Hnntuie 4 CE: +... Cane end 24 2 D sb ob + den A BH Mae ni D érerengié some Ads qe proies e Robien ef alles ex does sou Pop tal Etite) M LM ET LOT FE dr: Fe L pl : Te Bat 24 hi i + *. * . - a r a *. F E \ LA | ” t ñ . (= Ca et Lu à à | & , . + v brad ne ticoe MP tp de asdE rasudt mutéh val À D JENRERe La propriété littéraire des divers ouvrages de FRANÇOIS ARAGO, étant soumise à des délais légaux différents, selon qu'ils sont ou non des œuvres posthumes, les éditeurs ont publié chaque ouvrage séparément. Ce titre collectif n’est donné ici que pour indiquer au relieur le meilleur classement à adopter. Par la même raison, la réserve du droit de traduction est faite au titre et au verso du faux titre de chaque ouvrage séparé. PARIS, — IMPRIMERIE DE 3. GLAYÉ RUE SAINT-BENOÏT, 7. ESS (ŒUVRES COMPLÈTES FRANCOIS AR SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES PUBLIEES D'APRÈS SON ORDRE SOUS LA DIRECTION M. J.-A. BARRAL Ancien Elève de l'Ecole Polytechnique, ancien Répétiteur dans cet Etablissement. TOME SIXIÈME PARIS | LEIPZIG GIDE gr J. BAUDRY, ÉDITEURS T. O.. WEIGEL, ÉDITEUR 5 Rue Bonaparte | Kôünigs-Strasse Le droit de traduction est réservé au titre de chaque ouvrage séparé. 1856 PAT Rd Mes AN Le SR j Von Te MERE + ner TTL ah Le hu lus 4 Û ct he à LME = ny à Ë De Het QE 1 hiy fi 1 HUE AT Pise , toile salon) Te Èe : 2 3 . : * Pi S ARR US Du CU à = AE brie ot 418 2 ethsiibé dal © ca Et 1 à Pre S RE L nd C4 É ner fr Et BRAS #? É $ Ê n Eh s Les denx fils de FraNcots ARAGo, senls héritiers de ses droits, ainsi que les éditeurs-propriétaires de ses œuvres, se réservent le droit de faire traduire les NoricEs SCIENTIFIQUES dans toutes les langues. Ts poursuivront , en vertn des lois, des décrets et des traités internationaux , toute contrefaçon ou toute traduction, même partielle, faite au mépris de leurs droits. Le dépôt légal de ce volume a été fait à Paris, au Ministère de l'Intérieur, en novembre 1856, et simultanément à la Direction royale du Cercle de Leipzig. Les éditeurs ont rempli dans les autres pays toutes les formalités preserites par les lois nationales de chaque État, on par les traités internatio- naux, L’unique traduction en langue allemande, autorisée par les deux fils de FRANÇOIS ARAGO et les éditeurs, a été publiée simultanément à Leipzig, par Orro Wican», libraire-éditear, et le dépôt légal en a été fait partont où les lois l’exigent. PARIS, — IMPRIMERIE DE J, CLAYE, RUR SAINT = BENOIT, 7 ŒUVRES DE FRANCOIS ARAGO SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L'AGADÉMIE DES SCIENCES PUBLIÉES D'APRÈS SON ORDRE SOUS LA DIRECTION DE M. J.-A. BARRAL NOTICES SCIENTIFIQUES TOME TROISIÈME PARIS LEIPZIG GIDE er J, BAUDRY, ÉDITEURS | T. O0. WEIGEL, ÉDITEUR 5 rue Bonaparte Künigs-Strasse Les propriétaires se réservent le droit de faire traduire ce volume, 1856 2e Re ré NE. * Cryeft M NS “eus: 4 _NOTICES SCIENTIFIQUES LES PHARES CHAPITRE PREMIER UTILITÉ DES PHARES Les personnes étrangères à l’art nautique sont toujours saisies d’une sorte d’effroi lorsque le navire qui les porte, très-éloigné des continents et des îles, a pour uniques témoins de sa marche les astres et les flots de l'Océan. La vue de la côte la plus aride, la plus escarpée, la plus inhospitalière, Cissipe comme par enchantement les craintes indéfinissables qu’un isolement absolu avait inspirées, tandis que, pour le navigateur expérimenté, c'est près de terre seulement que commencent les dangers. Il est des ports dans lesquels on n’entre jamais sans pilote ; il en est peu dans lesquels, même avec ce secours, on se hasarde à pénétrer de nuit; aussi de tout temps a-t-on senti le besoin d’avertir, par des signaux de feu 4. OEuvre posthume, VI, — 1x, 1 2 LES PHARES. bien visibles, les navigateurs du voisinage de la terre. Il faut que chaque navire aperçoive le signal d'assez loin pour qu'il puisse trouver dans des évolutions pratica- bles les moyens de se maintenir à quelque distance du rivage jusqu’au moment de l'apparition du jour, Il n’est pas moins désirable que les divers feux qu’on allume dans une certaine étendue des côtes ne puissent pas être confondus, et qu’à la première vue de ces signaux hos- pitaliers le navigateur qu’un ciel peu favorable a privé pendant plusieurs jours de tout moyen assuré de diriger sa route, sache quel est le port, quel est le fleuve qui va lui donner asile; Pendant longtemps les signaux auxquels on a donné le nom de phares et de fanaux ont été de simples feux de paille, de bois ou de charbon; mais tout le monde comprend que la faible lumière qui émane de ces feux doit s’affaiblir par voie de divergence avec une extrême rapidité ; cette lumière, à mille mètres de distance, est. un million de fois plus faible qu’à la distance d’un mètre. Un jour on aura peine à croire que le phare d'Edystone, ce monument de l’habileté de Smeaton, n’a eu pendant long- temps à som sommet qu'un certain nombre de chandelles allumées. CHAPITRE IL DES PHARES CHEZ LES ANCIENS Les marins, les ingénieurs et les artistes se sont occu- pés, à différentes reprises, avec beaucoup de zèle, de l’importante question de l'éclairage des côtes; maismal- LES PHARES. 3 heureusement on n’a donné que fort peu de publicité aux résultats de leurs travaux ; aussi serait-il très-difficile de tracer une histoire à la fois exacte et détaillée des amé- liorations succéssives par lesquelles les phares ont été _ amenés à l’état où nous les voyons aujourd'hui. Les ren- seignements qui nous sont parvenus sur les nombreux établissements de ce genre qui existaient chez les Grecs et chez les Romains, sont uniquement relatifs à la hau- teur, à la forme et à la solidité des édifices, qui, le plus souvent, étaient construits en pierres blanches, afin qu’ils pussent servir de signal le jour. À Pouzzoles, à Ravenne, par exemple, les monuments étaient magnifiques, mais ils péchaient par l'appareil optique. Tout ce que l’on savait faire, c'était d'allumer au sommet de chaque tour des feux qui ne jouissaient pas d’une intensité constante, et qui souvent même s’éteignaient par la négligence des gardiens. Quelques historiens parlent, il est vrai, d’un grand miroir que Ptolémée Évergète fit placer sur la tour d'Alexandrie, et qui était destiné à observer les flottes ennemies; mais les exagérations ridicules dont le récit de ces auteurs est accompagné, nous est un sûr garant qu’ils n'auraient pas négligé de parler des autres propriétés de ce miroir, si jamais on avait eu l’idée de s’en servir comme réflecteur, Nous n'avons donc aucune donnée exacte ni sur la nature ni sur la vivacité des feux que les anciens allu- maient sur leurs phares, et qui, le soir, devaient avertir les navigateurs de l’approche des écueils, ou leur indi- quer l'entrée des ports; à plus forte raison ignorons- nous si l’on s'était occupé des moyens de diversifier les 4 LES PHARES. feux ; attention du reste peu importante dans les mers resserrées que parcouraient les navigateurs grecs, mais sans laquelle un phare est quelquefois plus nuisible qu'’utile à ceux qui viennent d'exécuter un voyage de long cours : aussi les modernes se sont-ils occupés de bonne heure de la solution de cette partie du problème. C’est dans la vue de diversifier les feux qu’on recommandait, par exemple, d'allumer du charbon de terre dans un phare, d’alimenter le feu du phare voisin avec du charbon de bois, et de n’employer que du bois sec dans le signal qui suivait ces deux-là ; mais ce moyen est très-impar- fait : des nuances de couleur ou d'éclat aussi fugitives que celles de ces divers feux, doivent disparaître à de grandes distances, ou être modifiées par une foule de cir- constances atmosphériques. La lumière claire et blanche du bois sec, par exemple, peut acquérir, en traversant ‘ un brouillard même léger, une teinte rouge beaucoup plus foncée que celle dont jouit naturellement la flamme du charbon de terre. CHAPITRE III DES PHARES MODERNES … Les phares ne sont sortis de l’état d’imperfection que je viens de décrire, qu'après 1784, après l'invention, faite par Argand, de la lampe à double courant d'air. A cette époque, Borda, qui a laissé dans la marine fran-. çaise une trace si glorieuse, imagina, non-seulement de substituer les lampes d’Argand aux chandelles, mais encore de les placer au foyer de réflecteurs paraboliques; LES PHARES. 5 - par là on remplaçait par une lumière constante les feux ternes, vacillants et dispendieux du bois et du charbon; par là on rendait parallèles des rayons qui, autrement, auraient été divergents; par là on transformait en un véritable cylindre de lumière, des rayons qui n'auraient porté à l'horizon qu’une lumière insensible et inutile. Ces innovations trouvèrent cependant, à l’origine, beaucoup de contradicteurs, et il faut convenir que ce ne fut pas sans motifs : les premiers réflecteurs étaient sphériques et portaient à leur foyer des mèches plates, fort ternes, semblables à celles qu’on adapte aux réver- bères de nos rues qui n’ont pas encore le privilége d’être éclairées par la belle flamme que produit la combustion du gaz. La lumière déjà peu intense que le réflecteur renvoyait dans la direction de son axe, devenait extré- mement faible aussitôt qu’on s’éloignait de cette ligne ; en sorte qu’en supposant, ce dont il est cependant per- mis de douter, que l'intensité de la lumière, dans cet appareil, surpassâät celle des feux ordinaires de bois ou de charbon, ce ne pouvait être que dans des points fort rapprochés de l’axe du réverbère, tandis que partout ailleurs les feux devaient avoir un avantage marqué sur le réflecteur. Les phares à réflecteur parabolique n’avaient pas les mêmes inconvénients, et ils ont pu être géné- ralement appréciés et acquérir quelque crédit lorsque plusieurs artistes habiles se sont occupés, avec un zèle très-louable, de leur construction, et lorsqu'ils sont par- venus à leur donner la forme de paraboloïdes de révolu- tion, et un poli suffisamment vif et régulier. L'invention des miroirs paraboliques, il faut le recon- 6 LES PHARES. naître, n’est pas néanmoins sans inconvénients; le cylindre de lumière réfléchie n’a plus que la largeur du miroir; la zone qu’il éclaire a précisément les mêmes dimensions, et, à moins qu’on ne multiplie les miroirs outre mesure, il existe une foule de directions dans lesquelles le navigateur n’aperçoit rien. Borda vainquit cette difficulté en donnant, à l’aide d’un mécanisme d'horlogerie, un mouvement de rotation à l’ensemble des réflecteurs. Le cylindre de lumière se trouve ainsi suc- cessivement dirigé vers tous les points de l'horizon; et en adoptant des mouvements de rotation d’inégale durée, on a le moyen d’individualiser chaque phare et d’empê- empêcher que le navigateur ne prenne un phare pour un autre. La lumière des phares ne peut plus jamais être confondue avec les feux accidentels de la côte, ou même avec des feux malicieusement allumés, pour occasionner des naufrages, La commission permanente des phares que le gouver- nement nomma dès 1811 pour donner son avis sur toutes les questions que peut soulever l'exécution des phares, trouva le phare de Cordouan établi d’après les principes précédents : la mèche de la lampe que Borda avait fait adapter à chacun des réflecteurs, n’avait pas moins de 8 centimètres de diamètre. La convenance de ces énormes dimensions parut douteuse, et, en effet, l'expérience montra bientôt qu'une mèche de 14 millimètres de dia- mètre seulement donnait beaucoup plus de lumière avec une dépense d'huile infiniment moindre. De là résulte dans nos phares une amélioration importante, et qui obtient l'entière approbation des navigateurs. LES PHARES. 7 J'avais été chargé par mes collègues de présider aux expériences de la commission ; mais des occupations nom- breuses ne me permettant pas de me livrer à ce travail avec toute la suite désirable, je demandai au commence- ment de 1819 qu’on voulût bien m'adjoindre an colla- borateur. Je dois regarder, comme un des bonheurs de ma vie, d’avoir, dans cette circonstance, soupçonné qu'un ingénieur, alors presque inconnu, serait un des‘hommes dont les découvertes illustreraient le plus notre patrie ; d’avoir obtenu que Fresnel devint le secrétaire de la commission des phares. Ce savant célèbre imagina d’abord d'appliquer de grandes lentilles à Féclairage de nos côtes; de les con- struire par petits fragments, de se rendre ainsi indépen- dant des imperfections de l’art du verrier qui ne sait pas encore produire de grandes masses de verre d’une :cer- taine épaisseur, bien diaphanes et sans stries intérieures. Tout cela fut tout aussitôt exécuté que conçu : des expé- riences nombreuses et délicates amenèrent aussi à la construction d’une lampe à plusieurs mèches concentri- ques, dont l’éclat égalait plus de vingt fois celui des meilleures lampes ordinaires à double courant d’air. C'est en combinant les lentilles de Fresnel avec la lampe multiple, qu’on a obtenu d’aussi étonnants résultats. Cha- cun de nos grands phares envoie maintenant sur tous les points de l’horizon une lumière égale à celle qu’on obtiendrait en rassemblant le tiers de la quantité totale des lampes à gaz qui tous les soirs éclairent les rues, les théâtres et les magasins de Paris. 8 LES PHARES. CHAPITRE IV SUR LES PHARES A RÉFLECTEURS PARABOLIQUES La lumière qui s'échappe d’un point rayonnant en divergeant dans toutes les directions, se trouve, à la dis- tance d’un mètre, uniformément répandue sur la surface d’une sphère d’un mètre de rayon ; à une distance dé- cuple, sur une surface semblable dont le rayon serait de 10 mètres, et ainsi de suite. Les étendues superficielles des surfaces sphériques étant entre elles comme les earrés des rayons, il est évident que l'intensité de la lumière décroîtra d’une sphère à l’autre dans le même rapport. A des distances exprimées par À, 10, 100, etc., ces inten- sités seront 1, 1/100°, 1/10000°, eic, C’est pour cela-que les lumières les plus vives que les hommes sachent pro- duire, éclairent très-imparfaitement dès qu’on en est un peu éloigné. Plaçons maintenant un point rayonnant au foyer d’un miroir parabolique. Tous les rayons émanés de ce point, qui tombent sur la surface polie du miroir, se réfléchis- sent en devenant parallèles à son axe; leur divergence primitive est détruite ; ils forment désormais un faisceau cylindrique de lumière qui, sauf l'absorption occasion- née par l’atmosphère, se transmettra à toute distance avec le même éclat. | L'immense avantage que le miroir vient de nous pro- curer, n’est pas néanmoins sans inconvénient, Je n’indi- querai pas seulement la déperdition de lumière qui pro- vient de l’imperfection du poli des miroirs et de ce que DR. lentille rend parallèles, par réfraction, tous les rayons qui la traversent, quel que soit leur degré primitif de divergence, pourvu que ces rayons partent du foyer. Des lentilles peuvent donc être substituées aux miroirs paraboliques. Il semble même qu'il doive y avoir à cela une grande économie; car si lon dispose un certain nombre de ces lentilles sur la circonférence d’un même cercle, elles pourront être simultanément éclairées par une seule flamme placée à leur commun foyer, tandis qu’en suivant l’autre méthode, chaque miroir devant avoir sa lumière particulière, le nombre de ces lumières, dans un phare, sera nécessai- rement égal à celui des miroirs. | : Examinons ; toutefois, si l'avantage dont nous venons 30 LES PHARES. de parler est aussi grand qu'on pourrait l’imaginer au premier abord. Dans les paraboloïdes, tels qu'on les exécute en France, si l’on conçoit que l’œil soit placé au foyer, on trouvera que la surface polie du miroir embrasse les sept dixièmes de la sphère. Sept dixièmes de la lumière totale tombe- ront donc sur cette surface. Là, dans l'acte de la réflexion, Pabsorption les réduira à la moitié de leur intensité pri- mitive. Au total, le faisceau cylindrique de lumière que le miroir enverra vers l’horizon ne se composera que de la moitié de sept dixièmes, ou d'environ les trois dixièmes de la lumière focale. Si je ne parle pas des rayons qui sortent directement par l'ouverture du miroir, c’est qu’ils s’affaiblissent si rapidement par divergence, que leur effet, même à une distance médiocre, peut être regardée comme tout à fait négligeable. Quand on emploie une lentille, pour déterminer de même le rapport de la lumière utilisée à la lumière pro- duite , il faut considérer celle-ci comme répartie sur la surface d’une sphère dont le point rayonnant serait le centre, et déterminer la portion de cette surface que la projection de la lentille y occuperait. Une lentille quadran- gulaire qui, vue de son foyer, sous-tendrait dans tous les sens un angle de 45°, ne recevrait pas tout à fait le vingtième des rayons émanés de la lampe focale; il n’y aurait donc qu'un vingtième de la lumière de cette lampe, même en faisant abstraction de l’absorption, qui serait lancé en rayons parallèles dans la direction de l’horizon. Un miroir parabolique ordinaire, armé d’une lampe pa- reille, produirait, comme on a vu, un effet six fois plus vif, LES PHARES. 31 Il résulte de cette discussion, que dans un phare à lentilles une portion de la lumière focale va, sans utilité, se perdre dans l’espace ou sur le sol. Pour rendre de tels | phares préférables à ceux qui sont composés de miroirs paraboliques, il faut done deux choses : donner aux len- tilles de larges dimensions, en sorte que du foyer elles embrassent de très-grands angles dans tous les sens; augmenter considérablement la vivacité de la lumière focale. Sans cette augmentation, les phares lenticulaires seraient de beaucoup inférieurs aux phares à réflecteurs. Avec des lentilles de 45° d'amplitude , les premiers exige- raient une lumière six fois plus forte que les autres. C’est faute d’avoir fait ces remarques, que les phares lenticu- laires établis en Angleterre n’ont pas réussi. Quand une lentille sous-tend, de son foyer, un angle de h5°, pour que les rayons aboutissant aux bords devien- nent parallèles à ceux qui passent par le centre , il faut qu’ils y rencontrent des prismes capables de les dévier de 22°.5, ce qui exige, en crown-glass, des angles de 40°. Or, une lentille sphérique un peu grande, terminée sur ses bords par des angles de 40°, aurait dans presque toute son étendue et surtout au centre, une très -forte épaisseur ; sa diaphanéité serait très-imparfaite, et son énorme poids fatiguerait beaucoup le mécanisme destiné à diriger successivement le faisceau lumineux sur tous les points de l'horizon. Cette difficulté n’est pas insurmontable : choisissons , en effet, sur une lentille sphérique, un espace d’une cer- taine étendue superficielle; déterminons son foyer. Tra- vaillons ensuite sur des courbes identiques un fragment 32 LES PHARES. de verre de la même qualité, d’une égale étendue, mais seulement beaucoup plus mince ; on trouvera que sa distance focale différera peu de celle du segment épais, soit que les portions comparées aient été prises près du centre de la lentille ou dans le voisinage du bord. Ainsi la longueur du foyer dépend presque exclusivement des deux courbures du verre. Mais si l'épaisseur n’a, à cet égard, aucune influence sensible, rien ne s’oppose à ce qu'on la diminue à volonté. Prenons autour du centre d’une lentille ; sur la surface supérieure, un espace d’une certaine étendue, et supposons qu’en l’abaissant parallè- lement à lui-même, on l’amène à toucher presque la sur- face opposée ; l'effet de la lentille n’en sera pas changé, quoiqu'il y ait alors dans le verre un ressaut considé- rable. La même opération, faite dans tout autre point, n’altérerait pas davantage la distance focale, Concevons donc qu’une lentille ordinaire soit partagée aux anneaux concentriques ; on pourra ôter , dans chaque anneau, la partie inutile de son épaisseur et former un verre compa- rativement léger, à ressauts, et qui, du reste, aura toutes les propriétés de la lentille primitive. Ces lentilles ont été décrites par Buffon, qui en est le véritable auteur. Il les appelait lentilles à échelons. Con- dorcet proposa, plus tard ; de les former de pièces de verre séparées ; mais malgré cela elles étaient à peu près restées, jusqu’en 1820, dans le domaine des simples spéculations. C’est Fresnel qui a créé les moyens de les construire avec exactitude et économie, c’est lui qui a eu, le premier, la pensée de les appliquer aux phares. Gette application toutefois, je dois le faire remarquer de nou- _— LES PHARES, 33 veau, n'aurait conduit à aucun résultat utile, si on ne l'avait point combinée avec des modifications convenables dans la lumière focale, Dans les phares du premier ordre à huit lentilles de 5° d'amplitude, on place au foyer commun une lampe à double courant d’air, portant quatre mèches concen- triques, et dont l’éclat égale celui de dix-sept lampes de Garcel. Les quatre faisceaux de lumière horizontaux qu'elle donne par l'intermédiaire des lentilles, ont une intensité qui surpasse trois fois, au moins, celle des cylindres lumineux qu’on obtenait avec les anciens réflec- teurs armés d’une lampe ordinaire. Ainsi, l’avantage serait encore du côté des lentilles, lors mêmes que les réflecteurs auraient été réunis par groupes de trois, ct cela sans parler de la difficulté de rendre leurs trois axes exactement parallèles. Je n’ai pas besoin d’entrer ici dans de plus amples détails, sur ces lampes à mèches multi- ples, le Mémoire spécial qui constitue le chapitre précé- dent étant complétement suffisant pour faire juger l'im- portance de ce perfectionnement. CHAPITRE VII EXAMEN DES CRITIQUES DONT A ÉTÉ L'OBJET LE NOUVEAU SYSTÈME D'ÉCLAIRAGE DES PHARES USITÉ EN FRANCE Dans le mois de mai 1827, M. Brewster a lu, à la Société royale d’'Edinburgh, dont il est le secrétaire, une dissertation intitulée : Account of a new system of illumi- nation [or hghthouses. Un exemplaire de cet écrit m’étant VI — nt. 3 34 LES PHARES. tombé dans les mains, j'ai cru devoir à la mémoire de Fresnel, plus encore qu’à mon titre de membre de la commission des phares, de ne pas le laisser un instant sans réponse, Je reproduis ici à peu près textuellement l’article que j'insérai alors dans les Annales de chimie et de physique (t. xxxvi1). On y remarquera les traces de l'irritation que l'attaque m'avait causée. Mes devoirs envers la mémoire de Fresnel ne me permettent pas de supprimer la discussion qu’on va lire. Le savant secrétaire de la Société royale d’Edinburgh affirme qu’il a proposé le premier de construire par pièces (aoith a number of separate pieces) les lentilles à échelons de Buffon, et cite à l’appui de sa prétention l’article Bur- ning instruments, imprimé en 1811 dans l'Encyclopédie écossaise. M. Brewster me permettra-t-il de citer, à mon tour, les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1788, page 54? Voici ce qu’on y trouve: « On pourrait même composer de plusieurs pièces ? ces loupes à éche- lons; on y gagnerait plus de facilité dans la construction, une grande diminution de dépense, l'avantage de pouvoir leur donner plus d’étendue, et celui d'employer, suivant le besoin, un nombre de cercles plus ou moins grand, et d'obtenir ainsi d’un même instrument différents degrés de force. » (Éloge de Buffon , par Condorcet.) De 1788, si je ne me trompe, jusqu’en 1811, il y a vingt-trois ans 1. Je crois devoir faire remarquer que Condorcet a parlé de pièces et non pas de zones concentriques. M. Poinsot en à fait depuis long- temps l’observation à l’Académie des sciences. Je ne répondrai donc à tous les arguments que l’on pourrait accumuler à ce sujet, qu’en prouvant, par le dictionnaire, que pièces et zones ou anneaux ne sont pas synonymes. LES PHARES. 35 bien comptés. L’impartialité si connue de M. Brewster me fait donc espérer qu’il se désistera de sa prétention, et qu’à l'avenir, toutes les fois qu’il parlera des lentilles à échelons composées de pièces de verre séparées, il cédera - la première place à Condorcet, Je voulais d’abord borner mes remarques à ce peu de mots, mais le mérite de M. Brewster est trop distingué ; il a rendu aux sciences des services trop réels, pour que je ne pense pas devoir signaler ici tous les désagréments auxquels pourrait l’exposer un jour cette bizarre dispo- sition d'esprit qui lui fait continuellement revendiquer, à tort et à travers, les découvertes d'autrui. Pour atteindre ce but, il me suffira de faire une supposition bien mo- deste : j'admettrai qu'il y ait de par le monde une seule personne dont M. Brewster ait examiné les travaux avec colère , avec des sentiments de haine , et que, dans un désir de récrimination, peut-être excusable, cette per- sonne se soit avisée de chercher si le Mémoire concernant les phares fait honneur aux lumières et à la sincérité de son auteur. | Voici comment j'imagine qu’elle procéderait : - Son écrit serait intitulé Représailles ; il commencerait, en effet, par une analyse succincte des articles de polé- mique les plus saillants, insérés dans les journaux d’Edin- burgh; on insisterait particulièrement sur quelques dia- tribes , dont l’illustre M. Leslie a été l’objet; voire même sur certaine condamnation judiciaire qui en a été la con- séquence, etc., etc. On citerait avec guillemets le passage de l’éloge de Buffon que j'ai rapporté; et pour ôter à M. Brewster la 36 LES PHARES. satisfaction de déclarer que cet éloge lui était inconnu, son antagoniste lui dirait: le tome v de l'Edinburgh Encyclo- pædia renferme les articles Buffon et Burning instru- ments ; ils sont l’un et l’autre signés (6); M. Brewster se déclare aujourd’hui l’auteur du second, donc l’article Biographique lui appartient également. Cet article, dans l’ordre alphabétique , précède celui que l’auteur a consacré aux Burning instruments ; or, l'éloge de Buffon par Condorcet y est cité à la page 78, deuxième colonne ; donc l’auteur (M. Brewster ) n’ignorait pas qu’on avait proposé, dès 1788, de construire par pièces les lentilles à échelons ; donc il devait le savoir aussi quand il impri- mait postérieurement l’article Burning instruments ; donc il se donnait alors comme l'inventeur d’une méthode qui ne lui appartenait pas, et qui était textuellement indi- quée dans un ouvrage imprimé qu’il avait lu. En une occurence semblable, ajouterait le critique, se contenter de repousser la réclamation comme dépourvue de toute justice, ne serait pas assez ; on doit de plus, dans l'intérêt des sciences et de ceux qui les cultivent, caractériser un tel procédé ainsi qu’il le mérite ; plus le savant à qui on l’impute est célèbre, plus il a fait de découvertes, et moins il faut être indulgent , de crainte que Kpsemple ne devienne contagieux, etc., etc. Je laisse maintenant de côté le personnage fictif set j'examine, pour mon propre compte, la suite du Mémoire de M. Brewster. Cet habile physicien, comme on a vu, se dit l’inven- teur des lentilles à échelons. Le lecteur sait maintenant à quel point cette prétention est dénuée de fondement ; je LES PHARES. 37 vais, toutefois, l’admettre pour un moment, et demander s’il s’en suivrait que M. Brewster a aussi inventé le nou- veau système d'éclairage des phares? Dans le fameux article Burning instruments de 1811, . Je mot de phare ne se trouve nulle part. L'auteur, comme Buffon, avait uniquement en vue les phénomènes de fusion que la lumière solaire est susceptible de produire. Tous les artifices qu’il propose tendent à réunir en un seul point les foyers de plusieurs lentilles séparées. Dans son appareil une seule de ces lentilles reçoit directement les rayons du soleil; les autres sont éclairées à l’aide des rayons réfléchis par des miroirs plans. Les foyers de deux lentilles placées même dans des directions perpendicu- laires, peuvent être ainsi amenées à coïncider. Des figures nombreuses, fort bien gravées, accompagnent le Mémoire ; mais dans tout cela, je ne saurais trop le répé- ter, pas un seul mot de phare, pas une seule ligne d’où l'on puisse induire que l’auteur ait jamais songé à une telle application des lentilles. Ceux qui ont lu les nom- breux écrits de M. Brewster ne supposeront pourtant pas que cette idée, si elle s'était presentée à son esprit, n’au- rait pas été immédiatement publiée. Existe-t-il , en effet, de nos jours, un physicien plus avide de succès popu- laires, et qui cherche avec un soin plus minutieux les appli- cations dont les expériences sont susceptibles ? Le savant écossais n'est-il pas, à cet égard, entièrement hors de ligne, depuis le fameux Mémoire d’optique dans lequel, après avoir cherché à établir qu’on voit toujours plus net- tement une ligne verticale que toute autre ligne horizon- tale ou inclinée, il s’extasie sur le parti avantageux que 38 LES PHARES. le peintre en bâtiments et le décorateur devaient tirer. de cette découverte ? Le nouveau système d'éclairage des phares n’est pas explicitement contenu dans l'Encyclopédie d'Edinburgh ; mais peut-être, dira-t-on, qu’il y est implicitement. Pour ma part, je ne fais aucun cas des découvertes implicites. Toutes les prétentions de ce genre me paraissent devoir être assimilées à celles de l’ouvrier de Carrare, qui se croyait le véritable auteur du Laocoon parce qu'il avait extrait de la carrière le bloc dans lequel cet admirable groupe était renfermé, tandis que, suivant lui, le sculp- teur ne pouvait prétendre qu’au très-faible mérite d’avoir enlevé à coups de ciseau les morceaux de marbre qui en masquaient les formes. Toutefois, pour ne laisser aucune objection sans réponse, j’examinerai les arguments, pa- reils à ceux de l’ouvrier carrarais, dont M. Brewster étaie ses tardives prétentions. Ils se trouvent réunis dans le passage que voici : « Geux qui connaissent les lois suivant lesquelles se distribue la lumière qui traverse des lentilles ou qui tombe sur des réflecteurs, ont à peine besoin que je leur dise que les appareils les plus propres à opérer la combustion à l’aide des rayons solaires, sont aussi les plus conve- nables quand il faut produire la colonne d’illumination dans les phares. (Je traduis mot à mot.) Il n’y a entre les deux opérations qu’une seule différence : dans l’un des cas, les rayons parallèles du soleil passent à travers la lentille et se réunissent au foyer ; tandis que dans l’autre, les rayons partant du foyer, après avoir été réfractés par la lentille, deviennent parallèles, Donc les LES PHARES. 39 lentilles polyzonales et les sphères à combustion (burning spheres) décrites précédemment, sont particulièrement applicables à l'éclairage des phares. » Qu'y a-t-il dans toutes ces phrases? 1° Un principe d'optique connu depuis plus de deux cents ans ; 2° la … proposition d'employer les lentilles au lieu des miroirs paraboliques pour empêcher les rayons de la lumière focale de diverger, proposition tardive sur laquelle d’ail- leurs M. Brewster n’a aucun droit, puisqu'il cite lui- même un phare lenticulaire établi dès 1789 dans l'ile Portland ; 3° enfin, l’idée que les lentilles polyzonales contribueraïient un jour à l'amélioration des phares. J’au- rais bien voulu pouvoir concéder à M. Brewster le mérite d’avoir, sur ce dernier point, deviné juste; mais avant de le déclarer prophète, j'ai dû compulser les dates, les inexorables dates : or, le passage guillemeté n’est que de 1827, tandis que le Mémoire de Fresnel, qu’avaient précédé de si longues, de si nombreuses expériences, remonte à 1822; tandis que le phare à grandes lentilles polyzonales de Cordouan, dirige depuis le 20 juillet 1823 les navigateurs de toutes les nations qui fréquentent l'embouchure de la Gironde; tandis que le phare lenti- culaire de Dunkerque, dont M. Brewster pourrait peut- être constater l'existence sans quitter son pays, éclairait déjà la mer du Nord à la fin de 1824, etc., etc. Ceux qui ont étudié l’optique, dit M. Brewster, n’ont pas besoin que je leur apprenne que l’appareil lenticu- laire le plus propre à produire des phénomènes de com- bustion, doit être aussi le plus avantageux quand il s’agit d'éclairer un phare; l’une de ces opérations est l'inverse 40 LES PHARES. de l’autre. Tout cela est vrai, sans que M. Brewster puisse s’en prévaloir. Lorsque Montgolfier imagina de lancer les ballons dans l’espace, il fit une application du principe d’hydrostatique le plus commun, le plusancien- nement connu; son expérience était tout simplement l'inverse de celle que fait un couvreur quand il laisse tomber une tuile d’un toit dans la rue. Cependant, du consentement unanime du monde savant, les ballons sont une des plus belles découvertes du siècle dernier. Je le demande, enfin, à toute personne de bonne foi, le ridi- cule ne ferait-il pas une prompte justice de l’auteur qui présenterait Archimède, Kircher, Villette, etc., etc., comme les inventeurs des phares à réflexion; Tschirn- hausen, Buffon ou Condorcet, comme les créateurs des phares lenticulaires; or, les droits de M. Brewster, sur la question des phares, sont évideminent au-dessous de ceux qu’on aurait à faire valoir en faveur de ces divers physiciens. Plusieurs articles que M. Brewster a publiés, soit contre mes amis, soit contre moi-même, me donneraïent certainement le droit de rechercher si les erreurs dont le Mémoire sur les phares fourmille, sont seulement l'effet de cette préoccupation à laquelle cèdent si facilement les auteurs quand ils ont à prononcer sur leurs propres ouvrages; mais j'abandonne cet examen : ma tâche est déjà assez pénible sans cela. Un seul passage exige impé- rieusement deux mots d'explication : je trouve, dans le Mémoire que je réfute, qu’aussitôt que M. Brewster eut appris de M. Stevenson qu’on s’occupait en France des phares lenticulaires, « il désigna immédiatement à cet à . 12 A LES PHARES. 41 ingénieur les perfectionnements dans la construction des lentilles, et les moyens de les arranger pour l'éclairage (for the purposes of illumination) qu'il avait suggérés dans l'Encyclopédie d’'Edinburgh. » Or, il m'en coûte beau- coup de le dire, il n’est point exact que M. Brewster ait rien suggéré dans son Encyclopédie sur l'emploi des lentilles for the purposes of 1llumination ! M. Brewster déclare, dans son nouveau Mémoire, que cette application se présenta de bonne heure (early) à son esprit. Là, il reconnaît donc qu'après avoir fait les lentilles, il fallait encore songer à l’application. De bonne heure veut dire sans doute peu de temps après l’article de 41811 : l’idée de l'application ne saurait être de la même date, car, sans cela, il n'aurait pas manqué d’en faire mention ; comment arrive-t-il donc qu'aujourd'hui M. Brewster renvoie toujours le lecteur à cet article de 1811, si, comme il l’a avoué, par inadvertance sans doute, l'idée de l'illumination par des lentilles lui est venue postérieurement? Je n'ajoute plus que deux lignes de résumé, et cette partie de la discussion sera termi- née : M. Brewster a publié en 1811 un traité très-détaillé sur les moyens de brûler à distance à l’aide des rayons solaires ; j'ai déjà prouvé que les lentilles dont il se sert pour cela, appartiennent à Buffon et à Condorcet. Je crois avoir établi aussi clairement, que l’auteur n’avait rien écrit jusqu’en 1827 sur J’application de ces lentilles aux phares. Ses prétentions à cet égard sont de tout point insoutenables, car j'ai fait voir que le mot de phare ne se trouve pas une seule fois dans le long traité des bur- ning instruments. Cette seule circonstance, je ne saurais 42 LES PHARES. en douter, sera aux yeux des juges impartiaux, une démonstration évidente des droits exclusifs de Fresnel à l'invention des appareils lenticulaires. Tout ce que M. Brewster aurait pu concevoir tôt ou tard, concernant l'application des lentilles, n’existerait pour le public qu’à partir du jour de la publication. Je pourrais, je devrais peut-être m’en tenir à cet argument; mais, pour n’y plus revenir, je vais prouver (j'emploie ce mot à dessein) que le savant écossais n’avait aucunement songé aux phares avant l'impression du Mémoire de Fresnel. L'article Burning instruments de 1811, ne parle des lentilles qu’autant qu’elles servent à fondre ou à enflam- mer les corps. À la rigueur l’auteur pourrait soutenir qu’il réservait pour un autre temps, pour une autre circon- stance, l'indication des applications d’une nature diflé- rente dont ces appareils lui semblaient susceptibles : les applications aux phares, par exemple; mais, je le deman- derai, ce temps-là n'est-il pas arrivé, mais cette circon- stance ne s’est-elle pas présentée avant les travaux de Fresnel? M. Brewster n’a-t-il pas publié en 4819, en sa qualité d’éditeur de l'Encyclopédie d’Édinburgh, une grande dissertation de M. Stevenson sur les phares (light- houses)? N’y trouve-t-on pas l'indication des améliora- tions dont cet habile ingénieur imagine que ces établis- sements sont susceptibles? M. Brewster pouvait-il ren- contrer une occasion plus favorable pour mettre le public dans la confidence de ses projets? Une note, et l’éditeur de l'Encyclopédie n’en est pas ordinairement avare, une simple note de deux lignes suffisait pour cela : mais on la chercherait vainement. Ce n’est qu'après que Fresnel a th PR LES PHARES. 43 décrit et fait exécuter des phares lenticulaires; ce n’est qu'après qu'ils ont été établis sur nos côtes, aux applau- dissements des marins, que M. Brewster se rappelle ses anciennes idées ; c’est alors seulement qu’il les réclame . comme son invention, Ses titres de propriété se trouvent, suivant lui, dans un article de 1811, où l’on serait peu tenté de les chercher, car le mot de phare ne s’y ren- contre pas une seule fois; mais par une compensation bien singulière, il ne peut pas puiser un seul argument à l'appui de ses prétentions, dans un traité ex-professo, qu'il a publié huit ans plus tard, et qui a précisément les phares (lighthouses ) pour objet. Je laisse au lecteur à rechercher si l’histoire des sciences a offert jusqu'ici un exemple de réclamation qu’on puisse comparer à celle du savant d'Édinburgh. Dans les appareils à combustion, M. Brewster fait concourir en un même point les foyers de différentes len- tilles ; une seule reçoit directement la lumière solaire ; les autres sont éclairées par des rayons réfléchis. Dans les nouveaux phares, les rayons venant du foyer qui passent au-dessus de chaque grande lentille, sont recueillis sur une lentille de moindre dimension qui les rend parallèles, et ils se trouvent rejetés ensuite dans la direction de l’horizon à l’aide d’un miroir réfléchissant. M. Brewster insiste sur la ressemblance de ces deux appareils, mais il se garde bien de remarquer que les lentilles et les miroirs supérieurs, dans les phares français, n’ont aucunement pour objet d'augmenter l'intensité de la lumière des len- ülles principales; qu’ils sont destinés seulement à accroître la durée des apparitions du feu tournant dans chaque 44 LES PHARES. direction ; que c’est pour cela que les faisceaux cylindri- ques auxquels ils donnent naissance, ne sont pas paral- lèles aux faisceaux fournis par l’intermédiaire des grandes lentilles. Est-il arrivé, par hasard, que M. Brewster n’a pas compris cette partie de l'invention de Fresnel? Enfler ses titres, affaiblir ceux d'autrui, a toujours été la tactique des faiseurs de réclamations. Je ne dois donc pas m’étonner que M. Brewster l'ait suivie, et qu’il ait constamment présenté les lentilles à échelons comme la seule particularité digne de remarque qu’offrent les nou- veaux phares, Telle est cependant, je l’ai déjà expliqué, la liaison intime de toutes les parties de ce système, que sans l’emploi de la nouvelle lampe à mèches multiples, les phares à réflecteurs seraient préférables aux nouveaux et auraient plus d'éclat. Si l'invention de la lampe n'avait pas précédé celle des lentilles, l'emploi des lentilles aurait dû être rejeté. C’est là, suivant toute apparence, la prin- cipale cause qui avait empêché jusqu'ici les phares lenti- culaires de se propager en Angleterre. J’engage donc M. Brewster à fouiller de nouveau dans l’article Burning instruments, et à rechercher si la lampe n’y est pas implicitement décrite, Il s’est trop aisément tenu pour battu sur ce point, sans songer que la concession tirait à conséquence, Quand il s’occupa (early) des phares lenti- culaires, son projet était sans doute d'améliorer ce qui existait; or, sans la lampe, malgré les lentilles, point d'amélioration praticable ; la lampe lui ést donc indispen- sable ; je lui conseille d’y penser sérieusement, La lampe à mèches multiples est, à ce qu'assure M. Brewster, une simple combinaison des inventions de LES PHARES. 45 Rumford et de Carcel. Les auteurs de la lampe n’avaient pensé, en l’exécutant, qu'aux utiles applications dont elle leur paraissait susceptible. Quand ils la décrivirent pour la première fois, ils firent à leurs devanciers une part cer- tainement plus large (Voir p. 19) que la stricte justice ne l’exigeait, Maintenant que sous la plume de M, Brewster la lampe est devenue celle du comte de Rumford, quel- ques détails historiques paraîtraient indispensables ; mais je les supprimerai, puisque cette question m'intéresse personnellement. En écrivant ce long article, j'ai désiré seulement venger la mémoire d’un compatriote de l’at- taque la plus inconsidérée, J’ai tenu surtout à prouver que l’ami dont une mort cruelle m'a si promptement séparé, n’avait pas seulement attaché son nom aux plus subtiles, aux plus ingénieuses découvertes de l'optique, mais qu’il avait encore acquis, par l'invention des phares lenticulaires, des droits incontestables à la reconnaissance des marins de toutes les nations, CHAPITRE VIII DES PHARES ET FANAUX ALLUMÉS ACTUELLEMENT SUR LES CÔTES DE FRANCE La plupart des appareils employés aujourd’hui à l'éclairage des côtes de’ France sont des appareils len- ticulaires. Quelques feux de faible portée ou destinés à n'éclairer qu'un espace angulaire très-restreint sont seuls munis de réflecteurs, c’est-à-dire sont des appareils catoptriques. On doit cette révolution opérée dans l’éclai- rage de nos côtes aux beaux travaux de Fresnel, dont 46 LES PHARES. j'ai déjà fait l'analyse, et au soin qu’a mis la commission des phares à seconder les efforts de mon illustre ami et à développer sa découverte. Par un arrêté, en date du 21 juillet 1813, pris par le comte Molé, alors directeur général des ponts et chaussées, je fus nommé membre de cette commission composée d’inspecteurs des ponts et chaussées, d'officiers supérieurs de la marine et de membres de l’Académie des sciences. II m'a été ainsi donné de suivre pendant quarante années les travaux de perfectionnement de cette importante branche des ser- vices publics. J’ai déjà dit que je regardais comme un des bonheurs de ma vie d’avoir, dès 1819, fait attacher Fresnel, alors inconnu, aux travaux de la commission des phares; cinq ans plus tard, au mois de mai 1824, mon illustre ami devenait, en recevant du ministre le tre de secrétaire de cette commission, le véritable chef officiel du service des phares. Ge fut une bonne fortune pour l’administration que la collaboration de cet homme éminent; je dirai mieux, de cet homme de génie. Je veux faire comprendre dans ce chapitre l’impor- tance pratique de l'excellent système d'éclairage qui a été établi sur nos côtes, avec une dépense première de 5 millions seulement, et qui ne coûte chaque année que L00,000 à 500,000 francs. Encore la dépense annuelle est-elle, au demeurant, supportée par les navigateurs eux-mêmes, sous le nom de droits de feux. Or, quelques chiffres établiront nettement qu'un bon éclairage des côtes arrache chaque année à la mort plusieurs centaines. de nos plus utiles, de nos plus courageux concitoyens. De 1816 à 1831 , il y a eu sur les côtes France 1612 LES PHARES. 47 bris et naufrages. Aïnsi, par an, le nombre moyen de sinistres, comme disent les négociants et les assureurs, s'est trouvé pour toute cette période de 107, De 1816 à 1823, il s'élevait à 163. La grande diminution que ces nombres présentent doit être en partie l'effet de l’amélio- ration partielle introduite dans nos phares depuis 1823. Depuis que le système a été complété, le nombre 107 lui-même s’est trouvé considérablement diminué, eu égard à l'augmentation de la navigation. Les phares ne sauraient empêcher qu'un coup de vent brise un mât, qu’il forme une menaçante voie d’eau; mais alors même qu'ils ne réduiraient le nombre actuel de naufrages que d’un tiers, ils mériteraient toute l'attention. Si l’on compare les phares français aux phares étran- gers, on compte : Angleterre, Écosse et Irlande........... 126 phares. are rpm aies 138 — SE. LEE A SOUS ce vla 58 — Ces nombres, séparés de ceux qui font connaître le développement des côtes, ne donneraient qu’une idée imparfaite du système. Voici qui est plus significatif : Espacement moyen des phares. ee dde ses code bots a A0 kilomètres. MAIRIE) ALT 446 Ib 39 …— LL nn St. 43 — Les phares d'Angleterre coûtent annuel- lerent, . . . . PPS. TANT. F0 SE5:000 fr. Ceux des États-Unis. : . . . . . . . . 4,000,000fr. Les phares de France seulement, . .« 500,000 fr. 48 LES PHARES. Et cependant, à cause de la supériorité du système lenticulaire, nos côtes sont mieux éclairées que celles d’aucune autre nation. Aussi on ne doit pas s’étonner que les lentilles à échelons de Fresnel et les lampes à cou- rants d'air multiples soient appliquées aujourd'hui dans tous les pays du monde. Pour que l’on comprenne le sens de quelques expres- sions dont je vais me servir, je dirai en deux mots qu'il existe des phares dans lesquels on a tant multiplié les lentilles autour de la lampe centrale, que sa lumière par- vient à tous les points de l'horizon. On les appelle des phares fixes. D’autres phares, composés de lentilles de plus grandes dimensions, ne jetteraient leur éclat que dans. certaines directions déterminées, si un mouvement de rotation du système ne donnait successivement aux divers cylindres de lumière toutes les orientations possibles. Ces derniers phares prennent le nom de phares à éclipses ou de feux tournants, Pour obtenir plus de variété, on fait alterner dans quel- ques phares les éclipses avec des éclats, c’est-à-dire que les feux acquièrent progressivement en quelques secondes leur maximum d'intensité, et décroissent ensuite jusqu’au moment où ils disparaissent. Ces phares se distinguent des phares à éclipses ordinaires par l'intensité et la durée de la lumière fixe qui succède à chaque éclat en se main- tenant pendant deux, trois ou quatre minutes, selon la disposition de l'appareil, et par la courte durée de l’éclipse qui précède et qui suit immédiatement chacun de ces éclats, LES PHARES. 49 Les phares français proprement dits se partagent en trois classes. Nos phares du premier ordre portent, pendant les temps d’une grande pureté, la lumière jusqu’à 60 kilo- . mètres (15 lieues) de distance. La portée des phares du second ordre s'étend jusqu’à 40 kilomètres (10 lieues); celle des phares du troisième ordre va jusqu'à 28 kilo- mètres (7 lieues). Des distances de 15, de 10, de 7 lieues satisfont à tous les besoins de la navigation. Un simple rapprochement mettra en évidence ce que le premier de ces chiffres semblerait offrir d’indécis. Nous avons dit et tout le monde sait ce qu'est la lampe d’Ar- gand, la lampe à double courant d’air. Eh bien, un phare du premier ordre produit à l'horizon le même effet que h,000 de celles de ces lampes qui seraient concentrées en un seul et même point. L'intensité de la lumière ne suffit pas, du reste, pour limiter la portée d’un phare, à cause de la rondeur de la Terre ; il faut qu’un phare soit très-élevé pour que sa lumière puisse être vue de très-loin en mer. Après les phares proprement dits viennent les fanaux ou feux de port, destinés particulièrement à guider les navires qui veulent pénétrer dans les ports ou les rades. Ces signaux ont une moindre portée que les précédents, et ils ont à éclairer un espace angulaire plus restreint. La plupart des fanaux sont, comme les phares principaux, munis d'appareils lenticulaires, mais quelques-uns sont à réflecteurs ou catoptriques. Pour distinguer les phares les uns des autres, les uns sont à feux fixes, les autres sont à éclipses, les autres VI — 1x, [A 50 LES PHARES. encore sont variés par des éclats précédés et suivis d’éclipses, et quelques-uns sont colorés en rouge. Dans plusieurs phares, on emploie enfin des éclats rouges. Toutefois, les feux colorés en rouge sont plus souvent réservés pour les fanaux qui se distinguent, du reste, les uns des autres par leur fixité, par la durée des éclipses ou par celle des éclats. Voici maintenant la liste des phares établis sur nos côtes ; les élévations sont rapportées au niveau des plus hautes marées : | Gran- Éléva- Por- Départements. Noms des phares. &- vw ns pe Nature des feux. phares. phares. phares. m, kilom, Tr Ie Dunkerque. .... 1 59 44 à éclipses. CAEN -.. Gravelines. .... 3 29 28 fixe. Pas-de-Calais... Calais. .... .... 4 58 37 éclats et éclipses. — Cap Gris-Nez... 4 59 41 éclipses. — 2 phares de la baie d’Étaples ou de la Can- MRC ne ueusrs à 53 87 fixe. Somme....... Cayeux........ 8 28 28 éclats et éclipses. Seine-Infér... L’Ailly........ Pr | 93 50 éclipses. _—— Fécamp... 1 4130 33 fixe. — 2 phares de la Hève. +: 4: 494 1, 87:.fixe. — Fataurille. ou l'Homme de bois......... 41 1428 37 éclipses et éclats rouges. Calvados. . ... Pointe de Ver.. 3 L2 28 éclats et éclipses, Manche. . .... Pointe de Bar- | | flenpsies : o6, 14 72 A éclipses. — vus. Cap de la Hague. 4 L8 33 fixe. — .,.... Cap Carteret... 2 80 33 éclipses. —. ,,4:42.! les Chausey..…. 8 37 28 éclats rouges et éclipses. RTE Pa Granville...... "+ 47 28 fixe. Départements. Côtes-du-Nord. Finistère. .... Morbihan... Loire-Infér. .. Charente-Inf.. Gironde Basses-Pyrén. . Pyrén.-Orient. Hérault. ..... Bouches-du-R. LES PHARES. Noms des phares. Cap Fréhel..... Des Héaux de Bréhat..... 7 Sept-Iles....... Ile de Bas..,... Ile Vierge....., Ile d'Ouessant.. . Saint-Mathieu.. . Petit-Minou.... POrtIC...., FA Ile de Sein..... . Bec du Raz de vrprpe . Penmarc’h. .... Ile de Penfret.. Ile de Groix... Belle-Ile. ...... Ti do voue Aiguillon...... . Commerce. .... PUIen; . ilot. à Ile d'Yeu....... Haut banc du N. Baleines....... Pointe de Chau- Veau. : FR Chassiron....., Cordouan.. ..., Flottant du banc de Tallais.... Arcachon. ..... Cap Béarn....., Mont d'Agde... Ooitai .20h de 4 Aigues-Mortes. . Faraman....... PRIE T EUR À Gran- Éléva- Por- deurs tions tées des des des phares. phares. phares. m. kilom, 1 79 Ai 1 45 33 6) 56 28 1 68 Lh ô 33 28 1 83 33 2 54 33 6) 32 28 2 56 33 1 45 37 À 79 33 1 M1 M 8 36 28 £ 59 33 1 84 50 2 24 33 8 84 22 5) 39 26 2 92 33 4 54 33 3 24:20 1 50 Al 3 22 D L 50 33 1 63 50 3 10 17 1 51 33 1 73. LM 217209": +" 1226: 600 8 25 22 ô 20 28 1 38 33 LA h0 37 54 Nature des feux, éclipses.. fixe. éclats et éclipses, éclipses. éclats rouges ef éclipses. fixe. éclipses. fixe. éciats et éclipses. éclats et éclipses. fixe. éclipses. éclats et éclipses. fixe. éclipses. éclipses. fixe éclats et éclipses. éclats et éclipses. fixe. fixe. éclipses. fixe. fixe. éclipses, fixe. fixe. fixe. fixe. éclipses. fixe. éclats et éclipses, fixe. éclipses. 52 LES PHARES. Gran- Éléva- Por- Départements. Noms des phares. + tous LEA Nature des feux. phares. phares. phares. m, kilom. Bouches-du-R. Ile de Porquerol- UT PDP RCA 1 80 37 éclats et éclipses. — iv" RAP ES 5) 75 28 fixe. —— Cap Camarat.... 41 130 50 éclipses. —— Antibes........ 1.103 “837% 1ffre. Corse... ... .. Ile de Giraglia.. 4 82 Ai éclipses. —. 182600 Golfe de Calvi.. 1 88 37 fixe. ol seotses Golfe d’Ajaccio.. 14 98 37 éclats et éclipses. RS en 7 Mont-Pertusato. 1 99 50 éclipses. met Lis té Porto-Vecchio.. 41 66 37 éclats et éclipses. L'Algérie et les colonies françaises possèdent aussi 30 phares ou fanaux dont il est inutile de donner ici la nomenclature. . Nous ne parlerons pas non plus en détail des 137 fanaux allumés pour diriger les navires à l’entrée des ports. On voit que le service des phares français ne doit pas entretenir allumés chaque nuit moins de 228 feux, tant sur nos côtes continentales que dans nos diverses posses- sions maritimes. Ge service n’a atteint sa perfection qu’à la suite des travaux de Fresnel, dont ils feront l’éternelle gloire. Quelques lignes consacrées à expliquer les avantages d’un petit nombre de phares élevés en dernier lieu d’après les indications de la commission des phares, feront com- prendre tous les avantages que la marine retire journel- lement de l'invention de notre compatriote. Au large de Dunkerque, il y a des bancs très-dange- - reux. Les navigateurs français et étrangers qui fréquen- tent ces parages demandaient à cor et à cri que la limite LES PHARES. | 53 des bancs leur fût indiquée par un feu flottant, par un feu situé sur un bâtiment à l'ancre. Cette demande devait être accueillie, si elle n’exposait pas à une mort certaine les gardiens du feu flottant. Or, personne ne saurait admettre que le navire porteur du feu pût tenir dans une mer aussi orageuse, Le problème semblait donc insoluble. Non, il ne l'était pas. En bâtissant à Dunkerque une tour très-élevée dans la portion du chenal qu’on appelle Risban, en y établissant un phare qui, par un beau temps porte la lumière à 15 lieues, et en temps ordinaire à 6 ou 7 lieues, on a atteint la limite des bancs dange- reux, et sans feu flottant on dit aux navires en danger : Changez de route. Venons un peu plus au midi, à l’entrée de la Seine. Un navire peut, de jour, à l’aide de certains signaux, aller jeter l’anere en amont de Honfleur. Il fallait rendre cette manœuvre tout aussi facile de nuit que de jour. La commission des phares a demandé avec instance qu’on établit deux phares, un sur la côte voisine de Honfleur, un autre un peu plus loin aux environs de Fatouville. L'un de ces phares, celui de Fatouville ou de l'Homme de bois, est déjà construit; l’autre est remplacé provisoire- ment par un petit feu installé sur une charpente. Ces deux phares remplaceront les signaux de jour. En les tenant l’un par l’autre, comme disent les marins, les navires évi- teront les bancs. | Voici un point non moins important. Nos phares ont donné une grande confiance à nos caboteurs ; ils ne naviguent plus seulement de jour, ils naviguent aussi de nuit. Quand ils sont surpris sur la 54 LES PHARES. côte N.-O. du Finistère par une tempête, et on sait combien les tempêtes sont dangereuses dans ces parages, ils trouvent difficilement un refuge. Eh bien, il y en a un excellent de nuit et au large; mais il faut le leur indi- quer, c’est le refuge de l’Abervrac’h. Le problème a été résolu en établissant un phare dans l’île Vierge. De plus, on a indiqué par un feu rouge et par un feu blanc la direction du chenal, pour que les petits bâtiments, et même les vaisseaux de guerre, puissent entrer dans l’Abervrac’h avec sécurité, On ne pouvait pas, il y a quelques années, entrer à Brest de nuit. Deux petits phares, l’un sur la pointe du Portzic, l’autre sur le petit Minou, ont levé toute difficulté. | Depuis la destruction de la pointe de Graves, on ne peut plus guère s’arrêter dans la rade du Verdon. I était nécessaire de fournir aux vaisseaux qui viennent du large, la possibilité de pénétrer pendant la nuit jusqu’à la rade de Richard. On a obtenu ce résultat en établissant sur un bâtiment de 80 tonneaux mouillé par 8 mètres d’eau aux plus basses marées, un phare flottant vers le milieu de la longeur du banc qu’on appelle le banc de Tallais:; et un fanal fixe dans la rade de Richard; avec ces deux phares, la navigation de l'embouchure de la Gironde est devenue extrêmement sûre et facile. Voici dans quels termes la commission des phares s’expliquait, en demandant la construction des phares dont nous venons de parler : « La commission ne saurait trop insister, en terminant, sur cette considération, qu’à moins d’impossibilité abso- LES PHARES. 55 lue, une bien grave responsabilité s’attacherait à l’ajour- nement d'établissements aussi essentiels au salut des navigateurs, que les phares proposés pour éclairer Pem- ‘ bouchure de la Seine, celle de l’Abervrac’h, les approches - de la rade de Brest, et l'embouchure de la Gironde. La nécessité de ces nouveaux feux se fait, aujourd’hui, d’au- tant plus vivement sentir, que l’amélioration considérable apportée à l’éclairage de nos côtes maritimes, a déter- miné une singulière augmentation, surtout de la part du cabotage, dans le mouvement de la navigation nocturne. » Il y a dans notre pays, un homme vénéré de tout le monde, aujourd’hui plus que octogénaire, et dont la longue vie a été employée à explorer les côtes les plus difficiles dans l'intérêt des navigateurs : chacun a déjà nommé M. Beautemps-Beaupré. Cet hydrographe illustre s’exprimait ainsi à l’occasion du projet de construction des deux phares du petit Minou et du Portzic : « On peut affirmer aussi que les moindres avaries que pourrait éprouver un bâtiment de l’État, forcé par le mauvais temps à chercher de nuit un refuge dans la rade de Brest, occasionneraient plus de dépenses que n’en demande la construction des phares qui doivent être éle- vés sur les pointes du Portzic et du petit Minou, pour indiquer , étant vus l’un par l’autre, la route directe à faire pour passer entre les écueils qui limitent le grand chenal de Brest, tant du côté du nord que du côté du sud, « Une dépense dont le résultat est de préserver, autant que la chose est possible, nos marins des dangers qu’offre la navigation de nuit sur nos côtes de l'Océan, ne sau- 56 LES PHARES. rait être considérée comme une dépense qu'on peut re- tarder. » Je crois n’avoir rien à ajouter à des paroles qui partent d’une source si élevée. Tout le monde a dû comprendre que les phares modernes sont une des plus belles con- quêtes de la science, ?; LES FORTIFICATIONS‘: CHAPITRE PREMIER AVANT-PROPOS Grâce aux bienveillants suffrages des colléges électo- raux de Perpignan, de Narbonne, du 12° et du 6° arron- dissement de Paris, j'ai fait partie durant plus de vingt ans de nos Assemblées législatives. Dans ce long espace de temps, il ne m'était pas venu une seule fois à l'esprit, que les rapports dont mes honorables collègues m’avaient confié la rédaction; que divers discours prononcés à la tribune, valussent la peine d’être conservés. Jamais je n’eus la pensée de les faire imprimer à part, de les dis- tribuer sous forme de brochures, à MM. les députés, à mes amis, aux citoyens que je représentais. Jusqu'ici je n'avais rien aperçu d’utile et de désirable, touchant ces œuvres de circonstance, au delà des courtes analyses des journaux quotidiens et des colonnes plus ou moins fidèles du Moniteur. Il paraîtra donc naturel que j'ex- plique pourquoi je cède aujourd’hui à d’autres idées; pourquoi Je me décide à donner toute la publicité pos- sible à mes opinions sur les fortifications en général, sur 4. OEuvre posthume, 58 LES FORTIFICATIONS. l'enceinte continue et sur les forts détachés dont la capi- tale de la France a été entourée. Lorsque les premiers projets du gouvernement de Juillet sur les fortifications de Paris, commencèrent à poindre en 1831, je les combattis dans les journaux, en tant du moins que ces fortifications devaient se com- poser de deux ou trois citadelles occupant les hauteurs de Montmartre. Plus tard, devenu député, je fis une guerre tout aussi vive au système du général Bernard. Si mon opposition à ce déplorable système m'’attira bien des critiques de la part des organes du gouvernement, elle me valut d’un autre côté de nombreuses marques de sympathie : par exemple, ce fut, très-explicitement, à l’auteur de diverses lettres contre les forts détachés, que les électeurs du 6° arrondissement de la capitale enten- dirent confier l'honneur de les représenter à la Chambre des députés et au conseil général de la Seine. En 1840, lorsque l'horizon politique commença à s’obscurcir, je publiai dans les journaux deux articles que mon ami le général Bertrand m'avait confiés le jour où il quittait Paris pour aller s’embarquer sur la Belle Poule. Ces articles étaient précédés d’une courte introduction dans laquelle, tout en exprimant l’opinion que j'ai tou- jours professée sur la grande utilité d’une enceinte con- tinue bastionnée, je manifestais l’ancienne et conscien- cieuse antipathie que m'’inspirent les forts détachés. Enfin, dans un discours prononcé à la tribune de la Chambre le 29 janvier 1841, j'essayai de justifier par les. faits et par le raisonnement, mes prédilections et mes inva- riables répugnances. LES FORTIFICATIONS. 59 Je croyais que ces divers écrits avaient, à défaut de tout autre mérite, celui de la clarté. Aussi, les accusa- tions contradictoires auxquelles j'ai été en butte, ne m'ont pas médiocrement surpris. Ceux-ci n’ont plus trouvé en moi l'adversaire décidé d’une ceinture de forts détachés. S'il fallait les en croire, j'aurais manqué aux engage- ments solennels que je pris, dans diverses circonstances, en présence de réunions nombreuses d’électeurs pari- siens, Ceux-là, admirateurs aveugles, admirateurs quand même des forts, se sont montrés vivement blessés de mes nouvelles attaques contre ce mode de fortification; ils m'ont fait l’injure de supposer que j'ai mis la plus mes- quine satisfaction d’amour-propre au-dessus d’un intérêt national. Pour répondre à cette double inculpation, il me suf- firait peut-être de remarquer, qu'après avoir défendu de toute la force de mes convictions le projet de Vauban, je refusai sans hésiter mon assentiment à la loi proposée, aussitôt que le cours de la délibération dans la Chambre des députés me força de voter sur la combinaison, sur l’ensemble de l'enceinte continue et d’une ceinture de forts. Je ferai plus, toutefois, Le public est juge en der- nier ressort des paroles, des actes, des votes des hommes mêlés aux affaires publiques. Mes actes, au sujet des for- tifications de Paris, je viens de les rappeler sans dégui- sement. Je désire que mes adversaires politiques, que ceux-là même qui se déclarent mes ennemis personnels, connaissent aussi les discours et les articles de journaux dont j'ai à répondre; qu’ils puissent les comparer, les rapprocher, les réfuter s’il y a lieu : cette Notice en don- 60 LES FORTIFICATIONS. nera les moyens à tout le monde. J'ajoute que, suivant moi, la loi telle que le ministère et les Chambres législa- tives l’ont faite, aura tôt ou tard de déplorables consé- quences. À Dieu ne plaise que j’entende me préparer d'avance la bien misérable, la bien triste consolation de dire après l'événement : ces malheurs publics, je les avais prévus ! Quand je me décide à conserver ici les argu- ments sur lesquels mon opinion se fonde, arguments que j'ai puisés dans une étude laborieuse de la matière, et dont, par parenthèse, aucun n’a été réfuté, je cède à de tout autres pensées : je. me persuade que l’on pourra dans la suite trouver quelques idées utiles dans mes travaux pour assurer l’indépendance de mon pays par la fortifi- cation de quelques points de notre frontière de terre et de nos côtes maritimes. | Mes études principales avaient été résumées pour le discours que j'avais préparé pour la séance du 29 janvier 1841 et que je n’ai pu prononcer qu’en partie. On trou- vera donc ici bien des passages que le Moniteur n’a pas donnés, et j’ajouterai que pour le reste je ne me suis pas interdit divers changements de rédaction. Mon opinion, favorable à l'enceinte continue et con- traire à la ceinture de citadelles, se fonde particulière- ment sur la comparaison technique des deux systèmes. C'était à une comparaison technique que devait tôt ou tard aboutir et se réduire ce débat; aussi n’ai-je pas hésité à m'y livrer. J'entends déjà retentir à mes oreilles cette légitime demande : « Vos titres, pour exécuter un semblable travail, quels étaient-ils? » Je l’avouerai, mes titres étaient bien modestes. Appelé pendant quinze an- LES FORTIFICATIONS. 61 nées consécutives à examiner, sur la balistique, les officiers d'artillerie et du génie à leur sortie de l’École de Metz, j'ai dû faire de cette branche de la science mili- taire une étude approfondie. Quant au mode de forti- fication qui pourrait le plus sûrement préserver la capi- tale de la France des attaques de l’Europe coalisée, j'ai appris à le connaître, à l’apprécier pendant de très-longs entretiens que j'ai eus à ce sujet, avec mes amis les géné- raux du génie Valazé, Treussart, et surtout avec le géné- ral Haxo. Je suis de ceux qui considèrent la nationalité comme le premier des biens, Je ne crois pas qu’il puisse être jamais nécessaire de lui sacrifier la liberté; mais ce sacrifice même, s’il était indispensable, je n’hésiterais pas à le faire momentanément, pour empêcher mon pays de tomber sous le joug de l’étranger. Tels étaient aussi les sentiments du général Haxo. Une complète similitude de vues sur les questions de nationalité devint le lien commun d’une amitié dont le souvenir m'est bien cher, et qui donnera à mes idées sur la fortification de Paris, l'autorité qu’elles n’auraient pas sans cela. J’espérais qu’en reconnaissant moi-même avec une entière franchise, que je n’avais pu étudier sérieusement, à l’aide de mes propres lumières, que deux ou trois côtés de la question, j'éviterais que les critiques voulussent me donner une sévère leçon de modestie ; mais j'oubliais que la prétention singulière de parquer, si l'expression m'est permise, les hommes spéciaux, a toujours régné dans nos assemblées politiques et s’est répandue dans 62 LES FORTIFICATIONS. toutes les classes de la société, comme une chose natu- relle et juste. Geux qui n’ont fait leurs preuves en aucun genre jouissent du privilége incontesté de discourir sur toutes choses; la voix d’un poëte, au contraire, semble déplacée à moins qu’on n’examine le budget de l’Univer- sité ; l'ingénieur est écouté avec défiance aussitôt qu'il ne parle plus de ponts, de canaux, de chemins de fer; l’astronome, enfin, jouit à peine de la permission d’abor- der, dans le budget de la marine, les articles des chro- nomètres, des boussoles, des instruments de précision. Pour moi, le droit d’examen et de discussion est la plus précieuse conquête de la philosophie, de la civilisation moderne. Celui-là seulement s’expose à la risée du public, qui procédant par de simples assertions, a l'air de se poser en face des grands maîtres comme leur égal. Après de convenables réserves quant à la forme, le terrain de la discussion doit être entièrement libre pour tous et contre tous. Dans nos académies, les œuvres des Galilée, des Descartes, des Newton, des Lavoisier, sont commen- tées sans cesse, même par de jeunes débutants. On fera bien de montrer la même tolérance à l'égard des Newton, des Lavoisier de la politique, quand il en surgira. J'ai pris en très-bonne part le conseil qui m’a été donné de m'en fier aux autorités, mais seulement sur ce que je n’ai pas eu les moyens d'approfondir moi-même. Cependant, pour éviter toute confusion, je veux qu’on sache bien qu’à mon sens il ne suffit pas, pour.être une véritable autorité en matière de fortification, d’avoir porté un uniforme quelconque d'infanterie ou de cava- lerie; d’avoir montré de la fermeté, de la hardiesse, du LES FORTIFICATIONS. 63 coup d'œil, de la bravoure à la tête d’une compagnie, d'un régiment, d’une armée; d’avoir contribué, plus ou moins, au gein d'une bataille. Je dirai avec la même franchise, à l'égard des officiers des armes spéciales, que ceux-là seulement ont le droit de se poser comme des autorités, à qui il a été donné, après les études appro- fondies de nos brillantes écoles, de joindre la pratique à la théorie; de tracer, par exemple, des parallèles sous le feu de l'ennemi, de diriger une sape simple ou double, d'aller attacher le mineur au pied d’un rempart ou de monter sur la brèche à la tête d’une colonne d’attaque. Les militaires n’échappent pas plus que les autres hommes à la règle commune : ils ne savent que ce qu’ils ont appris. Or, dans leur vie laborieuse, les officiers de guerre (les autres ne méritent pas même une citation), ont rarement assez de loisir, assez de force de tête pour embrasser à la fois toutes les branches de l’art : l’organi- sation, l'entretien, la marche, les manœuvres des troupes et les théories si difficiles, si délicates, que les officiers d'artillerie et du génie doivent posséder de nos jours. Faire cet aveu, ce n’est pas déchoir, c’est s’honorer. Quand je remonte par la pensée jusqu’à 1676, j'admire M. de Calvo mille fois plus que s’il avait cherché à se couvrir d'un voile trompeur, lorsque je l’entends adres- ser à la garnison de Maëstricht ces modestes et nobles paroles : « Un officier de cavalerie entend peu de chose à la défense des places; que chacun de vous me donne donc son avis à toute heure, j'y déférerai avec empres- sement pourvu que le bien du service le comporte ; seu- lement, ne me parlez jamais de me rendre, cas je suis 64 LES FORTIFICATIONS. décidé à périr plutôt sur la brèche. M. de Calvo, en effet, écouta tout le monde, fit ce qui était utile, et ne se rendit pas. CHAPITRE II OPINION DE VAUBAN SUR LE SYSTÈME DE FORTIFICATION LE PLUS CONVENABLE POUR PARIS Des autorités ! Il était impossible.qu’elles ne jouassent pas un grand rôle dans la discussion à laquelle a donné lieu la loi sur les fortifications de Paris. La première de toutes devait être, d’après l’opinion du monde entier, celle de Vauban. Un orateur éloquent l’a contestée par ses paroles et plus vivement encore par ses écrits. M. de Lamartine a imprimé que le Mémoire de Vauban « était l'enfance, la seconde enfance d’un homme de génie. » Si de telles paroles avaient été prononcées à la tribune natio- nale, le mérite éminent, l'honorable caractère de l’ora- teur, sa loyauté si bien connue, ne l’auraient pas mis à l'abri d’une désapprobation manifeste et bruyante. Pour moi, quelque humbles que soient les liens qui m’attachent au corps du génie, j'aurais regardé comme un devoir sacré de défendre à l'instant la mémoire du grand homme qui fut en quelque sorte le créateur de cette arme savante ; qui lui donna pendant plus d’un demi- siècle, les plus beaux, les plus sublimes exemples de vertu, de courage, d’habileté, de patriotisme, et ce qui est encore plus rare, d’abnégation personnelle, Que reproche-t-on à Vauban? Il a parlé dans son Mémoire, d’orge, de houblon, du goût des Parisiens pour LES FORTIFICATIONS. 65 la bière. Cela prouve qu’il s'était livré, non à de simples aperçus, mais au travail le plus détaillé sur la défense de Paris. Si de telles citations semblaient de quelque poids, que ne consultait-on les traités de l'attaque et de la . défense des places de lillustre maréchal? On y eût trouvé des tables proportionnelles d’approvisionnement, où figu- rent du poivre, des clous de girofle, des harengs saurs, des aiguilles de bourrelier, des bonnets d’osier pour les soldats, etc., etc. Tout cela est assurément peu poétique ; il faut cependant s’y résigner : la vie matérielle est ainsi faite, dans les places fortes comme dans les villes ouvertes. On a parlé avec dérision de l’opinion du maréchal sur lattachement des Parisiens pour leurs rois. Dieu me garde de m’ériger en juge compétent de l’utilité de la citation : me sera-t-il permis, cependant, de faire remar- quer que M. de Lamartine a lui-même rappelé avec éloge des paroles de Louis XIV qui exprimaient la même pensée avec infiniment plus de force. Pour atténuer l'importance du Mémoire de Vauban, M. de Lamartine n’a eu garde d'oublier le titre modeste du recueil dont ce Mémoire fait partie. Je compléterai la révélation en disant que le recueil en question, loin d’être composé comme on pourrait le croire de quelques feuilles légères, forme douze gros volumes ; que des pro- blèmes militaires, commerciaux, agricoles , financiers, économiques, y sont traités avec une grande supériorité de vues ; que les meilleurs esprits du siècle de Louis XIV et de notre époque, ont mis ces profondes recherches, même au-dessus des travaux de Vauban sur la fortifica- VI. — 111. 5 66 LES FORTIFICATIONS. tion. Quant au titre d'Oisivetés que l’illustre ingénieur donnait à ses méditations de cabinet , il a été très-faus- sement interprété : Vauban se croyait oisif, partout où les balles ennemies ne pouvaient l’atteindre, partout où il n’était pas exposé à verser son sang pour la défense de la patrie. ct mob Venons à l’assertion que j'ai lue avec une peine si vive sur la décadence du génie de Vauban à l’époque où il s’occupait des moyens de défendre Paris par une enceinte continue. | Le Mémoire sur les fortifications de Paris a été écrit un peu avant 1690; ce serait donc, au plus tard, de 1690 que daterait l’affaiblissement des facultés intellec- tuelles de Vauban. Eh bien, voici quelques passages d’une lettre, datée du 3 septembre 1696, relative au traité que des ministres faibles ou corrompus, voulaient conclure à de déplorables conditions. La lettre était adressée à Racine. « J'ai trouvé Paris rempli des bruits de paix que les ministres étrangers y font courir, à des conditions très- déshonorantes pour nous... Je ne vous ai paru que trop outré là-dessus. Il vaut mieux se taire de peur d’en trop dire. Ge qu’il y a de certain, c’est que ceux qui ont donné de pareils conseils au roi, ne servent pas mal ses enne- mis... Nous perdons avec elles, (elles, veut dire les pla- ces qu’il était question de céder), nous perdons pour jamais l’occasion de nous borner par le Rhin. Nous n’y reviendrons plus, et la France, après s’être ruinée et avoir consommé un million d'hommes pour s’élargir et se faire une frontière .…, tombe tout d’un coup sans aucune néces- LES FORTIFICATIONS. 67 sité, et tout ce qu’elle a fait depuis quarante ans ne ser- wira qu'à fournir à ses ennemis de quoi achever de la perdre. Que dira-t-on de nous présentement? Quelle réputation aurons-nous dans les pays étrangers, et à quel mépris n’allons-nous pas être exposés? Est-on assez peu instruit dans les conseils du roi pour ne pas savoir que les États se maintiennent plus par la réputation que par la force? Si nous la perdons une fois, cette réputa- tion, nous allons devenir l’objet du mépris de nos voisins, - comme nous sommes celui de leur aversion. On va nous marcher sur le ventre, et nous n’oserons souffler. Voyez où nous en sommes. Je vous pose en fait qu’il n’y aura pas un petit prince dans l'empire qui, d’ici en avant, ne se veuille mesurer avec le roi, qui, de son côté, peut s'attendre que la paix ne durera qu’autant de temps que ses ennemis en emploieront à se mettre en état, après qu'ils auront fait la paix avec le Turc. (Je crois utile de rappeler que la lettre dont je donne un extrait est de 1696)... De la manière enfin qu’on nous promet la paix générale, je la tiens plus infâme que celle du Cateau- Cambresis qui déshonora Henri IE... Si nous avions perdu cinq ou six batailles l’une sur l’autre, et une grande par- tie de notre pays; que l’État fût dans un péril évident à n’en pouvoir relever sans une paix, on y trouverait encore à redire en la faisant comme nous la voulons faire. » Cette éloquence mâle, patriotique, détrompera entiè- rement les détracteurs de la vieillesse de Vauban. Sans cela, j'ouvrirais encore la vie du grand homme de guerre, et je le verrais en 1701, en 1702, refuser le grade de maréchal de France. Il représentait au roi, dit son histo- 68 LES FORTIFICATIONS. rien, qu’une fois maréchal on ne voudrait plus l’employer . sous de simples généraux; que si on l’associait à des chefs du même rang que lui, cela pourrait faire naître des embarras contraires au bien du service. Personne ne verra dans cette noble conduite le symptôme d’un affai- blissement des qualités de l'esprit, du cœur et de l’âme. En 1704, Vauban, devenu maréchal par obéissance, faisait le siége du vieux Brisach ; il s’en emparait au bout de treize jours et demi de tranchée ouverte, et, ce qui à ses yeux marchait toujours en première ligne, seulement avec la perte d’un très-petit nombre de soldats français. Pendant l’année 1704, le vieillard prétendu caduc, rédigeait son immortel Traité de l'attaque des places. Le Traité de la défense fut écrit deux années plus tard. En 1706, après la funeste bataille de Ramillies, Vau- ban reçut le commandement de Dunkerque, de Bergues, de la côte de Flandre. Par ses habiles dispositions, disons mieux, par sa seule présence, il détourna l'ennemi de toute tentative sur ces contrées. Dans la même année, le maréchal de Vauban, «le seul général peut-être , dit Voltaire, qui aimât plus l’État que soi-même, » proposa d’aller servir comme volontaire au siége de Turin, sous les ordres d’un jeune courtisan _ présomptueux, le lieutenant-général duc de Lafeuillade. Quand il connut la manière dont cette grande expédition était conduite, Vauban, le désespoir dans l’âme, en pré- dit la fatale issue avec une exactitude de détails qui, après l’événement , excita le plus douloureux étonnement dans la cour de Louis XIV. On me pardonnera ces détails historiques. La gloire LES FORTIFICATIONS. 69 d'un homme qui fit travailler à 300 places de guerre, qui en créa 33 complétement neuves, qui dirigea 53 siéges, qui prit part à 140 actions de vigueur dans les- quelles il reçut huit blessures; une telle gloire, disons- - nous, ne doit jamais trouver la patrie ingrate. On le voit, les partisans de la fortification continue de Paris auront toujours le droit de s’appuyer sur Vau- ban avec confiance et orgueil; sur ce Vauban de qui Fontenelle osa dire, sans trouver de contradicteurs, « que son autorité pouvait être opposée à celle de toute l’Eu- rope, comme chez les anciens on opposait l'autorité de Caton à celle des dieux ! » CHAPITRE TITI L'ÉTAT DE NOS FRONTIÈRES, DE NOS ALLIANCES ; L'ÉTAT DE LA POLITIQUE GÉNÉRALE DE L'EUROPE, RENDENT-ILS LA FORTIFI- CATION DE PARIS NÉCESSAIRE ? Les traités de 1815 ont constitué notre territoire de telle manière , qu’en cas d’une guerre générale les envi- rons de la capitale et la capitale elle-même peuvent devenir, huit ou dix jours après l'ouverture de la cam- pagne, le champ de bataille où le canon décidera des destinées de l’univers. Un simple coup d’œil sur la carte rend cela parfaitement évident. On n’a d’ailleurs besoin pour arriver au même triste résultat, que de comparer la date néfaste de la bataille de Waterloo, à la date non moins douloureuse de la seconde entrée des ennemis à Paris, Malgré d'innombrables fautes, la France est encore 70 LES FORTIFICATIONS. assez forte pour n’avoir jamais à s'inquiéter sérieusement que des guerres de coalition. De notre temps les prin- cipes, bons ou mauvais, auront seuls le privilége de réunir dans un but commun, trois ou quatre grandes nations européennes. Les guerres de principes ne sont, ne peuvent être que des guerres d’invasion. La France ne doit donc pas s’imaginer qu’on l’attaquera désormais avec de faibles armées. Ses ennemis ne s’arrêteront plus près des frontières pour nous arracher le terrain pas à pas, pour nous livrer des combats méthodiques, pour faire ce qu'on appelait jadis un guerre d’échiquier. C’est vers la capitale que se dirigeront leurs épaisses colonnes. N'est-ce pas là, en effet, qu’aboutissent tous les rouages de l'administration centralisée? N'est-ce point de Paris que les départements ont pris l'habitude de recevoir l’im- pulsion, même dans les plus petites affaires? Paris n’est-il pas, enfin, le foyer d’où rayonnent incessamment les grandes idées politiques qui sont l’effroi des souverains absolus et l'espérance des peuples courbés sous le joug ? Les cabinets étrangers considèrent Paris comme la révo- lution incarnée; c’est à Paris et à Paris seulement qu’ils espèrent pouvoir la frapper au cœur. Paris est d’ailleurs un centre de richesses inépuisable. L'armée envahissante certaine d'y entrer, n’a nul besoin d’embarrasser sa marche par de lourds convois. La ville rendra avec usure la poudre qu’on aura brûlée dans l’attaque; elle nourrira splendidement ses vainqueurs, renouvellera leurs vête- ments usés, paiera la solde arriérée. En doutez-vous? Jetez un coup d'œil sur le budget actuel de la ville de Paris, et vous y verrez ce qu’il en coûte à recevoir ces LES FORTIFICATIONS. 71 Messieurs, même lorsqu'ils se présentent comme l’humble escorte du souverain légitime. Empêcher une si riche proie de tomber aux mains de l'ennemi, est le devoir le plus impérieux du gouver- nement. Le problème est-il soluble? La solution entraînerait-elle des inconvénients supérieurs aux avantages qu’on peut en attendre? Voilà, suivant moi, la véritable question. Toutes simples, tout évidentes que me paraissent ces considérations, je n’aurai garde de négliger de les mettre sous le patronage des plus illustres, des plus grandes autorités nationales. J'ai dejà beaucoup parlé d’un Mémoire de Vauban, écrit vers l’année 1690, Ce Mémoire n’est pas le seul où l’illustre maréchal ait consigné son opinion sur la nécessité de fortifier Paris. En 1705, il présentait à Louis XIV un travail auquel j’emprunte textuellement cette phrase : « Les fortifications de Paris sont un ouvrage indispensable, si l'on veut mettre le royaume en parfaite sécurité. » Je trouve dans un autre écrit de la même main, por- tant la date du 2 février 1706, ces paroles que je trans- cris fidèlement : « Depuis le traité de Ryswyck, les fron- tières de la France sont très-mauvaises. » Telle était à cet égard la profonde conviction de Vauban, que, dans l'écrit dont je viens de parler, il n’hésite pas à conseiller à Louis XIV «de renoncer au bénéfice du testament de Charles Il», si les alliés consentent à nous laisser rec- tifier notre frontière par la cession de la forteresse de Luxembourg, qui, dit-il, couvrirait la Champagne. Cependant, qu’on le remarque, à cette époque nous 72 LES FORTIFICATIONS. possédions encore Philippeville, Marienbourg, Tournay, Ypres, etc. Les traités de 1815 n’ont pas même laissé nos fron- tières à l’état déplorable que le traité de Ryswyk avait amené. En faut-il davantage pour montrer der des fortifications de Paris? Parmi les personnes qui ne voulaient autour de la capitale de fortifications d’aucune espèce, j'en ai ren- contré qui cédaient à une idée honorable, mais sans portée : elles croyaient que les forts détachés ou les bas- tions seraient, en apparence du moins, des indices de crainte, de faiblesse ; elles ne voulaient pas donner ainsi carrière à un redoublement d’arrogance, de prétentions et d’exigences de la part des étrangers. Lorsqu'on est exposé au reproche de timidité en com- pagnie de Vauban, de Napoléon, on peut, ce me semble, ne pas s’en préoccuper. Au reste, qu'y a-t-il de pusilla- nime à prendre ses précautions, quand on a la presque certitude de recevoir le choc de l’Europe entière? Le gouvernement de Juillet a eu l'incroyable inhabileté de s’aliéner les peuples, sans avoir néanmoins réussi à con- quérir les sympathies des souverains. On ne citerait pas un allié dont le concours lui ait été assuré. Une pareille situation peut se représenter ; une guerre de coalition est toujours à craindre, et si une telle guerre éclatait, nous aurions à combattre une armée trois ou quatre fois plus nombreuse que la nôtre. La troupe de ligne, malgré sa bravoure, ne saurait suflire à une pareille tâche. Il faudrait que les gardes nationales, que les vaillantes populations ouvrières, agricoles, vinssent à son aide; il LES FORTIFICATIONS. 73 - faudrait se rappeler ces paroles célèbres d’un grand capitaine tombé du faîte de la gloire : « J’ai eu tort de croire qu’on pourrait résister à l'Europe en chargeant les armes en douze temps!» Le cas échéant, le courage, l'énergie, le patriotisme, seront certainement loin de manquer à ceux qui n’exé- cutent pas la charge en douze temps. Il importe néan- moins que leur inexpérience trouve un appui, afin de ménager un sang généreux. Les fortifications, celles de la capitale en particulier, rendront sous ce double rap- port d'immenses services. CHAPITRE IV SUR LES AVANTAGES D’UNE ENCEINTE CONTINUE COMME UNIQUE MOYEN DE FORTIFICATION Nous voici en présence d’une question complexe qui a été diversement résolue. Ceux-ci ne désiraient que des forts détachés; ceux-là voulaient qu’on se bornât à à une enceinte continue; enfin, on a combiné les deux systèmes. Pour moi, je pense que l'enceinte continue offrait une excellente solution du problème. Cette solution était d’ail- leurs la seule qui conciliait les besoins de la défense avec des défiances légitimes; la seule que les habitants de Paris et de la banlieue devaient envisager sans inquié- tude; la seule dont le gouvernement, dans la suite des siècles, ne pourrait jamais se servir pour opprimer les citoyens; la seule que les factions ne sauraient non plus faire tourner à leur profit. 74 LES FORTIFICATIONS. CHAPITRE V EXAMEN DES DIVERSES OBJECTIONS QU'ON A FAITES CONTRE L'EN- CEINTE CONTINUE. — LES ADVERSAIRES DE CETTE ENCEINTE INVOQUENT A TORT L'OPINION DE NAPOLÉON, L'OPINION DE LA COMMISSION DE DÉFENSE DU ROYAUME ET CELLE DU COMITÉ DES FORTIFICATIONS. Une cause doit paraître excellente lorsque des avocats habiles ne trouvent pour la combattre que de mauvais arguments. Plaçons-nous à ce point de vue : examinons avec soin les discours, les nombreux écrits des adver- saires de la fortification continue, et nous n'y verrons guère que des erreurs de fait matérielles, que l'oubli des premiers principes de l’art, que le parti pris de réduire au néant les inventions récentes les plus incon- testables, que d’injurieux soupçons à l'égard d’une popu- lation dont le dévouement, le courage, le patriotisme se sont montrés avec éclat à toutes les époques de notre histoire, Voilà, dira-t-on, des assertions bien tranchantes; je vais en montrer la justesse, la vérité. On sait que Vauban voulait une enceinte fermée, Napoléon aussi, dans ses Mémoires, se prononce posi- tivement pour une fortification continue. A cela on a opposé qu'en 4815 l'Empereur ordonna de construire des forts détachés, que les emplacements furent choisis, que ces emplacements sont précisément ceux qu'avait adoptés le général Bernard, Admettons tous ces faits comme incontestables; qu’en doit-on conclure ? Pouvait-il être question en 1815, à la veille d’une LES FORTIFICATIONS. 75 invasion, de s'occuper d’une enceinte continue en maçon- nerie, d’un travail dont l’exécution eût exigé plusieurs années? | Tout ce qu’il était possible d'entreprendre alors, c'était, non des forts, mais de simples redoutes. Celles de Belleville, par exemple, devaient servir dans le cas où la ligne continue d'ouvrages de campagne du général Haxo, serait forcée. J’ai beaucoup entendu soutenir que les grands hommes doivent être jugés sur leurs actes et non d’après leurs paroles. Eh bien, en 1815, ce que Napoléon voulut à Paris, ce dont le général Haxo commença l'exécution, c'était une enceinte continue. On a cité avec beaucoup d’insistance l’avis de la commission de défense du royaume, créée en 1818 par le maréchal Gouvion Saint-Cyr. Gette commission, en effet, déclara, en 1820, que «Paris devait être couvert par des ouvrages détachés établis sur quelques-uns des points dominants qui l’environnent. » Hätons -nous de le remarquer, il faudrait pousser hors de toute limite légitime l'esprit d'interprétation, pour voir dans ce peu de mots le système que le général Schnei- der a proposé, Les ouvrages seraient des citadelles en règle, pouvant agir tout aussi bien contre la ville que dans la direction de la campagne; quelques-uns des points dominants, ce serait la presque totalité de ces points; quelques points deviendraient une ceinture con- tinue, etc., etc. Personne en y réfléchissant ne se prê- tera, j'en suis sûr, à de pareils commentaires d’un texte parfaitement clair, 76 LES FORTIFICATIONS. Il est tellement vrai que le système de la commission de défense du royaume différait totalement du dispo- sitif du général Bernard ou de celui de M. le général Schneider, qu'un des membres les plus distingués de cette commission, qu'un des signataires du rapport, a figuré depuis parmi les adversaires les plus décidés des forts détachés. | Venons enfin aux décisions successives, et tant de fois invoquées, du comité des fortifications. Je remarquerai d’abord, relativement à la décision du 30 novembre 1830, que le ministre de la guerre demandait alors des fortifications pour la seule rive droite de la Seine; qu'aucune face des forts adoptés par le comité n’aurait été tournée du côté de Paris; qu'il n’était question que de travaux d'urgence, d'ouvrages de campagne d’un profil un peu considérable; qu’une adhésion à de tels travaux n’entraînait pas la consé- quence qu’on se déclarât partisan du système de forts détachés, en tant que ces forts auraient fait partie d’une fortification permanente établie à grands frais. En effet, le général Treussart, un des signataires de l’avis du 30 novembre 1830, se montra plus tard le partisan non équivoque de l’enceinte continue, pour laquelle il pré- senta un système complet fort ingénieux, et comparati- vement très-économique. Reste donc l’avis du 25 octobre 1832, émis, a-t-on dit, à l'unanimité moins une voix. Je dirai, à l'égard de cette presque unanimité, que des quatorze généraux dont se composait le comité, sept étaient absents; que les généraux Dode, Haxo, et LES FORTIFICATIONS. 77 Treussart, par exemple, y manquaient. Lorsqu'il s’agis- sait d’un travail qui, suivant toute probabilité, devait coûter une centaine de millions, n’eût-il pas été conve- nable d’attendre que le comité fût au complet? Au lieu . de cela, l'administration voulut faire délibérer, comme représentant un corps de quatorze généraux, trois et ensuite cinq de ces officiers que le hasard avait retenus à Paris. Ce n’est pas ainsi que l’empereur opérait en matière de fortifications. Si on le dénie, je citerai des faits que j'ai recueillis de la bouche de mon ancien con- frère à l'Institut, le respectable M. Daru. On verra alors que Napoléon savait subordonner son avis, même sur des questions militaires, à celui des hommes spé- ciaux. Cette déférence pour les hommes de l’art d’un mérite incontestable et incontesté, existait aussi dans le siècle de Louis XIV. Catinat veut fortifier Cassel; il fait son projet. Voici en quels termes il l’adresse à Vauban : « S'il entre un peu de sens réprouvé dans mes plans, faites-moi une correction en maître, et, par charité pour votre disciple, supprimez tout ce papier bar- bouillé, » Je placerai ici une observation qui sera le complément de tout ce que je viens de rapporter. Le général Haxo était, parmi nos généraux du génie, celui à qui le Gouvernement de Juillet accordait le plus de confiance, puisqu'il lui donna la direction du siége d'Anvers. Eh bien, je déclare que jamais le général Haxo n’a été consulté sur les fortifications de Paris, ni officiellement, ni même par voie de simple conversation. 78 LES FORTIFICATIONS. Ce fait incroyable je l’affirme en toute assurance, car mon illustre ami me l’a vingt fois répété. CHAPITRE VI L'IMMENSE DÉVELOPPEMENT DE L'ENCEINTE CONTINUE EST UN ÉLÉMENT DE FORCE AU LIEU D'ÊTRE UNE CAUSE DE FAIBLESSE. — AVEC UNE ENCEINTE BASTIONNÉE ET REVÊTUE, PARIS EST IMPRENABLE. Paris, même fortifié et approvisionné, ne pourrait, assure-t-on, se défendre que très-peu de jours. Pour un aussi mince résultat, est-ce bien la peine d’avoir dépensé des centaines de millions? Si j'avais cru que Paris fortifié ne fût pas susceptible d'une très-longue résistance, je le déclare, j'aurais repoussé sans hésiter tous les travaux qu’on: a proposés. Mais mon sentiment, sur ce point, est diamétralement opposé à l'opinion commune. J’adhère entièrement à la décision de Vauban : comme lui j’admets qu’entouré d’une ligne continue de fortifications bastionnées et revêtues, Paris est (j’emploie à dessein l'expression de l'illustre maréchal), Paris est imprenable! Paris, dit-on, une si immense ville, ne peut pas être solidement fortifié. Une semblable assertion ne sortira jamais de la bouche de ceux qui ont quelque peu ré- fléchi sur l'attaque et sur la défense des places. L’im- mense développement de la fortification en fait le mérite; la défense y puisera le moyen de devenir supérieure à l'attaque, résultat qui ne peut être obtenu dans les petites LES FORTIFICATIONS. 79 places, à moins de conditions spéciales que les pays de plaine n’offrent jamais. Dans tout siége, on voit des hommes placés derrière des fortifications construites longtemps à l’avance, entou- rés d'objets parfaitement étudiés et qu’ils ont pu rema- nier à leur gré, combattant à coups de canons d’autres hommes obligés de s’abriter derrière des retranchements créés à la hâte. Il semble que l'avantage devrait être du côté de ceux qui se sont préparés de longue main, qui ont pu s’é- tablir solidement et dans le système le mieux adapté au terrain. Il n’en est rien cependant. À quoi cela tient-il? A ce que la prépondérance de l'artillerie décide presque tout dans ce genre de lutte. Dans une place d’un faible développement, les forti- fications tournent rapidement. Tous les bastions, tous les remparts qui les unissent (les courtines), ont iné- vitablement des orientations très-diverses, Les canons ne tirant que perpendiculairement aux parapets, ou dans des directions formant avec ces lignes des angles peu différents de l’angle droit, il en résulte que chaque point de la campagne ne peut être battu que par un fort petit nombre de pièces. La parallèle des ennemis, puis- qu’elle enveloppe la ville, a plus de développement que l'enceinte des remparts. La campagne a donc les moyens de faire converger sur un point donné de la place, une plus grande masse de boulets que la place ne lui en renvoie; l’attaque acquiert ainsi de la supériorité. Supposez-vous maintenant derrière un front rectiligne 80 LES FORTIFICATIONS. ou presque rectiligne. L’ennemi ne peut pas vous enve- lopper ; la ligne qu’il vous oppose est dans les mêmes conditions que la vôtre ; à chacune de ses batteries vous opposez une batterie aussi puissante; il ne réussit pas alors à éteindre vos feux. Au siége d’Ath, en 1697, Vauban apporta au système d'attaque une modification qui lui donna une nouvelle supériorité sur la défense. Cette modification consista à substituer le tir à ricochet au tir direct. Par le tir direct, on touche ce qu’on voit. A l’aide du tir à ricochet, on va chercher des hommes, des objets cachés derrière le parapet; on les attaque, non pas de front, mais d’enfilade. Le boulet, tiré de près (de 600 mètres au plus), rase alors la crête du parapet avec une faible vitesse; il pénètre dans la batterie sous un petit angle, ricoche sur le sol à diverses reprises, devient ainsi l'équivalent de plusieurs coups; dans sa course il frappe les hommes, les affûts, détruit en même temps le matériel et les canonniers. Eh bien, une série de bastions et de courtines occu- pant une longue ligne droite, ne pourrait être ricochée. Pour ricocher les canons qui sont braqués perpendi- culairement au parapet d’une fortification, il faudrait s'établir dans la campagne, sur le prolongement de ce parapet et à une faible distance. Cette double condition en face d’une fortification rectiligne, placerait l’assaillant dans une position qui ne serait pas tenable; car elle se trouverait en prise aux feux d’écharpe de l'artillerie des remparts, aux feux d’enfilade, aux feux de revers, et, ce qui est encore pis, aux feux de mousqueterie. Les LES FORTIFICATIONS. 81 deux circonstances d’où résulte, dans les petites places, ” Ja supériorité de l'attaque sur la défense, n’existeront pas en présence des fronts bastionnés de la fortification continue de Paris, puisque à raison de leur immense développement, ces fronts sont presque en ligne droite. Ajoutons qu’on ne pourra pas attaquer Paris sur tous les bastions en même temps, et que les défenseurs auront la faculté de réunir sur un point donné, une artillerie plus nombreuse que celle de l’assiégeant; que le remplacement des canons démontés se fera à l’inté- rieur avec infiniment plus de facilité que dans les paral- lèles. La supériorité de l'artillerie décidant presque tout dans les siéges, il est évident que l’ennemi ne parvien- dra pas à s'établir sur la crête des glacis de Paris, que jamais il ne sera en mesure de battre le rempart en brèche et de donner l'assaut, Supposons cependant, par impossible , que la brèche existe, qu’elle soit praticable, qu’une colonne d’attaque s’y présente pour donner l'assaut. Cette colonne sera arrêtée tout court; pas un seul de ses hommes n’y mon- tera sans être tué, pourvu que l’assiégé, au lieu de recourir comme moyen de défense aux feux intermit- tents de l’artillerie, à des obus, à des grenades, se serve d’une arme nouvelle, médiocre peut-être en rase cam- pagne, mais ici d'un effet immanquable. Je veux parler du fusil à vapeur entrevu par Papin, exécuté par M. Girard, et perfectionné par Perkins, ou de celui de mon ami M. l'ingénieur Perrot, de Rouen. L'un et l’autre de ces fusils projettent à volonté un flux de » balles plus rapides que celles du fusil ordinaire, et telle- VL.— 111. 6 82 LES FORTIFICATIONS. ment serré, tellement continu, qu'après peu de minutes, dans les expériences qui ont été entreprises pour juger ces armes, le large mur sur lequel un seul homme tirait en donnant une légère oscillation régulière au canon, n’offrait pas un décimètre care de surface a n’eût été frappé. Ces moyens de rendre la brèche inaccessible, seraient d'autant plus efficaces que les fusils de MM. Perkins et Perrot occupent fort peu d'espace; qu’ils peuvent être établis dans de très-petits réduits casematés ou blindés, sans exposer les servants à l’asphyxie, et que leur com- plète action n’exige pas même d’embrasures, mais une simple fente horizontale de la largeur des meurtrières des murs crénelés. Laissons un moment de côté ces nouveaux moyens de défense, et remarquons que l'assaut ne réussit pas, qu’il n’est guère même tenté, lorsque l’assiégé a pu faire un bon retranchement à la gorge du bastion attaqué. Alors, en effet, si l’ennemi emporte la brèche, il se trouve débordé et dominé de très-près par le retranchement intérieur et n’a guère d'autre ressource que de redes- cendre au plus vite dans le fossé. Faire d’avance et par- tout le retranchement intérieur, ce serait s’imposer une dépense énorme : presque la dépense qu'a coûté l’en- ceinte principale. Voilà pourquoi on attend que l'ennemi ait nettement choisi son front d'attaque, avant d’entre- prendre ce genre d'ouvrage et seulement sur les points menacés. Alors il est souvent trop tard : la garnison accablée de fatigues et la faiblesse de la population ne permettent pas d'aussi grand travaux. A Paris, cette LES FORTIFICATIONS. 83 difficulté n’existerait pas; à Paris les moyens d'exécuter les retranchements intérieurs ne manqueraient jamais, et l’assiégeant ne serait pas au terme de ses efforts après avoir atteint la crête du parapet. Il devrait encore s’éta- blir dans la largeur si restreinte de la brèche, avec les moyens d'artillerie nécessaires pour emporter le retran- chement. Ce serait à décourager les plus hardis, les plus patients. Voyez Condé à Lerida, en 1647. Aucun obstacle ne l'avait arrêté ; il découvre enfin que, depuis l’ouver- ture de la tranchée, le gouverneur, M. de Britt, a fait élever vers le point d'attaque un retranchement intérieur en maçonnerie à l'épreuve du canon, et le siége est levé. On trouvera un exemple non moins remarquable du découragement que font éprouver aux assiégeants les retranchements intérieurs élevés en face des brèches, dans la relation que M. de Salignac nous a laissée du siége de Metz par Charles-Quint, en 1552. « Les ennemis, dit l’auteur dans son langage naïf, voyant renverser la muraille jetèrent un cry et firent démonstrations d’une grande joye, comme s'ils étoient arrivés à bout d’une partie de leur entreprise. Mais quand la poussière abattue leur laissa voir le rempart déjà de huit pieds par-dessus la brèche, encore que bien raz et large, ils eurent à rabattre beaucoup du compte qu’ils avoient fait, sans estendre plus avant cette grande rizée qui ne s’entendit plus. » Le siéze fut levé. En résumé, les faces de la fortification continue de Paris ne seraient pas ricochables; l’artillerie de l’as- siégé demeurerait toujours supérieure à celle de l’as- siégeant; celui-ci ne pourrait pas faire brèche au corps 84 LES FORTIFICATIONXS. de place; à tout événement, deux fusils Perkins ou Perrot sufliraient pour l'empêcher de donner l'assaut; enfin, maître de la brèche, il trouverait à la gorge du bastion un retranchement intérieur dont les feux le for- ceraient à rebrousser chemin. Il n’en faut certainement pas davantage pour justifier cette décision de Vauban, du plus grand, du plus habile preneur de places dont les annales militaires aient jamais fait mention : Paris serait imprenable. Je vais montrer, maintenant, qu’il serait très-facile d'ajouter de puissantes manœuvres d’eau à tout ce que Vauban avait proposé ou conçu. CHAPITRE VII DE LA POSSIBILITÉ DE BEAUCOUP AJOUTER A LA PUISSANCE DES FORTIFICATIONS DE PARIS, PAR CERTAINES MANOEUVRES D'EAU. — DE LA NÉCESSITÉ DES MACHINES HYDRAULIQUES A L'AIDE DESQUELLES ON OPÉRERAIT CES MANOEUVRES, POUR ASSAINIR EN TOUT TEMPS LES FOSSÉS DE L'ENCEINTE ; DE LEUR IMMENSE UTILITÉ COMME MOYEN DE DONNER DE LA VALEUR À DE VASTES ÉTENDUES DE TERRAIN, AUJOURD'HUI PRESQUE IMPRODUCTIVES. — DES APPROVISIONNEMENTS EN GRAIN, Il n’est nullement nécessaire d’avoir fait la guerre pour comprendre combien il serait utile, en cas de siége de Paris, que les ennemis occupant les deux rives de la haute Seine ne pussent communiquer entre eux que par des ponts éloignés les uns des autres. Rendre à volonté la Seine inguéable, même en été, même aux époques des plus basses eaux, serait donc une chose immense sous le point de vue stratégique. Ce résultat, on l’obtien- drait sans difficulté à l’aide de portes mobiles établies au LES FORTIFICATIONS. 85 Pont-Neuf, Des manœuvres très-simples permettraient de faire gonfler la rivière de cinq à six mètres, et ensuite, si c'était nécessaire, de revenir plus rapidement encore au niveau d’étiage. Ge sont des avantages immenses à l'égard desquels toute dénégation paraît impossible. Le barrage dont il vient d’être question aurait d’ail- leurs sous le rapport commercial, une conséquence in- appréciable; il maintiendrait dans la Seine un tirant d’eau considérable et à peu près constant, aux époques de l’année où toute navigation est aujourd’hui inter- rompue en amont; il faciliterait le déchargement des marchandises sur les ports de l’intérieur de la ville, de Bercy, etc. Le travail que j’indique ici doit donc conve- nir en même temps, aux partisans et aux adversaires de la fortification de Paris. Ce serait à la fois une arme défensive en temps de guerre, et un moyen de prospérité commerciale pendant la paix. Vauban faisait peu de cas des fossés de fortifications constamment pleins d’eau : ils rendent les sorties diffi- ciles. Les fossés, au contraire, qui peuvent être inondés et mis à sec au gré de l’assiégé, le célèbre ingénieur les déclarait excellents. Il y aurait une grande importance à ce que les fossés de l’enceinte continue se trouvassent dans ces conditions, mais où prendre l’eau ? On a parlé du canal de l’Ourcq. Ce serait une res- source précaire. Les eaux de l’Ourcq n'arrivent à Paris qu'après avoir parcouru un canal de 96 kilomètres; l’en- nemi une fois maître des environs de Paris, ne marque- rait pas de couper les berges. Quelques coups de pioche d’un simple sapeur sufliraient souvent pour mettre à sec 86 LES FORTIFICATIONS. toutes les bornes-fontaines de la capitale. Je dois rap- peler, d’ailleurs, qu’il y a 32 barrières, 32 portes d'octroi de Paris dont le sol est plus élevé de 1, de 2, de 3, et même de 16 mètres que le niveau du bassin de la Villette, que le niveau du réservoir où se déversent les eaux de l'Ourcq. Les fortifications se trouvent au-dessus du même niveau, dans une partie considérable de leur déve- loppement. Ce n’est donc pas sur l’Ourcq qu’on pourrait | compter pour inonder les fossés de l'enceinte. Aussi, est- ce de la Seine que je propose de tirer toute l’eau néces- saire à cette opération. Voici de quelle manière. On se rappelle le barrage à l’aide duquel nous pro- duisions à volonté tout à l’heure l’intumescence de la Seine en amont de Paris. À côté de l’écluse établie en face de la Monnaie, existerait une digue longitudinale: dirigée sur le milieu du terre-plein du Pont-Neuf, La totalité de l’eau de la Seine en temps d’étiage, une très- grande quantité de cette eau pendant les crues, passerait par des brèches de la digue déversoir, En tombant ainsi du bras gauche dans le bras droit, l’eau réaliserait, au pied septentrional de la digue, une force qui, tout compte fait quant au volume du liquide et à la hauteur de la chute, varierait dans l’année entre 4,000 et 6,000 che- vaux. Nous voilà, à peu de frais, en possession toute l’année d’une force moyenne de 5,000 chevaux. Qu'on veuille bien le remarquer, ces 5,000 chevaux travaille- raient, non pas huit heures comme les chevaux vivants, mais vingt-quatre heures par jour; ces 5,000 chevaux n’exigeraient aucun entretien, ne veilliraient pas, et ne seraient jamais hors de service. LES FORTIFICATIONS. 87 . On tirerait le meilleur parti possible de celte immense force motrice, en faisant tomber l’eau dans six des admi- rables turbines du très-habile ingénieur M. Fourney- ron. Les six machines, nous en avons fait le calcul avec … exactitude, pourraient porter à la hauteur de 43 mètres _ au-dessus du zéro du pont de la Tournelle, 15,000 pouces d’eau, c’est-à-dire 300,000 mètres cubes chaque vingt-quatre heures f. La cote 43 mètres est 5 mètres au-dessus du niveau général du plateau de Belleville. Quant à la hauteur, le problème d’inonder les fossés de l'enceinte continue serait donc parfaitement résolu. Occupons-nous maintenant du volume, Si je suis bien informé, les fossés de l’enceinte ont, sur un développement total d'environ 36,000 mètres, 14 mètres de largeur au fond, avee cunette de un demi- mètre de profondeur, sur 2 mètres et 1 mètre de largeur aux limites supérieure et inférieure. Il serait suffisant, pour les besoins de la défense, d'inonder le fossé jusqu’à 1 mètre et demi vers les bords. On aurait ainsi une profondeur de liquide de 2 mètres près de la cunette, et de 2 mètres et demi au-dessus du centre même de cette rigole. Le volume total d’eau qui serait nécessaire pour emplir de cette manière les 36,000 mètres de développement du fossé, décomposés en une série d’échelons horizontaux à l’aide de digues convena- bles; ce volume, disons-nous, serait de 972,000 mètres 1. En créant des établissements analogues à Marly, on jetterait dans Versailles des masses d’eau très-considérables, qui pourraient donner à cette grande ville une face entièrement nouvelle, 88 LES FORTIFICATIONS, cubes. Les machines du Pont-Neuf donneraient ce pro duit en moins de trois jours et demi. | | Dans le calcul dont je viens de présenter le résultat, j'ai supposé tous les fossés à la hauteur de 43 mètres au- dessus du zéro du pont de la Tournelle ; j'ai admis que leur niveau dépassait de 5 mètres celui du plateau de Belleville; j'ai pris, enfin, pour la cote moyenne du fossé, un nombre que n’atteindra même pas la cote maximum. A ces chiffres, si excessivement exagérés, j'ai joint la supposition, non moins éloignée de toute vraisemblance, qu'on pourrait vouloir remplir l’ensemble total des fossés d’un seul coup. Après ces remarques, on comprendra quelle grande réduction devrait subir, en se plaçant dans la réalité des choses, le nombre trois jours et demi que j'avais trouvé. Cependant, il m'a semblé que pour imprimer une grande vitesse à l’eau débouchant dans telle ou telle portion du fossé; que pour lui donner le caractère d’une véritable chasse, il serait convenable d’avoir sur le pourtour de la place de fortes réserves de liquides toutes préparées d'avance. D’après un premier aperçu, nous avons cru, M. Fourneyron et moi, que six réservoirs pourvoiraient à tous les besoins. Sauf meilleur avis, nous proposerions de les creuser sur la colline de Montmartre, au plateau de Belleville, à Ménilmontant, à Ivry, à Montrouge et à Chaillot, Il est maintenant prouvé que la fortification continue de Paris peut être dotée de manœuvres d’eau extrême- ment puissantes. Vauban déclarait que la ville serait imprenable, même avec des fossés secs ; combien cette opinion n’acquiert-elle pas plus de force, quand aux LES FORTIFICATIONS. 89 moyens de défense nous avons ajouté les fusils Perkins ou Perrot, et l’eau qui rendrait le passage du fossé si difficile! L'eau des six réservoirs aurait d’ailleurs plusieurs . autres genres d'utilité que j'indiquerai en peu de mots. Es M. Flachon de la Jomarière proposa, il y a une soixan- taine d’années, d'arrêter l’assiégeant au moment où.il veut couronner le chemin couvert, en inondant les tra- vaux. Il prenait l’eau nécessaire dans la cunette du fossé et la projetait à l’aide de pompes à incendie. L’essai de ce moyen de défense, en apparence si ridicule, fut fait en 1783 et donna des résultats très-satisfaisants : les sapeurs ne pouvaient pas remplir leurs paniers; la terre devenait bientôt de la bouillie ; il était impossible de faire un épaulement, de continuer les travaux de mines; les pompes produisaient enfin, suivant l’expression de Dar- çon, une très-mauvaise saison factice. L'idée de M. de la Jomarière, si longtemps et si injus- tement négligée, avait été reprise de nos jours par le général Rogniat. Pendant les expériences de l'honorable général auxquelles je pris une part officielle en qualité de commissaire nommé par le ministre de la guerre, je recon- nus, du premier coup d'œil, que les embarras provenant de la construction de la pompe, de sa manœuvre et de son installation dans le fossé, seraient toujours les prin- cipaux obstacles à l'adoption de la méthode. Ces obsta- cles, si l’on voulait, n’existeraient pas à Paris; la pompe deviendrait inutile. Si un tuyau continu en fonte était couché le long du fossé et aboutissait à un des réservoirs, la pression aurait toujours pour mesure la hauteur verti- 90 LES FORTIFICATIONS. cale du niveau de l’eau dans le réservoir au-dessus du point que l’on considérerait. Une tubulure, une simple lance de pompier implantée dans une partie quelconque du développement du tuyau, deviendraient donc des moyens de projeter de grandes masses d’eau sur les glacis de la place; toute la manœuvre pourrait être effectuée par un seul homme, car elle se réduirait à l’ouverture de robinets préparés d'avance. Ce serait aussi en tournant quelques robinets, qu’on mettrait les six grands réservoirs en communication avec les conduites de la ville et qu'on ferait naître, dans ceux de ces tuyaux qui traversent la plupart des quartiers, des pressions de 20 à 25 mètres. À l’aide de pareilles pres- sions, rien de plus facile que de porter rapidement de grandes quantités d’eau à tous les étages des maisons où se déclarerait un incendie, et cela sans le secours de ma- chines, sans l’intervention des pompiers. Un tel résultat, très-utile en tout temps, aurait surtout un prix infini en cas de siége, ne fût-ce que pour rassurer les personnes qui, à mon avis, craigent outre mesure les projectiles incendiaires. C’est, au surplus, un point sur lequel je reviendrai. J'ai parlé jusqu'ici de la très-grande utilité militaire du système hydraulique que je propose de combiner avec l'enceinte continue. Je vais prouver, en peu de mots, que de graves considérations de salubrité en commanderaient l'exécution plus impérieusement encore. Le fossé d’une place est naturellement traversé sur toute sa longueur et dans sa partie la plus déclive, par une sorte de ruisseau qu’on appelle la cunette. La cunette LES FORTIFICATIONS. 91 est ordinairement encombrée de plantes aquatiques ; l’eau y séjourne, s'y corrompt, et il s’en élève alors, dans certaines saisons, des gaz délétères, des miasmes, source première des fièvres qui déciment les garnisons de diverses places que je pourrais citer. Pour remédier au mal, il faut fréquemment laver la cunette à grande eau ; il faut y faire passer un courant abondant et rapide. Les six réservoirs dont j'ai si souvent parlé, fourni- raient les moyens d’effectuer ces chasses de salubrité, aussi souvent qu’on le jugerait nécessaire. Non-seule- ment les médecins célèbres que j’ai consultés reconnais- sent l’utilité de ces lavages périodiques de la cunette, mais encore ils m'ont vivement engagé à insister sur ce point avec une grande force, À une époque, disent-ils, où le conseil municipal n’a pas reculé devant de très- grandes dépenses pour assainir la Bièvre en la canali- sant, on ne doit pas permettre que Paris soit entouré d’une sorte de Bièvre artificielle de 36,000 mètres de développement. Je ne prévois qu’une seule objection à ce que je viens de proposer, Comment, dira-t-on, dans l’état actuel de nos finances, se résoudre à augmenter encore la somme énorme que le gouvernement a dépensé pour les forti- fications de la capitale! Voici ma réponse. Le système hydraulique ajouterait tellement à la force de l’enceinte, qu’il ne serait plus possible de soutenir sérieusement la nécessité de la ceinture de citadelles. La dépense des barrages, des machines, des bassins, n’éga- lerait pas même celle qu’a exigée la construction d’un de ces forts. Enfin, la nécessité du système hydraulique 92 LES FORTIFICATIONS, est une chose bien sentie pour Paris, indépendamment de toute idée de fortifications. Les barrages doivent être effectués pour rendre possible et même facile la naviga- ; tion montante de la Seine dans la traversée de la capitale. La construction des turbines serait laissée à la charge de la ville de Paris. C’est elle qui devrait exclusivement profiter de leur immense force, pour porter de grandes quantités d’eau dans une foule de quartiers qui en sont actuellement privés; pour multiplier les fontaines monu- mentales; pour établir, par exemple, un magnifique jet d’eau de Seine sur la place du Panthéon; pour donner des chasses dans les égouts ; pour faire concorder partout le balayage avec des émissions de liquide qui permet- traient d’exécuter cette opération plus rapidement, plus parfaitement et plus économiquement; pour donner les moyens d'étendre le bienfait de l’arrosement à toutes les rues, à tous les boulevards, etc., etc. Ce que j'ai déve- loppé, est un projet dont je poursuis la réalisation depuis plusieurs années. Je demande seulement, à propos des fortifications de Paris, de lui donner un peu plus de grandeur, de puissance. De ce côté, un excès de force, si excès il y avait, ne serait certainement pas inutile en temps de paix. Les besoins de la ville n’exigeraient pas, je suppose, la totalité de l’eau versée journellement dans les six bassins de dépôt. Eh bien, on en céderait une partie aux agriculteurs du voisinage, Conçoit-on ce que serait, par exemple, avec la masse d'engrais que Paris fournit, la plaine de Montrouge devenue régulièrement : arrosable! Il n’y aurait là, pour les habitants de la ban- lieue, un ample dédommagement aux dépréciations de L À LES FORTIFICATIONS. 93 diverse nature que le voisinage des remparts a fait éprouver à leurs propriétés ? On a beaucoup agité la question des approvisionne- ments. Les uns déclarent qu’il serait très-facile de réunir dans Paris les farines nécessaires à la consommation de ses habitants pour cinq à six mois. Les autres sont d’un avis diamétralement opposé. Le contraste entre ces deux opinions eût été sans doute moins tranché, si au lieu de farine on avait parlé de blé. Il est vrai qu'alors on aurait demandé de montrer les moyens de mouture, question d'autant plus naturelle que 6,000 hectolitres de blé, con- sommation journalière de Paris, exigent, pendant les vingt-quatre heures, pour être transformés en 2,000 sacs de farine, l’action continue de 400 paires de meules. Quant à moi, je résoudrais nettement la difficulté. M. Four- neyron, à qui toutes les applications industrielles de la mécanique sont si familières, s’est assuré, à ma prière, que les 400 paires de meules exigeraient la force de 1,400 chevaux. Il a trouvé, de plus, des moyens très- ingénieux et très-praticables d'emprunter cette force aux turbines du Pont-Neuf, alors même que pour s'éloigner des terrains bâtis et très-chers du centre de Paris, on sentirait le besoin de porter le moulin aux 400 tournants, jusqu'à la plaine de Grenelle. Notre projet, enfin, est étudié à ce point, que nous nous sommes occupés même de l’emmagasinement et de la conservation de 4,200,000 hectolitres, ou 120,000 mètres cubes de blé, qui repré- sentent et au delà la consommation de Paris en six mois. L'emmagasinement exigerait six bâtiments à huit élages (y compris le rez-de-chaussée), de 2 mètres et demi de 94 LES FORTIFICATIONS. hauteur, de 115 mètres de long, et de 15 mètres de large. La conservation résulterait du mouvement du blé, savoir : de la descente continuelle du grain d’un étage dans l’étage immédiatement inférieur, et de son retour du rez-de-chaussée à l'étage le plus élevé. Gette dernière partie de l’opération emploierait la force de 16 chevaux, susceptible également d’être empruntée à celle des tur- bines du Pont-Neuf. Ne serait-il pas curieux qu’il eût fallu traverser la question des fortifications de Paris, pour arriver à une solution satisfaisante du problème, si longtemps débattu, des réserves de grains? CHAPITRE VIII LES DÉPENSES EXIGÉES PAR LES FORTIFICATIONS NE SONT-ELLES PAS SUPÉRIEURES AUX RÉSULTATS QU'ON EN PEUT ATTENDRE ? J'ai toujours soutenu que pour empêcher Paris de tomber au pouvoir des ennemis, pour donner à sa popu- lation le moyen de se défendre contre la plus puissante armée, il faut, autour de la ville, une enceinte continue et maçonnée, et qu’une semblable enceinte suffit ample- ment. J'ai examiné la question en elle-même, dans son essence, parce que tout le monde peut la comprendre, parce que, de notre temps, il n’y a plus d’arcanes réser- vés à quelques initiés. Cependant il est toujours bon de se placer sous le patronage d’imposantes autorités na- tionales. LES FORTIFICATIONS. 95 Nous avons dit que Vauban, qui est incontestablement la plus grande autorité qu’il soit possible d’invoquer sur un pareil sujet, rédigea, vers l’année 1690, un Mémoire détaillé sur la nécessité de fortifier Paris. Eh bien, Vauban . voulait que la fortification de la capitale fût une enceinte continue bastionnée. Remarquons bien que l’illustre ma- réchal n’examinait, cependant, la question qu’au point de vue militaire. Il est des personnes qui, tout ‘en reconnaissant que Vauban resta l’homme modèle jusqu’à la fin de ses jours, prétendent que s’il put avoir la pensée de fortifier Paris en 1690, la grandeur actuelle de la ville l’effraierait. Ceux qui se livrent à ces vagues conjectures, ignorent sans doute que le projet d'enceinte extérieure de Pil- lustre maréchal, différait peu de l'enceinte qu’on a exécutée. Le Paris du temps de Vauban, certainement plus ramassé que le Paris d'aujourd'hui, avait déjà poussé de longs bras, presque jusqu'aux limites actuelles. Voyez, par exemple, l'Observatoire et les Gobelins : ces deux édifices touchent aux barrières d’Enfer et de Fon- tainebleau ; cependant leur construction date du siècle de Louis XIV. Dans les ouvrages qu’il laissa publier sous son nom, - ou à la rédaction desquels il concourut plus ou moins directement, Napoléon insistait sur le danger de laisser Paris sans défense immédiate. Par défense immédiate, l'Empereur entendait une enceinte continue de quatre- vingts à cent bastions, et rien de plus. Napoléon avait reconnu que la fortification de Paris imposerait à l'ennemi des plans de campagne totalement 96 LES FORTIFICATIONS. différents de ceux qu’il pourrait adopter la ville restant ouverte, et que ces modifications de plan seraient tout à l'avantage de notre pays. Suivant son opinion, corroborée d’ailleurs par les décisions du sens commun, fortifier la capitale, ce n’était pas y appeler la guerre, c'était, au contraire, l’en éloigner. Le général Haxo ne s’en était pas tenu à des considé- rations vagues, à de simples aperçus. Il avait, comme Vauban, fait un plan détaillé et le devis de la fortification parisienne. La fortification du général Haxo était aussi une enceinte continue, sans forts détachés. En fait, sur l'utilité de fortifier Paris et sur la nature spéciale des travaux à adopter, les partisans de l'enceinte continue peuvent se prévaloir des projets, des décisions catégoriques des plus grandes, des plus illustres autorités militaires dont la France ait le droit de s’enorgueillir. Les adversaires de toute fortification, les séides des forts détachés durent prévoir que les opinions incertaines (en toute matière elles forment la majorité) se groupe- raient, tôt ou tard, autour d’un système recommandé par l'approbation de Vauban et de Napoléon. Il était donc dans leur rôle d’opposer citation à citation, et, à toute extrémité, de représenter les décisions des deux illustres capitaines, comme des paroles légères et sans portée, comme des erreurs de vieillards décrépits. Le lecteur a déjà vu que ce mode d’argumentation ne saurait m’em- barrasser. Puisque Napoléon croyait la fortification de Paris né- cessaire, pourquoi, dit-on, ne s’en occupa-t-il pas à une époque où les caves des Tuileries regorgeaient de mil- LES FORTIFICATIONS. 97 lions? L’objection n’est vraiment pas sérieuse : travailler aux fortifications de Paris eût semblé à tout le monde un acte de folie, lorsque dans la liste des départements de l'empire français, figuraient les départements des Bou- ches-de-l’Elbe, des Bouches-du-Weser, du Zuyderzée, des Apennins, de Rome et de Trasimène ; lorsque l’avant- garde de notre armée était sur la Vistule, En 1815, Napoléon ordonna de construire des fortifi- cations autour de Paris. Des ouvrages défensifs lui sem- blaient donc nécessaires. Voilà un premier point en dehors de toute discussion. Ce que Napoléon voulait autour de Paris en 1815, ce dont le général Haxo commença l’exécution, c'était une enceinte continue. Cette enceinte, dit-on, était en terre ! En vérité, à la veille d’une invasion, pouvait-il être question d’escarpes revêtues en maçonneries, de travaux dont l’achèvement eût exigé plusieurs années ? L’assimilation de quelques redoutes en terre, ouvertes à la gorge, de la redoute de Belleville, par exemple, aux forts détachés actuels, ne résisterait pas au moindre examen. Critiquez, critiquez si votre conscience vous le com- inande, les vues de Napoléon; tout, dans ce monde, peut dévenir le sujet d’un débat plus ou moins spécieux ; mais ne dites pas que l’immortel général répudiait les fortifications des capitales, car j'aurais alors le droit de vous Jeter à la face ces paroles si catégoriques : AS Soixante mille soldats sont une armée ; ne vaut-il pas mieux l’employer en ligne? Cette objection est faite, VL — 111. 7 98 LES FORTIFICATIONS. en général, contre les grandes places; mais elle est fausse en ce qu’elle confond un soldat avec un homme. Il faut, pour défendre une grande capitale, cinquante à soixante mille hommes, mais non cinquante à soixante mille soldats. Aux époques de malheurs et de grandes calamités, les États peuvent manquer de soldats, mais ne manquent jamais d'hommes pour leur défense. Cinquante . mille hommes, en rase campagne, s'ils ne sont pas des soldats faits, commandés par des officiers expérimentés, seront mis en déroute par une charge de trois mille hommes de cavalerie, » Quelques personnes rejetaient les fortifications de Paris parce qu'elles devaient être colossales. Je sais, moi, qu’elles auront 36,000 mètres de tour. Si 36,000 est un . nombre colossal, les fortifications sont colossales.: la dif- ficulté n’a pas une autre portée. Je comprends mieux ceux qui disent : on a entre- pris un travail sans exemple. Il est vrai que l’objection portant sur une assertion précise, peut être aisément réfutée. Prenons, en effet, le développement de remparts -de la ville de Lille, en comprenant dans le calcul l’escarpe, la contr’escarpe, les demi-lunes, les ouvrages à corne, et nous verrons qu’il .y a dans la fortification de cette ville un développement de bâtisse aussi considérable que celui de l'enceinte de Paris. a J'ai souvent entendu. dire que le seul entretien des fortifications de Paris devait absorber des sommes énor- mes. Ne voit-on pas maintenant à quelles folles exagé- rations on s’abandonnait? n'est-il pas évident. que cet LES FORTIFICATIONS, 99 entretien, du moins pour l'enceinte continue, doit coûter à peu près la somme minime que le génie consacre an- nuellément à la conservation de la place de Lille ? Voici une des sentences le plus souvent reproduites par les antifortificateurs : «Le temps de dépenser son argent en fortifications est passé. De nos jours, les armées n’opèrent guère uti- lément qu’en rase campagne. Les grandes batailles tranchent seules les terribles questions de nationalité ; occupons-nous donc exclusivement de notre armée; c'est plus sûr et plus économique, » Il suflira de quelques chiffres pour montrer si ces idées étaient celles d’un grand capitaine que personne, certes, n’accusera d’avoir négligé l’armée. De 1800 à 1813, Napoléon a fait dépenser en fortifi- cations, plus de 170 millions. Les écrivains, les orateurs dont je combats ici les idées, ont oublié que les forteresses multiplient la puis- sance des troupes; qu'une bonne place exige, en moyenne, que l’armée assiégeante soit six à sept fois plus forte que la garnison. Puisqu'on a prétendu mettre en parallèle les dépenses des fortifications et celles qu’occasionnerait une augmen- tation inusitée dans la force de l’armée, je citerai quel- ques lignes de la brochure que publia Carnot, en 1789, pour répondre à certains détracteurs des places de guerre tellement passionnés qu'ils proposaient de les abattre : | fus « Depuis qu'on a posé la première pierre de la pre- mière forteresse du royaume jusqu'à nos jours, ces 100 LES FORTIFICATIONS. monuments auxquels la France a dû tant de fois son salut, n’ont pas coûté autant que la seule cavalerie, dans les vingt-six ans qui viennent de s’écouler, et pendant lesquels elle n’a pas tiré l'épée. » J'avais mis d’abord l’enceinte continue sous le patro- nage de Napoléon et de Vauban. Je viens de faire plus, puisque j'ai établi l'efficacité de ce système par des rai- sonnements positifs, tirés des entrailles même du sujet, et à la portée de tous les esprits; puisque j'ai montré qu'on peut, sans dépense spéciale, beaucoup ajouter à la puissance de ce qui est déjà exécuté. Mais ici, s'agit-il bien d’une question de dépenses? L'indépendance nationale, pour moi le plus grand des biens, repose sur la nécessité de ne plus abandonner Paris à un coup de main d’armées coalisées. Deux ou trois cents millions ne peuvent être mis en balance avec un tel résultat. CHAPITRE IX DES FORTIFICATIONS DE CAMPAGNE, DES FORTIFICATIONS NON REVÊTUES EN MAÇONNERIE, EUSSENT-ELLES ÉTÉ SUFFISANTES ? Si, en 1840, la guerre avait été aussi imminente que le laissait croire le ministère du 4° mars, il aurait évidemment fallu se contenter, autour de Paris, de tra- vaux de campagne d’un fort relief. L’enceinte continue exécutée seulement en terre, eût déjà rendu de grands services. Je pense cependant, que le danger une fois passé, on se serait unanimement accordé à demander des escarpes maçonnées, et aussi le système hydraulique LES FORTIFICATIONS. 104 qui deviendra tôt ou tard le complément indispensable de la fortification parisienne. Jadis, trop dominé peut-être par des vues économi- ques, j'avais pensé qu'on pourrait se borner définitive- ment à des fronts bastionnés en terre, soigneusement gazonnés, Mais je m’empresse de le reconnaître, les faits militaires sur lesquels j'avais cru pouvoir m’appuyer, n'étaient pas suffisamment démonstratifs, Je reprendrai celui des lignes de Torres Vedras, par exemple. Ces lignes célèbres sont dans des conditions toutes particulières. Appuyées à l'Océan et au Tage, elles fer- ment complétement la presqu'île au fond de laquelle Lisbonne est situé. Il est impossible de manœuvrer sur leurs flancs et de les tourner. On y voyait des mon- tagnes, escarpées verticalement de main d'homme, des inondations tendues par des barrages artificiels. Enfin, quand Masséna arriva, en 1810, devant les lignes de Torres Vedras, elles étaient défendues par une armée à peu près aussi forte que la sienne et composée d’excel- lentes troupes de ligne. Est-ce bien dans de pareilles con- ditions de défense que se trouveraient les fortifications non revêtues de Paris? Qu’on me prouve que nous aurons en toute circonstance, cent mille hommes de troupes de ligne dans la capitale, et dès ce moment je ne deman- derai plus de fortifications permanentes, ni même de fortifications passagères. Ce n’est certes pas à moi qu’on pourra Jamais reprocher d'admettre que les soldats fran- çais ont en rase campagne aucune infériorité sur ceux des nations les plus belliqueuses du monde. 402 LES FORTIFICATIONS. CHAPITRE X L'ENCEINTE CONTINUE ÉTAIT PRÉFÉRABLE A LA CEINTURE DE FORTS DÉTACHÉS CONSIDÉRÉE ISOLÉMENT, OU A LA COMBINAISON DE L'ENCEINTE ET DES FORTS QUI À ÉTÉ ADOPTÉE, On a voulu me faire une position équivoque que je ne puis accepter : après avoir lu cette notice, on ne me fera plus figurer tour à tour, je l’espèré du moins, parmi les partisans et les adversaires des fortifications actuelles de la capitale. | J'ai toujours été le partisan décidé de l'enceinte con- tinue, et je viens de déduire les raisons de mes convic- tions à cet égard. Mais j'ai toujours été l’adversaire non moins ardent, non moins convaincu des forts détachés. J'aurais voté l'enceinte de grand cœur, je ne pouvais accorder les forts. À mes yeux les dangers politiques et militaires inhérents à la ceinture de citadelles primaïent de beaucoup, par leur nombre et par leur gravité, les avantages qui devaient résulter de l’éxécution de l’en- ceinte. Il m'était donc impossible d'approuver le projet de loi présenté en 18/41. Aussi, lorsque je me vis amené par la marche déplorable que prit la discussion, à voter sur la combinaison de l’enceinte continue et d’une cein- ture de citadelles, je me joignis sans hésiter aux adver- saires de toute fortification, et l’urne reçut de ma main une boule noire. L'extension prodigieuse, imprévue, et illégale à plusieurs égards, qu’on a donnée à une des parties du projet primitif, n’a certainement pas été de nature à me faire repentir de mon vote. LES FORTIFICATIONS. 103 La confiance que j'avais dans l'enceinte, la défiance que les forts détachés m'inspiraient, n’étaient pas, chez moi, l'effet de ces appréciations instinctives auxquelles il serait dangereux de trop s’abandonner, et qui, néan- moins, dans bien des circonstances, nous signalent à merveille le droit chemin. J’avais appris à connaître le mode de fortification le plus propre à préserver la capi- tale des attaques de l’Europe coalisée, dans de très- sérieux entretiens avec mes amis les généraux du génie Treussart, Valazé et Haxo. Les citadelles dont on a entouré la capitale joueront tôt ou tard un double rôle, l’un militaire, l’autre poli- tique : ce qui est dans la nature des choses ne saurait manquer d'arriver, L'importance du rôle militaire a été considérablement exagérée. Sous l'influence de quel- ques assertions tranchantes, un grand nombre de très- bons citoyens, exclusivement dominés par le sentiment de la nationalité, ont consenti à ne pas porter leur atten- tion sur les considérations politiques. Il faut donc exa- miner si les petites citadelles rendraient, en cas d’inva- sion et de siége, les grands services qu’on a l'air d'en attendre, Le but de la fortification de Paris est très-facile à caractériser : il faut que cette ville puisse se défendre, « à l’aide de sa seule garde nationale, de ses ouvriers, des populations des environs et de quelques détachements de troupes de ligne, » Si la fortification de Paris est bien conçue, la troupe de ligne exécutera au loin, en rase campagne, les manœuvres hardies que le patriotisme, l'expérience, le courage lui suggéreront, sans craindre 104 LES FORTIFICATIONS. qu'une trouée mette aux mains de létranger les ri- chesses, les immenses ressources accumulées dans notre capitale. L'armée, libre de ses mouvements, décidera en quel temps, en quel lieu elle se portera sur l'ennemi par de redoutables attaques de flanc, où de manière seulement à couper ses communications. Poser ainsi la question, c'était repousser entièrement le système exclusif et cependant tant préconisé des forts dé- tachés. | Je vais considérer ce système en lui-même ou comme auxiliaire de l’enceinte continue, CHAPITRE XI LE BUT DE LA FORTIFICATION DE PARIS EXCLUT LES FORTS DÉTACHÉS ; IL NE SAURAIT ÊTRE ATTEINT SANS L'ENCEINTE CONTINUE. Je le répéterai à satiété, Paris dans maintes circon- stances doit se suffire à lui-même. Ceci convenu, les meil- leurs remparts pour Paris seront ceux que la population trouvera les meilleurs; les remparts qui se coordonneront le plus intimement avec les goûts, les habitudes, les idées, les besoins de la bourgeoisie armée. Derrière une enceinte continue, le garde national aura à toute heure des nouvelles de ses proches. En cas de blessure leurs soins ne lui manqueront pas. Dans une semblable position, les timides eux-mêmes vaudraient des soldats aguerris. On se ferait, au contraire, étrange- ment illusion en imaginant que des citoyens assujettis aux obligations journalières de chefs de famille, de chefs de LES FORTIFICATIONS. 105 commerce, iraient sans de vives répugnances s’enfermer entre les quatre murailles des forts; qu'ils se prêteraient à une séquestration complète, tout juste au moment où la difficulté des circonstances exigerait plus impérieu- sement leur présence au foyer domestique, au comptoir, au magasin, ou à l'atelier. Les forts, dira-t-on, doivent être occupés par la troupe de ligne! On reconnaît donc que dans le système des forts la population ne pourrait pas se défendre seule. C'est déjà un immense, un terrible aveu; continuons : Les forts auront-ils une garnison dès le début de la guerre? Rien de plus convenable assurément; mais voilà une partie de l’armée active immobilisée. Les garnisons seront-elles fournies par les troupes en retraite ? Chacun y voit mille inconvénients, J'ajoute, en tous cas, que la ligne de retraite se trouve alors tracée d'avance; que l'ennemi est inévitablement conduit lui-même vers la métropole ; que Paris et sa banlieue sont un champ de bataille obligé. Cela posé, que deviennent le libre arbitre laissé à nos généraux, ces mouvements de flanc, ces mouvements sur les communications ou sur les frontières, qu'on nous a promis et dont la spontanéité devait faire le principal mérite? En toute matière les faux systèmes se manifestent par l’absurdité de leurs conséquences. Vauban disait que le commandant d’une ville doit avoir tout autant de confiance dans la bonté des forti- fications laissées à sa garde, que dans la fidélité de sa femme. Cette remarque, nous pouvons la généraliser. Il faut que dans la mesure de leurs lumières, les simples soldats 106 LES FORTIFICATIONS. eux-mêmes se croient chargés de défendre des remparts imprenables; il faut que les efforts qu’on leur impose soient justifiés par la grandeur du but. Ces deux condi- tions se trouveraient-elles dans les forts détachés consi- dérés sans l'enceinte continue? Portons les garnisons de chacun de ces forts à 2,000 gardes nationaux. Malgré les escarpes, les fossés, les contr’escarpes, les demi-lunes (s’il y en a), les casemates, 2,000 gardes nationaux, isolés au milieu des plaines de Villejuif, de Montrouge ou d’Arcueil; 2,000 gardes nationaux entièrement séparés de la ville, ne se croi- raient certainement pas en mesure de résister aux atta- ques d’une armée tout entière? D'ailleurs, à cet égard, toute illusion disparaîtrait dès que l'artillerie ennemie aurait dirigé sur le fort les feux convergents de ses nombreuses batteries. Le but unique, le but final de la résistance de chaque fort, serait d'empêcher l’armée envahissante de pénétrer jusqu’à la capitale. Ce but, les gardes nationaux croi- raient-ils pouvoir l’atteindre, après avoir remarqué les immenses espaces compris entre un fort et les deux forts voisins, après avoir vu les détachements ennemis franchir ces intervalles sans de très-grandes pertes, sur- tout la nuit? Danger immense, utilité minime de la résistance, voilà ce que chaque garde national apercevrait clairement autour de lui. Ce n’est pas dans une pareille disposition d'esprit qu’on se décide à recevoir l'ennemi sur la brèche. LES FORTIFICATIONS. 