ii OEl VIUvS COIVIPLETRS fra:scoïs araCxO TOME CINOUIEME la propriété lillérairc des ilivprs oiiviagcs d^ Kranijchs Arago, élaiit soniiiisi' à des délais lépaiu diOV-rciits, selon qu'ils sont on non des œuvres postliiiiues, les éditeurs ont publié chaque ouvrage séparément. Ce litre collectif n'est donné ici que pour indiquer au relieur le meilleur classement à adojiter. Par la même raison, la réserve du droit de traduction est faite au titre 1 1 4u verso du faux litre de i-lia([ne ouvrage séparé. PAfllS. — IHPRIMtnli; TiK I. CI.AÏK, RCK SA1XI-I)l;^0l 1 , ŒUVRES COMPLÈTES pnvxcdis Ai{A(;() SKC RËT A IK K l' i: Il 1' K I 1 K ]. DE L'AC.AIiKMIE DES SCIENCES i PUBLIEES D'VPRÈS SON ORDRE SUIS LA 1»IRECT[U.\ M. .I.-A. JJAKKAL Ancien ÉK-vf i\o l'Ecole rolrtechniqup , aiuion Héi-étileur •ïans l'ot Étahlispemcnt. TO.MK CINUl I KMi; /^ FARfS I LKll'Zh. GIDE ET .1. BAUDRY. ÉDITEURS T. O. WKILJKL, ÉDITEUR :. Km- Bon.iparti' Ivonij.'s-Strassr Le ■Irnit .U' tr«! l'i'si-rvi' avi titri' .li- rliaqiir "uvrajii- séjir.ri'. J 8 0 ^) i^lê NOTICES SCIENTIFIQUES TOMK DEUXIKMI' à'^^ê NOTîCEvS SCIENTIFIQUES TOMK DKIXIKMK I.i's lU'ux lils de Khançiiis Akago, seuls héritiers do fps dmils, ainsi (iiie Irs éditeurs-propriétaires do SCS œuvres, se réservent le droit de l'aire Ir.idiiiii l'AsTRONOMiK roPULAiRE dans toutes les langues. Ils pinirsuivronl, en vertu des lois, (l<>s décrets et des traités inlernationaux , toute conirefaeon nu luole Iradoi lidii, nièiiip partielle, faite ao iiié(iris de lenrs droits. Le dé|iûl légal de re volume a été lait à l'aris, au Miiiistt;re de l'Inlérieiir, dans le courant de décenibre 1855, et simultanément à la Direction royale du (!er;'le de Leipzig. Les éditeurs ont rempli dans les antres pays tontes les liirmalités prescrites par le> lni> iialiiinale> île ihai|Me Ktat. un par les traités interriationanv. L'nniiiue tiadniiiiiii en laugio' alleniamle, autorisée jiar les denv lils de François ,-\RAG0 et les éditeurs, a été pnliliie siinultanénient à Lei]izif:, jiar Otto AVuivNn, libraire-éditeur, et le dépôt lé!.'al en a été fait partout où les luis l'eviirenl. URIS. — IMPIIIMEItlE Oe. J. CI.ATE RCE SAINT-BEMOIT, /, (E l V K E S I JIAIVCOJS \\{\V.() S K C H E r V 1 H K I' K K I' É T L i: L IIK I, ACA 1iI:MI !•: ItKS >(:i KNCKS IM, BLIÉK»' liAl'UKS S(i.\ ORltRE SUIS 1, A H I 11 KC.I' K t.\ DE M. .l.-A. B A KM AL NOTICES SCIENTIFIQIES TOME DKLXIKMK l'AlilS CilDl': KT .i. l'.ALDin KDITI'IHS :> lîiM' i{nii:i|j:iil. i.i:ii'Zi(, T. (). WEIGEL, ÉD! !•; I Les pi'(iini('tain'> >>■ rc'siTvr Tit h- .Irnit .le l'air.- tr.uluiiv ii- u.hi 1 8 :i 5 <'- Hi > ■ » »• Wi ■I-.5 NOTICES SCIENTIFIQUES NOTICE HISTORIQUE SUR LES MACHINES A VAPEUR CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION Je donne ici la quatrième édition de cette Notice his- torique sur les machines à vapeur. La bienveillance avec laquelle le public voulut bien accueillir mon travail lorsque je l'insérai dans V Annuaire du Bureau des Longitudes de 1829, m'engagea à le repro- duire d'abord dans V Annuaire de 1830 et ensuite dans celui de 1837. Je le réimprime ici tel qu'il a déjà paru. Je le fais suivre de ma réponse aux critiques dont il a été l'objet en Angleterre. On verra que je n'ai pas une seule assertion à modifier dans ce que j'ai d'abord publié concernant l'origine de la machine à feu et les améliora- tions successives qu'elle a éprouvées. La machine à vapeur a déjà rendu de trop grands ser- vices à l'industrie et à la navigation, pour qu'il faille s'étonner de l'empressement qu'on a mis à rechercher la v.— II. 1 2 MACHINES A VAPEUR. pari que diverses nations peuvent s'attribuer dans cette invention admirable. Toutefois, on n'apprendra pas sans surprise que, dans la seule Angleterre, les libraires ont vendu, en un très-petit nombre d'années, plus de cent mille exemplaires des nombreux ouvrages où cette ques- tion historique est débattue. Un aussi éclatant succès est du principalement, je n'en doute point, au vif intérêt que la machine à vapeur devait naturellement exciter dans mi pays où on la retrouve à chaque pas; mais peut-être sera-t-il permis de supposer que l'amour-propre natio- nal y est entré aussi pour quelque chose. Consultez , en effet, le membre de la Chambre des lords et un simple artisan ; le négociant de la cité que ses brillantes spécu- lations ont conduit dans toutes les régions du monde , et le fermier qui n'a jamais dépassé les limites de son comté; parcourez les immenses manufactures de Birmingham , de Manchester, de Glasgow et le plus humble atelier d'un collage ; partout on vous dira que le marquis de Worcester est le premier inventeur de la machine à vapeur ; partout on citera à la suite de ce nom les noms, tous anglais, de Savery, de Newcomen, de Beighton, de Watt, d'Horn- blower, de Woolf, etc. En général, les gens de lettres et ceux qui font de la culture des sciences leur occupation spéciale, n'ont pas à ce sujet des opinions moins arrêtées. Si vous ouvrez V Encyclopédie récente du docteur Rees, vous y trouverez ces lignes : « La machine à vapeur vient immédiatement après le vaisseau, dans l'échelle des inventions ; mais dans une Encyclopédie anglaise elle doit occuper le premier rang , à cause qu'elle a été entière- ment (icholhj) inventée et mise en pratique par nos com- MACHINES A VAPEUR. 3 patriotes (article steam Engine, 2' col.); et onze lignes plus bas, comme si le premier passage n'était pas assez clair : « La machine à feu a été inventée par un petit nombre d'individus, tous anglais {aU of them English- men). » Le célèbre professeur John Robison d'Édinburgh est tout aussi positif. « La machine à feu, dit-il, fut sans aucun doute inventée pour la première fois par le mar- cjuis de Worcester, sous le règne de Charles IL » (Voyez A System of mechanical Philosophy, t. ii, p. [i6.) Après avoir réfuté ensuite, par des arguments que j'examinerai, les prétentions des auteurs français qui affectent [affect) de mêler le nom de Papin à l'histoire de la machine à vapeur, Robison déclare «qu'il n'hésite en aucune ma- nière à donner l'honneur de la première et complète inven- tion au marquis de Worcester. » (Voyez A System, etc., p. 50.) Un savant non moins illustre par la profondeur de ses connaissances que par sa vaste érudition , le docteur Thomas Young, a joint son imposant témoignage à ceux je viens de produire. Suivant lui , le marquis de Worcester est le premier inventeur de la machine à feu , le premier qui se soit servi de la pression de la vapeur comme mo- teur. Dans l'aperçu rapide c|u'il donne des améliorations que cette machine a successivement reçues, on ne voit aussi figurer que des mécaniciens anglais. {Lectures on natural Philosophy, t. i", p. 3/^6 et 356. ) Je pourrais encore citer l'habile professeur de mécanique à l'Institu- tion royale, M. Millington; un membre distingué de la nouvelle Université de Londres, M. Lardner; l'auteur d'un traité de Mécanique pratique estimé, M. Nichol- son, etc., etc. 4 MACHINES A VAPEUR. Des décisions si nombreuses, si positives, la juste répu- tation des ouvrages dans lesquels je les ai puisées, ne nnc semblaient pas même permettre l'ombre d'un doute. Aussi lorsque, d'après le désir des élèves de l'École polytech- nique, j'essayai vers 1823 de tracer la série chronologique des perfectionnements que la machine à vapeur a éprou- vés depuis son origine jusqu'à nos jours, je m'attendais, je le dis franchement, à n'avoir que des mécaniciens anglais à citer. C'était cependant une erreur : nos voisins de l'autre côté du détroit ne sont ni les seuls ni môme les premiers inventeurs de la machine à vapeur. C'est du moins ce qui me paraît résulter d'un certain nombre de documents que je vais rapporter. Je suis certain d'avoir examiné sans prévention ce point curieux de l'histoire des sciences. Mes citations, mes analyses seront exactes, on peut y compter. Si les conséquences que j'en ai dé- duites ne l'étaient pas, chacun les rectifierait lui-môme, puisqu'il aura sous ses yeux tous les éléments de la question. Au reste, je dois dire, avant de terminer ce préambule, qu'il a paru récemment, en Angleterre môme, un ouvrage remarquable intitulé Histoire descriptive de la Machine à feu, par M. Robert Stuart, et dans lequel tous les essais qu'on a faits pour se servir de la vapeur d'eau comme agent mécanic|ue, se trouvent appréciés avec beaucoup de discernement, et, ce qui est plus rare en- co)"e, avec une abnégation complète de tout préjugé national ; sauf un petit nombre d'exceptions, les opinions de M. Stuart sur le mérite relatif des ingénieurs qui ont concouru à la création de cette merveilleuse machine, sont parfaitement conformes à celles que j'avais puisées MACHINES A VAPEUR. 5 dans la lecture des titres originaux. Cet accord m'a trop flatté pour que je ne doive pas m'en prévaloir avec em- pressement. J'ajouterai même que si ma Notice n'avait pas été rédigée en très-grande partie lorsque j'eus con- naissance de l'histoire de M. Robert Stuart, je me serais probablement contenté de publier une simple analyse de ce livre : le but que je me proposais aurait été également atteint. J'espère que les lecteurs apprécieront les motifs qui m'ont déterminé à ne pas suivre strictement l'ordre chro- nologique dans toutes les parties de cette Notice. J'ai pensé qu'il y aurait plus de clarté à grouper ensemble les paragraphes relatifs aux modes divers et plus ou moins avantageux qui ont été successivement imaginés pour faire agir la vapeur. Les détails du mécanisme, quoique fort importants, ne me paraissent devoir marcher qu'en se- conde ligne. CHAPITRE II MACHINES ATMOSPHÉRIQUES OU A BASSE PRESSION §1- 120 ans avant J.-C. IIéuon d'Alexandrie '. Lorsque les liquides, les gaz ou les vapeurs s'écoulent des vases qui les renferment sous certaines conditions que 1. Héron d'Alexandrie, dit l'Ancien, vivait environ 120 ans avant notre ère. La plupart des nombreux ouvrages qu'il composa sont perdus : il n'en reste plus que trois. La macliine à réaction dont il doit être ici question se trouve décrite et représentée dans le traité intitulé Spiritalia seu pnewnatica. On a prétendu qu'Héron fut le premier inventeur des roues dentées, mais cet honneur appartient. 6 MACHINES A VAPEUR. je Vciis décrire, ils deviennent une cause de mouvement qu'il est nécessaire de bien apprécier si Ton veut com- prendre le jeu d'un petit appareil imaginé par Héron d'Alexandi-ie, et qui oiïre, je pense, le premier exemple de l'emploi de la vapeur comme force motrice. Concevons (fig. 1) un tube coudé ABC dont les deux Fig. 1. — riincipe des machines à réaction. branches AB et BC se rencontrent rectangulairement. Supposons que la branche BA soit verticale, qu'elle passe librement dans un anneau fixe mn et qu'elle repose par le bas sur une pointe aiguë T, de manière à pouvoir tourner sur elle-même sans obstacle. Si dans cet état on verse de l'eau par l'entonnoir supérieur, nous aurons deux cas bien distincts à considérer. Quand l'écoulement du liquide s'opérera par l'extrémité C, dans la direction BC, tout l'appareil demeurera immobile. Quand, au contraire, je crois , ù son maître Ctésibiiis. Ses clepsydres et surtout ses auto- mates excitèrent l'admiration de l'antiquité. La fontaine qui porte le nom d'Héron a reçu diverses applications importantes, même de nos jours : elle sert, par exemple, dans les mines de Schemnitz, en Hongrie, comme machine d'épuisement. MACHINES A VAPEUR. 7 le tube BG sera bouché à son extrémité G et que le liquide sortira seulement par une ouverture latérale S, dans une direction horizontale , la machine prendra d'elle-même du mouvement. Elle tournera autour de AB , tant que l'écoulement durera, mais en sens contraire de la direc- tion suivant laquelle se formera le jet. Si l'eau, par exemple, s'élance d'arrière en avant, le tube horizontal BG se transportera, en tournant, d'avant en arrière, comme par une espèce de recul. Toutes les machines dans lesquelles l'eau a été em- ployée de cette manière , portent le nom de machines à réaction. Un gaz qui parcourrait rapidement le tube coudé ABC, produirait les mêmes effets que l'eau : le tube resterait immobile quand le gaz s'échapperait dans la direction BG; il tournerait au contraire si l'écoulement avait lieu latéralement. Ges considérations préliminaires suffisent pour que l'on comprenne le mode d'action de la vapeur dans la ma- chine d'Héron. Imaginons qu'une sphère métallique creuse (fig. 2, page 8), susceptible de tourner entre deux tourillons A et B, soit remplie d'une vapeur très-élastique ; que cette vapeur puisse sortir de la sphère par un tuyau saillant DG perpendiculaire à AB et placé sur le prolongement d'un des rayons. On devine déjà que si le tuyau DG est ouvert à son extrémité , il ne tendra pas à tourner, et que la sphère restera en repos; que si, au contraire, l'écoule- ment s'opère par une ouverture latérale S , d'arrière en avant, par exemple, le tuyau reculera et tendra à faire 8 MACHINES A VAPEUR. tourner d'avant on arrière la sphère à laquelle il est lié. Pour rendre ce mouvement de rotation continu, il sufTn'a d'ajouter aux suppositions précédentes, celles qu'un des deux tourillons (A si l'on veut) est creux, qu'il se trouve, par un bout , en communication avec l'intérieur de la sphère, et i)ar l'autre, avec une chaudière : la vapeur déposée en S sera ainsi continuellement remplacée au fur et h mesure de son écoulement. Fig. 2. — Mode d'actLon de la vapeur dans la machine d'Héron. Sur la figure qu'Héron a donnée de son petit appareil, on aperçoit deux tuyaux semblables à celui que je viens de décrire. Ils forment les prolongements opposés d'un môme diamètre et leurs ouvertures latérales sont dispo- sées de manière qu'ils tendent à faire tourner la sphère dans le môme sens. 11 y a aussi dans les Spiritalia la description d'une machine toute semblable à la précédente, avec cette dif- férence seulement qu'un courant d'air échauffé y rem- place le courant de vapeur. En résumé , on trouve un certain emploi de la vapeur iMACHINES A VAPEUR. 9 aqueuse clans un des appareils décrits par Héron , mais cette vapeur y agit tout autrement que dans les machines modernes. Watt, à qui les essais du mécanicien grec n'étaient pas inconnus, croyait qu'on ne pourrait jamais en tirer rien d'utile. D'autres personnes, si je suis bien informé , augurent au contraire assez favorablement des effets qu'il serait possible d'obtenir avec le mécanisme d'Héron perfectionné, pour avoir cherché, par un brevet, à s'en assurer la jouissance exclusive : le temps et l'expé- rience prononceront. On voit seulement que si, par des modifications dont nous n'avons aucune idée, des ma- chines à vapeur et à réaction réussissaient un jour et qu'on jugeât à propos d'en écrire l'histoire, il faudrait s'em- presser de signaler Héron comme leur premier inventeur. Ouant à moi, j'aurais pu me dispenser d'en parler, puisque je ne dois m'occuper actuellement que des ma- chines connues, que des machines employées dans les usines, et que celles-ci n'ont aucune ressemblance avec la sphère tournante du savant d'Alexandrie. Peut-être même eût- il été convenable de citer ici de préférence les auteurs qui, tels qu'Aristote et Sénèque, attribuent les tremblements de terre à la transformation subite de l'eau en vapeur. Cette transformation, suivant eux, s'opère dans les entrailles du globe par la chaleur souterraine ; or, les grands effets qu'ils veulent expliquer montrent bien de quelle énorme puissance mécanique la vapeur leur semblait douée. J'espère, en tous cas, qu'on me pardon- nera ce paragraphe, quand on verra qu'il donne une solu- tion naturelle de la ciuestion importante qu'a fait naître naguère la pièce dont je vais maintenant m'occuper. 10 MACHINES A VAPEUR. §2. 15Zi3. Blasco de Car a y. M. de Navarrete a public en 1826, clans la Correspon- dance astro}u)mi(iuc de M. le baron de Zach, la Note ci-après, qui lui avait été communiquée par M. Thomas Gonzalez, directeur des archives royales de Simancas. « Blasco de Garay, capitaine de mer, proposa , Tan 15/i3, à l'empereur et roi Charles-Quint, une machine pour faire aller les bâtiments et les grandes embarcations, même en temps de calme, sans rames et sans voiles. « Malgré les obstacles et les contrariétés que ce projet essuya, l'empereur ordonna que l'on en fît l'expérience dans le port de Barcelone , ce qui effectivement eut lieu le jour 17 du mois de juin de ladite année 15/i3. « Garay ne voulut pas faire connaître entièrement sa découverte. Cependant on vit, au moment de l'épreuve, qu'elle consistait dans une grande chaudière d'eau bouil- lante et dans des roues de mouvement attachées à l'un et à l'autre bord du bâtiment. «On fit l'expérience sur un navire de 200 tonneaux, appelé la Trinité, arrivé de Colibre pour décharger du blé à Barcelone, capitaine Pierre de Scarza. « Par ordre de Charles- Quint, assistèrent à cette ex()é- rience don Henri de Tolède, le gouverneur don PieiTC de Cardona, le trésorier Ravage, le vice -chancelier et l'intendant de la Catalogne... « Dans les rapports que l'on fit à l'empereur et au prince, tous approuvèrent généralement cette ingénieuse MACHINES A VAPEUR. il invention, particulièrement à cause de la promptitude et de la facilité avec laquelle on faisait virer de bord le navire. « Le trésorier Ravago, ennemi du projet, dit qu'il irait deux lieues en trois heures, que la machine était trop compliquée et trop coûteuse, et que l'on serait exposé au péril que la chaudière éclatât. Les autres commissaires assurèrent que le navire virait de bord avec autant de vitesse qu'une galère manœuvrée suivant la méthode ordi- naire, et faisait une heue par heure, pour le moins. «Lorsque l'essai fut fait, Garay emporta toute la ma- chine dont il avait armé le navire ; il ne déposa c{ue les bois dans les arsenaux de Barcelone, et garda tout le reste pour lui. « Malgré les oppositions et les contradictions faites par Ravago, l'invention de Garay fut approuvée, et si l'expé- dition dans laquelle Charles-Quint était alors engagé n'y eût mis obstacle, il l'aurait sans doute favorisée. « Avec tout cela, l'empereur avança l'auteur d'un grade, lui fit un cadeau de 200,000 maravédis, ordonna à la Trésorerie de lui payer tous les frais et dépenses , et lui accorda en outre plusieurs autres grâces. « Cela résulte des documents et des registres originaux que l'on garde dans les archives royales de Simancas, parmi les papiers de l'état du commerce de Catalogne et ceux des secrétariats de guerre, de terre et de mer dudit an 1543. «Thomas Gonzalez. « Simancas, 27 août 1825. » Suivant M. de Navarrete, il résulte de la Note qu'on 42 MACHINES A VAPEUR. vient de lire, « que les vaisseaux ù vapeur sont une inven- tion espagnole, et que de nos jours on l'a seulement fait l'evivrc. » De là découlerait aussi la conséquence que Blasco de Garay doit être considéré comme le véritable inventeur des machines à feu! Ces prétentions me paraissent de nature à être repous- sées l'une et l'autre. En thèse générale, l'histoire des sciences doit se faire exclusivement sur des pièces impri- mées. Des documents manuscrits ne sauraient avoir aucune valeur pour le public, car le plus souvent il est dépourvu de tout moyen de constater l'exactitude de la date qu'on leur assigne. Des extraits de manuscrits sont moins admis- sibles encore. Quelquefois l'auteur d'une analyse n'a pas bien compris l'ouvrage dont il veut rendre compte, et il substitue, même sans le vouloir, les idées de son temps, ses propres idées, aux idées de l'écrivain qu'il abrège. J'accorderai, toutefois, qu'aucune de ces difficultés n'est applicable dans la circonstance actuelle, que le document cité par M. de Navarrete est bien de '15/i3, et que l'extrait de M. Gonzalez est fidèle; mais qu'en résultera-t-il? qu'on a essayé, en 1543, de faire marcher les bateaux avec un certain mécanisme, et rien de plus. La machine dit- on, renfermait une chaudière, donc c'était une ma- chine à vapeur. Ce raisonnement n'est point concluant. 11 existe, en effet, dans divers ouvrages, des projets de machines où l'on voit du feu sous une chaudière remplie d'eau, sans cjue la vapeur y joue aucun rôle : telle est, par exemple, la machine d'Amontons. Enfin, lors même qu'on admettrait que la vapeur engendrait le mouvement dans la machine de Garay, il ne s'ensuivrait pas néces- MACHINES A VAPEUn. 13 sairement que celte machine était, nouvelle et qu'elle avait quelque ressemblance avec celle d'aujourd'hui, car Héron, comme on l'a déjà vu, décrivait, 1600 ans auparavant, le moyen de produire un mouvement de rotation par l'ac- tion de la vapeur. J'ajouterai même que si l'expérience de Garay a été faite , que si sa machine était à vapeur, tout doit porter à croire qu'il employait l'éolipyle d'Héron. Cet appareil, en effet, n'est pas d'une exécution très- difficile , tandis que (on peut l'assurer hardiment) la plus simple des machines à vapeur d'aujourd'hui, exige dans sa construction une précision de main-d'œuvre fort supé- rieure à tout ce qu'on aurait pu obtenir au xvi' siècle. Au reste , Garay n'ayant voulu montrer sa machine à personne, pas môme aux commissaires que l'empereur Charles- Quint avait nommés, toutes les tentatives qu'on pourrait faire, après trois siècles, pour établir en quoi elle consistait, n'amèneraient évidemment aucun résultat certain. En résumé , le nouveau document exhumé par M. de Navarrete doit être écarté, 1° parce qu'il n'a été imprimé ni en 15/i3 ni plus tard; 2° parce qu'il ne prouve pas que le moteur de la barque de Barcelone était une véritable machine à vapeur; 3° parce qu'enfin si une machine à vapeur de Garay a jamais existé c'était, suivant toute apparence, l'éolipyle à réaction décrite dans les Œuvres d'Héron d'Alexandrie. ,)i MACHINES A VAPEUR. §3. 1615. Salo.mo^ de Caus '. Salomon de^Caus est- fauteur d'un ouvrage intitulé : Les Raisons des forces mouvantes, avec diverses machines tant idiles que plaisantes, etc. Cet ouvrage parut à Franc- fort en 1615. On y trouve, entre autres choses ingénieuses que plusieurs mécaniciens ont présentées de nos jours comme nouvelles, un théorème ainsi conçu, sous le n° 5 : Veau montera par aide du feu plus haut que son niveau. Voici en quels termes Caus justifie cet énoncé : 1. Par une bizarrerie bien digne de remarque, un homme que la postérité regardera peut-être comme le premier inventeur de la machine à feu , n'est cité dans l'histoire des mathématiques de Mon- tucla qu'à l'occasion de son Traité de perspective , et encore la citation n'est-elle que de cinq mots. A peine a-t-il aussi obtenu les honneurs d'un article de quelques lignes dans les volumineux dic- tionnaires biographiques publiés de nos jours. La Biographie uni- verselle le fait naître et mourir en Normandie. Elle dit qu'il habita quelque temps l'Angleterre, où il fut attaché au prince de Galles. Dans les Raisons des Forces mouvantes, Salomon de Caus prend lui- même le titre d'ingénieur et d'architecte de Son Altesse palatine électorale. Cet ouvrage fut composé, je crois, à ileidelberg ; il a été imprimé à Francfort; ces trois circonstances ont fait supposera quelques personnes que Caus était Allemand. ]\Iais remarquons d'abord combien il serait peu probable qu'un Allemand eût écrit en français dans son propre pays. Ajoutons que dans la dédicace au roi très-chrétien (Louis XIII), la formule suivante précède la signa- ture : de Votre -Majesté, le très-obéissant subject: qu'enfin on lit dans le privilège, et ceci tranche tous les doutes : « iVostre bien aimé Salomon de Caus, maistre ingénieur, estant de présent au service de nostre cher et bien aimé cousin le prince Électeur Pala- tin, nous a fait dire, etc , désirant gratifier ledict de Caus, comme estant nostre subject, etc, » Ainsi Salomon de Caus était Français. MACHINES A VAPEUR. V6 « Le troisième moyen de faire monter l'eau est par l'aide du feu, dont il se peut faire diverses machines. J'en donnerai ici la démonstration d'une. « Soit (fig. o) une balle de cuivre marquée A, bien Fig. 3. — Esplication de l'ascensiou de l'eau dans la macliino do Saloinou de Caus. soudée tout à l'entour, à laquelle il y aura un soupirail marqué D par où l'on mettra l'eau, et aussi un tuyau marqué BG qui sera soudé en haut de la balle ; et le bout C approchera près du fond , sans y toucher ; après faut emplir ladite balle d'eau par le soupirail, puis le bien reboucher et la mettre sur le feu ; alors la chaleur don- nant contre ladite balle , fera monter toute l'eau par le tuyau BC. » L'appareil dont je viens de transcrire la description est une véritable machine à vapeur propre à opérer des épui- sements. Mais peut-être supposerait-on, si je me bornais au passage précédent , que Salomon de Caus ignorait la cause de l'ascension du liquide par le tuyau BC. Cette 16 MACllINKS A VAPEUR. cause lui était parfailcment connue, et j'en trouve la preuve dans son Uiuorème 1", p. 2 et 3, où, à roccasion d'une expérience toute semblable, il dit que « la violence de la vapeur (produite par l'action du feu) qui cause l'eau de monter, est provenue de ladite eau, laquelle vapeur sortira après que l'eau sera sortie par le robinet avec grande violence. » §4- IG'29. r.r.ANCA. Branca est l'auteur d'une compilation intitulée : Le macchine dcl si(j. G. Brauca; Ronta 1629. Cet ouvrage renferme la description de toutes les machines dont l'au- teur avait eu connaissance. Dans ce nombre, on remarque un éolipyle placé sur un brasier, et disposé de manière que le courant de vapeur, sortant par un tuyau, allait frapper les ailes ou les augets d'une petite roue horizon- tale et la faisait tourner. Le vent de la tuyère d'un souf- flet ordinaire aurait évidemment produit le même effet. Je n'ai pas encore deviné d'après quelles analogies on a pu voir dans cet éolipyle le premier germe des ma- chines à vapeur employées de nos jours. En tout cas, et je me bornerai à cette remarque, le recueil de Branca est postérieur, de beaucoup , aux deux premières éditions do l'ouvrage de Salomon de Caus. MACHINES A VAPEUR. 47 §5. 1663. Le marquis de AVorc ester '. The ScantUng of one hundrcd Inventions, par le mar- quis de Worcester, parut en 1663 pendant le règne de Charles II. Ce livre est plus généralement connu sous le titre de Centunj of Inventions. L'appareil que les auteurs anglais regardent comme la première machine à feu, est décrit dans ces termes (c'est la C8'' invention) : « J'ai inventé un moyen admirable et très-puissant d'élever l'eau à l'aide du feu, non par aspiration, car alors on serait renfermé, comme disent les philosophes, intra sphœram activitatis, l'aspiration ne s'opérant que pour certaines distances; mais mon moyen n'a pas de limite, si le vase a une force suffisante. Je pris en effet un canon entier dont la bouche avait éclaté, et l'ayant rcm- 1. Edward Somerset, marquis de Worcester, que les Anglais re- gardent comme le véritable inventeur de la machine à feu, vivait sous le règne des derniers Stuarts. Jeté dans toutes les intrigues de cette époque, il éprouva bien des traverses. \'\'orcester perdit d'abord son immense fortune ; il ne passa en Irlande que pour y être em- prisonné; il s'évada, atteignit la France, retourna à Londres par les ordres de Charles II, fut découvert et enfermé dans la Tour, d'où il ne sortit qu'à la restauration. La tradition rapporte que les idées de Worcester sur l'emploi qu'il .nt d'inexactitudes; je m'étais abstenu, sciem- ment, de parler de plusieurs auteurs, tant anciens que modernes, dans lesquels les mécaniciens français avaient dû puiser leurs prétendues inventions, etc., etc. ! ! ! Je ne pensai pas devoir rester sous le coup d'imputa- tions aussi graves; aussitôt que l'article de M. Ainger eut paiii, je le réfutai. Mon antagoniste avait oublié les règles de la politesse la plus commune; j'eus la faiblesse de m'en irriter et de lui répondre avec une vivacité qui, toute provoquée qu'elle était, ne pouvait convenir à V Annuaire du Bureau des Longitudes. Aucun autre moyen naturel de publication ne s'étant ollert à moi, ])our le moment, je jetai mon manuscrit dans un carton d'où probablement il ne serait jamais sorti, sans la circonstance singulière dont je vais rendre compte. J'allais mettre le bon à tirer sur la dernière feuille de la troisième édition de ma Notice, dans V Annuaire de 1837, loi's(|(ie je reçus du docteur Mease, de Philadelphie, un article relatif aux machines à \apein'. faisant |)arti(^ de MACHINES A VAPEUR. 83 réditioii améi'icainecle VEncycloprdie du doctf^ur Hren-slrr. Cet article renferme, sans aucune réflexion critique, une partie du Mémoire de M. Ainger ; mais, dans la lettre manuscrite qui l'accompagnait, M. Mease exprime le regret de n'avoir pu se procurer ma réponse, et s'engage à la donner dans un supplément dès qu'elle lui parvien- dra. Une personne éclairée et bienveillante à mon égard, trompée par le ton d'assurance de M. Ainger, a donc pu attribuer quelque valeur à ses arguments. J'avoue que je ne le croyais pas possible ; j'avoue que je me reposais avec confiance sur ces quelques paroles que m'adressait, en iSok, un savant anglais que tout le monde prendrait pour juge en i)areille matière : « Ce que vous avez voulu établir dans votre histoire des machines à vapeur, est à mes yeux prouvé mathématiquement. » Mais, puisque cette conviction n'existe pas encore de l'autre côté de l'Atlantique, je me décide, dans l'intérêt des sciences, comme aussi, pourquoi ne l'avouerais-je pas, dans l'mté- rèt de la gloire nationale, à exhumer un écrit {[ue j'avais condamné à l'oubli. Je le donne, au sui'plus, tel qu'il tut composé en 1829, sauf quelques modifications de forme dont je viens d'indiquer les motifs. Je crains même, à vrai dire, que ces modifications n'aient pas été assez nombreuses, et qu'il ne soit resté cà et là plus d'un indice de la vivacité de ma première rédaction; mais le temps m'a manqué ])our faii'e d'autres changements. Les critiques de M. Ainger sont de deux sortes. Dans les premières, il me reproche une foule de prétendues erreurs dont j'aurais pu me rendre coupable sans que le tond de la question se trouxàt chiuigé le moins du monde Hi MACHINER A VAPEUR. Los autres soiil plus sérieuses, car si M. Ainger avait rai- sou , j'aurais eu moi le ])ius grand tori de luoirr des noms français à Thistoii-e de la machine à l'eu ; celles-ci exige- ront un examen miuuticux. Disons d'ahoid (|uoIques mots des criti(iues de détail. «Ma Notice a excité, dit M. Ainger, plus d'att(Mitiou (pfuu sujet aussi vulgaire ne semblait \o compoiier... Cette attention extraordinaire s'explique par le dernier paragraphe de la préface de M. Arago. » 11) auteur n'est pas responsable de Tattention, bien ou mal fondée, que le public daigne accorder à ses œuvres; ainsi j'aurais pu ne pas noter l'explosion de mauvaise humeur de mon critique, si elle ne me four- nissait une occasion, la seule peut- (Mr.e que je trouverai dans ce chapitre , de me rapprocher de son avis. D'ail- leurs le témoignage qu'il a bien voulu me transmettre de l'indulgence du public , expliquera le prix que je mets aujourd'hui à prouver qu'à défaut de tout autre mérite, ma Notice ne renfermait rien d'inexact. Suivant M. Ainger, «j'ai accusé tous [ail) les auteurs anglais, un seul excepté, d'avoir sacrifié la vérité à des préjugés nationaux. » Cette assertion n'a aucun fonde- ment ; je n'en veux pour preuve que ce seul passage : « Lorsque MM. Thomas Young , Robison , Partington , Tredgold, Millington, Nicholson, Lardner, etc., présen- taient le marquis de Worcester comme l'inventeur de la machine à feu, l'ouvrage de Salomon de Caus leur était sans doute inconnu. » Si l'on ne croyait pas à la sincérité de cette déclai'ation , je ferais remarquer que dans les sept noms qu'on vient de lire, se trouve celui d'un MACHINES A VAPEUR. 85 savant illustre (Thomas Young) qu'une mort prématurée a enlevé aux sciences, et dont j'ai eu l'avantage d'être l'ami durant un grand nombre d'années. Ainsi je n'ai pas dit, ainsi je n'ai pas pu dire que Inus les auteurs anglais, M. Stuart excepté, avaient sciem- ment altéré la vérité; le lecteur jugera lui-même dans un moment si , d'autre part , tous ces mêmes auteurs ont fait preuve d'impartialité. D'après M. Ainger, la figure qui, dans ma Notice, accompagne la description empruntée à Salomon de Caus, d'une machine propre à élever de l'eau par l'action du feu, est inexacte. Avant de répondre, je placerai ici la copie trait pour trait (fig. (> . p. 80) du dessin oiiginal de Salomon de Caus. Que le lecteur veuille bien maintenant consentir à écouter les critiques de M. Ainger. Selon lui, le tube d'ascension et le petit entonnoir servant à introduire le liquide dans la boule métallique, seraient rnii et l'autre trop longs dans la figure primitivement donnée (voir fig. 3, p. 15). Une seconde altération consisterait dans la suppression de la nappe liquide épanouie qui termine le jet ascendant. J'avoue que n'ayant aucun argument à présenter sur la longueur de ces tubes, je n'avais point recommandé à la personne qui a copié la première figure, de conserveries proportions du dessin original. Quanta la nappe d'eau, le graveur l'avait supprimée pour simplifier son travail. M. Ainger aurait même pu ajouter qu'il n'avait pas figuré l'eau dans la boule, ^t que les bûches enflammées, pla- cées au-dessous, ne ressemblaient |)as parfaitement à NU MACHIN lis A VAPlîUn. celles (le Siilomoii (h; Caus. Je lui recom mande cesobser \, il ions si s;i hiochiirc arrive à une seeonde édition. Fig. (>. — Fac-similé du dessin de la raacliine de Salfunon de Cans. L'extrèmo f"iifilit('' des n'iti((iios dont je vi(Misde pai'Ier ne doit pas m'cmporhei' d";! joiilci' une courte reniar(|ue : MACHINAS A VAPEUR. 87 je n'ai annoncé nulle part, ni pour la figure d'Héron (fig. 2, p. 8), ni pour celle de Salonion de Caus (fig. o, |). 15), c|u'elles fussent copiées minutieusement et dans (les proportions géométri({uement exactes; ainsi M. Aingei- s'exposait à des observations sévères cjuand il disait : « M. Arago donne la figure comme extraite du même ouvrage (celui de Salomon de Caus). » Kn voyant à l'article Savery que M. Ainger revient une seconde fois sur cet allongement du tube, qu'il le présente (•(^mme une altération importante et faite à dessein, j'ai (Ml la curiosité de porter successivement un compas sur le tube de la figure 3 des premières éditions de cette Notice (voir ci-dessus, p. 15), et sur le jet liquide (ju'on voit dans celle de Salomon de Caus (fig. 6) ; or, il arrive que le jet est de près de trois fois plus long que le tube. Ainsi M. Ainger se trouve dans cette alternative, ou de rétracter ses outrageantes insinuations, ou de soutenir cjue la force en vertu de laquelle un jet d'eau s'élance dans l'air ne por- terait pas le liquide à la même hauteui' le long d'un tuyau. Je l'engagerai , charitablement, à ne faire son choix à cet égai"d qu'après avoir consulté un traité d'hydraulique. Cet allongement du tube paraît avoir été aux yeux de M. Ainger un vrai coup de fortune. 11 l'exploite de toutes les manières; il n'en aurait pas reti-anclu'' un millinièlre pour ini trésor, et cepiMidant le tout avait fini par lui paraître bien long, puisqu'il déclai-e que les deux tubes sont indéfiniment allongés {indrfinitclij clonfjdlr). Je vi(^ns de dire (|ue le tube est moins long que le jet de l'original; aussi, quelque malveillance qu'on puisse avoir, il faut l'ecoiuiaître t|ue le cliangcmeiil , si changiMiicnl il y 88 MACHINES A VAPKUR. a, n'a pas été fait dans la vue d'ajouter h la puissance de la machine. 8i j'avais cru devoir insister sur les grandes hauteurs auxquelles la vapeur dans l'appareil de Caus pourrait élever l'eau , je les aurais trouvées non pas sur une figure sans échelle, mais bien dans cette phrase, déjà citée : « La violence est grande quand l'eau s'exhale en air par le moyen du feu... il est certain que si l'on nit^t ladite balle (une balle de cuivre contenant de l'eau) sur un grand feu, en sorte qu'elle devienne trop chaude, il se fera une compression si violente, que la balle crèvera en pièces. » .l'avais pensé, en écrivant l'histoire de la machine à feu, que le meilleur moyen de ménager l'attention du lecteur, serait d'indiquer, pas à pas, en quoi chaque nou- veau projet améliorait la machine déjà existante. C'est ainsi , par exemple , que j'ai analysé tous les perfection- nements apportés par Savery à la machine de Salomon de Caus. Celte méthode paraît avoir singulièrement déplu à M. Ainger ; expliquer la machine de Savery et l'expli- quer clairement sans avoir besoin d'en donner la figure, est à ses yeux un vrai scandale; au reste, il ne dit, ni que la description soit inexacte (voir p. ok) , ni qu'elle lui paraisse insuffisante : le péché par omission qu'il me re- proche a donc été seulement relevé pour faire nombre. Au surplus, le lecteur peut juger pai' la figure suivante, copiée sur celle de Savery, que ma description était très- sulTisante (fig. 7 et 8) ; en A on aperçoit le fourneau , en B la chaudière , en C deux robinets qui , tournés tour à toui', conduisent la vapeur successivement dans chacun (les vases 1) ; ces deux vases D reçoivent vers le bas l'eau MACHINES A VAPEUR. 89 Fig. 7. — Fac-similé du dessin de la machine Fig. 8. — Fac-similé du dessin de la de Savery ( vue de face). machine de Savery (vue de c6té ). 90 MACHIN F. S A VAPKLIR. (|iii vient du niveau inférieui' I ])ar le tuyau d'aspii-atioii ]| ; cette eau est relouli''e par la vapem- dniis le tuyau d'ascension G ; ces tu\au\ d'ascension qui se l)it'ur(|uent pour se riMidre dans les vases D, sont munis de soupapes dont le jeu est facile à comprendre, et de rol)inets poul- ie cas oii les soupaj)es auraient besoin d'être nettoyées. Si (juehju'un a\ait la pensée de ni' point circonscrire sa responsabilité dans les strictes limit(\s de ses ))ar(»les: s'il était assez imprudent pour l'étendre aux cons(''quences qu'on pourrait eir déduire, certains commentateurs l'en feraient bien rej)entir. Deux ])etites figures (fig. 4 et 5, p. 24 et 26) m'ayant senibN' ])i-()pi-es à expli(|uer les idées (|ui dirigèrent Papin d.ins les tentatives variées auxquelles il se livra avant d'imaginer la macliine à vapeur atmo- sphérique, je les plaçai dans la première édition de ma Notice, en tête des raisonnements dont elles étaient, en quelque sorte, la représentation graphique. Que fait à cette occasion M. Ainger? 11 dit que ces dessins se trouvant immédiatement sous le titre : Denis Papin, :< le lecteur conséquemment en conclut (|u"ils donnent les portraits de l'invention de Papin [llic rcader, of course concludes are the portraits nf Papin' s invention) ; mais, ajoute-t-il, on aura de la peine à croire (|u'ils ne sont rien de sem- blable; (pfils olTrent les portraits d'un appareil exécuté quinze années plus tard par un Anglais, Newcomen. » Ma réponse sera bien simple: en thèse générale, je n'accepte pas les conclusions qu'il prendra au premier venu de tirer de mes paroles; je ne me sentirais pas de force à résister à ce genre d'attaque ; j'ajouterai , dans ce cas |);nticnlier, (|iie n'nynnt dil nulle |iart : « T.es deux MACHINES A VA PEU H. 91 petites figures dont je me sers sont tirées des ouvrages de Papin ", il devrait ni'iniportei- peu d'entendre mon cri- tique s'écrier qu'elles ne s'y trouvent pas; mais j'ai par- faitement le droit de soutenir qu'elles y sont, car la ma- chine dans laquelle Papin proposait de faire le vide sous le piston à l'aide d'une roue hydraulique éloignée (fig. 9, p. 92), n'est autre chose que celle dont j'ai donné le trait, sauf cette uni(|ue modification (|ue la soupaj)e ou |)lutot \o robinet destiné à laisser rentrer l'air, au lieu d'être situé sur la pla(|ue métallique qui supporte le corps de pom])(% comme dans mon dessin, est de côté, à l'extrémité d'un petit tuyau horizontal, aboutissant au fond de ce même corps de pompe. Si , profitant du peu d'habitude que les lecteurs d'un journal peuvent avoir des artifices des méca- niciens, M. Ainger a prétendu faire croire qu'un tel déplacement de la soupape ou robinet avait été fait dans la vue d'améliorer le projet de Papin, je ferai rcMiiarquer ({ue jamais dans les machines modernes la soupape n'est au fond du corps de pompe; cpie toujours, comme dans le véritable dessin que je repi'oduis ici (fig. 9), elle se trouve sur le tuyau à peu pi'ès hoi'izontal ((ui amène la vapeur motrice. Pour qu'on ne puisse-avoir aucun doute sur la connais- sance approfondie qu'avait Papin des divers moyens mé- caniques nécessaires pour faire marcher la machine dont j'ai seulement résumé le principe, je donnerai la dr^- cri|)tion textuelle faite par Papin lui-même de sa machine propre à transportei' fort loin la force mouvante do>^ rivièr(>s o\ tirer l'eau (\*:< mines. Cette descriplion a pai'U en latin d.ins les Arles de l.ripzif/ de 1()8siii (fig. 10. |). 97) (h' la iiiachiiic à va|)rin(lc l*;ipiii : clic a piini en l;itiii (\:\\]> les .\ilcs de Ij-ipzi;/ poiii' l()9() ; 96 MACHIN RS A VAPEUR. j'ciiipriiiitc le texte (|ui suit à la traduction de cette des- cription donnée dans le Recueil de niacliiiics de 1695. Le lecteur ayant désormais sous les yeux, non plus un extrait mais le texte entier de la description de Papin, nul ne se laissera plus prendre aux critiques de nouveaux Ainger: « On a fait divers essais pour tâchei" de faii'e un vide exact pai- l(^ moyen de la poudre à canon : car de cette façon, n'y ayant aucun air })om" ivsister au-dessous du piston , toute la colonne de Tatmosphère qui pèse dessus la pousserait toujours avec une force égale depuis le haut jusqu'au bas. Mais c'a été en vain qu'on a travaillé à cela jusqu'ici : et comme j'ai déjà dit, après que la flamme de la poudre est éteinte, il reste toujours près de la cin- quième partie de l'air dans le tuyau. J'ai donc tâché d'en venir à bout d'une autre manière : et (connn(î l'eau a la propriété, étant par le feu changée en vapeurs, de faire ressort comme l'air, et ensuite de se recondenser si bien par le froid , qu'il ne lui reste plus aucune apparence de cette force de ressort), j'ai cru qu'il ne serait pas difficile de faire des machines dans lesquelles, par le moyen d'une chaleur médiocre et à peu de frais, l'eau ferait ce vide parfait qu'on a inutilement cherché par le moyen de la poudre à canon : et entre plusieurs dilïérentes construc- tions qu'on peut imaginer pour cela , celle-ci m'a paru la meilleure. AA (fig. 10) est un tuyau égal d'un bout n l'autre et bien fermé par en bas : BB est un piston ajusté à ce tuyau : DD est le manche attaché au piston : EE une verge de fer qui se peut mouvoir autour d'un axe qui est en F. «G est un ressort qui presse la vei'ge de fer EE, en MACHINES A VAl'f-l H 97 sorte (lu'elle entre dans réchancrure H, sitôt que le pis- ton avec son manche est élevé assez haut pour que ladite échancrure H paraisse au-dessus du couvercle 11. Kif;. lu. — .Ma.hin.' ;'i v.q.nir de Papin, de |t)!)0. " L est un petit trou au piston par oii l'air peut sortir (lu fond du tuyau AA, lorsqu'on y enfonce le piston pour la première fois. «Pour se servir de cet iiistrument on verse ini peu V. -Il, 7 98 MACHINES A VAPEUR. (rcaii dans lu tuyau AA jusqu'à la hauteur de trois à quatre lignes; on y fait ensuite entrer le piston et on le pousse jusqu'au bas, en sorte que l'eau (jui est au fond du tuyau regorge par le trou L. Alors on ferme ledit trou avec la verge MM, et on y met le couvercle II , (|ui a autant de trous (|ifil en faut pour entrer sans obstacle. Ayant ensuite mis un feu médiocre sous le tuyau AA, il s'échauffe fort vite parce qu'il n'est fait que d'une feuille de métal fort mince, et l'eau qui est dedans se changeant en vai)cur fait une pression si forte qu'elle surmonte le poids de l'atmosphère et pousse le ])iston BB en haut, jusqu'à ce que l'échancrure H paraisse au-dessus du cou- vercle 11, et que la verge de fer EE y soit poussée par le ressort G, ce qui ne se fait pas sans bruit. Alors il faut incontinent éloigner le feu, et les vapeurs dans ce tuyau léger se recondensent bientôt en eau par le froid et lais- sent le tuyau absolument privé d'air. Alors il n'y a qu'à tourner la verge EE autant qu'il est nécessaire poin* la faire sortir de l'échancrure H , et laisser le piston en liberté de descendre, et il arrive que le piston est incon- tinent poussé au bas par tout le poids de l'atmosphère et produit le mouvement qu'on veut, avec d'autant plus de force que le diamètre du tuyau est grand. Et il ne faut point douter que l'air n'agisse sur ces tuyaux avec toute la force dont la pesanteur est capable : car j'ai vu par expérience que le piston ayant été élevé par la chaleur jusqu'au haut du tuyau AA , est ensuite redescendu juscjue tout au fond ; et cela plusieurs fois de suite, en sorte qu'on ne saurait soupçonner qu'il y ait eu aucun air pour le presser en dessous et l'ésister à la descente. Or MACHINES A VAPEUR. M mon tuyau, t[ui n'a que deux pouces et demi de diamètre, est pourtant capable d'élever soixante livres à toute la hauteur dont le piston descend, et le corps du tuyau ne pèse pas cinc| onces. Je ne doute pas qu'on ne put faire des tuyaux qui ne pèseraient pas quarante livres et qui pourtant pourraient élever deux mille livres, à chaque opération, jusqu'à la hauteur de quatre pieds. J'ai éprouvé aussi que le temps d'une minute suffit pour faire qu'un feu médiocre chasse le piston jusqu'au haut de mon tuyau ; et comme le feu doit être proportionné à la grandeur des tuyaux, on pourrait échauffer les gros à peu près aussi promptement que les petits : ainsi Ton voit combien cette machine, qui est si simple, pourrait fournir de pi'odi- gieuses forces et à bon marché. Car on sait qu'une colonne d'air qui s'appuie sur un tuyau d'un pied de diamètre, pèse presque deux mille livres; mais si le diamètre était de deux pieds, la pesanteur serait de près de huit mille livres, et qu'ainsi la pression s'augmente toujours en rai- son doublée des diamètres : d'où il s'ensuit que le feu, dans un fourneau dont le diamètre serait d'un peu plus de deux pieds, suffirait pour élever toutes les minutes huit mille livres à la hauteur de ciuatre pieds, si on faisait les tuyaux de cette hauteur : car, le feu étant dans un fourneau de plaques de fer peu épaisses, on pourrait faci- lement le pousser d'un tuyau à un autre : et ainsi ce même feu ferait continuellement dans quelque tuyau ce vide qui pourrait ensuite produire de si grands elfets. A présent , si on considèi'c la grandeur des forces que l'on produira de cette manière et le peu que pourra coûter le bois ([u"il l'jiudra pour cela, on avouera assurément (|iie cette m^- 100 MACIIINKS A VAPKUR. iIkkIc est (le bccUicouj) prrterabk' à l'usage de la poudre à caiioii. dont j'ai |)ai'lé ci-dessus, vu ])riiu'ipaleinent que de cette manière on t'ait un vide partait, et ([u'ainsi on remédie aux inconvénients que j'ai mar(|nés. » •le ne p(>nse pas qu'on puisse dire, après avoir médité la description re^'digée par Papin, (jne j'ai donné dans ma Notice (}). 28 à oO) une idée inexacte de sa machine à teu . et que j'ai attribué fi notre illustre compatriote une invention ([u'il n'avait pas faite. Papin, il est vrai, a proposé deux espèces de machines à feu. L'une, celle de 1G90, est la machine à piston con- nue depuis que Newcomen l'a exécutée en l'améliorant, sous le nom de machine atmosphérique, et dont nous venons de copier la description faite par Papin hii-mème; l'autre, décrite en 1707, reposait sur des principes dille- l'ents; elle était simplement destinée à élever de l'eau. Je ne crois pas utile de discuter les critiques dont cette dernière machine a été l'objet; j'accorderai donc, si l'on veut, qu'elles sont toutes fondées; mais qu'en pourra-t-on conclure? Oue Papin était plus habile ou plus heureux en J690 qu'en 1707; que son esprit s'alfaiblissait avec l'âge ; qu'à la seconde épocfue , tout le mérite de la dé- couverte qu'il avait faite dix-sept ans auparavant, n'était plus assez présent à sa mémoire; mais en quoi tout cela affaiblirait- il ses droits comme inventeur? Newton éessa- t-il d'être l'auteur des Principes ou de ropticjuc, ([uand il rédigea un mauvais traité de chronologie? La peine que M. Ainger et d'autres écrivains se sont donnée en criticpiant la seconde machine de 1707, est donc en pure perte, Papin aurait été à cette époque un MACHINES A VAPEUR. 101 extravagant, on Tanrait détenu dans une maison d'alié- nés, que sa machine de 1090 n'en resterait pas moins comme le premier germe de toutes les machines à l'eu existantes. Au reste, il n'est peut-être pas difficile de trouver un motif plausible à l'abcUidon que Papin avait fait de son premier projet : ce motif est probablement la difTiculté de fondre et d'aléser les cylindres ou corps de pompe dont il aurait eu besoin. En 1095, cette difficulté, c{ui de nos jours a totalement disparu, lui paraissait si grande qu'il proposait d'établir une manufacture où l'on fabriquerait tout exprès les tuyaux destinés à former les corps de pompe de celles de ses machines dont on se servirait pour faire marcher les navires. M. Ainger n'admet pas les doutes que j'ai élevés con- cernant le sens qu'on a donné jusqu'ici à un passage relatif à la chaudière dont Worcester voulait se servir. Le défaut de temps m'oblige de passer condamnation à ce sujet, quoique, si la chose en valait la peine, je pusse citer à l'appui de mon sentiment un des plus célèbres ingénieurs anglais. Ce même motif ne me permettra pas de relever une ou deux méprises vraiment singulières dans lesquelles M. Ainger est tombé en voulant faire de l'éru- dition hors de propos, à l'occasion d'une expérience d'Otto de Gnei'icke. On comprendra ([ue je ne consente pas à perdre de longues heures pour relever les mille erreurs de détail de M. Ainger; j(> me hâte d'ari'iver à ses grandes objections. I^our peu (|u'on ait considéré attentivement le jeu d'une machine à feu, on y a aperçu deux choses capitales: l^remièrement, l'idée d'employer la force ('laslicinc de l;i 102 MACHINES A VAPEUH. vapeur comme principe de mouvement; en second lieu, ri( !('■(', non moins importante, de se débarrasser de cette vapeur, par voie de refroidissement, dès qu'elle a agi. Celui (|ui , réfléchissant le premier sur l'énorme ressort (|u'ac(|uiert la vapeur d'eau quand elle est fortement échaulfée, a montré qu'elle pouvait servir à élever de grands poids ; celui qui le premier a proposé et décrit une machine dans laquelle l'élasticité de la vapeur était le seul principe de mouvements utiles à l'industrie, doit-il être considéré comme l'inventeur de la machine à feu ? Telle est la première question que l'histoire de cette ma- chine fait naître; or, elle a été résolue affirmativement dans tous les ouvrages dont j'ai eu connaissance : Thomas Young , Robison, Partington , Tredgold, Millington , Lardner, Nicholson, etc., sont unanimes à cet égard. Pour mon compte, je n'ai fait qu'adhérera l'opinion de tant de physiciens et d'ingénieurs habiles. Je ne me suis séparé d'eux qu'en un seul point : en Angleterre on ap- pelle généralement marquis de Worcester la personne à laquelle la découverte est due; moi je soutiens qu'elle se nojnme Salomon de Caus, et je me fonde sur ce que l'ouvrage de cet ingénieur renferme la figure et la des- cription d'une machine destinée à soulever l'eau par l'action de la vapeur; sur ce que celle du marquis de WorcevSter, dont personne au reste ne connaît la forme, avait précisément le même objet ; sur ce que le peu qu'on en sait n'a paru qu'en 1663, quarante- huit ans après In publication de La Raison des forces mouvantes. Yoici venir maintenant M. Ainger, qui trouve aussi une machine destinée à élever de l'eau, dans un auteur. MACHINES A VAPEUH. lo.J .1. -B. Porta, plus ancien que Salomon de Caus. Si le fait est vrai, le nom de Salomon de Caus, que je substituais cl celui de Worcester, devra sans aucun doute être rem- placé à son tour par le nom de Porta. x\ussi , je vais sur- le-champ vérifier l'assertion de M. Ainger, sans mémo faire remarquer combien il est bizarre que le nom du savant napolitain n'ait jamais été pronf)ncé tant f[ue Worcester jouissait , sans contestation, du titre d'inven- teur, et qu'on s'en soit ressouvenu à point nommé, dès f|u'il a semblé pouvoir nuire aux rlroits d'un auteui' français. La machine du physicien napolitain se trouve , dit M. Ainger, « dans nne traduction de Fouvrage d'Héron d'Alexandrie, qui fut publiée en italien, par J.-B. J^rta , en 1600. » H ajoute plus loin: «Les lecteurs qui désire- ront vérifier les faits donnés ici , pourront consulter les dilTérentes éditions des Spintah'a d'Héron, et spéciale- ment la traduction qu'en a donnée Porta, en 1606, et iiititult'ê : / Irr lihri Sjjirilalia. In exemplaire de cet omrnge existe au Brilish MiisriDn. » Lorsque l'écrit du Qiiaiicrhj-Journalme parvint, j'avais parcouru diverses éditions de l'ouvrage d'Héron ; je ne connaissais pas celle de Porta que cite M. Ainger. Je me suis un moment reproché cette négligence; mais, vérifi- cation faite avec le secours de nos plus célèbres biblio- graphes, il s'est trouvé que l'ouvrage en question n'existe pas; (|n'il n'y a, enfin, aucune traduction d'Héron faite par Porta, (^et anteur, il est vrai, a publié un ouvrage en latin intitulé, comme celui du mécanicicMi grec [Piick- Tiudiconiiii lihri Ires, Naples, 1601 . in-^r), mais il ircst 104 MACHINKS A VAPEUR. pas plus Poiivi'age dVHéro'n (|iic VHistoirc naturelle de BuHoM n"esl la traduction de colle d'Aristote. Les Pneu- matùjues de Porta, traduites en italien et en espagnol par un nommé Juan Escrivano, ont été publiées, en 1G06, sous le titre de : / Ire libri de Sjyirilali Porta. à l'extérieur. On continuera toujours ainsi à échaulfer l'eau, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus; et tant que l'eau fumera {sfumera), l'air pressera l'eau dans la boîte h, et l'eau sortira à l'extérieur. L'évaporation étant linic, on mesurera combien il est .sorti d'eau de la boîte, et il y sera resté autant d'eau qu'il en sera sorti (de la bouteille) , et vous conclurez de la quantité d'eau écoulée, en com- bien d'air ell(> .s'était transfoiinée. On peut encore facile- ment mesurer on coinl)ieii uno once d'air, dans sa consis- 106 MACHINES A VAPEUR. taiico oiiiinaiic , \)ou\ (lomicr de parties d'un air plus siihtil. » Rapi)ol()iis maiiif(Miai)t l;i m.iiiir'iv dont M. Aing;Gr an- nonce ce passage : «Une traduction, dit-il, de Touvragi^ (ril(''i'()n t'nt publiée en italien par J.-B. Porta, en 1()()(). Porta i-épète l'invention d'îféron, et ajoute la suivante comme lui ap- ])ai-feiiant. Dans la fif^ure destinée à en faciliter rintelli- gence, on voit le fourneau pour eliaulVer Teau. » La vérité est que Porta ne pai'le point de la machine d'Héron , qu'il n'a eu, en aucune manière, l'intention de la perfectionner; qu'il ne songeait pas même à faire une machine ; que son but, son but unique, était de détermi- ner expérimentalement et par un moyen dont il est inutile de signaler ici tous les défauts, les volumes relatifs d'une (juantité donnée d'eau et de la vapeur en la([uelle la cha- leur la transforme. Porta songeait si peu à donner son appareil comme propre à élever de l'eau, qu'il dit en termes formels que le tuyau de dégorgement passe à une petite distance de la surface du couvercle de la petite boîte. Ainsi, je n'ai aucun désir de le nier, Porta n'igno- rait pas que la vapeur d'eau peut presser un liquide à la manière de l'air; mais rien, rien absolument, ne prouve qu'il eût quelque idée de la grande force que cette vapeur est susceptible d'acquérir, et de la possibilité de l'em- ployer comme moteur efficace. Si cette notion spéciale ne lui avait pas manqué , Porta , le plus enthousiaste faiseur de projets dont l'histoire des sciences fasse mention, n'au- rait certainement pas négligé d'en parler. Au surplus , tout ce que Porta avait vu dans son expérience a m'ait été MACHINES A VAPEUR. 107 également produit si sa grande bnntoillo, au lieu d'eau, eût renfermé seulement de l'air. La double notion que la vapeur convenablement en- fermée élève l'eau au-dessus de son niveau et qu'elle est susceptible de produire les plus grands effets; que, dès lors, elle peut servir à la construction de machines utiles, se trouve pour la première fois, à ma connaissance, dans l'ouvrage de Salomon de Caus. Peut-être découvrira-t-on quelque chose d'analogue dans des auteurs encore plus anciens. Eh bien, si cela arrive, le nom de Salomon de Caus, je le répète, devra disparaître de l'histoire de la machine à feu, comme j'en avais écarté celui du marquis de Worcester; mais, à moins que ce nom nouveau n'ap- partienne à quelque personnage né dans los lies Britan- niques, il y aura toujours lieu à rectifier cette assertion si souvent reproduite : « La machine à vapeur a été inventée par un petit nombre d'individus tous Anglais. » Beaucoup de savants et de mécaniciens très-éclairés attachent une médiocre importance à la première idée de l'application de la vapeur comme force motrice. Les an- ciens, disent- ils, qui attril)uaient les tremblements de terre à des développements instantanés de vapeur ; le mécanicien qui prétendait, avec le même agent, faire osciller tous les planchers de la maison de son voisin, en savaient autant ([ue Salomon de Caus, que Worcester, et, au fond, en avaient dit autant qu'eux. S'il existait, ajoutent-ils, une machine utile d'épuisement, dans I.Kjuello l'action immédiate de la vapeur soulevât le licjuide, on concevrait l'importance qu'on a attaché(^ aux ossnis (]o'> deux ingénieurs français et anghiis; (ui pouiiiiil ajurs. n 108 MACHINES A VAPEUR. titro de premiers germes, donner quelques instants d'at- tS QUI SOM PRÉCÉDÉES DE l'OUVERTURE DE LA SOUPAPE DE SDRETÉ OU D'UN AFFAIBLISSEMENT DAKS LE RESSORT DE LA VAPEUR § 1. —Comment arrive-t-il quune chaudière éclate à l'instant même où l'on ouvre la soupape de sùi'eté? Gomment se fait-il, en outre, que cet accident ait été presque toujours précédé d'un affaiblissement appa- rent dans le ressort de la vapeur? Telles sont les deux importantes questions, pour ainsi dire paradoxales, que provoquent les faits consignés dans les chapitres vi, vii et viii (p. 126 à 131). M. Perkins y a répondu , ce me semble , avec assez de succès ; au reste, le lecteur va en juger, car c'est la théorie de cet ingénieur que je vais développer. Dans une chaudière ordinaire, lorsque la flamme ne s'élève pas le long des parois au-dessus du niveau de l'eau, cette eau et la vapeur qui en provient sont exactement à la même température. Mais il n'en est plus ainsi quand l'eau étant peu abondante, la flamme monte très-haut; alors quelquc6-unes des parties de la chaudière peuvent passer au rouge ; alors la vapeur en contact avec le métal 152 EXPLOSIONS DES MACHINES incandescent s'échauffe énormément sans acquérir pour cela une grande tension, soit parce qu'elle n'est point saturée, soit par une autre raison que je donnerai plus bas. Prenons la chaudière dans cet état. L'eau y est peu abondante, et une partie de la vapeur qui la presse a une température extrêmement élevée , mais une élasticité médiocre. Supposons que la soupape de sûreté vienne à s'ouvrir complètement ; une prompte fuite de vapeur en sera la conséquence. L'eau, déchargée du poids c{ui la pressait , s'élancera en écume dans toute la capacité de la chaudière : ce sera le phénomène qu'oITre le vin de Champagne au moment où la bouteille est débouchée ; mais ici l'eau projetée par gouttelettes dans un gaz pres- que incandescent, se transformera subitement en une vapeur très-élastic{ue, et la soupape, quoique entièrement ouverte, ne fournissant plus une issue suffisante, les parois de la chaudière devront se déchirer. 11 y a trois liypothèses dans cette explication. L'auteur suppose d'abord qu'à partir de la hauteur où elles ne sont plus baignées par l'eau, les parois de la chaudière peu- vent acquérir une température très- élevée et la commu- niquer à la vapeur qu'elles enveloppent, sans que l'eau sur laquelle cette vapeur repose se ressente beaucoup de cet échauffement. Il admet ensuite que l'eau en ébullition est projetée de bas en haut, jusqu'à une certaine hau- teur, sous la forme de mousse, dès que l'on supprime ou même dès que l'on diminue seulement beaucoup l'atmo- sphère élastique qui la pressait, pourvu que le change- ment se fasse subitement ; il imagine enfin que l'eau A VAPEUR. lo3 ainsi disséminée dans une masse de vapem' surchargée de calorique, se transforme elle-même subitement en vapeur. Je pense que personne ne refusera d'accorder le pre- mier point. Quand un vase métallique placé sur un brasier ardent ne rougit pas, c'est que l'eau enlève continuelle- ment la chaleur dont ses parois s'imprègnent et empêche qu'elle ne s'y accumule. La vapeur ne saurait évidem- ment produire cet effet au même degré. Si la flamme du foyer atteint la chaudière dans une partie située au-dessus du niveau de l'eau, cette partie pourra acquérir la chaleur rouge et la communiquer à la couche de vapeur voisine qui, à son tour, la disséminera aussitôt dans toute l'éten- due de la chaudière où elle circulera en montant , c'est- à-dire dans l'espace non rempli d'eau, qu'on appelle la chambre à vapeur. Voici des exemples de ces effets : M. Moyle découvrit une fois, en visitant ses machines de Cornouailles, qu'une d'entre elles était si bien dans toutes les conditions dont je viens de parler, qu'une échelle en bois qui reposait par son pied sur le sommet de la chau- dière avait pris feu. Un semblable événement arriva dans l'un des paquebots qui font la traversée de Liverpool à Dublin : une planche de sapin qu'on avait jetée acciden- tellement sur le couvercle de la chaudière, s'était enflam- mée. J'ai déjà rapporté l'événement de Pittsburg ( ch. x, p. 132) : ici, comme on peut se le rappeler, l'ingénieur depuis assez longtemps avait vu qu'une des chaudières devenait rouge. Yoici enfin, sur le même objet, une expérience directe de M. Pcrkins. Une chaudière cylindrique de 1"'.22 de long et de 0"'.30 de diamètre, ayant été placée verticalement sur un AU EXPLOSIONS DES MACHINES fourneau, la base fut entourée de feu qui s'élevait au tiers de la hauteur déjà chaudière, tandis que l'eau, plus basse, ne baignait que le sixième de cette môme iiau- teur. Il résultait de cet arrangement que deux sixièmes de la surface du vase recevaient immédiatement l'action du feu. L'un de ces sixièmes était au-dessus de l'eau, l'autre au-dessous. La soupape de sûreté, chargée d'en- viron une atmosphère, se trouvait sur le côté de la chaudière, à la moitié de sa hauteur. On remplaçait l'eau transformée en vapeur que cette soupape laissait échapper au fur et à mesure de sa fuite. Un thermomètre plongé dans l'eau et descendant jus- qu'au fond du vase, marquait lOli" centigrades. Telle était aussi la température de la couche de vapeur placée à la surface de l'eau ; mais au milieu de la hauteur de la chaudière, le thermomètre accusait 260° et le couvercle était rouge. Ce premier point éclairci , je passe au second. 11 est des liquides qui, pendant leur ébuUition, éprou- vent quelquefois d'assez violents soubresauts. L'acide sul- furique, par exemple, est dans ce cas. Le lait est sujet au môme accident, mais à un moindre degré. En exami- nant avec attention de l'eau qui bout vivement, on aper- çoit de temps à autre de petites gouttelettes qui sont projetées assez haut. Tout cela dépend évidemment de la viscosité du liquide et de la difficulté qu'éprouvent les bulles de vapeur à se frayer un passage dans la masse qu'elles doivent traverser. Lorsque ces bulles emprison- nées sont très-nombreuses et qu'une forte pression exercée à la surface du liquide empêche seule leur ascension , on A VAPEUR. 135 conçoit que si la pression cesse tout à coup , le dégage- ment, au lieu d'être graduel comme dans les circonstances ordinaires, soit tumultueux ; que le liquide mousse comme les eaux gazeuses, qu'il devienne tout entier une espèce d'écume, mi-partie composée d'eau et de vapeur, et que par là son volume s'étant prodigieusement accru, il se répande dans toute la capacité de la chaudière. Une expé- rience directe , faite dans un vase transparent , montre- rait bientôt entre quelles limites toutes ces déductions sont exactes ; mais, en attendant, on voit que l'analogie nous autorise à admettre, comme M. Perkins le fait, qu'en cas d'une subite diminution dans l'élasticité de la vapeur, l'eau peut sortir de son niveau et aller remplir toute la capacité de la chaudière. Occupons -nous enfin de la troisième hypothèse de l'ingénieur américain : je veux dire de la brusque trans- formation de l'eau en fluide élastique. Ici des expériences directes nous serviront de guide. M. Perkins ayant rempli d'eau un de ces cylindres métalliques qu'il appelle des générateurs , porta sa tem- pérature à 260° centigrades. A côté de ce cylindre existait un récipient dans lequel il n'y avait point d'eau et qui renfermait seulement de la vapeur très-peu dense ; sa température était de 650° environ. Ces deux vases pou- vaient communiquer par un tube intermédiaire qu'une soupape suffisamment chargée fermait ordinairement. Cela posé, il est évident que lorsqu'à l'aide d'une pompe foulante on injectait un certain volume d'eau froide par l'un des bouts du générateur, la soupape de communication devait s'ouvrir à l'autre bout et donner 456 EXPLOSIONS DES MACHINES passage à un égal volume d'eau chaude qui pénétrait tout à coup dans le récipient pour s'y transformer en vapeur ; or une soupape particulière dont ce récipient lui-même était armé, donnait le moyen de reconnaître si cette trans- formation s'opérait subitement. M. Perkins aflirme qu'en effet elle était instantanée; qu'à peine la pompe foulante d'injection avait agi , que la soupape de sûreté du récipient accusait des élasti- cités de quarante à cent atmosphères: quarante pour une médiocre injection, et cent dans le cas d'une injection abondante. L'expérience que je viens de rapporter ne donnerait lieu à aucune difficulté, elle compléterait la théorie de M. Perkins, elle présenterait l'image fidèle de ce qui peut se passer dans une chaudière ordinaire, si elle avait été faite avec de l'eau à 100 ou 120 degrés centigrades. Au reste, comme 260% température de l'eau employée, sont bien loin de correspondre à une élasticité de 100 atmo- sphères, il demeure toujours établi qu'une partie de cette eau est devenue instantanément de la vapeur ; or c'est là, pour le moment , tout ce qui nous était nécessaire. Observons, toutefois, qu'il ne résulte en aucune ma- nière de l'expérience en question, que ce soit par l'in- fluence de la vapeur rare, mais portée à la température du fer rouge, que l'eau devienne subitement de la vapeur très-élastique. Cette partie de l'opinion de M. Perkins, comme Dulong en a fait la remarque, se concilierait difficilement avec ce qu'on sait de la chaleur spécifique de la vapeur d'eau. Tout porte donc à croire que l'ingé- nieur américain a eu tort de nier l'action directe que les A VAPEUR. 157 parois incandescentes exercent sur le phénomène dont il s'est occupé. Voyons^ à présent, si, en partant de la production subite de vapeur comme d'un fait, on peut donner une explication satisfaisante de l'ensemble des événements extraordinaires que j'ai précédemment cités. Quant à l'explosion de la chaudière de M. Gensoul (chap. vTi, p. 128}, elle se rattache si bien aux idées de M. Perldns, qu'elle semble être arrivée tout exprès pour les confirmer. On peut dire, en effet, qu'au moment de l'ouverture du robinet, l'eau déchargée tout à coup d'une grande partie delà pression qu'elle supportait, put s'élever jusqu'au couvercle, et qu'on traversant un vase à parois probablement très-échauffées, semblable en cela aux géné- rateurs de M. Perkins , elle se transforma si brusquement en vapeur que le robinet n'offrit plus une ouverture suffisante. Le même raisonnement s'appliquera à l'expérience de MM. Tabareau et Rey (p. 129), car leur chaudière étant fort petite et placée à nu sur un brasier de charbon, pouvait, comme je m'en suis assuré, être enveloppée par la flamme dans la portion que l'eau ne remplissait pas. Si nous n'avons pas trouvé, Dulong et moi, qu'une augmen- tation de pression suivît l'ouverture de la soupape , c'est que notre chambre à vapeur étant assez grande , et le trou de la soupape très-petit, il ne pouvait y avoir qu'une détente insensible et graduelle dans le ressort de la va- peur intérieure, et qu'en tout cas notre chaudière, établie avec soin sur un fourneau de maçonnerie, était exposée au feu dans la seule partie que l'eau remplissait. ^68 EXPLOSIONS DES MACHINES Le ralentissement dans la marche de la machine, observe quelque temps avant l'explosion, soit à Essonnes, soit à Paris, soit en Amérique, me paraît également une conséquence de la théorie de M. Pcrkins. On a vu, en effet, que, d'après cette théorie, lorsqu'une explosion arrive, le niveau de l'eau doit avoir beaucoup baissé dans la chaudière, soit que la pompe alimentaire se trouve mal en ordre ou que le tuyau nourricier ait été engorgé ; or, la quantité de vapeur produite dans un temps donné, étant en général proportionnelle à l'étendue de la surface métallique en contact avec le liquide, si tout se trouvait primitivement calculé de manière à fournir juste à la consommation, après la dimJnution de surface de chauffe, comme disent les constructeurs, il ne doit plus y avoir assez de vapeur pour donner aux appareils leur allure habituelle. Peut-être imaginera-t-on qu'à l'aide de l'excès de tenipérature que la vapeur produite va puiser sur les parois très- chaudes du couvercle de la chaudière, il y aura compensation ; mais une considération très-simple prouvera qu'on aurait tort de compter sur cet effet. Dans un vase déterminé, la vapeur doit évidemment avoir partout la même élasticité. La couche inférieure, celle qui est en contact avec l'eau, a une tension déterminée par la température du liquide; la tension des couches supérieures, échauffées par les parois rouges dont elles sont entourées, ne pourra donc jamais surpasser celle de la couche basse. Ainsi, au total, la chaudière contiendra de la vapeur d'une densité inférieure à celle de la vapeur .saturée de même élasticité, mais voilà tout. Dans les idées de M. Perkins , au moment qui précède A VAPEUR. 1o9 l'explosion, c'est-à-dire au moment où la soupape s'ouvre, la vapeur se trouvait avoir atteint la tension limite sous laquelle la machine était destinée à agir; mais alors même le mouvement du piston devait être peu rapide, car de la vapeur plus chaude que les parois du corps de pompe, perd par voie de refroidissement une grande partie de son ressort. Ge serait , je crois , une prétention bien vaine , que de vouloir déduire de l'explication précédente ou de toute autre théorie, la forme des lignes le long desquelles une chaudière se déchirera, le nombre et la grosseur des fragments, les directions dans lesquelles ils seront pro- jetés, etc. , etc. Tout cela , en effet , peut être modifié de mille manières par des circonstances qu'on aurait de la peine à saisir, alors même que le phénomène se dévelop- perait lentement sous nos yeux. Mais il arrive trop souvent que la ligne de rupture est régulière et horizontale, pour qu'il ne soit pas naturel de supposer qu'elle marquait la hauteur de l'eau sur les parois de la chaudière, et dès lors il devient curieux de rechercher comment, malgré les inégalités d'épaisseur qu'on y remarque souvent, cette ligne de niveau , par cela seul que le liquide en dessine le contour, semble devenir la ligne de moindre résis- tance. Si je ne me trompe, cette particularité pourrait être expliquée ainsi qu'il suit. Dans l'instant indivisible qui précède l'explosion, la tension de la vapeur est considérablement et subitement affaiblie. A cela doit correspondre un mouvement de flexion de la chaudière de dehors en dedans; mais comme ce mouvement se fait d'une manière brusque, la partie 460 EXPLOSIONS DES MACHINES pleine l'éprouvera à peine, à cause de rineilic du liquide, qui, évidemment, ne saurait être surmontée dans un temps extrêmement court. Cette Hexion de dehors en dedans se fera donc autour de la ligne de niveau du liquide intérieur comme char- nière; mais on a vu qu'un subit développement de vapeur très-élastique succède à l'ouverture de la soupape; ainsi, après s'être contractée, la chaudière s'étendra tout à coup. Or, lors même qu'on admettrait qu'elle éprouvera simultanément ce second elTet dans toutes ses parties, toujours est- il que le mouvement rétrograde sera très- faible au-dessous du niveau primitif de l'eau , par cela seul que le mouvement direct y avait été insensible. Le plan de ce niveau primitif tracera ainsi sur les parois de la chaudière la ligne où la première fois la flexion de dehors en dedans avait cessé de se faire sentir, comme aussi la seule ligne où dans l'oscillation rétrograde les parties contiguës du métal n'auront pas des mouvements pareils. Or il suffît d'avoir vu une seule fois avec quelle facilité les ouvriers brisent des lames des métaux les plus malléables, quand ils leur font éprouver subitement doux flexions contraires le long d'une certaine ligne, pour comprendre que la courbe où le niveau du liquide s"élève dans une chaudière, en tant qu'elle est aussi la charnière autour de laquelle les deux mouvements de flexion se sont opérés, doit être le plus ordinairement la ligne de rup- ture, quoique par l'épaisseur du métal, comme à Lyon, elle ne soit pas sur tous ses points la ligne de moindre résistance. Cette même ligne, au demeurant, et la remar- que ne doit pas être omise , est celle où le métal , com- A VAPEUR. 1G1 mençont à s'échauffer plus que l'eau, partage la chaudière en deux zones de ténacités très- différentes. J'ai insisté précédemment sur la rupture presque simul- tanée de plusieurs chaudières employées conjointement à l'alimentation d'une même machine à feu, comme sur un fait très -digne d'attention et dont il importerait de clier- cher la cause. Mais serait-il bien difficile de la trouver, si l'on admet, avec M. Perkins, qu'une explosion a presque toujours pour origine un grand abaissement du niveau de l'eau, et un échauffe ment extraordinaire des parois de la chaudière ? Ne pourrait-on pas dire qu'ordinairement ces conditions doivent se rencontrer à la fois dans les diverses chaudières? car, d'une part, c'est la même pompe qui les alimente, et, de l'autre, dès qu'un ralentissement se manifeste dans la marche de la machine, il est bien naturel que les ouvriers poussent vivement le feu dans chaque fourneau. Cela posé, supposons qu'une première chaudière éclate à la suite de l'ouverture de sa soupape. Le tube par lequel passait la vapeur de cette chaudière pour se rendre au corps de pompe , a dès cet instant son embouchure dans l'atmosphère ; or, chaque chaudière est surmontée d'un pareil tube, et tous aboutissent à un seul et même tuyau métallique. Par ce tuyau, la deuxième, la troisième, etc., chaudières, se trouvent ainsi en libre communication avec l'air; la vapeur, qui les remplissait, suit rapidement cette large voie pour s'échapper, et, dans un temps inappréciable, les conditions d'effraction se rencontrent là comme dans la chaudière déjà brisée, sans qu'on ait besoin d'admettre que toutes les soupapes s'étaient ouvertes presque en môme temps. V. — II. 11 162 EXPLOSIONS DES MACHINES J'ai parlé (cliap. xi, p. loo) d'une chaudière qui fit explosion en l'air. Suivant toute apparence, quand celle de Lochrin (p. 120) éclata, clic s'était aussi élevée de A ù 5 mètres au-dessus de la maçonnerie qui la supportait. Quoique ce fait semble se rattacher également bien à plusieurs des théories qu'on a données des explosions, et que dès lors il ne puisse point nous diriger dans liotre choix , il ne sera pas superflu de montrer comment celle de M. Perkins s'y applique sans effort. On se trompait beaucoup quand on supposait qu'une chaudière composée de plaques malléables resterait néces- sairement en place, quelque ouverture qui s'y formât. Cette erreur, dans laquelle étaient tombés, par exemple, plusieurs de ceux qui naguère s'occupaient des appareils à gaz portatif, pourrait être la cause de graves accidents. 11 est bien vrai qu'un vase complètement fermé reste immobile , quelle que soit l'élasticité du gaz qu'il con- tient ; mais c'est qu'alors la pression en chaque point de l'enveloppe est exactement contre-balancée par la pres- sion C|u' éprouve le point opposé. Par l'effet de la pression sur la face supérieure, le vase tend à monter, et il mon- terait, en effet, en supposant cette pression suffisante, si l'on pouvait anéantir la force précisément égale qui , en même temps, pousse de haut en bas la paroi inférieure; or, tout le monde doit voir que détruire brusquement cette paroi ou anéantir la force dont elle était le point d'appui , c'est tout un. La force non contre -balancée qui engendre le mouve- ment dans tous les cas analogues au précédent , s'appelle force de réaclion. C'est, par exemple, en vertu d'une force A VAPEUR. 163 de cette nature qu'une fusée s'élève dans l'air; car le gaz résultant de Tinflammation de la poudre trouve une paroi sur laquelle il peut agir vers la pointe de la fusée, tandis qu'à l'opposite, à la base du cône, la paroi manque. Ces préliminaires établis, quelques mots vont suffire pour montrer comment , dans les idées de M. Perkins , une chaudière peut faire explosion en l'air. L'explosion , suivant ce mécanicien , est toujours pré- cédée d'im grand dégagement de vapeur. Quand c'est par la soupape, ordinairement placée dans le haut du couvercle, que ce dégagement s'opère, la force de réac- tion, loin de tendre à soulever la chaudière, l'appuie au contraire davantage sur sa base ; mais si la fuite de vapeur a lieu de haut en bas par quelque fissure située vers les parois inférieures, la chaudière pourra être projetée sui- vant la direction opposée , car alors elle se trouvera dans les mêmes conditions qu'une fusée. 11 suffira pour cela de douer la vapeur d'un ressort convenable. Ajoutons que les oscillations du liquide, suite de cet énorme boulever- sement, ne pourront manquer d'amener, indépendam- ment des autres causes déjà signalées, la brusque pro- duction de vapeur dont l'explosion de la chaudière est la conséquence. La théorie de M. Perkins, ainsi qu'on vient de le voir, rend un compte assez satisfaisant de toutes les explosions dont j'ai pu réunir les circonstances, et qu'un affaiblisse- ment dans le ressort de la vapeur avait précédées ; comme d'ailleurs elle n'emprunte à la physique aucune hypothèse que la science repousse, il semble qu'on doive se hâter, dès ce moment, sinon de l'adopter, du moins de prendre 1 ici i:\ri. OSIONS dfs maciunts les incsui'cs (le précaution qirellc suggère. Ces mesures, au reste, sont très-simples : Km]")èclicr, par tous les moyens possibles, par exemple, à l'aide de pla(|urs fusihles, (ju'aucune partie de la chau- dière no devienne jamais rouge ou ne s'écliaulTc trop fortement; Donner consé(|uen)mcnl la plus grande attention, soit aux moyens d'alimentation, soit aux appareils dépendants de la chaudière, et à l'aide descpiels on peut toujom's savoir oi^i se trouve le niveau de l'eau ; Si , malgré les soins de l'ingénieur, les parois venaient à rougir en c|uelqiics points, éviter alors toute brusque ouverture des soupapes, ou des manœuvres analogues qui permettraient h la vapeur déjà produite de se ré- pandre rapidement dans l'atmosphère ; Enfin , éteindre le feu aussi rapidement qu'on le pourra. § 2. — Comparaison de l'oxplication de INI. Perkius avec les tliéovies que d'autres iugûuieurs ont proposées; nouvelles causes d'explosions. Quoique j'aie présenté avec beaucoup de détail et sous un jour favorable les idées dont on est redevable à M. Perlxins , concernant les dangereuses explosions que , malgré le bon état des soupapes, les chaudières éprou- vent trop souvent, je suis loin cependant de regarder cette explication comme tellement évidente qu'on ne puisse conserver aucun doute. Je vais donc réunir ici quelques aperçus sur le même sujet, que j'ai puisés dans les ou- vrages imprimés ou manuscrits qu'il m'a été donné de consulter, et j'y joindrai l'indication de plusieurs causes A VAPEUR. 1G5 particulières d'explosion dont ringônicur américain n'a pas parlé. J'aurai ainsi rempli la tâche que je m'étais imposée : elle consistait à présenter le tableau le plus complet possible des connaissances qu'on a acquises sur les fâcheux accidents que la rupture des chaudières occa- sionne; ceux qui se croiraient appelés à l'étendre sauront ainsi quel doit être leur point de départ. L'un de nos plus habiles constructeurs de vaisseaux, M. Marestier, a donné pour le genre particulier d'explo- sions dont M. Perkins s'est occupé, une théorie qui, dans son ensemble, a quelque analogie avec celle de cet ingé- nieur; il est un point cependant sur lequel les deux auteurs diffèrent essentiellement, M. Marestier, comme M. Perkins, admet que quelques instants avant l'explosion l'eau manque en partie dans la chaudière ; qu'une portion des parois destinée par le constructeur à recevoir directement l'action du feu, étant alors laissée à découvert, acquiert une haute température et peut même devenir rouge ; qu'au moment de l'ouver- ture d'une soupape ou d'une fuite accidentelle de vapeur, le niveau de l'eau monte, ainsi que nous l'avons déjà expliqué, soit à cause de l'espèce d'ébullition tumultueuse qu'amèuc l'affaiblissement de la pression intérieure, soit à cause de la flexion que la chaudière éprouve, au même moment, de dehors en dedans, et d'oi^i résulte inévitable- ment une diminution dans sa capacité. M. Marestier sup- pose de plus que l'eau ainsi soulevée venant à toucher la partie des parois que la flamme du fourneau a portée au rouge, se transforme subitement en vapeur, et en telle abondance, que la soupape de sûreté ne suftil plus à son 166 EXPLOSIONS DES MACHINES dégagement. Dans les chaudières des bateaux, les grandes oscillations que les vagues font naître sont une cause par- ticulière qui contribuera avec les autres à porter l'eau sur les parois rougies. On se rappelle que, suivant M. Perkins, c'est la dissé- mination de l'eau dans de la vapeur rare, mais à une très-haute température, qui donnerait subitement lieu à un grand développement d'élasticité ; tandis que, d'après M. Marestier, ce serait l'arrivée de l'eau sur le métal rouge qui ferait naître tout à coup une énorme quantité de vapeur. Rien assurément, au premier coup d'œil, no doit paraître plus raisonnable que cette dernière supposi- tion ; mais dans l'étude des phénomènes naturels , il faul bien se rappeler, comme disait Fontenelle, « que dès qu'une chose peut être de deux façons, elle est ordinai- rement de celle qui semble la plus contraire aux appa- rences. » Il arrive, en effet, quelque bizarre que cela puisse paraître, qu'un métal porté au rouge-blanc semble très-peu propre à produire de la vapeur ; si l'on dépose une goutte d'eau dans un vase métallique incandescent , elle est fort longtemps à se vaporiser, tandis que dans ce même vase médiocrement chaud elle disparaît sur-le- champ. Dans une expérience de Klaproth, la seule que je citerai, une seule goutte d'eau jetée sur une cuiller de fer portée au rouge-blanc, employait kO secondes à se vaporiser. Si après ce temps on laissait tomber une deuxième goutte , comme la cuiller s'était déjà refroidie , son évaporation complète n'exigeait que 20 secondes. La goutte qu'on versait après l'évaporation de la deuxième. A VAPEUR. 167 disparaissait en 6 secondes ; une quatrième goutte en [i secondes; une cinquième en 2 secondes; la sixième, enfin, s'évaporait dans un temps inappréciable. Malgré ces curieuses observations, je l'ai déjà dit (p. 156), il semble que l'action directe des parois incan- descentes d'une chaudière joue le principal rôle dans la transformation d'eau en vapeur dont l'explosion est la conséquence ; mais, il faut le reconnaître, pour compléter sa théorie, M. Marestier devrait expliquer pourquoi l'eau de la chaudière se comporte tout autrement que les petites gouttes dans l'expérience de Klaproth. Si l'on trouvait, par exemple, qu'une goutte d'eau projetée avec force sur une surface métallique incandescente se vaporise sur-le- champ , tous les doutes auraient disparu et l'explosion de la chaudière rouge de Pittsburg (chap. x, p. 132) ne semblerait plus une anomalie pour laquelle il faudrait chercher de nouvelles causes. Au reste, je dois le remar- quer en terminant, MM. Perkins et Marestier ne dlifèrent que sur un point de théorie. Le fait de la transformation brusque de l'eau en vapeur, constaté expérimentalement par le premier, étant admis par le second, il importe peu , quant aux mesures de sûreté qu'il faudra adopter, que les parois incandescentes aient amené cette transfor- mation, ou comme le suppose M. Perkins, ou comme l'ad- met M. Marestier. Dans l'une et dans l'autre hypothèse, il faudra empêcher la chaudière de rougir, et, si le cas se présente , éviter toute brusque ouverture des soupapes. M. Gensoul , dont le nom est si honorablement lié aux progrès de l'industrie lyonnaise, expHquc tout autrement que MM. Perkins et Marestier les fâcheux effets qu'une 1(38 EXPLOSIONS DKS MACHINES brusque ouverture des soupapes amène quolquclbis. Voici un aperçu des idées de cet habile praticien : Lorsqu'un tuyau métallique renferme un liquide très- lorlcment pressé, il suffit pour le rompre de frapper ses parois d'un petit coup sec, tandis qu'une augmentation de pression, même très-grande, aurait pu ne pas pro- duire d'ellVaction , si elle avait eu lieu d'une manière graduelle et sans secousse. Ce fait est bien constaté ; M. G en soûl croit pouvoir l'étendre aux chaudières. Sui- vant lui, quand les parois de ces grands vases ont été fortement tendues de dedans en dehors par la vapeur, le moindre choc doit les rompre, comme s'ils étaient rem- plis d'un liquide soumis à une grande pression; or, il pense pouvoir assimiler à un choc le vif mouvement de recul que la chaudière reçoit dans la partie de sa paroi diamétralement opposée à celle qui, tout à coup, livre passage à la vapeur. Si c'est , par exemple , la soupape du couvercle qu'on ouvre brusquement, ce sera le fond de la chaudière qui recevra le contre-coup; la secousse aura lieu sur la paroi de droite, si c'est par la gauche que la vapeur s'est échappée, etc. , etc. Cette ingénieuse explication fait naître plusieurs doutes. D'abord, il ne paraît pas évident qu'à égalité de pression intérieure, un choc doive produire un égal dommage sur deux vases dont l'un serait rempli d'eau et l'autre de vapeur : l'incompressibilité du liquide semble en eiïet pouvoir être ici de quelque importance. En second lieu, M. Gensoul suppose qu'avant l'explosion, la vapeur con- tenue dans la chaudière avait un très-grand ressort ; et, au contraire, nous avons vu c[u'il arrive souvent de tels A VAPEUR. tC'J accidents au moment même où la marche lente des machines semblerait devoir inspirer tonte sécurité. Ainsi, sous ce rapport, Texplication est an moins incomplète. Après cela, on ne saurait nier que dans tous les cas d'une rupture subite, la réaction de la vapeur ne doive jouer un rôle important, connue le croit rha])ile ingénieur de Lyon. J'ai même indiqué, aux pages 162 et 103, le genre d'accidents que cette réaction pourra le plus ordinaire- ment occasionner. Quelques personnes, frappées de la grandeur et de l'instantanéité des effets qui résultent souvent des explo- sions des chaudières, se sont persuadé que la vapeur seule ne saurait les produire, et ont appelé à leur aide des gaz susceptibles eux-mêmes de faire explosion. Pour- quoi, disent-elles, puisque dans les laboratoires de chimie on obtient le gaz hydrogène en faisant passer de la vapeur d'eau le long d'un tube de fer rougi au feu, pour- quoi le môme gaz ne s'engendrerait-il pas au sein de la chaudière où la vapeur est aussi quelquefois en contact avec des parois m.étalliques rougies? Voilà bien, nous l'accordons, le gaz produit. Mêlé à la vapeur, il passera avec elle dans le corps de pompe ; or, comme il n'est pas susceptible de condensation, on ne l'évacuera qu'au prix d'une grande dépense de force, et les eiïets de la machine seront considérablement affail^lis. J'admettrai, si l'on veut, que c'est \h l'origine de la perte de vitesse qui pré- cède ordinairement la rupture de la chaudière dans !e genre d'accidents dont nous nous occupons; mais cette rupture, enfin, connncnt arrivera-t-elle? L'hydrogène tout seul ou mêlé à de la vapeur d'eau ne saurait détoner. 170 i:\iM.()sioxs Di-;s macuiM'S l 11 nu'laugc dans des propoiiions coiivoiiLiblcs d'hydro- gène et d'oxygène esl. susceptible d(; faire explosion; mais conmKMil rassembler ces deux gaz dans la chau- dière? L'hydrogène étail le fruit de l'oxydation du métal; l'oxygène, d'où i)roviendrait-il? Peut-être dira-l-on ({ue c'est de l'air contenu dans l'eau d'alimentation; mais h cela je répondrai que l'eau est chaude, qu'elle renferme dès lors une quantité d'air l'oi't petite, et, de plus, qu'au fur et à mesure de son dégagement, elle passe dans le coi'ps de pompe avec la vapeur motrice. J'ajouterai, enfin, que l'oxygène de l'air se combinerait beaucoup plutôt avec les parois incandescentes de la chaudière que celui de la vapeur d'eau, et qu'ainsi, en cas de pro- duction d'un mélange gazeux, il se composerait, non d'hydrogène et d'oxygène, mais d'hydrogène et d'azote. Au reste, cette difficulté serait résolue qu'on ne serait guère plus avancé. En eiTet, un corps porté au rouge vif et l'étincelle électrique sont les seuls moyens que l'on connaisse de réunir brusquement les deux principes con- stituants de l'eau. Or des cliaudières ont éclaté sans avoir atteint la température qui semble nécessaire pour pro- duire une détonation. Reste donc l'étincelle électrique; mais où la prendrions-nous? Je n'ignore pas qu'en Amé- rique on a prétendu que l'explosion de la chaudière du bateau V Entreprise de Savannah fut occasionnée par une décharge électrique à laquelle le courant ascendant de fumée qui sortait de la cheminée avait servi de conduc- teur; mais, en supposant le fait vrai, rien ne cht que la foudre trouva dans la chaudière un mélange gazeux h enflammer, et qu'elle n'agit pas là seulement comme elle A VAPEUR. 171 le fait d'ordinaire, c'est-à-dire en brisant en éclats les corps qui se trouvent sur son passage. Au reste, j'admet- trai, si l'on veut, avec les partisans du système dont je viens de donner l'analyse, que l'étincelle électrique ait pu être une cause exceptionnelle d'explosion , qu'elle en soit une cause possible; mais j'aurai grand' peine à me persuader qu'on veuille sérieusement faire jouer un r()le à cet agent, je ne dis pas dans toutes, mais seulement dans la centième partie des explosions. Découragés par la difficulté de réunir dans la chau- dière même les deux éléments gazeux qu'ils voulaient faire détoner, quelques ingénieurs ont supposé qu'il n'y en avait qu'un, l'hydrogène, et que ce gaz, après une déchirure des parois, venant se mêler avec l'air du foyer, détonait. Ainsi l'inflammation du mélange explosif ne serait plus la cause première de la rupture de la chau- dière, mais elle en aggraverait les effets : ce serait une explosion dans le foyer qui lancerait au loin, ou la chau- dière tout entière, ou ses éclats et ceux du fourneau. Que dirai-je de ces idées, si ce n'est que je ne connais pas une seule explosion dans laquelle on ait pu s'assurer que de l'hydrogène engendré dans la chaudière avait contribué à la produire. Examinons maintenant si, comme divers ingénieurs l'ont pensé, les éléments détonants ne pourraient passe trouver naturellement dans le foyer même, et produire de fâcheux effets. Suivant ces ingénieurs, l'hydrogène carboné serait fourni par le charbon de terre, comme dans les usines à gaz, et l'hydrogène pur, si c'était nécessaire, par la r.i EXPLOSIONS Dî-S MACHINES décomposition de l'eau qui suinle entre les plaques impar- faitement assemblées de la chaudière et tombe sur le charbon. Quant à Toxygcne, sans lequel il n'y aurait pas de détonation, ils l'empruntent à celle portion assez grande du courant d'air ascendant qui traverse le cen- drier sans être décomposée. Quand on a vu ces brillantes colonnes de flamme qui, de temps à autre, apparaissent aux plus hautes che- minées d'usines, on ne saurait douter que les gaz qu'en- traîne le tirage ne puissent quelquefois constituer des mélanges explosifs. Or, il suffit de supposer qu'un de ces mélanges se soit formé dans quelque encoignure du foyer pour qu'on ait tout à redouter de son inflammation. Si la détonation est un peu forte, il semble difficile, en effet, que les parois de la chaudière résistent et ne soient pas écrasées. J'ai dit comment il était possible que des mélanges explosifs se formassent dans le foyer même; je dois ajouter que certains accidents n'ont pu évidemment tenir qu'à cette cause : je veux parler des explosions qui se manifestent sous des chaudières à évaporation entière- ment ouvertes par le haut. Je tiens de mon illustre ami Gay-Lussac, qu'un fourneau de la raffinerie de salpêtre établie à l'Arsenal de Paris fut démoli en totalité par une explosion de cette espèce; la chaudière demeura intacte. Pour prévenir ce genre d'accidents, il faut, autant que possible, éviter les coudes montants et descendants dans les conduits destinés à la fumée ; car c'est principalement dans ces coudes qu'il peut se confiner des mélanges déto- A VAPEUR. \73 nants. Il est nécessaire aussi que le registre de la che- minée ne se ferme jamais hermétiquement, comme j(î l'ai expliqué ailleurs (chap. xvi, p. 150). Pour éviter, enfin, que le gaz du charJDon se dégage sans brûler, il importe de maintenir des vides suffisants entre les bar- reaux de la grille. Si le charbon est bitumineux et col- lant, les différents morceaux se soudent les uns aux autres, et forment une croûte presque impénétrable à la flamme quand la couche est très-épaisse. Le foyer devient alors un véritable appareil distillatoire, donnant beaucoup d'hydrogène carboné et très-peu de chaleur. Charger la grille par petites couches de charbon n'est donc pas seu- lement un procédé économique, c'est encore une impor- tante mesure de sûreté. Les chauffeurs qui, par paresse, encombrent les fourneaux de combustible, nuisent à la marche de la machine, l'exposent aux plus graves acci- dents, et compromettent leur propre vie : on ne saurait donc les surveiller avec trop de soin. Me voilà presque parvenu au terme de ma tâche; il ne me reste plus qu'à signaler une dernière cause d'explosion qui n'est pas sans importance. 