance.
Du reste, ce ne sera pas seulement en ces cir- onstanccs que vous manquerez de respect à l'é- gard de vos hauts supérieurs. Toujours influencé ar vos mauvaises dispositions envers l'autorité, si uelquefois l'administration épiscopale est blâmée ar quelques confrères, s'ils désapprouvent ses ctes, s'ils prennent parti pour un prêtre qu'ils roient injustement frappé, s'ils -critiquent cer- lines nominations qui n'ont pas leur agrément, ous serez le chef de fde de ces censeurs témé- lires, et au lieu de contenir leur coupable oppo- Ltion, vous la rendrez, par vos malignes impru- ences, plus ardente et plus vive.
— 144 —
N'ayant jamais voulu voir la volonté de Dieu dans celle de vos supérieurs, vous n'accepterez les emplois qu'ils vous proposeront que quand ils seront selon vos goûts, et pour vous y soustraire quand ils ne vous plairont pas, vous alléguerez de vains et faux prétextes, vous intriguerez, vous agirez dans l'ombre, vous mettrez sur pied des intercesseurs complaisants, sans vous inquiéter le moins du monde de déranger par vos calculs les plans de la divine Providence, et de vous pri- ver des grâces qu'elle vous destinait dans tel poste et qu'elle vous refusera dans tel autre que vous aurez obtenu par vos secrètes manœuvres.
Et que sera-ce, grand Dieu ! quand l'adminis- tration d'une cure vous sera confiée ! Plus vous aurez fait souffrir votre curé par votre insubordi- nation, plus vous serez intraitable à l'égard de vos vicaires : c'est un fait constaté tous les jours par l'expérience. Moins pliant que jamais et pouvant d'ailleurs, avec quelque apparence de raison, user pleinement de votre autorité, vous serez exigeant, sévère, inflexible envers vos jeunes collaborateurs.
Yous régirez votre troupeau in virgâ ferreà, et l'ombre seule d'une opposition vous fera prendre feu. A la moindre occasion, vous vous élèverez contre l'autorité civile ; vous romprez même avec elle et, par cette rupture, vous attirerez sur vous et sur votre paroisse des tempêtes furieuses. Tou- jours, toujours votre volonté propre voudra domi- ner, et vous compromettez votre ministère par les excès de la sévérité, au lieu de le faire bénir par les condescendances légitimes du vrai zèle.
Eh bien ! jeune et tendre ami , eussiez- vous
— 145 —
jamais cru que votre habitude de désobéissance et d'insubordination au séminaire, vous eût conduit au déplorable terme que vous avez en ce moment sous les yeux ? Ce que vous traitiez de minutie quand vous étiez séminariste ne vous semblera- t-il encore que minutie quand vous serez un prêtre tel qu'il vient de vous être dépeint? Mais, hélas ! il sera bien tard alors de vous faire petit sous la main de l'autorité, si, dès le principe, vous n'avez pas appris à captiver votre volonté sous le joug salutaire de l'obéissance. Employez donc, sans plus tarder, les moyens qui vont vous être proposés pour vous corriger de votre défaut.
III
— Nous ne vous dirons pas de vous étudier pour voir si vous reconnaissez en vous le défaut de la désobéissance. Ce n'est point là un vice subtil et caché. Si vous êtes désobéissant, vous ne devez pas l'ignorer : mais nous vous dirons d'examiner si vous regardez l'obéissance comme une vertu très-importante, et si vous vous reprochez vive- ment les plus légers manquements à son égard.
— Pour estimer cette vertu selon sa valeur, considérez souvent, en détail et devant Dieu, les grands biens qu'elle procure et les abîmes profonds dans lesquels on tombe quand on s'en affranchit.
— Méditez fréquemment sur la vie de Notre- Seigneur Jésus-Christ, qui a été le plus parfait modèle des vrais obéissants et duquel saint Ber- nard a dit ces belles paroles : Pour obéir à son Père, il a mieux aimé perdre la vie que de perdre
n. 9
— 146 —
l'obéissance : Perdidit vitam, ne perderet obedien- tiam.
— Pensez que la volonté propre de l'homme est Tennemie jurée de l'obéissance et qu'elle est la source de tous les maux en ce monde et en l'autre, selon ces paroles que dit encore saint Bernard : Toile propriam voluntatem et infernus non erit.
— Ne regardez jamais la plus légère violation de l'obéissance comme peu de chose. Si vous ne respectez cette vertu que dans les grandes occa- sions, ces occasions étant rares, vous ne serez jamais un vrai obéissant ; tandis que si vous pra- tiquez habituellement l'obéissance dans les plus petits détails, vous briserez par là même à chaque instant votre volonté propre et vous atteindrez votre but.
— Faites-vous une loi d'obéir en tout temps, en tous lieux et en toutes choses. Si vous n'obéissez qu'en quelques circonstances, ce sera toujours en celles où vous n'aurez presque aucun sacrifice à faire, et ainsi votre obéissance même sera, pour ainsi dire, encore un acte de propre volonté.
— Obéissez de bonne grâce et non à contre- cœur ; étouffez vos murmures et vos répugnances. Pour mettre vos supérieurs à l'aise dans le com- mandement, laissez-leur ignorer que ce qu'ils vous prescrivent vous contrarie ; usez comme les saints d'une pieuse hypocrisie, en montrant un certain contentement lors même que naturellement vous ne l'éprouvez pas : Hilarem datorem diligit Deus. Â.gir ainsi, c'est exterminer la désobéissance.
— Purifiez vos vues en obéissant : pas de res- pect humain, pas de crainte servile, pas de consi-
dératioû d'intérêt propre : voyez Dieu dans vos supérieurs et n'obéissez que pour lui plaire.
— Obéissez promptement : jamais de délais ni d'ajournements. L'obéissance a ses traînards comme les armées. Les séminaristes qui disent toujours : j'ai le temps, rien ne presse, je puis bien finir ceci ou cela, et qui n'arrivent jamais qu'après les autres , sont des traînards et des làcbes. Imitez les anges : dès que Dieu leur intime sa volonté, ils l'exécutent à l'instant même : qu'il dise à l'un d'être pendant quatre-vingts années le gardien du flls d'un pauvre charbonnier qui vient de naître au fond d'une forêt, ou qu'il dise à l'autre de garder le flls d'un roi dans un riche palais, le premier ne balance pas plus que le se- cond à remplir sa mission : Fidelis obediens, dit saint Bernard, nescit moras, fugit crastinurriy igno- rât tarditatem. '
— Jamais un mot contre vos supérieurs : le bon séminariste aimerait mieux mourir que de blâmer ou même de désapprouver l'autorité ; il a toujours devant les yeux cette sentence du divin Sauveur : Qui vos audit me audit, qui vos spernit me spemii.
— Ayez pour le règlement du séminaire un respect inviolable ; considérez-le comme la parole de Dieu même : si vous le gardez, il vous gardera. Le séminariste, violateur habituel du règlement, est en voie de perdition; il sera certainement plus tard un prêtre indépendant, c'est-à-dire un pauvre prêtre. Le démon le sait bien quand il lui dit à chaque instant qu'il peut enfreindre sa règle sans péché.
— Confessez-vous des moindres violations du
— 148 —
règlement. Appelez l'attention de votre confesseur sur ce point capital ; priez-le de vous prêter main- forte pour vous aider à acquérir T obéissance par- faite, et punissez-vous toujours des plus petites fautes que vous commettrez contre cette vertu.
— Pour acquérir plus sûrement encore j 'amour de la règle, faites-vous à vous-même un règlement particulier en sus du règlement commun. Déter- minez dans ce règlement l'ordre précis de vos travaux de chaque jour, afm d'être sans cesse dans l'exercice de l'obéissance. N'oubliez pas sur- tout votre règlement des vacances, et soyez fidèle à l'observer depuis le premier jour jusqu'au dernier.
Que vous serez heureux, jeune et tendre ami, si vous suivez ces règles ! Ah ! soyez-en sur, vous ne serez jamais un de ces prêtres immortifiés qui ne veulent que ce qu'ils veulent, qui reculent devant un sacrifice et qui désolent leurs- supérieurs par des actes de rébellion dont quelquefois les jour- naux retentissent, actes après lesquels vient une rétractation qui ne répare jamais qu'à demi le scandale de leur révolte.
Soyez obéissant, jeune et digne ami, soyez-le en tout et toujours, et Jésus qui aura été votre modèle, sera lui-même votre récompense.
'(Voyez le Saint Prêtre, chapitre de l'Obéissance, page 203.)
— 149 —
CHAPITRE III
Le séminariste entêté, inflexible, opiniâtrement attaché à son sentiment.
ï
Le séminariste entêté peut tenir pour certain que l'orgueil est un de ses vices dominants ; car Tentètement est de l'orgueil tout pur. L'orgueil- leux, en effet, veut triompher en tout et toujours ; or que prétend l'homme entêté, si ce n'est aussi de triompher et de vouloir absolument ce qu'il veut, au mépris de la volonté des autres ?
Malheur à lui s'il avance une proposition fausse ! il la soutiendra vraie contre toutes les clartés de l'évidence. Cette évidence, d'un côté, et son amour- propre, de l'autre, seront comme deux soleils qui brilleront devant lui ; mais le second soleil éclip- sera le premier; c'est tout simple : l'un sera hors de lui, l'autre sera en lui-même ; et placé pour ainsi dire au centre même des rayons de ce der- nier, il sera aveuglé par la fausse lumière qui jaillira de son propre fonds.
Si l'on insiste pour le convaincre, il insistera de son côté pour imposer sa conviction, et, dans toute discussion, il faudra qu'il ait le dernier mot.
S'il se connaissait bien; s'il savait que quand il avance quelque chose il n'en veut pas démordre, il est probable qu'il s'interrogerait secrètement aTant
— 150 —
de se prononcer sur tel ou tel point ; mais sa con- fiance aveugle en lui-même, qui est un de ses traits caractéristiques, ne lui laisse point suivre cette règle de prudence. Aussitôt qu'une question se présente, il prend son parti, et dès qu'il l'a pris, il s'y cramponne avec une invincible ténacité.
La vérité n'est pas ce qui le touche; le triomphe de son opinion, voilà la seule chose qui le préoccupe. Si de temps en temps, dans la chaleur de la dispute, certains éclairs de vérité le saisissent, il les consi- dère comme des lueurs trompeuses et persiste opi- niâtrement à ne croire vrai que ce qu'il soutient.
Quelque fortes que puissent être les raisons que son adversaire fait valoir, il les trouve d'une fai- blesse pitoyable et glisse à côté d'elles en les flé- trissant d'un sourire dédaigneux.
Bien plus , il leur refuse souvent l'attention qu'elles méritent. S'il cède la parole à son interlo- cuteui% c'est bien moins pour écouter ce qu'il va dire, que pour chercher de nouveaux arguments à l'appui de sa thèse. Qu'il y fasse attention, et il verra qu'à la fin d'une dispute, il lui serait impos- sible de reproduire les raisons dont on s'est servi pour le convaincre : comment le pourrait-il? il n'a pas daigné les entendre.
Au milieu de ses triomphes, il essuie parfois des défaites bien pénibles pour son amour-propre; c'est, par exemple, lorsqu'on lui démontre nette- ment que tel fait, dont il soutenait la réalité avec son opiniâtreté ordinaire, est complétem^ent inexact. Quand la discussion roule sur des choses purement intellectuelles, il est à l'aise et chicane tant qu'il veut ; mais un fait extérieur, patent, physique-
~ 151 —
ment saisissable, a une puissance irrésistible qui le déconcerte.
Encore s'il défendait ses opinions avec le calme et la modération dont une bonne éducation fait un devoir; mais qu'il est loin d'en être ainsi! Aveu- glé par son orgueilleuse obstination, il décide, il tranche, il sabre sans pitié, et semble trouver étrange qu'on s'avise de le contredire, ne voulant pas voir qu'il irrite au lieu de persuader, et que l'adversaire le plus modéré s'échaufTe lui-même d'un feu qui ne lui est pas naturel et que la vio- lence du choc fait jaillir.
Faut-il s'étonner si, dans l'ardeur du débat, des expressions plus que déplacées se font jour? L'homme entêté est presque toujours un hom_me incivil et grossier ; à défaut de bonnes raisons il dit des injures, ou du moins des mots irritants qui impriment caractère dans l'esprit de ceux qu'ils atteignent et dont ils gardent un long et amer sou- venir.
Les froideurs et les rancunes, qui quelquefois altèrent la douce sérénité d'un séminaire bien réglé, ont presque toujours pour cause l'opiniâtreté d'un séminariste mal élevé. Un peu de flexibilité et de condescendance tarirait infaHliblement la source de ces petites divisions au sein desquelles la charité succombe.
Un séminariste entêté est à charge à ses condis- ciples ; ils le fuient comme un être insociable, et quand ils sont obligés de le subir, ils s'arment de patience s'ils sont vertueux, et le laissent trôner en maître dans les conversations.
Ce n'est pas pourtant qu'il soit toujours dans le
— 152 —
faux quand il soutient quelque chose ; mais lors même qu'il est dans le vrai, il gâte la bonne cause dont il se fait le patron par la manière impérieuse et magistrale dont il la plaide. La vérité dans sa bouche perd une partie de son lustre, et on la plaint d'avoir un avocat qui la défend si mal. Sou- vent même on se sent naturellement porté à le contredire quoiqu'on sache bien qu'il a raison, tant on est choqué des airs prétentieux qu'il s'arroge.
Il arrive quelquefois que le séminariste entêté a des qualités qui voilent à ses yeux le 'défaut au- quel il est sujet. Il n'est pas rare, en effet, de voir une piété, même assez avancée à quelques égards, unie à l'opiniâtreté ; et cette piété, qui n'est pas inconnue à celui qui en est doué, l'aveugle et le rassure au lieu de l'éclairer et de lui inspirer des craintes. Son opiniâtreté, à lui, porte pour l'ordi- naire sur des points philosophiques, théologiques, moraux ou ascétiques qu'il croit en conscience pouvoir soutenir et qu'il soutient en effet, mais avec un zèle qui n'est pas toujours selon la science. Combien de pieux séminaristes et de saints prê- tres, au temps où Lamennais proclamait ses doc- trines philosophiques, défendaient ces doctrines avec une chaleur immodérée avant qu'elles eus- sent été condamnées par le Saint-Siège !
D'autres fois, c'est à la science que la pertinacité se trouve jointe. Le savant, quand il est entêté et qu'il n'est pas humble, est un fléau pour l'Église. C'est dans la tête des hommes de sa trempe que se forment les hérésies. Tout bouffi de son savoir, il agit comme s'il avait reçu le don d'infaillibilité. Secondé par le talent, il met ses lumières au ser-
— 153 —
vice de Terreur, et s'enfonce rapidement dans Fabime sans vouloir entendre les voix amies qui lui donnent de salutaires conseils. La haute opi- nion qu'il a de lui-même ne lui permet pas de croire qu'un homme qui lui est inférieur en talent puisse être dans le vrai, et lui dans le faux, sur le point qu'ils discutent. Que de fois, depuis la déplorable fm de Lamennais, nous nous sommes rappelé ces mots d'un médecin distingué qui avait eu l'occa- sion de le voir un jour : « Quel homme bilieux I nous disait-il, — et cela avant ses premières er- reurs. — S'il s'égare, je le crois d'humeur à ne revenir jamais ! » L'événement, hélas ! n'a que trop vérifié la prophétie du savant docteur.
Du reste, ce n'est pas seulement dans ses discus- sions que notre séminariste est obstiné, c'est aussi dans ses actes. S'il a résolu de ne pas faire une chose, et si surtout il a dit formellement qu'il ne la ferait point, rien au monde ne la lui fera faire.
La sentence érigée en axiome quil vaut mieux plier que 7'ompre, n'est point à son usage : plier, revenir sur ce que l'on a avancé, est à ses yeux faiblesse et pusillanimité. Voulant donc faire pa- rade de ce qu'il appelle fermeté d'esprit, il prend l'inverse de la devise des sages et dit avec aplomb : // vaut mieux rompre que plier.
Il va quelquefois plus loin encore : joignant l'au- dace à l'obstination, il s'évertue à prouver, lors même qu'il sait le contraire, qu'il s'est conduit comme il devait se conduire. Qui n'a pas entendu cent fois des hommes entêtés dire avec énergie en hochant la tête : Ce que j'ai fait est bien fait ; si fêtais à le faille, je le ferais encore ?
II. 9.
— 154 —
Od l'entreprend, on le combat, on le dépiste, on
Faccable sous le poids de raisons péremptoires pour le forcer à reconnaître son tort, et tout ce qu'on obtient, c'est de lui faire répéter isa phrase favorite : Si j'étais à le faire, je le ferais encore.
Un jour, un homme du monde nous dit avec naïveté ces mots qui nous frappèrent : « Je suis bien heureux d'être catholique croyant ; car si j'étais né protestant, je sens que rien n'aurait pu me déterminer à embrasser le catholicisme. » Cet homme devait être entêté, et nous savons qu'il l'était en effet.
Un séminariste opiniâtre résiste à ses supérieurs comme à ses égaux. Ils auront beau défendre une chose ou en prescrire une autre : tous obéiront, lui seul résistera. Tout au plus dissimulera-t-il prudemment ses rébellions comme un enfant in- soumis qui se cache pour faire ses fredaines.
L'obéissance silencieuse et passive, qui faisait la gloire des saints, lui semble une lâcheté. Si on ne lui démontre pas la raison du commandement, ou si cette raison lui semble frivole, il se cabre, il murmure, et s'il craint les suites d'une désobéis- sance ouverte, il se venge de l'autorité qui le com- prime, parla critique amère qu'il eu fait dans des entretiens secrets avec ses condisciples.
Ses confesseurs eux-mêmes ne le convainquent pas toujours. S'ils exigent de lui des sacrifices qu'il ne veut pas faire, il les taxe d'exagération et les considère comme de petits esprits dont on n'est pas toujours obligé de suivre les lumières.
Rentré dans la maison paternelle pendant les vacances, ses parents qu'il a tant de fois fait gémir
— 155 —
par les entêtements de son jeune âge, gémissent encore, et plus amèrement que jamais, de voir que le séminaire même ne l'a pas corrigé de son défaut. Ils concluent, non sans raison, qu'il por- tera dans l'exercice du saint ministère l'opiniâtreté dont il fait preuve à chaque instant, et son avenir, l'avenir d'un fils chéri', leur apparaît gros de tem- pêtes et de disgrâces. Dans la famille, comme par- tout, il faut qu'on lui cède ; il excite lui-même des discussions qu'il devrait calmer, et provoque des vivacités qui sont loin de faire son éloge.
Les compagnies du monde où il paraît, sont aussi le théâtre de ses dissertations obstinées. La plus légère contradiction lui fait ombrage, et là encore il se montre tenace et opiniâtre, au lieu d'édifier ceux qu'il fréquente par une douce et aimable condescendance.
Quelquefois sa conduite pendant les vacances laisse à désirer sur certains points assez délicats. Peu de piété, amour du jeu, absences continuelles, fréquentations inconvenantes ; tout cela lui attire des traits malins qui font souffrir ses amis : mais c'est assez qu'ils lui en disent un mot pour qu'il perpétue obstinément ses légèretés et ses impru- dences. Rien ne le touche, rien ne l'ébranlé, et sur ce point comme sur tous les autres, il s'attache éperdument à son sentiment propre, en dépit de celui des hommes prudents qui l'éclairent.
Pauvre jeune homme ! où vas -tu ? et quelles seront les suites de cet entêtement qui t'aveugle? En réponse à ces questions, écoute et retiens bien ce que l'expérience va Rapprendre.
— 136 — II
Rien ne nous inspire plus d'inquiétude que l'état d'un jeune prêtre qui sort du séminaire sans y avoir déposé sa suffisance, sa vanité, son caractère entier, sa confiance en lui-même et son entêtement. Ses premiers pas dans le saint ministère seront des chutes, et ces chutes l'endurciront de plus en plus au lieu de l'avertir et de le corriger.
Les prêtres de ce caractère mettent le trouble dans les paroisses, et toujours ils cherchent ail- leurs qu'en eux-mêmes la cause des désordres dont ils sont les auteurs.
Prenez au hasard, dans le champ de l'Église, un troupeau où les brebis sont insurgées contre le pasteur : nous ne croyons pas nous tromper en disant que, très-probablement, ropiniâtre ténacité de celui-ci est le principe du mal. Il nous prouvera sans doute que ses prétentions sont fondées ; mais nous lui prouverons, nous, qu'il a tort de les pousser aussi loin qu'il le fait, et qu'il devrait en rabattre quelque chose pour le bien de la paix ; nous lui prouverons, en outre, qu'au lieu d'im- poser sa volonté comme un ordre, il devrait la faire accueillir comme une supplique et méditer ce mot de saint Paul : Omnia mihi licent, sed non omnia expedinnt.
On ne résiste guère à un prêtre toujours doux, conciliant, humble, et sachant sacrifier ses vues personnelles quand le plus grand bien l'exige. Au contraire, tout est obstacle à l'orgueilleux, tout s'arme contre lui quand il parle et agit en despote, et que, toujours ferme, il refuse de plier à propos
— 157 —
pendant la tempête pour se relever intact quand elle est passée.
Mais venons à vous, jeune et tendre ami, et voyons les fautes que votre opiniâtreté vous fera commettre .
Quel que soit le ministère que vous exerciez, ne croyez pas qu'il sera sans épines et sans contra- diction. Ayez des intentions pures, un zèle ardent, une application constante à vos devoirs, des mœurs irréprochables et autres qualités fondamentales ; l'ien de tout cela ne vous préservera de certaines oppositions qui viendront fréquemment entraver votre marche. Si donc vous voulez impérieusement que toujours votre volonté s'exécute ; si vous ne savez pas la faire fléchir pour éviter des conflits, vous serez à chaque instant dans un état de lutte, et vous ruinerez votre autorité précisément par les moyens que vous emploierez pour la faire pré- valoir.
Dès le premier jour peut-être, votre curé élèvera des prétentions qui seront en désaccord avec les vôtres, et votre volonté revêche s'insurgera contre celle de votre bupérieur hiérarchique. Yous insiste- rez pour l'emporter, il insistera plus que vous encore pour maintenir son dire, et vous subirez l'humiliation d'une défaite.
Le lendemain, nouvelle scène et nouvelle preuve d'entêtement de votre part : discussions animées, paroles inconvenantes, échange de raisons à l'ap- pui de vos sentiments respectifs : tels sont les préliminaires de la rupture. Céderez- vous ? Non. Résisterez-vous ? Oui ; mais alors plus de paix, plus d'harmonie, plus de confiance mutuelle ; état
— 158 —
de malaise par conséquent, état de guerre et de souffrance que votre obstination perpétuera, et qu'un petit grain de condescendance ferait aussitôt disparaître.
Vous ne serez plus au séminaire où tout pliait devant vous, et où, n'ayant affaire qu'à des sémi- naristes qui vous épargnaient pour ne pas vous irriter , vous teniez le sceptre des discussions. L'humble déférence de vos condisciples vous aura gâté, et vous voudrez traiter avec votre curé comme vous traitiez autrefois avec vos égaux. C'est de sa part que vous viendra la leçon de l'obéissance ; mais, hélas ! ne sera-t-il point trop tard pour en profiter, et ne reviendrez-vous point à votre maxime qu'il vaut mieux rompre que plier?
Nous l'avons dit au chapitre de la Désobéissance, rien de plus fréquent dans la vie d'un vicaire que les occasions de discuter avec un curé. Les goûts et les habitudes ne sont pas les mêmes; les opinions théologiques, politiques, etc., offrent des diver- gences ; les plans d'administration plaisent à l'un et déplaisent à l'autre ; le partage des fonctions du ministère n'accommode guère que celui qui le fait; les moyens de réforme, en matière d'abus, semblent excellents à celui-ci et pitoyables à celui- là; les œuvres de zèle et la manière de les conduire sont diversement appréciées. Or, tout cela revenant à chaque instant, suscite inévitablement des débats perpétuels; débats dont on verrait à peine l'ombre, si le vicaire savait fléchir et se borner à de simples observations sans vivacité ni amertume ; mais dé- bats chaleureux, passionnés peut-être, si le vicaire est opiniâtre par nature et veut usurper le com-
— 159 —
mandement ou du moins l'exercer à l'égal de son curé, ce qui est impraticable.
Si encore les suites de votre entêtement ne se faisaient sentir qu'au presbytère, le bon esprit de votre curé et celui de la servante, en la supposant charitable et discrète, concentreraient le feu dans son foyer : mais, violemment comprimé comme vous le serez par une autorité que vous trouverez insupportable, vous voudrez vous accorder comme dédommagement la satisfaction de trouver des approbateurs de vos idées, et vous communiquerez à des confrères et même à des laïques qui l'igno- reront, ce qu'il serait important qu'ils ignorassent toujours.
Du reste, votre entêtement ne sera bientôt plus im secret pour personne. Chaque jour vous en donnerez de nouvelles preuves. Le monde lui- même sera témoin de vos discussions impétueuses. Sur des matières quelquefois insignifiantes, vous émettrez des opinions qui, n'étant pas toujours partagées, provoqueront votre vivacité et mettront en relief votre obstination. Les hommes grossiers se fâcheront tout net, et les hommes polis diront entre eux que vous ne l'êtes guère et que vous blessez autant la civilité que l'Évangile.
Et que sera-ce donc, grand Dieu, quand vous serez curé ! C'est alors que votre caractère entier paraîtra dans tout son jour ; mais c'est alors aussi que vous en recueillerez les mauvais fruits.
Pour qu'un curé opiniâtre et inflexible fit quelque bien dans la paroisse qu'il gouverne, il faudrait que tous les habitants de cette paroisse fussent doux, charitables, pieux, obéissants et pleins de
— 160 —
respect pour leur pasteur, quelque sévère qu'il fût dans l'exercice de son autorité. Mais où trouver un troupeau si harmonieusement composé? Croyez- nous, jeune ami, une telle paroisse n'existe dans aucun diocèse. 11 en est assurément un grand nombre dans lesquelles la paix règne et le mini- stère est fructueux ; mais, même dans celles-là^ il y a des éléments cachés de troubles et de divi- sions ; éléments qui se produiraient bientôt s'ils n'étaient pas comprimés par l'esprit de douceur, de charité et d'humble condescendance du pasteur qui les administre. Encore, malgré les heureuses qualités de son caractère, n'est-il pas toujours à 1 : 1,^1 de certaines oppositions auxquelles il semble qu'il ne devait pas s'attendre. Que sera-ce donc de vous, qui ne saurez pas souffrir une contradiction sans prendre feu, et qui vous en attirerez une multitude par votre esprit dominateur et votre volonté absolue et inflexible !
En quel état sera votre paroisse quand vous di- rez : Je veux, et qu'elle dira : Je ne veux pas? Reviendrez-vous sur une mesure que vous aurez adoptée et peut-être solennellement proclamée du haut de la chaire, si elle rencontre une opposition vive qui "vous fasse voir qu'il est plus avantageux d'y renoncer que d'en poursuivre l'exécution? C'est ce que ferait un curé sage qui chercherait bien plus la gloire de Dieu que le triomphe de son opi- nion personnelle. Mais vous n'agirez pas ainsi, vous qui aimerez mieux rompre que plier. Tout épris de l'utilité de votre mesure, et plus épris encore du désir de maintenir votre autorité, que vous croirez toujours compromettre par une con-
— 161 —
cession, vous lutterez, vous tiendrez ferme et vous gâterez tout.
Quand, à la suite d'une discussion très-animée avec un de vos paroissiens, Vous vous retirerez tous les deux froids et plus que froids, repassant l'un et l'autre au fond d'un cœur aigri les paroles mor- dantes que vous aurez échangées dans l'ardeur du débat, vous rappellerez-vous, pour la mettre en pratique, la leçon de l'Apôtre : Sol non occidat super iracundiam vestram. Nolite locum dare dia- bolo ? C'est ce que ferait un curé qui mettrait la charité au-dessus de son amour-propre ; mais c'est ce que vous ne ferez point, vous qui ne voulez jamais reconnaître vos torts et qui regardez comme une bassesse de faire des excuses.
Quand vous aurez centriste, humilié, découragé peut-être un pénitent par une réprimande bles- sante ou par l'application d'une règle imposée avec rigueur au lieu d'être proposée avec bonté, l'ac- cueillerez-vous, s'il revient, avec une charité in- dulgente qui lui fasse oublier la peine que vous lui aurez causée dans la confession précédente? C'est ce que ferait un bon père à l'égard de ce pauvre prodigue, s'il mettait le salut d'une âme que la rigueur peut compromettre, au-dessus des malignes inspirations d'une dureté opiniâtre. Mais c'est ce que vous ne ferez point, vous qui ne sortez jamais de la voie dans laquelle vous avez mis le pied.
Quand vous aurez encouru l'animadversion d'un maire, d'un instituteur ou de quelque personnage influent de la paroisse, par certains actes ou cer- tains discours imprudents, arrêterez-vous dès le
— 162 —
début les dissensions, toujours si nuisibles, dont vous serez menacé ? Aurez-vous assez de courage pour changer d'allure, et assez d'humilité pour faire quelque démarche conciliante? C'est certai- nement ce que ferait un digne curé qui saurait le mal incalculable que produisent dans les paroisses les divisions qui y éclatent en de telles rencontres ; mais c'est ce que vous ne ferez point, vous qui tenez à honneur de faire tète à l'orage et qui pré- tendez que toute autorité s'affaisse devant la vôtre.
Quand un ami, un confrère, un pieux laïque, apprenant que vous fréquentez certaines compa- gnies, ou que vous c ^mmettez quelques légèretés et imprudences don ils redoutent pour vous les conséquences fâcheuses, hasarderont timidement et avec précaution un charitable conseil, le rece- vrez-vous de bonne grâce et même avec recon- saissance, ce conseil salutaire? C'est ce que ferait un pieux curé qui tiendrait avant tout à conserver sa réputation intacte sur un point où elle n'est jamais impunément attaquée ; mais c'est ce que vous ne ferez point, vous qui ne voulez jamais vous régler par l'avis des autres, mais uniquement par vos propres lumières.
Bref, en toutes circonstances, vous n'écouterez, vous ne consulterez que vous seul. Parents, amis, confrères, supérieurs même, tous parleront en vain quand ils ne ratifieront pas ce que vous aurez décidé. Votre veto une fois prononcé, vous ne le retirerez jamais. Les entreprises les plus inoppor- tunes, les inconséquences les plus choquantes, les procédés les plus indélicats, les discours les plus irritants, rien ne vous coûtera pour soutenir ce
— 163 —
que vous vous serez mis en tête d'accomplir. Le mécontentement sera dans tous les esprits, la dés- affection gagnera tous les cœurs, quelques flat- teurs seulement allumeront le feu au lieu de l'é- teindre, et la place ne sera plus tenable, et Ibs supérieurs vous la feront quitter, et la paroisse sera longtemps à se remettre de ses agitations, et en vous retirant vous blâmerez l'autorité de ne pas vous avoir soutenu, et vous persisterez à croire que vous aviez raison de tenir ferme, et vous accu- serez tout le monde excepté vous-même, qui serez pourtant la principale cause de tous ces désordres. Ne croyez pas, jeune ami, que tout ceci soit le rêve d'une imagination exaltée ; non : c'est, n'en doutez point, le récit fidèle des sottises d'un esprit opiniâtre qui n'a pas appris au séminaire à maî- triser sa volonté rebelle. Pendant qu'il en est temps encore, tarissez donc la source d'un si grand mal, et mettez en pratique les règles qui vont vous être assignées pour vaincre votre obstination.
III
— Si vous êtes entêté, commencez par vous bien convaincre que vous l'êtes en effet. Ce n'est pas toujours chose aisée, car la fermeté d'esprit, qui est une qualité précieuse, se confond souvent avec l'opiniâtreté, qui est un vice. Que de gens se glorifient d'être fermes, et qui devraient s'humi- lier d'être opiniâtres !
L'homme ferme, mais qui unit la prudence à la fermeté, s'entoure, avant de prendre un parti, de toutes les lumières de la sagesse pour voir s'il a
— 164 —
raison de l'adopter : l'homme entêté, croyant toutes ses idées bonnes, s'attache sans discernement aux
premières qui se présentent.
L'homme ferme prévoit les obstacles et renonce à son projet quand il les croit insurmontables : l'homme entêté méprise les obstacles et se croit toujours assez fort pour les renverser.
L'homme ferme accueille les sages conseils et ne dédaigne pas même de les provoquer ; l'homme entêté n'admet que ceux qui favorisent ses vues et rejette impitoyablement tous les autres.
L'homme ferme poursuit l'exécution de ses plans avec dignité et convenance : l'homme entêté pousse sa pointe avec une vigueur passionnée et remplace la raison par la colère.
L'homme ferme, enfin, ne l'est pas au point de continuer d'agir quand il reconnaît qu'il est bon de s'arrêter : l'homme entêté, au contraire, ne recule jamais et s'expose sans balancer à une dé- route complète plutôt que de subir l'humiliation d'un désistement.
Jugez-vous d'après ces règles.
— Pour réformer votre caractère opiniâtre, in- terrogez vos souvenirs. Vous avez vu peut-être des paroisses divisées, des luttes déplorables entre le sacré et le profane : voyez si la douceur et la con- descendance des pasteurs n'eût pas éteint le feu dont leur obstination entretenait l'ardeur, et si, au moyen de quelques concessions, le calme n'eût pas sur-le-champ succédé à la tempête.
— Mais rentrez en vous-même et considérez, sous l'œil de Dieu, si les emportements de vos pa- rents, les châtiments de vos maîtres, les disputes
-- 165 —
et les ressentiments de vos condisciples n'ont pas eu votre opiniâtreté pour cause, et si, par une humble soumission, vous n'eussiez pas conjuré les chagrins et les peines que vous attirait votre entê- tement.
— Yous détestez l'orgueil ; voyez si l'opiniâ- treté n'est pas un de ses plus mauvais fruits. « L'homme obstiné, dit saint Laurent Justinien, » est inconsidéré, désordonné dans ses paroles, » déréglé dans ses affections ; il s'ignore lui-même » et hait toute autre inspiration que les siennes » propres. » Quel orgueil insoutenable !
— Yous avez Jésus-Christ pour chef et pour modèle ; comment reconnaître en vous son disciple si vous êtes aussi opiniâtre qu'il était humble et soumis? « Quelle impudence, s'écrie saint Ber- » nard, que l'homme, un petit ver de terre, ose )) s'enfler d'orgueil et refuser de se soumettre, » tandis que Jésus-Christ, le Dieu de majesté, s'est » soumis à un pauvre artisan I »
— Yous frémissez quand on vous contredit, la moindre opposition vous irrite ; comment ne voyez- vous pas les peines que vous occasionnez à ceux qui vous fréquentent, vous qui, à tout moment, vous faites un jeu de les contredire? Yous voulez qu'on accepte humblement toutes vos idées, et vous n'acceptez celles d'aiitrui que quand elles cadrent avec les vôtres : quelle injustice !
— Instruit par le passé, devancez et prévoyez l'avenir. Nous vous le déclarons, jeune et tendre ami, avec l'autorité d'une expérience que nous vous conjurons de ne pas mépriser, vous ferez le malheur des autres et votre malheur propre si
— 166 --
vous ne domptez pas votre esprit opiniâtre. Vous n'aurez pas un jour de calme dans votre vie de prêtre; vous soulèverez des discussions au lieu de les prévenir et de les éteindre ; vous aigrirez les cœurs au lieu de les consoler ; vous vous ferez haïr au lieu de vous faire aimer ; vous stériliserez votre ministère au lieu de le faire respecter et bénir ; vous croirez quelquefois triompher, et vos prétendus triomphes seront mille fois pires que des défaites ; vous sèmerez enfin la division dans les paroisses qui vous auront pour pasteur, et vous vous attirerez la haine de Dieu même, selon ces pa rôles de nos saints Livres \ Il y a six choses que Dieu hait, et il y en a une septième qu'il déteste : cest celui qui sème la discorde entre ses frères. (Prov.)
— Comment lire avec esprit de foi ce qui précède et ne pas se dire à soi-même : C'en est fait ; je veux, à partir de ce jour, combattre à outrance le mauvais fonds d'opiniâtreté que je reconnais en moi ? Combattez-le donc, jeune ami, et soyez inflexible envers vous-même comme vous l'avez été jusqu'ici envers les autres. De grâce, ne vous épargnez point, et soyez sur que la destruction du défaut qui vous est signalé est une des plus belles vic- toires que vous puissiez remporter.
— Pour que le succès soit complet, ne vous contentez pas de quelques attaques isolées. La ténacité de la propre volonté n'est pas ordinaire- ment vaincue par quelques grandes résistances en des occasions d'éclat ; ce sont les combats de détail qui la détruisent. Appliquez-vous donc à vous vaincre sur les points les plus insignifiants en apparence. Broyez sur-le-champ votre volonté
— i6T —
quand vous voyez qu'un commencement d'obsti- nation semble l'endurcir, et habituez- vous à res- pecter celle des autres.
— Dès le début d'une discussion, rappelez-vous votre plan d'attaque. Allez droit à la vérité et n'ambitionnez que son triomphe. Soyez digne, charitable, prudent et toujours modéré. Si votre adversaire s'échauffe, restez calme ; s'il s'échauffe plus encore et si la discussion prend un caractère violent, rompez-la et faites le sacrifice de votre opinion en disant : Je puis me tromper en ceci, n'en parlons plus.
— Quand ce que vous serez sur le point de dire ne sera pas incontestablement vrai, ne l'affirmez jamais d'un ton tranchant et magistral ; proposez- le plutôt sous la forme du doute et de l'incertitude. De cette manière, vous vous ménagerez une re- traite honorable et facile si la lumière du débat vous fait voir que vous vous étiez trompé ; tandis que si vous faites tout d'abord une affirmation formelle et vigoureusement accentuée, l'amour- propre, mis en jeu par cette affirmation, vous in- spirera tout naturellement de résister à la vérité même que vous aurez en face.
— Écoutez toujours avec attention et bonne foi tout ce que dit votre adversaire, et ne faites pas comme ceux qui ne pensent qu'à chercher des arguments à l'appui de leur opinion, au lieu d'é- couter les raisons qu'on leur oppose.
— Quelle que soit la nature de la discussion et à quelque degré de chaleur qu'elle soit arrivée, soyez toujours disposé à sacrifier sans ménagement toutes vos prétentions et à embrasser la vérité dès
— 168 ~
que votre interlocuteur la fera briller à vos yeux. Votre opiniâtreté sera vaincue et radicalement dé- truite si vous agissez constamment ainsi : Nolle aliis acquiescer e, dit Flmitation, cùm id ratio pos- tulat aut causa, signum est superbise et pertinaciae ,
— Ne craignez jamais de reculer non-seulement dans vos petits débats, mais encore dans vos ac- tions, quand vous vous verrez engagé dans une mauvaise voie. Eussiez-vous dit formellement : Je ne ferai jamais ceci ou cela, faites-le sans hésiter dès que vous verrez que vous le devrez faire. Le vrai honneur consiste non pas à faire toujours ce qu'on a dit qu'on ferait, mais à revenir humblement sur ce qu'on avait d'abord avancé, quand on re- connaît qu'on doit agir autrement.
— Vous manquerez sans doute quelquefois et même souvent, dans les commencements, aux règles que nous venons d'assigner ; mais soyez ferme et ne vous découragez jamais. Après chaque victoire , quelque petite qu'elle soit , remerciez Dieu de vous l'avoir fait remporter et priez-le de vous accorder la grâce d'en remporter de nouvelles. Après chaque défaite, quoique sur des points de peu d'importance, humiliez-vous, condamnez-vous, punissez-vous même pour témoigner à Dieu votre repentir et obtenir de son infmie bonté la grâce de ne plus tomber.
— Ayez un moniteur particulier à qui vous con- fierez le projet que vous aurez formé de combattre votre entêtement, et priez-le de vous avertir soit formellement, soit par un signe de convention quand il vous verra commettre quelque infidélité.
. — Appelez tout spécialement l'attention de votre
— 169 -^
confesseur et de votre directeur sur le défaut que vous voulez détruire ; demandez-leur des règles de conduite appropriées à vos besoins particuliers, et recourez, pour vaincre votre ennemi, aux armes si puissantes de la méditation, des examens, de la communion et des visites au saint sacrement.
— Enfm, quand vous quitterez le séminaire, redoublez de vigilance et d'ardeur ; rendez-vous humblement au poste que vos supérieurs vous auront assigné et entrez en fonctions avec un esprit de parfaite soumission à votre curé , de douceur, d'humilité et de charité envers tout le monde. Amen.
CHAPITRE IV.
Le séminariste envieux et jaloux, I
« Nous devons nous tenir en garde, dit saint » Ymcent de Paul, contre la jalousie et contre le » plus léger sentiment que l'envie nous inspirerait : » ce vice est absolument opposé au zèle pur et » sincère de la gloire de Dieu; il est une preuve » certame d'un orgueil secret et très-subtil. >>
Celui qui parlait ainsi savait bien tout ce qu'il y avait de mauvais dans le vice odieux de la jalousie. Puissions-nous partager ses convictions à cet égard. et profiter de ses enseignements I
La jalousie produit dans le clergé des maux considérables. Ce n'^st pas au séminaire qu'elle "• 10
— 170 —
exerce ses grands ravages ; elle n'est là qu'à son début ; mais puisque qu'elle s'y révèle déjà, il importe donc beaucoup aux séminaristes de bien voir s'ils ne sont pas prédisposés à ce vice. Voyons à quels signes nous pourrons le reconnaître.
Le séminariste enclin à la jalousie doit se sou- venir, en interrogeant son passé, qu'il était déjà sujet à ce défciut quand il était dans le monde. Tout jeune encore, ses frères et ses sœurs avaient à en souffrir. La moindre marque d'affection qui leur était témoignée par les chefs de la famille, excitait en lui de mauvais sentiments qui n'avaient assurément que la jalousie pour principe. De là ses froideurs, ses dédains, son air sombre et bou- deur; de là ses récriminations injustes et quelque- fois de tristes scènes où se manifestait dans toute sa laideur son caractère jaloux ; de là aussi ses accu- sations de préférence et de partialité dirigées contre ses parents avec l'acrimonie d'un orgueil blessé.
Il tenait la même conduite à l'égard de ses jeu- nes camarades. Toujours les maîtres étaient injus- tes quand leurs faveurs pleuvaient sur les autres et non pas sur lui seul.
Aveuglé par l'orgueil, dont la jalousie est la fille ainée, jamais il ne voulait convenir qu'il mé- ritait moins que ses condisciples les éloges qui leur étaient donnés.
La première période de sa vie fut donc déjà gâtée par ce vice. Mais entrons au séminaire, et voyons ce qu'il produit chez le séminariste qui y est sujet.
Le trait caractéristique du séminariste jaloux, c'est l'orgueil. Il veut dominer, il veut éclipser tout ce qui l'entoure, il veut se distinguer, il veut
— 171 --
conquérir l'estime et les applaudissements, il veut briller d'un vif éclat comme le soleil et effacer toutes les étoiles dès qu'il se montre.
Mais comme il ne brillera point de cette manière s'il a de puissants rivaux, il s'applique à les sur- passer, non par une émulation légitime, mais par un orgueil secret dont il se fait l'esclave.
Chaque louange qu'on leur donne est une humi- liation directe et personnelle qu'on lui inflige; et plus ces louanges partent de haut, plus il en est blessé. Dès qu'elles frappent ses oreilles, il se sent picfué au vif, et il se dit en lui-même avec confu- sion : Est-ce que, par hasard, on mettrait tel et tel au-dessus de moi ?...
Sides concurrents réussissent dans quelque action d'éclat ; si leurs réponses au professeur annoncent un vrai mérite; s'ils soutiennent une thèse difficile avec un talent supérieur; s'ils débitent avec grâce un sermon parfaitement composé ; s'ils sont choi- sis de préférence à leurs condisciples pour exercer dans le séminaire un emploi qui ne s'accorde qu'aux sujets les plus distingués; tout cela, quand ils se font aimer d'ailleurs par une humble modestie , leur attirant des témoignages de considération de la part des supérieurs et des élèves, plonge le sémi- nariste jaloux dans des réflexions chagrines. Au lieu de chercher dans les trésors d'une vraie piété le contre-poids de sa peine, il digère tristement son humiliation et s'afflige comme un général en dé- route qui a trouvé son maître.
Pour comble de malheur, on lui parle quelque- fois du triomphe de ses rivaux, et comme il ne veut pas que sa jalousie soit connue, tant elle est hideuse
— 172 --
à ses propres yeux, il place, lui aussi, mais assez froidement, son petit mot d'éloge assaisonné de quelque critique, puis il détourne bien vite une con- versation qui lui est insupportable.
Ce qui devrait le convaincre mieux encore que tout le reste qu'un orgueil de bas étage est la vraie racine de sa jalousie, c'est la consolation qu'il goûte quand les éloges donnés à ses condisciples ne portent que sur la vertu. Chose étonnante ! la piété, qui l'emporte si évidemment sur les talents naturels, quelque relevés qu'ils soient; la piété, chez ses concurrents, et les louanges qu'on leur donne à cet égard, ne sont pas ce qui l'abaisse da- vantage. 11 consentira volontiers qu'on les exalte de ce côté, qu'on en fasse même des saints : loin de s'en offenser, il fera chorus avec tout le monde pour les louer sur ce point. Comme il est basse- ment orgueilleux, ce n'est pas la vertu des autres qu'il envie : qu'est-ce donc? C'est tout ce qui brille, c'est tout ce que le monde, maudit de Dieu, recher- che et préconise; c'est la bonne opiniou des hommes, c'est l'estime de ses supérieurs au regard de la science et du talent. Yoilà ce qui le touche, voilà la vaine idole à laquelle il prostitue son encens.
Quel immense intervalle (pour le dire en passant) se trouve entre lui et les saints, ces vrais amis de Dieu, qui n'étaient jamais plus heureux qu'au sein des opprobres: Ibant gaiidentes quoniamdigni habiti siint pro 7iomin€ Jesu contumeliam pati, et qui se réjouissaient plus du bien opéré par les autres, que de celui qu'ils opéraient eux-mêmes : Dùm omni modo.,,^ disait saint Paul, Christtis annuntietur ; et in hoc gaudeOy ^ed et gaudebo !
— 173 —
Les caractères delà jalousie que nous venons de considérer sont déjà bien difformes sans doute ; mais ce qui l'est beaucoup plus encore, c'est le plaisir qu'éprouve le séminariste jaloux, quand ses concurrents essuient quelques humiliations ou quelques disgrâces. La joie quil en ressent fait voir que plus ils sont abattus, plus il se croit élevé, ce qui est une illusion de son orgueil, puisque la chute des autres n'ajoute rien à son mérite réel.
Quand ces disgrâces atteignent ceux qui lui font ombrage, il en parle fréquemment à ses condisci- ples, et, dans ces entretiens, il savoure une joie maligne qu'il manifeste quelquefois, mais que le plus souvent il dissimule avec hypocrisie, ayant l'air de plaindre ceux qu'il est heureux de voir humiliés.
En d'autres circonstances, il écoute avec avidité les rapports désavantageux qu'on lui fait sur ceux auxquels il porte envie ; il aime singulièrement à les entendre critiquer, et jamais il ne manque en ces occasions de rapporter lui-même ce qu'il sait contre eux et de les critiquer à son tour.
Pour satisfaire mieux encore sa passion jalouse, il soupçonne ses rivaux, il les juge, il les con- damne, il interprète leurs sentiments avec mali- gnité, il tâche de se persuader qu'ils ont bien moins de mérite qu'on ne leur en attribue, qu'ils sont flatteurs, hypocrites, orgueilleux ; un un mot, il leur prête, souvent sans motif, les intentions mau- vaises dont il est lui-même animé.
S'il se trouve par hasard en rapport avec eux, tout ce qu'ils font, tout ce qu'ils disent lui est in- sipide ; il les contredit à chaque instant, il leur parle avec hauteur et dédain, et si une discussion n. 10.
— 174 —
s'engage, il s'applique bien moins à découvrir la vérité qu'à les humilier par une défaite aux yeux des assistants.
Et celui qui agit ainsi n'a souvent rien à repro- cher à ceux qu'il jalouse ; ils ont pour lui des at- tentions et des prévenances ; ils le croient leur ami, et ne pensent pas même à soupçonner en lui le vice odieux qu'ils alimentent sans le savoir par les qualités qu'ils possèdent. Mais ils ont beau faire, la jalousie a pris dans son cœur la place de la cha- rité ; il n'aime plus ses frères, il est de glace à leur égard et, le dirons-nous ? si la mort les en- levait, il serait le premier consolé de leur perte.
Tel est le mauvais fonds du séminariste jaloux : que sera-ce donc, ô mon Dieu, quand, placé sur un plus grand théâtre, il portera dans le saint minis- tère le vice qui n'est encore qu'en germe au sé- minaire ? Yoyons-en, par anticipation, les funestes effets.
II
Il est très-probable que plusieurs de nos jeunes lecteurs, après avoir lu ce qui précède, se diront avec satisfaction : Cela ne nous regarde pas ; nous n'en sommes pas là. Qu'ils prennent garde : vou- lant mettre la jalousie en relief, nous l'avons peinte telle qu'elle est chez un séminariste puis- samment dominé par ce vice ; nous avons même choisi ce séminariste parmi ceux qui, ayant un talent plus remarquable qu'im grand nombre d'é- lèves, ont aussi pour l'ordinaire plus d'orgueil et de présomption : mais combien d'autres, éclipsés
— 17o —
par le talent de plusieurs de leurs condisciples, se croient exempts du vice de la jalousie et sont tout surpris de la voir se produire, quand, par l'exer- cice du saint ministère, ils se trouvent dans des conditions plus favorables à son développement ! Voici donc, pour les uns comme pour les autres, l'avenir qui les attend quand ils seront prêtres.
Si vous êtes jaloux, vous qui lisez ces lignes, et si, appelé d'abord aux fonctions de vicaire, vous avez un autre vicaire pour collaborateur, bientôt sans doute votre jalousie se fera jour. Un mot gracieux, une prévenance, un compliment flatteur de la part de votre curé à l'égard de votre collè- gue, c'en sera assez pour exciter en vous les pre- miers sentiments de la jalousie.
Mais si ces préférences, exagérées probablement beaucoup par votre orgueil, se reproduisent assez fréquemment ; si votre confrère semble s'en pré- valoir ; si surtout quelques personnes imprudentes corroborent vos soupçons par l'exposé de leurs observations personnelles ; alors votre jalousie fai- sant éruption se produira par un air sombre et rêveur d'abord, puis par des reproches à votre curé et par des manques de complaisance et d'égards envers votre collègue.
Déjà l'harmonie, si nécessaire entre les prêtres d'une même paroisse pour y opérer le bien, sera fortement altérée, et ce sera la première victoire remportée par la jalousie sur le zèle et la charité.
Sera-ce la seule ? Dieu le veuille î Mais si, déjà blessé par les relations intimes du presbytère, vous apprenez que ce vicaire, objet de votre envie, est plus goûté que vous dans la paroisse ; si son
— 176 —
confessionnal est assiégé et que le vôtre soit désert ou à peu près ; si, comme prédicateur, comme ca- téchiste, comme homme de ministère, c'est lui qui a la vogue ; si vos oreilles sont fatiguées du bruit de ses louanges, vous lui témoignerez une froideur chaque jour croissante, vous tacherez d'atténuer par des paroles fort peu mesurées l'estime qu'on lui accordera, et peut-être en viendrez-vous jus- qu'à vous dégoûter de votre ministère : deuxième victoire remportée par la jalousie au profit de l'or- gueil.
Si vous n'avez point un autre vicaire pour col- lègue, cesserez-vous pour cela d'être jaloux ? Nous le désirons sincèrement, mais nous craignons fort qu'il n'en soit pas ainsi. Dans les paroisses voi- sines la jalousie saura bien trouver un aliment. Quand vous apprendrez les grands succès de quel- que jeune prêtre auquel peut-être vous vous croi- rez supérieur à bien des égards ; quand tout retentira du bruit de ses éloges ; quand vous ver- rez vos pénitents vous abandonner pour se placer sous sa houlette ; quand vous verrez autour de vous un auditoire clair-semé et que vous entendrez dire que votre confrère voisin réunit une multitude d'auditeurs dès qu'on sait qu'il doit prêcher ; alors encore vous vous sentirez abattu, dégoûté, décou- ragé peut-être ; alors vous éprouverez des senti- ments plus ou moins malveillants à l'égard de ce confrère ; alors vous vous permettrez, à l'occasion, des critiques contre lui ; alors encore vous senti- rez défaillir l'ardeur de votre zèle : nouvelle vic- toire remportée par la jalousie.
Mais quand ce même confrère ou quelque autre,
— 177 —
dont vous vous croirez au moins l'égal, sera choisi par les hauts supérieurs pour occuper, de préfé- rence à vous, un poste de faveur sur lequel peut- être vous jetiez, sans en rien dire, un regard de convQitise ; oh ! c'est alors que vous vous senti- rez hnmilié par le fait de son élévation, et que le dégoût et l'ennui vous saisiront plus vivement que jamais : nouvelle victoire remportée par la jalousie. Peut-être serez-vous appelé comme professeur dans quelque collège, dans quelque séminaire petit ou grand, où avec un bon esprit vous pour- riez rendre d'éminents services. Mais, hélas ! si la jalousie vous domine, que d'occasions n'aurez-vous pas d'en subir les malignes influences ! Moins oc- cupé de procurer la gloire de Dieu que de procurer la vôtre, vous aurez l'œil incessamment ouvert sur le supérieur de l'établissement et sur vos col- lègues ; vous pèserez leurs paroles, vous épierez leurs démarches, vous contrôlerez leurs actes ; et si vous remarquez le moindre signe de préférence ou de partialité, vous laisserez voir par votre air boudeur, par le refus de quelques services et même par des paroles sèches et piquantes, que vous vous apercevez fort bien des injustes procédés dont on use à votre égard. Vous voudrez occuper des postes supérieurs dont vous serez le seul à vous croire digne ; vous remplirez vos modestes fonc- tions avec insouciance et par conséquent avec peu de fruit ; vous épancherez votre chagrin dans le sein de quelque collègue mécontent comme vous et par des motifs analogues aux vôtres ; vous po- serez le premier germe de ces funestes coteries qui ruinent les établissements les plus florissants, et
— 178 —
vous unirez par être retiré soit sur votre demande, soit contre votre gré, d'un poste où vous pouviez être très-utile, pour être placé dans le ministère ordinaire qui sera moins en rapport avec votre aptitude et vos goûts : nouvelle et bien triste vic- toire de la jalousie.
Devenu curé, votre vice prendra des développe- ments plus considérables encore. Vous serez jaloux de vos vicaires ; vous les importunerez, vous les harcèlerez par vos vexations quotidiennes ; au lieu de leur laisser, tout en les surveillant, une liberté convenable dans l'exercice de leur ministère, vous leur ferez comprendre que vous êtes à leur égard un argus impitoyable. La moindre visite qu'ils fe- ront sans votre aveu sera considérée par vous comme le signal d'une rébellion. Les éloges qu'on vous fera de leur talent, de leur zèle et de leurs succès, au lieu de vous réjouir, irriteront votre ja- lousie. Vous ne leur permettrez presque jamais de catéchiser et de prêcher, craignant toujours d'éten- dre par là leur autorité au préjudice de la vôtre. Yous les suivrez jusque dans le secret du saint tri- bunal ; vous voudrez savoir soit par vous-même, soit par des personnes affidées, si quelques-uns de vos pénitents passent de vous à lui, et quand vous l'apprendrez, vous manifesterez votre mécontente- ment et à vos transfuges et à votre vicaire qui se permettra de les admettre.
Yous agirez de même à l'égard de vos confrères voisins ; eux aussi sauront que vous êtes un con- fesseur jaloux ; au reste, vous n'en terez point mystère ; au saint tribunal, dans les conversations particulières et jusque dans la chaire, vous ferez
— 179 —
entendre par des paroles plus ou moins voilées que rien ne vous est plus pénible que de vous voir abandonné de vos pénitents ; vous les tiendrez captifs, ces pauvres pénitents : la crainte de vous déplaire en choisissant un autre directeur les ri- vera, pour ainsi dire, à votre confessionnal, et cette crainte, n'en doutez pas, ajoutera chaque jour de nouveaux anneaux à la chaîne du sacrilège qui en enlacera plusieurs : nouvelle et infernale vic- toire de la jalousie !
Vous mécontenterez vos confrères par cette con- duite intolérante et intolérable, et vous leur témoi- gnerez vous-même une froideur dont la cause ne leur sera que trop connue. Entre vous et eux il n'y aura que des relations de froide étiquette. Vous craindrez, en les appelant dans votre église pour y exercer quelques fonctions, de fortifier leur in- fluence, et comme sous ce rapport ils vous rendront la pareille, vous serez étrangers les uns aux au- tres et vous vous priverez mutuellement des ser- vices que vous pourrez vous rendre pour le plus grand bien de vos paroisses.
Si vous habitez une ville qu'habiteront comme vous, de l'agrément de votre évêque, de vénérables religieux, au lieu de vous réjouir des fruits abon- dants qu'ils produisent toujours comme prédica- teurs et comme confesseurs, vous serez jaloux de leurs succès, vous ne verrez en eux que des intrus, des usurpateurs de votre autorité, et les laïques eux-mêmes, comme nous l'avons souvent vu, s'a- percevront de votre jalousie et en feront la matière de leurs censures.
Vous redouterez les missions et les missionnaires,
— i80 —
et vous aimerez mieux laisser une partie notable de votre troupeau éloignée des sacrements, que de les voir se convertir aux prédications d'apôtres étrangers .
Vous irez plus loin encore : si, dans votre voi- sinage, une mission s'annonce, au lieu d'imiter les curés vénérables qui y conduiront eux-mêmes pro- cessionnellement leurs paroissiens , vous vous tiendrez à l'écart. Dieu veuille même que vous ne poussiez pas l'imprudence jusqu'à faire entendre qu'on vous contristerait en suivant les exercices de cette mission, et qu'on vous serait agréable en ne les suivant pas ! Autant de nouvelles victoires remportées par la jalousie au détriment de la gloire de Dieu et du salut des âmes.
N'avions-nous pas raison, jeune et tendre ami, de vous dire que ce vice odieux produisait dans l'Église des maux considérables ? Hâtez-vous donc d'en extirper les plus petites racines par l'emploi des moyens qui vont vous être indiqués.
III
— Si vous remarquez en vous le plus léger sen- timent de jalousie, vous devez d'abord vous péné- trer d'horreur pour cette vile passion, en méditant au pied de votre crucifix les réflexions suivantes : la jalousie dessèche toutes les vertus, et surtout l'amour de Dieu, la charité envers le prochain et l'humilité. — C'est la passion des petits esprits, des âmes basses et des mauvais cœurs. — C'est la passion la plus maligne, puisqu'elle veut le mal pour le mal et qu'elle ne procure aucun avantage
— 181 —
à celui qui s'y asservit. — C'est la passion la plus déraisonnable, puisqu'elle nous porte à envier aux autres ce que Dieu leur accorde, et à vouloir pour nous-mêmes ce qu'il nous refuse. — C'est la pas- sion la plus injuste, puisqu'elle nous fait détester le bonheur d'antrui quoique ce bonheur ne nous fasse réellement aucun mal. — C'est la passion la plus bizarre : ce qui fait le plaisir des autres fait le chagrin de l'envieux ; ce qui les afflige le ré- jouit. — C'est la passion la plus artificieuse : l'a- mour-propre la déguise et fournit cent raisons poui excuser ses excès. — C'est la passion la plus insa- tiable : jamais l'envieux n'est satisfait des p. toyables succès qu'il obtient ; la jalousie l'inquiète sans cesse ; elle le ronge, elle le consume, elle dessèche, ditl'Esprit-Saint, jusqu'à la moelle de ses os : Putredo ossiiim invidia (Prov. 14). — C'est quelquefois une passion furieuse, comme on le voit chez Caïn à l'égard d'iVbel, chez Satll à l'égard de David, et chez les Juifs à l'égard du divin Sau- veur : Sciebat (Pilatus) quod pcr inmdiam tradidh- sent eum. « Les traits de l'envie et de la détraction, » dit saint Vincent de Paul, ne percent le cœur de » ceux à qui l'on en veut qu'après avoir percé ce- )) lui de Jésus-Christ. » C'est une passion si odieuse que Tenvieux sécherait de honte et de dépit s'il mettait au jour ses sentiments et ses basses ma- nœuvres. — Enfin c'est, chez le prêtre, une pas- sion qui compromet son salut, qui paralyse son ministère, qui éteint le feu de son zèle et qui, comme nous l'avons vu, fait commettre aux âmes dont il a la charge le plus grand des crimes : le sacrilège.
II. 11
— 182 —
— Ces réflexions pieusement méditées, vous devez vous mettre à l'œuvre. Commencez par at- taquer r orgue il : car c'est lui qui est la source impure d"où émane la jalousie. Lhumblede cœur n'est jamais envieux ; l'orgueilleux l'est toujours. « Tout envieux est superbe, dit saint Augustin, » comme tout superbe est envieux ». Combattez donc l'orgueil à outrance et ne vous permettez jamais avec volonté une pensée, une parole ou une action dont il soit le principe.
— Continuez de combattre jusqu'à ce que vous vous rendiez le témoignage que vous voulez pu- rement la gloire de Dieu et non la vôtre, le salut des âmes et non le triomphe de votre orgueil.
— Ne vous attribuez pas le monopole de la gloire de Dieu, et réjouissez-vous cordialement quand vous la verrez abondamment procurée par les autres.
— Examinez à fond la racine de vos railleries et de vos critiques, surtout à l'égard de ceux dont les succès vous offusquent ; et quand vous aurez découvert que cette racine est la jalousie , veillez attentivement sur vous-même pour ne plus mettre votre langue au service de c^tte vile passion.
Habituez-vous à dire de vos concurrents tout
le bien que vous en saurez ; racontez leurs succès, louez leurs talents, témoignez la joie que vous éprouvez en pensant au bien considérable qu'ils feront dans l'Église.
— Priez Dieu pour eux ; demandez-lui cju'il tire de plus en plus sa gloire de leur ministère et qu'il augmente encore leur vertu, leur zèle et leur science. Quand ils serontchargés dans le se mi-
- 183 —
11 aire de quelque emploi honorable, de préférence à vous, dites tout bas comme David : Bonuni est, Domine, quia humiliasti me. Quand ils devront paraître en quelque action d'éclat^ au lieu d'ai- guiser dans l'ombre les traits de la critique, de- mandez à Dieu qu'ils remplissent le mieux possible les fonctions qui leur sont imposées.
— Ne fuyez pas vos rivaux, recherchez-les au contraire : rendez-leur service à l'occasion, et ne laissez jamais croire que vous êtes jaloux de leurs succès. Rien n'est édifiant comme de jvoir deux concurrents unis parles liens d'une amitié sincère.
— vSi vous entendez critiquer ceux qui vous font ombrage, soyez sur vos gardes ; pensez que l'ennemi est à votre porte, et bien loin d'approuver la critique des autres, prenez la défense de ceux qu'on attaque ; faites ressortir leurs qualités ; ré- duisez au silence ceux qui les censurent, et ré- jouissez-vous en Dieu, après cet assaut, de la vic- toire qu'il vous aura fait remporter sur la jalousie.
— Manifestez ouvertement votre passion à votre directeur ; dites-lui, à cet égard, ce qui vous hu- milie davantage ; ne craignez pas d'entrer dans les détails que l'orgueil voudrait supprimer. Rien ne tue la jalousie comme l'humble révélation que l'on fait de ses misérables raffmemients .
— Méprisez les louanges et l'estime des hom- mes ; goûtez ces paroles de l'imitation : Ama nes- ciri et pro nihilo reputari. Dites avec saint Ignace le martyr : Qui me laudant, me flagellant.
— Enfin, ne cherchez jamais à briller et à pa- raître ; plongez-vous dans la délicieuse retraite de l'humilité, et abaissez-vous d'autant plus que la
— 184 —
vaine gloire et la jalousie voudront vous élever davantage. « 0 maudit désir de briller! s'écrie » saint Vincent de Paul, que de biens n'infectes-tu » pas , et de combien de maux n'es-tu pas la » source ! Tu fais que celui qui devrait prêcher » Jésus-Christ se proche lui-même, et qu'au lieu » d'édifier, il détruit. »
Que vous serez heureux, jeune et tendre ami, si vous suivez fidèlement ces règles ! Vos jours s'écouleront purs et paisibles sous le doux regard de Dieu, et après avoir édifié le séminaire par votre humilité, vous édifierez et vous sauverez les âmes par les fruits abondants de votre futur mi- nistère.