107 CHAPITRE XII L'ENNEMI PEUT PASSER ENTRE LES FORTS DÉTACHÉS J'ai supposé qu’on passerait entre les forts sans de très-grandes pertes. Ma supposition peut être justifiée par des faits et par le raisonnement. Le rayon de servitude militaire qu’on a adopté, et qu’à vrai dire il ne serait guère possible d’étendre sans tomber dans des dépenses inouïes, laisse entre deux forts contigus une grande quantité de couverts, à la faveur desquels l'ennemi circulerait presque librement entre ses cantonnements et le mur d'octroi de la ville. Quant aux faits, on ne peut oublier que l’armée de réserve de Marengo, avec son matériel, avec son artille- rie, avec ses convois, traversa les Alpes sous le canon du fort de Bard, sans faire des pertes notables. Pendant la bataille de Gévora, la division Girard du corps d'armée du duc de Trévise, marcha en colonnes sous le feu du fort Saint-Cristoval de Badajoz; qu’elle se forma ensuite en bataille ayant à dos, à 1,000 mètres, le canon du fort, et à 4,500 mètres, le canon de la ville. Plusieurs batteries, au siége d'Anvers, furent armées en faisant passer les canons sur les glacis de la citadelle. Je lis dans un discours de M. le général Bugeaud, ce passage textuel : « Je suis convaincu qu’à moins de mul- tiplier les blockhaus au point qu'ils se touchent, des cen- taines d’Arabes trouveront toujours à passer entre eux pour aller couper des têtes. » 408 LES FORTIFICATIONS. La phrase ne perdrait rien de sa vérité en changeant blockhaus en forts détachés, et Arabes en Cosaques. CHAPITRE XIII LES FORTS ISOLÉS, A RAISON DE LEUR PETITESSE, NE PEUVENT PAS ÊTRE SUSCEPTIBLES D'UNE LONGUE RÉSISTANCE Cormontaigne disait : « Petite place, mauvaise place. » La théorie et l'expérience ont fait de ces paroles un axiome de la fortification moderne. Les forts détachés ne résisteraient pas à un siége régu- lier pendant plus de sept à huit jours. La plupart des forts ne sauraient retarder l’arrivée de l’ennemi devant l'enceinte de Paris, que d’environ une semaine. Cette limite n’est pas prise au hasard; je l’ai déterminée d’après la durée des siéges les plus modernes : ceux de la Pénin- sule, Le courage, l’opiniâtreté des Espagnols dans la défense des places sont, en effet, choses bien reconnues. 1693. Citadelle de Rosas, en Catalogne. Pentagone avec escarpe et contr’escarpe revêtues; quatre demi-lunes et trois contre-gardes. Prise en neuf jours de siége; du 1°‘ au 9 juin. 1810. Château de Méquinenza, avec ouvrages à cornes. Pris en six jours ; du à au 8 juin. 1811. Fort Olvo. C’est un des forts détachés de Tarragone : il est à 800 mètres de la place. Sa forme est carrée. Nos troupes montèrent à l'assaut. Pris en quatre jours; de la nuit du 25 à celle du 29 mai, LES FORTIFICATIONS. 109 1811. Fort Francoli, Autre fort détaché de Tarragone, à 200 mètres de la place. Pris en huit jours; du 31 mai au 7 juin. Ces divers siéges n’offrirent d’inusité que l’acharne- ment, que l’ardeur qu’on montra des deux côtés. Je puis donc remarquer que des accidents assez ordinaires auraient pu encore abréger notablement la durée de la résistance, car dans une petite place tout accident acquiert beaucoup de gravité. = Voyez par exemple Almeïda. On le regarde comme la plus forte place du Portugal. C’est un hexagone bas- tionné, avec demi-lunes et chemins couverts. Le 26 août, jour où nos artilleurs ouvrirent le feu contre la ville, un magasin à poudre fit explosion, et le lendemain, c’est-à- dire après un seul jour de siége, Almeïda se rendit. Ces divers exemples feront apprécier à leur juste valeur les avantages qu’on se promet des forts détachés. Si l'ennemi s’arrêtait à en faire le siége, ces bastilles retarderaient son arrivée devant l’enceinte de Paris, de neuf jours au plus, durée du siége de la citadelle de Rosas. Les causes de cette faiblesse des petites places, je les ai déjà fait connaître en expliquant (chap. vr, p. 80) de quelle manière le grand développement de l’enceinte continue de Paris serait, pour la défense, un immense avantage. Dans une petite citadelle les faces peuvent être aisément ricochées; la garnison et la population y sont trop faibles pour suffire, pendant le siége, à la con- struction de retranchements intérieurs; les défenseurs ne savent où aller reposer leur tête. À ces causes générales 410 LES FORTIFICATIONS. il faut ajouter que les forts détachés de Paris ne sau- raient être pourvus de manœuvres d’eau. Pour se soustraire à la puissance du ricochet, on a parlé de placer toute l'artillerie des forts projetés sous des casemates. Mais on n’a pas à cet égard surmonté certaines difficultés extrêmement graves. Est-on bien certain, par exemple, de se débarrasser de la fumée qui, dans les casemates anciennes, étouffait les canonniers ou les empêchait, au moins, de rien voir au dehors? C’est un principe de toute évidence qu'on ne peut pas voir directement sans être vu. Les clefs des voûtes for- mant les casemates, ne sauraient donc être dérobées aux coups de l'ennemi. Ges voûtes battues de plein fouet ne - manqueraient pas, en peu de temps, de. s’ébouler et d’ensevelir sous leurs décombres les canons et les canon- niers. La difficulté est tellement grave, tellement directe, qu’un général d'artillerie chaud partisan des casemates, a proposé de les revêtir en fer. Or, voici des avertisse- ments très-sérieux que j'extrais d’un ouvrage classique : « Le fer, forgé en plaques de 8 centimètres d’épais- seur, est percé et brisé par les boulets lancés avec de fortes charges. « La fonte de fer ne se laisse pas sensiblement péné- trer, mais elle se brise en éclats, lors même qu'’elle.est en blocs des plus fortes dimensions. » Dans une question si grave il faut dire la vérité tout entière. Les casemates n'auront une grande utilité que pour mettre les garnisons des forts détachés à l'abri des bombes. Elles joueraient aussi un grand rôle si dans la défense on se proposait de remplacer entièrement par LES FORTIFICATIONS. LE des feux courbes les feux directs, comme le voulait Car- not. Mais cette substitution radicale, qui oserait dans l'état présent de l’art en accepter la terrible responsa- bilité? Aujourd’hui donc encore, les paroles de Cormon- taigne : « Petite place, mauvaise place », conservent leur ancienne vérité. Les forts détachés sont de petites, de mauvaises places; les forts détachés, militairement parlant, ne sauraient être approuvés. CHAPITRE XIV LES FORTS DÉTACHÉS EXAMINÉS PAR LEUR CÔTÉ POLITIQUE. — EST-IL VRAI QUE LES GOUVERNEMENTS N'AIENT JAMAIS REGARDÉ LES CITADELLES COMME DES MOYENS DE MAÎTRISER, D'OPPRIMER LES POPULATIONS ? — HISTOIRE DE LA MARCHE SUIVIE DANS L'ÉTABLISSEMENT DES FORTIFICATIONS DE PARIS. Les fortifications de Paris ont un côté politique dont il est impossible de ne pas parler. On a affirmé, avec une burlesque assurance, qu'aucun gouvernement n’a jamais songé à construire des citadelles _pour maîtriser les populations des villes. Quelques cita- tions feront justice de cet optimisme de circonstance. Après avoir développé le projet d’une enceinte conti- nue, qui, suivant lui, devait rendre Paris imprenable, Vauban disait : | « Et parce qu’une ville de la grandeur de Paris, forti- fiée de cette façon, pourrait devenir formidable, même à _son maître, s’il n’y était pourvu, il faudra faire deux citadelles à cinq bastions chacune, etc. » Ainsi, Vauban voulait pourvoir aux velléités.d’indé- 112 LES FORTIFICATIONS. pendance, ou, si on l'aime mieux, aux actes de turbu- lence des Parisiens, à l’aide de deux citadelles, l’une en amont, l’autre en aval de l’enceinte. Les seuls moyens que possèdent des citadelles de pourvoir de loin à la tranquillité d’une population, ce sont des boulets, des obus et des bombes. Vauban, sans se croire un calom— niateur du gouvernement de Louis XIV, admettait donc qu’en certaines circonstances, les deux citadelles de Paris devraient faire feu sur la ville. L'autorité de Vauban n’est pas la seule que nous puis- sions invoquer. On connaît cette réponse d'Henri IV à une députation de la bourgeoisie parisienne : « On pré- tend que je veux faire des citadelles, c’est une calomnie. Je ne veux de citadelles que dans le cœur de mes sujets. » Dans ses ouvrages classiques, Cormontaigne définis- sait les citadelles, « des fortifications destinées à contenir la bourgeoisie des villes et à faire respecter les ordres du prince, » On le voit, Cormontaigne, notre plus célèbre ingénieur après Vauban, disait les choses tout crûment. Carnot (ce grand nom se place naturellement à côté de ceux que je viens de citer), Carnot, comme ses illus- tres prédécesseurs, ne voyait guère dans les citadelles que le moyen d’opprimer les citoyens. Aussi, en 1792, proposa-t-il à l’Assemblée législative de démolir les faces de ces ouvrages qui les isolaient, qui les séparaient des autres fortifications. Cette proposition, non agréée alors, reçut plus tard son exécution à Metz. Les bastions inté- rieurs de l’ancienne citadelle n'existent plus; aucun canon des remparts n’est aujourd'hui tourné du côté de la ville. LES FORTIFICATIONS. 113 Par occasion je mettrai sous la sauvegarde de la même autorité, une expression, celle de bastille, dont beau- coup de personnes se sont servies en parlant des forts détachés projetés en 1833. La motion de Carnot (voir le Moniteur du 5 janvier 1792) se terminait par cette phrase : « Je demande la destruction de toutes les bastilles du royaume. » | Mes citations ont été jusqu'ici empruntées à d’anciens ingénieurs. S'il en fallait de plus modernes, je les pren- . drais dans le célèbre rapport adressé au roi par M. de Clermont-Tonnerre ; j'y trouverais ce principe : « Que le gouvernement doit être constamment en mesure de tenir Paris dans l’obéissance et le devoir. » Au nombre des moyens de tracer au peuple la ligne stricte du devoir, comme on l’entendait alors, le ministre de Charles X, tout aussi humain (je n’hésite pas à l’assurer), tout aussi doux, tout aussi charitable, tout aussi bon père de famille qu'aucun des promoteurs des citadelles qui ont été construites, n’en indiquait pas moins un fort détaché sur la hauteur de Chaillot, « fort, disait-il, pre- nant à revers la rue de Rivoli, les Champs-Elysées et les Tuileries. » Montmartre figurait aussi, dans le projet de M. de Clermont-Tonnerre, comme « la place d’une for- teresse qui commanderait et contiendrait la ville par la crainte. » Rassurez-vous, disaient les orateurs ministériels; ces citadelles dont on vous parle tant n'étaient que des épouvantails ; nous repoussons nous-mêmes avec hor- reur la pensée que, pour châtier les populations mécon- tentes, aucun gouvernement consentit jamais à bombar- VI. — nr. 8 114 LES FORTIFICATIONS. der les villes, à canonner les monuments, à confondre dans une répression sanglante et barbare les innocents avec les coupables. Ces paroles étaient assurément em- preintes de magnifiques sentiments d'humanité et de l'amour des beaux-arts; cependant elles ne me sédui- sirent pas. Je me souvenais, en effet, que le gouverne- ment de l’empereur Nicolas n’hésita pas à faire canonner à outrance sa bonne ville de Varsovie ; que sous le seul gouvernement du roi de Hollande, Bruxelles, alors partie intégrante du royaume des Pays-Bas, fut sillonné en tous sens par des boulets et des obus; que la crainte d’in- cendier les plus belles peintures, les chefs-d’œuvre de Rubens, n’arrêta pas le général Chassé, lorsque son gou- vernement lui eut ordonné de bombarder Anvers ; en- fin, personne n’ignore aujourd’hui que les canons, les obusiers, les mortiers de Montjouich, fort détaché de Barcelone, ont tonné à plusieurs reprises sur cette mal- heureuse ville. Veut-on des exemples empruntés à notre propre histoire? je rappellerai qu’en 1793, les canon- niers de Kellermann, de Dubois-Crancé, tirèrent nuit et jour, pendant plusieurs semaines, sur la ville de Lyon, au risque d'atteindre les républicains de l’intérieur tout aussi bien que les royalistes, et sans s'occuper, le moins du monde, des dégâts qu'ils pourraient faire à l’antique cathédrale ou aux somptueux édifices de la place Belle- cour, S’il le faut, je dirai encore que, dans une des der- nières insurrections de la population lyonnaise, l'artillerie d'un des forts détachés, l'artillerie du fort Montessuy tirait sur la ville, particulièrement sur le collége, et que les batteries établies sur la rive droite du Rhône canon- LES FORTIFICATIONS. _ 15 naiïent sans relâche le faubourg de la Guillotière, situé du côté opposé. | On comprend qu’on ne consente pas à admettre pour notre époque la possibilité d’aucune mesure aussi rigou- reuse, aussi brutale, aussi barbare; mais qui peut se rendre garant de l'avenir? Quoi qu’il en soit, en m’appuyant sur les plus impo- santes autorités nationales, celles de Vauban, de Cor- montaigne, de Carnot; en rappelant des discours, des événements historiques frappants, j'ai établi qu’on a pu concevoir de vives craintes sur le rôle que la ceinture de citadelles parisiennes serait appelée à jouer tôt ou tard, sans mériter pour cela le superbe dédain des partisans de ce genre d'ouvrages, Il est clair aussi qu’on a pu signer les protestations de 1833 et de 1843 contre les forts détachés, contre les bastilles, sans encourir les épithètes de béotiens, d’insensés et autres aménités analogues, dont une certaine presse se montra si prodigue. Poser des limites aux haïines politiques, aux aberra- tions de l’esprit de parti, aux fureurs des factions, c’est manquer à la fois de jugement et de prévoyance. Je me décide à faire un pas de plus : je vais prouver que sur la question des fortifications de Paris, la marche incertaine, obscure, indéfinissable de divers ministères, a légitimé toutes les craintes, toutes les appréhensions du public; que même avant la déclaration à jamais célèbre de M. Guizot, il était très-naturel de croire qu’on se préoccupait plus de l’intérieur que de l’extérieur. Cette hiérarchie de préoccupations n’existait pas encore lorsque, en 1830, immédiatement après la révolution de M6 LES FGRTIFICATIONS. Juillet, le gouvernement pensait réellement à se fortifier contre l’ennemi, et faisait construire, sur la ligne de Saint-Denis à Pantin, des redoutes en terre, ouvertes à la gorge, c’est-à-dire sans parapets et sans artillerie tournés du côté de Paris. | | Vers la fin de 1831, les fortifications de campagne ne parurent plus suffisantes. L'autorité tourna les yeux sur Montmartre, et les officiers du génie reçurent l’ordre d'y établir deux vastes citadelles dont les plans présentaient des habitations d’une magnifcence inusitée. Bientôt les piquets délimitateurs, et aussi, pourquoi ne l’avouerai-je pas, les patriotiques indiscrétions de l’habile général Valazé qui dirigeait ce travail avec une vive répugnance, nous montrèrent dans les citadelles projetées des bastions, des fossés revêtus, des demi-lunes faisant face à Paris, Nous eûmes alors la hardiesse d'adresser au gouvernement ces questions assurément bien naïves : Craindriez-vous, par hasard, qu’en cas de siége, les troupes ennemies vinssent se placer entre le pied de la colline et le mur d'enceinte de Paris? Avez- vous prévu le cas où les batteries de l'assiégeant iraient s'établir dans les rues Pigale ou du Faubourg -Mont- martre? Songez-vous déjà à foudroyer des boyaux de tranchée qui seraient ouverts le ‘long des rues Taitbout ou Saint-Lazare? Si vous ne répondez pas, songez-y bien! toute la population aura le droit de vous croire plus occupés de la défense du système gouvernemental contre Paris, que de la défense du territoire contre les Prussiens, les Autrichiens et les Russes! Il n’en fallut pas davantage pour éventer la mine, LES FORTIFICATIONS. 117 Quelques lignes dans un journal !, et la fortification per- manente de Montmartre cessa d’être indispensable à la défense de Paris, et la colline gypseuse ne figura plus dans les nouveaux projets, et on se résigna à la laisser en possession de ses carrières à plâtre, de ses moulins à vent, de ses guinguettes en bon air et de son télégraphe. Repoussé de ce côté par la clameur publique, le gou- vernement se rejeta sur Vincennes. Des constructions considérables furent exécutées dans l’intérieur du chà- teau. On y voulait, à tout prix, de vastes habitations à l'épreuve des bombes et des obus. Un général du génie, justement célèbre, avait des doutes sur l’utilité de ces dispendieux travaux. Il croyait, lui, que, dans tous les systèmes de fortification proposables, l’état actuel de Vincennes suffirait amplement au rôle secondaire que ce fort aurait à jouer : il se harsarda à le dire; mais on lui répondit sèchement que la capacité politique n’accom- pagnait pas nécessairement la capacité militaire; qu'à Vincennes il était alors uniquement question d’un pro- blème politique dont les officiers du génie pouvaient bien être des juges peu compétents. Les travaux de Vincennes, quoique conçus et ostensi- blement exécutés au point de vue de la préoccupation intérieure, donnèrent lieu à peu de critiques. Ceux-là même qui refusent de croire qu’une émeute puisse mettre jamais sérieusement en danger un gouvernement fran- chement national, devaient s’interdire de blâmer cer- taines précautions, quelque exagérées qu’elles fussent. 1. Voir à l’Appendice la lettre adressée au National du 15 juin 1833. 118 LES FORTIFICATIONS. On annonçait d’ailleurs qu’en cas de surprise, Vincennes deviendrait un lieu de refuge où les autorités, à l'ombre ‘ de notre glorieux drapeau, attendraient le jugement. du pays. Que pouvaient désirer de mieux les partisans décla- rés du principe de la souveraineté populaire ? Malheureusement, à un système de légitime défense en succéda bientôt un autre où presque tout le monde vit clairement, je ne dirai pas des projets arrêtés, mais des moyens d'attaque et d’oppression vraiment irrésis- tibles. Ce système si menaçant est celui de la ceinture des forts détachés. Les partisans de ces forts, oubliant ou feignant d’ou- blier les tentatives que je viens de rappeler, crièrent de tous leurs poumons : « Vous n’avez rien à craindre; voyez si l'on s’est avisé de placer des citadelles à Mont- martre. De là, nous le reconnaissons, on aurait aisé- ment maîtrisé la ville. L'absence de toute fortification à Montmartre prouve avec évidence que la pensée d’'opprimer les citoyens n’entra jamais dans l'esprit de personne, » L'argument était mal choisi, car on aurait pu le rétor- quer de cette manière : Montmartre est la colline d’où l'on maîtriserait Paris le plus aisément; aussi les vues des fortificateurs s’y étaient arrêtées de prime abord. Quand ils renoncèrent à cette position, quand ils inter- rompirent des travaux déjà commencés, quand ils se por- tèrent sur des points un peu moins favorables à leurs vues, ce fut à contre-cœur et en cédant aux clameurs de la population. LES FORTIFICATIONS, 119 CHAPITRE XV \ LES FORTS DÉTACHÉS DOIVENT-ILS INQUIÉTER LA POPULATION? NE POURRAIENT-ILS PAS DEVENIR AUX MAINS DES FACTIONS OU DES ENNEMIS DE TERRIBLES MOYENS D'OPPRESSION ? Les préoccupations de la France, au sujet de la cein- ture de citadelles parisiennes, ont été parfaitement légi- times. J'en trouverai une première preuve dans les nombreux discours des ministres, et dans les brochures de la presse subventionnée. Les forts détachés, nous disait-on verbalement et par écrit, ne doivent pas in- quiéter, puisque aucun de leurs projectiles n’arriverait jusqu'à Paris. Si les projectiles avaient pu atteindre nos habitations , les craintes auraient donc été fondées. Eh bien, en 1833, les journaux ministériels me mirent dans l'obligation de prouver! que les garnisons des forts déta- chés pourraient couvrir Paris, la totalité de Paris, de boulets, d’obus et de bombes, même en bornant les portées des canons, des obusiers et des mortiers à h,000 mètres. Les portées des grands mortiers essayés à Séville en 1810, à La Fère en 1811 et à Indret en 1812, étaient de 6,000 mètres et plus. Les projectiles, remplis de matières incendiaires, pesaient près de deux quin- taux. Ces nombres sont authentiques ; on n’en contestera pas l'exactitude. D'ailleurs je reviendrai plus loin sur ce sujet; pour le moment je me bornerai à transcrire 4. Voir à l’Appendice la lettre adressée au National du 26 juillet 1833. 120 LES FORTIFICATIONS. un très-court passage de l'ouvrage publié en 1836 par le plus savant de nos artilleurs : «On a fabriqué, pour certaines circonstances, des mortiers à âme allongée, en bronze et en fonte. Ceux du calibre de 8 et de 9 pouces lançaient leurs bom- bes jusqu'à 5,000 mètres. Les bombes de 10 et de 11 pouces allaient au delà de 6,000 mètres. » Armez les forts détachés de quelques-uns de ces mortiers que les artilleurs savent couler pour certaines circonstances, et chacun de ces forts deviendra dans l’occasion un Montjouich de la ville de Paris. Toutefois, je l’avouerai franchement, ce n’est pas l’action directe de l'artillerie des forts sur la capitale qui me paraît le plus à craindre; les feux transversaux diri- gés sur les routes auraient des effets encore plus décisifs. Les garnisons des forts pourraient, à l’aide de leurs feux croisés, arrêter, sinon des colonnes d'attaque, du moins les bons laboureurs qui, jour et nuit, viennent approvisionner Paris; il dépendrait d'elles d’affamer la capitale. Ceux dont les opinions triomphent aujourd’hui, loin de s'inquiéter d’un pareil résultat, l’envisagent avec complaisance. Les passions politiques paralysent chez eux la prévoyance la plus vulgaire. [ls oublient qu’en tous pays, suivant l'expression du poëte, qu’en France parti- culièrement : « Les destins et les flots sont changeants. » Reportons donc leurs souvenirs sur deux ou trois évé- nements de l’histoire contemporaine. Le parti qui succomba le 9 thermidor disposait d’une force armée assez nombreuse, mais mal commandée. Cette force, quelques discours la dispersèrent. Supposez LES FORTIFICATIONS. 12] maintenant les soldats d'Henriot, les séides de la com- mune, dans une ceinture de citadelles, et tout change de face, et Robespierre triomphe peut-être. La conspiration de Mallet, en 1812, ne trouva et ne . pouvait trouver ni appui ni sympathie dans la population parisienne. Que serait-il arrivé cependant si, au lieu de séduire les soldats des casernes de Popincourt ou de PAve-Maria, Mallet avait trompé les garnisons de la ceinture de citadelles? Une fois compromis par leur pre- mière levée de boucliers, entièrement séquestrés de la ville, ne pouvant pas entendre les conseils qui les firent si promptement rentrer dans le devoir, maîtres d’une puissante artillerie, sait-on vraiment à quelles extrémités ces malheureux conscrits abusés ne se seraient pas portés? Les 8,000 à 10,000 hommes de la garde royale qui combattaient dans Paris en 1830, n'auraient certaine- ment pas manqué d'aller se réfugier dans les forts déta- _ chés, si la Restauration, mieux avisée, se fût hâtée de les faire construire. De là, cette troupe d'élite eût rendu peut-être inutiles les efforts héroïques de la population de Paris; tout au moins la lutte, au lieu d’être terminée en trois jours, aurait duré des semaines. Les camps de Saint-Omer, de Lunéville, quelques autres corps de troupes dévoués quand même, fussent arrivés, et la capi- tale et le pays tout entiers seraient probablement devenus le théâtre d’une effroyable guerre civile. Si les forts restent debout, nos libertés, nos vies, nos propriétés peuvent être à la merci de quelques milliers de prétoriens, de quelques milliers de soldats factieux. Qu'on n’invoque pas contre moi ce qui s'est passé en 122 LES FORTIFICATIONS. février 1848. Le gouvernement, pris à l’improviste, ne se doutant pas de l’abandon dans lequel le pays tout entier pouvait le laisser, n’avait pas songé qu'il eût en ce moment besoin d'aucune précaution. Le gouvernement de Juillet est tombé au milieu de circonstances qu’il est inutile d'apprécier ici. Il peut suffire, pour renverser un autre gouvernement, de la révolte de deux régiments. La révolte de deux régiments! quelle supposition insensée ! Ge sont là des mots à effet qui ne tranchent, qui n’éclaircissent aucune difficulté, Je rappellerai, moi, très-humblement qu’en 1821 deux légions, la légion de la Meurthe et celle de la Seine, avaient déjà pris jour pour marcher sur les Tuileries, lorsqu'une circonstance fortuite fit découvrir le complot. En 1833, les considérations que je viens d’esquisser frappèrent tous les esprits, La construction d’une enceinte continue n’affaiblit pas leur importance. L’enceinte inté- rieure ne saurait avoir le privilége de réduire la portée de l'artillerie ; l’enceinte n'empêche pas que lapprovi- sionnement journalier de la capitale ne se fasse sous le bon plaisir de quelques sentinelles. CHAPITRE XVI OPINION DE L'ÉTRANGER SUR LA CEINTURE DE FORTS DÉTACHÉS Tout le monde en convient, il est un moyen presque infaillible de juger sainement les projets du gouverne- ment français ; c’est de rechercher ce qu’en pensent nos éternels ennemis. Ces projets sont-ils de leur part le texte LES FORTIFICATIONS. 123 de déclamations furibondes? hâtons-nous de nous mettre à l’œuvre. Loue-t-on, au contraire, notre prétendue sa- gesse? soyons assurés que le pays va entrer dans une voie d’affaiblissement et de perdition. Ces principes posés, je ne conçois pas, je l’avoue, comment les convictions les plus loyales sur la prétendue importance militaire de la ceinture de forts détachés, purent rester intactes en présence des manifestations de l'étranger; comment elles ne furent pas ébranlées, par le tonnerre de malédictions que vomit en tout sens la presse subventionnée de la sainte-alliance, le jour où le pre- mier projet des quinze ou vingt bastilles périrent dans leur germe, sous les cris de réprobation de la garde nationale. ae De notre point de vue la cause de ces violentes colères frappe tous les yeux. Les souverains absolus veulent par- tout des combinaisons morales ou matérielles qui, un jour donné, puissent devenir les auxiliaires de coups d'État contre la liberté des peuples et les institutions constitutionnelles. Les généraux ennemis pensent aussi que les forts détachés se sont élevés à leur profit. Les cruels événements de 1815 les encouragent à rêver des succès, Dans l’exécrable pensée qui les domine, ils mar- chent déjà sur Paris à la tête de 300,000 Prussiens, Russes, Autrichiens ; ils s’emparent de la ceinture de citadelles, y laissent une trentaine de mille hommes, force bien suffisante, en effet, au milieu de tant de bastions menaçants, pour contenir la métropole, pour l’affamer au besoin ou pour la bombarder. Libres désormais de toute inquiétude de ce côté, ils vont avec 270,000 hommes 124 LES FORTIFICATIONS. ravager nos départements et empêcher la levée en masse, tandis que si Paris n’avait eu qu’une enceinte continue, la seule surveillance de sa belliqueuse population eût exigé la moitié au moins de cette même armée. Voilà ce qu’on a dû penser, voilà ce qu’on a dû dire dans les conciliabules des coalisés. Je me trompe, voilà ce qu’on y a dit : j'en ai pour preuve la plupart des journaux alle- mands de l’époque, des correspondances privées, partant de très-haut, qu’il m’a été donné de parcourir ; j'en ai aussi pour garant (pourquoi ne m’abandonnerais-je pas à un souvenir personnel) certains articles émanés du congrès de Thérésienstadt et dans lesquels mon inflexible opposition aux forts détachés de 1833 était traitée avec une violence, avec une âpreté de langage, qui m'au- raient appris, si j'avais pu en douter, que je remplissais un devoir patriotique, CHAPITRE XVII LES FORTS DOIVENT ÊTRE RASÉS OU OUVERTS A LA GORGE Je vais d’abord résumer les principaux résultats de la discussion à laquelle je me suis livré. 8 Vauban, le maître à tous en matière de fortification, n’avait pas proposé de forts détachés. Suivant lui, il suf- fisait de la fortification continue pour rendre Paris impre- nable. Or, j'ai prouvé que l'enceinte, telle que Vauban la concevait, pourrait aujourd’hui recevoir un grand sur- croît de puissance par des manœuvres d’eau, par l'emploi de nouvelles armes, etc, LES FORTIFICATIONS. 125 Il n’est nullement question de forts avancés dans les Mémoires de Napoléon, quoique le nombre de fronts né- cessaires à la fortification de la capitale s’y trouve assez exactement indiqué. Le général Haxo ne demandait pas non plus de cein- ture de citadelles. Les autres autorités qu’on a invoquées en faveur des forts n’ont ni la même valeur ni la même netteté. Vauban, enfin, a condamné radicalement les forts, dans ce passage de son Traité de la défense des places : « Si la garnison d’une ville est disséminée dans des ou- vrages éloignés, susceptibles d’être attaqués et pris par un petit nombre d’ennemis, ils pourront par là être mai- tres de la ville avec moins de monde qu’elle n’en ren- ferme. » L'avantage qu’on se promettait de tant de construc- tions si coûteuses, celui de mettre Paris à l'abri des pro- jectiles incendiaires de l’ennemi, n’eût existé qu’en por- tant les forts à des distances inadmissibles; cet avantage n'est pas aussi capital qu'on le prétend; il n'aura, enfin, qu'une très-courte durée, celle de la résistance d’un des forts : six à sept jours au plus. Les forts imposeront à nos généraux le devoir de venir les défendre. La ligne d'opérations, la ligne de retraite de nos armées seront connues d'avance ; la banlieue de Paris deviendra un champ de bataille obligé dans toutes nos guerres qui seraient malheureuses au début, après tous les échecs éprouvés vers les frontières du Nord ou de l'Est. Les forts n’étant pas ouverts à la gorge; les forts 126 LES FORTIFICATIONS. ayant, contre toutes les règles de l’art, des fronts bas- _ tionnés tournés du côté de Paris, deviendront après leur reddition un puissant moyen d’action contre la capitale, et ensuite un effroyable instrument d’oppression. La prise des forts exercerait une influence désastreuse sur le moral de la garnison enfermée dans l'enceinte. Le défense des forts détachés ne saurait, sans de graves inconvénients, être confiée à la seule garde nationale; sa place, à elle, est derrière les remparts de la fortification continue. Les forts immobiliseraient donc une partie notable de l’armée active. Dans les mains d’une faction (j'appellerai de ce même nom, sans scrupule, tout gouvernement qui violerait les lois), dans les mains d’une faction, les forts pourraient être un jour les auxiliaires des plus mauvaises passions, des plus sinistres événements. La ligne de citadelles rendra les coups d’État faciles. 1] n’est pas de gouvernement qui, dans certaines cir- constances, n’ait songé à recourir à ces mesures ex- trêmes. La branche aînée avait cauteleusement introduit, dans l’article 44 de la charte, le principe des coups d’État; elle n’eut pas le temps d’organiser la force, sans laquelle ces entreprises audacieuses avortent, À l'avenir, le gou- vernement aurait la force sans le principe, les moyens d'action sans Particle 14; l’un ne vaut guère mieux que l’autre. Les autorités politiques, si elles pouvaient sans risque sortir de la légalité, céderaient souvent à la ten- tation. Telles étaient en 1833, en 1841, en 1844, mes LES FORTIFICATIONS. 127 convictions réfléchies sur les forts détachés; elles n’ont pas varié. Je crois donc remplir le rôle d’un bon citoyen, en soutenant la nécessité de la révision du système adopté pour les fortifications de Paris, en montrant que la con- struction des forts doit être modifiée. Je suis profondément convaincu que les forts détachés seront rasés tôt ou tard ou tout au moins ouverts à la gorge. Les Parisiens n’ont jamais voulu de canons tournés contre les berceaux de leurs enfants ; ils n’en veulent pas _pas davantage aujourd’hui. La prise de la Bastille, le 1h juillet 4789, ne fut pas, comme on se l’imagine, le résultat d’un caprice irréfléchi, d’un accès d’aveugle fureur. Lorsque les historiens, au lieu de se copier les uns les autres, puiseront aux sources originales, ils ver- ront la démolition de la Bastille figurer déjà en pre- mière ligne, parmi les vœux consignés dans les cahiers que le corps électoral de la capitale remit à Bailly, à Tronchet, à Sieyès, etc., ses mandataires auprès de l’Assemblée nationale. La même antipathie trouva, peu de temps après, l’occasion de se manifester ouvertement : des remblais et des déblais, exécutés à Montmartre pour rendre la commune et les moulins plus abordables, ayant paru destinés à établir de l'artillerie, il en résulta dans Paris une fermentation menaçante que les pro- clamations de la municipalité apaisèrent très-diffici- lement. L’antipathie pour des citadelles pointant des canons sur la ville n’est donc pas un sentiment nouveau; elle n'est pas davantage l'effet d’une opposition mesquine et systématique : on la trouve chez des personnes de 128 LES FORTIFICATIONS. tous les rangs, de toutes les fortunes, de toutes les opinions, dans toutes les classes de la société. Ceux-ci, il est vrai, se préoccupent en première ligné du parti dé- plorable que l'ennemi pourrait tirer de l'artillerie des forts, tandis que ceux-là, voyant surtout cette formidable artillerie au pouvoir de quelque faction implacable, calculent avec effroi les ravages qu’elle porterait dans les divers quartiers de la capitale. D’autres considèrent les citadelles comme devant amener, dans un avenir plus ou moins éloigné, la ruine de nos libertés, l’abâtardisse- ment de nos institutions vitales. Je tiens à montrer que ces idées ont germé dans les esprits les plus éminents, et qu’on les a manifestées ailleurs que sur les bancs de l'extrême gauche de la chambre des députés. Voiei deux citations empruntées à MM. de Chateaubriand et de Lamartine. | « Nous ne savons, disait M. de Chateaubriand en 1840, si, dans le projet d’entourer Paris de forts détachés, il n'est pas entré quelque prévision des périls auxquels nous sommes exposés; mais le remède serait pire que le mal : quelques forts étant pris, ils serviraient de point d'appui à l'invasion étrangère; aucun accident n’arri- vant, ces forts deviendraient les camps retranchés des prétoriens. » M. de Lamartine n’a pas été moins explite. Lisez ce passage : « Les fortifications, telles qu’on les développe, sont à mes yeux la plus flagrante réaction contre la révo- lution française qui ait jamais été risquée et qui ait jamais réussi contre elle: réaction cent fois plus anti- pathique à l'esprit de cette révolution qu’un 18 bru- LES FORTIFICATIONS. 129 maire! cent fois plus étonnante que deux restaurations! car le 18 brumaire venait avec des victoires, et les res- taurations venaient avec des chartes... On n’est pas sacrilége en frappant du pied des pierres qui pèsent sur le cœur de deux révolutions et sur la liberté de son pays. » | Tout homme clairvoyant aperçoit dans les forts déta- chés, à côté d’une médiocre barrière contre les ennemis, un moyen d’intimidation terrible contre la capitale, et, dans l’avenir, des coups d’État en permanence. Je crois avoir suffisamment insisté sur le danger des remparts faisant face à Paris, sur la nécessité de les raser, de ne conserver que des forts ouverts à la gorge, n'ayant et ne pouvant avoir d’action par leur artillerie que vers la campagne. Les matériaux provenant des démolitions des remparts tournés vers Paris serviraient très-utilement à revêtir la contr'escarpe de l’enceinte continue. Quelque différentes que soient les circonstances dans lesquelles je revois ces pages de celles de l’époque où je les écrivais, je crois remplir un dernier devoir envers mon pays en les conservant; mes convictions sont restées inébranlables, malgré les événements accomplis, et je n’ai pas eu à modifier le fond de ma pensée en chan- geant légèrement la forme des passages de cette Notice qui d’abord concernaient seulement des faits dont je crai- gnais la réalisation. VI — 111, 9 130 LES FORTIFICATIONS. CHAPITRE XVIII LES FORTIFICATIONS NE SONT PAS SEULEMENT NÉCESSAIRES À PARIS Je me suis expliqué avec une entière franchise rela- tivement aux forts détachés, mais j'ai dit aussi pour quelles raisons puissantes je suis partisan d’une enceinte continue autour de la capitale. Dans mon esprit des for- tifications sont nécessaires, mais je ne les veux pas seulement ou surtout autour de Paris. J’ai toujours blâmé la création d’un grand nombre d'usines, d'ateliers, d'établissements militaires près de Paris, précisément en dehors de l’enceinte continue. La guerre venant à éclater, n’est-il pas déplorable que notre pays, sans frontières militaires vers l’est, ait. jeté et jette encore millions sur millions autour de Vincennes et ne s'occupe d’aucune des villes dont la campagne de 1814 révéla si nettement, et quelquefois si cruelle- ment, l'importance stratégique. J’ai vu abattre les arbres magnifiques du bois séculaire pour qu'on pût élever des remparts qui ne joueront absolument aucun rôle en cas d'attaque de la capitale. Pendant ce temps, on néglige de relever Huningue, ou du moins de remplacer ses bastions démantelées par des bastions qui, sur un autre - point de la frontière, auraient la même importance, car il paraît que le gouvernement de la France se croit encore lié par un article secret et honteux des derniers traités de paix. Le plus humble promeneur reste con- fondu en présence des immenses et inutiles travaux LES FORTIFICATIONS. 431 exécutés autour du vieux château de Charles V, surtout quand il réfléchit sur les événements décisifs qui se seraient passés, en 1814, à Reims, à Châlons, à Monte- reau, si dans ces divers points, où l’on n’a pas remué une pelletée de terre, quelques fortifications étaient venues au secours de nos vaillants soldats. Je m'arrête; en creusant ce sujet davantage, il m'arriverait, peut- être, de ne point réussir à exprimer mes patriotiques douleurs en des termes exempts d’amertume et de vivacité. | J'ai établi que la ceinture des forts détachés serait peu menaçante contre l’ennemi, et que tôt ou tard elle mettrait, au contraire, nos libertés, nos institutions, nos vies à la merci de quelques prétoriens. Dans l'enceinte continue, nous trouvons encore des fossés, des parapets, des bastions; mais le pays n’a rien à en redouter, mais ils se présenteront aux armées de l’Europe coalisée comme une barrière infranchissable, Sur ce terrain, j'ai eu, à quelques égards, le regret de me trouver en désac- cord avec des citoyens dont j'honore le patriotisme, dont j'estime au plus haut degré le caractère et le talent, Mon système a été combattu par des militaires, des publicistes, des philosophes, particulièrement par ceux qui se déclarent cosmopolites, Je suis toujours prêt à reconnaître mon erreur, si l’on me prouve que j'ai fait fausse route. Mais, je dois le dire, les objections qu’on a faites n’ont pas été de nature à me faire revenir sur mon opi- nion. Au surplus, les attaques les plus vives s’adressaient plutôt au développement exagéré donné par le gouver- 132 LES FORTIFICATIONS. nement aux fortifications que tous les bons esprits vou- laient dans une certaine mesure. J’examinerai cependant les objections des anüfortificateurs absolus. CHAPITRE XIX SUR LA VALEUR RÉELLE DES FORTIFICATIONS Dans un ouvrage portant le titre d’Essai sur de nouvelles considérations militaires, l'auteur, ancien colo- nel du génie, a critiqué à la fois les forts et l’enceinte continue. Presque aucune fortification n'échappe à son anathème; il a considéré les remparts comme ayant été la cause d’une multitude de fausses manœuvres, de paniques, de grands désastres, etc. Ces décisions ont été accueillies avec faveur; certains esprits ont cru faire une large concession en déclarant qu’elles les laissent en suspens, Il m'en coûte beaucoup plus que je ne saurais l’ex- primer, d’être forcé de réfuter l'honorable officier. Son immense érudition m'étonne; j'apprécie ses sentiments patriotiques; j'honore, du plus profond de mon âme, tous ceux qui, comme lui, ont versé leur sang au service du pays; mais la vérité a des droits sacrés, on ne les méconnaît jamais impunément. Je prendrai dans l’ouvrage cité l’article auquel lau- teur attache sans doute le plus d'importance, l’article qui se termine par ces paroles : Avis au fortificateurs. Cet avis, en effet, ne saurait être assez médité, car il se résume par le plus étrange des résultats. M. le colonel LES FORTIFICATIONS. 133 du génie en retraite tire d’un calcul où figurent des signes algébriques cette conséquence étourdissante : cin- quante mille soldats, en rase campagne, seraient aussi forts que soixante mille se défendant derrière une forti- fication quelconque. Serait-il donc vrai que les mathéma- tiques pussent servir d’appui à ce qui blesse le simple bon sens? Non! non! les mathématiques n’ont rien à faire ici; les prétendues formules de l’honorable colonel ne sup- portent pas un instant d’examen sérieux! Pour mettre en relief les avantages incontestables de la mobilité, Napoléon disait, dans son langage sen- tencieux : La force d’une armée s’évalue par la masse multipliée par la vitesse. L'auteur des Considérations militaires adopte cet aphorisme comme une vérité ma- thématique. Il le traduit en caractères algébriques, et procède ensuite à la comparaison des troupes assié- geantes et des troupes assiégées. « Les premières, dit-il, manœuvrent, les tranchées marchent. » Dans l’évalua- tion de la puissance des assiégeants, on doit donc tenir compte, non-seulement de leur masse, mais encore de la vitesse qui les anime. Quant aux assiégés, comme ils ne marchent pas, l’auteur se croit autorisé à laisser de côté le multiplicateur dépendant de la vitesse; aussi, quand il arrive à former la fraction destinée à donner le rapport numérique de la force des assiégés à la force des assiégeants le numérateur est une masse, et le déno- minateur un produit où figurent à la fois une masse et une vitesse. Le numérateur et le dénominateur sont dès lors, comparativement, des quantités hétérogènes dont 134 LES FORTIFICATIONS. on ne saurait assigner le rapport numérique abstrait, pas plus qu’il ne serait possible de donner le quotient de 1,500 mètres divisés par 5 kilogrammes! Dès que l’auteur des Considérations militaires voulait introduire la vitesse, comme multiplicateur, dans léva- luation numérique de la puissance comparative des armées, il lui était commandé, de par l’arithmétique, de faire usage du multiplicateur zéro, toutes les fois que ses raisonnements l’amenaient à s’occuper d’une armée assiégée. En procédant de cette manière, les fortifica- tions se seraient présentées comme annulant toute force militaire, car le produit d’une quantité quelconque par zéro, est toujours zéro. L’officier du génie n’eût certai- nement pas admis une semblable conséquence, et je n'aurais pas eu le pénible devoir de fouiller dans ses prétendues formules algébriques, pour en extraire une inconcevable méprise arithmétique. Malgré des décisions tranchantes, absolues, et lés cir- constances qui semblaient devoir leur prêter une certaine autorité, nous pouvons donc continuer à avoir pleine confiance dans les propriétés défensives de certaines fortifications, CHAPITRE XX VILLES ASSIÉGÉES QUI N’ONT PAS ÉTÉ PRISES J'ai lu quelque part : « Toute armée qui s’enferme est perdue pour la victoire, » La sentence, vraie ou fausse, n’attaque mon opinion en aucune manière, Je n’ai pas voulu de forts détachés, par la raison surtout qu'une por- LES FORTIFICATIONS. 435 tion notable de l’armée s’y enfermerait inévitablement. J'adopte l'enceinte continue, car elle pourrait être défen- due par la population, car elle laisserait à l’armée la liberté de ses mouvements, car, suivant l'expression de Napoléon, pour défendre une forteresse, des soldats ne sont pas nécessaires, des hommes suffisent. Il n’est pas jusqu'aux proverbes dont les adversaires de la fortification n'aient cru pouvoir se faire une arme puissante. Ville assiégée, se sont-ils écriés, ville prise. Malgré tout mon respect pour les dictons populaires, je ne puis m'empêcher de remarquer que Mézières ne fut pas pris en....... 1520 OI: ED... th - eee 1524 D ON: En... be rrdoie nie 1536 Di Londraries en... nl... 1543 AT PSE ER 4... 1992 ni Montauban en:...........,,... 1621 SO. een d'a -niale 1647 M a Pairicht en... 4.5 1676 red cs 1683 COR FN RSR 1706 AR AD bed e rm éfecioi 1744 ES SON 1792 ON On, dt cdi de 1793 DL MARNOS CD... 4 PT PE 1812 etc. A l’appui du proverbe on a cité Madrid ; mais Madrid n’était pas fortifié, il n’avait pas de murs d'enceinte. On a cité Varsovie qui, de même, n’était entouré que d'ou- 136 LES FORTIFICATIONS. vrages de campagne. Il faut s’y résigner, les faits, en toute circonstance, ont un rôle brutal. Ils ne respectent même pas la prétendue sagesse des nations. CHAPITRE XXI IL N’EST PAS VRAI QUE LES FRANÇAIS SOIENT PEU PROPRES A LA DÉFENSE DES PLACES FORTES. — EN ÉLEVANT DES REMPARTS ON NE FAIT PAS RÉTROGRADER L'ART DE LA GUERRE. Les lithographes, sans qu’ils s’en doutent, sont les plus redoutables ennemis de toute forüfication. Bon nombre de leurs dessins représentent des soldats grimpant de hautes murailles, et pénétrant ainsi, sains et saufs, dans des villes assiégées. Ces scènes imaginaires, exposées chaque jour derrière des carreaux de vitres, dans les magasins des marchands d’estampes, ont fini par persua- der à une portion du public que l’escalade des remparts de l’enceinte continue de Paris s’effectuerait très-facile- ment. J’ai vu des personnes sur lesquelles cette prétendue facilité d'escalade a fait une impression douloureuse et profonde, Il ne faudrait pas moins aujourd’hui, pour les rassurer, qu’une hauteur d’escarpe égale à la hauteur des tours de Notre-Dame. A leurs yeux, toûte ville peut être enlevée par surprise. Voici ce que je réponds à ces citoyens bien intention- nés, mais crédules : Avez-vous vu des hommes porter sur leurs épaules des échelles de douze à quinze mètres de haut , et les dresser contre un mur ? Les avez-vous vus ensuite monter d’un pas chancelant le long de ces mêmes échelles? Vous avez vu tout cela ; eh bien, vous paraît-il, LES FORTIFICATIONS. 137 en conscience, que de semblables manœuvres puissent s’exécuter au fond d’un fossé de fortification, au milieu d'une grêle de mitraille ? Les grimpeurs qui, par miracle, arriveraient jusqu'au parapet, n'auraient certainement rien de mieux à attendre que d’être faits prisonniers. Un général s'était placé, il y a quelques années, parmi ceux qui croient à la possibilité d’escalader des remparts couverts d’artillerie. Voici ses paroles textuelles : « Il n’est pas tout à fait impossible de combler très- rapidement un fossé sec et d’escalader un revêtement... N'y a-t-il donc, s’écriait M. Mathieu Dumas, aucun exemple de grands sacrifices pour atteindre un grand but? A-t-on oublié le terrible assaut d’Ismaïlow ? » À cela, je n’ai qu’un seul mot à répondre : Ismaïlow, dont on fait si lestement escalader les revêtements, n’avait pas de revêtements! Tous les ouvrages étaient en terre : excepté deux bastions sur lesquels l'attaque ne se fit pas! Au surplus, M. Mathieu Dumas n’admettait la possibi- lité de l'escalade qu’à la condition d’un fossé sec ; les fossés de l'enceinte continue pouvant être remplis d’eau de Seine, l’objection tombe d’elle-même. » Des surprises ! Vauban, qui s’y connaissait, disait dans son Mémoire : « Je n’ai nul égard aux surprises et aux intelligences particulières, cette ville étant trop peuplée pour que l’on puisse rien entreprendre contre elle, sans faire de gros mouvements qui découvriraient tout; joint que ce que j'ai proposé (l’enceinte continue) est directe- ment opposé à toutes les mauvaises subtilités que l’on pourrait mettre en pratique à cet égard. » On s'empare par surprise d’un poste, d’un faible déta- 138 LES FORTIFICATIONS. chement, d’une redoute isolée, d’une petite ville, mais jamais d’une grande forteresse, entourée d’une ligne con- tinue de remparts et renfermant une garnison nombreuse. Dans ce dernier cas, les assiégeants qui se hasardent à franchir les murs d'enceinte deviennent, cela s’est vu, les prisonniers des assiégés, Un journal de département, qui occupe dans la presse un rang éminent par le talent et par le patriotisme, le Courrier de la Côte-d'Or, s’est exprimé en ces termes au sujet des fortifications de toute nature, de toute forme, de toute dimension : | | | « Ne voit-on pas que nous ne valons quelque chose (nous autres Français) que par l’ardeur, que par l’initia- tive ; que nous avons besoin d'espace et de soleil; que nous avons besoin de l’irrésistible effort de notre enthou- siasme, et que, dans l’histoire de nos dernières guerres, nous comptons cent batailles gagnées, mais pas une seule de ces héroïques défenses qui ont immortalisé Sagonte et Saragosse. » | Il y a, suivant moi, dans ce passage, des inexactitudes de plus d’un génre, que je vais m’attacher à signaler. L’éloquent journaliste qualifie d’héroïque la défense de Saragosse. J’adhérerais de grand cœur à l’épithète, si elle se rapportait aux sentiments nobles, généreux, patrio- tiques qui décidèrent les Espagnols à repousser vigou- reusement le gouvernement qu’on voulait leur imposer par la force ; mais, au point de vue militaire, c’est à notre armée d'Aragon que la qualification d’héroïque reviendrait plus légitimement. Quoi de plus héroïque, en en effet, que de prendre une ville, quand la garnison en LES FORTIFICATIONS. 139 bonnes troupes est deux à trois fois plus forte que l’armée assiégeante ? Une fois entrés dans les parallèles, dans les boyaux de tranchées, dans les places d’armes, les assiégeants font un métier très-peu différént de celui que les circonstances imposent aux assiégés. Les plus habiles, les plus intelli- gents, les plus hardis dans l’attaque, doivent donc égale- ment l'emporter dans la défense. Logiquement, la conclusion n’est pas contestable, Cent siéges relatés dans nos annales militaires, en devien- draient au besoin la confirmation éclatante. On parle des siéges de la Péninsule? Eh bien, je le demande, est-il rien de plus glorieux que la défense de Saint-Sébastien contre l’armée anglaise? Après nos désastres en Allemagne, une poignée de monde resta dans la petite ville de Witenberg, et s’y immortalisa par la constance, par le courage, et par un esprit de ressources infini. La chute de Napoléon couvrit d’un voile épais la majeure partie des actions d’éclat qui marquèrent la glorieuse agonie du pouvoir impérial. Sans cela, les hono- rables publicistes de Dijon auraient trouvé dans Berg- op-Zoom la preuve que nul soldat ne l'emporte sur le soldat français dans la défense des fortifications. Ils au- raient vu la trahison introduisant, la nuit, dans cette place, les forces anglaises assiégeantes, et, quelques heures après, la garnison, beaucoup moins nombreuse, vaincre ceux qui déjà se croyaient maîtres de la forte- resse, et les forcer à se rendre. En remontant plus haut, je citerais la défense de Lille 440 LES FORTIFICATIONS. par le maréchal de Boufflers ; la défense de Maëstricht, par Galvo; la défense de Grave, par Chamilly, etc., comme pouvant marcher de pair avec ce que l’histoire militaire ancienne et moderne offre de plus glorieux. Un de nos plus illustres poëêtes, M. de Lamartine, a condamné les fortifications de Paris, parce qu’il ne veut pas de la guerre défensive timide. Cette guerre est, sui- vant lui, contraire aux caractères de l’armée et du pays; elle est détestable pour un peuple d'enthousiasme. 11 faut, dit-il, laisser à nos soldats le libre exercice de leurs qua- lités distinctes : l’élan, le mouvement, l'improvisation, l'intelligence, l'expansion. Voilà une appréciation des excellentes qualités des soldats français, assurément fort juste; elle ne conduit, cependant, ni de loin, ni de près, à la conséquence que les fortifications de Paris pouvaient être nuisibles. Cette conséquence, en effet, s'appliquerait logiquement à toute l'étendue de la France; elle n’aurait pas plus de poids, d'importance à Paris qu’à Lille, Strasbourg, Metz, Per- pignan, Bayonne. Ces forteresses, considérées jusqu'ici comme les boulevards du pays, il faudrait donc se hâter de les démanteler. Les conserver, ce serait nous affaiblir ; nous priver, comme on dit, de l'élan, de l'impulsion, de l'expansion de nos soldats! Les forteresses ont la propriété inappréciable de mul- tiplier les forces des garnisons ; d’être imprenables, sous des commandants hommes de cœur et d'intelligence, malgré l’infériorité extrême du nombre des assiégés par rapport à celui des assiégeants; de pouvoir être défen- dues avec des recrues ou des gardes nationales, contre LES FORTIFICATIONS. A4! des armées aguerries ; de paralyser, pour me servir d’une distinction faite par Napoléon et pleine de justesse, de paralyser des soldats ennemis par des hommes. C’est ainsi qu'à Saint-Jean-de-Losne, en Bourgogne, 400 bourgeois arrêtèrent, en 1636, forcèrent à la retraite une armée de 80,000 soldats, commandée par Gala et com- posée de troupes de l’empereur, du roi d’Espagne et du duc Charles de Lorraine. Le jour où l’histoire nationale sera étudiée dans nos colléges, à l’égal de celle des Égyptiens, des Assyriens, des Mèdes, etc., le siége de Saint-Jean-de-Losne prendra place dans la mémoire des hommes à côté de tout ce que les guerres de l’antiquité offrent de plus glorieux. J’ose même affirmer que l’acte notarié, si naïf, par lequel les bons bourgeois de la petite ville bourguignonne s’enga- geaient à brûler leurs maisons et à mourir les armes à la main plutôt que de se rendre, soutiendra sans désavan- tage la comparaison avec les plus beaux discours d’ap- parat que les grands écrivains de la Grèce et de Rome ont prêtés à leurs héros. «Nous, dit l’acte en question, Pierre Desgranges et Pierre Lapre, échevins de la ville et commune de Saint- Jean-de-Losne, savoir faisons à tous qu’il appartiendra, que ce jourd’hui 2 novembre 1636, nous nous sommes assemblés avec les habitants ci-après dénommés, au corps-de-garde de la porte de Sône, savoir M. Michel de Tourlogne, etc....., pour nous résoudre promptement sur le siége qui nous a été formé et assaut livré dès le jour d'hier par les armées de l'Empereur, des rois d’Es- pagne et de Hongrie, et du duc Charles; même sur ce 142 LES FORTIFICATIONS. que leur tambour serait entré une seconde fois dans la ville, il y a environ une heure, pour la sommer de se rendre et se soumettre à leur puissance et autorité; ce que faisant, sont survenus encore quelques habitants, qui ont dit que d’autres avaient traîtreusement quitté et abandonné la ville, savoir : M° Jean Morel, échevin, Louis Passard, M, Jean Bataillon et autres; et d'autant que le canon ennemi avait fait brèche, battait incessam- ment en ruine, et envoyait continuellement des grenades et des bombes, qui pouvaient étonner et affaiblir le cou- rage de quelques-uns ; et que depuis le matin l’armée ennemie paraissait en escadrons du côté du bois de Lan- gonge, et qu'il y à apparence que c’est pour nous donner un second assaut; il était nécessaire de prendre une bonne et prompte résolution... Les habitants déclarent tous vouloir courageusement exposer leurs vies aux efforts des ennemis, pour la défense de la place contre toutes autres intelligences à ce contraires ; même sont résolus, en cas que par malheur ils vinssent à être forcés, de mettre le feu dans leurs maisons et aux poudres et muni- tions de guerre, étant en la maison de ville, afin.que les ennemis n’en recouvrent aucun avantage ; et ensuite de ce, tous mourir l'épée à la main... Signé sur la minute, Desgranges, Lapre...…, etc., etc. Ladite délibération a été montrée au sieur Jannel, lieutenant civil, comman- dant à la porte de la tour Truchot, lequel a adhéré au susdit serment et s’est soussigné avec tous les habitants y étant présents et sachant signer : Jannel, Boisot, etc…., et au lieu de la brèche, M° Claude Poussin, procureur syndic , a adhéré à la susdite résolution, et a signé sur la pu | à LES FORTIFICATIONS. 143 brèche avec tous les habitants sachant le faire et étant sur la brèche, » En conséquence de cette délibération, tous les habi- _fants de Saint-Jean-de-Losne rassemblèrent au milieu de - leurs chambres de la paille, des fagots et autres matières combustibles. Chacun paraissait se complaire dans ces préparatifs, comme s’il allait détruire les biens de l’en- nemi plus que son propre bien. Des mèches partant des maisons aboutissaient aux rues. Des enfants étaient char- gés d’y mettre le feu au moment où la grosse cloche son- nérait, Les archives de la ville rapportent qu’un d’entre eux, nommé Gaillard, ayant cru entendre le signal, approchait déjà le feu de la mèche qui devait incendier la maison de ses parents, lorsque des cris l’obligèrent d’at- tendre. L’assaut du 2 novembre dura quatre heures. Les assiégeants y perdirent 700 à 800 hommes; les assiégés furent presque tous blessés ; des renforts arrivèrent et l'ennemi se retira. Je ne comprends pas comment on a pu soutenir que la guerre des siéges n’exige pas de la part de soldats défendant pied à pied les environs d’une place, les glacis, le fossé, et définitivement la brèche, la spontanéité, la hardiesse, l'intelligence qui distinguent nos troupes? De pareilles qualités, au contraire, ne sont jamais plus utiles, plus en action. Alors le simple soldat lui-même agit souvent isolé, derrière un pli du terrain, derrière un pan de mur, derrière une fascine, dans des cavités verticales où il se blottit et que les ingénieurs appellent des trous de loup. Alors il soutient souvent des combats Corps à corps. On pourrait comparer la vie du soldat 144 LES FORTIFICATIONS. assiégé à celle du chasseur, si ce n’était que le gibier n’a ni fusils, ni carabines, ni pistolets. Dans les siéges, des hommes incultes ont souvent proposé des moyens de défense, en apparence ridicules, et que le succès cepen- dant justifiait. Témoin le siége de Chatté-sur-Moselle, par le maréchal de La Ferté. La ville aurait été certaine- ment emportée si au plus fort de l’action, les habitants ne s'étaient avisés de verser sur la brèche plusieurs essaims d’abeilles. Les piqûres de ces mouches mirent les assaillants en déroute. La guerre défensive a été qualifiée de timide, et c’est pour cela, a-t-on dit, que nous la faisons médiocrement. On sait déjà ce que je pense de cette prétendue infério- rité des Français sur les autres nations en fait de siéges. Je vais en deux mots caractériser maintenant la timidité de la défense. Le prince Eugène nous a laissé une relation du siége de Lille qui dura quatre mois. On y voit que son armée et celle de Marlborough réunies comptaient 100,000 combat- tants, tandis que Boufflers n’avait que 20,000 hommes, ce qui, par parenthèse, montre bien l’avantage des fortifications. La relation citée renferme des passages tels que ceux-ci, bien propres, ce me semble, à montrer que l’intrépidité, que la hardiesse jouent aussi un très-grand rôle dans la défense des places. « Je fis emporter le poste du moulin Saint-André. Boufflers me le reprit, et j'y perdis 600 hommes... Je pris quelques redoutes; mais après trois heures de combat pour une des plus essentielles, j'en fus chassé. .. Je fis donner deux assauts pour faciliter la prise du chemin LES FORTIFICATIONS. 145 couvert : toujours repoussé, mais un carnage horrible. Cing mille Anglais que Marlborough m'envoie pour ré- parer mes pertes, font des merveilles, mais sont mis en déroute. .. Ces braves gens se rallient autour de moi, je les ramène dans le feu; mais une balle au-dessus de l'œil gauche me renverse sans connaissance. Il ne revint pas 1,500 hommes des 5,000, et 1,200 travailleurs y furent tués. » Si guerre timide il y a, on voit que nos pères savaient fort bien la faire. « Fortifier Paris, a dit un éloquent orateur, c’est faire rétrograder le droit de la guerre, jusqu’à la guerre aux vieillards, aux enfants, aux femmes ; jusqu’à l'incendie, jusqu’à la famine, jusqu’à l'assaut. » Ne croirait-on pas, en vérité, que les fortifications sont une création de notre époque, un fruit empesté de l’es- prit révolutionnaire ? Propose-t-on, encore une fois, de détruire les remparts de Lille, de Strasbourg, de Besan- con, de Grenoble, etc.? N’y a-t-il pas aussi des vieillards, des femmes, des enfants dans nos forteresses ? Jamais les dangers, d’ailleurs fort exagérés, de famine, d’incendie, d'assaut, ne leur ont paru au-dessus du but glorieux _ que ces sentinelles avancées du pays doivent se propo- ser : la défense de notre nationalité. La population pari- sienne serait-elle au-dessous de la population de nos villes frontières? Je proteste contre une pareille insinuation, injure gratuite, que rien ne justifie et que je ne devrais pas avoir besoin de combattre, car le courage est au centre de la France aussi bien que dans ses bourgades et ses hameaux les plus éloignés, VI. — 1x. 10 146 LES FORTIFICATIONS. CHAPITRE XXII SUR LE COURAGE DU PEUPLE DE PARIS Certains critiques ne nient pas la puissance militaire de l'enceinte continue et bastionnée dont Paris est en- tourée ; mais, à leur avis, les causes d’une prompte capi- tulation de la ville existeraient plutôt à l’intérieur des remparts qu'à l'extérieur. Déjà, disent-ils, après une ou deux semaines le peuple murmurerait tout haut, à raison des fatigues, des privations qui lui seraient imposées. De là, enfin, à la sédition déclarée, à l'ouverture des portes, il n’y aurait qu’un pas. Je ne répondrai à de si injustes insinuations contre le peuple de Paris, que parce que j'ai pris le parti de répondre à tout. Rien n’autorise, rien ne justifie les sinistres hypothèses dont je viens de parler. Paris fut le théâtre en 1814, en 1815, en 1816, d’actes de bassesse inqualifiables. J’a- vouerai qu’il se trouvait alors, dans notre grande ville, des hommes qui n’avaient pas honte de crier dans la rue, de crier au spectacle, Vive Sacken! vive Wellington ! que ces mêmes hommes essayèrent de jeter à terre, en pré- sence des ennemis, la statue de Napoléon placée sur la colonne de la place Vendôme; que certains journaux citaient ces actes avec éloge. Tout cela était assurément bien triste; mais la masse de la bourgeoisie en gémissait, mais le peuple fuyait ces dégradantes saturnales, Le peuple parisien est brave, plein d’élan, d’enthou- siasme, Un gouvernement national, jaloux jusqu’au scru- LES FORTIFICATIONS. 147 pule de lhonneur du pays, pourra toujours compter sur son appui. Louis XIV lui rendait déjà une entière justice, lorsque, très-peu de temps avant la grande journée de _ Denain, il écrivait au maréchal de Villars : « Si vous perdez la bataille, écrivez-le à moi seul; je passerai par Paris, je le connais, et je vous amènerai cent mille hommes. » Quelle fut, sous le point de vue militaire, la conduite du peuple, du véritable peuple de Paris pendant la révo- lution? À la nouvelle du manifeste de Brunswick, la ville de Paris organisa, dans les derniers jours de juillet 1792 et les premiers jours du mois d’août suivant, quarante- huit bataillons et plusieurs compagnies de canonniers. Ces troupes firent partie de l’armée qui vainquit à Valmy. | En exécution du décret du 21 février 1793 sur la mise en réquisition permanente de trois cent mille hommes de gardes nationales, la ville de Paris fournit trente mille hommes. Le 8 mars 1793, on apprit la levée du siège de Maës- tricht et la retraite de notre armée sur Valenciennes. La population de Paris fut instruite de ces événements par une proclamation de la municipalité et par un drapeau noir flottant sur le sommet des tours de Notre-Dame. Peut-être dira-t-on que le drapeau était un moyen révolu- tionnaire. Je sais, moi, que le lendemain il partit pour l'armée quinze mille Parisiens. En avril 1793, l'insurrection de la Vendée éclata. Aucun corps de troupes n'existait dans ce pays. La Con- 148 LES FORTIFICATIONS. vention fit un appel aux Parisiens. Le 13 avril, il sortait de la capitale, s’acheminant vers la Vendée, quatorze mille hommes et quatre-vingts pièces de canon. Le 12 juin 1793, Paris voyait mille canonniers, ses enfants, quitter leurs foyers pour aller faire le siége de Saumur, conduisant avec eux quarante-huit bouches à feu. Nous ne sommes pas les fils dégénérés de ces patriotes ardents et dévoués. J’en prends à témoin la révolution de 1830. Avec ou sans fortifications, si Paris venait à être attaqué, Paris se défendrait à outrance. Seulement il faut choisir dès ce moment entre une guerre de bar- ricades, une guerre qui se ferait de maison en maison depuis les faubourgs jusqu’au centre de la ville, et la défense méthodique, régulière, moins coûteuse, moins sanglante, qui s’organiserait à l’aide de fortifications pré- parées de longue main. Poser ainsi la question, c'était la résoudre. C’est aujourd’hni la mode de parler avec dédain des résultats que produisit l'élan populaire pendant les pre- mières années de la révolution. Quoique de pareilles attaques soient sans portée, il n’est peut-être pas inutile de les rapprocher de ces mémorables paroles du maré- chal Saint-Cyr : « La guerre de 1792 à 1796 est celle à laquelle je m’honore le plus d’avoir pris part, parce qu’en même temps qu’elle est une des plus justes que la France ait soutenues, elle est aussi celle où le peuple français a déployé le plus d'énergie, de courage et de persévérance... Selon moi, ce: fut dans cette guerre qu'il acquit le plus de gloire, si la gloire s’acquiert en rai- son des difficultés vaincues et de la justice de la cause. » LES FORTIFICATIONS. 149 CHAPITRE XXIII SUR LE RÔLE DES SORTIES DANS LA DÉFENSE DES PLACES Les forces renfermées dans Paris «seraient paralysées derrière un rempart en avant duquel elles ne pourraient déboucher!» Cette objection du général Bernard a été souvent reproduite par les adversaires de l’enceinte con- tinue dont Paris a été entouré. J'avais cru jusqu'ici que Jes fortifications modernes étaient disposées de manière que les troupes assiégées pussent faire des sorties; une simple assertion dénuée de preuves ne me fera certainement pas changer d’avis. La défense des places fut longtemps fondée sur les sor- ties. Les généraux y recoururent plus rarement lorsque Vauban introduisit dans l'attaque des perfectionnements importants. Quoique les places n’eussent pas changé de forme, ces progrès d’une des branches de l’art des siéges, rendaient les sorties très-meurtrières ; elles exigeaient une vigueur extrême, et n'offraient plus autant de chances de réussite. Nous voyons néanmoins à Philisbourg, en 1776, les continuelles sorties du brave commandant Dufay, en- traver sans cesse les opérations de l’armée du prince de Bade. Dans la même année, les sorties de M. de Calvo rendirent vaines, pendant six semaines de tranchée ouverte, les intrépides attaques du prince d'Orange contre Maëstricht, et donnèrent au maréchal de Schom- berg le temps d'arriver et de faire lever le siége. Les Mémoires du prince Eugène nous apprennent quel rôle 150 LES FORTIFICATIONS. admirable jouèrent les sorties, en 1708, dans l’immor- telle défense de Lille par le maréchal de Boufflers. Ainsi, la continuité des remparts, des fossés de ces trois places, n’empêcha pas les mouvements offensifs des assiégés. Faut-il des exemples plus modernes? Je rappellerai que le maréchal de Belle-Isle sortit de Prague le 16 dé- cembre 1742, avec 11,000 hommes, 3,200 chevaux, 30 pièces de canon, et arriva ainsi à Égra; Que le 30 mai 1793, 6,000 hommes sortirent de Mayence avec une telle impétuosité, que le roi de Prusse et ses généraux eurent à peine le temps de rallier leurs troupes. Je trouverai qu’en 1810 les Turcs de Schoumla, pro- tégés par une ligne continue dépourvue de tout ouvrage extérieur, sortirent à plusieurs reprises et sans difficulté pour livrer bataille aux Russes, Je dirai enfin qu’en 1811 la garnison d’Almeïda , s'inspirant sans doute du glorieux souvenir que la garni- son d’'Haguenau avait laissé dans nos fastes militaires au commencement du xvin° siècle, sortit tout entière de la ville pendant Ix nuit, traversa les cantonnements de l’armée anglaise, et échappa ainsi à une capitulation qui semblait inévitable. Il est vrai que dans la plupart des fortifications mo- dernes, le système des communications entre l’intérieur et l’extérieur de la place n'est pas suffisamment bien établi, n’est pas assez facile. Turenne, le maréchal de Saxe, etc., se sont expliqués sur ce-point en termes positifs. En fortifiant Paris, nos habiles officiers ont évité cet inconvénient autant que possible, Dans le corps LES FORTIFICATIONS. 151 illustre du génie, personne n’ignore qu’une des causes de l’admirable défense de Grave, en 1674, fut que l’ab- sence de traverses, l’absence de murs de contrescarpe dans les chemins couverts, y rendait la circulation en- - tièrement libre; que dès lors les troupes de Chamilly, la cavalerie elle-même, débouchaient sans difficulté de la place pour harceler l'ennemi, tantôt sur un point, tantôt sur un autre. Au reste, dans une place destinée à être principale- ment défendue par des gardes nationales, les mouvements offensifs , les actions de vigueur au dehors devant être, toutes choses égales, plus rares que si la garnison se com- posait exclusivement de troupes de ligne, le mode ordi- naire de communication, malgré tous ses défauts, n’en- traînerait pas de bien fâcheuses conséquences, CHAPITRE XXIV SUR LE RESPECT QUE LES ARMÉES VICTORIEUSES ONT POUR LES MONUMENTS Il est des personnes qui ne consentiraient pas à dé- fendre Paris, de peur de compromettre les monuments des arts, des sciences et de la littérature qui y abondent. Toutes ces richesses, une capitulation, dit-on, nous les conserverait. Je prouverai que le danger que courraient nos monu- ments par les projectiles de l'ennemi, en cas de siége sérieux, a été beaucoup exagéré. De plus, ceux des objets qu’ils renferment et dont la perte serait irrépa- 152 LES FORTIFICATIONS. rable, pourraient aisément être mis à l’abri, Une ville sur Carrières offre à ce sujet des ressources certaines et sans nombre. La population timide, les femmes, les enfants y trouveraient de vastes refuges où toutes les bombes de l'univers ne sauraient les atteindre. Quant aux Capitulations, je m'étonne qu'on y croie encore. At-on oublié celle de Dresde? La capitulation de Paris de 1815 n'avait certainement pas été accordée à titre gratuit. Elle stipulait, dans les termes les moins équi- voques, le respect des personnes et la conservation des collections publiques, Eh bien, qu'on se rende à l'allée de l'Observatoire, et des empreintes de balle, et des taches de sang que recouvre aujourd’hui le bronze d’une statue, vous apprendront de quelle manière fut respectée la personne de l’illustre maréchal que l’armée appelait le brave des braves. Parcourez les musées étrangers, les galeries particulières des généraux alliés, et vous verrez à chaque pas comment on entendit alors le mot conser- valion écrit dans la capitulation de Paris; et vous com- prendrez le vrai sens de la leçon de moralité qu’un chef ennemi prétendit alors donner à la nation française. CHAPITRE XXV SUR LA POSSIBILITÉ DE TOURNER L'ENCEINTE CONTINUE CONTRE LA VILLE Les inquiétudes très-naturelles que les forts détachés inspirent ont réagi sur les opinions du public à l'égard de l'enceinte continue. On s’est demandé si quelques LES FORTIFICATIONS. 153 parties de cette enceinte ne pourraient pas être trans- formées rapidement, et à peu de frais, en forts détachés; si les nombreux bastions, une fois fermés à la gorge par des palissades, par des parapets en terre, ne seraient pas, Comme les citadelles, entièrement maîtres de la population parisienne, etc. Je n’ai pas affaibli la difficulté; voici ma réponse. Nul doute que des soldats déterminés, réunis en nombre suffisant dans un bastion de l’encéinte, et ga- rantis à la gorge par une coupure et un parapet en terre, ne fussent difficilement délogeables de vive force; mais l'enceinte d’un bastion ne renferme, en général, ni abris, ni magasins, ni eau. La garnison d’un pareil bastion n’aurait pas besoin d’être attaquée; la faim, la soif, l’obligeraient à se rendre après un très-court blocus. Il n’y a évidemment aucune parité entre un bastion fermé à la gorge par un revêtement en terre, par une barricade, par une palissade, faits à la hâte, et les forts détachés, où tout serait préparé de longue main. Il n’en est pas moins très-utile que l'attention des citoyens soit éveillée sur les travaux qui pourraient faci- liter la fermeture des bastions à la gorge, et sur les magasins qu'on pourrait construire dans ces espaces saillants de la fortification. Il faudra toujours se rappeler que l'enceinte continue ne doit avoir de force que contre l'extérieur. Les faces d’un bastion tournées vers la campagne n'auraient d'autre eflet, en cas d'attaque venant de l’in- térieur, que d’assurer les derrières et les flancs de la 15% LES FORTIFICATIONS. garnison; mais il n’y a pas d’encoignure sur une de nos places publiques, qui ne procurât aux soldats le même avantage. En général, si l’on voulait pousser les soupçons et les prévisions à l’extrême, ce n’est pas seu- lement sur les remparts proprement dits qu’il faudrait jeter un regard inquiet. Est-ce que, par hasard, lhôtel de ville, le Louvre, le jardin des Tuileries, etc., me sont pas vraiment des forteresses? N’affaiblissons pas de très-justes griefs en les accolant à des puérilités. Les garnisons des forts détachés, malgré leur fai- blesse, seraient surtout redoutables, comme je l’ai expliqué (chap. xv, p. 120), par la facilité dont elles jouiraient, à l’aide de leurs feux croisés, d'arrêter les approvision- nements. Les soldats renfermés dans les bastions, une fois retran- chés vers la gorge, ne posséderaient-ils pas, dit-on, les mêmes avantages que les garnisons des citadelles? Les garnisons de tous les bastions, mais non les garnisons de quelques-uns, auraient les facilités qu'on leur attribue, Or, si l’on suppose que dans un conflit semblable à celui de juillet 1830, le gouvernement pourrait compter: sur cinq cents hommes dévoués par bastion, ce qui ferait environ cinquante mille hommes, ce ne serait certaine- ment pas autour de l'enceinte continue qu’il les dispose- rait. Il ne faut pas se le dissimuler, cinquante, mille hommes exercés, bien approvisionnés et dévoués quand même, seraient maîtres de la ville, avec ou sans forti- fications, LES FORTIFICATIONS. 155 CHAPITRE XXVI Li DE LA GÈNE IMPOSÉE PAR LA FORTIFICATION CONTINUE AUX HABITANTS DE PARIS J'ai entendu dire souvent que l'enceinte continue devait imposer à la ville des servitudes et beaucoup de gêne. Il est très-vrai que certains règlements surannés contre lesquels le corps du génie lui-même n’a jamais cessé de réclamer, imposent aux villes de guerre des servitudes gênantes, telles, par exemple, que la fermeture des portes au coucher du soleil, la nécessité d'envoyer son nom ou son passeport au commandant, ne fît-on que passer, etc., etc.; mais il a été facile de substituer à ces règlements ridicules, des dispositions plus en har- monie avec les besoins de la civilisation actuelle. Paris est entouré d’un mur tout aussi incommode pour ceux qui veulent sortir de la ville, que le serait l’escarpe d’un rempart. Je ne comprends pas bien comment une porte fortifiée deviendrait plus gênante qu’une porte d’octroi. Au reste, on n’a pas élevé les fortifications près des portes, au-dessus du niveau du terrain; on y a laissé les fossés comblés; on a conservé de larges brèches à l’escarpe dans la direction des grandes routes actuelles; on a réservé l’achèvement de ces travaux pour le moment où la guerre deviendrait imminente. En un mot Paris n’a pas été soumis aux règlements ordinaires des places de guerre, et on a eu parfaitement raison, Cette question avait très-vivement préoccupé ceux qui sont inveslis par la confiance des Parisiens du soin de 156 LES FORTIFICATIONS. veiller à tous les intérêts de notre grande ville. Dans le conseil général de la Seine, les opinions ont été à peu près unanimes sur la fortification continue. Avec des bas- tions ouverts à la gorge et n'ayant de canons tournés que vers l’extérieur, cette fortification a semblé devoir paraître aux citoyens, tout aussi inoffensive que le mur d'octroi. Il n’en a pas été de même de la ceinture de forts détachés, à quelque distance qu’on les supposât. Quant à moi, j'ai demandé de protester nettement par un vote contre ce mode de fortification. Ma proposition a réuni la plus imposante minorité. Un pareil résultat, obtenu dans un conseil où les principes conservateurs sont si prononcés, me permet de dire que les forts déta- chés sont repoussés par la généralité de la population parisienne. Mais l'enceinte continue ne gêne personne. Si on fait un jour des portes , la garde qui sera de service jouera simplement le rôle de la troupe qui veille aux portes d'octroi. CHAPITRE XXVII CAS OÙ DES FORTS DOIVENT ÊTRE CONSTRUITS Il ne faudrait pas conclure de la discussion à laquelle je me suis livré, que je suis opposé à l'établissement de forts ou de citadelles, quelles que soient les circonstances où puissent être placées ces fortifications. J’ai soutenu jadis, au contraire, qu’un fort devait être construit sur le banc de l’Éclat pour rendre le Havre imprenable, On s’est occupé, à partir de 1844, de mettre les forti- LES FORTIFICATIONS. 157 fications du Havre au niveau de l'importance énorme qu'a pris ce port placé par les chemins de fer, à quatre heures de Paris, à deux heures de Rouen, à la tête d’une de nos plus riches provinces, de la Normandie. On a modifié les fronts de l’ouest, amélioré les fronts du nord, organisé les fronts de l’est, transporté les fronts du sud sur la digue de la Floride, et construit en maçon- nerie ces fronts d’abord en terre seulement. On a voulu que la place ne fût pas ouverte, et l’on a eu raison. Mais les principes de la défense n’ont pas été parfaitement compris. Quelques personnes ont paru se préoccuper de l’idée que l'ennemi pourrait effectuer un débarquement là même où les remparts offriraient une lacune et pénétrer aisé- ment dans la ville. Les dangers d’un débarquement sont peu redoutables ; les dangers d’une attaque par mér, au contraire, sont imminents et fort à craindre. Il arriverait probablement à ceux qui voudraient opé- rer un débarquement sur ces points, ce qui arriva à Sydney Smith : ils seraient pris. Cependant c’est pour s'opposer à un débarquement que l’on s’est occupé de la construction d’un réduit. À quoi servira-t-il? L'utilité du réduit a été signalée sous deux aspects totalement différents et fort peu en harmonie. La dernière éventualité en faveur de laquelle le réduit serait exécuté me semble peu digne d’at- tention. Le gouvernement avait demandé l'établissement d’une nouvelle enceinte de sûreté portée en avant dans la 158 LES FORTIFICATIONS. plaine de l’Heure, et corroborée par un réduit propre à interdire aux bâtiments ennemis l’entrée du bassin même, après la prise de la ville. On concevrait très-bien que l’on exécutät un réduit pour empêcher l'ennemi de pénétrer dans la passe; on pourrait donner à ses remparts un commandement sur le chenal, et empêcher les navires ennemis d'y pénétrer. Mais voici les motifs mis en avant : «Le réduit est destiné à empêcher l'ennemi qui par- viendrait par surprise ou par un coup de main à péné- trer dans la passe, de détruire les écluses et de ruiner les bassins, tant qu’il ne se serait pas emparé de ce réduit par un siége en règle, opération qui exigerait du temps, et par conséquent pourrait permettre aux secours de venir dégager la ville. » Comment! lennemi aurait pénétré dans la villes il s’en serait emparé par escalade ou par surprise, et l’on s’imagine que la poignée de troupes enfermée dans le réduit l’empêcherait de détruire les écluses, de détruire les bassins, de les faire sauter ? J'avoue humblement que cette propriété du réduit, je ne la comprends pas. Assurément on n’a pas supposé que nos troupes res- teraient renfermées dans le réduit, si elles étaient supé- rieures en force à celles qui se seraient emparées de la ville, Elles en sortiraient immédiatement, au contraire, et en chasseraient l'ennemi. Les troupes dans le réduit seraient donc peu nom- breuses; elles n’en pourraient pas sortir, Comment alors défendraient-elles les écluses, les murs de quai? À coups LES FORTIFICATIONS. 159 de canons, sans aucun doute; les boulets éprouveraient inévitablement quelques déviations, et ce qu’on prétend conserver serait détruit par les boulets français. Il m'avait semblé jusqu'ici que, pour détruire des portes d’écluses, des murs de quai, il suffisait de sacs à poudre; qu’un ou deux hommes montés sur un bateau devaient suffire à cette opération ; qu’il leur serait facile, avec le secours d’une mèche, de faire sauter en lair portes et maçonneries, sans courir aucun risque. … Mais ce n’est pas tout; on a proposé trois forts en mer, les forts de Hoc, de l’Heure et de la Lunette des Huguenots. C’est ici que se présentent de graves objections. On a aussi projeté un fort à la Mare des Huguenots. Or, c’est là qu’on pratiquera la nouvelle entrée du Havre, lorsqu'elle deviendra nécessaire. Et l’on veut couvrir le terrain de constructions dispendieuses! Un des forts en mer devra être construit sur ce qu’on appelle le haut de la petite rade. Le haut de la petite rade est beaucoup en deçà des limites de la rade; ce haut de la petite rade est entre les limites extrêmes de la rade et la ville; c’est un banc qui est couvert, dans les hautes marées, d’une couche d’eau considérable ; des navires passent alors souvent par-dessus. On va y créer un écueil infranchissable, un écueil que bien des bâti- ments ne parviendront pas à éviter, sur lequel ils iront se briser. Je m’appuierai ici de l'opinion si décisive de M. Beau- temps - Beaupré. L’illustre ingénieur regarde la con- Struction d’un fort sur le haut de la petite rade comme 160 LES FORTIFICATIONS. une chose fatale, comme devant ajouter beaucoup aux difficultés de la navigation dans l'embouchure de la Seine. Que va-t-on d’ailleurs chercher sur les hauts de la petite rade, lorsque le banc de l’Éclat se présente au loin, en face du cap de la Hêve. C’est sur l'Éclat qu'est la base du fort tant désiré. Voilà l’opinion générale, Que l’on consulte les citadins et les marins, les jeunes gens et les hommes âgés; tout le monde au Havre cite le banc de l'Éclat, toujours le banc de l’Éclat, comme l’emplace- ment d’une fortification future. On ne défend pas une rade par un fort situé dans son milieu ; on la défend à sesli- mites extérieures, Le banc de l’Éclat est la clef du Havre et de la Seine. Lorsqu'on aura occupé cette position fortement, on sera maître de la rade. j'Re La force de la rade du Havre n’intéresse pas seulement le commerce, elle intéresse aussi au plus haut degré la marine militaire. En cas de guerre, le canal de la Manche serait couvert de nos navires : lorsqu'ils seraient poursuivis par des forces supérieures, ils chercheraient un refuge dans la Seine. Les vaisseaux de ligne eux-mêmes, obligés d’en- trer dans la baie, trouveraient derrière le banc de l'Éclat un fond excellent pour mouiller. Avec l'appui du fort, ils pourraient défier l'ennemi le plus nombreux. | On lisait naguère dans une brochure dont les jour- naux, dont tout le monde s’est occupé avec intérêt, qu’il n’y avait pas en France un seul port où l'ennemi ne püt pénétrer sans de très-grandes difficultés, LES FORTIFICATIONS. 161 Je n'oserai pas dire qu’il ait été très-opportun de don- ner une grande publicité à cette opinion ; mais le fait est réel : tous nos ports peuvent être envahis par l'en- memi depuis l’emploi des bateaux à vapeur. Les personnes qui se rassurent sur ce danger, d’après la supposition que la machine du bateau serait bientôt détruite à coups de canon, n’ont pas réfléchi que le remorquage en mer peut se faire tout autrement qu’en rivière. Les matelots, qu’on me passe l’expression, disent que les navires se remorquent en se donnant le bras. Ainsi un bâtiment flottant, un vaisseau débarrassé de ses mâts et gardant toutes ses batteries de canons, pourrait être amené dans la rade du Havre par un remorqueur à vapeur dont ce vaisseau serait le rempart, le bouclier; le vaisseau garantirait le bateau de l’action de l'artillerie de la place. Il ne faut pas croire que les fronts bastionnés actuels effraieraient deux ou trois vaisseaux de ligne. Qu’on se détrompe, en considérant ce qui se passa lorsque notre escadre pénétra dans le Tage : les forts qui bordent ce fleuve avaient une réputation extraordinaire. M. l'amiral Roussin croyait lui-même qu’il ne lui serait pas possible, dans une seule. marée, d’aller de l'embouchure à Lis- bonne. Eh bien, ces forts tant célébrés tirèrent à peine quelques coups de canon contre l’escadre ; lorsque deux vaisseaux, présentant le flanc à un de ces forts, lui avaient tiré quelques centaines de coups de canon à la fois, tout était fini. Les descendants d’Albuquerque et de Vasco de Gama abandonnaïient la place ; ils reconnais- saient l'impossibilité de lutter contre cette grêle de bou- VI — 11. 11 162 LES FORTIFICATIONS. lets. Il n’y à pas de batterie ordinaire, servie par les canonniers les plus habiles, les plus courageux, qui puisse résister à l’action continue de deux ou trois vaisseaux de ligne qui la couvriraient de leurs feux. Aussi, je ne proposerais pas de faire sur l’Éclat une forteresse ordinaire; il faudrait là des batteries casema- tées. Je voudrais que les casemates fussent construites de manière, que, par une ventilation active, les canonniers fussent sans cesse débarrassés de la fumée aveuglante des casemates ordinaires, On a pensé que l'exécution d’un fort sur le banc de l'Éclat devrait être subordonnée à l'exécution d’un brise- lame. Le brise-lame ne se réalisât-il jamais, il n’en fau- drait pas moins, dans l’intérêt du commerce, dans linté- rêt de la défense nationale, établir un fort sur le banc de l’Éclat. Un brise-lame en arceaux, un brise-lame tronçonné, comme on l’a proposé pour la rade de Cherbourg, n’au- rait aucun inconvénient; le courant ne serait pas inter- rompu, par conséquent toutes les propriétés nautiques de la rade resteraient entières. Supposons qu'il s’élevät des difficultés sérieuses relati- vement à la construction de la digue, il n’en resterait pas moins évident qu’il faut faire un fort sur l’Éclat pour donner de la force au Havre, pour défendre sa rade, pour procurer là un refuge non-seulement aux bâtiments de l’État, mais encore aux bâtiments du commerce, en temps de guerre. Quelle forme donner au fort de l’Éclat? Faut-il que ce soit une ruche à canons, ou bien doit-on disposer les LES FORTIFICATIONS. 163 canons comme dans les fronts de fortification ordinaires ? Si l’on adoptait ce dernier système, il arriverait ce qui est arrivé au Tage : les canonniers ne pourraient pas lutter contre l'artillerie des vaisseaux. Quand cent coups de canon frappent à la fois dans un espace très-resserré et sans casemates, les canonniers sont tués ou ils s’en vont. Il ne faut pas avoir une trop grande confiance dans les gros calibres. La question de l'utilité des calibres de 100, de 150 et plus, n’est pas résolue par le fait, On a cité deux circonstances dans lesquelles, les gros canons avaient produit des effets prodigieux. Ainsi, par exemple, les fortifications de Beyrouth auraient été rasées par de gros boulets, Je n’oppose à cela qu’une petite difficulté : il n’y avait pas de fortifications à Beyrouth. On a cité aussi le siége de Saint-Jean-d’Acre comme ayant eu très-peu de durée, sous l’influence des énormes boulets que lançaient les canons du système du général Paixhans, Ces boulets avaient fait très-peu de dégâts aux remparts quand la ville fut abandonnée. C’est l'explosion d’un magasin à poudre qui découragea la garnison, et cette explosion n’eut pas pour cause une des bombes lan- cées par les assiégeants, mais bien l’imprudence d’un ca- nonnier peu soigneux, comme c’est l’usage en Turquie, qui entra dans le magasin une chandelle à la main 1, 1. M. Arago ayant été appelé à affirmer ce fait à la tribune de la Chambre des députés (11 juin 1844), le général Paixhans, qui pré- tendait que l'explosion était due à un boulet lancé par un de ses canons, s'écria : « Est-ce de ce Turc qu’on le sait?» M. Arago ré- 464 LES FORTIFICATIONS. Il ne faut pas se fier exclusivement aux bateaux à vapeur pour la défense de nos ports. Maintiendra-t-on toujours les bateaux à vapeur dans les ports, en état d'agir? On épuiserait les finances de l’État! Il faut ordi- nairement plus d’une heure pour mettre la chaudière d’un bateau à vapeur en état de fournir la vapeur néces- saire à la marche; dans ce laps de temps un bateau ennemi a de la marge pour arriver et produire d'énormes dégâts. Sans entrer dans une discussion technique relativement à la force qu'on donnerait au fort de l'Éclat, je veux seulement que ce fort compte beaucoup, beaucoup de canons en batterie. Ce sera l’objet d’une détermination éclairée des officiers du génie et de l'artillerie. Je dis qu’il faudra beaucoup de canons, parce qu’il y en a beaucoup dans les vaisseaux de ligne : c’est par le nombre des canons que les vaisseaux réduisent les batteries de terre au silence; c’est pour cela qu'à l'embouchure du Tage nos vaisseaux éteignirent, en quelques bordées, les feux de forts dont on nous entretenait comme d’un obstacle insurmontable. Quant aux forts casematés, quant à ces ruches qu’un savant général d'artillerie a condamnées si radicalement, il y en avait une, je ne sais si elle existe encore, à l'entrée du port d'Alger; cette ruche fut vigoureusement attaquée par l’escadre de lord Exmouth. La ruche fut le seul point où il y eut une résistance énergique. pliqua : « Je le sais de personnes qui étaient sur les lieux. Au sur- plus, marchiez-vous de conserve avec votre boulet quand lévé- nement arriva ? » LES FORTIFICATIONS. 165 La ville au Havre a compté parmi ses habitants, au commencement de la Restauration, un officier de la ma- rine anglaise qui alors se livrait à des opérations indus- trielles. Get officier est connu du monde entier par sa . bravoure brillante ; je veux désigner le commodore sir Charles Napier. Le commodore a dit souvent qu’en cas de guerre, il viendrait faire une nouvelle visite au Havre, et montrer combien les batteries des remparts seraient inefficaces contre les canons d’un vaisseau. Profitons de l'avertissement. CHAPITRE XXVIIT NÉCESSITÉ DE FORTIFIER LES CÔTES ET LES PORTS DE MER Les premiers coups de canon qui se tireront au moment où la paix cessera iront de la mer à la terre, ou de la terre à la mer. C’est à la mer qu'est le danger le plus imminent. Le port du Havre, c’est Fopinion de tous les marins, je pourrais ajouter des marins les plus illustres, est telle- ment accessible aux bateaux à vapeur, à moins qu’on ne construise le fort du banc de l’Éclat, qu’une semaine après une déclaration de guerre avec certaine puissance maritime, l'entrée du port serait renversée ou bouchée, et tous nos établissements militaires et commerciaux seraient incendiés. Jadis, quand une flotte pénétrait dans un golfe, elle était obligée de songer à la possibilité du retour. Avec les bateaux à vapeur, cette prévoyance est devenue inu- tile; on entre et on sort quand on veut, et à peu près 166 LES FORTIFICATIONS. comme on veut. Si Sidney Smith avait eu des bateaux à vapeur il n’eût pas été pris, il eût fait sur les rives de la Seine un ravage effroyable. Telles sont les raisons pour lesquelles je demande instamment qu'on établisse une formidable forteresse sur le banc de l'Éclat. Les fortifications qui défendent Toulon du côté de la mer n’ont pas été entretenues avec l'attention, avec le soin que l'importance de cette place exigeait et que doit inspirer le danger de voir quelques bateaux à vapeur bien armés pénétrer dans la rade et incendier l’arsenal, Jusqu'à ces derniers temps les fortifications de Brest ont été laissées dans un état déplorable. J’appelle de toutes mes forces la sollicitude de mon pays sur les travaux que réclame la défense efficace de nos côtes, de l’em- bouchure de nos rivières, de l’entrée de nos ports. CHAPITRE XXIX LE BOMBARDEMENT N’EST PAS UN MOYEN INFAILLIBLE DE S'EMPARER DES VILLES ASSIÉGÉES J'ai souvent entendu soutenir que les fortifications sont impuissantes contre les attaques dans lesquelles ennemi se décide à employer le bombardement. On m'’a dit à propos des fortifications de Paris : Qu'importent vos escarpes maçonnées, vos bastions, vos parapets hé- rissés de canons? Les bombes de l'ennemi passeront par-dessus; elles porteront dans tous les quartiers la mort et l'incendie. Toute ville bombardée est une ville perdue. Il n’y a de sûreté nulle part, ni pour les vieil- LES FORTIFICATIONS. 167 lards, ni pour les femmes, ni pour les enfants. Voyez Beyrouth, voyez Saint-Jean-d’Acre. Ces deux villes sont tombées très-rapidement sous les coups de la nouvelle, de la grosse artillerie installée à bord des navires an- glais, etc., etc. Je me débarrasse d’abord de Beyrouth par cette re- marque bien simple : la ville n’était pas fortifiée. Quant à Saint-Jean-d’Acre, que je ne consens pas, du reste, à comparer à Paris, il n’y avait dans la ville et sur les rein- parts qu’un dommage insignifiant, au moment où la gar- nison l’abandonna. J’ai déjà cité ces deux faits (p. 162). Ne nous lassons pas de le répéter : les bombardements ne sont pas des moyens certains de réduire les villes, du moins quand des hommes de cœur les défendent. Nous ne manquerons pas de preuves à l'appui de cette opi- nion. Dans le mois d’août 1694 , les troupes françaises tirè- rent inutilement sur Bruxelles 3,000 bombes et 12,000 boulets rouges, En 1757, le grand Frédéric bombarda Prague pen- dant vingt-deux jours et fut obligé ensuite de se retirer. En 1782, deux bombardements successifs de Gibraltar n’amenèrent pas de résultat. Le duc de Saxe-Teschen, en 1792, lança sur la ville de Lille, dans le court espace de six jours, 36,000 bombes, boulets rouges et obus, sans que les habitants eussent la pensée de capituler. Les infructueux bombardements de Thionville et de Mayence, pendant les guerres de la Révolution, ne sont pas moins présents à tous les esprits, 168 LES FORTIFICATIONS. Je pourrais encore citer Landau, qui résista quatre- vingts jours à ce genre d'attaque ; la belle ville de Man- heim où, en 1795, Pichegru fit tomber, sans succès, 6,000 bombes et obus en seize heures, etc., etc. En finissant cette énumération, je me bornerai à rappeler spécialement Saragosse, Avant de pénétrer dans la ville pour faire le siége de chaque maison, nos troupes y avaient lancé plus de 16,000 bombes. Si l’on allait me reprocher de n’avoir cité que des bombardements un peu anciens; si l’on prétendait que les choses ont totalement changé de face depuis la nais- sance, ou plutôt depuis la résurrection des mortiers mons- tres, comme on les a appelés, l’objection ne me prendrait pas au dépourvu. Voici quelle serait ma réponse. . Les bombes agissent par leur choc sur le point de chute, par leurs éclats au moment de l’explosion, par les matières incendiaires qu’elles projettent, Quand on envi- sage les choses de ces trois points de vue, rien n’est moins établi que la supériorité des bombes à énormes dimen- sions sur les projectiles du même genre actuellement en usage, D’habiles canonniers ne lancent pas plus de quatre bombes par heure avec un seul mortier, quand ils s’as- treignent à toutes les attentions sans lesquelles le tir perd notablement de sa justesse. Lorsque le but a une très- grande étendue, lorsque le but est la totalité d’une ville, on arrive aisément à tirer six bombes par heure. Avec le mortier monstre, chaque coup exige environ une heure. Pour que ce mortier l’emportàt sur l’ancien dans le bombardement des villes, il faudrait donc qu’un LES FORTIFICATIONS. 169 des énormes projectiles qu’il lance, fit six fois plus de dégât qu'une des anciennes bombes. En est-il ainsi? Je rapporterai des chiffres d’après lesquels chacun pourra se former lui-même à ce sujet une opinion raisonnée. Le maximum d’enfoncement possible d’une bombe de 32 centimètres (12 pouces) est, dans le bois de chêne, de 43 centimètres ; dans la bonne maçonnerie, 18 centi- mètres, Dans des terres rassises, la plus grande pénétration possible d’une bombe de 32 centimètres de diamètre, est d'environ 1 mètre. Les expériences faites à Braschaet, près d'Anvers, en 1833, ont donné pour une bombe de 60 centimètres de diamètre et du poids de 500 kilogrammes, une pénétra- tion de 2 mètres et quart. Les éclats d’une bombe de 32 centimètres, quand ce projectile s'enfonce peu, vont quelquefois jusqu’à 800 mètres du point de chute. Les éclats, généralement au nombre de 13, des bombes de Braschaet, n'étaient lancés qu’à 27 mètres. Ces très-grosses bombes, chargées de 25 kilogrammes de poudre, produisaient des entonnoirs de 3 mètres de rayon. Les anciennes bombes donnent une excavation de 2 mètres cubes par kilogramme de poudre. Parlons maintenant des obus. Ces projectiles ne produisent à peu près aucun effet mécanique contre les maçonneries. Ils se brisent au moment du choc, même avec de faibles vitesses. Leurs éclats, au contraire, sont dangereux. Dans les siéges on 170 LES FORTIFICATIONS. les emploie, comme les bombes, pour incendier les habi- tations. Alors leur charge intérieure de poudre est mêlée à des artifices particuliers très-inflammables. À ces deux espèces de projectiles incendiaires, les bombes et les obus ; aux boulets rouges, jadis fort en usage, on a joint, depuis un certain nombre d’années, des fusées à la Congrève. A l’aide de si puissants moyens, a-t-on dit, l'ennemi réduirait en cendres, par exemple, la ville de Paris dès les premiers jours de l’investisse- ment; il n'aurait nullement besoin d’entreprendre un siége régulier, Des bombes, des obus, des boulets rouges, des fusées lui tiendraient lieu de tout. Un système de fortification n’a donc quelque valeur qu’à la condition expresse d'arrêter constamment l’assiégeant au delà des distances que franchissent les projectiles incendiaires. L’enceinte continue ne jouirait pas de cette propriété ; l'enceinte continue serait inutile, Je viens de montrer par de nombreux exemples, que le bombardement ne doit en aucune manière être considéré comme un moyen infaillible de se rendre maître des villes fortifiées. J’expliquerai maintenant le fait; je prouveraï, d’après d’autres événements de guerre, que la puissance incendiaire des bombes, des obus, des boulets rouges, des fusées, n’est pas aussi grande qu’on le suppose, à moins qu'il ne soit question de villes construites en bois. J’ouvre l’histoire des siéges de la Péninsule, écrite par le colonel anglais John Jones, et je trouve à l’article du siége de Burgos : « 9 octobre, Pendant tout ce jour, l'artillerie tira à LES FORTIFICATIONS. 174 boulets rouges sur l’église de la Blanca, sans parvenir à y mettre le feu. » Le chapitre du siége de Saint-Sébastien m’apprend, qu'indépendamment de 41 pièces de 24, l'artillerie des - Anglais se composait de 8 énormes caronades, de 13 obusiers de 8 pouces (0.22), et de 20 mortiers de 10 | pouces (0.27). Toutes ces pièces tirèrent incessamment sur Saint-Sébastien, du 26 au 31 août, sans y engendrer aucun embrasement sérieux; cependant, il existait par- tout des munitions, des matières combustibles, car après l'assaut le feu ayant pris à la ville par accident, elle fut presque entièrement consumée, Je tiens d’un officier d'artillerie, témoin oculaire du fait, qu'en 1823, nos canonniers lancèrent avec leur habileté ordinaire, mais inutilement, une véritable pluie d’obus sur une caserne, construite en pans de bois et située dans le fort d’Urgel. Enfin j'ai appris de bonne source, qu'avant l'assaut qui nous rendit maîtres de Constantine, on avait lancé sur cette très-petite ville, 800 à 900 bombes et des fusées à la Congrève, sans y allumer aucun incendie de quel- que importance. Je me garderai bien de conclure de tous ces événe- ments, que les bombes, les obus, les boulets rouges ne méritent pas le nom de projectiles incendiaires par lequel on les désigne. En effet, ils montrent seulement qu'avec un tant soit peu de précautions, les incendies dont l’ar- tillerie est la cause peuvent être arrêtés dès leur début. Là où les besoins de la défense retiennent presque nuit et jour de très-faibles garnisons sur les remparts, un 172 LES FORTIFICATIONS. bombardement est très-dangereux. Dans les villes popu- leuses, au contraire, surtout quand l’eau y abonde, on organise aisément un service régulier qui empêche le feu de se propager. Faut-il prouver, en fait, que telle est la véritable explication de l’inefficacité des bombarde- ments? Je trouverai dans l’ouvrage déjà cité du colonel John Jones, que pendant le siége du couvent de Saint- Vincent, à Salamanque, les artilleurs anglais étaient fort étonnés du peu d'effet que les obus et les boulets rouges produisaient sur ce vaste bâtiment; mais leur surprise cessa lorsque, après la reddition du couvent, le comman- dant français eut déclaré qu’en une seule nuit la garni- son avait éteint dix-huit incendies. À Lille, en 1792, les incendies cessèrent dès que les secours eurent été organisés. Au Havre, en 1759, une exacte surveillance rendit entièrement inefficaces les deux bombardements des Anglais. J'ai entre les mains le journal manuscrit du siége d'Anvers, qui m'a été communiqué par le fils d’un homme de guerre illustre, le général Carnot, et j'y lis que le à, le 4 et le 5 février 1814, deux corps d’armée anglais et prussiens réunis jetèrent dans Anvers 1,500 bombes, 800 boulets ordinaires, des boulets rouges, des fusées, et que tout cela fut sans effet. Le journal dit pourquoi ; il explique qu’on avait organisé un service par lequel tout incendie était éteint à l'instant même où il se mani- festait. Vauban eût regardé le bombardement de Paris comme une chose sérieuse ; mais le Paris de Vauban, à rues extrêmement étroites, sans conduites d’eau, sans bornes- LES FORTIFICATIONS. 173 fontaines, différait extrêmement sous ces deux rapports essentiels, du Paris de notre époque. . Aujourd’hui les bombardements font, en général, beau- coup plus de bruit que de mal. Dans le bombardement de Landau, après une durée de 80 jours, il n’y avait que cinq victimes parmi la bourgeoisie. Les bombardements de Lille, de Thionville, de Valenciennes, ne furent guère plus meurtriers, proportion gardée. Aussi, les enfants, les femmes ne s’effrayaient plus de tout le fracas que faisait l'artillerie ennemis, Pendant la guerre d’Espagne, je rendis visite, à Palamos, en Catalogne, à une dame très- respectable, très-respectée, et dont l’excessive timidité n’était que trop bien expliquée par des malheurs de famille inouïs ; cependant, elle n’avait quitté la ville de Figuières qu'après que onze bombes parties de la cita- delle furent tombées dans sa maison. Cette dame était madame la duchesse douairière d'Orléans, la mère de Louis-Philippe. J’ai admis la possibilité d’un bombardement sérieux de Paris. Cette supposition pourrait être contestée à bon droit. A-t-on bien réfléchi à ce que demande le siége d’une place ordinaire? Dans les anciens équipages, on comptait : 50 voitures et 250 chevaux par bouche à feu. 100 bouches à feu exigeaient donc : 9,000 voitures et 25,000 chevaux. Personne n’admettra, sans doute, que Paris pût être assiégé avec moins de 200 bouches à feu; ce serait 174 LES FORTIFICATIONS. donc 10,000 voitures et 50,000 chevaux pour le seul service du parc d'artillerie. | Ces chiffres, dont chacun peut tirer la conséquence, ont paru exagérés à plusieurs des littérateurs qui ont traité dans les journaux la question de l'armement de Paris. Il faut donc les justifier. On ne peut pas supposer que le corps de l'artillerie , pour qui les approvisionnements, les moyens de transport sont une source incessante d’embarras et d'inquiétude, demande sans nécessité un matériel trop considérable. Sous le bénéfice de cette remarque, je rappellerai que, pour les places ordinaires, l'équipage actuel d’un siége est ainsi fixé : 32 canons de 24, 26 canons de 16, 14 obusiers de 8 pouces, 14 gros mortiers, 8 petits mortiers. TOUR. à 94 bouches à feu. Doubler ce nombre quand il s'agirait d'une place exceptionnelle telle que Paris, ce ne serait certainement pas trop. Voici, au surplus, quelques autres chiffres : Au siége de Namur, en 1694, on employa 180 canons et 60 mortiers; total, 240 pièces; | Au siége de Brisach, en 1703, Vauban avait 120 ca- nons et 40 mortiers; total, 160 pièces ; A Turin, en 1706, l'équipage de l’armée française était de 195 canons (parmi lesquels 104 de 24), et de 46 mortiers, formant un total de 241 pièces. Je dois avouer que si les adversaires de l'enceinte LES FORTIFICATIONS. 175 continue dont Paris a été entouré croient pouvoir réduire à peu de chose les équipages de siége, ils se dédomma- gent bien sur la force des armées. Je reçois une brochure où l’on proclame, par exemple, que partout nos ennemis seraient vingt contre un, L'auteur ne rabattrait rien de ce chiffre. Qu'il me permette, toutefois, de lui faire remar- quer très-humblement, que la garnison de Paris en troupes de ligne, gardes nationales et corps francs devant être de 100,000 hommes au moins, l’armée assiégeante compterait deux millions de soldats. Je l’engage à son- ger, dès ce moment, aux moyens de faire vivre cette immense multitude. Je viens de dire que dans mon opinion le bombarde- ment d’une ville assiégée est peu à redouter quand on a pris les précautions nécessaires pour éteindre les incen- dies. J’ai affirmé, d'autre part, que le danger était redou- table lorsque ces précautions ne sont pas prises, Ces précautions sont simples ; il faut avoir de l’eau en abon- dance dans tous les quartiers; c’est avec l’eau qu’on éteint le feu. Eh bien, le jour où la ville de Paris serait cernée, on manquerait d'eau presque partout. Il y a dans Paris trente-deux barrières où l’eau de l’Ourcq n'arrive pas; mais, que dis-je? l’eau de l’'Ourcq manque- rait également dans tous les quartiers. L’ennemi, une fois maître de la campagne, donnerait quelques coups de pioche dans la berge du canal, et l’eau se répandrait en totalité, Nous n’aurions pas même la faible ressource de l’aqueduc d’Arcueil ; car on le briserait. Comment établir alors un service pour parer aux incendies du bombarde- ment? Des communications à bras entre la rivière et les 176 LES FORTIFICATIONS. différents quartiers, n'est-il pas évident que c’est là une misérable ressource! Toutes ces choses seraient facile- ment conjurées si l'on voulait songer à l’eau, à l’eau qui est aussi un élément de défense. J'ai montré comment (chap. vi, p. 84), à l’aide d’un barrage et de turbines placés au Pont-Neuf, il serait facile d’avoir et l’eau suffisante pour alimenter abondamment Paris et la force nécessaire pour faire circuler cette eau dans tous les quartiers. CHAPITRE XXX SUR LES EXPLOSIONS DES MAGASINS À POUDRE À côté des vives craintes qu'inspire le danger d’un bombardement se placent celles des explosions des maga- sins à poudre. Aussi a-t-on exploité le préjugé général pour en tirer un argument à effet contre ceux qui ne vou- aient pas de forts détachés, qui soutenaient que l’en- ceinte continue est le seul moyen de défense efficace contre l'ennemi, inoffensif contre les libertés publiques. Je vais examiner la question de près et en détail ; peut-être trouverai-je que l’on a invoqué de véritables fantômes. Le maréchal Soult rappelait, en 1833, que Vincennes était le seul magasin à poudre qui avoisinât Paris. Sui- vant lui, c’eût été trahir un secret d’État que de dire à la tribune, que de dire publiquement, pour combien d'heures ce fort fournirait des munitions à une armée obligée de se défendre. Le général Bernard était moins réservé. Il déclarait, LES FORTIFICATIONS. 477 lui, que Vincennes contenait à peine les munitions néces- saires à une armée de 450,000 hommes pendant huit heures de combat. De si déplorables résultats eussent été le fruit unique de tant de dépenses faites à Vincennes pour mettre de vastes constructions à l’épreuve de la bombe! Le public peut se rassurer; le mal n’est pas aussi grand que le maréchal Soult et le général Bernard le croyaient. Les tables réglementaires officielles fixent de la manière suivante l’approvisionnement en poudre de 100,000 hommes, pour toute une campagne, pour toute une année : kilogr. de poudre. 20,000,000 cartouches (200 par homme) con- RER RE pe" de 200,000 7,680 coups à boulet de 12 pour 932 canons, à 2 kilogrammes............... 15,360 24,192 coups à boulet de 8 pour 96 CanOns , à 4k,25, CA LEE PA Ÿ LA 30,240 2,560 obus de 6 psices. nr 16 obusiers, CC POS PRE NE TE re 3,840 8,064 obus de 24 pouces pour 18 obusiers, DS. Sn ter sie: di. 8,064 Potals is. cé 257,504 C'est une chose reconnue que 200 cartouches par homme forment le double approvisionnement de cam- pagne. Le nombre de coups par canon dépend de celui des pièces nécessaires à une armée de 100,000 hommes. Ce nombre, dans mon petit tableau, s'élève à 192. C'est sur le pied de près de 2 canons par 1,000 hommes: c'est la proportion ordinaire. Veut-on la preuve que je n'ai pas adopté des nombres trop faibles ? Je la trouverai VI — it, 42 178 LES FORTIFICATIONS. dans une lettre du général Éblé, commandant l'artillerie de l’armée de Portugal, au ministre de la guerre. Cette armée, forte de 62,000 hommes, avait 8 canons de 12 ; 27 de 8 ; 36 de 4 ; 26 obusiers de 6 pouces et 2 canons de montagne ; total 99 pièces : c’est seulement une pièce 6/10“ par 1,000 hommes, tandis que j'ai admis la pro- portion de 2 pièces. Dans la même lettre, le général Éblé portait le double approvisionnement de l’infan- terie à 120 cartouches par homme, tandis que j'en ai admis 200. Un magasin ordinaire avec entre-sol contient 92,500 kilogrammes de poudre ; ainsi trois magasins suffisent pour assurer l’approvisionnement de campagne à une armée de 100,000 hommes. Trois magasins construits à Vincennes avec une dépense de 600,000 francs, voilà tout ce qu’il faut, à la rigueur. Mais, dira-t-on, Vincennes est en dehors de l’enceinte continue ! Il faudra donc placer les magasins à poudre dans les faubourgs, et alors de quels périls n’environne- rait-on point la capitale? tandis que dans le système des forts détachés, ces magasins se trouvent placés dans la campagne, et alors tout danger disparaît. Personne n’a pu supposer que si Paris était fortifié, il ne renfermerait pas des magasins à poudre. Les par- tisans de l'enceinte ont dû se résigner à voir-les habi- tants de divers quartiers de la capitale, menacés comme le sont tous les jours ceux de Vincennes, de Saint- ‘Mandé, etc., sans que cela les empêche de dormir; ils redoutent peu le danger qu’on courait dans le Jardin des Plantes, à la Salpêtrière, dans la rue Buflon, avant la LES FORTIFICATIONS. 179 destruction récente du magasin situé sur le boulevart de l'Hôpital ; ils se rappellent que, depuis des siècles, les populations de nos forteresses, Lille, Strasbourg, Metz, Besançon, Grenoble, Toulon, Perpignan, Bayonne, etc., vivent en paix au milieu d’une multitude de ces prétendus volcans, Toutes choses égales, c’est la distance qui donne la mesure du danger qu'un magasin à poudre peut faire courir aux personnes et aux habitations. Parmi les an- ciens forts détachés dont le maréchal Soult demandait la construction en 1833, un se serait trouvé en dedans de l'enceinte continue du général Haxo; deux autres forts auraient occupé des points de cette enceinte. Je demande maintenant qu’on explique, si cela est possible, comment les trois magasins de ces trois forts eussent été inoffensifs, tandis que, sans changer de place, sans se rapprocher de Paris, ils seraient devenus menacçants, de véritables volcans quand on les aurait appelés les maga- sins de l’enceinte continue. Le maréchal Soult a lié la retraite de notre armée, en 1815, à une cause que personne n’avait même soup- connée. « Lorsque les étrangers, a-t-il dit, se présentè- rent devant la capitale, après avoir masqué nos places frontières, notre armée se trouva dans la nécessité de se retirer, car il n'existait point dans Paris ni aux environs de magasins à poudre qui pussent l’alimenter. » Je me garderai bien de contredire le major général de l’armée des Cent-Jours, sur un fait de cetle impor- tance et qu’il a dû parfaitement connaître ; j’affirme seu- lement que si Vincennes ne renfermait pas de poudre en 180 LES FORTIFICATIONS. 1815, ce n’était pas faute de magasins ou d’emplace- ment. En effet, appelé naguère comme membre du con- seil général de la Seine, à examiner une réclamation des habitants de Vincennes, je me suis assuré que le donjon seul renferme en barils ou en munitions, 44,000 kilo- grammes de poudre, c’est-à-dire environ le sixième de l’approvisionnement de campagne d’une armée de cent mille hommes. Entraîné par ses convictions en faveur des forts déta- chés, le maréchal Soult a, suivant moi, beaucoup exagéré le danger des magasins à poudre. Sur le nombre si considérable de magasins à poudre que la France possède, combien en saute-t-il tous les dix ans par l'effet du tonnerre ou de l’imprudence des gardes d'artillerie? Le nombre de ces explosions est insignifiant. On le diminuera encore en apportant plus de soins dans la construction et la pose des paratonnerres. Il suffira de se conformer strictement aux prescriptions de la science. Ces explosions, déjà si rares, produisent-elles tout ce qu’on en rapporte d’effrayant? Oui, sans doute, s’il s’agit de personnes ou d’objets situés dans la bâtisse du maga- sin, immédiatement à côté ou très-près. Non, dès qu’on est quelque peu éloigné du foyer. Citons deux ou trois exemples. La poudrière de Toulouse a sauté en 1840. Elle ren- fermait 46,000 kilogrammes de poudre fabriquée. A 80 mètres de distance du foyer, les habitations ont été endommagées dans leur toiture, À 150 mètres, le dégât a consisté en des vitres brisées. Plus loin, tout s’est borné à une secousse et à du bruit. LES FORTIFICATIONS. 181 La plus terrible explosion de ce genre dont les annales de la science aient conservé le souvenir, est celle que le tonnerre occasionna, en 1769, en tombant sur le maga- sin à poudre de Brescia, dans le Milanais. Aussi, ce magasin, ou plutôt cette tour, comme le donjon de Vin- cennes, semblait construite tout exprès pour agrandir les ravages ; aussi, l’immense quantité de 80 milliers de kilogrammes de poudre s’y trouvait entassée. Avec toutes ces circonstances défavorables, les grands dégâts ne s'étendirent pas au delà d’un rayon de 200 mètres. Veut-on faire exclusivement allusion aux événements de guerre, aux chances d’un siége, à un bombarde- ment, à la chute possible de projectiles incendiaires sur les magasins à poudre? Je répondrai que des maga- sins à l’épreuve de la bombe ne sont pas au-dessus des ressources de l’art; que les magasins de Landau, con- struits par Vauban, en ont fourni, pendant un des siéges de cette place, la preuve démonstrative; que des voûtes en maçonnerie de 4 mètre d’épaisseur, satisfont à toutes les exigences, car à l’attaque de Tournai, en 1745, qua- rante-cinq bombes tombèrent sur les magasins à poudre sans beaucoup les endommager ; qu’en tout cas, nulle ville n’offrirait plus de moyens que Paris pour mettre les munitions à l’abri des projectiles incendiaires ; que dans les galeries de carrières situées sous différents quartiers, sous le quartier de l'Observatoire, par exemple, à la pro- fondeur de près de 30 mètres, des barils de poudre ordi- naire, et même de poudre fulminante, pourraient défier les bombes du monde entier, J'ajoute encore un mot, qui tranchera sur ce point toutes les difficultés, 182 LES FORTIFICATIONS. M. Piobert, général d'artillerie et membre de l’Institut, * a trouvé les moyens de rendre la poudre inexplosible. Une opération manuelle très-rapide, un simple tamisage, redonne, reproduit ensuite, quand on veut, les premières propriétés. Rien n’empêchera donc à l'avenir de ne pré- parer les munitions détonantes qu’au fur et à-mesure des besoins. Il faudra avoir d’avance un approvisionne- ment suffisant pour le service de trois à quatre jours. Le reste de la poudre, si on y mettait le feu dans les maga- sins, brülerait sans doute, mais ne détonerait pas. Il y a souvent dans les débats législatifs des choses qu'on ne dit pas, des choses sous-entendues que certaines personnes apprennent fort tard. Je me suis trouvé dans ce cas. Ce n’est que tardivement que m'ont été révélés les motifs réels du vote de plusieurs de mes collègues de la Chambre des députés en faveur des forts de Paris. Si l’on n’avait fait, m'’a-t-on dit, que l'enceinte continue, on aurait eu dans l’intérieur de la capitale une immense quantité de magasins à poudre. L'émeute, un jour donné, aurait été s’en emparer. | On ajoute : Si les remparts étaient armés, l’émeuteirait s’y pourvoir de canons. Elle a eu jusqu'ici quelques fusils, quelques armes rouillées prises chez les armuriers. On lui donnerait un matériel considérable; elle aurait de l'artillerie. Je conçois cette préoccupation; je m’associe au désir de ne pas laisser, dans la ville de Paris, de la poudre à la portée de la première émeute venue, de ne pas mettre des canons à la disposition de quelques individus isolés qui auraient rêvé de faire prédominer leurs opinions par LES FORTIFICATIONS. 183 la force. Je concois donc une citadelle comme lieu de dépôt d’armes et de munitions d’artillerie pour le temps de paix. Aussi, quoique mon avis fût d’abord de n’ac- corder que la seule enceinte continue, je me suis rallié à l'idée de la construction d'une citadelle sur le mont Valé- rien, pour qu'on püût y établir le dépôt de poudre et de munitions. _ On a parlé de la fortification de Saint-Denis et aussi de. celle de Charenton. Ces deux points paraîtraient être destinés à lier les deux extrémités d’une fortification de: campagne. Dans un certain état de choses, il serait pos- sible que l’armée active, se retirant sur Paris, voulût s'établir derrière des lignes de retranchements en terre exécutés en peu de jours, ayant à leurs extrémités deux: forts bien construits. J’admettais donc qu’on fit des. ouvrages à Charenton et à Saint-Denis pour devenir les deux extrémités d’une ligne de fortifications de cam— pagne. Quant à des forts dont les feux se croiseraient: tout autour de Paris, et qui feraient dépendre les appro-- visionnements de cette grande ville, du bon plaisir de’ quelques soldats, c’est une chose qu'un membre du con-- seil général de la Seine ne pouvait pas accorder. Mais, je l’ai démontré, la crainte des explosions des: magasins à poudre doit être écartée de toute considéra- tion relative à l'établissement d’un système de fortifica-: tions. On a excité à ce sujet des terreurs vaines que je tenais à dissiper, 184 LES FORTIFICATIONS,. CHAPITRE XXXI SUR L’UTILITÉ DES APPLICATIONS DE LA CHIMIE A L'ART DE LA GUERRE Les considérations exposées dans le chapitre précédent m’amènent à traiter une question qui s’y rattache d’une manière évidente. J'ai constaté plus d’une fois, avec un très-vif regret, que les perfectionnements ne sont pas accueillis par les comités spéciaux avec ‘autant d’empressement que cela serait désirable. J'ai déjà parlé (p. 182) d’une découverte importante qui avait été faite, non pas par un simple citoyen, mais par un officier supérieur d'artillerie. J’ai ramené à leur juste valeur les risques qu’on court dans le voisinage des magasins à poudre. Cependant il n’est pas possible de nier la réalité des dangers qui me- nacent, par exemple, la commune de Vincennes lors- que le donjon est rempli de poudre de sa base à son sommet, Eh bien, un général d’artillerie a trouvé le moyen d'empêcher que la poudre fasse explosion ; après avoir subi sa préparation, elle ne peut plus que fuser; elle brûle comme de simples matières combustibles, comme de la poix, de la résine, etc. Il suffit pour cela de la mêler avec de la poussière mélangée de graphite, ou avec de la poussière de charbon. A-t-on ensuite besoin de la prendre seule ? il suffit de tamiser le mélange. La poussière passe, la poudre reste ù LES FORTIFICATIONS. 185 et elle peut servir immédiatement à tous les usages de la guerre. Quand ce n’aurait été que pour donner un peu de tran- quillité aux personnes qui habitent les villes de guerre ou - Je voisinage des grands magasins, l'expérience eût dû fixer l’attention de l'autorité. Elle ne s’en est pas occupée, et voilà que l'expérience nous est revenue de la Russie, tandis que nous aurions dû prendre l'initiative. Nous avons recu à l’Académie des sciences un Mémoire rédigé à la suite d’essais qui ont été faits sous l'inspection du grand-duc Michel, et dont la réussite a été com- plète. Il est parfaitement établi maintenant qu'on peut con- server la poudre sans altérer aucune de ses propriétés, et sans qu’elle puisse détoner. Non-seulement on n’a plus à craindre alors des accidents, mais on ne court plus le risque de perdre de grands approvisionnements, car la combustion du mélange est tellement lente qu’on a réussi, à Saint-Pétersbourg, à l’éteindre avec des pompes à incendie. N’est-il pas très-fâcheux que beaucoup de découvertes françaises nous reviennent ainsi par l’étranger ? Eh bien, j'ai eu à lutter à la tribune de la Chambre des députés, pour que le comité d’artillerie ne renonçât pas à s’éclairer des avis d’un de nos chimistes les plus illustres. On a trouvé qu'il était trop coûteux de dépenser 6,000 francs pour un laboratoire confié à Gay-Lussac, et qui était annexé au comité central de l'artillerie. Le pré- texte qu’on a mis en avant, c'est que l'artillerie ne peut 186 LES FORTIFICATIONS. guère, scientifiquement parlant, avoir autre chose à faire que l’analyse du cuivre et de l’étain qu’elle achète, et que pour cette analyse il n’y a pas besoin d’avoir recours à un savant d’un mérite hors ligne. Plusieurs parties de l’art de l'artillerie, il faut l’avouer, sont encore dans l’enfance. Les pièces en bronze de 24 sont si imparfaitement coulées, qu’on n’a jamais la certi- tude qu’elles pourront résister au tir de plus de cent boulets. J’ajouterai même qu’ordinairement elles sont hors de service après cinquante coups. Pour dissiper les doutes que mon assertion excitera peut-être, je pourrais m’appuyer sur les expériences qui furent faites à Douai en 1786 ; mais j’aime mieux citer un événement de notre révolution qui faillit devenir fatal au célèbre général d'artillerie Lamartillière. | Dans l'artillerie que commandait cet officier au siège de Rosas, figuraient beaucoup de pièces de 24. Le repré- sentant du peuple en mission à l’armée des P yrénées- Orientales, étonné qu'à chaque cinquantième coup il fallût changer de canon, prit de l'humeur et dit au géné- ral : «Il paraît que vous avez amené ici le rebut de vos arsenaux, » On sait combien dans ce temps-là une sem- blable observation était menaçante. Lamartillière répliqua que les choses se passaient ainsi presque toujours. Au surplus, ajouta-t-il, nous venons de prendre la place de Figuières. Voici une pièce espagnole toute neuve, es- sayons-la, et nous verrons. L’essai justifia la prévision du général : après cinquante coups, le canon était hors de service, Pendant le siége de la tête du pont de Kehl, des LES FORTIFICATIONS. 187 plaintes et des menaces très-graves s’élevèrent contre le fondeur de Strasbourg pour un motif semblable. On le voit, l’art du fondeur de canons en bronze est peu avancé. Que faut-il pour y remédier? Des expé- riences, des expériences nombreuses, dirigées non par un chimiste médiocre, mais par un homme d'élite. Pour le dire en passant, un travail dirigé vers ce but avait été entrepris il y a quelques années. Un alliage triple de cuivre, d’élain et de fer, semblait devoir remplacer le bronze avec avantage. Que sont devenus les résultats de tant d'expériences? Ils sont dans les mains d’une foule de personnes qui, n’ayant pas une liaison officielle avec l'administration, ont cru peut-être pouvoir se dispenser de les comparer entre eux définitivement. Eh bien, qu’il y ait au comité central un laboratoire dirigé par un homme spécial, et-tous les travaux de l’artillerie seront acquis à la science, et on saura quelle recherche ne peut offrir aucune chance de succès, car les résultats négatifs ont aussi leur prix. Je vais prendre un autre exemple au hasard pour prouver qu'on s’est placé sur un mauvais terrain, alors qu'on a dit qu’un chimiste n’aurait rien à faire d’utile pour lartillerie. On a fabriqué, il y a quelques années, dans les ateliers du gouvernement, une poudre d’une nature toute parti- culière. Au lieu d’employer pour cette fabrication du charbon tout à fait noir, on se servait de charbon gris. Cette poudre avait une bien plus grande portée que la poudre ancienne; malheureusement elle présentait un in- convénient ; elle était brisante; elle détruisait les pièces. 188 LES FORTIFICATIONS. Si l’on pouvait conserver l’avantage en faisant dispa- raître l’inconvénient, il en résulterait une immense éco- nomie pour le Trésor. Or, qui oserait assurer que le problème est insoluble? On ne sait pas, en effet, si la propriété brisante de la poudre en question tient à ce que son charbon contient beaucoup d'hydrogène; on ne sait pas si une trituration et un mélange plus parfait des élé- ments, opéré par dés moyens mécaniques, si l'absence presque complète d’eau dans les manipulations ont été sans influence. Voilà donc encore un sujet d'expérience très-important, dans lequel un chimiste pourrait rendre de grands services. La conservation des boulets est un sujet qui n’est pas moins digne d’attention que la poudre. Nous avons 28 inillions de projectiles, qui représentent une somme de 26 millions de francs. Après combien de temps croit-on que cet approvisionnement doive être renouvelé? Après vingt ans, Dès que le boulet n’est plus sphérique, il dété- riore l’âme du canon; dès que la rouille y a produit des défectuosités, le tir est sans justesse : or, cette justesse, pécuniairement parlant, a beaucoup d'importance, car il faut que l’on sache que chaque coup de canon de 24, quand on tire pour battre en brèche, coûte près de 20 fr. On sait qu’en mettant une petite pièce de fonte en contact avec le doublage en cuivre d’un vaisseau, on parvient à empêcher le métal de s’oxyder. Ce moyen de conservation n’a pas réussi sous le rapport nautique, parce que, lorsque le cuivre est net, sans vert-de-gris, les coquillages marins s’y attachent fortement et retardent, par leurs aspérités, la marche des bâtiments. L'efficacité LES FORTIFICATIONS. 189 du procédé voltaïque, quant à la conservation du métal, n’en est pas moins établie sans contestation. Ce procédé, appliqué en plein air à des piles de boulets, n’a pas réussi; mais lorsque les projectiles seront plongés dans . une mare d’eau ordinaire ou d’eau un peu alcaline, la méthode réussira probablement. Peut-être même suffira- t-il de l'emploi de l’eau alcaline sans couple voltaïque. Qu'on suppose que ces prévisions se réalisent, et on aura opéré une économie de 800,000 fr. à 4 million par an. L'emploi de la pyroxyline, matière détonante faite avec du coton ou du papier et de l’acide nitrique, d’après la belle découverte de trois savants chimistes, MM. Bracon- not, Schœnbein et Pelouze; la fabrication des capsules fulminantes aujourd’hui en usage pour toutes les armes, voilà encore des questions qui exigent impérieusement des connaissances chimiques profondes, si l’on veut se tenir à la hauteur des progrès de la science. Je ne citerai pas d’autres exemples. Je dirai seulement en terminant que, guidé par les idées que je viens d’ex- poser, le gouvernement anglais a attaché à son artillerie le plus illustre chimiste de la Grande-Bretagne, M. Faraday. CHAPITRE XXXII DU PERFECTIONNEMENT DES ARMES A FEU. — MACHINE GRIMPÉ POUR FAIRE LES BOIS DE FUSILS. — CARABINE DELVIGNE. Le comité d'artillerie a sans doute grandement raison de ne pas adopter à la légère toutes les inventions qu’on lui présente; il est très-sage qu’il les soumette à des 190 LES FORTIFICATIONS. épreuves sérieuses; mais limmobilité n’est pas de la sagesse. On disait jadis des académies qu’elles avaient pour devise : « Nul n’aura d'esprit que nous et nos amis, » Les académies se sont corrigées ; que le comité d’artil- lerie se corrige à son tour; 1l y gagnera, et le pays aussi. J’ai eu pour ma part plus d’une fois l’occasion de lutter contre cette espèce de parti pris de s'opposer à toute invention nouvelle, de n’accueillir qu'avec une incrédulité railleuse l'annonce des découvertes les plus importantes. Je me souviens que je fis! de vains efforts en 1842 pour exciter l'intérêt des députés mes collègues en faveur des télégraphes électriques. Je disais qu’ils frappaient à notre porte; je demandais qu’on fit des expériences, qu'on exécutât ces télégraphes. Mes paroles restèrent d’abord sans écho; ce genre d’appareil est aujourd’hui établi dans le monde entier. Je vantai les balles cylindro-coniques. Les résultats que je citais soulevèrent des doutes. Eh bien, qu'on me permette de renvoyer les incrédules à l’organisation de chacune des divisions actuellement formées; ils verront partout figurer des canonniers armés de carabines à balles cylindro-coniques. Un jour, appuyé sur des recherches de physique ter- restre?, je parlai de la nécessité de construire le port d'Alger avec de gros matériaux : on avait alors fait pré- 4. Voir, t. V des OEurvres complètes, t. II des Notices scientifiques, page 475. 2, 1bid., page 632. LES FORTIFICATIONS. 191 valoir le système contraire. Mes observations furent mal accueillies. J’ai reçu plus tard une lettre de l’ingénieur habile qui a dirigé ces grands travaux, J'y lis ces paroles : « Ne vous découragez pas; on m’a donné l’ordre de suivre de point en point tout ce que vous avez recommandé, » L'art fait partout de rapides progrès ; il faudrait fermer les yeux pour ne pas les voir. | Je ne citerai ici que des découvertes ou des inventions relatives aux sujets que je traite spécialement dans cette Notice. Les bois de fusils se faisaient à la main; eh bien, un artiste de Paris, d’un mérite éminent, a trouvé le moyen d'exécuter ces bois à la mécanique. Je n'hésite pas à dire que la machine dont il est l’auteur fait honneur à notre pays. J’ai visité l'Angleterre, j’ai parcouru ses ateliers les plus renommés, et je n’ai rencontré nulle part rien de plus remarquable, de plus beau, de plus digne d’envie que les machines de M. Émile Grimpé. Ce sont de véri- tables modèles de perfection ; je ne connais rien dans le . monde de plus ingénieux. Ce n’est cependant qu'avec une grande parcimonie qu'on a donné quelques encourage- ments à un artiste d’un tel talent, artiste que nous pou- vons comparer au célèbre Brunel. Nos soldats ont sur les soldats des armées étrangères un très-grand nombre d'avantages que personne ne con- teste ; mais il y avait des points sur lesquels ils leur étaient inférieurs : on ne les exerçait pas assez au tir, on ne les exerçait pas assez dans les polygones. Sauf quelques cas assez rares, les fusils de munition n'ont, en vérité, presque pas d'utilité comme arme de 192 LES FORTIFICATIONS. tir. Je ne sais pas jusqu’à quel point il est indispensable d'apprendre aux soldats, avec toutes les minuties qu’on y apporte, à décomposer le pas, à charger l'arme en douze temps avec la régularité qu’y mettrait une machine, mais je crois que le dernier acte auquel le soldat est obligé de se livrer, est de tirer. Quand on tire avec une arme où la balle € est lâche, on ne peut savoir dans quelle direction la balle sortira : elle ballotte entre la partie supérieure et la partie inférieure du tube ; elle effectue entre ces deux parties un certain nombre de ricochets, et le tireur n’a aucun moyen de prévoir dans quelle direction l’impulsion se sera commu- niquée à la balle, ni dès lors si elle sortira dans une direction formant, avec l’axe du fusil, un angle en-dessus ou en-dessous. Rien non plus ne l’avertira si le projectile n’a pas ballotté de droite à gauche, s’il ne sortira pas du plan vertical dans lequel on a eu l'intention de tirer. On a fait sur cela des statistiques : on a examiné combien de coups portent sur le nombre de coups tirés, et je suis sûr de rester au-dessous de la vérité en disant qu'à l'égard des troupes en campagne, armées de fusils ordinaires, il y à à peine un coup qui porte sur deux mille. Le tir, dans les polygones, est tout à fait conforme à ce que je viens de dire. Qu'on fasse tirer sur une masse ayant l’étendue d’une division d'infanterie, sur une masse d'environ 33 mètres de longueur et 1".9 de hauteur. Sait-on combien de coups porteront à la distance, par exemple, de 350 mètres? Sept sur cent quand on a visé; et quand on ne vise pas, on ne touche presque pas du tout, LES FORTIFICATIONS. 193 Le véritable moyen de donner de la précision au tir, c'est d'employer des armes rayées en hélice et à balle forcée; il faut que l’arme soit à balle forcée afin d'éviter ce que j'appelle des battements, des oscillations de la balle dans l’intérieur de l’arme, des oscillations qui ne permettent pas au tireur de connaître dans quelle direc- tion la balle sortira. Il faut que le canon soit rayé pour que, en sortant, la balle n’ait d’autre mouvement de rotation que celui que l’hélice lui a imprimé, perpendicu- lairement à l’axe du canon, c’est-à-dire le seul qui ne nuise pas à la justesse du tir. Dans les pays étrangers, dans la plupart du moins, en Angleterre, en Suisse, en Suède, dans le Tyrol, on avait des chasseurs destinés à faire, en général, le service de tirailleurs, des chasseurs armés de carabines rayées, armes, je le répète, dont le tir est extrêmement régulier. Les armées françaises n’en avaient pas. Ce n’est qu’à partir de 1839 qu’on est entré dans la voie nouvelle, qu'on a pensé utile de faire en sorte que nos tirailleurs, doués de tant d’autres excellentes qualités, pussent tirer aussi bien que les tirailleurs étrangers. Je crois ne pas me tromper en disant que si l’on vou- lait se donner la peine de fouiller dans les cartons du ministère de la guerre, on y trouverait un rapport impor- tant du colonel Lebeau du 1° régiment d'infanterie de ligne. On y lirait qu’à la bataille de Waterloo presque tous les officiers de ce régiment et le colonel lui-même furent blessés par des balles de fusils rayés, par des balles que M. Lebeau appelait des balles d'officiers, car les rifle-men anglais qui tiraient sur son régiment, dédai- VI. — nr. 13 194 LES FORTIFICATIONS. gnant le commun des soldats, avaient visé les officiers, et, comme on voit, ne les avaient pas manqués. Pourquoi cependant n’adoptait-on pas les carabines des étrangers? c’est que ces carabines se chargent longue- ment, avec un maillet, et qu’on avait cru que nos soldats ne se prêteraient pas à ce genre de manœuvres, Pourquoi a-t-on adopté la carabine actuellement? c’est qu’on a trouvé le moyen de charger les armes rayées et à balle forcée comme les armes ordinaires : on fait entrer une balle lâche, et au moyen de deux coups de baguette, on l’élargit assez pour qu’elle devienne balle forcée, On dira peut-être que cette invention est bien simple ; mais puisqu'on ne l’avait pas trouvée, puisque le minis- tère de la guerre l’a adoptée après des expériences nom- breuses, je dis qu’elle mérite tous les éloges. Cette invention date de 1827. Plusieurs officiers d’ar- tillerie y ont apporté des perfectionnements, maïs l’idée première remonte à 1827, et l’on a eu tort pendant long- temps de ne pas prononcer le nom de l'officier qui a fait cette invention. C’est une grande récompense pour un officier que de voir son nom cité dans un acte officiel, d’être signalé comme un citoyen qui a rendu un service à son pays, qui a rendu surtout un service à l’armée, On aurait dû d’autant plus l’encourager, le récompen- ser, que cet officier appartenait à l'infanterie. L’inventeur de la carabine actuelle est M. Delvigne; tout le monde le sait aujourd’hui. L'arme principale du soldat d'infanterie est le fusil garni d’une baïonnette, servant en même temps pour attaquer et se défendre de loin et de près. Le poids LES FORTIFICATIONS. 