11 est bien rare que l'eau dont on se sert pour alimenter les chaudières soit pure. Le plus souvent cette eau con- tient des matières salines qui se déposent pendant l'ébul- lition, et finissent par former sur les parois intérieures une croûte pierreuse dont l'épaisseur va croissant chaque jour. Tant que cette croûte n'existait pas, la chaleur absorbée par le métal se transmettait très -rapidement à l'eau , et les parois de la chaudière n'acquéraient jamais une température très-élevée; mais dès qu'une 174 EXPLOSIONS DES MACHINES substance peu conductrice, comme le sont toutes les matières pierreuses, tapisse la chaudière, la chaleur ne ])arvient à l'eau qu'avec beaucoup de lenteur; les parois métalliques, recevant du foyer à chaque instant plus de calorique que le dépôt pierreux ne leur en enlève, deviennent de plus en plus chaudes et finissent même (juelquefois par arrivei" à la température rouge; or, il faut remai-(juer (jue ce n'est pas là seulement l'occasion d'une grande perte de chaleur, car les métaux incan- descents ayant très- peu de ténacité, les explosions deviennent alors imminentes. On apercevra d'ailleurs aussi sans difficulté combien il faut craindre, quand la chaudière est rouge, que l'eau comparativement très- froide qu'elle renferme, ne vienne à se répandre sur sa surface par quelque fissure de la croiite pierreuse. Dans cette circonstance, une chaudière de fonte craquerait probablement à l'instant; et quant aux chaudières com- posées de plaques malléables, si elles ne cédaient pas , elles éprouveraient du moins les tiraillements les plus fâcheux. J'ajouterai enfin que les portions métalliques qui rougissent, s'oxydent et se détériorent très-prompte- ment. Comme exemple, je pourrais citer la chaudière destinée au chauffage d'un des plus grands monuments de la capitale, dont la paroi inférieure se troua dans la partie où, par raégarde, un ouvrier avait intérieurement laissé un chilïon. On voit à quel point il importe que la chaudière soit bien nettoyée. Dans les bateaux à vapeur qui einploient de l'eau de mer, l'enlèvement du dépôt salin doit être effectué toutes les vingt-quatre heures au moins. Quand A VAPEUR. Ho l'eau d'alimentation est pure, on peut ne faire cette opé- ration qu'à de grands intervalles. On ne saurait, sur cela, donner de règle générale; c'est à l'ingénieur à voir expérimentalement de quelle manière et avec quelle rapi- dité les éléments salins se précipitent des eaux qu'il est forcé d'employer. Depuis qu'il est reconnu que la fécule de pomme de terre et la drêche empêchent les dépots pierreux de se former, on a proposé de jeter de temps à autre une certaine quantité de ces matières dans la chau- dière ; mais je ne sache pas cjue cet usage se soit encore beaucoup répandu. Je placerai ici une Note que m'a remise, le 17 mai 1837, un des chimistes illustres qu'a possédés l'Académie des sciences, M. d'Arcet. Cette Note est relative à la théorie de la formation des croûtes pierreuses des chau- dières à vapeur ; elle est ainsi conçue : « L'eau ordinaire, servant à l'alimentation des chau- dières à vapeur, n'y augmente pas de densité en s'y concentrant par évaporation ; au moins elle n'y augmente pas de densité, à beaucoup près, dans la proportion où cela devrait être à en juger d'après la quantité de sub- stances salines contenues dans l'eau employée. « J'ai souvent vu l'eau de chaudières à vapeur travail- lant sans interruption depuis deux mois, ne marquer que zéro au pèse-liqueur. Voici probablement quelle est la cause de ce fait. « Lors de la vaporisation de l'eau sous une certaine pression, il se forme du carbonate d'ammoniaque par suite de la décomposition des matières organiques ; le carbonate d'ammoniaque décompose les sels terreux qui 176 EXPLOSIONS DES MACHINES laissent ainsi prccipiler leurs bases; les sels ammoniarnux formés se volatilisent et sont élinn'nés avec la vapeur. « Le sulfate de chaux, s'il est en excès, se précipite par suite de la seule concentration de l'eau. « T.e bicarbonate de chaux se sépare et tombe, en per- dant, par le fait de la chaleur, l'excès de son acide car- bonique. « Quant aux sels à base de soude et de potasse, je pense qu'ils sont entraînés avec les sels insolubles et forment avec eux les combinaisons doubles et triples dont on con- naît plusieurs exemples en minéralogie. « Je ne sache pas que ce fait de la non-concentratiou de l'eau ordinaire dans les chaudières à vapeur ait été observé; je l'ai remar(|ué si souvent que je le regarde comme constant, au moins dans les limites indiquées au commencement de cette Note. » Je ne dois pas terminer ce chapitre, dans lequel il a été si longuement question des moyens d'expliquer les explosions , sans faire remarquer que si je n'ai point séparé les chaudières à basse pression de celles où la vapeur possède une tension élevée, c'est uniquement parce qu'il m'a semblé qu'il n'y avait pas lieu à faire cette dis- tinction. Qui ne voit, en effet, qu'au moment où l'accident arrive, toutes les chaudières sont à haute pression. J'ajou- terai qu'il ne paraît nullement établi que les chaudières à pression élevée aient éclaté plus fréquemment que les autres; le contraire a même été soutenu par divers ingé- nieurs, au nombre desquels je puis citer MM. Perkins, Oliver Evans, etc. C'est un fait facile à comprendre, ainsi que je vais le montrer dans un dernier chapitre. A VAPEUR. n? CHAPITRE XVIIl REMARQUES RELATIVES AUX PRÉTENDUS DANGERS DES MACHINES A HAUTE PRESSION On a cru longtemps, beaucoup de personnes s'imagi- nent encore que les machines à vapeur à haute pression présentent plus de dangers d'explosion que celles à pres- sion ordinaire. J'ai dû plusieurs fois combattre cette erreui', soit dans le sein de l'Académie des sciences , soit devant la Chambre des députés. Dans l'état actuel de notre législation, les explosions qui pcu\ ent dépendre d'une augmentation graduelle de la force élastique de la vapeur et du mauvais état des sou- papes de sûreté , doivent être moins fréquentes dans les machines à haute pression que dans les machines à pres- sion ordinaire. Le fait et le raisonnement se réunissent pour dissiper tout ce que ce résultat offre de paradoxal au premier aspect. Une chaudière est aujourd'hui essayée à la presse hydraulique, sous une tension triple de celle qu'elle est destinée à supporter. Ainsi la chaudière d'une machine à basse pression est soumise à une épreuve de trois atmo- sphères évaluées en colonnes d'eau de 10 mètres de hau- teur. La chaudière d'une machine à 10 atmosphères, subit une épreuve de 30, c'est-à-dire subit la pression d'une hauteur de oOO mètres d'eau. Chacun comprendra maintenant que si l'inattention du chauffeur, une trop forte charge de charbon dans les fourneaux, une variation accidentelle dans la qualité du V.— II. 12 ns EXPLOSIONS DES MACHINES combustible, des changements clans le tirage, peuvent faire passer inopinément la force élastique de la vapeur de 1 à 3 atmosphères, de 1 à la pression au-dessus de laquelle les épreuves préalables ne donnent plus aucune garantie contre les explosions, toutes ces circonstances isolées ou réunies seraient insuffisantes pour élever cette même force de 1 à 30. En elTet, nous ne pûmes jamais, Dulong et moi, quoi que nous fissions, dépasser 24 atmo- sphères dans la chaudière qui servait à nos expériences sur la détermination des forces élastiques de la vapeur et des températures correspondantes (chap. ii, p. 118). Quant aux explosions dépendantes des abaissements du niveau de l'eau et des retours subits du liquide , il est évident qu'elles ne sont pas de nature à se présenter plus souvent dans les chaudières à haute pression que dans les chaudières à pression ordinaire. CHAPITRE XIX KtCESSITÉ DE LA SURVEILLANCE DES MACniNES A VAPEUR Un de mes amis , après avoir lu les chapitres précé- dents, me témoignait la crainte qu'un tableau aussi dé- taillé des causes diverses qui peuvent amener l'explosion des chaudières, ne dégoûtât beaucoup de personnes des machines à vapeur. Si tel avait dû être réellement l'efTct de cette dissertation, je me serais empressé de la sup- primer ; mais je ne pouvais partager ces appréhensions lorsque je me suis décidé à en publier la première édition dans VAnnuaire du Bureau des Lowjiludes de 1830, car A VAPEUR. 479 si on lit ce qui précède avec un peu d'attention, comme il m'est permis de le supposer, on trouvera, sans excep- tion aucune, que chaque cause d'explosion signalée peut être évitée par des moyens simples et à la portée de tout le monde. Depuis longtemps on a reconnu combien il est dangereux de laisser des armes à feu dans les mains des enfants; or, pour moi, je crois tout aussi nécessaire de ne jamais confier la direction des macliines à vapeur à des ouvriers maladroits, inexpérimentés et dépourvus d'intel- ligence. On se trompe beaucoup, lorsqu'on regarde ces machines comme des appareils qui, par cela seul qu'ils marchent ordinairement d'eux-mêmes, n'exigent presque aucun soin ; Watt a fortement combattu cette erreur, et si ma Notice pouvait contribuer à la rendre moins com- mune, je croirais être bien récompensé de la peine que j'ai prise en l'écrivant. Dès 18!2o le gouvernement s'est préoccupé de la néces- sité d'exercer une surveillance active sur les chaudières à vapeur et de prescrire quelques-uns des moyens de sûreté dont j'ai discuté l'efficacité dans cette Notice. Avant cette époque, on ne comptait en France qu'un petit nombre de ces appareils. Le décret du 15 octobre 1810 et l'ordonnance du ili janvier 1815, relatifs aux établis- sements insalubres ou incommodes, ne s'étaient occupés de machines à vapeur, qu'ils désignaient sous le nom de pompes à feu , qu'en ce qui concerne les inconvénients de la fumée pour le voisinage. L'ordonnance du 29 oc- tobre 1823 prescrivit plusieurs conditions de sûreté, mais seulement pour les machines dans lesquelles la force élas- tique de la vapeur dépasse deux atmosphères. Les règles 180 EXPLOSIONS DES MACHINES A VAPEUR. des épreuves préalal)les furent délorminées par les ordo;i- nances des 7 mai 18:28 et ^'d septembre 1829, et par l'ordomiance du 22 juillet 1839 pour les chaudières des machines locomobiles employées surjes chemins de fer. I/ordonnance du 25 mars 1830 s'occupa spécialement de chaudières à basse pression, oii la tension de la vapeur ne dépasse pas deux atmosphères. Toutes les mesures ainsi prises étaient insuffisantes. Le gouvernement com- prit l'importance de régler la matière en s'cntourant de toutes les garanties désirables ; il consulta l'Académie des sciences, d'abord sur l'emploi des rondelles fusibles, ensuite sur tous les moyens de sûreté. L'Académie, dans une matière si grave, ne pouvait se prononcer à la légère; et n'ayant pas la possibilité de se livrer à des expériences indispensables pour apprécier certains systèmes, elle dut garderie silence. Une commission spéciale, nommée par le ministre des travaux publics, put se livrer aux recher- ches nécessaires, et c'est sur son rapport que la législation actuelle des machines à vapeur a été établie. Les ordon- nances des 23 mai 18/i3, 15 juin IShh et 17 janvier 1840 ont fixé toutes les mesures à prendre pour l'e^ai préalable, la conduite, l'entretien et la surveillance des machines fixes, des machines locomotives des chemins de fer et de celles des bateaux à vapeur. La plupart des dispositions que nous avions conseillées, nous sommes heureux de le dire, ont été adoptées par le gouvernement. NECESSITE D'ENCOURAGER EN FRANCE' LA CONSTRUCTION DES MACHINES A VAPEUR I [Dans la séance de la Chambre des députés du 7 mai 183û, à l'occasion de la discussion du budget, .M. Arago a j^ris la parole dans les termes suivants, extraits du Moniteur du 8 mai. ] Messieurs, le ministre de la marine demande une somme d'un million pour la construction de machines à vapeur. Je viens ap])uyer cette demande de mon vote, mais avec une condition : à savoir que ces machines seront exécutées dans les ateliers français, et d'après des mar- chés conclus avec concurrence et publicité. Lorsqu'on voit les événements qui se succèdent, tout le monde sent l'urgente nécessité de s'occuper du sort des ouvriers, de leur créer des travaux, d'étayer des indus- tries qui menacent ruine, et d'en former de nouvelles. Je ne vois pas. Messieurs, que le ministre de la marine soit dans l'intention de faire exécuter ces machines en France. Il y a dans le rapport de la commission qiiel([ues phrases qui manquent de clarté ; car on pourrait croire 182 CONSTRUCTION DES MACHINES qu'il en est autrcinont en lisant le passage conçu clans CCS termes : « Afin d'encourager Tindustric française, la marine royale fait exécuter chaque année pour une somme assez considérable de machines à vapeur, entreprises par des mécaniciens du commerce. En 1835 on destine à ce genre de travaux un million de francs. » On dirait par là que le ministre de la marine à Tinten- tion de faire exécuter ces machines en France ; mais en lisant le chapitre vi, vous serez bientôt détrompés; vous y verrez en effet qu'on demande à M. le ministre de faire exécuter ces machines en Angleterre. Voici ce que contient ce chapitre : «De très -habiles constructem's anglais, revenant aux principes de Watt et Boulton , pré- viennent les chances d'explosion si redoutables dans une marine militaire, en substituant presque partout à la fonte le fer forgé. » Qu'il me soit permis de faire une observation sur cette assertion de M. le rapporteur, qui n'est rien moins que scientifique. Les explosions des machines ne peuvent avoir lieu que par l'effet des chaudières. Eh bien, il n'existe pas en Angleterre de machines dont les chau- dières soient en fonte ; ainsi l'assertion du rapporteur ne peut avoir aucune valeur, attendu que personne en Angle- terre n'emploie de chaudières en fonte. Il serait trop dangereux d'employer ces chaudières , dont l'explosion aurait de terribles effets, à cause de la grande masse des morceaux projetés. Personne n'a même songé à établir sur les bateaux à vapeur, des chaudières en fonte. Pour qu'elles offrissent la résistance nécessaire , il faudrait leur donner une grande épaisseur qui augmenterait tellement A VAPEUR. 183 le poids de la machine qu'on ne pourrait plus la faire porter par un bateau avec son combustible. A quoi donc peut- on faire allusion par ces prétendus perfectionnements qui détermineraient la marine à s'a- dresser aux ingénieurs anglais? Est-ce le corps de pompe qu'on ferait en fer forgé? Mais personne n'a pu y penser. D'ailleurs le corps de pompe n'est jamais sujet à faire explosion. Ainsi les améliorations sur lesquelles on se fonde pour nous dire qu'on commandera les machines à l'industrie anglaise sont imaginaires. Je dis que vous devez faire les machines en France ; vous avez des constructeurs d'un talent reconnu, cjue je ne saurais jamais assez signaler à la reconnaissance pu- blique. Parmi eux, je citerai MM. Hallette, Saulnier et Gavé, qui ont travaillé déjà pour la marine et avec un grand succès. Il est très-vrai qu'on leur a commandé des machines à vapeur pour la marine. Il est très- vrai qne ces machines ont réussi ; mais M. le rapporteur ne paraît pas avoir une grande bienveillance pour ces honorables et habiles fabri- cants. Les phrases d'éloges sont réservées pour des con- structions exécutées au compte de la marine, pour des constructeurs anglais et pour l'établissement d'Indret. Je dis cependant qu'il est possible en France de faire de très-bonnes machines. Et qu'on ne vienne pas argumen- ter de la dillerence du prix ; il diminue tous les jours, et il s'affaiblira de plus en plus lorsque vous occuperez davantage nos ateliers. Si vous ne commandez qu'une seule machine, le constructeur vous fait payer tous les outils dont il a eu besoin pour la confectionner. Si vous 181 CONSTRUCTION DES MACHINES on commandez deux, il est évident que cette mise de fonds pour les outils se répartira sur le })ri\ des deux ma- chines; si vous en demandez trois, le prix des outils ne sera plus que du tiers, comparé à ce qu'il aurait été dans le premier cas. Il est extrêmement important que vous vous adressiez à nos constructeurs, parce que dès que vous leur assu- rerez un travail annuel, leurs prix deviendront de jour en jour plus modérés. Veuillez remarquer ensuite, Messieurs, que le prix élevé des machines françaises provient en partie de circon- stances qui dépendent entièrement de vous:c'est que vous interdisez l'entrée de la fonte , du fer et de la houille, que les constructeurs obtiennent en Angleterre à bien meilleur marché. Il est très- vrai que les machines anglaises sont frap- pées d'un fort droit à leur entrée en France; mais ce droit n'est que pour les petites machines destinées aux particuliers, et presque jamais pour celles commandées parle gouvernement. A tort ou à raison, le gouverne- ment trouve toujours une amélioration considérable dans les machines qu'il veut introduire , et je dois vous dire que les règlements des douanes portent que lorsqu'une machine, par son genre de construction, présente une amélioration, qu'elle est destinée à servir de modèle, elle n'est pas soumise aux droits. Eh bien, on ne citerait aucune grande machine qui ait payé les droits. La machine du Sphinx, la grande machine soufflante commandée pour l'établissement de M. Decazes, la grande machine de la gare de Saint-Ouen, A VAPEUR. 185 et en un mot toutes les grandes machines dont il me serait facile de compléter l'énumération, ont été exemptes de droit parce qu'on trouve toujours moyen d'y faire aperce- voir un perfectionnement. Je disais que nous avons de très-habiles constructeurs. Je voudrais, d'après cette considération, qu'il fût bien stipulé, bien convenu , soit par l'assentiment du ministère, soit par un vote de la Chambre, que les machines s'exé- cuteront en France. Je dis que les précautions que je réclame ne sont pas superflues. En elfet, je vais citer une circonstance où l'on a fait éprouver une grande injustice à un construc- teur que j'oserais dire un homme de génie, à un homme de beaucoup de talent, qui a apporté dans l'emmanche- ment des différentes parties dont une machine à vapeur se compose des améliorations capitales. Il a été traité par le ministère de la marine d'une manière qu'il me serait bien pénible de qualifier, mais qui le sera suffisamment par les faits eux-mêmes que je vais exposer. Il s'est trouvé un ingénieur des ponts et chaussées, homme de talent , de patriotisme, de persévérance, qui a eu la pensée de faire à la porte d'une très-petite ville de Bretagne, à Landernau, un établissement de ma- chines à vapeur. 11 s'est établi dans un champ; il a, en très-peu de temps, construit une manufacture, et dès le début il a voulu lutter avec les premiers constructeurs anglais. C'est M. Frimot. Il a construit d'abord une machine pour la marine dans cet atelier étabh sans le secours d'aucun ouvrier anglais, avec des ouvriei's (jui jamais n'avaient entendu parler de machines à vapeur, ni 486 CONSTRUCTION DES MACHINES VU les outils très- compliques qui servent à ce genre de construction. Cette machine, que M. l'rimot a construite pour un service d'épuisement, a été reçue avec applaudissement; elle fait à Brest un service journalier excellent. Quelque temps après (c'était sous le ministère de M. Ilydc de Neuville), M. Frimot, encouragé par ces succès, demanda la permission de faire deux machines, chéicune de 80 che- vaux, pour un bateau à vapeur. Ce sont les plus grandes machines qu'on ait encore vues. 11 demanda à entrer en lice avec les plus célèbres con- structeurs anglais. A. cette époque, le ministère de la marine avait fait acheter en Angleterre, d'un habi!(> constructeur de Liverpool , M. Sawcett, une machine qui, encore aujourd'hui, fonctionne sur le Splii?ix, bâti- ment qui jusqu'ici a été à la tête de notre marine à vapeur, et qui sous tous les rapports peut soutenir la comparaison avec les meilleurs navires anglais. Ce fut alors que M. Frimot contracta un marché avec la marine. Remarquez, Messieurs, c{ue je dis un marché, j'aurai plus tard à revenir sur ce mot. Si la marine s'était associée aux expériences de M. Fri- mot , si elle avait consenti à entrer pour une part quel- conque dans ses essais, je ne prendrais pas ici sa défense ; car je ne crois pas que le gouvernement doive s'immiscer dans des expériences; il doit encourager, favoriser, ré- compenser largement , noblement, ceux qui ont fait des découvertes; mais il ne doit pas s'associer à des essais dont le succès paraît même certain. Enfin , M. Frimot passe un marché avec le ministère de la marine , il tra- I A VAPEUR. 187 vaille avec des ouvriers tous français, pris dans la partie la plus reculée de la Bretagne, et construit une machine. J'oubliais de vous dire la condition du marché. La voici : M. Frimot devait recevoir une certaine somme s'il fai- sait une machine qui marchât aussi bien que celle du Sphinx, qui eût le même poids et consommât la même quantité de charbon qu'en consomme le Sphinx. M. Frimot, qui prévoyait qu'avec les améliorations qu'il avait conçues il parviendrait à obtenir plus encore qu'on ne lui demandait, stipula que, dans le cas où il réduirait le poids de sa machine, et qu'il obtiendrait une vitesse égale avec une moindre quantité de combustible, il lui serait alloué une prime. Cette condition étoit juste, con- venable, et M. le ministre de la marine qui y souscrivit fit alors un acte honorable. M. Frimot, après avoir construit sa machine et l'avoir installée à bord de r Ardent, demande qu'il en soit fait une expérience comparative avec le Sphinx, comme il était convenu. On lui oppose une fin de non-recevoir, on lui dit : « Des expériences ont été faites sur le Sphinço dans la Charente. Nous devons les prendre pour terme de comparaison des épreuves qui seront faites à Brest sur r Ardent. » M. Frimot représente qu'il peut ne pas croire à la vérité des expériences de Rochefort, et persiste à récla- mer une comparaison directe et simultanée en pleine mer des deux bâtiments V Ardent et le Sphinx. Je ne vous mettrai pas sous les yeux, ]\ïessieurs, la correspondance qui s'est établie entre M. le ministre de la marine et 11. Frimot. Cette correspondance vous atïli- 188 CONSTRUCTION DES MACHINES gérait. Al. le ministre de la marine, dont les sentiments patriotiques ne peuvent être mis en doute, a signé pro- bablement sans les lire des dépêches dans lesquelles se trouvent des expressions que Ton ne saurait justifier lors même qu'elle seraient adi'essces à un valet, et c'est un homme de talent, un homme de génie que M. le ministre de la marine n'a pas craint de traiter avec cette rigueur, avec ce mépris. Voici la suite de ce qui s'est passé : M. Frimot vient h Paris; il s'adresse au conseil d'amirauté, et ce conseil décide qu'il sera fait une épreuve comparative entre les deux bâtiments, r Ardent et le Sphinx, dans des circon- stances tout à fait semblables, attendu qu'on ne pouvait pas apprécier la marche des deux navires placés dans des circonstances entièrement différentes. Ainsi le conseil d'amirauté annula les épreuves anté- rieures et les rapports de la commission cjui les avait dirigées. Voici les points qu'il y avait à constater : 1" la ques- tion de poids, 2° la question de vitesse. La machine de M. Frimot pèse-t-elle moins que celle du Splunxl — Elle pèse la moitié moins ; elle gagne cent tonneaux sur le poids de celle-ci. Or, Messieurs, c'était une amélioration immense, et devant laquelle on aurait dû presque se prosterner. Ou'a- t-on fait, pourtant? On n'a pas daigné y attacher la moindre importance. Reste la question de la vitesse. On fit l'expérience à Brest. Toute la population s'y intéressa, et cet émoi d'une population maritime est naturel. L'Ardent et le A VAPEUR. 489 Sphinx sont en présence. Ils partent; F Ardent dépasse largement le Sphinx. Tout le monde en est émerveillé; on a été si souvent inférieur lorsqu'on a été en conllit avec les Anglais, que l'on est bien aise de remporter sur eux cette victoire scientifique. Eh bien , ce résultat si national semble avoir contrarié la marine. En elTet, un article du Moniteur du G novem- bre 183o dit, et c'est honteux, que c'était une affaire de parti; qu'il n'était pas probable que C Ardent allât aussi vite que /(? Sphinx; en d'autres termes, qu'il n'était pas probable, malgré le résultat de l'expérience constaté par tous les ofliciers de la marine de Brest et la population tout entière de cette ville, qu'un bâtiment construit en France sous les inspirations d'un ingénieur français mar- chât aussi bien que le Sphinx, c'est-à-dire qu'un bâti- ment anglais. Messieurs, ces expressions-là ont montré jusqu'à quel point l'administration était malveillante pour M. Frimot. Cette malveillance n'a fait que se développer dans la suite; en effet, M. Frimot ayant demandé qu'on lui déli- vrât un certificat constatant que dans la première épreuve son bâtiment avait marché mieux que le Sphinx, on le lui refusa; et cependant le ministre de la marine regardait cette expérience comme décisive, du moins quant à la vitesse ; car dans une dépêche qu'il adressait à M. Frimot, il convenait que cette vitesse ne différait pas beaucoup de celle du Sphinx; elle avait été en fait plus grande. M. Frimot demande ensuite que l'on fasse une expé- rience pour la vitesse et la consommation du charbon, mais en présence d'une commission supérieure. Là-dessus 190 CONSTRUCTION DES MACHINES survinrent des difllcultés et une correspondance Irès- fàchcuse. La première fois, comme je l'ai dit, le bâtiment fran- çais l'Arilotf avait dépassé le Sphinx, c'est-à-dire le meilleur bâtiment de notre marine. La seconde fois, /'.4?- dnit perdit quelque chose de sa vitesse. Je dois rappeler que M. Frimot s'était engagé à obte- nir la môme vitesse que le Sphinx. Eh bien, cette dernière expérience est la seule dont on ait voulu tenir compte. Mais je vais dire quelques mots pour expliquer com- ment r Ardent a perdu la seconde fois un peu de sa vitesse. Le jour où l'Ardent n'a pas suivi le Sphinx, on s'est écarté d'une condition capitale que je dois signaler à la chambre. Vous savez, Messieurs, que lorscp'on alimente les chau- dières avec l'eau de mer, on est obligé de se débarrasser de l'eau avant qu'elle soit trop chargée de sel , de peur que la précipitation des substances salines ne détermine des dépôts. Tune des principales causes d'explosion. Tl avait donc été convenu C|ue l'eau serait renouvelée. Quand on effectue cette opération, la vapeur étant plus difTicile à former, la force des machines est diminuée, et la vitesse du travail singulièrement réduite. Eh bien, il était convenu que, sur le Sphinx., on re- nouvellerait l'eau comme sur l'Ardent. Or, M. Frimot, qui a scrupuleusement exécuté la condition de son côté, sait par son agent à bord du Sphinx, qui à cet égard a pré- senté son procès-verbal écrit, que l'eau n'a pas été renou- velée dans les chaudières de ce bâtiment ; ce qui confirme A VAPEUR. 191 le mieux la vérité de cette protestation , c'est que M. Fri- mot a demandé à diverses reprises communication du procès-verbal ofTiciel, et qu'on la lui a refusée. M. Frimot, en discussion avec l'administration de la marine, qui par humeur pouvait ne pas accueillir ses justes réclamations, a pensé qu'une demande appuyée par des députés appar- tenant à toutes les nuances d'opinion de cette Chambre, aurait plus de succès. M. Frimot a demandé, sans obtenir de réponse, com- munication du procès-verbal ofTiciel , de l'expérience faite à bord du Sphinx le jour où le Sphinx a eu un petit avan- tage de vitesse sur r Ardent. Eh bien, on place M. Frimot dans l'impossibilité de demander justice même au conseil d'État; c'est là quelque chose de monstrueux; la légis- lation n'a pas prévu C[u'un ministre ne répondrait pas; M. Frimot ne peut donc pas s'adresser au conseil d'État pour se plaindre d'un déni de justice. Enfin le procès-verbal n'a pas été communiqué ; toutes les sollicitations des députés siégeant dans diverses par- ties de la Chambre ont été sans résultat. Vous voyez qu'il y a eu, de la part de l'administration, je le dis avec regret, mais enfin il y a eu, de la part de l'administra- tion, envers un homme de mérite qui a créé, dans une localité presque sauvage, cne fabric|ue superbe de ma- chines à vapeur, une partialité qui a rendu indispensable la discussion qui a lieu aujourd'hui, et l'insistance c|ue je mets à obtenir du ministre ou d'un vote de la chanibre l'assurance que la somme d'un million servira à alimenter la fabrique française. J'ai cité beaucoup de faits pour montrer que l'admi- 192 CONSTHUCTION DHS MACHINES nistration n'avait aucune bicn\eillancc pour M. Frimot. Je vais en citer un plus monstrueux encore. Vous savez qu'à la Révolution de juillet, toutes les branches de Tin- duslrie et du commerce en général eurent beaucoup à souiTrir. M. Frimot avait fait faire un bateau à remorquer; ce bateau était à Brest, il n'y avait aucune possibilité de l'employer à une nouvelle entreprise de remorquage sur la Seine. M. Frimot roffrc à la marine ; l'amiral Roussin, qui sent combien il est utile au port de Brest d'avoir un remorqueur, fait l'acquisition de ce bateau au prix de 160,000 francs. Ce bateau est-il utile? il n'a pas servi beaucoup ; mais il suffit d'une circonstance pour montrer qu'il pouvait rendre des services importants. Elfective- ment, il y avait, hors de la rade une frégate, qui faisait de vains efforts pour y pénétrer; le remorqueur alla à sa rencontre et la fit rentrer dans le port avec une vitesse de quatre milles à l'heure. L'appareil de ce bateau paraissait si bon, si bien con- struit, que l'amiral Roussin, quand il partit de Brest pour aller dans le Tage, eut la hardiesse de sortir de la rade avec des vents contraires, se confiant à la puissance de ce bateau remorqueur. 11 sortit, mais à sept ou huit lieues de la rade de Brest, le vaisseau le Suffren aborda le re- morqueur, et fit quelques avaries dans le bâtiment et dans la machine; ces avaries furent évaluées à 10,000 francs par messieurs les ingénieurs de la marine de Brest. M. Frimot offrit de réparer son appareil ; on ne le voulut pas. Ne vous imaginez pas qu'on l'ait installé abord d'un autre bâtiment, ou qu'on l'ait soigneusement conservé dans un magasin ; non, on l'a laissé en plein air, de sorte que A VAl'EUH. 493 toutes les parties de la machine, qui étaient polies comme mi miroir, comme si elles sortaient des mains d'un opti- cien , sont tellement détériorées , corrodées , qu'on ne pourrait plus vendre la machine que comme de la fer- raille. Je le répète, Messieurs , vous voyez d'après toutes ces circonstances, je n'en accuse pas M. le ministre, mais vous voyez qu'il y a dans l'administration de la marine une partialité en faveur des constructeurs anglais que nous devons combattre. Il y a capacité, capacité très-grande chez nos construc- teurs; il y a dans les ateliers même de M. Frimot des moyens excellents de satisfaire à tous les besoins de la marine; et cependant vous voyez comment les construc- teurs français, si dignes d'encouragement, sont traités dans les bureaux du ministère de la marine. Messieurs, en parlant des résultats obtenus par Yi. Fri- mot, j'ai signalé la diminution de poids de la machine de plus de la moitié ; une diminution notable sur la dépense en combustible; il n'y aurait de douteux que quelques cir- constances relatives à la vitesse comparée des deux bâti- ments, si on s'en rapporte aux résultats de la dernière expérience. Je dois ajouter qu'il y a, dans les bateaux de M. Frimot, des inventions très-remarquables. La Chambre les consi- dérera comme telles quand elle saura que l'Académie des sciences, appelée dernièrement à les examiner et à donner son avis, s'est écartée de ses règles ordinaires, de ses habitudes, pour adresser la description des appareils de M. Frimot à M. le ministre du commerce, afin qu'il les V.— II. 13 19i CONSTRUCTION DES MACHINES fît connaître à tous les constructeurs qui peuvent avoir intérêt à les copier; car M. Frimot a eu la générosité de ne s'en pas réserver le privilège au moyen d'un brevet d'invention. Je demande donc que le' million soit accordé, mais qu'il soit statué, soit par le consentement du ministre, soit par une disposition que je proposerai, que les ma- chines seront construites dans nos ateliers qui sont par- faitement en mesure de les exécuter; je demanderai aussi que M. le ministre veuille bien répondre à M. Frimot. (Marques nombreuses d'assentiment.) II [Dans la séance du 8 mai, le débat a continué sur ramendemcnt déveloi)pé dans le discours qu'on vient de lire ; M. Arago a de nou- veau pris la parole, et il s'est attaché à démontrer que les machines à vapeur à haute pression ne présentaient pas les dangers qu'on leur attribuait. La discussion suivante est extraite du Moniteur du 9 mai 183Zi. ] M. Arago. Je demande à la Chambre la permission de lui faire remarquer... (Marques d'impatience au centre.) Je demande à la Chambre la permission de lui faire remarquer que des erreurs graves ont été commises à cette tribune ; je pourrais même dire des erreurs hon- teuses sur la fabrication et les propriétés des machines à vapeur. . . M. LE IMiMSTHE DE LA MARLXE. Il n'y a rien eu de honteux! A GAUCHE : Non , si l'ignorance est un honneur ! M. Arago. Je le répète, des erreurs honteuses... M. LE MixisTRE DE LA MARINE. Il n'a rien été dit de honteux. M. Arago. Des erreurs inqualifiables sur la fabrication A VAPEUR. 495 des machines à vapeur ont été commises à cette tribune par les personnes qui sont à la tête de l'administration de la marine. Il a aussi été commis des erreurs de fait que je dois relever. Veuillez, au surplus, remarquer de quelle manière une question incidentelle a été introduite dans la question générale. (Violents murmures au centre.) J'ai proposé un amendement : dans cet amendement se trouvait comprise nécessairement, implicitement, cette idée que l'administration de la marine ne favorisait pas, ne voyait pas avec bienveillance les travaux de nos con- stiiicteurs; c'est pour cela que je suis arrivé à expliquer quelle a été la conduite que l'administration de la marine a cru devoir tenir à l'égard de M. Frimot. Je n'ai pas proposé de délibérer sur l'affaire de cet ingénieur. Je n'ai pas demandé que la Chambre fût appelée à prononcer dans l'affaire judiciaire qui existe en ce moment entre M. Frimot et l'administration de la marine. Je me suis contenté de dire et d'affirmer que ce fabricant, que cet homme du plus haut mérite avait obtenu des résultats excellents et parfaitement constatés ; que cependant, au heu de le traiter avec bienveillance, le ministère s'était conduit à son égard avec une rigueur, avec une malveil- lance déplorables. Ainsi je n'ai pas cherché à introduire dans la Chambre mie question qui ne la concerne pas. J'ai cité des faits à l'appui de mon amendement. Je dis maintenant qu'en combattant ma proposition , M. le commissaire du roi a commis des erreurs matéi'ielles, des erreurs de fait qu'il est de mon devoir de signaler. (Marques d'impatience dans une partie de l'assemblée. ) 196 CONSTRUCTION DES MACHINES Aixr.Ks VOIX. Parlez! l'LisiELTxS MEMBRES. x\ous iic yonuucs pas jugcs conipétciits! M. Arago. Vous n'êtes pas juges compétents sur des questions de macliines à vapeur, à la bonne heure; mais vous êtes juges compétents sur des questions de finances; or, ma proposition concerne une dépense d'un million. Les mêmes voix. Vous élevez une question de science et de théorie. M. Arago. On vous demande un million pour la con- fection des machines à vapeur. Je propose de déclarer que ce million sera dépensé en France. Je dis et je sou- tiens que nos usines sont parfaitement en mesure de satisfaire aux besoins de la marine. J'ai cité des faits ; j'ai cité des artistes qui travaillent à merveille. L'admi- nistration cependant paraît être dans l'intention de faire construire ces appareils en totalité ou en partie à l'étran- ger. Telle est la prétention que j'ai combattue. Comment y a-t-on répondu? On ne m'a pas opposé un seul fait. A-t-on seulement fait mention de perfectionnements incon- testables sur le mérite desquels l'Institut a prononcé? Plusieurs voix. L'Uistitut prononce sur les théories ; nous ne sommes pas ici à Tnistitut. M. Arago. Lorsque je cite des perfectionnements re- marquables qui distinguent les machines de M. Frimot. que répond-on? M. le commissaire du roi se contente de jeter vaguement de la défaveur sur le système de cet habile ingénieur. Ce système, s'écrie-t-il , est fondé sur l'emploi de la haute pression ; or, en Angleterre comme en Amérique, il n'existe pas sur les bateaux de machines à haute pression. A VAPEUR. 197 L'assertion est tranchante ; eh bien , l'honorable M. Tu- piiiier est tombé dans une erreur de fait, dans une erreur complète en ce qui concerne rAmci'ique. En efTet, j'ouvre au hasard, un ouvrage sur les ma- chines à vapeur. J'entends qu'on demande par qui cet ouvrage a été publié. Je réponds qu'il a été publié par la marine elle-même, que c'est l'ouvrage de M. Mares- tier ; je l'ouvre donc au hasard, et je trouve : ((V Etna y bateau à vapeur des États-Unis sur la Dela- ware, marche sous la pression de 10 atmosphères; « La Pensylvanie est un bateau à haute pression, etc. » Vous voyez donc. Messieurs, que l'assertion de M. le commissaire du roi n'était pas exacte. M. TuriNiER, commissaire du rot. Je n'ai pas dit qu'il n'y en eût pas... Voyez le Moniteur!... M. Arago. Vous l'avez dit, i\îonsieur. Vous avez jeté de la défaveur au sujet des machines de M. Frimot, dans l'esprit d'un très-grand nom])re de membres de la Chambre de qui je le tiens, en affirmant positivement que ni en A.ng!eierre ni aux États-Unis on n'employait de la vapeur à une haute pression. Eh bneii, vous savez maintenant ce qu'il en est, et mes citations, je les ai puisées, non pas dans des ouvrages sans auto- rité, mais dans le traité d'un de vos anciens collègues, dans un ouvrage dont la marine elle-même a fait faire la ])ublication à ses frais. Je dirai d'ailleurs que cette défaveur que vous avez voulu répandre sur l'emploi des machines à haute pres- sion n'est pas fondée, et qu'il serait très-fàcheux de voir la marine persister dans de déplorables préventions. 198 CONSTllUCTION DES MACHINES Youlcz-vous savoir comment il est arrivé qu'en Angle- terre les machines à haute pression ne sont pas employées sur les bateaux à vapeur ? Ces bateaux sont construits par la marine marchande, et leur destination exclusive est de faire l'office de paque- bots. Or, les passagers craignant l'explosion des machines à. haute pression , les constructeurs ont dû les proscrire. Quelques voix. Ils ont raison. M. Arago. Vous dites qu'ils ont raison ; moi , je dis qu'ils ont tort, Messieurs. Je crois avoir le droit d'émettre une opinion sur une question de cette nature. ( Bruit aux centres. ) Comment, Messieurs, il s'agit de savoir si l'on accor- dera un million à la marine pour la construction de bateaux à vapeur; la marine manifeste l'intention de repousser de toutes ses forces l'emploi des machines à haute pression , et je n'aurai pas droit de dire à cette tribune que la détermination de l'autorité est le résultat d'une erreur, d'un défaut de lumières? Voix nomcueuses aux extrémités. Si! si! Voix ad centre. Nous ne sommes pas ici à l'Académie des sciences. M. LE C0L0XEL Lamv. NOUS ne sommes pas ici comme dans un collège royal, pour suivre un cours de machines à vapeur. M. Arago. Je crois avoir le droit de soumetti*e une opinion... [Voix au centre. C'est une question étrangère au budget. ) Nous traitons la question de savoir si Ton accordera un million à la marine pour construire des machines à vapeur. La marine paraît dans l'intention de repousser les machines à haute pression; n'ai-jc pas le droit de dire à cette tribune que c'est un préjugé? A VAPEUR. 499 (M. Arago descend de la tribune.) Nombre de voix aux extrémités. Parlez ! parlez. ^I. Petou. Ce serait une honte que d'empêcher l'orateur de parler. M. Arvgo, remontant à la tribune. Je suis dans la question , et complètement dans la question. A droite et a gauche. Oui! oui! continuez! M. Garnier-Pagès. Si l'on n'écoute pas nos orateurs, nous n'écou- terons plus personne. (Exclamations ironiques au centre.) Quelques membres. Attendez le silence. M. Arago. La question est devenue une question gêné' raie, et je ne sais vraiment pas pourquoi l'on s'irrite lorsque je parle des avantages que présentent les ma- chines à haute pression sur les machines à pression ordi- naire. M. PiscATORY. Ce n'est pas à la Chambre à juger cela ! M. Arago. Quand vous donnez, M. Piscatory, un conseil sur la colonisation d'Alger, vous avez des opinions arrêtées sur la colonisation et vous cherchez à les in- culquer dans l'esprit des ministres et de la Chambre ; eh bien, moi, j'ai une opinion arrêtée sur l'emploi des machines à haute pression. Il y a dans le budget un article relatif aux machines à vapeur, et puisque l'admi- nistration témoigne l'intention de ne point faire usage des machines à haute pression, je ne sais pas pourquoi il ne me serait pas permis de parler de l'emploi de ces machines. M. Piscatory. Je deu;iande la permission... Voix nombreuses aux extrémités. Vous n'avez pas la parole ! Laissez parler AI. Arago ! M. Piscatory. Je ne dois pas laisser sans réponse ce que vient de dire l'honorable orateur. (Non, non !... Agitation.) M. Arago. Il est loin de ma pensée, de mon désir et de mon intention, de soulever dans la Chambre de l'agi o-i- 200 CONSTRUCTION DES MACHINES talion et du désordre; par conséquent, je renonce à la parole. Aux EXTRÉMITÉS, f 'oi'lcz ! paiicz ! M. Arago, Maissi Ton ne veut pasm'entendre... (Si, si! Parlez!) !\1. CiiARi KMAGNE. NOUS voucli'ions évitor de tomber dans les abus... (lîruit.) M. i-K Prksioent. Vous n'avez pas la parole. Cette discussion, Messieurs, devient très-pénible. L'orateur est dans son droit, en discutant la matière qu'il discute en ce moment (Assentiment aux extrémités) et qu'il connaît si bien. J'invite donc la Chambre à lui accorder son attention. (Très-bien! très-bien!) M. Arago, Je regrette que vos fréquentes interruptions me forcent de me répéter. Je disais. Messieurs, que le commissaire du gouvernement , et ce commissaire occupe dans le ministère de la marine un poste élevé, s'était trompé en affirmant qu'il n'existe nulle part de bateaux à vapeur à haute pression. J'ai expliqué comment il se faisait que les machines de cette espèce ne sont pas em- ployées sur les bateaux anglais. J'en ai trouvé la raison dans les craintes des passagers. Une voix. Ils ont raison. M. Arago. Ils ont raison, dites -vous, eh bien, je prouverai en deux mots que cette crainte est sans fonde- ment. Mes arguments seront de deux espèces, assez clairs, je crois, pour détromper en môme temps et M. le com- missaire du roi et les personnes qui pensent comme lui. M. Oliver Evans, le plus célèbre constructeur de machines à vapeur de l'Amérique du nord, fit en 1818 un relevé statistique de toutes les explosions qui avaient eu lieu aux États-Unis. Il résulta de ses recherches que pas A VAPEUR. 201 un seul bâtiment, avec des machines à haute pression, n'avait fait explosion. 11 n'était arrivé d'accident qu'à des machines à pression ordinaire. Voilà un fait constant, voilà un fait incontestable. Cela, Messieurs, a l'air d'un paradoxe ; mais il n'y a paradoxe en cette matière, et en général dans les questions scien- tifiques, que quand on n'a pas l^ien étudié les causes des phénomènes. Les ingénieurs et l'administration se sont prescrit la règle d'essayer la chaudière d'une machine quelconque à une pression triple, par exemple, de celle où elle est des- tinée à travailler. Ainsi, pour une machine à 10 atmo- sphères, on ferait l'essai à 30 atmosphères; pour une machine à une atmosphère, l'essai serait fait à o atmo- sphères seulement. Or, veuillez bien le remarquer, IMessieurs, dans les machines à pression ordinaire , plusieurs circonstances peuvent porter subitement la pression à une pression trois fois plus forte et même davantage. A ce moment, la machine ordinaire devient machine à haute pression; la chaudière est insuffisante, et l'explosion arrive. Quant à la machine à pression très-élevée, quant à la chaudière essayée à 30 atmosphères, il faudrait des conditions qui sont exceptionnelles, et qu'on réunirait difficilement, même en les cherchant tout exprès poui- amener l'explosion. Une expérience dans laquelle j'ai été moi-même acteur rendra la vérité de mon assertion évidente. L'administration ayant eu besoin, pour régler le ser- vice des machines ordinaires et des machines des ba- teaux, de connaître l'élasticité de la vapeur coirespon- 202 CONSTRUCTION DES MACHINES dantc <\ chaque degré du lliormoniètre, s'adressa à l'Aca- démie des sciences. Deux membres furent chargés de faire le travail nécessaire pour répondre aux désirs du gouvernement. Le savant M. Dulong était l'un d'eux; j'étais le second. Les expériences étaient dangereuses; mais comme les artistes en désiraient les résultats, comme elles devaient être utiles, nous nous dévouâmes. Eh bien, je le déclare ; quoique nous eussions pris toutes les pré- cautions nécessaires pour éviter les courants refroidis- sants, quoique nous nous plaçassions constamment dans une cabane bien fermée, nous ne pûmes jamais amener l'élasticité de la vapeur de la chaudière à plus de vingt- quatre atmosphères. Ainsi il n'eût pas dépendu de nous d'amener môme volontairement l'explosion de cet appa- reil, si, comme la chaudière d'une machine de dix atmo- sphères, on l'avait essayée à trente. Le résumé statistique d'Oliver Evans avait prouvé que les machines à pression ordinaire font plus souvent explosion que les machines à haute pression. Ce fait, constaté par l'expérience, n'a plus rien de paradoxal. Il trouve une explication toute simple dans ce que je viens de dire. Au surplus, la grande répugnance du public pour les macliines à haute pression a disparu. Les machines loco- motrices qui transportent les voyageurs sur les chemins de fer sont, en effet, des machines à haute pression. Qui cependant éprouve aujourd'hui la moindre répu- gnance à se placer à la suite d'une de ces machines? La marine n'aurait donc aucun motif de se préoccuper de ces anciens préjugés, alors môme que la majorité des A VAPEUR. 203 riches voyageurs qui viennent d'Angleterre en France les conserveraient. Il y a un avantage immense, un avantage incontestable et aujourd'hui incontesté, à se servir de machines à haute pression. Ces machines permettent d'employer la détente de la vapeur dans une grande échelle, de ne la con- denser ou de ne la perdre qu'au moment où sa tension devient insignifiante. Ces avantages, la théorie les avait prévus; mille expériences les ont confirmés. Toutes les machines d'épuisement du Cornouailles en font foi. Expliquez-moi donc, ^lessieurs, quel inconvénient il peut y avoir à signaler à l'administration de la marine, qui paraît l'ignorer, une telle source d'importantes éco- nomies. Cette question, qui vient de soulever tant de difficultés, n'avait au fond rien d'irritant. Elle était d'ailleurs inévi- table, puisque les machines de M. Frimot sont à haute pression, mais à 10 atmosphères seulement, tandis que, je le répète, certaines machines des États-Unis marchent, sans inconvénient, à 20 atmosphères. Je suis fâché que les détails personnels, relatifs à ]\I. Frimot; que des griefs destinés à trouver leur solu- tion ailleurs; que des débats qui ne seront jamais dé- sertés par ceux qui savent combien M. Frimot s'est fait honneur par ses travaux, combien il serait utile à l'in- dustrie si on lui tendait loyalement la main ; je suis fâché, dis-je, que ces diverses circonstances aient jeté sur la discussion une irritation qui peut-être compromettra le sort de l'amendement que j'ai proposé. Cet amendement est ainsi conçu : 201 CONSTRUCTION DES MACHINES «Les machines seront exécutées dans les ateliers fran- çais, et d'après les marchés conclus avec concurrence et publicité. » Le budget a souvent renfermé de semblables disposi- tions. Ainsi, de ce côté, point de difficulté; mais, en ter- minant, j'appellerai l'attention sur une circonstance qui milite en faveur de la disposition que je sollicite de la chambre. Le haut prix de nos machines tient aujom"d'hui en grande partie à la cherté de la matière première. Nos usines à fer ne produisaient pas de fonte qui pût être employée avec avantage dans leur construction. Notre fonte perdait ses principales propriétés cjuand on la sou- mettait à deux ou trois fusions successives. Je suis heu- reux de dire que plusieurs maîtres de forges, parmi les- quels je cite avec plaisir l'un de nos honorables collègues de la Nièvre, sont tellement près d'avoir résolu le pro- blème, que cette cause de dilTérence entre le prix des machines anglaises et celui des machines françaises est sur le point de disparaître. Je dirai, avec une égale satisfaction, que dans les forges que je viens de citer on est parvenu à donner à la fonte une propriété qui ne paraissait pas devoir appartenir à cette matière, une certaine flexibilité dont on tirera peut-être un très- grand parti dans la construction des machines à vapeur. J'ajoute, enfin, qu'on commence à essayer dans nos usines l'emploi de l'air chaud. Tout fait donc espérer que d'ici à peu de temps nous serons dis- pensés d'aller à l'étranger chercher les métaux employés dans la construction des machines à vapeur. A VAPEUR. 205 Eh bien, faites qu'au moment où l'amélioration dont je parle aura eu lieu, nos ateliers ne soient pas déserts, ne soient pas détruits; faites en sorte que les usines qui existent, qui ont déjà donné d'excellents résultats, qui nous en promettent encore de plus grands, ne soient pas totalement abandonnées lorsque les améliorations métal- lurgiques que je prévois, que j'annonce comme pro- chaines, se seront réalisées. Soyez persuadés cju' alors vous aurez des ateliers où l'on exécutera, aussi bien et à aussi bon marché cp'en Angleterre , toutes les machines à simple ou à haute pression dont la marine militaire, dont la marine marchande et dont les manufacturiers pourront avoir besoin. IM. PiscATORY. Je demande la parole pour un fait personnel... Je ne suis pas dans l'habitude d'interrompre personne, j'écoute avec attention toutes les opinions. J'aime les longues discussions ; je les crois utiles au triomphe de la vérité et de la raison. J'arrivais dans la Chambre lorsque la discussion était déjà com- mencée. Je ne sais quelle parole m'a échappé, je ne sais même si j'en ai prononcé une : M. Arago m'a interpellé en disant qu'il ne concevait pas que quelqu'un qui avait traité la question d'Alger, et qu'on avait bien voulu écouter, empêchât de parler sur les machines à vapeur. La comiiaraison est étrange. Sans contredit la question des machines à vapeur est importante; mais permettez-moi de dire qu'il y a une grande différence, quant à l'importance politique, entre la question d'Alger et la question scientifique de la vapeur à haute ou à basse pression. J'en demande bien pardon à M. Arago, dont je reconnais la science et l'esprit; mais il me semble que nous sommes venus ici pour faire les affaires du pays, et non pour suivre un cours, (interruption, murmures, hilarité.) i\!. Arago a établi fort habilement la dillërencc qui existe entre les machines à haute et celles à basse pression. Je l'ai écouté avec grand plaisir; mais j'avoue que cela n'a pas suffi pour éclairer mon intelligence , fort médiocre, il faut le dire , en pareille matière. Comme député, j'ai donc perdu un temps utile. 20f. CONSTRUCTION DES MACHINES Je dirai encore qu'il me semble qu'il n'y a pas beaucoup de géné- l'osité de la part de î\l. Arago à venir faire ici de la science ; car véritablement personne ici n'est en état de lui répondre ni de com- battre l'opinion qu'il émet sur les objets tout scientifiques, qui nous sont étrangers, et qui ne touchent en rien aux intérêts dont nous sommes chargés. M. Arago. Un mot, Messieurs, un seul moL sur la question personnelle. Ce n'est pas moi qui ai soulevé ici la question des machines à haute pression : c'est M. le commissaire du roi qui est venu exprimer sa répu- gnance pour les machines à haute pression. Plusieurs membres de la Chambre ont désiré savoir ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans cette répugnance, et c'est à leur demande que j'ai dû donner à la Chambre des explications qui, à ce qu'il paraît, n'ont pas été du goût de l'honorable préopinant. III [Dans la séance de la Chambre des députés du 29 mai 1835, à l'occasion d'un projet de loi relatif à l'établissement d'un service de paquebots ù vapeur entre la France et le Levant, ;\I. Arago a de nouveau pris la parole dans les termes suivants, extraits du Moniteur des 29 et 30 mai. ] Messieurs, j'ai demandé la parole afin d'obtenir, soit par voie d'amendement, soit par une promesse de M. le ministre des finances, l'assurance que les machines c{ui doivent' être placées dans les bateaux à vapeur seront exécutées par nos artistes. Voici, en abrégé, les motifs de ma proposition. En fait de machines à vapeur, nous sommes encore, il faut l'avouer, dans l'enfance. Jetez un coup d'œil sur ce que ce genre d'industrie a produit de merveilles en Angle- A VAPEUR. 207 terre, et vous verrez que mon vœu n'a rien que de fort naturel. En 1819, en Angleterre, une seule manufacture, celle de Solîo, près de Birmingham, avait déjà exécuté un nombre de machines à vapeur qui, à elles seules, fai- saient annuellement le travail de cent mille chevaux , c'est-à-dire de six à sept cent mille hommes. L'économie résultant de la substitution de ces moteurs aux moteurs animés était, au moins, de 75 millions de francs par an. A la même époque de 1819, il existait en Angleterre dix mille machines à vapeur d'une force totale de six cent mille chevaux, ou de 3 à k miUions d'ouvriers. C'était là l'origine d'une économie de 300 ou 400 millions de francs. Aujourd'hui on peut dire, sans être taxé d'exagération, que ces résultats doivent être doublés ; de sorte que, par l'emploi de la vapeur, nos voisins obtiennent, tous les ans, sur leurs produits, une économie de main-d'œuvre de 800 millions de francs. Consultez maintenant les tableaux officiels qui vous ont été distribués, et vous verrez qu'aujourd'hui, en France, le nombre total des machines à vapeur ne dépasse guère un millier, et que leur force n'est que d'environ l/ï,000 chevaux. Il est donc important que la construction des machines à vapeur reçoive chez nous des encouragements. Je de- mande en conséquence à M. le ministre des finances de vouloir bien, dans cette circonstance, prendre devant la Chambre l'engagement de s'adresser à nos artistes, et de leur commander des travaux utiles, importants, et dont ils s'acquitteront à merveille. 208 CONSTRUCTION DES MACHINES Ici, je le sais, se présente la question de savoir si les grandes machines à vapeur, dont radministration a be- soin, pourront être exécutées dans une année, et si elles auront la perfection de celles qui seraient fabriquées à l'étranger. Sur ce dernier point je n'aurai qu'à citer, qu'à vous rappeler ce que le gouvernement lui-même a dit dans un rapport qui vous a été récemment distribué. Vous ti'ouverez dans le rapport en question que « les ma- chines qui sortent actuellement de nos ateliers peuvent, sans crainte, soutenir la concurrence avec celles qui nous viennent de l'étranger. » Voilà, Messieurs, une décision formelle; elle n'est pas de moi, elle appartient au corps des mines. Les machines dont il est question dans ce paragraphe ont, il est vrai, je m'empresse de l'avouer, d'assez petites dimensions; tandis qu'il en faudra d'une force considé- rable pour les nouveaux bateaux à vapeur. Je crois , en clfet, que notre honorable collègue M. ïupinier a eu rai- son en proclamant pour le service de mer rinsuffisanco des machines d'une force moyenne, en réclamant une puissance de 160 chevaux au moins. Or, il existe en ce moment, en France, divers ateliers où des appareils de cette force sont exécutés. Ces appareils sont-ils bons? Je n'hésite pas à répondre affirmativement; on les a comparés, en effet, aux meil- leures machines exécutées en Angleterre , à celle qui jus- qu'ici a été considérée comme modèle, à la machine du Sphinx; et de très -bons juges, et nos officiers de marine les plus expérimentés, ont déclaré positivement que les ma- chines exécutées dans les ateUers de M. Ilallette d'Arras, I A VAPEUR. 209 et dan.^ ceux d'Indret, sont aussi parfaites que celles du Sjjlunx. Je pourrais, au besoin, citer à l'appui de cette opinion les rapports du capitaine Favin-Lévéc(ue, du Crocodile y et celui du capitaine Gaubin , du Vautour. Ainsi il existe en France des ateliers c|ui sont en me- sure d'exécuter d'excellentes machines de 160 et de 200 chevaux. J'arrive à la question de savoir si ces grands travaux pourraient se faire dans un temps assez court. Eh bien, il paraît constant que M. Cave exécuterait deux machines en un an; M. Hallette, trois; M. Gengembre à Indret, trois. Peut-être y a-t-il encore d'autres manufactures qui pourraient entrer en concurrence avec celles-ci ; mais je ne dois pas les citer, parce cjue je ne veux articuler ici que des choses parfaitement certaines. Ainsi, en ne considérant que des usines qui me sont personnellement connues, je ne pense pas m'éloigner de la vérité en affir- mant que les deux tiers des machines désirées y seraient exécutées en un an. Venons maintenant aux prix. Je reconnais que les machines ciu'on exécute en France sont beaucoup plus chères que les machines anglaises. Mais vous en savez la principale raison : c'est que la matière première est chez nous d'un prix plus élevé. Or, la matière première entre pour une part considérable dans le prix des ma- chines. Quand vous aurez supprimé les droits des douanes, il sera tout naturel de demander cjue nos appareils indus- triels ne coûtent pas plus cher c{ue ceux de nos voisins; mais tant que ces droits existeront, il faudra bien se résigner à payer les machines françaises à des prix élevés. V. - II. l!i 210 CONSTRUCTION DES MACHINES Je iiVemprcsse de reconnaître que, pour l'avoriscr nos artistes, l'administration a frappé les machines qui vien- nent de l'étranger, d'un droit de 30 pour cent. ;m. le ^liNisTRE DES FINANCES. Dc 33 iiour cciit, et le décime! M. Arago. De 33 pour cent, si vous voulez ; eh bien, ajoutez au prix qu'a coûté Je Sphinx en Anglcteire 33 pour cent, et vous trouverez à très- peu de chose près les prix qui ont été payés par MM. Hallette et Gavé pour leurs dernières machines. Le marché ne vous sera donc pas onéreux, car il serait injuste que vous, gouverne- ment, vous ne payassiez pas les droits que vous exigez des particuliers. Je sais très-bien que l'on cherche sans cesse à se sous- traire à cette obligation ; je sais très-bien que la loi qui a frappé de 33 pour cent les machines venant dc l'éti'anger a décidé que si ces machines pouvaient servir de modèle, elles ne seraient pas passibles du droit, et que les moindres changements de forme sont présentés comme des amélio- rations importantes ; mais M. le ministre des finances est trop juste pour vouloir dans cette circonstance recourir à ce moyen, quoiqu'il ait été déjà tenté par la direction des postes elle-même. M. LE ahNISTRE DES FINANCES. NOll ! M. Arago. Permettez-moi, M. le ministre, pour ré- pondre à votre dénégation, de dire que j'ai été chargé de faire un rapport sur une demande en franchise de droits présentée par la direction des postes; je crois même me rappeler qu'elle avait reçu votre assentiment. Au surplus, je regrette bien vivement que l'adminis- A VAPEUR. 211 tration n'ait pas profité de cette circonstance pour faire examiner à fond la question capitale de l'emploi des ma- chines à haute pression dans les bâtiments de l'État. Dans la dernière séance, M. Tupinier a émis sur cet objet des opinions trop arrêtées. Il a dit, par exemple, que ces machines n'olîraient pas d'économie ; que théo- riquement on devait en espérer, mais qu'expérimentale- juent elles n'en donnaient pas. Théoriquement, Messieurs, on ne sait pas grand' chose aujourd'hui des avantages de la haute pression sur la pression ordinaire, mais expérimentalement, la grande infériorité de cette dernière ne semble pas douteuse, du moins quand on fait usage de la détente. Deux ou trois chiffres que je vais vous citer ne laisseront aucun doute à cet égard. Dans le comté de Cornouailles on n'emploie guère aujourd'hui que des machines à haute pression; eh bien, plusieurs donnent des résultats quadruples de ceux qu'on obtenait avec les anciennes machines de Watt. M. John ïaylor, le plus célèbre ingénieur de cette contrée indus- trieuse, m'écrivait naguère que, suivant lui, ces im- menses effets étaient le résultat de l'emploi de la haute pression combinée avec la détente. Les rapports des offi- ciers de notre marine vous conduiraient à la môme con- séquence. M. Gaubin obtenait de l'emploi de ces deux moyens un sixième d'augmentation sur la vitesse du Vaulour. On répète sans cesse que les machines à haute pression présentent de très-grands dangers. L'expérience justifie- t-e!le ces craintes? En aucune manière. On a dit aussi 212 CONSTRUCTION DES MACHINES qu'elles elïrayaient les passagers. Voici ma réponse : Nous avons aujourd'hui sur la Seine un grand nombre de bateaux à haute pression; l'un d'entre eux qui s'appelle le Théodore, l'ait le service enlre Paris et Melun; il mar- che à cinq atmosphères. J'ai voulu savoir si les craintes dont l'honorable M. Tupinier parlait étaient réelles ; j'ai été au quai de la Grève demander quel était le nombre des voyageurs : on m'a répondu que dimanche dernier on en avait compté quatre cent vingt-quatre. Vous le voyez, Messieurs, si des craintes ont existé, il n'en reste plus de traces aujourd'hui ; j'affirme, au surplus, que les machines à haute pression ne sont pas plus dangereuses que les auti'es. A Paris, sur cent soixante-seize machines à vapeur, il y en a cent trente-trois à haute pression. Depuis dix ans ciue les constructeurs sont astreints à des règlements bien combinés, il n'est pas arrivé un seul accident. Les bateaux cjui, depuis six ans, font sur la Seine le service de Paris à Rouen, ont tous des machines à pression élevée : est-il jamais arrivé aucune explosion? Dans une autre circonstance j'essayai de démontrer, et nous hommes d'étude, nous ne prodiguons pas ce mot, qu'il y avait moiris de chance d'explosion dans les ma- chines à haute pression cpie dans les machines à pression ordinaire, et cela attendu la nature des épreuves aux- quelles on soumet les chaudières. Je n'y reviendrai pas aujourd'hui ; je me borne , et cette preuve en vaut bien une autre, à faire remarquer qu'à Paris et dans ses environs, un grand nombre de ma- chines à haute pression sont depuis longtemps employées, sans qu'il y ait eu une seule explosion. A VAPEUR. 213 N'y cùt-il aucune économie à faire usage de ce genre de machines, il faudrait encore les recommander. Quand on veut imprimer une vitesse considérable à un bateau à vapeur, il faut un appareil puissant ; or cette puissance, avec la basse pression, on ne l'obtient qu'en augmentant les dimensions du corps de pompe. Un grand corps de pompe absorbe à chaque oscillation du piston une grande (juantité de vapeur qui ne peut être fournie que par une énorme chaudière. Une chaudière est aujourd'hui une véritable maison qui emploie près des trois quarts du volume du bateau à vapeur. Cherchez la même force dans une machine à haute pression, vous gagnerez un espace considérable, et cela, je le répète encore, sans aucun danger ; car il est telle de ces machines où l'explo- sion, à peu près impossible, ne pourrait pas d'ailleurs entraîner des accidents de quelque gravité. On a insisté avec beaucoup de raison sur les avantages que l'administration trouverait en cas de guerre dans les bateaux à vapeur, dont aujourd'hui elle demande la con- struction pour le transport des voyageurs ; on vous a dit qu'ils seraient transformés en bâtiments de guerre ; mais pour cela l'espace est nécessaire, et vous en auriez très- peu avec des machines à pression ordinaire. J'exprime de nouveau le regret que M. le ministre des finances n'ait pas profité de cette occasion pour soumettre celte question capitale à une discussion approfondie. Il aurait trouvé dans les lumières des ingénieurs, de divers profes- seurs, et des membres des corps académiques, les moyens d'arriver à une solution définitive. Chaque jour on pai'vient à concentrer, à l'aide de la 214 CONSTRUCTION DES MACHINES liautc pression, une puissance immense dans des espaces de plus en plus restreints. Récemment on a pu voir sur le chemin de fer de Liverpool à Manchester, une voiture locomotive de MM. Sharp et Roberts qui parcourait un mille en 57 secondes, une lieue en 2 minutes 22 secondes, et 25 lieues à l'heure. La machine marchait avec une telle rapidité, que, par parenthèse, la cheminée tua dans sa course un corbeau qui traversait la route en volant. (On rit. ) Hàtons-nous d'appliquer ces merveilleuses concentra- tions de force à la navigation. Pour le moment, je ne m'oppose pas toutefois à ce qu'on suive la route ordinaire; mais je prie M. le ministre des finances de déclarer si son intention est de faire exé- cuter en France la totalité ou du moins une grande partie des machines demandées. Après la réponse de M. le ministre, je verrai si je dois soumettre un amendement à la Chambre, si je dois lui proposer de prendre elle-même une détermination h ce sujet. [Après la réponse du ministre des finances, M. Arago s'est exprimé ainsi : ] Je ne propose pas d'amendement, après ce que M. le ministre des finances vient de dire; j'ai la certitude qu'il n'oubliera pas des artistes français qui sont dignes de toute sa confiance , et qui font honneur à notre in- dustrie. A VAPEUR. 215 IV [Dans la séance du 16 juin iSiO, à propos de la discussion du projet de loi sur l'établissement de divers chemins de fer, :\l. Arago a proposé un article additionnel ainsi conçu : « Les neuf dixièmes au moins des machines locomotives dont la compagnie fera usage, devront être exécutés en France ; « Cette prescription cesserait d'être obligatoire, dans le cas où le prix des machines françaises surpasserait le prix moyen des ma- chines anglaises de plus de 15 pour 100. » M. Arago a développé sa proposition dans le discours suivant, extrait du Moniteur du 17 juin.] Messieurs, l'amendement que je propose doit avoir des conséquences importantes. J'espère cependant qu'il me sera possible de le justifier en très-peu de paroles. Je com- mence d'abord par faire remarquer que cet amendement s'applique exclusivement aux chemins subventionnés, aux chemins dont le gouvernement est devenu le plus fort actionnaire. Cette réflexion répondra à plusieurs criti- ques que j'ai entendues sur nos bancs. En tout cas, je me réserverai le droit de répondre avec plus de détail dans le cas où par erreur on trouverait dans la prescription impérieuse qui est contenue dans mon amendement une atteinte à la liberté commerciale. La question que mon amendement soulève, serait appréciée d'une manière mesquine, si on la traitait seu- lement du point de vue de la liberté commerciale. Au fond, ce dont il s'agit dans les conséquences de la proposition que je fais, c'est d'indépendance, de force nationale. Les machines à vapeur sont des armes; c'est à. coups de machines à vapeur qu'on se battra , si jamais, ce que 216 CONSTRUCTION DES MACHINES je regarderais comme un malheur, nous avons à lulltM- avec TAngleterre. Nos voisins ont aujourd'hui 800 jjateaux à vapeur; tous, je le reconnais, ne porteraient pas une puissante artillerie , mais tous pourraient pénétrer dans nos rades , dans nos poris, dans les anses les plus cachées, et enlever jusqu'à la dernière de nos barques de pécheurs, si nous n'avions moyen d'opposer bateau à bateau, ma- chine à machine. Que diriez-vous. Messieurs, d'un gouvernement qui confierait aux étrangers la fabrication de la poudre , des canons et des fusils? Vous diriez qu'il manque d'in- telligence, peut-être même lui adresseriez-vous un repro- che plus sévère: eh bien, je le répéterai à satiété, les machines à vapeur joueront dans une guerre maritime un rôle aussi essentiel que les fusils, les canons et la poudre. Ce que je demande, c'est qu'en temps de paix vous formiez, vous encouragiez les ouvriers, les con- tre-maîtres qui fabriqueront nos machines lorsque les Anglais ne nous en fourniront plus ; c'est qu'en temps de paix vous songiez que des mécaniciens sont nécessaires à bord des navires, et qu'ils y jouent un rôle capital. C'est une chose heureuse , Messieurs , pour notre pays, que cette transformation que la marine doit subir, qu'elle subira d'ici à peu de temps, et dont M. Paixhans vous entretenait récemment avec tant d'autorité ; c'est une chose avantageuse, car, dans nos conflits maritimes avec les Anglais, notre infériorité, quand elle a eu lieu, a dé- pendu, non pas assurément d'un plus grand cournge des matelots ennemis , mais d'une plus longue expérience. Eh bien , cette plus longue expérience sera sans gravité A VAPEUR. 217 dans la marine à vapeur. Nos officiers entrent clans cette nouvelle voie avec un admirable dévouement, avec une remarquable habileté. Préparez , messieurs , préparez de longue main , les quatre ou cinq mécaniciens qui devien- dront dans chaque navire les auxiliaires indispensables des capitaines. Remarquez-le , messieurs , beaucoup de nos bateaux ont des mécaniciens anglais. Disons-le à leur honneur, ils nous quitteraient tous le jour où nous serions en guerre avec leur pays. 11 y a peu de jours encore , vous avez failli à sacrifier une industrie nationale, l'industrie du sucre indigène, au désir bien naturel d'encourager et d'étendre notre marine marchande. Ce que je vous demande , moi, n'exigera de sacrifice d'aucune sorte; je désire que le temps présent ne vous détourne pas de songer que la guerre peut lui succéder; je demande que, sans négliger la marine à voile , vous réunissiez les éléments d'une marine à vapeur. J'ai dit que je ne demande, que je ne sollicite aucun sacrifice. Remarquez en elfet que la loi du 2 juillet 1830 avait établi un droit de 30 p. 0/0 sur les machines à va- peur étrangères. Ce droit , avec le décime , conduisait en définitive à une prime de oo p. 0 0; elle a été depuis réduite de moitié quant aux locomotives. Vous dire par quelle interprétation, par quel jeu d'ima- gination, on est arrivé à trouver cjue les locomotives ne sont pas des machines à vapeur, est au-dessus de ma portée. Quoi qu'il en soit, le droit d'entrée se trouve réduit à 15 p. 0/0. En ce moment , les machines anglaises entrent en France au droit de 15 p. 0/0, Je ne demande pas, 218 CONSTRUCTION DES MACHINES quant à raoi, que ce droit soit augmente; je ne désire nullement qu'on revienne aux dispositions de la loi du 2 juillet 183G ; je ne sollicite, enfin, aucun accroissement de droit. Nos constructeurs ont assurément de très-bonnes rai- sons pour soutenir que les locomotives sont des machines à vapeur , et pour demander qu'on les comprenne de nou- veau dans les prescriptions de la loi du 2 juillet 1830. Cette prétention, toute légitime qu'elle soit, je ne l'ap- puie pas ; je ne demande même le maintien du droit actuel de 15 p. 0/0 , qu'afin que les constructeurs fran- çais aient la matière première au môme prix que les constructeurs anglais , et qu'ils puissent lutter contre eux à armes égales. Mon amendement réduira le prix des machines fran- çaises aux prix des machines anglaises ; les compagnies ne perdent rien de leur position actuelle; je n'entends leur imposer aucun nouveau sacrifice. Mais, dira-t-on, quel est, en ce cas, le but que vous vous proposez? Messieurs, ce but , le voici, je l'ai déjà indiqué : je veux alTranchir nos constructeurs des consé- quences fâcheuses d'un préjugé très-enrachié dans notre pays. On croit généralement que nos ingénieurs ne sont ni aussi habiles ni aussi expérimentés que les ingénieurs anglais. (Ju'ils ne soient pas aussi expérimentés, je le reconnais ; quoique cependant, au prix d'énormes sacrifices, ils aient acquis depuis peu de temps une grande habileté. Ceci n'entraîne cependant pas la conséquence que les locomotives anglaises sont meilleures que les locomotives A VAPEUR. 219 françaises. Vous sentez, Messieurs, qu'avant de vous pro- poser mon amendement, j'ai dû fortement me préoccuper de cette question. C'est donc après un examen approfondi que je déclare sans liésiter que les constructeurs français sont en mesure d'exécuter les machines locomotives tout aussi bien et au même prix que les constructeurs anglais, lorsque vous aurez fait la défalcation du prix de la ma- tière première. Lorsqu'il se manifeste un accident, et il en arrive fré- quemment aux locomotives, si la machine est anglaise, on range l'accident parmi les événements inévitables ; la machine est-elle française, on en parle trois cent soixante- cinq fois dans les années ordinaires et trois cent soixante- six fois dans les années bissextiles. (On rit.) Voyez ce qui est arrivé ces jours derniers à une loco- motive de la compagnie d'Orléans. Elle conduisait, je crois, une commission de la chambre à Choisy. Un des tuyaux de la chaudière fit explosion. Grande rumeur aus- sitôt contre les machines françaises. 11 n'y avait qu'un malheur à cela : la machine était anglaise. Ce n'est pas seulement en fait de locomotives qu'on a eu des préjugés dans notre pays. Remontons à une épo- que éloignée , et vous y trouverez l'idée très-arrètée de notre insurmontable infériorité en fait d'instruments de précision et d'instruments d'optique. J'ai été forcé de combattre, d'anéantir cette fausse opinion ; pour arriver à un résultat national et éminem- ment désirable, j'ai été quelquefois obligé d'engager ma responsabilité. Où en sommes -nous maintenant ? il ne viendrait à personne l'idée de commander en Angle- 220 CONSTRUCTION DES MACHINES terre un instrument do précision, un instrument d'astro- nomie , un instrument de marine. Jadis une lunette anii;!aise était un l)ijou précieux, un instrument qu'aucun ai'lisle du continent ne devait égaler. Allez aujourd'hui à l'observatoire de M. Edward Cooper, on Irlande, à l'observatoire de Renzington, à l'observa- toire royal de Greenwich , à l'observatoire de Cambridge, et vous les trouverez meublés de lunettes françaises ; et vous reconnaîtrez que les plus grandes sont sorties des ateliers de M. Cauchoix. Ce que j'ai pu obtenir, moi simple individu, pour des instruments de sciences, je demande à la chambre de le faire pour les locomotives. Savez-vous, Messieurs , pourquoi il faut inévitablement aller en Angleterre pour avoir de bonnes locomotives? C'est , dit-on, qu'elles y ont été inventées et que les inven- teurs en savent toujours beaucoup plus que les imitateurs. Je nie d'abord la première partie de cette assertion. 11 n'est pas vrai que les machines locomotives, dans leurs parties les plus essentielles, aient été inventées en Angle- terre. Qu'est-ce qu'une machine locomotive? C'est tout simplement une machine à vapeur ordinaire fort ramas- sée, dans laquelle le mouvement de va-et-vient du piston est transformé en un mouvement de rotation. Les artifices par lesquels cette transformation s'opère ont été très- ingénieusement disposes par M. Stephenson , mais, en doit le dire, ils étaient connus et décrits dans des ouvrages imprimés. Il n'y en a pas un qui ne figure avec tous ses détails dans l'ouvrage de MM. Lanz et Bétlicncourt. A VA PI' un. e^î Que rcmarquc-t-oii de parliculicr, clî capita!, dans une machine locomotive ? On y remarque une chaudière à évaporation très-ra- pide ; on y remarque une manière toute spéciale d'y souf- ficr le feu : la chaudière et le moyen de ventilation sont incontestablement l'un et l'autre d'invention française. Qu'on ne vienne donc plus nous dire que les machines locomotives appartiennent à l'Angleterre, afin d'avoir, contre toute vérité , un prétexte pour les faire exécuter de l'autre côté du détroit. Il faut bien le remarquer, Messieurs, nous avons sur ce genre de machines un tel engouement, de tels i)rcju- gés ; on attribue, j'oserais presque dii'e, à l'atmosphère de la France une influence tellement délétère, ciue quand un ingénieur étranger vient s'établir chez nous, on n'ac- cepte plus ses machines, n'eût-il employé d'ailleurs, pour les construire, que des ouvriers anglais. S'il fallait citer des exemples, le nom de M. Taylor, le nom de l'ingénieur préposé à la réparation des bateaux à vapeur de la Méditerranée, sortirait naturellement de ma bouche. Messieurs, il faut nous alfranchir de ce préjugé, il ne faut plus faire construire en Angleterre ce que nous pou- vons exécuter chez nous, surtout quand il s'agit d'armes de guerre. Ferait-on un assez grand nombre de bonnes machines dans notre pays, pour satisfaire aux besoins de toutes les compagnies de chemins de fer? Oui, Messieurs, on exécute un grand nombre de bonnes machines en France. On les exécute avec d'énormes sacrifices, par des moyens 222 CONSTRUCTION DI-S MACHINES (le fabriculiou (jui sont iiicoinplcls , parce que, ii'nyaiit pas l'espérance de beaucoup de commandes, les construc- teurs ne s'outillent pas. Malgré cette infériorité dans les moyens de production, les résultats ont été extrêmement satisfaisants. On a cité, je le sais, des accidents, des manivelles mal cintrées, des essieux rompus. Tout cela s'est égale- ment vu en Angleterre. Je me suis procuré un tableau des accidents arrivés aux macliines anglaises, par exem- ]ile au.x machines locomotives du chemin de Saint-Ger- main. Ce tableau est dressé par un juste appréciateur de l'industrie de nos voisins; qu'on le lise, et l'on aura beau- coup à rabattre d'une aveugle admiration. On parle sans cesse de quelques défauts de solidité remarqués à l'origine dans des machines construites en Alsace; ces défauts disparurent aussitôt qu'on les signala. J'en appelle au témoignage de M. Kœchlin : il vous dira que les machines de Thann marchent aussi bien que les machines anglaises. Je pourrais invoquer encore les ma- chines françaises d'Anzin, et M. Joseph Fourier serait mon garant; celles du chemin d'Andrezieux à Roanne sont louées par le syndic de la compagnie, etc., etc. Quand on parle d'accidents, on croit, je le répète, qu'en Angleterre les machines ont le privilège de ne pas en subir. C'est une immense erreur. J'ai ici sous la main le tableau des réparations elTectuées sur le chemin de Liverpool à Manchester, en 18oo ; ces réparations se sont élevées à une dépense de 453,000 fr. Qu'on l'avoue donc, il arrive des accidents dans les machines anglaises, auprès du lieu même où elles sont fabriquées. A VAPRUR. 223 Voudrait -on soutenir que les prescriptions de mon amendement sont sons précédent dans l'administration française? Eh bien, vous trouverez que le 2/i juin 183'2 M. le ministre de la guerre prescrivait impérieusement , par une circulaire, que tous les fournisseurs de la guerre ne se servissent que de draps et de toiles fabriqués en France. Le gouvernement avait donc senti la nécessité d'encourager l'industrie française : ici c'est plus qu'une industrie, c'est d'une arme puissante qu'il s'agit. Voici, sans contredit, la question la plus grave. Les usines françaises pourraient-elles suffire à tous les besoins? Sur le nombre total des locomotives que nous avons aujourd'hui sur nos chemins de fer, les ateliers français en ont fabriqué 59, l'Angleterre en a fourni 97. A quoi bon protéger des constructions qui se dévelop- pent ainsi d'elles-mêmes? Voici ma réponse. Les construc- teurs français perdent actuellement sur toutes les locomo- tives qu'ils exécutent. Ils les vendent à très-bas prix, parce qu'ils n'ont pas d'autre moyen de les faire accep- ter. Si mon amendement est adopté, nos mécaniciens s'outilleront. Qui pourrait actuellement les engager à acheter des appareils qui coûteraient deux à trois cents mille francs, quand ils n'ont pas la certitude de faire en un an une machine de la seule valeur de /iO,000 fr.? Je disais qu'il était possible de trouver dans les ateUers français de quoi pourvoir à tous les besoins des chemins de fer, aux besoins présents, aux besoins futurs, même en pai'lant seulement des ateliers qui aujourd'hui construi- sent des locomotives. 221 CONSTRUCTION DES MACHINES Apiès uno (Miquètc sérieuse, j'ai trouvé que la compa- gnie d'Ânziu pouvait faire 10 niacliiues par an; (juc la compagnie du Greuzot pourrait en l'aire 2/i dans le même temps; que M. Stehelin s'engagerait à en fabriquer 2'! : M. André Kœclilin, de Mulhouse, 2/i ; M. Gavé, de Pai'is, 2[\ ; lîi compagnie de Saint-Étien:ie à l.yon, 1:2; iM. Ca- zalis, de Saint-Quenlin, 10; M. Pauwels, 18; Tatelier de la Ciolal, sous la direction de M. Steplienson, 10. jMessiein-s, la classe des mécaniciens, que concerne plus particulièrement ma proposition, doit exciter au plus haut degré l'intérêt de la Chambre. Une de vos commissions a maintenant dans ses mains des pétitions ([ui devaient conduire, comme conséquence nécessaire, à l'amendement que j'ai rhonneur de sou- mettre à votre bienveillance et à vos lumières. Ces péti- tions sont signées par plus de 1,000 ouvriers de Rouen, par 1,500 ouvriers de Paris, par 500 ouvriers du Havre et par 800 ouvriers d'Arras. Ces braves gens n'ont pas d'ouvrage; ce sont cependant des hommes d'élite, des hommes d'une intelligence très-remarquable, très-déve- loppée. Ces hommes, vous les trouverez toute la journée travaillant avec ardeur, avec courage, avec habileté ; le soir ils suivent des cours publics. Je parlerai, au besoin, de leur nioralité. M. Pauwels vous dira que naguère il fut obligé, comme tant d'autres chefs de nos ateliers, de renvoyer la moitié de ses liOO ouvriers. « Je garderai , leur dit-il , les plus habiles et les plus anciens. » Le lendemain il reçut une lettre que tous les ouvriers, que tous les IxQO, sans exception, avaient souscrite. Ces ouvriers demandaient que personne ne fût A VAPEUR. 22o renvoyé, et qu'on réduisît leur journée à moitié de l'an- cien prix. Ils s'étaient coalisés, comme je l'ai dit dans une autre enceinte ; ils s'étaient coalisés pour souffrir en commun. C'était, vous le voyez, un genre de coalition que la loi pénale n'avait pas prévue. Savez-vous ce que deviennent maintenant ces hommes d'élite, ces hommes qui, pour la plupart, ont déjà appar- tenu à l'armée, aux armes du génie et de l'artillerie? Ils deviennent terrassiers, humbles terrassiers sur vos che- mins de fer. J'en conjure la Chambre, qu'elle réfléchisse sur la portée de mon amendement ; elle verra que les chemins de fer ne souffriront pas de son adoption , et que le pays y gagnera beaucoup. Je ne devine pas comment , en présence de ces résul- tats, on pourrait hésiter à organiser chez nous la fabrica- tion d'une arme qui nous sera indispensable en cas de guerre maritime , tout aussi indispensable que la poudre et les canons. (Très-bien, très-bien!) [Après la réponse de M. Gouiii, ministre du commerce, et les observations de quelques députés, JI. Arago a ajouté : ] Je ne propose en aucune manière des modifications dans le tarif des douanes. Les compagnies de chemins de fer ne paieront pas, si mon amendement est adopté, leurs machines un centime plus cher qu'elle ne les paient sous la législation actuelle. Ce que j'ai demandé, c'est qu'on encourage la fabri- cation des machines à vapeur, comme on encourage la fabrication de la poudre, la fabrication des fusils. C'est une question d'intérêt national, de force nationale, d'indépcn- v. — II. 15 226 CONSTRUCTION DES MACHINES dance nationale, et non pas une question de douanes. Je me suis mis en rapport avec nos constructeurs de machines; j'ai reconnu qu'ils pourraient lutter avec l'An- gleterre et à armes égales. Ce que je vous demande est une chose très-facile ; il n'est pas question de liberté du commerce, car, je le répète, je n'ai proposé mon amen- dement que pour les chemins subventionnés, pour les chemins qui , comme le disait M. Duchâtel , ont abdiqué une partie de leur liberté. Je n'ai pas proposé qu'on reportât les droits de 15 à 30 p. 0/0. Ce serait grever les entreprises de chemins 1er d'une dépense consi'^érable dans une loi où il s'agit précisément de venir à leur secours. Un vieux dicton dit : Donner et retenir ne vaut. Je demande seulement que nos constructeurs français luttent à armes égales avec les constructeurs anglais. Les constructeurs français, ayant la certitude qu'on s'adressera à eux , s'outilleront ( qu'on me permette cette expression) comme sont outillés les mécaniciens anglais, et alors ils feront aussi bien que les étrangers. Je ne demande pas l'augmentation des droits. M. le ministre s'est trompé quand il a cru que mon amendement se com- binait avec celui de M. Pauwels. Je demande que l'on ne confie pas l'exécution de nos machines à des étrangers, pas plus que je ne voudrais voir livrer à des étrangers la fabrication de la poudre et des armes de guerre. Je re- viens sur cet argument, car c'est celui qui m'a déterminé à proposer mon amendement. [ La Chambre prononce le renvoi de ramendenient de M. Arago à lu commission des douanes, i A VAPEUR. 227 [Le 17 juin I8Z1O, M. Arago est revenu dans les termes suivants bur sa proposition, à l'occasion d"un projet de loi relatif à rétablis- sement de paquebots à vapeur entre la France et l'Amérique. ] Messieurs, la Chambre comprendra que l'amendement que j'avais présenté hier était l'avant-coureur d'un amen- dement que je voulais proposer sur la loi des paquebots. La Chambre ayant paru désirer que ces questions-là fus- sent résolues dans la loi des douanes, je n'insisterai pas; mais je demanderai au gouvernement s'il trouverait quel- que inconvénient à s'expliquer dès ce moment-ci sur des projets qu'il a relativement au mode de construction des bateaux à vapeur. Le gouvernement, je le sais, a consulté une autorité fort compétente; il a demandé un rapport au comité consultatif des arts et des manufactures. Je crois être certain que ce comité a répondu que nos constructeurs étaient parfaitement en mesure (C'est vrai!) de fournir les paquebots des machines de 450 chevaux dont on vient de parler. Je sais que l'administration de la marine, à laquelle on doit s'en rapporter pour la construction de ces machines à vapeur, est très-bien disposée pour la plupart de nos usines. Mais je sais aussi qu'il y a dans les règlements de la marine, dans ses habitudes, des exi- gences qui placent nos constructeurs dans une position extrêmement défavorable, dans une position non-seule- ment défavorable pécuniairement parlant, mais encore dans une position très-défavorable sous un rapport auquel 2i8 CONSTRUCTION DI-S MACHINES nos compatriotes doivent être très-sensibles, sous le rap- port d'honneur. Voici quels sont les règlements de la marine, quelles sont ses habitudes avec les constructeurs, que d'ailleurs elle traite avec beaucoup de bienveillance à d'autres égards. Elle paie par tiers. Eh bien, qu'elle paie par tiers aux mêmes conditions aux Anglais, nous n'aurons rien à dire; mais quand c'est un constructeur anglais auquel l'administration de la marine s'adresse, elle donne, le jour de la signature du contrat, le tiers de la somme con- venue. Au contraire, nos constructeurs ne sont payés de ce tiers-là que fort tard. Quand un constructeur français traite avec l'admi- nistration de la marine, on prend sur le prix concédé 3 p. 0/0 au profit de la caisse des Invalides. Ces 3 p. 0/0 ne sont pas ordinairement pris s'il s'agit d'un construc- teur anglais. Quand le constructeur est français, on exige de lui un cautionnement, et le cautionnement n'est jamais exigé de la part d'un constructeur anglais. Enfin, quand le constructeur est un de nos compa- triotes, on demande qu'un banquier signe solidairement l'acte qui l'engage envers l'État; et tout cela ne s'obtient pas sans de très- grands sacrifices. Je demande, si le gouvernement s'adresse à nos con- structeurs, comme je l'espère, comme l'avis favorable du comité consultatif des arts et des manufactures me le fait supposer, je demande que les constructeurs français soient traités aux mêmes conditions que les constructeurs A VAPEUR. 229 anglais, et que les prescriptions dont je viens de parler n<3 leur soient pas imposées, car elles diminueraient les bénéfices de manière à rendre impossible la propagation de cette industrie dans notre pays. Je prie M. le ministre de prendre en considération les observations que j'ai faites, et les règlements maritimes qui placent les constructeurs français dans une position défavorable avec les constructeurs anglais, non-seulement sous le rapport pécuniaire, mais encore sous le rapport moral. Je viens de parler de la position de nos construc- teurs relativement aux constructeurs anglais. Je suis heu- reux de pouvoir vous donner un renseignement qui émane d'une autorité compétente, d'un des ingénieurs de la ma- rine royale les plus distingués, actuellement employé à Toulon, et qui montre que les constructeurs français, même pour la force à laquelle ils ont atteint, n'ont rien à craindre de la comparaison avec les constructeurs an- glais, quand on met les machines entre les mains d'in- génieurs expérimentés, et qu'on ne vise pas à faire des économies. Voici la lettre : «Les machines du Fulton (c'est un constructeur fran- qui a fourni le Fulton) sont encore dans un état parfait, ainsi que ses chaudières, les plus anciennes de toutes celles en fer de nos bâtiments y compris le Sphinx, par Fawcett, qui est à son huitième jeu. Ces faits montrent évidemment une supériorité de fabrication et de préci- sion dans le montage , et ils me semblent un argument sans réplique contre les préventions de l'anglomanie. Votre Acliéron , plus moderne, promet de marcher sur les mêmes traces que le Fulton, son aine ! » 230 CONSTRUCTION DES MACHINES C'est l'ingénieur de la marine royale de Toulon qui écrivait ces lignes flatteuses à M. Ilallette, d'Arras. VI [ Lors du vote de la loi de concession du chemin de fer de Paris à Strasbourg, dans la séance de la Cliaml)re des députés du 2 juillet ISUU, M. Arago est encore revenu sur sa proposition. Voici les pa- roles qu'il a prononcées à cette occasion, extraites du Moniteur du 3 juillet. ] Je propose un amendement qui intéresse au plus haut degré l'honneur national , la défense du pays. Je demande que, dans tous les chemins subventionnés par l'État, on emploie au moins neuf machines sur dix exécutées dans nos ateliers. Je demande cette disposition avec instance parce qu'il est établi à mes yeux que nos mécaniciens travaillent aussi bien que les étrangers. Je le demande aussi par un motif d'humanité. J'affirme qu'il y a dans ce moment, dans la seule ville d'Arras , trois ou quatre cents mécaniciens qui n'ont pas d'ouvrage. Je n'ai fait une exception sur dix qu'afin qu'on puisse , au besoin , se procurer des modèles. Songez, Messieurs, songez que les machines à vapeur sont des instruments de guerre ; que si la guerre éclate , ce sera à coups de machines à vapeur qu'on se battra. Vous devez réserver soigneusement au pays le moyen d'exécuter ces machines. Dans les combats de bateaux à vapeur, l'intelligence et l'habileté des mécaniciens et des chauffeurs joueront un grand rôle. Créez donc sans retard des chauffeurs et des mécaniciens. Il y a va de l'honneur du pays. A VAPEUR. 231 Messieurs, la marine recrute ses équipages de navires à voiles parmi les matelots. Il faudra bien qu'elle com- pose en partie ses équipages de bâtiments à vapeur de mécaniciens. Elle sera obligée de former de nouvelles classes nautiques. La situation qu'on fera ainsi aux ou- vriers mécaniciens deviendrait intolérable , si leur nombre ne s'accroissait pas considérablement. [Après la réponse de M. Laplagne, ministre des finances, M. Arago a ajouté : ] Messieurs , il y a dans notre pays , et particulièrement dans les conseils des compagnies de chemins de fer , des personnes qui ont des préjugés enracinés sur une préten- due infériorité de nos mécaniciens. (Non! non!) Mes- sieurs, ne me forcez pas de citer des noms; si vous l'exigiez , j'en citerais beaucoup. La première de toutes les forces est la confiance en soi-même. Si le gouvernement ne montre pas clairement cette confiance , en déclarant que dans tous les chemins de fer qu'il dirigera, qu'il subventionnera, qu'il exploitera, on emploiera les neuf dixièmes de locomotives fabriquées en France , vous pouvez être assurés que les compagnies s'approvisionneront de machines hors de France. La séance est trop avancée, et MM. les députés sont trop impatients, pour que je tente de prouver en détail qu'il y a , sous ce rapport , dans notre pays , des pré- jugés absurdes et invétérés. Je reconnais , j'en ai été averti , que dans la loi de douanes on a porté le droit d'entrée des machines loco- motives à oO p. 0/0, tandis qu'il n'était jusqu'ici qu'à 15 p. 0/0. Youlez-vous que je vous dise comment est arrivé 232 CONSTRUCTION DliS ^lACHINES A VATRUR. ce changement de tarif? J'ai soutenu ici une lutte très- longue et très-vive pour faire établir que les locomotives sont des machines à vapeur; elles étaient portées dans la loi de douanes comme machines à dénommer. Vous voyez donc, M. le ministre, qu'il n'était pas tout à fait exact de dire que vous n'aviez pas attendu mes avertissements pour faire cette modification. Rien n'est plus important que de faire exécuter les machines à vapeur dans nos ateliers. Je sais de science certaine, que des membres de certaines compagnies sont imbus de préjugés sur cette question, et il faut les faire disparaître. Je sais quelle lutte j'ai eu à soutenir pour faire prévaloir parmi des officiers pleins de mérite , l'opinion que nos artistes pouvaient exécuter les instruments de précision, ceux dont la marine fait usage, par exemple, aussi bien que les artistes anglais. J'ai été dix ans à faire prévaloir cette opinion ; avec le temps et la persévérance, j'arriverai au même résultat pour les machines. 