CHAPITRE y
Le séminariste dissimulé. I
Autant la franchise est aimable, autant la dissi- mulation est odieuse. L'une dilate et gagne les cœurs, l'autre les resserre et les rebute.
La dissimulation, blâmable chez tout le monde, l'est plus particulièrement encore chez le sémina- riste. En effet, si quelqu'un a besoin d'être connu à fond, surtout de ses supérieurs, c'est assurément l'élève du sanctuaire qui se met en marche vers le sacerdoce, sans savoir, bien souvent, l'immense étendue des engagements redoutables qu'il se dis- pose à contracter. Aussi croyons-nous devoir prier,
— 185 —
supplier, conjurer instamment nos jeunes amis des séminaires de ne se point réfugier dans une mystérieuse dissimulation , mais ' de s'épancher librement et sans réticence sur l'importante affaire de leur vocation.
Au reste, ce n'est pas seulement pour cette grande affaire que nous voulons les prémunir contre les mauvais effets de la dissimulation; c'est aussi pour qu'étant mieux connus, on puisse leiu^ donner des conseils plus appropriés à leurs besoins spirituels, et travailler ,plus efficacement à l'extirpation des défauts auxquels ils sont sujets. Cela dit, venons au fait.
Le séminariste dissimulé craint par-dessus tout d'être découvert et bien connu. Il ne manifeste que ce qu'il lui est impossible de cacher, et ce qu'il cache est précisément ce qu'il importerait le plus de faire connaître. Il passe un temps considérable au séminaire sans que ses supérieurs sachent un peu nettement ce qu'il est. Ils ne savent bien posi- tivement qu'une chose, c'est qu'il est renfermé, cacheté, scellé à triple sceau, en un mot dissi- mule.
Les autres élèves montrent dès les premiers jours leur fort et leur faible ; celui-ci ne laisse transpirer ni son fort ni son faible ; il ne montre qu'un certain je ne sais quoi mixte, indécis, em- barrassé, mystérieux, qui laisse toujours supposer un abîme recouvert.
Ses lèvres sont habituellement serrées, son re- gard craintif et sa démarche étudiée : on voit qu'il est perpétuellement en observation et sur la défen- sive comme en pays ennemi.
— 186 —
Il dépasse en prudence le serpent le plus rusé. S'il dit un mot, c'est après en avoir pesé minutieu- sement toutes les conséquences possibles ; encore semble-t-il courir après quand il l'a proféré, comme s'il craignait de voir, par ce mot, son secret trahi.
Quand on rinîerroge, il est sur les épines ; la réponse se fait attendre, et en attendant qu'il l'ait suffisamment élaborée, il en fait une provisoire qui ne dit rien, sinon qu'il ne veut rien dire de net et de précis. On a beau revenir à la charge et le presser vivement de répondre ad 7'em ; plus on insiste, plus il est sur ses gardes, croyant que l'en- nemi le poursuif. et le serre de près.
Ses actes sont calculés comme ses paroles : crai- gnant toujours de se compromettre, il ne s'en per- met aucun qui puisse révéler ses dispositions in- times. S'il est, en apparence du moins, exact, pieux et régulier, on ne veut pas supposer l'hy- pocrisie et l'on tâche de se persuader qu'il est mystérieux par timidité : cependant, même alors, sa dissimulation ne laisse pas ses supérieurs sans quelque inquiétude. Mais si son exactitude, sa régularité et sa piété se démentent assez souvent; s'il ne donne que des signes équivoques de voca- tion, et si tous les moyens qu'on emploie pour obtenir du positif laissent toujours subsister le mystère; alors les supérieurs se trouvent à bout de voie ; leur zèle, leur charité, leur expérience et leurs pieuses industries restent sans effet. Ils délibèrent entre eux sur cette vocation cachée, et chaque membre du conseil ne dit de lui que ces mots : Je ne le connais pas. Coneoit-on l'embarras qu'occasionne cette dissimulation?
— 187 —
La timidité peut être sans douîo la cause origi- nelle de ce défaut ; mais l'hypocrisie peut tout aussi bien en être le principe ; car enfm tout le monde sait que l'hypocrite est foncièrement dissi- mulé. De là des inquiétudes dans l'esprit des su- périeurs de séminaires sur le point si grave de la vocation, où les lumières les plus vives sont par- fois à peines suffisantes pour dissiper toute crainte.
Nous ne voulons pas croire que le séminariste à qui nous parlons ici porte cette habitude du déguisement jusqu'aux pieds de son confesseur. Toutefois il est à craindre que, glissant sur sa mauvaise pente, il ne retienne au fond de sa cou- science certains doutes, certains embarras et môme certains péchés graves et nombreux de sa vie passée qu'il importerait de faire connaître, se ras- surant sur ce qu'il en a reçu l'absolution d'un confesseur du monde dont il connaissait l'excessive indulgence.
Le séminariste dissimulé ne l'est pas seulement à l'égard de ses supérieurs; il l'est encore à l'égard de ses condisciples. Eux-mêmes no peuvent pas se flatter de le bien connaître : toujours engagé dans la voie des réticences, il les met à bout par son faux épaiichement et ses demi-confidences. Aussi sa société est-elle pour eux sans attrait. Ce n'est pas pourtant qu'il suspecte l'amiiié que quelques- uns lui témoignent, mais il craint de leur part des révélations imprudentes, et tout ce qui s'appelle révélation le fait frémir.
Le monde lui-même et quelquefois ses propres parents lui reprochent, comme on le fait au sémi- naire, ce mauvais fonds de dissimulation qui les
— 188 —
rebute^ «rff qu'ils voudraient voir remplacé par un heureux ensemble d'aimable franchise et de naïve candeur, qui gagnerait sur-le-champ leur confiance et leur affection.
Nous n'osons pas affirmer que tout homme dis- simulé soit un menteur ; mais il en a souvent la réputation, et cette réputation, ce sont ses réponses évasives et entortillées qui la lui méritent. Du reste, rien ne touche de plus prés au mensonge que la dissimulation; on pourrait même dire qu'elle est une espèce de duplicité habituelle et perma- nente. Or il est bien rare qu'on ne blesse pas sou- vent la vérité quand on veut absolument et toujours la tenir cachée.
Mais c'en est assez sur les caractères de ce dé- faut ; voyons-en maintenant les effets.
II
Vous croyez peut-être, jeune lecteur, que la dissimulation ne peut guère avoir de conséquences très-graves chez un prêtre engagé dans le saint ministère. Détrompez- vous en voyant l'avenir qu'elle vous réserve.
Si, d'abord, vous êtes appelé comme vicaire au sein d'une paroisse, au lieu de vous présenter à votre curé, avec prudence et quelque réserve sans doute, mais en même temps avec un air de fran- chise et de bonne simplicité, vous vous tiendrez renfermé dans votre mystère habituel, parlant peu, méditant beaucoup, regardant de côté, rarement en face, et craignant, en articulant chaque mot, de prononcer votre condamnation.
— 189 —
Le premier jour peut-être, votre curé attribuera vos réticences à la timidité ; mais quand il verra que le second jour est semblable au premier, et le troisième aux deux autres, alors il dira sans ba- lancer : Je le vois, c'est un vicaire dissimulé qui m'arrive. Puis ks idées de duplicité, d'hypocrisie, de déguisement, de ruse et même de fourberie se croiseront péniblement dans son esprit et le met- tront, lui aussi, sur la défensive envers vous.
S'il était par hasard dissimulé lui-même, vous seriez l'un devant l'autre comme deux statues voi- lées, ou, si nous osions employer cette autre com- paraison, comme deux fioles enveloppées dont il est impossible de lire l'étiquette. Dès lors, point d'ouverture, point de confiance réciproque, point d'avertissements charitables, point d'épanchement amical, et, par une suite nécessaire, ministère sans consolation et souvent peu fertile.
Si, au contraire, votre curé est franc et ouvert, ne trouvant point chez vous ce retour de confiance qu'exige celle qu'il voudrait vous accorder, il res- tera sur son terrain et vous laissera sur le vôtre. Perpétuellement en état de défiance à votre égard, il vous fera payer cher la malheureuse dissimula- tion qu'il vous reprochera, et qui lui déplaira d'autant plus que la franchise sera sa vertu favorite. De là encore, absence d'harmonie, de communica- tions mutuelles, de conseils utiles, de cordiale entente, c'est-à-dire de tout ce qui assure le plein succès du ministère paroissial.
Si vous avez un autre vicaire pour collègue, ce sera la même chose. S'il est dissimulé comme vous, vous vous rendrez peu de services et vous encourrez n. 11,
— 190 —
tous les deux la désaffection de votre curé. Mais si votre collègue est aussi franc que vous le serez peu, c'est sur lui que s'épancheront les faveurs et les prédilections de votre curé, ce qui vous. inspi- rera des sentiments d'aigreur contre l'un et de jalousie contre l'autre. Ne concevez-vous pas l'in- convénient qu'il y a à exercer le saint ministère, quand on est en désaccord avec ceux qui en par- tagent le poids?
Plus tard, devenu curé vous-même, vous mettrez vos vicaires à la torture ; vous leur cacherez, quel- quefois sans motif, une foule de détails qu'il serait important de leur faire connaître pour la honne adminisU-ation de la paroisse ; vous leur refuserez vos ''I.^ritables conseils; vous les laisserez en mille circonstances dans l'embarras de savoir s'ils ont bien ou mal agi ; vos avertissements eux-mêmes, si vous en hasardez quelques-uns, seront équi- voques, embarrassés et incapables d'opérer le bien qu'ils produiraient s'ils étaient donnés avec ron- deur et clarté. Pas d'harmonie, pas de concert, pas de sympathie réciproque, et, par conséquent, ministère restreint et peu fécond en fruits de salut.
Si vous êtes m.embre d'une administration dont le personnel soit plus nombreux que celui d'une cure, d'un collège, par exemple, d'un petit ou d'un grand séminaire, les mêmes inconvénients se re- produiront encore. Si vous eles membre suballerne, vous serez dissimulé à l'égard de votre chef, et peut-être fomenterez-vous des coteries contre lui avec vos collègues : au lieu de l'éclairer sur des mesures qu'il aura tort d'adopter, vous le criti- querez dans l'ombre et vous vous réjouirez de ses
— 191 —
échecs. Si vous êtes chef vous-mômo, vous isolerez vos collègues par le peu de confmuce que vous leur témoignerez : vous les dégoûterez par votre excessive réserve; vous assuruerez sur vous-même et sur vous seul la responsabilité d'une adminis- tration, à la gestion de laquelle il serait souvent très-avantageux d'employer le concours de tous les membres qui la composent.
Mais revenons au ministère ordinaire.
Jouirez-vous, du moins, d'une pleine confiance parmi les paroissiens ? Nullement. S'il est une vertu que le monde estime, surtout chez ses pas- teurs, c'est la franchise, c'est l'affabilité, le tendre épanchemont d'un père dans le sein de ses enfants chéris. Otez ces qualités au bon François de Sales, et vous lui ôterez par là même la source la plus abondante de ses succès. Quand donc, au lieu d'être franc, affable, ouvert et paternel, vous vous mon- trerez habituellement défiant, mystérieux et dissi- mulé, vous n'attirerez personne et vous rebuterez tout le monde. La dissimulation a toujours pour compagnes la froideur et la sécheresse.
Si, quoique habituellement on vous évite, on vient pourtant vous trouver pour vous entre- tenir de quelque affaire, vous outre-passerez les bornes de la prudence ; vous craindrez à l'excès de vous compromettre, vous hésiterez, vous biaiserez, vous flotterez avec indécision entre deux avis op- posés, et au lieu d'éclaircir les choses, vous les embrouillerez davantage, faisant dire de vous cette phrase banale : Vraimcntj avec cet hommc-là on ne sait ce qu'on pèche.
Vos pénitents eux-mêmes se plaindront de vos
— 192 —
éijcences. Au lieu de répondre franchement à
le
nrs consultations : Est, est; ?io?i, jwn, selon le conseil de Jésus qui aimait tant la simplicité, vous ne direz ni est, ni 7ion, et vous laisserez les con- sciences dans un état pénible, dangereux même au point de vue du salut.
Dans les rapports sociaux ordinaires, votre dis- simulation se fera sentir encore. Pour être, autant que possible, de l'avis de tout le monde, vous cache- rez la vérité comme vous pourrez pour ne la point violer rigoureusement parlant : et avec ces précau- tions, vous laisserez croire, sur la même affaire, aux uns que vous êtes pour, aux autres que vous êtes contre, selon le goût de chacun; ce qui venant à être connu, vous fera la triste réputation de fmesse et de duplicité.
Vous vous obstinerez à ne pas reconnaître que la fmesse et la franchise se combattent, et vous von s applaudirez secrètement d'être fm, quand on vous blâmera de l'être beaucoup trop.
En somme, vous n'aurez point ces allures fran- ches, nettes, précises et bien dessinées que tout le monde estime, et, sans être heureux vous-même, vous mécontenterez tout votre entourage.
Comment méditer ces considérations et ne pas se déterminer à suivre les régies qui vont être tracées pour détruire la dissimulation et acquérir la franchise ?
III
— La première de ces règles consiste à se bien connaître et à se dire franchement, si réellement
— 193 —
il en est ainsi : Oui, la dissimulation règne en moi. Malheureusement on a peine à se faire cet aveu. L'homme dissimulé, qui se cache à tout le monde, se cache souvent à ses propres yeux. Etudiez-vous donc, jeune ami, étudiez-vous à fond et priez Dieu qu'il vous éclaire.
— Pour que cette étude vous soit profitable, rap- pelez vos souvenirs et demandez-vous si quelque- fois et souvent même on ne vous a pas reproché de manquer de franchise. Jamais on ne fait ce reproche à celui qui est ouvert par caractère. Voyez donc si Ton ne vous a pas dit en diverses circon- stances : Vous biaisez, vous louvoyez, on ne peut rien vous arracher, ou autres choses équivalentes. Si cela est, soyez sur que la franchise n'est pas chez vous une vertu dominante et que vous avez, sur ce point, plus d'une réforme à opérer.
— Voyez aussi comment vous traitez une afîaire, surtout quand elle est un peu délicate. Examinez si vous n'allez pas au delà de ce que demande une prudence raisonnable, et si, dans ces circonstances, votre esprit n'est pas continuellement occupé à trouver des expédients, à exagérer ce qui est vrai, à dissimuler ce qui ne l'est pas, à échapper aux embarras par des subtilités et des faux-fuyants, et même à tendre des pièges aux personnes qui trai- tent avec vous. Rien de tout cela ne se trouve chez l'homme franc et loyal ; il n'en a pas même la pen- sée : d'où vous devez conclure que la franchise et la loj^auté ne sont pas probablement vos qualités dis- tinctives, si vous agissez habituellement comme il vient d'être dit.
— Considérez encore comment, en général, vous
— 194 —
traitez la vérité. Avez-voiis hon\iur de tout ce qui la blesse ? Le mensonge, même léger, vous sem- ble-t-il odieux? Vous rendez-vous le témoignage que, en dehors des considérations de la foi, la simple pensée de commettre un mensonge fait violence au principe de droiture naturelle que vous sentez en vous? Puissiez-vous répondre affirmati- vement à ces questions ! Mais, au lieu de cette exquise délicatesse en ce qui touche la vérité, ne la violez-vous pas sans scrupule? Un léger men- songe n'est-il pas à vos yeux une bagatelle ?N'étes- vous pas du moins dans rhabitude de cacher, de déguiser, d'entorîiller, d'exagérer ou d'affaiblir la vérité selon vos petits intérêts, vous applaudissant comme d'une victoire d'avoir parfaitement suivi votre fil dans le labyrinthe de vos hiextricables stratagèmes? Tous ces tours et détours, n'en dou- tez point, sont les eiiseignes de la dissimulation.
— Ce df'faut reconnu, vous devez vous appli- quer k le combattre. Pour cela, convainquez-vous profondément de cette vérité, que vous gagnerez le respect, l'estime et l'aifection des peuples parla franchise et la loyauté, ce qui n'aura jamais lieu, quelles que soient d'ailleurs vos autres qualités, si vous m.éritez qu'on vous reproche la ruse, la finesse et la dissimulation.
— Renoncez à tous vos petits mystères sur des bagatelles ; et quand la prudence et la discrétion ny mettront pas obstacle, révélez-vous hardiment et sans contrainte.
— Quand vous avez la tentation d'employer un mot obscur ou de donner un certain tour équivo- que à ce que vous allez dire-, évlLoz cedegiiisenijnt
— 195 —
étaliez drok au fait sans artifice et sans ambages.
— Si l'on vous interroge, faites une réponse précise et catégorique. Habituez-vous même à ne la faire pas trop longtemps attendre, comme un homme qui cherche des expressions propres à dé- guiser sa pensée.
— Soyez rond en affaires ; dites nettement : Cela est ou cela n'est pas ; sacrifiez plutôt vos intérêts que la vérité ; ne l'immolez pas surtout au vain plaisir de triompher plutôt par la finesse que par le bon droit.
—Cultivez l'humilité, et ne craignez pas d'avouer naiveip.ent quelques-unes de vos petites misères. C'est Ires-souvent la vanité qui fait le fond de la dissimulation.
— Si quelquefois, malgré remploi de ces moyens, vous vous surprenez encore dans la feinte et le déguisement et que l'on vous en fasse un reproche, ayez le courage d'en faire l'aveu. Cet acte d'humi- lité sera béni de Dieu et contribuera puissamment à la destruction de votre défaut.
— Corrigez-m.ème, s'il se peut, votre extérieur. Donnez à votre regard quelque chose de fixe et d'assuré ; qu'il ne soit jamais faux , oblique ou embarrassé, mais direct et décidé. Que l'ensemble de vos traits soit calme, ouvert et remarquable par un air bien prononcé de candeur et d'épanchement.
— Consultez quelques condisciples, vrais modèles de franchise; ouvrez-vous à eux sans réticence; dites-leur ce que vous êtes et ce que vous voulez ne plus être , et priez-les de vous aider de leurs bons conseils et de ne vous rien passer.
— Adressez-vous surtout à vos supérieurs, non
— 19Ô —
pas seulement en confession ou en direction, mais dans des entreliens particuliers. Révélez-vous à eux avec confiance et abandon. Armez-vous de cou- rage et dites-leur sans crainte ce que naturellement vous auriez le désir de leur laisser ignorer : cet acte de franchise sera , n'en doutez pas , une vic- toire éclatante remportée sur la dissimulation.
— Pas de mystère surtout en ce qui touche, directement ou indirectement, à la vocation. Dites- vous à vous-même : Je veux que mes supérieurs me connaissent, et je ne veux pas qu'ils m'admet- tent aux saints ordres si je ne mérite pas d'y être admis, vous rappelant ces mots terribles du divin Sauv(3ur : Qui non intrat per ostium, sed ascendit aliundè, ille fur est et latro.
— Faites pendant longtemps votre examen par- ticulier sur la dissimulation, et punissez-vous sé- vèrement des fautes dont vous vous reconnaîtrez coupable à cet égard.
— Prenez pour modèles Jésus, Marie, Joseph, saint Yincent de Paul et saint François de Sales qui étaient si simples, si candides, si ouverts et si communicatifs dans leurs paroles, leurs actes et toute leur conduite.
— Enfin gardez-vous de confondre la dissi- mulation avec la prudence. La prudence est une vertu trop souvent violée sans doute par les ecclésiastiques; mais la dissimulation, de l'aveu de tout le monde, est un défaut et même un vice. Elles diffèrent donc essentiellement Tune de Pautre.
L'homme prudent et franc tout à la fois retient ce qu'il ne peut pas dire ; Phomme dissimulé dé-
— 197 —
guise ce qu'il pourrait révéler sans le moindre danger ou même avec avantage.
L'homme prudent dit nettement : Je ne puis pas m'expliquer à cet égard, et l'on respecte son secret ; l'homme dissimulé a l'air de vouloir s'expliquer, quoique, par le fait, il ne s'explique point, et cha- cun dit : Il manque de franchise.
L'homme prudent souffre d'être obligé de taire quelquefois ce que naturellemxent il voudrait pou- voir dire ; l'homme dissimulé se réjouit d'avoir parfaitement enveloppé sa pensée.
L'homme prudent est franc par habitude, et ré- servé par exception; l'homme dissimulé l'est tou- jours ; et lors même que, par exception, il doit être réservé, on ne lui sait aucun gré de sa ré- serve, habitué que l'on est à le voir constamment dans les voies tortueuses de la dissimulation.
A l'œuvre maintenant, jeune et tendre ami : gagnez désormais les cœurs par la franchise et la sincérité, comme vous les avez resserrés jusqu'ici par la feinte et l'artifice.
CHAPITRE VI
Le séminariste paresseux.
I
Chez un séminariste régulier, la piété et l'amour de l'étude sont deux traits saillants. Si vous n'avez que la piété sans l'amour de l'étude, votre piété
— 198 —
est fausse et illusoire : si vous n'avez que Tamour de rétude sans piété, vous pourrez devenir sa- vant; mais, tout bouffi de science, vous courrez à votre perte comme ces insensés dont parle saint Paul, qui s'évanouissent dans leurs hautes con- ceptions : Evanuenmt in cogitationibus suis.
Celui donc qui cultive avec soin la piété et l'étude, est généralement un excellent séminariste et sera presque infailliblement un saint prêtre : celui qui ne cultive ni la piété ni l'étude est un mauvais séminariste et sera très -probablement plus tard un mauvais prêtre.
A la lumière de ces principes, étudions l'oisi- veté et voyons si elle n'est pas un de nos vices.
Il est rare que le jeune homme qui a eu pendant ses classes un goût prononcé pour l'étude, de- vienne plus tard un paresseux. S'il s'applique au travail à l'époque de la vie où l'amour de la frivolité est comme naturel, est-il possil)le qu'il le néglige quand il devient avec les années plus sérieux et plus grave?
On en voit, au contraire, qui, dans lourJL*une âge, ont été paresseux et qui deviennent sîudicux quand arrive le temps delà réflexion. C'était le plaisir, le jeu, la légèreté, rentraînement qui nourrissait leur paresse; mais quand, la raison se faisant jour, ils voient le vide de toutes ces bagatelles, et quand surtout la voix de la religion se fait entendre, ils s'arrachent à l'oisiveté par un généreux effort, et s'attachent à l'étude par devoir d'abord, puis par goût, et quelquefois par une sorte de passion.
Yoilà malheureusement ce que ne comprend pas le séminariste paresseux.
— 199 —
Pour lui, les années s'écoulent sans laisser trace de leur passage. Homme par l'-^ge, il est toujours enfant par ses goûts. Ce qui lui plaisait au début de la vie, continue de lui plaire à mesure qu'il s'y avance, et jamais, chez lui, le sérieux ne remplace le frivole.
Il n'apprécie point l'importance de l'étude, et l'on pourrait même dire qu'il craint de se con- vaincre de cette importance : ce serait le germe d'un trouble qui viendrait altérer la placidité non- chalante dans laquelle il se complaît.
Ne rien faire ou faire des riens, voilà son bon- heur. Quand il est seul, il s'égare dans de vaines pensées ; quand il est en compagnie, il s'amuse ou se retire si l'on ne partage pas sa gaieté.
Les récréations sont ce qui lui plaît le mieux dans le séminaire. Nul ne l'égale ou du moins ne le surpasse en quolibets, en railleries, en préten- dus bons mots. Il joue plus que personne, il parle sans cesse, et son rire bruyant s'entend à de grandes distances.
Toujours enclin à l'esprit de bagatelle, il ne dit rien, môme par hasard, de grave et de sérieux. Si ses compagnons de récréation traitent un sujet utile, il se tait, ou s'il parle, c'est pour détourner la con- versation et l'amener sur un terrain moins âpre.
Il fait ordinairement bon marché de la règle. Comme elle gêna sa paresse, qui redoute toute contrainte, il la sacrifie dans tous ses points. Le signal du départ pour un exercice commun ne semble pas s'adresser à lui : sa lâcheté parle plus haut que la cloche du réglementaire, et c'est tou- jours lui qui arrive le dernier.
— 200 —
Le lit fait ses délices ; il le quitte quelques in- stants avant de se rendre à l'oraison, et soupire après le temps où il n'aura, surtout pour soulever, d'autre règle que sa volonté propre.
L'étude lui pèse énormément; il la trouve fasti- dieuse et insipide. S'il ne craignait pas les répri- mandes et les humiliations que lui attireraient ses réponses aux interrogations des professeurs , il n'étudierait point.
Ainsi disposé, il travaille sans goût, à contre- cœur, et par conséquent sans fruit. Il n'approfondit rien ; il effleure les choses e! ne les sonde jamais : son but n'est pas de s'instruire, il ne tient qu'à répondre d'une manière telle quelle.
On ne voit pas la moindre suite dans son tra- vail ; en cela comme en toute autre chose, c'est l'inclination, le caprice du moment qui le dirige. Dans une seule séance d'étude, il va parcourir trois ou quatre livres diffc^rents sur des matières tout à fait disparates : c'est ce qu'il appelle tuer le temps.
L'ennui qu'il éprouve en étudiant amène le som- meil ; il l'accueille comme un ami, s'endort et ne se réveille qu'au bruit de la cloche qui l'appelle en classe, où il va comme un soldat sans armes ou comme un ouvrier sans instruments.
Est-il interrogé par le professeur? tout le monde s'aperçoit qu'il est pris au dépourvu; il ânonne, il balbutie et souvent il dit des sottises qui font rire à ses dépens. Si l'on sait qu'il a un fonds de talent naturel, il donne publiquement la preuve que le talent qui n'est pas fécondé par l'étude équivaut à l'ignorance. S'il est connu par son peu de capacité, il provoque des gémissements de pitié chez ses
— 201 —
condisciples et se fait noter par le professeur comme indigne du sacerdoce.
S'il croit avoir une certaine dose d'esprit, il se persuade que sa facilité naturelle le tirera toujours d'embarras. S'il se croit atteint d'un fonds d'in- capacité, il se dit que l'application à l'étude ne l'en fera pas sortir, et, dans l'un et l'autre cas, il s'en- veloppe et s'assoupit dans sa paresse.
Quelquefois il avoue naïvement qu'il est pares- seux, ce qui est, de sa part, une humilité orgueil- leuse dont il use pour faire croire que. s'il voulait travailler, il en saurait autant que les autres.
Mais le plus souvent il dissimule sa paresse, sur- tout auprès de ses supérieurs,, ce qui les met dans l'embarras de savoir s'il est foncièrement ignorant ou s'il ne l'est que par défaut d'application.
Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est de voir l'oisi- veté implantée chez un ordinandqui a un vrai talent. Il pourrait, s'il le voulait, acquérir des connaissances précieuses, dépasser notablement le cercle élémen- taire où le commun des séminaristes est renfermé, aborderetpénétrer les plus hautes questions théolo- giques, s'enrichir des trésors entassés chez saint Tho- mas, Suarcz, Bellarmin et tant d'autres et se mettre en état de rendre plustard à l'Église d'importants ser- vices ; mais la paresse tarissant pour lui toutes ces sources, annihile le talent que Dieu lui a donné et dont il lui demandera le compte le plus sévère.
Achevons le portrait du séminariste paresseux et, pour le mieux connaître encore, entrons dans sa cellule. Elle est en désordre ; cela doit être : l'oisiveté étant elle-même un désordre, l'esprit de règle ne peut pas être un de ses fruits.
— 202 —
Sa bibliothèque dit ce qu'il est ; il a peu de livres et il en a encore beaucoup plus qu'il n'en lit. Quelques-uns de ces livres sont futiles, et Ton voit tout d'abord qu'ils sont plus lus que les autres. EiTectivement, des heures entières que l'étude ré- clame sont absorbées par la lecture de ces livres.
Ses cahiers de théologie et d'Écriture sainte font pitié. Quelques notes indéchiffrables, éparses çà et là, attestent l'insouciance de celui qui les a rédigées, et l'on devine aisément qu'il se propose de ne les revoir jamais quand il aura fait ses adieux au sémi- naire.
En revanche, il exploite abondamment la car- rière épistolaire. Jl a des correspondances actives et suivies, qui lui tiennent lieu de conversations quand il est contraint d'être seul. Ce n'est pas pourtant qu'il ait de l'attrait pour toute sorte de lettres. S'il était dans l'obligation d'en écrire de graves et d'utiles, elles lui seraient à charge comme le travail ordinaire, et il en ajournerait indéfiniment la rédaction. Ce sont donc les lettres oiseuses, et celles-là seulement, qui lui plaisent. Il écrit à quel- ques amis du monde, du petit séminaire qu'il vient de quitter, ou à quelques autres fainéants qui par- tagent ses goùis. Ses lettres le peignent au naturel: c'est'un amas de plaisanteries, d'anecdotes, de critiques contre quelques professeurs du séminaire ou quelques condisciples aux dépens desquels il s'amuse. Quel temps précieux perdu en ces vaines correspondances !
Avec de telles habitudes, que doit-il être au ser- vice de Dieu? Cette seule question fait trembler, tant elle appelle de tristes réponses ! Quelle ab-
— 203 —
sence de piété chez le séminariste paresseux ! Quelle âme vide de Dieu et remplie de bagatelles ! Quelles oraisons ! quels examens ! quelles lec- tures! quelles confessions et quelles communions! El c'est un aspirant au sacerdoce qui se conduit de la sorte ! et bientôt il va monter à l'autel ! et bientôt il va s'engager dans un ministère où l'igno- rance compromet le salut de tant d'àmes ! et rien ne le trouble, rien ne l'émeut, rien ne l'arrache à l'oisiveté qui l'endort en attendant qu'elle le per- vertisse? 0 Dieu ! ô Dieu ! inspirez-lui de se corriger ou de rentrer dans le monde qu'il n'aurait jamais du quitter.
Quant à ses vacances, c'est, hélas î bien autre chose encore. Retrouvant la liberté dont il a été si longtemps privé, il se dédommage de la contrainte qui lui était imposée au séminaire, par un repos complet ou par des œuvres !plus dangereuses en- core que l'inaction. Pas une heure d'étude dans chacune de ses journées ; visites interminables et d'une frivolité complète ; parties de jeu fréquentes et prolongées ; voyages sans aucun but d'utilité ; lectures profanes et amusantes; exercices spirituels omis sans scrupule ou faits sans le moindre senti- ment de dévotion; vie lâche, sensuelle, inutile et plus qu'inutile, qui permet de poser à cet infortuné la question adressée aux oisifs de la parabole évangélique : Ut quid stads totâ die otiosi?
Tels sont les traits qui caractérisent le sémina- riste paresseux. Où en êtes-vous, cher ami, sur ce point si important? Yous reconnaissez-vous dans le miroir qui vous est présenté ? Ce tableau sans doute est déjà bien sombre; mais ce qui l'est plus
— 204 —
encore, c'est l'avenir qu'il laisse entrevoir et qu'il s'agit maintenant d'exposer à vos regards.
II
Ecoutez bien, jeune élève : ce n'est pas un homme isolé, c'est l'expérience de tous les lieux et de tous les siècles qui va vous instruire.
Si vous êtes paresseux au séminaire, vous serez bien plus paresseux encore quand vous en serez sorti. Vous réclamez peut-être contre cette pro- position : nous vous affirmons qu'elle est exacte. Au surplus, raisonnons :
Dans le séminaire, rien ne vous distrait du tra- vail ; disons mieux, tout vous y invite : l'éloigne- ment du monde, la solitude, le bon exemple, les encouragements des supérieurs, et même la néces- sité de travailler pour échapper à l'ennui. Dans le monde, au contraire, tout sera pour vous tentation d'oisiveté : jeux, festins, voyages, visites faites ou reçues à chaque instant : quelles funestes occasions pour celui qui déjà, et depuis bien longtemps, a pris en dégoût le travail et l'étude !
Au séminaire, le travail est obligatoire; un règle- ment exact en détermine la mesure, et des direc- teurs consciencieux et attentifs veillent sans cesse à son entière exécution. Pas d'indépendance ab- solue pour le séminariste, surtout en ce qui touche le travail. Dans le monde, au contraire, affran- chissement complet des pénibles entraves du sémi- naire : indépendance presque totale de règlement et de supérieurs immédiats qui le fassent observer. Comment croire que l'oisiveté, dont on était déjà
— 205 —
Vesclave dans le séminaire, ne fera pas chaque jour de nouveaux progrès, quand on jouira dans le monde d'une liberté sans contrôle ?
Dans le séminaire, on veut atteindre un but ; et quel but? le sacerdoce. On veut être prêtre, et, pour le devenir, on sait que le travail est de ri- gueur. Des professeurs zélés le font sentir chaque jour par les interrogations qu'ils adressent à leurs élèves ; et, d'un autre côté, des examens sérieux doivent être subis, examens à la suite desquels les paresseux savent bien qu'ils peuvent être exclus des saints ordres comme incapables. Dans le monde, au contraire, le séminariste, devenu prê- tre, ne craint plus rien ; il a atteint son but : directeurs, professeurs, examinateurs ne sont plus rien pour lui. Or si, même quand il était vivement stimulé au travail par le désir de parvenir au sa cerdoce, il était encore asservi à l'oisiveté, quels ravages effroyables ne fera-t-elle pas dansson àme quand il pourra s'y livrer sans craindre qu'on lui ravisse la dignité suprême dont il sera investi !
Dans le séminaire enfm, on a généralement la conscience plus délicate, et, par suite, plus de piélé que quand on l'a quitté depuis quelques an- nées : c'est un fait malheureusement incontestable. Or cette conscience plus tendre et cette piété plus prononcée inspirent tout naturellement le goût du travail et rappellent sans cesse au séminariste que r étude est un de ses premiers devoirs. Si donc cet énergique stimulant ne le rend pas sludieux au- jourd'hui, comment produira-t-il plus tard cet ef- fet quand il aura perdu presque toute sa puissance ?
Concluons de ce qui précède, jeune et tendre II. 12
— 206 —
ami, et concluons à coup sur, que si vous avez au séminaire peu de goût pour l'étude, vous serez in- failliblement dans le monde un prêtre paresseux et oisif.
Or, si vous êtes un prêtre de ce caractère, que serez-vous ? Nous allons vous l'apprendre.
Vous aurez en horreur la solitude de votre cham- bre. Délicieuse pour le prêtre ami du travail, elle est insupportable pour le prêtre oisif.
Le goût que vous n'aurez pas pour la retraite, vous l'aurez, en revanche, pour la frivolité, pour la dissipation.
Vous passerez de longues heures en des entre- tiens futiles et souvent dangereux. Vous recevrez avec joie des visites inutiles, et quand vous n'en recevrez pas vous en ferez vous-même.
Vous passerez desjours presque entiers enjeux, en courses, en festins où s'évaporera bien vite votre reste de piété, et où achèvera de s'éteindre le goût déjà si faible que vous aurez pour le tra- vail.
Vous aurez une espèce de bibliothèque qui ne sera que pour la montre. L'oisiveté y apposera son sceau. Une épaisse poussière couvrira la tranche de vos livres, et sera contre vous une muette ac- cusation de paresse. Chacun d'eux dormira sur son rayon comme autant de petites momies égyptien- nes ; et si cette ignoble poussière en épargne quelques-uns, on verra tout à l'heure que leur fu- tilité seule leur vaut l'honneur de la lecture.
Toute étude sérieuse vous inspirera du dégoût, et ce dégoût, vous le ferez deviner à tout le monde par l'inexactitude de votre enseignement cathé-
— 207 —
chistique, par le vide et le décousu de vos sermons et de vos prônes. Vous catéchiserez sans instruire, vous prêcherez sans nul profit pour vos auditeurs, et vous laisserez les peuples dans une ignorance qui sera le reflet de la vôtre et que le divin Maître imputera cerlainement à votre paresse.
Si vous êtes vicaire, vous serez un fléau pour votre curé qui, au lieu d'avoir en vous un coopé- rateur actif et zélé, n'aura qu'un vicaire indolent, désœuvré, tout de feu pour le plaisir, tout de glace pour le travail.
Si vous êtes curé, vous serez une pierre de scandale pour vos vicaires qui croiront pouvoir vous imiter sans comprometlre notablement les devoirs essentiels du sacerdoce et les obligations du saint ministère.
Yous propagerez même hors de la paroisse la contagion de votre oisiveté ; vous la communi- querez aux jeunes confrères de votre voisinage dont vous ferez votre compagnie. Yos conversa- tions frivoles, votre amour du jeu, vos courses perpétuelles les entraîneront dans votre mauvaise voie, surtout s'ils sont prédisposés à la paresse par nature et par inclination.
Yous malédiflerez la paroisse par votre fainéan- tise, dont vous donnerez chaque jour de nouvelles preuves. Les pénitents, les malades, les enfants, tout le monde en un mot souffrira de votre oisiveté et dira que vous êtes un arbre stérile dans le champ du père de famille, ce qui ne sera que trop véritable.
Quand les occasions de vous divertir viendront à vous manquer, ou que vos futiles passe-temps
— 208 —
amèneront après eux la satiété et le dégoût, vous retomberez lourdement sur vous-même, et vous subirez sans nul adoucissement les langueurs de l'ennui. Charmes de la piété, joies de la bonne conscience, estime des peuples, délices du saint prêtre, tout vous fera défaut ; tout vous fera sen- tir, sans cependant vous corriger, que vous êtes un fardeau aceablant pour les autres comme pour vous-même.
Sera-ce tout ? Non vraiment ; et ce qui reste à dire est plus déplorable encore que ce qui vient d'être dit. L'oisiveté traînant tous les vices à sa suite, vous courrez grand risque de scandaliser rÉglise par ces affreux désordres qui la plongent dans le deuil et Ihumiliation. Quels sont les prê- tres oisifs qui ne soient qu'oisifs ? Demandez à ceux qui déshonorent le sacerdoce par l'intempé- rance, par l'impureté, par la passion du jeu, par l'absence du zèle et par une vie mondaine et dis- sipée : demandez-leur si l'oisiveté à laquelle ils se sont voués n'est pas la grande source de ces dérè- glements, et si ces paroles de nos saints Livres ne leur sont pas applicables : Mtdtam malitiani dociiit otiositas ?
Nous l'avouons, jeune et tendre ami, cet avenir, qui sera le votre si vous êtes un séminariste pa- resseux, nous fait trembler pour vous, et nous formons, dans vos plus chers intérêts, le vœu le plus ardent pour que vous acquériez le goût de l'étude, ou pour que vos supérieurs vous interdi- sent rentrée du divin sanctuaire.
— 209 —
III
— En présence des considérations qui précè- dent, commencez par vous convaincre profondé- ment qu'il y a incompatibilité radicale entre l'habitude de l'oisiveté et la sainteté qu'exige le sacerdoce. Rentrez donc en vous-même et dites : — Veux-je être prêtre? Oui. Yeux-je être un saint prêtre ? Oui encore. Puis-je être un saint prêtre si je contracte Thabitude de l'oisiveté ou si, l'ayant déjà contractée dès le séminaire, je ne fais rien ou du moins presque rien pour la combattre ? Tout m'atteste que c'est absolument impossible : si donc je m'obstine à croire le contraire, je m'abuse, et malheur à moi si ce qui m'a été démontré dans ce chapitre ne dissipe pas mes illusions !
— A la lumière de ces réflexions, entretenez en vous la volonté ferme de déraciner à tout prix la funeste habitude de la paresse à laquelle vous êtes sujet. Ètes-vous dans cette disposition ? Votre volonté est-elle bien arrêtée sur ce point ? La ré- solution que vous prenez de combattre à outrance votre mauvais penchant est-elle vraie, sincère et solidement affermie ? Vous êtes sur de vaincre s'il en est ainsi, comme vous êtes sur d'être vaincu s'il en est autrement.
— Toutefois, vos efforts seuls ne suffisent pas pour vous faire remporter la victoire. Vous ne pouvez vous corriger d'un défaut quelconque sans le secours de la grâce ; et la grâce s'obtient par la prière et les sacrements. Vous devez donc em- ployer ces deux puissants moyens pour acquérir ce
II. 12.
-T- 210 —
qui vous manque : riiorreur de l'oisiveté, et le goût du travail. L'avez-vous fait jusqu'à ce jour ? Non. Le voulez-vous faire désormais ? Oui. En ce cas, dans vos oraisons, dans vos examens, dans vos visites au saint sacrement, dans vos commu- nions, dans tous vos exercices spirituels, dites et redites incessamment à Lieu : Donnez-moi, Sei- gneur, r horreur de la paresse et V amour du travail. Ce doit être là votre oraison jaculatoire habituelle, si vous voulez sincèrement opérer en vous la ré- forme dont la nécessité vous est si clairement démontrée.
— Que devez vous faire encore pour assurer le succès de votre entreprise ? Vous devez vous enchaî- ner par un règlement parliculier qui fixe nette- ment et les heures de travail, et la matière de ce travail, à chaque séance d'étude. Vous devez vous armer de courage pour rexécution de ce règlement, et implorer l'assistance de Dieu par une aspiration fervente quand vous serez tenté de le violer sans motif. Vous devez encore noter comme une faute capitale la moindre infraction à ce règlement; vous devez même vous en punir et vous en confesser.
— A propos de confession, vous devez appeler out spécialement l'attention de votre confesseur
sur ce point si important. Vous devez le prier de ne vous rien passer à cet égard. Vous devez lui faire connaître la guerre que vous avez déclarée à l'oisiveté. Vous devez lui soumettre votre règlement particulier et le supplier d'en presser vivement l'exécution. Vous devez même lui demander comme une grâce quelque pénitence spécirde pour chaque faute que l'oisiveté vous fera commettre.
— 2H —
— Peut-être feriez-vons bien d'aller aussi trou- ver votre supérieur pour lui exposer votre coté faible, pour lui faire part de vos dispositions, et solliciter de sa charité Fappui de ses exhortations et de ses conseils. Dieu vous récompensera de vos humiliants avenx, et bénira cet épanchement de votre misère dans le sein de celui qui a grâce pour la soulager.
— Il sera bon encore de fuir la société des pa- resseux qui vous ressemblent, et de ne fréquenter habituellement que ceux de vos condisciples qui ont la sainte passion de l'étude. Si vous êtes assez libre avec eux pour leur parler à cœur ouvert, vous leur confierez votre mauvais penchant ; vous leur demanderez des encouragements et des avis fraternels ; vous les prierez même de vouloir bien vous servir de moniteurs assidus et dévoués.
— Vous devez surtout cultiver la piété dans votre âme ; car la piété est utile à tout, dit l'Apô- tre, Pietas ad omîiia utilis est, et elle est particu- lièrement indispensable pour la destruction du vice et l'acquisition de la vertu. Votre piété est fausse si vous prétendez l'allier à l'oisiveté qui est, dans l'état ecclésiastique plus que dans tout autre, un a[Treux désordre dont les désastreux effets sont incalculables. Vous n'avez été paresseux jusqu'ici que parce que vous avez manqué de piété ; vous cesserez de l'être si vous la cultivez désormais avec un saint zèle.
— Quand viendra l'époque si périlleuse des va- cances, veillez dès le premier jour sur votre côté faible. Évitez avec le plus grand soin les visites inutiles et trop prolongées, la compagnie des per-
— 212 —
sonnes désœuvrées, les jeux et les festins qui ab- sorberaient vos heures d'étude. Enfin observez avec une exactitude scrupuleuse le règlement des vacances que vous aurez adopté de concert avec votre directeur ; rappelez -vous souvent, ce qui est si vrai, que votre conduite pendant les vacances sera la représentation fidèle de votre conduite fu- ture quand vous serez prêtre.
Puissiez -vous, jeune et tendre ami, entrer géné- reusement dans ces dispositions et vous mettre ainsi à l'abri des dangers de toute espèce auxquels vous exposerait l'oisiveté si vous refusiez de la combattre ! Croyez-nous, jeune élève, ne faites pas la démarche décisive du sous-diaconat si vous ne sentez pas en vous-même l'iiorreur de F oisiveté et le goût du travail. Plusieurs étaient studieux au séminaire et sont devenus paresseux dans le sacer- doce : que penser de ceux qui, même au séminaire, n'ont pas l'amour de l'étude? Cette pensée fait frémir ; méditez-la souvent devant Dieu dans votre pieuse solitude.
(Voyez et, lisez avec grande atteutiuu dans la Pratique da zèle ecclésiastique, les chap. VIII et IX de la première partie, et dans le Saint Prêtre, le chap. V^ de la troisième partie.)
213
CHAPITRE YIl
Le. séminariste saus charité pour le prochain.
I
Le cœur est le foyer de la charité. Quand la charité n'y réside pas, il est froid ; quand elle y règne, il est ardent et embrasé. Si donc nous des- cendons dans le cœur du séminariste peu chari- table, nous le trouverons à coup sur froid et insen- sible à l'égard du prochain : l'égoïsme y tiendra la place delà charité. Non-seulement il n'aura point d'amour pour ses frères, mais il aura contre eux des sentiments d'aversion, de jalousie, de rancune ou autres de ceUe nature.
Le séminariste peu cliari table ne pense point habituellement au prochain avec affection et dé- vouement ; il y pense plutôt avec un certain fonds de malveillance, ou du moins d'indifférence et de froideur.
S'il a connaissance de quelque faute commise par un de ses condisciples, au lieu de chercher les moyens de l'excuser, il prend plaisir à le condamner au tribunal de son mauvais cœur, il noircit ses intenlions et attribue à une malice réfléchie ce qui peut-être n'a été que l'efiet de la fragilité ou de la distraction.
Si le coupable n'est pas connu, il veut le con- naître, lui ; il examine, il recherche, il fait des
— 214 —
rapprochements, des suppositions, et s'il ne juge pas absolument, il soupçonne du moins et semble prendre plaisir à penser que ses soupçons sont fondés.
Si surtout il se croit lui-même atteint par ce qu'il appelle un mauvais procédé, il n'admet au- cune excuse, aucune faiblesse, aucune légèreté. Son amour-propre froissé s'irrite vivement, et c'est alors qu'il incrimine plus malignement que jamais les intentions de celui qu'il devrait traiter avec une indulgente charité.
Il est jaloux, et sa jalousie nourrit en lui des sentiments d'aigreur qui ne sont compensés par aucune jouissance.
La raillerie lui est familière : pas un travers qu'il ne censure, pas une gaucherie qu'il ne fasse ressortir par des ironies piquantes ; supérieurs, égaux, inférieurs, nul n'est épargné. Toujours moqueur, toujours caustique et mordant, il triom- phe q^uand il peut égayer une conversation aux dépens du prochain.
Son extérieur même annonce son mauvais pen- chant à l'ironie. Son regard est scrutateur, quel- quefois faux, dédaigneux et malin ; son sourire est sardonique et railleur comme sa langue.
Connaissant sa disposition habituelle à la rail- lerie, on tâche de se préserver de ses coups de langue, on vise à lui être agréable, on le flatte, on l'applaudit, mais au fond on le redoute et per- sonne ne l'aime.
Ses amis, quand ils prêtent le flanc à ses criti- ques incisives, ne sont pas plus ménagés que les autres. Tout au plus s'abstiendra-t-il de les blesser
— 215 —
s'ils sont présents ; mais en leur absence, il les fustigera sans pitié par ses paroles sarcastiques.
La gloire qu'il attache à un prétendu bon mot exerce sur lui un empire absolu : faire le sacri- fice de ce bon mot lui est impossible ; le vain plai- sir de passer pour homme d'esprit étouffe les inspi- rations que la charité lui suggi^re.
Autant il aime à blesser les autres par ses rail- leries, autant il s'indigne si l'on se permet de le blesser lui-même : on dirait qu'il se regarde comme une petite divinité qui, ayant droit de vie et de mort sur tout le monde, veut être respecté de ceux même qu'elle immole.
Les médisances, quoique parfois assez notables, sont à ses yeux des bagatelles insignifiantes ; il dit tout ce qu'il sait, sans ménagement et sans contrainte ; sa mauvaise langue produit au grand jour de la publicité les fautes les plus cachées, et son habitude à cet égard est si bien formée qu'il n'a pas même la pensée de retenir les indiscrétions qui lui échappent.
S'il ne trouve pas matière suffisante à ses mé- disances dans l'enceinte du séminaire, il fait des excursions hors de cette enceinte ; il révèle les fautes que ses anciens condisciples ont commises dans les petits séminaires ou dans les collèges, et blesse la réputation de quelques personnes du monde qui ne se doutent guère qu'un séminariste les déchire.
Non content de débiter ce qu'il sait, il veut qu'on lui dise ce qu'il ignore, pour avoir le plaisir de l'apprendre à d'autres. 11 fréquente à dessein ceux qui lui ressemblent, espérant toujours en tirer
— 216 —
quelque chose, et il s'isole des séminaristes pieux et charitables qui n'ont jamais rien à lui dire de ce qu'il veut savoir.
Apprendre du nouveau contre le prochain, voilà son plaisir. Si on ne lui dit rien, il interroge ; si on lui dit quelque chose, il écoute avec avidité, et fait voir par des signes certains qu'on l'intéresse et qu'on l'amuse.
Sa conscience a beau protester contre ses licen- ces, il la traite de scrupuleuse et ne tient aucun compte de ses réclamations et de ses murmures.
Encore s'il était véridique dans ses récits contre le prochain, mais malheureusement il n'en est pas ainsi ; aveuglé par la manie du dénigrement^ il ne calcule pas la portée de ses paroles et, s'il ne se permet pas des calomnies formelles, il donne dans des exagérations qui blessent la vérité et la charité du même coup.
S'aperçoit-il de ces exagérations après que le mot est lâché? il ne revient point sur ce qu'il a dit, se persuadant que le fond est vrai et qu'on a d'ailleurs oublié déjà la parole imprudente qu'il vient de proférer.
Faut-il s'étonner si, ne mettant aucun frein à sa langue, il fait à chaque instant des indiscrétions, quelquefois assez graves en elles-mêmes et dans leurs résultats ?
Aussi n'est-ce pas à lui que l'on confiera des secrets importants ; on sait trop bien que celui qui révèle sans scrupule les fautes du prochain ne se reprochera guère la révélation d'une confidence. Et puis, on peut lui déplaire quelque jour ; ôr comment croire que, le cas échéant, il respectera
— 217 —
les secrets de celui qui aura encouru sa disgiVu.'o ?
Par ses discours plus que légers, il intro^u-t la division dans le séminaire. Il brouille des amis j ar ses coups de langue, et ceux qui sont déjà froids les uns envers les autres, il les refroidit encore davantage par d'imprudents rapports.
N'attendez point de lui ce qui s'appelle préve- nance, égards, complaisance, service d'ami : ce sont des fruits de la charité, et la charité est une verlu dont il ne connaît que le nom.
Qu'on ne se permette pas de lui manquer ; il ne l'oublierait jamais: l'amitié la plus étroite ne serait rien pour lui ; il la briserait à l'instant même comme le verre et la remplacerait par un mauvais levain de rancune amère et vivace.
Non-seulement il ne revient point le premier quand il a quelque ressentiment contre un de ses frères, mais il l'accueille froidement s'il lui fait de charitables avances.
On pourrait presque demander s'il y a place pour une affection véritable dans son cœur froid et sec. La charité ne l'animant point de sa flamme, il ignore la douceur d'un tendre attachement, et s'il aime quelqu'un, c'est lui-même et lui seul.
Quelle différence, quel contraste entre un cœur ainsi disposé, et le cœur de Jésus qui aimait tout le monde et ses propres bourreaux comme les autres : Pater, ignosce illis, nesciunt enim quid faciuntl
Voyez, jeune ami, voyez où vous en êtes, sur ce point si important ; mais voyez en outre où vous conduira dans le sacerdoce votre manque de charité.
n. 13
218 —
II
Si, dans le séminaire même, qui est l'asile de toutes les vertus, vous avez l'habitude de violer la charité, ce sera bien autre chose dans le monde, où les occasions seront incomparablement plus fréquentes.
Dans le séminaire, vous n'avez rien, du moins de notable, à censurer. Les habitants de ce saint lieu menant pour la plupart une vie pieuse et régulière, la malignité de votre langue ne peut guère les atteindre. Mais dans le monde , vous apprendrez à chaque instant de nouveaux désor- dres et, à chaque instant aussi, vous aurez la démen- geaison d'en connaître les auteurs.
Étant naturellement railleur, vous donnerez un libre cours à vos plaisanteries mordantes. Vous voudrez égayer les compagnies où vous serez admis, par des critiques plus blessantes quelque- fois que des médisances mêmes.
Si les personnes que vous raillerez sont présen- tes, vous les humilierez et les indisposerez contre vous; si elles sont absentes, ceux qui vous enten- dront leur reporteront vos railleries et vous feront payer cher les paroles piquantes que vous aurez proférées.
Voyant que vous n'épargnez personne, que vous mordez tout le monde et que vous ne faites grâce à aucun travers, on vous flétrira du titre de rail- leur; nul ne vous regardera comme un saint prê- tre ; ceux-là même qui vous fréquenteront et que vous semblerez ménager, croiront que vous les
— 219 —
traitez comme les autres quand ils sont absents, et, de cette manière, vous serez craint peut-être, mais à coup sûr vous ne serez point aimé.
Vous applaudirez aux railleries qui se feront en votre présence, vous en rirez beaucoup, et vous encouragerez ainsi les railleurs à persévérer dans leur mauvaise habitude.
Yous communiquerez votre défaut à des confrères qui y seront prédisposés. S'ils voient en vous quelques vertus et une conduite à peu près régu- lière sur les points qui ne touchent pas à la charité, ils aimeront à se persuader qu'on peut railler son prochain tout à son aise sans cesser pour cela d'ê- tre bon prêtre, et ils deviendront railleurs par la puissance de votre exemple.
Les laïques feront le même raisonnement : ils croiront pouvoir se permettre sans façon les raille- ries dont un prêtre ne semblera se faire aucun reproche. Sachant que sa sainteté doit être plus éminente que la leur, ils diront avec quelque ombre de vraisemblance : Nous pouvons bien faire sans trouble ce qu'il fait lui-même sans scrupule.
Ceux qui, mieux éclairés et plus charitables, blâmeront la raillerie et éviteront de s'en rendre coupables, seront scandalisés de voir qu'un prêtre commet ce que la religion condamne et ce qu'ils croient eux-mêmes devoir s'interdire.
Abhorrez donc l'esprit caustique et railleur qui, blâmable chez tout le monde, l'est particulièrement chez le prêtre, puisque la raillerie blesse la charité dont il est plus que personne l'apôtre et le docteur.
Mais vous contenterez-vous d'être railleur? Non, assurément. Où trouver un railleur qui ne soit pas
— 220 —
médisant ? Vous serez donc médisant vous-même, et la force de l'habitude aura sur vous tant d'em- pire qu'elle étouffera les murmures de votre con- science.
Vous saurez bien, en principe, que la médisance est un vice ; vous le rappellerez à vos pénitents au saint tribunal; vous connaîtrez tout ce que la théologie enseigne sur cette grave matière ; vous la traiterez in extenso et avec vigueur dans des discours spéciaux ; mais, sévère pour les autres, vous userez envers vous même d'une indulgence déplorable , ou plutôt vous oublierez que vous serez coupable de médisance, tout en la commet- tant à chaque instant. Il faut bien le dire, et on ne peut le dire qu'en gémissant, plusieurs prêtres contractent l'habitude de la médisance et se la per- mettent avec plus de facilité qu'une multitude de pieux laïques. Or comment de jeunes prêtres sor- tant du séminaire ne seront-ils pas entraînés dans cette mauvaise voie, s'ils y sont précédés par leurs aînés dans le sacerdoce et si déjà ils ont eux-mêmes quelque propension à violer la charité par la médi- sance ?
Si vous êtes vicaire, vous dirigerez la malignité de votre langue contre votre curé ; vous révélerez ses défauts, vous critiquerez son administration, vous censurerez surtout avec amertume ses pro- cédés à votre égard quand vous aurez à vous en plaindre. Vous direz toutes ces choses d'abord à des confrères, puis à des paroissiens que vous choisirez parmi ceux qui seront déjà peu satisfaits de votre curé ; et celui-ci venant à apprendre votre conduite envers lui, vous retirera tout naturelle-
— 221 —
ment sa confiance et son affection ; peut-être même en viendra-t-il jusqu'à des récriminations viru- lentes qui banniront du presbytère la paix et l'har- monie si nécessaires pour opérer dans la paroisse un ministère fructueux.
Si vous êtes curé, vous colporterez de tous côtés vos griefs contre vos vicaires ; vous ne laisserez pas un seul de leurs défauts dans l'ombre ; vous les mettrez tous en lumière et en relief ; vous leur susciterez par là des ennemis qui, de leur côté, propageront le mal à votre exemple et paralyseront les efforts de leur zèle.
Vous ne considérerez point la paroisse comme une famille confiée à vos soins paternels : au lieu de dissimuler, comme le fait un bon père, les fautes de vos enfants spirituels, vous vous ferez un jeu de les divulguer; vous attaquerez tantôt l'un, tantôt l'autre par vos médisances, et vous transformerez votre paroisse en une arène où vous succomberez vous-même tout en croyant immoler les autres.
Vous serez redouté et non recherché, haï peut- être au lieu d'être aimé, et vos prédications, frap- pées de stérilité parce qu'elles seront démenties par vos œuvres, seront des coups de cymbales qui rebuteront au lieu de gagner et de convaincre.
Bien plus, vos prédications elles-mêmes seront quelquefois défigurées par des médisances publi- ques et solenneiles : votre langue parlera de l'abon- dance d'un cœur plein d'amertume ; et des person- nalités fort peu voilées, sinon tout à fait saisis- santes, choqueront ceux-là même qui n'en seront pas l'objet et indigneront contre vous ceux qu'elles atteindront.
— 222 —
Les choses étant ainsi, vous serez comme un arbre flétri et desséché au milieu du champ du père de famille ; vous n'aimerez point et vous ne serez point aimé ; vous vous dégoûterez d'une paroisse qui se dégoûtera de vous encore davan- tage ; vous solliciterez de vos supérieurs une mu- tation que vos paroissiens solliciteront eux-mêmes avec les plus viv(\s instances : et quand vous aurez obtenu une autre cure, votre langue, dont cette mutation ne corrigera point les écarts, ira déposer ailleurs le germe de nouveaux troubles et de nou- veaux désordres.
Au lieu de porter dans les compagnies où vous serez appelé cet esprit de paix et de charité qui doit toujours distinguer le ministre de Jésus-Christ, vous serez peut-être le premier à raconter les misères du prochain que vous aurez apprises ; vous ferez connaître des fautes ignorées et vous nommerez leurs auteurs sans le moindre scrupule. Qui sait même si, loin de profiler de la leçon que quelques bons chrétiens vous feront en justifiant ceux que vous condamnerez, vous n'insisterez pas pour infirmer l'apologie et fortifier l'accusation?
Tous arrêterez-vous du moins devant la calom- nie? Oui, sans doute, quand elle sera notable et parfaitement caractérisée.; mais n'ayant jamais appris à dompter votre langue, vous serez, en bien des circonstances, calomniateur sans le sa- voir; vous ajouterez à des faits, vrais au fond, des circonstances qui ne le seront point ; vous aggraverez la culpabilité de vos victimes par des exagérations qui blesseront la vérité et la charité du même trait, et vous acquerrez la triste réputa-
— 223 —
tion d'homme léger, imprudent, malveillant et passionné.
Toujours influencé par votre intempérance de langage, vous révélerez les secrets qui vous seront confiés ; vous sèmerez la zizanie par des rapports inconsidérés, et vous compromettrez par des in- discrétions, quelquefois fort graves, les intérêts de ceux qui vous auront choisi pour confident.
Tout cela sans doute vous attirera d'amers re- proches qui seront de nature à vous faire rentrer en vous-même pour corriger ce qu'il y aura^ de répréhensible dans votre conduite ; mais au lieu de profiter de ces pénibles avertissements, vous vous en irriterez, vous essayerez de justifier ce qui sera injustifiable, ou bien vous soutiendrez opi- niâtrement n'avoir pas dit ce que plusieurs per- sonnes recommandables affirmeront avoir entendu de votre propre bouche.
Le jugement téméraire sera pour vous une ba- gatelle, surtout quand vous le dirigerez contre une personne de laquelle vous croirez avoir lieu de vous plaindre. Vos imprudences et vos légèretés vous suscitant chaque jour des désagréments plus ou moins graves, vous voudrez savoir d'où vous viendront les coups qui vous seront portés : sur les plus faibles indices, vous accuserez des inno- cents et vous les fustigerez comme s'ils étaient réellement coupables, ce qui les révoltera d'autant plus qu^ils sauront bien ne pas l'être.
De toutes ces choses et de l'ensemble de votre conduite, résulteront des explications acerbes et même des vexations et des inimitiés, qui vous rendront malheureux et ruineront votre autorité.
— 224 —
Encore si ces disgrâces opéraient votre réforme ; mais non : votre cœur dénué de charité accueil- lera la rancune ; vous romprez sans ménagement avec une partie de vos paroissiens et quelquefois avec les plus influents ; vous n'aurez plus avec eux aucun rapport, pas même de simple étiquette ; vous passerez des années entières dans un état de froideur et d'hostilité que rien ne pourra détruire ; vous scandaliserez au lieu d'édifier, et vous retar- derez bien des conversions que votre charité de- vrait opérer, et auxquelles votre fonds haineux opposera peut-être un infranchissable obstacle.
Dieu veuille que vos confrères eux-mêmes n'aient pas à souffrir comme les autres de votre peu de cha- rité 1 Mille choses, qui ne seraient rien pour un saint prêtre, vous sembleront énormes : un manque de prévenances et d'égards, un mot peu mesuré, une démarche inconsidérée, une plaisanterie légère ou autres choses semblables ; c'en sera assez pour exci- ter des tempêtes au fond de votre cœur. La suscep- tibilité, la jalousie, la défiance, l'àpreté de caractère vous suggéreront des inspirations malignes qui auront pour résultat la froideur, l'isolement et peut-être des ruptures fort peu édifiantes et même préjudiciables aux fruits du ministère, si surtout ces ruptures ont lieu entre confrères voisins.
Nous sommes loin et bien loin d'avoir tout dit sur cette grave et immense matière ; mais nous n'avons pas besoin, ce semble, d'en dire davantage pour déterminer nos jeunes amis à se corriger à tout prix du défaut, si funeste dans ses consé- quences, que nous venons de leur signaler. Nous avons vu le mal, voyons-en les remèdes.
— 225 — III
— Puisque vous aspirez au sacerdoce, com- mencez par vous bien convaincre que le prêtre est, par-dessus tout, l'homme de la charité : c'est bien plus pour ses frères que pour lui-même qu'il est prêtre, et s'il ne les embrasse pas tous dans les liens d'une ardente charité, il manque certaine- ment à l'une de ses plus essentielles obligations. Tous les saints prêtres sont embrasés d'amour pour le prochain, et ils cesseraient à l'instant même d'être de saints prêtres si cet amour s'étei- gnait dans leur âme.
— Ne distinguez jamais entre prochain et pro- chain, et puisque le divin Maître a dit : Diligite inimicos vestros, benefacite his qui odenoit vos, n'excluez absolument personne de votre charité ; cette exclusion en serait la destruction.
— Yous serez un prêtre excellent si vous êtes un prêh-e éminemment charitable. Eussiez-vous d'ailleurs des infidélités même assez notables à vous reprocher, la charité, si vous la possédez à un haut degré, vous obtiendra les grâces néces- saires pour vous en corriger, et vous vérifierez en vous-même la sentence de l'Apôtre : Qui diligit proximum, legem implevit. Attachez-vous donc in- violablement à cette vertu fondamentale et méditez souvent ces paroles du prince des apôtres : Antè o.AiNiA (notez bien ces deux mots) cmtè omnia, mu- tuam in vobismetipsis charitatem continuam hahen- tes, quia char itas operit multitudinem peccatorum.
— Si vous sentez en vous-même un certain II. 13.
— 226 —
fonds d'aigreur et d'amertume contre le prochain, dès qu'il vous froisse et qu'il vous contrarie, soyez sur que vous êtes par cela même prédisposé à mille écarts que la charité condamne. Détruisez ce mauvais fonds ou du moins arrachez-en les plantes vénéneuses qui l'infestent, et remplacez votre froi- deur et votre amertume par la douceur, la bien- veillance, la cordialité, la tendresse même à l'égard de tout le monde, vous appliquant ces paroles du grand Apôtre aux Éphé siens : Omnis amaritudoy et ira, et indignatio tollatur à vobis.