195 moyen du fusil est de 4 à 5 kilogrammes ; sa hauteur est limitée par la taille de l’homme qui le charge par l’extré- mité ; cette longueur pourra changer si l’on arrive à adop- ter les fusils qui se chargent par la culasse. Le poids moyen des balles est tel qu’il y a 36 balles dans le kilo- gramme. Pour les armes à silex, on chargeait le fusil avec la moitié du poids de la balle en moyenne; depuis adoption du système à percussion, la charge est réduite au tiers du poids de la balle seulement. Les inventions de M. Delvigne ont été appliquées au fusil après mille tri- bulations de ce persévérant officier, qui a dû lutter du- rant plus de vingt ans pour faire adopter ses justes idées. Les inventions de M. Delvigne portent sur deux points : il a songé à introduire librement la balle dans le canon des armes rayées, et à la forcer au fond de l’arme en l’aplatissant un peu par le choc de la baguette sur le rebord d’une chambre qui sert de point d'appui; il a eu en outre l’idée de changer l’antique forme ronde de la balle, de la disposer en cylindre surmonté d’un cône. On est par ces deux inventions dispensé de tout lattirail dont les chasseurs tyroliens faisaient usage, et le tir est à bien plus longue portée, Nous avons dit que des perfectionnements heureux ont été apportés aux armes de M. Delvigne par plusieurs officiers. Il est évident qu’il devait en être ainsi dès que la question était étudiée par nos savants et habiles artil- leurs. Le principal perfectionnement, dû à M. le colonel Thouvenin, consiste dans l’implantation d’une mince tige d'acier au centre de la culasse, pour remplacer l’orifice de la chambre sur lequel on forçait la balle. La balle 196 LES FORTIFICATIONS. s’aplatit mieux, la poudre est mieux distribuée autour de sa surface, MM. les capitaines Tamisier et Minié ont en outre modifié la forme primitive des balles eylindro-coni- ques d’une manière digne d’éloges. La double invention de M. Delvigne, avec les perfec- tionnements utiles qui ont été successivement imaginés, donne au tir une extrême précision et une grande portée. Cette précision et cette portée s’obtiennent avec beaucoup moins de poudre que dans les fusils ordinaires et avec beaucoup moins de recul, ce qui est une économie pour l'État et une diminution de souffrance pour le soldat. L'arme se charge à peu près aussi rapidement que le fusil ordinaire. Le fusil de munition, le pistolet, la carabine, toutes les armes anciennes sont défectueuses au delà de tout ce qu’on peut supposer, quant à la justesse du tir, à la- portée, au recul. J’ai eu la curiosité de savoir combien, dans une cam- pagne, de coups de fusil, en moyenne, portent sur l’en- nemi ; j'ai consulté sur ce point un homme dont personne ne récusera ni le mérite, ni la compétence, car il est incontestablement le plus savant officier de l'artillerie. Voici sa réponse : « Un ennemi tué correspond à son pe- sant de plomb. » Tel est le résultat extraordinaire auquel est arrivé le général Piobert. La portée et la justesse ne peuvent être obtenues qu’en employant les balles forcées : c’est ce que démontrent les principes de la balistique la plus vulgaire. La forme de la balle exerce aussi la plus grande influence. Il est nécessaire, quand on veut avoir une grande LES FORTIFICATIONS. 197 portée, de diminuer autant que possible la résistance de l’air ; la justesse exige que la balle ne tourne pas sur elle- même dans des directions faisant de grands angles avec le sens général de la trajectoire qu’elle parcourt. Si de _ pareils mouvements de rotation existent, non-seulement on n’est pas sûr de toucher le but, mais là balle ne reste pas dans le plan où'le tir s’est effectué; elle dévie dans tous les sens; elle parcourt donc l’espace d’une de ces courbes qu’on appelle à double courbure, et le plus habile tireur n’est pas sûr de son fait. Qu’arrive-t-il à la balle Delvigne? Elle sort en tournant et elle touche toujours le but par la pointe; elle tourne sur elle-même autour de l'axe du cylindre ou du cône, ce qui est la même chose ; elle tourne, qu’on me permette la comparaison, comme une vrille. Mais on s'étonne qu’en tirant avec une carabine Del- vigne on aille si loin quand on emploie si peu de poudre ; on s'étonne, non pas de la justesse, ellé est. une consé- quence nécessaire du mouvement de rotation de la balle autour de son axe; mais on s'étonne que la balle aille si loin, et cela avec un recul si inoffensif pour le fan- tassin. - L'explication est simple cependant : la forme que M. Delvigne a proposé de donner à la balle atténue Ja résistance de l’air. Lorsque l’on compare la balle du fusil Delvigne à la balle du fusil de rempart, on trouve jusqu’à environ 200 mètres de distance, que la balle non cylindro- conique du fusil de rempart possède une vitesse que n’a pas celle de la carabine Delvigne; mais aussitôt que les deux projectiles sont arrivés plus loin de l'arme, la balle 198 LES FORTIFICATIONS. cylindro-conique, moins retardée par l'air, a plus de vitesse que l’autre. Telle est l'influence de la forme. Mais mon opinion n’a pas été basée seulement sur des théories ; j'ai assisté à des expériences. Il était de mon devoir de le faire, M. Delvigne ayant présenté ses inven- tions à l’Académie des sciences. J’avoue que les pro- messes de l'inventeur me paraissaient exagérées ; elles ont cependant été complétement réalisées. J’avertirai, et cette circonstance ajoutera quelque chose à l’étonnement, que nous avons chargé les fusils avec 4 grammes de poudre. | Nous nous sommes placés d’abord à 500 mètres du but, c’est une distance considérable. Avec une balle ordi- naire le tir n’aurait aucune certitude. La cible embrassait l’espace qu’occupent six hommes de front. À ces 500 mètres, M. Delvigne a mis quatorze balles sur quinze dans le but. J'ai demandé un plus grand éloignement : nous nous sommes alors placés à 700 mètres; nous avons toujours tiré avec 4 grammes de poudre. Sept balles sur neuf ont frappé le but. | Je croyais faire une proposition inadmissible én de- mandant qu’on se transportât à 900 mètres de la cible, c’est à peu près la distance qui sépare l'angle du pavillon de Flore de la tribune de la Chambre des députés. A cette distance de 900 mètres, deux balles sur trois ont été pla- cées dans le but. | Ces résultats sont extraordinaires. L’arme de M. Del- vigne changera complétement le système de guerre ; elle en dégoûtera peut-être, je n’en serais pas fàché,. LES FORTIFICATIONS. 199 Dans une autre expérience on a tiré sur une mire carrée de 2 mètres de côté. _À' une distance de 600 mètres, on a mis dans la cible vingt-six balles sur cent ; À 4,000 mètres, quinze balles sur cent; À 4,100 mètres, quinze balles encore sur cent; On a tiré à 4,200 mètres. Veuillez vous figurer ce que c'est que 4,200 mètres : c’est la distance de la façade du palais du Luxembourg à l'Observatoire. A cette distance de 1,200 mètres, on a mis dans la cible deux balles sur cent, On a pris ensuite une mire plus large, une mire de 10 mètres de largeur sur 2 de hauteur. À 4,000 mètres, on a mis dans la cible trente balles sur cent; A 4,100 mètres, trente balles sur cent ; A 4,200 mètres, douze balles sur cent; A 4,300 mètres, on a mis huit balles sur cent dans la cible. Voilà les résultats merveilleux obtenus avec l’arme nou- velle; voilà les résultats dont les premières guerres nous feront mieux apprécier l'importance ; voilà ce qui m’au- - torise amplement à dire : l’art est en progrès. Dans les siéges, l'emploi de la carabine Delvigne intro- duira une grave difficulté de plus; avec cette carabine on frappera ou tuera facilement les canonniers renfermés dans les batteries, Je regrette que l’on n’ait pas armé toute notre infan- terie avec des fusils Délvigne, et qu'on ait seulement donné des carabines à quelques corps d'élite. Les fusils 200 LES FORTIFICATIONS. de munition ont reçu naguère un perfectionnement no- table par leur transformation en fusils à piston. L’opéra- tion était bonne, convenable, les Chambres l'avaient d’ailleurs autorisée; mais on ne s’est pas contenté de cela : on a fait autre chose, et cette autre chose empé- chera qu’on puisse transformer les fusils à piston en fusils Delvigne. On a alésé les fusils, l’ouverture est devenue plus grande ; elle pourra recevoir des balles plus fortes; on a voulu se donner les moyens de se servir des munitions de l'ennemi; eh bien, le fusil est devenu tellement mince vers la bouche que l’épaisseur du métal ne supporterait pas la rayure de la carabine à balle forcée. Le jour où l’on voudra, où l’on devra substituer à notre fusil de mu- nition le fusil jouissant de tous les perfectionnements que j'ai indiqués, il faudra renouveler entièrement notre ma- tériel et dépenser 25 ou 30 millions. Qu'il me soit donc permis de livrer aux méditations de nos administrateurs cette maxime : Croire tout découvert est une erreur profonde; C’est prendre l'horizon pour les bornes du monde, CHAPITRE XXXIII FUSILS A VAPEUR Papin a conçu l’idée qu’on pourrait lancer des boulets par la force expansive de la vapeur. Notre autre compa- triote Girard, l’illustre inventeur de la filature du lin, a construit le premier fusil à vapeur. Ce nouveau système LES FORTIFICATIONS. 201 d'arme est d’une grande puissance. Un ingénieur améri- cain, Perkins, a imaginé de donner au tube du fusil un mouvement de rotation horizontal et de le faire élever d’un cran à chaque rotation. Le fusil de Perkins a été essayé devant le duc de Wellington. Voici le résultat d’une expérience. Le fusil lançait dix balles par seconde ; c'était un roulement continu. Après qu’on eut tiré quel- ques minutes sur un mur, il n’y avait pas un décimètre carré de ce mur qui n’eût été touché d’une balle. Cette arme, dit Wellington, suivant ce que m'a rap- porté Perkins, ne pourrait pas être employée en cam- pagne ; mais il prononça cette sentence dont malheureu- sement on devra peut-être se souvenir un jour : « Désor- mais un assaut sera impossible ! » Comment des troupes pourraient -elles affronter la brèche, lorsqu'un homme seul manœuvrant le fusil à va- peur derrière un blindage, avec une simple fente, une simple meurtrière devant lui, serait en mesure de mettre un régiment en coupe réglée, de couper tous les hommes par les jambes, par les cuisses, par le buste et par la tête. Un de mes amis, M. Perrot, de Rouen, a construit une arme de même espèce, perfectionnée et plus meur- trière encore. Nous tirmes un jour, M. Perrot et moi, avec son arme et nous parvenions à loger tout le flux de balles dans un trou de la grandeur d’une pièce de cent sous, ou sur une ligne horizontale qui n’avait pas plus d’un centimètre d'épaisseur. Par quelle circonstance la vapeur, d’une tension mo- dérée, produit-elle le même effet que les gaz qui se déta- 202 LES FORTIFICATIONS. chent de la combustion de la poudre? C’est à cause de la longueur de larme; si on n’introduisait dans le canon .qu'une bouffée de vapeur, la balle atteindrait à peine l'extrémité du tube et tomberait à terre. Il faut, pour que l’effet soit considérable, que la vapeur agisse un cer- tain temps, c’est-à-dire que le canon ait de la longueur. Plus le calibre est fort et plus il faut que l’arme soit longue. Cette condition n’étant pas satisfaite dans un canon qui fut essayé sans succès à Vincennes, je protestai avant l’expérience, au nom de Perkins, qui m’avait donné mission pour cela. Il est probable, du reste, que pour les canons comme pour les fusils, avec une suffisante lon- gueur de la bouche à feu, on obtiendrait des résultats identiques à ceux que j'ai obtenus avec le fusil Perrot. Ce sont des recherches à faire, J'ai dit précédemment (chap. vi, p. 81) de quelle utilité de pareils fusils pourraient être pour la défense des places et particulièrement pour celle de Paris, C’est encore là un progrès que je demande qu’on ne repousse pas. Tant mieux, je le répète, si de pareils moyens de destruction devaient un jour empêcher le retour des guerres. CHAPITRE XXXIV DE L'EMPLOI DES PHARES POUR LA DÉFENSE DES PLACES Je citerai encore un moyen de défense que l’art mili- taire pourrait emprunter aux progrès des sciences. J'ai eu l'honneur de vivre avec le général Haxo dans les relations les plus amicales; c’est un souvenir dont LES FORTIFICATIONS. 203 je me ferai constamment honneur. Le général Haxo me proposait un jour un problème militaire. Il le regardait comme très-important. Il s'agissait de projeter la nuit une vive lumière sur le terrain occupé par l’assiégeant. De jour, le travail n'avance guère; on est vu de l’as- siégé. De nuit, quand la lune brille, on est encore vu, et par conséquent très-exposé. Si donc on pouvait éclairer artificiellement le glacis sur lequel l’ennemi exécute ses travaux, on les retarderait beaucoup. Ce problème a été résolu, et le moyen est très-simple. On r’a qu’à appliquer ici les lentilles avec lesquelles nous avons fabriqué les plus beaux phares de l’univers. On n’a qu'à projeter la lumière de lampes à mèches multiples ou celle d’une puissante pile électrique sur les tranchées, en donnant un mouvement de rotation à l’appareil, Les lentilles ne seraient pas brisées par le canon ; l’en- nemi ne les verrait pas; elles seraient cachées par le parapet. Ce que l’on aventurerait serait peu de chose : une glace étamée, une glace d'appartement sur laquelle la lumière se réfléchirait. Si le canon ennemi la brisait, on pourrait facilement la remplacer. Je suis vraiment étonné que le corps du génie, qui renferme tant d'officiers si instruits, si éminents, n’ap- plique pas de tels moyens d’action, qui feraient une révo- lution dans l’art de la guerre, 204 LES FORTIFICATIONS. CHAPITRE XXXV SUR LES PORTÉES DES BOUCHES À FEU Je parlerai dans le chapitre suivant des progrès que lon peut espérer dans la fabrication des bouches à feu. En ce moment je vais examiner quelles sont les portées des canons et des mortiers ; je crois qu’il est utile que le public sache ce qu’il doit attendre des longues portées des plus puissantes bouches à feu, ce que Paris devrait redouter, en cas de siége, de la prise d’un des forts dont il a été entouré. Je donnerai donc, avant tout, les chiffres exacts qui représentent les distances des différents forts au mur d'octroi de Paris, et à un point central tel que le Louvre ; je parle des forts qui ont été construits et non pas des forts qui avaient d’abord été projetés et que j'ai été assez heureux pour faire repousser, malheureusement, à des distances encore trop faibles. Ces distances, les voici : Distances Distances au mur d'octroi. au Louvre. Forts de Charenton.:..... L,000 mètres. 8,700 mètres. de Nogent.......... 5,800 10,600 de ROSnYy,....s.ssue 5,800 10,000 DE NOM. score +. 6,100 8,400 de Romainville. ..... 3,800 6,900 d’Aubervilliers ..... L,100 7,500 de l’est à Saint-Denis. 5,200 8,200 du Mont-Valérien.... 5,300 9,000 CRM TS, ds 4,200 7,100 06 VARTÉE.. 5.5: 3,700 6,400 de Montrouge. ...... 3,000 6,000 de Bicêtre....:..... 2,500 6,100 sis dun ste 3,900 8,600 LES FORTIFICATIONS. 205 Il est utile, pour la clarté de la discussion, de rappeler que les différentes espèces de canons tirent leurs noms du poids de leurs boulets exprimés en anciennes livres fran- Çaises. Ainsi des canons de 48, de 36, de 2%, de 16, de 12, de 8, sont des canons qui lancent des boulets de A8, de 36, de 24, de 16, de 12, de 8 livres, ou de 24, 18, 12, 8, 6 et 4 kilogrammes. Le calibre d’un boulet ou d’une bombe est le diamètre du projectile; le calibre est ordinairement exprimé en pouces. Dans la vieille et solide artillerie française, on tirait communément avec une charge égale au tiers du poids du boulet : c'était donc 6 kilogrammes (12 livres) pour la pièce de 36, et 8 kilogrammes (16 livres) avec la pièce de A8. Dans le tir en brèche, la charge a toujours été la moitié du poids du boulet : je veux dire de 9 kilogrammes pour le canon de 36, et de 12 pour celui de 48. Accoutumons le public à regarder de sang-froid ces prodigieuses dimensions qu’on essaie aujourd’hui de don- ner aux projectiles. Ce sont, pour la plupart, des choses depuis longtemps essayées, mais qui ne peuvent être employées que pour l'usage de la marine ; elles sont con- damnées pour la guerre de terre. Je rappellerai comme exemple, qu'en 1733 l’armée française se servait encore dans les siéges, de bombes du calibre de 18 pouces, dites commainges. Leur poids était de 250 kilogrammes (500 livres anciennes). Ces énormes projectiles ont été aban- donnés, non par un simple caprice, mais à la suite de nombreuses expériences desquelles il résulte que, tout compté, on obtient de meilleurs résultats avec de moin- 206 LES FORTIFICATIONS. dres dimensions. Dans ce retour de quelques esprits vers une sorte de grandiose d’apparat, on est encore resté bien loin de Mahomet If, qui, dans le siége de Constantinople, fit brèche aux murs d'enceinte de cette capitale, avec des boulets en pierre du poids de 900 kilogrammes (1800 livres anciennes). Les progrès que l’avenir nous réserve en ce genre, suivant la très-juste remarque du général Paixhans, seront toujours en faveur de l’assiégé. Dans un pays tel que la France, des pièces destinées à lancer de très-lourds projectiles ne feront jamais partie des équipages d’une armée envahissante. Rien n’empêchera, au contraire, de les établir longtemps avant la guerre, sur les remparts de nos places fortes. Ils pourront aussi faire partie de l'armement des vaisseaux, chose dont on doit tenir compte pour organiser la défense des côtes. Je rectifierai beaucoup de fausses idées en consignant ici quelques résultats numériques sur les effets des plus gros canons de notre artillerie. L’enfoncement d’un boulet de 36, tiré avec une charge de poudre égale au tiers du poids du boulet, est repré- senté par les chiffres suivants : | A la distance de 100m A 1000m Terres rassises (moitié sable, moitié ne ep ne de pd 4 2,6 1°,8 Bois-dethenb 5 se Jia sans 1 .6 0 .8 Bonne maçonnerie......,..,...... ” 0 .6 0 .3 Maçonnerie de briques............ 1.0 0 .5 Eau de rivière. .,.,..:.44404: AN 28 .5 22 .8 On estime qu’à 100 mètres, un boulet de 36 pourrait traverser 34 chevaux pris de flanc, et 68 hommes. LES FORTIFICATIONS,. 207 À 1,000 mètres, ces nombres deviendraient, respecti- vement, 18 chevaux et 36 hommes, À propos des forts de Paris, on a répandu des idées fausses afin de pouvoir rassurer la population. Le maré- Chal Soult s’est exprimé dans ces termes : « Le principal avantage des forts sera d’éloigner la défense des murs de la ville. » Le général Bernard, de son côté, a dit, à la tribune de la Chambre des députés : « La condition du dispositif actuel c’est de mettre les habitants hors de la portée des projectiles incendiaires, » On a fait soutenir cette opinion dans des brochures, dans les rapports offi- ciels de plusieurs généraux. On s’étonnera peut-être que j'aie pu arriver à opposer des documents positifs à des données officielles obtenues du ministère de la guerre et des corps de l'artillerie et du génie. Un mot d’explication fera comprendre ma confiance dans les chiffres que je vais citer. La balistique est une sorte d'astronomie, Les mouve- ments des planètes sont des mouvements de projectiles : seulement ces projectiles sont énormes; ils se meuvent dans le vide et ne font de mal à personne. J'eus besoin, pour une question de balistique, de savoir comment la résistance de l’air influe sur le mou- vement des projectiles ; je voulus opérer sur les docu- ments les plus authentiques, et je priai le général Tirlet, qui avait de l’amitié pour moi, de me procurer ces docu- ments. Nous allâmes ensemble au dépôt d'artillerie ; nous fouillèmes dans les cartons avec l’archiviste M. Terquem, et J'obtins toute la série des nombres sur lesquels je vais m’appuyer, 208 LES FORTIFICATIONS. Le boulet de 24, avec une charge du tiers de son poids, a une portée de 4,400 mètres; mais avec une charge de la moitié de son poids, la portée devient de L,82h4 mètres. | Le boulet de 48, avec une charge du tiers de son poids, a une portée de 4,740 mètres. Ainsi les boulets de 48, partant du fort de Vanves, dépasseraient le mur d’octroi de 1,040" Montrouge, — — de 1,740 Bicêtre, — — de 2,240 Les boulets de 24, avec pleine charge de poudre, iraient encore plus loin. _ Quant aux bombes, j'ai trouvé dans les archives de l'artillerie une portée de 3,300 toises (6,432 mètres). Le général Piobert dit, à la page 433 de son remar- quable Traité de l'artillerie : « On a fabriqué pour de certaines circonstances, des mortiers à âme allongée, en bronze et en fonte. Ceux du calibre de 8 et de 9 pouces lançaient leurs bombes jusqu’à 5,000 mètres ; et ceux de 10 et 11 pouces, au delà de 6,000 mètres. » Ainsi, il n’y a pas un seul des forts qui ne pût envoyer des bombes dans Paris. Les bombes arriveraient, pour les différents forts, aux distances suivantes : Charenton.... à plus de 2,400 mètres en dedans äu mur d'octroi. Romainville... à — 2,600 — |. SUP TPE à — 2,200 — Vanves. ....., à — 2,700 — Montrouge.... à — 3,400 — Biobtre. ...... à — 3,900 — TANT à — 2,500 — LES FORTIFICATIONS. 299 Il y a trois forts dont les bombes atteindraient le Louvre. Les deux tiers de Paris pourraient être cou- verts de bombes par l'artillerie des forts. On a affirmé que les mortiers à longue portée se- .raient plus dangereux pour les artilleurs qui les servi- raient que pour les quartiers de la ville contre lesquels ils seraient dirigés. C’est là une assertion que l’expé- rience dément. Les mortiers à grande portée furent tirés à Séville, en 41810 ; à La Fère, en 1811 ; à Indret, en 1812; il y en avait en bronze et en fonte : aucun n’éclata. ; On a sans doute confondu avec les mortiers à très- longue portée, un mortier à très-large ouverture qui, mal calculé ou mal fondu, éclata en Belgique. Ce mor- tier était entièrement distinct des mortiers à la Willan- troys. Je sais bien qu’on a dit que les mortiers dont je viens de rappeler les effets étaient des mortiers de circon- stance ; que les grandes portées que j'ai citées étaient des portées expérimentales. Je demanderai s’il importe beaucoup d’être tué expérimentalement, par circonstance ou autrement, et si le bombardement de Paris ne serait pas un bombardement avec toutes ses terribles consé- quences. Ici je dois réfuter une objection. Ne suis-je pas en contradiction avec moi-même au sujet du bombarde- ment ? Examinons : j'ai démontré, par de nombreux exem- ples, que le bombardement ne doit pas être considéré comme un moyen infaillible de se rendre maître des places fortifiées. Mais j'ai expliqué le fait; j'ai fait voir VE — nt. 14 210 LES FORTIFICATIONS. (chap. xxix, p. 167 et suiv.) que, pour un bombarde- ment ordinaire, les incendies pouvaient être arrêtés dès le début, devant des secours organisés d'avance, comme à Lille en 1792, comme au Havre en 1759, J'ai cité, à cette occasion, les dix-huit incendies éteints en une seule nuit pendant le siége du couvent de Saint-Vincent à Sala- manque. Mais une ville court de grands dangers quand on la bombarde avant que les moyens d’éteindre les incendies aient été organisés. J’ai d’ailleurs parlé exclusivement d’un bombardement ordinaire, c'est-à-dire exécuté avec les moyens ordinaires d'artillerie que possède une armée envahissante; mes raisonnements ne s’appliquaient pas à un bombardement de Paris effectué simultanément par tous les forts qui ont action sur la capitale, avec le matériel que, de longue main, on aurait pu réunir dans ces forts. Oh! celui-là serait éminemment dangereux. Le bombardement de Bruxelles, qui n’a pas réussi, n’en a pas moins détruit 3,800 maisons, et il a fallu 40 millions pour réparer le dégât, Il ne serait pas, du reste, nécessaire que l’ennemi fût maître des forts pour bombarder Paris. Une révélation d’un général chargé de défendre l’établissement des forts, nous apprend, en effet, que l'ennemi, sans s’arrêter à prendre les forts, pourrait se placer entre eux et la place. Voici ce passage extraordinaire : « Les forts ne peuvent recevoir aucune protection effi- cace du canon (de l'enceinte). [ls sont, pour ainsi dire, abandonnés à leurs propres forces, exposés à être attaqués en même temps sur tout leur pourtour, » LES FORTIFICATIONS. 241 Cette phrase montre que, sans recourir aux énormes portées dont je viens de parler, en faisant le siége d’un des forts, l'ennemi viendra nous bombarder de plus près. Il n'aura pas même besoin de faire ce siége, il passera entre les forts, qui sont à des distances considérables l’un de l’autre. J’ajouterai, du reste, qu’il importe peu que les bom- bardements s'effectuent de près ou de loin. Le trou fait par une bombe dépend de la hauteur d’où elle tombe, _mais le dégât qu’elle produit en fait d'incendie dépend uniquement des propriétés que possèdent les matières renfermées dans le projectile, quelle que soit la distance d’où il a été lancé, CHAPITRE XXXVI SUR LA FABRICATION DES CANONS Je crois que la fabrication des canons doit recevoir de nombreux perfectionnements, que l’on peut appliquer aux grandes bouches à feu des principes analogues à ceux dont M. Delvigne a si heureusement tiré parti pour les ca- rabines et les fusils. En réduisant la charge on obtiendra, avec des canons rayés, et plus de justesse de tir et plus de portée. Aussi je ne vois aucune nécessité de fabriquer à l’avance le grand nombre de canons dont on encombre nos arsenaux, et qui seront, à mesure que de nouveaux progrès surgiront, doués de propriétés militaires de plus en plus terribles. Je sais bien qu’on soutient qu’on ne peut annuellement exécuter dans les fonderies de l’État qu’une 212 LES FORTIFICATIONS. quantité très-reduite de bouches à feu, neuf cents au plus. Mais je prétends que nous n’en sommes pas réduits à cette extrémité. Il fut un temps, l’ère conventionnelle, où l’industrie métallurgique était extrêmement arriérée : savez-vous , æependant, combien on coulait de canons par année à cette époque? à cette époque qu’on traite avec tant de défaveur ; à cette époque qu’on représente comme n’ayant nullement contribué aux progrès de l’art? Les chiffres sont là. On en doit la publication à un des élèves de Monge, je veux dire de l’homme illustre qui fut la cheville ouvrière de ces grands travaux. Ces chiffres les voici : On fabriquait 7,000 canons en bronze et 13,000 en fonte : total, 20,000 par an. Je puise ces chiffres dans un ouvrage d’un savant célèbre, de M. Biot. M. Biot s'était chargé de rédiger une préface pour la seconde édition d’un ouvrage bien connu : La Collection des séances de l'École normale. Cette préface parut à part en l’an x1 (1803), peu d’aunées après l’époque où l’un des fondateurs de l’École polytechnique, où Monge pré- sidait à la fabrication de nos armes. On ne dira donc pas que la citation a été créée pour la cause. Voici ce que je trouve à la fin de ce petit livre. Je vois d’abord que douze millions de salpêtre furent extraits du sol dans l’espace de neuf mois. Autrefois, on en tirait au plus un million par année. Immédiatement après, je lis : «Le produit annuel des usines en activité pour la fabri- cation des bouches à feu de bronze, était de 7,000 pièces ; « Les fonderies pour les bouches à feu en fer, donnaient 13,000 canons par année ! » LES FORTIFICATIONS. 243 Serait-il possible que l’industrie fût assez dégénérée pour ne pas produire encore des résultats semblables? Non, nous avons dix, vingt établissements particuliers qui pourraient fondre et aléser plusieurs centaines de canons par mois. Nos établissements publics sont microscopiques en comparaison de ceux dans lesquels on exécute les ma- chines pour les besoins de l’industrie privée. Dans cer- tains ateliers, on alèse mathématiquement des cylindres de deux mètres de diamètre, Comment reculerait-on de- vant l’alésage d’une misérable pièce de canon? Cet alé- sage, on l’exécuterait avec des outils courants et dans le court intervalle de deux heures pour chaque canon. Les établissements de l’État sont restés dans un état d’infério- rité que je qualifierai suffisamment en disant que dans l’un des plus importants, la fonderie de Strasbourg, on employait encore en 18/45 un manége pour faire les bou- ches à feu, tandis que les plus petits industriels de Paris possédaient déjà des machines à vapeur. C’est à cause de leur matériel imparfait, insuffisant , que nos établisse- ments militaires produisent peu et demandent beaucoup de temps pour fournir un petit matériel, L'industrie pri- vée ferait beaucoup plus et même beaucoup mieux. Il n’est pas vrai de dire que l'artillerie qu’elle fabriquerait n'aurait aucune solidité. Elle ferait, j’en suis convaincu, mieux que les fonderies de l'État, mais elle ne saurait produire des choses en dehors des lois de la chimie. Aïnsi on dit que les canons qu’on a fondus du temps de la République n’existent plus, comme pour faire croire qu’ils étaient mal fabriqués. Mais ils n’existent plus parce qu'ils ont beaucoup servi. Tous les canons de bronze ont peu de 244 LES FORTIFICATIONS. durée. La chaleur énorme qui se développe dans l’acte de l’inflammation d’une grande masse de poudre, déter- mine dans le bronze la séparation des deux métaux com- . posants, L’étain se fond; il se sépare du cuivre, la pièce est alors remplie de soufflures, il s’y forme des cavités qui enlèvent au tir toute sa justesse. Il n’est donc pas étonnant que les canons fondus du temps de la Répu- blique, qui ont tant tiré, aient tous été mis hors de ser- vice. Il y a là des problèmes à résoudre dont on obtien- drait une meilleure solution en appelant le concours de tous qu’en les réservant à l’examen d’un petit nombre d'officiers, CHAPITRE XXXVII CONCLUSION Me voici parvenu au terme de la tâche que je m'étais imposée, Si je ne me fais pas illusion, considérées dans leur ensemble, les discussions auxquelles je me suis livré ont établi que les prodigieux travaux exécutés autour de la capitale, appartiennent à deux systèmes de défense entièrement distincts ; que l'enceinte continue rend Paris imprenable, sans que jamais les habitants aient à s’en préoccuper; que, d'autre part, les forts détachés peuvent, au gré du pouvoir, devenir un moyen d’oppression ; de + tyrannie presque irrésistible, et qu'envisagés militaire- : ment, ils n’ont qu’une valeur très-contestable. J'ai prouvé qu’on pourrait beaucoup ajouter à la force : des fortifications par l’emploi de quelques manœuvres d’eau, et qu’il y aurait intérêt à modifier la construction LES FORTIFICATIONS. 215 des forts de manière à ce que l'ennemi, s’il s’en emparait, ne püôt en tirer un parti déplorable, et aussi de manière à ce que des garnisons, factieuses ou étrangères, quoique peu nombreuses, par cela seul qu’elles occuperaient les forts, ne fussent pas maîtresses des approvisionnements de la capitale. J'ai démontré que les forts ne pouvant être avanta- geusement défendus par la garde nationale, immobilise- raient une partie notable de l’armée. Je voudrais que l’armée française, en cas d’invasion, n’eût pas une seule base d'opération, Paris; qu’elle ne fût pas obligée de s'appuyer sur les forts détachés, qui absorberont en pure perte, dans leur état actuel, une grande partie des forces actives. Plusieurs de nos places frontières et particulièrement les ports de mer réclament impérieusement l’attention du gouvernement ; il est urgent de perfectionner, de com- pléter, de créer leurs systèmes de défense, si on veut être certain de garantir l'indépendance nationale, selon moi, le premier des biens, Je pense aussi avoir prouvé qu’il y a de nombreux per- fectionnements à introduire dans l'armement des troupes, et que toutes les parties de l’art militaire auraient à ga- gner à être éclairées par la science. Il faut concilier dans une juste mesure les nécessités de la défense de Paris contre l’ennemi et de son inviola- bilité contre des attentats venus de l’intérieur. Tous les gouvernements ont, de temps à autre, des moments de colère et d’aveuglement. Il est alors très- heureux, dans leur propre intérêt, pour leur propre 246 LES FORTIFICATIONS. sûreté, qu'ils soient obligés de calculer leurs chances. Supposez la réussite certaine, et vous verrez les entre- prises se succéder sans relâche. On procédera par coups d’État. Je ne veux ni coups d’État ni émeutes. Je crois l'indépendance de Paris nécessaire à celle de la France. Les plus simples notions de l’économie politique sont en contradiction manifeste avec les plaintes qu’on articule - sur le développement excessif de puissance et de splen- deur de Paris, avec les prétendus malheurs que laccrois- sement de la métropole amènerait dans un avenir éloigné. Les souffrances de Paris tardent peu à être ressenties jusqu'aux extrémités de la France. Le corps social est comme le corps humain : toutes ses parties ont entre elles une solidarité intime. Ces vérités n’offrent rien d’incertain, rien d’indécis à quiconque a étudié la manière dont les richesses naissent et se distribuent dans un grand pays. Il faut l’avouer sans détour ; la ville de Paris est main- tenant l’objet d’une jalousie aveugle, irréfléchie. J’oppo- serai à ce sentiment hostile et sans prétexte une appré- ciation des services de la métropole, empruntée à un homme illustre qui honora les premières années de notre grande révolution par ses lumières, par sa vertu, par sa modération ; qui paya de sa vie les fautes d'autrui; qui fit preuve, enfin, dans ses derniers moments, même au pied de l’échafaud, d’un courage héroïque. Voici comment il parlait de Paris : « Aucune ville n’a montré plus d’amour de la liberté, plus de courage pour l’obtenir. Il n’est aucune ville à qui cette liberté ait autant coûté, » APPENDICE L — NOTE INSÉRÉE AU National Du 26 DÉCEMBRE 1831. Il y a peu de temps, de nouveaux fonds ont été alloués pour la continuation des travaux de fortification dans Paris. Nous craignons fort de ne pas être d’accord avec le gouvernement sur ce que doivent être ces fortifications. Un fait dont pourront s'assurer toutes les personnes qui ont la plus légère idée de l’art de fortifier, c’est que les piquets placés sur la colline de Montmartre, du côté de Paris, indiquent de la manière la plus précise un tracé bastionné; conséquemment Montmartre serait destiné à recevoir, sinon une citadelle, au moins un ouvrage d’une étendue considérable fermé à la gorge, c’est-à-dire pou- vant agir contre Paris en même temps que balayer la plaine Saint-Denis. Les informations que nous avons cru devoir prendre ont pleinement justifié ce soupçon. Nous savons et nous affirmons que la colline du mont Louis, au-dessus du Père-Lachaise, est également destinée à recevoir une forteresse dont les avancées ne seraient pas à plus de cinq cents pas de la barrière, et qui servirait au besoin à bombarder Paris. Des travaux du même genre tendent à accroître l'importance militaire de Vincennes. Nous nous contenterons de rappeler qu’en 89 Paris dé- truisit la Bastille; que Lyon, Marseille, Metz, firent sauter 218 LES FORTIFICATIONS. les forteresses élevées contre elles par le despotisme. Paris ne veut pas que, sous prétexte de le fortifier, on élève contre lui de nouvelles bastilles, et on ne pourrait pas longtemps lui cacher l’objet des travaux que l’on médite en ce moment ; car des plantations de piquets il faut passer au tracé, et du tracé à la maçonnerie. On s’en apercevrait toujours à temps pour faire rentrer la terre dans les fossés et culbuter les batteries naissantes. Nous livrons cette observation à l’ordonnateur suprême des travaux. Point d'ouvrages fermés à la gorge autour de Paris ; point de forteresses qu’un ministère en révolte contre le pays, ou l'ennemi, si l’on était assez malheureux pour le revoir paraître, puissent tourner contre Paris. IL. — LETTRE INSÉRÉE AU National Du 15 Juin 1838. Monsieur le Rédacteur, au moment où M. Thiers, ministre du commerce, a déclaré à la tribune, dans la séance d'aujourd'hui, que les projectiles d'aucun des quinze forts détachés dont se compose le système du général Bernard, n’atteindraient la capitale, je n’ai pas pu m'empêcher de lui adresser de mon banc une déné- gation formelle. Cette dénégation, je l'aurais aisément justifiée devant la Chambre ; la clôture de la discussion ne me l’a pas permis, Je regarde donc comme un devoir de donner, par la voie des journaux, toute la publi- cité possible aux réflexions que j'ai l'honneur de vous adresser, Je ne suis pas étonné que le ministre du commerce, qui peut-être ne s’est jamais occupé de balistique, ait LES FORTIFICATIONS. 219 adopté de confiance l'opinion que tout Paris serait hors de la portée de l’artillerie des forts détachés ; mais il est véritablement étrange que la même assertion se trouve sous la plume de militaires de profession. Aux yeux de M. le maréchal ministre de la guerre, un des principaux avantages des forts détachés, serait d’éloi- . gner la défense des murs de la ville. M. le général Bernard, commissaire du roi, dit aussi s'être proposé comme condition de son dispositif, de « mettre les habitations hors de portée des projectiles incendiaires. » et Un vieux général dont les brochures ont été distribuées avec profusion déclare : « qu’on a adopté le système des forts détachés, parce qu’il permet d’arrêter au loin les efforts de l’ennemi..…..; parce que ce système l’empêche- rait d'établir impunément ses batteries de mortiers et d’obusiers, assez près pour bombarder et incendier les quartiers de la Chaussée-d’Antin et le faubourg Saint- Honoré. » | Les mêmes idées sont souvent reproduites dans un écrit récent que le gouvernement s’est approprié en le faisant insérer au Moniteur. Voici ce qu'on y lit : «Le système des forts détachés a précisément pour avantage immense, de défendre Paris en dehors et loin de Paris; de laisser à cette vaste cité la liberté de s’éten- dre en temps de paix, et la certitude de ne pas souffrir des hostilités, au milieu même des hostilités. » Et plus loin : | « Les forts détachés sont placés à de telles distances , que leur feu n’arrive point jusqu’à Paris, » 220 LES FORTIFICATIONS. Je citerai enfin les propres paroles de la commission de la Chambre : «Les forts détachés sont à deux mille mètres (1,000 toises) du mur d'octroi actuel, c’est-à-dire de l’enceinte de sûreté de Paris. A cette distance ils préserveront la cité de toute atteinte des projectiles ennemis, et leurs propres batteries n'auront aucune action contre elle! » Ainsi, le principal avantage des forts détachés se trouve signalé presque dans les mêmes termes à la reconnais- sance des Parisiens, par tous les partisans du projet ministériel. Opposons des faits incontestables à de simples assertions dénuées de preuves. Je trouve d’abord que parmi les quinze forts projetés, deux sont de 250 mètres en dedans (notez bien que je ne me trompe pas, Monsieur, quand je dis en dedans) ; deux sont en dedans de l'enceinte continue proposée par les généraux Haxo et Valazé; deux autres forts sont sur l'enceinte même. Cette circonstance mérite d’être remarquée. La distance moyenne des forts au mur d'octroi est à peu près, comme le dit le rapporteur de la commission de la Chambre de 2,000 mètres ou de 1,000 toises. En vérité, il est bien question de distances moyennes quand il s’agit de savoir si Paris a quelque chose à redouter des forts. Il est évident que ce sont les moindres distances qu'il faut alors considérer. Or, le fort ou redoute de Passy, n’est, par exemple, qu’à 130 mètres (70 toises) du mur de la capitale, Raisonnons, j'y consens, sur les distances réelles, sur les distances que le plan distribué à la Chambre nous a LES FORTIFICATIONS. 224 fait connaître, et voyons par des chiffres si, comme on en flatte les Parisiens, ils pourraient impunément braver et les garnisons des forts et les troupes ennemies qui en feraient le siége. Je transcrirai ici les plus grandes portées obtenues avec diverses pièces de l’artillerie française, Je ne citerai que des résultats authentiques. Portées expérimentales sous de grands angles. Dates. Calibres. Poids des bombes. Portées. pouces, livres, toises. AnVers...... 1811 48 2,572 Noa 1811 36 2,675 : 10 175 2,787 Séville... ... ‘ 1810 10 160 plus de 3,000 La Fère....:.. 1811 11 175 3,000 oret..…. .;:.. 1812 AL … 180 2,950 Après avoir cité ces résultats de l'expérience, remar- quons que les deux forts les plus éloignés du centre de Paris, les forts de Clichy et de Charenton, ne sont guère distants de Notre-Dame que de 3,000 toises. Ainsi, il n’est aucun des forts projetés d’où l’on ne püt, à la rigueur, atteindre la cathédrale. Réduisons les portées d’un tiers; réduisons-les à 2,000 toises pour faire une bien large concession, et nous trou- verons encore qu'il n’est pas un seul point de Paris qui ne puisse être frappé par les projectiles des forts. Les feux croisés des forts d'Italie et de Passy, par exemple, balaieraient la totalité de la rive gauche de la Seine, depuis la barrière de la Gare (près du Jardin des Plantes), 222 LES FORTIFICATIONS. jusqu’à la barrière de Grenelle. Sur l’autre rive, la Bourse pourrait, à son tour, être brûlée par l’artillerie des forts Saint-Chaumont, Chartres et Philippe. Maintenant, si vous le voulez, des portées réduites de deux mille toises, retranchez 250 toises pour la distance des batteries ennemies aux fossés des différents forts, et les conséquences auxquelles je suis arrivé resteront les mêmes, et il demeurera mathématiquement établi qu’on n’a pas satisfait à ce qu’on présentait comme le mérite principal du dispositif adopté; que ce dispositif, enfin, ne mettrait pas la ville de Paris à l’abri des projectiles de l’armée assiégeante. | Ces faits parlent trop d'eux-mêmes pour qu’il soit nécessaire d'y joindre aucune réflexion ! III. — LETTRE INSÉRÉE AU National Du 23 JuIN 1838. Monsieur le Rédacteur, l’auteur anonyme d’une lettre insérée au Moniteur du 19 juin !, a très-habilement essayé 4, Voici cette lettre : Au Rédacteur. Monsieur, M. Arago, dans une lettre publiée avant-hier par le National, et reproduite hier par d’autres journaux, cherche à prouver que le système des forts détachés n’a pas le principal mérite que lui attribuent ses partisans, et qui consisterait à mettre Paris à l'abri des projectiles de l’armée assiégeante. Sans admettre que ce soit là le principal mérite du système en question, il faut néan- moins reconnaître que c’en serait un très-grand, et il importe d’exa- miner jusqu’à quel point l’argumentation de M. Arago est fondée. M. Arago cite quelques bouches à feu dont les portées vont de 2,500 à 3,000 toises. La France et l’Angleterre sont, je crois, les deux seules puissances qui fassent usage de canons d’un calibre” LES FORTIFICATIONS. 223 de détourner l’attention publique de la question capitale que j'avais envisagée dans une note adressée au National, le 14 juin, et qui a été reproduite le lendemain par plu- sieurs autres journaux, J’accomplis donc un devoir en venant replacer le débat sur son véritable terrain. Beaucoup d'habitants de Paris imaginent, à tort ou à supérieur au 24, et seulement pour l'armement des vaisseaux et pour la défense des côtes. Le canon de 24, le plus fort calibre de nos équipages de siége, peut porter son boulet à 2,000 toises, si on le pointe à 45°. Mais il n'existe peut-être pas dans toute l’Europe un seul affût au moyen duquel on pourrait le tirer sous cet angle. Dans la pratique on ne cherche pas à lui donner une portée de plus de 700 à 800 toises, parce qu’au delà on ne peut pas en attendre d'effet utile. | Restent les projectiles creux. Le mortier de 12 pouces, à grande portée, tiré à chambre pleine, projette la bombe à 1,500 toises ; si on laissait l'ennemi s'établir à 250 toises des forts, et qu’il eût des bouches à feu du modèle français, il n’y a nul doute que quelques- uns de ses projectiles ne parvinssent jusqu'aux faubourgs de Paris. Mais la construction d’une batterie fixe a besoin, ainsi que tous les travaux d’un siége régulier, d'être protégée par des forces capables de repousser les tentatives de l’armée défensive, qui, sans cela, détruirait ces travaux deux ou trois fois par jour; et il est difficile de concevoir comment le commandant de l’armée ennemie pourrait se résoudre à laisser pendant la durée de ces travaux un corps aussi nombreux exposé à l’artillerie des forts tirant à une petite distance. Si Paris est un jour fortifié selon le projet du gouvernement, la présence aux environs de cette capitale de l’armée active, ou seu- lement d’une partie de cette armée, suffira pour rendre impossible l'établissement des batteries de siége, du moins à la distance qui permettrait d'en tirer parti pour inquiéter ses habitants, Ce qui a causé l'erreur commise par M. Arago, c’est qu'il a regardé comme étant d’un usage général dans les siéges certains mortiers employés exclusivement pour la défense des côtes, et les obusiers-canons fondus à Séville pour le siége de Cadix. Ces bouches à feu pèsent 8, 10 et 12 milliers, et les armées ne peuvent pas traî- ner à leur suite du matériel aussi lourd. D'ailleurs, les puissances étrangères n’en ont pas jusqu’à ce moment, et l’on peut dire avec 224 LES FORTIFICATIONS. raison, que les citadelles dont on veut les entourer, fini- raient par devenir contre eux un moyen d’oppression. Ils voient, avec un extrême déplaisir, que notre immense ville se trouverait à la merci de quelques milliers de sol- dats ; qu’elle serait livrée à tous leurs caprices, à toutes leurs exigences. Ils connaissent à merveille les phrases assurance que les mortiers qui pourront bombarder Paris ne sont pas encore fondus. Quant à la petite distance qui existe entre la redoute de Passy et le mur d'enceinte, il n’est pas supposable que l'ennemi tente une attaque de ce côté, ayant la Seine et par conséquent un défilé der- rière lui. Pour se rassurer à cet égard, M. Arago pourrait demander à MM. les officiers-généraux qui siégent à la Chambre près de lui, si une pareille attaque ne serait pas la circonstance la plus heu- reuse qui pût se présenter pour l’armée chargée de la défense. Dans un pays où l’on compte pour la défense du territoire, non- seulement sur l’armée permanente, mais encore sur le concours puissant de la population, l'intérêt national doit faire désirer que tous les citoyens aient des notions exactes sur l’emploi et les effets de l'artillerie. On re verrait pas se renouveler ce qui frappa d’éton- nement le commandant de l’artillerie au siége de Toulon. A son arrivée devant cette place, Napoléon trouva une batterie de six pièces de 24 destinée à incendier la flotte anglaise, placée à trois portées de canon de cette flotte et à deux du rivage. Il serait digne de M; Arago, qui possède à un si haut degré le talent d'exposer, avec une grande netteté d'expression, les théories les plus difficiles, d'approfondir la question sous le point de vue de l’utilité pratique, et de la mettre à la portée de tout le monde. Si vous pensez, Monsieur, que ces observations soient de quelque intérêt pour le public, je vous serai obligé de les faire insérer dans votre plus prochain numéro. Agréez, Monsieur, l'assurance des sentiments distingués avec les- quels je suis Votre très-humble et très-obéissant serviteur, «+ , Officier d'artillerie. Paris, le 17 juin 1833. LES FORTIFICATIONS. 225 convenues qu’on ne cesse de débiter sur l'impossibilité de trouver dans l’armée française des chefs qui consentissent jamais à faire tirer sur Paris, des soldats qui voulussent obéir à de pareils ordres. D’un autre côté, ils se rappel- lent que le 13 vendémiaire des bataillons de troupes de ligne mitraillèrent sans scrupule, et presque à bout por- tant, la garde nationale parisienne; ils n’ont pas oublié qu’en juillet 1830, la garde royale se battit à outrance contre les patriotiques défenseurs des barricades ; qu’à Quiberon, que dans toute la Vendée, des Français s'en- tr’égorgèrent avec fureur ; que des officiers supérieurs de nos armées, que des généraux ont fait cent fois pis encore; qu’ils se sont rendus coupables du plus exécrable des crimes : qu’ils ont déserté la veille d’une bataille, et livré peut-être à l’ennemi les plans dont ils avaient connais- sance. Placés ainsi entre des faits positifs et des phrases sonores, les bons habitants de Paris ont réglé leurs appré- hensions sur les faits; ils ont cru, ils croient encore que dans certaines circonstances, les garnisons des forts se- raient aisément amenées à faire contre la ville des actes de violence. Pour éloigner ces craintes, M. le ministre du commerce disait à la Chambre : « Les forts sont hors de la portée du canon; aucun de leurs projectiles ne peut arriver sur la ville. » Le Journal des Débats avait déjà pris les devants; lui aussi affirmait « que le feu des forts détachés n'arrive pas jusqu’à Paris. » M. le colonel Lamy, rapporteur de la commission de la Chambre, annonçait également « que les batteries n’au- raient aucune action contre la ville. » VE. — nt. 45 226 LES FORTIFICATIONS. C’est principalement pour combattre ces assertions de M. Thiers, du Journal des Débats, et de M. le colonel Lamy, que j'ai publié une note dans les journaux. Cette note établissait, par des chiffres authentiques, que la ville de Paris n’est pas placée, quoi qu’on en dise, hors de portée des projectiles des forts; que dans un des quar- tiers, les habitants se trouveraient même exposés aux coups de fusil de la redoute bastionnée de Passy; qu'avec des mortiers à la Willantroys, il n’est aucun des quinze forts dont les bombes ne pussent enfoncer le toit de la cathédrale; qu'avec des portées restreintes de 2,000 toises, il suffirait encore de deux des citadelles projetées pour balayer la totalité du faubourg Saint-Germain; que trois de ces mêmes forts incendieraient simultané- ment la Bourse, la Banque, tout le quartier du Palais- Royal. Qu’a répondu l'officier anonyme d'artillerie à toutes ces assertions? Rien, absolument rien! I] est évident par sa lettre que la bonne volonté ne lui a pas manqué. Je puis donc regarder comme bien établi que, contrai- rement à ce qui a été dit à la Chambre, dans les bro- chures et dans les journaux ministériels, les garnisons des forts dont on nous entoure pourront, si l’envie leur en prend, couvrir la ville de Paris de projectiles de toute nature. J'arrive à une seconde question entièrement distincte de la précédente, Plusieurs de nos généraux les plus illustres, tout en repoussant les forts détachés, soit par les raisons politi- ques que je viens de présenter, soit par de puissantes LES FORTIFICATIONS. 227 considérations militaires, voudraient entourer notre vaste capitale d’une enceinte continue bastionnée, dont les citoyens n'auraient jamais rien à craindre et qui serait seulement redoutable à l’ennemi. On a dit à la Chambre, on a dit dans divers écrits ministériels, on a fait dire aux journaux dont le pouvoir dispose, que ce système avait l'immense défaut de ne pas porter la défense suffisamment loin des habitations. Les forts, au contraire, ajoutait-on, jouissent de cet avantage au plus haut degré! J’ai fait observer que deux des forts seront en dedans de l'enceinte continue du général Haxo ; que deux autres occuperont des points de cette même enceinte. Qu’a répondu Foff- cier anonyme? Pas un seul mot! Aïnsi ma remarque subsiste, M. le général Bernard, commissaire du roi à la Chambre des députés, et M. le général Mathieu Dumas, pair de France, ont insisté plus que personne sur le prétendu avantage des forts détachés dont il vient d’être question. Le dispositif de ces forts leur paraît éminemment supé- rieur à celui de l’enceinte continue, surtout parce qu’il «mettrait les habitations hors de portée des projectiles incendiaires (de l'ennemi) ; parce que ce système des forts empêcherait l'ennemi d'établir des batteries assez près pour incendier les quartiers de la Chaussée-d’Antin et du faubourg Saint-Honoré, » Quant à moi, j'ai nié positivement que les citadelles fussent situées de manière à empêcher l'ennemi d’incen- dier la capitale, Je me suis appuyé sur des données numériques incontestables et incontestées; aussi l’ar- tilleur anonyme, au lieu de me répondre, se jette-t-il 228 LES FORTIFICATIONS. dans toutes sortes de divagations, Il insinue d’abord que la France et l'Angleterre sont les seules puissances qui fassent usage de calibres supérieurs à 24; or, cela est inexact. Ailleurs il affirme que les étrangers n’ont pas de gros obusiers à grande portée, tandis qu’on trouve- rait au besoin dans les ouvrages d’un officier qu'il doit connaître, que ces bouches à feu ont donné lieu à de belles expériences, en Angleterre, en Suède, en Russie. Il ajoute, ce qui est vrai, mais sans tirer à conséquence, que cette artillerie est très-lourde. Enfin, pour tran- quilliser les plus timorés, il donne l’assurance, non que l'ennemi n’a pas et ne peut pas avoir de fonderies de canons, ce qui en effet serait très-décisif ; mais que les mortiers qui pourront bombarder Paris ne sont pas encore fondus! Sans doute on n’exige pas de moi que je réponde sérieusement à des arguments de cette force! Je réfuterai seulement quelques passages du Moniteur sur la valeur desquels on pourrait se méprendre, à rai- son de leur apparence scientifique. L'officier anonyme avoue que « le canon de 24 peut porter son boulet à 2,000 toises ; si on le pointe à 45°. » Au risque de blesser son amour-propre, je lui appren- drai que la portée de 2,000 toises a été dépassée ; qu’en 1740, on arriva à 2,250 toises; qu'en 1771, Bezout obtint, avec le même calibré, 2,221 toises ; qu'à Anvers enfin, en 1811, on arriva jusqu’à 2,475 toises. « Mais, dit le Moniteur, il n’existe peut-être pas dans l’Europe un seul affût au moyen duquel on puisse tirer sous cet angle. » J’ignore moi-même si de tels affüts existent encore aujourd'hui; je ne sais si on les a con- LES FORTIFICATIONS. 229 servés; mais il est incontestable qu'ils ont existé, car apparemment le canon était supporté par quelque chose, lorsqu’à Anvers il projetait le boulet à plus d’une lieue. _ Cette citation ne suffit-elle pas? je dirai qu’on a tiré le canon de 24, en 1755, à Toulon, sous l’angle de 45°; en 1779, à Auxonne, sous les angles de 37, de 39, de h0 et de 41° 1/2; qu'en Angleterre, il y a sept ans, on a minutieusement essayé, sous le même angle de 45°, des canons de fer de 32, de 24 et de 18. Quand la portée d’un canon de 24 surpasse 800 toises, dit mon antagoniste, on ne peut pas en attendre d’effet utile. Ces expressions sont trop vagues pour ne pas exiger une explication. Entend-on dire qu’au delà de 800 toises le boulet de 24 est presque sans action? Je réponds qu’on se trompe. Voici les résultats des expé- riences faites en Italie : Le nombre d'hommes placés en file, qu’un boulet de 24 renverserait en vertu de la vitesse horizontale, fut estimé, d’après les effets produits sur des mannequins, de 25, à 700 toises ; de 21, à 800 ; de 7, à 1,600 ; de 4, à 2,000 toises. Ainsi ne croyons pas aveuglément, nous, gardes nationaux sur trois rangs, aux paroles emmiel- lées du partisan des forts détachés. Si, cependant, il avait seulement prétendu qu’au delà de 800 toises le tir n’a plus de justesse; qu’au delà de 800 toises on ne doit guère espérer de frapper exactement le point qu'on a visé, son observation mériterait d’être accueil- lie; mais, en conscience, je ne puis me dispenser de faire remarquer que le point de mire, dans le cas actuel, serait une grande ville, la ville de Paris tout entière. 230 LES FORTIFICATIONS. Je conviendrai donc volontiers que le boulet tiré contre le Panthéon irait peut-être frapper le Luxembourg ou Saint-Sulpice, et réciproquement; qu’on recevrait souvent le coup destiné à son voisin; mais si l’ar- tilleur ministériel persiste à vouloir trouver des boulets perdus, il sera forcé de les chercher presque tous dans le lit de la Seine. Peut-être aurais-je dû ne pas m’engager dans cette dernière discussion, car le mot canon de 2h ne se trou- vait pas une seule fois dans ma lettre aux journaux. Puisque l’occasion s’en présente, je dois dire, soit pour l'instruction de M. l'officier anonyme, soit pour prévenir le public contre les fausses notions qu’on cherche à lui donner relativement aux effets de l'artillerie, que les faibles portées qu’on fait sonner aujourd’hui à ses oreilles, que les portées du tir horizontal n’ont ici aucune application, car les citadelles seraient presque toutes assez élevées au-dessus de Paris. J'ajoute qu’il n’est pas nécessaire de beaucoup augmenter sur une colline la hauteur d’une pièce, pour ajouter considérablement à sa portée horizontale. Or, si je ne me trompe, le fort de l’Épine auquel on travaille actuellement, n’est pas à moins de 70 mètres au-dessus du sol de nos quais. Je n’ai pas bien compris dans son ensemble l’article de l'écrit ministériel à l’aide duquel on prétend prouver qu'une armée ennemie ne pourrait jamais établir ses batteries devant nos citadelles détachées. Je comprends encore moins, je l'avoue, que les détails que j'y trouve soient sortis de la plume d’un oficier d'artillerie, \ Je ne terminerai pas cette longue discussion téch- LES FORTIFICATIONS. 231 nique sans ajouter une remarque. En démontrant par des chiffres, que l’ennemi en batterie devant nos forts, que l’ennemi procédant à leur siége, aurait en même temps la faculté de couvrir la ville de Paris de bou- lets et de projectiles incendiaires, j'ai pu me borner à n'admettre que des portées de 2,000 toises. Or, ces portées, on les obtient facilement avec des pièces que les armées traînent à leur suite : avec des obusiers espagnols de 8 pouces, et avec les licornes russes, par exemple. Cette réflexion me dispensera d'examiner comment, sans enlever aux mortiers à la Willantroys et autres bouches à feu les immenses portées de 3,000 _à 3,300 toises, on pourrait les rendre comparativement très-légers. Quoique le moyen soit très-simple, quoiqu'il ait dû se présenter à l'esprit d’un grand nombre d’ar- tilleurs, il suffit qu’on ne le trouve pas dans les ouvrages imprimés, il suffit qu’un jour ce moyen puisse être employé contre Paris, pour que je renonce sans regret au plaisir de donner encore sur ce point une courte leçon à mon adversaire anonyme. J’éprouve le besoin d’assurer que le passage sui- vant est tiré textuellement de l'écrit auquel je réponds : « Quant à la petite distance qui existe entre là redoute de Passy et le mur d'enceinte (de Paris), il n’est pas supposable que l'ennemi tente une attaque de ce côté, ayant la Seine, et par conséquent un défilé derrière lui, etc. » Comment, M. l'officier ministériel, vous regardez toute attaque comme impossible du côté de Passy, et vous y construisez un fort? Vous n’avez donc pas songé aux conséquences que tireront de ces paroles 232 LES FORTIFICATIONS. ceux qui, à la tribune et ailleurs, ont prononcé le nom de bastille! Ah! que le bonhomme était bien inspiré lorsqu'il s’écriait : Rien n’est si dangereux qu’un imprudent ami, Mieux vaudrait un sage ennemi, L’anonyme a bien voulu m'’inviter à consulter sur les chances d’une attaque dans la direction de Passy, les officiers-généraux auprès desquels je siége à la*Cham- bre. Il a pris un soin inutile : la consultation a eu lieu depuis longtemps, et je puis certifier que les illustres généraux dont il a voulu parler, désapprouvent unani- mement et de toutes leurs forces les travaux projetés; d’une part ils les trouvent inutiles, de FPautre dan- gereux. Au reste, si M. l'officier s’était proposé, par une insi- puation adroite, de classer aux yeux du public la ques- tion débattue parmi celles qui divisent ordinairement la Chambre en deux sections distinctes, je rappellerais qu'il existe des adversaires prononcés des citadelles pari- siennes dans toutes les parties de l'assemblée, voire même au fauteuil du président, soit quand M. Dupin l’occupe, soit quand les débats sont dirigés par M. Ben- jamin Delessert, Je me suis conformé, autant que mon peu de loisirs me l’a permis, à la recommandation par laquelle l’écri- vain ministériel a terminé sa lettre au Moniteur. Je crois, en effet, que la question des citadelles parisiennes sera maintenant à la portée de tout le monde. Au sur- plus, M. lPartilleur anonyme n’a pas une juste idée de la LES FORTIFICATIONS. 233 perspicaeité du public : je n’en veux pour preuve que la pétition suivante, déjà couverte d’un grand nombre de signatures de gardes nationaux et d’autres citoyens. Cette pétition, dont la clôture de la session m’a empé- ché de faire le dépôt, résume, ce me semble de la manière la plus nette, les graves considérations qui ont dépopularisé à un si haut degré les citadelles pro- jetées. « Messieurs les Députés, les soussignés, habitants du 12° arrondissement municipal de Paris, croient accom- plir un devoir sacré en vous faisant connaître les vives inquiétudes qu’a excitées parmi eux le projet publique- ment avoué par le gouvernement d’entourer la capitale d’un grand nombre de citadelles. Si le préjudice résul- tant de l'exécution de ce projet devait être seulement la moins-value d’une multitude de propriétés particulières, ils auraient gardé le silence, car les intérêts privés doi- vent toujours fléchir devant le salut du pays. Mais, dans cette circonstance, il faudrait fermer les yeux à la lumière pour ne pas être frappé des considé- rations tout autrement importantes que nous allons signaler. « Les quinze citadelles projetées seront un moyen certain de priver les habitants de Paris de toute com- munication avec l'extérieur de la ville : de les affamer sans qu'il soit besoin, pour cela, de plus de deux ou trois régiments. Sept à huit mille hommes de la garde royale, répartis en juillet 1830 dans les quinze citadelles dont on nous menace, se seraient joués des efforts des pa- triotes, et les auraient amenés, moins encore en incen- 234 LES FORTIFICATIONS. diant la ville qu’en arrêtant tous les arrivages, à se soumettre aux ordonnances insensées de Charles X et de Polignac. Les citadelles compromettraient donc la liberté; elles livreraient tôt ou tard les Parisiens, pieds et poings liés, à tous les caprices du pouvoir. « Le gouvernement lui-même pourrait-il assurer qu'il n'aurait jamais rien à craindre des garnisons des forts? L'esprit de faction ne s'est-il donc jamais montré dans une armée? Le souvenir des gardes prétoriennes s'est-il totalement effacé de l'esprit de nos ministres? ont-ils oublié qu’en 1812 les faibles détachements que le géné- ral Mallet entraîna, auraient peut-être opéré dans la capitale une véritable révolution, s'ils avaient été en possession de quinze citadelles menaçantes? « Personne assurément n’a plus de confiance que les soussignés, dans le courage de l’armée, dans le dévoue- ment des gardes nationales, dans l'énergie et le patrio- tisme des classes les plus nombreuses de la population. Aïnsi, ils n’ont aucune inquiétude sur le résultat final des luttes dans lesquelles la France pourra se trouver engagée. Toutefois, ils songent avec horreur au parti que les ennemis tireraient des citadelles projetées, si des chances malheureuses les amenaient une autre fois dans la capitale, Qui ne les voit déjà maîtriser la popu- lation parisienne avec quelques milliers de soldats, et, . tranquilles de ce côté, diriger toutes leurs forces sur les points où le sentiment impérissable de la nationa- lité française aurait créé des moyens de résistance et d'attaque? « Les soussignés vous demandent, messieurs les dépu- LES FORTIFICATIONS. 235 tés, de rejeter un projet dont les conséquences déplo- rables ne sauraient être niées, dont la population de Paris s'inquiète, et à la défense duquel des citoyens hono- rables n’ont pu prêter l’appui de leur nom, que par le plus déplorable aveuglement, « Recevez, etc. » (Suivent les signatures. ) IV. — LETTRE INSÉRÉE DANS LES JOURNAUX le National, Le Constitutionnel, le Courrier français, Er le Temps, LE 21 JUILLET 1833. Monsieur le Rédacteur, deux ou trois jours après la publication de ma seconde lettre sur les forts détachés, plusieurs journaux annoncèrent que les constructions étaient ajournées, que la question serait soumise aux Chambres. Je crus, dès lors, devoir laisser une libre carrière à l’acrimonie des journalistes ministériels, Il eût été futile de relever les erreurs qu’on accumulait de nou- veau pour montrer l’excellence d’une cause momenta- nément abandonnée. Cette explication de mon silence, toute naturelle qu’elle paraissait, n’a pas été admise : si je me suis tu, c’est parce qu'on m'avait mis dans l’im- possibilité de répliquer ; en ne répondant pas, je m’avoue vaincu; le public va revenir des préventions que j'avais contribué à lui inspirer ; aussi le gouvernement continue- il les approvisionnements ; aussi les brouettes, les elles, les pioches des terrassiers sont-elles laissées sur les lieux; aussi continue-t-on le levé des plans ; aussi les travaux recommenceront-ils immédiatement après les fêtes de juillet, et alors sans exciter aucun murmure ! 236 LES FORTIFICATIONS. Cette jactance de la presse et des séides du ministère, me fait reprendre la plume. Je n’ai pas assurément la vanité de croire qu’une lettre de moi puisse rien chan- ger aux projets arrêtés par le gouvernement; mais j'ai l’intime confiance que le public parisien protestera vive- ment contre la construction des quinze citadelles, dès qu'il apercevra dans toute sa nudité, le rôle que ces forteresses joueraient tôt ou tard, au grand détriment de la ville, des faubourgs et de la banlieue. Signaler de nouveau et nettement les conséquences qu'auront ces me- naçÇçantes constructions; dissiper les épais nuages dont certains sophistes cherchent sans cesse à envelopper la question, tel est le but que je me propose aujourd’hui. Je ne m’aveugle point sur l’irritation que cette lettre va soulever contre moi; je n'hésite pas cependant à la publier. Lorsque j'aurai accompli mon devoir, ce sera au public parisien à faire le sien. S'il fallait s'expliquer ici sur le devoir des citoyens tel que je le conçois, je conseillerais de signer, en masse, des pétitions énergi- ques contre le système des citadelles; j'inviterais encore à exiger des candidats à la députation, l'engagement formel de s’opposer par leurs discours et pee leurs tabe, à ces ruineuses constructions. J'aurais peut-être quelque droit de m'’étonner que l'officier français qui, sans procuration, dit-il, s’est insti- tué l'avocat des forts détachés, persiste à combattre, sous le voile de l’anonyme, un adversaire qui signe son nom en toutes lettres; mais le débat intéresse trop l'avenir du pays pour que je doive m'’arrêter à des critiques de forme. LES FORTIFICATIONS. 237 Suivant le Journal de Paris, au lieu de donner des lecons de balistique, j'aurais dû en prendre ; avant de parler «d’un ton si absolu de choses qu'après tout il m'est permis d'ignorer, je ferais sagement de demander des avis à M. le correspondant du Moniteur. » Dès que l’anonyme sera levé, je m'empresserai de suivre le conseil qu’on me donne, dussé-je, comme j'en . courrais la chance, trouver dans mon futur professeur l'officier qui naguère me priait de discuter des obser- vations de portée d’obus, dont il n'avait pas su trouver la loi. L'étonnement que certaines personnes éprouvent, quand on leur dit que les Parisiens se verraient avec un vif déplaisir entourés d’une multitude de citadelles, est vraiment risible. Les réflexions naïves de ces opti- mistes, semblent calquées sur ce passage si burlesque et si connu de la complainte de la ménagerie : Cet animal est fort méchant: Quand on l'attaque il se défend! Au reste, pour peu qu’on le désire, je me prêterai à examiner sérieusement si en effet le sentiment d’in- quiétude et de défiance des habitants de la capitale, est une chose tellement inouïe, tellement éloignée de toute espèce de précédent, qu’on ne puisse en trouver lori- gine que dans la pernicieuse influence de la mauvaise presse. Je demanderai, par exemple, si ces paroles tant de fois citées d'Henri IV : « On prétend que je veux faire des citadelles; c’est une calomnie : je ne veux de citadelles que dans le cœur de mes sujets »; si ces 238 LES FORTIFICATIONS. paroles, disons-nous, ne prouvent pas que les Parisiens, il y a plus de deux siècles, témoignaient déjà hautement toute leur aversion pour des forteresses qui les auraient livrés sans défense aux caprices des courtisans et des soldats. A-t-on déjà oublié qu’en juillet 1789, des remblais exécutés à Montmartre pour rendre le village et les moulins plus accessibles aux voitures, ayant paru des- tinées à recevoir de l'artillerie, excitèrent dans Paris une fermentation menaçante, que les proclamations de la municipalité apaisèrent difficilement; que, dans le même mois, le 44 juillet, la mise en batterie de plusieurs canons sur la plate-forme de la Bastille, fut la cause première du rassemblement formidable qui, après avoir envahi toutes les rues du quartier Saint-Antoine, s'em- para de la forteresse? que la population de Metz, si patriote et si habituée, Dieu merci, à la vue de fortifi- cations de toute espèce, exigea cependant, au commen- cement de la révolution, la démolition de celles des faces de la citadelle dont les feux se trouvaient dirigés vers la ville? Faut-il rappeler, enfin, qu’en 1831, les mur- mures unanimes de la capitale firent renoncer aux deux forteresses qui devaient couronner Montmartre, et dont les contours étaient déjà indiqués par des piquets? Vous- mêmes, d’ailleurs, messieurs les avocats du ministère, n'avez-vous pas tacitement reconnu que les appréhen- sions des citoyens sont légitimes? Sans cela aurions-nous vu dès l’origine, vos rapports, vos discours, vos publi-* cations quotidiennes, proclamer que la ville serait hors de portée de l'artillerie des citadelles ? Aujourd’hui même LES FORTIFICATIONS. 239 ne restez-vous pas cramponnés à cette thèse, malgré l'évidence incontestable des faits? Voyons, au surplus, si _ Jesefforts de l'officier anonyme et de ses associés ont été plus heureux. « Aucun des projectiles des forts, disait un ministre à la Chambre, ne peut arriver sur la ville, » J'ai signalé sur le plan officiel, un fort, celui de Passy, qui n’est pas à 80 toises du mur d'enceinte. Comme il eût été trop ridicule de déclarer en termes précis qu’un canon n’a pas 80 toises de portée, les commentateurs de l’'assertion ministérielle se sont jetés dans le vague des considérations générales. « Les assurances du ministre du commerce, dit le Journal de Paris, sont justifiées par l'opinion d'hommes expérimentés. M. le colonel Lamy, qui probablement sait à quoi s’en tenir sur la portée ordinaire du canon, a dit à la tribune (comme M. le ministre) que le feu des forts détachés ne pourrait arriver jusqu’à nous... On aura peine, ajoute-t-il, à nous persuader que les officiers du génie ne sont pas aussi compétents, pour trancher des questions de balis- tique et de fortification, que M. Arago pour rédiger l'Annuaire du Bureau des Longitudes. » Toutes ces phrases sont peut-être très-spirituelles dans la forme; mais, ramenées à leur vraie signification, elles peuvent se traduire ainsi : « Les officiers du génie qui partagent les opinions politiques du ministère, ont décidé que les canons, les obusiers et les mortiers, ne lancent pas leurs projectiles au delà de 80 toises, dis- tance du fort de Passy à l’enceinte de la ville! » Je n’au- rai pas la témérité de défendre, sans mission, les officiers 240 LES FORTIFICATIONS. dont il s’agit. Ils n’ont qu’à voir eux-mêmes, d’après l'échantillon qui précède, s’il leur convient de parler sciences, balistique, fortification, par la bouche du rédac- teur du Journal de Paris. L'officier anonyme d'artillerie, je dois en convenir, n’a pas été aussi malavisé. Il sait très-bien, lui, que tous les résultats consignés dans mes lettres sont exacts; que tous les forts projetés, quant à la distance, auraient action sur les quartiers les plus populeux de la capitale. Seulement, à cause du grand éloignement, les boulets, d’après ses idées, ne feraient aucun mal, Admirez, je vous prie, la gradation! D'abord les pro- jectiles pleins n’arrivaient point; maintenant ils arrivent, mais ils ne sont pas dangereux. De peur qu’en suivant cette marche on n’aille jusqu’à soutenir, que la chute d’une grêle de boulets de 24, de 36, de 48, sur les places publiques, dans les rues, dans les maisons, serait pour les Parisiens un spectacle divertissant, j'aban- donnerai aujourd’hui la cause des boulets; je parlerai seulement des projectiles creux. Dans ce dernier cas, au mal qui peut résulter de la chute des obus ou des bombes, il faut ajouter le mal plus grand qu’amène la dispersion des éclats et l'incendie. «M. Arago, s’écrie-t-on, était on ne peut plus mal renseigné. Les portées qu’il a citées étaient non des portées de guerre, mais des résultats d'expériences.» Le voilà enfin connu ce formidable argument, qui devait réduire au silence tous les adversaires des forts détachés! Je sais qu’il a fait les délices de plusieurs salons ministériels avant de se produire au grand jour LES FORTIFICATIONS. 241 par la presse; je sais même qu'on se flatte d’avoir ébranlé ainsi quelques convictions loyales. Comment continuer, en effet, à se préoccuper de portées expéri- mentales ! Passons des mots aux choses, et le public verra à quel _ point on espère se jouer de sa crédulité. De quelle façon a-t-on obtenu les portées de 2 et de 3 mille toises que j'ai citées? A l’aide de grandes bouches à feu, fondues à la ma- nière ordinaire, forées suivant les procédés ordinaires ; avec de la poudre ordinaire, avec des projectiles moulés par les méthodes ordinaires, avec les moyens de poin- tage les plus ordinaires. Comment donc un coup expé- rimental pourrait-il différer d’un autre coup? pourquoi le centième ne ressemblerait-il pas au premier, au second, au troisième coup? À la vérité, on tirait en rase campagne ; il n’y avait là ni une ville ni une colonne de soldats; mais à moins qu’on ne prétende que la nature du but peut altérer le calibre de la pièce, dimi- nuer la puissance d’inflammation de la poudre, changer les dimensions de la bombe et rendre la graduation de l’instrument de pointage défectueuse, il faudra bien admettre qu'en dedans comme en dehors des forts déta- chés, les mortiers à la Willantroys porteraient leurs projectiles à 2 et à 3 mille toises. Tout ce qu’il serait possible d'accorder, si dans un esprit de conciliation on voulait se rapprocher du système ministériel, se réduirait donc à changer le nom de canonniers en celui d'expérimentateurs ; les villes seraient alors saccagées, pulvérisées, incendiées ; leurs habitants seraient tués VE — nt, 16 242 LES FORTIFICATIONS. par voie expérimentale, j'ai presque dit par raison démonstrative, comme le maître d’armes de M. Jour- dain; car Molière a su prévoir tous les genres de ridicules. Écoutons encore, sur cet objet, l'officier anonyme d'artillerie : « Les projectiles creux lancés à 3,000 et même à. 2,000 toises n’ont aucun résultat militaire, ainsi que le prouve le long et inutile bombardement de Cadix, seul exemple applicable à la question... La moitié des bombes tombaient dans la mer; sur l’autre moitié, le plus grand nombre éclatait en l’air ou n’éclatait pas du tout. Trouver une fusée ou une composition d'artifice qui assure, pour le moment convenable, l'explosion des bombes que l’on lance à 2,000 toises, est un problème qui n’a pas été résolu d’une manière satisfaisante, » Tout à l’heure on a vu combien les boulets seraient inoffensifs ; maintenant c'est le tour des bombes. Dans leur zèle du moment, mes adversaires, en vérité, rédui- raient volontiers notre artillerie au pistolet de poche. Continuons donc à discuter leurs arguments. La bombe qui franchit un intervalle horizontal de 3,000 toises, emploie 30 à 33 secondes à décrire sa trajectoire, Le problème que les chimistes, que les arti- ficiers n’auraient pas résolu, serait donc le problème de construire une mèche qui durât terme moyen une qua- rantaine de secondes. Cette assertion paraîtra sans doute fort étrange aux habiles officiers qui dirigent notre école de pyrotechnie, et même à tous ceux qui auront pu voir dans l’Aide-Mémoire du général Gassendi que, LES FORTIFICATIONS. 243 d’après les règlements, les fusées à bombes sont ordi- . nairement fabriquées de manière à durer de 50 à 60 secondes. Les anomalies accidentelles qui se mani- festent, ‘particulièrement dans le tir des bombes ancien- - nement chargées, n’empêchent pas les résultats moyens d'être à peu près conformes aux prévisions des artil- leurs. Voici, au surplus, en quels termes, j’oserai pres- que dire burlesques, l’auxiliaire du Journal de Paris renchérit sur l'avocat ministériel : « Les bombes hollan- daises, bien que tirées à des distances très-rapprochées, éclataient souvent en l'air... Il est donc évident qu’il n’est pas facile de composer des fusées à l’épreuve d’une longue portée! » Pendant le siége de 1810 et de 1844, ES de bombes, dit-on, ne tombaient pas dans Cadix. Loin que ce fait doive surprendre, on avait dû le prévoir. Citons, en effet, les résultats de quelques expériences authen- tiques faites à Séville, en 1811, par le général Ruty : Déviations extrêmes, Portée de la bouche à feu. à droite ou à ganche, relativement à la direction de la ligne du tir. 2450 toises. 200 toises. 2526 250 2587 300 Ainsi, à la distance d’une lieue, le projectile tombe quelquefois 200 et 300 toises à droite ou à gauche de la ligne dirigée vers le but qu’on a visé. Or, la ville de Cadix occupe une langue de terre presque triangulaire, dont la pointe fait face à la côte de Matagorda où se trouvaient nos batteries, à près de 3,000 toises de l’ex- trémité N,-0, de la ville. Cette extrémité forme la base 244 LES FORTIFICATIONS. du triangle. La partie couverte de maisons a de 500 à 5950 toises d'amplitude : c’est la plus éloignée du con- tinent. Depuis la pointe opposée, qu’occupe la porte fortifiée de l’île de Léon, jusqu’à 300 toises vers l’inté- rieur, C'est-à-dire dans toute la portion que les bombes françaises devaient principalement atteindre, la largeur totale de la ville est comprise entre 100 et 150 toises. En parcourant, toujours dans la direction de la ligne de tir venant de Matagorda, un nouvel intervalle de 900 toises, on ne rencontre nulle part une dimension transversale de 500 toises. Sur aucun de ses points, la ville de Cadix n’a une largeur égale à l’espace qui sépare le Luxembourg de l'Observatoire. Voilà, cependant, l’étroit boyau qu’on assimile à la ville de Paris; voilà, cepen- dant, s’il fallait en croire l’artilleur ministériel, le seul exemple applicable à la question. Quelques mots feront justice de cette étrange idée, | En Andalousie on tirait sur Cadix d’une batterie dont la distance à la ville surpassait 2,000 toises; or, des quinze forts projetés, le plus éloigné du mur d’enceinte, celui de Charenton, n’en est cependant qu’à 1,200 toises : or, les forts de Clichy, de Chaumont, d’Italie, de Passy, sont respectivement à 700, à 600 et à 800 toises de Paris. Espérez-vous donc, Monsieur l'officier, qu'on ne sentira pas au premier coup d’œil que la justesse du tir doit diminuer rapidement à mesure que la distance s'accroît? La demi-largeur de Cadix (et c’est la demi-largeur qui nous donnera les chances de rencontre, si, comme de raison, nos canonniers pointaient dans la direction du LES FORTIFICATIONS. 245 centre de la ville) ; la demi-largeur, disons-nous, n’est nulle part supérieure aux déviations qui semblent inévi- tables d’après les expériences faites à Séville par le gé- néral Ruty. Cette demi-largeur, dans une grande étendue de la ville, ne s'élève pas même à 100 toises. Paris a bien près de 3,000 toises dans le sens de son moindre diamètre. Il y a 4,000 toises de la barrière des Bons- Hommes à celle du Trône. En tenant compte des mai= sons agglomérées contiguës aux barrières, et dont, à vrai dire, les habitants pourront trouver assez bizarre qu'on s’obstine à faire abstraction dans cet examen, nous verrons qu’un intervalle de 5,000 toises sépare les deux extrémités de la Villette et de Vaugirard! J'en suis vraiment peiné pour vous, Monsieur l'officier anonyme, mais en citant l’exemple de Cadix comme seul applicable à la question parisienne, vous avez fait, sans vous en apercevoir sans doute, l’équivalent de ce raison- nement singulier : En tirant de fort loin, nos canonniers manquaient souvent Cadix, qui est une très-petite ville ; donc, en tirant de près, ils manqueraient également Paris, dont les dimensions en tous sens sont énormes ! Lorsque pour la première fois je crus devoir justifier publiquement par des chiffres la dénégation que de mon banc de député j'avais adressée à un de MM. les minis- tres, au sujet de l'amplitude d’action dont jouirait l’artil- lerie des citadelles projetées, j'étais loin de m’attendre qu'une question si simple donnerait naissance à une labo- rieuse polémique. Cette question s’est aujourd’hui agran- die de tous les efforts qu’on a faits pour l’obscurcir. Il 246 LES FORTIFICATIONS. ne sera donc pas superflu de rappeler ici, comme consé- quences mathématiques des discussions précédentes et de la discussion qu’on vient de lire : Qu’à l’aide de mortiers parfaitement connus et déjà éprouvés en grand au siége de Cadix, il n’est aucune des quinze citadelles dont les bombes ne pussent atteindre la cathédrale; qu'avec de l'artillerie beaucoup moins puis- sante, qu'avec des portées de 2,000 toises seulement, deux des forts, ceux d'Italie et de Passy, suffiraient pour incendier toute la partie de Paris située sur la rive gauche de la Seine ; que deux autres forts, les forts Philippe et Saint-Chaumont, couvriraient de leur cercle de feu le restant de la ville, c’est-à-dire l’ensemble de la rive droite, en sorte que dans le nombre total des quinze forts projetés, onze, quant à l’action de leur artillerie sur la capitale, formeraient double emploi. J’arriverais à des résultats analogues, si je supposais les citadelles pourvues de fusées à la Congrève. Cette arme, quand les Anglais s’en servirent pour incendier Copenhague, quand ils l’'employèrent à Leipzig , était encore très-imparfaite. Depuis qu’on place la baguette de direction sur le prolongement mathématique de l'axe de la cartouche de tôle laminée, le tir de la fusée, dans les circonstances ordinaires, le cède à peine en justesse à celui du canon. Or, les fusées que nos voisins d'outre-mer appellent carcas rockets; ces fusées, qui répandent cha- cune, dans le bâtiment où elles pénètrent, 18 livres de matière incendiaire, portent à plus de 3,500 yards, c’est- à-dire à environ 4,700 toises. Ainsi, les fusées du fort d'Italie pourraient incendier la totalité des faubourgs LES FORTIFICATIONS. 247 Saint-Marceau, Saint-Jacques et Saint-Antoine ; celles de la redoute Saint-Chaumont se répartiraient sur un espace circulaire dont le contour passerait dans Paris, par la barrière du Trône, la place de la Bastille, la rue Saint- Antoine, l’entrée de la rue de la Verrerie, la rue Saint- Martin, la rue Saint-Denis, la rue de Cléry, le boulevard Montmartre, et tout le faubourg de ce même nom jusqu’à l’'abattoir. Pour rester renfermé dans les strictes limites du vrai, je dois reconnaître qu'avec le seul secours des fusées à la Congrève, telles du moins que les artilleurs savent les fabriquer aujourd’hui, on n’atteindrait pas la totalité de Paris; qu’un certain espace situé du côté de la Banque, du Palais-Royal et de la place des Victoires, se trouve- rait en dehors de l’action immédiate de ces projectiles : là, il faut l'avouer, on n’aurait à craindre que les bombes et les obus. C’est une circonstance dont divers proprié- taires pourront tirer parti, si jamais les forts s’exécutent. Ne dit-on pas, en effet, qu’il y a déjà eu quelque part un écriteau conçu dans ces termes : « Maison à louer avec caves à l'épreuve de la bombe », Le trait me semble d’au- tant plus piquant, qu’il avait été décoché sans malice, et, si je suis bien informé, par une main ministérielle. J'entends mes adversaires s’écrier : À quoi bon tous ces calculs? jamais des soldats français ne consentiraient à mitrailler la capitale ! Je réponds, pour la dixième fois, que ces calculs vous les avez rendus indispensables ; qu’ils sont la réfutation mathématique d’une de vos assertions les plus tran- chantes: qu'ils feront découvrir aux moins clairvoyants 248 LES FORTIFICATIONS. à quel point vous vous écartiez de la vérité lorsque vous souteniez «qu'aucun des projectiles des forts ne pourrait arriver sur la ville, » Quant à la possibilité de trouver des soldats qui voulussent tirer sur leurs concitoyens, chacun en jugera d’après ses lumières. Je pourrais cependant faire remarquer, messieurs les incrédules, que de tout temps cette possibilité a été admise par les généraux les plus célèbres. « Parce qu’une ville de la grandeur de Paris, écrivait Vauban en 1690, pourrait devenir formidable même à son maître, s’il n’y était pourvu, je propose de faire deux citadelles à cinq bastions chacune, etc., etc. » Ainsi le célèbre maréchal se croyait sûr de pourvoir, avec les garnisons de deux citadelles, à toutes les velléités d’indé- pendance que la bourgeoisie parisienne aurait pu mani- fester. Lorsque Cormontaigne définissait les citadelles, des fortifications destinées à contenir la bourgeoïsie des villes et à faire respecter les ordres du prince, lui aussi admettait que les soldats n’hésiteraient pas à tirer sur leurs compatriotes. Qu'est-il besoin d’ailleurs d’invoquer d'anciennes autorités? Serait-il donc bien difficile de découvrir sur la façade de Saint-Roch, des traces du canon qui, le 13 vendémiaire, tonna contre la garde nationale parisienne ? Sous le gazon du jardin du Louvre, des fossés du Champ-de-Mars et de plusieurs de nos cime- tières, n’y a-t-il pas, depuis trois ans, de nobles cœurs percés par des balles françaises ? Et qu’on ne prétende point faire des officiers et des soldats de l’ancienne garde royale une classe à part. Le désir de voir mettre un terme à l’eflusion du sang me conduisit au milieu d'eux, le LES FORTIFICATIONS. 249 28 juillet. Là aussi, comme dans les rangs du peuple, les fameuses ordonnances paraissaient un parjure; là aussi on vouait à la haine du pays ceux qui les avaient conseillées ; cependant, le canon retentissait à la Grève; . cependant, sur les quais et dans les rues les plus popu- leuses de la capitale, la fusillade et des charges de cava- lerie renversaient les meilleurs citoyens. «Nous ne pou- vons pas, répondait-on à mes prières, nous ne pouvons pas nous départir de l’obéissance passive ; c’est l’évangile du militaire. Nous ne sommes pas juges des questions politiques : la responsabilité atteindra ceux qui ont or- donné. » Tel était également le langage de nos soldats, lorsqu'en 1893 ils allèrent faire à l'Espagne une guerre impie, une guerre dont personne aujourd’hui n’oserait se déclarer l’apologiste. Dans des circonstances semblables, les répugnances , l'humanité des garnisons des forts déta- chés, céderaient encore pendant un certain temps au principe absolu de l’obéissance passive. Ce serait, si l’on veut, les larmes aux yeux, le désespoir dans l'âme; ce serait avec la pensée que la responsabilité doit peser exclusivement sur les ordonnateurs, qu’on obéirait, mais la ville de Paris n’en deviendrait pas moins le théâtre d'épouvantables désordres. Un écrivain ministériel admet que les soldats pour- raient être entraînés « à organiser la guerre civile dans les carrefours, dans les places publiques » ; mais il refuse de croire qu'ils consentissent jamais, « cachés derrière des remparts, à devenir des instruments de dévastation ». Ce passage, en langage vulgaire, pourrait s’écrire ainsi : « Des soldats qui, de près, tireraient sans hésiter sur des 250 LES FORTIFICATIONS. hommes, sur des femmes, sur des enfants, ne consenti raient jamais à tirer de loin, contre des maisons !» On est, en vérité, bien à plaindre d’avoir à relever de pareils raisonnements. Faut-il rappeler qu’en 1793 les soldats français de Kellermañn et de Dubois-Crancé n’hésitèrent pas, pendant deux mois entiers, à projeter de loin des obus et des bombes sur la ville française de Lyon ? Ainsi qu’il fallait s'y attendre, dès que ma seconde lettre eut paru, on cria sur les toits : « Vous outragez l’armée!» Ah! plût au ciel que depuis la révolution de juillet, les partisans du ministère eussent compté, aussi complétement que le faisait l’opposition, sur le dévoue- ment, le patriotisme et le courage de nos soldats! La na- tionalité d’un grand peuple n’aurait pas péri ; la Pologne formerait notre première barricade, ou, si on l’aime mieux, notre premier fort détaché ; l'Espagne, l'Italie, libres du joug qui les opprime, marcheraient avec nous en communauté d'intérêts et de sentiments ; les popula- tions allemandes des deux rives du Rhin ne se trouve- veraient pas livrées depuis deux ans à toutes les exigences liberticides de la diète de Francfort ; la diplomatie n’au- rait plus à s'occuper d’Alger; enfin une nombreuse escadre , dirigée par mon illustre ami l'amiral Roussin, eût jeté l’ancre sous les murs du sérail, et montré au gouvernement russe que la conquête de Constantinople , contre la volonté de la France, ne serait pas aussi facile qu’on peut l’imaginer aujourd’hui. S'il faut en croire les apologistes ministériels, com- battre le système des forts détachés, c’est manquer de patriotisme, c’est vouloir abandonner la capitale à la rapa- LES FORTIFICATIONS. 254 cité du premier pulk de cosaques qui se présenterait à la barrière Saint-Denis ! Pour ce qui me concerne, l’accusation est d’autant moins fondée qu’en 1830, peu de temps après la révolu- tion de juillet, lorsque la ville de Paris employait jour- nellement dix à douze mille terrassiers à gâter le Champ- de-Mars et les contre-allées des boulevards, je demandai avec instance à mes collègues du conseil général, de vouloir bien appliquer cette armée de travailleurs à la construction de la ligne continue de redoutes que M. le général Haxo avait jadis ébauchée dans la plaine Saint- Denis. À cet égard, Messieurs les écrivains du ministère, vous avez un moyen bien simple de mettre à une épreuve décisive le patriotisme de l’opposition : faites proposer la reconstruction d’Huningue, et vous verrez si notre appui, si nos votes, si nos applaudissements vous manqueront ! La campagne de 1814 a éclairé la France entière sur l'importance stratégique d’un grand nombre de points de notre territoire. Tout le monde se rappelle que l’armée alliée aurait été anéantie à Montereau, si une tête de pont eût retardé sa marche seulement pendant quelques heures. Les déplorables résultats de l’occupation de Sois- sons, de Vitry-le-Français, sont présents à la mémoire de ceux qui suivaient avec une inquiétude mêlée d’admi- ration, les manœuvres de notre faible mais héroïque armée, Une citadelle qui, à Châlons, eût commandé à la fois le passage de la Marne, la route d’Épernai et celle de Montmirail ; une forteresse à Reims ; de vastes citadelles bien approvisionnées sur les hauteurs de Laon et de Lan- gres, auraient sans aucun doute changé les résultats de 252 LES FORTIFICATIONS. la campagne de 1814. Travaillez donc à Montereau ; complétez les fortifications de Soissons et de Vitry; cou- ronnez d'un fort le monticule presque isolé qui domine Châlons sur la rive gauche de la Marne; fortifiez Reims ; exécutez enfin à Laon et à Langres les grands travaux que la Restauration elle-même avait ordonnés, et tous nos vœux vous accompagneront. Si après avoir montré ainsi que votre intention, d'accord avec votre devoir, est de tenir l'ennemi autant que possible éloigné de la capitale, de lui disputer à outrance chaque pouce du territoire; si vous nous prouvez que cette seconde ligne de forteresses ne couvrirait pas suffisamment Paris, alors, mais seule- ment alors, la population verra sans répugnance qu'on l'entoure d’une fortification continue, exclusivement diri- gée contre l’extérieur et dont les propriétés militaires ont été proclamées par les deux plus grandes autorités des temps modernes, par Vauban et Napoléon ; alors, mais seulement alors, les Parisiens travailleront gaîiment aux fronts bastionnés que leur courage rendra ensuite inex- pugnables. Quant à des fortifications en partie tournées vers la ville et dont un pouvoir tyrannique pourrait quelque jour faire usage pour opprimer les citoyens, ne les commencez pas, car une rumeur générale vous empê- cherait de les terminer. Tout le monde comprend aujourd’hui que «le gou- vernement doit avoir assez de force pour réprimer les particuliers et pas assez pour opprimer la nation». Cette maxime renferme la condamnation radicale des forts détachés. Afin d’épargner aux écrivains ministériels la peine de chercher le nom de l’audacieux pamphlétaire LES FORTIFICATIONS. 253 qui m'a fourni de telles paroles, je me hâte de leur annon- cer qu’il s'appelait Aristote. J'ai maintenant réfuté tout ce qu’il y avait de spé- cieux dans les écrits ministériels auxquels mes deux - premières lettres ont donné naissance. Ma tâche, cepen- dant, n’est pas encore finie. En toute autre circonstance j'aurais pu mépriser les insinuations, les attaques directes et personnelles dont on essaie l’elfet sur les habitués de certains salons, avant de les colporter dans les ateliers, ans les magasins, dans les corps de garde. Aujourd’hui, je n’ai pas le droit de me montrer aussi indifférent. Puis- qu'on l’a rendu nécessaire, il faut, malgré toute ma répugnance, que je parle de ma position ; il faut que le public soit à même de juger si les antécédents de l’écri- vain peuvent faire tort à ses paroles. « De quoi se mêle M. Arago? Au lieu de venir jeter l'inquiétude dans l'esprit de ses concitoyens, ne ferait- il pas mieux de rester exclusivement astronome ou physicien ? » Je pourrais citer des circonstances assez peu éloignées, où les personnes qui m'adressent aujourd’hui ces repro- ches ne trouvaient pas mauvais que laissant momenta- nément de côté l'astronomie, je me chargeasse de cer- taines missions, de certaines démarches. J'irai plus droit au but par cette déclaration : je ne reconnais à qui que ce soit le droit de tracer autour de moi un cercle de Popilius. En signalant à la population de Paris les évé- nements dans lesquels les forts détachés pourraient tôt ou tard jouer un rôle sinistre, j'ai accompli, je le crois, le devoir d'un bon citoyen ; j'ai pensé, de cette manière, 254 LES FORTIFICATIONS. m'acquitter autant qu’il était en mon pouvoir, envers les habitants du douzième arrondissement municipal, dont les suffrages m’appelèrent simultanément à la Chambre et à un grade élevé dans la garde nationale. Au reste, mes adversaires seront sans doute bien peu flattés d'apprendre que le reproche qu’ils m’adressent n’est pas de leur invention; ils le trouveront dans le Journal de Marat : lui aussi ne voulait pas que Bailly prit aucune part aux affaires publiques « par la raison que sa vie avait été consacrée aux sciences exactes. » « M. Arago est un homme de parti! » Je suis du parti, heureusement très-nombreux, qui ne veut pas de forts détachés autour de Paris : ce fait est d’une évidence incontestable, Un journal, à mon occasion, a écrit le nom de tribun. Si par là il entend désigner toute personne qui contri- buera de ses efforts à augmenter le bien-être des classes pauvres ; qui regarde comme un devoir sacré de la légis- lature, d'améliorer la position matérielle, morale et in- tellectuelle du peuple, j'accepte la qualification. M. Arago est un ambitieux ! » Lorsque le jésuite Brisacier appela Pascal porte d’en- fer, l'illustre auteur des Provinciales se contenta de répliquer : Mentiris impudentissimè. Comment prouver, en effet, qu’on n’est pas une porte d’enfer ? J'aurais bien pu moi-même me trouver réduit pour toute réponse, au mentiris impudentissimè de Pascal. Les circonstances m'ont heureusement servi de manière à pouvoir aborder nettement le reproche d’ambition. Je pense qu’on accordera d’abord sans difficulté que LES FORTIFICATIONS. 255 si je suis ambitieux, j'ai fait preuve d’une grande mala- dresse. En effet, malgré d’anciennes relations avec la plupart des personnages que les circonstances ont amenés au pouvoir, ni moi, ni aucun des miens n'avons obtenu le plus petit emploi depuis la révolution de juillet. J'ajoute maintenant que nous n’avons absolument rien demandé. M'impute-t-on la soif des richesses, la cupidité? Je réponds que depuis 1830, afin d’avoir plus de temps à donner aux recherches scientifiques, j'ai renoncé à la place de professeur à l'École polytechnique, dont les appointements étaient de 5,000 fr. par an. Veut-on me supposer avide d’honneurs? J'étais mem- bre du conseil général de la Seine, et j'ai donné ma démission ! « Oui, oui, disent les habiles du parti, tout cela ne tire pas à conséquence : M. Arago n’aime point à liarder, il se réserve pour de plus grandes occasions! » Voyons donc comment je fis mes réserves, pendant le déplorable combat du 6 juin 1832, lorsque nous allâmes, MM. Laffitte, Odilon Barrot et moi, remplir auprès du roi une mission dont nos enfants n’auront jamais à rougir. Voici quelles furent mes premières pa - roles : « Notre démarche devant inévitablement amener la demande d’un changement de système, deviendra l’occasion de nouvelles calomnies. J'entends d'ici nos ennemis s’écrier : Vous le voyez! l'opposition n’a qu'un seul but, qu’une seule pensée ; elle veut à tout prix, à toute occasion, s'emparer du pouvoir ; elle est insatiable de places, d’honneurs, de richesses, Je désire, en ce qui 256 LES FORTIFICATIONS. me concerne, échapper une fois pour toutes à ces igno- bles soupçons. Je déclare donc qu’il ne sera au pouvoir de Votre Majesté de rien faire pour moi, ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais; que jamais, et je donne à ce terme son acception la plus étendue, je n’accepterai aucun des emplois grands ou petits dont le gouverne- ment dispose; qu’aussitôt que l’état du pays me per- mettra de quitter honorablement les fonctions de député, je me livrerai sans partage aux travaux scientifiques; or, dans la carrière des sciences, je dois tout attendre de mes propres efforts; le roi des Français lui-même ne pourrait rien faire pour moi!» Au reste, j'aurais mal réfuté les reproches qu’on m’a- dresse; je serais un homme de parti, un tribun, un ambitieux : les Brisacier de notre temps m’appelleraient porte d'enfer, que tout cela ne rendrait pas meilleurs les arguments qu'on a produits en faveur des citadelles; il n’en demeurerait pas moins établi, si ces citadelles se construisaient : Que la ville de Paris, malgré son immense population, malgré ses quatre-vingt mille gardes nationaux, serait livrée, sans aucun moyen de résistance, aux caprices de quelques milliers de soldats; qu’il n’y aurait aucun quartier où les bombes, les obus, les boulets ne pussent porter la destruction et l'incendie; que sans. en venir à de telles extrémités, les garnisons des citadelles rédui- raient Paris, en arrêtant les approvisionnements au passage, en interceptant loute communication avec la campagne ; que dans des temps de révolution, les cita- delles ne seraient pas moins menaçantes pour les gou- LES FORTIFICATIONS. 257 vernants que pour les gouvernés; que si, enfin, des chances malheureuses les faisaient tomber dans les mains des ennemis, ils y trouveraient des moyens d'action qui mettraient en péril le plus précieux des biens, notre nationalité ! V. — LETTRE INSÉRÉE AU ÂVational DU 5 AOUT 18/40. Monsieur le Rédacteur, au moment de quitter la capi- tale pour s’embarquer sur la Brlle-Poule, le général Bertrand déposa dans mes mains la copie ci-jointe de deux pièces présentées par lui au conseil municipal, et dont il prévoyait que la publication pourrait un jour de- venir utile. Les prévisions de mon ami se sont prompte- ment réalisées. En effet, dans les circonstances actuelles, rien, suivant moi, ne serait plus nécessaire que de tra- vailler aux fortifications de Paris. J’appelle ainsi, non pas bien entendu les célèbres forts détachés que la répro- bation populaire a plusieurs fois anéantis dans leur germe; non pas ces redoutes fermées à la gorge, très- éloignées les unes des autres, que chacun, dans son bon sens, jugeait peu propres à arrêter une armée d’inva- sion, mais qui tôt ou tard, au contraire, auraient pu devenir menaçantes pour les libertés nationales; la for- tification dont je veux parler est celle que Vauban, le maître à tous en pareille matière, proposa il y a près d’un siècle et demi ; la fortification que Napoléon voulait faire exécuter : une enceinte continue, bastionnée, hérissée de canons contre l'extérieur, et contre l'extérieur seule- ment. Un travail complet sur cette fortification continue VI, —11r. 17 258 LES FORTIFICATIONS. existe dans les précieux papiers que M. le général Haxo a laissés en mourant. J’en ai vu plusieurs fois les plans et les devis. Il n’y aurait donc qu’à mettre la main à l’œuvre. : Il est vrai que les fronts de fortification, étudiés et dessinés sur le terrain par le célèbre général devaient être revêtus en maçonnerie, comme ceux de Vauban, et que si la guerre éclatait en ce moment on pourrait seule- ment les exécuter en terre; mais je n’hésite pas à l’affir- mer : derrière de simples retranchements gazonnés, bien garnis d'artillerie; derrière des parapets non revêtus, bordant un large fossé susceptible d’être inondé sur une grande étendue de son développement, la garde natio- nale, unie à la vaillante population ouvrière que la capi- tale renferme, déjouerait les efforts des meilleures troupes de l’Europe. Le souvenir des barricades de 1830 ne doit-il pas convaincre les plus incrédules? Le National rendit un véritable service au pays, lors- qu’en 1833 il voulut bien ouvrir ses colonnes aux réflexions techniques que j'avais rédigées contre le projet des forts détachés, sous les inspirations de deux de mes amis, les généraux Haxo et Valazé, dont aujourd'hui plus que jamais nous devons déplorer la mort prématurée, Son ‘ patriotisme ne brillera pas d’un moindre éclat, si, dans les circonstances actuelles, en excitant l’autorité à s’oc- cuper sans retard de l’enceinte continue et bastionnée de la capitale, votre journal éclaire les Parisiens sur l'utilité, sur l’urgence de cette grande opération, Vous ne manquerez pas, monsieur le rédacteur, de faire remarquer aux plus timides, aux personnes que leur LES FORTIFICATIONS. 259 âge, leurs infirmités ou leur sexe retiendraient chez elles en cas de siége, que les fortifications du général Haxo seraient à une grande distance du mur d’enceinte actuel; que, dans certaines directions, elles se trouveraient même au delà de l'emplacement des fameux forts détachés; que les bastions, comme disait Napoléon, «loin d’ap- peler la guerre vers la capitale, l’en éloigneraient ». Vous dissiperez, enfin, les préoccupations de ceux qui ver- raient avec douleur dans la ligne continue projetée, un grave obstacle à l'agrandissement de Paris, en leur disant qu’une ville dont les limites seraient celles des fortifica- tions nouvelles, pourrait contenir largement de deux à trois millions d'habitants. | Veuillez communiquer au public, si cela vous paraît utile, les pièces que je vous adresse, et agréer l’expres- sion de ma haute considération. A MM. les Membres du conseil municipal de Paris. Paris, le 5 juin 1840. Messieurs, dans l’année 1814, avant de quitter Fontainebleau pour se rendre à l’île d’Elbe, l’empereur Napoléon me fit présent du grand nécessaire en vermeil qui faisait partie de ses équipages de campagne, et notamment à Ulm, à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, à Friedland, à l’île de Lobau, à la Moskowa et à Montmirail, Néanmoins l'Empereur a exprimé l'intention, dans son testament, que ce nécessaire fût remis à son fils. Je me serais conformé à ses volontés avec un respect religieux ; mais ayant été malheureuse- ment dans l'impossibilité de le faire, j’offre ce meuble précieux à la ville de Paris, à cette ville qui fut le berceau de la révolution fran- Çaise, dont Napoléon a été le héros. Je saisis Cette occasion, Messieurs, vous qui êtes spécialement chargés de veiller aux intérêts de la capitale, d'appeler votre atten- tion particulière sur une question qui intéresse au plus haut degré et cette ville et la sûreté de l’État. Je veux parler de la fortification de Paris. 260 LES FORTIFICATIONS. Les accroissements successifs de cette grande cité ayant entraîné, à plusieurs siècles de distance, la destruction des divers remparts qui l'ont, à différentes époques, garantie contre les invasions étran- gères, Vauban conçut, il y a plus d’un siècle, le projet d’environner Paris d’une nouvelle enceinte. Napoléon avait souvent réfléchi sur l'utilité dont elle serait pour maîtriser les hasards de la guerre, hasards tels qu’ils ont souvent mis en défaut les combinaisons des plus grands capitaines. En 1814 surtout, dans cette campagne immortelle, bien que ter- minée par une funeste catastrophe, Napoléon, dont tous les mou- vements avaient pour but de couvrir la capitale de la France contre les forces supérieures qui la menaçaient, était presque chaque jour forcé de remarquer que le succès de la campagne dépendait de la conservation, de la résistance de cette ville, dont l'importance immense est incontestable. Une note, que j'ai l'honneur de joindre à cette lettre, contient le récit de quelques incidents de la journée désastreuse qui décida du sort de Paris, lesquels peuvent faire ressortir l'avantage qu’il y aurait à mettre en état de résister à une attaque une cité si intime- ment liée aux destinées de l’empire. Dans l’ouvrage qu’il a publié sur la campagne de 1815, l’Empe- reur à établi qu’on ne pouvait «laisser sans défense immédiate une capitale où est l'élite de la nation, le centre de l’opinion publique, le dépôt de tout ». Il calcule ensuite que l’enceinte de Paris exige- rait quatre-vingts à cent fronts de fortification; une garnison de cinquante à soixante mille hommes, huit cents à mille pièces de canon en batterie. | Fortifier Paris, c’est multiplier en notre faveur les chances de la guerre; c’est obliger l'ennemi à des plans de campagne tout diffé- rents de ce qu’ils seraient si Paris était une ville ouverte. Fortifier Paris, ce n’est pas appeler la guerre dans la capitale, c’est au contraire l’en éloigner. Les avantages que présentent les deux systèmes entre lesquels ont été partagés les opinions des hommes de guerre et du publie, ont fâcheusement donné lieu à des discussions pénibles que je redouterais de voir se renouveler. Mais, s’il est à regretter que nous ayons perdu pendant sept ou huit années un temps précieux, du * moins le temps qui s'écoule affaiblit les souvenirs irritants, et met en garde les hommes sincères, les amis du bien public, contre ce qui pourrait les détourner du véritable intérêt de l’État. Lorsque, à plus d’un siècle de distance, deux hommes, tels que Vauban et Napoléon, l’un le plus grand ingénieur, l’autre le plus LES FORTIFICATIONS. 261 grand capitaine des temps modernes, ont été d'accord sur cette grande question, il semble qu’en pareille matière toutes les opinions doivent céder à de telles autorités. Sans doute, Messieurs, par la nature de vos importantes fonc- tions, vous n’êtes point appelés à prononcer sur des systèmes de guerre; mais quand Napoléon a examiné attentivement et décidé une question militaire, pour tout citoyen comme pour tout soldat, cette question me semble résolue. Au nom des intérêts de cette grande cité, au nom des plus chers intérêts de l’État, je vous en conjure, Messieurs, je supplie mes concitoyens de s'occuper de ce projet, dont l’exécution peut avoir la plus grande influence sur les destinées de la patrie. Veuillez agréer, Messieurs, avec ce vœu tout patriotique, l’expres- sion de mes sentiments de haute considération. Signé : le lieutenant général BERTRAND. De quelques circonstances de la journée du 30 mars 1814 *. Dans la campagne de 1814, après le brillant combat d’Arcis-sur- Aube, du 20 mars, l'Empereur se porta sur les communications des armées coalisées qui marchaient sur Paris. Nos coureurs intercep- tèrent des correspondances, surprirent des détachements, des offi- ciers, un officier suédois arrivant de Londres. Ce mouvement avait jeté le désordre sur les derrières de l'ennemi, où tout était en confusion. Des corps de troupes, des parcs d'artillerie, des bagages repassèrent le Rhin. Le 26, le corps de Witzingerode fut battu près de Saint-Dizier, et son infanterie presque détruite. Après avoir poussé une reconnaissance sur Vitry-le-Français, notre armée revint camper le 27 à Saint-Dizier. Réveillé à deux heures du matin, j’aperçois avec étonnement dans ma Chambre le duc de Vicence. « Comment êtes-vous ici, lui dis-je ; les négociations sont-elles rompues? » Elles l’étaient, en effet. Je me lève à l'instant, je vais réveiller l'Empereur et lui annoncer l’arrivée du duc de Vicence. Le 29, l'Empereur était à Troyes. Le 30, vers huit heures du matin, Napoléon mit ses troupes en marche sur sens, dont nous étions éloignés de quinze lieues. Près du bord de la route un feu de bivac était allumé, et l'Empereur, selon l'usage, regardait passer sa petite armée marchant à grands pas. Son œil s’animait en par- 1. Note annexée à une lettre adressée le 5 juin 1840 aux membres du conseil municipal de la ville de Paris, par le lieutenant général Bertrand. 262 LES FORTIFICATIONS. lant du succès qu’il avait obtenu sur Witzingerode. « A quoi pensez- vous, M. le grand-maréchal ? » me dit l'Empereur, qui me jugeait livré à de tristes réflexions. J’hésitais à parler. Cependant, à cette question réitérée, je répondis que peut-être à l'heure même l’ennemi entrait dans Paris. « Eh bien, nous l’en chasserons, répliqua gai- ment l'Empereur. » Il était dix heures. Napoléon monte à cheval, gagne la tête de la colonne, et, prenant le galop, arrive avec quel- ques officiers et les chasseurs de son escorte les mieux montés, à un village où il fait atteler avec des chevaux de poste deux mau- vaises voitures qui se trouvent là. I1 s’y jette avec les sept ou huit officiers qui ont pu le suivre, et arrive à Sens, escorté seulement de deux ou trois chasseurs montés sur des bidets de poste. Il s’informe à Sens si l'on a des nouvelles de l'ennemi, n’en ap- prend que de fort vagues, et, au risque d’être enlevé par les troupes légères allemandes et russes qui couvrent la campagne, il se dirige sur Paris, dont il était encore éloigné de 27 lieues. Arrivé vers deux heures du matin à la Cour de France, à quatre lieues de Paris, nous apercevons un feu de bivacs : c’étaient quel- ques blessés d’un combat qui s'était livré près de la butte Saint- Chaumont. L'Empereur apprend successivement que nous avons perdu le champ de bataille, que Paris a capitulé, et que l’en- nemi doit occuper le jour même la capitale, à sept heures du matin. Trois heures ont sonné. Il ne reste plus que quatre heures à s’écouler jusqu’au moment fatal. Napoléon veut aller se jeter dans Paris, y faire sonner le tocsin. La banlieue accourra, les faubourgs s’armeront, les troupes et la garde nationale rivaliseront de valeur et d’efforts ; sa présence rani- mera le courage de tous; l'ennemi ne pourra croire que l’Empe- reur soit entré seul dans Paris ; la population même de cette im- mense cité sera quelque temps sans en être informée : quarante-huit heures s’écouleront , la tête de la cavalerie arrivera, et Paris sera sauvé. Cette audace du grand capitaine lui eût probablement réussi. Mais supposons Paris fortifié, en état de résister seulement quelques vingt-quatre heures, tout était changé : la certitude du succès eût remplacé le doute, et nous échappions à l’un des plus grands mal- heurs qui aient jamais affligé la patrie. À Paris, le 5 inin 1840, LES PUITS FORÉS CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION Depuis quelques années les journaux publient fré- quemment des articles relatifs aux puits artésiens que que les administrations publiques et les simples particu- liers font creuser dans diverses parties de l’Europe, au profit de l’agriculture, de la physique et de la géologie. Je me ferai un devoir d'indiquer les résultats bien con- statés qui présenteront quelque nouveauté réelle; mais pour mettre le lecteur en mesure de prononcer lui-même sur ce point, avec connaissance de cause, il m’a paru convenable de jeter d’abord un coup d’æil en arrière, et de rechercher quel est l’état actuel de l’art du fon- tainier-sondeur. Il est juste de faire honneur des progrès récents de cet art, aux Sociétés d'encouragement et d'agriculture de Paris. Ce sont leurs prix, leurs programmes, leurs mémoires , leurs ouvrages, qui ont montré aux autorités et aux simples particuliers, toute l’importance des fon- taines artésiennes. Le public reconnaissant n’oubliera pas non plus, le rôle actif que M. Héricart de Thury a joué, dans cette croisade de la science contre l’igno- rance et l’apathie. En tous cas, j'aurais pu d’autant 264 LES PUITS FORÉS. moins me dispenser de citer ici honorablement cet aca- démicien, que je dois à ses écrits ou à sa bienveillance un grand nombre de documents précieux, CHAPITRE II LES PUITS FORÉS CHEZ LES ANCIENS En forant verticalement le sol, dans certaines localités, jusqu’à des profondeurs suffisantes , on atteint des nap- pes d’eau souterraines qui remontent à la surface le long du canal que la sonde leur a ouvert; ces eaux forment .ouvent des jets abondants et élevés. Des fontaines jail- issantes, creusées de main d'homme, ou même de simples puits d’un faible diamètre, alimentés par des eaux venant d’une grande profondeur, portent le nom de fontaines artésiennes, de puits artésiens, de puits forés. Les puits artésiens sont ainsi appelés, du nom d’une province de France (l’Artois), où l’on paraît s’être le plus spécialement occupé de la recherche des eaux sou- terraines. Il ne faut pas se dissimuler, toutefois, que des puits de cette espèce étaient parfaitement connus des anciens , et qu’ils savaient les construire. Olympiodore rapporte que lorsqu'on a creusé des puits dans l’Oasis, à 200, à 300, et quelquefois jusqu’à 500 aunes de profondeur , ces puits lancent par leurs orifices des rivières d’eau dont les agriculteurs profitent pour arroser les campagnes 1, 1. J'emprunte cette citation à Niebuhr, Olympiodore florissait à Alexandrie vers le milieu du vi siècle, - LES PUITS FORÉS. 265 Dans certaines parties de l'Italie, on faisait aussi, pro- bablement, usage de puits artésiens à des époques très- reculées. Bernardini-Ramazzini nous apprend, en effet, qu’en creusant à travers les décombres de la très-antique ville de Modène, on découvrait quelquefois des tuyaux de plomb qui paraissaient communiquer avec d'anciens puits. Or, quel aurait pu être l’usage de ces tuyaux, si ce n’eût été d'aller chercher à 20 ou 25 mètres de pro- fondeur , c’est-à-dire fort au-dessous des eaux de mau- … vaise qualité et insalubres, résultant des infiltrations locales, la nappe limpide et pure qui alimente toutes les fontaines de la ville moderne ? En France, nous n’avons aucun moyen de remonter aussi haut. Le plus ancien puits artésien connu est, dit- on, de 4196. Il existe à Lillers, en Artois, dans l’ancien couvent des Chartreux. Stuttgard, si je suis bien informé, renferme aussi des puits artésiens d’une date fort ancienne, mais qui ne pourrait être fixée avec précision. Les habitants du désert de Sahara connaissent depuis longtemps les puits artésiens, comme on pourra en juger par le passage suivant des voyages de Shaw : «Le Wad-reag est un amas de villages situés fort avant dans le Sahara... Ces villages n'ont ni sources ni fontaines. Les habitants se procurent de l’eau d’une façon fort singulière. Ils creusent des puits à cent, quelquefois à deux cents brasses de profondeur, et ne manquent jamais d'y trouver de l’eau en grande abon- dance. Ils enlèvent , pour cet effet, diverses couches de sable et de gravier, jusqu’à ce qu’ils trouvent une espèce 266 LES PUITS FCRÉS, de pierre qui ressemble à de l’ardoise, et que l’on sait être précisément au-dessus de ce qu’ils appellent Bahar täht el Erd ou la Mer au-dessous de la terre, nom qu’ils donnent à l’abîme en général. Cette pierre se perce aisé- ment, après quoi l’eau sort si soudainement et en si . grande abondance, que ceux qu’on fait descendre pour cette opération en sont quelquefois surpris et suffoqués (noyés?) quoiqu’on les retire aussi promptement qu'il est possible 1, » Avant son arrivée en France, c’est-à-dire, vers le milieu du xvu° siècle, Dominique Cassini avait fait con- struire, au fort Urbain, un puits foré, dont l’eau jaillis- sait à nu, jusqu’à Cinq mètres au-dessus du sol. Quand cette même eau se trouvait maintenue dans un tube, elle montait au sommet des maisons, Ces détails historiques doivent suffire, je crois, pour nous faire espérer que ceux-là même dont la règle con- stante est de n’accorder leur suffrage qu’à ce qui a vieilli, deviendront aujourd’hui les partisans des puits artésiens. 4, Voyages de Shaw dans plusieurs provinces de la Barbarie et lu Levant, tome I‘ de l'édition française de 1743, p. 125 et 169. £haw était en Barbarie en l’année 1727. Il avertit, dans sa préface, qu’il n’a pas visité lui-même le Wad-reag. Il tenait les détails rap- portés dans le texte, des habitants de ce pays qu’il avait rencontrés dans presque toutes les villes de la côte septentrionale d'Afrique. LES PUITS FORÉS. 267 CHAPITRE III DES PUITS FORÉS DES CHINOIS On dit que les Chinois connaissent aussi les fontaines artésiennes depuis des milliers d’années. Examinons si cette assertion est bien prouvée. M. Dufresse, évêque de Tabraca ( voyez les Nouvelles Lettres Édifiantes, tome 1v), parle de puits forés très- étroits, percés à plusieurs centaines de mètres de profon- deur , situés dans le département de Kia-ting-fou, et qui servaient pour l’exploitation d'eaux salées souterraines. La lettre du missionnaire est du 11 octobre 1804, mais elle ne nous apprend pas à quelle date il faut faire remon- ter la construction de ces puits chinois. Il y a plus, M. Imbert, missionnaire français qui réside encore dans ce pays, a donné une description des puits de Kia-ting- fou, de laquelle on doit conclure que l’eau n’y jaillit pas. «Pour tirer l’eau salée, dit M. Imbert, on descend dans le puits un tube de bambou, long de 24 pieds (8 mètres), au bout inférieur duquel il y a une soupape. Lorsqu'il est arrivé au fond du puits, un homme fort s’assied sur la corde et donne des secousses : chaque secousse fait ouvrir la soupape et monter l’eau. Le tube étant plein, etc. , etc. » (Ce qui suit est relatif au moyen de hisser le bambou jusqu’à l’ouverture du puits, et nous pouvons le sup- primer. ) Il est sans doute présumable qu'un peuple qui va chercher des sources salées par des trous de sonde de 500 à 600 mètres de profondeur, aura quelquefois 268 LES PUITS FORÉS. opéré dans des terrains d’une structure géologique appro- priés à la formation des fontaines jaillissantes ; mais c’est là une simple conjecture. On voit, en tous cas, que les sources de Kia-ting-fou ne peuvent pas, quoi qu’on en ait dit, être rangées dans cette dernière catégorie. CHAPITRE IV D’'OÙ VIENT L'EAU DES PUITS ARTÉSIENS ? Il paraît naturel de supposer que l’eau des puits ordi- naires, des puits artésiens et des sources, n’est autre chose que de l’eau de pluie qui a coulé à travers les pores ou les fissures du sol, jusqu’à la rencontre de quelque couche de terre imperméable. Cette opinion, toutefois, n’a pas été admise de prime abord. Des théories plus savantes l'ont précédée. Ces théories, quoique justement abandonnées aujourd’hui, n’en méritent pas moins, ce me semble, de nous occuper un moment, surtout depuis qu'on a pu en apercevoir quelques réminiscences dans plusieurs des écrits que les succès récents des fontai- niers-sondeurs ont fait naître. On a cru longtemps que l’eau de la mer avait dû nécessairement se répandre, par voie d'infiltration, dans l’intérieur des continents, et qu’à la longue elle y avait formé une nappe liquide, laquelle, défalcation faite des influences capillaires 4, ne pouvait se trouver que sur le 1. Les personnes habituées à ne voir les phénomènes capillaires se manifester dans les cours publics de physique, que par des difré- rences de niveau d’un très-petit nombre de millimètres, s'étonne- LES PUITS FORÉS. 269 prolongement du niveau général de l'Océan. On admet- tait aussi que dans ce long trajet, au travers des circuits sinueux des terres et des roches , l’eau perdait entière- ment sa salure, de telle sorte, qu’en quelque lieu de la terre qu'on creusàt un puits, on devait rencontrer une couche d’eau douce aussitôt que le fond de ce puits était descendu d’une quantité égale à la hauteur du sol de la contrée au-dessus de la mer. Pour renverser entièrement cette hypothèse, on n’est pas réduit aujourd’hui à citer seulement quelques puits isolés sans eau, et dont le fond serait cependant plus bas que la prétendue nappe liquide continentale; on peut parler d’un pays tout entier , de cette portion de la Russie que le Wolga traverse dans la plus grande partie de son cours. Là, une immense étendue de terrain, située beau- coup au-dessous du niveau de la mer Noire, n’est pas inondée , n’est pas même un marécage, ainsi que cela devrait être cependant, si la mer, par une infiltration ront peut-être de la précaution que je prends de faire, à ce sujet, quelques réserves dans la comparaison du niveau général de l'Océan avec celui qu'affecterait le liquide en pénétrant dans les terres par voie d'infiltration; mais leur surprise cessera si elles calculent les effets capillaires pour des tubes d’un diamètre égal aux dimensions présumables des interstices qui règnent entre les molécules de dif- férentes espèces de terrain. Supposons que les lois qui lient les élévations du liquide aux diamètres des tubes capillaires, soient vraies pour toutes les dimensions possibles ; … Dans un interstice de 4 dixième de millimètre, l’eau monterait de 2 décimètres ; Dans du sable fin à interstices de 4 centième de millimètre, l’as- cension de l’eau serait de 2 mètres ; Dans de la marne à interstices de 4 quatre-centième de milli- mètre, la couche que la capillarité mouillerait aurait environ 8 mètres d'épaisseur. 270 LES PUITS FORÉS. séculaire, pénétrait indéfiniment dans l’intérieur des terres. Ç Dans la théorie dont je viens de montrer le peu de fondement, on mettait en jeu un autre élément, la cha- leur centrale, quand il s’agissait, non de l’eau des puits, mais de celle des fontaines, situées à des hauteurs plus ou moins considérables au-dessus du niveau de la mer. C'était alors les vapeurs intérieures qui, seules’ou mêlées à l'air, venaient en se condensant à la surface y entre- tenir une humidité continuelle. Telles étaient, au fond, les opinions professées par Aristote, par Sénèque, par Cardan; je puis même ajouter par Descartes, car voici un passage emprunté textuellement à ce grand philo- sophe : «Les eaux pénétrèrent par des conduits souterrains jusque au-dessous des montagnes, d’où la chaleur qui est dans la terre, les élevant comme en vapeur vers leurs sommets, elles y vont remplir les sources des fontaines et des rivières. » Cette conception, dans laquelle le globe devient une. sorte d’alambic, et sa couche terreuse extérieure une éponge; cette conception, dis-je, qu’on a tant reproduite depuis Descartes, à l’exclusion de l’idée, si simple, qui conduit à chercher l’origine des sources dans les eaux pluviales, est trop compliquée pour qu’il ne soit pas natu- rel de croire qu’elle naquit de la nécessité d'expliquer quelque expérience inexacte ou mal comprise. On va voir, en effet, que telle est son origine, que telle est, aumoins, la circonstance qui lui a valu une certaine faveur. Sénèque rapporte, dans ses Questions naturelles, que LES PUITS FORÉS. 271 la pluie, quelque abondante qu’elle soit, ne pénètre jamais dans la terre à plus de 3 mètres un quart (10 pieds) de profondeur. Il dit s’en être assuré par des fouilles faites avec soin. Est-il besoin de chercher main- tenant pourquoi l’on a cru devoir recourir à des vapeurs intérieures , lorsqu'il a fallu expliquer comment des fon- taines, situées fort au-dessus du niveau de la mer, ont leur origine, leur source sous une grande épaisseur de terrain ? D'après les expériences de la plupart des physiciens modernes qui se sont occupés de ce genre de recherches, la perméabilité des terres serait encore inférieure à la limite posée par Sénèque. Ainsi Mariotte admet que les terres labourées ne se laissent pénétrer par les plus fortes pluies d'été, que de 16 centimètres (6 pouces); ainsi Lahire a reconnu qu'à travers la terre recouverte de quel- ques herbes, la pénétration n’a jamais lieu jusqu'à 65 centimètres (2 pieds) ; ainsi, d’après le même observa- teur, une masse de terre nue de 2 mètres 60 centimètres (8 pieds) d'épaisseur n'avait pas, après une exposition de quinze années à toutes les intempéries atmosphériques, laissé passer une seule goutte d’eau jusqu’à la plaque de plomb qui la supportait; ainsi Buffon ayant examiné dans un jardin, un tas de terre de à mètres de haut qui était resté intact depuis plusieurs années, reconnut que la. pluie n’y avait jamais pénétré au-delà de 4 mètre 30 cen- timètres (4 pieds) de profondeur. | Ces diverses observations seraient d’une grande portée dans la question de l’origine des fontaines jaillissantes, si la surface du globe était couverte partout d’une couche 272 LES PUITS FORÉS. . de terre végétale de quelques mètres d’épaisseur ; mais personne n’ignore que, sur beaucoup de points, le terrain supérieur est du sable , et que le sable se laisse traverser par l’eau comme un crible; que, sur un grand nombre d’autres points, les roches se montrent à nu, et qu'un liquide circule dans leurs fissures, dans leurs interstices, assez librement. J’apporterai, d’ailleurs, en preuve de la dernière assertion, cette observation constante des mineurs, de ceux du Cornouailles surtout, que dans les mines situées au milieu de certains calcaires, l’eau aug- mente dans les galeries les plus profondes, peu d'heures après qu’il a commencé à pleuvoir à la surface de la terre, Je pourrai citer encore les sources qui, sur nos côtes maritimes , jaillissent, à toutes les hauteurs, des falaises verticales de calcaire crayeux, et dont la force, de même, croit beaucoup immédiatement après la pluie. L'argument sur lequel se fondaient principalement, ceux qui se croyaient obligés de chercher l'origine des eaux souterraines , dans la précipitation qu’auraient éprouvée des vapeurs aqueuses très-chaudes, venant des régions centrales au moment de leur contact avec les cou- ches terrestres froides, voisines de la surface, était tiré d’un fait bien digne d'examen : je veux parler.de la pré- tendue existence de sources assez abondantes au sommet, au point culminant de quelques montages. Notre petit Montmartre lui-même figura dans cette polémique. Il y avait, en effet, sur ce monticule, une fontaine (peut-être existe-t-elle encore) qui n’était guère qu'à 16 mètres (50 pieds) au-dessous de sa partie la plus haute. Aucune eau, disait-on, ne peut alimenter constamment une source LES PUITS FORÉS. 273 ainsi placée, à moins qu’elle ne vienne d’en bas à l’état de vapeur. Toute vérification faite, cependant, il se trouva que la portion de Montmartre supérieure à la fontaine, et qui pouvait conséquemment lui transmettre ses eaux par voie de simple écoulement intérieur , avait environ 585 mètres de long sur 195 mètres de large. Or, le volume moyen de pluie qui tombe à Paris sur une pareille étendue de terrain , entre le 1% janvier et le 31 décembre, sur- passe de beaucoup la quantité d’eau que débitait annuel- lement la petite source en question. Il fallait donc aller chercher la difficulté sur un autre point. On crut l'avoir trouvée dans une localité peu éloignée de Dijon ; là, également, malgré les apparences , les eaux pluviales, reçues sur la portion de terrain qui dominait la source, pouvaient amplement suflire à son alimen- tation. | On a cité aussi le célèbre mont Ventoux du départe- ment de Vaucluse où il existe une source, la Font-Feyole, à 1754 mètres d’élévation. Mais le sommet de la mon- tagne est de 200 mètres plus élevé ; or, tant qu'on n’a pas comparé exactement la quantité de pluie, de rosée et de neige qui tombe sur la partie du mont Ventoux, plus haute que Font-Feyole, à la quantité d’eau que cette fontaine fournit annuellement, la citation est évidemment sans valeur. Au surplus, il eût suffi d’une seule remarque pour réduire au néant les spéculations théoriques que nous venons d'examiner en détail : c’est qu’à l’époque des grandes sécheresses, presque toutes les fontaines devien- VL.— 111. 18 974 LES PUITS FORÉS. nent moins abondantes, et qu’un grand nombre d’entre elles cessent même alors entièrement de couler, quoique les vapeurs centrales dussent s'élever et se résoudre en eau comme à l’ordinaire. Une expérience vraie, mais indûment généralisée , sur le peu de perméabilité de quelques-unes des matières dont se compose l'écorce de notre globe, a seule procuré une longue existence à la théorie qu’Aristote, que Sénèque, que Descartes avaient donnée à l’origine des fontaines élevées. Des idées vraiment fantasques { sur les produits annuels de certaines eaux courantes, et l'ignorance où l’on était touchant la quantité de pluie, de rosée et de neige qui tombent dans chaque climat, avaient amené à faire jouer aussi le principal rôle aux vapeurs intérieures dans la formation des rivières et des fleuves. Aïnsi, par exemple , on ne croyait pas que le bassin de la Seine, et j'appelle ainsi toute la portion du territoire de la France dont les cours d’eau, grands ou petits, vont se déverser dans cette rivière , reçût annuellement, par la pluie, une quantité d’eau égale au tribut que la Seine porte à la mer dans le même espace de temps. Perrault et Mariotte, les premiers, étudièrent la question en s'appuyant sur l’ex- 4. Ce mot ne paraîtra pas trop fort, si je dis que dans'un livre dont Newton consentait à devenir l'éditeur, que dans la Géographie de Bernard Varenius, ouvrage qui, à la fin du xvu siècle, servait de guide aux étudiants de l’Université de Cambridge, on disait, par exemple, chapitre xvi : « Les rivières du premier ordre produisent une si grande quan- tité d’eau, que ce que chacune d'elles en porte à la mer en un an, excède la grosseur de toute la terre ! telle est l’eau que le Wolga jette dans la mer Caspienne; de sorte qu’il est absolument néces- saire que l’eau passe incessamment de la mer dans la terre, etc. » LES PUITS FORÉS. 275 périence, et ils trouvèrent, comme c’est l’ordinaire en pareil cas, que les conceptions vagues de leurs prédé- cesseurs étaient précisément l'opposé de la vérité. Suivant Mariotte, la Seine ne versait chaque année dans la mer, que la sixième partie de la quantité d’eau qui tombe sur toute l'étendue de son bassin à l’état de pluie, de neige et de rosée. Les autres cinq sixièmes devaient, ou s’éva- porer pour former les nuages, ou imbiber les terres superficielles dans lesquelles les plantes trouvent leur nourriture, ou pénétrer par les fissures des roches jus- qu'aux réservoirs intérieurs d’où sortent les fontaines. Les calculs de Mariotte ont été refaits récemment d’après des données plus exactes , surtout en ce qui concerne le jaugeage de la Seine. Avant de donner les résultats qu’on a obtenus, je dirai quelques mots touchant les données météorologiques sur lesquelles s’appuient ces calculs. On peut évaluer fort exactement, par des mesures directes, la quantité de pluie qui tombe sous chaque lati- tude et dans chaque localité. En faisant fondre la neige dans l’udomètre avant qu’elle ait eu le temps de s’éva- porer, on détermine aussi avec précision, quel volume de liquide elle représente. D'ailleurs, d'anciennes expé- riences, assez souvent répétées, permettent pour ainsi dire d'opérer cette transformation à vue. Quand la neige est tombée en gros flocons, si l’on mesure sa profondeur avant qu'aucun tassement se soit opéré, il faut compter qu'au dégel la hauteur de liquide qui en résulterait, si le sol était imperméable et horizontal, ne serait guère que la dixième partie de la hauteur originaire de la neige. La neige fine est sensiblement plus dense : en se liqué- 276 S LES PUITS FORÉS. fiant sa hauteur se réduit au cinquième. Enfin, dans la neige tassée naturellement, cette réduction de hauteur, au moment du dégel, est des deux tiers, L'eau provenant de la grêle pourrait être ordinaire- ment négligée ; mais comme il grêle rarement sans pluie, l’udomètre fournit le liquide des deux météores réunis. Reste donc à évaluer la quantité de rosée. Dalton porte à un décimètre environ l’épaisseur de la couche d’eau dont la rosée peut recouvrir annuellement notre globe. Ce résultat est déduit d’une expérience de Hales qui pouvait être légitimement généralisée lorsqu’on croyait que la rosée tombait à la manière de la pluie ; mais depuis la publication de l'ouvrage de Wells, depuis qu'on sait que la rosée ne tombe pas, que l’air vient la déposer sur des surfaces préalablement refroidies à raison de leur communication rayonnante avec les espaces célestes, que la nature des corps, leur exposition et la pureté du ciel exercent sur Ce phénomène la plus grande influence, tout le monde doit concevoir qu'une détermination, même assez grossière, de la quantité de rosée qui est déposée annuellement dans chaque pays, serait un des problèmes les plus compliqués de la physique. Dalton a trouvé que la terre de jardin saturée d’humi- dité contient en volume ses sept douzièmes d'eau. Le quart et même la moitié de cette eau peuvent disparaître sans que la terre devienne impropre à la végétation. Il paraît qu’en chaque pays la couche que l'évapora- tion enlève annuellement aux nappes d’eau, a une épais- seur peu différente de celle que la pluie leur restitue. Les expériences auraient toutefois besoin d’être répétées avec LES PUITS FORÉS. 277 des vases beaucoup plus grands que ceux dont les météo- rologistes se sont servis jusqu'ici. Des observations faites il y a près d’un siècle par Bazin, donnaient pour l’éva- poration de la terre imbibée d’eau, une quantité supé- rieure à celle que fournissait l’eau pure. Ce résultat semble peu naturel, mais en de pareilles matières c’est à l'expérience à prononcer définitivement. | Je termine par une remarque de Leslie, qui, sans dou ajouter à nos connaissances encore si imparfaites sur les! causes de l’évaporation, nous signale dans ce phénomène un développement de force mécanique dont l’immensité frappe l'imagination, surtout lorsqu'on réfléchit à la ma- nière silencieuse avec laquelle la nature l’opère. Supposez que l’eau enlevée annuellement au globe par voie d’évaporation, soit égale, en chaque climat, à la quantité de pluie qui y tombe. Cette eau évaporée se dissémine dans l'atmosphère à toutes les hauteurs. On opérera une sorte de compensation entre les extrêmes de ces mouvements ascensionnels, en concevant par la pen- sée que l’eau évaporée s’est élevée ou s’est arrêtée tout entière à une certaine hauteur moyenne. L’évaporation annuelle se trouvera ainsi représentée dans ses effets mécaniques, par une masse d’eau connue élevée vertica- lement d’un nombre également connu de mètres. Mais le travail qu’un homme peut faire dans l’année, en éle- vant de l’eau durant chaque jour à la hauteur d’un mètre, a été déterminé; eh bien, la comparaison des deux résultats montre que l’évaporation représente le travail de 80 millions de millions d'hommes. Supposez que 800 millions soit la population du globe; que la moitié 278 LES PUITS FORÉS. seulement de ce nombre d'individus puisse travailler, et la force employée par la nature dans la formation des nuages, sera égale à deux cent mille fois le travail dont l'espèce humaine tout entière est capable, Examinons maintenant quelles sont exactement les quantités d’eau rejetées par les fleuves dans l'Océan. On possède sur cette question d'excellents travaux dus à M. Dausse, à M. Lortet, et à plusieurs autres ingénieurs ou météorologistes, Le bassin de la Seine (nous le terminerons à Paris , puisqu'il sera aisé de jauger les eaux qui passent sous l’un des ponts) a 4,327,000 hectares de superficie. L'eau qui tombe dans ce bassin, si elle ne s’évaporait pas, sielle ne pénétrait pas dans le sol, si le terrain était partout horizontal, y formerait , au bout de l’année , une couche liquide de 53 centimètres de hauteur. Il est facile de voir qu'une pareille couche se composerait en volume de 22,933 millions de mètres cubes d’eau. Voici les quantités d’eau qui ont passé en une seconde sous les ponts de Paris, à diverses reprises : Point le plus bas où la Seine ait jamais été observée (1767 et 1803)......... 75 mètres cubes. Basses eaux moyennes sous les arches du, PoREROVAl cine nn bee à 111 — Hauteur moyenne des eaux...,....,... 246 _ Crue du 3 janvier 1802...,....:...... 4,141 — Plus grande crue mentionnée (1615)... 1,400 _ Ainsi, pendant la forte crue de 1615, la Seine roulait un volume d’eau près de vingt fois plus grand qu’au plus bas étiage de 1767 et de 1803. LES PUITS FORÉS. 