11 est d'une importance extrême d'exécuter les machines à va- peur de toute nature dans nos ateliers, parce qu'il est indispensable d'augmenter en France le nombre des mé- caniciens. Je le répéterai à satiété, la marine en a besoin ; souvent le résultat d'une bataille dépendra de l'habileté du chauffeur et du mécanicien. Je sollicite dans un inté- rêt national (Aux voix, aux voix!) Je vois que c'est un parti pris Je profite d'un moment de silence pour répéter qu'il est question dans mon amendement de ce qu'il y a de plus précieux au monde, de la défense de notre pays. Voilà une vérité évidente. Votez maintenant comme vous voudrez ! LES CHEMINS DE FER [M. Arago a exercé une grande influence sur la direction impri- mée à rétablissement des chemins de fer en France. Les discours «lu'il a prononcés, les rapports qu'il a rédigés à cette occasion for- ment, sur les diverses questions que le sujet comporte, de vérita- bles Notices scientifiques réunies ici dans Tordre chronologique.] -NECESSITE D EMPECHER LES COMPAGMES DE RELEVER LEURS TARIFS IMMÉDIATEMDNT APRÈS LES AVOIR ABAISSÉS [A l'occasion du vote d'une loi portant concession du chemin de fer de ^Montpellier ù Cette, M. Arago a proposé l'amendement suivant : (I Toutes les fois que le concessionnaire aura cru de\oir réduire les tarifs pour les personnes et les marchandises, il ne pourra plus le^ élever sans le consentement du conseil municipal de Mont- pellier. » M. Arago a développé son amendement dans le discours suivant, extrait du Moniteur du 12 juin 1836. ] Messieurs, je suis partisan des chemins de fer, tout autant que qui que ce soit au monde; mais je suis par- tisan des chemins de fer, à la condition que la masse du public y trouvera quelque profit. Eh bien, vous savez ce que font les concessionnaires des chemins de fer; la loi fixe un prix maximum; il y a quelquefois des moyens de communications plus écono- 23i LES CHEMINS DE FER. miqucs que celui que présente le chemin de fer ; momen- tanément, la compagnie du chemin fer abaisse les prix de manière à tuer tous les moyens de communication écoiiomique qui sont dans les environs; et aussitôt que ces moyens de communication n'existent plus, on revient au prix maximum, de manière que le public, loin d'avoir tiré quelque profit de l'exécution du chemin de fer, se trouve n'avoir plus à sa disposition les moyens de com- munication peu coûteux dont il pouvait précédemment tirer parti. C'est là ce qui est arrivé pour le chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon ; on a abaissé les prix pour tuer toutes les diligences, et faire que les habitants de ces deux villes ne pussent plus aller de l'une à l'autre que par le chemin de fer; et aussitôt que les compagnies rivales furent anéanties , leur matériel dispersé, on est revenu à des prix excessifs. Nous aurons aussi cette question à résoudre pour le projet qui vient immédiatement après celui-ci; pour le chemin de fer de Paris à Versailles, mon but deviendra très- clair. Nous avons maintenant, pour communiquer entre Paris et Versailles, des voitures qu'on appelle des Gondoles, et d'autres voitures à volonté qu'on désigne par le nom burlesque de Coucous. Ces voitures portent les habitants de Paris à Versailles à des prix très- minimes; les deux tiers de la population de Paris qui vont à Versailles se servent de ces coucous à 75 cent. Maintenant le maximum du tarif pour le che- min de fer est 1 franc 80 centimes. Il n'y a pas de doute LES CHEMINS DE FER. 233 que la compagnie commencera par abaisser ses prix de manière à faire disparaître toutes les entreprises de trans- port rivales, et reviendra ensuite à des tarifs exagérés. C'est cela que je veux éviter par mon amendement. Je n'ai pas voulu non plus que la compagnie qui aurait fait un mauvais calcul, qui dans ses prévisions se serait imaginé, par exemple, que les rails résisteraient pendant longtemps, que les machines locomotives ne donneraient pas lieu à de grandes réparations, je n'ai pas voulu qu'elle pérît pour avoir fait un mauvais calcul. Je n'ai pas voulu qu'elle portât la peine de diminutions légitimes, natu- relles, faites dans un but d'amélioration. Le conseil mu- nicipal de la ville principale sera juge de la question ; il dira si la réduction doit être maintenue, ou bien si elle doit être modifiée ; mais dans le cas où la réduction de prix aurait eu pour but de tuer des moyens de commu- cation économique qui existaient entre une ville et l'autre, il n'y aurait pas de loyauté à permettre à la compagnie de revenir à des tarifs très -élevés; car la masse de la population, loin d'avoir profité de l'établissement du che- min de fer, se trouverait y perdre beaucoup. Je le répète , les deux tiers des habitants de Paris qui se transportent à Versailles y vont pour 75 centimes. Eh bien, aussitôt que la compagnie sera autorisée, elle abais- sera ses prix au-dessous de ceux des autres voitures, de manière à les faire disparaître, et reviendra ensuite à des prix plus élevés. Dans les dispositions de mon amendement, la com- pagnie ne portera point la peine d'un mauvais calcul , et en l'adoptant, vous aurez garanti les intérêts de Ui 236 LES CHEMINS DE FER. masse de la populalioii, et c'est, ce me semble, à la masse de la population que nous devons surtout porter intérêt. [ Après la répouse de M. Logrand, direc'tour général des ponts et chaussées, !\1. Arago s'est exprimé on ces (ormes :] Messieurs , lorsque j'ai vu M. le directeur général monter à la tribune, j'ai cru qu'il avait la bonté de venir appuyer mon amendement. En eiTet, M. le directeur gé- néral, il y a trois jours, m'a dit qu'il était arrivé à la même conséquence que moi sur les inconvénients de cette concurrence qui peut détruire les compagnies rivales, qu'il avait à cet égard les mômes idées que moi. Je l'avais même prié, comme ayant plus l'habitude que moi des rédactions administratives, de rédiger l'amendement. M. LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES TOMS ET CHAUSSÉES. Je VOUS de- mande pardon... Je demande la parole pour un fait personnel. M. Arago. Il a ajouté qu'une considération l'avait em- pêché de présenter cet amendement dans le projet de loi, et que cette considération était qu'il n'avait pas trouvé de sanction pénale. M. le directeur général nous a parlé de la liberté du commerce. Aussi, je ne demande pas que la Chambre prenne aucune disposition analogue à ce qui a lieu quand il s'agit de compagnies tout à fait libres, qui ne deman- dent au gouvernement aucune espèce de privilège. Mais quand il s'agit d'expropriation, lorsqu'on demande à l'au- torité un véritable privilège, lorsque vous vous croyez autorisés, malgré le principe de la liberté du commerce, à fixer le prix maximum du péage, je ne vois pas pour- LES CHEMINS DE FER. 237 quoi vous n'interviendriez pas lorsqu'il s'agit de quelques modifications à apporter à ce prix. M. le directeur général a parlé de ce qui existait en Angleterre. En Angleterre, il y a une mesure appliquée à beaucoup d'entreprises de cette nature, que je n'aurais pas osé proposer à la Chambre, parce qu'elle jetterait dans nos habitudes des éléments de discussion : je veux parler du droit de révision. En Angleterre, le gouverne- ment se réserve le droit de modifier les tarifs lorsque les bénéfices atteignent un certain taux, et en général c'est 10 p. 0/0. Le gouvernement peut alors diminuer le tarif imposé dans l'acte de concession. Qu'arrive-t-il? c'est que toujours les dividendes sont de 9 francs 99 centimes. Aussitôt qu'on est arrivé à ce taux, on applique le surplus à l'amélioration du matériel, du chemin, etc. Si l'on vou- lait admettre ce mode dans notre pays, pour moi, je n'y suis nullement disposé ; si l'on disait que l'administration aura le droit d'examiner les comptes de doit et avoir d'une compagnie, pour diminuer le tarif quand les bé- néfices auraient dépassé un certain taux, ce serait à peu près l'équivalent de la stipulation que je propose à la Chambre ; mais je crois que cette surveillance de l'admi- nistration sur les comptes d'une compagnie particulière ne conviendrait pas à nos mœurs, à nos habitudes, et c'est pour cela que, pour parer à un inconvénient qu'on ne peut méconnaître, je demande que la compagnie ne puisse tuer à sa guise, quand elle le voudra, les entre- prises de transports rivales qui sont à côté d'elle. Si vous n'admettez pas cet amendement, voici ce qui arrivera pour Paris. Les Parisiens, qui vont à Versailles 238 LES CHEMINS DE FER. 1^)111- 15 SOUS, ne pourront plus y aller que pour SO. Voilà le bénéfice qu'ils auront trouvé dans le chemin de fer voti- par la Chambre. [ M. Salvandy, rapporteur de la commission do la Chambre, ayant déclaré qu'il ne voyait d'inconvénient à ramendement de :\I. Arago, que dans Tattribution au conseil municipal de Montpellier du juge- ment de la question de l'opportunité de relever les tarifs, M. Arago a ajouté : ] Eh bien, mettez « sous le consentement de l'administra- tion. )• Cela répondra à l'argument de M. le ministre du commerce, qui craint les susceptibilités municipales. [M. de Salvandy déclara alors n'avoir plus d'objection à faire, mais M. le ministre du commerce prétendit ne pouvoir accepter la l'esponsabilité que ramendement imposerait îi l'administration. La Chambre a rejeté la proposition de M. Arago. Plus tard tous les cahiers des charges de concessions de chemins de fer à des compagnies, ont porté que les taxes ne pourraient être réduites que d'après le consentement de l'administration, et que, les réductions étant approuvées, les tarifs ne pourraient être relevés avant \m délai d'un an.] II SUR LES LNCONVENIENTS DE L ETABLISSEMENT DE DEIX CHEMINS DE FER DE PARIS A VERSAILLES (A roccasion du vote de la loi sur les chemins de fer de Paris à Versailles , M. Arago a prononcé le discours suivant , extrait du Mvniteiir du IZi juin 1836. ] J'avais l'intention de me borner à examiner la question de savoir si deux routes peuvent être exécutées simulta- nément et avec fruit, entre Paris et Versailles. Mais les éloges sans rcstriction que M. le directeur général des ponts et chaussées vient de donner au projet de chemin LES CHEMINS DE FER. 239 sur la rive droite, m'obligent à examiner si ces éloges ne peuvent pas donner lieu à quelques doutes. Je remarque d'abord que M. le directeur général des ponts et chaussées a insisté sur cette circonstance que, suivant lui, la tête du chemin de la rive droite est dans une position plus centrale. 11 faut s'expliquer sur une pareille quaUfication. M. Legr.wd. Je n'ai pas dit cela. M. Arago. Il est très-vrai, comme l'a dit ^^. Legrand, que les diligences se sont en général établies sur la rive droite. Mais cela peut ne pas tenir à des considérations de commodité pour les voyageurs. J'ignore, pour ma part, quels ont été les motifs qui ont déterminé les direc- teurs des diligences de Versailles à se placer sur la rive droite; mais, je me trompe, l'un de ces motifs je le trouve dans l'argumentation de M. le directeur général des ponts et chaussées, dans cette assertion dont je m'em- pare, que le chemin de terre de la rive gauche est plus long que le chemin de terre de la rive droite. Or, tout le monde comprendra que lorsqu'on veut aller de Paris à Ver- sailles avec des chevaux, on prenne le chemin le plus court. Nous avons, d'ailleurs, un moyen irrécusable de résou- dre la question que M. J.egrand a soulevée. Ce moyen, la commission l'a employé; il consiste h chercher, non pas le centre de figure de Paris, car la surface irrégulière de cette \ille n'a pas de centre proprement dit, mais le centre de gravité de la population parisienne, mais le point autour duquel cette population est également répar- tie. On a découvert que ce point est dans le voisinage de la rue des Bourdonnais. Eh bien, cherchez, d'une part. 2i0 LES CHEMINS DE FER. la distance de la rue des Bourdonnais à la tête du clicmiii de la rive droite, et de l'autre, la distance de la môme rue à la tète du chemin de la rive gauche, et vous trou- vei'ez cette seconde distance beaucoup moins grande que la première. On répond, je le sais, que les habitants d'un certain coté de ce centre de gravité ne jouissent pas des facultés de locomotion, ou du moins qu'ils n'ont pas les moyens de les exercer; on dit que le désir d'aller à Versailles, et l'argent que ce voyage coûte, n'appartiennent qu'à l;i population voisine des boulevards. Nous avons une ré- ponse catégorique. Je reconnais avec vous que les habi- tants de la Chaussée-d'Antin et des boulevards ne voyagent guère par les voitures économiques qu'on appelle les Coucous; je reconnais que ces sortes de voitures ont afîaire seulement aux classes moyennes et aux classes pauvres. Eh bien, ce sont elles qui transportent les deux tiers des habitants de Paris qui vont à Versailles; ce sont ces deux tiers des habitants voyageurs que vous favori- seriez en portant la tête du chemin sur la rive gauche. Le chemin de fer de la rive droite aura le défaut d'être plus long que l'autre d'un tiers ou d'un qunrl. C'est un défaut capital , non-seulement parce qu'il doi]- nera lieu à une plus grande dépense d'établissement, mais aussi à raison d'un tiers ou d'un quart d'augmen- tation qu'il amènera dans les frais de traction et dans l'entretien des machines locomotives. Les machines loco- motives, en effet, se détériorent proportionnellement à la longueur du chemin qu'elles parcourent. Aussi, remar- quez, Messieurs, que nos maîtres en fait de chemins de LES CHEMINS DE FEP. 2^1 fer, que les x\nglais, dont nous consultons chaque jour l'expérience , cherchent à tout prix à raccourcir les lon- gueurs parcourues. Le chemin de fer de Liverpool à Manchester renferme des plans inclinés assez rapides; pour franchir ces plans, les machines locomotives ne suffisent pas; on est obligé d'avoir recours à d'autres moyens. Eh bien, on aurait pu les éviter en faisant cer- tains détours. En suivant la Mersey et remontant l'Irwel , on eût pu arnver à Manchester sans plans inclinés; mais la route eût été notablement plus longue, et on a passé par-dessus l'inconvénient des fortes pentes. iM. LE DIRECTEUR GÉNÉRAL. VOUS êtes claiLs l'eiTeur. M. Araco. Je crois ô(re certain du fait. Je le tiens d'une personne bien informée, et tout à fait compétente. M. LE DIRECTEUR GÉNÉRAL. Vous Tètes vous-uième. M. AuiGO. Je dis qu'à Liverpool, on aurait pu éviter des pentes rapides, en allongeant notablement la route ; on a mieux aimé passer condamnation sur un vice capital, pour avoir un chemin i)lus court. Chez nous, avec des pentes semblables, c'est le chemin le plus long qu'on vous propose. La ligne de la rive droite est d'un quart au moins plus longue que celle de la rive gauche. M. le directeur général vous a parlé de souterrains à faire dans le parc de Saint-Cloud, comme d'un travail peu important; je le regarde, moi, comme très-diflicile ; j'ai la certitude que son exécution exigera un temps fort long. Quand on fait un souterrain et qu'on a la permis- sion d'extraire les déblais par les deux bouts et par des puits, le travail peut marcher avec assez de rapidité; V. — II. 16 i42 LES CHEMINS DE FER. mais ici le cahier des charges impose aux adjudicataires l'obUgation d'attaquer la montagne par un seul bout. Les déblais et les transports des matériaux se feront donc toujours par la môme ouverture. J^a marche des travaux ne pourra manquer d'en être considérablement ralentie. J'ai demandé, au surplus, à deux personnes qui ont une grande habitude de ce genre de travail, et cela sans leur faire part du but de ma question, je leur ai demandé combien elles espéraient qu'on pourrait fay'e de mètres de galerie, en se renfermant dans les conditions rigou- reuses du cahier des charges. Leur réponse a été qu'on pourrait avancer de huit à dix mètres par mois. Il y a 800 mètres, vous auriez donc à attendre de quatre-vingts à cent mois... (Bruits divers... Dénégations.) Messieurs, cette bruyante dénégation ne fait pas que le résultat que je présente ne m'ait été donné par des per- sonnes tout aussi compétentes que le membre de la Chambre qui m'interrompt. Je dirai plus, je dirai qu'ayant consulté, par un intermédiaire, la personne qui a fait le projet de chemin, et cette personne est un ingénieur très- habile, un de mes anciens camarades de l'École polytech- nique, j'ai su qu'elle n'oserait pas affirmer que le souter- rain en question sera exécuté en trois ans ; moi je crois qu'il en faudra cinq ou six. Ainsi, ceux-là se trompent beaucoup qui admettent le projet de la rive droite avec l'idée qu'elles verront un chemin l'an prochain. Le sou- terrain amènera un énorme retard, sans parler de la dépense. On a parlé de ce souterrain, seulement sous le rapport de l'exécution ; il y aurait bien d'autres considérations à LES CHEMINS DE FER. 243 présenter à ce sujet. Les souterrains parcourus par des machines locomotives n'ont pas été assez éprouvés pour que l'on sache si on y établira facilement des moyens de purifier l'air. Voyez, en effet, ce que je trouve dans l'ou- vrage que M. le docteur Lardner vient de publier ; il est de 1836. Je traduis littéralement : « Directions sincères pour les spéculateurs sur les che- mins de fer. « Je dois observer, en général, que nous n'avons encore que peu d'expérience, ou même que nous n'en avons aucune , sur les effets des souterrains dans des lignes de chemins de fer, où des machines locomotives doivent trahier une grande quantité de voyageurs. Sur le chemin de Leicester à Swanington , il y a un souterrain [tunnel) d'environ un mille de long , dans une partie où le terrain est à peu près de niveau; la ventilation s'opère dans ce souterrain par huit puits (shafis). Je l'ai souvent parcouru avec une machine locomotive, et je dois dire qu'alors même que j'étais dans une voiture bien fermée, l'incom- modité {the annoyance) était très- grande, et de telle nature, qu'elle ne pourrait pas être tolérée sur des lignes fréquentées par un grand nombre de voyageurs. » M. LE COMMISSAIRE DU ROI. De quelle date est le passage? M. Arago. De 1836. M. Lardner ajoute, il est vrai, que sur le chemin de Leeds à Selby, où l'on brûle du coke, l'inconvénient ne paraît pas être aussi grand, et que personne ne refuse de traverser le tunnel avec une machine locomotive. I! y a relativement aux tunnels une circonstance capi- tale dont je vais encore entretenir la Chambre, puisque '2ii LES CHEMINS DE FER. ]\I. le directeur général n'a pas jugé à propos d'en dire un seul mot. Messieurs, aussitôt qu'on descend h une cer- taine profondeur dans le sol, on a toute l'année une tem- pérature constante. A Paris et dans ses environs, cette température est de huit degrés Réaumur environ; personne n'ignore d'autre part, qu'en été, à l'ombre et au nord, le thermomètre de Réaumur (je parle de ce thermomètre, parce que vous en avez peut-être une plus grande habi- tude que du thermomètre centigrade), le thermomètre de Réaumur est quelquefois à trente degrés au-dessus de zéro ; au Soleil , la température est de dix degrés plus considérable. D'ailleurs, on n'arrivera pas d'emblée à l'embouchure du tunnel ; les approches sont formées par des tranchées profondes, comprises entre deux faces verti- cales fort rapprochées, où le renouvellement de l'air sera très-lent, où la chaleur ne pourra pas manquer d'être étouf- fante. Ainsi on rencontrera dans le tunnel une tempéra- ture de huit degrés Réaumur, en venant d'en subir une de quarante ou quarante -cinq degrés. J'affirme sans hésiter que dans ce passage subit les personnes sujettes à la tran- spiration seront incommodées, qu'elles gagneront des fluxions de poitrine, des pleurésies, des catarrhes. ( Bruits divers. ) On a parlé tout à l'heure de toutes les merveilles du cliemin de la rive droite; permettez-moi de vous présenter l'ombre du tableau. (Parlez!) Je ne devine pas ce qui peut soulever des doutes. Quelqu'un conteste-t-il que dans l'intérieur de la terre , à la profondeur du souterrain , la température ne doive être à peu près constante, et de dix degrés et demi centigrades, ou de huit degrés et une LES CHEMINS DE FER. 245 fraction de Réaumur? Veut-on nier qu'à TonilDre et au nord , la température sera quelquefois de trente degrés ; que dans la tranchée qui précédera le tunnel, elle s'élè- vera de dix à quinze degrés de plus? Ceci une fois admis, j'en appelle à tous les médecins pour décider si un abais- sement subit de quarante- cinq à huit degrés de tempé- rature n'amènera pas des conséquences fatales? Yeut-on d'ailleurs des faits, j'en citerai un. Je traversais un matin, par un temps nébuleux, le tunnel de Liverpool, situé sous la ville, et dans lequel les voyageurs ne vont plus. L'alderman avec lequel je faisais route était transi, et me demanda en grâce de l'enve- lopper dans ma redingote. Cependant la différence de température n'était pas à beaucoup près aussi considé- rable que celle dont je viens de parler, et qui existera inévitablement pendant deux ou trois mois de l'année au tunnel de Saint -Cloud. Vous savez. Messieurs, puisque je les ai développées à cette tribune, quelles sont mes idées sur l'explosion des machines à vapeur ; vous savez que je ne crains pas beau- coup l'explosion des machines à haute pression ; j'ai même soutenu qu'avec les précautions que la loi prescrit elles doivent être moins fréquentes que les explosions des ma- chines ordinaires. Mais enfin la chose est possible ; il est possible qu'une machine locomotive éclate; c'est alors un coup de mitraille ; mais à la distance où sont placés les voyageurs, le danger n'est pas énorme. 11 n'en serait pas de même dans un tunnel : là vous auriez à redouter les coups directs et les coups réfléchis; là vous auriez à craindre que la voûte ne s'éboulât sur vos tètes. 816 LES CHEMINS DE FER. Je le répète, au surplus, je ne crois pas que le danger soit bien grand ; mais enfin puisqu'on a cité en faveur do la rive droite une Coule d'avantages qui ne m'avaient pas frappé, j'ai rempli un devoir en montrant que le long souterrain augmenterait considérablement les fâcheux effets d'une explosion. Vous vous êtes déjà demandé, sans doute, à quelle conséquence je veux arriver par cette discussion. La con- séquence, je ne vous la ferai pas attendre ; la voici : 11 y a dans la Chambre des membres qui , comme moi , pen- sent que le chemin de la rive gauche est préférable à celui de la rive droite, sous le rapport de l'art; car les pentes sont les mêmes, la longueur est notablement moindre , et il n'y a pas de souterrain. M. le directeur général vous a dit que telle n'était pas l'opinion du con- seil des ponts et chaussées. Je conçois que la Chambre , en présence de ces divergences d'opinion , ne veuille pas se prononcer sur une question d'art; mais elle aurait un moyen radical , décisif, incontestable , pour arriver au but ; ce serait de mettre simultanément les deux chemins en adjudication. Le meilleur demandera évidemment le moindre péage. Pour moi , qui crois la rive gauche pré- férable, je suis convaincu que les somiiissionnaires exige- raient un moindre prix pour cette rive que pour la rive droite, si vous décidiez que l'adjudication devrait porter sur le transport total de Paris à Versailles. M. Vivien. Alors il faudra leur donner le monopole. M. Arago. Nullement , je ne le demande pas ; je me suis borné à dire que dans l'impossibilité où la Chambre peut se trouver de prononcer entre les éloges que M. le LES CHEMINS DE FER. 247 directeur général des ponts et chaussées a donnés au chemin de la rive droite, et les critiques qui pourront être faites de ce projet, je conçois qu'elle doit chercher un moyen indirect de trancher la question. Ce moyen , j'ai cru l'avoir trouvé; il consisterait à mettre les deux chemins en adjudication le même jour et à donner la préférence à celui qui porterait le voyageur de Paris à Versailles à meilleur marché. Demandez au public parisien si cette solution ne serait pas celle qu'il pré- férerait. Pourquoi vous opposer, m'a-t-on dit, à l'exécution simultanée des deux chemins? Je m'y oppose, parce que j'ai la conviction profonde que ce nouveau mode de com- munication n'apportera pas dans les habitudes de la population autant de changement qu'on le suppose ; parce que, à mon avis, il n'y aura pas un nombre aussi grand de voyageurs qu'on l'espère. Malgré mon désir d'être court, je vous demanderai encore la permission de dire sur quels chiffres repose ma conviction. Dans le rapport de la commission, on a porté le nombre des voyages (remarquez que je ne dis pas des voyageurs) qui se font entre Paris et Versailles, à 1 million. Pour moi, j'en demande pardon aux membres de la commis- sion et à M. le rapporteur, je suis persuadé que cette évaluation est un peu trop forte. D'après les documents que j'ai recueillis, ce nombre, terme moyen, ne doit pas surpasser 800,000. Il est possible qu'il se soit élevé quel- quefois à 1 million, mais généralement il faut compter sur 800,000. Prenons maintenant pour le taux moyen des 248 L!îS CHEMINS DE KER. ti'nnspoi'ls 1 franc 50 centimes, et vous aurez 1,200,000 Jrancs de recette. A combien se monteront les dépenses? Si vous admettez les deux chemins, vous aurez une longueur de rails et de l)ai'cours peu inférieure à celle du chemin de fer de Man- chester ù Liverpool ; prenons donc les réparations qu'exige ce cliemin de fer, et vous saurez ce qu'exigeront les deux chemins réunis. Eh bien, je trouve dans l'ouvrage le moilieur qui ait été publié en Angleterre sur les chemins de fer, dans un ouvrage, je le dis avec joie, sorti de la plume d'un ancien élève de l'École polytechnique, M. de Pambour; je trouve qu'en ISo/i les réparations du chemin et des machines ont coûté 750,000 francs; ainsi il faudra 750,000 francs pour les réparations des deux chemins et des voitures locomotives qui y circuleront. Ce nombre étant retranché des 1,200,000 fr. de recettes, que reste-t-il? /i50,000 fr. Vous n'avez sans doute pas oublié qu'il faudra payer un personnel assez considérable, qu'il faudra acheter du charbon de terre, qu'il est possible même que les compa- gnies soient amenées à ne brûler que du coke. Je n'exa- gérerai pas en évaluant l'ensemble de ces dépenses à 150,000 fr. Le revenu net des deux chemins ne dépassera donc pas 300,000 francs par an. Triplez si vous voulez le nombre des voyageurs, comme M. le rapporteur croit pouvoir le faire , triplez la recette nette et vous n'arriverez encore qu'à 900,000 fr. On vous a parlé tout à l'heure de ce que coûteraient les deux chemins. Je mets en fait, moi, que chaque chemin coûtera 10,000,000 de francs, quoiqu'on ait LES CHEMINS DE FER. 219 évalué la dépense à des sommes beaucoup plus faibles. Pour donner un revenu de 5 p. 0/0, il faudrait que la recette nette s'élevât à 1 million. Or, vous n'arriverez pas à ce cliiirre en admettant môme que le nombre des voya- g-eurs soit triplé. M. Vatout. Vous vous trompez. M. Arago. Ainsi je crois qu'il n'y a pas entre Paris et Versailles de quoi alimenter deux chemins de fer. La commission prévoit, dans le rapport , que le nombre des voyageurs doublera, triplera, quadruplera peut-être. Jl est très-vrai que le nombre des voyageurs a triplé sur le chemin de Manchester à Liverpool. Il était anciennement de /loO par jour ; il est mainte- nant de 1,300. Pourquoi? C'est que Liverpool et Man- chester ne sont pas des villes placées comme Paris et Versailles; c'est que les relations entre Liverpool et Man- chester sont des relations de commerce. Les habitants de Paris ne vont guère à Versailles que pour leur amuse- ment. Or, vous le savez par les spectacles, la somme que l'on consacre aux plaisirs à Paris ne varie pas ; augmentez, diminuez le nombre des théâtres; répartissez-les comme vous voudrez dans les divers quartiers, leur recette totale reste la même. Un voyage à Versailles est une sorte de spectacle; je crois donc, sauf les premiers moments de curiosité, que vous augmenterez un peu, mais seulement un peu le nombre des voyageurs, et môme, si Ton n'adopte pas un amendement de la nature de celui que j'avais pré- senté l'autre jour, il pourrait se faire que ce nombre diminuât; mais bien certainement il n'augmentera pas beaucoup. 250 LES CHEMINS DE FER. On paraît ('lonii(3 de l'idée que je me suis formée de la cause de l'augmentation des voyageurs entre Liverpool et Manchester. Je vais essayer de la justifier. Loi'd Lans- down , président du conseil des ministres en Angleterre , me disait, il y a peu de temps, qu'aujourd'hui, au lieu de s'écrire des lettres de Liverpool à Manchester, les com- merçants s'envoient des commis ; les alTairos se font ainsi plus rapidement et plus siîrement. Entre ces deux villes la poste ne donne presque plus de profit. Vous ne pouvez pas vous attendre à un résultat pareil entre Paris et Ver- sailles, qui n'ont que des communications de pur agré- ment. En résumé, je me rattacherai à tout amendement qui amènerait à n'exécuter qu'un seul des deux chemins; pour ma part, je le répète encore, il me semble qu'on adopte- rait une solution sur laquelle personne ne pourrait avoir de scrupules, si l'on mettait les deux chemins en adjudi- cation le même jour, en stipulant que la préférence serait accordée à celui qui transporterait les voyageurs de Paris à Versailles au moindre prix. (M. Legrand monte à la tribune.) M. Arago. On m'avertit qu'il y a eu une légère inexac- titude dans un point de calcul que je faisais tout à l'heure à la tribune ; on remarque que je n'ai pas triplé le produit brut. Il ne me semble pas nécessaire que je fasse la rec- tification, car la conséquence serait la même. On remar- quera, en effet, que, pour ne rien outrer, je n'ai rien défalqué du produit brut pour la contribution payée au gouvernement sur le prix des places. LES CHEMINS DE FER. 231 III SUR LA NÉCESSITE DE FAIRE EXECUTER LES CHEMINS DE FER PAR LES COÎIPAGMES ' Messieurs, la commission des chemins de fer vient vous soumettre le résultat de l'examen que vous lui avez confié. Cet examen était hérissé de difficultés de tout genre ; il a fait surgir une foule d'importantes questions. Vous saviez bien , au reste , qu'il en serait ainsi , lorsque dans la séance même où le projet de loi vous fut présenté, vous décidiez qu'un nombre inusité de commissaires concourraient à sa discussion provisoire -, Une aussi écla- tante dérogation aux précédents de la Chambre nous eût avertis, au besoin, de tout ce qu'il y avait de grave dans notre mission. Le zèle ne nous a pas manqué. Les procès- verbaux de seize séances, de trois, de quatre, de cinq heures chacune , témoignent du vif désir dont nous étions tous animés de répondre le mieux possible à votre hono- rable confiance. Notre travail , quoi qu'en aient pu dire l'amour- propre blessé et toutes les passions c^u'il traîne à sa suite, est le résultat consciencieux d'un débat auquel ont constamment présidé des sentiments qui jamais ne trouveront de contradicteurs dans cette enceinte , et que nous pourrions, sans inquiétude, proclamer à la face du pays. La seule coalition dont il ait été question parmi nous, la seule que nous ayons désiré former, est celle du bon sens, de la logicjue, des vrais principes de l'économie 1. Ilapport fait à la Chambre des députés, le 2i avril 1838. 2. Dix-huit commissaires au lieu de neuf. 2iJ2 LES CHEMINS DE Fi:i{. industrielle, et, ce qui se rencontre plus rai'cment encore, de quelque esprit de prévoyance. Avant d'arriver au projet spécial qu'il soumettait à vos délibérations, le gouvernement, dans la séance du 15 février dernier, a cru, avec raison, devoir vous pré- senter des vues d'ensemble. Le réseau des chemins de fer qu'il lui paraîtrait utile d'établir en France, se compose- )"ait de neuf lignes principales. Sept de ces lignes partiraient directement de Paris, et lieraient ce grand centre de civilisation, de consomma- tion et d'industrie : A la frontière de Belgique ; Au Havre ; A Nantes; A la frontière d'Espagne par Bayonne; A Toulouse par la région centrale du pays ; A Marseille par Lyon ; Enfin , à Strasbourg par Nancy. Deux autres grandes lignes joindraient Marseille, d'une part à Bordeaux par Toulouse, de l'autre à Bàle par Lyon et Besançon. Retranchez de ce réseau les embranchements dont le gouvernement, du moins sur la carte, dote Dunkerque , Calais, Boulogne, Amiens, Metz, Besançon, Tarbes, Perpignan , et il restera encore un développement total de chemins de fer de l,dOO lieues environ, et l'expecta- tive d'une dépense que M. le ministre du commerce évalue à plus d'un miUiard, car il n'a osé fixer que la limite minimum. L'administration , au surplus , a parfaitement reconnu LES CHEMINS DE FER. 2S3 qu'il serait peu prudent (ce sont ses propres expressions) de tout entreprendre à la fois. Elle a renoncé à terminer une si grande masse de travaux dans un court délai. Parmi les 1,100 lieues de son réseau d'ensemble, elle en a choisi 375 formant le développement des lignes de Paris à la frontière belge , de Paris à Rouen , de Paris à Bor- deaux, par Orléans et Tours, enfin de Marseille à Avi- gnon. Ces quatre lignes, le ministère vous en demande l'exécution immédiate ; il désire travailler simultanément à toutes les quatre. Quoique ses prévisions, ses calculs, ne reposent que sur des avant -projets; quoique l'une des lignes, celle de Paris à Bordeaux, n'ait pas été com- plètement étudiée (ceci est encore une citation textuelle), le gouvernement pense pouvoir affirmer que la dépense tatale n'excéderait pas 350 millions. Nous venons, Messiem-s, de remettre succinctement sous vos yeux les bases, les éléments du problème que le gouvernement avait en vue. La solution qu'il en a donnée est-elle irréprochable? Pouvons-nous vous en proposer l'adoption? Cette double question nous forcera de jeter d'abord un coup d'œil rapide sur l'état actuel de l'art , relativement à la construction des chemins de fer, et d'entrer dans quelques considérations techniques qui ne seront pas cependant un hors-d'œuvre, puisqu'elles feront ressortir divers inconvénients du mode de distribution de travail adopté par l'administration. Nous étudierons, en second lieu, les chemins de fer dans leurs résultats actuels et dans ce qu'ils promettent. Les lois de finances, et, au fond, c'est une loi de finances 234 LES CHEMINS DE FER. (|uc nous allons discuter, doivent être établies sur des bases solides, l^'enthousiasme et les jeux d'imagination ont sans doute leur bon côté; mais prenons garde qu ils ne nous entraînent à des mesures fiscales dont auraient à souffrir les classes les plus nombreuses de la société, déjà frappées par l'impôt dans leur strict nécessaire. La troisième division de ce rapport sera consacrée à une discussion approfondie, des objections de toute nature que M. le ministre du commerce a présentées contre la concession de longues lignes de chemins de fer à des compagnies privées. Nous y rechercherons avec le môme soin, si les travaux exécutés aux frais de l'Etat, par ses ingénieurs et sous sa surveillance immédiate, ont tou- jours aussi complètement réussi que M. le ministre le pense. La quatrième et dernière section , celle qui précédera nos conclusions, et qui, à vrai dire, suffirait pour les justifier, renfermera une sorte d'aperçu du budget de l'État en matière de travaux publics extraordinaires. Ces divisions, ces détails minutieux ont pour objet de faciliter l'intelligence de notre travail. Nous pouvons donc espérer que la Chambre daignera nous les pardonner. Section première. — Considérations techniques. Un bon système de communications intérieures, envi- sagé sous le double rapport de l'économie et de la célérité est, sans aucun doute, le principal élément de la richesse et de la prospérité d'un grand peuple. Aussi a-t-on vu, dans tous les temps et dans tous les pays, les pensées des LES CHEMINS DE FER. 23o hommes d'État et des ingénieurs, se porter sur cet objet avec la plus louable sollicitude. Trois ou quatre chiffres donneront, au surplus, une idée exacte de l'importance pratique, de l'importance commerciale des améliorations successives que les moyens de transport ont éprouvées depuis l'origine des sociétés jusqu'à l'invention toute récente des chemins de fer. L'expérience a montré qu'un cheval de force moyenne, marchant au pas pendant neuf à dix heures sur vingt- quatre, et de manière à se retrouver chaque jour dans les mêmes conditions de force , ne peut pas porter sur son dos au delà de 100 kilogrammes. Ce même cheval, sans se fatiguer davantage, si on l'attelle à une voiture, por- tera ou plutôt traînera à une égale distance : Sur une bonne route ordinaire empierrée. 1,000 kil. Sur un chemin de fer 10,000 Sur un canal 00,000 L'auteur inconnu de la substitution du roulage ou du transport en voiture, au transport à dos de cheval, fut donc, vous le voyez. Messieurs, un bienfaiteur de l'hu- manité : il réduisit, par son invention, le prix des trans- ports au dixième de leur valeur primitive. Une amélioration tout aussi importante est résultée, quant aux transports en voiture, du remplacement des empierrements et des pavés des routes ordinaires, par des bandes de fer bien dressées, sur lesquelles tournent les roues. En atténuant les résistances, ces bandes ont, en quelque sorte , décuplé la force du clioval , celle du moins qui donne un résultat utile. Le long d'un chemin «56 LHS CHEMINS DE FER. à bandes métalliques, le poids dont on charge un wagon est centuple de celui que le cheval qui le traîne pourrait porter sur son dos. Ce sont là, Messieurs, de bien admirables résultats; mais n'oublions pas cfuc les canaux en offrent de plus admirables encore; rappelons -nous que sur une nappe d'eau stagnante, une béte de somme traîne un poids six fois plus fort que sur un chemin de fer. iNe perdons pas de vue, au reste, que le transport à dos de cheval, s'il est peu économique, s'effectue en revanche presque par- tout, le long de sentiers à peine frayés, sur des pentes très-rapides; tandis qu'une route ordinaire exige de cer- taines conditions de tracé; tandis qu'elle représente, même en simple empierrement, 70,000 fr. de première mise de fonds par lieue, et plus de 2,000 fr. d'entretien annuel ; tandis que ces mêmes dépenses, pour un canal, se montent respectivement à 500,000 fr. et à 5,000 fr.; tandis, enfin, que sur certaines lignes, l'exécution d'une lieue de chemin de fer a coiàté jusqu'à trois millions. Les chemins de fer, considérés comme moyen d'atté- nuer les résistances de toute nature que le roulage doit surmonter sur les routes ordinaires , seraient aujourd'hui , relativement aux canaux, dans un état d'infériorité évi- dente , si on avait dû toujours y opérer la traction avec des chevaux. L'emploi des premières machines locomo- tives à vapeur, avait laissé les choses dans le même état ; mais tout à coup, en 1829, surgirent, en quelque sorte, sur le chemin de Liverpool à Manchester, des locomotives toutes nouvelles. Jusqu'en 1813, on n'avait espéré pou- voir marcher sur les rails en fer ou en fonte, qu'avec des LES CHEMINS DE FER. 257 roues dentées et des crémaillères, ou bien à l'aide de sys- tèmes articulés dont on donnerait une idée assez exacte en les comparant aux jambes inclinées d'un homme qui tire en reculant. Les locomotives perfectionnées étaient débarrassées de cet attirail incommode, fragile, dange- reux. L'engrenage naturel résultant de la pénétration fortuite et sans cesse renouvelée, des aspérités impercep- tible des jantes de la roue , dans les cavités du métal du rail et réciproquement, suffisait à tout. Cette grande sim- plification permit d'arriver à des vitesses inespérées, à des vitesses trois, quatre fois supérieures à celles du che- val le plus rapide. De cette époque date une ère nou\ elle pour les chemins de fer. D'abord, ils n'étaient destinés qu'aux transports des marchandises ; chaque jour, chaque nouvelle expérience nous rapproche du moment peu éloi- gné peut-être où ils ne seront plus parcourus, au con- traire, que par des voyageurs. Jadis les rails étaient tout ; maintenant, ils n'occupent dans le système qu'une place secondaire. Dès aujourd'hui, les chemins de fer devraient s'appeler des chemins à locomotives, ou bien des chemins à vapeur. Quand on a lu dans les journaux, dans ceux surtout de l'Angleterre et de l'Amérique, le tableau des éton- nantes vitesses que les locomotives à vapeur ont déjà réalisées, on est vraiment excusable de croire qu'il ne faut plus compter sur des amélorations importantes, que l'art est presque arrivé à sa perfection. Cette opinion, quelque naturelle qu'elle paraisse, n'en est pas moins une erreur. L'art des chemins de fer est encore dans l'enfance. Ne faites pas, si vous voulez, la V.— II. 17 258 LES CHEMINS DE FER. p.irt de rimprévii, de l'inattendu, et d'ordinaire c'est cependant la part du lion; contentez- vous de porter votre attention sur ce qui se fait, sur ce qui existe, et vous trouverez presque partout routine, tntonncmcnls, incer- titude. Les premières locomotives pour voyageurs ne pesaient que 5 tonnes. Bientôt on les porta graduellement h 7, à 8, à 10, à 12 tonnes. En ce moment, on en construit de 18 tonnes , qui reposeront sur six roues. A l'origine, les paires de roues adhérentes ne portaient que 5 tonnes. Dans de nouvelles machines, elles seront chargées de 8 tonnes. Les rails devTont donc être ren- forcés, quoi qu'ils aient déjà parcouru successivement cette série de poids : 12, 16, 18, 23, 34 et 37 kilo- grammes par mètre courant. Qu'on ne s'y trompe pas, un semblable remplacement des rails entraîne presque toujours le sacrifice des blocs, des coussinets, des clefs qui servent à les fixer. La largeur de la voie était originairement, d'axe en axe, de i"\lil. Cette largeur a paru trop restreinte. Sur le grand chemin de Londres à Bristol, l'ingénieur, M. Brunel fils, vient d'adopter une voie de 2'". 13. Le but qu'on s'est proposé en élargissant aussi consi- dérablement la voie, est de faciliter l'emploi de machines de plus fortes dimensions. Avec une voie de 2'". 13, il y aura place entre les roues pour des chaudières plus vastes; on engendrera plus de vapeur dans un temps donné ; on aura plus de force et aussi plus de vitesse, si toutefois des difficultés imprévues ne viennent pas à se manifester. L'élargissement de la voie permettra d'agrandir le dia- LES CHEMINS DE FER. 239 mèlre des roues adhérentes des locomotives. Ces roues, chez nos voisins, ont été successivement de 1"'./|7, de l'".52, de l'".68, et de l'".8o. Cette dernière dimension n'avait jamais été dépassée. Sur le chemin de Londres à Bristol on verra fonctionner des roues de 2'".4/i. Avec de telles roues, s'il n'y a point de mécompte, on arrivera aux plus grandes vitesses sans être obligé d'accroître encore la rapidité déjà excessive des oscillations du pis- ton, et, ce qui n'est point à dédaigner financièrement parlant, après avoir évité la principale cause de détériora- tion des locomotives. Si l'on pouvait se permettre ici une assimilation c|uelque peu vulgaire, nous dirions qu'au- jourd'hui la vitesse de locomotion résulte de la succession extrêmement rapide de petits pas, et qu'on arrivera aux mômes résultats, avec des roues de 2". 44, en faisant de grandes enjambées. Les changements dans les roues des locomotives en amèneront d'analogues dans les roues des wagons. 11 y a donc à prévoir des remplacements complets de matériel sur les chemins de fer, et , ce qui est plus grave encore, des élargissements de viaducs, des reconstructions entières des souterrains ou tunnels, etc., etc. L'usage de plus fortes machines permettra certaine- ment de sortir des limites de pente dans lesquelles on renferme aujourd'hui le tracé des chemins de fer, alors même que l'emploi de c|uelqu'unc des crémaillères que les ingénieurs ont proposées ne viendrait pas arracher l'art à une sujétion qui déshérite les pays rnontueux ou même seulement un peu accidentés , du nouveau moyen de communication. 2C0 LES CHEMINS DE FEU. l ne roule rcclilignc, avec les voilures actuolicnienl eu usage, a des avantages incontestables sur une roule sen- siblement courbe; mais ces avantages, on les achète quelquefois à des pi'ix énormes. Une excellente solution de la difliculté vient d'être donnée par un liumble ingé- nieur français, M. Laignel. Des solutions d'une autre espèce sont actuellement à l'étude. Si elles réussissent, les chemins de fer subiront dans leur tracé les plus impor- tantes améliorations, lis pourront pénétrer au cœur des villes sans tout renverser devant eux. Le placement des rails lui-même a donné lieu à autant de systèmes difTérents qu'il y a de constructeurs. Ici on emploie de faibles dés en pierre qui n'ont entre eux au- cune liaison ; là, on se sert de simples traversines en bois, et l'on cite leur élasticité comme un avantage précieux. Allez plus loin, et vous rencontrerez un ingénieur égale- ment habile qui remplace , toujours d'après d'excellentes raisons, le bois par le granit. L'analyse mathématique va-t-elle prochainement, du moins, s'emparer de ces intéressants problèmes? Les pre- miers éléments numériques lui manquent. Naguère la force nécessaire au tirage d'une voiture sur les rails, était évaluée à o^.5 par tonne de 1,000 kilogrammes, et voilà que maintenant on paraît vouloir la réduire à 3''.1. Que dire de la machine à vapeur, partie capitale des locomotives? La force aérienne irrésistible qu'elle élabore se répand et circule dans les organes du système, ianlôl par petites portions et tantôt à flots pressés, au gré de l'ingénieur. De là ces mouvements si lents, ou si rapides; de là ces variations de vitesse ou graduelles ou presque LES CHEMINS DE FER. 261 instantanées qui feraient croire, en vérité, qu'on assiste aux évolutions capricieuses d'un être doué de vie et de volonté. Tout cela est à merveille, Messieurs; mais per- çons l'enveloppe , et nous trouverons un appareil qui se dérange sans cesse, qui sans cesse est en réparation, qui est pour les compagnies une cause de ruine. Voyons ce que le combustible consommé renfermait de force mo- trice; mesurons d'autre part, la force que la locomotive a mise en action, et de nouvelles imperfections frappe- ront nos yeux, comme elles ont déjà frappé ceux de tous les ingénieurs. Le mal est- il irréparable? Gardons-nous de le croire. Quand on se rappelle la révolution capitale que notre compatriote, M. Séguin aîné, produisit dans l'art de la locomotion , le jour où s' emparant des chau- dières tubulaires de ses devanciers, il imagina de placer l'eau dans la capacité où se jouait la flamme, et de lancer cette flamme, au contraire, dans les tubes destinés d'abord à renfermer l'eau; quand on songe à tout ce qu'on a gagné sous le rapport du tirage, à faire dégager par la cheminée de la locomotive, la vapeur qui , après avoir agi dans le corps de pompe , semblait ne pouvoir pas rendre de nouveaux services et se répandait jadis librement dans l'air, on a toute raison d'espérer de nouvelles découvertes et de compter sur leur simplicité. Doit- on conclure de ces doutes, de ces incertitudes, de ces espérances, qu'il faudrait aujourd'hui s'abstenir tout à fait de construire des chemins de fer? Non, Mes- sieurs, mille fois non; telle n'est pas notre pensée. Les chemins de fer d'aujourd'hui ont, quant à la vitesse, et pour le transport des voyageurs, des avantages incontes- 2G2 LES CHEMINS DE FER. tables sur les autres moyens de communication connus ; construisons donc des chemins de for. Nous dirons seulement qu'on serait inexcusable si , et sans aucun avantage actuel, on adoptait un mode de distribution du travail qui enlèverait la possibilité de faire usage des perfectionnements dont tout le monde sent le besoin, que les esprits éclairés entrevoient, que les prati- ciens sont près de saisir, et qui ne tarderont pas à se faire jour, car le génie de l'homme n'a jamais manqué à aucun besoin social. Le gouvernement vous demande de faire travailler simultanément à quatre lignes. Pour fixer les idées, sup- posons qu'elles soient de même longueur et ([ue leur exécution doive durer douze ans. Les têtes de chacune de ces quatre lignes seront exécutées d'après les idées, d'après les systèmes adoptés aujourd'hui. Pendant la seconde, pendant la troisième,... pendant la douzième année, lié par les premiers travaux, le con- structeur se trouvera dans l'impossibilité de profiter des progrès que l'art aura faits indubitablement dans un si long espace de temps; les quatre routes achevées en 1850 auront toutes les imperfections de celles de 1838. Admettons un autre ordre de travail, et les inconvé- nients de celui que nous venons de discuter deviendront pxus manifestes encore. Portons toutes nos ressources, tous nos moyens d'exé- cution sur l'une des quatre lignes. Trois ans suffiront à son achèvement complet. Quand on la livrera au public, en 1841, elle sera, comme les quatre lignes du précé- dent système, le type de l'art dos ingénieurs en 1838; LES CHEMINS DE FER. 263 de ce côté, rien de gagné. Mais c|ui ne voit qu'en com- mençant la seconde ligne, on pourra profiter de toutes les innovations c|ue la théorie et l'expérience réunies auront fait éclore dans la première période de trois années; que six années de recherches et de pratique, concourront à l'amélioration de la troisième ligne ; c^ue la cjuatrième, enfin, arrivée à son terme en 1850, ne. sera en arrière sur l'état de l'art à cette époque, c|ue de trois ans, durée de son exécution ? De ces simples considérations, résulte déjà avec une entière évidence, l'impossibilité d'adopter le projet de loi tel qu'il vous est soumis. Il eût été dès lors superflu de chercher à découvrir l'origine , nous dirons presque la raison suffisante, d'un système c|ui, au premier aspect, soulevait d'aussi insurmontables objections. En tout cas, et c[uoi qu'on en ait pu dire, nous n'eussions jamais fait à nos honorables collègues l'injure de supposer c[ue per- sonne ait pu douter de leur parfaite indépendance. Le ministère s'est trompé, nous le croyons du moins, en proposant l'exécution shnultanée et lente, de trop de lignes à la fois; mais ces nombreux traits rouges, figu- rant des chemins de fer qui, sur la carte qu'on nous a distribuée, se dirigeaient vers toutes les régions du royaume, n'étaient pas un appel à l'esprit de localité; nous rejetons bien loin la pensée que la réunion dans un seul et môme projet de loi, d'un chemin du nord, d'un chemin de l'ouest, d'un chemin du centre et d'un chemin de la partie la plus méridionale du royaume, doive être envisagée comme un moyen de séduction; qu'on ait espéré nous arracher, à l'aide de concessions récipro- :(,i LES CHEMINS DE FER. fjucs, un vote favoral)lo (|ui n'eût point été dicté par nos consciences, (lUC n'eussent pas réclamé les intérêts Ijicn entendus du pays. Section CErxiÈME. — Sur les irsullals ;"i attend ic des chemins de fer. Les chemins de fer, quand on les combine avec les machines locomotives, constituent certainement une des plus ingénieuses découvertes de notre époque. Là se trouvent réunis à un degré vraiment inespéré, la force et tous les moyens de vitesse. Les résultats, sous ce double rapport, ont été déjà si étonnants, que l'oji pou- vait naguère, devant la première société savante de la capitale, sans trop encourir le reproche d'exagération, parler de l'époque oh « les riches oisifs dont Paris four- mille, partiront le matin de bonne heure pour aller voir appareiller notre escadre à Toulon , déjeuneront à Mar- seille, visiteront les établissements thermaux des Pyré- nées, dîneront à Bordeaux, et, avant que les vingt-quatre heures soient révolues, reviendront à Paris pour ne pas manquer le bal de l'Opéra. » Tout compte fait. Messieurs, l'imagination, cette folle du logis, comme l'appelait Malebranche, avait à reven- diquer une bonne part dans ces projets de voyage; l'expérience, en effet, a brutalement jeté au travers de ces séduisantes spéculations, une foule d'éléments que les théoriciens avaient négligés : elle a parlé d'inertie, de ténacité des métaux, de résistance de l'air, etc. 11 a bien fallu alors resserrer quelque peu le cercle qu'on croyait avoir conquis. Les vitesses seront grandes, LES CIIF.MIXS DE FER. 203 très - grandes , mais pas autant qu'on l'avait espéré. 11 y aurait, IMessieurs, un travail très-intéressant à faire, que nous recommanderons, en passant, au zèle et à la sagacité de nos jeunes liistoricns moralistes. Ce serait le tableau des mille et mille circonstances capiUiles dans lesquelles les hommes les plus éclairés, les assem- blées délibérantes, la masse du public, se sont laissé gou- verner par des mots sans portée, nous dirons même par des mots entièrement vides de sens. Plusieurs de nos honorables collègues et moi nous avons été au moment de subir une influence de cette nature. Les mots si souvent répétés par M. le ministre du commerce, de transit, de lignes politiques, de lignes stratégiques , n'avaient pas inutilement frappé nos yeux et nos oreilles. Faut-il l'avouer, nous étions déjà quelque peu enclins à les regarder comme les vrais symboles de l'avenir indus- triel , commercial et militaire de la France. Toutefois , ramenés bientôt à un examen sévère des choses, à leur appréciation exacte, il nous a été bien facile de recon- naître que nous avions trop légèrement cédé à un pre- mier aperçu. Lisons l'exposé des motifs du projet de loi, et nous trouverons : a C'est surtout en vue du transit qu'ils sont destinés à créer au travers de la France, que les chemins de fer doivent attirer toute notre sollicitude. » A la page suivante, ce transit, que les chemins de fer ne peuvent manquer de créer, est caractérisé nettement ; il se com- posera : «De la plus grande partie des marchandises qui passeront du midi dans le nord de l'Europe et récipro- quement. » Plus loin , le transit se représente avec de 266 LES CHEMINS DE FEU. nouveaux développements. 11 s'empare alors de tout ce qui doit se transporter « de l'Océan et de la Méditer- ranée, sur les provinces de l'Allemagne, sur la Suisse et rilalie. » 11 a bien longtemps, Messieurs, que le transit est en possession d'exercer parmi nous une puissance dont la légitimité n'a jamais été démontrée. Vous rappelez-vous, par exemple, sous combien de formes il nous apparut quand on discuta la question des deux entrepôts de Paris? Depuis, on n'en a plus entendu parler, par l'excellente raison que la quantité de marchandises qui transite au travers de ces deux grands établissements est vraiment imperceptible. Évitons, s'il se peut, de pareils mécomptes. Le vrai moyen pour cela est d'aller nous saisir des chiffres relatifs au transit, dans les registres, dans les statistiques de la douane. En 183G, le poids total des marchandises expédiées en transit, à travers la France, a été de 34,025,000 kilogr. Le parcours moyen de ces marchandises s'est élevé à 103 lieues. Par le roulage ordinaire, le prix du transport par lieue et par tonne de 1,000 kilogrammes, est de 0^80 Le montant total des frais de transit, dans toute l'étendue de notre territoire, a donc été, en nombre rond, de 2,803,000 fr. Si tous les chemins de fer étaient exécutés , si tout le transit s'effectuait par rails et locomotives, les 2 millions 803,000 fr., dont nous venons de parler, se réduiraient, d'après le tarif de 0^.30 par tonne et par lieue, à 1,031,000 fr. LES CHEMINS DE FER. 267 Ce serait par an une diminution de.. . 1,752,000 fr. Le pays perdrait donc environ les deux tiers de la dépense totale qu'occasionne aujoui'd'hui le mode de transport par rouliers. Ce serait près de deux millions de francs que le commerce de nos voisins laisserait de moins sur les routes de France que parcouraient ses marchandises manufacturées ou à l'état de matières premières. Ce serait deux millions de capitaux étrangers qui se trouve- raient enlevés annuellement aux commissionnaires, aux rouliers, aux aubergistes, aux marchands de chevaux, aux charrons, etc. Sans doute, plus de célérité, de régularité, d'économie dans le service des routes, augmenterait la masse des transports. Eh bien, qu'on triple cette masse, et alors nous serons seulement revenus à l'état présent des choses, quant aux bénéfices que la France retire du passage qu'elle donne, sur son territoire, aux marchandises étrangères; qu'on décuple, si l'on veut, le transit actuel, et nous ne trouverons encore, au profit de notre pays, qu'une augmentation de 7,700,000 fr. Ces chiffres dissiperont bien des illusions. Qu'on le remarque, cependant, nous n'avons entendu y traiter, à la suite de l'exposé des motifs du projet de loi, c{ue la question du transit des marchandises appartenant à des étrangers à leur arrivée dans nos ports. Celle du transit des voyageurs, celle du transit des marchandises expédiées par notre commerce, ont une tout autre importance. Nous sentons très-bien ce que l'humanité, ce que la civilisation peuvent attendre de moyens de transport commodes, éco- nomiques, rapides, qui rapprocheront, qui uniront les 268 LES CHEMINS DE FER. peuples, ou devant lesquels, du moins, s'alTaibliront les haines nationales, les préjugés qui, durant tant de siècles, ont été si cruellement exploités. Nous savons très- bien aussi que là où vont les hommes vont les affaires, et que dès lors le commerce a tout intérêt à voir alïluer sur notre territoire un très-grand nombre de voyageurs. Nous n'ignorons pas davantage combien les mille canaux de la Hollande contribuèrent jadis à faire des négociants de de ce pays les facteurs du commerce du monde, et notre plus vif désir serait que nos concitoyens du Havre, de Nantes, de Bordeaux, etc., etc., trouvassent de sem- blables moyens de fortune dans les nouvellss communi- cations projetées; enfin. Messieurs, c'est parce que ces diverses considérations se sont oiTertes à nos esprits de bonne heure, c'est parce que nous les avons sérieusement méditées, que nous sommes partisans des chemins de fer. La discussion numérique dans laquelle nous avons cru devoir entrer, relativement au transit, avait pour unique but de débarrasser le terrain d'un élément étranger, ou qui du moins n'y doit jouer qu'un rôle secondaire. Nous regrettons beaucoup que la question stratégique ne soit pas susceptible, comme celle du transit des mar- chandises, d'être réduite à des chilTres. Des chiffres, dans leur inflexible raideur, lui feraient certainement perdre une grande partie de l'importance qu'on s'est complu à lui donner. Personne ne doute que dans des cas rares, exception- nels, le transport très-rapide de quelques milliers de soldats d'un point du territoire à un autre point, des régions centrales vers la circonférence, ne puisse être LES CHEMINS DE FER. 269 très-utile. Muis cela n'autorise nullement à supposer que les chemins de fer deviendront un moyen efficace d'im- proviser sur nos frontières, avec les troupes de l'inté- rieur, des armées destinées à repousser une attaque imprévue, ou à faire une irruption subite dans les con- trées ennemies. L'opinion que nous énonçons ici n'est pas de celles qui peuvent être établies ou renversées d'après de simples aperçus. Pour la juger sainement, il est indispensable de descendre jusqu'aux détails. Qu'on suppose, par exemple, que Strasbourg soit le point de réunion d'une armée de 50,000 hommes, à la formation de laquelle devront concourir, suivant les proportions voulues, des troupes d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie, du génie, disséminées dans les garnisons ordinaires. Sup- posez toutes les grandes lignes de chemin de fer exé- cutées; pourvoyez-les des locomotives, des wagons, des plates-formes nécessaires au service habituel, et nous nous trompons fort si, avec tout cela, vous gagnez plus de trois à quatre jours sur l'époque où l'armée, complète- ment organisée et suffisamment approvisionnée, pourra entrer en campagne. Les chemins de fer, dans un certain rayon à partir des frontières, ne serviront d'ailleurs qu'au début d'une guerre. Le conllit à peine commencé, l'ennemi les fera détruire sur divers points par des affidés, par des partisans. Si la chose lui paraît en valoir la peine, il chargera même de l'opération quelques esca- drons de cavalerie légère. Et qu'on ne nie pas la possi- bilité de former de pareils détachements en pays ennemi et sur les derrières d'une grande armée, car nous rap- pellerions cp'en 1708, une poignée de cavaliers hollan- 270 LES CHEMINS DE FER. dais partit de Courtrai, s'avança jusqu'au pont de Sèvres (sous Meudon), où elle s'empara de M. de Beringhen, premier écuyer de Louis XIY, croyant se saisir du dau- phin, père du duc de Bourgogne. Si la citation paraissait trop ancienne, nous dirions qu'en 181/|., pendant que le général Maison occupait encore la Belgique, un petit corps ennemi de cavalerie légère vint dans le départe- ment de la Somme piller Douions. L'armée fera certai- nement un usage utile des chemins de fer, car elle pro- fite sans cesse, avec la généralité du public, des progrès des arts et de l'industrie; mais, de là à de prétendues réductions de moitié ou des deux tiers dans l'elTectif actuel de nos troupes , il y a une distance infinie , sur laquelle nous ne pouvions nous taire. Militairement parlant, un des avantages les plus immé- diats et les plus prochains des chemins de fer, sera une diminution considérable dans les frais qu'occasionnent les changements de garnison. Il en résultera aussi qu'une partie de la population pourra être alTranchie de la rude servitude des logements militaires. Nous verrons cepen- dant à l'user, si nos généraux ne décideront pas, en définitive, que les transports en wagons auraient pour résultat d'elféminer les troupes et de leur faire perdre cette faculté des grandes marches qui a joué un rôle si important dans les triomphes de nos armées. Nous avons déjà dit quelques mots de Tinfluence que les chemins de fer nous paraissent devoir exercer sur les progrès de la civilisation. Nous nous associons de grand cœur aux espérances qu'on a manifestées à cet égard, fussent-elles quelque peu exagérées. En dehors de ces LES CHEMINS DE FER. 274 idées, nous ne comprendrions pas la signification du mot politique appliqué aux voies en fer. Nous comprendrions encore moins comment certaines routes auraient le privi- lège d'être politiques à l'exclusion de toutes les autres. Des hommes graves qui, dans leurs écrits, n'étaient pas tenus à la réserve que cette tribune commande , ont imprimé que ces démonstrations n'auraient qu'un effet : « celui d'embrouiller la question. » Section troisième. — Du rôle de l'État et des compagnies dans la coustruction des chemius de fer. Vous l'aurez remarqué. Messieurs, le premier vote de la commission, celui dont nous avons déjà rendu compte et qui reposait sur des considérations techniques, ne tou- chait qu'à la répartition de travail proposée par le gou- vernement. La question de savoir si l'exécution des grandes lignes de chemin de fer serait exclusivement réservée à l'État ou abandonnée à des compagnies, restait encore intacte. C'était là, il faut se hâter de le dire, le point culminant, le point délicat de la tâche qui nous était confiée. Après une étude approfondie de toutes les faces du problème ; après avoir scrupuleusement balancé les avantages et les inconvénients des deux systèmes en présence , la commission a éprouvé de nouveau , à une forte majorité, le regret de ne pouvoir s'associer à la pro- position ministérielle. Essayons de formuler notre opinion dans des termes qui ne puissent prêter à aucune équivoque. Suivant nous, Messieurs, il faut abandonner l'exécution des chemins de fer, grands ou petits, à l'esprit d'associa- 272 LES CHEMINS DE FEM. tion. partout où il a produit des compagnies sérieuses, fortement et moralement eonslituées; l'action gouverne mentale immédiate doit s'exercer dans les seules direc- tions oi^i, l'intérêt national des travaux étant bien con- staté, il n'y a cependant pas de soumissionnaires, soit à cause de l'incertitude des produits, soit même, car nous allons jusque-là, à raison de leur insuflisance reconnue. Jamais une commission honorée de votre conllance n'a pu avoir Tinqualifiable pensée de subordonner judaKjue- mcnt au bon vouloi]* ou au caprice des compagnies de capitalistes, l'exécution de travaux dont le bien-être et la sûreté du pays pourraient dépendre. Autant sur ce point nos convictions sont arrêtées et profondes, autant, d'un auti"e côté, il nous semble nécessaire de mettre des bornes à l'esprit de monopole qui domine trop évidem- ment l'administration française. Examinons, au surplus, avec le soin qu'une aussi importante question commande, si, comme le ministère le pense, il est indispensable de confier à l'État, non- seulement l'exécution des longues lignes de chemins de fer, mais encore celle de toutes les grandes communica- tions par terre et par eau « qui ont pour objet de rattacher entre elles les extrémités du royaume». Autant que faire se pourra, nous citerons textuellement l'exposé des motifs : «Dans un grand territoire, comme celui de la France, il faut, vous a dit M. le ministre du commerce, que les grandes distances puissent être parcourues à bon marché, sous peine de rester infranchissables, sous peine d'isoler les unes des autres les diverses régions dont le royaume LES CHEMINS DE FER. 273 se compose... Sur les lignes secondaires et les lignes d'embranchement... mi tarif, même un peu élevé, peut être facilement payé pour une faible distance... Il faut qu'à toute époque les tarifs puissent être modifiés... Com- ment serait-il possible de nous mettre d'accord avec la Belgique, sur la fixation mobile des tarifs, si, comme elle, nous ne conservions pas la libre possession et la souve- raine administration de nos grandes voies de fer?... La libre disposition des tarifs , la faculté de les modifier sui- vant les cas, suivant les circonstances... est le principal motif qui puisse déterminer à demander au Trésor les fonds nécessaires à l'exécution de ces immenses travaux. » Un second ordre de considérations s'est présenté à M. le ministre du commerce ; « il ne trouverait pas pru- dent d'abandonner à l'intérêt privé (quand il s'agit des grandes lignes), des moyens de communication qui doi- vent devenir quelque jour des lignes essentiellement poli- tiques et militaires, et qu'on peut justement assimiler, dit -il, à des rênes de gouvernement. » Le gouvernement, au surplus, ne croit pas que l'indus- trie privée puisse fabriquer ces rênes. « Les exemples sont là, s'écrie-t-on, pour prouver que du moment qu'une entreprise excède une somme donnée, les capitaux sérieux lui manquent; de grandes entreprises ont été confiées depuis quelques années aux efforts de la spéculation et ne sont pas même commencées aujourd'hui. » Souvent, ajoute l'exposé des motifs, « on engage l'affaire, on crée, on émet, on jette dans le public des actions; » viennent ensuite « des bouleversements de fortune , des malheurs privés sans nombre. . . Le gouvernement ne saurait se déci- V.— II. 18 274 LES CHEMINS DE FER. (1er cl ollVir à Fngiotago, à cclto plaitMln notre époque, des éléments nouveaux ({ui lui donneraient la plus déplo- l'able activité et la plus elTrayante extension. » Quant à ceux qui pourraient penser que l'État est im- puissant pour se lancer dans d'aussi colossales entreprises, M. le ministre leur recommande «de jeter un regard sur la France et de voir si tous les grands travaux, si tous ceux qui exigeaient de grands efforts, de grands capitaux, n'ont pas été exécutés par l'administration publique. » La question, si délicate, de l'exploitation des chemins de fer, ne pouvait être oubliée par M. le ministre du commerce ; ajoutons de suite qu'il ne la tranche pas. On voit bien que le gouvernement serait fort disposé à exploiter par lui-même, mais il n'ose pas l'annoncer positivement. Le mode provisoire d'exploitation des sec- tions successives d'une grande ligne serait réglé par ordonnance royale. Quant à la ligne tout entière, on ferait des essais, des tâtonnements, avant d'adopter un parti définitif; une loi spéciale le sanctionnerait. Vous le voyez , Messieurs , les arguments que le gou- vernement produit à l'appui du projet de loi, ne sont pas moins remarquables par leur variété que par leur nombre. Tour à tour il invoque des considérations stratégiques, politiques, commerciales, économiques, industrielles, techniques. Chacune d'elles, prise isolément, lui paraît décisive; réunies, ne doivent-elles pas entraîner un assen- timent général ? Une seule remarque, Messieurs, et le système déve- loppé avec tant de soin dans l'exposé des motifs de M. le ministre du commerce , perdra une notable partie de son LES CHEMINS DE FER. 275 importance. Le chemin de fer de Paris en Belgique, dont l'exécution par des compagnies mettrait en danger l'avenir commercial de la France,, nos relations avec des pays voisins, notre puissance militaire, peut-être notre tran- quillité intérieure; ce chemin que l'État seul pourrait, cht-on, exécuter; ce même chemin de fer, de Paris en Belgique, le gouvernement, disons mieux, le ministre actuel, l'avait concédé l'an dernier à une compagnie. Les nombreuses, les insurmontables difficultés qu'on nous signale aujourd'hui, n'étaient cependant ni moins insur- montables ni moins nombreuses il y a douze mois. Peut- être prétendra-t-on que le ministère les a découvertes tout récemment, que l'an dernier, il ne les avait point encore aperçues. 11 ne nous appartient, en ce moment, ni d'admettre ni de rejeter l'explication. Nous livrons ces remarques à l'appréciation de la (Chambre. Maintenant, sans rechercher davantage com- )ncnt ce qui vous était proposé, l'an dernier, est devenu tout à coup inadmissible, impraticable; comment un mode d'exécution des chemins de fer, dûment délibéré en conseil des ministres, et soumis à votre approbation, il y a peu de mois, serait aujourd'hui pour le pays une source d'embarras, de malheurs, de calamités, nous allons examiner en elles-mêmes les considérations diverses d'après lesquelles on espère obtenir votre assentiment. Le gouvernement, vous dit- on, doit rester maître des tarifs sur les chemins de fer ; il doit pouvoir les modifier à son gré, d'après les besoins de l'intérieur, ou d'après ceux de nos relations avec l'étranger. C'est à merveille. Messieurs ; mais comme le mot impossible est français, 270 LES CHEMINS DE FER. (|Uoi quo jadis on (>ii ail pu diiv, à peine le grand prin- cipe esl-il pi-oclaiiK', (pi'il faut reculer devant son appli- cation al)soluc, devant rinnnensité de la tâche. Que t"ait-on alors? On sacrifie les embranchements; on soutient que le bas prix des transports n'a d'importance que sur les grandes lignes; là, le gouvernement veillera scrupuleusement aux intérêts des voyageurs et du com- merce ; sur les lignes secondaires, le commerce et les voyageurs seront livrés à la merci des compagnies ! Avant d'aller plus loin, demandons- nous à quel signe certain l'embranchement sera distingué de la ligne prin- cipale? Dans bien des cas, nous osons l'affirmer, un botaniste ne serait pas plus embarrassé s'il devait dési- gner, parmi tant de vigoureux rameaux qu'un chêne séculaire étale dans tous les sens, celui qu'il faut consi- dérer comme le prolongement de la souche! Supposons le réseau du nord complètement exécuté , tel que le gouvernement le propose, et transportons-nous par la pensée à Amiens. Le chemin s'y bifurque; une des branches se dirige sur Lille; la seconde va à Boulogne ; elles parcourent l'une et l'autre des distances à peu près pareilles; mais la première ayant eu l'heureuse chance d'être qualifiée de ligne principale, jouira, aux frais de l'État, de tarifs très-bas ; sur la seconde, au contraire, qui avec des droits égaux à la même faveur se trouvera, par hasard, reléguée dans l'ordre des embranchements, le tarif y sera beaucoup plus élevé , puisqu'il aura fallu le calculer sur la dépense réelle d'exécution et d'entretien. Eh bien, nous le demandons, personne pourra-t-il s'expli- quer une semblable différence, quand elle sera du fait du j LES CHEMINS DE FER. 277 gouvernement? A (luel titre nos communications avec la Belgique seraient-elles plus favorisées que nos communi- cations avec l'Angleterre? Et s'il arrivait, comme on peut le prévoir, que le bas tarif artificiel de la ligne du Nord , exécutée par l'État, jetât sur cette ligne la grande masse des voyageurs anglais; s'il arrivait qu'à la suite des tra- vaux et des arrangements projetés, la route la plus éco- nomique de Londres à Paris, vînt à être celle d'Ostende, Gand et Lille; si même, la diminution de tarif sur la distance de la frontière du Nord à Amiens , ne faisait que favoriser la tendance que montrent déjà tant d'Anglais à venir en France par la Belgique, et cela au grand détri- ment de Dunkerque , de Calais, de Boulogne, trouverait- on dans notre langue des expressions assez sévères pour caractériser l'imprévoyance de l'administration dont les mesures, mal calculées, auraient amené de pareils dépla- cements d'intérêts, et pour stigmatiser l'inattention de la Chambre qui les aurait sanctionnées? Le partage récent de la France en zones plus ou moins favorisées quant à l'importation des charbons, a-t-il donc amené assez peu d'embarras et de réclamations, pour qu'on doive se hâter de soulever des débats, des froissements, des irritations toutes pareilles à propos de chemins de fer? La complète disposition des tarifs, la faculté de les changera chaque instant, que le gouvernement réclame avec tant de vivacité, ne lui seraient pas plus tôt accor- dées, que la force des choses l'obligerait à y renoncer. Personne n'a cru sérieusement que l'État pût se charger lui-même de l'exploitation si compliquée, si minutieuse, d'une longue ligne de chemins de fer. Les chemins une 278 LES CHEMINS DE FER. fois construits, il faudrait inévitablement les affermer ; mais qui ne voit que le tarif serait la clause principale du contrat? On ne traiterait, dit- on, que pour un certain nombre d'années. Voilà déjà une concession bien large, si on la rapproche des espérances qu'on avait d'abord em- brassées. L'exploitation ne serait jamais concédée que pour un terme assez court! Et qui peut assurer que pour un terme assez court on trouverait jamais une compagnie qui consentît à faire exécuter à ses frais le matériel im- mense qu'exigerait Texploitation de la ligne de Paris à Marseille, ou môme seulement l'exploitation de la ligne de Paris à Strasboui-g? Vous le voyez, quand on ne reste pas dans la réalité des choses, les contradictions, les obstacles surgissent à chaque pas. L'exposé des motifs prévoit le cas où il faudrait se mettre d'accord avec la Belgique relativement au tarif des chemins de fer, et c'est pour être toujours en mesm^e de négocier, que le gouvernement désire rester maître absolu de la ligne du ÎSord. La fixation des tarifs en ce C|ui concerne le territoire de la France est, ce nous semble, une affaire d'administra- tion intérieure dans laquelle les puissances voisines ne doivent jamais avoir à s'immiscer. Nous ne croyons pas, en effet , que le gouvernement belge ait eu même la pensée de nous consulter quand il a réglé ses prix pom^ les che- mins de Bruxelles à Anvers, à Gand ou à Liège. En tout cas, si nous sommes dans Terreur, si la fixation réci- proque des tarifs entre deux pays voisins a toute riiii- portance que M. le ministre du commerce lui attribue aujourd'hui, hâtons-nous de déchirer le traité qu'il nous LES CHEMINS DE FER. 270 présenta naguère en faveur de M. Kœclilin, et que nous avons adopté. Par une de ses extrémités, le chemin d'Al- sace se termine en Suisse; par l'autre, il peut être pro- longé jusqu'à la Bavière rhénane. La Bavière rhénane et la Suisse, car on y projette des chemins de fer, voudront tôt ou tard être traitées comme la Belgique. Une difficulté plus spécieuse contre le libre arbitre des compagnies en matière de tarif, a été fournie au gouver- nement par l'obstination de certains propriétaires de canaux , qui , au détriment de la fortune publique et de la leur, refusent d'abaisser les droits de péage que l'auto- rité leur concéda jadis. 11 semble, en efiet, naturel de supposer que des compagnies de chemins de fer pourront, dans l'avenir, susciter au public et au gouvernement des embarras du même genre. Sans parler, pour le moment, d'une double disposition du cahier des charges, à l'aide de laquelle la difficulté perdrait toute sa gravité, nous dirons qu'elle repose sur une assimilation dont la parfaite exactitude est susceptible de contestation. Ordinairement les propriétaires ou les concessionnaires d'un canal perçoivent seulement un droit de péage sur leur route d'eau : les barques, les moyens de traction, de locomotion ne leur appartiennent pas. A part quelques frais d'entretien généralement peu considérables, ces pro- priétaires, ces concessionnaires ne sont grevés d'aucune dépense journalière. Un manque à gagner est tout ce qui les menace , lorsque peu au fait des vrais principes de réconomie industrielle, ils ne comprennent pas qu'une diminution de droit est souvent la source d'une augmen- tation de produit. -280 LIiS CHEMINS DE FER. L'administration cruii clicmin de, for est dans une tout autre position ; rien ne passe, personne ne voyage que sur ses plates- formes, ses wagons, ses voitures, et à l'aide de ses moyens de traction; les frais d'entretien, nous ne dirons pas seulement des rails, mais aussi de tous les véhicules et des locomotives, les frais de combustible, se trouvent complètement à la charge des exploitants. Ces frais sont énormes, même quand tout marche à vide. La compagnie qui ne s'emparerait pas, à l'aide de tarifs modérés, d'une grande quantité de voyageurs, serait bientôt ruinée. Il n'est donc pas à craindre que les com- pagnies de chemin de fer amènent jamais à cette tribune les plaintes dont elle a retenti naguère contre certains propriétaires de canaux. Nous avons examiné toutes les difficultés relatives aux tarifs, en elles-mêmes et comme si nous supposions que l'administration restera , à cet égard , complètement dés- armée vis-à-vis des compagnies. Telle n'est pas, cepen- dant, telle n'a pas pu être l'opinion de la commission. Elle croit, au contraire, que le droit de révision des tarifs devrait être formulé catégoriquement dans tous les cahiers des charges. En outre, les conditions de rachat de chaque chemin de fer par l'État, formeraient l'objet d'une stipu- lation spéciale. On simplifierait ainsi les formes de l'ex- propriation, sans limiter, sans affaiblir, bien entendu, le droit qui résulte de la loi générale, toutes les fois que l'utilité publique a parlé. Nous ne pouvions pas nous dispenser d'accorder de grands développements à la question des tarifs, puisque le ministère vous avait déclaré qu'elle serait la pierre LES CHEMINS DE FER. 28< angulaire de l'édifice qu'il vous proposait d'élever. Nous croyons, toutefois, qu'on s'est trompé en donnant le pre- mier rang à cet ordre de considérations. Supposons, en effet, un moment, qu'il soit prouvé, et telle est, vous le le savez, l'opinion du ministère, qu'aucune compagnie en France n'aurait aujourd'hui la force d'organisation et les capitaux nécessaires pour exécuter une seule des grandes lignes de chemins de fer. Ne serait- il pas alors puéril de prolonger le débat? Un négociant ne s'occupe des détails d'armement, de distribution, d'arrimage, que le jour où il est certain d'avoir un navire. Les navires auxquels la commission désirerait confier la destinée des chemins de 1er, existent-ils? Ont-ils de la force, de favenir? Sont-ils constitués de manière à résister à quelques orages? De très-bons esprits ont longtemps douté que l'indus- trie privée pût trouver en Fi-ance les capitaux nécessaires à l'exécution des grandes lignes de chemins de fer. Ce n'est pas que ces capitaux n'existassent , car une compa- gnie, composée de banquiers riches et justement consi- dérés, olTrait, il y a deux ans, de se charger de cette immense entreprise , sous la seule garantie d'un minimum d'intérêt de 4 pour 100 pendant liG ans. Les propositions de la compagnie des chemins de 1er du Nord établissaient à la fois et fexistence des capitaux et le peu de propension qu'ils avaient à se porter sur de grands travaux d'utilité publique. Maintenant il faudrait fermer les yeux à la lumière pour ne pas voir combien les choses sont changées. L'esprit d'association vient à peine de naître, et déjà il a leçu des développements remar- quables. De toutes parts les capitaux, grands et petils, m LES CHI-MINS DE FER. tifllucnl vers les entreprises industrielles. Cette tendance, qu'il faut bien soigneusement distinguer du déplorable agiotage dont la Bourse de Paris a été récemment le théâtre, ouvre à notre pays un avenir entièrement nou- veau et mérite vos encouragements. C'est cette tendance qui nous a inspiré la pensée que le moment était venu de sortir des vieux errements, et de fournir à l'association une occasion solennelle d'essayer ses forces, de monti'er sa puissance ; c'est elle aussi qui nous a persuadé que des compagnies privées pourront exécuter avec leurs propres ressources et sans subvention aucune, la plupart des che- mins projetés. Appelé, comme rapporteur, à soumettre plus particu- lièrement à une investigation minutieuse les registres que diverses compagnies nous ont présentés , il me sera per- mis de déclarer ici que j'ai aperçu généralement dans les modes de souscription, dans les noms et les qualités des souscripteurs, aussi bien que dans le montant des sommes souscrites, tous les caractères d'engagements sérieux ; que les diverses classes de la société figurent également dans ces registres ; que les départements , ceux surtout que les chemins doivent parcourir, y occupent une large jDlace; enfin que des valeurs considérables viendront de l'étranger s'ajouter à celles qui doivent être fournies par nos propres capitalistes. Ne croyez pas cependant que, dominée par ces impres- sions favorables, la commission ait voulu laisser la société désarmée en présence de l'intérêt privé. A cet égard, ses préoccupations étaient même si vives que, sans s'ar- rêter à l'idée qu'elle empiétait quelque peu sur les atiri- LES CHEMINS DE FER. 283 butions de la commission des sociétés commerciales, elle a rédigé, relativement à l'organisation des compagnies et aux garanties à leur imposer, un certain nombre d'arti- cles que nous allons faire connaître, en supprimant toute- fois les développements. Ce sacrifice, commandé par le désir de ne point abuser aujourd'hui de votre attention , n'empêchera pas que pendant le débat oral les jnembres de la commission ne viennent à cette tribune développer tout ce qu'il y a d'important, de nécessaire dans les réso- lutions qu'ils vont soumettre à votre jugement. 1" Les compagnies seraient tenues de faire un caution- nement dont elles pourraient toutefois demander la resti- tution après l'achèvement de la cinquième partie des travaux concédés. 2° Les compagnies pourraient être mises en déchéance, soit en cas de non-exécution des travaux dans le délai déterminé, soit pour un manquement grave aux condi- tions du cahier des charges. La déchéance ne serait pas une confiscation déguisée. Une adjudication des travaux commencés aurait lieu au profit de la compagnie , selon le mode établi à l'article o2 du cahier des charges pour le chemin de Bâle à Strasbourg. La dévolution définitive à l'Etat ne serait prononcée que dans le cas oia, après deux épreuves à six mois de distance , il n'y aurait pas eu d'acquéreur. Le chemin ne pourrait être continué qu'en vertu d'une loi qui réglerait, en outre, le montant de l'indemnité à laquelle les adjudicataires primitifs pour- raient avoir droit. 2>° La faculté de rachat des chemins de fer par l'État, stipulée à l'article hh du cahier des chiu-ges du chemin 28i LES CHEMINS DE FER. de Bàlc à Strasbourg, figurerait désormais dans tous les artes analogues. Le revenu serait calculé sur les dix der- nières années. W Les gérants, administrateurs et directeurs devraient posséder une portion du capital social , assez forte pour répondre de leur bonne gestion. Cette portion, inalié- nable jusqu'à rentier achèvement des travaux, serait déposée à la caisse des consignations. 5° Il y aurait interdiction absolue de l'attribution d'actions industrielles à des personnes dont on voudrait rémunérer les services. La part de bénéfices destinée à récompenser les ingénieurs, les gérants, et à exciter leur activité, deviendrait toute personnelle ; elle ne serait sus- ceptible ni de négociation, ni de transfert. G" Aucune émission et négociation de titres, mêmes provisoires, ne pourrait avoir lieu avant la promulgation de la loi. 7" Le cahier des charges ne serait accepté et signé qu'après que des engagements dûment souscrits, repré- senteraient un capital social égal au moins à la moitié de l'estimation de la dépense. 8° Avant la présentation de la loi, la Compagnie de- vrait justifier du versement en espèces d'un dixième du même capital. Ces garanties, tout utiles qu'elles soient, n'ont pas semblé à la commission rendre superflu un examen appro- fondi de la question d'utilité générale, de la question d'art, de l'organisation intime des compagnies, et même des calculs divers sur lesquels elles peuvent fonder leurs chances de profit. Le mode actuel est très- vicieux. Les LES CHEMINS DE FER. 28:i Chambres interviennent au début de l'aflaire, quand les projets sont à peine rédigés, quand la compagnie n'a qu'une existence précaire. Ce cjui est encore pis, on les appelle à autoriser une adjudication entre des compagnies qu'elles ne connaissent même pas, autant dire à donner un blanc-seing à l'administration. On remettrait les choses dans leur ordre naturel , si l'on décidait : 1° Qu'hormis des cas exceptionnels fort rares, la con- cession directe, seul moyen d'apprécier la moralité et la solidité des compagnies, serait préférée à l'adjudication ; 2° Que les projets, avant la présentation de toute pro- position de concession aux Chambres, devraient être assez étudiés pour donner une idée des frais de construction et des difficultés d'art à vaincre ; 3° Qu'à la même époque, la compagnie, complètement organisée, devrait avoir soumis ses statuts au conseil d'État, dont l'avis motivé serait joint au projet de loi, tout aussi bien pour les sociétés en commandite que pour les sociétés anonymes. Alors, les commissions des Chambres pourraient se livrer à un véritable examen des statuts de chaque compa- gnie, des avantages financiers et économiques des entre- prises, des questions d'art, du montant présumé des dépenses d'exécution et d'entretien, des oppositions de toute nature collectives ou individuelles, etc., etc. Dans ce système, l'intervention législative ferait quelque chose; la loi aurait pour les compagnies tous les effets dont For- donnance royale jouit aujourd'hui à l'égard des sociétés anonymes; le vote des Chambres deviendrait définitif, puisqu'il porterait sur les statuts, sur l'organisation même 2S6 LES Clll'MlNS DE EEU. dos associations, ainsi que cela se [)i'ali(|ac, au reste, de l'autre côté du détroit. Après cette sorte de disgression dont la Chambre, nous osons l'espérer, sentira toute roj^iiorhinité, nous repre- nons la discussion des arguments présentés par M. le ministre du commerce. Dans l'examen comparatif des travaux du gouverne- ment et de ceux des compagnies, l'exposé des motifs remonte beaucoup trop haut; aussi sommes-nous peu embarrassés de cette interrogation ministérielle : « Nous demanderons quelles sont les opérations un peu vastes que les associations particulières ont pu conduire heureu- sement à leur terme. » Notre réponse est toute prête; elle sera très-simple : En France, aux épocpies dont parle l'exposé des motifs, les compagnies n'étaient pas encore nées ! Oh ! l'objection aurait une grande force, si on avait pu l'appliquer aux contrées dans lesquelles l'esprit d'asso- ciation existe depuis longtemps et a toujours reçu de l'autorité encouragement et appui. Mais, comme de rai- son , la France seule a été mise en scène. Par là on s'est soustrait à l'accablante énumération de routes, de che- mins de fer, de ponts, de canaux, de ports, d'embar- cadères, de docks, d'établissements industriels de tout genre qui, dans un pays voisin, démontrent à chaque pas que l'association est le plus énergique ressort dont les nations modernes puissent faire usage pour accroître leur bien-être, leur richesse et leur importance politicjuc. Sans sortir, au surplus, du cercle étroit qu'on trace autour de nous, serait- il donc bien difficile de trouver LES CHEMINS DE FER. 287 dans les départements de France, de trouver près de Paris, de trouver dans Paris même, de grands travaux commencés par l'État, sans cesse interrompus, repris, et dont rachèvement, il y a quelques années, a été définiti- vement dévolu à des compagnies de capitalistes? Le gouvernement admet la puissance de l'industrie privée, quand ses opérations sont renfermées dans cer- taines limites. C'était ici ou jamais le cas de fixer ces limites par des nombres. Une pareille fixation , nous devons l'avouer, eût élé quelque peu difficile ; on devait prévoir le cas où des registres de souscriptions person- nelles, authentiques, seraient venus contredire les chiffres ministériels; fallait- il cependant laisser la Chambre dans la complète incertitude oh la place cette phrase de l'ex- posé des motifs : « Dans l'opinion du gouvernement, les capitaux sérieux manquent à l'industrie privée, du mo- ment qu'une entreprise excède une somme donnée! n Ces mots, une somme donnée , seraient au besoin trop élasti- ques pour que nous puissions être tentés de les contester. Qui ne voit , toutefois , qu'une classification des chemins, basée sur le maximum de dépense qu'ils doivent entraîner, pouvait, même dans le système ministériel , être substituée avec avantage à celle qu'on vous présente, d'embranche- ments, de chemins secondaires, etc., etc. Les compagnies auraient su alors nettement à quoi s'en tenir sur les inten- tions de l'administration. Aujourd'hui, peuvent- elles s'y reconnaître quand on leur refuse une ligne principale évaluée 20 millions de francs, et qu'on se montre disposé à leur accorder un embranchement f celui d'Amiens à Boulogne) qui doit en coûter 40? 288 LES CHEMINS DE l'iin. A'eiions maintenant aux ubjections qu'opposé la com- mission, à l'intorvcntion directe de l'État dans l'exécution des chemins de fer, Ifi, et là seulement, bien entendu, où de puissantes compagnies se présentent. Afin d'être moins gênés dans l'expression de nos doutes, nous com- mencerons par rendre un hommage sincère aux ingénieurs pleins de savoir, de conscience, de zèle, de dévouement et d'honneur, qui forment le corps des ponts et chaussées. Notre confiance dans le succès des compagnies s'est accru(; de celle que ces mêmes ingénieurs nous inspirent, lorsque nous avons appris qu'ils seraient placés à la tête des grandes entreprises projetées, pour tout ce qui concerne- rait les travaux d'art. Il est donc bien entendu que nos inquiétudes, que nos critiques concernent exclusivement l'organisation, suivant nous très -vicieuse, du corps des ponts et chaussées, du moins en ce qui touche certaines natures de travaux. Les ingénieurs eux-mêmes sont com- plètement en dehors du débat. Nous répéterions cent fois, s'il le fallait, que nous professons pour eux la plus pro- fonde estime. Il y a cinq ans, Messieurs, l'industrie particulière, qui depuis n'a cependant pas démérité, trouvait dans les Chambres beaucoup plus de faveur qu'aujourd'hui. Pre- nez le Moniteur de cette époque, et vous y lirez ces paroles : « Elle seule (l'industrie particulière) a le secret du juste rapport des avantages et des dépenses; elle seule soit approprier les travaux à leur fin ; elle seule sait éviter les folles dépenses oi^i entraîne précisément le gran- diose dans les travaux qui ne le réclament pas. » Lorsque, dans le débat oral c|ui suivra ce rapport, LES CHEMINS DE FER. 289 nous viendrons à cette tribune vous prémunir contre les folles dépenses que l'administration publique ne manque- rait pas de vouloir faire , si vous lui confiez l'exécution des chemins de fer; lorsque nous vous entretiendrons du goût ruineux des ingénieurs du gouvernement pour le grandiose, M. le président du conseil nous prêtera cer- tainement l'appui de son autorité ; car, il faut vous l'ap- prendre. Messieurs, le passage que nous avons cité est tiré textuellement d'un discours de M. le comte Mole à la Chambre des Pairs. Les vues générales, applicables à toutes les natures de travaux possibles, sur lesquelles se fonde l'opinion de M. le président du conseil en faveur des compagnies, se fortifient de considérations non moins puissantes quand il est spécialement question de chemins de fer. Dans un chemin de fer, en effet , il ne s'agit pas uni- quement de nivellements, de tracés, de travaux d'art; des transactions commerciales y jouent un rôle important. Jusqu'ici des cours de commerce n'ont pas figuré parmi ceux de l'École polytechnique ou de l'École des ponts et chaussées. Mais fussent-ils créés et professés depuis long- temps, nous n'en devrions pas moins, sous ce rapport, nous défier de la capacité de nos ingénieurs. Les affaires, ainsi qu'on les appelle vulgairement, supposent une nature d'esprit toute particulière; il faut, pour y réussir, un tact, une pénétration, une finesse qui ne s'acquerront jamais dans les amphithéâtres. Rien, en ce genre, ne pourra suppléer à une longue, à une constante pratique des hommes et des choses. Or, qui n'a remarqué combien, par un honorable sentiment de délicatesse, la plupart de Y. — II. lu 290 LES CIlIiMlNS DE FER. nos ingénieurs des ponts et chaussées cherchent h se tenir à l'écart de toute alTairc dont la conclusion doit èlre un paiement? N'en doutons pas, Messieurs, les achats de terrains, de rails, de machines locomotives, etc., se feraient plus mal et à des conditions beaucoup plus oné- reuses, par les employés de l'État que par ceux des compagnies. Enlacés dans une multitude de formes admi- nistratives, conservatrices, si l'on veut, nuiis, d'un autre côté, minutieuses, compliquées à l'extrême, les délégués du gouvernement ne pourraient presque, dans aucun cas, leur substituer la voie prompte et souvent économique de la transaction privée. De là d'incalculables longueurs et d'énormes difficultés. Le ministre lui-même l'a si bien prévu, qu'il parle déjà, dans l'exposé des motifs, de la possibilité de simplifier les formes actuelles. Si cette simplification avait pu être assez radicale pour ôter tout sujet d'opposition aux partisans des compa- gnies, pourquoi ne l'a-t-on pas opérée avant de présenter les projets de loi des chemins de fer et des canaux ? Puis- qu'on fait espérer des améliorations, il eût été très-utile de savoir, par exemple, si l'administration des ponts et chaussées continuera, en matière de travaux publics, à être juge et partie ; si elle seule aura le contrôle de ses propres actes. Chacun eût voulu apprendre comment elle échappera désormais au besoin que l'esprit de corps lui a jusqu'ici imposé, de jeter un voile épais sur les fautes de ses membres; où elle trouvera l'énergie qui lui a si souvent manqué, même lorsque les plus graves intérêts lui criaient sans cesse d'enlever à tel ou tel ingénieur sys- tématique ou inhabile la direction qui lui avait été confiée LES CHEMINS DE FER. 291 d'un travail capital ; à quels procédés inusités elle recourra pour employer chacun suivant sa spécialité ; d'où elle fera surgir la multitude de piqueurs, de conducteurs qu'exige ront de nouveaux travaux , car elle satisfait à peine à la besogne courante ; comment enfin elle résistera aux in- tluences personnelles c{ui jusqu'ici ont paru la maîtriser, et dont on pourrait citer de nombreux exemples. Toutes ces questions , Messieurs , s'éclairciront en temps et lieu. Votre commission a dû prendre les choses dans l'état actuel. En partant de cette base, nous trouvons très- naturel que M. le ministre du commerce ait prévu qu'on lui dirait dans cette enceinte : « Si l'on confie d'aussi grands travaux à l'État, on n'en verra jamais la fin, et la jouissance si désirée , si attendue de ces communica- tions nouvelles , sera indéfiniment retardée. » Nous laisserons, pour le moment, de côté, les citations que le gouvernement emprunte aux travaux d'un pays voisin , et cjui lui semblent éminemment favorables à son propre système. Ces citations ne pouvaient être plus mal- heureusement choisies. Nous les emploierons nous-mêmes en temps et lieu , pour combattre le projet ministériel. Ici nous nous bornerons à une seule remarque ; nous dirons C]ue des citations cessent d'être des arguments de bon aloi , dès qu'elles ne sont pas complètes. Ainsi nous concevons à merveille que , pour donner une leçon de sagesse, de patriotisme à votre commission et même aux Chambres, le Moniteur du o avril dernier ait soigneuse- ment enregistré le projet de loi présenté aux États- géné- raux, et en vertu duquel le gouvernement hollandais aurait exécuté lui-même des chemis de fer entre Rotter- 292 LES CIII'MINS DE FER. claiii, A.nistcrdani , l'irccht et Anilicini. Mais, n'cCit-il pas été convenable de nous apprendre plus tard , par la môme voie, que les arguments si pleins de sens et de raison qu'on livrait à nos méditations, avaient été sans puissance, et qu'un rejet h l'unanimité, moins deux voix. dans lesquelles deux voix fig;urait encore celle d'un mi- nistre, fit complète justice du projet tant préconisé. Le gouvernement veut se charger lui-même des che- mins de fer, afin de ne pas « olTrir à l'agiotage, à cette plaie de notre époque , des aliments nouveaux qui lui donne- raient la plus déplorable activité et la plus effrayante extension. » Rien assurément n'est plus digne d'éloge, et la com- mission éprouve un véritable regret de ne pouvoir louer que l'intention. Mais nous aurions peine à comprendre comment les chemins de fer seraient soustraits à l'agio- tage, si agiotage il devait y avoir, quand le gouverne- ment déclare ne se réserver que les 1,100 lieues de lignes principales, et qu'il destine à l'industrie 3 à 4 mille lieues de lignes secondaires et d'embranchements. Per- sonne assurément n'oserait soutenir que l'agiotage, en s'exerçant, par exemple, sur les 20 millions du chemin principal d'Orléans, serait plus fâcheux, plus immoral, plus menaçant pour les fortunes privées que celui qui se cramponnerait aux dO millions de l'embranchement d'Amiens à Boulogne. LES CHEMINS DE FER. 293 Section quatrième. — Du budget de l'État en matière de travaux publics extraordinaires. Passons maintenant, Messieurs, à la partie financière du problème. C'est là que nous trouverons les arguments peut-être les plus décisifs en faveur du système de la commission. Aussi , les eussions-nous développés les pre- miers, si l'ordre d'idées adopté dans l'exposé des motifs, n'avait pas , en quelque sorte , tracé notre marche. Que nous demande le gouvernement? L'exécution, aux frais de l'État, de lignes de chemins de fer qui, d'après les avant-projets, doivent coûter 207 millions. Ces 207 millions, avec quelles ressources espère-t-on y faire face? La commission a entendu à ce sujet JM. le ministre des finances, et elle a appris de lui : Qu'il ne pouvait pas être cpestion d'un emprunt dont le produit serait spécialement alfecté aux travaux pro- jetés; qu'on n'entendait pourvoir à la dépense qu'avec les excédants de recette et la réserve de l'amortissement ; qu'on procéderait par allocations annuelles, afin d'être toujours en mesure de s'arrêter s'il survenait des circon- stances graves. Eh bien, Messieurs, la commission a considéré que, de notre temps, des excédants de la recette sur la dépense sont une chose rare; que la réserve de l'amortissement ])eut être rendue à sa destination primitive par une mul- titude de causes. Avec des l'essources aussi éventuelles, il ne lui semblerait ni prudent ni utile que l'État s'enga- geât dans les travaux dont le projet de loi vous a l'ait connaître la vaste étendue. 