— Maîtrisez votre langue, et gouvernez-la si bien que jamais il ne vous arrive de lui permettre, avec vue, de s'exercer aux dépens du prochain. Ne regardez rien comme léger sur Tarticle de la charité. Faites-vous scrupule de la moindre raille- rie et sacrifiez impitoyablement un mot quelconque qui vous déplairait s'il était dit contre vous : Diliges proximum sicut te ipsum .
— Si vous avez dans le séminaire la réputation de railleur, vous aurez la même réputation dans le sacerdoce, et cette habitude de la raillerie vous fera des ennemis qui se vengeront de vos critiques malignes par des persécutions qui vous seront très-nuisibles. Corrigez-vous donc de ce défaut et adoptez comme règle invariable de ne vous per- mettre avec délibération aucune raillerie piquante.
— Jamais de médisances, quelque légères qu'el- les soient. Des légères on passe aisément aux graves, et l'habitude de médire se formant peu à peu, on ne voit plus de mal où l'oeil de Dieu en voit beaucoup. Quand on commencera à parler du prochain, comme c'est bien plus souvent pour 1©
— 227 —
blâmer que pour le louer qu'on en parle, soyez sur vos gardes. Convenez avec vous-même que vous direz du bien de tout le monde, et dès qu'on atta- quera quelqu'un, cherchez à l'instant même ce que vous pouvez dire à son avantage. De cette manière, vous faisant toujours l'apologiste de ceux qu'on dénigrera en votre présence, vous édifierez par votre charité et vous ferez rentrer dans le devoir ceux qui auront le malheur de s'en écarter. Nous avons connu de saints prêtres qui semblaient avoir fait le vœu de défendre tous ceux que la médisance attaquait : dès qu'ils entendaient une critique, ils y répondaient par un éloge, et tout le monde les admirait et les aimait.
— Usez très-sobrement des hyperboles. Outrer la vérité, c'est la ternir. Si vous êtes habituelle- ment logé dans les superlatifs, vous exagérerez les défauts du prochain comme tout le reste. On voit des hommes — et ces hommes sont quelquefois des ecclésiastiques — qui ne savent s'exprimer avec modération : tout ce qu'ils disent, et la ma- nière passionnée dont ils le disent, se colore de je ne sais quelle teinte emphatique qui détruit la gravité sacerdotale. Ils veulent donner une haute importance à tout ce qu'ils débitent, et, cette im- portance , que leur sujet ne comporte pas, ils croient la lui procurer en y ajoutant avec chaleur des circonstances de leur invention. A force de vouloir convaincre, ils empêchent la conviction de naître. Tel homme qui se laisserait gagner par un récit simple et modéré, se tient en garde contre une narration ampoulée, et oublie pour ainsi dire la chose qu'on lui raconte pour ne penser qu'à
— 228 —
l'emphase passionnée du narrateur. Quand des hommes ainsi disposés sont, par nature, railleurs, médisants, jaloux et haineux, ils exagèrent les griefs du prochain comme tout ce qu'ils traitent, et dans le feu de leur débit, ils lancent des traits dont la vérité et la charité sont également bles- sées. Ne leur ressemblez pas, bien-aimé lecteur ; vous perdriez, comme ils la perdent eux-mêmes, la confiance des hommes sages.
— Que le soleil ne se couche point sur votre co- lère ^ nous dit le grand Apôtre. Vous êtes bien à plaindre, jeune et tendre ami, si, dans le séminaire, vous vous distinguez par des froideurs et des ran- cunes prolongées. Les causes qui les produisent étant presque toujours des futilités et des baga- telles, que sera-ce quand vous serez embarrassé dans les épines du ministère, et que vous vous trouverez à chaque instant aux prises avec des malveillances perfides et des oppositions calculées ! Apprenez donc de bonne heure à pardonner les of- fenses dont vous serez l'objet. Excercez-vous au pardon, et adoptez surtout cet exercice si vous sentez qu'il von s inspire de la répugnance, puisque cette répugnance ne procède que d^ la difficulté que vous avez à pardonner. Où sera votre vertu, et particulièrement votre charité, si vous ne savez rien souffrir? Habituez-vous donc à dissimuler pieusement tous vos ressentiments. Ne froncez point le sourcil devant ceux qui vous manquent ; ne comprimez point vos lèvres comme un homme qui médite la vengeance ; ne tournez point le dos brus- quement à celui dont vous avez à vous plaindre ; ne donnez point issue au feu qui vous consume,
— 229 —
par des paroles sèches et amères : tout cela, voyez- vous, est exactement le contraire de ce qu'a fait Jésus en des circonstances bien autrement graves que celles qui vous irritent. Imitez sa douceur en- vers Judas qui le trahit, son calme envers Pilate qui le condamne, sa résignation aux pieds d'Hé- rode qui le traite d'insensé, et son immense cha- rité à l'égard des bourreaux pour lesquels il dit sur la croix où ils l'ont cloué : Pater, ignosce illis, nesciunt enim quid f admit.
— Ne vous contentez pas de renoncer à ce qui blesse la charité ; praliquez-en à chaque instant des actes formels. Soyez doux, affable, prévenant, officieux, indulgent et toujours empressé à conci- lier les esprits aigris. En agissant de la sorte, vous serez pour tous les séminaristes un sujet perpétuel d'édification, et plus tard vous ferez bénir votre ministère dans la paroisse que la divine Providence vous destine.
— Insistez fortement sur le point de la charité dans vos confessions, vos directions, vos médita- tions et vos examens. Soyez sévère jusqu'au scru- pule sur cette importante matière ; ne vous passez rien, punissez-vous de la moindre infraction et ne déposez les armes que quand vous aurez donné à votre charité les ravissants caractères que saint Paul assigne à cette vertu par les belles paroles qui méritent si bien de clore ce chapitre : Charitas patieiis est, benirjna est ; charitas non semulatur, non agit perperani, non inflatur, non est ambitiosa, non quœrit qiœ sua sunt, non iiTitatur, 7ion cogi- tât malimiy non gaadet super iniquitate, congau- det autem veritati : omnia suffert, omnia crédit.
— 230 —
omnia sperat, omnia sustinet : chantas nunquam excidit.
Grâce et bénédiction sur ceux de nos jeunes lec- teurs qui retraceront fidèlement en eux-mêmes la charité de l'Apôtre !
{YojezPratique du zèle ecclésiastique, première partie, ch. V, et le Saint Prêtre, deuxième partie, ch. V et VI, pag. 136 et
suiv.)
CHAPITRE YIII
Le séminariste vif et irascible. I
Parmi les vertus qui doivent orner l'âme du prêtre, la douceur occupe incontestablement un des premiers rangs ; il est donc absolument néces- saire, pour le séminariste, de combattre sans re- lâche le vice qui la blesse.
Le séminariste n'a pas ordinairement de grandes inquiétudes à l'égard de la colère pendant les jours de son séminaire. Il se croit même quelque- fois exempt de ce défaut, et dès lors il ne pense pas même à le combattre. Cela se conçoit : dans son saint asile, il a peu d'occasions de se mettre en colère. Ce vice n'éclate, pour l'ordinaire, que quand on est excité par des contradictions aga- çantes et vexatoires. Or il ne se rencontre guère de contradictions de cette nature dans l'enceinte du séminaire. Les directeurs de ces établissements
— 231 —
conduisent généralement les élèves par la voie de la douceur et de la bonté, et si quelquefois ils croient, par exception, devoir user de sévérité à l'égard d'un élève, le respect qu'il porte à ses su- périeurs comprime le sentiment de vivacité qui voudrait se faire jour. Quant à ses condisciples, il n'est en rapport avec eux que pendant le temps des récréations, et presque toujours ces récréations sont paisibles, amicales et enjouées. Cette absence d'occasions contribue donc à lui persuader que la colère n'est pas un de ses vices. Aussi est-il étran- gement surpris quand, devenu prêtre, il lui écliappe, dès le début de son ministère, des brusqueries et des vivacités quelquefois impétueuses.
Pour prévenir ces excès, dont les conséquences sont souvent très-graves, nous croyons donc de- voir appeler son attention sur certains points à peine sensibles au séminaire, mais qui présagent dans un avenir peu éloigné de bruyantes tempêtes.
Pour se bien connaître, relativement au vice de la colère, le séminariste fera bien d'interroger son passé. Si réellement il a la racine de ce défaut, il verra qu'il était vif et emporté dès son enfance, que les réprimandas, même légères, de ses parents provoquaient sa colère et lui attiraient de justes châtiments. Il verra aussi que cette même colère éclatait fréquement à l'égard de ses frères et de ses sœurs, des domestiques, de ses petits cama- rades, et généralement de toute personne qui se permettait de l'humilier ou seulement de l'agacer et de le contredii^e. S'il reconnaît qu'il était habi- tuellement ainsi disposé , il peut conclure avec certitude que la colère est un de ses vices, et que.
— 232 —
si ce vice sommeille au séminaire, il se réveillera peut-être avec éclat et scandale, dès qu'il en sera sorti.
Aprti cet examen du passé, il doit s'appliquer à considérer le présent. Quoique moins saillant au séminaire, comme nous l'avons dit, ce vice s'y manifeste encore par certains traits que nous allons signaler.
Le séminariste irascible reçoit mal les repré- sentations de ses supérieurs ; il se permet quelque- fois des réponses déplacées qui frappent pénible- ment ceux qui les entendent. S'il n'en vient pas jusqu'à de telles réponses, son visage s'anime, ses traits se contractent, une rougeur subite se déclare, i::i fju intérieur, dont l'extérieur est le reflet, se fait aussitôt sentir, et pour donner issue aux senti- ments d'aigreur dont son cœur est plein, il saisit la première occasion qui se présente pour faire part de sa peine et de son ressentiment à quelques- uns de ses amis intimes.
En d'autres circonstances, c'est à l'égard de ses condisciples cpi'il laisse éclater sa vivacité. S'ils approuvent ce qu'il dit et ce qu'il fait, tout va bien ; mais si, sur quelque point, souvent peu impor- tanf. ils osent le contredire, aussitôt il prend feu et manifeste sa colère par des paroles énergiques et même par certaines expressions blessantes.
Les domestiques, les ouvriers, les commission- naires et autres gens de cette classe connaissent aussi l'impétuosité de son caractère. Il leur parle avec hauteur et même quelquefois avec une sévérité qui les aigrit et leur donne une faible idée de sa vertu.
— 233 —
Quand il croit avoir été offensé, il éprouve aussi- tôt un vif ressentiment contre ceux qu'il juge coupables de cette offense, et il aime à s'entretenir contre eux dans un fonds d'aigreur et d'amertume; il va même jusqu'à désirer de s'en venger, et il en recherche les occasions et les moyens.
S'il croit devoir faire une réprimande, il l'assai- sonne de paroles aigres et de reproches piquants, irritant par là celui qu'il veut corriger, au lieu de l'amener par des voies de douceur à reconnaître humblement la faute qu'il a commise.
Il regarde toujours les torts de ses frères plutôt avec indignation qu'avec compassion, se montrant en ces circonstances peu disposé à recevoir leurs excuses ou à oublier et pardonner leurs faiblesses.
Il est si plein de mécontentement contre ceux qui le froissent, qu'il se sent comme soulagé quand il exhale son aigreur en racontant avec exagération à ses amis les griefs dont il se plaint.
Le châtiment qu'il croit devoir infliger à celui qui lui manque est ordinairement plus fort que la faute n'est grave, au lieu que la douceur porte toujours à punir les fautes moins qu'elles ne mé- ritent.
Use distingue dans le séminaire par une rudesse et une âpreté habituelles ; il affiche des manières inciviles, brusques, hautaines, et la réputation de bourru lui est généralement acquise parmi ses condisciples.
Non-seulement il refuse les services qu'il pour- rait aisément accorder; mais il notifie son refus avec sécheresse et dureté, faisant ainsi une double plaie sans penser même à s'en faire un reproche.
— 234 —
Quand il ne peut pas raisonnablement accorder les grâces qu'on lui demande, il ne témoigne point la peine qu'il a de ne le pouvoir faire, et n'adoucit jamais par des manières honnêtes et obligeantes la rigueur de son refus.
Pendant les vacances, c'est bien plus fort encore. Les occasions étant plus fréquentes, et la surveil- lance des supérieurs ne s'exerçant plus sur sa conduite, il ne comprime point les saillies de sa mauvaise nature. Au lieu d'édifier les personnes avec lesquelles il en est contact, par sa douceur et son humble condescendance, il les rebute et les offense même par sa rigueur et ses brusqueries. Père, mère, frères, sœurs, domestiques, tous re- marquent ses vivacités, et ne comprennent pas qu'elles n'aient rien perdu de leur amertume après une ou deux années de séjour au séminaire.
Bref, le séminariste irascible ne sait rien souffrir; tout doit plier devant sa volonté ; la plus légère contradiction, de quelque part qu'elle vienne, le provoque et l'irrite, et pour vivre en paix avec lui, il faut faire à chaque instant ce qu'il ne fait jamais lui-même, c'est-à-dire s'effacer, se contraindre, dissimuler son mécontentement et user à son égard d'une douceur à laquelle il croit toujours avoir droit et dont, par conséquent, il ne sait aucun gré.
Si vous vous reconnaissez à ces traits, jeune et tendre ami, vous devez gémir profondément en voyant ce que vous êtes ; mais vous devez gémir bien plus profondément encore en voyant ce que vous deviendrez, si vous ne travaillez pas sérieuse- ment à acquérir la vertu de douceur qui vous manque.
— 235 —
II
Supposons que ce qui vient d'être dit vous soit applicable, et que ne voyant point en vous, au séminaire^ de très-graves désordres relativement à la colère, vous ayez négligé de vous surveiller et de vous combattre sur ce point ; voici très- certainement l'avenir qui vous attend dès que vous serez employé dans le saint ministère.
Si vous êtes d'abord pourvu d'un vicariat, vous aurez bientôt, et quelquefois pour des bagatelles, des discussions vives avec votre curé. Yous rece- vrez de mauvaise grâce les observations qu'il croira davoir vous faire. Yous essayerez de le con- vaincre par des paroles animées de l'inconvenance et du peu de justesse de ses avis. Yous vous atti- rerez par là des réprimandes sévères qui vous aigriront plus encore ; ou si, par condescendance et pour maintenir la paix, votre curé ferme les yeux sur les défauts dont il voulait vous corriger, et s'abstient de toutes représentations pour ne plus vous irriter, vous ferez chaque jour de nouvelles bévues, vous compromettrez votre ministère par de graves imprudences, et vous ne reconnaîtrez la sagesse des conseils qui vous auront été donnés que quand il ne sera plus temps de les mettre à profit.
Yous irez plus loin encore : indisposé contre votre curé à la suite des discussions chaleureuses que vous aurez eues avec lui, vous ferez éclater dans la paroisse vos murmures et vos plaintes, et, tou- jours dominé par votre fonds d'aigreur, vous com-
— • 236 — '
muniquerez au troupeau votre mécontentement
contre le pasteur.
Si vous avez un autre vicaire pour collaborateur, lui aussi se ressentira de vos vivacités et de vos brusqueries. Plein de vous-même et croyant que tout vous est dû, vous vous offenserez de je ne sais quelles vétilles échappées à votre compagnon de ministère, et autant vous serez prompt à vous animer contre lui pour des causes futiles, autant vous mettrez d'empressement à exiger qu'il vous donne des témoignages de complaisance et de cor- dialité.
La servante du presbytère gémira comme les autres de voire peu de mansuétude, et la rudesse de votre caractère lui fora dire souvent que si vous prêchez la douceur en chaire, vous ne la prêchez guère à la maison.
De tout cela qu'cirrivera-t-il? c'est que lepresbytère, qui devrait être le séjour de la paix et de Tharmo- nie, sera, par votre faute, le théâtre de discussions et de scènes pénibles chaque jour renaissantes.
Plus tard, si les supérieurs vous appellent vous- même à desservir une paroisse, par un revirement difficile à exphquer, mais qui n'est que trop con- staté par l'expérience , vous oublierez totalement la rigueur du commandement qui était l'objet de vos murmures quand vous étiez subalterne. Devenu supérieur à votre tour, vous ferez sentir le poids de votre autorité sévère à ceux qui vous seront soumis, vérifiant ainsi cette sentence qu'o?i ne sait pas commander quand on n'a pas su obéir.
Encore si le défaut que nous combattous était renfermé dans l'enceinte du presbytère ; mais il
— 237 —
n'en sera point ainsi. Partout où vous serez appelé, vous vous porterez vous-même, et partout où vous vous porterez, vous manifesterez la brusquerie de votre caractère.
Dans vos catéchismes, vous déploirez à l'égard des enfants une sévérité excessive. Bien loin de les gagner par une bonté paternelle, vous les aigri- rez par des répréhensions de mauvais goût ; vous les humilierez par des paroles blessantes ; vous les endurcirez par de mauvais traitements qui vous attireront des désagréments très-pénibles, et dans toutes ces circonstances, vous les scandaliserez par vos saillies impétueuses, au lieu de les édifier par le charme de votre douceur.
Au tribunal de la pénitence , vous fermerez la bouche aux pécheurs parla sécheresse et la rigueur de vos réprimandes. Au lieu de vous montrer père dans cet asile de la miséricorde, vous y serez pres- que toujours un juge austère et inflexible ; et qui sait, grand Dieu, si des sacrilèges ne seront pas la conséquence de cette rebutante austérité ?
Dans la chaire même, vous ferez entendre des paroles déplacées, peut-être des personnalités offen- santes, donnant ainsi à tout un peuple la preuve que la douceur de Jésus-Christ n'est pas la vertu qui caractérise son ministre.
Vous décorerez vos boutades et vos emporte- ments du beau titre de fermeté, et vous traiterez de lâches et de pusillanimes ceux de vos confrères qui gagneront par leur douceur ce que vous ruine- rez par votre rudesse.
Vous éloignerez des personnes qui auraient besoin de vos conseils et qui s'abstiendront de vous
— 238 —
les demander dans la crainte d'être mal accueillies et de provoquer vos vivacités.
Vous vous ferez remarquer par des partialités choquantes. Sans aucune cause connue, mais le plus souvent par caprice ou par intérêt, vous rece- vrez les uns avec douceur , les autres avec une rigueiu^qui les blessera d'autant plus qu'ils ne sau- ront à quoi attribuer l'inégalité de votre caractère. Vous prêcherez énergiquement en chaire le par- don des injures, et quand vous en serez descendu, vous ne penserez pas même à mettre im terme à vos ressentiments personnels contre quelques con- frères ou quelquesbrebis égarées de votre troupeau. Vous serez aussi prompt à blesser, à humilier les autres, que vous serez lent à digérer les humi- liations qui vous seront infligées.
Vous vous exprimerez toujours avec une auto- rité despotique comme un homme qui se croit infaillible. La moindre résistance sera le coup de briquet qui fera jaillir Tétincelle, et si le choc con- tinue, r étincelle produira Tincendie.
Toutes vos discussions seront des tempêtes, et dans ces tempêtes la douceur, l'humilité et la cha- rité seront simultanément immolées.
Enfm, dans vos divers rapports avec les autori- tés civiles de la paroisse, les instituteurs, les pau- vres et généralement avec toutes les personnes qui auront à traiter avec vous de quelque atfaire, ràpreté de votre caractère se manifestera, et com- promettra sans aucun doute le succès de vos tra- vaux.
Tels seront, jeune et tendre ami, tels seront très- certainement les tristes effets du défaut qui vous
— 239 —
est signalé, si dès le séminaire , vous ne mettez pas tout en œuvre pour l'extirper de votre âme et pour le remplacer par cette aimable douceur que le divin Sauveur nous recommande si expressément d'apprendre à son école : Discite à me quia mitis sum et humilis corde.
III
Pour acquérir cette divine vertu, commencez par observer très-exactement votre manière d'être habi- tuelle relativement au défaut qui lui est opposé , afin de voir si vous y êtes sujet. Considérez sur- tout comment vous vous comportez quand on vous contredit, quand on vous humilie, ou même quand on vous donne un simple avertissement. Interrogez- vous spécialement à l'égard de la conduite que vous tenez envers les personnes pour lesquelles vous n'avez aucune sympathie. Enfin examinez tout particulièrement comment vous parlez et agissez pendant les récréations dans le séminaire, et pen- dant les vacances au sein de votre famille et de vos amis du monde, vous arrêtant principalement à voir comment se passent les discussions auxquelles vous prenez part.
— Si cette enquête vous fait découvrir quelque mauvais germe d'aigreur, de vivacité ou de colère, ne vous rassurez pas en disant que les choses ne vont pas loin, qu'elles ne dépassent pas les bornes de simples impatiences, et que vous n'avez pas d'inquiétudes sérieuses à cet égard. Souvenez-vous, au contraire, que si vous voulez acquérir la vertu de douceur au degré où elle se doit trouver chez
— 240 —
un prêtre , vous devez détruire impitoyablement non-seulement ce qui la blesse, mais même ce qui la froisse. Soyez convaincu, d'ailleurs, que ce qui n'est rien au séminaire, s'aggravera notablement dans le monde, et qu'il sera trop tard alors de remédier à un mal que vous pouvez détruire aujourd'hui avec facilité.
— Pour vous animer au combat, pensez aux funestes conséquences d'une défaite, et aux heu- reux fruits d'une victoire. Convainquez-vous bien que la douceur est la clef des cœurs, qu'un prêtre qui possède éminemment cette vertu, est béni de Dieu et des hommes, et qu'il convertit plus d'âmes par sa douceur que par ses prédications les plus éloquentes ; tandis que, par le vice contraire, il aliène les cœurs, il se fait des ennemis et frappe de stérilité son divin ministère.
— En présence de ces considérations, armez- vous de courage et ne dites pas comme les lâches qu'il vous est impossible de dompter votre carac- tère impétueux. Croyez fermement, au contraire, que vous pouvez tout avec une volonté généreuse, soutenue du secours de Dieu, et rappelez-vous qu'avec ces deux armes, saint François de Sales, naturellement irascible, devint, après dix-huit an- nées de combats, le plus doux des hommies de son siècle.
— Quand vous aurez profondément gravé ces considérations dans votre âme, commencez l'at- taque. Et, d'abord, demandez tous les matins dans votre méditation la grâce de ne pas commettre avec délibération la plus légère faute contre la douceur; prenez-en la ferme résolution et promettez à Dieu
— 241 —
de vous observer très-exactement pendant le jour, surtout pendant les récréations, afm de retenir le premier mot que vous seriez tenté de prononcer par colère.
— Quand vous serez en face de l'ennemi, c'est- à-dire quand vous sentirez en vous quelque cha- leur, quelque émotion vive à l'occasion de cer- taines contradictions de la part d^ vos supérieurs ou de vos condisciples, rappelez-vbus sur-le-champ votre résolution du matin, implorez au fond de rame l'assistance de Dieu, et gardez le silence mal- gré la tentation que vous avez de le rompre avec vivacité.
— Convaincu que les contraires se guérissent par les contraires : Contraria contrariis curantur, ne vous contentez pas de comprimer la colère, mais pratiquez des actes positifs de douceur. Ainsi, quand vous serez indisposé contre quelqu'un, au lieu de lui tourner le dos, montrez-lui un visage gracieux et aimable ; au lieu de lui répondre sur le ton de la vivacité, dites quelques-unes de ces paroles qui désarment un adversaire et en font un ami, vous souvenant de cette sentence de l'Esprit- Saint : Responsio mollis frangit iram.
— Si, malgré tous vos efforts, il vous arrive encore quelquefois de succomber, ne vous décou- ragez jamais ; relevez-vous au contraire sur-le- champ, et, plein de confiance en Dieu, dites-vous à vous-même avec un surcroît d'énergie : Malgré mes chutes et ma faiblesse, je veux être doux ; je le veux fortement, obstinément, et avec la grâctt de Dieu j'espère le devenir. ,
— Faites part de votre généreux dessein à votre II. 14
— 242 —
directeur ; priez-le de vous prêter main-forte et de ne vous épargner ni ses conseils, ni ses répri- mandes, ni les pénitences médicinales qu'il croira devoir vous imposer.
— Prévenez-le même, en fait de pénitence, et imposez-vous-en quelques-unes, une légère au- mône, par exemple, une mortification corporelle ou une œuvre expiatoire quelconque que vous vous empresserez d'accomplir dès que vous aurez failli.
— N'oubliez pas Fexcellent moyen de l'examen particulier sur le défaut de la colère. Avec lui, vous deviendrez doux ; sans lui, vous ne le deviendrez jamais.
— Enfm tournez toutes vos armes spirituelles contre l'ennemi que vous voulez vaincre : confes- sions, communions, visites au saint sacrement, méditations, lectures spirituelles ; autant de moyens que vous devez employer pour vous assurer de la victoire.
Que vous serez heureux, jeune et tendre ami, quand votre cœur aura exhalé tout son venin et que la douceur y aura remplacé l'amertume ! Alors vous posséderez votre âme dans la paix; alors vous édifierez les peuples par votre mansuétude ; alors vous pourrez espérer de ne voir jamais, par votre faute, des paroisses bouleversées, comme elles le sont quelquefois par un simple manque de douceur en une circonstance importante ; alors on dira de vous ce que l'on nous disait un jour d'un vénérable religieux : C'était un lion jjar nature, et il est devenu un agneau par vertu!
(Voyez Pratique du zèle ecclésiastique, première partie, ch. m, et le Saint Prêtre, deuxième partie, ch. VII, page 178.)
— 243
CHAPITRE IX
Le séminariste peu affermi dans la pratique de la sainte vertu.
I
L'impureté ! voilà le vice que le séminariste doit abhorrer ; voilà le vice qui fait plus que tout autre les mauvais prêtres et qui les rend l'opprobre de l'Église et la ruine des peuples.
La chasteté ! voilà au contraire la vertu dont le séminariste doit décorer et embaumer son âme ; voilà la vertu qui fait les saints prêtres et qui les rend la gloire de l'Église et l'édification des fidèles : 0 qnàm pulchra est casta generatio cum claritate !
Il est inouï que le vice impur se déclare pour la première fois au séminaire. C'est toujours dans le monde qu'il a pris naissance et qu'il a exercé ses ravages.
Le séminariste à qui nous parlons en ce moment, a donc subi la funeste influence de ce vice avant d'entrer au séminaire. Souvent sa jeunesse, son enfance même en fut souillée. Des amis corrompus le corrompirent lui-même, et Dieu veuille qu'il n'ait pas été corrupteur à son tour!
Quand il se fut adonné au vice impur, ou il bien cessa de fréquenter les sacrements, ou bien il les reçut de temps en temps dans des dispositions très- équivoques, ne sortant d'un abîme que pour tom- ber dans un autre, et désolant ses confesseurs par
— 244 — , ^
la ténacité de ses habitudes et la fréquence de ses rechutes.
Tant qullne se préoccupa point des gravespensées d'une vocation, il satisfit étourdiment ses passions fougueuses et s'ensevelit dans leur boue infecte.
Mais la fin de ses études approchant, et se voyant pressé par ses parents de prendre un parti, il s'interrogea pour savoir ce qu'il devait conclure.
Son attrait pour l'état ecclésiastique n'était pas très-vif ; mais comme, pour diverses raisons, toutes les autres carrières lui étaient fermées, il se dit à lui-même : J'irai au séminaire.
Cette détermination prise, il pensa qu'il fallait changer de conduite. Dans ce but, il fit des efforts ; mais sa conversion ne fut point une conversion d'éclat ; il tombait moins souvent, mais il tombait encore, et ne s'arrachait au péché que lâchement et comme par contrainte.
Le petit séminaire lui ouvrit ses portes : en voyant dans ce saint asile un grand nombre d'é- lèves édifiants qui se disposaient pieusement à entrer dans la carrière ecclésiastique , il sentit quelque désir de les imiter ; mais sa lâcheté per- sévérant toujours, il fit de nouvelles chutes, et se voyant encore assez loin du moment où il aborde- rait le grand séminaire, il ajourna chaque jour sa conversion définitive. Qui sait même, grand Dieu, si jusque dans le petit séminaire il ne trouva pas des complices de ses désordres !
Ses vacances furent pitoyables, et pendant celles qui précédèrent immédiatement son entrée au grand séminaire, il prouva par de nouveaux actes qu'il n'était pas encore sincèrement converti.
— 245 —
C'est en cet état, bien peu rassurant, qu'il s'im- planta dans la pépinière du sacerdoce, et c'est dans ce saint lieu que nous allons étudier sa conduite actuelle.
Nous ne supposerons jamais que le séminariste commette des fautes contre la sainte vertu dans le séminaire même. Malheur à lui s'il en était ainsi ! Mais non, nous voulons croire qu'il n'y en commet point ; il s'observe, il s'enchaîne, et cette suspen- sion d'actes mauvais lui fait croire que c'en est fait de ses passions et qu'il en est délivré pour toujours. Cependant il porte dans son cœur affaibli un vieux ferment recouvert plutôt que détruit, qui pourra bien produire plus tard ses déplorables efTets. Voici les dispositions actuelles d'un tel sé- minariste.
L'aiguillon de la chair se fait sentir par des ten- tations fréquentes et quelquefois très-vives, et, ces tentations, il les combat avec mollesse et avec lâcheté.
Au lieu de puiser dans le souvenir du passé des sentiments d'humilité et de confusion, son imagi- nation s'y reporte avec une demi-complaisance, et il se surprend assez souvent dans la contemplation de tableaux plus ou moins dangereux qui lui rappellent ses anciennes misères.
Sa chair n'est pas entièrement soumise ; elle aime beaucoup tout ce qui la flatte, et elle est excitée par une multitude d'objets qui passent inaperçus devant les yeux du jeune homme vraiment chaste.
Ses sens sont avides d'émotions mauvaises ; il leur refuse sans doute plusieurs satisfactions qu'ils réclament ; mais il doit voir que ce sont des eune- II. 14.
— 246 —
mis enchaînés qui espèrent se débarrasser plus tard de leurs pénibles entraves.
Ses yeux surtout sont loin d'être inactifs : ils veulent voir et ils voient en effet certaines per- sonnes dont la rencontre réveille les passions. Quelquefois son regard est direct et arrêté ; d'autres fois il est furtif et en quelque sorte hypocrite ; il semble qu'il ne veut pas voir, il baisse les yeux, on le croit parfaitement modeste, et cependant rien ne lui échappe. Le mauvais fond est toujours là.
La sympathie de sexe est loin d'être éteinte dans son cœur ; à chaque instant elle annonce sa pré- sence, et, pour éclater, on dirait qu'elle n'attend que des occasions.
En les attendant, ces occasions, la nature se satisfait quelquefois par des amitiés particulières dans le séminaire. Il lui faut des attaches à cette nature sensuelle, et, faute de mieux, elle se con- tente des seules qu'elle puisse actuellement former. Rassuré par la similitude du sexe, notre jeune homme est tranquille. 11 aime cependant, et quel- quefois même il aime beaucoup trop certain con- disciple qui lui rend la pareille : sentiments tendres, regards affectueux, cadeaux mutuels, serrements de main expressifs, désirs de se rencontrer quand on est séparé, entretiens expansifs quand on est seul à seul, échange de lettres qu'on ne voudrait montrer à personne : autant de traits qui caracté- risent l'affection équivoque au courant de laquelle on se laisse entraîner. Sans doute tout cela vient s'abriter sous le voile d'une amitié légitime; mais, hélas ! sans qu'on s'en rende bien compte, dans cette amitié la passion joue quelquefois son rôle
— 247 —
et laisse entrevoir de grandes faiblesses dans Ta- venir.
Le séminariste peu affermi dans la sainte vertu n'a point pour son corps cette retenue, ce respect même qu'ont pour le leur les jeunes gens éminem- ment chastes. Il se permet en ce point certaines libertés, soit par regards, soit par actions qui ne sont point à proprement parler des péchés, mais qui ne sont pas non plus l'indice d'une chasteté craintive et délicate.
Et que dirons-nous des vacances d'un séminariste de cette trempe? N'est-ce pas alors que les tenta- tions redoublent, que les occasions sont recher- chées, qu'on se permet la lecture de certains livres qui ne sont pas tout à fait des romans, de certains feuilletons qui ne sont pas tout à fait obscènes, lectures pendant lesquelles le cœur s'amollit, et après lesquelles la conscience murmure ? N'est-ce pas alors aussi qu'on fait des visites imprudentes, qu'on renoue des amitiés dangereuses, et que dans toutes les sociétés où l'on se trouve, on se sent irrésistiblement entraîné vers les jeunes personnes plutôt que vers les personnes âgées ? N'est-ce pas alors enfm que de nouvelles chutes annoncent l'an- cienne faiblesse, et jettent dans le plus pénible embarras le confesseur du séminaire chargé de se prononcer sur une vocation si douteuse ?
Pour comble de malheur, ce jeune séminariste manque de piété. Voilà peut-être le trait qui le distingue de la manière la plus invariable. 11 ne le pense pas sans doute, et plusieurs, au premier abord, auront peine à se le persuader : nous croyons cependant qu'il en est ainsi. Quelques-uns des
-- 248 — -
traits ci-dessus énoncés peuvent ne pas se ren- contrer chez le séminariste peu ctiaste ; mais le manque depiété s^observe toujours. Le démon peut, pour l'aveugler, lui épargner les tentations, les révoltes charnelles, les chutes ou les demi-chutes et autres choses semblables. D'un autre côté, voyant une différence notable entre sa conduite anté- rieure et sa conduite actuelle, il se forme une assez bonne opinion de sa vertu et se croit même positi- vement pieux. Cependant, nous le répétons, la piété lui manque. Sans doute il en pratique les actes ; il prie plusieurs fois le jour, il se confesse, il communie, il s'acquitte des exercices spirituels que le règlement du séminaire lui impose ; mais tout cela peut se faire sans avoir au fond de l'àme une piété solide et véritable ; et malheureusement c'est ce qui a lieu chez le séminariste qui n'est pas bien affermi dans la pratique de la sainte vertu.
L'élève pieux et parfaitement chaste est rempli d'estime pour la chasteté ; il frémit à la pensée de tout ce qui peut la ternir ; il fuit avec empresse- ment les occasions qu'elle redoute, et il aimerait mieux mourir que de se permettre un acte impur quelconque. Outre cela, les grandes vérités de la religion sont profondément implantées dans son âme ; la pensée de la mort, du jugement et de l'en- fer est sa pensée fixe et habituelle ; la sublimité du sacerdoce lui apparaît avec une majesté qui lui cause un trouble et une frayeur que son directeur est obligé de modérer ; et comme il ne voit que ki piété qui le puisse rassurer, il l'embrasse avec une sainte ardeur et trouve dans sa pratique des con- solations ineffables et une force invincible.
— 249 —
Or, c'est tout cela qui fait défaut au séminariste peu chaste : les grandes vérités dont nous venons de parler le laissent à peu près insensible ; ce sont pour lui des traits émoussés qui, ne stimulant point sa piété, le laissent, sous ce rapport, dans un état de froideur et de somnolence qui devrait le faire trembler et qui ne lui donne pas même la pensée de la crainte. C'est pour les directeurs de séminaires un sujet de désolation de voir frémir ceux, de leurs élèves qui devraient être calmes, et de voir parfaitement calmes ceux qui devraient frémir.
Redisons-le donc, non, la piété du séminariste peu chaste n'est point vive, n'est point rassurante : ajoutons même qu'elle ne peut pas l'être : pour- quoi? parce que la racine principale qui l'alim^ente ne se trouve point chez lui ou y est excessivement faible. Quelle est cette racine? C'est la mortifi- cation, cette vertu qui renferme toutes les autres, et qui réforme l'homme tout entier. Quelle morti- fication y a-t-il et peut-il y avoir chez le sémina- riste mou, sensuel, qui flatte sa chair au lieu de la dompter, et lui accorde les satisfactions qu'il de- vrait lui interdire?
Où en êtes-vous, jeune et tendre ami, sur ce point capital? Ah! si, en lisant ce qui précède, vous dites avec un sourd gémissement : Mon Dieu, mon Dieu, que voilà bien ce que je suis 1 trem- blez, tremblez : tremblez à la vue du présent déjà si déplorable ; mais tremblez plus encore à la vue des tempêtes et des naufrages que l'avenir vous réserve. ^Si le séminariste dont nous venons de crayonner
— 250 —
le portrait, a obtenu de son confesseur la permis- sion telle quelle d'être prêtre, voici, selon nous, et, nous pouvons le dire, selon l'expérience, son avenir probable.
Écoutez, jeune ami, et méditez attentivement ce que vous allez lire ; c'est, hélas ! l'histoire de plu- sieurs de vos devanciers que nous allons raconter.
II
Quelque froid que vous soyez dans le service de Dieu, Tétonnante transformation qu'opérera en vous le sacerdoce, vous saisira d'abord avec une certaine vivacité. Votre première messe, votre pre- mière absolution et les premiers actes de votre ministère feront inévitablement sur vous une im- pression plus ou moins profonde.
Mais bientôt^ retenez ce mot, bientôt ces senti- ments que vous n'entretiendrez point par les actes d'une piété ardente et soutenue, s'affaibliront au point de devenir à peine perceptibles.
Bientôt vous vous familiariserez avec l'autel, avec le saint tribunal, avec les fonctions augustes de votre sacerdoce, et vous serez dans le plus saint des états moins fervent que ne l'est un pieux laïque dans la vie commune.
Les exercices spirituels que vous faisiez forcé- ment au séminaire vous seront à charge ; vous supprimerez les uns, vous abrégerez les autres, et le peu que vous conserverez encore, vous le ferez avec une piété chaque jour décroissante.
Or, ce que vous perdrez d'un côté, la mauvaise nature le gagnera de l'autre : longtemps com-
- — 251 —
primée, elle voudra se soustraire à cette compres- sion.
Pour la satisfaire, vous prendrez part à ces fes- tins qui ne fortifient guère la chasteté, et vous deviendrez un hornme de bonne chère, un prêtre sensuel.
Yos sens, que vous n'aurez jamais sévèrement châtiés, vous demanderont chaque jour des satis- factions nouvelles que vous n'aurez pas le courage de leur refuser.
Votre imagination, qui vous livrait déjà dans le séminaire de si rudes combats, se dédommagera de la demi-contrainte que vous lui imposiez et réveillera les passions, si tant est qu'elles som- meillent.
Les tentations excitées chaque jour et par les désordres dont nous venons de parler, et par des occasions de tous les instants, même dans les fonctions les plus saintes, attaqueront votre chas- teté déjà si peu solide, et vous conduiront sur le bord de l'abîme en attendant qu'elles vous y préci- pitent.
Votre société habituelle ne sera point celle d'un saint prêtre qui pourrait vous donner de sages conseils : vous les fuirez, ces conseils, et vous vous lierez avec quelques prêtres qui vous lais- seront fort tranquille à cet égard ; prêtres légers, dissipés, sans piété et peut-être prédisposés comme vous aux misères charnelles.
Vos lectures ne seront guère ascétiques. N'osant pas peut-être vous procurer des livres positivement mauvais ni même simplement équivoques au point de vue des mœurs, vous vous dédommagerez de
— 252 —
cette privation par certains feuilletons que vous lirez furtivement, mais avidement, et dont le ré- sultat infaillible sera le dégoût de la piété, le re- froidissement du zèle, et un grand relâchement dans toutes les branches du saint ministère.
Vous trouvant sans attrait pour les choses de Dieu, vous vous tournerez vers le monde ; vous aimerez ses sociétés, et l'ennemi de votre salut vous fera choisir celles où votre chasteté sera le plus rudement assaillie.
Votre cœur si faible, si attachant, si peu soutenu du côté de la piété, environné d'objets qui le sé- duiront, rencontrera quelque cœur aussi faible que lui ; et la moindre étincelle jaillissant d'un de ces cœurs, les embrasera tous les deux du feu de l'abîme.
Alors viendront ces yisites mutuelles si dange- reuses, ces assiduités continuelles, ces longs en- tretiens sans témoins et toutes les misères qu'en- traîne après elle une si déplorable conduite.
Bientôt de telles relations seront connues du public; il en fera la matière de ses censures et vous retirera le peu d'estime qu'il vous accordait encore.
Prévoyant de graves et prochains scandales, de pieux laïques ou quelques confrères dévoués vien- dront vous trouver et vous prieront au nom de la religion et de votre intérêt propre de renoncer à vos fréquentations suspectes. Mais il sera trop tard ; déjà votre cœur sera gagné et peut-être gâté ; vous recevrez mal les conseils du zèle et de l'amitié ; vous braverez les accusations de toute une paroisse ; vous résisterez aux sollicitations les
— 253 —
plus empressées, et vous aimerez mieux sacrifier votre honneur et perdre votre âme, que de rompre les liens dans lesquels vous serez enlacé.
Est-il besoin de dire que l'oisiveté fera de plus en plus vos délices, et que l'idée seule du travail vous inspirera de la répugnance et du dégoût? Écriture sainte, théologie, études sérieuses et méthodiques, tout sera mis de côté. Prédications négligées, catéchismes sans préparation, malades non visités, confessions entendues à la hâte et à contre-cœur , cas de conscience décidés contre toutes les règles et tous les principes, absence complète de zèle, ne vous souciant pas plus du salut de vos frères que du vôtre, confessions per- sonnelles rares, sans contrition, et faites à un prêtre choisi exprès parmi les plus indulgents et les moins pieux : quel désordre ! quel chaos I
Du reste, vous devez bien le penser, plus de paix pour vous alors, plus de joie intérieure, plus de consolation d'aucun côté. Votre conscience perpé- tuellement agitée, si elle n'est pas encore assoupie, votre froideur dans le service de Dieu, votre hor- reur pour les pratiques pieuses, votre réputation compromise, votre ministère en friche et frappé de stérilité, vos craintes continuelles à la pensée d'une dénonciation : quel état ! ! ! Repoussé par les bons prêtres, méprisé par les impies, déconsidéré auprès des âmes pieuses, amèrement critiqué par tout le monde : quelle vie! quelle flétrissure pour le sacer doce I quel sujet de deuil pour l'Église !
Et, malheureusement, ce ne sera pas tout en (^ore ; ce ne sera même que le commencement des grandes désolations : Hœc aiitem initia sunt dolo- II. 15
—^254 —
rum. Instruits de votre conduite (car presque tou- jours ils fmissent par l'être) , vos supérieurs ecclésiastiques vous imposeront l'obligation de la réformer, et vous menaceront de peines sévères si vous continuez vos imprudentes visites. Tout sera inutile : vous prendrez un peu plus de pré- cautions pour cacher vos relations avec l'objet de votre attachement, mais vous le visiterez encore.
Enfin, viendra le jour du grand scandale et bien- tôt après le jour de votre disgrâce. Si vous n'êtes pas d'abord frappé de suspense, vous serez trans- planté dans une autre paroisse ; mais cette transplantation ne réformera point votre cœur. Toujours faible, toujours enclin aux affections mauvaises, vous formerez bientôt de nouvelles liaisons qui vous attireront de nouveaux châti- ments, et alors vous serez universellement mé- prisé, bafoué, dégradé, et, en vous voyant, chacun dira avec un sentiment d'horreur et de dégoût : Maudit soit le prêtre libertin !
Tout cela, sans doute, vous fait trembler, jeune et tendre ami. Pour vaincre l'ennemi furieux qui vous poursuit, saisissez donc les armes que la di- vine miséricorde vous présente.
m
— Commencez par bien voir si les traits qui ca- ractérisent le séminariste peu chaste, se retrou- vent en vous. Considérez ce que vous avez été et ce que vous êtes actuellement à l'égard de la sainte vertu. L'estimez-vous beaucoup ? Détestez-vous les péchés impurs de votre vie passée ? Éprouvez-
— 255 —
vous pour ces péchés une vive horreur ? vous rendez-vous le témoignage que vous aimeriez mieux mourir que d'en commettre un seul? Pensez- vous, en un mot, que votre conversion est sincère, radicale et complète ?
— Si, sur ces divers points, vous n'avez pas lieu d'être pleinement rassuré, faites part de vos craintes à votre confesseur du séminaire. Initiez-le parfaiternent à toutes vos misères passées et pré- sentes. Faites-lui une confession générale très- exacte et donnez-lui connaissance non-seulement de \ os péchés contre la chasteté, mais encore de vos dispositions actuelles à l'égard de cette vertu.
— Si vous reconnaissez en vous quelque faiblesse sur l'article que nous traitons, combattez avec vi- gueur. Malheur à vous si vous êtes lâche, mou, sans nerf et sans énergie ! Yoilà ceux que l'esprit impur attaque presque toujours avec succès.
— Évitez tout excès dans le boire et dans le manger, fuyez la bonne chère et les festins, et embrassez la mortification du goût comme votre ancre de salut : Abundantia ciborum, fomenta vi- tiorum, dit saint Isidore. Ubi saturitas, ibi libido dominatw, dit saint Jérôme.
— Détestez l'oisiveté ; c'est la sentine de tous les vices et l'ennemie jurée de la chasteté. Si vous n'aimez pas le travail et si vous êtes prédisposé tant soit peu au vice impur, vous ne serez chaste que par miracle : Luxuria^ dit saint Bernard, cito decipit hominem otiosum.
— Soyez parfaitement modeste, surtont dans v&s regards. Les yeux sont les portes du cœur ; c'est par eux que l'esprit impur fait son entrée
— 256 —
dans l'âme. Plus ils sont avides de voir ce qu'ils ne doivent pas voir, plus vous devez les châtier avec sévérité : Nequiiis oculo quid creatum est? nous dit FEsprit-Saint... Virginem ne conspicias, ne forte scandalizeris in décore illius.
—Pratiquez, avec l'agrément de votre directeur, quelques actes de pénitence corporelle, non pas de loin en loin dans quelques accès de ferveur, mais habituellement et d'une manière réglée : Per- timescit Satanas piorwn vigilias, jejunia, etc.
Fuyez les occasions que redoute la sainte chas- teté. N'allez jamais, sans une bonne raison, dans les maisons où se trouvent de jeimes personnes. Si vous devez y aller quelquefois, n'y soyez que le temps nécessaire, et, pendant ce temps, édifiez tous ceux que vous visiterez parla plus exacte modestie dans vos regards, dans vos paroles et dans toutes vos manières.
— Ne fréquentez que des séminaristes ou des prêtres parfaitement chastes , studieux , sobres , amateurs de la solitude, et d'une piété exemplaire: ils vous communiqueront leurs vertus si vous les choisissez pour vos amis intimes.
— Jamais de fréquentation tant soit peu suspecte. Si une seule langue dit contre vous un mot de critique à cet égard, et que ce mot vous soit rap- porté, suspendez impitoyablement vos visites, et dites vous à vous-même : Il n'est pas nécessaire que j'aille en cette maison, et il est absolument nécessaire que je conserve ma réputation intacte.
— Soyez sévères sur le point des lectures : n'en faites jamais qui soient tant soit peu légères en ce qui touche les mœurs. Ne vous réglez pas, à cet
— 257 —
égard, sur la conduite de quelques-uns qui agis- sent en ceci avec trop de liberté. Ne dites pas, par exemple : Tel bon séminariste et tel bon prêtre lisent ce livre ; donc je puis le lire moi-même. Puisque vous connaissez votre faible, vous devez penser que ce qui fait peu d'impression sur les autres, en ferait peut-être beaucoup sur votre ima- gination naturellement vive et déréglée.
— Cultivez rhumilité. L'orgueil est l'impureté de l'esprit, et cette impureté est la sœur de l'autre. L'élévation de l'esprit conduit directement à l'hu- miliation de la chair. L'homme parfaitement hum- ble n'est jamais un impudique.
— Abhorrez dans le séminaire les amitiés parti- culières. N'en recherchez aucune, et ne correspon- dez point à celles dont on vous donnerait quelques témoignages. Évitez la compagnie de ceux de vos condisciples vers lesquels vous vous sentez attiré par les bonnes manières et les agréments naturels qu-lils possèdent, et choisissez de préférence ceux qui n'ont rien de remarquable sous ce rapport.
— Ayez une dévotion tendre et toute spéciale à la très-sainte Yierge. Confiez-lui la garde de votre cœur, et récitez chaque jour quelque prière en son honneur, pour obtenir par son entremise la grâce de ne blesser jamais en quoi que. ce soit la sainte chasteté qui lui est si chère.
— Adonnez-vous à la piété de toutes les forces de votre âme. Tant que vous serez solidement pieux, vous serez invulnérable. N'ôtez jamais un anneau à la chaîne de vos exercices spirituels. Ditez-vous à vous-même avec une sainte énergie : Ce n'est pas une piété ordinaire et commune que je veux acqué-
— 258 —
rir ; c'est, avec l'aide de Dieu, une piété transcen- dante et soutenue que je veux pratiquer. L'esprit impur respecte une àme pieuse ; il frémit à sa vue et n'ose en approcher. Mais dès qu'elle se relâche, il reprend courage, et si elle continue de se relâcher, il en fait infailliblement sa victime.
— Enfin si, après avoir très-nettement exposé l'état de votre âme à votre confesseur du séminaire, vous voyez qu'il balance sur le point de votre voca tion, gardez-vous d'avancer. S'il vous dit positive- ment de faire le pas décisif, faites-le, mais avec un sentiment profond d'Jiumiiité, de crainte et de tremblement : Cum me tu et treniore, selon l'ex- pression de l'Apôtre.
Relisez souvent ce chapitre , ô jeune et tendre ami, non-seulement pendant que vous êtes au sémi- naire, mais encore quand vous n'y serez plus; et puisse-t-il être votre sauvegarde tous les jours de votre vie! Ne l'oubliez jamais, un pi'être parfaite- ment chaste est par là même un saint prêtre : celui, au contraire, qui viole la chasteté est un démon, et plus qu'un démon, pouvons-nous ajouter : Qui castitatemservavitj angélus est, fpdperdidit, diabolus.
(Voyez le Saint Prêtre, deuxième partie, ch. XII, page 295.)
— 259
CHAPITRE X.
Le séminariste mou, inconstant, sans énergie et sans zèle.
I
Si vous êtes mou et lâche par nature, vous devez vous réformer à tout prix, sous peine d'être plus tard un de ces prêtres froids et languissants qui ne font pas la centième partie du bien qu'ils devraient opérer. Mais à quels signes reconnaîtrez-vous cette mollesse et cette lâcheté ? C'est ce qu'il s'agit d'exa- miner.
Le séminariste à qui nous allons parler ne doit pas être confondu avec le paresseux dont nous avons parlé ailleurs. Il est sans doute prédisposé à l'oisiveté , mais nous ne le supposons pas oisif. Qu'est-il donc? Écoutez :
Il est sans action prononcée, sans vigueur, pres- que sans vie, et c'est au moral comme au physique qu'il est ainsi.
Il fait quelque chose, mais il le fait lâchement, par manière d'acquit et sans avoir l'air d'y attacher la moindre importance.
Il agit avec une lenteur agaçante, et jamais on ne voit en lui l'activité vivace des hommes éner- giques. Quand il se met à l'œuvre, on croit voir ou un voyageur fatigué d'ime longue route, ou un convalescent dont la maladie a détendu le ressort vital.
Il y a dans toute sa personne extérieure je ne
— 260 —
sais quelle nonchalance qui fait deviner aussitôt le trait saillant de son caractère. Il se traîne plutôt qu'il ne marche ; son regard est langoureux, sa parole n'est pas accentuée, l'ensemble de ses traits n'a rien d'expressif : on dirait que son corps est sans nerfs, sans tendons et sans muscles, tant il est mou et indolent. Son état représente, non la démarche active et empressée de la fourmi, mais la traînée lente de la limace.
Yoyons-le maintenant dansle détail de ses œuvres. Il étudie, mais il recule devant une application intense et soutenue , il recule surtout devant les premières difficultés qu'il rencontre. De Là vient qu'il n'approfondit jamais les choses, et que, dans toutes ses études, il se contente d'une connaissance vague et superficielle. Ce n'est pas précisément le talent, c'est la force de volonté qui Ini manque.
Si quelquefois il semble vouloir sortir de sa lan- gueur, après un ou deux efforts il s'arrête comme un homme épuisé et retombe dans son apathie habituelle.
Il n'achève presque jamais ce qu'il entreprend, parce que toujours il survient quelque obstacle qu'il n'a pas la force de surmonter. Il quitte la théo- logie pour étudier l'Écriture sainte, puis un peu d'histoire ecclésiastique, puis quelques pages de littérature ou d'histoire profane, mais tout cela sans suite, sans méthode, sans fruit réel, et uni- quement pour pouvoir se dire qu'il fait quelque chose.
La règle du séminaire lui est fort à charge : comme toute règle, pour être fidèlement observée, demande des sacrifices et de la contrainte, et qu'il
— 261 —
a une répugnance invincible pour ce qui l'incom- mode, il prend conseil de sa lâcheté et n'obéit que par hasard.
11 n'est pas méchant ; on pourrait presque dire qu'il n'a pas la force de Fétre. Ses vices, s'il en a, ne sont pas fougueux et emportés ; il est mou jusque dans le mal, et ses péchés sont plutôt d'o- mission que de commission.
Malheur à lui s'il a quelques défauts î car, comme on ne peut les vaincre sans une volonté énergique et soutenue, et qu'il n'a rien moins qu'une volonté de cette nature, il est cent fois probable qu'il n'en triomphera jamais.
11 prendra bien quelques résolutions ; mais à peine en mériteront-elles le nom, tant elles seront faibles et indécises. Du reste, il sait parfaitement lui-même que ces résolutions ne sont que pour la forme et qu'elles ne seront jamais suivies d'exécu- tion.
Ce n'est pas lui qui soutiendra vigoureusement et opiniâtrement une discussion ; il aime bien mieux renoncer à une victoire que de l'acheter par un effort.
Ne lui parlez pas d'œuvres qui demandent une certaine chaleur de dévouement ou une continuité de travail et d'application. Quelque bonnes que soient ces œuvres, il ne trouvera jamais qu'elles valent ce qu'elles coûtent.
Si ses condisciples lui parlent avec enthousiasme des généreux missionnaires qui vont , comme Xavier, éA^angéliser des nations d'idolâtres à quatre mille lieues de leur patrie, il laisse tomber de ses lèvres glacées quelques mots d'admiration pour II. 15.
— 262 —
parler un peu comme les autres ; mais il est aisé de voir que son cœur est fort peu touché de ces beaux dévouements et qu'il n'en a pas même l'in- telligenco. Heureux encore s'il ne dit pas, par forme d'objection adoucie, qu'on peut faire beau- coup de bien sans aller si loin !
Ne cherchez donc pas en lui des sentiments éle- vés, des idées grandioses ; cela n'est point à sa portée : une vie douce, commode, sans agitation ni soubresauts, voilà ce qui lui plait. Tout ce qui tend à le tirer de cette sphère paisible est mis à l'écart comme principe de trouble et d'inquiétude.
En le voyant dans de telles dispositions, on est ten" ' Ij se demander comment il envisage la vie sacerdotale et quelle conduite il se propose de tenir quand il sera prêtre. Peut-être n'y a-t-il jamais sérieusement pensé : cependant il est probable qu'il considère le sacerdoce comme une profession hono- rable, tranquille, peu fatigante, compatible avec un certain bien-être et même avec certains plaisirs hon- nêtes qui, faisant diversion à quelques travaux mo- dérés, sont tout à fait en rapport avec son indolente nature. 11 a vu quelques curés et quelques vicaires qui lui semblaient heureux, qui n'avaient que des occupations très-ordinaires, qu'on accueillait par- tout avec bienveillance, et que les soucis du minis- tère n'avaient pas l'air d'incommoder beaucoup. Voilà précisément ce qu'il convoite : exercer une profession généralement estimée, se faire respecter par une conduite extérieurement régulière, et sau- ver des âmes à peu de frais : oui, voilà ce que doit être le beau idéal du sacerdoce aux yeux du sémi- nariste mou, apathique, sans énergie et sans zèle.
— %3 —
Pour ce qui est des vertus, il admet les unes et rejette les autres. Celles qui, lui étant en quelque sorte naturelles, ne l'astreignent à aucun sacrifice, il les admet : celles dont la pratique lui demande des efforts, il les rejette. Proposez-lui la douceur, la charité, la patience, la chasteté et même quel- ques branches de l'humilité, vous ne l'effaroucherez point : mais ne lui parlez pas de la mortification, du zèle, de l'amour de l'étude et de l'assujettisse- ment à une règle : ce sont pour lui d'effrayants fantômes.
Quant à ses œuvres de piété, elles sont ce qu'elles doivent être chez un séminariste de cette trempe, c!est-à-dire qu'elles sont pitoyablement faites comme tout le reste. Pourrait-il nous dire, par exemple, comment se passent ses oraisons? Oui sans doute il le pourrait, mais à coup sûr il ne le fera pas, car il aurait trop de misères à nous révéler : nature froide et immortifiée, quels élans d'amour, quelles résolu- tions généreuses pouvez-vous en attendre ? Ses lec- tures, ses examens, ses visites au saint sacrement, tous ses exercices spirituels en un mot, valent-ils mieux que ses oraisons ? Non ; tout cela partant d'une même source, c'est-à-dire d'un cœur languis- sant, doit être et est en effet à peu près sans mérite. N'y trouvant aucune consolation, il s'en affranchi- rait bientôt si les règlements du séminaire le lui permettaient ; et ce qui le prouve, c'est le relâche- ment auquel il s'abandonne à cet égard dès qu'il est en vacances. Alors, en effet, ou il renonce à ce qui n'est pas de stricte rigueur, ou il se contente de r quelques courts exercices pour lesquels il a un peu tmoins de répugnance que pour les autres.
— 264 —
Encore si les sacrements'qu'il reçoit détruisaient, ou du moins diminuaient la lâcheté qui le paralyse : mais comme ils n'opèrent que selon les disposi- tions qu'on apporte à leur réception, et comme les dispositions de notre jeime élève sont toujours très-imparfaites, il va sans dire que les sacrements ne produisent en lui que des effets imperceptibles. Nous ne voulons pas dire qu'il les profane, mais nous affirmons positivement qu'ils n'ajoutent rien à sa sanctification, et qu'il est, sous ce rapport, tout aussi imparfait le jour de son sacerdoce, qu'il rétait pendant la première année de son séminaire. Dieu veuille même que ces paroles de l'Imitation ne lui soient pas applicables : Nous devrions croî- tre chaque jour en ferveur et en vertu, et cependant nous comptons po\ir beaucoup d'avoir conservé une partie de notre ferveur primitive !
Voyons maintenant ce que deviendra plus tard le séminariste ainsi disposé.
Il
Nous croiriez-vous, jeune ami, si nous vous di- sons que l'avenir que vous saluez d'un regard paisible, nous apparaît, à nous, sous des couleurs sombres et lugubres ? Tous allez voir, au flam- beau de l'expérience, si c'est vous qui êtes en droit d'être rassuré, ou si ce n'est pas nous qui avons raison de craindre.
Quelque faible dose de travail qui vous soit im- posée, vous la trouverez toujours trop forte, et vous ferez dès le début quelques réclamations à cet égard.
— 265 -
Votre curé, convaincu qu'ils vous épargne au lieu de vous accabler^ vous fera quelques sages observations ; il vous démontrera que ce qu'il vous demande n'est pas au-dessus de vos forces, et il maintiendra sa première décision.
Mécontent de ne pas voir vos réclamations ac- cueillies, vous travaillerez avec dégoût. Votre len- teur, que vous n'aurez point corrigée au séminaire, se reproduira dans vos saintes fonctions, et, n'é- tant jamais prêt en temps convenable, vous les remplirez mal.
D'un autre côté, le travail vous étai>t pénible parce qu'il exigera des efforts et de l'application dont votre nature indolente ne s'accommodera guère, vous négligerez vos catéchismes et vos prônes, au grand détriment des enfants et des fi- dèles en général.
Bientôt les pénitents se multiplieront, et votre clientèle, qui serait fort peu embarrassante pour un prêtre actif et zélé, le sera beaucoup pour vous qui ne serez ni zélé ni actif. Vous trouverez tou- jours les séances du saint tribunal trop longues et, pour les abréger, vous précipiterez les confes- sions, vous supprimerez les interrogations, vous trouverez un peu d'énergie pour brusquer les péni- tents trop verbeux, vous ne direz qu'un mot d'ex- hortation, et vous ferez voir clairement que le confessionnal vous fatigue, ce qui sera déjà un grand mal.
A peine sorti du saint tribunal, au lieu du repos que vous vous promettiez, vous serez obligé d'al- ler à l'extrémité de la paroisse porter les secours spirituels à un pauvre mourant. Le temps et les
— 266 —
chemins seront peut-être fort mauvais, et cepen- dant il faudra partir, sans égard pour votre lâcheté qui vous arrachera quelques sourds murmures.
Pour vous délasser un peu de vos fatigues, qui ne seraient rien pour un bon travailleur, vous ferez quelques visites assez prolongées, vous quit- terez même la paroisse et, au lieu de préparer votre catéchisme ou votre prône pour le dimanche suivant, vous irez perdre votre temps avec un con- frère du voisinage ; les courses, le jeu, les festins vous plairont mieux que les œuvres du ministère, parce qu'ils seront plus en rapport avec votre fonds de mollesse et d'apathie.
Votre curé, indulgent d'abord, voyant bientôt que votre vie errante et oiseuse n'est pas fort ecclé- siastique ; apprenant d'ailleurs que votre ministère en souffre, et recueillant çà et là les plaintes trop fondées des paroissiens, vous donnera quelques conseils, et, si les conseils sont insuffisants, il en viendra jusqu'aux réprimandes : d'où résulteront des explications pénibles, qui malheureusement ne vous corrigeront guère et altéreront la bonne harmonie qui devrait toujours régner entre le curé et son vicaire.
Quand on saura dans la paroisse (et on le saura promptement) que vous n'-avez ni l'amour du tra- vail, ni le goût du ministère, ni le zèle des âmes, vous serez en butte à une foule de critiques, vous perdrez la confiance des paroissiens, vous ferez murmurer vos pénitents et vos malades, et l'on dira que vous n'avez pas l'esprit de votre état, ce quLÏ lie sera -me trop véritable.
L" ordre que vous n'aurez jamais aimé ne fera
— 267 —
pas plus vos délices quand vous serez prêtre, qu'il ne les faisait quand vous étiez séminariste. La fermeté de volonté qu'exige l'observation d'un règlement étant aniipaihique à votre caractère, vous n'aurez rien de précis et de méthodique dans l'exercice de vos fonctions. Vous direz votre messe tantôt d'assez bonne heure et tantôt fort tard ; vous confesserez quand le confessionnal ne vous inspi- rera pas trop de répugnance ; et quand il en sera autrement, vous ferez dire à vos pénitents de ne pas vous attendre et de revenir un autre jour, ce qui pourra rebuter quelques vieux pécheurs, et faire avorter plus d'une conversion.
Enfm vous serez à charge à totre curé, à la paroisse et à vous-même , car les caractères mous et apathiques ne goûtent pas plus de consolations dans le service de Dieu qu'ils n'en procurent aux autres.
Mais vous ne serez pas toujours vicaire, et quand une cure vous sera contiée, vous croirez voir le paradis terrestre vous ouvrir ses portes. La joie que vous éprouverez ne sera pas partagée par les saints prêtres qui connaîtront votre fonds de mol- lesse ; ils plaindront la paroisse qui vous aura pour pasteur, et malheureusement ils auront raison de la plaindre.
Ah 1 cher et tendre ami, si vous saviez combien est désolant le ministère d'un curé sans énergie et sans zèle ! Parce qu'il ne voit point dans sa conduite ces affreux désordres qui scandalisent et révoltent les peuples, il se tranquillise et, se for- mant une assez bonne opinion de lui-même, il laisse tomber dans les éternels abîmes une multi-
— 268 —
tude d'âmes qu'il devrait sauver. Il n'égorge pas ses brebis, et c'est ce qui le rassure ; mais il les laisse périr d'inanition et de misère, et c'est ce qui ne le touche point. Que de pasteurs mous, lâches, amateurs du repos et de la vie commode, auront à répondre de tant de pécheurs qu'ils au- raient pu et dû ramener à Dieu avec un peu de zèle et d'énergie !
Mais revenons à vous et voyons quel curé vous serez avec votre nature froide et inactive.
Les premiers jours peut-être, vous puiserez dans la joie que vous éprouverez une espèce d'ardeur que vous prendrez pour du zèle. Il vous semblera qii: votre changement d'état aura changé aussi vos dispositions habituelles. Le plaisir que vous aurez à vous dire : « Je suis maître de mes actes ; » la joie de vous voir à la tête d'un troupeau, et de pouvoir dire en contemplant vos paroissiens grou- pés autour de la chaire : « Yoilà mes brebis ; » le doux résonnement du titre de curé qui chatouil- lera délicieusement vos oreilles : tout cela, nous le répétons, vous électrisera pendant quelques jours et vous fera croire que le temps de l'indo- lence sera passé : illusion ! illusion ! La joie du début sera de courte durée ; elle passera bientôt, et ce que vous preniez pour un élan de zèle sera remplacé par votre ancienne apathie.