279 Au pont de la Révolution, le débit moyen de la Seine est de... 9255 mètres cubes par seconde, ou de... 22 millions de mètres cubes par jour. ou de... 8042 millions de mètres cubes par an. Ce dernier nombre est à 22,933 millions de mètres cubes , pluie annuelle du bassin de la rivière, comme 100 à 285, ou presque comme À à 3. Ainsi, le volume d’eau qui passe annuellement sous les ponts de Paris, n’est guère que le tiers de celui qui tombe en pluie dans le bassin de la Seine. Deux tiers de cette pluie, ou retour- nent dans l’atmosphère par voie d’évaporation, ou entretiennent la végétation et la vie des animaux, ou s’écoulent dans la mer par des communications souter- raines 1, | Les autres fleuves principaux roulent les quantités d’eau suivantes : 4. Il existe près de la Cour de France, sur la route de Fontaine- bleau, dans un endroit nommée Rungis, une source abondante dont les eaux réunies dans un canal souterrain construit avec beaucoup de soin, vont, après avoir traversé l’aqueduc d’Arcueil, tomber dans le réservoir du Château d’eau, à côté de l'Observatoire, pour être ensuite distribuées dans divers quartiers de la capitale. La Hire portait à 50 pouces de fontainier le produit habituel de cette source. Suivant lui, « l’espace de terre d’où l’eau peut venir, n’est pas assez grand pour alimenter une semblable source en ramassant l’eau de la pluie, quand il ne s’en dissiperait point ». Mais cette assertion n’étant accompagnée d'aucun calcul précis sur l’espace de terre et sur la pluie annuelle, rentre dans la classe des aperçus vagues dont la science ne doit aujourd’hui tenir aucun compte. Au surplus, rien n’empêcherait, si c'était nécessaire, d'admettre la réponse qu’on faisait à La Hire dès 1703, à savoir que la source de Rungis est ali- mentée, en partie du moins, par des canaux souterrains ayant leur point de départ fort éloigné, c’est-à-dire à la manière de la g'apert des fontaines artésiennes, 280 LES PUITS FORÉS. A l'étiage. A l’état moyen des eaux. mètres cubes. mètres cubes, La Garonne, à Toulouse........ 60 150 La Saône, à Lyon.......... Sets 60 250 Le Rhône, à Lyon, en amont de le SÛRS. ccm sesaut à sens! ::: 20 _ 650 Le Rhône, à Lyon, après avoir POOU'IR SAONG,. eee es 310 900 Le Rhône, par ses deux embou- | chures, verse à la mer...... ” 2,200 Le Rhin, au pont de Kehl, vis- à-vis Strasbourg. ....... 51/7. 908 960 À la frontière de France, au delà de Sierck, les eaux étant dans leur hauteur moyenne, la Moselle débite 86 mètres cubes d’eau par seconde. Aïnsi cette rivière qui, à Metz, se partage en tant de bras, n’est guère de le tiers de la Seine au Pont-Royal. D’après M. Lortet, le volume d’eau débité en un an, à l'issue inférieure de chaque bassin, étant réparti sur toute sa surface, y formerait au bout de l’année une couche liquide de 17 centimètres de hauteur pour la Garonne, de 10 pour la Saône, de 43 pour le Rhône, de HA pour le Rhin, nombres qui sont de 2 à 9 plus faibles que ceux qui représentent la pluie tombée. Ces exemples suffiront, je pense, pour montrer com- bien peu les rivières elles-mêmes, quand on les étudie attentivement, justifient les systèmes des anciens physi- ciens. Les abondantes nappes liquides qu'elles roulent sans cesse de l’intérieur des continents vers la mer, sont partout une très- petite partie de la masse des eaux pluviales annuelles qui tombent sur les contrées envi- ronnantes. Il n’y a donc ici, non plus que pour les fontaines, aucune raison plausible d’assigner un rôle à LES PUITS FORÉS. 284 des vapeurs centrales dans l'explication des phénomènes. Cette discussion numérique servira également à réfuter ceux qui, récemment, se sont avisés de chercher les eaux des fontaines artésiennes dans des bassins intérieurs où se serait réunie la masse liquide qui tenait jadis les ter- rains de sédiment en suspension ou en dissolution. Une pareille hypothèse ne mériterait évidemment quelque attention , qu’au cas où il serait prouvé, d’une part, que les eaux pluviales sont trop peu abondantes pour expli- quer les phénomènes des sources , et de l’autre, que ces mêmes eaux ne pénètrent pas dans l'écorce de notre globe jusqu’à de grandes profondeurs. Or, d’après ce qui pré- cède, chacun doit savoir à quoi s’en tenir sur ces deux points. Aussi, en consacrant quelques mots à cette nou- velle théorie, je voulais surtout trouver une occasion de rassurer les personnes qui, se préoccupant de l’épuise- ment prochain des prétendus bassins antiques où des eaux seraient restées stationnaires pendant des milliers d'années, voyaient déjà toutes les fontaines artésiennes tarir les unes après les autres. S'il est établi, au contraire, que ces fontaines sont alimentées par les eaux atmosphé- riques, leurs intermittences seront exclusivement liées à celles de la pluie, de la neige, de la rosée, de l’évapo- ration. Je fais abstraction des tremblements de terre qui, en disloquant violemment les couches minéralogiques de l’é- corce du globe, en les rompant çà et là, peuvent, dans quelques localités, changer la position et la force des nappes d’eau souterraines. La possibilité de ces secousses n'empêche point de bâtir chaque jour des maisons; elle 282 LES PUITS FORÉS. ne doit pas détourner davantage de construire des puits artésiens,. CHAPITRE V DE QUELLE MANIÈRE LES EAUX PLUVIALES PEUVENT-ELLES EXISTER OU CIRCULER DANS LES TERRAINS DE DIVERSES NATURES DONT L'ÉCORCE DU GLOBE EST FORMÉE ? L'écorce minérale et solide du globe, n’a pas été engendrée d’un seul jet. La formation des diverses roches, des divers terrains dont elle se compose, remonte à des époques différentes que la géologie est parvenue à carac- tériser par des signes non équivoques. Il est bon d’aver- tir, toutefois, que plusieurs des productions que la science regarde aujourd’hui comme contemporaines, diffèrent beaucoup entre elles par leur nature intime et par leur aspect extérieur. Le but que je me propose ne m’obligera de distinguer ici que trois espèces principales de terrains superposés, comprenant, chacune, plusieurs variétés; ce sont, en allant de bas en haut, en allant de l’ancien au moderne, les terrains primitifs et de transition; les terrains secon- daires; les terrains tertiaires. $ 1. — Terrains primitifs. Les terrains primitifs sont peu et rarement stratifés 1, 1. Cette proposition n’excitera aucune surprise dans l'esprit de ceux-là mêmes qui ont examiné avec attention des terrains schis- teux, dès qu’ils se donneront la peine de bien réfléchir sur la diffé- rence essentielle qui existe entre des roches feuilletées et des roches stratifiées, LES PUITS FORÉS. 283 C’est même encore, il faut le dire, une question pour des naturalistes très-habiles, que celle de savoir si le granite offre quelque part une stratification réelle. Les fentes, les fissures des roches granitiques ; les crevasses qui séparent . chaque masse de la masse contiguë, ont, en général peu de largeur, peu de profondeur, et communiquent rare- ment entre elles. Dans les terrains primitifs, les eaux d'infiltration ne doivent donc avoir que des trajets sou- terrains très-bornés ; chaque filet liquide achève son cours pour ainsi dire isolément et sans se fortifier par l'addition de filets voisins. L'expérience montre, en effet, que dans les terrains de cette espèce, les sources sont très-nombreuses, très-peu abondantes, et qu’elles sour- dent à de faibles distances de la région dans laquelle l’infiltration des eaux pluviales s’est opérée. On cite trois puits forés exécutés dans le granite aux environs d'Aberdeen, en Écosse; mais, d’après une lettre que m’a écrite M. Robinson, secrétaire de la Société royale d'Édinburgh, ces puits creusés près de la mer ont fourni un volume d’eau considérable lorsqu'on a traversé un lit mince de sable et de gravier; bien que le forage ait été continué à une profondeur beaucoup plus grande, on n’a aperçu aucune augmentation dans le débit de l’eau. 8 2. — Terrains secondaires. I! serait superflu de faire ici l’'énumération détaillée des diverses espèces de roches dont se composent les terrains secondaires. Nous nous contenterons de dire que ces terrains ont, en général, la forme d’immenses bassins, | 284 LES PUITS FORÉS. c'est-à-dire qu'après avoir été presque de niveau dans une grande étendue, ils se relèvent de manière à circon- scrire la partie horizontale dans une enceinte de collines ou de montagnes. Nous ajouterons que les roches secon- daires sont disposées par couches; que certaines de ces couches , d’ailleurs fort épaisses , se composent de sables en partie désagrégés et très-perméables ; qu’en se relevant vers les extrémités des bassins, ces couches perméables se présentent à nu sur les flancs des collines ou des mon- tagnes ; que les eaux pluviales peuvent, par infiltration, y aller former des nappes liquides continues; que ces nappes, lorsque les couches ont une forte déclivité, ne sauraient manquer de se mouvoir avec vitesse vers les parties basses ; que dans leur marche, les eaux courantes entraînant peu à peu le sable, et même des portions des roches environnantes, des rivières souterraines doivent remplacer certaines parties du massif originaire, et opérer de grands vides là où primitivement tout se touchait. Parmi les terrains secondaires, il en est un, le calcaire crayeux , qui est sillonné dans tous les sens par des mil- lions de fissures. Il semble donc que les eaux pluviales doivent pouvoir le traverser avec facilité et circuler dans sa masse jusqu'aux plus grandes profondeurs, & 3. — Terrains tertiaires. Les terrains tertiaires sont stratifiés, c’est-à-dire, com- posés d’un nombre plus ou moins considérable de couches superposées, et séparées les unes des autres, à la manière LES PUITS FORÉS. 285 des assises d’un mur, par des joints nets et bien tranchés. Ces terrains, comme les terrains secondaires, affectent, ên général, la forme de bassins; mais de bassins de dimensions ordinairement moins étendues. Il ne faut pas oublier que cette forme résulte du redressement des cou- ches. C’est en se redressant aussi que les éléments con- stitutifs des terrains tertiaires ont formé la bordure de _ coteaux et de collines qui les enceignent. Dans l’acte du redressement de la masse totale de ces terrains ?, toutes ces couches, le plus ordinairement, se déchirent, se brisent, se morcellent ; il en résulte qu’elles sont à nu, qu’elles se montrent au jour sur les flancs et les sommets des collines. On se représentera avec une exactitude suffisante le phénomène dont je désire donner ici une idée, en pliant en dos d'âne dix ou douze feuilles superposées de papier. Sous cette forme, comme lors- qu’elles étaient planes, la feuille supérieure cache toute la seconde ; celle-ci la totalité de la troisième, et ainsi de suite : mais déchirons le groupe vers le sommet de la pro- 4. La plupart des bassins secondaires ou tertiaires ont réellement pour origine le redressement des couches qui avaient été déposées horizontalement; mais quelquefois aussi le dépôt secondaire ou tertiaire s’est formé dans un bassin préexistant et borné par des massifs d’une plus grande ancienneté. Dans ce dernier cas, les couches diverses des terrains modernes se prolongent horizontale- ment jusqu’à la rencontre des roches anciennes qui les enferment comme dans un cirque. La couche supérieure est seule visible; elle seule reçoit directement la pluie : les eaux pluviales ne peuvent arriver aux parties inférieures du massif qu’à travers les fissures des couches qui le recouvrent, conditions peu favorables à la for- mation des nappes liquides souterraines, du moins quand on les compare à Celles qui existent dans les bassins dont la bordure se compose de couches redressées, 286 LES PUITS FORÉS. tubérance; traçons-y un sillon plus ou moins large, d’une profondeur au moins égale à l'épaisseur des dix ou douze feuilles réunies, et chacune de ces feuilles deviendra visi- ble, et chacune sera exposée directement aux météores atmosphériques. = Dans la série de couches (j'allais dire de feuillets) de diverses natures, qui, rangées en tout lieu, suivant un ordre constant, composent les terrains tertiaires, se trou- vent, à plusieurs étages, des couches de sables perméa- bles. Ces couches, les eaux pluviales doivent les parcourir, d’abord, dans la partie très-inclinée, en vertu de la pesanteur du liquide ; ensuite, dans les branches horizon- tales, à raison de la pression exercée par l’eau que les portions relevées des couches n’ont pas encore. laissé écouler. Il faut donc s'attendre, en chaque localité, à trouver au sein du massif tertiaire autant de nappes liqui- des souterraines qu’on y comptera d'étages distincts de couches sablonneuses reposant sur des couches. imper- méables, Sous le rapport de la manière d’être ou du gisement des eaux, les terrains secondaires et tertiaires peuvent donc être assimilés entre eux, quels que soient d’ailleurs les puissants motifs qu’ont eus les géologues, pour les séparer à d’autres égards. Il ne nous serait permis de signaler ici, entre ces deux classes de terrains, qu'une seule différence sur laquelle M. Jules Burat a déjà fixé l'attention des praticiens, dans l’excellent mémoire qu’il a publié sur les puits artésiens : c’est que dans les terrains secondaires les phénomènes se passent sur une plus grande échelle, à raison de la prodigieuse épaisseur des couches, LES PUITS FORÉS. 287 de leurs alternances moins fréquentes, et de la force des cours d’eau inférieurs. C’est ainsi qu’on explique encore comment les sources naturelles des terrains secondaires, sont à la fois si rares et si abondantes, Parcourons , au surplus, une à une, les conséquences que nous avons tirées de la forme et de la nature des deux espèces de terrains stratifiés, et voyons si l'observation les confirme. $ 4. — L'eau circule facilement à toutes les profondeurs, dans la masse du calcaire crayeux. Pour le prouver, je n’aurai qu’à citer les jets liquides qu'on voit, à toutes les hauteurs, s’élancer par les fissures qui sillonnent les falaises des caps Blanc-Nez et Gris-Nez, dans le département du Pas-de-Calais. Là, on peut le dire, la nature est prise sur le fait. En France, on a trouvé une abondante nappe d’eau sous la craie, aux environs de Tours et à Elbeuf, Tel a été aussi le résultat de la perforation de cette nature de terrain qui a été exécutée en 1836 à Southampton. Il semble donc qu’on puisse aujourd’hui affirmer, sans trop de risque de se tromper, que la formation crayeuse est, en tout lieu, séparée par une puissante couche d’eau, de la formation qui la supporte. La question de savoir si cette eau jaillira à la surface, doit être résolue par une opération de nivellement : il faut, pour cela, connaître la hauteur de la région où la craie et la formation sous- jacente se présentant à la surface de la terre par leur tranche, permettent aux eaux pluviales de couler*entre les deux. Ce point une fois éclairci, l'opération du forage 288 LES PUITS FORÉS. peut-être continuée en toute sûreté. Quand la craie n’est pas épaisse, on se procure beaucoup d’eau à peu de frais. Si l'épaisseur, au contraire , est considérable, on sera amplement dédommagé du surcroît de dépense, car l’eau venant d’une grande profondeur, aura, comme nous le verrons, une température très-élevée, et pourra servir à une multitude d’usages économiques, dont nous donne- rons l'indication dans un chapitre de cette Notice. 8 5.— 11 y a dans les terrains stratifiés de grands vides, de grandes cavernes. Quand on a été témoin des artifices compliqués que les hommes sont obligés de mettre en œuvre, pour exécuter, même sous de petites dimensions, des arceaux et des voûtes capables de résister à de très-fortes charges, on est peu enclin à supposer que les entrailles de la terre puissent renfermer de grandes voûtes naturelles; mais qu'importe cette disposition de notre esprit, lorsque, à chaque pas, les faits viennent en foule nous détromper. Tout le monde n’a-t-il pas entendu parler du fameux rocher de Torghat, en Norvège, qui est percé d’outre en outre d’une ouverture rectiligne de 49 mètres de haut sur près de 1000 mètres de long. Que sont les voûtes construites de main d'homme à côté de celle-là ? La caverne du Guacharo, située dans la vallée de Caripe, du Nouveau-Monde, et dont mon illustre ami, Alexandre de Humboldt, a donné une description si intéressante, a pour entrée une voûte de 23 mètres et demi (72 pieds) de large, percée dans la face à pic d’un immense rocher de l’espèce particulière de calcaire secon- LES PUITS FORÉS. 289 daire qui est connue sous le nom de calcaire du Jura. Cette caverne conserve toutes les dimensions de la voûte : d'entrée et une direction constante, dans une longueur de 172 mètres (1453 pieds). La superstition des Indiens n’a pas permis de s’y avancer au delà de 800 mètres, comp- tés à partir de l'ouverture. Une rivière de 40 mètres (30 pieds) de large, la parcourt dans toute cette étendue déjà visitée de 800 mètres. La caverne d’Adelsberg, en Carniole, dans laquelle la rivière Poick s’engouffre, et où ses eaux se perdent et renaissent à plusieurs reprises, a déjà été visitée par les curieux dans une étendue de plus de deux lieues. Un grand lac qui ne pourrait être traversé qu’en bateau, a empêché jusqu'ici de pousser l'exploration plus loin. S'il faut en croire les récits des derniers voyageurs, plusieurs des nombreux compartiments dont cette caverne se com- pose, surpassent en longueur, en largeur et en élévation les plus grandes cathédrales, Les formations gypseuses offrent aussi des enfilades de grottes liées entre elles par des couloirs plus ou moins étranglés et qui embrassent, quelquefois, des espaces immenses. En Saxe, la grotte de Wimalborg communique avec la caverne de Cresfeld qui en est éloignée de plu- sieurs lieues. Comme exemple remarquable de solution de continuité verticale dans un terrain naturel, on cite, d’après Pon- toppidan, certain trou peu éloigné de Fréderikshal en Norvège, et dans lequel la chute d’une pierre paraît durer deux minutes. Si l’on pouvait supposer que cette chute s'opère tout d’un trait; que la pierre ne ricoche pas, VE — 11. 19 290 LES PUITS FORÉS. qu’elle ne s'arrête jamais tantôt sur une saillie des parois du trou et tantôt sur une autre, les deux minutes en ques- tion, donneraient , pour la profondeur totale du trou de Fréderikshal, au delà de 4000 mètres, c’est-à-dire, 800 mètres de plus que la hauteur de la plus haute cime des Pyrénées. $ 6. — Il existe dans les terrains stratifiés d'immenses nappes d’eau souterraines. Quel autre nom donner, par exemple, au réservoir où sans relâche, je veux dire en toute saison, s’alimente la fontaine de Vaucluse. À sa sortie des rochers sou- terrains qui lui ont donné passage, cette source forme une véritable rivière (la Sorgue). Quand elle est le moins abondante, son produit se monte cependant encore, d’après les jaugeages de M. J. Guérin, à 4h44 mètres cubes d’eau par minute. A l’époque des plus fortes crues, elle fournit, dans le même temps, une quantité de liquide trois fois plus grande qu’à l’étiage, ou 1,330 mètres cubes. Dans son état moyen, l'observation donne 890 mètres cubes par minute : près de 1,300,000 mètres cubes par jour, et 468 millions de mètres cubes en une année. Ce dernier nombre, pour le dire en pas- sant, est à peu près égal à la quantité totale de pluie qui, dans cette région de la France, tombe chaque année, sur une étendue de 30 lieues carrées !, 4. Après les grandes averses, lorsque la crue de la fontaine de Vaucluse s'opère très-rapidement, ses eaux n’ont pas leur limpidité ordinaire. C’est donc, en définitive, l’eau de la pluie, perdue dans des fissures, que cette source ramène au jour. Nos informations ne vont malheureusement pas plus loin. On a prétendu récemment que LES PUITS FORÉS. 291 L'exemple le plus frappant que l’on puisse citer d’une nappe d’eau souterraine à niveau variable, est celui du lac de Zirknitz, en Carniole. Ce lac a environ deux lieues de long sur une lieue de large. Vers le milieu de l'été, si la saison est sèche, son niveau baisse rapidement, et en peu de semaines il est complétement à sec. Alors on aperçoit distinctement les ouvertures par lesquelles les eaux se sont retirées sous le sol, ici verticalement, ailleurs dans une direction latérale vers les cavernes dont se trouvent criblées les montagnes environnantes. Immé- diatement après la retraite des eaux, toute l’étendue de terrain qu’elles couvraient est mise en culture, et au bout d’une couple de mois, les payans fauchent du foin ou moissonnent du millet et du seigle, là où quelque temps auparavant ils pêchaient des tanches et des bro- chets. Vers la fin de l’automne, après les pluies de cette saison, les eaux reviennent par les mêmes canaux natu- rels qui leur avaient ouvert un passage au moment de leur disparition. L'ordre que je viens d’assigner aux inondations et à la retraite des eaux, est l’ordre moyen ou normal. Les irrégularités atmosphériques le troublent souvent. Il suffit même quelquefois d’une abondante pluie d'orage sur les montagnes dont Zirknitz est en- la Durance et le réservoir de Vaucluse communiquaient par des conduits souterrains. Cette hypothèse ne saurait être aujourd’hui utilement discutée, faute de données exactes sur les niveaux com- paratifs de divers points du lit de la rivière et du fond de l’enton- noir d’où la fontaine s'élève. Des documents authentiques prouvent que dans cet entonnoir il y a eu, entre la plus grande et la moindre élévation des eaux, une différence de niveau de 21 mètres et demi. Ce fait est assurément difficile à expliquer ; mais qui pourrait se croire autorisé à le laisser de côté ? 292 LES PUITS FORÉS. touré, pour que le lac souterrain déborde, et aille, pendant plusieurs heures, couvrir de ses eaux le terrain supérieur. On a remarqué parmi ces diverses ouvertures du sol des différences singulières : les unes fournissent seule- ment de l’eau, d’autres donnent passage à de l’eau et à des poissons plus ou moins gros; il en est d’une troi- sième espèce par lesquelles il sort d’abord quelques canards du lac souterrain. Ces canards, au moment où le flux liquide les fait pour ainsi dire jaillir à la surface de la terre, nagent bien. [ls sont complétement aveugles et presque entiè- rement nus. La faculté de voir leur vient en peu de temps, mais ce n’est guère qu’au bout de deux ou trois semaines que leurs plumes, toutes noires excepté sur la tête, ont assez poussé pour qu’ils puissent s'envoler. Val- vasor visita le lac de Zirknitz en 1687. Il y prit lui-même un grand nombre de ces canards, et vit les paysans pêcher des anguilles (mustela fluviatilis) qui pesaient de 1 à 2 kilogrammes ; des tanches de 3 à 4 kilogrammes ; enfin des brochets de 10, de 15 et même de 20 kilo- grammes. Ces différences dans les produits, qu’on me passe l’ex- pression, des diverses ouvertures du lac de Zirknitz, ne sont pas aussi difficiles à expliquer qu’on le croit au pre- mier aperçu. Un tuyau ou canal creusé dans le sol, dont la bouche inférieure descendra au-dessous de la surface du lac souterrain, ne pourra, à l’époque de l’exhausse- ment dans le niveau du liquide, rien amener au jour de ce qui se trouvera plus élevé que cette bouche, Les ca- LES PUITS FORÉS. 293 nards nagent à la surface de l’eau; toute issue par le canal plongeant en question, leur est interdite. Si, au contraire, le bout inférieur du tuyau s'ouvre dans l'air, c’est-à-dire au-dessus de la surface du lac, il doit paraître tout simple que les canards souterrains s’y réfugient quand le niveau de l’eau s’élève, et qu’à la longue le liquide les pousse jusqu’à la surface. On explique ensuite très-sim- plement, pourquoi certaines ouvertures ne donnent ja- mais de poisson, en remarquant qu’un Canal peut être très-large dans le haut et se terminer à l’autre bout par de petits trous ou d’étroites fissures. Dans son Voyage en Allemagne, fait en 1820 , 1821, 1829, M. John Russe ne cite pas des canards, parmi les êtres vivants que le lac inférieur de Zirknitz fait, en quelque sorte, surgir du sol quand il déborde. J'étais disposé à en conclure que ces habitants d’un monde sou- terrain avaient été entièrement détruits depuis le temps de Valvasor, c’est-à-dire depuis 1687 ; mais M. Landresse m'a confié un itinéraire, dû à Girolamo Agapito, écrit en langue italienne, et imprimé à Vienne en 1825, et dans lequel le lac est représenté encore comme rigur- gitando delle anitre (canards) senza piume e cieche (aveugles). C'est dans ces mêmes eaux souterraines de la Carniole qu’on a trouvé ce proteus anguinus, qui a excité à un si haut degré l’attention des naturalistes, Nous avons à Zirknitz, comme on voit, non-seulement une immense nappe souterraine, mais un lac véritable, avec les poissons et les canards qui peuplent les lacs de la surface, 294 LES PUITS FORÉS. Je ne m’écarterai point de la route dans laquelle je désire entraîner les lecteurs, en montrant, par deux ou trois citations, que la Carniole n’est pas le seul pays où se trouvent des nappes d’eau souterraines peuplées de poissons ; en prouvant que la France, elle-même, possède, quoique sur une plus petite échelle, des lacs de Zirknitz. Ce dernier lac ne sera plus alors un simple accident, une anomalie sans cause assignable ; il prendra place, au con- traire, parmi les phénomènes réguliers dont l’existence est liée à la nature du sol, à sa constitution géologique. J’emprunterai ma première citation à un ouvrage qui a plus d’un siècle d'ancienneté : aux Mémoires de l'Aca- démie des Sciences de 171. J'y trouve, page 37, qu'il existe près de Sablé, en Anjou, au milieu d’une espèce de lande, une source, ou pour mieux dire, un gouffre de 6 à 8 mètres de diamètre, dont on n’a pas pu déterminer la profondeur ; que ce gouffre, connu dans le pays sous le nom de Fontaine sans fond, déborde quelquefois, et qu’alors il en sort une quantité prodigieuse de poissons et surtout de brochets truités d’une espèce particulière. «Il y a lieu de croire, disait le secrétaire de l’Académie, que tout ce terrain est comme la voûte d’un lac situé au- dessous, » 4 Un puits foré à Elbeuf, à une profondeur de 44 à 42 mètres, et qui donne d’abondantes quantités d’eau, a rejeté plusieurs fois de petites anguilles, selon ce que m'a écrit M. Girardin, l’habile professeur de chimie de Rouen. La nappe d’eau qui alimente ce puits se trouve dans les sables verts et gris, et est inférieure à la craie. Vingt-quatre heures après un orage ou une pluie violente, LES PUITS FORÉS. 295 Veau jaillit toute trouble et chargée d’une grande quan- tité d'argile ou de sable. . A l’autre extrémité de la France, dans le département -de la Haute-Saône, près de Vesoul, un entonnoir naturel, appelé Frais Puits, présente des phénomènes du même genre. En été et en autonme, lorsqu'il a plu très-abon- damment deux ou trois jours de suite, l’eau s'échappe en bouillonnant par l'ouverture du Frais Puits et forme un véritable torrent qui se répand sur toute la contrée envi- ronnante. Après ce débordement, dont la durée est seu- lement de quelques heures, on trouve quelquefois des brochets à la surface des champs et des prairies que les eaux provenant du Frais Puits avaient inondées. 87.—Ilya, même dans des pays plats, des cavités souterraines, dans lesquelles des rivières s’engouffrent tout entières. Ce phénomène avait vivement excité l’attention des anciens. Ainsi Pline citait déjà parmi les rivières qui disparaissent sous terre, l’Alphée, du Péloponèse, le Tigre, de la Mésopotamie, le Timavus, du territoire d’Aquilée, ete. ; etc. Il rangeait aussi le Nil dans la même catégorie, car il le faisait perdre l’espace de trois journées de marche, avant son entrée dans la Mauritanie césa- rienne, et sur une étendue de vingt de ces mêmes journées, sur les frontières de l’Éthiopie. Venons à des exemples plus voisins de nous, plus constatés, plus étudiés. La Guadiana se perd dans un pays plat, au milieu d’une immense prairie. Voilà pourquoi les Espagnols, quand on leur parle avec éloge de quelque grand pont de 296 LES PUITS FORÉS. France ou d'Angleterre, répliquent qu’il en existe un en Estramadoure, sur lequel cent mille bêtes à cornes peu- vent paître à la fois, La Meuse se perd à Bazoilles. Il ne paraît pas que cette perte soit très-ancienne. Le lit primitif, quoique cultivé, dit M. Héricart de Thury, se voit encore très-distincte- ment au-dessus du lit souterrain. La Drôme, en Normandie, se perd complété au milieu d’une prairie, dans un trou de 10 à 12 mètres de diamètre, connu des habitants sous le nom de Fosse de Soucy; mais elle n’arrive jamais à ce gouffre que très- affaiblie. D’autres trous situés dans la même prairie, quoique moins remarqués, boivent (c’est l'expression locale) la plus grande partie de ses eaux. Dans la même région de la France, La Rille, l’Iton, l’Aure, etc., se perdent aussi petit à petit. Il y a, de dis- tance en distance, dans les lits de ces rivières, des trous nommés bétoirs, dont chacun absorbe une portion des eaux de la surface. À son arrivée au bétoir qui amène sa disparition totale, la rivière se trouve ordinairement ré- duite à un simple filet. Il serait facile de multiplier ces citations, même en se >ornant aux rivières qui disparaissent complétement. Que serait-ce donc, si des jaugeages bien exécutés, avaient fait connaître tous les cas dans lesquels il n’y a que perte partielle? On peut citer, par exemple, la perte du Rhône près du Fort de l’Écluse, perte qui est visible lors des basses eaux. On verra plus loin que la Loire pourrait bien devoir prendre place dans cette même catégorie. Il y a souvent, dans les terrains stratifiés, des nappes LES PUITS FORÉS. 297 liquid distinctes à diverses profondeurs. Les travaux jour chercher la houille, près de Saint-Nicolas d'Aliermont, à quelque distance de Dieppe, y ont fait reconnaître sept grandes nappes d’eau très-abondantes, Voici leurs positions respectives : 4e mappe........ de 25 à 30 mètres de profondeur. Mpime dobetid à 1400 mètres. NERO de 175 à 180 mètres. _ oéeltl. "sie CA ENQe : de 210 à 215 mètres. DD. Jde. à 250 mètres. Dr = oies à 287 mètres. MS MERE à 333 mètres. ke end dant le percement des puits de la gare Saint-Ouen, MM. Flachat rencontrèrent cinq nappes d’eau bien dis- tinctes et susceptibles d’ascension ;. 1! ei! AT RE 36 mètres de profondeur. 2 ET SCT 45 mètres et demi. | s R'HRERNNS JR 51 mètres et demi. “ai PAPOREESER 59 mètres et demi. cn. 2 66 mètres et demi. Les mêmes ingénieurs reconnurent quatre de ces nappes “en sondant , dans une profondeur de 63 mètres, le terrain de Saint-Denis, sur la place de la poste aux chevaux. À Tours, les trois nappes ascendantes reconnues par M. Degousée, se trouvèrent sous le terrain de la place de la cathédrale ; Loft Peel ... 95 mètres de profondeur. bat, +... 412 mètres. 00e PP PERRIN 125 mètres. Les sondages des environs de Londres ont traversé 298 LES PUITS FORÉS. aussi plusieurs étages de nappes aqueuses; j'en dois dire autant de ceux qu’on a exécutés dans les États - Unis d'Amérique. | Il y a quelquefois, au sein des massifs minéralogiques stratifiés, outre les nappes liquides tout à fait ou presque tout à fait stationnaires, des nappes d’eau courante, de véritables rivières souterraines qui coulent assez rapide- ment dans les intervalles vides, compris entre certaines couches imperméables. Par le nom de cours d’eau souterrains, je n’entends désigner ici, ni les rivières qui, telles que le Poick de la Carniole, s’engouffrent dans les immenses cavernes d’une montagne, ni les rivières qui en sortent à la manière de celle du Guacharo. Je veux parler de cours d’eau, qui se sont pour ainsi dire substitués à certaines couches, à cer- taines assises du terrain originaire, et en remplissent complétement la place. On éprouvera peut-être quelque surprise, si j'an- nonce dès l’abord que, sous le sol de Paris et de ses environs, il existe de ces petites rivières souterraines. Au surplus, en voici la preuve : Des ouvriers perforaient le terrain près de la barrière de Fontainebleau, dans un établissement connu sous le nom de Brasserie de la Maison Blanche. Comme d’habi- tude, les progrès de ce travail étaient lents; mais voilà que, tout à coup, la sonde s’échappe de leurs mains : ils la voient s’enfoncer brusquement de 7 mètres et demi. Sans la manivelle placée transversalement dans l'œil de la première tige et qui ne put passer par le trou déjà fait, la chute se fût probablement continuée, LES PUITS FORÉS. 299 Lorsqu'on essaya de retirer la sonde, il devint évident qu’elle était comme suspendue ; que sa pointe inférieure ne reposait pas sur un terrain solide; qu’un fort courant enfin, la poussait latéralement et la faisait osciller. Le . jaillissement rapide des eaux de ce courant inférieur , ne permit pas de pousser les observations plus loin. A la gare Saint-Ouen, MM. Flachat reconnurent que la troisième des cinq nappes liquides ascendantes dont leur opération fit découvrir l'existence, coule dans une cavité de près d’un demi-mètre de hauteur. La sonde, en effet, y tomba de 0".35. Le courant doit y être très-fort, car il imprimait à la sonde un mouvement oscillatoire très-sensible. Ce double résultat (l'existence et la force du courant) peut se déduire aussi avec certitude, d'un autre fait curieux : quand la tarière, chargée des débris des couches qu’elle avait attaquées, devait, en remontant, passer à la hauteur de la troisième nappe liquide, il n’é- tait pas nécessaire de la ramener jusqu’à la surface, car à la hauteur en question tous ces débris étaient emportés. Les nappes stagnantes, comme de raison, ne produisaient rien de pareil, À Stains, près de Saint-Denis, M. Mulot a rencontré aussi, à 64 mètres de profondeur, un cours d’eau souter- rain dans lequel la tarière s’est enfoncée subitement d’un mètre. À Cormeilles, département de Seine-et-Oise, la sonde, arrivée dans les plâtres à la profondeur de 72 mètres, oscillait, dit M. Degousée, sous l’action d’un courant inférieur très-rapide, comme le balancier d’un pendule. Voici une preuve plus démonstrative encore que toutes 300 LES PUITS FORÉS. celles qu’on vient de lire, de l'existence d’une rivière souterraine sous la ville de Tours. Le 30 janvier 1831, le tuyau vertical de la fontaine jaillissante de la place de la cathédrale, à Tours, ayant été raccourci d'environ 4 mètres, le produit en liquide, comme de raison, devint aussitôt plus grand. L’augmen- tation fut d'environ un tiers; mais l'eau, auparavant très- limpide, ayant reçu un accroissement subit de vitesse, se troubla. Pendant plusieurs heures, elle amena de la profondeur de 109 mètres (335 pieds), des débris de végétaux « parmi lesquels on pouvait reconnaître, dit M. Dujardin, des rameaux d’épines, longs de quelques centimètres, noircis par leur séjour dans l’eau; des tiges et des racines encore blanches de plantes marécageuses ; des graines de plusieurs espèces dans un état de conser- vation qui ne permettait pas de supposer qu’elles eussent séjourné plus de trois ou quatre mois dans l’eau. Parmi ces graines on remarquait surtout celles d’un caille-lait qui croît dans les marais; on y trouvait enfin des coquilles d’eau douce et terrestres. Tous ces débris ressemblaient à ceux que les petites rivières et les ruisseaux laissent sur leurs bords après un débordement. » Ces faits établissent invinciblement que les eaux de la troisième nappe souterraine de Tours, ne résultent pas, du moins en totalité, d’une filtration à travers des couches de sable. Pour qu’elles puissent entraîner des coquilles, des morceaux de bois, il faut qu’elles se meuvent libre- ment dans de véritables canaux !, 1. De ce que les graines, en arrivant à Tours, n'étaient pas dé- composées, M. Dujardin fixe à moins d’un an la durée du séjour LES PUITS FORÉS. 304 S'il paraissait nécessaire d’ajouter encore quelque chose aux preuves que je viens de donner de l'existence de rivières souterraines rapides, dans des terrains où naguère on était certainement loin de les soupçonner, les phénomènes de la célèbre fontaine de Nimes mériteraient d'être cités. Dans les grandes sécheresses, le produit de cette fon- taine se réduit quelquefois à 1,330 litres par minute ; mais, qu’il pleuve fortement dans le nord-ouest de la ville, jusqu’à 10,000 à 12,000 mètres de distance, et très- promptement, d’après ce que M. Valz m'a rapporté, une crue de la fontaine se manifeste; et à son faible débit de 1330 litres par minute, en succède un de 40,000 litres, et malgré cette énorme augmentation de volume, la tem- pérature de l’eau ne varie presque pas. En résumé, s’il pleut seulement au loin dans la direc- qu’elles avaient pu faire dans l’eau. L'époque de leur maturité est l'automne; elles furent recueillies en janvier ; ainsi le trajet a dû être d’environ quatre mois. Ces remarques ne seront probable- ment pas contestées. Je n’oserais pas en dire autant de cette opinion du même naturaliste, que l’origine des eaux des fontaines arté- siennes de Tours, doit être nécessairement cherchée dans quelque vallée humide de l’Auvergne ou du Vivarais. « Pierre de la Vallée rapporte que dans les îles Strophades, selon le récit que lui en firent les religieux qui les habitent, il y a une fontaine qui doit avoir sa source dans la Morée, et qu’ils croient venir de ce lieu de terre-ferme jusque dans ces îles par-dessous la mer. En effet, il sort assez souvent, avec l’eau de cette fontaine, des choses qui ne peuvent venir que de là. Il en est sorti une fois une tasse à boire, faite d’une courge garnie d’argent. » Je m’empresse de dire que cette citation est tirée de l’ouvrage de Pierre Perrault intitulé : De l’Origine des fontaines. Dans le siècle où nous vivons, il ne faut rien rapporter d’extraordinaire sans faire ses réserves, F 302 LES PUITS FORÉS. tion du nord-ouest, la fontaine de Nîmes augmente; ainsi son eau vient de loin, par de longs canaux, ce que con- firme d’ailleurs la constance de sa température dans les crues les plus fortes et les plus subites. La crue succède à la pluie à de courts intervalles; ainsi l’eau a franchi rapidement de grands espaces, ce qui n’est nullement le caractère d’une infiltration, quelque perméabilité qu'on voulût d’ailleurs attribuer au terrain, La fontaine de Nîmes est donc alimentée par une ou plusieurs rivières souterraines, CHAPITRE VI QUELLE EST LA FORCE QUI SOULÈVE LES EAUX SOUTERRAINES ET LES FAIT JAILLIR À LA SURFACE DU GLOBE ? Si l’on verse de l’eau dans un tuyau recourbé en forme d'Ü, dans ce que les physiciens appellent un tube com- muniquant , elle s’y met de niveau, elle se maintient dans les deux branches à des hauteurs verticales exactement égales entre elles. Supposons que la branche gauche de ce tuyau débouche par le haut dans un vaste réservoir qui puisse l’entretenir constamment plein, que la branche de droite soit coupée vers le bas, qu’il n’en reste qu’une petite partie dirigée verticalement, que celle-ci enfin soit fermée par un robi- net. Lorsque ce robinet sera ouvert, l’eau jaillira dans l'air, de bas en haut, par le tronçon de la branche de droite, jusqu’à la hauteur où elle s'élevait quand cette branche existait tout entière. Elle remontera de la quan- tité dont elle était descendue à partir du niveau du LES PUITS FORÉS. 303 réservoir qui alimente sans cesse la branche opposée !, Les deux hypothèses que je viens de faire ont été réa- lisées en grand : la première, dans les Soutérazi des Turcs, et dans la plupart des tuyaux de conduite servant - à distribuer les eaux d’une source élevée aux divers quar- tiers d’une vihe et aux différents étages des maisons; la seconde, dans les conduits souterrains destinés à engen- drer des jets d’eau, ceux de Cassel, de Versailles, de Saint-Cloud ou du jardin des Tuileries, par exemple. Lorsqu'ils voulaient amener de l’eau d’un coteau sur un autre coteau, les Romains construisaient à grands frais, dans la vallée intermédiaire, des ponts-aqueducs, tels que ceux du Gard, tels que l’aqueduc de Jouy, près de Metz, ete. Les Turcs résolvent le problème d’une manière infiniment plus économique : ils établissent le long du penchant du premier coteau, un tuyau descendant en maçonnerie, en terre cuite ou en métal, qui traverse ensuite la vallée en se modelant sur ses différentes in- flexions, et remonte enfin la pente du second coteau. En vertu du principe cité, l’eau qui parcourt ce canal s'élève à très-peu près, quand elle a franchi la vallée, de la quantité dont elle était descendue. Voilà l’origine du nom Soutérazi (équilibre d’eau) que donnent les Turcs aux tuyaux de conduite à l’aide desquels ils remplacent les aqueducs. Maintenant, prolongeons le tuyau jusqu’au milieu de 1. L'expérience donne une plus petite quantité pour la hauteur du jet; mais la différence n’infirme pas le principe : elle tient à des frottements, à la résistance de l’air et aux courants opposés des molécules liquides ascendantes et descendantes, 304 LES PUITS FORÉS. la vallée seulement, et n’offrons au liquide dont il est rempli, qu’une seule issue adaptée à sa paroi supérieure, et l’eau en jaillira verticalement, et ce jet sera d’autant plus élevé que la nappe alimentaire descendra de plus haut. Telle est l’origine de tous les jets d’eau. Le demi- soulérazi qui, par exemple, donne naissance au grand jet des Tuileries, puise le liquide dans un réservoir situé sur les hauteurs de Chaillot. Le principe fécond d’hydrostatique dont je viens de signaler deux applications importantes, est totalement indépendant de la forme du tuyau dans lequel le liquide est contenu. À un tuyau circulaire, substituez un tuyau elliptique, un tuyau carré, un tuyau polygonal, un tuyau étroit et d’une longueur immense: multipliez à volonté les étranglements, les ramifications , et l’eau ne s’en élè- vera pas moins à la même hauteur sur tous les points où elle trouvera assez d'espace pour obéir à la pression qu’elle éprouve. Rappelons-nous maintenant la manière dont les eaux pluviales pénètrent dans certaines couches des terrains stratifiés ; ne perdons pas de vue que c’est seulement sur le penchant des collines ou à leur sommet que ces cou- ches se montrent à nu par leur tranche; que c’est là qu'est leur prise d’eau; qu’elle a donc toujours lieu sur des hauteurs ; songeons, de plus, que ces couches aqui- fères, après être descendues le long du flanc des collines qui les brisèrent jadis en les soulevant, s'étendent hori- zontalement ou presque horizontalement dans les plaines ; qu'elles sont souvent comme emprisonnées entre deux couches imperméables de glaise ou de roches, et nous LES PUITS FORÉS. 305 ; conceyrons l'existence de nappes liquides souterraines, qui se trouvent naturellement dans les conditions hydro- statiques dont les tuyaux de conduite ordinaires, dont les soutérazi nous offrent des modèles artificiels ; et un trou de sonde pratiqué dans les vallées, à travers les terrains _ supérieurs jusque et y compris la plus élevée des deux couches imperméables entre lesquelles une nappe aquifère est renfermée, deviendra la seconde branche du tuyau en forme d'U que nous citions au commencement de ce chapitre, ou si l’on veut d’un siphon renversé, ou si l’on aime mieux enfin, d’un soutérazi. Le liquide s’élèvera, dans ce trou de sonde, à la hauteur que la nappe corres- pondante conserve sur les flancs de la colline où elle a pris naissance. Dès lors, tout le monde doit concevoir comment, dans un terrain horizontal donné, les eaux souterraines, placées à divers étages, peuvent avoir des forces ascensionnelles différentes ; dès lors, tout le monde expliquera pourquoi la même nappe jaillit ici à une grande hauteur, tandis que plus loin elle ne monte pas jusqu’à la surface du sol. De simples inégalités de niveau entre les pays dont les fontaines jaillissantes sont alimentées par la même nappe souterraine, deviendront la cause suffisante, la cause naturelle de toutes ces dissemblances. L'explication qu’on vient de lire de l’ascension de l’eau dans les fontaines artésiennes, est si naturelle, qu’elle s’offrit la première aux physiciens. En effet, dès l’année 1671, J.-D. Cassini disait : « Peut-être ces eaux ( celles des fontaines forées de Modène) viennent-elles par des canaux souterrains du haut du mont Apennin, qui n’est qu'à dix milles de ce territoire, » Aujourd’hui, la confiance VL — mn, 20 306 LES PUITS FORÉS. en cette théorie paraît un peu ébranlée. Voyons si ce ne serait pas sans motifs suffisants. Il existe en Islande des sources nommées geysers, qui lancent dans les airs et jusqu’à des hauteurs considéra- bles, tantôt des colonnes d’eau chaude, tantôt seulement des colonnes de vapeur. On a cru trouver l’origine de ce curieux phénomène dans la force élastique de la vapeur d’eau ; et il faut le dire, l'explication satisfait assez bien à toutes les circonstances rapportées par les voyageurs. Mais de ce qu’en Islande, c’est-à-dire à proximité de plu- sieurs volcans actifs, la vapeur engendre un jet d’eau, doit-on nécessairement en conclure que, dans nos pays sans volcans, les jets artésiens dépendent aussi de l’action d’un gaz; que de l’air comprimé en est la seule cause possible ? Je n’aperçois pas, je l’avoue, la nécessité d’une pareille conséquence. Comment, d’ailleurs, n’a-t-on pas observé que les geysers sont intermittents; qu'entre deux de leurs éruptions consécutives, il s'écoule un temps plus ou moins long de calme parfait ; que la plupart des fcntaines artésiennes, au contraire, coulent avec une vitesse uniforme, pendant des jours, pendant des mois, pendant des années entières? Toute assimilation de phé- nomènes aussi dissemblables semble devoir être écartée. De l’air comprimé renfermé dans une cavité souter- raine ne pourrait refouler l’eau le long du tuyau ascen- dant d’une fontaine artésienne, qu’à la condition de se dilater à mesure; or, en se dilatant cet air perdrait graduellement une partie de son ressort, et la vitesse d'écoulement s’en ressentirait. Les partisans de cette hypothèse font, il est vrai, arriver, de temps en temps, LES PUITS FORÉS. 307 dans les réservoirs souterrains, des quantités de liquide suffisantes pour remettre les choses dans l’état primitif et de manière que l’air moteur ne puisse jamais se dilater sensiblement; mais ont-ils remarqué que ces prétendues colonnes d’eau réparatrices ne sauraient jouer le rôle qu’on leur attribue, qu’au moment où la pression qu’elles exerceraient pourrait vaincre le ressort de l’air confiné? à ce moment, ne serait-ce pas la colonne liquide affluente qui réellement pousserait l’eau dans le tube d’ascension? Or, pourquoi la force efficiente de cet instant ne suflirait- elle pas toujours? En résumé, dans beaucoup de machines, des réservoirs de gaz sont, ainsi que les roues connues sous le nom de volants, des moyens d’égaliser les effets; mais con- sidérés comme moteurs isolés, on ne pourrait en attendre la régularité, la constance observées dans l’écoulement des fontaines artésiennes. Laissons de côté d’autres objections non moins sérieuses qu'on pourrait opposer à cette théorie fondée sur l’action de réservoirs d’air comprimé, pour examiner, en deux mots, une autre hypothèse bien singulière et qu’on a préconisée cependant depuis quelque temps. La nappe d’eau dans laquelle plonge le tube ascen- sionnel que la sonde a creusé, est toujours comprise entre deux couches minéralogiques imperméables. La plus élevée de ces deux couches, chargée de tout le poids du terrain supérieur, ne saurait, a-t-on dit, manquer de fléchir de haut en bas et de presser dans le même sens le liquide qu’elle recouvre; c’est là, ajoute-t-on, la véritable cause de l’ascension de l’eau, 308 LES PUITS FORÉS. Admettons, un moment, que cette prétendue flexion existe. Trois cas seront alors à considérer : ou la couche flexible se mouvra constamment de haut en bas, jusqu’au contact de la seconde couche imperméable; ou elle s’ar- rêtera, avant ce contact, dans une position d'équilibre ; ou bien elle éprouvera un mouvement oscillatoire. Eh bien, aucune de ces trois hypothèses ne pourrait s’ac- corder avec ce qu'on sait aujourd'hui de la régularité d'écoulement de certaines fontaines artésiennes. Dans la troisième hypothèse, en effet, ces écoulements seraient intermittents; dans la seconde, ils s’arrêteraient tout à fait après avoir offert une diminution de produit gra- duelle ; dans la première, enfin, il y aurait aussi, tôt ou tard, cessation absolue d'écoulement, surtout dans les localités fort nombreuses où la couche aquifère a peu d'épaisseur. | Il serait aisé d’accumuler ici d’autres objections; mais il vaut mieux, je crois, examiner quelle est la portée de la seule difficulté spécieuse qu’on ait produite contre l'assimilation des fontaines artésiennes à des siphons ren- versés, à des soulérazi. Quelques-unes de ces fontaines, par exemple celles de Lillers en Artois, jaillissent au milieu d'immenses plaines. La plus insignifiante colline ne se montre d'aucun côté ; où donc trouver, s’écrie-t-on, ces colonnes hydrostati- ques dont la pression doit ramener les eaux souterraines au niveau de leurs points les plus élevés? Je réponds qu’il faut les chercher, si c’est nécessaire, au delà de la portée de la vue, à 15, à 30, à 60 lieues et même au delà. L'existence d'une nappe liquide souterraine de 100 LES PUITS FORÉS. 309 lieues détendue, ne saurait être évidemment une objec- tion sérieuse, qu'aux yeux de ceux qui prétendraient, contre tous les témoignages de la science, que 4100 lieues de pays ne peuvent pas avoir la même constitution géo- logique. Au surplus, voici un fait qui tranche nettement la question : Il y a, au fond de l'Océan, des sources d’eau douce qui jaillissent verticalement jusqu’à la surface. L'eau de ces sources vient évidemment de terre par des canaux naturels situés au-dessous du lit de la mer. Eh bien, il ÿ a peu d'années, un convoi anglais sur lequel M. Bucha- nan se trouvait embarqué, trouva, par un calme plat, dans les mers de l’Inde, une abondante source d’eau douce à 125 milles (45 lieues) de Chittagong, et à envi- ‘ron 100 milles (36 lieues) du point de la côte le plus voisin. Ce point était dans les Junderbuns. Voilà donc un cours d’eau souterrain, de plus de 36 lieues d’étendue. Dès qu’une observation incontestable nous conduit à de pareils nombres, les objections, puisées dans des consi- dérations de grandeur, dont je faisais mention tout à l'heure, tombent d’elles-mêmes. Des cours d’eau qui coulent à la surface de la terre peuvent avoir des communications souterraines par des conduits d'une grande longueur. Ainsi, il existe près d'Orléans une source très-abondante, connue sous le nom de Bouillon ou source du Loiret, et qui me semble devoir être considérée comme une source artésienne naturelle. Pendant la sécheresse de l'an 1x, l’une des plus grandes dont les annales météorologiques aient conservé le sou- venir. le Bouillon, d’après les mesures de M. de Tristan, 340 LES PUITS FORÉS. jetait cependant encore 3,300 litres d’eau par minute, On a cru, assez généralement, qu'il fallait aller chercher dans la Sologne l’origine des eaux déversées par le Bouil- lon et par quelques petites sources voisines ; M. de Tristan a opposé à cette opinion des arguments péremptoires : il a fait remarquer que les crues de la source coïncident avec celles de la Loire, lors même que ces dernièrés, comme en 1800 , sont engendrées, à la fin du printemps, non par les pluies, mais par une fonte subite des neiges dont étaient couvertes les montagnes de la France cen- trale. Il ne saurait donc manquer d’y avoir une commu- nication souterraine ‘entre la Loire et le Bouillon. Ce Bouillon, il est vrai, ne commence à jeter de l’eau trouble qu’un jour ou deux après que la crue s’est fait sentir dans le fleuve; mais pourrait-on s’en étonner? À leur entrée, les canaux souterrains ne doivent-ils pas agir comme des espèces de filtres? Les variations sensibles de température qu'éprouvent, avec les saisons, les eaux de la source du Loiret, mon- trent au surplus que les canaux à travers lesquels ces eaux circulent, ne sont pas très-profonds. Près du Bouillon il y a un gouffre que l’on nomme la Gèvre dans le pays, et où la petite rivière le Duis se perd en entier. Ce gouffre absorbe aussi une partie des eaux du Loiret, de telle sorte que cette rivière offre ce sin- gulier phénomène de jaillir en un point pour être ab- sorbé à quelque distance de là. La Gèvre présente, du reste, dans ses allures une évidente relation avec la Loire; elle absorbe quand la Loire est basse et rejette quand les eaux du grand fleuve sont hautes. Ce sont LES PUITS FORÉS. 311 de simples jeux de pression dus à des différences de niveau. CHAPITRE VII DE L'EFFET DES MARÉES SUR QUELQUES FONTAINES ARTÉSIENNES M. Baillet a reconnu que le niveau de la fontaine jail- lissante de Noyelle-sur-Mer, département de la Somme, monte et baisse avec la marée. Il en est, je crois, de _ même de toutes les fontaines analogues qui ont été forées dans les environs d’Abbeville. Lorsqu'on n’a pas de moyen direct d'apprécier les changements de niveau, on constate d’une manière non moins évidente l'influence du flux et du reflux, en mesu- rant, aux époques convenables, la quantité d’eau que les fontaines artésiennes fournissent. Ainsi, à Fulham, près de la Tamise, dans une pro- priété de l’évêque de Londres, une fontaine forée à 97 mètres de profondeur, donne 363 ou 273 litres d’eau par minute, suivant que la marée est haute ou basse. Voyons si cet effet de la marée est aussi difficile à expli- quer qu’on paraît le croire. Si l’on pratique dans la paroi d’un vase de forme quel- conque rempli de liquide, une ouverture dont les dimen- sions, comparées à celles du vase, soient très-petites, l'écoulement qui s’opérera par cette ouverture , n’altérera pas sensiblement l’état initial des pressions. Deux, trois, dix ouvertures, pourvu qu’en somme elles satisfassent toujours à la condition d’être très-petites, laisseront, de même, les pressions exercées en chaque point du vase 342 LES PUITS FORÉS. un peu éloigné de ces ouvertures, ce qu’elles étaient dans l’état d’équillibre, ce qu’elles étaient quand le liquide n'avait aucun mouvement. Supposez maintenant l’ouver- ture ou les ouvertures un peu grandes, et tout sera changé; et les dimensions qu’on leur donnera régleront les pressions en chaque point; et si l’une des ouvertures diminue de grandeur, la vitesse d'écoulement augmentera aussitôt dans les autres. Ces principes parfaitement démontrés de l’hydrody- namique s’appliqueront sans effort au phénomène qui nous occupe. Admettons que la rivière souterraine où va s’alimenter une fontaine artésienne, se décharge aussi, partiellement, dans la mer ou dans un fleuve sujet au flux et au reflux, et cela par une ouverture un peu grande, comparée à ses propres dimensions. D’après ce que nous venons de dire, si cette ouverture diminuait, la pression s’accroi- trait aussitôt dans tous les points des canaux naturels ou artificiels que les eaux de la rivière remplissent; l’écou- lement par le trou de sonde deviendrait donc plus rapide; ou bien le niveau de l’eau s’élèverait dans les buses. Or, tout le monde comprendra, qu’amener la haute mer sur l'ouverture par laquelle une rivière souterraine se dé- charge, c’est diminuer, par une augmentation de la pression extérieure, la quantité d’eau de cette rivière qui pourra s’écouler en un temps donné. L’effet est pré- cisément celui qu’une diminution d’ouverture eût produit; ainsi la conséquence doit être la même : le flux et le reflux de la mer détermineront donc un flux et un reflux correspondants dans la source artésienne. Tel est, en LES PUITS FORÉS. 343 réalité , le phénomène observé à Noyelle et à Fulham. Une application très- décisive de ces principes, émis dans la première édition de cette Notice en 1835, a été faite à un puits foré, creusé postérieurement. Une fontaine artésienne, forée en 41840, dans l’en- ceinte de la citadelle de Lille, éprouve toutes les vingt- quatre heures, des variations d'écoulement qui sont manifestement liées au cours des marées. Sur ma de- mande, ce phénomène a été étudié avec soin. Les obser- vateurs ont particulièrement porté leur attention sur les heures des maxima et des minima d’écoulement, com- parées aux heures des marées sur les points de la côte la plus voisine. M. le capitaine du génie Bailly, a constaté que le débit maximum du puits artérien est de 64 litres par minute, et son débit minimum de 33 litres. La hau- teur la plus grande à laquelle l'eau s'élève, est de 2".39, et la hauteur la plus petite de 1°.96. Les plus grandes variations dans l'écoulement et dans la hauteur de l’eau correspondent aux sizygies; les plus faibles coïncident d’une manière constante avec les quadratures. Il semble donc bien qu’on peut conclure de là que les différences dans l'écoulement de l’eau sont dues aux marées. En comparant l'heure de la pleine mer entre Dunkerque et Calais, et l’heure à laquelle a lieu le maximum du débit du puits foré, on trouve un intervalle d'environ 8 heures, d’où on peut conjecturer que si la nappe d’eau souter- raine, qui alimente le puits, se rend à la mer entre Dunkerque et Calais, l'effet produit met 8 heures à se propager jusqu’à Lille. M. E. Robert a observé en Islande des phénomènes 344 LES PUITS FORÉS. du même ordre. Ainsi, près de Buden, sur la côte occi- dentale, il existe des sources d’eau douce qui montent et descendent suivant le flux et le reflux de la mer. Il y a même, d’après Olafsen et Paulsen , dans le district de Skoga-Fiordur, des sources thermales dont les orifices sont toujours à sec aux époques des plus basses marées, Enfin plusieurs voyageurs ont pensé que le grand Geyser, quoique éloigné d’une quinzaine de lieues environ de la mer, serait en communication avec elle, C’est un point dont il y aurait lieu d'indiquer une étude attentive aux expéditions scientifiques qui se rendront encore dans le nord de l’Europe. CHAPITRE VIII TEMPÉRATURE DE L'EAU DES FONTAINES ARTÉSIENNES De toutes les questions scientifiques qui ont été agitées depuis quelques années, une des plus curieuses est certainement la question de savoir si le globe terrestre conserve encore quelques traces de sa chaleur d’origine. Fourier a ramené la solution de ce grand problème de philosophie naturelle, à une observation très-simple; il a prouvé, en effet, que si la terre recevait toute sa cha- leur du soleil , la température de ses couches serait dans chaque climat, la même à toutes les profondeurs acces- sibles, et, de plus, qu’on la trouverait égale à la tem- pérature moyenne de la surface. Or, les observations faites dans une multitude de mines étaient en désaccord avec ces résultats, Ces observations cependant n'avaient LES PUITS FORÉS. 345 pas entraîné toutes les convictions. Une galerie de mine se présentait à quelques esprits, comme une sorte de laboratoire dans lequel des actions chimiques donnaient lieu sans cesse à de grands dégagements de chaleur. On argumentait aussi de la présence des ouvriers, des flambeaux allumés, de détonations de poudre, etc., etc., et quoique des calculs minutieux eussent montré combien toutes ces causes de perturbations réunies étaient insuf- fisantes pour expliquer les phénomènes, on s’obstinait à rester dans le doute. Une observation que je fis en octobre 1821 , pendant que de concert avec MM. Colby, Kater et Mathieu, je rattachais, par des opérations géo- désiques, les côtes de France et d’Angleterre, me mit sur la voie d’une solution du problème à l’abri de toute objection. Je trouvai la température des sources qui jaillissent au pied de la falaise du cap Blanc-Nez, nota- blement plus élevée que la température moyenne des eaux du puits voisin du Montlambert. La détermination de la température des fontaines arté- siennes jaillissantes s’offrit, dès ce moment, à ma pensée comme un sujet de recherche plein d'intérêt; il me parut que les eaux de ces fontaines ne pourraient manquer, surtout en les supposant un peu abondantes, d'arriver au jour avec le degré de chaleur que possèdent les cou- ches intérieures, ordinairement horizontales, entre les- quelles elles se trouvent renfermées. En tout cas, il n'était pas douteux que, dans un même pays, si la terre avait une chaleur propre, et c'était là précisément l’objet en discussion, le maximum de température devait s’ob- server dans les eaux provenant des sources les plus 316 LES PUITS FORÉS. profondes. Aussi depuis près de 30 ans, je n’ai pas cessé de recueillir par moi-même ou à l’aide de mes amis, des documents thermométriques qui se rattachent d’une ma- nière aussi directe à l’histoire de notre globe. Je vais en présenter le résumé dans un chapitre spécial. On verra qu’en tout lieu la température des fontaines artésiennes est supérieure à la température de la surface, à raison d’un degré centigrade pour chaque 20 à 30 mètres de profondeur, CHAPITRE IX SUR LA TEMPÉRATURE DE L'INTÉRIEUR DU GLOBE Nous avons deux moyens d'arriver à la solution du pro- blème posé par Fourier. La question se résume à savoir si la terre est uniquement exposée à l’action périodique d’un foyer extérieur. S'il en était ainsi, la valeur de la température moyenne serait la même pour tous les points d’une même verticale, à toutes profondeurs accessibles ; cette température tiendrait d’ailleurs le milieu entre toutes les températures qu’on observerait à la surface, au point où la verticale aboutit. L'expérience démontre que les températures en tous lieux sont constantes à chaque pro- fondeur un peu considérable, mais qu’elles augmentent à mesure que l’on descend. Cette expérience peut se faire en examinant la température des mines profondes, en étudiant celle des sources thermales et en cherchant celle des eaux provenant de divers sondages. LES PUITS FORÉS. 37 8 1. — Température des mines. del 1° Mines de Giromagny. Gensanne, directeur des mines de Giromagny, à trois lieues de Béfort, a trouvé que le thermomètre dans ces mines marque les degrés suivants : A 101 mètres....... 12°.5 centigrades. DO CDR NET _. 2084 —; du 49 0 — D pusuae : M7 _— Saussure rapporte, dans son Vogage, $ 1088, des ob- servations analogues faites dans un puits situé près de Bex (canton de Vaud) : « Ce puits, dit-il, n’a aucune galerie latérale percée jusqu’au jour. Il n’y a donc aucun cou- rant, et l’air extérieur ne peut influer sur la température du fond de ce puits qu’au travers du long et étroit canal par lequel on y descend. D'ailleurs on n’y travaille plus ; on y va très-rarement ; l’ouvrier qui en a la garde m’as- sura que personne n'y était descendu depuis trois mois entiers. Je pouvais donc me flatter d'observer là, avec beaucoup de précision, la température du corps de la montagne à cette grande profondeur. » | Il y avait au fond du puits 3 mètres environ d’eau salée venant de deux petites sources. A 108 mètres, la température de l'air dans une galerie, aussi bien que celle de l'eau stagnante DR OR esse en e eo 2 14°.4 centigr. A 183 mètres, dans un JP de galerie, l'air Lt l'eau Étiient à... À ,4008. 01 50. 29408 15 .6 A 220 mètres, l’eau salée : au fond du puits ponpait.. RU SE RS + 6 de PU UE EN 318 LES PUITS FORÉS. 2° Mines de Freyberg. Freyberg est situé par 51° de latitude nord, et à 400 mètres au-dessus du niveau de la mer. La température moyenne de l’année n’y dépasse pas 8° ou 9° centigrades. M. de Humboldt a fait en 1791, conjointement avec M. Friesleben, une longue série d’observations sur la température des mines de Freyberg. Il a trouvé au Kühschacht et à Seogen Gottes Herzorg Angustus, à 120 et 150 mètres de profondeur, l’air des mines à 43° et 14°.8, quand l'air extérieur était, en janvier, + 8° et En me Les observations de M. Daubuisson que nous allons rapporter, sont extraites d’un ancien volume du Journal des Mines; elles ont été faites à la fin de l’hiver de 1809 : la terre était alors couverte de neige depuis plusieurs mois , et les jours mêmes des expériences, le thermomètre marquait 8° ou /° au-dessous de zéro ; quelques jours au- paravant, il était descendu à — 18°, Les minerais d'argent sont le principal objet d’exploi- tation dans les mines de Freyberg ; on en retire aussi d'assez grandes quantités de plomb. « Je dois remarquer, dit M. Daubuisson, que, dans ces mines, on ne connaît ni fermentation ni mouvement intestin dans les sub- stances minérales qui puisse y occasionner quelque élé- vation particulière de température : de tous côtés, je n’y ai vu que des masses inertes et froides. » Mine de Beschertglück. — Le thermomètre était en plein air, auprès de la mine, à........ — °,0 centigr. A l'entrée du puits par lequel l’air sortait de RE... ce cu CU + 10 .0 LES PUITS FORÉS. À 420 mètres de profondeur, sur un parcours d'une longueur de 1200 mètres, dans la galerie d'écoulement, la température y était à........ A 160 mètres de profondeur, dans une galerie voisine du puits, l’eau était à................ A 220 mètres de profondeur, dans une galerie où il y avait un petit courant d’air, le thermo- AL EE SN MEET NA Plongé dans un courant d’eau gros comme le bras, qui sortait de la roche et entrait dans la même galerie, il est monté à................ + A 260 mètres de profondeur, dans une galerie où le courant d'air n’était nullement sensible, . HPRRIROUNÉ.. .. co Sais vhs since ie Une source qui jaillissait avec force du ro- cher dans cette même galerie, était à......... A 300 mètres de profondeur, au fond de la mine, le thermomètre marquait dans l’air.:.. Les eaux qui se rassemblaient à cette même profondeur étaient.............49 Rp LA Mine de Himmelfahrt. — Le thermomètre en I A 100 mètres de tonAgUr, dans la galerie M vu emo das 0 A 172 mètres de profondeur, dans une galerie où il n’y avait pas de travailleurs, l’air était à. A 224 mètres de profondeur, l’air était à.... Les eaux qui sortaient de la roche au même CON 0 0 ANRT A 250 mètres de profondeur, au fond de la mine, dans un ouvrage à gradins où il y avait quatre ou cinq ouvriers, la température de l’air CROIS: .:...,.... SE SERA PE A STE EE RE Celle de quelques eaux stagnantes au mêmé 2 CON 349 + 10°.0 centigr. + 1.2 + 11.92 + 49 .5 + 45.0 + 13 .8 Kühschacht. — La mine de ce nom est la plus profonde des mines de Freyberg ; elle a 412 mètres de profondeur verticale ; en sorte que les travaux inférieurs sont exac- tement au niveau de la mer. «Il y a environ dix-huit 320 LES PUITS FORÉS. mois, dit M. Daubuisson, dans la note qui accompagne ses observations, que les machines hydrauliques destinées à l'épuisement des eaux ayant été arrêtées, ces eaux s’élevèrent dans la mine, et l’inondèrent jusqu’à la ga- lerie d'écoulement qui est à 69 mètres au-dessous de la superficie du terrain. Depuis, les machines ayant été re- mises en jeu, l’on a épuisé une partie des eaux : cependant celles qui restent encore ont une profondeur de 447 mè- tres; ainsi, leur surface est de 295 mètres au-dessous du jour. Comme ces eaux ne communiquent avec l'air extérieur que par un puits qui est presque entièrement fermé , qu’elles sont dans le fond de la mine depuis un an et demi, que l’espace qu’elles occupent peut être con- sidéré comme une fente de 120 mètres de profondeur, de 600 mètres de long et d’un mètre de large, il était à présumer que leur température devait être entièrement celle de la roche adjacente, ou celle de la terre dans cette contrée et à cette profondeur. » Le thermomètre, dehors et en plein air, mar- QUIL Ts duvte est OURS des een TENTE — 2°.5 centigr. A l'entrée du puits par où l’air sort de la MANETTES EN RES DER LR SRE + 10 .0 A 215 mètres de profondeur, l’air était à.... + 12 .5 A 271 mètres de profondeur, au-dessus de la surface de l’eau stagnante, le thermomètre dans l'air AQU, 5 CUS EN NL AUS É SE . + 15.0 A la même profondeur, dans l’eau on avait.. + 16 .3 Junghohebirke. — «Cette mine est exploitée jusqu’à une profondeur de 350 mètres : elle n’a qu’un seul puits, de sorte que la circulation de l'air s’y faisant assez diffici- lement, la température y paraît un peu plus élevée que LES PUITS FORÉS. 321 dans les mines qui sont bien aérées. Il y a environ un mois que les eaux de filtration s’y étaient élevées à 60 mètres de hauteur ; on est occupé à les puiser, et main- tenant leur niveau a baissé de 3 à 4 mètres. » Hors de la mine, le thermomètre était à.... A 78 mètres de profondeur, dans la galerie’ d'écoulement, l'air était à............... 08 Les eaux qui coulaient dans cette galerie étaient en assez grande quantité ; elles venaient des filtrations qui y pénètrent sur une lon- gueur de 800 mètres; leur température était. … A 117 mètres de profondeur, un peu d’eau stagnante, dans la galerie qui est au-dessous de celle d'écoulement, était à........ FRE TANT E : Des eaux qui, au même endroit, filtraient à travers le faîte, marquaient.......... SU e e À 156 mètres de profondeur, l'air dans la ga- ne nr ces eme 00 4e TRES A 195 mètres de profondeur, l’air dans une galerie était à............ PRE NE eo ee ra Un peu d’eau stagnante, qui était à côté, 2 | ANNEE Seronnes dos en 6600 0-0. 0 A 312 mètres de profonceur, dans une galerie élevée de 3 à 4 mètres au dessus du niveau des eaux, et placée à 80 mètres au-dessous de l’en- droit où se trouvaient les travailleurs, la tem- poratare de l'air était à.:.....0..4.. 0000: De l’eau stagnante sur le sol de la même ga- lerie marquait aussi.................. RER A 315 mètres de profondeur, l’eau qui inon- dait les travaux était à........,,... TRES 0°.0 centigr. + 10 .0 + 17.2 ET: + 17.2 M. Daubuisson rapporte qu’il a comparé, dans cette même mine, les températures de deux galeries toutes pareilles et situées au même niveau. Une vingtaine de mineurs travaillaient continuellement dans la première ; dans l'autre, il n’y en avait aucun : cependant les eaux VI. — 1x, 21 322 LES PUITS FORÉS, qui provenaient des deux galeries étaient à la même température, à un demi-degré près. Depuis la publication des expériences de M. Daubuis- son, le directeur général des mines de Saxe a fait placer des thermomètres, à poste fixe, dans la mine de Bes- chertgluck et dans celle d’Alte Hoffnung Gottes, à deux lieues au nord de Freyberg. Les thermomètres étaient dans des niches pratiquées à cet effet dans la roche et derrière des vitres. Observés trois fois par jour, durant l’espace de deux ans, ils ont toujours marqué le même degré sans la moindre variation. A Beschertgluck, le thermomètre, placé à 180 mètres de profondeur, a toujours indiqué 11°.2, et celui situé à la profondeur de 260 mètres s’est constamment maintenu à 15°. À Alte Hoffnung Gottes , on a trouvé à 73 mètres de profondeur........ 9°.8 à 170 De. UN Tete Te 12 .8 ‘à 270 CRIER AE pere ne 15 .0 à 380 MR + M Morand 18 .7 Ces mines sont dans les montagnes de gneiss qui ne renferment ni beaucoup de pyrites, ni d’autres substances susceptibles, par leur action chimique, d’élever la tem- pérature. 3° Mines de plomb de Poullaouen et de Huelgoat. Poullaouen. — Je commence par indiquer la position du lieu. La mine de Poullaouen est située à 48° 17’ 49” de latitude, et à 5° 55’ 57” de longitude à l’ouest de Paris; son orifice (celui du puits Saint-Georges) est à 106 LES PUITS FORÉS. 323 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle est à 4 mvy- riamètres de la côte septentrionale de la Bretagne, et à 6 de la côte méridionale, ainsi que de la côte occidentale. La contrée où elle se trouve fait partie de la langue de terre qui, sous la forme d’un toit dont le faîte est d’en- viron 260 mètres plus élevé que la mer, s’avance dans l'Océan et constitue le sol de la Bretagne. Celui du pays qui entoure la mine, à près d’un myriamètre de distance, est à environ 150 mètres au-dessus du niveau de la mer: ce pays est coupé et sillonné en tous sens par des vallées: une d'elles, en se renflant, présente comme un bassin, presque circulaire, d'environ 1,000 mètres de diamètre ; et c’est sous le sol de ce bassin (qui est à 106 mètres d’'élévation) que se trouvent les exploitations de Poul- laouen. D’après la loi que suit la chaleur de l’équateur au pôle, la température moyenne de la surface de la terre, à Poullaouen, doit être de 12.4. L’élévation du sol exige près d’un degré de diminution, ainsi on peut estimer à 11°.5 centig. la température moyenne. Les observations de M. Daubuisson ont été faites le 5 septembre 1806. Pendant tout le jour, le ciel fut beau, et ne présenta que peu de nuages. La température prise à l'ombre, dans le milieu de la journée, était de + 49°, En rapportant la suite des observations de M. Daubuis- son, j'indiquerai la position des points où elles ont été faites, ainsi que les circonstances qui m'ont paru pouvoir influer sur la température. À côté de chaque expression thermométrique, je donnerai la profondeur , au-dessous de la superficie du sol, du point auquel elle se rapporte: 324 LES PUITS FORÉS. 1° Dans la première galerie, appelée niveau de 50 pieds, près du puits par lequel on des- cend, dans un lieu où il n’y avait qu’un faible courant d'air, un peu d’eau qui était sur le sol CRU SR A EURE SX NUS 3 ss 2° A la galerie de Saint-Georges, sous l’inter- section de trois branches du filon, dans une es- pèce de cul-de-sac fort éloigné des lieux qu’oc- cupaient les mineurs, où il n’y avait aucun courant d’air, mais où il tombait du faîte une grande quantité d’eau de filtration, cette eau a OR. ses dure SV SA NE Se RE: 3” Les eaux de filtration qui sont tombées dans cette galerie (Saint-Georges) ont indiqué, à leur arrivée au puits par lequel on les élève. L° Trente-six mètres plus bas, au niveau de la Boullaye, vers l'extrémité d’une longue gale- rie où il n’y a ni courant d'air ni travailleurs, sous de très-fortes gouttières, et dans l’eau, OÙ STONE ENS EL RE TR Tr 5° Tout au fond du puits Saint-Georges, dans le puisard où se rassemblent les eaux qui ont pénétré dans les parties inféricures de la mine situées tout autour, l’eau a indiqué........... 6° Et l’air au-dessus de cette eau........... 7° Au puisard que présente le fond du puits de Sainte-Barbe (lequel est à l’autre extrémité de la mine), l’eau a marqué............. ré 8° Et l’air, au-dessus de l’eau....... sin doeidved 9° Les eaux des anciennes excavations qui viennent à ce puits ont marqué............., N. B. Ces eaux provenant des filtrations qui ont principalement lieu dans les parties supé- rieures des anciens travaux, sont froides; et comme elles forment la majeure partie de celles qui entrent dans le puisard de Sainte-Barbe, elles y sont cause du peu de chaleur que pré- sentent celles qui s’y trouvent, 10° Dans une excavation peu éloignée du fond du puits de Sainte- Barbe (appelée grlerie du Four), dont les parois sont presque partout ta- Températ. 15°.1 41.9 42 .4 Profond. 16" 39 89 75 LES PUITS FORÉS. 325 Températ. Profond. pissées de pyrites rayonnées, en partie effleu- rées, le thermomètre, laissé pendant plus d’un quart d'heure, dans un petit creux fait au mi- lieu de la pyrite, et qui renfermait beaucoup de sulfate blanc, a marqué.................. 14° .6 140" 14° Plongé ensuite dans un petit trou, d’où il sortait une source assez forte, le thermomètre sopaement indiqué... ..sessss dose some se 14 .6 140 1° Les observations 2, 3, 4 prouvent incontestable- ment que la chaleur de la roche, dans les parties supé- rieures de la mine, est de 12°; les eaux qui filtraient à travers la roche, en avaient bien certainement pris la température, et on voit que cette température ne diffère pas sensiblement de celle indiquée par la théorie. Si la première observation a donné une chaleur un peu plus considérable, c’est qu’elle a été faite dans un lieu où il passait continuellement de l’air venant du dehors, et par conséquent chaud (les expériences ayant été faites à la fin de l'été.) 2° Les observations 5 et 6 font encore voir que la tem- pérature des parties inférieures de la mine est plus con- sidérable que celle des parties supérieures. Si, dans les profondeurs , l'air paraît plus chaud que l’eau, c’est vrai- semblablement encore parce qu’il a conservé une partie dela chaleur qu’il avait en entrant dans la mine. J’ai déjà donné la raison qui fait que, dans les observations 7, 8, 9, l'infiltration d’eaux froides amène une température moindre que ne comporte la profondeur. 3° Les expériences 10 et 11 montrent qu'il est des cir- constances où la présence des pyrites ne produit pas de chaleur : la température qu’elles indiquent ne saurait 326 LES PUITS FORÉS. dépendre de cette cause; au puits Saint-Georges, il n’y a point de pyrite, et la température est la même. Ainsi, abstraction faite de toute cause extraordinaire, les observations de M. Daubuisson paraissent indiquer qu'à 150 mètres de profondeur, la température, est à Poullaouen, de 2 ou 3° plus considérable qu'à la sur- face du sol. | Huelgoat. — La mine de Huelgoat est à 48° 47 17” de latitude, et à 6° 1’ 46” de longitude occidentale : son orifice ( celui du puits d'extraction) se trouve à 173 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle est sur un large coteau qui sépare deux vallons, dont la profondeur est de 80 à 90 mètres. | D'après ce que nous avons dit sur la latitude et l'élé- vation, on peut conclure que la température moyenne, à Huelgoat, est de 11°, La roche est, ainsi qu’à Poullaouen, un schiste argi- leux; mais elle contient de plus quelques couches de schiste alumineux. Voici les observations faites par M. Daubuisson, le 5 septembre (le même jour que celles de Poullaouen ) : | | Températ. Profond. 1° Dans une galerie qui est à une quinzaine de mètres au-dessous de celle par laquelle les ouvriers entrent ordinairement dans la mine, qui n’a d'autre orifice que celui par lequel on y pénètre; galerie dans laquelle personne n'entre depuis plusieurs années, et où il n’y a aucun courant d’air, le thermomètre, placé à son extré- mité septentrionale, a marqué, au bout de 20 LT ORNE ces 4v.601s 0 0 otsidie 11°.0 ’ Après avoir descendu le puits dit des mineurs, et avoir parcouru quelques dizaines de mètres LES PUITS FORÉS. sur la galerie qui est au pied, M. Daubuisson est entré dans un autre puits qui aboutit à une galerie absolument sans communication avec le reste de la mine, et dans laquelle il n’y a par conséquent aucun courant d'air. 2° Le thermomètre plongé dans un peu d’eau stagnante, qui était sur le sol, s’est élevé à... 3° M. Daubuisson étant remonté à la première galerie, et sous une forte gouttière, dans l’eau, et en un endroit traversé par un courant d’air, ‘le thermomètre à marqué..........:........ M. Daubuisson s’est ensuite dirigé vers le sud où étaient les exploitations. 4° A la deuxième galerie, à peu de distance du puits d'extraction, dans un lieu où l’on pas- sait continuellement, et où il y avait un courant d'air assez fort, un peu d’eau stagnante a indiqué. 5° À la cinquième galerie, le thermomètre, plongé dans une caisse d’eau qui ee près du grand puits, s'est élevé à.........:.....,..., 6° A l’extrémité de la galerie où les Handts étaient le plus avancés vers le midi, on voyait jaillir du rocher, une grande quantité d’eau légèrement vitriolique; le thermomètre, tenu pendant un quart d'heure au milieu du jet, a continuellement marqué......... à NÉE PED ET 7° Tenu à côté, dans l'air, il a Analbment 0 ........ .....e 8° Il en a été de même, à environ soixante pas vers le puits, lorsqu'on l’a mis au milieu du ruisseau formé par la source dont nous venons de parler........... A RPC ES Le fond de la mine était SE les eaux s’y élevaient à une hauteur d'environ 16 mètres, M. Daubuisson est descendu par un petit puits pratiqué à peu de distance du grand, eo au niveau du lac souterrain. 9° Le thermomètre tenu pendant un quart d'heure sur une planche flottait sur l’eau, a marqué. .... PO PAPE Li LUS RES ES PE EE 10° Plongé dans l’eau, il < a également indiqué. Températ. 42°.2 13 .7 15 . 47: 49 . 49 . 19 . 18 .8 327 Profond. 70" 140 230 230 230 238 238 328 LES PUITS FORÉS. Températ. Profond. Toutes les eaux qui coulaient dans cette par- tie méridionale de la mine, se rendaient dans le lac souterrain, où elles étaient puisées par les pompes. 11° La température des eaux que ces pompes versaient dans la galerie n° 7, était de........ 19°. 180" En suivant cette galerie, elles se rendaient à un autre puits placé dans la partie septentrio- nale de la mine. | 12° Elles s’y mêlaient avec une petite quan- tité d’eau dont la température était de........ 15 .0 120 13° Et lorsque toutes ensemble elles étaient versées par les pompes dans la galerie d’écoule- ment, elles portaient le thermomètre à....... 18 .. p Nous avons ici deux classes d'observations à distinguer, celles (n° 4, 2, 3 et 12) faites dans la partie septentrio- nale de la mine, et celles faites-dans la partie méridionale. Les premières paraissent indiquer la température na- turelle du terrain. Celle n° 4, faite à 20 ou 30 mètres au-dessous de la superficie du sol (dans cette partie de la mine) , doit être regardée comme donnant le vrai degré de chaleur de la surface du terrain de la contrée : on ne voit aucune cause qui ait pu altérer la température na- turellement propre à cet endroit, qui est fort éloigné de tous les travaux ; certainement elle y reste la même du- rant toutes les saisons de l’année; et son expression est exactement celle indiquée par la théorie. Les observations n* 2 et 3 font encore voir que cette température va en augmentant à mesure qu’on s'enfonce. Le courant d’air qui règne dans la première galerie ( celle des charioteurs) rend raison du petit excès de chaleur qu’on y remarque proportionnellement à la profondeur. Quant aux températures observées dans la partie méri- LES PUITS FORÉS. 329 dionale de la mine, elles ont été visiblement influencées par une cause étrangère, par l’arrivée des eaux vitrioli- ques, que nous avons dit venir du midi. En fonçant un _ nouveau puits, à 100 mètres de la partie méridionale des exploitations actuelles, on a traversé des couches d’un schiste alumineux, lequel, dès sa' sortie du souterrain, a déjà un goût styptique très-fort. Avec le secours de la loupe, on y remarque une multitude de points pyriteux qui , par leur décomposition et leur action sur le schiste, ont vraisemblablement produit un dégagement de ca- lorique, lequel aura échauffé les eaux qui traversent ces couches. Celles-ci n’étant qu'à une petite profon- deur , se sont trouvées, par quelques fissures, en com- munication avec l'atmosphère ; et les décompositions et dégagements auront ainsi pu s'effectuer dans l’intérieur de la terre. | Quoi qu'il en soit, il paraît positif que c’est en tra- versant ces couches que les eaux auront pu acquérir une chaleur de 20°, qui est supérieure à celle que com- porte la profondeur à laquelle elles se trouvent. L° Mines de Cornouailles. Les observations de température que je vais rapporter pour les mines de Cornouailles m'ont été transmises en manuscrit par M. Clément, à qui elles avaient été adres- sées par M. R. W. Fox. Wheal Abraham mine (mine de cuivre et d’étain). — Les observations ont été faitespar le capitaine Th, Lean, en juin 4815, 330 LES PUITS FORÉS. Profondeurs. Températures. 0 mètres, température de l’air........ 15°.0 centigr. 5 — | 2 die Sa Qt 18 .3 36 _— airises À . 18 .0 110 — NPA 1440. 146 — MP 0 Re fi, 182 ee ahAiot JT ENS 219 — 1 1 DES 20 .5 256 — [\; PRPRRENRE. 293 —— AMC "25.8 829 — airs. y) 2208 348 — ar... LÉ En décembre 1815 on a trouvé : Profondeurs. Températures. 0 mètres, température de l’air........ 40°.0 centigr. 5 — ii ÉRRÉ PCT E ES - A: 37 _ air. L.t1140: 49 73 — air. 08 2... 16.4 82 —— air cote. 20 67 91 — air. 4 CATUE 110 — 4 ‘se SOS 146 — Mo vves 47 .8 183 —— dir iv et 18 .8 183 — CA chose) 2238 201 — AE. cons CS 201 — OM... 18 .3 227 —— airé.00 MAUUE : ns | 297 — PAR. ss cu 20 .0 265 — |: FREE RS - 265 — ani ti. à. 23 .0 293 — PER Rs 7" 293 — eau 10858 329 _ RAS FE 23 .3 329 — CUS RS 23 .3 318 — airs ts 23 .3 348 — EAU... . sucre « 23 .3 866 — air. . 366 — eau: L67 120.6 United mines (mines de cuivre et d’étain), — Le niveau de la mer, dans cette mine, correspond à la pro- LES PUITS FORÉS. 331 fondeur de 94 mètres. Les observations ont été faites par M. Michael Williams, en mai 1819. Profondeurs. Températures. 0 mètres, température de l’air........ 14°.8 centigr. 83 — 1: REA 13 .3 119 — MR nie 20.0 247 — SE à nt à 293 — M indie ED 802 — 7 FRAC 22 .8 302 — OR sfr 23 .3 Dolcoath mines (mines de cuivre et d’étain), — Le niveau de la mer, dans cette mine, correspond à la pro- fondeur de 110 mètres. Les observations ont été faites par John Rede, en octobre 1815. Profondeurs. Températures. 0 mètres, température de l’air..... «.. 146°.6 cCentigr. 128 —- Ma sis 16 .9 293 — |: : ptet be 9311 — air. 21:50 329 — D ne: 22 .0 357 See 28..0 375 — GARE 23 .3 421 — AiPussle .. 26 .6 421 —— CR 27.8 Tinesoft mine (mine de cuivre et d’étain).— Le niveau de la mer, dans cette mine, correspond à la profondeur de 413 mètres. Les observations suivantes ont été faites en mai 14819, par M. John Rede. Profondeurs. Températures. 51 mètres, température de l’air.:...... 11°.7 centigr. 101 — MP een à 21.1 134 _ MR à 0 ct 12 4 170 —— SANT 13 .3 201 — AP sado 16 .7 234 — E 1 + PER CREME 16 .7 23/ — EAU. sé se 15 .0 332 LES PUITS FORÉS. Cookskitchen mine (mine de cuivre et d’étain. } — Le niveau de la mer, dans cette mine, correspond à la pro- fondeur de 110 mètres. Les observations suivantes ont été faites en mai 1819, par M. John Rede. Profondeurs. Températures. 51 mètres, température de l’air........ 10°.0 centigr. 91 _ EF... 000 42 °6 128 — a Pr 13 .9 170 — a, 0 “418 195 — NE. Son 46:57 234 — AP. hAs oO 47.2 269 — ailes. 5:40 17 .8 311 ee AT. RTE 342 —— LL EEE 20 .5 342 —— eau 9. 20 .0 M. R. W. Fox, dit, dans les notes qui accompagnent les observations précédentes que les Dolcoath , Cookskit- chen et Tinesofl mines sont dans du schiste argileux placé sur du granite, et que le schiste argileux dans les united mines contient de grandes masses de porphyre. Le lecteur remarquera sans doute qu’à profondeurs pareilles, il y a d'assez grandes différences entre les températures de ces deux dernières mines et celles des précédentes. M. R. W. Fox croit que cette anomalie tient à ce que les Tinesoft et Cookskitchen mines étaient inondées de- puis longtemps par des eaux qui, sinon en totalité, du moins en très-grande partie, provenaient des couches supérieures, et devaient conséquemment abaisser la tem- pérature, LES PUITS FORÉS. 333 5° Mines de charbon de terre situées au nord de l'Angleterre. L'Édinburgh philosophical journal pour 1819, contient - les observations suivantes, dues à M. Robert Bald. Mine de Whitehaven (comté de Gumberland). Air à la surface. ...... EM de Ne 0/0 TUE RCE 12°.8 centigr. Source à la surface........ addass odt,88 es ‘ab Eau à la profondeur de 146 mètres............ 15 .5 Air à la même profondeur.....,........s...s. 1222 Air à la profondeur de 182 mètres............. 18 .9 Différence entre la témpérature de l’eau à la sur- face, et celle qui sort à la profondeur de 146 mèt. 6. = Mine de Workington (comté de Cumberland). D ne NP ÉD cine Psp agé 13°.3 centigr. Source à la surface. .... Rire an nr ie ns 8 .9 Eau à la profondeur de 55 mètres............. 10 .0 Eau à la profondeur de 154 mètres au-dessous OL CSL 14 une balr SR Soie 15 .6 Différence entre la température que présente l'eau à la surface et à 154 mètres de profondeur. 6 .7 Mine de Teem (comté de Durham). Air au fond d’un puits de 1435 mètres de profon- deur (le sol est un peu élevé au-dessus de la mer). 20°.0 centigr. Eau à la même profondeur.................... 16 .1 Différence entre la température moyenne de l’eau à la surface (9°.4) et celle de ce même liquide à 155 mètres de profondeur. ..................... fe ! Mine de Percy (comté de Northumberland). Air à la surface. ..... Le AD UGS. I 5°.6 centigr. Eau dans une galerie située environ à 270 mètres au-dessous du niveau de la mer, et précisément sous le lit de la rivière Tyne.......,........... 20 .0 334 LES PUITS FORÉS. Air, à la même profondeur................. ‘v. 249.4 Contigr. Différence entre 9°.4, température moyenne de l’eau à la surface, et celle de ce liquide à 270 mè- tres au-dessous du niveau de la mer............. 10 .6 Mine de Jarrow (comté de Durham). Aîr AA SUD. Lai, demie La 9°.7 centigr. Eau, à la profondeur de 269 mètres comptés à à partir de la surface. ,,,....,,4..:28000 PE 20 .0 Air, à la même profondeur. .:4,:,.:... ss 4400 A Différence entre 9.4, température moyenne de l’eau à la surface, et celle de ce liquide à la profon- deur de 269 mètres... (esovigt 1 V3 40:26 Le puits de la mine de Jarrow est le plus profond de toute l'Angleterre : car il y a 274 mètres de distance entre le fond de ce puits et la surface, Mine de Killingsworth (comté de Northumberland). Air, à’ la ‘Surface. 5,54: 2405 9.66.9n s.... 8°.9 centigr. Air, au fond du puits, à la Stone de 241 mèt. 140 .5 Air, à la profondeur de 274 mètres et à 2,000 mè- tres de distance du puits......,.......... ve.61 45 ARC Eau, à la profondeur de 366 mètres (comptée à partir de la surface), et dans la portion de la mine . la plus éloignée des ouvertures. .........,....... 23 .3 Air, à la même profondéur,..........4.s.eess 25 .0 Excès de la température de l’eau à 366 mètres de profondeur, sur 9°.4, température moyenne à la COPA sde des mate den 0 di 3 à LÉ ES vas) AUS 13 .9 La mine de Killingsworth est la plus profonde de toutes les mines de charbon de terre de la Grande-Bretagne, quoique cependant aucun de ses puits ne soit, pris isolément, aussi profond que celui de la mine de Jarrow. Dans ces mines de charbon de terre, les couches sont LES PUITS FORÉS. 335 d'autant plus sèches que leur profondeur est plus grande; aussi, dans quelques galeries situées cependant au-des- sous du niveau de la mer , est-on obligé d’arroser le sol pour que les travailleurs et les chevaux ne soient pas trop . incommodés par la poussière, G° Accroissements moyens de température, observés dans les mines de l’Angleterre. Nous venons de rapporter un grand nombre d’obser- vations, faites en Angleterre, à la recommandation de M, R. W. Fox. Une lettre manuscrite que nous a donnée ce savant, renferme des déterminations nouvelles, et quelques remarques que nous devons consigner ici. Les observations ont été faites dans dix mines diffé- rentes, savoir : Dolcoath, United-Mines, Treskerby, Whealsquire, Ting-Tang, Wheal-Gorland, et Wheal- Damsel (mines de cuivre), Chase-Water (mine d’étain et de cuivre), Wheal-Unity (dans la partie qui donne de l’étain), et Wheal-Vor (mine d’étain. ) Voici les températures observées : les nombres inscrits dans la table, sont les, moyennes des résultats partiels, obtenus pour chaque profondeur , dans les dix mines que nous venons de citer : A 18 mètres de profondeur. Tempér. centig. . 40°.1 de 37 à 55 mètres — — 16 .1 de 55 à 73 — — 15 .3 de 91 à 410 — — 16 .7 de 110 à 128 — — 17 .7 de 128 à 146 — — 18 .8 de 146 à 165 — — 20 :.2 .0 de 165 à 183 — — 21 336 LES PUITS FORÉS. de 183 à 201 mètres de profondeur. Tempér. centig. 20°.3 de 201 à 220 se sé 21 1 de 220 à 238 — = 20 .9 de 238 à 256 — en 29 ,3 de 275 à 293 — — 23 .9 de 348 à 366 : — — 24 .! A 421 mètres — _ 25 .8 A 439 — _ — 27 .8 Je vais extraire maintenant de la lettre de M. Fox quelques détails relatifs aux circonstances dans lesquelles les observations ont été faites. « Dans un grand nombre de cas, le thermomètre fut enterré dans le roc jusqu’à la profondeur de 15 à 20 centimètres; quelquefois on se contenta de prendre la température de l’air ou celle de l’eau ; le plus souvent les deux méthodes donnaient des résultats peu différents. « Le thermomètre, enfoncé dans les veines métalliques, indiquait généralement une température de 4° à 2,8 centigrades, supérieure à celle qu’on obtenait quand le thermomètre était plongé dans le trou d’une roche, et particulièrement dans le granite. «Les veines d’étain sont ordinairement un peu plus froides que les veines de cuivre. | « Dans le fond de la mine de Dolcoath, à 439 mètres de profondeur , il sort de la veine un jet d’eau fort abon- dant, dont la température constante est de 27°.8 centi- grades. Quelle preuve plus évidente pourrait-on donner de la grande chaleur des couches intérieures du globe? « Les pompes d’épuisement des United-Mines furent naguère totalement dérangées par un accident; deux galeries, l’une à 336 mètres, et l’autre à 348 mètres de profondeur, se trouvèrent, par suite, totalement rem- LES PUITS FORÉS. 337 plies d’eau. Cet état de choses dura deux jours entiers. Aussitôt que l’eau eut été pompée, et avant que les ouvriers descendissent pour reprendre leurs travaux, je déterminai la température des deux galeries. Gelle de la première était de 31°.1 centigrades. Le thermomètre dans la seconde, à 348 mètres de profondeur, se main- tint à 30°.8. Remarquons que, pour éviter toute erreur dans l’observation de ces températures, j'enfonçai la boule de l’instrument de plusieurs centimètres sous le sol des galeries. «Ayant analysé les eaux de Dolcoath et celles de United-Mines, dont les températures sont si élevées, j'ai trouvé que les premières ne contiennent qu’une très-petite quantité de muriate de chaux, et qu’il n’y a dans les autres qu’une proportion également très-petite de sulfates de fer et de chaux. » Ces résultats de Fanalyse s'accordent complétement avec l’idée qui tend à attribuer la chaleur des eaux ther- males non pas à des combinaisons chimiques, mais à la haute température des couches profondes de notre globe. M. Fox termine sa lettre en annonçant que des expé- rience nouvelles, faites dans des mines de charbon de terre, confirment parfaitement les résultats qu’il avait obtenus dans les galeries des mines de cuivre et d’étain. Ainsi, dans une mine de houille, à 18 mètres de prof., le therm. 4 marquait.. 10°.0 à 65 — — —— 14 4 à 165 _— — — 16 .7 On vient de voir que, suivant M. Fox, la température VI. — 11. 22 338 . LES PUITS FORÉS. des veines métalliques est généralement de 4 à 3 degrés centigrades, supérieure à celle des roches voisines; or, en considérant les courants d’air qui circulent dans les galeries profondes des mines, comme une cause de refroi- dissement toujours agissante, il me paraît que cette petite différence de chaleur doit être une conséquence nécessaire de la grande conductibilité des métaux. Il me semble encore que ce phénomène, bien étudié, peut ser- vir à montrer que les parties intérieures des roches et des filons métalliques sont elles-mêmes à des tempéra- tures plus élevées, et qu’il fournira ainsi une nouvelle objection contre l'hypothèse admise par quelques phy- siciens et que nous venons de rappeler, que la haute chaleur qu’on observe dans les mines tient à une action chimique de l'air sur les substances qui tapissent les. parois des galeries, et en particulier sur les pyrites. La théorie de la chaleur de Fourier est d'accord avec nos conjeclures. 7° Diverses mines d'Amérique. Pour les mines d'Amérique j'emprunterai les résultats que j’ai à citer aux notes manuscrites qu'a bien voulu me communiquer mon illustre ami, Alexandre de Humboldt. Mines de la Nouvelle-Espagne. — Guanaxuato, lat. 24° 0’ 15/’; hauteur du plateau au-dessus de la surface de l'Océan, 2,144 mètres. Température annuelle moyenne de l’air, vraisemblablement 16° centigr., semblable à celle de Rome. La mine de Valenciana est si chaude, que, dans les parties les plus profondes, les mineurs LES PUITS FORÉS. 339 sont constamment exposés à la température de 33 centi- grades. Au mois de septembre, M. de Humboldt a trouvé pour l’air au dehors de la mine....... sénilésdèn 19°.3 centigr. Entre le Despacho del tiro nuevo et la Boveda de San Pablo, entre 83 et 167 mètres de profondeur... 23 .7 à 27°.6 Dans les planes de San Bernardo, à 500 mètres I OMOOUP. «cms ssonondanesaansene se 33 .8 _. La source qui sort sur le filon même, à 500 mètres de profondeur, a 36°.8 de température; elle est de 3° plus chaude que l'air des planes dans lequel travaillent les mineurs. La mine de Rayas, près de celle de Valenciana, est regardée. à tort par les mineurs comme beaucoup plus chaude que les planes de San Bernardo. M. de Humboldt a trouvé le thermomètre centi- grade à l’air libre, près de la Boca de la Mina...... 20°.8 centigr. Dans les planes, à 192 mètres de profondeur.... 33 .7 Dans les mines de Villalpando, à trois lieues au nord de Guanaxuato, sur un plateau de 2,592 mètres ON à l'air libre... .,.. 44e eùh o ofe 01e 22 .l Dans les planes, à 1339 mètres de profondeur... 29 .4 C’est dans les mines de Guanaxuato que l’on a entendu, en 1784, un bruit souterrain (truenos et bramidos subter- raneos) qui n'a été accompagné d'aucune secousse. Le volcan de Jorullo , sorti de terre le 14 septembre 1759, est à 50 lieues de distance des roches de transition métal- lifères de Guanaxuato. Il y a des sources chaudes autour de Guanaxuato; sortant d’un conglomérat basaltiqué. Celles de Comangillas, que M. de Humboldt a exami- nées, ont 96°.2 de température, 340 LES PUITS FORÉS. La mine de la Cabrera, près de Moran (lat. 20° 40” L'’) est à une hauteur de 2,594 mètres, la température moyenne annuelle de l’air y est probablement 15°.8, M. de Humboldt a trouvé à l’air extérieur...... 10 à 11°.8 cent. Dans la galerie del Conde de Regla, à 50 mètres de profondeur, sans traces de métal dans le por- phyre de transition. :.......404.. 0000. 4000 Dans le village de Tehuilotepec, près de Tasco (lat. 16° 35’ 0”’, hauteur 1791 mètres, température moyenne annuelle de l’air probablement 20°), le thermomètre à l'air, hors de la mine, marquait de jour, 25° à 26° et de nuit, 46 à 17; il marquait dans la galerie de san Ignacio (où il n’y avait aucun mineur et pas de courant d'air), à 109 mètres de profondeur perpendiculaire, 21.3; dans les eaux des mines à la même profondeur 20°. À Moran, les eaux des mines étaient de 4°, et à Tehuilotepec de 4°.3, plus froides que l’air des mines. Dans les mines de Santa-Ana (royaume de la Nouvelle- Grenade), M. de Humboldt a trouvé l’air de l’intérieur partout à 21°.4, quand l’air de dehors était, de jour, à 22°,5, de nuit, à 18°.7; mais la mine a à peine 68 mètres de profondeur. Elle est située par les 5° 10’ de latitude nord, à 974 mètres de hauteur, dans une région dont la température moyenne de l'atmosphère est probablement 21° à 22°, Mines du Pérou. — Les seules observations faites à de grandes profondeurs, mais dans des parties du globe élevées de plus de 3,500 mètres au-dessus du niveau de l'Océan, sont les observations de Hualgayoc, près de LES PUITS FORÉS. 341 Micuipampa, sur le dos des Andes de Chota, par 6° h3! 38’ de latitude sud; la hauteur du plateau est de 3,540 mètres ; la température moyenne annuelle de l'air à cette hauteur doit être probablement 7°.8. La montagne métallifère de Hualgayoc, qui est isolée dans le plateau, paraît avoir plus de 4,093 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. A UN OO M Su HR eue fe 5 à 6° centigr. Dans la Mina de Guadalupe, l’air de la galerie.. 14°.3 0 5 ed ve eo es ve 127,2 Dans la Mina del Purgatorio, qui est extrêmement OT CORRE IT CE PRE PT 19 .6 Cette température de 49°.6 dans l’intérieur de la terre, presque à la hauteur du pic de Ténérifle, est sans doute bien remarquable. Le thermomètre est, dans ces contrées, le jour, de 5° à 9°, la nuit de 0°.4 à 2. Le point où M. de Humboldt a mesuré la température au Purgatorio est à peu près de 58 mètres plus bas que celui de Guadalupe. Il est presque impossible de déter- miner la profondeur par rapport à la surface du terrain, parce que la montagne isolée dans laquelle les mines sont creusées a des pentes très-irrégulières. Il suffit de rap- peler que les planes des deux mines sont un peu au- dessus du niveau du plateau de Micuipampa, et de 487 à 58 mètres au-dessous de la cime de la montagne de Hualgayoc. Deux points de l’intérieur de cette montagne à 5,606 et 3,509 mètres de hauteur absolue, ont par conséquent 14°.3 et 19°.6 de température, quand l’air en- vironnant a une température moyenne de 7°.8 ; les eaux 342 LES PUITS FORÉS. des mines sont, dans ces mêmes lieux, à une tempé- rature de 44°.2 8 2. — Température des sources. Depuis les observations que j'ai faites en 1821 et dont j'ai parlé plus haut (p. 315), je me suis constamment occupé de rechercher la cause des températures des sources thermales, et je crois être arrivé à démontrer que leur chaleur est empruntée à celle des couches terrestres qu’elles ont traversées, de telle sorte que les eaux sont d’autant plus chaudes qu’elles proviennent d’une plus grande profondeur. Je vais réunir ici toutes les observa- tions que j'ai faites moi-même ou qui sont parvenues à ma connaissance, | 1° Sourcès thermales d'Aix en Provence. La ville d’Mx, en Provence, renferme des bains d’eau thermale, connus sous le nom de bains de Sextius. Ils sont entourés d’un édifice dont la construction fut ter- minée en 1705. La source était jadis si abondante que, dans les deux derniers mois de cette année 1705, elle pourvut amplement aux besoins de plus de 1,000 bai- gneurs. Les eaux coulaient à plein jet par neuf tuyaux d’une fontaine et par neuf robinets de bains. Dès l’année 1707, une diminution commença à se manifester ; en peu de mois elle fit de tels progrès que l'établissement fut totalement abandonné. D’autres sources chaudes existaient dans la ville, au cours, au jardin des Jacobins, au monastère de Saint- LES PUITS FORÉS. 343 Barthélemy , à la Triperie, au Grioulet, à l’hôtel de la Selle-d’Or (hôtel des princes), etc., au fond de certains puits, tels que celui du sieur Boufillon (au coin de la rue des Marchands) et les puits des tanneurs. Ces di- verses sources diminuèrent comme celles de Sextius, et même plus rapidement. Plusieurs, et dans le nombre les sources des Jacobins, de Saint-Barthélemy, de la Tri- perie, du Grioulet, tarirent complétement. Pendant que s’opérait l’appauvrissement et même la perte complète de plusieurs fontaines d’Aix, quelques individus mettaient à profit, pour leur usage particulier, des sources extrêmement abondantes qu’ils avaient décou- vertes, en creusant à une petite profondeur dans des propriétés situées à peu de distance de la ville, au terri- toire du grand et du petit Barret. L'idée que ces nou- velles eaux étaient précisément les anciennes eaux de la ville, se présenta de bonne heure à l'esprit de plusieurs personnes ; mais l’impossibilité de prouver catégorique- ment le fait, arrêta longtemps l'administration. Enfin, en 1721, pendant la terrible peste de Provence, le doc- teur Chicoineau, de Montpellier, ayant jugé convenable d’ordonner des bains aux quarantenaires, Vauvenargues, commandant d'Aix , prit l’arrêté suivant : « Les bains des eaux chaudes de la ville d'Aix nous ayant paru nécessaires pour laver et purifier les conva- lescents quarantenaires; et comme les dits bains n’ont pas l'eau suffisante pour cet effet, à cause de la dérivation qui en a été faite par divers propriétaires voisins de la source, nous ordonnons, pour le bien du service, qu’il sera incessamment travaillé à réduire, etc., etc. » 344 LES PUITS FORÉS. En vertu de cet ordre, les consuls firent boucher les trous creusés sur le territoire du Barret, et vingt-deux jours après l'opération , les eaux des bains de Sextius augmentèrent des trois quarts, et plusieurs sources en- tièrement taries, celle du Grioulet, par exemple, recom- _mencèrent à couler. En mai 1722, Vauvenargues ayant été remplacé, les propriétaires dépossédés percèrent souterrainement lou- vrage qui avait été construit l’année précédente, et aussitôt on vit les sources chaudes de la ville diminuer ou même tarir entièrement. En juillet 1822, les brèches furent réparées, à la dili- gence du procureur-général , ét les habitants d’Aïx virent reparaître leurs eaux. Les choses restèrent dans cet état pendant cinq ans; mais en 1827, les habitants des mou- lins du Barret pratiquèrent clandestinement une nouvelle ouverture au batardeau, construit en 1822, On n'eut encore connaissance de ce méfait que par la diminution des eaux. Pour faire acte définitif de propriété, la ville fit ériger en 1829, sur le terrain où l'intérêt privé livrait un combat si persévérant à l'intérêt général, une pyramide en pierre de taille. Aux détails que nous avons donnés pour. établir que les eaux de la pyramide du Barret alimentent les sources chaudes de la ville d'Aix, nous ajouterons que M. Dau- phin, serrurier, assurait en 1819, à M. Robert, médecin, de Marseille, avoir été témoin d’une expérience qui éta- blissait le fait d’une manière incontestable : on délaya, disait-il, de la chaux dans le bassin de la pyramide, et les eaux du Cours et de Mennes devinrent laiteuses! LES PUITS FORÉS. 345 Sous la pyramide du Barret, le liquide occupe un bassin construit également en pierre, de 4 mètres de de long sur 2".55 de large. En juin 1812, M. Robert y fit descendre deux hom- mes pour prendre la température de l’eau : ils trouvèrent —+ 17.5 Réaumur ou 21°.87 centigrades. À la même époque, les bains de Sextius étaient à + 29° Réaumur ou 36°.7 du thermomètre centigrade. 11 paraît donc constaté que les eaux froides du Barret, deviennent, du moins en majeure partie, les eaux chau- des d'Aix, en traversant le court espace qui sépare ces deux points, c’est-à-dire une distance horizontale qui, dans les mémoires judiciaires dont nous avons donné l'extrait, est évaluée à mille pas géométriques. On aura sans doute remarqué les mots : en majeure partie, dont nous venons de nous servir; ils signalent nettement, en effet, la question qui reste à résoudre. Si l’on parvenait à prouver que toute l’eau chaude des bains de Sextius provient de l’eau froide du bassin du -Barret ; que le phénomène ne consiste pas seulement dans un mélange qui pourrait s’opérer près de la surface, entre l’eau du Barret et celle d’une source thermale ordi- naire, plus voisine d'Aix; que dans le trajet, le liquide ne se charge chimiquement d'aucune substance étrangère, la théorie des sources thermales aurait fait un pas défi- nitif; tout le monde consentirait alors à les assimiler aux sources artésiennes, dont la haute température est évidemment due à la grande profondeur d’où elles pro- viennent. Sans prétendre deviner les meilleurs moyens d’inves- 346 LES PUITS FORÉS. tigation que l’aspect des lieux peut suggérer, j'imagine que si l’on obtenait la permission de dériver les eaux du Barret, pendant quelques jours seulement , la principale question serait résolue. Dès que la source thermale inter médiaire, entre Barret et Aix, arriverait seule à Sextius, il y aurait, en effet, et simultanément, diminution con- sidérable dans la quantité de liquide, et augmentation considérable dans la température des baïns. Une analysé chimique comparative des eaux du Barret et de celles de Sextius , si elle était faite avec la scrupuleuse exactitude dont la science possède plusieurs exemples, serait très- intéressante. Il ne semble guère qu’on puisse se dispenser de répéter l'expérience citée par le serrurier Dauphin, soit en se servant de chaux, soit en employant du son farineux ou quelque matière tinctoriale, ne fût-ce que pour déterminer la vitesse du liquide dans les canaux souterrains qu’elle parcourt, en allant du Barret à Sextius. : La dérivation momentanée des eaux du Barret, est le moyen le plus décisif d'arriver à la solution du très- ancien problème de géographie-physique que les sources thermales ont fait naître; mais cette dérivation serait inexécutable, qu’il serait encore possible d'arriver au but. Les eaux de Sextius, dit-on, diminuent avec la sé- cheresse, et augmentent beaucoup dans la saison des pluies. Eh bien, il serait peu probable que l’augmentation et la diminution suivissent exactement et simultanément les mêmes rapports, dans l’eau froide, presque super- ficielle, du Barret, et dans l’eau thermale de la source plus voisine d'Aix. S’il y a mélange de ces deux eaux, LES PUITS FORÉS. 347 il faut donc s'attendre qu’à Sextius on observera de grandes variations de température. On voit, par ce seul exemple, combien se trompaient les administrateurs qui supprimaient l'inspecteur des . eaux thermales , d’après l’idée que, sur cette matière, il ne restait plus rien à découvrir aujourd’hui. J’ajouterai que j'ai puisé les données sur lesquelles se fondent les projets d'expériences que je viens d'exposer dans un mémoire manuscrit, présenté à l’Académie, vers 1820, par. M. Robert, et qui n’a pas attiré, suivant moi, toute l'attention dont il était digne, M. Freycinet a été chargé par l’Académie des sciences, en 1835, sur la demande que j'en avais faite, de faire des recherches sur la question que je viens d'exposer. D’après une moyenne entre cinquante observations, il a trouvé que, en janvier 1836, les eaux du Barret avaient 20°.06, tandis que celles des bains de Sextius s’élevaient à 94°.16; en rapprochant ces nombres de ceux constatés par le docteur Robert, en 1812, et que nous avons rap- pelés plus haut, il a constaté en outre que, lorsque les eaux du bassin du Barret sont taries en totalité, la tem- pérature des bains de Sextius est notablement plus forte que dans les circonstances ordinaires. Aussi, au mois de juin, pendant la sécheresse, les eaux des bains qui ne sont plus mélangées d’une si grande quantité des eaux du Barret, sont plus chaudes que dans les autres saisons. Le 10 octobre 1826, j'ai pris la température de l’eau du bassin que les agents de l'établissement appellent /a Source, et je l'ai trouvée de 33°.3 seulement. La tempé- rature de l’eau sous la coupole, à la sortie de la pierre 348 LES PUITS FORÉS. antique, était de 34°, et celle de la fontaine chaude, sur le Cours, de 27°.1, Le lendemain 414 octobre, l’eau de la fontaine abondante du Pont-Royal, à onze heures un quart du matin, marquait 1/4°.5. Mes observations concordent donc avec celles de M. Freycinet : les eaux des bains sont moins chaudes lorsque les eaux de pluie ont pu se mélanger avec celles qui viennent de l’intérieur de la terre. Robiquet a fait en 1836 l'analyse des eaux du Barret et de Sextius, et il a obtenu les résultats suivants pour un litre d’eau : Eau Eau du Barret. de Sextius. . ge gr. Carbone de chanx. =), Le 0.2416 0.1072 Carbonate de magnésie.................. 0.1080 0.0418 Chloruüre:dé 20m. 30 DTA UE 0.0070 0.0073 Chlorure de magnesium.,..,........... +. 0.0286 0.0120 SUIFATS A0 SON. 6 nn dus ae 0 Rens 0.0880 0.0325 Sulfate de magnésie..................... 0.0230 0.0080 Acide silicique et matière organique azotée. 0.0214 0.0470 2 AE AE TPS DO PMP OMSPTEE VEUT Fe Traces Traces Poids du résidu de l’évaporation de 1 litre. 0.5176 0.2258 Nous avons dit qu’il n’est pas douteux que les eaux du Barret arrivent aux bains de Sextius après s'être mélan- gées à des eaux souterraines plus profondes; lanalyse chimique vérifie cette conséquence des autres observa- tions en montrant que les eaux de Sextius contiennent en dissolution les mêmes éléments que celles du Barret, mais en moindre proportion, comme ayant été étendues avec des eaux plus pures, LES PUITS FORÉS. 349 2° Températures de diverses sources du midi de la France, observées pendant un voyage fait en 1826. À En 1826 j'ai fait pendant les mois d'août, de sep- tembre et d'octobre, un voyage dans le midi de la France. J'ai consigné les observations que j'ai recueillies dans un registre qu'aujourd'hui, en 1852, presque aveugle et infirme, je ne puis dépouiller moi-même, J’ai recours à M. Barral pour en extraire tous les résultats importants, et pour les rapprocher des observations que d’autres personnes peuvent avoir faites, et particulièrement de celles consignées dans l'Annuaire des eaux de la France, que mon savant confrère, M. Dumas, a eu la bonne idée de faire rédiger par une commission spéciale, dont M. Sainte-Claire Deville est le secrétaire. Je m'étais proposé de faire diverses observations sur la température, le rayonnement solaire, la pression baro- métrique, le magnétisme terrestre et les autres phéno- mènes naturels qui pourraient s'offrir à mon étude. Je vais résumer ici les résultats que j'ai obtenus en prenant les températures de diverses sources thermales; on trou- vera ailleurs mes autres observations. Mais ce que je vais dire du soin que j'ai pris de comparer mes thermomètres et avant mon départ et après mon retour, avec des ther- momètres étalons, s'applique à tous les instruments que j'ai emportés. C’est une recommandation qu’on ne saurait trop faire à tous les voyageurs, de s'assurer de la vérité des indications de leurs thermomètres et de leurs baro- mètres. Beaucoup d'observations n’ont pu prendre place 350 LES PUITS FORÉS, dans la science à cause de l'incertitude qui planaïit sur leur valeur. Le point zéro de tous les thermomètres subit avec le temps des déplacements qui exigent toujours que l'on fasse des corrections à leurs indications. Aïnsi j'ai émporté trois thermomètres construits par Lerebours, Bunten, Gautier, c’est-à-dire par les meilleurs fabricants d'instruments de précision ; et cependant, si je n’avais pas fait la comparaison de ces thermomètres avec deux thermomètres de M. Despretz dont les échelles étaient parfaitement exactes et dont les points fixes de la glace fondante et de l’eau bouillante se sont retrouvés constants, J'aurais été exposé à commettre des erreurs s’élevant jusqu’à 1°.3. Il est bien entendu que les nombres que je vais citer sont les nombres corrigés ; il en est de même aussi pour les températures des eaux d’Aïx dont j'ai parlé dans le paragraphe précédent. Je suis parti de Paris le 9 août. Le 14 août, Jai trouvé pour les températures des sources du Mont-Dore (Puy de Dôme) les nombres suivants : «Source de Césär.sis. disc s 12°.2 Donrce RamMôntE :..: 2 0 .9 Source de la Madeleine......... 42 .5 Le volume des eaux de ces sources ne paraît varier ni d’une saison à une autre, ni après de longues séche- resses, ni après des pluies abondantes et prolongées. Quelle est la cause pour laquelle la source Ramond est à une température sensiblement moindre que les deux autres? N’est-il pas probable que son eau vient d’une profondeur moindre que celle des sources de César et LES PUITS FORÉS. 354 de la Madeleine. Je signale cette recherche aux géo- logues, Le 18 août, à une heure, par un beau soleil, j'ai pris Ja température de l’eau de la fontaine pétrifiante de Saint-Allyre, à Clermont, Au point où elle sort de terre, l'eau était à 23°.15. Comme cette eau coule non pas à une grande profondeur, mais à un mètre tout au plus au-dessous de la surface du sol, les 23°.15 marqués par le thermomètre ne me paraissent pas surpasser la tem- pérature que le terrain doit avoir. La source de Saint- Allyre n’a donc pas, selon moi, de chaleur propre. J'ai trouvé pour la température de la source de Royat, au point où on la recueille pour la conduire à Clermont, 102.9. Ce nombre ne surpasse pas beaucoup la tempéra- ture moyenne du lieu. Les laves au travers desquelles l'eau coule, n’ont pas, conséquemment, une température différente de celle qui correspond à la latitude de Cler- mont : elles sont entièrement refroidies. Elles appartien- ment à la coulée septentrionale qui est sortie de cette montagne nommée Gravenère, qui présente l’aspect d’un amas de scories, et elles ont, d’après Ramond, une épais- seur de 20 mètres. Malgré leur masse, elles ont perdu . leur chaleur originaire ; aucune de ces coulées de laves éteintes qui rendent cette partie de l'Auvergne si remar- quable , n’a moins de deux mille ans, selon les calculs de Ramond à qui on doit une belle étude sur le nivel- lement de cette contrée bouleversée par tant de se- cousses dont les hommes n’ont pas cependant enregistré le souvenir. Les eaux de Royat présentent du reste des alternatives 352 LES PUITS FORÉS. dans leur écoulement; ellés sont très-abondantes de mars à septembre, et paraissent présenter un minimum vers la fin de décembre. Les eaux thermales de Saint-Mart (Gerest), sur le chemin de Clermont à Royat sont à 33°.15. L’eau sort verticalement de terre : elle s'élève au-dessus de la sur- face, depuis que le propriétaire a fait forer le sol avec une larière. On ne peut avoir de doute sur la cause de la haute température de ces eaux, qui la doivent à la on profondeur d’où elles proviennent. FR De Clermont je suis parti pour les Pyrénées. Le 30 et le 31 août, j'ai pris les températures des di- verses sources de Cauterets. Le 30 août dans la soirée, j'ai trouvé les nombres sui- vants : ELLES Source des Espagnols... ..,,.,... 47°.5 Source de Pause............... 45 .0 | Source de CÉSar. .. ss... 47 .6 ” En 1746, de Secondat trouvait pour Pause, 107°.25 du thermomètre de Fahrenheit, ce qui correspond à 44°.81 du thermomètre centigrade. | Le 31 août à 11 heures du matin, j'ai obtenu pour la source de la Rallière, 38°.4. En 1844, de Secondat trouvait pour cette même source 102°.75 du thermomètre de Fahrenheit, ce qui fait 39°.3 centigrades. La source du Bois, la plus haute de la montagne pour laquelle de Secondat, en 1746, trouvait 114°.75 Fahr. ou 45°.97 centigr., m'a donné 45°.9. La source de Mahourat fournit de l’eau qui est seule- ment employée comme boisson. Elle sort d’une masse de LES PUITS FORÉS. 393 calcaire grenu. J’ai obtenu pour sa température 49.6. En 4745, de Secondat trouvait 113°.25 Fahr. ou 54°.19 centigr. seulement. * A 98 mètres au-dessous de Mahourat est un pré d’où _ jaillissent deux sources l’une à côté de l’autre. J'ai trouvé pour l’une 45°.4, et pour l’autre 25°.6. Quelleest la cause d'une telle différence dans les températures de deux sources si voisines? L’eau de la dernière se mêle-t-elle à de Peau froide? La comparaison des poids des résidus solides laissés par l’évaporation d’une certaine quantité de l’eau des deux sources résoudrait probablement cette question intéressante. Le 2 septembre, j'ai pris les températures des eaux de Baréges, village célèbre qui, comme on sait, est à 1270 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le bain Polard n° 1, le plus voisin de la source, m’a donné à l’ancien robinet 37°.1, et au nouveau 33.5; l’eau de ce dernier est certainement un mélange. Au bain Polard n° 2, j'ai obtenu pour l’eau de l’ancien robinet 36°.6, et pour celle du robinet de mélange, 33°.14. Enfin le bain Polard n° 3, le plus éloigné de la source, m’a fourni 36.8 à l’ancien robinet, et au nouveau 33°.3. De Secondat donne pour l’eau de Polard, en 1766, 98°.75 Fabr. ou 37°.09 centigr. Au bain du fond, j'ai trouvé 39°. 7, à l’ancienne source de la Buvette 40°.7, à la petite douche 43°.2, à la grande douche ou à la source du Tam- bour 4/4°.14, au bain de l’Entrée 37°.9, aux nouveaux bains de La Chapelle 31°.3. Suivant de Secondat, la source la plus chaude en 1746, celle qu’il nomme bain du milieu ou bain royal, était à 112°,75 Fahr, ou hA4°.85 centigr. VE — nr. 23 354 LES PUITS FORÉS. Le même jour je suis descendu à Saint-Sauveur, vil- lage distant de Baréges de 4 kilomètres et qui n’est qu’à 770 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. J'ai trouvé pour l’eau de la douche 33°.7, pour l’eau du bain à côté de la douche le même nombre 33°.7, pour le bain de La Chapelle 32°.5. Le A septembre, sous le pont de Saint-Sauveur, l’air étant à 4 heure à 13°.2, l’eau du Gave de Pau marquait au thermomètre 9°,7. Comme le Gave est alimenté presque exclusivement par de l’eau des glaciers qui est, à ©, il résulte de cette observation, que dans un trajet moyen de cinq à six lieues, l’eau a gagné près de 10 degrés. Le 6 septembre j'ai commencé mes déterminations thermométriques à Bagnères-de-Bigorre, à 30 kilomètres de Baréges, à 567 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. dJ’ai d’abord pris la température de deux sources de Salut; l’une marquait 31°.7 et l’autre, 32°.4. Elles sortent très-abondantes d’une roche située au nord- ouest et très-près du bâtiment. M. Gandrax, médecin des eaux, m'a assuré que l’une d’elles est beaucoup plus forte en hiver qu’en été, sans que cependant la température varie de plus d’un degré. La première source est. celle qu'employa l’ancien duc de Richelieu. L'eau la plus chaude de Salut avait en 1760, d’après d’Arquier 32°.5, et en 1744, d’après de Secondat, 31°.39. La source dite de la Reine, qui coule sur le penchant de la montagne, et dont le bâtiment a été fondé, dit-on, par Jeanne d’Albret, m’a donné 46°.1. C’est une source très-abondante où d’Arquier avait trouvé en 1760, 47.5. En 1744, de Secondat avait obtenu 44°.7. LES PUITS FORÉS. 359 Une fontaine ferrugineuse découverte, en 1816, éga- lement sur le penchant de la montagne, a marqué 16°.7, -et” immédiatement à côté une fontaine d’eau ordinaire 45°.5. Ces deux fontaines sont peu abondantes et sont employées comme boisson. Dans la ville, derrière le nouvel établissement thermal de Marie-Thérèse, sortent les sources extrêmement abon- dantes dites de Salies. Les malades ne font point usage de cette eau, qui m’a paru n’avoir aucun goût; les gens du quartier l’emploient pour laver le linge et pour faire le pain. Le thermomètre m'a indiqué une température de 50°.7. En 174h, de Secondat obtenait 122.95 Fabr. ou 50°.13 centigr. Le 30 juillet 1760, d’Arquier trouvait 41°.75 Réaumur ou 52°.2 centigr, Aux sources de Lasserre se trouvent deux robinets placés à trente centimètres de distance. L’eau de l’un est purgative et marque 39°.2; l’autre est sulfareuse, même au goût ; elle indique 21°.5. En 1760, d’Arquier trouvait 31°.9 pour la source la plus chaude de Lasserre, et en 174h, de Secondat obtenait 34°.25. “J'ai trouvé 51° à la source même de Cazaux qui débouche au pied de la montagne. La source de Salies, dont je viens de parler, sort à un niveau un peu inférieur et à la distance d’une cinquantaine de pas. La source de Cazaux et la source de la Reine sortent de la même montagne ; la première au pied, la seconde à une assez grande hauteur. La première marque 54° et la seconde 46°. La source du Dauphin, qui sort à une hauteur intermédiaire, a, suivant M. Gandrax, une tem- ” pérature comprise entre les précédentes ; j'ai seulement 356 LES PUITS FORÉS. trouvé 45°.7 ; mais à la source même, qui est actuellement couverte, M. le médecin inspecteur des eaux a obtenu l°7°.h ; son thermomètre était d'accord avec le mien, et je fais, comme j’en ai prévenu, à tous ces nombres les correc- tions nécessaires pour éliminer les erreurs de graduation. Si les sources thermales devaient leur haute tempé- rature à des actions chimiques et non à la chaleur des couches terrestres d’où elles proviennent, de telles diffé- rences pourraient-elles exister entre les températures de trois sources ainsi situées? En admettant une telle origine pour leur température, on devrait trouver des différences dans leur composition. Les partisans de l'hypothèse de l’action chimique invoquent surtout la réaction que pro- duisent l’eau et l’air sur les pyrites; mais rien dans la composition chimique des eaux de Bagnères de Bigorre ne tend à légitimer une telle doctrine. Ainsi pour les trois sources que nous venons de comparer, voici la composi- tion trouvée par MM. Gandrax et Rosière. Source Source Source de la Reine. du Dauphin, de Cazanx. ( . gr. gr. gt." +4 Chlorure de magnésium......... 0.130 0.104 0.250 Chlorure de sodium............. 0.062 0.040 0.112 Sulfate de chaux..... Rs dr MU 1.680 1.900 1.716 Sulfate de magnésie........ rss 0.396 0.400 0.478 Carbonate de chaux....,.,...... . 0.266 0.142 0.160 Carbonate de magnésie.......... 0.044 0.019 0.050 Carbonate de fer.......... se 0.086 0.114 0.098 Substance grasse résineuse..... . 0.006 0.009 0.006 Substance extractive végétale.... 0.000 0.008 0.012 Acide sificique.…. ss 0 Le 0.036 0.044 0.032 PONT TUE, en À-4 Frais 0.054 0.020 0.044 —— Poids des résidus laissés par l’éva- poration de 1 litre d’eau...... 2.760 2.800 2.958 LES PUITS FORÉS. 357 Ne voit-on pas que les sources les moins chaudes, qui débouchent le plus haut, sont ici un peu moins chargées de substances en dissolution, mais que les mêmes élé- ments s’y trouvent? Ces éléments ont été rapportés du . sein de la terre, en même temps que la haute tempéra- ture marquée par les eaux ; seulement cette température a été modifiée par une plus ou moins grande épaisseur des couches terrestres refroidies qui ont été traver- sées. Le 15 septembre j'étais à Estagel, dans ma ville natale. J'y ai pris aussi quelques températures des sources. J'ai trouvé 16°.9 pour la source de la place qui coule dans des tuyaux placés sous le sol à environ 3 mètres de pro- fondeur. A la fontaine de Triquera, j'ai eu 16°.7; aux fontaines d’en Feréol et d’en Garrigou, 16°.2. Ces fon- taines sont aussi alimentées par des tuyaux placés à 3 mètres sous le sol. Une source d’eau vive dans la plaine et une autre sur le penchant de la montagne al Llinas, m'ont donné 46°.2. Le 18 septembre, je me suis rendu aux bains du Ver- net, dans la vallée du Tet, au pied du Canigou. J’ai - trouvé pour la température de l’eau d’une source exté- rieure sortant d’une roche schisteuse 53°, et pour celle de l’eau de deux sources coulant dans l’intérieur de l’éta- _blissement 5/4°.4 et 56°.1. Le 19 septembre j’ai pris à Prade la température d’une source très-abondante qui coule à 15 mètres du sol, dans une grande étendue de sa course, et à 7 mètres près du … point où elle sort de terre; j'ai trouvé 13°.2. Pour la température de la fontaine également très-abondante qui 358 LES PUITS FORÉS. coule sur la place, mais à beaucoup moins de profondeur que l’autre, j'ai obtenu 44°.5. A Arles, le 20 septembre, j'ai trouvé 60°,4 pour la température d’une source sortant d’une roche schisteuse et qui est employée dans la maison des bains ; une autre source, non utilisée, qui sort d’une roche schisteuse plus élevée que la première, marquait 63°.4. La source d’en Manjolet, employée comme boisson sulfureuse, a donné 42.2. Enfin une source qui se répand sur la place, dé- pourvue de toute saveur, et qui ne sert qu'aux usages domestiques, indiquait 55°.3, Le 30 septembre, à cinq heures du soir, j’ai obtenu 13°.8 pour la température de la fontaine de Nîmes. Les nombres que je viens de rapporter démontrent nettement que l’on ne peut pas aller chercher dans de . prétendues actions chimiques la cause de la haute tempé- rature des eaux thermales. Chaque fois que nous voyons une source couler dans le sol à une petite profondeur, nous lui trouvons une température voisine de la tempéra- ture moyenne du lieu ; mais lorsque d’antiques boulever- sements produits dans l'écorce de notre globe laissent apercevoir à la surface des couches profondes qui vien- nent en quelque sorte s'épanouir sur le flanc des monta- gnes, on voit aussi des sources chaudes qui semblent venir témoigner de la haute température des espaces qu’elles ont traversés. En vain on fait l’analyse des ma- tières dissoutes dans les eaux de ces sources; on n’y trouve pas d'éléments différents qui accusent des phé- nomènes chimiques particuliers. Il faut donc conclure qu’elles ont emprunté leur chaleur à celle des couches LES PUITS FORÉS,. 359 terrestres, chaleur déjà mise en évidence par les obser- vations faites dans l’intérieur des mines. Une autre conséquence à tirer des chiffres que j'ai été "conduit à citer, c’est la conservation de la température des eaux thermales pendant de longues années. Je ferai remarquer que l’on ne doit pas tenir compte de diffé- rences d’un très-petit nombre de degrés dans de tels rapprochements, précisément à cause de l'incertitude qui règne toujours sur les indications de thermomètres qui n’ont pas été comparés à des thermomètres étalons à diverses époques, et dont les échelles n’ont pas été ainsi vérifiées. Ainsi je vais prendre pour Bagnères de Bigorre les indications données dans le calendrier de 1813, celles placées sur une carte de la ville dressée en 1789, et les mettre à côté des observations de Secondat, de d’Arquier et de celles que j'ai faites en 1826. Je trouverai les résul- tats suivants : Source de la Reine. De’ SeCondat ; 2744.55 NU: L4°.7 DArquion 4760: uridcainis 47 .5 Ts 7 CR AT 53 .7 Calendrier de 1813............... 47 .5 DIT NOM din dahet es si vd 6 .0 Source de Cazaux. D’Arquier, 1760...... _. CS re 50°.0 ua Ra a Mangéee ie. ARR LS 07 0 Annuaire de 4843....:..:.......: 51 .9 APAN Oo, 2006.50, LOU. JEU 54 .0 Source de Salies. De Secondat,, 1744..:......244: 50°.1 D'Arquiér, 4700.17... 10e 92 .2 360 LES PUITS FORÉS. Carte de 1789. . Le LE CRE, L 59°. Annuaire de 1813... RARE in A 52 .5 Arago, 1826... ss DALNAMNEL à 50 .7 Source de Salut. De Secondat.. 174% ..1.:..47310 00 31°.4 LPATQUIOR, LAON 6e 0 ne ne VER 92 .0 Cartn'06 "1789.02 US TEEN 85 .0 Annuaire de 14813......... isddott 33 .1 ATORO, 1020 Lee ne URI 32 .2 Si je n’avais comparé mes observations qu'aux nombres fournis par la carte de 1789, par exemple, n’eût-on pas été tenté de conclure que la température des eaux de Bagnères avait éprouvé un abaissement sensible, tandis que les autres chiffres démontrent au contraire une con- stance remarquable? Pour les eaux du Mont-Dore la comparaison de mes observations rapportées plus haut (p. 350) avec celles faites par MM. Longchamp et Ber- trand, l’un médecin de l’établissement des eaux, l’autre chargé d’un travail chimique sur les eaux thermales de la France, conduirait à la même conclusion, en ne tenant pas compte de différences insignifiantes, ou qui s’ex- pliquent par des circonstances locales. On a en effet le tableau suivant : Arago. Longchamp. Bertrand. Source de César...... 12° .2 h2°. 5 L2° .0 Source Ramond ....... p.10 .9 lA .75 42 .0 Source de la Madeleine, 2 .5 43 .00 44 .5 La différence notable de 2 entre mon observation et celle de M. Bertrand pour la source de la Madeleine, provient de ce que depuis 4826 on a dégagé cette source des décombres qui la couvraient à une grande hauteur, LES PUITS FORÉS. 364 pour la prendre à l'endroit même où les Romains l'avaient fait déboucher. M He Cependant il ne faut pas Maire que des change- meñts notables ne puissent pas se présenter dans les températures des sources. Ainsi, voici des observations faites sur les eaux thermales de Venezuela par mes deux illustres amis de Humboldt et Boussingault, à vingt-trois ans d'intervalle, avec des thermomètres qui avaient été tous deux comparés à ceux de l'Observatoire de Paris, et qui signalent des différences notables : Source de las Trincheras. De Humboldt, en février 1800..... 90°. Boussingault, en février 1823...... 96 .6 Différence..... PRE Source de Mariara. De Humboldt, en février 1800..... 59°.3 Boussingault, en février 1823..... 64 .0 Différence.....,.... k°.7 Ainsi l’on peut constater des variations en plus et en moins dans les températures des eaux thermales, et la seule conclusion qu'on puisse tirer des observations en petit nombre faites jusqu’à présent , c’est la conservation de la haute température des couches profondes de notre globe, température accusée par les sources qui en pro- viennent. Pour que le lecteur ait sous les yeux un aperçu com- plet sur les températures des diverses sources thermales, je n’ajouterai plus que quelques lignes. 362 LES PUITS FORÉS. Dans son voyage en Orient, le maréchal Marmont, duc de Raguse, a obtenu les résultats suivants : Bain thermal de Kukurli, à Broussa, en Bithynie. 84°.0 Grand bain de Yeni Kaplidja, au même lieu...... 64 .0 Grande source qui sort du pied de l’Olympe, et abreuve une grande partie de Broussa........, 13 .5 Sources du Scamandre,........ 4400, ANR, 17 .3 Fontaine du Pacha, à Smyrne................ sh: 20.00 Eaux thermales de Siggia, à deux lieues de Smyrne. 56 .0 Source du Fac de Tantale.,;..,. 11%, FACE 14 .5 Sources de la plaine de Beyrouth............ soc. 21.0 SOUrTCE À BAÏDEC sons auoe Loue ap ee Ne DR 45 .0 Fontaine d'Élisée, à Jéricho............ és Ta 20 .0 En 1825, M. Jouannin avait trouvé pour la tempé- rature de la source de Kukurli, au point:où elle sort de terre 87°.5. Le Yeni Kaplidja, à sa sortie du sol, lui avait donné précisément le même degré trouvé par le duc de Raguse. La source thermale la plus chaude d’Eu- rope, celle de Chaudes-Aïgues, ne marque que 80°. 9° Sources de ruisseaux, de rivières ou de fleuves. L'examen des températures des sources ordinaires, des sources des rivières et des fleuves, peut conduire aussi à des données intéressantes sur la physique du globe. Selon que ces sources sortent de terre à des hauteurs décrois- santes au-dessus du niveau de la mer, leur température n’augmente-t-elle pas? C’est ce qu’il m'a paru intéres- sant de rechercher dès que j'ai eu la pensée de trouver dans les températures des eaux jaillissantes la preuve de la chaleur centrale de la Terre. Dalton rapporte (Ann. of Philos., avril 1820) qu'à Manchester, à 46 mètres environ au-dessus de la mer, LES PUITS FORÉS. 363 la température des sources est ordinairement entre 48° et 50° Fahrenhcit ou entre 8°.9 et 10°,0 du thermomètre centigrade, ce qui donne pour moyenne 9°./A. _ Le 95 octobre 1895, à 4 heures du soir, j’’ai trouvé pour la température d’une des sources de la Seine, la source de la Duy, à Châtillon-sur-Seine, 40°.1; l’eau alors fort peu abondante, de la fontaine des Ducs, mar- quait 10°.4. M. Walferdin n’a obtenu pour la température d’une autre source du même fleuve, pour celle de la source située près d’Évergereaux, que 9°.182. Cette dif- férence de température s'explique parfaitement par la différence entre la hauteur du premier point et celle du second. Il résulte, en effet, des nivellements exécutés pour la nouvelle carte de France, que la source d’Éver- gereaux se montre à la surface du sol à 200 mètres environ plus haut que la source de la Duy, qui n’est qu'à 270 mètres au-dessus du niveau de la mer, tandis que la première est à 470. M. Walferdin a cherché aussi les températures des sources de la Meuse et de la Marne. Il a trouvé pour la source de la Marne qui s'échappe du versant oriental d’un coteau calcaire, à 381 mètres au-dessus du niveau de la mer, la température de 9°.669. Sur le versant opposé du même coteau, et à peu près au même niveau, coule la source dite Blanche-Fontaine, dont la tempéra- ture était le même jour, 18 octobre 1839, et une heure plus tard dans la matinée, de 9°.602. Sur le prolonge- ment du même versant, une source qui coule au bas de la ville de Langres a indiqué à M. Walferdin quelques heures après 9°.487. Langres possède aussi quelques 364 LES PUITS FORÉS. puits dont la profondeur moyenne est de 29 mètres, où l'on atteint un courant d’eau de À mètre environ qui ne tarit jamais et coule de l’est à l’ouest ; la température en est de 9.478. M. Walferdin a rapproché de cette der- nière observation celle de la température des réservoirs d'eau pluviale que l’on trouve communément dans le pays; celle d’une citerne de 4 mètres de profondeur et ayant une hauteur d’eau de 2". 75, était, à la même époque, de 12.75. Dans les recherches de cette nature, il faut, pour re- cueillir des observations utiles, que la température exté- rieure ne puisse modifier celle de l’eau. Cette remarque n’a pas échappé à M. Wal'erdin, qui en a tenu compte en rapportant le résultat de sa mesure prise pour la source de la Meuse. Cette source ne sort point, comme les sources de la Marne et de la Seine, d’un versant ou de coteaux rapprochés; elle s'écoule du plateau de Pouilly, près Malroy. Le petit bassin d’où on la voit jaillir a environ 4 mètre d'ouverture sur 0".50 de profondeur, et pousse, du fond, un jet continu, ne tarissant jamais et dont la température était, le 10 octobre 1839, entre 8 et 9 heures du matin, de 40°.950, quoique la hauteur au-dessus du niveau de l'Océan s'élève à 379 mètres. La surface de cette source se trouve à ciel ouvert, et la température peut par conséquent être directement modifiée par les influences extérieures; au moment de l'observation de M. Walferdin, la température ambiante était de 14°,5. On comprend ainsi pourquoi le thermomètre a indiqué, pour la source de la Meuse, une température plus élevée de 1°.281 que celle de la source de la Marne, pour la LES PUITS FORÉS. 365 même altitude, quoique celle-ci soit de 6’ 42” en lati- tude plus au nord que celle-là. | Le 4% mai 18/44, j'ai pris la température de la source de Graville que j'ai trouvée être de 11°.8; l’eau de cette source est très-abondante et, au goût, elle semble très- pure. Elle coule dans une galerie où M. Quesnel a intro- duit un thermomètre à une profondeur horizontale de plus de 50 mètres. La hauteur de la colline au-dessus de ce point était d'environ 30 mètres, suivant M. Eyriès, maire de Graville. La température, à cette profondeur, a été trouvée la même qu’à l'entrée ; elle est notablement plus élevée qu’elle ne le serait si la terre n’avait pas une cha- leur propre. M. Puillon-Boblaye m’a adressé un certain nombre d'observations faites dès 1830 sur la température des sources de la Morée qui ont de l'intérêt. Les sources qui coulent au bord de la mer ont présenté une tem- pérature parfaitement en rapport avec la température moyenne du lieu eu égard à sa latitude ; quant aux sources qui coulent à différentes hauteurs au-dessus du niveau de la mer, elles ont offert une température assez régulière- ment décroissante. C’est ce que l’on reconnaîtra par les chiffres suivants : Sources très-rapprochées du niveau de la mer, élevées de 3 à 25 mètres au plus. Source de l’Erasinus, près d’Argos, 29 sept. 1830. 