294 LES CHEMINS DE FER. Nos doutes quant à rcxistcncc, ou si l'on veut quant à r importance seulement des excédants de recette sur les- quels le ministère compte pour rcxccution des chemins de fer, résultent d'un examen attentif des engagements que l'État a déjà pris ou qu'on vous a proposés, et qui ne seront pas moins sacrés à vos yeux que des engagements postérieurs. L'achèvement des routes royales, l'améliora- tion des ports et des rivières, l'ouverture ou l'achèvement des canaux, doivent absorber une somme d'environ oOO millions qu'il faudra couvrir par des crédits annuels et successifs. Diverses propositions contenues dans le budget extraordinaire de 1839, représentent une somme de o/j. millions. Des lois spéciales vous demandent , en outre , 11 millions destinés à de nouveaux canaux, et h millions 220,000 fr. pour les monuments publics. Lorsqu'il semble si difficile, sans rouvrir le livre de la dette publique, de pourvoir à cette charge extraordinaire de 49 millions que le pays supportera en 1839, la commission pouvait-elle vous proposer de nouvelles dépenses? Elle ne l'a pas cru. Messieurs. Nous avons la confiance que vous partagerez notre avis. Gomme la commission , vous trouverez qu'en- treprendre d'immenses travaux avec des ressources insuf- fisantes et mal assurées, serait une grande faute. Comme la commission, d'accord en cela avec M. le ministre des finances, vous ne voudriez pas aujourd'hui suppléer à cette insuffisance par des emprunts. Un pays, financièrement parlant, n'est pas dans une position normale, lorsque vingt-trois années de paix n'ont amené aucune diminution dans sa dette. Accroître cette dette au milieu de la plus profonde tranquillité, à l'occa- LES CHEMINS DE FER. 295 sion de travaux dont l'extrême urgence est contestée, et cjui d'ailleurs peuvent être exécutés sans que l'État s'en mêle, ce serait un acte d'imprévoyance sur lequel nous ne pourrions pas nous arrêter plus longtemps sans faire injure à la Chambre. CONCLUSIONS. Nous aurions mancfué à un devoir si nous n'avions pas chercliG à éclaircir par des communications verbales, les points que les documents imprimés laissaient dans l'obs- curité. MM. les ministres des affaires étrangères, des travaux publics et des finances, accompagnés de M. le directeur général des ponts et chaussées, se rendirent dans le sein de la commission. Pendant cette conférence, les dispositions principales du projet de loi , leurs consé- quences prochaines et éloignées, furent soumises, contra- dictoirement , à une discussion minutieuse. Toutefois, à part un petit nombre de considérations empruntées à la politique étrangère, et sur lescjuelles nous n'aurions à nous expliquer cjue dans le cas où M. le président du conseil ne trouverait pas d'inconvénient à les porter à cette tri- bune, aucun argument nouveau ne surgit du débat. En résultat, MM. les ministres annoncèrent l'intention de défendre le projet de loi dans toutes ses parties. Ce fut alors que le mot de transaction sortit de la bouche d'un des membres de la commission ; ce fut alors cfu'un de nos honorables collègues fit une peinture animée de tout ce que le pays pourrait avoir à souffrir d'un dis- sentiment absolu, inflexible, entre le ministère et les 206 LES CHEMINS DE TER. commissaires de lu Chambre. Le même membre alla jus- qu'à poser netlement cette question : le gouvernement consentirait-il à retirer l'exclusion radicale qu'il avait prononcée contre les compagnies en tout ce qui concer- nait les lignes principales, dans le cas où la commission jtroposerait l'exécution par l'État, d'une de ces grandes lignes qui n'avaient pas encore trouvé de soumission- naires ? La réponse ne fut pas aussi nette que nous l'aurions désiré. Il était assez évident qu'une transaction n'aurait pas répugné à M. le président du conseil ; mais M. le ministre du commerce insistait pour l'entière exécution du projet. En tout cas, il fallut bien renoncer à l'espérance que nous avions conçue, lorsque M. le président du con- seil eut déclaré, en termes formels, que le ministère ne pourrait pas consentir à confier à une compagnie l'exécu- tion du chemin de Belgique. Après avoir posé le principe de l'intervention des compagnies, la commission aurait- elle pu les exclure de la direction où, dit-on, il y a le plus de chances de réussite, et dans laquelle, s'il faut aussi en croire le bruit public , les propositions étaient le plus favorables? Nous ne l'avons pas pensé. Nous n'ajouterons plus qu'un mot, Messieurs, et vous connaîtrez dans tous ses détails la conférence qui a été si complètement travestie, et, circonstance fort étrange, à peu près dans les mêmes termes, par une foule de jour- naux paraissant le même jour sur les points les plus éloi- gnés du pays. A la fin de cette conférence, M. le président du con- seil exprima une crainte qui nous avait nous-mêmes LKS CHEMINS DE FER. 297 fortement préoccupés; comme nous, il s'arrêta tristement à la pensée que le désaccord de la commission et du gouvernement pourrait retarder encore d'une année des améliorations que tout le monde réclame. 11 croyait, au reste, que ce retard ne saurait être imputé au ministère ; que la responsabilité en retomberait tout entière sur la commission. Eh bien, nous aussi, Messieurs, nous nous en rapporterons avec confiance au jugement de la Chambre et au jugement de la France entière. Non , personne ne croira que dix -huit députés honorés de vos sufïrages, aient voulu arrêter le pays dans son essor, lorsque nous avons déjà dit à satiété, lorsque nous répéterons encore ici, que des compagnies puissantes, investies de la con- fiance publique, oiTrant à ce qu'il paraît toutes les garan- ties désirables de moralité et de savoir, sollicitent la concession de la plupart des lignes de chemins de fer, et que nous demandons à cor et à cri qu'on examine et qu'on accueille, s'il y a lieu, leurs propositions. Non! personne ne pourra transformer les membres de la com- mission en adversaires systématiques de ce moyen de communication admirable, lorsque nous ne dénions nulle- ment à l'État, partout où un besoin public bien constaté se manifeste et que des compagnies convenablement orga- nisées ne se présentent pas, la faculté et le droit d'exécuter lui-même les travaux dans la limite des possibilités tra- cées par le budget ; lorsque de nos principes découle, par exemple, la conséquence qu'aujourd'hui même le gouver- nement pourrait vous demander d'envoyer, aux frais du Trésor, des ingénieurs, des conducteurs, despiqueurs et des milliers de terrassiers, le long des lignes de Paris à 298 LES CHEMINS DE FER. Strasbourg et de Marseille à Avignon, pour lesquelles, dit -on, il ne s'est pas présenté de compagnies soumis- sionnaires. Se préoccuper de l'état de nos finances ; désirer fécon- der Pesprit d'association honnête, moral, sérieux, à l'aide duquel nos voisins d'outre- Manche ont exécuté de si grandes choses et que les projets qu'on nous a soumis viennent de faire surgir dans notre pays ; ne point s'aban- donner à des illusions, même en matière de locomotives à vapeur : ne pas admettre , par exemple , avec l'exposé des motifs, que deux tringles de fer parallèles donneront mie face nouvelle aux landes de Gascogne, tels étaient, à ce qu'il nous a paru, nos devoirs, et nous les avons scrupuleusement accomplis. Aucun de nous n'a pensé que ce fût là entraver le gou- vernement, lui lier les mains, le réduire à l'inaction. Eh, grand Dieu ! qu'il songe au fâcheux état d'un bon nombre de routes royales, de la plupart des routes départemen- tales, de presque toutes les l'outes communales; qu'il étudie les moyens de porter remède à un état de choses dont tous ceux cfui rentrent en France après avoir par- couru les contrées voisines , sont vivement peines ; que l'interminable question des canaux reçoive une solution définitive à laquelle le bien-être de plusieurs départe- ments et l'honneur de l'administration sont également intéressés; que sur ces canaux, aujourd'hui beaucoup trop dédaignés du public, on cherche à étendre, à géné- raliser, à perfectionner les moyens de locomotion à l'aide desquels de grands bateaux chargés de voyageurs par- courent déjà quatre lieues à l'heure; que d'habiles ingé- LES CHEMINS DE FER. 299 nieurs enfin soient spécialement préposés à l'étude, au perfectionnement, à l'entretien de nos voies de commu- nications fluviales, et cet, ensemble de recherches, de travaux, suffira pour user la plus ardente activité. Qui ne voit, d'ailleurs, qu'en opérant de telles améliorations, dont l'importance n'est pas contestable, dont l'urgence frappe tous les yeux , le gouvernement pourra toujours compter sur le concours patriotique des Chambres et sur les applaudissements du public. Nous voilà à très -peu près parvenus. Messieurs, au terme de la longue carrière que vous nous aviez tracée. Il ne nou^ reste, en effet, qu'à formuler nos conclusions, ou mieux encore, nous n'avons plus qu'à les réunir, qu'à les grouper, car déjà elles ont été nettement indiquées dans le cours de la discussion cfue vous venez d'entendre. Le gouvernement dût- il, comme il vous le demande, rester chargé de l'exécution des grandes lignes de chemin de fer, vous ne pourriez pas donner votre assentiment au mode de répartition de travail tracé par le projet de loi, puisque, sans aucun avantage réel , il entramerait l'im- possibilité de profiter des améliorations, des perfectionne- ments, des découvertes dont l'art s'enrichira certainement d'ici à quelques années. Vainement combattrait-on cette conclusion , en disant que l'exécution actuelle et simultanée de plusieurs lignes par les compagnies, aurait le même désavantage ; chacun verrait en effet que, dans ce dernier cas, l'inconvénient serait racheté par une plus prompte jouissance du nou- veau moyen de communication. La commission répon- drait d'ailleurs qu'elle était chargée , non de coordonner .300 LES ClIIi.MINS DE EER. les travaux des compagnies, mais crexamincr si, dans le système du projet de loi, les fonds de V Fiat seraient dépen- sés avec toute rinteiligence, avec toute rulilit(' possible. La commission a nppris, de la bouche même de MM. les ministres, que des compagnies se présentent pour exécuter à leurs frais, sans aucune subvention , les lignes de chemins de fer que le projet de loi signale comme les plus urgentes. Ces compagnies semblent sérieuses. Tout concourt à prouver qu'elles réussiront, ou même ({u'elles ont déjà réussi à réunir de très-grands capitaux. Les inconvénients attachés aux travaux dii'igés par l'inté- rêt privé , n'ont pas paru avoir toute la gravité qu'on leur attribue. D'une autre part, les avantages résultant des travaux exécutés par l'Etat, sont sujets à bien des éventualités. Les exigences, enfin, de notre position finan- cière, ne permettraient , pendant plusieurs années , d'af- fecter aux chemins de fer que des sommes très-limitées. Dans cet état de choses, la commission a pensé qu'il fallait se hâter de recourir aux compagnies, et elle se voit forcée de vous proposer le rejet du projet de loi. Ce rejet pur et simple était malheureusement, d'après la forme du projet, et d'après tous les usages de la Chambre, la seule voie qui fut ouverte à la commission pom* vous faire connaître l'opinion qu'elle s'est formée sur la nécessité d'appeler aujourd'hui les compagnies à l'exécution des grandes lignes de chemin de fer. Elle n'a trouvé, à regret, aucun moyen de saisir directement la Chambre d'une proposition qui eût concerné telle ou telle compagnie, telle ou telle des lignes projetées. Le gouvernement s'empressera sans doute d'user de son ini- LES CHEiMINS DE FER. 30Î tiative. C'est du moins dans cette espérance C|ue la com- mission a désiré vous présenter son travail sans retard, et que le rapporteur, pour répondre au vœu de ses collè- gues, a mis entièrement de côté toute considération d'amour- propre. Après ces éclaircissements, on ne dira plus , nous devons le croire, que les efforts de la commis- sion ont abouti à une pure négation. Au reste, était-ce bien ainsi que devait être qualifiée la ferme volonté qui s'est manifestée parmi nous dès nos premières séances, d'encourager, de développer, de féconder cet esprit d'association qui commence si heu- reusement à poindre, dont la France a tout autant besoin que de chemins de fer, et à l'aide duquel d'ailleurs les chemins de fer et tant d'autres grands travaux pourront être exécutés sans grever le Trésor de l'État. IV IMPOSSIBILITÉ DE L'eXÉCLTION DU RÉSEAU DES CHEMINS DE FEP. FRANÇAIS PAR LE GOUVERNEMENT DANS UN DÉLAI RAPIDE [Le rapport qu'on vient do lire a été discuté dans les séances de la Chambre des députés des 7, 8, 9 et 10 mai 1838. M. Arairo, en qualité de rapporteur de la commission, a résumé la discussion et défendu son opinion le 9 mai , dans un discours dont la fin a été renvoyée au lendemain 10 mai , et que nous extrayons du Moin- teur universel.} 1° Séance du 9 mai. M. Arago, rapporteur. Je demande la parole. .^L LE Président. M. le rapporteur a la parole. ( Mouvement ittention. ) M. Arago. Messieurs, la Chambre doit comprendre 302 LES CHEMINS DE FER. qu'en venant, en ma (jualito de rnpporicur, faire en quelque sorte le résumé de la discussion; je laisserai entièrement de côté quelques circonstances qui pour- raient être considérées comme personnelles. 11 importe en elTet extrêmement peu au pays de savoir si M. Muret de Bort a voté dans un sens ou dans un autre, parce qu'il avait lu le rapport, ou quoiqu'il eût lu le rapport. (On rit.) M. Muret de Bort. Oi-'-iiit à moi, il m'importait beaucoup de le lui dire. M. Arago. Je laisse absolument de côté cette question, qui ne peut intéresser que l'amour-propre de M. Muret de Bort et le mien (Rumeurs), et j'arrive aux objections qui ont été présentées et qui paraissent attaquer le fond môme de l'opinion que la commission a exprimée. On a dit, on a répété à peu près unanimement ici et ailleurs, que la commission et son rapporteur avaient eu la pensée de faire ajourner l'exécution des chemins de fer jusqu'au moment oi^i la science de la mécanique aurait réalisé certains perfectionnements dont il a été question dans le rapport. Messieurs, j'avoue que cette objection m'a singulière- ment étonné. Nous avons cherché, dans le rapport, à expliquer notre manière de voir dans les termes les plus clairs, les plus catégoriques possibles , et cependant, par une fatalité singulière, on a toujours supposé que nous voulions que le gouvernement et l'industrie attendissent que certains perfectionnements se réalisassent. Nous avons dit. Messieurs, tout le contraire depuis le commencement du rapport jusqu'à la fin ; mois que voulez- LES CHEMINS DE FER. 383 VOUS? on a oublié nos paroles, on s'est rappelé certaines critiques de journaux dans lesquels, il est vrai, on nous a attribué cette opinion ; mais cette opinion , la commis- sion ne Ta point eue. La commission était en présence d'une proposition du gouvernement, qu'il faut bien vous rappeler, et qui nous mettait, nous, dans l'obligation d'examiner si le mode de répartition du travail que le gouvernement avait adopté, était ou n'était pas admissible. Le gouvernement proposait d'exécuter lui-même quatre lignes. Eh bien, nous avons supposé un moment que vous adhéreriez à cette demande; cela posé, nous nous sommes demandé si le système de travail qu'il proposait était ou n'était pas admissible, et nous avons dit : « L'art des chemins de fer est encore dans l'enfance; il y a non- seulement des améliorations imprévues, mais des amé- liorations que tout le monde entrevoit, dont la science se saisira, et dont l'industrie fera certainement son profit. Faut-il que le gouvernement travaille de manière à se mettre dans l'impossibilité de profiter de toutes ces amé- liorations ? » En acceptant la question telle que le gouver- nement l'avait posée , et en admettant que la Chambre lui aurait accordé la faculté d'exécuter les quatre chemins à la fois, il nous a paru que le gouvernement ne devait pas travailler à tous à la fois; il faut, nous disions-nous, qu'il porte l'ensemble de ses forces, tous ses moyens d'action, d'abord sur un des chemins: quand ce premier chemin de fer sera achevé, il travaillera au second: après cela on passera au troisième ; on n'arrivera au quatrième qu'après achevé les trois premiers. 304 LES r.lIUMINS DE FER. Je dis que cette manière de distribuer, entendez-vous, de distribuer le travail , est conforme à la raison : il n'y a pas un millimètre de chemin de fer de moins par année, dans le système que nous vous proposons, que dans le système présenté par le gouvernement ; mais notre combinaison avait un avantage incontestable. L'art des chemins de fer étant encore dans l'enfance, un inter- valle de trois années doit faire surgir quelques décou- vertes, quelques améliorations; dans un nouvel inter- valle de trois années, d'autres perfectionnenients viennent s'ajouter aux précédents, et ainsi de suite. 11 résultait du mode de travail que nous vous proposions de substituer à celui que le gouvernement vous a présenté, cet avantage : que le premier chemin de fer étiint achevé, vous étiez en mesure, lorsque vous commenciez le second, de pro- fiter de toutes les améliorations que l'art et la science auraient obtenues dans l'intervalle des trois premières années; que, quand vous commenciez le troisième che- min, vous aviez six années d'expériences, d'études, de recherches, qui vous servaient à l'exécuter; qu'enfin, lorsque vous arriviez au quatrième, vous aviez neuf années d'excellents résultats que vous pouviez mettre à profit. Comment est-il possible qu'une idée aussi claire, que nous avons développée dans notre rapport avec toute la netteté possible, ait été transformée en une proposition d'un temps d'arrêt dans l'exécution des chemins de fer ! Nous avons dit qu'il fallait les exécuter sur-le champ, le plus promptement possible, puisque c'est un moyen de locomotion supérieur aux autres moyens connus; mais LES CHEMINS DE FER. 305 nous avons seulement ajouté : Ne commencez pas les quatre chemins en même temps ; d'abord travaillez exclu- sivement au premier; n'arrivez au second que lorsque le premier sera fini , et ainsi de suite. Voilà notre idée tout entière, nous n'en avons pas eu d'autre; et prenez la peine de lire le rapport, vous verrez que c'est bien là le système de la commission , système raisonnable et que je défendrai encore s'il est attaqué de nouveau. Nous n'avons pas été plus heureux sur le transit. Cette question avait été présentée par le gouvernement sous une certaine face. Eh bien, guidés par les hautes lumières d'une personne fort au fait des affaires commerciales, et que nous avions le bonheur de compter dans la commis- sion, nous avons examiné si, vu du point de vue du ministère, le transit avait toute l'importance qu'on lui avait donnée; nous avons calculé, d'après les chiffres officiels, d'après les chiffres de l'administration, quels étaient les résultats du transit ; et nous avons trouvé, non pas que cela devait être négligé, mais que le transit n'avait pas l'importance qu'on lui avait donnée. Après avoir examiné la question sous le point de vue de l'exposé des motifs, nous avons ajouté d'autres consi- dérations. Eh bien, on n'a pas lu notre rapport, puisqu'on nous reproche de ne pas avoir été plus loin. Je dois dire, à cette occasion, que j'ai été surpris de lire dans le discours de notre honorable collègue M. Jau- bert, qu'il était inconcevable qu'on n'eût traité la ques- tion du transit que sous un seul point de vue. Ce qu'il y a d'inconcevable pour moi, de la part d'un homme V.— II. 20 306 LES CHEMINS DE FER. d'un caractère aussi loyal que M. le comte Jaubcrt, c'est que s'il a aperçu cette lacune dans le rapport, il ne nous en ait pas fait part dans le sein de la commission ; il sait combien moi, rapporteur, j'ai été docile, avec quel em- pressement j'ai profité de toutes les observations qui m'ont été faites ; si M. le comte Jaubert avait eu la bonté de me signaler la lacune qu'il trouve inconcevable, j'au- rais fait tous mes efforts pour la combler; mais je me trompe, la lacune n'existe pas. Écoutez, s'il vous plaît, ce passage qui vient dans notre rapport après les chiffres relatifs à l'examen du point de vue spécial que le gou- vernement paraissait avoir choisi : «Ces chiffres dissiperont bien des illusions. Qu'on le remarque cependant, nous n'avons entendu traiter, à la suite de l'exposé des motifs , que la question du transit des marchandises appartenant à des étrangers à leur arrivée dans nos ports. Celle du transit des voyageurs, celle du transit de marchandises expédiées par notre commerce, ont une tout autre importance. Nous sentons très-bien ce que l'humanité, ce que la civilisation peu- vent attendre des moyens de transports commodes, éco- nomiques, rapides, qui rapprocheront, ciui uniront les peuples, ou devant lesquels du moins, s'affaibliront les haines nationales, les préjugés qui, durant tant de siè- cles, ont été si cruellement exploités. Nous savons très- bien aussi que là oh vont les hommes vont les affaires, et que, dès lors, le commerce a tout intérêt à voir afïluer sur notre territoire un très -grand nombre de voyageurs. Nous n'ignorons pas davantage combien les mille canaux de la Hollande contribuèrent jadis à faire des négociants LES CHEMINS DE FER. 307 de ce pays , les facteurs du commerce du monde , et notre plus vif désir serait c{ue nos concitoyens du Havre , de Nantes, de Bordeaux , etc. , etc. , trouvassent de sem- blables moyens de fortune dans les nouvelles communi- tions projetées. » Vous voyez, Messieurs, combien tombent à faux les reproches qui nous ont été adressés; nous avions parlé nous-même de l'influence que le transit pouvait exercer sur la prospérité de nos ports et sur la fortune de nos armateurs, en les assimilant aux ports et aux négociants de Hollande. Je dirai maintenant, Messieurs, que la principale con- sidération qui ait déterminé le vote de la commission, cjuoiciu'elle ne Tait pas placée en première ligne, et cela seulement parce qu'elle a cru qu'il était nécessaire, dans la rédaction de son rapport, de suivre pas à pas l'exposé des motifs, que sa principale considération a été finan- cière. Avant d'examiner si on donnera, ou si on ne don- nera pas au gouvernement les moyens de faire les che- mins de fer, il fallait s'assurer si l'état des recettes et des dépenses le permettrait. Eh bien. Messieurs, en cherchant si les ressources sont proportionnées à l'immense travail que le gouvernement propose d'exécuter, nous sommes arrivés à un résultat négatif. Ce résultat a été développé avec tant de supé- riorité par notre honorable collègue M. Duvergier de Hauranne et par M. Berryer, dans la séance d'hier, que je n'y reviendrai pas. Cette pensée s'est fortifiée dans nos esprits, non par ce que M. le ministre des finances a développé h la tribune, car nous devons lui rendre 308 LES CHEMINS DE FER. celle justice qu'il avait dit les mêmes choses dans le sein de la commission, mais par Texprcssion même dont il a fait choix. Nous ne prendrons pas, vous a-t-il dit, d'engagement financier, nous prendrons seulement un engagement moral. Eh bien, quand on n'a pas pris d'en- gagement financier, quand on n'alTecte pas à une nature de travaux un fonds spécial auquel on s'impose, dès l'origine, l'obligation de ne pas toucher, il arrive rare- ment que les travaux s'achèvent. Chaque année surgis- sent des difficultés pressantes, des intérêts nationaux qui vous forcent à disposer de vos ressources autrement que vous ne l'aviez voulu. Voici dans quels termes un direc- teur général des ponts et chaussées, M. Becquey, parlait de ces espèces d'engagement que le gouvernement prend avec lui-même. Voici ce qu'il disait dans un rapport en 1828: « La résolution prise de conduire à leur fin des tra- vaux de ce genre, pour une époque fixée, à l'aide des sommes puisées dans le Trésor, n'est jamais un enga- gement de l'État avec lui-même; l'État est libre d'y renoncer, et il y renonce toujours si des nécessités plus pressantes réclament les ressources dont il dispose. » (Sensation prolongée. ) Voilà, Messieurs, une phrase qui est, en quelque sorte, Thoroscope du projet des chemins de fer, tel que le gou- vernement le propose. Du reste, si la phrase de M. Bec- quey, résultat d'une expérience consommée, de réflexions profondes, ne paraissait pas démonstrative, nous n'au- rions qu'à citer des chiffres pour faire voir que les choses se passent ainsi. Dans les œuvres des hommes, et surtout LES CHEMINS DE FER. 309 (les mêmes hommes, rien ne ressemble plus à l'avenir que le passé. Le canal de Bourgogne a été commencé en 1775, vous savez qu'il a fallu plus d'un demi -siècle pour le terminer. Le canal de Saint-Quentin a été commencé en 1769, et vous savez, Messieurs, à quelle époque il a été achevé, ou plutôt vous savez à quelle époque il a fallu le retirer des mains du gouvernement pour le donner à une compagnie qui l'a achevé. 11 semble, en vérité, à entendre certains orateurs, que la commission se soit rendue coupable d'une hérésie, en disant que les machines locomotives n'étaient pas encore parvenues au degré de perfection désirable. Je prendrai volontiers cette assertion sous ma respon- sabilité personnelle. Je dirai qu'il y a dans ces machines des causes de destruction incessantes qui, peut-être, dis- paraîtront demain. Dans l'état actuel des choses, on est obligé d'avoir un corps de pompes très-peu élevé, dont le piston a une course de peu d'étendue : il est donc nécessaire de les soumettre à des mouvements très- rapides de va-et-vient, ce qui est une cause continuelle et très-active de destruction pour tous les corps solides qui y ont été soumis. Si, au lieu d'un mouvement de va-et-vient, on pouvait imprimer au piston et aux pièces qui en dépendent un mouvement de rotation continue ; si le piston pouvait avoir un mouvement circulaire , toujours dans le môme sens, cette cause de destruction aurait disparu en grande partie. Déjà des machines à vapeur à rotation immédiate ont été essayées, seulement avec plus de consommation 310 LES CHEMINS DE FER. de combustible que les machines ordinaires. Mais la ques- tion de la consommation d'une plus ou moins grande quantité de charbon dans les procédés de locomotion n'est pas la principale; ce qu'il faut surtout éviter, c'est que les machines se détruisent avec une trop grande rapidité. Supposez que l'on parvienne à faire une machine rotative immédiate, et je le répète, il y a des ingénieurs français qui s'en occupent , qui sont en voie d'expérimenter, et qui, je l'espère, attacheront par la découverte de cette machine un nouveau fleuron à notre gloire nationale; si, dis-je, cette machine réussit, vous aurez résolu un problème qui changera à beaucoup d'égards le problème de la locomotion sur les chemins de fer. Quelques ora- teurs ne croient pas aux grandes imperfections dont la commission a parlé. Examinons donc ce que les chemins de fer coûtent, quelles sont les réparations à faire aux machines et aux rails. Nous demanderons ensuite, non pas aux mécaniciens, mais aux industriels qui exploitent les chemins de fer, si l'on peut appeler parfaite une ma- chine qui, par exemple dans un seul semestre de 1833 sur les chemins de Liverpool à Manchester, a exigé pour les réparations des locomotives une dépense de 335,000 francs, et l'intervalle à parcourir n'est que douze lieues. Et savez-vous quelle est la masse d'ouvriers que ces réparations ont exigée? Les salaires des ouvriers qui , dans l'intervalle de six mois, ont concouru dans les ateliers à la réparation des locomotives du chemin de Manchester à Liverpool, ont été de 102,000 francs. Et encore ne croyez pas que toutes ces machines aient pu être réparées dans les ateliers. Elles LES CHEMINS DE FER. 311 se dérangent en route , on est obligé de les réparer sur place. Eh bien , ces réparations sur place ont coûté une somme de 233,000 francs. Enfin, les rails ont exigé une dépense de 338,000 francs, dans l'intervalle de ce même semestre. Messieurs, il nous a semblé qu'il était nécessaire, lors- que nous avions Thonneur de parler devant la Chambre des députés de France , lorsque nous étions l'organe d'une commission choisie par elle, de ne pas nous laisser entraîner à des jeux d'imagination , à des mouvements d'enthousiasme. Nous nous sommes fait un devoir d'aller au fond de la question. Sans doute il y a des chances de réussite très-grandes , nous les avons reconnues, et nous nous sommes empressés de les proclamer; mais dans le moment où nous engagions la Chambre de s'adresser à l'industrie particulière, il était de notre devoir de ne pas nourrir des illusions sur des chances de bénéfices que peuvent présenter beaucoup de hgnes, mais qui ne doivent pas réaliser tout ce qu'on a paru croire. Nous avons dû nous placer dans la réalité des choses, nous avons regardé comme un devoir de dire ce que les che- mins de fer sont au vrai, et non pas ce qu'ils sont dans la tète de certaines personnes qui les voient d'après les yeux de l'imagination. Les chemins de fer sont très -utiles pour le transport des personnes; dans l'état des choses, ils sont moins utiles, quoiqu'ils soient utiles encore, pour le transport des marchandises. Si on pouvait,, sur les chemins de fer, transporter les marchandises lentement, ils auraient d'immenses avantages, môme sous ce rapport; mais, 312 LES CHEMINS DE FER. malheureusement, cela devient à peu près impossible ou du moins très-dangereux lorsque la môme voie sert aux voyageurs. Transportez les marchandises très- rapide- ment, et vous perdez beaucoup : vous ne retrouverez pas la compensation de vos dépenses , par la raison que vous ne pouvez pas imposer les marchandises comme vous imposez les voyageurs. Les canaux ont un genre d'utilité que ne possèdent pas les chemins de fer. Sur les chemins de fer, à moins de renoncer à leur principal avantage, il faut aller vite; il ne faut s'arrêter en route qu'à de longs intervalles ; les pays intermédiaires ne peuvent pas en profiter. Un canal, au contraire, profite à tous les propriétaires riverains; le fermier peut se servir d'un simple batelet pour trans- porter ses denrées au marché voisin et rapporter au gîte les objets qu'il a achetés. Quoique je sois très -partisan des chemins de fer, quoique je désire qu'on en fasse en France très-promp- tement, tout de suite, et cette déclaration, je l'invoquerais au besoin, si mon opinion n'était clairement consignée dans tout le rapport; cependant, je regarde comme un devoir d'examiner si, par exemple, tout ce que le gou- vernement nous propose de faire a dans le pays des chances pécuniaires de réussite. Je sais qu'il y a des cas dans lesquels il ne faut pas s'arrêter aux chances pécuniaires; il y a telle direction, par exemple, dont je parlerai dans un moment, et où je voudrais, moi, faire un chemin de fer lors même qu'il devrait coûter beau- coup et produire très-peu. Mais, en général, il faut sup- poser que les capitaux consacrés à ces grands travaux LES CHEMINS DE FER. Îi3 rapporteront un certain intérêt. Voyons s'il y a proba- bilité que le réseau du gouvernenoent produirait 5 p. 0/0 d'intérêt. Sur le meilleur des chemins de fer, sur le chemin de Liverpool, la dépense est des quarante centièmes de la recette brute. Le gouvernement vous propose une série de chemins de fer qui devraient coûter, dans notre opinion, je sais bien que le gouvernement a contesté ce chiffre, mais enfin, dans l'opinion de la commission, ils devraient coû- ter 2 milliards; à 5 p. 0/0, cela ferait 100 millions. Puisque la dépense est des quarante centièmes de la recette brute, il faudrait donc 250 millions de recettes brutes. Quelle est la recette que font maintenant toutes les diligences? Que font l'administration des postes et les relais des postes pour tous les voyageurs qui circulent en France? J'ai cherché dans des documents irrécusables et, abstraction faite du transport des marchandises, j'ai trouvé qu'il y avait 52 millions de recette. Je ne dis pas, tant s'en faut, que, quand la facilité des communications sera devenue plus grande, on ne voyagera pas davantage ; mais c'est à vous cependant à voir si vous espérez que le nombre des voyageurs quintuplera; car il faut qu'il quintuple pour que vous obteniez 5 p. 0/0 de la dépense qu'on vous propose. Au reste, je ne veux pas cacher que, dans mon opinion, il y a quelque probabilité que l'aug- mentation sera considérable, et, pour le prouver, je veux montrer à la Chambre, par quelques chiffres, dans quelle proportion, à mesure que la facilité des communications est devenue plus grande, le nombre des voyageurs s'est 3U LES CHEMINS DE FER. augmente. Mes citations seront favorables aux personnes qui croient que la locomotion par les chemins de fer multipliera à l'infini le nombre des voyageurs. En 1770, il n'y avait à Paris que 27 coches : il partait tous les jours par ces coches 270 voyageurs. Aujourd'hui, il y a 300 voitures et 3,000 voyageurs. Jl est présumable que l'exécution des chemins de fer conduira à des résultats analogues. En 1792, la ferme des messageries était de 600,000 fr. maintenant la taxe sur les messageries est de 5,600,000 francs; c'est presque dix fois plus. Si dans le passage des coches aux messageries l'augmentation a été aussi grande, il est probable que dans le passage des mes- sageries aux chemins de fer, elle ne sera pas moins considérable. En 1766, on allait de Paris à Lyon pour 50 francs en dix jours; on y va maintenant en trois jours. En 1766, on allait de Paris h Rouen pour 15 francs en trois jours; vous savez qu'on y va maintenant en quel- ques heures. Les facilités de la locomotion, les commodités dans les transports augmentent donc le nombre des voyageurs dans une proportion telle, que, nonobstant les chifTi'cs que je viens de vous indiquer, je crois que l'exécution des chemins de fer conduira à des résultats très- importants quant au nombre des voyageurs qui parcourent toutes les parties de la France. Arrivons maintenant à la question de savoir si les chemins de fer une fois bien classés, doivent être faits par le gouvernement ou par l'industrie privée. La corn- LES CHEMINS DE FER. 31Ô mission pense que l'intérêt privé est le meilleur juge de ce qu'il convient de faire, et qu'il aperçoit des possibilités là où la science et le zèle dont a parlé M. le directeur général des ponts et chaussées, science et zèle que je démentirai moins que personne, n'ont rien aperçu. Vous vous rappelez que la question du chemin fer do Rouen a déjà été présentée à la Chambre. 11 fut nommé mie commission dont j'avais l'honneur de faire partie. M. le directeur des ponts et chaussées, et le ministre des travaux publics de cette époque, accompagnés d'un ingénier de mérite, que je m'honore d'avoir eu pour camarade à l'École polytechnique , se rendirent dans le sein de cette commission. Le combat était comme au- jourd'hui entre le chemin de la vallée et le chemin des plateaux ; des ingénieurs au service des compagnies dirent qu'il était possible de passer par la vallée. Mais cette possibilité fut niée d'une manière formelle par M. le directeur des ponts et chaussées et par l'ingé- nieur qui l'accompagnait. Ils déclarèrent positivement qu'il n'était pas possible de passer par la vallée; qu'il y avait des difficultés insurmontables. On apporta la carte de France; nous examinâmes la hauteur des plateaux, et ce fut sur une discussion qui s'était élevée entre M. Bel- lenger et M. Defontaine, que la commission suspendit son travail. M. Legrand. Nous n'avons jamais dit qn'il fût impossible d'éta- blir un chemin de fer par la vallée; ce que nous avons dit, c'est qu'il était difficile, au sortir de la ville de Rouen, de s'élever sur le plateau. M, Arago. Il n'é(ait pas question de Rouen à cette époque; il était question d'un chemin de fer de Paris à 316 LES CHEMINS DE FER. Rouen , et il n'était pas question de sortir de Rouen. (Bruit.) M. Legrand. Le projet de loi était de Paris au Ilavi'c. M. Arago. C'était une question des environs de Paris, et c'est sur une proposition formelle que la discussion fut ajournée. .M. Teste. Ce que dit Al. le rapporteur est parfaitement conforme au souvenir que j'ai gardé de ce qui s'est passé. J'étais président de la commission, et je pourrais trouver, dans les notes que j'ai con- servées, la confirmation littérale de ce que vient de dire ^]. le rap- porteur. M. Arago. Le fait est parfaitement exact, et je re- mercie M. Teste d'avoir ajouté son témoignage au mien. AI. Legrand. Je m'inscris contre cette déclaration. M. Arago. Nous ne pouvons nous tromper deux. Je voulais faire voir que là où des ingénieurs de mé- rite n'avaient pas vu la possibilité de faire un chemin, l'intérêt privé l'avait aperçue. L'administration elle-même a reconnu depuis cette possibilité, car elle a fait faire deux projets par la vallée. Messieurs, l'intérêt privé, que l'on suppose si impuis- sant, trouve les moyens de résoudre des questions qui paraissent insolubles à l'administration. Je vais citer un fait, et j'espère que M. le directeur des ponts et chaussées ne dira pas qu'il est inexact, car j'ai apporté un certificat signé. (On rit.) Un ingénieur de l'administration, ingénieur de beau- coup de mérite, a été chargé de faire un chemin de fer; c'était un de ceux qui vous sont proposés. Il rencontre sur sa route im parc (vous savez que T administration ne veut pas qu'on marche dans les cain'bes, quoiqu'un ingé- LES CHEMINS DE FER. 317 nieiir civil, M. Laignel, ait trouvé le moyen de le faire); l'ingénieur du gouvernement trouve devant lui un parc qui appartient à une personne extrêmement riche. Ne croyant pas à la possibilité de traverser le parc, ima- ginant que les résistances du riche capitaliste seraient insurmontables, M. l'ingénieur traverse une large rivière, s'avance un peu sur la rive droite, et pour revenir sur la rive gauche , il projette un second pont. Eh bien, ce chemin, une compagnie se présente pour l'exécuter. Le principal concessionnaire va trouver le propriétaire du parc, et lui demande passage. Le capitaliste répond : « Est-ce une compagnie parti- culière? — Oui. — Je vous laisserai passer; je vous don- nerai même le terrain ; je vous impose seulement une condition, c'est que vous me referez mon saut-de-loup. » Yoilà le problème que l'administration n'avait trouvé le moyen de résoudre qu'en faisant deux ponts. (Rires et agitation. ) M. le président du conseil vous disait hier qu'il ne fallait pas s'arrêter au plaisir de mettre les membres du gouvernement en désaccord avec eux-mêmes. Les mem- bres du gouvernement ont donné si souvent cette satis- faction à leurs adversaires dans cette session -ci, cju'en vérité je dirai que le conseil de M. le comte Mole est bon à suivre. Aussi n'est-ce pas pour le plaisir futile de mettre les membres de l'administration en désaccord avec eux-mêmes, que je viens de citer M. le président du conseil. M. le président du conseil, à une époque oii il con- naissait parfaitement toutes les ressources de l'adminis- 318 LES CHEMINS DE FER. tralion publique, toutes les ressources du corps des ponts cl chaussées, a été l'un des phis chauds comme des plus habiles avocats des compagnies particulières. 11 me per- mettra donc de citer à l'appui de l'opinion de la com- mission quelques extraits des excellents rapports qu'il fit en 1828, lorsque le gouvernement voulut examiner comment on se tirerait de l'interminable affaire des canaux. M. LE rRKSiDENT DU CONSEIL. Mais CG quc j'ai (lit alors, c'est ce que j'ai répété hier. M. Arago. Je dirai que les opinions de M. le président du conseil étaient tout à fait du goût de l'administration des ponts et chaussées à cette époque. M. Becquey ré- pondit au rapport de M. le comte Mole, au rapport de 1828. Voici dans quels termes il formulait son opinion et l'opinion du corps des ponts et chaussées : «Tout le monde sera d'accord avec M. le comte Mole sur la solution de la question suivante : Vaut-il mieux livrer l'exécution des canaux (il n'était question que de canaux alors) aux soins de l'industrie particulière, ou laisser l'État l'entreprendre à l'aide d'eviprunls faits à des capitalistes? Posée dans ces termes, la question ne peut pas être un instant douteuse; je m'en suis moi-même expliqué dans bien des circonstances. » Vous voyez. Messieurs, que si l'administration des ponts et chaussées a aujourd'hui un autre système, le système de la commission, le système qu'on a tant com- battu, contre lequel on a tant argumenté, vous voyez que ce système a été celui de l'administration des ponts et chaussées elle-même. LES CHEMINS DE FEI^. 319 Quant à M. le comte Mole, voici ce qu'il disait des compagnies : « Ce que demande avant tout l'industrie particulière (et ce qu'on ne lui accordait pas, comme cela ressort de toutes les autres parties du rapport), c'est qu'on la laisse maîtresse , indépendante, libre dans son essor. Le gou- vernement lui a toujours imposé ses plans, ses ingénieurs, ses conditions, et l'environne d'entraves dont elle s'effraie d'autant plus c{ue les erreurs des devis rédigés pour le compte de l'administration semblent presque inséparables de tout ce qu'elle entreprend. » M. le comte Mole ne voyait qu'un moyen d'amener l'affaire des canaux à une solution satisfaisante : c'était d'abandonner à l'industrie particulière la proposition des travaux et toutes les initiatives. Il a été souvent question de la fixité des tarifs, de la nécessité de les modifier, des abus qui peuvent résulter de la persistance peu éclairée des compagnies à main- tenir des tarifs exagérés alors qu'une diminution leur procurerait de grands bénéfices. Voici ce que disait M. Mole, car toutes les questions relatives à l'organisation du corps des ponts et chaus- sées, que nous avons eu à examiner dans la commis- sion , ont été traitées par M. Mole avec une supériorité très -grande dans le rapport dont nous donnons quel- ques extraits, et je regrette beaucoup de n'avoir pas connu tous ces passages lorsque j'ai rédigé mon rap- port ; je n'aurais pas manqué de les y placer avec des guillemets. (Hilarité. ) On a parlé des tarifs uniformes, on veut établir des 320 LES CHEMINS DE FER. tarifs uniformes dans les localités les plus dissemblables; dans les localités où les chemins coûteront des sommes tout à fait différentes, on veut les mêmes tarifs. Eh bien, M. le comte Mole disait : « Il est indispensable de varier les tarifs selon les localités. » Après avoir annoncé que les erreurs dans les devis de l'administration semblaient inséparables de tout ce qu'elle entreprend, M. le comte Mole citait des cas dans lesquels l'administration s'était trompé. Je ne les citerais pas moi-même si M. Legrand, en racontant les fautes faites en Angleterre, en en faisant une juste critique, n'avait dit que l'administration française se trompait très-rare- ment. Voici des chiffres, je les prends dans le rapport de M. le comte Mole; je crois qu'il les tenait d'un ingénieur qui faisait partie de la commission (M. Tarbé). Dans le canal de Monsieur et dans le canal d'Arles à Bouc, l'erreur était seulement d'un huitième; dans le canal du Nivernais l'erreur était un peu plus forte, c'était cinq huitièmes. Dans le canal latéral de la Loire (j'en demande pardon à la Chambre, on ne met pas ordinairement un entier sous la forme d'une fraction), l'erreur était de sept sixièmes. (Hilarité.) La cfuestion des tarifs a joué un si grand rôle dans la discussion, et paraît destinée à avoir tant d'influence sur le vote de la Chambre, qu'il est nécessaire de répéter toutes les phrases dans lesquelles M. le comte Mole a caractérisé cette question. Il avait dit : « Le principe de l'unité pour les tarifs doit être abandonné. » C'était une idée fixe; M. le comte LES CHEMINS DE FETi. 321 Molé y revenait tour à tour, tandis qu'aujourd'hui c'est la fixation par l'administration, qui devient la pierre angu- laire du projet du gouvernement. Voici une dernière phrase prise à la page 9 du rap- port ; elle dit que « quant à la révision des taiifs, le gou- vernement doit s'en rapporter aux compagnies. » Vous le voyez, M. le comte Molé... (Mouvement au banc des ministres.) Ce n'est pas pour mettre M. le président du conseil en opposition avec lui -môme que je poursuis ces citations. î\l. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je VOUS pHc de VOUS rappeler que je n'ai pas dit hier un mot qui soit en contradiction avec ce que vous rapportez ici. M. AiiAGO. Je ne sais, mais j'ai cru devoir m' appuyer de votre opinion de 1828. M. LE PRÉSIDENT DL CONSEIL. Vous pouviez prendre tout aussi bien mon discours d'hier; il ne contient pas un mot qui ne soit dans le même esprit. M. Arago. Les membres de la commission sont heu- reux de vous trouver comme auxiliaire... M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Au Contraire, je suis son adversaire très-décidé. M. Arago. Le système de la commission était telle- ment dans le vrai, c^ue nous sommes arrivés aux mêmes conclusions par des voies dissemblables : l'un était plus frappé par une considération, et l'autre par une autre considération : moi, j'ai été très -préoccupé de cjuelques inconvénients qui me paraissent attachés à l'organisation actuelle des ponts et chaussées: ces inconvénients, je les ai développés devant la commission ; je ne les aurais V. — II. 21 322 LES CHEMINS DE FER. pas discutés devant la Chambre si M. le ministre du com- merce, dans son discours de Faulrc jour, ne m'eût pré- senté comme l'adversaire des ingénieurs des ponts et chaussées. Eh ! mon Dieu, M. le ministre, les ingénieurs des ponts et chaussées sont vos subordonnés; ils vous sont attachés par des liens respectables; mais je leur suis attaché, moi, par des liens d'une autre nature et tout aussi précieux : ils sont presque tous mes élèves. Ce n'est pas moi qui critiquerai les ingénieurs des ponts et chaussées; ils ont été les plus habiles parmi les habiles de l'Ecole polytechnique. Ce dont je me plains, c'est que, par des circonstances indépendantes d'eux et par un manque de bonne orga- nisation dans le corps des ponts et chaussées, ils ne fas- sent pas tout ce qu'on peut attendre, je ne dirai pas de leur zèle et de leur honneur, mais de leur science, d'une science laborieusement acquise. Ce que je voudrais, c'est que les ingénieurs des ponts et chaussées, attachés à des compagnies, pussent se créer de grandes positions comme celles qu'ont acquises, en Angleterre, certains ingénieurs que M. Legrand connaît bien ; comme celles de Brindley, de Smeaton, de Rennie, de Telfort. Que devient un ingénieur chez nous? Quand il a fait un travail, il est amorli, non avec intention de la part de l'administration, mais en résultat. On le fait venir c^ Paris, et il fait des rapports. M. Legraxd. Il faut bien que les rapports soient faits par des hommes habiles. M. Arago. Moi, j'aime mieux que l'ingénieur habile fasse des ponts ou des canaux ; j'aime mieux qu'au lieu LES CHEMINS DE FER. 3?3 d'examiner les travaux des autres, il travaille par lui- même; c'est ainsi que l'on doit un grand nombre de constructions importantes aux ingénieurs d'Angleterre; c'est ainsi que Telfort a exécuté , sous des compagnies, à lui seul , une plus grande masse de travaux que dix ingénieurs en France qui valent autant que lui, ou du moins qui vaudraient autant s'ils étaient en position de faire valoir leurs talents, de faire valoir leur génie, de faire valoir leur zèle. Ce que je regrette extrêmement, précisément à cause de la haute opinion que j'ai d'eux, c'est de ne pas voir leurs noms attachés aux découvertes qui honorent l'art et l'industrie dans ces derniers temps. Sur la question des chemins de fer, quel est l'ingénieur des ponts et chaussées dont le nom rappelle quelque chose d'important? Vous trouverez au contraire beaucoup d'ingénieurs civils dans l'histoire des voies ferrées jusqu'à ce jour. La machine locomotive, c'est la chaudière; elle n'existe pas dans ce petit mécanisme qu'admirent les personnes peu instruites, elle est dans un moyen prompt, efficace, d'engendrer toute la vapeur dont la machine a besoin pour marcher. Eh bien , c'est l'œuvre d'un ingénieur civil français, de M. Séguin. Les Anglais ne peuvent le contester. Un brevet d'invention bien caractérisé, publié en France, avait devancé la machine de Stephenson. Vous savez que, pom* engendrer dans une machine à vapeur une grande quantité de vapeur, il faut établir là une ventilation active. Vous ne pouvez l'obtenir qu'avec une immense chau- dière ou avec une immense cheminée. Vous savez ce que 324 LES CHEMINS DE FER. serait une immense cheminée avec les tunnels multipliés, et quelle oscillation cela donnerait à tout le mécanisme de la machine. Eh bien, qui a inventé le moyen de se servir d'une vapeur perdue pour augmenter le tirage et pour remplacer Timmcnse cheminée dont on avait eu la pensée de se servir d'abord? c'est un ingénieur civil, un médecin de Paris, M. Pelletan. Vous savez que les ingénieurs ont eu à résoudre un problème important, celui de parcourir avec une cer- taine rapidité les courbes d'un certain rayon. C'est en- core un ingénieur civil, et non un ingénieur des ponts et chaussées, qui l'a résolu. N'allez pas croire. Messieurs, que je ne fasse pas beaucoup de cas des ingénieurs des ponts et chaussées. Je les considère, au contraire, je le répète, comme l'élite de l'École polytechnique, comme des hommes hors de ligne; s'ils ne font pas tout ce qu'on peut attendre de leurs talents, c'est à cause de l'organisation vicieuse du corps; c'est qu'on ne cherche pas à créer des spécialités; c'est que chaque homme n'est pas appliqué à la direction d'idées qui s'est mani- festée en lui. Je parle de spécialité. Permettez-moi de me servir d'une comparaison qui paraîtra peut-être étrange, mais qui est juste. Que diriez-vous d'une armée dans laquelle on vous annoncerait que chaque officier commande tour à tour l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie et les sapeurs? Vous n'auriez pas une trop bonne opinion de cette armée. Eh bien, il en est ainsi pour les ponts et chaussées. Quand un ingénieur s*est occupé des questions hydrauliques rela- tives à la canalisation ou à l'amélioration des fleuves, on LES CHEMINS DE FER. 32o renvoie faire des ponts : celui qui sait faire des ponts, (|ui a acquis de l'expérience dans cette spécialité, s'il y a un port à améliorer, on l'y enverra. Je dis que c'est là un défaut très-grave; et pour le faire ressortir, per- mettez-moi de vous citer un ou deux cas ôi^i des spécia- lités , ayant été laissées à leurs travaux de prédilection dans les ponts et chaussées, ont produit des résultats admirables. Je citerai les phares. M. Becquey était très-bien in- tentionné pour le corps des ponts et chaussées, il institua une commission des phares; je faisais partie de cette commission, et je m'étais chargé des expériences. Bientôt je vis qu'une seule personne ne pourrait pas suffire à cette tâche. Ma correspondance avec un ingénieur des ponts et chaussées m'avait démontré qu'il y avait dans ce corps une personne, un homme de science, un homme de génie pour cette spécialité, je priai M. Becquey de l'attacher au service des phares. C'était à Paris que l'on faisait ces expériences. IMais telles sont les exigences du corps des ponts et chaussées, que le savant dont je parle, M. Fresnel, l'un des hommes les plus considérables de la science que la France ait jamais produits, ne put être attaché à la commission qu'en travaillant du matin au soir au pavé de Paris. Il faisait le toisé du pavé de Paris, tm même temps qu'on le chargeait de faire des expé- riences sur les phares. Voulez-vous une autre exemple de spécialité? ])E TOUTES PARTS. .V demain, il est six lieurcs ! M. LE PnÉsiDE.M. M, Arasro continuera demain son résumé. ZU LES CHEMINS DE FER. 2° Séance du 10 mai, !\I. LE Président. L'ordre du joui* est la suite de la discussion du projet de loi sur les chemins de fer. ]\1. le rapporteur a la parole pour la continuation de son résumé. M. Arago. Messieurs, en commençant hier, au nom de la commission, le résumé de la discussion générale, il m'a paru qu'il était convenable de répondre en quelques mots à des difficultés qui nous avaient été adressées de toutes parts et qui ne nous semblaient pas fondées. Nous avons montré que Tintention de la commission n'avait jamais été d'empêcher le gouvernement, ou d'em- pêcher les compagnies de travailler tout de suite, de tra- vailler activement à la confection des lignes de chemins de fer, La commission n'avait discuté que la c[uestion de savoir si l'on devait travailler à toutes les lignes à la fois, ou s'il ne fallait pas porter toute la force d'action sur une ligne particulière, de manière à profiter des améliorations et des perfectionnements que tout le monde attend, que tout le monde désire, et que certainement l'art et l'in- dustrie nous fourniront d'ici à peu de temps. Nous avons aussi traité succinctement la question du transit; après l'avoir examinée, comme on l'avait dit, sous le point de vue un peu restreint que le gouvernement avait adopté, nous nous sommes aussi attachés à la traiter dans des vues générales et à voir l'influence qu'elle pou- vait avoir sur la prospérité de notre commerce. Quelques phrases du discours de M. le ministre des travaux publics m'avaient amené à toucher un autre sujet, celui de savoir si le corps des ponts et chaussées, dont LES CHEMINS DE FER. 327 personne ne conteste le mérite, dont tout le monde, au contraire, reconnaît la haute capacité, était organisé de manière à pouvoir suffire aux grands travaux qui vous sont présentés. Cette question, je n'ai fait que l'effleurer; j'y revien- drai, si cela est nécessaire, dans une autre occasion. Cependant il est bon que je réponde à une ou deux asser- tions de M. le directeifr général, et à une ou deux phrases de l'exposé des motifs , parce qu'elles me sem- blent de nature à exercer quelque influence sur la déter- mination de la Chambre. Lorsque nous avons contesté à l'État la possibilité de faire très -vite et économiquement des chemins de fer, surtout quand ces chemins doivent occuper de très-grands espaces, on nous a cité la Belgique. Eh bien, si les be- soins de la discussion nous y amènent, nous prouverons que cet exemple est très-mal choisi, que les chemins de Belgique ont été mal exécutés, qu'ils ont été faits avec une légèreté telle que certainement ils ne doivent pas servir de modèles. Je suis étonné de voir que M. le direc- teur général des ponts et chaussées , c{ui sans doute con- naît tous les défauts de cette construction par les rensei- gnements qu'il a dû rece\oir, se soit appuyé de cette exécution imparfaite pour dire qu'un corps organisé comme le corps des ponts et chaussées de Belgique ferait d'excellents chemins de fer. Nous avons cité des chemins exécutés en Angleterre par des compagnies; on a dit que les pays ne se ressemblaient pas ; que les capitaux n'étaient pas en France réunis dans un petit nombre de mains; que les propriétaires des terrains que devaient 338 LES CHEMINS DE FER, traverser les chemins ne se prêtaient pas à rexécution des travaux, et enfui mille difficultés de ce genre. Nous avons cité les États-Unis, où les compagnies par- ticulières exécutent, comme vous savez, des chemins avec beaucoup de rapidité et d'économie. Eh bien, aux Etats- Unis, il est venu une fois au gouvernement central la pensée de faire un chemin de fer ; il en a fait un , un seul, celui de Cumberland. 11 a fallu l'abandonner. C'est le seul cjui n'ait pas réussi ; tous ceux qui ont été confiés à des compagnies sont en pleine prospérité ; ils sont par- courus chac|ue jour par une immense cjuantité de voya- geurs. Celui-là on ne l'a pas achevé, celui-là il a fallu, pour l'amener à bon terme, l'abandonner à une com- pagnie. M. le ministre des travaux publics a dit, dans son exposé des motifs, c|ue le corps des ponts et chaussées exécutait quelciuefois longuement, il l'a reconnu; mais il a ajouté que cela avait lieu seulement c|uand les fonds manquaient. Je suis bien fâché de le dire, mais cela n'est pas exact. Le corps des ponts et chaussées n'exécute pas avec rapi- dité, alors même qu'il a des fonds, alors que tous les moyens de travail sont dans ses mains. Ce fait a été éclairci dans une circonstance impor- tante, dans une discussion relative à l'exécution des ca- naux; le corps des ponts et chaussées a eu des discus- sions très- vives avec les compagnies de prêteurs qui avaient fourni l'argent à l'aide duquel on a fait les canaux de 1821 et de 18:22. Dans une réponse aux exigences des compagnies, l'administration déclara que les travaux LES CHEMINS DE FER. 329 n'avaient pas marché avec beaucoup de rapidité, parce que les fonds avaient manqué. Cette assertion se trouve renouvelée dans l'exposé des motifs. Voici la réponse, Messieurs : « Au mois de mai 1825, trois années après la signature du cahier des charges, les compagnies avaient versé pour le canal latéral à la Loire, /i, 125,000 francs. La dépense faite par le corps des ponts et chaussées à cette même époc{ue était de 53,000 francs. « Pour le canal du Nivernais, la compagnie, trois années après la signature du cahier des charges, avait déposé o,l/l2,857 francs; le corps des ponts et chaussées avait dépensé 400,000 francs. » Vous voyez donc qu'il n'est pas exact de dire que les travaux du corps des ponts et chaussées ne marchent len- tement que parce que les fonds manquent; les travaux marchent lentement, parce qu'il est de la nature de cette administration de marcher lentement. M. le ministre a dit qu'on ferait des changements, des améliorations, des perfectionnements, et que ces perfec- tionnements permettraient de marcher plus rapidement. Attendons l'effet de ces perfectionnements, mais pre- nons les choses dans l'état actuel; je maintiens que, dans l'état actuel , les travaux se font avec beaucoup de lenteur. Dans un discours très-élégant, très-éloquent, comme tous les discours qui sortent de la bouche de ^\. de Lamar- tine, l'honorable orateur vous a dit que la pensée d'aliéner de grands travaux , de grandes lignes de communication, de grands chemins, ne serait jamais venue à Napoléon. 330 LES CHEMINS DE FER. Je suis fàcbc de répondre ù M. de Lamartine par une chose qui sera très- pou poétique, par un fail. Kn 1809, Napoléon ordonna que tous les canaux ou mènK: toutes les portions de canaux appartenant à l'État fus- sent vendus. Il y a. Messieurs, une quoslion qui a occupé beaucoup de place dans ce débat, c'est la question de l'agiotage. On a dit que, si l'on concédait les chemins à des com- pagnies, on fournirait à l'agiotage, à cette plaie, a-t-on dit, des temps modernes, de notre époque, un nouvel aliment. Mais l'administration vous a déclaré, dès l'origine; elle vous a déclaré hier encore par la bouche de M. le directeur général des ponts et chaussées, que l'on vou- lait concéder aux compagnies une longueur de chemins de fer trois fois plus grande que la longueur que le gou- vernement se réserve. Et je vous le demande, est-ce que l'agiotage ne s'exercera pas sur ces ramifications comme sur le chemin principal? Et ne croyez pas d'ailleurs que ce qu'on appelle des rameaux, ce soit chose insignifiante. Le chemin de Belgique, projeté par le gouvernement, doit passer par Amiens et aboutir à Lille. Arrivé à Amiens vous rencontrez un autre chemin qu'on appelle arbitrai- rement un rameau; cette portion, tout aussi longue que celle qui va d'Amiens à Lille, irait d'Amiens à Boulogne. A combien l'a-t-on estimée? kO millions. Si j'en crois les déclarations des personnes intéressées, entre autres celle du maire de Boulogne, le gouvernement veut con- céder ce rameau, cet embranchement à une compagnie particulière. Eh bien, est-ce que la spéculation ne pourra LES CHEMINS DE FER. 331 pas agioter sur les 40 millions de rembranchemeiît d'Amiens à Boulogne comme sur la portion principale qui va joindre Amiens à Lill«? S'il doit y avoir agiotage, il y en aura tout aussi bien sur les ramifications que sur les lignes principales. Le gouvernement a déclaré que la portion des embranche- ments doit être beaucoup plus étendue, et par conséquent plus coûteuse que les lignes principales ; il est donc cer- tain que l'agiotage aura un large champ sur lequel il pourra s'étendre et se développer. Est-il vrai, d'ailleurs, c[ue les chemins de fer prêtent beaucoup à l'agiotage? Quant à nous, nous avons voulu, autant qu'il a dépendu de la commission, que ce champ d'agiotage fût restreint, fût circonscrit ; et c'est pour cela que nous avons voulu présenter la question des chemins de fer dans son véri- table jour, que nous avons voulu qu'il n'y eût rien d'exa- géré, que nous avons voulu réduire les avantages que les chemins de fer peuvent promettre au pays à leur valeur réelle, et non pas à leur valeur d'imagination. C'est pour cela c{ue nous n'avons pas donné notre adhésion à une assertion de l'exposé des motifs, par laquelle le ministère tendrait h faire croire cjue, par exemple, le chemin de fer du Havre à Marseille, qui est en projet, deviendrait un moyen de communication de l'Amérique avec le Levant. Je vous avoue, Messieurs, que nous n'avons pu nous persuader que des marchandises, venant de la Nouvelle- Orléans, par exemple, ne tiendraient aucun compte du détroit de Gibraltar et de la Méditerranée , pour avoir la a32 I-i:S CHEMINS DE FER. salisraclion de décharger leurs marchandises au Havre, ci de les l'aire voyager, en les transbordant plusieurs fois, sur le chemin de fer du Havre à Marseille. Nous croyons que les chemins de fer ont un immense avenir; mais celui que leur prédit l'exposé des motifs n'est pas fondé. Je disais que la commission avait cherché à placer la ([uestion des chemins de fer dans son véritable jour ; nous avons voulu nous garantir de toute exagération, de tout mouvement d'enthousiasme ; nous avons voulu que chacun sût ce qu'il y avait de réel dans cette spéculation, ce qu'il pouvait en espérer; nous avons voulu, en un mot, ciu'elle fût débarrassée de ces nuages qui enveloppent tant d'au- tres spéculations dont a parlé M. le ministre des finances. H y a des chemins de fer qui sont en voie de prospérité, qui sont dans une position très-favorable ; par exemple le chemin de fer de Manchester à Liverpool ; il est im- possible de trouver dans le monde une localité plus avan- tageusement située que celle-là ; Liverpool est , après Londres, le port le plus riche et qui fait le plus d'affaires du monde ; Manchester est la ville manufacturière où l'on travaille le plus. A. Liverpool arrivent les matières brutes, à Manchester on les travaille. Il n'y a pas, dans l'univers, des villes plus favorablement placées que celles-là pour servir de têtes à un chemin de fer. Eh bien, qu'a rapporté ce chemin de fer de Liver- pool? 11 a rapporté, au maximum, 10 p. 0/0; par consé- quent, les personnes qui croient que les chemins de fer |)roduirojit 30 et 40 p. 0/0, se trompent volontairement. Les chemins de fer sont une grande commodité pour le LES CHEMINS DE FER. 333 pays , pour les voyageurs ; il est nécessaire d'en faire ; faisons-en tout de suite; mais ne disons pas aux spécula- teurs que ce sera là une source de richesse immense. C'est un bon placement dans quelques directions, j'en suis convaincu; mais, je le répète, il faut se mettre à l'abri de toute exagération. La question de l'agiotage a d*ailleurs vivement inté- ressé la commission ; elle a cherché tous les moyens qui étaient en son pouvoir de le refréner, et c'est pour cela qu'elle vous a présenté une sorte de code relatif à l'orga- nisation des compagnies, et qui ferait disparaître ce qu'il y a de plus hideux dans l'agiotage , je veux parler des actions industrielles. La commission (je prie la Chambre de vouloir bien se le rappeler) a proposé la suppression complète, radicale, des actions industrielles; et par là elle a fait disparaître ce qu'il y a de pkis fâcheux dans l'organisation actuelle des compagnies. 11 n'y a pas long- temps qu'à la Bourse on vous disait : « Donnez-moi une idée et un journaliste qui veuille la faire valoir, je vous la paie 100,000 fr. » (Mouvement. ) Il y a. Messieurs, dans la presse des hommes d'hon- neur, de savoir, qui emploient tout leur talent à faire pré- valoir une opinion consciencieuse; ces personnes-là, je les respecte , je les estime ; j'en connais beaucoup , et je m'honore de leur amitié; mais il en est d'autres qui font de leur plume trafic et marchandise, qui parlent de che- mins de fer, de canaux ou de tout autre travail à l'occa- sion d'un vaudeville, à l'occasion d'une course de che- vaux. Ces personnes-là se montrent dans les compagnies comme agents, comme gérants. Quand on leur demande : 334 LES CHEMINS DE FER. Quel est votre apport dans la société? Fournissez-vous des rails? fournissçz-vous des machines ? avez-vous quel- ques idées nouvelles? Rien de cela : ils sont les historio- graphes des chemins de fer. (Rires approbatifs. ) Ce sont ces personnes que nous avons voulu atteindre, parce qu'on les solde avec des actions industrielles. La commission s'est tellement préoccupée de l'agiotage que, sans s'inquiéter des clameurs que sa décision ne devait pas manquer de soulever et dont on a déjà pu voir quelques échantillons, elle a demandé la suppression radi- cale des actions industrielles. Elle a fait son devoir, Messieurs, et si la Chambre entre dans cette voie , elle aura rendu un véritable service au pays et à l'industrie. ( Approbations. ) Il faut dire, au surplus, pour être juste, que l'agiotage dont le pays a été témoin , qui a si profondément affligé les hommes honnêtes, n'a cependant pas eu tout le déve- loppement dont on a parlé. Parmi les entreprises qui, dans ces derniers temps, ont été cotées à la Bourse à des prix excessifs relativement aux prix d'émission, il en est une qui s'était produite dans le monde de la manière la plus honorable en passant par la filière de l'Académie des sciences; c'est pourquoi j'avais eu à m'en occuper. Je vis avec regret qu'une chose bonne (je ne saurais dire si elle est bonne industriellement parlant, je ne le dirais pas dans mon cabinet , à plus forte raison à la tri- bune), qu'une chose bonne, quant aux résultats pratiques que les arts pourraient en obtenir, fût devenue l'occasion d'un agiotage effréné. Je priai les personnes honorables qui sont à la tête de cette entreprise de rechercher si le LES CHEMINS DE FER. 335 mal avait été aussi grand que les journaux le disaient. On alla aux enquêtes, les enquêtes furent faites soigneuse- ment. Les actions étaient passées en peu de temps de 1,000 fr. à 3,000 fr. C'était exorbitant, c'était déraisonnable, c'était de la folie. Eh bien, toute vérification faite, il se trouva qu'on avait vendu douze de ces actions, et il n'était pas démon- tré que les vendeurs et les acheteurs ne fussent pas les mêmes personnes. ( On rit. ) Une voix. C'est le fer galvanisé ! M. Arago. Messieurs, vous avez remarqué dans l'ex- posé des motifs toute l'importance qu'on a donnée à la question stratégique. La question stratégique touche à la nationahté du pays, elle devait donc nous préoccuper vivement; aussi, l'avons-noiis examinée autant que le permettaient les lumières des membres de la commission ; nous avons cru aussi devoir faire un appel à des personnes expérimentées , et la Chambre ne trouverait pas étonnant que nous nous servissions de cette épithètc, s'il nous était permis de nommer ces personnes ; nous nous sommes adressés, enfin, aux généraux les plus habiles dont s'ho- nore notre pays. Eh bien, je dirai que le résumé que nous avons fait dans notre rapport de l'importance stratégique des chemins de fer, est l'exposé formel de leur opinion. Au lieu de nous abandonner à des idées générales qui trompent toujours, nous nous sommes placés dans des cas particuliers; nous avons cherché à nous rendre compte des avantages qui pourraient résulter de l'usage des che- mins de fer pour le transport des armées ; nous avons reconnu qu'il y aurait en effet des avantages, qu'il ne fal- 33G LES CHEMINS DE FER. lait pas les négliger, et c'était une raison de plus à ajouter à toutes celles que nous avions fait valoir pour demander qu'il y eût des chemins de fer; mais nous avons reconnu que les avantages que les chemins de fer pouvaient pré- senter sur le point de vue militaire avaient été exagérés outre mesure. M. Demarçay. Us seraient même nuisibles en temps de paix. M. Ar.vgo. Oui, général; nous n'avons indiqué ce point de vue particulier qu'en termes vagues, vu notre manque de spécialité ; mais indépendamment de cela , nous croyons que les avantages que les chemins peuvent présenter en temps de guerre ont été fort exagérés. Remarquez d'ailleurs que la question en litige, que la question de savoir si l'Etat ou les compagnies feront les chemins de fer, est tout à fait désintéressée ici ; que les chemins de fer aient été faits par l'État ou exécutés par les compagnies, l'armée, si elle en doit tirer avantage, s'en servira de la même manière. On ose dire qu'on serait arrêté devant la question des tarifs ; mais le transport des soldats, en temps de guerre, sur les chemins de fer, sera stipulé dans tous les cahiers des charges ; il ne le serait pas, qu'on n'en serait pas pour cela plus embarrassé ; on sait bien qu'en temps de guerre on n'est jamais gêné pour s'emparer d'une maison qui embarrasse une ville de guerre : on s'empare de la maison , et quelquefois même des habitants. Si donc les chemins de fer sont exécutés par les compagnies, l'armée en profitera tout aussi bien que si le gouvernement les avait faits. Ainsi la difficulté disparaît. Sous le rapport militaire , il y a des questions qui sont plus urgentes que celle-là. LES CHEMINS DE FER. 337 Il y a des travaux pour lesquels on pourrait venir demander à la Chambre des fonds avec plus de raison que pour des chemins de fer ; envisagés sous le point de vue stratégique, il y a des points de nos côtes qui sont complètement ouverts et qui devraient être défendus. Vous n'avez pas relevé les fortifications d'Iluningue : supposons que pour ce point vous vouliez respecter les déplorables traités signés dans des circonstances malheu- reuses, en arrière de ce point il y a d'autres positions : il y a Thann, il y a Sainte-Marie, où tous les officiers du génie vous diront qu'il serait très-important de faire des fortifications : pourquoi ne les faites-vous pas? Vous avez un port dans la Manche, dans lequel vous entassez millions sur millions; c'est le port de Cherbourg. Eh bien, il n'y a absolument rien pour défendre l'entrée de la ville de Cherbourg, et ne croyez pas que les étran- gers n'y aient pas fait attention. Un prince anglais, en 1815, parcourut toutes nos côtes avec une autorisation du duc de Feltre ; il visita tous nos ports, et il disait hau- tement et à tout le monde, à son retour : « Si nous avions su l'état de vos ports, nous vous eussions fait une visite pendant la guerre. 11 y avait dans ces mots fanfaronnade et vérité. Quant à la fanfaronnade, on lai répondit sur- le-champ que les Bretons et les Normands auraient fait aux Anglais une réception un peu bruyante; mais ce qui est vrai, c'est que le port de Cherbourg n'est pas défendu : si l'on y faisait une descente, on n'y resterait pas, je le dis le premier; mais on détruirait tous vos établisse- ments. (Chuchotements.) On a parlé de transit, de statcgie, on a vanté les che- V.— II. 22 338 LES CHEMINS DE FER. inins de fer sous le rapport du transit ; on a dit que sous le rapport stratéî2;i(]ue ils devaient produire des mer- veilles; on a dit que sous le rapport de la civilisation ils produiraient des eflets dont le monde serait étonné. Cependant h l'occasion d'une phrase d'un membre de la commission par laquelle se trouvait indiquée la pensée que la commission ne demandait pas mieux que d'ac- corder au gouvernement, si les finances le permettaient, si des compagnies ne se présentaient pas, le chemin de Strasbourg à Paris et par conséquent de Strasbourg au Havre, M. le ministre des affaires étrangères, président du conseil, vous a répondu : «Vous ne nous donnez que ce qui ne vaut rien. » Comment ce qui ne vaut rien?..,. Le transit ne vaut donc rien sur la route de Strasbourg? Comment ! les consi- dérations stratégiques dans cette direction ne sont rien ?. . . i\l. LE ^Ministre des travaux publics. Le transit sera fait par le canal. M. Arago. Oui, dans vingt ans. M. LE iMiNisTKE DES TRAVAUX PUBLICS. CoHiment, clans vingt ans? M. Arago. Ah ! vous croyez que cela sera fait plus tôt, je ne demande pas mieux, j'en prends note, mais je ne le crois pas. Toujours est-il qu'on a dit que cela ne valait rien. M. LE Ministre des travaux publics. Comme produit. M. Arago. Nous le reconnaissons; mais vous avez dit que ce n'était pas pour le produit que vous vouliez faire des chemins de fer ; vous avez déclaré que c'était dans un intérêt national. Si c'est dans un intérêt national, Strasbourg doit ap- LES CHEMINS DE FER. 339 peler votre attention, tout aussi bien que la frontière de Belgique. Dans la question du chemin de fer de Stras- bourg, il y a des questions de transit, des questions stra tégiques, des questions nationales, tout aussi importantes que les considérations que vous pouvez invoquer pour la route de Belgique. Messieurs, j'avoue que je ne comprends pas comment on a pu dire que le chemin de Strasbourg ne vaut rien. D'ailleurs, que le chemin soit fait par le gouvernement, ou par une compagnie, peu importe : je répéterai cela à la fin de la discussion de toutes les questions que le projet soulève : Les avantages pour le pays seraient absolument les mêmes. On vous a dit. Messieurs, qu'il fallait montrer l'admi- nistration dans toute sa splendeur aux populations éton- nées. Eh ! mon Dieu, Messieurs, je ne demande pas mieux ; mais la proposition que le gouvernement vous a faite, dans les bornes où il l'a circonscrite, ne produira pas ce résultat. Le gouvernement ne veut maintenant travailler qu'au chemin de Belgique; il n'y aurait donc qu'une partie de la population, celle du nord de la France c{ui verrait le gouvernement dans toute sa splendeur ; au Midi, ce ne serait plus le gouvernement, mais des com- pagnies particulières. Ainsi, ce motif ne devait pas être bien puissant pour le gouvernement, puisqu'il y a renoncé pour la plus grande partie des populations. Il y a une considération qu'on a formulée en ces termes : «Le gouvernement serait à la remorque des compa- gnies. » Non, Messieurs, le gouvernement ferait ce que 340 LES CHEMINS DE FER. les compagnies ne font pas. 11 y a des chemins qui peu- vent avoir une immense utilité nationale, et pour lesquels des compagnies ne se présentent pas, le gouvernement ferait ces lignes-là ; de plus, le gouvernement fera d'au- tres travaux. Est-ce que nos routes ordinaires ne sont pas, sur plusieurs points, dans un état déplorable? (Mou- vements divers.) Je crois apercevoir une dénégation ( Très-bien ! ) je citerai des faits, je citerai une route royale, une des routes qui conduisent à Londres, où la diligence a été obligée d'abandonner un grand bourg et de passer à travers des jardins, et cela pendant six mois ! Je citerai la route de Châlons à Sainte-Menehould, où il est presque impossible de voyager l'hiver. M. PÉRiGNON. Rien n'est plus vrai ! M. Arago. Où l'on est obligé d'atteler dix chevaux aux diligences, où les voitures versent sans que les car- reaux se brisent dans la boue, tant la route est liquide. ]M. ROLL. La route de Bordeaux à Bajoune, dans les grandes Landes, est abandonnée depuis quarante ans. M. Arago. J'étais bien certain de ne recevoir sur ce point des dénégations d'aucune partie de la Chambre. M. Legrand, commissaire du roi. Pas même de ma part; je ne niepasqu'il n'y ait quelques parties de route en mauvais état, mais ce sont là des points isolés et de pures questions d'argent. M. Ar\go. Eh bien, il faut songer à cela. Les ingé- nieurs sous votre direction rendront au pays un service immense en s'occupant de l'amélioration de ces routes, qui sont en général les routes communes , les routes les plus usuelles , les plus habituelles. LES CHEMINS DE FER. 3Î1 Lorsqu'en 1822 on proposa à la Chambre la loi sur les canaux, un membre de la Chambre dit à M. le direc- teur général des ponts et chaussées : « Mais il me semble , M. le directeur, que vous présentez la loi à rebours : il faudrait s'occuper des rivières avant de s'occuper des canaux; vos canaux seront très- peu utiles si vous ne travaillez pas d'abord à l'amélioration des rivières et des fleuves ! » M. le directeur général répondit : « Cela est vrai ; mais si je demandais de l'argent pour les rivières d'abord, on ne m'en donnerait pas. C'est afin qu'on m'en donne pour les rivières que je commence par faire les ca- naux ! » Les canaux sont faits ou à peu près faits , excepté ceux qui n'auront pas d'eau, et qu'on doit alimenter par des puits artésiens, comme on le disait l'autre jour. (Rire général.) La navigation étant interrompue dans les rivières, les canaux n'auront pas d'utilité. Il faut donc s'occuper des rivières. Et qu'on ne vienne pas dire que le corps des ponts et chaussées restera désoeuvré et pourra se croiser les bras. Non; il n'a qu'à s'occuper de cette question, à s'en occuper avec tout le savoir, tout le talent, toute l'activité que tout le monde connaît aux individus, aux personnes de cette administration, et Ton rendra d'immenses services au pays. Mais à présent, on ne veut s'occuper que de ce qui marche vite; on ne veut travailler qu'à ce qui vole avec une extrême rapidité. Eh ! Messieurs, on peut aller très- vite sur les ri- vières, on peut y aller presque aussi vite que sur les 342 LES CHEMINS DE FER. chemins de fer. Je vous dirai môme qu'en Amcnquc la vitesse des bateaux à vapeur est égale à la vitesse moyenne des wagons, des locomotives. 11 y a en Amé- rique, quoiqu'on y soit très -aventureux et très -dédai- gneux des accidents qui peuvent arriver, il y a cependant des personnes qui ne veulent s'embarquer sur les che- mins de fer qu'à la condition de ne pas sauter. C'est pour cela qu'on a imposé à certaines compagnies l'obli- gation de ne pas parcourir plus de six ou sept lieues à l'heure; or, les bateaux à vapeur, en Amérique, vont à peu près avec cette vitesse, avec la vitesse de six lieues à l'heure. Vous voyez donc que si vous perfectionnez la navigation à vapeur sur nos rivières, vous aurez résolu un problème de vitesse, puisque c'est la considération de la vitesse qui semble vous détermine]'. Sur les canaux, il y a aussi des problèmes très-dignes de l'attention la plus sérieuse de MM. les ingénieurs des ponts et chaussées. Pendant très-longtemps on s'est arrêté à une vitesse mesquine, insuffisante sur les canaux ; on s'est aiTêté à cette vitesse , non par voie expérimentale , mais par des considérations théoriques. On avait cru que la théorie mettait certaines limites à la vitesse. Eh bien, cette vitesse a été énormément dépassée ; elle l'a été à tel point que , sur des canaux que je pourrais citer, dans des localités favorisées, on parcourt cinq lieues à l'heure. Vous voilà bien près de la vitesse des chemins de fer ; et, comme je le disais hier, les canaux ont des avantages d'une autre nature : ils servent à tout le monde ; ils servent sur tous les points, et non pas seulement aux points de départ LES CHEMINS DE FER. 343 et d'arrivée. Si vous leur donnez les avantages de la vitesse, vous aurez doté le pays d'un moyen de commu- nication qui ne fera naître de difficultés dans l'esprit de personne ; vous vous serez occupés encore d'une question de vitesse. Vous voyez, je le répète, qu'il n'est pas exact de dire que si les ingénieurs des ponts et chaussées, en tant que corps constitué, travaillaient moins à l'exécution des chemins de fer, ils seraient condamnés à rester les bras croisés. Le corps des ingénieurs des ponts et chaussées a d'immenses travaux à faire; les rivières et les canaux sont deux champs d'expérience et de travail qui doivent tout à fait exciter son zèle et exercer sa sagacité. J'arrive, Messieurs, à la question des compagnies. Y a-t-il des compagnies? N'avons-nous pas discuté sur un rêve? N'avons-nous pas fait à l'administration des difficultés qui n'auraient pas des fondements réels? Je regrette de n'avoir pas eu, pour l'examen auquel je me suis hvré, toute la perspicacité qu'un de nos hono- rables collègues aurait voulu trouver dans le rapporteur, la perspicacité d'im régent de la Banque; cette perspica- cité, je ne l'ai pas, je le reconnais. Mais aussi dans l'exa- men que j'ai fait des registres des compagnies, n'ai-je je pas eu besoin des connaissances d'un régent de la Banque ; tout ce à quoi j'ai dû me borner, c'a été do rechercher quelles étaient les classes de la société qui avaient souscrit, de rechercher si, dans les noms des souscripteurs, il n'y avait pas des noms que je connusse ; ciuelle était la portion de la population qui s'intéressait à l'exécution des chemins de fer par les compagnies ; 344 LES CHEMINS DE FER. cette investigation était la seule que je pusse me per- mettre, la seule qui fût en mon pouvoir et à ma portée. Eh bien, je le dis, elle a donne les résultats les plus satis- faisants, et je vais les faire connaître à la Chambre. Pour le chemin d'Orléans, une compagnie s'est formée. On ne dira pas qu'on a voulu faire de l'agiotage; il n'a pas été publié un article au nom de celui qui se pré- sentait comme le principal soumissionnaire, pas un article n'a été inséré dans les journaux, pas une annonce n'a été affichée à la Bourse, et cependant 30 millions ont été réunis; la promesse formelle et avec signature de 30 millions, a été fournie. J'ai vu toute la correspondance, j'ai vu le nom des souscripteurs, et je puis citer le nom du créateur de cette société : c'est M. Casimir Lecomte. Il a obtenu, je le répète, des promesses de souscriptions pour une somme de oO millions dans le cercle des connaissances de ses amis, sans faire une annonce dans les journaux, sans faire une affiche à la Bourse. Cette souscription n'a pas été faite seulement à Paris. On vous a dit qu'il était désirable que les riverains du chemin s'intéressassent a sa confection. Eh bien, cette condition est ici remplie; vous trouverez dans la souscription dont je parle, des souscripteurs d'Orléans et d'Étampes, pour une somme de 2 millions, avec le regret formel exprimé dans les termes les plus vifs, de ce que M. Casimir Lecomte ne pouvait pas accepter des souscriptions pour une somme plus forte. ^J. Casimir Lecomte a demandé 30 millions de sous- criptions. Vous voyez que c'est une somme qui va bien LES CHEMINS DE FER. 345 au delà de l'évaluation qui pour ce chemin avait été donnée par l'administration des ponts et chaussées. Peut- être que M. Casimir Lecomte se trompe, que les sous- cripteurs sont dans l'erreur; mais cela prouve qu'ils ont cru que les ingénieurs des ponts et chaussées avaient fait une évaluation trop faible. 11 y a pour ce même chemin d'autres souscriptions ouvertes chez des banquiers par J\IM. Gaillard, Rampon, Lemoine, Delchet ; et pour le dire en passant, deux de ces personnes ont fait faire des études très-sérieuses sur cette ligne de Paris à Orléans, études qui n'ont pas été inu- tiles à l'administration des ponts et chaussées ; car elle a profité de quelques améliorations qui avaient été indiquées parles ingénieurs de la compagnie. La souscription est complète; je le tiens de notre hono- rable collègue M. Laffitte, qui me l'a déclaré, qui m'a dit que si ces souscriptions étaient insuffisantes, sa maison les remplirait. Quant à Bouen et au Havre, il existe aussi une com- pagnie. Messieurs, je n'entends pas dire que l'adminis- tration doit admettre les compagnies dont je parle ; mais on a dit qu'il n'y en avait pas ; il faut que je dise ce que j'ai fait et examiné au nom de la commission. Ceci n'est pas, du reste, une recommandation pour les compagnies que je cite ; il y en a peut-être d'autres qui sont meilleures, mais toujours est-il que celles-là existent, et qu'il y a des souscriptions formées. Pour le chemin de Paris à Rouen et au Havre , il y a sur les listes de souscriptions, des signatures de toute espèce, appartenant aux dillerentes villes que le chemin doit traverser. Les signatures de 34G LES CriRMINS DE FEU. banquiers de Paris les plus en réputation, de beaucoup de députés (j'ai parcouru les noms) , de magistrats, d'hommes les plus haut placés dans la société, et qui se sont engagés pour des sonunes considérables. La sous- cription est énorme dans cette direction, 71 millions ! Eh bien, cette souscription est remplie de signatures; je ne dis pas que toutes se transformeront en écus; mais la grande masse est sérieuse; d'après ce que je puis savoir touchant les personnes qui se sont engagées, il y a toute raison pour croire que la souscriplion est bien fondée. On a dit : En Angleterre il y a des possibilités qui n'existent pas en France. Les fortunes sont colossales, les propriétaires se prêtent à l'exécution des chemins de fer, tandis qu'en France ils s'y opposent. On se trompe. Messieurs; en Angleterre, les grands propriétaires s'opposent à l'exécution des chemins de fer. Ils ne s'opposent pas, je le reconnais, à l'exécution des canaux, mais les chemins de fer leur déplaisent; ils cherchent à les éloigner de leurs demem^es dans des circonstances que je suis loin d'approuver. Je citerai, à ce sujet, un fait qui est à ma connaissance personnelle. Un de mes amis, qui porte un nom éminemment célè- bre dans la mécanique , possède près de Birmingham un magnifique parc que devait traverser le chemin de fer, mais à une telle distance du chàtean que je n'y voyais pas, quant à moi, d'inconvénient. Eh bien, mon ami a plaidé contre la compagnie, il a plaidé avec une telle persistance que les frais , quoiqu'il ait eu gain de cause , ont été de 70,000 fr. Voilà un des exemples de l'intérêt LES CHEMINS DE FER. 347 qu'en Angleterre les grands propriétaires portent à Texé- cution des chemins de fer. Passons à une autre considération. En Angleterre, un petit nombre de personnes suffit pour remplir les plus larges souscriptions. C'est encore une erreur qui tombe devant les faits, devant la statistique. Examinez sur un total de o9G millions qui ont été réunis par les compa- gnies de chemins de fer, combien il y a de souscripteurs pour une somme de plus de '250^000 ïw, vous n'en trou- verez que lZi9 ; c'est ili pour cent du total , et la moyenne de la souscription de ces l/i9 souscripteurs n'est que de 370,000 fr. En France, pour le chemin de Paris à Pioucn, combien y a-t-il de souscripteurs pour une somme au-dessus de 500,000 fr. ? 11 y en a 9 ; de /i01,000 à 500,000 fr., il y en a G; de 301,000 à /iOO,000 fr., il y en a 4 ; de 201,000 à 300,000 fr., il y en a ik, et de 101,000 à 200,000 fr. , il y en a 39; vous voyez avec quelle rapidité nous approchons du nombre des souscripteurs qui , pour la totalité des travaux de l'Angleterre, ont donné des sommes un peu fortes. Ne disons donc plus qu'il y a une diflerence énorme entre la nature des souscriptions an- glaises et celles que nous pouvons espérer en France. Dans notre pays l'esprit d'association s'est assez déve- loppé, a déjà assez d'activité pour que vous puissiez espérer que les capitalistes prendront un intérêt très-vif à l'exécution de ces grands travaux. 11 y a une considération importante que vous ne devez pas perdre de vue, c'est la considération des fonds étran- gers. Si le gouvernement fait les chemins, vous ne serez 3S8 LliS CHEMINS DE FER. pas aides par un seul capitaliste étranger; si ce sont des compagnies, vous pouvez espérer que les fonds de nos voisins viendront concourir à Tamélioration de notre sol et de nos voies de communication, pour des sommes importantes. Dans la souscription pour le chemin de Paris au Havre, je trouve 8 millions de souscriptions venant de l'étranger; je trouve dans les départemens en dehors des chemins de fer, 3 millions, et sur la ligne du che- min de la Vallée, plus de li millions; pour les ban- quiers de Paris, 6 millions, et enfin, de négociants, d'agents de change, de rentiers de Paris, chacun avec sa signature, des engagements pour /|9 millions. Les étrangers entrent dans le total pour une part très-consi- dérable à laquelle il faudrait renoncer, si vous mainteniez le système, que les chemins de fer doivent être exécutés par le gouvernement. Il y a une compagnie pour le chemin de fer de Paris à Tours , ce chemin n'était pas proposé par le gouverne- ment; il ne figure pas dans l'exposé des motifs; par con- séquent je n'ai pas vérifié les registres de souscription. Arrivons au chemin de Belgique pour lequel on a dit catégoriquement qu'il n'y avait pas de souscription; Messieurs, il y en a une ouverte à Paris, chez notre honorable collègue M. Fould, et qui est arrivée à kO mil- lions. A sa tète, comme gérants, comme soumission- naires principaux, figurent des personnes honorables, MM. Blacque, Brouillard et Maurencq. Peut-on dire, dans les circonstances actuelles, avec l'opinion si prononcée du gouvernement contre la concession du chemin de Belgique à une compagnie, que ce soit peu do chose LES CHEMINS DE FER. 349 d'avoir obtenu ^0 millions en peu de jours , lorsqu'il est évident que les souscripteurs qui veulent avoir un place- ment réel doivent être retenus par la déclaration formelle du gouvernement. Qui oserait soutenir que le jour où le gouvernement, cédant à l'influence de la Chambre, décla- rera que ce chemin sera exécuté par une compagnie, la souscription ne serait pas totalement remplie? Un grand capitaliste étranger, un grand manufacturier, M. Cockerill , a été cité dans la discussion. M. le direc- teur général a déclaré qu'il ne l'avait pas vu récem- ment. Puisque M. le directeur général l'a dit, le fait doit être vrai. Mais je ne crois pas que M. le ministre des travaux publics fasse la même réponse. IM. LE MiMSTRE DES TRAVAUX PUBLICS. C'est vrai ; je l'ai vu. M. Arago. Eh bien , M. Cockerill a déposé une sou- mission le 12 avril, une soumission formelle, acceptable ou non acceptable, je ne décide rien; peut-être y a-t-il des modifications à faire; peut-être en demanderais-je si elle m'était présentée et si j'avais à l'apprécier comme membre de la Chambre ; toujours est-il qu'il y a une sou- mission formelle. Le fait cependant avait été nié ; M. le président du conseil avait dit qu'il n'y avait pas de soumission pour le chemin de Belgique. Puisque le fait n'est plus nié main- tenant, je ne lirai pas cette soumission dont un de nos collègues m'a donné copie. M. Cockerill s'impose deux conditions auxquelles il ne demande pas mieux que de souscrire au gré du ministère, et qui doivent éloigner toute pensée d'agiotage, alors 350 LES CHEMINS DE FER. même que le caractère de M. Cockcrill ne serait pas une garantie suffisante de Tintcntion la plus prononcée d'exé- cuter le chemin de fer et de l'exécuter avec tout le soin possible. Ces conditions, les voici: En cédant à la préoccupation très-juste^ et à laquelle j'applaudis, qu'avaient fait naître les scandales de la Bourse, les scandales de l'agiotage, on a cru un moment que toute soumission était une spéculation et devait donner lieu à un agiotage effréné. Eh bien, M. Cockerill a pris soin de rassurer l'administration. 