Le travail vous sera toujours à charge ; et comme il sera plus abondant encore qu'au temps de votre vicariat, vous en omettrez une partie, et le peu que vous vous imposerez, vous le ferez sans fer- veur, sans consolation, sans mérite et sans fruit.
Vous verrez votre paroisse remplie de pécheurs,
— 269 —
et vous ne ferez pas une démarche sérieuse pour essayer de les convertir. Yous vous habituerez à les voir pendant presque toute leur vie éloignés des sacrements, et s'ils vous laissent tranquille dans votre église et votre presbytère, vous les laisserez tranquilles eux-mêmes dans leur mau- vaise voie.
Yous gémirez ])ien quelquefois avec vos con- frères sur le relâchement des chrétiens en général, mais vous vous bornerez à en gémir. Yous direz que vos paroissiens ne sont pas foncièrement mau- vais, mais qu'ils sont seulement indifférents et apathiques, et vous ne voudrez pas voir dans leur apathie le reflet et la conséquence de la vôtre.
Avec un peu de réflexion, vous comprendriez tout à l'heure que la torpeur de l'indifférence ne peut être efficacement combattue que par le stimu- lant du zèle ; mais, ne pouvant obéir aux inspira- tions du zèle sans de vigoureux efforts, et ne vou- lant, d'un autre côté, vous imposer aucune vio- lence, ni même aucun embarras ou contrainte, vous laisserez périr les âmes dont vous aurez la charge sans voler à leur secours comme le font les saints prêtres.
Yous trouverez que tout va bien pourvu que l'on ne meure pas sans vous appeler au moment de la mort ; et toute une vie de péchés et de désordres sera rachetée à vos yeux par la confession si peu rassurante de la dernière heure.
Yous n'aurez point recours aux moyens extraor- dinaires qu'un zèle ardent emploie pour la ré- génération des paroisses : stations d'avent et de carême , mois de Marie , adoration perpétuelle,
— 270 —
établissement de confréries, neuvaines ou retraites, missions surtout, plus salutaires encore que tout le reste ; autant d'armes puissantes, entre les mains d'an pasteur zélé, pour attaquer et vaincre les pécheurs. Les emploierez-vous ces armes? Non : la crainte du mouvement et du travail paralysera votre àme languissante, et vous serez sourd à la voix de Dieu qui vous criera par son prophète : Confortate manus dissolu tas^ et gcnua dehilia robo-
rate Confortamini et nolitc timere, ecce Deus
vester idtioncm adducet retributionis.
A quoi donc se réduira votre ministère? C'est pénible à dire, mais malheureusement ce n'est que trop vrai : recevoir les pécheurs qui viendront d'eux-mêmes ; ne courir jamais après ceux qui ne viendront point ; fatiguer les paroissiens par des sermons vagues, décousus, froidement écrits et débités plus froidement encore ; peu de zèle pour les malades, peu de goût pour le saint tribunal, peu d'attrait pour l'étude, peu d'empressement pour les bonnes œuvres, amour du repos, horreur de tout ce qui demande du nerf et de l'action, vie lâche, en un mot, et absolument opposée à celle que le grand Apôtre demandait à Timothée quand il lui disait : Labora sicut bonus miles Christi..,. Prœdica verbum, insta opportune, importuné, argue, obsecra, increpa in omni patientiâ et doctrinâ.
Laisser faire, et ne faire presque rien vous-même, telle sera votre devise ; et cette devise, publique- ment affichée et bien connue, vous fera la réputa- tion d'un prêtre sans zèle, insensible à tout ce qui s'appelle bonnes œuvres, conversion et salut des âmes.
— 271 —
Votre église, votre maison, vos affaires tempo- relles, tout se ressentira de votre fonds de mollesse; pas d'ordre, pas d'exactitude, pas de soin, pas de vigilance : tout cela demanderait des efforts, et vous en serez incapable.
Quel malheur si vous avez un vicaire ! Instruit à votre école, avec l'inclination naturelle qu'il aura comme tout le monde au repos et au plaisir, comment se formera-t-il au zèle et à la pratique du saint ministère, si celui qui devrait être son modèle lui donne à chaque instant l'exemple de la négligence et de la lâcheté ?
Est-il nécessaire d'ajouter qu'on retrouvera votre langueur dans vos exercices spirituels comme dans tout ce qui vient d'être dit? Quelle piété peut jaillir du cœur froid et engourdi d'un prêtre indolent et sans zèle? Aussi vous bornerez - vous , en fait d'œuvres pieuses, au strict nécessaire : la messe, le bréviaire et je ne sais quelle ombre d'oraison, souvent omise et toujours mal faite ; voilà les seules prières dont vous conserverez l'usage. Plus de lectures, plus d'examens, plus de visites au saint sacrement, absence totale de ces saintes pra- tiques qui font les délices du prêtre fervent et qui, seules, pourraient vous faire sortir du triste état dans lequel vous gémirez toute votre vie : oui, toute votre vie, jeune ami, car, pensez-y bien, c'est chose inouïe de voir revenir à la ferveur le prêtre qui s'est fait une habitude de la tiédeur et de la non-chalance.
Recourez donc aux moyens qui vont vous être indiqués pour remédier à un mal si grave en lui- même et si funeste dans ses conséquences.
— 272 — III
— Pénétrez-vous bien d'abord de cette vérité que, parmi toutes les professions, il n'en est au- cune qui, pour être parfaitement exercée, demande autant d'activité, d'ardeur, d'abnégation, de géné- reux dévouement et d'énergie de volonté que la profession sacerdotale en exige de celui qui l'em- brasse. Un prêtre, vraiment prêtre, doit se dire à lui-même avec une foi vive : Je suis chargé du ministère le plus éminent par sa dignité, mais le plus effrayant par la responsabilité qu'il impose ; je ne m'appartiens plus, je me dois tout entier aux âmes dont j'ai la charge; mes prières, mes travaux, mes veilles, mon temps, ma santé, ma vie même, tout cela, sans en excepter la moindre parcelle, doit être consacré au salut des âmes. Pour le pro- curer, ce salut, je ne dois jamais me laisser abattre ni par les tentations, ni par les persécutions, ni par le peu de succès de mes entreprises : toujours en haleine, je dois, comme saint Paul, oublier ce que j'ai fait pour ne penser qu'à ce qui me reste à faire, de manière à pouvoir dire avec ce grand Apôtre sur mon lit de mort : Bonum certamen cer-
tavi, cursum consummavi in reliquo reposita
est mihi corona justidœ.
Or, n'est-il pas évident qu'une telle vie demande une dose énorme dactivité, de zèle et d'ardeur? et le prêtre mou, indolent, sans courage et sans énergie pourra-t-il jamais exercer avec fruit les fonctions si variées, si importantes et si difficiles de son divin sacerdoce ?
— 273 —
— Quand vous aurez acquis la conviction que vous êtes mou et lâche par nature, résistez vigou- reusement à la mauvaise inspiration que vous aurez de céder au torrent, vous persuadant que vous lutteriez en vain contre le courant qui vous entraîne. Sans doute la victoire n'est pas aisée : on peut tout attendre d'un homme énergique qui a la force de vouloir et d'exécuter ce qu'il veut ; mais on doit tout craindre de la part d'un lâche qui tremble devant un obstacle. Cependant il peut toujours, en s'appuyant sur Dieu, s'appliquer les paroles de saint Paul et dire comme lui : Omnia possum in eo qui me confortât.
— Puisque vous avez vu le terme fatal où la lâcheté conduit, et puisque, nous le supposons, vous en avez été effrayé, revoyez ce qui vous a touché ; faites-en la matière de vos méditations les plus ordinaires ; lisez souvent ce chapitre qui vous convient mot pour mot ; priez Lieu pendant cette lecture qu'il vous donne le courage d'en bien profiler, et, pour vous stimuler, adressez-vous de temps en temps cette question que l'Esprit-Saint vous adresse lui-même : Usquepo, piger, dormies ?
— Entrez résolument dans la voie des sacrifices. Jamais vous ne triompherez de votre lâcheté, si vous n'acquérez pas l'esprit de mortification et de renoncement à vos aises. Si cela vous répugne, concluez que vous en avez par cela même un pressant besoin. Dites-vous quand cette répugnance se fera sentir : Cela me coûte, il est vrai, mais vaut-il mieux périr en m' épargnant, que de me sauver en combattant ? Puisqu'il faut résister ou mourir, résistons ; puis, appelez Dieu à votre aide
— 274 —
et dites-lui du fond du cœur : Deus in adjutoriiim meiim intencle.
— Si vous ne pouvez pas d'abord faire tous les sacrifices qui vous seront demandés, faites-en du moins quelques-uns, et notez chacun d'eux comme une victoire. Imposez-vous dans votre méditation du matin un ou deux sacrifices pendant la journée ; déterminez d'avance ces sacrifices , et quand le moment de les faire sera venu, armez-vous de cou- rage, implorez l'assistance de Jésus et de Marie, et soyez sur que cette assistance, qui n'est jamais refusée à celui qui la réclame, produira son effet.
— Si vous succombez, relevez-vous avec éner- gie ; punissez-vous de votre infidélité ; faites à l'instant même quelque œuvre qui vous coûte, pour remplacer par ce nouveau sacrifice celui devant lequel vous avez reculé.
— Observez avec une inviolable fidélité le rè- glement du séminaire. Astreignez-vous même à un règlement particulier qui fixe l'ordre de vos étu- des, vos pratiques de piété, la manière de faire vos actions, etc. Ne faites pas ce second règlement trop sévère d'abord, mais tenez ferme à l'exécution des points que vous aurez arrêtés. Rien ne fortifie la volonté comme l'assujettissement à une règle. L'homme qui vit sans règle est un lâche ; sa règle est sa mauvaise nature qui ne vit que de liberté et d'indépendance. Il fait ce qu'il lui plaît, c'est-à- dire qu'il ne fait que rarement et par boutade ce que Dieu lui commande.
Embrassez la piété, non pas une piété ordinaire et commune, mais une piété hors ligne. Vous ne vous figurez pas Ténergie qu'elle vous procurera \
— 275 —
vous ne comprendrez pas l'étonnant changement qu'elle opérera en vous si vous la laissez agir selon sa nature. La piété fait des prodiges quand on en suit les inspirations. Elle éclaire, elle console, elle fortifie, elle élève les sentiments, elle plie la vo- lonté et elle donne du courage aux hommes les plus lâches et les plus apathiques.
— approchez souvent des sacrements ; faites hien connaître à votre directeur le fonds de mol- lesse qui est en vous; signalez-lui particulièrement les points sur lesquels vous avez ordinairement le plus de reproches à vous faire, et demandez-lui comme une grâce de vous imposer pour pénitence certains exercices pour lesquels vous avez natu- rellement peu d'attrait.
— Adoptez l'usage, si votre directeur vous le permet, de quelques pénitences corporelles. Chez les hommes mous, c'est la chair qui domine ; c'est donc aller à la source du mal que d'attaquer cette chair rebelle. Si vous y faites attention, vous verrez que toujours la volonté se fortifie à mesure que les appétits charnels s'afTaiblissent. Les plus grands sacrifices ne sont rien pour un vrai pénitent ; les plus petits, au contraire, rebutent et déconcertent les hommes sensuels et immortifiés.
— Étendez l'horizon de votre zèle. Regardez un prêtre sans zèle comme un corps sans âme. Yoyez la terre peuplée de pécheurs qui tombent en enfer partorrents. Souvenez-vous que leprètre est, par sa profession, leur père et leur sauveur. Rougissez à la simple pensée d'être un prêtre froid, insouciant et sans entrailles à l'égard des hommes pour lesquels Jésus-Christ a versé tout le sang de ses veines.
— 276 —
— Parlez souvent à vos condisciples du zèle et des merveilles qu'il produit quand un prêtre en est embrasé. Imaginez d'avance les œuvres que vous entreprendrez pour la convereion des pé- cheurs. Entrez dans les sentiments de saint Fran- çois-Xavier qui, pendant qu'il traversait les mers, soupirait après le moment où il allait se dévouer au salut de ses chers Indiens. Vous aussi, soupi- rez après le jour où vous pourrez dépenser vos forces et votre vie au profit des pécheurs qui vous attendent.
Tels sont, jeune et tendre ami, les généreux sentiments que vous devez donner comme contre- poids à cette misérable apathie, qui ferait de vous un fantôme de prêtre. Soyez un bon laïque plutôt qu'un prêtre tiède, et ne vous chargez que de votre àme, si vous n'avez pas le courage de vous consacrer au salut de celles de vos frères.
(Voyez Pratique du zélé ecclésiastique, deuxième partie, ch.IX, page 258.)
CHAPITRE XI
Le séminariste grossier, incivil et mal élevé.
I
Généralement, on peut dire que le prêtre est appelé à vivre au milieu du monde : c'est là qu'il doit déployer son zèle et exercer son apostolat. Il faut donc, non pas qu'il soit mondain, Dieu nous
— 277
garde de proférer une telle parole ! mais qu'il ^me le monde par un certain tempérament de bien- séance et de simplicité qu'il est assez difficile de bien concilier. S'il est agreste et grossier, on le méprise; s'il est élégant et maniéré, on le raille- et dans ces deux cas il paralyse les fruits de son divin ministère.
Le temps du séminaire est le temps des réfor- mes : cest là qu'il faut s'étudier, se plier, se fa- çonner, pour être plus tard ce que l'on ne serait .lamais si 1 on n avait pas pris, dès le principe, une direction convenable.
Essayons de faire bien connaître l'incivilité et le
J'^'^T Y" ^T'-^°' 1"' ™^"q"« à plusieurs autres ._ il est manifeste et saillant; il est même SI exteneur qu'on serait presque tenté de croire
n'iiitsr^'^'""^^"^^"'"^^- ''----
Voyons ses caractères.
Le séminariste incivil et grossier est quelque- fois te par nature ; mais, le plus souvent.'sa lour- deur et sa grossièreté sont la conséquence d'une première éducation qui n'a pas été cultivée
Des qu'on le voit, on le juge. Se trouvant au semmaire avec plusieurs élèves qui n'ont point ses
dTcirste"^'^"'^^^^' °" -' -^-^-'^-P ^-PP'^ Il a presque toujours le verbe très-haut. II de- vrait parler moins que les autres, et, au contraire, ce tlu. qui donne le ton dans les conversations Il est très-fort sur les grosses plaisanteries qui
16
— 278 —
provoquent un gros rire : il a une ample provision de dictons populaires qu'il prend pour des bons mots, et qu'il débite avec un laisser-aller qui tou- che de bien près à la trivialité.
Il manie sans façon l'épigramme ; mais malheur à celui contre qui il la dirige ! Ses épigrammes ne sont pas des traits aigus, ce sont des massues : elles ne percent pas, elles assomment.
Il est fort redouté dans les discussions ; sa voix domine toutes les autres, et cet ascendant, qui n'est pas son moindre argument, exerce une telle compression sur ses adversaires, qu'ils aiment mieux s'avouer vaincus que d'en venir^aux mains avec ce rude jouteur.
Gardez-vous de le contredire ou de le froisser, car le premier mot qu'il vous adresserait serait presque une injure.
Il se permet souvent des bouffonneries très-mes- séantes ; il raconte des anecdotes plus que légères, et laisse échapper des expressions qui étonnent et scandalisent même ses condisciples.
Il contrefait les paysans, les hommes du peuple, et connait si bien leur langage, qu'en l'entendant on croit les entendre eux-mêmes.
Quelquefois, dans l'intimité, il hasarde une chan- sonnette un peu grivoise qu'un élève ecclésiastique ne devrait jamais se permettre.
Quant à ses actes extérieurs, ils marchent de pair avec ses paroles. La modestie, qui doit être, par excellence, la vertu d'un élève du sanctuaire, lui est à peu près inconnue. Il y a je ne sais quoi de lourd et de rustique dans son allure qui déjà lui ravit le respect que commande la bonne tenue.
— 279 —
Il aime le jeu ; mais les jeux qu'il préfère sont ceux qu'il devrait s'interdire. 11 frappe ses condis- ciples sur l'épaule, il les pousse, il leur prend la main d'un air de camaraderie, et quelquefois même se faisant lutteur, il se livre cavalièrement aux exercices du pugilat.
Pendant les promenades et même dans les rues de la ville, il ne s'impose aucune retenue ; il re- garde tout ce qui l'entoure ; il rit bruyamment de ce qu'il voit ou de ce qu'il raconte, et si tous les séminaristes étaient aussi peu modestes que lui, la rencontre de cette assemblée d'élèves ecclésias- tiques ne serait rien moins qu'édifiante pour les gens du monde.
Pendant les vacances, il est à peu près ce qu'il était avant d'entrer au séminaire. On s'attendait à le trouver modeste, réservé, mesuré dans ses pa- roles, dans sa tenue et dans l'ensemble de sa con- duite ; mais il n'en est rien. Toujours même épanchement, même jovialité, mêmes bouffonne- ries. Il passe des heures et presque des jours avec des personnes de bas étage, dans des maisons où sa présence n'édifie guère. C'est là qu'il seplait, et cela se conçoit ; il a dans ces maisons ses cou- dées franches, selon l'expression vulgaire ; il y prend des récréations selon ses goûts ; il y parle tout à son aise et il y rit à gorge déployée sans la moindre contrainte.
Il est dans son habillement d'une négligence qui dépasse notablement les bornes de la simplicité. Ses vêtements sont sales, déchirés et couverts de taches. Sa chevelure est dans un désordre qui ne fait pas plus que tout le reste l'éloge de sa propreté.
— 280 —
Bref, l'ensemble de son costume et de sa personne extérieure fait sourire ceux qui ne gémissent pas, et annonce tout d'abord un jeune homme mal élevé. Si vous entrez dans sa cellule, vous la trouvez en rapport parfait avec les habitudes de celui qui l'habite. Tout y est en désordre ; rien pour ainsi dire n'y est à sa place, et dès le premier coup d'œil, vous avez l'idée de la négligence et de la saleté. On voit assez, par tout ce qui précède, qu'un tel séminariste doit être complètement étranger à ce qui s'appelle égard, politesse, tact, complaisance et délicatesse de sentiments. Ces aimables conve- nances, dont la bonne éducation fait un devoir et que la loi chrétienne recommande comme autant de liens sociaux, ne sont nullement de son goût ; ce sont, selon lui, des espèces de minauderies au- dessus desquelles il s'élève de toute la hauteur de ses dédains : aussi le regarde-t-on généralement comme im rustre qui, devenu prêtre, ne sera pas même à sa place au fond d'un village.
Faut-il s'étonner si, faisant quelques visites à des personnes du monde pendant les vacances, il les affecte péniblement par sa mauvaise tenue ? Quand surtout il s'affranchit des règles de la civi- lité dans la manière dont il se présente, dans les conversations qu'il tient, dans les licences qu'il s'ac- corde, dans une multitude d'inconvenances et de gaucheries qui lui échappent, comment peut-il se soustraire au reproche de grossièreté qu'on lui fait à si juste titre ? Comment peut-il compter sur le respect, l'estime et la confiance des peuples ?
Tel est, sans exagération, le portrait d'un sémi- nariste incivil et mal élevé. Il dira peut-être qu'on
— 281 —
a vu chez plusieurs saints cet extérieur négligé dont nous voulons lui faire opérer la réforme. Nous répondrons que, communément, les saints observaient la loi des convenances ; qu'ils l'obser- vaient surtout quand, comme le prêtre, ils étaient appelés à vivre au milieu du monde et à fréquen- ter les classes élevées de la société. Nous répon- drons, en se condlieu, que plusieurs saints, tels que saint Jérôme, saint Ambroise, saint Grégoire de Nazianze, saint Bernard, saint Bonaventure et d'autres encore, sont entrés dans les plus petits détails sur les points que nous avons signalés, et ont, à cet égard, tracé des règles bien plus éten- dues que celles que nous venons de tracer nous- mème. Nous répondrons enfin que les saints qui étaient un peu négligés dans leur extérieur, rache- taient cette négligence par une sainteté si éminente qu'elle ravissait tout le monde, sainteté qui, mal- heureusement, n'est pas pour l'ordinaire l'apanage du séminariste dont il est ici question.
Il dira peut-être encore que cette négligence, après tout, n'est pas un péché, qu'elle peut s'allier avec une vertu solide et qu'elle est à peu près sans conséquence. Nous ne saurions mieux répon- dre à cette objection qu'en montrant les effets du défaut dont nous venons d'assigner les caractères.
II
Si vous vous êtes reconnu dans le tableau qui vient de vous être présenté, voici, jeune ami, l'a- venir qui vous attend.
Yous serez raillé et méprisé par les gens du n. 16.
— 282 —
monde. Ils s'amuseront à vos dépens dans leurs sociétés, et au lieu de les gagner par votre modes- tie et votre bonne tenue, vous les rebuterez par votre ton, vos manières et votre ignorance absolue de ce qu'ils appellent le savoir-vim^e .
Si vous avez des qualités et même quelques vertus réelles, ou elles seront suréminentes ou elles seront ordinaires. Si elles sont suréminentes, on en fera l'éloge ; mais, après cet éloge, on expri- mera le regret que vous altériez ce qu'il y aura de bien en vous par des défectuosités choquantes ; si vos vertus sont ordinaires, on n'en dira rien et l'on ne parlera de vous que pour s'égayer par de mordantes critiques.
Vous enfreindrez les premiers devoirs de la ci- vilité, soit par des paroles inconvenantes, soit par la suppression de visites indispensables, soit par quelques manques de complaisance et d'égards que le monde considère comme des fautes notables.
Vous n'aurez pas même l'estime du menu peu- ple dont vous vous croirez l'idole. Les gens de cette classe aimeront sans doute à causer et à rire avec vous ; mais, au fond, ils trouveront que vous des- cendez trop bas dans l'échelle de la simplicité ; car s'ils veulent qu'un prèlre soit bon et affable envers chacun, ils veulent qu'il soit digne, modeste et ré- servé envers tout le monde.
Vous aurez bien plus de laisser-aller encore dans le monde, que vous n'en aviez pendant le temps de votre séminaire. Familiarisé avec un certain jargon populaire que vous aurez adopté de vieille date, vous vous permettrez des expressions fort peu mesurées ; et ces expressions, relevées par
— 283 —
la malignité, seront colportées de cercle en cercle et vous feront une réputation d'incivilité fort nui- sible à votre ministère.
Vous blesserez votre curé et vous encourrez sa disgrâce par l'absence complète d'attentions et d'honnêteté, souvent même par quelques-unes de ces expressions souverainement déplacées dont le souvenir ne s'efface jamais entièrement.
Vous blesserez plus encore vos vicaires, quand vous serez curé, par la rudesse de vos formes, l'a- mertume de vos reproches et la verdeur de vos réprimandes.
Votre maison sera tenue, non pas comme le doit être la maison d'un ecclésiastique, mais comme l'est la maison d'un homme du peuple sans éduca- tion. Elle ne respirera que la saleté, et l'on y trouvera tout, excepté l'ordre et la propreté qui devraient en être l'ornement.
Vos vêtements seront négligés plus encore qu'au séminaire, et, sous ce nouveau rapport, vous cho- querez ceux qui vous verront, par une mise incon- venante dont chacun fera la matière de diverses railleries. Vous direz adieu au rabat et à la cein- ture, et la couleur native de votre soutane dispa- raîtra sous les taches dont elle sera couverte.
Votre église sera le pendant de votre maison. Dès qu'ils y entreront, ceux-là même qui ne vous connaîtront pas, devineront que l'ordre et la pro- preté ne sont pas les traits qui vous caractérisent. Ils gémiront sur le délabrement et la saleté dont la maison de Dieu leur offrira le triste spectacle, et vous seul ne verrez pas ce qui frappera tout le monde.
— 284 —
Votre sacristie surtout vous peindra au naturel. Elle sera la reproduction exacte de votre chambre ou de votre ancienne cellule du séminaire. Si quel- que visiteur s'y présente et témoigne le désir de voir vos ornements, vous tâcherez d'éluder sa cu- riosité, sachant bien que vous n'aurez à lui montrer que des lambeaux, signe trop manifeste de votre incurie.
La chaire elle-même sera le théâtre de votre mauvais goût. Vous y ferez entendre des trivialités indignes d'elle, des comparaisons trop familières, des tirades trop peu voilées sur certains vices, et même des personnalités si directes, qu'elles vous attireront des reproches violents et presque tou- jours des inimitiés dont vous n'aurez pas le droit de vous plaindre.
Vous parlerez aux enfants dans vos catéchismes comme un maître qui se respecterait ne voudrait pas parler à ses domestiques ; vous les humilierez par des grossièretés indignes d'une bouche sacer- dotale ; vous vous permettrez même peut-être des voies de fait, ce qui n'est pas sans exemple, et ces mauvais traitements venant à la connaissance de leurs parents, les révolteront et les indigneront, contre vous.
Votre manque d'éducation vous inspirera, en mille circonstances, de Tamertume et de la hauteur. Vous soulèverez des discussions intempestives, entraîné que vous serez par l'amour de la dispute. Vous serez impétueux dans l'attaque, blessant dans le débat, tenace et opiniâtre dans le soutien de vos opinions, et irréconciliable dans vos res- sentiments.
— 285 —
Enfin vous perdrez par votre âpreté de mauvais ton, par vos récriminations sans mesure, par vos discours acerbes et emportés, ce que vous pouviez aisément gagner par un heureux mélange de pru- dence, de douceur, de charité, de bienséance et de modestie.
Direz-vous encore, jeune et tendre ami, que le défaut qui vous est signalé peut sympathiser avec une vertu solide et qu'il est à peu près sans consé- quence? Non sans doute ; vous serez au contraire frappé des effets qu'il produit, et vous recourrez avec empressement aux moyens de le détruire.
III
— Si vous êtes sujot au défaut que nous com- battons, commencez par vous bien convaincre qu'il règne en vous. Malheureusement ce n'est pas chose aisée ; car il est d'expérience que ce défaut, si saillant aux yeux des autres , échappe presque toujours à celui qui en a contracté l'habitude. Examinez-vous donc avec attention ; rendez-vous un compte exact de votre manière d'être en ce qui touche vos conversations , vos jeux et vos ré- créations, votre habillement, votre démarche, l'en- semble de votre personne extérieure, la tenue de votre cellule, vos relations avec le prochain, avec les classes supérieure, moyenne et inférieure. Ces diverses considérations, si elles sont sérieuses, ap- profondies et fréquemment renouvelées, vous ré- véleront ce qu'il y a chez vous de répréhensible relativement au défaut qui nous occupe.
— ■ Pour vous éclairer mieux encore, comparez-
vous, sur les divers points dont nous venons de parler, à quelques-uns de vos condisciples qui sont irréprochables à cet égard. Voyez si vous retracez en votre personne leur modestie, leurs conversa- tions mesurées, leur bon ton, leurs manières simples, mais toujours dignes et convenables , et notez avec soin les traits qui brillent chez eux et que vous ne remarquez point en vous-même.
— Allez plus loin encore, et, toujours pour vous éclairer, adressez-vous à lun de vos supérieurs et à quelques-uns de vos condisciples, les priant ins- tamment de vous dire rondement et sans détour ce qu'ils remarquent en vous de choquant, sous le rapport de la modestie et de la bonne tenue.
— Quand vous saurez positivement à quoi von s en tenir, et que vous verrez clairement ce qui appellera une réforme, convainquez-vous, par les réflexions qui précèdent, de la nécessité de l'opé- rer. Pesez devant Dieu ces paroles de son Apôtre : Modestia vestra nota sit omnibus hominihiis. Rappe- lez-vous que la modestie seule est une éloquente prédication, qui concilie T estime des peuples aux ecclésiastiques qui la possèdent, et que l'immodestie et la grossièreté produisent infailliblement des effets tout opposés.
— Cela fait, veillez et combattez. Yeillez d'abord sur vos paroles. Considérez la matière et la forme de vos conversations , le ton de votre voix , vos discussions , vos railleries de mauvais goût, vos expressions inconvenantes et triviales; puis com- battez sans ménagement la tentation que vous aurez de vous permettre ces blâmables écarts.
— Veillez sur tout ce qui regarde la composi-
— 287 —
tiondii visage. Évitez les mouvements de tète brus- ques et fréquents; n'ayez poiutles yeux égarés ou arrêtés trop fixement sur les personnes que vous regardez, et tenez-les pour l'ordinaire un peu bais- sés. Évitez les éclats de rire, qui prouvent qu'on s'ou- blie ; mais évitez aussi l'air sombre et mélancolique, qui annonce qu'on souffre ou qu'on s'ennuie. Enfin réalisez en vous ce conseil si sage de l'auteur des Exameris particuliers. « Ayez, dit-il, un visage gai, » serein, ouvert, tranquille, sans gène, sans con- )) trainte, qui ait un certain air de bonté, de dou- )) ceur et de piété, capable de gagner les cœurs et » de les porter à Dieu. »
— Veillez sur votre contenance et votre posture. Tâchez de voir commentvous êtes sur ce point; com- ment vous vous tenez quand vous êtes assis, quand vous êtes debout, quand vous marchez, quand vous conservez, quand vous jouez, etc. Soyez sur, si vous avez le défaut que nous combattons, qu'il y a bien des réformes àopéreren vous sous ces divers rapports. Que de fois nous avons entendu des personnes du monde bien élevées s'écrier, en parlant d'un ecclé- siastique qu'elles n'avaient pas eu l'occasion de voir jusque-là : Quel mauvais ton ! quelles mauvaises ma- nières! quel mauvais genre! ou, au contraire, quand elles entrouvaient un tout différent : Quelle bonne tenue ! quel air aimable ! quelle édifiante modestie!
— Voyez si votre costume est convenable ; s'il n'est pas négligé jusqu'à la saleté ; s'il ne forme pas un contraste trop frappant avec celui de vos condisciples qui se distinguent par une simplicité décente dont tout le monde fait l'éloge, et rectifiez sur ce point tout ce que vous verrez de messéant.
— 288 —
— Observez-vous encore quand vous faites quel- ques sorties en ville, quand vous êtes en cours de visites, et tâchez de voir s'il n'y a point, en ces circonstances, quelque chose de lourd et d'agreste dans votre démarche, dans votre ton, dans votre contenance et vos manières. Tout cela demande de l'attention du tact ; mais tout cela est important, et nous pourrions vous citer une foule de saints et de conciles qui sont entrés bien plus minutieuse- ment que nous encore sur les divers points que nous vous signalons.
— Voyez aussi quelle est votre tenue à l'église. Que de négligence quelquefois à cet égard, même dans l'enceinte du séminaire ! Quelle légèreté dans les regards ! quelle immortification dans la pos- ture 1 quel disgracieux abandon dans le marcher, dans l'attitude, et même à l'autel dans les céré- monies qui exigent tant de décence et de pieuse modestie !
— Ne vous persuadez pas aisément que vous êtes irréprochable sur le point que nous traitons : c'est une illusion très-commune et qui rend inu- tiles les conseils du zèle et de l'expérience. Pensez, au contraire, que quelque modeste que vous soyez, vous saisirez encore par ci par là certaines négli- gences, si vous avez incessamment l'œil ouvert sur votre personne extérieure.
— N'alléguez pas non plus, pour vous soustraire aux réformes qu'exige la modestie, que devant, selon toute apparence, exercer le saint ministère dans les campagnes, vous pouvez vous dispenser de considérer la bonne tenue comme un point ca- pital. Ce serait encore une grande illusion. Les
— 289 --
paysans méprisent bien vite ceux qu'ils n'estiment pas : ils sont souvent sales et grossiers ; mais ils ne veulent pas qu'un prêtre leur ressemble. Croyez- nous, jeune ami, nous avons entendu bien des fois des hommes.de la campagna, qui n'avaient aucune éducation, tourner en ridicule et flétrir par des critiques mordantes les prêtres qui, par leur im- modestie, ne faisaient pas respecter le sacerdoce en leurs personnes,
— Lisez, de temps en temps, quelques traités de civilité. Ces livres ne sont pas assez souvent entre les mains des séminaristes. Si, de fois à autres, ils les voulaient parcourir, jamais ils ne les liraient sans y apprendre quelque chose pour la réforme de leur extérieur.
— Méditez enfin cet avis si sage de l'auteur du Directoire du Preuve : « Le prêtre est, par excel- » lence, l'homme de bonne compagnie ; mais pour » être irréprochable en public, au point de vue de » la politesse, il faut s'efforcer de l'être en son » particulier : sans s'en apercevoir, on porte en » société toutes les habitudes défectueuses de la » vi€ privée. »
(Voyez Pratique du zèle ecclésiastique^ première partie, ch. rv, page 51.)
(Voyez aussi Politesse et convenances ecclésiastiques, par im Supérieur des éminaire.)
n. 17
— 290 —
CHAPITRE XII
Le séminariste élégant et maniéré. I
Le chapitre le plus goûté de notre ouvrage par le séminariste élégant, sera, sans aucun doute, celui du séminariste incivil et mal élevé. A ses yeux, la grossièreté fustigée sera l'équivalent de l'élégance applaudie ; et si nous ne fustigions pas cette dernière à son tour, il serait plus élégant que jamais, et il le serait sans l'ombre d'un scrupule.
Hâtons-nous de le désabuser en lui disant que les deux excès — de grossièreté et d'élégance — sont dignes de blâme, selon ces paroles de saint Jérôme à son disciple Népotien : Ornatus et sordes pari modo fugiendi sunt, et ajoutons que, selon saint Ambroise, la négligence serait plus excu- sable encore que la recherche : Non sit affectatus décor corporis sed simplex, neglectus magis qumi
EXQUISITUS.
Au reste, la peinture fidèle du séminariste élé- gant et maniéré suffira probablement pour le con- vaincre que le défaut qu'il traite avec tant d'indul- gence, et dont il se fait presque un mérite, est réellement pitoyable dans un élève du sanctuaire.
Le séminariste élégant s'annonce tout d'abord par un ensemble si correct, si délié, si symétrique et si compassé, que tous ceux qui le voient sont
— 291 —
frappés, dès le premier coup d'œil, de cette exquise recherche.
Son regard est tant(M mou et efféminé, tantôt prétentieux, tantôt doucereux et mignard, quel- quefois langoureux, mais toujours affecté, tou- jours dénué de cette ronde et aimable simplicité, qui plaît d'autant plus qu'on ne la prend jamais pour un moyen de plaire.
La pose de sa tête n'est presque jamais natu- relle : ou bien elle est légèrement inclinée sur répaule, ou bien elle est droite, mais avec une cer- taine roideur qu'il croit de bon ton et qui n'est rien moins que ce qu'il s'imagine. Le jeu de ses traits semble toujours factice et étudié ; on voit qu'il pense presque sans cesse à leur donner de l'agré- ment.
Sa démarche est un des traits saillants qui le distinguent : elle est légère, apprêtée, guindée et presque cadencée.
Quelquefois il marche comme par ressort ; d'au- tres fois il donne, à chaque pas qu'il fait, je ne sais quel mouvement calculé, qui, selon tout le monde, veut dire : Affectation.
Sa chevelure est soignée peut-être plus que tout le reste. Elle est lisse, luisante, artistement dis- posée suivant le goût du jour ; elle serait même probablement odorante si les supérieurs ne s'y opposaient pas.
Obligé de se renfermer dans la simplicité d'une soutane, il s'en dédommage en la choisissant aussi distinguée que possible. Jamais le drap n'est trop fm ni la queue trop longue ; et quant à la forme en général, elle est aussi élégante que les usages
et règlements du séminaire le lui permettent. Au lieu d'avoir une certaine ampleur que la modestie ne dédaigne pas, elle embrasse le corps comme dans une presse cylindrique, ce que les mondains eux-mêmes trouvent de mauvais goût pour un ecclésiastique. Si notre jeune élégant pensait que la soutane est un habit de deuil, un habit de mort, ne rougirait-il pas de loger la vanité sous un drap mortuaire ?
Inutile de dire que la ceinture, le rabat, la ca- lotte, la chaussure sont à l'avenant de la soutane. De tout cela résulte un vêtement qui ne manque jamais de faire à cebii qui le porte une réputation trop méritée de vanité et même de fatuité. Les directeurs du séminaire voient bien comme tout le monde cette afTectation ridicule ; ils en gémis- sent devant Dieu ; ils rangent sans balancer un tel séminariste sur la liste de ceux qui les rassurent le moins pour l'avenir ; ils vont même jusqu'à lui donner quelques averiissements charitables ; mais au lieu de l'amener à la simplicité qu'ils désirent, ils n'obtiennent de lui que de se tenir tout juste au degré que l'indulgence tolère (1).
Que dirons-nous de la manière de parler de ce séminariste vaniteux? Il parle avec prétention et comme un homme qui s'écoute ; il veut être gra- cieux et croit l'être : quelquefois il est empesé et magistral, et ce mauvais ton, qui choque tout le monde, fait que l'on fuit sa société ou qu'on ne le fréquente que par esprit de mortification et de charité .
(1) Voyez chap. II de la Politesse, par un Supérieur de séminaii^e.
— 293 —
Son chant est plus affecté encore que son langage ordinaire ; on voit clairement qu'il pense bien plus à se faire admirer, qu'à savourer le suc de piété dont sont empreintes les saintes paroles qu'il pro- nonce.
Sa cellule est charmante ; elle est sans contredit la mieux ornée du séminaire ; une foule de petits objets brillants la décorent, et, au premier coup d'oeil, on oublie qu'on est dans le lieu le plus saint, le plus imposant du diocèse par l'enseignement qui s'y donne, les vertus qui s'y pratiquent, et les étonnantes merveilles qui s'y opèrent.
Pendant les vacances, il donne au monde, dès les premiers jours, un échantillon de son élégance recherchée. Au lieu de se montrer, par son recueil- lement et sa modestie, préoccupé de la grande afïaire de sa vocation, il laisse croire à tous ceux qui le voient que son plus grand souci est de bien cultiver sa petite personne. Quelquefois il affiche une recherche dans sa mise et une affectation dans ses manières, qui faisant contraste avec la bonne simplicité des prêtres de sa paroisse, ne font que mieux ressortir aux yeux du peuple ce qu'il y a d'inconvenant chez le jeune séminariste. Dieu veuille même que la position peu aisée de sa fa- mille, position bien connue dans la localité, ne lui attire pas des critiques plus mordantes encore !
Pour peu que l'on ait d'expérience, ne doit-on pas tout naturellement supposer qu'un séminariste de cette trempe est fort peu remarquable au point de vue de la piété? Aussi est-il dans le service de Dieu d'une stérilité déplorable. Quelle place peut-il y avoir pour la dévotion et particulièrement pour
— 294 —
l'humilité qui en est la base, dans une tête si lé- gère, si frivole et si occupée d'une mondanité puérile, antipode visible de l'esprit ecclésiastique et de la modestie du saint prêtre ?
Encore si un rayon de jugement et de bon sens venait plus tard illuminer ce pauvre aveugle; mais, hélas ! l'avenir qui l'attend est plus triste encore que le présent,- comme nous Talions voir.
II
Tenez pour certain, jeune et tendre ami, que si, au séminaire, vous n'avez pas remplacé par une simplicité modeste, votre élégance maniérée, elle fera de jour en jour de rapides progrès. Si elle se manifestait déjà dans le séminaire malgré la con- trainte qui lui était imposée, que sera-ce quand elle pourra se produire sans avoir à redouter les supérieurs incommodes qui la comprimaient? Le torrent contenu dans ses digues retournera-t-il vers sa source quand elle seront renversées ?
Vous cultiverez d'autant plus soigneusement cette élégance , que le théâtre où vous en ferez parade sera plus vaste et les spectateurs plus nom- breux.
N'ayant point combattu cette misérable vanité, qui est la racine secrète du défaut que nous vous signalons, elle se fortifiera chaque jour, stimulée qu'elle sera par de fréquentes occasions qu'elle aura de s'étaler avec avantage.
Yous vous direz d'ailleurs, toujours sous l'in- fluence (le la vanité, que le monde a ses exigences qu'il n'est pas toujours prudent de mépriser, qu'une
simplicité comme celle qu'on vous prêche serait en désaccord trop frappant avec le bon ton qui le dis- tingue, et que votre élégance n'est, après tout , qu'une tenue convenable dont la propreté fait une loi.
Vous serez donc un prêtre vaniteux, recherché, toujours poursuivi du désirde plaire à un monde fri- vole, sans aucun égard à cette parole foudroyante de l'Apôtre : Si hominibiis placerem, Christi servus 71071 cssem.
Votre costume, déjà peu simple au séminaire , se déploiera dans le monde avec un éclat plus bril- lant encore.
Votre tournure et vos manières seront de plus en plus affectées, et vous en contracterez tellement l'habitude, qu'il vous sera presque impossible de les réformer.
Votre langage et votre manière de le produire auront je ne sais quoi de doucereux, de fade et d'insipide qui annonceront plutôt le damoiseau que le prêtre modeste et le fervent apôtre.
Votre ameublement subira certai ne ment lui-même les influences de votre vanité. Votre maison res- pirera le luxe ; votre chambre surtout sera un vrai salon: vous voudrez absolument ne la trouver que propre, et elle sera presque somptueuse: en y entrant, les gens du peuple et les pauvres seront tentés d'ôter leur chaussure, et vous feront peut- être mieux comprendre que personne combien vous serez loin de l'édifiante simplicité de l'homme de Dieu.
L'église, c'est triste à dire, sera pour votre vanité prétentieuse un nouveau théâtre. Au-dessus de la
— 296 —
simple et modeste chasuble, s'élèvera une tète que le monde prendra pour une des siennes : chevelure symétriquement apprêtée, absence de tonsure, favo- ris très-prononcés, tout, en un mot, excepté la modestie sacerdotale qui seule devrait paraître.
Dans vos cérémonies les plus augustes, vous dé- ploierez une pompe et une emphase qui feront voir clairement que vous serez tout occupé de vous- même , au lieu d'être absorbé en Dieu , dans le temple duquel vous remplirez des fonctions qui tiendront la cour céleste en extase.
Dans la chaire, l'air pénétré, le pieux recueil- lement et la simplicité apostolique, qui sont déjà une prédication fructueuse , seront remplacés par une pose peu modeste, par des regards curieux, par des gestes inconvenants, par des expressions roman- tiques et par un débit où ne se peindra que trop la pitoyable vanité dort vous serez l'esclave, et l'on dira de vous ce mot humiliant que nous avons entendu dire de plusieurs : C'est un comédien !
Le croirez-vous? jusqu'au saint tribunal, les péni- tents vous retrouveront encore tel que vous serez partout : dégoût du confessionnal parce que vous y brillerez moins qu'ailleurs, soins empressés pour les riches, rudesse envers les pauvres, tempêtes contre quiconque humiliera votre vanité, absence du vrai zèle qui veut qu'on s'oublie, désir de ter- miner au plus vite une séance qui fatigue et après laquelle on se propose de faire quelques visites dont on pourrait se dispenser sans violer aucun devoir : attendez-vous à toutes ces misères, si vous ne les prévenez pas par une prompte et radicale réforme.
— 297 —
Dans les visites dont nous venons de dire un mot, nouvel aliment pour la vanité : rien pour l'édifica- tion, tout pour le misérable plaisir de se produire; pas un mot de Dieu, longs discours sur des frivo- lités indignes du sacerdoce; manières libres et dé- gagées, ton pédantesque, expressions recherchées, épanchements peu mesurés, iout ce qu'il faut enfin pour détruire la confiance , si depuis longtemps déjà on ne l'avait pas perdue.
Raisonnons, je vous prie. A qui voudrez-vous plaire, jeune et tendre ami, par une telle conduite? — Aux gens du monde? Ils seront, n'en doiiic:: pas, vos plus impitoyables censeurs. — Aux pé- cheurs? aux impies? Us seront ravis de décocher contre vous et, en votre personne, contre le sacer- doce en général, les traits les plus envenimés du sarcasme et de l'ironie. — Aux âmes pieuses ? Elles ne verront qu'en gémissant la vanité de celui dont elles voudraient apprendre le mépris du monde et les saintes règles de l'humilité chrétienne. — Aux gens du peuple et aux pauvres? Ils n'oseront vous aborder, vous croyant indifférent à leurs intérêts les plus chers, et ayant peine à se persuader que vous êtes leur pasteur. Nous ne leur parlons pas de Dieu : ah! sans doute, c'est à lui plus qu'à per- sonne que vous devriez vous efforcer de plaire ; mais que sera Dieu pour un prêtre qui ne verra que lui-même, n'admirera que lui-même, et rap- portera tout à lui-même et à lui seul? Q^ielle piété y a-t-il et peut-il y avoir dans une tête que la vanité possède ? Quel zèle peut consumer le prêtre dont la conduite, sur des points si essentiels, est tout ce qu'il y a de plus opposé au véritable esprit II. 17.
— 298 —
apostolique? Non, jeune ami, non, croyez-nous, aucune idée sérieuse ne simpiantera dans votre esprit : ni le service de Dieu, ni le zèle des âmes, ni Famour du ministère, ni la pratique des bonnes œuvres, ni le goût du travail ne feront votre éloge. Yoyez-donc si les saints prêtres, les fervents apô- tres, les pasteurs vénérés et vénérables, les servi- teurs des pauvres et les prêtres studieux sont ven- dus à la vanité et perpétuellement occupés des futi- lités qui ralimentent.
Mais c'en est assez pour que vous soyez désabusé si vous aviez besoin de Fétre. Voyons maintenant ce que vous avez à faire pour acquérir cette belle simplicité ecclésiastique dont tout le monde fait l'éloge.
III
— Essayez d'abord de bien connaître vos vraies dispositions relativement au défaut que nous com- battons, et , pour cela , adressez- vous quelques questions, celle-ci par exemple: En quelle catégo- rie suis-je rangé dans le séminaire? J'y vois les élèves partagés en trois classes bien distinctes: ceux qui s'engagent trop avant dans les bas-fonds de la simplicité ; ceux qui montent trop haut dans les régions de l'élégance; et ceux qui, flottant entre ces deux classes, suivent avec sagesse et bon sens le train commun des bons séminaristes. De ces trois classes, quelle est la mienne ?
— Pour le savoir, examinez-vous pièce à pièce avec le vif désir de vous bien connaître et de vous réformer si vous en sentez la nécessité. Considé-
— 299 —
rez votre contenance, l'ensemble de votre air et des traits de votre visage, votre costume, la matière et la forme de chacun de vos vêtements, votre chevelure, la tenue de votre cellule, votre manière de parler, de marcher, de vous tenir à l'église et chez les personnes du monde à qui vous faites visite. Si vous procédez à cette enquête avec un vrai fonds de bonne intention, il est impossible qu'il n'en jaillisse pas des traits de lumière qui vous seront fort utiles.
— N'oubliez pas non plus de consulter vos supé- rieurs et quelques pieux condisciples, que vous aurez soin de choisir parmi ceux en qui Ton ne voit rien à reprendre sous le rapport de la modestie et de la bonne tenue.
— Quand vous aurez acquis la certitude que l'élégance, la recherche et l'affectation sont chez vous des traits saillants, attaquez, combattez et ter- rassez ces ennemis déclarés de l'esprit ecclésiasti- que, sans vous laisser jamais influencer par les pitoyables prétextes que la vanité ne manquera pas d'alléguer.
— Dites-vous à vous-même avec énergie : Je suis un orgueilleux; toutes mes petites recherches affectées et prétentieuses sont des actes d'orgueil; c'est aux hommes que je veux plaire et non à Dieu ; je suis aussi opposé à Jésus, à Marie, à tous les saints qui peuplent le ciel et aux saints prêtres qui honorent l'Église, que le blanc est opposé au noir. Veux-je rester ce que je suis? Yeux-je m'at- tirer au séminaire les railleries de mes condisciples, et plus tard les ironies plus piquantes encore du monde malin au sein duquel je vais bientôt exercer
— 300 —
mon saint ministère? Non, je ne veux pas qu'il en soit ainsi : je veux être un saint prêtre et sacrifier sans ménagement ce qui mettrait obstacle à l'ac- quisition de ce beau titre
— Quand vous en serez là, mettez la main à l'œuvre; placez-vous en face d'un séminariste mo- dèle comme devant une glace polie, et, en présence de ce nouveau Louis de Gonzague, copiez trait pour trait la sainte modestie qui le distingue : parlez comme il parle, marchez comme il marche, habillez- vous comme il s'habille, et ainsi du reste. Ne crai- gnez pas d'aller trop loin, descendez jusqu'à la minutie; la vanité qui est en vous saura bien vous empêcher de tomber trop bas dans la simplicité.
— Avant de quitter le séminaire pour aller en vacances, renouvelez vos résolutions : dites à Dieu et dites-vous à vous-même : Je veux être simple et parfaitement modeste ; je veux que ma réforme soit manifeste et éclatante ; je veux que le monde pense et dise de moi tout le contraire de ce qu'il en pensait et disait aux vacances dernières ; je veux qu'il fasse l'éloge de ma simplicité, comme il fai- sait la critique de mon élégance.
— Soyez en garde contre la tentation qui porte ceux qui vous ressemblent à confondre l'élégance recherchée avec la propreté décente. Convainquez- vous fortement qu'on peut être propre sans être élégant et maniéré, et que le saint prêlre, en fai- sant cette distinction, se concilie toujours l'estime universelle.
— Adonnez-vous à la piété, qui est utile à tout, comme le dit l'Apôtre : Pictas ad oimiia utilis est, et soyez sur que quand vous aurez goûté Dieu,
— 301 —
vous n'aimerez que ce qu'il aime, et vous aurez horreur de la vanité qu'il déteste. L'esprit du monde vous a rempli jusqu'à ce jour ; que l'esprit de No- tre Seigneur Jésus-Christ le remplace désormais, et alors vous serez infailliblement un fervent sé- minariste et bientôt un saint prêtre.
CHAPITRE XIH
Le séminariste léger, rieur, facétieux, imprudent, etc. l
11 y a peu de séminaires où l'on ne voie quel- ques élèves auxquels conviennent les qualifications mentionnées dans le litre de ce chapitre. Autant ils sont prompts à se manifester, autant ils sont lents à se corriger, si tant est qu'ils se corrigent jamais entièrement de leur excessive légèreté.
Or ceci est très-fàcheux ; car qui doit être grave, digne, modeste, prudent el réservé, si ce n'est le prêtre ? Mais comment deviendra-t-on subitement un prêtre grave et bien posé, si, pendant tout le temps du séminaire, on a été la légèreté même '^ Appliquons-nous donc sérieusement à combattre ce défaut qui, plus tard, nous priverait à coup sur de la confiance et de l'estime des peuples.
Il est rare qu'un séminariste léger, rieur, facé- tieux, etc., en mettant le pied dans le séminaire, ne se fasse pas connaître pour ce qu'il est, dès les premiers jours. Il voudrait dissimuler sa légè-
— 302 —
reté qu'il ne le pouiTait guère : son attitude seule le trahirait.
En effet, il y a quelque chose de sautillant dans sa démarche, d'animé dans son regard, de mobile dans sa tète, d'épanoui dans l'ensemble de ses traits, qui décèle le séminariste léger avant même qu'il se soit produit par des actes formels.
Le séminariste de cette trempe a besoin de plai- santer et de rire comme de respirer. Tout ce qui est sérieux le tue, ou du moins lui fait exhaler en de longs bâillements l'ennui qu'il éprouve : il res- semble alors à ce pauvre poisson qu'on vient de tirer de l'eau et qui, lui aussi, bâille sur l'herbe, comme s'il aspirait l'élément qui lui manque.
Il est doué d'une souplesse d'esprit incroyable pour égayer sur-le-champ une conversation grave. S'il aborde des séminaristes qui s'entretiennent utile- ment, illes comprime aussitôt, tant ils savent qu'il est impossible, lui présent, de discuter rien de sérieux.
Du reste, il ne les importune pas longtemps par ses facéties, car il lui faut du mouvement et de la variété. Quand donc il a lâché quelques bordées de plaisanteries, il se retire et va porter ailleurs son feu roulant de pointes et de quolibets.
Dès qu'on le voit paraître on s'apprête à rire, sachant bien qu'il va tout à l'heure égayer son monde.
Encore si ses plaisanteries n'atteignaient per- sonne ; mais malheureusement il n'en est pas ainsi. Tous les petits travers qu'il aperçoit dans ses con- disciples, sont pour lui la matière d'une foule de bons mots, qui pleuvent comme grêle sur ceux qu'il attaque par ses critiques railleuses.
— 303 —
On lui passe bien des choses, moins parce qu'on l'aime que parce qu'on le redoute. Bailleurs cha- cun sait qu'en prenant mal ses plaisanteries, on s'en attirerait infailliblement par cela même de plus piquantes encore.
Semblable à ces feux follets qui brillent et s'é- teignent en un instant sur vingt lieux ditférents, il est partout et il n'est en quelque sorte nulle part. Il est la mouche du séminaire : comme elle, il bourdonne, il pique, il voltige ; comme elle aussi, il salit ce qu'il touche, c'est-à-dire que, par sa conduite légère et dissipée, il ternit la beauté, la sainteté du lieu qu'il habite.
Si vous entendez quelques rires étouffés dans un corridor à la porte d'un séminariste, soyez sur que notre rieur est là.
Si, pendant une récréation, un groupe joyeux et animé fait à lui seul plus de bruit que tous les autres séminaristes disséminés dans la cour ou dans le jardin, dites à coup sur que notre jeune rieur est le boute-en-train de cette petite réunion.
Si quelque espièglerie se raconte dans le sémi- naire, ne demandez pas le nom de son auteur : l'es- piègle c'est notre jeune homme ; chacun le devine dès que sa petite malice est connue.
La jovialité est peinte sur sa figure. Ses traits sont si habilement mis en jeu par son fonds de gaieté, qu'ils semblaient être à l'état de rire per- manent.
Son enjouement est contagieux ; nul n'en est témoin sans en subir l'influence : à sa simple vue, le séminariste le plus grave se déride comme les autres.
— 304 —
Pour un observateur, il est curieux de le voir en face d'un de ses amis qui est dans la peine : si la scène n'était pas aussi triste qu'elle l'est, on serait tenté de rire en le voyant aîfecter une douloureuse compassion qui fait violence à sa nature. Quel- quefois le pauvre affligé lui-même sourit encore à son approche.
Comme il veut toujours rire, ses yeux sont constamment ouverts pour découvrir quelque chose qui l'amuse. Il épie tout le monde, il voit tout ce qu'on fait, il écoute tout ce que l'on dit, puis il fait de ses diverses observations la matière de ses plaisanteries.
Quelquefois il se fait singe : nul ne contrefait comne lui le langage, la tournure, les gaucheries (!■: :ous ceux avec lesquels il vit.
Qu'un élève, interrogé en classe par le profes- seur, fasse une mauvaise réponse, sa gaieté l'em- portant sur sa charité, il donne le premier le signal du rire, et quand personne ne rit plus, il sourit encore.
L'église elle-même est le théâtre de son enjoue- ment. Là comme parlout, il se pose en observa- teur : rien ne lui échappe, et après l'office, il fait connaître à plusieurs, qui ne s'en sont pas aperçus, toutes les fautes et les maladresses commises par les officiants dans les cérémonies.
Les supérieurs eux-mêmes n'échappent ni à son œil ni à sa langue : son œil saisit leurs singula- rités, et sa langue se met aussitôt en mouvement pour les divulguer.
Si encore il ne se permettait que des légèretés innocentes ou à peu près ; mais ses plaisanteries
— 305 —
ne sont pas toujours ratifiées par le bon ton. En- traîné par le besoin de rire et de faire rire, il des- cend parfois dans le grotesque et le trivial, ou- bliant ainsi la sainteté du séminaire, du vêtement qu il porte et du sacerdoce auquel il aspire.
Avec de telles habitudes, que doit-il faire quand il est seul? que se passe-t-il dans sa cellule pen- dant les heures que l'étude réclame ? Expie-t-il du moins par un travail assidu les légèretés conti- nuelles qu'il se permet? Personne ne nous croirait si nous disions que l'Ecriture sainte et la théo- logie font ses délices. Tout le monde sait bien que les hommes légers ne sont jamais des hommes d'étude. Disons-le, les livres sérieux lui sont à charge ; il étudie aussi peu que possible ; et ces heures de travail qui, en conscience, devraient être si bien remplies, c'est à des futilités qu'il les consacre. Lettres joyeuses à des amis du monde, lectures quasi-profanes, compositions puériles^ poésies légères et autres occupations de même nature : tels sont les passe-lemps de ce pauvre jeune homme.
Quant à la prière, nous voudrions n'en rien dire. Vingt fois nous nous sommes demandé ce que devait être à l'oraison et dans les autres exercices spirituels, un séminariste facétieux et léger qui n'est heureux que quand il s'amuse, et, à cette question, nous n'avons jamais pu faire que de tristes réponses. Point de piété, non, point de piété dans une tête frivole ; et, sans piété, quel séminariste, grand Dieu ! et plus tard, quel prêtre ! ...
Si les choses se passent ainsi dans le séminaire même, qu'est-ce donc, hélas ! pendant les vacan-
— 306 —
ces? C'est alors que l'épanouissement est complet; c'est alors que les sociétés les plus enjouées et les plus bruyantes sont avidement recherchées ; c'est alors que les courses et les voyages se succèdent chaque jour ; c'est alors que la solitude, la prière et le travail sont presque totalement abandonnés ; c*est alors qu'on porte de cercle en cercle sa gaieté perpétuelle et sa légèreté poussée jusqu'à l'impru- dence, peut-être même au delà ; c'est alors enfin qu'au lieu d'édifier le monde par la piété qu'il exige d'un séminariste, on le scandalise par une vie oiseuse et par une conduite toute séculière. Le défaut que nous combattons est encore un de ceux qui n'efîrayent guère celui qui y est sujet. Il considère toutes ces plaisanteries comme d'inno- centes gentillesses, et ne comprend pas qu'il en puisse résulter des conséquences fort graves. Pour dissiper cette illusion fatale, qui pourrait bien être la vôtre, jeune lecteur, voyez ce que vous serez si vous sortez du séminaire avec cette légèreté folâtre dont vous avez la triste réputation.
II
Au lieu de redouter le monde où vous entrerez chargé du poids de votre sacerdoce, vous le sa- luerez d'un joyeux regard, et vous saisirez avec empressement les occasions nombreuses que vous aurez de vous livrer sans réserve aux épanche- ments de votre gaieté.
N'ayant point acquis au séminaire un vrai fonds de piété, vous deviendrez de moins en moins pieux tous les jours. L'oraison et tous les exer-
— 307 —
cices spirituels que vous faisiez avec tant de froi- deur et de lâcheté dans votre solitude, seront abandonnés l'un après Vautre, et vous ne ferez plus, à cet égard, que ce qui sera d'une absolue nécessité ; encore vous en acquitterez-vous d'une manière pitoyable. La légèreté, soyez-en sur, ta- rira la piété. Et quel prêtre, ô mon Lieu, que celui qui n'est pas pieux dans le plus saint des états ! . . .
Vous manquerez totalement de cette gravité digne et modeste, qui, tempérée par un enjoue- ment aimable et modéré, concilie au prêtre le res- pect et l'estime des peuples.
Ne voyant jamais en vous qu'un homme léger, badin, plaisant, jovial, diseur de bons mots, et quelquefois trivial, si l'on ne dit pas que vous êtes un mauvais prêtre, personne ne dira que vous êtes un saint : or, pensez-y, jamais vous ne ferez tout le bien que Dieu et l'Eglise attendent de vous, si vous n'êtes pas un saint prêtre et si vous n'êtes pas généralement connu pour tel.
La confiance, si nécessaire au prêtre pour exercer un ministère fructueux, ne vous sera point accor- dée. Quelle confiance peut inspirer un prêtre indis- cret, qui semble faire parade d'une légèreté sans bornes dans ses discours et dans toute sa conduite? Les impies eux-mêmes déclareront que s'ils re- viennent à Dieu plus tard, vous ne serez pas le confident de leurs misères ; puis, citant quelque saint prêtre de la contrée, c'est à celui-là, diront-ils, que nous révélerons les secrets de notre conscience, si jamais nous les révélons.
Vous malédifierez les âmes pieuses par votre habitude d'immodestie et d'enjouement excessif ;
— 308 —
et si, par hasard, vous en confessez quelques-unes, comment pourrez-vous les exhorter au recueille- ment, à la mortification, à l'esprit de prière et de piété, ne pratiquant rien moins vous-même que ce que vous conseillerez à ces âmes ferventes ?
Vous éprouverez un besoin continuel de mou- vement et de dissipation. Vous serez partout ex- cepté dans votre chambre et à l'église, où Ton ne vous verra que quand il vous sera impossible d'être ailleurs. On vous trouvera dans toutes les rues si vous habitez la ville, ou dans tous les chemins si vous vivez à la campagne, absolument comme on vous rencontrait à chaque instant dans tous les coins du séminaire.
Vous fuirez les maisons où vous ne pourrez pas rire tout à voire aise, et vous flânerez pendant des heures entières dans celles où le gros rire et la grosse gaieté seront en permanence.
Ainsi disposé, la maison du pauvre, de l'infirme et de l'affligé seront pour vous sans attrait. Vous serez embarrassé quelle contenance faire en face delà douleur. Habitué à plaisanter et à rire, vous ne saurez pas joindre, comme le saint prêtre, une larme à une larme, un soupir à un soupir.
Vous aimerez le jeu, car les prêtres légers l'ai- ment autant que les prêtres graves l'aiment peu ; et si vous l'aimez avec passion, ce qui pourra bien arriver, vous serez un prêtre joueur et par consé- quent un prêtre scandaleux, comme ceux qui, dans certains diocèses, passent les jours et les nuits les cartes à la main.
Vous ne manquerez pas un diner, une réunion joyeuse, une partie de plaisir quelconque, car par-
— 309 —
tout là vous aurez occasion de vous divertir. Mais l'étude ! mais la prière ! mais les œuvres de zèle ! mais les travaux du ministère ! 0 Dieu ! comment se feront toutes ces choses?
• Vous n'ouvrirez presque jamais un livre sérieux, et vous en lirez une multitude de frivoles. Pour vous, un livre utile sera toujours trop long, et votre journal ou votre quasi-roman sera toujours trop court.
Yous ferez inévitablement des imprudences de plus d'un genre, car c'est des tètes légères qu'elles s'échappent. Emporté par le plaisir, vous ne cal- culerez ni vos paroles ni vos démarches ; vous blesserez celui-ci, vous scandaliserez celui-là et vous malédifierez tout le monde.
Yous vous ferez des ennemis irréconciables par des épi grammes railleuses qui leur seront rappor- tées, ou par la manière dont vous traiterez cer- taines affaires délicates que la moindre imprudence compromettra sans retour.
Yous ferez fort peu de chose pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ; vous n'aurez point l'es- prit de suite dans vos entreprises, et vous aban- donnerez par dégoût ce que vous aurez commencé par boutade.
Yous porterez votre légèreté jusque dans l'église : pendant les fonctions que vous y remplirez, la ra- pidité de votre marche, la précipitation de vos cé- rémonies, l'évagation de vos regards, la noncha- lance de votre attitude, les plaisanteries quelquefois très-déplacées dans vos catéchismes et même dans la chaire, feront dire à tout le monde : Quelle im- modestie I quelle mauvaise tenue !
— 310 —
Vos manières légères et inconvenantes autori- seront des familiarités qu'on ne se permettrait jamais à l'égard d'un prêtre pieux et réservé : on sera libre avec vous parce que vous serez libre avec tout le monde, et de là que d© dangers et peut-être que de chutes !
On vous comparera à quelque saint prêtre de la contrée ; et votre conduite, mise en regard de la sienne, fera ressortir, à votre grand dommage, l'édification de l'une et la légèreté de l'autre.
Si vous êtes le vicaire d'un curé prudent et grave vous ferez son supplice ; si votre curé vous res- semble, vous serez l'un pour l'autre une pierre d'achoppement et de scandale.
Devenu curé vous-même, vous entraînerez vos vicaires dans votre mauvaise voie. Studieux, fer- vents et réguliers quand ils feront leur entrée dans votre presbytère, ils seront légers, tièdes, relâchés comme vous quand ils en sortiront, et, par votre faute, jamais peut-être ils ne retrouveront leur ancienne ferveur.
Amateur du changement, vous importunerez vos supérieurs, vous les fatiguerez par vos perpétuelles demandes de mutation, et, ne vous attachant à aucune paroisse, aucune paroisse non plus ne vou- dra s'attacher à un prêtre en qui elle ne verra qu'un pasteur transitoire et inconstant.