17°.50 DUUICO 06 LErRE, 28 MAS. ... 6... due soso cesoe 17 .00 Source de Mousto, près d’Astros, 28 juin....... 18 .00 ORNE D Re CE dd pt 16 .50 CAS (ANS L'HCIOS, 19 JUIN ,...,4,... 2 ocre 17 .90 Triisé, A0 RE SO CU SSP RES "48.00 366 LES PUITS FORÉS. Marathonisi, 27 mai......… LU SOON. SR 47 .50 Vouilla, 42 mal. ..:,60n. 2 ARS RTE 17 .00 Puits de Pigadia "T2"maL : 6.0.5 PAR . 18.50 Port Hagios Georgios, ou Velonidia, près du cap Malée, 43 mai.....4..,:... va vil PGO «+ 419.00 On peut regarder, d’après ces résultats, 17°.50 comme la température des sources au niveau de la mer sous le 27° degré de latitude en Morée. Sources situées à diverses hauteurs. Hayani, à 250" de hauteur, à 100" de distance du pied du Taygète, 13 avril 1830...........:... 45°.92 Georgitsi, à 350" de hauteur, 17 avril.......... 15 .25 Sources Ténées, plaine d’Orchomènes, à 643" de hauteur; 9'OCIODTE 8 «cnrs D 13 .00 Ghiotsa, au-dessus du lac Phonia, à 825° de hau- | teur;-G,octobres! .ss2. DEA. 24h.e2titl see 41 .50 M. Peytier a trouvé pour la source de Parnès, dans l’Attique, à 950" de hauteur, le 11 mai 1833... 411 .00. Ces chiffres donnent en moyenne 145 mètres d’éléva- tion pour une diminution d’un degré dans la température du sol. Saussure a trouvé une élévation moyenne de 15/{ mè- tres pour une diminution de température d’un degré, dans les Alpes, en enfonçant le thermomètre à des pro- fondeurs où la variation thermométrique diurne n’était plus sensible. M. Puillon-Boblaye a trouvé que la température des sources de la plaine qui environne Alençon et celle de plusieurs puits de cette ville se maintiennent entre 10°.5 et 41°, nombres que l’on peut prendre pour l’ex- pression de la température moyenne de ce pays. Alençon LES PUITS FORÉS: 367 est à 136 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer, par 48° 26’ de latitude septentrionale. Un ingénieur des mines, M. Daubrée, a fait pendant plusieurs années une étude attentive des températures des sources dans la vallée du Rhin, dans la chaîne des Vosges et au Kaiserstuhl. Je vais reproduire ici les principaux faits généraux qui résultent des observations du savant ingénieur, Les sources situées soit dans la plaine et les collines basses de l'Alsace, soit dans les vallées des Vosges et de la Forêt-Noire, ne diffèrent, dans leur température moyenne, que de 0°.8 au plus, lorsqu'elles sont à des latitudes très-rapprochées et à égale hauteur au-des- sus de la mer. M. Daubrée fait observer avec raison qu'il est remarquable de trouver autant d’uniformité dans la température d’eaux qui jaillissent de terrains variés dans leur nature, leur relief et leur composition, ces sources sortant des terrains tertiaires, jurassiques, tria- siques, du grès vosgien et du grès rouge. Mais une exception se présente, c’est celle des sources qui s’échap- pent des collines basaltiques du Kaiserstuhl, dans le duché de Bade, collines dont l'altitude atteint 558 mètres. Cette exception est en rapport avec l’anomalie qu’a signalée, comme nous le verrons plus loin, le creu- sement d’un puits artésien, dans le basalte de Neuffen en Wurtemberg. La température moyenne des sources situées dans la vallée du Rhin, entre 180 et 260 mètres de hauteur au-dessus de la mer, et entre 48 et 49 degrés de latitude, est de 10°,5, valeur qui correspond à une altitude 368 LES PUITS FORÉS. moyenne de 212 mètres. Mais à. mesure qu’on s'élève le décroissement et la hauteur des sources n’est pas uniforme, Dans la plaine et dans les collines de hauteur inférieure à 280 mètres, le décroissement est d’envi- ron À degré pour 200 mètres; entre 280 et 360 mètres d’élévation, alors qu’on quitte le sol à ondulations douces pour passer aux pentes abruptes des montagnes, la diminution est beaucoup plus rapide, elle est de À degré par 20 mètres. Dans la contrée à laquelle se sont étendues les Me vations de M. Daubrée, et à toutes les hauteurs, il y a excès de la température moyenne des sources sur celle de l’air : «Get excès, dit le savant ingénieur, à l’altitude de 212 mètres, est d'environ 0°.6; mais il croît avec la hauteur, de telle sorte qu'à Saint-Blaise, dans la Forêt- Noire, à 771 mètres de hauteur, il est d'environ 4°.6. » M. Daubrée ajoute cette remarque importante, c’est qu'à l'exception des sources qui sortent soit du terrain basal- tique soit de failles ou de lignes de dislocation du globe, on n’en rencontre aucune, dans celles qui ont été observées jusqu'ici, dont la température dépasse la température moyenne de l’air de plus de 1°.6. Pour le massif basal- tique du Kaiïserstuhl, M. Daubrée a trouvé que les tem- pératures des sources varient entre 10°.h4 et 44°.5, c’est- à-dire entre des limites beaucoup plus larges que dans le reste de la contrée; les températures de deux d’entre elles s'élèvent même jusqu’à 18°.1 et 9°.6. La moyenne des températures des sources du Kaiserstuhl, abstraction faite des deux dernières qui sont thermales, donne une va- leur de 42°.4, nombre supérieur de 2,6 à la tempéra- + LES PUITS FORÉS. 369 ture moyenne de l'air à Fribourg en Brisgau, situé à 14 kilomètres de distance du Kaiïserstuhl, On peut conclure de ces faits que dans nos latitudes la température du sol près de la surface, température . accusée par celle des sources, est un peu supérieure à la température moyenne de l'air. Le phénomène inverse se présente, comme l’a remarqué le premier mon illustre ami Alexandre de Humboldt, dans les contrées méri- dionales, sous les basses latitudes. Il a observé dans les montagnes de Caracas et de Cumana les températures de beaucoup de sources qui étaient de 4 degrés au moins inférieures aux températures moyennes des contrées où elles jaillissaient. Une source auprès de Cumanacoa, si- tuée à 349 mètres au-dessus du niveau de la mer, mar- quait seulement 22°.5, tandis que la température moyenne de l'air se trouve être de 27°.5 dans cette région. John Hunter est arrivé au même résultat par ses observations sur les sources de la Jamaïque; la source dite Colspring, qui se trouve à une hauteur de 1,264 mètres n’a que 16.6, et l'atmosphère est à une température moyenne de 20°. Dans l’intérieur du Congo, Smith a observé des sour- ces abondantes, coulant à une hauteur de 442 mètres et qui ne marquaient pas plus de 22.5, tandis que la température moyenne de l’atmosphère dans la même lo- calité est de 25°.6. M. Léopold de Buch, a pris, en Ita- lie, près de Palestrine, en 1805, la température d’une source qui n'était qu'à 11°.9, tandis que la température moyenne du lieu est de 15°.8. L'illustre géologue s’est occupé constamment dans ses hardis voyages de cher- VE — nt. 2! u# 370 LES PUITS FORÉS. cher les températures des sources. Ses observations ont confirmé les résultats que nous venons de faire entrevoir. À Ténérifle, à Palma, à Lancerote, il a trouvé 18° pour la température des sources au niveau de la mer, tandis que la température moyenne de l'air est de 21°,9. La consé- quence générale qu’il déduit de ses observations faites durant son voyage aux îles Canaries, peut s'exprimer en ces termes : « À mesure que l’on s'élève au-dessus de la mer, on voit les températures des sources décroître, mais assez lentement et dans toute la hauteur qu’occupe la ré- gion des forêts; dans cette région aussi, la température moyenne de l’atmosphère ne diffère pas beaucoup de celle des sources. La température des sources accuse celle du sol. Elle présente un décroissement de 1° pour 120 mètres au-dessous et au-dessus de la région des forêts; mais dans cette partie des montagnes, le décroissement . | 4° dans la température correspond en moyerne à une élévation de 230 mètres. » Que les températures des sources soient plus élevées ou plus basses que les températures atmosphériques, elles n’en sont pas moins la preuve d’une chaleur propre dans l'écorce de notre globe, puisqu'elles accusent un état calorifique particulier des couches situées à une cer- taine profondeur au-dessous de la surface. Quand ensuite on passe des sources ordinaires qui quelquefois portent, il faut y faire attention, la marque de leur origine et mon- trent qu’elles proviennent de neiges récemment fondues; quand on passe de ces sources aux eaux thermales, on ne peut méconnaître que les hautes températures de ces dernières ont la même origine que les volcans eux-mêmes, LES PUITS FORÉS. 371 c’est-à-dire qu’elles sont dues à la chaleur centrale de la Terre. Parmi les sources d’eaux froides, je citerai l’eau qui sort du rocher aux cuves de Sassenage, près de Gre- noble, Lorsque je visitai ces cuves en octobre 1825, l’eau marquait 8.3 ; à l'ombre et à l'air libre le thermomètre indiquait 13°.1. Saussure a fait des observations ana- logues en août 1789 et en août 1792 : un cours d’eau capable, à sa sortie de terre, de faire tourner les roues d’une usine, et qui est situé près de Macugnaga, au fond - du grand cirque aux cimes neigeuses du Mont-Rose, marquait 3°.75 ; au fond de la vallée de l’Arve, près de Sallenche , en Savoie, d’abondantes fontaines, ruisselant au pied d’une puissante chaîne calcaire, à environ 950 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer, aient à 7°.7. Mon confrère de l’Académie des sciences, . M: Cordier, a ajouté à ces faits le-suivant, extrêmement remarquable : « Les belles fontaines de Médouse, dit-il, situées dans les Hautes-Pyrénées, à l'entrée de la vallée de Campan et au niveau même du fond de cette vallée célèbre, produisent un cours d’eau rapide qui, à sa sortie du rocher, fait tourner trois usines dans un espace de deux cents pas. Le 22 septembre 1822, à 10 heures du matin, j'ai trouvé leur température à 10°.4, c’est-à-dire inférieure d'environ 4° à la moyenne température du fond de la vallée. » Ces anomalies s’expliquent facilement ; elles sont d'autant moins fortes que les sources froides sont plus éloignées des glaciers qui leur donnent naissance, et elles ne constituent pas une objection contre le fait important mis en évidence pour la chaleur des sources ordinaires ou thermales. 372 LES PUITS FORÉS. $ 3. — Température de terrains de diverse nature. Je ne m’occuperai pas ici des variations qu’on constate à diverses époques dans la température indiquée par un thermomètre plongé à une petite profondeur au-dessous de la surface du sol, mais seulement des températures invariables qu’on rencontre au-dessous de la couche plus ou moins épaisse qui se laisse influencer par les tempé- ratures extérieures pendant les diverses saisons. La température des souterrains de l'Observatoire de Paris, autrement appelés les caves, sont, d’après des ob- servations très-précises qui remontent déjà à plus de trois quarts de siècle, à une température constante de 112.71, nombre moyen que j'ai déterminé en 1817 en comparant le thermomètre anciennement placé par La- voisier à un nouveau thermomètre construit par Gay- Lussac, et en faisant disparaître une erreur de 0°.38 dans la graduation de l’ancien thermomètre. Ges souterrains sont à une profondeur de 28 mètres. La température moyenne peut être regardée comme étant de 10°.6 à la surface. Le 18 février 1825, je me suis rendu à la rue Mouf- fetard, dans l’emplacement où a été bâtie une nouvelle caserne de gendarmes ; un grand fossé, destiné aux fon- dations du mur d'enceinte, était déjà creusé. Il avait 1,60 de large; sa profondeur était de 3°.60 dans un endroit et de 5",85 à l’autre extrémité. Dans la partie où le fond du fossé était à 3".60 du sol, les ouvriers avaient percé un trou de 0,09 de diamètre jusqu'à une profon- deur de 17.50, dansla vue de découvrir s’il n°y avait pas LES PUITS FORÉS. 373 là des carrières. Ils n’en ont pas trouvé. A cette profondeur de 47,50 , la sonde était déjà enfoncée de 0.65 dans Peau. Le trou était terminé le 29 janvier : il est resté couvert d’une pierre depuis cette époque jusqu’au 48 fé- vrier. Peut-être, cependant, une petite partie de l’eau froide provenant de la fonte de la neige tombée quelques jours avant le moment de mon observation, s’était-elle introduite dans le trou. À quatre heures du soir, j'ai fait descendre dans ce trou un thermomètre à index de Bel- lani que j'avais attaché à une ficelle. Il s’est arrêté à 15".60 et il n’a point trouvé d’eau. Un éboulement avait donc déjà comblé l’ancien trou dans une profondeur de 1,90. L’index du maximum du thermomètre, lorsqu'on a commencé à le faire descendre, était à 8° Réaumur ou 10° centigrades. Quand on l’a remonté quelques in- stants après, l’index s'était fixé à —+8°.8 Réaumur ou 11° centigrades. Dans un autre trou auquel on travaillait encore et au fond duquel il y avait À mètre d’eau, l'index du ther- momètre s’est élevé jusqu’à 9° Réaumur ou 11°.95 centi- grades. Le fond de ce dernier trou était à une profon- deur au-dessous du fond du fossé de.......... 18",.20 fantiajouter...5 4. us des se cotobas 5 .85 Ce qui donne un total de........... 24".05 Pour l’autre trou on a une profondeur de 15",60 plus 3".60 ou 19".20. Les trois nombres 11°.00, 44°.95 et 44°,71 qui corres- pondent aux trois profondeurs de 19, de 24 et de 28 mè- tres, démontrent bien le fait de l'accroissement de Ja 374 LES PUITS FORÉS. température avec la profondeur, mais on ne saurait dé- duire une loi certaine d’observations faites à des dis- tances si rapprochées. J’ajouterai ici la note suivante, que m’a remise mon ami Alexandre de Humboldt, sur les observations faites au puits de Zakoutsk. « La ville de Iakoutsk, en Sibérie, est par la latitude de 62° 1’. Sa hauteur au-dessus du niveau de la mer est de 116 mètres. La température moyenne de l'air y est — 9°.7 centigrades pour l’année entière, de — 38°.9 pour l'hiver, de + 17°.2 pour l'été. Le mois le plus froid y est celui de février : il est de — 40°.5, c’est-à-dire de 5° de plus qu’à l’île Melville, « M. Schergin, un des employés de la Compagnie russo-américaine, fit creuser un puits dans l’espoir de trouver à la profondeur de 5 sagènes (faden), au niveau du cours de la Lena, de l’eau potable non gelée, « M. Schergin, a observé dans son puits, qui a 4 pieds en carré d'ouverture , la température des parois, €’est-à- dire de la glace en cristaux mêlée à de la terre gelée), la température de l’air du puits à la profondeur corres- pondante et la température de l’air extérieur. Les obser- _vations n’ont commencé qu’à la profondeur de 11 sagè- nes ou 77 pieds russes — 23".3. Les parois avaient alors —5°.5 R. —6°.8 centigr. de température. À 43 sa- gènes, — 90",3, le 1“ avril 1836 les parois avaient 1. La sagène russe, appelée en allemand faden, a 2.133. Il ne faut pas confondre la sagène avec le fathom anglais qui a 1°.828. Mais le pied russe est égal au pied anglais, — 0".304. Le fathom anglais a 6 de ces pieds, tandis que la sagène en a 7. LES PUITS FORÉS. 375 —4# R. ——1°.2 centigr. L'air dans le puits était à —% R. —2,5 centigr.; l'air à la surface de la terre était —16° R. ——920° centigr, On n’a jamais travaillé pendant l'été. On n’a recommencé que le 45 octobre 1836, et _ l'on a été surpris de voir que les parois étaient devenues de un demi-degré Réaumur plus froides. Il y a eu d’autres changements le 28 janvier 1837, car le tableau des obser- vations n’indique que —0°.5 R. pour cette même pro- fondeur de 43 sagènes. Sont-ce là des erreurs d’ob- servation? Il y a certainement un accroissement de température, mais cet accroissement est très-inégal. « En ne tenant compte que des profondeurs extrêmes, de 41 sagènes — 23".3 et de 54 sagènes —115 mètres, je trouve un accroissement de 6°.2 centigrades, donc 4° centigr. par 18".6. Ce résultat offre un accroissement extrêmement rapide, car dans un terrain non gelé M. La Rive compte, comme moyenne d’un grand nombre d’expé- riences, 32",5 pour 1° centigrade. Selon cette dernière donnée (la température de l’air à Takoutsk étant — 9°.7 centigr.), la couche de la température 0 ne se trouverait qu’à 315", et 1° centigrade à 347" de profondeur. « La distribution de la chaleur paraîtrait anormale dans ce terrain gelé. Ces observations sont tirées d’un mémoire de M. de Helmerser (V. Bulletin scientifique de l'Académie de Saint-Pétersbourg, t. 1, n° 13). On a proposé à l’Académie de fournir les fonds et de faire enfoncer des thermomètres dans la terre gelée, comme dans les mines de Freyberg. M. Schergin, se flatte de l'espoir de percer bientôt toute la couche gelée, la température des parois augmentant toujours; il annonce 376 LES PUITS FORÉS. aussi que dans 1a steppe Katchongin, il a trouvé de l’eau jaillissante liquide déjà à 60 sagènes —126 mètres de profondeur. Si près de ce puits artésien la température de l'air est comme à Iakoutsk —9°.7 centigr., on aurait l'accroissement de 1° par 13 mètres. » Des accroissements de température très-différents lors- qu’on considère des terrains situés dans des conditions géologiques dissemblables, ont été mis en évidence par un grand nombre d'observations. Mais les mesures prises en 1822, 1823 et 1825 par M. Cordier, présentent un degré de précision qui doit attirer l'attention. Cet habile géologue a opéré avec des instruments bien vérifiés, enterrés dans des trous pratiqués à diverses profondeurs dans les trois mines de houille de Cormeaux, de Littry et de Decise, La mine de Cormeaux est située dans le département du Tarn, à 13 kilomètres au nord d’Alby, et à près de 250 mètres au-dessus de la mer, M. Cordier a trouvé 12°.9 pour l’eau d’un puits situé à 6".2 de profon- deur, à peu de distance de la mine du Ravin; et l’eau du puits de Bigorre a marqué 13°.15 à une profondeur de 11".5, immédiatement au-dessous de la mine de Cas- tillan. Le roc du fond de la mine du Ravin, à une pro- fondeur de 182", a marqué 17°.1 ; et le roc du fond de la mine de Castillan 19°.5 à une profondeur de 192”, Les deux mines sont distantes d'environ 2 kilomètres. La moyenne de ces deux observations donne un accrois- ment de 4° pour 36" de profondeur. La mine de Littry, située à 13 kilomètres à l’ouest-sud- ouest de Bayeux, dans le département du Calvados, a , + LES PUITS FORÉS. 377 ses ouvertures élevées d'environ 60 mètres au-dessus du niveau de la mer. La température moyenne du pays est de 44°. À 99" de profondeur, M. Cordier a trouvé 16°.15, . ce qui correspond à un accroissement de 1° pour 19". .. La mine de Decise est élevée de 150" au-dessus du niveau de la mer ; elle est à 42 kilomètres au nord de la ville de ce nom dans le département de la Nièvre. M. Cordier a trouvé pour l’eau de deux puits placés immé- diatement au-dessus des stations qu’il avait choisies dans la mine, 44°.4 pour l’un, situé à 8°.8 de profondeur et 4142.77 pour l’autre, profond de 16.9. À une profondeur de 107", dans la mine Jacobé, le roc a marqué 17°.28, et à une profondeur de 171", 21°.1. Ces observations donnent 15" pour l'accroissement de 1° dans la tempé- rature. Une source qui sort du granite, près d’Aberdeen en Écosse, marque 12.8 d’après les observations de M. Bier- ley ; elle vient d’une profondeur de 55 mètres. La tem- . pérature d’Aberdeen étant de 8°.8 d’après M. Innes, on aurait un accroissement de 1° centigrade pour 14 mètres d’enfoncement. ‘Au pied des montagnes de Monte-Massi, près de Grossetto en Toscane, on a creusé, sous la direction de M. Petiot, un puits pour la recherche du charbon de terre. Sa profondeur est de 348 mètres ; son orifice est élevé de 53 mètres au-dessus du niveau de la mer ; son fond est à 298 mètres au-dessous de ce niveau. MM. Bun- sen, Matteucci et Pilla, ont trouvé en avril 1843, à cette profondeur, une température de 44°.7 pour celle de la roche. En admettant 16° pour la température moyenne 378 LES PUITS FORÉS. de la plaine de Monte-Massi, on trouve un accroissement d’à peu près 1 degré dans la température pour un enfon- cement de 13 mètres. | Un puits artésien creusé à Naples, dans la cour du palais du Roï, a indiqué une anomalie tout à fait compa- rable, d’après les observations qui m'ont été transmises par M. Melloni. $S 4. — Température des puits artésiens. Depuis 1821, je n’ai pas cessé d'inviter les observa- teurs à profiter du creusement des puits artésiens pour trouver dans la température de leurs eaux jaillissantes, non-seulement la preuve de l’accroissement de la tempé- rature des couches terrestres de plus en plus profondes, mais surtout un moyen de mesure de l'intensité du phé- nomène. J'ai fait, à cet égard, des communications à l’Académie des sciences, dès le 43 août 1824 et le 11 juillet 1825, 1° Puits de Grenelle. L'une des plus belles expériences qui aient été faites sur les températures à de grandes profondeurs est certai- nement celle à laquelle a donné lieu le forage du puits de Grenelle. J’y ai pris une part persévérante, On me pardonnera de transcrire ici les communications sueces- sives que j'ai faites à l’Académie des sciences sur les résultats obtenus. | Le 21 décembre 1835 je m’exprimai en ces termes : « M. Mulot fore, en ce moment, à l’Abattoir de Gre- LES PUITS FORÉS. 379 nelle , et aux frais de la ville de Paris, un puits artésien quiest déjà parvenu à la profondeur de 250 mètres (c’est près de deux fois et demie la hauteur de la flèche des Invalides). Dimanche dernier, j'y ai fait descendre un thermomètre à maæima, contenu dans un fort cylindre en cuivre, fermé à ses deux bouts et destiné à prévenir les déformations que l'instrument eût certainement éprouvées sans cela par la pression de l’eau. Retiré ce matin du fond du trou, le thermomètre marquait 20° centi- grades, | « En comparant ce nombre à +-10°,6, qu’on regardait jadis comme la température moyenne de Paris, et sup- posant l’accroissement de chaleur proportionnel à la pro- fondeur, on trouve que 4° centigrade correspond à un enfoncement de 26".6. « Si l’on prenait +11°.0 pour la température moyenne de Paris, ce nombre qui est, à ce qu’on croit, un tant soit peu trop fort, comparé aux 20 degrés du fond du puits, donnerait 1° pour 27.8. « L'expérience sera répétée au fur et à mesure de Tavancement du travail. « Il n’est pas inutile de faire remarquer que, s’il y avait erreur dans la détermination précédente de la tempé- rature du fond du puits foré de l’Abattoir de Grenelle, par l’eflet des courants qui pourraient s'établir dans la longue colonne liquide dont il est rempli en très-grande partie, cette erreur n'aurait pu que diminuer les 20° de température qu’on a trouvés, « Les personnes qui s’étonnent que la ville de Paris fasse continuer le sondage avec tant de persévérance, 380 LES PUITS FORÉS. n’ont probablement pas songé à une application très- utile qui pourra être faite de la nappe liquide inférieure à la craie, dans le cas fort probable où, comme à Elbeuf, elle s’élèvera notablement et en grande abondance au- dessus du sol. « Supposons que cette nappe, il faille aller la puiser à 500 mètres; en divisant 500 par 26.6, on a pour quotient 48.8. Ce nombre, ajouté à 10°.6, température moyenne de la surface à Paris, donne 29°.h; c’est donc à la tem- pérature d'environ 30° centigrades que l’eau jaillirait de terre. Or, qui ne voit tout le parti utile et économique qu'on pourrait tirer d’une grande masse inépuisable de liquide à 30°, pour échauffer des serres, des prisons, des hôpitaux, etc. ? Il suffirait évidemment, pour cela, de la faire circuler dans des tuyaux convenablement disposés. « Cette seule observation montrera, je l’espère, que l'expérience en cours d’exécution à Grenelle, envisagée même sous le seul rapport économique, a plus de portée qu’on ne semblait disposé à le croire. » Le 23 mai 1836 je fis à l’Académie des sciences la communication suivante : « Le dimanche 15 mai 1836, à huit heures du matin, j'ai fait descendre de nouveau un thermomètre à maæima dans le trou de sonde que M. Mulot exécute aux frais de la ville de Paris, au milieu de la cour de lAbattoir de Grenelle. Le trou de sonde avait alors 300 mètres de profondeur totale ; mais le thermomètre, avec son cy- lindre métallique enveloppé, ayant été suspendu dans une cuillère en fer, à 2 mètres de la partie inférieure LES PUITS FORÉS. 381 de cet outil, c’est 298 mètres seulement qu’il faut compter pour la profondeur de l'instrument. « Le lundi 16 mai, quand on retira le thermomètre, il marquait --22°.2 centigrades. . « Le 20 décembre 1835, à 248 mètres (et non pas à 250 comme on l’a imprimé, en négligeant à tort la longueur de la cuillère), le même instrument marquait +-20°.0. « La différence 2.2 de ces deux nombres semblerait indiquer un accroissement de température de 4° centi- grade pour 23 mètres. « L'observation du 16 mai, comparée à 10°.6, tem- pérature moyenne de la surface de la terre à Paris, donnerait 41°.6 d'augmentation pour 248 mètres, et 1° par 26 mètres. « D’après ces nombres, on pourrait croire que l’aug- mentation de température de la terre est d'autant plus rapide que la profondeur est plus grande ; mais il ne faut pas trop se hâter d'adopter ce résultat, soit parce que les instruments de forage doivent, par leur masse, modifier plus ou moins la température de la colonne liquide vaseuse qu'ils traversent, soit parce qu'ils peuvent, en allant et revenant sans cesse, produire entre les couches de la même colonne des mélanges dont il serait difficile d'apprécier exactement les effets. Il importe, au surplus, de le bien remarquer, les causes d’erreur qu’on vient de signaler auraient toutes contribué à diminuer la tempé- rature du fond du puits. Cette observation s'applique également aux déplacements que les secousses de l’instru- ment engendreraient dans l'index de la colonne des 382 LES PUITS FORÉS. maxima. Rien ne peut donc affaiblir l'espoir qu’on a conçu d’obtenir au puits foré de l’Abattoir de Grenelle, de l’eau très-chaude, qui deviendrait pour la capitale lori- gine d’un grand nombre d'applications économiques. » Un peu plus tard , le 22 mai 1837, je m’exprimai en ces termes : : « Je n’avais jusqu'ici expérimenté dans le puits foré de l’Abattoir de Grenelle qu’avec des thermomètres dont les index en acier étaient soutenus seulement par des ressorts en cheveux. On pouvait donc craindre que pen- dant le mouvement ascendant des tiges à l’extrémité desquelles s’attachent les thermomètres, ces index, par l'effet de quelques secousses, ne fussent descendus d’une petite quantité. D'ailleurs, les tubes métalliques dans lesquels les thermomètres étaient renfermés, revenaient souvent à la surface plus ou moins pleins d’eau; de là des incertitudes sur les déformations que les récipients de ces instruments avaient pu éprouver. Sans renoncer tout à fait à l’emploi des thermomètres à curseur, je pensai qu’il serait désirable de déterminer la tempé- rature du puits par un ensemble de moyens qui ne donnât prise à aucune objection. Je sollicitai donc le concours de mon ami M. Dulong, à qui M. Magnus, de Berlin, avait récemment envoyé un thermomètre à déversement ouvert; je priai aussi M. Walferdin, auteur de thermomètres d’une rectification très-facile, construits d’après le même principe de déversement , de s’associer aux expériences. Les nombres suivants sont le résultat de l'épreuve que je fis ainsi en commun avec ces deux habiles observateurs : LES PUITS FORÉS. 383 « Le 4% mai 1837, à la profondeur de 400 mètres, 4 thermométrographe à curseur de M. Bunten. + 25°. 5 centigr. > 2° thermométrographe à curseur de M. Bunten. +23°.45 — -« Ces deux instraments étaient contenus dans un tuyau de cuivre fermé où l’eau du puits n’avait pas pénétré. entre 23°.5 centigr. Thermomètre à déversement de M. Magnus dé agp « Ce thermomètre était ouvert par le haut; la pression ne pouvait pas le déformer. Thermomètre à déversement de M. Walferdin...... 23°.5 « Ce thermomètre était renfermé dans un tube de verre hermétiquement scellé. « Les thermomètres avaient été descendus dans le puits, le 29 avril à sept heures du soir; on les retira le 1° mai sur les sept heures du matin. Ils avaient donc séjourné dans le puits un jour et demi. « Si l’on prend 10°.6 pour la température moyenne de la surface de la terre à Paris, on aura 23°.5—10°.6— 12°.9, pour l’augmentation de chaleur correspondante à 00 mètres de profondeur, ou, ce qui revient au même, 31 mètres pour un degré centigrade. « En prenant le point de départ au fond des caves de l'Observatoire, à la profondeur de 28 mètres, et par une température constante de 11°.7 centigrades, on aura 23°.5—11°7.—11°.8 d'augmentation pour 372 mè- tres, ce qui correspond à 31,5 pour chaque degré de chaleur. « Il n’est peut-être pas inutile de dire que les foreurs 284 LES PUITS FORÉS. sont encore dans le terrain crayeux très-compacte, et qu’à la profondeur où les thermomètres séjournèrent trente- six heures, le puits était rempli d’une bouillie de craie délayée tellement épaisse, qu’il n’aurait certainement pas pu s’y former des courants par des inégalités de tempé- rature. » Quelques jours plus tard, M. Walferdin a fait une nouvelle expérience avec ses thermomètres, à la même profondeur de 400 mètres où avaient été descendus mes instruments et ceux de Dulong. Comme la première fois, : les thermomètres occupaient la partie supérieure d’une cuillère en fer de 9".75 de longueur dans laquelle la vase boueuse entrait par l'extrémité inférieure; mais cette vase était un peu moins compacte que lors de la pre- mière expérience. Les instruments sont restés immergés pendant dix heures. « Mon thermomètre à maximum qui, pour l'usage ha- bituel, dit M. Walferdin , reste constamment placé dans un tube de cristal fermé à la lampe à ses deux extrémités, et qui se trouve ainsi complétement garanti des eflets de la pression, a indiqué de 23°.77 à 23°.74, soit 23°.75. « Ce résultat, qui ne peut comporter aucun doute, a été confirmé d’ailleurs par deux thermométrographes qui avaient précédemment servi; enfermés dans leur étui de cuivre, où j'avais laissé un espace de 0°.05 sans eau, que j'ai retrouvé en même état, et où par conséquent la pression n’a point été exercée, ils ont donné, toute cor- rection faite, l’un 23°.9 et l’autre 23°.8 environ. « La différence de 0°,25 entre la première et la der- nière observation, change bien peu le résultat obtenu en LES PUITS FORÉS. 385 premier lieu, puisque , en admettant que la température moyenne de la surface du sol à Paris est de 10°.6, on a 93,75—10°.6 — 13°.15 pour 400 mètres, ou 30".42 pour 1° centigrade; et qu’en partant de la température constante et de la profondeur des caves de l'Observatoire, on à 23°.75 — 11°.7 —12°.05 pour 372 mètres, ou 30".87 par degré. » _ Le 3 août 1839, M. Walferdin et moi nous avons en- core fait descendre des thermomètres à déversement dans le puits à Grenelle, à 481 mètres de profondeur. A la sortie, il a été constaté que ces instruments avaient mar- qué au maximum 27°.05. Mais il était à craindre que le travail du forage n’eût occasionné, sur le point où les thermomètres étaient parvenus, quelque accroissement de température. On pouvait croire aussi que la cuillère en fer qui contenait les instruments, avait, en descen- dant, frotté sur les parois tubées en métal du trou de sonde, et qu’il en était résulté un développement de chaleur ; il suffisait que quelque doute à ce sujet se fût emparé de notre esprit pour que l’expérience dût être répétée avec toutes les précautions convenables. Nous avons communiqué à ce sujet la note suivante à l’Aca- démie des Sciences. « Le 18 août 1840, nous avons profité du moment où un outil de forage qui a occupé le fond du trou de sonde pendant plusieurs mois, venait d’être retiré par les soins persévérants de M. Mulot, pour recommencer notre ex- périence de l’année dernière avec-six thermomètres à déversoir. « Tous ces instruments étaient garantis de la pression VL — ut, 25 386 LES PUITS FORÉS et, après un séjour de 7 heures 30 minutes dans la vase boueuse, à 505 mètres de profondeur, ils ont indiqué, avec un accord remarquable, une température moyenne de 26°./3. « Il faut se rappeler qu’on n’est plus aujourd’hui dans l’énorme banc de craie où la sonde a été engagée pen- dant plusieurs années, et que M. Mulot a pénétré dans les argiles du gault qui doivent recouvrir les couches aqui- fères que l’on cherche. « La dernière expérience que nous venons de faire, à 505 mètres, donne, si l’on prend pour point de départ la température moyenne de la surface de la terre à Paris (10°.6), L° centigrade d'augmentation pour 31.9. Si l’on part de la température constante des caves de l'Observatoire (11°.7), à 28 mètres de profondeur, on trouve 32*.8 pour un degré centigrade. » Le trou de sonde était descendu à 548 mètres quand l'eau du puits de l’abattoir de Grenelle commença à jaillir à la surface du sol. Le thermomètre indique à cette profondeur une température de 27°.7.Chose remarquable, le sable aquifère trouvé au fond du puits est identique, comme l’a reconnu M. Élie de Beaumont qui à l’avance avait annoncé le fait comme probable, avec le sable quart- zeux provenant des affleurements de la formation du sable vert inférieur, observés à Allichamps, près Vassy (Haute- Marne); à Château-Lavallière (Indre-et-Loire); à Pa- regné (Sarthe), etc. Le puits de Grenelle est ainsi venu apporter une confirmation complète de la théorie que j'ai exposée pour expliquer les puits artésiens. LES PUITS FORÉS. 387 2 Puits forés des environs de Lille. La température de l’eau des puits forés se maintient elle constante? C’est un point que j’ai démontré être com- . plétement résolu dans une communication faite à l’Aca- démie des Sciences dès le 11 juillet 1825. J’ai cité alors des exemples de sources artésiennes du département du Nord et du Pas-de-Calais qui s'étaient maintenues au même degré pendant des années entières, et c’est ce fait que j’ai invoqué pour en conclure l'accroissement même de la température des couches de la terre avec la profon- deur. Depuis cette époque j'ai réuni sur les puits de l’Artois un certain nombre d'observations qui toutes sont d'accord avec mes premières conclusions. Ces observa- tions sont contenues dans le tableau suivant, qui contient les températures de l’eau des puits artésiens percés dans les environs de Lille à différentes profondeurs. Profondeur Température Lieu du percement, des puits. de l’eau. Moulin du pont.............. 21°.4 419.4 RL nn... 23 .8 4,2 0 OP ESS RME 32 .8 01 La Vacherie....... HU, 40, a 94 .8 ae 8 Saint-André-sous-Aire. .....,.. 35. .7 44.5 Béthune (faubourg).......... 35 .7 41.5 Marchionnes. : 4 sétde - de de 97 .8 12:9 ERNEST 38 .7 42 A Béthune (esplanade).......... 38 .9 12 .0 Entre Lille et Marquette. ..... 40 .2 42 1 Marquette (abbaye})........4. 50 .6 42 .5 DER nn tr be Dre 51 :2 12.5 Fi LS CAT NT EN EUEr PE % 53 .6 12 .3 Aire (fort Saint-François)..... 62 .! 13 .3 Saint-Venant.s 3L Hide 400 .5 14 1 388 LES PUITS FORÉS. La température moyenne de la surface dans les dé- partements du Nord et du Pas-de-Calais est d’environ 4.0°.3. 9° Puits forés à Paris. La température moyenne de Paris, à la surface du sol, est de 10°.6 centigr. La température de la fontaine jaillissante de la gare de Saint-Ouen, à une profondeur de 66 mètres, est de 42.9 centigr. | Dans un puits foré, à l’École-Militaire, par M. Selli- gue, M. Walferdin a trouvé 16°.4, à une profondeur de 173 mètres. En résumant les mesures faites à diverses profondeurs dans le puits de Grenelle, on obtient le tableau suivant : Profondeurs. Températures. 218" 20°.00 298 22 .20 400 23 .75 505 26 .13 548 27 .70 Si on part de la température des caves de l’'Observa- vatoire de Paris (11°.7), on trouve les accroïssements suivants pour la température à diverses profondeurs : de = 26" à 66"... 4°.2 soit pour 1 degré 31".1 de 66 à 173 ..... 3 .5 Eu 30 .6 AT NU LM LIVRE 3.6. Ex 20 .8 de 248 à 298 ..... 2 .2 FAT 22 .8 de 298 à 400 ..... 1 .6 ii 62 .5 de 40 à 505 ...….. 2 .7 _ 38 .9 de 505 à 548 ..... 14.3 _… 33 .0 L'accroissement moyen depuis les caves de l'Obser- LES PUITS FORÉS. 389 vatoire jusqu'au fond du puits de Grenelle, est de un degré pour 32".5. En s’arrêtant à la dernière expérience faite par M. Walferdin et par moi, à la profondeur de 505", avant que l’eau ne jaillit, et en prenant toujours * pour point de départ les caves de l'Observatoire on trou- vera 32”,3 ; en prenant pour point de départ la tempé- rature moyenne du sol à la surface, on a 81".9. À la maison de la poste d’Alfort, un puits foré, en _ 1842, à une profondeur de 54 mètres, à une distance de 70 mètres de la rive gauche de la Marne, donne de l’eau à une hauteur de 4 mètres au-dessus du sol, M. Lassaigne a trouvé 44° pour la température de cette eau. La tem- pérature de l’eau d’un puits ordinaire, le plus profond des environs (11.33), est de 11°.7. 4° Puits de Sheernees, à l'embouchure de la Medway dans la Tamise. La température moyenne de la surface est 40°.5 centigr. La température du puits artésien, à la profondeur de 110 mètres, a été trouvée de + 15°.5. Ç 5° Tours. La température moyenne de la surface est à Tours de + 112.5 centigr. La température de la fontaine artésienne, forée à une profondeur de 140 mètres, a été trouvée de - 47°.5 cen- tigrades,. 390 LES PUITS FORÉS. 6° Saint-André (Eure). Il existe dans la commune de Saint-André (Eure) un puits ordinaire de 75 mètres de profondeur; M. Walferdin a trouvé pour sa température 12°.2. Ce puits ne suffisant point aux besoins de la commune, M. Mulot a été appelé pour effectuer le forage d’un puits artésien. qui donne de l’eau à la profondeur de 263 mètres, M. Walferdin a trouvé 17°.95 pour la température de l’eau de ce puits à une profondeur de 253 mètres. On a ainsi 5°.75 d’aug- mentation dans la température pour une profondeur de 4178 mètres ou 4 degré pour 30". 95. | L 7° Rouen. MM. Girardin et Person ont pris la température d’un puits artésien foré à Rouen et qui était parvenu, en 1838, à 183 mètres de profondeur ; ils ont trouvé 47°.6. 8& Puits de New-Salzwerck (Westphalie). J’ai reçu, sur les observations curieuses faites dans le puits de New-Salzwerck, si remarquable par sa grande profondeur, la lettre suivante de mon illustre ami M. de Humboldt, datée de Sans-Souci, le 6 septembre 1845. « Comme je me flatte toujours de l'espoir que tu publieras bientôt l’ensemble des observations que tu as faites avec tant de soin, de concert avec MM. Dulong et Walferdin, sur le puits artésien de Grenelle, j'ai pensé qu'il te serait agréable d’avoir quelques renseigne- ments précis sur le trou de sonde auquel on travaille LES PUITS FORÉS. . 394 encore à Westphalie, à New-Salzwerck, près de Preus- siche-Minden, et dont la profondeur excède celle du puits de Grenelle. Les données que je consigne ici sont dues à M. d’Oyenhausen, dont les travaux géologiques - ont été appréciés en France, et qui a contribué lui- même au perfectionnement des moyens de sondage. Les travaux entrepris près de la saline royale de New- Salzwerck ont pour but la recherche d’une source salée plus riche que celle qu’on évapore jusqu'ici. Le trou de sonde avait atteint, à la mi-avril 1843, la profondeur de 622 mètres ; par conséquent, le sonde perçant les couches inférieures du lias, se trouvait à 540 mètres au-dessous du niveau de la mer, puisque l’on compte 82 mètres pour lélévation du point où le travail a été commencé dans la roche du Keuper, à la partie méridionale de la petite vallée de la Werre, affluent du Weser. La dépense s'est élevée, jusqu'ici, à 178,700 francs ; mais en réflé- chissant sur les frais causés par les perfectionnements des sondes, on pense que la profondeur de 622 mètres aurait pu être atteinte, dans le tiers du temps, et avec la moitié des frais. Jusqu'à la profondeur de 496 mètres, les eaux n’ont offert qu’un accroissement très-modique, et paraissaient dépendre de causes météorologiques : au delà de 496 mètres, et surtout à la profondeur de 600 mètres, les eaux ont été très-abondantes et remar- quables par leur force d’ascension, comme par l'énorme quantité d'acide carbonique qu’elles dégageaient. A 622 mètres, l'écoulement a été de 1,390 litres par mi- nute. Jusqu'à la profondeur de 301 mètres, il y a eu, dans le peu d’eau qui s’écoulait, une différence très- 392 LES PUITS FORÉS. sensible entre la température mesurée dans sa profon- deur, et à l'écoulement même, à 1 mètre au-dessous de l'orifice du trou de sonde. Par exemple, environ à 282 mètres de profondeur, la température était, au point d'écoulement, de 415°.6 centigr. ; dans le trou même, à la profondeur indiquée, 19°.6. On a observé : Dans Là où les eaux la profondeur. s’écoulent. DO Lien + nent 94° ,5 18°.7 DORE D OENAETLT TT 22 .9 18 .7 ri LPO die sd 2170 22-.5 * « On donne les chiffres tels qu’on les a obtenus; peut- être des crevasses latérales ont-elles été la cause de ces variations. À mesure qu’on a atteint plus de profondeur, les différences entre les températures du lieu de l’écou- lement et de la profondeur ont diminué. On peut même supposer que depuis le moment où la pression, la quan- tité et la violence des eaux sont devenues si considérables, la différence de température pour les deux points que nous venons de signaler doit avoir cessé presque entiè- rement. La force d’ascension des eaux du fond est si grande, que les eaux des crevasses supérieures, peu abondantes et faibles, sont entièrement réprimées. De plus, le trou de sonde est si également chauffé dans ses parois, que le refroidissement des eaux ascendantes ne doit être que bien faible. « La température moyenne du sol dans les couches supérieures est évaluée à 10°. La température moyenne de l’eau, d’après une longue série d'années d’observa- tions, est, dans des endroits dont l'élévation du sol dif- LES PUITS FORÉS. 393 fère très-peu de celle de New-Salzwerck : à Trèves 40°, x Maestricht 10°.1, à Bruxelles 40°.2. Or, la tempéra- tuïe des eaux, au point de l'écoulement (eaux sortant, àla mi-avril 1843, d’une profondeur de 621*.6) étant de 31°.95, il en résulte que l'accroissement de la tempé- rature a été, dans le puits foré à New-Salzwerck, de 29".2 pari degré centigrade. « Si je ne me trompe, tu as trouvé, avec notre ami Walferdin, jusqu'à 547 mètres de profondeur dans le puits foré de Grenelle, 32 mètres par degré centésimal. Les eaux qui sortent du puits de New-Salzwerck sont de 312.95 — 927°,70 — 3.55 centigrades plus chaudes que les eaux du puits de Grenelle. « De la mi-avril à la mi-août, notre puits de New- Salzwerk s’est approfondi jusqu’à 644.50. Il serait donc aujourd’hui de 644 — 547 — 97 mètres plus profond que le puits de Grenelle. Il a été commencé le 24 dé- cembre 1833 ; mais le travail a été souvent interrompu. Le trou de sonde a 11 centimètres de diamètre. On n’a pas placé de tubes, la sonde ayant des appareils par lésquels on recueille partiellement la terre qui s’éboule des parois. La quantité des eaux qui s'écoule aujour- d'hui s’est accrue depuis le mois d’avril ; elle est de 1,683 litres par minute, et elle renferme 4 pour 100 de sel. Vingt hommes travaillent au sondage; on a avancé de 40 mètres dans les sept premiers mois de l’année. « La nature des roches ou l'élévation du sol influent- elles très-sensiblement sur l'accroissement de la tempé- rature? Le nombre d’observations dignes de foi et faites dans des circonstances semblables est encore bien petit ; 394 LES PUITS FORÉS. j'ose te rappeler que les résultats publiés par MM. de la Rive et Marcet, en 1837, s'accordent singulièrement avec celles de New-Salzwerck, faites saus doute avec moins de précision. M. de la Rive trouve, pour un puits de 225 mètres de profondeur avec un thermomètre à maximum de Bellani, 29". 6 pour 1 degré centigrade ; c’est seulement 0".A de plus qu’à New-Salzwerck; cepen- dant le puits de Pregny, dans lequel MM. de la Rive et Marcet ont plongé leur thermomètre, a son orifice de 890 mètres supérieur à l’orifice du puits de New-Salz- ‘ werck. Le premier est de 94 mètres au-dessus du lac de Genève ; par conséquent, environ de 493 mètres au- dessus du niveau de l'Océan, tandis que l'altitude de New-Salzwerck atteint à peine 100 mètres. Le sol dans lequel sont creusées les veines de Freyberg diffère peu de l'altitude de Pregny, en hauteur au-dessus de la mer ; je compte pour Freyberg 420 mètres : or, les observa- vations faites jusqu’à présenti, et surtout celles de M. Reich, très-précises sans doute, donnent, en prenant les moyennes des différentes mines creusées dans le gneiss, 2.39 pour 100 mètres de profondeur, c'est-à- dire 41".,8 pour 1 degré centigrade. « Toutefois les observations faites à Freyberg ne sont peut-être pas comparables aux trois résultats de Paris, de New-Salzwerk et de Genève qui donnent 32",29".9, 29",6. On ne peut comparer des mines communiquant par des puits très-larges et des galeries d'écoulement à des puits artésiens; la disposition de ces derniers semble 4, Voir plus haut, p. 318. LES PUITS FORÉS. 800 préférable. L’air froid qui entre dans les mines et er sort difficilement influe-t-il sur la roche dans laquelle des thermomètres sont plongés, et cause-t-il le ralentisse- ment dans l'accroissement de la température ? «M. d’Oyenhausen dit dans un de ses Mémoires : Je ne doute pas qu'avec l'appareil que nous employons nous pourrions parvenir à 2,000 mètres de profondeur et bien au delà en se servant d’une machine de douze chevaux ; les frais ne s’élèveraient pas chez nous à plus de 300,000 francs. Une grande masse d’eau à une haute tempéra- ture (70 degrés centigrades) serait d’un grand prix, et dans nos mines nous entreprenons des travaux dont le terme est de plus d’un demi-siècle. Un puits foré, de 2,000 mètres serait terminé en moins de quinze à dix- huit ans. » = Quand bien même on n'aurait pas-la certitude d'ob- tenir de l’eau très-chaude venant d’une profondeur de 2,000 mètres, il n’en serait pas moins d’un grand intérêt scientifique de procéder à un tel forage. C’est là une expérience que devrait certainement entreprendre un gouvernement ami des sciences. Le puits de Pregny dont parle M. de Humboldt dans la lettre précédente et où ont été tentées les expériences de MM. de la Rive et Marcet avait été foré dans le but de se procurer des eaux jaillissantes, but qui ne put être atteint; les deux habiles physiciens y ont descendu un thermomètre à maximum de Bellani qui a marqué au fond, à une profondeur de 225 mètres 17°,5; la tempé- rature moyenne de Genève est de 10°.07. 396 LES PUITS FORÉS. ® Puits de Neuffen (Wurtemberg). Le puits foré près de Neuffen en Wurtemberg, dont nous avons déjà parlé (voir plus haut page 367), est d’après les observations de M. Mandelslohe publiées en 1844, celui qui donne l’accroissement de température le plus rapide. Ce puits est creusé jusqu’à 245 mètres dans des schistes noiràtres bitumineux appartenant à l’oolithe infé- rieur ; plus bas il pénètre dans les couches calcaires et marneuses du lias. Sa profondeur totale est de 385 mètres; son orifice est à 420 mètres au-dessus du niveau de la mer, et à 326 mètres au-dessous du plateau de l’Alpe de Wurtemberg, si remarquable par de nombreuses éruptions basaltiques. Des mesures ont été prises en douze points différents dans le puits avec le thermo- mètre de M. Magnus depuis la profondeur de 30 mètres jusqu’au trou, où l'instrument a indiqué 38°.7 centigrades. La moyenne de toutes ces mesures donne un accroisse- ment de 1° centigrade pour 10.5 d’approfondissement. Dans une discussion savante à laquelle il a soumis les diverses observations faites sur les températures des couches terrestres, M. l'ingénieur des mines Daubrée établit avec beaucoup de probabilité que l’anomalie con- statée à Neuffen doit provenir de l’échauffement commu niqué par le basalte aux couches stratifiées jurassiques , échauffement moderne, qui n’a pas pu encore se dissiper dans l’espace, LES PUITS FORÉS. "NN 10° Puits de Mondorff (grand duché du Luxembourg). . Le forage exécuté à Mondorff , dans le grand-duché du Luxèembourg, par M. Kind, a atteint une profondeur . de 750 mètres, mais la source jaillissante qui alimente l'établissement thermal de Mondortf provient non pas du fond du trou de sonde, mais de 502 mètres seulement, Il est donc difficile d'obtenir une indication précise de la température de la terre à la profondeur à la quelle on est parvenu. On conçoit, en effet, comme le fait remarquer mon ami M. Walferdin qui s’est rendu sur les lieux en 1852 pour faire des observations avec ses thermomètres d’une précision si remarquable, que léspace compris entre 502 et 720 mètres étant rempli d’eau, il se forme des courants, et l’accroissement de température doit ainsi différer de celui qui aurait lieu dans la partie solide du globe terrestre. Toutefois M. Walferdin a cru devoir faire séjourner ses thermomètres à maximum dans la vase du fond du puits; trois expériences ont donné d’une manière concordante 27°.68. « Mais, dit M. Walferdin, la source artésienne prove- nant de 502 mètres pouvait seule indiquer la température du sol dans la zone d’où elle jaillit avec un débit de 606 litres d’eau par minute. J’ai donc fait descendre à 502 mètres mes trois thermomètres déverseurs ; ils y sont par- venus en une heure trente minutes ; je les ai laissés sé- journer à l’orifice de la colonne liquide descendante pen- dant cinq heures, et ils ont été remontés en une heure. Cette expérience a également été répétée trois fois, et la moyenne a donné 25°.65. 398 LES PUITS FORÉS, « Pour obtenir la détermination la plus probable de la température moyenne du sol, inconnue à Mondorff, j'ai observé régulièrement celle d’un puits fermé qui se trouve près de l'établissement thermal; sa profondeur est de 7 mètres, dont 4*.50 d’eau. Douze jours d'observations ont donné en moyenne 9°.7. Gette détermination con- corde d’ailleurs , en ayant égard à quelques différences dansles hauteurs, avec la température des puits d’Altwies, de Remerschen et d’Elvange, situés à peu de distance de Mondorff, et ne s’écarte pas de la température moyenne de Metz, résultant d’une longue série d’observations. On sait que Metz est situé à 178 mètres, et Mondorff à 205 mètres au-dessus du niveau de la mer. «Aïnsi en retranchant 7 mètres pour la profondeur du puits où j'ai cherché l'indication de la température moyenne, on a 25°.65 —9°.7 — 15°.95 d’accroissement pour 495 mètres ou 1 degré pour 31". 04. « Les terrains que la sonde a traversés sont les suivants : LASER TR ne MINT et UUt 20000 dE LINE 54".11 RENDEP, ni nmut n nt s ANS VE INDES 206 .02 MUSCHENCAUR. sc éosssp +0 ON D 142 .17 Grès bigarré, et, dans la partie inférieure, gros:vosgion. Lil Li LCR SUN 811 .46 Schistes anciens et quarzite du terrain de la grauwacke des Allemands.............. 16 .24 730.00 «Le forage de Mondorff avait été entrepris pour la recherche des eaux salifères et du sel gemme qui se trouvent dans le trias; après qu’on eut atteint les schistes anciens, les travaux furent abandonnés, et c’est alors que les analyses de l’eau jaillissante ayant démontré son LES PUITS FORÉS. 399 analogie avec celles de Kreutznach et de Hombourg, il s’est formé à Mondorff un des établissements thermaux qui sont appelés à obtenir le plus de succès. » CHAPITRE X HISTOIRE DU FORAGE DU PUITS DE GRENELLE J'ai pris une part active au creusement du puits de Grenelle ; j'ai défendu cette grande entreprise lorsque beaucoup de personnes, jouissant d’une légitime autorité, voulaient l’abandonner. Je pense utile à l'intérêt des sciences de placer ici une histoire détaillée d’une opéra- tion qui est devenue célèbre par les difficultés qu’elle a rencontrées, par les résultats qu’elle a produits et par ceux qu’elle promet pour l’avenir. Le conseil municipal de la ville de Paris ayant eu con- naissance des excellents résultats que donnaient les puits artésiens d'Épinay, Stains, Saint-Denis, etc., etc., adopta l'idée d’alimenter par de semblables moyens les quartiers de la capitale qui avaient le plus besoin d’eau. En consé- quence, dans sa séance du 28 septembre 18392, il décida qu'une somme de 18,000 francs serait affectée au forage de trois puits placés : le premier au carrefour Montreuil (faubourg Saint-Antoine}, le deuxième à la Madeleine et le troisième enfin au Gros-Caillou. Mais de l’examen plus approfondi de la question auquel se livra M. Emery, directeur des eaux de Paris, il résulta la démonstration que la nappe souterraine alimentant les puits d'Épinay, de Saint-Denis, etc., ne donnerait pas 400 LES PUITS FORÉS. d’eau jaillissante à Paris. Des essais de forage tentés inu- tilement par M. Mulot en plusieurs endroits , avaient fait reconnaître que pour avoir quelque chance de succès il fallait percer la craie qui forme le bassin parisien. L’ob- jection qu’on pouvait faire et qui portait surtout sur la grande épaisseur de la craie, n’arrêta pas M. Emery, qui proposa au conseil municipal de confier l’exécution du travail à M. Mulot. Le conseil des mines fut consulté ; il approuva le projet. Une décision du 15 novembre 1833 désigna l’Abattoir de Grenelle pour le théâtre de l’expé- rience qu’on allait tenter. Le 29 novembre 1833, les équipages et instruments | nécessaires à l’opération furent apportés à l’Abattoir. L'appareil pour monter et descendre la sonde était alors composé d’une chèvre ordinaire et d’un treuil müû par deux volants de 3".50 de diamètre. Cinq ou six hommes étaient appliqués aux extrémités des rayons de ces volants. Le 30 décembre, la sonde commença à fonctionner ; elle traversa d’abord les sables et galets, connus sous le nom de terrain d'atterrissement , qui ont en cet endroit . 9",65 d'épaisseur, L’eau des puits ordinaires fut trouvée dans la partie inférieure de ces sables, et resta station- naire à 7°.50 du sol. | Ce terrain, naturellement éboulant, nécessita l'emploi d’un premier tube, auquel on donna 51 centimètres de | diamètre (au lieu de 0".45 prescrit par le cahier des charges) et une longueur de 9 mètres. En l’enfonçant au travers de cette masse de galets, sa partie inférieure se refoula; comme elle interceptait le passage des outils, on dut la redresser, ce qui se fit avec LES PUITS FORÉS. 401 quelque difficulté. La fin du calcaire grossier (marne chloritée de 0.85) fut ensuite traversée; puis l'argile _ plastique, alternant avec des bancs de lignite et les sables quartzeux à grains plus ou moins fins avec pyrites de fer. On trouva dans ce dernier terrain la deuxième nappe d’eau, dont le niveau s’est maintenu jusqu’à l’arrivée de . l'eau jaillissante à 10,30 du sol, c’est-à-dire à 2.80 au- dessous des eaux ordinaires. Le trou de sonde se trouvant sans cesse rempli de sable apporté par cette nappe ascendante, on dut mettre un deuxième tube, auquel on donna un diamètre de 0"./45 et 21".07 de longueur. Sa partie supérieure étant à 6.73 du sol, il descend par conséquent jusqu’à la profondeur de 27.80. | On perfora sans difficulté les argiles panachées, et le passage du terrain tertiaire au terrain secondaire, composé de sable argilo-calcaire plus ou moins foncé, renfermant des nodules de craie dure, empâtés dans des débris argileux. | La craie commence à 41.54 : d’abord très-friable et très-facile à percer, elle alterne bientôt avec des silex pyromaques en rognons, dont les bancs sont espacés de 2 à 3 mètres, Un troisième tube est jugé nécessaire pour maintenir la partie de la craie qui menace de combler le trou. Son diamètre intérieur est de 0".40, sa longueur est de 91.09; sa partie supérieure est à 11".76 du sol, et sa partie inférieure à 42".85. L’argile se resserrant continuellement contre les parois extérieures de ce tube, rendit impossible à une plus VI. — 1x, 26 402 LES PUITS FORÉS. grande profondeur son enfoncement ; on dut le laisser à 12,85. Il était de 1.34 dans la craie. Le 29 mars 1834 on était parvenu à 73".50, lorsque les marnes argileuses qui se trouvent au-dessous de l’ar- gile plastique, se frayant un passage à l'extérieur du tube (qui probablement avait été ébranlé par les chocs . continuels que faisait la sonde en pulvérisant les silex), comblèrent toute la partie inférieure du trou, sur une longueur de 30".65. Après avoir opéré le déblai de toute cette partie du trou, on descendit, pour éviter de nouveaux accidents, un quatrième tube de 0”.35 de diamètre, de 55".57 de longueur, jusqu’à 57°.98 de profondeur (le trou de sonde n’étant foré que jusqu’en cet endroit au diamètre de 0".38). Le 17 juin, étant à 115 mètres, la cuillère, ouverte de 0*.18, qui fonctionnait dans de la craie friable, fut scellée au fond du percement par un éboulement de craie et de silex. Elle était tellement prise, que tous les efforts pour la retirer furent inutiles. Après avoir coupé plusieurs fois sans succès, par une force de traction, les boulons des barres, on résolut pour dégager la cuillère d’y percer un trou à côté. Avant d’en entreprendre l'extraction, on crut prudent d'essayer, pour empêcher tout éboulement ultérieur, d’en- foncer le tube de 0",35, qui n’était qu’à 57 mètres. Cette opération réussit au delà de toutes les espérances; car, après quelques coups de mouton, il descendit seul. à 14".32. Cette chute d’un tube du poids de 2,000 kilogr. , fut probablement sollicitée par un éboulement de la partie LES PUITS FORES. ". 408 qui le retenait ; et comme il n’était plus soutenu, il s’en- fonça jusqu'à ce qu’il eût trouvé un corps résistant. La grande vitesse avec laquelle il fut précipité empêcha une partie des matières arrachées de retomber au fond du . trou, et il fut serré tellement qu’il n’y avait plus d’ébou- lement à craindre. Le 26 septembre 1834, on était parvenu à la pro- fondeur de 126.91; en agissant par percussion sur un banc de silex, la sonde se rompit d’un même coup en “quatre morceaux. Cet accident, qui d’abord parut très- grave, fut réparé en quelques jours, parce que heureu- sement le bout de tige le plus court était celui qui tenait l'outil. L'approfondissement se continua sans particularité re- marquable jusqu’à 150",35. On perçait de la craie qui devenait à la fois et plus grise et plus dure, lorsque la sonde tomba librement d’une hauteur de 0*.47. On crut d’abord à un malheur; mais l'instrument remonté apprit qu’il y avait probablement à cette place une cavité, d’une part assez profonde et de l’autre assez large, pour que le trépan de 0.20 y tournât sans frottement. La cuillère à soupape a rapporté de cette fissure de beaux échantillons de chaux carbonatée cristallisée. C’est à cette profondeur que le premier appareil mo- teur fut déclaré insuffisant et remplacé par un manége pour servir à manœuvrer la sonde. Par ce nouveau moyen, trois chevaux montaient en une heure ce que onze hommes ne montaient plus que très-difficilement en trois. ; Les accidents occasionnés par la rupture des câbles, 404 LES PUITS FORÉS. donnèrent l’idée d’approprier aux sondages de grandes profondeurs l’encliquetage appelé d’Obo, du nom de son inventeur !, Cet instrument, qui a rendu de très-grands services, est formé de deux mors en fer tournant excen- triquement autour d’axes très-forts. La sonde peut tomber librement entre ces deux mors, mais quand, par une cause quelconque, un des agrès ou la sonde viennent à se casser, ils ne la laissent jamais descendre. La partie supérieure de la craie, d’une nature friable, s’éboulant de temps en temps, soit par l’infiltration des eaux supérieures, soit par les vibrations incessantes de la sonde, amenait sur l'outil des silex qui retardaient considérablement la marche du travail ; pour y remédier on crut prudent de placer un tube, pensant qu'à partir de cette profondeur, la craie serait désormais assez dure. Le trou n'ayant que 0".15, l'agrandissement fut opéré à 0®.34 ; le 11 mars 1835, le cinquième tube, du diamètre de 0".31, fut placé à 147°.97; sa partie supérieure est à 2",39 du sol. Après la pose de ce tuyau, qui fut faite avec soin, on put accélérer la marche du forage. La craie se durcit un peu et contient des silex de plus en plus gros et plus rapprochés. À 155.61 la sonde entra dans un vide de 0°.25, semblable à celui que nous avons signalé précédemment. De 157.85 à 190".98, on eut à percer une nouvelle série de couches beaucoup plus dures que la craie; ce furent huit bancs de dolomie de 0".24 à 1.07 d’épais- 1. On en fit successivement quatre, et c’est le dernier qui seul a parfaitement rempli le but qu’on s'était proposé. LES PUITS FORÉS. | 05 seur, séparés d’abord par de la craie grise très-dure, puis par de la craie blanche sableuse, avec parcelles de mica et une grande quantité de silex pulvérisés. | À 221 mètres, la craie est encore blanche, mais elle devient plus compacte; elle renferme des lits de silex plus ou moins éloignés, qui présentèrent d’extrêmes diffi- cultés au percement. Le 30 juillet, lorsque le forage avait atteint la pro- fondeur de 229 mètres, la sonde se rompit du même coup en sept morceaux ; de sorte qu’il fallut faire une nouvelle sonde pour retirer la première. L’extraction présenta de grandes difficultés : le bout que tenait l’outil accrocheur étant le plus long, les autres formaient coins autour de lui. On dut employer le moyen extrême, c’est-à-dire celui de rompre par traction les barres tenant après l'outil, jusqu’à ce qu’un des autres bouts, le plus rapproché dr sol, se présentât. On fit successivement la même opéra- tion pour les autres morceaux; enfin, la cuillère fut retirée le 41 novembre. Mais en mesurant exactement les débris de la sonde, on s’aperçut qu’il en manquait un bout de 0".98. Plusieurs jours ayant été inutilement employés à tenter de l’extraire, on le rangea contre les parois du trou et on continua le forage. Le 27 mars 1836, en perçant un banc de craie dure, on sentit que quelque chose s’opposait au mouvement du ciseau, On pensa d’abord que c'était un ou plusieurs silex; mais lorsqu'on voulut lui imprimer un mouvement de rotation, il fut impossible de le faire. On pensa donc que le bout de sonde de 0",98 était retombé sur l'outil. 406 LES PUITS FORÉS. En descendant un cône taraudé pour le saisir, les 16 premiers mètres de la sonde, composés de deux barres, se décrochèrent par la maladresse d’un ouvrier, et tom- bèrent de 280 mètres de hauteur. On craignit que les deux barres, dont le poids était de 600 kilogrammes, n’eussent brisé le cône qui était en acier cémenté; mais un instru- ment semblable ayant été descendu, rapporta non-seule- ment les deux barres, mais encore le premier cône intact, tenant le bout de 0.98 qui était dans le trou depuis si longtemps. | ‘ | À 279".95 la craie est grise et dure, les bancs sont séparés par des intervalles plus tendres, les silex sont de plus en plus rares. Les derniers silex ont été trouvés à 336".8. À partir de cette profondeur il n’existe plus de rognons siliceux, mais la silice qui se trouve disséminée dans la craie rend celle-ci très-dure. À 3h1",35, la sonde, dont le poids était d'environ 8,000 kilogrammes, étant trop pesante pour qu'on püût employer sans inconvénient la percussion, on dut la faire agir par un mouvement de rotation. Cette opération, qui jusque-là s'était faite péniblement à bras d'homme, fut désormais exécutée par trois chevaux attelés à un second manége, | Un engrenage placé à l'extrémité du rayon de ce ma- nége, transmettait son mouvement par une roue intermé- diaire à l’engrenage monté sur la sonde. Ce dernier était porté par un chariot, glissant au moyen de galets le long de deux bandes de fer, de manière qu’on pût dégrener facilement lorsqu'on voulait relever toute la sonde. Au centre de la roue était un carré dans lequel la tige de LES PUITS FORÉS. sonde, carrée elle-même, pouvait monter et descendre en même temps que le manége tournait. On lui imprimait par ce moyen une vitesse de 8 à 9 tours par minute. Le travail put se continuer pendant quelque temps sans accident important; quelques barres se cassèrent, mais l'extraction en fut facile. . Le 10 février 1837 on était parvenu à 393.17. Tan- dis qu’on remontait la sonde, 320 mètres de barres tom- bèrent de 75 mètres de hauteur ; la tête était une tige à anneau et la partie inférieure une cuillère à soupape, à vis, en quatre bouts. Une première manœuvre de cône taraudé remonta la moitié de la tige; une deuxième rapporta les barres courbées en tous sens, et un bout de la cuillère, 11 restait dans le trou la moitié de la tige, ses trois goupilles et trois bouts de l'outil. Plusieurs essais d’extraction à l’aide de tarauds tour- nant à droite et à gauche, furent tentés inutilement. Cepen- dant, les frottements qu’on remarqua sur la surface des instruments, prouvèrent qu’ils entraient dans la cuillère cassée. On nettoya ce qu’elle contenait avec une cuillère plus petite, et le taraud descendu ensuite la prit fortement. La plus grande difficulté n’était pas vaincue; la cuillère, en tombant avec cet énorme poids, s'était déchirée par le haut et s’était scellée, pour ainsi dire, dans la craie dure. Après de très-grands efforts, on parvint à la lever de 0".50. Arrivée là, elle ne voulut ni monter ni tourner : quatre crics et le cabestan du manége ne produisirent aucun eflet. On la fit redescendre avec peine et remonter 408 LES PUITS FORÉS. ensuite ; cette manœuvre répétée une quarantaine de fois, lui avait fait parcourir une hauteur de 3.60; mais, comme précédemment, il était encore impossible de lui imprimer - aucun mouvement. On dut la faire redescendre de nou- veau en opérant par percussion. Enfin, après qu’on eut répété cette opération un grand nombre de fois, de cen- timètre en centimètre, la cuillère, soulevée de 6.60, ne se trouvait plus arrêtée. On put l’extraire, et on fut agréa- blement surpris de trouver dans son intérieur la moitié de la tige et ses trois goupilles. Cette extraction avait duré quinze jours. | Le 21 mars on était à la profondeur de 400 mètres, dans de la craie grise et dure. Le marché passé entre la ville et l'entrepreneur était terminé ; néanmoins les tra- vaux furent continués sans interruption. Une nouvelle proposition pour percer 100 mètres de la profondeur de 400 à 500 mètres, fut soumise au con- seil municipal, qui, animé du désir de terminer l’entre- prise, s’empressa de l’approuver : le 1° septembre, le nouveau marché fut signé par le préfet de la Seine. L’entrepreneur devait forer ces 100 mètres pour la somme de 52,000 francs, dans laquelle n'étaient pas compris les frais d’alésage et de tubage provisoire, Le 25 mars, un câble neuf s'étant rompu, occasionna l'accident peut-être le plus grave qui soit arrivé pendant le cours du sondage. Lorsque le forage était parvenu à la profondeur de h07 mètres, 325 mètres de sonde tombèrent de 80 mè- tres de hauteur dans le fond du trou. En quelques jours les barres furent retirées à l’aide LES PUITS FORÉS 409 des cônes, dans un mauvais état, comme on doit le penser; mais de la cuillère, qui avait 9".48 de hauteur, _ on n'avait extrait que 2°.30, c’est-à-dire la partie atte- nante à la sonde. Il en restait donc 7.13, dans lesquels se trouvaient trois ajustements à vis et deux boulets en fonte, formant soupapes. D'abord on descendit sans succès ess tarauds de divers diamètres ; enfin, voyant qu’il était impossible de sortir la cuillère par ces moyens, on résolut de la prendre extérieurement avec le cône taraudé intérieurement ; pour cela il fallut agrandir le trou qui n’avait que 0.13 de diamètre et le porter au diamètre de 0”.16. Dans ce but, on descendit un alésoir fonctionnant par rotation; mais pendant cette opération, un nouvel accident, non moins grave que le premier, vint compliquer l'opération d’une manière décourageante, La tige de suspension s'étant cassée, la sonde, qui tra- vaillait dans une partie tendre, s’enfonça de 13.50 dans un terrain où elle n’était pas parvenue avec le nouveau diamètre. Les lames de l’alésoir pratiquèrent en tombant quatre rainures de 2 centimètres de profondeur, dans la paroi du trou. Pour comble de malheur, le tenon cassé étant trop large pour passer dans l’encliquetage, brisa en tombant une des plaques de celui-ci et l’entraîna dans sa chute. Ainsi , après deux mois de travail , employés à l’extrac- tion de la cuillère, on avait en outre dans le trou un alésoir, toute la sonde courbée ou brisée, et un morceau de fer forgé, coudé à angle droit, recouvert d’une tôle épaisse, H10 LES PUITS FORÉS. Le premier cône taraudé rapporta le tenon cassé et la plus grande partie des barres, dans un état affreux. Une deuxième manœuvre du même instrument passa à côté de la sonde; après l'avoir cherchée longtemps à la place où elle devait être, sans pouvoir la sentir, on crut à un nou- veau malheur; mais en laissant descendre le cône jusque sur le premier ajustement, on acquit la preuve du con- traire. La tête de la sonde, qu’on ne pouvait toucher avec un outil du diamètre exact du trou, était rangée dans une excavation. Une caracole, instrument à crochet horizontal, la prit sous le quatrième ajustement ; comme il n’était pas prudent de lui faire subir aucun effort de traction, dans la crainte d’aggraver la situation, on se contenta d’amener la sonde dans une autre partie du : trou, de manière à pouvoir la saisir avec le cône. On avait bien réussi, car au premier essai on la tarauda for- tement. On tira dessus, d’abord avec le cabestan du manége, auquel on ajouta ensuite deux, quatre et six crics; enfin la craie céda. On monta ainsi de quelques mètres; mais le morceau de fer forgé dont nous avons parlé, s’interposant entre la sonde et la paroi du trou, rendit inutiles tous les efforts de traction qu’on put faire : il formait coin. Il fallut redescendre en opérant par per- cussion ; opération qui dut être répétée plus de trente fois pour monter d’environ 30 mètres. Enfin on arriva dans un endroit où le trou avait un plus grand diamètre, et on put achever l’extraction sans nouvel obstacle. Les grands efforts qu’on avait faits sur le manége Pavaient tellement endommagé, qu’il n’était pas prudent de continuer de s’en servir. On en construisit un autre LES PUITS FORÉS, 41 beaucoup plus solide et mieux approprié à la manœuvre de la sonde ; on remplaça également les poulies fixes et leur chape, les boulons et les poulies mobiles ; enfin, on substitua aux câbles, qui occasionnaient une dépense de L50 francs par mois, des chaînes de fort calibre, Quand l'appareil eut subi toutes ces modifications, on essaya de retirer le morceau de l’encliquetage, mais il n’offrait aucune prise aux instruments et descendit, poussé par la sonde, jusqu’à la cuillère. * Des outils de différentes formes furent employés en vain. Un cône fileté, d’un grand diamètre, fut descendu . pour tarauder extérieurement, mais les silex tombés d’en haut et la pièce de fer fermaient hermétiquement le trou, de sorte qu’on avait à cette place une masse compacte de fer et de silex, sur laquelle les outils pivotaient sans entrer. | | Dans cette alternative, on résolut d’avoir recours au moyen extrême, c’est-à-dire de pulvériser tout ce qui se trouvait sur la cuillère et au besoin la cuillère elle-même, jusqu’à son premier ajustement. On fabriqua en consé- quence des douilles taillées à leur partie inférieure, dans l’intérieur desquelles on pouvait lire, à chaque fois qu’on les remontait , les frottements qui se produisaient en bas. Ce travail, comme on doit le penser, ne marcha que très-lentement; car, outre qu’on avait à broyer des ma- tières très-dures, le trou de sonde n’étant pas tubé sur une longueur de 250".03, fournissait continuellement de la vase. On résolut de descendre un tube qui embras- sât la presque totalité du trou. Pour cela on fit l’agran- dissement à partir du tube de 0",31 de diamètre, jusqu’à 412 LES PUITS FORÉS. la craie pure sans silex. Le sixième tube fut placé le 14 juin 1838; il a 0.265 de diamètre, 208",82 de longueur ; il descend à 349".72 du sol, et il pèse 6,478 kilogrammes. Le 5 juillet on reprit les travaux pour l'extraction de la cuillère. Après en avoir détaché des fragments avec les | douilles taillées, on les remontait avec les cônes filetés. On ramena une fois entre autres un ajustement tout entier et un des boulets qui servent de soupapes. On essaya les ciseaux pointus de 0°.06, de 0.07, de 0°.08; mais ils passèrent à côté de la cuillère. On opéra ensuite avec un ciseau à laiton, du diamètre exact du trou, comme pour le percement d’une roche dure; de cette manière on avançait davantage qu'avec les douilles taillées ; enfin, on reconnut à la suite de l'introduction un ciseau pointu, sur la frette attachée à la soupape; on était donc certain de retirer la cuillère, puisqu'on entrait dedans. Son extraction fut annoncée deux jours d'avance. Après avoir extrait, avec une petite cuillère à soupape, la vase qu’elle contenait, on employa un taraud qui la remonta pleine de ses débris. Elle avait primitivement 7°.13 de longueur ; on en retirait à mètres en très-mauvais état; on en avait donc broyé 4".13. Tombée le 25 mai 1837, elle fut retirée le 4° août 1838, après quatorze mois de travail. Le 3 août, on était parvenu à 408".52. En perçant au ciseau, une barre se rompit, en tournant, à une profon- deur de 361.00. Le cône taraudé employé pour extraire la tige, passa à côté. Après trois jours d’essais avec la caracole, on put enfin la remonter. LES PUITS FORÉS. 413 Le 47 août, le même accident, accompagné des mêmes circonstances, se produisit à 414 mètres. Les mêmes manœuvres furent faites; ce n’est encore qu’au bout de trois jours que la caracole prit la tige sous le quatrième ajustement. Lorsqu'on voulut sortir la barre, au lieu de suivre la direction du trou, elle passa derrière le tube et monta ainsi de 7°.35 entre les parois du trou et le tubage ; là se trouvait un ajustement : elle s’arrêta, On voulut alors tout redescendre, mais la sonde resta suspendue derrière le tube et la caracole descendit seule. Arracher le tube n’était pas chose facile. Il fallait néces- sairement renfoncer la sonde. Pour cela on fit une cara- cole beaucoup plus forte que la première, et l’on prit la tige au-dessus de l’ajustement ; après avoir frappé très- fort, elle s’échappa. Lorsqu'on eut acquis la preuve de ce fait, on remonta la caracole et on en mit une autre qui, après bien des essais, retira enfin le 4 septembre la barre cassée. On mit une barre plus forte, pour vaincre la résistance présentée par cette mauvaise place; malgré cette pré- caution, le 15 septembre, il y eut encore une rupture à k14".60. On ne put, comme précédemment, prendre la sonde qu’au quatrième ajustement ; les barres passèrent de même derrière le tube, restèrent suspendues, et la caracole descendit seule. I] fallait encore une fois les ren- foncer ; mais on eut beaucoup de mal à saisir un ajuste- ment. En frappant à petits coups sur le cinquième, on s’enfonça dessous et l’on ne put remonter la caracole. Espérant être plus heureux au sixième, on y descendit ; l'outil passa encore derrière. On était arrivé à l'endroit AT _ LES PUITS FORÉS. où le trou avait un plus petit diamètre ; l'outil, avec la force dont on disposait, ne pouvait plus ni monter, ni descendre, ni tourner à droite ou à gauche : il fallut em- ployer plus de force. On fit usage de deux crics, mais on cassa la barre qui tenait la caracole; celle-ci tomba. Heureusement la réaction avait fait échapper la sonde qui était derrière le tube, de façon qu’une autre caracole, d’une forme convenable pour la position de la barre, la retira le 27 septembre. | Après avoir mis de très-fortes barres à cet endroit, on continua l’approfondissement. Le 31 octobre, en perçant un banc de craie siliceuse, un tenon se cassa à 377°.92; les cônes passèrent à côté de la barre, maïs la caracole la remonta le 8 novembre. On mit un tenon plus fort ; il ne servit à rien, car le 11 novembre il cassa ; on ne put encore remonter la barre qu'avec une caracole. . Quelle était la cause de tous ces accidents? Le trou n’était pas de travers : on s’en était assuré. La seule explication plausible qu’on puisse donner à ce sujet est la suivante, On avait fait tant de manœuvres pour retirer la cuillère cassée à 407 mètres, que les ajustements, en frottant toujours au même endroit, avaient pratiqué dans les parties les plus tendres du terrain une rainure , dans laquelle les barres venaient se placer. On conçoit, de cette manière, comment un cône du diamètre exact du trou passait à côté de la barre et même quelquefois à côté des ajustements; de sorte que, lorsque plus tard la sonde s’enfonça, les barres occupèrent la place des ajustements; celles-là n’étant plus soutenues, tendaïent à se courber par l'énorme pression qui agissait sur elles, et, une fois Lo hd à die * ile tie SU dé RE din | dé dé a data ns LES PUITS FORÉS. 415 pliés, agrandissaient l’excavation en tournant, enfin finis- saient par se rompre. Que faire? On avait remplacé les barres et les tenons qui cassaient, par des barres et des tenons plus forts; ils cassaient aussi. Tous ces accidents, qui se présentaient dans des conditions aussi difficiles, retardaient considé- rablement le travail : il fallait y remédier. Malgré la grande volonté qu'on avait de conserver au trou le plus de largeur possible, on résolut de placer un tube jusqu’au fond. Pendant l’alésage, qui commença le 19 novembre, on cassa encore plusieurs barres à cette maudite place, et toujours on ne pouvait les sortir qu'avec la caracole. Une fois entre autres, la sonde se rompit en trois mor- ceaux. On plaça le huitième tube le 28 janvier 1839; il a 0",921 de diamètre ; sa longueur est de 340",29; il des- cend jusqu’à 409".62, c’est-à-dire 2 mètres plus bas que l'endroit où s’était cassée la cuillère. | En continuant l’approfondissement, on trouva à cette profondeur de la craie grise, alternant avec des bancs siliceux excessivement durs. … De 430".50, la cuillère a rapporté des pyrites de fer; la craie est un peu plus argileuse. Le 29 avril 1839, lorsqu'on était arrivé à 449",.54, l’encliquetage sauva la sonde d’une chute certaine. À 465",80 le ciseau traversa une couche de craie verte chloritée, de 0°.30 d'épaisseur. Ce nouveau terrain fit renaître l’espérance : on était donc bientôt aux argiles inférieures. Des échantillons furent distribués aux géolo- 6 LES PUITS FORÉS. gues qui suivaient l'opération, et accueillis par eux comme les précurseurs de la réussite. On trouva ensuite de la craie bleue argileuse un peu plus tendre, dans laquelle étaient enfermées les deux couches siliceuses les plus dures qu’on ait eu à percer dans le forage, l’une à 469".75, l’autre à 471".88. La craie devient ensuite de plus en plus argileuse ; elle contient des parcelles de mica et par place des veines de sable argileux ; puis elle est verte, avec des points de silicate de fer; elle est ensuite d’un bleu foncé, puis grise ; enfin à 505".95 on trouve l'argile brune, compacte, micacée, renfermant de nombreuses pyrites de fer. À 500 mètres, M. Mulot fit un nouveau marché avec la ville #, pour percer de 500 à 600 mètres, moyennant la somme de 84,000 fr., dans laquelle n’étaient compris ni les frais d’agrandissement du trou, ni la fourniture des tubes provisoires. Le 9 novembre on était parvenu à 515".45 ; l'argile qui jusqu'alors était dure et solide, devint tellement cou- lante qu’il fut impossible de percer davantage sans le secours d’un tube, La partie inférieure de la craie n’étant forée qu’au diamètre de 0”.13, on dut en faire l’élargis- sement à 0,20, Cette opération présenta de grandes difficultés ; la dureté du terrain était telle qu’on ne pouvait augmenter le diamètre de l’alésoir de plus de 0".02 à la fois. Comme dans le mouvement de percussion on cassait 4. Ce marché fut soumis à l'approbation du ministre, qui l’adressa au conseil des Mines. Le rapport fut fait par M. Héricart de Zhury, et publié en octobre 1840 dans les Bulletins de la Société d'encou- ragement. LES PUITS FORÉS. 417 un nombre considérable de boulons de sonde, on remédia en partie à cet inconvénient en substituant à la place des douze premières barres du haut, douze barres à vis d’un nouveau modèle. Le 8 avril, le trou était agrandi à 0".20 de largeur jus- qu'à 475 mètres, lorsque la première barre du haut se rompit. En cherchant la sonde, on fut étonné de ne la trouver qu'à 26 mètres plus bas; l’alésoir était descendu à 901 mètres, et avait pratiqué dans sa chute rapide quatre rainures d’un centimètre de profondeur sur 26 mètres de longueur. Après s'être assuré avec la caracole que la sonde n’était pas cassée en plusieurs morceaux reposant les uns sur les autres, on la tarauda fortement avec le cône. Quatre crics et le cabestan ayant coupé les boulons d’une barre, on la retira facilement ; deux manœuvres semblables rapportèrent au sol chacune une portion de la sonde. L'appareil ayant été descendu une quatrième fois, la sonde se cassa au-dessus du cône qui resta dans le trou; à une cinquième et une sixième opération, les barres se rompirent successivement en s’approchant du sol, de sorte qu'il y eut dans le forage trois sondes formant une ligne continue dont les sections étaient reliées par trois cônes taraudés à droite, et se terminant en outre par l’alésoir, qui, avec ses tiges, formait une longueur de 19".54. Comme on ne pouvait employer plus de force de trac- tion, puisqu'on rompait à chaque fois la sonde dans la partie supérieure, on résolut de dégager deux lames de l’alésoir en perçant un trou à côté. Mais auparavant il fallait retirer les parties de sondes tenues par les cônes, VE —ur. 97 418 LES PUITS FORÉS. et ne laisser que les 49°.54 tenant l'outil. A cet effet, on descendit des cônes filetés à gauche, qui sortirent facile- ment les sondes. Une première frette taillée, montée sur un cylindre de forte tôle, descendit jusqu'à 458".17 sans presque forcer; mais quand on voulut la retirer, elle tenait tellement qu'on ne pouvait ni monter, ni descendre, ni tourner. Après avoir essayé sans succès de l’enfoncer en frappant, on mit d’abord deux crics, puis quatre, puis enfin six ; c’est alors que les craintes devinrent sérieuses. On pouvait avec ces six crics, casser soit la sonde, soit les boulons, et alors les difficultés devenaient presque insurmontables,. H n’en fut pas ainsi, très-heureusement; le cylindre de tôle remonta hors de service, après avoir adhéré sur une longueur de 8 mètres. On fora à côté de l’alésoir, et jus qu'à 2 mètres au-dessous, un trou de 0.19; ce n’est qu'après avoir mis la sonde dans une autre position avec la caracole, que le cône fileté put tarauder ; mais On cassa de nouveau la barre, sans que lalésoir fût remonté. Ayant coupé les barres et les boulons plusieurs fois encore, sans plus de succès, on remplaca de nouveau douze barres à boulons par douze barres à vis; on ajusta des boulons neufs sur tout le reste de la sonde, et l’on tira; cette fois il ne resta plus dans le trou que 25.67, y compris l’alésoir. On crut en ce moment qu’il était possible de pouvoir ainsi couper les barres jusqu’au bas, maïs bientôt on fut désillusionné. Un cône ayant été remis, la sonde se cassa à 425 mètres : le mal était donc empiré. Un nou- veau cône ne rencontra la partie supérieure de la sonde que 16.50 plus bas qu'elle ne devait être, où à 444.50: LES PUITS FORÉS. - 419 l’eflet de la réaction l'avait fait casser à une autre place. Ayant taraudé, on déploya toute la force possible, mais * de manière cependant à ne rien rompre; la résistance étant trop grande, on détarauda. Un cône d’un plus petit diamètre parvint, après bien des tâtonnements, à saisir l’autre bout; il était de 21".58 plus bas que le premier, ou à 463.08. On tira dessus, sans succès, de toute la force du cabestan , eton le dévissa. Il y avait donc dans le forage deux sondes cassées à | côté l’une de l’autre, se serrant mutuellement et de telle sorte qu’elles résistaient à un effort de traction de 30,000 kilogrammes; de plus, il était difficile de savoir laquelle des deux tenait l’alésoir, puisque la barre pouvait être cassée à 16".50 du haut, et que, tout aussi bien, elle pouvait s'être rompue à 16.50 du cône. En effet, en en tombant de ces 16.50 elle pouvait s'être placée dans les mêmes conditions que dans la première hypothèse, c'est-à-dire que la partie supérieure, dans ce second cas, devait se trouver également descendue à 441.50. Il est bon de faire observer qu’il était d’une importance extrême de connaître celle des deux sondes qui tenait l'outil, parce qu'en tirant sur l’alésoir, on ne pouvait que serrer davan- tage le morceau retombé à côté du cône. Quel était donc. le bout sut lequel il fallait forcer ? Le raisonnement sui- vant le fit découvrir : en tenant compte du diamètre du cône et de celui de l’ajustement d’une part, et du dia- mètre du trou d'autre part, on savait le point où l’ajus tement devait nécessairement s'être arrêté; en ajoutant à cette profondeur les deux longueurs possibles de la tige 420 LES PUITS FORÉS. cassée, on devait retrouver 463.08. Un calcul bien simple indiqua que le bout qui avait subi le premier quelques efforts, était précisément celui qui tenait le moins. On remit dés boulons à toutes les barres, et on remonta une longueur de tige de 38".08, celle juste- ment prévue par le. calcul, car on a 425" + 16",50 + 91%.58 — 425" + 38".08 — 163".08. Ainsi, après trois mois de travail pour retirer l’alésoir, on avait réparé bien des accidents graves, mais on n’était guère plus avancé que le premier Jour. La force de trac- tion ne pouvait plus être augmentée, puisqu’un effort de 75,000 kilogrammes suffisait pour rompre et barres et boulons; nécessairement il fallait avoir recours à d’autres moyens. On compléta d’abord une sonde neuve à vis de 500 mètres de longueur, en fer d'excellente qualité ; puis on mit à son extrémité un cylindre creux, de 27".792, se démontant à vis en trois morceaux , et taillé à sa partie inférieure à grosses dents. À chaque fois qu’on voulait se servir de cet instrument (dont le but était de frayer un passage entre la sonde cassée et la paroi du trou), on était obligé d'introduire dans son intérieur la barre tenant l’alésoir, qui, comme on le sait, était à une grande pro- fondeur. Mais la cuillère à soupape qu'il fallait descendre _de temps en temps pour extraire les matières broyées par la douille taillée, pressait de plus en plus contre le trou les quelques barres qui étaient au fond, de telle sorte que lorsqu'on voulait de nouveau remettre le cylindre creux, on était obligé préalablement de les changer de position avec la caracole, Quand on fut ainsi arrivé sur lalésoir, on descendit un cône qui vissa fortement la barre; on fit | | : | LES PUITS FORÉS. 421 force avec huit crics et le cabestan, on coupa les boulons de la deuxième barre (c’est-à-dire de celle qui tenait l'alésoir ). Il n’en restait donc plus dans le trou que 17.13, y compris l’instrument. Un nouveau cylindre, plus mince que le précédent, fut descendu ; cette fois il arriva jusque sur les lames. On força sur la sonde, pour tenter de l’ébranler ; un cône taraudé fut descendu, mais n'étant vissé que sur un tenon de sonde , il s’échappa, mais sans causer d'accident. Il restait un dernier moyen, qui fut aussitôt employé ; l’alésoir formait bien par la saillie de ses lames le dia- mètre à peu près juste de l’intérieur du tube ; mais comme il fonctionnait depuis plusieurs heures dans de la craie siliceuse très-dure, il devait nécessairement être un peu usé; or, quelques millimètres suflisaient pour se tirer d'embarras. On ajouta donc un nouveau cylindre, en tôle d'acier de 0".003 d'épaisseur, taillé à sa partie inférieure à dents de scie, et de la longueur des lames de l’alésoir. Trois manœuvres de ce cylindre suffirent à faire sa place entre les lames et la paroi du trou. Comme il n’y avait plus rien qui dût retenir l’outil, un cône fut des- cendu ; à peine avait-on taraudé, que l’alésoir tourna comme la sonde. Il fut enfin remonté. Pendant son extraction, qui a duré quatre mois et six jours, on a cassé la sonde vingt-deux fois. L'alésage du trou fut continué, et le 8 septembre 1840 le huitième tube fut descendu. Son diamètre est de 0,185, il a 129.14 de longueur, et il descend jusqu’à 914".38 dans les argiles éboulantes. Le trou étant tubé, on travailla avec l'espoir d'arriver 422 LES PUITS FORÉS. bientôt au résultat. Le creusement des argiles présen- tait de grandes difficultés, attendu que chaque fois que le tube s’enfonçait (et on était obligé de l’enfoncer tous les 2 mètres), il se remplissait sur une assez grande lon- gueur, qu'il fallait nettoyer à grands frais. On trouve dans ce terrain des parties de sable aggloméré et de grès friable, au travers desquelles le tube eut beaucoup de peine à passer. Les argiles renferment beaucoup de py- rites de fer, et des nodules de chaux phosphatée. De 531 à 540 mètres, la sonde a rapporté, outre les pyrites, de nombreux débris de coquilles fossiles, parmi les- quels on a reconnu : Ammonites Bucklandüi ; Pecten quin- que costatus ; Hamites rotundus ; Venericardia; Mytiloides Brongnartii ; Spatangus, etc., etc. | Le 28 décembre, à 537"/50 on cassa une cuillère ou- verte. Pour la retirer, on descendit une cuillère à soupape, portant à sa partie inférieure une douille filetée ; en tour- nant pour la visser, une barre se brisa. Craignant que les argiles qui se resserraient continuellement, ne vinssent augmenter les obstacles, on mit toute la célérité possible dans la descente du cône; maïs, en remontant, l'arbre du manége, qui était d’excellent fer et qui avait 0*.07 d'épaisseur, se rompit; on dut passer deux jours et posa nuits pour le remplacer. On fit des efforts inutiles pour retirer la cuillère ouverte jusqu'au 26 janvier 1841. Les cônes et les caracoles passaient à côté, parce qu’elle n’offrait aucune prise, sa partie supérieure étant cassée. On voulut la ranger dans: le terrain, de manière cependant à ce que la verticalité du trou de sonde ne fut pas altérée ; on éprouva quelque LES PUITS FORÉS. 423 difficulté à faire cette opération , et l’on acquit bientôt la certitude qu’elle était exécutée convenablement, lorsque le tube fut descendu plus bas que la partie inférieure de la cuillère. Les tubes, une fois arrivés à 537,97, résistèrent aux efforts qu'on faisait pour les descendre; le trou était percé jusqu’à 545".01 et le terrain était composé d'argile verdâtre sableuse. Voyant la presque impossibilité d’ar- river au but sans le secours d’un autre tube, on avait préparé d'avance une longueur de 60 mètres, … La cuillère fermée sans boulet, de 1".85 de hauteur, fonctionnait dans de l'argile extrêmement compacte, lors- qu'elle se rompit. Les ciseaux et les cuillères ouvertes avaient été essayé dans ce terrain, mais les premiers s’'empâtaient après avoir percé quelques centimètres, et les secondes étaient remplies par les débris éboulés avant d'arriver au fond du trou. L'accident pouvait avoir des suites funestes, si l’on ne s’en fût aperçu à temps. Qu'on se figure, en eflet, l’état dans lequel on eût mis la cuil- lère, si l’on avait continué de laisser tourner les deux bouts l’un sur l'autre. Infailliblement celui du dessous se serait déchiré, et alors comment le tarauder dans un trou qui se bouchait continuellement ? Lorsque la sonde fut remontée, on s’aperçut qu’il en manquait une longueur de 2”.50. Un premier taraud fut descendu sans succès ; un second, fait exprès, rapporta le morceau cassé. Ainsi, on n'avait plus que 2 mètres à percer, et il s’en fallait de peu que le succès ne fût retardé de bien longtemps : c’eût été échouer au port. L’argile est de plus en plus dure; les parties non tubées 424 LES PUITS FORÉS. fournissent continuellement de la vase, et la cuillère n'entre à chaque manœuvre que de 0".10 à 0".45. À 545".19 on fut obligé d’employer-un ciseau ; il entra par des mouvements de pression et de rotation continués pendant cinq heures, de 0.44. Une cuillère à soupape, mise ensuite, ne descendit plus bas que de 0.03. C’est dans cet outil qu'on trouva des gros grains de quartz, empâtés dans de l'argile verdâtre avec des fragments de chaux phosphatée et des pyrites de fer. Une deuxième manœuvre du même instrument descendit de 0.05 seu- lement, et rapporta également de gros grains quartzeux. L’avant-dernière cuillère entra de 0.28 et remonta pleine. Sa partie inférieure contenait du sable vert très- argileux, qui vint faire renaître l'espérance un moment refroidie, par cette longue série de bancs d'argile. On touchait presque au but; aussi le lendemain, bien avant six heures, maître et ouvriers étaient à leur poste."La cuillère, qui fut montée en 3 heures 45 minutes, vint de nouveau confirmer lés prévisions de la veille. On ne peut peindre le bonheur qu'éprouvèrent tous les assistants quand il fut constaté que la sonde avait rapporté le sable vert si impatiemment attendu ! On se hâta de redescendre la cuillère sans que per- sonne voulût pour aucun motif consentir à s'éloigner du chantier de travail. Au bout de deux heures loutil était arrivé au fond du puits: il tourna d’abord assez librement et entra de 0,50; c’était bon signe. Comme la sonde: était un peu plus dure à tourner, on la dégagea en l’enlé" vant de 0".65, et l’on frappa légèrement au frein ; @ette secousse fit entrer la cuillère de 0".10. Les chevaux Rte be énen à Lib + … LES PUITS FORÉS. 425 éprouvèrent d'abord de la résistance, et après une vio- lente secousse, qui ébranla tout l’atelier, ils tournèrent sans effort. « La sonde est cassée ou nous avons de l’eau », dit: alors le directeur du travail. Comme il descendait dans l’excavation pratiquée pour la manœuvre de la , sonde, afin de voir si le niveau de l’eau était plus rap- proché du sol, un sifflement se fit entendre et l’eau jaillit avec force au-dessus de l’encliquetage. + On était au 26 février 1841, à 2 heures 35 minutes. La sonde est entrée de 1 mètre seulement dans le sable quartzeux qui contient la nappe jaillissante. L'eau a charrié avec elle beaucoup de dents de squales, des gry- phées virgules et un fragment de trigonie aliforme. Sa température est de 27°.7 centigrades. D’après l'analyse que notre confrère M. Pelouze voulut bien faire immédiatement, elle est plus pure que l’eau de Seine. Malgré la masse de sable dont l'embouchure du _ puits est recouverte , l'écoulement à la surface du sol se monte à 24 millions de litres en 24 heures. Nous don- nons ci-jointe (fig. 9 et 10) la coupe géologique de tous les terrains traversés. Cette coupe, sur laquelle sont marquées les profondeurs et les épaisseurs des diverses couches traversées par la sonde, rendra facile l’étude de tous les détails donnés plus haut et de ceux qu’il nous reste à rapporter. Les travaux du tubage furent commencés le 29 juin suivant. Les tubes étaient en cuivre rouge, de 0".003 d'épaisseur, étamés en dehors et en dedans ; ils formaient une seule colonne pesant 10,000 kilogr., de trois dia- mètres différents (0",18, 0,99, et 0.925), qui devait se "AMIVILUIL NIYVUUIL *HUIVANONSS NIVUUAL LES PUITS FORÉS. x NATURE DES TERRAINS TRAVERSÉS. Terrain d’attérissement. . Calcaire chlorité. Sable jaune ferrugineux. Argile bieue et pyrites de fer. Sable quartzeux et fer sulfure. Sable argileux- Argile panachee. Argile crayeuse. Argile avec nodules de calcaire. Marne sableuse-et nodules. Sable argilo-calcaire. Craie blanche avec silex pyro- maques noirs en rognons, espaces de 2 a 3 mètres . Argile bleue sableuse et lignites. | ; le SNS z ASSIS et RSS Ne ex °É - ESS ane man” > £ er - TRS “, > CS 5 e ASS ANNE NAME _ > + > ce ee SNS Re se F5 >. ’, +, e- PRES NE > © SAS 2 2 ASSET NES Roches dolomitiques très-dures. au nombre de huit, séparées par des bancs de craie grise et dure, renfermant des silex pulvérises et des parcelles de mica, ESS ÉEEEX Craie blanche avec silex en ro- gnons. Silex en banc solide. ee ss ee" . Se ane - e EE > e F Se RER ER S L2 LES ANSE D Me et CRC LA : sas Ne? DOCS ESS) SES Las SIT de SAÏS TL ss ENS SI ee I ) _ # ASS Se À 3 - -F RER 2 PLANS ef à ss E ses L° . we & ss © ef qe Se ne _. e - Si a eters " -. be +: DS un me DS = RER ETES ee ee SSL — ee SR Se ST 2%: Le Ne à CR ARS ” Is - Jr -e TS ES - Je le ee, e ,.- Set - L 2 Le: à DEL” PROFON— ÉPAIS- MWtt: di ive DEUR, SEUR, 1 > + .vi° 7,2 > ee _ LCR ES) > ,æ _ - EE an SE ve à NN nm x À er SES Rs S £ L à : Fr. «Æ Jsre'e =. 191.99 | 87.96 É SSSESSAEES Die - Fig 9. — Conpe géologique de la partie supérienre du puits artésien de l'Abattoir de Grenelle, | Carcuine — GROSS.ER. ILE PLASTIQUE, CnalE BLANCHE. Coté. VE. AUIVANONHS NIVU LES PUITS FORÉS. pproches et craie. ke . FTP PAUSE | grise e'evec silex- = + > Ra7 sen. 2° be vds tb * 2 | LA % … ZT TE den dates T0, 0:.: _ Il y a plus de silex dans cette partie de la craie; mais la silice us'y tr disséminee la rend RpIOE d 1 È ’ INT ! K1 FF à F1 HR T0 — Craie verte chloritée avec roche. siliceuse très-dures. | Craie bleue avec des couche- _ [très-dures dans peu d'épaisseur. o \ , devient de plus en plus ar | gl et content, dans ses bane- inférieurs, des pyrites de fer. 4% brune micaeee renfermant de fer, des nodules de phosphatée et de nombreuse: des ammonites Bucklandu, Pec- ‘nquinquecostat: s,Hamites rotun Ps my UNE etc. \ Argile et gros grains de quartz. Sable vert argileux, puis sable quartzeux, dans lequel est l’eau. , telles que : mytr | si. c SS S + 6 NS PA pIQR & e + Te SE Sn ART var - Reese, se 6° cs = AE 2 ” s L2 RC : 8. Ds a = “o + + PERL », * ». ns Se ae x SE sx à Al a NS RS AZ: ; NS SNS RE S SV à NN | RU AS PNR ASS S LÉ. \ . ŸE X “NN KW Tél .X NN NK WW dé AS NE N. ; NT HIER Ts se: © 2 & a" Ÿ à +" N N & À NN DA : AN OR: US NE: Ÿ_ WIN NY N À y pe SS AN RÈSYS. SN SK NE LR À Fs SR SX 1 JS VU S KIK NS NN SAN SN S RRK R& NN | Lé. Ed. 20005 p190* p les profndewrs 497 m 279,25 m 59.42 518.67 1.88 320.55 16.23 356.78 129.02 465.80 | :.95 469.75 . 36.20 505.95 39.87 543.82 546.51 0.69 548.00 | 1.49 / CRAIE GRISE, ARGILE GAULT, + L 1 + + Ech.an £ p-les dim* des Ales | _,M (] 50 100 Fig. 10. — Conpe géologique de la partie inférieure du puits artésien de l’Abattoir de Grenelle, 428 : LES PUITS FORÉS. visser sur les tubes de fer de 0°".17, à la profondeur de 108".83. On ne voulait pas, à cette époque, mettre des tubes dans toute la longueur du percement, c’est-à-dire les descendre au travers de la colonne de 0".17 dans la crainte de diminuer le diamètre du trou, et par consé- quent la quantité d’eau fournie. Les deux premières grosseurs furent ajustées, comme les tubes ordinaires, avec des fils de cuivre taraudés, puis soudés à l’étain, pour empêcher toute fuite. Le dernier diamètre, celui dé 0".25, fut assemblé avec des viroles filetées ; l’autre moyen était devenu impraticable, attendu la grande hauteur à laquelle l’eau s'élevait. Ces tubes, destinés à empêcher l’absorption par les couches perméables, étant de diamètres sensiblement plus petits que ceux des colonnes provisoires, descendirent _très-librement jusqu’à 358 mètres. A cette place l’eau qui coulait à 8 mètres au-dessus du sol s'arrêta , et presque instantanément descendit de 20 à 25 mètres, puis re- monta lentement. | Cet effet fut probablement occasionné par l’accumula- tion à l’orifice inférieur du trou, d’une grande quantité de sable et d’argile qui intercepta en partie le passage de l’eau. Il parut d’abord très-fâcheux , mais il eut l’avan- tage de rendre l’opération du tubage plus facile. En effet - les tubes, à cette profondeur, ne descendaient que très- difficilement. Les énormes masses de sable et d'argile que l’eau apportait, à chaque changement de niveau, s’inter- posaient en partie dans l’espace annulaire existant entre les parois du puits et les parois extérieures des tubes: L'eau ne coulant plus, l’obstacle disparaissait ; en dns : |: dictée LES PUITS FORÉS. 129 outre, on peut se figurer aisément qu’il était difficile et très-pénible de faire les assemblages sous l’eau et sous une grêle de sable tombant de 9 mètres de hauteur. … L'introduction des tubes fut donc continuée, et le len- demain ils étaient descendus à 408".83. Arrivés à cette : profondeur, ils ne purent cependant pas être fixés conve- nablement. On voulut profiter de nouveau de l’absence de l’eau pour essayer de les retirer, afin de les mieux placer. Il yen avait à peine 50 mètres de sortis quand l’eau, qui avait cessé de couler pendant trois jours, rejetant les matières qui s’opposaient à son passage, reprit son cours habituel ; dès ce moment, il fut impossible de relever les tubes. Pendant plusieurs jours, il ne coulait pour ainsi dire que du sable ; l’eau ne sortait plus à extérieur, l’es- pace annulaire étant rempli des matières qu'elle appor- tait. On suspendit les travaux. L'eau coulant presque toujours trouble, il fut décidé qu'on prolongerait la _ colonne de cuivre jusqu’à la couche d’eau, pour empê- cher l'argile non tubée de s’ébouler. On fit des tubes qui devaient passer dans ceux de fer de 0".17 de diamètre, s'ajuster dans la partie supérieure de ceux-ci, et atteindre la profondeur de 547 mètres. Pendant le temps que demanda leur confection, on fit couler Veau à la hauteu* de 26 mètres; à cette hauteur, elle était aussi souvent trouble que claire. Le 16 septembre, on était prêt à introduire les nou- veaux tubes. On fit préalablement descendre un outil, à l'effet de savoir l’exacte longueur qu’il fallait donner au tuyau pour atteindre la nappe d’eau et pour s'assurer 430 à : LES PUITS FORÉS. aussi de la parfaite conservation du trou. On fut extré- mement surpris de voir que cet instrument, qui, n'avait que 0.15 de diamètre, s’arrêtait à 145".83. Un instru- ment semblable, mais d’un diamètre plus petit (0.09 de diamètre), ne descendit que quelques centimètres. plus avant. Il était certain que le tube s'était aplati en cet endroit. Hs. . Pour le redresser, on fit des cylindres en fer de diffé rentes grandeurs, terminés par des cônes qu'on intro- duisit successivement en frappant à petits coups ; on parvint ainsi à passer au diamètre de 0".19. dans l’en- droit même où auparavant on ne pouvait entrer à 0".09. Un deuxième aplatissement fut trouvé de 185.03. à 190".15, c’est-à-dire sur une longueur de 5*.12; un troisième, de 198".10 à 205".94, c’est-à-dire sur une autre longueur de 7",84: Les mêmes moyens furent employés pour réparer ces accidents successifs ; als réus- sirent parfaitement, On n’avait plus à passer que le der- nier cylindre pour que la colonne fût rétablie dans son état primitif, lorsque, le 2 octobre, il s'arrêta à 104".29, et il était descendu la veille jusqu'à 200 mètres. Le volume de l’eau était diminué de moitié ; un cylindre de 0.09 fut descendu et s'arrêta à 104.40. Il y avait donc là une cause d’aplatissement agissant encore : les tubes étaient trop faibles pour lui résister. Placés pour supporter une force expansive du dedans vers le dehors, ils avaient été essayés à 35 atmosphères; mais ils subissaient une pression contraire du, dehors vers le dedans, pression à laquelle on était loin de s’at- tendre. is : Mél. e. ÉPR,., bé À botte né À OT dé RS ct LES PUITS FORÉS. | 431 C'est cet excès de pression extérieure qui a dù causer l’aplatissement ; il à dû provenir de ce que le niveau de l’eau s’est abaissé intérieurement fort au-dessous du sol; les eaux qui avaient pénétré entre le tube de cuivre et le tube de fer, n’ayant pas une communication libre avec la nappe aquifère, n'ont plus été équilibrées et ont pro- duit l'accident. Il faut aussi tenir compte de la violence des chocs déterminés par des changements très-grands dans le régime des eaux, changements qui s’opéraient brusquement par suite des travaux de tubage. Pour remplacer les tubes, il fallait d’abord retirer les 360 mètres restés dans le trou, qui étaient garnis exté- rieurement de sable. On commença par couper une lon- gueur de 141.50, qu'on remonta facilement. Les 104 premiers mètres de cette longueur étaient intacts, tandis que les 7 derniers avaient pris dans certains endroits la Fig. 11. — Coupe du tube du puits de Grenelle après son aplatissement. forme que représente la figure 11 et dans certains autres celle que montre la figure 12. Plusieurs cônes taraudés, de différentes grosseurs, furent descendus. Ce n’est qu'après bien des essais qu’on sortit encore un autre bout de 4".20 de longueur seule- 432 LES PUITS FORÉS. ment. La partie coupée était alors à 115",75. On essaya de la redresser pour en couper encore d’autres frag- ments, mais la partie supérieure était tellement aplatie, qu'on ne put y pénétrer, et le sable qui sans cesse se déposait à l'extérieur, empêchait les instruments de tarauder. On décida de détruire le tube dans toute la partie déprimée, dont on ne connaissait pas encore la lon- gueur, mais qu’on jugeait considérable, attendu la petite quantité d’eau qui jaillissait. On fit des outils de diverses formes; les uns, composés de frettes d’acier taillées à la partie inférieure, montées sur des tubes de fer qui pre- naient l’exact diamètre du trou, détruisaient tout au fur et à mesure, mais avançalent très-lentement et s’usaient en très-peu de temps sur le sable ; les autres, de forme circulaire et creux en dedans, ne coupaient le cuivre que sur deux côtés; les morceaux restant au milieu étaient ensuite arrachés avec des cônes filetés. Ces instru- ments nécessitèrent de fréquentes réparations. Le sable apporté par l’eau, s’interposant continuellement entre le tube et l’outil, occasionnait un frottement considérable , qui s’opposait à la rotation, et l’on va voir par l'accident que nous allons rapporter, combien il était dangereux d'arrêter le mouvement de rotation seulement pendant quelques secondes. | Une virole d'assemblage s'étant rompue pendant le temps employé à remonter la sonde et à descendre un outil nécessaire pour retirer la partie cassée, le sable se déposa tout autour du tube de 4 mètres de longueur seulement sur lequel était montée la douille filetée, et le scella tellement que tous les efforts de traction dont on LES PUITS FORÉS. 433 pouvait disposer furent employés inutilement pour l’arra- cher. On rompait les barres de fer carré de 0".051 de côté en tirant, et le tube ne remuait pas; on se servit d’une sonde dont les barres avaient 0.070 de côté pour essayer de tourner à gauche, mais ce fut encore une . manœuvre inutile. Par un moyen plus simple et plus facile on dégagea l'outil; l'ayant taraudé fortement, un homme seul tirait au cabestan, tandis que les autres, armés de marteaux, frappaient à petits coups et sans interruption sur la sonde ; ces petits chocs, répétés pendant toute la journée, finirent par l’ébranler, et on le sortit sans autre effort. Comme on espérait à chaque nouveau morceau du tube sorti, de pouvoir rentrer dans la colonne, on essayait les cylindres terminés en cônes, montés tantôt sur la sonde, tantôt sur un tube remplissant exactement le trou; mais on ne put y parvenir. L’instrument qui réussit le mieux fut une frette d’acier mince, taillée à très-grosses dents et montée sur un tube ‘de 0".20 de diamètre percé de trous; il ne coupait | qu’une certaine portion de cuivre, il est vrai, mais le tube étant plus large en haut que la frette n’était large en bas, il s’ensuivait que chaque fois il remontait des débris de cuivre. _ On était parvenu à la profondeur de 132".82 ; depuis quelques jours le travail n’avançait que très-lentement ; en un jour on n'avait pu déchirer que quelques centi- mètres avêc beaucoup de peine; le tube était toujours aplati. Assurément il pouvait y avoir des morceaux de cuivre qui entravaient la marche de l’outil. VE — ni. 28 434 LES PUITS FORÉS. Pour retirer ces débris, on descendit une cuillère de 0.22 de diamètre et de 4 mètre de longueur ; au-dessus de la soupape de cette cuillère on perça quatre trous de 0".0L de diamètre, pour faciliter l'écoulement. Ces quatre trous étaient indispensables, parce que, sans eux, le courant n’existant plus dans l’intérieur de la cuillère, elle se serait remplie de sable. Les morceaux de cuivre qui étaient en suspension dans l’eau, se trouvant dans un courant moins rapide, se déposaient en vertu de leur pesanteur spécifique et le sable était emporté. C’est ainsi qu'on remonta 265 kilogrammes de débris. À la profondeur de 136°.49 on reconnut que le tube n’était plus aplati; un cylindre descendit seul, et sans rien toucher, jusque au-delà de 208". Comme il était évident qu'on ne pouvait retirer cette partie de la colonne tubée par des efforts de traction, on en refit d’abord l'entrée avec un alésoir conique à six lames ; puis, au moyen d’un cylindre taillé extérieure- ment, guidé par un ciseau pointu, on pratiqua des trous à diverses distances, c’est-à-dire aux endroits où le tube était aplati. Ces trous avaient pour but de faciliter le passage de l’eau et par conséquent l'enlèvement des sables, qui seuls s’opposaient à l'extraction des tubes. Cette opération terminée, on descendit un cône ta- raudé, et après l’avoir fait mordre dans le tube, on se servit du moyen qu’on avait employé précédemment avec succès pour l'extraction de la douille filetée, moyen. qui consiste à tirer doucement pendant qu’on frappe à petits coups et très-vite sur la sonde, Me ..h TRE Les te tu été à ii dd Ô NÉ ae D LES PUITS FORÉS. 435 En résumé, il y a eu quatre aplatissements : Le 4 de 104",29 à 136".49, c.-à-d. sur une longueur de 32",20 Le 2 de 445 .83 à 152 .04, à. ai 6.21 \Le 3° de-185 .03 à 190 .15, ik si 5 .10 Le 4° de 198 .10 à 205 .94, PMR A 7 .8h Ainsi, les tubes de cuivre de 358 mètres de longueur, renfermés dans un tube de fer resté intact, ont été aplatis seulement sur une longueur de 101",65, et cela de 104,29 à 205".94, en quatre places distinctes et à des époques différentes. Tout ce qui était au-dessus et au-dessous de ces nombres, n’a pas subi la moindre altération. Les cuillères à soupape descendues ensuite s’arrêtèrent immédiatement au-dessous du dernier tube de fer, et parvinrent difficilement à 543 mètres. Plusieurs manœu- vres, faites avec ces cuillères, remontèrent une grande quantité de pyrites avec nodules de chaux phosphatée, et à chaque fois on ne put dépasser la profondeur que nous venons de citer; l'instrument était toujours rempli d'argile et de débris de cuivre : l’eau s'était donc créé un autre passage. M. le préfet de la Seine avait nommé une commission pour s'entendre avec M. Mulot sur les précautions à prendre pour le tubage définitif. Cette commission, que j'eus l’honneur de présider, était composée de MM. Alexandre Brongniart, Poncelet, Élie de Beau- mont, membres de l’Académie des Sciences; Galis, Lanquetin, Sanson-Davillers, membres du conseil muni- cipal; Mary, Lefort, ingénieurs de la ville ; Tremisot, chef de bureau de la préfecture. Elle décida que le tubage serait fait en tôle galvanisé de 0",005 d’épais- 436 LES PUITS FORÉS. seur. Des essais sur la résistance des métaux furent ordonnés et exécutés; ils vinrent constater que les tubes de cuivre de 0.003 s’aplatissaient sous une pression de 8 atmosphères, tandis qu'à diamètre égal les tubes de tôle de 0".005 résistaient à 70 atmosphères. Lorsque les tuyaux furent préparés, on descendit les barres pour reconnaître l’état du trou ; on fut très-sur- pris que la sonde, qui auparavant était descendue libre- ment dans le trou jusqu'à 543 mètres, s’arrêtât main- tenant à 525 mètres, c’est-à-dire dans le tube et à 8 mètres de sa partie inférieure. On fit des efforts pour la faire passer, mais elle n’alla pas au delà de 535 mètres. On la remonta courbée, ce qui donna à .penser que le tube l'était lui-même et que cette cause seule s'était opposée à la descente de l'outil. Pour s’en convaincre de nouveau, après l’avoir redressée on la redescendit; cette fois encore elle forma un arc de cercle assez prononcé. ‘Il y avait donc impossibilité manifeste à introduire le tube galvanisé jusqu’au fond, parce que, d’une part, il n’était pas prudent d’extraire le tube provisoire descendu jusqu’à 537 mètres, et retenant une couche d'argile de 50 mètres d'épaisseur, et que, d’un autre côté, sa cour- bure s’opposait au passage du nouveau tube, On se décida alors à ne descendre la colonne galva- nisée que jusque sur la partie supérieure du trou foré ayant 0.17 de diamètre à la profondeur de 408*.83; on s'arrêta d’autant plus volontiers à ce dernier parti, que l’eau commençait à s’éclaircir. L'assemblage des tubes galvanisés qui ont trois dia- mètres différents et qui pèsent 12,000 kilogrammes, se à ol rh talilét ucoe à LES PUITS FORÉS. 4317 fit comme celui des tubes de cuivre. Ils sont fixés à leur partie inférieure au moyen d’un manchon conique en étain, qui entre à frottement dans une virole tournée, placée dans l’autre tube. Aussitôt qu’ils furent joints en- semble, l’eau baissa à l'extérieur et bientôt elle descendit dans l’espace annulaire à 8,05 au-dessous du sol. L’opé- ration était donc bien faite. On fit couler l’eau jaillis- sante du puits à 13",50 au-dessus du sol, sans que le niveau extérieur changeât; cependant, quand on fit mon- ter l’eau à 32*.50, on s’aperçut que le niveau s'élevait et de l’eau sortit de l’espace annulaire. Un tel état de choses était de nature à faire concevoir les craintes les plus vives, puisqu'on était menacé de voir s'échapper une grande partie des eaux à fleur de sol, ou bien se perdre dans les couches perméables. Après avoir recherché la cause de cet écoulement, on reconnut qu’il provenait des fuites du tube de 0.17 de diamètre, qui n'avait été placé que pour maintenir les argiles sur les- quelles reposent les tubes galvanisés. Tant que l’eau avait coulé trouble, le sable et l'argile avaient bouché hermétiquement toutes les issues; mais ces matières n'avaient pas tardé à être enlevées lorsque l’eau était devenue limpide. Pour parer à ce nouvel inconvénient, on intercepta d'abord toute communication avec les terrains d’atter- rissement, en remplissant de chaux hydraulique l’espace annulaire compris entre le tube de 0”,33 et celui de 0",50; puis les espaces annulaires compris entre les autres tubes et la colonne galvanisée, furent entièrement comblés avec 20 mètres cubes de sable quartzeux très-fin. 438 LES PUITS FORÉS. Le parti auquel on s’est arrêté a été critiqué devant l’Académie des Sciences. M. Galy-Cazalat en a pris occa- sion pour indiquer un autre moyen de prévenir le dégor- gement des corps solides entraînés par le courant ascen- dant. Voici dans quels termes il s’est exprimé : « Le transport des terres et du sable étant produit par la rapidité du courant, le dégagement des corps solides cessera dès que la vitesse d'écoulement sera convenable- ment diminuée, | « À cet effet, il suffira d'élever convenablement au- dessus du sol les tuyaux par l’orifice desquels l’écoulement s'opère. Par cette élévation, la masse d’eau fournie de- viendra moindre, mais elle sera débarrassée des solides plus pesants, et portée à une hauteur proportionnellement plus grande. » Je ferai seulement remarquer que les ingénieurs char- gés de la construction des puits forés avaient constaté de tout temps que le sable entraîné par les eaux souterraines, dans leur mouvement ascensionnel, était d'autant plus fin que le dégorgement s’opérait plus haut. Cela était devenu particulièrement remarquable au puits de Gre- nelle. Si ce moyen d’obtenir des eaux limpides n'avait pas été jusqu'ici mis en pratique à Paris, c’est qu'on voulait tenter une méthode qui aurait conduit au même résultat d’une manière certaine et sans diminuer le volume de l’eau; c’est que d’ailleurs, comme l'expérience l'avait montré, avant que les eaux se fussent creusé dans la masse d'argile un canal dirigé vers l'extrémité inférieure du trou foré, une hauteur de tubes de 26 mètres au-dessus de la surface du sol ne suffisait pas pour produire et assurer la LES PUITS FORÉS. 439 limpidité du liquide. L’expédient employé doit donc être considéré comme un pis-aller, commandé par les circon- stances, Les travaux ont été terminés entièrement le 30 no- vembre 1842; depuis cette époque, l’eau a été constam- ment claire. Le puits fournit par minute, à 32",50 au-dessus du sol........ 1,100 litres. à 16 4 8 es 1,620 AT à la surface du sol.............. + 2,200 — Voici le tableau des dépenses qui ont été faites pour les travaux si nombreux que le forage a exigés : + RP A 4° Pour le percement jusqu’à la profondeur de 400 mètres, et pour la fourniture des tubes provi- Re ee co me 0 « tata ati oran + 80,023.00 2° Pour le pércement de 100 à 500 mètres, pour l'agrandissement du trou dans les premiers 400 mètres et pour la fourniture des nouveaux tubes provisoires. 105,020.6/ 3° Pour le percement de 500 à 548 mètres, pour l'élargissement du trou de 400 à 500 mètres, et pour la fourniture de nouveaux tubes provisoires......... 77,331.96 . Le jour que l’eau à jailli, le 26 février 1841, le total EE ne Lada me cms cos 262,375.60 Pour la fourniture et la pose des tubes de cuivre, pour leur extraction après leur aplatissement, il à a Os cdi à 58,000 fr. Sur lesquels il à été repris du cuivre pOur... RS pi ag Es Lee: ÉD EM Lo ere 21,000 HOte ZE 1056 0 37,000.00 Pour la fourniture d’un tube en fer galvanisé, pour le prolongement de ce tube en tuyaux de cuivre à vis, pour son placement, pour son échafaudage à 34 mètres de hauteur, et pour tous les autres travaux accessoires, on à dépensé. . ....s...s.ssevee se FETE 63,057.05 Total général...... 362,432.65 Tel est le résumé des faits, le procès-verbal des 440 " LES PUITS FORÉS. diverses phases du forage du puits de Grenelle, qui a duré neuf années entières. Cette grande entreprise a été vivement attaquée; et, membre de la commission nommée par le préfet de la Seine pour surveiller et suivre toutes les opérations, j'ai dû prendre la parole au nom de cette commission, pour rétablir la vérité. Une partie du public s'était laissé tromper par des articles vraiment incroyables insérés dans certains jour- naux en 41841 et 1849; il manifestait des préoccupations sur dé prétendues catastrophes dont le puits de Gre- nelle menacerait divers quartiers de la capitale. Il n’a fallu rien moins que cela pour décider la commission à m'imposer le devoir de réduire au néant des allégations sans base réelle, quelquefois burlesques, et qui, en vérité, ne semblaient pas mériter une réfutation sérieuse, On a écrit, on a imprimé : « La question se complique de plus en plus; elle s’embrouille. — On est dans un ordre de phénomènes ignorés et il est difficile de prévoir ‘comment on en sortira. — En dépit de toutes les prévi- sions et de tous les calculs scientifiques, on ne sait pas d’où vient l’eau. — Le puits de Grenelle paraît destiné à déjouer toutes les combinaisons de la science et à résister aux procédés les plus ingénieux de l’art. — Il ne s’agit de rien moins, entre autres suppositions plus ou moins probables, plus ou moins absurdes que l’on pourrait faire, que de savoir s’il y a réellement danger qu’un vaste et profond éboulement ne s’opère par suite du creusement des eaux dans les sables, ou de voir un beau matin les eaux de la Seine s’infiltrer par quelque fissure et dispa- LES PUITS FORÉS. E71 raître dans ce gouffre; et s’il arrivait que la prudence exigeât que l’on miît obstacle à l'écoulement des eaux, que l’on fermât le puits de Grenelle, comme il en a été sérieusement question, quel serait le meilleur moyen d’ar- . rêter cette colonne d’eau, dont le courant est capable de surmonter de puissants obstacles? » Rien de plus facile que de répondre à cette inqualifiable série d’assertions. J’en suis vraiment peiné, mais je serai forcé, même sur les points de fait, de procéder par des _dénégations formelles, catégoriques. La question, loin d’être obscure, est d’une telle clarté, que les divagations répétées de certains écrivains ne sont pas parvenues à l’embrouiller. Mais ces divagations, il faut les réfuter, parce qu’il y a un véritable intérêt public à ce que d’autres puits artésiens soient creusés dans le bassin de Paris pour donner de l’eau à plusieurs quar- tiers qui manquent de cet élément essentiel, non pas seulement de bien-être pour les populations, mais sur- tout d’une bonne hygiène. Selon nous, le succès du forage exécuté à l’Abattoir de Grenelle par des moyens qui n’ont pas la perfection de ceux que d’habiles ingé- nieurs ont imaginés depuis le commencement de cette grande entreprise, doit encourager la ville de Paris à reprendre ses premiers projets d'établissements de plu- sieurs fontaines jaillissantes. Les prévisions de la science, quant à l’ordre de super- position des couches de diverse nature dont le terrain se compose, quant à la température du liquide, à la force ascensionnelle du courant, se sont admirablement véri- fiées. 442 LES PUITS FORÉS. On sait parfaitement d’où vient l’eau. Pour le décou- vrir il fallait simplement se livrer à une étude géologique des régions qui entourent le bassin de Paris ; il fallait chercher sur quels points la couche de sable perméable, inférieure à la craie, se présente à la surface du soi par sa tranche, sur quels points elle peut recevoir les eaux pluviales et leur ouvrir en quelque sorte la voie pour pénétrer dans les entrailles, de la terre. Il n’y avait là ni matière à prévision, ni surtout matière à calculs scienti- fiques ; à ce sujet, aucune science, aucun géomètre n’ont eu à éprouver le plus léger dépit. Jamais les personnes appelées à donner un avis sur les travaux du puits de Grenelle n’ont conçu, ni de loin, ni de près, la pensée de le fermer. En supposant qu’une idée si absurde leur fût venue, on va voir que le moyen d’ar- rêter l’eau les aurait peu embarrassés; qu'ils n'auraient pas eu besoin pour cela de recourir aux combinaïsons de la science et aux procédés les plus ingénieux de l’art, Leur méthode eût simplement consisté à faire placer sur le trou une pierre pesant 1000 kilogrammes ou 10 quin- taux métriques; une pierre du poids d’un mètre cube d’eau aurait amplement suffi. | Qu'on nous montre donc les combinaisons de la stience que les travaux de Grenelle ont déjouées. Partout où le sondeur a percé la craie, les eaux jaillissantes sont d'abord venues au jour, troubles, chargées de sabie et de glaise. Il a toujours fallu un certain temps pour qu’elles s’éclair- cissent. À Paris ce temps a dû être plus long, à cause de l'extrême abondance de la source. Lorsque M. Mulot commença à faire descendre dans le trou une grande és : mis st LES PUITS FORÉS. 443 colonne de tuyaux en cuivre, l’eau n’était pas encore limpide. On pouvait cependant espérer que son écoule- ment continuerait à s’effectuer librement, aussi bien par V'intérieur de la colonne de tuyaux en question, que par l'espace annulaire compris entre les parois extérieures de cette colonne et les tubes de retenue. En cela, et en cela seulement, on a commis une erreur : l’espace annulaire, comme nous l'avons vu plus haut, s’est engorgé ; les pres- sions intérieures et extérieures ne se sont plus trouvées dans des conditions nécessaires d'égalité, ou de presque égalité; il est arrivé un moment où la pression de dehors en dedans a surpassé la pression en sens inverse, et le tuyau s’est écrasé. On sait aujourd’hui, d’après une expérience directe faite à la presse hydraulique, quel a dû être l'excès de la pression extérieure sur la pression intérieure pour pro- duire les déformations que les tuyaux de cuivre ont éprouvées, Cet excès est de dix atmosphères seulement. Les tuyaux en tôle de fer qu’on a substitués aux anciens tuyaux en Cuivre, ont parfaitement résisté, de dehors . en dedans et de dedans en dehors, à des pressions de Soixante-dix atmosphères,. Venons à l’éboulement dont on a menacé la ville de Paris tout entière, et au premier rang l'Hôtel des Inva- lides, l’École militaire, le faubourg Saint-Germain. Les eaux entraînent, dit-on, des quantités prodigieuses de sable et de glaise. Le mot prodigieux est trop vague pour qu’il soit opportun de s’y arrêter : on en restrein- drait évidemment la portée suivant le besoin. Je dirai seulement que le cube total des matières déposées par les 444 LES PUITS FORÉS. eaux jaillissantes, dans les égouts de l’abattoir, depuis l’ouverture du puits, n’a pas été aussi considérable qu’on se l’imagine ; que le trouble de ces eaux s’est constam- ment accru, pendant le travail des sondeurs, à toutes les époques de changement de régime; qu’enfin, lorsque le travail était interrompu, l’eau sortait parfaitement limpide durant des semaines entières. Suivant toute probabilité, les eaux se dirigent vers l'ouverture inférieure du trou foré, par des rigoles nom- breuses et étroites, par de véritables galeries ( comme celles des mines), creusées dans la couche de glaise inter- posée entre l’épaisse masse de craie supérieure et les sables aquifères inférieurs. Les parois de ces galeries sont plus ou moins attaquées par les eaux qui les parcou- rent ; tout ce que le liquide tient en suspension vient au jour ; les parties plus massives restent au fond, sont rou- lées et s'arrêtent dans les environs du trou. C’est ainsi qu'il s’y est déjà formé une sorte de monticule, un enro- chement, composé en grande partie de rognons de pyrite. La sonde a montré que l’enrochement s'élève jusqu’à l'extrémité inférieure du tube de retenue le plus profond. I] y a loin de là, comme chacun voit, au gouffre énorme, menaçant, qu’on présente comme un épouvantail à l’ima- gination des personnes timides. Poussons les concessions à l’extrême. Admettons qu’il existe un gouffre sous l’abattoir de Grenelle; qu’en résul- tera-t-1l ? Dira-t-on que la masse de craie y tombera ? Je ferai remarquer alors que le ciel crayeux de la caverne foison- nerait beaucoup en se précipitant, en se brisant, comme LES PUITS FORÉS. 445 le font toutes les roches dans les circonstances analogues. Or la hauteur de la caverne ne saurait surpasser l’épais- seur très-bornée de la couche de glaise, la distance com- prise entre la surface inférieure de la craie et le sable ; ainsi cette caverne serait bientôt totalement remplie par les fragments de craie amoncelés, et le mouvement sou- terrain deviendrait insensible à la surface. J'ajoute maintenant que la craie ne tomberait pas. La manière dont s’engendrent des décharges dans les matières amoncelées, a été l’objet de savants calculs et d'expériences ingénieuses. Tout le monde a vu dans les cours de physique une coquille d’œuf, placée au fond d’un tube, rester intacte sous la pression apparente d’une longue colonne de sable. Les mots pression apparente expliquent le phénomène. La pression effective n’est pas mesurée ici par la colonne entière, comme s’il s'agissait d’un liquide : les grains de sable s’arc-boutent et portent leur principal effort sur les parois du tube. L'expérience en miniature que je viens de rappeler, a été suivie des épreuves très en grand de MM. les offi- ciers du génie Moreau et Niel. Ces officiers distingués ont trouvé que la pression exercée à la surface supérieure d’une forte masse de sable renfermée dans une caisse prismatique, ne se transmet presque pas au fond. M. Pon- celet, enfin, attaquant la question avec son bonheur ordi- naire, à l’aide de l’analyse, a constaté qu’une colonne de sable coulant, de 4 mètres de côté, ne descend pas le long des quatre faces immobiles qui la contiennent, dès que son épaisseur est de 20 à 2% mètres, et que tout accroissement de cette épaisseur rendrait la stabilité plus L46 LES PUITS FORÉS. grande. Si dans ces calculs on substituait 400 mètres de craie compacte à quelques mètres de sable coulant, on trouverait, pour les dimensions de la caverne susceptible de s’ébouler, des nombres tellement énormes que les esprits les plus timides en seraient complétement rassurés: Ce que nous venons de dire explique comment se sou- tiennent les ciels de tant de grottes décrites par les voya- geurs, et qui, en apparence, supportent le poids de montagnes immenses. Les canaux souterrains par lesquels arrivent au jour les eaux si abondantes de la fontaine de Vaucluse, du lac de Zircknitz, de plusieurs fleuves de la Carniole, etc., se trouvent dans les mêmes conditions ( Voir precédemment, p. 290 à 302). | Au surplus, sans recourir à l’analogie, on peut prouver que la craie, au-dessous de Paris, se soutient comme nous venons de le dire, et qu’elle ne presse pas de tout son poids sur les eaux inférieures qui alimentent le puits. En effet, le poids d’une colonne de 500 mètres de craie est équivalent à la pression d’une colonne d’eau de plus de 1000 mètres. Si la craie reposait sur la nappe liquide inférieure, la colonne ascensionnelle contenue dans un tube vertical monterait, par cette seule cause, à une hauteur de 1000 mètres au-dessus du niveau de la nappe, c’est-à-dire à environ 500 mètres au-dessus du sol. Je n’ai pas besoin d’ajouter que ce résultat est de beaucoup supérieur à la puissance ascensionnelle de l’eau que fournit notre puits foré. Dans l'hypothèse que nous venons de discuter, la nappe inférieure serait refoulée par la pression de la 2 + LES PUITS FORÉS: 08 #wers la région où les couches de sables aquifères sentent par la tranche à la surface du sol; or, ces régions sont loin d’être à 500 mètres au-des- _ susd u niveau de Paris, elles deviendraient inévitablement acs. Les alarmistes avaient donc en ce point montré > Ja réserve. Il faut les remercier de s'être bornés dans leurs rêveries à ne menacer que les habitants de la itale, En finissant, je ne sais vraiment comment relever la plus incroyable de toutes les suppositions qu’on ait faites : celle que les eaux de la Seine pourraient un beau matin PA 4. : % s'infiltrer par quelque fissure et disparaître dans le gouffre. Nous tions accoutumés jusqu'ici à regarder comme un principe incontestable de mécanique, que le plus fort l’emportait sur le plus faible ; et voilà cependant que l’eau venant du fond du puits de Grenelle, dont la force ascen- _ sionnelle, quand elle arrive à la surface, est au moins de 26 mètres, se laisserait vaincre et refouler par une faible colonne de 4 à 5 mètres. Il serait malheureux qu'à une époque tant çélébrée pour la diffusion des lumières, la … crainte de perdre ainsi la Seine eût tenu, même la plus petite place, dans les préoccupations qui ont rendu ces explications indispensables. CHAPITRE XI FRAIS D’'EXÉCUTION DES PUITS ARTÉSIENS Il est presque impossible d'établir un prix régulier et constant pour le creusement des puits forés. Dans certains terrains, le travail marche avec une étonnante rapidité ; 448 LES PUITS FORÉS. dans d’autres, au contraire, des roches à travers lesquelles. les meilleurs outils ne s ‘enfoncent guère que de 2ou3 ce timètres en vingt-quatre heures, es sables pot | la surveillance des De PE, Dans un prospectus de l’habile ingénieur M. Degousée, qui a obtenu de si écla- tants succès à Tours, je vois qu’il se charge de la paie des ouvriers de toute espèce et de l’entretien de l'équipage, moyennant : k 30 fr. par jour, jusqu’à la profondeur de 50 id 35 fr. — — — de 50 à 100 —. L0 fr. — — — de 100 à 150 — 18 fr. — — — de 150 à 200 — 56 fr. — — — de 200 à 250 — 64 fr. — — — de 250 à 300 — 72 Fr: — — — de 300 à 350 — 80 fr. — — — de 350 à 400 — 90 fr. .— — — de 400 à 450 — 100 fr. — — — de 450 à 500 — 415 fr. — — — de 500à 550 — 130 fr. — — — de 550 à 600 — Lorsque, par hasard, la profondeur de 600 mètres est atteinte sans que le résultat cherché soit obtenu, on pose les bases d’un nouveau traité, suivant la nature de la formation géologique dans laquelle le forage est par- venu et les modifications à apporter dans l'atelier de sondage. # d … Lorsqu'on veut traiter au mètre courant, et pour un terrain dans le voisinage duquel aucun sondage n’a encore D LES PUITS FORÉS. 449 u lieu, l ‘entreprise est extrémement chanceuse. L’ingé- t donc obligé d'élever notablement son tarif, afin rouver sur les prix des percements qui réussissent , omt mes qu'il perd quand les opérations avortent et ver t être abandonnées. M. Degousée annonce que dans s e cette espèce ses prix, pour chaque portion emen , Ont ‘été, suivant la nature du terrain : fr. fr. _ jusqu’à 33 mèt. de profond., le moins 1,000 le plus 2,500 ÿ mètres jusqu’à 66........ — 41,500 — 3,600 | - À. ARMES" — 2,200 — /,500 +: RS Ne A — 3,600 — 6,000 ob is — +: 1:500 ji: 8,000 ue) — 5,500 — 9,000 D’après les prix courants des sondeurs anglais, pour les terrains très-favorables des environs de Londres, les forages coûteraient : pour un puits de 15 mètres........ 63 fr. — ur 2 NE ET 230 — RE PNEU PETER 875 _ UT POP 2,000 mais je m’empresse d’avertir qu’aussitôt qu’il se présente des galets, des roches dures ou des sables mouvants, les suppléments réclamés surpassent le prix principal. Quand le terrain est favorable, on exécute des puits, à des prix très-modiques, en prenant les ouvriers son- deurs à sa charge. En 1820, M. de la Garde fit forer, à sa papeterie, près de Coulommiers, deux puits d’où l’eau jaillit d’une pro- fondeur de 22 mètres jusqu’à un demi-mètre au-dessus du sol. Chacun de ces puits ne coûta que 500 fr. > VI —ux. 29 450 LES PUITS FORÉS. Cinq puits creusés à Saint-Quentin, à des profondeurs de 20 à 29 mètres, chez MM. Samuel Joly et chez M. Chartier, et d'où l’eau jaillit à un demi-mètre au- dessus du sol, ont coûté chacun, terme moyen, 450 fr. Quatre puits jaillissants, forés seulement, il est vrai, à la petite profondeur de 9 à 40 mètres, dans l’établisse- ment de M. Davilliers, à Gisors, ont coûté, “en somme , 860 fr., ou 215 fr. chacun. À Fontès, département du Pas-de-Calais, un puits de 20 mètres de profondeur fut commencé chez M. Cuvil- lier, à 6 heures du matin, et terminé le même jour à à heures du soir. Le jet s'élevait à 2 mètres du sol; le produit était de 40,000 litres en 24 heures. Les tuyaux que les fontainiers établissent au centre de leurs puits forés, et le long desquels montent définitive- ment les eaux souterraines ; ces tuyaux, destinés à empé- cher que les érosions des paroïs du canal ascensionnel, soit à l’état de sable, soit à l’état de petites roches, n’ail- lent promptement en diminuer le diamètre ou même le boucher tout à fait; ces tuyaux, disons-nous, figurent dans les prospectus de M. Degousée pour les prix sui- vanis : En bois d’aune avec frettes en fer aux AnmDOÎbHPOR 5 en reed ee 45 fr. le mètre. En fonte avec emboîtures tournées. ... 18 — En tôle ou fer forgé de 3 millimètres TOP LE si NIUE 20 — En cuivre rouge... ... 0. 0.06 : se s ésis e me 30 — Les ingénieurs anglais emploient pour le même objet des tubes plus minces et plus légers, des tubes de fer- blanc, au prix d’environ 4 fr. le mètre. LES PUITS FORÉS. 451 Le tubage en bois n’est pas aussi défectueux qu’on pourrait l’imaginer. Dans le puits artésien de Lillers (département du Pas-de-Calais), il dure depuis plus de 700 ans. La buse extérieure en chêne, celle qui déborde le sol, est la seule qu’on ait jamais eu besoin de réparer. Les tubes de métal ont toutefois l'avantage d’être beau- coup moins épais et de diminuer très-peu le diamètre du trou de sonde. Les tuyaux à l’aide desquels on revêt, en quelque sorte, intérieurement le trou pratiqué par la sonde, ser- vent aussi à isoler la nappe d’eau pure qu’on se propose d'amener à la surface des nappes de qualités souvent inférieures, qui ont été traversées auparavant. Alors même qu’on veut recueillir les eaux de toutes les nappes réunies, le tubage est avantageux : il empêche que pendant leur course ascendante, ces eaux ne s’épanchent en partie par les fentes, les fissures et les couches de sable des terrains qu’elles traversent. CHAPITRE XII MODE DE CONSTRUCTION DES PUITS DANS LE ROUSSILLON M. Fauvelle a adressé à l’Académie des Sciences une Note sur un moyen qu’il a employé avec succès pour construire, sans batardeau, une pile de pont au milieu du lit de l’Agly. Ce lit semblait tout à fait sec à l’époque où ont été exécutés les travaux, mais il passait encore | une quantité d’eau assez notable, un demi-mètre cube par seconde à travers les gravois et les sables qui formaient 452 LES PUITS FORÉS. sur le fond une couche de 4 mètres environ, reposant sur un banc d'argile. Des raisons d'économie ne permet- tant pas d’avoir recours, pour se débarrasser de ces eaux, au moyen habituellement employé en pareil cas, M. Fauvelle eut l’idée d'appliquer à la fondation de la pile une méthode suivie dans le Roussillon pour la con- struction des puits. Dans plusieurs parties de cette pro- vince, et particulièrement sur les bords de la mer et des étangs, on rencontre à un mètre ou deux mètres au-dessous de la surface du sol, une couche de sable mouvant dans laquelle on ne peut creuser à 50 centimètres sans que les sables des côtés ne viennent remplir le vide, combler souvent le fond, et n’entraînent l’éboulement des parties supérieures. On conçoit qu’il serait très-difficile, dans un cas semblable, de creuser le puits comme à l'ordinaire pour le maçonner ensuite : il faudrait pour soutenir les terres et les blindes plus de bois que ne vaudrait le puits. Les maçons, pour obvier à cet inconvénient, agissent d’une manière fort simple. Ils établissent sur le sol un patin en chêne de forme circulaire ; sur ce patin, ils mon- tent les murs du puits à une hauteur de quelques mètres, et les laissent sécher. Ensuite un ouvrier descend dans ce puits bâti en l'air, enlève la terre ou le sable du fond et la maconnerie, tout en soutenant les terres et le sable des côtés, descend, s'enfonce autant qu’on le désire, et le puits est fait. «C’est un moyen tout semblable, dit M. Fauvelle, que j'ai mis en usage, et qui m’a parfaitement réussi. « Sur le sable de la rivière j'ai établi un cadre ou patin en chêne, taillé en biseau par le bas, formant extérieure- LES PUITS FORÉS. 