11 lui a dit : « Si vous craignez qu'on ne veuille faire de ma soumission un objet d'agiotage, j'exécuterai le chemin de fer avec des fonds tous pris à l'étranger; je ne prendrai pas un sou en France.» Cependant, comme le chemin de Belgique est un chemin qui doit donner des produits avantageux, il a ajouté : « J'accorderai aux capitalistes français le montant de la souscription que vous voudrez bien m' assigner; ce sera le quart , la moitié ou les trois quarts , mais si vous craignez tellement l'agiotage que vous ne vouliez pas laisser exécuter le chemin avec des fonds français, je le ferai tout entier avec des fonds étrangers. » S'agit-il de savoir à quel point est arrivée maintenant sa souscription ; M. Cockerill m'a fait savoir avant-hier qu'il avait déjà iOli millions de souscriptions condition- nelles, dont on justifiera au besoin; mais toujours est-il que je suis loin de prétendre que vous deviez admettre cette soumission sans examen, sans discussion; je vou- lais seulement prouver, contrairement à l'assertion de M. le président du conseil, qu'il existe au moins deux compagnies pour le chemin de Belgique. LES CHEMINS DE FER. 351 Ce chemin de Belgique, qui est la pierre d'achoppe- ment, examinons-le en face, et voyons au vrai ce qu'il faut en penser. Hâtons-nous, nous dit-on, faisons le chemin de Bel- gicjue, ne perdons pas de temps; si nous perdons un instant, tout est fini. ]\Iais, est-ce que la Belgique s'est beaucoup préoccupée de ses communications avec la France? La Belgique s'est occupée d'elle-même, s'est occupée de ses relations inté- rieures, de ce ciui la concernait, et non pas de ce qui concernait un pays voisin. Eh bien, faisons comme elle; imitons la Belgique en ce point , occupons-nous de nos intérêts, de nos intérêts les plus vifs, et ne nous préoccu- pons pas de ce que peut faire la Belgique; vous allez voir que là on nous a présenté des difficultés qui s'évanouissent lorsqu'on les examine de front. Je disais que la Belgique n'avait pas beaucoup songé à ses communications avec la France. En effet, il n'y a rien de commencé dans la direction de Gand et de Bruxelles à notre frontière. A entendre les orateurs qui ont parlé dans le sens du gouvernement , on aurait pu croire que de notre fron- tière on allait toucher de la main les chemins belges. Eh bien , on n'y a pas encore travaillé. On fait un chemin d'Ostende à Bruxelles et de Bruxelles à Liège ; les autres n'ont pas été faits. On a présenté comme fait un che- min qui doit aller de Bruxelles à Aix-la-Chapelle, et cependant il n'y a presque rien d'exécuté ; je m'en suis infonné; et c'est si vrai, que les ingénieurs belges étaient encore, il y a peu de temps, dans la forêt d'Aix-la-Cha- 352 LKS CHEMINS DE FER. pelle l\ cliercher la direction dans laquelle passerait le tunnel. II n'y a donc pas de chemin avancé, il n'y a pas mèine de projet arrêté. llàtons-nous cependant de faire le chemin de Belgique, car je demande qu'on fasse les chemins de fer le plus promptement possible ; mais qu'on ne vienne pas nous prêcher l'urgence, lorsciue les Belges n'ont rien fait dans les directions de (land et de Bruxelles à la France. M. le ministre des travaux publics vous a dit que l'an dernier il avait abandonné les idées qui le maîtrisaient, qu'il professe encore cette année, afin de se conformer à l'opinion présumée de la chambre. Il croyait l'an der- nier , avant de présenter la loi , que le gouvernement ne devait laisser faire les chemins que par des compagnies; et il lui paraissait tellement urgent de faire les chemins de fer, que, contre ses principes, contre ses convictions , il avait proposé de faire faire le chemin de Belgique par une compagnie. IMais il a été articulé ici, par l'honorable M. Berryer, un fait très -grave sur lequel il semble qu'il est néces- saire c{ue le gouvernement s'explique. Est -il vrai que le gouverment a eu la pensée de doter le pays de che- mins de fer avec une telle vivacité, qu'il ait abandonné toutes ses convictions, et dans ce cas comment se fait-il qu'il n'ait pas fait disparaître la seule difficulté, j'ose le dire, qui l'année dernière a empêché de concéder le che- min de la Belgique à M. Cockerill? Cette difficulté, c'était la subvention ; tout le monde se rappellera que c'était parce que le gouvernement proposait de donner vingt millions à M. Cockerill, que la Chambre rejeta le chemin. LES CHEMINS DE FER. 353 Eh bien, avant la fin de la discussion, M. Cockerili pré- senta au ministère une déclaration telle que , avec une modification du tarif, il consentait à renoncer aux vingt millions. Or, cette modification n'a pas été communiquée à la Chambre. Je demande d'après cela s'il est bien vrai que l'année dernière le gouvernement ait voulu à tout prix, même contre ses convictions, doter la France d'un chemin de fer? On nous a dit que si nous ne faisions pas promptement le chemin de Belgique, la Belgique 5e décjoùierait! Se dégoûterait! et de quoi? Gomment! la Belgique se dégoûterait? Est-ce nous qui sommes un allié incommode pour la Belgique? Comment! elle est envahie par les Hollandais, et aussitôt une armée française vient à son secours ; une de ses villes est dans les mains de ses enne- mis, et nous faisons le siège de la citadelle, et nous nous en emparons pour la restituer à la Belgique! Des bûcherons hollandais paraissent dans une forêt, et M. le ministre de la guerre de France nous a déclaré qu'il n'a pas dormi pendant toute une nuit en entendant le bruit des bûche- rons ; et la Belgique se dégoûterait de nous? ( Rires d'assentiment.) Il y a des personnes en France qui se serviraient avec plus de raison de l'expression de M. le comte MoIé, en rappliquant à la Belgique. Que fait-elle pour nous la Bel- gique? A-t-elle essayé de mettre un terme à cette fabrique de contrefaçon qui , à Bruxelles , opère la ruine de tout notre commerce de librairie? Quelle est la concession qu'elle nous a faite ? Le ministère , dans des vues aux- quelles j'applaudis, a cherché à établir un contrat entre V. — II. 23 354 LRS CHEMINS DE FER. toutes les nations de l'Europe pour que cet inqualifiable brigandage cessât d'exister. Je n'ai pas entendu dire que la Belgique se montrât très-empressée à entrer dans cette coalition honorable, dans cette coalition littéraire et scien- tifique que toutes les nations de l'Europe paraissent dis- posées à former contre de véritables forbans. L'Angle- terre, à cet égard, s'est montrée très-libérale; mais, quant à la Belgique, elle continue son système d'exploita- tion, au détriment de notre commerce, de notre librairie; et d'ici à peu de temps, pour peu que les choses continuent sur ce pied, vous verrez toute notre librairie complète- ment ruinée. ( Nombreuses marques d'assentiment. ) La Belgique se dégoûtera, si nous ne lui faisons pas un chemin de fer ! Quel est donc son intérêt? Le transit? Mais si nous le prenons comme le gouver- ment avait voulu l'envisager, sous un point de vue res- treint , le transit est sans importance et la Belgique ne se dégoûtera pas pom' cela. Si vous l'envisagez sous le rapport de l'influence qu'il exercera sur les ports de mer, vous ne devez pas le favoriser ; car ce sera tout au profit de la ville d'Anvers , et par conséquent au détri- ment de nos ports de la ]\Ianche, au détriment du Havre, de Dunkerque, de Calais et de Boulogne. Si donc c'est dans la vue de favoriser ce transit que vous exécutez le chemin de fer de Paris à la frontière de Belgique , je dis que la Chambre ne doit pas s'associer à vos vues. Les voyageurs ? Eh ! mon Dieu, quand ils auront dépassé la frontière belge, je serais étonné que le gouver- nement belge leur portât une telle tendresse , une telle sollicitude, qu'il se fâchât contre nous, si nous ne les fai- LES CHEMINS DE FER. 355 sions pas voyager juscfu'à Paris sur un chemin de fer. T!s nous abandonneront ! et où iront-ils donc ? peut-être ou lieu de venir entendre TOpéra de Paris, ils iront à l'Opéra de Cologne. ( Rires et bruits. ) Je ne crois pas que nous ayons rien de pareil à redouter. Messieurs, examinez la question, examinez- la sous toutes ses faces ; examinez quel est l'intérêt que la Bel- gique peut avoir à ce que vous exécutiez tout de suite le chemin de fer de Paris à la frontière belge, et vous ver- rez que cet intérêt est très-minime pour elle. Et cela est si vrai que, quand on interroge les Belges sur l'importance de ce chemin, ils vous répondent qu'ils ne la comprennent pas. Depuis que la question est en discussion , nous avons voulu savoir, puisque le gouvernement ne s'expliquait pas avec plus de clarté , ce qu'il y avait au fond de la question, et ceux d'entre nous qui ont des relations avec la Belgique ont écrit dans ce pays pour connaître l'opinion des Belges eux-mêmes. La réponse a été à peu près una- nime : on a dit qu'on ne savait pas oii était la question intéressante qui se trouvait au fond d'une proposition que le gouvernement faisait si grosse d'importance; qu'on ferait bien d'avoir un chemin de la frontière belge h Paris, mais que ce n'était pas là un objet qui les intéres- sât h tel point qu'ils se brouillassent avec nous, si nous ne l'exécutions pas. Au surplus, quand il serait vrai que la Belgique pût se dégoûter de son alliance avec la France , dans le cas où nous ne ferions pas le chemin de fer, nous pouvons répon- dre que nous ne voulons pas la priver de ce chemin de n:i6 LES CHEMINS DE FER. fer. Est-ce qu'un chemin de fer exécuté par une compa^ gnic ne portera pas les voyageurs, comme s'il était exé- cuté par le gouvernement? Est-ce qu'un chemin de IVr exécuté par une compagnie ne portera pas les marchan- dises comme s'il était exécuté par le gouvernement? Toutes les propriétés du chemin de fer exécuté par le gouvernement sont applicables au chemin exécuté par les compagnies (Approbation à gauche.), et par conséquent la Belgique ne se dégoûtera pas, pour revenir encore une fois sur cette expression, puisque la commission pro- pose de faire exécuter le chemin de fer : seulement elle ne croit pas que le gouvernement doive l'exécuter, quand il y a des compagnies qui se présentent, et j'espère avoir prouvé qu'il y en a. En résumé, Messieurs, la commission a reculé surtout devant des considérations financières : elle n'a pas trouvé que les voies et moyens proposés par le gouvernement fussent en rapport avec l'immensité des projets qui étaient présentés ; elle n'a pas trouvé que les voies et moyens dont a parlé M. le ministre des finances, assurassent l'exécution des chemins de fer; par conséquent, je viens en son nom persister dans ses conclusions. (Approbation à gauche, j [ Après une réponse de M. Martin (du Nord), ministre des travaux publics, le projet du gouvernement a été mis aux voix et rejeté par 196 voix contre 69. ] LES CHEMINS DE FER. 357 SUR LES PENTES DES CHEMINS DE FEU [A l'occasion de la discussion du projet de loi sur la concession (lu chemin de fer de Paris à Rouen, dans la séance de la Chambre (les députés du 16 juin I8/1O, M. Arago a été conduit à prononcer quelques paroles sur les difficultés que les pentes des chemins de fer peuvent faire naître. Nous extrayons ses paroles du Moniteur du 17 juin. ] On a parlé des difficultés de sortie de Rouen, on a parlé de pentes excessives, des difficultés que ces pentes pourraient faire naître. Messieurs, la science des chemins de fer a fait de tels progrès que Ton peut évaluer les vitesses à la montée et à la descente avec une approxi- mation qui donne exactement les chiffres des dixièmes. Je suppose que vous marchez horizontalement avec une vitesse de 10 lieues à l'heure. Voyons ce qui arrivera en montant. Avec une pente de 1 millimètre 1/2, un train de 50 tonnes vous donnera une vitesse de 9 lieues; avec une pente de 2 millimètres, la même machine vous donnera une vitesse de 8 lieues. Avec une pente de 7 millimètres , et M. le secrétaire général des ponts et chaussées vient de me dire que la pente pour le chemin, au sortir de Rouen, n'excédera pas 5 miUimètres; avec une pente de 7 miilimètres, la vitesse ne sera réduite qu'à 6 lieues. Je suppose que la machine continue à fonctionner, et (lue par un mouvement descendant elle agisse sur les wagons comme elle agissait sur le truin en montant. 358 LES CHEMINS DE FER. Horizontalement vous avez toujours la vitesse de 10 lieues; avec une pente de i millimètre 1/2, vous aurez 11 lieues; avec 2 millimètres de pente, 12 lieues ; avec 6 millimètres de pente, 16 lieues. Remarquez bien que dans ces cal- culs les limites demandées pour les wagons ne sont pas dépassées. On voyait un corps tomber de l'atmosphère avec une vitesse prodigieuse et l'on avait pensé qu'un wagon tom- berait avec la même rapidité. On avait négligé une chose importante et capitale, la résistance de l'air. M. de Pambour, dont le nom fait autorité en cette matière, a fait des expériences, il a déterminé quel était le maximum possible des vitesse? d'un chemin très-incliné , et vous allez voir que ce maxi- mum est toléré sur les chemins horizontaux. Supposez que vous abandonniez un train de 100 tonnes à lui-même ; avec 5 millimètres de pente vous aurez une vitesse qui ne dépassera pas 10 lieues. Supposez que vous abandonniez des wagons sur une pente de 7 millimètres, vous n'aurez jamais une vitesse supérieure à 14 lieues. Supposez enfin que vous abandonniez un train de 100 tonnes sur une pente de 10 millimètres, vous n'aurez jamais une vitesse plus grande que 19 lieues. Or, cette vitesse est tolérée sur un terrain horizontal. Par consé- quent, vous n'avez pas plus de sujet de crainte sur une pente de 10 millimètres que sur un chemin horizontal. J'espère que ces chiffres feront disparaître les préjugés de dangers extraordinaires qu'on prêtait aux pentes des chemins de fer. Ai LES CHEMINS DE FER. 359 [Dans la séance du 15 juillet 18M, à roccasion de la discussion du projet de loi sur le chemin de fer d'Orléans à Bordeaux, M. Arago est revenu sur la question des pentes des chemins de fer. jNous reproduisons les paroles qu'il a prononcées pour appeler l'attention sur les économies que procurerait l'adoption de pentes plus fortes que celles admises par l'administration. ] M. Arago. J'ai cru entendre tout à l'heure M. le mi- nistre des travaux publics dire qu'il n'y avait sur le chemin de Bordeaux aucune difficulté de tracé. Je lui demanderai alors d'avoir la bonté de m'expliquer la cir- constance suivante. Il y a un promontoire entre Libourne et Bordeaux, entre la Dordogne et la Garonne. Ce pro- montoire, il faut le franchir pour aller d'une rivière à l'autre. L'ingénieur qui a été chargé de ces travaux a suivi les errements de M. le ministre , qui ne voulait pas dépasser une pente de 3 millimètres. Eh bien , il en est résulté que la dépense pour cet intervalle de 12 kilo- mètres sera de 16 à 18 millions. M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Pour la totalité de la dé- pense à la charge de l'État, la voie de fer comprise. M. Arago. Il en résulterait que le kilomètre coûterait 500,000 fr. à peu près. Lorsqu'on songe que , dans ces intervalles , il n'y a pas de terrains d'une haute valeur, qu'il y a très-peu de propriétés bâties ; cette dépense est énorme. Je demande si , lorsqu'on a dit qu'il n'y avait pas de difficulté sur le tracé , on a toujours entendu que la pente serait de 3 millimètres. M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. La pente proposée est do 3 millimètres; mais il y a des terrains très-marécageux, c'est la plus grande cause de la dépense. M. Arago, Le terrain marécageux, à raison du trace sur une pente de 3 millimètres, exige des aqueducs. 360 LES CHEMINS DE FER. l\I. LEGnAND. Il faut en faire partout pour l'écoulement des eaux. M. Arago. Je demande si l'on s'est déterminé dans ce projet pour une pente de 3 millimètres. M. Legrand. Non. M. Arago. Vous avez donc modifié votre projet? M. LE MiMSTRE DES TRAVAvx PUBLICS. Il y a dcux projets , l'un coûterait 11 millions et l'autre 16 millions. M, Arago. Seize millions! Dans l'un on passerait par le bec d'Ambez, dans l'autre on aborderait directement. Dans l'un et l'autre projet il en coûterait 16 millions. (Non! non!) Cette dépense est énorme. M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Je puis dounor satisfaction à l'honorable M. Arago; nous pouvons atteindre au but d'une ma- nière moins dispendieuse en admettant des pentes de 8 millimètres. M. Arago. Vous feriez une économie d'un quart, si vous alliez seulement à 7 millimètres. VI NECESSITE DE SOUMETTRE A L EXPERIENCE LES NOl'fEAUX SYSTÈMES DE CHEMINS DE FER [Dans la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer de Paris à Strasbourg, le 2 juillet iSkh, M. Arago avait présenté l'article additionnel suivant : « Le ministre des travaux publics est autorisé à accepter la pro- position qui lui a été soumise par la compagnie des canaux de Paris, de faire sur la berge droite du canal de TOurcq, de Paris à Bondy, et sous l'inspection des ingénieurs des ponts et chaussées désignés à cet effet par le gouvernement , un essai du système atmosplié- rique combiné avec le système de voitures articulées de M. Charles Arnoux. M L'expérience de^ ra être complétée avant l'ouverture de la pro- chaine session. « Les dépenses relatives à cette expérience resteront ù la charge LES CHEMINS DE FER. 3GI de cette compagnie, si elle devient concessionnaire de la ligne de l'Est. « Dans le cas contraire, le montant de ces dépenses, réglé par ies ingénieurs du gouvernement, sera remboursé ii la compagnie des canaux de Paris, soit par la compagnie adjudicataire de ladite ligne, soit par l'État s'il reste chargé de son exploitation. » M. Arago a développé son opinion dans le discours suivant : ] Messieurs, depuis quelques semaines on a beaucoup parlé à cette tribune, de compagnies, d'agiotage, de la puissance financière du gouvernement, de la puissance financière des associations, de la direction générale à donner à tel ou tel chemin de fer. Ces questions sont épuisées. Mon point de vue est entièrement difTérent. Je désire porter l'attention de la Chambre sur la partie technique du problème; j'examinerai si les conditions de tracé que l'administration s'impose, sont en harmonie avec l'état actuel de l'art et de la science; s'il n'y a pas, sous ce rapport, plus d'un anachronisme à signaler dans les pres- criptions qui aujourd'hui servent de règle à nos très- habiles ingénieurs. Mes remarques pourront paraître tardives. Peut-être , néanmoins, leur accordera-t-on quelque attention, si je parviens à prouver que sans changer en rien les tracés généraux adoptés, les modifications que je proposerai dans les détails de construction et dans les systèmes , produiraient seulement sur les terrassements et les ou- vrages d'art relatifs aux /i.,000 kilomètres de chemins projetés, une économie de 200 à 300 millions. (Mouve- ment d'étonnement et d'hilarité.) Je suis que j'ai à justifier ce chiffre ; je n'y manquerai 362 LES CHEMINS DE FER. pas. Aussi, je me permettrai de dire en ce moment, rira bien qui rira le dernier. La considération d'économie n'est pas la seule que je veuille invoquer. Les développements auxquels je vais mo livrer, démontreront, j'espère, que le mot impossible ne sera plus une réponse valable aux demandes des députés qui, comme l'honorable M. Boudousquié, viendront à cette tribune solliciter des chemins de fer pour les régions montueuses du territoire. Si je n'ai pas gazé ce qu'il y a d'étrange dans mon thème, c'est que je suis certain d'aller jusqu'à la démonstration. Je crois que nous avons suivi une mauvaise marche en votant les lois sur les chemins de fer, et le reproche s'adresse bien plus à nous députés qu'au gouvernement ; je crois que nous n'aurions pas dû commencer tant de chemins à la fois ; je crois qu'il aurait été sage, pour ne pas engager l'avenir, de porter toutes nos ressources sur un seul chemin, de l'achever et de n'en entreprendre un second que quand le premier serait arrivé à son terme. De cette manière, vous auriez pu profiter des progrès de l'art et de la science. Mais est- il vrai que les progrès de l'art de la locomo- tion à la vapeur soient aussi rapides qu'on le prétend ? Si vous consentez à m'écouter pendant cinq à six minutes, vous verrez ce qu'était l'art il y a quelques années et ce qu'il est aujourd'hui; vous reconnaîtrez qu'aucune branche de la mécanique ne s'est jamais développée avec autant de vigueur et de sûreté. Les machines à vapeur n'ont été, pendant longtemps, que des pompes d'épuisement, des pompes destinées à LES CHEMINS DE FEK. 363 élever de l'eau ; on les appelait alors pompes à feu. On n'a guère commencé à songer à la transformation de ces machines en moteurs, que dans l'année 1769. Cette idée, comme tant d'autres sur la matière , appartient à Watt. Vous serez étonnés, j'ajoute même sans crainte de me tromper, que vous serez satisfaits d'apprendre que l'idée d'employer une machine à vapeur comme moteur d'une voiture, est née dans notre pays; qu'elle y a été réalisée dès l'année 1778. On ignore généralement ce fait, ou on ne s'en vante pas assez; disons-le tout haut à cette tribune, la première voiture locomotive a été exécutée en France. Malheureusement son auteur, M. Cugnot, officier du génie, la destinait aux chemins ordinaires, et ce fut là peut-être l'unique cause de l'insuccès. La machine, on la conserve dans la grande salle du Conservatoire des arts et métiers, était loin de manquer de puissance; elle en avait même trop. Dans un essai fait à l'Arsenal , on ne sut pas la modé- rer ; la machine se précipita contre un mur et le renversa. De 1778 à 1802 il ne se fit rien d'utile sur la locomo- tion à la vapeur. En 1802, un ingénieur anglais, dont le nom occupe une place assez considérable dans l'histoire des machines à vapeur, Trevithick exécuta une véritable locomotive, mais en partant d'une idée fausse qui eut une influence fatale sur les progrès de l'art. Trevithick croyait qu'une roue unie ne pourrait pas monter sur des rails unis. 11 plaça donc des clous sur les jantes ; il fit des rai- nures sur les rails plats dont il se servait. Les rails se détérioraient dans un temps fort court, aussi bien que les jantes. La machine fut abandonnée. 864 LES CHEMINS DE FER. Toujours préoccupés de l'idée qu'une roue lisse ne réussirait pas, les constructeurs l'ccoururent aux engre- nages. En 1811, nous voyons un ingénieur, Blenkinsop, placer une crémaillère intérieure sur le bord du rail , et marcher à l'aide d'une roue dentée que la machine met- tait en mouvement. Le moindre glissement rendait l'en- grenage vicieux dans les grandes vitesses. Ce fut encore une idée avortée. Chapman plaça, sans plus de succès, une chaîne dans le milieu de la voie. Brunton, en 1813, construisit une voiture qui portait à l'arrière un mécanisme semblable aux jambes du cheval, et qui agissait comme elles. Enfin, en 1814, Blackett imagina qu'il pouvait y avoir erreur dans l'idée que des corps lisses ne sauraient pren- dre leur point d'appui l'un sur l'autre; il fit une expé- rience, et il découvrit qu'il y a un véritable engrenage, plus intime qu'on ne le croyait, entre les corps que nous appelons unis ; que ces corps sont couverts d'aspérités et de cavités qui s'emboîtent les unes dans les autres, qui produisent ce qu'on a appelé depuis un engrenage naturel, un engrenage à l'aide duquel on pourrait faire marcher une voiture à jantes lisses sur un rail non denté. Voilà le point capital d'où l'on est parti pour arriver aux admirables locomotives que tout le monde connaît. Le père du très-célèbre ingénieur Robert Stephenson est le premier qui ait exécuté avec succès des machines locomotives en profitant des expériences de Blackett. Ces machines traînaient des poids considérables, l'engrenage naturel suffisait pour cela ; mais on ne pouvait obtenir de grandes vitesses. LES CHEMINS DE FER. 363 Lorsqu'en 1825, à l'époque où l'on s'occupait du che- min de Liverpool à Manchester, chemin qui, par paren- thèse, n'était guère projeté que pour transporter des marchandises; lorsqu'on 1825 le président de la commis- sion d'enquête de la chambre des communes, demanda à George Stephenson s'il espérait qu'on pourrait exécuter une machine locomotive marchant avec la vitesse de deux lieues h l'heure, il imaginait avoir posé une ques- tion extraordinaire; le mécanicien répondit affirmative- ment. Le président, enhardi , répéta la ciuestion, mais en parlant cette fois d'une vitesse de quatre lieues à l'heure. Stephenson répondit encore que oui , mais de manière à dégoûter d'aller plus loin. Quatre lieues à l'heure sem- blaient les limites de l'art. Vous savez que, sur le chemin de Londres à Bristol, on a parcouru, un jour d'expérience, jusqu'à 25 lieues à l'heure. Je n'ai plus que deux ou trois faits à citer pour épuiser cette première partie de la question. Quelle était la circonstance qui déterminait George Stephenson à fixer si bas la vitesse maximum des loco- motives? C'est qu'en marchant avec beaucoup de rapi- dité, il devenait nécessaire d'avoir une chaudière énorme pour suffire à la consommation considérable de vapeur que la machine faisait. Se transporter elle-même était alors le maximum d'efïet de la machine ; elle ne pouvait entraîner à sa suite ni voyageurs ni marchandises : le problème de la locomo- tion rapide n'était pas résolu. Tout en restant scrupuleusement fidèles à la vérité dans I 366 LES CHEMINS DE FER. <:et aperçu historique, ne laissons pas nos voisins s'atlii- bucr la chose peut-être la plus capitale que renferment les locomotives, au détriment d'un Français; l'invention dont je veux parler appartient h M. Séguin. Le fait est parfaitement reconnu aujourd'hui; un brevet est d'ailleurs là pour le prouver sans réplique ; c'est M. Séguin qui le premier a très-ingénieusement trouvé le moyen de construire des chaudières d'un poids et d'une dimension médiocres, à l'aide desquelles cependant on pût fournir à la consommation énorme de vapeur qu'exi- gent les locomotives rapides. Ce moyen, le voici en deux mots. On avait, avant M. Séguin, imaginé des chaudières tubulaires, des chaudières composées d'un très -grand nombre de cylindres remplis d'eau et autour desquels circulait la flamme provenant du foyer. M. Séguin , sans changer matériellement la forme de l'appareil , lui a donné de nouvelles propriétés; il a placé l'eau où était jadis la flamme, et la flamme dans les tubes (|u'occupait l'eau. Tel est l'artifice qui a rendu possible et avantageuse la locomotion rapide. Ainsi , Messieurs, ne vous laissez pas fasciner par tous les noms anglais qu'on lit sur les locomotives; quand vous voyez passer une de ces admirables machines, dites- vous sans scrupule, dites -vous hardiment : Ce qu'elle renferme de plus capital est l'œuvre d'un compatriote. (Très- bien!) Souffler le feu était aussi un moyen d'augmenter la ])roduction de vapeur. Deux moyens se présentaient : on pouvait ou bien LES CHEMINS DE FER, 367 mettre derrière la machine un véritable soufflet, mais cela eût absorbé une portion notable de la force motrice ; ou bien déterminer un fort, tirage dans la cheminée. C'est un physicien français, M. Pelletan, qui, le pre- mier, a pensé à produire ce tirage en lançant dans la cheminée la vapeur qui vient de produire son effet dans les cylindres. Robert Stephenson . dont vous voyez figurer le nom dans presque toutes les compagnies de chemins de fer, est un mécanicien d'un mérite érainent. Il a beaucoup contribué au perfectionnement des locomotives par une foule de combinaisons bien entendues, mais au fond elles n'offrent aucun organe mécanique nouveau. L'ère capitale des chemins de fer a commencé en 1830 : c'est à partir de 1830 qu'on arriva, sur le chemin de fer de Liverpool à Manchester, à donner aux locomotives une rapidité inespérée, à l'aide de la chaudière de M. Séguin et des combinaisons mécaniques de M. Stephenson. Depuis on a fait plus ; et, j'en demande pardon à l'ad- ministration, ce plus on n'en tient pas assez compte. En 18'i0, on est arrivé, par un artifice aussi simple qu'il est ingénieux , à réduire de moitié la consommation des locomotives. Le combustible qu'on briile actuellement est la moitié de celui qu'on brûlait en 1830 pour une force égale. Ce résultat a été obtenu par l'emploi de la détente. La détente fournit encore le moyen de donner à la ma- chine une force variable, sans qu'il soit nécessaire de modifier l'élasticité de la vapeur dans la chaudière, sans courir les risques d'explosion. Remarquez cela, Messieurs, 368 LES CHEMINS DE FER. car je vais en tirer parti pour arriver h l'économie de trace dont je parlais en débutant. Je ne dirai rien des rails ; les modifications de poids qu'on leur a fait subir ne doivent pas figurer dans cette discussion. J'arrive aux pentes. Ici on a marché longtemps à tâtons. Le conseil des ponts et chaussées adopta , sinon une règle explicite, du moins une sorte de charte tacite, fondée sur des considérations qui , vraies, mathématique- ment parlant, péchaient par un point capital : c'est qu'on n'avait pas tenu compte de toutes les conditions physiques du problème. Ainsi, naguère on aurait regardé comme un mauvais tracé celui où il se serait trouvé des pentes de plus ch^ 3 ou II millimètres par mètre. Ces limites avaient été introduites par la considération de ce qu'on appelle en mécanique l'angle de frottement. C'est sans doute une chose intéressante que l'angle do frottement, mais, dans la question, mieux valait une expérience. Or l'expérience a montré qu'on pouvait tolé- rer, non-seulement des pentes de 5, de 6, mais même des pentes de 10 à 12 millimètres par mètre. Vous trouverez dans un rapport récent de l'ingénieur Brunel fils, ces paroles catégoriques : a Le temps est passé où les ingénieurs croyaient que des pentes de 10 millimètres étaient dangereuses. » Je viens de prononcer le mot dangereux,- deux mots expliqueront pourquoi des pentes de 10 millimètres sem- blaient dangereuses. La théorie nous apprend que si un corps qui descend LES CHEMINS DE FER. 369 dans le vide , par l'action de la pesanteur, parcourt un espace 1 dans la première seconde de sa chute , il par- courra un espace 3 dans la deuxième seconde, un espace 5 dans la troisième, et ainsi de suite. Dès qu'une pente a une grande étendue, on arrive, craprès cette série, à des vitesses finales très -considéra- bles. 11 fallait donc proscrire les pentes. Mais on avait oublié un point essentiel, on avait oublié l'action d'un frein toujours présent , toujours agissant , d'un frein qui ne saurait casser : ce frein , c'est l'atmosphèi'e ; on n'avait pas tenu compte de la résistance de l'air, qui, croissant avec rapidité, finit par faire équilibre à l'action accéléra- tiice de la pesanteur ; on n'avait pas songé qu'un train de voitures glissant sur une pente de 10 à 12 millimètres devait arriver à une vitesse uniforme, et que, tout compte fait, cette vitesse serait inférieure aux vitesses qu'on tolère sur les lignes horizontales. Or, qui ne voit que pour les voyageurs le danger dépend de la vitesse abso- lue, soit c{u'elle provienne de la déclivité du chemin ou de l'action de la machine? L'administration dc^ ponts et chaussées s'est un peu relâchée, quant aux pentes, de cette rigueur extrême, mais elle n'a pas marché aussi vite que la science et l'art. Au premier coup d'œil il peut sembler peu important d'adop- ter des pentes de 5 , de 6 ou de 7 millimètres. Mais ces différences linéaires, en apparence si petites, correspon- dent dans le budget à des différences représentées par des millions. En Angleterre, on accorde sans aucune difficulté des pentes de 10 millimètres. Ici l'administration ne va jusque-là que dans des cas spéciaux et très-rares. Les V.— II. 2û 370 LES CHEMINS DE FER. ingénieurs, lorsqu'ils présentent leurs projets à l'adminis- tration, sont parfaitement accueillis s'ils n'ont admis que des pentes très-faibles et des rayons de courbure très- grands : celui qui aurait résolu le problème en recourant aux pentes adoptées sans diiïiciilté en Angleterre , crain- drait des reproches. Cet état do choses est fâcheux ; nos linances en soulTrent considérablement. Après les pentes viennent les courbes. Permettez - moi d'en dire quelques mots. Les courbes sont une cause active de détérioration des chemins, et une cause incessante de dangers. Sur une courbe, la force qu'on appelle centrifuge tend à faire sortir les wagons de la voie ; ceux-ci ne sont retenus que par un bourrelet intérieur : l'existence du frottement du bourrelet sur le rail n'est que trop bien attestée par la quantité de limaille de fer qu'il engendre. On a découvert un moyen certain d'éviter ces incon- vénients, à l'aide d'une nouvelle liaison établie entre les voitures et les rails. Ce moyen est déjà ancien, et l'admi- nistration ne l'a jamais eu en vue dans aucun de ses tracés. Cependant il avait été examiné très-sérieusement par une commission de l'Académie des sciences. Quand il s'agit de la vie des hommes surtout , les commissions y regar- dent à deux fois ; son rapport, nonobstant cela, fut entiè- rement favorable. J'en dirai autant du rapport d'une commission d'inspecteurs des ponts et chaussées, qui avait pour organe M. Lefebvre, un des ingénieurs les plus distingués dont notre pays puisse s'honorer. L'expérience aussi avait prononcé. Elle avait été faite sur une grande échelle à Saint -Mandé. Dans les essais LES CHEMINS DE FER. 371 successifs, l'espace total parcouru n'était pas resté au- dessous de 300 à /ÏOO lieues. Pour les courbes , on était descendu aux plus extrêmes limites. Je me rappelle avoir circulé à Saint-Mandé, avec un convoi, sur une courbe de 18 mètres de rayon. Eh bien, je ne sais pas si l'admi- nistration adopterait une courbe de moins de 800 mètres. A quels résultats financiers ces différences dans les courbes et dans les inclinaisons peuvent-elles conduire? Vous allez le voir. Il a été question, dans la discussion du chemin de Paris à Strasbourg, de la partie qui va de Paris à ClMteau- Thierry. Devinez à quelles conditions cet espace est fj'an- chi? La Marne est traversée sept fois. Il faudra donc sept ponts, et chaque pont coûtera en moyenne quatre à cinq cent mille francs. M. Dozox. 100,000 fr.! M. Arago. Si vous dites vrai, les ponts seront con- struits très-économiquement. La vallée sera partiellement barrée sept fois ; il en résultera dans les crues un chan- gement dans le régime des eaux qui probablement don- nera lieu à des réclamations fondées. Sortez maintenant de ces conditions rigoureuses; pcr- irettez-vous des pentes semblables à celles qui sont ad- mises en Angleterre; de l'ordre des pentes que les ingé- nieurs les plus prudents, que M. Cubitt ne craint pas d'adopter dans ses tracés; des courbes analogues aux courbes que le système articulé de M. Arnoux comporte, combien de fois traversercz-vous la Marne avec un déve- loppement d'à peu près la même longueur? Une fois, pas davantage. 372 LES CHEMINS DE FER. Vous le voyez , Messieurs , il est temps , grandement temps, de s'occuper de tout ce qu'il y a de possible, de raisonnable, d'acceptable dans le tracé des chemins de fer. Les pentes limites que l'administration des ponts cl chaussées admet aujourd'hui, les courbes en deçà des- quelles elle ne consentirait pas qu'aucun tracé fût établi , étaient peut-être naturelles il y a quelques années; elles ne sont plus défendables à présent. L'expérience a pro- noncé; on peut opérer hardiment sur une plus large échelle. Notre budget en sera considérablement allégé. J'ai consulté plusieurs ingénieurs pour savoir quelle économie résulterait de l'adoption de nouvelles courbes et de nouvelles pentes largement acceptables. Leur déci- sion a été unanime. On a porté, en moyenne, l'économie sur les terrassements et les ouvrages d'art à 50,000 fr. par kilomètre. Vous avez décrété l'exécution de 4,000 kilomètres de chemins de fer; à 50,000 fr. d'économie par kilomètre, cela fait 200 millions, et je n'ai pas atteint, tant s'en faut, tous les avantages c|ui résulteraient des courbes de M. Arnoux. Je sais bien qu'on me dira : Si vous avez des pentes considérables, il faudra que les machines partent des gares avec toute la force qu'elles devront avoir dans les points difficiles. Dans les parties de niveau, il y aura donc une grande perle de force ; vous vous servirez , passez- moi l'expression, d'un cheval de renfort pour toute la route, tandis que vous n'en auriez vraiment besoin que là 011 il existerait un surcroît de pente. L'objection est spécieuse; mais en pareille matière il LES CHEMINS DE FER. 373 faut toujours recourir à l'expérience. Or rexpérience a montré que la machine ne part jamais avec une pleine charge; elle a toujours un excédant de force. Cette force excédante, vous pourriez l'employer à franchir des pentes fort supérieures à celles cjue vous admettez. Cela s'est réalisé dans tous nos chemins. Y a-t-il dans les lignes qui nous entourent quelque chose de plus dis- semblable que le chemin de Saint- Germain et le chemin de Versailles? L'un est presque de niveau ; dans l'autre il y a des pentes sensibles. Les frais de locomotion y sont cependant à peu près les mêmes. Voilà une première réponse. Il en est une autre qui me sera fournie par ce que j'ai dit des progrès qu'on a faits depuis 1840 sur le meilleur emploi de la vapeur motrice. Quelquefois, pour franchir une grande pente, on aug- mente la force des machines en chargeant les soupapes , en donnant plus de force élastique à la vapeur; mais le moyen est dangereux; il peut y avoir une explosion. Ce danger n'existe pas si on fait varier la force de la machine par voie de détente. Les travaux d'art et les terrassements forment sur tous les chemins une part considérable de la dépense totale. Sur un développement de 92 kilomètres, dans la première section du chemin de fer de Strasbourg, la dépense de terrassements, de souterrains et des travaux d'art est de IG millions. Dans la deuxième section , sur une longueur à peu près égale, la même dépense est de d millions. Mettez de côté les conditions léonines qui vous dirigent, t^t vous arriverez à des dillerences insignifiantes entre la première et la deuxième section. 37i LKS CHEMINS DE FER. Je citerai un autre exemple : Le chemin de Malaunay à Dieppe. Avec les courbes et les pentes ofli ciel les, la dépense est de 1/| millions. La circulation, sur cotte voie, ne permettrait peut- être pas une si forte dépense. En augmentant un peu les pentes et en portant les rayons des courbes à Zi^OO mètres, la dépense se réduit à 12 millions. Des courbes de 150 mètres, sans augmentation de pentes, abaisseraient la dépense à 10 ou môme à 9 mil- lions. Si vous vous obstiniez donc à faire entre Malaunay cl Dieppe un chemin monumental, dans des conditions nul- lement nécessaires, n'ajoutant presque rien à la célérité et à la sûreté, vous augmenteriez la dépense de moitié en sus de la dépense nécessaire. De telles considérations, si je ne me trompe, doivent fixer Tattention de l'administration et de la Chambre. Je remercie M. le ministre des travaux publics d'avoir présenté aujourd'hui un projet de loi pour un chemin de fer qui devra être desservi par un matériel exécuté sui- vant le système Arnoux. Ce système a été essayé très en grand, mais l'expérience nouvelle ne nuira pas. Le nou- veau chemin servira aux personnes qui fréquentent le marché de Sceaux, ou qui vont se délasser dans les envi- rons de ce bourg. Ce chemin résoudra, je l'espère, défini- tivement la question des courbes. Remarquez cfue cette grande question des courbes implique celle des pentes. Depuis Bourg-la-Roine jusqu'à LES CHEMINS DE FER. 375 Sceaux, le nouveau système sera appliqué sur une pente moyenne de 15 millimètres. M. Arnoux ne veut pas par- courir cette pente directement; je crois qu'il a tort; mais je conçois ses motifs. M. Arnoux rachètera la dilïérence de niveau moyenne de 15 millimètres, en faisant, comme dans les routes ordinaires, autant de zigzags, autant de lacets qu'il en faudra. On verra ainsi qu'il est possible de porter des voies de fer sur les régions les plus élevées du territoire. J'arrive à une dernière invention, faite depuis peu d'années. Elle paraît devoir offrir de telles facilités dans le tracé, de telles possibilités dans la circulation sur les pentes, qu'il n'y aura pas de pays au monde qui doive renoncer à la satisfaction d'avoir des voies de fer. Le système qui possède ces précieuses propriétés est celui qu'on appelle le système atmosphérique. Vous savez tous, Messieurs, que l'atmosphère pèse d'un poids énorme; que nous en serions écrasés, si, en même temps qu'elle agit sur notre corps de bas en haut, elle ne nous soulevait pas avec une force égale, si son action ne s'exerçait pas dans tous les sens. Mettez un piston dans un tube horizontal , il en sera autant poussé de gauche à droite que de droite à gauche. Supposez que ce piston ferme hermétiquement le tube ; enlevez l'air renfermé dans le compartiment de gauche, aussitôt le piston sera pressé vers cette région, c'est-à- dire de droite à gauche, avec une force considérable, avec mie force dont on se fera une idée exacte en se figurant un moment que le tube est vertical , et qu'il est chargé d'une colonne de mercure de 76 centimètres de haut. .•)76 LES CHEMINS DE FER. Le piston du tube horizontal, poussé par cette cnornic force, marcliera inévitablement. Pour tirer parti de cette force dans l'intérêt de la loco- motive , il reste à la communiquer extérieurement à des voitures ; là était la dilTiculté. On a imaginé des commu- nications magnétiques; mais c'étaient des rêves. On pourrait produire ainsi des elTets insignifiants propres à figurer dans des cours de physique, rien de plus. Pour que le piston puisse entraîner une voiture, il est nécessaire qu'une tige rigide aille d'une de ses parties au dehors. Il faut donc qu'il existe une fente longitudinale sur le tuJDe. IJ faut que cette fente se ferme à mesure que la tige a passé ,. afin que , par un vide à droite , le piston puisse revenir, c'est-à-dire se mouvoir en sens inverse de sa première marche et conduire un autre train. Il semblait difficile de faire dans le tuyau une fente le long de laquelle pût passer une tige métallique assez grosse pour entrahier un train de voitures, et qui , immé- diatement après , se fermât de manière à ne pas donner passage à l'air extérieur. Ce problème a été résolu : nous devons dire qu'à l'ori- gine l'inventeur, M. Clegg, apporta son système en France; chacun ici doit lui savoir gré de cet acte de déférence. On prétend que l'appareil de M. Clegg est trop méca- nique, comme si les locomotives n'étaient pas une com- binaison mécanique très- compliquée. On a cru que le système était impraticable ; plusieurs expériences ont prononcé; la première, celle des envi- rons de Londres, a eu pour témoin et pour appréciateur LES CHEMINS DE FER. 377 un jeune homme qui s'est dévoué avec un grand zèle à l'étude de toutes ces questions ardues et qui avait les connaissances nécessaires, car il était sorti de l'École polytechnique. M. Teisserenc en a rendu un compte favorable. La seconde expérience a été faite en Irlande, sur une plus grande échelle, de Kingstown à Dalkey. M. le rapporteur s'est trompé en disant de l'expé- rience irlandaise qu'elle avait embrassé l'espace compris entre Dublin et Kingstown. Si tel était le cas , de nou- velles expériences seraient superflues. Le iuhe jjropulseur, pour me servir de l'expression consacrée, ne va que de Kingstown à Dalkey; il n'a que trois quarts de lieue, qu'environ trois kilomètres de long, mais il parcourt la contrée la plus défavorable du monde, sous le rapport des courbes et des pentes. M. le rapporteur a cité deux ingénieurs, l'un favo- rable et l'autre défavorable au système atmosphérique. Ce dernier est M. Stephenson , fabricant de locomo- tives. En rapportant cette circonstance, je n'entends pas faire une épigramme; il est naturel qu'aux yeux de celui dont la vie tout entière s'est passée au milieu de locomotives, les difficultés des autres systèmes grandis- sent outre mesure. Mais à l'opinion de M. Stephenson on peut opposer celle de M. Brunel, qui propose, lui, d'exé- cuter un chemin atmosphérique pour joindre Chatom à d'autres villes. M. Brunel a dû songer que, s'il se trom- pait, que, s'il engageait des capitalistes dans une mau- vaise entreprise, sa carrière d'ingénieur serait gravement compromise. Dans de telles circonstances, le témoignage 378 LES CHEMINS DE TE H. de M. Bmiiel devait Tcmpoiler sur celui de M. Steplien- son. 11 c.arcourues, et qu'en même temps les roues extérieures, roulant sur la courbe dont le développement est le plus grand, prennent la plus grande vitesse. 398 LES CIII'MINS DE FER. Il ne suffît pas, néanmoins, que ces conditions, re- marquées de tout temps, puissent être satisfaites : elles doivent Têtre nécessairement; il est indispensable que tous les essieux soient constamment guidés. Aussi, les pi'emiers essais de chemins eu bois et en fer dans les galeries de mines, offrirent-ils divers moyens pour donner à des essieux mobiles la direction conve- nable. C'était, par exemple, une crosse fixée perpendi- culairement au premier essieu et qui, armée quelquefois à son extrémité inférieure d'un galet horizontal, pénétrait dans une rainure creusée entre les deux directrices courbes de la voie. On a vu plus tard les galets horizontaux, mais pour une application toute spéciale, dans quelques-uns des petits chariots, à voie extrêmement étroite, destinés au jeu des Montagnes Russes. Pourquoi donc, dans le grand problème de la loco- motion sur chemins de fer, a-t-on bientôt abandonné les anciennes tentatives? Pourquoi s'est-on jeté dans un sys- tème tout différent? C'est que les premiers moyens de direction n'étaient pas admissibles dès qu'on voulait augmenter la vitesse; c'est qu'avec des essieux mal guidés ou libres, les wagons sortiraient à chaque instant de la voie, malgré l'obstacle qu'opposent aux rebords des roues les bourrelets ou les plans verticaux des rails; c'est qu'en effet, le frottement même de ces bourrelets et de ces rebords, en retardant le mouvement de la roue frottante, tendrait à faire pivoter l'essieu et la \oiture entière autour du point d'arrêt. Dans les parties droites d'une voie, les essieux doivent LES CHEMINS DE FER. 399 rester invariablement perpendiculaires à l'axe des wagons. On chercha donc avant tout à établir cette perpendicu- larité d'une manière permanente. Après ce premier pas, il n'y avait plus que de l'avantage à faire les autres : à rendre les essieux solidaires avec les roues, et tournant sur eux-mêmes dans des boîtes fixées à la caisse même de la voiture. Par là les roues se trouvent parfaitement maintenues dans des plans verticaux, et la charge se transmettant aux essieux par des parties situées près de leurs points d'appui, les fatigue moins que lorsqu'elle repose direc- tement sur le milieu de lear longueur. Tel est le système actuel. II est parfait pour les lignes droites, mais tout se trouve sacrifié à ces lignes. Dans les courbes, en effet, le parallélisme des essieux est un défaut; la liaison qui oblige les roues à prendre des vitesses égales, un autre défaut. La nécessité même de ne pas exagérer ces inconvénients, réagit sur les par- ties droites du chemin, en empêchant d'augmenter la largeur de la voie et d'assurer par là, de plus en plus, la stabilité des voitures. Sans doute on a remédié, du moins en partie, aux inconvénients que nous venons de rappeler, par d'ingé- nieux artifices, par les roues à jantes coniques, par les loulcments des roues extérieures sur la circonféi'ence de leurs rebords, ce qui constitue, comme on le sait, le pro- cédé de M. Laignel ; mais ces moyens ne peuvent remé- dier qu'aux défauts qui résultent de la dépendance des roues. Les inconvénients attachés au parallélisme des axes subsistent encore. •iOO LES CHEMINS DE FER. Donnera-t-on d'avance ,• et ù dessein, du jeu pour rendre possible un certain degré de convergence? On l'a fait en Angleterre et avec désavantage , en l'absence de moyens de guider les essieux : résultat que l'on pouvait prévoir par des raisons précédemment indiquées. On est donc inévitablement conduit, dès qu'on s'écarte du système des wagons ordinaires, à chercher des moyens de donner aux essieux la direction convenable. Examinons comment M. Arnoux satisfait à cette con- dition : Son système se compose de trois parties distinctes. 11 faut y signaler en effet : D'abord le moyen particulier, spécial, de diriger le premier essieu de la première voiture ; Ensuite le moyen commun de diriger le premier essieu de chacune des voitures suivantes; Enfin le moyen de subordonner, dans chaque voiture, à la direction déjà déterminée du premier essieu, celle du second. Chacun de ces points exige quelques détails. Le premier essieu du convoi porte, à l'extrémité de fourches recourbées, quatre galets, mobiles dans des plans à peu près horizontaux, légèrement inclinés de haut en bas, du dedans au dehors, et qui s'appuient, en rou- lant, contre les bourrelets, ou mieux, contre les plans verticaux des rails. Ces galets n'éprouvent, lorsqu'ils }ini bien ajustés, aucune autre résistance que celle qui naît du roulement, puisque l'essieu qui les soutient les em- pêche de jamais porter par leurs faces horizontales. Les centres des galets se trouvent maintenus ainsi aux quatre LES CHEMINS DE FER. iOl Bommets d'un rectangle engagé entre les rails, avec une très-petite quantité de jeu. Les déviations des côtés de ce rectangle, par conséquent les déviations de l'essieu pa- rallèle aux côtés transversaux et compris entre eux ; ces déviations, disons-nous, ne peuvent être que de l'ordre de grandeur exprimé par le rapport du jeu à la largeur du rectangle même. Un pareil système de guides est excellent. Tl n'a rien de commun avec les roulettes verticales antérieurement proposées. Est-il besoin de dire, en efTet, que des galets ne peuvent servir de guides que par rapport au plan sur lequel ils roulent, et que les rebords verticaux des rails sont ici les plans relativement auxquels il faut guider le mouvement? Les galets- guides de M. Arnoux auraient plus d'ana- logie avec le galet unique de certains chariots des usines. On pourrait croire la ressemblance plus grande encore en prenant le terme de comparaison dans quelques-uns des galets imaginés pour les montagnes russes. Quant à ces derniers, cependant, une différence frappe tout de suite l'attention : leur objet est plutôt de diminuer un glissement que d'assurer une direction aux essieux. En effet, avec une voie aussi étroite la direction convergente des essieux n'avait pas d'importance; il suiTisait que les galets fussent portés par la caisse des chariots. On les voit même engagés quelquefois dans des rainures latérales pour écarter toute chance de projection. Rien de sem- l)lable ne pourrait avoir lieu sur une grande échelle. Examinons maintenant si les galets de M. Arnoux n'auraient pas, avec les avantages qui leur appartiennent, V. — II. 26 i02 LES CHEMINS DE FER. ({ui les distinguent de tout ce que l'on avait proposé pour le même objet, quelque inconvénient grave. L'expérience semble avoii' prononcé. Jamais les galets n'ont présenté de tendance à dérailler; jamais, dans la voie, il n'y a eu de rupture; la surface s'usait un peu rapidement, mais alors seulement que les galets étaient en fonte douce, et que les aspérités des rails étaient encore vives. Depuis, avec des galets garnis d'un cercle d'acier, il n'y a plus eu d'usure appréciable. On a voulu s'assurer si tous étaient indispensables à la direction du convoi. Avec un galet de moins il a été im- possible de marcher. Les wagons se sont arrêtés dès les premiers instants ; mais aussi quelques instants suffisent pour remplacer le galet qui manque. L^n accident cjui ne tient nullement à la nature du sys- tème, a donné lieu à une remarque qui mérite d'être conservée. Dans un changement de voie une aiguille était restée fermée. La locomotive et le convoi abandonnèrent donc les rails; dès lors les galets se trouvant forcés de labourer le sol, un d'eux se brisa; mais la pointe de la fourche qui le portait continuant de pénétrer dans la terre , con- tribua promptement et à coup sûr fort heureusement à détruire la vitesse acquise. En voyant les galets d'une première voiture assurer, d'une part, la direction en s'encadrant dans les rails, et, d'autre part , transformer en frottement de roulement le glissement du rebord des roues contre les bourrelets, on se demande s'il ne conviendrait pas d'appliquer un sys- tème semblable à chacun des essieux suivants. Cette idée LES CHEMINS DE FER. 4 projet de loi de concession du clioniin de fc>i' de Sceaux a été adopté sans discussion dans la séance de ki Cliandjrv des députés du 19 juillet l8!^l^. ] VIII SYSTÈMES DE CHEMINS DE FER ATMOSPHÉRIQUES ' ]Nous répondrons à un désir qui a été manifesté sur divers bancs de la Chambre , en essayant de caractériser en quelques lignes les divers systèmes de chemins atmo- sphériques qui se disputent aujourd'hui l'attention du public. Cette introduction aura d'ailleurs l'avantage de séparer, en termes généraux , les propriétés évidentes de ces inventions, de celles qu'on leur attribue gratuitement, ou qui, pour être constatées, exigeraient encore un examen sérieux. L'atmosphère presse dans tous les sens avec la même intensité. Elle exerce un égal. elTort sur une surface hori- zontale et sur une surface verticale. La pression atmosphérique , évaluée perpendiculaire- ment aux surfaces planes, les seules dont nous aurons à parler ici, a pour mesure, en chaque lieu, le poids d'im volume de mercure ayant pour base la surface pressée, et pour hauteur celle du baromètre. 1. Rapport .fait à la Chandjre des députés, le 16 juillet ISliU, sur un projet de loi tendant ù ouvrir au ministre des travaux publics un crédit de 1,800,000 francs pour un essai des systèmes de chemins de fer atmospliériques. LES CHEMINS DE FER. 42T Au niveau de la mer, la hauteur moyenne du baromètre est de 76 centimètres. Si on se rappelle qu'à égalité de volume, le mercure pèse treize fois et demie plus cjue l'eau, on concevra que la pression atmosphérique sur ime surface de quelque étendue doive devenir une force motrice puissante, partout où l'on réussira à annuler la pression en sens contraire , provenant de la même cause, qui ordinairement la balance. Concevons maintenant, à la surface du sol, un tuyau d'un demi-mètre de diamètre, par exemple, ouvert à ses deux bouts et portant un piston bien ajusté, susceptible de glisser dans les deux sens. Ce tuyau a été appelé, d'après une dénomination anglaise, le tube de propulsion; nous lui conserverons ce nom. L'atmosphère poussera le piston du tube de propulsion, de droite à gauche, avec une force très- considérable, facile à calculer. Une force exactement égale le poussera de gauche à droite. Le piston restera donc en repos. Cela posé, fermons hermétiquement le tube à son extré- mité de gauche. Ensuite, enlevons tout l'air compris entre cette extrémité fermée et le piston, en nous servant d'un système de pompes et de soupapes, analogue à celui qui constitue l'appareil si connu dans les cabinets de physique sous le nom de machine pneumatique. Enlever l'air, c'était anéantir la pression, qui, s'exer- çant sur le piston, de gauche à droite, l'empêchait de céder à la pression, à la force qui le poussait en sens inverse. Après l'opération, cette dernière force subsiste seule, et elle ne pourra manquer de pousser le piston vers la gauche avec une grande puissance, avec une grande 428 LES CHEMINS DE FER. ra{)idité, dès qu'on aura ôlc le coin ou tout autre obstacle analogue qui le retenait en place. Si, au lieu d'enlever la totalité de l'air contenu dans la portion du tube horizontal comprise entre le piston et l'extrémité fermée à gauche, on n'en enlève qu'une partie; si, par exemple, au lieu de réduire, dans cette même portion du tube, la pression atmosphérique à zéro, on l'amène seulement à être la moitié de sa valeur normale, le piston restera pressé de gauche à droite, avec une intensité égale à la moitié de celle qui le pousse en sens opposé, et la force motrice du piston se trouvera elle- même définitivement réduite ù la moitié de ce qu'elle était dans le premier cas. Un vide encore plus imparfait rédui- rait cette force propulsive au tiers, au quart, au cin- quième, etc. Il est bien entendu qu'après avoir poussé le piston de droite à gauche, il suflira, si on veut le faire marcher en sens contraire , de laisser à gauche le tube en libre com- munication avec l'atmosphère, de boucher la section de droite, et d'y opérer un vide plus ou moins complet. Lions, d'une manière quelconque, des ballots à l'ar- rière du piston mobile , et nous aurons le système de transport pour les marchandises, les lettres, les journaux, que l'ingénieur danois, M. Medhurst, proposa en 1810. Donnons au tube des dimensions considérables, en telle sorte qu'il puisse contenir une file de voitures, et l'on se fera une idée précise de l'expérience que tenta M. Val- lance, en 182/i, sur la route de Brighton, dans un tuyau provisoire en bois de deux mètres de diamètre. Il était de toute évidence, sans même tenir aucun LES CHEMINS DE FER. 429 compte de diverses considérations économiques, que le public ne consentirait pas à s'enfermer, comme le voulait le système de M. Yallance, dans un tube de fer indéfini; qu'il éprouverait une très-juste répugnance à voyager, quelque grande que fût la vitesse, dans une obscurité profonde. Aussi, M. Medhurst, voulant perfectionner ses premières idées, chercha-t-il des moyens de transmettre au dehors du tube la force motrice dont le piston inté- rieur peut être animé. A. ses tentatives succédèrent celles de l'ingénieur américain Pinkus, et ensuite les essais plus heureux de MM. Clegg et Samuda. Les premières expériences des deux ingénieurs anglais, faites à Chaillot en 1838, furent suivies des épreuves moins imparfaites , exécutées à Worm-Wood-Scrubs, près de Londres. Enfin , grâce à un prêt de 625,000 francs du gouvernement anglais , MM. Clegg et Samuda purent procéder à l'établissement du chemin atmosphérique de Kingston à Dalkey, sur une longueur de 2,275 mètres. Un mot maintenant de la méthode qu'on a imaginée pour établir une liaison intime et rigide, entre le piston sur lequel s'exerce la force motrice atmosphérique et la première voiture d'un train roulant sur des rails ordi- naires en dehors du tube. La Maison rigide dont il vient d'être parlé, ne peut guère s'établir convenablement qu'à l'aide d'une tige métallique allant du piston à la voiture. Or, comme il faut que cette liaison se maintienne pendant toute la course du piston , le tube doit être ouvert longitudinalc- ment par le haut. C'est le long de cette fente supérieure que la tige métalhque marche ; c'est par son intermédiaire 430 LES CHEMINS DE FER. i|iic le mouvement du piston se communique à la premièi'c voiture du convoi, et de là à toutes les autres. Cette tige a donc été appelée très- légitimement lu iige motrice ou de connexion, ]Mais, dira-t-on, si le tube est fendu, comment y faire le vide? Voici la léponse. La fente est couverte, sur toute sa longueur, d'une soupape qui la ferme hermétiquement. Le vide peut donc s'opérer successivement, dans la portion de tube située à gauche ou à droite du piston, comme dans le tube non fendu que nous considérions d'abord. Seulement , par un elfet du mouvement sur lequel nous reviendrons, la sou- pape s'ouvre partiellement près du piston, de manière à laisser passer la tige de comiexion ; immédiatement après elle retombe par son poids. C'est ici la partie la plus délicate de l'appareil. La soupape ferme-t-clle rigoureusement la fente, le vide s'opère exactement dans le tube, et il s'y maintient ; on obtient une force motrice puissante et permanente. La soupape, au contraire, livre-t-elle passage à l'air par quelque fissure , on ne peut arriver à un vide suffisant , qu'en se servant d'une pompe pneumatique très-forte, et encore ce vide imparfait ne se conserve-t-il pas, si on ne maintient pas la pompe incessamment en action. C'est surtout par le mode de fermeture de la fente longitudinale du tube de propulsion, que les systèmes de M. Samuda et de M. Hallette dilïèrent l'un de l'autre. La soupape longitudinale de M. Samuda , destinée à fermer la fente du tube, est formée d'une lanière indéfinie en cuir, fortifiée en dessus et en dessous , par une série LES CHEMINS DE FER. 43t de plaques de fer de 30 centimètres de long, et ne laissant guère entre elles qu'un centimètre d'intervalle. On donne ainsi du poids à la soupape sans anéantir sa tlexibilité. Le cuir est attaché intimement, hermétiquement, par l'un de ses bords, à l'un des deux côtés de la fente. L'autre bord reste libre, mobile, et lorsque la soupape est fermée, il repose simplement sur la seconde lèvre de la fente , re- couverte d'avance, dans toute sa longueur, d'une compo- sition de cire et de suif. Quand la soupape s'entr'ouvre, la bordure en cuir fixée, adhérente au tuyau, se fléchit et fait ainsi l'office d'une véritable charnière. On concevra avec assez d'exactitude la manière dont est disposée et fonctionne la lanu'rc soupape de M. Samuda, en étendant sur une table un long ruban de drap, en lui faisant subir une tension modérée et en le collant ensuite à la table par l'un de ses bords. Le doigt, en se prome- nant entre le drap et la table' le long du bord libre du ruban, produit une inflexion locale, un soulèvement du th'ap partout oii il se transporte. A c[uelque distance de là le soulèvement n'a pas lieu, ou du moins il est insensible. La soupape de M. Samuda ne se soulève jamais jusqu'à devenir verticale. Elle ne dépasse pas dans ses mouve- ments l'inclinaison de /î5°. L'ouverture est alors suffisante pour donner passage à la tige motrice, à la tige large et fortement infléchie qui unit le piston à la voiture directrice. Cette tige, chacun en a déjà compris la nécessité, est quelque peu en arrière de la première face du piston, afin (jue jamais l'air ne puisse pénétrer librement dans la por- tion du tube que ce piston va parcourir. En réalité , le soulèvement de la soupape ne s'opère même pas directe- 432 LES CHEMINS DE FER. ment par la tige : deux roulettes placées dans le tube , en arrière du piston et un peu en avant de la tige , remplis- sent cet office. La soupape, retomlDce seulement par son propre poids, n'adhérerait pas au second bord de la fente assez intime- ment pour empêcher l'air d'entrer dans le tube ; aussi, k peine revenue à sa place, est-elle fortement comprimée à l'aide d'une roue attachée à l'arrière de la première voi- ture ; aussi , cette voiture porte-t-elle un cylindre rempli de charbons incandescents, destinés à liquéfier la compo- sition de suif et de cire, dont il a été déjà parlé. La soupape longitudinale de M. Ilallette repose sur des principes entièrement différents. Le tube de propulsion de notre compatriote, comme celui de M. Samuda, est ouvert longitudinalement dans sa partie supérieure. La fente est comprise, sur toute son étendue, entre deux demi-cylindres métalliques creux, faisant corps avec le tube principal, coulés d'un seul jet avec lui, et se présentant l'un à l'autre par leurs conca- vités. Dans chacune de ces concavités longitudinales, M. Hallette loge un tuyau en tissu épais et serré, rendu imperméable par les moyens connus ; il y comprime l'air à l'aide des mêmes machines fixes, qui, en agissant d'une autre manière, opèrent le vide dans le grand tube de pro- pulsion. En se gonflant vers l'extérieur, ces boyaux vont remplir exactement les demi-cylindres métalliques; en se gonflant vers le centre du tube, ils arrivent à se toucher, disons mieux, à se presser l'un contre l'autre de manière à former, là aussi , une fermeture hermétique. Dans le système si ingénieux de l'habile constructeur LES CHEMINS DE FER. 433 d'Arras, ce n'est pas, comme on le voit, sur les bords de la rainure longitudinale que se ferme le tuyau de pro- pulsion. Cette rainure reste ouverie et libre, mais les deux boyaux gonflés empêchent l'air d'y arriver en dessus, par leur contact mutuel, et latéralement, parce qu'ils s'ap- puient très-exactement sur la surface intérieure des deux oreilles demi-cylindriques , situées à droite et à gauche de la rainure. Ici, la tige motrice n'a pas de soupape à soulever. Dans sa marche, elle s'insinue entre les deux boyaux gonflés et les écarte un moment l'un de l'autre. Ici , point de rouleau compresseur, point de composition à fondre. L'élasticité de l'air injecté dans les boyaux suffit à tout ; après le passage de la tige, cette élasticité replace exac- tement les choses dans l'état primitif. Avant d'aller plus loin, il est peut-être bon de remor- quer qu'à la hauteur des deux boyaux gonflés et tangents, la tige motrice a peu d'épaisseur ; que sa forme est celle d'une lentille étroite ayant sa tranche dirigée dans le sens de la locomotion , en telle sorte que les deux boyaux n'ont jamais besoin d'être fortement écartés, et qu'ils revien- nent subitement au contact dès que la portion étroite, lenticulaire de la tige motrice ou de connexion a passé. Ces détails vont faciliter la tâche de la commission. Au premier coup d'œil on se demande si un mode de locomotion dans lequel figure, comme organe principal, une bande de cuir d'une immense longueur, une compo- sition de cire et de suif, et un fer chaud destiné à liquéfier la cire, peut avoir de l'avenir; s'il ne vaudrait pas mieux s'occuper du perfectionnement des locomotives ordinaires V. — II. 28 i3l LES CIIFMINS Dl< I-ER. plulôt que de porter ses efforts et ses espérances sur des combinaisons qui exigent, pour toute la longueur du tuyau de propulsion, c'est-à-dire pour un grand nombre de lieues, ces contacts intimes, hermétiques, qu'on obtient avec tant de difficulté, même dans les petites machines des cabinets de physique. La question semble grave, mais l'expérience a pro- noncé. Le chemin de Dalkey existe depuis près d'un an. Depuis plus de deux mois il est en exploitation commerciale régulière, et pendant cet intervalle de temps la soupape longitudinale en cuir a utilement fonctionné, et ce n'est pas de ce côté c{ue des scrupules se sont élevés dans l'es- prit des ingénieurs, touchant les avantages économiques que de pareils chemins pourront offrir dans telle ou telle circonstance donnée. La possibilité d'arriver h de grandes vitesses sur les chemins atmosphériques, ne saurait être l'objet d'un doute chez ceux qui savent avec quelle rapidité l'air se précipite dans le vide. Cependant il ne sera pas superflu de dire ici qu'entre Kingston et Dalkey, le tube de pro- pulsion n'ayant que 39 centimètres de diamètre, on a vu un convoi de 30 tonnes se mouvoir avec une vitesse de 83 kilomètres (21 lieues à l'heure). Les chem.ins atmosphériques se recommanderont à ceux qui ont conservé le souvenir de la terrible cata- strophe du 8 mai 1842, par l'absence à peu près com- plète de tout danger. Deux convois ne sauraient y être engagés sur le même tuyau et marcher à la rencontre l'un de l'autre. Le déraillement de la première voiture, de celle qui est directement conduite par la tige du piston, ne LES CHExMINS DE FER. i3o pouvant avoir lieu, le déraillement d'une des voitures suivantes n'amènerait pas, en général, d'accident sé- rieux : les roues de cette voiture déraillée laboureraient seulement le sol à côté de la voie. Les convois des chemins atmosphériques, débarrassés des lourdes locomotives du système actuellement en usage, pourront être plus facilement arrêtés par l'action dos freins ; les rails, quoique plus légers, éprouveront une détérioration moindre ; sous ce double rapport, il doit y avoir dans le service plus d'économie et de sûreté. Enumérons maintenant quelques-unes des questions que le chemin de Dalkey a laissées indécises. Voyons quels sont les principaux problèmes dont les expériences projetées pourraient donner la solution. Les machines fixes font naître, en cjuelques minutes d'action , une certaine force motrice au sein du tube de propulsion. La force ainsi engendrée s'affaiblit sans cesse; mais à quel degré en un temps donné? Dans cet affai- blissement , quelles sont les parts respectives des rentrées d'air par la soupape longitudinale et par le contour cir- culaire du piston? On n'a sur ces objets que de grossiers aperçus qui, aujourd'hui, rendent tout calcul exact im- possible. En ce qui concerne les soupapes longitudinales, le che- min de Dalkey ne nous a éclairés à demi que sur celle de M. Samuda. La fermeture de M. Hallette n'y a pas été essayée. A cet égard, tout est à faire. Si les expériences d'Arras réussissent en grand , si les deux Icvres artifi- cielles, pour employer l'expression de notre ingénieux compatriote, constituent une fermeture très-hermétique. 436 LES CHEMINS DE FER. les clicmins atmospljériqucs se préseiilci'ont sous un joui- extrêmement avantjigeux et nouveau. Remarquons, toutefois, que l'expérience ne devra pas seulement porter sur les propriétés pneumatiques des deux boyaux gonllés. 11 faudra aussi reclici'cher si les garni- tures en cuir que l'inventeur a le projet d'attacher à l'élolTe des deux boyaux, au moins le long des parties qui doivent être en contact avec la tige mobile, s'useront très- vite; si les moyens proposés pour empêcher cette tige de s'échaulTer dans son rapide mouvement, rempliront le but. Envisagé de ce double point de vue, le problème exigera que les expériences s'effectuent sur une grande longueur du tube de M. liallette. On ignore le rayon d'activité utile des machines à vapeur fixes qui sont destinées à faire le vide dans le tube de propulsion, ou seulement à y opérer une certaine raré- faction de l'air. Ce point est capital. Tant qu'il n'aura pas été éclairci, tant qu'on ne connaîtra pas exactement le nombre de machines fixes nécessaires à l'exploitation des chemins atmosphériques de longueurs données, les valeurs économiques que le calcul fournit pour les divers sys- tèmes n'auront rien de satisfaisant, de démonstratif; il sera impossible de dire avec certitude quelle activité dans la circulation rendrait la locomotion atmosphérique préférable à toute autre. L'expérience de Dalkey a montré que les machines fixes pourraient être placées avantageusement à 3 kilo- mètres les unes des autres; mais qu'arriverait-il si les espacements étaient de 5, de 6, de 8 ou de 10 kilomètres? On l'ignore absolument. Cette question a besoin d'être LES CHEMINS DE FER. 437 résolue, si on ne veut pas prononcer en aveugle sur les services qu'il faut attendre du nouveau genre de chemins. Malgré les efforts très-intelligents de ceux de nos com- patriotes qui ont étudié le chemin de Dalkey, il reste encore beaucoup à faire pour évaluer le frottement de la garniture en cuir du piston , sur la couche de suif dont le tuyau de propulsion est revêtu intérieurement , couche qui, poar le dire en passant, supplée à l'alésage. Dans le tube Hallette, il y aura encore à mesurer le frottement de la tige motrice sur le cuir des deux boyaux plus ou moins gonflés. On peut affirmer c{ue ces données, si néces- saires à une appréciation exacte de la propulsion atmo- sphérique, ne seraient obtenues nulle part avec plus d'exactitude que par les soins de nos habiles ingénieurs. Le tube de propulsion , dans un chemin atmosphérique de quelque étendue, présentera souvent des solutions de continuité. Le piston aura alors à passer, en vertu de la vitesse acquise, d'un tube dans le tube suivant , et le tra- jet s'effectuera à travers l'air libre. Nous croyons qu'on s'est jeté dans une exagération manifeste, en assimilant cette manœuvre à celle du jeu de bague : des expériences faites entre Kingston et Dalkey ont montré, en effet , que le passage en question s'opère sans difficulté. C'est un point, toutefois, qui devra figurer sur la première ligne dans le programme des expériences futures. On recher- chera avec soin si la forme d'entonnoir donnée aux extré- mités en présence de deux tubes contigus , est de nature à prévenir tout accident. Les cheinins atmosphériques fourniront le moyen de franchir toutes sortes de pentes. C'est leur propriété la 438 LES CHEMINS DE FER. plus précieuse, et en môme temps la plus évidente. A cet égnrd aucune expérience ne sera nécessaire. Le calcul donnera, au besoin, avec une exactitude rigoureuse, les poids décroissants que le même degré de vide pourra faire mouvoir sur riiorizonlule et sur des lignes inclinées de 10, de 20, de 30, de 50, etc., millimètres par mètre. Il faudra, au contraire, étudier soigneusement les moyens de descendre, sans danger, toutes les déclivités possibles, soit en recourant à des freins ordinaires , soit , ce qui est bien préférable , à l'aide des freins d'air. Le système de M. Hallette offrira de ce côté des ressources précieuses, puisque la fermeture de la fente par des boyaux gonflés reste également imperméable à l'air, pour une pression dirigée de dehors en dedans, et pour une pression s'exer- çant de dedans en dehors; puisque, dans ce système, on peut opéi'er une forte compression de l'air dans le tube de propulsion , sans qu'il s'en échappe une molécule. Tout est connu et certain , quant à la locomotion atmo- sphérique le long d'une pente unique à peu près régulière. Il serait imprudent de donner la môme assurance, tou- chant le mouvement qui doit s'opérer dans une série continue de pentes et de contre-pentes sensibles. L'expé- rience seule pourra éclairer l'ingénieur sur les variations brusques de vitesses et les autres inconvénients que de telles conditions de tracé amèneraient à leur suite. Jusqu'à quelle limite peut-on faire descendre les rayons des courbes dans le système atmosphérique? Certaines parties du chemin de Dalkey appartiennent à des cercles de 175 mètres seulement de rayon ; mais on ne sait pas à combien s'y élève le frottement, mais on y a placé des LES CHEMINS DE FER. 439 contre-rails de sûreté, etc. Cette question offre une impor- tance extrême. 11 est bien désirable qu'on l'étudié, en manant le système atmosphérique aux wagons articulés de M. Arnoux. Si le piston moteur était semblable à ceux des machines à vapeur, s'il remplissait entièrement le tube de propul- sion , s'il reposait de tout son poids sur la partie infé- rieure de ce tube, on aurait raison de se préoccuper des accidents qui pourraient être la conséquence de l'excessive rapidité de sa marche ; mais la partie métallique centrale de ce piston a un diamètre sensiblement plus petit que le tube de propulsion ; mais elle est réellement suspendue à la tige motrice , et, par cet intermédiaire, à la première voiture du convoi, de telle sorte que la circonférence du piston et la circonférence intérieure du tube , sont parfai- tement concentriques, ne se touchent nulle part; mais l'intervalle annulaire que ces deux circonférences laissent entre elles, est rempli par une rondelle en cuir, disposée , à fort peu près, comme celle qui entoure le piston des presses hydrauliques. C'est sur les bords de cette rondelle que s'opère, pendant la marche, tout le frottement dans le tube de propulsion. Le cuir doit s'user et s'use en effet rapidement. C'est un point sur lequel devront se diriger les investigations des expérimentateurs. La dépense sera toujours insignifiante, mais les facilités de remplacement méritent de fixer l'attention. M. Samuda estime que les rondelles de cuir de son piston devront être changées toutes les dO à 50 heues. Alors même qu'il résulterait d'une comparaison expé- rimentale minutieuse, que, sur les grandes lignes, les iîO Li:S CHEMINS DE FFR. locomotives ordinaires doivent être préférées à la propul- sion atmosphérique, ce dernier système pourrait avoir des avantages dans tous les cas où, pour franchir une forte rampe, on a recours à des plans inclinés, à des machines fixes, à des cordages. Ce genre d'application devra figurer dans le programme des ingénieurs chargés de présider aux essais. Il faudra étudier soigneusement les moyens de liaison des deux genres de véhicules, pour la montée, et surtout pour la descente des trains. La commission trahirait toutes ses convictions, si elle ne plaçait pas le système atmosphéric|ue de M. Pecqueur parmi ceux qui méritent d'être étudiés expérimentalement. Peut-être réussirons-nous à donner une idée générale de ce système, sans avoir besoin d'appeler à notre aide des considérations techniques. La locomotive ordinaire marche par l'action de la vapeur d'eau , portée à quatre ou cinq atmosphères de pression. Cette vapeur lui est fournie par une chaudière tubulaire d'un volume nécessairement considérable , car la machine consomme beaucoup. L'eau et le charbon du tender sont destinés à fournir à cette consommation. De l'air très-élastique ferait dans la machine de la locomotive le même effet que la vapeur. De là l'idée de substituer à la chaudière une caisse en fer oi^i, avant le départ de la gare, on aurait comprimé l'air à un très-haut degré. Cette caisse, déjà presque vidée, devait être rem- placée, à la première station du convoi , par une seconde caisse à air comprimé , et ainsi de suite. L'idée était assurément très-plausible. Cependant, jus- qu'ici elle n'a pas réussi. De l'air énormément comprimé LES CHEMINS DE FER. iil ferait naître des dangers d'explosion. Il fallait donc em- ployer des caisses d'une très-grande épaisseur, et alors, du côté de la légèreté, l'avantage n'était pas aussi consi- dérable qu'on l'avait espéré. INous laissons à l'écart d'autres difficultés qui ont aussi leur gravité. A ces caisses lourdes, dangereuses, et qui seraient inévilabletnent des causes de retard h toutes les sta- tions, M. Pecqueur substitue un tube indéfini, placé sur le sol entre les rails, et dans lequel il comprime l'air à l'aide de machines à vapeur fixes, établies de distance en distance le long de la voie, comme cela est aussi nécessaire dans le système atmosphérique, par le vide, du chemin de Kingston à Dalkey. La locomotive de M. Pecqueur, portant sur les rails par ses roues, à la manière des locomotives ordinaires, puise dans le tube intermédiaire, au fur et à mesure de sa marche, tout l'air dont elle a besoin pour fonctionner. Cet air, il est à peine nécessaire de le dire, n'a subi ici, dans le tube indéfini, qu'une compression très-limitée : une compres- sion de quatre à cinq atmosphères, si c'est à ces degrés d'élasticité qu'on désire marcher. Voilà l'idée générale ; mais c'est par les détails, sur- tout, que brille la machine de M. Pecqueur. Rien de plus ingénieux, de mieux entendu, de pkis complet, que tes dispositions des tuyaux, des soupapes, à l'aide desquels la machine s'alimente en marchant. Sous ce point de vue , l'œuvre a répondu à tout ce qu'on devait attendre de l'inventeur. Le petit tronçon de chemin que la commission a vu , rue Neuve-Popincourt, suffira pour faire apprécier les 442 LES CHEMINS DE FER. divers genres do soupapes donl M. Pecqucur se sert; luais il est d'autres questions qui ne pourront être tran- chées que par dos e.xpéi'iences en grand. Nous placerons au premier rang de ces questions la recherche des effets dos très-grandes vitesses sui- le clavier, à l'aide duquel M. Pecqueur ouvre toute sa série de soupapes. En ne consacrant pas une petite somme 5 l'étude de ce nouveau système de propulsion , nous courrions le risque, Messieuj's, de voii", comme cela n'est que trop souvent arrivé, une belle, une très-ingénieuse invention française nous revenir par Félranger. La commission s'est associée avec empressement aux idées qui ont déterminé M. le ministre des travaux pu- blics à présenter le projet de loi. Mais, à notre avis, ce projet aura peu d'utilité, si les expériences n'étant pas finies ou très- avancées dans les premiers mois de la prochaine réunion des Chambres, il devenait impossible de s'éclairer des vives lumières qu'un si important tra- vail est destiné à répandre sur la question des tracés. La nécessité de changer les règles actuelles, ou môme, suivant les circonstances , le système de locomotion , semble aujourd'hui généralement reconnue , au moins sous le rapport de l'économie; sans cela, nous la ren- drions évidente, en empruntant quelques chiiïres aux projets de chemins de fer de Bordeaux et de Strasbourg. Messieurs, faisons les essais qui amèneront forcément de grandes diminutions de dépense, mais faisons- les promptement. 11 y va de h fortune de la France. La Chambre comprendra, d'après cet ensemble de considérations, comment sa commission, quoique déci- LES CHEMINS DE FER. 443 dée à n'apporter aucun amendement à la loi, a cherché, dans le cercle de ses informations, en quel lieu les expé- riences projetées seraient faites le plus promptement pos- sible, et dans les meilleures conditions. Le plateau de Satory, près de Versailles, ne lui semble pas très-favorable. Quatre kilomètres surpassent seule- ment d'un tiers la longueur du chemin de Dalkey; dans cette localité, les nouveaux essais ne seraient pas même une répétition avantageuse des expériences faites en Irlande, car de Kingston à Dalkey il n'y a pas, comme à Satory, des pentes presque uniformes ; le chemin par- court une contrée difficile, et les ingénieurs l'ont plié presque exactement aux ondulations naturelles du terrain. Aux environs de Saint-Gyr, il y aurait d'ailleurs des propriétaires à déposséder, et les formalités légales de l'expropriation feraient perdre un temps précieux. Aux portes de Paris, nous voyons, au contraire, un terrain, la berge droite du canal de l'Ourcq, cjue l'admi- nistration de ce canal mettrait, dès demain, à la dispo- sition du gouvernement. De la gare circulaire de la Villette à Sevran, on aurait un intervalle de 12 kilomètres, susceptible d'être étendu au besoin. En descendant de la berge dans la plaine, et remontant ensuite de la plaine sur la berge, les ingé- nieurs trouveraient le moyen de faire leurs expériences sur des pentes de 10, de 20 et même de 30 millièmes. A Bondy, on pourrait descendre à d mètres en contre-bas du chemin de Iialage, et revenir à (i mètres en contre-haut pour passer au-dessus du chenal de la voirie. Gravir le pont de Sevran, ce serait s'élever presque brusquement iii LES CHEMINS DE FIÎR. de 7 mètres. Enfin, en conilnnant ces penles et contre- pentes, avec des courbes et des conlrc-courbes d'un \)c[\[ rayon, on acciunulernit, sur un espace borné, plus de dilTicultés que jamais aucun ingénieur n'en rencontrerait dans un tracé de chemin de fer à travers le pays le plus accidenté. M. le ministre des travaux publics et M. Legrand se sont rendus au sein de la commission. Ils ont déclaré de nouveau qu'aucune localité n'avait été définitivement choisie pour devenir le théâtre des expériences projetées. La plateau de Satory leur souriait, parce que le chemin dv' Chartres y devra nécessairement passer, parce qu'en cas de complète réussite, les tubes atmosphériques pour- i-aient être laissés en place et devenir le moyen habituel de franchir une pente rapide dans un chemin en exploi- tation; parce qu'il y a quelque chose de pénible dans la pensée d'établir à grands frais des rails, des tubes de propulsion et des machines à vapeur qui, après les essais, devraient être enlevés. La commission, tout en appréciant la justesse des vues et des impressions de M. le ministre, a considéré, que l'expérience, pour être instructive et concluante, devra offrir, dans un espace resserré, des difTicultés de pentes et de courbes créées à dessein, des difficultés que le ter- rain naturel aurait probablement permis d'éviter. Le chemin expérimental ne se trouvera donc pas dans les conditions avantageuses qu'il eût été possible de donner au chemin d'exploitation ; il ne pourra en général être conservé. Par une exception, le chemin d'épreuve de la berge LES CHEMINS DE FER. 445 droite du canal de l'Ourcq, échapperait, si on le voulait, à une destruction complète. La commission a reçu, en effet, de la Compagnie des canaux de Paris, un engage- ment conçu en ces termes : « Si l'expérience est faite par le gouvernement, sur la berge du canal, depuis la gare circulaire jusqu'à Sevran, nous nous engageons à reprendre au prix d'un million les travaux et le matériel qu'il nous sera peut-être possible d'utiliser pour le service de la navigation et des voiries. » Cette proposition nous semble mériter un examen sé- rieux. Une réduction de moitié sur le montant de la dépense projetée, ne serait pas à dédaigner. Toutefois, des considérations. d'économie sont ici secondaires. Mettre dès les premiers mois de l'année prochaine, la Chambre, le pays tout entier, en mesure de faire une part éclairée aux systèmes de locomotion atmosphérique, voilà le prin- cipal. Le meilleur emplacement est, à nos yeux, celui qui permettra d'entreprendre et de compléter les expériences dans le plus bref délai. C'est, à ce titre, que la com- mission verrait avec une satisfaction réelle, M. le ministre faire tomber son choix sur la berge du canal de l'Ourcq. Il est bien entendu que ce vœu serait comme non avenu, si l'administration découvrait, contre toute probabilité, un lieu où les essais pussent être tentés dans des condi- tions plus favorables, et, surtout , plus tôt c|ue le long du canal. Sous le bénéfice des observations qui précèdent, la commission propose à la Chambre d'adopter le projet de loi. 446 LES CHEMINS DE FER. [Le rapport qui précrdc a donné liou ù une courte discussion que nous extrayons du Moniteur du 19 juillet 18/ii. ] ^L DuMON, ministre des travaux publics. Le gouvernement a eu l'honneur de déclarer devant la commission , comme il le déclare maintenant devant la Chambre, qu'il demandait qu'on lui réservât une entière liberté pour le choix du lieu où se fera l'essai du sys- tème atmosphérique, et, certainement, si le choix des ])erges du canal de l'Ourcq avait pour résultat d'engager la tête de ligne du chemin de fer de Strasbourg, ce serait pour le gouvernement une raison décisive de renoncer à l'expérience sur ce point. M. DE LA RocnEJAQiKLEiN. Je demande à présenter une observa- tion. ISous avons tous été frappés de ce que nous a dit l'honorable M. Dilhan sur un nouveau système de chemin qui s'appelle système Jouffroy. Il s'agit d'expérimenter en ce moment toutes les nouvelles inventions pour les chemins de fer. J'ai été étonné que M. Arago, dans son rapport, ne nous ait pas parlé du système Jouffroy. Je désirerais connaître l'opinion du savant M. Arago sur ce sys- tème, et savoir aussi si ^L le ministre dos travaux publics croit qu'on doive prendre en quelque considération une découverte qui, aux yeux de beaucoup de personnes, a une très-grande importance. M. Arago, rapporteur. 11 n'a point été question dans le rapport du système de M. de JoufTroy, parce que le rapport sur le chemin de fer atmosphérique est relatif à une modification dans la force motrice, et non pas dans le matériel des chemins de fer. Le système de M. de Joufîroy peut être comparé au système de M. Arnoux. Si M. de Jouffroy se présentait devant la chambre dans les conditions de M. Arnoux , s'il demandait qu'on fît une expérience sur son système, il y a assurément dans ce qu'on en a vu des choses assez séduisantes , des moyens de sûreté assez précieux , pour que toutes les personnes qui désirent voir faire des pro- grès à la question des chemins de fer s'associent à la pen- sée qu'a eue M. de la Rochejaquelein en me questionnant. Si donc M. JouflYoy se présentait dans les mêmes con- LES CHEMINS DE FER. 447 ditions que M. Arnoux, je serais certainement des pre- miers à demander que l'on fît l'essai de son système ; mais je prie M. de la Rochejaquelein de remarquer que le système de M. de Jouffroy consiste en une modifica- tion dans le matériel , et non point en une modification de la force motrice ; ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est d'une modification radicale dans les chemins de fer, c'est d'une modification dans l'essence même des chemins de fer, dans la force motrice ; elle consiste à substituer l'atmo- sphère à la vapeur, à substituer des machines fixes à des machines mobiles. Il n'y a rien de cela dans le système de M. de Jouffroy. Au reste, j'ai appris que l'administration avait hésité à faire ce que désire M. de Jouiîroy par une raison qui ne subsistera pas longtemps. Le système de M. de Jouf- froy a été présenté à l'Académie des sciences; j'ai pris vis-à-vis de M. le ministre l'engagement de hâter le rapport le plus possible. Une opinion raisonnée, com- plète, étudiée, du système Jouffroy ne tardera pas à être publiée. M. LE Mi.MSTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Le sj'stèiiie de M. de Jouf- froy, comme celui de M. Arnoux , modifie les conditions auxquelles, pendant longtemps, on a attaché les garanties de la sûreté publique, c'est-à-dire l'inclinaison des pentes et le rayon des courbes; ces modifications peuvent s'opérer sans inconvénient, si l'on substitue aux anciennes garanties des garanties nouvelles et revêtues d'une sanction suffisante. Or, le système de AL Arnoux a cet avantage d'avoir obtenu cette sanction. Lorsque j'ai présenté à la Chambre un projet ayant pour objet l'essai du système de IVL Arnoux, ce système avait obtenu un avis favorable de l'Académie des sciences et du conseil général des ponts et chaussées. C'est la double approbation que ce sj^stème avait obtenue de ces deux corps, qui m'a déterminé à présenter le projet à la Chambre. 448 LES CHEMINS DE FER. Mais le système do M. do JoiilTroy no ivuiiit luis encore ces condi- tions; il n'a pas été soumis à l'.Vc-adéniie et au conseil dos ponts et chaussées, et tant qu'il n'aura pas leur approbation , il ne me sera pas possible de proposer à la Chambre un projet à cet égai'd. Si les f'ipreuves auxquelles sera soumis ce sj'stème lui sont favo- rables, s'il résulte de ces épreuves que l'expérience peut en être faite sans danger, je serai tout disposé à proposer aux Chainbrcs d'en autoi'iser l'essai aux mômes conditions que pour le système de M. Arnoux. M. Arago. En ce qui me concerne, je dirai h. M. le ministre qu'il n'attendra pas longtemps ^. M. LE Président. Je consulte la Chambre pour savoir si clic en- tend passer à la discussion des articles. (La Chambre passe ù la discussion des articles. ) M. Arago. Dans le projet de loi, il était à peu près entendu que l'essai serait fait par le gouvernement. Dans le rapport, nous avons indiqué la promptitude de l'expé- rience comme la chose capitale. Il nous avait semblé que l'expérience se ferait le plus promptement possible par l'intermédiaire d'une compagnie qui aurait des locaux , mais nous n'avons rien voulu prescrire. Après avoir examiné le rapport, le gouvernement a pensé qu'il était possible de faire au premier article une modification dont je vais donner lecture. iNl. Legrakd, sous-secrétaire d'État des travaux 2^Mics. Une addition ! M. Arago. Oui, une addition, afin que vous ayez une entière liberté. En voici les termes : 1. Ainsi que M. Arago s'y était engagé, dès que le système de M. de Jouffroy eut pu être expérimenté sur une échelle suffisante, un rapport, rédigé par M. Cauchy, a été fait à l'Académie des sciences (séance du 16 novembre 18/|G). LES CHEMINS DE FER. 4iî) «L'essai pourra être fait, soit directement par l'État, soit par une compagnie à ses risques et périls, moyen- nant subvention de toute ou partie de la somme mentionnée au paragraphe précédent. » Puis , viendrait comme art. 2 : « Le lieu de l'essai sera désigné par une ordonnance royale. « Le ministre des travaux publics pourra , en vertu de cette ordonnance, requérir, s'il y a lieu, conformément aux titres 2 et suivants de la loi du 3 mai ISlii , l'ex- propriation des terrains nécessaires à l'exécution des tra- vaux. » La chambre voit qu'avec cette addition le Gouverne- ment conserve une liberté entière, et qu'il pourra adopter la proposition qui présentera le plus d'avantages. [Après ces explications, la Chambre des députés a adopté à la presque unanimité le projet de loi. Le gouvernement ayant décidé que l'essai des sj'stèmes atmosphé- riques aurait lieu sur le chemin de fer de Saint-Germain, M. Arago a prononcé le discours suivant dans la séance de la Chambre des députés du 20 juin 18/i5. ] Vous avez entendu dans la séance d'hier la discussion qui s'est élevée et à lac[uellc ont pris part M. Corne et M. le ministre des travaux publics. Il s'agissait d'exa- miner si le traité qui a été passé avec la compagnie du chemin de Saint- Germain était conforme à la loi votée dans la dernière session , concernant des expériences à faire sur les chemins atmosphériques. J'avoue que, malgré tous mes efforts, je n'ai jamais conîpris ce traité ; c[uo je n'ai pas réussi à y voir une déduction logique de la loi. 11 me semble que mon titre V.