Jugez maintenant, jeune et tendre ami, si la légèreté que vous vous reprochez à peine au sémi- naire, ne mérite pas d'être sévèrement châtiée, puisqu'elle produit de si tristes résultats. Suivez donc, nous vous en conjurons, suivez les règles qui vont vous être tracées, puisque, seules, elles
— 311 —
peuvent vous préserver des dangers qui vous attendent.
III
Ce défaut est encore un de ceux qu'on reconnaît aisément en soi quand on y est sujet. Si, aidé de vos propres réflexions et de celles qui viennent de ^vous être soumises, vous êtes forcé de convenir que la légèreté est un de vos défauts dominants, voici les moyens de vous en corriger.
— Commencez par vous bien convaincre de la nécessité de vous réformer sur ce point capital. Dites-vous à vous même dans des méditations sé- rieuses que, puisqu'il n'y a point de profession plus sainte, ni même aussi sainte que le sacerdoce, il n'y en a point non plus qui exige plus de gravité et de modestie que celui qui l'embrasse. Qu'est-ce qu'un prêtre léger, sinon un mondain travesti ?
— Convainquez-vous bien aussi que les hommes du monde les plus frivoles ne veulent pas qu'un prêtre leur ressemble. Autant ils estiment un prêtre grave et plein de dignité, autant ils méprisent un prêtre léger, facétieux, ou à plus forte raison go- guenard et trivial : c'est un farceur , disent-ils. Croyez-nous, jeune ami, ces paroles méprisantes, nos oreilles les ont plus d'une fois entendues.
— Combattez les mauvaises raisons que vous pourriez être tenté d'alléguer pour justifier ou du moins pour pallier votre légèreté. Ne dites pas, par exemple, qu'une gravité trop compassée est sèche et rebutante, tandis qu'un certain enjoue- ment réconcilie les mondains avec la dévotion et
— 312 —
rectifie les fausses idées qu'ils s'en forment. On peut être grave sans être sec ; il y a une gaieté modérée que la gravité sacerdotale n'a jamais condamnée et que Ton aime généralement à trou- ver chez un prêtre. Saint François de Sales était un type accompli en ce genre. Une aimable gaieté lui était familière ; mais jamais cette gaieté n'efTa- çait la gravité modeste qui brillait en sa personne. Ne soyez gai que comme il Tétait, et tout le monde dira que vous l'êtes comme un prêtre doit l'être. — Ne dites pas non plus que la gaieté chasse la mélancolie, et qu'il est bon de combattre par l'enjouement la tristesse et l'ennui. Où donc avez- vous vu que le fervent séminariste et le saint prê- tre fussent, par caractère, sombres, chagrins et rêveurs? N'est-ce pas chez eux, au contraire, qu'on voit unies à une gravité "décente le calme, la séré- ' nité, l'air satisfait, et ce gracieux abandon que tout ' le monde admire ? Croyez-nous, cher ami, ils sont plus heureux que vous, ceshommes que vous croyez tristes parce qu'ils remplacent votre gaieté folâtre par une modestie séduisante et une joie modérée. — Enfin ne dites pas qu'on voit des prêtres tout aussi gais que vous et qui n'en sont pas moins des prêtres estimables et estimés. La gaieté, sachez-le bien, n'est qu'un trait de la légèreté. L'homme gai par naiure n'est pas toujours léger, et c'est la légèreté que vous avez à combattre. On peut être gai sans être railleur, facétieux, trivial, im- prudent dans ses paroles et dans ses actes. Yoilà les vrais caractères de la légèreté ; voilà les ca- ractères que vous devez faire disparaître si vous les reconnaissez en vous-même.
— 313 —
— Quand vous serez nourri de ces réflexions, mettez la main à l'œuvre et commencez votre ré- forme. Pour cela, regardez autour de vous : con- naissez-vous un séminariste fervent et parfaitement modeste dans le séminaire? Connaissez-vous un saint et digne prêtre dans le monde? Yoilà vos modèles. Mettez en regard de vos légèretés et de vos imprudences, la sagesse de leurs discours, la dignité de leur attitude, la retenue de leur enjoue- ment, la prudence de leurs démarches, l'égalité de leur caractère, l'aménité de leurs formes, et copiez trait pour trait ce qui brille chez eux et ce qui, malheureusement, est loin de briller chez vous.
— Portez vos vues encore plus haut. Vous voulez être ministre de Jésus-Christ ; voyez votre maître et votre modèle. On dit dans l'Évangile qu'il a pleuré; où avez-vous vu qu'il ait ri? On admirait la sagesse de ses paroles ; où avez-vous vu qu'il en ait dit d'imprudentes? On épiait toutes ses dé- marches pour le trouver en défaut ; où avez-vous vu qu'il en ait fait d'inconvenantes? On était ravi de ses manières douces, insinuantes et persuasives ; où avez-vous vu qu'il ait rebuté personne par des légèretés comme les vôtres ? Quis ex vobis, disait-il sans crainte, arguet me de peccato ? Encore une fois, voilà, voilà votre maître et votre modèle : étudiez-le, copiez-le, puisque vous êtes son disci- ple et que bientôt vous serez son ministre : Inspice et fac secimdùm exemplar.
— Renoncez à vos plaisanteries perpétuelles : quand elles sont rares et de bon goût, elles ont leur agrément et vous pouvez vous les permettre ; mais quand elles blessent quelque vertu ou qu'elles
n. 18
— 344 --
affluent par torrents, elles deviennent insipides, et vous devez les supprimer si elles sont mau- vaises, ou les contenir dans de justes bornes si elles sont seulement par trop abondantes.
— Au lieu de considérer en toutes choses le côté plaisant de ce que vous entendez dire ou de ce que vous voyez faire, considérez plutôt le côté sérieux et utile, et montrez alors, par Li maturité de vos réflexions, que vous êtes un homme grave et non pas un enfant ou un écolier.
— Jamais surtout de railleries piquantes : soyez ferme à cet égard. Si, par malheur, vous en avez contracté l'habitude, hâtez-vous de la vaincre. La raillerie mordante, chez le séminariste ou chez le prêtre, est détestable; c'est d'ailleurs un mauvais genre que le monde poli, d'accord en ce point avec la religion, réprouve et condamne.
— x\yez horreur des trivialités et des bouff'onne- ries ; elles sont indignes d'un élève du sanctuaire. Si le séminariste se les permet, il continuera de se les permettre quand il sera prêtre, et alors il scan- dalisera les peuples et déshonorera le sacerdoce. Le prêtre doit être le plus saint des hommes ; n'en faites pas un bouffon.
— Ne fréquentez point les élèves connus par leur légèreté ; guérissez les contraires par les con- traires ; associez-vous à quelques condisciples fer- vents et modestes , parlez avec eux de choses sérieuses et utiles, et faites votre profit de leurs enseignements et de leurs exemples.
— Enchaînez-vous, quand vous avez le désir de Vous émanciper et de vous mettre au large. Priez ou faites une bonne lecture, quand vous êtes sur
— 315 —
le point d'en faire une frivole ; travaillez, quand vous êtes tenté d'aller causer et rire au mépris de la règle ; dites un mot pieux ou du moins raison- nable, quand vous avez la démangeaison de vous lancer dans les facéties et les bons mots.
— Observez-vous avec soin quand vous sortez en ville, quand vous êtes par hasard avec des per- sonnes peu réservées, ou à plus forte raison quand vous êtes à l'église. Soyez partout pénétré de la présence de Lieu qui vous voit, et dites-vous à vous-même : Comment serait un saint s'il était à ma place? comment serais-je moi-même si j'étais sous les yeux de Jésus et de Marie ?
— Priez votre directeur, vos supérieurs, et même quelque pieux condisciple de vous aider par leurs conseils à opérer votre réforme. Confiez-leur fran- chement le désir que vous avez d'abandonner votre mauvais genre, et punissez-vous quand il vous échappera quelque légèreté déplacée.
— Veillez particulièrement sur vous pendant le temps si périlleux des vacances. Faites voira vos parents, à vos amis, à tout le monde enfm, que vous n'êtes plus, sous le rapport de la légèreté, ce que vous étiez aux vacances dernières. Que votre changement à cet égard soit frappant et complet. Faites dire à tous ceux qui vous verront : Ce n'est plus lui, le séminaire Ta transformé !
— Enfm demandez instamment et fréquemment à Dieu le goût des choses sérieuses : de la prière, par exemple, de l'étude, des œuvres de zèle, de la vie de retraite, etc., et appliquez-vous fortement à acquérir ce goût. Embrassez la piété, jeune et tendre ami ; vous n'êtes léger que parce qu'elle
— 316 —
vous manque ; devenez pieux, et vous deviendrez par là même un séminariste accompli, et plus tard un prêtre béni de Dieu et des peuples dont vous serez le pasteur.
(Voyez le Saint Prêtre, deuxième partie, ch. XTII, page 322.)
CHAPITRE XI Y.
Le séminariste intempérant, ou prédisposé à Tintempérance.
1
Le titre seul de ce chapitre révoltera sans doute nos jeunes lecteurs ; mais quand ils en auront par- couru les détails, ils verront si l'omission du vice de rintempérance n'eût pas fait dans cet ouvrage une regrettable lacune.
Généralement parlant, on peut dire que l'intem- pérance est plutôt le vice des hommes faits que des jeunes gens. Il faut à ceux-ci des plaisirs pas- sionnés, comme l'impureté, bruyants, comme le jeu, actifs, comme les courses et les voyages, et ce n'est guère que quand le besoin du repos se fait sentir, qu'ils se satisfont en s'installant grave- ment pendant des heures entières autour d'une table, ùîter pocula et scyphos. Les sém.mB,risiGs sont donc, pour l'ordinaire, préservés de ce vice ; ce- pendant comme nous portons tous, dès le jeune âge, le principe des défauts qui plus tard se dé- veloppent en nous, et comme plusieurs prêtres, intempérants aujourd'hui, ne Tétaient pas au début
— 317 —
de leur carrière, il est bon de voir si, en exami- nant les choses à fond, nous ne trouvons pas, chez quelques élèves de nos séminaires, le mauvais germe du vice que nous allons combattre.
Le séminariste intempérant a quelquefois fait des excès dans le boire ou dans le manger avant d'entrer au séminaire. Il aimait déjà les festins, et s'y distinguait par un goût assez prononcé pour ce qui flattait sa sensualité, notamment par un attrait particulier pour les liqueurs enivrantes.
Il a quelquefois scandalisé par des ivresses qui affectaient d'autant plus péniblement ceux qui en étaient témoins, qu'elles n'étaient pas de son âge et qu'elles dénotaient déjà une disposition pro- chaine à l'habitude de l'intempérance.
Les âmes pieuses qui connaissaient les premiers excès de ce jeune homme, l'ont vu avec peine em- brasser l'état ecclésiastique, et ont tremblé dans le secret de leur âme qu'il ne donnât plus tard des scandales en ce point.
Au séminaire, ce vice, comme plusieurs autres, s'assoupit ordinairement faute d'occasions ; cepen- dant, en ce lieu-là même, le séminariste qui a le germe de l'intempérance, le laisse encore percer par quelques traits, assez faibles peut-être, mais très-significatifs pourtant quand on les considère au flambeau de l'expérience.
Ainsi, par exemple, l'article de la nourriture est pour lui un article capital. Le séminariste pieux et mortifié ne s'en inquiète guère ; il a des pensées et des préoccupations d'une bien autre importance que celles de la table et des aliments. Mais le sé- minariste sensuel s'occupe presque autant de son n. 18.
— 348 —
palais que sa conscience. Il savoure joyeusement les mets quand ils sont de son goût, et il en fait une critique sévère quand ils lui déplaisent.
Il est toujours, à cet égard, le premier à se plain- dre du régime du séminaire, quoique souvent ce régime soit préférable à celui de la maison de son père. En ces circonstances, les supérieurs tombent sous les traits de sa censure, et l'économe surtout est son point de mire.
Quand l'heure d'un repas approche, il y pense volontiers, moins par le sentiment du besoin, que par celui de la satisfaction grossière qu'il se pro- met ; et quoique cette pensée ne lui procure qu'un plaisir en perspective, il la fixe dans son esprit, il la rappelle si elle s'éloigne, il l'excite si elle s'é- mousse ; bref, il s'en fait une espèce d'occupation intérieure au sein de laquelle il se complaît.
Prendre quelque chose entre ses repas est pour lui une bagatelle. Les saints ne s'accordaient ja- mais cette licence ; mais les saints ne sont guère ses modèles. A quelque moment que l'occasion s'en présente, tout ce qui délecte son palais, sa sensualité raccueille avec empressement et bon- heur.
II fait, comme les gens du monde, une longue énumération des aliments qui sont de son goût, et à la manière dont il en parle, on voit qu'il doit éprouver une vive jouissance , quand les mets qu'il aime lui sont présentés.
On en voit qui se prononcent comme des gour- mets déjà exercés sur le mérite des vins, et qui les savourent en connaisseurs, ce qui fait sourire les uns et gémir les autres.
— 319 —
Quelquefois notre jeune séminariste ne se fait pas scrupule de violer la règle, en se procurant des aliments solides et liquides qu'il cache soi- gneusement dans sa cellule comme des articles de contrebande.
Parfois aussi il se fait un jeu de dépouiller les jardins des fruits qui les décorent, ajoutant la faute du larcin à celle de l'intempérance.
Est-il sans exemple (cela nous répugne à dire) que le séminariste qui se permet ce qui précède, se fasse un jeu, quand il est employé comme ser- vant au réfectoire, de prendre en cachette une partie des mets quil remporte de la table des directeurs ?
Nous savons qu'on n'attache à tout cela presque aucune importance, qu'on se vante même de ces tours d'adresse et qu'on en fait la matière de joyeux récits à des condisciples qui en rient peut-être, par respect humain, mais qui en gémissent en secret et qui, pour rien au monde, ne voudraient se les permettre. Sans examiner ces fautes sous tous les mauvais aspects qu'elles présentent, nous prierons seulement ceux qui les commettent de nous dire si, en sondant leurs dispositions inti- mes, ils ne sont pas forcés de reconnaître que tout cela procède d'un fonds d'immortification et de sensualité. Pour nous, nous n'avons pas, à cet égard, le plus léger doute, et nous craignons bien qu'un séminariste de cette trempe ne soit plus tard un prêtre fort peu sobre.
« J'ai toujours vu, nous disait un jour un digne et saint confrère, que ceux de mes anciens con- disciples qui sont devenus plus tard des prêtres
— 320 —
intempérants, se distinguaient au séminaire par de légers actes de sensualité. »
Mais que dirons-nous de notre jeune élève pen- dant les vacances? Au lieu de restreindre le nom- bre de ses visites, il les multiplie outre mesure, et s'attire par là des invitations fréquentes à des fes- tins prolongés, invitations qui lui sont trop agréa- bles pour qu'il y réponde jamais par un refus. Dans ces festins son immortification triomphe ; il n'a pas même la pensée de s'imposer une seule de ces privations si familières aux saints, et déjà, en fait de liqueurs fortes, il tient tête aux plus intré- pides. Son attitude, son air de satisfaction et quel- quefois les paroles vivement accentuées qu'il em- ploie pour faire l'éloge des mets qui lui plaisent ; tout annonce qu'il est dans son élément et que la sensualité est un de ses défauts. Dieu veuille même que ses anciens excès ne se reproduisent pas, et qu'en quittant la table sa raison soit toujours aussi saine qu'elle l'était en y prenant place !
Les parents de ce jeune ordinand s'aperçoivent eux-mêmes de sa délicatesse excessive en fait d'ali- ments. Se trouvant plus libre au milieu de sa fa- mille, il manifeste aussi plus librement ses goûts et ses répugnances à l'égard des mets qu'on lui sert. Au lieu de donner l'exemple de la mortifica- tion, il malédifie par les minutieuses recherches de sa sensualité.
Que de prêtres, hélas 1 aujourd'hui peu tempé- rants, l'étaient plus que le séminariste que nous venons de dépeindre, quand ils étaient sémina- ristes eux-mêmes ! Combien donc, jeune et tendre ami, ne devez-vous pas craindre d'être plus tard
— 32! —
ce que déjà peut-être vous commencez à être au- jourd'hui ! Si ce malheur arrive, voyons ce que vous serez dans un avenir prochain.
II
Devenu prêtre, vous aimerez la bonne chère, et soit chez vous, soit chez les autres, vous accueil- lerez un grand repas comme une bonne fortune.
Vous y assisterez avec un air d'enjouement et de satisfaction qui manifestera votre goût domi- nant pour le grossier plaisir de la sensualité sa- tisfaite.
Vous étalerez un luxe de table fort peu séant chez un ecclésiastique, et vous forcerez vos con- frères à user de représailles à votre égard, quand ils vous traiteront à leur tour.
Vous ferez un usage immodéré des aliments et surtout des liqueurs fortes, dont vous contracterez bientôt la dangereuse habitude.
Vous négligerez les pauvres pour satisfaire votre intempérance, et vous engloutirez dans votre ca- veau des sommes considérables qui soulageraient leurs misères.
Vous scandaliserez les peuples par votre assi- duité bien connue à des festins perpétuels, dont ils font si souvent la matière de leurs censures.
Vous sensualiserez votre âme en donnant à votre corps une abondance dont il souffrira lui-même, et vous prendrez place parmi ceux qui faisaient gémir le grand Apôtre quand il disait en pleurant : Midti amhulanty quos sœpè dicebam vobis (mine au- tem et flens dieo) inimieos erueis Christi : quorum
— 322 —
finis mteritus : quorum Deus venter est; et gloria in confusione ipsorum, qui terrena sapiunt.
Vous perdrez peu à peu et peut-être bien vite le goût de l'étude, de la piété et des choses de Dieu, n'ayant d'attrait que pour la vie des sens et vérifiant en votre personne cette sentence de saint Paul : Animalis homo non percipit ea qudd sunt Dei.
Les œuvres de zèle ne seront plus rien pour vous; l'esprit de dévouement et de sacrifice vous sera inconnu, et l'ensemble de votre ministère sera déplorable.
Yous serez peut-être par vos ivresses la risée des peuples : en apprenant vos désordres, les mé- chants triompheront, les bons gémiront, et vous tomberez dans le mépris universel, triste et iné- vitable parlage du prêtre intempérant.
Yous allumerez le feu de la volupté dans la ré- gion des passions, et vous couvrirez l'Église de deuil et de confusion par des chutes honteuses.
L'âge, qui amortit quelquefois certains vices, fortifiera chez vous celui de l'intempérance, et, vous aveuglant de plus en plus sur les péchés qu'elle vous fera commettre, vous arriverez jus- qu'au moment de la mort avec une conscience as- soupie qui ne se réveillera qu'aux pieds de votre juge dans l'éternité.
Et ne dites point que vous n'irez pas jusque-là, qu'un sentiment de pudeur saura bien vous re- tenir, et que vous éviterez certainement des abîmes dont la seule pensée vous pénètre aujourd'hui d'horreur et de dégoût. Que de prêtres intempé- rants ont tenu ce langage, et sont aujourd'hui ce qu'ils se promettaient de n'être jamais !
— 323 —
Cependant, direz-vous, plusieurs ne vont pas jusqu'au terme que vous venez d'assigner : s'ils ne sont pas aussi sobres qu'ils le devraient être, ils ne sont pas pour cela intempérants jusqu'au scandale. — Plusieurs ne vont pas jusqu'au der- nier terme, cela est vrai; mais quelques-uns y vont, comme l'expérience l'atteste ; et qui vous a dit que vous n'imiterez pas ceux-ci et que vous vous contenterez d'imiter ceux-là? D'ailleurs est-il donc besoin d'aller, sur ce point, jusqu'aux der- niers excès pour offenser Dieu? L'amour de la bonne chère, les festins fréquents, les copieuses libations, la perte du temps, le dégoût de la piété, *le renoncement au travail, les négligences dans le saint ministère, effets ordinaires d'une vie sen- suelle, ne suffisent-ils pas pour éteindre l'esprit ecclésiastique, scandaliser les fidèles et perdre les âmes dont le prêtre est, par état, le second ré- dempteur ?
Ne vous aveuglez pas, jeune et tendre ami, et au lieu de pallier le vice de l'intempérance, hâtez- vous plutôt de prévenir ses excès par l'emploi des remèdes qui vont vous 'être proposés.
III
— Un point essentiel et auquel on ne pense guère, c'est que la mortification du goût est abso- lument nécessaire pour quiconque entreprend de mener une vie sainte. Le séminariste, qui n'aspire à rien moins qu'à la sainteté sacerdotale, doit donc d'abord se bien pénétrer de la nécessité de mor- tifier son goût, se disant à lui-même : Je ne serai
— 324 —
jamais ce qiie Dieu veut que je sois, si je ne suis pas mortifié sur le point de la sensualité.
— Pour vous excHer à combattre votre exces- sive délicatesse à cet égard, vous ferez bien de vous appesantir sur cette considération, que tous les saints se sont appliqués sans relâche à mortifier leur goût, et qu'ils en venaient, avec le secours de Dieu, jusqu'à trouver un vrai sentiment de bonheur dans cette mortification. — Mon enfant y disait un jour saint Philippe de Néri à un de ses pénitents qui s'épargnait un peu trop sous ce rapport, si vous ne mortifiez pas votre cjoùt, vous ne serez jamais saint.
— Quand vous serez convaincu de ces vérités, vous devrez rentrer en vous-niéme et voir, par ce que nous avons dit des caractères de l'intempé- rance, s'il n'y en a pas quelques-uns qui vous conviennent. Si, malheureusement, vous avez fait autrefois certains excès à cet égard ; si surtout ils ont été un peu fréquents, ou si, à plus forte raison vous en aviez contracté Thabitude, vous devez en donner connaissance à votre confesseur du sémi- naire, suivre exactement les avis qu'il vous don- nera, et renoncer sans balancer à l'état ecclésias- tique s'il vous lordonne, ou si seulement il vous le conseille.
— Si, sans avoir jamais fait d'excès notables en cette matière, vous remarquez cependant un goût prononcé pour la bonne chère ; si vous aimez les festins, si vous êtes sensible à la délicatesse des mets, si vous les savourez avec un vif plaisir, soyez persuadé que vous avez un germe d'intempérance, et que si vous ne travaillez pas sérieusement à
— 335 —
rétoufïer pendant que vous êtes séminariste, il se développera de plus en plus lorsque vous serez prêtre.
— En vous rendant au réfectoire, rappelez-vous la présence de Dieu, dirigez et purifiez votre inten- tion, récitez très-attentivement le Beiiedicite, et immédiatement avant de commencer votre repas, rectifiez de nouveau votre intention et renoncez au plaisir sensuel que vous allez éprouver. Il est rare, disent les saints, qu'on prenne un repas sans y commettre plusieurs péchés véniels.
— Adoptez l'habitude de vous imposer quelques privations dans chacun de vos repas, faites-y tou- jours la part de la mortification, et tâchez de vous distraire de la satisfaction que les aliments vous procurent, par quelques pensées pieuses, par quel- ques élévations de votre cœur vers Dieu, et par une attention toute particulière à la lecture du réfec* toire.
— Ne manifestez jamais de mécontentement à l'égard des mets qui vous seront présentés, et n'en faites pas de pompeux éloges quand ils seront de votre goût. Tout cela n'est rien moins qu'édifiant, et annonce clairement que, chez vous, la sensua- lité est en règne.
— Ne contractez pas l'habitude du café, des liqueurs fortes, etc. Cela ne vous sera pas très- pénible à l'âge où vous êtes, et surtout après trois années de séminaire où ces choses sont interdites ; tandis que, plus tard, si vous en faisiez usage de bonne heure, vous n'auriez plus le courage de vous en passer. Lès pieux séminaristes craignant excessivement cette habitude, se privent absolu»
II. 19
■ ——' _ 326"^—
ment de ce qui vient d'être dit, et leur santé, aussi bien que leur àme, se trouve parfaitement de cette privation.
— Ne quittez point le séminaire sans avoir con- sulté tout spécialement votre directeur sur l'article si grave des festins. Priez-le de vous tracer lui- même votre conduite à cet égard, et tenez ferme aux saintes règles que son expérience et son zèle lui auront inspiré de vous prescrire.
— Habituez-vous à traiter un peu sévèrement votre corps. Tous ne ferez jamais aucun progrès marqué dans la piété, si la mortification corporelle est pour vous une vertu purement idéale et théo- rique. L'habitude de la mortification en général vous rendra la pratique de la sobriété beaucoup plus facile, et, pensez-y, jamais vous n'arriverez à la perfection si vous êtes sensuel. « Tous les saints, dit saint Léon, ont débuté dans la carrière de la sainteté pai' la mortification du goût. »
— Soyez sur vos gardes pendant les vacances. Elles sont, pour le séminariste, le reflet anticipé de sa vie sacerdotale. Si, par malheur, vous faisiez, pendant ce temps, quelque nouvel excès en fait d'in- tempérance, ne manquez pas d'en instruire votre confesseur du séminaire, qui doit prononcer bien- tôt sur le point si important de votre vocation. Ceci n'est pas un simple conseil, c'est une obligation rigoureuse à laquelle on croit quelquefois pouvoir se soustraire quand on s'est confessé de sa faute à son confesseur du monde. 11 peut se faire, sans doute, que cette faute ait été remise par l'absolu- tion que vous en avez reçue pendant les vacances ; mais votre confesseur du séminaire, avant devons
I
— 327 —
admettre aux saints ordres, a besoin de savoir s'il n'y a pas eu de votre part quelque rechute, à l'oc- casion d'un péché qui peut-être lui a déjà donné de sérieuses inquiétudes sur votre vocation.
— Pendant les vacances encore, fuyez les grands repas au lieu de les rechercher. Ne faites pas brèche au règlement que vous avez adopté ; et quand vous croirez pouvoir, sans l'enfreindre, assister à quelque dîner de cérémonie, édifiez par votre tem- pérance, imposez-vous quelque privation, et ne vous laissez pas entraîner par l'exemple de ceux qui se permettent ce que vous avez promis à Dieu de vous interdire.
— Enfm, si votre directeur n'y voit pas d'in- convénient, observez un jour de jeune par semaine, le vendredi, par exemple, en mémoire de la passion du divin Sauveur.
Avec ces précautions, jeune et tendre ami, vous conserverez intacte la vertu de tempérance, vous tiendrez vos passions en bride, et vous édifierez les peuples par la sobriété dont vous leur donnerez le salutaire exemple. (Voyez le Saint Prêtre, deuxième partie, eh. IX, page 231.)
CHAPITRE XV
Le séminariste cupide, intéressé, prédisposé à l'avarice. I
Voici encore un défaut dont le germe est à peine sensible chez les élèves des séminaires. Aussi plu-
— 328 —
sieurs penseront-ils, au premier abord, que nous aurions pu sans inconvénient nous dispenser de traiter cette matière. Nous ne sommes pas de cet avis. Il faut bien en convenir, le prêtre avare n'est point un être chimérique. Or, s'il y a des prêtres avares, et si, quand ils le sont, leur avarice se fortifie avec l'âge, comme l'expérience le démontre, n'est-il pas très-important pour le séminariste de savoir, au début de sa carrière, quels sont les premiers symptômes de ce vice, afin que, s'il les reconnaît en lui, il se hâte de remédier à un [mal qu'il serait trop tard de combattre quand il aurait envahi son âme ?
La mauvaise inclination du séminariste cupide a quelquefois pris naissance au sein de sa famille. Voyant chez ses parents une ardeur désordonnée pour les biens de la terre et peut-être même un intérêt sordide, il eut le malheur de partager leurs goûts terrestres.
Entendant à tout moment exalter les richesses et proclamer heureux ceux qui étaient dans l'opu- lence, il connut de bonne heure la valeur de l'ar- gent et il le considéra d'un œil d'envie.
Au lieu de dissiper ses modiques épargnes ou de les employer à soulager les pauvres, comme le faisaient ses jeunes camarades, il les gardait soi- gneusement et prenait un vif plaisir à grossir chaque jour son petit trésor.
Sans avoir aucun besoin d'acquérir, il demandait souvent quelques légères sommes à ses parents, non pas pour s'en servir, mais pour jouir du bon- heur de les posséder.
Peut-être n'était-il pas dans l'aisance, et alors il
— 320 —
ne craignait pas de faire connaître et d'exagérer même ses besoins, pour obtenir des riches quel- ques faveurs pécuniaires dont il pouvait rigou- reusement se passer.
Plus tard, il se demanda ce qu'il deviendrait : les préoccupations de la vocation se déclarèrent, et il lui sembla que l'état ecclésiastique lui pro- curerait à peu de frais une position avantageuse et assez lucrative.
Il espéra d'ailleurs que les âmes pieuses lui viendraient plus volontiers en aide, s'il se tournait vers le séminaire, que s'il embrassait une profes- sion séculière, et peut-être sa vocation eut-elle la cupidité pour premier principe.
Voila déjà de mauvais germes qu'on couvrira peut-être, mais qu'on étouffera difficilement dans le séminaire. Voyons, au reste, le séminariste sur ce nouveau théâtre.
Un vêtement décent lui serait nécessaire et il pourrait se le procurer; mais comme il n'a point confiance en Dieu pour ce qui regarde le temporel, et qu'il est à lui-même sa providence, il ne se pro- cure point le vêtement dont il a besoin, et son costume est plus que simple, c'est-à-dire sale et négligé.
Sa bibliothèque n'en est pas une : quelques livres absolument indispensables qu'il sollicita peut-être de ses bienfaiteurs quoiqu'il eût pu les acheter sans recourir aux largesses d'autrui ; voilà tout ce qu'il possède à cet égard. Certains ouvrages dont il con- naît le mérite et qui pourraient lui être fort utiles, excitent son envie ; mais , quelque faible qu'elle soit, il recule devant la légère somme qu'il fau-
— 330 —
drait débourser pour se les procurer, et il aime mieux se priver des précieux avantages qu'il en pourrait tirer, que d'entamer son petit pécule.
A la rigueur, il payerait bien la totalité de sa pension s'il le voulait ; mais, se persuadant tou- jours que le séminaire est riche, et se regardant lui-même comme pauvre, il implore des réductions aussi fortes que possible, il exagère sa pénurie, et il obtient des remises auxquelles, en conscience, il n'a peut-être pas droit.
Sa vocation est quelquefois assez équivoque à certains égards ; son attrait pour l'état ecclésiasti- que n'est pas très-vif; du moins ce n'est guère pour glorifier Dieu et sauver des âmes qu'il veut être prêtre: mais que faire? que devenir? où trouver une profession qui offre à si bon marché d'aussi grands avantages que celle à laquelle il aspire? Âh ! s'il en trouvait une aussi aisée à obtenir et aussi lucrative ou plus lucrative encore, son choix serait bientôt fait; mais comme il n'en voit aucune qui favorise comme celle-ci ses inclinations cupi- des, c'est elle qu'il embrasse.
A-t-ilà faire quelques achats indispensables? Il donne aux marchands des preuves évidentes de sa lésinerie en discutant le prix avec une ténacité qui les agace et qui lui attire des paroles humiliantes.
Demande- t-il quelques services à des ouvriers , à des domestiques, à des commissionnaii'es ? Au lieu de se montrer généreux, ou il ne leiir donne rien, ou il leur donne fort peu de chose bour les récompenser de leur peine, provoquant aii^si leurs murmures et encourant le honteux reproche d'in- térêt et de ladrerie.
— 331 —
Dans ses conversations, il révèle, sans s'en aper- cevoir , ses sentiments intimes. Ne considérant jamais les choses selon les lumières de la foi, mais toujours au point de vue de rintérêt, il s'extasie comme les enfants de la terre à la nouvelle qu'on lui aimonce qu'une personne du monde qu'il con- naît vient de recueillir un riche héritage ; il envie se- crètement son honheur, et, par la manière dont il en parle, il semble dire que s'il lui arrivait une pareille aubaine, il ferait bientôt ses adieux au séminaire.
Il s'exprime de même en apprenant l'élévation de quelque prêtre à un emploi mieux rétribué que celui qu'il occupait, et il laisse échapper ces mots inconvenants qui ravalent le sacerdoce : Quel bon vicariat I quelle bonne cure ! comme si les bonnes cures et les bons vicariats n'étaient pas ceux où l'on sauve plus sûrement son âme et celles de ses frères.
Si on lui propose deux œuvres à faire : l'une qui ne lui rapportera rien, l'autre qui lui rapportera quelque avantage temporel, il choisit sur-le-champ cette dernière, avant d'avoir même examiné laquelle procurera plus abondamment la gloire de Dieu et le bien du prochain.
En quittant le séminaire pour aller en vacances, il trouve l'occasion de manifester son défaut ; il a des discussions avec les conducteurs, les buralis- tes, les commissionnaires et autres gens de cette classe, ne comprenant pas qu'ilvautbeaucoup mieux sacrifier quelques pièces de monnaie, que de com- promettre l'honneur du corps ecclésiastique dont il est un membre.
Les pauvres l'importunent en vain ; il voit les
— 332 —
laïques visiter leurs tristes demeures, sans faire autre chose que les admirer.
Nul ne dit plus haut que lui que, dans la classe indigente, les bons pauvres sont très-rares, et les mauvais excessivement nombreux. De ce principe il tire la conséquence que les bons pauvres sont généralement assistés et que les mauvais ne mé- ritent pas de l'être : excellent moyen de ne s'in- quiéter ni des uns ni des autres !
En fait de pauvreté, il ne croit guère qu'à la sienne : du moins n'y a-t-il qu'elle qui le touche au vif.
Les œuvres de charité ne s'alimentent point aux , dépens de sa bourse ; il est, sur ce point, parci- monieux comme en toute autre chose, et si sa cu- pidité n'est pas publiquement connue, sa générosité l'est bien moins encore.
Bref, toujours joyeux quand il reçoit, toujours récalcitrant quand il faut qu'il donne, il pense à l'argent, il désire l'argent, il aime l'argent pour l'argent, et tout autre attachement n'occupe dans son estime qu'un rang secondaire.
Yoilà bien les préliminaires de l'avarice, si ce n'est pas déjà l'avarice elle-même. Voyons main- tenant où tout cela conduit.
II
Il serait difficile d'imaginer un spectacle plus hideux que celui qu'offre un prêtre adonné à l'a- varice, L'Esprit-Saint a prononcé une sentence qu'on trouverait sans doute exagérée dans notre bouche ; il a dit qu'il n'y a rien de plus criminel
— 333 —
que l'avare : Avaro nihil est scelestius... Nihil est iniquius qiiàm amorc pecuniam : hic Cfiim et animam suam venalem habet. (EccL, 10.) Yoilà comme s'ex- prime l'Esprit-Saint : qu'eùl-il dit s'il eût parlé du prêtre asservi à ce vice ?
Mais voyons jeune et bien-aimé lecteur, ce que vous serez dans le sacerdoce si, n'étant encore que séminariste, vous êtes déjà attaché à l'argent.
Vous aurez tout d'abord une tentation séduisante à subir, et ce sera l'argent lui-même qui la susci- tera. Voyant entre vos mains une somme plus considérable que toutes celles que vous aurez pal- pées jusque-là, votre cœur s'y attachera fortement ; vous vous trouverez heureux ; vous vous croirez presque riche, et sans l'exprimer positivement, ce que vous éprouverez voudra dire : Enfin, voilà de l'argent ! enfin je possède ce que je désirais ! Re- pose-toi, mon âme ; tu as bien acheté ton repos : Anima, habes multa bona posita hi annos plurimos, requiesce. Car, soyez-en bien sur, rien n'attache à l'argent comme la possession d'une somme un peu forte ; et l'expérience nous apprend que tel qui n'avait jamais donné aucun signe d'avarice, se sent épris de cette passion quand l'argent lui ar- rive avec une certaine abondance. Combien de gens s'écrient : Que de bonnes œuvres je ferais si j'é- tais riche, et n'en font aucune quand par hasard ils le deviennent !
Vous croyez, sans doute, qu'il en sera tout au- trement pour vous et que, vous trouvant au-dessus du besoin, vous ferez un bon emploi de votre su- perflu. C'est une illusion. Si, comme nous le sup- posons, vous portez depuis longtemps on vous- ^. 19.
— 334 —
même le mauvais germe de la cupidité, ce germe se développera tous les jours ; car, de sa nature, la cupidité est envahissante et insatiable, et elle vous dira sans cesse : Affer, affer. (Prov. 30.)
Vous commencerez par vous révéler à votre curé en discutant ]e prix de votre pension, que vous trouverez toujours trop élevé. Si vous obtenez une réduction, vous vous en réjouirez comme d'une vic- toire : Sicut qui invenit spolia midta. (Ps. 118.) Si votre curé tient ferme, vous murmurerez contre son obstination, et peut-être direz -vous, sinon à lui, du moins à quelque jeune confrère, qu'il spécule sur votre nourriture.
Vous vous montrerez très -exigeant aussi à lYo-id du casuel. Vous élèverez des prétentions absurdes qui produiront tout le contraire de ce que vous désirerez, et vous vous dédommagerez de votre échec par une froideur calculée, qui produira dans le presbytère une désunion très-nuisible aux fruits du ministère paroissial.
Comme au séminaire, vous continuerez de vous priver de ce qui ne vous sera pas absolument né- cessaire, sacrifiant l'utile sans pitié ni merci.
Vous vous refuserez des livres que tout bon prêtre se fait un devoir de posséder, et vous conten- tant, par esprit dïntérêt, de vos propres lumières, peut-être fort courtes, vous ferez des bévues dans la direction des âmes ou dans vos prédications et vos catéchismes, pour n'avoir pas voulu vous pro- curer certains ouvrages où vous auriez puisé de précieux enseignements.
Vous vous réduirez aussi à un excès de simpli- cité en fait d'habillement. On gémira, si l'on ne
— 335 —
rit pas, de votre costume : par mesure d'économie, vous supprimerez sans façon le rabat et la cein- ture, qui ne paraîtront tout au plus qu'au jour des grandes solennités ou des dîners d'apparat.
Vous exigerez avec rigueur ce qui vous sera dû, et, par compensation, peut-être ferez-vous atten- dre quelque temps à vos créanciers ce que vous leur devrez vous-même.
Yous confesserez des pauvres, vous les visiterez quand ils seront malades ; mais vous ne les assis- terez point, ou si vous le faites, ce sera avec l'ar- gent que des riches ou des âmes pieuses vous auront confié et non avec le vôtre. Yous les plain- drez dans leur détresse et vous leur direz quelques bonnes paroles dont ils ne vous sauront aucun gré, parce que vous ne leur donnerez que des paroles.
Vous verrez couler les larmes de l'indigent et vous n'en essuierez pas une seule, quoique vous ayez en réserve avec quoi en tarir des torrents.
Yous recevrez avec bonheur les cadeaux que vous feront vos pénitents, ce que les saints n'ap- prouvent guère ; et la joie que vous leur témoi- gnerez en ces circonstances leur dira suffisamment qu'ils seront bienvenus quand ils renouvelleront leurs offrandes.
Yous ne provoquerez point les entreprises de zèle ou de charité qui exigeront votre coopération pécuniaire ; et si d'autres les provoquent, vous vous bornerez à les appuyer par vos exhortations et vos conseils.
Yous ne participerez point ou vous participerez mesquinement aux bonnes œuvres dont votre évèque sera le promoteur, et peut-être même
— 336 —
refroidirez -vous la charité de vos confrères, en fai- sant devant eux la censure de ses œuvres.
Pendant tout ce temps-là, les mandats arriveront, le coffre se remplira, le cœur se collera de plus en plus à son idole, et la cupidité toujours avide continuera de vous dire : Affer, affer.
Devenu curé, le mal progressera au lieu de s'ar- rêter. Votre prédécesseur avait conquis peut-être le glorieux titre de père des pauvres ; il avait fondé des œuvres excellentes ; on le trouvait toujours quand il y avait quelque misère à soulager, quel- que service onéreux à rendre. Or, quand on vous verra marcher dans une voie tout opposée, on sera sans aucun doute frappé du contraste, et plusieurs, les pauvres surtout, diront en gémissant : Bon Dieu 1 qui nous rendra notre ancien pasteur ?
Exigeant, quand vous étiez vicaire, vous rirez des exigences de vos vicaires quand vous serez curé. Votre cupidité fixera le taux de leur pension, et réduira tant qu'elle pourra leur part au casuel.
Vous tiendrez votre maison avec une lésinerie qui sera bientôt connue et qui vous rendra la risée de vos paroissiens et de vos confrères.
Ne connaissant ni vos aumônes ni vos bonnes œuvres, personne n'attribuera votre économie à des vues charitables, et vous vous attirerez l'épi- thète injurieuse d'avare.
Votre église sera dans un dénûment pitoyable ; vos ornements, vos pales, vos linges d'autel seront vos accusateurs, et quand vous ouvrirez votre coffre, vous aurez la preuve que leurs accusations seront fondées.
Vous exigerez vos droits avec une ardeur tou-
— 337 —
jours croissante : pas de remises, pas de délais, pas d'égards pour les supplications dont vous serez importuné : Justice, justice, voilà la grande auto- rité que vous invoquerez.
Vos parents eux-mêmes, dans le besoin peut- être, se plaindront de votre dureté, et comme ils sauront qu'il vous serait très-aisé de les assister, leur mécontentement éclatera et vous sera plus nuisible encore que tout le reste.
Votre zèle sera froid comme votre cœur, et votre coeur sera froid comme votre argent; car quand a-t-on vu l'avare embrasé des ardeurs du zèle ? les Apôtres, les Bernard, les Xavier, les Vincent Ferrier n'étaient pas des avares.
Votre piété rivalisera de sécheresse avec votre zèle ; ^'encens de vos froides prières s'abaissera vers votre idole au lieu de s'élever vers Dieu, et vous ne goûterez ni les joies du cœur que la cupi- dité ne donne jamais, ni les joies de l'àme dont vous serez indigne.
Vous serez tellement aveuglé sur votre triste état et vous trouverez votre amour de l'argent si peu blâmable, que vous ne direz pas même à votre directeur ce que vous devriez lui déclarer avant toute chose.
La vieillesse, si vous arrivez jusqu'à elle, forti- fiera votre passion au lieu de l'affaiblir, comme cela se voit tous les jours, et la plaie de votre âme deviendra totalement incurable.
Enfui la mort, qui ne manque jamais de frapper son coup à l'heure fixée par le maître, vous re- tranchera du nombre des vivants et vous jettera les mains vides aux pieds du Dieu de la charité,
— 338 —
dont vous aurez toute votre vie méconnu les leçons et les exemples. Et alors on verra se produire les fruits honteux de votre cupidité sans entrailles : et alors le scandale sera consommé; et alors TÉglise sera désolée, les méchants triompheront, et les bons diront en soupirant : Ecce homo qui non po- siiit Dewn adjutoreni suiun, sed speravit in multi- tudine divitiarum suarum !
Or, pensez-y, jeune ami, tout cela viendra non comme le lion qui s'annonce par des rugissements, mais comme le serpent qui rampe sans bruit dans les herbes ; tout cela viendra par degrés insensi- bles, et-non par un de ces éclats de passion qui ne permettent pas à celui qu'ils atteignent de s'en- dormir sous la foudre. Arrêtez-vous donc au début pendant que la lumière luit encore à vos yeux, et après avoir mesuré la profondeur du goutfre, recou- rez à tout prix aux moyens de l'éviter.
III
— Sondez-vous bien d'abord pour voir si vous avez quelque penchant à la cupidité. Revoyez pour cela et méditez en face de votre conscience la pre- mière partie de ce chapitre, article par article.
— Si vous découvrez au fond de votre cœur quelque petite racine du vice que nous coml)attons, ne la regardez pas comme insignifiante, car c'est toujours par ces faibles racines que la cupidité s'étend et se fortifie.
— Ne vous rassurez pas non plus sur ce que vous menez une conduite pieuse et irréprochable, quoique vous sentiez en vous une attache un peu
— 339 —
forte aux biens de la terre; car Tavarice, à la dif- férence de plusieurs autres passions, tolère une certaine piété et s'allie même avec elle, comme si, par là, elle voulait aveugler d'autant mieux son esclave.
— Pour vous exciter au combat, pénétrez-vous bien de cette vérité, qu'un prêtre avare est en abomination aux yeux de Dieu et des hommes, que ses travaux sont frappés de stérilité, que les pau- vres sont ses accusateurs publics, et qu'après avoir mené sur la terre une vie misérable et dénuée de toute consolation, sa mémoire est maudite et sa réprobation consommée. Passio omnium pessima, dit saint Jean Chrysostôme en parlant de l'avarice, incurabilis morbus.
— Pesez cette sentence de saint Paul : Radix omnium malorum est cupiditas, et ces paroles de Jésus-Christ même : Videte, cavete ah omni avari- tiâ; paroles imposantes dont saint Augustin fait ressortir la force en disant : Non est lemter habcn- dum, quando Dominus noster dicit : Cavete.
— Méditez encore sur l'exemple de Judas; cet exemple doit nous faire frémir. Rien n'annonce qu'il fût avare quand Jésus-Christ en fit son apô- tre ; mais il est probable qu'il avait déjà au fond du cœur quelques dispositions au vice affreux qui, selon l'expression du pieux Tronson, « le fit tomber » dans l'oubli de son Créateur ; de cet oubli dans la » trahison de son Maitre ; de cette trahison dans » une mort épouvantable, et de cette mort dans » le plus profond des enfers. »
— Prenez garde de vous tranquilliser en vous disant que voik n'en viendrez jamais jusqu'au
- S40 —
m
dernier degré de l'avarice ; vous ne pouvez pas savoir jusqu'où vous irez, et vous devez croire que vous irez loin, si vous n'étouffez pas dès le principe les premiers germes de cette passion. Sachez au reste que, sans aller jusqu'au dernier terme, vous commettrez bien des fautes ; vous paralyserez votre ministère, vous renoncerez à plusieurs bonnes œuvres, vous laisserez les pau- vres dans la désolation, et vous passerez pour un prêtre peu charitable et peu zélé.
— Pour vous soustraire à ces graves dangers, dites-vous fermement à vous-même : mon parti est pris ; je veux être un prêtre généreux, charitable et désintéressé; je veux détacher complètement mon coeur des faux biens de la terre pour lesquels il n'est point fait.
— Commencez sans délai à réaliser ces bonnes pensées : vous avez jusqu'ici reculé devant une dépense sinon absolument nécessaire, du moins très-utile ; faites cette dépense, et opposez la con- fiance en Dieu aux vives réclamations de la cupi- dité. Achetez ce vêtement, procurez-vous tel ou tel objet dont vous vous êtes privé jusqu'à ce moment par une parcimonie excessive.
— Quand vous pourrez être généreux sans im- prudence notable, soyez généreux : que votre bourse soit autant celle des pauvres que la vôtre. Jamais l'aumône n'appauvrit celui qui la fait ; don- nez, donnez largement aux membres souffrants de Jésus-Christ. Chaque pièce de monnaie que vous leur offrirez affaiblira dans votre cœur le froid égoïsme et y étendra celui de la charité.
Imaginez des bonnes œuvres ; conférez-en avec
— 341 —
vos condisciples; avisez déjà tous ensemble aux moyens de les exécuter plus tard ; faites quelques avances généreuses pour exciter les autres à faire de même.
— N'imitez pas ceux qui n'ont jamais de mon- naie sur eux, comme pour pouvoir dire aux pau- vres qu'ils n'ont rien à leur donner ; bien différents, en ce point, de plusieurs saints qui s'étaient en- gagés à faire toujours quelque aumône aux men- diants qu'ils pourraient rencontrer.
— Soyez libéral envers les domestiques ou autres gens de cette classe qui vous rendront quel- que service. Ne provoquez pas leurs murmures par la modicité de vos dons, et n'accréditez pas le reproche qu'ils font aux ecclésiastiques d'être moins généreux que les séculiers.
— Humiliez-vous devant Dieu quand vous sen- tirez un vif mouvement de joie en recevant quel- que somme, et, pour vous en punir, donnez à la première occasion une partie de cette somme en aumône.
— Humiliez-vous encore si, quand vous vous résoudrez à débourser, vous éprouverez un senti- ment de répugnance : pour le vaincre, ce sentiment, ajoutez quelque chose à ce que vous vouliez don- ner déjà.
— Si vous demandez ce qui vous est dû, faites- le avec douceur et jamais sur le ton de l'exigence et de l'autorité. Laissez voir en ces circonstances qu'il vous coûte autant de demander, qu'à vos dé- biteurs de payer.
— Jamais de discussions vives sur les questions d'intérêt, surtout avec les marchands, les ouvriers
— 342 —
elles conducteurs de voitures. Il y a des ecclé- siastiques qui font preuve de cupidité en ces oc- casions ; ils compromettent la dignité de leur profession et ne se montrent guère dociles à la re- commandation de leur divin Maître, qui disait à ses disciples : Si Ton discute avec vous pour ob- tenir votre tunique, donnez et votre tunique, et même votre manteau : Qui vult tecum judicio con- tendere, et tunicam tuam tôlière^ dimitte ei et pal- lium (Matth. 5.)
— Soyez coulant en affaires fmancières ; sachez faire des sacrifices pour le bien de la paix et pour rédification. Dans les discussions de famille, mon- trez-vous généreux et faites voir que c'est réelle- ment Dieu et non point les faux biens de la terre que vous avez choisi pour votre héritage quand vous avez dit aux pieds de votre évêque : Dominus pars hœreditatis mese et calicis met.
— N'amassez jamais : les bons ecclésiastiques tremblent quand ils ont devant eux une somme un peu forte, xiu lieu de s'en réjouir, ils en sont en quelque sorte confus : ils ne doivent rien, mais ils possèdent fort peu de chose. Moins vous posséde- rez, moins vous tiendrez au peu que vous aurez ; et, au contraire, plus vous verrez votre cofiFre garni, plus vous prendrez plaisir à le garnir mieux encore.
— Enfin, faites provision non pas d'argent, mais des divines sentences qui vous apprennent à le mépriser : Beati pauperes. — Vdd vobis diviti- bus. — Filius hominis non habet ubi caput reclinet. — Vade, vende quœ habes, et da pauperibuh . . . et veni, sequere me. — Dives difficile intrabit in re-
— 343 —
giium cœlorum. — Mordais est et dives, et scpidtns est in in fer no... etc.
Voilà les paroles du Maître ; tout ce qui les contredit doit vous inspirer une vive horreur. Puis- que vous voulez être prêtre, n'oubliez jamais que vous ne sauverez d'âmes qu'autant que vous serez charitable et désintéressé, selon cette belle maxime du P. Yaluy : « Le prêtre qui donne le plus est » presque toujours aussi celui qui convertit le » plus. »
(Voyez Pratique du zélé ecclésiastique, première partie, ch. VII, page 80.)
CHAPITRE XVI
Le séminariste d'un mauvais caractère. I
Nous réunissons dans un même chapitre divers défauts dont l'ensemble fait dire de celui qui y est habituellement sujet, qu'il a im mauvais caractère, un caractère insupportable.
Comme nous avons tous plus ou moins souffert, par suite de notre contact avec des personnes d'un commerce difficile , nous devons aisément com- prendre de quelle importance il est de corriger en nous ce qui nous a si souvent choqué chez les autres.
Mais ce qui doit nous déterminer plus particuliè- rement encore à réformer notre caractère, c'est la
— 344 —
pensée de notre sainte vocation. Puisque nous devons être, comme prêtres, les modèles et la forme des peuples, forma et exemplum, selon la parole du grand Apôtre ; et puisque, d'un autre côté, les mauvais caractères ne sont tels que parce qu'ils blessent à chaque instant quelque vertu, nous devons donc travailler de bonne heure à vaincre les défauts qui indisposent le prochain contre nous. Enfin, ce qui doit nous exciter encore à entrepren- dre cette réforme, c'est la considération des maux que produit dans une paroisse le mauvais caractère des pasteurs qui la gouvernent. Presque toujours c'est de là que proviennent les conflits, les luttes et les divisions qui ruinent le ministère. Rempla- cez les prêtres arrogants , susceptibles , jaloux, dominateurs et brouillons, par des prêtres d'un caractère doux, conciliant, prévenant et aimable, à l'instant même vous verrez le calme succéder aux tempêtes.
Voyons donc où nous en sommes sur ce point si important.
De même que, dès la première entrevue, on devine un bon caractère et l'on s'attache à celui qui en est doué ; de même aussi le mauvais caractère s'annonce tout d'abord pour ce qu'il est, et produit dans les esprits une impression pénible.
Le séminariste qui a ce mauvais caractère est quelquefois fier, hautain, dédaigneux ; il affecte un air de suffisance et de supériorité avec ses égaux; il les écoute à peine et semble dire par ses maniè- res et par son langage que la science, la raison et le bons sens ont élu domicile dans sa tête et ne logent que là.
— 345 —
Dès qu'il avance une chose, il veut être cru , il veut même être applaudi. Si quelque condisciple ose le contredire, il lui répond d'abord par un sou- rire sardonique, puis par une parole railleuse, puis enfm par un exposé magistral de raisons qui ne sont pas toujours raisonnables, Si son interlocu- teur, se croyant dans le vrai et excité d'ailleurs par l'air de domination de son adversaire, soutient son premier dire, la discussion s'échauffe, le débat s'envenime et, sans aucun profit pour la vérité, les deux champions se retirent avec un fonds d'ai- greur et de mécontentement dont la charité se tient justement offensée.
Le séminariste qui a un mauvais caractère est sou- vent pointilleux, ergoteur et porté par nature à la contradiction. Comme il se croit assez de talent (car il s'en croit beaucoup) pour soutenir avec honneur une cause quelconque, il conteste tout ce qui se dit, il combat toutes lespropositions qu'on avance, par cela seul qu'on les avance ; il dit qu'il fait nuit parce qu'on a dit qu'il faisait jour, comme il eut dit qu'il faisait jour si l'on eut commencé par dire qu'il faisait nuit. Quand on se voit toujours systématiquement contredit de la sorte, on cesse d'insister, par amour de la paix, mais on se promet tout bas de ne plus fréquenter un condisciple si agaçant.
Quelquefois il est taquin, mordant, railleur ; et autant il se plaît à lancer les traits du ridicule contre les autres, sans permettre qu'ils le trouvent mauvais, autant il se montre piqué si l'on a la har- diesse de l'attaquer lui-même : il se croit invio- lable et il prétend que son inviolabilité soit con- stamment respectée.
— 346 —
Il n'use de condescendance avec personne, et, plaçant son honneur bien au-dessus de la charité, il élève le premier sur les débris de la seconde. Du reste, comme tout lui est dû, il ne trouve jamais que Ton condescende à ses opinions et à ses goûts autant qu'il le désire, et si parfois on le fait, il n'en sait aucun gré et semble vouloir que tous disent : Quod dehuimus facere, fecimus; se?wi mutiles sumus.
Il est excessivement susceptible, et si l'on n'est pas continuellement sur ses gardes pour éviter de froisser sa sensibilité, il s'irrite pour un mot, pour un sourire, pour un geste inoffensif, du moins dans Tintention de celui qui se le permet. Souvent même, malgré toutes les précautions de la dou- ceur et de la charité, on le blesse sans savoir en aucune façon ce qui a pu le blesser. On cherche, on cherche encore la cause du mécontentement qu'il fait paraître ; lui seul la connaît, et il s'abs- tient de la révéler quoiqu'on lui fasse à cet égard les plus vives instances.
De là aux airs boudeurs et aux chagrins con- centrés il n'y a qu'un pas, et ce pas, il l'a bientôt franchi. Pas la moindre cordialité, pas le moindre épanchement : retiré dans sa solitude comme l'oi- seau de la nuit dans sa sombre demeure, tanquàm nycticorax in domicilia, il ne fait rien, il ne dit rien : il boude; il jouit, dans sa tristesse, du plaisir de faire voir quil est mécontent. Dans le monde on rirait de sa momerie et, selon l'expression vul- gaire, on renverrait promener; mais dans un sémi- naire, la charité se contente de gémir et de plaindre celui qui souffre et fait souffrir les autres par son mauvais caractère.
— 347 —
La dissimulation est quelquefois encore un des traits qui le distinguent. Enveloppé dans un per- pétuel mystère, il ne laisse paraître que ce qu'il ne peut cacher, et le peu qu'il révèle n'inspire jamais qu'une demi-confiance. Les jeunes gens, pour l'or- dinaire naturellement ouverts, s'isolent d'un con- disciple qui, en retour de leurs épanchements, ne les honore jamais d'une aimable réciprocité.
Les brusqueries, les vivacités et même les colères lui sont assez familières. Incivil, grossier et mal élevé, il se fâche pour des niaiseries et passe des semaines et des mois entiers dans ses ressentiments et ses rancunes.
L'inégalité dans le caractère est souvent encore un des traits qui le distinguent. Plus gai que per- sonne aujourd'hui , il sera demain , sans cause connue, dans un état de mutisme et de sombre rêverie d'où ne pourront l'arracher ses amis les plus intimes.
La complaisance, qui fait le charme des réunions, lui est étrangère. Un mot aimable, une prévenance délicate, l'offre d'un service en certaines occasions, gagnent les cœurs et provoquent tout naturelle- ment de douces représailles. Ceci est vrai pour les autres; mais pour lui tout cela n'a aucun attrait : nature disgraciée, la rudesse des formes et l'aigreur du fond semblent seules lui convenir.
Acceptera-t-il de temps en temps quelques con- seils sinon avec reconnaissance, du moins sans se fâcher? Non vraiment; essayez plutôt et vous ver- rez s'il ne reçoit pas vos charitables avis de manière à vous empêcher de lui rendre une autre fois cet important service.
— 348 —
Enfin pour couronner ce tableau déjà bien rem- bruni, ajoutons que ce séminariste annonce par son extérieur même ce qu'il est au fond. Quoique les apparences soient quelquefois trompeuses, cepen- dant tout le monde sait que très-souvent les ama- bilités de l'intérieur se révèlent par l'enveloppe. Qui n'a pas été subitement gagné par un doux re- gard, par une parole plus douce encore, par un aimable sourire, par un visage gracieux et ouvert? Avant même de connaître celui qui possédait ces qualités extérieures, n'avons-nous pas dit cent fois qu'il nous séduisait par ses manières attrayantes, et que nous serions heureux de l'avoir pour ami ? Malheureusement il n'en est pas ainsi du sémina- riste qui a un mauvais caractère. Dès le premier jour, comme nous l'avons dit plus haut, on se sent indisposé contre lui. Son regard peu préve- nant, sa parole sèche et impérieuse, ses airs fiers et tranchants, sa personne toute entière sans grâce, sans modestie, sans aménité, dépourvue en un mot de tout ce qui attire et empreinte de tout ce qui rebute ; n'est-ce pas ce qui se remarque ordinaire- ment chez le séminariste dont nous venons de crayonner le portrait ?
Ne croyons pas qu'il n'y ait de mauvais carac- tères que ceux qui réunissent les divers traits que nous venons de signaler. Un seul de ces traits, bien prononcé, suffit pour nous empêcher d'être aimables et pour faire dire de nous que nous avons un caractère difficile et même quelquefois insup- portable.
Déjà sans doute le séminariste qui a un mau- vais caractère doit, par ce qui vient d'être dit,
— 349 —
comprendre la nécessité où il est de se réformer ; mais il la comprendra bien mieux encore lorsque nous lui aurons fait voir les mauvais effets que produiront ces défauts de caractère, s'il les porte avec lui dans les saintes fonctions du sacerdoce.
II
Ces effets sont si multipliés et de nature si di- verse, qu'il n'est pas possible de les énumérer avec exactitude. Essayons du moins de faire ressortir les principaux, et ceux surtout qui mettent le plus d'obstacles à la sainteté sacerdotale et aux fruits du divin ministère.
Si vous avez un mauvais caractère, et si vous sortez du séminaire sans l'avoir dompté et réformé, vous pouvez vous attendre à une longue série de mécomptes, de peines, d'ennuis, de dégoûts, d'hu- miliations et de misères de toute espèce, qui se reproduiront à chaque instant et ne vous laisseront pas un seul jour de doux repos et de plein conten- tement. Mais venons au détail.
Si vous êtes appelé à exercer les fonctions de vicaire dans une paroisse, votre caractère difficile se manifestera dès les premiers jours. Peut-être même y sera-t-il connu avant votre installation au presbytère ; car il se trouve toujours des gens of- ficieux, charitables à leur manière, qui s'empres • sent de révéler à un curé les défauts du vicaire qu'on lui destine. Du reste, vous vous ferez ass«" connaître par vous-même, car le mauvais caracto^e ne tarde jamais à se produire.
La première entrevue que vous aurez avec votre H. 20
— 350 —
curé sera, nous le supposons, irréprochable. Des deux côtés vous serez en état d'observation et nul froissement n'aura lieu : c'est fort bien. Mais un jour de contrainte n'est pas une réforme radicale et durable. Quand viendront les explications, les conditions, les oppositions, les contestations, les récriminations et peut-être les petites vexations, c'est alors que votre mauvais caractère, comprimé le premier jour, éclatera le second et sonnera la charge comme signal du combat.
A partir de ce jour, notez bien que vous n'aurez plus en la personne de votre curé un ami cordial, prévenant et dévoué. Du moment que vous aurez arboré votre étendard, il vous regardera bien moins comme un coadjuteur que comme un fardeau, dont il lui tardera d'être débarrassé. De votre côté, les malignes influences de votre caractère vous feront considérer votre curé comme un homme intraitable ; et les choses étant si bien disposées pour amener des conflits, comment voulez-vous que chaque jour il ne s'en présente pas quelque nouvelle occasion?
Votre curé, par exemple, vous tracera dès le principe le cercle de vos attributions, et vous trou- verez ce cercle ou trop étendu ou trop resserré. Un vicaire, doué d'un bon caractère et aidé d'une piété solide, accepterait sans manifester de répugnance et même avec un air de satisfaction ce qui lui serait offert ; mais vous qui n'aurez ni son caractère ni sa piété, vous réclamerez, vous discuterez, vous mur- murerez, et vous mécontenterez votre curé sans obtenir de lui la moindre concession.
Vous ferez peut-être de temps en temps quelques fautes, quelques imprudences ; vous négligerez quel-
— 351 —
ques-unes de vos obligations ; vous vous permettrez des visites ou des courses fréquentes aux dépens de votre ministère ; et votre curé croira devoir en conscience vous donner quelques sages conseils, pour arrêter au début un mal qui pourrait faire de tristes progrès. Un vicaire doué dun bon caractère témoignerait aussitôt sa reconnaissance au pieux curé qui lui donnerait ces paternels avis ; mais vous qui n'aurez point ce bon caractère, vous fron- cerez le sourcil quand on s'avisera de vous donner des leçons de sagesse, et vous ferez entendre, si vous ne le dites pas formellement, que vous savez ce que vous avez à faire et que vous êtes en état de vous conduire seul.
L'occasion se présentera sans doute de rendre quelques services à votre curé : sans qu'il vous en coûtât beaucoup, vous pourriez l'aider, vous pour- riez le décharger de certaines corvées ou lui en faire au moins la proposition. Un vicaire doué d'un bon caractère serait heureux de se montrer com- plaisant et aimable en ces circonstances ; mais vous qui n'entendrez rien à ce qui s'appelle prévenance, attentions, complaisance, vous n'aurez nul égard à l'embarras de votre curé, et vous ne ferez rienpour alléger sa charge.
Vous saurez qu'il n'aime pas qu'on le contredise quand il a cru devoir adopter une mesure ou embrasser une opinion : vous aurez appris , par expérience, que, dans ces occasions, l'opposition l'irrite au lieu sans le convaincre. Un vicaire doué d'un bon caractère dissimulerait alors ses vues personnelles et se garderait bien d'échafauder une discussion en pure perte ; mais vous qui ne parta-
— 3o2 —
gérez point la manière de voir de votre curé, et qui ne pourrez souffrir non plus la contradiction, vous argumenterez contre lui avec une chaleur agaçante et vous l'indisposerez contre vous sans lui faire rien rabattre de ses prétentions.
Vous le verrez quelquefois sombre, rêveur ou même très-froid à votre égard , sans que vous puissiez savoir la cause de cette froideur. Un vicaire doué d'un bon caractère n'aurait pas l'air de s'a- percevoir des manières sèches et froides de son curé, et saisirait la première occasion de lui être agréable pour regagner ses bonnes grâces ; mais vous qui ne tiendrez nullement à son affection, vous lui rendrez froideur pour froideur et vous aigrirez la plaie au lieu de la guérir.
Il aura certaines habitudes qui ne cadreront pas avec les vôtres et auxqelles il tiendra beaucoup. Un vicaire doué d'un bon caractère, sans adopter ces habitudes si elles n'étaient pas convenables, modifierait du moins les siennes propres pour éviter des froissements : mais vous qui tiendrez à vos habitudes plus fortement encore que votre curé ne tiendra aux siennes, vous ne lui ferez à cet égard aucun sacrifice, vous vous attirerez de vifs reproches et vous encourrez sa disgrâce.