453 ment 1e périmètre de la fondation de la pile ; sur ce patin, bien boulonné, j'ai fait monter un véritable puits, ou mieux, une tour dont les parois en briques avaient 0.4/4 d'épaisseur, 22 mètres de développement et {4 mètres de hauteur. Ce puits était bardé et étrésillonné intérieure- ment de manière à résister à la poussée des terres et aux inégalités de pression verticale qui devaient nécessaire- ment avoir lieu dans sa descente à travers un gravier mêlé de cailloux assez gros. Sa figure était une surface annulaire régnant autour d’un rectangle terminé par deux demi-cercles. « Cette masse creuse, une fois élevée sur le sable de la rivière, il ne s'agissait plus que de la faire descendre; les premiers pas furent les plus difficiles. Des ouvriers piochant dans l’intérieur enlevaient le sable et le gravier, et, croyant avancer la besogne beaucoup plus vite, l’en- levaient de dessous la muraille. Cette manœuvre fit déclarer quelques fentes verticales causées par l’affaisse- ment inégal de la masse. Aussitôt que je m'en aperçus j'ordonnai de ne plus enlever le sable que du milieu, et alors l’opération marcha avec une régularité parfaite. Jusqu'à 4 mètre de profondeur on enleva le sable à la pelle et à la corbeille sous 50 centimètres d’eau; mais, parvenu à cette profondeur, il fallut se servir de la drague, J'avais fait construire trois dragues qui nous servirent parfaitement : elles étaient à peu près semblables à l’in- strument que l’on emploie ici pour niveler les champs et que l’on nomme cibères. Chaque drague était servie par trois hommes ; l’un d’eux, placé sur l’une des murailles, en dirigeait le long manche; deux autres, placés sur la 454 LES PUITS FORÉS. muraille opposée, tiraient la drague avec des cordes, la relevaient et la vidaient. « En quinze journées de travail, la pile fut descendue à 5 mètres de profondeur dans le sol argileux très-com- pacte dont la présence avait été préalablement reconnue au moyen d’un sondage. La diminution constante des eaux dans la rivière nous dispensa d'élever nos murs au- dessus de 4 mètres ; ainsi le haut des murailles était à 1 mètre au-dessous du niveau des sables. «Il n’arriva pendant tout ce travail aucun accident, et les murailles conservèrent parfaitement leur aplomb, Il n’y eut plus alors qu’à remplir l’intérieur de manière à former une masse compacte; et, sans élever l’eau, j'y fis jeter du béton et des pierres; des trous faits dans la muraille avec un ciseau soudé à une longue barre de fer, relièrent cette maçonnerie aux parements en bri- ques ; deux hommes occupés sans relâche à la damer fortement, firent du tout une construction indivisible et inattaquable. » Une application du procédé des constructeurs de puits roussillonnais avait déjà été faite sur une immense échelle, dans le tunnel de Londres, par notre compatriote M. Brunel. C’est aussi, en effet, à la surface du sol, et sur une base en charpente, qu’ont été placées les premières assises des deux tours dans lesquelles sont établies les rampes en spirale par lesquelles on arrive de l’extrémité de l’allée souterraine jusqu’à la surface du sol. Il est inutile de faire remarquer que dans l'exécution d’un pa- reil travail, les grandes proportions des tours, l’inégale résistance du terrain ont fait naître mille difficultés qui LES PUITS FORÉS. 455 n’ont pas servi moins que celles qui s’étaient présentées jusque-là pour mettre en évidence la fécondité d'esprit du célèbre ingénieur. CHAPITRE XIII NOUVEAU SYSTÈME DE FORAGE EMPLOYÉ À PERPIGNAN PAR M. FAUVELLE M. Fauvelle, procédant un jour au tubage d’un puits artésien qu’on élargissait du haut en bas, s’aperçut qu'il ne fallait plus remonter la sonde pour se débarrasser des déblais, que ceux-ci, entraînés par l’eau, remontaient sous forme de bouillie. Sur cette observation, M. Fau- velle a fondé un procédé de forage très-expéditif qu’il a employé avec succès en 1846 à Perpignan. Je laisse l’auteur décrire lui-même son système ingénieux. « L'appareil dont je me sers, dit-il, se compose d’une sonde creuse formée de tubes vissés bout à bout ; l’extré- mité inférieure de la sonde est armée d’un outil perfo- rateur, approprié aux terrains qu’il s’agit d'attaquer. Le diamètre de cet outil est plus grand que le diamètre des tubes, afin de réserver autour de ceux-ci un espace an- nulaire par lequel l’eau et les déblais puissent remonter. L’extrémité supérieure de la même sonde est en commu- nication avec une pompe foulante au moyen de tubes articulés qui suivent le mouvement descendant de la sonde sur une longueur de quelques mètres. « La sonde est animée d’un mouvement de rotation au moyen du tourne-à-gauche, ou de percussion par un treuil à déclic. 456 LES PUITS FORÉS. « La chèvre et le treuil pour monter, descendre et soutenir la sonde, ne présentent rien de particulier. « Lorsqu'on veut faire agir la sonde, on commence toujours par mettre la pompe en mouvement. On injecte jusqu’au fond du trou, et par l’intérieur de la sonde, une colonne d’eau qui, en remontant dans l’espace annulaire compris entre la sonde et les parois du trou, établit le courant ascensionnel qui doit entrainer les déblais; on fait alors agir la sonde comme une sonde ordinaire, et, à mesure qu'il y a une partie de terre détachée par l'outil, elle est à l'instant entraînée dans le courant ascensionnel. «Il résulte de cette marche que les déblais étant con stamment enlevés par l’eau, on n’a plus besoin de re- monter la sonde pour s’en débarrasser, .ce qui est une bien grande économie de temps. Un avantage aussi pré- cieux, pour le moins, c’est que l’outil perforateur n’est jamais engorgé par les terres, qu’il agit toujours sans entraves sur le terrain à percer; ce qui diminue de plus des neuf dixièmes la difficulté du forage. Si l’on ajoute à cela que l’expérience prouve que les éboulements sont nuls dans des terrains où la sonde ordinaire en déter- mine toujours; que la sonde agit à 100 mètres avec autant de facilité qu’à 10 mètres, et que cette sonde, par cela même qu’elle est creuse, présente plus de résistance à la torsion qu’une sonde pleine à volume égal, et autant de résistance à la traction, on aura énuméré ses princi- paux avantages. «Ils sont d’ailleurs constatés par le forage que je viens de faire, à Perpignan, sur la place Saint-Dominique. Ce LES PUITS FORÉS. 457 forage, commencé le 1° juillet, était terminé le 23 par Ja rencontre de l’eau jaillissante à une profondeur de 170 mètres. Si de ces vingt-trois journées (de dix heures de: travail) on défalque trois dimanches et six journées perdues, il restera quatorze journées ou cent quarante heures de travail réel, ce qui représente plus de À mètre de forage à l'heure. C’est plus de dix fois le travail d’une sonde ordinaire, _ « Dans le système que je viens de décrire, on voit que Pinjection de l’eau a lieu par l’intérieur de la sonde; expérience m'a fait reconnaître que, lorsqu'il s’agit de rencontrer des graviers ou des pierres d’un certain volume, il valait mieux injecter l’eau par le trou et la faire remonter par la sonde. La vitesse plus grande qu’il est possible d'imprimer à l’eau, et le calibre plus exact de l’intérieur du tube, permettent de remonter tous les corps qui peuvent se trouver au fond du puits, et que la manœuvre ordinaire ne pourrait pas attaquer avec avantage, J’ai remonté, par ce moyen, des cailloux de 6 centimètres de longueur sur à centimètres de grosseur. « L'idée de faire remonter l’eau par l'intérieur de la sonde offre un moyen facile de forer au-dessous d’une nappe d’eau jaillissante sans avoir besoin de pompe; il suffira de fermer hermétiquement l’orifice du puits, de manière à laisser libre le jeu de la sonde, et à ce que l’eau jaillissante soit forcée d’aller toujours chercher le bas du tube pour trouver une issue : elle y entraînera et ramènera au jour tous les déblais, » 458 LES PUITS FORÉS. CHAPITRE XIV PUITS. ARTÉSIENS DE L'ALGÉRIE Je vais emprunter à une lettre adressée par M. Ber- brugger au ministre de la guerre, quelques détails inté- ressants sur les puits artésiens de l’Algérie, M. Berbrugger a visité toutes les oasis qui bornent le désert de Sahara au nord. La fertilité et même l’habita- bilité de ces portions de terrains dépendent des puits arté- siens qu’on y creuse. Les palmiers ne vivent que lorsqu'ils sont arrosés, et c’est avec l’eau des fontaines jaillissantes que l’arrosage peut seul avoir lieu. M. Berbrugger a vu creuser un de ces puits : la partie supérieure de la cavité a environ à mètres de largeur et 7 mètres de profondeur ; plus bas la largeur du puits est réduite à un mètre. A mesure que l’excavation se prolonge, on la soumet à un cuvelage formé avec des madriers débités dans des troncs de palmiers. Pour empêcher les eaux aséendantes de s'échapper latéralement, on remplit les intervalles compris entre le boisage et le terrain dans lequel la per- foration a été pratiquée, de glaise mêlée avec des noyaux de dattes. | Les déblais provenant du travail de l’ouvrier foreur sont ramenés à la surface dans des seaux de cuir attachés à des cordes de palmier passant sur des poulies. Lorsqu'il est descendu au fond de son excavation, le foreur s’assied sur le sol, les jambes étendues, et creuse avec une espèce de houe à fer triangulaire. Les ouvriers prétendent qu’ils entendent le bruit de LES PUITS FORÉS. 459 l'eau souterraine, lors même qu'ils en sont séparés par une couche de terrain ou de pierres de 0".50 d'épaisseur. » Je transcris maintenant mot à mot le récit de M. Ber- brugger. «Enfin un dernier coup de pioche ouvre la croûte qui sépare le travailleur de l’eau. C’est ici pour lui un mo- ment critique : le sable monte bruyamment selon l’axe du puits, et l’eau l’accompagne en filant le long des parois; en quelques secondes ils sont arrivés à la moitié du puits. Le foreur doit suivre ce mouvement d’ascension, aidé par les hommes qui manœuvrent les cordes qu’il s’est empressé de saisir. Quelques-uns, roulés par l’eau et le sable qui tourbillonnent au fond du puits, sont asphyxiés avant qu’on puisse les ramener à la surface. » L'eau chargée de sable n’arrive guère qu’à la moitié . du puits; il faut donc débarrasser l’excavation de ce sable : des plongeurs se chargent de ce soin. Ces hommes, revêtus seulement d’un caleçon de toile, avant de plonger dans le liquide se bouchent les oreilles avec de la graisse, mais ils ne mettent rien dans leur nez, quoi qu’on en ait dit; cela fait, ils descendent verticale- ment en se tenant à la corde qui porte une pierre lourde à sa partie inférieure, et qui est tendue le long des parois. Le travail du plongeur consiste à remplir un couffin avec le sable déposé au fond du puits : chacun en remplit trois dans sa journée, | M. Berbrugger a constaté que certains plongeurs res- tent sous l’eau 6" 5°, Les moins habiles, les moins expé- rimentés, y restaient 5" 3°, M. Berbrugger s'exprime en ces termes sur la durée 460 LES PUITS FORÉS. des puits artésiens du Sahara : « Là où les madriers sont de bonne qualité, où la roche traversée a de la puissance, le puits artésien vit (pour me servir de l’expression locale) de 80 à 100 ans. Quand l’excavation est presque tout entière dans l’argile et que les bois ne sont pas bons, ils meurent parfois au bout de cinq ans. » Dans la région visitée par M. Berbrugger, les puits les plus profonds descendent jusqu’à 75 mètres. Le puits de 56 mètres au creusement duquel M. Berbrugger a assisté, a coûté 1,800 francs. M. Berbrugger n’a pas traité dans sa lettre au ministre de la guerre une question très-essentielle, celle de savoir quelle est l’origine de ces eaux souterraines. Peut-être, en examinant la nature géologique du sable rejeté par les pluies, eût-il levé tous les doutes, ainsi que l’a fait M. Walferdin pour les eaux du puits de Grenelle dont le sable vert avait été retrouvé aux environs de Troyes. M. Berbrugger dit que l’eau des fontaines artésiennes des oasis qui forment la limite boréale du Sahara, est à 18°, Un nombre fractionnaire au lieu d’un nombre rond eût été accepté avec reconnaissance par les météorologistes. M. Berbrugger rapporte qu’il a vu des poissons dans les eaux des oasis ; il ajoute qu’ils étaient petits et de couleur brune. L'auteur ne donne aucun renseignement qui puisse conduire à connaître leur origine, LES PUITS FORÉS. 464 CHAPITRE XV DES PUITS FORÉS A GAZ En cherchant de l’eau dans les entrailles de la terre, à l’aide de la sonde du fontainier, on rencontre parfois, au lieu de ce liquide, de grands réservoirs d’un gaz qui monte rapidement à la surface, Ce gaz est ordinairement inflammable ; quelquefois c’est de l'hydrogène pur, le plus souvent de l'hydrogène carboné, c’est-à-dire le gaz qui se dégage spontanément des couches de houille, et donne lieu, dans les galeries des mines, à de si terribles accidents, ou bien, car c’est la même chose en d’autres termes, le gaz employé maintenant pour l'éclairage. Les Chinois ont beaucoup de puits de cette espèce. Le gaz qui se dégageait de celui que l'abbé Imbert visita vers 1830 était conduit par de longs tuyaux sous plus de trois cents chaudières où on l’enflammait, On n’employait là aucun autre moyen d’évaporation. Des rues, des halles, des ateliers étaient aussi éclairés par le même gaz amené sur place à l’aide de tubes de bambou. Il y a dans les États-Unis d'Amérique plusieurs villages dans lesquels on a mis à profit, pour éclairer les rues et les maisons, des courants de gaz qui se dégagent sans cesse, depuis un grand nombre d’années, par des trous qu’on avait faits en cherchant de l’eau. On lit dans Pline le passage suivant : «Il sort perpétuellement du mont Chimère, près de Phaselis, une flamme qui brûle nuit et jour. » M. le capitaine Beaufort a retrouvé cette flamme en 462 LES PUITS FORÉS. 1811. Elle est évidemment le résultat d’un dégagement de gaz par une fissure naturelle du terrain. L’ancienneté de ce phénomène m'a paru devoir justifier cette citation. Le plus ordinairement, des réservoirs de gaz contenu dans les entrailles de la terre, ne peuvent pas fournir à un écoulement de quelque durée. À Cormeilles, départe- ment de Seine-et-Oise , il s’opéra un si abondant dégage- ment d'hydrogène par le trou de sonde d’une fontaine qu'y forait M. Degousée, que les ouvriers furent obligés de se retirer pendant toute une journée ; mais après trois ou quatre fois vingt-quatre heures, il n’en restait plus de traces. Le phénomène, accompagné des mêmes circon- stances, s’est présenté récemment près de Trieste. CHAPITRE XVI ON FORE QUELQUEFOIS LE SOL POUR JETER DANS LES ENTRAILLES DE LA TERRE DES EAUX QUI, RETENUES A LA SURFACE SUR DES BANCS IMPERMÉABLES D’ARGILE OU DE PIERRE, RENDRAIENT DE GRANDES ÉTENDUES DE PAYS MARÉCAGEUSES ET IMPROPRES A LA CULTURE. Les trous par lesquels se jettent dans les entrailles de la terre, des nappes d’eau qui, faute de ce moyen d'écoulement, séjourneraient à la surface, pourraient en quelque sorte être appelés des fontaines artésiennes néga- tives. La nécessité, mère de tant d'importantes inventions, suggéra de bonne heure aux hommes, l’idée d’imiter en ce point la nature. La plaine des Paluns, près de Marseille, était un grand bassin marécageux, Il paraissait impossible de la dessé- LES PUITS FORÉS. 463 cher à l'aide de canaux superficiels. Le roi René y fit alors creuser un grand nombre de trous ou puisards, nommés en provençal embugs ! (entonnoirs). Ces trous jetèrent et ils jettent encore aujourd’hui dans des couches perméables situées à une certaine profondeur, des eaux qui rendaient toute la contrée improductive. On assure que ce sont les eaux absorbées aux embugs des Paluns, qui, après un cours souterrain, forment les sources jail- lissantes du port de Mion, près de Cassis. La rivière d’Orbe, dans le Jura, qui descend du lac des Rousses, porte dans le lac de Joux beaucoup plus d’eau que l’évaporation ne peut en enlever. Ce dernier lac, d’où il ne sort aucune rivière, conserve cependant un niveau à peu près constant. « C’est, dit Saussure, que la nature a ménagé à ses eaux des issues souterraines par lesquelles elles s’engouffrent et se perdent... Comme il est de la plus haute importance pour les habitants de cette vallée de maintenir ces écoulements naturels , sans lesquels leurs terres labourables et leurs habitations seraient bientôt submergées, ils les entretiennent avec le plus grand soin; et même lorsqu'ils s’aperçoivent qu’ils n’absorbent plus les eaux avec assez de force, ils en ouvrent de nouveaux. « Il suffit pour cela de creuser des puits de 45 à 20 pieds (5 à 7 mètres) de profondeur, sur 8 à 40 de large (3 mètres environ), dans les couches minces et . , verticales dont les sommités paraissent à fleur de terre. 1. C’est à la propriété d’absorber, de boire les eaux de la surface que certains trous naturels ou artificiels doivent les noms de boïit- tout, bétoirs où boitards, qu’on leur donne dans certains pays. 464 LES PUITS FORÉS. Ces puits portent le nom d’entonnoirs. . . . . Ce sont, ajoute Saussure , les eaux absorbées par tous ces enton- noirs que l’on voit sortir de terre et former une belle source (on l'appelle aussi l’Orbe), à trois quarts de lieue au-dessous de l’extrémité septentrionale du lac. » Dans ce trajet de trois quarts de lieue, les eaux absorbées descendent de 221 mètres. Un fabricant de fécule de pomme de terre de Ville- tanneuse, petit village à une lieue de Saïnt-Denis, s’est débarrassé dans l'hiver de 1832 à 1833, à l’aide d’un puits foré creusé jusqu’à la profondeur de certaines couches terreuses absorbantes, de 80,000 litres par jour d’une eau sale, dont la puanteur donnaït lieu à des plaintes qui l’auraient probablement forcé à déplacer son établissement. Après cinq mois d'absorption jour- nalière, la sonde ne trouva que du sable au fond de ce puits. Aussi a-t-il fonctionné depuis comme à l’origine. Les entrepreneurs de la voirie de Bondy, se débar- rassent par le même procédé, toutes les vingt-quatre heures, de 100 mètres cubes d’eau qui gênaient leurs travaux. : Je terminerai ce chapitre en faisant connaître l’ingé- nieux parti que M. Mulot a tiré des propriétés absor- bantes de certaines couches pierreuses, pour résoudre un problème dont la solution importait beaucoup à la ville de Saint-Denis. L'eau d’une fontaine creusée sur la place de la poste aux chevaux de cette ville, devint dans l’été un excel- lent moyen de propreté; mais les gelées étant survenues, les glaces s’accumulèrent sur la voie publique et nuisi- # LES PUITS FORÉS. 165 rent beaucoup à la circulation. Cet inconvénient avait fait presque renoncer à creuser une nouvelle fontaine sur la place aux Gueldres, lorsque M. Mulot imagina le procédé que je vais faire connaître en deux mots. De l’eau d'excellente qualité provenant d’une couche située à 65 mètres de profondeur, monte dans un tube métallique d’un certain diamètre. Un tube notable- ment plus grand, enveloppe le premier et va se saisir, à 5o mètres de profondeur, d’une nappe d’eau encore très-potable, mais moins bonne cependant que la pre- mière. C'est, exclusivement, dans l’espace annulaire compris entre ces deux tubes, que l’eau de la nappe située à 55 mètres peut remonter. Un troisième tube, enfin, notablement plus grand que le second, descend, en l’enveloppant, jusqu’à la profondeur d’une couche absorbante. L'espace annulaire compris entre le tube moyen et le tube extérieur ne donne donc rien : il sert, au contraire, en hiver, à ramener au sein de la terre la partie non employée des eaux des deux. couches ascendantes, qui, en se répandant dans la rue, seraient devenues une épaisse couche de glace. Dans ce cas-ci, les eaux absorbées étant propres, il n'y aurait pas lieu aux objections qu’avait fait naître, pour les travaux de Villetanneuse et de Bondy, la crainte de voir les eaux des puits voisins altérées par des infil- trations impures. VI. — II 90 466 LES PUITS FORÉS. CHAPITRE XVII FONTAINES ARTÉSIENNES DONT LES EAUX SONT EMPLOYÉES COMME MOTEURS Au village de Gouéhem, près de Béthune, on a percé dans une prairie quatre trous de sonde jusqu’à la profon- deur de A0 mètres. Les eaux qui en jaillissent font tourner les meules d’un moulin, et servent encore à bat- tre le beurre et à d’autres usages. À Saint-Pol, un moulin a également pour unique mo- teur les eaux de cinq fontaines jaillissantes. À Fontès, près d’Aire, les eaux de dix puits forés font tourner les meules d'un grand moulin, et mettent, de plus, en action, les soufflets et les IMATIEAUX d'une clouterie. | À Tours, M. Degousée a PtorE. dans la manufacture de soie de M. Champoiseau, un puits de 140 mètres de pro- fondeur, qui verse 1,100 litres d’eau par minute, dans les augets d'une roue de 7 mètres de diamètre. Cette roue met en mouvement tous les métiers de la manu- facture. | À Tooting, près de Londres, la nappe jaillissante de la fontaine artésienne du pharmacien, fait mouvoir une roue de 1".6 de diamètre, qui, à son tour, met en action une pompe destinée à élever de l’eau jusqu'au comble d’une maison à trois étages. LES PUITS FORÉS. 467 CHAPITRE XVIII DU PARTI QU'EN DIVERSES CIRCONSTANCES L’INDUSTRIE À TIRÉ DES EAUX PROVENANT DES FONTAINES ARTÉSIENNES Je n’ai sans doute pas besoin de parler ici de salubrité publique, d’irrigations, etc. Ce chapitre sera donc des- tiné à signaler des applications moins connues. Les sources artésiennes ont été recherchées comme moteurs, même dans les pays où les cours d’eau ne sont pas rares. Leur température constante et élevée permet, en eflet, de les appliquer au mouvement des usines pen- dant les hivers les plus rigoureux , soit directement quand elles sont abondantes, soit comme moyen de fondre les glaçons qui arrêtent le mouvement des roues hydrau- liques. Dans le Wurtemberg, M. Bruckmann, en faisant cir- culer le long de tuyaux métalliques, convenablement disposés, de l’eau à + 12 degrés centigrades provenant de diverses fontaines artésiennes, est parvenu à maintenir à —+- 8 degrés la température de divers ateliers, quand le thermomètre extérieur était à 18 degrés au-dessous de zéro. C’est une simple imitation de la pratique depuis longtemps en usage dans le village de Chaudes-Aigues ; mais le résultat obtenu n’en est pas moins important, Il existe aussi des serres où la température varie peu dans l’année, par l'effet de la circulation constante d’un grand volume d’eau d’origine artésienne. À l’époque des grandes pluies, le travail des papeteries était souvent interrompu, à cause de l’impureté des eaux. 468 LES PUITS FORÉS. Ces chômages forcés n'existent plus, partout où l’on se sert des eaux Jjaillissantes et constamment limpides des puits forés. Dans quelques localités, les eaux toujours purés et d’une température invariable des fontaines artésiennes, ont servi à établir des cressonnières artificielles très-pro- ductives. La belle végétation du cresson dans les parties des lits de ruisseaux où il existait des sources naturelles, a donné l’idée de cette application. On assure que les cressonnières. artificielles d’Erfurt ne rapportent pas moins de 300,000 francs par an! Les lins de choix destinés à la fabrication des batistes, des linons, des dentelles, etc., sont rouis dans les dépar- tements du Nord, avec des précautions particulières. Il existe dans une seule commune, entre Douai et Valen- ciennes, dix à douze routoirs alimentés chacun par une fontaine artésienne. On a cru remarquer que la limpidité des eaux et la constance de leur température , tout en accélérant la dissolution des gommes résines, laissent intactes les plus précieuses qualités des filaments de lin. Dans les étangs, les poissons meurent, l'hiver, par de trop grands froids, l’été par de trop fortes chaleurs. En y versant les eaux, toujours tempérées, d’une abondante source artésienne, on prévient les variations extrêmes de chaleur que les saisons amènent. L'expérience a, dit-on, parfaitement réussi dans l'étang de Saint-Gratien, près de Montmorenci, LES PUITS FORÉS. 469 CHAPITRE XIX ANOMALIES OBSERVÉES DANS LE CREUSEMENT OU DANS LE JEU DE CERTAINES FONTAINES ARTÉSIENNES 81. À Blingel, dans la vallée de Ternoise, de trois son- dages entrepris en 1820, le premier est devenu une belle fontaine jaillissante; les deux autres, au contraire, n'ont pas donné une goutte d’eau, et, cependant, les trois trous sont très-voisins. Les territoires de Lillers, de Saint-Pol, de Saint- Venant, ont offert des irrégularités du même genre, A Béthune, un trou de sonde percé dans 23 mètres de - terrains de nouvelle formation et dans 10 mètres de cal- caire, a ramené au jour un beau jet d’eau limpide. Dans le jardin de la propriété contiguë, un trou de sonde pareil n'a pas rencontré un seul filet de liquide, même après qu’on l'a prolongé de 34 mètres dans le calcaire. Ces faits, qui pourraient être multipliés à l'infini, sont- ils donc aussi étonnants qu’on l’a prétendu ? Rappelons-nous que les eaux souterraines ne forment des nappes d’une grande étendue, des nappes propre- ment dites, qu’à la surface de séparation de deux cou- ches minéralogiques distinctes; qu’au contraire, dans l'épaisseur de celles de ces couches les moins compactes, dans le calcaire crayeux, par exemple, l’eau, en défini- tive, n'y existe, n’y circule que dans des espèces de rigoles entre lesquelles il se trouve des masses de craie #70 LES PUITS FORÉS. parfaitement saines, des masses sans fissures et imper- méables. Si le trou de sonde rencontre une de ces rigoles, l'eau remonte plus ou moins, suivant la pression que le liquide y supporte. Si une mauvaise chance vous fait tomber sur une portion de la roche calcaire bien com- pacte, vous avez exécuté un travail inutile; mais ce résultat, comme on le voit, n’a rien qui doive surprendre. Si au lieu de chercher les eaux dans l’intérieur, ou même seulement dans la partie supérieure de la masse de craie, on pouvait pousser les sondages jusqu’à la eouche imperméable sur laquelle cette masse repose, on trouverait là, non plus des filets, non plus des rigolés liquides, mais une véritable nappe, et le succès des opé- rations du fontainier ne serait plus douteux. S r À a e F4 « «> Il existe des localités, et la ville de Tours est dans ce cas, où les puits artésiens peuvent être multipliésset rap- prochés à volonté, sans qu’ils se nuisent réciproquement. Dans d’autres lieux, au contraire, chaque percement nou- veau amène aussitôt ou une diminution dans les ppedits des puits existants, ou un abaissément dans leur niveau. Ces différences ne surprendront pas ceux de nos lec- teurs qui auront pris la peine d'étudier avec attention le chapitre relatif à l'effet des marées sur les fontaines artésiennes (chap. vi, p. 311). Ils verront, en effet, | que dans le premier cas, la somme des ouvertures des tuyaux d’ascension est très-petite, comparée à l'étendue de la nappe sur laquelle ils débouchent; que, dans le LES PUITS FORÉS. 4TA second, la petitesse comparative de dimensions, néces- » saire à la constance de la pression hydrostatique, n'existe pas. Ces phénomènes ne seront donc, en quelque sorte, qu'une vérification expérimentale du principe d’hydro- dynamique dont nous avons fait usage dans le paragraphe précédent. $ 3. Les jets des deux fontaines artésiennes de la papeterie de M. de la Garde, près de Coulommiers, éprouvèrent un exhaussement de plus de 0".6 pendant la grande sécheresse de 1827, c’est-à-dire pendant que la plupart des sources ordinaires étaient taries. Cet effet, quoiqu'il n’ait duré que peu de jours, n’en est pas moins remar- quable. L’explication reste encore à trouver. Je ne dois point oublier de dire qu'après l’anomalie en question, les € eaux des deux fontaines s’abaissèrent peu à peu, mais sans dépasser dans cette marche descendante le niv habituel. : S 4. Au moment d’un dégel qui avait été précédé de la chute d’une grande quantité de neige, M. Desguirandes, maire de Choques, fut réveillé par un bruit extraordi- naire. Il descendit aussitôt dans son jardin, et vit avec étonnement le jet artésien qui s’y trouve s’élever à trois fois sa hauteur habituelle. Cet effet ne dura que cinq à six heures. hé Ce fait, dont je dois la connaissance à un officier dis- tingué du génie, M. Bergère. me semble pouvoir être con- 472 LES PUITS FORÉS. sidéré comme une preuve que l'ascension de l’eau dans les puits forés est bien véritablement la conséquence d’une pression hydrostatique. Au moment du phénomène, le dégel dut remplir dans toute leur longueur des fissures du terrain situé au-dessus de Choques, lesquelles habi- tuellement, même dans des temps de pluie, ou ne renfer- ment pas d’eau, ou n’en contiennent que des flaques interrompues. Or, personne n’ignore qu’il suffit d’un filet, même capillaire, pour engendrer de fortes pressions dans une masse liquide indéfinie. 8 5. Ïl existe à La Rochelle, à 70 mètres du bord de la mer, un puits foré dans lequel la nappe liquide ascendante que la sonde a rencontrée, n’a malheureusement pas jailli au-dessus du sol. Elle s’y maintient à 7 mètres plus bas. La profondeur totale de ce puits est de près de 190 mètres. Pendant quatre ans, le niveau de cette colonne liquide de 183 mètres de long, ne varia pas sensible- ment; mais en 1833, quelques tentatives ayant été faites pour approfondir encore le puits, ses eaux éprouvèrent d'énormes mouvements oscillatoires. Le 1° septembre on reconnut un abaissement de 48 mètres ; Le 2, cet abaissement était de 51 mètres; Le 3, l’eau commença à remonter ; Le 2 octobre, l’eau était à son ancien niveau; Le 3, nouvel abaissement ; LES PUITS FORÉS. 473 _ Le 4, l'abaissement était déjà de 10 mètres; Æ Du 5 au 14, ascension de à mètres; Du ll au 18 (en 5 jours), abaissement de 47 mètres ; Le 19, commencement d’ascension ; Du 19 octobre au 13 novembre, l’ascension fut de 38 mètres ; Du 14 novembre au 16, abaissement de 5 mètres; Le 16, commencement d’ascension; Du 16 novembre au 15 décembre, ascension de 11 mètres. Ces oscillations, assurément fort étranges, tant par leur irrégularité que par leur étendue, semblent devoir être suivies pendant une plus longue période, avant qu’on _ puisse se livrer à leur explication avec quelques chances » de succès. ER, 8 6. Les eaux du puits de Grenelle qui sont conduites dans le bassin de la place de l’Estrapade pour l’alimentation du quartier Saint-Jacques, ont présenté en 1843-1844, dans leur écoulement, des anomalies qui ont été étudiées par M. Lefort, ingénieur des ponts et chaussées, attaché au service des eaux de Paris. Le 16 novembre 1843 les eaux ont commencé à se troubler; dans la nuit du 23 au 2h décembre, elles ont charrié des matières argileuses en grande abondance et le lendemain elles étaient claires ; mais peu de temps après on a commencé à observer une diminution dans leur volume. A la fin de janvier 1844, la réduction dans le débit des eaux était de plus de moitié et elles coulaient parfois très-noires. On est parvenu à 474 LES PUITS FORÉS. obtenir le dégorgement en ouvrant un robinet placé à la partie inférieure de la colonne montante élevée à la hau- teur de 32 mètres pour pouvoir faire un service conve- nable des eaux. À la fin de février les eaux se remirent à couler très-claires. M. Lefort a remarqué une coïnci- dence remarquable entre cette intermittence dans le débit du puits de Grenelle et une secousse de tremblement de terre qui fut ressentie à Cherbourg et à Saint-Malo. CHAPITRE XX PROFONDEURS DES FONTAINES ARTÉSIENNES LES PLUS REMARQUABLES EXÉCUTÉES DE MAIN D'HOMME J’ai déjà cité (chap. nr, p. 267), les trous de sonde à l’aide desquels les Chinois vont chercher les eaux salées, dans la province de Kia - ting - fou, jusqu’à la profondeur de 584 mètres; mais comme l’eau n’y jaillit pas, on ne peut pas ranger ces trous dans la catégorie des fontaines artésiennes proprement dites. La septième nappe d’eau trouvée près de Saint-Nico- las-d’Aliermont (chap. v, p. 297), était à la profondeur de 333 mètres, Elle remonta jusqu’à la surface. Comme on cherchait, non de l’eau, mais du charbon de terre, les travaux furent abandonnés. Il n’en est pas moins vrai qu’on avait créé par là, sans le vouloir, un immense puits artésien dont l’eau venait de plus de 300 mètres de profondeur. Un trou de sonde foré à Genève jusqu’à la profondeur de 225 mètres (chap. 1x, p. 394), n’a pas rencontré de nappe liquide ascendante. LES PUITS FORÉS. 475 Près de Paris, à Suresne, dans la campagne de M. Rothschild, MM. Flachat ont poussé un sondage, déjà commencé par M. Mulot, à la profondeur de 215 mètres. Ce Sondage est entré de 475 mètres dans la craie. On s'est arrêté, alors qu'il n’y avait peut-être plus qu'une vingtaine de mètres de la formation crayeuse à traverser, pour atteindre la nappe d’eau. Il est vivement à désirer que l’opération soit reprise. La fontaine de Chewick, dans le pare du duc de Northumberland, jaillit à la hauteur de plus d'un mètre au-dessus du sol, et vient de la profondeur de 189 mètres, La fontaine la plus profonde du département du Pas- de-Calais, est située entre Béthune et Aire. Ses eaux jaillissent à 2".6 du sol, et viennent de la profondeur de 150 mètres. Le puits foré, d’un produit si remarquable, situé à la caserne de cavalerie de Tours, est alimenté par une nappe d’eau que M. Degousée est allé chercher à la pro- * fondeur de 133 mètres. Les eaux d’un autre puits, ter- * miné en 1834 dans la manufacture de soie de M. Cham- poiseau, viennent d’une profondeur de 140 mètres. J'ai cité précédemment les puits si profonds de New- Salzwerck et de Mondorff qui pénètrent dans le sol jus- qu'à 64h et 730 mètres (chap. 1x, p. 393 et 396). Malgré leurs grandes profondeurs, ces deux puits ne descendent pas en valeur absolue dans des couches plus enfoncées dans la terre que les sables verts d’où vien- nent les eaux du puits de Grenelle. Comme l’a remarqué mon illustre confrère, M. Élie de Beaumont, « la profon- 476 LES PUITS FORÉS. deur de 548 mètres à laquelle le puits artésien de l’Abat- toir de Grenelle a été poussé par M. Mulot, mérite d’être enregistrée parmi les merveilles de l’industrie humaine. On n’a que bien rarement pénétré dans la masse solide du globe terrestre à une profondeur aussi grande au- dessous de la surface des mers. La plaine diluvienne de Grenelle, au niveau de laquelle le puits artésien est ouvert, se trouve, d'après la nouvelle carte de France, à 51 mètres au-dessus de la mer : ainsi le puits artésien descend à 517 mètres au-dessous de la surface de l'Océan. Le fond du puits artésien se trouve d’après cela beau- coup au-dessous du fond des mers les plus voisines de nous ; Car la Manche ne présente que vers son entrée des profondeurs de 100 mètres, et il faut s’éloigner de près de 50 lieues des côtes de Bretagne pour trouver dans le golfe de Gascogne des profondeurs qui aillent seulement à 300 mètres. » CHAPITRE XXI DES PRODUITS JOURNALIERS DES PRINCIPALES FONTAINES ARTÉSIENNES CONNUES Bélidor citait déjà dans sa Science de l'ingénieur, une fontaine artésienne située au monastère de Saint-André, à une demi-lieue d’Aire en Artois, dont l’eau s'élevait à 3 mètres et demi au-dessus du rez-de-chaussée, et qui fournissait près de 2 tonneaux d’eau par minute, J'ignore ce qu’il faut entendre par tonneau. Il m'est donc impossible de transformer en mètres cubes l’éva- luation de Bélidor, LES PUITS FORÉS. 477 Le puits artésien que MM. Fabre et Espériquette ont foré, à Bages , près de Perpignan, dans une propriété de M. Durand, donne 2,000 litres d’eau par minute. Le puits jaillissant que M. Degousée a foré à Tours, dans le quartier de cavalerie, jaugé à près de 2 mètres _de hauteur au-dessus du sol, donne 4,140 litres d’eau par minute. Parmi les nombreuses fontaines artésiennes jaillissantes qui existent en Angleterre, celle, à ma connaissance, d’où il sort la plus grande quantité d’eau, est la fontaine de la fabrique de cuivre laminé de Merton, en Surey; cette quantité est de 900 litres par minute. Le puits artésien jaillissant, dont Rivesaltes est rede- vable aux lumières de son conseil municipal et à l’habileté de MM. Fabre et Espériquette, fontainiers - sondeurs, donne 800 litres d’eau par minute. Un puits artésien près de Lillers (département du Pas- de-Calais) , à la profondeur d’une quarantaine de mètres, donne 700 litres d’eau par minute. Un puits artésien foré par M. Degousée en 1836, à la Ville-aux-Dames, près de Tours, et dont la profondeur est de 105 mètres, dégorge à la surface plus de 5 mètres cubes d’eau par minute. L'eau de ce puits est destiné à mettre en mouvement trois tournants d’un moulin à farine. Un puits artésien foré également à Tours en 1839 par M. Mulot, à la profondeur de 213 mètres, donne 4 mètres cubes par minute, et fait tourner la roue hydraulique d'une filature à l’imitation d’un puits plus ancien dont nous avons déjà parlé (chap. xvu, p. 466). Par la méthode si ingénieuse que nous avons décrite 478 LES PUITS FORÉS. précédemment (chap. xx, p. 455), M. Fauvelle a foré à Preignes, près de Vias (département de l'Hérault), un puits artésien d’une profondeur de 51 mètres, qui fournit 663 litres d’eau par minute. L'alimentation de Venise en eau a reposé jusqu’à ces dernières années sur les eaux pluviales recueillies dans 144 citernes publiques, dans 1990 citernes particulières, à quoi il faut joindre ce que de nombreuses barques allaient prendre journellement dans la Sériole, canal de dérivation de la Brenta. De 1815 à 1830, le gouverne- ment autrichien fit faire de nombreux essais pour obtenir, au moyen de sondages, des eaux artésiennes. Les diffi- cultés de l'opération provenant de la présence de sables fluides dans les couches à traverser, rendirent ces tenta- tives infructueuses. Toute espérance était perdue, lorsque M. Degousée, après avoir étudié attentivement le régime des eaux dans la contrée, proposa de faire l'opération à ses risques et périls. Le contrat fut conclu le 1° février 1846. Les équipages de sonde partirent de Paris en mai; en août, les travaux commencèrent sur la place Santa-Maria-Formosa. Au bout de six mois, l’eau jaillissait au-dessus du sol d’une profondeur de 61 mètres. Au bout de neuf mois, un au- tre forage, creusé à la même profondeur, déversait sur la place Saint-Paul, à 4 mètres de hauteur au-dessus du sol, une nappe d’eau du volume de 250 litres par minute. Plusieurs autres succès non moins éclatants furent obtenus par l’habile ingénieur. On voit par ces exemples quelle immense ressource présentent les puits artésiens dans les pays les plus divers. x LES PUITS FORÉS. 479 CHAPITRE XXII LES FONTAINES ARTÉSIENNES S’ÉPUISENT-ELLES A LA LONGUE ? On se demande souvent s’il est à présumer que les fontaines artésiennes s’épuisent à la longue. Voici deux citations très-propres à dissiper les craintes que l’on paur- rait concevoir à cet égard. La fontaine artésienne de Lillers, département du Pas- de-Calais, dont la construction remonte, dit-on, à l’année 1126, a constamment jailli à la même hauteur au-dessus du sol. La quantité d’eau qu’elle débite en vingt-quatre heures n’a jamais varié. La fontaine artésienne du monastère de Saint-André, paraît être aujourd’hui, quant à la hauteur du jet et au volume d’eau qu’elle épanche par l’orifice supérieur de sa buse, dans l’état où Bélidor l’observa il y a maintenant plus d’un siècle. Une cause qui pourrait apporter quelque trouble dans le produit des fontaines jaillissantes consisterait peut-être dans le forage d’un trop grand nombre de puits en un même endroit. C’est ainsi que les propriétaires des nom- breux puits artésiens des Pyrénées-Orientales témoignent souvent l’appréhension de voir les percements exécutés dans leur voisinage, les priver de la totalité ou d’une grande partie des eaux dont ils jouissent. Une pareille crainte n’est pas absolument dénuée de fondement. Il est évident qu’un cours d’eau souterrain doit être épuisable … comme les cours d’eau qui coulent à la surface de la terre; 480 LES PUITS FORÉS. mais on n’a, jusqu'à présent, aucun moyen de mesurer la puissance des sources que l’homme armé de la sonde et de connaissances géologiques sait aller chercher dans les couches plus ou moins profondes de notre globe. % | | | | | . FILTRATION DES EAUX‘ L'Académie nous a chargés, MM. Gay-Lussac, Magen- die, Robiquet et moi, d'examiner un appareil de filtrage de M. Henri de Fonvielle. La question du filtrage est si importante, si vivement agitée aujourd'hui; l'autorité supérieure, les administrations municipales de nos prin- cipales villes, de simples particuliers consultent si fré- quemment l’Académie à ce sujet, qu’il nous a paru utile d'envisager le problème dans son ensemble. C’était d’ail- leurs le meilleur moyen d'apprécier convenablement les nouveaux procédés sur lesquels nous étions appelés à nous prononcer. Les hommes se servent pour leur boisson, pour pré- parer leurs aliments, pour les besoins de propreté et pour des usages industriels, de l’eau de citerne, de l’eau de puits, de l’eau de source, de l’eau de rivière. Ces quatre sortes d’eau ont une origine commune, la pluie. L’eau de pluie est, en général , d’une telle pureté, qu’on ne parvient guère à y découvrir quelques matières étran- gères qu’en faisant usage des réactifs chimiques les plus délicats. 1. Rapport fait à l’Académie des Sciences, dans la séance du 14 août 1837, par M. Arago, sur des Appareils de filtrage, de M. Henri de Fonvielle. FU IIE ol 182 FILTRATION DES EAUX. Les citernes construites avec des matériaux choisis, seraient donc le meilleur moyen de se procurer de l’eau excellente pour la boisson, si la pluie y tombait directe- ment, si elle n’y portait pas les ordures, la poussière, les insectes, accumulés dans les temps de sécheresse, sur les terrasses et sur les toits le long desquels son écoule- ment s'opère. Dans certaines localités, à Venise, par exemple, l’inconvénient dont nous venons de parler se manifesta à un tel degré, que pour la grande citerne du palais ducal, le constructeur sentit la nécessité de ne laisser arriver l’eau pluviale au réservoir où le public la puise, qu'après lui avoir fait traverser une large couche poreuse dans les interstices de laquelle les matières étran- gères, tenues en suspension, devaient se déposer en partie, | PAST ME Les puits peuvent être âssimilés à des citernes; seule- ment ils ne sont pas alimentés par de larges canaux en maçonnerie, en briques, en pierres ou en métal ; les eaux pluviales leur arrivent, pour ainsi dire, goutte à goutte, à travers les fissures ordinairement capillaires du sol. I! est rare que dans ce trajet long et difficile, les filets liquides ne rencontrent pas des matières solubles dont ils se chargent en plus ou moins grande quantité. Ce n’est donc plus de l’eau de pluie proprement dite qu’on tire des puits : elle est ordinairement aussi claire, aussi lim- pide que l’eau pluviale, mais elle contient presque tou- jours des matières dissoutes dont la nature chimique change avec la constitution géologique du pays. Ce que nous venons de dire peut s'appliquer, mot à mot, aux sources, L'eau qu’elles répandent est aussi de FILTRATION DES EAUX. 483 l'eau pluviale qui, après avoir traversé une épaisseur plus. ou moins grande de l'écorce du globe, est ramenée à la surface par un jeu de siphon, ou si l’on veut, car e c'est la même chose en d’autres termes, par la pression a filets liquides non ORPRE et dap de lieux ‘ontr eau de source se trouve imprégnée, dépend aussi - dé l'étendue du trajet qu’elle a fait au sein de la terre, et de l’espèce de roches qu’elle y a rencontrées. Supposez ces roches d’une certaine nature, et le pays abondera en | sources minérales. Admettez que la descente verticale du liquide “ait quelque étendue, et l’eau surgira à l’état thermal. | se Chaque rivière charrie vers la mer les eaux d’une source principale et celles d’un certain nombre de sources de moindre importance, qui s’ajoutent aux premières dans leur trajet. Sous le rapport de la composition chi- imique, les eaux d’une rivière sembleraient ainsi devoir être une sorte de moyenne entre les eaux de toutes les sources de la contrée environnante ; mais il faut remar- quer cependant, qu’au moment de fortes averses (et sur un bassin de rivière un peu étendu, quel est le jour où çà et là il n’y en a point?) les eaux pluviales ne s’infiltrent pas à beaucoup près dans la terre en totalité; qu’elles coulent à la surface du sol et sur les pelouses des bois et des coteaux, en assez grande abondance et avec rapidité ; que dans ce trajet extérieur, elles doivent dissoudre très- peu de matière étrangère comparativement à la propor- tion dont elles se seraient chargées si, divisées en très- minces filets, chacune de leurs molécules, pour ainsi 484 FILTRATION DES EAUX, dire, avait pu isolément et pendant un temps fort long, se trouver en contact avec les principes solubles du ter- rain. À cette circonstance, toute en faveur de la pureté de l’eau de rivière, il faut ajouter que le carbonate de chaux, par exemple, est dissous à l’aide d’un excès _ d’acide carbonique; que cet excès se dégage pendant la longue exposition de l’eau à l’air, et que, dès lors, le carbonate se précipite. Ces remarques, au surplus, ne doivent être considérées que d’un point de vue général. Il ne serait pas difficile, en effet, sans s’écarter des règles connues de la géologie, d'imaginer, et mêmé de trouver des dispositions de ter- rain dans lesquelles les puits, les sources, donneraient de l’eau pure, et les rivières voisines, au contraire, de l’eau fort imprégnée de matières salines. Tout ce que nous avons voulu faire, c’est expliquer comment l'inverse arrive ordinairement, comment l’eau de la Seine et celle de la Garonne, par exemple, sont notablement plus pures que les eaux de la plupart des sources et des puits des contrées que traversent ces deux rivières. | L'avantage d’une plus grande pureté dans l’eau des rivières considérées chimiquement, est, au reste, bien plus que compensé par leur manque habituel de limpi- dité : à chaque averse, les eaux torrentielles, pendant leur course précipitée, se chargent de terre végétale, de glaise, de graviers, de toutes sortes de détritus qu’elles ar- rachent au sol, et l’ensemble de ces matières est entrainé, pêle-mêle, jusque dans le lit des rivières. Chacun doit comprendre maintenant pourquoi les mariniers et même les ingénieurs appellent quelquefois les crues : des troubles. FILTRATION DES EAUX. 455 Les proportions de matières étrangères tenues en sus- pension dans l’eau pendant les crues, pendant les plus fortes troubles, ne sont pas les mêmes, ainsi qu’on devait s'y attendre, dans les différentes rivières. Dans la Seine cette proportion s’élève quelquefois jusqu'à 1/2000°. Ainsi, celui qui boirait dans sa journée trois litres d’eau de Seine non filtrée, à l’époque des plus fortes crues, chargerait son estomac d’un gramme et demi de matières terreuses. Quel pourrait être, à la longue, leffet de ces matières sur la santé? La question, vivement contro- versée, a laissé les médecins et les ingénieurs hydrau- liciens fort divisés d'opinion. Fautc d'expériences exactes, on s’est déterminé, de part et d'autre, d’après des sys- tèmes arrêtés d’avance. On ne nous trouvera certaine- ment pas trop sévères dans notre jugement, si nous ajoutons qu’un des partisans déclarés des eaux troubles, se fondait sur cette prétendue observation que les ani- maux, que les troupeaux, surtout, ne commencent à se désaltérer dans les mares qu’ils rencontrent sur leur chemin, qu'après en avoir fortement agité la vase avec leurs pieds! Au surplus, toute considération de salubrité mise de côté, il est certainement fort désagréable de boire de l’eau chargée de limon. Dans tous les temps et dans tous les pays, la limpidité a semblé la condition nécessaire du liquide destiné à la boisson de l’homme ; voilà pourquoi avant l'invention ou plutôt, avant le per- fectionnement des procédés de filtrage, les anciens ne se croyaient pas dispensés de creuser à grands frais des. puits profonds, ou d’aller, par de magnifiques aqueäucs, chercher au loin des sources naturelles, lors même que 486 FILTRATION DES EAUX. de grands fleuves ou de larges rivières traversaient leurs villes. | | C’est par son mouvement rapide à travers les terres, | que l’eau se charge de limon. Par le repos, ce limon se précipite, et le liquide reprend sa limpidité naturelle. Rien, assurément, de plus simple que ce moyen de clarification ; malheureusement il est d'une excessive lenteur, On peut déduire des expériences très Austen et des calculs, faits à Bordeaux par M. Leupold, qu'après 10 jours de repos absolu, l’eau de la Garonne, prisé en temps de crue ou de souberne, ne serait pas encore revenue à sa limpidité naturelle. Au commencement, il est vrai, les plus grosses matières se précipitent très- vite, mais les plus fines descendent avec une lenteur désolante, | Le repos ne pourrait donc pas être adopté comme méthode définitive de clarification des eaux ‘destinées à l’alimentation dés grandes villes. Qui ne voit, en eflet, qu’il ne faudrait pas moins de 8 à 10 bassins séparés, ayant chacun assez de capacité pour contenir toute Peau nécessaire à la consommation d’un jour? Ajoutons que dans certaines localités, et surtout dans certaines saisons, des eaux exposées en plein air et qui resteraient immo- biles, stagnantes, pendant huit à dix jours consécutifs, contracteraient un mauvais goût, soit à cause de la putré- factions des insectes sans nombre qui y tomberaïent de . l'atmosphère, soit à cause des phénomènes de VÉBTE dont leur surface deviendrait le siége. | Le repos de l’eau peut, toutefois, être considéré FILTRATION DES EAUX. 487 comme un moyen de la débarrasser de tout ce qu'elle renferme en suspension de plus lourd, de plus grossier. C'est sous ce point de vue seulement que des bassins, que des récipients de dépôts ont été préconisés et établis en Angleterre et en France. La science, ou plutôt le hasard, a fait découvrir un moyen de hâter considérablement, de rendre presque instantanée la précipitation des matières terreuses tenues en suspension dans l’eau. Ce moyen consiste à y jeter de l’alun en poudre. Il est constant, il est avéré qu’à Paris, le gros limon, charrié par la Seine, s’agglomère en stries longues, épaisses, et qu’il se dépose très- promptement, dès que l’eau est alunée. La théorie de cette opération mérite de fixer l’attention des chimistes. Aujourd'hui, elle n’est pas assez certaine pour qu'on puisse affirmer que le même effet aurait lieu indistincte- ment avec le limon de toutes les rivières. Le doute, à cet égard, semble d’autant plus permis que la clarification par l’alun n’est pas toujours complète; que certaines matières très-fines échappént à l’action de ce sel, restent en suspension dans le liquide, et le rendent encore louche quand toutes les stries ont disparu, S'il est vrai que l’eau, après avoir été alunée, ait besoin de subir une filtration ordinaire, on concevra aisément pourquoi l'emploi de l’alun, comme moyen de clarification, n’est pas devenu général. D'ailleurs, le prix de ce sel s’ajouterait à celui de l’eau filtrée, et l'augmentation ne serait peut-être pas à dédaigner dans un système d'opérations exécuté très en grand. Ce qui forme, au reste, contre ce procédé , une objection plus sérieuse, c’est qu’il altère la pureté chi- 488 FILTRATION DES EAUX, mique de l’eau de rivière, c’est qu’il y introduit un sel qu’elle ne contenait pas, c’est qu’en supposant ce sel entiè- rement inactif dans de certaines proportions, les consom- mateurs peuvent craindre qu'un jour, sur 100, sur 200, sur 1000 si lon veut, ces proportions ne soient notablement dépassées ; car il suffirait pour cela de la négligence, de l'erreur d’un ouvrier. L’un de nous (le rapporteur de la commission) parlait un jour de l’alunage de l’eau à un ingénieur anglais qu’une longue habitude avait mis fort au courant des préoccupations du public, et qui se lamen- tait devant lui sur l’imperfection actuelle des moyens de purification ; ah! que me proposez-vous, répondit-il sur- le-champ : L'eau, comme la femme de César, doit être à l'abri du soupçon! | Voilà, sous une forme peut-être singulière, mais vraie, la condamnation définitive de tout moyen de clarification qui introduira dans l’eau de rivière quelque nouvelle sub- stance dont elle était d’abord chimiquement dépourvue ; voilà pourquoi les tentatives les plus récentes des ingé- nieurs, se sont toutes dirigées vers l'emploi des matières inertes, ou qui, du moins, ne peuvent rien céder à l’eau. Ces matières sont du gravier plus ou moins gros, du sable plus ou moins fin et du charbon pilé. L'idée d'appliquer du gravier et du sable à la clarifi- cation des eaux troubles, a été certainement suggérée aux hommes par la vue de tant de sources naturelles qui sourdent de terrains sableux avec une limpidité remar- quable ; aussi remonte-t-elle à une époque très-ancienne ; aussi l’avons-nous retrouvée, par exemple, dans la grande citerne du palais ducal de Venise. Un banc de sable fin FILTRATION DES EAUX. 489 ne paraît devoir agir dans une opération de filtrage que comme un amas de tuyaux capillaires sinueux, à travers lesquels les molécules liquides peuvent passer, tandis que les matières terreuses suspendues au milieu d'elles sont arrêtées par le seul effet de leurs plus fortes dimensions. Depuis les travaux de Lowitz, de Berthollet, de Saus- sure, de Figuier, de MM. Bussy, Payen, et de quelques autres chimistes, tout le monde sait que le charbon a la propriété d’absorber les matières résultant de la putré- faction des corps organiques; le rôle que joue le charbon dans la purification de l’eau ne saurait donc être douteux. Envisagé du point de vue de la théorie, l’art du clarifi- cateur semble à peu près complet; il n’en est pas de même, tant s’en faut, sous le rapport économique et industriel ; il n’en est plus ainsi, particulièrement, lors- qu’on veut conduire les opérations sur une vaste échelle. De grands essais de filtrage ont été faits naguère chez nos voisins d'outre-mer, et surtout à Glasgow. C’est par millions qu’il faudrait compter les sommes qu'on y a employées. Ces essais cependant n’ont pas réussi; ils sont devenus, au contraire, la cause de la ruine de plu- sieurs puissantes compagnies. Ceux qui s’occupent de la recherche de procédés des- tinés à l’industrie, peuvent certainement trouver d’excel- lents guides dans les phénomènes naturels, mais à la condition expresse qu’ils ne se laisseront pas séduire par des similitudes, imparfaites. Telle a été, nous pouvons l’'aflirmer, la principale origine des fautes commises en Écosse. Certaines sources, disait-on, coulent uniformé- ment, sans interruption ; depuis des siècles elles donnent 490 FILTRATION DES EAUX. la même quantité d’eau claire; pourquoi n° en serait-il pas ainsi d’une source artificielle placée dans des conditions analogues. Mais, d’abord, est-il certain que ces sources naturelles dont on parle tant, n'aient pas éprouvé de diminution ? où sont même les jaugeages modernes? qui a comparé soigneusement et chaque année, les produits avec la quantité de pluie tombée? D'ailleurs, ét c’est par là surtout que péchait la comparaison des ingénieurs écossais, dans la source artificielle, la couche filtrante aura toujours une étendue circonscrite, bornée ; pour les eaux de la source naturelle, au contraire, la clarification s'opère quelquefois dans dés bancs de sable qui occupent des provinces entières et sur une eau à peine trouble. L’engorgement des tuyaux capillaires filtrants séra très- rapide dans le premier cas, quoiqu'il soit lent et À ce 90 insensible dans le second. En résultat, aucune méthode artificielle de filtrage ne pourra réussir, si l’on n’a pas des moyens prompts, éco- nomiques et certains de nettoyer les filtres. La seule des huit grandes compagnies de Londres qui clarifie son eau, la compagnie de Chelsea est arrivée au but en construisant trois vastes bassins communiquant entre eux ; dans les deux premiers se déposent, par le repos, les matières les plus grossières ; dans le troisième, l’eau traverse une couche épaisse de sable et de gravier où elle se clarifie définitivement, Quand l’eau de ce troisième bassin s’est entièrement écoulée, la masse filtrante de sable est à nu; des ouvriers armés de râteaux enlèvent alors la couche superficielle que le sédiment a fortement sale, et la remplacent par du nouveau sable, FILTRATION DES EAUX. 491 Ici se présente une réflexion, Ce n’est pas inutilement, sans doute, que l'ingénieur habile de la compagnie de Chelsea a donné une épaisseur de 6 pieds anglais (1”.83) à sa masse filtrante ; les couches superficielles, celles que .des ouvriers arrachent de temps en temps, agissent sans aucun doute plus fortement que les autres, mais les couches inférieures ne sont pas on plus sans action ; mais elles aussi doivent peu à peu s’engorger et diminuer les produits journaliers du filtre; mais il arrivera une époque où la masse tout entière aura besoin d’être renou- velée ; cette nécessité, si l’on avait voulu la prévoir, eût exigé l'établissement d’un quatrième bassin semblable -au troisième, et comme lui d’un acre d’étendue (40 ares); et la dépense totale de construction se fût élevée de 300,000 à 400,000 francs ; et la manipulation du filtre, qui annuellement ne coûte pas moins de 25,000 francs, se sérait encore accrue. | Faut-il s'étonner si, en présence des grands frais de la compagnie de Chelsea pour une filtration de 10,000 mètres cubes d'eau par jour, correspondant à environ 500 pouces de fontainier, les autres compagnies anglaises ont toutes répondu, dans une enquête solennelle faite devant le parlement, que, si on les obligeait à filtrer l’eau de la Tamise, leurs prix de vente devraiént inévi- tablement s’accroître de 45 pour 100? Le système que M. l'ingénieur civil Robert Thom a introduit à Greenock, en 1828, a sur celui de Chelsea l'avantage que le nettoiement s’effectue de lui-même, que toute la masse de sable filtrante ÿ est assujettie. Cette masse forme une couche de 5 pieds anglais d'épaisseur 492 FILTRATION DES EAUX.. (1.52). L'eau peut à volonté entrer dans le bassin que le sable remplit, par dessus ou par dessous. Si la: filtra- tion s’est opérée, par exemple, en descendant, dès qu’on s'aperçoit que le filtre s’obstrue, qu’il devient paresseux, on fait, pendant quelque temps, arriver l’eau par des- sous, et, dans son mouvement ascensionnel, elle emporte les sédiments, par la partie supérieure, dans un conduit de décharge destiné à les recevoir. | En France, jusqu'ici, la filtration de l’eau n’a pas été tentée très en grand. Dans les établissements d’ailleurs fort estimables où’ cette opération s’effectue à Paris, on se sert d’un grand nombre de petites caisses prisma- tiques, doublées en plomb, ouvertes par le haut, et con- tenant à leur partie inférieure une couche de charbon comprise entre deux couches de sable. Ce sont, à vrai - dire, les anciens filtres brevetés de MM. Smith, Cuchet et Montfort. Quand les eaux de la Seine et de la Marne arrivent à Paris très-chargées de limon, les matières dé- puratrices contenues dans ces diverses caisses, ou au moins leurs couches supérieures ont besoin d’être renou- velées ou remaniées tous les jours et même deux fois par jour. Chaque mètre superficiel de filtre donne environ 3,000 litres d’eau clarifiée par 24 heures; il faudrait donc 7 mètres superficiels ou 7 caisses cubiques d’un mètre de côté, par pouce de fontainier, et 7,000 caisses pareilles pour le service d’une ville où la consommation serait de 1,000 pouces (21 millions de litres). Il y a un moyen très-simple d'augmenter le produit de ces petites caisses : c’est de les fermer hermétique- FILTRATION DES EAUX. 493 ment et de faire passer l’eau à travers la matière filtrante, non pas à l’aide de son seul poids ou d’une faible charge, mais par l’action d’une forte pression. Voilà, dans les procédés de filtrage de l’eau, l’une des amélioriations qu’a proposées et déjà réalisées l’au- teur du Mémoire renvoyé à notre examen. Le filtre de M. Henri de Fonvielle, à l'Hôtel - Dieu, quoiqu’il n’ait pas un mètre d’étendue superficielle, donne par jour avec 88 centimètres de pression de mercure {une atmosphère et 1 /6°) 50,000 litres au moins d’eau clarifiée. Ce nombre déduit de l'examen des divers services de l'Hôpital, est une petite partie de ce que l'appareil four- “nirait si la pompe alimentaire était perpétuellement en charge; dans certains moments nous avons trouvé, en effet, par des expériences directes, que le filtre donnait jusqu’à 95 litres par minute. Ce serait donc près de 137,000 litres en 24 heures ou près de 7 pouces de fon- tainier. En nous en tenant aux premiers nombres, nous aurions déjà 17 fois plus de produit que par les procédés actuellement en usage. Depuis que M. de Fonvielle a présenté son Mémoire, depuis surtout que les résultats de l'expérience de l’Hôtel- Dieu sont connus, plusieurs personnes, et, entre autres M. Ducommun, ont réclamé comme une invention qui leur appartiendrait, l’emploi de la pression pour le fil- trage de l’eau. Dans la rigueur mathématique ces récla- mations pourraient être soutenues ; car, du plus au moins, il est indubitable que dans tous les appareils existants ou seulement connus par des brevets, que dans les systèmes, surtout où la clarification s’effectue par un mouvement 494 FILTRATION DES EAUX. ascendant du liquide, il y a pression, ne fût-ce que de quelques centimètres; mais envisagée sous le point de vue industriel, la question est toute différente : 1l s’agit alors de savoir si quelqu'un, avant l’auteur du Mémoire, avait. proposé d'effectuer la filtration de l'eau dans des vases hermétiquement clos qui permissent de ne rien perdre de la pression que la situation des lieux, ou la force des machines voisines pouvait donner; si quelqu'un avant M. de Fonvielle avait disposé les matières filtrantes de telle manière que de fortes pressions ne bouleversas- sent pas les diverses couches; si quelqu'un, enfin, avant les essais de l’'Hôtel-Dieu, avait constaté, qu’une filtra- tion rapide donnerait, quant à la limpidité, des résultats entièrement satisfaisants. Sous ces divers rapports. les droits de M. de Fonvielle nous semblent incontestables. L'enquête parlementaire que nous avons déjà citée, . nous apprendrait au besoin qu’en Angleterre ce n’est pas sans y avoir songé que les ingénieurs opèrent la filtra- : tion sous de faibles pressions; que plusieurs ont adopté ce parti après une discussion dans laquelle; il est vrai, des erreurs manifestes d’hydraulique devaient les égarer ; en France nous trouverions partout, et particulièrement dans: le bel établissement des eaux minérales artificielles du Gros-Caillou, une forte pression disponible entière- ment délaissée. Nous verrions enfin M. Dacommun, dont le nom est si honorablement connu dans ce genre d’in- dustrie, se servir à l’Hôtel- Dieu de trois cuves pour cla- rifier 15 hectolitres en 24 heures, tandis qu’une seule de ces mêmes cuves modifiée par M. de Fonvielle, donnait dans le même temps, suivant un rapport que M. Des- - FILTRATION DES EAUX. 495 portes, administrateur des Hôpitaux, nous a remis, 900 hectolitres d’eau parfaitement filtrée au lieu de 5. Au surplus, l'emploi des fortes pressions n’est admis- sible qu’en le combinant avec un autre procédé dont personne ne conteste l'invention à l’auteur du Mémoire. On a vu qu'en temps de hautes eaux, un filtre d’un mètre superficiel, a besoin d’être nettoyé une fois au moins tous les jours, quoiqu'il ne clarifie en 24 heures que 3,000 litres d’eau. Il semble, au premier aspect, que le filtre de M. de Fonvielle qui en tamise 17 fois plus, s’engor- ‘gera 17 fois davantage, qu’il faudra le nettoyer d’heure en heure. 11 n’en est rien toutefois : le filtre de l’auteur du Mémoire ne se nettoie pas plus souvent que les filtres ordinaires. Ce résultat s'explique assez simplement quand on remarque que sous une faible pression, un filtre n’agit en quelque sorte que par sa surface, que le limon y pé- nètre à peine, tandis que sous l’action d’une pression considérable, au contraire, il peut s’y enfoncer profon- dément. Personne ne niera que s’il passe plus d’eau trouble en un temps donné, il ne doive y avoir plus de matière terreuse déposée; mais si cette matière se trouve disséminée dans une plus grande profondeur de sable, la perméabilité du filtre peut ne pas en être plus fortement altérée, seulement le nettoyage doit devenir beaucoup plus difficile ; eh bien, c’est en cela surtout que les nou- veaux procédés sont dignes d'attention. Nous avons déjà dit qu'à Greenock, quand le filtrage s’est opéré du haut en bas, l’ingénieur Robert Thom nettoie la masse de sable en y faisant passer rapidement dans la direction contraire, c’est-à-dire de bas en haut, 496 FILTRATION DES EAUX. une grande quantité de liquide. Ce procédé peut suffire si les filtres ne sont engorgés que très-près de la surface: mais les filtres de M. Fonvielle exigent des moyens plus puissants : ces moyens, l’auteur les a trouvés dans l’ac- tion de deux courants contraires, dans les chocs, dans les secousses brusques, dans les remous qui en résultent. Pour nettoyer le filtre hermétiquement fermé de l’'Hôtel- Dieu, l’ouvrier chargé de cette opération ouvre tout à coup, simultanément ou presque simultanément, les robi- nets des tuyaux qui mettent le dessus et le dessous de l'appareil en communication avec le réservoir élevé ou avec le corps de pompe qui renferment l’eau alimentaire. Le filtre se trouve ainsi traversé brusquement et en sens opposés par deux forts courants dont l'effet nous semble pouvoir être assimilé à celui du froissement que la blan- chisseuse fait éprouver au linge qu'elle manipule ; ces courants, en tout cas, ont certainement la propriété de détacher du gravier filtrant, des matières terreuses qui, sans cela, y seraient restées adhérentes. Nous ne pouvons avoir aucun doute sur la grande utilité de ce conflit des deux courants opposés; car après avoir nettoyé le filtre de l’Hôtel-Dieu à la manière de M. l'ingénieur Thom, nous voulons dire à l’aide d’un courant ascendant; car, après nous être assurés que ce même courant ascendant ne donnait au robinet de dégorgement que de l’eau lim- pide, dès qu’on manœuvrait les deux autres robinets, l’eau sortait au contraire du filtre dans un état de saleté extrême. Pour le dire en passant, les malades témoins de l'opération exprimaient hautement leur surprise en voyant, à quelques secondes d'intervalle, la même fon- FILTRATION DES EAUX. 497 taine fournir, tantôt une épaisse bouillie jaunâtre, et tantôt de l’eau claire comme du cristal. Ajoutons à tant de détails, que le procédé dont vous nous aviez chargés de vous rendre compte, a reçu l'épreuve du temps ; que depuis plus de huit mois il est en action à l'Hôtel-Dieu; que depuis plus de huit mois une même couche de sable de moins d’un mètre superficiel, y fonctionne sans interruption; qu’on n’a point eu à la renouveler ; que cependant dans cet intervalle la Seine a été extrêmement bourbeuse, et qu’en cavant tout au plus bas, 12 millions de litres d’eau (12,000 mètres cubes) ont traversé l'appareil; aussi, bien qu’à raison de diverses circonstances, nous ayons dû renoncer à faire des essais sur ce que l’auteur du Mémoire attend d’avan- tageux du partage des épaisses couches filtrantes ac- tuelles, en couches minces séparées les unes des autres ; en nous en tenant exclusivement à ce que nous avons suffisamment étudié, nous n’hésitons pas à dire qu’en montrant la possibilité de clarifier de grandes quantités d’eau avec de très-petits appareils, M. Henri de Fonvielle a fait faire un pas important à l’art. Nous proposons donc à l’Académie d’accorder son entière approbation aux nouveaux procédés qu’elle nous avait chargés d'examiner. VI. — It 92 ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES: La mine de Huelgoat, partie de la concession de Poul- laouen, renferme des sources excessivement abondantes, Leur eau est vitriolique ; le gîte du minerai se trouve dis- posé de manière à rendre les opérations d’épuisement très-compliquées. Heureusement le pays est sillonné en tous sens par des vallons où coulent des ruisseaux qui, à l’aide de canaux de dérivation, ont pu être conduits jus- qu’au coteau dans lequel s’enfonce le filon métallique. 11 a donc été possible de créer sur ce point de grandes chutes d’eau et même d’en augmenter beaucoup la hau- teur utile, par le percement de longues galeries d’écoule- ment, partant du centre des travaux et débouchant dans la vallée voisine. Comme de raison, la force motrice qu’on s’est procurée ainsi, varie avec les saisons. Sa va- leur moyenne est, par minute, de 23 mètres cubes d’eau tombant de 66 mètres, ce qui équivaut à environ 1,520 mètres tombant d’un mètre. Cette puissance motrice, dans l’ancien système d’épui- sement de Huelgoat, mettait en jeu des roues hydrauli- 1. Rapport sur un Mémoire de M. Juncker, ingénieur au Corps royal des Mines, concernant les machines à colonne d'eau de la mine de Huelgoat, concession de Poullaouen (Finistère), fait à l’Académie des Sciences au nom d’une commission composée de MM. Navier, Poncelet, Arago, rapporteur, le 21 septembre 4835. ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. 499 ques échelonnées les unes au-dessus des autres sur le flanc de la montagne où la mine est située; les roues, à leur tour, transmettaient le mouvement à trois machines à tirants. Ces machines, malgré leur belle exécution, ne donnaient que les vingt centièmes de la force motrice, et leur entretien annuel ne coûtait pas moins de 40,000 fr. Ajoutons qu'en 1816, après une dépense de plus de 120,000 francs, les trois machines réunies ne suffisaient plus à l'épuisement des sources. Les eaux envahissaient graduellement les travaux, et l’on pouvait calculer l’épo- que où ce bel établissement serait inévitablement aban- donné, M. Juncker, auteur du Mémoire dont nous rendons compte à l’Académie, fortifié de l'approbation de M. Bail- let, inspecteur général des mines, n’hésita pas à propo- ser à la compagnie de Poullaouën de renoncer entière- ment aux impuissants moyens mécaniques dont elle faisait usage, et de les remplacer par des machines à colonne d’eau. Après quelques hésitations des actionnaires, la proposition fut agréée, et M. Juncker se rendit en Ba- vière pour y voir fonctionner des machines de cette espèce, construites sous la direction de M. Reïchenbach, et qui, malgré le peu que l’on savait alors de leur impor- tance, semblaient cependant mériter l'examen scrupuleux d’un homme de l’art, } M. Reichenbach, que l’Académie a compté parmi ses ‘correspondants, est principalement connu en France par les beaux instruments d'astronomie et d’optique sortis du célèbre atelier de Benedict Bauern; les grandes et ingé- nieuses machines dont la Bavière et l'Autriche lui sont 500 ÉLÉVATION DE L’EAU DES MINES. redevables, ne témoignent pas moins de la haute portée de ses conceptions industrielles, et de la fécondité de son esprit inventif. M. Juncker, après avoir payé un juste et touchant tribut de reconnaissance à la mémoire de cet excellent homme, décrit succinctement les magnifiques établissements de Salzbourg. | La Bavière, en 1825, produisait annuellement 75,000 quintaux de sel. Une partie provenait de sources : elle était extraite par voie d’évaporation à l’aide des moyens connus; l’autre, tirée d’abord d’une mine située dans la vallée de Berchtesgaden, était transportée à Reichenhall, où elle subissait une purification par dissolution. Mais le transport de ce sel gemme, quoique plus avantageux que ne l’aurait été celui du combustible dans la vallée étroite et peu boisée de Berchtesgaden, était cependant fort coû- teux. D’après les idées de Reichenbach, ce système fut entièrement abandonné : c’est à l’état liquide, dans des tuyaux de conduite, et après avoir été convenablement élevé à l’aide de deux puissantes machines à colonne d’eau, que le sel est maintenant expédié par delà les montagnes abruptes, dernières ramifications des Alpes tyroliennes, qui séparent Berchtesgaden de Reichenhall. Ainsi, le. bois ne va plus aujourd’hui chercher le sel; c’est, au contraire, le sel qui marche de lui-même à la rencontre du bois. Nous regrettons que les bornes de ce rapport me nous permettent pas de faire connaître en détail cette gigan- tesque entreprise. Nous dirons, toutefois, pour en donner une idée, que, dans son trajet, l’eau salée est soulevée à quatorze reprises différentes au moyen d’un pareil nombre ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. 5041 de pompes foulantes mues par neuf machines à colonne d’eau et par cinq roues à augets; que l’une de ces pre- mières machines, celle de la localité nommée Illsang, marche sous l’action d’une chute d’eau de plus de 100 mè- tres, et refoule l’eau salée, d’un seul jet, à une hauteur verticale de 356 mètres ; que la conduite parcourue par la dissolution saline, entre la source et le point où l’éva- poration s'opère, offre un développement de tuyaux d'une longueur de 109,000 mètres ou de 27 lieues de poste ; enfin que le résultat utile, comparé à la dépense de force, atteint, sur divers points, la fraction 72 centièmes ! Quand il rapproche ce nombre du résultat qu’obtenaient, avec les anciennes machines à colonne d’eau, les ingénieurs Hoëll et Winterschmidt, le mécanicien étonné se demande naturellement quelles ont été, parmi les diverses innova- tions dues à Reichenbach, celles qui ont le plus contribué à une pareille amélioration. Suivant M. Juncker, il fau- drait les ranger dans l’ordre suivant : L'adoption d’un régulateur à piston tellement con- struit, que les colonnes d’eau se meuvent s’arrêtent sans chocs appréciables ; L'idée d'emprunter à la colonne d’eau motrice, la force nécessaire pour faire agir ce régulateur avec une précision presque mathématique ; L'emploi d'orifices d'admission et d’émission fort grands, de telle sorte que la veine fluide n’éprouve plus ni contractions ni vitesses excessives ; La disposition qui permet de faire agir directement la puissance sur la résistance, sans aucun intermédiaire de balanciers, leviers coudés, etc. 502 ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. La substitution, quelle que soit la hauteur de la co- lonne de refoulement, d’une pompe unique à la multitude de pompes placées à divers étages dont on se servait jadis. a | L'examen minutieux de tant d’ingénieuses concep- tions devait, de plus en plus, confirmer M. Juncker dans sa première pensée que les machines à colonne d’eau pourraient seules sauver les mines d’Huelgoat de la sub- mersion complète dont elles étaient menacées ; aussi, se décida-t-il à prendre irrévocablement pour guide les travaux de Reichenbach. On aurait grand tort, toutefois, d'imaginer que le rôle de copiste, que s’attribue si modes- tement M. Juncker, fût exempt d'immenses difficultés ; il fallait, en effet, que la machine projetée eût, une puissance prodigieuse, une puissance double au. moins de celle que possède la machine déjà citée d'Illsang. En Bavière, tout se trouve établi, maintenu, .étayé au grand jour, dans un espace indéfini, sur un terrain solide ; à Huelgoat, au contraire, la machine, la pompe, les tuyaux, devaient être placés ou plutôt suspendus dans un puits resserré, et le long duquel se rencontraient fréquemment des couches ébouleuses. Dans les établis- sements bavarois, l'appareil moteur est immédiatement au-dessus de la pompe foulante des eaux salées. En Bretagne, ces deux parties de l’appareil ne pouvant être que fort éloignées verticalement, il fallait pourvoir à l'équilibration de tiges très-longues, très-rigides et, dès lors, très-pesantes, destinées à les réunir. ‘Ces dis- semblances sur lesquelles nous n’insisterons pas davan- tage, suffiront à tous ceux qui se sont occupés de ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. 503 mécanique appliquée, pour qu’ils entrevoient combien de graves difficultés l'ingénieur de Huelgoat devait s'attendre à rencontrer sur sa route. Afin de ne pas abuser des moments de l’Académie, nous allons maintenant parcourir avec rapidité, les ques- tions traitées dans les divers chapitres du Mémoire qu’elle _a soumis à notre examen. Puisque le secours des figures nous manque, on nous permettra toutefois de dire, avant d'entrer en matière, et cela avec l’espérance d’être com- pris de ceux même qui n’ont jamais vu une machine à colonne d’eau, que la forme et les mouvements d’une semblable machine ressemblent complétement à ceux de la machine à vapeur ordinaire : ici c’est le ressort de la vapeur d’eau qui détermine les oscillations du piston, là ces mêmes oscillations sont engendrées par l’action, tantôt possible et tantôt supprimée, d’une longue colonne liquide dont la pression, évaluée en atmosphères, s’ob- tient en divisant sa hauteur verticale par 10". /4 (32 pieds). Avant de faire exécuter ses appareils, M. Juncker avait à discuter les avantages respectifs des machines à colonne d’eau à simple et à double effet : il trouva qu’à Huelgoat , les premières devaient obtenir la préférence. Le jaugeage des eaux d'infiltration lui apprit qu’il aurait chaque jour à extraire d’une profondeur de 230 mètres, plus de 5,000 mètres cubes d’eau. La force motrice dont il pouvait disposer dans le même temps, résultait de plus de 30,000 mètres cubes de liquide tombant de 61 mètres de hauteur; mais la masse des eaux d’in- filtration est susceptible d'augmentation; à Huelgoat on a même toute raison de craindre une prochaine irruption 504 ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. de liquide; d’ailleurs, une machine, quelle qu’en soit la construction, doit se déranger tôt ou tard; il fallait donc songer à avoir deux machines, mais non solidaires. Partant de ces données générales, M. Juncker calcule le diamètre des pistons principaux, après avoir déter- miné les limites pratiques de vitesse qu’on ne saurait dépasser dans ce genre de machines sans des inconvé- nients graves. Ces diamètres, il les fixe à plus d’un mètre. Désormais c’est de la machine construite, de la machine en place, que M. Juncker nous entretiendra. Le premier objet dont il donne la description, est le régulateur hydraulique qui se trouve placé à côté du corps de pompe principal. Ce merveilleux appareil anéantit peu à peu, mais vers la fin de la course seu- lement, toute la vitesse dont le piston moteur est animé; il dispose ensuite ce dernier à reprendre sa marche par degrés insensibles. Ce sont les plus subtiles prescriptions de la mécanique rationnelle mises en pratique. Aussi à Huelgoat, disent, avec l’auteur, tous ceux qui ont visité l'établissement, il est impossible d’apercevoir sur aucun point, la moindre manifestation matérielle de force vive, de chocs, de contre-coups ou de vibrations. Les mouve- ments s’y effectuent avec un moelleux et un silence qu’au- cune autre machine ne présente au même degré. Des parties organiques, M. Juncker passe à plusieurs dispositions qui, pour être secondaires, n’en méritaient pas moins une mention spéciale et détaillée ; mais vos commissaires ne sauraient s’y arrêter sans dépasser les limites du rapport dont vous les avez chargés. Ils ne peuvent cependant se dispenser de dire quelques mols ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. 505 d’une partie fort essentielle de la machine d'Huelgoat que M. Juncker appelle le balancier hydraulique. La puissance des machines jumelles proprement dites placées près de l'entrée de la galerie d'écoulement, se transmet aux pompes établies au fond de la mine, par deux systèmes de tirants verticaux. Des considérations étrangères aux principes de l’art, ont forcé l'ingénieur à construire l’un de ces attirails en bois. L'autre est en fer et ne pèse pas moins de 16,000 kilogrammes. A chaque mouvement descendant de la machine, cette masse de 16,000 kilogrammes descend elle-même verti- calement d’une longueur égale à l'amplitude de l’excur- sion du piston. Si l’on n’y avait pourvu à l’aide d’une équilibration convenable, pendant l’oscillation opposée de ce même piston, on aurait donc eu, et cela en pure perte, à soulever la chaîne. Son énorme poids se serait ainsi ajouté à celui de la quantité d’eau que le refoule- ment amène sans cesse dans le tuyau de la pompe d’épuisement. Après avoir posé le problème, M. Juncker se livre, dans son Mémoire, à un examen minutieux des avan- tages et des inconvénients des divers modes d’équi- libration adoptés par les mécaniciens. Il nous suffira de dire que celui dont M. Juncker a fait usage, est inhé- rent à la machine; qu’il agit sans aucun intermédiaire de corps solides, et avec une continuité inaltérable, tan- tôt pour seconder la puissance, tantôt pour mettre un frein à la libre descente du piston et des chaînes ; qu’il offre une sécurité absolue ; nous ajouterons, enfin, qu’il se fonde sur le principe même des machines à colonne 506 ÉLÉVATION DE L'EAU DES MIXES. d’eau et sur l’idée bien simple de placer tout l'appareil en contre- bas de la galerie d'écoulement. De cette manière, la colonne de chute étant allongée, la force motrice se trouve avoir reçu l'accroissement nécessaire pour soulever l’attirail, Les pompes foulantes sont une invention si ancienne À si répandue, tant d’habiles mécaniciens ont eu intérêt à les perfectionner, que nous ne pouvions guère espérer de rencontrer quelque chose de neuf dans le chapitre où M. Juncker a décrit celles de ces pompes qui, dans la machine d'Huelgoat, ramènent à la surface les eaux d'infiltration de la mine. Eh bien, nous avons été agréa- blement détrompés, car l’auteur a trouvé le secret d’in- troduire diverses améliorations dans cette partie de son appareil. Aussi chacun y remarque-t-il maintenant le même moelleux, la même absence d’ébranlement et de bruit que dans la machine motrice ; aussi, le produit théorique de la pompe, calculé et d’après l’amplitude des oscillations du piston et d’après son diamètre, ne surpasse-t-il que d’un trentième le produit effectif, tandis que dans certaines machines analogues, construites sur de bons systèmes et bien exécutées en apparence, le mécompte s’est élevé fréquemment à un quart, | Le système adopté par M. Juncker imposait la néces- sité de suspendre l'appareil moteur lui-même dans le vide d’un puits de 230 mètres de profondeur. De là, des difficultés d'établissement que cet ingénieur a surmon- tées par dés moyens auxquels les constructeurs les plus expérimentés ne refuseront certainement pas la plus entière approbation. Le pont en fer jeté sur le puits, et ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. 507 qui supporte toute la machine, offre une si parfaite soli- dité, que la main n’y peut découvrir le moindre frémis- sement, même à l'instant où les pistons commencent à recevoir l'impulsion de l’eau motrice. … Un ingénieur prévoyant ne pouvait manquer de porter son attention sur la possibilité de quelque rupture dans un mécanisme composé de tant de lourdes pièces, et sui les accidents qui en seraient la conséquence inévitable. Qu'on se figure, par exemple, le piston principal de la machine, détaché de la résistance à la suite de la rup- ture du tirant supérieur ! Soumis alors à tout l’effort du moteur, il monterait dans le corps de pompe avec une vitesse accélérée, et, parvenu au terme de sa course, il ne saurait manquer de produire d'énormes dégâts. D'un autre côté, l’attirail abandonné à lui-même tomberait de tout son poids. En se rappelant que ce poids, pour lattirail en fer, est de 4,600 kilogrammes, tout le monde comprendra quels ravages s’opéreraient le long des parois du puits, dans les tuyaux ascendants et au fond de la mine. D’ingénieuses dispositions ont été adop- tées par M. Juncker pour parer entièrement à la double catastrophe que nous venons de faire entrevoir. Plusieurs usines concoururent dans le temps à la con- struction de la machine d'Huelgoat. M. Wilson, de Cha- renton, fit exécuter, sur les dessins de M. Juncker, la machine proprement dite. M. Emile Martin, de Four- chambault, fabriqua le long système de tirants dont nous avons si souvent parlé; d’autres fournirent les tuyaux. Ces tuyaux essayés à la presse hydraulique sous une pression supérieure , il est vrai, à celle qu’ils devaient 508 ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. supporter, se trouvèrent tellement poreux, que l’eau jaillissait de leur surface dans toutes sortes de directions, en filets plus ou moins capillaires. Pour remédier à cet inconvénient, M. Juncker s’avisa d’un moyen qui déjà, nous le croyons du moins, avait été employé par d’autres ingénieurs. Les tuyaux défectueux furent remplis d’huile de lin siccative, , Puis soumis à l’action de la presse hydrau- lique alimentée elle-même avec de l’huile de lin ordi- naire, Aucun suintement gras ne se fit remarquer exté- rieurement, et, toutefois, l'opération avait obstrué les pores, puisque ces mêmes tuyaux essayés quelque temps après avec l’eau se montrèrent imperméables, et que depuis qu’ils sont en place, pas une goutte de liquide ne s’est échappée sous des | ts de 45 ù 20 atmo- sphères. : A la suite de PAS dont nous venons de rendre compte, la fonte grise des tuyaux se trouva couverte, à l'intérieur, d’un enduit ou vernis fortement adhérent, qui la défend contre l’oxidation et même contre l’action des eaux acides de la mine d'Huelgoat. Ne serait-ce pas là, dit M. Juncker, un moyen simple d'empêcher la précipi- tation si fâcheuse de tubercules ferrugmeux qui s’opère dans les tuyaux de conduite des fontaines de Grenoble? Disons, en terminant, que tant d’études, tant d’in- génieuses combinaisons , tant de travaux, tant d’expé- riences n’ont pas été en pure perte. La machine d’'Huel- goat a réalisé toutes les prévisions de la science. Depuis trois années et demie, elle fonctionne, nuit et jour, à l'entière satisfaction des propriétaires. La régularité, la douceur, le moelleux de ses mouvements, l’absence com- ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES. 509 plète de bruit, ont été un juste sujet d’admiration pour les ingénieurs de divers pays qui l’ont examinée, Il est vraiment regrettable qu’une machine si belle, si puis- sante, si habilement exécutée, et qui fait tant d’honneur à notre industrie, soit reléguée à l’une des extrémités de la France, dans un canton rarement visité. Elle n’aurait pas manqué, sans cela, d’exciter le zèle des propriétaires de mines, et les machines à colonne d’eau remplace- raient déjà, sur beaucoup de points, des moyens d’épui- sement qui sont à la fois un objet de pitié pour le méca- nicien qui les étudie, et une cause de ruine pour le capi- taliste qui les emploie. Puisse la publicité que reçoit aujourd'hui le succès de M. Juncker, hâter un résultat que nous appelons de tous nos vœux, et qui contribuera certainement beaucoup au développement de la richesse nationale. Le Mémoire, disons mieux, ouvrage dont nous venons de rendre compte à l’Académie, est accompagné de planches magnifiques à grand point, où les ingénieurs trouveront tout ce qu’il leur importe de savoir sur la forme et l'ajustement des diverses parties de la machine d’Huel- goat. Nous devons ajouter qu’il est rédigé avec méthode, avec clarté, avec précision, et, ce qui ne gâte jamais rien, avec une rare élégance. L'auteur, à chaque page, rend justice pleine et entière à tous ceux qui, par leurs conseils directs ou par leurs travaux antérieurs, lui ont été utiles. On voit que sa modestie est de bon aloi, que sa reconnaissance est sincère : il ne se borne pas comme tant d’autres, à faire strictement ce qu’il faut pour échapper aux réclamations. Ce bel ouvrage sera désormais le 510 ÉLÉVATION DE L’EAU DES MINES. manuel obligé de tous ceux qui voudront exécuter de puissantes machines à colonne d’eau ; mais, on nous per- mettra de le dire, il doit avoir un autre genre d'utilité : après avoir lu, chacun pourra par un nouveau nom propre , détromper ceux qui, bien à tort, se persuadent qu'aujourd'hui Paris absorbe tous les hommes d'élite. Le travail de l'ingénieur d'Huelgoat, quelque peu disposé qu’on soit à une pareille concession, prouvera combien les connaissances théoriques puisées dans nos écoles, éclairent utilement le praticien; combien de tâtonne- ments, de mécomptes, de dispendieuses bévues elles lui épargnent ; enfin l’habileté consommée dont M. Juncker a fait preuve dans la conception et le placement de sa superbe machine, apprendra aux capitalistes, si d’autres exemples éclatants ne les ont déjà détrompés, que des ingénieurs français ne manqueront pas à leurs projets, quelque gigantesques qu’ils puissent être. | Vos commissaires se seraient empressés de solliciter l'insertion du Mémoire de M. Juncker dans le Recueil des savants étrangers, S'ils n'avaient appris que l’adiministra- tion des Ponts et Chaussées et des Mines doit le publier très-prochainement. Nous nous bornerons donc à pro- poser à l’Académie de vouloir bien accorder son appro- bation à ce beau travail, mais en regrettant que les usages n’autorisent pas la demande d’un témoignage de satisfac- ton plus éclatant ! SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS I | CONSTRUCTION DE LA SALLE DES SÉANCES DE LA CHAMBRE ; , DES DÉPUTÉS ! Le vif déplaisir que la Chambre parut éprouver lors- qu'une communication ministérielle lui apprit, le 13 sep- tembre dernier, que la construction de la nouvelle salle et de ses dépendances, coûterait près de 4,000,000 de fr. , imposait aux commissaires une obligation dont ils vont s'acquitter. Il leur a semblé que des députés qui placent la stricte économie des deniers publics au premier rang de leurs devoirs, attacheraient quelque importance à tra- cer une ligne de démarcation tranchée entre les disposi- tions sur lesquelles ils sont appelés à voter, et certains actes antérieurs très-susceptibles de critique, mais au- jourd'hui malheureusement irrévocables. Ces actes, en dernier résultat, imposeront au pays, pour l’établisse- ment de cette seule Chambre, une dépense de près de | 10,000,000 de fr., ou, ce qui est la même chose, un loyer annuel d’un demi-million. 4. Rapport fait le 6 octobre 1831 au nom d’une commission com- posée de MM. Mallet, de la Pinsonnière, Didot (Firmin), du Meilet, Bellaigue, le comte de Laborde, Barbet, Cabet, Arago. _ 512 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. L'ancienne salle des séances avait été construite à la hâte pendant la dernière année du règne de la Con- vention. En 1814, cette salle et la portion du palais Bourbon qu’occupait le Corps législatif, furent affectés à la Chambre des députés par une ordonnance de Louis XVIII, datée du 14 juin. En vertu de cette ordonnance, la Chambre s'installa dans le palais pendant les sessions de 1814 et de 1815. Un bail de trois ans fut passé, en 1816, avec le prince de Condé, pour le prix annuel de 442,000 francs, les contributions comprises. À l'expiration du bail, en 18149, on ne le renouvela pas : la Chambre ne continua à dispo- ser des anciens bâtiments que par tacite reconduction. Dans le courant de l’année 1827, l’État acheta la por- tion du palais que la Chambre occupe aujourd’hui, pour la somme de 5,500,000 francs. Ce marché, qui donna lieu à des suppositions d’une si fâcheuse nature, dut paraître à tout le monde d’autant plus onéreux, qu’à l’époque où il fut conclu, la grande salle avait déjà donné de sérieuses inquiétudes. En 1822, par exemple, il s'était manifesté un tassement considérable dans la galerie circulaire con- duisant au premier étage; en 1824, on avait reconnu que la charpente formant l'enceinte circulaire de la salle était vermoulue; que le faux plancher au-dessus de la colon- nade tombait en pourriture, qu’il s’opérait un affaisse- ment graduel dans la voûte, etc., etc. Quoi qu’il en soit le contrat de vente était à peine enregistré, qu'une com- mission d’architectes expérimentés déclara que si, dans le délai de trois ans, la salle n’était pas reconstruite avec des matériaux neufs, on ne pourrait pas, sans danger, y SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 513 tenir les séances. Une nouvelle commission reconnut, en effet, en 1829, que la démolition était urgente : elle fut donc ordonnée par le ministre de l’intérieur, et exécutée sur-le-champ, Il fallut, dès ce moment, pourvoir à l'établissement provisoire de la Chambre, L'administration, cette fois, appela la concurrence, et la salle dans laquelle se tien- nent les séances aujourd’hui, coûta seulement 136,653 fr. Pourquoi est-il nécessaire d’ajouter que la très-petite portion de jardin que cette salle recouvre, et dont l’État avait la nue propriété, fut louée du prince de Condé la somme exorbitante de 30,000 fr. par an? Le 25 juin 1827, l'architecte de la Chambre, M. de Joly, présenta au ministère pour la reconstruction de la salle définitive, cinq projets distincts sur lesquels six commissions différentes furent successivement appelées à délibérer. Mais, il importe de le remarquer, l'examen ne portait alors que sur quelques dispositions générales et particulièrement sur la forme de la salle nouvelle, sur ses propriétés acoustiques, sur les moyens d'éclairage et de chauffage. L’un de ces projets fut adopté en conseil des ministres, le 21 avril 1828. L'ordre de commencer les travaux et de les pousser avec une grande activité est du 6 juin de la même année. Il résulte de cet ordre, la circonstance fort singulière, que la direction des travaux publics de Paris n’intervint en aucune manière dans l'examen des projets. Ici, d’ail- leurs, comme pour tant de canaux inachevés dont la Chambre a eu le pénible devoir de s'occuper dans une de ses précédentes séances, l’exécution fut commencée sur VL — 1x, 34 544 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. la présentation d’un simple aperçu des dépenses et avant la production de devis étudiés. Nous n’hésitons pas à le dire, si la Chambre ‘ne découvre pas les moyens de rendre à l'avenir de telles irrégularités impossibles, tous les efforts qu’elle fera pour améliorer notre situation financière seront complétement impuissants. Ce problème nous semble devoir être l’objet de ses plus sérieuses réflexions. On lit dans l’exposé des motifs du projet de loi soumis à notre examen, « que la dépense définitive pour la salle et la bibliothèque, ainsi qu’on l'avait prévu, a dépassé de beaucoup l'évaluation primitive. » En effet, cette éva- luation était, suivant M. le ministre du commerce, de 1,600,000 francs, tandis que la dépense réelle doit se monter au double, La Commission de la Chambre ne pense pas que de telles erreurs dans des évaluations de dépenses doivent jamais être tolérées. Elle a donc recherché ce qui avait pu y donner lieu; or, plus nous étions enclins à nous mon- trer sévères envers l'architecte quand nous le jugions d’a- près les simples apparences, plus nous devons mettre de soin à faire ressortir sa justification depuis qu’un examen attentif des pièces nous a prouvé qu’il n’a pas mérité les reproches que nous voulions lui adresser. Les premiers projets, disons mieux, les premières esquisses de M. de Joly, sont du 22 janvier 1828. Celle qui se rapproche le plus du projet définitivement exé- cuté, était accompagnée d’un devis provisoire montant à la somme de 2,438,64h fr. et non pas à 4,600,000 fr, comme le dit par erreur l'exposé des motifs. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 5415 Les devis définitifs furent remis à l'administration en juin 1829. Ils s’élevaient à la somme de 3,200,000 fr., non compris les tableaux, les statues et les bas-reliefs, Deux causes principales, comme M, le ministre l’a fait connaître, ont amené la différence de plus de 700,000 francs entre la dépense présumée et la dépense réelle. On avait d’abord espéré que la nouvelle salle pourrait être établie sur les fondations de l’ancienne, mais il fallut renon- cer à ce projet à cause d’un vice inconcevable des premières fondations qui ne fut et ne pouvait guère être reconnu qu'après qu’on eut opéré quelques démolitions. On trouva aussi que les espèces de pierres sur le prix desquelles l'architecte avait établi ses premiers calculs, n’étaient ni assez solides, ni assez belles. Il fut décidé qu’elles seraient remplacées par des pierres d’un prix beaucoup plus élevé, La convenance de ce changement pourrait, jusqu’à un certain point, être contestée. Au surplus, nous nous en sommes assurés, elle n’a pas été provoquée par M. de Joly; c’est au ministère de l’intérieur que la détermina- tion fut prise ; elle est du 2 décembre 1898, En résumé : Le local que les assemblées législatives occupaient avant la restauration, a été payé au prince de Condé 5,500,000 francs; c'est à très-peu près la somme qu’il >ût fallu dépenser pour approprier aux besoins de la Bhambre le bâtiment inachevé du quai d'Orsay. La construction de la nouvelle salle et de ses dépen- dances aura coûté 2,700,000 francs. On y remarque un luxe au moins très-inutile. De magnifiques colonnes de marbre blanc de Carrare; de larges revêtements en mar- 516 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. bres colorés des Pyrénées, figureront peut-être assez mal dans une enceinte qui doit retentir sans cesse du mot d'économie. | Les bas-reliefs, les tableaux commandés depuis long- temps, et destinés à retracer divers événements de notre révolution, sont portés sur les devis pour une somme de 390,000 francs. Nous ne ferons aucune remarque sur cette partie de la dépense. La plupart de nos peintres, de nos sculpteurs, sont inoccupés aujourd’hui. Ils se trouvent dans une position vraiment pénible. Les regards des députés de la France se reposeront d’ailleurs avec un juste sentiment d’orgueil sur des productions qui forment une portion si brillante de la gloire nationale. Les bâtiments, destinés à renfermer la bibliothèque, coûteront, suivant le devis, environ 500,000 fr. Cette dépense aurait pu être évitée. Il eût suffi d'ouvrir quel- ques portes, de construire un escalier de quatre marches, pour donner à l’ancien local toute l’extension désirable, Une nouvelle bibliothèque faisait partie du projet géné- ral, adopté au commencement de 1828; mais M. de Martignac en avait ajourné la construction, soit que la dépense lui parût pour le moment trop considérable, soit qu’il eût reconnu la justesse des nombreuses critiques que cette partie du plan de M. de Joly avait soulevées dans le sein de la Chambre. On n’a commencé à y travailler qu'en 1831, par suite d’un ordre du ministre de l’inté- rieur, en date du 1‘ mars. A cette époque, nous devons le rappeler, les besoins de la classe ouvrière étaient impérieux; et si l’on nous SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 517 eût prouvé qu'il n’y avait pas alors à Paris des construc- tions projetées d’une utilité plus réelle, nous aurions sup- primé ces remarques. Au surplus les murs d'enceinte sont déjà assez élevés; et, comme tout le monde a pu s’en apercevoir, ils se rattachent au principal corps de bâtiment d’une manière si malheureuse, qu'il faudra les masquer du côté du quai par des plantations. La Chambre regrettera sans doute avec nous, que trois ministres de l’intérieur se soient écartés, à l’occasion des grandes constructions dont nous venons de parler, des obligations qui leur étaient tracées par les disposi- tions de plusieurs décrets impériaux qu’une longue expé- rience avait sanctionnés. Des adjudications avec concur- rence et publicité auraient probablement amené de nota- bles réductions dans les prix qui ont été consentis pour les travaux du serrurier, du maçon et du marbrier. Les motifs qu’on a allégués, pour justifier ces irrégu- larités, n’ont aucunement convaincu la Commission ; nous ajouterons même que nous eussions désiré ne pas trouver dans les actes qui ont passé sous nos yeux, l’obli- gation imposée, le 12 mars 1829, au serrurier, de n’em- ployer dans la construction du comble, que des fers provenant d’une certaine usine qu’on lui désigne, et le marché pour la fourniture des tapis montant à la somme de 29,264 fr., conclu le 24 janvier 1831 sans publicité ni concurrence, C’est aux Chambres, nous le répétons, à prescrire, pour l'avenir, des règles conservatrices des deniers pu- blics, bien claires, bien positives, bien arrêtées, dont il soit, en un mot, imposible de s’écarter. Notre tâche devait 518 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. se borner à signaler, comme nous venons de le faire, tout ce qui nous a semblé pouvoir être l’objet d’une critique ou d’un bläme. Nos remarques, pour le moment, seront sans résultat, car, nous l’avons déjà dit, les marchés passés avec les entrepreneurs ne pourraient pas aujourd’hui être annulés. Ce qu’on a déjà exécuté de travaux de maçonnerie pour les bâtiments de la nouvelle bibliothèque, a coûté 250,000 fr. : c’est la moitié de la dépense totale. Il n’est donc plus possible d’hésiter : il faut terminer toutes les constructions dans le plus bref délai possible. La de- mande que le gouvernement a faite d’un crédit supplé- mentaire de 500,000 fr., applicable à 1831, conduira à ce but. Si cette somme est allouée, comme la Commis- sion le propose à l'unanimité, la grande salle sera livrée dans le mois de mars prochain et on fera quelques éco- nomies sur les frais d'agence, de conservation et sur les honoraires de l'architecte; car, pour une masse détermi- née de travaux , il reçoit d’autant moins, que l'exécution embrasse un moindre nombre d'années, ‘ IL ACQUISITION DE L'HÔTEL DE CLUNY ET DE LA COLLECTION DE DUSOMMERARD Messieurs, le projet de loi qui nous a été présenté pour l’acquisition de l'hôtel de Cluny et de la collection de 1. Rapport fait le 17 juin 1843 à la Chambre des députés, au nom d’une Commission composée de MM. Fulchiron, Taillandier, de Golbéry, Boulay (Meurthe), Arago, Leprevost, Oger, Demesmay, Vitet. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 519 M. Dusommerard, a. soulevé dans le sein de votre Commission, et devait soulever, en effet, cette série de questions : Est-il utile, nécessaire, est-il urgent de créer à Paris un Musée gentral, où seraient recueillis et convenable- ment placés les monuments de toute espèce susceptibles de jeter quelque jour sur l’histoire politique, littéraire, artistique et industrielle de la France? | Le Musée serait-il convenablement établi à l’hôtel de Cluny ? L’ancienneté de cet hôtel, son mérite architecto- nique, son étendue, sa position, les souvenirs qui peuvent s’y rattacher, commandent-ils impérieusement de le choisir de préférence à tout autre édifice? Le prix demandé par les propriétaires de l'immeuble est-il équitablement fixé ? | La collection de M. Dusommerard formerait-elle utile- ment le noyau du nouveau Musée? Enfin, cette collection vaut-elle réellement les 200,000 francs qu’on en demande? Toutes ces questions ont été résolues affirmativement par votre Commission, à l’unanimité des suffrages. Voici les considérations, les calculs sur lesquels notre décision s’est fondée. ; Vos commissaires sont promptement tombés d'accord sur l'utilité d’un Musée de monuments nationaux. De semblables établissements s'élèvent à l’envi dans les principales villes de l’Europe. Partout on s'attache à réveiller, par les yeux, les souvenirs des temps passés. Partout les antiquaires, les chronologistes, les érudits, trouvent dans les édifices, les peintures, les armes, les 520 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. meubles de nos aïeux, des moyens de combler de grandes lacunes de l’histoire écrite. La prétention de reconstruire les annales des anciens peuples d’après les seuls monu- ments est une exagération évidente, mais ce n’est qu’une exagération. Jetez à terre les colossales pyramides de Gizeh; ces immenses palais de Thèbes, devant lesquels notre vaillante armée d'Orient, frappée d’admiration, s'arrêta pour battre des mains; les édifices d'Esné, de Denderah, etc., nous le demandons, aura-t-0n une juste idée de la puissance du peuple qui foulait, il y a trois mille ans, les riches contrées traversées par le Nil? Supposons qu’un tremblement de terre, qu'un cata- clysme ait renversé et enseveli le Parthénon, le temple de Thésée, les incomparables statués grecques de nos musées, à qui persuaderait-on qu’un coin de terre presque imperceptible sur la carte, ait joué le rôle que les histo- riens, les orateurs, les poëtes grecs lui ont attribué ? Supprimons enfin les chroniques de pierres pour nous servir de l'expression d’un auteur moderne, et les des- criptions que les auteurs arabes ont données de l’Alhamrà de Grenade, de la Mezquita de Cordoue et du palais d’Azarah , deviennent des chapitres des Mille et une nuits. Nous en appelons, Messieurs, à toute personne qui a pu visiter dans les musées de Naples les collections arrachées aux villes souterraines d'Herculanum et de Pompeï : des objets de petites dimensions, de simples meubles, des instruments, des outils, voire des usten- siles de ménage, ne sont-ils pas aussi féconds en en- seignements que les grands édifices? L’historien. l'ar- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 524 tiste, l'homme d’État, l’homme du monde, voient tous ces objets avec curiosité, les étudient avec fruit. Déjà, d'ailleurs, un semblable établissement a été créé dans notre pays, et cela avec un succès populaire, c’est-à-dire avec le succès le plus honorable de tous, car, envisagé dans son ensemble, le peuple, comme on l’a dit, a plus de jugement, de tact et d’esprit que les hommes les plus éminents considérés un à un. À part un petit nombre d’exceptions, les grandes salles du Louvre ne sont guère parcourues que par des désœuvrés. Le musée des monu- ments français de la rue des Petits-Augustins, si malheu- reusement détruit et dispersé pendant la Restauration, était, au contraire, visité journellement par une foule studieuse et recueillie. Dès les premiers pas qu’on faisait dans ce regrettable musée, le culte de l’art se mariait à de vifs sentiments de nationalité, et il était rare que fa lecture attentive de quelques chapitres de notre histoire ne terminât pas la journée des visiteurs. Malheur aux générations qui dédaignent les souvenirs! leur rôle n’aura point d'éclat. Le passé et le présent sont toujours solidaires par quelques points. Soyez-en certains, Messieurs, celui dont le cœur ne bat pas en lisant la relation des triomphes de Condé, de Turenne, de Vauban, de Duquesne, de Jean Bart, de Duguay-Trouin, enten- drait sans émotion le récit d’une bataille moderne qui aurait été défavorable à nos armes. Nous trouvons, Messieurs, dans l’ensemble des établis- sements de Paris, des collections grecques, romaines, égyptiennes; les Sauvages de l'Océanie eux-mêmes n’ont pas été oubliés; il est temps de penser quelque peu à 522 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. nos ancêtres ; faisons que la capitale de la France ren- ferme aussi un musée historique français, L'hôtel de Cluny est la fin du xv° siècle. Son archi- tecture tient à la fois de deux styles, dont l’un mourait tandis que l’autre commençait à se répandre. Les esca- liers, les tourelles, les fenêtres du dernier étage, la galerie supérieure, offrent des sculptures d’un travail délicat et précieux. La chapelle, antique oratoire dés abbés de Cluny, est un chef-d'œuvre d’ornementation gothique. L'hôtel, quoiqu'il n’eût été originairement bâti que pour devenir la demeure des abbés de Cluny pendant les séjours de courte durée qu’ils faisaient à Paris, donne quelques précieux enseignements et réveille divers souve- nirs historiques. Et d’abord, quelle marque plus signifi- cative de la prodigieuse richesse des moines de Saint- Benoît, que la magnificence du pied-à-terre du chef de l’ordre, Georges d’Amboise? L'hôtel de Cluny devint momentanément, en 1515, la demeure de la veuve de Louis XII Malgré la tradition, nous nous garderions d'assurer que l’élégante chapelle dont nous avons déjà parlé, vit réellement, et accompagné des circonstances singulières que les romanciers ont propagées, le mariage de la reine déchue avec le duc de Suffolk; il paraît du moins certain que Jacques V, roi d'Écosse, amenant avec lui 16,000 soldats pour prendre part à la grande lutte de François I‘ contre Charles-Quint, descendit à l’hôtel de Cluny et y épousa Madeleine, fille du roi de France. Plus tard, en 1565, nous voyons le cardinal Charles de Lorraine cherchant un refuge dans le même édifice, après la rude leçon d’humilité que le maréchal de Mont- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 523 morency lui donna près de la rue Trousse-Vache. Les nonces du pape, attirés par le voisinage de la Sorbonne, obtinrent pendant quelque temps de faire leur séjour dans le célèbre hôtel abbatial. Au xvrr' siècle, la célèbre . Marie-Angélique Arnaud, abbesse de Port-Royal, résida dans la même enceinte. Cette circonstance réveillerait sans effort le souvenir de plusieurs des grandes illustra- tions littéraires du siècle de Louis XIV : Arnauld, Le Maistre de Sacy, Nicole, Pascal et Racine. Enfin, on ne pardonnerait pas au rapporteur de la Commission d’ou- blier que la tourelle orientale de l’édifice fut jadis un observatoire où Delille, Lalande, Messier, exécutèrent des travaux d’une certaine célébrité. Ce serait, Messieurs, un acte intelligent et très-digne d’éloges, que de conserver la seule maison historique du vieux Paris, ne fût-ce que pour montrer quels étaient le style, le luxe et la coquetterie des habitations, à une époque où cependant il n’existait ni ponts sur la Seine, ni quais sur ses rives, ni pavage dans la plupart des rues, ni éclairage public. Préserver cette maison unique de la destruction, deviendra, suivant nous, un devoir sacré, s’il est vrai qu’elle puisse recevoir le musée des monuments français. La Commission le reconnaît et le déclare nettement, l’hôtel de Cluny tout seul, malgré sa grande cour, malgré son jardin, n'aurait pas assez d’étendue pour contenir la nombreuse collection d’objets de toute dimension qui feraient nécessairement partie du musée projeté; elle se hâte d'ajouter que l'hôtel est contigu à l’immense bâti- ment connu sous le nom de palais des Thermes; qu’en 524 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. enlevant la maçonnerie légère qui bouche une simple arcade, les deux édifices seraient en pleine et libre com- munication; que la ville de Paris, enfin, s’est engagée, non pas seulement à céder les Thermes, comme le dit l'exposé des motifs, mais à les donner à l’État en toute propriété, | Quelques mots d’éclaircissement, et cette donation, envisagée, soit du point de vue élevé de l’art et de l’his- toire, soit sous le rapport purement vénal, ne paraîtra plus dépourvue d'importance comme on a semblé le croire. De tous les édifices d’origine romaine qui, jadis déco- raient Lutèce, il ne reste plus que les Thermes, majes- tueux débris d’un palais immense, construit, suivant toute probabilité, par Constance Chlore. Ces murs furent la demeure de Julien. C’est dans leur enceinte que des soldats révoltés le proclamèrent empereur, en l’an 360.de notre ère. Valentinien, Valens, Gratien, Maxime, habi- tèrent tour à tour le même palais. L’historien y retrouve ensuite Clovis, Childebert et sa veuve , Charlemagne et ses deux filles. Alcuin y composa la plupart de ses ou- vrages. ; Les Thermes de Paris, analogues à ceux de Dioclétien à Rome, offrent aujourd’hui une vaste salle couverte, comparable à ce que l'Italie a conservé de plus beau en ce genre, et des souterrains non moins curieux. Une cour, ou plutôt une pièce dont la voûte est tombée, pré- cède la salle proprement dite des Thermes. Dans cette cour, conformément aux excellentes idées déjà dévelop- pées en 1833 par le fils de l’habile fondateur du musée SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 525 des Petits-Augustins, seraient placés les objets qui n’ont rien à craindre des intempéries des saisons ; par exemple, des fragments celtiques, gallo-romains, des cippes, etc. La salle recouverte abriterait des monuments plus déli- cats et dont plusieurs, qu’on pourrait citer, exposés aujourd’hui à l’action désagrégeante de notre atmosphère, se détruisent avec une déplorable rapidité. Dans le nou- veau musée soit rue de la Harpe, soit rue des Mathurins, le contenant et le contenu seraient également dignes de l'attention des antiquaires, des savants et des curieux. L'économie se joindrait ici au sentiment de l’art pour commander de ne rien changer à l'édifice. Un air de vétusté ajoute toujours infiniment au mérite réel des anciens monuments. Lorsque la ville de Paris devint pro- priétaire des Thermes, en 1836, elle assura leur conser- vation par des travaux bien entendus; faire plus serait de la barbarie. En voyant à nu ces murs où la brique se marie heureusement à des moellons taillés, nos architectes sauront de quelle manière les Romains étaient parvenus à construire pour les siècles; ils seront frappés d’étonne- ment à l’aspect d’une immense voûte d’arêtes encore en très-bon état, quoiqu’elle ait quinze cents ans d’ancien- neté, quoiqu’elle se compose de matériaux de très-petit échantillon, quoiqu’elle ait supporté pendant longtemps une épaisse couche de terre plantée de très-grands arbres. Dans l'hôtel de Cluny , les travaux d’appropriation se réduiraient à la destruction des cloisons et des faux pla- fonds à l’aide desquels il a fallu ramener plusieurs des grands appartements primitifs aux dimensions restreintes 526 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. commandées par le genre de vie et les habitudes des savants , des artistes, des industriels, des propriétaires à modestes fortunes qui les ont-successivement occupés. Il suflit de remarquer, en dehors, sur toutes les faces de l'hôtel, la beauté des pierres de taille, Fhorizontalité presque mathématique des cordons et des frises, la régu- larité de toutes les autres lignes architectoniques, pour être entièrement convaincu que l’intérieur, dans ce qui se trouve actuellement caché, est en parfait état de con- servation, L'architecte du gouvernement déclare, sans hésiter , que le produit de la vente des matériaux provenant des démolitions des cloisons intérieures, des faux plafonds et des constructions inutiles, suffirait pour payer tous les travaux d’appropriation. Les Thermes n’exigeraient au- cune dépense de ce genre qui mérite d’être signalée, L'administration aurait manqué au premier de ses devoirs, si elle n'avait pas considéré que, dans l’état actuel des choses, le nouveau musée serait à peu près inabordable, soit par la rue des Mathurins-Saint-Jacques, soit par la rue de la Harpe. C'était ici le nœud gordien du projet. La ville de Paris l’a tranché avec une Érnie hnatt que la Chambre appréciera. Par une délibération, en date du 27 janvier 1843, le conseil municipal a consenti à relever l'hôtel de Cluny de la servitude dont il était grevé en vertu d’une clause domaniale du 17 pluviôse an vin, et à prendre tout le terrain nécessaire à l'élargissement de la rue des Mathu- rins sur le côté gauche; il s’est engagé en outre à voter, par voie d’expropriation, l'élargissement de cette rue à SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 527 12 mètres, avec des pans coupés aux angles de la rue de Sorbonne, en face de la porte de l'hôtel. _ Le concours de la ville de Paris dans le projet sou- mis à l'approbation de la Chambre, se compose ainsi : 100,000 francs que lui ont coûté l’achat et la réparation du palais des Thermes ; 615,000 francs, montant de la valeur des terrains qu’il faudra retrancher pour l’élargis- sement de la rue des Mathurins. Le contingent de la ville, en supposant que l’architecte ne soit pas resté au- dessous des évaluations futures du jury d’expropriation, s’élèverait donc au total à 715,000 francs. Celui de l’État, quoiqu'il s’agisse d’un monument d’in- térêt national, ne se monterait qu’à 590,000 francs. La ville de Paris débourserait donc 125,000 francs de plus que l’État. La collection Dusommerard se compose de 1,434 pièces distinctes. On y trouve des objets de toute nature, depuis les valeurs les plus minimes jusqu'aux prix de 2,000, de 2,500, de 3,000, de 3,500 et de 7,000 francs. Ces objets sont actuellement entassés dans une partie du premier étage de l'hôtel de Cluny. Un grand pêle-mêle, suite inévitable du défaut d'espace, empêche les visiteurs dont les heures sont comptées et qui voient tout à la course, d'apprécier ce curieux musée et d’en comprendre importance. Le rapide coup d’œil d'ensemble qu’il peut nous être permis de jeter sur la collection, rectifiera, nous l’espérons du moins, bien des fausses idées, Le musée Dusommerard est particulièrement riche en émauæ. Un grand nombre remontent à l’époque byzan- tine. On y trouve des ouvrages capitaux de presque tous 528 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. les maîtres de Limoges aux xvi* et xvr° siècles. Les douze stations de la passion de Léonard (de 1532 à 1560) formant douze plaques bombées, et les coupes de Jehan Courtois (de 1550), prendraient place parmi les plus beaux morceaux de ce genre qui existent aujour- d’hui. Ajoutons que les émaux de Limoges sont rares, très-recherchés, et qu’on en a payé naguère quelques- uns, dans des ventes publiques, à des prix exorbitants. Les poteries et les faïences de la collection méritent une mention toute particulière. On y remarque : la vierge et l’enfant Jésus de Luca della Robbia ; une magnifique tête de nègre ge l’école de Faenza; beau- coup de plats de Bernard de Palissy, très-dignes de la réputation de cet homme de génie. Les vitraux avaient été recherchés par M. Dusomme- rard avec beaucoup d’ardeur, de patience et de succès. On en distingue dans la collection qui proviennent du château d’Écouen: il y en a aussi un assez grand nombre des écoles de Troyes, d'Alsace et de Suisse, parfaitement composés et d’une belle conservation. Les statues et statuettes de M. Dusommerard forment une des principales richesses de son musée. Plusieurs ont une grande valeur, même comme objets d'art. Tels sont les enfants de François Flamand; une ‘statue en marbre de Diane de Poitiers, provenant du château de Chaumont ; une magnifique vierge en ivoire du xIm° siè- cle; un grand nombre de figurines des maîtres du moyen âge, et surtout un figure panthée du Bas-Empire, mor- ceau unique et d’un très-haut prix, trouvé dans un tombeau sur les bords du Rhin, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 529 Plusieurs belles armures complètes et beaucoup d'armes curieusement ciselées ont appelé l'attention de vos com- missaires. Nous avons remarqué, entre autres, l’armure de Claude de Lorraine provenant du château de Join- ville; un magnifique bouclier ciselé du xvi° siècle ; enfin la paire d’étriers qui servit à François I* à la funeste journée de Pavie. Ces étriers, parfaitement authentiques, nous ont paru très-beaux. Nous aurions préféré, toute- fois, les étriers, peut-être moins ornés, de la bataille de Marignan. La collection renferme un bon nombre de tableaux anciens, intéressants surtout par les costumes et les scènes qu'ils représentent. S'il le fallait, nous citerions le sacre du roi David et celui de Louis XIT, peints sur deux grands volets, de la fin du xv° siècle; un portrait de Diane de Poitters par le Primatice ; un portrait de Charles-Quint par Janet, etc. Si nous avons réservé pour la fin de cet abrégé du catalogue l’article des meubles, c’est qu’ils entrent pour un tiers dans la valeur totale que des experts ont donnée à la collection; c’est qu’en ce genre, le nombre et la variété des objets le disputent à la richesse de l’exé- cution, L'immense dentelle en bois ou, si on le préfère, l’im- mense retable provenant de l’abbaye d’Everborn, près de Liège, excite dès le premier coup d’œil la surprise des artistes et des simples amateurs. Sous le point de vue historique, on ne voit pas avec moins d'intérêt: un fau- teuil de René d'Anjou; un lit de François I”; une armoire du xvi° siècle de l’abbaye de Clairvaux, admirablement VI. —111. d/ 530 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. sculptée; un secrétaire de Marie de Gomague, reine de Pologne, etc., etc., etc. | On doit maintenant le comprendre, en écharé du poid de vue historique, déjà longuement signalé, le musée projeté serait d’un immense intérêt pour les artistes; il leur épargnerait bien des anachronismes; il leur fourni- rait des notions précises sur les usages de nos aïeux. Les ouvriers ciseleurs, sculpteurs, ornemanistes, ne sauraient trop étudier la collection Dusommerard. Elle serait pour eux le magnifique complément des écoles de dessin que toutes les villes de France établissent à l’envi, et contri- buerait à conserver à notre fabrique la réputation de. supériorité incontestable dont elle jouit à l'étranger, - Si quelqu'un s’étonnait de notre assurance à disposer ainsi de l’avenir, nous nous empresserions d’avouer que nous venons de raconter le passé. En effet, du vivant de M. Dusommerard, les armuriers, les serruriers, les ébénistes, les ornemanistes, les estampeurs en cuir, les fabricants de poterie, de faïence et de porcelaine, etc., visitaient le musée de la rue des Mathurins avec un vif. empressement. Plusieurs avouent y avoir puisé l’idée de certains perfectionnements qui sont devenus pour eux une source de fortune. Enfin nous ajouterons que diverses livraisons de l'ouvrage du savant magistrat ont été prin- cipalement achetées par de pauvres artisans. Sans aucun doute ceux qui consacraient ainsi leurs épargues à l’acqui- sition de simples dessins, examineront, étudieront Îles objets eux-mêmes avec un soin infini. | La Commission ferait injure à la Chambre, si elle insistait longuement sur les avantages qui résulteraient SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 531 de la position du nouveau musée. Le palais des Thermes et l'hôtel de Cluny touchent presque à l’École de Droit, à l'École de Médecine, au collége de France, à la Sor- bonne, siége actuel des facultés des sciences et des lettres. Mettre chaque jour à la disposition de la brillante jeunesse qui fréquente ces grandes institutions, dans le quartier même où elle demeure, à sa porte, pour ainsi dire, une collection variée, susceptible d’être appréciée par les esprits les plus divers; destinée à compléter sans fatigue les connaissances recueillies dans les cours d’his- toire; éminemment propre enfin à fortifier, à agrandir, à épurer les sentiments de nationalité, ce serait faire concurrence, au profit de la morale, à des établissements dans lesquels beaucoup d'étudiants désœuvrés et sans expérience vont puiser le goût de la dissipation. Après avoir mürement réfléchi sur les considérations que nous venons d'indiquer, les personnes qui semblaient dispo- sées à circonscrire les avantages du nouveau musée dans les limites d’un intérêt simplement parisien, changeront certainement d'avis. En tout cas, la Commission compte avec assurance sur l’assentiment de tous les pères de fa- mille dont les fils viennent achever leurs études dans la capitale. Le budget cette année sera inévitablement voté en déficit; le découvert précédent est considérable; en de telles circonstances, ne faudrait-il pas ajourner une créa- tion dont l’urgence peut paraître douteuse? Telle est, Messieurs, l’objection la plus spécieuse, ou, si on l’aime mieux , la plus sérieuse, qui ait été présentée contre le projet de loi. 532 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Voici notre réponse : Si le musée historique national, dont la nécessité ne semble pas contestée, pouvait être créé en 1844 ou plus tard, tout aussi favorablement qu’en 1843, nous serions grandement d’avis d’ajourner la dépense; mais il n’en est malheureusement pas ainsi. Le palais des Thermes tout seul, l'hôtel de Cluny sans le palais des Thermes, seraient également insuffisants. Les deux monuments réunis forment, au contraire, un tout admirable qu’on ne retrouverait nulle part dans le monde, et qui satisfait amplement aux exigences du présent et de l’evenir. La conservation des Thermes se trouve entièrement assurée depuis que ce monument ap- partient à la ville de Paris; l'hôtel de Cluny, au con- traire , est la propriété d’une dame infirme, et qui a plus de quatre-vingts ans. Le lendemain du rejet de la loi, il pourrait passer aux mains des démolisseurs; des exemples récents n’ont que trop bien montré si ceux-ci vont vite en besogne. | Nous aurions à présenter des observations analogues touchant la collection de M. Dusommerard. Trente années de la vie de cet honorable magistrat ont été laborieuse- ment employées à réunir les objets si nombreux, sivariés, si curieux, que vous pouvez actuellement acquérir. Dans six mois, tout serait peut-être dispersé et en grande partie de l’autre côté de la Manche. Quoique nous soyons arrivés à l'opinion bien arrêtée que les deux acquisitions ne sauraient être ajournées sans dommage, cela ne nous a pas empêchés, car tel était notre devoir, d'examiner avec la plus scrupuleuse attention les SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 533 stipulations pécuniaires, souscrites conditionnellement par M. le ministre de l’intérieur. La Commission s’est fait représenter le rapport de M. l'architecte Visconti, renfermant une estimation dé- taillée des terrains de l'hôtel de Cluny. Ce travail nous a paru consciencieux et exact. Nous avons pu d’ailleurs le contrôler d’après un bordereau authentique des locations actuelles, et, mieux encore, en nous appuyant sur les sommes que la ville de Paris vient de payer, conformé- ment à des sentences du jury d’expropriation, pour des ter- rains bâtis et non bâtis, peu éloignés de l'hôtel de Cluny; pour des terrains situés, soit au coin de la rue nouvelle de Racine, soit dans l'intervalle compris entre la rue de l'École-de-Médecine et la rue Pierre-Sarrazin. Les cal- culs de la Commission, ses vérifications scrupuleuses, l'ont conduite à reconnaître que les 390,000 francs portés au projet de loi, sont la valeur réelle de l’immeuble, abstrac- tion faite de toute considération empruntée à des mérites historiques et à la convenance actuelle de lacquisition, Pour nous éclairer sur la valeur vénale de la collection Dusommerard, nous avons eu sous les yeux un catalogue de cent cmquante et une pages in-4°, où tous les objets, sans exception, depuis les plus minimes jusqu'aux plus considérables, sont soigneusement décrits et évalués. Malgré la loyauté et le mérite bien connus des deux au- teurs de ce remarquable catalogue, il nous a paru que nous devions le soumettre à des vérifications sévères. Nous avons demandé, par exemple, aux plus savants archéologues, à des conservateurs de nos collections pu- bliques, quelle serait la valeur de la figure panthée dont 534 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. * nous avons fait mention plus haut, si elle était vendue séparément. On en a fixé le prix à 5,000 fr. Le cata- logue ne porte que 1,800 fr. Un riche banquier avait offert 3, 000 francs de deux coupes de Jehan Courtois, lequelles, dans les évaluations, figurent seulement pour 4,200 fr. | Les émaux n’ont guère été estimés qu’à la moitié de leur valeur réelle. C’est l’opinion décidée de M. Carrand, un des amateurs les plus éclairés de la capitale. Tous les objets en cristal sont cotés fort au-dessous de ce que la matière brute coûte aujourd’hui aux opti- ciens, etc., etc. | .. Suivant le catalogue, la collection vaut une somme de 221,000 francs. Par des considérations que compren- dront tous les esprits élevés, pour satisfaire d’ailleurs au vœu exprimé dans le testament de M. Dusommerard, que cette collection ne sortit pas de France, la famille du respectable magistrat a réduit ses prétentions à 200,000 francs. Ce prix est très-modéré ; nous croyons unanime- ment qu’il doit être accepté. Nous voici parvenus au terme de la tâche que la Chambre nous avait imposée. Si nous l’avions remplie au gré de nos désirs, il demeurerait maintenant établi : Qu’en formant une collection de monuments français, Je gouvernement comblerait une vaste et très - fâcheuse lacune que présentent actuellement nos musées ; Que nulle part en Europe, peut-être, cette collection ne serait mieux placée que dans le vaste ensemble formé par la réunion du palais des Thermes et de l'hôtel de Cluny ; SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 535 …. Qu'il est urgent de procéder à la création projetée, car l'hôtel étant une propriété particulière, pourrait, du jour -au lendemain, tomber dans les mains des spéculateurs en -bâtiments et être démoli; Gar la belle collection Dusommerard, malgré le vif désir que la famille de l'honorable magistrat a manifesté de la conserver à la France, ne tarderait pas à être dis- persée et passerait en très-grande partie à l'étranger ; Car l'important concours de la ville de Paris n’est que conditionnel, la résolution de son conseil contenant cette clause expresse : « La présente délibération sera consi- dérée comme non avenue, dans le cas où les Chambres ne voteraient pas la fondation projetée du musée d’anti- quités nationales »; Car à la veille du renouvellement d’une notable partie des membres-du conseil municipal de Paris, personne n'oserait affirmer que cette même délibération. serait sanctionnée l’année prochaine. En terminant ce rapport, nous citerons un fait qui nous paraît devoir produire quelque impression. Les collections de tout genre exercent comme une sorte de puissance attractive. Tel musée qui était à son origine assez récente, mesquin, insignifiant, s’est élevé rapide- ment, par des legs, par des cadeaux répétés, à une richesse, à une importance extraordinaires. Ce qui est arrivé à Francfort, par exemple, se reproduira chez nous et sur une beaucoup plus grande échelle. Voyez, Mes- sieurs , nous n’en sommes encore qu’à un projet, et déjà de riches amateurs ont manifesté par écrit l’intention de doter le nouveau musée des monuments français de leurs 536 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. belles collections; plusieurs objets de prix qui allaient traverser les Alpes, le Rhin ou le détroit, ont été arrêtés en route, dès le moment qu’on a pu espérer que l’admi- nistration française les accepterait, et qu’une place hono- rable leur serait réservée. D'ici à peu d'années, si la Chambre s'associe aux vœux de la Commission, la France possédera un musée considérable, d’un genre entière- ment neuf, qui contribuera puissamment à répandre, à perfectionner les connaissances historiques ; qui, de plus, et ce ne sera pas son moindre mérite, jettera au milieu de nos peintres, de nos sculpteurs, de nos manufactu- riers, de nos artisans surtout, des germes précieux et féconds. 1111 ECOLE VÉTÉRINAIRE DE LYON L'École vétérinaire de Lyon date de 1762. Lorsque le vrai créateur de la médecine des animaux, Claude Bourgelat, la fonda, il n’existait encore en Europe aucun établissement de ce genre. À son début, elle n'était en quelque sorte qu'une école privée recevant une faible subvention du gouvernement ; mais les nombreux élèves : 4. J'ai fait quatre rapports sur l’École vétérinaire de Lyon, le Conservatoire des Arts et Métiers, l’École des Arts et Métiers de Chälons, l'Observatoire de Paris, à la Chambre des députés, le 10 juin 1844, au nom d’une Commission composée de MM. Bert, Arago, Mathieu (Saône-et-Loire), Dozon, Cayx, Tavernier, Boulay (Var), Richond des Brus, Dubois-Fresney. 41 s’agissait d’un projet de loi portant allocation d’un crédit de 500,000 fr. pour ces quatre établissements; ce projet renfermait quatre articles entièrement distincts, qui ont été examinés successivement, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 537 nationaux et étrangers qu’elle forma en peu de mois, ayant été appelés à combattre des épizooties meurtrières, Louis XV, pour récompenser leur dévouement, leur cou- rage, leurs succès, accorda à l'institution naissante le titre d’École royale vétérinaire. = En 1766, l'ouverture de l’école d’Alfort porta un coup fatal à son aînée. Les faveurs du gouvernement s’épan- chèrent presque exclusivement sur l'établissement voisin de la capitale; celui de Lyon ne fit plus que végéter. L’ardeur, le dévouement, le mérite distingué de quel- ques-uns des professeurs placés successivement à sa tête, semblèrent de temps en temps le ranimer; mais ce ne furent là que des lueurs passagères. L'École de Lyon allait périr faute de ressources pécu- niaires, et aussi faute d’un local convenable, lorsque la Convention rendit le 29 germinal an m1, un décret qui plaçait les deux établissements nationaux sur le même pied, et leur donnait le titre d’Écoles d'économie rurale et vétérinaire. Aucune décision formelle ne déterminait l'emplacement que l’École de Lyon devait occuper. La ruine des anciens bâtiments la mit dans un grand péril. Enfin, après bien des incertitudes, elle fut transportée provisoirement, en l’an v, à l'Observance, dans le cloître dit des Deux-Amants, occupé avant la révolution par des religieuses de l'Ordre de Sainte-Élisabeth. On ajouta à ce cloître une partie du couvent contigu des Cordeliers. Nous emprunterons à un mémoire intéressant de M. Lecoq, professeur à l’École de Lyon, quelques lignes destinées à faire connaître comment s’opéra ce qu’au- jourd’hui, en style de devis, on appelle l'appropriation. 538 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. « L’habitation des religieux devint celle des professeurs et des élèves; le cellier des Cordeliers fut transformé en écuries ; leur cuisine forma la pharmacie: les cabanons où ils renfermaient les enfants de famille, pour les rame- ner à une conduite régulière, devinrent Îles chenils de l'école, et l’église elle-même, ce beau reste d’architec- ture, fut cédée à l'établissement pour servir ” magasin à fourrage, » | Le local provisoirement concédé en l’an v, ayant été après beaucoup d’hésitations affecté définitivement à l’école, on commença en 1818 à construire de nouveaux bâtiments devenus indispensables, mais ils ne furent pas terminés. L'administration fit rédiger dans le courant de 1837, un projet complet de restauration de tout l'édifice. La Chambre des députés ne le trouva pas suf- fisamment étudié et le rejeta. Cette détermination de la Chambre aura d’heureux résultats, quoiqu’elle doive amener une dépense triple de celle qu’on s’était d’abord proposé de faire. Le projet de 1838, réduit aux proportions restreintes que com- mandait impérieusement l'emplacement dont on pouvait disposer alors, aurait laissé en souffrance plusieurs ser- vices essentiels, et diverses branches de l’économie rurale qu’il importe d'encourager. Depuis lors, administration municipale de Lyon a consenti à céder un espace étendu contigu à l’école. L'extension de superficie résultant du projet de transaction, permettrait de donner à l’établis- sement agricole et vétérinaire de la seconde ville du royaume, tout le développement désirable, | Suivant le devis dressé par les soins de l’architecte, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 539 M. Chabrol, avec le concours de M. Yvart, inspecteur général des Écoles vétérinaires, la somme à dépenser pour la réparation des anciens bâtiments et la construc- tion des bâtiments nouveaux, monterait à 766,000 francs. Larville de Lyon demande, en compensation des sacri- fices qu’elle s'impose, la restauration d’une partie de lPéglise de l’'Observance, qui serait convertie en chapelle à l'usage des habitants du quartier et des élèves vété- rinaires, et la construction d’un bâtiment où pourrait s'installer une école primaire. La somme afférente à ces travaux serait de 53,000 francs. … Vous le voyez, Messieurs, la dépense qu’entraînera , suivant le devis, la construction complète de l’École vétérinaire de Lyon est, en nombre rond, de 820,000 francs. Le gouvernement ne demande pas aujourd’hui la totalité de cette somme. Il a choisi, dans le devis géné- -ral, les objets les plus urgents, les constructions qui ne pourraient être ajournées sans paralyser l’enseignement, -Savoir : fr. La construction des grandes écuries des hôpitaux. . L13,319.74 La construction des petités écuries.....,... A0B61100021788207 La construction des étables à vaches..........,... + 29,704.72 La construction des bergeries....,............... 3,021.80 DAC OUCUIOR AU Chenil... 