— II. 29 4B0 LES CHEMINS DE FER. de rapporteur de la commission qui fut appelée à s'expli- quer sur des expériences à tenter relativement aux che- mins de fer atmosphériques, m'impose le devoir de pré- senter à la Chambre quelques réflexions. Ce n'est pas un discours que j'apporte ici; ce sont des observations très- courtes; je n'abuserai pas des moments de l'Assemblée. Messieurs, quel était le but de la loi en question? Ce but est défini de la manière la plus claire dans un pas- sage de l'exposé des motifs. Voici ce passage : « Nous pensons qu'il convient d'ex- périmenter les deux systèmes : aussi nous nous propo- sons d'établir un chemin à deux voies, et d'alTecter une des deux voies au système français et l'autre au système anglais. » Je ne ferai aucune réflexion sur la critique que M. le ministre a adressée à Thonorable M. Corne, qui s'était servi des expressions « système anglais et système fran- çais. » La chambre voit que M. Corne avait emprunté cette expression à M. le ministre lui-même; mais je dirai que l'on ne construit pas deux voies, et, ce qui est éga- lement évident, qu'on ne fait pas d'expériences. Le but manifeste de la loi est méconnu, éludé. En votant des expériences, la chambre entendait qu'on essaierait différents modes de construction et d'action, de manière à constater ce qui devrait être préféré. Fait- on cela sur le chemin de Saint- Germain? En aucune manière. On exécute un chemin, entre cette ville et Nanterre, d'après des idées préconçues d'ingénieurs très- habiles attachés à la compagnie. Tout ce qui est en de- hors de ces idées ne sera pas essayé. LES CHEMINS DE FER. 45i Voici cfuelque chose de plus sérieux encore : Les chambres avaient décidé que le système de M. Hal- lette offrait d'assez grandes chances de réussite, pour qu'on dût l'essayer aux frais de l'Etat. Une partie des 1,800,000 fr. votés devait être employée à ces essais. Eh bien , le traité passé avec la compagnie de Saint-Ger- main soumet le système de M. Hallette à une expérience préalable. Pour avoir droit à une part des 1,800,000 fr. , pour avoir le droit de faire essayer son système, M. Hallette doit préalablement exécuter à ses frais certaines expé- riences : il faut que ces expériences réussissent. Est-ce, par hasard, que cela était dans la loi? est-que cette con- dition d'une expérience préalable avait été prévue , sti- pulée? est-ce que M. le ministre n'était pas parfaitement sur, quand il présenta le projet de loi, que le système de M. Hallette méritait d'être essayé? On nous dira peut-être : Ce n'est pas entièrement à ses frais que M. Hallette essaiera son système. Effective- ment , la compagnie de Saint- Germain est tenue de lui prêter 300 mètres de rails. M. LE Ministre des travaux publics. Je répondrai. M. Arago. D'après les conditions du traité , je les ai très- présentes à la mémoire, la compagnie de Saint- Germain doit prêter 300 mètres de rails à M. Hallette. On prêtera aussi quelque chose à cet ingénieur pour opérer le vide dans un tube de propulsion qu'il devra exécutera ses frais; on lui prêtera ciuoi? messieurs, une locomotive. IMais a-t-on réfléchi cjue c'est peut-être la 452 LES CHEMINS DE FER. plus mauvaise de toutes les machines , quand il s'agit de faire le vide dans une grande capacité ? M. le ministre avait fi moitié raison lorsqu'il réfutait hier l'honorable M. Corne sur ce point particulier. M. Corne, en elTet, avait commis une petite erreur. 11 n'avait pas bien compris quel était le but de la locomo- tive concédée. Mais M. le ministre lui-même n'était pas dans le vrai, ce me semble, quand il afiirmait qu'on avait fait cl M. lïallette un magnifique cadeau en lui confiant une locomotive comme machine destinée à opérer le vide. La locomotive a une tout autre destination ; elle peut être excellente pour traîner des convois, et fonctionner très- mal comme machine d'épuisement. L'expérience préalable qu'on exige de M. liallette, contrairement à la loi , entraînerait de grandes dépenses. Cependant , ce serait seulement après que M. liallette aurait réussi dans l'expérience préalable qu'on lui impose, qu'on essaierait le système français sur une étendue de 1,000 mètres, aux frais de l'État, je me trompe, aux frais de la compagnie de Saint-Germain, qui a touché les 1,800,000 fr., ou doit les toucher. Qu'arriverait- il, Messieurs, si l'expérience préalable de M. Hallette ne réussissait pas, au jugement d'une commission nommée par le ministre? Les 1,000 mètres coûteraient de 200,000 à 300,000 fr. Tout le monde s'imagine, sans doute, que si l'on ne fai- sait pas l'expérience de 1^000 mètres, on réduirait de 200,000 à 300,000 fr. la somme accordée à la compa- gnie de Saint-Germain. On se tromperait ; la compagnie bénéficierait des 200,000 à 300,000 fr., c'est-à-dire de LES CHEMINS DE FER. 453 toute la dépense qu'elle aurait dû faire , et qu'elle ne ferait pas, pour essayer le système de M. Hallettc. J'avoue que cette disposition me paraît incompréhon- siLle. J'ai la plus grande confiance dans les intentions de M. le ministre ; je suis certain qu'il voulait que l'expé- rience réussît, mais je ne vois pas quels motifs plausibles ont pu l'entraîner à admettre plusieurs des dispositions renfermées dans le traité conclu avec la compagnie de Saint-Germain. L'expérience préalable à laquelle on veut astreindre M. Hallette me revient toujours à l'esprit ; je me demande s'il serait survenu, depuis le moment où M. le ministre pré- senta la loi, quelque renseignement qui l'eût fait douter de la bonté du système. Pour moi , je puis produire l'opi- nion d'un ingénieur habile, qui est une autorité en pa- reille matière, M. William Cubitt. J'ai là une lettre qui a été écrite par M. Cubitt au maire de Boulogne, M. Adam. Le célèbre ingénieur déclare que le système de M. Hal- lette lui paraît très-digne d'être essayé. La première détermination de M. le ministre était favo- rable; nous nous proposons, disait-il , d'établir un chemin à deux voies et d'affecter une des voies au système fran- çais, l'autre au système anglais. C'est après cette décla- ration formelle, c'est après le vote de la Chambre, c'est après la promulgation de la loi, que nous voyons M. le ministre imposer à M. Hallette des conditions léonines. On s'y perd. Supposons maintenant que l'expérience de M. Hallette réussisse, malgré les résistances de la compagnie de Saint-Germain, résistances qui commencent déjà à se 454 LES CHEMINS DE FER. manifester; qu'accordera -t -on à l'ingénieur d'Arras? 1,000 mètres. Je déclare que ces 1,000 mètres sont complètement insuffisants pour résoudre les questions pendantes, les questions que nous avons signalées dans rapport de la commission. Que fallait-il particulièrement essayer? 11 fallait essayer l'effet des pentes et des contre -pentes. Il n'y en a pas dans la localité désignée ; il fallait surtout essayer si la pièce destinée à écarter les deux lèvres de la fermeture de M. ITallette, si les deux boyaux ne s'échaufferaient pas considérablement lorsque la marche des convois serait très-rapide. Avec 1,000 mètres de longueur, cette ques- tion n'est pas même abordable. En effet , à peine par- venu à 500 mètres de distance, il faudrait ralentir la marche pour éviter les accidents qui arriveraient à l'extré- mité. L'expérience se ferait donc dans des conditions de vitesse inefficaces. La commission que vous avez envoyée à Arras, la commission, composée d'ingénieurs des ponts et chaussées, qui s'est transportée chez M. Hal- lette, a déclaré, je crois, que l'essai du système français méritait d'être fait; mais elle a dit en même temps qu'en n'opérant que sur 1,000 mètres, on aurait des résultats insignifiants qui ne prouveraient rien , qui ne résoudraient aucune des questions sur lesquelles l'esprit public peut être encore en suspens. Vous le voyez. Messieurs, cette affaire n'a pas été bien conduite. Je ne parle pas des inten- tions, je le déclare avec sincérité, je crois qu'elles étaient excellentes; mais les conditions qu'on a admises, que l'on a souscrites au profit de la compagnie de Saint-Ger- main , ne produiront aucun bon résultat. LES CHEMINS DE FER. /^oS La Chambre a voulu que la question pendante entre le système anglais et le système français fût résolue; vous voyez qu'elle ne le sera pas. M. le ministre vous a présenté hier un exposé très-élé- gant, je m'empresse de le reconnaître, des questions dont il s'est préoccupé; mais, qu'il me permette de le lui dire, il a pris le problème par le petit bout. Que sont, par exemple, les passages à niveau dont on a tant parlé? Est-ce par hasard que les moyens de les effectuer ne de- vraient pas exister dans le système de M. Hallette tout aussi bien que dans celui de MM. Clegg et Samuda? Il y a , dans les vues qui ont présidé à la rédaction du traité que je critique, une erreur capitale, et la voici: M. le ministre paraît avoir cru que la véritable question à résoudre est celle de savoir si on pourra gravir de fortes pentes. Cette question est résolue, complètement résolue. J'ai eu l'honneur de dire à M. le ministre, dans une con- férence qu'il a bien voulu m'accorder, que je ferai tout ce qu'il cherche , avec 15 fr. de dépense, prix de la table de logarithmes, ou même sans rien dépenser, car les tables de Callet existent dans toutes les bibliothèques. Pour avoir le poids qu'on pourra soulever sous telle ou telle pente, on n'a qu'à consulter une table fort connue, la table de logarithmes ; il suffit de prendre dans cette table de simples cosinus, pour avoir les effets utiles sous toutes les inclinaisons possibles. En résumé, je me répète, car je voudrais bien que la Chambre se pénétrât de mon objection, en obligeant M. Hallette à une ex'périence préalable , en soumettant son système à une des épreuves dont cet habile ingénieur 456 LES CHEMINS DE FER. devra supporter les frais, M. le ministre a fait une chose ({iii n'était indiquée dans le projet de loi ni implicitement ni explicitement. Le système de M. Hallette, Texposé des motifs est \h, j'en ai lu un passage très-catégorique, devait être examiné concurremment avec le système de MM. Clegg et Samuda ; ils devaient être essayés tous les deux parallèlement sur des longueurs égales , sur deux voies toutes semblables; cela se fera tout autrement. On s'étonne beaucoup en Angleterre de la manière dont les expériences sont dirigées. Lorsqu'on proposa le projet de loi , il n'y avait , chez nos voisins , qu'un seul chemin atmosphérique : celui de Kingston à Dalkey. Ce chemin était fort court; il n'avait pas une longueur développée de cinq kilomètres. Maintenant les ingénieurs anglais construisent des che- mins atmosphériques plus étendus. M. Cubitt en exécute un entre Croydon et Epsom. Probablement on procédera bientôt à celui qui réunira Londres à Portsmouth. Les Anglais feront sur une grande échelle l'expérience du chemin anglais ; il devait donc sufïire d'envoyer des ingénieurs sur l'autre rive du détroit pour en être témoins. De notre côté, nous aurions fait sagement d'expérimenter le système de M. Hallette, le système français. On fait précisément le contraire , et même avec cette circonstance , que les essais grandioses de Saint-Germain ne décideront rien , n'éclaireront aucune compagnie. On ne veut évidemment rien essayer de français, et, cependant , il y a eu chez nous des inventions dignes d'intérêt, celle de M. Pecqueur, par exemple. Sur cette matière , nos compatriotes ont été plus fé- LES CHEMINS DE FER. 457 conds en inventions ingénieuses et d'un succès probable, qu'on ne l'a été dans aucun autre pays. S'il le fallait, je citerais le système si remarquable de M. Chameroy, la fermeture purement métallique du tube, imaginée par M. ITédiard, et qui paraît avoir tant d'avenir. Résignons- nous, Messieurs, tout cela ne sera pas essayé; la com- pagnie du chemin de Saint-Germain a absorbé les fonds. Au reste, elle en consacre maintenant une notable partie à faire un pont sur la Seine. (Rires à gauche.) Est-ce bien là, je vous le demande, ce que vous entendiez voter? La commission d'ingénieurs que M. le ministre a en- voyée à Arras , tout en proposant de rejeter comme insuf- fisant l'essai projeté sur 1,000 mètres, propose, je crois, de faire exécuter aux frais de l'État et d'après le système Hallette, une portion du chemin destinée à joindre les différentes gares, le chemin cjui irait de la gare de Rouen à la gare du chemin du Nord. La dépense a été évaluée à 1 million. Messieurs, personne ne désire plus que moi qu'une grande expérience se fasse d'après le système de M. Hal- lette. Cependant j'hésiterais à voter la somme que la commission propose. Je le dis pour la troisième fois et en toute sincérité , je crois que M. le ministre a les intentions les plus loyales; mais en vérité, après tout ce qui est arrivé, j'aurais peur (jue le nouveau million n'allât aussi s'engloutir dans la caisse de la compagnie de Saint-Germain. [Le ministre des travaux publics ayant répondu qu'il s'agissait de faire non pas des expériences scientifiques, mais des expériences exécutées au point de vue industriel , M. Arago a répliqué en ces termes : ] 458 LES CHEMINS DE FER. Je demande la poriiiissioii de faire quelques observa- tions sur le discours que vous venez d'entendre. M. le ministre a établi une distinction perpétuelle entre ce qu'il appelle une expérience scientifique et une expé- rience industrielle. Je serais fûché que M. le ministre donnât son approbation à des expériences industrielles, s'il appelle ainsi celles qui ne sont pas éclairées par les lumières de la science. M. le ministre n'a pas répondu à une considération sur laquelle j'avais cru devoir insister. Le système anglais est maintenant à l'essai en Angleterre sur une grande échelle ; il semble donc inutile que nous l'essayions nous-mêmes : nous profiterons de la peine qu'on prend et de la dépense considérable que les expériences extraîneront. 11 semble- rait, au contraire, très-convenable d'essayer chez nous le système français, dont les x4nglais ne s'occupent pas. Ne croyez point qu'ils le dédaignent : M. Gubitt, un des hommes les plus éminents en matière de chemins de fer, s'est prononcé catégoriquement à ce sujet ; il atten- dait avec impatience les expériences du système français. Au lieu de cela , nous lui renverrons des essais du sys- tème Samuda, sur lequel nous n'avons rien à lui appren- dre. Ces remarques sont restées sans réponse. M. LE MINISTRE. Lcs Aiiglajs Opèrent sur des terrains à niveau. M. Arago. Vous me permettrez, Monsieur le ministre, de n'être pas de votre avis sur l'importance des pentes. Vous avez insisté sur une condition qui n'est nullement nécessaire , celle de monter des pentes rapides avec une vitesse égale à celle du parcours horizontal. Cette condi- tion , je ne pense pas que personne y tienne. Je ne crois LES CHEMINS DE FER. 45^ pas qu'on fût disposé à dédaigner le chemin de fer de Saint-Germain, alors même que, dans rascension, on aurait gravi la colline avec une vitesse un peu atténuée. Dans tous les cas, des moyens de donner, le long des pentes, de plus grandes dimensions aux tuyaux propul- seurs, ont été proposés par M. Mallette, et c'est précisé- ment cela que vous n'essayez pas. M. le ministre place sans cesse dans un jour secon- daire l'essai de la soupape longitudinale ; c'est là au con- traire toute la question. Si la soupape garde bien le vide, le chemin atmosphérique aura des avantages incontes- tables sur les chemins de fer ordinaires. On dédaigne le point culminant du problème. Parmi tous les essais énumérés dans le rapport, j'avais placé la nécessité de s'assurer que, cjuand on marcherait à des vitesses de vingt à vingt-quatre lieues, la navette qui ouvre les deux lèvres du tube , dans le système de M. Hallette, ne s'échaufferait pas outre mesure. J'ai affirmé que cette expérience ne pourrait pas se faire sur un parcours de 1,000 mètres. Qu'a-t-on répondu? Rien. Vous avez dû remarquer. Messieurs, que les deux Chambres, que les trois pouvoirs de l'État, avaient dé- cidé que le système de M. Hallette serait essayé; que M. le ministre n'avait nullement parlé de l'obligation qui pourrait être imposée à M. Hallette de faire à ses frais une expérience préalable. L'objection est restée sans réponse. J'ai clairement établi, je crois, qu'on ne fait pas ce que la loi a voulu. La loi a voulu une expérience, et l'on ne fait pas d'expérience; on exécute un chemin dans une idée préconçue qui pourrait bien ne pas réussir, 460 LES CHEMINS DE FER. sans qu'on eût le droit cVcmi tirer aucune conséquence contre les chemins atmosphériques construits plus modes- tement, avec des machines de moindre dimension, plus ou moins espacées. M. le ministre a fait allusion h une idée qui lui avait été soumise dans le sein de la commission. Cette idée n'éma- nait pas du r;ipporteur; je prie M. le ministre de n'en plus parler (jue comme d'une proposition de la commission tout entière. Elle a été formulée dans le rapport; je vais en donner lecture à la Chambre. La compagnie dont il est question est celle des canaux de Paris; tout le monde sait qu'elle est en mesure de faire honneur à sa signature : « Si l'expérience est faite par le gouvernement sur la berge du canal, nous nous engageons à reprendre aux prix d'un million les travaux et le matériel , qu'il nous sera peut-être possible d'utiliser pour le service de la navigation et des voiries. » Notez, Messieurs, que la compagnie s'engageait à faire l'essai de tous les systèmes. Voilà les remarques que je voulais présenter à la Chambre. Je n'ajoute plus qu'une réflexion. M. le ministre affirmait que l'expérience de Saint-Ger- main dirait le dernier mot sur les systèmes de chemins de fer atmosphériques. Il aurait été plus vrai et plus prudent de ne parler que du système adopté par les ingénieurs de la compagnie de Saint-Germain. Le sys- tème atmosphérique, considéré en général , pourrait avoir un bel avenir, même après l'insuccès complet de ce qu'on tente près de Paris. LES CHEMINS DE FER. 461 IX EXPLOSIONS DES CHAUDIERES DE« BATEAUX A VAPEUR ET DES LOCOMOTIVES [Dans la séance de la Chambre des députés du 2Zi juin 1837, ]\!. Arago a prononcé le discours suivant où il a traité à la fois des explosions des chaudières des bateaux à vapeur et de celles des locomotives, et où il a aussi mis en lumière la belle invention do IM. Séguin sur les chaudières tubulaires. ] M. LE Président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer d'Épinac au canal du Centre. !\L Barbet. Je demanderai à ^1. le ministre des travaux publics, au sujet des chemins de fer, une courte explication. Vous avez tous entendu parler de l'accident récent qui vient d'arriver en Angleterre sur un bateau à vapeur dont la machine a fait explosion. Nous avons entendu M. le ministre des travaux pu- blics, et nous croyons avoir la certitude qu'il a pris toutes les pré- cautions nécessaires pour les questions d'art, de courbes, et pour tout ce qui concerne les chemins de fer. M. Arago. Je demande la parole. M. Barbet. Aous ne savons pas, et nous devons cependant désirer savoir s'il a fait faire des travaux préparatoires pour obtenir toutes les garanties possibles dans la construction des machines locomo- tives. Je prie M. b ministre du commerce de vouloir bien nous donner à cet égard quelques explications , car c'est un point fort essentiel pour rassurer les esprits , quant à l'usage dos nouvelles voies de communication. (^L le ministre des travaux publics se dirige vers la tribuni-; mais il cède la parole à :\L Arago. ) M. x4rago. Le fait cilé par l'honorable M. Barbet est très-vrai, Messieurs; tout récemment il est arrivé en Angleterre, dans le port de IIull, un événement déplo- rable. La chaudière d'un bateau à vapeur qui était encore à l'ancre, qui se préparait seulement à partir, a fait 462 LES CHEMINS DE FER. explosion : le liatcau a été partagé en deux; cent vingt personnes, je crois, ont été tuées ou grièvement bles- sées; quelques-unes avaient été lancées à de grandes hauteurs. Le corps d'un des passagers a été trouvé, dit- on, sur le toit d'une maison. Je ne rappellerai pas toutes les scènes de cet événement sinistre, je dirai seulement que l'administration française s'était très -sérieusement occupée des moyens d'empêcher que rien de semblable n'arrivât sur nos bateaux ; que M. le ministre du com- merce avait même préparé à ce sujet un projet de loi qui devait vous être présenté dans cette session. M. le ministre a cru devoir consulter l'Académie des sciences; il l'a chargée d'examiner toute la série de dispositions que les besoins de la sûreté publique réclament. La commission de l'Académie, j'ai l'honneur d'en faire partie, s'est occupée et s'occupe encore de la question avec mie juste sollicitude. 11 lui a paru que les procédés de sûreté indiqués dans la loi n'embrassaient pas tous les éléments du problème. La vapeur se présente non-seule- ment dans les machines ordinaires, mais aussi dans les machines locomotrices, comme une sorte de Protée; le même moyen de sûreté ne saurait pourvoir à toutes les causes possibles d'accident; ces causes, il faut les com- battre séparément. Le projet de la commission ministérielle serait excellent si, comme elle l'a supposé, les explosions n'avaient lieu qu'à la suite d'un développement graduel de la force élas- tique de la vapeur ; malheureusement cela n'est pas. Il arrive souvent que les chaudières font explosion à l'instant même où la machine qu'elles alimentent marche LES CHEMINS DE FER. 463 à peine , à l'instant où les ouvriers témoignent leur regret de n'avoir pas à leur disposition la force motrice qui leur permettrait de gagner une journée ordinaire. Il est arrivé aussi , et par la même raison , que sur les bateaux à vapeur, la chaudière a éclaté au moment oh l'extrême lenteur de la marche des palettes devait faire supposer que la vapeur avait pris très-peu de ressort. Dans tous ces cas il se manifeste des changements subits d'élasticité, et cela par une cause que j'indiquerai en deux mots : Dans la chaudière, l'eau vaporisée est sans cesse rem- placée par celle cju'amêne une pompe connue sous le nom de pompe alimentaire. Quelquefois cette pompe se dérange; quelquefois l'eau injectée n'est pas l'équivalent de l'eau transformée en vapeur et consommée par le jeu de la machine; alors le niveau baisse , une portion des parois de la chaudière rougit. Si , ensuite , le dérangement de la pompe alimeu- taire vient à cesser, il se forme subitement par le con- tact de l'eau et du métal incandescent, des torrents de vapeur, à l'écoulement desquels la soupape ordinaire ne suffit pas. Il faut donc, il faut impérieusement empêcher que l'eau baisse dans la chaudière au-dessous du niveau que le constructeur lui avait assignée. Plusieurs procédés peuvent conduire à ce but ; des essais en grand nous mettront à même de choisir le meilleur. Dans la recherche des moyens de sûreté , la France a l'ait de véritables progrès ; aujourd'hui l'Amérique s'en occupe sérieusement, si j'en juge d'après le travail que 4C.t LES CHEMINS DE FEU. l;i Franklin institution vient d'entreprendre par les ordres du congrès. L'Angleterre, enfin, devra entrer aussi dans la cnr- riôre, car toutes les corporations du Yorkshire, frappées de stupeur par l'eUVoyablc tragédie de llull , adressent des pétitions au parlement. Oiuint i\ nous. Messieurs, il nous a semblé que nous devions attendre pour présenter notre travail au minis- tère, qu'il eut acquis toute la perfection que la science comporte. Le retard était d'autant plus excusable que la France, je le répète, est sans contredit le pays où, jus- qu'ici, les moyens de sûreté contre les explosions ont été le mieux établis. Au reste j'espère, au nom de mes confrères, pouvoir prendre avec la Chambre et avec le ministère l'engage- ment que le travail de l'Académie des sciences sera com- plètement terminé d'ici au commencement de la session prochaine ^. On supposait généralement jusqu'ici que les explosions n'avaient quelque chose de dangereux que dans les machines ordinaires, cette opinion doit être modifiée. Des renseignements qui me sont arrivés d'Angleterre m'apprennent que sur un des embranchements du che- min de Liverpool, que sur le great junction rail-way, la chaudière d'une machine locomotive a fait une véritable explosion. L'accident ne s'est pas borné à la déchirure de quelques tuyaux ; une masse d'environ 5 à 6 quin- 1. Voir, sur les causes qui ont empêché l'Académie de faire son rapport, le dernier chapitre de la Notice de -M. Arago sur les explo- sions des machines à vapeur, p. 180. LES CHEMINS DE FER. 465 taux, le couvercle de la chaudière a été projeté à une distance de 350 mètres. Tous le voyez, Messieurs, la mission que nous a donnée M. le ministre du commerce n'est pas seulement de pourvoir aux moyens de sûreté des machines ordinaires, il faut aussi que nous nous occupions des machines locomotives. Puisc|ue l'interpellation de l'honorable M. Barbet m'a conduit à parler ici de machines locomotives, qu'il me soit permis de faire descendre de cette tribune quelques paroles qui consoleront, je l'espère, un ingénieur français des attaques peu mesurées qui naguère y ont retenti. L'honorable M. Jaubert a parlé des ingénieurs civils, et au milieu de quelques phrases favorables, il n'en est pas moins arrivé à appeler en masse ces ingénieurs des condottieri. Au nombre de ces condottieri se trouvait le constructeur du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon. On a dit que ce chemin avait été mal exécuté. Je n'ose- rais pas affirmer qu'il ait toute la perfection désirable , mais il faut se reporter à l'époque à laquelle il a été construit. Il ne faut pas oublier non plus que le pays qu'il traverse est peut-être le plus accidenté que jamais chemin de fer doive traverser. On a parlé du mauvais état des rails du chemin de fer de Saint-Etienne; mais se figure-t-on par iiasard que les rails du chemin mo- dèle, du chemin de Manchester à Liverpool, soient tou- jours restés intacts? Pour moi, je crois savoir qu'ils ont été renouvelés trois ou quatre fois. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet; je vou- lais dire seulement que les reproches qu'on a adressés h M. Marc Seguin, fussent-ils tous fondés, seraient bien V. — 11. 30 i06 LES CHEMINS DE FER. compensés par une découverte sans laquelle les chemins de fer perdraient leur principal avanlage. Ce qu'il y a d'inappréciable dans l'invention des chemins de fer, tient à l'excessive rapidité des locomotives. Or, pour que ces machines marchent avec de si grandes vitesses , il faut que la chaudière fournisse sans cesse et sans retard h la consommation du corps de pompe. Une immense chaudière résoudrait le problème, mais elle pèserait immensément, et la machine, loin de faire un travail utile, loin d'entraîner avec une incroyable rapidité des files de wagons, se déplacerait à peine elle- même. Eh bien. Messieurs, la personne qui est parvenue à imaginer une chaudière de petite dimension , d'un poids médiocre , et qui cependant fournit largement à la con- sommation de la locomotive la plus rapide, c'est notre compatriote M. Marc Seguin. Supposez maintenant que cet ingénieur ait commis quelques fautes sur le chemin de Saint-Étienne à Lyon, reprochez-les-hii, si vous vou- lez, mais n'oubliez-pas, de grâce, le titre de gloire que je viens de rappeler : si les admirables locomotives anglaises se meuvent avec une vitesse qui effraie l'imagi- nation , elles le doivent à la belle , à l'ingénieuse décou- verte de M. Marc Seguin. TÉLÉGRAPHES ÉLECTRiQUES TÉLÉGRAPHES DE NUIT I [Dès le 2 juin 18Zj2, INlT Arago annonça à la Chambre des députés (tue les télég'raplies électriques remplaceraient prochainement tous les autres télégraphes, et en conséquence il combattit un projet de loi qui demandait une allocation de 30,000 francs pour faire des essais d'une télégraphie de nuit. A cette occasion , il prononça le discours suivant : ] Messieurs, je demande à la Chambre la permission de lui soumettre quelques remarques : elles lui prouveront, j'espère, que l'expérience pour laquelle on nous demande 30,000 francs est complètement inutile, que le problème des télégraphes de nuit est résolu. Vous savez , Messieurs, que le télégraphe se compose d'une barre susceptible de prendre toutes sortes de posi- tions relativement à l'hoiizon ; cette barre, qui s'appelle le régulateur, porte à ses extrémités deux autres barres mobiles qu'on nomme des indicateurs. Le régulateur et les indicateurs combinés permettent défaire des figiu'es très -variées. De jour ces figures se voient parfaitement bien, la nuit les communications sont interrompues. 468 TKLÏ'GRAPHES ÉLECTRIQUES Dès roi'igiiic du télégraphe, on iiiKigina qu'il serait possible de transformer les signaux de jour en signaux de nuit, en plaçant des lumières ou des fanaux aux extré- nn"lés du régulalrur et des indicateurs. Dans le fait, le procédé ne réussit pas. D'abord on employa des lumières très-faibles, le moindre brouillard les faisait disparaître. Plus tard , on eut recours à des réflecteurs portant des lampes: ces lampes s'éteignaient à cause des mouve- ments brusques qu'il fallait leur donner. C'est dans les mains de M. Chappe, le véritable inven- teur du télégraphe , qu'eut lieu l'insuccès dont il vient d'être question. On vous propose maintenant de refaire cette vieille expérience ; seulement on substituerait à la lampe d'Ar- gand ou à double courant d'air, une lampe dans laquelle on emploie un liquide particulier , un liquide qui, si je ne me trompe, est le résultat d'une réaction particulière d(^ la térébenthine sur l'alcool. Ce liquide est plus inflam- mable que l'huile (nous verrons tout à l'heure si c'est un avantage) ; aussi la llanimc qu'il donne est moins influencée par le mouvement, elle s'éteindra moins sou- vent ; l'invention n'est que cela. Comme jadis , les fanaux placés à l'extérieur se trou- veront soumis à toutes les intempéries de l'air ; le vent les ballottera ; les glaces, car il faut nécessairement mettre des glaces devant le réflecteur, seront souvent brisées, ou par la violence du vent ou par d'autres accidents qu'il n'est pas besoin d'énumérer. On a fait l'épreuve de ce système avec tous les soins ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 469 ([u'on apporte dans une expérience délicate ; on a choisi les circonstances les plus favorables. Je crois cependant pouvoir affirmer que, dans une des épreuves très-peu nombreuses cju'on a tentées, un contre-poids est parti, et qu'une autre fois un fanal est tombé. Voilà ce qui arrivera inévitablement tant qu'on voudra mettre les lumières à l'extérieur. Cette difficulté sera invincible dans tous les pays où il règne des vents violents. Ce n'est pas tout, il ne suffit pas de placer quatre fanaux à réflecteurs aux extrémités du régulateur et des indicateurs du télégraphe. Pour savoir si la figure formée est en haut ou en bas , pour distinguer les fanaux atta- chés aux extrémités des indicateurs des fanaux qui sont à l'extrémité du régulateur, on est obligé de donner une coloration artificielle à deux de ces lumières. Sur les (juatre fanaux, deux conservent la lumière que la com- bustion du liquide produit ; deux sont colorés à l'aide de verres verts. Ceci est un défaut capital. De deux choses l'une: ou vous emploierez des verres d'un vert très-foncé, et alors vous détruirez dans une énorme proportion l'intensité de la lumière ; ou vous vous servirez de verres à peine colo- rés, et le faisceau transmis sera blanc , avec une légère coloration de vert. Lorsqu'une pareille lumière traversera des brouillards, elle deviendra rouge. Le stationnaire apercevra quatre lumières rouges lorsqu'il devait s'at- tendre à en voir deux blanches et deux vertes. Jamais, lorsqu'il s'est agi de diversifier les phares, on ne s'est arrêté, en France, à l'idée de se servir de verres colorés, on s'est toujours défié des causes de coloration «70 TÉLÉGRAPHES ÉLECTUIQUES extrêmement intenses qui existent souvent dans Tatmo- splière. Voici un autre défaut d'une gravité incontestable, et Cfui montrera aussi que dans la pratique ce procédé tant préconisé ne saurait être adopté. Le vent éteindra une ou plusieurs des flammes, et cela arrivera très-souvent. Est-ce que le stationnaire, l'em- ployé du télégraphe le saura? Nullement; il faudra que son correspondant l'avertisse de l'inutilité de ses gestes, il faudra qu'une dépêche du télégraphe voisin lui dise: Vous agitez en l'air des lanternes éteintes. L'avertissement une fois reçu, voilà le pauvre employé, obligé par le verglas, par le plus mauvais temps , par des ouragans , de passer sur le toit de sa tour, de grim- per les marches de longues échelles verticales (vous devez imaginer dans quel état elles seront) , et d'aller ainsi attacher de nouvelles lampes à l'extrémité des grands bras de la mécanique. En vérité, ce qu'on nous donne pour une invention ne peut, sous aucun rapport, supporter un examen sérieux. Veut-on absolument des télégraphes de nuit? Les communications de jour sont-elles devenues insuffisantes? Eh bien, un télégraphe de nuit existe; c'est une solution du problème, examinée , étudiée, appréciée par les juges les plus compétents. En arrivant à Paris, l'inventeur du système auquel je fais allusion n'a rien demandé au gouvernement, il s'est contenté, la chose est rare, Messieurs, il s'est contenté de la satisfaction d'être utile. Je ne pense pas qu'il en soit ainsi de la personne à qui on attribue l'invention de ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 471 l'autre télégraphe. Je crois que celle-là demande quel- que chose. Je dis même que si vous votez aujourd'hui des fonds pour des expériences, vous ferez bien de vous préparer à voter de nouveau dans peu une somme consi- dérable pour le prétendu inventeur. Lorsque l'inventeur bien réel de l'excellent télégraphe dont je donnerai tout à l'heure une idée abrégée, se pré- senta à l'autorité , on lui dit : Yotre système n'est pas jugé. La réponse fut noblement comprise. L'inventeur s'adressa aussitôt à l'Académie des sciences ; je ne serai pas, je crois, démenti quand je dirai que l'Académie ren- fermait des juges très-compétents. Elle nomma une com- mission ; je m'empresse de dire que je n'en faisais point partie, et que cependant j'ai vu les expériences. La com- mission, composée d'homnies parfaitement au courant de toutes les questions d'optique, d'astronomie et de méca- nique , a formulé ainsi son opinion * : « Le système de M. de Vilallongue donne pour la télégraphie de nuit une excellente solution. » Cette solution. Messieurs, on ne vous en parle pas ; il n'est nullement question de l'examiner. M. FoY 5 commissaire du roi. Je demande la parole. * M. Arago. Je viens de le dire; le jugement de l'Aca- démie des sciences a été des plus favorables. Le système présente-t-il des difficultés dont ses juges ne se soient pas aperçus ? Je l'ai déjà dit, le principal défaut inhérent aux télé- graphes à lumière extérieure, c'est que les lanternes se 1. La commission était composée de MM. Babinet, Gambey, Séguier, Mathieu rapporteur. i7i TKÎ.l'^dUArilES ftLFXTRIQUES. biiscraiciit, c'est qu'elles s'éteindraient sans que le sta- tionnairc le sût ; c'est que le j-emplacement des lanternes ne se ferait pas sans de grands dangers; c'est que des lumières qu'on voudrait rendre blanches et vertes , seraient toutes rouges dans certaines conditions de l'air. Dans le systèine que je préfère , dans le système de M. Vilallongue, la lumière est intérieure et n'a nul besoin d'être colorée. Imaginez un cadran opaque et mobile ; supposez que dans ce cadran il y ait une ouverture diamétrale ; sup- posez qu'on la couvre d'un verre dépoli, et que derrière ce verre existe une lampe d'Argand. L'ouverture est mobile comme le cadran ; on pourra donc lui donner toutes les positions imaginables , la rendre hoiizontale , verticale , la placer dans une position inclinée à 45 degrés, de droite il gauche ou de gauche à droite ; ainsi voilà un signal commode, éclairé par une lumière blanche intérieure; voilà un signal dont le stationnaire est toujours le maître. Jamais ce stationnaire n'a besoin d'être averti que sa lumière est éteinte ; il le verrait parfaitement lui-même. Concevez trois cadrans pareils exigeant trois lampes , et tout est dit. Dans le premier système, sans parler d'autres défauts, le nombre des lampes est de quatre. Mais, dira-t-on , le verre dépoli placé devant l'ouver- ture dispersera la lumière dans tous les sens. L'objection serait fondée si l'on employait un verre dépoli ; je n'en ai parlé que comme moyen de démonstration. J'ai eu l'hon- neur de faire mention devant la Chambre des lentilles dont on se sert dans les phares. Ces lentilles ont la pro- priété de rendre parallèles les rayons qui sans cela ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 473 auraient divergé. M. Yilalloiigue emploie , non pas une de ces lentilles tout entières, mais seulement une portion de lentille; c'est une section longitudinale qu'il fait tour- ner pour opérer ses signaux. Voilà donc un système rationnel, éprouvé, examiné^ apprécié, jugé par les personnes les plus compétentes; il a reçu une approbation solennelle ; on n'en parle pas. Voici, d'autre part, un système défectueux; il ne dilïère des systèmes anciens qu'en ce que les lanternes s'étein- dront moins souvent; c'est pour celui-là, cependant, qu'on demande 30,000 francs. S'il est nécessaire de créer un télégraphe de nuit, vous trouvez toutes les conditions désirables dans le système de M. Vilallongue. Les expériences ont été faites, elles n'ont rien coûté à l'État ; M. Vilallongue a pourvu à tout. Ses procédés sont très-ingénieux sous le rapport de l'art ; sa conduite a été de tout point désintéressée. Si on me parle de la dépense qu'occasionnerait l'ap- plication de ce système, je répondrai que je ne la connais pas. Cette question n'a pas été examinée par l'Académie des sciences. L'opération de pratiquer des ouvertures circulaires dans les tours, et d'y adapter des segments de lentilles, ne semble pas devoir être très- chère. Au surplus, la dépense dût-elle être un peu con- sidérable, comme il est possible de donner à ces télé- graphes une puissance indéfinie, puisqu'on est le maître de l'intensité de la lumière centrale, le nombre des sta- tions peut être notablement diminué. Si le liquide qu'on emploie dans le système pour lequel m vous demande un crédit de 30,000 francs, s'éteint 474 TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES moins facilement que Thuilc, son extrême inflammabilité est d'autre part un inconvénient très-grave. Je pourrais, en m'autorisant de l'opinion d'un des plus grands chi- mistes de notre époque, soutenir que si on adopte le nou- veau liquide il en résultera de déplorables accidents. Telles sont les critiques que je voulais vous présente!' relativement au projet de loi. J'ai vu dans le rapport de la commission que l'on désirait faire une expérience météorologique. On veut savoir combien de fois des signaux du nouveau système se transmettront pendant l'hiver ; on veut savoir si, pour des transmissions très- rares, cela vaut la peine d'entretenir allumées dans tous les télégraphes d'une ligne entière une quantité de lampes aussi considérable. Une semblable expérience, si on veut la faire, je ne m'y oppose pas, ce sera une donnée de plus que nous enre- gistrerons dans les ouvrages de météorologie ; mais exige- t-elle la dépense qu'on vous propose. Établissez deux réverbères aux deux stations entre lesquelles le brouillard interrompt le plus souvent les communications. Ordonnez aux stationnaires de noter toutes les nuits, pendant deux années si vous voulez, combien de fois on les verra ; employez aussi des feux blancs et verts; faites tenir compte du nombre de fois que ces feux auront paru avec leurs teintes, et tout sera fini. Une pareille expérience coûtera 2,000 ou â,000 francs et non les 30,000 francs qu'on vous demande. Je viens de plaider en faveur d'un système très-ration- nel, jugé, apprécié et loué autant que possible, contre un système dont les nombreux défauts sautent aux yeux. Je ET TELEGRAPHES DE NUIT. 475 dois ajouter maintenant une réflexion : c'est que nous sommes à la veille de voir disparaître non-seulement les télégraphes de nuit, mais encore les télégraphes de jour actuels. Tout cela sera remplacé par les télégraphes électriques. Ces télégraphes transmettront les dépêches à toutes les distances, quelcj[ue temps qu'il fasse, et cela avec une vitesse incroyable. De Paris à Perpignan les nouvelles arriveront en moins d'une seconde, car la vitesse de l'électricité est plus grande que celle de la lumière. L'idée de ce moyen de communication remonte à Franklin. Mais celle d'employer les batteries galvaniques pour ce genre de télégraphes a été présentée pour la pre- mière fois d'une manière applicable par notre compa- triote l'illustre Ampère. Depuis lors, l'idée a beaucoup grandi. Elle a reçu des perfectionnements considérables. Nous avons vu en 1838, à l'Académie des sciences, un appareil construit par un physicien américain nommé M. Morse et qu'on a pu faire fonctionner. 11 ne s'agissait pas seulement d'une communication verbale, d'une des- cription écrite ; on avait l'appareil sous les yeux. Dans ce système, il n'est pas besoin de stationnaires. La machine écrit elle-même la dépêche, après avoir averti toutefois par le bruit d'un petit timbre qu'elle va entrer en fonction. M. Wheatstone a ajouté encore beaucoup à l'invention de M. Morse. Ses appareils sont admirables; tous les phy- siciens les ont vus à Paris et éprouvés. l'ne seule difficulté a empêché jusqu'ici l'adoption des télégraphes électriques. Il faut, pour qu'une commun!- 476 TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUFS cation se propage par de tels télégraphes, qu'il y ait un ou plusieurs fils métalliques qui aillent du point de départ au point où la dépêche doit se rendre. Il faut que ce fil ne soit pas rompu. 11 faut donc les placer dans un tube, quelle qu'en soit d'ailleurs la nature. Si on ne veut pas livrer les communi- cations télégraphiques à la discrétion des malfaiteurs, il faut se garder d'établir des tubes à travers champs. IMais lorsque les chemins de fer seront établis, qui empochera d'enterrer les tubes et les fils à un tiers de mètre , soit entre les rails, soit à côté ; tout sera alors sous la surveil- lance active et continuelle des gardiens de ces lignes. Si d'ici à l'époque prochaine où. les télégraphes élec- triques remplac(n'ont tous les autres télégraphes, le gou- vernement croit nécessaire d'établir des télégraphes de nuit, il pourra employer ceux de M. Vilallongue. Ceux-là n'exigent aucune nouvelle expérience. On pourrait com- mencer l'installation dès demain. L'expérience pour laquelle M. le ministre demande une allocation de 30,000 frans n'est nullement nécessaire. Je rejette le projet de loi. [M. Pouillet, rapporteur de la commission de la Chambre des députés, a répondu h M. Arago, qui a répliqué en ces termes : ] Messieurs, je remercie l'honorable préopinant de la manière dont il a parlé du télégraphe déjà examiné et jugé; jugé par des commissaires éclairés, habiles et com- pétents, jugé par une académie où on a l'habitude de joindre autant que possible l'expérience aux calculs. Il y a un point dans lequel l'honorable M. Pouillet n'a pas été complet : il a cUt que le télégraphe de M. Vilal- ET TELEGRAPHES DE NUIT. 477 iongue, le télégraphe de nuit, compromettrait le télé- graphe de jour. Il est très-vrai que M. Yilallongue, à l'époque où il proposa pour la première fois son télégraphe de nuit, voulait, pour le service de jour, substituer aux évide- ments chargés d'un fragment de lentille , des bandes blanches qui se seraient projetées sur un fond noir ou réciproquement. Je reconnais que , de cette manière , il aurait rendu général ce qui, maintenant, est excep tionnel. Je crois que mon honorable confrère (On rit); je dirai, si vous voulez, mon honorable collègue : à l'Académie, j'ai contracté l'habitude d'appeler M. Pouillet mon con- frère M. Thil. Nous y sommes en ce moment , à l'Académie ! M. Arago. Je dis donc que mon honorable collègue a oublié une circonstance essentielle : c'est que M. Yilal- longue ne s'en est pas tenu à proposer l'emploi de bandes peintes en blanc ou en noir pour le télégraphe de jour: dans ses dernières communications avec la commission administrative spéciale, M. Vilallongue a montré que son télégraphe de nuit pouvait se combiner avec un télé- graphe de jour, ayant toutes les propriétés de celui qui est actuellement en usage. Messieurs, on a parlé tout à l'heure avec beaucoup d'agréinent, je le reconnais (Ah ! ah !), du peu de dan- ger que courront les stationnaires. « Si votre lampe s'éteint, vous la rallumerez ! » Cela est spirituel , mais on n'a pas dit que, pour rallumer la lampe, il faudrait sortir de la tour, grimper sur le comble, monter le long 178 TÉLÉGRAPHES ÉLnCTIUQUES d'un échelle verticale, et qu'au milieu de la nuit, par le vent le plus violent, par le verglas, cela n'est pas aussi simple, aussi facile qu'on a l'air de le dire. (Mouvements et bruits divers.) L'honorable préopinant vous a parlé de lumière verte, de verres verts qui ne se colorent pas en rouge. Sur ce point-là je ne puis en conscience être de son avis. Si le verre coloré ne transmet que du vert homo- gène, il est de toute évidence qu'une telle lumière ne tra- versera que des étendues d'air très -peu considérables. Je ne suppose pas que M. Pouillet, comme une de ses phrases tendrait à le faire croire, ait l'intention d'étabhr des télégraphes aussi près les uns des autres que les omnibus dont il a parlé, et que les Parisiens attendent au coin des rues. Ainsi l'argument tiré des verres de cou- leur des omnibus est sans valeur aucune : il n'est pas applicable à la question des télégraphes. (Bruit.) M. Pouillet sait, comme tous les physiciens, que si la lumière blanche se colore en rouge, c'est que les rayons verts compris dans la lumière blanche sont arrêtés par l'atmosphère. Placez devant une lampe un verre qui laisse passer seulement les rayons verts, à une petite distance toute lumière sera absorbée. Emploie-t-on un verre peu coloré en vert, après un court trajet l'interception des rayons verts aura rendu la lumière blanche. Ensuite elle se colorera en rouge. L'honorable M. Pouillet disait que, sur ce point, il ne voulait s'en rapporter qu'à l'expérience. M. Pouillet se montre trop timide. Lorsque le calcul eut dévoilé le rap- port du diamètre à la circonférence, personne ne proposa ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 479 d'essayer, à l'aide d'un fil enroulé sur un cercle, si ce rap- port était celui que le calcul avait donné. Tout esprit éclairé se serait refusé à une pareille épreuve ; la géomé- trie a des privilèges qu'aucune expérience au monde ne saurait infirmer. II [Le 29 avril 18i5, à propos du vote du budget par La Cliambre des députés, ^L Arago a été conduit à faire une histoire succincte de IMnvention des télégraplies électriques. Il s'agissait d'une somme de 240,000 francs proposée pour essaj-er ces télégraphes. Nous extraj^ons du Moniteur la discussion qui s'engagea à cette occasion. ] :\L LE MLMSTRE DE l'i.xtériecr. Je demande à la Chambre un changement dans la répartition même du crédit ; sur les 2^0,000 fr., 165,000 seulement ont été dépensés en iSUk, et doivent être imputés sur 18/i/i. Il reste une somme de 75,000 fr. pour les dépenses impu- tables sur 18i5, et qui par conséquent devra figurer sous le crédit de 1845. Je voudrais donc demander à la Chambre de retirer 75,000 fr. sur 184/i, sauf à les reporter sur les crédits extraordinaires pour 1845. (Oui ! oui ! oui ! cela ne fait pas de difficulté. ) M. DE Beadmokt (delà Somme). Il serait bon, avant de voter le crédit, que M. le ministre de l'intérieur voulût bien donner à la Chambre quelques renseignements sur les résultats obtenus dans l'établissement des télégraphes électriques. M. LE Président. La parole est à M. Arago. ( Mouvement. ) M. Arago. Je demanderai à la Chambre si elle désire que je me borne à une simple affirmation. J'annoncerai que les résultats des expériences de la commission nom- mée par M. le ministre de l'intérieur pour faire l'essai en grand de la télégraphie électrique, sont très-favorablcs, et que dimanche prochain nous établirons, sans aucun doute, une communication électrique régulière entre Paris et Rouen. Si c'est cette seule affirmation que la Chambre réclame (Non! non! — Parlez! parlez!) 4S0 TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES Je dirai donc, en peu de mots, quelles sont les con- sidérations puissantes, à mon avis, (jui ont amené M, le ministre de Tintérieur à demander un crédit extraordi- naire, et à en user pour faire des essais de télégraphie électrique. L'idée d'une télégraphie électrique n'est pas nouvelle. Des qu'on eut reconnu que l'électricité parcourait les corps avec une extrême rapidité, Franklin imagina qu'on pour- rait l'appliquer à la transmission des dépêches. Ce n'est pas cependant ce grand physicien qui a formulé l'idée en système applicable. On trouve pour la première fois une disposition réalisable de télégraphie électrique, dans une note très-courte, publiée en illli par un savant d'ori- gine française, établi à Genève, par Lesage. Ce télégraphe se composait de vingt-quatre fils, séparés les uns des autres, et noyés dans une matière isolante. Chaque fil correspondait à un électromètre particulier. En faisant passer, suivant le besoin , la décharge d'une machine électrique ordinaire à travers tel ou tel de ces fils, on produisait, à l'autre extrémité, le mouvement représentatif de telle ou telle lettre de l'alphabet. Ce sys- tème, si je ne me trompe, fut établi sur une échelle restreinte , dans les environs de Madrid , par M. de Béthencourt. La machine électrique ordinaire, source intermittente d'électricité, peut être actuellement remplacée par une pile voltaïque d'où émane un courant continu susceptible d'être transmis par des fils métalliques. Ampère chez nous , Sœmmering en Allemagne , songèrent aux appli- cations dont ce courant continu serait susceptible pour ET THLliGRAPIlES DE NUIT. iSf transmettre des dépèches. Les deux systèmes avaient riui et l'autre l'inconvénient d'exiger un assez grand nombre (le fils isolés. Le lélégrnplie à l'installation duquel imus travaillons, n'aura qu'un fil. C'est avec un seul fil qu'on réussira h créer tous les signaux nécessaires pour la tnuis- mission des dépèches les plus complexes. Les télégraphes électriques semblent destinés à rem- placer complètement les télégraphes actuellement en usage. Telle est l'explication naturelle de la détermina- tion qu'a prise M. le ministre de l'hitérieur, de faire com- mencer les essais sur un crédit extraordinaire. il fallait d'abord savoir si le courant électrique (]ui doit engendrer les signes télégraphiques, s'alTaiblirait d'une manière trop notable en parcourant de très-grandes distances, telles que la distance de Paris à Lyon; il fallait décider si , entre ces deux villes, des stations inter- médiaires deviendraient indispensables. Les ingénieust\s l'xpériences déjà exécutées en Angleterre au moment où la commission commença ses travaux, les expériences laites sur le chemin de Blackwall, par exemple, ne tran- chaient pas la question. Notre point de départ fut celui-ci : Peut-on transmettre le courant électrique avec assez peu d'alfaiblissement pour que des communications régulières s'établissent d'un seul trait, sans station intermédiaire, entre Paris et l<; Havre? C'est à résoudre cette question que la commis- sion nommée par ^1. le ministre de l'intérieur s'est d'abord attachée. Elle a établi un fil de cuivre le long du chemin de fer - qu'un point; l'aimantation a-t-elle eu quelque dimV'. le pinceau, avant de se relever aura marqué un tr.-.jt duMe longueur sensible sur le papier mobile. Yons ponv* / ainsi, à cent lieues de dis- tance, faire succède^ sur U- papier de votre correspon- dant un point à un point, un point à un trait; intercaler un point entre deux tr»iîs. un trait entre deux points, etc. , engendrer les signaux qui. suivant M. Foy, juge si com- pétent en pareille maii'^i»'.. doivent suffire à la correspon- dance télégraphicjue l;i |«liis variée. Veut-on se faire uii.- \dpo générale de quelques-uns des appareils en usage en Angleterre? Concevons, dans la localité où l'on fait les signaux, un cercle gradué ror.itir où chaque division représente ET TÉLÉGRAPMJ'S ci: NUIT. 483 une lettre de l'alphabet : c'est piu' t'xemple la lettre supé- jieure, au moment des repos du ■•ercle, qu'il faut lire j)()ar avoir la dépèche; les repu.- de la station du départ devront se représenter dans le m-'hip ordre sur le cercle de la station d'arrivée. Pour résoudre le problème, le «-rrcle de la station d'ar- rivée est lié à un engrenage arrêté par une pièce de fer doux; cette pièce est déviée, ei dès lors l'engrenage s'avance d'une dent toutes les iV.i- que le morceau de fer voisin devient un aimant (».r l'action du courant électrique qui circule autour d»- loi dans une hélice. Le courant est-il interrompu, la pir^^' en question, le déclic en fer, reprend sa place. A cent lieues de distance, celui qui envoie la dépèche peut fioif régler le mouvement du cercle sur lequel le correspoiHiMîii devra la lire. Ces deux citations sufïïroni. .^^■ dois le répéter : la seule chose en question, quand d'R).-' commençâmes nos expériences, c'était de savoir I ■ distance à laquelle les signaux pourr.'iient être transnii- d"iiii seul trait. Avec les fils multiples et reployés (jue i^usteront nos poteaux, nous saurons si la distance de Prtris à Lyon sera franchie sans recourir à des stations intermédiaires. Sans craindre de me comprom-'Ure, j'ose affirmer ([uc dimanche prochain les résultats i-'Hifirmeront toutes nos prévisions; nous n'aurons pas faii seulement des essais de simple expérience de phv-iqi«' ; la commission aura posé les bases d'un télégraphe perfectionné, destiné à rendre d'éminents services an i^-r^-. (Très- bien !) [Le crédit doniandr par le gntMfrii.i..ivint est adopté par la Chambre.] 480 TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES III [Ln projet de loi pour l'établissement d'un télégraphe électrique (le Paris à Liile, ayant été discuté le 18 juin ISàô dans la Chambre des députés, ^U Arago prit la parole on ces termes pour combattre les doutes des personnes, en grand nomljre, qui ne croyaient pas à l'efficacité du merveilleux moyen de communication. ] Il me semble qu'il y a eu une grande erreur dans la manière dont on a considéré les télégraphes électriques. On a parlé d'expériences en cours d'exécution. 11 est très- vrai qu'on a fait des expériences sur la ligne de Rouen; mais depuis l'établissement de cette ligne , le problème est complètement résolu. M. BEnuYER. Je demande la parole. M. Arago. Il est désormais constant que le télégraphe électrique est un moyen de communication excellent. Messieurs, je vais vous citer un fait décisif. J'ai reçu, il y a trois joiu's, un journal de Baltimore, thc Sun, avec une lettre de M. Morse, qui est à la tète de la télégraphie électrique aux États-Unis ; le message du président des États-Unis , message très-long, qui occupe dans ce journal, en très-petit caractères, deux longues colonnes, qui feraient quatre colonnes du Moniteur, ce message a été envoyé. M. Berryer. On l'avait fait imprimer d'avance. (On rit.) M. Arago. 11 est probable que M. Berryer n'est pas aussi bien informé de ce qui s'est passé que les directeurs du journal que je cite, et que M. Morse, l'un des hommes les plus honorables des États-Unis; or, tous déclarent que le message a été envoyé ligne par ligne de Washing- ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 487 ton à Baltimore, et que la totalité du message a été reçue ainsi, et imprimée dans l'intervalle de trois heures. Une personne , écrivant avec une r;ipidité moyenne, irait à peine aussi vite qu'a été le télégraphe dans cette circonstance. M. Berryer a parlé d'expériences qu'il y avait àentre- prendre. Ces expériences ont été faites et elles sont com- plètement concluantes. Il a dit qu'on était en doute si l'on emploierait des fils de fer ou des fils de cuivre ; cette question a été discutée et résolue dans la commission. Sous ce rapport , ce qui pouvait être un sujet d'expé- j'iences, c'était, non pas le vocabulaire dont a parlé M. Mauguin, mais le procédé à l'aide duquel on enre- gistre les signaux. Avec le procédé de M. Morse , qui a reçu des modifications en France, on est arrivé à enregis- trer jusqu'à 84 signaux dans une minute. Vous savez qu'il faut marcher avec une certaine rapi- dité pour écrire 84 lettres en une minute la plume à la main. Ne croyez donc pas qu'on en soit encore aux expé- l'iences. Le télégraphe électrique peut être employé actuel- lement pour remplacer le télégraphe aérien, et il a sur ce dernier un avantage que tout le monde peut com- prendre. Lorsqu'il y a des brouillards, quel que soit le mode d'éclairage que vous employiez, les signaux du télégraphe aérien ne passent pas à travers l'atmosphère. Dans l'origine, on avait redouté l'influence des brouil- lards sur les télégraphes électriques ; on avait pensé que les poteaux n'isoleraient pas assez le fil , et que la trans- mission de l'électricité ne pourrait se faire. Eh bien , cela est douloureux à dire, mais cela arrive presque toujours 488 TÊLKGUAIMIES ÉLl- CTRKJUIIS iiiiisi : lorsqu'une cliose peut être faite de deux manières, elle se fait presque touji urs de la façon qui nous a paiu la moins naturelle : la transniission a lieu plus facilemeul par la pluie et par les brouillards ({ue dans le temps sec, La pluie, que dans la langue télégraphique on appelle im briunairc et qui est un obstacle invincible pour les télé- graphes ordinaires, est loin d'être nuisible pour la traji>- mission des dépèches par la télégraphie électrique. 11 serait facile cre.\pli([uer comment cela arrive. Je in' crois pas que la Chambre soit disposée à entendre, en ce moment, des explications de cette nature ; mais vous pou- vez regarder le fait comme certain : ce qu'on avait redouté- comme un inconvénient a été reconnu, par l'expérience, comme un avantage : la transmission se fait mieux par des temps de brouillard et de pluie que par des temps de sécheresse. Ainsi vous pouvez être en communication assurée, par la télégraphie électrique, entre les deux extrémités de la ligne de jour et de nuit , à tous les instaiils et presque par tous les temps. On a parlé de l'usage qu'on pourrait faire de la téh'- graphie électrique pour venir au secours des compagnies de chemins de fer; on a aussi émis la crainte de voir l'air.: abus de ce moyen de communication rapide. Messieurs, ce ne sera pas, si l'on veut, le lil du gou- vei-nement qui servira aux compagnies, ce sera un fil auxiliaire et il y aura des appareils auxiliaires auxquels on pourra interdire des signaux très-variés. Que peuvent avoir à dire les compagnies pour le service de la ligne? Peu de choses : un convoi est parti ; nous avons besoin d'une locomotive; tel accident est arrivé; nous avons ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. iSO besoin d'eau. On pourra donc, vous le voyez, attacher au fil dont se servira une compagnie un nombre très-borné de signaux. Je ne prétends pas que ce que je dis là soit une solution définitive ; mais les difficultés s'amoindriront à me-urr (ju'on étudiera la question. En Amérique on se sert de la télégraphie électricfuf pour des communications particulières, et on n'y a rc- conim aucun inconvénient. Pourquoi n'arrivcrait-on pas à employer aussi en France le télégraphe électrique daii- les correspondances particulières. J'ajouterai, pour rassurer les personnes qui doutent tl'- la rapidité de la transmission électrique, qu'il est pron\é par des expériences incontestables, que l'électricité se meut dans les fils de métal avec une vitesse de plus do 77,000 lieues par seconde, SUR LES CHAUX LES MORTIERS ET LES CIMENTS HYDRAULIQUES SUR LES POUZZOLANES NATUKELLES ET ARTIFICIELLES ' Messieurs, dès leur première séance, vos commissaires ont donné une entière adhésion à la pensée qui a inspiré le projet sur lequel vous êtes appelés à délibérer. Ils sont restés unanimement convaincus, qu'en soumettant les grandes découvertes de nos coa^ipatriotes à l'appré- ciation attentive des trois pouvoirs constitutionnels du pays, qu'en recourant à toutes les solennités de la loi pour régler les rémunérations que des inventeurs peu- vent avoir méritées, on excitera au plus haut degré , et très-utilement, le zèle, l'ardeur et la persévérance des hommes de génie. Nous parlons seulement, Messieurs, de grandes décou- vertes. Des travaux, quelque estimables qu'ils fussent, auxquels cette dénomination n'appartiendrait pas légi- timement et d'un consentement universel, ne nous paraî- 1. Rapport fait à la Chambre des députés, le 26 mai 18û5, au nom de la coraiiiission chargée de rexamen du projet de loi tendant à accorder, à titre de récompense nationale, une pension annuelle et viagère de 6,000 fr. à M. Vieat, ing^hiieur en chef, directeur Jes Iionts et chaussées. H'^l tlIAUX Kï MORÏIliRS HYDRAULIQUES. fi;iiiMit pas, en ellet , devoir appeler une délibérulioii spéciale des Chambres législatives. Ces réflexions jalonnaient sans aucune équivoque. iI. l'ingénieur des mines Collet-Descostils, ayant dé- couvert, en 1813, une quantité notable de matière sili- ceuse très-divisée dans la chaux de Senonches , attribua à l'action de la silice l'hydraulicité ai forte et si renommée de cette chaux. Que manquait-il aux conjectures de Smeaton, de Saus- sure, de Descostils? Il leur manquait ce qui transforme de simples conjectures en principes incontestables; il leur manquait la précision, la netteté, ces constants attributs -de toute vérité bien établie; il leur manquait d'être éclair- cies, rectifiées, et de passer enfin, par l'impulsion d'une main puissante, de la région vague, nébuleuse des rêve- ries, dans le domaine des applications. Dès ses premiers essais, M. Vicat fit usage de la syn- thèse. Quiconque avait remarqué combien l'état cristallin, l'état moléculaire peut modifier les propriétés physiques de certains corps, ne devait attacher qu'une confiance bornée aux con.-déquences qui, dans l'intérêt de l'archi- tecture, semblaient découler de l'analyse chimique des chaux. Les expériences de M. Vicat allèrent, au contraire, directement au but. La chau\ naturelle de Senonches était le type de la perfection; M. Vicat composa une chaux artificielle supé- rieure à celle de Senonches. 11 obtint ce résultat capital V.— II. 52 498 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. en faisant calciner , dans des proportions convenable- ment choisies, de la craie ou de la chaux pure mêlée à de Targile. Par cette expérience, la lumière succédait à l'obscu- curité, la certitude au doute ; l'art de bâtir venait de s'en- richir d'une admirable découverte. Nous ne supposons pas que cette qualification d'admi- rable découverte puisse être contestée. Nous ne saurions croire que le désir, malheureusement si commun , de dé- pouiller un contemporain au profit de la réputation d'un mort, décide personne, dans cette circonstance, à exagé- rer le mérite des essais, des hypothèses, des conjectures qui précédèrent les travaux de l'ingénieur du pont de Souillac. Sans cela nous prouverions, par des rapproche- ments sans réplique, que M. Vicat n'a pas été moins réel- lement inventeur sur la question des chaux hydrauliques, que ne le fut Newton quand il publia la théorie de la composition de la lumière blanche, que ne le fut Frank- lin lorsqu'il proposa les paratonnerres au monde civiHsé. Le célèbre Smeaton essayant infructueusement de rendre de la chaux grasse hydraulic{ue par une addition d'argile sans préparation ; Smeaton méconnaissant , après ses essais multipliés, la nécessité de la cuisson de l'argile, montra d'ailleurs, beaucoup mieux que tous les raison- nements ne sauraient le faire , l'immense distance qui sépare de simples aperçus d'une découverte réalisée et complète. M. Vicat a étendu ses heureuses investigations à tout ce qui concerne le rôle que la chaux peut jouer dans les maçonneries; ainsi, l'art du chaufournier, l'art de chas- CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. ^99 ser le plus sûrement et le plus économiquement possible l'acide carbonique , un des principes constituants des .roches calcaires, est redevable d'importantes remarques aux travaux de notre célèbre ingénieur ; ainsi, après les directions précises que ces travaux renferment, personne ne pourrait hésiter sur les essais à faire, pour pi'évoir à coup sûr les cjualités que développeront à la longue des échantillons de chaux donnés; ainsi, ceux qui voudront savoii' quel procédé il importe de suivre pour éteindre les chaux de diverses catégories, consulteront avec beaucoup de fruit les résultats des expériences de M. Yicat; ainsi, le choix des matières qui concourent avec les chaux de toute nature à la fabrication des mortiers, ne sera plus livré à une aveugle routine. Le besoin d'abréger nous impose l'obligation de faire seulement mention de cette partie, d'ailleurs si intéres- sante, des recherches de M. Vicat. Nous supprimons aussi, par le même motif, Tanalyse des considérations théoriques très-délicates, à l'aide desquelles notre ingé- nieur explique l'action graduelle et longtemps prolongée des chaux, sur les matières qu'on mêle à elles pour en faire du mortier. Nous regrettons d'autant plus d'être forcé de nous restreindre, qu'il nous eût été particulièrement agréable de rendre pleine justice aux très-belles expériences de M. Berthier, un des plus habiles chimistes dont la France puisse s'honorer. 500 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. II. CIMENTS. M. Vicat s'est également occupe avec succès des ciments. Les architectes distinguent les ciments des mortiers d'après l'aspect physiciue. Le sable contenu dans le mor- tier y existe à l'état de mélange, sous forme de gravier plus ou moins grossier, plus ou moins apparent. La pâle du ciment paraît homogène, quoiqu'elle renferme, à la fois, de la chaux, de la silice et de l'alumine. Aucune matière n'a joui de plus de célébrité parmi les constructeurs, r|ue le produit connu encore aujourd'hui sous le nom de ciment romain. Ce ciment qui, à l'origine, s'appelait ciment aquatique, fut fabriqué, dès l'année 1796, par MM. Parker et Wyatts. Il était le résultat de la torréfaction de certains galets calcaires ovoïdes qu'on trouve, en assez grande abondance, à quelque distance de Londres. Le ciment romain, gâché en pâte un peu consistante, se solidifie en quelques minutes à l'air ou dans l'eau. Il est certains travaux, le tunnel sous la Tamise par exemple, qui n'auraient pas pu être exécutés sans ciment romain. Dans d'autres circonstances, cette solidification très- rapide devient un obstacle réel. On remplace alors le ciment par du mortier hydraulique dont le prix est d'ail- leurs beaucoup moins élevé. Parker et Wyatts fabriquaient leur ciment romain et le vendaient à toute l'Europe; les constructeurs en fai- saient usage ; mais ni les uns ni les autres ne se rendaient CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. oOI compte de la cause réelle de ses singulières propriétés. La découverte de cette cause appartient, ce nous semble, incontestablement à M. Vicat. Nous trouvons, en effet, qu'après avoir indiqué la proportion d'argile cuite qui rend une chaux hydraulique, l'habile expérimentateur publiait, en 1817, cette remarque catégorique : «Lorsque l'on force cette dose (la dose d'argile) jus- qu'à 33 ou liO p. 0/0, on obtient une chaux qui ne s'éteint pas; mais elle se pulvérise facilement et donne, quand on la détrempe, une pâte qui prend corps sous l'eau très- promptement. » La proportion d'argile précitée est justement celle de !a matière qui sortait des fours de MM. Parker et Wyatts. M. Yicat fit donc de toutes pièces, dès 1817, non-seu- lement de la chaux hydraulique, mais encore du ciment romain. La mission de vos commissaires ne comportei'ait pas la citation de faits purement scientifiques; aussi s'empres- sent-ils de remarquer que la découverte de notre ingé- nieur sur les ciments est entrée largement dans le do- maine des applications. Ici, comme à l'occasion des chaux hydrauliques, ainsi qu'on le verra tout à l'heure, la géo- logie, éclairée par M. Yicat sur l'importance industrielle des calcaires fortement argileux, a tourné de ce côté ses utiles investigations, et les constructeurs français, na- guère tributaires de l'Angleterre, connaissent aujourd'hui une multitude de localités oh ils peuvent préparer du ciment romain. M. Vicat, pour son compte, en a signalé plus de ^lOO. Celte nouvelle industrie est exploitée avec avantage dans beaucoup de nos départements. 1^02 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. Si les bornes de ce rapport nous le permettaient, nous pourrions citer ici plusieurs personnes qui se sont rendues rccomniandables par la découverte de carrières de ciment romain, et, entre autres, un habile ingénieur des ponts et chaussées que la Chambre des députés a compté parmi ses membres, M. l'ingénieur en chef Lacordaire. 111. POlZZOLArCES ET TRASS. Les pouzzolanes naturelles avaient joué un rôle trop important dans les mains des anciens architectes , le trass sous la truelle des constructeurs du moyen âge, pour que M. Vicat pût se dispenser d'étudier leur mode d'action. Malgré toutes les difficultés du sujet, le succès, au point de vue des applications, a couronné complètement les patientes et laborieuses investigations de l'ingénieur. On donne le nom de pouzzolane à une matière d'origine volcanique qui existe en grande abondance près de la ville de Pouzzole et aux environs de Rome. Le trass est un conglomérat, également volcanique, exploité sur les bords du Rhin , et , particulièrement , dans les environs d'Andernach. Pour rendre une chaux grasse hydraulique, il suffit de la gâcher avec des proportions convenables de pouzzo- lane ou de trass. Qu'imaginer déplus simple, de plus commode? Mais, dans une multitude de localités, le prix du transport devait rendre impossible l'usage du trass, tout aussi bien que celui de la pouzzolane. De là , mille tentatives pour préparer des matières qui possédassent les mêmes CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 503 propriétés. Chaptal crut avoir résolu le problème en calcinant très -fortement certains schistes, ou quelques argiles ocreuses. Mais en supposant les propriétés du trass et de la pouzzolane reproduites ainsi, la difficulté n'au- rait été que reculée : les schistes essayés par Chaptal ne sont pas communs en France; il y avait d'ailleurs dans l'opération recommandée, mvme en employant l'argile ocreuse, une circonstance, la très -haute température, qui devait inévitablement faire manquer le but. M. Vicat reprit la question dans ses éléments. Yoici la solution qu'il trouva : On peut obtenir des pouzzolanes artificielles, supé- rieures, ou tout au moins égales aux meilleures pouzzo- lanes d'Italie, par une modification particulière de l'argile la plus pure possible. Cette modification s'obtient en cal- cinant légèrement l'argile; en se bornant à lui enlever son eau de combinaison; en ne portant sa température qu'entre COO et 700 degrés centigrades. L'esprit se repose avec satisfaction sur les solutions des problèmes industriels , quand elles ont cette admi- rable simplicité. D'autre part, on reste émerveillé en voyant une opération tellement facile que les ouvriers l'appellent un lourde main, doter un royaume, disons mieux , le monde entier, d'une matière éminemment utile et qui semblait devoir rester la propriété privilégiée de quelques coins de terre, jadis le siège d'éruptions vol- caniques. Nous croirions manquer à un devoir si, après avoir cité les découvertes capitales de M. Vicat touchant la question si délicate des pouzzolanes, nous ne disions pas :UH CllAl'X ET MOUTIKRS HYDRAULIQUES. (]u'un officier du j^énic, M. le général Trciissart, doiiL 'armée tout entière a vivement déploré la mort préma- turée, a laissé sur ce sujol un ouvrage rempli d'utiles observations et de remarques précieuses. Les publications de M. Vicat avaient depuis longtemps satisfait à tous les besoins de l'art, pour les travaux à exécuter dans Teau douce, le long des canaux, sur les rivières et les fleuves. L'eau de mer vient de faire surgir des difficultés très-graves que personne ne soupçonnait. M. Vicat aura le double mérite d'avoir signalé le mal et indiqué le remède. D'après des études récentes de M. Vicat, l'eau de mer a quelque tendance à décomposer tous les bétons possibles. Elle peut attaquer indistinctement ceux dans lesquels il entre des chaux grasses ou des chaux hydrauliques, des pouzzolanes naturelles ou des pouzzolanes artificielles. Cette tendance résulte de la présence, dans l'eau de mer, de certains acides qui ont une grande affinité pour la chaux et l'enlèvent aux bétons. M. Vicat a trouvé les moyens de combattre une action si funeste et de la vaincre. 11 est actuellement en mesure d'indiquer les chaux, les pouzzolanes , les ciments qui , préparés par ses anciens procédés, résisteront naturellement à l'action destructive de l'eau de mer, et quant aux autres, de caractériser les modifications qu'elles devront subir pour acquérir cette même force de résistance. On concevra que, daiis une question si délicate, M. Vicat ne se soit pas hâté de faire connaître ses découvertes. Nous pouvons annoncer qu'elles seront prochainement livrées au public. Il est même juste de. dire qu'on leur est déjà redevable du rejet d'une nature CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. oCo particulière de pouzzolane proposée pour le port cVAlger, et dont l'emploi eût été suivi de déplorables événements. La léserve dans laquelle M. Vicat s'était sagement renfermé, lui permettra de s'étayer, en faveur de ses méthodes, d'une expérience capitale et décisive : les pouzzolanes artificielles, employées avec tant de succès à Calais par M. l'ingénieur en chef Néhou, se trouvent satisfaire fortui- tement aux conditions de conservation des maçonneries dans l'eau de mer, posées dans le nouveau travail de M. Vicat. l\. STATISTIQUE DES CHAUX HYDRAULIQUES. Les moyens de fabrication recommandés par M. Vicat n'eurent pas le sort ordinaire des choses nouvelles. Les avantages étaient d'une évidence palpable, et la routine s'avoua vaincue du premier coup. Quelques mois à peine s'étaient écoulés depuis la publication du Mémoire de M. l'ingénieur en chef du pont de Souillac, et déjà l'on faisait usage à Paris de chaux hydraulique artificielle dans l'exécution des quais, aux abords du pont d'iéna, dans la construction des quatre grands abattoirs , dans les travaux du canal Saint-Martin. Plus tard, la chaux hydrauhque artificielle a été moins employée; on la remplace aujourd'hui par de la chaux naturelle dont le prix est plus bas , et qui est douée des mêmes propriétés ; mais , hâtons-nous de le remarquer, ici encore , on est principalement redevable à M. Vicat de nouvelles richesses que les constructeurs mettent journel- lement en œuvre sur tous les points du royaume. Notre ingénieur avait trop de pénétration pour ne pas 50<, CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. remarquer que si, d'après sa découverte, la chaux devient hydraulique à Taide d'une simple addition d'argile, il devait y avoir dans la quantité innombrable de formations calcaires argileuses qui existent dans notre pays, beau- coup de gîtes très-propres à fournir par la cuisson , de la chaux hydraulique naturelle. Celte idée a dominé M. Vicat. Depuis douze années, il a exploré, de ce point de vue, presque tous nos départements. Ses publications , sous le nom modeste de Statistique des chaux hydrauliques , ont révélé cette inappréciable richesse dans une foule de loca- lités où elle n'était pas môme soupçonnée. Les départe- ments où l'on trouve la chaux hydraulique naturelle en plus grande abondance , sont : les départements du Lot, du Lot-et-Garonne, du Tarn, de la Dordogne, du Gard, de l'Ardèche, de la Drôme, du Gers, de la Charente, de l'Hérault, du Cher, de l'Allier, de la Nièvre, de l'Yonne, de la Côte-d'Or, de l'Ain, de l'Isère, du Jura, du Doubs, du Haut-Rhin, etc. Sur quatre-vingts dépar- tements déjà explorés, il n'en est que six ou sept, à terrains primordiaux, où la chaux hydraulique manque entièrement. Nous allons rapporter deux faits qui montreront d'une manière frappante où en étaient les connaissances des hommes de l'art sur les ressources de notre pays en chaux hydrauliques, au moment où M. Vicat commença ses explorations. Lorsque cet ingénieur se rendit à Marseille , on y creu- sait un nouveau bassin. Les entrepreneurs se débarras- saient à grands frais d'une immense quantité de déblais calcaires. Toute vérification faite, M. Vicat reconnut que CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 507 ces matières auraient pu fournir la cliaux hydraulique nécessaire à l'entière construction du bassin. Voici un fait encore plus remarquable , surtout par les conséquences qu'il a eues : A l'époque de l'exécution des canaux de Bretagne, l'administration était très-embarrassée de savoir où elle se procurerait la chaux hydraulique. M. Vicat reçut la mission de visiter les lieux, et, presque immédiatement, il reconnut , dans les carrières de Pompéan , près de Rennes, entre les couches de pierre à chaux grasse exploitées de temps immémorial, un banc marneux ver- dàtre, désigné sous le nom de brûle- mort-vert, que les chaufourniers rejetaient avec le plus grand soin. Ce banc dédaigné a non -seulement fourni, après l'examen de M. Yicat, à tous les travaux de la Vilaine et du canal d'Isle-et-Rance, mais il est devenu la seule ressource de cette partie du royaume pour toutes les constructions hydrauliques qu'on y exécute. V. CONSIDÉRATIONS ÉCONOMIQUES. Le prix de la chaux entre presque toujours pour une part considérable dans le prix des maçonneries. Les chaux ont des propriétés très-diverses qui décident de la durée des constructions et du mode de leur exécution. Dans les contrées où la chaux est abondante et de bonne qualité, les édifices durent des siècles sans avoir cepen- dant exigé des dépenses ruineuses. On peut y construire, même pour les habitants les plus pauvres, des demeures salubres, peu exposées aux incendies; d'une solidité à 508 CHAUX ET MOUTIHUS HYDRAULIQUES. l'éprouve des ouragans, des i)lui(\s dihiviales et des déboi'denieiits. C'est par de telles n])plieaiioiis qu(^ lc6 travaux des ini;-énieurs , des chimistes, nKMMtcnt surtout de fixer T attention des pouvoirs publics et des législa- teurs. Arrêtons un moment nos regards sur celte phase de la question ; cherchons à évaluer en nombres les ser- vices que, sous ce rapport, M. Vicat a rendus à son pays. C'est à Paris que les procédés de M. Vicat rerui'ent d'abord une vive impulsion par les soins de M, Bruyère; c'est à Paris que nous trouverons une première évalua- tion des économies c|ue ces procédés ont amenées. Avant 1818, les travaux hydrauliques de la capitale étaient presque tous exécutés en plâtre ou avec de la chaux grasse. De là, de nombreuses et très -coûteuses réparations annuelles. Depuis 1818, date des premières publications de M. Vicat, on a eu recours à la chaux liydraulique. C'est la chaux hydraulique qui donnera aux constructions nouvelles une durée à peu près indéfinie. La même solidité aurait été obtenue avec de la chaux de Senonches; mais la chaux de Senonches, rendue à Paris, colite de 80 à 90 francs le mètre cube, tandis que la chaux provenant des carrières à plâtre , cette chaux que, avant les recherches de M. Vicat, on jetait dans les décharges, vaut environ liO francs. Cette différence de prix , appliquée au volume de 37,000 mètres cubes de chaux que les ingénieurs de Paris ont employés, de 1818 à iSlii , à la construction des égouts, des réservoirs d'eau , des canaux , etc. , correspond à une économie de plus de 1,500,000 francs. Un des membres de votre commission dirigeait uPiC CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 500 partie des travaux de l'enceinte continue de la capitale. 11 s'est empressé de mettre sous les yeux de ses collègues des tableaux détaillés , desquels il résulte, avec une entière évidence , cfue , dans la seule chefferie de Belle- ville, pendant les années iSliO , 61 , 42 , /i3 et lili , une économie de plus d'un demi-million a été la conséc|uence de l'exploitation d'une certaine chaux trouvée surplace, dont on n'aurait certainement fait aucun cas avant les savantes publications de M. Yicat. Nous passerons maintenant à des tableaux oii les éco- nomies, résultant inunédiatement des recherches du célèbre ingénieur , se présenteront sur une bien plus grande échelle. 1" Relevé des écluses et barrages construits en France, en vertu des lois du 5 aoùl 1821 et du l/i aoùl 1822. Noms des canaïu. Du Rhône au Rhin. . . . De la Somme Des Ardennes De la rivière dUsle. . . D'Aire à la Bassée. . . . De Bourgogne De Nantes à Brest . . , Dlsle-et-Rance Du Blavet D'Arles à Bouc Du Nivernais Du Berry Latéral à la Loire De la rivière du Tarn , De roise Nombre d'écluses. 162 Nombre des barrages 2i Û9 39.. .... S9 // 191 23Z| 28 28. . 28 Il il/l 115 65 9.. .... 9 7.. .... 7 Total 1069 83 5U) CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 2" Écluses cl bamujcs des canaux enirepris en vertu (les lois des 3 juillet 1838 et S juillet \SlxO. D'autre part... n)'i9 D'autre part. 83 ne la Marne au Rhin 180 Latéral à la Garonne 50 Perfectionnements de naviç/a- tion en rivière. Partie latérale à la Marne llx Charente 10 Dordognc 9 Tarn G 6 Lot oO L\l Totaux io/i8 13G Autrefois une écluse ne pouvait être solidement fondée que sur des grillages en charpente avec épuisements. On la bâtissait en totalité avec de la pierre de taille ; encore, après toutes ces précautions, était-elle sujette à de fréquentes dégradations par la détérioration des mor- tiers de l'intérieur des maçonneries. A raison de ce mode de construction , à raison surtout des épuisements , cer- taines écluses coûtèrent jusqu'à trois cent mille francs. En moyenne, la dépense n'était pas au-dessous de 100,000 francs. Aujourd'hui , grâce à la suppression des épuisements, des bàtardeaux, etc. , grâce à l'emploi de petits matériaux que permet la chaux hydraulique, ce prix varie entre 38,000 et 50,000 francs. L'économie mini- num par écluse est donc de 50,000 francs, et sur les 1340 écluses, de 67 millions. Un barrage en rivière coûte, à cause de la largeur du lit et de quelques difficultés spéciales, autant que plu- CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 5H sieurs écluses ; nous admettrons , en moyenne , que cha- que barrage vaut deux écluses ; à ce compte , les cent trente-six barrages cités représenteront une économie de 13,600,000 francs. Nous ne pouvons rien donner d'aussi précis , faute de documents, sur les travaux hydraulicjues appliqués au perfectionnement de la navigation des rivières , consistant en barrages isolés, en barrages à pertuis, en épis , etc. ; mais on conçoit sans peine , d'après ce qui précède , que ces constructions ne sauraient figurer dans ce résumé, pour une économie de moins de 20 millions. Dans les travaux en projet destinés à compléter le système de navigation intérieure, on compte 910 écluses et ki barrages. En appliquant ici les chiffres précédem- ment établis, on arrive pour ces futurs travaux à une économie de Zi.9 millions. 3° Grands ponts en pierre de taille; ponts moyens et autres. Pour établir une comparaison suffisamment exacte entre ce c{ue coûtaient les ponts fondés par caissons et pilotis, et ce c{u'ils coûtent aujourd'hui par la fondation en bétonnement, il faut prendre uneunilé de comparaison indépendante du nombre et des dimensions des arches et de leur largeur. Ce sera le mètre carré de surface com- prise entre les parapets que nous choisirons. En procédant ainsi , on a trouvé pour les ponts à cais- sons et pilotis dans lesquels la substitution de la nouvelle méthode à l'ancienne eût été possible, que le mètre carré a coûté en moyenne 1 ,312 francs. 512 CHAUX ET MORTIERS 11 VDR AULIOUKS. Oi', pour les i)()iils placés clans des circonstances loiites pareilles sur des fleuves ou rivières à grands déijouchcs, mais fondés par JDélonnement, le mètre cai'ré a coûté en moyenne 625 francs. Le rapport de la dépense ancienne à la dépense nouvelle est de 100 à !\1. A ce compte, un pont fondé comme celui triéna ou de Sèvres, coûtant moyennement 2,000,000 IV., un pont semblable, fondé suivant la nouvelle méthode , ne coûtera que 1,222,000 francs. Partant, Téconomic par pont sera de 1, 378,000 francs. Depuis 1818, il y a eu dix-neuf grands ponts semblables fondés par bétonnement, ce qui représente une économie de 20,182,000 francs. Si des grands ponts nous passons aux ponts moyens de 15 à 20 mètres d'ouverture pour chaque arche, nous trouvons qu'il faut en porter le nombre à trente. Chacun, toute proportion gardée, olfre une économie de 235,000 francs, ce ([ui fait pour les trente, 7,050,000 francs. Quant aux ponts d'une seule arche de 15 à 20 mètres d'ouverture, il en a été construit plus de mille, dans l'in- tervalle de vingt-cinq ans, tant sur les routes royales que sur les routes départementales. Pour chacun de ces ponts, l'économie moyenne résultant de la suppression des épui- sements et du remplacement de la pierre de taille par le béton dans la fondation, s'élève à 25,000 francs. Le total est de 25 millions. 4° Ponls suspendus. A la date du 1^'' juillet 18/|3, il avait été concédé 327 ponts suspendus, ayant une, deux, trois et quatre tra- vées. Afin de rester au-dessous de la vérité dans nos CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 515 calculs, nous ne compterons que 327 travées de 100 mètres chacune, coûtant 100,000 fr. Déduisant de cette somme 30,000 francs, prix du tablier et des moyens de suspension, il reste 70,000 francs pour les fondations et la maçonnerie. L'expérience ayant montré que, pour les ponts comme pour les écluses, la dépense a baissé de plus de moitié, il y aurait lieu de faire ici une réduction encore plus considérable. Toutefois , nous ne compterons que moitié, ce qui donne pour économie le montant de la dépense actuelle, ou 22,890,000 francs. 5° RÉCAPiTtLATioiv. — Économies faites sur la conslruction : Des écluses 67,350,000 fr. Des barrages adjacents 13,600,000 Des barrages isolés, épis, etc 20,000,000 Des grands ponts 26,182,000 Des ponts moyens 7,050,000 Des ponts d'une seule arche 25,000,000 Des ponts suspendus 22,890,000 Total.... 182,072,000 fr. Les économies qu'on n'a pu apprécier faute de docu- ments suffisants, portent; 1° Sur les ponts en bois ou en fer soutenus sur piles en maçonnerie ; 2" Sur les ponts d'une seule arche de 6 à 10 mètres d'ouverture; 3" Sur les quais, digues et bassins, etc., à la mer ; li" Sur les fondations des édifices particuliers et publics dos villes ; 5° Sur les travaux militaires. V. — II. 33 ÎJIi CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. Il est utile de remarquer que nous n'avons tenu aucun compte de la question de temps. Or, en pareille matière, le temps se traduit en argent et devient, financièrement pa liant, d'une haute importance. Les nouvelles méthodes de fondation permettent d'exécuter en un ou deux ans , ce qu'on ne pouvait autrefois terminer qu'en cinq ou six. Il y a donc, sous ce rapport aussi, un bénéfice considérable. Une conclusion ressort avec évidence de tout ce qui précède : c'est qu'en supposant l'art des constructions tel qu'il était avant 1818, tel qu'il était avant les recherches de M. Vicat , la plupart des grandes entreprises en cours d'exécution , seraient entièrement paralysées par des considérations de temps et de dépense. Qu'on juge par les économies passées, des économies futures. Celles-ci devant toujours être proportionnelles aux masses croissantes des travaux d'art, l'on arrivera à des chitTres cjui frapperont d'étonnement les esprits les plus froids. Si nous ne sentions, Messieurs, combien la récompense demandée acquerra de prix par la manière solennelle dont elle pourra être accordée, nous aurions vraiment supprimé tous ces chiffres , toutes ces remarques. Au point de vue purement financier, que sont, en effet, 6,000 fr. de rente viagère, à côté des économies colossales dont le piiys est redevable aux travaux de M, Vicat? CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 515 VI. DES TRAVAUX DE Jf. VICAT, COMPARÉS A CEUX DES ANCIEKS. Certains érudits professent une admiration absolue, passionnée, pour les monuments de l'antiquité. A les en croire, les Grecs et les Komains avaient tout découvert dans l'art des constructions. La solidité de certains édi- fices encore debout montre que les architectes modernes sont de vrais écoliers. M. Vicat a seulement retrouvé des méthodes pratiquées jadis en Egypte, à Athènes, à Rome, et dont le souvenir s'était perdu dans les temps de barbarie. Quoique nous n'apercevions pas le tort que ces ré- flexions pourraient faire aux travaux de M. Vicat; c|uoi- que la découverte d'une vérité perdue nous semble devoir être assimilée à la découverte d'une vérité nouvelle, la commission s'est livrée à un examen minutieux de la pré- tendue supériorité des anciens sur les modernes dans l'art de bâtir. Nous avons cherché, surtout, si cette supério- rité serait soutenable en présence des progrès qui sont dus aux découvertes de notre célèbre ingénieur. « Des mortiers romains durent depuis dix-huit siècles. Un grand nombre de bâtisses modernes sont dans un état déplorable. » Ce rapprochement pèche par la base. Pour lui donner de la valeur, il faudrait ne mettre en parallèle que les grands monuments des deux époques. Mais alors les lé- sultats seraient fort différents de ceux dont les érudits prétendent s'étayer. Les remparts de la Bastille étaient d'une extrême soli- 5I(> CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. dite, incMiio au milieu de leur épaisseur. On eut recours à la mine pour les détruire. La poadre devint également nécessaire lorsqu'on voulut, il y a peu d'années, faire disparaître à Agen les ruines d'un pont construit vers l'an 1200. M. Vicat s'est assuré lui-même que le mortier du pont de Valcntré, bâti à Caliors en 1400, surpasse en dureté celui du théâtre antique dont on voit les ruines dans la même ville. Les architectes anciens, comme les constructeurs mo- dernes, bâtissaient, suivant la nature des matériaux dis- ponibles , et aussi suivant des exigences financières , soit des édifices inébranlables, soit, avec les mêmes formes exlérieures, des temples, des palais, des maisons parti- culières sans solidité. Les constructions de cette dernière catégorie devaient rapidement disparaître. Les autres ont seules résisté aux ravages du temps, à l'action incessante des intempéries des saisons. Les admirateurs aveugles des siècles passés auraient-ils, par hasard, oublié ces paroles si précises de Pline : « La cause qui fait tomber à Rome tant de maisons, réside dans la mauvaise qualité du ciment. » Si, comme on le prétend, les Romains connaissaient des méthodes certaines pour préparer du bon mortier, on devrait trouver cette matière dans tous leurs monu- ments publics, avec des qualités à peu près identiques. Or, il n'en est pas ainsi, tant s'en faut, même en compa- rant les différentes parties d'un seul édifice. La commision a remarqué dans plusieurs publications de M. Vicat, des expériences très-propres à éclaircir ce sujet : celles, par exemple, faites avec du mortier tiré de divers points du CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. ol7 pont du Gard ; ces expériences donnent des résistances variant dans le rapport d'un à trois. Les personnes qui voudront se livrer à de semblables comparaisons , devront se ressouvenir que le temps ajoute sans cesse, dans les fondations, à la dureté du mortier. Le mode d'action par lecpel ce conglomérat artificiel se durcit, acquiert de Tadliérence, est encore un sujet de controverse entre les savants ; mais personne ne nie ([ue, dans certaines circonstances, la mystérieuse ac- tion ne puisse se continuer pendant une longue suite de siècles. On paraît oublier qu'en ce c|ui touche les connaissances des anciens sur l'art de bâtir, nous n'en sommes pas réduits à de simples conjectures. Yitruve, contemporain et architecte d'Auguste, nous a laissé le tableau détaillé des préceptes en usage parmi les constructeurs de la Grèce et de Rome. Ces préceptes sont loin de justifier l'admiration sans réserve des antiquaires. Les anciens n'étaient en possession, cela va sans dire, d'aucune notion exacte concernant la modification chi- mique qu'une pierre calcaire éprouve par les soins du chaufournier, modification après laquelle sa friabilité est si grande; ils ne savaient rien, non plus, touchant le genre d'action qui restitue aux éléments désagrégés de cette pierre passée à l'état de chaux, la dureté et l'adhé- rence dont le feu les avait privés. Les effoi'ts de Yitruve pour enchaîner ces phénomènes dans les liens d'une expli- cation plausible restèrent sans résultat. Il en fut de môme, jusqu'aux découvertes chimiques de Black sur l'acide carbonique , des tentatives des successeurs les plus illus- 51S CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 1res de Vitruvc : des Scamozzy, des Philibert Delormc. des Perrault, etc. Un seul mot désabusera tous ceux qui se persuadent que les erreurs théoriques de ces grands architectes étaient sans conséquence. Voyez Philibert Delorme : pour arriver au maximum de solidité dans les édifices, il croit néces- saire que la chaux ait été extraite du banc même de pierre calcaire dont le constructeur tirera les matériaux de sa maçonnerie. Cette prescription , si elle était stric- tement suivie, amènerait une augmentation de dépense incalculable. Des constructeurs qui se réglaient, dans le choix de leurs chaux, sur la couleur de la roche d'où on les extrayait; qui ne connaissaient aucune chaux hydraulique naturelle ; qui prodiguaient dans leur mortier l'emploi du tuileau, des briques concassées , ne sauraient sans une profonde injustice être placés en parallèle avec les constructeurs modernes. Si nous mettons à part de très-belles observa- tions sur les propriétés des pouzzolanes naturelles, sur la possibilité de faire usage de cette matière pour créer d'énormes blocs factices destinés à être jetés à la mer, nous trouverons que les Romains ne nous ont appris rien d'essentiel concernant l'art de bâtir. Au reste, tout ce qu'on tenterait pour exalter le mérite des anciens dans l'art des constructions, tournerait à la plus grande gloire de M. Vicat. Le meilleur mortier extrait des monuments romains avait, après deux mille ans d'ancienneté, une dureté précisément égale à celle que M. Vicat obtient avec ses bonnes chaux , dans le court intervalle d'un an à dix-huit mois. En faisant porter la CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 519 comparaison sur les résistances moyennes, Tavantagc reste dans de très-larges proportions au mortiei' moderne. Ml. 0P1M0.