Enfin, tantôt pour une cause, tantôt pour une autre, vous serez dans un état perpétuel de malaise et d'irritation. Votre mauvais caractère ne permet- tra pas que vous transigiez avec un mot, avec un geste, avec un procédé tant soit peu équivoque, au fond duquel vous voudrez toujours voir quelque chose de blessant. Pas dépanchement, pas de cor- dialité, pas de prévenance, pas de services mutuels :
— 3S3 —
état habituel et permanent de tiraillement, de més- intelligence, d'aigreur concentrée, et, par suite nécessaire , absence complète d'harmonie entre deux hommes qui, sans cette harmonie, ne pour- ront jamais exercer un ministère fructueux dans la paroisse.
Mais combien tout ce qui vient d'être dit ne s'ag- gravera-t-il pas, si le curé lui-même est aussi mal partagé que son vicaire sous le rapport du carac- tère? Xe s'accordant presque sur aucun point, et ni l'un ni l'autre ne voulant faire de concession, conçoit-on la vie pénible qu'ils mèneront tous les deux? L'un sera gai par caractère, l'autre sera sombre par nature ; l'un sera prompt et actif, l'au- tre sera lâche, mou et d'une lenteur excessive; l'un approuvera une œuvre de ministère, l'autre lui refusera son concours; l'un se plaindra, l'autre rira de ses plaintes, et la paix sera bannie du pres- bytère, et l'on colportera ses mécontentements dans la paroisse, et les coteries se formeront, et l'édification sera détruite, et le ministère sera en souffrance, et le divorce entre deux prêtres qui devaient donner plus que personne l'exemple de la concorde, sera généralement reconnu nécessaire. D'où viendront tous ces maux et même ces scan- dales ? Reconnaissez-le, jeune et tendre ami, ils viendront certainement de votre mauvais caractère, dont vous aurez considéré la réforme comme peu importante pendant les jours de votre séminaire.
Et ne croyez pas que, devenu curé vous-même,
votre caractère indompté cessera d'être un obstacle
au bien : c'est tout le contraire qui aura lieu.
Placé plus haut, vous n'en serez que mieux observé :
II. 20g
— 354 —
chargé de la responsabilité du ministère, toutes les fautes que votre caractère vous fera commettre vous seront imputables : redevable à tous et continuelle- ment en rapport avec les membres de votre trou- peau, vous trouverez à chaque instant l'occasion de faire éclater les défauts qui seront en vous.
Vous effrayerez vos vicaires avant même qu'ils aient pris possession de leur vicariat, et dès le pre- mier jour ils verront qu'on vous aura dépeint à leurs yeux tel que vous serez en effet.
Vos confrères voisins critiqueront votre carac- tère vif, impétueux, susceptible, jaloux, caustique, etc. Peu disposé à les obliger, vous les forcerez de se t^nir dans l'isolement à votre égard, et vous vous priverez par là des services qu'ils pourraient vous rendre en bien des circonstances.
Vos paroissiens souffriront comme vos confrères de votre caractère difficile. A la moindre opposition vous les scandaliserez par votre âpreté, au lieu de les gagner par votre douceur.
Le maire, Tinstituteur, les personnages influents dans la paroisse, tous, en un mot, tantôt un jour, tantôt un autre, souffriront de votre manière d'agir. Nul ne vous aimera parce que l'amabilité vous fera défaut.
Dans la chaire même, vous ferez des sorties qui vous peindront au naturel, et jusqu'au saint tribu- nal vous fermerez la bouche, par vos paroles sèches et grondeuses, à de pauvres pénitents qui auraient besoin d'exhortations paternelles pour se résoudre à déclarer leurs misères.
Croyez-nous, jeune ami, c'est l'expérience qui s'exprime par notre organe ; tout ce que nous
— 355 —
venons de vous dire et mille autres choses que nous pourrions vous dire encore, tout cela sera la conséquence infaillible de votre mauvais caractère, si vous ne travaillez pas sérieusement à le corriger par l'emploi des moyens suivants.
m
— Le point fondamental pour opérer cette ré- forme, c'est de se bien connaître. Comment com- battre un défaut, comment s'en corriger, si l'on est convaincu qu'on n'y est pas sujet? 11 faut donc que vous fassiez d'abord une recherche exacte, et même une étude sérieuse et approfondie de tous les dé- fauts de votre caractère. Quelques-uns sans doute sont faciles à saisir : la vivacité, l'esprit de critique, l'inégalité d'humeur et plusieurs autres encore sont si patents et si fréquemment produits, qu'il est impossible qu'on ne les reconnaisse pas en soi, si l'on en a contracté l'habitude. Mais il en est de plus cachés dont on veut absolument se croire exempt quoique réellement on les possède. L'homme sus- ceptible, par exemple, soutient presque toujours qu'il ne l'est pas, et cependant sa susceptibilité fait souffrir à chaque instant ceux qui sont en contact avec lui. Très-souvent aussi on a des défauts ; tout le monde les connaît et on les connaît soi- même ; mais on les excuse si bien qu'on leur ôte en quelque sorte, du moins à ses propres yeux, leur caractère de défaut. Ainsi, par exemple, on est sujet à des vivacités ; mais on dit que ces viva- cités sont légitimées par les fautes du prochain que l'on doit réprimer; on est sombre et boudeur ; mais
— 356 —
on dit que c'est pour faire sentir aux autres qu'ils ont mal fait et pour les faire rentrer dans le devoir quand ils s'en sont écartés. Au milieu de tout cela on doit voir combien il est aisé de s'aveugler, et combien on a besoin de s'étudier à fond pour se déterminer à une réforme qui répugne toujours à la nature.
— Cet aveuglement étant très-ordinaire, vous ne devez pas, si vous avez un vrai désir de vous corriger, vous contenter de vos propres lumières. Allez donc trouver vos supérieurs et quelques-uns de vos condisciples, et priez-les instamment de vous dire sans le moindre déguisement tout ce qu'ils remarquent de répréhensible dans votre caractère. Quand ils vous l'auront dit, ne vous excusez pas, remercier-les de leur franchise et suppliez-les de continuer de vous rendre le même service. Nul ne connaît mieux nos défauts que ceux avec qui nous sommes habituellement en rapport ; rien ne leur échappe à cet égard : ce que nous ne voyons pas, ils le voient très-clairement, et cela se conçoit : quand notre mauvais caractère nous fait commettre quelque faute, nous n'en souffrons pas, nous, car alors nous suivons une inclination natu- relle ; mais il n'en est pas ainsi du prochain ; nos défauts lui sont à charge, ils le blessent souvent, et voilà pourquoi il les connaît si bien. C'est donc lui qui vous révélera ce qu'il vous importe si fort de découvrir.
— La prière, les inspirations d'une piété solide et éclairée, les examens fréquents et bien faits de votre conscience, la vigilance attentive sur vous- même et sur tous vos actes extérieurs, vous aide-
— 357 —
ront puissamment encore à connaître les défauts de votre caractère. Les saints, à la lumière de leur sainteté, voyaient en eux les imperfections les plus légères ; ils apercevaient même des taches qui échappaient à tout le monde : tendez comme eux à la sainteté, et comme eux aussi vous découvrirez vos secrètes misères.
— Quand vous connaîtrez vos défauts, deman- dez-vous sérieusement si vous voulez vous en cor- riger. Sans cette volonté fortement arrêtée, jamais vous ne remporterez une victoire décisive. Rien n'est énergique comme la volonté de l'homme quand elle est sincère et constamment exercée. Mais, pensez-y, il lui faut ces deux qualités ; autre- ment elle ne produit aucun effet : si elle n'est pas sincère, elle vous trompe ; vous croyez vouloir, et par le fait vous ne voulez point. Ce n'est plus une volonté, c'est une velléité. Si elle n'est pas constante, elle arrête de temps en temps un acte mauvais, mais elle ne détruit jamais radicalement un défaut. Yous voudrez aujourd'hui, vous ne voudrez plus demain ; vous voudrez pendant un accès de ferveur, vous ne voudrez plus quand l'accès sera passé. Que d'illusions sur ce point ! que de gens disent : Nous voulons, et agissent absolument comme ceux qui disent : Nous ne voulons pas.
— Mais supposons que votre volonté est telle qu'elle doit être, que devez vous faire pour en assu- rer l'exécution, relativement à la destruction de vos défauts ? Yous devez la stimuler, la fortifier à chaque instant par des réflexions solides et par des actes en rapport avec ces réflexions. Si vous ne faites pas cela, vous retomberez tout naturellement
— 358 —
dans votre état de mollesse et de lâcheté ; vous ferez de nouvelles chutes et vous direz comme ceux qui perdent courage : C'est plus fort que moi, c'est impossible...
— Commencez donc le combat par la réflexion : considérez le défaut que vous voulez détruire sous le triple rapport — de Dieu qu'il ofTense à tout moment, — du prochain qu'il fait souffrir et qu'il malédifie, — de vous-même enfm, quine serez jamais ce que vous devez être, c'est-à-dire un fervent séminariste et plus tard un saint prêtre, tant que vous n'aurez pas exterminé ce défaut. Revoyez mot à mot les deux premières parties de ce cha- pitre ; nourrissez-vous des réflexions qu'elles con- tiennent ; observez sous tous ses aspects le défaut que vous voulez combattre ; considérez sa nature qui est certainement mauvaise ; considérez ses efTets qui ne le sont pas moins ; voyez par avance où il vous conduira, les fautes qu'il vous fera commettre, les peines qu'il vous causera, les vexa- tions qu'il vous attirera, les scandales qu'il produira et les obstacles qu'il mettra aux fruits de votre ministère. Yoyez, au contraire, les biens qui ré- sulteront de sa destruction : Paix avec Dieu qui récompensera chaque jour votre générosité par de nouvelles grâces ; paix avec le prochain que vous édifierez, que vous gagnerez, que vous sanctifierez avec une incroyable facilité ; paix avec vous-même qui jouirez délicieusement des fruits de votre vic- toire, et qui exercerez avec bonheur un ministère béni de Dieu et des hommes. Est-il possible que ces réflexions fréquemment renouvelées et fécon- dées par une prière fervente et soutenue, n'en-
— 3^9 —
flamment pas votre courage et ne vous fassent pas triompher de votre adversaire ?
— • Joignez ensuite l'action à la réflexion. Évitez les occasions ; fréquentez ceux de vos condisciples qui pratiquent le mieux les vertus opposées à votre défaut ; faites des lectures appropriées à votre besoin spirituel ; signalez le point essentiel à votre confesseur, à votre directeur, et au moniteur par- ticulier que vous aurez choisi parmi vos pieux condisciples; pratiquez cliaque jour quelque acte de vertu contraire au défaut que vous combattez ; punissez-vous, sans vous décourager jamais, quand vous aurez commis quelque manquement ; aidez- vous de Texercice si éminemment salutaire de l'examen particulier ; veillez avec soin sur vous- même quand vous serez exposé au danger de suc- comber; adonnez-vous à la piété, dirigez contre votre ennemi toutes vos armes spirituelles, no- tamment vos examens, vos lectures, vos visites au saint sacrement, vos confessions et vos com- munions, et tenez pour certain qu'avec l'emploi soutenu de ces divers moyens, vous détruirez in- failliblement vos défauts, quels qu'ils puissent être.
— Prenez bien garde surtout de considérer comme peu de chose ce qui s'appelle communé- ment défauts de caractère. Quand on a dompté les grandes passions et que l'on ne voit plus en soi des vices proprement dits, mais seulement des défauts, on est assez porté à se reposer comme si l'on n'avait plus rien d'essentiel à faire pour sa régéné- ration spirituelle. Or ceci est une illusion des plus dangereuses : outre que les défauts de caractère peuvent seuls produire de très -grands maux ,
— 360 —
comme nous l'avons vu, il est certain que chacun d'eux est le mauvais fruit de quelque passion mal éteinte, et peut conduire rapidement à quelque vice réel.
— Cultivez enfin avec un soin extrême trois vertus capitales qui, bien pratiquées, remédieront inévitablement à tous vos défauts de caractère, quelle que soit leur nature. Ces vertus sont : l'hu- milité, — la charité envers le prochain, — et la mortification.
L'humilité, qui est la reine des vertus morales, ne peut souffrir aucun défaut dans l'âme où elle règne; elle ne va jamais sans ses compagnes ché- ries : la douceur, la condescendance, la modestie et la déférence aux sentiments d'autrui. Elle sup- prime donc les vivacités, les susceptibilités, les manières dédaigneuses et hautaines, et Fentête- ment à soutenir son opinion. Que de mauvais ca- ractères seraient déjà réformés par de telles sup- pressions !
La charité attache cordialement au prochain celui qui la pratique ; elle a pour compagnes la bienveil- tance, l'union des cœurs, l'obligeance, la com- passion, la patience, etc. Elle supprime donc l'ai- greur, la dureté, la jalousie, les rapports indiscrets, lesraillerias, le manque de complaisance etd'égards. Que de mauvais caractères seraient encore réfor- més par des suppressions de cette nature ! Quelle paix universelle si chacun mettait en pratique la charité que saint Paul nous peint sous de si belles couleurs quand il dit : Charitas jjatiens est, beiii' gnaest;... non œniulatu?^ non agit i')erperam, non infiatur j non est ambitiosa... non irritatur , non
— 361 —
cogitât malum... omnia siiffcrt, omnia o'cdit, omnia spcraty omnia sustinct !... etc.
Eiifiii, la mortificaiion, qui est la grande réfor- matrice de rdommc, l'embrase tout entier pour en faire une refoule complète ; elle attaque Finlérieur comme l'extérieur, elle ne transige avec aucun défaut, quelque léger qu'il soit, et elle ne dépose le marleau, le ciseau et la lime que quand elle peut dire : Vctcra transierunt, ccce facta sunt omnia nova.
Que vous serez heureux, jeune et tendre ami, et que votre futur ministère sera fécond en fruits de salut, si, par l'emploi de ces divers moyens, vous remplacez ce qu'il y a de défectueux dans votre caractère par les heureuses qualités qui lui manquent !
II. 21
— ■Hi-2
TROISIEME PARTIE
AVIS ET REGLES DE CONDUITE POUR UN JEUXE PRETRE SORTANT DU SÉMINAIRE.
Ouiconque a été employé à la direction des élèves ecclésiastiques dans les grands séminaires, doit savoir que rien ne préoccupe ces chers élèves comme les difficultés et les embarras qu'ils se re- présentent dansTexercice du saint ministère. C'est la matière ordinaire de leurs conversations, surtout pendant la dernière année de leurs études cléricales. Alors ils multiplient leurs lectures pratiques sur les points qui les intéressent davantage ; alors ils environnent leurs bons supérieurs dans les ré- créations, ils les assiègent dans les promonades, ils les visitent fréquemment à leurs chambres, et tout cela, pourquoi ? pour acquérir ce qui leur manque : rexpériencc.
Voulant aller au-devant de leurs désirs si légi- times, nous nous sommes proposé, dans tous les chapitres qui précèdent,. de leur dévoiler les secrets de l'avenir, sachant que la révélation de ces secrets n'est autre chose qu'une leçon d'expérience. Mais pour compléter noire tache, nous croyons devoir terminer cet ouvrage par quelquL^s Avis et Règles de conduite appropriés tout spécialement aux be- soins d'un jeune prêtre qui sort du séminaire. Nous n'entrerons pas à beaucoup près dans tous
— 363 —
les détails que la matière comporte, car il faudrait pour cela reproduire des chapitres entiers de la Pratique du zèle ecclésiastique et du Saint Prêtre. Nous voulons seulement prendre en quelque sorte parla main nos jeunes amis, dcvenusnos confrères, et les mettre au courant d'une multitude de petits détails dont ils reconnaîtront à coup sur la liaute importance.
I. — Dernier jour du séminaire.
Vous allez donc enfm quitter ce saint lieu et le quitter pour toujours ; vous le reverrez quelquefois en passant, m.ais vous ne Fliabiterez plus pendant un temps prolongé. Demandez-vous, avant d'en sortir, si c'est avec regret ou avec plaisir que vous le quittez. Si c'est avec regret, si vos affections vous y attachent, affections non à telle ou telle personne, mais aux occupations, aux exercices, à la vie du séminaire, réjouissez-vous, c'est un signe de ferveur et un motif d'espoir pour votre avenir sacerdotal. Mais si vous le quittez avec joie, si voTis lui faites vos adieux sans les accompagner d'une larme, d'un soupir, ou d'un simple gémisse- ment, tremblez ; c'est ainsi que le quittent ceux qui deviennent plus tard de mauvais prêtres ou des prêtres tièdes et relâchés : 0 hoata solitudo ! 6 sola beatitudo !
Votre règlement est-il fait ? l'avez-vous proposé à votre directeur ? Sentez-vous au fond de l'àme le vif désir de l'exécuter toute votre vie ? Etes- vous en garde contre la tentation de l'enfreindre, tentation qui très-certain(».ment ne manquera pas
— 3G4 —
de vous attaquer bientôt ? Si vous pouvez répondre affirmativement à ces questions, rassurez-vous et bénissez Dieu. Les mieux aiîermis sur ces divers points ne sont pas, bêlas ! toujours fidèles ; mais à coup sur tous les autres se relàclient : Qui rc- Cjidai vivit, Dco vivit.
Faites une dernière visite à Jésus dans la cha- pelle du séminaire. Rappelez-vous dans cette cha- pelle les heures délicieuses que vous y avez passées, les résolutions que vous y avez prises, les géné- reuses promesses que vous y avez faites. Nous avons connu un saint prêtre qui, longtemps après avoir quitté le séminaire, n'y rentrait jamais sans y éprouver une émotion saisissante ; il avait re- marqué le lieu où il s'était étendu sur le pavé du sanctuaire au jour de son sacerdoce, et il s'y trans- portait avec un indicible bonheur pour y renouveler ses sacrés engagements auxquels il avait été con- stamment fidèle. Imitez ce saint homme. Avant do vous retirer, offrez à Jésus votre règlement pour qu'il vous aide à l'exécuter, votre personne tout entière pour qu'il la sanctifie de plus en plus, votre futur ministère pour qu'il le bénisse : Vcnite in sanctuariimiBomini, quod sanctificavit in letornum. Allez voir tous les vénérables directeurs du sé- minaire et n'imitez pas ces séminaristes insouciants, mal élevés et ingrats qui s'aiTranchissent de ce de- voir et qui n'ont pas même la pensée de le remplir. Yous ne savez pas tout ce que vous devez à ces respectables supérieurs; ils ont été vos interces- seurs auprès de Dieu, ils vous ont dirigé par leurs sages conseils, ils vous ont édifié par leurs exem- ples, ils vous ont iiislruil par renseignement delà
i
■ — oiJO —
science sacrée, qui leur a demandé de pénibles travaux, et ils ont encore quelques bonnes paroles avons adresser et un paternel baiser avons donner comme gage de leur afTectueuse tendresse : Memen- tote prœpositorum vestroriim, qui vobis locuti sunt vcrbum Dei^ quorum iiitucntcs cxitum couver sationis, imitamini fulem.
IT. — Départ, — arrivée dans la famille, — première messe.
Quelle inconvenance, si, ton! récemment ordonné prêtre, vous sembliez Foublier pendant le voyage par la légèreté de vos paroles et Timmodestie de votre maintien ! Qu'il n'en soit pas ainsi : parlez peu et toujours à propos ; pas de gaieté bruyante, extérieur digne et édifiant, lectures pieuses, réci- tation du chapelet et du saint office avec dévotion et recueillement : telle sera votre conduite si vous êtes vivement frappé du prodige qui vient de s'o- pérer en vous. Un nouveau prêtre devrait se dire à chaque instant avec une sorte de stupeur : Que suis-je?que s'est-il passé en moi aux pieds de mon évêque? Suis-je un homme ou un ange sous la forme humaine? et Dieu lui répondrait au fond de l'âme : Tu es plus que tout cela par ta dignité ; tu es prêtre : 2\i es sacenlos in œtenium!
Arrivé dans la famille, vous y répandrez la joie ; votre pieuse mère surtout vous arrosera de ses larmes en vous embrassant : larmes précieuses dont sa foi vive sera la source î C'est alors que vous' devrez plus que jamais vous montrer édifiant sur tous les points et embaumer la maison pater- nelle du parfum de vos vertus, vous associant aux
— 366 •-
sentiments de saint. Paul quand il disait : Chrisîi
bonus odor sumus Odor vitae in vitam.
Mais quel jour, grand Dieu, que celui qui s'ap- proche! Pour la première fois, Jésus-Christ, soumis à Pautorité de votre parole, va s'abaisser des hau- teurs des cieux pour s'incarner dans vos mains ; vous allez faire un miracle, et quel miracle ! vous allez remplacer une substance naturelle par une substance divine, les anges vont faire escorte à votre majesté sacerdotale, PÉglise va déployer toute sa pompe, elle va vous envoyer chercher sous un dais comme si, ce jour-là, vous étiez un de ses princes, et dans Li chaire évangélique on va proclamer vos titres de gloire ! Nous ne vous dirons pas de monter à l'autel avec gravité, mo- destie et ferveur : cette fois-ci, rien de tout cela ne vous manquera. Si vous tronquez quelque céré- monie, un trouble excessif en sera la seule cause, et ce trouble fera l'éloge de votre foi. Mais nous vous dirons : Souvenez-vous toujours du saisisse- ment de votre première messe ; ne vous familiarisez jamais avec Pautel : après cinquante années de sacerdoce, vous serez comme aujourd'hui le sacri- ficateur de Jésus-Christ; vos sublimes fonctions étant toujours les mêmes, maintenez-vous toujours dans les saintes dispositions qu'elles exigent. Nous ajouterons : Notez ce jour comme le plus célèbre de vos jours, et prenez pour vous ces paroles de Moïse aux enfants d'Israël : Vocabitis hune diem celebemmwn atque sanctissimum.
— 3(37 —
III. — Séjour dans la famille en attendant un emploi.
Quelquefois un poste n'est pas a.ssigné à un jeune prêtre immédiatement après sa sortie du séminaire. Si cela vous arrive, ne regardez pas comme un temps de vacances celui qu'on vous permettra de passer dans votre famille. S'il se prolongeait, ce serait fâcheux, car l'oisiveté pourrait déjà vous faire sentir sa mauvaise influence. Pour éviter ce danger, déroulez votre règlement et observez-le avec la plus inviolable fidélité. Préparez-vous pro- chainement au saint ministère; revoyez vos traités de théologie morale, les plus pratiques surtout ; étudiez votre rituel, instruisez-vous à fond de ce qui regarde l'administration des sacrements, lisez avec attention quelques formules d'examen de con- science très-détaillé, pour pouvoir interroger con- venablement les pénitents qui ne savent pas se confesser, commencez à composer un traité complet de lar doctrine chrétienne, travail indispensable si A^ous voulez prêcher avec fruit.
Pour bien faire toutes ces choses, soyez sobre de visites ; bornez-vous à celles que la nécessité ou les convenances vous prescrivent, et ne vous en attirez aucune, comme le font les fainéants qui comptent pour rien le temps absorbé par des visites frivoles.
Edifiez toute la paroisse par votre vie retirée, votre zèl'j pour l'étude et vos pratiques pieuses. Ne formez pas de liaisons étroites. Devant être bientôt pourvu d'un emploi, ce n'est pas la peine de contracter une alliance amicale qu'il vous fau-
— 368 —
dra rompre dans un avenir prochain : Excmphim esto fidelium... (Tim.) Prœpara ctinstrue te, et om- nem multitudinem tuam,.. et esto eis in praBceptum.
(Ezcch.)
IV. — Appel de révèrpio à un poste cpieleonque.
Voici déjà une circonstance délicate. Si vous n'étiez pas précédemment bien fixé dans l'heureux état d'une indifférence absolue, relativement à tel ou tel emploi ; si vous n'aviez pas gravé dans votre âme et adopté comme règle fondamentale le prin- cipe d'obéissance aveugle, vous avez du plus d'une fois vous demander : Que va-t-on faire de moi ? quel poste va-t-on m'assigner? vais-je être envoyé loin de ma famille ou tout près d'elle? fera-t-on de moi un curé, un vicaire ou un professeur dans une mai- son d'enseignement? Autant de questions inutiles et plus qu'inutiles ; remplacez-les par celle-ci, qui vous a été tout récemment adressée et à laquelle vous avez fait une réponse si précise : Promittis- ne mihi et successorihusmeis reverentiam et obedien- tiam? — Promitto.
Rien n'est plus pitoyable que cette obéissance manchotte d'un prêtre, qui ne respecte la volonté de son évéque qu'autant qu'elle est conforme à sa volonté propre. Gardez-vous de ressembler à ce ministre infidèle, et méditez ces paroles que Dieu vous adressait, dès l'origine de l'Eglise, par la bouche de saint Ignace le martyr : Episcopum sequamini, sicut Jésus Christus Patrem : teiTibile est enim tali contradicere. Pas de réplique, pas de mur- mure, pas de moyens détournés pour éluder la
— 369 —
volonté (le vos chefs et la plier à la vôtre. « Les » supérieurs, dit excellemment le P. Yaluy, ont, » pour gouverner sagement, trois choses qui vous » manquent : les vues d'ensemble et de bien géné- » rai, la connaissance des sujets, et les grâces » spéciales que Dieu accorde aux ministres de son )) autorité. )>
Jamais vous n'aurez plus de consolations et de succès que dans les emplois que vous aurez ac- ceptés sans les avoir recherchés, et même à ren- contre de vos inclinations naturelles. L'expérience de tous les jours atteste la vérité de cette sentence.
Du reste, ce n'est pas au début de votre car- rière que vous serez le plus exposé à contredire l'obéissance; mais la règle que nous posons est fixe et invariable ; elle embrasse toutes les cir- constances de temps, de lieux et de personnes, nous vous supplions instamment de l'adopter pour toute votre vie, comme si, au lieu d'une simple promesse, vous aviez fait entre les mains de votre évêqae le vœu formel d'une obéissance parfaite. Écoutez ce trait si édifiant que nous avons rappor- té dans le Saint Prêtre au chapitre de VOôéissroice, que nous vous engageons à lire en entier : « Nous » avons connu un saint prêtre, vraiment digne » de ce beau titre, qui avait maintes fois réalisé » dans sa conduite les règles d'obéissance que » nous venons de tracer. Ses supérieurs, sachant » qu'il était toujours prêt à exécuter leurs volon- » tés, quelles qu'elles fussent, et nïgnorant pas » d'ailleurs que son zèle égalait son obéissance, » s'adressaient à lui quand ils voulaient régénérer » une mauvaise paroisse. Déjà plusieurs fois ils II. 21.
370 —
)) rayaient transplanté çà et là, et toujours, soldat » fidèle, il avait plié sa tente sans se laisser jamais influencer par les joies du ministère toujours béni auquel il s'arrachait, ou par les regrets amers des nombreux prodigues qu'il avait con- vertis et qui le pleuraient comme un tendre père. Un jour cependant, son obéissance fut mise à une épreuve plus pénible encore que les précédentes. 11 reçut de son évèque une lettre qui lui annonçait qu'il était nommé curé d'une paroisse inscrite en tète des plus mauvaises du diocèse. Cette nomination fut connue sur-le- champ, et de tous côtés affluaient chez le saint prêtre des confrères du voisinage, ses amis dé- voués, qui tous l'engageaient à faire agréer son refus au prélat. Mais l'homme de Dieu, qui voyait les choses de plus haut, répondait à chacun avec une grâce charmante et le sourire sur les lèvres : Je vous remercie de lintérét que vous m^e té- » moignez; mais je ne puis plus suivre votre » conseil ; car aussitôt après avoir reçu la lettre » de Monseigneur, je lui ai notifié mon accepta- » tion sans réserve : // est trop tard. — Jamais, » nous disait-il un jour, je n'ai goûté autant de » consolation ni exercé un ministère aussi fruc- » tueux que dans cette paroisse. »
Comprenez et goûtez ces paroles de l'Imitation : Fili, qui se subtrahere nititur ah obedientià, ipse se subtrahit à fjratià... Disce vohintates tuas fraiigere, et ad omnern subjectionem te dare.
— 371 —
V. — Installation au poste assigné par l'évèque. — Première entrevue avec le curé.
Ici commencent les embarras et les dangers. Nous le disons dans la Pratlqup du zèle ecclésias- tique, l'arrivée dans une paroisse est, pour tout prêtre, d'une haute importance ; mais elle est peut-être, du moins à certains égards, plus im- portante encore pour un jeune prêtre qui fait sou début dans le saint ministère. Yoici les règles à suivre pour procéder avec prudence et piété.
En vous rendant pour la première fois auprès de votre curé, dépouillez-vous entièrement des préventions défavorables qu'on a pu vous inspirer contre lui. Si vous ne le faites pas, vous serez tenté d'appuyer vos préventions par vos obser- vations personnelles, et vous épierez toutes les occa- sions pour le trouver en faute. Ces préventions pourront être exagérées ou même positivement injustes ; mais fussent-elles fondées, que gagnerez- vous à les fomenter, sinon de vous prédisposer à des froissements dont les conséquences seront peut-être très-fàcheuses ? Dites-vous plutôt à vous- même : Quels que soient les défauts de mon curé, je n'ai pas mission pour le corriger ; je dois le prendre ou le subir tel qu'il est : si je remplis parfaitement mes devoirs envers lui, je suis sur de gagner son estime et d'obtenir son concours pour le succès de mon ministère. Pas donc de préventions volontairement entretenues contre lui : De aliis, dit l'Imitation, benè et altè sentire, magna sapicntia est et alta pevfectio... In judicando alios, homo frustra laboraty seejnùs errât.
— 372 —
Abordez votre curé avec cet air de douceur, de simplicité et d'aménité qui plait à tout le monde. Si la première impression que vous produirez sur lui vous est avantageuse, vous gagnerez son cœur dès le principe ; la première impression est souvent le type de toutes les autres. Ne faites donc point comme ces vicaires qui s'annoncent par une con- tenance embarrassée, froide, soucieuse et indé- cise ; ou comme ceux qui se présentent avec des manières élégantes et apprêtées, en opposition avec la bonne rondeur de leur curé ; ou comme ces autres qui, dès le premier jour, ont un air de suffisance qui les rend ridicules ; ou comme ces autres encore qui font étalage de leurs talents^ de leur mérite, de leurs doctrines, de leurs règles de conduite, s'exposant à contredire tout d'abord leur curé sur des points où il a des principes tout différents de ceux qu'ils exposent.
Ne heurtez pas de front ses goûts et ses habi- tudes ; vous le feriez en vain, et vous passeriez dans son esprit pour un réformateur incommode et mal élevé.
Gardez-vous surtout de ces tons d'indépendance dans lesquels se peint un homme qui fait bon marché de l'autorité, et qui semble n'avoir rien à apprendre de ses supérieurs.
Si, pour l'exercice de votre ministère, il vous assigne un cercle d'opérations qui ne soit pas de votre goût, n'en faites rien paraître. Yous obtien- drez bien plus sûrement ce que vous désirerez par une humble soumission, que par une résistance ouverte ou une acceptation de mauvais goût.
Rendez-lui, dès le principe et toujours, tous les
— 373 —
services qui dépendront do vous ; consultez-le comme un père ; dites-lui tout ce que vous ap- prendrez dans la paroisse qui sera de nature à l'in- téresser et à lui faire plaisir ; agissez en toutes choses de manière qu'il ne puisse parler de vous que pour faire votre éloge : en un mot, et ce mot dit tout : soyez aimable, et très-certainement il vous aimera.
S'il a des ennemis, ne sympathisez pas avec eux comme s'ils étaient vos amis. Quand vous serez contraint de les voir, employez tous les moyens possibles pour les désarmer ; dites-leur de votre curé tout le bien que vous en saurez, et ne pro- férez 'pas un seul mot qui semble indiquer que vous blâmez comme eux sa manière d'agir : Si niordeat serpeiis in silentio, dit le Sage, nihil eo minus habet qui occulté dctrahit.
Si vous avez à gémir de quelques-uns de ses défauts, par exemple, d'une sévérité excessive, d'une susceptibilité jalouse, d'une certaine lési- nerie en fait de nourriture, etc., promettez-vous à vous-même de ne vous en plaindre jamais dans la paroisse ; n'en parlez à personne, pas même à vos amis intimes, qui peut-être ne se feraient pas grand scrupule de divulguer vos confidences. Supportez patiemment ses froideurs, ses travers d'esprit, ainsi que les inégalités et les bizarreries de son caractère : ne lui laissez pas même voir que vous en souffrez, et opposez à tout cela un fonds inaltérable de douceur, de complaisance et d'ama- bilité qui le force t(M ou tard à reconnaître ses torts, comme ce vieux solitaire qui, habituellement malade et d'un caractère fort difficile, avait pen-
— 374 —
dant douze ans exercé la patience d'un autre soli- taire, nommé Jean, qui faisait auprès de lui l'of- fice d'infirmier. Sur le point de mourir, ce vieillard incommode fit ranger autour de lui les nombreux assistants qni se trouvaient là, et leur montrant Jean, son garde-malade, il dit : Yoici un ange et non pas un homme ! Pendant douze ans je ne lui ai pas dit une parole gracieuse et aimable, et ce- pendant il n"a pas cessé un seul jour de me rendre toute sorte de services avec affection et dévoue- ment (1).
VI. — Visites d'arrivée dans la paroisse.
Si vous vous êtes conduit avec votre curé de la manière qui vient de vous être apprise, il sera heureux de vous accompagner lui-même chez ses paroissiens. Mais vous accorderait-il cette faveur si vous aviez commencé par le rebuter et lui dé- plaire ? C'est une question à laquelle on nous dis- pensera de répondre. Revenons plutôt à nos petits avis.
Voulez-vous, oui ou non, vous faire dans la paroisse une réputation de sainteté? Youlez-vous qu'on dise généralement en parlant de vous : Nous avons non pas seulement un bon prêtre, mais un saint prêtre pour vicaire? Oui sans doute vous le voulez. Eh bien ! donc, soyez sur vos gardes pen- dant vos premières visites; car, en chaque mai- son, vous serez infailliblement observé, contrôlé, admiré ou censuré, selon que vous donnerez lieu
(1) Voyez Pratique du zèle ecclésiastique, deuxième partie, ch. Il, Rapports d'un vicaire avec so)i curé.
— 375 —
à rédification ou à la critique. Ceci demande beau- coup de tact, et malheureusement plusieurs jeunes prêtres en sont totalement dépourvus. Tâchez de vous figurer un saint dans les circonstances où vous vous trouvez vous-même ; demandez-vous quel serait son costume, sa tournure, son regard, son attitude, sa conversation, en un mot toute sa personne extérieure ? Avec un peu de réflexion, vous devez aisément vous représenter ce que se- rait, sous ces divers rapports, un saint François de Sales, par exemple, ou un saint Vincent de Paul : Soyez ainsi, et dès l'abord, vous gagnerez l'estime et l'affection de tout le monde. Ceci, outre l'édifi- cation qui en résultera, sera pour vous comme une obligation morale de travailler à vous main- tenir au degré de sainteté où l'on croira que vous serez parvenu : Clerici, dit un concile de Mayence, non varjis oculis, non cffrseni Imguâ, aut petulanti fhikloqiœ gestu, timidoque rjressu incedant, sed pii- dorem et verecundiam mentis simplici hahitu inces- suque ostendant.
YII. — Bonne tenue à l'église.
Si vous devez être pieux et modeste dans la mai- son des hommes, combien plus devez-vous l'être dans la maison de Dieu ! Vous avez édifié le jour de votre première messe, pourquoi faire croire que vous n'avez été saint que ce jour-là? C'est une chose tristement remarquable que la promptitude avec laquelle un jeune prêtre se relâche sur ce point. On en voit qui, dèsla seconde semaine, célè- brent les saints mystères avec moins de dignité et
— 376 — I
plus de vitesse que les anciens du saccruorce. Leur attitude au chœur est déjà nonchalante, négligée et marquée au coin de la légèreté. On les voit éten-i dus plutôt qu'assis dans leur stalle, regardant de " tous côtés, croisant les jambes, disart un mot inu- tile et annonçant par un sourire que ce mot est une plaisanterie déplacée. Tout cela se remarque, soyez-en sur, surtout chez un jeune prêtre que tout le monde veut voir pieux, modeste et recueilli. Un, jour, une dame nous pria de lui indiquer un confes- seur pour un vieux pécheur qu'elle avait converti. Nous lui proposâmes un jeune prêtre en qui nous connaissions des qualités essentielles. Elle éluda notre proposition. Nous revînmes à la charge, et* elle nous dit ces paroles qui nous frappèrent : « Ce » jeune prêtre a des qualités, sans doute ; mais sa )) contenance au chœur est un peu légère, il s'y » tient négligemment et se permet de rire quel- » quefois des choses plaisantes qu'il observe. Or, » je connais mon vieux pécheur, s'il voyait la légè- » reté de ce prêtre, il lui retirerait aussitôt sa con- » fiance. » Voyez si le conseil que nous vous donnons n'est pas appuyé sur des raisons solides : Pavete ad sanctuarium ineiun (Lévit.). Bùm eo in loco estis, dit un concile de Milan, non pigri, non somnolenti, non oscitantes adeslote, non vagis oculis, non indecenti corporis statu.
VIII. — Exécution ponctuelle du règlement que vous vous êtes imposé.
Tous voilà installé, vos visites sont faites, on vous a vu en particulier et en public : à l'œuvre
— 377 —
maintenant. N'en doutez paSj c'est votre règlement qui vous sauvera ; c'est lui qui vous fera contracter des habitudes pieuses et régulières, sans lesquelles vous vous jetterez à bride abattue dans les voies du relâchement.
Lorsqu'on tient fermement à son règlement, cha- que exercice appelle l'exercice suivant, et Ton éprouve un sentiment de bonheur quand, à la fm de la journée, ils sont tous remplis. Mais si, au contraire, on fait, par négligence, quelque brèche à son règlement, c'est comme une chaîne d'or qui, une fois rompue, perd une partie de son lustre. Ouel beau spectacl'e que celui d'un prêtre fervent qui, après vingt ou trente années de sacerdoce, exécute sa règle avec la même fidélité que le pre- mier jour ! Qui pourrait, sans connaître le détail de ses œuvres, ne pas proclamer saint prêtre un prêtre de ce caractère ?
Nous vous en conjurons, jeune et tendre ami, observez ponctuellement votre règlement et ne faites pas comme tant d'autres qui, après l'avoir observé quelques semaines, le mettent de côté et vivent à l'abandon au gré de leurs caprices. Quelle que soit votre répugnance à le pratiquer, ou plutôt en raison même de cette répugnance, tenez ferme à cette ancre de salut, et soyez persuadé que tant que vous serez fidèle en ce point, vous serez un saint prêtre. Si vous avez l'esprit d'ordre et un vrai fonds de bonne volonté, les travaux du ministère, quelque multipliés qu'ils soient, ne seront point un obstacle à l'exécution de votre règlement. Les prêtres fervents ne s'en affranchissent jamais, et ils travaillent autant et phis que vous : Illum tan-
— 378 —
tinn diem vixissc te computa,à\x saint Euclier, qucra sine iillà regulx transgressione duxisti. 0 jugum sanctiamoris, s'écrie saint Bernard à cette occasion, quàm didciter capts, gloriosè laqueas, sua vite r pre- misy delectanter onerasl Que je serais différent de ce que je suis, pourrait dire tout mauvais prêtre ou tout prêtre tiède , si j'avais toujours été fidèle à mon règlement !
IX. — Réveil, lever, huLillement.
Dès que vous serez éveillé et que l'heure de votre lever sera venue, prenez de l'eau bénite, (toujours un bénitier chez les prêtres, presque jamais d'eau bénite dans le bénitier), faites le signe de la croix lentement et dévotement ; donnez votre coeur à Dieu de la même manière, pesant et goû- tant chaque mot et vous figurant voir Jésus qui ouvre la main pour recevoir le cœur que vous lui offrez. Cette courte prière est excellente quand elle est bien faite : proposez-vous, en la récitant, de consacrer à Dieu tout votre être et toutes vos œuvres de la journée.
Cela fait, levez-vous sans le moindre retard. Si vous délibérez tant soit peu, le résultat de la déli- bération sera toujours au profit de la nonchalance, et vous commencerez la journée par un acte de paresse qui vous privera déjà de bien des grâces. Écoutez votre bon ange qui vous dit ce qu'un autre ange dit autrefois à Pierre dans sa prison : Surge velociter. On voit des prêtres qui passent chaque matin un temps considérable dans leur lit, occu- pés de vaines pensées, ou faisant quelques lectures
— 379 —
qui ne sont pas en leur temps, in temporc non suo, et qui ne se lèvent que quand il leur est plus pénible de rester au lit que d'en sortir. Demandez- leur comment se font leurs oraisons et comment ils célèbrent le saint sacrifice après une préparation de cette nature. Pour vous, notez cette lâcheté comme faute notable et un signe de relâchement.
En vous habillant, modestie parfaite. Souvenez- vous que vous êtes prêtre, et qu'en le devenant, vous avez épousé la sainte chasteté qui s'alarm.e d'un regard quand il est indiscret.
Réoitez quelque psaume, par exemple, celui des Laudes du dimanche : Beus, Dcus meus y ad te de luce vigilo, ou bien la prose Veni, sancte Spiritiis. Nous avons connu un prêtre qui disait mentalement cette prose tous les jours en s'habillant, et qui en méditait chaque strophe avec un grand profit spi- rituel.
?^''oubliez pas les soins de propreté ; il y a des prêtres qui les négligent tellement, qu'on se de- mande en voyant leurs mains s'ils n'ont pas oublié de les laver. D'autres négligent entièrement une partie de leur corps beaucoup plus précieuse qu'ils ne pensent : nous voulons parler des dents ; jamais ils ne les nettoient. Qu'arrive-t-il do là? Elles s'al- tèrent, elles tombent, et l'exercice de la parole ne se fait plus avec régularité : avis aux prédicateurs. D'un autre côté, en se gâtant elles répandent une odeur infecte dont ils ne s'aperçoivent pas, mais dont les pénitents sont fort incommodés : avis aux confesseurs. Ne contractons pas l'habitude de la malpropreté, elle viendra toujours assez vite avec les années. On dira peut-être que nous tombons
— 380 —
dans la minutie; nous ne croyons jamais être mi- nutieux quand nous sommes utile. Or ici nous croyons lèire ; et nous irions même, en fait de propreté, jusqu'à citer ces paroles que TEsprit saint a employées dans un autre sens : Qui spcniit modica, paulatim decidct.
X. — L'Oraison.
Yoilà le bouclier du prêtre ; sans elle nous ne voyons en lui qu'un soldat faible et désarmé au milieu d'ennemis acharnés à sa perte. Le mauvais prêtre ne la fait jamais ; voilà pourquoi il est mau- vais prêtre : le prêtre tiède la fait quelquefois , mais il y manque souvent et la fait mal ; voilà pourquoi il est tiède : le bon prêtre la fait régu- lièrement, mais avec des défauts qui en altèrent les fruits ; voilà pourquoi il n'est que bon prêtre : le saint prêtre seul la fait commue il doit la faire ; voilà pourquoi il se tient au sommet de la perfec- tion.
Si vous vous relâchez dans l'oraison soit en l'o- mettant de fois à autres, soit en rabrégeant nota- blement, soit en la faisant mal, toute votre con- duite, toutes vos œuvres s'en ressentiront : ce n'est pas nous seulement qui l'affirmons, c'est l'expé- rience aussi qui vous l'atteste.
Dès que vous serez habillé, faites votre oraison : oraison différée, oraison manqiiée. Obéissez à l'u- sage en vous préparant à l'oraison par la prière vocale (1).
(1) Voyez, dans le Saint Prêtre, une formule de prière vo- cale, page 461.
— 3S1 —
Ne faites pas Forai son seiilemont pour pouvoir vous dire que vous Tavez faite : vous ressemble- riez à un homme qui croirait avoir pris un repas parce qu'il aurait fait tous les exercices de la m.as- lication sans avoir avalé aucun aliment. Dites-vous fermement au commencement de votre oraison : Je veux, avec la g*ràce de Dieu, en tirer quelque fruit ; rappelez-vous cette pensée pendant que vous méditez , et ne concluez pas sans vous demander quel effet cet exercice va produire pour l'affaiblis- sement de vos défauts et 1" acquisition des vertus qui leur sont opposées.
Quel que soit le sujet que vous méditiez, vous pouvez et vous devez toujours vous servir de l'o- raison comme d'une arme puissante pour combattre votre défaut capital. C'est pour le détruire que vous faites oraison ; si vous ne l'employez pas à cet usage, c'est une arme inutile, une épée dans le fourreau. Que d'oraisons vaines faute de compren- dre et d'appliquer cette simple notion du bon sens !
Donnez à votre oraison au moins la longueur qu'elle avait au séminaire (1).
XI, — La sainte Messe.
C'est à l'autel que le prêtre atteint le souverain degré do sa grandeur. Pour lui les cieux s'abais- sent, ou plutôt il s'y élève et plane au-dessus des neuf chœurs des anges qui adorent dans sa main le Dieu qu'il immole !
(1) Voyez l8 Saint Prêtre, chapitre De VOraison, page 372 et siiiv. Nous recommandons spécialement la lecture de ce
cliapiirc au Saint Prêtre,
— 382 —
« Jamais, dit saint Ligouri, le prêtre qui n'est )) pas pénétré de Téminence du sacrifice de la » messe ne l'ofTrira convenablement. Jésus-Christ » n'a rien fait de plus grand ni de plus sublime » sur la terre. »
Malheur à a^ous si vous vous familiarisez avec le sacrifice de l'autel ! Vous tarirez par cette fami- liarité une mer de grâces dont Dieu veut tous les matins inonder votre âme.
Si vous ne faites pas toujours une bonne pré- paration en dehors de T oraison, vous ne tirerez jamais de la sainte messe des fruits abondants.
Pas de conscience douteuse à Tautel ; c'est racheminement au sacrilège. Quant au sacrilège lui-même, c'est l'abomination de la désolation, c'est l'enfer qui envahit le ciel !
Soyez en garde contre la rapidité de la célé- bration de la messe. On en vient là bien vite, et quand ou y est venu, jamais on ne reprend une pieuse lenteur : pas plus d'une demi-heure, pas moins de vingt-cinq minutes ; voilà la règle des saints prêtres.
Respectez et observez scrupuleusement toutes les cérémonies, et célébrez avec une dignité an- gélique. Une messe bien dite est pour les assis- tants une imposante prédication : soyez donc éloquent à l'autel bien plus encore que dans la chaire. Une dame du grand monde nous disait un jour : Je ne connais que les Jésuites qui disent bien la 7nesse. C'était une exagération, très-honorable sans doute pour ces vénérables religieux, mais injuste à l'égard d'une foule d'autres prêtres. Tou- tefois cela nous prouve que les gens du monde
— 3(Sc{ —
voient ce qui se passe à raiitel, et qu'ils n'ont pas toujours les yeux dans leurs livres. Nous avouons qu'il y a de bons prêtres qui, quoique pieux et attentifs, n'ont pas de dignité quand ils officient. C'est un inconvénient grave auquel ils devraient s'efrorcer de remédier. Les hommes ne voient pas leur piété intérieure, l'extérieur seul les frappe.
Ne pas scandaliser en célébrant, c'est une édi- fication ?ze«7^///u^ ; cela ne suffit pas : l'édification positive doit être le but de nos efforts.
Yoicice qui donne au prêtre une dignité édifiante à l'autel : — Pas de précipitation soit dans les mouvements du corps, soit dans la récitation des prières ; — faire le mieux possible chaque céré- monie et ne pas laisser l'une empiéter sur l'autre ; — ne jamais lever les yeux quand on se tourne vers le peuple ; tenir les bras étendus quand ils doivent l'être, et élevés, selon la rubrique, à la hauteur des épaules ; — avoir toujours une con- tenance grave, recueillie et modeste ; — réciter les prières qui se disent à haute voix d'un ton pé- nétré qui annonce, quoique sans déclamation, qu'on goûte ce que l'on dit ; — faire posément les génuflexions et les signes de croix ; — enfin être animé d'une tendre piété ; car toujours elle se reflète comme d'elle-même à l'extérieur.
Nous ne pouvons rien dire de plus précis à ce sujet. Appliquez-vous à suivre ces règles ; quand S'Ous en aurez pris l'haljiiude, cela ne vous coûtera Quilement ; vous ne pourrez même plus célébrer dune autre manière.
Soignez vos actions de grâces ; jamais elles ne
— 384 —
seront trop longues ; on s'en édifiera plus qu'on ne s'en plaindra. Le prêtre qui ne fait point ou qui fait fort peu d'action de grâce, ressemble à un laboureur qui , après avoir abattu une riche moisson, la laisserait dans le champ et refuserait de l'engranger pour en faire son profit. « Quelle » pitié, dit saint Liguori, quel désordre, quel » scandale ne causent pas les prêtres qui, après » avoir achevé de dire la messe et récité quelque » courte prière à la sacristie, sans attention ni » dévotion, se mettent de suite à discourir de » choses inutiles ou d'affaires du monde, ou » sortent aussitôt de l'église et vont porter Dieu » au milieu de la rue ! » Une personne du monde nous disait un jour de son confesseur : « Je suis » tentée de le quitter. — Pourquoi ? — Je ne le » trouve pas pieux ; il ne fait que quelques » minutes d'action de grâce. »
Pesez ces paroles que nous empruntons au Directoire du Prêtre : Sacerdotes debent esse imi- tatores, sanctorum Apostolorum , qui non antè exicrunt ceenaculo, quàm hymne dicta. Solus pro- ditor Judas antè exicit. (Epis. Past. III, iïumb. Archiep. Machl.)
ISe vous dispensez jamais, sans une raison très- grave, de la célébration de la messe. Celui qui ne se sent pas touché de la privation du saint sacrifice, est dans la voie du relâchement. Qu'il se ranime en méditant ces belles paroles de l'Imitation : Quando sacerdos célébrât, Deum honorât, anrjelos lœtificat, Ecclesiam œdificat, vivos adjuvat, defunctis requiem praestat, et scse omnium bonorum partici- pem cfficit.
— 385 —
Enfin, sans une raison légitime, ne dites point la sainte messe tantôt à une heure, tantôt à une autre ; c'est un désordre ; ayez une heure fixe et choisissez la plus commode pour les fidèles.
Terminons cette divine matière en disant avec le pieux auteur de l'Imitation : Si habcres anrjcli- cam puritatcm, et sancti Joannis Baptistœ sanctita- tciiij non esses dir/nus hoc sacrcwientiun acciperc, nec tractare... Grande mysterium^ et magna dujni- tas sacerdotwn : quihus dation est quod angelis non est eoncesswn (1) /
A IL - Lo saint Ofllce.
Un jeune prêtre, sortant du séminaire, est sou- vent déjà familiarisé avec l'Office divin. Comme il le dit depuis qu'il est sous-diacre, la routine s'est formée et elle a refroidi la ferveur des premiers jours. Renouvelez cette ferveur qui finirait hientôt par s'éteindre entièrement.
Dites les petites Heures aux premiers moments liljres dans la matinée; Yépres etCompties aux pre- miers moments liljrcs après le dîner ou la récréa- tion; Matines et Laudes la veille, aux premiers moments libres après l'heure où il est permis de les commencer. Telle est la règle des saints prê- tres ; les autres n'observent aucun ordre pour le temps de la récitation de l'Office; ils le disent cha- que jour à des heures différentes et ordinairement le plus tard possible. Le bréviaire est ponr eux comme un ami fatigant et incommode dont on est forcé de recevoir chaqne jour l'importune visite,
(i) Voyez le Saint Prêtre, cliapilrc Dj la Mc3>^c, page 380.
— 386 —
et après le départ duquel on se sent à l'aise. Le saint prêtre au contraire trouve dans la société de ce tendre ami des douceurs infinies.
Insistez fortement sur la préparation prochaine. Ouand le moment do la récitation est venu, avant de proférer un seul mot , élevez votre cœur vers Dieu ; unissez-vous aux sentiments qu'a l'Eglise en vous prescrivant cette sainte prière ; proposez-vous une intention spéciale; implorez les lumières de l'Esprit saint et renoncez d'avance aux distractions qui vont survenir. Tous ne ferez probablement rien de tout cela, si vous vous contentez de réciter à la hâte et par pure routine la prière Aperi.
Ne contractez jamais l'habitude de réciter le bré- viaire avec une précipitation excessive. On en voit quile disent avec toute la célérité dont ils sont capa- bles ; ils voudraient le dire plus rapidement qu'ils ne le pourraient pas, et pour que rien ne manque à cette inconvenante vélocité, ils récitent en aspi- rant comme en respirant. Nous le demandons, qu'y a-t-il pour Dieu dans une telle prière ? Et cette prière se fait au nom de l'Eglise ! et cette prière est celle par laquelle l'Église militante s'u- nit aux concerts de l'Église triomphante ! et cette prière est rigoureusement obligatoire ! et l'obliga- tion sub 7nortaIiàQ réciter celte prière et delà réci- ter avec attention peut être aisément enfreinte! Aidez-vous de ces réflexions pour vous réformer sur ce point, si déjà vous aviez besoin de réforme. Quid heatius, dit saint Basile, quàm hominem in terra concentum Angslorum imitari ; in hymnis et canticis Creatrrem prœdicare {V) !
(1) Voyrz IcSa'rd-Vrétrr, cliapitrc Dr l'Office divin, V- '^O"^*
— 387 —
XIÏI. — L'examen particulier.
Nous en avons déjà dit un mot dans le chapitre du Fervent séminariste. Contentons-nous d'ajouter ici que t02it prêtre qui fait chaque jour son examen particulier, est incontestablement un saint prêtre. Nous n'en dirions pas autant de plusieurs autres exercices ; mais nous l'affirmons positivement de celui-ci. Disons avec le même aplomb que le prê- tre qui ne fait pas l examen particulier n est pas un saint prêtre. Il peut être un bon prêtre ; mais il n'est pas plus que cela, et tout bon prêtre qu'il est, il a et il aura toute sa vie des défauts dont il ne pensera pas même à se corriger.
Adoptez donc, nous vous en supplions, adoptez ce saint exercice comme si vous aviez fait le vœu de le pratiquer tous tous les jours (1).
XIY. — Visite au saint Sacrement.
Le prêtre qui ne fait pas habituellement la visite au saint sacrement, est plus ou moins profondé- ment engagé dans la voie du relâchement et de la tiédeur. L'une des premières pensées que Jésus inspire au saint prêtre, est de le visiter régulière- ment tous les jours dans le sacrement de son amour. Si vous sentez quelque répugnance à vous acquitter de ce devoir, vous n'êtes plus dans la ferveur de la dévotion. « Ma consolation et mon » appui le plus solide, disait un jour un prêtre » vénérable, c'est l'oraison, l'examen particulier,
(1) ie ^(.lint Prêtre, chapitre De l'Examen particulier, p. 4-24, dont nous recommandons spécialement la lecture.
— 388 —
» la visite au saint sacrement et la lecture spiri- » tuelle : ce sont là, ajoutait-il, les quatre roues du » char qni mène le prêtre au ciel. Pour moi, ajou- )j tait-il, quand l'une d'elles se détraque, je ne vais » plus à Dieu qu"en boitant, et je ne reprends une )> bonne allure qu'en revenant à celui de ces exer- » cices que j'avais eu la lâcheté de négliger. »
Nous connaissons une paroisse populeuse dans laquelle les prêtres, sous l'inspiration de leur digne curé, se sont concertés pour faire tous les soirs ensemble, et à une heure fixe, la visite au saint sacrement. Quand l'un d'eux ne s'y trouve pas, on peut être sur qu'il est appelé ailleurs pour quelque œuvre indispensable du ministère. Exemple admi- rable, qui édifie singulièrement tous les parois- siens, et qui pourrait être aisément suivi dans une multitude d'autres localités !
Quoi qu'il en soit, ne vous dispensez jamais de cette visite ; en la faisant avec exactitude, vous en retirerez des fruits abondants, vous aurez infail- liblement la réputation de saint prêtre, et vous serez cause que plusieurs âmes pieuses adopteront cette fervente pratique (2).
XV. — Lecture spirituelle.
Yoici encore un exercice qui vous révélera votre degré de sainteté. Tant que vous serez fervent, la lecture spirituelle fera vos délices; vous y cour- rez comme à l'oraison. Le livre le plus pieux, le
(2) Voyez le Saint Prêtre , chapitre De la visite au saint Sacrement, page 431.
— 389 —
plus propre à vous unir à Dieu, sera celui que vous choisirez. Yous vous enfermerez avec lui dans la solitude de votre chambre comme avec un ami intime ; vous vous préparerez avec soin à profiter de son entretien; vous le pénétrerez avec bonheur, vous savourerez tout ce qu'il vous dira, vous le baiserez tendrement quand il vous touchera, vous vous en séparerez avec regret, vous lui direz : au revoir, et non pas adieu; puis, pour vous consoler de son absence, vous repasserez ce qui! vous aura dit et vous en ferez un saint usage.
Mais si vous cessez d'être fervent, tout sera changé. Votre ami sera toujours là, mais son en- tretien sera pour vous sans attrait; vous le laisse- rez dans un coin comme un hôte fastidieux et in- sipide ; vous lui ferez la honte de le remplacer par un ami frivole, et si, en souvenir du bien qu'il vous a fait autrefois, vous essayez de temps en temps de renouer connaissance, vous romprez l'entretien dès les premiers mots qu'il vous dira, et vous irez chercher de vaines jouissances.
Que cela est vrai ! et que cela devrait bien nous éclairer quand le goût de la lecture spirituelle dis- paraît de notre âme !
Où trouver, nous ne dirons pas un mauvais prêtre, mais un prêtre tiède et même un bon prêtre s'il n'a plus de règlement, qui aime la lec- ture spirituelle, qui la fasse tous les jours, qui en profite pour devenir meilleur? Disons-le, c'est ce qui ne se voit point.
Quand donc cette sainte lecture sera pour vous sans charmes, rentrez en vous-même, sondez votre intérieur, voyez où se portent vos goûts, inter- II. 22.
— 390 —
rogez vos œuvres ; il est impossible que vous ne trouviez pas en tout cela quoique désordre.
Ah ! jeune et tendre ami, de grâce vivez de ma- nière à aimer toujours la lecture spirituelle ; et quand vous cesserez de l'aimer, cessez d'être in- fidèle pour laimcr de nouveau.
Ne vous livrez pas aux lectures futiles; le sacer- doce les repousse et les abhorre : Vanas gcneraiit cogitationes , dit saint Bonaventure , cxtinguunt mentis devotionem, et non œdificant menteni, sed potiùs inficiunt.
Aimez au contraire les lectures pieuses ; elles sont, selon saint François de Sales, Thuile de la lampe de l'oraison. « Hélas ! dit le P. Yaluy sur » ces paroles, combien de lampes s'éteignent » chaque matin faute d'huile (1) ! >->
XVI. — Le chapelet. — Dévotion à la très-sainte Vierge.
Avez-vous de la dévotion à Marie ? Vous répon- drez sans doute affirmativement à cette question ; quel est le chrétien, pour peu qu'il approche des sacrements, qui ne soit pas plus ou moins dévot à Marie? Mais prenez garde, ce n'est pas par une dévotion ordinaire et commune que vous devez honorer la très-sainte Vierge : cette dévotion, chez vous prêtre, doit être transcendante; il faut que les peuples, en voyant tout ce que vous direz, tout ce que vous ferez pour étendre le culte de la Mère de Dieu, pour la faire connaître, vénérer et chérir, disent entre eux : Quel tendre amour il a pour Marie ! Votre dévotion à la très-sainte Vierge doit donc êUc en vous un trait saillant, un trait distinctif (1) Voyez là Saint Prêtre, clinp. De la Lecture spirituelle, p. 413.
— 391 —
et caractéristique ; non pas, bien entendu, pour en tirer gloire aux yeux des hommes, mais pour les édifier et les attacher eux-mêmes tendrement à Marie.
Alimentez cette dévotion dans votre àmepar la ré- citation quotidienne du chapelet : prière vénérable, enrichie d'indulgences dans chacune de ses parties, et qui, pour celui qui la récite pieusement tous les jours, est comme un gage de prédestination.
Ah ! jeune et bien-aimé confrère, vous ne savez pas les dangers que vous aurez à courir dans le saint ministère où vous allez vous engager. A la vue de ces dangers, à la vue de votre inexpérience et de votre faiblesse, jetez-vous dans les bras de votre divine Mère ; choisissez-la pour guide dans la vaste forêt que vous allez traverser, et pour mériter cette faveur, imposez-vous la loi, sans aller toutefois jusqu'au vœu, de réciter le chapelet tous les jours. (1)
XYII. — Pratique de la confession pour soi-même.
Voici un point éminemment capital. Nous avons lu ou entendu dire un jour ces mots qui nous ont impressionné : « Il n'y a point de prêtre, en quel- » que état qu'il soit, qui ne trouve un prêtre pour » l'absoudre. » Si cela est vrai, c'est dire assez qu'il y a des confesseurs qui ne font pas leur de- voir, car il y a malheureusement des prêtres qui ne méritent pas d'être absous.
Vous devez donc faire, en ce point si important, un choix judicieux. Ne prenez pas un confesseur
(1) Voyez le Saint Prêtre, chapitre De la Dévotion à la très- sainte Vierge, paere4ol.
— 392 —
au hasard ; l'affaire est trop grave pour que le hasard y intervienne.
Choisissez un confesseur éclairé, ferme, homme de règle, zélé pour le progrès spirituel de ses pé- nitents ; et parmi ceux qui réuniront ces qualités, choisissez le plus saint.
Tâchez qu'il ne soit pas trop éloigné du lieu de votre habitation, pour nètre pas tenté d'ajourner vos confessions.
Ne quittez pas votre confesseur sans une cause notable ; mais changez-le sans balancer s'il tran- sige avec vos défauts, s'il vous abandonne à vous-même, s'il ne prend aucun souci de votre perfection, s'il ne prête pas main-forte à l'exécution de votre règlement, si, en un mot, il est tout autre que vous ne pensiez.
Disons-le, nos confesseurs sont souvent ce que nous les faisons. Quand ils nous voient indifférents pour tout ce qui est de la perfection, ils nous trai- tent comme des prêtres ordinaires et ne visent qu'à nous tenir en garde contre le péché mortel. Pour ne pas fausser à ce point la grande affaire de la direc- tion de votre âme, formez votre confesseur si vous voulez qu'il vous forme à son tour ; et, pour cela, dites-lui dès la première confession que vous lui ferez : « Mon Père, je suis un pauvre jeune prêtre » en qui il y a de la bonne volonté, mais beau- » coup de faiblesse ; j'ai promis à Dieu, en quittant » le séminaire, de mener une vie fervente dans » mon saint état ; aidez-moi, je vous en conjure, » k réaliser ma promesse. J'ai fait un règlement » que mon confesseur a approuvé et qu'il m'a fait » promettre d'observer jusqu'à la mort. Le voici :
— 203 —
» lisez-le, je vous prie, à quelque moment de loisir » et pressez-en vivement Texécution. En grâce, » ne me passez rien ; interrogez-moi sur ce rè- » glement comme s'il était la loi même de Dieu. » Si vous voyez que je me relâche sur quelqu'un » de ses points, donnez-moi la pratique journalière » de ce point pour pénitence. Mes principaux dé- » fauts sont l'orgueil, la vivacité, le peu d'ardeur » pour l'étude, etc. Descendez à chaque confession i> dans le détail des péchés que ces défauts me fe- » ront commettre ; appelez vivement mon at- )) tention sur ces péchés, jamais je ne m'offenserai » de vos réprimandes ; elles me prouveront au » contraire l'intérêt que vous prendrez à mon àmc. » Si mes confessions deviennent un peu plus rares » qu'au passé, avertissez-moi dès que vous le » rembarquerez. Je veux être un saint prêtre, ne » négligez rien pour me forcer à le devenir. »
Que de jeunes prêtres éviteraient le relâchement et se maintiendraient dans l'habitude de la fer- veur, s'ils suivaient ces règles ! Suivez-les, vous, avec fidélité, et vous verrez quels prodiges de grâce elles opéreront en vous.
Appliquez ces principes aux prêtres dont vous serez plus tard le directeur.
Un mot seulement encore : Confessez-vous fré- quemment. Les saints prêtres se confessent toutes les semaines ; les bons prêtres ordinaires ne dé- passent pas la quinzaine : se confesser plus rare- ment, est un signe évident de relâchement et de tiédeur (1).