1.2. 2, 7H HS 5,676.54 La construction des grilles et murs de clôture..... 14,144.00 La restauration de l’église de l’Observance (une des conditions du contrat conclu avec la ville de Lyon).. 34,000.00 153,091.87 Frais d'agence et ouvrages imprévus. ...s...s.... 16,908.13 170,000.00 Les dépenses proposées ne prêtent qu’à un seul genre 540 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. d’objection : elles semblent impliquer, pour la Chambre, l’obligation d'adopter dans l’avenir le projet complet de reconstruction où elles figurent, projet qui n’est point soumis aujourd’hui à notre examen, et à l'égard duquel il ne sera rien statué. N’aurait-on pas à regretter le vote approbatif de cette année, si, plus tard, après une étude approfondie de la question, la Chambre reconnaissait, par exemple, l’inutilité des écoles vétérinaires, ou même seulement l’inutilité de celle de Lyon? N’eût-il pas été préférable de tout décider par un vote d’ensemble, sauf à répartir ensuite la dépense entre divers exercices? Nous n’avons pas voilé les objections; voici les ré- flexions qui n’ont pas permis à la Commission de s’y arrêter. Il n’est pas supposable que jamais un grand pays tel que la France, renonce à entretenir une ou plusieurs écoles vétérinaires. L'étude des maladies dont les ani- maux sont atteints intéresse, au plus haut degré, la richesse agricole, la richesse commerciale et notre puis- sance militaire. Cette seule considération lui méritera un appui constant. Ajoutons que toute découverte, dans le champ de la médecine vétérinaire, réagit heureusement sur les progrès de la médecine de l’homme. Au besoin, des citations nombreuses mettraient cette vérité dans une complète évidence, L'art vétérinaire est-1l tellement simple, comme quel- ques personnes l’imaginent, ses progrès ont-ils été si rapides qu’on n’ait guère à espérer des résultats impor- tants et entièrement neufs? Nous opposerons sans hésiter à de tels doutes, cette y | SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 541 assertion catégorique : « L’art vétérinaire ne fait que de naître ; cet art, savamment envisagé, promet des décou- vertes brillantes qui, pour la plupart, exerceront une grande influence sur le développement de la richesse nationale. » | Que ne nous est-il permis pour justifier notre opinion tou- chant l’état actuel de nos connaissances sur la médecine des animaux, touchant leur état futur, de citer ici les récentes et très-belles recherches à l’aide desquelles M. Rayer, de l’Académie des sciences, paraît avoir mis hors de toute contestation, que la morve et le farcin sont des maladies contagieuses ; que ces hideuses maladies ne se communiquent pas seulement du cheval au cheval, mais aussi du cheval à l'homme, et de l’homme à l’homme ; qu'elles peuvent enfin remonter de l’homme au cheval ou à l’âne. Dans un autre ordre d'idées, nous trouverions, avec une date plus récente encore, les travaux non moins admirables, de M. Boussingault sur les qualités nutritives des fourrages, sur l’engraissement des bestiaux, sur l’ac- tion des fumiers de toute nature, etc. Qu'on se détrompe donc : les écoles vétérinaires ont devant elles un bel avenir de gloire et d'utilité ; mais il ne suffira pas d’y élever des murs, d’y bâtir des amphi- théâtres, d'y aligner des dortoirs, etc. Il faudra aussi y organiser plus fortement l'instruction; il faudra fournir aux professeurs, aux élèves, des moyens de recherche efficaces ; il faudra enfin réunir, dans les écoles éloignées, ‘ des ressources analogues, à celles qu’on trouve à Alfort, près de Paris, En prononçant le nom de l'établissement où le gou- 542 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. vernement a concentré tant d'éléments de succès, nous éveillerons une pensée qui se produira peut-être à la tribune, la pensée que l’école d’Alfort suffirait aux besoins de la France. 138 Voici, d'avance et en quelques mots, comment nous là combattrons. L La centralisation des ressorts administratifs destinés à mettre en mouvement les forces du pays, celles surtout qui doivent concourir directement à la défense du terri- toire, est une des plus précieuses conquêtes de la Révo- lution de 1789. Mais la centralisation dégénérerait en abus intolérable, si on l’étendait à tout, si on allait jus- qu'à deshériter les départemèents des écoles spéciales qu'ils possèdent, si on s’attachait à réunir tous les foyers de lumières autour de la capitale. La suppression de l’École vétérinaire de Lyon amènerait, par une consé- quence logique, celle des écoles de médecine de Mont- pellier et de Strasbourg; or, qui ne sait combien une sage émulation entre des établissements rivaux, est favo- rable aux saines doctrines et fait surgir de découvertes. Accordez toutes vos faveurs à une corporation, investis- sez-la du droit exclusif de conférer des grades officiels, et vous verrez des erreurs déplorables s’enraciner dans les esprits, des pratiques funestes porter leurs ravages dans la société. Les écoles vétérinaires elles-mêmes four- nissent des faits à l’appui de cette triste vérité. : Pour le gouvernement, l’École vétérinaire de Lyon sembla pendant longtemps n’exister que de nom; ce qui en émanait n’avait aucun retentissement officiel ; le publie, imitant en cela Padministration, tint, à tort, très-peu de F SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 543 compte des expériences à l’aide desquelles M. Gohier, célèbre professeur lyonnais, établissait, en 1816, que la morve est contagieuse. De l’École d’Alfort, justement célèbre et devenue toute- puissante par ses rapports journaliers avec le gouverne- ment, par les faveurs dont elle était l’objet, sortait .en même temps la doctrine erronée de la non-contagion de lincurable maladie. … Cette doctrine de l'École privilégiée a fait négliger les précautions sanitaires; il en est résulté dans l’armée des pertes considérables de chevaux; ce qui est plus fâcheux encore, la maladie s’est communiquée à des cavaliers, à des élèves vétérinaires, à des palefreniers qu’elle a frappés.de mort. Or, il faut bien le remarquer, le nombre de ces événements déplorables que la science a pu ca- ractériser, n’est évidemment qu’une très-petite partie de ceux qui ont eu la même cause, sans que les hommes de l’art aient pu s’en douter, . Supposons l’École vétérinaire de Lyon moins aban- donnée de l'autorité, plus en mesure de défendre ses doctrines et de proclamer hautement les résultats des expériences de M. Gohier ; supposons qu’elle compte dans son sein un certain nombre d'élèves militaires boursiers du gouvernement, l'erreur propagée par un enseigne- ment, public aura moins de durée, beaucoup moins de conséquences douloureuses, IL est une dernière considération très-propre, ce nous semble, à frapper les esprits : c’est que les écoles vété- rinaires sont des hôpitaux où l’on traite les animaux malades, où l’on donne journellement des consultations 814 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. gratuites. Les services que rend, sous ce rapport, l’École de Lyon, même dans son état actuel de délaissement, méritent d’être mis sous les yeux de la Chambre : Année scolaire 0, 1840-1841 1841-1842 1849-1843 Animaux traités { Chevaux......... 557 680 600 dans Rumiinants,,..... 10 39 75 les hôpitaux. Carnivores. ...... 451 517 320 1,018 1,236 995 Consultations Chevaux......... ,250 4,598 4,726 gratuites Ruminants....... 20 39 L4 de chaque jour. | Carnivores....... 1,150 1,120 1,000 5,120 5,761 5,770 Ainsi, pendant ces trois dernières années, l’École a reçu dans ses hôpitaux 3,249 animaux malades; on en a présenté à la visite gratuite 16,951, pour lesquels on a donné 25,850 consultations. Cette activité a même pris un accroissement notable dans les premiers mois de l’année que nous parcourons. L'École de Lyon est placée au milieu d’une grande ville, dans le voisinage de quatre départements riches en bestiaux ; elle offre à ses élèves de nombreuses occasions d'étudier toutes les maladies des animaux. Jusqu'à ces dernières années, les Écoles vétérinaires étaient peu occupées des grands ruminants. M. le Ministre de l’agriculture a insisté sur la nécessité de combler cette lacune; il a décidé que les bœufs et les vaches malades seraient traités et nourris gratuitement. De son côté, l’autorité municipale de la ville de Lyon a voulu aussi faciliter ce genre d'étude. Le maire, notre ” SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 345 honorable collègue M. Terme, a déjà donné des ordres pour qu’à l'avenir les bestiaux malades conduits à l’école vétérinaire, puissent arriver, sans consignation de droits d'octroi sur une simple déclaration de M. le Directeur de l'établissement. Ces mesures favorables ont porté leurs fruits; l’École de Lyon reçoit maintenant dans ses hôpitaux les bœufs et les vaches des pauvres. Outre les services rendus chaque jour aux propriétaires d'animaux qui sont présentés à la clinique, l’École envoie des élèves dans les campagnes pour traiter gratis les maladies des bêtes à cornes. Tel est, Messieurs, l’ensemble de considérations sur lequel vos commissaires se fondent, pour vous proposer, à l’unanimité, d’accorder la totalité du crédit demandé en faveur de l'École vétérinaire de Lyon. IV CONSERVATOIRE DES ARTS ET MÉTIERS Lorsque la Convention décrétait la fondation d’un . Conservatoire des arts et métiers, en 1794 (19 vendé- miaire an it), elle comprenait sous cette dénomination un musée de machines, une bibliothèque spéciale et un enseignement industriel. Ce vaste plan n’a été réalisé que peu à peu. Van- dermonde, Le Roy, Conté, Molard, Montgolfier, ces hommes d’un mérite si éminent, furent tour à tour con- servateurs où administrateurs du musée industriel, mais sans remplir de fonctions professorales, sans même se VL —1ix. 99 546 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. mettre habituellement en communication directe avec les visiteurs. ; Des leçons orales, publiques et gratuites n’ont com- mencé au Conservatoire qu’à partir de 1819. Le cadre de cet enseignement s’est graduellement agrandi: au- jourd’hui il est complet. La foule qui se presse à l’an- cienne abbaye Saint-Martin, témoigne de l'utilité des leçons qu’on y donne. Malheureusement les amphithéâtres sont très-petits, mal disposés, et la classe ouvrière souffre particulièrement de cet état de choses. L'administration a fait rédiger un projet qui répon- drait à tous les besoins de l'établissement, dans le présent et pour un grand nombre d'années. Les constructions nouvelles, les réparations, l’achat de deux maisons de la rue Saint-Martin, sur l’emplacement desquelles s’élève- rait une entrée digne de notre première école indus- trielle, sont portés au devis pour une somme de 4 million 600,000 fr. Cette dépense ayant paru trop considérable, quant à présent, MM. les Ministres du commerce et des travaux publics ont extrait du projet général de M. Vau- doyer, architecte, les travaux qui leur semblent les plus urgents, et dont l'exécution n’engagerait ni ne compro- mettrait l’avenir, savoir : La construction d’un amphithéâtre, 106,473 fr. 28 c.; La restauration de la salle Vaucanson, de la salle des filatures et des vestibules, déduction faite des frais d'agence, 39,076 fr. 02 c.; Ces deux travaux, y compris les frais d'agence, les honoraires et les objets imprévus, exigeraient une dé- pense totale de 160,000 fr. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 547 + La Commission, après avoir visité les lieux, a reconnu unanimement l’urgente nécessité de construire un second amphithéâtre. Celui dans lequel on professe aujourd’hui une partie des cours, est vraiment au-dessous de toute critique. Il n'existe nulle part dans le monde une salle de leçons publiques plus mal disposée, plus incommode, plus mesquine, tranchons le mot, plus dépourvue de convenance. D'ailleurs cette salle peut à peine contenir la moitié des auditeurs qui désireraient profiter du haut enseignement qu'on y donne. C’est vraiment pitié de voir tel simple ouvrier, perdre une demi-journée pour s'assurer la possession de la banquette qui lui permettra d'entendre la leçon de mécanique, de géométrie des- criptive, de physique ou de chimie appliquée, où il ap- prendra les vrais moyens de surmonter les difficultés qui l’arrêtent. La Chambre rendra un véritable, un éminent service aux classes industrielles, en accordant, sans retard, l’al- location destinée à la construction d’un nouvel amphi- théâtre du Conservatoire des arts et métiers. La réparation de la galerie Vaucanson serait certaine- ment utile, mais il est un travail qui nous paraît plus ur- gent. Les 39,000 fr. que la réparation proposée exigerait, \semblent à la Commission devoir être appliqués au dé- ‘placement de la bibliothèque. Il y a, dans la bibliothèque actuelle du Conservatoire, 15,000 volumes, la plupart fort rares, sur les sciences appliquées aux arts; mais la salle ne peut contenir que quarante à cinquante lecteurs; chaque jour, il s’en pré- sente un plus grand nombre; le dimanche, surtout, on 548 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. peut à peine recevoir la moitié des ouvriers qui désire- raient y travailler. Le déplacement de la bibliothèque figure dans le pro- jet général dont il a été question. Le réfectoire de l’ab- baye, monument précieux du xn° siècle, est destiné à devenir la bibliothèque nouvelle, Cette combinaison donnera un espace considérable, une vaste enceinte pouvant contenir à l’aise 40,000 volumes et de nombreux lecteurs, sans que, pour cela, il faille rien changer au caractère de l'architecture de l’ancien réfec- toire des moines, ni dénaturer un des pis beaux monu- ments de la capitale, Quel que puisse être, devant la Chaiibte) le sort défi- nitif du projet général de restauration du Conservatoire, l’article dont nous venons de rendre compte ne sera cer- tainement pas modifié. Suivant le système que nous désirons voir compléte- ment adopté, on trouvera dans le local que la bibliothèque occupe aujourd'hui, les moyens de classer et de mettre sous les yeux des inventeurs les modèles déposés au ministère du commerce à l'appui des demandes de bre- vets d'invention, et particulièrement les nombreux et précieux dessins cotés que le Conservatoire. possède. Après les cours publics, c’est surtout par sa biblio- thèque spéciale que l'établissement du Conservatoire des arts et métiers est utile. Des galeries destinées à marquer les pas successifs de la mécanique, n’ayant certainement point le même degré d’intérêt et d'urgence, la Commis- sion a dû chercher s’il serait possible de hâter le moment où la nouvelle bibliothèque pourra recevoir le public. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 549 Cette possibilité lui a paru manifeste, même en diminuant de 4,000 fr. l'allocation demandée. La restauration de l’ancien réfectoire est portée au de- vis général pour une somme de 150,608 fr. Cette restauration, en tout état de choses, devra com mencer par certains travaux dont nous allons donner l’indication détaillée. fr. Travaux de maçonnerie ayant pour objet la restaura- tion des murs intérieurs et extérieurs........ssssese 12,299. 66 Refection des joints................ FE Se 1,500.00 Dessivage extérieur... .....co.sses soc e Hire ses 004.00 Fouille et établissement de massif en béton et précau- tions d'assainissement. . ....... à à 2 NP ge 0 AS dde de à à À 0 Reconstruction du pignon au couchant............. 3,137./45 D intérieMLe. SX Sée h dot ire PT DE 1,459.28 D OÙ DEITONS. 5e 0 00 010 à0 à oo cie e » 010 0.0. 138.75 Restauration de la charpente du comble..... PAPER 3,603.10 Débouchement des roses......... CTI NUS SEE 360.00 Châssis en fer et vitrerie d’une partie des ouvertures. 7,800.00 38,520.84 Frais d'agence et objets imprévus. ................. h,005.88 | 151 Papy Plput 12,526.72 Le total de la somme est inférieur de 1000 fr. à l’al- location que demandait M. le ministre pour réparations à la salle Vaucanson, à la salle des filatures et aux vesti- bules. Ces travaux permettraient, dans la saison pro- chaine, de procéder à l'installation des boiseries, des corps de bibliothèque et des livres, sans avoir à crain- dre l'influence fàcheuse des maçonneries et des plâtres de fraîche date. On gagnerait ainsi une année, au moins, et, pour qui considère le mouvement rapide qui entraîne le monde industriel, ce n’est pas peu de chose. 550 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Nous avons communiqué à Messieurs les ministres du commerce et des travaux publics, le projet de revirement que la Commission soumet aux lumières de la Chambre. Il n’a été combattu que par des motifs de pure forme, Ces motifs n’ont pas prévalu à nos yeux, lorsque nous les avons mis en balance avec les services réels, considéra- bles, que rendrait au pays et surtout à la classe ouvrière, l'installation prochaine de la bibliothèque spéciale du Conservatoire dans un vaste local, La Chambre statuera. y ÉCOLES D'ARTS ET MÉTIERS 8 1. — École de Châlons. Plusieurs membres de la Commission ne sauraient voir dans les écoles d’arts et métiers, la solution la plus satisfaisante possible du problème si capital pour l’indus- trie nationale, que l’administration se proposa vers le commencement de ce siècle. Ils sont convaincus que, sans augmentation de dépense, il serait possible d’adop- ter un système d'apprentissage qui donnerait annuelle- ment au pays de meilleurs résultats, c’est-à-dire des chefs d'ateliers plus capables, des contre-maîtres plus expéri- mentés, des ouvriers plus en mesure de concourir avan- tageusement à l’exécution des belles et excellentes ma- chines qui sortent aujourd’hui de nos ateliers. Mais toute discussion sur ce point serait maintenant inopportune, et presque sans convenance. Un vote de l’année dernière a ‘SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 551 montré, en effet, avec une évidence complète, que les écoles d'arts et métiers sont, dans l'opinion de la majorité de la Chambre, des institutions très-utiles. Après la créa- tion d’une troisième école à Aix, le devoir de chaque Député est de s'associer à toute mesure tendant à per- fectionner ces établissements. La Révolution de juillet trouva les écoles de Chälons et d'Angers, dans une situation fâcheuse. Depuis, on y a opéré de notables améliorations. Le vrai moyen de les “consolider, de les étendre, d'éviter un retour vers la di- rection trop théorique qu’on avait jadis imprimée à l’en- seignement, c'est évidemment de donner les soins con- venables aux ateliers proprement dits. L’allocation portée au projet de loi a précisément cet objet : elle doit être appliquée à la reconstruction du bâtiment de la fonderie, qui tombe en ruines. Tout ajournement pourrait compro- mettre la vie des élèves. La Commission, à l’unani- mité, propose à la Chambre d’allouer le crédit demandé (76,000 fr. ). $ 2. — Histoire critique des Écoles d’arts et métiers. [Le Rapport précédent rappelle la situation fâcheuse dans la- quelle se sont longtemps trouvées les Écoles d’arts et métiers, et diverses tentatives faites pour améliorer et étendre ces institutions. En novembre 1831, M. Arago fit à la Chambre des députés une proposition pour la création de dix écoles destinées à remplacer les écoles qui existaient alors à Châlons et à Angers. Il écrivit le discours qu’il prononça pour développer le plan qu'il désirait voir adopter; dans ce discours il à fait l'historique de ces établisse- ments et la critique de leur organisation. ] Les écoles industrielles ne sont pas, comme quelques personnes se l’imaginent, une création de notre époque ; 552 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS, on aperçoit déjà les premiers rudiments d’un établisse- ment de ce genre, pour l'horlogerie, sous le règne de Charles V. Son directeur était un certain Henri de Vic, celui-là même auquel on est redevable de la première horloge qui ait donné l’heure aux habitants de Paris, et qui fut placée dans la tour du Palais-de-Justice. Pendant la minorité de Louis XV, le régent fonda à Versailles une fabrique-école d’horlogerie, sous la direc- tion d’un très-habile artiste anglais nommé Sully. Le duc de Noailles suivit cet exemple à Saint-Germain-en-Laye. Ces deux écoles ne prospérèrent pas comme établisse- ments industriels ; ils durèrent très-peu d’années, mais du moins ils excitèrent le zèle des artistes, et il en sortit des ouvriers distingués, dont le nom se rattache d’une manière brillante aux progrès de l’horlogerie française. S'il m'était permis de donner ici une notice historique complète sur les établissements de ce genre, j'aurais à citer celui que Voltaire fonda à Ferney en 1770, et d’où sortirent quelques horlogers habiles, tels que Lépine ; l’école de Bourg-en-Bresse ; une école analogue de Belle- ville, établie sous le règne de Louis XVI, etc. Mais je me hâte de faire remarquer que ces différents établisse- ments avaient un but spécial et tout à fait circonscrit, l'horlogerie. Si je ne me trompe, la création en France d’une école destinée à former des ouvriers de divers genres, d’une véritable école d’arts et métiers, date de l'institut que le vénérable duc de Larochefoucauld avait formé, avant la révolution, dans son château de Liancourt. Les événe- ments qui jetèrent notre illustre compatriote sur une terre SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 553 étrangère, renversèrent aussi sa patriotique institution. En 18092, la paix d'Amiens ayant fermé la carrière des armes aux élèves de l'École militaire de Compiègne, Napoléon la transforma en une École d’arts et métiers, où l’on devait enseigner l’art du forgeron, celui du limeur-- ajusteur, l’art du fondeur, du menuisier, du tourneur et du charron. En 1806, l’École de Compiègne fut transférée à Chà- lons-sur-Marne. Une école du même genre, mais sous une plus petite échelle, fut ensuite créée à Beaupréau, d'où, pendant les Cent-Jours, on la transporta à Angers. Ces deux écoles restèrent placées pendant plusieurs années sous la haute surveillance du duc de Liancourt. Tant que dura ce puissant patronage, les défauts de ces établissements attirèrent peu les regards du public, la bonté inépuisable de ce grand citoyen pourvoyait à tout; la juste influence dont il jouissait était dépensée tout entière au profit de ses chers élèves des Écoles des arts. Quel artiste, quel chef d’usine, quel manufacturier aurait refusé de recevoir un ouvrier que M. Larochefoucauld recommandait, pour lequel il allait solliciter en per- sonne? Quand un certain temps d’épreuve avait mis en évidence le défaut d’habileté du jeune débutant, quand le moment de quitter sans retour la carrière industrielle était arrivé pour lui, M. de Larochefoucauld, comme une sorte de providence, se trouvait à la porte de l’atelier, le recevait encore avec bonté et parvenait par ses irrésis- tibles démarches à le placer dans quelque grand établis- sement avec la charge de concierge, à la porte de quelque ville comme employé des contributions indirectes, etc. 554 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Les familles n’avaient alors garde de porter plainte contre les écoles de Chälons et d'Angers, car ces écoles se présentaient à elles comme un moyen assuré d'arriver à des emplois publics, Les industriels, de leur côté, étaient persuadés avec raison que M. de Larochefou- cauld, si éclairé, si patriote et manufacturier lui-même, avait dû tirer des établissements dont il avait accepté la surveillance, tout ce que la nature des choses permettait d’en espérer. | Les expositions successives des produits de l’industrie française vinrent bientôt miner jusqu’à un certain point la haute réputation dont les écoles d’Angers et de Chälons jouissaient. Quelques-uns de leurs produits étaient, il est vrai, très-soignés ; mais ils ne pouvaient lutter quant aux prix communs avec ceux de l’industrie particulière ; d’autres fourmillaient d’imperfections, soit comme plan, soit comme main-d'œuvre. La question de savoir si ces Écoles ne pourraient pas être remplacées par des établis- sements mieux adaptés aux besoins de nos arts, devint alors l’objet des plus sérieuses réflexions. Je n’oublierai jamais une séance du jury de l'Exposi- tion, où M. de Larochefoucauld, qui nous présidait, fut affecté jusqu'aux larmes en entendant le compte, très- peu favorable, qu’une des sections du jury dut lui rendre au sujet des produits que les Écoles avaient exposés aux regards du public. Quelques changements dans le per- sonnel, une surveillance plus active, plus rigoureuse, en furent la conséquence; mais il en résulta une améliora- tion à peine sensible, si ce n’est cependant dans l'atelier de lhorlogerie, qui depuis a été supprimé, Je ne par- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 555 lerai pas de l'acte brutal et insensé qui priva les élèves des Écoles des arts du glorieux patronage du duc de Larochefoucauld ; je n’analyserai pas non plus les modi- fications plus ou moins importantes que ces Écoles reçurent successivement : je me contenterai de dire que le régime actuel résulte de la réorganisation de 1827. On essaya , à cette époque, de renfermer l’enseignement mathématique dans de justes bornes. Cet essai dure depuis quatre ans, et, je dois le dire, il n’a pas produit tout ce que ses auteurs en attendaient. En 1898, le conseil de perfectionnement du Conserva- toire des arts et métiers, composé de MM. le duc de Dou- deauville, Benjamin Delessert, Ternaux, Jauge, Say, Clément Désormes, Charles Dupin , Molard , Christian, Gay-Lussac, Thénard, Darcet, Pouillet et moi, fut invité à s'occuper de la question des Ecoles, Afin d'éclairer la discussion autant que possible, le ministre du commerce me chargea d’aller inspecter l’École de Châlons. Un membre de l’Académie des sciences semblait devoir faire porter spécialement son examen sur les études mathématiques et physiques. Les professeurs et les élèves s’attendaient à couvrir leurs tableaux de formules algé- briques; mais ils s'étaient trompés, les ateliers furent Pobjet principal de mon attention. Je les parcourus d’abord en détail, demandant à chaque élève de me dire à quelle carrière il se destinait. Ici on me répondait qu’on avait la promesse de la survivance d’une place de concierge ou de garçon de bureau ; là qu’on avait tout lieu d'espérer un emploi dans les contributions indirectes ou dans l'administration des 556 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. tabacs. L'un voulait tirer parti de sa facilité à jouer de tel instrument de musique; l’autre comptait s'engager dans un régiment d'artillerie ou du génie, parvenir promptement au grade de sous-officier, et ensuite à celui de garde : je n’en rencontrai pas un sur diæ qui désirât se placer dans la carrière industrielle. Descendu dans les ateliers, j'y trouvai les moyens mécaniques les plus imparfaits; aucune de ces nouvelles et ingénieuses méthodes qui rendent le travail plus expé- ditif et plus exact ne s’y faisait remarquer : c’étaient, en un mot, de véritables ateliers de village ; il n’y avait pas même, il n’y a pas encore aujourd’hui de moteur général. Ainsi, un élève de Châlons peut quitter cet établisse- ment sans connaître, sans jamais avoir vu Ces ingénieux manéges, ces puissantes roues hydrauliques, ces merwveil- leuses machines à vapeur, qui portent instantanément la force dans tous les étages de la plus vaste usine, partout, en un mot, où le mouvement devient nécessaire. Ces défauts étaient d'autant plus graves qu’ils résul- taient dela nature même des choses. Toujours est-il du moins qu’il me parut impossible de les faire dis- paraitre. | Quelques détails sur les travaux que les Écoles exé- cutent montreront, j'espère, à la Chambre que le pro- blème est très-difficile. Les Écoles ne travaillent pas sur commande, à moins d’une autorisation expresse du ministre. La convenance de cet article du règlementest facile à concevoir. En effet, il n'arrive presque jamais qu'un manufac- turier achète une machine sans avoir de discussions avec SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 557 celui qui l'a fabriquée. Ces discussions portent quelque- fois sur l'élégance de la machine, le plus souvent sur la manière dont elle fait son service, et enfin sur les acci- dents qui peuvent survenir. … Si, par exemple, une chaudière éclate, il reste à décider si l'accident est arrivé par la négligence du chauffeur ou des ouvriers placés à côté de la machine, ou s’il est dû à des défauts de construction. De là d'importants procès dans lesquels le gouverne- ment n’a pas voulu entrer. On a donc décidé que les Écoles ne travailleraient pas sur commandes, à moins d’une autorisation spéciale, Or, qu'est-il résulté de la? C’est que les Écoles de Châlons et d'Angers n’exécutent plus que des ouvrages d’une qualité fort commune, les seuls qui puissent se vendre dans les marchés qu’alimentent ces deux villes. On r’entreprend dans ces écoles aucun des travaux dans lesquels puisse se former un ouvrier consommé. Ce défaut est immense, et malheureusement il n’est pas susceptible de correction. Il importait de décider quels ateliers il serait convenable d'établir dans les Écoles d'arts et métiers. On y trouve des ateliers de charronnage ; je ne sais pas trop jusqu’à quel point on peut placer dans des établissements de ce genre des ateliers de charrons; mais-enfin je passe sur ce point. Vous y trouvez aussi des ateliers de serrurerie et de forge ; mais vous y chercheriez vainement ces machines ingénieuses qui sont désormais indispensables pour ame- ner sous le marteau et forger les grosses pièces. Vous trouviez un atelier d’ébénisterie, qui, à cette 558 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. époque, avait d'assez grands développements, d'autant mieux que la liste civile faisait beaucoup de commandes. On ne peut faire dans ces ateliers que des ouvrages très- communs, qui n'éveillent pas l'intelligence chez les artistes et ne donnent pas la sûreté de la main-d'œuvre. Il faudrait que le gouvernement fît des dépenses exces- sives pour introduire dans les ateliers les machines perfec- tionnées dont on se sert dans les établissements particuliers. Autre inconvénient : à Châlons, les ateliers de char- ronnage ont un petit nombre d'élèves. J’arrive un jour dans l'atelier de charronnage, et je rencontre, par hasard, un jeune homme qui voulait être artiste : il me dit qu’il se destinait à être fondeur ; je lui demandai alors pourquoi, voulant être fondeur , il était dans l’atelier de charronnage ; il me répondit qu’il n’y avait pas de place à la fonderie. Vous sentez que les inconvénients de ce genre doivent se représenter, sivous comparez tous les ateliers les uns avec les autres. J'ai fait, postérieurement à l’époque dent j’ai parlé, une inspection à l'École d'Angers, et j'y ai trouvé les mêmes résultats. J’ai consulté les maîtres d'ateliers, je leur ai demandé si leur opinion était que les élèves de cette École pussent gagner leur vie en sortant, et leur réponse a été négative dans tous les ateliers. À mon retour, j'ai présenté mes observations à l'École de perfectionnement, on y nomma une Commission qui s’entoura de toutes les lumières et qui appela à elle tous les artistes de Paris qui ont la plus grande réputation. Cette Commission a préparé un travail que je soumets | à l'attention de la Chambre, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 559 Je dois dire que l’on reconnut la nécessité de faire une enquête. On consulta les plus habiles artistes de Paris; en les questionnant sur les améliorations dont on croyait l'École susceptible, et dans le cas où les améliorations ne seraient pas possibles, on leur demanda leur avis sur une nouvelle organisation. Comme j'avais émis une opinion tranchée, il me parut que je ne devais pas être membre de la Commission ; je n'ai donc concouru en rien à l’enquête ni à la rédaction _ du projet que j'ai soumis à la Chambre, et qui est l’œuvre F4 Wa Le à du conseil de perfectionnement ; je n’ai fait qu’une seule modification; j’ai demandé que pour stimuler les élèves on leur offrit une prime, qu’ils pussent être exemptés de la conscription quand ils se seraient fait remarquer par un travail distingué soit comme main-d'œuvre, soit comme conception, Le projet que je vous présente a été délibéré par le conseil de perfectionnement ; je crois qu’il y a eu seule- ment deux dissidents sur le nombre de tous les membres que j'ai cités. Maintenant ce projet pare-t-il aux inconvénients que j'ai signalés. Je dois dire que l'instruction théorique des élèves, dans les Écoles d'Angers et de Châlons, est fort bonne; que les élèves y ont développé beaucoup plus d'intelligence qu’on n’en attend ordinairement des classes ouvrières, Ceux qui ont consenti à recommencer leur apprentis- sage au sortir de l’École sont devenus d'excellents artistes, j'en pourrais citer un grand nombre. Ceux qui sont entrés dans la carrière fort utile des conducteurs des ponts et 560 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. chaussées sont devenus d’excellents conducteurs, et les ingénieurs en font le plus grand éloge. Mais leur nombre total est très-borné ; vous"ne trouvez dans ces deux écoles, quand elles sont complètes, qu’en- viron six cents élèves. Je crois que nous pouvons suppo- ser que chacune des écoles que nous vous proposons de fonder en renfermerait cent cinquante à cause des grands avantages qui y seront attachés, et qui consistent pour les dix premiers élèves de chaque école, dans un appren- tissage gratuit dans des ateliers déjà pourvus de moyens de travail perfectionnés. | Il n’est peut-être pas inutile de dire les noms des artistes que la Commission a consultés: vous verrez qu’elle s’est entourée de tous les artistes les plus distingués. M. Chappert, qui est à la tête de la grande fonderie de Chaillot, a répondu que dans son opinion il fallait en- voyer les élèves dans des ateliers particuliers, et non dans des rudiments d’ateliers tels que sont ceux de Chà- lons et d'Angers. M. Saunier, élève lui-même de l’École, a répondu de même que, pour améliorer la fabrication des machines, : il fallait envoyer les élèves dans des ateliers particuliers, et qu’il n’y avait rien à en attendre au sortir de l’École. M. Saunier a employé quatre élèves de l’École dans ses ateliers. M. Alletz a fait la même réponse. MM. Calla fils et Fournier ont été du même avis. M. Moulfarine a répondu exactement de même. Nous avons consulté M. Gambey, le plus habile artiste de l’Europe pour la construction des instruments de pré-. cision, qui non-seulement nous a affranchis du tribut que | : SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 564 nous payions à l’étranger pour ces sortes d’instruments, mais qui en fournit maintenant aux étrangers eux-mêmes. L'Observatoire n’emploie aujourd’hui que de ses instru- ments, ét si nous les avons préférés, ce n’est nullement . par amour-propre national, mais parce que nous avons reconnu leur supériorité. M. Gambey, qui a été contre-maître de l’École, m’a dit qu’on lui avait envoyé un élève de l’École de Châlons; qu’il l’avait gardé trois mois, mais qu’il n’avait pu le garder plus longtemps, et que depuis quinze jours il était sorti de chez lui. M. Albouy, M. Perrelet, qui a attaché son nom à des machines d’'horlogerie ; M. Mottel, constructeur des chro- nomètres de la marine, élève de l'École, mais qui a recommencé son apprentissage dans l'atelier de M. Ber- thoud, m'ont déclaré qu’il leur avait été impossible d'occuper différents ouvriers sortis de cette École. On a dit que l'instruction mathématique et physique n'était un pêu utile qu'aux chefs d’ateliers, qu’aux contre- maîtres ; que les véritables ouvriers n’en ont aucun besoin; que le temps qu’ils passeraient dans nos Écoles indus- trielles préparatoires serait complétement perdu pour eux, etc., etc. Je pourrais d’abord demander à quel signe certain on peut reconnaître dans un enfant de douze ans s’il est des- tiné à rester toute sa vie simple ouvrier; mais ce que personne n'ignore, pour peu qu’on soit initié dans l’his- toire des arts et des sciences, c’est que si Mulhausen “ n'avait pas eu des écoles publiques gratuites en 1798, Lambert, au lieu de devenir un des géomètres et des VL —11. 36 562 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. physiciens les plus célèbres du dernier siècle, l'un des plus brillants ornements de l’Académie de Berlin, serait resté, comme son père, un pauvre tailleur d’habits; que si Greenock, en Écosse, n’avait pas renfermé aussi une grammar school gratuite, le génie de Watt ne se fût peut- être pas développé, et que l’admirable machine-vapeur serait restée dans l’état d’imperfection où les travaux de notre compatriote Papin, son principal inventeur, et de l’Anglais Newcomen, l'avaient portée. | Au reste, l'opinion irréfléchie que je signale ici n’était pas celle de Watt, car son établissement si célèbre de Soho, près de Birmingham, renfermait des professeurs habiles qui, plusieurs fois la semaine, donnaient aux ouvriers des leçons théoriques. Les plus capables de ces ouvriers sont maintenant des ingénieurs très-distingués, et leurs travaux ont puissamment contribué au dévelop- pement extraordinaire de l’industrie anglaise. Si d’autres preuves étaient nécessaires, je citerais les élèves eux- mêmes des Écoles de Châlons et d'Angers, car le petit nombre de ceux qui, après en être sortis, ont consenti à recommencer leur apprentissage, tels que MM. Saunier, Mottel, Berthoud, Jacob, Fesch, sont devenus, à raison de leur instruction théorique antérieure, des artistes du premier mérite. Déjà il existe dans une ville de France, dans la ville de Metz, une école analogue aux écoles que nous vous pro- posons de créer. Les personnes qui ont pu apprécier les admirables résultats qu’elle a déjà donnés, ceux qui ont parcouru les excellents ouvrages qu’on y enseigne, ceux qui savent à quel point ils on! amélioré la situation mo- feet sé SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 563 rale-etintellectuelle des nombreux ouvriers qui en suivent les leçons, applaudiront, j'en ai la certitude, aux vues que le conseil de perfectionnement du Conservatoire a adoptées. - Cette expérience décisive a montré tout ce qu’il y a en France de persévérance, d'intelligence, de perspicacité dans la classe ouvrière; tout ce que le pays doit en espérer si, mettant de côté les plus absurdes préoccupa- tions, on renverse les entraves qui jusqu'ici l’ont arrêtée dans sa marche. D’honorables députés, dont je respecte les intentions, alors même que je me sépare le plus complétement pos- sible des vues qui les guident, ont dit que l’État devait seulement au peuple l'instruction primaire ; que les écoles dont je propose la création sont contraires aux vrais principes de l’économie politique ; que ces écoles auront le très-grand inconvénient d’exciter certaines classes de la société à sortir de la position d’infériorité dans laquelle la nature les a destinés à vivre, etc. J'espère que de tels motifs trouveront peu de faveur dans cette Assemblée, J'ignore, pour ma part, de quels prétendus principes de l'économie politique on a entendu parler ; en tout cas, je les tiens. pour insensés s’ils interdisent au législateur de procurer aux classes laborieuses tous les moyens pos- sibles d'augmenter leur bien-être et de cultiver leur intelligence. Quoi ! depuis un temps immémorial l’État entretiendra à grands frais des écoles de droit et de médecine, des écoles vétérinaires, des écoles de peinture, de sculpture, de gravure, d’architecture ; dans tel établissement riche- 564 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. ment doté, on enseignera tout ce que les sciences ont de plus élevé, de plus subtil ; les langues qu'aucune nation ne parle aujourd'hui, l’idiome de telle ou telle autre peu- plade asiatique que pas un de nos compatriotes n’a jamaïs visitée ; et quand nous demandons qu’à côté de ces bril- lants établissements qui, du reste, ont tant contribué à la gloire nationale, on crée de modestes écoles où la popu- lation industrieuse viendra puiser les moyens de travailler avec moins de fatigue, de multiplier ses produits, d’en améliorer la qualité, de rivaliser avec l’industrie étran- gère et de la vaincre, on oserait, au nom de je ne sais quelle abstraction métaphysique, essayer de paralyser les bonnes dispositions des représentants du pays! VI OBSERVATOIRE DE-PARIS M. le ministre des travaux publics, ayant pris en sé- rieuse considération les rapports et les sollicitations du Bureau des longitudes, demande à la Chambre qu'il lui soit alloué un crédit de 94,000 francs en faveur de l’Ob- servatoire de Paris. Cette somme servirait à ériger, au - sommet de la tour orientale de l’édifice légèrement exhaussée, une calotte hémisphérique tournante, sous la quelle on pourrait installer commodément les. plus puis- santes lunettes, et les appliquer avec exactitude à l’étude des grands phénomènes astronomiques découverts depuis peu d'années. La Commission a pensé qu’il serait conve- nable de saisir celte occasion de jeter un coup d'œil ra- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 565 pide sur les améliorations successives dont notre Obser- vatoire national a été l’objet. Lorsque, très-peu de temps après la fondation de l'Académie des sciences, Louis XIV se décida, sur la prière de Colbert, à créer l'Observatoire de Paris, il n'existait en Europe aucun établissement national de cette nature. Les astronomes des divers pays, réduits à leurs propres ressources, obligés de se servir d'instruments médiocres et de les placer dans des lieux incommodes, ordinairement sans solidité, ne pouvaient entreprendre aucun travail systématique et régulier. Le projet de créer notre Observatoire national était déjà arrêté en 1667. Cette année, dans le mois de juin, nous voyons en effet les astronomes de l’Académie occu- pés à régler les orientations exactes que les diverses faces de l'édifice devaient avoir. Les travaux de maçonnerie ne commencèrent cepen- dant qu’en 1668. Le bâtiment fut achevé le 14 sep- tembre 41674. Il avait coûté plus de deux millions de livres, Qui ne croirait qu'après une si énorme dépense, la France dut se trouver dotée d’un Observatoire digne d’elle et de la science? Qu'on se détrompe : l'architecte avait dressé le plan de l'édifice sans consuiter suffisam- ment les observateurs ; leurs réclamations arrivèrent tar- divement ou ne furent point écoutées; Claude Perrault, * quoiqu'il n’eût pas encore construit la colonnade du Louvre, se trouva plus puissant, à lui seul, que tous les astronomes français réunis ; il repoussa avec persistance et hauteur des dispositions dont Colbert lui-même avait 566 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. reconnu l'utilité; il résista, enfin, au grand ministre, pour ne pas rompre, disait-il, les lignes architectoniques, afin de ne porter aucune atteinte à l’harmonie, à la régu- larité des masses. Ces vains motifs l’emportèrent, malheu- reusement, sur les prévisions , sur les remarques solides des hommes du métier. On assure que cela s’est vu aussi de notre temps. | DS à La Commission se montrerait trop sévère envers l’homme de génie à qui la ville de Paris est redevable de la colonnade du Louvre, si elle ne disait pas sans plus tarder, qu’au moment où Perrault préludait au travail qui doit l’immortaliser, par les constructions plus modestes du faubourg Saint-Jacques, l’art d'observer éprouvait une véritable révolution; que les astronomes n'étaient pas encore tous du même sentiment sur l'incertitude des mesures de hauteurs angulaires obtenues avec les.gno- mons ; que des avis, puisés en Italie à une source déjà célèbre, renfermaient sur l'utilité de ces appareils, et même sur celle d’un colossal cadran solaire intérieur, des déclarations favorables et très-formelles : en telle sorte que les grandes salles actuellement sans emploi à l'Obser- vatoire de Paris, et la lourdeur tant critiquée de la façade du nord, ne doivent pas être reprochées. à l'architecte seul, R La tour orientale, laissée sans couverture, la vaste salle, dite de la Méridienne, servirent à installer ou à abriter les lunettes, non achromatiques, .de.16 à 20 mètres de long, que les observateurs employaient, à.la fin du xvn° siècle, quand ils voulaient étudier la consti- tution physique des planètes et des satellites, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 567 Excités par la singularité des découvertes dont ces grands instruments avaient enrichi la science, les astro- nomes et les opticiens s’attachèrent à en fabriquer de plus grands encore. Bientôt, en effet, on en vit paraître à larges ouvertures. L'une de ces lunettes avait 98 mètres (300 pieds) de foyer. Le nouvel édifice ne pouvant plus alors, ni les contenir, ni leur servir de support, il fallut installer en. plein, air, des mâts. d’une hauteur prodi- gieuse, et même transporter dans le. jardin une tour .de bois colossale au sommet de laquelle la machine de Marly .déversait, -peu-de temps! auparavant, les eaux destinées à alimenter. les réservoirs de Versailles. ‘Les objectifs étaient fixés aux extrémités supérieures de ces mâts ou de l'immense charpente ; l'observateur tenait la lentille ocu- laire à la main; la lunette, réduite à ces deux. pièces extrêmes, n'avait plus de tuyau. Des difficultés qu'on aurait dû prévoir, firent avorter ces essais, les plus consi- _dérables que l’histoire des sciences ait eu à consigner dans ses fastes. Il était évident, à priori, que l’observa- teur ne pourrait centrer, avec la précision requise, deux lentilles cristallines isolées dans l’espace, deux lentilles n'ayant point entre elles de liaison par l'intermédiaire d’un corps rigide. La nécessité d'observer, quand on recourait à de tels appareils, peu de minutes seulement avant le passage des astres au méridien, et peu de minutes après, aurait d’ailleurs empêché toute recherche suivie et de longue haleine, | Lés défauts inhérents à l’édifice de Perrault devinrent surtout manifestes, le jour où l’on sentit le besoin d’ap- pliquer à l’observation des astres des instruments méri- 568 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. diens. Ainsi, en 1732, il ne se trouva dans le grand bâtiment, aucun endroit où l’on pût établir un quart de cercle mural de 2 mètres de rayon : une enceinte, cou- verte de voûtes entièrement fermées reposant sur des murs d’une extrême épaisseur et d’une hauteur considé- rable, n’aurait admis nulle part une ouverture méridienne continue, par laquelle il eût été possible de découvrir tous les astres, depuis l'horizon jusqu'au zénith, au moment de leur culmination. Renonçant alors forcément au grand édifice, l'Acadé- mie des sciences fit bâtir un cabinet extérieur, attenant à la tour orientale. Le même embarras s'étant représenté, en 1742, à l’occasion d’un quart de cercle mobile, on construisit un second cabinet à côté du premier. Quel- ques années après, vers 1760, une petite tourelle à toit tournant fut érigée au sud des deux premières bâtisses, pour les observations de hauteurs correspondantes des- tinées à la détermination de l’heure exacte des phéno- mènes. Ces trois petites pièces construites avec une extrême parcimonie et sans aucune solidité, formèrent pendant de longues années le véritable, le seul Observatoire royal de Paris. Le fastueux monument de Perrault dominait majestueusement ces masures, mais il n’était, pour nous servir d’une expression de l’époque, qu'un Observatoire de parade. Au reste, ce grand Observatoire, comme les autres monuments de la capitale, s'était ressenti de l’insou- ciance, de l’ineurie qui caractérisèrent les dernières années du règne de Louis XV. En 1770, il tombait en SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 569 ruines. On ne se hasardait plus à pénétrer dans les salles qu avec des précautions extrêmes, surtout en temps de ‘dégel : les murailles, les voûtes minées par les eaux plu- viales, tombaient pièce à pièce. Les prières incessantes de Cassini IV, fortifiées par les rapports de l’Académie des sciences, furent enfin écou- tées en 1775 par M. d’Angivillers. Cet administrateur éclairé décida qu’on s’occuperait prochainement de la restauration de l'édifice. Pendant près d’un siècle, les astronomes, dans leurs travaux variés, avaient eu beaucoup à souffrir des distri- butions vicieuses de l’ancien Observatoire. Aussi, Cassini alla-t-il jusqu’à proposer de raser toute la portion du bâti- ment située au-dessus de l’étage de la grande salle de la Méridienne. M. d’Angivillers repoussa bien loin cette idée. L'œuvre de Perrault, disait le ministre, devait, à cause de sa masse imposante et de son style sévère, être rangé parmi les principaux ornements de la capitale. 1] _ n'était pas possible de proposer sérieusement à Louis XVI, de faire détruire un monument érigé par son aïeul, et qui n'avait pas encore cent ans d’ancienneté; un monument où, d’ailleurs, le grand roi était allé observer en personne. Au besoin, l’intendant général des bâtiments de la Cou- ronne aurait pu combattre toute pensée de démolition, par des considérations empruntées à un autre ordre d'idées, par de brillants souvenirs scientifiques. C'était dans l’édifice où l’on projetait de porter le mar- teau, que Picard, par exemple, rejetant les anciennes pinnules, appliqua les lunettes armées de réticules aux instruments gradués, et posa ainsi la base sur laquelle se 570 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. fonde l'exactitude des observations modernes ; c'était là encore qu'on doubla, s’il nous est permis d'employer cette expression, la durée de la vie des astronomes, en montrant que les étoiles peuvent être observées en plein soleil; c'était dans le monument menacé de destruction, que Picard et Auzout, mettant en usage le micromètre filaire de leur invention, évaluèrent pour la première fois avec précision, les diamètres angulaires des astres, et surmontèrent ainsi des difficultés contre lesquelles le gé- nie d’Archimède s’était brisé. Les salles, dont on propo- sait la démolition, avaient été témoins des essais, des préparatifs minutieux qu’il fallut faire avant d’entrepren- dre avec quelque chance de succès, les mesures célèbres ‘exécutées en France, au Pérou et en Laponie, dans le but de déterminer la grandeur et la figure de la terre. Richer y suivait la marche de sa pendule au moment de partir pour Cayenne; il l'y vérifiait après le retour, et constatait, à l’aide de ces comparaisons, un phénomène capital, la diminution qué la pesanteur des corps terres- tres éprouve à mesure qu’on se rapproche de l'équateur. J.-D. Cassini, abrité par les mêmes voûtes, établissait les lois si remarquables de la libration de la Lune, décou- vrait quatre des satellites de Saturne, les mouvements de rotation de ces nouveaux astres, ceux des satellites de Ju- piter, l’aplatissement de cette immense planète, et la lu- mière zodiacale; ce fut, enfin, dans ces vastes salles que s'éleva le premier soupçon sérieux de la science, touchant la propagation successive de la lumière ; ce fut à l'aide des observations d’éclipses des satellites de Jupiter, faites à travers les larges fenêtres de l'Observatoire parisien, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 571 qu'un astronome de l’Académie, Roemer, donna la pre- -mière valeur approximative de la vitesse d’un rayon lu- - mnineux, résultat qui, de perfectionnement en perfection- . nement, après un siècle et demi de recherches assidues, a été définitivement fixé à 310,000 kilomètres (77,000 ue) par seconde. : Dans un pays pénétré de l'amour éclairé des sciences j pr pareils souvenirs eussent amplement suffi pour sauvei de la destruction l'Observatoire le plus défectueux. : + La promesse de restauration obtenue de MM. de Bre- . teuilet d’Angivillers, commença à avoir son effet en 1777, _sur lestpetits cabinets attenant à la tour orientale. Ces premiers travaux, déjà très-rétrécis dans le projet, furent exécutés avec une déplorable mesquinerie. Au contraire, la restauration de l'édifice de Perrault, conçue avec gran- .deur par les deux architectes Brebion et Renard, s’opéra de 1786 à 1793, de manière à défier les siècles. ….t: De 1793 à 1830, l'édifice de l'Observatoire ne reçut aucune amélioration digne de remarque. En revanche, les misérables bâtiments qui le masquaient de toutes parts furent démolis. Dans le même intervalle de temps on exé- cuta : la magnifique avenue qui conduit de la façade sep- tentrionale au palais du Luxembourg ; le remblai formant, au midi du monument, la belle terrasse plantée, si propre aux observations magnétiques et météorologiques ; enfin, les grilles, les murs de soutènement qui ont enfermé dans une vaste enceinte entièrement isolée, l'Observatoire pro- prement dit et toutes ses dépendances. À ces grands travaux d’embellissement, succédèrent, en 1832, des constructions plus directement utiles à l’as- #72 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. tronomie. Dans le courant de 1831, la Chambre des dé- putés, instruite du véritable état des choses, voulant que notre Observatoire national pût marcher de pair avec les observatoires les plus célèbres de l’Europe, vota sponta- nément et sur un seul exercice, une allocation double de celle que le ministère sollicitait. Cette somme permit de procéder, non pas seulement aux simples réparations qu'on avait modestement demandées, mais à une recon- struction complète des cabinets d'observation, Peu de temps après, la Chambre, dans sa libéralité, dota l'établissement de l’amphithéâtre vaste, commode et | richement orné, qu’un habile architecte, malgré de sérieux obstacles, a heureusement marié aux autres parties de l'édifice, et dans lequel le goût de l'astronomie attire un ! public nombreux. De la même époque date aussi la ro- tonde à toit mobile, construite sur la terrasse supérieure, où figure maintenant une belle machine parallatique. Nous serons les interprètes fidèles de l'opinion des plus célèbres astronomes de l’Europe, en affirmant que les nou- veaux cabinets destinés aux observations méridiennes, réunissent la commodité et la solidité à l'élégance, qu'ils ne laissent aujourd’hui absolument rien à désirer. Ce n’était pas seulement l’état de dégradation où l’on avait laissé les constructions de Perrault, l’exiguïté et le peu de solidité des salles ajoutées à l’ancien édifice, qui attristaient, à l'Observatoire de Paris, tout visiteur fran- çais animé de quelques sentiments patriotiques. Partout, jusqu’à une époque récente, les yeux rencontraient pres- que exclusivement des instruments d’origine étrangère, S'agissait-il de lunettes, de télescopes? Les tuyaux por- PP Ir ua 2 mt 0e 7 CNE rl LA SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 573 taient les noms de Campani, de Borelli, d'Hartzæcker, d'Huygens, de Pierre Dollond, de Short. Les muraux, les lunettes méridiennes, les grands cercles répétiteurs étaient l’œuvre de Sisson, de Bird, de Ramsden, de Reichenbach. Les seules pendules astronomiques sortaient des ateliers de nos compatriotes. Aujourd'hui, tous les grands instruments de l’Obser- vatoire de Paris sont français; aujourd'hui, sans avoir sacrifié l’exactitude à l’amour-propre national, ce qui aurait été une grande duperie, on ne voit plus figurer le long des faces des murs orientés, ou sur les piliers des salles basses et hautes, que de magnifiques cercles divi- sés, que des lunettes méridiennes et des équatoriaux de Fortin, de Gambey; aujourd'hui, chacun peut recon- naître que les grandes lunettes achromatiques abritées sous les voûtes de l’ancien édifice, ont été travaillées par les mains habiles de Lerebours et de Cauchoix. Quelle a donc été l’origine réelle d’une transformation si radicale, là où notre ancienne infériorité paraissait tel- lement reconnue, tellement. consacrée, qu’elle semblait devoir durer éternellement ? La réponse est très-simple. On a dit aux artistes français : « Ne tenez aucun compte sérieux de l'opinion universelle, touchant une prétendue supériorité innée qu’auraient sur vous les artistes de l’Angleterre et de l'Allemagne; entrez résolument dans la carrière!» Ces paroles ont été entendues, et le succès a dépassé toutes les -espérances. Dans notre pays, oser est presque toujours synonyme de réussir. Depuis quelques années, tous les gouvernements de 574 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. l'Europe semblent s'être concertés pour améliorer les anciens observatoires ou pour en créer de nouveaux. En Angleterre, Greenwich, déjà si justement célèbre, a reçu d'immenses développements en matériel et en personnel. Actuellement, les observatoires d'Édinburgh, de Cam- bridge, d'Oxford, de Dublin, d’Armagh, peuvent pres- que rivaliser avec celui que Flamsteed, Halley, Bradley, Maskelyne, Pond, avaient illustré, et qui est heureuse- ment encore en de très-bonnes mains. Des établissements analogues ont été érigés sur une vaste échelle, au cap de Bonne-Espérance, à Sydney (dans la Nouvelle-Hollande), à Madras. Peut-être nous serait-il permis, sans enfreindre la vérité, de classer aussi parmi les grands observatoires d'origine britannique, celui que le rajah de Trevandrum a fondé, non loin du cap Comorin. | _ Le Gouvernement sicilien ne s’est pas cru quitte envers la science, après lui avoir consacré le grand établissement de Palerme, auquel Piazzi attacha si glorieusement son nom au commencement de ce siècle. Un bel observatoire astronomique a été construit depuis peu d’années près de Naples, à Capo di Monte. Un observatoire météorologique et physique s’élève en ce moment sur la croupe du Vésuve. Les observatoires de Florence, de Milan, de Padoue, de Turin, de Vienne, prêteraient peut-être à la critique si on considérait uniquement les édifices; le savoir des directeurs, le nombre et la beauté des instruments sug- géreraient au contraire des éloges sans restriction. Tout le monde connaît les heureux efforts que le gou- vernement belge a faits pour doter la ville de Bruxelles d'un observatoire digne de notre temps. RME. ds Se Se à PTT T SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 079 Tout le monde sait aussi que le nouvel observatoire de Genève concourt aujourd’hui avec succès au progrès des sciences. — Le Danemark possède à Altona un observatoire astro- nomique modèle. _ La Bavière peut également se glorifier de l’établisse- ment fondé. près de Munich; le Hanovre, de celui de Gættingue ; l’observatoire de Hambourg mérite aussi d’être cité. En Prusse, le cours des astres est étudié sous les aus- pices du gouvernement, à Berlin, à Bonn, à Breslaw, et surtout à Kænigsberg. Les instruments sont excellents ; les édifices ont été construits tout exprès, suivant les exi- gences minutieuses de la science moderne. Dans ce mouvement général d’émulation qui s'opère partout au profit de ‘la plus magnifique des sciences, la Russie s’est placée sur les premiers rangs. Non contente d’avoir fondé de très-utiles observatoires à Dorpat, à Abo, à Kiev, à Kazan, à Nicolaïeff sur la mer Noire, elle vient d’ériger près de Pétersbourg, au sommet de la colline de Poulkova, un véritable monument. Le splendide observatoire central de la Russie a coûté plus de 2 millions de roubles (8 millions de francs). Parmi ses beaux instruments, on remarque surtout une lunette achetée à Munich, au prix de 80,000 roubles (320,000 francs). Si des esprits chagrins croyaient à l’inutilité d’un si grand nombre d’observatoires, nous les détromperions en faisant remarquer combien le champ de la science s’est encore plus rapidement étendu que les moyens d’in- 576 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. vestigation; nous dirions, par exemple, en ne songeant d’abord qu'aux astres perpétuellement visibles, que plus de 150,090 étoiles, qualifiées jadis, à tort, d'étoiles fives, É se déplacent chaque année de quantités dont il.est néces- saire de déterminer sans cesse la valeur exacte; que des milliards d'étoiles, dédaignées jusqu'ici à cause de leur excessive petitesse, attirent aujourd’hui l'attention des astronomes, et semblent destinées à nous dévoiler les plus mystérieuses merveilles du firmament ; que, relativement aux astres chevelus à si courtes apparitions, qu'on doit saisir à la dérobée, il a fallu se prémunir contre les atmo- sphères nuageuses persistantes qui, dans notre Europe, rendent quelquefois en un lieu donné, l'observation im- possible pendant des semaines entières. N’était-il pas, du reste, naturel qu’au xix° siècle chaque nation eût lé noble orgueil de prendre une part directe aux conquêtes astro- nomiques, celles dont les hommes doivent être le plus justement fiers, à raison de leur certitude, de leur magni- ficence, de leur utilité? En France, d’ailleurs, sous ce rap- port, nous sommes loin de la prodigalité : ôtez l’obser- vatoire de Marseille, souvent paralysé par le peu de soli- dité de la bâtisse ; l'observatoire à peu près achevé, que l'administration municipale de Toulouse vient de faire ériger avec une rare intelligence et une grande libéralité, que reste-t-il? L'établissement de la capitale, en faveur duquel M. le ministre Ges travaux publics demande au- jourd’hui une allocation spéciale. Au demeurant, l’ardêur dont se montrent animés ceux qui de nos jours, s'occupent du perfectionnement des téles- copes des lunettes achromatiques et des grands instru- 41 4 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 577 ments de précision divisés, a plus contribué encore aux progrès de l'astronomie, que l’empressement de tous les “gouvernements européens à faire construire de nouveaux = es et à modifier la forme et la disposition des . anciens. Les premières longues-vues du pauvre opticien de Middelbourg qui inventa ces instruments merveilleux, n'avaient qu’un demi-mètre (un pied et demi) de distance focale. Les lunettes à l’aide desquelles Galilée découvrit les satellites de Jupiter, les phases de Vénus, grossissaient à peine sept fois. Dans aucun des instruments de l’im- mortel philosophe de Florence, l’amplification linéaire ne surpassa 32 fois. Huygens et Cassini étaient en possession de lunettes dont le grossissement allait à 100 fois. Ils n'avaient atteint ce nombre qu'en portant déjà la longueur focale à 8 mètres. Ç Plus tard, on vit sortir des mains d’Auzout un objectif qui supportait un grossissement de 600; mais il avait 98 mètres (300 pieds) de distance focale ; or, nous l’avons déjà dit, malgré mille artifices ingénieux, la manœuvre d’une lunette d’une longueur égale à la hauteur de la flèche des Invalides, présenta des difficultés insurmon- tables. :,. Découragés, les opticiens, à l’exemple de Newton, donnèrent tous leurs soins aux télescopes à réflexion. De très-bons instruments de ce genre furent exécutés, mais dans des limites de grandeur restreintes. Lorsqu'en 1758, le fils d’un manufacturier francais réfugié en Angleterre, Jean Dollond, eut exécuté ce que VL — 1x, 37 578 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Newton avait déclaré impossible, des lunettes dépouillant entièrement les images des astres, des bordures irisées qu’engendraient tous les objectifs simplés; des ‘uneites achromatiques , qui, avec de petites dimensions, suppor- taient des grossissements aussi forts que les objectifs de 75 à 100 mètres de Campani, de Borelli et d'Auzout, l'attention se porta exclusivement de ce côté. Les Anglais, dont les verriers savaient seuls produire le cristal (fint- glass) sans stries, se trouvèrent en possession de la construction des lunettes achromatiques pour le monde entier. L'habileté de nos voisins dans la fabrication du verre n’était pas telle, néanmoins, qu'ils eussent réussi, par exemple, à produire pour l’usage des opticiens, des plaques pures de flint et de crown-glass, de Poe de 16 centimètres (6 pouces) de diamètre. Les images qu’engendrait un objectif de 16 centimètres, n'ayant pas assez d'intensité pour supporter convenable- ment, sur les planètes, les grossissements que la science réclamait, on revint une seconde fois aux télescopes à réflexion, C’est alors que parurent les colossales machines, exécutées aux frais du roi d'Angleterre, qui ont immor- talisé Herschel. Un nouveau retour aux lunettes dut inévitablement avoir lieu, le jour où un ouvrier suisse réussit, dans une verrerie située près de Munich, à fabriquer du flint-glass sans stries, Stimulé par l’habileté avec laquelle Frauen- hofer tira parti de ce cristal, le gouvernement anglais essaya, mais en vain, de ressaisir une industrie qu’il s’était laissé enlever. Les plus puissantes lunettes employées SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 579 aujourd’hui, même dans les observatoires anglais, pro- viennent des ateliers de Paris et de Munich. La plus grande lunette achromatique connue n’a que 38 centimètres (1/4 pouces) d'ouverture. L'effet d’un pareil instrument semble devoir être égalé et même surpassé, par celui que produiront dans des grandeurs accessibles, des télescopes à miroir. Aussi voyons-nous maintenant en Irlande un personnage très-riche, lord Rosse, appliquer avec une ardeur infinie et une perspicacité remarquable, des sommes énormes à des essais sur la construction de télescopes de dimensions inusitées. Les choses en étaient à ce point, lorsque deux verriers, MM. Guinand et Bontemps, présentèrent à l’Académie des sciences des masses de crown et de flint-glass, de 57 cen- timètres de diamètre, qui paraissent exemptes de bouil- lons et de stries. Ces artistes s'engagent même à fournir des masses pareilles d’un mètre, D'autre part, des opti- ciens mettent généreusement à la disposition des sociétés savantes les moyens mécaniques qu’ils possèdent pour façonner, doucir et polir ces gigantesques lentilles. Enfin, l'artiste les plus éminent de notre pays a promis de diri- ger ce travail, Dans un temps assez court, si la Chambre adopte la oroposition de M. le ministre des travaux publics, les . .stronomes français dirigeront peut-être sur le ciel des lunettes supérieures à tout ce qui existe en ce genre, supérieures même à ce que l'imagination la plus ardente aurait osé espérer l’an dernier. En attendant, la monture parallatique et le toit tournant de la tour orientale de l'Observatoire, permettraient de tirer un parti très-utile 580 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. de diverses lunettes que la difficulté de les manœuvrer rend au‘ourd’'hui sans emploi. Les découvertes que de grands instruments présagent, seront-elles donc assez éclatantes pour justifier tant d’em- pressement et de si grandes dépenses? Citons quelques faits, et la Chambre répondra elle- même. Jusqu'à ces dial temps, on n'avait pas réussi à déterininer la distance réelle d’une seule étoile. On con- naissait seulement une limite en deçà de laquelle aucun de ces astres ne pouvait être situé. Maintenant, grâce à des observations qui deviendront faciles à l’aide des grandes lunettes dont le Bureau des Longitudes espère pouvoir disposer bientôt, la vraie distance d’une étoile est connue. La petite étoile dite la 61° du Cygne, est tel- lement éloignée de la terre, que sa lumière emploie en- viron 10 ans à nous parvenir. Cette étoile, anéantie tout à coup, se verrait donc encore 10 ans après la catastrophe. Qu’on se rappelle que la lumière parcourt 77,000 lieues par seconde ; que le nombre de secondes conte- nues dans un jour, est de 86,/00 ; que l’année renferme 365 jours 25/100° ; que le produit de ces trois nombres doit être multiplié par 10 pour évaluer en lieues de:4 kilo- mètres, l'intervalle qui nous sépare en ligne droite de la 61" du Cygne, et il paraîtra naturel que les astronomes se glorifient d’un pareil résultat, et qu’ils désirent appli- rl LE Le Mini PES quer leurs magnifiques opérations d'arpentage à d’autres « étoiles. Les grandes lunettes à montures parallatiques et à grossissements considérables, serviront à perfectionner SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 581 les observations des étoiles doubles. Le fait est mainte- nant bien établi, les étoiles de presque tous ces groupes binaires, sont dépendantes les unes des autres; elles forment des systèmes composés de soleils, assez ordinai- _rement colorés, tournant autour de leur centre commun de gravité, La mesure exacte de ces mouvements de rotation, combinée avec la détermination de la distance réelle des deux astres groupés, conduira mathématiquement à la connaissance de la somme des deux masses. | Lorsque, par une série de déductions invincibles, les géomètres et les astronomes arrivèrent à trouver que la masse du Soleil était égale à 354,936 fois celle de la Terre; en d’autres termes, lorsqu'ils reconnurent que l’astre radieux placé dans le bassin d’une immense ba- lance, exigerait, pour être équilibré, qu'on accumulât dans le bassin opposé 354,936 globes semblables à celui que nous habitons, le monde resta interdit d'étonnement. Nous pouvons affirmer qu’on va faire davantage. L'homme détermina jadis la masse d’un astre qui s’offre à ses regards comme un immense globe ; d’un astre autour duquel la terre circule, d’un astre qui maîtrise par son attraction, c’est-à-dire par une action dépendante de sa masse, tous les mouvements planétaires. Chacun avait pu, à priori, entrevoir vaguement des liaisons, des rapports devant conduire au résultat désiré. Aujourd’hui, il s’agit d'évaluer aussi les masses de soleils, mais de soleils appartenant à d’autres systèmes ; de soleils placés à des distances qui confondent l’imagina- tion ; de soleils qui n’offrent dans les lunettes aucun dia- 582 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. mètre appréciable; de soleils que la simple épaisseur d’un fil d’araignée dérobe à la vue de l'observateur; ici les forces de la science se présenteront dans toute leur ma- jesté. L’astronome muni d’une lunette à très-large ouver- ture, à grossissement considérable, montée parallatique- ment, et conduite délicatement par une horloge, trouvera encore un champ de recherches presque intact, dans les nébulosités si vastes et à formes si variées dont leciel est parsemé. Il étudiera les progrès de la concentration de la matière phosphorescente ; 1l marquera l’époque de l'arrondissement du contour extérieur ; l’époque de l’ap- parition du noyau lumineux central; l’époque où ce noyau, devenu très-éclatant, restera seulement entouré d’une légère nébulosité ; l’époque où cette nébulosité, à son tour, se sera condensée; alors l'observateur aura suivi la naissance d’une étoile dans toutes ses phases. D’autres régions du ciel montreront suivant quelles lois ces mêmes astres s’affaiblissent et finissent par disparaître entièrement. Sans sortir de notre système solaire, une grande lunette promet des découvertes d'un autre genre et non moins intéressantes. On sait très-peu de chose sur l'atiicdstblé de Wake, sur les très-hautes montagnes dont ce globe, à peu près égal à la terre, paraît couvert. Les taches neigeuses qui naissent, grandissent, dimi- nuent et disparaissent périodiquement, tantôt à l’un et tantôt à l’autre pôle de rotation de Mars, suivant que le soleil est dans tel ou tel hémisphère de la planète rou- getre, n’ont pas été suffisamment étudiées. Front rx 'fvautish À hébecuie lo. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 583 Avec de grandes lunettes, ce qui est encore douteux deviendra manifeste, ce qu’on n’a qu’entrevu s’apercevra nettement. Quoique Jupiter n’ait pas été encore assidument exploré à l’aide d'instruments à larges ouvertures et à ” pouvoirs amplificatifs considérables, on sait, avec certi- tude, qu’il existe dans les régions équinoxiales de cette planète, des vents analogues à nos alizés ; que l’atmo- sphère y éprouve d'énormes perturbations; que les nuages y sont quelquefois emportés avec une vitesse de 96 lieues à l'heure. Si des observations faites à bâtons rompus, avec des lunettes d’une force médiocre, ont conduit à de si curieux résultats, que n’est-il pas permis d’attendre de l’assiduité unie à la puissance ? Le mystérieux anneau de Saturne, ce pont continu sans piles, de 48,000 kilomètres (12,000 lieues) de large ; de moins de 400 kilomètres d'épaisseur ; ce pont qui, dans tous ses points, est éloigné de 32,000 kilo- mètres (8,000 lieues) de la planète qu’il entoure, réserve certainement des découvertes capitales, à qui pourra le suivre dans toutes ses phases avec de très-forts pouvoirs amplificatifs. L'observation continuelle des brillants satellites de Jupiter a trop enrichi la science, pour qu’on ne doive pas beaucoup attendre aussi de l'observation non interrompue des satellites de Saturne et d’Uranus. L'examen continu des mouvements de ces satellites microscopiques, est aujourd’hui impossible dans tous les observatoires, à cause de la puissance trop bornée des lunettes et des télescopes, 584 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. L'étude des changements de forme continuels qu’é- prouvent les comètes, semble devoir nous éclairer sur la constitution physique des espaces éthérés. Si cette étude a fait jusqu'ici peu de progrès, on ne doit l’imputer qu’à la faiblesse des instruments à l’aide desquels les astro- nomes ont été réduits à observer ces astres nébuleux. Jetons encore un coup d'œil rapide sur ce qu’on peut raisonnablement attendre de l'application de très-grandes lunettes à l’observation de la Lune. 1,093 montagnes de notre satellite ont été exactement mesurées. Dans ce nombre, 22 surpassent le Mont-Blanc dont la hauteur, comme on sait, est de 4,813 mètres. Une d’elles, la plus haute cime des monts Dœrfel, s’élève jusqu’à 7,603 mètres ; le sommet de Newton va à 7,264 mètres; celui de Casatus à 6,956; etc. La constitution cratériforme de la plupart des régions de la Lune n’a pas été étudiée avec moins de soin : la profondeur de chaque cratère, la hauteur du piton central, sont aujour- d'hui connues avec précision, etc. ; les astronomes ont obtenu tous ces résultats, avec des grossissements de deux cents fois au plus. Doit-on alors craindre de se tromper, en fondant de grandes espérances sur une lunette dont la lumière permettra d'employer un grossissement de six mille fois, sur une lunette qui fera voir les montagnes de notre satellite, comme le Mont-Blanc est vu de Genève? L'an dernier, le docteur Robinson examinait la Lune avec un télescope de trois pieds anglais de diamètre (0®.91), appartenant à lord Rosse; avec un télescope dont la lumière n’était guère que le quart de celle que posséderait une lunette d'un mètre d'ouverture. Le gros- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 585 sissement était modéré ; eh bien, le célèbre astronome d'Armagh invitait déjà instamment les naturalistes à aller en Irlande, à Parsonstown, pour étudier la constitution physique de notre satellite; il assurait que de cet examen 'ésulteraient des connaissances entièrement nouvelles, relativement au mode d’action des forces qui ont présidé, sur notre globe, à la formation des terrains volcaniques. Si, après avoir. entendu cette longue énumération; si, après avoir dénombré les recherches variées que de grandes lunettes permettraient d'entreprendre avec toutes chances de succès, la Chambre daigne remarquer qu’en pareille matière, la part de l’imprévu est toujours la plus fructueuse, la plus riche, la plus brillante, elle compren- dra que sa Commission lui propose, à l'unanimité, d’ou- vrir à M. le ministre des travaux publics, un crédit de 94,000 francs, qui devra être employé à compléter l'Observatoire de Paris. VII PIED PARALLATIQUE DE LA GRANDE LUNETTE DE L'OBSERVATOIRE DE PARIS ! Messieurs, on ne peut espérer aujourd’hui de faire des découvertes astronomiques de quelque importance que dans des établissements spéciaux construits avec une soli- 1. Rapport fait le 19 mars 1851 à l’Assemblée législative, au nom d'une Commission composée de MM. Camus de la Guibourgère, Larabit, Bixio, de Parieu, Creton, Normand des Salles, l’amiral Lainé, Paulmier, Arago (François), général de Grouchy. Dubois (Amable), Payer, Desmaroux, Le Verrier, Yvan. 586 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. dité à toute épreuve, et à l’aide d'instruments délicats d’un prix très-élevé. Reconnaissant cette vérité, tous les gouvernements absolus, constitutionnels ou républicains, se sont attachés à l’envi à créer des observatoires où des astronomes éprouvés pussent essayer d'interroger le fir- mament avec quelque chance d’y apercevoir de nouveaux phénomènes. | La Commission ne s’écartera pas du but qu’elle doit se proposer, en jetant un coup d'œil rapide sur les sacrifices qui, depuis quelques années, ont été faits dans le monde entier en vue des progrès de la science qui honore le plus l'esprit humain. Les États-Unis d'Amérique, qui jusqu'ici avaient paru ne prendre intérêt qu'aux progrès de l'astronomie nau- tique, se sont lancés depuis peu dans une voie plus large avec une grande ardeur, et si leurs efforts continuent, le jour n’est pas éloigné où ils occuperont un des premiers rangs; dès ce moment ils possèdent trois magnifiques observatoires, l’un à Cincinuati, le second à Washington, le troisième à Cambridge. En Europe, la Suède a formé des établissements de même genre à Stockholm et à Upsal. Les compatriotes de Tycho Brahé peuvent se glorifier de l'observatoire d’Altona ; celui que la ville de Hambourg a fait libérale- ment exécuter s’est rendu très-utile, en même temps qu’il a réagi d'une manière heureuse sur la belle fabrique d'instruments de M. Repsold; le petit royaume de Hano- vre possède, à Gœættingue, un bel observatoire célèbre par l'importance des découvertes qui y ont'pris naissance, et surtout par le mérite de son directeur, M. Gauss, un con: riche) ed © SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 587 des plus grands géomètres de l’Europe. La Hollande est en possession , à Utrecht, d'un instrument astronomique dont la mort de son directeur, M. Moll, a un peu retardé les progrès. L'observatoire de Bruxelles, quoique d’une construction récente, jouit déjà d’une réputation méritée, La Suisse peut citer, avec une légitime confiance, son observatoire de Genève. Le grand-duché de Bade a con- sacré ses efforts et ses sacrifices à l'amélioration de l'observatoire de Manheim ; la Bavière à celui de Bogen- hausen, près de Munich, qui a reçu les magnifiques pro- duits de la manufacture d'instruments dué originairement à Reichenbach et à Frauenhofer. L’Autriche a récemment opéré des changements utiles dans l’ancien observatoire de Vienne, où le père Helle exécutait jadis ses travaux. Les observatoires de Padoue, de Bréra à Milan, et de Turin, ont reçu dans leur matérielk-des augmentations capitales; peut-être prêteraient-ils un peu à la critique, si l’on ne considérait que la solidité des locaux qu'ils occupent ; mais les savants directeurs Santini, Carlini, Plana, savent surmonter, à force d’habileté, toutes les difficultés. L’astronomie physique naquit à Venise et en Toscane vers les premières années du xvur' siècle; postérieurement la science prit dans ces pays une direction toute diffé- rente; les améliorations apportées depuis peu dans l’ob- servatoire du jardin Boboli à Florence, et la nomination de M. Amici comme directeur, prouvent que les compa- triotes de Galilée ont la volonté et les moyens de rattraper le temps perdu. Rome répare actuellement l'observatoire du collége romain, célèbre par les découvertes récentes 588 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. de M. Vico. Le gouvernement napolitain, qui possédait déjà en Sicile l'établissement illustré par les travaux de Piazzi, a fait depuis quelques années construire un obser- vatoire nouveau sur le continent, à Capo di Monte. L'Espagne est sortie de sa léthargie : non contente d’avoir près de Cadix un observatoire où l’on fait des travaux assidus, elle cherche à réunir dans l’observatoire de Madrid une collection de très-beaux instruments ; nous savons que cet exemple sera suivi par le gouvernement portugais. Nous avons réservé la Prusse, la Russie, l'Angleterre pour nos dernières citations. Dans ces trois contrées de notre vieille Europe, les efforts que nous aurons à signaler ont été constants et suivis d’éclatants succès. La Prusse possède quatre grands observatoires, l’un à Berlin, l’autre à Bonn sur le Rhin, le troisième à Breslaw, et le quatrième, que les travaux de Bessel ont immortalisé, à Kæœnigsberg. La Russie n’a pas montré moins de zèle ; à l'observatoire célèbre de Dorpat, à ceux d’'Helsingfors en Finlande, de Mitau, de Moscou, de Vilna, de Kiew, de Nicolaïeff près de la mer Noire, elle vient d’ajouter l'observatoire modèle, construit au prix de plusieurs millions de francs, sur la colline de Poul- kova, à peu de distance de Pétersbourg. L’Angleterre, enfin, nous montrera un très-grand nombre de beaux établissements du même genre richement dotés par le gouvernement, par les universités, ou par dès particuliers opulents; ainsi en Irlande nous verrons l'observatoire de Dublin, celui d’Armagh; l'observatoire de lord Rosse à Parsonstown, où existe un télescope dont l'ouverture surpasse de plus d’un pied anglais (0".30) celle de lin- Mimi tn de on à SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 589 strument d'Herschel, jadis si célèbre; l’observatoire de Mackree, établi par un membre du parlement, M. Coo- per, et où brille au premier rang une très-belle lunette fabriquée à Paris dans les ateliers de M. Cauchoix. En Écosse, les observatoires d’Édinburgh, de Glasgow, celui du général Brisbane. En Angleterre, les observatoires universitaires de Durham, de Cambridge, d'Oxford; les observatoires de M. Lassel, près de Liverpool, de sir James South à Kinsington, de M. Bishop à Regent’s-Park, et par-dessus tout, l'observatoire royal de Greenwich, dans lequel son illustre directeur, M. Airy, introduit chà- que année des améliorations importantes que l’amirauté ne marchande jamais. L'Angleterre, portant aussi son attention sur celles de ses colonies d’où l’on peut aperce- voir des portions du ciel invisibles dans nos climats, a fait établir un très-bel observatoire au cap de Bonne- Espérance, un autre à Sidney, dans la Nouvelle-Hollande, - un troisième à Madras; nous ne savons pas enfin si nous ne devons point comprendre, au rombre des établisse- ments britanniques, l'observatoire remarquable construit aux frais du rajah de Trévandrum, près du cap Comorin. Quelle place doit occuper la France dans ce tableau? Il y a peu d'années, la réponse eût été triste, et, pour ainsi dire, humiliante. L'Observatoire de Paris, cette masse colossale de pierres entassées sans aucune intelli- gence des besoins de la science, se présentait aux regards des promeneurs du jardin du Luxembourg, comme un exemple frappant des aberrations auxquelles les archi- tectes se laissent entraîner lorsqu'ils s’obstinent à élever des monuments au lieu des établissements utiles et mo- 590 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. destes qu’on leur demandait pour un but spécial. Toutes les observations s’y faisaient dans un petit cabinet situé à l’est du grand édifice, construit avec une extrême par- cimonie, sur des plans d’une mesquinerie incroyable. Ce fut en 1831 que la Chambre des députés, instruite du véritable état des choses, voulut y porter remède, et vota spontanément, sur un seul exercice, une somme double de celle que le ministre lui demandait pour faire seule- ment des réparations indispensables. A l’aide de cette allocation libérale, les salles d'observation furent recon- struites de fond en comble, et, cette fois, de manière à satisfaire à toutes les exigences. Ces cabinets, en tant qu'il s’agit d'observations méridiennes, peuvent le dis- puter à ce que les observatoires étrangers offrent de plus parfait. Tous les instruments ont été, d’ailleurs , exécutés par des artistes français ; jadis les lunettes, les quarts de cercle, les instruments des passages portaient les noms de Campani, de Dollond, de Short, de Ramsden; aujour- d'hui, sans qu’on ait été obligé de faire aucun sacrifice à l’amour-propre national, on n’y voit que les noms de nos compatriotes, Gambey, Fortin, Lerebours. Expliquons maintenant quel parti on doit tirer des now velles lunettes et de la monture parallatique pour laquelle une allocation de 90,000 francs est demandée. Il serait superflu, commençons par cette remarque, d’insister sur l'indispensable nécessité de donner, à l’aide d’un méca- nisme d’horlogerie, un mouvement uniforme et sans saccade à toute lunette destinée à porter de très-forts grossissements, car ce point a été traité, dans l’exposé des motifs de M. le ministre, avec toute la netteté désirable, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 594 Lorsque Galilée eut construit une lunette sur le modèle de celle que les jeux d’un enfant avaient fait découvrir à l'opticien de Middelbourg, et qu’il la dirigea sur le firma- ment, il y aperçut des objets situés par delà les limites de la vision naturelle : les phases de Vénus, les satellites _de Jupiter, les montagnes de la Lune, les taches et le mouvement de rotation du Soleil, le nombre prodigieux d'étoiles que la Voie lactée renferme. Cette lunette n’avait guère qu’un mètre de distance focale, 41 millimètres d'ouverture (un pouce et demi), et grossissait les objets sept à huit fois, c’est-à-dire un tant soit peu plus que les lunettes actuelles d'opéra. L'æil perspicace de Galilée, armé d’un de ces instruments, dont le mode d’action était alors un mystère, reconnut que Saturne n’avait pas une forme sphéroïdale, mais sans pouvoir préciser la cause de ces irrégularités. La décou- verte de la figure véritable de cet astre a fait la réputa- tion des savants qui ont pu les premiers l’examiner avec des lunettes plus puissantes que celle qu'employait lil- lustre philosophe de Florence. Il est dans le firmament des phénomènes qui sont, relativement aux lunettes actuelles, ce qu’étaient les irré- gularités de forme de Saturne observées avec les très- médiocres instruments de Galilée. L'application de puis- santes lunettes et de très-forts grossissements rendra évident ce qui n’est encore que problématique. Avec ces lunettes, lorsqu'elles seront attachées à un appareil paral- latique, on parviendra, sans doute, à déterminer par un système d'observations analogue à celui que Bessel a déjà mis en usage, les distances de beaucoup d'étoiles à la 592 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Terre. Nous saurons alors si la 61*° du Cygne est une des plus rapprochées ; s’il en est beaucoup qui soient placées à une telle distance, que la lumière la parcourt en moins de dix ans sur la base de 77,000 lieues par seconde ; alors on pourra suivre les changements de forme de ces agglo- mérations de matière lumineuse qu’on appelle des nébu- leuses, et savoir si les derniers termes de concentration de ces matières brillantes sont des étoiles proprement dites, de véritables soleils. Alors on acquerra, sur la con- stitution physique des planètes et des satellites, des no- tions précises qui sont maintenant dans le domaine des conjectures. Alors on étudiera avec exactitude les révo- lutions des étoiles doubles, ces soleils tournant les uns autour des autres, et l’on fournira à nos géom À es les moyens de décider si la pesanteur qui régit les mouve- ments des planètes de notre système s'étend jusqu'aux dernières limites du monde visible. Alors, enfin, on pourra suivre les comètes jusqu’à leur plus extrême éloignement, et tirer de leurs changements de volume ou de forme des conséquences précieuses sur l’état de l’éther dans ces espaces célestes. Si l’on songe qu’en matière de science, et surtout en matière d’astronomie, l’imprévu forme toujours la part du lion, on comprendra combien il est désirable que le ciel soit exploré chez nous régulièrement à l’aide d’instru- ments puissants et se prêtant à des mesures exactes, Prévues ou non prévues, les découvertes dont l’astrono- mie est près de s'enrichir toucheront certainement aux points les plus délicats de la philosophie naturelle ; or, lorsque quelque chose de grand arrive dans le monde, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 593 on le reconnaîtra sur tous les bancs de l’Assemblée, la France a manqué à sa mission quand elle n’y a pas pris part, Lorsqu'à la fin de 1847 le ministre de l'instruction publique présentait à la Chambre des députés une de- _ mande dont celle que nous discutons aujourd’hui n’est que la reproduction, il ne s'agissait que d'établir, sous la vaste et magnifique coupole déjà construite, une lunette de 19 centimètres d'ouverture (7 pouces), conduite par un appareil parallatique ; cet appareil devait avoir des dimensions exagérées , afin de pouvoir se prêter, le cas arrivant, et sans nouvelles dépenses, à l'établissement d’une lunette plus grande; ce qui alors n’était qu’en perspective est devenu une réalité. L'appareil paralla- tique dont le Bureau des Longitudes sollicite la construc- tion portera immédiatement une lunette aussi grande que celle de Poulkova, qui jusqu’à présent était, avec celle de Cambridge, la plus considérable du monde, une lu- nette de 38 centimètres d'ouverture (1/4 pouces). Parmi les nombreux observatoires que nous avons cités plus haut, ceux qui renferment de grandes lunettes montées parallatiquement sont : l'observatoire de Poulkova, les trois observatoires d'Amérique, l'observatoire irlandais de M. Cooper, l'observatoire de Cambridge, dont la lunette, construite à Paris, porte le nom de Northumberland- Refractor, parce que c’est le duc de Northumberland qui a fait personnellement les frais de son établissement ; l'observatoire de sir James South, les observatoires de Bonn, de Berlin, de Kænigsberg, de Dorpat et de Bogenhausen près de Munich; mais si l’on excepté les VIE — 1x. 33 594 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. observatoires de Poulkova et celui de Cambridge en Amérique, on ne trouverait nulle part des objectifs de plus de 82 centimètres (12 pouces). Le Bureau des Longitudes a profité d'une circonstance favorable pour faire avec ses fonds ordinaires, et en ajournant d’autres dépenses, l’acquisition d’un objectif de 38 centimètres (14 pouces) pour la somme très-modérée de 25,000 fr. Cet objectif, d’une bonté reconuue, a été exécuté par M. Lerebours, avec du flint-glass et du crown-glass fabri- qués dans nos ateliers ; tout nous persuade qu’il suppor- tera des amplifications de deux à trois mille fois, c’est- à-dire deux à trois cents fois supérieures à celles dont Galilée fit usage pour les découvertes qui ont été tant et si justement célébrées. jé Nous avons longuement discuté avec l’éminent artiste qui exécutera cet appareil, si l’Assemblée en vote la construction, le devis qui nous a été fourni; tout, dans ses évaluations, nous a paru modéré. Au surplus, M. Brun- ner, ne voulant pas spéculer sur un travail qui doit tant contribuer à étendre sa réputation, a déclaré que si les 90,000 francs dépassaient ses prévisions, il S'engagerait volontiers à verser la différence dans les caisses du Tré- sor. Ne négligeons pas de dire ici que notre coupole et l’appareil parallatique projeté se prêteraient, sans nou- velles dépenses, à l'établissement d’une lunette d'une ouverture double et dont la longueur surpasserait de 5 à 6 mètres les plus grandes lunettes actuelles. Nous avons la confiance que l’Assemblée ne se mon- trera pas moins disposée à encourager les études astrono- miques que ne l’a été l’administration municipale de SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 595 Toulouse, à laquelle on doit la construction de l’élégant observatoire qui couronne si noblement une colline située près de la ville. Nous lui proposons de voter les 90,000 francs qui lui sont demandés. Par un sentiment de bienveillance dont la science | reconnaissante conservera certainement le souvenir, le ministre de l'instruction publique a proposé d’imputer sur les ressources affectées aux besoins de l’exercice 1851 la totalité des 90,000 francs que doit coûter l'appareil paral- latique ; mais considérant que cet appareil colossal ne pourra être terminé, quelque diligence que l'artiste y mette, que dans le courant de 1852, la Commission estime qu'il serait possible de partager les 90,000 francs demandés en deux sommes de 45,000 francs, qui devien- draient imputables, la première sur l'année 1851 et la seconde sur l’année 1852 ; c’est en ee sens seulement que la Commission modifie la proposition du gouvernement. VIII SUR LE MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE DE PARIS ! La précipitation a été dans tous les temps une cause de malfaçon et de dépenses excessives. Jamais la France n’a eu un gouvernement plus fort, plus vigoureux, plus sévère pour les entrepreneurs que le gouvernement de l'Empereur. A une certaine époque, Napoléon voulut pousser les travaux de Saint-Denis avec une excessive 4. Extrait d’un discours prononcé le 16 mai 1836 à la Chambre des députés. 596 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. rapidité. Qu'en résulta-t-il, de grands embarras, l'impos- sibilité de déterminer le montant exact des dépenses, et de mettre un terme aux exigences des entrepreneurs. Napoléon aperçut ce désordre, et c’est là ce qui le déter- mina à soumettre tous les travaux de la capitale à la haute surveillance d’un fonctionnaire spécial. Son choix tomba sur une personne considérable, également connue par sa probité sévère et par sa haute capacité, le père de M. le ministre de l’intérieur actuel, M. de Montalivet. Dès le début, en examinant les travaux d’un seul point, les travaux exécutés avec précipitation à Saint- Denis, on découvrit un fait que je vais articuler avec assurance, sur lequel je ne crains pas d’être démenti, puisque je le tiens de M. de Montalivet lui-même. On reconnut qu'on avait déjà payé 240,000 francs de trop pour la marbrerie et 100,000 francs de trop pour la vitrerie! On voit que, malgré l'invention des attachements, il y a possibilité, quand on conduit des constructions avec une rapidité trop grande, d’être entraîné, par les exi- gences des entrepreneurs, dans de très-graves erreurs. Examinons maintenant si les travaux exécutés au Jar- din des Plantes ont été suffisamment étudiés. Parlons d’abord de la galerie de minéralogie. Je déclare que, pour mon compte, je désirais vivement son exécution ; maïs le bâtiment remplit-il son but? Il me semble impossible de méconnaître dans cette construction un luxe tout à fait inutile. Un tiers de la hauteur est totalement perdu ; dans un tiers de la hauteur on ne pourra pas placer un seul minéral. Eh bien, déplacez verticalement la con- struction actuelle, de manière que le rez-de-chaussée SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 597 devienne le premier étage ; vous aurez le même espace pour les minéraux, et le rez-de-chaussée vous restera pour placer la bibliothèque et l’herbier qui ont donné lieu à une discussion qui pourrait être plus développée encore. Je crois donc que, là aussi, on s’est trop hâté. Si l’on avait discuté les plans avec plus de maturité, on aurait pu arriver à des résultats beaucoup plus favorables avec une dépense moindre. Aux deux extrémités de la nouvelle galerie sont deux petites pièces destinées aux cours. Dans l’une de ces pièces on va faire un amphithéâtre ; combien contiendra- t-il de personnes ? 120 à 130 au plus. Ainsi on a décidé tacitement, et cela contre la vérité, en ce qui concerne les habiles professeurs actuels, contre la vérité, il faut l'espérer, s’il s’agit des professeurs futurs, qu’un cours de géologie dans lequel on développera avec toute la science de notre époque, les modifications successives que le globe terrestre a subies, ne réunira dans la ville de Paris, dans la capitale du monde civilisé, que 120 à 130 auditeurs. C’est une erreur, c’est une faute qui exi- gera une réparation, mais aussi une dépense nouvelle, Il y a plus, l'amphithéâtre projeté sera placé aussi mal que possible. Le professeur ne sera séparé de la rue de Buffon que par un intervalle de quelques mètres. Le bruit des omnibus, des fiacres, des voitures de toute espèce qui se rendent au faubourg Saint-Marceau, mettra le pro- fesseur dans l’impossibilité de se faire entendre, On a parlé de l'obligation dans laquelle on s'était trouvé d’ajouter à la dépense présumée de la nouvelle ga- lerie, une somme considérable, une somme de 30,000 fr. 598 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. pour revêtir le soubassement en pierres de Château- Landon. Ce travail n’ayant pas été prévu, sur quoi s’est- on fondé pour en établir la nécessité? Sur une prétendue humidité extraordinaire de terrain, Le terrain est partout le même dans la longueur de la rue de Buffon; nulle part il n’est dominé; au contraire, il est plus relevé que la rue d’une quantité assez notable ; il n’y avait donc pas d'humidité extraordinaire à pré- voir, et les architectes ne l'avaient pas prévue. Le revé- tement de Château-Landon est un simple ‘ornement. C'est 30,000 fr. inutilement dépensés. | Passons aux serres. Elles sont. belles, bien construites. Le ministre a dit que la portion exécutée était copiée sur des serres anglaises ; il l’a appelée serre à, deux étages, sans que je puisse deviner pourquoi ; mais toujours est-il qu’il y avait une question importante sur laquelle. on n'aurait pas dû prendre un parti avant de s’être-éclairé de l'opinion des éminents professeurs de botanique. Cette question eût consisté à savoir si les serres seraient, pla- cées en l’air ou de plain-pied avec le sol du. jardin, En adoptant cette dernière solution, la dépense eût été nota- blement réduite, et l'établissement se serait trouvé. beau- coup. mieux abrité. On a parlé des. dépenses considérables que la con- struction des calorifères a exigées; on a dit que l'on avait eu besoin de faire un grand nombre d'expériences, et que ces expériences étaient idiepenepiess que les sa- vants l’avaient reconnu. - Il n’est que trop vrai qu’on a fait des expériences, disons mieux, des tentatives nombreuses et fort chères ; SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 599 mais j'affirme qu'elles auraient été inutiles, si, au lieu de s’en rapporter à l’opinion de ses bureaux, très-ca- pables peut-être à beaucoup d’égards, mais très-inca- pables sur cette question spéciale, on avait consulté des hommes de l’art, des hommes en mesure d’envisager le problème sous toutes ses faces, Je sais bien qu’à une certaine époque on a consulté un savant, un professeur célèbre, mais il était trop tard, le mal était déjà consommé, si mal il y avait, Je m’empresse de reconnaître que l’appareil actuel chauffe suffisamment. L'expérience a été faite l'hiver dernier ; le résultat a été, dit-on, favorable; mais il ne suffit pas, lorsqu'on s'occupe d’un monument de cette nature de savoir si l’on chauffe ou si l’on ne chauffe pas suffisamment ; la question de la dépense est capitale ; pour le Jardin des Plantes, c’est presque une question de vie ou de mort, si vous ne modifiez pas son budget : dans le cas possible où une grande partie de ses fonds serait absorbée par des frais de chauffage, vous ne sau- riez blämer trop sévèrement les constructions actuelles. Aujourd'hui, en Angleterre, au lieu de chauffer les serres à la vapeur, on se sert d’eau chaude qui circule dans des tubes métalliques. On a prétendu qu'il y avait économie, facilité et sûreté dans le service : je demande si, avant de prendre un parti sur cette question, elle a été agitée en présence de personnes capables? n'est-ce pas plutôt seulement l'opinion d’un conseil d'architectes qui a tout décidé? Je ne sais, en vérité, si je dois parler d’un bâtiment qui a tant excité l’autre jour l’hilarité de la Chambre, du 600 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. palais des singes. Ce palais a été fait, dit-on, sur le mo- dèle fourni par la Société zoologique de Londres. Je ne trouve pas mauvais que l’on aït consulté la So- ciété zoologique, qui possède effectivement dans la capi- tale de l'Angleterre un bâtiment admirable ; maïs, puis- qu’on était en si bon chemin, on aurait dû la consulter aussi sur l’économie de la construction. Allez demander à la Société zoologique de Londres si elle a fait un bâtiment dispendieux ; elle vous répon- dra qu’elle s’est bien gardée d’entasser pierre de taille sur pierre dè taille; qu’elle s’est bien gardée de con- struire, comme on l’a dit dans une précédente séance, un véritable palais des singes. Au surplus, cette pierre de taille, dont vous vous êtes servis à profusion, les natu- ralistes font remarquer qu’elle aura de graves inconvé- nients de plus d’un genre pour la santé des animaux. Comment a-t-on répondu à cette objection? la réponse est vraiment burlesque : ces pierres de taille qui ont tant coûté, nous les recouvrirons de bois ! Le beau, en architecture, est que chaque objet soit adapté à sa destination. Je me reporte par la pensée à une basilique où l’on avait pour directeur des travaux, à Paris, un homme d’un grand talent et d’une grande probité, M. Brugnières. C’est sous la direction de ce célèbre ingénieur que furent élevés les magnifiques abat- toirs, que les pays étrangers copient à l’envi lun de l’autre; eh bien, à l’origine, on avait voulu employer des colonnes corinthiennes à leur construction. M. Bru- gnières les fit supprimer, et il eut raison. Il est vrai que plus tard, l’abbé de Montesquiou, ministre de l’intérieur, À SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 601 lui fit un jour la galanterie de dire : « Fi donc, monsieur Brugnières, vos abattoirs ressemblent à des écuries. » C'était le plus bel éloge que M. Brugnières pût désirer dans un compliment. Je ne crains pas de le répéter, un bâtiment est beau alors seulement qu’il est approprié à sa destination. C’est en prenant ce principe pour guide, qu’on empêchera dans l'avenir de dispendieuses réparations ou des démolitions déplorables attestant le peu de prévoyance des premiers constructeurs, IX SUR LES CABINETS ET SUR L'OBSERVATOIRE DU COLLÉGE DE FRANCE ‘ J'ai déjà parlé plusieurs fois des conséquences d’une trop grande précipitation dans lexécution des travaux publics ; la plus fâcheuse de ces conséquences, c’est le manque de solidité. Les plus habiles architectes n’y ont pas échappé. Ainsi la grande galerie du belvédère au Vatican, construite par le célèbre Bramanti, tomba avant d’être achevée. Ainsi, du grand bâtiment de Saint-Pierre, construit par le même artiste, il ne reste que des por- tions insignifiantes. Les architectes de Paris n’ont pas échappé à la règle commune : le bâtiment du Collége de France, par exemple, est construit de manière à durer fort peu de temps, peut-être pas vingt ans! On a parlé de la nécessité dans laquelle l'architecte 1. Extrait d’un discours prononcé à la Chambre des députés, le 16 mai 1856. 602 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. s'était trouvé de modifier les anciens plans : cette néces- sité résultait, suivant lui, de la disposition du terrain, Il est vrai que le terrain est incliné. Il est vrai que ce terrain n’a pas une pente bien régulière, et que, par exemple, dans la longueur de la place Cambrai en allant vers la rue des Sept-Voies, il y a une pente légère; mais il n’est pas moins certain que la ligne de la plus grande pente est dans la direction de la rue Saint-Jacques : or, c’est précisément de ce côté-là que les bâtiments ont été trans- portés. C’est par un mouvement vers le côté où les bà- timents sont le plus dominés par le terrain qu'on a modifié les anciens plans. J’affirme que les constructions du Collége de France (le mot paraîtra peut-être un peu dur) ont été faites sans intelligence. On a parlé d’une collection d'instruments de phy- sique ; on l’a citée comme une des plus belles qui existent dans le monde. L’éloge est vrai s’il s’agit des instru- ments; mais il faut remarquer qu’ils sont construits de- puis longtemps. L’éloge est encore vrai si on parle de la manière dont les instruments sont entretenus, Car le con- servateur est un savant d’un rare mérite ÿ et il a l’avan- tage sur la plupart des conservateurs de pareils cabinets, d’être né dans un atelier, Si on a entendu parler du bâtiment, c’est précisément le contraire de ce qu'on a dit qui serait la vérité. Concevra-t-on que dans un cabinet de physique exécuté de toutes pièces, que dans un cabi- net construit à neuf, on n’ait pas su placer tous les plan- chers sur le même niveau, qu’il s’y trouve des marches, ce qui empêchera de faire rouler les instruments pour.les transporter d’une salle à l’autre ? SUR DIVERS ETABLISSEMENTS PUBLICS. 603 Jai déjà dit que le bâtiment n’est pas solide. Pour le - fortifier, on a placé une série de grandes colonnes dans : l'intérieur de la grande salle. En quoi s’imagine-t-on qu'on a élevé ces colonnes, dans un cabinet de physique, destiné souvent à des expériences magnétiques? En fer !1 ! Si notre illustre Coulomb vivait encore, avec un cabinet semblable à sa disposition, il serait obligé d’en sortir pour exécuter ses immortels travaux. On doit espérer du moins que ces grandes masses auront rendu la bâtisse inébranlable; eh bien, il n’en est rien. On va du reste en juger. Lorsque vous allez au faubourg Saint-Antoine acheter une armoire, vous ne prenez jamais la peine de recher- cher si les faces sont rectangulaires ; il n’est pas d’ébé- niste , tout médiocre qu’il soit, qui ne satisfasse à cette condition : eh bien, ces armoires communes ne pourraient être employées dans le cabinet de physique du Collége - de France; elles auraient fait ressortir l’inclinaison des « plafonds. Pour empêcher qu’on s’aperçût des différences de niveau et du déversement du plan, il a fallu terminer les armoires dans la partie supérieure par des pans cou- pés dans une direction oblique et non parallèle à la tra- verse horizontale du bas. Le fait ne pourra être contesté, Il s’est fait. dans diverses portions du collége des mou- vements, des tassements, des déplacements considérables. J’affirme que dans le bâtiment tout neuf et en quelque sorte fait d'hier, il y a aujourd’hui une portion qui est étayée. Voilà le monument qu’on a présenté comme une merveille, comme un chef-d'œuvre. C’est la portion neuve dont je parle. La construction a 604 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. été faite avec une telle économie de matériaux, quoi- qu’elle ait coûté beaucoup d’argent, qu'on ne trouve dans les salles aucune des qualités essentielles que doit posséder un bâtiment destiné à des cours publics. Je connais un des habitants du Collége ; il m’a raconté un phénomène dont les physiciens seront obligés de s’oc- cuper. Quand on marche au premier étage, l'habitant du second entend le bruit au troisième; ainsi, ce n’est pas sans raison qu'on a qualifié ce bâtiment de Ventriloque. Ce n’est pas tout; on a voulu l’enrichir d’un obser- vatoire. Le corps enseignant du Collége, sur la proposition d’un professeur d’astronomie théoricien, a demandé une ter- rasse ; peut-être ce professeur songeait-il à reproduire les fameuses et anciennes terrasses des observatoires Ge Samarcande ou de Bagdad. J'avoue enfin qu’on a demandé une terrasse. Le seul professeur du collége qui eût le droit d’émettre un avis sur une question de cette nature s’y est opposé; mais on n’a tenu aucun compte de son opinion. À la terrasse pri- mitive on a même substitué un prétendu observatoire ; parlons maintenant de cette étrange construction. On sait que dans un observatoire, la solidité, l’immo- bilité est la première de toutes les conditions. Faites osciller, même très-légèrement , les murs sur lesquels les instruments reposent, et vous voilà aussitôt à des milliers de lieues de la véritable position des astres. Eh bien, le nouvel observatoire est sur un comble, sur un comble d’une bâtisse sans solidité, d’une bâtisse étayée. Du moins les abords du nouvel observatoire seront SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 605 faciles? En cela même vos prévisions seront trompées; pour entrer, il faut presque se coucher. - Vous voilà enfin dedans. Vous apercevez d’abord une petite trappe tant bien que mal orientée, pour indiquer qu’un deuxième observatoire doit avoir une lunette méri- _ dienne. Mais pour que cet instrument ait quelque utilité, il faut qu’il soit posé solidement , il faut qu’il repose sur des piliers de pierres de taille, ayant leurs bases dans le terrain naturel, Ici, il n’y a pas de piliers du tout ; si on veut installer une lunette méridienne, il faudra la sus- pendre au plafond comme on suspend, chez les pharma- ciens, les reptiles empaillés, Dans un observatoire, il faut un toit tournant , c’est-à- dire un toit mobile, portant une certaine ouverture sus- ceptble d’être dirigée vers l'endroit du ciel où l’on veut observer. Au Collége de France, il y a une apparence de toit tournant, il y a une ouverture; mais rien ne tourne : aussi ne faut-il pas s'étonner que le seul lieu où l’on puisse placer une lunette au-dessous de ce simulacre de toit soit à une telle distance du simulacre d'ouverture. qu'en la supposant ouverte, la portion du ciel qu’on découvrirait n'embrasserait que fort peu de degrés des deux côtés du zénith. On voit si c’est sans fondement que je devais critiquer la nouvelle bâtisse. Le problème qu’on y a résolu est celui d’un observatoire d’où l’on voit le ciel le moins possible. Si ce bâtiment, a-t-on dit, ne peut pas servir à des observations réelles, il sera du moins utile pour les exercices des élèves. Eh bien, cela même, je le nie : il serait impossible d’y établir, non-seulement aucun des 606 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. instruments de l’astronomie moderne, mais encore les cercles répétiteurs ou les théodolites répétiteurs dont se servent en campagne les habiles ingénieurs géographes qui, dans ce moment-ci, exécutent la carte de France avec tant de succès. à: Mon illustre ami, lord Brougham, me disait un jour en parlant d’un certain tory fort connu par son inébranlable attachement aux vieux systèmes, qu’il n’avait jamais pu en trouver la cause finale. Je suis plus heureux que vous, lui répondis-je , ce personnage fait l'office de la borne militaire : en restant stationnaire il marque le point de départ ; il sert à mesurer toute l'étendue des progrès successifs de la civilisation et de l'intelligence humaine. J'ai cherché quelle pouvait être la cause finale de l'observatoire du Collége de France, et je l'ai découverte ; il servira à montrer comment les observatoires ne doivent pas être construits, puisqu'on y a réuni tous les défauts possibles ; en faisant tout le contraire, en s’éloignant le plus possible de ce grotesque modèle, on sera bien près de la perfection. | Quelle a été la cause des nombreux défauts que je viens de signaler et qui ne sont que trop réels? D’abord l'espèce d'horreur que paraît avoir l’administration pour les personnes compétentes ; l’idée qu’un conseil de bâti- ments civils, composé d'architectes, est propre à pro- noncer sur un observatoire comme sur toute autre nature de bâtiments; le dédain avec lequel on a repoussé les conseils éclairés du savant illustre qui s’est opposé à cette construction monstrueuse, Mais il est encore une autre cause que je signale avec de. ce dt iiis atematee à 0 5 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 607 regret, c’est que les travaux n’ont pas été mis en adjudi- cation ; c’est qu'ils ont été exécutés par un entrepreneur qu'on a dû croire favorisé par l'administration; c’est que l'architecte a manqué de vigueur pour faire marcher ce protégé ministériel dans la voie que commandait l'intérêt de la science et des contribuables, Voilà. ce que j'avais à dire sur les constructions du Collége de France. Il m’en coûte de refuser le crédit demandé; non assurément que je croie que le Collége de France n’est pas un des plus glorieux établissements du pays; non que je ne sois profondément convaincu du mérite. éminent des professeurs dont se compose cet établissement ; mais je le refuse parce que j'ai presque la conviction que sur l’un des terrains vacants qui se trouvent aux alentours du Panthéon, il serait possible de faire, avec les 600,000 à 700,000 francs demandés, un bel établissement, où les professeurs répandraient en paix les trésors de leur science sur leurs nombreux auditeurs. Depuis qu’on a eu la malheureuse pensée d’entourer le Collége de France de rues, on ne peut plus faire une leçon en repos. Les nouveaux amphithéâtres pour les- quels on demande des fonds seront sur la rue Saint- Jacques, où, à cause de la rapidité de la pente, les chevaux ne montent qu'à coups de fouet, et où les voitures descendent bon gré mal gré au grand trot. Déjà, les inconvénients d’avoir des amphithéâtres à côté des rues se sont manifestés. Deux habitants du voisinage, à qui il a pris l'envie très-innocente d'apprendre à donner du cor, ont forcé plusieurs fois des professeurs à inter- 603 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. rompre leurs leçons. Je demande donc à la Chambre de vouloir bien inviter les ministres à dépenser les fonds de l'État sur un terrain plus convenable, et surtout de con- struire le nouveau collége de manière qu’il ne menace pas de tomber en ruines avant d’être achevé. On a parlé de lézardes qui existent dans une partie du bâtiment qui n’a pas encore été réparé ; moi j'affirme qu’il s’en trouve dans une portion du bâtiment nouvelle- ment construit; et je vais vous dire quel effet elles ont produit. Parcourez la plus humble maison de Paris, et je vous demande si vous voyez nulle part que les compartiments des carreaux ne sont pas sur une même ligne horizon- tale? Eh bien, allez au Collége de France, dans la partie du bâtiment nouvellement construite, et vous verrez un compartiment de deux centimètres plus bas que le com- partiment du carreau voisin, de sorte que ces deux com- partiments, quand la fenêtre est fermée, au lieu de se trouver sur la même ligne, sont à deux centimètres de distance. Aussi on ne pourra faire la manœuvre des in- struments les plus simples. Les instruments portatifs des ingénieurs géographes, comme je l’ai déjà dit, ne pour- ront pas même être introduits dans le nouvel observatoire. [Le discours précédent a donné lieu à une polémique dans les journaux ; M. Arago fut ainsi conduit à écrire les deux lettres sui- vantes :] Paris, ce 21 mai 1836. Monsieur le rédacteur du Temps, # Veuillez avoir la bonté d’accorder une petite place à la SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 609 réponse qu’exige de ma part la lettre que vous avez pu- bliée dans votre numéro de vendredi. La lettre en question est signée P. Letarouilly. Ce nom n’était jamais parvenu à mon oreille. Je n’affirme donc pas qu’il existe un M. Letarouilly, architecte; je n’ac- cepte à cet égard aucune responsabilité. Si l’on réclame, ce ne sera pas contre moi, car je fais mes réserves. Je réplique, mais sans avoir la certitude que mon antago- niste n’est pas pseudonyme. J'ai affirmé devant la Chambre que la bâtisse du Col- lége de France n’est pas solide. En preuve de cette assertion, j’ai dit que le mouvement d’une partie des maçonneries, avant qu’elles fussent étayées, était telle- ment sensible, qu’un habitant se vit obligé de raboter journellement sa porte. À cela point de réponse. J'ai dit que le défaut d’horizontalité dans les plafonds du cabinet de physique est tel que pour parer à un défaut de parallélisme qui aurait choqué l'œil, on n’avait pu y placer que des armoires qui ne sont pas d’équerre. Ceci n’est pas contesté. Les colonnes de fonte près des instruments magné- tiques existent ; c’est aujourd’hui un point convenu entre M. Letarouilly et moi. J'ai dit qu’une partie nouvelle du bâtiment était déjà étayée. M. Letarouilly ne le nie pas; car il nous promet que les étais disparaîtront un jour. Ils disparaîtront, en effet, lorsqu’aux frais des contribuables, les poutres seront remplacées par une voûte projetée. J'ai parlé de lézardes ; on les appelle des fissures ; va donc pour des fissures, pourvu que M. Letarouilly recon- VI — ui, 39 610 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. naisse que la maçonnerie en moellons a tellement tassé entre les chaînes en pierre de taille, que les saillies de plusieurs de ces pierres sont brisées ; que le déverse- ment de la bâtisse à certains étages a été tel que les compartiments en bois des carreaux de vitres sur les châssis de quelques fenêtres, sont de deux à trois centi- mètres plus bas dans une moitié que dans l’autre. Il n’y a de marches, dit M. Letarouilly, qu'entre les cabinets et les laboratoires. Je,croyais, moi, avec tous les physiciens, que c'était surtout entre le lieu de dépôt et la salle où se font les expériences, que les instruments devraient pouvoir rouler facilement. J’attendrai une autre autorité que celle de M. Letarouilly pour changer d'avis. Un arpenteur, un conducteur de ponts et chaussées qui, dans le nivellement d’un canton, d’une longue route, commettrait les énormes erreurs que M. Letarouilly a faites dans l’étroite enceinte du Collége de France, serait révoqué à l’instant. Je conseille à M. Letarouilly de ne pas changer de carrière, de rester dans le corps des architectes privilégiés. Point d’équivoque, M. Letarouilly! L’entrepreneur auquel j'ai fait allusion, est celui-là même qui a exécuté les travaux, celui-là même qui les poursuivait naguère. Je n’en dirai pas davantage sur ce point, parce.que je veux seulement me défendre et n’attirer sur personne, pas même sur M. Letarouilly, les foudres ministérielles. Selon M. Letarouilly, l'observatoire du Collége aurait été construit d’après les avis de M. Gambey. Moi qui connais la très-grande habileté de cet artiste, j'aurais parié que le fait n’était pas exact. Je viens d'apprendre, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 6411 en effet, de M. Gambey lui-même, qu’il n’a été invité à visiter le nouvel observatoire qu’à une époque où toutes les inqualifiables bévues qu’on a commises dans sa con- struction étaient consommées, où le mal était irréparable. M. Gambey n’en croyait pas ses oreilles quand on lui annonça que les instruments seraient suspendus au pla- fond ; j'ajoute qu'aujourd'hui même, il ne comprend pas mieux que moi ce qu'on a voulu faire, ce que jamais on fera du plus burlesque observatoire qui soit au monde, = J'ai trop de candeur pour ne pas reconnaître qu'il est un point, maïs un point seulement, sur lequel je me suis trompé dans mon discours à la Chambre. J’ai eu tort, je l’avoue humblement, de dire que l'observatoire de MM. Binet et Letarouilly ne pourrait servir qu'à montrer comment ces établissements ne doivent pas être con- struits. Le nouvel observatoire devait avoir, il a déjà eu un autre genre d'utilité : il a donné à M. Binet le titre de conservateur ; il lui a assuré un logement qu’il était me- nacé de perdre. Veuillez agréer, etc. F, ARAGo. Paris, ce 27 mai 18536. Monsieur le rédacteur, Quelques mots seulement, et vous allez juger de ma position. Pendant que M. Letarouilly persiste à s’admirer dans son œuvre, comme si elle était une création de Palladio, voilà quatre professeurs du Collége de France, les seuls au reste que j'aie rencontrés depuis une semaine, qui, sans contester la parfaite exactitude de mes pre- mières critiques, regrettent que les points d'attaque 612 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. n’aient pas été plus habilement choisis. Ces professeurs signalent, en effet, chacun dans la portion de bâtiment qui le concerne, des énormités devant lesquelles tout ce que j'ai eu à dire du burlesque observatoire semblerait une insignifiante peccadille. Je me suis demandé un mo- ment si, quand la Chambre a voté, si, quand tout est consommé, je devais provoquer un nouveau débat auquel, comme aujourd’hui, l'architecte ne se mêlerait que par d’inqualifiables dénégations ; mais M. Letarouilly, lui- même a levé tous mes doutes : oui! j'ai mérité le re- proche de petitesse en répondant à sa première lettre ; oui! comme le savant illustre qu’il a inculpé d’une ma- nière si grave, j'aurais dû dédaigner ses attaques. Veuillez, monsieur le rédacteur, agréer l'expression de ma très-haute considération. F. ARAGo. X SUR LA GRANDE BIBLIOTHÈQUE DE PARIS ll s’agit de savoir s’il serait convenable et utile de transporter la Bibliothèque de la rue de Richelieu dans une galerie transversale qui serait établie dans la cour du Carrousel. Ce Je vais parcourir les différentes considérations sur lesquelles M. le ministre du commerce s’est appuyé pour soutenir le projet du gouvernement approuvé par la Commission de la Chambre. 4. Extrait d’un discours prononcé à la Chambre des députés, le 3 juin 1835. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 643 M. le ministre a attaché une grande importance à l'approbation que l'Empereur avait donnée à un projet de galerie transversale dans laquelle on établirait la Bibliothèque. 11 n’y a d’acte public relativement au déplacement de la Bibliothèque, qu’un arrêté qui remonte _ à l’an 1x. C’est un acte des consuls : ils décidèrent que la Bibliothèque serait transportée au Louvre. Mais on reconnut bientôt que ce transport ne pourrait pas s’effec- tuer , qu’il n’y avait pas un espace suffisant au Louvre; car , il faut le dire, on ne destinait, à cette époque, à la Bibliothèque que la galerie qui fait face à la rue du Coq et à celle de la Colonnade. Les conversations fréquentes que j'ai eues sur cet objet avec M. Dacier, fortifiées par les souvenirs des conservateurs de la Bibliothèque actuelle, me permettent d'annoncer que l’assertion de M. le ministre n’est point exacte, Quand l'Empereur donna son assentiment au transport de la Bibliothèque dans le Louvre, la Bibliothèque n’avait pas à sa disposition les bâtiments du Trésor ; ils lui ont été affectés postérieurement, depuis la Restau- ration ; lorsque le Trésor public fut transporté à la rue de Rivoli, on déclara que les bâtiments qu’il occupait rue Vivienne seraient donnés à la Bibliothèque. Eh bien, ces bâtiments, la Bibliothèque ne les possède pas encore. Par quelle circonstance ? Je l’ignore ; mais toujours est-il qu'on a accordé dans un des bâtiments du Trésor des logements à de simples particuliers. Il y a un médecin dont j'ignore le nom, et par conséquent il ne trouvera ici rien de personnel, qui dispose d’une partie du premier étage, et dont la Bibliothèque n’a pu encore obtenir le PS 614 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. déménagement. Il y a aussi une partie des bâtiments-du Trésor qui est occupée par la Commission des liquida- tions de l’indemnité de Saint-Domingue; la Bibliothèque ne jouit donc pas des bâtiments qui lui ont été destinés. Au surplus, l’assentiment de l'Empereur, en supposant qu’il existât, ne serait pas un argument, sans réplique. Personne ne contestera l’incomparable génie. de Napoléon pour tout ce qui regarde les opérations militaires; mais, quant à la Bibliothèque, son opinion pourrait n'être pas une autorité. Il n’y a pas de capacité universelle. Je me rappelle à ce sujet qu'ayant un jour montré à l'Empereur une tache sur le soleil, j’eus de la peine à lui faire com- prendre que cette tache n’était pas dans la lunette. On peut être le plus grand homme des temps modernes, et être fort ignorant sur certains objets. | Est-il vrai, au surplus, que l'Empereur ait donné son assentiment au transport de la Bibliothèque à la galerie transversale? J'ai déjà dit qu’il n’y a pas eu d’acte officiel à cet égard. Cependant on a publié un document curieux, Il se trouve dans un des livres de M. de Beausset, qui, par ses fonctions, assistait souvent aux conférences de Napoléon avec les architectes, et qui a rapporté dans ses Mémoires ce qu’il avait entendu. Cette partie des Mémoires de M. de Beausset a été analysée dans un journal fort estimé, intitulé : Journal du Génie civil, à la date de 1829. Voici ce que j'y trouve : « Il examina (l'Empereur) tranquillement et sans humevr les projets du Louvre et des Tuileries ; mais ne regardant plus sa première décision d’une galerie trans- versale comme une disposition irrévocable, il déclara val € Vs nr SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 615 ‘que définitivement il ne voulait rien bâtir entre les deux palais: que l’on continue l'aile commencée au nord, jusqu’à la chapelle qui sera en parallèle avec l'entrée du Musée ; que l’on place les archives dans la partie de aile à bâtir, et la Bibliothèque dans les ailes du nord et ducouchant du Louvre; que la colonnade de l'aile du levant soit réservée pour l'habitation et la représentation, et qu'on destine à l'exposition de l’industrie le rez-de- chaussée du Louvre et même du Musée; ces dispositions mettront encore en réserve, dans le deuxième étage du Louvre, huit logements dans l’aile du midi et six dans l’aile de la Colonnade. » Voilà, ce que pensait sur la translation de la Biblio- thèque un témoin oculaire, et ce qu’il rapporte dans ses Mémoires, On a dit que la galerie Mazarine menace ruine. Je l'ai visitée ce matin, je l’ai parcourue depuis les fondations jusqu'aux combles, et j’affirme qu’elle est parfaitement solide. Je dirai de plus que sa solidité a été reconnue dernièrement par le gouvernement lui-même. Cette galerie est une des plus grandes galeries de Paris; elle est ornée de fresques de Romanelli. Il est très- vrai que dans un projet qui n’avait reçu l’assentiment de personne, il était question de l’abattre. M. le ministre du commerce, qui était alors M. d’Argout, pensa qu'il ne fallait pas se prêter à cette démolition sans examiner les localités avec le plus grand soin. 1l nomma une Commis- sion dont le président était M. Cuvier; MM. Prunelle, Kératry , Abel Rémusat, Villemain et Vitet en faisaient partie. La Commission s’opposa de la manière la plus 646 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. formelle à la démolition de la galerie Mazarine, On a cru que cette galerie menace ruine, parce que dans les fresques il y a des fissures. Vous savez que dans un pla- fond ordinaire, les fissures viennent souvent du retrait du plâtre, elles ne sont menaçantes que quand on suppose qu’elles dépendent d’une voûte construite en pierre de taille. Cette supposition ne peut être faite ici; les fissures s'étendent sur un revêtement, sur une sorte de pelli- cule, et non pas du tout sur une voûte, car la galerie Mazarine n’est pas voûtée; elle est recouverte d’un comble en charpente qui est en très-bon état. Quand même le revêtement sur lequel sont peintes les fresques de Romanelli viendrait à tomber, comme il y a peu d'épaisseur , il n’en résulterait aucun accident. Ces fis- sures sont-elles modernes? J'ai consulté les employés de la Bibliothèque, le vénérable M. Van Praët; ils m'ont dit qu’elles existaient depuis cinquante ans. 11 paraît certain que ces fissures se sont formées dès l'origine; il n’est donc. pas exact de dire que la galerie Mazarine menace ruine. J’ai avancé tout à l'heure que le gouvernement avait partagé cette opinion; je vais le prouver. Après le rap- port de la Commission dont j'ai parlé, on adopta un plan de travail pour la Bibliothèque, on décida qu’on ferait la galerie de la rue Vivienne; il y en a le tiers d’exécuté. Cette galerie devant recevoir les manuscrits, les imprimés aujourd'hui placés dans les combles au- raient été transportés dans la galerie Mazarine. Ainsi, il paraissait arrêté à cette époque que le travail serait SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS, 617 effectué. On demande dans le budget de 1833 une alloca- tion assez considérable pour achever la galerie Vivienne, afin de pouvoir y placer les manuscrits, afin de rendre la galerie Mazarine aux imprimés ; cette dernière galerie n’a donc été ébranlée que par le projet de translation au _ Carrousel. M. le ministre nous a entretenus de trumeaux et d’étais. S'il avait mis ces deux mots au singulier, ce qu’il a dit serait exact; mais au pluriel, il y a inexactitude. Il est très-vrai qu’on a retouché un trumeau, qu’on a remplacé quelques pierres gélives dans un mur du département des imprimés. Mais ce n’était pas dans les fondations; la réparation n’a pas descendu au-dessous du soubasse- ment. On a parlé d’étais. Eh bien, il y a dans le dépar- tement des estampes un étai destiné à soutenir une poutre qui a peut-être sept mètres de longueur. Il est vrai que dans une partie des bâtiments du Trésor consacrée aux estampes on a placé des colonnes à la place des anciens murs; mais cela n’indique pas que le bâtiment principal menace ruine. Je persiste à soutenir, et c’est l’opinion des conservateurs, que les bâtiments de la Bibliothèque sont dans un bon état. Le ministre et la Commission nous ont dit que le projet d'achèvement de la Bibliothèque de la rue Riche- lieu coûterait 18 millions. Il faut s'entendre sur ce point. Sans doute, si vous voulez faire un monument avec une entrée royale dans la rue Vivienne, si vous voulez faire disparaître tout ce qui, en style d’architecture, peut choquer l'œil, il est certain que la dépense sera considé- rable. Mais même pour l’exécution de ce projet, la 618 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. dépense n’a jamais été évaluée à 48 millions. M. le mi- nistre a parlé de la nécessité d'acheter quelques maisons qui font le coin de la rue Vivienne et de la rue Colbert; il vous a assuré que ces maisons étaient d’un prix exorbi- tant, qu’on en demandait à à 4 millions. M. le ministre s’est trompé. D'ailleurs, tous ces projets qui del élever: consi- dérablement les dépenses, ne sont pas pour le moment indispensables; ce sont là des travaux d’embellissement dont il est impossible que nous nous occupions quand nous sommes obligés de contracter un emprunt. Nous ne devons penser aujourd’hui qu’au solide, au nécessaire, La Bibliothèque peut-elle rester dans le local actuel avec, une dépense modérée? Je réponds affirmativement ; et voici sur quoi je me fonde : Si vous-transportez les manuscrits de la galerie Mazarine dans celle de la rue Vivienne, la première vous offrira un vaste emplacement pour une immense quantité d’imprimés, Si vous faites déménager les parties des bâtiments du Trésor qui sont occupées par des étrangers et par la Commission de l'indemnité de Saint-Domingue, vous aurez assez de local pour pourvoir pendant longtemps à tous les besoins: Pour obtenir ce résultat, à combien la dépense pourra- t-elle s'élever ? À 760,000 francs. Je parle d'aprèe le devis de l'architecte. | Mais, dit-on, il y a des encognures d’un aspect dis- gracieux qu’il faut faire disparaître; la rue Neuve-des- Petits-Champs a besoin d’être élargie de 10 mètres; il faut faire une entrée royale. Peut-être désirera-t-on y mettre quelques-uns de ces diamants de granite dont a SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 619 parlé M. de Laborde. Je conçois que si vous voulez faire tous ces grands travaux, vous arriverez à la somme de 18 millions. Au surplus, la dépense proposée par l’archi- | tecte ne va pas là. Je vais en donner à peu près l'énoncé. «Pour la galerie de la rue Vivienne, À million; pour porter celte galerie jusqu’à la rue des Petits-Champs, 4 million; pour le même ouvrage jusqu’à l’entrée de la rue Colbert, À million; pour acquisition de maisons, 2,300,000 francs; pour faire une façade rue Colbert, 4 million; pour faire une façade rue des Petits-Champs avec entrée royale, 2 millions ; sur la partie située le long de la rue Richelieu, 4 million ; en tout, environ 9 millions. Voilà le projet de larchitecte pour la Bibliothèque isolée, pour la Bibliothèque monument. Mais si vous voulez vous arrêter aux besoins actuels et pressants, quel- ques centaines de mille francs suffiront. M. le ministre vous a dit qu’il y aurait des dépenses considérables à faire pour l’acquisition de maisons de la rue Vivienne et de la rue Colbert, qui renferment plu- sieurs des plus beaux magasins de la capitale. J’ai voulu m’assurer par moi-même de l’état des choses, et voici ce que j'ai trouvé : un hôtel garni, quatre boutiques de marchandes de modes, une boutique non louée, un bottier, deux cordonniers, un épicier, un boucher et un marchand de vin. Ainsi, selon toute apparence, la dépense ne sera pas exorbitante. Reste la question de l’espace. L'espace qu’on nous promet est, dit-on, beaucoup plus considérable que celui dont on jouit dans le bâtiment actuel. Les paroles de 620 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. M. le ministre, qui sont ordinairement si claires, si nettes, si précises, si positives, ont été dans cette circon- stance entourées d’une telle obscurité, que malgré tous mes efforts je n’ai pas pu pénétrer sa pensée. Je ne sais pas de quelle manière cet espace est réparti; je crois pouvoir affirmer qu’il n’existe pas de plan d'arrêté, qu’il n’y a au fond que la volonté formelle de faire une galerie transversale. Les plans sont si peu arrêtés, qu'il était question de disposer du deuxième étage du Louvre pour y placer les manuscrits et les médailles, et que quarante- huit heures après on s’est décidé à y placer le Musée naval, et à laisser le premier étage aux manuscrits et aux médailles. Il y a deux jours que ce changement de place s’est opéré; je vous demande si en aussi peu de temps on a pu faire des devis, arrêter quelque chose de positif sur la quotité des dépenses. On nous crie : Il faut achever le Louvre!... Hélas! sur ce point, je vous dirai que je suis de votre avis; lors- qu’on a voyagé, on est toujours désireux que son pays renferme des monuments comparables à ceux qu'on a vus. C’est là une faiblesse de ma part; c’est toujours avec peine, je l’avoue, que j'entends proclamer qu'il y a en Italie de plus beaux monuments qu’en France; j'éprouve aussi un certain malaise quand un Anglais me dit que Regent-Street est plus beau que la rue de Rivoli. Je serais donc disposé à voter les sommes nécessaires pour achever la place du Carrousel. Mais le moment est-il bien choisi? Et, en tout cas, faut- il déplacer la Bibliothèque, qui n’a pas besoin de l’être dans un moment où une question qui a été soulevée et SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 621 qui mérite de fixer toute l'attention de MM. les ministres du commerce et de l'instruction publique, la question des Bibliothèques spéciales, prend tant de crédit dans le pu- blic? Est-ce dans un moment où nous ouvrons des emprunts, où nos recettes ne s'élèvent pas au taux de nos dépenses , que nous devons nous occuper d'immenses constructions? Peut-être, cependant, toutes ces difficultés n’arrête- raient-elles pas mon vote, si l’on nous prouvait que la galerie transversale qu’on vous propose de construire, _ galerie qui n’a pas reçu, à ce qu’il me semble, l’assenti- ment de l'Empereur, doit avoir une grande utilité. Eh bien, je trouve, dans le rapport sur le budget du commerce et des travaux publics, qui vous a été présenté dans la dernière séance, qu’on vous demande une somme assez considérable pour l'exposition des produits de l’in- dustrie ; je vois tous les ans que, pour l'exposition annuelle des tableaux, on a besoin de déplacer les chefs-d’œuvre des anciennes écoles ; or tout cela ne se fait pas sans de graves inconvénients, On a parlé aussi d’une collection de plâtres, qui serait très-utile, et qui pourrait être placée dans la galerie trans- versale... Eh bien, présentez-nous un plan détaillé ; mon- trez-nous qu’il y a là un grand objet d'utilité publique, et vous obtiendrez mon vote. Mais transporter la Bibliothèque dans un autre local lorsqu'il est reconnu que celui qu’elle occupe suffira pen- dant trente ans, et que, même en voulant faire de l’archi- tecture, on dépenserait une somme inférieure à celle qu'on nous demande, cela me paraît inadmissible. 622 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. XI VENTILATION DES CELLULES DES PRISONS « Je demande à la Chambre la permission de lui donner quelques renseignements qui, peut-être, affaibliront l’im- pression pénible qui a dû être produite hier par les pa- roles de l'honorable M. de la Rochejaquelein relativement à une prison qui est construite sous le haut assentiment du conseil général de la Seine. | Cette prison a été qualifiée dans des termes extrême- ment sévères dont tout le monde se souvient, Je ne con- nais la réponse de M. le ministre de l’intérieur que par là reproduction que j'en ai vue dans les journaux. Cette réponse ne me paraît pas suffisante. Les préoccupations de la Chambre doivent être encore très-vives relative- ment à la nouvelle Force. Je lui demande donc la per- mission de donner, sur ce point, quelques détails précis qui feront disparaître bien des préventions. On construit actuellement à Paris, non pas une prison destinée à des condamnés, mais une prison pour destpré- venus ; cette prison sera cellulaire, et, je l’espère, facul- tativement. Des dispositions ultérieures en décideront. Cette prison a été entreprise dans des vues très-hu- maines, avec des sentiments très-bienveillants; la somme que la ville de Paris consent à y consacrer, a été grandis- sant à mesure que les difficultés se sont présentées ; le projet primitif semblait devoir exiger une dépense. de 4. Extrait d’un discours prononcé à la Chambre des députés, le 7 mai 18/4. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 623 2,300,000 fr. On est arrivé, pour le même nombre de prisonniers, à 4,500,000 fr, Aujourd’hui, on discutait encore dans une Commission du Conseil municipal de Paris, différentes améliorations proposées par M. le préfet de police, et qui pourront - amener un surcroît de dépense de 5 millions de francs. Voilà la somme que le Conseil général de la Seine, autorisé par le ministre de l’intérieur, sera infailliblement conduit à consacrer à la construction d’une prison de 1,200 prévenus. On ne l’accusera pas du moins de par- cimonie. L'’honorable M. de la Rochejaquelein est allé visiter les travaux ; comme ils ne sont pas jusqu’à présent très- avancés, notre collègue a eu l'attention de demander les plans, de tout mesurer à l'échelle, et il est arrivé devant la Chambre avec une impression douloureuse. Les cel- lules projetées lui ont paru semblables aux cages des ani- maux du Jardin des Plantes! Il y avait deux choses à examiner : la dimension des cellules, et les procédés de ventilation et de chauffage adoptés. Une cellule de la dimension indiquée par M. de la Rochejaquelein serait évidemment trop petite, si on n’y faisait pas usage de procédés de ventilation et de chauf- fage puissants. L'autorité administrative, voulant arriver sur ce point à toute la perfection désirable, a eu recours à des autorités scientifiques dont personne ne contestera la compétence. La Commission chargée de ghsdicies la question comp- tait dans son sein MM. Gay-Lussac, Dumas, Péclet, 624 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Pouillet, Boussingault, Andral et Leblanc. Sa mission était de déterminer quelle masse d’air il faudra intro- duire, chaque heure, dans une cellule, pour qu’elle soit d’une salubrité complète, La Commission n’a pas cru pouvoir s’en rapporter aux expériences anciennes, à des idées préconçues, à des aperçus vagues ; elle s’est livrée à un travail entièrement neuf, à un travail qui, je l’espère, sera publié; car il fera honneur aux commissaires; car il sera un guide très- utile dans des circonstances semblables. Parmi les expériences étendues, minutieuses, aux- quelles la Commission s’est livrée, j'en citerai une. Elle a enfermé dans une des cellules de la conciergerie, non pas un prisonnier, mais un de ses membres, M. Le- blanc. Tout a été calfeutré de manière que l’air ne pou- vait se renouveler dans l’intérieur de la cellule que par les procédés de ventilation analogues à ceux qui seront mis en pratique dans la prison elle-même. Gela posé, on a cherché à déterminer, par les moyens d’analyse les plus délicats, les plus précis, à quel degré de ventilation il fallait arriver pour que l’air sortit dans un état de pureté complète. Cette expérience a prouvé qu’on dépas- serait la limite en donnant à chaque prisonnier 10 mètres cubes d’air par heure. Avec cette proportion, l'air sortait parfaitement pur d’une cellule fort mal construite de la conciergerie. Dans la nouvelle prison, le résultat sera au moins aussi satisfaisant. J’ose affirmer que, si M. de la Rochejaquelein avait connu le travail dont je viens de donner une idée générale à la Chambre, il aurait totale- ment changé d'opinion. La ventilation des cellules, mon- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 625 sieur de la Rochejaquelein, sera bien meilleure que celle qui existe dans votre chambre et dans la mienne. Elle sera de beaucoup préférable à la ventilation de cette enceinte. Pour que la ventilation des cellules ait toujours la va- ‘leur que la Commission a adoptée, on portera la précau- tion jusqu’à introduire dans la grande cheminée centrale un appareil qui marquera l'intensité de la ventilation chaque jour, et même chaque heure si l’on veut. On sait que le service se fait ordinairement dans les prisons par adjudication. La ventilation et le chauffage seront livrés à des entrepreneurs. Eh bien, l’administra- tion a désiré qu’on ne donnât pas un jour une ventilation forte, et le lendemain une ventilation faible. Le problème a été résolu : la ventilation sera mesurée à l’aide d’un instrument nouveau établi dans la maison centrale. La Chambre peut voir que la question de salubrité de la nouvelle prison a été traitée avec une sollicitude infi- nie. Celle du chauffage se trouve résolue avec non moins de soin. Une température uniforme régnera dans, les cellules dans toutes les saisons, de jour comme de nuit. M. de la Rochejaquelein dit que les cellules sont trop petites. Elles sont réellement petites en ce sens que les prisonniers ne peuvent pas s’y promener, dans l’accep- tion ordinaire de ce mot, en long et en large. Il serait sans doute à désirer que les dimensions fussent plus considérables ; mais, je le répète, la construction de la prison exigera, dans l’état actuel des choses, la somme de 5 millions, et si vous aviez voulu donner à chaque cel- VI. — 1x. 40 626 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. lule la grandeur de deux d’entre elles, vous seriez arrivés à des sommes exorbitantes, Il était question pour le Conseil général de la Seine-de faire une prison destinée à des prévenus, une prison où un honnête homme injustement accusé trouvât moyen de se recueillir, où il ne fut pas obligé d’être dans le préau avec une foule d'individus de fort mauvaise compagnie. On s’est attaché à résoudre le problème de manière qu'aucune objection empruntée à des considérations de salubrité ne pût être articulée avec quelque apparence de raison. jure L'administration a voulu aussi que les prisonniers jouissent hiver et été d’une température convenable. Je dis que ces deux points-là sont hors de discussion, et qu’on a satisfait à tout ce que l'humanité commandait. On désire aussi donner à chaque prisonnier la faculté. de se promener dans le préau pendant une heure chaque jour. Ce matin, sur une proposition déjà ancienne de M. le préfet de police, une Commission a examiné divers projets. Aucun n’est encore adopté, mais on s’est assuré que la solution désirée est possible. | Toutefois, je serais fâché qu’on tiràt des explications que je viens de donner la conséquence que je suis parti- san, pour les condamnés, du système cellulaire que nous discutons. Je voterai contre le projet de loi, | SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 627 XII TRAVAUX PUBLICS DE PARIS ! Messieurs, la ville de Paris demande à contracter un emprunt de 25 millions de francs. Elle sollicite, de plus, l'autorisation de continuer, jusqu’à l’année 1858, la per- ception du droit actuel d’octroi, AL fr. 55 c. par hecto- litre, dont le vin est frappé, au profit de la caisse muni- cipale, dès qu'il franchit les barrières. Ce droit, en vertu _ de la loi des finances du 11 juin 1842, devrait être réduit, à partir de l’année 1852, à 8 fr. 80 c., si on donne au mot de surtaæe le sens que lui attribue la ville de Paris, et que la majorité de la Commission a adopté. Les 2 fr. 75 c. que chaque hectolitre de vin introduit dans la capitale, paie aujourd’hui, à titre de surtaxe, seraient appliqués, suivant le projet de loi, à l’amortis- sement de l'emprunt. Le projet présenté par M. "É ministre de l’intérieur soulève cette série de questions : L'état financier de la ville de Paris et les besoins du moment commandent-ils, justifient-ils au moins la de- mande d’un emprunt? Le mode de remboursement proposé ne viole-t-il point les dispositions de la loi des finances du 14 juin 18/92 ? Ne pourrait-on pas substituer à la prorogation de la sur- 4. Rapport fait à la Chambre des députés, le 16 juin 1847, sur un projet de loi présenté par le ministre de l’intérieur, tendant à autoriser la ville de Paris à contracter un emprunt de 25 millions _ de francs. 628 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. taxe sur les vins, d’autres perceptions municipales tout aussi productives : des droits d’octroi, par exemple, qui frapperaient moins directement les classes laborieuses, qui permettraient aux viniculteurs du Midi d'espérer quelque soulagement aux maux qu'ils endurent ? Enfin, si la ville de Paris, au lieu de vouloir amortir l'emprunt dans le court espace de six ans,.adoptait, pour cela, un laps de temps plus étendu, vingt années, par exemple, ne pourrait-elle pas donner à ses travaux tout le développement, toute l’activité désirables, sans conti- nuer à frapper de droits excessifs les aliments du pauvre? Nous allons rendre un compte succinct des discussions approfondies dont ces diverses questions ont été l'objet au sein de votre Commission, &8 4. — Considérations sur lesquelles la ville de Paris se fonde pour demander l'autorisation de contracter un emprunt. Pendant les quinze dernières années, de grands tra- vaux ont été exécutés à Paris. L'administration munici- pale croit que les intérêts bien entendus de la ville,. que les besoins impérieux de la population ouvrière, que les circonstances difficiles où nous nous trouvons, lui com- mandent de marcher plus résolument encore dans la voie d'améliorations qu’elle s’est tracée. Ses ressources ordi-| paires lui paraissent insuffisantes, elle vous demande l'autorisation de les accroître par un emprunt. De 1832 à 1845, Paris a dépensé, en travaux neufs, des sommes dont la valeur moyenne annuelle s’élève à 8,000,000 de francs. Les bons de pain, de 1846 et de SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 629 1847, ont absorbé, en grande partie, les fonds qui, dans des circonstances ordinaires, auraient eu la même desti- nation. Si la faculté d'emprunter lui était refusée, l’ad- ministration se verrait dans la cruelle nécessité d’inter- rompre la plupart des travaux municipaux aujourd’hui en cours d'exécution ; de fermer l'oreille aux demandes incessantes et très-légitimes dont elle est journellement assaillie, surtout de la part des quartiers pauvres ; de limiter, et peut-être même d'interrompre la distribution des bons de pain pendant les mois de juillet et d'août. L’humanité, plus encore que le besoin d’assurer la tran- quillité publique, ne permettait pas aux autorités de res- ter impassibles en présence de pareilles éventualités. Le corps municipal de Paris remplissait strictement son devoir, lorsque, laissant de côté toute considération se- condaire, il pourvoyait aux premiers besoins d’une mul- titude de malheureux que la misère aurait décimés ; lorsque en maintenant l’ordre par la charité, dans la Capitale, il donnait un exemple que la France tout entière a imité. Aujourd'hui, les mêmes administrateurs solli- citent les moyens de continuer leur œuvre philanthro- pique, c’est-à-dire de procurer du travail à ceux dont ils se sont empressés, pendant la saison rigoureuse, d’adou- cir les souffrances. Leur demande est accompagnée de documents importants, bien propres à faire impression. Jusqu'ici, disent-ils, l’État avait pris à sa charge pres- que exclusive, tout ce qui, en dehors des circonstances normales, était destiné à assurer l’ordre dans Paris; en particulier, toute dépense extraordinaire dépendante de la cherté des subsistances, Si les mesures auxquelles on 630 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. eut recours ne furent pas toujours heureuses, elles témoi- gnèrent au moins, d’une manière non équivoque, du profond besoin qu’éprouvait le Gouvernement d’éloigner de la capitale toute sédition qui prendrait pour eri de ralliement ces deux mots à la fois cruels et terribles : J'ai faim! En 1811, la récolte en grains fat irès-nliiée dans les départements qui entourent Paris, surtout dans ceux du Nord. Le Gouvernement, reconnaissant que l’appro- visionnement régulier de la capitale intéresse tout l’Em- pire, fit acheter des céréales à l’étranger, dans le Midi, et les dirigea sur les marchés du département de la Seine. Personne ne connaît exactement la dépense que cette opé- ration occasionna ; on sait seulement qu'elle fut très-con- sidérable. En 1816 et 1817, années de pénurie, le Fos de la restauration craignant les conséquences d’une disette dans Paris, fit acheter une immense quantité de blé en Russie et en Amérique. La perte provenant de la revente de ces grains sur les marchés de la capitale et des envi- rons, s'éleva à 14,355,000 fr, De ces mêmes années date l’organisation de la réserve, et celle des primes accordées aux. boulangers pour les indemniser de la différence qui existait à Paris entre le prix fictif de la taxe officielle du pain et le prix réel, cal- culé sur celui de la farine. Pour ces deux objets, le trésor de l’État fournit encore environ 7 millions. . Des bons de pain ayant été distribués à la fin de 1831 et au mois de novembre 1832, l’État intervint. pour 76,400 fr. dans la dépense totale qui s'était élevée à SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 634 495,400 fr. La ville avait en outre reçu du Trésor une subvention de 1,065,000 fr., pour créer des ateliers où les ouvriers sans travail étaient reçus et employés. à En 1847, ajoute l'administration municipale, la ville a pourvu toute seule aux bons de pains, aux suppléments de crédits alloués aux bureaux de bienfaisance ; elle n’a cherché, ni directement ni indirectement, à entraver l’ar- rivée à Paris des populations affamées des départements voisins, et particulièrement de ceux de la Seine-Inférieure, de l'Eure, etc.; elle a admis sans contrôle, dans la famille parisienne, quiconque s’y est présenté en se déclarant dans le besoin ; elle n’a pas oublié enfin que la fraternité, que la solidarité dans le malheur, seraient de nobles, de magnifiques consécrations du grand prin- cipe. de l’unité, nationale, glorieusement conquis par nos pères. . ; Telles sont les considérations générales sur lesquelles la. ville de Paris appuie sa demande. Des renseignements puisés aux sources officielles permettront à la Chambre d'en bien apprécier la valeur. L'administration municipale avait évalué à 2 millions la somme qu'il faudrait dépenser en 1847 pour maintenir, au prix de AO centimes le kilogramme, le pain de la population ‘indigente ou malaisée. Cette prévision est restée bien au-dessous de la réalité. Au 15 juin, la dépense se sera élevée à 5,900,000 fr. ; dans le mois de mai on a quelquefois déboursé jusqu’à 50,000 fr. par jour. Tout porte à supposer qu’au 4° septembre, le mon- tant total des bons de pain fournis par la ville, aura dépassé la somme énorme de 8 millions! 632 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Huit millions! c’est à peu près le montant des travaux neufs exécutés par la ville de Paris en une année. Ainsi, tandis que, suivant l’opinion réfléchie du conseil munici- pal, ! semble indispensable de donner à ces travaux un développement inusité, il faudrait, d’après l’état actuel des ressources, soit les supprimer entièrement en 1847, soit les réduire de moitié, mais en s’imposant alors l’obli- gation d’opérer la même réduction pendant l’année 18/8: cette solution ne paraît pas acceptable. _ L'expérience montre, en effet, qu’à Paris, les construc- teurs particuliers suivent l'impulsion qui leur est donnée par la ville. Si celle-ci, quel qu’en puisse être le motif, paraît incertaine, hésitante, les entrepreneurs ne trouvent plus de capitaux ; tous les travaux sont paralysés. L’admi- nistration, au contraire, a-t-elle une allure ferme, déci- dée, la confiance revient, le numéraire reparaît ; chaque million, employé sous la tutelle des pouvoirs municipaux, engendre une dépense quatre fois plus forte de la part des particuliers. Suspendre les grands travaux projetés par la ville, ce ne serait donc pas seulement enlever 8 millions par année à la classe ouvrière ; le dommage s’'élèverait à près de 40 millions! De pareils chiffres triompheront de toutes les incertitudes. La Commission aurait désiré savoir quel a été, à Paris, l'accroissement du nombre d'ouvriers à partir de 1839, L'administration n’avait aucun moyen de résoudre ma- thématiquement la question; elle sait seulement que, depuis la construction des fortifications et des chemins de fer, l'accroissement a été considérable. Elle a constaté de plus que, pendant cette année de disette, la population SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 633 laborieuse s’est augmentée, dans la première quinzaine du mois de mai, de 20,000 à 30,000 individus. + Cest une question très-digne des préoccupations des | pouvoirs publics que celle de savoir si le mouvement prononcé des populations des campagnes vers la capitale, _ n'aura pas tôt ou tard des inconvénients sérieux ; mais la Commission n’avait pas à l’examiner. Le fait est là avec des conséquences administratives et pécuniaires pressantes. Procurer du travail à ceux qui, sous l'empire de la législation actuelle, sont venus, sans assez de réflexion peut-être, s'établir à Paris, tel était le problème que l'administration municipale s’était proposé et dont nous avions à examiner la solution. Il ne faudrait pas faire remonter ses souvenirs bien haut pour rencontrer 20,000 à 25,000 ouvriers, so'dés par la ville de Paris, exécutant sur divers boulevards et au Champ-de-Mars, des travaux de terrassements peu utiles ou même nuisibles. La bienfaisance inintelligente a presque toujours des conséquences fâcheuses ; aussi avons-nous pensé ne pas outrepasser les limites de notre mandat, en étudiant sérieusement le tableau détaillé des travaux que la ville se proposerait d'entreprendre si l'autorisation de con- tracter un emprunt lui était accordée; ce tableau a été communiqué à la Chambre. Dans l’examen qu’ils en ont fait, vos commissaires se sont placés de préférence au point de vue de lutilité. Respect au fardeau ! C’est en ces termes brefs et sévères que Napoléon s’adressait un jour à certain aide de camp qui, voulant lui épargner quelques secondes de retard 634 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. dans un passage étroit, pressait brutalement de la voix et du geste deux portefaix pliant sousune lourde charge. Cette exclamation de l'Empereur nous aurait rappelé, au besoin, que nous devions rechercher si le fardeau, ou, en parlant sans métaphore, si l’ouvrier, sur qui porte prin- cipalement le poids du jour, était entré pour une assez large part dans les projèts municipaux: Nos'investigations conduiraient à quelques critiques de détail ; en général la Commission n’a eu qu’à approuver. Ainsi nous remar- quons dans les travaux proÿeléais Steëlt ph ii fr. Un hôpital de 600 Lits dont la nctene TS à IN VIS DIU Br nm enr, RE US 3,000,000 Une halle, ce Louvre du peuple, suivant l'expression de l'Empereur, où les approvisionneurs de Paris, où de pauvres campagnards venant en toute hâte de leur vil- lage, ne resteront plus exposés, pendant six à sept heures consécutives à toutes les intempéries de l’air ; une halle _ * qui donnera lieu à. une dépense de plus de.....:. «+ 20,000,000 Des percements, des élargissements de rues dans les. quartiers les plus populeux, qui absorberont plus de.. 10,000,000 Des constructions d'écoles gratuites, pour plus de..." 4,000,000 Des travaux destinés à doter de bornes-fontaines des quartiers pauvres où elles ne sont,:en quelque sorte, . connues que par oui-dire; des travaux d’égouts et d’as- sainissement, etc., pour plus de....... 150053 EN N00 L’énumération des travaux que la: ville veut *entre- prendre, nous a jetés un moment dans l'examen rapide de ceux qu’elle a déjà exécutés depuis 1830, Nous nous sommes demandé si, comme on l’affirme ; ellen’a pas-su se garantir du faste, et quelquefois du mauvais goût. Plusieurs des constructions nouvelles pourraient , en effet, prêter à des critiques fondées; mâis. nous’ osons SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 635 assurer qu'on en a exagéré la portée. Prenons pour exemple l'Hôtel de Ville. | | - Cet immense édifice a été élevé dans un petit nombre d'années. Il a absorbé une portion très-notable des reve- nus municipaux, pendant que des services importants restaient en souffrance. Les traces de cette précipitation sautent aux yeux de tous les connaisseurs, surtout en ce qui touche à la décoration. Fallait-il vraiment s'occuper d’une galerie des Fêtes, dans l'hôtel de ville d’une cité -où tant de rues sont tellement étroites que la circulation des piétons, des voitures, y est devenue presque impos- sible? | À ces remarques, qui ne manquent en apparence ni de force ni d’à-propos, les autorités ont répondu : Nous nous sommes hâtés, pour diminuer les frais d'agence, de surveillance et de conservation, toujours très-considérables ; pour épargner à la population et aux étrangers la vue pénible d’un de ces monuments inachevés et entourés de hideuses clôtures en planches, -que la ville comptait naguère par centaines ; pour réunir sous le même toit tous les services dépendants de l'administration mu- nicipale ; pour nous soustraire à des loyers qui, dépassant 100,000 fr. par an, représentaient un capital de plus de 2 millions; pour rendre disponibles des localités impor- tantes. Nous avons fait préparer des galeries pour des fêtes, parce que, sous tous les régimes, la ville a célébré les événements qui, du point de vue de l’époque, parais- saient heureux; parce que, dans ces circonstances, on était toujours obligé, faute d'espace, de recourir à des constructions provisoires dont il ne reste aujourd'hui 636 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. aucune trace, si ce n’est toutefois le souvenir que, depuis le sacre de Napoléon, elles ont coûté à la ville plus de k millions de francs. Ces réponses laisseront peut-être subsister encore plus d’une objection ; mais on doit reconnaître qu’en général elles sont sérieuses, et qu’elles enlèvent aux principales critiques toute leur gravité. En résumé, d’après toutes les considérations que nous venons de développer, la Commission, à la majorité de 8 sur 9, est d’avis que la ville de Paris doit être autorisée à contracter un emprunt de 25 millions de francs. Cette presque unanimité ne s’est pas malheureusement maintenue lorsqu'il a fallu statuer sur le mode d’amor- tissement proposé par les autorités de la ville et adopté par M. le ministre de l’intérieur. Sur ce point, la majorité en faveur du projet de loi n’a été que de 5 contre 4. Il nous a paru que, plus les vues ont été diverses et plus nous étions tenus de présenter une énumération complète de tous les points que la Commission a débattus ou simplement effleurés. Ces minutieux détails permet- trdnt à la Chambre de se prononcer définitivement, et en connaissance de cause, entre la majorité et la minorité. & 2. — De la surtaxe ; de ses effets, des perceptions par lesquelles on pourrait croire possible de la remplacer. Le débat s’est d’abord établi entre vos commissaires, sur le droit d’entrée, sur l'octroi et sur la surtaxe. Voyons, d’après la législation qui régit ces trois rameaux d’une même contribution, si, comme on l’a prétendu, la de- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 637 mande de l’administration municipale est illégale; on conçoit que cela trancherait la question d’un seul coup et sans retour. | Les droits d’entrée perçus au profit du Trésor, abolis en 4794, rétablis par une loi de ventôse an x1r, devinrent l’objet de dispositions réglementaires précises dans la loi du 28 avril 1816. Plusieurs de ces dispositions paraissent peu en harmonie avec les vrais principes de l’économie politique, et même avec les règles de la justice distribu- tive la moins exigeante. Espérons que les pouvoirs légis- latifs seront prochainement appelés à les modifier. Les droits d'octroi, plus anciennement établis que les droits d'entrée, pouvaient faire quelque tort à ceux-ci. Il est donc permis, sans trop de hardiesse, de supposer, qu’en disposant par l’article 449 de la loi de 1816, que les droits d'octroi perçus au profit des communes n’excéde- raient pas les droits d'entrée affectés au trésor public, le législateur s'était surtout préoccupé du budget de l’État. Toutefois, cela n’empêcha pas l'adoption de certain tem- pérament ; le même article 449 renfermait cette réserve : « Si une exception à la règle (celle de légalité des deux droits) devenait nécessaire, elle ne pourrait avoir lieu qu’en vertu d’une ordonnance du Roï. » Telle fut la disposition qui permit l'établissement des surtaxes. Bientôt après cette époque, les perceptions opé- rées au profit des communes excédèrent dans beaucoup de localités celles du Trésor. L’exception prévue par l’ar- ticle 149 devint enfin, disons-le sans détour, presque la règle générale. Tel était l’état des choses, lorsque la loi des finances 638 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. du 41 juin 1842 établit que toutes les surtaxes existantes seraient abolies au 1‘ janvier 1853. Néanmoins, elle réserva à des lois spéciales le privilége de faire fléchir la règle. Deux de ces lois ont été déjà rendues : l’une dans l'intérêt de la ville de La Rochelle, l’autre, pour les alcools, à la demande de la ville de Rouen. Dans l’un et dans l’autre de ces cas, le délai accordé ne va pas au‘ delà de 14852. La ville de Paris sollicite aujourd’hui la même faveur, en y ajoutant la condition que la perception actuelle lui serait assurée jusqu’en 1858, c’est-à-dire pen- dant six années après le terme fixé par la loi des finances de 1842. ur Nous concevons que ce désir puisse être critiqué ; qu’on se préoccupe sérieusement de la crainte qu’une conces- sion faite à la ville de Paris n’en amène d’autres, et que la plupart des localités dépossédées aujourd’hui du droit de surtaxe, ne rentrent bientôt dans l’exception. El semble même naturel et très-raisonnable qu’on veuille combattre à outrance l'engouement excessif pour les constructions, qui s’est généralement emparé des administrations mu- nicipales. De telles considérations méritent assurément d’être pesées; mais elles n’autorisent en aucune façon à frapper du reproche d’illégalité la’ demandé que fait actuellement la capitale, Les législateurs de 1842 ont pensé que, dans des cas très-rares, des communes pour- raient encore être obligées de recourir à des surtaxes. Ils ont très-sagement enlevé à la simple ordonnance le droit de prononcer sur ces exceptions. La loi, avec toute sa solennité, devra désormais intervenir. Telle est la légis- lation actuelle. Paris ne la transgresse sur aucun point en SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 639 venant, avec l’assentiment et par l’organe de M. le mi- nistre de l’intérieur, vous exposer ses besoins, ses res- sources, ses projets. Il ne peut y avoir là matière à récrimination contre personne. Le principe, quoi qu’on en dise, resterait intact après le vote favorable que la _ grande ville sollicite. Les Chambres, en effet, ne seront- "Æ elles pas toujours consultées ? Pourquoi supposer qu’elles hésiteraient à faire justice de demandes mal fondées ? Sans doute, si une commune venait un jour se présenter dans des conditions analogues à celles que la capitale invoque, un premier vote enchaînerait la Chambre ; mais chacun jugera, d’après les détails qui vont suivre, com- bien un danger si problématique mérite peu qu’on s’y arrête, | | Il n’y a pas un seul député dans la Chambre qui ne vit avec satisfaction les produits de la culture de la vigne rentrer, en quelque sorte, dans lé droit commun; qui n’applaudit principalement et sans réserve à la suppres- sion des entraves vexatoires qui rendent aujourd'hui la circulation des boissons si difficile. Quant à l’exagération des droits sur les vins, cet état de choses ne date pas d'hier, -Si nous en croyons certaines statistiques, avant 1791, à une époque où la population de la capitale dépas- sait à peine la moitié de la population actuelle, les boïis- sons figuraient déjà pour 19,536,000 livres dans le produit du droit d'entrée payé aux barrières. Au reste, plus le mal est ancien et plus il serait juste et urgent d'y apporter remède. Vos commissaires auraient été heureux de vous proposer, en ce qui concerne la ville de Paris, de ne point revenir momentanément sur.une 4 649 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. atténuation du tarif d'octroi, que les départements méri- dionaux avaient sollicitée avec beaucoup de vivacité et d'insistance. Cette réforme, quelque minimes qu'en doi- vent être les conséquences, a déjà produit un bien réel : celui de calmer les imaginations. Aussi, avant d'accepter, disons mieux, avant de discuter la disposition financière sur laquelle repose le projet de loi, avons-nousrecherché si quelque combinaison nouvelle ne pourrait pas là rem- placer avantageusement : si, sans proroger jusqu’en 1858 la surtaxe de 2 fr. 75 c. par hectolitre de vin, il serait impossible de trouver dans d’autres branches derevenu, des moyens d’amortir le nouvel emprunt, qui prêtassent moins à des objections réelles, ou seulement spécieuses. Un des principes d'économie politique le plus souvent, le plus justement invoqué, c’est que la diminution des droits sur les denrées alimentaires augmente la consom- mation. Il résulte de là, que des droits réduits donnent souvent des produits supérieurs à ceux que procuraient des droits exagérés. | Les résultats que le gouvernement anglais a obtenus en abaissant successivement les perceptions de la douane sur le sucre et sur le thé, ont été très-légitimement consi- dérés comme une éclatante confirmation du principe. Il importe d'ajouter que tout dépend, dans les applications, de la quotité du droit primitif et de celle du droit réduit. En ce qui touche à la suppression de la surtaxe de 2 fr. 7o c. par hectolitre, ou d’environ 2 centimes 1/2 par litre de vin (2 liards de l’ancienne monnaïe), le pro- blème était celui-ci. Une si minime réduction augmenterait-elle la consom- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 641 mation du vin à Paris, de manière à permettre d’espérer que l'octroi retrouverait, sur une plus grande quantité de boissons introduites, ne payant plus à la ville que 8 fr. 80 c., au lieu de 11 fr. 55 c. par hectolitre, les 3 millions de revenu annuel que la surtaxe ferait perdre inévitable- ment. La consommation annuelle, qui est de 1,050,000 _ hectolitres, s’accroirait-elle d'environ un tiers ou de vd 340,000 hectolitres, car tel est le nombre rond qui, mul- tiplié par 8.8, donne en nombre rond 3 millions? Posée dans ces mêmes termes, la question a été résolue négativement dans les écrits des adversaires les plus ar- dents de la surtaxe; tous ces auteurs ont pensé que la faible diminution de 2 fr. 75 c. par hectolitre, ou d’envi- ron 2 centimes 1/2 par litre sur les prix actuels, n’amè- nerait pas d'augmentation sensible dans la consommation de Paris, et se traduirait en une très-forte diminution sur le produit de l'octroi. Néanmoins, fermement décidée à baser ses résolutions sur des faits plutôt que sur des théories ou des opinions personnelles, la Commission a désiré savoir de M. le mi- nistre des finances, quel avait été l’effet de la suppression de la surtaxe dans les communes où la loi du 41 juin 1842 a été appliquée. L'effet n’est pas équivoque : la suppression de la surtaxe a amené presque ériger de une diminution notable dans la recette, A Vervins, dans le rapport de........ 29 à 19 MOMENT EE de eee tb oc este ec 39 à 29 OR PT ee de ee dt tte 24 à 17 SPORE, UE PAS US 84 à 25 SOURCE. NPA. ET HR MORT EST, 42 à 10 TC LÉ EE TN PTE D LA à 21 VI —11, Li 642 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. AxPaimbœuf....... se... basrtes A à.19 ARS... 1.000 PRÉ PIE Hors dti CE D UT A Boulogne...... HAL UES ÉVITE TUE 68 à 52 A Versailles....., Se en De a Le ss 1:7b4à 61 Etc., etc. : L'effet sera le même à Paris : le jour.où la surtaxe d'octroi sur les vins disparaîtra, les revenus-de la ville diminueront d'environ 3 millions 1, | ñ Vos commissaires n’ont pas cru se livrer à une étude oiseuse, en recherchant si la surtaxe de Paris frappe sur le consommateur intra muros ou sur le producteur. Nous avouerons même que le résultat de notre enquête eût pu, au sein de la Commission, modifier quelques opinions, Dans une brochure publiée en 1844, un très-honorable négociant, fort au courant du mouvement commercial de la capitale, et surtout de ce qui concerne les vins, a, ce nous semble, tranché la question par une seule remarque. « Le marché (des vins) pour Paris, dit l'honorable M. Lanquetin, n’est pas à l’intérieur de la ville, mais bien hors de ses murs (à Bercy). L’entrepôt de la ville est considéré comme une enceinte hors barrière; les droits ne sont acquittés qu’à la sortie. « Eh bien, les consommateurs de Paris, ceux de Ver- sailles, de Melun, de Meaux, de Compiègne, etc. , ou de la campagne, achètent au même prix !» Si les droits d’octroi, et à plus forte raison si les droits 4. A Vaise, faubourg de Lyon, la recette, après la suppression de la surtaxe, est restée ce qu’elle était auparavant, A Poitiers, la recette, depuis la suppression de la surtaxe, est devenue 45, lorsqu'elle n’était que 19 sous l'influence de la surtaxe. Il faut remarquer que le vin n’est entré pour rien dans cette énorme variation : la perception sur l’alcool l’a produite en totalité. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 643 de surtaxe, comparativement inférieurs, n’entrent pour rien dans le prix de vente qui s'établit à l’entrepôt ou à Bercy, au profit du producteur, ne s’ensuit-il pas que la différence entre le prix du vin à l’intérieur et à l'extérieur de la ville, est supportée tout entière par le consomma- teur citadin? Le producteur ne serait intéressé à voir dis- paraître les droits d'octroi qu’autant que cette suppression amènerait une plus forte consommation, et lui permet- _ trait d’expédier sur Paris une plus grande quantité de ses produits {, Partons, si l’on veut, de ce principe des économistes : « Le prix de toute marchandise se règle invariablement, inévitablement, sur ces deux termes : la production, la demande, » et vous arriverez au même résultat. La con- sommation totale de Paris n’étant guère que la quaran- {ième partie de la production vinicole du royaume, le faible accroissement de consommation que la suppression de la surtaxe pourrait amener, n’exercerait pas une in- fluence sensible sur les prix de vente à Bercy et à l’Entre- pôt, les seuls qui puissent intéresser directement les producteurs, En nous livrant à cet examen nous avons, en point de fait, écarté du débat un intérêt respectable qui, au pre- mier aspect, y paraissait sérieusement engagé : celui des producteurs de vin ; mais qu’on ne croie pas que la Com- mission ait détourné les yeux des intérêts non moins légitimes des consommateurs, de ceux surtout qui concer- 4. Consignons ici, par occasion, un fait important. Il se vend à l'entrepôt et à Bercy, deux fois plus de vin qu’il n’en entre à Paris. 644 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. nent la partie pauvre ou peu aisée de la population pari- sienne. C’est même, hâtons-nous de le dire, après s’être assurée que les dispositions de la loi sont entièrement favo- rables à la classe ouvrière, aujourd’hui plus que jamais si digne de notre sollicitude, que la majorité de la Com- mission lui a donné une complète adhésion. Quel est, en effet, le but de la loi présentée ? quelles en seront les conséquences ? Si la ville de Paris peut disposer des 25 millions qu'elle désire ajouter à ses ressources ordinaires, elle complétera toutes ses constructions com- mencées, elle en entreprendra de nouvelles, elle donnera un grand développement à tous ses travaux; les capita- listes la suivront dans cette voie, et le bien-être d’une portion notable de la classe laborieuse sera assuré pour plusieurs années. Il est vrai qu’en vertu du mode d’amor- tissement proposé, chaque ouvrier déboursera environ 2 centimes et demi de plus par litre de vin qu’il consom- mera ; mais, qu’on veuille bien le remarquer, ce prélève- ment, presque insensible, portera sur un salaire de 2, de 3, de 4, de5, de 6fr., dont la plupart des ouvriers seraient privés si la ville interrompait ou ralentissait seulement ses travaux ; maïs le même prélèvement s’opérera, tou- jours au profit des travailleurs, sur les classes aisées de la société ; il portera aussi sur la masse d'étrangers qui affluent dans la capitale, et que, par toute autre voie, l’impôt atteindrait difficilement. Nous espérons que cette dernière considération frappera la Chambre, Quoique la surtaxe ne nous paraisse devoir exercer sur le commerce des vins et sur la consommation, qu’une influence très-secondaire, nous n’en avons pas Moins SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS, 645 cherché avec un soin scrupuleux , si la ville de Paris pourrait y renoncer. La Commission s’est posé, par exemple, cette ques- tion : Ne serait-il pas possible de demander à des cen- times additionnels communaux extraordinaires, la somme dont la capitale annonce avoir besoin pour exécuter les travaux urgents, servir les intérêts de l'emprunt et l'amortir ? La possibilité de cette solution se présente à l'esprit d'elle-même , si l’on remarque que le département de la Seine ne figure pas, à beaucoup près, parmi les dépar- tements de France les plus chargés de centimes addition- nels. Mais cette espérance s’évanouit bien vite, lorsqu’en passant d’un premier aperçu aux chiffres qui figurent dans les rôles des contributions , on arrive à reconnaître avec l’administration, que les contingents assignés à la capitale dans les contributions directes, ont été toujours fixés à des taux excessivement élevés. Plaçons cette énonciation sous l’égide de résultats numériques, emprun- tés aux autorités de la ville de Paris. Contribution foncière payée par la France entière en 1846. — Le département de la Seine y a figuré pour 1/20° du total. Contribution personnelle et mobilière. — Le département de la Seine en a payé 1/10°. Contribution des portes et fenêtres. — Le département de la Seine en a payé 1/9°. Contribution des patentes. — Le département de la Seine en a payé 1/4. Ces résultats renferment implicitement ceux que nous allons encore produire. Ce sera toujours, mais sous une autre forme, la preuve que Paris est énormément sur- chargé : 646 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Sur l’ensemble de la population du royaume, le mon- tant de la contribution personnelle et mobilière s'élève, en moyenne, par tête, à 1 fr. 64 c. L’habitant de Paris paie, en moyenne, 5 fr. 62 c. Si l’on fait porter, enfin, la comparaison sur l’ensemble des quatre contributions, on trouvera que, sur toute la France, le contingent moyen de chaque personne est de hfr,: 7840 | Le contingent de l'habitant de Paris se monte à 28 fr. 70 cent. be: Comment explique-t-on, comment essaie-t-on de jus- tifier des disproportions aussi extraordinaires dans la répartition de l'impôt? Par ces trois paroles : Paris est riche! Après les épreuves, les inquiétudes qu’elle vient de subir , l’administration ne pense pas, dit-elle, pouvoir admettre l'explication. Une ville est-elle riche, lorsque, outre 84,000 indigents recevant des secours journaliers par les bureaux de bienfaisance, elle a vu 405,000 de ses habitants solliciter journellement des bons de pain ? La disproportion qui existe, d’après tous les chiffres que nous venons de citer, entre le contingent contributif de Paris et celui du reste de la France, serait-elle aussi forte, tranchons le mot, aussi choquante, si l’on posait la question en ces termes : Le revenu est-il plus imposé à Paris que dans les départements ? Sans documents officiels pour résoudre elle-même ce problème, la Commission s’est adressée encore à l’admi- nistration de la ville, Voici, en substance, sa réponse : Le cadastre de la France n’ayant jamais été terminé, SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 647 n’a pu servir qu’à régler la répartition locale de chaque .… département, Les bases de l’impôt n’ont rien de comparable, quand on veut passer d’un département à un autre. Voici, au surplus, l’état des choses pour la ville de Paris : Revenu net imposable en 1847, c'est-à-dire un tisane ds ot shoes 73,780,000 fr. Impôt foncier en principal et en centimes addi- tionnels.…..................... tot 11,704,000 La proportion de l'impôt au revenu est donc d’un peu moins de un sixième, | Existe-t-il beaucoup de départements, en existe-t-il un seul où la proportion soit aussi élevée ? Venons à la contribution personnelle et mobilière : 1j Montant total des valeurs locatives d'habitation, imposées à Paris, en 1847...,......... sis... 64,373,000 fr, Contribution mobilière en principal et centimes DONONNOS essences se nes e ee ce e ee 5,477,000 La proportion dépasse un douzième. Cette proportion paraîtra surtout exorbitante, en con- sidérant, dit l'administration municipale, qu’il est notoire qu’à Paris les valeurs locatives sont estimées avec rigueur ét portées à leur valeur réelle, tandis que dans les dépar- tements, de l’aveu du ministère des finances, on y tolère une forte atténuation. Supprimons cette tolérance, et les départements prendront dans la répartition gérérale du contingent, une part plus forte, ce qui soulagera d'autant le département de la Seine. En revenant, après cette longue digression, à la propo- sition d'augmenter le nombre de centimes additionnels, 648 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. nous n’aurons qu'une seule remarque à faire : Pour retrouver , par les centimes, ce que Paris perdrait à la | suppression de la surtaxe , il faudrait en ajouter 28 aux 5 qui existent déjà, Un pareil chiffre rend tout nouveau développement superflu; personne n’oserait proposer d'augmenter de plus d’un quart, des contributions déjà excessives, Dans la pétition du délégué des propriétaires de vignes de Narbonne, que la Chambre a renvoyée à la Commis- sion, la transformation en droit d'octroi, payable à la barrière, des droits ad valorem qui se perçoivent, dans les halles d’approvisionnement, sur le prix de la vente en gros du poisson d’eau douce, de la marée, de la volaille, du gibier , ainsi que du beurre et des œufs, est présentée comme devant offrir de grandes ressources à la ville de Paris. Le titre dont le pétitionnaire est investi, joint à un mérite reconnu , imposaient à vos commissaires le devoir de chercher ce qu’il y avait de fondé dans l’assertion si catégorique que nous venons de transcrire. Voici les faits. Des représentations de H. le ministre des finances ayant conduit à admettre que l’ancien mode de perception sur le carreau des halles n’était pas strictement conforme à la loi, le Conseil municipal, par une délibération du A: août 1845, a voté la conversion du droit à la vente en une taxe d’octroi, laquelle, désormais, sera perçue aux barrières. Eh bien, déduction faite du dixième de la recette, sur laquelle le Trésor n’avait aucun prélèvement à exercer quand elle s’opérait dans les halles ; déduction faite aussi des frais de perception, qui seront beaucoup SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 649 plus considérables suivant le nouveau mode, au lieu des grandes ressources que nous annonçait le pétitionnaire, la ville éprouvera une perte évaluée à 443,000 fr. par an. Bien décidée à n’accorder la prorogation momentanée de la surtaxe, comme moyen d’amortir l'emprunt, qu’a- _ près s'être assurée qu'aucune autre combinaison ne serait préférable, la Commission s’est demandé si, par quel- ques modifications acceptables dans l'assiette de son octroï, la ville de Paris n’arriverait pas à se créer les ressources dont les circonstances présentes lui font un besoin. Elle a cherché, entre autres, si l’on pourrait frap- per d’un droit d’octroi le sucre et le café; le sucre de 5 centimes par kilogramme ; le café, de 10 centimes. D'après les documents qui nous ont été communiqués, il se consommerait à Paris, par an, 19 millions de kilo- grammes de sucre. Au droit de 5 centimes, la ville en retirerait 950,000 francs. La consommation de café est évaluée à 6 millions de kilogrammes, lesquels, à 10 centimes, donneraient un produit de 600,000 francs. Le total serait de 1,550,000 francs. L'on estime qu’il faudrait déduire de cette somme plus de 150,000 francs pour le dixième du Trésor, et les frais d'exercice et de perception aux barrières. Le produit net ne s’élèverait donc qu'à environ 1,400,000 francs. C’est une somme encore importante ; mais il est peu supposable que l’administration fût disposée à vouloir lintroduire dans son budget des recettes, en présence des difficultés nombreuses et très-graves que ces nou- 650 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. veaux droits d'octroi soulèveraient, soit de la part des colonies réunies, cette fois, aux fabricants de sucre de betterave; soit de la part des raffineurs et des entrepo- seurs actuels, répandus dans tous les quartiers de la ville, L'introduction de l'exercice dans la capitale serait à elle seule un obstacle presque insurmontable, C’est dans ce sens que la Chambre de commerce de Paris répondit très-catégoriquement, lorsque la question lui fut soumise. Faut-il conclure des deux résultats négatifs auxquels nous sommes arrivés, que l'octroi perçu aux barrières de la capitale, que cette branche principale du revenu mu- nicipal ne serait pas susceptible d'amélioration? Loin de là ; vos commissaires sont d'avis, au contraire, que rien n’est plus digne de la sollicitude de l'administration. Ils pensent, par exemple, qu’à moins de difficultés d’exécu- tion insurmontables, il faudrait au plus tôt faire dispa- raître ce qu'il y a d’injuste dans une taxe uniforme, n'ayant aucun égard aux différences de qualité et de prix ; il leur paraît que des tarifs qui frappent de droits égaux, les vins médiocres destinés à la consommation du pauvre, et les vins recherchés provenant des plus cé- lèbres clos de la Bourgogne et du Bordelais, devraient être réformés. & 3. — Situation financière de la ville de Paris; ses ressources ; ses charges. — Sans la conservation momentanée de la surtaxe, la ville pourrait-elle satisfaire convenablement aux besoins résultant dé cir- constances difficiles et rembourser son emprunt ? — Accroissement des dépenses municipales de la ville de Paris. Pour se faire une juste idée de la situation financière d’un royaume, d’une ville, d’un simple particulier, il ne SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 651 faut pas donner moins d'attention à l'examen des dé- penses qu’à celui des recettes. Cette remarque touche à la puérilité à force d’être évidente. Cependant elle est mise en oubli par la plupart de ceux qui, dans un senti- ment dont nous n’avons pas à rechercher la source, _ mettent journellement en regard les immenses revenus de la capitale, et les travaux, comparativement mes- quins, qu'on y exécute. N’affaiblissons pas le reproche ; voici de quelle manière on le formule : Comment arrive-t-il qu’une ville dont les recettes nor- males se montent à 46 millions de francs, puisse se voir forcée, par suite de quelques intempéries de l'air, d’un peu de rareté dans les céréales, de contracter un gros emprunt ? 46 millions! c’est le revenu total de certains États! Avec 46 millions on pourvoit ailleurs à l'entretien d’une armée, d’une flotte, d’un corps diplomatique, d’une nombreuse administration ; on subvient à tous les frais d’une liste civile ! En vérité, la ville de Paris semble peu ménagère de ses ressources | Telles sont, en abrégé, les réflexions chagrines que les circonstances présentes ont fait naître. - La Commission les a examinées avec une sérieuse attention, soit pour les prendre en grande considération, si l'administration n’y pouvait pas répondre d’une ma- nière satisfaisante, soit pour empêcher qu’on les repro- duisit, dans le cas où elles reposeraient sur des aperçus vagues et sans consistance. M. le sous-secrétaire d’État de l’intérieur et M. le pré- fet de la Seine se sont rendus au sein de la Commission. C’est dans leurs communications verbales et écrites, c’est 652 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. dans l’exposé des motifs du projet de loi que nous avons puisé les éléments numériques de notre discussion. Le revenu de la ville de Paris s'élève à environ L6,500,000 francs. A côté de cette immense recette, il faut placer en dé- penses obligatoires : fr. L’amortissement de la dette municipale, y compris les rentes dues aux hospices................ ses. L,600,000 Les frais de perception de tous les revenus. ..... .. 3,000,000 Le dixième afférent au trésor sur le produit de l’oc- Us MP Sr Es me eee x per qussbnfaee sante ont ad ss ,800,000 La subvention aux hospices..,........... 60.011? 00,000,000 Les contributions mobilières de tous les habitants de Paris dont le loyer est au-dessous de 200 fr., con- tribution payée par la ville......... essor Eee À 9,600,000 La contribution foncière des propriétés communales, 80,000 Le budget de la préfecture de police...... ….... 10,700,000 L’instruction primaire, environ.................. 1,000,000 Les frais d'administration des douze mairies. ...... 1,200,000 Garde nationale, corps de garde et loyers de ca- POP. cures « à PARU OR p.aaix.s à nie SR ÉTOS 950,000 Grande voirie, terrains retranchés.....,....,..... è 860,000 Entretien des édifices et travaux d’art......,...,.. 3,400,000 Culte, cimetière et inhumations........... dati 510,000 Réserve pour dépenses imprévues, etc., etc........ 4,150,000 Toutes les dépenses obligatoires réunies forment un total de 38 millions et demi, qui, retranchés de 46 mil- lions et demi, montant de la recette, laissent 8 millions disponibles pour travaux neufs, y compris les grosses réparations dans les bâtiments communaux, dans les hospices, dans les établissements hydrauliques ou dans les ouvrages dépendant des ponts et chaussées, etc. Les h6 millions seront donc désormais hors de question. On se rappellera que c’est avec 8 millions seulement que SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 653 la ville de Paris doit pourvoir aux améliorations sans nombre que la population, les étrangers réclament avec tant d'instance et de raison. Enfermé dans ce chiffre réduit, le débat deviendra clair et saisissable pour tout le monde. L’encaisse de la ville de Paris, dont il est fait mention dans les budgets municipaux et dans l'exposé des motifs du projet de loi, a provoqué, à raison de son importance, les plus attentives investigations de la Commission. Au 31 décembre 1846, la ville avait 23 millions dé- posés au Trésor. Cette somme est-elle disponible ? Faut- il la considérer, ainsi qu’on l’a dit à la Chambre dans une pétition, ainsi qu’on l’a imprimé, comme une éco- nomie libre de toute affectation et prudemment placée ? S'il en était ainsi, le meilleur mode de remboursement de l'emprunt ne serait pas difficile à trouver. Les explications nettes et catégoriques qu'on nous a données, les tableaux détaillés qui ont passé sous nos yeux, et dont nous allons présenter l'analyse, ne per- mettent aucun doute, ne laissent de place pour aucune illusion. Les 23 millions représentent : | 1° Des crédits ou portions de crédits, destinés à solder des dépenses faites et non encore liquidées ; 2° Des crédits affectés à des travaux en cours d’exé- cution ; 3° Des crédits tenus en réserve pour subvenir à de grandes opérations qu’il serait ruineux d'entreprendre avant d’avoir une certaine accumulation de fonds fournis par plusieurs budgets successifs; h° L'excédant de caisse provenant de la régularité 654 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. avec laquelle s’effectuent les perceptions journalières ou mensuelles, sur les dépenses courantes dont la plupart ne se font que successivement et sans époques fixes; 9° Enfin, les sommes déposées par des tiers à titre de cautionnements, de garanties, ou pour des services particuliers. Quelques exemples justifieront ces Me 2 et en montreront l’importance financière, | Mairie du troisième arrondissement. L'administration munici- pale ayant traité avec l’État pour l’acquisition du terrain des Petits- Pères, en même temps que pour l'ouverture, en participation avec le domaine et les messageries royales, de la nouvelle rue de la Banque, il a été ouvert, en 1846, les crédits nécessaires pour le concours de la ville, savoir : par une imputation sur le fonds géné- ral d’élargissement de la voie publique, et par une allocation de 320,700 fr. pour l’achat de l'emplacement de la nouvelle mairie. La première partie a reçu sa destination, en vertu des décisions du jury d’expropriation. Quant à l'acquisition du terrain, le contrat d'acquisition à passer avec le domaine ayant été retardé par diverses circonstances, les 320,700 fr. destinés à ce paiement sont restés en caisse, ainsi qu’une première somme de 100,000 fr. allouée aussi en 1846, et une autre de 96,000 fr., votée plus tard pour les travaux de construction. C’est donc pour cette seule mairie fr. 640,700 FPS CES re EN Er soie sos VEUT 525,700 plus pour les frais de direction. .....,...... 9,000 La mairie du douzième arrondissement est en cours d'exécution ; mais les travaux sont suspendus par suite d’un incident relatif aux fondations. Il y a de voté : 4° 105,135 fr., et 2° 144,000 fr., plus, pour les frais de direction, 12,500 fr. Total. 54.010 261,635 Caserne des Célestins. Les constructions se font par grandes parties et successivement, pour ne pas nuire au casernement existant ; d’autre part, des modifications aux plans ont été demandées par le colonel et par le préfet de police. De là, quelques études nouvelles et des SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 655 retards dans l’exécution. Les crédits en réserve sont : 2”, nn ........... 604,495 TL de doc e .... . ....... 96,000 3° Plus, pour frais de dipeciion. ad éd. 192000 Église Sainte-Clotilde. L'exécution de cet édifice est maintenant commencée. Il avait été fait une réserve, tant pour l’acquisition consentie du terrain, mais dont - le contrat reste à passer avec le domaine, que pour la construction : 4° de 200,000 fr.; 2° de 200,000 fr.; 3° de 179,977 fr.; 4° de 460,000 fr., et, pour les frais de direc- RL 000 Clin ad nn). LAN RO OR Le nouvel hôpital est dans le même cas que l’église Sainte-Clotilde ; il y a une réserve : 1° de 140,941 fr.; 2° de 400,000 fr.; 3° de 600,000 fr.; ci......... CE TS Agrandissement des cimetières. Le conseil a voté les fonds pour cette opération, que les difficultés de traiter ont retardée. Il y a des réserves de 675,000 fr., de 25,000 fr. et de 425,000 fr. Ensemble......... HS Que Peinture et objets d'art. Ces dépenses ne sont ordon- nées qu’au fur et à mesure des votes des crédits par le conseil municipal; mais elles se trouvent réparties en un très-grand nombre d'articles, pour des contrats passés avec des peintres, sculpteurs, brouziers, orne- manistes, etc. Les travaux ou fournitures se font tou- jours attendre, en sorte que les fonds restent, en géné- ral, assez longtemps en caisse. Il y a dans ce moment, pour cet objet, des réserves de 265,322 fr., de 56,073 fr., de 70,000 fr. Ensemble................... RUE a L'amélioration de la place du Carrousel n’a pu se faire, quoiqu’elle soit votée depuis longtemps, parce que, devant être exécutée en participation avec l’État et la liste civile, les projets ont été plusieurs fois modi- difiés, parce que les concours respectifs ont été diffi- ciles à fixer. Cette opération, maintenant à la veille de commencer, à tenu en caisse..,...... Rs HAE pond ee Les subventions aux hospices pour travaux ne se paient qu’au fur et à mesure de l’avancement, et sur justifications régulières. Elles ont laissé en réserve : 1° 325,803 fr.; 2° 231,158 fr.. 3° 231,600 fr. Ensemble... Les halles centrales ne peuvent être entreprises que par grandes sections. En adoptant ce système de tra- fr. 735,495 1,082,977 1,140,944 1,195,000 391,395 200,000 788,561 656 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. vail, on a voulu : 1° ne procéder aux expropriations que par lots occupant de vastes surfaces, afin de ne pas nuire essentiellement aux maisons qui resteraient de- bout environnées de ruines; 2° obtenir des espaces suffisants pour élever les hangars sous lesquels vien- dront se placer les vendeurs qui devront abandonner certaines parties des marchés à démolir. On estime que le premier lot des expropriations, comprenant les rues de la Tonnellerie et leurs abords, ne coûtera pas moins de 7 millions. Comment ne pas accumuler de réserve pour une si forte dépense? Aussi les premiers crédits ouverts sont-ils : 4° de 800,000 fr.; 2° de 1,805,585 fr.; 3° de 2 millions. Ensemble. ;. es. sce de. ES Les opérations de grande voirie ont une entière ana- logie avec celles des halles, quand elles se rapportent à des expropriations, comme dans le cas de la rue Souf- flot, du boulevard Contrescarpe, abord principal du chemin de fer de Lyon, et de la rue Montmartre. Ces trois opérations s’exécutent en ce moment; elles ne coûteront pas moins de........ PEMENTS LTÉE Les travaux de la rue des Mathurins-Saint-Jacques, du deuxième lot de la rue Montmartre, d’autres projets d’une exécution prochaine, crédités sur les fonds du budget , figurent dans l’encaisse pour............... * A ces exemples, qui pourraient être multipliés, il faut ajouter : Les crédits non employés pour cas accidentels, soit parce qu'ils attendent la réalisation de concours exté- rieurs, soit parce que les projets sont à l’étude ou sou- mis à l'examen des ministères de l’intérieur et des tra- vaux publics, soit enfin parce que les formalités prépa- ratoires ne sont point accomplies ; Les dépenses pour travaux faits, et dont la réception n’a point eu lieu, ou dont les mémoires sont au règle- ment, ou à l'égard desquels les délais de garantie ne sont pas expirés ; A la fin de 18/6, il y avait encore dans ces catégories, sur 1845, pour une somme de........ AUS EL STONE : Les reliquats de fonds en dépôt pour cautionnements, garanties et services particuliers en dehors des bud- gets communaux, lesquels sont chiffrés dans les états POUT,.....s0.. .... nn ere fr. 4,695,585 3,000,000 2,500,000 693,366 1,358,212 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 657 Enfin l‘excédant habituel des recettes journalières sur les dépenses de l’année 1846, à la fin de décembre. Nous avons donné ces explications détaillées, pour que les publicistes qui, dans leurs écrits, avaient présenté les 23 millions d’encaisse comme une somme disponible, ne persistent pas dans leur erreur. Cette somme, sur toutes ses subdivisions, à des destinations qui ont été déterminées par des décisions municipales et ministé- rielles ayant force de chose jugée. Persister à la regarder comme une ressource, comme une portion de l'actif actuel de la ville, ce serait méconnaître les règles les plus élé- mentaires de l’administration, de la comptabilité ; disons plus, ce serait mettre en oubli tout sentiment de justice. Les recettes, depuis plusieurs années, dépassent sen- siblement les prévisions portées au budget. Le fait est exact. Seulement on se trompe quand on en conclut que les revenus surpassent les besoins. La ville de Paris dé- pense chaque année, en totalité, la somme portée à son budget normal ; elle dépense de plus, aussi en totalité, le reliquat provenant de l'exercice précédent. Personne cependant ne se hasarderait à dire qu’il n’y ait pas à Paris de nombreux services en souffrance. La différence entre les évaluations des recettes et les recettes effectives ne prouve qu’une seule chose : c’est que le préfet et le conseil municipal procèdent avec une grande prudence ; c’est qu’ils modèrent les évaluations de recettes pour ne pas être pris au dépourvu. L'expérience, disent-ils, leur a montré que dans l'administration d’une immense capitale telle que Paris, il est sage de faire la part de l’imprévu. VL — 11, 42 658 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. La ville de Paris dépense-t-elle trop? Telle est l’unique question à résoudre. Qu'importe, en effet, que cédant à une timidité peut-être excessive, le corps municipal reste toujours très-modéré dans ses évaluations de recettes ; qu'il ne veuille entreprendre certains travaux! malgré leur incontestable urgence, qu'après avoir encaissé les sommes nécessaires pour les payer : de cette marche, bonne ou mauvaise, où chacun, suivant son point de vue, peut trouver un sujet d’éloge ou de blâme, on ne saurait du moins induire logiquement que la capitale possède des ressources supérieures à ses besoins réels. Arrivons présentement, c’est ici le point culminant de notre tâche, à l'examen du mode d'amortissement que la minorité de la Commission voudrait substituer à celui du projet de loi. Les membres de la majorité se sont à cet égard séparés, avec un très-vif regret, de collègues dont ils honorent au plus haut degré la loyauté, le caractère, et dont le savoir en matière de finances et de législation est apprécié de la France entière ; mais eux aussi ont obéi à une conviction réfléchie et profonde; ils espèrent la faire partager à la Chambre. | Suivant la pensée des honorables membres composant la minorité de la Commission, le délai fixé par la ville pour l’amortissement de l'emprunt, est beaucoup trop court. Au lieu de six ans, il faudrait en prendre douze. Alors les annuités à servir aux prêteurs seraient consi- dérablement réduites; alors les ressources ordinaires du budget municipal y pourvoiraient amplement; alors on pourrait se dispenser de proroger la surtaxe jusqu’à 1858. SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 659 Reproduisons ici, sans y rien changer, l'argumentation vive et serrée d’un des membres de la minorité : «Il est impossible d'accepter les conditions auxquelles on veut faire l'emprunt, et le moyen que l’on veut em- ployer pour en opérer le remboursement. Pourquoi veut-on lPamortir en six ans? En 1832, la ville de Paris a pris vingt ans pour éteindre l’emprunt de 40 millions qu’elle fit alors ; le terme ordinaire que prennent les villes est de douze ans ; pourquoi ce remboursement précipité? Serait- ce pour rendre nécessaire le moyen que l’on veut mettre en usage? Ce moyen est contraire à la constitution natu- relle des octrois; la règle posée par la loi de 1816, con- firmée par la loi de 1842, est que le droit d’octroi perçu par les villes ne doit pas excéder le droit d’entrée perçu par l'État. C’est dans l'intérêt des finances de l’État que cette règle a été établie. On ne peut y déroger qu’excep- tionnellement et par nécessité. Y a-t-il nécessité pour la ville de Paris? La minorité de votre Commission est con- vaincue que l'emprunt de 25 millions peut être très-faci- lement remboursé en douze ans, qui commenceront en 1852, sans prolonger d’un seul jour la surtaxe des vins et des cidres. Les revenus de la ville de Paris excèdent an- nuellement les dépenses prévues ; à partir de 18592, les dépenses ordinaires seront réduites par l'extinction des dettes déjà contractées; enfin, il ne paraît pas douteux que, par le cours naturel des choses, les produits de l’oc- troi ne reçoivent un accroissement notable pendant les cinq années qui nous séparent encore de l’époque où com- mencera l'amortissement. La minorité de la Commission croit donc que le paiement des intérêts et de l’amortisse- 660 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. ment de l’emprunt doit s'effectuer sur les ressources an- nuelles et ordinaires de la ville, et elle a proposé de modifier en ce sens le projet de loi. » Au point de vue où elle s’est placée, la majorité de la Commission, loin de trouver de l'avantage à restreindre le temps de l’amortissement de la dette, n’y verrait que des inconvénients. Les remboursements à long terme peu- vent avoir des effets très-utiles dans le commerce , mais il n’en est plus de même lorsqu'il s’agit de sommes em- pruntées par les villes pour des constructions, de sommes qui ne doivent pas donner de revenus. Que veut la ville? Exécuter des travaux. Eh bien, amortit-elle son emprunt dans l’espace de vingt années, elle devra payer aux pré- teurs, en intérêts à 4 p. 0/0, 41,800,000 fr. L’amortis- sement s’effectue-t-il en six années seulement, les intérêts déboursés ne s’élèveront qu’à 3,600,000 fr. C’est une différence de 8 millions. Dans la première hypothèse, la ville, en vingt ans, se trouverait donc avoir consacré à ses constructions 8 mil- lions de moins que si elle s’était libérée envers ses pré- teurs dans la période de six années. Or, si l’on se rappelle qu’autour des travaux de l’administration viennent tou- jours se grouper les constructions, en masse beaucoup plus importantes, qu’élèvent les particuliers, le rembour- sement de l'emprunt dans un intervalle de courte durée semblera éminemment avantageux. Ces considérations ne sont pas les seules qui aient fait choisir un court délai pour le remboursement de l’em- prunt projeté. L'administration municipale, nous a-t-on dit, tout en voulant pourvoir aux difficultés des circon- SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 661 stances actuelles, désire rester le moins longtemps pos- sible dans une position exceptionnelle. Elle aussi reconnaît que la ville de Paris devra, comme la plus modeste com- mune de France, accepter dans toute leur rigueur les conséquences du principe posé dans la loi de 1842. Elle ne voulait pas qu'on pût la soupçonner de profiter des malheurs du temps, dans des intérêts purement finan- ciers, et d’essayer par une voie détournée de prolonger indéfiniment le statu quo. Le corps électif préposé à la surveillance des intérêts de la capitale s’est préoccupé d’un danger imaginaire : sa loyauté n’a jamais été mise en question ; des soupçons d’intrigue, de manœuvre occulte, ne pouvaient en aucun cas l’atteindre. Nous avons cru néanmoins devoir prendre acte solennellement des déclarations spontanées qu’il nous a été donné de recueillir. Le mouvement ascendant de l’octroi de Paris, dans ces dernières années, a fait naître, comme on vient de le voir, des espérances séduisantes ; mais il paraît pru- dent de n’y pas trop compter ; le réveil pourrait jeter la ville dans des embarras inextricables. Voyons, en effet, si le passé ne nous donnerait pas quelques leçons de sagesse, De 1837 à 1845, dans l'intervalle de huit ans, le pro- duit annuel de loctroi s’est accru de 3,300,000 fr. Un mouvement si prononcé ne saurait, dit-on, être suivi d’une marche rétrograde. J’ose affirmer, disait un honorable député dont l’opinion en pareille matière fait toujours impression sur la Chambre, que dans cinq ans la ville de Paris aura 4 millions de revenu de plus qu'aujourd'hui, 662 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Opposons des. chiffres, d’inexorables chiffres, à ces flatteuses conjectures : En 1822, l'octroi produisit.....,.... 27,200,000 fr. En 1895, il s'éleva à.......0......: 30,500,000 Ce fut aussi, dans le court intervalle de trois années, 3,200,000 fr, d'augmentation. Eh bien, en 1829, la recette était tombée à 25,500,000 fr., sans qu'aucune perturbation politique fût venue troubler le pays. C'était une diminution de 5 millions au lieu d’une augmentation de 4, que les financiers de l’époque avaient cru pouvoir prédire. La marche ascendante dont on se fait un argument est-elle d’ailleurs assez constante, assez régulière pour qu'il soit permis de se fier aux résultats d’une à deux années seulement? Non, sans doute. e De 1838 à 1839, nous remarquons dans les tableaux qui ont passé sous nos yeux une diminution de 4,200,000 fr. ; . de 1839 à 1840, la diminution continue et dépasse 700,000 fr.; en deux ans, qu'on veuille bien le remar- quer, l’époque n’est pas très-éloignée, il y eut donc, dans la recette annuelle, diminution de 2 millions ! Le produit de 1844 n’est-il pas d’ailleurs de 700,000 fr. au-dessous du produit de 1843? Malgré tous les sacrifices que la ville s’est imposés en 1846 et 1847, pour maintenir l’ordre et la tranquillité dans ses murs, pour que la cherté des céréales y fût à peine soupçonnée des classes nécessi- teuses, ne semble-t-il pas résulter des produits que l’oc- troi a donnés dans les quatre premiers mois de 18/47, qu’il faut s'attendre cette année à une diminution de SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 663 recette de plus de 1,200,000 fr.? Disons-le sans détour, il n’y a rien d’assuré, quant à l'accroissement des res- sources futures de la ville, au delà de la somme qui est maintenant employée à amortir l’emprunt de 40 millions. Cette somme deviendra disponible à partir du 1° janvier 1853. Une remarque encore, et notre tâche sera terminée. Les accroissements de recettes sont, à Paris, inévita- blement accompagnés d’une augmentation de dépenses considérable, rapide, dont il faut d’autant plus se pré- occuper, qu'une fois entrées dans le budget ordinaire, ces dépenses deviennent obligatoires, tandis que le bud- get des recettes n’offre, pour y pourvoir, que des éven- tualités. Laissons de nouveau parler les chiffres : ils frapperont tous les esprits. Service des eaux, conduites et bornes-fontaines. En 1832, dépense annuelle......... 451,000 fr. OO ÉRMENPERERE 631,000 (En 1832, il n’y avait à Paris que 40,000 mètres de conduites; en 1847, leur longueur totale était de 228,000 mètres ; en 1832, Paris possédait 217 bornes-fontaines; en 1847, on en compte 1,799.) Égouts. En 1832, dépense annuelle, ..,..... 80,000 fr. RAT ACTEUR EUR 110,000 (En 1832, il y avait à Paris 40,300 mètres d’égouts; en 1847, il y en à 126,000.) Pavés. En 1832, dépense annuelle....,.. 519,000 fr. CCE + PRO ALT se. 4,495,000 (En 1832, on comptait dans Paris 3,100,000 mètres carrés de pavé; en 1847, il y en à 3,360,000.) 664 SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. Trottoirs. En 1832, la dépense annuelle était de... fr. En 1847, elle s’élèvera à....,..,...... 350,000 (En 1832, il n’y avait à Paris qu’une longueur de 52,000 mètres de trottoirs ; en 1847, cette longueur se monte à 481,000 mètres.) Hôpitaux. En 1804, la subvention payée par la ville de Paris, pour les hôpi- taux, pour le service des aliénés et pour celui des enfants trouvés, était de...... eÉLMRNITTIRENR CIEL ES 5,036,000 fr. En 1824, de. .….. …... 5,500,000 En 1844, de........, 7,108,000 En 1804, le nombre des lits occupés était, en moyenne, MIT ae a nav ressd oui PLU re PE À à En: 4824; de. 55e. 05e . ,100 En 2984, d6,........ cn 5,600 En 1846, de....... Pose d 5,700 En 1804, le nombre des malades admis fut de... 27,000 En 1824, de..... déds sanvtés aies se 4 CR 44,000 En 4844)" SITE, G4 SNS 2 SMTP NE 80,000 DA RO RE ET Elus spi e Da » CRAN CSS 85,000 Instruction primaire. En 1830..... sde ou sodié 92,000 fr. En AR. se. rite pes mas» 1,000,000 Etc. Etc. En résumé, dans le courant des dix dernières années, les dépenses annuelles de la ville, les dépenses non facul- tatives, celles qui portées une fois au budget communal ne pourraient guère en être retirées, se sont accrues de L,523,000 fr. $ 4. — Conclusions. La Coramission donne son entière approbation au pro- jet que les autorités municipales de Paris ont conçu, de “ SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. 665 contracter un emprunt de 25 millions. Des considérations d'intérêt public et d'humanité recommandent également ce projet à la sollicitude de la Chambre ; 25 millions, réunis à d’autres ressources, permettront d'exécuter dans un assez court délai des travaux importants, variés, d’une utilité incontestable, et de procurer du travail à des ouvriers dont le nombre et la profonde misère n’ont été que trop bien attestés par les énormes quantités de bons de pain que la ville de Paris a dû faire distribuer dans les six premiers mois de cette année. Les conditions aux- quelles l'emprunt serait contracté n’ont donné lieu à aucune objection. La majorité de votre Commission a reconnu enfin que le mode d'amortissement proposé est le seul qui ne soulève pas de difficultés réelles ; le seul qui puisse autoriser l’administration de la capitale à ne faire entrer dans ses prévisions aucune éventualité fâcheuse. La majorité de la Commission propose donc à la Chambre d’adopter, sans modification, le projet de loi qui a été présenté par M. le ministre de l'intérieur. Il nous paraît, en effet, superflu de demander que les tra- vaux extraordinaires, qui ne nous ont été indiqués qu’en termes généraux, soient soumis à toutes les formalités habituelles, de devis étudié, définitif, d’examen du con- seil d’État et d'approbation ministérielle. Aucun doute ne saurait s'élever sur la nécessité de ces garanties, SUR LES SYSTÈMES DE LA PROTECTION ET DU LIBRE ÉCHANGE Il est des questions sur lesquelles il n’est pas permis de dissimuler son opinion; la question de savoir quel est le meilleur système douanier qui convient à la France est aujourd’hui dans ce cas, Je suis pour le principe de la liberté, mais j'ai dû quelquefois, dans la pratique, ne pas suivre rigoureusement les conséquences du principe que je regarde comme celui de la vérité, C’est que tout s’enchaîne dans une loi de douanes. Il suffit d’un article déjà voté pour entraîner les personnes qui l’ont repoussé dans une route opposée à celle qu’elles eussent voulu par- courir. C’est ce qui m'est arrivé notamment à l’occasion de la discussion du projet de loi sur les droits de douane présenté aux Chambres en 1836. J'ai soutenu toutes les diminutions de tarif proposées par la Commission, j’au- rais même désiré voir la Chambre des députés entrer plus largement dans la voie de la liberté commerciale, . mais il ne dépendait pas de moi de réformer les articles déjà votés. Dès qu’il n’était pas accordé de diminutions de droits pour les matières premières, je ne pouvais con- DE LA PROTECTION ET DU LIBRE ÉCHANGE. 667 sentir à laisser dégrever les objets fabriqués. C’est ainsi _que j'ai soutenu qu’il était indispensable d'accorder une protection très-large aux constructeurs de machines. Je crois devoir, afin d'éviter tout malentendu, reproduire en substance les arguments que je présentai alors à la _ Chambre. J'ai eu des rapports nombreux, fréquents avec la plu- _part des artistes de la capitale et de la France ; quelques- uns d’entre eux m’avaient engagé jadis à demander des droits protecteurs pour leurs produits; je m’y suis tou- jours refusé, parce que, relativement aux artistes, aux fabrications dont je veux parler, la matière première ne figure que pour une très-faible partie dans la valeur du produit définitif. En pareille circonstance, frapper d’un droit d'entrée les produits étrangers, ce serait reconnaître que nos artistes sont inférieurs à ceux de l’Angleterre; qu'ils n’ont pas la même constance, la même dextérité, le même génie, Cela serait vrai que, par un sentiment de nationalité bien ou mal entendu, je ne voudrais pas l’avouer ; à plus forte raison ne le dirais-je pas quand aucune infériorité n'existe, Qu'est-il résulté, en fait, de la libre concurrence ainsi établie ? Il en est résulté, et je pèse toutes mes paroles, car je ne veux donner prétexte à aucune inter- prétation douteuse, il en est résulté qu’en instruments de précision, qu’en horlogerie, qu’en optique nous sommes égaux ou supérieurs aux étrangers, quels qu’ils soient. La supériorité dont je parle n’est même pas niée par les parties intéressées. Aïnsi, par exemple, qui ne connaît la haute réputation dont jouissaient jadis les lunettes an- 668 SUR LES SYSTÈMES DE LA PROTECTION glaises? Eh bien, les plus grandes lunettes connues ont été récemment exécutées à Paris par deux artistes fran- çais, M. Lerebours et M. Cauchoïx; les deux plus grandes, les deux meilleures lunettes astronomiques qui existent en Angleterre ont été achetées en France : elles sont sor- ties des mains de M. Cauchoix. Qui aujourd’hui aurait la pensée d’aller chez nos voisins chercher des instruments d'astronomie et de marine, à l'égard desquels M. Gam- bey s’est placé dans un rang que personne ne lui dispute ? Je reconnais et je proclame avec plaisir les résultats de la libre concurrence; mais je dois avouer en même temps que les constructeurs de fortes machines, de machines à vapeur, par exemple, se trouvent dans une catégorie à part; que relativement à eux, la matière première a une valeur trop considérable pour qu’en présence de la loi des douanes, la concurrence ne dût pas amener leur ruine complète. J’ai eu la curiosité, j'avais même le devoir de déterminer exactement les éléments numériques de la question. Je me suis adressé pour cela à quelques- uns de nos artistes ; je leur ai demandé quelle est la diffé- rence, quant au prix de la matière première qui entre dans une de leurs machines, entre la France et l'Angle- terre. Eh bien, voici un des résultats; il m’a été fourni par la maison Perrier de Chaillot. Pour une machine de 80 chevaux, au prix ancien des métaux, c’est-à-dire aux prix non encore modifiés par augmentation factice que les nombreux projets de che- mins de fer leur a fait éprouver en Angleterre, je trou- vais, en 1836, pour la fonte, la tôle et le fer nécessaires une différence de 22,000 fr. entre les prix de Londres et ET DU LIBRE ÉCHANGE. 669 de Paris. La machine achevée ne se paie cependant que 63,000 fr. ! 4 Passons à une des plus grandes machines employées dans les bâtiments à vapeur destinés à un service de guerre, à une machine de la force de 160 chevaux. Ici, aux prix de 1836, et malgré l'augmentation extraordi- paire du fer qui avait eu lieu en Angleterre, la différence sur la matière première entre Londres et Paris est de 60,000 fr. Il n’y a pas d’habileté qui puisse racheter une aussi grande somme d’argent; si on n’y avait pas égard, toutes nos manufactures de machines tomberaient à l'instant. Ainsi, comme conséquence des votes qui maintenaient les droits sur les matières premières, votes que je déplore, il fallait accorder une protection aux constructeurs de grandes machines. On a voulu mettre un droit protecteur de 30 pour 100 pour quelques machines, et de 15 pour 100 pour les autres. Je ne devine pas, je l’avouerai, la cause de cette différence entre les machines à vapeur et les machines ordinaires. Quoi qu’il en soit, ces droits de 30 et de 15 pour 100 de la valeur, on a voulu les remplacer par une fois et demie le droit d’entrée de la matière première. Eh bien, voyons si les deux méthodes, qui ont été données pour équivalentes, conduisent aux mêmes résultats. Afin de ne pas me placer dans des conditions hypothé- tiques, j'ai demandé à un de mes amis qui faisait partie du comité consultatif des arts et manufactures de me donner le poids des différentes parties d’une machine à vapeur de 670 SUR LES SYSTÈMES DE LA PROTECTION 60 chevaux introduite à cette époque; j'ai calculé sur le taux de 1 et demi le droit d’entrée de ces métaux, le droit que la machine paierait; et au lieu du droit de 30 pour 100 de la valeur, je n’ai guère trouvé que 8 à 9 pour 100. Selon moi, ce nouveau mode propoosé était donc une mauvaise mesure. Il me semble qu’en partant de ce principe de toute justice, qu'il faut mettre nos constructeurs en mesure de lutter à armes égales avec les constructeurs étrangers, nous arriverons à une fixation raisonnable et logique des droits protecteurs. La matière première coûte en France plus qu’en Angleterre. On peut bien demander à nos artistes d’être aussi laborieux, aussi ingénieux que les étrangers; mais on ne saurait, sans injustice, exiger qu’à force d'habileté ils comblent l’énorme différence de prix dans les matières employées dont j'ai déjà fait mention. Ainsi, d’une part, les machines anglaises devront être frappées d’un droit égal à la différence dans le prix de revient des matières premières; mais cette différence, il ne faut pas la calculer sur le poids des métaux qui restent dans la machine exécutée. Il y a, en effet, pendant le travail, 20 à 25 pour 100 de déchet; ajoutons que la houille est un élément nécessaire de la fabrication, et qu’il y a une différence énorme entre le prix de ce com- bustible en France et en Angleterre, En tenant compte de toutes ces circonstances, j'ai demandé qu’on portât à 2 pour les grosses machines le facteur que la Commission réduisait à 1 1/2. J'ai regretté je le répète, d’être obligé de faire cette proposition; mais ET DU LIBRE ÉCHANGE. 671 elle était une conséquence inévitable du prix élevé auquel on avait jugé convenable de maintenir les matières pre- mières dans notre pays. Si des machines colossales dont il vient d’être question, on descend à des machines d’une moindre puissance, on trouve plus de main-d'œuvre, beaucoup plus de déchet, et le multiplicateur du droit sur le poids, devra peut-être s'élever à 3. En suivant ces errements, on peut arriver à placer nos artistes sur le même terrain que les Anglais; et dès que les armes seront égales, le résultat n’aura rien de douteux pour moi. Dans les lois de douane il se trouve un article très- grave, relatif à l'entrée des pièces détachées. J'ai tâché de faire sentir qu’il faudrait adopter un multiplicateur du droit au poids différent, suivant que la machine serait plus ou moins lourde, suivant qu’elle aurait de plus ou moins grandes dimensions, suivant que le déchet serait plus ou moins considérable. Mais si on fait entrer des pièces détachées, dans quelle catégorie seront-elles classées? Il faut nécessairement un droit élevé, afin qu'il n’arrive pas que les fabricants soient conduits à faire exécuter toutes les parties délicates en Angleterre, et à ne plus jamais s’occuper que de grosses pièces. Autrement on ne trouverait bientôt plus chez nous un ouvrier capable d’exécuter ni le régulateur à force centrifuge, ni l’admirable parallélogramme articulé, qui fait osciller la tige du piston sur une même ligne droite; ni les pistons métalliques à secteurs mobiles, dont le contour est toujours en contact parfait avec les parois du corps de pompe, 672 SUR LES SYSTÈEMS DE LA PROTECTION On a voulu rendre facile l'introduction des machines qui peuvent servir de modèle. C’est une pensée très-libé- rale, mais je dois dire que ce n’est pas sur l'inspection d’une machine qu’on la copie, c’est sur un dessin coté. Ainsi, l'industriel qui voudra exécuter en France une machine inventée à l'étranger, arrivera bien plus sûre- ment au but en se munissant d’un bon dessin que de la machine elle-même. Il est d’ailleurs très-difficile de savoir si une machine proposée est ou n’est pas un modèle véritable; celles qu’on introduit sous ce titre ne se distinguent le plus ordinaire- ment des machines connues et éprouvées que par des changements de forme insignifiants. L'expérience seule pourrait prononcer sur les effets de ces changements, et quand l’expérience a prononcé négativement, la machine n’en a pas moins été introduite en franchise de droits. Aussi, si je demandais à l'administration qui, je le recon- nais, s’est toujours entourée des avis des hommes de l’art, si je lui demandais de quels organes mécaniques la France s’est enrichie avec des machines modèles, on serait fort embarrassé de me répondre ; je me trompe, on a fait venir à grands frais une machine à diviser qui devait opérer des merveilles ; elle n’a jamais servi et elle ne servira jamais. Je dois dire, et j'ai plus que personne le droit de faire cette déclaration, que les commissaires nommés par l'autorité pour examiner les machines modèles se trom- pent quelquefois ; car je me suis trompé moi-même. J’ai le regret d’avoir donné le conseil de laisser entrer en franchise des machines qui, plus tard, se sont trouvées ne ET DU LIBRE ÉCHANGE. 673 pas jouir des propriétés avantageuses qui leur étaient attribuées. Je citerai, comme exemple, une machine à feu des “environs de Paris. On l'avait donnée comme jouissant d’une propriété nouvelle et précieuse; on disait qu’elle brûlait complétement la fumée. J’allai l'examiner avec d’autres commissaires. Le jour de notre visite, la chemi- née, en effet, ne fuma pas du tout, mais, quelques jours après, les voisins de l'établissement me dirent que la che- minée fumait, un peu plus, peut-être, qu'aucune autre machine connue. Le fait était vrai. Le jour de l’expé- rience, on chargea régulièrement les fourneaux par des procédés qui enlevaient à la machine une partie de sa force; on s'était d’ailleurs entouré de précautions qui, bonnes dans une expérience de physique, ne l’étaient pas pour le travail ordinaire. J'ajouterai que je n’ai jamais rencontré de grands constructeurs qui aient fait entrer des machines comme modèles, et j'ai cependant consulté les constructeurs les plus considérables du pays. ; Les chaudières étaient jadis prohibées ; les chaudières étrangères n’entraient en France que quand elles faisaient partie des machines. Supposons qu’on les soumette seu- lement à un droit de 15 pour 100 de leur valeur. Un chiffre va montrer quelle conséquence bizarre devait résulter en 1836 de la perception de ce droit. La tôle, à Liège, coûtait 58 fr. les 100 kil. ; les droits étaient de 44 fr. pour le même poids ; par conséquent, la tôle brute coûterait en France 102 fr. les 100 kilog. Eh bien, une chaudière, à Liège, ne revenait qu’à 82 fr. VE, — x. 43 674 SUR LES SYSTÈMES DE LA PROTECTION les 100 kilog.; en ajoutant à ce prix 12 fr. pour les 15 pour 100 de droits, on trouvera que la tôle en chau- dière ne devait revenir qu’à 94 francs. Il y aurait donc eu un avantage considérable à faire entrer la tôle à l’état de chaudière. On a demandé que les machines à vapeur destinées à la navigation internationale, que les machines destinées à être placées sur les bateaux à vapeur naviguant entre les ports de la France et ceux de l'étranger, ne paient pas de droits; une telle proposition, si elle eût été adop- tée, aurait eu pour conséquence nécessaire d’anéantir la fabrication des grandes machines. Les grandes machines, en effet, les machines de 160 ou de 200 chevaux ne sont guère employées que sur les bateaux à vapeur destinés à tenir la mer, Si jamais, par malheur, la guerre éclatait entre la France et l'Angleterre, ce serait à coups de bateaux à vapeur qu’on se battrait. L’Angleterre, déjà merveil- leusement pourvue, viendrait nous assaillir sur tous les points, et malgré tout le courage de nos marins, nous ne pourrions nous défendre utilement, faute. de machines, faute de constructeurs capables de les exécuter. C’est par les machines que l’Angleterre est arrivée au plus haut degré de prospérité; c’est par des machines qu’elle a créé dans son sein 6 à 8 millions de travailleurs infatigables et assidus, parmi lesquels l'autorité n’aura jamais à réprimer ni coalition ni émeute ; de travailleurs qui ne coûtent d’ailleurs que 5 centimes par jour ; c’est dans ses machines que l’Angleterre a trouvé des res- sources suffisantes pour soutenir une lutte acharnée dans ET DU LIBRE ÉCHANGE. 675 laquelle son existence même était mise en question ; c’est avec ses machines enfin, qu'elle pourrait nous faire la guerre la plus dangereuse. Encourageons donc conve- nablement cette branche si importante de l’industrie française; il y va de notre honneur, de notre gloire nationale. Par de grands encouragements donnés aux hommes d'élite que la France renferme, on verra se reproduire cette admirable machine d’épuisement que M. Juncker a créée dans les belles mines de Poullaoüen; les turbines si pleines d’avenir de M. Fourneyron, iront tripler vu quadrupler la force motrice de nos cours d’eau ; quelque nouveau Grimpé dotera l’industrie de machines aussi ingénieuses que celles avec lesquelles il exécute les bois de fusil avec une si admirable précision. Nos artistes ne sont pas inférieurs à ceux de l'Angle- terre. Nous avons, nous, Français, l'habitude, dans nos voyages à l'étranger, de visiter toutes les fabriques qui se trouvent sur notre route, tandis que nous ne nous occupons jamais de celles de notre pays. Si seulement on se donnait la peine de descendre dans les ateliers de la capitale, on verrait combien de prodiges ont été créés avec les plus petits capitaux. En restant dans le principe que j'ai annoncé, et dans lequel il me semble que doivent être placés nos indus- triels; en demandant qu'ils puissent lutter à armes égales contre les constructeurs anglais, j'ajoute que le droit égal au droit sur la matière première n’est pas suffisant. Si on se contente d’une prime égale au droit sur la ma- tière brute, il est impossible que l’on puisse construire en France de grandes machines, car pour cela il faut de 676 DE LA PROTECTION ET DU LIBRE ÉCHANGE. la houille, et on a frappé ce combustible d’un droit xorbitant, En résumé, je n’ai jamais compris qu’on grevât de droits les matières avec lesquelles le génie de l’homme crée tant de richesses; j'ai toujours demandé que nos fabricants pussent lutter à armes égales avec les fabri- cants étrangers ; je n’admets pas que sur ce terrain l’in- dustrie française puisse être battue, SUR LES BREVETS D’INVENTION Les fonctions que j'ai remplies m'ont forcé de m'oc- cuper dans plusieurs circonstances de la législation sur les brevets d'invention. J’ai pris part à la discussion de la loi qui a été votée en 1844. Les opinions que j'ai émises ont été plusieurs fois invoquées par des juriscon- sultes et des industriels. Je résume ici, mais sans y rien changer au fond, les arguments que j'ai fait valoir naguère pour légitimer ma manière de voir sur les points principaux que j'ai été conduit à discuter, I DE LA NÉCESSITÉ D’UN CERTAIN EXAMEN PRÉALABLE On a supprimé la loterie : je crois que le gouverne- ment s’est honoré en renonçant à une recette immorale. Je n’hésite pas à le dire : il y a dans la loi sur les brevets d'invention des dispositions qui ne sont pas moins immo- rales. Tous les ans, et d'ordinaire au retour du prin- temps, un certain nombre de cerveaux malades croient avoir fait des découvertes; ils prétendent avoir trouvé la quadrature du cercle, la trissection de l’angle, le mou- 678 SUR LES BREVETS D’INVENTION. vement perpétuel, etc. ; toutes questions insolubles et qui, en supposant qu’elles fussent résolues, n’amèneraient pas un centime dans la poche des inventeurs. Eh bien, ces prétendues inventions deviennent sans hésitation l’objet de brevets d'invention. Leurs malheureux auteurs ven- dent leur mobilier, leurs effets, leurs outils, pour avoir ce brevet qui leur coûtait jadis 500 fr., 4,000 fr., 4,500 fr., qui leur coûte encore aujourd’hui une somme annuelle de 100 francs, et dont il est évident qu’ils ne pourront tirer aucun parti utile. + Je sais qu’à côté de cet inconvénient, il y a la néces- sité de garantir les droits des hommes de génie. Le pro- blème est difficile, mais il ne me paraît pas insoluble, La loi de 1791 n’admettait pas que l'administration eût le droit de refuser un brevet ; mais elle voulait, dans des intentions auxquelles tout le monde me paraît devoir applaudir, qu’on avertit officieusement le breveté de l'imperfection de son œuvre, des irrégularités de la des- cription. Cela se faisait tous les jours, quand j’apparte- nais au comité consultatif des arts et manufactures. Un brevet était présenté; il était incomplet, la des- cription n’était pas suffisante, on pouvait en abuser. Le comité avertissait l’inventeur avec bienveillance, On l’a privé de cet avantage. SUR LE PAIEMENT DE LA TAXE DES BREVETS PAR ANNUITÉS Avant la loi de 1844 les inventeurs devaient intégra- lement la taxe des brevets six mois après qu’ils en avaient Ars Ver és SUR LES BREVETS D’INVENTION. 679 fait la demande. Un membre de la Chambre des députés les plus éminents, M. Bethmont, a demandé que doré- navant le paiement de la taxe n’eût plus lieu que par annuités de 100 francs. J'ai appuyé vivement cette pro- position, que la Chambre a adoptée. Ceux qui ne par- tageaient pas l’opinion qui a heureusement triomphé, admettaient beaucoup trop facilement, suivant moi, que les belles inventions réussissent sans effort, qu’elles sont accueillies avec empressement par le public. Le contraire ést la vérité. Aussi, à mes yeux, les annuités devaient avoir et elles ont eu pour mérite principal de permettre à tout le monde de porter la durée du brevet au maximum, c’est-à-dire à quinze années. Il y a beaucoup d’inventions qui demandent plusieurs années pour être adoptées par l’industrie, J'en citerai deux exemples. Tout le monde connaît mainteriant les turbines ; tout le monde sait qu’elles réussissent à merveille, qu’on peut en faire les plus magnifiques applications. Voici leur histoire. * L’inventeur, M. Fourneyron, sollicita pendant cinq années consécutives pour obtenir la permission d'établir une turbine à ses frais sur les cours d’eau de la Franche- Comté; il offrait cependant de se constituer responsable des pertes que l’introduction de sa machine pourrait occa- sionner. Cinq années de sollicitations pressantes étaient restées sans résultat. Si l'inventeur avait commis la faute de prendre son brevet avant de s’être assuré du placement d’une machine, il aurait perdu tous ses droits. Or, il ne s’agissait pas là d’une chose incertaine, mesquine; cette machine hydraulique produit de 80 à 680 SUR LES BREVETS D’INVENTION. à 90 p. 0/0 d'effet utile, tandis que les meilleures roues anciennes ne donnaient guère que 60 p. 0/0. Les fabricants des étoffes imprimées qui sont aujour- d’hui si répandues dans toutes les classes de la socité, connaissent tous une machine ingénieuse qui a produit une sorte de révolution dans l’industrie des toiles peintes ; c’est la machine inventée par M. Perrot, ingénieur très- distingué, la machine qui a été appelée très-justement la perrotine. Elle a réussi à Rouen sans de très-longs retards parce que M. Perrot était là, parce qu’il pouvait lui- même mettre la main à l’œuvre, montrer à chaque instant les conditions de son procédé. Qu’arriva-t-il en Alsace? La perrotine fut brevetée en 1831. Eh bien, en 1839, il n’y avait encore dans ce pays si avancé, si intelligent, que quatre des machines de M. Perrot en activité! | Je prends ce fait dans le Bulletin de la société indus- trielle de Mulhouse, qui jouit d’une très-juste et très- légitime réputation. Il est vrai qu’en 1844, mais c'est dix ans après l'invention, la société de Mulhouse parlait en ces termes de la machine de M. Perrot : « Cette machine, d’une composition admirable, satis- fait à toutes les conditions d’une bonne impression à la main, et en outre elle a l'avantage de produire la quan- tité! » On le voit, elle avait toutes les qualités pourréus- sir, perfection et économie, et Cependant il a fallu dix ans pour l’introduire dans un des pays les plus'intelligents du monde. | Ces documents authentiques montrent combien les in- venteurs ont d'obstacles à vaincre pour être récompensés SUR LES BREVETS D’INVENTION. 681 de leurs efforts : l’inertie, la routine, les préjugés les arrêtent sans cesse, La disposition proposée par l'honorable M. Bethmont est favorable à tous les inventeurs et surtout aux pauvres; elle a d’ailleurs pour elle la sanction de l’expérience. Elle est en usage en Autriche, elle y a réussi admirablement, sous les inspirations d’un de nos compatriotes illustres, que les circonstances ont obligé de quitter son pays, de l'inventeur véritable de la filature du lin, de M. Girard. J'ai démontré par deux exemples seulement que les découvertes ont quelquefois besoin d’un temps très-long pour conquérir la confiance publique et pour se déve- lopper. Un troisième me revient à la mémoire; c’est le procédé à l’aide duquel on extrait aujourd’hui la soude du sel marin. Ce procédé est pour le pays une source immense de richesse. L’inventeur est mort de faim, et ces mots ne sont pas une métaphore : il s'appelait Leblanc. III SUR L’ÉTENDUE DU DOMAINE QUE PEUT MONOPOLISER UN BREVET Un article du projet de loi de 1844 était ainsi conçu : « La demande sera limitée à un seul objet; elle ne con- tiendra ni restriction, ni condition, ni réserve, » La demande sera limitée à un seul objet! Eh bien, voyons par quelles modifications la machine à vapeur dut passer pour devenir un moteur universel après avoir été une simple machine d’épuisement. Ces modifications furent au nombre de trois ou quatre, parfaitement distinctes, et 682 SUR LES BREVETS D'INVENTION. qui auraient pu évidemment être contenues dans un seul et même brevet. Il fallut d’abord transformer un mouve- ment de va-et-vient en mouvement de rotation ; il fallut que la machine eût de la force non -seulement pendant la course descendante du piston, mais encore pendant la course ascendante ; il fallut établir, entre la tige du piston et l’extrémité de la manivelle, une communication rigide à l’aide d’un mécanisme extrêmement remarquable, qui est l’une des plus belles inventions de Watt, et qu’on appelle le parallélogramme articulé. | Pour parer, dans cette même machine, à des change- ments de.vitesse trop considérables, il fallut imaginer une soupape à ouverture variable, se fermant en partie au moment de trop grandes vitesses et se dilatant quand le mouvement se ralentissait. Ce résultat s’obtint à l’aide de l’appareil qu’on appelle le régulateur à force centri- fuge. Ajoutons que Watt introduisit successivement la vapeur en dessus et en dessous du piston, et que ce fut là le point principal de son invention. Supposons les trois inventions appartenant à Watt, et contenues dans un seul brevet, Watt, dans son génie, ne manquera pas de prévoir que le parallélogramme articulé dont il vient de faire un des organes de sa machine puis- sante, aura des applications dans d’autres circonstances ; il devinera aisément que le régulateur à force centrifuge servira pour régulariser l'écoulement de l’eau dans les usines hydrauliques, comme il régularise l'écoulement de la vapeur, Eh bien, l’article que je discute aurait empêché Watt, à moins de trois brevets, de donner à la machine à SUR LES BREVETS D'’INVENTION. 683 vapeur les propriétés si précieuses que tout le monde connaît, que tout le monde a admirées, et deux de ses inventions auraient été améliorer une foule d’autres ma- chines sans aucun avantage pour lui. Il faut donc reconnaître que des organes appliqués à la machine motrice appelée machine à vapeur n’ont pas besoin d’être brevetés d’une manière distincte, lorsque ces mêmes organes, sans être modifiés, seront appliqués à d’autres machines pour y produire des effets analogues. Dans la machine motrice de Watt, il y avait non-seule- ment l’idée de faire passer successivement la vapeur au- dessus et au-dessous du piston alternativement, ce qui constituait la machine à double effet ; mais aussi le paral- lélogramme articulé que tout le monde a admiré, gesti- culant dans l’espace comme un être animé; mais aussi le régulateur à force centrifuge, Or, le parallélogramme articulé existe aujourd’hui dans une foule de machines. Watt, breveté pour ce parallélo- gramme à l’occasion de la machine à vapeur, l’aurait-il été d’après la loi en discussion pour les applications de ce même appareil à d’autres machines ? La même question se présenterait relativement au régulateur à force centrifuge. Je crois donc qu’il faut qu’on puisse prendre un seul brevet pour des choses dissemblables, lorsqu'elles con- courent au même objet. Je pense que le brevet, une fois pris, doit avoir toute sa valeur pour les organes nou- veaux qui s’y trouvent décrits. La Commission de la Chambre et le gouvernement sont tombés d’accord pour reconnaître la justesse de mes 684 SUR LES BREVETS D’INVENTION. observations, et on a modifié le texte primitif. Je crains toutefois que le nouveau libellé ne soit pas suffisamment explicite. Il faut que les textes de loi ne laissent rien à l'arbitraire ; je me méfie des interprétations des tribu- naux; j'ai vu beaucoup d'exemples d’arrêts contradic- toires. Aussi j'insiste sur le commentaire que j'ai donné de l’article adopté, commentaire qui m’a paru être dans les idées de tous ceux qui concouraient à la rédaction de la loi. | Je crois donc devoir faire ressortir ce point capital , que les choses nouvelles employées dans une machine complexe seront brevetées relativement aux applications analogues qu'elles pourront recevoir dans d’autres ma- chines. Par exemple, le parallélogramme articulé breveté pour la machine à vapeur, le serait pour toutes ses applications. Le parallélogramme articulé, quel est son but? C’est d'établir une communication rigide entre un point qui se meut circulairement et une tige qui se meut verticale- ment. Toutes les fois que, daris une machine quelconque, le parallélogramme servira à établir ce genre de commu- nication , il sera considéré suivant moi comme breveté. Il a figuré d’abord dans la machine à vapeur au nombre des perfectionnements que Watt y a introduits; mais cela ne doit pas empêcher d’être breveté de plein droit pour toutes les applications qu’il pourra recevoir ailleurs. Je citerai un autre exemple. Il y a dans la machine à vapeur de Watt un organe qui tend à ralentir la marche de la machine quand elle va trop vite. Get organe peut non-seulement servir pour les machines à vapeur, mais SUR LES BREVETS D’INVENTION. 685 pour les machines mues par l’eau. Comment, Watt, pour avoir introduit cet organe de prime abord dans la machine à vapeur, ne sera-t-il pas breveté pour toutes les appli- cations qu'on ferait de ce même organe à d’autres ma- chines, à celles quisont mues par l’eau? Si Watt était venu en France présenter la machine à vaneur.avec le régulateur à force centrifuge, il aurait été par le seul fait du brevet de la machine à vapeur, breveté pour le régulateur à force centrifuge appliqué au moulin. Je.suppose que le jour où l’on a breveté Watt à l’occa- sion de. la machine à vapeur, il a déclaré, lui inventeur de la machine, que son parallélogramme articulé peut avoir des applications nombreuses; il a indiqué ces appli- cations ; je dis que cette déclaration, contenue dans la spécification , doit avoir breveté Watt pour les applica- tions qu’il a indiquées. Je ne prétends pas autre chose. Un inventeur ne doit être breveté que pour les applica- tions analogues à celles qu’il a décrites LV SUR LE DROIT EXCLUSIF DES BREVETÉS AU PERFECTIONNEMENT DE LEUR INVENTION PENDANT UNE ANNÉE Un article de. la loi de 1844 porte que : « Nul autre que le breveté ou les ayants droit ne pourra pendant une année obtenir valablement un brevet pour un change- ment, perfectionnement ou addition à l'invention qui fait l’objet. du brevet primitif, » 686 SUR LES BREVETS D'INVENTION. Je reconnais que cet article a été dicté par un senti- ment de bienveillance pour les inventeurs, auquel je m'empresse de rendre hommage ; mais il s’agit de voir si ce sentiment est bien éclairé, il s’agit de savoir si l'inventeur ne souffre pas, au lieu de profiter du mono- pole qu’on lui accorde. Or, il est facile, ce me semble, de démontrer que l'inventeur souffre plus souvent de l’interdiction pronon- cée par l’article que de la liberté entière, Un inventeur ne saisit en quelque sorte qu’un coïn du monde; il voit dans une certaine direction, dans la direc- tion qu’il a suivie pendant longtemps, tous les objets, si petits qu'ils soient, dès qu’ils se rattachent immédiate- ment à l’ordre d’idées qui le préoccupe; il ne voit rien, ni à droite, ni à gauche. Il est arrivé souvent que des hommes de génie n’ont pas vu, à côté d’une de leurs inventions, des choses extré- mement simples, qui seules pouvaient rendre leurs con- ceptions réalisables. Leurs inventions premières restaient ainsi sans application. Il survenait alors un homme d’un mérite modeste qui leur indiquait des moyens faciles d'exécution. Alors, mais alors seulement, l'inventeur trouvait des capitalistes disposés à faire des avances pour l'exploitation de la découverte, Watt, assurément, était un homme de génie ; nous avons plusieurs fois parlé des admirables découvertes qu’il a faites. La machine à vapeur a été réellement per- fectionnée par lui. On est allé, à Manchester, jusqu’à lui faire régler une horloge. Eh bien, Watt n’est point le premier qui ait vu la pos- SUR LES BREVETS D’INVENTION. 687 sibilité de transformer le mouvement de va-et-vient en mouvement de rotation, à l’aide du levier coudé qu’on trouve cependant dans l’humble rouet des fileuses. Son système, à lui, était complexe ; il se composait de roues dentées qui n'auraient pas résisté aux efforts qu’on demande aujourd’hui aux machines à vapeur. Je ne crois pas que la restriction adoptée, provenant d’une préoccupation honorable, et à laquelle, je l'avoue, je m'étais associé d’abord, soit dans l'intérêt des inven- teurs ; ce qui est certain, en tous cas, c’est qu’elle n’est pas dans l'intérêt de la société. Il serait inexact de croire qu’une machine à laquelle il manque de très-petites choses que l'inventeur n’a quelquefois pas trouvées, et qu'un homme, peut-être médiocre, parviendra à découvrir ; il ne faut pas croire qu’une telle machine pénètre dans les ateliers pour y trouver des perfectionnements. L’inventeur ne fait pas le plus souvent d'expériences, il ne peut pas en faire; la machine reste en germe ; elle ne se développe pas. Y SUR LES DÉCHÉANCES DES BREVETS PRIS POUR DES DÉCOUVERTES DONT L’APPLICATION INDUSTRIELLE N’EST PAS INDIQUÉE Un article du projet de loi de 1844 était ainsi conçu : « Seront nuls et de nul effet les brevets délivrés dans les cas suivants, Savoir : . CRE UN Dee CEUX DONS DOUX UT JL OP En DT DR OU DUR NTIC An 0 De Le! L 41 D'UN DU ee « F Si les brevets portent sur des principes, méthodes, 688 SUR LES BREVETS D’INVENTION. systèmes, ou des découvertes et conceptions théoriques ou purement scientifiques. » Il me parut que le paragraphe 3 était rédigé d’une manière un peu vague; je crus qu’il pourrait donner lieu à des décisions que tout le monde déplorerait. Je vais, suivant un usage que mes anciens collègues de la Chambre des députés ont bien voulu, en quelque sorte, autoriser, essayer de montrer, par des exemples, les inconvénients de la rédaction proposée, Dans le public, on est généralement disposé à croire que tout procédé qui n’a pas exigé des combinaisons multiples, des organes mécaniques, complexes, est une simple idée. | Quel fut le premier perfectionnement apporté par Watt à la machine à vapeur? La condensation de la vapeur dans un vase séparé du cylindre où le piston se meut; ce ne fut pas autre chose. En conséquence, on ne vit là qu’une idée; et ce n'étaient pas des rivaux, des concurrents, des gens sans capacité qui cherchaient à amoindrir ainsi l'invention de lillustre ingénieur ; c'étaient aussi certains hommes rangés parmi les plus éminents de l'Angleterre, c'était, par exemple, le célèbre orateur Burke. Voyons ce qu’il advint à cette idée. Après bien des efforts, Watt parvint à la faire adop- ter, et les avantages qu’on obtint furent très - supé- rieurs à la redevance qu’on dut lui payer pour en faire usage. Cette redevance était égale au tiers de la quantité de -charbon dont l'invention procurerait l’éco- nomie, | SUR LES BREVETS D’INVENTION. 689 Eh bien, dans une seule mine du Cornouailles, dans la mine qui porte encore actuellement le nom de mine de Chace Water, où il y avait trois pompes d’épuisement, les propriétaires crurent faire un marché avantageux en rachétant la redevance pour une somme annuelle de 60,000 fr. Ainsi, l'économie de charbon était devenue tellement considérable que, dans une seule mine, elle dépassait 180,000 fr. par an. Passons à des cas où l’on a pris, où l’on a pu prendre un brevet pour une véritable idée sans invention quel- conque d'organes mécaniques. Tout le monde connaît la vis d’Archimède, tout le monde sait qu’elle sert aux épuisements. Les ingénieurs des ponts et chaussées l’emploient continuellement dans ce but; alors, je suppose, elle tourne sur elle-même de gauche à droite. | Au bout de deux mille ans un de nos compatriotes s’est avisé que la même machine qui sert à élever l’eau peut être employée pour faire descendre des gaz. Il suffit, sans y rien changer, de la faire tourner en sens contraire, ou de droite à gauche. Cette application est importante. Il arrive très-sou- vent, en effet, qu'on a besoin de purifier de grands volumes de gaz, de les débarrasser d’une foule de sub- stances étrangères. La vis d’Archimède sert alors à les porter au fond d’une profonde couche d’eau. Le gaz se purifie en remontant. Je maintiens qu’il y a eu là invention, que la personne qui a vu le moyen de faire de la vis d’Archimède une machine soufflante avait droit à un brevet, VI. — nt, TA 690 SUR LES BREVETS D'INVENTION. J'arrive à quelque chose de plus catégorique encore, de plus net. Il existe, de toute éternité, dans les pays pauvres, de petites lanternes dans lesquelles la flamme est entourée d’une toile métallique; ces lanternes n’étaient employées, en général, que dans les écuries ou dans les chaumières des indigents. Elles sont devenues aujourd’hui la lampe de sûreté des mineurs, grâce à une heureuse idée de l'illustre Davy. | Tout le monde sait que certains mélanges gazeux sont explosifs. Si l’on introduit dans ces mélanges une flamme ayant une température suffisamment élevée, il se produit à l'instant une détonation épouvantable, qui se propage avec la rapidité de l'éclair ; ces explosions donnent lieu à des malheurs déplorables et nombreux. Qu'a fait Davy? Il a reconnu, à la suite d’un travail plein de génie, que la flamme engendrée à l’intérieur de la toile métallique se refroidit en passant à travers les mailles, de manière à ne plus pouvoir engendrer d’ex- plosion à l’extérieur. L'ancienne lampe n’a pas été modi- fiée; on a seulement démontré qu’elle possède des pro- priétés dont personne ne s'était douté jusqu'alors. Depuis ce moment elle s’est répandue, elle a préservé la vie des mineurs, elle a rendu le travail possible dans des loca- lités qu’il avait fallu abandonner. Dira-t-on qu’il n’y avait là qu’une idée? Je répondrai que tout le monde, en Angleterre, reconnut qu’elle pou- vait être brevetée. Davy, dans sa haute position sociale, dans sa situation de fortune, ne crut pas convenable de se faire accorder un privilége; mais on reconnaissait si SUR LES BREVETS D’INVENTION. 691 bien qu'il avait le droit de prendre un brevet que lorsqu'il eut mis sa lampe dans le domaine public, il y eut dans le York-Shire et dans le Strafford-Shire des fêtes magni- fiques, des banquets, et qu’en dernière analyse les pro- priétaires des mines de charbon de terre firent à Davy un magnifique cadeau. Je viens de citer l’étranger. Je vais montrer que dans notre pays on a breveté, justement breveté une idée qui se rattachait à un produit industriel ancien. Le zincage moderne a été dédaigné pendant quelque temps, parce que dans l’opération on rendait, disait-on, le fer cassant. Les difficultés ont été vaincues. On peut maintenant revêtir le fer de zinc sans altérer les propriétés primordiales du fer. Eh bien, l’idée de revêtir le fer de zinc, pour le sous- traire à la rouille, Malouin l’a publiée il y a une centaine d'années ; mais les industriels disaient à Malouin : « Il y aura toujours quelques portions de fer dénudées, et la rouille les attaquera. Il y a plus; vous avez revêtu l’exté- rieur des tuyaux destinés à la conduite des eaux, mais l'intérieur se rouillera comme précédemment. Le zincage fut abandonné. » Cent ans s’écoulent. Un ingénieur français, M. Sorel, se présente et dit : « Vous vous trompez, quand vous croyez que le zinc ne garantit les tuyaux que dans la partie qu’il recouvre. J’affirme, moi, éclairé par la grande découverte de Volta, que le zinc place le fer dans des con- ditions électriques, tout à fait différentes des conditions ordinaires ; j’affirme que le zinc, selon l’expression tech- nique, rendra le fer négatif, que le fer ne s’oxydera pas 692 SUR LES BREVETS D'INVENTION. même dans l’intérieur du tuyau, même là où pas une molécule de zinc n'existe. » M. Sorel a donc trouvé dans un produit non employé, dont personne ne faisait usage, auquel nul industriel ne songeait, des propriétés qui l'ont rendu extrêmement pré- cieux. Qu’y a-t-il là , si ce n’est une idée pure et simple? Je soutiens que l’idée de Davy, qui a répandu la lampe de sûreté, doit pouvoir être brevetée. Je soutiens que la même faveur-était due à l’idée de M. Sorel. J’ai voulu qu’on püût arriver à ce résultat, et pour cela j'ai demandé qu'on ajoutât quelques mots seulement à l’article du projet; ces mots « dont on n’aura pas indiqué l'application industrielle. » J’ai eu la satisfac- tion de voir adopter mon amendement. Qu’on le remarque bien, je ne prétends pas qu’une idée dont on n’aura pas indiqué d’application industrielle doive être brevetée. Si quelqu'un venait aujourd’hui à découvrir le carré de l’hypothénuse, je ne désirerais pas qu’il fût breveté, qu'il eût le droit de demander un salaire aux astronomes qui se serviraient de cette proposition pour mesurer la hauteur des montagnes de la Lune. Je veux qu’il y ait des applications industrielles indiquées par le créateur de l’idée. Il me semble que Davy, lorsqu'il trouvait qu'une toile métallique refroidit tellement la flamme qui la traverse, qu’elle ne peut plus engendrer d’explosion dans les mé- langes extérieurs, rendait un service immense à l’huma- nité. Je crois qu’une telle idée pouvait être brevetée, l'application était indiquée ; la même remarque s'applique à la découverte de M. Sorel. SUR LES BREVETS D’INVENTION. 693 Certainement on pourra dire, et on dira devant les tribunaux que l’idée de Davy est une idée scientifique ; on ne manquera pas de dire que l'invention de M. Sorel est ‘une idée scientifique. Je ne veux pas que tant qu’une idée n’est que scienti- fique elle soit brevetée ; mais lorsque MM. Davy et Sorel indiqueront une application industrielle de leur idée, je ne vois pas pourquoi ils ne seraient pas brevetés, Le zincage était connu. Il produisait des effets qui évi- demment ne dépendaient pas de la remarque que M. Sorel a faite sur l’état électrique dans lequel se trouve le fer. Le zincage de Malouin aurait produit exactement les mêmes résultats que le zincage de M. Sorel ; mais Malouin ignorait le phénomène électrique résultant de l’applica- tion du zinc sur le fer. Les propriétés si remarquables de l'électricité découvertes par Volta ne sont connues que depuis une trentaine d'années. La galvanisation du fer de M. Sorel, c’est ce que la loi autrichienne appelle une résurrection, car cette loi permet de revenir sur les choses anciennes dans le cas où, comme ici, il y a résurrection d’un procédé dont on ne connaissait pas toutes les pro- priétés. M. Sorel, il faut bien que je le répète, a dit au public : « Vous avez sous la main, dans les Mémoires de l’Académie des sciences, une découverte dont personne ne pouvait apprécier l'importance, dont personne ne pou- vait connaître la valeur. Je vous indique le prix de cette découverte, je vous fais voir qu’elle peut donner lieu à des applications utiles, immenses, » Il y avait là matière à un brevet. On l’a accordé; je le crois très-bon. Il y a eu découverte d’une propriété nouvelle dans une 694 SUR LES BREVETS D’INVENTION. chose ancienne. Comment voudrait-on priver d’un brevet une découverte semblable à celle de M. Sorel? Il y a eu cent fois plus de subtilité, d’esprit d'invention dans les observations de cet ingénieur que vous n’en trouvez dans la découverte de tel ou tel organe de machine. Il existait, je ne dirai pas un alliage, mais un métal revêtu, dont on ne tirait pas parti, dont on ne croyait pas pouvoir tirer parti; un produit qui était dédaigné par tout le monde. M. Sorel arrive et dit : Ce produit a des propriétés tout autres que celles que vous lui supposez. Il a une propriété intrinsèque, une propriété électrique qui fait que les tuyaux ne s’oxyderont plus, même à l’intérieur, Davy de son côté n’a fait qu'une chose; il a reconnu une propriété merveilleuse dans une lampe commune et jusqu’à lui sans valeur; la constatation de cette propriété ignorée est une découverte immense. Je dis la même chose pour le zincage, toutefois dans la proportion de ce qui est utile à l’industrie, à ce qui est utile à l’humanité, Le zincage n’était pas employé. On croyait que les tuyaux zinqués qui remontent à Malouin étaient sans utilité. On a reconnu depuis que le zincage avait des propriétés électriques toutes particulières : que la partie recouverte et celle qui n’est pas recouverte de zinc sont également garanties de la rouille ; on a montré que des produits dont on ne tirait aucun parti étaient pré- cieux. C'était là une découverte industrielle susceptible d’être brevetée, Ch élbe . CS. dd. SUR LES BREVETS D'’INVENTION. 695 VI SUR LES DIFFICULTÉS DE METTRE A EXÉCUTION UNE INVENTION NOUVELLE On trouve dans la loi de 1844 que «le breveté qui n'aura pas mis en exploitation sa découverte ou invention en France, dans lé délai de deux ans, à dater du jour de la signature du brevet, ou qui aura cessé de l’ex- ploiter pendant deux années consécutives, sera déchu de son brevet. » Cette disposition existe dans la législation d’un très- grand nombre de pays, mais on ne la retrouve pas dans celle des deux peuples chez lesquels l’industrie s’est déve- loppée avec le plus de splendeur et de rapidité; cette disposition n'existe pas, je crois, en Amérique; je suis certain qu’il n’y en a pas de trace en Angleterre. _ On s’imagine qu'on ne fait pas un grand tort aux in- venteurs par cette prescription impérieuse. On se trompe beaucoup. Les inventeurs ont ordinairement peu de for- tune. Ils se présentent toujours devant des capitalistes pour obtenir les moyens de réaliser ce qui, jusque-là, n’était qu’une idée. Eh bien, les capitalistes reculent devant la menace d’une déchéance prochaine; ils savent par expérience que les grandes découvertes n’ont pu être appliquées complétement, utilement, après le court inter- valle de deux ans. J'ai déjà eu occasion de montrer combien, dans notre pays surtout, on est peu disposé à adopter de nouvelles inventions. J’ai cité la découverte des turbines de M. Four- 696 SUR LES BREVETS D’INVENTION. neyron, j'ai rappelé qu'après cinq ans l’habile mécani- cien n’avait pas réussi à en établir une seule. J’ai cité la perrotine , j'ai rappelé qu’elle n’avait réussi à s’introduire qu'après onze années. J’ai cité l’ingénieux chimiste qui a découvert le moyen d'extraire la soude du sel marin ; cet inventeur pourtant si persévérant est mort dans une situation déplorable que je ne veux pas rappeler. La filature du lin est une industrie immense. Je n’en veux pas d’autres preuves que les difficultés auxquelles _elle a donné lieu entre la France et l'Angleterre. L'inven- teur, M. de Girard, était Français. Il a été obligé d'aller à l'étranger. Il n’a pas trouvé le moyen d'établir en France son admirable invention. M. Perrot, le même qui a imaginé une machine pour imprimer les toiles peintes, a combiné une machine égale- ment ingénieuse pour imprimer le papier; elle ne le cède en rien à celle dont l’industrie des toiles peintes a tiré un si grand parti : la date de l’invention est de 1825; en 1844, M. Perrot n’était pas parvenu à en établir une seule. Cependant je n’hésite pas à le dire, quand elle sera en exercice, on verra qu'elle n’est pas indigne de son aînée, M. Poncelet, un des oracles de la mécanique, a ima- giné une nouvelle machine hydraulique; il n’a pas pris de brevet. Il a offert aux industriels le plan de sa conception et tous les détails; il s’est mis à la disposition de tous ceux qui pourraient vouloir en faire usage. Il a demandé pour toute faveur d’être consulté, de crainte qu’une exé- cution imparfaite ne fit douter des principes. Assurément, en fait de mécanique pratique, M. Pon- SUR LES BREVETS D'INVENTION. 697 celet est un des hommes qui sont à la tête non-seulement de ceux qui, en France, s'occupent de cette science, mais encore à la tête de tous les ingénieurs de l’Europe, Malgré la libéralité de ses offres, personne ne s'était présenté au bout de près de deux ans. J'ai cité souvent Watt; je le citerai encore. Watt a été huit années entières avant de faire accueillir sa principale découverte. Pendant huit années l’homme de génie fut obligé de faire des plans de canaux, de chemins, des projets de ponceaux. C’étaient des occupations bien mes- quines pour un tel esprit. Quelque bonne qu’ait été une aile idée, on trouve rarement qu’elle se soit installée dans aucun pays dans le court intervalle de deux années. Telles sont les considérations qui me font désirer la suppression de la prescription impérieuse que je combats. Ses dispositions rigoureuses empêchent les inventeurs de trouver des capitalistes, Supposez maintenant une industrie établie. Si on ne travaille pas pendant le court intervalle d’une année seu- lement, on est déchu du brevet, Mais, il y a des produits qui sont à la mode aujour- d'hui, et qui ne sont plus à la mode demain. Telles sont, par exemple, les étoffes moirées. Pendant quelque temps elles ont du succès; ensuite un caprice les fait abandonner. Voudrait-on que l’on En ce qui ne se vendrait pas? L'article que je discute place les inventeurs dans une situation déplorable. Je sais qu’il y a là des difficultés; on peut avoir affaire à des personnes mal intentionnées, 698 SUR LES BREVETS D’INVENTION. dépourvues de sentiments patriotiques, et qui, pour des motifs futiles, ne voudront pas exploiter. La difficulté dis- paraîtrait si l’on décidait que les brevets d'invention seraient soumis à l’expropriation pour cause d'utilité pu- blique, comme les immeubles. En Angleterre il n’y a pas de limite, vous pouvez faire de votre brevet tout ce que vous voulez pendant quatorze ans, et vous trouvez des capitalistes parce qu’ils ne sont pas effrayés par la déchéance. Quel est le capitaliste qui consente à s'associer à un inventeur avec la chance d’être déchu dans deux ans? Aussi on ne trouve pas de capitalistes. La plupart des inventeurs français sont morts dans la misère, ou ils n’ont trouvé à appliquer leurs idées que sur le sol étranger, Fi DU TOME TROISIÈME DES NOTICES SCIENTIFIQUES PT TABLE DES MATIÈRES DU TOME SIXIÈME TOME III DES NOTICES SCIENTIFIQUES LES PHARES CHAPITRE PREMIER. — Utilité des phares... Peer. ge CHAPITRE II. — Des phares chez les anciens......,....... CHAPITRE IIL — Des phares modernes......, utilisés CHAPITRE IV. — Sur les phires à réflecteurs paraboliques. . CHAPITRE V. — Sur les becs à plusieurs mèches appliqués aux lampes d’Argand ou à double courant d’air....... . CHAPITRE VI. — Des phares lenticulaires............. a ral CHAPITRE VII — Examen des critiques dont a été l’objet le nouveau système d'éclairage des phares employés en Pa ne SP ÉRE NT CHAPITRE VIIIL.— Des phares et fanaux allumés actuellement sur les Côtes de France. ............... Frappe pd 2 LES FORTIFICATIONS CHAPITRE PREMIER. — Avant-propos..........,.... N The CHAPITRE IT. — Opinion de Vauban sur le système de forti- fication le plus convenable pour Paris................, CHAPITRE II. — L'état de nos frontières,” de nos alliances; l’état de la politique générale de l’Europe, rendent-ils la fortification de Paris nécessaire ?....... 65 LA NE CHAPITRE IV. — Sur les avantages d’une enceinte continue comme unique moyen de fortification. ....,.....e....0% 45 57 64 69 73 700 TABLE DES MATIÈRES. CHAPITRE V. — Examen des diverses objections qu’on a faites contre l'enceinte continue, — Les adversaires de cette enceinte invoquent à tort l'opinion de Napoléon, l'opinion de la commission de défense du royaume et celle du comité des fortifications. ss... 5: 00e. 40 CHAPITRE VI. — L'immense développement de l'enceinte continue est un élément de force au lieu d’être une cause de faiblesse. — Avec une enceinte bastionnée Paris est imprenable. .......... éélréni be RER E RTE CHAPITRE VIL — De la possibilité de beaucoup ajouter à la puissance des fortifications de Paris, par certaines ma- nœuvres d’eau. — De la nécessité des machines hydrau- liques à l’aide desquelles on opérerait ces manœuvres , pour assainir les fossés de l’enceinte ; de leur immense utilité comme moyen de donner de la valeur à de vastes étendues de terrain, aujourd’hui presque improductives. — Des approvisionnements en grains... ....s......s...e CHAPITRE VIIL — Les dépenses exigées par les fortifications ne sont-elles pas supérieures aux résultats qu’on en peut attendre? sit en sos de 564 UN rt RTS CHAPITRE IX. — Des fortifications de campagne, des fortifi- cations non revêtues en maçonnerie, eussent-elles été SUIDNtOS Ps sacdihounsss sde, audio de Rte CHAPITRE X. — L’enceinte continue était préférable à la ceinture de forts détachés considérée isolément, ou à la combinaison de l’enceinte et des forts qui a été adoptée. CHAPITRE XI. — Le but de la fortification de Paris exclut les forts détachés ; il ne saurait être atteint sans l'enceinte continne. , doses ccnsuse 06880 m0 08000 CHAPITRE XIL — L'ennemi peut passer entre les forts déta- CHAPITRE XIII. — Les forts isolés, à raison de leur petitesse, ne peuvent pas être susceptibles d’une longue résistance. CHAPITRE XIV. — Les forts détachés exäminés par leur côté politique. — Est-il vrai que les gouvernements n'aient jamais regardé les citadelles comme des moyens de mai- triser, d’opprimer les populations ?— Histoire de la marche suivie dans l’établissement des fortifications de Paris.... CHAPITRE XV. — Les forts détachés doivent-ils inquiéter la population ? Ne pourraient-ils pas devenir aux mains des factions ou des ennemis de terribles moyens d'oppression ? Pages. 74 78 84 94 100 102 104 _107 108 111 119 EN I TOUTE dE nc Eee À LT. LA han di TABLE DES MATIÈRES. CHAPITRE XVI, — Opinion de l'étranger sur la ceinture de forts détachés. ............ Vin Vs as Yes veste CHAPITRE XVII. — Les forts doivent être rasés ou ouverts à PR DIE AN OU For a ri vaia tre CHAPITRE XVIIL — Les fortifications ne sont pas seulement OS à PANIR L E. sde nee dès no pis sn à . CHAPITRE XIX. — Sur la valeur réelle des fortifications..... CHAPITRE XX. — Villes assiégées qui n’ont pas été prises... CHAPITRE XXI. — 1] n’est pas vrai que les Français soient peu propres à la défense des places fortes. — En élevant des remparts on ne fait pas rétrograder l’art de la EN Et IN NE dada es ere ten ro Gé ee CHAPITRE XXII. — Sur le courage du peuple de Paris...... CHAPITRE XXIIL — Sur le rôle des sorties dans la défense JO Ée JSAINONANNRRNN SIN CHAPITRE XXIV. — Sur le respect que les armées victorieuses ont pour les monuments........ Lertis 4 Détente CHAPITRE XXV. — Sur la possibilité de tourner l'enceinte continue contre la ville........ RER NES SES ERES tre CHAPITRE XXVI. — De la gêne imposée par la fortification continue aux habitants de Paris....:,...... Love UT see CHAPITRE XXVII, — Cas où des forts doivent être construits. CHAPITRE XXVIIL — Nécessité de fortifier les côtes et les DORMI OF. ....... 0 sv pass PES Ses EN as CHAPITRE XXIX. — Le bombardement n’est pas un moyen infaillible de s’emparer des villes assiégées....... 4, Vars CHAPITRE XXX. — Sur les explosions des magasins à poudre. CHAPITRE XXXI. — Sur l'utilité des applications de la chimie à l’art de la guerre...... MEET API PRRET Res d aVUE - CHAPITRE XXXII — Du perfectionnement des armes à feu. — Machine Grimpé pour faire les bois de fusils. — Cara- bine Delvigne...,..:....6e ss ae PE SNA PER CPAS LIAPITRE XXXIIL — Fusils à vapeur......... Nimes den ces CHAPITRE XXXIV. — De l’emploi des phares pour la défense 008 DIACES: ........ 000 dors PEER Tee PP ES ” CHAPITRE XXXV. — Sur la portée des bouches à feu....... CHAPITRE XXXVI. — Sur la fabrication des canons........ CHAPITRE -XXXVIL — Conclusion, is es cocon ve 0 vi 704 Pages. 122 124 130 132 154 136 146 149 151 152 155 156 165 166 176 184 189 200 202 204 241 214 702 TABLE DES MATIÈRES. APPENDICE ,. IL. — Note insérée au National du 26 décembre 1831....... IL — Lettre insérée au National du 15 juin 1833........... III. — Lettre insérée au National du 23 juin 1838.......... IV. — Lettre insérée dans les journaux /e National, le Consti- tutionnel, le Courrier He et le Temps, le 21 juil- let 1833... see L tone V. — Lettre insérée au M hthel du 5 août 1840.... sos... LES PUITS FORÉS CHAPITRE PREMIER. — Introduction. .....,.............…. CHAPITRE IL — Les puits forés chez les anciens... + UT CHAPITRE IIT. — Des puits forés des Chinois. ............. CHAPITRE IV. — D'où vient l’eau des puits art ess. CHAPITRE Y. — De quelle manière les eaux pluviales peuvent- elles exister ou circuler dans les terrains de diverse nature dont l'écorce du globe est formée. ............. $ 1. Terrains primitifs............ sen SE SE x « do °F RS $, 2 Terrains secondaires, . ......:. 400.00 , + : 6.3. Terrains tertiaires... . se 0 560 0 o mes case $ 4. L'eau circule facilement à toutes les profondeurs, dans la masse du calcaire crayeux............ eds “+ ve $ 5. 11 y a dans les terrains stratifiés de grands vides, de grandes :CAVETNES. + ; 4 « oldiu à sôle se dre ST SUR EL T: 6 6. Il existe dans les terrains stratifiés d'immenses nappes d’eau souterraines............. do vers a TU 1.308 $ 7. Il y a, même dans les pays plats, des cavités souter- raines, dans lesquelles des rivières US tout COMBO SES Lave evo ventes sd 0ve evo 00 s ENTIER CHAPITRE VI. — Quelle est la force qui aire les eaux sou- terraines et les fait jaillir à la surface du globe?........ CHAPITRE VIL — De l'effet des marées sur quelques fontaines artésiennes. .... vrsssersesee AE AE 2 BR Pc CHAPITRE VIIL — Température de l’eau des fontaines arté- SIOMNOS eus: Tes TOUT FAUTS AUTRES c'e LÉ TES : CHAPITRE IX. — Sur la température de l’intérieur du globe. Pages. 217 218 222 235 257 263 264 267 268 282 282 283 285 287 288 290 295 302 311 314 916 SL LS LS SR té de TABLE DES MATIÈRES. S'2 Température des mines. ......,......,e 0 eo és Uus 4° Mines de Giromagny...... A Marne 9 PME has 2° Mines de Freyberg........ NRA EEE sie 3° Mines de plomb de Poullaouen et de Huelgoat..... Nrmes de Cornouailles: 2... 5° Mines de charbon de terre situées au nord de l’An- gleterre.. ANR RUE oe, UE. AE ET | 6° Lsiionts sioyoes de température, observés dans les mines de l’Angleterre..... + 0 RER RAT 7° Diverses mines d'Amérique. . .... s.esssssesesees se $ 2. Température des sources..........,.,. LevR 1° Sources thermales d’Aix en Provence.............. 2° Température de diverses sources du midi de la _ France, observées pendant un voyage fait en 1826. 3" Sources de ruisseaux, de rivières ou de fleuves... $ 3: Température de terrains de diverse nature........., $ 4. Température des puits artésiens..........., LéTaus de LPO Grenellé,:.:............ EE d'atnt à d 2° Puits forés des environs de Lille. ......ssss.sse.. 3° Puits forés à Paris..... à Las dei 1e fre 2 7 NC THON 4° Puits de Sheernees, à l'embouchure de la Medway DS LRO... 000 02 Tomas foie «9 de sie tre EE LT LR DU .. énanée tds ces se 0. 0 RS 7° Rouen........ PAS PR RE LAS die. «4 OT 8° Puits de New-Salzwerck UWestphäïié)s sou es 9° Puits de Neufien (Wurtemberg)............ sohves 10° Puits de Mondorff (grand-duché du Luxembourg)... CHAPITRE X., — Histoire du forage du puits de Grenelle... CHAPITRE XI. — Frais d'exécution des puits artésiens....., CHAPITRE XIL — Mode de construction des puits dans le eee ve à 0 CRE ONE PAU NA DR Sen NefT SU CHAPITRE XIIL — Nouveau mere de forage employé à no nenan per M. Fauyelle..........,,..,... 26e. CHAPITRE XIV. — Puits artésiens de TU sl AS à « CHAPITRE XV. — Des puits forés à gaz.......... “ss 288 Que CHAPITRE XVI. — On fore quelquefois le sol pour jeter dans les entrailles de la Terre des eaux qui, retenues à la sur- face sur des bancs imperméables d'argile ou de pierre; 704 TABLE DES MATIÈRES. rendraient de grandes étendues de pays marécageuses et impropres à la culture........... ER NE RENE CHAPITRE XVII — Fontaines artésiennes dont les eaux sont employées comme moteurs, ; 5... CHAPITRE XVIII — Du parti qu'en diverses circonstances l’industrie a tiré des eaux provenant des fontaines arté- siennes RARE EEE nent. CHAPITRE XIX. — Anomalies observées dans le creusement ou dans le jeu de certaines fontaines artésiennes.......... CHAPITRE XX. — Profondeurs des fontaines artésiennes les plus remarquables exécutées de main d’homme......... CHAPITRE XXL — Des produits journaliers des principales fontaines artésiennes connues. ...........ss.se....e. CHAPITRE XXII. — Les fontaines artésiennes s’épuisent-elles à la longue Ÿ.. roc soc coco tete FILTRATION DES EAUX... . co cocnsoce ce 00e TT le ÉLÉVATION DE L'EAU DES MINES....c coco 0e SUR DIVERS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS; . soisisrdoroliée COTON INR IL. — Construction de la salle des séances de la Chambre des COPRES. 1... CS LÉ RTS EE sé SU Las II. — Acquisition de l'hôtel de Cluny et de la collection de Dusommerard....... Spas ane one. ° US RE LS li, — École vétérinaire de LyOn........s..sesssssese IV. — Conservatoire des Arts et Métiers..........s...e. Y. — Écoles d’Arts et Métiers. ...... À cd té ét 0 TS $ 1. École de Châlons............ » 0 de ES A AR $ 2. Histoire critique des Écoles d’Arts et Métiers. ...... VI. — Observatoire de Paris... ses... abs 40 VII. — Pied parallatique de la grande lunette de l'Observa- LOS OO ERP Fra ss ere eee sde she lees RS 2 Ur de VIII, — Sur le Muséum d'histoire naturelle de Paris....... IX. — Sur les cabinets et sur l'observatoire du collége de France... coue ne 008% 50 0330 8 54% 0e V5 00/08 0.2 slot X. — Sur la grande Bibliothèque de Paris.,...,......e.... XI. — Ventilation des cellules des prisons...,,........... Pages 462 466 467 469 474 476 479 L81 499 511 511 518 536 545 550 550 551 564 585 595 601 612 622 XIL — Tavaux publics de Paris..,..,.........osos.osevee 627 TABLE DES MATIÈRES. 705 $ 4. Considérations sur lesquelles la ville de Paris se fonde pour demander l'autorisation de contracter un em- 31 RARE Sdenuan donéosvaes less » CR 628 $2. De la surtaxe ; de ses effets, des perceptions par les- quelles on pourrait croire possible de la remplacer... 636 $3. Situation financière de la ville de Paris; ses res- sources ; ses charges. — Sans la conservation momenta- née de la surtaxe, la ville pourrait-elle satisfaire con- venablement aux besoins résultant de circontances difficiles, et rembourser son emprunt?....... PRE PE 650 DR CORCIONIODS cos ? " 66/4 SUR LES SYSTÈMES DE LA PROTECTION ET DU LIBRE ÉCHANGE.. 666 SUR LES BREVETS D'INVENTION..... LS RUES A: SUR Vis He és" 672 L — De la nécessité d’un certain examen préalable. ...... 677 IL. — Sur le paiement de la taxe des brevets par annuités. 678 IL. — De l'étendue du domaine que peut monopoliser un le nue ete eee NT. 681 IV. — Sur le droit exclusif des brevetés au perfectionne- ment de leur industrie pendant une année..,........... 685 V. — Sur les déchéances des brevets pris pour des décou- vertes dont l’application industrielle n’est pas indiquée... 687 VI. — Sur les difficultés de mettre à exécution une inven- PM 10 à dE : 695 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU TOME SIXIÈME TOME TROISIÈME DES NOTICES SCIENTIFIQUES VI, — 111 | L5 TABLE DES FIGURES Fig. 4 Plan d’un bec à deux mèches concentriques, de MM. Arago nd Es vo shui PR pue 2 Plan d’un bec à trois mèches concentriques, de MM. Arago et Fresnel............ PE Ddg n RE QU a + SR 8 Élévation d’un bec à trois mèches concentriques à Jarge courant d'air central, de MM. Arago et Fresnel........ L Plan d’un bec à trois mèches concentriques à large cou- rant d’air central, de MM. Arago et Fresnel........... 5 Coupe d’un bec à quatre mèches concentriques, de MM. Arago et Fresnel,. .... ten estsee .....….. ve 6 Plan d’un bec à quatre mèches concentriques, de MM. ed etiFresmel ic. di 0 00, 000 ER PNA A 7 Assemblage à baïonnette de l’anneau mobile qui porte une mèche sur l’anneau fixe soudé à la tige de la crémaillère. 8 Élévation d’un bec quadruple surmonté de sa cheminée portant une rallonge................ dos ss ro dits 9 Coupe géologique de la partie supérieure du puits artésien de l’Abattoir de Grenelle.......... TT PRET LL 10 Coupe géologique de la partie inférieure du puits artésien de l’Abattoir de Grenelle.........., “AG À tua s «de 11 Coupe du tube du puits de Grenelle après son aplatisse- ment sers. ss... ont... . 12 Autre coupe du tube du puits de Grenelle après son apla- tissemMent. .. : : 480 Bon v:e dérvlone-senietse sos isst ones d'à FIN DE LA TABLE DES FIGURES 27 126 427 431 434 ; A EN à PR Àrago, Dominique François Jean Oeuvres comp PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY PES: PE cn : > 20 C2 LLC aber ro xx Elie M Hpres