\ DES CHIMISTES ET DES COSTRCCTEURS SUR LES TRAVAUX DE M. VICAT. Les découvertes de M. Vicat sont d'une importance palpable. Depuis environ un quart de siècle, tous les constructeurs en font leur profit; or, en pareille matière, chacun doit le comprendre , c'est aux praticiens à pro- noncer définitivement. Néanmoins, pour ne négliger aucun genre d'information , la commission a cru conve- nable de recueillir aussi les opinions des chimistes, des ingénieurs, qui se sont occupés avec le plus d'habileté et de profondeur des applications des sciences aux arts. Dans cette recherche, nous n'avons trouvé que des appréciations très-flatteuses des travaux du célèbre ingé- nieur ; personne ne nous a paru avoir contesté leur nou- veauté. Le premier Mémoire de M. Vicat sur la production de la chaux hydraulique artificielle est-il présenté à l'Aca- démie des Sciences , ce corps savant décide , sur la pro- position de MM. de Prony, Girard et Gay-Lussac, que le Mémoire paraîtra dans la collection célèbre intitulée : Recueil des Savants étrangers. A cette approbation , la plus considérable que donnent jamais les commissions académiques, vient se joindre bientôt un témoignage d'estime fort recherché dans le monde entier : l'Aca- démie nomme M. Vicat un de ses correspondants. Le conseil des Ponts et Chaussées appelé, au com- •320 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. mencement de l'année 1818 , à dire son avis sur la for- mation artificielle de la chaux hydraulique, déclare, par l'organe de l'austère et trcs-habile M. Bruyère, «que les avantages des nouveaux procédés seront innombrables ; qu'ils dispenseront de l'emploi ruineux des véritables pouzzolanes , et de celui des pierres de grandes dimen- sions, prodiguées dans les édifices modernes, malgré tant d'exemples contraires olTerts par les Romains et les Goths. On peut môme prévoir, ajoutait l'habile inspecteur général , que d'ici à quelques années il ne sera plus permis d'employer d'autre mortier dans les constructions publiques. » Lorsque M. Vicat fait connaître la première partie de son travail statistique sur les chaux hydrauliques de France, l'Académie lui décerne une des médailles fon- dées par Monthyon. Écoutons M. Berthier, le juge le plus compétent des découvertes de M. Vicat cju'il eût été possible de trouver dans le monde entier : « Le travail de M. Vicat sur les chaux et les mortiers doit être placé au rang des plus beaux ouvrages qui soient dus aux membres du corps des Ponts et Chaus- sées. Sa découverte relative à la fabrication des chaux hydrauliques artificielles est de la plus haute impor- tance.... En la rendant publique, M. Vicat a agi d'au- tant plus noblement qu'il aurait pu en tirer un parti con- sidérable, soit en la vendant, soit en s'en réservant l'exploitation par un brevet d'invention. » M. Dumas, nous ne voulons citer que de très- grandes notabilités scientifiques, M, Dumas déclare dans sa CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. o2l Chimie appliquée aux arts, que la solution pratique de la question, longtemps débattue, des chaux hydrau- liques , est due tout entière aux remarquables travaux de M. Vicat. En parlant des pouzzolanes artificielles, l'il- lustre chimiste ajoute : « Ce sont pourtant des essais de laboratoire qui ont conduit M. Vicat à l'importante décou- verte dont il a enrichi les arts. L'état dans lequel il avait trouvé la question , rend cette découverte d'autant plus remarquable. » Nous pourrions emprunter des témoignages également flatteurs à une foule d'écrits, et particulièrement à deux beaux articles de M. Chevreul, insérés dans le Journal des Savants. Ces jugements, malgré les sources élevées d'où ils émanent, ne devaient pas, sans doute, empêcher la commission de se livrer au travail minutieux dont la Chambre a entendu les résultats; mais, lorsque par ses propres lumières, elle a été conduite aux opinions pro- fessées à l'Académie des Sciences, et aux jugements des Gay-Lussac, des Berthier, des Chevreul, des Dumas, des Bruyère, il semblera naturel qu'elle ait désiré se ))révaloir d'une circonstance qui prouve qu'elle ne s'est pas égarée. V 1 II. R É s L .■\I É. En résumé : M. Vicat a démontré , le premier, que les propriétés des chaux hydrauliques naturelles dépendent de l'argile disséminée dans le tissu de ces chaux , c'est-à-dire d'une notion particulière que la silice réunie à l'alumine exerce 522 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. sur la chaux, quand ces matières ont été amenées par la cuisson à un état convenable. M. Yicat a fait , le premier, de la chaux hydraulique de toutes pièces, non pas seulement en petit dans un laboratoire, mais très en grand sur ses chantiers du pont de Souillac. Les piles de ce beau pont reposent sur des masses de béton formées avec de la chaux hydrau- lique artificielle. Depuis les travaux de M. Vicat , on peut se procurer de la chaux faisant promptement prise dans l'eau, partout où cette nature de chaux devient nécessaire. M, Vicat a libéralement livré sa découverte au public. Il est certain qu'en s'assurant , à l'aide d'un brevet d'in- vention, la fabrication privilégiée de la chaux hydrau- lique artificielle, cet ingénieur aurait fait une fortune immense. La première découverte de M. Yicat, malgré son importance, a pâli, si l'expression nous est permise, à côté des conséquences capitales qu'elle a eues. Nous avons vu cet ingénieur infatigable , parcourant la France pas à pas , recherchant les couches calcaires marneuses , les bancs argileux dans lesquels pouvaient se trouver naturellement réunis en proportions convenables , les élé- ments constitutifs des chaux hydrauliques ; nous l'avons suivi pendant douze années dans cette exploration deve- nue tellement fructueuse que l'on connaît maintenant sur le sol français, par les seules indications de M. Vicat, neuf cents carrières propres à fournir des chaux hydrau- liques , tandis qu'auparavant on en comptait tout au plus huit à dix, M. Vicat a si bien apprécié tout ce qu'il y CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 523 aura de glorieux pour lui à avoir révélé , à avoir mis aux jnains des constructeurs tant de riches matériaux enfouis dans les entrailles de la terre ou même délaissés à la sur- face, qu'afm de compléter cette œuvre , il a renoncé à l'avancement auquel son ancienneté et son mérite émi- nent lui donnaient des droits incontestés et incontes- tables i. Les travaux de M. Vicat sur les pouzzolanes ont été également clairs et décisifs. Il en est résulté que les argiles les plus pures peuvent donner des pouzzolanes artificielles , supérieures, ou au moins égales aux pouzzo- lanes d'Italie; or, comme la nature a déposé de l'argile avec une sorte de profusion à la surface du globe, rien n'empêchera aujourd'hui d'obtenir à bon marché des pouzzolanes énergiques, en quelque région du pays qu'on se trouve. La France qui , avant M. Vicat , était tributaire de l'Angleterre pour le ciment romain, pourrait aujourd'hui satisfaire à tous les besoins de l'Europe entière. Le système général de fondations par voie de béton- nement date des découvertes que nous avons analysées , et particulièrement des beaux travaux du pont de Souillac. Les ingénieurs instruits et consciencieux ne manquent jamais de faire une large part à M. Yicat dans les succès qu'ils obtiennent , alors môme que les circon- stances leur ont permis de recourir exclusivement aux chaux hydrauliques et aux pouzzolanes naturelles. C'est 1. M. Vicat, nommé inspecteur divisionnaire sous le ministère de ]\J. Dufaure, a demanflé à rester attaché, avec son grade d'ingénieur en chef, à l'exploration qu'il avait si heureusement commencée. n2l CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. ainsi , par exemple, qu'à l'occasion de la réussite com- plète et vraiment extraordinaire du nouveau bassin de radoub à Toulon , fondé à 13 mètres au-dessous du niveau de la mer, l'habile directeur de ce travail, M. Noël, écrivait le 24 avril dernier à M. le sous- secrétaire d'Etat des travaux publics : «Au moment où la loi rela- tive à M. Yicat va être discutée, j'ai pensé qu'il ne serait pas inutile de porter à votre connaissance un fait qui , en montrant ce qu'on peut obtenir pour les bélonnages, donne une nouvelle importance aux travaux de l'illustre ingénieur qui a fait faire de si gands progrès à notre art. » Grâce aux veilles laborieuses et persévérantes de M, Vicat, des travaux réputés jadis impossibles s'exécu- tent aujourd'hui à coup sûr dans toutes les parties du royaume , et sans exiger nulle part des dépenses rui- neuses. Nous ne reproduirons pas les nombres que nous avons donnés, concernant les économies qui, dans les seuls travaux publics, peuvent être attribuées à l'invention principale de M. Vicat. Ces nombres ont dû se graver dans tous les esprits. On citerait, en effet, difficilement, une découverte qui dans le court intervalle de vingt- six années, ait eu de si colossales applications, de si utiles résultats. La commission pense, à l'unanimité, qu'en votant sans aucune modification la loi qui a été présentée par M. le ministre des travaux publics, on ne rendrait pas à M. Vicat une justice complète. Elle désirerait que la pension viagère de 6,000 fr. fût accordée, plus explici- CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 523 tement, à titre de récompense nationale. Tel est le seul changement dont le projet du gouvernement nous ait paru susceptible. Nous espérons que la Chambre, adop- tant nos opinions sur les services rendus au pays par M. Vicat, voudra bien donner son adhésion à l'amen- dement que nous avons l'honneur de lui présenter. M. le ministre des travaux publics l'a déjà accepté. [Sur ce rapport, le projet de loi du gouvernement, amendé par M. iVrago, a été adopté sans discussion le 16 juin 18^5. Du reste, dès le 5 juin 1837, M. Arago avait appelé l'attention de la Chambre des députés sur les immenses services rendus par M. Vicat. Après avoir été conduit à reprocher à l'administration de la marine le dédain qu'elle avait manifesté plusieurs fois pour les hommes de science, il ajouta les paroles suivantes, relatives aux travaux de :\I. Vicat : ] Les reproches c{ue je viens d'adresser à la marine, je pourrais les généraliser. Tly a dans d'autres administra- tions des inventeurs qui , eux aussi , ont rendu au pays d'éminents services, des services qui , évalués en argent, seraient incalculables, sans qu'on ait songé à les récom- penser. Qu'il me soit permis, dans un moment où nous sommes saisis de tant de projets de constructions, de citer ici, parmi ces inventeurs dédaignés, M. Yicat. Quand on bâtit dans un terrain humide , quand on bâtit sous l'eau, on a besoin d'une espèce de chaux particu- lière, d'une chaux à la solidification de laquelle la pré- sence de l'eau ne fasse pas obstacle. G? tte chaux, on l'appelle hydraulique. Comment autrefois la faisait-on? En mêlant de la chaux ordinaire avec de la pouzzolane de Naples ou avec du trass recueilli sur les bords du Rhin. Ainsi jadis, pour construire solidement en terrain humide, 526 CHAUX HT MORTIERS IIYDR AULIQUI- S. il fallait aller se pourvoir de certaines matières à Naples et sur les bords du Rhin, aujourd'hui, grâce aux tra- vaux de M. Vicat, il n'est pas de pays où on ne puisse faire des chaux Iiydrauliques de toutes pièces; il en est même peu où l'on n'en trouve de naturelles. Dans l'art des constructions c'est une révolution totale ; eh bien , celui qui a fait cette révolution, celui qui procure aux particu- liers et au gouvernement une économie que je n'exagé- rerais peut-être pas en la portant à 50 ou 60 millions pour chaque période de dix ans, n'a pas même reçu dans son corps un avancement auquel son mérite lui donne des droits incontestables. NAVIGATION A?,IELIORATIO^ DU COURS DE LA SEINE DAXS PARIS [Dans la séance de la Chambre des députés du 2 mars 16^0, îi Toccasion d'un projet de loi sur la navigation intérieure de la France, M. Arago a prononcé le discours suivant, dans lequel il traite des mojens d'améliorer le cours de la Seine dans Paris. ] Messieurs, il y a dans le projet de loi sur lequel nous sommes appelés à délibérer , des questions très-diverses. J'admets, sous le bénéfice de quelques observations par- ticulières, les solutions qui ont été proposées par le gou- vernement. Je donnerai mon assentiment à la plupart des améliorations qu'on propose pour nos rivières. Mais il y a un point spécial sur lequel je suis en désaccord com- plet avec le projet ministériel : c'est le système de tra- vaux qu'on nous propose pour rendre la Seine navigable dans l'intérieur de Paris. Ces travaux me paraissent mesquins, insuffisants; ils ne répondraient pas aux be- soins du commerce , et compromettraient un projet qui , sans être très-dispendieux, aurait de la grandeur et pour- rait être substitué avec avantage à celui que l'administra- tion a adopté. Voilà la thèse que je traiterai ; j'espère rendre mes arguments assez clairs pour ne pas abuser de l'attention de la Chambre. 528 NAVIGATION. 11 y a, Messieurs, dans la traversée de Paris, une navigation importante : c'est la navigation descendante. La navigation montante, comme on vous l'a dit, est beaucoup moins considérable ; c'est donc la navigation descendante qu'il faut particulièrement encourager. L'honorable M. Ternaux vous a fait une peinture ani- mée et très-juste des obstacles que rencontre la naviga- tion descendante, navigation active, car 1,700 trains de bois, 1,000 bateaux chargés de diverses marchandises descendent la Seine. Dans le passage du Pont-au-Change au pont Notre- Dame, il existe un véritable danger. Il y a là une forte chute qu'il faut franchir. Par une négligence impardon- nable de nos pères, des ingénieurs qui ont construit ces deux ponts, l'arche marinière du pont Notre-Dame se trouve précisément en face de la première pile du Pont- au-Change ; il résulte de là que , dans le court intervalle d'un pont à l'autre, on est obligé de faire des manœuvres serpentantes, difficiles, qui exigent le concours, les efforts de mariniers expérimentés. Souvent l'expérience, la force et l'habileté de ces hommes d'élite ne suffisent pas. Aussi voit-on bien des fois des bateaux en travers des arches du Pont-au-Change , des trains de bois rompus sur les piles; tout ce qu'a dit à cet égard M. Ternaux est par- faitement exact. 11 est évident qu'il faudrait rendre sur ce point la navigation de la Seine facile , sûre et écono- mique. Le projet de loi satisfait-il à ces conditions ? Après l'exécution des travaux qu'on vous propose , le passage du pont Notre-Dame au Pont-au-change sera-t-il facile , NAVIGATION. 529 sans danger, économique? Nullement, Messieurs, nulle- ment. On vous dit dans l'exposé des motifs que la navi- gation descendante continuera à se faire par le grand bras droit; ainsi tous les dangers dont je viens de parler subsisteront. J'admets, quoiqu'on ne le dise point , que quelques bateaux descendront exceptionnellement par le bras gauche. Je ne sais pas, en vérité , s'il serait juste et con- venable que la Chambre s'occupât de ces quelques bateaux privilégiés lorsque les inconvénients et les dan- gers continueraient à subsister pour le grand nombre et pour tous les trains. On a beaucoup parlé à la tribune du conseil municipal, de ses délibérations; on a parlé de la commission d'en- quête ; on m'a fait l'honneur de me nommer. Oui , par- tout j'ai entendu voter pour qu'on améliorât la navigation, mais surtout la navigation du bras droit , la navigation descendante, si active et si dangereuse; oui, partout, j'ai vu émettre le vœu qu'on trouvât le moyen d'effacer le Niagara de la Seine qui existe entre le pont Notre-Dame et le Pont-au-Change. De tout cela il n'en est pas ques- tion dans le projet de loi. On n'améliore pas ce qu'il faut améliorer d'abord, on ne cherche pas à rendre la naviga- tion descendante sûre, facile, économique; on s'occupe de la seule navigation montante. Je lui accorde aussi mon intérêt ; je no lui refuserai pas mon concours. Je ne demande pas mieux que de voir la Chambre voter des améliorations pour la navigation ascendante, mais il est évident que c'est oar la navigation descendante qu'il faut commencer. V. — j[. 3/1 o30 NAVIGATION. Nous demandons avec instance qu'on fasse disparaître les dangers de la navigation du bras droit; l'administra- lion nous répond qu'elle abattra trois ponts sur le bras gauche. En véi'ité on ne comprend pas un tel système. Si l'on avait fait un projet d'ensemble, si l'on s'était à la fois occupé de la navigation du bras droit et de la navi- gation du bras gauche, ces ponts auraient été conservés. Je sais bien qu'on veut les remplacer par des ponts en fer élégants, légers; je sais toute l'estime que ces ponts méritent ; je suis un des grands admirateurs du pont des Saints-Pères ; mais, je l'avoue franchement, j'aime encore mieux les ponts de pierre. QcELQDES MEMBRES. Vous avGz raisoti. M. Arago. Ils présentent une solidité qui les rend pré- férables aux ponts colifichets. Demandez à M. le préfet de police si les jours de grande fête à Paris il se préoccupe le moins du monde de la circulation qui s'établit sur les ponts de pierre? N'a-t-il pas au contraire de grandes craintes touchant ce qui peut arriver sur les ponts en fer, suspendus ou non ? En résumé, nous, membres du conseil municipal de Paris, nous demandions l'amélioration du bras droit pour laquelle se fait presque toute la navigation ; on propose l'amélioration du bras gauche. Il est vrai qu'on fera remonter les bateaux par le bras gauche ; mais de quelle manière? Par le halage! avec des chevaux! Enl8/iO, à côté d'une force motrice immense ; en 1 846 , après les perfectionnements que les machines hydrauliques et les machines à vapeur ont reçus, l'administration nous pro- pose un chemin de halage et des chevaux ! NAVIGATION, o3l Je le dis à regret, Messieurs, una pareille proposition n'est pas de notre temps , elle n'est pas admissible : ce genre de halage, M. le rapporteur l'a appelé presque bar- bare. Je lui en demande pardon, le mot presque doit être supprimé ; il faut l'appeler barbare tout à fait. (On rit.) L'honorable M. Muret de Bort a parlé avec beaucoup de raison du peu d'importance de la navigation montante. Mais on suppose des changements dans les habitudes du commerce, et, comme il vous l'a dit, ces changements sont de véritables rêves. M. Muret de Bort vous a cité l'entrepôt , il aurait pu parler aussi de la gare de Gre- nelle. Voyez quel a été son sort : elle est déserte, entière- ment abandonnée. Avez-vous remarqué , Messieurs , comment on se pro- pose d'obtenir le tirant d'eau de l'".6 sur le bras gauche? Est-ce par quelques grandes retenues , par des portes d'écluses, par une de ces inventions qui frappent les yeux de tout le monde quand on parcourt les pays étrangers et quelques parties de notre territoire? Non; on veut faire un dragage ; on va faire un chenal. Qui oserait dire, avec quelque certitude, combien de temps l'effet du dragage durera? Les eaux , sur ce bras, vont être rendues presque stagnantes. D'après cette seule considération, j'ose affirmer que la navigation du bras gauche sera fort souvent interrompue ; que la machine à draguer y fonctionnera continuellement. 11 est vrai qu'on nous offre un dédommagement. La navigation du bras droit restera avec tous ses dangers, avec toutes ses difficultés, avec l'énormité des dépenses ^32 NAVIGATION. qu'elle exige ; mait^ on ne louchera pas à la pompe Notre- Dame. En vérité, esl-ce là une compensation? (Mouve- ment au banc des minisires.) Cette tlalteuse ainioncc est dans Texposé des motifs. M. LE SOUS-SECUÉTAIRE d'ÉTAT DES TRAVAUX riBMCS. NOIIS IIP voulons pas racheter. M. Ai;a(;o. C'est la plus misérable machine qu il soit possible de citer. RI. LE SOUS-SECRÉTAinE d'ÉTAT DES TRAVAUX PUBLICS. C"est Vrai ! nous le reconnaissons. M. Arago. Si vous voulez la conserver pour montrer combien, depuis cent ans, Tart des constructions et de la mécanique ont fait de progrès, à la bonne heure ! mais vous ne pouvez la conserver que comme échantillon de l.i science de nos devanciers, que comme un monument his- torique. (On rit. ) M. LE sous -SECRÉTAIRE D'kTAT DES TRAVAUX PUBLICS. Elle Gs^t détestable ! M. Arago. Je puis vous dire, d'après des expériences directes, à quel point elle est détestable; je puis établir ce point par des chiffres. ]\1. Legrand. Je le sais bien ! W. Arago. J'entre dans la voie que vous m'ouvrez : la machine en question dépense 100 fr., et produit 7 fr. Voilà la valeur en chiffres de la machine c{ue vous ne voulez pas détruire; voilà les hauts faits de l'appareil dont la conservation nous est citée comme un avantage attaché au système de travaux proposé. La commission a demandé l'ajournement ; moi je suis persuadé, comme le dit le rapport de la commission, que NAVIGATION. o;33 (les travaux sont nécessaires dans l'intérieur de Paris. Je crois qu'il est indispensable de mettre l'amont et Faval de la Seine en communication directe ; je désire aussi vive- ment, aussi fortement que personne, que des travaux ten- dant à ce but s'exécutent; mais je m'appuie sur les raisons que je viens de donner pour solliciter un délai. Je demande que d'ici à l'année prochaine , car je ne vou- drais pas un plus grand retard, on rédige un projet d'en- semble sur l'amélioration de la navigation de la Seine dans la traversée de Paris, embrassant à la fois le bras droit et le bras gauche. Ne compromettez pas , Messieurs , cette grande ques- tion. Je vais prouver tout à l'heure que le mot grande dont je viens de me servir n'est pas hors de propos. Ne compromettez pas, dis-je , cette grande question par des travaux insignifiants, je dis plus, par les travaux nuisibles qu'on vous propose de faire sur le bras gauche. Au BANC DES MINISTRES. NUÏsibleS? M. Arago. Oui, nuisibles, c'est le terme dont je me sers, et je vais le justifier. Sans doute vous n'engagez pas l'avenir par ces travaux , si vous entendez qu'à l'époque où on exécutera le projet d'ensemble, on pourra en détruire une partie. (M. le ministre des travaux publics fait un signe de dénégation. ) M. le ministre fait un signe de dénégation ; eh bien , j'entrerai, sur ce point tout à l'heure, dans quelques développements qui, j'espère, le frapperont. Il y a une question d'argent que l'honorable M. Muret de Bôrt a traitée en détail. 11 a dit que le commerce, je \ ais même ajouter quelque chose à ses chiffres, ne tire- 534 NAVIGATION. rail de la navigation moiitanlc de la Seine, en supposant qu'elle fût complètement améliorée , qu'une économie d'une centaine de mille francs. J'admets ce résultat, et je vais le mettre en présence des bénéfices immenses qu'on obtiendrait pour la ville de Paris et pour le pays, si l'on exécutait le travail en tota- lité, au lieu de le prendre par parties; au lieu, permettez- moi cette expression, de Vamorcer dans une mauvaise voie. Pourquoi se presse-t-on tant? A-t-on tout calculé? a-t-on tout examiné? Peut-on assurer que la dépense qu'on vous indique sera la dépense réelle? Messieurs, comme conseiller municipal de Paris, comme président de la commission d'en(|uôte, j'ai pu savoir où l'on en était pour les projets. Eh bien, je le déclare, il n'y avait pas même d'avant-projet proprement dit. On n'avait pas encore adopté de système pour la fer- meture de l'écluse; on parlait du barrage à aiguilles; nous aurons l'occasion de l'apprécier plus tard. Je me contente de dire en ce moment qu'il y a quelque chose de très-étrange à vouloir mettre des aiguilles là oii pourrait s'établir une navigation à vapeur. (Dénégations au banc des ministres. ) Je sais que depuis on a proposé de fermer l'écluse avec un bateau-poste. 11 n'y a rien d'arrêté, il n'y a rien de certain; l'emplacement même de l'écluse n'est pas déterminé! 11 a été question de la mettre très- près du pont des Arts; on aurait fait une arche exceptionnelle, mais des difficultés sans nombre surgirent. Vous savez combien la.^ ingénieurs se trompent dans NAVIGATION. oS-i leurs évaluations, même lorsqu'il s'agit de travaux en terre ferme. Ici les travaux seraient tous dans le lit d'une rivière; pouvez-vous avoir une grande confiance dans des évaluations qu'on vous présente, dans de simples aperçus? Si vous accordez le crédit demandé, vous courez grande- ment le risque d'entendre à cette tribune, d'ici à peu de temps, le raisonnement qui, dans plusieurs circonstances, vous a déjà été présenté. On vous dira : Cinq millions ont été dépensés, il faut continuer pour ne pas tout perdre. On prétend que les travaux proposés n'engageraient pas l'avenir ; je dis qu'ils l'engagent complètement. Je me charge, par exemple, de démontrer que, si on exécu- tait un plan général, dont je vais dire quelques mots tout à l'heure, un plan qui embrasserait à la fois la navigation du bras gauche et la navigation du bras droit, on n'aurait pas besoin d'abattre un seul des trois ponts que l'on veut détruire. Détruire des ponts sans nécessité, n'est-ce pas engager l'avenir? Vous n'engagez pas l'avenir, et cependant vous allez construire des ponts dont la hauteur sera réglée par un mouillage qui, j'en ai la conviction, paraîtra insuffisant quand vous discuterez le projet complet. Ces ponts ne se coordonneraient en aucune manière avec le système gé- néral. Dans ce système, vous auriez au Pont-Neuf une ma- chine, une force mécanique avec laquelle on ferait che- miner les bateaux depuis le Pont- Royal jusqu'au pont d'Austerlitz ; que deviendraient alors les chemins de halage? o36 NAVIGATION. On prétejid ne pas engager l'avenir, quand on n'a rien d'arrêté sur la grandeur de l'écluse du bras gauche, sur son rôle en regard du barrage du bras droit. Cela n'est pas soutenable. Je dis, Messieurs, qu'il faut barrer le bras droit. 11 résultera de ce barrage, d'abord une navigation facile, une navigation parfaitement régulière en tout temps : les bateaux n'auront plus besoin de stationner sur les rives des ports supériem^s ; ils pourront continuer leur route en toute sûreté entre l'amont et l'aval de Paris. C'est la solution complète de la question qu'on s'est toujours pro- posée. Voyons les autres avantages qui se rattachent à cette solution : il me paraît impossible que la Chambre n'en soit pas frappée. Si vous faites le barrage du bras droit, comme je vais l'indiquer, vous aurez au Pont-Neuf, en temps d'étiage, mie force de 3,000 à /|,000 chevaux, de chevaux travail- lant, non pas comme les chevaux ordinaires, seulem.cnt huit heures par jour, mais de chevaux travaillant vingt- quatre heures sur vingt-quatre heures, de chevaux ne coûtant rien, auxquels vous pourrez faire exécuter des travaux immenses, dans l'intérêt de la navigation et de la ville de Paris. La Seine paraît très-petite pendant l'été; elle semble alors une rivière insignifiante. Eh bien , nous l'avons fait jauger avec le plus grand soin; elle débite par le bras droit, de 100 à iOli mètres cubes d'eau par secojide. C'est encore un débit considérable. Faites tomber cette quantité d'eau d'une hauteur con- venable, vous aurez la force de h,000 chevaux que j'ai NAVIGATION. 337 annoncée; cette force, à quoi l'appliqucrez-vous? Ah! j'avoue que je ne me servirai pas d'une roue analogue à celle du pont Notre-Dame; je me servirai d'une machine appréciée par l'expérience, par les plus grands ingé- nieurs; je me servirai de la turbine : oui, Messieurs, de la turbine, peut-être avec les améliorations c|ue notre honorable collègue M. Kœchlin lui a fait éprouver. Je vous parlais tout à l'heure des produits de la ma- chine du pont Notre-Dame : c'était 7 p. 0/0. Vous vous rappelez cette grande machine de Marly, qui faisait plus de bruit que de besogne, c'est l'ordinaire : elle donnait un trente-sixième de ce qu'elle dépensait. Savez -vous ce que vous obtiendrez avec la turbine de M. Fourneyron, ou avec celle améliorée par M. Kœchlin ? Vous obtiendrez de 70 à 80 p. 0/0. J'espère que vous reconnaîtrez que le bénéfice est considérable. Vous le voyez, l'État, la ville de Paris, ont au Pont- Neuf, en temps d'étiage, une force de 4,000 chevaux dont ils ne tirent aucun parti. Je le demande, est -il rai- sonnable que, dans l'état actuel de la civilisation, qu'en 18/i6, et en présence de tant de besoins pressants, on ne fasse rien dans la capitale d'une force de 4,000 che- vaux ? Vous avez vu , Messieurs , que le gouvernement vous propose de faire le halage des bateaux avec des che- vaux. Vous avez vu que , si vous votez le projet de loi , que si vous n'ajournez pas la question à l'année pro- chaine , il va construire au pied des murs des quais un chemin de halage, un chemin qui recouvrira un égout (on rit), un chemin qu'il serait plus économique de pla- t>38 NAVIGATION. ccr ailleurs. Mais ce choinin est inutile; il se trouvera remplacé avec avantage p;u' une petite dérivation de la force considérable que vous possédez au Pont- Neuf, par une petite dérivation que vous feriez sur les 4,000 che- vaux de force qui résulteront du barrage : remarquez que cette force sera disponible quand vous aurez amélioré la navigation; remarquez que vous aurez satisfait, en établissant ces barrages, aux besoins du commerce, aux besoins exprimés par toutes les commissions d'enquête, que vous y aurez saiisTait complètement, tandis que votre petit projet ne satisfait à rien. Remarquez encore qu'au moyen de cette force de 4,000 chevaux, vous pourrez en temps d'étiage, lorsque la rivière est le plus basse, dans la saison chaude, dans le moment où Ton a le plus besoin d'eau, vous pourrez élever 10,000 pouces d'eau à la hauteur de 50 mètres. Je n'ai pas pris, en faisant ce calcul, le coefficient de revient qui appartient incontestablement aux machines de MM. Fourneyron et Kœchlin , placées dans les meil- leures conditions; j'ai pris un coefficient plus petit, et avec un coefficient réduit, nous arrivons aux 10,000 pouces d'eau que j'ai annoncés. Sachez que 1 pouce d'eau, c'est 20 mètres cubes par vingt-quatre heures, et vous verrez quelle masse énorme de liquide vous pou- vez élever dans tous les quartiers de la capitale. Examinez les ouvrages classiques sur la distribution des eaux, de M. Eymery, et vous y trouverez que, dans une ville administrée avec intelligence, il doit y avoir deux soui'ces d'alimentation distinctes. On a à Paris une première source d'alimentation dans le canal de l'Ourcq. NAVIGATION. S38 L'été , elle est bien réduite ; or, c'est précisément F été que vous aurez le plus d'eau avec les machines du Pont- Neuf. Les deux sources , en se combinant , fourniront une quantité d'eau à peu près constante; quand le canal de rOurcq fournira beaucoup, la Seine vous en donnera un peu moins, et, réciproquement, lorsque le canal sera réduit comme le sont toutes les rivières pendant la grande chaleur, vous aurez une quantité énorme d'eau de Seine. A Paris, la dépense moyenne d'eau vendue est, dit-on, de sept litres par personne. Savez-vous ce qu'elle est dans les principales villes d'Angleterre? soixante à soixante- dix litres. 11 y a des personnes qui par des raisons d'économie , il y a bien des pauvres , qui sont obligés de réduire ce chiffre déjà si petit. A quel prix, après l'établissement de barrage, pour- rait-on donner l'eau? Voici ma réponse : Un pouce d'eau, à cause du transport par porteurs, coûte par an , rendu à domicile, 33,000 fr. Or, tout le monde trouvera que la ville ferait un bénéfice de 2 mil- lions, si elle vendait ses 10,000 pouces à 200 fr. chacun. Ce qu'on nomme une voie d'eau de vingt-deux litres, coûte maintenant 20 centimes. Yous pourriez, pour 3 cen- times, donner mille litres. Quand on aura un barrage dans l'intérêt de la navigation, le prix de l'eau pourra être réduit à la cent soixantième partie du prix actuel. Il y a peu de jours, un illustre orateur disait à cette tribune : « Messieurs , votons la vie à bas prix ! » Moi , je vous dis que vous serez entrés dans les vues .•JiO NAVIGATION. philanthropiques de M. de Loiii;u1iiie, lorsque vous aurez conduit dans l'hun)l)le réduit des pauvres de Teau on abondance et à bas prix. Je vous en conjure, Messieurs, ne perdez pas cette occasion de rendre à hi classe pauvre un si immense ser- vice. ( Approbation. ) Vous aurez remnrf|U('' que je vous parlais de l'eau C'urinic alimonl , et je puis vous en parler aussi au point de \ ue de la salubrité. Vu grand écrivain, c'était un Père de l'Kgiise, appe- lait la propreté une vertu. Un voyageur célèbre disait (ju'il avait pu, presque partout, juger du degré de civili- sation des peuples par leur propreté. Si vous introduisez de l'eau à bon marché dans la mai- son du pauvre, si vous la faites parvenir jusqu'aux étages supérieurs où il réside et soutire , vous aurez rendu un service immense à la population parisienne, à une partie de cotte population qui doit plus particulièrement exciter notre intérêt. Examinons la nécessité de l'eau sous d'autres points de vue. Il y a des administrateurs qui se flattent de cette pen- sée que la ville de Paris est suffisamment alimentée par les eaux du canal de l'Ourcq. Voici les faits : il y a trente-deux barrières où l'eau de l'Ourcq ne peut pas aller, par la raison toute simple que l'eau, dans un siphon, ne peut s'élever plus haut q-ie son point de départ , et qu'elle monte même un peu moins à cause des frottements. Ces barrières pi'ivées de l'eau do l'Ourcq, croyez-vous qu'elles ne sont pas entou- T>'AVIGATION. 511 rées d'habitations, de manufactures? Détrompez vous ; ces barrières, ce sont celles de l'Étoile, d'Enfer, de Fon- tainebleau, et beaucoup d'autres; il y en a trente-deux Toutes ces barrières auront de l'eau, alors que. . . je me répète souvent, parce cjue je ne voudrais pas qu'on m'at- tribuât des idées cjui ne sont pas les miennes ; alors que vous aurez satisfait, par un barrage du Pont-Neuf, aux besoins essentiels de la navigation. Je sais que l'eau de l'Ourcq se répand tous les jours par 1,800 bornes-fontaines ; on est frappé de cet écoule- ment ; mais quand on examine les choses au fond , on trouve que chacune de ces bornes-fontaines ne coule que trois heures par jour. Dans les rues qui sont inclinées , les propriétaires riverains ne sont pas très-satisfaits de cet arrosement ; ils disent, et je crois qu'ils ont raison , que les fontaines coulent assez longtemps pour faire de lu boue, et pas assez pour nettoyer la rue. (C'est vrai ! c'est vrai ! ) Cela se présente dans plusieurs quartiers. Je crois qu'il n'y a pas suffisamment d'eau. Les trente-deux barrières dont je parlais, et oi^i l'eau de rOurcq ne fait pas de boue, ne sont pas sur des mon- ticules isolés ; il y a tout autour des terrains qui sont à peu près de niveau avec elles. Que voulez-vous qu'on y établisse? Des manufactures? Il n'y a pas de manufac- ture c{ui n'ait besoin d'eau, qui n'emprunte son moteur à de l'eau. Il faut donc que, près des trente-deux bari'ièrcs en question , les manufactures aillent chercher leur eau dans les puits à 30, /jO ou 50 mètres de profondeur. Wais Teau que donnent ces puits est de l'eau séléniteuse, de l'eau qui forme dans les chaudières des dépôts qui ren- oi2 NAVIGATION. (lent les communications calorili(iiies très-difficiles et les explosions fréquentes. Si l'opération dont je parle se réa- lise , on aura de rcau de Seine partout. Avez -vous remarqué, Messieurs, de quelle manière se lait l'arrosage de nos rues, l'arrosage de nos quais, l'ar- rosage de nos grandes avenues? Il se fait avec des ton- neaux d'oia l'eau s'échappe par des plaques percées de trous. Eh bien, on fait de la boue, on interrompt la cir- culation : la méthode est barbare. Supposez maintenant que vous ayez une quantité d'eau suffisante , qu'elle soit en charge dans les tuyaux de conduite ; alors l'arrosage se fera rapidement et avec facilité à l'aide d'une simple lance de pompier, et sans porter d'entraves à la circulation. (Bruit. — Exclama- tions sur quelques bancs. ) Voici, Messieurs, une considération qui, j'espère, vous paraîtra plus grave, et que je livre à vos méditations. On dit qu'il y a suffisamment d'eau à Paris; je prou- verai par des faits, quand on voudra , qu'il n'y en a pas dans les hôpitaux en proportion des besoins ; je citerai des hôpitaux où l'on n'a pas donné aux malades les bains ordonnés par les médecins, parce qu'on manquait d'eau. Vous avez certainement remarqué de quelle manière 's'opère le balayage de nos rues? A. Paris, on ramasse la boue, on la met dans des tombereaux , et on la fait che- miner jusqu'aux barrières; pourquoi cela? C'est qu'on n'ose pas la jeter dans les égouts, où il n'y a jamais assez d'eau, excepté pendant des averses, pour la con- duire à la rivière. (Réclamations). On le fait partout. Messieurs ! NAVIGATION. 543 Je suis fâché que ce procédé ne vous paraisse pas bon ; il serait excellent si vous aviez suffisamment d'eau. :m, Grandin. Et les résultats ! M. Arago Si l'honorable membre qui m'interrompt a eu l'occasion de passer quelquefois devcint les dépôts boueux près des barrières de Paris, il aura certainement regretté c[ue le mode d'évacuation de la boue par tombe- reaux soit adopté à Paris, Les égouts sont une excellente chose, mais à la condi- tion qu'ils soient lavés régulièrement. Vous êtes-vous arrê- tés quclc{uefois par hasard, pendant l'été, sur les trottoirs, près d'une bouche d'égout? Avez-vous remarqué quelle odeur nauséabonde s'en échappe? Vous savez d'oii pro- vient cette cause d'insalubrité. La vue de certains lavoirs flottants sur la Seine ne vous a-t-elle pas douloureusement affectés? Ne souffrez- vous pas de voir de malheureuses femmes dans une posi- tion où elles sont encore plus certaines de gagner des maladies que de laver leur linge? (Approbation. ) Soyez assurés que les personnes qui , par leur misère , sont obli- gées de faire un usage habituel de certains de ces établis- sements flottants , figurent souvent dans les registres des hôpitaux. Quand la ville aura une quantité d'eau suffisante, elle pourra créer des lavoirs intérieurs où la population pau- vre trouvera le moyen de laver gratuitement son linge, sans compromettre sa santé. Si l'on vous dit cp.ie 10,000 pouces d'eau sont une quantité trop considérable, répondez qu'on en trouvera un très-utile emploi , non-seulement en citant tout ce que je 544 NAVIGATION. viens de dire , mais en parlant encore des incendies ; remarquez que maintenant l'eau (juc les bornes-fontaines fournissent ne s'élève pas, tandis que si l'eau est en charge dans les tuyaux, il suffira d'ouvrir une clef. . . Je ne parlerai pas de ce qui pourrait de nouveau exciter riiilarité de la chambre; il suffira d'un appareil très- simple pour projeter l'eau jusqu'au troisième étage d'une maison, même avant l'arrivée des pompiers. Qui pourrait dédaigner de pareils avantages? Les tuyaux de conduite de Paris ont été choisis dans la supposition d'une distribution mesquine de l'eau. Sup- posez que les besoins de la population augmentent, que le besoin de donner de l'eau à bon marché vous mett(î dans l'obligation de conduire plus d'eau dans les dilïé- rents quartiers, vous serez contraints de renouveler tout le matériel; il ne sera plus suffisamment considérable; à l'aide d'une forte pression, ce matériel suffira pendant des siècles. Je vais aborder une question délicate (Écoutez ! écou- tez!) Je sais qu'on n'aime pas ici qu'on parle beaucoup de cette question, je crois même que la Chambre n'aime pas à m'en entendre parler. ( Réclamations. — Si ! si ! parlez ! ) Je suis bien aise de la dénégation, je veux parler des fortifications. (Bruit. — Parlez! parlez!) Messieurs, on a fait autour de Paris une enceinte con- tinue. Je suis très-grand partisan de l'enceinte continue, j'en ai toujours été partisan; on l'a faite dans la supposition qu'elle serait un jnovcn efficace de défense contre une NAVIGATION. 545 armée ennemie. Ce moyen de résistance est excellent, à la condition que la garde nationale seule pouri'a suffire à la défense de tous les bastions. Je crois, moi, que la fortification continue exécutée est susceptible d'une grande résistance, je le crois; parce qu'il a été dans ma destinée d'étudier le mode d'action des fortifications ; mais, consultez les gardes nationaux, ils ne croient pas l'enceinte très-forte, ils s'imaginent que la hauteur des murs, la profondeur des fossés sont insuffisantes; que des murs très- élevés sont nécessaires, indispensables ; mais ils conviennent tous que si l'on fai- sait arriver deux mètres d'eau dans les fossés, les fortifi- cations acquerraient une puissance énorme. Mettons-nous donc en mesure d'inonder les fossés de l'enceinte , vous lui donnerez ainsi une puissance d'opinion importante; en temps de guerre vous auriez dans les machines placées au Pont-Neuf, dans les turbines de M. Fourneyron ou de M. Kœchlin, le moyen de remplir les fossés des fortifica- tions dans un intervalle de trois jours. Enfin, trouvez-vous que cette immense masse d'eau dont je vous entretiens depuis si longtemps, n'aurait pas en totalité une application utile dans l'intérieur de la ville de Paris, vous pourriez l'employer en arrosages. Il serait très-facile de faire des réservoirs à une hauteur consi- dérable, d'où l'on répandrait l'eau dans des terrains qui maintenant ont très-peu de valeur et qui deviendraient des jardins comme ceux des maraîchers. J'arrive au terme de ma tâche. M. le ministre des travaux publics et M. le sous-secré- taire d'État croient, comme moi, à la possibilité d'éta- V. — II. 35 Îii6 NAVIGATION. blir un barrage sur le bras droit de la Seine; ils croient môme à la nécessité d'exécuter tôt ou tard ce travail. Jusciu'à préisent on ne s'en est pas occupé; mais, dit-on, c'est parce qu'on n'a pas de plan arrêté, parce que le conseil des ponts et chaussées n'a pa? d'idées fixes sur le système à employer, ni peut-être même sur les avan- tages de ce barrage. Je vois dans l'exposé des motifs que l'installation des nouveaux appareils hydrauliques semble entourée de circonstances graves et compliquées. Je m'élève de toute la force de mes convictions contre ces paroles. Il n'est pas vrai que l'installation des appareils hydrauliques en projet soit accompagnée de circonstances graves et compliquées. Il n'y a pas de question plus sim- ple pour ceux qui se sont donné la peine d'examiner les progrès que l'hydraulique a faits depuis un certain nom- bre d'années. Je ne voudi'ais rien dire de défavorable à des ingé- nieurs que je respecte, que j'honore (la plupart ont été mes élèves); et cependant je suis obligé de convenir qu'ils sont souvent arriérés, qu'ils ne se tiennent pas toujours au courant des progrès de la science; et ce li'est pas leur faute : on les transforme, pour les besoins peut-être de l'administration actuelle, en paperassiers. A GAUCHE. C'est vrai ! M. Arago. Ils en conviennent eux-mêmes. Messieurs, j'ose affirmer qu'il existe des plans qui, développés devant le conseil des ponts et chaussées, dans l'intervalle de cette session à la session prochaine, seraient acceptés par les hommes érainents, par les très-bons 'esprits dont ce conseil se compose. NAVIGATION. 547 Je crois que si M. le ministre des travaux publics acceptait, que si la Chambre votait l'ajournement, nous aurions l'année prochaine un projet d'ensemble, un projet admirable qui satisferait non-seulement aux besoins de la navigation, mais à tous les besoins de la ville de Paris et de l'État que j'ai signalés. Je ne suis pas ici dans des hypothèses; je veux mémo parler avec une entière franchise. (On rit.) Ce qui a arrêté l'adoption du plan général, c'est qu'on a voulu absolument se servir, pour faire des barrages, d'un système inventé par un inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées, d'un système c[ui peut avoir des avantages dans des localités particulières et restreintes (Nous le discuterons quand il s'agira de la navigation eiiti'e Paris et Piouen), mais qui, pour la fermeture des arches de Paris, est éminemment défectueux. On a d'abord projeté de porter le barrage à la pointe de la cité; on a ensuite pensé à l'étabhr au Pont-lNeuf. Ce barrage se compose d'aiguilles qu'on manœuvre avec beaucoup de difficultés (Je reviendrai sur ces difficultés plus tard). On a trouvé qu'au Pont-Neuf les aiguilles seraient trop longues, car les hommes au temps présent, dans le royaume de France, n'auraient pas été assez forts pour manœuvrer les aiguilles qu'il aurait fallu employer au Pont-Neuf. On songea alors à s'établir dans rintervallc compris entre le Pont-au-Change et le Pont-Neuf ; des difficultés d'un autre ordre se présentèrent; bref on a rjourné. Mais n'y a-t-il pas d'autres systèmes de barrage qui 5i8 NAVIGATION. n'exigeraient pas, pour les manœuvrer, des acrobates des Funambules (On rit); n'y a-t-il pas certaine porte arti- culée qui s'ouvrirait d'olle-même, à l'aide de la seule ouverture ou ferniotur;^ il'un robinet? L'habile ingénieur qui l'a inventée n'appartient pas au corps des ponts et chaussées, je l'avoue (On rit), mais il a l'épondu à toutes les objections ; il a fait mieux : sa porte, exécutée à Gisors, a manœuvré à l'entière satis- faction d'une foule de mécaniciens du plus grand mérite. Cela n'est pas aussi compliqué que le système des aiguilles, je lésais; mais la porte articulée n'en olïrira pas moins de très-grands avantages partout où les barrages devront manœuvrer avec beaucoup de rapidité. L'expérience, a-t-on dit, ne s'est pas faite sur une assez grande échelle pour qu'on puisse en rien conclure quant au barrage de la Seine. Voici ma l'éponse : Je suis autorisé, depuis longtemps déjà , à proposer une expérience très en grand , consis- tant en la fermeture d'une des arches du Pont-Neuf. L'inventeur de la porte articulée, M. Fourneyron, fera tous les travaux à ses frais. Si elle ne réussit pas au jugement du conseil des ponts et chaussées, la dépense restera à sa charge. Ne voulez-vous pas vous servir du système d'un ingé- nieur civil? (Réclamations au banc des ministres.) Je n'attribue de tels préjugés ni à M. le ministre ni à M. Legrand (On rit); mais je pourrais citer des per- sonnes qui ne sont pas étrangères à de telles préocci- pations. (Ah î ah !) Je ne veux pas porter des noms à cette tribune. J'ajoute ctue M. le ministre a reçu avec NAVIGATION. 559 l)ienveillance l'inventeur de la porte articulée, et qifil Ta examinée avec intérêt. M. Legraxd, sous-secrétaire d'État des travaux publics. C'est un système très-ingénieux. M. Arago. C'est un système très-ingénieux, en elïet : il a été éprouvé; il n'y a pas de raison pour qu'il ne fonctionne pas et surtout pour qu'on ne l'essaie pas, puisque l'habile ingénieur demande à faire l'expérience à ses frais. Mais laissons un moment l'ingénieur civil de côté. 11 y a un autre ingénieur, celui-ci appartient au corps des ponts et chaussées, ciui a inventé un très-ingénieux barrage. Celui-là ne se manœuvre pas non plus d'une manière compliquée, ni avec les dangers que je signalais tout à l'heure. Il a été établi déjà sur une assez grande échelle, et l'on a pu exécuter avec facilité toutes les manœuvres qu'il exige. On dit cfue les dimensions des portes essayées n'étaient pas aussi considérables que la Seine l'exigerait. Voici encore ma réponse : M. le ministre a entre les mains une soumission de l'ingénieur en ques- tion. Il demande à faire les travaux à ses frais. Vous avez reçu la lettre : j'en ai la copie. M. l'ingénieur en chef Thénard, inventeur du nouveau système, propose de barrer une des arches du Pont-Neuf, ou toute autre partie de la Seine. Tous les frais resteront à sa charge si Tcpération ne réussit pas. On nous parle souvent à cette tribune d'une grande et d'une petite politique, et on accuse les membres de l'opposition de préférer la petite. Je viens de prouver (jue, relativement à la traversée de Paris, il ) a aussi 550 NAVIGATION. une grande et une petite liydrauliciue; mais celle fois, du moins, personne ne pourra dire que l'opposition ait donné la préférence à la petite hydraulique. (Rires et approbation.) [M. Dumon, ministre des travaux publics, ayant répondu dans la si'-anco du 3 mars, .M. Arago a répliqué en ces termes : ] Je suis, Messieurs, un peu embarrassé pour com- battre l'argument principal que vient de faire valoir M. le ministre des travaux publics. Cet argument est en oppo- sition complète avec l'exposé des motifs du projet de loi. M. le ministre, pour répondre à une difficullé très-grave , pour vous rassurer sur les dangers de la navigation du bras droit, vient de vous dire que les bateaux passeraient désormais en très -grande partie par le bras gauche. Ayez la bonté de comparer cette assertion avec le pas- sage que je vais lire de l'exposé des motifs; « 11 a fait remarquer (le conseil des ponts et chaus- sées) que ce système (le système de la navigation par le bras gauche) ne préjugeait en aucune manière pour le grand bras la question de l'avenir, que la navigation de la Seine supérieure, qui est essentiellement descendante, emprunterait avec avantage la voie libre du bras prin- cipal. » M. LE SOUS-SECRÉTAIRE d'ÉTAT DES TRAVAUX PUBLICS. POUr les trains ! M. Arago. Les trains ne figurent pas dans l'exposé des motifs; vous les citez maintenant pour les besoins de la cause. Vous disiez : «... Que la navigation de la Seine supérieure, qui est essentiellement descendante. , . » NAVIGATION. Soi M. LE sois-sEcuïTAir.E d'état DES TRAVAUX PUBLICS. Lgs traiiis ! M. AuAGO. La navigation de la Seine supérieure se compose de trains et de bateaux. Il y a 1,000 bateaux. Vous parliez de la navigation de la Seine supérieure dans toute sa généralité. Je suis fâché de vous mettre ainsi en opposition avec vous-même; mais la contradiction est évidente. « Que la navigation de la Seine supérieure (je ne sau- rais trop le répéter), qui se compose de 1,700 trains et de 1,000 bateaux, emprunterait avec avantage la voie libre du bras principal, tandis que la navigation de la basse Seine, qui est particulièrement remontante, suivrait le bras canalisé. » Un membre. Ce sont les trains! M. AuAGO. Vous voyez, Messieurs, qu'il y a opposition complète entre ce c|ue vient de dire M. le ministre et ce qu'il disait dans l'exposé des motifs du projet de loi. Le bras gauche était exclusivement consacré à la navigation montante. Maintenant, on fera une portion de la navigation des- cendante par le bras gauche! Convenons que nous ne tiendrons plus compte des exposés des motifs des projets de loi qui nous seront présentés, et, à l'avenir, les diffi- cultés de cette espèce disparaîtront. Aujourd'hui, par- donnez-moi d'avoir cru à vos paroles, d'avoir supposé que vous vouliez vous servir de la navigation du bras gauche pour la seule navigation montante; cela est dit formellement, de la manière la plus claire, dans la partie de l'exposé des motifs c[ue je viens de lire. J'ai des raisons de croire qu'on voulait vous déclarer 552 NAVIGATION. (jifil n'y aurait plus désormais de navigation descen- dante que par le bras gauche ; on n'a pas osé. On a compris que je serais arrivé avec des documents recueil- lis par les commissions d'enquête, et qui auraient prouvé que ce bras était insuffisant, de toute manière insuffisant pour la totalité de la navigation descendante. Les dangers inhérents à la navigation du bras droit, on les laisse tels qu'ils sont aujourd'hui. Après réflexion, on annonce que les trains ne viendront plus par le côté gauche ; ils suivront donc le bras droit. Mais alors on ne s'occupe pas des dangers que continueront à courir les mariniers qui feront descendre les trains ; cependant la vie de ces hommes est tout aussi exposée que celle des mariniers qui conduisent les bateaux ; moi je les tiens pour tout aussi intéressants les uns que les autres. On dit que le barrage du bras gauche n'apportera aucun dommage à la navigation du bras droit. On se trompe : on empire, par le projet, la navigation du ])ras droit, on l'empire notablement. Maintenant, une portion de l'eau passe par le bras gauche. Cette eau sera arrêtée par le barrage, elle devra donc passer par le bras droit. ]\I. le ministre des travaux publics sait aussi bien que moi que plus il passe d'eau dans un pertuis donné, plus le niveau s'élève, plus la rapidité est grande. La chute que j'ai appelée le Niagara de la Seine, quoique je con- naisse très-bien la hauteur du vrai Niagara, deviendra plus grande et plus dangereuse ; ce sera une conséquence inévitable des travaux projetés. On nous parle sans cesse de notre opposition au projet NAVIGATION. 533 du gouvernement... Non; nous sommes en opposition avec les idées du gouvernement, avec les idées qui ont été énoncées dans l'exposé des motifs , mais non pas avec le projet; car il n'y a pas de projet, car on n'en a jamais produit devant la commission d'enquête. M. le ministre m'a accusé de n'avoir pas étudié avec assez de soin les pièces qui avaient été produites devant cette commission. Mon Dieu! mes études, à moi, n'ont pas été com- pliquées; j'ai vu des ingénieurs qui s'exprimaient avec beaucoup d'élégance et de facilité; quant à des projets, il n'y en avait pas. 11 n'y en avait pas, et cela par une bonne raison , c'est qu'il n'y en a pas encore aujourd'hui. M. le ministre pourrait-il nous dire dans quelle position il voudrait mettre l'écluse? Je ne l'ai jamais su. M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Les projets sont dans les - mains de M. le rapporteur. M. d'Angeville , rapporteur. Nous avons ici entre les mains un avant-projet. M. Arago. Un avant-projet! mais un projet étudié, je n'en ai jamais vu : je n'ai même jamais vu d'avant-pro- jet qui méritât ce nom. On nous a dit qu'on voulait établir une écluse. Où? On ne savait pas. On nous a dit qu'on voulait la faire descendre jusqu'au pont des Arts, ce qui amènerait un changement dans la forme du pont, ce qui entraînerait des manœu- vres très-difficiles. Il a fallu abandonner cette idée. Je ne suis pas opposé au projet du gouvernement : je ne puis pas être opposé à une chose qui n'existe pas , que je ne connais pas : je suis opposé aux idées que le gou- vernement a émises dans des termes très-vagues. 554 NAVIGATION. On dit, je suis obligé de revenir sur, cette difficulté, puisqu'on Ta trouvée très-sérieuse, on dit que les tra- vaux actuels n'engagent pas l'avenir. Je dis, moi, qu'ils l'engagent complétenicnt. M. le ministre m'a fait beau- coup trop d'honneur quand il a donné mon nom au sys- tème des turbines. Je n'y suis intervenu que pour une vue générale ; mais le mérite d'avoir étudié complète- ment le projet pour la navigation de la Seine et la distri- bution des eaux, ne m'appartient pas. J'ai eu l'idée ti'cs-simple de tirer parti de la force énorme qui existe au Pont-Neuf. Quant auxdétoils, ils sont l'œuvre d'un ingénieur civil. Je dois donc repousser un honneur qui ne me revient pas légitimement. Voyons maintenant si eiTectivement les projets à exé- cuter dans le bras gauche sont aussi inoffensifs qu'on le dit. D'abord je ferai remarquer que le rapide de la Seine, je ne me servirai plus de l'expression de Niagara , deviendra plus considérable, que par conséquent le dan- ger de la navigation, qui était déjà si grand, deviendra plus considérable encore. Dans le projet dont j'ai eu l'honneur d'entretenir la chambre, la destruction de ponts est complètement inu- tile. Si vous coordonnez vos travaux avec les travaux que la ville de Paris doit faire exécuter avec ses fonds , avec ses ressources, il sera inutile de détruire ces ponts. Pourquoi les détruisez -vous aujourd'hui? pourquoi, au lieu de coordonner les deux systèmes, voulez-vous opérer isolément sur la partie la moins importante de la Seine ? Beaucoup de personnes craignent la longueur de NAVIGATION. 55& l'ajournement; moi aussi je m'en préoccupe, je désire que les travaux de la Seine s'exécutent promptement. Eh bien, j'ai la conviction que si la Chambre se prononçait fortement pour que les deux projets fussent coordonnés, on pourrait nous présenter le projet général , qui est étudié, qui est fait, car il y a des devis, même dans cette session, dans six semaines, par exemple. Je suis sûr que si une discussion complète était ouverte devant le conseil des ponts et chaussées, ce conseil reconnaîtrait en peu de séances la possibilité, l'utilité, la beauté du système que j'ai développé devant la chambre. J'avais fait remarquer qu'on se proposait, dans le pro- jet du gouvernement , d'exécuter un chemin de halage. Ce chemin de halage ne sera plus sur les quais. Tout le monde le sait , les quais sont plantés. On fera ce che- min de halage au pied du mur du quai. M. le ministre nous a parlé des inconvénients qui résultaient de l'ancien système. N'y a-t-il donc aucun inconvénient dans le sys- tème du projet? Il y en a cf énormes. Votre corde sera une corde rasante ; elle attaquera , elle ira frapper tous les bâtiments en station sur les rives de la Seine, tous les objets compris entre le rebord du quai et les bâtiments remorqués; les bas ports sont des magasins. Ces maga- sins, auxquels le commerce attache un grand prix, seront balayés par votre corde traînante , c'est incontestable. » M. LE SOUS-SECRÉTAIRE d'ÉTAT DES TRAVAUX PUBLICS. On lèVG la corde ! M. Arago. Vous ne ferez pas que le phénomène de la chaînette n'ait pas lieu. Vous n'avez pas la prétention , avec la puissance c|ue vous possédez, d'empêcher c^ue la 5;j6 navigation. pc^nnteur ne produise pas ses ellVts. La corde iirée par les rlievaiix j)lacés sur le chemin de Iialagc sera une corde traînante, et qui vous mettra dans l'obligation d'évacuer tous les quais, tous les bas ports, lorsque vous voudrez taire remonter un bateau. M. le ministre a remarqué que ce mode de remor- quage était employé ou pi'oposé pour les autres parties du projet; cela est vrai, mais ce n'est pas dans l'inté- rieur des villes, ce n'est pas à côté d'une force motrice dont vous pourrez tirer un parti immense. Vous avez cette force motrice au Pont -Neuf, vous pouvez en distraire une petite portion pour opérer le remorquage. Au lieu de cela, vous allez prendre le système non pas presque barbare, mais barbare , que le rapport de la commission vous a signalé. On a beaucoup parlé du conseil général de la Seine; on a dit qu'il s'était prononcé. Mais il faut faire con- naître toute la vérité. D'abord sur la ({uestion de savoir si on subordonnerait la subvention de 1 million 1/2 à l'exécution du projet général , on s'est trouvé partagé par parties égales. Tout le monde sait bien qu'un membre (lu conseil, qui était sorti, était favorable au projet des turbines. Au reste, il faut faire la part, je ne me servirai pas du mot de menaces, quoicjue cela y ressemble un peu, il faut aussi faire la part des déclarations formelles fjue nous faisaient les ingénieurs. Ils nous disaient : « Si vous n'exécutez pas le projet tel qu'il vous est présenté, on ne fera rien du tout! » Les membres du conseil général sont habitants de Paris, ils sont bien aises c|u'on fasse les NAVIGATION. 557 quais, quand on n'améliore pas la navigation. Je crois que je ne leur ferai aucun tort, que je ne nie li\re pas à des insinuations sans fondement , en disant que plu- sieurs d'entre eux ont été entraînés par cette déclaration formelle des ingénieurs : « Si vous n'exécutez pas le pro- jet tel qu'on vous le présente, on ne fera rien! » Voilà ce qu'on nous disait ; voilà ce que j'ai entendu de mes oreilles. Pour éloigner l'intérêt du projet que j'ai eu l'honneur de développer devant la chambre , M. le ministre vous a dit que c'était un projet gigantesque. Il est gigantesque quant aux résultats ; j'espère que la chambre ne trouvera pas qu'il soit gigantesque quant à la dépense. Je n'ai pas parlé de cette question hier; il est peut-être bon que j'en dise un mot. Ici, ce ne sera pas une évaluation vague, un aperçu semblable à ceux qui ont guidé l'administration lors- qu'elle a fixé à 5 millions et quelques mille francs le tra- vail actuel. Le travail dont je parle , le travail qui doit donner de si magnifiques résultats, coûterait à la ville... rappelez- vous que ce serait l'occasion d'un revenu de 2 millions, coûterait à la ville de Paris 6 millions, et la contribution de l'État pour la totalité du travail qui le concernercu't, serait de 7 millions. Voilà la totalité de la dépense du pro- jet gigantesque. Ce n'est pas à la légère que j'annonce ce clnlfre; c'e.-! le résultat d'un devis bien étudié, et j'ai la certitude que vous trouverez facilement des ingénieurs, des entrepi'c- neurs très-habiles pour exécuter les travaux à ce prix. 558 NAVIGATION. Je tenais à circonscriro rt\\]-)ro,ct; il est en opposition manifeste avec l'opinion éclairée, consciencieuse, de longue date, des personnes les plus compétentes de notre pays. Consultez, sur ce poiul , M. Beaulemps-Beaupré, consultez M. l'amiral Baudiii, qui, à ses grandes et hautes connaissances, joint l'avan- tage d'avoir résidé longtemps au Havre ; ils vous diront l'un et l'autre ([ue le creusement de l'entrée en rivière, de cette entrée que semble devoir amener inévitablement le projet qu'on vous propose, serait une opération fâ- cheuse. On n'ouvre pas une porte qui peut se fermer spontanément du jour au lendemain. Voici ce qui résulte des belles opérations de M. Beau- temps -Beaupré. M. le rapporteur, avec sa bonne foi ordinaire, n'a pas manqué d'en faire mention. M. Bcautemps- Beaupré a levé, en I80/1 , la carte hydrographique détaillée de l'embouchure de la Seine. Il a tracé le contour exact de ce qu'on appelle le banc des Neiges, en face des terrains de l'Heure. En 1861, cette opération a été répétée par un ingé- nieur hydrographe très-habile, M. de Givry. EIi bien, Messieurs, le plan de 1834 et le plan de 1841 ne se ressemblent nullement. Le banc des Neiges a été entiè- rement modifié; il a changé d'étendue, de forme, de place. Faites une entrée dans cette région , les travaux coûteront des millions ; ils seront absolument sans utilité. Presque tout le monde prévoit que tôt ou tard il faudra faire, au nord, en mer, une deuxième entrée du port du Havre. Voyons si le projet actuel ne compromet pas l'avenir. NAVIGATION. 595 Dans le projet des fortifications qu'on vous présente pour ce port important, il est question d'établir le genre de redoute, qu'on appelle une lunette , dans rempla- cement désigné au Havre sous le nom de mare des Huguenots. C'est précisément là que devrait se pratiquer la nouvelle entrée du port; c'est là qu'elle se pratiquera nécessairement le jour où elle sera devenue indispensable. Songez-y bien, Messieurs, le projet envisagé dans son ensemble, envisagé surtout d'après les dispositions pré- sentées par M. le ministre de la guerre, compromet gra- vement, complètement, l'avenir du Havre. On s'est préoccupé, dans le rapport de la commission, d'une difficulté qui a son importance, qui devait surtout frapper notre honorable collègue, M. d'Angeville, en sa qualité d'ancien officier de marine. Les marées, au Havre, jouissent d'une propriété très- remarquable. Le plein s'y maintient à une hauteur con- stante, non pas mathématiquement bien entendu, mais sans changement considérable, pendant un temps assez long, pendant deux heures environ. l\ résulte de là que les navires ont de la marge pour entrer ou sortir. Le port du Havre jouit d'une grande tenue, c'est là l'expression technique. Cette tenue est une propriété pré- cieuse qu'il est nécessaire de conserver, à laquelle on ne doit porter atteinte à aucun prix. M. d'Angeville, à cet égard, est parfaitement dans le vrai; mais, je lui en demande pardon, j'ai aperçu dans son rapport de petites erreurs ; il me permettra de les lui signaler. 596 NAVIGATION. 11 est dit dans le rapport, d'ailleurs si lucide et si biuii t'ait de M. d'Angcville, que le port du Havre jouit d'une propriété unique ! Ce serait par un bien gi'and hasard , il laut en convenir, que rembouchure de la Seine, au milieu des formes si variées que les marées présentent dans toutes les régions du globe, jouirait d'une propriété unique. M. d'Angcville ajoute que cette propriété est incxpli- quablc. C'est encore là une assertion hasardée. Sur ce dernier point, M. d'Angeville n'a rien à se reprocher, attendu que l'explication véritable du phéno- mène n'a pas été rendue publique; elle appartient à un des ingénieurs Jiydrographes qui , grâce à la libéralité des chambres, peuvent étudier avec suite, avec persis- tance, avec succès, les phénomènes si complexes des marées. Venons à la question de fait. Le port du Havre , comme le dit le rapport , est-il 1(^ seul point du monde qui jouisse d'une bonne tenue? Je n'aurais pas besoin de m'éloigner beaucoup du Havre pour trouver la réponse; je passerai sur l'autre rive; là, sur la plage de Merville, à quelque distance de l'embouchure de l'Orne, je rencontrerai une tenue nota- blement supérieure à celle du Havre. "M. uWngeville, rapporteur. Voulez-vous me permettre? Je tiens là le Pilote français, de M. Beautemps-Beaupi'é, et j'y lis, page 115: « Le port du Havre a, sur tous les autres ports de la Manche, hi propriété extrêmement avantageuse que la haute mer y reste étale pendant un intervalle de temps dont la durée moyenne est de cin- quante-sept minutes. Le maximum de cette durée a été observé d'une heure quinze minutes et le minimum de vingt ù vingt-cinq minutes. En général, dans les mois de mai , juin et juillet, la durée NAVIGATION. 397 <îe la mer étale est, sauf quelques exceptions, au-dessous de la uioj^enne, et, dans le reste de Tannée, elle est presque toujours d'une heure et plus. » Vous voj^ez que M. Ceautemps-Beaupré reconnaît lui-même que, de tous les ports de la Manche, le Havre est celui qui a la plus jrrande tenue. M. Arago. C'est criin port et non pas. d'une partie de la côte que parle M. Beautemps-Beaupré. M. DE ScHAUENBiRG. Saus doute , il s'agit d'un port. M. Arago. J'en demande bien pardon à M. Schauen- hurg; mais il importe peu que la tenue dont je veux argumenter ait été observée dans un port ou sur une plage. 11 s'agit de savoir si la propriété citée appartient exclusivement au port du Havre ; si , comme on l'ima- gine, elle est le résultat du conflit de l'eau de la Seine descendant et de l'eau de la mer montante; si c'est un phénomène qui puisse être modifié ou détruit par des travaux. L'examen de cette question est d'un grand inté- rêt; car c'est sur l'idée que la propriété du port du Havre pourrait être modifiée par de certains travaux que repo- sent les scrupules de M. le rapporteur. Je reviens donc à mon thème, et je dis qu'il n'est pas exact de prétendre que le port du Havre jouisse d'une propriété unique ; je dis qu'on la retrouve dans des points voisins et à un ])lus haut degré. Si l'on sait si peu de chose en pareille matière, c'est qu'on s'est ordinairement contenté d'observer la plus grande et la moindre hauteur des eaux ; c'est qu'on a rarement cherché les lois qui président à leur augmen- tation et à leur diminution. Au Havre , la tenue surpasse la tenue moyenne gêné- 598 NAVIGATION. raie des ports, convenablement envisagée, de ûO minutes. A Mervllle , il y a une tenue supérieure à cette même tenue moyenne des ports de G7 minutes. Le phénomène n'est donc pas aussi local qu'on le supposait, un phéno- mène (|uc les travaux des hommes puissent modifier. Une difllculté qu'on présentait contre l'ouverture d'une nou- velle entrée disparaît en présence des faits. Vous dites que Alerville n'est pas un port ; je vais vous citer un port véritable, un port qui est en face du Havre, et dans lequel la tejiue, envisagée convenablement, est plus considérable qu'au Havre, c'est le port de South- amplon, en Angleterre. Je me contente d'une affirma- tion , je citerai les chiflres si on les demande. Il y a donc au Havre, non pas un phénomène excep- tionnel sous la dépendance de l'ouverture de telle passe, du creusement de tel bassin , mais un phénomène général. L'ingénieuse théorie que M. Chazallon en a donnée, ne laisse aucun doute à cet égard. Le bassin proposé pour les paquebots transatlantiques prêterait aussi à des critiques sérieuses. La navigation transatlantique n'a-t-elle pas, d'ailleurs, été abandonnée? on l'a déclaré à cette tribune. Vous savez avec quelle rigueur la loi sur les servitudes militaires est exécutée. Vous savez que le rayon de ces servitudes est très-étendu, qu'il est partout invariable- ment maintenu pour la défense du pays. Au Havre le principe a fléchi. Dans quelles localités? Dans les loca- lités même où , tôt ou tard , on sera inévitablement obUgé de creuser une nouvelle entrée du port ; dans des locaUtés qui vont se couvrir d'habitations ; le jour, peut-être peu NAVIGATION. 599 éloigné, où vous vous occuperez de nouveau du port du Havre, vous serez forcés d'imposer au pays des dépenses énormes; il faudra exproprier des terrains aujourd'hui nus et qui alors seront couverts de maisons. Les travaux actuels ont le double inconvénient de n'être pas urgents et de compromettre l'avenir. Je disais tout à l'heure qu'il fallait accorder beaucoup au Havre. Quels sont donc les travaux qui paraîtraient plus effi- caces? qui seraient réclamés par des besoins moins con- testables? Ma réponse est toute prête. Je citerai une jetée que tout le monde réclame et contre laquelle j'ai été étonné de voir le rapport se prononcer d'une manière exphcite : la jetée à construire sur le banc de l'Éclat. Un port qui n'a pas une rade sûre est presque sans valeur; un port à l'entrée duquel les navires ne peuvent pas mouiller en toute sûreté, est un port qui manque de ses qualités les plus précieuses. Vous pouvez procurer ces avantages au Havre, sans une dépense considérable relativement au but ; vous pou- vez y créer une rade extrêmement précieuse en jetant une digue, ce qu'on appelle un brise-lame, sur l'Éclat. Consultez tous les marins, ils vous diront qu'en deçà du banc de l'Éclat le fond de la mer est excellent, qu'on y peut mouiller avec sécurité , à moins que la mer ne soit très-houleuse. M. Berrver. Quelle est la place de ce banc ? M. Arago. En face du cap de la Hève. La proposition que je fais d'établir un brise-lame, une jetée sur le banc de l'Éclat, rappelle naturellement les 000 NAVIGATION. (l'avaux si dispiMidioux (wcculés en rade de Cherbourg; niais, Messieurs, r(Miiar(inez (iifà Clicrboiirg on a coni- nienré par des profondeurs de 15 à 17 mètres; remar- (|uez que les parties du banc de l'Éclat qui ne se décou- vrent pas dans les grandes marées , ne restent couvertes que de 1 à 2 mètres d'eau; que par conséquent la con- slruclion de la jetée serait très-peu dispendieuse, relati- V(Mneiit aux travaux que la jetée de Cherbourg a déjà occasionnés. Ici, Messieurs, je suis obligé d'indiquer un projet de M. le ministre de la guerre qui est antinautique au dernier degré. Le banc de l'Éclat, en supposant môme ([u'on ne voulût pas y faire un brise-lame, une jetée, le banc de l'Éclat devrait être, dans l'opinion de tous les hommes de l'art, de tous les marins, la base où s'élève- rait un fort à casemates et à plusieurs étages de canons, destiné à défendre la rade du Havre, h éloigner d'une manière absolue les dangers que la ville pourrait coui'ir en cas de guerre. Vous croyez peut-être que c'est le banc de l'Éclat qu'on a choisi? Pas du tout; c'est le haut de la rade, c'est-à- dire un banc considéré comme un écueil dangereux , et qu'on peut quelquefois difficilement éviter en se dirigeant vers l'entrée du port. Au lieu d'un travail qui améliorerait la rade, on en projette un qui la rendrait dangereuse. Messieurs , on est peiné , lorsqu'en réfléchissant aux travaux considérables que l'on veut exécuter dans le port du Havre, travaux qui ne me paraissent pas considéra- bles quant au but que Ton se propose , car je voudrais donner la même somme poui* des travaux mieux enten- NAVIGATION. 601 dus; on est peiné, dis-jc, de voir que l'administration ne s est pas occupée de la navigation de la basse Seine. 11 y a là cependant une question capitale, une question d'un intérêt immense. Si la navigation de la basse Seine est extrêmement difficile, c'est que dans certains parages les passes que laissent les bancs changent de place ; c'est que les clic- mins de halage sont dans un état déplorable. Ces chemins sont endommagés par une cause particu- lière qu'on appelle la barre dans la Seine, le pororaca dans le fleuve des Amazones, et le mascaret dans la Dor- dogne. Ce phénomène consiste en une sorte de muraille liquide qui se précipite sur les rives et y produit de grands dégâts. C'est légèrement, suivant moi, que l'on a admis que les forces humaines sont impuissantes contre la barre; voici sur quoi je me fonde. Un ouvrage de Brémontier renferme ce fait curieux : « En 1760, le mascaret régnait dans la Garonne; il remontait trois lieues plus haut que Bordeaux. Ce bruit sourd et effrayant, que les marins connaissent si bien, s'y faisait sentir; aujourd'hui, il n'y a plus de mascaret dans la Garonne. Pourquoi a-t-il disparu? Par suite des atterrissements tellement peu considérables qu'on ne sau- rait pas dire avec certitude : la cause de la disparition est là. » En présence de ce fait, on peut affirmer qu'avec des travaux bien entendus, on fera disparaître aussi de la Seine la cause incessante do domnvige que j'ai citée. Si on me faisait cette réponse : Il n'y a pas de projet 602 NAVIGATION. préparé pour cela, je répondrais : Ce travail existe, il a lixé l'attenlion du directeur des ponts et cliaussées; il est de M. Blesclinnip. Je ne l'ai vu qu'en manuscrit; il m'a été communiqué par M. le président de la chambre de commerce de Rouen. Je n'ai rien lu où les phénomènes produits par la barre soient décrits avec plus de netteté, de précision , de savoir , d'intelligence. M. Bleschamp indique des travaux qui déjà s'étaient olîerts à la pensée d'un autre ingénieur célèbre, pour anéantir la barre : tout fait espérer le succès. La question de la navigation de la basse Seine se lie intimement aux intérêts de notre, force maritime. Le cabotage sera détruit en France ou du moins considéra- blement réduit par les chemins de fer. Déjà cette inlluencc se fait sentir tristement en Angleterre. I^e cabotage n'y existe presque plus que de nom. Les caboteurs britan- niques, les charbonniers surtout, naviguent aujourd'hui à des prix qui annoncent une agonie. Voici l'état où ils ont réduit le cabotage français à Rouen : En 1838, il y avait 275 navires français qui portèrent du charbon de terre d'Angleteri'e à Rouen ; 2/iG navires anglais leur faisaient alors concurrence. Le nombre des navires français était supérieur de 29 à celui des navires anglais. Quel est l'état des choses en 1843? Ce résultat vous frappera de surprise. Vous sentirez qu'il y a urgence à faire quelque chose pour notre navigation. En 18/i3, au lieu de 275 navires français, il y en a eu 2 , pas davantage. En 18/i3 , au lieu de 2/j.6 navires anglais, il en est arrivé à Rouen 728. NAVIGATION. 603 Yoilà donc une branche de notre navigation entière- ment perdue ! Les Anglais peuvent se résigner à perdre leur cabo- tage , cette pépinière de notre marine ; ne sont-ils pas en possession d'une navigation commerciale immense? Chez nous, la perte du cabotage serait fatale, notre marine s'en ressentirait profondément. Voyez combien il y a d'individus inscrits sur les contrôles de la marine dans la très-petite circonscription de Rouen. Il y en a 2,000. Le jour où Rouen ne sera plus fréquenté par les caboteurs, et cela arrivera bientôt si la navigation de la basse Seine conserve toutes ses dif- ficultés, vous pouvez être certains que ces 2,000 indivi- dus inscrits se jetteront dans les filatures ou toutes autres industries; vous aurez perdu ainsi une partie notable et intéressante de votre population maritime. M. DE Vatrv. C'est déjà arrivé. M. ARxUiO. On vient de faire le calcul de ce que coû- tera le transport d'un tonneau de marchandises par les chemins de fer de Marseille à Paris. Ce transport , dans l'état actuel des choses , est inférieur au transport par les bâtiments caboteurs qui, partant de Marseille, venaient jusqu'à Rouen. Améliorez la navigation de la Seine, faites en sorte qu'un navire n'emploie pas cinq, six jours, et même quelquefois davantage, pour se rendre du Havre à Rouen, et cette inégalité, qui est maintenant en faveur des che- mins de fer, sera en faveur de la navigation côtière, en faveur du cabotage. Je crois qu'il eut été bon , surtout lorsqu'on votait des t,Ol NAVIGATION. soiiinies aussi considérables, lorsfjirou votait tant de millions pour Marseillo, pour Bordeaux, pour le Havre, de s'occuper un peu de Rouen et de cette population maritime qui nous échappera, et de l'amélioration de notre cabotage, dont la perte frappera au cœur noire inscription maritime. Je termine par ce peu de mots : Si le gouvernement ne s'occupe pas d'améliorer la navigation de la basse Seine, ce qui n'est ni au-dessus des forces du pays, ni au-dessus des forces de l'art, notre cabotage, je le répète, sera perdu, l'inscription maritime dijninuera dans une telle proportion f[ue l'on n'y trouvera même plus un personnel suffisant pour armer nos navires h vapeur; et dans peu de temps, si on n'y prend garde, ces magni- fiques quais de Rouen, que tout le monde admire, seront des prairies. Napoléon disait : « Paris, Rouen , le Havre sont trois quartiers d'une grande ville, dont la Seine est la grande rue. » Cette grande rue mérite d'être prise en très-grande considération ; il faut l'améliorer, il faut l'en- tretenir dans rintérôt de la navigation et du cabotage. II me semble que la justice doit être facile, lorsqu'elle s'allie si bien avec les intérêts d'une grande ville, d'une ville qui s'appelle Rouen, et avec les intérêts du pays. ( Très-bien ! très-bien ! ) [Après une réponse de M. le ministre des travaux publics, :\I. Arago a ajouté les explications suivantes : ] Je demande la permission à la Chambre de faire quel- ques observations de ma place. M. le ministre des travaux publics s'est mépris (je m'étais sans doute mal explicjué h la tribune) lorsqu'il a NAVIGATION. 605 cru que j'avais personnellement un projet tout préparé. J'ai prétendu seulement que les différents travaux qui pouvaient se faire autour du Havre, pour l'amélioration de la rade et du port, ne nous sont pas proposés dans l'ordre de leur urgence. J'ai dit de plus que les travaux actuels compromettront les travaux futurs dont on ■ a reconnu la nécessité. J'ai soutenu cette thèse surtout en vue d'une annotation écrite en marge de mon exemplaire du rapport de M. d'Angeville, et qui émane d'une per- sonne dont la compétence ne saurait être contestée. Elle est conçue en ces termes : « Tenez pour certain que d'ici à une époque peu éloignée, on sera obligé de faire une entrée nouvelle du côté du nord. » Les travaux qu'on nous propose compromettront un jour les finances du pays et la prospérité du Havre. Tel est le point de vue où je me suis placé. Dans l'ordre des travaux .utiles et urgents, il en est un qui ne figure pas dans le projet, et qui devait marcher en première ligne : c'est l'agrandissement de l'avant- port. 11 y a dans l'avant-port, à droite en entrant, un ter- rain qui appartient à l'État, à l'aide duquel il serait pos- sible d'augmenter (je ne l'ai mesuré que de l'œil) l'éten- due de l'avant-port d'à peu près 1/5'. Où l'inconvénient se manifeste-t-il dans la navigation du Havre? C'est d'abord dans l'avant-port; lorsque les caboteurs ne peu- vent pas entrer en Seine, lorsqu'ils sont menacés par la tempête, lorscjue par l'absence de brise-lame ils sont obligés de chercher un refuge, ils le cherchent dans l'avant-port; ils s'y accumulent, ils s'y cntre-choquent. 606 NAVIGATION. Pourquoi ne pas utiliser le terrain donl je parle et qui appartient ;\ l'État? M. le ministre des travaux publics a affirmé que l'en- trée future par le nord n'était pas compromise. Il nous a dit que dans le projet de fortification présenté par M. le ministre de la guerre, il n'y avait rien de proposé dans la division où pourra être creusée cette entrée du nord, que tous les jiommes compétents regardent comme devant être inévitablement creusée un jour. Mais M. le ministre des travaux publics me permettra de lui faire remarquer que ce projet est précédé d'un exposé des motifs, et que dans cet exposé des motifs il est question de construire une lunette dans ce qu'on appelle la Mare des Huguenots, c'est-à-dire dans ce qui doit être la nou- velle entrée du Havre. M. le maire du Havre est venu ce matin parler à M. le ministre des travaux publics, et lui a dit qu'on adhérait unanimement au projet. Veut-il que je lui dise le secret de cette adhésion? C'est qu'on craint que si un amende- ment était proposé , la Charnière ne rejetât le tout. M. LE Mi>'isTRE. Ce n'est pas cela ! M. Arago. Et le brise-lame , vous n'en parlez pas , monsieur le ministre , vous n'en dites rien. Renoncez- vous à répondre sur ce point; n'est-ce pas là ma princi- pale difficulté? M. le ministre a assuré que la nouvelle entrée que je ne propose pas maintenant , mais que je regarde comme une nécessité future, devrait exiger des bassins de chasse. 11 n'en est rien. Cette portion de la rade jouit de pro- priétés très-précieuses. Le plan de M. de Gaule, fait en NAVIGATION. 607 1787, ressemble parfaitement à celui dressé par les ingé- nieurs hydrographes en 1834. La rade est parcourue par des courants qui la maintiennent dans un état perma- nent ; vous n'avez rien à craindre de ce côté, et je vou- drais pouvoir en dire autant de la passe actuelle. Mon système, vous le voyez, est bien simple. Il con- siste à dire que les projets ne sont pas proposés dans l'ordre de leur utilité, de leur urgence; je dis qu'ils ne seront pas les plus immédiatement utiles : j'insiste sur l'élargissement de l'avant-port , il ne se fait pas, et je ne m'explique pas pourquoi il n'est pas proposé. On en donne une raison à laquelle je ne puis ajouter foi; je ne croirai jamais que ce soit pour ne pas démolir aux yeux de la population un mur de quai très -peu ancien. Ce serait une futilité , car personne n'avait pu prévoir que le commerce du Havre prendrait un développement si énorme. [M. d'Aiigeville, rapporteur delà commission, ayant soutenu que la construction d'un brise-lame altérerait la tenue de la mer au Havre, M. Arago a ajouté les explications suivantes : ] Je ne peux pas laisser passer sans y répondre les cri- tiques de M. d'Angeville. Mes assertions reposent sur des chiffres catégoriques. J'ai dit dans cruelles localités la tenue était plus considérable qu'au Havre, dans quel rapport elle était plus considérable. J'ai cité l'auteur du travail qui a démontré les faits que j'ai avancés, M. Cha- zallon. Je ne saurais donc concevoir comment la citation de quelque ouvrage que ce puisse être infirmerait mes affirmations. Malgré tout mon désir d'éviterunc discussion technique, 608 NAVIGATION. il faut bien que, pour cHaccr T impression ({(font pu pro- duire les paroles de M. d'Angevillo, je dise h quoi tient la tenue; je serai court. Peu de personnes se font une idée exacte des marées. L;i marée est une onde qui vient du largo et qui se pro- page avec une certaine rapidité; mais cette onde est complexe. La tlu'orie vl l'expérience ont montré que l'onde généiviie (|ui produit la marée observée, est la résullanlc de plusieurs ondes distinctes qui tantôt s'ajou- tent et tantôt produisent l'action inverse. Lxi princi})ale de ces ondes produit son évolution entière en un demi- joui' lunaire ; une autre onde se développe dans un quart de jour, une troisième, beaucoup plus petite, dans un sixième de jour, etc. Dans toute masse liquide, les ondes s'ajoutent ou se soustraient, comme les cliifïres dans l'addition et la soustraction. Si les parties saillantes de deux ondes se correspondent, l'onde totale est très-élevée; quand la par- tie basse d'une onde correspond à la partie haute d'une autre, il en résulte une dénivellation qui est égale à la dilTérence de leurs hauteurs. Eh bien, il arrive au Havre que l'onde qui se développe dans un quart de jour est basse quand l'onde du demi-jour est à son maximum de hauteur. L'onde qu'on y observe est donc moins élevée que dans les localités où les parties saillantes des deux ondes se superposent : la partie creuse de l'onde d'un quart de jour affaisse d'autant l'onde d'un demi-jour. L'onde d'un quart de jour se développant avec rapi- dité, quoiqu'elle soit moins considérable que l'onde d'un demi-jour, elle contre-balance pendant quelque temps, NAVIGATION. 609 dans son mouvement ascendant, le mouvement contraire plus lent de l'onde d'un demi-jour. Voilà l'explication réelle de la tenue de la mer au Havre. Les travaux que vous pouvez exécuter en rade n'exer- ceraient une influence sensible sur le phénomène, que s'ils changeaient notablement les temps des arrivées des deux ondes. Ne nous occupons donc pas des difficultés sur lesquelles se fondait M. d'Angeville; les travaux que vous exécuteriez au large du Havre n'altéreraient en aucune manière les propriétés précieuses que possède ce port , et qui , je le répète , ne lui appartiennent pas exclu- sivement. Quand vous aurez un brise-lame, la rade sera cou- verte de navires. Rendez l'accès du Havre facile, aisé, la rade sure, les autres améliorations viendront à leur tour. M. LE SOUS-SECRÉTAIRE D'ÉTAT DES TRAVAUX PUBLICS. Si Foil COU- struisaitle brise-lame sans agrandir et approfondir l'entrée, les bâ- timents n'en resteraient pas moins en rade: seulement ils y seraient plus en sûreté ; mais ils ne pourraient pas entrer dans le port. Si, au contraire, vous élargissez et approfondissez le chenal, les bâtiments en seront pas obligés de rester dans la rade. C'est surtout au point de vue militaire que l'établissement d'une rade serait très- utile : c'est aussi, comme je l'ai dit, au point de vue des intérêts commerciaux de Rouen et de Ilonfleur; mais nous n'avions pas, nous , département des travaux publics , à nous préoccuper des intérêts militaires, et nous ne nous occupons pas en ce moment des ports de Rouen et de Ronfleur. M. Arago. h y a beaucoup de navires qui entrent au Havre pour se réfugier, et qui n'auraient pas besoin d'y entrer s'ils trouvaient un refuge derrière un brise- lame ; s'ils trouvaient un abri derrière la ligne tronçonnée V. — II. 39 GIO NAVIGATION, dont on parlait tout à l'heure. Mais songez à Tavonir, à la nécessité de défendre le Havre ; songez à la néces- sité de créer sur T Éclat une forteresse formidable avec des casemates, avec plusieurs étages de canons. Alors, mais seulement alors, vous n'aurez rien à craindre de l'ennemi. VII AMKIJOP.ATIO.X DE LA 1>ARTIK :\rAr,ITlME DE LA SELNE [ La commission de la Chambre des députés proposait le rejet du créilit de 3 millions domandé par le gouvernement pour Taméliora- tiou de la partie maritime do la Seine , entre Villeqnier et Quille- l)œuf. M. Arago prit la parole en ces termes pour défendre le projet du gouvernement dans la séance du h mars 18Zi6: ] Messieurs, je viens combattre l'opinion de la com- mission et soutenir le projet du gou\^ernemcnt. (Mou- vement. ) On a présenté différentes objections; elles ont été dis- cutées par M. le sous-secrétaire d'État des travaux pu- blics. Je crois que plusieurs réponses peuvent être ajoutées à celles que vous avez déjà entendues. On vous a dit que la destruction du barrage de Vil- leqnier, de la traverse de Villequier, pour me servir de l'expression consacrée, pourrait empirer le mouillage de la rivière en amont. On a dit que le barrage de Ville- quier était un seuil qui empêchait l'eau descendante de se déverser en quantité suffisante pour que le niveau en amont s'abaissât d'une manière fâcheuse; il me semble qu'on a oul^lié mie chose essentielle. NAVIGATION. 6M 11 n'y a pas seulement à Villequicr une marée descen- dante, il y a aussi une marée montante ; par conséquent le seuil qui, dit-on^ doit empêcher l'eau de descendre , l'empêchera aussi de monter; lorsque vous aurez détruit le seuil, si l'eau descend avec plus de rapidité, elle aura monté avec plus d'abondance pendant la marée mon- tante. Par conséquent le problème n'est pas aussi simple que la commission l'a cru. Il y a là plus de difficulté que M. d'Angeville ne l'a dit. Il est évident qu'un barrage qui empêche l'eau de descendre, empêchera l'eau de monter; que la des- truction de la barre permettra à une plus grande quan- tité d'eau, pendant la marée, de monter en amont de la traverse. Vous ne pouvez donc pas dire d'emblée que vous aurez empiré l'état de la Seine en amont de Yille- (juier, après avoir détruit la traverse. La traverse, par le mouvement dirigé de Rouen vers le Havre, empêche l'eau de descendre en très-grande abondance; mais la destruction de la traverse permettra à une plus grande masse de la marée ascendante de monter. Il n'est pas possible sans calculs, sans faire des expé- riences, sans discuter des faits, de dire que la destruction de la traverse ne peut avoir aucun inconvénient. Que le phénomène d'un obstacle opposé à la marche de l'eau de l'amont en aval soit produit par un seuil ou par un rétrécissement, le raisonnement est le même. On a rétréci l'Âdour; on sait quel est l'effet que ce rétrécis- sement a produit. Il est l'équivalent d'un seuil, quant à la variation du niveau de l'eau. -M. L£ Rapporteur. Il est mauvais. Cli: NAVIGATION. M. AuAGO. 11 est mauvais à d'autres égards, mais non pas à votre point do vue : il est cerlain qu'il a été créé un obstacle au mouvement descendant, lequel est devenu aussi un obslaci;^ au mouvement ascendant de la marée. Eh bien, la tenue des eaux est plus considérable en amont du rétrécissement que par le passé. Le genre de défauts que M. le rapporteur attribue à la destruction de la travei'se de la Seine est complète- ment opposé au raisonnement et aux faits. Quand il s'est agi pour moi de prendre un parti dans la question, j'ai été préoccupé d'une difficulté, c'est celle de la barre; je me suis demandé quel serait l'elfet des travaux actuels relativement à la barre. La barre a été présentée comme un phénomène redoutable par l'hono- rable M. d'Angeville; il en a fait tout à l'heure une pein- ture effrayante. M. LE Rapporteur. C'est M. Beautemps-Beaupré qui a fait cette peinture. M. Araco. a quelques égards la peinture est vraie, mais je crois cependant que vous avez confondu doux choses. On ne sait pas bien expliquer la barre. C'est un phé- nomène plus commun qu'on ne le croit, on l'a observe dans la Garonne, dans la Gironde, dans la Seine, dans le Gange, dans l'Amazone, dans toutes les branches du Gange, et particulièrement dans un fleuve que l'on con- sidère comme une branche du Gange, mais qui est une rivière à part, et qui mérite de prendre un nom spécial, le Burrampooter (Brahmapoutra). La barre dans la Seine n'atteint pas une hauteur supérieure à 1 mètre j/:2; NAVIGATION. 613 dans le Burrampooter, la barre atteint jusqu'à une hau- teur de li mètres, dans l'Amazone de 5. Eh bien, Mes- sieurs, est-ce que la navigation est empêchée, est-ce qu'elle est difficile? mais tous les approvisionnements de Calcutta et des autres villes qui sont placées sur les rives du Gange se font avec de très-petites barques, pourvu qu'on ait l'attention de se tenir dans le milieu de la rivière , et de ne pas s'approcher des rives. Alors le danger est nul. Ce phénomène a été étudié avec le plus grand soin dans la rivière des Amazones, en ilMi, par Lacondamine; c'est la plus ancienne mention que l'on en trouve. Là des radeaux, des bateaux non pontés ne cou- rent aucun defnger quand ils se mettent au milieu du fleuve, et cela par deux raisons : la première, c'est que, dans le milieu de la rivière, la barre a une moindre hau- teur; la seconde, c'est que là la hauteur est régulière. On pense que la barre est un transport d'eau , un courant ; on se trompe, la barre n'est pas un courant , c'est une ondulation. Le navire qui rencontre la barre , monte et descend et ne change pas de place ; il est comme un corps flot- tant sur une nappe liquide en oscillation. Quand vous voyez une onde se promener sur une nappe liquide avec beaucoup de rapidité , aucune molécule d'eau n'a de mouvement latéral : elles montent, elles descendent ; il se produit là un mouvement oscillatoire et non pas un mou- vement de transport. C'est là le mascaret; c'est ce que sur la rivière des Amazones on appelle pororoca : c'est la barre de la Seine. Si ce mouvement ondulatoire prend par le travers un Gli NAVIGATION. bâtiment qui est échoué sur le rivage, le JDateau est ren- versé. Sous ce rapport, M. d'Angeville disait vrai ; mais quand le bâtiment monte et descend avec Tonde, quand il n'est pas éciioué , au moment même où Tonde lui donne le mouvement oscillatoire, il ne court aucun dan- ger, poui-vu, je le répète, qu'il se tienne vers le milieu de la rivière. Les travaux qu'on se propose d'exécuter auraient pour résultat d'augmenter la barre, que cela ne devrait pas vous empêcher de détruire la traverse de Villequier, parce que la barre, quand on l'attaque de front, dans son milieu, n'est pas très-dangereuse. Mais est-il vrai que la barre de la Seine produise les effets désastreux dont on vous a fait une peinture si animée? Je savais que j'aurais à m'occuper, comme député, de cette ques- tion. J'ai eu la curiosité de descendre la Seine et de la remonter avec un navigateur qui la descend et la remonte tous les jours, c'est le capitaine Bambine ; je l'ai prié de m' indiquer pendant toute la course quels étaient les ra- vages extraordinaires que la barre produisait. Eh bien, j'ai vu près de Villequier des jardins, des prés, séparés de la Seine par des murs de pierres sèches. H était évident, par la couleur des pierres et la nature des herbes c{ui les recouvraient, qu'elles étaient là depuis longtemps; ses effets ne sont évidemment dangereux sur les bords que pour un bâtiment échoué ; mais quand la barre rencontre un bâtiment flottant, le danger n'existe pas. Maintenant, avons-nous à redouter cjuc les digues submersibles, le rétrécissement proposé , augmentent la barre? Je ne le crois pas. Je le répète, la science ne NAVIGATION. 