(1) Voyez et lisez attentivement le chapitre du Saint Prêtre, intitulé : Le prêtre à confesse, etc., page 46 i.
— 394 — XVIÏI. — Considérations générales sur le saint ministère.
Nous avons vu votre arrivée dans la paroisse, vos premiers rapports avec votre curé, vos pre- mières visites aux paroissiens et votre première apparition à Téglise. Nous avons vu ensuite les divers points de conduite personnelle qui font l'ob- jet du règlement que vous avez adopté ; il nous reste maintenant à vous donner quelques avis très-pratiques sur Texercice du saint ministère.
?>ous l'avons dit, la perspective de ce ministère auquel vous deviez être prochainement employé, était au séminaire la matière de vos préoccupations et de vos craintes; et aujourd'hui que vous allez vous mettre à l'œuvre, ces craintes augmentent au lieu de s'affaiblir. Mais écoutez-nous, jeune confrère : si vous êtes un saint prêtre, et si vous avez, pour ainsi dire, juré de continuer de l'être, loin de vous effrayer du divin ministère, vous de- vez l'embrasser avec une sainte allégresse. Que le mauvais prêtre et le prêtre tiède frémissent en s'y ingérant, cela doit être, ou plutôt cela devrait être : Dieu n'est pas avec eux, et quand on négocie l'œu- vre de Dieu sans le concours et l'appui de Dieu, on ne va pas loin sans faire des chutes affreuses. Mais quand on a des intentions pures; quand on se défie de soi-même et qu'on ne fait fond que sur l'assistance divine ; quand on veut résolument et à tout prix sauver des âmes et se sauver soi-même; pourquoi trembler? N'est-ce pas le cas de dire avec l'Apôtre : Si De^JS pro nohis, quis contra 7ios ?
La vie du prêtre, quand elle est ce qu'elle doit
— :vjo —
èire, est une vie éminemment sanclifiante : sanc- tifiante pour lui-môme, sanctifiante pour ses frères dont il est réellement le second rédempteur. Quelle vie que celle d'un homme qui est constamment ou en prière, ou à l'élude, ou en communication avec les âmes pour les gagner à Dieu ! Prenez la journée d'un saint prêtre depuis son lever jusqu'à son coucher, et dites-nous ce que vous y voyez d'efTrayant, ou plutôt dites-nous si tout n'y est pas matière de consolation et motif légitime de con- fiance.
Vous objecterez sans doute que la responsabi- lité des âmes que l'on dirige est terrible ; c'est vrai, et c'est ce qui doit faire prendre toutes les précautions pour n'être pas écrasé sous le poids d'un tel fardeau. Mais si on les prend, ces précau- tions, si l'on étudie selon ses moyens pour pouvoir se dire qu'on n'est pas dans une ignorance cou- pable ; si l'on consulte dans les cas embarrassants et douteux; si l'on cherche en Dieu par une prière fervente et assidue les lumières et l'appui qu'on ne trouve pas en soi-même; encore une fois, pour- quoi trembler ?
Yoyez le saint prêtre : quel calme ! quelle séré- nité ! quelle délicieuse ferveur ! nous ne craignons pas do le dire, il est incontestablement le plus heureux des hommes. Les tribulaiions mêmes dont il est quelquefois abreuvé, redoublent sa joie au lieu de l'altérer, et il dit comme saint Paul : 6'?^- perabundo gaudio in oiiini trihulatiGne nostrâ. Quel beau mot que celui de ce fervent jésuite qui , après avoir travaillé toute sa vie à sauver des âmes, répondit à quelques-uns de ses Itères qui lui disaient
306
de tempérer sa confiance en Dieu par la pensée de sa justice : <( Eh quoi! ai-je donc servi Mahomet? >> J"ai servi un Dieu fidèle et reconnaissant, quelle » crainte puis-je avoir? »
Rassurez- vous donc, bien-aimé confrère. Soyez un saint prêtre, vivez en saint prêtre, et après cela saluez d'un regard d'humilité et de confiance le glorieux ministère que vous allez remplir.
XIX. — Admiuistration du sacrement de Péuitcncc.
Vous le voyez, nous allons tout d'abord à ce qui vous inquiète davantage. L'idée d'entrer au saint tribunal vous saisit; les plus petites circonstances de la confession vous semblent embarrassantes : que dire au premier pénitent qui se présentera ? comment le recevoir ? quelles questions lui faire ? Soyez tranquille, tout cela va s'aplanir; car nous allons entrer dans les plus menus détails.
Inous supposons que vous avez la science au moins suffisante, que vous possédez bien la théo- logie morale, que vous avez repassé tout récem- ment le traité du Décalogue et ce qui regarde les péchés capitaux. Nous supposons de plus que vous avez lu et même étudié un long examen de con- science, qui vous a appris les questions principales qu'il faut faire sur chaque commandement. Nous supposons enfin que vous savez imperturbablement la formule de fabsolution et que, dans la prévision d'un trouble qui n'est pas rare, vous avez écrit cette formule pour la lire au besoin.
Tout étant ainsi disposé, on vous annonce que vous êtes attendu au confessionnal. En apprenant
i
— 3'J7 —
cette nouvelle, dites en vous-même : Dieu soit loué! Je vais travailler au salut des pécheurs . Adop- tez Fusage de cette aspiration, et produisez-la toutes les fois que vous serez demandé au saint tribunal; cela vous empêchera de donner en ces circonstances des marques de mécontentement qui sont loin d'édifier ceux qui en sont témoins : ce sera d'ailleurs déjà, une direction d'intention trè.s- convenable et que Dieu bénira.
Ilevétu du rocîiet, allez au pied de Taulel réciter la prière préparatoire du rituel, et, outre cette prière, faites-en une mentale, courte, mais très- fervente, pour demander à Dieu qu'il vous bénisse ainsi que les pénitents que vous allez entendre. — Vous pourriez ajouter : «Accordez-moi, Scig-neur, » par rintercession de Marie, de mon bon ange et » des bons anges de mes pénitents, lumières, » prudence, douceur, patience, charité et chasteté. » Amen. »
Au reste, quelle que soit la forme de votre pré- paration, Tessentiel est que vous en fassiez une, et que vous la fassiez avec beaucoup do dévotion intérieure et extérieure. 11 est Irès-fàcheux que des prêtres, et de bons prêtres, s'alfranchissent sans façon de cette préparation. On les voit, après une conversation souvent frivole à la sacristie, se rendre au confessionnal sans se recueillir un seul instant au pied de l'autel, pour penser à ce qu'ils vont faire. N'agissez pas ainsi; édifiez vos pénitents, qui tous vous oi)scrvent, par une pieuse prépara- tion. Vous ne vous dispenserez jamais de ce de- voir, si vous êtes toujours vivement pénétré de l'importante fonction que vous allez remplir. II. 23
— 398 —
Cette préparation faite, dirlg-ez-vous versle coii- fcssionual sans précipitation et les yeux modeste- ment baissés.
La confession va commencer : quand la bénédic- tion vous a été demandée par ces mots : MoaPèrc, bénissez-moi parce fjuc f ai péché, prononcez la for- mule do bénédiction : Dsussit in corde tuo, etc., et restez en silence jusqu'àce que le pénitent ait achevé la première partie du Confiteor. C'est ici que les con- fesseurs qui débutent éprouvent quelque embarras. Nous recommandons à nos jeunes lecteurs d'adop- ter, pour tout le temps qu'ils exerceront le saint mi- nistère, la méthode que nous allons leur proposer. Nous croyons d'abord que le confesseur doit prendre le premier la parole; cela met déjà le pénitent à Taise et diminue l'appréhension dont il est quelquefois saisi quand il est timide. Il y a des confesseurs qui ne disent pas \\\\ mot aux pénitents au début de la confession; ils les laissent s'expli- quer comme ils peuvent et ne semblent pas s'a- percevoir de leur timidité et de leur trouble. Ne vous conduisez pas de cette manière; diles, par exemple : « Comme c'est la première fois que vous » vous confessez à moi , il est possible que vous » éprouviez un peu de crainte et d'embarras : cela » n'est pas étonnant;- mais soyez tranquille, mon » enfant ; je me charge de vous interroger, ne vous » troublez point. Quels que soient les péchés que » vous ayez commis, je vais les entendre avec la » plus grande douceur et vous rendre la paix si » vous l'avez perdue. » Cette précaution est excel- lente à l'égard des nouveaux pénitents. Commen- cez ensuite le dialogue suivant :
— :]DU —
— Y a-t-il longîomps que vous no vous oies confessé ?
— Environ six mois, mon Père.
— Ileçiites-vous alors rabsolulion ?
— Oui, mon Père.
— N'avcz-vous rien, mon enfant, qui vous irou- bliî la conscience dans votre vie passée ?
— Non, mon Père, je suis tranquille sur mes anciennes confessions.
Si, au lieu de celte réponse, on vous disait ou si seulement on vous laissait entrevoir par un air de réticence et do contrainte, qu'on n'est pas par- faitement rassuré sur les confessions précédentes, éclaircissezlc mystère qu'on ne vous révèle qu'im- parfaitement et dites avec une grande douceur :
— Mettez-vous parfaitem.ent à l'aise, mon enfant; déclarez-moi bien franchement tout ce qui vous fait ombrage; aulant la mauvaise conscience est insupportable, autant la bonne est accompagnée de douceur et de consola' ion. Oh 1 que vous serez con- tent quand vous m'aurez dit tout ce que vous avez dans l'àme !
Quelquefois ce n'est pas à beaucoup près la dis- position ordinaire) on trouve des pénitents si timi- des, que ces moyens et d'anlres plus engageants encore ne suffisent pas pour obîeriir les aveux qu'on désire. C'est dans ce cas qu'il faut user d'une excessive douceur et des industries du vrai zèle pour atteindre son but. Il y a des pénitents si enveloppés et si peu disposés à manifester leurs misères, que, dans une confession d'une demi- heure, on ne peut leur arracher que trois ou qua- tre péchés. C'est un supplice pour les confesseurs;
— 400 —
mais ils cloivent s'abstenir, avec un soin extrême, de toute démonstration d'impatience et d'ennui. Ceci doit faire voir à quoi s'exposent des confes- seurs froids et indifférents qni laissent aux péni- tents toute la cliarge de la confession, sansValléger par quelques bonnes paroles.
Quand on a obtenu des aveux précis et suffi- samment détaillés, il faut voir si la conscience du pénitent est en assez bon état pour qu'on n'ait pas iDesoin de lui faire faire une confession générale. S'il en est ainsi, on lui dit d'être tranquille sur les confessioîis précédentes, et l'on se borne seule- ment à reciiercber les fautes qu'il a commises de- puis la dernière absolution. 11 va sans dire que c'est à cette dernière absolution qu'il faut remon- ter, lors même qu'il y aurait eu depuis quelques confessions sans absolution.
Les jeunes confesseurs doivent être en garde contre la tentation d'exiger trop légèrement des confessions générales ou des revues partielles de tous les pénitents qu'ils confessent; cela ne serait pas sans inconvénient, même très-grave, surtout pour les pénitents qui seraient fort timides et qui témoigneraient une grande répugnance à recom- mencer leurs confessions. Rappelons-nous que , selon les meilleurs théologiens, il ne faut obliger les pénitents à faire des confessions générales, que quand on a de fortes raisons de croire que les confessions antérieures n'ont pas été bonnes.
Première règle : Quand un pénitent n'est pas scrupuleux, ce dont il faut s'assurer avant tout, faites-lui faire une confession générale s'il en ex- primo lui-même formellement le désir. Encore
— 401 —
l)ioii que vous no voyiez pas posilivcmcnt qu'il soit néccssairo do fairo colle confession générale, vous devez croire que le péniteni a, pour s'y dé- terminer, des raisons sccrèles qu'ils vous fera con- naîlre dans le cours de la confession.
Deuxième règle : Si le pénitent veut absolument revenir sur le passé, failes-lui plutôt faire une confession générale qu'une revue partielle, à moins qu'il ne vous soit bien démontré qu'au delà dételle époque sa conscience était en un parfait état. Une confession générale n'est pas beaucoup plus lon- gue qu'une revue de quinze ou vingt ans, et sou- vent quand, pour gagner du temps, on ne fait faire qu'une revue, on s'aperçoit dans le cours de coite revue qu'une confession de toute la vie est nécessaire et qu'il eût été plus court de commencer par là.
Troisième règle : Si le péniteni, après sa der- nière absolution, est retombé presque aussitôt dans le péché mortel, et si, par une ou deux interroga- tions, V(jus voyez que la fréquence de ce péché constitue une habitude, et qu'avant la dernière absolution les choses se passaient comme elles se sont passées depuis, insistez fortement pour une confession générale ; car elle est très-souvent né- cessaire en ces circonstances, par défaut de con- trition, et quand bien mémo cette nécessité ne serait pas évidente, vous profiLer;^:^ de l'occasion pour dissiper l'illusion du péniten- e. lui faire voir que son péché est plus grave qu'il :.e pense, puis- que son habitude nécessite une co:i:ession géné- rale. On voit bien des pénitents ouvrir les yeux quand on appelle ainsi leur attention toute spé-
— 402 —
oiale sur une habitude dont ils avaient jusque-là ignoré la grièveté. u Ah! disent-ils avec surprise, » si mon confesseur m'avait éclairé coninK) vous » venez de le fidre, je n'en serais pas où j'en >y suis. » Et cela, malheureusement, n'est sou- vent que trop vrai.
Les choses étant éclaircics de la sorte, vous verrez nettement quelle sorte de confession votre pénitent devra faire. Ce sera ou une confession ordinaire, ou une revue partielle, ou une confes- sion générale.
Si vous ne faites faire qu'une confession ordi- naire, vous pourrez, si le pénitent semble suffisam- ment instruit et n'a pas l'air trop timide, lui dire de s'accuser des fautes dont il se souvient depuis sn dernière aljsolution. Quand il aura dit tout ce qu'il se rappellera, vous supriléerez à son accusa- tion par quelques interrogations appropriées à ses besoins spirituels et à sa condition. Pour être ren- seigné sur ce dernier point, vous lui demanderez, s'il ne vous l'a pas déjà dit, quelle est sa profes- sion, s'il est marié, s'il a des enfants, etc. : puis, quand l'accusation et les interrogations seront terminées, vous lui direz d'achever le Confiteor et vous lui ferez une exhortation, qui ne devra pas être très-longue, mais précise, substantielle, pres- sante, onctueuse et toujours relative aux princi- paux défauts qu'il vous aura fait connaître. Nous reviendrons un peu plus loin sur cette exhorta- tion. Cela fait, vous imposerez une pénitence en rapport avec l'état de conscience du pénitent, et vous donnerez l'absolution ou la bénédiction selon les circonstances. Enfin, vous fixerez Tépoque de
— AO'A —
la procliaiiie confossion, ce à quoi il ne faul jamais manquer, quel que soit l'état du pénitent.
Si vous l'aile.» faire une revue partielle, vous n'avez pas besoin de déployer tout Tappareil d'une confession générale. Sans indiquer clairement que vous allez parcourir l'un après l'autre tous les com- mandements de Dieu et de l'Eglise, ce qui pourrait re])uter le pénitent en lui faisant croire que cette revue sera très-longue, vous lui direz tout simple- ment que vous allez Tinterrogcr sur les fautes com- mises envers Bien, envers le prochain et envers lui- mènie, ainsi que sur les devoirs de son état. Cela ne vous empêchera pas de suivre dans vos interroga- tions l'ordre des commandements, sans qu'il s'en aperçoive. Ainsi, par exemple, en Finterrogeant sur ses devoirs envers Dieu, vous lui ferez des ques- tions, sur les trois premiers commandements de Dieu et sur tous les commandements de l'Eglise. En l'interrogeant sur ses devoirs envers le pro- chain, vous le questionnerez sur le quatrième, le cinquième et le septième commandements de Dieu. En l'interrogeant sur ses devoirs envers lui-même, vous ferez rouler vos questions sur le sixième com- mandement de Dieu et sur les péchés capitaux ; puis vous n'aurez plus à examiner que les fautes commises contre les devoirs de sa profession. De cette manière, on peut faire en fort peu de temps une longue revue très-exacte. Au reste, si le péni- tent avait donné à son examen une autre direc tion et qu'il désirât se confesser selon sa méthode, il faudrait, en général, accéder à son désir. Le reste de la confession se fera comme nous l'avons dit plus haut pour une confession ordinaire.
— 404 —
Si enfia vous faites l'aire une confession géné- rale complète, il faui:, avant de la commencer, exhorter brièvement, mais avec onction, le pénitent à être parfaitement sincère ! Dites- lui de ne pas s'eiTrayor des péchés, peut-être très-graves, qu'il a commis au passé ; donnez-lui l'assurance que plus ils seront considérables, plus vous userez de douceur et de charité en les entendant, etc. Cetle précaution est toujours très-utile et dispose le pé- nitent à faire sincèrement l'aveu de toutes ses fau- tes. Parcourez ensuite les commandements de Dieu et de l'Eglise, les péchés capitaux et les devoirs d'état. Quelques pénitents veulent partager leur vie en époques et se confesser successivement des péchés commis dans chaque période. C'est beau coup plus long, car on fait alors presque autant de confessions générales qu'il y a de périodes, puisqu'on suit pour chacune l'ordre des comman- dements, des péchés capitaux et des devoirs d'état. Nous ne pensons pas qu'on y gagne beaucoup, sous le rapport de l'intégrité. En suivant la mé- thode ordinaire, on peut aisément et l'on doit tenir compte, sur chaque commandement, des péchés commis aux diverses époques de la vie, ce qui suffit pour que la confession soit, moralement parlant, aussi entière que possible.
Quelquefois on peut, par exception, examiner tout d'abord le pénitent sur le sixième comman- dement. C'est, par exemple, lorsqu'il est tout troublé et presque exclusivement préoccupé des péchés graves qu'il a commis contre la sainte vertu. Proposez-lui, dans ce cas, de se décharger immédiatement du fardeau qui l'oppresse ; vous
— 405 •—
lui procurerez par là un grand soulagement qui Taidera à faire sa confession générale avec pins de calme et d'exactitude.
Ne recherchez pas minutieusement les péchés qui évidemment ne sont que véniels : leur accusation n'est pas nécessaire; elle rend la confession générale beaucoup plus longue, et la déclaration des péchés mortels vous fera suffisamment connaître les pé- chés véniels , sans qu'on vous les confesse expressément.
Si le pénitent vous prie de l'interroger, même avant qu'il se soit confessé d'aucun péché, in- terj'ogez-le, et, après l'avoir examiné sur un com- mandement, demandez-lui s'il se souvient encore de quelques péchés contre ce commandement avant de passer au suivant.
S'il fait lui-même et lui seul son accusation, ne le troublez pas par une multitude d'interrogations sur chaque péché qu'il déclare ; mais souvenez- vous des circonstances sur lesquelles il est im- portant de revenir, et revenez-y en effet quand il aura confessé tous les péchés qu'il se rappellera contre un commandement. Si cependant vous re- marquiez qu'il ne se trouble pas quand vous lui demandez quelques explications, demandez-les-lui immédiatement si vous croyez qu'elles soient né- cessaires ; vous serez plus sur de ne les pas oublier.
Ne fatiguez pas le pénitent par des séances trop longues ; quelquefois il en est si incommodé qu'il se trouve mal dans le confessionnal ; et puis, cela ennuie singulièrement ceux qui attendent.
Bornez-vous au strict nécessaire, surtout en ce qui touche le sixième commandement. Les jeunes n. 23.
— 4UG —
pivtres doiîiient souvent à cet égarJ Jans un excès plus nuisilîie qu'ulile. Quelque étendue que soit cerie rnalière, elle est bientôt épuisée quand on ne demande que ce qu'on doit rigoureusement de- mander. Revoyez ce que disent à ce sujet les théologiens les plus estimés : en vous conformant à leur enseignement, vous pourrez quelquefois ré- duire de plus de moitié vos interrogaiions.
Usez d'une prudence extrême en interrogeant, sur le sixième commandement, les enfants et les personnes plus càgées en qui vous ne voyez pas de désordres contre la pureté. Prenez bien garde, par des questions indiscrètes, d'apprendre le mal à ceux qui l'ignorent. Commencez par demander si Ton a commis quelques fautes impures et quelles sont ces fautes. Si vous allez plus loin, interrogez d'abord sur les pensées ; et si des enfants vous disent qu'ils en ont eu de mauvaises, faites-leur dire précisément à quoi ils pensaient quand ils avaient ces mauvaises pensées ; vous verrez sou- vent qu'elles n'étaient nullement contre la sainte vertu. Quelquefois cependant on voit des enfants qui disent n'avoir pas eu de mauvaises pensées, et qui s'accusent ensuite d'actions impures très- graves : cela vient de ce qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'une mauvaise pensée. Tout ceci de- mande beaucoup de prudence et de réserve.
Si l'on vous confesse des péchés énormes, pas un mot, pas un geste, pas un simple soupir étouffé, rien enfm qui annonce Tétonnement et l'espèce d'hor- reur que ces péchés vous inspirent. Si même vous remarquez beaucoup de confusion et un peu d'em- barras chez 1e pénitent, soulagez-le par quelques
— 407 —
pai'oles dencoMr.igeineiit. Dites-lui, par exemple : « Ne vous troublez pas, mon enfant ; rien ne » m'étonne de la part d'un pauvre pécheur qui a » rompu avec Dieu pour se mettre au service de » la passion ; ce qui m'étonne, au contraire, c'est » qu'il ne se soit pas encore rendu plus coupable. » llappelez-vous ce mot de saint Augustin : // n'y » a pas un seul péché commis par un homme , qui no )) puisse être commis par im autre homme. Je vous » assure, mon enfant, que plus vous me déclarez » de péchés graves, plus je me sens heureux; non )) pas sans doute que je me réjouisse que vous les » ayez commis, mais puisque le mal est fait, je me )) réjouis du fond de l'àme que vous preniez coura- )) geusementlemoyende le détruire. Oh! que vous » allez être content dans quelques instants ! Ne » rètes-vous pas déjà beaucoup plus qu'au com- » mencement de votre confession ! Courage donc, )) mon enfant, courage ; encore quelques aveux, et » vous allez respirer à l'aise. »
Après une confession générale, ne manquez pas, quand vous donnerez l'absolution, de presser vive- ment le pénitent de revenir très-prochainement à confesse. Faites-lui comprendre que, quoique ré- concilié avec Dieu, il est encore bien faible, et que le vrai moyen de s'affermir, c'est de recevoir sou- vent les sacrements, surtout jusqu'à ce qu'il ait contracté rhabilude de la vertu. Nous attachons à ce point une haute importante. Il y a des confes- seurs froids et indifférents qui abandonnent les pécheurs à eux-mêmes quand ils les ont retirés de l'abîme et qui n'ont pas seulement la pensée de les engager à se confesser de nouveau sous un
— 408 —
bref délai. Celte négligence est quelquefois la cause de rechutes graves et pernicieuses.
Terminons cette importante matière en signa- lant certains confesseurs qui remplissent fort mal le divin ministère qui leur est confié.
Il y a d'abord des confesseurs trop indulgents. Ils confondent la faiblesse avec Findulgence et ressemblent à ces parents aveugles qui gâtent leurs enfants au lieu de les corriger. Enclins par nature à la douceur et à la bonté, ils exagèrent ces deux excellentes choses, et pour s'épargner la peine d'une réprimande, ils ont toujours des ex- cuses toutes prêtes pour pallier les péchés qu'on leur déclare. Presque jamais ils ne disent nette- ment : Ceci est mal, il faut travailler sérieusement à s'en corriger. Les décisions les plus larges, que les théologiens les moins sévères regardent comme relâchées, sont celles qu'ils adoptent. Quelquefois, par une bizarrerie inexplicable, ils sont sévères en spéculation, sévères surtout dans la chaire, tandis que, dans la pratique, leur indulgence est sans bornes. Ils croient parla gagner les pécheurs, et très-souvent les pécheurs eux-mêmes sont les pre- miers à dire qu'ils sont trop doux, et que leur excès de douceur leur inspire des craintes et di- minue leur confiance. Au lieu de faire la guerre au péché, ils transigent avec lui et se croient de bons confesseurs et do tendres pères parce que, suivant l'expression vulgaire, ils passent tout. C'est un abus des plus graves et des plus compromet- tants pour Je oalut des pénitents et des confesseurs eux-mèinas. Suivons les théologiens d'une doc- trine approuvée quoique peu sévère, si nous vou-
— 409 —
Ions ; mais n'allons pas plus loin qu'eux, et sou- venons-nous bien que ce ne sont pas, générale- ment, les règles qui rebutent les pénitents, mais la manière sèclie et austère dont on les applique. Nous aurons rarement trop d'indulgence et de bonté pour recevoir les pécheurs et traiter avec eux ; mais nous en aurons certainement trop si nous voulons toujours excuser leurs péchés ou laisser passer sans rien dire ce que nous devons reprendre avec la douce énergie du vrai zèle : c'est le cas d'appliquer celte maxime : Suaviter m modo, for- titev in re.
Il y a, au contraire, des confesseurs tropsécères: autre excès dont les funestes conséquejices sont incalculables. Rigides par caractère, ils sont tou- jours campés dans la région des tempêtes. Tout les agace et les irrite; l'annonce d'une réduite leur fait aussitôt proférer des paroles de mécontente- ment et de reproche ; la manière peu exacte et peu correcte dont on se confesse, leur suggère sur-le- champ une verte réprimande ; la grossièreté de certains pénitents, qu'ils devraient supporter avec une indulgente bonté, provoque au contraire leur humeur violente ; les discussions surtout que sou- tiennent des pécheurs récalcitrants qu'ils ont peine à convaincre , les mettent hors d'eux-mêmes et, prenant la vivacité pour un argument sans répli- que, ils congédient brusquement de pauvres prodi- gues, qu'ils gagneraient peut-être par une con- duite plus miséricordieuse. C'est sous la direction de ces hommes que les pécheurs se découragent et abandonnent les sacrements ; c'est sous leur direc- tion que les âmes les plus saintes , n'osant leur
— -410 —
déclarer uu pck-lié grave commis dans un moment de faiblesse, se jettent dans Fabime du sacrilège où elles passent quelquefois toute leur vie : malheur eiTroyable qu'ils ne soupçonnent pas même ! Les confesseurs de cette trempe croiraient forfaire aux devoirs impérieux de leur charge, sils n'adoptaient pas sur tous les points les principes les plus sévè- res. Confondant même le mortel nvec le véniel, ils faussent les consciences par des décisions impru- dentes et renvoient sans pitié comme indignes d'absolution des âmes, qui, se croyant en état de damnation, se livrent au désespoir et tombent quel- quefois dans des péchés énormes. Gardons-nous dimiter jamais ce zèle impétueux qui a perdu tant d'àmes. Que le seigneur Jésus soit notre mo- dèle. Est-ce avec cette rigueur qu'il a traité Zachée, Madelaine, la femme adultère, la Samaritaine et tant d'autres? Est-ce sous ces traits qu'il s'est peint dans la ravissante parabole de l'Enfant pro- digue? Ah! que nous serions coupables si nous étions des juges inflexibles sur le tribunal de la miséricorde !
Il y a des confesseurs ignorants , routiniers , etc. Pour ceux-ci, plus de règles, plus de principes. Guidés par la fausse lueur de je ne sais quelle théologie du bon sens, comme ils rappellent, ils manœuvrent, ils décident, ils taillent, ils tranchent sans aucune connaissance tant soit peu approfon- die des matières qu'ils traitent. Leur conduite pas- sée, voilà la grande règle de leur conduite pré- sente. Ce qu'ils ont fait jusque-là; ils le font, ils le feront toujours. Parce qu'ils ont un peu étudié autrefois, ils croient n'avoir plus rien à apprendre
— ill —
cl n'avoii' lieii oiibiié. lies livres frivoles, ils en lisent à satiété ; des livres ihéologiques, ils n'en lisent iuicun, et laissent en repos ceux qu'ils pos- sèdent dans le coin le moins fréquenté de leurs bi!)liotbèqucs. Comme jamais ils ne doutent, ja- mais non plus ils ne consultent. Les questions les plus graves et les plus épineuses sont pour eux des c[uestions puériles, et s'ils voient de temps eu temps qu'elles embarrassent quelques-uns de leurs confrères, ils rient en secret de leurs indécisions et ne pensent pas seulement à s'assurer s'ils sui- vent eux-mêmes les saines doctrines en ces ma- tières délicates. Et, qu'on ne s'y trompe pas, cette ignorance se trouve quelquefois chez ceux qui sont instruits d'ailleurs, tout aussi bien que chez qui . manquent totalement d'instruclion. On peut tout savoir, excepté un point ; et si ce point est grave, si c'est, par exemple, la théologie qu'un confesseur ignore, quelles que soient ses autres connaissances, il n'en fera pas moins des fautes considérables dans l'exercice. de son ministère. Tremblons, tremblons d'en venir là; étudions, étu- dions sans cesse ; jamais nous ne reverrons notre théologie morale sans y apprendre quelque chose qui nous avait d'abord échappé. Quelque dose de talent que nous puissions avoir, nous pouvons faire fausse route dans l'art si difficile et si impor- tant delà conduite des âmes. La pensée môme de notre talent est une illusion des plus dangereuses, qui nous persuade que nous savons ce que, par le fait, nous ne savons point ou nous ne savons plus, il y a des confesseurs sans zèle, sans attrait pour le ministère de la confession. Cela est déplorable,
— ^i[2 —
mais mallicurcusement cela est vrai. Oui, l'on voit des prèires, pasteurs de paroisses, tellement dé- goûtés du saint tribunal, qu'ils s'y traînent avec indolence, au lieu d'y voler avec une sainte ardeur. C'est le zèle qui leur fait défaut. L'amour du jeu, de la bonne chère, des voyages et des visites mon- daines les absorbe tout entiers. Comme il n'y a rien de plus opposé à ces futilités qu'une séance au confessionnal, ils font tout ce qu'ils peuvent pour s'y soustraire. Encore s'ils dissimulaient, par un reste de vertu, l'eDmii que ce ministère leur cause ; mais non, tout le monde sait, et peut-être ne sont-ils pas fâchés qu'on le sache, que la con- fession les fatigue et les rebute. Leur dégoût, sur ce point, se trahit par le défaut d'heures réglées pour entendre les confessions, par la mauvaise réception qu'ils font à ceux qui se présentent pour se confesser, par le peu de zèle qu'ils mettent à courir après les pécheurs, par la froideur avec la- quelle ils accueillent les pénitents, par la rapidité avec laquelle ils les expédient, par l'ardeur cju'ils montrent au contraire pour de vains amusements, et, le croirait-on ? par la déclaration positive qu'ils font que les confessions les plus fréquentes ne sont pas les meilleures. Ces indices, qui ne trompent personne, font voir manifestement à tout le monde que la confession leur est antipathique. Or, sachons- le bien, quand un prêtre est connu pour ne pas himer la confession, c'en est fait de son ministère. Sous sa conduite, les pécheurs restent pécheurs, les tièdes restent tièdes, les àmcs pieuses elles- mêmes se refroidissent et s'éloignent du saint tribunal, dans la crainte de mécontenter, en s'y
rciulaut, celui qui les ropoust^o par son iiisoiiciancc. Oiiel malheur si nous ressemblions jamais à cet homme froid et sans zèleî Vivons en sahits prêtres, aimons la retraite, fuyons le monde, soyons des hommes de règle, d'étude et de prière, faisons sa- voir que le saint tribunal est pour nous un lieu de douce consolation, méditons souvent sur le prix des âmes, sur l'importance du ministère de la con- fession, importance que rien n'égale dans toutes les fonctions du sacerdoce, et alors nous serons des confesseurs bénis de Dieu et des hommes.
11 y a des confesseurs qui négligent une portion très -intéressante du troupeau de Jésus-Christ : les enfants (1). Qui nous donnera d'allumer le feu du zèle dans l'àme des prêtres pour le salut des petits agneaux du divin Sauveur ? Nous disons tous les jours que la culture du jeune âge exerce une in- fluence immense sur lo reste de la vie, et nous négligeons les enfants ! Explique qui pourra cet excès d'inconséquence. A voir la conduite d'un très- grand nombre de confesseurs à l'égard des enfants, on dirait qu'ils ne peuvent leur être utiles au saint tribunal qu'à l'époque de leur première communion. Jusqu'à cette époque, s'ils les confessent, c'est par manière d'acquit, sans goût, saus attrait, sans le moindre intérêt, et uniquement pour oijéir à uiie vieille coutume, qui veut que les enfants se pré- sentent de temps en temps à confesse comme des automates, (juils soient en état de grâce ou qu'ils n'y soient plus; qu'ils soient purs comme des anges
(1) Voyoz le Directeur de Veiifince, par M. TaLbé Ody; ouvrage très-utile et cpii mérite dï-tre reconunundé et pro- pagé.
— 414 —
ou ooiTOiiipiis déjà jusqii'à la moelle des os ; qu'ils soient iustruiis de leur religion ou ignorants comme des sauvages ; qu'ils soient accessibles à la contrition, pour peu qu'on veuille se donner ia peine de la développer dans leur âme, ou qu'ils soient endurcis déjà comme de vieux pécheurs, c'est de quoi s'embarrassent fort peu les confes- seurs dont nous parlons. L'époque de la première communion, et cette époque seule, excitera subite- ment l'ardeur de leur zèle. Jusque-là ils dormiront tranquilles, et après quelques paroles glacées, ils renverront ces pauvres enfants dans l'abîme de péchés où si souvent ils croupissent.
Nous l'affirmons avec l'énergie d'une inébran- lable conviction : il y a dans cette conduite ou de Finsouciance, ou de l'aveuglement, ou de l'igno- rance, ou de l'insensibilité poussée jusqu'à une espèce de cruauté spirituelle.
Nous l'affirmons encore et avec un redoublement de conviction : plusieurs enfants soîit capables d'absolution avant l'époque de leur première com- jnunion ; ils peuvent, avec un peu de soin et de cul- ture, y être disposés très-convenablement ; ils sont exposés, et cela se voit tous les jours, à des acci- dents subits qui leur enlèvent en quelques instants la possibilité de se confesser ; ils s'endurciront dans le mal, peut-éire pour toute leur vie, si on ne les en retire pas par des confessions fréquentes et des absolutions données à propos ; et la première com- munion, sur laquelle on compte pour les régénérer, sera peut-être un premier sacrilège, suivi d'une in- finité d'autres qu'il eût été facile de prévenir.
N'agissez pas ainsi, jeunes et tendres amis ; cul-
— iio —
li\c/, cullivcz roiifanco ; iusiruisoz Jos [jt^lils oiU'anis au saint Iriljunal ; faites-leur comprendre ce que c'est que le péché mortel, à quoi ils s'expo- sent quand ils le commettent, l'ouîrage qu'ils font à Dieu, la nécessité d'en sortir, etc. ; et quand vous les aurez disposés suffisamment à l'absolution, ne manquez pas de la leur donner, car vous répondrez de leurs âmes comme do celle dos adultes. C'est, au reste, renseignement commun aujourd'hui, et la routine seule persiste à plaider pour un ancien usage, qui n'a, hélas ! que trop longtemps prévalu.
il y a eniui des confesseurs qui ne dirigent pas leurs pénitents et qui les laissent se diriger eux- mêmes. Nous prions Instamment nos jeunes lec- teurs de prêter une attention toute particulière à ce que nous allons leur dire sur ce point si im- portant.
En général, tout confesseur se croit un bon con- fesseur ; il a sa petite méthode qu'il trouve excel- lente, et comme il en est l'auteur et que personne n'ose lui dire qu elle est défectueuse, il la suit in- varialilement et la préfère à toute autre. Or, il est certain qu'il y a beaucoup de confesseurs qui lais- sent singulièrement à désirer, relativement à la direction proprement dite de leurs pénitents. Des donneurs d'absolution, nous en avons à foison ; mais des directeurs qui cultivent avec soin et avec un zèle intelligent les âmes que Dieu leur confie, nous croyons fermement qu'ils sont en très-petit nom])re.
Nous entendons tous les jours et de tous cotés des personnes du monde qui nous disent: indiquez- nous donc un bon coiifesseur. Nous leur en pro-
— 416 —
posons successivement plusieurs ; mais, connais- sant par elles-mêmes leur mode de direction, ou en ayant entendu parler à quelques-uns de leurs pénitents, elles nous répondent que ces confesseurs sont loin de les sallsfaire. Si ces personnes étaient peu éclairées, scrupuleuses ou exigeantes à l'excès, nous ne ferions pas grand cas de leurs réckuna- tions et de leurs plaintes ; mais ce sont souvent des personnes graves, d'un excellent esprit, rem- plies de bonne volonté, et désirant sincèrement trouver dans leur confesseur un homme qui les aide à se corriger de leurs défauts et à progresser dans la vertu. Il faut convenir que ces diverses qualités donnent du poids à leurs censures. Que reprochent-elles donc, en général, aux confesseurs? Elles disent : « Tel confesseur écoute ce qu'on lui » déclare, mais il se borne à l'écouter sans faire » la moindre observation sur ce qu'on lui con- » fesse : il ne fait aucune question, il ne demaufle » aucun éclaircissement, il ne va jamais au fond » des choses, il ne fait point ressortir la malice » des péchés dont on s'accuse, il n'en montre 0 point les conséquences, il n'indique point les » moyens de se corriger de ses défauts, il ne dit » pas un mot, même dans son exhortation, des » péchés dont on s'est confessé ; il laisse dans le » doute si telle ou telle faute est mortelle ou vé- » nielle ; en un mot, il prend ce quon lui donne et » passe outre, comme si on ne lui avait dit que » des choses insignifiantes, et, la confession finie, » il ne nous dit pas même quand il faudra revenir » à confesse : or, cette espèce d'indifférence nous w met mal à l'aise ; nous en sommes réduits à
— 417 —
noiin diriger nous-m'iraos, et comme nous ne )» voyons aucune amélioration dans notre conduite, » nous en concluons que, pour op-érer une réforme, )) que nous disirons siucèremout au fond, il fau- » drait que notre propre direction fut soutenue, » réglée et fortifiée par celle de notre confesseur, » ce qui n'a pas lieu. »
Comment ne pas voir que ces observations sont judicieuses, et que le confesseur qui se les attire mérite réellement les reproches qu'on lui fait? Mctlez-les à profit, vous, jeune et bien-aimé con- frère. Vous n'avez point encore de méthode ou plutôt de routine adoptée; prenez donc la résolu- lion de cultiver sans relâche les âmes que la divine Providence placera sous votre direction. Imitez le bon jardinier qui soigne parfaitement tous les arbres de son jardin, et ne ressemblez pas à cet horticulteur indolent, qui les a])andonne à eux- mêmes sans s'occuper de les tailler, de les diriger, do les cultiver suivant les besoins particuliers de chacun. En d'autres termes, ne bornez pas le mi- nistère du saint tribunal à entendre les pénitents et à lever la main pour les absoudre ; ne vous con- tentez pas de leur adresser une exhortation vague qui n'emijrasse rien de précis parce qu'elle em- brasse tout en bloc : c'est quelque chose, sans doute, mais ce n'est pas à beaucoup près tout ce que Dieu demande de vous. Si vous ne faites que cela, vous laisserez une multitude d'àmes dans l'ignorance, dans l'aveuglement, ou dans des in- certitudes plus pénibles et plus dangereuses en- core, à certains égards, que l'ignorance elle-même; vous les entretiendrez dans des habitudes qui de-
— 418 —
viendront morlellos, si elles ne le fiont pas déjà ; et tons ces égarements étant le iruit de votre mau- vaise direction ou plutôt do voire défaut complet do direction, vous seront justement imputables.
Pour ne pas perdre les âmes que vous devez sauver, traitez chaque péniicnt comme un médecin éclairé traite ses malades, el non comme ces char- latans et ces empiriques qui ont le môme remède pour toutes les maladies. Spirituellement parlant, tous vos pénitents sont des malades dont vous de- vez entreprendre la guérison. Examinez donc à fond les maladies dont ils sont atteints ; interrogez- les , éclairez-les, reprenez-les, intruisez-les des moyens qu'ils doivent employer pour no pas faire de nouvelles chutes : ressuscitez les morts et apprenez-leur le secret de ne plus mourir; aficr- missez les faibles et faites-leur voir les funestes conséquences de leur faiblesse ; fortifiez même les robustes et rendez-les en quelque sorte invulné- rables. Ne fissioz-vous que leur prouver, par les empressements de votre zèle, que vous leur portez un vif intérôr, ce serait déjà pour eux un encou- ragement et une consolation, en même temps que ce serait pour vous un moyen assuré de gagner leur confiance ; mais là ne se bornera pas le fruit de voire sage direction; -elle en porîcra bien d'au- tres que jamais vous n'obtiendrez, si vous n'êtes que co?ifesseup au lieu d'être directeur dans la ri- goureuse acceplion de ce mot. Au rcsle, ce n'est pas nous qui inventons ces règles ; nous les avons reçues, comme tous nos confrères, do rEvSprit saint lui-m^ême, qui nous dit par la bouche du grand Apotrc : Liàta opportu-iè, importiuièy anjuc, obse-
— ill) —
cra, incrcpo., in omni patieiitiâ et chtctrind vi-
gila, in omnibus lahora , ministenitm tmim ini-
j)le..^o\\h. ce que fait îe bon confesseur, et voilà ce que vous devez faire à son exemple si vous voulez glorifier Dieu, ferlilifior votre ministère, sauver des àmcs et vous sauver vous-même. Au nom de Jésus-Christ qui vous appelle à riioiineur d'être son ministre, nous vous conjurons de ne sordr jamais de la ligne de conduite que nous ve- nons de vous tracer (1).
XX. ~ La prudicaiioii.
Yoilii ce qu on appelle le côlé brillant de notre ministère ; mais malheur à nous si nous ne l'envi- sageons que sous cet aspect! Les jeunes prêtres se plaisent beaucoup dans la chaire, et s'ils se plai- gnent de quelque chose à cet égard, c'est qu'on ne les invite pas plus souvent à y monter. Dieu veuille que ce soit toujours l'inspiration du vrai zèle qui leur donne cette ardeur î
Estimez beaucoup le ministère de la parole. Entre les mains d'un saint prêtre, il opère des prodiges.
Si votre curé vous fait beaucoup prêcher, rc- merciez-le du service qu'il vous rend, et, pour répondre h la marque de confiance qu'il vous té- moigne, mettez-vous aussitôt à l'œuvre, préparez parfaitemeiit vos instructions, apprenez-les cou- ramment de mot à mot, prêchez enfhi aussi l)icn que vous le pouvez faire avec la dose de talent que Dieu vous a départie.
(i) Voyez Pratique du zcle ecclésiastique, troi.sièiiio parliv^, Svis aux confesseurs.
— 420 —
Si, an contraire, il vous fait prêcher rarement, ne vous en plaignez pas avec amermme, demandez- lui la faveur de prêcher un peu plus souvent, mais faifes-iui cette demande de bonne gTiice, avec dou- ceur et simplicité, et abandonnez le reste à la Providence.
Consultez voire curé sur les sujets que vous devez traiter, sur la manière de les traiter et sur le choix des auteurs dont vous pouvez vous servir avec avantage. Montrez-lui vos sermons avant de les prêcher ; priez-le de vous signaler sans dégui- sement les endroits défectueux, et modifiez votre travail selon les observations qu'il vous fera.
Si Ton vous invite fréquemment à prêcher dans les paroisses voisines, n'acceptez point toutes les invitations qui vous seront faites; n'en acceptez surtout aucune sans Tassentiment de votre curé.
Que la piété soit un trait saillant dans vos com- positions oratoires. Pour cela, imitez les saints et tendez toujours à une sainteté plus éminente ; faites comme eux vos sermons au pied de votre crucifix, le baisant souvent avec amour pendant votre travail el j)riant Jésus de vous enflammer do son divin feu.
Mais voyons maintenant les écueils que vous devez éviter dans l'exercice de ce divin ministère.
\" L'iijnoranco : En sortant du séminaire, on croit tout savoir, et plusieurs de nos jeunes confrères auront peine à croire, quoique ce soit très-véritable, qu'ils connaissent bien moins do choses qu'il ne leur en reste à apprendre. Qu'est-ce qu'un prédicateur ? C'est, à la lettre, un professeur de dogme et de morale ; ses auditeurs sont ses
— 'r2[ —
élèves. Or, lious le demandons, n'est-il pas vrai que pour professer convenablement ces deux cho- ses, il manque à un jeune prêtre des connaissances plus approfondies que celles qui possède ? Il se li- gure qu'un sermon n'est qu'un discours ou une sorte d'amplification chrétienne, comme on en fait dans les collèges sur des sujets profanes. Quand il a cousu quelques phrases les unes au bout des au- tres en assez grand nombre pour pouvoiL* débiler je ne sais quoi pendant la durée ordinaire d'un sermon, il croil avoir fait une couvre de mérite. 11 ne sait pas, l'aveugle, qu'un sermon, ou même un simple prone, est ou doit être une dissertation, consciencieusement travaillée sur un point théo- logique. Quand il n'est pas pénétré de cette vérité, il ne consulte que son imagination, sans s'inquiéter le moins du monde de ce qu'enseignent, sur la matière qu'il traite, FEcriture sainte cl la théologie. Quel est, de bonne loi, le jeune prêtre qui s'enferme dans ces deux arsenaux, pour composer un ser- mon la Î3ible à la main et la théologie, par exemple, la Soiiunc de saint Thomas sous les yeux? {!o- pendant, nous affirmons positivement que jamais il ne dira rien de solide, de précis et d'instrucîif sil ne s'inspire à ces deux sources. Nor.s ne con- naissons rien de plus creux ci de plus vide que les premières pièces d'un prédicateur novice. Aussi les peuples eux-mêmes s'en aperçoivent-ils tout d'abord. A quoi se réduisent presque toujours les éloges qu'ils font d'un jeune prédicatenr ? Disent- ils qu'il prêche bien ? Non, ils disent qxxïl prêchera bien, qu'il annonce des dispositions, et que quand il sera formé et quil aura de lcx[t(:ricnce, il pourra n. -24
— /l^") —
exercer avec fruit le ministère de la parole. Encore plusieurs ne le jugent-ils guère que sur son débit, sur sa facilité d'élocuiion, sur son geste, sur son assurance et son aplomb, cachet ordinaire de Fi- gnorance qui ne doute de rien.
Etudiez, jeune confrère, étudiez beaucoup si vous voulez réaliser le pronostic de vos auditeurs. Quel que soit le sujet que vous traitiez, commencez par vous convaincre que vous manquez de matériaux pour le bien traiter, et ces matériaux, allez les chercher où il se trouvent, c'est-à-dire dans YÉ- criture sainte et la théologie. Quant aux détails de mcBurs que vous ne connaissez pas, que vous ne pouvez pas bien connaître, étudiez-les dans de bons moralistes et do bons ascétiques, en attendant que rexpérience, qui vous manque totalement, ait complété votre instruction sous ce rapport;
Permettez - moi , pour votre instruction , un épanchement fraternel ; c'est un vieux pilote qui va révéler une de ses fausses manœuvres à de jeunes matelots. Eh bien ! donc, moi aussi, j'ai fait autrefois ce que je vous exhorte à ne pas faire; moi aussi, je me suis persuadé, au début do mon ministère, que je pouvais prêcher avec fruit en ne consultant que ma pauvre tète et ma folle imagination ; mais bientôt, grâce à Dieu, j'ai re- connu mon illusion, et je vous déclare qu'une des plus grandes confusions de ma vie a été de revoir plus tard mes premiers sermons. Puisse ma triste expérience vous faire éviter l'écueil que je n'ai pas su éviter moi-même !
2^ La présomption. Les jeunes prédicateurs , quand ils ont quelque ombre de succès, sont gé-
— 423 —
néralemont tenlés de se regarder comme des orateurs déjà fort remarquables. Ils feraient rire de pitié s'ils produisaient dans tout son jour la bonne opinion qu'ils ont d'eux-mêmes.
Cette présomption qui les aveugle entretient chez eux l'ignorance dont nous parlions tout à l'heure, et leur donne une telle confiance en leur propre mérite, qu'ils dédaignent de consalter soit leur curé, soit quelque autre prêtre instruit et expéri- menté, sur le choix des sujets et sur la manière de les traiter. Ils repoussent avec le même dédain les ouvrages que des hommes habiles ont compo- sés, dans le but de former les jennes gens à l'élo- quence sacrée. La présomption leur fait croire qu'ils ont dans leur tète beaucoup mieux que tout ce qu'on peut leur dire, et qu'ils auraient grand tort d'aller chercher chez autrui ce qu'ils trouvent si abondamment en eux-mêmes.
C'est encore la présomption qui leur met dans l'esprit qu'ils peuvent se multiplier pour prêcher partout où on les appelle; nous en avons déjà dit un mot plus haut. Comme il se trouve de tous côtés bon noml)re de curés qni n'ont plus depuis longtemps pour la prédication la bouillante ardeur des débutants, — car ce beau feu s'amortit sou- vent assez vite, — ils ne demandent pas mieux que d'inviter notre jeune présomptueux à prêcher dans leur église; et quand il se voit recherché de la sorte, il s'affermit de plus en plus dans la haute opinion qu'il a de son talent, et peut-être va-t-il jusqu'à se dire secrètement à lui-même : Décidé- ment, je suis le prédicateur de la contrée. Dès lors comment prendrait-il la peine de travailler, d'étu-
dier, de faire de fastidieuses recîierchcs et de con- sulter ses confrères, puisque sa présomption lui persuade qu'il a reçu, comme par infusion, le talent de la prédication tout développé?
Sa confumce en lui-même se révèle encore par l'absence de toute modestie et par cette assurance imperturbable et presque audacieuse, déplacée chez tous les prédicateurs, mais bien plus chez les jeu- nes q;io chez les anciens. On en voit qui n'ont pas encore u:ie année de prêtrise, et qui déji, la tète renversée et les poings fermés, gourmandcnt et dominent un auditoire avec une hauteur et un aplomb qui affectent péniblement tous ceux qui les entendent.
Une autre inspiration bien mauvaise que sug- gère aussi la présomption, c'est celle qui persuade à un déljutant qu'il peut prêcher d'abondance et s'affranchir par là de la peine d'écrire ses sermons et de l'ennui de les apprendre. N'est-il pas absurde qu'un jeune prêtre, à peine sorti du séminaire, s'érige en improvisateur comme un vieux mission- naire de trente ans d'exercice ? C'est toujours ou un présomptueux, ou un paresseux, ou un esprit faux qui agit ainsi. L'essentiel, pour lui, n'est pas d'instruire, mais de pouvoir se dire avec une secrète complaisance en son prétendu mérite : J'ai parlé pendant une demi-heure à un auditoire sans bron- cher; j'ai donc réellement le talent de l'improvisa- tion, et dès lors qu'on ne me parle plus de com- poser ni d'apprendre de mémoire; mon parti est pris, je parlerai d'abondance. En effet, quand ce jeune étourdi s'est mis cette belle idée en tète , aucune autorité ne peut le faire fléchir. Son curé,
SCS collègues , SCS hauts siipcricurs enx-mcmcs , et jusqu'à quelques laïques de ses amis intimes ont beau lui faire à cet égard les observations les plus judicieuses; ils ont beau lui dire ou du moins lui faire entendre que lui seul admire ses sermons et que tout le monde, sauf les flatteurs, les trouve vagues, incorrects, négligés, pleins de redites, sans aucun fonds de doctrine, et plutôt propres à dégoûter de la parole de Dieu qu'à la faire aimer ; rien de tout cela ne l'ébranlé, et à toutes ces objec- tions il répond par un sourire railleur qui veut dire : Ainsi doivent parler ceux qui n'ont pas comme moi le don de l'improvisation.
Il va plus loin encore : toujours influencé et aveuglé par sa présomption, il s'imagine que la prédication est un mérite qui suppose tous les autres ou qui du moins en tient lieu, et parce qu'il se croit un prédicateur distingué, il n'estime que le don de la parole et néglige les autres bj*an- ches du saint ministère. Tout rempli de l'idée, souvent exagérée, de son talent pour la chaire, il accueille certaines vues ambitieuses et s'attend à chaque instant à se voir appelé par ses supérieurs aux postes élevés qu'il convoite. Son imagination, follement séduite par ces pitoyables illusions, porte un coup mortel à sa piété ; il continue de prêcher, mais il ne prêche point connue les saints, qui n'ol)- tenaient leurs étonnants succès que par l'humilité, la défiance d'eux-mêmes et la confiance en Dieu.
N'imitez pas ce pauvre aveugle, vous, jeune et
bien-aimé lecteur ; ne vous laissez pas infatuer par
la vaine pensée de votre valeur oratoire; rabattez,
rabattez beaucoup des louanges llatteuses qu'on a
II. 24.
— 42G —
rimprudence de vous donner pour encourager vos premiers essais ; cultivez votre talent sans en faire parade; montez plutôt dans la chaire de la paroisse à îac[uelle vous êtes attaché, que dans celles des paroisses voisines où vous appellent des curés qui peut-être vous invitent à prêcher bien plus pour que vous fassiez leur besogne, que pour admirer votre éloquence ; remplacez enfin votre présomp- tion par riiumilité, et visez à devenir un prédicateur solide, instruit, modeste, vraiment apostolique et homme de Dieu.
.3° La vaine gloire. De la présomption à la vaine gloire il n'y a qu'un pas, et ce pas, les jeunes prédicateurs l'ont bientôt franchi. Se prêcher soi- même au lieu de prêcher Dieu et sa sainte loi : quelle prévarication ! Monter en chaire comme ambassadeur de Jésus-Christ, parler à des âmes rachetées du sang de Jésus-Christ, proclamer FE- vangile de Jésus-Christ, avoir pour premier auditeur et pour président de l'assemblée le Dieu du taber- nacle, Jésus-Christ ; et ne rechercher dans ce divin ministère que sa propre gloire sans vouloir écouter cette parole foudroyante : Gloriam meam alteri non dabo ; quel aveuglement ! quelle profanation ! Ah ! si nous avions les sentiments des saints, de quel frémissement nous serions saisis en méditant la réflexion de l'un d'eux à ce sujet ! « Celui, dit saint » Yincent de Paul, qui prêche pour se faire ap- » plaudir, louer, estimer, faire parler de soi, que » fait-il autre chose qu'un sacrilège ? Eh quoi ! » n'est-ce pas un sacrilège que de se servir de la » parole de Dieu pour acquérir de l'honneur et de » la réputation? »
— /rJ7 —
Prenez gaiNle, jeune téméraire, prenez garJc ; sans doute la vaine gloire, chez un prédicateur, est horrible aux yeux de la foi ; mais, à un autre point de vue, elle est séduisante, attrayante, eni- vrante, elle chatouille délicieusement la ûhra la plus sensible de la pauvre humanité.
Que de chutes humiliantes ont eu la vaine gloire pour premier principe ! Rien ne nous fait plus trem- bler que les succès réels ou prétendus d'un jeune prédicateur. Quand nous le voyons se lancer dans sa sainte carrière sous la bannière de l'orgueil, nous ne sommes plus surpris lorsque, plus tard, on nous fait le triste récit de ses désordres.
Si, par hasard. Dieu daigne opérer quelques con- versions à la suite de ses prédications, comme un excellent ouvrier produit quelquefois unbel ouvrage avec un mauvais instrument, il s'enfle, il s'admire, il s'extasie devant son éloquence à laquelle il attribue le mérite de ces conversions. Ah! qu'il ferait bien mieux de méditer ces belles paroles du P. de la Co- lombière dans sa Retraite spirituelle ! « Quand on » connaît, dit-il, ce que c'est que sauver une âme )) et ce que nous sommes, on est bientôt persuadé » qu'on n'y peut rien. Quelle fohe de penser qu'avec » quelques paroles qu'on dit en passant, on puisse » faire ce qui a tant coûté à Jésus-Christ ! Vous par- » lez, et une âme se convertit ; c'est comme au jeu » des marionnettes : le valet commande à la poupée » de danser, et le maître la remue par le moyen d'un » ressort : le commandement n'y fait rien du tout. » Exi à me, quia homo peccator sum, Domine : le » beau sentiment en une âme en qui ou par qui » Dieu opère quelque chose d'extraordinaire ! »
— 428 —
Plus le niiiiistère de la parole a cVéclat, plus vous devez vous abaisser dans les profondeurs de riiuniilité : plus vous avez de succès dans ce mi- nistère, plus vous devez appréhender de vous en attribuer le mérite. Purifiez vos intentions ; hu- miliez-vous de voir que Dieu vous confie un emploi dont vous êtes si indigne ; fermez la bouche aux flatteurs ; prêtez l'oreille aux critiques ; faites un acte d'humilité avant de monter en chaire ; faites-en un second quand vous en serez descendu, et lorsque la vaine gloire vous étourdira de son bourdon- nement, répétez pieusement ces paroles de David : Non nohis, Domine^ non nobis, sed nomini tuo da fjloriam .
40 jT/, mauvais choix des sujets et la 7nauvaise maniera de les traiter. Youlez-vous prêcher pour conquérir des éloges, ou voulez-vous prêcher pour être utile aux peuples ? Youlez-A ous faire dire à quelques gens superficiels que vous êtes orateur, que vous êtes savant, que vous êtes profond ; ou voulez-vous faire dire à la masse des hommes sages que vous connaissez la loi de Dieu, que vous l'expliquez clairement et que vous en inspirez l'a- mour à ceux qui vous écoutent ? Il faut choisir.
Si vous voulez conquérir les éloges de quelques esprits gâtés ; si vous voulez passer à leurs yeux pour un grand homme, académiquement parlant ; montez sur vos échasses, cherchez des mots so- nores, jetez des bluettes à vos auditeurs ; arron- dissez vos périodes , boursouflez votre style , déclamez avec emphase, affichez une pose élégante, transformez la chaire en tribune ou en théâtre, perdez-vous dans des sentiers fleuris ou dans les
nuages d'une m;Mîipliysique que ceux-là seuls tir- clarent profonde qui ne la comprennent point : voilà le moyen de parler pour ne rien dire, d'éblouir au lieu d'éclairer, de pérorer au lieu d'instruire, et do vous attirer, en retour de quelques sottes louanges, les foudres de Dieu dont vous profanez la parole. Nous disons sottes louanrjes ; car, pen- sez-y bien, tout homme réellement instruit qui vous entendra, sera le premier à condamner votre mauvais genre.
Mais si vous voulez prêcher pour être utile, pour apprendre la loi de Dieu aux hommes, pour la leur faire aimer et pratiquer, pour les arracher à l'enfer et les conduire au ciel ; prêchez comme les saints, prêchez comme ces bons missionnaires, qui instruisent mieux une paroisse pendant une mission de trois semaines, que plusieurs curés n'instruisent les leurs en quinze et vingt années de ministère ; prêchez enfin comme Jésus-Christ, ce parfait modèle dos prédicateurs. Où avez-vous vu que ce divin Sauveur ait jamais remplacé le style simple par le style pompeux '^ Où avez-vous vu qu'il ait brigué les suffrages des peuples par le déploiement d'une éloquence apprêtée ? 11 pouvait sans doute être souverainement profond et élo- quent ; il pouvait l'être mille fois plus que vous et que tous les prédicateurs du monde ; mais l'a-t-il été? mais a-t-il voulu l'être? Jamais. Parcourez ses discours, voyez ses comparaisons, lisez ses para- boles : quelle clarté ! quelle familiarité ! quel abaissement divin ! Et pourtant, quels mystères il révèle ! quelle théologie il proclame î 11 est sublime, oui, et l'impiété elle-même admire sa sublimité ;
— 430 —
mais il est sublime à la mani«'ire de Dieu, qui doit être la nôtre : hauteur dans les choses, simplicité dans leur exposé. Aussi chacun le comprend, cha- cun est touché, ravi, transporté, et la conquête du monde entier est le fruit de sa parole éminemment populaire ! Voilà le vrai type du prédicateur; mal- heur au prêtre qui ne le reconnaît pas pour tel I malheur au prêtre qui dédaigne de l'imiter !
Imitez-le. vous, jeune et tendre ami ; laissez les profanateurs de la chaire s'agiter dans le vide et battre l'air de leurs coups de cymbales. Pour vous, soyez utile et craignez de n'être que brillant,
Nous dénonçons à l'Kglise et aux vénérables pontifes qui en sont les premiers ministres, ces prédicateurs indignes du ministère qu'ils exercent, qui viennent se pavaner en chaire, et y débiter avec suffisance et emphase des discours qu'on ne sait comment qualifier, tant ils sont creux, inco- lores, nuageux et inutiles aux peuples, qui ne les comprennent pas. Oui, nous dénonçons ces hom- mes qui ont faussé l'esprit des fidèles par leur élo- quence tout humaine, et qui se glorifient de ce qui devrait les confondre : nous dénonçons ces vains contempteurs de la simplicité évangvélique, que les apùtres de Jésus-Christ eussent refusé de s'adjoindre pour convertir Turivers, et que Jésus- Christ lui-m^me chargerait du poids de ses ana- thèmes, s'il rompait le silence qu'il s'impose dans son divin tabernacle.
Le premier travail qui doit vous occuper dans lintervalle des fonctions de votre ministère, doit être la composition claire, simple, méthodique, familière et vraiment pastorale d'un cours complet
I
- 431 -
d'insfrnctions sur toute la docîriiic chrétienne. L'explication détaillée du symbole, des comman- demeuts de Dieu, des commandements deri^glise, des sacrements et de la prière : voilà ce qu'il faut traiter avant d'aborder un seul de ces discours qu'on appelle (jrands sermons. Vous manquerez à l'un de vos devoirs essentiels, si, au lieu de vous imposer cette tâche, vous employez votre temps à composer je ne sais quelles pièces soi-disant litté- raires, disparates, décousues, sans ordre, sans suite et sans liai?:on,- fruit capricieux et frivole d'une imagination dévoyée.
Quant à la manière de traiter vos sujets, elle sera toujours bonne, si toujours vous travaillez en face de cette devise : Je veux être utile. Alors vous serez clair, alors vous serez simple, alors vous serez précis, instructif, intelligible pour tout le monde.
5^ Le défaut (le piété. Nous ne connaissons point d'égarement plus complet que celui d'un prêtre qui ne soutient pas ses prédications par la sain- teté de sa vie. 11 veut donner aux autres ce qu'il n'a pas lui-même; c'est un b]o<î de glace qui pré- tend enflammer ceux qui l'approchent : pitié ! pitié ! Xavier a converti cinquante-deux royaumes, non parce qu'il était éloquent, mais parce qu'il était saint. Plusieurs prêtres de son temps l'égalaient, le surpassaient peut-être en éloquence ; mais parce qu'ils n'avaient pas sa sainteté, personne ne parle de leurs conquêtes, tandis que le monde entier préconise les siennes. Soyez donc un saint, si vous voulez sanctifier vos frères par vos prédications. Prêchez à petit bruit par une vie de règle, d'étude
" 432 —
et de prière, avant de prêcher avec fracas dans l'église; prêchez par votre humilité, voire dou- ceur, votre cJiarité pour les pauvres eî par toutes les vertus chrétiennes eî sacerdotales, avant dlm- poser solennellement ces vertus à des auditeurs qui, vous en voyant dépourvu, vous diront tout bas : Mcdicc, cura te ipsiim. Si vous agissez ainsi, vous ne serez pas eiicore dans la chaire que déjà les peuples seront disposés avons croire, et quand vous y paraîtrez, cliacune de vos paroles, tombant d'un cœur brûlant, communiquera son feu aux âmes les jjIus froides. Croyez-nous, on ne résiste guère, ou du moins on ne résiste pas longtemps à l'éloquence d'un prédicateur qu'on n'entend ja- mais sans dire : Quel homme de Dieu ! quel saint prêtre !
Pesez bien ces excellents avis que donne aux prédicateurs le P. Lallemant, dans sa Doctrine spirituelle : « Si un prédicateur, dit-il, n'est pas » homme d'oraison, il ne fera jamais grand fruit, » parce que ses prédications, pour le regard du » dessin, des pensées, du style, du geste, et pour » les vues imparfaites et les intentions impures » qu il aura eues en tout cela, seront pleines de » péchés, du moins véniels.
» Le profit des auditeurs dépend extrêmement » de la vertu du prédicateur et de son union » avec Dieu, cjui lui peut donner en un quart w d'heure d'oraison plus de pensées, et des pensées )) plus propres à toucher les corars, qu'il n'en » trouverait en un an de lecture et d'étude.
» On s'applique à composer de beaux sermons, » et cependant on ne fait presque point de fruit.
— 433 —
I)"où vient cela ? C'est que la prédication est une fonction surnaturelle, aussi bien que le salut des âmes, qui est la fin qu'on prétend, et il faut que l'instrument soit proportionné à cette fm. Or, ce n'est point la science, ni l'éloquence, ni les autres talents humains qui nous rendent les instruments propres à procu- rer le salut des âmes. La plupart des prédi- cateurs ont assez de science, mais ils n'ont pas assez de dévotion et de sainteté. » Le vrai moyen d'acquérir la science des saints et d'avoir de quoi remplir un sermon, une exhortation, un entretien spirituel, ce n'est pas tant d'avoir recours aux livres qu'à l'humi- lité intérieure, à la pureté de cœur, au recueil- lement et à l'oraison. C'est ainsi qu'en ont usé tous les saints...
» Un prédicateur doit bien parler, et ne pas négliger l'élocution. Le respect qui est dû à la parole de Dieu demande cela... Mais il ne doit aimer, ni priser, ni louer que Jésus-Christ et ce qui le touche ; ne vouloir être lui-même aimé, loué, ni estimé de personne, et n'avoir en vue que de faire connaître et aimer Notre Seigneur et d'attirer tout le monde à son service. » C'est une chose prodigieuse (notons bien ces derniers mots) de voir des hommes appelés à la vie apostolique, porter l'ambition et la vanité dans le sacré ministère de la prédication. Quel fruit peuvent-ils faire? Ils obtiennent quelque- fois ce qu'ils poursuivent, c'est-à-dire leur gloire personnelle ; mais ils en viennent là aux dépens d'une infinité de péchés et d'imperfec- II. 2i'
— 434 —
» tions. Quelle vie 1 quelle union avec Dieu ! et » comment se servira-t-il de tels instruments ? »
Qu'il y a de vérité, de bon sens et de piété dans ces précieux enseignements ! (1)
XXI. — Le catéchisme.
Si vous n'appréciez pas à sa juste valeur l'émi- nent emploi de catéchiste, vous n'êtes pas digne de l'exercer. Si Nosseigneurs les évêques savaient comment certains prêtres de leurs diocèses font le catéchisme, le peu de préparation qu'ils y ap- portent, la mauvaise manière dont ils l'expliquent, le dégoût qu'ils ont pour cet exercice, et la ru- desse excessive avec laquelle ils traitent les en- fants, nous sommes convaincu qu'ils leur interdi- raient formellement cette branche si importante du saint ministère, et nous applaudirions de tout cœur à cette juste sentence.
Si votre curé déclare qu'il se charge du caté- chisme, il use de son droit ; ne dites mot, n'ayez pas l'air d'être mécontent lors même que vous le seriez unpeu i7ipetto. Mais, direz-vous peut-être, les autres vicaires le faisaient avant moi. C'est probablement parce que votre curé a vu que vos prédécesseurs s'acquittaient mal de cet emploi qu'il s'en est imposé la charge à lui-même. Peut-être veut-il vous éprou- ver et vous connaître un peu mieux avant de vous confier ses petits agneaux, portion si intéressante de son troupeau. Oh ! que votre curé est digne d'éloges si c'est ce motif qui le fait agir !
(1) Voyez Pratique dic zéh ecolésiastiquc, troisième partie, Ans aux pré'ivxUctirs,
— 435 —
Mais vous aban<lonne-t-il l'œuvro des catéchis- mes ; commencez par concevoir une haute estime (le cette œuvre capitale. ?»lalheur à vous, encore une fois, si vous n'y attachez qu'une importance secondaire î
Demandez à Dieu qu'il bénisse abondamment le travail que vous allez entreprendre. Offrez-le-lui parles mains de Marie. Recommandez-lui les petits enfants qu'il vous charge d'instruire, et priez-le de vous donner les qualités nécessaires pour vous acquitter dignement de cette sainte mission.
Dites-vous à vous-même avec l'élan d'un vrai zèle : Puisque me voilà chargé de cultiver une jeune génération qui sera bientôt la partie vivace de la paroisse, je veux me livrer à cette culture avec tout le dévouement et toute l'application dont je suis capable.
- Sous l'influence de cette pieuse pensée, faites- vous scrupule de la moindre négligence dans l'ac- complissement de votre devoir, et ne manquez pas de vous confesser de cette négligence pour que voire confesseur vous aide de ses charitables con- seils en ce point si essentiel.
Préparez vos catéchismes au moins autant que vos sermons. Quand vous prêchez, vous parlez k des hommes faits qui comprennent aisément ce que vous leur dites ; mais quand vous catéchisez les enfants, vous parlez à des intelligences à peines écloses auxquelles il faut expliquer chaque mot avec une clarté parfaite, sous peine de n'être pas compris : or cela ne peut se faire et se bien faire sans une étude spéciale. L'expérience vous apprendra qu'il est beaucoup plus difficile qu'on
— 436 —
ne pense cVintéresser des enfants et de leur parler utilement.
Étudiez avec un soin extrême chaque leçon du catéchisme dont vous devrez faire l'explication. Â.idez-vous pour cela des lumières de la théologie^ et voyez comment vous pourrez vous y prendre pour la rendre accessible à Tesprit peu éclairé de vos petits auditeurs.
Procurez-vous les meilleures ouvrages composés ad hoc. Voyez et notez ce qulls disent sur chaque question du catéchisme, et demandez-vous à vous- même ce que vous pourriez ajouter encore à leur explication, pour la rendre aussi claire et aussi complète que possible.
Faites une ample provision des comparaisons, des paraboles, des traits historiques dont vous pou- vez faire usage pour mettre en relief votre ensei- gnement catéchistique, qui sans cela serait sec, abstrait, inintelligible et rebutant.
Parlez peu et faites parler beaucoup y comme nous le recommandons si expressément dans la Prcttique du zèle ecclésiastique. Si vous êtes un catéchiste grand parleur, vous serez un catéchiste incompris et inutile. Après avoir exposé très-nettement un point de doctrine, vous ne devez plus vous occuper que de voir si les enfants le comprennent, et, pour cela, vous n'avez pas d'autre moyen que de les faire parler, vous contentant de les reprendre quand ils se trompent : encore devez-vous tourner votre explication de manière à les forcer de re- connaître eux-mêmes qu'ils ont fait une mauvaise réponse ; c'est par eux autant que par vous que la rcclification doit s'opérer, bi, après un caté-
— 437 —
ohisme, vous voyez le prêtre qui Ta fait, fatig-ué, essoufflé, ruisselant de sueur comme après un grand sermon, vous pouvez lui dire hardiment : Mon ami, sans vous avoir entendu, j'afflrme que vous venez de faire un mauvais catéchisme.
Aimez beaucoup cette fonction : les fruits que vous produirez en la remplissant seront toujours en rapport avec le goût et l'attrait qu'elle vous inspirera.
Aimez aussi beaucoup les enfants. Jamais vous ne serez un bon catéchiste si vous n'aimez pas ten- drement ces chères petites créatures. Oh ! que de soins on prodigue à ceux qu'on aîi'cctionne ! Voyez une mère comma elle cultive ses enfants quand elle les aime ! Sur ce point comme sur tous les autres, Jésus est votre modèle ; les enfants oc- cupaient la première place dans son divin cœur : Inspice, et fac secundùm exemplar.
Soyez bon, soyezdoux, soyez pal ient etmiséricor- dieuxàl'égardde votre jeune troupeau : vous serez tout cela si vous l'aimez; vous ne serez sévère que par exception, et vous ne le serez que quand il sera évident que vous aurez sujctde l'être ; encore revien- drez-vous sur-le-champ à votre aimable douceur, comme le soleil qui reparaît radieux après avoir été caché quelques instants par un léger nuage (1).
XXII. — Soins dos malades.
Nous avons remarqué souvent qu'un des plus grands éloges que les peuples aiment à faire d'un
(1) Voyez Pratique (la zèle ccdcslastique, h^oisii^mc partie, Avis aux catéchistes.
— 438 —
prêtre, c'est do dire qu'il est très-exact à visiter ses malades. Il n'y a que le saint prêtre qui mé- rite pleinement cet éloge ; tous les autres laissent plus ou moins à désirer sur cet article.
Quelques-uns murmurent quand on les appelle pour cette fonction de leur ministère ; ils parlent de leurs affaires ; ils disent qu'on les dérange pres- que toujours pour des malades qui ne le sont guère, ils s'informent du genre de la maladie et s'évertuent à prouver qu'elle n'a rien de sérieux ; enfin ils partent le plus tard possible et quelquefois — car cela se voit — ils rencontrent à moitié chemin une personne éplorée qui leur dit : N'allez pas plus loin, il est mort !... Qu'on y fasse attention et l'on verra que les prêtres qui murmurent à l'annonce d'un malade, sont ceux qui sourient à l'annonce d'un festin ou d'une partie de plaisir.
D'autres ne murmurent point précisément, mais on voit à la rareté de leurs visites que ces visites les fatiguent. Quand ils peuvent se dire : Il est ad- ministré, les voilà tranquilles. Que leur pauvre malade ait besoin de consolation, qu'il soit aux prises avec la douleur qui le torture, avec sa con- science qui l'inquiète, avec des tentations qui le harcèlent, avec le démon qui fait un dernier effort pour perdre son àme, rien de tout cela ne les émeut : // est administré ; voilà les trois mots qui les rassurent, et quand ils les ont proférés, ils remplacent par des futilités une visite charitable de laquelle dépend peut-être le salut éternel d'une âme confiée à leurs soins.
D'autres voient leurs malades, mais ils sont avec eux d'une timidité excessive. La maladie fait des
— 439 —
progrès, ils parlent de choses inutiles, et leurs vi- sites n'aboutissent à rien d'important. Un accès de fièvre survient, on se hâte de les en informer, ils accourent précipitamment ; mais, plus de con- naissance, plus de confession possible, la mort frappe son coup avant le retour de la raison, et ils font une onction sur des membres glacés, quel- quefois même sur un cadavre ! C'est smgulier, di- sent-ils, rien n'annonçait un si brusque dénoûment»
D'autres encore, par scrupule, ou pour en fmir d'un seul coup, épuisent un malade par une con- fession qui fatiguerait un homme en pleine santé. Au lieu de ménager ses forces et de lui faire faire une confession, incomplète, il est vrai, mais suffi- sante dans l'état où il est, ils ne veulent donner l'absolution que quand tout sera dit, et déterminent des accidents graves qui provoquent les vifs mur- mures de la famille. Nous avons connu un jeune prêtre qui soutint un siège de la part du mari d'une moribonde qu'il confessait depuis près de deux heu- res. Qu'y gagna-t-il? On va le voir. Le mari im- patienté force la porte, chasse le jeune prêtre, s'in- stale près du lit de la mourante, et nous ne savons pas si l'absolution était donnée.
D'autres enfin n'entendent rien à consoler et à exhorter les malades : quelques phrases banales, quelques mots froids comme le cœur qui les sug- gère, ou de longues exhortations qu'on prendrait pour les fragments d'un sermon sur les souffrances ; ne leur en demandez pas davantage.
Ah ! que le saint prêtre est bien autrement in- spiré I Prenez-le pour modèle, jeune et tendre ami. Dfait savoir en public et en particulier qu'on ait à
— 440 —
l'avertir dès le début d'une maladie qui annonce quelque gravité ; il part de bonne grâce dès qu'il est appelé; il prend les précautions convenables, mais il arrive à son but aussi promptement que possible; dans les cas pressants, il insiste bien plus sur la contrition que sur l'intégrité matérielle de de la confession, il donne l'absolution dès qu'il la peut donner ; il agit de même à l'égard de l'extrême- onction et du saint viatique ; si la maladie se pro- longe, il multiplie ses visites ; il voit son malade tous les jours s'il n'en est pas trop éloigné, et tous les deux jours si la distance qu'il l'en sépare est considérable; il lui fait des exhortations courtes et entrecoupées, d'un ton de voix bas, doux et pieux ; il recommande à quelques bonnes âmes de lui par- ler de Dieu et de lui faire produire de temps en temps des actes de foi, d'espérance, de charité et de contrition; il prie pour lui avec toute la ferveur d'un cœur dévoué ; il l'assiste dans sa dernière ago- nie avec un zèle dont tout le monde est ravi; et quand il lui a fermé les yeux, il se retourne vers Dieu et lui dit avec confiance : « Ma tâche est rem- plie, Seigneur I » Opus coiisummam, quod dedisti mihi ut faciam. Ainsi agit le saint prêtre; ainsi agirez-vous si vous êtes saint vous-même. (1)
XXIII — Assistance des pauvres.
Le soin des malades édifie surtout les âmes qui ont la foi ; mais l'assistance des pauvres édifie tout le monde. La grande et la seule prédication
(1) Voyez Pratique du zèle ecclésiastique, deuxième partie, ch. XII, Rapports du prêtre avec les malades.
— 441 —
que nous puissions faire aux impies qui ne mettent pas le pied dans nos églises, c'est la sainteté de notre vie et l'amour des pauvres. S'ils nous croient intéressés ou avares, ils nous méprisent et s'en- foncent dans leur abîme ; s'ils connaissent nos larges aumônes, ils nous admirent et nous ap- pellent quelquefois à l'heure suprême. Soyons donc dans toute la force de l'expression les pères des pauvres.
Oui, jeune et tendre ami, mettez votre minis- tère sous le patronage de la charité. Aimez ten- drement les pauvres, visitez-les souvent quoiqu'ils n'aient aucun besoin pressant de votre visite, allez causer affectueusement avec eux comme avec des amis intimes, écoutez le récit de leur misère, don- nez-leur des marques de compassion, déposez quelques pièces de monnaie dans leur main quand vous la serrerez en signe d'adieu; puis, leur con- fiance vous étant acquise, ce qui ne tardera pas, par- lez-leur de Dieu, de leur àme, de leur salut, de la confession qu'ils négligent si souvent. Rien ne vous sera refusé. La clef de leur cœur était dans votre l)0urse, il suffisait de l'ouvrir pour la trouver; vous lavez ouverte, tout est fait. Quel est le pauvre qui résiste à un saint prêtre qui se dépouille pour le vêtir, qui s'impose des privations pour le nourrir, le chauffer et soulager ses nombreuses misères ?
Ah! que vous serez heureux, que vous serez béni, que vous serez abondamment consolé si vous suivez ces conseils î Que votre ministère sera fruc- tueux et quelle pluie de grâces vous inondera, si les membres souffrants de Jésus-Christ sont vos enfants adoptifs !
n. 25.
— 442 —
Poiir'qu il en soit ainsi, attendrissez votre cœur par l'aumône, car elle l'attendrit autant que rava- rice le resserre. Ayez horreur de cet affreux mot : amasser ; imposez-vous comme un devoir sacré de ne faire jamais aucune dépense inutile ; quand vous aurez réellement besoin d'acheter quelque chose, voyez si vous ne pouvez pas diminuer un peu la dépense que nécessite cet achat, et, si vous le pouvez, faites tourner cette réduction au profit des pauvres. Qu'ils soient enfin toujours présents à votre pensée, toujours l'objet des affections de votre cœur, et soyez sur que Jésus-Christ dont ils sont l'enveloppe von s dira au dernier des jours devant l'univers assemblé : Quamdiu fccistl uni ex his fratribiis meis tninimis, mihi fecisti (1).
XXIV. — Rappoits arec le monde.
Vivez de manière à vous faire beaucoup désirer par le monde ; mais gardez-vous d'accéder à tous ses désirs. Ne vous imposez pas ; faites plutôt qu'on se plaigne un peu de la rareté de vos visites. Un prêtre ne va jamais chez les grands sans en reve- nir moins prêtre ; c'est tout le contraire chez les pauvres. Il y a dans la maison des riches une cer- taine vapeur de mondanité qui incommode le saint prêtre. Sa chambre, l'église, l'asile de l'indigence et des larmes, c'est là qu'il trouve l'atmosphère qui lui convient : si ces trois lieux ne font pas ses délices, il n'est plus, à coup sur, YHomo Dei de saint Paul.
(1) \ oyez Pratiqiie du zèle ecclésiastique, deuxième partie, cil. XI, Rapports du prêtre avec les pauvres.
-- 443 —
Cependant si vous êtes chargé du ministère pa- roissial, vous ne pouvez pas rompre totalement avec le monde. Voici les règles que vous devez adopter pour agir en ce ceci avec mesure :
En général, n'allez jamais chez les grands que par le motif d'une vraie nécessité ou d'une juste bienséance ; jamais par pur plaisir.
N'y allez point, pour l'ordinaire, sans être accom- pagné de votre curé. S'il y était lui-même trop ré- pandu et qu'il voulût vous faire adopter son usage, trouvez le moyen, sans le fâcher, de vous sous- traire à ces fréquentes et inutiles visites.
Avant d'entrer chez les riches, dites-vous à vous- même : Je veux les édifier; que puis-je faire pour cela ? Une voix intérieure vous dira sur-le-champ : Observe ta tenue, règle ton regard, contiens ta langue, supprime les futilités et dis des choses utiles. Obéissez à cette voix et vous provoquerez cette exclamation quand vous serez sorti : Quel aimable jeune homme ! quel saint prêtre !
On fait souvent des visites dans la classe moy- enne ou inférieure qui sont plus dangereuses encore pour un prêtre que celles des grands. Quand il fait des gens de cette classe sa compagnie habituelle; quand il s'installe dans leurs maisons pour y rire tout à son aise ; quand il y débite de grosses inutilités qui touchent à la trivialité ; quand il écoute avidement les commérages de la paroisse et qu'il raconte lui-même ce qu'il a appris de son côté ; quand enfm il est si souvent dans ces mai- sons, que c'est là que la servante du presbytère le va chercher tout d'abord s'il n'est pas à sa chambre et qu'on le demande pour quelque afTaire ; on peut
— 444 —
(lire, sans balancer, quïl est déchu du titre de saint prêtre et qu'il est profondément engagé dans la voie du relâchement.
^'entrez pas dans cette voie^ vous, jeune et tendre ami, elle aboutit à des abîmes. A l'égard de la classe dont nous venons de parler, comme à l'égard de la classe supérieure, suivez les règles ci-dessus posées ; elles seules vous prémuniront contre des dangers de mille sortes qui ont fait et qui font, hélas ! tous les jours encore de nom- breuses victimes dans le sacerdoce (1).
XXV. — Liaisons avec les confrères.
Parmi les prêtres qui se refroidissent à l'égard de Dieu, plusieurs doivent en grande partie ce re- froidissement à la fréquentation de certains con- frères relâchés. D'autres ne fréquentent de tels confrères que quand il leur ressemblent déjà, et alors ils s'entretiennent mutuellement dans l'état de la tiédeur. On peut donc dire avec vérité que la fréquentation des prêtres relâchés produit le re- lâchement ou le perpétue. Cela se fait tout natu- rellement et par la seule force des choses ; car jamais on ne se donne formellement le conseil d'embrasser une vie tiède : qui pourrait se résoudre à faire à un confrère une proposition de cette na- ture ? Mais, chose étonnante, on fait sans difficulté ce qu'on aurait horreur de proposer. Ainsi, par exemple, un prêtre qui se dégoûte de la prière et de rétude, et qui se lie avec un confrère qui s'en
(1) Voyez trafique du zèle, deuxième partie, cli. IX, Rap- prjrts exUrieurs avec les pécheurs pow les engager à se convertir.
est dégoûté depuis lou.crtemps et qui s'est adonué au jeu ou au vaiu plaisir des courses et des festins, ne lui dit pas expressément : Uemplaeons la prière et l'étude par le jeu, les voyages et la bonne chère ; ce serait une impudence révoltante ; mais, sans rien dire, et par le fait seul de la fréquentation d'un tel confrère, il devient en peu de temps comme lui, joueur, coureur, et amateur des bonnes tables. Que cela fait bien voir le danger auquel on s'ex- pose en prenant pour ami intime un prêtre relâché !
Evitez ce piège, jeune et bien-aimé confrère, en observant fidèlement les règles que nous allons tracer.
Attachez -vous tellement à votre curé que sa compagnie vous soit plus agréable que celle de tout autre prêtre. Quand il verra que vous ne formez aucune liaison étroite avec les confrères du voi- sinage et que vous n'êtes heureux qu'avec lui, il vous saura un gré infini de cette préférence et vous en récompensera par une multitude d'égards, de prévenances et de bontés.
Si vous avez un autre vicaire pour collaborateur, voilà encore une société toute faite. Deux vicaires d'une même paroisse qu'on ne voit presque jamais ensemble et qui cherchent au loin leur compagnie favorite et habituelle, fournissent matière à bien des conjectures. On soupçonne de l'antipathie, delà jalousie, du goût pour les longues courses, pour les visites inutiles et mille autres choses qui ne font pas réloge de ces deux jeunes prêtres. Affec- tionnez donc cordialement votre collègue ; mais n'oubliez pas que votre curé doit être le centre de cette amitié, le nœud de cette alliance. Si la douce
— 446 —
chaîni3 de la charité vous enlace tous les trois, vous ne sauriez croire les heureux effets qui ré- sulteront de ce mutuel attachement, pour le bien général de la paroisse.
Cependant si, pour quelque bonne raison, vous croyez devoir, sans froisser votre curé, vous lier d'amitié avec quelque confrère du voisinage, faites- le, mais aux trois conditions suivantes : 1*" qu'il sera, ce confrère, en fort bons termes avec votre curé ; car, celui-ci, s'il y avait entre eux quelque froideur, croirait aisément que dans vos causeries amicales vous ne l'épargnez guère. 2"" Qu'il ne sera pas trop éloigné de votre domicile ; car si les visites étaient fréquentes, comme elles le sont d'ordinaire entre amis intimes, ce serait une perte de temps considérable. 3° Qu'il sera un saint prêtre ou, à défaut de saint prêtre, le meilleur entre les bons parmi ceux de la contrée. Autant que possible, attachez-vous à un prêtre plus saint que vous, afm qu'il vous attire à sa sainteté.
Quant à la manière de traiter avec cet ami, n'oubliez pas qu elle doit être telle qu'il en résulte pour vous deux un profit spirituel. L'amitié, qui n'est qu'amitié, c'est-à-dire qui se borne à des té- moignages d'attachement, est une amitié pure- ment humaine que Dieu ne Ijénit point. Soyez assez libres l'un avec l'autre pour parler piété, pour vous donner des conseils, pour vous avertir de vos défauts, pour vous révéler ce qui se dit dans le monde de votre conduite, de vos habitudes, de A'otre ministère, et enfm pour concerter en- semble les moyens de travailler avec un plein succès à sauver des âmes et à vous sanctifier
— AAl —
vous-mêmes. Voilà hi seule amitié qui doive unir des prêtres : toute autre est iuutile si elle n'est pas dangereuse.
XXVI. — Dangers de l'exemple de quelques bous prêtres sur certains points particuliers.
Tout ne doit pas être imité chez les bons prê- tres : faites comme Tabeille qui ne prend sur chaque fleur que ce qui lui convient. Il y a là un piège caché dans lequel plusieurs sont tombés.
Les désordres des mauvais prêires ou des prêtres ouvertement relâchés révoltent un jeune prêtre qui veut vivre saintement; mais les libertés que s'accordent certains bons prêtres lui semblent lé- gitimes, par cela seul que ceux qui se les per- mettent méritent son estime par rcnsemble de leur conduite.
On voit, par exemple, quelques bons prêtres, généralement réputés tels, qui font à peu près tous jours ce qu'on appelle leur petite partie de jeu, qui ne refusent aucun dîner, qui parlent assez librement du prochain, qui ne font rien d'extra- ordinaire en fait d'œuvres de zèle, qui visitent rarement le saint Sacrement, qui font une action de grâce très-courte après la sainte messe, etc., etc. Ils agissent en tout cela avec une certaine bon- homie, une certaine rondeur qui, soutenue d'une vie d'ailleurs édifiante, fait croire tout naturelle- ment à déjeunes prêtres qu'ils peuvent s'accorder sans danger de pareilles licences. Mais malheu- reusement ils reconnaissent plus tard, et trop tard quelquefois, qu'en se permettant ces choses, ils vont plus loin que leurs modèles dans la voie du
— 448 —
relâchement. Que do bons prêtres, amateurs modé- rés du jeu, en ont, sans le savoir, développé la passion chez de jeunes confrères ! Nous ne disons rien en ceci dont nous n'ayons une parfaite connais- sance. Prenez chez ces bons prêtres ce qui s'y trouve de réellement bon, et rejetez tout le reste. Si vous ne faites pas ce juste discernement, vous serez vic- time de votre imprudence.
XXVII. — Fréquentations suspectes et dangereuses.
Quels dangers pour les ecclésiastiques en géné- ral dans des fréquentations de cette nature ! Quel scandale quand, dès le début de leur sacerdoce, de jeunes prêtres se les permettent ! Compulsez les annales secrètes d'un conseil épiscopal quelconque, et vous verrez quelle large place y occupent les prêtres imprudents dont nous parlons !
Citons quelques exemples. Une instituîrice est jeune, et le curé, qui est sage, la voit rarement et avec des précautions qui éloignent tout danger. Mais un vicaire novice, que son étourderie empê- che de rien voir, fréquente l'institutrice, lui donne des conseils, complète son éducation, encourage ses élèves, leur distribue des petites récompenses et s'attache ainsi la maîtresse et les enfants. Il a de bonnes intentions, soit; mais le monde, qui en a de mauvaises, censure ces assiduités imprudentes, AU fond desquelles il croit découvrir autre chose que des services rendus et les empressements du vrai zèle. Il parle, il parle encore, et la réputation du vicaire est compromise. On le lui fait savoir avec prudence et charité ; mais il regimbe contre Taiguil-
— 440 —
Ion, et, fort de sa conscience, il tient tête à l'orage et en devient bientôt la triste victime.
Ainsi en est-il d'autres maisons de la paroisse où se trouvent de jeunes personnes quelquefois connues par une certaine légèreté. Le démon tou- jours aux aguets, se fait apôtre; il suggère des motifs de zèle, de charité, de convenance, et notre jeune prêtre, mordant à cet hameçon perfide, mul- tiplie ses visites, s'installe comme un familier dans cette maison où le public est choqué de le rencon- trer à toute heure. L'horizon se rembrunit, le ton- nerre gronde, la foudre éclate et brise l'imprudent qui n'ouvre les yeux que quand il est frappé.
D'autres s'abstiennent de rendre des visites, mais ils s'en attirent. Ce sont des conseils à demander, des embarras de conscience à éclaircir, des livres de piété à emprunter ; toutes choses excellentes en elles-mêmes, mais qui bientôt ne sont plus que des prétextes. Dans le presbytère et hors du presbytère, on n'avait rien dit de la première entre- vue, rien peut-être encore de la seconde, peu de chose de la troisième; mais voyant que l'habitude se forme, on glose, on critique, on raille et Ton finit par prononcer le mot scandale. Dès lors, plus d'estime, plus de confiance ; la plus belle fleur de la couronne sacerdotale est tombée, et jamais on ne l'y rattachera, du moins avec son premier lustre.
Attention à ceci, jeune et tendre ami ! Nous n'ai- mons pas les scrupuleux ; mais, sur ce point , nous vous permettons , nous vous supplions de l'être. Priez votre curé, priez vos collègues, priez tous ceux qui s'intéressent à vous de vous avertir aussitôt qu'ils entendront dire un mot qui effleurera
— 450 —
tant soit peu votre réputation ; et dès gue ce mot frappera vos oreilles, rompez toute liaison, suppri- mez toute visite, imposez silence à vos censeurs, et raffermissez-vous dans l'estime publique qu'une imprudence de plus allait vous r^vir.
XXVIÎI. — Signes certains de relâchement chez un prêtre.
Peut-être ne sera-t-il pas inutile, en terminant notre travail, dindiquer avec précision les traits sympîomatiques et caractéristiques du relâche- ment des prêtres. Ce sera comme le résumé suc- sinct de bien des choses que nous avons dites avec détail dans le corps de cet ouvrage, et nous espé- rons que plusieurs de nos jeunes collègues, voyant nettement à l'entrée de leur périlleuse carrière ce qui annonce la tiédeur, veilleront avec soin pour ne pas se briser contre cet écueil.
Voici, selon nous, les vrais signes du relâche- ment chez un prêtre.
1. — Se dégoûter du règlement de vie qu'on sétait imposé avant de quitter le séminaire ; — cesser de pratiquer plusieurs points de ce règle- ment; — et quant à ceux que Ton pratique en- core, les omettre souvent sans motif légitime, et n'observer presque aucun ordre dans la distribu- tion journalière des exercices spirituels, de l'étude et des œuvres du ministère, faisant tout cela sans autre règle que le caprice, rinclination naturelle et l'inspiration du moment.
2. — Abréger notablement son oraison; — ne s'occuper ni de la préparation éloignée, ni de la préparation prochaine; — ne se proposer aucun
— 4ol —
but précis dans sa méditation, la faisant unique- ment pour pouvoir se dire qu'on l'a faite ; — l'o- mettrc de temps on temps sans cause suffisante ou, cà plus forte raison, y renoncer entièrement.
3. — S'abstenir de dire la sainte messe par làclieté ou sans motif assez grave ; — n'éprouver ni peine ni regret de cette abstention ; — passer d'une pieuse lenteur avec laquelle on célébrait dans le principe, à une précipitation notable ; — être forcé de s'avouer à soi-même que cette pré- cipitation n'a pour cause que la routine et le désir de terminer cette sainte action le plus vite possible;
— tronquer plusieurs cérémonies, supprimer les inclinations, faire des signes de croix qui n'en sont point, etc.; — ne donner presque aucun temps à la préparation et à l'action de grâce; — omettre cette dernière pour la moindre cause et la rem- placer par des conversations frivoles et prolongées à la sacristie, qui annoncent qu'on ne pense seule- ment pas au divin mystère qu'on vient de célébrer;
— savoir qu'on n'est pas scrupuleux, et monter à lautel avec une conscience embarrassée ou même positivement douteuse, reprenant sou calme ha- bituel après la célébration; — différer d'acquitter dos messes promises, au-delà du délai fixé ; — ne pas tenir un registre en règle indiquant les messes dont on s'est chargé et celles qu'on a dites, ce qui annonce une habitude de désordre sur une foule d'autres points, moins importants peut-être, mais qui pourtant le sont encore beaucoup.
4. — Dire le saint Office tout machinalement et sans aucune intention bien arrêtée ; — le com- mencer sans s'y être convenablement préparé ; —
— ^52 —
le réciter avec toute la célérité dont on est capable, en aspirant comme en respirant, ne prononçant point distinctement et estropiant plusieurs mots ; — ne faire aucun efTort pour se rappeler la pré- sence de Dieu pendant cette récitation, agissant en quelque sorte comme une mécanique que la vapeur met en jeu, et qui fonctionne sans savoir ce qu'elle fait jusqu'à ce que la force motrice soit épuisée ; — s'acquitter de cette sainte action dans des lieux de dissipation quand on pourrait faire autrement ; — dire, sans nécessité, son bréviaire dans une posture nonchalante et même dans son lit, disposé à dissimuler promptement cette non- chalance s'il se présentait tout à coup une personne quelconque ; ce qui prouve qu'on craint plus les hommes que Dieu; — remettre, sans motifs, ses petites Heures après midi et renvoyer presque tout son Office à la fm du iour, s'exDosant à le réciter alors avec plus de promptitude encore, de fatigue, d'ennui et de distractions que de coutume ; — en- fin, faire tout ce que nous venons de dire habi- tuellement, sans scrupule, ne s'en confessant même point ou ne s'en confessant que par manière d'ac- quit et sans prendre aucun moyen de se corriger.
5. — Ne rentrer presque jamais en soi-même par des examens de conscience qu'on faisait ré- gulièrement tous les jours, quand on était fervent, et auxquels on n'attache plus aucune importance.
6. — Renoncer à la lecture spirituelle ou la faire très-rarement, sans goût, sans onction et même avec ennui et seulement pendant quelques instants.
7. — Ne plus faire de visites au saint Sacrement ; — renvoyer l'inspiration qu'on a de temps en
— 453 —
temps de rcpreiitlre ccUe excellente pratique ; — sentir même pour elle une sorte de répulsion, et si, par liasiird, on vient deux ou trois fois par mois au pied de l'autel, s'y ennuyer, balbutier quelques froides prières et se reîirerpromptement sans avoir dit un seul mot tendre et affectueux à Jésus.
8 . — Remplacer la confession hebdomadaire par des confessions de trois semaines ou même plus ; — confesser toujours les trois ou quatre mémea fautes dont, en conscience, on sait bien qu on ne se repent pas ; — ne rien dire de ce qu'il serait le plus imporlant de déclarer, n'en ayant pas même la pensée, faute d'examen suffisant et de vig^ilance habituelle; — n'aller jamais à la racine du mal, se contentant de confesser quelques banalités à la suite desquelles on reçoit des absolutions qui n'apportent absolument aucun changement dans le train de vie ordinaire; — quitter son confesseur parce qu'on le trouve trop ferme sur certains points qu'il a raison d'exiger, et le remplacer par un confesseur routi- nier et sans zèle pour le progrès spirituel de ses pénitents, lequel se borne à des généralités vagues dans ses exhortations, comme on s'y borne soi- même dans les accusations qu'on lui fait.
1). — Administrer les sacrements sans se rap- peler jamais qu'ils sont ce qu'il y a de plus saint dans l'Kglise; — ne faire presque aucune prépa- ration avant de les conférer; — réciter les prières assignées par le rituel pour chaque sacrement, sans piété, sans dignité, sans attention et avec toute la promptitude possible.
10. — Se dégoûter du ministère de la confes- sion qu'on aimait tant à remplir quand on était
fervent ; — murmurer quand on est appelé au saint tribunal ; — recevoir froidement les péni- tents, comme si on voulait leur faire sentir que leurs confessions sont trop fréquentes ; — crier contre les dévotes, les tourner en ridicule, criti- quer leur dévotion au lieu de T éclairer et de la dirig-er, et les éloigner des sacrements au lieu de s'appliquer avec zèle et piété à les rendre dignes de les recevoir fréquemment ; — trouver toujours quelque excuse pour se dispenser de confesser, malgré les sourdes réclamations de la conscience qui fait sentir que ces excuses sont pitoyables ; — précipiter les confessions, supprimant les inter- rogations, coupant sèchement la parole aux pé- nitents dès qu'ils disent un mot de trop, faisant voir qu'on exerce ce ministère avec répugnance ; ce qui étant bientôt connu dans la paroisse, retarde la conversion de plusieurs pécheurs qui iraient vo- lontiers trouver leur bon pasteur pour se confesser, s'ils savaient qu'ils le combleront de joie par une telle démarche ; — eafm, être forcé de se dire à soi-même que le temps qu'on dérobe à ce minis- tère si important, est absorbé par des oceupaiions beaucoup moins utiles et souvent même par des frivolités indignes du sacerdoce.
11. — Se tenir à l'église avec nonchalance et légèreté, ne donnant presque aucune marque ex- térieure de vraie piété, faisant les offices avec promptitude , sans gravité ni modestie , plutôt comme un ouvrier insouciant qui se hâte de faire sa besogne, que comme le ministre de Jésus- Christ qui remplit sous ses yeux des fonctions éminem-aent saintes.
— 4oo —
[2. — Nèire nullement choqué de la saleté de l'église qui fait peine à tout le monde, ni de la malpropreté des ornements dont on se sert, des pales, des corporaux, etc., ni du désordre de la sacristie où rien n'est à sa place et où tout annonce un homme négligent et sans esprit de foi.
13. — Ne rien faire positivement pour Dieu, mais faire tout lâchement, froidement et par pure routine, n'ayant pas pendant le jour une seule intention pieuse, précise et bien déterminée.
14. — Parler plus que légèrement du prochain; — révéler ses défauts, les exagérer même, et cela devant des laïques qui quelquefois ne voudraient pas se permettre de telles licences.
15. — Rompre avec certaines personnes dont on croit avoir à se plaindre ; — éviter leur ren- contre et perpétuer des divisions auxquelles la charité prescrit de mettre un terme, sans se faire le moindre scrupule d'une telle conduite.
16. — Blesser à chaque instant ceux-ci ou ceux- là par des vivacités, des réprimandes amères, des discussions passionnées et des paroles humiliantes qui aigrissent les cœurs et donnent du scandale.
17. — Censurer les supérieurs; — critiquer les actes de leur administration; — contrôler toutes les nominations qu'ils font; — violer les statuts diocésains, et s'affranchir à chaque instant du respect du à l'Autoriié, ne voulant jamais voir de fautes graves dans une telle conduite.
18. — Abandonner les pécheurs à eux-mêmes, ne faisant rien de spécial pour les convertir et n'ayant pas l'air de s'inquiéter de leur salut, les prenant quand ils viennent et, m*' me alors, les
«=- 456 —
recevant avec indifférence et froideur sans témoi- gner qu'on est content de les voir revenir à Dieu.
19. — Vivre en paix dans des paroisses divisées sans rien faire pour détruire ces divisions, dont on est peut-être la première cause ; — s'aliéner de plus en plus ceux qu'on a froissés, par des paroles imprudentes qui leur sont rapportées et par les reproches virulents dont on les accable.
20. — Renoncer à la prédication pendant un temps notable ; — laisser les paroissiens dans l'i- gnorance de la religion, ne leur faisant jamais d'instructions suivies sur la doctrine chrétienne.
21. — Enchaîner les pénitents à son confes- sionnal par esprit de jalousie ; — leur faire savoir directement ou indirectement qu'on sera choqué si on les voit s'adresser à d'autres confesseurs ; — traiter froidement ces confesseurs, et s'exposer à ce qu'ils refusent des pénitents qui ne les vien- nent trouver que pour confesser des péchés qu'ils n'osent pas dire à leur confesseur ordinaire, et pour sortir de l'état du sacrilège dans lequel ils vivent depuis plusieurs années.
22. — Négliger ses malades; — murmurer quand on est appelé auprès d'eux ; — les admi- nistrer le plus Aâte possible, non pas par la crainte d'une surprise, mais pour s'en débarrasser comme d'un fardeau pénible ; — ne les plus voir quand on leur a donné les derniers sacrements et s'at- tirer par là de justes reproches de la part des parents.
23. — Se familiariser avec la chaire, ou plutôt la profaner par des trivialités, des paroles pi- quantes, des reproches acerbes, et même par des
personnalités qui provoquent des inimitiés indcs* tructibles, personnalités dont on s'applaudit au lieu d'en gémir.
2\. — No prendre presque auoun soin de ses affaires temporelles ; — se ruiner sans mérite par des dépenses excessives et des prodigalités sans mesure ; — compromettre les intérêts d'autrui par son défaut d'ordre, et s'exposer à laisser après soi une espèce de chaos, si l'on est frappé su- bitement d'un coup mortel.
25. — Donner un mauvais exemple aux peuples par des défauts saillants sur lesquels on s'aveugle, par des absences multipliées, par des habitudes de jeu, de festins, de visites inutiles, de fréquen- tations imprudentes, et, en un mot, par l'ensemble d'une vie plutôt mondaine qu'ecclésiastique.
26. — Ne s'inquiéter nullement des fautes vé- nielles; — les commettre de sang-froid et sans aucun trouble de conscience; — en contracter tel- lement l'habitude, qu'on en vienne aies commettre tout naturellement et souvent même sans y bien penser; tout cela par dissipation, par défaut de vigilance et par aveuglement volontaire.
27. — Ne tenir aucun compte des grâces inté- rieures : lumières, inspirations, bons mouvements, attrait vers le bien, salutaires remords ; — se pri- ver de ces grâces par l'abus qu'on en fait, et se trouver réduit à un état de sécheresse, de froideur et d'insensibilité envers Dieu que rien ne peut changer.
28. — Ne pas même désirer ce changement, se trouvant fort bien comme on est, menant une vie douce et commode, exempte de soucis et d'inquié-
n. -^
— 458 —
tudes, et croyant que tout est bien parce qu'on ne se voit pas coupable d'un péché mortel nettement caractérisé, quoique souvent on ne soit réellement plus en état de grâce devant Dieu.
2U. — Incliner toujours à croire, dans les cas douteux, que ce qu'on va dire ou faire n'est que véniel, afin d'agir librement ; et quand on a agi, n'y plus penser et reprendre aussitôt son assurance ordinaire.
30. — S'abstenir de la retraite annuelle ; — la regarder comme fatigante et inutile ; — n'y aller que par la crainte de se faire mal voir des su- périeurs ; — se réjouir quand on a quelque raison pour s'en dispenser, et n'en tirer aucun fruit quand on y assiste.
31. — Regarder la perte du temps comme une chose insignifiante ; — ne croire jamais que cela puisse constituer une faute grave, et sur ce prin- cipe, employer au moins la moitié des jours et souvent des jours presque entiers en choses inutiles.
32. — Renoncer à l'étude de la théologie et de l'Écriture sainte, laissant passer des mois entiers sans ouvrir un seul livre qui traite de ces matières, et remplaçant ces précieuses lectures par des lec- tures profanes et d'interminables visites.
33. — Être rempli de défauts et ne rien faire pour s'en corriger ; — recevoir mal les avis des personnes charitables qui les font remarquer ; — discuter avec ces personnes pour leur prouver qu'elles se trompent, et s'entretenir ainsi dans un endurcissement spirituel moralement irrémédiable.
34. — Pécher à chaque instant par orgueil,
— 459 —
rapportant tout à soi-même et ne cherchant que sa propre gloire, même dans les fonctions les plus saintes.
35. — Aimer la bonne chère et tout ce qui flatte la sensualité ; — passer à table un temps considérable ; — violer la tempérance et la so- briété, se permettant sans scrupule, en cette ma- tière , tout ce qui ne va pas jusqu'à des excès notables et scandaleux.
36. — Rechercher le monde ; — se plaire dans ses compagnies ; — trouver trop court le temps qu'on y passe ; — s'y permettre des légèretés peu séantes, une gaieté excessive et des expressions triviales ; — faire parade de son esprit, de ses con- naissances, et viser à se rendre agréable aux mondains , en se rapprochant d'eux par une conduite semblable à la leur.
37. — Se livrer à des occupations qui ravalent le sacerdoce ; — se faire cultivateur, vendeur et acheteur des bestiaux, médecin, chirurgien, etc., se persuadant que tout cela est innocent et ne te- nant pas compte des injonctions de l'évèque qui défend ces choses.
38. — Aimer l'argent pour l'argent et non pour l'employer en bonnes œuvres ou au soulagement des pauvres ; — mettre de côti'^ son superflu et en augmenter la masse tous les jours ; — s'imposer des privations, non par mortification, mais par lésinerie et esprit d'intérêt; — ne faire aucune dé- pense pour tenir son église dans un état décent ou pour se procurer des linges d'autel et des orne- ments convenables.
39. — Braver l'opinion publique qui censure
— 460 —
certaines fréquentations qu'on devrait s'interdire ;
— perdre reetime de la paroisse en s'obstinant à visitej ou à recevoir des personnes connues par la légèreté de leur conduite.
Tels sont, ce nous semble, les signes ordinaires de la tiédeur et du relâchement chez les prêtres. Ajoutons seulement les caractères suivants, qui conviennent plus particulièrement aux prêtres récemment ordonnés,
40. — Être mal avec son curé, dès les premiers jours ; — lui montrer de la froideur ; — recevoir ses observations et ses avis avec hauteur et dédain;
— lui dire positivement qu'on ne fera point telle ou telle chose qu'il demande ; — le mécontenter enfin et même le scandaliser par une conduite à laquelle il était loin de s'attendre de la part d'un jeune homme sortant du séminaire.
41. — Se dégoûter de très-bonne heure de la vie paisible du presbytère ; — prendre son vol vers les paroisses voisines ; — se lier avec quelque jeune prêtre fort peu fervent ; — s'absenter sou- vent sans en prévenir son curé et sachant bien que ces absences lui déplaisent.
42. — Mettre son règlement et même tout règle- ment de côté au bout de quelques semaines, vivant sans ordre, n'aimant plus sa chambre, n'allant guère à l'église que par nécessité, et omettant déjà, sans se le reprocher, plusieurs exercices de piété qu'on s'était promis d'observer fidèlement tous les jours.
43. — Se répandre beaucoup trop dans la pa- roisse ; — rechercher par vanité l'estime et les louantes dea paroissiens ; — s'enorgueillir du bon
— A(n —
accueil qu'on eu reçoit ; — froisser son curé par (les visites qu'on ne devrait pas faire sans le con- sulter ; — se montrer très-gracieux et très-aimable dans certaines maisons où l'on sait bien que le curé n'est pas goûté.
-4 4. — Désirer un grand nombre de pénitents plutôt par vaine gloire que par zèle ; — faire éta- lage devant ses confrères de sa nombreuse clien- tèle; — recevoir sans difficulté tous les pénitents qui se présentent, sans s'assurer s'ils ont réelle- ment des raisons suffisamment graves pour changer de confesseur.
45. — Se glorifier du talent qu'on croit avoir pour la prédication ; — n'estimer que cette branche du ministère et négliger les autres ; — prêcher de tous côtés dans les paroisses voisines, sachant bien qu'on fait peine à son curé par les fréquentes ab- sences que nécessitent ces prédications, — se croire capable de prêcher d'abondance parce qu'on parle avec une certaine facilité; — monter en chaire et catéchiser sans préparation et par conséquent sans fruit, oubliant que la parole de Dieu est sacrée et doit être traitée avec un souverain respect.
46. — Enfin, renoncer à l'étude et se dégoûter des livres sérieux ; — se faire une routine pour l'administration du sacrement de pénitence, dé- daignant de revoir au moins la théologie morale, pour s'assurer si les décisions qu'on donne sont conformes aux vrais principes.
Nous ne croyons pas pouvoir entrer dans des détails plus précis pour éclairer nos jeunes lec- teurs. Si malheureusement ils viennent à se re- connaître plus tard dans le miroir placé en ce 11. 27.
— 46:2 —
raoïfteat sous Leurs yeux, nous les conjurons, dans les plus ciiers intérêts de leurs âmes et de leur ministère, de remédier au mal dès qu'ils le ver- ront se produire ; car s'il est un fait démontré par l'expérience de tous les temps et de tous les lieux, c'est qu'un prêtre qui a contracté l'habitude du relâchement, ne revient presque jamais à l'heureux état de la ferveur.
Du reste, n'oublions pas que la réunion de tous les signes de la tiédeur que nous venons d'indi- quer, n'est nullement nécessaire pour qu'on puisse être taxé de relâchement. Un prêtre peut être réel- lement tiède, quoique quelques-uns de nos carac- tères ne lui conviennent point.
Il nous semble que la lecture de ce qui vient d'être dit pourrait être très-utile quand on se dis- pose à aller à confesse. C'est un examen de con- science tout préparé, qui vaudrait probablement mieux que celui qu'on fait quand on commence à subir les funestes influences de la routine.
CONCLUSION
Arrêtons-nous, jeunes élèves, et interrogeons- nous sérieusement devant Dieu pour savoir quels fruits nous nous proposons de tirer de la lecture de ce volume. Quelque imparfait qu'il soit, il est impossible, si nous l'avons médité pieusement dans toutes ses parties, que cette méditation ne nous ait pas révélé nos infirmités spirituelles et inspiré le désir d'en obtenir la guérison. Allez-vous accueillir
— 463 —
cette inspiration comme la voix même de Dieu, qui ne la fait entendre à vos âmes que pour vous éclairer, vous encourager, vous sanctifier et vous rendre dignes de l'auguste profession que vous vou- lez embrasser? Profession sublime et plus qu'an- gélique, puisque qu'elle est réellement divine dans toute la rigueur de l'expression : Dcifica profcssiOj comme l'appellent les saints.
Vous avez vu ou du moins vous avez du voir si vous êtes — ou de mauvais séminaristes, — ou des séminaristes tièdes, — ou de bons séminaristes ordinaires, — ou des séminaristes fervents et ani- més d'un vrai zèle pour la perfection.
Vous avez du voir les défauts auxquels vous êtes sujets; nous vous en avons tracé les caractères , signalé les effets et indiqué les remèdes.
Enfin , nous vous avons proposé les règles de conduite que vous avez à suivre, dès l'entrée de votre carrière, si vous voulez être de saints prêtres et sauver des milliers d'âmes avec la certitude de sau- ver la vôtre.
Comme fruit de ces divers enseignements, recueil- lez, chers élèves, les sentences suivantes; gravez- les en gros caractères et placez -les dans un endroit apparent de votre cellule, et même dans ceux de vos livres que vous avez le plus souvent entre vos mains.
Première sentence. — Je ne serai jamais aussi saint qu'il le faudrait être pour remplir dignement les imposantes fonctions du sacerdoce.
Deuxième sentence. — La gloire de Dieu, l'hon- neur de l'Eglise, l'édification du prochain, la con-
— 464 —
version des pécheurs, la sanctification des justes : tout sera infailliblement en rapport direct avec mon degré de ferveur et de sainteté.
Troisième sentence. — Le salut de bien des âmes est attaché à ma perfection. Dans les desseins de Dieu, plusieurs seront sauvées si je les conduis au ciel par ma sainteté; et elles seront damnées si, ne les poursuivant pas avec le zèle du saint prêtre, je les abandonne à leur propre faiblesse.
Quatrième sentence. — Si je n'acquiers pas dans le séminaire une perfection éminente et solide, jamais je ne l'acquerrai quand je serai prêtre ; au lieu de monter vers la sainteté, je descendrai cha- que jour vers la tiédeur, et de là dans des préci- pices dont la simple pensée fait frémir.
Cinquième sentence. — Les seuls prêtres qui se perfectionnent en avançant en âge, sont ceux qui étaient déjà en voie de perfoction quand ils étaient séminaristes. Ceux qui n'étaient pas dans cette voie se partagent en deux classes : les uns restent stationnaires dans leurs imperfections ; c'est le très- petit nombre : tous les autres se relâchent et de- viennent ou des "prêtres tiècles ou de mauvais prêtres.
Sixième sentence. — Si je pactise sciemment avec un défaut, quelque léger qu'il soit, je renonce par là même à la perfection ; si, par une lâcheté habituelle et volontaire , je restreins l'exercice d'une vertu quelconque, je suis hors des voies de la perfection ; si, pour m'épargner, je repousse
— 405 —
fréquemment, et avec réflexion les inspirations que Dieu m'envoie d'éviter ceci ou de pratiquer cela, j'abdique la perfection.
Septième sentence. — Une fois devenu prêtre, si je tombe et si je me fixe dans la tiédeur et le relâ- chement, je n'en sortirai point; ou si j'en sors, ce sera pour aller plus loin dans le mal et non pour revenir à la perfection.
Ces sentences, dont la vérité est confirmée par une expérience constante et invariable, ne doivent- elles pas, jeunes amis, vous faire voguer à pleines voiles vers la sainteté sacerdotale que Dieu vous commande ?
Pour vous y déterminer mieux encore, méditez ces excellentes paroles du P. de la Colombière dans sa Retraite spirituelle ; ouvrage excellent qui, dans sa brièveté, renferme, selon nous, des tré- sors du plus haut prix : « Nous avons, dit-il, une » grande obligation à être parfaits, parce que » dans un homme qui prêche la vertu et qui en » fait profession, les imperfections nuisent plus )) au prochain que sa vertu ne lui est utile ; elles » donnent occasion de croire qu'il n'y a point de » véritable sainteté ; que c'est quelque chose d'im- » possible que la perfection, que ce n'est qu'illu- » sion et grimace. Si les imperfections ne donnent » pas ces pensées, elles persuadent aux lâches » qu'on peut les avoir et être saint tout ensemble. » C'est assez pour endormir un imparfait et pour i) nourrir en son cœur une passion qui le flatte et » qu'il aime, d'en avoir remarqué quelque ombre
— 466 —
» en celui qui a la réputation d'homme de bien ; )) il se croit autorisé par là à continuer de con- » tenter son amour-propre, et croit qu'il n'en sera w pas moins saint pour cela. »
Élargissons nos vues, jeunes élèves ; nous som- mes moins que personne les hommes du temps ; réternité seule et tout ce qu'elle embrasse doit occuper nos esprits et influencer nos actes. A propos de cette éternité, dans les gouffres de la- quelle nous serons bientôt engloutis, laissez-nous reproduire ici les réflexions saintement éloquentes du pieux auteur que nous venons de citer.
« Pensant à Téternité de Dieu, dit-il, je me la » suis représentée comme un rocher immobile sur » le bord d'un fleuve d'où le Seigneur voit passer » toutes les créatures sans se remuer, et sans » quil passe jamais lui-même. Tous les hommes » qui s'attachent aux choses créées m'ont paru » comme des gens qui, étant entraînés par le cou- » rant de Teau, s'attacheraient les uns à une j) planche, les autres à un tronc d'arbre, les autres » à des amas d'écume qu'ils prendraient pour » quelque chose de solide. Tout cela est emporté » par le torrent ; les amis meurent, la santé se )) consume, la vie passe, on arrive jusqu'à l'éter- » nité, porté sur ces appuis passagers comme à » une grande mer où l'on ne peut s'empêcher d'en- » trer et de se perdre. On aperçoit alors combien » on a été imprudent de ne s'attacher pas au ro- » cher, à l'Éternel ; on voudrait revenir, mais les » flots ont emporté trop loin, on ne peut plus re- » venir et l'on périt nécessairement avec les choses » périssables. Au lieu qu'un homme qui s'attache
— 4t)7 —
à Dieu voit sans crainte le péril et la perte de tous les autres ; quoi qu'il arrive, quelque révo- lution qu'il se fasse, il se trouve toujours sur son rocher. Dieu ne lui saurait échapper ; il n'a embrassé que lui, il s'en trouve toujours saisi ; l'adversité ne fait que lui donner lieu de se ré- jouir du bon choix qu'il a fait. 11 possède tou- jours son Dieu ; la mort de ses parents, de ses amis, de ceux qui l'estiment et le favorisent, l'éloignement, le changement d'emplois ou de lieu, l'âge, la maladie, la mort elle-même ne lui ôtent rien de son Dieu. Il est toujours éga- lement content, disant en la paix et en la joie de son âme : Mihi adhœrcre Dco bonum est, ponere iti Domino meo spein meam. » Cette considération m'a beaucoup touché ; il me semble que j'ai compris cette vérité, et que Dieu m'a fait la grâce d'en être persuadé d'une certaine manière qui me donne un grand cou- rage et une grande facilité à me détacher de tout et à ne chercher que Dieu en toute ma vie, par toutes les voies auxquelles il lui plaira de m'en- gager, ne témoignant jamais aucune inclination ni aucune répugnance, recevant aveuglément tous les emplois que mes supérieurs me pres- criront ; et s'il arrive quelquefois qu'ils m'en donnent le choix, je le promets, mon Dieu, et j'espère par votre sainte grâce de garder ma promesse, je promets, dis-je, de vous renouveler le vœu que vous m'avez inspiré de faire, de choisir toujours l'emploi et le lieu auxquels je sentirai le plus de répugnance et où je croirai, selon Dieu et eu vérité, avoir le plus à soulfrir.
— ÎG8 —
» Vous m'en avez donné Texemple, mon aimable » Jésus, et autant que je le pourrai, je veux me » régler par vos exemples, par vos maximes, qui » seules peuvent me conduire à vous, et me tirer » des embarras de Tignorance et des erreurs où » mes passions pourraient me précipiter. »
Ainsi parlent, ainsi agissent les hommes de Dieu, et sui'tout les saints prêtres. Ah ! malheur à vous, jeunes élèves, doux espoir de l'Église, maliieur à vous si vous restez tièdes et imparfaits après tout ce qui vous a été dit pour vous exciter à devenir fervents et fidèles !
Mais non, vous ne voudrez point attirer sur vous les châtiments réservés à l'abus des grâces. Quels que soient vos défauts, vous les combattrez, et, Dieu aidant, vous les détruirez. Vous serez de fer- vents séminaristes pour être plus tard de saints prêtres ; et Dieu sera glorifié, et Jésus, toutes les fois que vous le recevrez à l'autel, vous pressera délicieusement sur son cœur, et TÉglise surabondera de joie, et des multitudes de pécheurs seront vos conquêtes, et l'enfer mugira de dépit et de rage, et le ciel que vous aurez procuré à tant d'àmes sera votre éternelle récompense.
Mais, pour qu'il en soit ainsi, jeunes amis ; pour que rien ne manque à votre bonheur, tit gaudium vcstrum sit plcnum, encore une fois soyez des saints : Sancti estote ; sacrifiez tout pour le devenir : Qui non bajulat cntcem suam, et venit post 7ne, non potcst meus esse discipulus ; ne répudiez pas une seule verlu ; la philosophie elle-même vous prêche cette morale par un de ses axiomes : Bonura ex iiitegrà causa ; ne transigez pas avec un seul dé-
— 409 —
faut : Malum ex quocumque defectu ; ne faites pas comme tant de lâches qui disent à chaque instant : Nous accorderons ceci, mais nous retiendrons cehi ; nous irons jusqu'à tel degré, mais pas plus loin : Aveugles, qui ne voient pas qu'ils seront toujours trop peu parfaits pour atteindre la hauteur de leur vocation, et que, puisque Jésus les appelle au sommet de la perfection, ils doivent lui répondre par ces généreuses paroles : Magister, sequar te quocumque icris.
Courage donc, jeunes élèves, courage ! Eugc ! eucjel Yous êtes dans Tàge de la ferveur et de l'enthousiasme : quand serez-vous fervents , et fervents jusqu'à la divine exaltation qui fait les saints, si vous ne l'êtes pas dans un séminaire ? Ah! loin, bien loin de ce pieux asile non-seulement les cœurs froids, non-seulement les cœurs tièdes, mais même les cœurs fidèles qui tremblent de pro- mettre un dévouement sans réserve ! Jésus-Christ, chers amis, n'a rien réservé ; la dernière goutte de son sang, il l'a versée pour le salut des àm .-. : et la lance du soldat n'a percé son cœur que pour mettre à sec la source de ce sang divin et montrer au monde qu'elle était tarie.
Le séminaire! élèves bien-aimés, le séminaire! comment prononcer ce mot, comment vivre dans cette ineffable retraite sans y être pénétré d'une céleste flamme? Nous ne connaissons point sur la terre, et en effet il n'y a nulle part un lieu aussi saint que le séminaire. Le Cénacle seul où Jésus- Christ réunit ses apôtres la veille de sa mort, le Cénacle seul nous en offre l'image. Mais aussi qu'était-ce que le Cénacle, sinon im séminaire dont H. 27
— 470 —
les apôtres étaient les élèves, et Jésus-Christ le divin supérieur? Séminaire à jamais mémorable, où s'élaborait la précieuse semence qui devait féconder l'univers ! Dans cet auguste séminaire, jeunes amis, il ne se trouva qu'un mauvais élève, ce fut Judas. Bientôt le misérable sentit qu'il n'y était pas à sa place, et il s'en retira pour aller con- sommer son infamie. Mais tous les autres, qu'é- taient-ils ? Quel zèle 1 quel feu î quel dévouement ! quels transports d'amour ! Ils eurent, il est vrai, Pierre surtout et Thomas, un moment de faiblesse; ce qui doit vous encourager et non vous abattre, si vous n'êtes pas encore des héros en vertu. Mais comme elle fut rachetée, cette faiblesse ! Que de larmes coulèrent pour l'expier ! Quelle insatiable ardeur pour la pénitence^ pour la prédication de l'Évangile, pour les bonnes oeuvres, pour le salut des âmes, et finalement pour le martyre! Voilà vos modèles, jeunes et tendres amis : et vous aussi vous êtes appelés à l'apostolat ! et vous aussi peut- être vous êtes appelés à confesser votre foi dans les tortures : armez-vous donc, enflammez-vous du zèle qui fait les apôtres et du courage qui fait les martyrs. Amen! Amen! Amen!
LAUDETl R JESUS CHRISTU5 IX .ETERNl xM ! AMEX.
FIN
— 471 —
TABLE DES MATIERES
Pages Dédicace v
PREMIÈRE PARTIE
LKS SÉMINARISTES CLASSÉS EN QUATRE CATÉGORIES : — TES
MAUVAIS, — LES TIÈDES, — LES BONS - ET LES FERVENTS. i
Chapitre ]^^. Le mauvais s'-minariste 3
— II. Le séminariste tiède et relâché .... 2:{
— m. Le bon séminariste 4i-
— IV. Le ferlent séminariste 70
— V. Fragments remarquables du règlement
d'un fervent séminariste du séminaire de Coutances <)8
DEUXIÈME PARTIE
DÉFAUTS PRINCIPAUX AUXQUELS LES SÉMINARISTES PEUVENT ÊTRE SUJETS. — CARACTÈRES DE CES DÉFAUTS, hlFETS
qu'ils PRODUISENT, — MOYENS DE s'en CORRIGER. . . . M (5
Chapitre I*^^ Le séminariste orgueilleux, vaniteux et
plein de lui-même il7
— IL Le séminariste désobéissant I3."î
— III. Le séminariste entêté, intlexible, opiniâ-
trement attaché à son sentiment. . . 1 4i)
— IV. Le séminariste envieux et jaloux. . . . 169
— V. Le séminariste dissimulé 184
— VI. Le séminariste paresseux 197
— VII. Le séminariste sans charité pour le pro-
chain 213
— VIII. Le séminariste vif et irascible. . . . 230
— IX. Le séminariste peu affermi dans ia pratique
de la sainte vertu 243
— X. Le séminariste mou , inconstant , sans
énergie et sans zèle 2j>y
— 472 —
Pages
Chapitre XI. Le séminariste grossier, incivil et mal élevé. 270
— XII. Le séminariste élégant et maniéré. . . 290
— XIII. Le séminariste léger, rienr, facétieux,
imprudent, etc 301
•— XIV. Le séminariste intempérant ou prédisposé
à l'intempérance 316
— XY. Le séminariste cupide, intéressé, prédis-
posé à l'avarice 327
— XVI. Le séminariste d'un mauvais caractère. . 343
TROISIÈME PARTIE
AVIS ET RÈGLES DE CONDUITE POUR UN JEUNE PRÊTRE SOR- TANT DU SÉMINAIRE 362
I. Dernier jour du séminaire 363
IL Départ, — arrivée dans la famille, — première
messe 365
m. Séjour dans la famille en attendant un emploi. 367
IV. Appel de l'évêque à un poste quelconque. . 368
V. Installation au poste assigné par l'évêque. . 371
VI. Visites d'arrivée dans la paroisse 374
VIL Bonne tenue à l'église 375
VIII. Exécution ponctuelle du règlement .... 376
IX. Réveil, lever, habillement 378
X. L'Oraison 380
XL La sainte Messe : . 381
XII. Le saint Office 385
XIII. L'Examen particulier 387
XIV. Visite au saint Sacrement 387
XV. Lecture spirituelle 388
XVI. Le Chapelet. — Dévotion à la très-sainte Vierge. 390
XVII. Pratique de la confession pour soi-même. . 391
XVIII. Considérations générales sm^ le saint ministère. 394
XIX. Administration du sacrement de Pénitence. . 396
XX. La prédication 419
XXL Le Cathéchisme 434
XXII. Soin des malades 437
XXIII. Assistance des pauvres 440
XXIV. Rapports avec le monde . 442
XXV. Liaisons avec les confrères 44 i
XXVI. Dangers de l'exemple de quelques bons prêtres,
sur certains points particuliers 447
XXVII. Fréquentations suspectes et dangereuses. . . 448
XXVIII. Signes certains de relâchement chez un jjrètre. 450
Conclusion 462
FIN DE LA TABLE.
Typ. J. Lan'ce, à Saint -Om«r,
x"*<?-
\/x-»'
^Hjfc
:rN
u^-^
M
BX 1912 .D83 1874 v.2 SMC Dubois, Henri-Marie, Oeuvres complètes 4723133b
'f^,^^ m
*^
Mm:'
"C-^
m. -4
t^m
C\J |
||
o |
"^ ^= |
|
co 0) |
— = |
|
< |
— |
|
C\J |
z o |
- |
co C\J |
o en |
"T— _ |
1— |
||
if) |
||
o |
|
|
N |
"^ |
|
CM |
ce o |
' |
z |
|
|
CD |
m |
|
CM |
5 |
|
LO |
o < |
O — |
CM |
® |
|
'^ |
~^^ |
|
CM |
|
|
CO |
|
|
CM |
<^^ |
|
G) |
||
CM |
||
CM |
— |
|
-^ |
||
'CM |
ro |
|
O |
UJ |
|
"C\J |
— |
|
0) |
||
. ^' |
— |
|
.00 |
— |
|
^— |
K |
|
r^ |
||
.N |
||
"'" |
||
_C£) |
||
"^ |
||
.. |
en ....~- |
o ^^
' 'i
-^^^.
'^H I ^H^^H^^
î\:
00
fV)-
OJ-
cn- o-
00- CD
01
fn'
7