615 sait pas donner une explication satisfaisante, complète, du phénomène dont j'ai eu l'honneur d'entretenir la Chambre. Mais la science recueille les faits et les discute ; elle examine ce qui peut modifier, augmenter ou diminuer la barre. Or, il est évident qu'elle n'est dangereuse que là où il y a peu de profondeur d'eau. Il y a un fait certain qui résultera des digues longi- tudinales : c'est l'approfondissement du chenal ; par con- séquent, la barre y perdra sa hauteur. Qu'a-t-il pu se passer dans la Garonne depuis 1780? Un rétrécissement de la rivière. Je ne vois pas d'autres modification possible , d'autre modification acceptable que celle-là. Eh bien, cette modification a changé com- plètement fétat de la rivière, relativement au mascaret. On citait tout à l'heure Brémontier, un homme de mérite, un observateur fidèle, exact, qui ne se laissait pas aller à son imagination. Il a été chargé de surveiller la navigation de la Garonne très-longtemps, et voici ce qu'il rapporte dans un ouvrage que j'ai consulté encore ce matin, Brémontier dit, dans cet ouvTage de 1829, que, trente ans auparavant, le mascaret remontait beaucoup au-dessus de Bordeaux, jusqu'à Langon, et qu'il faisait tant de bruit en remontant, qu'on l'entendait à une lieue de distance. Maintenant, on ne l'entend plus : il a môme complètement disparu. Il ne reste plus de traces de ce phénomène redoutable. Quelle peut en être la cause? Voyons, cherchons par la pensée des modifications qui ont pu amener ce ré- (316 NAVIGATION. sulUit : je ne vois pas qu'on puisse s'arrêter à autre chose qu'à un rétrécissement de la rivière. C'est un rétrécisse- ment qu'on vous propose. Messieurs, je ne crois pas que les travaux qu'on veut faire soient des travaux dangereux; je crois que c'est un essai important ; je crois que vous approfondirez la rivi(3rc dans un passage diiïicile et qui intéresse au plus haut point la navigation. Je crois que vous n'ajoutez pas aux dangers de la barre. Je crois que la barre diminuera dans son ampli- tude ; je crois, d'ailleurs, qu'elle doit diminuer par la profondeur, comme toutes les expériences le montrent. Par conséquent, il n'y a pas de dangers dans le ti-a- vail que propose le gouvernement, et il y a des avantages manifestes. Je ne voulais parler que de la question technique que j'ai étudiée. Il me semble que les arguments que j'ai avancés sont décisifs; mais cpi'on me permette d'ajouter un mot, un seul mot, relativement à une considération qu'a fait valoir l'honorable M. d'Angeville. M. d'Angeville vous a dit : « Si vous améliorez la Seine, les navires remonteront jusqu'à Rouen; si vous ne l'améliorez pas, les navires ne remonteront pas jus- qu'à Rouen; ils s'arrêteront au Havre. Voilà toute la différence. » Cette différence m'a paru énorme. Dans le voyage dont je parlais tout à l'heure, j'ai consulté à Rouen les personnes les plus instruites, les plus au courant des affaires maritimes. Elles m'ont fait remarquer que le transport des marchandises, par un chemin de fer entre NAVIGATION. G17 Marseille et Rouen, sera un peu supérieur, avec tous les prix que vous connaissez, au transport des marchandises par le cabotage, si l'on n'est pas obligé de rompre charge au Havre ; elles ont ajouté, au contraire, que le cabotage sîntre la Méditerranée et Rouen pourra conserver toute 5on activité si les navires vont directement de Marseille à Rouen (C'est cela ! c'est cela ! ); tandis que si on est obligé de débarquer au Havre , le cabotage ne pourra pas être conservé, il sera tué par le chemin de fer. Eh bien, je regarde comme une chose d'une importance extrême que vous conserviez le cabotage comme un des éléments de l'inscription maritime. (C'est cela ! — Très- bien ! très-bien ! ) VllI SUR DES TRAVAUX A ENTREPRENDRE POUR AMÉLIORER LA NAVIGATION [Dans la séance du 30 mai 1833, :\I. Arago a signalé la nécessité d'achever divers travaux publics ; nous plaçons ici la partie de son discours relative aux travaux d'amélioration de la navigation. ] .M. LE Président. La suite de Tordre du jour est la discussion du projet de loi sur la demande de 100 millions, pour travaux à conti- nuer ou à entreprendre. La parole est à :M. Arago, premier orateur inscrit contre le projet. M. Arago. Le rapport de la commission ne nous ayant été remis que lundi, il nous a été impossible en trois jours d'en faire une étude approfondie. Je ne cite au reste cette circonstance que pour obtenir, s'il est pos- sible, l'indulgence de la Chambre. Je m'associe sans aucune réserve à l'idée qu'a eue M. le ministre de consacrer une partie des fonds de C<8 NAVIGATION. l'amorLissement à des travaux d'iililité publique, et sur- tout h des travaux d'achèvement. Je m'associe également de grand cœur à la pensée qu'a eue la commission de proposer quelques travaux nouveaux. Je désire seulement que nous ne fassions pas le deuxième tome des canaux. 11 me semble qu'il serait nécessaire que des projets nous fussent remis avec des plans, des devis et des études approfondies , de manière qu'on put juger l'étendue do la carrière dans laquelle on va s'engager. Parmi les travaux commencés qu'on propose d'ache- ver, il en est quelques-uns très-importants; mais il en est d'autres non moins utiles qui ont été oubliés. 11 eût été désirable que le ministre présentât un travail général, complet, appuyé de pièces détaillées ; et je crois qu'alors il aurait trouvé dans la Chambre très-peu d'opposition, non-seulement pour les projets cfu'il a proposés, mais encore pour d'autres travaux que je vais signaler. M, le ministre sollicite l'achèvement des monuments de Paris et plusieurs canaux. Je demande à mon tour pourquoi, dans le projet de loi, il n'a pas été question des ports, qu'il serait aussi important d'achever. M. LE MINISTRE DE l'intérieur. Cela concenie la marine. M. Arago. 11 en est plusieurs qui ne concernent pas la marine; il s'agit, au surplus, d'un projet général. 11 serait désirable qu'on achevât le port de Cherbourg, qui est commencé depuis 1786. Les Anglais ont terminé un travail de même natm'e en très-peu d'années, je veux parler du Breakwater de Plymouth. Vous savez que, dans le département de la Gironde, les dunes gagnent chaque année beaucoup de terrain. I NAVIGATION. 6<9 Le problème de les arrêter est complètement résolu ; mais à la condition d'agir activement et avec ensemble. Les travaux que Ton fait aujourd'hui, par leur peu d'im- portance, sont presque de l'argent perdu. Le port de Bayonne a une barre qui avance tous les ans. On est arrivé, tout porte à le croire, à une époque où ce mou- vement de progression deviendra très-lent ; il serait donc important que M. le ministre consacrât les fonds néces- saires à l'achèvement de ce port. J'arrive au golfe de Lyon : ce golfe forme un demi- cercle. En temps de guerre, l'entrée d'un des trois ports que ce golfe renferme, l'entrée de Marseille, est très- difficile. Je puis en parler par expérience, car j'ai été pris trois fois sur des bâtiments de commerce en voulant m'y réfugier. Eh bien, à l'extrémité du diamètre de ce golfe, il existe un port excellent, un port qui serait sans prix, si l'on consacrait à l'améliorer quelques parcelles du budget. Je vais citer à l'appui de ce que j'avance, l'opinion de l'illustre Vauban. Yoici ce qu'il disait dans un mémoire manuscrit que j'ai entre les mains : « Pour conclusion, je trouve pour la France tant d'avan- tage à améliorer Port-Vendre, que je vivrais cent ans et qu'on me fît faire cent voyages en Roussillon, je me ferais toujours un point de conscience de proposer une chose qui importe tellement au service du roi et de la France, qu'on ne peut sans indignation concevoir la nonchalance qu'on a eue pour ce port jusqu'à présent. » {Mémoire de Vauban du 2 mai 1679.) Si l'on trouvait quelque exagération dans les paroles 620 NAVIGATION. de Vauban, je dirais qu'aujourd'hui que nous possédons Alger, elles sont d'une vérité incontestable. Le Port- Vendre rendra très-facile, même en temps de guerre, nos communications avec l'Afrique; cinq ou six heures après être sorti de ce port, on se trouve dans les parages des îles Baléares. Ainsi, sans étendre mon énumératinn plus loin, je crois pouvoir reprocher au ministre de n'avoir pas présenté un plan général des travaux commencés, et qui auraient pu être achevés avec fruit; de ces travaux qui finissent par rapporter au centuple ce qu'ils ont coûté. On a proposé d'améliorer la navigation de la Saône. Personne, plus que moi, n'applaudirait à un pareil tra- vail; mais sur quel point porteront les améliorations? A-t-on des projets étudiés, arrêtes? Et, dans ce cas, sait-on si la somme demandée est suffisante? N'est-il pas vraiment étrange, quand on parle à la Chambre de la canalisation des rivières, qu'on ait oublié la Seine? M. le rapporteur sait mieux que personne que cette rivière est dans un état déplorable, qu'il serait très-urgent de s'en occuper. Dans les demandes de la commission, il est question de 500,000 ou 600,000 fr. destinés à des études de chemins de fer ; mais on a cité presque exclusivement le chemin de Paris à Marseille. Je ne doute pas que ce chemin ne soit très-utile ; tou- tefois il en est un autre qui serait probablement plus important encore. Je me rappelle avoir vu jadis, dans les mains d'un de nos ingénieurs les plus distingués, d'une des plus hautes notabilités dont le corps des ponts et NAVIGATION. 621 chaussées puisse se glorifier, dans les mains de M. Bris- son, le dessin détaillé d'un canal entre Paris et Stras- bourg. Au moyen de ce canal et d'après des études qui n'étaient pas seulement un avant-projet grossier, mais bien un système complet et étudié, si j'ai bonne mémoire, le transport des marchandises , entre la France et Stras- bourg, entre la France et le Rhin, serait moins coûteux que par la voie de la Hollande. Ce serait peut-être là une solution définitive de la question de TEscaut; ce serait le plus définitif de tant de protocoles dont on a parlé à cette tribune. Je le recommande à l'esprit ingé- nieux de M. le ministre du commerce ; il y aurait quel- que chose de piquant à terminer la question belge, au profit de la France, avec un chemin de fer ou avec lo canal Brisson. Je dirai , à l'égard des chemins de fer, que le rappor- teur me paraît avoir commis une erreur : peut-être était- elle inévitable lorsqu'il a fait son travail ; mais de nou- veaux renseignements sont arrivés depuis. M. de Bérigny insinue que les longs chemins de fer ne seront utiles que pour le transport des voyageurs. Voici les faits : j'ai en, ces jours derniers, sous les yeux, un document qui prouve que, sur le chemin de fer de Manchester à Liverpool, la valeur du transport dos marchandises, pendant le dei'nier trimestre, a correspondu à un revenu annuel de ti pour cent; le transport des voyageurs a donné à peu près le même résultat. Ainsi, les actionnaires auront 8 pour cent de leurs fonds. Je dirai quelques mots de la construction des machines à vapeur. 11 y a là une (iiieslion importante , qui se rat- 0,22 NAVIGATION. tache aux plus grands intérêts. Nous nous vantons sou- vent de l'état prospère de notre iiidiislric Cette prospé- rité ne s'étend pourtant pas jus({u't\ nos manufactures de grandes machines; ces manufactures sont très-arriérées. Ce n'est pas que nos ingénieurs manquent de mérite; au contraire, nous en avons d'extrêmement distingués : j'en connais personnellement sî^pt ou huit tout aussi habiles certainement que ceux dont l'Angletere se glorifie. Ils ne sauraient cependant exécuter de grandes machines au même prix que nos voisins. La raison en est bien simple : quand on commande une machine unique à un mécanicien, il est obligé de trouver dans les bénéfices de la construction les dépenses que la confection de tous les outils occasionne. J'ai eu sous les yeux un marché que le célèbre Maudlay contractait avec le gouvernement anglais; il pourrait se traduire ainsi : « Les objets que vous me commandez coû- teront cent francs si vous m'en demandez dix, cinquante francs si vous m'en demandez cent, et dix francs si vous m'en demandez mille. » Tout le monde comprend maintenant le pro])lème. Nos constructeurs exécuteront des machines de la plus grande dimension aussi bien que les constructeurs anglais, dès qu'ils seront outillés. 11 faut donc que le gouvernement leur donne la facilité de se procurer les moyens mécaniques dont la plupart manquent encore; je veux dire qu'il doit payer la plus- value des premières machines de nos artistes, plus-value ([lie les simples particuliers n'entendent pas supporter. Quel est le moyen? le voici : On a dit, en rendant compte des besoins de la marine, NAVIGATION. «i23 dans la dernière session, que le gouvernement anglais avait très-peu de bateaux à vapeur. On a dit vrai, mais la conséquence qu'on en tirait n'est pas tout à fait exacte. L'amirauté anglaise n'a pas dans ses arsenaux des bateaux à vapeur tout préparés pour l'éventualité d'une guerre; mais a-t-on oublié qu'elle pourrait disposer sur-le-champ de la multitude de grands bateaux qui sillonnent la Tamise, le canal de Saint-Georges et toutes les mers environnantes? j'ajouterai, et je crois être bien informé, que chez nos voisins, le gouvernement a fait faire d'im- menses machines; que ces machines sont en magasin, prêtes à être transportées sur des navires si la guerre venait à éclater. Eh bien , ce que l'Angleterre a fait, il faudrait que le gouvernement français le fît également. Il fournirait ainsi à nos artistes principaux, les moyens d'exécuter pour le commerce les plus grandes machines, qu'aujourd'hui il va chercher en Angleterre. Dans ce genre de choses. Messieurs, imitons nos voisins, nous nous en trouverons bien. 11 y a des industries dont le gouvernement ne doit point se mêler. L'horlogerie, par exemple^ sauf le cas tout particulier des chronomètres, lui est nécessairement étrangère; mais il n'en est pas de même des grandes machines. 11 a un intérêt immense, un intérêt national à ce que les constructeurs soient placés par une commande suffisante dans le cas de se pourvoir des moyens puissants à l'aide desquels on exécute des machines à vapeur de la force de cent à deux cents chevaux. [ M. Arago passe à la discussion de la question de la Bibliothèque royale et à celle des phares. Nous placerons ailleurs ces parties de son improvisation. ] 624 NAVIGATION. J'arrive maintenant aux travaux réclamés par M. le ministre du commerce. Je demanderai d'abord la per- mission de lui soumettre cjuelques doutes. M. le ministre veut faire exécuter sur-le-champ tous les travaux qui sont à Paris en cours d'exécution : c'est, je crois, l'expres- sion dont il s'est servi dans l'exposé des motifs. Reste à s'entendre sur sa portée. M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. NOUS aVOllS VOUlll parler de trois ans. M. Arago. L'observation que j'ai voulu faire n'en sub- sistera pas moins. Je ne voudrais point que les monuments fussent achevés dans un temps trop court. D'abord, les carrières actuelles pourraient à peine fournir aux besoins réunis des constructions entreprises par des particuliers, des grands travaux du gouvernement et de ceux de la liste civile. 11 en résulterait une augmentation exorbitante dans le prix des matériaux. Les ouvriers de Paris ne pouvant suffire à tous ces travaux, vous seriez obligés d'en faire venir un nombre considérable des départe- ments. Que le passé nous serve de leçon. Peu après la révo- lution de juillet, j'étais membre du conseil général du département de la Seine, et je n'ai pas pu oublier com- bien nous éprouvâmes d'embarras pour satisfaire aux besoins de tant d'individus étrangers à la ville de Paris et qui n'avaient pas d'ouvrage. Qui ne se rappelle le Champ -de -Mars gâté au prix de tant d'argent? Je le répète, Messieurs, si vous donnez un développement exagéré à vos travaux, vous nuirez d'une manière grave aux entreprises particulières ; vous verrez augmenter tous NAVIGATION. 623 les matériaux, la chaux, le moellon, le plâtre d'une ma- nière effrayante. Vous élèverez outre mesure le salaire des ouvriers; si cet état de choses pouvait durer longtemps, je m'associe- rais à vos vues, car toutes mes plus vives sympathies, je le déclare franchement, sont pour la classe ouvrière; mais au bout de trois ans , presque tous vos travaux cesseront, vous serez obligés de renvoyer de Paris une population factice que vous aurez créée inconsidérément. Beaucoup d'ouvriers qui, aujourd'hui, ont abandonné l'état de maçon ou de tailleur de pierres, qui sont devenus tisserands, laboureurs, gardes champêtres, surveillants dans des usines, quitteront ces positions modestes, car la prévoyance n'est pas notre qualité distinctive; ils viendront en foule à Paris, ne voyant que le bénéfice du moment. Eh bien, dans trois ans, ils n'auront plus d'oc- cupation. Qu'en ferez-vous alors? N'auront-ils pas le droit de dire que vous les avez trompés? Je crois qu'il est utile, je crois qu'il est nécessaire, non de faire dix bâti- ments sur-le-champ, mais de porter tous vos moyens, toutes vos forces, d'abord sm' un monument, et après l'avoir achevé, sur im autre. C'est ainsi , je crois, que Napoléon gagnait des batailles. En l'imitant , vous vain- crez l'inertie, la persistance et les caprices des archi- tectes. Cette marche, que j'approuve, peut très-bien se concilier avec la répartition des travaux sur plus de trois années. V.— II. 40 626 NAVIGATION. IX AMELIORATION DU PCRT DE CHERBOURG ET DE CELUI DE l'ORT-VENDr.E ' Personne ne s'associe plus vivement que je ne le fais au désir de la Chambre, de la France entière, de voir les grands travaux commencés à Cherbourg entièrement achevés. Je désirerais cependant que M. le ministre de la marine se décidât à faire examiner par une commis- sion ad hoc une question de la plus haute importance, celle de savoir si la digue de Cherbourg doit être conti- nue ou si plutôt il ne faudrait pas la tronçonner. Je sais qu'on pourra me répondre que des décisions formelles existent et qu'elles sont toutes favorables au genre de travaux qu'on exécute en ce moment. Mais les travaux hydrauliques doivent être rangés parmi les plus difficiles dont les ingénieurs aient à s'occuper ; il est impossible de prévoir, sans les études les plus sérieuses, ce qui se ma- nifestera dans une localité , en argumentant de ce qui est arrivé dans une localité différente. Et d'ailleurs, Messieurs, les travaux exécutés à Cette avec l'assentiment du con- seil général des ponts et chaussées, n'ont-ils pas eu des résultats déplorables? Le port de Cette s'envase journelle- ment, et si l'on n'y porte un prompt remède, il sera com- plètement perdu. Eh bien , je ne suis pas sans crainte sur la rade de Cherbourg. Vous le savez, Messieurs, les eaux que les 1. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés du 9 juin 1835. NAVIGATION. 627 courants transportent dans les ports, y arrivent ordinai- rement fort troubles, fort bourbeuses. Si, par des con- structions artificielles, vous amenez ces eaux à être par- faitement tranquilles, elles déposeront du sable, et le fond de la mer montera graduellement. Les anciens avaient déjà étudié cette question avec un grand soin. En parcourant dernièrement les côtes méridionales de l'Italie, des ingénieurs napolitains ont reconnu que par- tout où les Romains construisirent des môles à arceaux , les ports ont conservé une grande profondeur d'eau ; par- tout , au contraire , où les môles étaient continus , les eaux bourbeuses des courants ont déposé les sables qu'elles charriaient , et les ports n'existent plus ou sont inabordables. Je crains beaucoup, je le répète, que des effets de ce genre ne se manifestent à Cherbourg , si la digue est continue. Peut-être vaudrait-il mieux qu'elle fût tronçonnée. Je demande donc que cette question soit examinée avec le plus grand soin. J'entends quelques personnes s'écrier : Une digue tron- çonnée laissera aux vagues venant de la haute mer toute leur puissance ; je réponds que c'est une erreur. Une vague est comme une voûte : opérez une forte solution de continuité en quelques-uns de ses points et la vague entière s'abat. Sans doute, il resterait alors dans le port une certaine agitation ; mais c'est là précisément ce que je désirerais ; je voudrais que la mer fût constamment clapoteuse ; que les eaux, troubles à leur entrée, sortissent nécessaire- ment troubles; j'appelle sur cet objet toute l'attention de M. le ministre de la marine ; il ne faut pas que le fruit 628 NAVIGATION. des énormes dépenses ((u'on a faites et qu'on fait encore à Cherbourg soit un jour perdu. J'ai déjà eu l'occasion de parler à cette tribune d'un port situé sur la Méditerranée (voir p. 619) ; j'ai fait sentir combien il serait important de s'en occuper. Ce port, le Port-Vendrc, situé à l'extrémité d'un des diamè- tres du golfe de Lyon , a été récemment examiné par une connnission nommée par M. l'amiral Duperré; personne ne peut maintenant douter des avantages qu'il offrira au commerce et à la marine militaire ; tout le monde com- prendra combien, en temps de guerre, les communica- tions de ce port avec Alger seront plus faciles que celles de Toulon et de Marseille. Mes anciennes observations furent favorablement accueillies par M. l'amiral de Rigny; il voulut bien déclarer que le Port- Vendre avait une grande importance, et qu'il hâterait de tous ses efforts le moment oii l'administration s'en occuperait activement. (M. de Rigny fait un signe d'adhésion.) Eh bien , Mes- sieurs, à cette époque on ne croyait pas que le Port- Vendre pût recevoir des vaisseaux de ligne ; cette possibi- lité est aujourd'hui établie sur des preuves irrécusables. Des travaux qui ne seront ni d'une grande difficulté ni d'une dépense qui doive effrayer, nous doteront d'un second port militaire dans la Méditerranée. Je prie donc M. le ministre de la marine de vouloir bien au plus tôt, je veux dire l'année prochaine, faire figurer le Port-Yendre parmi les travaux hydrauliques qui s'exécutent sur les fonds de son budget. Je le prie aussi de ne pas perdre de vue la commission dont je sol- licite la formation , et qui aurait pour mission d'examiner NAVIGATION. 629 définitivement si la rade de Clierbourg peut être fermée par une digue continue , sans qu'il en résulte des envase- ments rapides. [ Après la réponse de M. Tupinier, commissaire du roi , M. Arago a ajouté : ] Dois-je répéter, Messieurs, que c'est avec l'assentiment du conseil des ponts et chaussées et contre l'avis d'un ingénieur qui était sur les lieux, qu'ont été exécutés les travaux du port de Cette? Je n'entends pas induire de là qu'il faille en toute circonstance se méfier des avis de ce conseil pour lequel je professe la plus grande estime; mais les travaux hydrauliques , ceux surtout qu'on exé- cute dans les ports , exigent une expérience et des con- naissances dont des ingénieurs, fort habiles d'ailleurs à d'autres égards, peuvent être dépourvus. J'ose donc prier M. le ministre de la marine de bien peser les observations que j'ai eu l'honneur de lui soumettre. Il n'y aurait au- cune honte à revenir sur d'anciennes décisions; ce n'est que depuis quelque temps, en effet, qu'on a senti combien il est important de laisser aux eaux dans les ports une certaine agitation ; il y a là, pour Cherbourg, j'ose l'affir- mer, matière à un examen très-sérieux. X AMÉLIORATION DU PORT D ' A L G E R [Dans la séance du 27 mai 18-'i2, M. Arago a prononcé le discours .suivant : ] Messieurs, le port d'Alger était extrêmement mauvais lorsque j'avais le malheur d'être embarqué sur des bâti- 630 NAVIGATION. mciils algérien^, en 1808 et 1809. (Exclamation aux centres. ) C'est un malheur dont jo n'ai pas à rougir, je remplissais une mission que le gouvernement français m'avait confiée, lorsque je tombai dans les mains des Algé- riens. Le port d'Alger était alors très-mauvais. 11 y avait par certains vents un ressac considérable vivement qua- lifié par un dicton africain qui ne s'est jamais effacé de ma mémoire. (Bruit.) Toutes les fois que le vent du nord, le vent venant de Mayorque commençait à souffler, les Algériens s'écriaient : « Voilà le charpentier mayorcain qui va travailler. » Effectivement, les bâtiments du port, .jetés les uns sur les autres, étaient mis en pièces. Depuis les travaux de M. Poirel, depuis que la digue a été un peu prolongée par les moyens extrêmement ingé- nieux que la Chambre connaît , les résultats ont été très- favorables. Je ne m'en fie pas à mes lumières personnelles pour décider quelle sera dans l'avenir la valeur du port d'Al- ger. On a cité tout à l'heure, et avec beaucoup de raison, l'opinion d'un de nos collègues actuellement absent , de M. Le Ray; je puis m'étayer, moi, d'une opinion qui n'est pas au-dessous de celle de M. Le Ray, de l'opinion de M. le capitaine de vaisseau que l'administration a chargé de la carte hydrographique de la côte d'Afrique, de l'opinion de M. le capitaine de vaisseau Bérard , de celui-là même enfin , auquel M. le ministre de la marine vient de donner le commandement de la station de la Nouvelle-Zélande. M. le capitaine Bérard m'a formellement autorisé à dé- clarer, ayant eu l'occasion d'entrer dans le port d'Alger et d'en sortir par tous les temps possibles, que la largeur NAVIGATION. 631 de 200 mètres, conservée au musoir par M. Poirel, est complètement suffisante. M. le ministre des finances disait tout à l'heure que cette entrée de 200 mètres mettrait les navires qui vou- draient entrer à Alger dans l'obligation de longer la côte de trop près ; cela n'est pas exact : j'en appelle au meil- leur juge en pareille matière, à l'officier qui a fait la carte de l'Algérie. L'entrée projetée est parfaitement suffisante, et , quand on sort du port, il est facile de doubler le cap Caxine par une seule bordée. Jetons un coup d'œil sur des ports célèbres. Quelle est l'entrée du port de Marseille? 100 mètres. Des rochers la réduisent considérablement. Quelle est l'entrée du port du Havre? Une cinquantaine de mètres. Quelle est l'en- trée du port Mahon, ce port si célèbre? 300 mètres, avec notable réduction par des roches. Gomment, en présence de tous ces chiffres, pourrait- on soutenir que 200 mètres ne suffiront pas à Alger ? Messieurs, on a parlé de rade. Il n'y a qu'à regarder un atlas pour voir que ni le projet Piaffeneau ni le projet Bernard ne procureront de rades proprement dites. Une rade, c'est un espace immense. Le projet Raffeneau donnerait au port d'Alger une étendue de 3/i hectares ; le projet Bernard de 18 hectares. La surface de la rade de Cherbourg est de 500 hec- tares; celle de la rade de Toulon de plusieurs milliers d'hectares. Voilà des rades véritables; à Alger, vous n'au- rez jamais rien de pareil. Messieurs , il y a entre les trois projets des différences immenses , mais elles tiennent seulement à la profondeur 632 NAVIGATION. de la mer dans les points où Ton se propose de travailler. Cette profondeur, pour peu qu'on s'écarte de la direction tracée par M. Poircl , devient très-grande , et l'on se trouve tout à fait en dehors du cadre des travaux exécu- tés jusqu'ici. Dans le projet Poircl, la profondeur de l'eau, au mu- soir, serait de 20 mètres ; le long de la jetée de 15 à 17. C'est déjà énorme, et si M. Poirel n'avait pas employé des procédés de fondation par blocs en béton extrêmement ingénieux, de son invention, et pour lesquels l'Académie des sciences, sur un rapport de M. Coriolis, lui a rendu pleine justice, il n'aurait pas réussi. Dans le projet Bernard, vous avez des profondeurs de 20, de 23 et probablement de 30 mètres. Le projet de M. Raffeneau vous offrira, dans la longueur de la jetée, 22, 27 et 33 mètres. Vous voilà dans l'inconnu; vous allez désormais tenter des aventures. Il y a une considération dont la chambre ne fait jamais abstraction, c'est celle de la dépense. M. Bernard, au mérite duquel tout le monde rend hommage, a bien senti que, si l'on voulait faire sa jetée économiquement, on serait obligé d'employer des pierres de petit échantillon. Ce noyau , on le revêtirait ensuite de gros blocs, d'après le procédé de M. Poirel. Mais ne serait-il pas possible qu'avant l'opération du revêtement, le noyau fut enlevé, et toutes les pierres dispersées dans le port et dans la rade? (Dénégations au banc des ministres.) Les déné- gations qui m'arrivent du banc des ministres m'imposent le devoir de montrer c|ue mes préoccupations ne sont pas sans fondement. NAVIGATION. 633 La plupart des ingénieurs croient, je le reconnais, que la mer n'est jamais agitée à une grande profondeur. L'expérience de Saint-Jean-de-Luz aurait dû cependant les détromper. J'affirme , en tous cas , que la mer est agitée , que même elle éprouve de grands déplacements à des profondeurs énormes. Les courants n'étaient jusqu'ici , aux yeux des naviga- teurs, que des rivières superficielles. Il y avait dans cette opinion une immense erreur. En discutant les observa- tions recueillies pendant le voyage de la Vénus, sous le commandement de M. Dupetit-Thouars, nous avons reconnu, M. de Tessan et moi, que, sur la côte du Chili, la mer tout entière , la mer jusqu'aux plus grandes pro- fondeurs, s'avance majestueusement du midi au nord. La Méditerranée a des courants du même genre. Je vais le prouver par un fait. iXous étions sous Louis XIV en guerre avec la Hol- lande. ( Interruption au centre. ) Je ne comprends pas l'interruption. Je me propose de prouver que M. Bernard, malgré son talent, malgré son mérite reconnu de tout le monde, a pu se tromper essentiellement dans les évalua- tions d'après lesquelles il a peut-être entraîné l'opinion du conseil d'amirauté. Je veux prouver que le projet de fonder la digue sur de petites pierres peut être extrême- ment dangereux ; que la mer pousse quelquefois devant elle des corps d'un poids énorme qui reposent sur son fond ; je m'appuierai sur un fait que j'ai trouvé dans un des plus anciens volumes des Traiisactions philoso- phiques de la Société royale de Londres. Je reprends : nous étions en guerre avec la Hollande. 634 NAVIGATION. Un corsaire , sorti de Marseille , poursuivait un bâtiment hollandais chargé d'huile, et qui marchait, toutes voiles dehors, vers Tanger. Le corsaire atteignit le bâtiment, brisa sa poupe et le coula à fond. Le corsaire ayant eu des avaries, marcha à l'ouest et entra à Tanger pour se radouber. Remarquons ceci , Messieurs : la prise coulée lui arriva un jour après. Un courant sous-marin l'avait portée de l'est à l'ouest jusqu'à Tanger. Je pourrais citer bien d'autres preuves à l'appui de mon opinion ; mais je m'en abstiendrai , puisque la chambre est fatiguée et impatiente. J'ajouterai une seule remarque : quand on a comparé , sous le rapport de la grandeur, le port de M. Poirel au port de ses concurrents, on n'a tenu compte que de l'étendue superficielle géodésique ; en comparant deux ports, il faut cependant donner une grande attention à l'état de la mer. Si la mer est tranquille, comme à Mar- seille, les bâtiments peuvent se toucher sans inconvé- nient; si la mer est agitée, il est évident que l'on doit les espacer. Eh bien. Messieurs, si l'ouverture du port d'Alger n'est que de 200 mètres, comme le veut M. Poirel , l'éten- due sera suffisante d'après les calculs de l'homme le plus compétent sur cette question, de M. le capitaine Bérard ; vous aurez dans le port une mer tranquille ; donnez à l'ouverture des largeurs de /lOO ou de 600 mètres, et comptez, comme disent les Algériens, que le charpentier mayorcain se montrera. Malgré une étendue superficielle en apparence plus considérable, vous aurez en réalité une étendue utile beaucoup moindre. NAVIGATION. 635 Si la Chambre était appelée à voter, je n'hésiterais pas un instant , d'après toutes ces considérations , à deman- der la continuation du travail de M. Poirel. XI ORGANISATION DU CORPS DES INGÉNIEURS HYDROGRAPHES '. Messieurs, parmi les corps entretenus par l'Etat, il en est un qui a pris pour devise la contre-partie d'un adage vulgaire ; il fait , lui , beaucoup de besogne et (res-peu de bruit. Le corps dont je veux parler est celui des ingé- nieurs hydrographes; et cependant à son occasion , il y a dans le rapport de la commission du budjet un passage qui me paraît devoir frapper de découragement toutes les personnes dont il est composé. Je demande à la Chambre la permission de lui en don- ner lecture. « Votre commission a dû voter le crédit sans hésiter ; mais elle s'est préoccupée de la question de savoir si, après l'achèvement de la reconnaissance hydrographique des côtes de France, la marine devrait entretenir, au dépôt des cartes et plans , un personnel aussi nombreux que celui qui vous est aujourd'hui proposé. « Elle considère que , dès à présent, nul accroissement de ce personnel ne serait admissible , le dépôt pouvant s'aider, et s' aidant en effet avec succès, de la capacité spéciale de ceux des officiers de la marine qui se sont 1. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés cUi 5 juin 1837. 636 NAVIGATION. adonnés plus particulièrement à la levée des cartes et des plans. « Elle s'étonne que l'organisation du corps des ingé- nieurs hydrograplies soil telle, que le dernier élève doive, avec l'aide du temps, arriver infailliblement à l'emploi d'ingénieur en chef. » Vous le voyez , Messieurs , d'après le sens littéral de ce passage, aussitôt que la carte des côtes de France sera terminée, le corps des ingénieurs-hydrographes devra être réduit. Je ne veux pas m' arrêter à une pensée pénible ; la commission n'a pas pu vouloir dire que la réduction ([u'clle suggère s'opérerait par voie de congé , elle a entendu sans doute qu'il faudrait attendre l'effet des extinctions naturelles. M. LE Rapporteur. Sans doute. M. Arago. Eh bien, je dis, moi, que les nécessités du service ne doivent pas conduire à ce résultat ; et j'ajoute que la phrase du rapport, contre laquelle je réclame, aura pour conséquence nécessaire de faire abandonner ce corps par les personnes les plus capables ; je dis qu'elle portera le découragement dans l'esprit de toutes celles (]ui le composent. Voyons, au surplus, quel est l'elTectif du corps des ingénieurs-hydrographes; il doit être bien nombreux, puisqu'on en propose la réduction. Voyons s'il est inutile aujourd'hui ou s'il le deviendra dans la suite. Il y a en France vingt ingénieurs hydrographes ou élèves. Dans ce nombre figurent un ingénieur en chef et un ingénieur en chef-adjoint. Je les nommerai ; car ce sont des notabilités dans la marine et dans le monde NAVIGATION. 637 entier ; l'ingénieur en chef est M. Beautemps-Beaupré ; Tingénieur-adjoint , M. Daussy. Vous avez ensuite quatre ingénieurs de première classe, quatre de seconde, six de troisième, deux sous-ingénieurs et deux élèves, au total vingt personnes ; c'est donc sur vingt personnes qu'on fciit planer une menace de réduction qui n'est vraiment justifiable à aucun titre. Vous avez maintenant le personnel sous les yeux ; fai- sons un pas de plus, et voyons à quelle dépense annuelle il donne lieu. Cette dépense est de 67,000 fr. L'ingénieur en chef, M. Beautemps-Beaupré, reçoit 7,000 fr. ; l'ingé- nieur adjoint, 5,000 fr. ; les ingénieurs de 1" classe, ont 4,500 fr. ; les ingénieurs de 2" classe, 3,500 fr. ; les ingénieurs de 3* classe, 2,500 fr. ; les sous-ingénieurs, 2,000 fr. ; les élèves, 1,500 fr. ; vous le voyez, les ingé- nieurs-hydrographes ne sont pas richement rétribués. Examinons maintenant si les ingénieurs-hydrographes sont inactifs ; car s'ils n'avaient rien à faire, malgré le peu qu'ils coûtent, on devrait les supprimer. Eh bien, en peu d'années ils ont publié, non pas comme com- pilations, mais comme résultat de leurs propres travaux, quatre-vingt-dix-neuf grandes cartes, cent soixante-douze vues de côtes prises sur les dangers, quatre-vingt-onze fableaux d'observations des marées. Tous ces travaux sont exécutés avec une précision extrême et par des méthodes nouvelles. Je ne crois pas que , parmi les corps les plus privilégiés, aucun puisse présenter de meilleurs titres à la reconnaissance publique. On a dit que les ingénieurs hydrographes n'auront plus rien à faire aussitôt que les cartes qu'ils exécutent en C38 NAVIGATION. ce moment, les cartes de nos côtes occidentales seront terminées; il paraîtrait, en elTct, que d'après raclivitc quon y apporte, cet ouvrage sera fini dans deux ans. Mais M. le rapporteur de la commission sait aussi bien que moi que les travaux hydrographiques sont la toile de Pénélope, que c'est toujours à recommencer. Sans doute les gisements des caps, des rochers, des écueils, resteront toujours les mêmes ; mais n'y a-t-il pas des bancs de sable continuellement changeants? Ainsi le cours de l'Adour et son embouchure, le cours de la Gironde et son embou- chure, l'embouchure de la Seine, nos côtes depuis Fécamp jusqu'à Dunkerque, auront besoin d'être sondées d'année en année. Veuillez considérer. Messieurs, que dans l'état présent des choses, l'administration est souvent amenée à entreprendre certains travaux hydrauliques sans avoir recueilli sur leur utilité des données suffisantes. Supposez, par exemple, qu'un ingénieur-hydrographe eût étudié l'efïet des courants et des tempêtes autour du port de Cette et à l'embouchure de la Somme , croyez-vous que l'administration des ponts et chaussées serait alors tom- bée dans les fautes que tout le monde lui reproche ? Assu- rément non. 11 serait utile, très-utile de faire toujours précéder les travaux exécutés dans nos ports, des recher- ches auxquelles la vieille expérience des ingénieurs- hydrographes les rend éminemment propres. Ainsi, Messieurs, quand on a parlé du très-court inter- valle dans lequel serait terminé le travail de la carte de France, on s'est fait illusion, puisque je viens de signaler la nécessité d'en reprendre certaines parties en sous- ceuvre, presque chaque année ; n'est-il pas étrange, au NAVIGATION. 639 surplus, qu'on ait oublié la Méditerranée? est-ce, par hasard, que sur cette mer des cartes hydrographiques seraient inutiles ? Permettez, Messieurs, que j'ajoute que les ingénieurs- hydrographes ne sont pas seulement chargés du levé de nos côtes. Leur mission, aussi, est de pourvoir la marine de cartes générales, qui soient à la hauteur des connais- sances. Les cartes , qui mieux que nos ingénieurs pourrait les rédiger? ne confiez jamais un pareil travail à ces dessinateurs qui, de leur propre autorité, s'intitu- lent géographes, car ils ne savent pas faire un choix éclairé entre les différentes observations c|u'on leur four- nit ; ceux-là seulement qui ont observé en mer peuvent ne pas s'égarer dans le dédale presque inextricable de chiffres au milieu duquel un géographe est obligé d'opé- rer. Quand nos ingénieurs seront déchargés, en partie du moins, des observations pénibles qu'ils font actuellement à la mer, pendant cinq ou six mois consécutifs; quand ils pourront travailler toute l'année au dépôt de la marine, ils publieront un plus grand nombre de cartes générales à l'usage des bâtiments de guerre et du com- merce. Aujourd'hui, ces publications sont très-arrié- rées et laissent beaucoup à désirer. Il faut les amener au niveau des connaissances actuelles. J'ai parlé seulement, jusqu'ici, des travaux exécutés sur nos côtes et que tout le monde connaît. Traversons les mers, et partout nous rencontrerons encore des ingé- nieurs hydrographes se signalant par leur zèle et par leur habileté. Quand l'amiral Roussin exécutait ses belles cartes 640 NAVIGATION. hydrographiques du Brésil, son excellent travail sur la côte occidentale d'Afrique, il avait pour collabonilour un hydrographe, M. Givry, qui lui était du plus grand secours. Ces jours derniers, il a été longuement question ici de la Martinique et de son sucre; eh bien, l'autorité aussi s'est occupée du commerce de cette île, car elle en a fait dresser la carte hydrographique; ce travail plein de mérite est l'œuvre de deux ingénieurs hydrographes, MM. Meunier et Bourguignon-Duperré. La Bonite, qui est récemment partie pour un très- grand voyage, compte dans son état-major un ingénieur hydrographe dont les travaux, j'en ai la conviction pro- fonde, ne resteront pas en arrière de ceux de ses devan- ciers. Naguère, je le dis avec une vive satisfaction, la marine a fait faire avec une rare perfection la carte hydrographique de toute la côte de l'Algérie; le bâtiment consacré à cette grande opération était commandé par M. Bérard. Un ingénieur hydrographe, M. de Tessan, le môme qui vient de s'embarquer avec le capitaine Dupetit- Thouars, le secondait. Au besoin, je trouverais encore les ingénieurs hydrographes avec M. Barrai, dans le Bio de laPlata; avec M. Vanhello, travaillant à la grande carte des atterrages de nos côtes. Je pourrai enfin vous les montrer faisant face partout aux justes exigences de notre marine militaire et marchande. Il doit donc m'être permis de regretter que, contre la véritable pensée de la commission et de son organe , il se soit glissé dans le rapport une phrase qui, si elle n'était expliquée , porterait le découragement dans un corps cpi NAVIGATION. 644 est digne de toute l'estime du gouvernement , de la Chambre et du pays. Messieurs, je viens de rendre, autant que cela dépendait de moi , un hommage sincère aux travaux des ingénieurs hydrographes. Si cela était nécessaire, je pourrais for- tifier tout ce que j'ai articulé, par l'opinion des étrangers. 11 est bien rare, dans l'état actuel du monde, qu'un pays puisse, en quoi que ce soit, dire sans hésiter qu'il est au premier rang. Prétendez-vous à ce privilège en chimie, vos adversaires citeront un savant Suédois; parlez-vous de mathématiques, on vous oppose des noms allemands, et ainsi de suite pour chaque branche des connaissances humaines. Eh bien, ce premier rang si envié, si contesté, vous pouvez vous l'attribuer hardiment en hydrographie; les étrangers eux-mêmes vous l'accordent. J'ai reçu naguère du chef si distingué du bureau hydro- graphique de l'amirauté anglaise, de M. le capitaine Beaufort une lettre dans laquelle il proclame hautement que les travaux hydrographiques exécutés , sous la direc- tion de M. Beautemps-Beaupré, par le corps des ingé- nieurs hydrographes sont les plus parfaits qu'on con- naisse ; M. Beaufort ajoute que tous les hydrographes du monde sont maintenant les élèves, je rapporte ses propres expressions, les élèves des hydrographes français. Je me suis flatté. Messieurs, qu'en vous entretenant d'un corps distingué, composé de vingt individus, et qui ne figure d'ailleurs au budget que pour la somme si minime de 67,000 francs; d'un corps qui s'est déjà rendu si utile , et qui pourra encore l'être davantage si V.— II. hi (•,42 NAVIGATION. on sait roccnpcr convenablement; j'ai pensé, qu'en le défendant devant vous quand il se croyait , qu;ind il devait se croire menacé, la Chambre ne troiivei'ait pas mes réclamations inopportunes. (Très-bien! très-i)iei) ! ) A la tète du corps des ingénieurs hydrographes, figu- rent aujourd'hui quatre ou cinq personnes qui ont con- (juis cette position élevée par une longue expérience, p.ir des voyages de long cours, par des études profondes. Le reste du corps se compose d'élèves sortis de l'École polytechnique. Le passage du rapport contre lequel j'ai réclamé, auquel on a attribué, je me plais à le croire, un sens qu'il n'avait pas, a produit un fâcheux effet dans une certaine classe d'élèves de la marine. J'appelle l'at- tention de M. le ministre de la marine sur ce fait qui me paraît très-grave. Vous avez décidé. Messieurs, que tous les ans quatre élèves de l'École polytechnique pourraient entrer dans la marine. Ceux qui choisissent cette carrière sont souvent au premier rang dans les listes générales du mérite ; leur zèle ne saurait être mis en doute; leur instruction est peut-être plus étendue , sous le rapport scientifique , que la marine ne l'exige. Mais, en ce genre, ce qui abonde ne vicie pas; les services qu'ils rendent ne sont pas con- testés, et cependant on les traite plus déforablement que s'ils étaient entrés dans l'artillerie ou dans le génie. Dans ces deux armes, après deux ans d'études à l'École d'ap- plication de Metz et l'examen de capacité qui les ter- mine, un élève est de droit lieutenant en second; dans la marine, il faudrait, pour l'égalité d'avantages, qu'après deux ans de navigation et l'examen de capacité, l'élève NAVIGATION. 643 de première classe sortant de l'École polytechnique fût, de droit, enseigne de vaisseau. Cela se pratiquait ainsi jadis ; maintenant on a changé. AI. Le Ray. Je prie l'honorable orateur de me permettre une observation. Les élèves sortant de l'École polyteclmiqne au moment où ils sont élèves de première classe sont faits lieutenants ; ils ne sont pas plus maltraités que les élèves sortant de l'École d'applica- tion de Metz. M. Arago. Jusqu'ici, je le répète, les élèves de l'École polytechnique, après deux ans de navigation et un examen de capacité, recevaient immédiatement le titre d'enseigne de vaisseau; dans la dernière promotion on les a traités plus défavorablement. ^L LE Ministre de la mariine. II y a eu trop-plein. M. Arago. Je l'accorde; mais les rangs ont été inter- vertis; des élèves de l'École polytechnique sont restés élèves, tandis que des candidats plus jeunes qu'eux ont été élevés au grade d'enseigne. M. LE Ministre de la marine. Il n'y a pas eu la moindre injustice, je puis le certifier ; tous ont été placés à leur rang. Il n'y a pas eu d'injustice, je le répète. M. Arago. Je suis bien aise d'entendre cette déclara- tion de M. le ministre. 11 en résulte que si l'injustice que je signale est réelle, comme j'ai tout lieu de le croire, elle a été le résultat d'une erreur et qu'elle sera réparée. ;\I. LE ;\IiNisTRE DE LA MARINE, il y a uu trop grand nombre d'élèves pour remplacer les vacances dans le cadre des officiers. Cela provient de ce que pendant quelque temps on a pris à l'École navale au delà du nombre nécessaire. Maintenant on n'admet plus ({ue ce qu'on doit supposer nécessaire à remplacer les extinctions. Depuis quatre ans on n'a admis que quarante-cinq à cinquan!e jeunes gens à l'École navale de Brest, et c'est à peu près ce qui entre dans le corps des officiers. Et lorsque ce que j'appellerai le Cil NAVIGATION. trop-plein sera sorti , je puis assurer que les élèves arriveront au bout de trois ans au grade d'enseigne de vaisseau. M. Arago. Je me répète : en voyant pour la première fois que, après deux nn.^ de navigation et un examen de capacité, ils n'étaient plus admis de droit au grade d'en- seigne de vaisseau, les élèves de la marine, anciens élèves de l'École polytechnique, s'étaient abandonnés h un dé- couragement qui disparaîtra , j'espère , après les explica- tions et les promesses de M. le ministre. XII SDR l'antipathie CONTRE LA SCIENCE d'UNE PARTIE DE l'administration DE LA MARINE ' Il y a dans l'administration delà marine (remarquez, Messieurs, que je ne dis pas chez les ministres), une antipathie contre la partie savante du service nautique qui est vraiment inexplicable. Je pourrais ajouter que cette antipathie est une ingra- titude. Que seriez-vous donc sans ce que les sciences ont produit? La forme de vos instruments, c'est la science qui vous l'a donnée ; les admirables bâtiments avec lesquels on peut faire à bord d'un navire , au plus fort de la tem- pête, des observations presque aussi exactes que si l'on était à terre sur un sol immobile, à qui les devez-vous? Si vous garantissez vos bâtiments des ravages du ton- nerre; si, aujourd'hui, vous conservez l'eau pure dans les voyages de long cours ; si vous emportez des aliments 1. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés du 5 juin 1837. NAVIGATION. 045 sains, délicats, pour vos tables, et, ce qui est plus important , pour vos malades , à qui en êtes-vous rede- vables? Et les bateaux à vapeur, cette merveilleuse invention , destinée à changer toutes les relations mari- times, et qui nous rendra si puissants si nous savons en Jrer parti, à qui le devez-vous? Il faut bien vous rési- gner à l'entendre, vous les devez exclusivement aux hommes de science. J'ai dit. Messieurs, que l'administration de la marine montrait une antipathie incroyable contre les services scientifiques de l'art naval. L'accusation est grave, je pense devoir la justifier par quelques faits. J'ai entendu de mes oreilles M. le ministre de la marine (ce n'est ni l'amiral Rosamel ni son honorable prédéces- seur) dire, dans une occasion solennelle : « La marine est empestée de science ! » et cela , quoiqu'il fût lui-même une preuve éclatante du contraire. (On rit.) La Chambre s'est occupée avec une sollicitude dont la France et l'Europe entière lui ont rendu grâce, du sort du malheureux Blosseville. Ce n'est pas dans les mers polaires cjue cet excellent officier avait débuté. Fort jeune, il avait fait un voyage autour du monde; plus tard, il s'était embarqué pour l'Inde sur la corvette le Loiret. Dans le cours de ce dernier voyage , après avoir satisfait chaque jour avec une exactitude scrupuleuse à tous les devoirs de sa position, au lieu de rester inactif, au lieu de fumer sa pipe, au lieu de jouer aux échecs ou aux dames , il se livrait avec ardeur à des recherches nauti- ques ou météorologiques, à des recherches de physique générale et môme d'histoire naturelle. Les médecins ou GiG NAVIGATION. pharmaciens du bord, des timoniers, de simples matelots, s'associèrent à ce travail. Le candide jeune homme revint en France, tout glorieux de la riche moisson qu'il avait faite. A la marine on n'en fit aucun cas : on ne l'invita même pas à la déposer aux archives. Loin de là, on poita la iVauchisc jusqu'à lui dire : « Vous êtes perdu si vous continuez vos observations; voulez-vous avancer, faites oublier votre voyage du Loiret. » Blosseville me confia les registres de son voyage de rinde, lorsqu'il partit pour la déplorable expédition du Nord, mais à la condition expresse (de laquelle son avancement semblait dépendre) que je ne les ferais con- naître que dans le cas oii il lui arriverait malheur. Si je peux les publier, le monde savant appréciera tout ce qu'il y avait d'avenir dans cet excellent officier. Blosseville suivit le conseil qu'on lui avait donné; il alla à Toulon, et cette fois il ne fit pas la plus légère observation scientifique. Cela commença à le rchabihter. ( Mouvement. ) Plus tard, Blosseville partit pour la Grèce; là, le désir de se rendre utile l'emporta sur la prudence. 11 descendit dans quelcjucs îles sur plusieurs points de l'Asie Mineure, et y détermina, en cachette, les divers éléments du magnétisme terrestre. Les documents obtenus ne furent point communiqués à la marine; j'en suis le dépositaire. Je regrette d'être amené à divulguer de si tristes choses; mais il faut bien les faire connaître pour que l'opinion publique puisse les frapper de sa réprobation. N'est-il pas étrange, en vérité, que certaines personnes soient arrivées à croire qu'on n'est plus en état de jouer NAVIGATION. 647 un rôle convenable dans les batailles dès qu'on s'est occupé de science? Eh! Messieurs, les anciens travaux hydrographiques de M. l'amiral Roussin rempcchèrent- ils donc de forcer l'entrée du Tage? (Très-bien! très- bien ! ) Si on le désire, j'envisagerai la question par une autre face. Demandez à la marine de citer les expéditions dans lesquelles l'intervention des savants a été nuisible. Qui saurait, en ce moment, qu'il existe un bâtiment de l'État qui, sous le nom de Bonile, fait un voyage de circum- navigation, si l'Académie des sciences ne lui avait donné des instructions, si elle ne lui avait tracé un cadre de recherches? N'est-il pas d'ailleurs arrivé souvent que l'administra- tion de la marine a organisé ses expéditions d'après ses propres idées, sans aucune intervention des corps aca- démiques? A-t-on fait alors des merveilles? Tout le con- traire; ces expéditions n'ont produit que de très-minces, de .très-insignifiants sésultats. Voyez , par exemple , le voyage de la Favorite par le capitaine Laplace, ce voyage est certainement très-amu- sant, très-curieux; mais quant aux renseignements nau- tiques, on n'y trouve presque rien. J'ai parcourti avec le plus grand soin les quatre volumes dont il se compose, et je n'y ai pas aperçu une seule observation sur la température de la mer; et cependant la température de la mer n'est pas seulement une donnée scientifique, elle intéresse au plus haut degré la navigation. C'est par des observations de la températui e de la mer que l'on résoudra tôt ou tard le problème, jusqu'ici inextricable, des courants; c'est 6i8 NAVIGATION. p;ir là qu'on arrivera à savoir d'où ils partent et où ils vont. De tous les instruments nautiques, celui qui rend les plus grands services est certainement la boussole; mais la boussole n'est guère employée aujourd'hui que pour s'orienter : un jour on la verra employée dans un autre but. Il suffira d'un mot pour qu'on puisse comprendre mon idée. Une aiguille aimantée suspendue par son centre de gravité s'incline à l'horizon ; cette inclinaison change avec les lieux. Les variations de l'inclinaison pourront donc servir à découvrir de combien un navire aura mar- ché, et cela par un temps couvert, sans que les astres aient besoin d'être visibles. L'inclinaison jouera tôt ou tard un rôle important dans la navigation. Eh bien, par- courez le voyage de la Favorite, et vous n'y trouverez pas une seule observation de cette espèce. Cela n'a certai- nement pas tenu à un manque de capacité des officiers; cela vient de ce que l'expédition a été préparée à huis clos dans les bureaux de l'administration de la marine ; cela vient de ce qu'elle est partie sans recevoir de l'Aca- démie des sciences des instructions qui eussent certaine- ment ajouté à sa renommée. J'entends d'ici ceux qui ne peuvent nier l'exactitude de mes critiques , s'écrier que je fais de l'histoire an- cienne : cela était, dira-t-on, mais cela n'est plus! Ma réponse est toute prête : cela est aujourd'hui autant et peut-être plus que jamais. Ne vient-on pas d'envoyer deux grands bâtiments parcourir le monde? Eh bien , leur départ a été tenu secret; il ne fallait pas éveiller l'attention des savants. Le commandant d'une des deux NAVIGATION. 649 frégates n'a pas soufflé mot; aussi est-il parti sans emme- ner d'ingénieurs hydrographes : l'avenir montrera les conséquences de cette négligence. L'autre est venu me consulter; il demandait un programme. Je parlai aussi- tôt de l'Académie des sciences : « Ah ! gardez-vous bien de la consulter, repartit-il, vous me feriez peut-être enle- ver mon commandement. » L'antipathie dont je vous ai déjà si longuement entre- tenus se fait jour à l'occasion de tous les genres de tra- vaux. En voici un nouvel exemple. Vous savez qu'il arrive rarement qu'on puisse alimenter les chaudières à vapeur avec de l'eau pure ; l'eau alimen- taire est ordinairement séléniteuse , elle renferme du sul- fate et du carbonate de chaux. L'eau pure s'évapore seule; les sels se précipitent, s'attachent à la chaudière, et forment intérieurement une enveloppe pierreuse, épaisse ^. Ce que je viens de dire est plus vrai encore quand on se sert de l'eau de mer. En très-peu de temps c'est dans une chaudière de pierre que se fait l'évapora- tion, et cela avec une énorme perte de caloriciue; h chaque relâche , il faut y introduire un ouvrier qui , à grands coups de marteau, détache la croûte pierreuse. C'est une opération chère, pénible, et C[ui détruit bientôt la chaudière. Je viens de parler de la déperdition du calorique ; il y a un inconvénient plus grave encore. Quand la chaudière est revêtue d'une enveloppe pierreuse, elle rougit exté- rieurement; dans cet état, supposons qu'il se fasse une 1. Voir sur cette question la Notice sur les explosions des machines à vapeur, p. 173 de ce volume. CoO NAVIGATION. fissare clans la couche pierreuse, l'eau froide alimentaire, eu tombant sur le métal incandescent, produit subitement des torrents de vapeur à l'écoulement desquels la sou- pape de sûreté ne saurait suffire : de là des explosions, et tous les malheurs cjui en sont la conséquence inévi- table. Empêcher qu'il se forme une croûte solide dans une chaudière, ce serait donc un service immense rendu à l'industrie et siu'tout à la navigation à vapeur. Ce pro- blème vient d'être résolu. Dans l'intérêt de l'inventeur, la solution a un seul défaut : elle est trop simple. Le bre- vet c|u*il a pris n'empêchera personne de se servir de sa méthode. iM. LE Ministre de la marine. Je ferai observera M. Arago que j'ai aclieté ce brevet. M. Arago. Je le sais. Monsieur le ministre, mais la transaction ne m'a pas paru satisfaisante. Pour empêcher une croûte pierreuse de couvrir inté- rieurement une chaudière de machine à vapeur, il suffira désormais de mêler à l'eau de l'argile en poussière, de l'argile très-divisée. C'est en cela que consiste la décou- verte de M. Chaix- de -Maurice. Que lui proposait la marine? Elle consentait à acheter l'argile au prix de fabrique; en d'autres termes, elle aurait donné 25 cen- times pour chaque voyage de bateau à vapeur de Toulon à Alger. Je le demande, n'était-ce pas dérisoire? Heu- reusement quelciues personnes très-haut placées , et si je ne me trompe, le duc d'Orléans lui-même, ont porté intérêt à l'inventeur. La marine s'est amendée, elle a offert 20,000 francs une fois donnés. Je trouve, moi, que ce n'est pas assez. NAVIGATIOxX. «5r 1\I. LE MINISTRE DE LA MARINE. Il il aCCeptÔ. M. Arago. m. Ghaix a accepté, parce que, à côté de la première proposition, celle-ci était très-favorable. Mais 20,000 francs une fois donnés pour une découverte qui influera sur toute notre industrie, je le répète, ce n'est pas suffisant. Je devine votre réponse, Monsieur le ministre; vous direz que vous n'aviez pas de fonds pour cet objet; mais n'aviez-vous la ressource d'une demande directe à la Chambre? Pour moi, j'ai la conviction qu'elle ne vous eût pas refusé les moyens de récompenser dignement une aussi utile découverte. XIII OBSERVATION DES MARÉES [ M. Arago, dans les séances de la Chambre des députés des 5 et 9 juin 1837, s'est occupé de la manière dont étaient faites les observations des marées; les paroles qu'il a prononcées sur ce sujet sont réunies ici. ] 1° Séance du 5 juin. M. le rapporteur du budget déclare que les observa- tions des marées, dont, au reste, il reconnaît la nécessité, coûtent trop : quelques cadrans solaires, dit-il, et quel- ques mâts divisés ne sont pas si dispendieux. Il est vrai, Messieurs, qu'à une certaine époc|ue les mâts divisés et les cadrans solaires suffisaient à l'observation des marées. Il n'en est pas ainsi aujourd'hui : la science est devenue plus exigeante ; il lui faut des fractions de minutes que les cadrans solaires ne peuvent pas déterminer ; il faut des montres dont la marche soit assez régulière pour don- 652 NAVIGATION. lier l'heure de l'observation avec exactitude, quand le soleil ne se montre pas , et vous savez combien cela arrive souvent dans plusieurs de nos ports, et surtout h Brest. J'arrive à faire des remarques analogues relative- ment aux mats divises. Sans doute, si la surface de l'eau était constamment tranquille, sa hauteur pourrait, à cha- que instant , être facilement déterminée ; mais la mer est souvent très-agitée, on est alors obligé de procéder par voie de moyennes, ce qui n'est ni commode ni exact; et le ministère de la marine a l'intention de faire faire à l'avenir les observations dont il s'agit avec des machines ingénieuses d'une invention récente, et qui d'elles-mêmes enregistreront les hauteurs successives du niveau de l'eau. Je termine par une autre considération bien propre à faire voir combien l'emploi de ces nouvelles machines est désirable. Là oii des observations de marées ont été insti- tuées, les observations de jour sont faites assidûment; celles de nuit, au contraire, manquent; cependant la science en aurait le plus grand besoin. Eh bien , il ne faut pas mettre aux prises, la nuit et par un très-mauvais temps, la paresse et le devoir, car la paresse l'emporterait, et l'on aurait des observations supposées, fabriquées; la machine coupera court à cette grave difficulté. 2° Séance du 9 jui?h Je présenterai à la Chambre quelques observations succinctes sur les travaux scientifiques importants qui pourraient être exécutés par divers employés de la NAVIGATION. 653 marine. Le corps enseignant maritime renferme cinq professeurs d'hydrographie de première classe , cincj de deuxième, six de troisième, vingt- huit de quatrième. Ces professeurs , je crois , ne sont pas aussi activement occupés qu'on pourrait l'imaginer; je viens donc propo- ser à M. le ministre de la marine de vouloir bien les charger d'un travail qui leur ferait honneur et pourrait être d'une grande utilité , je veux parler de l'observation des marées. On ne fait aujourd'hui ces observations d'une manière régulière qu'à Brest. Il serait très-utile cju'on les suivît dans un plus grand nombre de ports; vous procu- reriez ainsi aux navigateurs des données importantes sur l'heure de V établissement , et vous fourniriez au géomètre et au physicien des éléments d'un grand intérêt et féconds en curieux résultats. Il est d'ailleurs une circonstance du moment qui me fait vivement désirer que M. le ministre de la marine prenne en grande considération l'observation que j'ai l'honneur de lui faire : nos voisins, les Anglais, s'occupent maintenant de ces observations des marées avec un soin, une suite, une exactitude, dignes des plus grands éloges. J'ai dans la main deux lettres, l'une de M. Whewhel, de Cambridge, l'autre de M. Lubbock, de Londres, par lesquelles j'apprends que l'amirauté a ordonné que des observations fussent faites dans cinq cents points des îles britannic|ues. Ces observations, com- parées avec celles des côtes de France, conduiraient à des résultats également utiles à la marine et aux sciences spéculatives. M. LE MINISTRE DE LA MARINE. Je ferai obsorvep à M. Arago que les Français contriljuent à ce travail. 054 NAVIGATION. M. Aracio. Je connais la nalniv do la di^Tiande qui vous a été adressée récemment. Il n'('tait question que d'observations simultanées faites à certains jours choisis; tandis que je réclame des observations continues, per- manentes. M. LE AUMsrr.E DE LA MARiXE. On los fait .sur un très -grand nombre de points. Je réponds h l'orateur que je m'occuperai de donner suite à son idée. Je ne lui garantis pas de quelle manière Je le ferai. XIV RIDAOE DES MATS [Le 2/i mai 1836, Aï. Arago a signalé les avantagps du système de ridage des mâts ù crémaillère, imaginé par Al. Painchaut, dans le discours suivant : ] Les mats des navires sont maintenus dans la position verticale sur les bâtiments à l'aide de cordages dont le ])oint d'attache est sur le bord. On se sert, pour les mettre dans cette position , d'une machine c|ui est encore dans l'enfance de l'art, et c|u'on appelle cap de 771011 Ion. Un artiste français a imaginé un procédé à l'aide duquel on peut tendre les cordages, quand les eflets hygrométriques ou le vent les ont détendus, plus com- modément que par l'ancienne méthode. Avec un beau- coup moins grand nombre de matelots, et dans des cir- constances beaucoup plus difficiles, on arrive à rider le niât. M. le ministre de la marine a donné toute son atten- tion à ce procédé, il l'a fait examiner avec soin, et tous les rapports ont été favorables. Par suite, M. le ministre de la marine a conclu un marché avec l'inventeur, M. Painchaut; mais on est convenu qu'on commanderait NAVIGATION. CSj ce nouveau moyen de ridage, beaucoup supérieur à l'ancien , de mnnière que le maximum de la dépense de chaque année fût de 60,000 fr. Je demanderai h M. le ministre de vouloir bien nous dire pourquoi, malgré l'opinion favorable qu'il a de ce procédé, on commande cependant d'anciennes méca- niques; pourquoi dans les bâtiments neufs, on ne se sert pas exclusivement du système de ridage qu'a imaginé M. Painchaut. Ce procédé a surtout une propriété dont la Chan]l)re comprendra l'importance au premier mot. Dans le système ancien, on était obligé d'éloigner les canons des caps de mouton, parce que le feu pouvait y prendre. Le mécanisme nouveau étant en métal , on n'a plus à craindre ce danger. Il est beaucoup plus com- mode, d'une manœuvre plus facile, et de plus, si \ous comptez, non pas les frais de premier établissement, mais si vous comparez ce que coûte le ridage par l'an- cienne méthode, avec ce qu'il coûte par la méthode nouvelle, vous trouverez une économie énorme. Ainsi, je constate dans les résultats qui nous ont été soumis , qu'au bout de vingt ans la dépense de ridage pour une frégate de troisième rang est de 98,000 fr., par l'ancienne méthode; tandis que par la nouvelle méthode, cette dépense n'est évaluée qu'à 25,000 fr. Vous voyez que sur une frégate, il y a une économie de 72,000 fr. dans un espace de vingt ans. Je le répèle , M. le ministre a donné toute son attention à ce perfec- tionnement; mais il est extraordinaire que, malgré tous les avantages qu'il a reconnus au système du ridage à 656 NAVIGATION. crém lillèrc, on exécute encore dans nos ports des bâti- ments neufs auxquels on applique l'ancienne méthode, qui véritablement appartient à l'enfance de l'art. Voici ce que disait du système de ridage de M. Pain- cluuit, M. le ministre de la marine lui-même : «Si à ces avantages (ceux d'une manœuvre plus facile) se joint celui de l'économie, il ne faudrait pas balancer à l'étendre immédiatement à tous les vaisseaux. » Puisque la ques- tion d'économie est aujourd'hui résolue, pourquoi per- siste-t-on à employer l'ancien système? Je ne m'oppose pas à ce qu'on fasse des essais pour chercher à perfec- tionner le système de M. Painchaut, mais je ne comprends pas que quand on a à choisir entre un système reconnu mauvais et un autre reconnu meilleur, on ne choisisse pas le dernier en attendant d'autres améliorations. Il est de mauvaise administration de continuer à fabriquer des caps de mouton dont l'infériorité par rapport aux cré- maillères est manifeste. XV EMPLOI SIMULTANÉ DES VOILES ET DE LA VAPEUR ' Je demanderai à M. le ministre de la marine s'il a l'intention de faire répéter l'expérience que M. le capi- taine de corvette Béchameil vient de terminer? Vous savez. Messieurs, que, dans l'état actuel des machines à vapeur, un bâtiment à vapeur ne peut pas entreprendre de très-longs voyages, à moins qu'il ne 1. Paroles prononcées dans la séance de la Chambre des députés du 18 juillet 1839. NAVIGATION. 6o7 trouve sur sa route les moyens de renouveler son charbon. ].e plus grand voyage qu'on eût réalisé jusqu'ici d'un seul trait, en partant d'Europe, était la traversée de Liverpool à ]New-York. La marine française a eu l'hon- neur de faire plus; un de ses navires à vapeur est allé sans s'arrêter de Rochefort à la Havane. Le charbon embar- qué à Rochefort a suffi à tout le trajet. Ce curieux, cet important voyage s'est réalisé par la combinaison des deux systèmes de navigation. Si vous entrepreniez de faire marcher à la vapeur un bâtiment destiné à porter ordinairement une vaste voi- lure , vous perdriez une grande partie de votre force par la résistance que l'air exercerait sur la mâture , sur les vergues, sur les cordages, sur les haubans. Eh bien, il s'est trouvé dans notre marine un officier qui a conçu la possibihté de se débarrasser de tous ces obstacles à volonté, et en très-peu de temps, qui a obtenu de l'ad- ministration de la marine la permission d'installer son nouveau système sur un grand bateau à vapeur, qui a montré aux marins de Rochefort étonnés un mâture qui descend tout entière sur le pont, des vergues à articula- tion qui se reploient sans difficulté, enfin un navire qui marche à la voile quand le vent est favorable, et à la vapeur dès qu'il y a calme ou vent contraire. Le bateau à vapeur installé par M. Béchameil , est allé de Rochefort à la Havane en naviguant tantôt comme bâtiment à voile, tantôt comme bateau à vapeur. Sa vitesse moyenne a été, dit-on, de près de quatre lieues à l'heure. Si ces faits sont exacts, ils ont de l'importance et font honneur à notre marine. Je demande à M. le V. — II. A2 Co8 NAVIGATION. iiiinistro do donner suite à cette expérience. Je désire qu'elle soit continuée, complétée, dans le triple intérêt des sciences, de la marine et de l'honneur national. XYI CIir.ONOMÈTRKS ET CERCLES A RÉFLEXION DESTLNÉS A LA MARINE ' Le chapitre x du budget est ainsi conçu : «Travaux et dépenses pour le progrès des sciences maritimes, 685,700 fr. » Je propose d'ajouter à ce chapitre une somme de 30,000 fr. pour la construction de chronomètres et de cercles à réflexion destinés à la marine. 11 faut distinguer, dans le service de la marine, trois branches entièrement distinctes : le combat, la manœuvre, le pilotage. Je ne parlerai pas des deux premières ; je serais incompétent. Et d'ailleurs, il faut le dire , sous ce rapport le glorieux combat de Navarin , la mémorable expédition du Tage, ont montré au pays, d'une manière éclatante, que les marins de notre époque sont les dignes successeurs de ceux cjui jadis illustrèrent à un si haut degré notre pavillon ; et dans ce nombre je comprends les marins de la République et de l'Empire, lesquels, placés dans les circonstances les plus défavorables, avec un matériel imparfait, avec des équipages inexpérimen- tés, ne succombèrent qu'après avoir coulé bas aux Anglais trente -deux vaisseaux de premier rang, sept vaisseaux 1. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés du 22 mai 1833. NAVIGATION. 639 de 50 canons, quatre-vingt-six frégates, et une multitude de bâtiments de moindre dimension. La seule question dont je veuille vous entretenir est une question de pilotage; c'est une question qu'un de nos honorables collègues, auquel j'avais communiqué mes idées à ce sujet, a appelée une question scientifique. «Votre amendement, m'a-t-il dit, serait certainement adopté dans une académie ; mais, dans une assemblée des mandataires du pays, dans une assemblée qui ne doit s'occuper que de pratique , le succès de cet amendement me paraît incertain. » Ces paroles ont tracé la route que je dois suivre en développant mon amendement. J'ai rassemblé des faits importants, à chacun desquels j'ai donné la date et un nom propre, afin de prouver que l'amélioration que je propose , c'est-à-dire la présence à bord de chaque bâti- ment d'un chronomètre et d'un cercle de réflexion, sera suivie d'importants résultats et préviendra de grands malheurs. Je demande à la Chambre la permission d'entrer dans quelques détails techniques sur la méthode qu'on appelle ï estime; je tâcherai de ne pas fatiguer son attention. On se sert, en mer, de la boussole, qui indique la direction sni\ ant laquelle on navigue ; on se sert encore d'un autre petit instrument appelé loch , qui se jette à la mer, pour déterminer la vitesse du navire. Je parlerai tout à l'heure des errem's grossières qui peuvent résulter de l'emploi exclusif du premier instru- ment. Je vais dire quelques mots des erreurs produites par l'emploi du loch. C60 NAVIGATION. Quel est celui de vous, Messieurs, qui n'a pas vu sur a Seine un batelet poussé par un vent d'ouest rester tout à fait immobile relativement îui quai? Cela vient de ce que la force du vent suffît tout juste pour contre-balancer le mouvement descendant du courant. Comment détcrmine-t-on , en mer, le chemin qu'on a parcouru? On jette une planche, on la suppose immobile ; or, souvent elle ne l'est pas; souvent elle est entraînée par les courants. Vous croyez marcher, et vous ne mar- chez pas; vous êtes comme l'homme qui monte le petit bateau dont je parlais tout à l'heure; car celui-ci, quoi- qu'il soit arrêté, croirait qu'il remonte le courant avec la vitesse dont ce courant est doué, si, comme le naviga- teur, il jetait une planche à l'eau et y prenait son repère. Mais, dira-t-on , existe-t-il en mer des courants? N'est- ce pas une considération théorique qui fait supposer qu'il y a au milieu de l'Océan de véritables rivières, marchant ici du nord au sud; là, du sud au nord; ailleurs, de Test à l'ouest? Or, de tels courants existent, sans aucun doute, et les erreurs qui en résultent sont souvent énormes. " Ainsi, je trouve dans le voyage du capitaine Marchand, si savamment discuté par M. Fleurieu , qu'il règne au nord de l'océan Atlantique des courants de neuf et de dix-sept lieues par jour. Ailleurs, dans l'hémisphère sud, je trouve que le même capitaine Marchand, qui était au courant de toutes les méthodes scientifiques, s'était trompé de soixante-seize lieues dans un espace de quinze jours. Dans le même hémisphère sud, j'aperçois une erreur de l'estime de quatre-vingt-neuf lieues dans l'espace de dix jours. A NAVIGATION. 661 (|uels accidents épouvanta])lcs des incertitudes de cette nature ne peuvent-elles pas conduire ? Eli bien , les bâti- ments de l'État naviguent presque tous par cette méthode défectueuse de l'estime ; ils ne se servent que de la bous- sole et du loch. Je viens de parler du voyage du capitaine Marchand; on me répondra sans doute qu'à cette époque les mé- thodes nautiques n'étaient pas perfectionnées, et qu'il y a eu erreur dans les observations. Eh bien, je trouve dans les livraisons déjà publiées du voyage du capitaine Frey- cinet que, dans la Méditerranée, il a traversé des cou- rants qui avaient une vitesse de quatorze lieues par jour ; que, dans l'océan Pacifique, il en a rencontré dont la marche correspondait à vingt-une, et môme à vingt-trois Heues dans le même intervalle. Je vous le demande, Messieurs, n'êtes-vous pas effrayés des cafastrophes que de telles erreurs doivent entraîner? La conséquence n'est pas toujours un naufrage , sans être moins fâcheuse. Vous croyez être fort loin de la côte, vous manquez de profiter du vent qui devait vous faire entrer dans le port, et vous êtes obligé de l'attendre quinze'jours. On éviterait complètement ces erreurs, si les bâtiments étaient munis d'un chronomètre et des instruments à réflexion. Je prendrai un dernier exemple dans la ma- rine anglaise pour épuiser la question. Un bâtiment, le Blossom, destiné à une expédition scientifique, ayant à bord un officier du plus rare mérite, le capitaine Beckoy, a fait, par l'estime, dans le passage de Ténériffe au Bré- sil, une erreur de quatre-vingt-une lieues. S'il n'avait pas CC2 NAVIGATION. Cil à son ])ord des moyens d'observation de la nature de ceux que je réclame, il aurait pu manquer le port de Rio- Janeiro, et aventurer le succès de son intéressante expé- dition. Il existe une autre cause d'erreur que j'ai signalée tout à l'heure. Cette cause tient aux imperfections de la bous- sole. Je le dis à regret : sous ce dernier rapport, la ma- rine ne s'est pas élevée à la hauteur des connaissances actuelles. On se dii'igc en mer au moyen de l'aiguile aimantée. Dans chaque lieu, l'aiguille forme avec le méridien un angle déterminé ; mais à bord d'un navire , il y a des masses'de fer considérables, il y a des ancres, des canons, des boulets , des caisses en fer remplies d'eau. Or, tout cela altère la position de l'aiguille. Je reconnais qu'avant de sortir du port, on peut déterminer numériquement la valeur de cette déviation locale; mais malheureusement il a été constaté, par des expériences que la théorie est venue éclaircir depuis, que la quantité de cette déviation qui résulte de la présence des masses de fer répandues dans le navire n'est pas la même dans toutes ses positions, dans toutes ses orientations; ainsi les ancres, leg câbles en fer, les canons, altèrent d'une certaine quantité la po- sition de l'aiguille quand vous marchez au nord , et ils altèrent cette position d'une ciuantité tout autre quand vous marchez au midi. La différence, même sans qu'on s'élève par de très-grandes latitudes, est quelquefois de 10, de 15, de 25 degrés. Dans la crainte qu'on ne dise encore ici que je fais de la théorie , je vais citer quelques événements fâcheux qui NAVIGATION. 603 sont résultés de l'ignorance où l'on était jadis, relative- ment aux changements de ces déviations accidenlelles de l'aiguille aimantée suivant les diverses positions du naviie. Je les emprunte à un navigateur dont assurément per- sonne ne contestera l'autorité, au capitaine Scorcsby. En 1804, 69 navires marchands font voile de Cork le 2G mars, sous l'escorte de deux vaisseaux de ligne an- glais, le Carysfort et r Apollon. Le 2 aviil , dans la nuit, pendant que l'Apollon, d'après l'estime, était à 100 milles ( oo lieues de terre ) , il se brise sur la côte de Portugal , près du cap Mondego ; 29 des vaisseaux marchands qui avaient réglé leur route sur celle de l'Apollon firent éga- lement naufrage. Il périt dans cette catastrophe près de 300 matelots. On a longtemps attribué ce terrible nau- frage à l'action des courants ; mais il paraît constaté, d'après la discussion de M. Scoresby, qu'il a été, en grande partie, occasionné par une erreur accidentelle de la déclinaison magnétique qui trompa le capitaine de r Apollon, sur la marche duquel tous ces navires mar- chands dirigeaient leur marche. Dans l'hiver de 1811 à 1812, le Hcro, de 74, se perd au Texel, en venant du Cattegat, avec plusieurs des bâtiments marchands qu'il escortait. Il ne se sauva que 8 matelots. Le Saint-Georges de 98, amiral Reynolds, et la Défiance de 7/i, éprouvent le même sort sur la côte du Jutland. L'amiral, le capitaine de la Défiance, près de 2,000 matelots furent noyés. En 1810, le Minolaure, de 7/i, fait naufrage à l'em- bouchure du Texel, le 22 décembre; 300 matelots pé- rissent. 66i NAVIGATION. M. Scoresby regarde comme très-probable que ces quatre naufrages n'auraient pas eu lieu si les capitaines avaient connu les moyens de tenir compta de la déviation locale de la boussole. Est-il possible de se garantir de cette cause d'erreur ? Oui , Messieurs, on peut s'en garantir très-facilement ; et je ne propose pas d'allocation pour cela , car la dépense dans chaque bâtiment ne sera que de 10 à 12 fr. La mé- thode de correction dont je veux parler est due à M. Bar- low. Elle consiste à compenser la déviation par une petite plaque de fer placée près de la boussole. Le mMgnétisme terrestre , qui est la cause des changements de déclinai- son, modifie également les masses troublantes et la pla- que de correction , en sorte que tout se compense à peu près exactement en tout lieu et dans toutes les orientations du navire. Je prends la liberté de recommander cette ingénieuse méthode à M. le ministre de la marine. Je le prie de vou- loir bien engager les officiers sous ses ordres à l'étudier. La navigation , par de hautes latitudes surtout , en tirera de grands avantages, sans aucune augmentation de dé- pense. On ne manquera sans doute pas de s'écrier : En admettant l'existence de tant de causes d'erreur, il doit en résulter la perte d'un très-grand nombre de bâtiments; or, est-il vrai qu'il s'en perde beaucoup? Quoique dans la marine anglaise les méthodes que je recommande soient plus répandues que dans la marine française, il se perd trois navires chaque deux jours, plus de cinq cents bâtiments par an. Je suis très-loin d'affirmer que NAVIGATION. 665 tous les naufrages proviennent de l'absence de chrono- mètres et d'instruments h réflexion ; mais une bonne partie peut être attribuée à cette cause. Sur la côte de France, depuis Dunkerque jusqu'à Saint-Jean-de-Luz, il se perd quatre-vingt-huit bâtiments par an. En suppo- sant que le tiers seulement de ces naufrages tienne aux erreurs de l'estime, ce serait porter remède à un mal très-grave que de donner aux marins les moyens de s'en garantir. Au reste, les méthodes nautiques communes, auxquelles je voudrais voir substituer des moyens plus scientifiques , ont été caractérisées comme elles le méri- tent par des marins dont le nom ne peut manquer d'avoir une grande autorité dans cette Chambre. Voici de quelle manière , par exemple , M. Fleurie u parle de l'estime. « Puissent mes comparaisons faire sentir à nos naviga- teurs que Vestime n'est qu'un moyen subsidiaire dont il n'est plus permis de faire usage que lorsqu'il n'est pas possible de chercher dans le ciel la position qu'occupe le vaisseau sur la terre. « Ce n'est que par le secours des observations astro- nomiques qu'on peut parvenir à rectifier les erreurs iné- vitables de Vestime de la route; estimation arbitraire qui n'est fondée sur aucun principe solide. « Les méthodes vulgaires de pilotage sont le tâtonnc- nement des aveugles. « On ne saurait trop inviter les navigateurs français à abandonner enfin la vieille routine et à employer les nou- velles méthodes qu'il n'est plus permis d'ignorer sans honte. » 666 NAVIGATION. Ainsi , après avoir cilé des faits positifs, je montre, par Tautorité d'un navigalour dont le savoir et rexpcrience ne sont ignorés de personne, que la méthode ordinaire de pilotage ne saurait être trop vivement combattue : j'arrive maintenant à la méthode que les navigateurs instruits ont substituée aux tâtonnements de l'estime. Ils décomposent la roule (jue l'on fait en deux portions : la première dirigée du nord au sud, s'évalue sans difticulté, et par une observation à la portée de tout le monde ; la portion placée de l'est à l'ouest est l'objet d'un problème qu'on a appelé le problème des longitudes, et dont on s'est occupé avec une grande constance depuis deux siècles. A-t-on jamais considéré ce problème comme pure- ment spéculatif, comme un problème de théorie? Déjà, en 1003, Henri IV accordait une forte pension à un auteur qui avait trouvé une méthode de détermination des longitudes un tant soit peu plus exacte que les mé- thodes alors employées. En 1604, Philippe III d'Espagne s'engage à donner un prix de 100,000 écus à celui qui résoudra ce pro- blème d'une manière satisfaisante. En 1C06, les États de Hollande otïrent 100,000 flo- rins pour le môme objet. En IGo/i, Richelieu fait étudier une méthode de Morin, par une commission composée de l'intendant général do la marine, de trois capitaines de vaisseau, et de cin(| savants, au nombre desquels se trouvait Pascal. En 16G8, Louis XIV promet 100,000 fr. à un Alle- mand qui prétend avoir trouvé une méthode des longi- NAVIGATION. 667 tudes. Je trouve dans la liste des commissaires : Colbert , Huygens, Roberval, Picard, et Duquesne, le vainqueur de Ruyter. En ilili, sous la reine Anne, un acte du parlement d'Angleterre promet 20,000 livres sterling (près de 500,000 fr. ) à celui qui donnera une méthode propre à déterminer les longitudes, après un délai de six semaines, à un demi-degré près. Je passerai sous silence les épreuves nombreuses faites par ordre de l'Académie des sciences, afin qu'on ne m'impute pas de me jeter dans des spéculations. Le gouvernement anglais ne s'en est pas tenu à de simples promesses; il a accordé des sommes considéra- bles à tous ceux qui ont fait faire quelques progrès au problème des longitudes. Ainsi, en 171/i, le parlement donna 50,000 francs à Whiston pour de simples essais ; en 1765, il décerna une somme de 250,000 francs à Harrison, d'abord charpentier de village, et ensuite très-habile horloger, pour avoir exécuté une montre avec laquelle des officiers de la marine avaient déterminé assez exactement la longitude de la Jamaïque. En 1800, je vois figurer Arnold et Earnshaw, chacun pour 75,000 francs, parmi les récompenses données pour le perfectionnement de la même question. Auparavant , en 1766, il avait alloué à la veuve du célèbre astronome Tobie Mayer une somme de 75,000 francs. Je ne crois point me tromper en affirmant que le gouvernement anglais a, je ne dis pas promis,, mais donné près d'un million pour le problème des longitudes. Aujourd'hui , les moyens de déterminer cet élément de C68 NAVIGATION. toulc navigation exacte sont d'une extrême précision, .f'cn citerai seulement deux exemples, que j'emprunterai aux navigateurs anglais. J'aurais pu en puiser également dans la marine française, surtout dans les voyages de découvertes, parce que les bâtiments chargés de ces expéditions ont h bord , pour se diriger , des moyens qui n'existent pas, du moins au môme degré, dans les autres navires de l'État. Voici les deux exemples dont je veux parler. La navi- gation des bâtiments de la compagnie des Indes, de ces bâtiments qu'on appelle en Angleterre indiamen, se fait par les moyens perfectionnés dont je demande l'applica- tion plus générale dans notre maiine. Un convoi de ces bâtiments partit, il y a quelques années, de l'île de Madère, ne rencontra pas une seule voile dans toute sa ti'aversée , ne vit pas un seul coin de terre , et arriva à Bombay assez sûr de sa position pour y jeter l'ancre au milieu de la nuit. Voici mon second exemple. Le capitaine Basilhall, commandant d'un bâtiment de l'État, partit de San-Blas, sur la côte occidentale du Mexique , doubla le cap îlorn sans apercevoir la tei're; parvenu à cinq journées de distance de Rio-Janeiro, il détermine sa longitude, ne commence h diminuer sa voilure qu'à cinq lieues de distance, mais sans changer sa route. Le jour commence à poindre; un coup de vent dissipe le brouillard, et tout l'équipage reconnaît avec enthousiasme que le cap du navire est exactement dirigé sur le Pain de sucre qiM marque l'entrée de Rio-Janciro. Le problème des longitudes, je le répète, est aujour- NAVIGATION. 669 criiui complètement résolu. Il n'y a plus, quant au Levant, dans la détermination de la place d'un bâtiment en pleine mer, que des erreurs extrêmement légères et sans aucune importance réelle. Malgré ces immenses progrès, le Anglais ne sont pas restés inaclifs. lis ont établi des prix graduels pour les chronomètres; le prix est d'autant plus considérable quf- le chronomètre marche avec plus de précision. Ils sop^- arrivés ainsi à une précision vraiment étonnante. Ne croyez pas. Messieurs, que ces mêmes résultats ne puissent être obtenus en France. 11 y a à Paris des horlogers d'une grande habileté qui vous fourniront des instruments au moins aussi parfaits, si vous les leur com- mandez. Je regrette vivement que le défaut d'allocations suf- fisantes ne permette pas à M. le ministre de la marine d'acquérir un assez grand nombre de chronomètres pour pouvoir en placer au moins un à bord de tous les navires qui doivent faire des voyages un peu longs. Je terminerai par une réflexion qui montrera à quel point nous sommes arriérés sous ce rapport. J'ai demandé au constructeur qui fait à Ptiris des instruments à réflexion, dont la réputation est euro- péenne, combien il avait vendu de cercles à réflexion. Il m'a répondu qu'en 1831 , ce nombre ne s'était élevé qu'à quatre. Or, il est à ma connaissance personnelle que quatre cercles à réflexion ont été achetés par les ordres de la reine pour être donnés en cadeau aux offi- ciers de la frégate sur laquelle le prince de Join ville s'embarqua. 670 NAVIGATION. En 18.'V2, le même artiste n'en a vendu que deux. J'ai visité à Londres les ateliers de Troughton et de Sims, et je les ai vus remplis de piles d'instruments à l'éflexion que les officiers de marine y avaient déposés. Ouant aux chronomètres, je sais que de 1822 à 1832, on en a déposé 500 à l'observatoire de Grcenwich pour y être essayés, 11 résulte d'un document officiel, qu'à la date de 1818, un seul constructeur, M. Earnshaw, avait déjà vendu, pour sa part mille chronomètres. Nous ne devons pas espérer de pareils succès en Prance; mais je crois que si vous adoptez l'amendement que je propose, la direction favorable que vous impri- merez aux études nautiques aura cet heureux résultat, que les officiers de la marine marchande, astreints par nos lois à s'embarquer sur les navires de l'État, prendront généralement le goût des bonnes méthodes, et sortiront bientôt de l'ornière profonde dans laquelle nous nous traînons depuis trop long temps. (Marques générales d'adhésion.) [ Après la réponse de .Al. le ministre de la marine, M. Arago a répliqué en ces termes : ] Je me serais bien mal expliqué si l'on pouvait induire de mes paroles, que je regarde notre marine comme n'étant pas à la hauteur de la marine anglaise. Je con- nais personnellement un grand nombre d'officiers de notre marine, et nulle part je n'ai vu, je le déclare hau- tement, plus de talent, plus d'instruction, plus de zèle que chez ces jeunes gens. Ce que je demande , c'est que ce zèle soit bien dirigé ; c'est qu'on mette dans des mains NAVIGATION. 671 aussi habiles, des moyens d'arriver aux importants résul- tats que nous pouvons en espérer. M, le ministre de la marine a dit qu'il est arrivé très- rarement qu'un bâtiment de l'État soit parti sans chrono- metie. Je suis fâché d'être, à cet égard, mieux instruit que M. le ministre lui-même. (Oii rit.) Je ne prétends pas que cela ait lieu par relïot d'une mauvaise volonté; mais il est certain, je le répète, que des bâtiments partent souvent, même pour l'Amérique, sans s'être pourvus des moyens de déterminer leur longitude. Ces jours derniers, par exemple, un bâtiment de l'État, commandé par le capitaine Louvel, est revenu du Sénégal. Sur le parallèle des Açores, cet officier a vu ou cru voir un écueil. Eh bien, il n'a pu en déterminer la position , faute d'avoir un chronomètre. Tly a, je le répète, dans la marine fran- çaise, tous les éléments de succès possibles. Les officiers qui sortent de Técole navale sont pleins d'instruction et de zèle. Ce que je demande, c'est qu'on mette dans leurs mains les moyens de naviguer avec sûreté. (Aux voix! aux voix!) [L'amendement proposé par M. Arago a été adopté. ] FIS Dr TOME DEUXIEME DES NOTICES SCIENTIFIQUES TABLE DES FIGURES l'ig. Pagts. 1. I^rincipos des machines à réaction 5 2. Mode d'action de la vapeur dans la machine d'Héron . . 8 3. Explication do l'ascension de l'eau dans la machine de Salomon de Caus 15 U. Explication de l'élévation du piston dans la machine de Papin 2/i 5. Descente du piston arrivé à l'extrémité de sa course dans la machine do Papin '26 C. Fac-similé du dessin de la machine de Salomon de Caus. 86 7. Fac-similé du dessin de la machine de Savery (vue de face) 89 8. Fac-siraile du dessin de la machine de Savery (vue de côté ) 89 9. Machine hydraulique de Papin pour transporter fort loin la force mouvante des rivières 92 10. Machine à vapeur de Papin de 1690 97 1 1. Machine de Porta 105 12. Appareil d'Héron pour l'emploi de la force élastique de l'air m FIN DE LA TABLE DES FIGUriES TABLE DES MATIERES DU TOME CINQUIÈME TOME II DES NOTICES SCIENTIFIQUES NOTICE HISTORIQUE SUR LES MACHINES A VAPEUR Pages. CHAPITRE PREM[ER. — Introduction 1 CHAP[TRE II. — Alachines atmosphériques ou à basse pres- sion 5 § 1. Héron d'Alexandrie 5 § 2. Blasco de Garay 10 § 3. Salomon de Caus iU § li. Branca 16 § 5. Le marquis de Worcester 17 § 6. Sir Samuel IMoreland 22 § 7. Denis Papin 24 § 8. Le capitaine Savery 31 § 9. Newcomen , Cawley et Savery 38 § 10. James Watt Z|2 a. Du condenseur Uk b. Machine à double effet Zi9 c. Machine à détente 52 d. Enveloppe ou chemise du corps de pompe 54 CHAPITRE IIL — Machines à haute pression 55 § 1. — Machines il haute pression sans condensation. — Alachines locomotives 55 § 2. — Machines à haute pression et à condensation 57 CHAPITRE IV. — Bateaux à vapeur 59 CHAPITRE V. — Invention des principaux organes des ma- chines à vapeur 67 § 1. — Artifices qui donnent à la machine k vapeur la pro- priété de marcher d'elle-même et sans aucun ouvrier. . 67 V. — II. 43 6Y4 TABLE DES MATIÈRES. § 2, — Manivelles et volants 69 § îî. — Moyens do diriger verticalement la tige du piston et do la lier au Ijalancier 70 § /i. — Uôgulateur à force centrifuge 72 § 5. — Soupape de sûreté , 75 CIIAPITHE VF. — Résumé et conclusions 78 CHAPITHE VII. — Examen des observations critiques dont la ' notice précédente a été l'objet 81 EXPLOSIONS DES MACHINES A VAPEUR CflAPITHE PREMIER. — Avant-propos 117 CHAPITRE II. — Variation de la force élastique de la vapeur d'eau avec la température 118 CHAPITRE III. — Séparation en deux parties d'une chaudière et projection d'une de ses parties à une grande hauteur. . 120 CHAPITRE IV. — Explosion simultanée de plusieurs chau- dières 123 CHAPITRE V. — Explosions occasionnées par une surcharge de la soupape de sûreté 125 CHAPITRE VI. — Explosions précédées d'un grand affaiblisse- ment dans le ressort de la vapeur 12G CHAPITRE VII. — Explosions immédiatement précédées de l'ouverture de la soupape de sûreté 128 CHAPITRE VIII. — Écrasements intérieurs des chaudières. . . 129 CHAPITRE IX. — Accidents particuliers aux chaudières à foyer intérieur 13X CHAPITRE X. — Explosion précédée d'un grand échauffement des parois de la chaudière 132 CHAPITRE XI. — Explosion d'une chaudière en l'air 133 CHAPITRE XII. — Nécessité des soupapes de sûreté ; soupapes de Papin; leurs défauts; accidents qu'elles peuvent pré- venir 13/, CHAPITRE XIII. — Plaques fusibles 1/|2 CHAPITRE XIV. — Lames minces 1/15 CHAPITRE XV. — Soupape manométrique l!iG CHAPITRE XVL — Soupapes intérieures ou à air; leur objet. l/iS CHAPITRE XVII. — Explication des explosions qui sont pré- cédées de l'ouverture de la soupape de sûreté ou d'un affaiblissement dans le ressort de la vapeur 151 § 1. — Comment arrive-t-il qu'une chaudière éclate à l'in- gtant même où l'on ouvre la soupape de sûreté? Coin- TABLE DES MATIÈRES. 675 Pages. nient se fait-il, en outre, que cet accident ait été tou- jours précédé d'un affaiblissement apj^arent dans le res- sort de la vapeur ? 151 § 2. — Comparaison de l'explication de M. Perkins avec les théories que d'autres ingénieurs ont proposées; nouvelles causes d'explosions 1G4 CHAPITRE XVII r. — Remarques relatives aux prétendus dan- gers des machines à haute pression 177 CHAPITRE XIX. — Nécessité de la surveillance des machines à vapeur 178 NÉCESSITÉ d'encourager en FRANCE LA CONSTRUCTION DES MACHINES A VAPEUR 185 LES CHEMINS DE FER I. Nécessité d'empêcher les compagnies de relever leurs tarifs immédiatement après les avoir abaissés 233 II. Sur les inconvénients de l'établissement de deux chemins de fer de Paris à Versailles 238 III. Sur la nécessité de faire exécuter les chemins de fer par des compagnies 251 Section première. — Considérations techniques 25Z| Section denxième. — Sur les résultats à attendre des chemins de fer 264 Section troisième. — Du rôle de l'État et des compagnies dans la construction des chemins de fer 271 Section cjuatriénie. — Du budget de l'État en matière de travaux publics extraordinaires 293 Conclusions 295 V. Impossibilité de l'exécution du réseau des chemins de fer français par le gouvernement dans un délai rapide. 301 IV. Sur les pentes des chemins de fer 357 VI. Nécessité de soumettre i\ l'expérience les nouveaux sys- tèmes de chemins de fer 360 Vil. Système de chemin de fer à trains articulés 393 Rapport à l'Académie des sciences 393 Rapport à la Chambre des députés. Zil 9 VIII. Systèmes de chemins de fer atmosphériques 420 IX. Explosions des chaudières des bateaux ii vapeur et des locomotives , ZiGl TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT 407 676 TABLE DFS MATIÈRES. SUR LES CHAUX LES MORTIEIIS ET LES CIMENTS HYDRAULIQUES SUR LES POUZZOLANES NATURELLES ET ARTIFICIELLES L Fabrication artificielle des chaux hydrauliques Zi92 IL Ciments 500 IIL Pouzzolanes et trass 502 IV. Statistique des chaux h.y(lrauliques 505 V. Considérations économiques 507 VI. Des travaux de M. Vicat, comparés h ceux des anciens. 515 VfL Opinion des chimistes et des constructeurs sur les tra- vaux de M. Vicat 519 VOL Résumé 521 NAVIGATION I. Amélioration du cours de la Seine dans Paris 527 IL Turbine de AI. Fourneyron 560 IIL Barrages à aiguilles 5G5 IV. Barrage articulé 572 V. Barrage mobile de M. Thénard 57Zi VL Amélioration du port du Havre 591 VIL Amélioration de la partie maritime de la Seine 610 VIII. Sur des travaux à entreprendre pour améliorer la navi- gation 617 IX. Amélioration du port de Cherbourg et de celui de Poi-t- Vendre 626 X. Amélioration du port d'vVlger 629 XL Organisation du corps des ingénieurs hydrographes. . . . 635 XII. Sur Tantipathie contre la science d'une partie de l'admi- nistration de la marine 6/i^ XIIL Observation des marées 6.01 XIV. Ridage des mâts 65^ XV. Emploi simultané des voiles et de la vapeur 656 XVL Chronomètres et cercles à réflexion destinés à la marine. 658 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU TOME CINQUIÈME TOME DEUXIÈME DES NOTICES SCIENTIFIQI'ES ^^ASci. Ara^o, Dordnlque François Jean Oeuvres cornpletes PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY